Microeconomics Brief Edition 2nd Edition Mcconnell Test Bank

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Microeconomics Brief Edition 2nd

Edition McConnell Test Bank


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Microeconomics Brief Edition 2nd Edition McConnell Test Bank

Chapter 02

The Market System and the Circular Flow

Multiple Choice Questions

1. Economic systems differ according to what two main characteristics?

A. Ownership of resources and methods of coordinating economic activity

B. Quantity of output produced and who receives the output

C. Who produces the output and what technology is used to produce it

D. The system of government and the quantity of natural resources available

2. The private ownership of property resources and use of prices to direct and coordinate economic

activity is characteristic of:

A. a command system.

B. a market system.

C. communism.

D. socialism.

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3. In a capitalistic economy:

A. consumers are not sovereign.

B. markets are not competitive.

C. there is a reliance on the market system.

D. the government owns the means of production.

4. Which statement best describes a capitalist economy?

A. The production of goods and services is determined primarily by markets, but the allocation of

goods and services is determined primarily by government.

B. The production of goods and services is determined primarily by government, but the

allocation of goods and services is determined primarily by markets.

C. The production and allocation of goods and services is determined primarily through markets.

D. The production and allocation of goods and services is determined primarily through

government.

5. Which statement best describes a command economy?

A. The production of goods and services is determined primarily by markets, but the allocation of

goods and services is determined primarily by government.

B. The production of goods and services is determined primarily by government, but the

allocation of goods and services is determined primarily by markets.

C. The production and allocation of goods and services is determined primarily through markets.

D. The production and allocation of goods and services is determined primarily through
government.
6. Which would not be characteristic of a capitalist economy?

A. Government ownership of the factors of production

B. Competition and unrestricted markets

C. Reliance on the market system

D. Free enterprise and choice

7. A basic characteristic of a command system is that:

A. wages paid to labor are higher.

B. government owns most economic resources.

C. markets function mostly free from government intervention.

D. government planners play a limited role in deciding what goods will be produced.

8. The market system is an economic system that:

A. produces more consumer goods than capital goods.

B. produces more capital goods than consumer goods.

C. gives private individuals and institutions the right to own resources used in production.

D. gives the government the right to tax individuals and corporations for the production of capital

goods.
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Nous avons de plus le chagrin de voir les tertres faits un peu au hasard...
Je ne sais pourquoi nous eussions aimé pour eux des tombes parallèles.

Halte aux portes d’Ammerzwiller. Notre boucher a vu qu’on agitait
trois fois des lampes dans le grenier d’une maison. Il me requiert comme
interprète, et nous pénétrons, boucher avec son revolver, sergent avec sa
baïonnette, dans la chambre d’une grande jeune femme à cheveux blonds
qui sort du lit en criant. Elle sanglote; on voit sa gorge, ses jambes, toute
une franchise de réveil qui pousse le boucher à croire tout ce qu’elle dit:
Elle jure qu’elle n’a pas de lampe, qu’elle a l’électricité, qu’il n’y a
personne dans le grenier. Elle dit tout cela en français, mais le boucher,
pour bien comprendre, me regarde et attend ma traduction. Au grenier,
nous trouvons, enfoui sous des couvertures, un homme que nous
confions à la garde et nous prenons deux otages, dont le jeune curé, qui
proteste, défiant de la république et malgré que ses sentinelles mêmes
aient encore, épinglés à la capote, les Sacré-Cœur distribués à Paray-le-
Monial. Ce matin, je vais aux informations et une voisine m’apprend que
nous avons arrêté le faible d’esprit du village.
Vie de garnison toute la matinée grâce à mon adjudant des dernières
manœuvres, avec lequel je bois le café, et qui tente de m’apitoyer sur son
récent échec à Saint-Maixent: échec injuste cette fois; on lui a demandé à
l’oral ce qu’il pensait de Benserade. Il m’emmène aussi cueillir des
laitues dans les champs où nous trouvons des cadavres de lièvres,
inutilisables, gâtés en une heure. La chasse est le maximum de ce que
peut supporter un cœur de lièvre et la guerre le fait éclater. Pas d’oiseaux
non plus, à part les poules; les poules, puisque c’est leur nom, se sont
cachées les premiers jours, sont ressorties et ont repris maintenant leur
chasse, un œil sur chaque oreille: la guerre durera longtemps... Toute la
question est de savoir si l’admissibilité comptera après la paix!
Nous revenons par le corps de garde où ma compagnie, qui est de
jour, a pendu toutes les enseignes suspectes de la ville et la devanture
complète d’un pauvre homme, le malheureux, qui s’appelle Kaiser. Elle
collectionne aussi les plaques officielles des rues, et à chaque instant un
donateur arrive, apportant des panonceaux ou des affiches. On se croit à
Carnavalet les jours de générosité. Bientôt tout le déguisement prussien
du village est rassemblé dans cette salle; écriteaux si dédaigneux pour le
passant qu’ils font naître immédiatement l’ordre ou la vérité contraire
dans un cœur français: Ordonné de passer sur la voie quand le train
arrive.—Obligatoire de battre les animaux.—Enschingen pas à 7
kilomètres, Enschingen à 1.000 lieues!... L’innocent est toujours là, mais
il ne sait que l’allemand. Bardan s’occupe de lui offrir le café et, pour
trouver des relations communes, essaye de lui faire entendre qu’il a
connu un Boche, à Vichy, un garçon d’hôtel. Il a connu aussi un idiot,
qui vendait des journaux et auquel on n’a jamais pu repasser une pièce
fausse; car il ne faut pas croire que les idiots soient plus bêtes que les
autres.
Rencontré le lieutenant Bertet. Il est stupéfait d’être en Alsace. Il
n’avait pris que des cartes de Prusse et de Bavière, comme s’il ne
s’agissait dans cette guerre que de délivrer la Pologne, et je dois lui céder
mes deux pauvres petites cartes de Colmar et de Strasbourg. Il ne me
laisse qu’un plan des irrigations de la forêt de la Hardt, trouvé à la
mairie. Je ne risque plus de me noyer dans cette forêt... Je me console en
pensant à mes amis alsaciens, Braun, Beyer, partis avec toutes les cartes
des Vosges, qui s’acharnent sans doute en ce moment sur le Luxembourg
belge, qui couchent ce soir à Malines, à Bruges, alors que nous tenons
déjà, par quinze jours de marche pacifique, l’enjeu de la guerre. Nous
avons vraiment une dette envers l’officier d’état-major auvergnat qui fit
sournoisement désigner, sur les plans de mobilisation, les Auvergnats
pour reprendre l’Alsace!
Les hommes sont moins pris au dépourvu que Bertet. Ils ne donnent
pas, comme notre état-major de brigade qui nous interdit toute sonnerie,
toute entrée en musique, l’impression de chercher la vraie frontière à
l’intérieur même de l’Alsace. Ils règlent les horloges à l’heure de la
France, ils grattent les mots allemands sur les murs, ils se délivrent de la
petite humiliation qu’on leur infligea chaque année, à l’école, en leur
contant 70, et, soulagés, attendent avec bonne humeur la fin de la guerre.
Pas un qui eût pensé aller ailleurs qu’en Alsace, qui n’eût convenu avec
sa famille d’un mot pour annoncer qu’il y était, dictionnaire enfantin que
tous ont copié, de sorte que les mille lettres, les mille cartes,
commencent ainsi: le sac n’est pas lourd, ou le ceinturon ne serre pas,
ou les souliers ne prennent pas l’eau, phrases négatives qui voudront
dire, une fois révélées par l’air pur de Pontgibaud ou de Thiers: «Nous
sommes à Mulhouse», «Nous sommes à Strasbourg», «Je vois le Rhin».
On pourrait le voir en effet du haut du clocher avec une jumelle marine,
affirme le curé, qui affecte aussi de compter en milles marins—15—la
distance qui nous en sépare. Rétoil, qui est marbrier au cimetière de
Volvic et nous a promis à chacun, le mauvais cas échéant, sa meilleure
inscription, grave en attendant dans le marbre de la cheminée:
16 août 1870 19 août 1914
R . E .
Sur la carte, où le pays annexé est en carmin, la France en blanc,
comme il n’est pas de crayon blanc, on passe au crayon rouge la France,
que l’Alsace conquiert ainsi en une minute. Mon tambour, qui est de
Bruère, le village du bas Bourbonnais où se dressait avant 70 le centre de
la France,—c’est une colonne carrée faite de deux sarcophages romains
trouvés aux environs—se réjouit que Bruère ait repris son rang, l’écrit à
sa famille, essaye de l’expliquer au maire avec des ficelles tendues de
Dunkerque à Perpignan... le maire ne comprend pas... l’Allemagne n’a
pas de centre... Souvent les soldats ont recours à moi pour parler
allemand, mais je ne suis qu’un interprète de mots abstraits. A part
l’oignon et ses dérivés, pour lesquels je me sens d’un réel service, un
soldat français peut tout se procurer par gestes. Ils n’usent de moi que
pour calmer le doute qu’ils ont eu, en voyant qu’on n’illuminait pas en
Alsace, qu’on n’y parlait pas français. Ils cherchent avec une bonne
volonté inépuisable l’Alsacien qui leur dira:—quelle joie de vous voir!
Quelle honte que les Allemands! Ils essayent, par des insinuations naïves
sur la folie du kronprinz, de mettre à l’aise leurs hôtes. On m’invite au
café dans cette grange pour que je demande à la vieille si elle est
contente de nous voir. Comment se dit contente? Toute la journée on lui
répétera le mot «zufrieden» qui deviendra le soir un lambeau allemand
méconnaissable, auquel la vieille continuera de répondre en hochant la
tête. Pas un fumeur, pas un enfant, qu’ils ne me fassent interroger sur les
cigognes, sur Strasbourg, sur les têtes de pipe. Si l’un d’eux fait mine de
dire que le patois alsacien ressemble quand même au prussien, les autres
me chargent de lui expliquer la différence colossale, qu’au lieu de Haus,
la maison, on dit Hus, au lieu de Deutsch, l’Allemand, on dit Schwob et,
dans certaines maisons renfrognées, c’est eux qui apportent l’Alsace: ils
trouvent à coller sur la porte, comme sur les autres, un portrait de sainte
Agnès; ils passent au ripolin rouge les poutrelles déteintes, et mettent des
fleurs sur les accoudoirs. Égalité française: il y a bientôt le même
nombre de géraniums à chaque fenêtre du village. Tous fiers, d’ailleurs,
de leur conquête, et étalant les culottes rouges qu’ils ont lavées aux
alentours des maisons suspectes.

La guerre vient juste à temps; dix ans de plus, et c’était tard. Dans les
villages que nous avons traversés, les enfants ne parlent plus français. On
a tout au plus l’impression que jadis, jadis ils l’ont parlé. Il nous
escortent avec enthousiasme, mais dès que nous les interrogeons, ils
s’arrêtent, leur sourire cesse, ou bien ils se précipitent chez eux,
questionnent leur mère et rapportent une phrase incompréhensible de
trois mots boiteux: c’est tout ce qu’il reste de français à la maison. Nous
nous décidons à leur parler allemand: pour qu’ils comprennent mieux,
j’emploie mon haut allemand officiel, la langue des théâtres de
Meiningen et de Weimar, le hanovrien des acteurs juifs qui déclament les
traductions de Verlaine. Je demande à deux fillettes où l’on peut trouver
des confitures, du miel. Elles éclatent de rire, comme on rit en France
d’un acteur qui déclare se nourrir de miel, de compotes. Je voudrais
savoir aussi où est l’école: acteur bizarre, qui va à l’école! mais elles
m’accompagnent. Voici l’école; voici leurs cahiers de composition, écrits
tous en allemand, dans une écriture raide de parade, au cas où l’empereur
les daignerait honorer d’un regard. Dessins orgueilleux dont le moindre
chalet porte un paratonnerre; problèmes d’arithmétique à la donnée dure
et sèche, que l’on a envie de résoudre par la chimie, et qui vous font
restituer, sous peine de correction, les chiffres, les stères, les kilomètres.
Pas un mot de français. A Saint-Cosme seulement, chaque dictée, quel
qu’en fût le sujet,—c’était toujours Charlemagne ou Geneviève de
Brabant, car les instituteurs alsaciens choisissent leurs héros dans leur
méridien—était suivie d’une phrase à nous, sans rapport avec le texte:
«L’oseille est un légume», «l’ail est une plante», «la coquetterie est un
vice». Brave maître d’école qui bordait les massifs impériaux de persil et
de défauts français. Voici le cahier de ma fillette la plus grande: elle a
très mal; elle n’a pas su la mort de Frédéric. Elle affirme qu’elle ne
recommencera pas, et me récite tous les grands hommes qui sont morts,
mal assurée pour ceux qu’elle aime.—C’est ainsi que nous passons notre
journée entre les enfants et entre les vieillards, nous vieillissant ou nous
rajeunissant d’une vie entière selon nos rencontres, car vieux et enfants
ne vont pas ici ensemble, comme en France, et nous conquérons un pays
où l’âge adulte n’existe pas.

Rencontré Jalicot, qui a adopté un vrai petit muet; n’ayant pas
l’allemand entre eux, tous deux se comprennent à merveille. Rencontré
Artaud, qui est rayonnant, qui s’est pris le pied dans la roue de sa
voiture, a cogné la tête dans le marchepied, et est retombé sur une botte
de paille; il voudrait le refaire qu’il n’y arriverait jamais. Notre chien de
chasse suit mes promenades quand je prends un fusil et m’abandonne
quand je me contente du revolver. Je le mystifie en l’emmenant à la
pêche, un ruisseau coule au bas du village.
Il fait chaud, et je rejoins au milieu de la prairie le lieutenant Michal.
Petit, modeste, doux, c’est notre guide; le général de la division a choisi
pour marcher en tête des régiments de réserve, les contraires des
tambours-majors de l’active; le guide du 236 est C..., le plus petit
romancier de France; celui du 305, B..., journaliste silencieux, qui prend
des notes.—«Voilà des régiments qui réfléchissent», peuvent se dire les
bourgs qui ont vu la veille défiler les zouaves étourdis ou les chasseurs.
Michal étudie sa carte. Il s’est étendu dans l’herbe suivant la ligne du
Rhin et, orienté vers le Nord, distribue ses points et ses demi-points
cardinaux aux clochers les plus distincts; à chaque halte, il s’installe
ainsi, se couche, niveau du régiment, et le lendemain nous conduit sans
erreur par les plus petits chemins, même s’il n’y a pas de villages, et s’il
a dû confier le Nord et le Sud à de simples rochers ou à des arbres.
Souvent je l’ai rejoint, sur ces routes alsaciennes qu’il a plus de plaisir à
fouler qu’un autre, car il est ingénieur des mines et il n’oublie pas une
minute combien le sol conquis est profond. Nous marchions de son pas
régulier, qu’il règle à une montre; dans cette avant-garde de calme où
l’on ne connaît rien des bousculades et des hâtes de l’arrière, nous
parlions de la guerre, à laquelle il n’avait jamais cru et à laquelle
pourtant il s’était préparé avec minutie depuis son enfance. Chaque
année, il la jugeait plus impossible, et chaque année le poussait à acheter
un album d’uniformes allemands, ou un couteau de guerre, ou un sifflet
de campagne, un imperméable. Il ne lui manquait plus, au début d’août,
qu’une ceinture pour l’or. Il avait l’or. Son réflexe n’était en retard que
d’une année. Pendant les huit jours d’attente à Roanne, il ne quittait pas
la bibliothèque des officiers, où il empruntait tous les livres de guerre, et
le jour du départ, le bibliothécaire a dû lui laisser les Commentaires,—au
lieutenant Bertet le Mariage de Chiffon. Il m’explique aujourd’hui notre
manœuvre d’Enschingen. Il porte en lui tous les plans des combats,
d’échelle différente, il compare simplement notre mouvement, pour que
je le comprenne mieux, à la plus grande bataille du monde, à Austerlitz,
mais se contente d’expliquer Flaxlanden par une petite défaite
athénienne dont j’oublie aujourd’hui le nom. Moins que des soldats,
moins que des lieutenants, il voit des victoires ennemies se précipiter
l’une contre l’autre, Wattignies contre Sedan, Denain contre Waterloo, et
de nos armes, de nos navires, il parle avec le même jugement impartial et
transparent; tout devient balistique, capillarité, et je rattrape à peine par
les trajectoires de ses fusils mon pauvre régiment, qui me semble presque
inutile. Il m’explique les vallées, les rivières. Cette guerre, que nous
imaginions tous une guerre d’été, il la voit, dès le début, souffrir des
douleurs des quatre saisons, car il me rappelle qu’au Cameroun déjà il
pleut, qu’en Chine il gèle... et il l’étend sous toutes les zones comme un
nouveau continent... Guerrier que je suis, je sens ma part de froid me
gagner, ma part de neige, je prévois une seconde les tranchées, les
inondations, les fièvres. De l’Alsace aussi il parle si nettement, je la sens
dans son esprit,—comme sur ses photos, comme dans ce pré bordé
directement par les Vosges et le Rhin, et où nous pouvons planter, plus
légitimement que sur la carte même, des épingles avec des drapeaux,—si
étroite, si délimitée, si seule, qu’il en détache cette Lorraine même, que
nous lui avons donnée pour compagne. Les deux deuils, confondus par
égoïsme ou par hasard en un seul deuil, il les sépare en moi autant que si
les deux provinces perdues étaient aux deux extrémités de la France. Il
m’enlève l’illusion, prenant Spechbach, d’avoir conquis du même coup
un bourg lorrain de même grandeur. Tristesse d’apprendre que celui
auquel vous croyiez un jumeau est seul, ne ressemble à personne, et il
me ramène vers un village où tout maintenant me semble dédoublé—et
moi-même—de ce qui avait pour moi un double sens.
Il me quitte; il doit acheter du jambon et du vinaigre, car les officiers
l’ont naturellement chargé de leur cuisine, comme ils en chargent avec
leur infaillible instinct tout professeur, tout philosophe, tout poète.

Ammerzwiller, 23 août.
Lever vers cinq heures. Nous nous rassemblons au bureau lentement,
car chacun de nous, le soir, disparaît dans l’ombre, et va dormir
secrètement dans le coin ou sur le meuble qu’il a hypocritement noté de
jour. Une visite au premier nous apprend que le lit du colonel est déjà
libre. De temps à autre, l’un de nous sort au galop, et revient au bout de
vingt minutes, les yeux gonflés, s’étirant, disant:—Ah! que j’ai bien
dormi!
Le bruit court que c’est dimanche. Ce n’est pas le curé qui le
confirmera. Il a refusé de dire une grand’messe et a célébré l’office dans
sa chambre, tout seul. Nous décidons de faire un bon dîner. Chacun sort à
nouveau subitement, revient, le visage apaisé, avec le riz, l’ail, la poule
qu’il avait repérés la veille, et pas un Français qui n’ait aussi, dans ce
bourg de huit cents habitants, déjà marqué en lui la maison qu’il
habiterait, la femme qu’il choisira, au cas où nous y resterions quelque
temps, toujours.

Je vais acheter trente bœufs avec l’officier des détails. Je marchande.
Je suis chargé de vérifier si la voyageuse arrivée chez Schanzi est bien
une sage-femme. C’est la femme Schanzi qui vient m’ouvrir et toute
contestation est impossible. J’écoute le vaguemestre nous lire le courrier
qui part: approuvant la carte du colonel: Tout va bien, étonné par celle du
capitaine adjoint qui écrit à ses fillettes: Bonjour dominical du papa: il
n’aurait jamais cru qu’il fût à ce point calotin! C’est enfin mon tour de
m’étendre sur le lit du premier. L’envie de dormir est passée et je trouve
dans la chambre un vieux numéro du Nouvelliste d’Alsace-Lorraine. Que
notre guerre est calme, à en juger par les titres, comparée à cette paix d’il
y a six mois: Les Écrasés de Guebwiller, Mariage interrompu à Saverne,
Scission de la Fanfare de Munster... La guerre aussi, d’ailleurs, a ses
coups de théâtre, car je suis mis à la porte par la brigade elle-même, qui
s’installe dans la cure et nous déloge. Nous délogeons le bureau du
bataillon, où les soldats qui touchent dans le civil un traitement de l’État
arrivaient s’inscrire, rangés par ministères, ou à peu près, car un
cantonnier s’est faufilé dans les beaux-arts, puis dans les colonies. On a
pitié de lui, et il passe le premier, mais il s’obstine à appeler la guerre des
manœuvres.—Avant les manœuvres..., explique-t-il.—Après les
manœuvres..., réclame-t-il. On n’y comprend goutte et on l’expulse.
La poule ne sera que pour le soir, je ne proteste pas, car des émissaires
m’ont averti que Jalicot avait une poule du matin et je le rejoins dans sa
cuisine. Il y a un troisième convive que Jalicot me présente; un inventeur
de serrurerie, dans une maison de Lyon, excellente, qui emploie déjà
quatre inventeurs. C’est lui qui a perfectionné la vis à encoches
multiples. Longue discussion sur les cadenas, puis, sans transition, sur
les romans. Notre hôte, sans être ennemi de l’écriture, la blâme de ne pas
être un instrument précis. Y a-t-il un littérateur capable, du fait seul qu’il
récite deux lignes ou deux vers à un passant, de le faire changer de
couleur, de le faire éclater de rire, de le tourner vers le vice ou vers la
vertu? Un passant de bonne moyenne, un négociant?... Si oui, il retire
tout ce qu’il a dit. Y a-t-il des formules qui frappent les hommes comme
le mot Sésame, autrefois, ouvrait les portes? Jalicot proteste et récite:—
Saint Pierre cherchait un mot pour son cadenas. L’inventeur sourit...
C’est très beau... Il se rend. Il avoue, d’ailleurs, qu’il est de mauvaise foi.
Lui personnellement ne peut prononcer de vers sans avoir, comme les
gens qui chantent, les yeux pleins de larmes:
«Dans le vallon qui doucement s’éclaire,
Un corbeau noir sur la neige est tombé.»

Il pleure vraiment un peu; jamais on n’a vu un corbeau aussi


nettement! Et la neige, si l’on pouvait être au mois où elle tombera! Mais
il nous quitte, sa section doit faire l’exercice à une heure... c’est la
guerre.

...C’est la guerre: On ne me fera pas travailler de l’après-midi. Sur ce
dimanche alsacien, morne, privé d’hommes et sans doute, si le curé ne
change pas d’humeur, de vêpres, joue un dimanche français, privé de
femmes, mais qui remplit de notre bleu et de notre rouge tous les coins
vides de l’autre. Les habitants apprivoisés sortent officieusement de leurs
armoires, pour nous le faire admirer, tout ce qu’ils n’ont pas osé revêtir
dans ce matin officiel: les femmes leurs jupes et leurs nœuds noirs, les
hommes leurs vestes, le curé ses chasubles... C’est la guerre, avec son
ciel bleu, ses canons grondants, ses pigeons voyageurs qui s’entraînent
autour du clocher sur la piste étroite et dure des martinets. Sous un
pommier aux pommes vertes je m’étends. Elles sont vertes et dures. Je
peux dormir au-dessous d’elles, je peux les contempler sans crainte, et
aussi sans l’appréhension d’avoir à inventer, l’une tombant, les lois du
monde. C’est la guerre dans sa quatrième semaine, au dimanche exact où
elle aurait dû s’adoucir et devenir la chasse. C’est le fond clair de la haie
qui devient subitement rouge, quand une section passe sur la chaussée et
la compagnie de piquet qui s’exerce dans le champ voisin à charger à la
baïonnette en criant: «Vive la classe». C’est, à peu près toutes les heures,
un revolver qui part dans les mains d’une ordonnance maladroite, et
donne aux soldats parisiens l’impression qu’on est près de la Tour Eiffel
et qu’il est midi. Puis, si l’on se dresse enfin aux cris de Laurent qui
appelle pour le rapport, c’est un chemin tournant contre un mur couronné
de roses; au-dessus du mur, des terrasses; au-dessus encore, le
cimetière... Il faut être civil pour se faire enterrer si haut. Là, c’est le
calme que donne un petit chemin de croix qui n’a que quatre stations et
où Jésus meurt sans être encore fatigué, les joues bien roses; c’est le
désespoir adouci qu’inspirent la colonne brisée au-dessus du fils Moser,
la colombe dorée au-dessus de la fille Mayer, l’inscription de Hans
Hermann, né en juin 1870 et mort hier, pauvre et noble vie, qui n’a pu
loger tout entière dans l’Allemagne et la dépasse des deux bords. Un
Durand est venu aussi reposer dans ce cimetière. Chers Durand, et vous,
chers Dupont... chère France!

Déjà vingt jours de campagne, déjà deux semaines sans café sucré,
sans pain salé;—Petipon, tombé de congestion au pied du drapeau;—
trois gros réservistes évanouis sur la route de Vesoul;—la pluie de Lure,
qui colla toutes nos cartes-lettres neuves et qui n’est pas encore séchée—
les lignes de tramways, de chemins de fer se retirant peu à peu de nous
comme se rétrécit un nerf coupé;—tous les drapeaux alsaciens, blanc et
rouge, du district d’Altkirch, découverts chez un patriote par Poirier, qui
crut avoir pris d’un coup cent drapeaux allemands; les noms de
Wissembourg, de Freschwiller, de Reischoffen, recouverts pour toujours
dans notre mémoire, comme les stations du Métropolitain dont on
change les noms prussiens, par de petits noms simples et pacifiques:
Saint-Cosme, Bellemagny,—peut-être avons-nous fait notre devoir
envers l’héroïsme, envers la guerre! Tout ce que nous attendions d’elle,
nous l’avons vu: le chasseur d’Afrique cassant son biscuit avec le pic des
soldats du génie; le zouave endormi sous un porche alsacien; le général
au galop saluant le général à pied; confondus, ces uniformes qui donnent
vingt vertus au courage militaire, et, dans l’esprit du sergent rengagé qui
sait les garnisons par cœur, brouillent soudain toutes les sous-préfectures,
y compris les algériennes, et toutes ses nostalgies; chaque arme passant à
l’autre arme son insigne, un fantassin sur un cheval blanc, un vieux
landau plein de cuirassiers, un bataillon d’infanterie manœuvrant aux
trompettes, spectacles d’une ambiguité pour nous plus aigüe que, pour
vous savants, Andromède en Bacchus, Hébé à cheval; le suffixe «en
Alsace» s’agrippant à chaque pensée: «Je suis étendu en Alsace», «Je
fais le résumé du jour en Alsace», à tout grade: «Je suis sergent en
Alsace!»... Michal, qui m’a rejoint, est lui-même plus calme et a signé,
pour tout le soir, un armistice. Ses paroles sont incertaines, mais au fond
elles veulent dire que, si nous sommes battus, nous restons les rares
Français qui ont pénétré en Alsace. Assurés de la victoire, nous
caressons égoïstement cet espoir de défaite. Nous éloignons le plus
possible de la guerre notre bavardage; nous parlons de l’Amérique, des
îles de la Sonde, où il ira, après son voyage aux Indes, avant son voyage
d’Australie, puis nous tenons à en écarter nos corps mêmes. Nous
gagnons une prairie isolée, d’où l’on ne voit plus le chœur gothique de
l’église, où nous jouissons d’une Alsace pure de souvenirs; près d’un
ruisseau qui coule; à l’ombre d’un vergne que le vent agite. Nous ne
voyons que des génisses, un chien, des faneurs; nous ne voulons prendre
d’elle que ce que nous aurions pris, par un semblable jour d’été, au
Berry, au Nivernais, un peu de chaleur, et, pour notre tête, un peu
d’ombre, car, vainqueurs modestes que nous sommes, nous ne regardons
point le soleil en face. J’effraye Michal comme on effraye une cousine en
Normandie, avec l’aide d’une rainette, d’une araignée. Il cueille des
herbes pour son herbier et me dit leur nom commun, réclamant leur nom
savant: nous n’avons plus besoin que d’interprètes de latin. Un bœuf
impassible, et qui ne rumine même pas, attend, pour ne pas brouiller
l’herbe française avec l’herbe allemande d’hier. Ce n’est pas par lâcheté,
c’est par modestie que l’on renonce ce soir à la guerre, au carnage, à sa
mort, à la mort surtout des autres, des camarades qu’on a jetés pêle-mêle
et joyeusement dans le mois d’août, avec l’espoir de les retrouver épars,
chacun dans sa ville de Prusse. Je les retiens tous autour de moi. Je ne
veux perdre personne. Tous ces souffles de mort, que je sens effleurer la
tête de Michal, en nous allongeant dans ce pré, ils s’éteignent, et ces
souffles sur moi de vie plus ardente. Restons ce que nous étions en
juillet, le dernier jour de juillet, lui ingénieur à Lens, moi baigneur à
Châtelguyon. Restons-le, s’il le faut, toute notre vie, sans demander
l’avancement de Lille et de Vichy. Que le courage militaire demeure
l’apanage d’une caste enfantine et bruyante, et ne se répande pas, comme
l’a fait la Légion d’honneur, son insigne, parmi les professeurs, les
contrôleurs, les peintres... Le canon se tait, le cœur n’est plus jaloux et
bat plus lentement. Le dimanche pour nous s’arrête, et nous sentons
passer une seconde où, malgré la guerre et malgré les moyennes
municipales, personne en France n’est mort, personne n’a pu naître...
Il fallait la guerre pour qu’on distribuât un courrier le dimanche après
midi! Mauvaise humeur de Devaux; il n’a qu’une carte de sa femme,
qu’il a épousée la veille du départ: Elle aurait vraiment pu lui écrire une
lettre.

Aspach, 24 août.
Dormi à cinq sur un matelas dérobé par Devaux. Allusions aux
nouvelles mariées. Tas de punaises, comme nous le craignions, mais,
vers minuit, un cheval; il reçoit une gifle et sort, dignement, patinant sur
les escaliers. A une heure, les cuisiniers s’installent dans notre cour. Il
n’y a plus à lutter. Tout ce que nous avions assemblé de conscience
tranquille, chose si nécessaire au sommeil, ils le chassent, avec le bruit
recommandé en Algérie pour chasser les sauterelles. Je vais m’asseoir
auprès de leur feu, pas le feu où leur café bout, mais leur feu de luxe, car
ils fondent toujours deux foyers, comme s’ils faisaient une ellipse et non
pas la cuisine. Il y a déjà là trois ou quatre soldats, les uns penchés sur la
flamme, les autres lui tournant le dos, car la chaleur est faible et ne
traverse même pas la moitié d’un homme. Vers le cœur, on reste gelé.
Nous l’entretenons parcimonieusement, allumant chaque nouveau
sarment au sarment qui s’éteint, pour que le fagot suffise jusqu’au matin,
comme on allume pour descendre d’un sixième les trois allumettes que
l’hôte vous a confiées. Mon tambour, qui a le visage illuminé, discute
avec un soldat à visage nocturne; il termine une histoire dont je
n’entends que les dernières phrases: «Je le tue avec mon képi de
plomb»—«il avait au moins six mains»—«son sang était de l’or».—Ces
gens-là racontent leurs rêves, car il n’y a pas un langage de la nuit, sans
logique, et inhumain... Parfois le sarment est vert et nous enfume, mais
fumée est un peu chaleur. Une petite étoile française, jusque-la
immobile, nous fait tout d’un coup mille signaux. Vers trois heures, un
adjudant passe pour faire éteindre les feux inutiles. A Paris l’on éteint, en
effet, un bec de gaz sur deux, mais nous n’obéissons pas; nous nous
taisons, et il s’irrite de lutter contre des ombres; enfin celui de nous qui
est l’âme faible, qui tuera sur ordre les chiens blessés, qui brisera les
bouteilles d’alcool confisquées, étouffe notre feu en le battant avec le
sarment qu’il allait y mettre. Nous restons autour de la cendre, jusqu’à ce
qu’elle soit froide. Nous touchons de nos doigts le dernier charbon. Puis
l’aube arrive, par une porte qui laisse aussi passer une bise aigre. Nous
relevons nos cols humides, nous resserrons nos cravates. Un coq chante.
Une fois seulement, et c’est le jour. Nous n’avons à renier l’Alsace
qu’une fois.

Matinée longue. On me désigne officiellement pour acheter l’ail, les
oignons et les échalottes du bataillon, car les légumes alsaciens ont des
noms vraiment trop compliqués. A huit heures, ordre de préparation au
départ. Quatre heures d’attente, sac au dos, l’arme au pied. Le réveille-
matin de Clam sonne dans son sac, les officiers s’énervent et
m’interdisent de distribuer mes oignons. Il m’en reste cinquante bottes,
que je passe à la même compagnie. A midi, la division se décide à nous
envoyer le départ.
Le ciel aussi a pris une décision. Il sera bleu dix minutes et brouillé
les dix minutes suivantes. Les nuages, au lieu de ressembler à l’Asie, à
l’Angleterre, imiteront des camarades à nous; voici Bernard avec sa
barbe, voici le lieutenant Pattin avec un œil véritable percé jusqu’à
l’azur. Nous suivons un chemin de vallon, désolés, car les grand’routes
seules mènent aux villes. Il paraît cependant que nous allons sur
Fribourg. Le régiment tourne, serpente, de sorte que nous le voyons en
entier, chacun de notre place, pour la première fois. Un soleil Louis XIV,
aux rayons obliques, réserve tout son or pour la compagnie hors rang.
Les sapeurs étincellent, les télégraphistes flamboient, l’artificier,
semblable à Danaé, éclate. Depuis que le colonel m’utilise comme
interprète, ma place dans les marches est au premier rang de la
compagnie de jour, en serre-file aux quatre hommes de tête. Il y a huit
compagnies et les soldats ne changent jamais de conversation, aussi je
reprends à chaque marche la conversation interrompue voilà huit jours,
et cela me fait trente-deux camarades nouveaux, les trente-deux plus
grands du régiment, qui me hèlent quand ils me voient. C’est aujourd’hui
la compagnie où l’on parle toujours de la guerre. Les hommes se passent
les conseils de leurs pères qui ont fait 70—couper les boutons de culotte
des prisonniers—mettre des journaux dans les souliers quand il gèle;
toute une science anodine qu’il aurait bien fallu un jour pour apprendre
et la guerre de 70 raccourcira la nôtre de juste un jour. Je me laisse
glisser à la compagnie suivante, jusqu’au petit Dollero, qui a vingt ans, le
seul soldat de l’active dans ces trois mille réservistes, petit poète enfoui
au centre de sa section, et qui obtient de se mettre au bord quand je lui
rends visite. Il croit aussi que nous allons vers le Rhin, bien que nous
marchions face au soleil, c’est-à-dire vers l’Occident. Poète de l’active
qu’il est, il m’avoue qu’il compose des éloges depuis le matin; il est dans
ses jours d’éloges, d’éloges en prose rythmée, car le pas de route,
mauvais pour les rimes, est bon pour les accents toniques. Il a fait
aujourd’hui l’éloge de Petipon, celui du colonel, celui de notre engagé
cubain:—Cuba, dont nous ignorons la vraie forme, car seule la première
carte de Colomb en est permise et, pour effiler l’île, Colomb fit cinq
voyages. Il les récite. Il se propose de composer, comme préface, l’éloge
des éloges. Puis, soudain muet, il me contemple avec des yeux si
lumineux, si insistants que je devine son projet, que je me sens ma
propre louange, et que je n’ose pas plus faire de gestes, par modestie, que
devant le cinématographe.

Quel itinéraire bizarre; à quoi peut bien penser Michal! Un village
coudé, mesurant l’angle droit, nous renvoie soudain vers la France. Puis,
nous remontons, par des angles aigus, au Nord, puis, par un bout de route
nationale, à l’Est. Nous avons l’air de vouloir échapper à une armée
française, ou à un aimant français qui nous guette dans la trouée. Nous
voyons avec joie la montagne s’élever entre Belfort et nous; nous nous
barricadons avec les Vosges contre cette force qui nous pousse à revenir
à la France. Nous ne savons pas qu’aujourd’hui c’est Charleroi. Nous
tenons à l’Alsace de l’amour le plus désintéressé, d’ailleurs, car nous
ignorons que ces petits bois sur la droite sont les bois de Nonnenbruch et
qu’ils valent au plus juste, à cause de leur potasse, quatre-vingts
milliards. Tous les arbres, tous les bosquets de ce pays lourd s’allègent,
jettent leurs ombres et bleuissent. Un vallon à mille plans, au bas de
chaque descente, s’éclaire, s’éteint par degrés, et toutes celles des
feuilles qui seront jaunes dans un mois demeurent inondées de soleil. Sur
les ardoises des clochers, un rayon mal taillé s’effrite. Aux carrefours,
des plaques tentatrices indiquent Colmar, Strasbourg, Fribourg, avec le
nombre de kilomètres le plus réduit, en évitant d’atteindre un chiffre
rond, comme dans les grands magasins: 59, 99, 119. Nous traversons un
ruisseau rapide qui porte son nom sur le pont comme sur son collier,
c’est la Doller. Au delà du pont, une maison isolée, comme en France; un
jardin clos de murs, comme en France. Nous n’y étions plus habitués et
avons peur pour cette maison si seule. Tous les hommes l’ont remarquée
et sentent soudain en eux, encadrée, leur maison d’Auvergne et leur pré.
Vers le soir, à l’heure où des bambins, avec des adjoints centenaires,
distribuent le Temps dans Paris, le vaguemestre de la brigade à bicyclette,
le long du régiment, donne à chaque sergent-major le Bulletin des
Armées:—Aujourd’hui, 3 août, rien de nouveau. L’Angleterre déclare la
guerre à l’Allemagne. Le bulletin contient aussi le récit d’un ténor de
l’Opéra-Comique, qui s’est trouvé pris dans une bataille: «J’aurais
préféré, conclut-il, chanter la Tosca». Que de périls la vie recèle pour un
ténor! A huit heures, arrivée à Aspach. Je quitte Dollero tout heureux car,
au milieu de ses éloges, il a trouvé une épigramme:
Fasse qu’il prenne bientôt femme
Car, Apollon,
Je médite l’épithalame
D’Épitalon.

Epitalon l’attriste en soutenant que c’est encore là un éloge et pas une


épigramme... Mais voici Aspach. Avec les secrétaires, je fais halte dans
une grande ferme en bordure de la route et nous nous offrons, pour la
première fois, le luxe de voir défiler notre régiment. Les quatre hommes
de tête, le visage de chaque compagnie, me font seuls un signe d’entente,
à part la compagnie des oignons reconnaissante, qui tout entière me
sourit.

Une femme! Jusqu’à ce jour,—nous n’avons traversé d’ailleurs que
des villages ou des fermes—de vieilles paysannes seulement et des
gamines, celles qui meurent en garnissant des lampes, celles vêtues de
pilou. Jamais ces notairesses blondes aux yeux de feu, angoisse, délices
des notaires, ces bijoutières délirantes, loyales dans leur passion
soudaine, car les soldats achètent peu de bijoux, qui nous donnaient,
pendant les manœuvres, dès les faubourgs, l’impression de conquérir
Clermont-Ferrand ou Issingeaux. Jamais ces jupes de velours bordées de
rose qu’un enfant même attend à la frontière des contrées que l’on
personnifie par des femmes. Nous avions pourtant pris le soin d’entrer en
Alsace un dimanche.
Après quel voyage! O Françaises des gares, qui toutes encore vivez!
Sur notre passage, aux arrêts de nos trains, appartenant à chacun,
esclaves de chacun, courant du passage à niveau à la ville—cela
descendait—pour remplir vingt bidons qu’elles avaient pris vides et qui
pesaient vingt kilos au retour—cela montait; ne se retenant pas de donner
deux billes de chocolat à chaque homme—au lieu d’une—et désespérées
d’avoir épuisé deux fois trop tôt leurs provisions; bourgeoises,
paysannes, fillettes avec leur Anglaise, épanouie, libérée d’hier d’un
doute affreux sur l’Angleterre, alternant au bord de notre voie comme
dans la vie des voyageurs illustres, institutrice dont chaque élève avait
écrit et signé un billet d’espoir aux soldats; bouchère, dont l’étalage était
distribué, qui pensait soudain à ses confitures et courait à ses armoires;
jeunes filles brunes, souples, dévorées par la guerre, dans une gare de
mineurs, qui changeaient déjà le premier billet de cinq francs, ce billet
qu’elles devaient garder toute la vie comme souvenir; cousines timides
qui entr’ouvraient sans bruit notre wagon endormi, vers deux heures du
matin, et frémissaient de joie en le voyant subitement se secouer,
descendre sur le quai sablé, enfouir dans ses musettes un chocolat dont
elles nous disaient orgueilleusement la marque, car il faisait si sombre;
statue blonde, tête d’or, qui scrutait et reconnaissait chaque visage, et qui
me refusa un second verre de vin, bien que j’eusse fait à nouveau la
queue; épouse, qui regardait les autres sans les aider, sous les acacias
lumineux, anéantie mais qui voulait nous voir, qui se refusait à nous dire,
par tristesse ou par crainte, le régiment de son mari, sanglotant dès qu’il
fût avoué; formant haie jusqu’à la frontière, toutes à un mètre de nous,—
à part une jeune fille de Montceaux qui ne voulut jamais s’approcher—
debout hors de la tranchée du train, hors de leur vie, hors de la modestie,
prêtes aussi à mourir et narguant les express, toutes les femmes,
accourues qui se cachent les unes derrière les autres dans notre vie et
dont je n’avais vu, avec les bras et les gestes des mille autres, condamné
à une idole indoue, que la plus proche. Tout ce qu’ils n’avaient pas vécu
passa ainsi, avant les périls, sur les yeux de ces soldats; les tristes
repassèrent une vie enthousiaste, les égoïstes une vie généreuse, les
faibles une vie de décision, car on avait cinq minutes pour se connaître,
donner son adresse, pour regagner son train, partir..... Mais, depuis
l’Alsace, pas d’Alsaciennes? Elles allaient permettre que l’Alsace, dans
notre esprit, devînt un pays masculin, un Berry, un Poitou, une province
devant laquelle on ne s’effacerait pas si on la rencontrait en personne à
une porte, pour la laisser passer d’abord. Elles allaient laisser mentir ces
tableaux enfantins de l’école qui ont uni, dans notre mémoire, et
confondu, une petite Alsacienne, une Romaine élevant ses fils, et une
Océanie de douze ans, toute nue! Trinité scolaire, qui souvent
m’oppressa d’une nostalgie égale. Pardonnerai-je à l’Alsacienne de se
cacher, elle qui a maintenant mon âge, alors que j’en ai voulu, bien
souvent voulu, de n’avoir pas fait pour moi le voyage d’Europe, à la
petite Océanie?
Je la vois. Elle est venue seule, avec un bambin de trois ans qui ne
ressemble à aucun continent, mais bien, avec son raisin et ses poires, à la
saison. Elle me le montre avec toute la fierté que peut avoir un symbole
féminin d’avoir mis au monde un petit mâle. Elle m’offre un visage large
sur lequel le regard peut errer sans tomber aussitôt à droite, à gauche, ou
dans les yeux. On peut ne pas la regarder tout à fait en face sans paraître
faux. Elle s’appelle Fabienne. Elle a les cheveux en bandeaux, mais on
devine dans l’armoire sa vraie coiffure et son vrai prénom.

C’est chez elle que je couche, dans son salon, meublé de Strasbourg,
mais sur lequel s’éparpillent les souvenirs d’un seul voyage de deux
jours à Paris, une tour Eiffel, une vraie, avec un dessous vert, la
photographie du pont Alexandre sur une conque, le rappel de tout ce qui
a donné aux Alsaciens, depuis quarante ans, l’occasion d’être fiers de
nous. Seul, un coquillage du Tréport a été acheté par amour du beau, et
peut-être aussi ce cornet à fleurs en nacre. Que les coquillages se font
voyants sur les montagnes!
25 août.
Alerte. A cause du soleil, qu’on n’attendait pas aussi éclatant. Pas un
nuage, pas un souffle. Chacun prédit tout haut qu’il va faire beau et est
enchanté de l’apprendre aussitôt après du voisin. Des portes, où les
rayons entrent horizontaux, ressortant par la porte du fond, nous nous
interpellons, mais entre sergents seulement, car une humeur de caste, le
matin, nous pousse à ne parler qu’à nos égaux en grade. Mon caporal,
insolent le soir, ne s’y fie pas, me flatte, et là-bas le commandant aussi
fait pivoter son secrétaire, chaque matin professeur consterné, qui devra
regagner graduellement dans la journée son importance, comme s’il
reprenait chaque jour sa licence à midi, son agrégation à quatre heures,
de sorte que son chef, plein de considération au crépuscule, le prie de
dîner avec lui. Les sergents optimistes se saluent sans attendre la
réponse, se contentant de sous-entendre dans chaque phrase de leur
dialogue le mot: admirablement bien.
—Ça va?
—Et toi?
—Allons, tant mieux!
Les adjudants font boire du lait à Forest, le lui versant de très haut
dans la bouche.
—Forest boit du lait, crient-ils aux autres adjudants, et chacun lui jette
mille compliments: qu’il est beau, qu’il a toutes les femmes qu’il veut,
qu’il a eu Juliette...
—Je bois du lait, tente-t-il de dire, mais le lait déborde.
Le régiment est prêt. De temps en temps passe l’ordre de mettre sac
au dos, puis, dix minutes après, l’ordre de le poser. Promenade
coutumière des clairons et tambours, qui ne savent où se placer et que
chaque capitaine expédie à la sortie opposée du village. Ils font la mairie,
le presbytère, le château, comme les fanfares le matin du 1ᵉʳ janvier, en
province. C’est pendant ces heures d’attente que nous déclarons
comprendre enfin les désastres de 70. Puis le vaguemestre. Tout le
monde tire son crayon et s’assied. Les moins lettrés s’étendent pour
écrire et ceux-là qui restent debout sont des égoïstes ou des orphelins.
Les cartes achevées, on met au courant les carnets de route et Barbarin
me demande le mien, pour copier; je le passe sans discuter, car il ne
comprendrait point mon refus, et il transcrit avec joie: Aspach. Fabienne.
Tour Eiffel. Je lui explique que Fabienne est mon hôtesse, il l’avait
deviné, et il devine aussi qu’elle est immense et maigre. Il me fait lire à
son tour son cahier, où il n’a trouvé à inscrire jusqu’ici que les mots
d’ordre et de passe: 19 août, Napoléon. Namur.—20 août, Samain.
Solférino. Il me force à tout copier.
Enfin, départ. Je laisse à la garde d’un lieutenant d’artillerie quatre
droguistes à bicyclette, de marque allemande, qui prétendent aller à
Mulhouse, leurs communes manquant d’aspirine. Ils affirment aussi, sur
nos observations, que les communes n’ont pas de pyramidon, pas de
quinine. Jalicot veut leur bander les yeux, mais ils protestent avec
politesse, s’excusant, comme s’il leur offrait un bandeau d’eau sédative:
c’est de l’aspirine qu’il leur faut. Le lieutenant d’artillerie cligne des
yeux vers nous.
—Je ne les lâcherai qu’après la retraite, dit-il.
Le colonel est là.
—Quelle retraite?
Jalicot confisque les bicyclettes des droguistes, qui ont souri. Le
lieutenant, au garde-à-vous, cherche un synonyme à retraite, à défaite, et
secoue la tête avec impatience de voir qu’il ne lui vient aujourd’hui que
des rimes. A quoi bon? Nous voyons tous que notre campagne d’Alsace
est finie. Les chefs savent qu’on nous ramène en France. Les soldats
comprennent,—c’est si facile à comprendre!—que, comme il n’y a plus
de résistance en Alsace, on n’a plus besoin de la conquérir. Nous
sommes heureux de marcher vite, d’être sur la route nationale, qui mène
de la nation badoise à la nation française. Les officiers viennent me
rendre mes cartes. A chaque halte me reviennent, un par un, Colmar,
Strasbourg, et j’ai droit à nouveau aux plans de ces deux villes rondes
dont on lit l’âge comme pour les arbres. Déjà nous recherchons des
cartes de Belgique. Déjà je parle d’Anvers avec Jadin, cuisinier de
paquebot, qui se croit obligé, parce que je suis interprète, de parler
anglais et qui était à Portsmouth le jour où la paix fut signée entre la
Russie et le Japon. Lui, Jadin, pour qui le voyage est terminé, quand on a
effleuré New-York ou Le Havre, prétend que la guerre est finie: nous
avons touché Mulhouse.
—Comme on dit, dit-il, war is finished.
Où dit-on cela? à Portsmouth? Il n’y a de fini que cette guerre
d’Alsace, d’où nous sortons déconcertés. Nous l’abandonnons, mais pas
sans l’impression qu’elle nous abandonne. Chaque verger, chaque
platane, rejoint derrière nous la forêt de la Harth, qui nous a barré le
chemin, et, quand nous nous retournons, se masse avec elle. Déjà des
inconnus fauchent les blés des champs allemands, qui seuls restaient
encore debout, leurs maîtres s’étant enfuis. Un mouvement brusque à
gauche et, en moins d’une heure, nous serions en France. Les hommes
regrettent seulement de ne pouvoir rejoindre une voie romaine, marquée
sur la carte. Dès que la route s’élargit, résonne, ils prétendent la
reconnaître. Et, à la pause, ils collent l’oreille contre la chaussée, comme
s’ils attendaient les Romains eux-mêmes.
Mais César a préféré marcher à l’ombre et contourner le petit bois.

Soudain, devant nous, au seuil des montagnes, apparaît une ville.


C’est si nettement une ville, la ville des écriteaux d’école, mi en plaine,
mi en montagne, que nous n’espérons pas y pénétrer. Au-dessus d’elle,
un château-fort, les tours encore presque intactes, mais renversées
horizontalement, comme dans les mirages qui n’ont pu tourner tout à
fait. Jamais l’état-major, qui nous évite jusqu’aux chefs-lieux de canton,
ne nous laissera approcher cet exemple de ville, avec sa cathédrale
ogivale au milieu, ses usines à droite, ses toits de tuile à gauche. Le
capitaine Perret nous confirme que c’est une ville, que c’est Thann.
L’écriteau, qui ne nous avait parlé jusqu’ici que de cités éloignées, avoue
soudain: Thann est à 2 kilomètres. Déjà les maisons se touchent, avec
des jardinets et des grilles.
—Et ici, où sommes-nous?
—A Thann!
—Mais là-bas, sur la droite, toutes ces usines? C’est Cernay?
—C’est Thann.
Quelle ville immense! Peut-être aussi ne sommes-nous plus habitués à
voir de villes! Et les balcons? Peut-on imaginer plus gracieux et plus
commode que les balcons! Et les seconds étages, si dangereux en cas de
chute ou d’incendie, mais si clairs! Et les jardins d’horticulteurs, avec un
piège à loup par massif, mais d’où femmes et enfants d’horticulteurs se
précipitent avec tant d’élan, qu’ils sont les seuls à oublier de nous offrir
des fleurs. Sur les trottoirs—que de choses aussi à dire des trottoirs!—
s’amassent tous ceux qui sont prêts à neuf heures du matin, les jeunes
filles, les enfants, les infirmes, tandis que, de l’arrière-cour, les mères et
les servantes, en caraco, lèvent les bras. Mais je mens: voilà des hommes
en redingote, des femmes en robes de soie noire, qui se sont levés et
habillés pour nous. Thann entier nous acclame, et nous nous regardons,
et nous cherchons autour de nous quel régiment victorieux défile, et nous
croyons aussi une minute qu’on fête une victoire remportée dans le Nord.
Cependant c’est bien nous qu’on regarde, qu’on touche. C’est bien nous,
sergents, qu’on embrasse. C’est bien moi qu’une vieille dame salue
exclusivement de sa fenêtre, reprenant ses révérences quand je me
retourne, indifférente à tous les autres. Thann nous acclame, avec le
remords éternel de s’être tu au premier régiment français, et comme il
acclama ceux qui ont passé voilà huit jours en sens inverse. Peu lui
importe. Il ne veut pas voir que Michal, les bras pleins de roses, tourne
sans hésiter au premier carrefour et nous guide vers la France. Cela a du
bon: si nous allions vers l’Allemagne, nous ne traverserions pas Thann
dans sa plus grande longueur, et l’on nous oblige à faire notre entrée en
Alsace le jour où nous en sortons. Tous les petits égoïsmes qu’encourage
la vue de la ville, espoir d’un verre de bière, d’un gâteau, d’un cigare,
s’effacent devant son émotion. Nous la traverserons sans boire, sans
manger. Nous improvisons une allure plus guerrière, et nos tambours et
nos clairons, épars, se rassemblent au galop devant chaque bataillon.
Notre compagnie a eu la chance de se faire raser ce matin: nous nous
dressons et répondons au moindre regard par notre visage entier. Joie
d’être contemplé par des yeux qui veulent trouver en vous la loyauté,
l’esprit, le courage. Le colonel fait sauter son manchon et apparaître les
cinq galons, le commandant Gérard les quatre, chaque capitaine les trois.
Bientôt chacun reçoit d’hommages ce qui est dû à son rang, et l’on
prononce nos grades comme si c’était nos noms. Nous ne savions point
entrer dans les villes, Thann en cinq minutes nous a appris le protocole.
Le capitaine Perret, jette de temps à autre un coup d’œil sur son Joanne,
à la dérobée, par délicatesse, et nous explique la ville, pour que nous
ayions l’air déjà de la connaître, et nous raconte que Kléber était ici
architecte. Dès lors, les soldats admirent chaque maison comme si elle
avait été construite par Kléber, ou, si leur mémoire est mauvaise, par
Marceau, par Hoche.—Et la cathédrale, demandent-ils, duquel est la
cathédrale?
Thann, que nous ignorions tous avant la guerre, parce que ton nom,
sur la carte, est noyé dans l’ombre des Vosges, porte d’Alsace qu’aucun
de nous n’imaginait, et qui se dresse tout à coup, en bois et en
géraniums, sur notre retour, que nous voulons t’aimer, et que tout serait
beau, sans cet imbécile de Jadin qui s’obstine, sur ma droite, à prononcer
ton nom avec le th anglais! De chaque maison pend un drapeau, un seul,
le pavillon de la maison, un vieux drapeau d’avant 70, avec des franges
d’or, d’une soie si cassante et si brisée aux plis que le vent le plus
modeste le secouerait en petits carrés. Tous immenses, avec des hampes
neuves, et l’on a cloué quelquefois le rouge du côté de la hampe, ce qui
rend le drapeau plus lourd, plus grave, mais tous si fragiles que son
maître surveille chacun, comme des lampions un jour de fête, pour qu’ils
ne s’éteignent point. Au balcon, la personne âgée ou courbée de la
famille, celle qui ne voit que d’en haut et de loin. Thann, qui m’a rendu
l’Alsace, qui m’a allégé de ma défaite originelle, comme tout serait beau
sans la pensée que les quatre droguistes essayent peut-être en ce moment,
dans Mulhouse évacuée, et j’espère sur eux-mêmes, car ils sont restés
tête nue au soleil, l’aspirine de leur commande! Sur le pas des magasins,
les boutiquiers nous relèvent du vœu de jeûne, et déversent sur nous
leurs boutiques, égaux pour la première fois, car de tous on a besoin
égal; Balouard, dont le lorgnon est brisé, reçoit de l’horloger une série de
toutes les dyoptries jusqu’à 18. Il en a pour toute sa vie, à condition que
sa myopie empire chaque année. Des enfants, qui se sont offerts pour les
commissions, reviennent avec le paquet, la monnaie, et cherchent pleins
d’angoisse leur soldat, découvrant que tous lui ressemblent. Artaud, qui
est boucher, lève les bras et acclame, derrière un comptoir de marbre, un
boucher hargneux et laid qui, ne pouvant deviner qu’Artaud est un
collègue, se croit soudain un visage sympathique et désormais se met en
évidence comme s’il était beau. L’opticien a planté des drapeaux sur sa
tête de cire, comme sur une carte..., les circonvolutions les plus
lointaines, les moins nécessaires: la mémoire des chiffres, l’adresse de la
main gauche, sont pavoisées à nos couleurs. Mon soldat le plus lent
d’esprit, Bergeot, sent lui-même sa curiosité s’éveiller, demande à son
voisin où nous sommes, et l’autre lui crie, pour que les Thannois
l’entendent:
—C’est Thann!
Et il crie encore en montrant Bergeot aux Thannois.
—C’est lui! C’est Bergeot!
Voici des maisons bourgeoises: toute la famille est à la grille, la mère,
le père en costume du dimanche, avec des bijoux en or jaune, les enfants
se découvrant au passage des officiers. Voici Saint-Thiébaut, que nous
contournons pour entrer dans le cœur de la ville. La tour à trois étages
penche: toujours la tendance au mirage. Mes soldats, qui sont étonnés de
voir l’église plus petite de près, se demandent si ce n’est pas une
particularité de Thann. Du porche sort une vieille en noir, entrée pour la
messe de six heures, et qui lève les bras à notre vue. Elle tire sa tabatière,
c’est du tabac à la menthe et nous y puisons et éternuons en nous
secouant tant que la vieille peut voir, puis, sans les gestes, tant qu’elle
peut entendre. Voici l’ancien hôpital, devenu mairie. Un gros concierge,
un secrétaire rose, nous acclament avec la joie d’un poitrinaire devenu

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