Elizabeth Bourgine, la star de Meurtres au paradis: "A 50 ans, une actrice est réduite à un chiffre. C'est violent"
Elle se bat au sein d'Actrices et Acteurs de France Associés (AAFA) pour que les femmes de plus de 50 ans, qui représentent un quart de la population, décrochent plus que 8 % des rôles dans les fictions.
- Publié le 17-04-2021 à 19h22
Les chiffres sont ahurissants. Actuellement, en France, les femmes de 50 ans représentent un quart de la population. Mais à l'écran, il faut bien les chercher pour les trouver. La sexagénaire Elizabeth Bourgine, qui incarne la maire Catherine Bordey dans la série Meurtres au paradis, fait en effet un peu figure d'exception.
"En 2015, quand on a découvert les chiffres au sein de l'association Actrices et Acteurs de France Associés (AAFA), on était sidérés : ce n'était quasiment rien, explique-t-elle via Zoom. À peine 8 % des rôles, alors que les hommes du même âge avaient quatre fois plus travail. Un an après, la situation avait empiré : seulement 6 %. C'est pour ça qu'on se bat et qu'on a écrit le Manifeste AAFA-Tunnel des 50. Parce qu'un fois qu'on fournit des chiffres, on se rend compte des inégalités, dont même les femmes n'étaient pas conscientes. Maintenant, ça va un peu mieux, mais on n'en est toujours qu'à 8 % des rôles… Seules les mentalités évoluent un peu. C'est encore trop rare que même pour des petits rôles, on se dise, 'Tiens, pourquoi ce directeur de clinique ne serait pas une directrice ?' Car au départ, dans le scénario, dès qu'il s'agit d'une fonction à responsabilité, c'est toujours prévu pour un homme."
Pourtant, à la télé, on vise la ménagère de plus de 50 ans, qui s'identifierait plus facilement à des comédiennes de son âge...
"C'est un problème que rencontrent toutes les femmes à partir de 45 ans. Pour les actrices, c'est même à 40 ans. Les rôles diminuent et deviennent moins intéressants : ce sont des femmes de… qui n'ont pas de métier, des secrétaires de… qui ont raté leur vie. Et on ne leur repropose des rôles qu'au-delà de 60-70 ans. Et quand on en parle aux agents, ils disent : 'Tu comprends, c'est plus agréable d'avoir une femme plus jeune. Mais dès que tu auras l'air d'une grand-mère, tu auras des rôles.' Mais quand est-ce qu'on a l'air d'une grand-mère ? J'ai plus de 60 ans, mais on me dit que non, je ne corresponds pas : une grand-mère doit avoir des cheveux gris, des kilos (elle mime la rondeur au niveau de sa taille, ndlr) et pas de corps, pas de charme et pas de vie. C'est effarant."
On vous a déjà refusé des rôles à cause de votre âge ?
"Oh oui ! Je me souviens avoir passé un casting pour un film. On me dit que je suis exactement le personnage, c'est parfait. Puis, on me demande mon âge. Je réponds que j'ai le bon âge, puisque je suis parfaite pour le rôle. Mais la jeune fille du casting insiste et va voir sur Internet. Elle le voit et me dit : 'Ça ne va pas aller. Vous avez trois ans de plus que le personnage." J'avais 57 ans, j'étais parfaite, mais parce qu'elle voyait un chiffre, je ne convenais plus. Et elle a déchiré ma feuille devant moi, l'a mise à la poubelle et m'a dit : 'Au revoir Madame'. C'est très violent d'être réduite à un chiffre. Parfois, on me dit que je serais parfaite si j'avais dix kilos de plus, parce que pour certains, toutes les femmes de 55 ans et plus sont forcément rondes. C'est fou. D'autres fois, on me dit qu'à mon âge, je devrais forcément faire de la chirurgie esthétique. Ou payer des gens sur Internet pour gommer ma date de naissance. C'est absurde. Pour un autre film, on m'avait proposé un rôle magnifique, avec un acteur que je connaissais bien, mais finalement, la chaîne a proposé le rôle à une comédienne 15 ans plus jeune, sans le réécrire. Parce que les producteurs trouvaient ça 'plus agréable'. Cela revient tout le temps. On demande aux actrices d'être désirables, tout en considérant qu'elles le sont beaucoup moins au-dessus de 50 ans. Cela consiste à nier un quart de la société."
Vous n'êtes pas la seule à lutter contre ces préjugés...
"Brigitte Bardot a fait bouger les choses en devenant un symbole sexuel dans Et Dieu créa la femme, parce que tout tournait autour d'elle. Dans Jules et Jim, Jeanne Moreau a montré qu'une femme pouvait avoir deux amants. Petit à petit, cela a évolué jusqu'à Julia Roberts dans Erin Brockovich : une femme peut tenir le rôle principal, seule, dans un film qui a énormément de succès. Elle peut être militante, avoir une vie et connaître un parcours formidable. Mais cela reste beaucoup trop rare. Des beaux rôles pour femmes plus âgées, il n'y en a que pour quelques actrices, comme Catherine Deneuve ou Isabelle Huppert, parce qu'on écrit pour elles. C'est long, c'est difficile, mais j'espère qu'on va arriver à améliorer fortement ça. Actuellement, la principale amélioration, c'est qu'existent sur les plateaux des chartes, des documents pour protéger contre le harcèlement, par exemple. Comme on en parle dans la presse, les jeunes femmes vont moins tomber de haut qu'avant. Mais c'est difficile d'être protégée…"
Vous en avez souffert ?
"Sur les plateaux, j'ai été gâtée, avec des metteurs en scène très respectueux et des équipes techniques au comportement formidable. Même dans Cours privé, où j'apparaissais nue, il y avait un respect total, on vidait le plateau et on me parlait avec déférence. Mais je sais que cela ne se passait pas aussi bien sur tous les plateaux. Maintenant, les jeunes filles sont plus armées, elles sont plus au courant, alors qu'on ne m'avait rien dit à part : 'Surtout, tu ne contraries personne, une actrice doit être désirable.' Quand j'étais enceinte, il ne fallait surtout pas que ça se sache parce que, m'a-t-on expliqué, une fois qu'une actrice a eu un enfant, elle n'est plus désirable de la même façon. Aujourd'hui, là-dessus, je pense que cela a bien évolué."
C'est pour cela qu'après des grands succès (La septième cible, Noyade interdite, Un coeur en hiver, ...) vous avez disparu des grands écrans ?
"Non. On m'a proposé beaucoup de rôles, qui me demandaient d'être disponible 24h sur 24, mais quand je répondais que j'avais une vie privée, je ne les obtenais pas. Je n'ai pas été agressée sexuellement, mais avec ce type de chantage, les rôles s'éloignent. Je n'ai pas lâché : si on m'engage, c'est comme actrice, et c'est tout. Mais dans les années 80, on disait, en trouvant ça normal, qu'une actrice devait faire rêver, être disponible."
Aujourd'hui, vous tournez beaucoup, mais à la télé...
"Dans Meurtres au paradis ou dans Les mystères de l'école de la gendarmerie, j'incarne des femmes qui ont des vraies vies, sont heureuses en amour et ont de la fantaisie. Elles ne sont pas juste l'épouse de quelqu'un qui pleure son fils. J'ai refusé le rôle d'une femme qui tout raté, qui s'étiole et qui estime que son mari a raison de la quitter. Je ne peux pas me raccrocher à ça. Et le succès de Meurtres au paradis montre que j'ai raison. À chaque anniversaire, je me dis : quel bonheur, une année de plus et je suis toujours là. C'est l'énergie qui compte, pas l'âge."
Et de conclure par un appel : "On aimerait étendre l'association AAFA à la Belgique. Alors, les actrices belges, contactez-nous !"
L'impact énorme de Meurtres au paradis
En s'inspirant d'un fait divers réel pour créer Meurtres au paradis, Robert Thorogood s'était fixé pour ambition de situer une enquête policière mystérieuse, à la Agatha Christie, dans un décor de rêve plus exotique que la traditionnelle Perfide Albion. Le hasard a voulu qu'au fil des dix saisons, les inspecteurs se sont succédé et que Catherine Bordey, incarnée par Elizabeth Bourgine, devienne un des liens majeurs entre les anciens et les nouveaux venus.
"C'est un très beau rôle, explique-t-elle. Un bonheur. L'exemple même de ce qu'une femme de plus de 50 ans peut être : libre, indépendante, maire de son village, décisionnaire, avec du charisme. C'est pour ça que c'est un des personnages préférés de la série depuis dix ans. Et surtout en Angleterre. Elle a un impact énorme parce qu'elle s'habille comme elle veut, avec de la fantaisie, de l'humour, de l'impertinence, de l'expérience qui lui permet de parler cash quand elle prend des décisions. Dans la vie, on rencontre plein de femmes comme ça. Mais pas dans les films. Du coup, en Angleterre, elle est adorée. Voici quelques jours, place de l'hôtel de Ville à Paris, j'ai été abordé par un jeune Britannique qui m'a reconnue : 'Vous êtes Catherine ? Je vous adore et ma mère aussi. Les femmes veulent s'habiller et parler comme vous.' Ce type de rôle a un impact énorme."
Un grand sourire barre son visage. "Dans la dixième saison, mon personnage apparaît un peu plus, il va lui arriver des choses formidables, parce qu'elle sera encore plus impliquée dans l'intrigue, et je suis sûr que cela va me valoir plein de réactions. À chaque fois que j'apparais, je reçois des messages de personnes de tous les âges -des petits garçons qui parlent de leur maman ou des femmes qui aimeraient ressembler à Catherine- pour me dire que grâce à ce personnage, plein de femmes osent se comporter comme elles le voudraient ou s'habiller avec des bijoux, de la couleur. C'est formidable. Catherine apporte de la liberté. Il en faudrait plein des personnages comme elle. C'est un rayon de soleil et je suis ravi de pouvoir mener mon combat à travers elle. Au début, elle était juste la mère de l'héroïne, Sara. Quand elle a quitté la série, tout le monde m'a dit que j'allais disparaître aussi. J'en ai parlé aux producteurs, en lui proposant de l'impliquer plus dans la vie de Sainte-Marie. Si elle devenait maire du village, elle pourrait rester la mère, mais du village. Ils m'ont suivie et maintenant, c'est un rôle important récurrent. Plus les saisons avancent, plus elle parle, avec son humour et son expérience. Il a fallu qu'elle gagne ses galons. Maintenant, c'est la mémoire du village, celle dont le tempérament bouscule tout le monde et fait du bien."