Scène V.
Ah ! quel fardeau cruel à ma douleur profonde !
Moi, recevoir ici cet ennemi du monde !
Approche, et puisque enfin le ciel veut nous unir,
Vois Mahomet sans crainte, et parle sans rougir.
Je rougis pour toi seul, pour toi dont l’artifice
A traîné ta patrie au bord du précipice ;
Pour toi de qui la main sème ici les forfaits,
Et fait naître la guerre au milieu de la paix.
Ton nom seul parmi nous divise les familles,
Les époux, les parents, les mères et les filles ;
Et la trêve pour toi n’est qu’un moyen nouveau
Pour venir dans nos cœurs enfoncer le couteau.
La discorde civile est partout sur ta trace.
Assemblage inouï de mensonge et d’audace,
Tyran de ton pays, est-ce ainsi qu’en ce lieu
Tu viens donner la paix, et m’annoncer un dieu ?
Si j’avais à répondre à d’autres qu’à Zopire,
Je ne ferais parler que le dieu qui m’inspire ;
Le glaive et l’Alcoran, dans mes sanglantes mains,
Imposeraient silence au reste des humains ;
Ma voix ferait sur eux les effets du tonnerre,
Et je verrais leurs fronts attachés à la terre :
Mais je te parle en homme, et sans rien déguiser ;
Je me sens assez grand pour ne pas t’abuser.
Vois quel est Mahomet : nous sommes seuls ; écoute :
Je suis ambitieux ; tout homme l’est, sans doute ;
Mais jamais roi, pontife, ou chef, ou citoyen,
Ne conçut un projet aussi grand que le mien.
Chaque peuple à son tour a brillé sur la terre,
Par les lois, par les arts, et surtout par la guerre ;
Le temps de l’Arabie est à la fin venu.
Ce peuple généreux, trop longtemps inconnu,