Microeconomics Brief Edition 2nd Edition Mcconnell Test Bank
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Chapter 02
2. The private ownership of property resources and use of prices to direct and coordinate economic
A. a command system.
B. a market system.
C. communism.
D. socialism.
A. The production of goods and services is determined primarily by markets, but the allocation of
B. The production of goods and services is determined primarily by government, but the
C. The production and allocation of goods and services is determined primarily through markets.
D. The production and allocation of goods and services is determined primarily through
government.
A. The production of goods and services is determined primarily by markets, but the allocation of
B. The production of goods and services is determined primarily by government, but the
C. The production and allocation of goods and services is determined primarily through markets.
D. The production and allocation of goods and services is determined primarily through
government.
6. Which would not be characteristic of a capitalist economy?
D. government planners play a limited role in deciding what goods will be produced.
C. gives private individuals and institutions the right to own resources used in production.
D. gives the government the right to tax individuals and corporations for the production of capital
goods.
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Nous avons de plus le chagrin de voir les tertres faits un peu au hasard...
Je ne sais pourquoi nous eussions aimé pour eux des tombes parallèles.
⁂
Halte aux portes d’Ammerzwiller. Notre boucher a vu qu’on agitait
trois fois des lampes dans le grenier d’une maison. Il me requiert comme
interprète, et nous pénétrons, boucher avec son revolver, sergent avec sa
baïonnette, dans la chambre d’une grande jeune femme à cheveux blonds
qui sort du lit en criant. Elle sanglote; on voit sa gorge, ses jambes, toute
une franchise de réveil qui pousse le boucher à croire tout ce qu’elle dit:
Elle jure qu’elle n’a pas de lampe, qu’elle a l’électricité, qu’il n’y a
personne dans le grenier. Elle dit tout cela en français, mais le boucher,
pour bien comprendre, me regarde et attend ma traduction. Au grenier,
nous trouvons, enfoui sous des couvertures, un homme que nous
confions à la garde et nous prenons deux otages, dont le jeune curé, qui
proteste, défiant de la république et malgré que ses sentinelles mêmes
aient encore, épinglés à la capote, les Sacré-Cœur distribués à Paray-le-
Monial. Ce matin, je vais aux informations et une voisine m’apprend que
nous avons arrêté le faible d’esprit du village.
Vie de garnison toute la matinée grâce à mon adjudant des dernières
manœuvres, avec lequel je bois le café, et qui tente de m’apitoyer sur son
récent échec à Saint-Maixent: échec injuste cette fois; on lui a demandé à
l’oral ce qu’il pensait de Benserade. Il m’emmène aussi cueillir des
laitues dans les champs où nous trouvons des cadavres de lièvres,
inutilisables, gâtés en une heure. La chasse est le maximum de ce que
peut supporter un cœur de lièvre et la guerre le fait éclater. Pas d’oiseaux
non plus, à part les poules; les poules, puisque c’est leur nom, se sont
cachées les premiers jours, sont ressorties et ont repris maintenant leur
chasse, un œil sur chaque oreille: la guerre durera longtemps... Toute la
question est de savoir si l’admissibilité comptera après la paix!
Nous revenons par le corps de garde où ma compagnie, qui est de
jour, a pendu toutes les enseignes suspectes de la ville et la devanture
complète d’un pauvre homme, le malheureux, qui s’appelle Kaiser. Elle
collectionne aussi les plaques officielles des rues, et à chaque instant un
donateur arrive, apportant des panonceaux ou des affiches. On se croit à
Carnavalet les jours de générosité. Bientôt tout le déguisement prussien
du village est rassemblé dans cette salle; écriteaux si dédaigneux pour le
passant qu’ils font naître immédiatement l’ordre ou la vérité contraire
dans un cœur français: Ordonné de passer sur la voie quand le train
arrive.—Obligatoire de battre les animaux.—Enschingen pas à 7
kilomètres, Enschingen à 1.000 lieues!... L’innocent est toujours là, mais
il ne sait que l’allemand. Bardan s’occupe de lui offrir le café et, pour
trouver des relations communes, essaye de lui faire entendre qu’il a
connu un Boche, à Vichy, un garçon d’hôtel. Il a connu aussi un idiot,
qui vendait des journaux et auquel on n’a jamais pu repasser une pièce
fausse; car il ne faut pas croire que les idiots soient plus bêtes que les
autres.
Rencontré le lieutenant Bertet. Il est stupéfait d’être en Alsace. Il
n’avait pris que des cartes de Prusse et de Bavière, comme s’il ne
s’agissait dans cette guerre que de délivrer la Pologne, et je dois lui céder
mes deux pauvres petites cartes de Colmar et de Strasbourg. Il ne me
laisse qu’un plan des irrigations de la forêt de la Hardt, trouvé à la
mairie. Je ne risque plus de me noyer dans cette forêt... Je me console en
pensant à mes amis alsaciens, Braun, Beyer, partis avec toutes les cartes
des Vosges, qui s’acharnent sans doute en ce moment sur le Luxembourg
belge, qui couchent ce soir à Malines, à Bruges, alors que nous tenons
déjà, par quinze jours de marche pacifique, l’enjeu de la guerre. Nous
avons vraiment une dette envers l’officier d’état-major auvergnat qui fit
sournoisement désigner, sur les plans de mobilisation, les Auvergnats
pour reprendre l’Alsace!
Les hommes sont moins pris au dépourvu que Bertet. Ils ne donnent
pas, comme notre état-major de brigade qui nous interdit toute sonnerie,
toute entrée en musique, l’impression de chercher la vraie frontière à
l’intérieur même de l’Alsace. Ils règlent les horloges à l’heure de la
France, ils grattent les mots allemands sur les murs, ils se délivrent de la
petite humiliation qu’on leur infligea chaque année, à l’école, en leur
contant 70, et, soulagés, attendent avec bonne humeur la fin de la guerre.
Pas un qui eût pensé aller ailleurs qu’en Alsace, qui n’eût convenu avec
sa famille d’un mot pour annoncer qu’il y était, dictionnaire enfantin que
tous ont copié, de sorte que les mille lettres, les mille cartes,
commencent ainsi: le sac n’est pas lourd, ou le ceinturon ne serre pas,
ou les souliers ne prennent pas l’eau, phrases négatives qui voudront
dire, une fois révélées par l’air pur de Pontgibaud ou de Thiers: «Nous
sommes à Mulhouse», «Nous sommes à Strasbourg», «Je vois le Rhin».
On pourrait le voir en effet du haut du clocher avec une jumelle marine,
affirme le curé, qui affecte aussi de compter en milles marins—15—la
distance qui nous en sépare. Rétoil, qui est marbrier au cimetière de
Volvic et nous a promis à chacun, le mauvais cas échéant, sa meilleure
inscription, grave en attendant dans le marbre de la cheminée:
16 août 1870 19 août 1914
R . E .
Sur la carte, où le pays annexé est en carmin, la France en blanc,
comme il n’est pas de crayon blanc, on passe au crayon rouge la France,
que l’Alsace conquiert ainsi en une minute. Mon tambour, qui est de
Bruère, le village du bas Bourbonnais où se dressait avant 70 le centre de
la France,—c’est une colonne carrée faite de deux sarcophages romains
trouvés aux environs—se réjouit que Bruère ait repris son rang, l’écrit à
sa famille, essaye de l’expliquer au maire avec des ficelles tendues de
Dunkerque à Perpignan... le maire ne comprend pas... l’Allemagne n’a
pas de centre... Souvent les soldats ont recours à moi pour parler
allemand, mais je ne suis qu’un interprète de mots abstraits. A part
l’oignon et ses dérivés, pour lesquels je me sens d’un réel service, un
soldat français peut tout se procurer par gestes. Ils n’usent de moi que
pour calmer le doute qu’ils ont eu, en voyant qu’on n’illuminait pas en
Alsace, qu’on n’y parlait pas français. Ils cherchent avec une bonne
volonté inépuisable l’Alsacien qui leur dira:—quelle joie de vous voir!
Quelle honte que les Allemands! Ils essayent, par des insinuations naïves
sur la folie du kronprinz, de mettre à l’aise leurs hôtes. On m’invite au
café dans cette grange pour que je demande à la vieille si elle est
contente de nous voir. Comment se dit contente? Toute la journée on lui
répétera le mot «zufrieden» qui deviendra le soir un lambeau allemand
méconnaissable, auquel la vieille continuera de répondre en hochant la
tête. Pas un fumeur, pas un enfant, qu’ils ne me fassent interroger sur les
cigognes, sur Strasbourg, sur les têtes de pipe. Si l’un d’eux fait mine de
dire que le patois alsacien ressemble quand même au prussien, les autres
me chargent de lui expliquer la différence colossale, qu’au lieu de Haus,
la maison, on dit Hus, au lieu de Deutsch, l’Allemand, on dit Schwob et,
dans certaines maisons renfrognées, c’est eux qui apportent l’Alsace: ils
trouvent à coller sur la porte, comme sur les autres, un portrait de sainte
Agnès; ils passent au ripolin rouge les poutrelles déteintes, et mettent des
fleurs sur les accoudoirs. Égalité française: il y a bientôt le même
nombre de géraniums à chaque fenêtre du village. Tous fiers, d’ailleurs,
de leur conquête, et étalant les culottes rouges qu’ils ont lavées aux
alentours des maisons suspectes.
⁂
La guerre vient juste à temps; dix ans de plus, et c’était tard. Dans les
villages que nous avons traversés, les enfants ne parlent plus français. On
a tout au plus l’impression que jadis, jadis ils l’ont parlé. Il nous
escortent avec enthousiasme, mais dès que nous les interrogeons, ils
s’arrêtent, leur sourire cesse, ou bien ils se précipitent chez eux,
questionnent leur mère et rapportent une phrase incompréhensible de
trois mots boiteux: c’est tout ce qu’il reste de français à la maison. Nous
nous décidons à leur parler allemand: pour qu’ils comprennent mieux,
j’emploie mon haut allemand officiel, la langue des théâtres de
Meiningen et de Weimar, le hanovrien des acteurs juifs qui déclament les
traductions de Verlaine. Je demande à deux fillettes où l’on peut trouver
des confitures, du miel. Elles éclatent de rire, comme on rit en France
d’un acteur qui déclare se nourrir de miel, de compotes. Je voudrais
savoir aussi où est l’école: acteur bizarre, qui va à l’école! mais elles
m’accompagnent. Voici l’école; voici leurs cahiers de composition, écrits
tous en allemand, dans une écriture raide de parade, au cas où l’empereur
les daignerait honorer d’un regard. Dessins orgueilleux dont le moindre
chalet porte un paratonnerre; problèmes d’arithmétique à la donnée dure
et sèche, que l’on a envie de résoudre par la chimie, et qui vous font
restituer, sous peine de correction, les chiffres, les stères, les kilomètres.
Pas un mot de français. A Saint-Cosme seulement, chaque dictée, quel
qu’en fût le sujet,—c’était toujours Charlemagne ou Geneviève de
Brabant, car les instituteurs alsaciens choisissent leurs héros dans leur
méridien—était suivie d’une phrase à nous, sans rapport avec le texte:
«L’oseille est un légume», «l’ail est une plante», «la coquetterie est un
vice». Brave maître d’école qui bordait les massifs impériaux de persil et
de défauts français. Voici le cahier de ma fillette la plus grande: elle a
très mal; elle n’a pas su la mort de Frédéric. Elle affirme qu’elle ne
recommencera pas, et me récite tous les grands hommes qui sont morts,
mal assurée pour ceux qu’elle aime.—C’est ainsi que nous passons notre
journée entre les enfants et entre les vieillards, nous vieillissant ou nous
rajeunissant d’une vie entière selon nos rencontres, car vieux et enfants
ne vont pas ici ensemble, comme en France, et nous conquérons un pays
où l’âge adulte n’existe pas.
⁂
Rencontré Jalicot, qui a adopté un vrai petit muet; n’ayant pas
l’allemand entre eux, tous deux se comprennent à merveille. Rencontré
Artaud, qui est rayonnant, qui s’est pris le pied dans la roue de sa
voiture, a cogné la tête dans le marchepied, et est retombé sur une botte
de paille; il voudrait le refaire qu’il n’y arriverait jamais. Notre chien de
chasse suit mes promenades quand je prends un fusil et m’abandonne
quand je me contente du revolver. Je le mystifie en l’emmenant à la
pêche, un ruisseau coule au bas du village.
Il fait chaud, et je rejoins au milieu de la prairie le lieutenant Michal.
Petit, modeste, doux, c’est notre guide; le général de la division a choisi
pour marcher en tête des régiments de réserve, les contraires des
tambours-majors de l’active; le guide du 236 est C..., le plus petit
romancier de France; celui du 305, B..., journaliste silencieux, qui prend
des notes.—«Voilà des régiments qui réfléchissent», peuvent se dire les
bourgs qui ont vu la veille défiler les zouaves étourdis ou les chasseurs.
Michal étudie sa carte. Il s’est étendu dans l’herbe suivant la ligne du
Rhin et, orienté vers le Nord, distribue ses points et ses demi-points
cardinaux aux clochers les plus distincts; à chaque halte, il s’installe
ainsi, se couche, niveau du régiment, et le lendemain nous conduit sans
erreur par les plus petits chemins, même s’il n’y a pas de villages, et s’il
a dû confier le Nord et le Sud à de simples rochers ou à des arbres.
Souvent je l’ai rejoint, sur ces routes alsaciennes qu’il a plus de plaisir à
fouler qu’un autre, car il est ingénieur des mines et il n’oublie pas une
minute combien le sol conquis est profond. Nous marchions de son pas
régulier, qu’il règle à une montre; dans cette avant-garde de calme où
l’on ne connaît rien des bousculades et des hâtes de l’arrière, nous
parlions de la guerre, à laquelle il n’avait jamais cru et à laquelle
pourtant il s’était préparé avec minutie depuis son enfance. Chaque
année, il la jugeait plus impossible, et chaque année le poussait à acheter
un album d’uniformes allemands, ou un couteau de guerre, ou un sifflet
de campagne, un imperméable. Il ne lui manquait plus, au début d’août,
qu’une ceinture pour l’or. Il avait l’or. Son réflexe n’était en retard que
d’une année. Pendant les huit jours d’attente à Roanne, il ne quittait pas
la bibliothèque des officiers, où il empruntait tous les livres de guerre, et
le jour du départ, le bibliothécaire a dû lui laisser les Commentaires,—au
lieutenant Bertet le Mariage de Chiffon. Il m’explique aujourd’hui notre
manœuvre d’Enschingen. Il porte en lui tous les plans des combats,
d’échelle différente, il compare simplement notre mouvement, pour que
je le comprenne mieux, à la plus grande bataille du monde, à Austerlitz,
mais se contente d’expliquer Flaxlanden par une petite défaite
athénienne dont j’oublie aujourd’hui le nom. Moins que des soldats,
moins que des lieutenants, il voit des victoires ennemies se précipiter
l’une contre l’autre, Wattignies contre Sedan, Denain contre Waterloo, et
de nos armes, de nos navires, il parle avec le même jugement impartial et
transparent; tout devient balistique, capillarité, et je rattrape à peine par
les trajectoires de ses fusils mon pauvre régiment, qui me semble presque
inutile. Il m’explique les vallées, les rivières. Cette guerre, que nous
imaginions tous une guerre d’été, il la voit, dès le début, souffrir des
douleurs des quatre saisons, car il me rappelle qu’au Cameroun déjà il
pleut, qu’en Chine il gèle... et il l’étend sous toutes les zones comme un
nouveau continent... Guerrier que je suis, je sens ma part de froid me
gagner, ma part de neige, je prévois une seconde les tranchées, les
inondations, les fièvres. De l’Alsace aussi il parle si nettement, je la sens
dans son esprit,—comme sur ses photos, comme dans ce pré bordé
directement par les Vosges et le Rhin, et où nous pouvons planter, plus
légitimement que sur la carte même, des épingles avec des drapeaux,—si
étroite, si délimitée, si seule, qu’il en détache cette Lorraine même, que
nous lui avons donnée pour compagne. Les deux deuils, confondus par
égoïsme ou par hasard en un seul deuil, il les sépare en moi autant que si
les deux provinces perdues étaient aux deux extrémités de la France. Il
m’enlève l’illusion, prenant Spechbach, d’avoir conquis du même coup
un bourg lorrain de même grandeur. Tristesse d’apprendre que celui
auquel vous croyiez un jumeau est seul, ne ressemble à personne, et il
me ramène vers un village où tout maintenant me semble dédoublé—et
moi-même—de ce qui avait pour moi un double sens.
Il me quitte; il doit acheter du jambon et du vinaigre, car les officiers
l’ont naturellement chargé de leur cuisine, comme ils en chargent avec
leur infaillible instinct tout professeur, tout philosophe, tout poète.
Ammerzwiller, 23 août.
Lever vers cinq heures. Nous nous rassemblons au bureau lentement,
car chacun de nous, le soir, disparaît dans l’ombre, et va dormir
secrètement dans le coin ou sur le meuble qu’il a hypocritement noté de
jour. Une visite au premier nous apprend que le lit du colonel est déjà
libre. De temps à autre, l’un de nous sort au galop, et revient au bout de
vingt minutes, les yeux gonflés, s’étirant, disant:—Ah! que j’ai bien
dormi!
Le bruit court que c’est dimanche. Ce n’est pas le curé qui le
confirmera. Il a refusé de dire une grand’messe et a célébré l’office dans
sa chambre, tout seul. Nous décidons de faire un bon dîner. Chacun sort à
nouveau subitement, revient, le visage apaisé, avec le riz, l’ail, la poule
qu’il avait repérés la veille, et pas un Français qui n’ait aussi, dans ce
bourg de huit cents habitants, déjà marqué en lui la maison qu’il
habiterait, la femme qu’il choisira, au cas où nous y resterions quelque
temps, toujours.
⁂
Je vais acheter trente bœufs avec l’officier des détails. Je marchande.
Je suis chargé de vérifier si la voyageuse arrivée chez Schanzi est bien
une sage-femme. C’est la femme Schanzi qui vient m’ouvrir et toute
contestation est impossible. J’écoute le vaguemestre nous lire le courrier
qui part: approuvant la carte du colonel: Tout va bien, étonné par celle du
capitaine adjoint qui écrit à ses fillettes: Bonjour dominical du papa: il
n’aurait jamais cru qu’il fût à ce point calotin! C’est enfin mon tour de
m’étendre sur le lit du premier. L’envie de dormir est passée et je trouve
dans la chambre un vieux numéro du Nouvelliste d’Alsace-Lorraine. Que
notre guerre est calme, à en juger par les titres, comparée à cette paix d’il
y a six mois: Les Écrasés de Guebwiller, Mariage interrompu à Saverne,
Scission de la Fanfare de Munster... La guerre aussi, d’ailleurs, a ses
coups de théâtre, car je suis mis à la porte par la brigade elle-même, qui
s’installe dans la cure et nous déloge. Nous délogeons le bureau du
bataillon, où les soldats qui touchent dans le civil un traitement de l’État
arrivaient s’inscrire, rangés par ministères, ou à peu près, car un
cantonnier s’est faufilé dans les beaux-arts, puis dans les colonies. On a
pitié de lui, et il passe le premier, mais il s’obstine à appeler la guerre des
manœuvres.—Avant les manœuvres..., explique-t-il.—Après les
manœuvres..., réclame-t-il. On n’y comprend goutte et on l’expulse.
La poule ne sera que pour le soir, je ne proteste pas, car des émissaires
m’ont averti que Jalicot avait une poule du matin et je le rejoins dans sa
cuisine. Il y a un troisième convive que Jalicot me présente; un inventeur
de serrurerie, dans une maison de Lyon, excellente, qui emploie déjà
quatre inventeurs. C’est lui qui a perfectionné la vis à encoches
multiples. Longue discussion sur les cadenas, puis, sans transition, sur
les romans. Notre hôte, sans être ennemi de l’écriture, la blâme de ne pas
être un instrument précis. Y a-t-il un littérateur capable, du fait seul qu’il
récite deux lignes ou deux vers à un passant, de le faire changer de
couleur, de le faire éclater de rire, de le tourner vers le vice ou vers la
vertu? Un passant de bonne moyenne, un négociant?... Si oui, il retire
tout ce qu’il a dit. Y a-t-il des formules qui frappent les hommes comme
le mot Sésame, autrefois, ouvrait les portes? Jalicot proteste et récite:—
Saint Pierre cherchait un mot pour son cadenas. L’inventeur sourit...
C’est très beau... Il se rend. Il avoue, d’ailleurs, qu’il est de mauvaise foi.
Lui personnellement ne peut prononcer de vers sans avoir, comme les
gens qui chantent, les yeux pleins de larmes:
«Dans le vallon qui doucement s’éclaire,
Un corbeau noir sur la neige est tombé.»
Aspach, 24 août.
Dormi à cinq sur un matelas dérobé par Devaux. Allusions aux
nouvelles mariées. Tas de punaises, comme nous le craignions, mais,
vers minuit, un cheval; il reçoit une gifle et sort, dignement, patinant sur
les escaliers. A une heure, les cuisiniers s’installent dans notre cour. Il
n’y a plus à lutter. Tout ce que nous avions assemblé de conscience
tranquille, chose si nécessaire au sommeil, ils le chassent, avec le bruit
recommandé en Algérie pour chasser les sauterelles. Je vais m’asseoir
auprès de leur feu, pas le feu où leur café bout, mais leur feu de luxe, car
ils fondent toujours deux foyers, comme s’ils faisaient une ellipse et non
pas la cuisine. Il y a déjà là trois ou quatre soldats, les uns penchés sur la
flamme, les autres lui tournant le dos, car la chaleur est faible et ne
traverse même pas la moitié d’un homme. Vers le cœur, on reste gelé.
Nous l’entretenons parcimonieusement, allumant chaque nouveau
sarment au sarment qui s’éteint, pour que le fagot suffise jusqu’au matin,
comme on allume pour descendre d’un sixième les trois allumettes que
l’hôte vous a confiées. Mon tambour, qui a le visage illuminé, discute
avec un soldat à visage nocturne; il termine une histoire dont je
n’entends que les dernières phrases: «Je le tue avec mon képi de
plomb»—«il avait au moins six mains»—«son sang était de l’or».—Ces
gens-là racontent leurs rêves, car il n’y a pas un langage de la nuit, sans
logique, et inhumain... Parfois le sarment est vert et nous enfume, mais
fumée est un peu chaleur. Une petite étoile française, jusque-la
immobile, nous fait tout d’un coup mille signaux. Vers trois heures, un
adjudant passe pour faire éteindre les feux inutiles. A Paris l’on éteint, en
effet, un bec de gaz sur deux, mais nous n’obéissons pas; nous nous
taisons, et il s’irrite de lutter contre des ombres; enfin celui de nous qui
est l’âme faible, qui tuera sur ordre les chiens blessés, qui brisera les
bouteilles d’alcool confisquées, étouffe notre feu en le battant avec le
sarment qu’il allait y mettre. Nous restons autour de la cendre, jusqu’à ce
qu’elle soit froide. Nous touchons de nos doigts le dernier charbon. Puis
l’aube arrive, par une porte qui laisse aussi passer une bise aigre. Nous
relevons nos cols humides, nous resserrons nos cravates. Un coq chante.
Une fois seulement, et c’est le jour. Nous n’avons à renier l’Alsace
qu’une fois.
⁂
Matinée longue. On me désigne officiellement pour acheter l’ail, les
oignons et les échalottes du bataillon, car les légumes alsaciens ont des
noms vraiment trop compliqués. A huit heures, ordre de préparation au
départ. Quatre heures d’attente, sac au dos, l’arme au pied. Le réveille-
matin de Clam sonne dans son sac, les officiers s’énervent et
m’interdisent de distribuer mes oignons. Il m’en reste cinquante bottes,
que je passe à la même compagnie. A midi, la division se décide à nous
envoyer le départ.
Le ciel aussi a pris une décision. Il sera bleu dix minutes et brouillé
les dix minutes suivantes. Les nuages, au lieu de ressembler à l’Asie, à
l’Angleterre, imiteront des camarades à nous; voici Bernard avec sa
barbe, voici le lieutenant Pattin avec un œil véritable percé jusqu’à
l’azur. Nous suivons un chemin de vallon, désolés, car les grand’routes
seules mènent aux villes. Il paraît cependant que nous allons sur
Fribourg. Le régiment tourne, serpente, de sorte que nous le voyons en
entier, chacun de notre place, pour la première fois. Un soleil Louis XIV,
aux rayons obliques, réserve tout son or pour la compagnie hors rang.
Les sapeurs étincellent, les télégraphistes flamboient, l’artificier,
semblable à Danaé, éclate. Depuis que le colonel m’utilise comme
interprète, ma place dans les marches est au premier rang de la
compagnie de jour, en serre-file aux quatre hommes de tête. Il y a huit
compagnies et les soldats ne changent jamais de conversation, aussi je
reprends à chaque marche la conversation interrompue voilà huit jours,
et cela me fait trente-deux camarades nouveaux, les trente-deux plus
grands du régiment, qui me hèlent quand ils me voient. C’est aujourd’hui
la compagnie où l’on parle toujours de la guerre. Les hommes se passent
les conseils de leurs pères qui ont fait 70—couper les boutons de culotte
des prisonniers—mettre des journaux dans les souliers quand il gèle;
toute une science anodine qu’il aurait bien fallu un jour pour apprendre
et la guerre de 70 raccourcira la nôtre de juste un jour. Je me laisse
glisser à la compagnie suivante, jusqu’au petit Dollero, qui a vingt ans, le
seul soldat de l’active dans ces trois mille réservistes, petit poète enfoui
au centre de sa section, et qui obtient de se mettre au bord quand je lui
rends visite. Il croit aussi que nous allons vers le Rhin, bien que nous
marchions face au soleil, c’est-à-dire vers l’Occident. Poète de l’active
qu’il est, il m’avoue qu’il compose des éloges depuis le matin; il est dans
ses jours d’éloges, d’éloges en prose rythmée, car le pas de route,
mauvais pour les rimes, est bon pour les accents toniques. Il a fait
aujourd’hui l’éloge de Petipon, celui du colonel, celui de notre engagé
cubain:—Cuba, dont nous ignorons la vraie forme, car seule la première
carte de Colomb en est permise et, pour effiler l’île, Colomb fit cinq
voyages. Il les récite. Il se propose de composer, comme préface, l’éloge
des éloges. Puis, soudain muet, il me contemple avec des yeux si
lumineux, si insistants que je devine son projet, que je me sens ma
propre louange, et que je n’ose pas plus faire de gestes, par modestie, que
devant le cinématographe.
⁂
Quel itinéraire bizarre; à quoi peut bien penser Michal! Un village
coudé, mesurant l’angle droit, nous renvoie soudain vers la France. Puis,
nous remontons, par des angles aigus, au Nord, puis, par un bout de route
nationale, à l’Est. Nous avons l’air de vouloir échapper à une armée
française, ou à un aimant français qui nous guette dans la trouée. Nous
voyons avec joie la montagne s’élever entre Belfort et nous; nous nous
barricadons avec les Vosges contre cette force qui nous pousse à revenir
à la France. Nous ne savons pas qu’aujourd’hui c’est Charleroi. Nous
tenons à l’Alsace de l’amour le plus désintéressé, d’ailleurs, car nous
ignorons que ces petits bois sur la droite sont les bois de Nonnenbruch et
qu’ils valent au plus juste, à cause de leur potasse, quatre-vingts
milliards. Tous les arbres, tous les bosquets de ce pays lourd s’allègent,
jettent leurs ombres et bleuissent. Un vallon à mille plans, au bas de
chaque descente, s’éclaire, s’éteint par degrés, et toutes celles des
feuilles qui seront jaunes dans un mois demeurent inondées de soleil. Sur
les ardoises des clochers, un rayon mal taillé s’effrite. Aux carrefours,
des plaques tentatrices indiquent Colmar, Strasbourg, Fribourg, avec le
nombre de kilomètres le plus réduit, en évitant d’atteindre un chiffre
rond, comme dans les grands magasins: 59, 99, 119. Nous traversons un
ruisseau rapide qui porte son nom sur le pont comme sur son collier,
c’est la Doller. Au delà du pont, une maison isolée, comme en France; un
jardin clos de murs, comme en France. Nous n’y étions plus habitués et
avons peur pour cette maison si seule. Tous les hommes l’ont remarquée
et sentent soudain en eux, encadrée, leur maison d’Auvergne et leur pré.
Vers le soir, à l’heure où des bambins, avec des adjoints centenaires,
distribuent le Temps dans Paris, le vaguemestre de la brigade à bicyclette,
le long du régiment, donne à chaque sergent-major le Bulletin des
Armées:—Aujourd’hui, 3 août, rien de nouveau. L’Angleterre déclare la
guerre à l’Allemagne. Le bulletin contient aussi le récit d’un ténor de
l’Opéra-Comique, qui s’est trouvé pris dans une bataille: «J’aurais
préféré, conclut-il, chanter la Tosca». Que de périls la vie recèle pour un
ténor! A huit heures, arrivée à Aspach. Je quitte Dollero tout heureux car,
au milieu de ses éloges, il a trouvé une épigramme:
Fasse qu’il prenne bientôt femme
Car, Apollon,
Je médite l’épithalame
D’Épitalon.