Mémoires d’un patriote algéro-boufarikois: Par devoir et pour l'honneur
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À propos de ce livre électronique
À PROPOS DE L'AUTEUR
Jean-Marc Garcia Laurent fait ses premières lectures dans la bibliothèque de son père dès l’âge de sept ans. Il débute par les soixante-dix contes et légendes mythologiques, puis de manière éclectique, il continue cette activité pendant des décennies. Lorsqu’il rejoint les harkis en fin avril 1962, il rencontre Dany Gineste dont il devient l’ami. Ayant intégré la métropole le 30 juin 1962, Dany Champetier, la sœur de cœur de son ami, lui annonce l'assassinat de ce dernier. Souhaitant avoir des précisions sur leur aventure, celle-ci, à la réception de ses écrits, l’encourage à les publier.
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Aperçu du livre
Mémoires d’un patriote algéro-boufarikois - Jean-Marc Garcia Laurent
Alger
03/1943
Je suis né mardi 2 mars à 12 h 45 à la clinique Solal avenue orientale (future 9 rue Claude Debussy) à Alger. Je serai l’aîné de la fratrie qui suivra. Je pèse 2, 400 Kilogrammes. Pendant la guerre, le rationnement était de mise. Le marché noir permettait d’acheter des denrées introuvables dans les commerces alimentaires pour ceux qui avaient les moyens financiers. Mon père pour pouvoir nourrir correctement sa famille, à vélo faisait à l’aller 25 Kilomètres et autant pour le retour, le dimanche en dehors d’Alger, pour acheter des légumes, des œufs et laitages dans une ferme en ramenant parfois une volaille.
03/1946
J’ai 3 ans. À Alger, ma mère a placé le berceau dans lequel je dors près de la porte-fenêtre de notre appartement. Au bout d’un certain temps, le soleil traverse la vitre et tape sur ma tête. Mon père, rentrant du travail en fin d’après-midi, s’aperçoit que j’ai une insolation. Ma température dépasse 40,8°. En ce temps, nous n’avions pas de téléphone et le médecin n’était pas proche. Dans l’immeuble, le premier résident à qui mon père demande un peu de glace pour moi répond : je ne peux pas, mon mari (Saint-Yrieix, colonel gaulliste) va rentrer et a besoin de boire frais. Tous les autres résidents présents et ayant de la glace ont refusé. Mon père se précipite dans le magasin proche tenu par un mozabite. Celui-ci donne immédiatement à mon père la demi-barre de glace qui lui reste pour rafraîchir les boissons perdant ainsi des clients. Grâce à lui, la glace fait tomber la fièvre et je n’ai pas de séquelles. Il va sans dire que tout mozabite qui aurait un problème aura mon soutien.
07/1946
Au parc de Galland, ma mère m’y emmenait souvent. Elle m’appelait son petit prince. Je montais dans des automobiles à pédales, je faisais des tours et des tours dans les allées et j’aimais bien cela. Je faisais des tours de manège en essayant d’attraper le pompon. J’avais une tactique qui marchait. Quand le pompon descendait vers moi, je faisais semblant de l’ignorer et d’un coup je sautais, et de ma main droite l’attrapais.
Comme je n’obéissais pas assez vite quelques fois, ma mère est allée trouver le gardien assez replet. Il y avait une sorte de guérite dans laquelle se trouvait une chaise qu’il affectionnait. En face, une cage dans laquelle un magnifique perroquet vert « Coco » était sur son perchoir. Il faisait bon accueil aux visiteurs, les gratifiant de quelques mots. Mais il y avait aussi une pièce qui servait de « prison ». Ma mère, ayant dit au gardien que je n’étais pas sage, celui-ci, aussitôt, m’enferme à clé dans la prison après m’avoir passé les menottes. Cette prison avait une porte avec des barreaux en fer. Pour me faire peur, ma mère et le gardien s’éloignent un peu plus loin. Comme j’étais à cet âge plutôt mince, je me débarrasse des menottes trop grandes pour moi, et je n’ai aucune peine à me glisser entre les barreaux, réussissant ainsi ma première et dernière évasion.
03/1947
La maternelle du Parc de Galland est située à près de 900 mètres de chez nous et comporte à mi-chemin un croisement dangereux. La visibilité n’est pas excellente. La rue à traverser est en pente et les voitures arrivant à toute allure provoquent, en heurtant les piétons imprudents, des blessures graves et même la mort. Une anecdote que je n’ai pas oubliée, malgré mon jeune âge, j’allais avoir bientôt 4 ans. Vers midi à chaque sortie des classes, ma mère vient me chercher. Je l’attends sagement dans la cour d’école. Tous les écoliers étant partis, je me retrouve seul. Je prends la décision de quitter l’école et d’aller au-devant de ma mère. J’arrive au dangereux carrefour. Je fais très attention quand je traverse. Je continue mon chemin et dans l’immeuble, je monte l’escalier menant à notre appartement. La porte est légèrement entrouverte. J’entre et contemple ma mère qui se pomponne devant la glace. Sa surprise est grande, suivie d’une certaine culpabilité. Je ne dirai rien à mon père, ma mère ne me l’ayant d’ailleurs pas demandé. Dans le salon, mon père met la radio (TSF). J’arrive en courant et fais le tour du gros poste de radio en ne trouvant personne. Mon père enlève une grosse lampe et le silence se fait. Il m’explique comment cela fonctionne avec les ondes radio captées par le poste muni de plusieurs lampes et de circuits. J’écoute, mais je comprends seulement que si la lampe est grillée, la radio ne fonctionne plus.
03/1947
Ma mère est hospitalisée à la suite de la naissance des jumeaux le 16 mars. Très fatiguée, elle fait une névrose puerpérale.
Elle manque de fer, mais le médecin ne s’en apercevra que beaucoup plus tard. C’est sa mère, Marie de la Presentation Fernandez épouse Garcia, notre Grand-mère, qui s’occupera de nous. Elle a eu cinq enfants 3 filles et 2 garçons.
Ma mère, la dernière-née le 7 mai 1914, a été gâtée par sa fratrie. Ma grand-mère a 73 ans, les cheveux tout blancs, elle est assez fatiguée, mais elle est très gentille avec nous.
En raison de la naissance des jumeaux le 16 mars 1947, pour alléger la charge de travail de ma mère, qui devait s’occuper d’eux et de ma sœur cadette, âgée de 3 ans, je suis allé à 4 ans et demi en colonie de vacances, à Chréa, pendant les 3 mois de congés scolaires du 1er juillet au 30 septembre 1947. Dès mon arrivée, après installation dans la chambrée, je suis sorti et promené un peu partout. Quand je suis passé près des cuisines, un Algérien était en train de découper un agneau. Il me montre des rognons blancs et me dit que ce sont des claouis (testicules) et qu’il allait m’enlever les miennes pour les manger. Je n’ai pas eu peur, mais j’ai évité de retourner dans cet endroit. Le moment le plus attendu, c’est le dimanche, quand mon oncle maternel, Joseph Macia, vient me rendre visite. Il m’amène des bonbons, mais surtout deux paquets de petits LU dont je raffole. Je l’aime bien, car il s’occupe toujours de ma sœur et de moi, en nous promenant dans le parc de Galland, proche de notre domicile à Alger. Il nous gâte avec des friandises ou des petits cadeaux. Il est toujours élégamment vêtu.
C’est la seule visite que je reçois pendant mon séjour à Chréa. Il est le seul à avoir un véhicule et son travail c’est d’être taxi. Sa femme, ma tante Marie, n’a pas un caractère très agréable. Mon oncle, pour rapporter une rémunération susceptible de la satisfaire, ne cesse de travailler, de partir tôt et de rentrer tard. Le 23 décembre 1949, il est au volant de son taxi, nous sommes ma fratrie et moi à l’arrière. Il ralentit progressivement et son véhicule finit par s’arrêter à 20 centimètres d’un arbre. Il a eu un arrêt cardiaque, et n’avait que 49 ans à son décès. Dans la colonie de vacances, nous étions souvent libres d’aller dehors, l’air étant très sain et la nature superbe. Je ne me privais pas de courir un peu partout, avec ou sans copain. À un moment, je glisse sur une plaque d’ardoise et une autre m’entaille profondément le haut, de la cheville gauche. Je vois la blessure qui ne saigne pas. Je cours vers l’infirmerie. Ce n’est qu’à l’intérieur que le sang se met à couler. J’aurai 3 ou 4 points de suture et une cicatrice de 6 centimètres à vie.
10/1947
À trois ans, ma sœur Gisèle a l’âge d’être acceptée à la maternelle du parc de Galland. Je l’emmène en la tenant bien par la main. Mon père nous suit en prenant des photos. Nous étions très complices et nous nous adorions. Nous en avons fait des bêtises ensemble ou plutôt elle me suivait en faisant pareil. Ainsi sur notre balcon, nous montions sur le muret en simulant être en difficulté. En bas, les gens nous regardaient avec effroi en pensant que nous allions tomber. Un bus à l’arrêt en face de notre immeuble bloquait toute la circulation. Après cette belle pagaille, nous regagnions rapidement l’intérieur de l’appartement. Ces faits ayant été rapportés à mon père, celui-ci installe un grillage en hauteur pour notre sécurité. Une fois, notre père de retour du bureau, en regardant la façade de l’immeuble, arrive en toute hâte. Nous étions dans la chambre des parents en train de nous amuser, allongés sur le matelas posé sur le garde-corps de la jardinière. Le matelas était en train de glisser vers l’extérieur. Mon père arrive juste à temps pour nous retenir par les pieds alors que nous allions tomber du 1er étage.
12/1947
Ce matin 25 décembre, le sapin, éclairé par des guirlandes de petites lampes, repose sur une table ronde munie d’une grande nappe qui touche le sol. Elle est dans un coin du salon au bout de la pièce près de la porte-fenêtre. Le volet roulant est descendu et cache la lumière du jour. Les cadeaux, dans des paquets enveloppés dans du papier, se trouvent au pied du sapin. Mon père, pour nous surprendre, a installé dans l’arbre, bien caché, un micro relié à lui par un fil dissimulé. La fratrie est près de l’arbre attendant le signal pour ouvrir les cadeaux. À ce moment-là, la voix du père Noël se fait entendre. Il nous demande si nous avons été bien sages.
Je fonce sous la table, mais ne vois personne. En ressortant, j’aperçois mon père muni de quelque chose dans sa main et qui continue à parler sans se douter que je le vois. Ce qu’il dissimule dans le creux de sa main droite, c’est petit haut-parleur, comme je l’apprendrai. Plus tard, sans la présence de mon frère et de mes sœurs, je m’adresse à mon père en chuchotant. « C’est toi le père Noël, j’ai tout vu ». Mon père l’admet. Je suis déçu et en même temps content, car j’ai découvert un secret. Bien entendu, je le garderai pour moi. Mon frère et surtout ma sœur cadette le découvriront plus tard, mais assez tôt pour leur âge. Ma sœurette, la jumelle, très fleur bleue, ne croira plus officiellement au père Noël qu’à l’âge de 9 ans.
03/1948
J’ai 5 ans. Dans la chambre de mes parents, au-dessus du lit est accroché un beau crucifix en acajou, avec en métal doré le corps du Christ dont les mains et les pieds sont plantés de clous. Mon père me voyant une tenaille dans la main droite, me demande ce que je compte faire. Je lui dis, je vais enlever les clous pour qu’il ne souffre plus.
En face de la gare d’Alger se situe un centre médical des Chemins de fer d’Algérie (CFA). Pour immuniser les jumeaux contre la coqueluche qui sévit, ma mère s’est rendue avec eux dans ce centre réservé aux fonctionnaires travaillant aux CFA. Ma mère est installée sur une chaise avec de chaque côté un des jumeaux assis sur un siège tout près d’elle. Dans chacune de ses veines à droite et à gauche est implantée une aiguille qui pompe son sang, lequel est injecté dans les veines de mon petit frère et de ma petite sœur. Ayant 5 ans à l’époque, cette vision m’a perturbé pendant des décennies. La vue du sang ne me fait absolument rien, même pendant les événements d’Algérie où j’ai vu, plusieurs fois, des tués et de nombreuses flaques de sang importantes et toutes récentes, notamment les 26 novembre 1960 à Boufarik et le 26 mars 1962 à Alger. Ce n’est que la vue d’une aiguille plantée dans la veine de mon bras aspirant mon sang qui me pose problème.
En ouvrant la porte des WC non fermée de l’intérieur, je vois ma mère avec à ses pieds beaucoup de sang. Me voyant inquiet, elle me dit que c’est mon père qui lui a coupé le zizi. Ayant à son ton perçu qu’elle avait réfréné un rire, je n’ai pas cherché plus loin et ne me suis pas inquiété.
07/1948
Je retourne dans la colonie à Chréa pour la période du premier juillet au 30 septembre 1948. J’ai 5 ans et mes camarades me demandent de les suivre pour voir quelque chose. J’aperçois un bâtiment qui sert de douches aux filles. Le long de la paroi en bois sont agglutinés quelques garçons qui regardent par deux trous. Un en haut et l’autre en bas. On me demande d’observer à mon tour. Je ne peux pas faire autrement pour ne pas avoir des remarques désagréables et perdre leur camaraderie. J’examine à mon tour et constate qu’il n’y a rien d’exceptionnel. Je vois des jambes pour la vision du bas et des cheveux pour celle du haut.
Mon oncle Joseph ne manque pas de venir me voir et m’apporter les deux paquets de petits LU chaque dimanche.
07/1949
J’ai 6 ans, c’est-à-dire que je fais maintenant partie des grands dans la colonie de Chréa. Ma sœur m’accompagne, elle a presque 4 ans. Juste avant d’entrer, nous sommes avec nos parents. Nous avons grimpé dans de grands arbres et étions heureux comme tout.
Chaque année, lors de notre arrivée, dans une salle, tous les colons sont réunis et assis sur des bancs. Le directeur du centre projette sur un écran (un grand drap blanc) les mêmes films à caractère sanitaire (les mouches, les moustiques, la nécessité de bien se laver les mains, le corps, les dents). Je ne suis pas assis comme les autres sur un banc, mais avec quelques « grands » de mon âge, nous dominons nos camarades, en étant installés sur le dessus d’une table. Pendant la séance, nous ne cessons de nous balancer d’avant en arrière. Ce n’est pas prudent puisque nous basculons tous en avant. Mes camarades s’en sortent bien, mais moi, mon visage heurte l’arrête d’un banc. J’ai l’arcade sourcilière droite ouverte et je saigne abondamment. Conduit à l’infirmerie, j’en serai quitte, après les soins, pour porter un large sparadrap sur l’arcade, pendant quelques jours, et une autre cicatrice à vie, cette dernière plus visible.
08/1949
À Chréa, en colonie de vacances, tous les dimanches matin, une monitrice nous emmène assister à la messe. Nous sommes alignés en deux colonnes, filles et garçons bien sages et pénétrons dans l’église. Je m’arrange pour être toujours dans les derniers. La monitrice l’ayant remarqué me demande la raison. Je lui réponds « Les premiers seront les derniers ».
Cette réponse l’ayant marquée, elle en parle à mon père. Comme je lui en avais indiqué le motif, il lui répond qu’en étant au fond de l’église, mon fils en ressort plus rapidement pour jouer.
09/1949
Je dors sur le lit de mes parents qui sont absents. Ils sont allés avec ma fratrie faire un tour dans le Parc de Galland. Ils m’ont laissé dormir, car je devais être fatigué. Je me réveille à moitié et par curiosité, je plonge la main dans le tiroir de mon père. J’en retire son pistolet 6,35 tout noir. Cela me fait peur, la tête me tourne et je le remets aussitôt à sa place.
J’ai six ans quand ma mère me poursuit avec un balai pour me punir d’une faute commise. Elle l’a déjà fait et je n’avais pas apprécié les coups sur mes fesses et mes jambes. J’évite le balai et m’échappe. J’ouvre la porte d’entrée et m’enfuis en descendant à toute allure les escaliers de l’immeuble. Arrivé en bas, pour aller de l’autre côté de la rue très dangereuse, je la traverse en slalomant pour éviter les voitures qui arrivent à toute allure. Elles m’évitent de justesse. Ma mère qui, par la fenêtre, a assisté à la scène et eu la peur de sa vie, ne m’a plus jamais menacé, ni levé la main sur moi.
01/1950
Le 28, ma grand-mère maternelle décède. Le matin précédent la veillée mortuaire, mes parents nous emmènent au domicile de sa fille aînée Marie Macia née Garcia. Je vais embrasser le front de ma grand-mère qui repose sur un lit. Je suis un peu surpris, car son front est glacé. Ma sœur Gisèle et moi sommes l’objet d’une attention bienveillante des membres de la famille présents. La porte donnant accès au balcon s’ouvre et le Berger allemand, certainement jaloux, se précipite en sautant à la gorge de ma sœur Gisèle ou de moi. Un ordre fuse, le chien s’arrête immédiatement. Nous n’avons même pas eu le temps d’avoir peur, mais nos parents, nos oncles et nos tantes oui. Le chien est alors remis sur le balcon extérieur et nous ne le verrons plus, jusqu’à notre départ.
06/1950
Le 30, ayant terminé les classes de maternelle du Parc de Galland, c’est à l’école Volta, proche de mon domicile, que je fais ma rentrée en Cours Préparatoire (CP) avec M. Rongeat, un instituteur formidable. Je ne dis pas cela en raison des billets d’honneur reçus, mais parce qu’il enseigne d’une manière simple et efficace, tous les élèves au nombre de 40 suivent et progressent. À la récréation, je suis abordé par trois grands de la classe de CE 2 qui se mettent à me bousculer sérieusement, notamment le plus grand. Dans la cour, se trouvent plantés des arbres, entourés d’un rond en ciment servant de protection et haut de 50 centimètres. Je monte sur la terre entourant l’arbre de manière à être au même niveau que le plus grand. Il s’approche de moi. Il ne s’attend pas à ce que je lui balance avec force mon poing dans la figure. Il saigne des lèvres et surtout du nez. Conclusion : j’ai passé sans problème mes deux années dans cette école.
02/1950
Le 26, à l’approche de mes 7 ans, je suis baptisé à Alger avec ma sœur Gisèle 5 ans et demi et les jumeaux, Henri et Jacqueline 4 ans. Dans une salle de l’église, les religieuses ont accroché de petits cadeaux en quantité à un arbre de Noël. Étant le plus grand, j’en décroche plusieurs placés plus haut, laissant à ma fratrie le soin de récupérer ceux du centre et du bas. Le baptême de nous quatre s’est effectué en même temps pour limiter les dépenses. Un seul salaire, celui de mon père et la rente viagère à régler depuis fin 1945 à son oncle puis à sa tante pour la Villa de Boufarik.
03/1950
Lors de ses périodes obligatoires à l’Amirauté, mon père Officier Marinier, Chef de poste radio m’amène avec lui, lorsqu’un film est projeté. L’amiral et tous les officiers sont présents. Je suis petit en taille et me fais oublier dans un coin. Pendant presque 4 ans, une fois ou deux chaque année, je regarde avec attention les films qui portent notamment sur la guerre d’Indochine et ne perds pas une miette des commentaires des Officiers de Marine à ce sujet et sur d’autres. Les atrocités commises par les Vietnamiens rebelles m’endurcissent précocement. Les attentats commis ensuite à Alger ou Boufarik ne me traumatiseront pas, même quand des amis seront tués pratiquement sous mes yeux. Je suis même assez insensible à des drames de cette nature. Plus tard, je comprendrai que mon cerveau a agi ainsi pour me protéger.
07/1950
Je pars en colonie sanitaire à Saint-Honoré-les-Bains. Après les soins thermaux, je m’allonge dans l’herbe où les vaches vont et viennent brouter l’herbe. En bougeant mon bras brusquement, je suis piqué par un gros hérisson muni de longs pics. Je crois que c’est l’une ou l’autre de ces actions qui a été la cause de la dépigmentation sur mon visage. Je n’en ai jamais parlé, car cela m’est revenu en mémoire que beaucoup plus tard. En été, quand je suis très bronzé, les taches blanches sont très voyantes et cette dépigmentation m’agace un peu sans plus. Le spécialiste, le docteur Lucien Colonieu consulté le 08 septembre1958 à Alger a diagnostiqué le vitiligo. Comme remèdes, il en existe deux, le premier la Méladinine dont le traitement est compliqué et n’est pas sans danger.
Le 2e est plus dangereux si on ne respecte pas les conditions fixées. Il s’agit d’une plante indienne que l’on applique chaque jour sur la peau, centimètre carré par centimètre carré avec l’obligation d’appliquer un pansement pour éviter les rayons du soleil. Les remèdes ne sont pas retenus. Lors de mes 17 ans, connaissant le processus précédent, muni d’une lame de rasoir, je m’enlève la peau, centimètre carré par centimètre carré chaque jour, en mettant un morceau de sparadrap dessus les petites plaies pour échapper aux rayons du soleil. J’applique cette méthode sur tout mon front. Je ne sais pas si ce que j’ai fait est à l’origine du résultat, toujours est-il que mes taches blanches ont disparu. Les photos sont là pour en témoigner.
09/1950
Ma mère est de nouveau hospitalisée et en son absence c’est moi qui garde la fratrie, les jours fériés, pendant les vacances scolaires ainsi que lors du retour de l’école. Partout où je passais quand j’étais petit, mon père ne cessait de m’encenser. J’étais selon lui intelligent, responsable, plus mature que mon âge. Cela me gênait, car je considérais comme normal de m’occuper de mon frère et de mes sœurs. Mon père m’a recommandé de n’ouvrir la porte à personne.
12/1950
Nous sommes proches de Noël et la sonnette retentit. Au travers de la porte, car je ne suis pas assez grand pour regarder par l’œilleton, je demande « qui sait ? » Il m’est répondu « ouvre-moi, c’est le père Noël, j’ai des jouets pour vous ». Je lui précise que je viens à l’instant de faire tomber les clés par le balcon. J’entends une cavalcade et nous voyons un homme chercher par terre, en bas de notre immeuble, notre trousseau de clés. Entendant nos rires, il relève la tête et puis s’en va.
Une autre fois, cela a failli tourner au drame. En effet, mon père avait l’habitude, pour enlever l’humidité de la pièce du salon, de mettre dans une petite boîte de conserve remplie de sable aux deux tiers, de l’alcool à brûler et d’y mettre le feu. Le carburant ne se consumait que très lentement. Jouant une partie de football entre nous, la petite balle de tennis vient heurter la boîte qui se renverse et met le feu à un rideau. Heureusement, ma sœur et moi avons pu l’éteindre en tapant sur le rideau enflammé avec des serviettes de table.
04/1951
Ma mère m’emmène, en début d’après-midi, au cinéma voir un film sur le lac des Cygnes. Elle a failli me dégoûter de ce ballet magnifique et de la danse en général. En effet, comme le film était en continu et qu’elle adorait cette chorégraphie, elle m’a obligé à le voir deux fois de suite. J’ai dû rouspéter très fort pour qu’il n’y ait pas de 3e séance.
J’ai appris très jeune à lire des livres. Mon père s’était constitué, depuis son adolescence, une bibliothèque très fournie en livres divers, qu’il avait acheté au fur et à mesure. Le meuble renfermant sa collection était très joli, en bois de chêne avec deux portes munies d’une glace biseautée. J’ai commencé, bien sûr, par des bandes dessinées, que mon père a continué à m’acheter jusqu’à mon adolescence, tels que Spirou, Lucky Luke et d’autres « héros ». Jeune j’attendais avec impatience, la semaine suivante, pour suivre les feuilletons. En cachette, je lisais aussi le journal le Hérisson acheté par mon père.
J’ai commencé à lire aussi, les livres concernant les contes et légendes mythologiques, plus de 70, en aimant tout particulièrement ceux relatifs à la Grèce et à l’Empire Romain. Je me suis aperçu que des thèmes pour chaque pays étaient récurrents, mais traités des fois d’une manière un peu différente. J’ai poursuivi avec les livres des bibliothèques rouge, verte et blanche. Mon père m’ayant recommandé Henry de Monfreid, j’ai lu tous ses livres disponibles. Ainsi, quand un auteur me plaît, j’agis pareillement même actuellement. Puis, j’ai commencé à prendre des livres d’auteurs au hasard. Ainsi à l’âge de 12 ans, je suis tombé sur le livre le Zéro et l’infini d’Arthur Koestler. Ce livre a déclenché en moi une vague d’indignation, car j’ai horreur de l’injustice.
Ce que je retiens à la fin de ce livre, c’est qu’un communiste espagnol, ayant combattu les troupes de Franco et rejoint la patrie du communisme en URSS, est condamné injustement alors que ses convictions sont pures. Par suite de tortures, il est amené à avouer ce que ses bourreaux veulent. Quand il descend les marches d’une cave qui le mène à la mort, il sent avec un sentiment de délivrance le révolver sur sa tempe et le coup de feu qui va le libérer enfin des souffrances endurées. La lecture de ce livre à fait de moi à 12 ans un antistalinien et un anticommuniste, alors que mon père ne m’a jamais parlé de politique ni mon entourage.
06/1951
Le 29, lors de la cérémonie de la remise des prix pour la classe de CE1, mon nom est appelé. Je suis surpris, je ne m’attendais pas à avoir le 1er prix de la ville d’Alger. Un peu perturbé, car outre le Maire d’Alger Jacques Chevallier, il y a l’Inspecteur d’Académie et un responsable de la Préfecture. Mon père m’a appris, que lors d’un repas, d’une fête, à prendre le verre, l’assiette, devant moi. C’étaient « les bonnes manières » à respecter, disait-il. Après les félicitations, le maire me demande de faire mon choix parmi les livres. Un peu à ma droite trois volumes de l’encyclopédie, devant moi un petit livre que je « choisis ». C’est le dernier prix et à la question « tu ne préfères pas un autre livre ? », je m’entête et je repars avec.
07/1951
Je vais en colonie de vacances située en haut d’une montagne. Beaucoup de jeunes de mon âge. Le matin, lever tôt. Ouverture des fenêtres pour aérer le dortoir. Le lit est défait, la couverture et les draps sont pliés et bien rangés au bas du matelas. Dehors, le froid est présent. Torses et pieds nus, en short, nous allons nous laver la figure, le buste, les bras et les pieds avec de l’eau froide. Elle coule par de nombreux robinets, dans une sorte de large auge en zinc d’une quarantaine de centimètres de profondeur. Rhabillés, nous allons prendre un petit déjeuner copieux. Nous prendrons une douche chaude deux fois par semaine. Toute la journée, mis à part le repas du midi, nous sommes occupés dans des ateliers divers. J’ai choisi en premier l’atelier de confection de maquettes, de petits avions en bois de balsa. Au bout de deux ou trois jours, nous avons tous terminé notre « chef d’œuvre ». L’avion fabriqué est très léger. En fin de matinée, nous nous rendons au bord de la vallée très profonde. Chacun à notre tour nous lançons notre avion le plus loin et haut possible. L’air chaud à notre altitude maintient l’avion en hauteur, mais celui-ci fait de larges ronds qui petit à petit le fond descendre. C’est un concours auquel nous participons. L’enjeu, c’est l’avion qui restera le plus longtemps en altitude qui gagnera. Celui qui a terminé premier avait certainement fabriqué le meilleur avion. L’ambiance est formidable dans cette colonie de vacances. Nous avons diverses occupations, tir à l’arc, courses à pied, jeux de boules, jeux de cartes, etc.
Un camarade qui vient me rejoindre en courant me casse une incisive. Il portait dans sa main, un révolver en fer qui a heurté ma bouche. Plus tard, j’ai une petite frayeur quand je constate qu’au talon, j’ai une énorme ampoule comme un œuf de pigeon au moins. J’ai dû être piqué par un insecte. Je prends la décision de l’inciser légèrement. L’eau s’écoule puis s’arrête. Je suis obligé de m’y reprendre à trois ou quatre fois de suite, pour qu’il n’y ait plus de liquide.
07/1952
Mon père décide qu’il est temps que j’apprenne à nager, alors que je nage en brasse sous l’eau de mer. Au port, nous prenons une barque à moteur pour une traversée nous menant à la jetée nord où se trouve l’ASPA. Le voyage est agréable, l’air iodé nous fouette agréablement le visage et nous le respirons à pleins poumons avec gourmandise. L’ASPA est un club de natation réservé aux membres de l’Association Sportive des Policiers d’Alger. Comme il fait des périodes de réserve à l’Amirauté d’Alger en qualité d’Officier marinier, Chef de Poste radio, mon père a pu y être admis. Ce club possède contre la jetée, deux cabines pour se changer, une plateforme assez longue en bois pour bronzer ou se sécher, une échelle en bois pour rejoindre la piscine en pleine mer. Dans l’eau à 50 mètres, une petite plateforme en bois reposant sur deux gros tonneaux en fer permet de se délasser et de plonger pour le retour. Je suis, autour du corps, muni d’une sangle pourvue d’une corde qui est reliée à la main du maître-nageur. Il m’indique les gestes à accomplir. Au début, je bois la tasse, car il y a des petites vagues dont il faut tenir compte. L’avantage est qu’il y a sous l’eau de mer une profondeur de près de 8 mètres, ce qui permet de rester en surface sans effort.
Au bout de plusieurs heures, je sais pratiquement nager. En revenant la semaine suivante, muni d’un masque et de palmes, je descends en profondeur avec mon père à mes côtés. Je suis émerveillé par le spectacle qui s’offre à mes yeux. Je vois des algues, des poissons divers, des coquillages, des oursins, des araignées de mer, des bigorneaux, des arapèdes, des petits poulpes, des étoiles de mer. Plus tard en prenant confiance, j’atteindrai la plateforme en faisant les 50 m requis. Je recevrai alors mon diplôme de natation.
Quand je travaillerai à Alger pendant les périodes scolaires de 1959, 1960, 1961, durant la pause de midi à 14 h, nous irons mon père et moi, à l’ASPA du lundi au vendredi, profiter de ce bonheur.
Lorsque j’irai sur les plages magnifiques de Fort de l’eau et d’autres, je serai déçu. Je ne comprends pas le plaisir des personnes présentes dans l’eau, de rester debout à attendre le retour des vaguelettes. J’admets que le peu de profondeur pendant plus d’une centaine de mètres est une sécurité pour les enfants en bas âge ou pour tous ceux qui ne savent pas nager.
06/1953
À Alger vit un couple d’Italiens avec 2 enfants. Partisans de Mussolini, ils se sont fait oublier pendant la guerre. Leur pays, l’Italie, a lâchement participé au début à bombarder les routes de France où les civils fuyaient l’arrivée des Allemands. Pour une raison que j’ai oubliée, le jeune italien un peu plus âgé que moi, chaussé de souliers cloutés, m’insulte et me donne un violent coup de pied dans l’aine droite. Je me bats et il s’enfuit. À la maison, mon père s’aperçoit que j’ai une grosse enflure à l’aine et peine à marcher. Le docteur consulté est pour une opération avec environ 7 jours