Cadences, turnover, maladies professionnelles… "Complément d'enquête" révèle les dessous des conditions de travail dans les magasins Action
De nombreux magasins sur le territoire, une cote de popularité au plus haut, des prix cassés : l'enseigne de hard-discount néerlandaise Action est devenue incontournable en France. En période d’inflation, ses prix très serrés attirent toujours plus de clients. Mais que se cache-t-il derrière ce succès incontestable ?
Pour un numéro intitulé "Action : toujours moins cher, mais à quel prix ?", diffusé jeudi 12 décembre*, les journalistes de "Complément d'enquête" décryptent les raisons du succès de l'entreprise, qui possède près de 2 800 magasins en Europe, dont plus de 800 en France.
Pour ce faire, ils ont rencontré des salariés et ex-salariés et ont eu accès à des documents internes et confidentiels. Leur enquête met notamment en lumière la chasse aux dépenses et la quête de productivité, qui peuvent peser sur les conditions de travail des salariés.
Des cadences et un temps de travail millimétrés
Le magazine consacre une partie de son enquête à l'optimisation du temps de travail des salariés afin de gagner en productivité. "Complément d'enquête" détaille comment les algorithmes aident l'entreprise à gérer le temps de travail des employés, des entrepôts de livraison comme des magasins.
La mise en rayon des colis reçus quotidiennement par les enseignes est, par exemple, chronométrée. Chaque salarié doit entreposer dans les allées des centaines d'articles dans un temps précis, avant l'ouverture ou au milieu des clients, ce qui leur impose de devoir répondre à leurs sollicitations, ou d'effectuer d'autres tâches. Ces cadences sont dénoncées par les salariés interrogés par le magazine, qui rapporte aussi des témoignages recueillis sur les sites de recherche d’emploi de personnes qui disent avoir travaillé chez Action.
🔴 Chez Action, le temps c’est de l’argent : un algorithme planifie certaines tâches des salariés à la seconde près.
— Complément d'enquête (@Cdenquete) December 10, 2024
🛒 « Action : toujours moins cher mais à quel prix ? »
Jeudi à 22.55 sur France 2 et sur la plateforme @francetv pic.twitter.com/z17tqpEFim
De son côté, la direction défend une "maîtrise des coûts" ainsi que le besoin d'être "efficace". Selon Elodie Voslion, directrice des ressources humaines d'Action, les salariés sont soumis à "un rythme normal", mais elle assure que "le responsable magasin doit s'assurer de pouvoir planifier suffisamment de collaborateurs pour avoir un rythme normal."
"Complément d'enquête" s'appuie également sur un rapport d'un cabinet indépendant Sextant remis au Comité social et économique (CSE) d'Action France en février 2023. Ce document, qui présente les résultats d'une étude menée par le cabinet concernant la qualité de vie et les conditions de travail au sein d'Action France, est la conclusion d'une mission lancée en juillet 2022 par le CSE, qui avait mandaté ces experts.
Ces derniers s'alarment notamment des conditions de travail chez Action France. Il décrivent "une vision arithmétique du travail" et une standardisation des tâches des salariés. "Le modèle Action est régi par un besoin de flexibilité, nécessitant de rendre polyvalents les employés tout en réduisant les temps morts, et en compressant les effectifs."
Un turnover très important
Des témoignages recueillis par "Complément d'enquête" dénoncent aussi les méthodes de management qui seraient utilisées par certains au sein du groupe. Une ancienne responsable évoque des humiliations, alors qu'un ancien cadre ayant occupé un poste de responsable régional décrit des méthodes harassantes, mais aussi des pratiques visant à ne pas payer des heures supplémentaires. Des accusations que la direction réfute.
Le rapport commandé par le CSE alerte également sur la rotation du personnel au sein de l'entreprise. Les chiffres qui datent de 2021 évoquent un turnover au niveau national qui "s'accélère fortement, atteignant 54%, c'est-à-dire que plus de la moitié des effectifs des magasins a été renouvelée en un an".
Un document interne daté de février, que s'est procuré "Complément d'enquête", montre qu'en 2023, le taux de turnover dans la région Centre était de 71,4%. Autrement dit, sept salariés sur dix avaient quitté leur emploi dans l'année. Dans la région Ouest, ce taux devrait atteindre environ 80% fin 2024 selon ces projections.
Interrogée par le magazine d'investigation, la directrice des ressources humaines d'Action n'a pas commenté ces chiffres, préférant mettre en avant une enquête de l'entreprise évoquant un taux de satisfaction élevé chez ses salariés. "La distribution, de manière inhérente, est un secteur où il y a plus de turnover que dans une banque, par exemple", a-t-elle néanmoins concédé.
"La culture de la prévention avance au sein de l’entreprise"
Soumis à un rythme de travail exigeant, parfois en sous-effectif, des salariés rencontrés par "Complément d'enquête" décrivent également une souffrance au travail. Certains font notamment état de douleurs physiques liées aux charges à porter ou aux cadences.
Le rapport commandé par le CSE dresse le même constat. En 2021, le taux d'absentéisme pour maladie, accidents du travail et maladie professionnelle atteignait 11,6% chez Action France, contre 5,92% dans le secteur du commerce, selon ce rapport. Plus inquiétant encore, ce même rapport note que "les arrêts maladie d'une gravité importante (8-30 jours) ont plus que doublé entre 2019 et 2021, pouvant traduire une usure plus importante de la santé des salariés".
Selon un autre document interne dévoilé par "Complément d'enquête", la cotisation d'accidents du travail et maladies professionnelles (AT/MP) à la charge d'Action est passée de 2,37 % à 3,60 % entre 2021 et 2023, plus haut que le taux moyen pour les enseignes similaires à Action (2,15 %) en 2024, selon Légifrance. Dans un courrier adressé en septembre 2023 au directeur général d'Action France, Wouter de Backer, l'inspection du travail s'inquiétait du nombre "d'accidents du travail très supérieur à celui observé au sein de la branche du commerce non alimentaire".
Lors de la présentation du rapport Sextant aux élus du CSE, en février 2023, la direction s'est expliquée sur les accidents du travail. Elle affirmait alors que, contrairement à ce que dit le rapport commandé, "le nombre de jours d'arrêt liés à des accidents du travail a baissé par rapport à 2019" et jugeait que "le bilan relatif aux accidents du travail s'améliore, ce qui prouve que la culture de la prévention avance au sein de l’entreprise".
Interrogé par "Complément d'enquête", le directeur général d’Action France dit avoir mis en place des équipements et des dispositifs pour pallier ce problème. Des genouillères et des chaussures de sécurité ont, entre autres, été distribuées, et des formations de prévention des risques professionnels mises en place.
* Le reportage "Action : toujours moins cher, mais à quel prix ?" de "Complément d'enquête" est diffusé jeudi 12 décembre à 22h55 sur France 2. Il a été réalisé par Nathalie Gros, Blanche Lacroix et Vincent Buchy pour Capa Presse. Les replays seront disponibles sur le site de franceinfo ainsi que sur france.tv.
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