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Muhammad Asad

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Muhammad Asad
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Biographie
Naissance
Décès
Sépulture
Nom de naissance
Leopold Weiss
Nationalités
Formation
Activités
Enfant
Autres informations
A travaillé pour
Prononciation
Œuvres principales
The Road to Mecca (d)Voir et modifier les données sur Wikidata
Plaque commémorative

Muhammad Asad (né Leopold Weiss en juillet 1900 dans la ville de Lviv en Galicie, maintenant en Ukraine, autrefois partie de l'empire d'Autriche-Hongrie, puis de la Pologne ; mort en 1992 à Granada en Espagne) était un journaliste, un linguiste et diplomate.

Biographie

Famille

Leopold Weiss descend d'une longue lignée de rabbins, sauf son père, Karl Weiss, passionné par la physique mais qui était avocat en Galicie, dans une communauté sioniste. Son grand-père, Binyamin Aryeh Weiss, était rabbin de la ville de Tchernivtsi, capitale de la Bucovine, et goûtait aussi les mathématiques, les échecs et l'astronomie ; il cultivai une longue amitié avec l’archevêque grec-orthodoxe, lui-même également un grand expert aux échecs. Le rabbin meurt quand son petit-fils Leopold a 13 ans, l'âge de la bar mitsva (majorité religieuse).[1]

Etudes

Leopoldl reçut une solide éducation religieuse, connaissait bien l'hébreu et avait des notions d'araméen dès l'adolescence. Il a étudié le Talmud et a creusé les complexités de l'exégèse biblique, le Targoum. Il avoua plus tard à son fils que ce fut à cette époque où il avançait dans sa connaissance du judaïsme, que sa foi commençait à s'étioler : « il me semblait que le Dieu de la Bible était indûment préoccupé par les rites à observer par ses fidèles et par le destin d’une seule nation : la nation hébraïque ». En définitive, son apprentissage aboutissait à l'inverse du but recherché par ses parents et l'éloigna de la religion de ses ancêtres[2],[1].

En 1914, lors de la Première guerre mondiale, sa famille se réfugie à Vienne et assiste au délitement d'un monde qui laisse place à une fragilité ambiante et une insécurité inquiétantes[1].

Après la guerre, sa mère meurt et il part, contre l'avis de son père, étudier pendant deux ans l'histoire de l'art et la philosophie à l'Université de Vienne puis se rend à Prague puis à Berlin. Le cinéaste Friedrich W. Murnau l'engage comme assistant pendant deux mois[1].

Journaliste

Il amorce une carrière de journaliste, travaillant d'abord dans l'agence de presse United Telegraph puis, après l'obtention d'une interview exclusive de la femme de l’écrivain Maxime Gorki, au principal quotidien de langue allemande de l'époque, le « Frankfurter Zeitung »[2]. Il séjourne trois mois à Dornbacher Strasse 1 à Vienne[1].

Plus tard, quand il aura quitté le Frankfurter Zeitung, il signera avec la Neue Zurcher Zeitung de Zurich, le Telegraaf d’Amsterdam et la Kolnische Zeitung de Cologne[1].

En Palestine

En 1922, se produit un grand tournant dans sa vie. Invité par un oncle maternel installé en Palestine mandataire, le Dr Dorian Isador Feigenbaum (1887-1937)[3],[4], élève de Sigmung Freud, psychanalyste, devenu directeur de l'unique hôpital des maladies mentales (fondé par l'organisation de femmes juives, Ezrat Nashim, en 1895) à Jérusalem (puis fondera à New York, en 1932, The Psychoanalytic Quarterly), Weiss arrive dans la ville avec la famille de sa mère et y retrouve aussi son autre oncle Arieh Leopold, directeur du département d'ophtalmologie à l'hôpital Rothchild de Jérusalem[5],[6].

L’impact du voyage à Jérusalem et en Palestine, en passant par Alexandrie, « sur sa vie ultérieure, se révèlera considérable »[1]. S'il y découvre une situation politique instable et même difficile entre Britanniques et Anglais, entre Arabes et Juifs, il connaît le début de son aventure spirituelle personnelle.

« Si l’on m’avait dit à ce moment-là que ma première prise de contact avec le monde de l’islam irait beaucoup plus loin qu’un simple épisode de vacances et marquerait un tournant décisif de ma vie, j’en aurais ri comme d’une idée absurde. Je ne me sentais certes pas fermé à ce que pouvaient offrir des pays associés dans mon imagination, comme dans celle de la plupart des Européens, à l’atmosphère romantique des Mille et une nuits. Je m’attendais à trouver de la couleur, des coutumes exotiques, des scènes pittoresques. Mais je n’aurais jamais songé à la possibilité d’aventures également dans le domaine de l’esprit »[7]

En Palestine, Weiss fraternise plus volontiers avec les Arabes qu'avec les Juifs. Il peut se lier d'amitié avec des Juifs tel le Dr Jacob Israël de Haan, actif contre le mouvement sioniste. Weiss pense en effet que le sionisme politique est une erreur, qu'il y exportera les problèmes de la société européenne ; il s'oppose au Yishouv et à l’établissement du foyer juif sur ces terres qu'il voit plus à présent comme arabes que juives[1],[4]. Au tournant du siècle, la Palestine voit l'arrivée de différentes Alyas (immigration juive dite en « Erets Israel »), soutenue mais limitée par les Britanniques, constituées de près de 100 000 Juifs majoritairement originaires d’Europe orientale, de Pologne et de Russie, fuyant les pogroms russes et l'antisémitisme et pleins d'espoir et d'énergie pour défricher la terre et construire le pays, ce qui inquiète les Arabes malgré les sionistes qui tiennent compte de cette population locale, tel le philosophe et pédagogue Martin Buber ou le philosophe et kabbaliste Gershom Scholem, qui les désirent associés à égalité dans ce projet [1]. Weiss serait plutôt de leur avis mais ne comprend pas les sionistes zélés qu'il considère « aveugles devant les perspectives de souffrance que leur politique allait ouvrir, devant les combats, l’amertume et la haine à laquelle allait s’exposer pour toujours, même en remportant des succès temporaires, l’îlot juif au milieu d’un océan arabe hostile »[8].

Le positionnement antisioniste de Weiss apparaît dans ses d’articles « Journal de voyage » publiés sur huit semaines entre mai et novembre 1923 dans la Frankfurter Zeitung et il persiste dans ce sens dans son ouvrage Un Levant pas romantique paru à la même époque[9]. Au Frankfurter Zeitung, ses opinions antisionistes ne plaisent pas à tous les lecteurs des années 1920 et la direction éditoriale s'en démarque dès le début de son deuxième article : « Nous publions cet essai de la série “Journal d’un voyage” avec la réserve expresse que la partie politique des déclarations ne rend compte que des idées de l’auteur, pour lesquelles nous déclinons toute responsabilité[10].

Les Juifs palestiniens le considèrent alors soit comme un « vendu aux Arabes », soit comme « un intellectuel excentrique attiré par l’exotisme de l’Orient », qu'ils ne peuvent plus prendre au sérieux[1].

Voyages et conversion

Il voyage longuement dans les pays à majorité musulmane, en Egypte, Syrie, Transjordanie (aujourd’hui Jordanie), Turquie, Perse, Afghanistan ou en Arabie Saoudite où sa maîtrise de l'hébreu et de l'araméen l'aident grandement dans son apprentissage de la langue arabe[2],[6]. Le monde arabe l'accueille avec hospitalité.

« Cette unité de résonance me fit sentir dès ces jours passés au Caire combien profonde était l’unité intérieure de tous les musulmans et combien artificielles et insignifiantes étaient les limites extérieures établies entre eux. Ils étaient unis dans leur manière de penser et de distinguer le juste du faux, comme ils étaient unanimes dans leur perception de ce qui constitue une vie droite. Il m’apparut que, pour la première fois, j’étais en présence d’une communauté où les liens entre les hommes n’étaient pas dus aux accidents raciaux ou économiques communs, mais à quelque chose de beaucoup plus stable : c’étaient les liens émanant de mêmes principes qui supprimaient toutes les barrières de la solitude entre les hommes »[11]

Lors de son voyage en Egypte, la sympathie de Weiss va vers le mouvement d’indépendance égyptien malgré les attentats et des attaques d’installations britanniques. Il se rend à pieds à Damas.

Il commence à rejeter ce qui pervertit l'Occident comme « le matérialisme, la course à la consommation, le nationalisme et... la quête insondable de la "pureté originelle" ». Il considère que dans l'islam, la « pureté est accordée à l'homme avec la naissance » et il désire « être créé de nouveau ». Fasciné par cette nouvelle culture, il se convertit à l'islam à 26 ans et prend le nom arabe de Muhammad Asad : « Muhammad pour Mahomet. Asad (lion) pour Leo »[6],[12].

Il voyage accompagné d'une peintre, Elsa Schiemann, qui mourra après son pèlerinage à La Mecque.

Politique et spiritualité

Il est le témoin privilégié des mouvements de libération au XXe siècle et on lui prête une influence sur certains théoriciens du fondamentalisme islamique[6]. Il fut proche conseiller du roi saoudien Abdel Aziz Ibn Saoud, invité par le roi Abdallah ben Hussein de Transjordanie et ami du roi Fayçal d'Arabie saoudite.

Place Muhammad Asad à Vienne, Autriche

Entre 1931 et 1939, il s'établit, avec son épouse Munira (fille d’un cheikh saoudien) et sa famille, à Lahore au nord de l'Inde, alors sous contrôle britannique[13]. Son fils Talal naît en 1932[1].

En 1939, il est interné dans un camp par les autorités britanniques des Indes, puis rejoint par son épouse et son fils Talal, comme Juif autrichien et « ennemi étranger », pour avoir publié des articles anti-britanniques dans la presse allemande de longues années durant, alors qu'il commence à être reconnu comme un théoricien important de l'islam[6]. On les transfère dans un autre camp de détention pour familles, près de Bombay où sont aussi emprisonnés des Juifs germaniques ayant fui le nazisme. Alors qu'il avait tenté de les sauvé, ses parents (son père, sa belle-mère, sa soeur, sa tante) sont assassinés dans les camps d'extermination nazie de la Shoah lors de la Seconde guerre mondiale[2].

Sur place, il collabore, avec Muhammad Iqbal, à la formation d'un futur Etat islamique qui devriendra le Pakistan en 1947[13],[1]. Il participe l'organisation du Pendjab à travers le nouveau Département de la reconstruction islamique à Lahore et aux débats autour de la future Constitution. Il est ensuite nommé directeur de la division du Moyen-Orient au ministère des Affaires étrangères[1]. Il devient ministre plénipotentiaire, le premier ambassadeur du Pakistan à l'Organisation des Nations unies (ONU) en 1952, où il prononce un discours anti-israélien à sa tribune.

Des problèmes liés probablement à ses succès et ses origines ethnique et religieuse naissent au sein de son ministère allant jusqu'à ce que son ministre des Affaires étrangères lui refuse l'autorisation d'épouser sa quatrième femme, Paola Hamida, une Américaine d’origine catholique polonaise, elle aussi convertie à l’islam[1].

Intellectuel polyglotte, il appartient à l'élite pakistanaise mais quitte le monde diplomatique. Il donne des conférences sur l'islam dans les différents pays et écrit son autobiographie The Road to Mecca (Le Chemin de La Mecque) en 1954 où il raconte notamment « la découverte de l’islam par un Européen et de son intégration dans la communauté musulmane »[2],[1].

À la fin de sa vie, Muhammad Asad vit en Suisse puis une grande période à Tanger au nord du Maroc, avant de s’installer à Granada en Espagne avec son épouse Paola Hamida Asad, jusqu'à sa mort en 1992 à Mijas en Andalousie. Il est enterré dans le cimetière musulman de Granada.

Ouvrages

Il a écrit plusieurs livres, le plus connu étant Le Chemin de la Mecque (1954), qui raconte ses voyages en Orient et, sans renier son origine juive, sa conversion à l'islam. Son ouvrage principal après avoir quitté Lahore, soutenu matériellement par le secrétaire général de la Ligue musulmane mondiale, le sheikh Muhammad Sarur as-Sabban et la famille Shaya du Koweit, est sans doute sa traduction du Coran d'arabe en anglais, sous le titre The Message of the Qur'ān (1980) dont le premier volume paraît en 1964, qu'il met près de vingt ans à construire mais qui sera censurée par les Saoudiens[2],[6],[1]. Il y a donc consacré la dernière partie de son existence, après avoir renoncé à son action politique. Son but était de faire connaître le Coran à l'Occident.

« Initialement très rigoriste il sera fasciné par le wahhabisme puis les idées salafistes, et convaincu de "l'incompatibilité spirituelle" entre l'islam et l'Occident ». Dans ses derniers ouvrages de théologie, il prône finalement une réforme de l'islam en se retournant contre les fondamentalistes[6].

Descendance

Son fils, Talal Asad, né en Arabie Saoudite, a grandi en Inde puis au Pakistan, a fait ses études à Oxford en Angleterre et vit désormais à New York où il enseigne l’anthropologie à la City University of New York[2]

Bibliographie

Œuvres

  • Un Proche-Orient sans romantisme : Journal de voyage (publié en allemand à Francfort-sur-le-Main, aux éditions Societät-Druckerei en 1922, traduit en français en 2005), éd. du CNRS., 180 pp. Écrit sous son ancien nom : Leopold Weiss[1].
  • L'Islam à la croisée des chemins, éditions Renaissance (publié en anglais en 1934, traduit en français en 2004).
  • Traduction en anglais du Sahih Al-Bukhari (1935-1938)
  • Le Chemin de La Mecque (1954), trad., Fayard, 1999.
  • The Message of the Qur'ān (1962-1980). Dernière édition anglaise en 2004 (édition The Book Foundation). Traduction française en préparation.

Articles parus dans la Frankfurter Zeitung

  • 1923a, « Tagebuch einer Reise [I] », FZ, 67, n° 351, 15 mai 1923, pp. 1-2.
  • 1923b, « Tagebuch einer Reise II », FZ, 67, n° 401, 3 juin 1923, pp. 1-2.
  • 1923c, « Tagebuch einer Reise III », FZ, 67, n° 468, 28 juin 1923, pp. 1-2.
  • 1923d, « Tagebuch einer Reise IV », FZ, 67, n° 528, 20 juillet 1923, pp. 1-2.
  • 1923e, « Tagebuch einer Reise [V] », FZ, 67, n° 607, 18 août 1923, p. 1.
  • 1923f, « Tagebuch einer Reise VII », FZ, 68, n° 664 ; 8 septembre 1923, p. 1.
  • 1923g, « Tagebuch einer Reise VIII », FZ, 68, n° 769, 17 octobre 1923, pp. 1-2.
  • 1923h, « Tagebuch einer Reise IX », FZ, 68, n° 871, 24 novembre 1923, p. 1.

Études

  • Florence Heymann, Un Juif pour l'islam, Stock, 2005, 304 pp.,
  • Tom Butler-Bowdon, 50 classiques de la spiritualité (2005), trad., Le Jour, Montréal, Canada, 2008.

Documentaire

  • Un chemin vers l'Islam ': le voyage de Muhammad Asad, Arte, 2009.

Notes et références

  1. a b c d e f g h i j k l m n o p et q Leopold Weiss, « Introduction », dans Un Proche-Orient sans romantisme : Journal de voyage, CNRS Éditions, coll. « Histoire », (ISBN 9782271090942, lire en ligne), p. 5–33
  2. a b c d e f et g Amir Ben-David, « LA VIE MOUVEMENTÉE D'UN SAGE. Leopold Weiss, alias Muhammad Asad, islamologue », Source : Haaretz, sur Courrier international, (consulté le )
  3. « In Memoriam Dorian Feigenbaum, M.D. 1887-1937 », The Psychoanalytic Quarterly, vol. 6, no 1,‎ , p. 1–3 (ISSN 0033-2828, DOI 10.1080/21674086.1937.11925305, lire en ligne, consulté le )
  4. a et b Eran ROLNIK, Freud à Jérusalem: La psychanalyse face au sionisme, Antilope (L'), (ISBN 9791095360162, lire en ligne)
  5. (en) Psychoanalytic Quarterly, « Dorian Feigenbaum, M.D—1887-1937 », Psychoanal Q., vol. 6,‎ , p. 1–3 (lire en ligne, consulté le )
  6. a b c d e f et g Sylvain Cypel, « La surprenante odyssée de Leopold Weiss », Le Monde,‎ (lire en ligne, consulté le )
  7. Asad, Le Chemin de La Mecque, p. 74
  8. Un Levant pas romantique, op. cit., p. 93
  9. Un Levant pas romantique, pp. 59-60
  10. Note rédactionnelle à Weiss 1923d.
  11. Un Levant pas romantique, p. 104
  12. (he) Moshe Ben Yaakov Gavriel, « Leopold Weiss est devenu Mahmoud Assad », sur jpress.org.il, Ma'ariv, 11 juillet, 1952 (consulté le )
  13. a et b Groupe de recherche et d'études sur la culture allemande, Patricia Desroches-Viallet, Geoffroy Rémi, Construction de l'identité dans la rencontre des cultures chez les auteurs d'expression allemande : Tome 1, Être ailleurs, Université de Saint-Etienne, , 274 p. (ISBN 2862724319, lire en ligne), p. 89-90

Voir aussi

Annexes

Liens externes