Réseau 5G : Orange expérimente à présent son automatisation
L’opérateur lance le projet Pikéo pour se bâtir une expertise hors pair dans les réseaux 5G qui s’auto-réparent. L’enjeu sera de répondre aux projets les plus critiques en France comme à l’international.
Réseau mobile 5G, phase 2 : après avoir déployé – ou plutôt mis à jour – les antennes, les opérateurs planchent sur l’installation des systèmes censés orchestrer les communications. Baptisée 5G SA chez Orange (pour Stand Alone, c’est-à-dire autonome), cette nouvelle 5G devrait être commercialisée sur le territoire d’ici à 2023. Contrairement à ce que l’on pourrait imaginer, il ne s’agit pas à proprement parler d’améliorer le standard, mais plutôt d’implémenter après coup les caractéristiques fonctionnelles qui étaient censées faire la différence entre la 5G et tous les protocoles mobiles précédents.
Au-delà des promesses marketing d’accélérer les débits et la précipitation des opérateurs à commercialiser de nouvelles offres au grand public, la 5G était en effet censée reposer sur de nouvelles infrastructures réseau intelligentes. Les équipements qui s’échelonnent du pied des antennes au cœur du réseau devaient éviter les goulets d’étranglement, détecter les incidents et basculer tout seuls sur des liens de secours, ou encore ménager des flux sécurisés pour que les industriels puissent piloter des installations à distance, sans craindre un piratage. Au moment de la commercialisation des offres 5G, aucune de ces fonctions n’était disponible, ni en France, ni en Europe, ni nulle part ailleurs, dans le monde.
« Oui, ce que nous déployons aujourd’hui en 5G, c’est un réseau radio avec des équipements assez classiques. Parce qu’ils ont une maturité supérieure à ceux imaginés pour la 5G », reconnaît Michaël Trabbia, le directeur exécutif Technologie & Innovation de l’opérateur Orange.
Mickaël TrabbiaDirecteur exécutif Technologie & Innovation, Orange
Et d’expliquer pourquoi il n’était pas possible d’implémenter d’un coup toutes les caractéristiques de la 5G : « le point important pour un opérateur est qu’une 5G idéale nous fait passer d’un modèle de supervision manuelle, avec des techniciens qui gèrent des tickets et des alarmes, à un modèle d’ingénieurs qui intègrent des algorithmes d’intelligence artificielle, pour gérer cette supervision. C’est un bouleversement tel que nous avions besoin de tester ce fonctionnement avant de le mettre en place. »
L’enjeu de bâtir la meilleure expertise possible avant le lancement
Michaël Trabbia précise : « l’ambition de la 5G SA est d’apporter de la connectivité à la demande, qui s’adapte dynamiquement aux besoins, aux usages, qui est garantie pour les services critiques. Il s’agira d’un réseau qui s’auto-répare en temps réel. Mais pour constituer une véritable offre opérateur qui réponde à ces promesses, avec la perspective d’un écosystème qui se développe autour, nous devons d’abord comprendre. Nous devons d’abord vérifier que nous sommes capables de faire fonctionner les briques entre elles, que nous sommes capables de nous engager sur des latences très basses dans l’industrie, dans l’Internet des objets, dans les villes intelligentes, dans la logistique. »
Selon Michaël Trabbia, les enjeux économiques liés à l’automatisation de la 5G sont tels que les opérateurs auront tout intérêt à savoir démontrer leur expertise pour jouer des coudes dans les futurs appels d’offres. Il s’agira notamment d’assurer la fiabilité de communications qui, pour l’heure, sont contraintes de passer par des fibres privées solidement enterrées. La 5 G SA doit fonctionner partout : pour des équipements en mouvement, pour des endroits sans liaison terrestre, pour garantir un lien de secours quoiqu’il arrive.
« Cette expertise va être essentielle pour convaincre nos clients que nous savons passer à l’échelle. Comprenons-nous bien : tous les opérateurs sont aujourd’hui capables de démontrer que leur automatisation de la bande passante fonctionne sur un point. Le véritable enjeu est qu’elle continue de fonctionner quand les usages vont se croiser. Nous considérons que nous sommes à l’heure actuelle en Europe le seul opérateur à pousser aussi loin les tests », ajoute-t-il, en précisant qu’Orange ambitionne de séduire les entreprises bien au-delà de son territoire national. L’opérateur est présent dans huit pays européens et dans dix-sept autres en Afrique et au Moyen-Orient.
« Des opérateurs ont déployé des solutions 5G qui n’améliorent pas l’expérience client. C’est le contraire de ce que nous voulons faire ! Nous ne voulons pas d’un effet d’annonce, d’une 5G qui ne soit qu’un logo. Nous ne voulons pas acheter des briques et les faire opérer par des tiers. Orange est numéro 1 en qualité de service grâce à son expertise. Cette maîtrise est notre élément différenciant », ajoute-t-il.
Pikéo, un réseau Open RAN en test en Bretagne
Pour préparer la commercialisation future de sa 5 G SA, Orange déploie dès ce mois-ci un réseau test, baptisé Pikéo, à Lannion, en Bretagne. La particularité de ce réseau est que les antennes ne sont plus reliées à des boîtiers RAN (Radio Access Network) classiques pour router leurs communications vers le cœur de réseau. À la place des équipements Ericsson, Nokia, Huawei ou ZTE habituels, on trouve des serveurs Dell Technologies qui exécutent des logiciels réseau plus ou moins Open source, déployés sous la forme de machines virtuelles ou de containers. Le principe d’avoir de telles fonctions logicielles, 100 % indépendantes du matériel sous-jacent, s’appelle l’Open RAN, ou O-RAN.
Les briques Open RAN pour l’heure choisies par Orange sont celles des éditeurs Mavenir et Casa Systems. Mavenir se targue de proposer à plus de 250 opérateurs des solutions d’analyse des paquets interfacées avec des services en cloud. Casa Systems est plutôt axé sur l’encodage radio du signal et s’interface avec les systèmes présents en cœur de réseau. Toute la partie concernant l’authentification des utilisateurs et la gestion des règles de qualité de service ou de segmentation des flux est pour sa part exécutée dans un cloud privé mis en place par HPE. Enfin, Orange s’appuie sur des solutions d’orchestration Open Source, dont GitLab et ONAP, pour nourrir les uns et les autres en mises à jour fonctionnelles.
« Dans un premier temps, nous avons 50 utilisateurs-tests qui vont expérimenter tous les cas d’usage qu’ils imaginent sur trois antennes intérieures et deux antennes extérieures, avec toutes les charges possibles. Nous augmenterons le nombre d’utilisateurs progressivement, jusqu’à plusieurs centaines d’ici à la fin de l’année. Ensuite, dès 2022, ils expérimenteront des cas d’usage critiques, tandis que nous simulerons des congestions sur le réseau », explique Elisabeth Py, la directrice du projet Pikéo.
Mettre à l’épreuve sa maîtrise des processus, plus que des technologies
« De notre côté, nous allons tester notre maîtrise de l’écosystème VNF et CNF [respectivement les fonctions réseau sous la forme de machines virtuelles et de containers, N.D.R.]. C’est une nouvelle façon de construire et d’opérer les réseaux et cela impacte également le profil de nos intervenants. », poursuit Elisabeth Py.
« Les personnes qui vont être formées sur ces technologies sont autant nos équipes historiques sur les réseaux, que des exploitants du monde de l’IT. En effet, nous avons à présent autant besoin de techniciens qui connaissent les infrastructures réseau, que d’administrateurs système chevronnés dans les scripts d’automatisation et, à terme, d’ingénieurs IA qui sauront paramétrer les algorithmes en place. »
Elizabeth PyDirectrice projet Pikéo, Orange
Concernant les solutions, Elisabeth Py se défend d’avoir arrêté des choix. « Notre différence se fera sur la façon d’assembler et d’opérer les mêmes briques logicielles que tous les autres opérateurs exploitent. En ce qui concerne ces briques en elles-mêmes, celles que nous avons mises en place nous servent à apprendre, à vérifier que les fonctions sont les plus indépendantes et agnostiques possibles. Mais par exemple, rien ne dit que nous conserverons à terme Kubernetes sur l’infrastructure que nous avons mise en place pour les fonctions cloud », dit-elle.
Le projet Pikéo doit s’étendre sur une période de deux ans. Il sera ensuite progressivement déployé sur le territoire. « Nous voulons être vigilants sur la progression et la maturité des solutions techniques. De plus, d’une manière générale dans les télécoms, nous ne faisons jamais de bascule instantanée d’une génération à l’autre. La 5G va évoluer dans le temps et nous installerons les équipements les plus modernes au fur et à mesure que nous aurons besoin de rajouter de la capacité dans une zone », conclut Michaël Trabbia.