L'héritage de Robert Peugeot, un bourbier boursier à plusieurs centaines de millions d'euros
500 fortunes. Robert Peugeot, héritier du groupe automobile, prendra sa retraite l’an prochain. Avec un bilan peu reluisant pour le portefeuille familial : ses participations hors de son secteur historique ont coûté cher.

Une dame d’un certain âge se présente à l’entrée de L’Apostrophe, nouveau centre d’affaires situé à une encablure de la place de l’Etoile (Paris VIIIe). Rien d’étonnant, car les têtes blanches sont traditionnellement surreprésentées dans la population des actionnaires individuels qui se déplacent pour assister aux assemblées générales des sociétés cotées. Ce 24 mai, Robert Peugeot préside celle de Peugeot Invest, le holding coté dont 20 % du capital est entre les mains d’actionnaires extérieurs à la famille. Colette Neuville en fait partie. Et elle est un peu surprise de l’accueil que lui fait l’un des administrateurs, Nicolas Huet, qui l’aborde pour lui signifier tout le mal qu’il pense de son « activisme ».
La famille a placé cet ancien d’Eurazeo à la direction générale de Peugeot Frères, la maison mère de Peugeot Invest, elle-même pilotée par un autre financier, Bertrand Finet (ex-Bpifrance). Ce dernier est dans une position beaucoup plus inconfortable que son collègue : Robert Peugeot lui a signifié son congé quelques semaines auparavant, avec date d’effet fin juillet. Lui-même se prépare à quitter le navire, atteignant la limite d’âge. Ce sera au printemps prochain, sachant que la famille n’a pas modifié les statuts afin de prolonger son mandat.
Le « fusible » Bertrand Finet
Comme on est entre gens bien élevés, rien ne permet de prouver d’éventuelles dissensions entre branches. Mais les blessures du début du siècle ne sont peut-être pas cicatrisées. A la tête du constructeur automobile, Thierry Peugeot s’était opposé à Robert, qui rêvait de prendre sa place.
Puis les deux hommes s’affrontèrent lorsque le groupe, au bord de la faillite, fusionna avec Fiat pour former Stellantis. Aujourd’hui, la subtile répartition des mandats à l’intérieur de la galaxie Peugeot semble avoir été conçue pour qu’ils n’aient pas à se retrouver dans les mêmes conseils d’administration.
En fait, Robert Peugeot n’est peut-être pas mécontent de quitter ses fonctions à la tête du holding, qu’il occupe depuis 2002, après être entré en 1975 chez le constructeur automobile dont il est aujourd’hui vice-président. Les derniers mois ont été plus compliqués que prévu, malgré les performances de Stellantis. Presque un enfer, au point qu’il a fini par sacrifier le directeur général de Peugeot Invest. Car on s’accorde à dire parmi les actionnaires que Bertrand Finet a joué le rôle de « fusible ». C’est du moins le point de vue de Colette Neuville, une coriace qui depuis des décennies dirige l’Association de défense des actionnaires minoritaires.
Une demi-dizaine de résolutions
Alliée à deux sociétés de gestion, Sycomore et Moneta, qui détiennent 6 % de Peugeot Invest, Colette Neuville a décortiqué les comptes, les statuts et le règlement intérieur. Et trouvé beaucoup à redire, comme cette redevance annuelle d’1 million d’euros que paie la société à la famille pour l’usage de son nom.
Il y a aussi, en vrac, la décote du titre par rapport à son actif net, le dividende qui ne lui paraît pas suffisant, ou « le variable des dirigeants qui n’est pas adapté ». Au total, une demi-dizaine de résolutions et une cinquantaine de questions écrites pleuvent sur les équipes de Robert Peugeot.
Courtois, le président du conseil d’administration a préalablement discuté avec la championne des petits actionnaires. Toutes les résolutions sont rejetées mais « sur certains points, ils ont raison », concède la porte-parole de Peugeot Invest, qui assure que « les discussions se poursuivront ».
L’action végète depuis cinq ans
Mais il y a des lignes rouges et des tabous. Pour être plus tranquille, la logique voudrait par exemple que la famille retire la société de la cote. Comme l’ont fait l’an dernier les Rothschild, qui en ont profité pour réorganiser le capital de leur banque. L’idée serait de fusionner les différents holdings après avoir racheté les minoritaires non familiaux. « Une opération qui nécessiterait, prime comprise, que les Peugeot acceptent de payer environ 500 millions d’euros », décrypte un analyste, sachant que la capitalisation actuelle de la société est de 2,4 milliards.
« Ce scénario est totalement farfelu, la famille est très contente d’être en Bourse », expliquait-on chez Peugeot Invest en mars dernier, alors que la rumeur ressurgissait à l’occasion de l’annonce du départ du directeur général. De fait, le cabinet Egon Zehnder a été mandaté pour trouver un gros calibre afin de remplacer Bertrand Finet, signe que Peugeot Invest, dont le conseil est composé d’un savant dosage de représentants des quatre branches familiales, souhaite garder son autonomie.
Pourtant, pour les actionnaires, cette solution permettrait de sortir d’un bourbier boursier qui ne crée guère de valeur : l’action végète depuis cinq ans, alors que celle de Stellantis s’est envolée de 63 % sur la période. Le type de comparaison qui déplaît forcément à Robert Peugeot, dont toute la stratégie est précisément de diversifier le portefeuille familial pour le rendre moins sensible aux cycles de l’industrie automobile.
Le scandale Orpea
Comme un bon père de famille, il a pris des participations dans des groupes amis, comme Lisi (famille Viellard) ou la foncière des Dassault. Il a longtemps accompagné Thierry de La Tour d’Artaise, le président de Seb, avant de revendre sa participation. A l’image de beaucoup de family offices, Peugeot Invest a aussi placé des billes dans le private equity, en souscrivant aux levées de grands fonds spécialistes du non coté, comme PAI Partners ou Advent.
Toujours à la recherche de secteurs en croissance et/ou de rendement, l’équipe a aussi investi dans les Ehpad, en prenant pour 110 millions d’euros 6 % du capital d’Orpea. Une opération scellée en 2011, qui, à l’époque, a été saluée par le marché. Mais qui deviendra un cauchemar une décennie plus tard avec la sortie du livre Les Fossoyeurs et le scandale qui s’ensuivit.
A y regarder de près, la facture n’est pas si lourde, puisque dès 2018 un bloc de 1 % a été revendu pour 60 millions d’euros. Mieux, le nom Peugeot n’a pas été sali par le scandale, sans doute grâce aux bons conseils de l’agence Image 7 qui a tout fait pour préserver la réputation de la famille, pourtant représentée depuis des années au conseil d’Orpea. Aujourd’hui, cette société est passée sous la tutelle de la Caisse des Dépôts, a changé son nom en Emeis. L’aventure s’est finalement soldée par une perte nette limitée à 23 millions d’euros. Ouf !
372 millions d’euros
Mais voilà, Robert Peugeot a pioché une autre boule noire avec Signa. La société de promotion immobilière dirigée par René Benko, un milliardaire autrichien qui a fait fortune en rachetant des actifs bradés par les banques lessivées par la crise financière de 2008-2009. Le genre de profil d’entrepreneur audacieux qui plaît à Robert Peugeot.
En 2019, ce dernier accepte de faire son entrée au tour de table de Signa Prime, histoire de renforcer son exposition à l’immobilier. Plus gonflé, il remet au pot deux ans plus tard en entrant au capital de Signa Development, qui finance les chantiers à venir du flamboyant homme d’affaires.
Certes des rumeurs circulent sur son compte, mais les conclusions de l’enquête réputationnelle qu’il a commandée à la société d’intelligence économique Adit semblent laver l’Autrichien de tout soupçon. Fin 2023, l’empire Signa s’écroule avec la mise en faillite de plusieurs de ses sociétés. Peugeot Invest est contraint de passer 372 millions d’euros de provisions dans ses propres comptes. Une grosse tache.
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