Comment définir la démocratie?

•Le Président américain Abraham Lincoln, à Gettysburgh en 1862, définit la démocratie comme «le gouvernement du peuple, par le peuple, pour le peuple», ce qui renvoie à l’étymologie grecque: demos, kratos, le peuple souverain. Elle a longtemps fait figure de repoussoir. Ainsi, Aristote craignait que la république (le gouvernement du grand nombre en vue de l’intérêt commun) puisse dégénérer en démocratie si la majorité commandait une conduite irrationnelle des affaires publiques et opprimait les minorités. On en a tiré l’idée que la démocratie peut être la tyrannie d’une majorité sur les minorités: c’est le cas au XIXe siècle de Benjamin Constant ou Alexis de Tocqueville.

•Au XXe siècle, les valeurs se sont inversées et la démocratie jugée comme le meilleur des régimes possibles. On pense à l’aphorisme de Churchill: «La démocratie est le pire des systèmes, à l’exclusion de tous les autres». En démocratie, les élus du peuple restent constamment sous son contrôle. Ainsi, le gouvernement représentatif est devenu la forme dominante. À l’heure actuelle, tous les États démocratiques sont des démocraties représentatives, dans lesquelles les lois sont élaborées par des représentants élus par la population ou par le gouvernement, et votées par le parlement. Cependant, la démocratie représentative peut être complétée par des mécanismes de démocratie directe, qui donnent directement le pouvoir de décision aux citoyens, comme lors des référendums.

•La démocratie répond à cinq grandes caractéristiques: la séparation des pouvoirs (exécutif, législatif et judiciaire), le pluralisme politique (multipartisme), des mandats électifs soumis à concurrence, des médias libres de toute censure et un débat public ouvert, la séparation stricte de l’espace public et de l’espace privé.

Une démocratie directe mais limitée: Athènes au Ve siècle

•La cité d’Athènes constitue dans l’Antiquité un modèle de démocratie directe. Le peuple se gouverne lui-même: chaque citoyen peut participer régulièrement à l’assemblée qui prend toutes les décisions d’importance, siéger au tribunal populaire, et exercer une magistrature au moins une fois dans sa vie.

•Les limites: le corps civique est très étroit ; ni les femmes, ni les métèques, ni a fortiori les esclaves ne participent à la vie politique. Certaines charges, comme la stratégie, ne comportent pas de salaire et ne peuvent donc en fait être briguées que par les citoyens les plus aisés. On constate que tous les hommes politiques en vue appartiennent aux grandes familles.

•L’équilibre de la société se renforce grâce à l’action persévérante de Périclès, stratège et grande figure de l’histoire de l’Athènes classique. Pour lui, la démocratie consiste à atténuer les différences de fortune et aider les déshérités. Il contribue ainsi à instaurer une rétribution (misthos, misthophorie) pour nombre de citoyens participant à la vie politique.

Participer ou être représenté: Benjamin Constant et la démocratie

•Benjamin Constant (1767-1830), est «le plus éloquent de tous les défenseurs de la liberté et de la vie privée» (Sir Isaiah Berlin). Formé par Adam Smith et Adam Ferguson, il se lie à Mme de Staël et joue un rôle auprès de Napoléon Bonaparte dans la rédaction d’une constitution républicaine.

•Il devient ensuite un opposant au militarisme et au despotisme de Napoléon. À cette époque, il rédige son De l’esprit de conquête et d’usurpation, qui démontre que les gouvernements se servent de la guerre comme d’un «moyen d’accroître leur autorité». À partir de 1816, il siège à la Chambre des Députés et devient le chef de file du Parti libéral.

•En 1819, dans son célèbre discours à l’Athénée royal, Benjamin Constant compare la liberté des «modernes» à celle des «anciens». La liberté des anciens se définissait comme la participation active et constante au pouvoir collectif. Celle des Modernes se compose de la jouissance paisible de l’indépendance privée. «Par liberté, j’entends le triomphe de l’individualité, tant sur l’autorité qui voudrait gouverner par le despotisme, que sur les masses qui réclament le droit d’asservir la minorité à la majorité». Ainsi, pas de liberté sans une nécessaire limitation de l’État.

L’inquiétude de Tocqueville: de la démocratie à la tyrannie?

Après avoir vécu la Terreur (1793-94), le jeune aristocrate Alexis de Tocqueville, consacre en 1835 un livre majeur à la démocratie: De la Démocratie en Amérique. Il constate, en s’appuyant sur l’exemple des États-Unis, que l’avènement de la démocratie est inéluctable, reposant sur le principe de l’égalité des conditions. Dès lors, la question est: comment en tirer le meilleur profit? Tocqueville considère que la démocratisation de la société peut y affaiblir le goût de la liberté et faire le lit de la tyrannie. Pour se protéger de ces dérives éventuelles, Tocqueville propose d’imiter le système américain en ses quatre composantes essentielles: la décentralisation des pouvoirs, le respect des libertés locales, l’indépendance de la presse, le respect des croyances religieuses.

Avancée et recul des démocraties: Chili, Portugal, Espagne

Trois exemples de systèmes politiques montrent qu’il n’existe aucun déterminisme historique en matière d’évolution démocratique et que la démocratie est un régime à toujours consolider et protéger.

•Au Chili, on passe au début des années 1970 du socialisme démocratique à la dictature militaire. L’Unité populaire dirigée par Salvador Allende qui remporte les élections chiliennes en 1970, porte un projet de démocratisation politique et d’étatisation de l’économique du pays. Soutenu par les États-Unis qui craignent une contagion communiste sur le continent, le coup d’État militaire du 11 septembre 1973 clôt brutalement ce cycle. La dictature militaire contrôlée par le général Augusto Pinochet, autoritaire et répressive, rompt la continuité constitutionnelle qui caractérisait le Chili depuis 1925.

•En Espagne, on assiste au contraire à une transition démocratique en douceur. Avec la mort de Franco le 20 novembre 1975, c’est la fin d’un régime autoritaire d’une exceptionnelle longévité: 39 ans. Lorsqu’il devient roi le 22 novembre 1975, au lendemain de la mort du général Franco, Juan Carlos assume cette responsabilité suprême en vertu du dispositif prévu de longue date par le dictateur. D’où une transition progressive et contrôlée vers la démocratie, dans un cadre où la puissance de l’armée se maintient, ainsi que l’ancien personnel franquiste dans tous les rouages de l’État.

•Au Portugal, un bouleversement démocratique est impulsé par l’armée coloniale: c’est la révolution des œillets (1968-1974) qui met à bas le régime ancien de Salazar. Après des mois de confusion politique violente, marquée par la montée des extrêmes, une nouvelle Constitution est approuvée en avril 1976: elle établit un régime semi-présidentiel, mais l’héritage révolutionnaire perdure dans l’objectif d’une «transition vers le socialisme» et dans les nationalisations et la réforme agraire. En juillet 1976, le général António Ramalho Eanes, militaire modéré, est élu président de la République (il sera réélu en décembre 1980). Après les élections municipales de décembre 1976, les institutions démocratiques sont en place, le processus de transition est terminé.

L’Union européenne et la démocratie

•«Objet politique non identifié» (Jacques Delors), l’Europe est née comme une communauté économique qui est devenue politique tout en s’élargissant de 6 à 28 membres. C’est un ensemble à géométrie variable, avec des risques de «déconstruction» (exemple du Brexit). Elle n’en reste pas moins un exemple unique au monde de démocratie représentative, ou «démocratie déléguée».

•Après le traité de Maastricht se sont multipliées les critiques contre l’«eurocratie»: la Commission, même si ses membres sont désignés par des gouvernements démocratiquement élus, est perçue comme une institution technocratique, dépourvue de légitimité démocratique, représentant des intérêts libéraux favorables à la mondialisation, de plus en plus perçue par les opinions publiques européennes comme une menace pour l’emploi, les identités nationales. Cela nourrit l’euroscepticisme voire l’europhobie.

•Après l’échec du projet de Constitution européenne, jugé trop fédéral, le Traité de Lisbonne tente de consolider la démocratie européenne. Certains symboles sont supprimés (drapeau, hymne, devise et journée de l’Europe) mais les institutions démocratiques sont renforcées: ainsi, les Parlements nationaux ont un droit de regard sur les propositions de la Commission qui empièteraient sur les compétences nationales. Le président de la Commission est désormais élu par le Parlement européen sur proposition du Conseil européen. Un droit d’initiative est reconnu aux citoyens européens en matière législative. Le rôle de colégislateur du Parlement européen est étendu à de nombreux domaines, ainsi que le vote à la majorité qualifiée au Conseil: une décision doit recueillir l’approbation d’au moins 55 % des États membres représentant au moins 65 % de la population de l’Union. Enfin, la fameuse clause 50 permet à un pays, à certaines conditions, de sortir de l’UE.

CE QU’IL FAUT RETENIR

webpedago