Data & IA : « 10 % », le programme de l’État pour fidéliser ses talents
Pour mener ses projets de transformation, l’État a besoin de compétences. Sur les métiers de la Data et de l’IA, il dispose d’un programme dédié (« 10 % ») piloté par la DINUM. L’initiative vise à fédérer une communauté. L’appui des directions métiers est essentiel pour générer de l’impact.
Pour répondre à ses besoins en matière de compétences numériques (2 500 recrutements par an visés), l’État s’efforce de s’armer – pour reprendre le vocabulaire gouvernemental. Dans cette optique, la direction interministérielle du numérique (DINUM) présentait en janvier une nouvelle initiative : le Campus du numérique public.
Sur la filière Data & IA, la Dinum (qui héberge Etalab) mène déjà des actions au travers du programme « 10 % ». Un nom qu’il doit à la part du temps de travail consacrée par des experts au programme.
L’État attire, mais peine à retenir
Ses origines remontent à 2021 et la publication d’un rapport co-rédigé par la Dinum et l’Insee. Une de ses conclusions était que l’État arrive à attirer des experts du fait de l’intérêt des projets – malgré des concessions sur les salaires par rapport au privé –, mais il n’arrive pas à les fidéliser.
« Ces talents, lorsqu’ils arrivent au sein des ministères, sont souvent très isolés […] sans personne avec qui échanger, sans pairs ou partage de pratiques », témoigne Sabrina Hedroug, directrice du programme au sein d’Etalab.
L’initiative « 10 % » vise donc à réunir les talents, en activant des leviers autres que ceux de la rémunération et des carrières (qui dépendent des RH et de la politique de l’État). La promesse est de développer l’appartenance à une communauté en constituant « une famille experte de la Data et de l’IA. »
Cet objectif repose sur des échanges autour de projets d’intérêt commun. Depuis presque deux ans, le programme est opérationnel. Il nécessite une participation des experts internes à hauteur de 10 % de leur temps de travail.
En plus de ce temps, le programme « 10 % » repose sur trois piliers, ajoute Sabrina Hedroug.
Fédérer au travers de projets sur 10 mois
Le premier pilier : les projets (traités durant une saison de 10 mois, et récoltés au travers d’un appel à volontaires diffusé auprès des ministères).
Pour susciter l’intérêt, les projets doivent répondre à certains critères : être réplicables et interministériels, ce qui permet l’utilisation de données communes. À chaque projet retenu est associée une équipe de 5 à 6 personnes « qui réfléchissent ensemble ».
Les participants sont ensuite réunis chaque mois lors de deux ateliers (de 14h à 18h) menés au Lieu de la Transformation Publique, « un espace ouvert à l’innovation publique ». Ces projets constituent « le point d’entrée » du programme « 10 % » (sic).
Les volontaires ont contribué par exemple à un projet autour de la data visualisation (Chart Gouv), dont la finalité est de proposer un outil accessible à tous les métiers pour un usage harmonisé de la DatViz dans les ministères. Une autre initiative porte sur l’extraction d’informations de documents jugés « difficilement exploitables » (comme les PDF). Lors de la dernière saison, un moteur de recherche pour identifier les expertises Data dans les ministères a également été développé.
Formations et compétences
Le deuxième pilier : la montée en compétence. Les experts de l’État se plaignent en effet d’une carence dans la formation. Un point auquel tente de remédier « Impact Environnemental », qui forme les volontaires à l’impact de l’IA dans les projets publics.
« Il faut bien le reconnaître, au sein de l’État, nous ne sommes pas à la hauteur sur les enjeux de compétences, pour les Data Scientists en particulier », concède Sabrina Hedroug. Pour répondre à cette problématique, Etalab « injecte de la compétence au sein des ateliers ».
Mais il importe d’apporter une vraie valeur ajoutée. « Nous allons chercher des experts de très haut niveau pour donner des formations sur les thématiques qui intéressent directement les participants », assure la responsable.
Deux cents personnes ont ainsi assisté à une formation consacrée à la DataViz. Ces sessions sont généralement organisées une fois par mois, au format webinaire le vendredi, de 11h à midi. Une autre approche (des ateliers) a aussi été testée, mais avec moins de succès.
Une communauté
Le troisième pilier de « 10 % » : le communautaire.
Pour développer la communauté, les projets sont une brique, complétée par des afterworks, des échanges de pratiques, le recours à un outil collaboratif sécurisé (Tchap).
Le réseau communautaire réunit près de quatre cents experts. « Et cela fonctionne bien », se félicite Sabrina Hedroug. « La communauté est vraiment active. Elle n’est pas seulement descendante. Non, elle ne fait pas que recevoir, mais participe. Et c’est véritablement important dans une communauté ».
La clôture de la deuxième saison du programme « 10 % » intervenait le 28 novembre 2023. Une trentaine de data scientists, d’une quinzaine de ministères, étaient réunis autour de 7 projets d’intérêt commun. Les agents ont participé à une quinzaine d’ateliers durant la saison et suivi une dizaine de formations.
Des clés indispensables à l’animation de communauté
Sabrina Hedroug reconnaît que le travail d’animation de communauté est cependant « difficile » et que « c’est souvent un travail de l’ombre ». Pour produire des résultats, ces démarches doivent en particulier favoriser la montée en compétence, l’échange, l’aide sur les projets individuels et la valorisation des membres, insiste-t-elle également.
Entre les saisons 1 et 2, Etalab a fait évoluer la population du programme. Aux Data Scientists se sont ajoutés d’autres profils – des développeurs et des chefs de projet. Poursuivre cette ouverture pour diversifier les compétences et accentuer l’interdisciplinarité est aujourd’hui vu comme un axe d’amélioration.
Convaincre les managers
En sens inverse, un des principaux obstacles est la réticence des managers à céder 10 % du temps de travail de leurs collaborateurs. Pour mitiger ces freins, la Dinum a fait appel aux administrateurs ministériels de la donnée. Les plus faciles à convaincre sont souvent issus des directions Innovation. Une question de culture managériale ? Sans doute.
Et des progrès ont été obtenus, « mais il nous reste encore beaucoup de travail à faire ». Etalab recense environ 2 000 experts de la Data et de l’IA dans le public – dont 1 300 à l’Insee et 700 dans les ministères. Seulement une fraction participe à « 10 % ».
« C’est plus compliqué sur les directions métiers pures », constate Sabrina Hedroug, qui ne renonce pas et estime que le programme doit poursuivre ses actions d’évangélisation en rencontrant managers et ministères.
Pour accentuer l’impact, la directrice du programme réfléchit aussi à sa « réplicabilité », c’est-à-dire son application à d’autres métiers. Certains ont déjà exprimé un intérêt.
Sabrina Hedroug s’interroge aussi sur la valorisation de la participation à « 10 % » au niveau RH. « Les agents sont en attente de cela », estime-t-elle.
Des rémunérations révisées à la hausse
Afin de fidéliser et recruter, la Dinum a aussi activé le levier des rémunérations en révisant le référentiel des salaires des 55 métiers de la filière numérique. L’État souhaite par ailleurs « fluidifier les recrutements de ces profils et les renouvellements des contrats ».
Au sein du référentiel, « chaque fourchette haute est […] un seuil en dessous duquel le contrôle budgétaire n’est plus nécessaire. La procédure est ainsi simplifiée dans le cadre du recrutement et du renouvellement d’agents contractuels », précise la Dinum.
Grâce au Campus et au référentiel des salaires, présentés comme un « document de référence », la Dinum entend favoriser « la politique d’attractivité de la filière numérique de l’État dans un marché de l’emploi du numérique devenu hautement concurrentiel ».