L'Illustration, No. 0054, 9 Mars 1844
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Avis sur L'Illustration, No. 0054, 9 Mars 1844
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L'Illustration, No. 0054, 9 Mars 1844 - L'Illustration- Various
33.
Sommaire.
Courrier de Paris. Vue du Pont de Beaucaire, emporté par un coup de vent; Perte du navire l'Elberfeldt.--Fragments d'un Voyage en Afrique. (Suite et fin.)--Paris souterrain. (2e art.) Plan indicatif de l'Entrée des Catacombes et des Carrières de Paris; Éboulement de la galerie du Port-Mahon; Coupe géologique du sol sous Paris; Trois vues intérieures des Catacombes.--Histoire de la Semaine.--Intérieur de la Chambre des Députés. Tribunes des deux Chambres; Tribune des Orateurs de la Chambre des Pairs; Tribune des Journalistes à la Chambre des députés; Sonnette du Président; La Tribune des Orateurs et le banc des Ministres à la Chambre des Députés; Pupitre du banc des Ministres.--Académie des Sciences. (Suite.)--Don Graviel l'Alferez. Fantaisie maritime par M. G. de la Landelle. (Suite et fin.) Une Gravure. Théâtres. Une Scène de Carla et Carlin.--Chinoiseries. Deux Gravures.--Bulletin bibliographique.--Bronze. Une Gravure.--Amusements des Sciences. Deux Gravures.--Rébus.
Courrier de Paris.
Mais où sommes-nous, bon Dieu? tout est sombre et sinistre: les bruits de la ville, les nouvelles du dehors n'apportent à la curiosité publique que des faits déplorables ou sanglants!--Vous sortez de votre lit le matin, enveloppé de votre robe de chambre ouatée, les pieds dans vos pantoufles, le teint frais, la bouche souriante, l'œil calme et doux, comme un honnête homme qui a dormi la grasse matinée, avec un cœur léger et une conscience en repos; vous voici dans votre fauteuil à bras, au coin d'un feu joyeux, remuant dans votre cerveau les idées les plus aimables et les plus sereines, et aimant toute la nature, comme dit la chanson de Lantara.--Cependant vous prenez votre journal du matin, vous en brisez l'enveloppe légère, et d'un œil curieux vous y cherchez les nouvelles récentes de ce monde charmant, de ce délicieux univers dont vous êtes amoureux; tout à coup votre regard s'attriste, votre visage s'assombrit, vous pâlissez, vous rougissez tout à la fois; une invincible tristesse s'empare de toute votre personne, et au lieu d'un air de fête, comme tout à l'heure, vous avez un air d'enterrement.
Vue du Pont de Beaucaire, emporté par un coup de vent.
Perte du navire l'Elberfeldt.
C'est qu'en effet, depuis quelque temps, tout journal est une véritable nécropole, un champ de meurtres et de ruines, une forêt de Bondi, où il n'est pas sain de passer seul et sans armes. Le lecteur qui s'aventure imprudemment dans la contrée des Nouvelles diverses, tressaille à chaque pas et court risque de la vie; ici un bandit s'introduit dans la maison d'un millionnaire, et laisse après lui un coffre-fort brisé et un cadavre étendu sur les dalles; là deux pauvres vieilles femmes tombent sous les coups d'un assassin; tous les jours du sang, tous les jours des crimes hideux, tous les jours des crânes fendus, et le vol se glissant dans les demeures et y introduisant le meurtre à l'œil hagard.--Hier c'était la veuve Sénepart, aujourd'hui le banquier Donon-Cadet, demain l'Anglais Ward; chaque semaine a son forfait, son bourreau, sa victime; et les journaux ne manquent pas de vous donner, avec une exactitude qui fait dresser les cheveux sur la tête, les plus minutieux et les plus horribles détails de ces effroyables aventures.--En vérité, en lisant les feuilles du matin, on se tâte pour s'assurer si on n'a pas reçu quelque coup de couteau ou de poignard, et peu s'en faut qu'on ne crie: «A la garde!» La main de la justice saisissant le crime, la loi le frappant de son glaive, ne semblent plus même inquiéter le criminel. L'infortuné sculpteur P... a été frappé de dix coups de stylet par son apprenti, qui venait d'assister au supplice de Poulmann: et peut-être quelque assassin en expectative se prépare à suivre assidûment les débats de l'affaire Ducros, le meurtrier de madame Sénepart, qui commenceront la semaine prochaine. Ne sont-ce pas là des faits épouvantables et qui attestent malheureusement qu'il y a, à côté de notre monde de mœurs si faciles et si douces, je ne sais quelle race féroce de damnés toujours armée et toujours menaçante? Quel est le moyen d'apporter la lumière à ces âmes ténébreuses et perdues? N'y en a-t-il aucun, et la société aura-t-elle toujours ses tigres, ses hyènes et ses chacals?
C'est peu des hommes; les choses se mettent de la partie et jouent, à leur tour, des jeux effrayants et terribles; tantôt--et nous en avons eu tout récemment de douloureux exemples--c'est l'incendie qui allume ses flammes dévorantes et détruit de riches manufactures; le pâle ouvrier, sans travail et sans pain, erre sur les décombres fumants; tantôt c'est l'inondation,--les récits publics l'attestent,--qui promène sur les campagnes et sur les villes ses irrésistibles fureurs; les hameaux disparaissent, la campagne est dévastée; des cadavres d'hommes et de maisons flottent à la surface des vagues déchaînées; l'inondation, fléau cent fois plus avide et plus insatiable que le dévorant incendie! En vain la prévoyance humaine s'efforce d'opposer un obstacle à cet ennemi sans frein; il rugit, il s'agite avec rage, et brisant, comme une paille fragile, la digue la plus solide, répand la peur, la mort, le désastre de tous côtés.--Plus loin, c'est l'ouragan qui gronde; l'ouragan, à qui rien ne résiste; l'ouragan, monstre aux effroyables tourbillons, qui déracine les arbres dans sa course haletante, abat les hautes tours et les hauts clochers, emporte les toits et les murailles, fait crouler les arches des ponts et les engloutit, dans les fleuves.--Qui n'a tressailli d'épouvante en entendant la récente nouvelle de la ruine du pont de Beaucaire, qu'une trombe furieuse a fait voler dans les airs et dispersé par débris, laissant des cadavres sur la rive.
Voilà les faits sinistres qui occupent la ville depuis quinze jours, et se mêlent au bruit de ses fêtes; l'élégant Paris ne s'en amuse pas moins et continue de courir le bal.--Des pauvres gens inondés, noyés, ruinés, assassinés, incendiés, mais savez-vous une c'est affreux, ma chère!--A propos, dansez-vous la polka?
Rien n'est plus intéressant, en effet, que la polka; rien ne cause en ce moment des émotions plus profondes, rien, pas même l'aventure du navire hollandais l'Elberfeldt.--Le navire était en route pour l'Angleterre, sous le commandement du capitaine Stranach; il avait à son bord M. Busch. En approchant des côtes, M. Busch fit observer au capitaine Stranach que, depuis quelques instants, le navire tressaillait en marchant. Pour M. Busch, navigateur habile, ce tressaillement était le signal d'une prochaine catastrophe; M. Burch prévoyait que le bâtiment, construit en fer, ne tarderait pas à s'entr'ouvrir: «Alerte! capitaine; faites préparer les embarcations! alerte! alerte!»
A peine l'alarme était-elle donnée qu'on entendit un craquement épouvantable; M. Busch avait dit vrai: l'Elberfeldt venait de se rompre par le milieu, en deux parts égales. «Nous sommes perdus! s'écria l'équipage.--Arrêtez les machines! hors les embarcations!» répliqua M. Busch; et en même temps il se jeta dans le canot avec deux hommes et le fit amener. Le vent soufflait avec violence; cependant M. Busch, avec un rare sang-froid et une grande habileté, maintint le canot le plus près possible de l'arrière du navire; en même temps il criait au capitaine Stranach de se jeter à la mer avec un aviron, afin d'éviter d'être écrasé entre l'arrière et l'avant, qui se rejoignaient en s'abîmant.
Ce fut alors un moment suprême et terrible; le navire sombra; les chaudières, écrasées par le choc des deux parties du bâtiment, lancèrent, dans les airs d'immenses nuages de vapeur et des jets d'eau bouillante; enfin, au milieu de ce vaste tourbillon de flamme et de fumée, l'Elberfeldt disparut dans l'abîme béant, après une horrible explosion; spectacle effrayant et grandiose!
Aussitôt M. Busch s'avança sur le champ du désastre, pour sauver les victimes; la première qu'il recueillit fut le capitaine Stranach, qui se tenait sur l'eau, soutenu sur un débris flottant de l'Elberfeldt; après le capitaine, M. Busch sauva les matelots: l'équipage se composait, de treize hommes, trois seulement périrent dans cette fatale journée. Pendant quatre heures, le canot portant M. Busch, le capitaine Stranach et leurs compagnons, flotta au caprice des vents sur une mer agitée et sombre; la Providence envoya enfin à leur rencontre le navire, la Charlotte, qui les prit à son bord et les mit à l'abri de tout danger.
J'ai entendu raconter cette catastrophe de l'Elberfeldt, beaucoup mieux que je ne le fais, dans un bal charmant, par une femme fine et blanche, au doux regard, aux lèvres roses, aux dents d'ivoire, à la taille de guêpe, à la jambe de biche, au petit pied de fée, qui se leva