Chasseur Noir Et Ephebie, Vidal Naquet

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Monsieur Pierre Vidal-Naquet

Le chasseur noir et l'origine de l'phbie athnienne


In: Annales. conomies, Socits, Civilisations. 23e anne, N. 5, 1968. pp. 947-964.

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Vidal-Naquet Pierre. Le chasseur noir et l'origine de l'phbie athnienne. In: Annales. conomies, Socits, Civilisations. 23e
anne, N. 5, 1968. pp. 947-964.
doi : 10.3406/ahess.1968.421981
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/ahess_0395-2649_1968_num_23_5_421981

TUDES

Le
et

l'origine

chasseur

de

noir

l'phbie

athnienne*

Avant et plus encore aprs la dcouverte de la Constitution d'Athnes,


il y a eu une querelle de l'phbie athnienne. Ce service militaire de
deux ans, dcrit par Aristote au chapitre 42 de son manuel, est-il une
cration entirement artificielle de la politique de Lycurgue (thse de
Wilamowitz) ou au contraire une institution d'origine ancienne, voire
trs archaque, que les savants du xixe sicle comparaient la cryptie ?
La querelle est aujourd'hui vieillie, et, aprs les dcouvertes et les
analyses de ces trente dernires annes, on se met aisment d'accord
sur deux points x.
1 Personne n'admettra que l'phbie du temps de Lycurgue soit
une institution ancienne dans tous ses dtails. L'homme politique
athnien rgularise et rationalise ce qui pouvait exister avant lui.
2 On admet aussi que l'phbie trouve ses racines dans des pratiques
anciennes d'apprentissage par les jeunes gens de leur futur rle
de citoyens et de pres de famille, bref de membres de la communaut.
A peine est-il besoin de rappeler le rle que l'ethnologie compare a jou
dans cette dcouverte des initiations antiques. C'est dj sur elle que
s'appuyait, ds 1913, Henri Jeanmaire 2. Un peu plus tard, P. Roussel
commentait en ces termes une indication d'Aristote. On sait que les
phbes ne peuvent ester en justice ni comme dfendeurs, ni comme
* Cet article a fait l'objet de deux exposs rcents, Association pour encourage
ment
des tudes grecques, le 6 fvrier 1967 (rsum dans la Rev. Et. Gr., 1967, pp. xxxxxxi), et la Cambridge Philological Society, le 15 fvrier 1968. Une version anglaise
paratra dans les Proceedings de cette socit. Le lecteur voudra bien considrer cet
article comme la premire esquisse d'un travail en cours.
1. Sur cette querelle, cf. U. von Wilamowitz-MoelIEndokf, Aristoteles und Athn,
Berlin, 1893, I, pp. 193-194 ; L. Robert, tudes pigraphiques et philologiques, Paris,
1938, pp. 297-307 (avec le texte officiel du serment phbique) ; H. Jeanmaire, Couroi
et Courtes, Lille et Paris, 1939 ; C. Plkidis, Histoire de Vphbie attique, Paris,
1962 (avec une bibliographie complte) ; H. I. Marrou, Histoire de Vducation dans
V Antiquit*, Paris, 1964, pp. 163-168, 521-522, 539-544 ; P. Vidal-Naquet, La tra
dition
de l'hoplite athnien in Problmes de la guerre en Grce ancienne (sous la direc
tion de J. P. Vernant), Paris, 1968, pp. 161-181, part. pp. 176-181.
2. La cryptie lacdmonienne , Rev. Et. Gr., 1913, pp. 121-150.
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Annales (23e anne, septembre-octobre 1968, n 5)

PIERRE VEDAL-NAQTJET
demandeurs, except lorsqu'il s'agit de recueillir une succession, une
fille piclre ou un sacerdoce de famille . L'explication d'Aristote tait
simple : les phbes ne doivent pas tre distraits pendant leur service
militaire, mais elle ne vaut gure que pour son propre temps, et Roussel
disait : L'phbie est tout autre chose qu'un temps de service mili
taire. C'est la priode de transition entre l'enfance et la participation
absolue la vie sociale... la vie l'cart des jeunes gens, dans la priode
qui prcde leur agrgation dfinitive au groupe social, est un fait si bien
attest dans diverses socits et en Grce, chez les Lacdmoniens,
qu'on est port en retrouver ici la trace x.
Pour le jeune citoyen, l'agrgation dfinitive a deux formes essent
ielles : le mariage et la participation la phalange des hoplites,
l'arme ou la flotte.
Tant que ces deux conditions, et la seconde surtout dans l'Athnes
classique, ne sont pas ralises, il reste dans la situation du jeune homme
par rapport la cit une marge d'ambigut : il est et il n'est pas dans
la cit.
Cette ambigut se marque de faon frappante dans la localisation
de l'phbe dans l'espace de la cit. Le nom officiel de l'phbe dans
l'organisation militaire de la cit au ve sicle et dans les deux premiers
tiers du ive sicle, c'est peripolos, celui qui tourne autour, et je noterai
tout de suite que les phbes des Lois de Platon, les agronomoi 2,
tournent au sens le plus matriel du mot, pendant leur temps de
service, autour de la cit, dans, les zones -frontires. Le peripolos est celui
qui occupe les forts de la frontire : Panacton, Dclie, Rhamnonte, etc.
Cela est, bien entendu, normal ; il est non moins normal que les
netatoi, les trs jeunes gens que sont les peripoloi, soient arms la
lgre. Mais on constate aussi des faits qui donnent rflchir. En
425, selon Thucydide 3, les peripoloi sont associs dans une embuscade
nocturne, prs de Nisaia, avec les nouveaux citoyens que sont les Platens. On constate surtout, lors de l'affaire des assassins de Phrynichos 4,
en 411, qu'un peripolos n'est pas obligatoirement recrut parmi les
citoyens, qu'il peut tre un mtque. Les phbes ont donc ceci de
commun avec les mtques qu'ils sont (mais eux provisoirement) en
marge. Cette situation marginale s'exprime dans leur localisation la
frontire et ce sont du reste les bornes de la patrie qu'ils attestent dans
leur serment. De mme les inscriptions Cretoises (le serment des Drriens, par exemple) nous font connatre que les jeunes gens occupant les
1. Compte rendu de A. Breiot, Recherches sur Vphbie attique, Paris, 1920, in
Rev. Et. Gr., 1921, p. 459, commentant Const. Ath., 42, 5.
2. Lois, VI, 760 b sq.
3. IV, 67-68.
4. Thucydide, VIII, 92, 2 ; Lysias, XIII, 70-73 ; I.G.I2, 110
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PHBIE ATHNIENNE
phrouria, les oureia, les fortins de la frontire, sont nettement distincts
des membres part entire de la Polis .
A Athnes, cette ambigut du statut de l'phbe est en quelque
sorte ddouble.
Comme l'a bien compris J. Labarbe 2, il subsiste en marge de l'phbie officielle, celle qui s'inscrit dans les cadres de la cit, une phbie
plus archaque qui est l'admission au sein de la phratrie, d'o l'expres
sion
iiz\ )P9jcrou qui signifie la fois tre phbe, au sens civique
du terme, c'est--dire avoir dix-huit ans et, comme l'indiquent les
mots, avoir atteint Vhb, bref tre phbe depuis deux ans. M. Labarbe
a bien montr que cette premire phbie tait consacre par le sacrifice
du xopstov, victime animale accompagnant Poblation de la chevelure,
l'ge de seize ans. Et j'ajoute que dans un cas au moins, celui que
nous fait connatre le rglement des Dmotionides 8, l'admission au
sein de la phratrie n'est prononce qu'aprs une phase de latence d'un
an aprs Poblation de la chevelure.
Ce sacrifice avait lieu lors de la KoupeuTi, c'est--dire au troisime
jour de la grande fte des phratries du monde ionien, les Apatouries,
au mois de Pyanepsion (octobre), mois caractris par une srie de
ftes qui ont t bien dfinies, par Jeanmaire notamment, comme des
ftes du retour des jeunes gens aprs les campagnes de la belle saison.

C'est prcisment en tudiant le mythe tiologique de la fte des


Apatouries que j'ai t conduit formuler les rflexions qui font l'objet
de cette tude.
Ce mythe est connu par un trs grand nombre de textes depuis le
Ve sicle avant J.-C. jusqu' Psellos et Tzetzs qui ne font, bien entendu,
que rpter des sources plus anciennes. En gnral, ce ne sont pas des
textes de la grande histoire et de la grande littrature. A ct d'allusions
chez Pausanias et chez Strabon, nous trouvons notre mythe chez
Conon, mythographe fort obscur de l'poque hellnistique, chez Polyen,
chez Frontin. Il s'agit autrement de scholies et d'articles de lexiques 4.
1. Cf. Inscr. Cret., I, IX (Drros), 1, 126-127 ; pour opeco = servir comme jeune
soldat dans les forts de la frontire, cf. H. Van Effenterre, Fortins crtois ,
Mlanges Ch. Picard, Paris, 1948, pp. 1033-1046 ; pour une distinction nette et offi
cielle du territoire de deux cits (Argos et Sparte) et de la zone frontire qui les spare,
cf. Thucydide, V, 41, 2 (= Bengtson, Staatsvertrage, 192).
2. L'ge correspondant au sacrifice du y.opeiov et les donnes historiques du
sixime discours d'Ise , Bull. Acad. Boy. Belg. Cl. Lettres, 1953, pp. 358-394 ; pour
le sens de l'expression km. oiexs rjffaai, cf. J. Labarbe, La Loi navale de Thmistocle,
Paris, 1957, pp. 67-75 et C. Pjijkidis, op. cit., pp. 51-60.
3. Dittenberger, Sylloge3, 921, 27-28.
4. Voici une liste, certainement incomplte, des sources , si je puis dire, qui nous
donnent ce mythe : Hellanicos, F. Gr. Hist, 4, 125 (323 a, 23) = Schol. T. Platon,
Banquet, 208 d; Ephore, F. Gr. Hist, 70, 22 = Harpokration s.v. 'u
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PIERRE VroAL-NAQUET
Dans l'tat o sont les textes, il n'est gure possible de trouver une
version ancienne et une version rcente et de faire l'histoire du mythe.
Je raconterai donc l'histoire en dgageant les principales variantes.
Nous sommes sur la frontire attico-botienne, dans une ^,
un de ces u bouts du monde , terres montagneuses et de mauvais rap
ports qui bordent les frontires des cits grecques, rgions de chasseurs
et de bergers, zones frontires perptuellement disputes l dont l'exi
stence est ncessaire la cit grecque, ne serait-ce que pour entraner
ses jeunes soldats dans des combats dont A. Brelich a montr le carac
trerituel 2. Un conflit clate entre Athniens et Botiens. L'objet en
est tantt Oino et Panacton, tantt Mlainai (dme de la frontire).
phore, cit par Ilarpocration, dit que le conflit est ] MsXava;
Vtopa. Je noterai simplement, propos de Panneton, qu'il y avait l un
sacrifice annuel l'occasion des Apatouries 3. Du ct botien, un roi,
Xanthos ou Xanthios, autrement dit le blond, du ct athnien, le roi
Thymots. le dernier des Thsides. Tous deux dcident de rgler le
problme au moyen d'une (xovofxaxia. Mais Thymots fait dfection (parce
qu'il est trop vieux, prcisent un seholiaste de la Paix d'Aristophane
et celui d'Aelius Aristide). Un autre champion se prsente du ct
athnien, contre promesse, disent certains textes, de succession, c'est
Mlantlios (ou Mlanthios). Le Noir va donc combattre le Blond.
Brusquement, le combat s'tant engag, Mlanthos s'crie :
Xanthos, tu ne respectes pas les rgles du jeu (ouvOyjxm), il y a quelqu'un
ct de toi. Surpris, Xanthos se retourne et Mlanthos en profite
pour le tuer. Que s'est-il pass exactement ? Les textes varient. Les
uns (Polyen. Frontin) racontent que ce fut une pure ruse, que Halliday 4
compare celle du Tom Sawyer de Mark Twain criant : Look behind
you, Aunty et vitant ainsi le coup de fouet que lui destinait ladite
tante, un autre (Lexicon Seguieranum) fait adresser Mlanthos une
prire Zeus Apatnor, la plupart font intervenir un Dionysos, qui est
le Dionysos la peau de chvre noire, Dionysos Mlanaigis, le Dionysos
Conon, Xarratioucs, F. Gr. Hist., 12(3, 39 ; Strabon, IX, 393 ; Fronting Stratagmes,
II, 5, 4T ; Polyknt, Stratagmes, T, 19 ; Justin, II. 0, 10-21 ; Pai santias, II. 18, 8-,
IX, 5, 10 ; Eusehk, Chronique, p. 50 (Schoene) ; Jean d'Antioche, F. H. G., IV, 539,
19 ; Proglus, in Tiniacum, 27 e, 88, 11 (Diehl) : Nonnos, Dionysiaques, XXVII,
301-308 ; Apostolios, Paroem. gr., III, p. 294 (Leutsch) ; Psellos, De Act. nomin.,
in M ign, P. G., 122, p, 1018 ; Tzetzes, Comm. in Aristoph. Ran. 798, d. W. J. W.
Koster, IV, 3, pp. 907-909, Lycoph., 776 ; Etym. Magn. s.vv. ', - ;
Lexicon Seguieranum, in Bekkkr, Anecd. grace, I, pp. 416-417 ; Scholies Aelius
Aristide, III, p. Ill (Dindorf) : Aristoph., Acharn., 146, Pax, 890 ; Souda, pp. 265,
350, 451, 458 (Vdler).
1. Ci. L. Robert, Rev. Et. Ane, 1960, pp. 304-305.
2. A. Brelich, Guerre, agoni culti nella Grecia arcaica, Bonn, 1961.
3. Sylloge , 485.
4. Xanthos-Melanthos and the Origin of Tragedy , Class. Rn\, 1926, pp. 179181, cf. p. 179.
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PHBIE ATHNIENNE
vuxTepivo xcd (JLeXvatytc qui, au dire de Plutarque , faisait l'objet
d'un culte, leuthre, prcisment. Aprs quoi, Mlanthos vainqueur
devient roi d'Athnes.
Dans tous les cas, on explique par un jeu de mot tymologique la
fte des Apatouries. Elle commmore cette apat, cette ruse, que cette
apat soit attribue Dionysos, Zeus ou Mlanthos, et ceci alors
mme que le scholiaste des Acharniens (et le grammairien suivi par la
Souda) connaissent du mot une explication qui est peu prs la bonne :
' = '[7. Nous disons, nous, que l'a de ' est
un a copulativum, et nous faisons donc des Apatouries la fte de ceux
qui ont le mme pre, autrement dit la fte des phratries.
Naturellement on a, et depuis longtemps, tent d'expliquer ce
mythe. Par une explication d'ordre historique d'abord, bien sr. Elles
se sont succd depuis le livre de J. Toepfer, Attische Genealogie 2,
jusqu'au grand commentaire des historiens d'Athnes de F. Jacoby.
On peut, nous dit-on, considrer Mlanthos comme un personnage
historique. C'est un Nlide, c'est le pre de Codros qui, grce une
autre apat (son dguisement en paysan), russit se faire tuer par
l'ennemi et assura ainsi, conformment l'Oracle, le salut d'Athnes.
Mlanthos est aussi l'anctre de la phratrie des Mdontides. On a
essay de prciser la date o cette anecdote a pu prendre naissance.
Pas avant 508 crivait, en 1886, Wilamowitz, parce qu' cette date
seulement la frontire attico-botienne s'est fixe 3. Jacoby, sans nier
le caractre mythique du rcit, a lui aussi admis la possibilit, son
origine, d'une escarmouche frontalire 4.
Le premier, cependant, H. Usener, dans le cadre de la forme de
pense qui tait celle de Mannhardt, de Frazer, voire de Jane Harrison,
tenta de donner une explication d'ensemble du mythe 5. Ce combat,
fit-il observer, est un combat entre le Noir et le Blond. Certains auteurs
anciens y ont t sensibles. Ainsi Polyen cite ou invente un oracle pra
lable la rencontre : tu Hv0<j* ^ ( cpvov gCT- MsXaiva. C'est
aprs avoir ourdi le meurtre contre le Blond que le Noir s'empara
de Mlainai, le pays noir. Usener fit donc de ce combat une reprsenta
tion
figure, un combat rituel entre l'hiver et l't. Cette explication
qui fut accueillie notamment par Farnell, par Cook, par H.-J. Rose
et par d'autres encore 6 n'explique gure ce qu'il faut pourtant expliquer,
1. Quaest. Conv., 692 d.
2. Berlin, 1889, pp. 225-241.
3. Hermes, 1886, p. 112, n. 2.
4. F: Gr. Hist., Ill b II, p. 50.
5. Gttliche Synonyme , Rh. Mus., 1898, pp. 329-379 (part. pp. 365-369). Usener
suivait une suggestion de E. Maas, Gott. Gel. Anz., 1889, 805, n. 13 ; voir aussi
H. Usener, Archiv fur Religionwiss., 1904, pp. 301-313.
6. Farnell, Journ. Hell. Stud., 1909, p. xlvii, Cults of the Greek States, Oxford,
1909, pp. 130-131, 234-236, interprtation assez proche de celle, signale infra,
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PIERRE VIDAL-NAQUET
le lien entre ce combat et la fte des Apatouries. Il en est de mme
lorsque Nilsson, par une variante de la mme thorie, fait de cet agn
li au culte de Dionysos une des formes premires de la tragdie x. Beau
coup plus tard, Henri Jeanmaire devait donner une interprtation du
mythe entirement diffrente 2. Il voyait essentiellement dans le combat
de Mlanthos et de Xanthos une joute rituelle, peut-tre suivie de pro
cession
(le nom de Mlanthos est remplac dans Pausanias par celui
d'Andropompos, le chef de procession) par laquelle un candidat la
souverainet affirme sa matrise sur un territoire. Et de fait, c'est d'une
manire tout fait semblable, au moyen d'un duel avec apat presque
identique au ntre, que le roi des Aenianes. Phmios aurait, selon Plutarque 3, tabli ses droits sur la valle de l'Inachos. On pensera aussi au
fameux et lgendaire duel de Pittacos et de Phrynon lors de la guerre
de Sige entre Athniens et Mytilniens 4.
Seul cependant ma connaissance, A. Brelich, dans quelques pages
du livre que j'ai dj cit, a tent d'expliquer le rapport qui pouvait
exister entre ce mythe et la fte des Apatouries, fte des phratries,
fte au cours de laquelle les phbes s'inscrivaient, en sacrifiant leur
chevelure, au sein de la phratrie. Il a fait valoir notamment la frquence
des combats de jeunes gens sur des sites frontaliers, et rappel que
Dionysos Agenios, qu'il identifie avec Dionysos Mlanaigis, est qualifi
ailleurs -j^ov (adolescent) ; mais il n'a pas pouss l'explication beau
coup plus loin 5.
Personnellement, trois ordres de faits, qu'il convient d'expliquer,
ont attir mon attention.
1 La localisation frontalire du rcit qui correspond avec la locali
sation frontalire des phbes athniens lesquels, dans leur serment,
attestent les bornes de la patrie.
2 La place que tient dans le rcit l' apat. Comment se fait-il qu'on
propose en quelque sorte aux phbes en modle un comportement
entirement diffrent de celui que leur serment les engage observer ?
D'un ct, la ^ovofAoc^a et la ruse, de l'autre le combat hoplitique et loyal.
Soit dit en passant, le nom mme de Mlanthos pouvait, pour un lecteur
d'Homre, tre trs vocateur. De mme que Dolon est le loup rus
de VIliade 6, Mlanthios ou Mlanthieus est, dans VOdysse, le chevrier
de
Greek
Nilsson
Literature,
; A. Cook,
Londres,
Zeus,
1931,
I, Cambridge,
pp. 131-133.1914, p. 689 ; H. J. Rose, A Handbook of
1. Der Ursprung der Tragdie , Neue Jahrb. f. Kl. Alt., 1911, pp. 609-696 =
Opuscula Selecta, I, Lund, 1951, pp. 61-110, voir pp. 111-116.
2. Couroi et Comtes, pp. 382-383.
3. Quaest. Graec, 13, 294 be.
4. Sources ap. Ed. Will, Korinthiaka, Paris, 1955, pp. 381-383.
5. Guerre, agoni e culti..., pp. 56-59. Les remarques de Marie Delcotjkt, Pyrrhos et
Pyrrha, Paris, 1965, p. 18, sont vicies la base parce que partant de donnes inexactes
6. L. Gernet, Dolon le loup , Mlanges Cumont, Bruxelles, 1936, pp. 189-208
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PHBIE ATHNIENNE
tratre, sa sur est Mlanth, la servante tratresse. Leur pre s'appelle
Dolios, le rus 1.
3 J'ai t enfin frapp par la dominante noire de ce rcit : Mlanthos,
le lieu de combat qui est, dans certains textes, Mlainai, Dionysos Mlanaigis. Or, si j'ose dire, ce noir n'est pas isol. Un texte qui n'a pas t
bien compris de Xnophon 2 le montre : nous sommes au lendemain
de la bataille des Arginuses et l-dessus arriva la fte des Apatouries
o les gens des phratries et les parents se runissent entre eux . Alors
Thramne et ses amis organisent une manifestation d'hommes vtus
de manteaux noirs (ptiXava i[x<ma e^ovTac) et tondus ras comme il y
en avait beaucoup en raison de la fte, pour venir l'Assemble comme
s'ils taient les parents des morts , ce qui signifie, si je comprends bien,
qu'au cours des Apatouries des hommes portaient un habit qui pouvait
tre pris pour un habit de deuil, et qu'ils se rasaient le crne comme
des phbes. Le renseignement est d'autant plus frappant qu'un autre
texte nous donne une information exactement inverse : selon l'atthidographe Istros 3, ce sont des habits de fte que portaient les Athniens
lors des Apatouries, pendant la lampadophorie qui les conduisait du
Prytane au temple d'Hphaistos. Enfin chacun sait, et le fait est
confirm par les vases, que les phbes athniens portaient jusqu' une
munificence d'Hrode Atticus, une chlamyde noire. P. Roussel, expli
quant l'inscription I. G., II2 3606, a jadis montr que c'tait l'oubli
par Thse, Thse l'phbe par excellence, de changer son retour de
Crte la voile noire de son bateau, qu'tait cense commmorer la chl
amyde noire 4. Une tiologie n'est pas une explication, et George Thomson
explique ce vtement noir comme un costume de rclusion rituelle 6.
Cette dominante noire a quelque chose de tout fait singulier. Il
suffit par exemple de consulter le catalogue consciencieux tabli par
G. Radke e pour voir combien peut tre surprenante et choquante une
victoire rituelle du ct noir dans une fte clbrant l'entre des jeunes
gens dans la communaut.

Pour essayer de mieux poser ces problmes, je vais faire un dtour


par une institution qui a t souvent compare l'phbie attique et
1. Mlantheus, fils de Dolios, 17, 212; 22, 159 ; Mlanth, fille de Dolios, 18, 322.
Mais Dolios lui-mme, le vieux serviteur de Larte, est un personnage sympathique,
24, 222, 387, 397 sq.
2. Hellniques, I, 7, 8.
3. F. Gr. Hist., 334, 2.
4. Les ehlamydes noires des phbes athniens , Rev. Et. Ane., 1941, pp. 163-165.
5. Aeschylus and Athens 2, Londres, 1946, p. 107.
6. Die Bedeutung der Weissen und der Schwarzen Far be im Kult und Branch der
Griechen und Rmern, Diss. Berlin, 1936.
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PIERRE VIDAL-NAQUET
qui, certains gards et bien qu'elle concerne un nombre beaucoup
moins important de jeunes gens, lui est effectivement parallle : la
cryptie lacdmonienne. Les sources qui nous renseignent sur cette
institution sont, on le sait, peu nombreuses x.
Que la cryptie soit une prparation la vie militaire, c'est ce que dit
formellement le scholiaste de Platon ; que cet entranement soit compar
able celui que subissaient les peripoloi athniens, c'est ce qu'avaient
dj dduit au sicle dernier Koechly et mieux encore Wachsmuth, ce
dernier notant avec lucidit que cet apprentissage militaire prend la
forme singulire d'une chasse aux hilotes 2.
Ds 1913, Henri Jeanmaire, dans son admirable article de la Revue
des tudes grecques, montrait l'aide de comparaisons avec les socits
africaines que les traits fondamentaux de la cryptie (l'isolt impos cer
tains
groupes de jeunes gens au moment de la pubert, la vie dans la
brousse, le meurtre lui-mme dont sont victimes les hilotes) se retrou
vaient dans les initiations et les socits secrtes (hommes-loups et
hommes-panthres) de l'Afrique noire. Mais que devenait, dans ces
conditions, le rle militaire de la cryptie ? La rponse de Jeanmaire
tait nette : Toute l'histoire militaire de Sparte proteste contre l'ide
de faire de l'hoplite Spartiate un rampeur de brousse, un grimpeur de
rochers et de murailles. Et il ajoutait avec humour que si la cryptie
avec ses sjours montagneux et nocturnes avait t vraiment un entra
nement la vie militaire, lors de l'affaire des Thermopyles le sentier
d'phialts aurait t reconnu et gard 3.
Jeanmaire avait, je crois, profondment raison et profondment
tort. Ce qu'il n'a pas vu, c'est que la cryptie n'est pas trangre la vie
de l'hoplite, elle est une institution symtrique et inverse de l'institu
tion
hoplitique. Dressons en effet un tableau de ce que nous apprennent
les sources. A l'hoplite arm de pied en cap s'oppose le crypte qui
est yufxvo, c'est--dire sans arme (scholie de Platon) ou qui n'a qu'un petit
poignard (Plutarque). Au membre de la phalange s'oppose l'homme
isol ou vivant en petit groupe ; au jeune homme courant la montagne, le
combattant de la plaine ; au crypte pratiquant ses exercices en plein
hiver (Platon) s'oppose l'hoplite, ce guerrier de la belle saison, l't de
1. Platon, Lois, I, 633 et les scholies trs importantes qui accompagnent ce
texte ; Hraclide in F.H.G. II, 210 ; Plutarque, Lycurgue, 28. Un certain Damotls
est, dans la Sparte du m8 sicle, sous Clomne, le chef de la cryptie , c'est--dire
du dtachement prpos aux embuscades, cf. Plutarque, Clomne, 28.
2. H. Koechly, De Lacedaemoniorum Cryptia Commentatio, Leipzig, 1835 =
Opuscula philologica, Leipzig, 1881, I, pp. 580-591 ; Wachsmuth, Hellenische Alterthumskunde aus dem Gesichtspunkt des Staats 2, Halle, 1844, I, p. 462, II, p. 304. On
pourra s'amuser comparer ces interprtations militaires, celle, librale et quelque
peu Louis-philipparde du pre de la Rpublique : H. Wallon, Explication d'un
passage de Plutarque sur une loi de Lycurgue nomme la Cryptie , Paris, 1850. La
cryptie est, ses yeux, une institution essentiellement policire.
3. Rev. Et. Gr., 1913, p. 142.
954

PHBIE ATHNIENNE
Thucydide, le xaXoxapt. du grec moderne ; l'assassin rus des hilotes
s'oppose le combattant loyal exalt par Tyrte ; au jeune homme de la
nuit, l'homme qui se bat au grand jour. Le crypte, nous dit le scholiaste,
mange ce qu'il peut, au petit bonheur, sans trouver probablement le
temps de faire la cuisine, l'hoplite est par excellence le membre des
Syssities. Ajoutons enfin que les cryptes frquentent des lieux qui
deviennent en un sens les frontires de territoires ennemis, puisque par
un rite comparable celui du ftial romain, les phores dclarent la
guerre aux hilotes .
En bref, du ct de l'hoplite tout est ordre, < ; du ct du crypte
tout est ruse, apat, dsordre, draison. Dans le langage de Lvi-Strauss,
je dirais que l'hoplite est du ct de la culture, du ct du cuit, et que
le crypte est du ct de la nature, du ct du cru, tant entendu que
cette nature , ce ct sauvage est lui-mme organis 2. C'est une
remarque qu'on pourrait tendre. En Crte, aux a gelai de jeunes gens,
c'est--dire aux troupeaux de btes que l'on mne , pour citer l'inte
rprtation
que P. Chantraine a donne de ce mot 3, s'opposent les htaireiai, les compagnonnages des hommes faits. On pourrait poursuivre la
comparaison, mais j'en ait dit, je pense, assez pour montrer comment
la cryptie dramatise par le procd de l'inversion, une inversion que
Lvi-Strauss dirait logique, le moment o le jeune Spartiate de l'lite
abandonne dfinitivement la vie d'enfance.

Dans son livre Polarity and Analogy 4, G. E. R. Lloyd a brillamment


montr que le principe de polarit jouait un rle fondamental dans le
raisonnement des penseurs grecs de l'poque archaque. Je crois, du
reste, que les conclusions de ce livre auraient pu aisment tre tendues
l'poque classique. Comment comprendre Thucydide, par exemple,
sans faire appel la notion de polarit ? La dcision rationnelle (yvcofr/])
s'oppose la fortune (>)) ^ I discours l'action comme le chaud
s'oppose au froid ou l'humide au sec, dans la cosmologie milsienne.
1. Plutarque, Lycurgue, 28, 7. Pour une dfense du caractre srieux de cette
tradition, cf. M. I. FiNbEY, Ancient Sparta , in Problmes de la guerre en Grce
ancienne, p. 147.
2. Cf. Cl. Lvi-Strauss, Le triangle culinaire , VArc, 26 (1966), le Cru et le Cuit,
Paris, 1964 ; N. Yalmak, The Raw : the Cooked : Nature : Culture - Observations
on Le Cru et le Cuit , in E. Leach, d., The Structural Study of Myth and Totemism,
Londres, 1967, pp. 71-90. Les oppositions que j'ai analyses se trouvent dcrites dans
un livre que j'ai connu alors que ces pages taient dj rdiges : R. Jaulin, La mort
Sara, Paris, 1967, pp. 40-119 et 141-171, compte rendu tout fait saisissant de ini
tiation
de son auteur par une tribu du Tchad. Sur un autre type d'opposition entre
le guerrier nu et le guerrier quip , cf. maintenant G. Dumzil, Mythe et
pope, Paris, 1968, pp. 63-65.
3. tudes sur le vocabulaire grec, Paris, 1956, p. 32.
4. Cambridge, 1966.
955

PIERRE VIDAL-NAQTJET
Mon propos est ici, comme a pu dj s'en rendre compte, de
rechercher des signes de polarit non plus dans la pense exprime sous
forme de livres, mais dans les institutions sociales. Je n'ai pas dire
ici si pense et institutions sont en fait une seule et mme ralit,
celle de 1' esprit humain comme le veut Lvi-Strauss.
On peut, mon sens, tendre et gnraliser les rsultats dj obtenus
partir de l'analyse de la cryptie. On doit, je crois, admettre que,
Athnes et dans bien d'autres rgions du monde grec, Sparte, en
Crte o des institutions trs archaques se sont conserves jusqu'en
pleine poque hellnistique, le passage de l'enfance l'ge adulte, celui
de la guerre et du mariage, est dramatis, dans le rite et dans le mythe,
au moyen d'une loi qu'on pourrait appeler loi d'inversion symtrique.
Beaucoup de faits de ce genre ont dj t tudis propos des rites
de passage tudis par Van Gennep dans son livre de 1909 1.
Je rappelle, par exemple, qu' Argos les jeunes femmes arboraient
une barbe l'occasion de leur mariage, et qu' Sparte, au moment de
son mariage, la jeune fille tait remise aux mains d'une femme appele
nympheutria, qui lui coupait les cheveux ras, l'affublait d'un habit
et de chaussures d'homme et la couchait sur une paillasse, seule et sans
lumire 2. Le paralllisme absolu de ces faits s'claire si l'on se souvient
que, selon Hrodote 3, les Argiens adultes doivent tre entirement
glabres et les Spartiates adultes laisser pousser entirement leur chevel
ure. Il y a donc comme un double renversement.
Mais revenons Athnes, ces ftes du retour qui caractrisent
le mois de Panepsion, ftes o les phbes jouent un rle important,
et qui sont pour nous d'autant plus caractristiques qu'elles marquaient
prcisment la fin de la priode d'apprentissage. C'est probablement
ce moment que les phbes prtaient leur fameux serment dans
l'Aglaurion, et recevaient leurs armes.
J'ai dj signal un trait curieux de la fte des Apatouries : l'usage
de vtements noirs et de vtements de fte qui dramatisent en quelque
sorte le deuil et la joie. A une date trs proche des Apatouries, le 7 de
Pyanepsion, prenait place la fte souvent tudie des Oschophories 4.
1. Les rites de passage, Paris, 1909. Sur le concept d'inversion logique, il faudrait
renvoyer toute l'uvre de Cl. Lvi-Strauss ; sur son rle dans la logique mythique et
parfois pseudo-historique des Grecs, cf. S. Pembroke, Women in charge : the function
of alternatives in Early Greek tradition and the ancient idea of matriarchy , Journal
of the Warburg and Courtauld Institutes, 1967, pp. 1-35.
2. Plutarque, Mulier. virt. 245 f, Lycurgue, 15, 5.
3. I, 82.
4. Sur les Oschophories, cf. A. Mommsen, Feste der Stadt Athn im Altertum,
Leipzig, 1898, pp. 36, 278-282 ; A. Rutgers Van deb Loeft, De Oschophoriis ,
Mnemosyne, 1915, pp. 404-415 ; L. Deubner, Attische Feste, Berlin, 1932, pp. 142-146 ;
A. Severyns, Recherches sur la Chrestomathie de Proclus, II, Paris, 1938, pp. 243-254 ;
H. Jeanmaire, Couroi et Cour tes, pp. 346-347, 524, 588 ; F. Jacoby, F. Gr. Hist.,
Ill b I (1954), pp. 285-304, III b II, pp. 193-222 ; P. Faure, Fonctions des Cavernes
Cretoises, Paris, 1965, pp. 170-172.
956

PHBIE ATHNIENNE
Les Oschophories nous intressent d'autant plus que le mythe tiologique sur lequel elles s'appuient est prcisment le retour de Thse
aprs sa victoire sur le Minotaure et la situation contradictoire dans
laquelle il se trouve, heureux d'avoir gagn, mais endeuill par la mort de
son pre . Je rappelle que la chlamyde noire des phbes tait prcis
mentcense commmorer cette mort.
Sans vouloir analyser compltement la tradition qui concerne cette
fte et qui est fort diverse 2, je mettrai l'accent sur quelques faits qui
ont t parfois ngligs.
1 Un rle essentiel est jou dans les Oschophories par un gnos
marginal, frontire, celui des Salaminiens installs Athnes. C'tait
notamment ce gnos qui fournissait les porteurs de rameaux de vignes
chargs de grappes, les Oschophores 3.
2 La fte comprenait d'abord une parapomp, procession qui
conduisait ses membres d'Athnes au sanctuaire d'Athna Skiras au
Phalre. Le mot skiron dsigne la terre calcaire, de mauvais rapport,
le pltre. Jacoby a montr * que les noms de Skiras, Skiros, Skiron ont
t gnralement attribus des localits marginales, ayant jou ou
jouant le rle de frontire. Ainsi Skiras est un nom de Salamine, Skiron
se trouve sur l'ancienne frontire d'Athnes et d'Eleusis, etc. La pro
cession
vers le sanctuaire d'Athna Skiras tait compose de rcaiSs avec
leur tte deux garons dguiss en filles, deux rcotiSe [A<pt,0aXsc 5, et
portant les oschoi. Plutarque explique ce travesti en racontant que
parmi les sept jeunes filles emmenes par Thse en Crte, il y avait
en ralit deux garons dguiss en filles 6. Je me garderai ici d'aborder
les trs difficiles problmes que soulvent les ftes o intervient Athna
Skiras : Oschophories, mais aussi Skira ou Skirophoria. L'tat de la
tradition est tel qu'il est difficile de rpartir les tmoignages entre les
1. Plutarque, Thse, 22, 4.
2. F. Jacoby, dans le commentaire qu'il a donn aux fragments (328) 14-16 de
Philochore, op. cit., pp. 286-289, a runi la totalit des sources littraires et lexicales.
Le seul document pigraphique significatif est la grande inscription (363 avant J.-C.)
qui nous donne le texte d'un accord entre les deux fractions du gnos des Salamin
iens,qu'avait publi avec un commentaire dtaill W. S. Ferguson, Hesperia, 1938,
pp. 1-74. Voir maintenant F. Sokolowsky, Lois sacres des Cits grecques, suppl.
Paris, 1962, n 19.
3. Voir l'inscription, cite ci-dessus, 1. 49. Le mme gnos fournissait aussi les
deipnophores , les porteurs de repas qui ravitaillaient les jeunes gens reclus
pendant les crmonies au Phalre. Voir aussi M. P. Nilsson, Amer. Journ. of. Phil.,
1938, pp. 731-741 = Opuscula Selecta, II, 1951, pp. 385-393.
4. F. Gr. Hist., Ill b II, pp. 200-203. Le sanctuaire d'Athna Skiras est lui-mme
dfini comme k'w r7) \<;, hors de la cit (Et. Magn., p. 717, 28).
5. Ces mots signifient proprement parler : deux enfants ayant leurs deux parents
vivants, mais sous l'influence du mot GaXXo, la jeune branche, et de crmonies comme
celle des Oschophories, [jupi6aX7) a volu vers le sens de porteur de rameaux ; cf.
L. Robert, 'A[J.iaX]', Mlanges W. S. Ferguson, Cambridge, Mass., 1940, pp. 509-520.
6. Cf. Plutarque, Thse, 23, qui cite l'atthidographe Dmon ; Proclus, Chrestomathie (in Photius, Bibliothque, 239), 88-91 (Sveryns).
957

PIERRE VIDAL-NAQUET
diffrentes ftes. Je noterai simplement qu' Athna Skiras apparat
fondamentalement lie la coutume du travesti. C'est aux Skira que
Praxagoras et ses amis dcident dans V Assemble des femmes d'Arist
ophane de se dguiser en hommes et de revtir des barbes postiches,
et l'un des personnages a justement pour mari un Salaminien. Par
ailleurs, Plutarque raconte 2 comment les Athniens s'emparrent de
Salamine (alias Skiras) au moyen d'un travesti fminin, ce qui moti
vait une crmonie annuelle au promontoire de Skiradion.
Paralllement la parapomp et au travesti des tcocSe portant eux
aussi des oschoi, les Oschophories comportaient une course, un ywv ou
afxtXXo d'phbes, sur laquelle nous sommes surtout renseigns par
Proclus 3 et qui partait du temple de Dionysos pour aller jusqu'au
Phalre. Dans cette course, s'affrontaient soit deux reprsentants de
chaque tribu entre eux, soit deux reprsentants de chaque tribu collectiv
ement.
Le vainqueur buvait la Pentaploa, mlange d'huile, de vin, de
miel, de fromage et de farine. Aprs les crmonies du Phalre qui
comportaient notamment des rites de rclusion et de deipnophorie,
un kmos de retour, prcd de libations, revenait vers Athnes. Le
hraut, nous apprend Plutarque, n'est pas couronn, c'est son bton
1. 18-25, 38. Ces faits semblent demeurs inaperus.
2. Solon, 8-9.
3. Proclus, ibid., 91-92: xoli veaviat ypoc, xai rjSe x [xXr] .)?
pj k'pY)|3oi 8iti|xiXXgjvto Xkt\\ou Spotxto. Le chur suivait les jeunes gens (la
procession avec les deux garons dguiss), et c'est cette occasion que se chantaient
les mlodies (oschophoriques). Des phbes de chaque tribu concouraient entre eux la
course ; cf. aussi Schol. de Nicandre, Alexipharmak., 109. L'inscription cite ci-dessus,
p. 957, n. 2, semble bien faire allusion cette comptition (aptXXo) aux lignes 61-62:
les deux fractions du genos offrent chacune son tour le sacrifice prparatoire la
comptition . La tradition littraire est irrmdiablement confuse. Les sources
semblent mler tout le moins les noms de quatre ftes : les Oschophories, les Skira,
les Skirophories et les Thesmophories. La premire et la quatrime sont des ftes de
Pyanepsion (les Thesmophories sont rserves aux femmes). Mais qu'en est-il des Skira ?
Aristodemos (F. Gr. Hist., 383, 9, cit par Athne, II, 495 e), auteur botien de la
fin de l'poque hellnistique, attribue aux Skira, ftes o intervenait, comme dans les
Oschophories, Athna Skiras, la course des phbes que, la suite de Proclus, nous
avons attribue aux Oschophories. Si les Skira sont, comme le dit un autre texte (Schol.
Aristoph. Eccl. 18), une fte clbre le 12 Skirophorion, c'est--dire au mois de juin,
il est rigoureusement impossible d'imaginer les coureurs portant des branches de vigne
avec des grappes mres comme le veulent les sources ! C'est pourquoi je ne puis suivre
F. Jacoby quand il crit (F, Gr. Hist., Ill b I, p. 302) : Notre tradition est parfait
ement
claire, la procession est atteste pour les Oschophories, la course pour les Skiro
phories (ou Skira) et clarifie ladite tradition en proclamant interpole toute une
partie du texte de Proclus. L'existence Sparte (cf. infra) d'une course rituelle
trs proche de celle que dcrivent nos textes, lie une fte des phratries et o les
coureurs portent eux aussi des grappes de raisin, est un lment de plus en faveur de
l'interprtation dfendue ici. Sur les Skira, on lira, en dernier lieu : S. Dow et R. F.
Healey, A sacred calendar of Eleusis, Canibr., Mass, 1965, (Harvard Theological
Studies, XXI) ; voir pp. 16-17, 33, 39-41, 44. Ce livre doit cependant tre utilis avec
prcaution, comme l'ont montr J. et R. Robert, Bulletin pigraphique , Rev. Et.
Gr. 1963, n 217, et les auteurs cits, en particulier J. Pouilloux et G. Roux.
958

PHBIE ATHNIENNE
qui l'est : les cris de joie, Eleleu, alternent avec les cris de deuil, Iou,
iou, en commmoration de la mort d'Ege 1.
Les Oschophories reposent donc sur une srie d'antithses. La plus
vidente est celle qui oppose virilit et fminit. Elle apparat dans la
procession, mais elle oppose aussi la procession avec ses garons dguiss
en filles et la course des phbes.
La course, en effet, est virile par excellence. En Crte, le dromeus,
c'est l'homme fait 2 ; sortir de Vagela des enfants pour devenir homme
se dit Lato ySpapLev = tre parti en courant 3. Un apodromos est,
nous dit Aristophane de Byzance 4, un jeune garon qui ne participe
pas encore aux courses communes. La course des Oschophories trouve,
du reste, son parallle exact dans les Staphylodromies des Karneia
lacdmoniennes (fte des phratries), course laquelle cinq jeunes gens
de chaque tribu, non maris encore, participent 5.
Enfin, la joie s'oppose au deuil comme en tmoigne le texte de Plutarque
qu'on a voulu, tort, je crois, considrer comme une interprtation tardive.
C'est par ailleurs un fait bien connu que le travesti fminin dont
nous trouvons un exemple dans la procession des Oschophories a t
pour les socits grecques archaques, comme du reste pour d'autres
socits, un moyen de dramatiser l'accs du jeune homme la virilit et
l'ge du mariage. L'exemple classique, dans la mythologie grecque, est
celui d'Achille Skyros, dguis en jeune fille mais ne pouvant rsister
la vue d'une arme 6. Mais on peut prouver que ce qui est important n'est
pas la nature mme du travesti mais l'antithse qu'il met en uvre.
L'opposition clair-obscur par exemple est tout aussi significative. Les
jeunes gens non encore adultes sont parfois appels cjx-uo (obscurs) 7,
tandis que les neaniai des Oschophories sont eskiatraphomenoi nourris
dans l'obscurit 8. En Crte, les crmonies d'initiation la classe virile
semblent avoir t marques aussi bien Malla qu' Drros par un rite de
nudit qui prcde la remise des armes de l'hoplite. Les jeunes gens la
veille de l'incorporation sont les acocrroi (les sans armes, selon l'explication
d'Hesychius), les Panazostoi, Drros, les ySuofxsvoi Malla et Drros 9,
1. Aristodemos, loc. cit. ; Proclus, loc. cit. ; Plutarque, Thse, 22.
2. Cf. R. Willetts, Aristocratie Society in Crete, Londres, 1955, pp. 11-14.
3. Inscr. Cret., I, XVI (Lato), 5, 21.
4. On appelle en Crte les phbes apodromos, parce qu'ils ne participent pas
encore aux courses collectives , Eustathe, commentaire de VIliade, 1592-58 ; cf.
R. Willetts, loc. cit.
5. Les sources sont rassembles par J. Harrisson, Themis, nouvelle dition,
Cleveland, 1962, p. 234.
6. Cf. H. Jeanmaire, Couroi et Courtes, pp. 354-355 ; M. Delcoubt, Hermaphrodite,
Paris, 1958, pp. 5-27, o de nombreux exemples sont rassembls ; voir aussi B. Bettelheim, Symbolic Wounds, Puberty Rites and the Envious male 2, New York, 1962, pp. 109121.
7. Scholies d'EuRiPiDE, Alceste, 489.
8. Plutarque, Thse, 23, 3 ; Proclus, op. cit., 89.
9. Cf. Inscr. Cret., I, IX (Drros), 1, 11-12, 99-100, XIX (Malla), 1, 18, avec les
959

PIERRE VIDAL-NAQUET
c'est--dire les dshabills. De mme, il existe Phaestos une fte des
Ekdysia dont Ptiologie est l'histoire d'une fille devenue garon, ce qui
tablit un lien entre le couple fille-garon et le couple nu-arm x.
Il n'est peut-tre pas inutile de rappeler enfin que l'inversion sexuelle
du jeune homme sur le point de devenir adulte est sans le moindre doute
mettre en rapport avec les faits analyss jusqu' prsent. Il suffira de
mentionner le texte clbre d'phore 2 sur Vharpag du jeune Cretois
que son amant conduit deux mois la campagne pour une vie de chasse
et de repos. C'est au retour en ville que le jeune homme reoit les armes
qui feront de lui un hoplite.

J'en arrive maintenant ce thme de la chasse qui figure dans le


titre de cet expos et il me reste expliquer et, s'il est possible, justi
fierle pourquoi de ce titre.
La chasse, comme l'a rappel P. Chantraine 3, est fondamentalement
lie l'aypo, c'est--dire l'au-del des champs cultivs, aux o^aTtai
qui bordent les cits grecques. L'phbe de Platon, c'est V agronomes,
celui qui met en dfense les rgions frontires4. La chasse est, par
ailleurs, l'activit normale des hros, ces modles des phbes, au point
que Forth, l'auteur de l'article Jagd du Pauly-Wissowa 6, a pu crire
qu'il va de soi que tous les hros sont des chasseurs et les chasseurs des
hros. En un sens, la chasse est tout entire du ct du sauvage, du cru,
de la nuit e la technique des cryptes lacdmoniens est une technique
de chasse , mais en un sens seulement, car il faut immdiatement
introduire des distinctions.
Je partirai d'un texte bien connu de Platon, la fin de ses Lois sur
l'ducation 7. Platon va introduire, suivant la technique prouve du
Sophiste, toute une srie de distinctions. Chaque fois il indique un ct
gauche, celui du mal, et un ct droit. Parce que la pche utilise des filets,
elle est tout entire du ct gauche. On se limitera donc la chasse et
commentaires de M. Guarducci, p. 87 ; voir E. Schwyzer, Rhein. Mus., 1928,
pp. 237-248 ; H. Van EffenterrE, Bull. Corr. Hell., 1937, pp. 327-332.
1. Cf. Antoninus Liberalis, Mtamorphoses, 17, avec les commentaires de
M. Papathomopoulos, dition Bud, sous presse ; voir R. Willetts, Cretan Cults and
Festivals, Londres, 1962, pp. 175-178.
2. F. Gr. Hist, 70, 149 in Strabon, 10, 490.
3. tudes sur le vocabulaire grec, p. 40 sq.
4. Lois, VI, 760 e-761 a.
5. C. 559 (1914). Sur la chasse dans la Grce classique le travail capital demeure,
O. Mannes, Ueber die Jagd bei den Griechen, Progr. Cassel, 1888, pp. 7-38, 1889,
pp. 3-20, 1890, pp. 3-21. La somme romaine de J. Aymard, Cynegetica,~Paxs, 1951,
contient aussi quelques informations sur le monde grec. Voir aussi : A. Brelich,
Gli eroi greci, Rome, 1958 (index, s. v. Caccia) .
6. Dans le fameux dbat sur les vertus compares de l'hoplite et de l'archer (Euri
pide, Hracls, 153-158), l'archer est condamn comme chasseur de btes fauves.
7. Lois, VI, 822 rf-824 a.
960

PHBIE ATHNIENNE
la capture (Tjpeuai ts xal ypa) des animaux marcheurs. Mais, l encore,
une distinction s'impose : on exclura la chasse de nuit, la chasse utilisant
les filets et les piges. Seule est admissible en quelque sorte une chasse
conforme la morale du cavalier et de l'hoplite (la chasse de l'oiseleur est
cependant tolre au del des champs cultivs et dans les montagnes,
sv aypo xal 6psatv), la chasse courre ou l'pieu, celle o l'on agit avec
ses propres mains. Mais le chasseur nocturne, le vuxTspeuTYj qui ne se fie
qu'aux filets et aux rets, que personne ne le laisse chasser nulle part..
II faut, bien entendu, devant un tel texte, faire la part de la technique
platonicienne de la dichotomie et du moralisme propre Platon. Peuttre faut-il aussi faire la part du moralisme de Pindare lorsqu'il voque
Achille tuant les cerfs sans chiens, sans ruse et sans filets parce qu'il les
dominait la course x, encore que ceci nous rapproche du dromeus crtois.
En fait, plusieurs textes opposent une chasse adulte, utilisant non
le filet mais l'pieu, chasse du jour, chasse parfois collective et relevant
de la morale de l'hoplite, une chasse de trs jeune homme, chasse noc
turne,
chasse noire, chasse utilisant essentiellement les filets. Le proto
type hroque de la chasse collective, c'est, bien entendu, la chasse de
Calydon, la chasse au fameux sanglier noir. Or, comme cela a t not :
L'usage des filets n'apparat pas dans la tradition plastique relative
au sanglier de Calydon 2, ni, bien sr, dans la tradition littraire. C'est
qu'il s'agit d'une chasse o sont rassembls les hros adultes de la Grce.
De mme, une coutume de Macdoine rapporte par Hgsandros 3 voulait
que personne ne pt dner couch avant d'avoir tu un sanglier sans
filets. Le pauvre Cassandre, bien que chasseur mrite, dut attendre
l'ge de trente-cinq ans avant de pouvoir jouir de cet avantage. Tra
duisons
: un jeune homme ne pouvait participer pleinement ces
repas en commun qui caractrisent tant de socits grecques archaques
ou marginales sans avoir accompli un exploit.
A Sparte, je noterai deux traits qui montrent bien comment la chasse
intgre la morale de l'hoplite. Tout participant aux repas en commun
devait, selon Plutarque 4, envoyer la table commune les prmices de
la victime, s'il faisait un sacrifice, ou une portion de son gibier, s'il avait
t la chasse. On avait le droit de dner chez soi quand sacrifice ou
chasse avaient fini trop tard, mais il fallait que les autres fussent (d'une
certaine manire) prsents : to S' XXou eSst. Tiapsivat,. Xnophon nous
dit, de son ct 5, que chiens de chasse et chevaux taient tenus en com
mun et que les provisions non utilises doivent tre caches, dans des
endroits donns pour servir aux chasseurs attards.
1. Nmennes, III, 51 sq.
2. Cf. P. Cha3s trane, op. cit., pp. 64-65, qui s'appuie sur P. Fbotiek de CosteMesseljere, Au Muse de Delphes, Paris, 1936, pp. 130-152.
3. Athne, I, 18 a.
4. Lycurgue, 12, 4.
5. Bp. Lac, 6, 3-4.
961

PIERRE VIDAL-NAQUET
Face ces exploits hroques et ces pratiques collectives, la chasse
solitaire et la chasse avec filets apparaissent souvent comme caract
ristiques
de l'adolescent.
Les textes sont assez nombreux. Certains sont, il est vrai, fort tardifs.
Hippolyte, le prototype du jeune homme non mari et qui refuse le
mariage, est aussi selon Oppien x l'inventeur des rets. La premire
preuve impose du jeune Philios 2 consiste tuer un lion aveu ;
il le tue non avec un filet, mais par une appt typique : il le sole.
A. Brelich a soulign l'intrt d'un texte singulier de Xnophon. Aprs
avoir dfini la chasse comme caractristique du passage de l'enfance
l'adolescence, il ajoute : il faut que le chasseur au filet aime son art,
qu'il soit de langue grecque et qu'il ait environ vingt ans. Comme le
dit Brelich, il a y l comme le souvenir d'un rite d'initiation 3.
Mais j'emprunterai aujourd'hui mes documents essentiels sur le
rle de la chasse dans les tapes successives de la vie d'un jeune Grec
un personnage qu'il est bien temps que je nomme puisqu'il est. pr
cisment
le chasseur noir , Mlanin.
Dans Lysislrata, aux vers 781-796, le chur des vieillards chante la
chanson que voici :
Il est une histoire que je veux vous conter et que j'ai entendue
moi-mme, tant enfant. Il y avait comme cela un jeune homme
(vsaviav.o), un certain Mlanin qiii, fuyant le mariage, s'en fut en
un dsert (I, p7){XLav). Il habitait dans les montagnes et chassait le livre
avec des filets qu'il avait tresss lui-mme. Et jamais plus il ne revint
chez lui, tant il avait les femmes en horreur.
Mlanin apparat ici comme un phbe, mais un phbe qui aurait
chou, un Hippolyte en quelque sorte et c'est ce qu'a bien vu Wilamowitz dans son commentaire *. A s'en tenir cette chanson, nous
aurions l un aspect du mythe si rpandu du chasseur solitaire et sombre,
misogyne ou tentant d'abuser Artmis, ce qui est dans les deux cas
violer les rgles du comportement social. Ce type est bien connu, c'est
celui du chasseur Orion, inventeur justement, selon Oppien, de la
chasse nocturne 5.
Mais, bien entendu, il ne faut pas s'en tenir l. Replaons doue cette
chanson dans son contexte mythique.
L'histoire de Mlanin fait couple avec celle d'une jeune fille, l'Atalantc arcadienne, chasseresse et spcialiste de la course pied. Leur
1. OrriKN, Cyngtique, 2, 25.
2. Antoni vus Libralis, Metamorph., 12.
3. Gli Eroi Grcci, Rome, 1958, p. 211, n. 51 ; Xnophon, Cyngtique. II, 3.
4. Aristophanes Lysistrata, Berlin, 1927, pp. 169-170.
5. Cyngtique, II, 28-29. Orion est aussi, primitivement, un destructeur de btes
fauves, un tueur arm d'une masse de bronze ; cf. Odysse, 11, 572 sq. ; le premier
chasseur dresser les piges pour les btes fut, selon, Pixtauquk, Amat., 757ft.
Arisle.
962

PHBIE ATHNIENNE
lgende se situe prs d'une montagne frontire, le Parthnios, entre
l'Argolide et l'Arcadie. Le village le plus proche s'appelle, selon Pausanias , Mlangeia. Comme Mlanin, Atalante est leve dans la
montagne, nourrie par une ourse, animal d'Artmis. Euripide la caract
rise par le [ KuTupto, la haine de Kypris, ce qui est une faute
sociale parallle celle de Mlanin. Elle est, chez Thognis, cette
blonde Atalante qui marchait sur les cimes leves des montagnes,
fuyant les dsirs du mariage . Elle est Atalante aux pieds lgers d'un
fragment hsiodique, la jeune fille qui chappe, dans le rcit d'Apollodore, aux tentatives de viol des centaures. Elien ne connat d'elle que
la virginit, comme la chanson d'Aristophane ne connat de Mlanin
que le refus du mariage. De retour chez elle, elle dfie, selon le rcit
clbre d'Apollodore, des concurrents la course, et cette course, elle
la fait arme. Deux fois nouveau, elle empite ainsi sur le monde
masculin. Selon Xnophon, ce sont ses talents de chasseur qui valent
Mlanin de devenir l'poux Atalante. Des traditions mythiques fort
rpandues (Apollodore) racontent que c'est par une apat fminine (en
laissant tomber successivement les trois pommes d'or d'Aphrodite) qu'il
vainc Atalante la course et obtient sa main. Tous deux taient repr
sents sur le coffret de Kypslos Olympie 2. Tous deux participent,
et c'est la priode en quelque sorte sans faute de leur vie, la chasse de
Calydon. Le couple apparat sur le vase Franois , elle en clair, lui en
sombre, tandis que le chien blanc se prpare bondir sur le sanglier noir.
Ils ont un fils au nom caractristique, Parthnopaios 3. Une nouvelle
fois, ils violent les rgles du comportement sexuel des Grecs en s 'unissant
dans un sanctuaire de Zeus, de Cyble. Ils sont transforms en lions ou en
loups, en lions parce que les lions sont censs ne pas pouvoir s'accoupler 4.
L'phbe athnien est bien, en un sens, l'hritier du chasseur noir.
Le chasseur noir c'est, en somme, un phbe qui a chou, un phbe
qui, chaque tournant, a la possibilit d'chouer. Nombre de vases
attiques montrent le jeune phbe partant avec son chien. Peut-tre
voquent-ils leur faon l'entre dans la vie du jeune homme.
1. VIII, 6, 4.
2. Euripide, fr. 510 (Nauck) ; Thognis, 1291-4 ; [Hsiode], fr. 73, 2 ; 76, 5, 20
(Merkelbach-West) ; Apollodore, III, 9, 2 ; Aelien, Var. Hist., 13, 1 ; Xnophon,
Cyngtique, I, 7 ; Pausanias, V, 19, 2. On trouvera les sources littraires sur Atalante
par ex. dans la dissertation de W. Immerwahr, De Atlanta, Berlin, 1885. L'essai de
C. M. Bowra, Atlanta in Calydon , Essays by divers Hands, XXV = Transactions
of the Royal Soc. of Lit. of the U. ., Oxford, 1950, pp. 51-69, bien que consacr prin
cipalement
un pome de Swinburne, est suggestif. Sur l'pisode des pommes, cf.
J. Trumpf, Hermes, 1960, p. 20.
3. 'Av8p07cat avrfp, un homme enfant, dit Eschyle, Sept, 533 ; le nom mme
signifie au visage de jeune fille .
4. Apollodore, III, 9, 2 ; Ovide, Mtamorph., 10, 560-680 ; Mythographe du
Vatican, I, 39 (Mai).
963
Annales (23* anne, septembre-octobre 1968, n 5)

PIERRE VIDAL-NAQUET

II est temps maintenant de conclure. A date historique, dans la


Grce archaque et classique, l'phbe est un pr-hoplite et, par l mme,
par la dramatisation symbolique qu'offrent les rites de passage, il est
un anti-hoplite, tantt noir, tantt fille, tantt chasseur rus. Rien
d'tonnant, en tous les cas, ce qu'un mythe comme celui de Mlanthos
lui serve de modle 4 Techniquement, l'phbe est un combattant arm
la lgre, et cet anti-hoplite assure le maintien, longtemps souterrain,
de formes de guerre ante et anti-hoplitique qui reparatront en pleine
lumire pendant la guerre du Ploponnse et au ive sicle 2. Homme
des zones frontires, de Viayjxxui, il atteste dans son serment d'hoplite
les bornes de la patrie, qui sont associes avec les champs cultivs, les
bls, les orges, les oliviers, les vignes, les figuiers.
Plus lointainement, cette analyse de l'phbie nous conduira peuttre rflchir ce qu'a t la fonction guerrire dans la tradition
mythique des Grecs. Bien avant la rforme hoplitique, en Grce et
Rome, les Indo-Europens avaient connu la fonction guerrire sous un
double aspect : celui de l'ordre qui sera un jour celui de la phalange et
de la lgion, celui du dsordre et de l'exploit individuel 3. Cet exploit
individuel lui-mme, par lequel le jeune guerrier se qualifiait pour
devenir un guerrier tout court, il relve certes, G. Dumzil a eu raison
d'insister l-dessus, de la furor, de la lyssa* de la celeritas, du menos.
Mais les exploits du Cuchullain irlandais, ces exploits qui rendent son
retour des frontires si difficile, si dangereux, sont aussi des ruses 4, de
mme que c'est par la ruse que dans le rcit de Tite-Live, Horace dfait
les trois Curiaces, par un exploit dont Hrodote 5 nous offre un singulier
parallle dans le rcit du combat, pour la zone frontire de Thyratide,
des 300 Spartiates contre les 300 Argiens. Par l, le jeune Horace est
peut-tre un lointain cousin du chasseur noir .
PlEE.BE VIDAL-NAQUET.
1. A la lumire de cette constatation je montrerai prochainement que le Philoctte
de Sophocle peut et doit tre expliqu comme une tragdie de l'phbie, le hros tant
naturellement le jeune Noptolme.
2. Xnophon, dans toute la partie de son uvre qui est consacre la guerre et la
chasse, symbolise merveille cette volution. Quand il recommande la chasse aux
jeunes gens et aux adultes comme une faon effective de se prparer la guerre, il
polmique contre la tradition hoplitique. Tout cet aspect polmique semble tre pass
peu prs inaperu.
3. Voir par exemple G. Dumzil, VIdologie tripartite des Indo- Europens, Bruxelles,
1958, pp. 57-58.
4. Voir G. Dumzil, Horace et les Curiaces, Paris, 1942, p. 37, Aspects de la Fonction
guerrire chez les Indo- Europens, Paris, 1956, p. 23 ; cf. aussi F. Vian, La fonction
guerrire dans la mythologie grecque , in Problmes de la guerre en Grce ancienne,
pp. 53-68.
5. 1, 68.
964

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