Le Chapelet rouge
Par Maurice Leblanc
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À propos de ce livre électronique
Tout de suite, il examina les lettres et les documents que son secrétaire, Arnould, avait préparés à son intention. Quelques lignes du secrétaire annonçaient, en outre, que tout marchait bien, et qu’il comptait apporter à d’Orsacq, vers quatre heures, ce que d’Orsacq était venu chercher.
Maurice Leblanc
Maurice Leblanc (1864-1941) was a French novelist and short story writer best known for creating the iconic gentleman thief and master of disguise, Arsène Lupin. Born in Rouen, Leblanc initially pursued a career in law before turning to literature, influenced by the works of Gustave Flaubert and Guy de Maupassant. His literary journey took a decisive turn in 1905 when he introduced Arsène Lupin in a series of short stories for the magazine "Je sais tout." Leblanc's creation quickly captivated readers with its blend of wit, charm, and audacity, positioning Lupin as a counterpoint to Arthur Conan Doyle's Sherlock Holmes. This rivalry even led to legal skirmishes when Doyle objected to the use of his character in Leblanc's stories, prompting Leblanc to rename his detective "Herlock Sholmes" in later works. Leblanc's narratives often explored themes of justice, class struggle, and the fluidity of identity, resonating with a society grappling with rapid modernization and social change. His work not only entertained but also subtly critiqued the established order, making him a revolutionary figure in popular fiction. Maurice Leblanc's influence extends beyond literature; his character Arsène Lupin has inspired numerous adaptations in film, television, and even manga, most notably the "Lupin III" series. His ability to blend suspense, humor, and social commentary has left an indelible mark on the genre of detective fiction, ensuring his legacy endures in contemporary culture.
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Aperçu du livre
Le Chapelet rouge - Maurice Leblanc
9782383830290
TABLE DES MATIÈRES
Prologue — Une première énigme se pose
Première partie — La soirée
Chapitre I
Chapitre II
Chapitre III
Chapitre IV
Chapitre V
Deuxième partie — La matinée
Chapitre I
Chapitre II
Chapitre III
Chapitre IV
Troisième partie — L’après-midi
Chapitre I
Chapitre II
Chapitre III
Chapitre IV
Chapitre V
Épilogue
PROLOGUE
Une première énigme se pose
Après son déjeuner, le comte Jean d’Orsacq déposa un affectueux baiser sur la main que Lucienne, sa femme, lui tendait, et l’avertit qu’il ne rentrerait au château que le lendemain dimanche. Son automobile l’attendait devant le perron. Une heure et demie plus tard, il arrivait dans ses bureaux de Paris, qu’il trouva fermés, comme ils l’étaient chaque samedi.
Tout de suite, il examina les lettres et les documents que son secrétaire, Arnould, avait préparés à son intention. Quelques lignes du secrétaire annonçaient, en outre, que tout marchait bien, et qu’il comptait apporter à d’Orsacq, vers quatre heures, ce que d’Orsacq était venu chercher.
De fait, un moment plus tard, le secrétaire entrait et déposait entre les mains de son patron une large enveloppe.
« Alors, ça y est ? demanda d’Orsacq. L’affaire est réussie ?
— Oui, monsieur.
— Intégralement ?
— Oui, monsieur.
— Tous les titres sont là-dedans ?
— Tous. Je les ai comptés soigneusement. Selon la cote d’hier, cela monte environ à six cent mille francs.
— Parfait, approuva d’Orsacq. Vous avez fort bien conduit cette affaire, et je vous en tiendrai compte. Mais, le silence absolu, n’est ce pas ?
— Le silence absolu.
— Un mot encore. Vous vous rappelez que, à mon dernier passage ici, il y a quinze jours, j’ai eu l’impression qu’on avait ouvert, je ne sais comment, les tiroirs de ce bureau et qu’on avait fouillé dans mes papiers. Votre enquête ne vous a rien révélé à ce propos ?
— Rien, monsieur. Cette pièce est toujours fermée quand vous êtes à la campagne, et en dehors de moi et de la dactylographe, dont je suis sûr, il n’y a que deux employés, et ils n’ont pas la clef de cette pièce.
— Évidemment… Évidemment… J’ai dû me tromper, avoua d’Orsacq. D’ailleurs, rien n’a été pris. Donc… »
Resté seul, il ouvrit les tiroirs dont il avait parlé, constata qu’en effet rien n’avait été pris et, glissant sa main jusqu’au fond de l’un d’eux, ramena deux plaques de carton blanc serrées l’une contre l’autre par un élastique. Il ôta l’élastique. Il y avait là une vingtaine de photographies de femmes très belles, les femmes qu’il avait le plus aimées au cours de sa vie aventureuse et dont il avait jusqu’alors conservé fidèlement l’image.
Il s’approcha de la cheminée, remonta le rideau de tôle, alluma son briquet et, avec les vieux papiers accumulés sur la cendre, fit un brasier où il jeta tous les portraits.
Tous les portraits, sauf un. Celui-là, il le contempla longtemps avec une expression passionnée, et murmura « Christiane ! Christiane ! Les autres femmes ne comptent plus maintenant. J’ai jeté au feu tout mon passé. Il n’y a plus que vous, Christiane. »
Il se promena de long en large, puis, s’arrêtant devant la table, il frappa du plat de la main sur le paquet de titres, et dit à haute voix, d’un ton de triomphe et de joie exaltée :
« Je « la » tiens, maintenant… Je « la » tiens… Comment m’échapperait-elle ? »
Jean d’Orsacq fit quelques courses et alla voir plusieurs personnes. Ses affaires étant terminées plus vite qu’il ne le croyait, il résolut de retourner au château. À neuf heures, il y dînait avec la comtesse d’Orsacq.
Lucienne d’Orsacq était une femme d’environ trente-cinq ans, toujours souffrante, et qui remplaçait la beauté et la grâce, dont elle était dépourvue, par une grande distinction. Elle inspirait à son mari beaucoup de respect, de l’estime pour ses qualités de maîtresse de maison, et de l’admiration pour l’existence loyale qu’elle menait depuis quinze ans qu’ils étaient mariés. Il l’entourait de soins et de prévenances. Jamais il n’aurait consenti à la faire souffrir.
Le soir, ils causèrent un moment. Elle lui dit :
— J’ai reçu les réponses de nos amis Boisgenêt et Vanol. C’est convenu. Ils arriveront une semaine avant l’ouverture de la chasse.
— C’est-à-dire dans quinze jours.
— Exactement. J’attends maintenant la réponse du petit ménage Bresson. Ils sont gais tous deux et mettront de l’animation. Et je pense qu’on pourrait inviter aussi ton ami Debrioux et sa femme.
D’Orsacq tressaillit.
« Bernard et Christiane ? Mais tu sais bien que Debrioux a déjà refusé. C’est un garçon sauvage…
— Oui, mais il adore la chasse, paraît-il, et je téléphonerai à Christiane. »
Jean d’Orsacq regarda sa femme. Elle parlait fort simplement. Il était hors de doute qu’elle n’avait pas la moindre arrière-pensée.
Il objecta :
— Ni Bernard ni Christiane Debrioux ne sont bien divertissants.
— Non, Mais il est trop tard pour lancer d’autres invitations et je tiens à ce qu’on soit huit à table et que le château soit au complet, pour la fête que tu veux organiser, huit jours après, dans le parc, avec les gens du village.
— Comme tu voudras, dit-il. Personne plus que toi n’a le sens des réceptions.
Lorsque Lucienne d’Orsacq eut regagné sa chambre, il s’installa, lui, dans la bibliothèque qui lui servait de cabinet de travail. Les banques étant fermées à Paris, il avait apporté la liasse des titres dans une serviette de cuir qu’il n’avait pour ainsi dire pas quittée depuis son arrivée au château.
Ces titres, il les ôta de la serviette et en fit un rouleau qu’il enveloppa d’un morceau de journal et qu’il ficela. Près de lui, dans le mur massif, un placard était creusé où l’on apercevait, par l’embrasure, un énorme et vieux coffre-fort.
Il tira une petite clef de sa poche, puis manœuvra un certain nombre de fois chacun des trois boutons afin de former le chiffre qui commandait la serrure.
La porte fut ouverte. Il déposa le rouleau des titres, referma, et brouilla le chiffre.
Onze heures sonnèrent à l’horloge du château.
Il alluma un cigare qu’il fuma lentement, étendu au creux d’un vaste fauteuil. Jamais il ne s’était senti aussi heureux. Bonheur fait de bien-être d’abord. Il était riche, et il savait jouir de sa richesse auprès d’une épouse attentive, dévouée, qui lui avait consacré son existence et qui s’ingéniait à lui épargner tous les soucis de l’existence quotidienne.
Bonheur fait d’espoir aussi. Il aimait cette admirable Christiane Debrioux, comme on n’aime qu’une fois dans sa vie, et, bien qu’il n’eût encore rien obtenu d’elle, il la devinait touchée, obsédée par cet amour fervent, moins forte, plus accessible enfin.
Une heure s’écoula, dans le silence et l’immobilité. Sa rêverie, peu à peu, s’était changée en une somnolence confuse, lorsque, soudain, il fut tourmenté par un léger bruit, qui se renouvela deux fois, trois fois, et qui le contraignit à se réveiller.
Il prêta l’oreille. Cela provenait de la porte à deux battants qui faisait communiquer la bibliothèque avec le grand salon. Il lui sembla qu’on essayait d’ouvrir, tout doucement… Quelqu’un, évidemment, qui ne le savait pas là…
Jean d’Orsacq était d’une bravoure que nul péril ne pouvait troubler. Avec précaution, il éteignit la lumière et se posta. La pièce était obscure, de grands volets de bois bouchant la large, mais unique croisée du fond.
D’une poussée continue, le battant fut entrebâillé et l’ombre plus noire d’une silhouette se profila dans les ténèbres. Le tort du comte d’Orsacq fut de ne pas patienter et d’agir avant que l’homme n’eût franchi le seuil. En réalité, il craignait que Lucienne n’entendît le bruit et ne s’effrayât. Il saisit donc l’individu à la gorge, le fit reculer et le renversa dans le salon.
La lutte fut violente. Lutte silencieuse, acharnée, qui se déroula par terre, presque sur place. Autant par orgueil que par conscience de sa supériorité, d’Orsacq ne voulait pas appeler les domestiques. Pourtant, il se heurtait à une résistance plus grande qu’il ne le croyait.
« Qui es-tu ? grognait-il. Qu’est-ce que tu viens faire ? Parle, et je te lâche. Sinon, tant pis pour toi, si tu reçois un mauvais coup. »
Tout son désir eût été d’arracher à l’ennemi quelques secondes de répit et d’allumer l’électricité pour le voir en pleine face. Mais l’autre, sans essayer de prendre l’offensive, se débattait avec une énergie indomptable et une souplesse déconcertante. Il ne cherchait évidemment qu’à échapper à l’étreinte, et à se sauver. D’Orsacq, qui ne s’y trompait pas, augmentait d’autant plus sa pression dans l’espoir d’épuiser l’adversaire et de le mettre hors de combat.
Il n’y parvint pas. Et tout à coup il arriva que l’homme, par une torsion de tout son être, glissa entre ses mains, rampa sur le tapis et parut s’évanouir dans l’ombre.
D’Orsacq se précipita vers un interrupteur, puis s’élança. Il eut juste le temps d’aviser une silhouette qui s’évadait de la salle à manger voisine par le corridor de service.
Il courut. Ce corridor aboutissait à un petit escalier qui descendait au sous-sol. Et, du sous-sol, on pouvait s’enfuir par une porte basse qui donnait dans le jardin. Mais cette porte basse était toujours fermée par un verrou à clef.
Or, il la trouva ouverte.
Dehors, il aperçut, dans la vague clarté que versait un ciel nuageux, la silhouette qui contournait le château. Il la retrouva, sur la droite, au fil d’une allée qui, entre deux pelouses, atteignait une rivière.
D’Orsacq prit un raccourci et gagna un monticule d’où l’on dominait, à un certain endroit, le cours nonchalant de cette rivière. De fait, l’homme bondit à vingt mètres au-dessous de lui. D’Orsacq, qui avait braqué son revolver, tira. Il y eut un cri. Mais si l’ennemi était atteint, la blessure ne devait pas être grave, car il disparut de nouveau.
Et Jean d’Orsacq ne vit plus rien, ne trouva plus rien, n’entendit plus rien.
D’Orsacq avait un caractère à décisions rapides et à réactions très nettes. Abandonnant la poursuite, il revint au château où il se rendit compte que tout était tranquille, que les lumières étaient éteintes à toutes les chambres, et que sa femme dormait.
Alors il se retira chez lui et se coucha.
Le lendemain, ayant interrogé, il sut que l’incident n’avait réveillé personne, et que le bruit de la détonation n’avait pas été perçu.
Il garda donc le silence. À quoi bon parler ?
Il descendit le long de la rivière, jusqu’à une série de grottes creusées sous les monticules, puis jusqu’au mur qui cernait le parc. Vaines recherches. Mais, ayant suivi le mur, il arriva devant une petite grille renforcée de plaques en fer et que clôturait une ouverture cintrée que l’on n’utilisait jamais. L’individu avait-il passé par là, à l’aller comme au départ ? Mais, en ce cas, il eût été nécessaire qu’il eût la clef de cette issue.
Cependant, il y avait des traces de pas dans l’herbe environnante…
Vers onze heures, une nouvelle se répandit dans le château. À cinq cents mètres au-delà du village, on avait trouvé, en travers de la route nationale, le cadavre d’un homme renversé sans aucun doute par une automobile. Or, ce cadavre portait au bras gauche, sous deux mouchoirs qui formaient compresse et qui étaient rouges de sang, une plaie du fond de laquelle on finit par extraire une balle de revolver.
Il était à supposer que l’homme, blessé, perdant son sang en abondance, était tombé en travers de la route où une automobile l’avait écrasé. Mais qui avait tiré cette balle de revolver ?
L’après-midi, rencontrant un des gendarmes, d’Orsacq apprit le nom de la victime. C’était un sieur Agénor Bâton, domicilié à Paris, rue de Grenelle.
D’Orsacq se souvint. Trois ans auparavant, il avait renvoyé de ses bureaux de Paris un sieur Agénor Bâton, employé chez lui comme homme de peine, et qu’il avait surpris un jour en train de fouiller dans ses papiers.
Était-ce Agénor Bâton son visiteur de la veille, qu’il avait poursuivi et blessé ? Fort probablement.
Était-ce Agénor Bâton qui avait de nouveau fouillé dans les tiroirs de ses bureaux de Paris ? Fort probablement.
Mais alors il aurait fallu qu’il eût : 1o la clef même des bureaux de Paris et celle de la pièce particulière de d’Orsacq ? ; 2o la clef de la petite grille du château et celle de la porte de service par où l’on pénétrait dans le sous-sol ? En tout, quatre clefs. Était-ce admissible ?
Et, d’autre part, que cherchait-il à Paris ? Que cherchait-il au château le soir même où d’Orsacq enfermait les titres dans son coffre-fort ?
Toutes ces questions se présentèrent à l’esprit du comte Jean d’Orsacq durant les jours suivants, et pendant l’enquête que l’on fit aux environs. Mais ni la justice ni lui n’aboutirent à la moindre certitude. La justice ne recueillit aucun renseignement sur l’existence, sur la famille, et même sur l’identité du personnage.
Était-ce son véritable nom que ce nom d’Agénor Bâton, inscrit sur une feuille de calepin ? On l’admit, parce qu’il habitait, en effet, sous ce nom, une mansarde à l’adresse indiquée. Mais on n’en fut pas très sûr.
Le hasard fit même, comme tout le personnel des d’Orsacq avait été renouvelé, que l’on ne remonta point jusqu’à cet Agénor Bâton que d’Orsacq avait employé jadis dans ses bureaux de Paris.
D’Orsacq n’était pas homme à se tourmenter pour un problème difficile, ni même à s’y intéresser. Ayant résolu de se taire sur des incidents qui ne concernaient que lui et qui ne pouvaient plus avoir de suite, puisque le personnage était mort, il remit au destin le soin de lui fournir les explications nécessaires, quand le jour des explications serait venu.
Pour l’instant, il n’y pensa même plus. L’existence offrait à ce grand amoureux de la vie des sources d’intérêt constamment renouvelées qui ne lui permettaient pas de s’attarder