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Le PHENOMENE DES RELATIONS PUBLIQUES: Regard critique sur la pratique
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Livre électronique366 pages4 heures

Le PHENOMENE DES RELATIONS PUBLIQUES: Regard critique sur la pratique

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Au-delà des préconceptions et des représentations de sens commun, que sait-on des réalités du travail de communication et des personnes qui s’en occupent jour après jour ? Qu’en est-il du rôle qu’elles jouent, à petite et à grande échelle, dans la production et la circulation des images, des discours et des représen­tations qui tissent la trame des espaces publics et qui teintent la vie collective ?

Sans pour autant l’ignorer, la perspective présentée ici s’éloigne de l’approche stratégique et organisationnelle habituellement empruntée en relations publiques (RP). Elle se penche plutôt sur la pratique en tant que phénomène social et sur les enjeux qui l’entourent. Offrant un regard critique ancré dans une approche sociale et culturelle de la pratique des RP, cet ouvrage tente de mieux comprendre les dynamiques qui sont constitutives de la communication publique contemporaine.

Il se divise en deux grands axes. D’abord, l’importance de la présence des RP dans nos sociétés contemporaines, ainsi que les approches critiques et socioculturelles des RP sont explorées. Une analyse de la pratique contemporaine des RP est ensuite proposée.

Le phénomène des relations publiques : regard critique sur la pratique veut offrir aux étudiants et aux étudiantes ainsi qu’aux spécialistes de la communication, mais aussi à l’ensemble du public, des pistes pour mieux comprendre le rôle des RP dans notre société.
LangueFrançais
Date de sortie28 août 2024
ISBN9782760560086
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    Aperçu du livre

    Le PHENOMENE DES RELATIONS PUBLIQUES - Josianne Millette

    INTRODUCTION

    Des expressions propres au champ de la communication sont désormais passées dans le vocabulaire courant et font partie de représentations de sens commun : qui n’a jamais parlé d’aller « faire du PR » dans une soirée, évoqué un évanescent « public cible », critiqué un « spin » en décriant que telle initiative ou déclaration ne soit en fait qu’« une opération de relations publiques (RP) », un écran de fumée… Au-delà des clichés, à quelles réalités sociales, à quels acteurs et à quelles pratiques ces expressions font-elles référence, plus concrètement ? Au petit écran, les personnages de Samantha Jones, Olivia Pope, Robyn et Philippe Racine qui, de Sex and the City à Scandal en passant par Flack ou Mirador, évoquent autant de figures de l’ombre et de stratèges, le glamour des soirées mondaines, des robes cocktail et des flûtes à champagne, le crépitement des caméras aux conférences de presse, mais aussi les dilemmes moraux, des mensonges plus ou moins assumés et de juteux contrats. Apparaissant à la fois occulte et familier, le monde des communications fascine. Mais que connaît-on en réalité de la pratique des RP ? Au-delà des préconceptions et des représentations de sens commun, que sait-on des réalités du travail de communication et des personnes qui s’en chargent jour après jour ? Qu’en est-il du rôle qu’elles jouent, à petite et à grande échelle, dans la production et la circulation des images, des discours et des représentations qui tissent la trame des espaces publics et qui teintent la vie collective ?

    Contrairement au journalisme et aux productions médiatiques en général, les RP ne font que très peu l’objet de commentaires et d’analyses, en dehors des chroniques consacrées aux « bons coups de la semaine », ou de quelques grands événements et scandales vite ravalés par le flot des actualités. Même parmi le public le plus avide de nouvelles et portant un regard des plus aiguisés sur les rouages de l’actualité, bien peu pourraient dire qui sont les agences et les personnalités qui tiennent le haut du pavé dans le domaine, qui a eu la responsabilité des lignes directrices pour telle gestion de crise ou telle initiative d’envergure. En témoigne cet encadré publié dans un grand quotidien québécois quand, à l’hiver 2014, le plan stratégique visant à gagner l’appui de l’opinion publique en faveur d’un controversé projet de pipeline, TransCanada, a coulé dans les médias : on y proposait en quelques lignes un portrait d’Edelman, l’agence « méconnue au Québec » responsable de ce plan… en fait l’une des plus grandes agences mondiales de RP¹.

    Les RP sont pourtant aujourd’hui présentes dans l’ensemble des secteurs qui animent la communication contemporaine. De la troupe de théâtre aux syndicats, en passant par les grandes entreprises, les gouvernements et les organismes communautaires, il n’est en effet pas un domaine d’activités qui n’ait intégré, à un degré ou à un autre, et parfois même en se méfiant de la pratique, quelques-unes des bases de la communication stratégique et de l’expertise en RP. La formation et les services professionnels dans le domaine n’ont cessé de croître depuis que la pratique a commencé à s’institutionnaliser, au milieu du siècle dernier. La plupart des grandes universités québécoises et canadiennes offrent aujourd’hui des programmes spécialisés en communication et en RP, et le champ des recherches scientifiques sur le sujet continue de se développer, propulsé surtout par les travaux anglo-saxons spécialisés en études des RP, mais puisant aussi, dans la sphère francophone, aux travaux en communication des organisations. La littérature professionnelle est abondante et le Web offre une myriade de plateformes et de publications consacrées à faire valoir les réalisations des grandes agences, à prescrire les meilleures pratiques et à établir les incontournables ou les tendances du moment. Aussi, le domaine s’est-il considérablement enrichi, ces dernières décennies, de connaissances et de discussions quant aux stratégies de relations avec les médias, de gestion de crise, de lobbyisme, d’image et de partenariats institutionnels, ou encore de gestion de communauté et de présence en ligne. Force est cependant de constater que les recherches permettant de comprendre les réalités de la pratique des RP sont encore rares et les connaissances à ce sujet, fragmentaires, particulièrement dans le contexte québécois.

    Il apparaît pourtant nécessaire, sinon urgent, de s’intéresser de plus près aux RP en tant que phénomène social. Les approches qui s’inscrivent exclusivement dans la poursuite du projet professionnel des RP et dans la recherche de modèles visant une meilleure maîtrise des processus de communication ne permettent en effet pas de comprendre les réalités vécues de la pratique, comment elle se déploie au quotidien, ni comment elle s’inscrit au cœur de dynamiques sociales, éthiques et politiques qui sont structurantes pour nos sociétés. S’il se publie régulièrement des ouvrages et des manuels abordant différents aspects de l’expertise en RP, ceux-ci tendent à se concentrer sur le faire et à délaisser l’analyse critique quant à ses acteurs, son rôle social et ses enjeux. Tout en reconnaissant le caractère foncièrement stratégique et instrumental des RP, dont la pratique est nécessairement guidée par la poursuite d’objectifs de communication s’inscrivant dans des contextes organisationnels variés, nous proposons par conséquent de nous intéresser aux RP dans une perspective critique, ancrée dans une approche sociale et culturelle de la pratique. L’objectif de cette démarche est d’ouvrir des pistes de réflexion afin de mieux comprendre une pratique qui n’a encore que relativement peu fait l’objet de travaux qui permettraient d’en mieux saisir les contours et d’en mieux comprendre les implications. Et ce, bien que, d’une part, elle suscite durablement la méfiance et la suspicion et que, d’autre part, elle soit désormais présente dans toutes les sphères de la société. La portée de ces réflexions ne se limite pas à un contexte géographique particulier, mais elles sont ici ancrées dans un contexte québécois, à propos duquel les données et les travaux se font rares.

    Les deux premiers chapitres posent les bases pour la démarche poursuivie dans cet ouvrage. Le chapitre 1 propose, dans un premier temps, un aperçu de l’importance et de la présence des RP dans nos sociétés contemporaines, avec un regard particulier sur la situation au Québec et au Canada, afin de situer le phénomène, son importance et sa croissance au cours du XXe siècle. Aujourd’hui, les RP se pratiquent en effet sous une forme ou une autre dans une grande diversité de secteurs et participent de dynamiques de communication plus générales, qui relèvent de ce qui est désigné comme une culture de la promotion. Le chapitre 2 pose les bases théoriques qui soutiennent les analyses proposées dans ce livre. Pour ce faire, le chapitre s’ouvre sur une mise en discussion des approches critiques et socioculturelles qui ont émergé dans le champ des études en RP et qui sont, au moment d’écrire ces lignes, encore principalement accessibles en langue anglaise. Cette perspective nous permet de comprendre comment la pratique est à la fois située, ancrée dans un contexte, et par conséquent révélatrice et constitutive des normes et des représentations sociales ainsi que des relations de pouvoir propres à ce contexte. Dans un deuxième temps, une perspective inspirée de la philosophie sociale de John Dewey est proposée pour ancrer l’analyse critique de la pratique des RP.

    Les chapitres suivants déploient ces axes d’analyse en explorant différents aspects de la pratique contemporaine des RP. Le chapitre 3 se penche d’abord sur la culture professionnelle des RP. Nous nous intéresserons ainsi aux ficelles du métier, mais aussi au regard particulier que l’expertise en RP porte sur la société et sur la communication, ainsi qu’au milieu des RP et aux valeurs, mythes, normes et identités qui le caractérisent. Le chapitre 4 aborde ensuite la « révolution numérique » vue par les RP et s’intéresse aux industries qui gravitent autour du Web social et de la communication. Nous verrons que, si les relationnistes doivent constamment s’adapter aux algorithmes et aux fonctionnalités des plateformes, la pratique demeure partie prenante de la marchandisation des données propre au capitalisme informationnel. Le chapitre 5 se penche ensuite de plus près sur le caractère constitutif des RP, à travers leur rôle d’intermédiaires culturels. La réflexion porte alors sur ce que font les RP, à travers la question des représentations, mais aussi du prisme des enjeux de genre et de diversité qui traversent la pratique.

    Le dernier chapitre, offert en guise de discussion, revient sur le problème de la propagande et sur les enjeux de la persuasion en contexte démocratique. Interrogeant le côté sombre et les nœuds éthiques de la pratique des RP, il s’agit également de réfléchir à la façon dont celle-ci s’inscrit dans les relations de pouvoir qui structurent la vie publique contemporaine. En explorant des approches proposant des voies alternatives pour la pratique des RP, la discussion est finalement l’occasion de nous interroger sur la possibilité de celle-ci de s’inscrire dans une perspective de changement social.

    Au terme de ce parcours, j’espère arriver à susciter de nouvelles questions et à attiser une curiosité pour l’exploration de nouveaux aspects du travail de RP qui permettront d’enrichir les réflexions proposées ici en poursuivant l’enquête, que ce soit par la recherche ou par le partage d’expériences.

    1. F. Desjardins (2014), « L’impressionnant parcours de la firme Edelman », Le Devoir , p. A2, https://www.ledevoir.com/environnement/424293/l-impressionnant-parcours-de-la-firme-edelman  ?>, consulté le 10 mai 2024.

    CHAPITRE 1

    Omniprésentes…

    mais invisibles (ou presque)

    Il n’existe peut-être pas d’autre fonction au sujet de laquelle on ait su si peu et à laquelle on ait simultanément fait confiance au cours du dernier quart de siècle.

    Paul Dumont-Frenette, 1977

    On lit assez souvent, dans les ouvrages spécialisés en relations publiques (RP), que les racines du métier remontent à des temps anciens, aux efforts déployés dès le berceau des civilisations pour persuader, faire savoir, cultiver une image avantageuse pour asseoir sa puissance. Des tablettes cunéiformes créées par les Sumériens pour diffuser les meilleures pratiques d’agriculture aux communications de la Chine et de l’Inde impériales, en passant par le prosélytisme de saint Paul et des premiers musulmans ou les manœuvres de Cicéron, une myriade d’illustrations recensées par Rodriguez-Salcedo et Watson (2021) dans la littérature en RP illustrent comment celles-ci s’inscrivent dans le prolongement de pratiques anciennes qui ont émergé à travers le monde. L’histoire des efforts déployés pour acquérir la maîtrise des procédés de persuasion et les employer pour des stratégies politiques, religieuses ou militaires est certainement longue et foisonnante. Les ouvrages consacrés à l’histoire de la propagande en donnent aussi de nombreux exemples ; la création à la fin du XVIe siècle, par l’Église catholique romaine, de la Congregation de propaganda fide afin de propager les idées de la doctrine à travers le monde et en assurer la diffusion de façon centralisée et contrôlée constitue un marqueur régulièrement évoqué.

    La filiation des RP avec la tradition rhétorique née de la démocratie athénienne et de la République romaine occupe aussi une place centrale dans ces récits : il s’agit, d’après Holtzhausen (2002), de l’un des plus importants « mythes fondateurs » de la discipline. La rhétorique constitue en effet, comme le soulignent Breton et Proulx (2012), l’une des principales matrices de la culture de communication occidentale, dont les RP font désormais intégralement partie. Il suffit d’ailleurs, pour relever des traces de cet héritage, de consulter les nombreux manuels qui, encore aujourd’hui, mobilisent des préceptes et des catégories établis par Aristote dans sa Rhétorique pour établir quelles sont les meilleures stratégies à adopter en situation de crise ou pour préserver sa bonne réputation, notamment. Les ouvrages et les formations offrant une panoplie de conseils promettant à qui sait appliquer les clés d’une communication efficace ne sont pas non plus sans rappeler l’enseignement, dispensé par les premiers sophistes, de techniques de persuasion nécessaires pour exercer une forme ou une autre d’influence dans les affaires de la polis.

    L’exercice consistant à tracer des liens de filiation entre la pratique des RP et des formes plus anciennes de persuasion et de diffusion organisée de l’information¹ représente, comme l’écrit Raymond Williams (1990, p. 74), un « agréable petit rituel » auquel se livre fréquemment la littérature sur le sujet. Ce n’est cependant qu’à la fin du XIXe siècle que le métier de publiciste d’abord puis les RP à proprement parler ont commencé à prendre forme, avant de prendre leur élan et de s’institutionnaliser dans la seconde moitié du XXe siècle. Ce livre s’intéresse en particulier à cette forme moderne de la communication publique, et plus précisément aux enjeux liés à sa pratique dans les sociétés contemporaines.

    Un aperçu du contexte d’émergence de la pratique permet d’en établir les premiers contours, avant de considérer la façon dont la pratique s’est aujourd’hui normalisée et diffusée dans une grande diversité de secteurs, jusqu’à former désormais une industrie en croissance et un métier pratiqué par des milliers de personnes, à divers échelons et dans différentes branches de spécialisation. Cette généralisation s’inscrit dans ce qui peut être caractérisé comme une culture de la promotion.

    1.Situer le phénomène

    Les récits les plus courants associent les débuts des RP aux origines américaines de la pratique. Ces récits mettent aussi généralement à l’avant-plan les figures de « pères fondateurs ». Ces figures sont incarnées au premier chef par Ivy Lee et Edwards Bernays, auquel il convient désormais d’apposer le nom de Doris Fleischman, dont le rôle dans les succès du cabinet fondé par le couple n’a été que récemment reconnu². À ces figures de l’avant-garde du métier vient également s’ajouter une galerie de grands industriels qui, au tournant du XXe siècle, auraient eu le mérite de comprendre l’importance de la communication et de l’opinion publique pour la bonne marche de leur entreprise et de leurs projets.

    Les récits généralement acceptés tendent cependant à survaloriser la communication des entreprises, au détriment des initiatives citoyennes ou publiques, du domaine philanthropique et des mouvements de syndicalisation. Le biais « américano-centriste » de ces récits, souligné dans des travaux de recherche de plus en plus nombreux (Watson, 2014), tend aussi à obscurcir les trajectoires particulières du développement des RP dans d’autres contextes nationaux. Il n’en demeure pas moins que l’approche à l’américaine fait figure de modèle de référence, et ce, jusqu’à aujourd’hui. Ce modèle s’est diffusé de façon accélérée au Canada, comme en Europe et au Royaume-Uni, dans la foulée de la Première Guerre mondiale, époque à laquelle la « propagande » a commencé à être délaissée pour laisser place à la « communication » et aux « relations publiques »³. Ce développement s’est ensuite poursuivi de façon encore plus marquée après la Deuxième Guerre mondiale, période durant laquelle les sciences et les techniques de communication ont « explosé », pour reprendre l’expression de Breton et Proulx (2012), et qui a vu le métier des RP se professionnaliser.

    Encore rares sont les travaux qui proposent une histoire des RP au Canada. Parmi les quelques recherches sur le sujet, Emms (1995) et Thurlow (2017) soulignent que l’histoire canadienne des RP se distingue du récit américain dans la mesure où celles-ci y ont d’abord été surtout le fait des gouvernements et utilisées dans le cadre de campagnes de politiques publiques. Bernier (2011) situe d’ailleurs les débuts de la « propagande gouvernementale » au Canada dans la foulée des efforts pour valoriser les ressources du pays à l’étranger et diffuser des bulletins d’information agricole. Des industriels ont aussi participé à ces efforts. En effet, au Canada comme au sud de la frontière, les chemins de fer ont été parmi les premiers à intégrer la pratique à leurs activités, dans le cadre des efforts de colonisation de l’Ouest et du nation-building canadien. Dans son récit du périple organisé en 1904 par le Canadien Pacifique pour 16 femmes du Canadian Women’s Press Club, Linda Kay (2015, p. 53) décrit au passage comment George Hamm, organisateur et accompagnateur pour ce voyage, est devenu en 1891 « le premier responsable des relations publiques du Canadien Pacifique, avant même que le terme soit inventé ». Comme aux États-Unis, les RP ont aussi été mobilisées par des entreprises pour défendre leur autonomie face aux institutions politiques : Emms mentionne notamment l’embauche par Bell, en 1905, de Charles E. Fortier pour mener une campagne visant à mieux faire comprendre la structure de la compagnie et, ce faisant, à contrer les efforts menés par le gouvernement fédéral de l’époque pour briser le monopole de l’industrie du téléphone. L’initiative n’est pas sans rappeler les efforts déployés par l’Américain Theodore Vail, de AT&T.

    Parmi les personnages autour desquels le récit historique des RP se construit en Amérique du Nord, on en trouve plusieurs qui, à l’instar de Hamm et Fortier, ont d’abord travaillé comme journalistes⁴. C’est notamment le cas d’Ivy Lee, à qui l’on attribue généralement d’avoir été le premier à faire usage du communiqué et des relations de presse. Bien qu’il ait été au cœur de controverses, notamment dans le cadre de son travail avec les Rockefeller, Lee est aussi généralement reconnu pour avoir été le premier à défendre, dans une célèbre Déclaration de principes publiée dans les journaux, les RP comme une pratique légitime, fonctionnant comme une « autoroute à deux voies », c’est-à-dire comme le vecteur d’une meilleure circulation de l’information au profit d’une compréhension mutuelle (Cutlip, 2013). Paul Dumont-Frenette, l’un des premiers à enseigner les RP en français au Québec, a lui aussi travaillé comme reporter et comme rédacteur dans différents services médiatiques avant de se consacrer aux communications (Leroux, s. d.). En fait, sur la vingtaine de personnalités mises de l’avant dans la collection de biographies consacrée par la Société canadienne des relations publiques (SCRP) aux leaders d’opinion ayant marqué le développement de la pratique au Canada, plus de la moitié sont d’abord passés par une forme ou une autre de journalisme avant de se consacrer aux RP (SCRP, s. d.). Il n’est donc pas surprenant d’observer que les RP ont conservé un certain lien identitaire avec le journalisme, et ce, malgré la distance que la profession journalistique tient à maintenir vis-à-vis des communications et les tensions entre les deux corps de métier. Le milieu des RP se réclame en effet non seulement d’avoir une connaissance approfondie des rouages de la nouvelle et des médias, mais aussi de participer à une circulation de l’information qui sert la démocratie et l’intérêt public⁵. Dans le contexte actuel de précarisation du travail de journaliste et des difficultés économiques que connaissent les médias d’information, les reconversions sont d’ailleurs toujours nombreuses. Elles se produisent aussi chez des journalistes vedettes : au début 2022, Chantal Machabée, figure importante du journalisme sportif au Québec, est ainsi devenue vice-présidente des communications du club de hockey des Canadiens de Montréal. Les compétences et les contacts acquis dans le milieu du journalisme représentent des atouts qui sont toujours susceptibles d’intéresser les entreprises, les groupes de pression et les agences. Pour des raisons semblables, on voit d’ailleurs régulièrement des personnalités profiter des réseaux et des connaissances acquises durant leur carrière politique pour se reconvertir, une fois celle-ci terminée, dans le domaine de la consultation et du lobbyisme, une branche des RP.

    Cela étant dit, on en sait généralement assez peu sur les événements et les personnalités qui ont participé au développement des RP au Québec. C’est en effet le plus souvent le récit des origines américaines de la pratique qui est repris, auquel viennent se greffer quelques considérations s’articulant principalement à la professionnalisation des RP. Michel Dumas (2010), lui-même nommé parmi la liste des pionniers reconnus par la SCRP, rapporte que la première association professionnelle du Québec a été fondée à Montréal en 1948. Elle aurait fusionné peu après avec une société jumelle établie à Toronto et est ainsi devenue un chapitre de la Canadian Public Relations Society (CPRS/ SCRP), dont le siège social sera par la suite déménagé en Ontario (Yates, 2020). Toujours d’après Dumas, la CPRS a été créée peu après la toujours puissante Public Relations Society of America (PRSA), comme une solution de rechange à celle-ci. Il s’agissait entre autres pour les relationnistes canadiens de se distinguer de l’association américaine, le métier s’exerçant alors principalement en anglais. Il est d’ailleurs intéressant de noter que les enjeux entourant les réalités et les revendications francophones se reflètent dans la trajectoire des associations professionnelles québécoises en RP : Yates (2020) et Dumas (2014) rapportent en effet que ces enjeux ont poussé dans un premier temps les relationnistes francophones à s’affirmer au sein de la SCRP-Québec, puis à former l’Association des relationnistes du Québec (ARQ) en 1973⁶. Dumas explique que la création de celle-ci témoigne d’un certain malaise face à un milieu professionnel où dominent les perspectives anglophones et montréalaises, lequel se traduit en une « révolution tranquille » dans le milieu québécois des RP qui affirme ainsi sa spécificité, faisant écho aux bouleversements qui traversent alors la province⁷. Les deux associations fusionneront de nouveau en 1984 pour former la Société des relationnistes du Québec, renommée depuis Société québécoise des professionnels en relations publiques (SQPRP). Cette dernière représente aujourd’hui le volet québécois francophone de la SCRP. La fusion se fait dans la foulée d’efforts menés conjointement, mais sans succès, pour obtenir une reconnaissance comme corps professionnel. La question de la professionnalisation constitue d’ailleurs toujours un enjeu d’importance pour les RP et demeure sujette à débats dans le milieu.

    Bien qu’Alain Lavigne (2012) situe plutôt son récit dans le domaine du marketing politique, ses travaux sur les impressionnantes stratégies de communication déployées par Jos-D. Bégin dans le cadre des campagnes électorales menées par Duplessis donnent également une certaine idée de l’intégration progressive de stratégies et d’outils de communication de plus en plus professionnalisés dans le monde politique québécois entre la fin des années 1930 et le milieu des années 1950. Les travaux de Lavigne montrent entre autres comment la formation de comités s’occupant de « propagande » et l’allocation de budgets de plus en plus imposants pour la réclame, les objets publicitaires et la mise en scène d’événements se sont progressivement normalisées dans le monde politique durant cette période. De même, l’ouvrage de Bernier (2011) sur la « propagande gouvernementale » permet de comprendre l’importance croissante accordée à la coordination de l’information et à la publicité après la Deuxième Guerre et, au Québec, dans la foulée de la Révolution tranquille. Le récit qu’il propose de la création de Communication-Québec, en 1969, et de son développement au cours des décennies subséquentes, est encore une fois plutôt caractérisé comme du marketing, mais donne une idée de l’évolution des approches et des moyens en matière de communication dans la province.

    Dans le monde francophone, Lucien Matrat fait également figure de pionnier en se faisant le promoteur des RP comme une nouvelle approche de la communication – et de la vie en entreprise – basée sur l’application des sciences humaines, s’adressant à l’« homme social » et vouée au développement de relations de confiance (Arzeno-Martin, 1993 ; Boiry, 2003). Figure de proue de cette « doctrine européenne » des RP, il est reconnu comme l’un des principaux artisans du Code d’Athènes, adopté par l’International Public Relations Association (IPRA) en 1965 et l’un des premiers codes d’éthique proposés pour encadrer la pratique des RP. Témoignant de la participation du milieu québécois des RP aux réseaux d’échanges internationaux qui ont contribué à l’institutionnalisation de la pratique à l’époque, le projet de code aurait été discuté au congrès de l’IPRA tenu à Montréal l’année précédente pour lequel Matrat était présent (Watson, 2013). L’approche de Matrat a d’ailleurs trouvé une certaine résonance au Québec. Dans son récit de la fondation de l’ARQ, Dumas (2014) fait en effet état d’une correspondance qu’il a entretenue avec Matrat, alors président du Centre européen des relations publiques (CERP), au cours de laquelle les deux hommes partagent leur inquiétude devant une éventuelle perte de statut pour les RP qui, plutôt que de se voir reconnaître un rôle de stratégie-conseil, se verraient reléguées à un rôle plus technique. Paul Dumont-Frenette, qui a aussi côtoyé l’Américain Scott Cutlip, fait également explicitement référence à la doctrine défendue par Matrat dans Communication et relations publiques, paru en 1971, parmi les premiers ouvrages sur le sujet à être publiés en français au Québec⁸. Le destin des relations publiques, publié en 1977, réunit d’ailleurs des textes de ces trois auteurs, parmi d’autres contributions québécoises et canadiennes, européennes et américaines. Si l’approche québécoise des RP, tout en se réclamant d’un caractère distinct, est indéniablement marquée par l’influence du modèle à l’américaine, elle est ainsi teintée, dans son développement, des liens que les intellectuels et les professions libérales francophones du Québec entretiennent depuis longtemps avec la France.

    2. Quelques éléments de contexte

    Si l’action de quelques grandes figures et la trajectoire des associations professionnelles permettent d’établir quelques jalons du développement des RP, il importe cependant de considérer comment celui-ci a surtout pris forme en relation avec un contexte historique particulier. L’émergence et la trajectoire de la forme particulière de communication et de persuasion que sont les RP sont en effet le fruit, comme l’écrit Hugo Souza de Cursi (2021, p. 26), d’un « croisement singulier entre technique, science, capitalisme, innovations technologiques et philosophiques ». Sans prétendre faire ici une histoire sociale des RP, on peut toutefois esquisser la façon dont l’émergence de la pratique peut être située au confluent de transformations sociales et économiques qui se sont opérées avec l’avènement de l’économie de marché et du capitalisme de masse, le développement des sciences et technologies de la communication, et l’émergence corollaire

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