Rugby - Coupe du monde féminine (France-Angleterre): Comment le XV de la rose est devenu un ogre
14 juillet 2019, San Diego, États-Unis. C’est la date et le lieu de la dernière défaite anglaise sur la scène internationale. À l’époque, la Nouvelle-Zélande l’avait emporté 28-13 lors des Women’s Rugby Super Series. Depuis, tout roule pour les joueuses du sélectionneur Simon Middleton. Trois fois vainqueur du Tournoi des VI Nations en trois ans, l’Angleterre assoit sa domination avec une aisance ahurissante. Il faut même remonter à 2013 pour trouver deux défaites d’affilée des Red Roses.
C’est à se demander si, actuellement, la perfide Albion n’abrite pas l’équipe internationale la plus dominante de l’histoire de ce sport. Emblématiques elles aussi, les Black Ferns ont le palmarès pour elle, mais ont-elles déjà atteint un tel niveau de domination dans ce sport? Les coéquipières de Ruby Tui ont pris un sacré coup en automne dernier en enregistrant la plus large défaite de leur histoire 56-15 face à cette même équipe anglaise.
Le Premier 15s, l’investissement de la fédération anglaise qui a magnifié le rugby féminin
En 2017, la fédération anglaise de rugby (RFU) décide d’investir 2,4 millions de livres pour un championnat national féminin, le Premier 15s. L’investissement s’étale sur trois ans, on parle alors d’une première dans le monde du rugby féminin : un championnat semi-professionnel. L’investissement sert aussi à fournir des conditions décentes pour s’entraîner avec des installations adaptées, un meilleur environnement pour la formation et des plans d'engagement communautaire pour le rugby féminin. Les joueuses évoluent dans un climat plus professionnalisant avec une implication beaucoup plus importante, profitant du fait qu’elles n’ont pas à travailler à côté pour gagner leur vie décemment. L’attractivité est telle que plusieurs joueuses d’autres pays, comme le Japon, le Canada, les USA ou la France, sont arrivées en Angleterre pour jouer spécialement dans ce championnat.
Pour Lénaïg Corson, joueuses des Wasps, le changement entre l’Élite 1 et le Premier 15s a été brutal. “En Angleterre, j’ai un staff de 10 personnes à disposition. Je peux aller faire des soins à n’importe quelle heure de la journée. En France, je devais attendre une demi-heure avant le début de l’entraînement pour avoir accès à un kiné”, expliquait-elle dans le podcast Entre les Potos du 4 octobre.
En parallèle du Premier 15s, la fédération anglaise développe aussi le rugby féminin à travers toute l’Angleterre. En 2017, on compte 27 000 femmes qui jouent au rugby. Cinq ans plus tard, ce nombre est grimpé à 40 000, pour une augmentation de 32,5%. Et la fédération prévoit d’avoir 100 000 joueuses d’ici 2025. Ce plan de développement a permis de hausser le niveau général du championnat anglais, augmentant par là même celui de la sélection en mettant à disposition des joueuses plus professionnelles et plus capables grâce à ces investissements.
Fraîcheur, expérience, jeunesse, stars mondiales… Le groupe des Red Roses est sans pareil
Pour cette Coupe du monde, la liste des 32 joueuses anglaises atteint une profondeur rare. La stratégie de la jeunesse est de mise. Elles sont une quinzaine à avoir 25 ans ou moins. Pour n’importe quelle nation, on pourrait se dire que jeunesse n’est pas mère d’assurance sur un terrain, peut-être d’énergie tout au plus. Mais les jeunes Anglaises ont toute la tête à l’endroit. Elles sont les pionnières d’un système que les autres nations n’ont pas et qui, pourtant, semble anodin pour le rugby masculin : la possibilité de s’entraîner tous les jours, de jouer tous les jours, et de ne pas avoir à travailler à côté du rugby pour gagner sa vie. La preuve en est avec Sadia Kabeya, troisième ligne des Loughborough Lightning, désignée femme du match face aux Fidji après une performance époustouflante pour sa 5e sélection, elle qui n’est âgée que de 20 ans.
De l’autre côté, l’Angleterre s’appuie sur des joueuses expérimentées. Émily Scarratt est, sans doute, le nom le plus important à retenir. N°13 des Red Roses, Scarratt est le visage du sacre anglais lors de la Coupe du monde 2014. C’est elle qui avait inscrit l’essai de la victoire en finale face au Canada. Devant, le nom de Zoe Aldcroft ne vous est peut-être pas inconnu. La deuxième ligne a été désignée meilleure joueuse du monde en 2021. Redoutable en défense, c’est aussi un atout de poids en attaque. La joueuse de Gloucester-Hartpury possède une technique impressionnante balle en main. Puissante, sa dextérité lui permet de mobiliser plusieurs défenseuses avant de passer la balle après contact. Et puis impossible de ne pas mentionner la capitaine Sarah Hunter, 37 ans et N°8 au talent reconnu avec 135 sélections au compteur, qui aura un duel intéressant avec Romane Ménager samedi.
Simon Middleton, l’ingénieur en chef d’un rouleur compresseur sans frein
“Nous devons gagner la Coupe du monde. La profondeur de notre effectif est sans précédent. Nous avons à notre disposition tout ce que nous pourrions souhaiter. C'est l'équipe la mieux préparée. Bien sûr, cela ne signifie pas que nous allons la gagner. C’est la seule chose que nous ne pouvons pas prévoir”, annonçait Simon Middleton à Sky Sports avant de décoller pour la Nouvelle-Zélande. Défait en finale de Coupe du monde par les Black Ferns en 2017, Middleton a bâti sur cet échec en se servant du Premier 15s pour façonner une machine. Son jeu est désormais basé autour de sa demi d’ouverture, Zoe Harrison. La France en a fait les frais lors du dernier Tournoi des 6 Nations, les Red Roses aiment se servir des ballons portés pour concasser et marquer des essais. C’en est devenu une marque de fabrique que les Bleues s’évertuent à essayer de contrer, sans succès pour le moment.
En 2021, le travail de Simon Middleton est récompensé par le titre de meilleur entraîneur du monde par World Rugby. C’est la première fois qu’un coach de rugby féminin se voit attribuer la récompense. Conscient d’avoir un groupe talentueux, il assume aussi le choix d’avoir laissé à la maison des profils expérimentés comme Natasha Hunt (60 sélections), Amber Reed (62 sélections) et Vicky Fleetwood (82 sélections). “Je partage la peine de ces joueuses. Mais je suis certain que nous avons le meilleur groupe possible pour devenir champions du monde”, confie-t-il.