C’est dans ses silences que Past Lives déploie son récit. Le premier long métrage de la coréo-américaine Celine Song examine une connexion amoureuse sur trois générations. À douze ans, Nora (Greta Lee) quitte sa Corée du Sud natale pour s’installer, avec sa famille, au Canada. La petite fille laisse derrière elle sa culture, sa langue et son "amour" de jeunesse, Hae Sung (Teo Yoo). Vingt ans plus tard, les deux se retrouvent à New York, où Nora vit désormais de sa plume aux côtés de son mari américain, Arthur (John Magaro). Dès son premier plan, le film nous introduit à ses protagonistes, assis·es au comptoir d’un bar new yorkais. Une situation précise, que la réalisatrice a déjà vécu. Effectivement, l’histoire que Song met en scène s’inspire largement de sa propre expérience migratoire, de son détachement à sa culture et des relations que l'exile lui a volées. Une autofiction d’amour et d’amitié.
Premiers pas en grande pompe
Présenté en avant-première à la 39ème édition du Festival de Sundance, début 2023, l'œuvre a rapidement conquis la foule et la critique. Après le Festival de Berlin, Past Lives prend d’assaut le grand public avec des nominations aux Golden Globes et aux Oscars dans plusieurs catégories, notamment celles du meilleur film, de la meilleure réalisation et du meilleur scénario. Des premiers pas hollywoodiens, on peut le dire, qui font grand bruit. À raison. Associée à la boîte de production et de distribution américaine A24, reconnue pour la qualité de ses œuvres telles que Midsommar (2019), Everything Everywhere All at Once (2022), ou The Zone of Interest (2023), Celine Song met en image une danse émotionnelle bouleversante. Le scénario se veut précis, percutant, alors que l’image, elle, joue avec le figuratif et le subtil. Ainsi, des mains qui se frôlent à peine, accrochées à la bar du métro new yorkais, portent en elles vingt ans d’amour non consommé, non développé, non verbalisé.
Past Lives repense le destin
Pour expliquer cette connexion inhabituelle et puissante, la réalisatrice s’inspire du mot coréen "inyeon", qui se traduit par "destin". Un terme que Nora explique à Arthur le jour de leur rencontre. Fil rouge de Past Lives, l’idée de destin semble hanter Greta Lee et Teo Yoo. Une possession toute en douceur dont le seul exorcisme nécessaire réside dans un dernier câlin que les deux ami·es partagent, avant le retour d’Hae Sung en Corée. Des souvenirs d’enfance, des longs appels téléphoniques, un humour similaire, tout les rapproche, sauf un Océan. Enfin, Celine Song démêle un aspect peu représenté dans les récits d’immigration, souvent teintés de manque et de recherche identitaire. Ici, la réalisatrice ne dramatise pas, elle fait le point. L’exil est vu comme "un calcul entre ce que l’on gagne et ce que l’on perd", une réponse pragmatique, dessinant la relation de Nora et Hae Sung comme une injustice du destin, que l’on finit par accepter sans contester.