Le MAGNOLIA
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À propos de ce livre électronique
Les mois passent et Victoire tient bon, mais le travail est dur, la misère est partout. Même si elle réduit son train de vie au minimum, les dettes s’accumulent et la faim se fait sentir. Isolée, la pauvre femme touche le fond. C’est alors que se présente une issue qui pourrait la tirer de cette situation infernale. On lui conseille d’aller frapper à la porte du Magnolia, une maison luxueuse tenue par une certaine Madame Angèle. La tenancière est toujours à la recherche de belles filles intelligentes et éduquées pour tenir compagnie aux riches messieurs qui viennent passer la soirée dans son établissement.
Victoire doit se résoudre. Elle fera la putain, puisque c’est le seul moyen dont elle dispose pour rembourser ses dettes. Les clients ? Ils ne sont pas tous faciles, mais la jeune fille de joie s’adapte. Elle n’a pas vraiment le choix.
Elle qui rêvait de liberté, la voilà enfermée dans une maison close…
Lise Antunes Simoes est scénariste en multimédia. Après avoir présenté en deux volets la vie d’Emma Albani dans La Cantatrice, elle entame l’exploration d’une tout autre facette de l’époque victorienne avec la série Les filles de joie.
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Aperçu du livre
Le MAGNOLIA - Lise Antunes Simoes
© 2017, 2021 Les Éditeurs réunis
Photo de la couverture Freepik, Merydolla / Shutterstock
Les Éditeurs réunis bénéficient du soutien financier de la SODEC.
et du Programme de crédit d’impôt du gouvernement du Québec.
Nous remercions le Conseil des Arts du Canada
de l’aide accordée à notre programme de publication.
Nous reconnaissons l’aide financière du gouvernement du Canada
par l’entremise du Fonds du livre du Canada pour nos activités d’édition.
Édition :
LES ÉDITEURS RÉUNIS
www.lesediteursreunis.com
Distribution mondiale (sauf au Canada) :
INTERFORUM
www.prologue.ca
Distribution au Canada :
PROLOGUE
www.librairieduquebec.fr
ISBN : 9782897837341
Dépôt légal : mai 2022
titrefillesjoie.jpgChapitre 1
Les Boivin sortirent de l’église dans le même ordre que lorsqu’ils y étaient entrés. Le père, un grand homme à la démarche digne et au regard sévère, s’arrêta un instant pour remettre avec soin sur sa tête le chapeau qu’il avait tenu sur ses genoux pendant tout le service. Maurice, second fils de la lignée, devenu le bras droit du père depuis que l’aîné avait quitté la famille pour se marier, le talonnait de près. Suivaient ensuite les deux benjamins, Élias et Nathaël, et enfin la mère, accrochée au bras de Victoire, l’unique fille de la famille.
Le père embrassa d’un coup d’œil la foule qui s’écoulait par les portes grandes ouvertes de l’église. Ses yeux gris passèrent sans les voir sur les petites gens, qui s’éparpillaient déjà en direction des charrettes qu’on avait parquées le long de la grand-place. Qu’ils fussent simples paysans ou domestiques, ils s’asseyaient toujours sur les bancs du fond et étaient par conséquent les premiers à sortir, prêts à prendre le chemin des rangs éloignés où ils habitaient, ou bien se hâtant vers les grandes maisons où ils travaillaient afin de réchauffer le repas à temps pour le retour de leurs maîtres. Aux yeux d’un Boivin, ces gens n’avaient aucun intérêt.
En revanche, son regard pétilla lorsque les notables de la ville sortirent à leur tour. Il y avait là des médecins, des avocats, des notaires, de riches commerçants, tous entourés de leurs épouses et de leurs enfants. Comme chaque dimanche, commença alors une habile chorégraphie où l’on s’approchait de son voisin pour le saluer, s’attardant un instant à peine avant de se tourner vers un autre, afin que chacun reçoive son compte de saluts et de politesses, suivant son importance. C’était l’heure de la parade, l’heure où chacun réaffirmait son statut social et ses alliances.
Adémar Boivin, lui, ne bougeait pas. Posté sur la plus haute marche du parvis, son épouse et ses quatre enfants près de lui, il affichait un air distrait, comme si ses pensées étaient perdues dans un monde bien plus profond et plus vaste que celui du commun des mortels. Bien sanglé dans son costume sombre, avec son nœud de cravate à l’ancienne mode et sa canne à pommeau d’ivoire qu’il ne sortait que pour les grandes occasions, il soignait son allure pour attirer l’attention tout en affectant un noble détachement. La technique était efficace… Quelques amis vinrent s’entretenir un petit moment, tandis que d’autres, qui passaient tout près, le saluèrent d’un signe de tête. Mais, qu’ils s’arrêtent ou pas, ils faisaient preuve envers lui d’une déférence telle qu’on aurait pu le prendre pour le maire de Boucherville en personne.
Car Adémar Boivin était une sommité dans son domaine. Dans sa famille, on travaillait le bois depuis des générations, mais il avait été le premier à cesser de fabriquer des commodes ou des bancs d’église pour se consacrer à un art plus noble. Ayant appris le violon dans ses jeunes années, il avait développé pour cet instrument une passion si grande qu’il avait finalement réorienté la dextérité de ses mains d’ébéniste afin de devenir luthier. Depuis près de vingt-cinq ans maintenant, il ne manipulait plus que des bois précieux et tendres, dédiés à la réalisation d’instruments délicats.
Adémar le violoniste avait un talent modeste, dont il avait rapidement atteint les limites. Il le savait bien et il en avait gardé une certaine amertume. Il ne jouait que très peu, seulement en famille lors des grandes occasions, et encore, il fallait le réclamer longtemps. En revanche, Adémar le luthier avait gagné une renommée internationale ; on venait désormais de loin – New York, Baltimore – pour le voir. Il était devenu un luthier brillant et cette reconnaissance l’avait consolé de sa déception de n’être qu’un musicien ordinaire.
Il fabriquait presque exclusivement des violons et des altos, ne s’attaquant que rarement aux instruments plus gros. Au fil des ans, il avait acquis un savoir-faire si unique qu’il avait attiré des musiciens de plus en plus célèbres. Sa renommée avait finalement atteint des proportions telles qu’il ne se déplaçait même plus chez ses clients, c’était chez lui, désormais, que se rendaient les familles riches et les musiciens professionnels qui souhaitaient une réparation, un ajustement ou un nouvel instrument.
Le fait de recevoir régulièrement ces artistes célèbres lui avait donné une aura toute particulière dans la petite ville de campagne où il s’était établi et où personne d’autre ne pouvait prétendre à de telles relations. À Boucherville, bien qu’il ne fût en réalité qu’un simple artisan, on le considérait comme un notable, ce dont il s’enorgueillissait intérieurement. Avec l’hypocrisie de celui qui a réussi et qui veut se sentir important, mais sans en avoir l’air, il faisait mine de se désintéresser des sujets qui agitaient la commune, tout en s’offusquant si l’on osait prendre une décision sans l’avoir consulté. On lui avait d’ailleurs plusieurs fois proposé un poste de conseiller municipal, ce qu’il avait toujours refusé, trop heureux de se faire désirer. Mais pour rien au monde Adémar n’aurait manqué sa petite parade du dimanche, après la messe, où chacun venait lui présenter ses respects. Lui qui passait ses journées reclus dans son atelier en profitait alors pour rappeler à tous la position sociale que sa célébrité lui conférait.
Le long de la place qui s’étendait du parvis jusqu’au fleuve, impatients de retrouver leurs prés, les chevaux attelés aux voitures piaffaient en entendant la voix de leurs maîtres. Mais les fidèles ne se pressaient pas pour rentrer chez eux et les groupes familiaux s’étiolaient à mesure qu’on croisait tel ou tel ami. En plein été, sous le vent tiède, on retrouvait avec plaisir les voisins que l’on n’avait pas vus depuis un moment, on se donnait des nouvelles ou bien on allait toucher un mot au père Thomas. Les enfants, fatigués d’être sages, jouaient à se poursuivre en riant parmi les adultes, tandis que les femmes se mêlaient entre elles pour bavarder tout en surveillant d’un œil leurs adolescentes.
Du côté des Boivin, en revanche, on ne s’éparpillait pas : le groupe se pressait autour du père comme des moutons près de leur berger. Il n’avait pas besoin d’être colérique pour exercer sur sa famille une autorité implacable. En public, il fallait sourire et saluer, répondre aimablement lorsqu’on nous adressait la parole, mais il n’était pas question de s’éloigner pour discuter avec les uns ou les autres sans avoir auparavant obtenu l’autorisation paternelle. Et, généralement, le père préférait garder son troupeau bien serré.
Tandis qu’Adémar continuait de serrer des mains, sa fille s’impatientait. Victoire savait à quel point son père aimait s’attarder. C’était chaque fois la même chose. Même si les Boivin n’étaient qu’à dix minutes à pied de l’église, la jeune fille n’avait pas le droit de rentrer seule ; elle devait attendre qu’Adémar en finisse avec ses petites mondanités et que toute la famille se mette en route d’un seul bloc.
Elle soupira, agacée. Une nouvelle dispute venait d’éclater entre Élias et Nathaël, les deux plus jeunes frères. Âgés de quatorze et quinze ans, ces deux garçons ne pouvaient pas vivre l’un sans l’autre… pas plus que l’un avec l’autre. Leurs chamailleries continuelles étaient leur mode d’expression habituel. Ils étaient passés maîtres dans l’art de se disputer à mots couverts pour ne pas trop attirer l’attention de leur père, qui les aurait immanquablement fait taire, mais ils agaçaient prodigieusement leur sœur.
— Taisez-vous donc, tous les deux ! finit-elle par leur jeter. Maman, ne pouvez-vous pas leur dire quelque chose ?
Sidonie lança à sa fille un regard fatigué et haussa les épaules. La brave femme, qui ne vivait que dans l’ombre de son mari, n’avait aucune autorité sur ses enfants. Elle se contentait de se tordre machinalement les mains sur le manche de son ombrelle et de sourire à qui lui souriait.
Victoire, exaspérée, soupira de nouveau et tenta vainement de s’éventer du plat de la main. Avec son corsage de dentelle blanche emprisonné dans un corset aux baleines implacables, recouvert d’une belle épaisseur de damas couleur prune, sa robe du dimanche, assez jolie, n’était absolument pas adaptée à la température du jour. Couverte des poignets jusqu’au cou, sans rien d’autre pour l’aérer qu’un sage décolleté carré sur la poitrine, la jeune fille étouffait sur ce parvis exposé en plein soleil. Le léger vent qui arrivait du Saint-Laurent n’y faisait rien.
— Je crois que j’ai oublié mon missel à l’intérieur, prétexta-t-elle pour s’éclipser. Puis-je retourner le chercher ?
— Tu n’attends pas de saluer ton frère ? Je l’ai aperçu, tout à l’heure, avec sa femme…
— Non, je le verrai plus tard. Je vais chercher mon missel.
Alors que sa mère glissait un regard vers son mari – toujours occupé à bavarder avec un de ces amis – pour quêter une approbation, la jeune fille n’attendit pas de réponse. Elle remonta les marches et rentra de nouveau dans l’église.
***
Il faisait plus frais à l’intérieur et les bancs étaient vides. Le jeune servant d’autel, après avoir rangé les objets liturgiques, avait déjà disparu pour aller retrouver ses amis. Il ne restait qu’une petite dame très âgée, toujours en prière. À moins qu’elle ne se fût tout simplement endormie. Sa silhouette était si tassée sur elle-même qu’il était difficile de faire la différence.
Victoire déambula quelques minutes, le nez en l’air. Les ornements bleus, blancs et or qui décoraient le plafond de l’église dataient déjà de quelques dizaines d’années, mais les dorures avaient conservé leur effet clinquant, un peu tapageur, qui faisait paraître l’église presque neuve.
Sur un pupitre, la grosse bible reliée était encore ouverte à la page lue par un paroissien pendant le service. C’était une épître de l’apôtre Paul aux Corinthiens que Victoire, perdue dans son imagination, n’avait écoutée que d’une oreille distraite. Le lecteur avait lu le texte d’un ton monotone, butant sur plusieurs mots. Il n’avait pas fallu longtemps pour que l’assemblée se mette à rêvasser paisiblement, l’abandonnant à son sort. De toute façon, Victoire, même lorsqu’ils étaient lus avec un peu plus de conviction, ne s’intéressait que très peu aux récits bibliques. En revanche, ce qu’en avait dit le père Thomas dans son sermon lui avait paru bien plus intéressant.
Il faut dire que le père Thomas ne manquait pas de dynamisme. Arrivé à Boucherville depuis peu, il était encore tout rempli de l’importance de son rôle. Né dans la grande ville de Montréal, il avait fait de longues études et il était capable de pousser assez loin les réflexions théologiques sur lesquelles il s’appuyait pour écrire ses sermons. En plus d’être un orateur convaincant, c’était un idéaliste qui s’était donné pour mission d’éduquer ses fidèles et de les amener à revoir différemment les récits bibliques, comme s’il cherchait à dépoussiérer les vieilles traditions. Il offrait sur certaines paraboles un point de vue qui – pour une fois – sortait de l’ordinaire et suscitait la réflexion. Cela changeait agréablement de son prédécesseur, un vieux prêtre qui avait radoté les mêmes choses pendant des dizaines d’années avant de prendre sa retraite.
Tout juste trentenaire, le père Thomas avait amené un vent de renouveau sur la ville, qui avait d’abord effrayé un peu les bonnes gens avant de les conquérir tout à fait. Assez âgé pour savoir comment mener ses ouailles, mais encore trop jeune pour en être désabusé, il mettait tant de conviction dans ses prêches que les bigotes, séduites, lui prédisaient déjà un brillant avenir : pour les unes, il deviendrait saint ; pour les autres – plus prosaïques –, au moins évêque. En attendant, il se révélait déjà un bon meneur d’hommes : d’une main, il tenait fermement ses fidèles, tandis que, de l’autre, il dispensait généreusement conseils et attentions. Il comptait bien faire de sa paroisse un exemple de piété et il ne ménageait pas ses efforts, quitte à bousculer un peu ces esprits simples de paysans.
Victoire le trouvait fascinant. Pour elle, qui n’avait personne avec qui discuter sur certains sujets qu’elle qualifiait elle-même de « sérieux », ce prêtre était une source de stimulation et d’apprentissage bienfaisante. Comme la jeune fille n’avait plus l’âge d’assister aux leçons de catéchisme qu’il donnait tous les dimanches avant la messe, elle ne se faisait pas prier pour aller se confesser ; chaque fois, le père Thomas avait pour elle un mot spirituel ou une question qui mettait le cerveau de la jeune fille en ébullition.
— Mais pourquoi as-tu besoin de penser à toutes ces choses ? lui demandait souvent sa mère en levant les yeux au ciel avec un air exaspéré. Avec la religion, il ne s’agit pas de s’interroger, il s’agit de croire. Tu n’as qu’à croire, voilà tout !
Victoire ne trouvait rien à répondre. Elle savait seulement qu’elle avait faim de ces choses de l’esprit, et qu’elle dépérissait de ne pouvoir partager ce qui se passait dans sa tête avec qui que ce fût dans son entourage immédiat. Le père Thomas, au moins, lui apparaissait comme un interlocuteur précieux qui ne la regardait pas avec condescendance lorsqu’elle lui faisait part de ses interrogations, bien loin du quotidien ordinaire des femmes de la ville.
Une ombre passa sur les murs lumineux de l’église, indiquant que quelqu’un venait d’y pénétrer, ce qui fit sortir Victoire de ses songes. Elle tourna la tête et tressaillit.
C’était Germain.
La renommée d’Adémar Boivin lui valait de recevoir chaque année de nombreuses demandes d’apprentis en quête d’un maître qui leur apprendrait le métier. Certains ne venaient travailler pour lui que pendant quelques mois, mais les plus prometteurs restaient plus longtemps. Germain était de ceux-là.
Victoire l’avait vu s’éloigner un peu plus tôt, accompagné comme toujours de Simon, l’autre jeune apprenti, et elle pensait qu’ils étaient déjà rentrés à l’atelier. Elle ne s’attendait pas à ce que Germain tente de lui parler ici, au beau milieu de l’église.
— Qu’est-ce que tu fais là ? lui chuchota-t-elle, soudain nerveuse, lorsque le jeune homme l’eut rejointe. Je croyais que tu étais parti.
Il lui offrit un sourire rayonnant.
— J’avais envie de te voir, c’est tout, dit-il en lui prenant la main pour la serrer doucement.
— Ici ?
— Justement, qu’y a-t-il de plus innocent que de bavarder dans une église ?
En dépit de son apparente assurance, Germain coula un regard en direction de la vieille, toujours tassée sur son banc. Comme elle ne réagissait pas du tout, le jeune homme reprit, en chuchotant plus bas encore :
— Est-ce qu’on peut se voir, cette après-midi ?
— Je ne sais pas. Je vais voir si je peux m’absenter. D’ici là, tu ferais mieux de partir, je n’ai pas envie qu’on nous trouve ensemble.
Elle dégagea sa main et Germain la laissa faire en hochant la tête avec soumission. Il se contenta de lui envoyer un baiser du bout des doigts, puis il s’éloigna en silence.
***
Pour Adémar, les affaires tournaient rondement. Propriétaire d’une grande maison confortable, il avait racheté la petite boutique attenante et y avait fait installer son atelier de lutherie, où il passait ses journées vêtu de sa blouse grise et de son tablier de travail, parmi les outils et les odeurs de vernis. Il aurait bien sûr souhaité céder son affaire à l’aîné de ses fils, Joseph, mais Adémar s’était rapidement rendu compte que celui-ci n’avait aucun talent pour le travail du bois, aussi avait-il abandonné ce projet. Il avait laissé son fils choisir une carrière de commerçant sans plus se soucier de lui. Son art était son unique priorité, il n’aurait jamais risqué de voir sa renommée ternie par un héritier médiocre.
Il avait alors reporté tous ses espoirs sur son fils cadet, Maurice, qui se montrait plus prometteur. Bien qu’Adémar fût un maître exigeant et que le travail à l’atelier sous sa surveillance constante ne fût pas facile, le garçon se réjouissait d’avoir été choisi pour lui succéder. Très conscient de sa position, Maurice travaillait dur, imitait son père dans ses moindres gestes et cherchait par tous les moyens de lui prouver ce dont il était capable. Pour le moment, Adémar Boivin était seul maître à bord, mais cela n’empêchait pas le jeune homme de se gonfler de sa petite importance, même si elle n’était qu’apparente : il jouait au sous-chef, donnait des ordres avec un goût évident pour le pouvoir, et approuvait systématiquement ce que disait son père en attendant le jour où le vieux lion lui céderait du terrain. Maurice avait de quoi bomber le torse : à vingt ans à peine, il venait d’être nommé contremaître et il se rengorgeait comme un jeune coq.
Entre le père et son bras droit, le repas dominical fut, comme c’était souvent le cas, profondément ennuyeux, malgré la présence de Germain et de Simon, les deux apprentis, qu’on invitait toujours à se joindre à la famille pour cette occasion.
Sous le regard gris sombre du maître luthier, chacun mangeait en silence, lançant ici et là un sujet de conversation qui mourait très vite faute d’être alimenté. Adémar Boivin contrôlait tout ce qui se disait autour de sa table et mettait fin sans la moindre délicatesse aux conversations qui ne l’intéressaient pas ou qu’il jugeait superficielles. Comme il ne parlait jamais politique avec sa famille – incapable, selon lui, d’un avis pertinent – et qu’il s’intéressait encore moins aux commérages qui composaient l’essentiel de la vie quotidienne de Boucherville, les repas en sa présence étaient bien ternes. Habitués, les membres de la famille en avaient pris leur parti. Même Élias et Nathaël se tenaient tranquilles.
— Papa, puis-je sortir cette après-midi ? demanda Victoire après un moment.
— Pour aller où ? demanda celui-ci d’un ton monocorde.
— Célia m’a invitée à passer la voir, mentit-elle. Comme c’est dimanche…
— Mmm…
Ce fut le seul commentaire d’Adémar, mais sa fille choisit de considérer cela comme une approbation et elle lui répondit d’un sourire aimable, qu’elle voulait chaleureux et parfaitement innocent. Elle évita soigneusement de regarder Germain, sous peine de se trahir. Ce dernier fit la même chose ; à l’autre bout de la table, près de Simon, il ne broncha pas et continua d’avaler son assiette sans lui adresser un seul regard.
C’était sans compter le sous-chef.
— Où comptez-vous aller, toutes les deux ? demanda Maurice d’un air méfiant.
— Je ne sais pas encore. Sans doute, nous promener au bord du fleuve.
— Alors, ne rentre pas trop tard.
Victoire serra les dents. Elle détestait lorsque son frère, qui n’avait que trois ans de plus qu’elle, adoptait ce comportement paternaliste ridicule, mais elle avait appris à ne jamais provoquer une dispute en présence de son père. Elle garda donc ses réflexions pour un face-à-face privé avec Maurice, où généralement le jeune homme faisait moins le fier.
Heureusement, Adémar se chargea de remettre lui-même le petit sous-chef à sa place, en l’arrêtant d’un geste sec de la main.
— Laisse, Maurice, fit-il avant de se tourner vers sa fille. Et toi, dis à ton amie que tu dois rentrer pour six heures.
***
Après le repas, Adémar se retira seul avec ses violons, les deux apprentis remontèrent dans l’attique – un grenier aménagé au-dessus de l’atelier, où ils logeaient – et le reste de la famille se prépara pour aller rendre visite à Joseph et à sa femme.
Victoire, avant de partir, monta en vitesse dans sa chambre.
Sur le rebord de sa fenêtre s’alignait une collection de petites sculptures délicates en bois. Certaines étaient peintes de couleurs vives, d’autres recouvertes de vernis teintés, d’autres encore simplement en bois nu. Toutes étaient ses propres créations.
Très jeune, déjà, en voyant ses frères travailler dans l’atelier paternel, Victoire avait essayé de les imiter. Elle n’avait pas douze ans quand elle avait saisi sa première gouge pour sculpter un motif de fleur en bas-relief dans une planche de pin, de celles qu’on utilisait pour presser les pièces de violon pendant le séchage. C’était Joseph qui, le premier, avait eu la patience de montrer à la petite fille comment tenir les outils correctement. Elle s’était amusée une après-midi entière, seule avec son frère dans le silence de l’atelier, jusqu’au moment où leur père était rentré. Il n’avait rien dit, mais il avait jeté un regard un peu méprisant sur le travail que la petite Victoire, toute fière, lui avait montré.
— Ne perds pas ton temps avec cette enfant, avait dit Adémar à son fils aîné d’un ton réprobateur, et concentre-toi plutôt sur tes volutes. Celle que tu as terminée hier est loin d’être satisfaisante, tu m’as encore gâché du bon bois…
Ce jour-là, la fleur maladroitement exécutée avait fini au feu, avec le reste du bois inutilisé de l’atelier. Mais Victoire, jeune et pleine d’enthousiasme, ne s’était pas découragée. Joseph lui avait répété ce qu’il avait appris de son père et elle avait fidèlement reproduit tout ce qu’elle pouvait. Elle avait réclamé un cahier et des crayons, et dessiné pendant des heures les motifs qu’elle voulait sculpter. Elle s’était rapidement désintéressée des bas-reliefs qu’on réalisait dans les planches de pin ou d’érable, qui lui semblaient trop faciles, et s’était attaquée aux sculptures tridimensionnelles. Elle avait même une fois emprunté un couteau de cuisine pour tailler dans un tasseau de bois un morceau de colonne torsadée, un épisode dont elle s’était tirée avec une sérieuse entaille au doigt et une punition pour avoir complètement émoussé la lame du couteau. Persévérante, elle avait pourtant continué.
Elle commençait à peine à apprendre le travail du bois que, déjà, elle y montrait un talent indéniable. Ses frères aînés, Joseph d’abord, puis par la suite Maurice, ne tardèrent pas à reconnaître ce don, avec parfois un peu de jalousie : même si elle ne possédait pas toutes les connaissances qu’Adémar leur transmettait à l’atelier, Victoire avait dans les mains une dextérité naturelle qu’ils devaient, eux, acquérir laborieusement à force de temps et de pratique.
Pour autant, Adémar ne s’intéressa jamais à ce qu’il considérait comme un passe-temps bien étrange pour une demoiselle de cet âge. Il ne le tolérait que dans la mesure où Victoire se tenait à l’écart de l’atelier et ne gênait pas le travail des apprentis. Joseph avait plusieurs fois signalé à leur père qu’elle était bien plus douée avec le bois qu’il l’était lui-même malgré sa plus grande expérience, ce à quoi Adémar avait un jour répondu avec moquerie :
— Ce n’est pas difficile d’être plus doué que toi, mon garçon, étant donné le misérable travail que tu produis. Heureusement que je peux au moins compter sur ton frère…
Joseph avait baissé la tête, mais, avant de se soumettre complètement, il avait fait une dernière tentative.
— Ne voulez-vous pas laisser à Victoire une chance de vous montrer ce dont elle est capable ?
Adémar avait éclaté de rire.
— Et que veux-tu que je fasse d’un tel talent ? Ce n’est qu’une fille, elle n’aura jamais sa place dans mon atelier.
Victoire, qui se trouvait au même moment dans la pièce voisine, n’avait rien perdu de la conversation. Cela avait mis un terme définitif à ses espoirs de voir son père s’intéresser à son travail et confirmé la sensation qu’elle avait toujours eue de passer en dernier dans les préoccupations d’Adémar – bien loin derrière ses quatre frères. Pendant les années de son enfance, elle avait souvent cherché à attirer l’attention de ce père qui ne se souciait pas d’elle ; mais à compter de ce jour-là, elle abandonna toute nouvelle tentative et devint de plus en plus secrète.
Elle se vengea du désintérêt paternel à sa façon, en refusant de continuer les leçons de violon qu’Adémar faisait prendre à chacun de ses enfants depuis leur plus jeune âge. Cela ne se fit pas sans heurts, car le luthier supportait mal qu’on lui tienne tête et n’appréciait pas du tout ce qu’il prit pour un caprice d’adolescente. Mais Victoire, astucieuse, avait négocié de remplacer le violon par le piano. De cette façon, son éducation musicale continuait et Adémar ne pouvait plus rien trouver à y redire.
La jeune fille continua donc à griffonner des dessins sur ses cahiers et à sortir ses gouges et ses rabots pour travailler les pièces de bois qu’on l’autorisait à prendre à l’atelier. Elle aimait ce travail un peu masculin qui la distinguait des autres filles de son âge, et elle goûtait particulièrement le fait de tenir tête – quoique de façon indirecte – à son père. Quand elle s’asseyait dehors, sur les marches de la porte arrière de la cuisine, et qu’elle mettait son vieux tablier de luthier pour travailler sur ses genoux un morceau de bois, sa mère ne manquait pas de lever les yeux au ciel, mais elle ne disait rien. La pauvre Sidonie avait compris depuis longtemps que lorsque sa fille avait une idée en tête, rien ne pouvait l’en détourner. Et malgré elle, elle admirait les créations qui sortaient, toutes lisses et toutes polies, des mains de sa fille.
Dans sa chambre, Victoire n’accorda qu’un bref regard à sa collection de statuettes. Elle saisit l’une d’elles, l’enveloppa dans un mouchoir et la fourra dans la poche de sa robe avant de redescendre.
***
Joseph avait très vite su qu’il décevrait son père et que son temps à l’atelier était compté.
Il avait pourtant toujours fait preuve d’une désespérante bonne volonté. Docilement, il avait appris tout ce qu’il y avait à apprendre sur la théorie musicale, la qualité des bois, les mesures des instruments. Il connaissait par cœur les soixante et onze petites pièces qui composaient un violon ; il ne se trompait jamais sur l’essence à employer pour fabriquer chacune d’elles, mais il n’y avait rien à faire : ses mains restaient malhabiles, son œil ne voyait pas les différences subtiles qui distinguaient un excellent instrument d’un plus ordinaire. Ni son oreille ni son cœur ne ressentaient les sons uniques, aux nuances délicates, qui s’échappaient pour la première fois des violons nouveau-nés.
Adémar s’obstina pendant plusieurs années, convaincu que si son aîné avait fini par apprendre à appliquer convenablement les couches de vernis, il finirait à la longue par acquérir le même œil exercé pour juger du bombé d’une table ou du délié d’une volute. Le temps passa pourtant, envenimant lentement les relations entre père et fils lorsque, au terme d’une discussion houleuse avec Adémar, Joseph finit par raccrocher définitivement son tablier de luthier pour se trouver une autre profession. L’intelligence du jeune homme se trouvait dans sa tête, pas dans ses mains. Un drame pour un apprenti luthier…
Il fit cadeau à Victoire de ses outils de travail. Deux ans plus tard, il épousait Faustine, une fille du pays, et s’installait avec elle à l’autre bout de la ville.
La famille Boivin venait lui rendre visite chaque dimanche, surtout depuis que le petit Adémar était né. C’était un beau bambin qui commençait maintenant à parler et qui trottait partout dans la maison, pour le plus grand désespoir de sa mère, déjà enceinte d’un deuxième enfant. Sidonie, en revanche, ne jurait plus que par son petit-fils, dont elle était folle. Dans la vie monotone qui était la sienne, les dimanches occupaient une place toute particulière, car pendant quelques heures elle pouvait se laisser aller à d’infinis épanchements maternels sur un enfant qui était encore trop petit pour la trouver envahissante, et ce, sans risquer de se faire reprendre par son mari. Maurice, Élias et Nathaël participaient aussi aux visites, moins pour materner que pour voir leur frère, quoique les deux plus jeunes se lassaient assez vite de ces réunions de famille et finissaient généralement par se chamailler dans un coin. Quant à Victoire, elle ne se faisait jamais prier, car elle aimait beaucoup la compagnie de Faustine, pas beaucoup plus âgée qu’elle.
Ce jour-là, pourtant, comme cela lui arrivait parfois, la jeune fille écourta sa visite en rappelant à tous qu’elle avait promis de se rendre chez son amie Célia. Elle laissa donc sa mère et ses frères, planta quelques baisers sur les joues du petit Adémar, puis elle quitta gaiement la maison.
Elle continua alors son chemin jusqu’au bout de la rue Saint-Charles, mais au lieu de prendre à droite, en direction de la maison de son amie Célia, elle bifurqua vers le fleuve. Plusieurs fois, elle mit la main dans la poche de sa robe, comme pour s’assurer machinalement qu’elle n’avait pas oublié la petite sculpture.
En suivant le chemin qui longeait le Saint-Laurent, Victoire finit par dépasser les dernières maisons serrées de la petite bourgade et arriva dans un pré où