Dépenses, Croissance Et Développement Humain
Dépenses, Croissance Et Développement Humain
Dépenses, Croissance Et Développement Humain
&
P E R S P E C T I V E S 2 0 2 5
Croissance Economique
et Développement Humain
RAPPORTEURS
Noureddine EL AOUFI RAPPORT THÉMATIQUE
Ahmed HERZENNI
Mohamed BENSAID
* Ce rapport s’appuie de manière substantielle sur les contributions des membres du groupe CROISSANCE ET
DEVELOPPEMENT HUMAIN : " Evolution et perspectives de l’agriculture marocaine " (Najib Akesbi), " Croissance économique
et emploi " (Nizar Baraka et Ahmed Benrida), " Migration, diaspora et développement humain " (Jamal Bouoiyour), " Evolution
des performances du secteur agricole " (Rachid Doukkali), " Secteur privé et développement humain " (Mohamed Said Saadi),
" Le secteur informel " (Rajaa Mejjati Alami), " Les politiques macroéconomiques " (M’hamed Sagou). Le rapport reprend
également quelques développements d’un " état des lieux " de la dynamique macro-économique de l’économie marocaine
entre 1986 et 2003 dû à Bernard Billaudot (2005). Afin de ne pas trop alourdir la présentation les emprunts directs à ces
textes ne sont pas référencés.
Sommaire
Résumé 7
Introduction 9
2. L’approche adoptée en termes de trajectoires macroéconomiques met en évidence trois périodes, définies
chacune par une cohérence d’ensemble : la première s’étend de l’indépendance au début de la décennie 1980.
La seconde correspond au Programme d’ajustement structurel (PAS) mis en œuvre entre 1983 et 1993. La
troisième concerne la période allant des années 1990 à nos jours. La structure analytique est commune aux
trois trajectoires : dans un premier temps sont passées en revue les politiques économiques (budgétaire,
monétaire, financière, etc.), puis sectorielles. En second lieu l’analyse en termes de régime de croissance est
appréhendée dans ses composantes sectorielles et dans ses relations avec l’emploi, la productivité, la
compétitivité, etc. Une troisième déclinaison porte sur le rôle du secteur privé et sur les configurations
stratégiques des entreprises privées. Parallèlement, certains indicateurs sont examinés pour appréhender
l’impact social des enchaînements macroéconomiques (chômage, précarité, informel, etc.).
5. La première trajectoire (1960-1981) se divise en deux périodes : entre 1961 et 1972, les politiques
budgétaires et monétaires ont été relativement contenues. Au cours de la période 1973-1981, on assiste à
un retournement de la conjoncture nationale et internationale. Les prévisions économiques de cette période
ont été au-delà des capacités de production du pays. Le secteur privé a pu renforcer les positions qu’il
occupait au sein de l’économie grâce surtout à l’appui de l’Etat durant les années 1960 et 1970. Toutefois,
débouchant sur une concentration économique et financière sous une forme conglomérale, la promotion du
secteur n’a pas pu favoriser l’accumulation productive. Les retombées sur le développement humain ont été,
par conséquent, de faible portée.
7
6. La seconde trajectoire (1983-1993) marque un tournant dans les politiques économiques,
conjoncturelles et structurelles, du Maroc. La crise de la fin des années 1970, accentuée par un contexte de
récession internationale, a conduit à l’adoption d’une série de réformes dans le but de rétablir les
déséquilibres macroéconomiques. Le PAS se fonde sur l’hypothèse que la stabilisation et la libéralisation
(interne et externe) sont à même de générer la croissance économique, le développement social étant
considéré comme une résultante de la croissance économique. Dès lors que la stabilisation impose des
réductions budgétaires, ce sont surtout les budgets sociaux qui en font les frais. La conclusion tirée de
l’analyse de la trajectoire fait apparaître les limites des stratégies qui font dépendre l’amélioration de la
satisfaction des besoins sociaux de l’observation stricte des équilibres fondamentaux.
7. La troisième trajectoire (1993-2004) se définit par rapport à un vaste mouvement de réformes ayant
trait à la fois à l’environnement institutionnel et aux objectifs de la politique économique et visant à
réhabiliter la composante sociale pour réduire l’ampleur des déficits structurels. Toutefois la prise en
compte de la problématique sociale n’a pas manqué de buter sur les limites tracées par la contrainte
externe (poids de la dette extérieure) et par la faible marge de manœuvre, en termes de finances publiques,
laissée aux pouvoirs publics. Ces limites expliquent l’évolution de la politique économique au voisinage des
seuils d’équilibre propres au PAS et expliquent les faibles impacts en termes d’amélioration des indicateurs
de développement humain.
8. Les perspectives qui peuvent être esquissées à partir des analyses précédentes plaident pour une
politique économique au service du développement humain impliquant une inflexion majeure de
trajectoire :
(i) restaurer la souveraineté de la politique économique ;
(ii) opérer un recentrage des dépenses publiques sur les objectifs prioritaires d’un élargissement rapide
des capacités fonctionnelles de base pour une vie digne et décente ;
(iii) redéfinir le régime de croissance autour des principes suivants :
une reconfiguration du rôle de l’Etat mettant en avant ses fonctions de régulation et développement
humain ;
une insertion internationale maîtrisée et au service du développement national ;
une croissance plus vigoureuse et plus riche en emplois ;
une politique industrielle intégrée et incorporant les nouveaux paradigmes technologiques et
organisationnels ;
une agriculture intensive, compétitive et durable ;
un renforcement des incitations en faveur des entreprises, combinant recherche d’efficacité et
principe d’équité.
9. Un tel choix stratégique pour le Maroc de 2025 est susceptible de supprimer les entraves
réciproques de la croissance économique et du développement humain et d’engager le pays sur un sentier
vertueux combinant libertés politiques, facilités économiques, opportunités sociales, garanties de
transparence et sécurité protectrice.
8
" Lorsque c’est le bien qui prévaut dans l’Etat
par le hardiment et agis hardiment
Lorsque c’est l’Etat qui s’égare, agis hardiment
et parle avec réserve ", Confucius.
INTRODUCTION
Il s’agit dans le présent rapport de tenter une mise en perspective historique de l’économie marocaine en
termes de croissance économique et d’impact des politiques économiques, mises en œuvre depuis
l’indépendance, sur le développement humain.
Une telle ligne analytique procède d’une hypothèse générale suggérée tout au long des développements qui
suivent : le développement humain n’est pas seulement un critère de mesure et de qualification des
résultats obtenus, en longue période, par l’économie nationale. Il ne se définit pas non plus, seulement, en
tant que composante structurelle de la croissance ou comme son objectif ultime. Il est une condition sine
qua non de la croissance économique, son fondement et le ressort de sa dynamique et de sa durabilité. Le
développement humain est à la fois l’origine de la croissance et sa finalité, son principe premier et sa valeur
supérieure.
Loin de constituer une simple position de principe ou une proposition de type normatif, cette hypothèse
procède d’un vaste examen critique des théories et des stratégies de développement en vogue dans le
monde depuis la moitié du siècle dernier (PNUD, 1996 ; Emmerji, Jolly, Weiss, 2003). Prenant appui sur une
rétrospective des résultats cumulatifs obtenus en matière de développement économique et social, un tel
examen met en évidence les limites d’une dérivation directe et linéaire du bien-être social des objectifs
stricts de la croissance économique. Si l’amélioration des niveaux atteints par le PIB demeure, en effet, un
indicateur essentiel de développement, il n’est pas moins établi aujourd’hui que l’objectif de " la croissance
pour la croissance " peut être obéré de façon irréversible précisément par la non prise en compte de la
finalité sociale et par les effets pervers liés aux processus économiques exclusifs.
On doit aux travaux du prix Nobel d’économie indien Amartya Sen (1999) un tel changement de paradigme
et la remise en selle du concept de développement humain. Popularisé, depuis 1990, par le Programme des
Nations Unies pour le Développement (PNUD), ce concept désigne un processus d’élargissement des
possibilités de choix des individus et de leurs capacités à améliorer par eux-mêmes leur niveau de vie.
L’originalité de l’approche en termes de développement humain réside dans le contenu essentialiste qu’elle
imprime au bien-être social : celui-ci est, de fait, irréductible à une simple croissance du revenu, voire à
9
l’amélioration des niveaux de satisfaction des besoins essentiels comme l’ont prôné pendant longtemps les
vulgates économicistes et développementistes. De même, les conceptions de développement fondées sur la
justice sociale semblent trouver dans la notion de capabilité un prolongement fondamental : le principe de
redistribution des revenus est, à terme, inefficient s’il ne s’appuie pas sur un niveau suffisant de
potentialités humaines élémentaires (PNUD, 1996) :
possibilité de vivre longtemps et en bonne santé ;
Dans une telle optique la " pauvreté en termes de revenus ", ou la " pauvreté monétaire ", n’est que l’arbre
qui cache la forêt et le vrai problème réside dans la pénurie de capacités qui constitue le facteur
surdéterminant contribuant à neutraliser l’effet des politiques de lutte contre la pauvreté et de réduction
des inégalités. A l’inverse, l’élargissement des choix des individus, de leur liberté, de leur participation aux
décisions et à l’exercice de contrôle est à même d’induire un processus autoentretenu de croissance
économique et d’amélioration du revenu par tête. Bref, le développement humain est un développement de
la population, par la population, pour la population.
Outre sa pertinence théorique, l’approche en termes de développement humain a l’avantage d’offrir une
série d’indicateurs de mesure permettant d’étalonner le niveau de développement atteint par les différents
pays et d’établir des comparaisons internationales à la fois temporelles et territoriales. En combinant
niveau du revenu, espérance de vie, niveau d’instruction, participation à la vie politique, sécurité humaine,
etc. l’indicateur composite étendu de développement humain (IDH) rend compte de façon synthétique de
l’intensité des liens entre croissance économique et bien-être social, ainsi que de la qualité pondérale des
formes d’accès aux droits (entitlement) et de renforcement des capacités (capabilities) des individus et des
groupes.
Toutefois le choix théorique de l’approche en termes de développement humain n’est pas sans poser une
série de problèmes d’ordre méthodologique.
Cependant, si l’usage rétrospectif de l’IDH ne pose a priori pas de problèmes, il y a lieu de souligner la
difficulté associée aux données disponibles et en particulier à la reconstitution de séries statistiques
longues et à leur cohérence intertemporelle. De même, le périmètre tracé au présent rapport étant limité
aux politiques macroéconomiques et sectorielles, c’est à un niveau plus synthétique et plus transversal du
" Bilan des 50 ans de développement humain au Maroc " que le comportement de l’ensemble des indicateurs
partiels de développement peut être appréhendé et régressé aux différentes politiques et stratégies
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économiques.
Une troisième difficulté renvoie à la pertinence des concepts mobilisés eu égard au contexte dans lequel ils
ont été produits. Certes, comme on va le voir, les différentes politiques macroéconomiques entreprises au
Maroc depuis l’indépendance affichent toutes, de façon plus ou moins explicite, des objectifs de
développement économique et social. Pour d’aucuns il n’est pas permis d’évaluer a posteriori une stratégie
de développement économique et social en termes de développement humain. Outre qu’une telle position
se fonde sur le postulat peu défendable d’une différence de nature entre les deux concepts (développement
économique et social/développement humain), le recours au concept de développement humain trouve sa
justification dans le pouvoir analytique qu’il offre précisément pour mieux décrypter le sens des corrélations
entre croissance économique et bien-être social, entre développement économique, développement social
et développement humain. On l’a précisé précédemment, l’approche en termes de développement humain a
pour vertu de montrer les limites des conceptions séquentielles du développement : croissance
économique/satisfaction des besoins sociaux /accès aux droits et aux libertés.
(i) Pour ce qui est des choix analytiques, trois principes ont été mis en œuvre.
Le second principe a trait aux éléments empiriques utilisés. Dans sa partie factuelle, le rapport prend appui
sur l’ensemble des " contributions thématiques " : politiques macroéconomiques, politiques agricoles,
industrie et services, croissance économique et emploi, secteur privé, secteur informel, diaspora marocaine
à l’étranger. Ces background papers, dédiés à des problématiques plus ciblées et à des bilans plus
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approfondis, constituent le référentiel principal, mais non exclusif, de la présente synthèse. Il a été procédé
ainsi à une sélection de faits stylisés et de données statistiques en fonction des choix analytiques et
méthodologiques effectués. Dans sa partie analytique, si les conclusions rejoignent assez largement celles
documentées dans les " contributions thématiques " et se fondent sur les mêmes faits stylisés, les
rédacteurs de ce rapport assument la responsabilité des options et des orientations analytiques et
méthodologiques qui lui ont été imprimées, renvoyant le lecteur aux rapports thématiques cités plus haut.
Cela est fait afin d’éviter les redondances, voire les incohérences entre les différentes approches et
appréciations.
En troisième lieu, le bilan en termes de politiques économiques, de croissance et d’emploi implique la mise
en œuvre d’indicateurs macroéconomiques de mesure associés à l’équilibre budgétaire, au solde de la
balance extérieure, au régime de change, à l’endettement, à la fiscalité, à l’inflation, au chômage, etc. Ces
indicateurs renvoient au comportement des variables et des agents économiques en rapport étroit avec les
objectifs des politiques publiques et avec les enchaînements auxquels elles donnent lieu. Ils traduisent, en
dernière analyse, les résultats observés en matière d’équilibres fondamentaux et d’efficience des choix
économiques. L’analyse qui en découle met en jeu une relation causale au sein de la quelle la croissance
économique est considérée comme le catalyseur du développement économique et social. Certes la prise en
compte de l’impact produit sur les indicateurs sociaux ne manquera pas de faire apparaître, en longue
période, les limites d’une telle approche, mais c’est la logique même de cette dernière qu’une mobilisation
des indicateurs de développement humain est susceptible d’invalider.
Cette dernière observation conduit à souligner une question fondamentale relative à la relation existant
entre la croissance économique et le développement humain. D’emblée il convient de préciser la difficulté
d’établir sur une base factuelle et de façon rétrospective les résultats, (en termes d’indicateur du
développement humain), issus des différentes politiques macroéconomiques suivies. De telles régressions
achoppent notamment sur la porosité des séries statistiques qui sont indispensables à un tel exercice de
modélisation. Toutefois, outre que d’autres rapports sont consacrés de façon plus directe à l’évaluation des
composantes du développement humain (éducation de base, alphabétisation, santé, pauvreté, vulnérabilité,
statut de la femme, participation, gouvernance, etc.), une prise en compte des indicateurs sociaux
(chômage, précarité du travail, informel, vulnérabilité, etc.) peut rendre compte en longue période des
résultats médiocres en termes de développement humain obtenus par l’ensemble des politiques
économiques programmées depuis l’indépendance à nos jours.
L’hypothèse formulée dans le présent rapport est que ces politiques économiques sont, de par leur contenu,
incapables de déboucher sur des avancées significatives et consolidées en matière de développement
humain parce. En effet, elles participent d’une pragmatique économique faisant du développement social et
humain une résultante obligée, presque mécanique, des équilibres fondamentaux et de la croissance
économique. Cette hypothèse, largement validée théoriquement et empiriquement dans les différentes
versions du Rapport mondial sur le Développement humain, est prolongée dans ce rapport par des
perspectives mettant en jeu l’impératif d’infléchir les politiques économiques, de les réencastrer dans le
social et de les recentrer sur les finalités du développement humain. Dans cette optique les fondements
théoriques de la régulation rejoignent pleinement la philosophie du développement humain : les " formes
institutionnelles " que définissent le rôle volontariste de l’Etat en matière d’incitations économiques,
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politiques et sociales, la codification du rapport salarial, la coordination du secteur privé et de la
concurrence, la maîtrise du mode d’insertion dans le régime international, etc. sont en correspondance de
phase avec les procédures et les objectifs du développement humain.
(ii) Sur la base des principes précédents le plan du rapport se décline en trois chapitres :
Le premier chapitre porte sur la trajectoire allant de l’indépendance jusqu’au début de la décennie
1980 ;
Le second tente un bilan du Programme d’ajustement structurel mis en œuvre entre 1983 et 1993 ;
Le troisième chapitre concerne la période amorcée à partir des années 1990 à nos jours.
(iii) Si les trajectoires sont inégales (1956-1982 ; 1983-1993 ; 1993-2004) pour des raisons de cohérence
déjà évoquées, la structure analytique est, en revanche, récurrente dans les trois chapitres: dans un premier
temps sont passées en revue les politiques économiques (budgétaire, monétaire, financière, etc.), puis
sectorielles. En second lieu l’analyse en termes de régime de croissance est appréhendée dans ses
composantes sectorielles et dans ses relations avec l’emploi, la productivité, la compétitivité, etc. Une
troisième déclinaison porte sur le rôle du secteur privé, les configurations des entreprises privées et les
évolutions qu’elles ont subies. Parallèlement, certains indicateurs sont examinés pour appréhender l’impact
social des enchaînements macroéconomiques (chômage, précarité, informel, etc.).
Le choix ainsi fait de la construction n’est pas cependant exempt de biais et d’imperfections. Certaines
redondances sont inévitables : elles s’expliquent par l’impossibilité d’établir des séparations nettes entre
les différentes trajectoires étudiées qui renvoient à des processus économiques complexes, et dont les
effets se produisent de façon inertielle et stationnaire sur la longue période. L’argumentation prend appui
en général sur les données statistiques nationales officielles et sur les faits stylisés les moins sujets à
caution. Sur la base d’un exercice de bilan portant sur une période historique aussi longue, aussi intense en
mutations et aussi complexe et profonde quant à ses enjeux, il n’est pas sans risque de tenter des
conjectures et de formuler des propositions précises à long terme. Dès lors, l’ensemble des perspectives
esquissées à grands traits dans ce rapport doivent être comprises comme un plaidoyer raisonné en faveur
d’une nouvelle politique économique en complémentarité institutionnelle avec le mode de régulation, et tiré
par les principes du développement humain. Celui-ci a une importance à la fois intrinsèque, instrumentale
et constructive dans le processus d’équilibre économique et financier.
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C HAPITRE 1
SANS DÉVELOPPEMENT
La trajectoire post-indépendance (1960-1981) a été marquée conjoncturellement par deux périodes : 1961-
1972, et 1973-1981. La croissance du PIB durant la première période a été, en moyenne, de 4,92%, et celle
du PIB agricole de 6,31% en moyenne entre 1966 et 1970.
D’un point de vue macroéconomique, les politiques budgétaires et monétaires ont été relativement
contenues, sauf entre 1960 et 1965 où l’accroissement des dépenses pour des besoins de reconstruction,
notamment politique et administrative, a poussé à des déficits avec leurs conséquences monétaires,
déficits qui furent rapidement maîtrisés à partir des années 1966 et 1967.
C’est aussi à l’issue de cette période que la population marocaine a connue de forts taux de croissance
(doublement en 26 ans, de 1955 à 1981) alors qu’elle s’est accrue de 50% en 20 ans (1982-2003).
Les prévisions économiques de cette période ont été au-delà des capacités de production du pays,
notamment pour parer aux insuffisances des ressources internes et externes nécessaires et pour faire face
aux crises qui allaient survenir avec la mise en œuvre de ces relances budgétaires et monétaires. Dans les
pays occidentaux où ces relances ont été pratiquées jusque dans les années 1970, ce fut toujours en
relation avec le potentiel de production du pays mesurée par la main-d’œuvre disponible, les capacités de
financement du capital nécessaire à la croissance, et surtout un potentiel à l’exportation afin de prévenir
tout fléchissement de la balance des paiements qui apparaît quasi parallèlement avec la relance
budgétaire.
Manifestement, ce ne fut pas le cas au Maroc durant cette période. Les encouragements à l’exportation sont
arrivés assez tard, et l’appareil industriel n’était pas à même de soutenir l’emploi. Et ce fut l’administration
qui en a été la structure d’accueil avec des conséquences en termes budgétaires. La croissance économique
a donc été certes stabilisée en moyenne période mais elle a été surtout d’un point de vue macro-économique.
Et c’est une nouvelle phase qui s’ouvre à la macroéconomie marocaine à partir de 1981.
Le secteur privé marocain naissant a pu renforcer les positions qu’il occupait au sein de l’économie grâce
notamment à l’appui multiforme qu’il a reçu de l’Etat durant les années 1960 et 1970. Le développement de
ce secteur va surtout profiter au grand capital aux dépens des petites et moyennes entreprises. Il en
résultera une importante concentration économique et financière qui prendra la forme de groupes
économiques diversifiés. La logique conglomérale qui préside à la croissance de ces derniers n’a pas
toutefois favorisé l’accumulation productive.
Par ailleurs, les performances enregistrées par le secteur privé en matière de développement humain (faible
création d’emploi, faible intérêt accordé aux secteurs sociaux, croissance économique modeste) s’avèrent
être nettement insuffisantes.
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1.1. Structure des dépenses budgétaires : l’augmentation des dépenses
de fonctionnement (1955-1983)
Jusqu’en 1973, les dépenses évoluent de manière régulière et lente avec un avantage apparent aux
dépenses de fonctionnement suivies des dépenses d’investissement et enfin celles de la dette publique qui
étaient très raisonnables.
On observe une certaine rigidité budgétaire dès cette période des cinquante dernières années. En effet,
d’une année à l’autre, la structure budgétaire de départ adoptée par les gouvernements successifs évoluera
lentement, au moins autant que la conjoncture le permet. Cette structure budgétaire est également
significative d’une structure économique, sociale et politique du pays.
L’ordre de grandeur amorcé durant la période 1955-1973, concernant les différents postes de dépenses
budgétaires, évoluera lentement, mais structurellement avec une tendance à l’augmentation en premier lieu
du budget de fonctionnement et, de façon alternative, des dépenses d’investissement puis de la dette
publique.
Au lendemain de l’indépendance, le Maroc avait besoin de restructurer son économie pour faire face aux
impératifs de croissance. Ainsi il a mis en place des plans d’équipement et d’industrialisation (le Plan
biennal 1958-1959 et le Plan quinquennal 1960-1964). Ces plans se sont traduits par une augmentation des
dépenses publiques, notamment celles de fonctionnement. En effet, l’Etat a commencé à recruter fortement
afin d’investir l’appareil administratif laissé vacant par le départ des fonctionnaires français et pour afin
d’occuper les postes créés dans l’euphorie de l’indépendance pour répondre aux attentes sociales.
Suite aux déséquilibres enregistrés durant la période précédente, les pouvoirs publics ont mis en place des
plans de stabilisation : le Plan triennal 1965-1967 et le Plan quinquennal 1968-1972. L’exécution de ces plans
a permis de réduire le taux de croissance des dépenses publiques, notamment celles de l’investissement.
La conjoncture macroéconomique marocaine a marqué la décennie 1970 de façon contrastée : on assiste à une
politique budgétaire volontariste à partir de 1973 dans un contexte économique interne et externe
extrêmement instable. En effet, la première partie de cette période (1973-1975) a profité pleinement d’un
budget de l’Etat qui semble avoir bénéficié d’un sursis (sortie d’une phase d’équilibre de 1965 à 1972), et
lancement d’un plan ambitieux (1973-1977) appuyé sur l’augmentation (un triplement) des prix des
phosphates.
A cet égard, les dépenses publiques et surtout les dépenses d’investissement vont connaître une progression
phénoménale due à plusieurs facteurs. La politique d’expansion de l’investissement (Plan 1973-1977) n’a pas
été l’unique cause de cette explosion. Il y a eu surtout le choc pétrolier de 1973, les dépenses militaires (conflit
du Sahara) et l’accélération du taux de croissance de la consommation (41,7% entre 1974 et 1977) suite à une
hausse de 26 % des salaires des fonctionnaires, mesure largement suivie par le secteur privé.
18
A partir de la deuxième partie (1975-1980), la situation budgétaire est entrée dans une phase de
déséquilibres dus aussi bien à des facteurs internes qu’externes. Au plan interne, c’est à partir de 1975 que
les subventions alimentaires prennent de l’ampleur (huile, sucre, beurre). De même, le triplement du prix
des phosphates entre 1973 et 1974 a encouragé les pouvoirs publics à adopter un plan ambitieux (Plan
1973-1977) avec des objectifs importants en matière de programmes d’investissement (barrages, routes,
constructions scolaires, etc.), de recrutement dans les administrations (51416 emplois ont été créés en 1976
contre 7758 en 1973) et de revalorisation des traitements et salaires (+26%). Avec le retournement de la
conjoncture en 1976 (effondrement des cours des phosphates à partir de la fin de 1975), l’activisme
budgétaire commence à peser sur le budget de l’Etat.
Parallèlement, les facteurs externes ont commencé à produire leurs effets négatifs : Les différents
programmes de dépense, aussi bien dans l’investissement que dans le fonctionnement, ont dû être financés
par l’endettement extérieur, avec corrélativement une hausse des taux d’intérêt. La hausse des taux
d’intérêt et des prix des matières premières faisant l’objet de subventions (huile, sucre, farine) ont
immédiatement pesé sur les budgets. A cela, se sont ajoutés les effets dépressifs de la sécheresse. Aussi,
les effets de la conjoncture interne et externe ont considérablement contrarié, sinon " anéanti ", les
ambitions économiques du plan 1973-1977, et aggravé de façon structurelle la situation budgétaire du
Maroc à partir de la fin de la décennie 1970-1980.
A partir de 1973, les dépenses d’investissement commencent à augmenter de manière rapide dépassant
ainsi les dépenses de fonctionnement en 1976-1977 (entre 1975 et 1977 le taux de croissance des dépenses
d’investissement était de l’ordre de 131% alors que celui des dépenses de fonctionnement n’était que de
44% !!) (voir diagramme 1.1). Ceci est dû essentiellement à l’exécution du programme d’équipement
intensif du Plan quinquennal 1973-1977. Cette accélération des dépenses d’investissement concernait
surtout les grands travaux d’infrastructures (barrages, routes, constructions scolaires et universitaires, etc.).
Les dépenses de fonctionnement ont également augmenté (26% de hausse des salaires dans la fonction
publique), ainsi que les subventions alimentaires (huile, sucre, beurre).
18000,0
16000,0
14000,0
12000,0
10000,0
investissement
8000,0 fonctionnement
6000,0
4000,0
2000,0
0,0
1970 1971 1972 1973 1974 1975 1976 1977 1978 1979 1980 1981 1982
19
… puis effort de stabilisation (1978-1982)
A partir de 1977, on commence à prendre conscience des déséquilibres engendrés par les dépenses publiques.
Aussi, dès 1978, une politique d’austérité et d’assainissement de la situation financière de l’Etat a-t-elle été
entamée. Elle a permis de baisser le montant des dépenses d’investissement de 40% en 1978 et de réduire le
taux de croissance des dépenses courantes à 13% au lieu de 16% durant la période précédente.
Toutefois, le Plan de stabilisation n’a pas pu être maintenu au delà de 1979 en raison de facteurs à la fois
internes mais surtout externes dont, notamment, une faible pluviométrie (en 1981, le Maroc a connu une
des plus graves sécheresses de son histoire), la hausse des prix du pétrole et les troubles sociaux de juin
1981 à Casablanca.
En fait, les dispositions prises et les engagements visant à réduire les dépenses de fonctionnement se sont
heurtées à un seuil plancher. Ainsi, les revalorisations des traitements de la fonction publique, les
subventions des prix à la consommation, les impératifs de développement de l’emploi et le souci d’équilibre
social exercent une pression en fil continu, témoignant des difficultés à comprimer les dépenses publiques
et à desserrer les contraintes, liées à la gestion de la dette, qui commencent à peser sur la marge de
manœuvre des pouvoirs publiques et sur l’autonomie de la politique économique.
En effet, depuis 1976, les dépenses de la dette ont enregistré une remarquable ascension due
essentiellement à la réalisation des objectifs du Plan 1973-1977, celui-ci ayant nécessité la mobilisation de
ressources importantes dépassant largement les ressources ordinaires et ce débouchant sur un
endettement profond : la dette du gouvernement central par rapport au PIB a plus que doublé entre 1974 et
1981 passant ainsi de 22,4% à 53,38%. La crise des années 1981-1983 a conduit à la mise en œuvre, sous
l’égide du Fonds monétaire international (FMI) et de la Banque mondiale, du Programme d’ajustement
structurel.
Depuis l’indépendance, les recettes fiscales progressaient de manière régulière sauf en 1972. Alors que les
recettes non fiscales et les recettes d’emprunts, qui étaient assez proches pendant cette période,
connaissaient une croissance plus ou moins régulière mais dont le montant reste en dessous de celui des
recettes fiscales.
Depuis 1973, les recettes fiscales et non fiscales progressaient de manière importante, mais cette
augmentation restait insuffisante pour financer les dépenses colossales entamées cette année là surtout
après la baisse du cours des phosphates en 1975. En conséquence, le Maroc a été obligé d’emprunter
lourdement à l’extérieur. Il s’agissait d’une période d’accès facile au financement international notamment
à partir du milieu des années 1970 " période de l’argent facile et des pétrodollars".
20
Prédominance des impôts indirects et des droits de douane (1955-1982)
Au lendemain de l’indépendance, les impôts indirects et les droits de douanes ont été les plus prédominants
dans la composition des recettes fiscales au détriment des impôts directs. Depuis, ces dernières ont
fortement augmenté mais sont restées quand même en dessous des impôts indirects. Ceci est dû
essentiellement à la politique d’austérité financière poursuivie par les autorités publiques suite à la crise
budgétaire de 1964. Cette politique était accompagnée par de nombreux relèvements des taux de quelques
impôts directs et surtout des droits et taxes à la consommation. Ainsi, les impôts directs ont été de 730
millions de DH en 1970 et 799 millions de DH en 1972 alors que les impôts indirects se sont élevés à 1532
millions de DH en 1970 et 1628 millions de DH en 1972. En revanche, les droits de douanes ont connu une
progression plus ou moins régulière avec 513 millions de DH en 1969 et 599 millions de DH en 1970 et 562
millions de DH en 1972.
A partir de 1973, les trois recettes fiscales commencent à augmenter significativement. Toutefois, les droits de
douanes (plusieurs régimes économiques en douane ont été promulgués en 1973) s’accroissent plus rapidement
que les autres impôts (voir tableau 1.1), renforçant ainsi leur part dans l’ensemble des recettes fiscales au
détriment des impôts indirects. La part des droits de douanes est, en effet, passée de 17% à 27% entre 1974 et
1982 tandis que la part des impôts indirects a enregistré, durant la même période, un net recul passant ainsi de
50% à 41%, la part des impôts directs a, quant à elle, régressé légèrement passant de 25% à 23%.
Tableau 1.1. Evolution des principales recettes fiscales de l’Etat (en millions de DH)
Les recettes fiscales représentent la part la plus importante des ressources de l’Etat et leur évolution est
généralement proportionnelle à la croissance économique du pays. Ainsi, la hausse ou la baisse des "
rentrées fiscales " devrait logiquement suivre celles du PIB. Ce qui ne correspond pas toujours à la réalité
marocaine. En effet, en terme d’élasticité du système fiscal, on peut présenter l’analyse suivante:
L’élasticité des recettes fiscales, hormis la période 1978-82, est en train de baisser avec le temps. Ainsi :
- entre 1973-1977, elle a été relativement élevée grâce notamment à l’euphorie qu’a connue l’économie
marocaine pendant cette période et qui s’est traduite par des recettes fiscales substantielles ;
- entre 1978-1982, elle a fortement baissé à cause du plan de stabilisation 78-80. En effet, cet
ajustement a eu comme conséquence la réduction de l’assiette fiscale notamment via la maîtrise des
dépenses publiques. C’est ainsi que le gel des salaires tend à réduire une source importante
d’imposition des revenus et des dépenses. De même, la baisse des dépenses d’investissement, qui
influence négativement le PIB, tend à réduire les recettes fiscales potentielles.
21
Absence de réformes fiscales importantes (1956-1984)
Durant les premières années de l’indépendance, le Maroc s’est contenté de reconduire le système fiscal
hérité du Protectorat, tout en prenant soin de relever les tarifs de différents impôts existants pour accroître
ses ressources et faire face aux nouvelles charges engendrées par le recouvrement de la souveraineté et
l’édification du nouvel Etat post-colonial.
En 1962 a été engagée une première réforme fiscale qui atteint rapidement ses limites. En effet, seul
l’impôt agricole a été modifié. Pour le reste, on s’est contenté de quelques aménagements des
caractéristiques de certains impôts.
Au début des années 1970, de nouvelles orientations ont été définies afin d’accentuer l’insertion de
l’économie marocaine dans l’économie mondiale, notamment à travers la promotion des industries
exportatrices. Six codes d’investissement sectoriels et divers régimes économiques en douane ont été
promulgués en 1973. Depuis lors, l’abondance des ressources d’origine externe a permis de faire l’économie
d’une réforme fiscale dont les responsables reconnaissaient pourtant la nécessité depuis longtemps. On a
relevé certes quelques mesures limitées (création de la contribution complémentaire et une taxe sur le
revenu des valeurs mobilières en 1972) mais, dans l’ensemble, la structure du système n’a guère changé.
Le concept de " cycle budgétaire ", utilisé ici, désigne une période plus ou moins longue (10 ans en moyenne)
au cours de laquelle les pouvoirs publics ne semblent pas réagir aux tendances des finances publiques. Le
cycle se termine en général par une crise des finances publiques et donc par une dépression. Deux types de
réponse anti-crise sont alors possibles : subir le cycle budgétaire déficitaire et prendre des mesures a
posteriori, ou anticiper la crise et infléchir le cycle. Le Maroc est dans le premier cas de figure.
On peut distinguer, sur la première trajectoire, trois cycles budgétaires différents : 1956-1973 ; 1973-1982;
1983-1992.
Deux périodes peuvent être distinguées : la première (1956 à 1964) correspond aux premières années de
l’indépendance où le besoin de relancer l’économie s’est traduit par un déficit budgétaire de l’ordre de 8,6%
du PIB, en moyenne, entre 1960 et 1964. En effet, la reconstruction de l’économie s’accompagne d’un
accroissement des dépenses supérieur à l’augmentation des recettes.
La seconde période (1965 et 1973) marquée par des déficits budgétaires représentant, en moyenne, 3,4%
du PIB, correspond à l’inverse à une politique budgétaire plutôt prudente. La préoccupation majeure des
autorités publiques était de limiter l’accroissement des dépenses publiques et donc le niveau du déficit.
22
Tableau 1. 2. Evolution des déficits budgétaires au Maroc (1960-1972)
Années 1960 1961 1962 1963 1964 1965 1966 1967 1968 1969 1970 1971 1972
Déficit /PIB
7,5 8,7 8,5 9,5 9 4,8 2,7 4,3 3 4,3 2,9 2,8 3,6
(en %)
Cette phase est caractérisée par une forte progression des recettes et des dépenses publiques due, entre
autres, au triplement des prix des phosphates. Ce qui a marqué une véritable rupture dans la tendance du
passé en matière budgétaire. Ainsi, la prudence et l’orthodoxie budgétaires ont cédé la place à l’activisme
budgétaire, ce qui a conduit à des déficits importants.
Source : Ibid.
En effet, au terme de cette phase, les déficits budgétaires sont entrés dans un processus cumulatif et
d’auto-entretien. Ils sont même devenus une donnée structurelle des finances publiques. Ainsi, le déficit
budgétaire qui ne représentait que 1,9% en 1973 atteint 14,6% en 1977.
En dépit de l’assainissement budgétaire prôné par le Plan de stabilisation 1978-1980, le déficit budgétaire
persiste au cours de la seconde période, notamment en 1981 où il représente 14% du PIB. En effet, la baisse
des dépenses d’équipement et les divers aménagements fiscaux n’ont pas permis d’améliorer la situation
financière de l’Etat. Celle-ci s’est même dégradée à partir de 1980 avec l’apparition des soldes budgétaires
ordinaires négatifs.
Pour financer les dépenses et couvrir les déficits, l’Etat a eu massivement recours à l’endettement extérieur.
Ainsi, de 12,9% du PIB en 1974 l’encours de la dette extérieure passe à 43,8% en 1982 (voir diagramme 1.2).
Cependant, compte tenu des chocs externes intervenus à la fin des années 1970 (2e choc pétrolier, hausse
des taux d’intérêts) et vu l’ampleur des déficits jumeaux et la montée des revendications sociales au début
23
des années 1980, le volume de l’endettement extérieur et des déficits ne va pas manquer de déboucher sur
une situation de quasi-cessation de paiement rendant inévitable le rééchelonnement de la dette et
l’ajustement structurel.
100,0
90,0
80,0
70,0
60,0
50,0
40,0
30,0
20,0
10,0
0,0
1962 1965 1968 1971 1974 1977 1980 1983 1986 1989 1992 1995 1998 2001
Source : Ibid.
Au lendemain de l’indépendance, l’institut d’émission utilisait le système des fiches pour agir sur la
liquidité bancaire, il s’agissait d’attribuer à chaque établissement bancaire des quotas d’admission au
réescompte par nature d’opérations (fiche papier commercial). Cependant ce système s’avérant rapidement
inefficace, il fut remplacé en 1959 par le système de plafonds de réescompte.
Le plafond de réescompte
Depuis juillet 1959, la nécessité de mettre en place de nouveaux instruments s’est imposée surtout avec
l’acquisition de la banque du Maroc du statut d’établissement public autonome, succédant ainsi à la banque
d’Etat du Maroc crée en 1907, et l’institution d’une nouvelle monnaie nationale, le dirham.
Ainsi fut instituée, en juillet 1959, le système de plafonds de réescompte qui consiste à fixer pour chaque
établissement bancaire pris individuellement, un plafond unique d’escompte déterminé en fonction des
dépôts collectés, au-delà duquel les taux pratiqués deviendront dissuasifs (taux d’enfer ou de super enfer).
Cependant cette technique ne s’appliquait pas aux effets relatifs à certains secteurs que les pouvoirs
publics jugeaient prioritaires.
24
L’efficacité de ce système est restée limitée puisqu’elle n’a pas eu d’effet direct sur le volume des concours
bancaires. En effet, le volume des recours à l’institut d’émission passait de 75 millions de DH en 1960 à 152
millions de DH en 1962 alors que les crédits octroyés par les banques privées et les banques populaires
passaient de 1077 millions de DH en 1960 à 1464 millions de DH en 1962 (voir diagramme 1.3). Ceci est dû
essentiellement à l’importance des trésoreries bancaires alimentées en grande partie par leurs maisons-
mères installées à l’étranger.
4000,0
3500,0
3000,0
2500,0
2000,0
1500,0
1000,0
500,0
0,0 1960 1961 1962 1963 1964 1965 1966 1967 1968 1969 1970 1971 1972
Le coefficient de trésorerie
En octobre 1963, les autorités monétaires ont décidé, pour mieux contrôler la liquidité bancaire et en faisant
participer le système bancaire au financement du trésor, de renforcer l’ancien système par l’institution d’un
nouvel instrument : le coefficient de trésorerie. Il s’agit de bloquer dans l’actif des établissements de crédit
45% de leurs exigibilités à vue et à terme (avoirs en caisse ou en compte à la Banque du Maroc, bons du
trésor et effets réescomptables hors plafond).
Cette technique n’a pas pu amener les établissements de crédit à modérer leurs possibilités d’octroi de
nouveaux crédits puisque ceux-ci ont pu à la fois satisfaire aux obligations du coefficient de trésorerie et
répondre favorablement à une forte demande de crédit, tout en n’utilisant qu’une faible fraction de leurs
possibilités de réescompte.
Des modifications radicales ont été apportées en 1966 aux différents instruments pour les rendre plus
performants dans leur action sur la liquidité bancaire. C’est ainsi que les autorités monétaires ont décidé,
en février 1966, d’élargir le champ d’application du système de réescompte en incluant tous les concours
mobilisables auprès de la Banque du Maroc (y compris les avances sur bons de trésor détenues par le
système bancaire en excédant du plancher d’effets publics et les effets représentatifs des crédits à moyen
terme à l’intérieur d’un plafond unique pour chaque établissement bancaire) et de supprimer les possibilités
antérieures de mobilisation hors plafond sauf pour un nombre restreint de secteurs jugés prioritaires. En ce
qui concerne le coefficient de trésorerie, il fut pratiquement abandonné au profit de deux nouveaux
instruments: la réserve monétaire et le plancher d’effets publics.
25
Réserve monétaire et plancher d’effets publics
La réserve monétaire, instituée le 11 février 1966, consiste à conserver dans un compte rémunéré à l’institut
d’émission 100% de l’excédent des dépôts à vue et à terme. Ce taux a été ramené, en novembre de la même
année, à 25% de l’accroissement des dépôts à vue uniquement.
Quant au plancher des effets publics, il s’agit d’abord d’imposer, en février 1966, aux banques commerciales
la conservation en permanence du portefeuille d’effets publics tel qu’il se présente à cette date. Il s’agit,
ensuite, de conserver seulement 25% des dépôts à vue et à terme à l’achat de bons du trésor.
Cependant, ces techniques de contrôle indirect fondées sur le maniement des réserves obligatoires et le
plancher d’effets publics se révèlent, à elles seules inefficaces, pour limiter la distribution des crédits, surtout
dans un contexte de surliquidité bancaire. En effet, l’accroissement de la masse monétaire en 1968 représente
666 millions de DH, soit 15,2% et à concurrence des trois-quarts de ce montant, les émissions nouvelles
trouvant leur origine dans le développement des crédits à l’économie. Les moyens de financement nécessaires
à la commercialisation d’une récolte céréalière très abondante permettaient, il est vrai, d’expliquer pour une
large part cette évolution, mais d’autres secteurs avaient bénéficié de facilités trop larges.
L’encadrement du crédit
Dès le début de l’année 1969, il était devenu nécessaire d’intervenir plus directement en contraignant la
distribution des crédits par les banques à travers l’encadrement du crédit. C’est une procédure
administrative qui consistait à imposer aux banques pour une période déterminée et par rapport à une date
de référence, une limite d’accroissement de leurs concours. En cas de dépassement, les banques sont
sanctionnées. L’activité économique risquant d’être pénalisée, les autorités monétaires ont admis des
procédures dérogatoires ; l’encadrement a été différencié selon la nature des établissements et des prêts
accordés, ce qui a permis à la fois de limiter la progression de la masse monétaire et de favoriser certains
secteurs prioritaires tels que les concours céréaliers et le papier commercial sur l’étranger. Ainsi le taux de
progression de la masse monétaire en moyenne annuelle était de l’ordre de 15,2% en 1969, 8,3% en 1970
et même à 7,8% en 1971. Rapportée au PIB, la masse monétaire s’est stabilisée autour de 33% entre 1969
et 1971 (voir diagramme 1.4).
57
59
61
63
65
67
69
71
73
75
77
79
81
83
85
87
89
91
93
19 5
97
99
01
9
19
19
19
19
19
19
19
19
19
19
19
19
19
19
19
19
19
19
19
19
19
19
20
Source : Ibid.
26
En même temps, les autorités monétaires ont continué à utiliser les instruments indirects en introduisant
des modifications selon les nécessités de la conjoncture. Ainsi le taux de la réserve monétaire et ses
modalités d’évaluation ont été modifié deux fois pour se maintenir en 1971 à 4% de l’ensemble des
exigibilités des banques alors que le plancher d’effets publics a été relevé de 25 à 30% en 1972.
Compte tenu du ralentissement de la croissance économique, les autorités monétaires ont jugé nécessaire,
pour relancer l’activité, de relever l’encadrement du crédit en 1972 et de suivre une politique expansionniste.
La période correspond à la mise en œuvre du Plan quinquennal d’équipement intensif 1973-1977 et la volonté
des autorités publiques de relancer l’économie par la demande et d’accroître les investissements. La politique
de relance devait ainsi s’accompagner d’une politique monétaire résolument expansionniste utilisant les
techniques de contrôle indirect fondées sur le maniement de la réserve monétaire et la modulation des
plafonds de réescompte et d’une consolidation de l’épargne en vue d’assurer la croissance des crédits
d’investissement. Dans la même perspective, une réforme des taux d’intérêt s’est avérée nécessaire.
Dans les faits, cette politique n’a pas atteint les objectifs escomptés puisque le relèvement des taux
créditeurs même s’il a permis une augmentation importante des dépôts à terme (52,5% entre 1973 et 1975),
n’a pas conduit les banques à réserver une part plus importante de leurs crédits au financement de
l’investissement.
De son côté, le relèvement des taux débiteurs n’a pas réussi à freiner l’endettement des entreprises vu
qu’en termes réels ceux-ci sont restés négatifs.
Le résultat de ces différentes mesures est que la masse monétaire a enregistré une forte augmentation qui
a entraîné une forte poussée des prix. La politique de relance s’est aussi traduite par des déficits aussi bien
27
budgétaire que commercial ce qui a contraint les autorités monétaires en 1976 à réinstaurer la politique
d’encadrement du crédit et à compléter leurs moyens d’action par l’institution d’un coefficient maximum de
division des risques bancaires tout en attribuant des financements privilégiés à certains secteurs
prioritaires comme celui de l’exportation.
Les déséquilibres économiques et financiers qui ont caractérisé la dernière phase du Plan 1973-1977 ont
obligé les pouvoirs publics à adopter une politique de stabilisation dans le cadre du Plan triennal 1978-1980.
Les mesures prises se sont traduites sur le plan monétaire par la réinstitution de l’encadrement du crédit et
par une seconde réforme des taux d’intérêt.
En effet, incapables de rétablir les équilibres fondamentaux aux moyens d’instruments classiques (plafond
de réescompte, réserves monétaires et plancher d’effets publics) les pouvoirs publics ont été contraints de
recourir à la politique d’encadrement du crédit dans le but de ramener la croissance de la masse monétaire
à un taux proche de celui du PIB, en termes réels. Ainsi le taux de progression, en moyenne annuelle, de la
masse monétaire est-il passé de 20,4% en 1977 à 12,4% en 1980 puis à 11,7% en 1981.
Tout en maintenant leur contrôle sur les crédits, les autorités monétaires ont allégé leur action sur la liquidité
bancaire : le taux de la réserve monétaire est passé de 0,5% à 4% en contrepartie de l’obligation faite aux
banques de nourrir dans les mêmes proportions un portefeuille de bons du trésor à un an rémunéré à 2 %.
En ce qui concerne les taux d’intérêt, on a procédé à une réforme des taux créditeurs et débiteurs afin de
consolider l’assainissement de l’économie et d’assurer les ressources stables nécessaires au financement des
besoins d’investissement. C’est ainsi que les taux créditeurs ont été deux fois révisés à la hausse en décembre
1978 et en octobre 1980 alors que les taux débiteurs n’ont connu une refonte à la hausse qu’en 1980.
Mais en dépit de ces différentes tentatives, la réforme des taux d’intérêt n’a pas, tout compte fait,
débouché sur des résultats positifs, les dépôts à terme ayant plutôt servi à financer les crédits à court
terme. Le différentiel entre les deux taux étant resté important, elle a permis aux banques d’améliorer leurs
situations mais au détriment de la réalisation des objectifs du Plan en termes d’investissement.
La crise financière de 1964 a conduit les autorités à solliciter l’intervention de la Banque mondiale dont une
mission allait diagnostiquer l’économie du pays et, notamment, souligner l’intérêt pour le Maroc de tirer
parti de ses atouts dans le domaine agricole. Les " recommandations " de cette mission seront sans doute
déterminantes dans la formulation des choix qui vont structurer la nouvelle politique agricole. A la fin de la
même année, la première réunion du Conseil supérieur de la Promotion nationale et du Plan réaffirme la
priorité qui sera dorénavant accordée à l’agriculture dans les plans de développement.
Tranchant avec l’option industrialiste alors en vogue dans la plupart des pays du tiers-monde, la position du
Maroc s’est singularisée en empruntant une voie ne correspondant guère aux modèles dominants à
l’époque. Mais les choix effectués, commandés par des considérations sociopolitiques, vont peser dans la
vision que les responsables auront du développement même de l'agriculture.
28
Le point de départ de la stratégie agricole des années 1960 est un double constat : le caractère encore "
traditionnel " de l’agriculture marocaine et le poids de la contrainte climatique. Ce double constat a conduit
à l’affirmation d’une double nécessité : " moderniser " le secteur traditionnel et réduire l’impact des aléas
climatiques par la recherche d’une meilleure maîtrise de l’eau. Cependant, les ressources en capital étant
limitées, il s’agissait de chercher à les optimiser, ce qui impliquait, selon le Plan triennal 1965-1967, "de
distinguer et de hiérarchiser les actions les plus importantes et dont la rentabilité à court terme ne pourra
plus être mise en question".
Maximiser la rentabilité dans l'agriculture semblait nécessairement passer par l'édification des barrages
pour irriguer la terre, concentrer les efforts sur les " périmètres " qui sont équipés pour recevoir l’eau, veiller
à y constituer des "exploitations viables", aptes à tirer profit de la mécanisation et de l'intensification des
conditions de la production, orienter cette dernière vers les " cultures commerciales " (sucre, oléagineux,
maraîchage, lait, blé tendre, coton...). Ces dernières productions étant plutôt destinées à la satisfaction de
la demande interne, et inscrites dans une perspective de recherche de " l’autosuffisance alimentaire ", la
promotion des cultures d'exportation (agrumes et primeurs pour l'essentiel) apparaissait d’autant plus
importante que le Maroc disposait d'avantages comparatifs : climat approprié, proximité des marchés
européens, main-d'œuvre bon marché. Outre l'impact bénéfique sur l'emploi et les revenus, les exportations
devaient contribuer à l'équilibre de la balance des paiements et au remboursement de la dette extérieure
que l'on projetait de contracter, précisément pour financer les investissements planifiés.
Modernisation et rentabilisation sont donc les deux mots clés de la stratégie qui se met en place. Celle-ci
se veut ambitieuse dans ses objectifs et efficace par ses moyens. Ambitieuse parce qu’en termes de
stratégie de développement, elle cherche à poursuivre une modalité hybride conjuguant import-substitution
et promotion des exportations. Ambitieuse aussi parce qu’elle vise l'irrigation d'un million d'hectares à
l'horizon 2000. Pour y parvenir, elle prit la voie de la grande hydraulique, c'est-à-dire l'édification
d'imposants ouvrages de retenue d'eau, et l'équipement à leur aval de périmètres appelés à être les foyers
privilégiés du développement recherché.
Cette stratégie se veut aussi efficace car ses moyens sont fondés sur les techniques les plus avancées et
les critères de productivité et de rentabilité.
Dès le milieu des années 1960, la politique de l'Etat dans l'agriculture s'identifie à "la politique des
barrages". Ce fut une politique volontariste, globale, et sélective. L'Etat multiplia les instruments
d'intervention, directs et indirects, destinés à en assurer l'assise et le succès : investissements publics,
subventions, défiscalisation, crédits, politique des prix, encadrement, recherche de débouchés externes.
L'action de l'État s'est d'abord caractérisée par des investissements publics massifs dans les infrastructures
de base et les équipements de drainage de l'eau. Au prix d'un effort financier considérable, il devenait
possible de poursuivre la réalisation d'un programme ambitieux de construction d'ouvrages de grande
hydraulique et d'équipement de vastes superficies mises ensuite en irrigation (entre 1967 et 1980, on avait
construit une quinzaine de grands barrages et équipé près de 300000 ha dans les périmètres irrigués).
Le Code des Investissements agricoles, promulgué en 1969, devait ensuite organiser les conditions de mise
en valeur des terres irriguées, favoriser la modernisation des exploitations et l'intensification de la
29
production. Au sein des périmètres d'irrigation, la mise en valeur des terres était décrétée obligatoire et les
exploitants devaient respecter des plans d'assolement élaborés par l'administration centrale en fonction
des objectifs arrêtés globalement pour le pays. En contrepartie, un impressionnant dispositif de subventions
et de primes fut mis en place afin d'encourager l'acquisition des moyens de la modernisation (intrants,
matériel agricole et d'irrigation, plantation de vergers, amélioration génétique du cheptel, etc.).
L'eau, facteur de production décisif dans des zones aménagées pour l’irrigation, bénéficia d'un traitement
favorable. Outre une contribution symbolique au coût des équipements (5% environ), le prix de l’eau fut
maintenu à un niveau très bas, bien deçà de son prix de revient.
Le Crédit agricole aussi fut aménagé pour favoriser le financement des zones, des exploitations et des
productions privilégiées par cette politique. Le dispositif mis en place a largement favorisé, en termes de
ressources, les grandes exploitations dans le cadre de crédits de développement.
Sur le plan de la fiscalité, la création de l'impôt agricole débouche dans les années soixante sur
l’exonération des neuf dixièmes des exploitants. Par la suite, le défaut de mise à jour des bases d'imposition
et le maintien des taux à un bas niveau vont se conjuguer pour aboutir à un dépérissement de l'impôt
agricole. Du reste, au début de la décennie quatre-vingt il ne sera pratiquement plus perçu durant les
années de sécheresse. Puis intervint en 1984 la décision royale d'exonérer les revenus agricoles de tout
impôt jusqu'à l'an 2000, échéance reportée par la suite à l'an 2010. En ce qui concerne la fiscalité indirecte,
on retrouve la même volonté de détaxation. A l'amont, les principaux inputs ainsi que le matériel et le
cheptel sont exonérés de la taxe à la valeur ajoutée, et à l'importation des droits de douane. A l'aval, les
produits agricoles à l'état frais ainsi que certains parmi ceux ayant subi une transformation sont également
exonérés de la TVA. Les produits destinés aux marchés extérieurs sont aussi dispensés de toute contribution
fiscale. Au total, et à quelques exceptions près (taxes sur le gasoil et d’accès à certains marchés), on peut
considérer que le secteur agricole bénéficie pratiquement d'une quasi-défiscalisation, celle-ci étant
supposée constituer un puissant stimulant pour la promotion de l'investissement privé et la modernisation
du secteur.
La politique des prix à la production s'est voulue elle aussi sélective. L'Etat a cherché à réglementer les prix
de certains produits de base tels les céréales, le lait, et certaines cultures industrielles (betterave, coton,
tournesol..), destinées au marché intérieur, et à maintenir libres ceux des produits maraîchers, des agrumes,
de l'huile d'olive, produits dont on souhaitait promouvoir les exportations. Plusieurs productions
essentielles (cultures sucrières, oléagineuses, lait, etc.) bénéficièrent même d'un encadrement intégré qui
appréhendait l'ensemble de la filière production- transformation- commercialisation, allant du travail du sol
et l'avance des intrants à la garantie de l'écoulement de la récolte à un prix préétabli, en passant par l'octroi
des crédits nécessaires, le suivi de la campagne par les techniciens des Offices régionaux de Mise en
Valeur, l'exécution des traitements phytosanitaires appropriés, etc.
Avec la place de choix accordée aux cultures d’exportation, le modèle agricole mis en œuvre ne pouvait que
prêter une attention toute particulière aux débouchés et partant aux conditions d’écoulement sur les marchés
extérieurs des productions concernées. C’est ainsi que, dès 1965, les pouvoirs publics créent l'Office de
Commercialisation et d'Exportation (OCE), qui aura jusqu'en 1985 le monopole de l'exportation des principaux
30
produits exportés (agrumes, primeurs, conserves végétales et animales). Cet Office pourra surtout mettre ses
moyens matériels et humains au service de la prospection des marchés extérieurs et assurer aux producteurs
des conditions de vente relativement avantageuses. Plus décisif sera le pas franchi en 1969 avec la signature
d’un Accord d'association avec la Communauté Economique Européenne. Prévu pour une période de cinq ans,
ce premier Accord, à caractère principalement commercial, permettait à certains produits agricoles - frais et
transformés- d’accéder au marché communautaire en bénéficiant d'abattements douaniers plus ou moins
importants. Les produits industriels et artisanaux, pour leur part, pouvaient accéder au même marché en
exemption des droits de douane et autres taxes d'effet équivalent. Même partiel et relativement limité, ce
premier Accord marquait un signal encourageant pour les opérateurs invités à investir dans les productions
d’exportation ayant le marché européen pour principal débouché.
Si les premiers fondements du secteur privé marocain ont été jetés durant la période du protectorat,
essentiellement, sous la forme de fortunes constituées dans le commerce, la terre et la propriété
immobilière urbaine, son essor ne deviendra réellement consistant qu’au lendemain de l’indépendance. Il se
fera à la faveur des différentes incitations axées sur la priorité à l’agriculture d’exportation et au tourisme,
le développement d’industries de substitution d’importations et l’encouragement de l’association du capital
privé au capital étranger.
Si cette politique multidimensionnelle de promotion du secteur privé marocain a permis de renforcer ses
positions, elle n’a en revanche pas débouché sur l’éclosion d’une classe d’entrepreneurs " schumpétériens
" innovateurs ayant le goût du risque, et dont le dynamisme profite au développement du pays.
L’action déterminante de l’Etat dans la genèse et le développement du secteur privé est attestée par la
variété des incitations mises à son service, notamment le système d’incitations industrielles, l’accès aux
commandes publiques, la politique du crédit, l’adoption d’une politique de bas salaires et le transfert d’une
partie des capitaux étrangers au profit des nationaux dans le cadre de la politique de marocanisation.
Les codes d’investissement contiennent une série de mesures, principalement d’ordre fiscal, destinées à
agir sur les conditions de financement (primes d’équipement, bonification des taux d’intérêt, couverture du
risque de change, garantie de transfert, etc.) et à réduire les coûts d’intervention dans le secteur industriel
tout en élevant sa rentabilité comparativement à d’autres activités (transactions foncières, immobilières et
commerciales).
31
Les mesures de protection douanière, quant à elles, visent à modifier le prix d’entrée des marchandises
importées concurrentes des productions locales et donnent indirectement une prime de compétitivité aux
producteurs locaux. L’institution d’un tarif douanier différencié – taxant faiblement les biens d’équipement,
les matières premières et les demi-produits au profit des produits de consommation qui supportent des
droits de douanes relativement élevées – va aboutir à un développement relatif des biens de consommation
courante. Cette protection tarifaire était renforcée par des formes de contrôle direct des flux de
marchandises (soit des prohibitions pures et simples, soit des contingents ou encore des interdictions
d’importer des marchandises à des prix inférieurs à un prix minimum).
Il y a lieu de relever que, vu les limites du marché intérieur, les pouvoirs publics vont chercher à encourager
les industries orientées vers les exportations. A cet effet, plusieurs incitations ont été mises en place, dont
notamment les régimes économiques spéciaux en douane (octroi de la franchise de droits de douane sur les
matières premières importées et destinées à être incorporées dans la fabrication de produits exportés),
systèmes d’assurance et de couverture de change, avantages fiscaux et financiers destinés spécifiquement
aux entreprises exportatrices.
Accès aux commandes publiques, conditions préférentielles de crédit et politique de bas salaires
En plus de la budgétisation des investissements d’infrastructure créateurs d’" économies externes ", le
soutien de l’Etat au secteur privé prend la forme de commandes publiques de biens et services acquis
auprès d’entreprises privées marocaines. L’importance de celles-ci est telle qu’elles rythment de façon
déterminante l’évolution de l’accumulation privée du capital dans bien des secteurs (bâtiment et travaux
publics, mobilier métallique et semi-métallique, etc.).
L’accès au crédit à des conditions préférentielles profite certes à l’industrie comme nous l’avons exposé
plus haut, mais s’étend également à des secteurs aussi variés que le tourisme et l’hôtellerie, l’immobilier,
l’agriculture, etc.
Les crédits d’investissement octroyés par des institutions publiques ou semi-publiques (Caisse Nationale de
Crédit Agricole, Banque Nationale pour le Développement Economique, Crédit Immobilier et Hôtelier) offrent
plusieurs avantages aux investisseurs privés : outre la durée plus ou moins longue des prêts et les ristournes
d’intérêt, le quantum de financement couvre entre 60 et 70% du coût de l’investissement. Par ailleurs, le fait
que les taux d’intérêt soient invariables dans un contexte inflationniste (10% en moyenne annuelle durant la
décennie soixante dix) aboutit à rendre le coût de financement encore plus faible.
En termes de salaires, la stratégie macro-économique poursuivie par les pouvoirs publics, tout au long de la
décennie 1960, est centrée sur la maîtrise des coûts en travail, et ce à travers le blocage du SMIG. Dans cette
optique, le salaire est perçu comme un coût et non comme un pouvoir d’achat susceptible de dynamiser le
marché intérieur. La demande à satisfaire est, elle, fondamentalement tributaire des marchés extérieurs, de
la dépense publique et des dépenses des couches sociales moyennes et aisées. Cette politique de bas
salaires est accompagnée d’un régime de sécurité sociale qui ne profite qu’à une minorité de salariés.
32
La marocanisation de 1973
Les dispositions principales de la marocanisation telles qu’elles se dégagent du dahir du 2 Mars 1973
permettent de saisir l’ampleur de l’impact de cette opération sur le développement du secteur privé. La loi
en question établit deux listes d’activités : sur la première figurent, outre les activités commerciales, de
l’importation et la représentation à la vente au détail, toutes les activités concernant le bâtiment et les
travaux publics, tous les transports, tout ce qui touche à l’automobile, le leasing, les agences de publicité,
les sociétés de crédit, l’entrepôt et le magasinage, la gérance d’immeubles, les industries alimentaires et
l’industrie des engrais. Toutes ces activités devaient être marocanisées avant 1974. Dans la deuxième liste
figurent des activités " marocanisables " avant Mai 1975, notamment les banques, les assurances, et les
activités commerciales et industrielles concernant les produits suivants : minoteries et pâtes alimentaires,
liège, cuir, montage de véhicules, matériel électrique et électronique, etc.
Cette vaste opération de marocanisation a permis un réel transfert du pouvoir économique au profit des
partenaires nationaux qui, de la sorte, ont pu prendre pied dans plusieurs secteurs de l’économie marocaine. Ce
transfert a été d’autant plus important qu’il s’est étendu, par effet de contagion, à des secteurs qui n’étaient pas
concernés directement par le dahir de mars 1973, notamment l’agriculture ( rachat massif des terres de la
colonisation estimé globalement à 500 000 hectares) et l’industrie de transformation.
La formation des groupes privés marocains est une des manifestations du processus de concentration de la
propriété du capital qui va profiter essentiellement aux familles commerçantes et à certains propriétaires fonciers.
L’accès privilégié à l’appareil administratif de l’Etat, la proximité du pouvoir politique et la création de liens de
coopération et de solidarité avec les dirigeants économiques étrangers dans le cadre d’associations de
producteurs, de comités techniques et professionnels vont être déterminants dans la configuration du secteur
privé marocain au sein duquel le grand capital privé va occuper des positions importantes.
C’est le cas du secteur agricole où une certaine concentration foncière est observable au sortir de la
décennie soixante dix : à peine un millier de propriétaires et/ou exploitants agricoles privés contrôlent, de
façon inégale, quelque 500 000 hectares - dont 100 000 complantés et 120 000 irrigués de façon moderne
-, soit l’équivalent de 6,6% et 9% de la superficie totale cultivée ou cultivable au Maroc. Une centaine
parmi eux détient, en outre, 20% à 25% environ du cheptel ovins et bovins de race importés et élevés selon
les méthodes modernes. Des estimations plus récentes font état d’un degré de concentration foncière plus
élevé (4,1% des exploitations de plus de 20 hectares contrôlant 32,9% des terres agricoles en 1996).
Les grands exploitants se distinguent par l’étendue de leur base foncière qui peut prendre des formes
juridiques (propriétés agricoles personnelles ou sociétés), le recours au capital bancaire (on estime que 63%
des crédits de la CNCA ont été alloués aux agriculteurs les plus aisés), l’emploi de main-d’œuvre salariée
et une production basée sur les technologies modernes et orientées vers le marché.
33
Donnant la priorité à la minimisation des risques, la stratégie de ces grands exploitants est plus orientée
vers la valorisation de rentes que vers le risque de l’engagement des capitaux. Les politiques de soutien des
prix les y invitent, de même que les subventions à l’investissement dont les politiques publiques sont
porteuses. Ils opèrent de préférence pour les marchés les plus contrôlés et soutenus, comme ceux des
céréales, des huiles ou du sucre. On devrait également souligner l’importance prise par les cultures
d’exportation (primeurs, agrumes, maraîchage).
C’est aussi le cas du commerce de gros qui constitue l’espace initial d’accumulation du secteur privé. En
1984, les dix premières entreprises réalisaient 47,65% du chiffre d’affaires total de ce secteur parmi
lesquelles quatre étaient contrôlées par des intérêts familiaux marocains (Afriquia, Somepi, Somablé et
Socopros).
L’immobilier urbain constitue également un champ d’activité privilégié du secteur privé marocain. Activité
à rentabilité élevée, l’immobilier urbain connaissait une relative concentration de la propriété : ainsi on
estimait que vers la fin des années 1960/début des années 1970, moins d’une centaine de personnes
détenaient 30% des terrains urbains non bâtis à Marrakech, 18% à 20% à Casablanca et Fès, des
proportions moindres à Beni-Mellal, Khémisset et Nador.
La prédominance du contrôle familial dans le secteur du bâtiment et des travaux publics trouve son origine
aussi bien dans la faiblesse du risque encouru et des capitaux immobilisés que dans la pression exercée,
dès le lendemain de l’indépendance, sur l’administration par l’entreprise marocaine de travaux publics pour
l’amener à lui confier une partie au moins des commandes publiques.
La marocanisation aidant, le secteur privé marocain parvient à s’adjuger à la fin des années 1970 une bonne
partie des marchés à réaliser tant dans certains grands travaux que dans les marchés de moyenne
importance (fondations spéciales, ponts, etc.) et ceux du bâtiment (construction d’immeubles scolaires,
industriels, commerciaux) à cette exception notable que les travaux très importants (barrages, ports, etc.),
qui représentaient environ 20% à 30% du marché des travaux, revenaient en exclusivité aux entreprises
internationales (en association parfois avec leurs filiales marocaines).
Pour ce qui est des industries de transformation, elles sont dominées pour les trois quarts du total du capital
social par le secteur privé, avec un rapport entre capitaux privés marocains et étrangers de quatre à un.
L’implantation du secteur privé marocain dans les industries de transformation se fera à la faveur des
mesures d’incitation et de protection prises par les pouvoirs publics pour encourager l’investissement privé
industriel de substitution aux importations. Elle sera également favorisée par la faiblesse des barrières à
l’entrée caractérisant les industries de biens de consommation courante et par l’existence d’une demande
interne solvable.
Au début des années 1980, une double concentration caractérise ce secteur : une importante concentration
financière (part des ressources économiques de l’industrie manufacturière détenue par une minorité
d’individus et de familles) et économique (pouvoir de marché détenu par les principales firmes dans les
différentes branches industrielles).
34
Concernant le premier aspect, on estime que les principaux groupes et familles contrôlaient 55% des
capitaux industriels privés marocains, alors que les dix premiers en contrôlaient plus de 30%.
Ces capitaux étaient fortement engagés dans les branches suivantes : industries alimentaires (industries du
lait, des conserves et des corps gras), industrie du cuir et des chaussures, industrie textile et,
accessoirement, industrie du bois et articles en bois.
Le pouvoir économique exercé par les groupes et les grandes familles sur l’industrie de transformation était
d’autant plus important qu’il était lié à l’exercice d’importants pouvoirs de marché (le plus souvent à
caractère horizontal) par les firmes privées marocaines. Ces dernières monopolisaient souvent à elles
seules les positions dominantes sur les différents marchés de biens de consommation courante qui étaient
fortement concentrés (16 branches sur 23, représentant 34,2% de l’ensemble des effectifs de l’industrie de
transformation, avaient un taux de concentration industrielle supérieur à 33 %).
Quant au secteur financier (banques et assurances), le capital privé n’y occupait jusqu’au début des années
1970 que des positions subalternes. Toutefois, et à la faveur de l’opération de marocanisation impérative
de 1973, il parviendra à faire porter son taux de participation à 27,5% du capital bancaire total en 1975,
puis à 26-30% en termes réels, voire à 36% et 40% sans tenir compte de la Banque Centrale Populaire.
La même évolution est observable pour les sociétés d’assurances : la part du capital marocain dans le
capital social cumulé des dix sept compagnies implantées au Maroc s’élevait à environ 61 % en termes
juridiques et 55% en termes réels. Considérée séparément, la part du secteur privé marocain variait, selon
les cas, entre 49 (structure juridique) et 43% (structure réelle).
Au sortir des années 1970, le trait dominant des participations du capital privé marocain dans le secteur
financier était leur concentration entre les mains d’un nombre réduit de groupes d’intérêt familiaux.
Dans sa forme avancée, le secteur privé est organisé sous forme de groupes économiques. Ces derniers
peuvent être animés par une ou plusieurs familles formant une coalition d’intérêts. Ils sont constitués d’un
ensemble de sociétés coiffé par un holding ayant des fonctions de financement, d’impulsion et de contrôle.
Enfin, les groupes privés étendent leurs activités à plusieurs secteurs de l’économie : l’industrie, la finance,
l’immobilier, le commerce, le bâtiment et les travaux publics, etc. Cette diversité des activités permet au
groupe d’atteindre une taille suffisamment importante pour le distinguer des grandes entreprises
indépendantes ou des groupes personnels dont la taille est plus modeste et le champ d’activité plus
restreint. Elle suggère aussi que ce ne sont pas tellement les motivations technico-économiques (recherche
d’économies d’échelle, intégration verticale…) qui sont derrière la formation du groupe.
L’autre forme de structuration du secteur privé est constituée par l’entreprise personnelle et familiale
indépendante. En 1984, on dénombre 10 410 entreprises réalisant un chiffre d’affaires inférieur à 10
millions de dirhams sur les 11 906 entreprises non financières soumises au régime d’imposition du
bénéfice net réel, soit 87,4%. Bien que fortement majoritaires en nombre, ces entreprises ne réalisaient
que 13,2% du chiffre d’affaires total, 14,6% de la valeur ajoutée et n’employaient que 21,7% des effectifs
totaux. Ces entreprises à caractère personnel et familial affirmé, étaient implantées surtout dans le
35
commerce, le " bâtiment et travaux publics ", certaines branches de l’industrie de transformation
(confection, agro-industrie, cuir et chaussures, etc.) et le secteur " autres services " (services fournis aux
entreprises, affaires immobilières, etc.).
Bien que dotées d’importants atouts - flexibilité due à la facilité des communications internes et à la
rapidité de la prise de décision, une plus grande productivité au travail des membres de la famille du fait
de leur forte motivation -, les entreprises personnelles et familiales voient leur croissance fortement
entravée par une structure financière fragile (faiblesse des capitaux propres) et un mode de gestion "
familial" (aversion pour le risque, confusion entre les affaires personnelles et familiales et la propriété de
l’entreprise, un horizon temporel court et la monopolisation de l’encadrement supérieur par les membres de
la famille pour des considérations qui n’ont pas de lien avec la compétence, etc.).
Le désir de l’Etat de promouvoir le secteur privé marocain ne sera pas récompensé par une accélération du
taux de croissance économique, une forte création d’emplois et l’amélioration des indicateurs du
développement humain. S’il est vrai que le secteur privé a pu renforcer ses positions au sein de l’économie
nationale grâce à l’aide multiforme de l’Etat, son comportement économique demeure plus rentier que de
type schumpétérien.
La modestie des taux de croissance économique est nette durant la décennie 1960. Certes, une accélération
va se produire durant le quinquennat 1973-1977, (le taux de croissance annuel moyen atteignant 6,8%),
tirée surtout par l’investissement public et le secteur du bâtiment et des travaux publics (le secteur public
va prendre en charge 42,5% des investissements prévus par le Plan 1973-77 contre 20,6% seulement pour
le secteur privé).
S’il est vrai que le secteur privé a contribué au développement de certains secteurs de l’économie nationale
(industries de substitution d’importations, cultures d’exportation), il n’en reste pas moins que cette
contribution s’est faite au prix de multiples distorsions. De plus, la logique conglomérale présidant à la
croissance des groupes privés ne semble guère favoriser l’accumulation productive.
36
La recherche du pouvoir de marché se traduit aussi par un " surdimensionnement " des unités de production
par rapport aux possibilités d’approvisionnement et d’absorption du marché local, ce qui entraîne un usage
sous-optimal des capacités de production et l’apparition de coûts élevés : " les monopoles virtuels dont
disposent certains industriels sont une autre forme de protection qui n’incitent pas à la recherche de
réduction des coûts et au fonctionnement des usines à un niveau optimal de production. Il n’est pas
surprenant de constater une sous-utilisation importante des capacités de nombreux secteurs. Les coûts
élevés grèvent la compétitivité et, par suite, freinent l’expansion en empêchant notamment les entreprises
de bénéficier d’économies d’échelle grâce à la croissance des exportations ".
En résumé, la croissance industrielle à laquelle a contribué le secteur privé marocain s’est traduite par
d’importantes distorsions qui constituent autant d’entraves à une bonne allocation des ressources.
37
Dans ces conditions, la valorisation du capital a tendance à se faire de manière dispersée, favorisant le
développement rapide des activités improductives (finances, immobilier, commerce, services, etc.) aux
dépens de l’investissement productif.
L’analyse de la composition de patrimoine des fractions avancées du secteur privé révèle d’ailleurs la
prédominance des activités improductives, sa structure étant composée pour moitié de biens immobiliers
urbains et ruraux, pour 25% de capital commercial et pour 25% seulement d’actifs non commerciaux.
38
C HAPITRE 2
L’ AJUSTEMENT STRUCTUREL (1983-1993) :
RETOUR AUX ÉQUILIBRES FONDAMENTAUX
La période 1983-1993 marque un tournant dans les politiques économiques, conjoncturelles et structurelles
du Maroc. La crise de la fin des années 1970, accentuée par un contexte international en récession, a
conduit à l’adoption d’un programme d’ajustement structurel (PAS) afin de rétablir les déséquilibres
macroéconomiques et de libérer les forces du marché.
Le PAS se fonde sur l’hypothèse selon laquelle la stabilisation et la libéralisation (interne et externe) ont
pour vertu de pouvoir réengager l’économie sur les chemins de la croissance. Le développement social est
considéré, dès lors, comme une résultante de la croissance. Dans cette optique, la stabilisation imposant
des réductions budgétaires significatives, ce sont surtout les budgets sociaux qui pâtissent d’autant plus
que la capacité de gestion et de dépense des crédits est plus limité dans ces secteurs que dans les
infrastructures économiques. La croissance implique des " sacrifices " sociaux mais, à terme, le
développement social ne peut que s’améliorer.
La thèse soutenue dans ce chapitre est que l’approche dichotomique opérant une séparation entre
croissance économique et développement social, notamment en termes d’effets inter-temporels, est sujette
à caution dans la mesure où elle ne prend pas en compte les liens complexes existant entre les deux
processus Ces liens qui sont loin d’être réductibles aux enchaînements faisant dépendre l’amélioration de
la satisfaction des besoins sociaux de l’observation stricte des équilibres fondamentaux.
Dans un contexte d’économie mondiale en récession, la fin des années 1970 et le début des années 1980
ont été marqués, pour le Maroc, par une crise économique grave débouchant sur une situation de quasi-
cessation de paiement. Les pouvoirs publics ont tenté de faire face à cette situation par la mise en œuvre
d’un Plan de stabilisation dès 1978, mais avec peu de succès, la crise témoignant, au-delà des résultats
spécifiques au Maroc, plus de l’échec d’un modèle de développement – on a parlé à ce propos d’une
décennie perdue - que d’une simple conjoncture économique défavorable.
L’application de politiques keynésiennes dans les pays développés, conjuguée avec le dynamisme des
importations de produits manufacturés des pays en développement, avait permis de maintenir un rythme de
croissance économique de 2,8% en moyenne par an sur la période 1973-1979. En même temps, les pays en
développement bénéficiaient de conditions exceptionnelles pour financer leur développement par le biais
d’un endettement laxiste, encouragés en cela par des taux d’intérêt attractifs dus à la situation de
surliquidité internationale et de concurrence entre banques dans le cadre du recyclage de la rente pétrolière
et des xénodollars. Il s’ensuivit une croissance inflationniste dans ces pays au cours de la décennie 1970,
fondée sur le fait que les avantages de l’endettement (financement des investissements publics) devaient
largement en compenser les inconvénients (déséquilibres des balances des paiements et services de la
dette).
41
Craignant qu’une chute de la demande mondiale, suite au choc pétrolier de 1973, conduise à une récession
généralisée, les politiques d’assainissement mises en œuvre par les principaux pays industrialisés ont eu
pour conséquence directe de contracter la demande effective mondiale, ce qui s’est vite transformé en
récession mondiale, synonyme de contraction de la demande de produits exportés par les pays en
développement. En même temps, la détérioration des termes de l’échange des produits de base, qui
constituaient le gros des exportations de ces pays, s’est accélérée.
Parallèlement à la chute de leurs recettes d’exportation, les pays en développement qui s'étaient fortement
endettés devaient faire face à la hausse des taux d’intérêt et à la raréfaction des xénodollars qui
alourdissaient considérablement le poids de leur dette. La politique monétaire restrictive menée par les
Etats-Unis eut pour conséquence d’apprécier le dollar et d’accroître les taux d’intérêt réels. La situation
financière des pays endettés s’est alors fortement dégradée. La hausse des taux d’intérêt, la détérioration
des termes de l’échange et la stagnation ou la baisse des exportations ont conduit à une grave détérioration
de la balance des paiements qui a accru considérablement les besoins de financement de ces pays.
Les répercussions désastreuses sur la plupart des économies des pays en développement, dont le Maroc,
de la crise internationale ne peuvent se comprendre, toutefois, que par rapport aux contradictions des
politiques de développement poursuivies au cours des années 1960 et 1970.
La montée des dépenses publiques, associée à la mise en œuvre du Plan 1973-1977 et accentuée par une
mauvaise conjoncture nationale et mondiale, a contraint les pouvoirs publics à adopter un Plan de
stabilisation en 1978-1980. Poursuivant une politique d’austérité et d’assainissement de la situation
financière de l’Etat, ce programme est de nature essentiellement récessionniste (baisse des dépenses).
Certes, il a permis de ramener le taux de croissance des dépenses courantes à 13%, au lieu de 16% durant
la période précédente, de baisser le montant des dépenses d’investissement de 40% en 1978, mais celles-
ci sont restées à un niveau élevé à cause de la rigidité structurelle caractérisant certains investissements.
De surcroît, depuis 1976, les dépenses de la dette ont enregistré une remarquable ascension due notamment
à la réalisation du Plan quinquennal 1973-1977, lequel a nécessité la mobilisation de ressources importantes
dépassant largement les ressources ordinaires et débouchant sur un endettement profond. En effet, la dette
publique par rapport au PIB a plus que doublé entre 1974 et 1981 passant ainsi de 22,4% à 53,38%.
Malgré l’assainissement budgétaire prôné par le Plan de stabilisation 1978-1980, les déficits budgétaires
ont persisté durant la seconde période, surtout en 1981 représentant 14% du PIB. La baisse des dépenses
d’équipement et les divers aménagements fiscaux n’ont guère contribué à améliorer la situation financière
de l’Etat. Celle-ci s’est même dégradée à partir de 1980 avec l’apparition des soldes budgétaires ordinaires
négatifs.
42
Tableau 2.1. Evolution des dépenses et des recettes ordinaires
Le Programme n’a pas pu être maintenu au-delà de 1979 à cause de la détérioration des indicateurs
économiques et financiers. Au début des années 1980, le Maroc s’est trouvé confronté à des pressions
financières aiguës et à une détérioration prononcée des équilibres internes et externes. Ces déséquilibres
trouvent leur origine dans les faiblesses structurelles de l'économie nationale liées, notamment, à la forte
dépendance de la production agricole des aléas climatiques, à la faible dynamique industrielle, à la
vulnérabilité des exportations à l'égard des cours internationaux, en particulier pour les phosphates,
auxquelles s’est ajoutée une conjoncture internationale défavorable (second choc pétrolier, flambée du
dollar, hausse des taux d'intérêt). Le résultat est que, durant la période 1981-1983, le taux de croissance
économique ne parvient pas à dépasser 2%, alors que le taux d’inflation se situe autour de 10%.
Parallèlement, l’épargne publique devient négative de l’ordre 2% du PIB et le déficit budgétaire atteint le
niveau de 12% du PIB.
Pour financer les dépenses publiques et couvrir les déficits, l’Etat s’est lourdement endetté, le Maroc
faisant alors partie des quinze pays en développement les plus endettés.
Le surendettement, les déficits budgétaires et commerciaux, les pénuries de réserves de devises sont
l’expression d’un déséquilibre macro-économique mais ne doivent pas occulter la crise du " modèle de
développement " fondé sur le paradigme de l’ajustement structurel et ses limites en termes de croissance
économique et de développement humain.
Cette crise, dont les retombées sociales ne sont pas négligeables, se traduit par un certain nombre de traits
qui caractérisent de manière structurelle les politiques publiques et privées :
des politiques d’infrastructures peu favorables aux petites et moyennes entreprises et produisant
de faibles effets d’entraînement sur l’ensemble des secteurs économiques ;
des industries utilisant de façon peu optimale les ressources productives disponibles et donnant la
préférence aux techniques intensives en capital aux dépens de la création d’emplois ;
des entreprises privées peu autonomes s’appuyant, tout au long des années 1960 et 1970, sur l’aide
et la protection de l’Etat sans effets structurels sur la dynamique économique ;
une concentration industrielle sans effets significatifs sur la dynamique d’innovation et produisant
peu de relations inter-sectorielles ;
une politique de bas salaires avec de faibles effets incitatifs sur la productivité du travail et ne
contribuant guère à la constitution d’une demande interne suffisante;
une faible qualité de l’éducation et des résultats médiocres en termes de lutte contre
l’analphabétisme, notamment des femmes et des populations rurales;
une politique de protection sociale à champ restreint et peu appliquée par les entreprises.
43
La conjonction de ces facteurs contradictoires explique la prédominance de la composante extensive de la
croissance et ses conséquences limitées en termes d’amélioration des indicateurs sociaux :
en matière d’emploi, le taux de sous-emploi s’élevait, à la fin des années 1970, à 50% environ dans
les compagnes et à 25% dans les villes alors que les statistiques officielles évaluaient le nombre
de chômeurs à 642 182 en 1982 contre 349273 en 1971 ;
dans le domaine de l’habitat et de l’urbanisme, le déficit de logements en milieu urbain était de
800000 unités dont 60% concernant les catégories à revenus inférieurs à 1000 DH. Par ailleurs, on
estimait à 60% la part des logements urbains non pourvus du minimum d’équipement nécessaire
(5% des habitants consommaient 65% de l’eau potable et 17% par les 5% les plus pauvres) ;
en ce qui concerne l’enseignement, le taux de scolarisation de base ne dépassait pas 56% (contre
habitants), par un niveau insuffisant des dépenses publiques (8 DH par habitant et par an), ainsi que
par une répartition géographique inéquitable des équipements sanitaires dans le pays.
Le milieu rural (plus de la moitié de la population) connaît, sur l’ensemble des indicateurs sociaux, une
situation plus dégradée que les zones urbaines.
Le lien entre croissance économique et développement humain est tout sauf univoque. Si l‘économie a
enregistré, durant les années 1960-1970, des taux de croissance élevés (5,7% par an en moyenne entre
1967 et 1974 et 4,6% entre 1975 et 1981), celle-ci n’a pas, dans le même mouvement, contribué à jeter les
bases du développement humain, notamment en raison de son caractère inégalitaire et des faibles niveaux
d’investissements sociaux.
Dès 1983, Le Maroc lance, avec l'appui du FMI et de la Banque mondiale, un programme de stabilisation et
d'ajustement structurel. Celui-ci repose essentiellement sur la maîtrise de la demande interne, la
mobilisation de l'épargne locale, l'optimisation de l'allocation des ressources, la libéralisation du commerce
extérieur et du régime de change, la restructuration du secteur public, la déréglementation des prix et la
modernisation du secteur financier. Les objectifs généraux de la politique d'ajustement dans son ensemble
sont la réduction de l'engagement financier de l'État, la libéralisation des structures de production et
d'échange, en vue de développer l'ouverture sur l'économie mondiale et d’adapter l'allocation des
ressources à la logique du marché, et la promotion du secteur privé fondée sur le retrait de l’Etat.
44
de l’arbitrage entre les dépenses. L’investissement a fait l’objet de véritables coupes sombres : la part de
l’investissement dans le total des dépenses budgétaires, qui a culminé à 45% en 1982, a été fortement
ramenée à environ 15% en 1992.
C’est sur le plan des équilibres extérieurs, d’abord, que les progrès ont été les plus nets : le solde du compte
courant est passé d’un déficit de 12,3% du PIB en 1982 à un excédent de 0,9% en 1987. Cette nette
amélioration est due, d’une part, à la contraction des importations et, d’autre part, à la hausse notable des
transferts courants nets des Marocains résidant à l’étranger passant ainsi de 7,4% du PIB en 1984 à 9,2%
en 1987. Ce transfert courant net a été stimulé par les dévaluations survenues de 1983 à 1985, ainsi que
par les exportations de biens manufacturés et de l’acide phosphorique et des recettes touristiques grâce à
la nouvelle politique tarifaire et des changes.
Ensuite la période fut caractérisée par une poursuite de la progression des dépenses de fonctionnement :
de 16,4 milliards de DH en 1983, elles atteignent plus de 36 milliards de DH en 1992 (voir diagramme 2.1).
En effet, des chapitres entiers de dépenses ont augmenté de manière accélérée, comme par exemple les
dépenses de compensation et celle des appointements et salaires liés à la pléthore de l’administration.
Ce mouvement de hausse s’explique essentiellement par le caractère incompressible de ces dépenses.
Cependant, tout en se maintenant à un niveau élevé, les dépenses de fonctionnement ont enregistré un
léger fléchissement relatif passant de 16,5% du PIB en 1983 à 14,5% en 1992.
80000,0
70000,0
60000,0
50000,0
investissement
40000,0 fonctionnement
30000,0
20000,0
10000,0
0,0
1983 1985 1987 1989 1991 1993 1995 1997 1999 2001 2003
Source : Ibid.
En ce qui concerne la dette publique, les résultats sont loin d’être négligeables : les montants versés au
titre du service de la dette (amortissements et intérêts) ont augmenté deux fois plus vite que les dépenses
de fonctionnement entre 1983 et 1992. Quant aux versements réalisés au bénéfice exclusif de
l’amortissement de la dette, ils ont connu une progression assez exponentielle durant la période 1983-1989
rattrapant ainsi rapidement la courbe tracée par les dépenses en intérêts de la dette.
Enfin, une analyse sectorielle montre que si la part de certaines dépenses est restée à peu près stable
(comme la défense nationale), celle des secteurs économiques (agriculture, industrie, transports, commerce)
a décru de plus de moitié, passant de 21,8% en 1983 à 1988 en 13,7% des dépenses totales. Autre fait
45
stylisé : la forte réduction des dépenses à caractère social (travail, urbanisme, habitat) qui ne représentent
plus que 0,4% du budget de l’Etat en 1987 contre 2,2% en 1983. Parallèlement, la part relative des
dépenses de santé oscille entre 3% et 4%, ce qui est très insuffisant eu égard aux besoins croissants d’une
population à faible revenu.
Au cours de la trajectoire, les recettes d’emprunts ont poursuivi leur augmentation grâce aux emprunts
contractuels accordés par le FMI et la Banque mondiale. De même, les recettes non fiscales, qui étaient
moins importantes que les recettes d’emprunts, ont enregistré une progression régulière jusqu’en 1988.
Mais après une légère baisse en 1989, elles se sont stabilisées autour de 10 milliards de DH.
Il aura fallu le choc provoqué dans les années 1980 par la crise de la dette pour voir l’Etat s’engager dans un
processus de réforme fiscale. En effet, le modèle de réforme " recommandé " dans ce contexte est fondé sur
l’idée qu’une simplification et rationalisation du système fiscal, une restructuration de l’assiette accompagnée
de l’abaissement de la pression fiscale sont de nature à stimuler la croissance et générer un surcroît de
recettes. De fait, la réforme fiscale a débouché sur un abaissement sensible des taux supérieurs des droits de
douane à l’importation, la quasi-disparition des droits à l’exportation, la substitution de la TVA à la taxe sur
les produits et services (1984), de l’IS à l’impôt sur les bénéfices professionnels (1986), l’institution de l’IGR
(1988). Une réforme de la fiscalité locale a également été réalisée et mise en œuvre depuis 1990.
Ce train de réformes vise notamment la réduction du niveau des taux d’imposition et l’élargissement de
l’assiette fiscale. L’impôt sur les sociétés a baissé de 45% en 1987, à 40% en 1988, à 38% en 1993 et à
35% en 1996. La tranche exonérée de l’IGR est passée de 12 000 DH en 1992 à 18 000 DH en 1994 puis 20
000 DH en 1999 et le taux plafond est passé de 52% en 1990 à 46% en 1994 et 44% en 1996. Les autres
taux ont baissé d’un point. Ces réformes et incitations fiscales ont permis l’amélioration des structures
fiscales comme l’illustre l’augmentation de la part des impôts directs dans le total des recettes hors
privatisation qui s’est élevée à 28,1% en 1998/1999 contre 23,3% en 1987 aux dépens des impôts indirects
(y compris les droits de douanes) dont la part a baissé de 62,3% en 1987 à 52,9% en 1998/1999.
Diagramme 2.2.
Evolution de la structure des recettes (en millions de DH)
45000,0
40000,0
35000,0
30000,0
Les impôts
25000,0 directs
Les impôts
20000,0 indirects
10000,0
5000,0
0,0
Source : Ibid.
46
Ainsi qu’on peut le constater (digramme 2.2), les impôts directs ont connu une croissance importante depuis
1986, et leur part dans les recettes fiscales s’est relevée en passant de 24,1% en 1983 à 31,6% en 1992.
En revanche, les impôts indirects ont vu leur part se réduire dans l’ensemble des recettes fiscales. Entre
1985 et 1992, le ralentissement est net : de 44,2% on est passé à 40,6%. En effet, malgré l’augmentation
des impôts indirects observée depuis la réforme, celle-ci reste en dessous de la croissance enregistrée par
les impôts directs.
En ce qui concerne les droits de douane, l’évolution a été assez irrégulière. Après une chute des recettes
fiscales de 23,3% en 1983 à 17,7% en 1987, leur part va connaître l’année suivante une progression qui se
poursuivra jusqu’en 1994.
La trajectoire 1983-1992 est structurée, on l’a déjà souligné, par l’objectif d’assainissement des finances
publiques et de retour à un niveau soutenable du déficit budgétaire. La politique de redressement des finances
publiques poursuivie tout au long de cette période a eu des résultats financiers indéniables : représentant
9,2% du PIB en 1983, le déficit budgétaire va baisser progressivement pour s’établir à 2,2% du PIB en 1992.
La structure du financement des déficits budgétaires a aussi été profondément modifiée. Au lieu des emprunts
étrangers, ce sont les sources de financement internes qui sont prédominants, depuis la mise en application
du PAS, contribuant en moyenne à la couverture de 45,5% des déficits budgétaires entre 1983 et 1992.
Diagramme 2.3. Evolution du déficit budgétaire (en % du PIB) entre 1983 et 1992
10,0
8,0
6,0
4,0
2,0
0,0
1983 1984 1985 1986 1987 1988 1989 1990 1991 1992
Source : Ibid.
Cependant malgré les efforts accomplis, le redressement budgétaire demeure fragile et les marges de
manœuvre se rétrécissent de plus en plus. Il convient de signaler que le déficit budgétaire est sous-estimé:
n’incluant pas les gains dus au rééchelonnement de la dette extérieure, il ne tient pas compte du fait qu’il
s’agit de dépenses payées et non pas de dépenses engagées. Mesuré en termes de dépenses engagées, le
déficit n’a pas baissé, ce qui signifie que l’Etat a dû accumuler les arriérés pour financer une partie de ses
dépenses, reportant ainsi sur les générations futures le poids et le coût de telles mesures.
47
Poursuite de la politique d’encadrement du crédit
Le PAS a initié une série de réformes sur les plans monétaire et financier axées sur une politique restrictive,
les mutations profondes n’ayant eu lieu que dans les années 1990.
Pour rétablir les équilibres fondamentaux, les autorités monétaires vont appliquer, de façon systématique
jusqu’en 1991, une politique d’encadrement du crédit comme principal moyen de contrôle de la distribution
du crédit. Quant au réglage de la liquidité bancaire, il est assuré de plus en plus sur le marché monétaire
et de moins en moins par des instruments classiques constitués de diverses possibilités de recours auprès
de l’institut d’émission sous forme de plafonds de réescompte et d’avances spéciales. En effet, la technique
de l’escompte, instrument privilégié durant les années 1972-1977, a perdu de son importance et le volume
de recours des banques à la Banque centrale a sensiblement rétréci, d’année en année, au profit d’une
intervention interbancaire.
Représentant 36,7% du total des moyens de refinancement dont disposaient les établissements bancaires
en 1980, le réescompte sous-plafond n’en constitue que 19% en 1983, 9,2% en 1984 et 7,5% en 1987. Cela
est dû renforcement de la part des facilités consenties hors plafond et surtout à l’expansion des
interventions de la banque centrale sur le marché monétaire.
Ainsi jusqu’en 1984, les interventions de la Banque du Maroc, devenue en 1987 Bank Al-Maghrib, sur le
marché monétaire étaient limitées et ne concernaient que les effets publics traduisant le recours indirect
du trésor par l’intermédiaire des banques pour couvrir ses besoins. Depuis 1985, le recours des banques aux
facilités à taux variable s’est sensiblement élargi.
Il faut souligner en dernier lieu que la politique restrictive poursuivie dans le cadre du PAS, n’a pas remis
en cause le principe de la sélectivité en faveur des secteurs clés de la croissance.
La politique d’ajustement structurel gagne le secteur agricole à partir de 1985. Elle portera d'abord le nom
de Programme d'ajustement à moyen terme du secteur agricole (PAMTSA) et sera soutenue principalement
48
par des crédits de la Banque mondiale et des accords d'assistance technique. Elle sera par la suite
matérialisée dans différents Prêts/Programmes à l'ajustement du secteur agricole (PASA 1 et 2),
Prêts/Programmes à l'amélioration de la grande irrigation (PAGI 1 et 2) et Prêts/Programmes à
l'investissement dans le secteur agricole (PISA 1 et 2).
Ces programmes, tout en s'inscrivant dans le cadre des objectifs généraux de la politique d'ajustement dans
son ensemble, s’en distinguent par l'accent mis sur l'amélioration de l'affectation des ressources,
l'encouragement à l'augmentation de la productivité agricole, le désengagement de l’Etat des activités où
il avait été auparavant largement présent, et une attention particulière à la formation de compétences
d’analyse et d’encadrement dans l’administration.
Parce que l'État s'était considérablement engagé dans l'agriculture d'irrigation, un aspect majeur des
programmes d'ajustement consistait à organiser les conditions de son désengagement des espaces et
surtout des modes d'intervention liés à la politique précédente. On peut globalement synthétiser les
nombreuses actions et mesures prévues dans les différents programmes à travers les trois axes de réforme
suivants :
- la redéfinition du rôle des organismes publics d'intervention et la soumission de leur gestion aux
impératifs du marché ;
- l'élimination des obstacles aux échanges intérieurs et extérieurs (notamment des monopoles, quotas
et autres réglementations restrictives au commerce des produits agricoles) ;
- la suppression des subventions de l'État aux facteurs de production et l'affirmation d'une politique de
"vérité des prix" à la production et à la consommation.
On s’en tiendra ici aux deux principaux programmes " d’ajustement " proprement dits, PASA 1 et PASA 2.
Le PASA 1 devait se déployer durant les années 1985-1987, et visait plus la " préparation du terrain " des
réformes que " leur mise en œuvre effective ". Ainsi, des études devaient être réalisées, des " zones pilote
" identifiées et des " services d’appui " renforcés. Certes, des mesures allant dans le sens des réformes
poursuivies ont été prises mais elles sont restées assez partielles, comme celles qui étaient censées réduire
les subventions et tendre vers la " vérité des prix ", ou rationaliser l’intervention de l’Etat.
Trois mesures prises dans le cadre du premier programme méritent cependant d’être soulignées. La
première concerne la cession au secteur privé des services de santé animale. La deuxième implique les
Offices régionaux de mise en valeur agricole qui reçurent en 1987 autorisation de transférer
progressivement au secteur privé la plupart des prestations à caractère commercial qu’ils assuraient, pour
se consacrer essentiellement à l'équipement hydraulique, à la gestion des réseaux et à la vulgarisation.
Enfin, la troisième mesure a consisté en la création en 1986 d'un Fonds spécial du Trésor appelé Fonds de
Développement Agricole (FDA), confié à la CNCA pour sa gestion, avec comme mission d’intégrer les
différents programmes d'encouragements financiers de l'État, de collecter de nouvelles ressources, et d’en
assurer une distribution optimale compte tenu des orientations de l’Etat, lesquelles insistaient désormais
sur quelques domaines prioritaires (intrants agricoles, intensification de la production animale, équipement
des exploitations agricoles, aménagements fonciers...).
49
Une autre mesure qui concerne le commerce extérieur agricole, doit également être soulignée, même si elle
n’a pas été prise formellement dans le cadre du PASA 1. Il s’agit de la décision prise en 1985 de
démonopoliser les activités d’exportation de produits agricoles – frais et transformés – confiées une
vingtaine d’années auparavant à l’Office de Commercialisation et d’exportation (OCE). Parallèlement, un "
Etablissement autonome ", l’EACCE a été créé pour prendre en charge les fonctions de " coordination et de
contrôle des exportations " précédemment assumées par l’OCE. A partir du début de l’année 1996, des
groupes d’exportateurs privés commencèrent donc à se constituer et, même s’il ne disparaissait pas, l’OCE
devenait un exportateur, plutôt mineur, parmi une dizaine d’autres.
Parce qu'il devait s'attaquer à des problèmes de fond, le PASA 2 devait se fixer dès le départ des objectifs
ambitieux, dont notamment l'élimination des restrictions commerciales, à l'importation en particulier, et la
suppression des subventions à la consommation des denrées de base, accompagnée de la libéralisation des
secteurs et filières concernés (farine de blé, sucre, huiles alimentaires). En fait, la réalisation de ces
objectifs allait rapidement apparaître plus difficile que prévu, et en dépit de divers " assouplissements ", le
programme prendra du retard et ne sera exécuté que partiellement.
La mise en œuvre du PAS a été à l’origine d’une contraction de la demande intérieure et d’un ralentissement
de l’activité économique. Ses effets sur la structure productive et sur ses composantes sectorielles ont été
limités. De même l’impact en termes de mise à niveau du secteur privé n’a pas manqué d’avoir comme
corollaire - et comme exutoire- une arborescence du secteur informel.
La croissance affiche, entre 1982 et 1987, un taux réel de l’ordre de 4,1% en moyenne par an. Ce taux, en
baisse par rapport à la période précédente, atteint 2,7% entre 1988 et 1995. Il a été tiré principalement par
le secteur agricole dont la valeur ajoutée a enregistré une croissance forte entre 1986 et 1990 (de 37% en
5 ans et en termes constants), en raison d’une pluviométrie exceptionnelle mais aussi en liaison avec la
substitution de certaines cultures par les céréales, en particulier le blé tendre et l’extension des superficies
cultivées en zone " bour ".
La structure du PIB n'a pas connu sur la période de changements notables. Les industries manufacturières
ont continué à représenter entre 17% et 18% du PIB à prix constants ; suivies par le secteur primaire
(agriculture, élevage et pêche) dont le poids reste important. Les secteurs minier et du bâtiment ont vu leur
part du PIB baisser sensiblement entre 1983 et 1987 de 4,2% à 3,8% et de 7 à 4,5% respectivement. Quant
à la valeur ajoutée des administrations, son rythme de progression a diminué de moitié tout en se
maintenant à un niveau plus élevé que celui des activités productives (6,8% contre 4% pour le PIB marchand
hors agricole). La vulnérabilité aux aléas climatiques persiste, l’ensemble de l’économie continuant de subir
les fluctuations du PIB agricole.
50
Le bilan d’exécution des PASA 1 et 2, établi en 1994, montre que les réformes réalisées sont loin d’être
négligeables, mais que les plus structurantes parmi elles n’ont pas pu être conduites à leur terme. Ainsi, la
libéralisation à l'importation de la plupart des produits alimentaires transformés et de nombreux autres
denrées agricoles avait été poursuivie, même si les niveaux de protection restaient plus élevés que prévu.
Le monopole de l'Office national du thé et du sucre en matière d'importation et de commercialisation du
sucre ainsi que celui de BURAPRO (Bureau d’approvisionnement) pour l’importation des graines
oléagineuses avaient été supprimés. A l’intérieur, une nouvelle loi avait été adoptée, portant sur la
réorganisation du marché des céréales et des légumineuses, y instaurant notamment le principe de la
liberté du commerce. A l’exception du blé tendre, la commercialisation et les prix avaient été libéralisés. Il
en fut de même pour le lait et les produits laitiers, dont le processus de libéralisation des prix fut achevé
en 1993.
En ce qui concerne les principaux intrants, la libéralisation de la commercialisation et des prix des engrais
devint effective à partir de 1990, accompagnée de la suppression des subventions correspondantes. Une
libéralisation partielle de la production et des importations des semences certifiées fut engagée, le secteur
privé y prenant une part croissante. Quant la production animale, la libéralisation des prix et de la
commercialisation du son de blé et de la pulpe de betterave sucrière fut progressivement réalisée en 1987
et 1988, et la privatisation des services vétérinaires fut achevée dans toutes les zones (à l'exception des "
zones marginales ").
Des efforts en vue de l’amélioration des conditions de gestion de l’eau d’irrigation furent entrepris et les
résultats obtenus furent considérés comme encourageants : le taux de recouvrement des redevances d'eau
avait pu être relevé à 75% en 1992, et on réussit également à recouvrer une part plus importante des coûts
d'exploitation et d'entretien des installations d'irrigation. Par ailleurs, une nouvelle loi sur l'eau avait été
adoptée au Parlement en juillet 1995, avec pour ambition de rationaliser l'utilisation des ressources en eau
à travers une gestion globale et adéquate. Cette loi annonce la création d’un Conseil supérieur de l'eau et
du climat, auquel revient l’élaboration des orientations générales de la politique nationale en la matière, et
des " Agences de bassin " chargées de la gestion territoriale des ressources hydriques.
En revanche, plusieurs objectifs arrêtés n’ont pas pu être réalisés. C’est ainsi qu’en ce qui concerne les cinq
groupes de produits de base (dits stratégiques), la libéralisation des importations et leur tarification à la
frontière n’avaient pu être mis en œuvre. Après plusieurs reports, il avait fallu attendre l’engagement pris
dans le cadre de l’Accord de Marrakech de l’OMC, en avril 1994, pour procéder à la conversion des
protections non tarifaires en protections tarifaires, avec des niveaux des " équivalents tarifaires "
suffisamment élevés pour que la libéralisation " physique " des importations ne menace guère la production
locale. Cependant, en aval, la commercialisation et les prix intérieurs des filières de blé tendre/farine
nationale, du sucre et des huiles de graines resteront réglementées et partant subventionnées. Si les prix
des huiles de graines ont fini par être libéralisés en 2001, ceux de la farine et du sucre restent à ce jour
réglementés. En amont, les prix à la production des semences sélectionnées des céréales restent également
à ce jour encore subventionnées et contrôlés par les pouvoirs publics.
Aucun des multiples projets de réforme du code des investissements agricoles n’a pu voir le jour. Même si
les taux de récupération ou de recouvrement des coûts de l'irrigation ont pu être quelque peu améliorés, ils
51
sont restés en deçà des niveaux requis. De même, dans le domaine des terres " bour ", les projets de
réforme n’ont guère pu aboutir. Si, en 1994, deux lois ont été adoptées, l’une relative aux périmètres de
mise en valeur en " bour " et l’autre interdisant le morcellement des terres dans les mêmes "périmètres",
les programmes projetés pour le remembrement et le cadastre, ainsi que l'étude du système de crédit
foncier, n’ont pu être réalisés, étant liés les uns et les autres à la promulgation de nouveaux textes fonciers
sur le " bour ". De son côté, le patrimoine sylvicole n’a guère été mieux servi puisque la loi-cadre forestière
promise n’a guère vu le jour non plus.
Enfin, la maîtrise et la réallocation des ressources publiques affectées à l'agriculture n’a pas été mieux
réussie, notamment au niveau des investissements publics qui devaient se redéployer plus au profit des
petites exploitations et en dehors des périmètres de grande irrigation…
On ne peut certes considérer que la politique d’ajustement structurel a produit des effets probants sur les
performances de la production, ni sur la dynamique de l'accumulation et de l'intensification, et encore moins
sur les structures du tissu économique et social des campagnes marocaines. Ce qui est néanmoins patent,
c'est qu'elle a déstabilisé un système qui avait tout de même sa cohérence, mais ne lui a pas encore
substitué un autre, plus viable, sinon plus équitable.
(i) L’évolution de la politique macroéconomique d’un type interventionniste à une modalité fondée sur le
triptyque libéralisation/privatisation/ austérité prend appui sur l’hypothèse que la croissance et le
développement sont tributaires de la dynamique du secteur privé – national et étranger – et des
performances des activités productives dédiées à l’exportation.
Les réformes économiques initiées à cet effet ne semblent pas, loin s’en faut, déboucher sur l’émergence
d’un secteur privé dynamique et entreprenant, apte à jouer le rôle moteur que le désengagement de l’Etat
lui confère.
L’analyse des trajectoires stratégiques des groupes privés (voir infra. chapitre 3) montre que ces derniers ne
se sont pas conformés aux prédictions du modèle postulant un redéploiement spontané des activités
productives vers les branches industrielles exportatrices dotées d’avantages comparatifs.
L’attractivité du Maroc pour les investissements étrangers demeure globalement insuffisante bien que
l’afflux d’IDE se soit peu ou prou amélioré en relation avec les opportunités induites par le processus de
privatisations. Les entreprises étrangères implantées au Maroc, orientées davantage vers l’exportation, ont
certes un rôle pédagogique et d’entraînement à jouer, mais leur impact en termes de mise à niveau du tissu
productif s’avère insuffisant et les externalités induites sur le comportement des entreprises nationales
demeurent peu perceptibles.
Les petites et moyennes entreprises semblent particulièrement menacées par le nouveau contexte concurrentiel.
Si un certain dynamisme entrepreneurial a pu être observé dans l’industrie de la confection, il n’a pas pour autant
contribué à lever les contraintes internes et externes auxquelles continuent de faire face nombre de PME. C’est
dire que la mise à niveau de cet important segment de tissu productif tarde à se concrétiser.
52
Au total, la contribution du secteur privé à la croissance et au développement reste limitée. Mais au-delà
de la nature et de l’évolution historique du secteur privé, c’est dans le non-bouclage macroéconomique de
la croissance sur la dynamique combinée de la consommation de masse (à cause notamment de la baisse
des salaires réels) et de l’investissement (en raison de la chute des dépenses publiques) que résident les
effets d’involution des structures productives et les facteurs favorisant les processus d’informalisation.
(ii) L’excédent d’offre de travail conjugué aux contraintes budgétaires ayant pesé sur les créations d’emploi
dans le secteur public et à l’essoufflement du secteur industriel formel va conduire à une informalisation
plus poussée de certains secteurs économiques. L’industrie passe ainsi de 31,5% de la population active
occupée urbaine à la veille du PAS à 29,3% en 1990, témoignant de l’incapacité de ce secteur à créer des
emplois. Il en est de même pour la part des emplois consacrés aux BTP qui ont perdu deux points de
pourcentage entre 1982 et 1990, du fait notamment de la baisse des dépenses publiques d’investissement.
Les restrictions budgétaires dues au PAS allaient aussi affecter les créations d’emploi dans l’administration
publique, qui passent de 15,9% à 10,3% entre 1982 et 1990. Le seul secteur économique qui ait bénéficié, en
termes de part dans l’emploi total, des changements induits par le PAS est celui des services. Or, le
développement important des services traduit moins une transformation des structures productives vers la
tertiarisation telle qu’elle s’est opérée dans les économies développées qu’une tendance à l’informalisation
et aux stratégies de survie. C’est ce que montre la croissance démesurée des activités de commerce, au point
que les activités de commerce occupent en 1990 18,3% de la population active occupée urbaine, faisant de ce
secteur le deuxième pourvoyeur d’emplois dans les villes. Les activités de commerce sont celles qui recourent
le moins au salariat et qui s’appuient souvent sur le travail indépendant, essentiellement celui du chef de
l’unité. Mais ces activités consacrent aussi le développement d’autres formes de travail non salarié, comme
celui des aides familiales, de petits associés ou encore celui des enfants.
Les conséquences négatives du développement du secteur informel sont nombreuses. Sur la structure et la
dynamique du système productif, il consacre l’orientation vers des secteurs improductifs et de taille
marginale marqués par une faible productivité du travail et de faibles effets d’entraînement sur les autres
secteurs de l’économie, sauf à la baisse au sens où l’expansion de l’emploi tertiaire de survie fait baisser
la productivité du travail dans l’ensemble de l’économie. En effet, la baisse de la productivité du travail,
constatée en fait à partir de 1975, s’est accélérée avec la baisse des salaires réels dans la fonction publique
durant les années 1980 et par la forte poussée des " emplois informels " dans les zones urbaines
correspondant, le plus souvent, à des commerces et services à faible productivité.
53
Certes le secteur permet d’absorber une partie du chômage et de l’offre de travail en croissance mais il
s’agit souvent d’emplois précaires qui relèvent de stratégies de survie dont les effets sont, là aussi, peu
significatifs sur la dynamique économique (par le biais de la demande) et négatifs sur le développement
humain. Enfin, le développement du secteur informel induit une limitation des possibilités de financement
de l’Etat, ce qui aboutit au paradoxe suivant : les PAS avaient comme objectif de réorienter l’action de l’Etat
qui devait se désengager de la production pour se consacrer à des missions publiques et sociales ; or la
réduction des sources de financement de l’Etat handicape sa capacité à réaliser de telles missions. Si on
considère que ces missions ont un fort impact sur le développement humain et sur le développement
durable, on mesure ainsi l’une des grandes limites des PAS.
Le PAS a produit peu d’effets de structure sur le système institutionnel. Ayant partie liée avec la croissance
endogène, la qualité de l’architecture institutionnelle et sa cohérence constituent un avantage comparatif
de plus en plus décisif. Une étude du CEPII (2004) portant sur les " écarts technologiques, les institutions et
la croissance économique ", au cours de la période 1980-2000, a pu montrer que la qualité de
l’environnement institutionnel, l’efficacité dans l’utilisation et la diffusion des technologies ainsi que
l’importance de la recherche-développement ont un impact réel sur les performances économiques. Selon
cette étude la qualité insuffisante des institutions marocaines a été à l’origine d’un déficit de croissance
annuel de 2,5 points de PIB sur la période 1980-2000. Ce déficit se répartit comme suit : un point de PIB dû
à la corruption, 0,6 point de PIB imputable à l’insuffisance de la Recherche & Développement au Maroc et
0,9 point de PIB résultant d’un degré de concurrence trop faible sur le marché des produits.
Si les mesures standard contenues dans le PAS ont pu réaliser les rééquilibrages financiers, celui-ci va
générer des effets négatifs en termes de coûts sociaux et de cercles vicieux de la croissance. La contraction
des dépenses sociales, la montée du chômage, la compression des revenus salariaux, la régression des
niveaux de vie de certaines catégories urbaines sont dans le cas du Maroc - comme en Amérique latine et
en Afrique sub-saharienne (PNUD, 1996) -, les conséquences empiriques sur le développement humain de
la mise en œuvre du PAS au cours de la " décennie perdue ".
Les dépenses de santé entre 1975 et 1995 ont oscillé autour de 1% du PIB. Quant aux dépenses de
l’éducation, après avoir varié entre 5% et 6,5% du PIB entre 1975 et 1982, elles ont baissé durant la période
d’ajustement structurel jusqu’en dessus de 5% du PIB en 1989 (voir diagramme 2.4.). Au total, les dépenses
sociales concernant la santé et l’éducation ont été d’une grande stabilité en pourcentage du PIB, malgré un
doublement de la population marocaine depuis l’indépendance (en 1981).
54
Diagramme 2.4. Dépenses publiques pour l’éducation et la santé en % du PIB
7
6
5
4 l'éducation
3 la santé
2
1
0
75 977 979 981 983 985 987 989 991 993 995 997 999 001
19 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 2
De fait, on assiste dans les années 1980 à une montée du chômage dont le taux est passé de 9,8% en 1980
à 17,3% en 1991. L’analyse de la structure du chômage et de son évolution met en évidence une
correspondance de phase entre le caractère structurel du chômage et la mise en œuvre des politiques
économiques participant du PAS. C’est ainsi que la proportion au sein de la population active non occupée
du chômage de longue durée (12 mois et plus) est passée de 54,7% à 66,4% (elle atteint 75,6% en 1999),
les femmes et les jeunes, notamment les jeunes diplômés, étant plus particulièrement frappés.
55
… congruente avec les processus de désalaraisation et de précarisation de l’emploi
L’évolution de la structure de la population active occupée selon la situation dans la profession indique que
si, en 1982, les salariés occupent 69,3% des emplois urbains, cette proportion n’est plus que de 60,3% en
1990, celle des autres catégories (hors employeurs) passant de 26,4% à 36%.
Source : Ibid.
Parallèlement, on assiste à un phénomène de précarisation du travail. D’abord, pour les salariés, avec le
développement du travail temporaire (qui a crû en moyenne de 17% par an entre 1984 et 1990). Ensuite,
pour les non-salariés avec l’extension de certaines formes de travail pauvre comme celles relevant du
travail des apprentis et des aides familiales. Le secteur informel devient de plus en plus le lieu d’insertion
des déscolarisés, voire des sous- diplômés. Les nombreuses déperditions du système scolaire, en
particulier lors du passage du fondamental au collège, font basculer nombre de jeunes dans des activités
informelles. C’est dans ce contexte qu’ont proliféré des activités de services de production et de
commerce, constituant une réponse spontanée aux phénomènes d’exclusion économique et sociale et
permettant aux couches les plus défavorisées de la population de survivre. Parallèlement, le recours au
travail des enfants s’est développé au cours des années 1980 comme une stratégie de réduction des
risques liés aux situations de perte d'emploi.
56
Comme l’attestent le PASA1 et le PASA2, de nombreux freins sociaux et coalitions d’intérêts ont empêché
une application intégrale des mesures préconisées dans le cadre de l’ajustement structurel. Il serait alors
tentant d’en conclure à la thèse de l’échec par défaut d’application.
Selon Stiglitz (2003), prix Nobel et ex-économiste en chef de la Banque mondiale, les programmes
d’ajustement structurel, tout comme les tendances actuelles de la libéralisation financière, procèdent de
paradigmes théoriques aux conséquences empiriques lourdes en termes de développement social et
humain. De fait en opérant des coupes sombres dans les budgets sociaux, ce sont les conditions de base
même de la croissance vertueuse qui se trouvent ainsi sapées (niveau d’éducation des populations, état de
santé, emploi, etc.).
Il convient de souligner que la croissance n’est pas un conducteur automatique du développement humain.
Avec un même niveau de croissance, des pays à structures économiques plus ou moins proches, peuvent
atteindre des niveaux de développement humain différents. L’effet de la croissance sur le développement
humain semble dépendre d’un ensemble de paramètres dont le contenu en emplois, le degré d’inégalité
dans la répartition des revenus, l’impact sur la pauvreté, etc. A l’inverse, en cas de crise économique, même
si les niveaux de développement humain sont altérés, ce sont les pays les moins inégalitaires qui résistent
le mieux. Il a été estimé ainsi par Ranis et Stewart (2004) que si la répartition des revenus au Brésil avait
été de même niveau qu’en Malaisie, le taux de scolarisation des enfants pauvres aurait été de 40% plus
élevé au Brésil.
Contrairement au schéma univoque proposé par les politiques d’ajustement structurel il existe des relations
complexes et des interdépendances fortes entre la croissance et le développement humain, la première
pouvant, sous certaines conditions, alimenter le second et réciproquement.
Il existe une corrélation positive forte entre taux de croissance et niveaux de développement humain. A
l’inverse, de fortes divergences entre les deux processus peuvent définir des situations à " affinités " lâches,
instables et fort peu viables. Appliqué au Maroc, ce fait stylisé mis en évidence par Ranis et Stewart (2004)
dans une étude empirique portant sur un échantillon de 60 pays en développement sur une durée de 40 ans
(1960-2001) fait ressortir, sur les années 1960 et 1970, une configuration de croissance " distordue " (une
croissance relativement élevée avec un développement humain faible) pour une série de raisons liées, selon
les auteurs, à la corruption, à l’absence d’équité dans la répartition des revenus, au niveau médiocre des
dépenses sociales et à leur faible efficience, aux taux insuffisants en matière de scolarisation et de santé,
à la non participation des populations, etc. Cette situation serait à l’origine des enchaînements régressifs
ayant marqué la trajectoire allant des années 1980 jusqu’à nos jours (une croissance faible combinée avec
un développement humain faible).
57
Diagramme 2.5. Liens entre croissance et développement humain
PROGRÈS DU
DÉVELOPPEMENT
HUMAIN
FONCTION
PERFORMANCE
DU DÉVELOPPEMENT
HUMAIN
CAPABILITÉS
DES MANAGERS ET DES
ENTREPRENEURS
CHOIX DE
TECHNOLOGIE,
R/D, ADAPTATIONS MODES DE ALLOCATIONS REVENU DES
LOCALES DÉPENSE DES SOCIALES MÉNAGES
ET INNOVATION EPARGNE ET MÉNAGES ET ET RATIOS ET NIVEAUX DE
INVESTISSEMENT ALLOCATIONS PRIORITAIRES PAUVRETÉ
ETRANGER
C
C
H
NIVEAU ET H
RÉPARTITION DU
A COMPOSITION REVENU DES RATIOS DES A
DES REVENU MÉNAGES
I DÉPENSES
EXPORTATIONS ET NIVEAU DE VIE I
ET DE GOUVERNEMENTALES
N
LA PRODUCTION PRIORITAIRES N
E
E
B CROISSANCE A
ÉCONOMIQUE
58
L’étude de Ranis et Stewart (2004), montre ainsi qu’il n’existe pas de cas de pays ayant pu se soustraire à
une situation de croissance " distordue " et s’installer dans une configuration tirée par le développement
humain. En revanche, les enchaînements vertueux ont pu se produire au sein de pays ayant d’abord
enclenché une dynamique d’impulsion du développement humain, au prix même d’une croissance faible.
L’adoption par le Maroc de politiques de croissance à faible impulsion par le développement humain n’a pas
manqué, dans cette optique, d’affaiblir les liens d’affinité nécessaires au renforcement réciproque des deux
processus.
Cercle vicieux
Croissance économique Développement humain
(cas du Maroc depuis
faible " distordu "
l’ajustement structurel)
59
C HAPITRE 3
L’ ÉCONOMIE MAROCAINE DÉBUT DE SIÈCLE :
U NE MACROÉCONOMIE ENTRE AJUSTEMENT
ET RÉGULATION
La troisième trajectoire (1993-2004) analysée dans ce troisième chapitre se déploie par rapport aux faits
stylisés suivants :
une nouvelle donne politique dont témoignent le vote quasi-unanime de la Constitution de 1996 et la
mise en place d’un gouvernement dit d’" alternance consensuelle " en 1997. Il s’agit d’un tournant
décisif dans la vie politique nationale et d’un consensus politique sans précédent ;
au plan social, la procédure de dialogue social débouche le 1er Août 1996 sur un Accord également
sans précédent entre les partenaires sociaux ouvrant la voie à une série de délibérations et de
négociations autour de la réforme de la législation du travail et de l’élaboration d’un système de
relations professionnelles plus adapté aux nouveaux enjeux économiques et sociaux ;
au plan économique enfin le Maroc tourne la page de l’ajustement structurel et entame un programme
de mise à niveau inscrit dans un processus plus large d’ouverture (Accords d’Association et de création
de zones de libre-échange avec l’UE et avec les Etats-Unis notamment) et de poursuite de la
libéralisation (réformes bancaire, fiscale, loi sur la concurrence, nouvelle loi sur la société anonyme,
etc.).
Se définissant par rapport à un vaste mouvement de réformes ayant trait à la fois à l’environnement
institutionnel et aux objectifs de la politique économique, le programme économique du gouvernement d’"
Alternance " (1998-2002) comprend une composante sociale manifeste justifiée par l’ampleur des déficits
structurels. Toutefois la prise en compte de la problématique sociale n’a pas manqué de buter sur les limites
tracées par la contrainte externe (poids de la dette extérieure) et par la faible marge de manœuvre, en termes
de finances publiques, laissée aux pouvoirs publics. Ces limites expliquent l’évolution de la politique
économique au voisinage des seuils d’équilibre propres au PAS et permettent, nolens volens, de comprendre
les faibles résultats obtenus en termes de réponse aux " attentes " des populations défavorisées et d’action
publique de lutte contre les conditions de pénurie des capacités et les facteurs de non-liberté économique.
La perspective suggérée dans ce chapitre met en évidence, outre les " quadratures " d’une macroéconomie
tiraillée entre ajustement et régulation, la nécessité de restaurer la souveraineté de la politique
économique et d’opérer un recentrage des dépenses publiques sur les objectifs prioritaires d’un
élargissement rapide des potentialités élémentaires. Un tel choix est susceptible de supprimer les entraves
réciproques de la croissance économique et du développement humain et d’engager le pays sur un sentier
vertueux combinant libertés politiques, facilités économiques, opportunités sociales, garanties de
transparence et sécurité protectrice (Sen, 1999).
63
Un cycle budgétaire contrarié
Au niveau budgétaire la période 1993-2004 est caractérisée par des déficits récurrents bien que
relativement maîtrisés. Privé depuis 1993 des gains liés au rééchelonnement de la dette, l’Etat s’est appuyé
sur les recettes de privatisation pour contenir le déficit budgétaire dans des niveaux soutenables. Ainsi,
grâce à ces recettes exceptionnelles, le déficit budgétaire a pu reculer s’établissant à 3,1% du PIB en
moyenne sur la période 1996-2003 contre 3,3% entre 1990 et 1995. A titre d’exemple, grâce aux recettes
de cession de 35% du capital de Maroc Telecom, le déficit est descendu à 2,6% contre 8,4% en 2001.
Années 1993 1994 1995 1996 1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004
Déficit / PIB (en %) 2,4 3,3 5,2 3,0 1,4 3,8 0,9 5,8 2,6 4,3 3,7 3,2
Toutefois, au-delà du caractère conjoncturel du déficit, il est d'autres facteurs de tension budgétaire, parmi
lesquels la perspective d'une diminution de recettes de l'ordre de 2 % du PIB à moyen terme, du fait de la
mise en œuvre de l'Accord d'association avec l'Union européenne, la pression exercée par la masse
salariale (plus de 12 % du PIB), et la mise en oeuvre éventuelle de la responsabilité financière de l'Etat au
titre des passifs implicites logés dans les comptes du système bancaire ou dans ceux des caisses de retraite
du secteur public, auxquels il faut ajouter les dépenses de compensation sur les prix de l’énergie et les
conséquences budgétaires des accords sociaux relatifs aux revalorisations des salaires.
La masse salariale (43,6% des dépenses totales et 12% du PIB durant la période 1996-2003) est
prépondérante au sein de cette structure des dépenses : représentant la moitié des dépenses ordinaires,
elle a plus que doublé entre 1990 et 2003. Par ailleurs, le système de subventions des prix au consommateur
(énergie et produits alimentaires de base) absorbe 6% des dépenses totales.
En revanche, les dépenses de la dette, après une croissance régulière, ont connu un léger recul depuis 2003
en raison de la baisse des taux d’intérêts et de la conversion de la dette extérieure en financements (voir
diagramme 3.1.).
64
Diagramme 3.1. Evolution des prévisions des dépenses de la dette publique
(en millions de DH)
Source : Ibid.
Parallèlement, les recettes fiscales ont enregistré une augmentation régulière atteignant près de 91,2
milliards de DH en 2003. La pression fiscale (part des recettes fiscales dans le PIB nominal) a été ainsi
consolidée à 22,1% durant la période 1992-2003 contre 19,4% sur la période 1980-1989. Cette moyenne
cache toutefois une tendance baissière : 21,8% en 2003 contre 23,1% lors de l’exercice budgétaire 1998-
1999.
Source : Ibid.
65
Gestion active de la dette externe mais montée de l’endettement interne
Des efforts ont été accomplis en matière de réduction de l’endettement public extérieur. De fait, ramené au
PIB, le service de la dette externe (intérêts seulement) est passé de 3,1% en 1990 à 2,9 % en 1995 et à
0,7% en 2003. Cette diminution est le résultat combiné de la baisse continue du stock de la dette et des
taux d’intérêt sur le marché international ainsi que de la politique de gestion active de la dette. En revanche,
le service de la dette publique intérieure (intérêts seulement) par rapport au PIB a presque doublé entre les
périodes 1980-1989 et 1996-2003, passant de 1,7% à 3,2%. Il a même dépassé celui de la dette extérieure
à partir de 1995 en raison de la croissance soutenue du stock de la dette intérieure (diagramme 3.3).
Source : Ibid.
Les lois de finances sont marquées, depuis 1992, par une forte baisse des recettes d’emprunts, à l’exception de
1994-1995 où ces dernières ont enregistré une légère augmentation (diagramme 3.4). Cependant à partir de
1998, les recettes d’emprunts commencent à s’accroître fortement pour se stabiliser, depuis 2001, autour de 36
milliards de DH. Cette augmentation est imputable surtout à la montée des emprunts intérieurs, le Maroc ayant
procédé, au cours de cette période, à la reconversion de la dette extérieure en investissements.
Source : Ibid.
66
Progression des impôts directs et régression des droits de douane
En termes de structure de l’impôt, les années 1990 marquent une inflexion de trajectoire par rapport à la
période précédente. L’écart, qui avait tendance à se résorber, entre impôt direct et impôt indirect,
commence à se creuser entre 1993-1998 puis à se résorber quoique lentement. En fait, après une forte
croissance en 1993, due en particulier à l’accroissement des recettes de la TVA, les impôts indirects
entament une progression régulière.
A l’inverse, les impôts directs ont enregistré une baisse significative en 1993 et 1994 provoquée
principalement par la baisse du taux d’imposition de l’impôt sur les sociétés (IS) avant de se mettre à
augmenter de façon plus ou moins régulière. C’est ainsi que la part des impôts directs dans les recettes
fiscales s’est sensiblement élevée passant de 26,6% en 1993 à 36,5% en 2003. Quant aux impôts indirects,
leur part se monte à 46% en 2003 contre 47,3% en 1993 et 43,2% en 1998.
De son côté, la part des droits de douane dans les recettes fiscales a connu une régression continue, passant
de 21,6% en 1990 à 15,8% en 1999/2000 et à 11,7% en 2003. En effet, les recettes douanières ont enregistré
une baisse, dès 1995, qui s’est amplifiée en 1998 en raison de la mise en œuvre de l’Accord d’Association avec
l’Union Européenne. Cet accord a eu pour conséquence un desserrement de la pression fiscale sur les
importations comme en témoigne la baisse continue du taux apparent des droits de douanes (16% en 1996,
12% en 2001, 11% en 2002 et 9% en 2003). La perte des recettes douanières est estimée à 0,5% du PIB au
titre de l’exercice 2003 contre 0,4 et 0,3 point, respectivement, pour les exercices 2002 et 2001.
Au total, bien qu’en diminution relative, les impôts indirects demeurent, depuis l’indépendance jusqu’à nos
jours, prépondérants dans la composition des recettes fiscales, contrairement aux pays développés où
l’impôt direct constitue la part majoritaire de la recette fiscale. L’explication avancée met en évidence,
notamment, le poids de l’économie informelle dans la structure du PIB (on y reviendra), les défauts de
maîtrise de l’assiette des principaux impôts directs (impôt sur les sociétés, objet de fraude et d’évasion
fiscales à grande échelle, impôt général sur les revenus, très largement focalisé sur les revenus salariaux,
etc.) ainsi que les difficultés liées aux recoupements fiscaux et à la constitution d’une base fiscale
systématique.
La masse monétaire a connu une augmentation beaucoup plus rapide que l’objectif visé depuis 1990, mais,
à partir de 1993, elle ne s’en est guère éloignée.
De même, à la suite de la libéralisation financière entamée en 1993, on assiste à une prolifération d’actifs
ayant des caractéristiques similaires à celles de la monnaie, d’où le recours, en 1997, à une redéfinition des
agrégats monétaires. En effet, les autorités monétaires ont élargi la masse monétaire à l’agrégat
représentant le mieux le stock d’actifs, à savoir l’agrégat M3 et l’ensemble des agrégats de placements
liquides.
67
En janvier 1991, l’encadrement du crédit fut supprimé en raison de sa lourdeur, de sa complexité et de son
caractère administré au profit d’une action indirecte sur la liquidité bancaire et sur les taux d’intérêt. En
effet, pour freiner rapidement et efficacement le développement des crédits suite à la suppression de
l’encadrement, les autorités monétaires se sont appuyées sur deux instruments essentiels : le maniement
de la réserve monétaire et la modulation du volume et du coût de refinancement sur le marché monétaire.
C’est ainsi que depuis le 1er juin 1995, Bank Al-Maghrib a modifié les modalités de ses refinancements et mis en
place un nouveau dispositif d’interventions sur le marché monétaire. Longtemps constituées sous forme d’avances
à échéance diverses, les interventions de la Banque centrale (interventions sur appel d’offres à l’initiative de la
Banque centrale, pensions à 5 jours à l’initiative des banques, pensions à deux heures à l’initiative des banques
et de Bank Al-Maghrib, opérations de Bank Al-Maghrib) tendent désormais à se réaliser au moyen de pensions
d’effets publics ou privés ou même d’achat ou de vente de titres contre monnaie centrale.
L’évolution générale vers des méthodes de contrôle indirect du crédit s’est accompagnée de la mise en
place d’une série de réformes destinées à créer de meilleures conditions de financement de l’économie. Ces
réformes ont concerné principalement la libéralisation des taux d’intérêt, la suppression quasi-complète des
emplois obligatoires, la réforme des marchés monétaire et financier.
En effet, pour restituer aux banques commerciales le pouvoir de gérer leurs actifs selon les règles du
marché, les autorités monétaires ont pris des mesures visant à assouplir progressivement les emplois
obligatoires bancaires jusqu’à leur disparition. C’est ainsi que fut supprimé, entre autres, le plancher
d’effets publics en 1998 et le coefficient d’emplois obligatoires en crédits à moyen terme réescomptable,
en crédits au logement et en créances nées à l’étranger en avril 1994. En conséquence, les emplois
obligatoires des banques ont baissé de 53% à 3% à la fin des années 1990.
En ce qui concerne les taux d’intérêts, la libéralisation a concerné aussi bien les taux créditeurs que les taux
débiteurs. Pour ce qui est des taux créditeurs, leur libéralisation a été achevée en 1992 à l’exception des
taux servis sur les comptes sur carnets qui demeurent réglementés par souci de protéger la petite épargne
et les dépôts à vue qui ne sont toujours pas rémunérés. En revanche, la libéralisation complète des taux
débiteurs fut retardée jusqu’en janvier 1996 afin d’éviter une flambée des taux provoquée par le
désencadrement.
La réforme du marché monétaire s’est effectuée, quant à elle, à travers la dynamisation du marché des
adjudications des bons du trésor d’une part, et la création d’un nouveau compartiment, en l’occurrence le
marché des titres de créances négociables (TCN), d’autre part.
Surliquidité bancaire
Le marché monétaire fut caractérisé, depuis 1999, par un excès de liquidité bancaire. Cette situation s’est
répercutée sur le fonctionnement du marché monétaire et sur la conduite de la politique monétaire par Bank
Al-Maghrib.
La surliquidité bancaire provient principalement de l’accroissement des avoirs extérieurs nets de la Banque
centrale, suite notamment à la cession de 35% du capital de Maroc Télécom. Ces excédents de liquidités
68
ont été au demeurant amplifiés – on l’a déjà dit - par la poursuite de l’évolution favorable des recettes
touristiques et des transferts des Marocains résidant à l’étranger. Aujourd’hui, avec la cession de 14,9% du
capital de Maroc Télécom en 2004, la surliquidité bancaire devient un fait stylisé récurrent.
Dans ce contexte, les autorités monétaires ont été amenées à réaménager en 1999 les procédures
d’intervention de Bank Al-Maghrib : les reprises de liquidités sont devenues ainsi le principal mode
d’intervention sur le marché monétaire. Bank Al-Maghrib a aussi opéré un relèvement du ratio de la réserve
monétaire en décembre 2002 et en septembre 2003 et a procédé à un nouveau réaménagement avec
l’institution, début octobre 2003, des opérations de swaps de change et, à la fin de l’année, des opérations
de reprises de liquidités.
A la suite de ces réaménagements, les instruments de la politique monétaire peuvent être classés en trois
catégories :
les avances à sept jours sur appel d’offre qui constituent le principal mécanisme de refinancement
des banques et dont le taux de rémunération représente le taux directeur de la Banque centrale ;
les facilités permanentes de dépôts à 24 heures et d’avances à cinq jours, dont les taux respectifs
constituent les limites inférieures et supérieures de la fourchette à l’intérieur de laquelle le taux
interbancaire doit normalement fluctuer ;
les mécanismes de réglage fin de la liquidité qui visent à maintenir le taux interbancaire à un
niveau proche du taux directeur de Bank Al-Maghrib.
Le nouveau cadre de la politique monétaire permet ainsi à la Banque centrale d’adapter ses interventions,
ainsi que le choix de ses instruments, pour réguler la liquidité quelle que soit la situation du marché.
L’une des principales réformes de la première étape de l’ajustement structurel engagé en 1983 est la fin du
contrôle administré du commerce extérieur. Les étapes ultérieures sont la convertibilité partielle en 1993 et
la mise en place d’un marché des changes interbancaires en 1996.
La Banque centrale a été confrontée à des mouvements amples d’appréciation/dépréciation qui se sont
produits entre le dollar US et l’euro. A ce titre, trois phases se sont succédées depuis 1990 (ibid.) : une
stabilisation relative du taux de change €/$ avec des oscillations autour de 1,3 $ pour 1 € (1990-1995); une
forte dépréciation de l’euro, qui descend à 0,89 $/€ (1995-2001); après 2001, une remontée de l’euro
jusqu’à un peu plus de 1,1 $/€ en 2003 et plus de 1,3 $/€ à fin 2004.
Au cours de la première phase, le dirham se déprécie par rapport aux deux devises. La seconde phase
enregistre une faible appréciation du dirham par rapport à l’euro et une forte dépréciation du dirham par
rapport au dollar, soit un ancrage relatif à l’euro. Cette orientation se maintient en 2002-2003, avec une
69
nette appréciation du dirham vis-à-vis du dollar. On assiste, en fin de compte, à une dépréciation
tendancielle du dirham vis-à-vis de ces deux monnaies.
Dirham /euro 11,08 11,27 11,59 11,17 11,21 11,37 11,27 10,78 10,73 10,48 9,85 10,16 10,42 10,85
Dirham /dollar 8,29 8,82 8,59 9,42 9,12 8,45 8,78 9,59 9,63 9,84 10,62 11,4 11,05 9,59
euro/dollar 1,34 1,28 1,35 1,19 1,23 1,35 1,28 1,12 1,11 1,07 0,93 0,89 0,94 1,13
Les rentrées nettes de capitaux étant supérieures au déficit de la balance des paiements courants, Bank Al-
Maghrib reconstitue progressivement des réserves en devises. En fin de période, ces dernières représentent
dix mois d’importations. Ce régime de change, qui procède de la volonté d’un ancrage du dirham sur les
devises fortes, s’explique d’abord par le niveau élevé de l’endettement extérieur de l’Etat en début de
période. L’encours de cet endettement est ensuite fortement réduit. Mais cela se fait - on l’a déjà
mentionné - avec un basculement vers l’endettement intérieur, notamment auprès des sociétés financières,
en raison de la persistance d’un déficit des finances publiques. Ce dernier reste toutefois inférieur à 3 %
du PIB (ibid.).
Etant donné la quasi-stagnation du produit agricole en volume (celui de 2001 est au même niveau que celui
de 1986) et le dynamisme des exportations, on aurait pu s’attendre à une augmentation du poids de
l’industrie, et tout particulièrement des industries manufacturières, dans l’activité productive globale. Or il
n’en est rien (Billaudot, 2005). Certes, le poids du secteur primaire se réduit, puisqu’il passe en tendance
de 20% en 1986 à 15,7 % en 2003. La baisse est un peu plus importante si on retient la tendance longue
d’évolution de la valeur ajoutée agricole en volume, en raison du fait que l’année 2003 est une " bonne "
année, relativement à l’année 1986.
Mais la contrepartie de cette baisse ne se constate pas au niveau de l’industrie : le poids du secteur
secondaire reste stable à un peu plus de 30 %, même si celui de la seule industrie manufacturière passe de
16,6 % à 17,7 %. Et ce ne sont pas non plus les services marchands dont le volume d’activité aurait
relativement augmenté en contrepartie. Le secteur dont le poids s’est notablement accru est celui des
administrations publiques (son poids passe de 15% à 17 %). Le poids croissant des activités administratives
dans le produit global est la conséquence d’un poids croissant des effectifs de la fonction publique dans
l’emploi total associé à de faibles gains de productivité dans les activités marchandes non agricoles.
A titre de comparaison internationale, les pays qui on connu un processus d’industrialisation très marqué
sont aussi ceux dans lesquels le régime de productivité est " relevé " (forte élasticité de la productivité
structurelle par rapport à la croissance tendancielle et trend autonome non négligeable). On est alors en
présence d’un fort effet de structure tenant au fait que la valeur ajoutée par tête dans l’industrie est
70
beaucoup plus élevée que dans l’agriculture. Ainsi, cet effet est particulièrement marqué en Thaïlande au
cours de la période de croissance rapide des années 1988-1995 : la productivité du travail par tête progresse
de 8,2 % l’an à l’échelle de l’ensemble de l’économie, alors qu’elle progresse de 6,9 % dans l’agriculture
et de 3,8 % dans l’industrie manufacturière (Billaudot, Guiguet, 2002).
Le choix de l’expansion dans la stabilité (1996-2003) marque une rupture avec la politique économique
menée depuis l’indépendance. Un nouveau régime de croissance, moins inflationniste que par le passé, a
été amorcé en 1996 se caractérisant par une reprise des investissements publics et privés, par la
consolidation du PIB non agricole et par une amélioration des équilibres extérieurs, permettant le
renforcement des réserves de change.
Il convient aussi de souligner qu’au cours de ce cycle, une nette amélioration du taux d’épargne et du taux
d’investissement a été enregistrée comparativement à la première moitié de la décennie 1990. Une capacité
de financement a même été dégagée depuis 2001, de l’ordre de 4% du PIB, en raison de la présence d’un
surplus d’épargne nationale par rapport à l’investissement.
De même, le déficit budgétaire s’est maintenu autour de 3% du PIB, le taux du chômage a baissé de 16%
en 1995 à 11,9% en 2003 et le taux d’inflation a été maîtrisé à l’intérieur d’une fourchette allant de 0,6%
en 2001 à 3% en 1996.
Quant au solde du compte courant de la balance des paiements, et après un déficit de 3,6% en 1995, celui-
ci a enregistré un excédent depuis 2001, en lien avec l’amélioration des recettes touristiques et avec le
dynamisme des transferts des Marocains résidant à l’étranger stimulés par le réajustement du panier de
dotation du dirham et par l’introduction de l’euro fiduciaire.
71
L’amélioration des soldes courants et budgétaires a permis une réduction considérable de l’endettement du
Maroc grâce à une gestion active de sa dette extérieure. Cette dernière, basée essentiellement sur le
remboursement par anticipation des dettes onéreuses et sur la reconversion des dettes en investissements,
a permis d’alléger le poids de la dette extérieure de 80,5% du PIB en 1993 à 52,1% en 1998 et à 30% du
PIB en 2003 et de réduire de ce fait la dette publique de 103,9 % du PIB en 1995 à 80,6% du PIB en 2003.
L’analyse de l'évolution de l’output gap montre que l'économie marocaine a connu, sur la période 1960-2003,
six cycles de croissance économique ayant un profil temporel déséquilibré entre les phases de reprise et celles
de ralentissement de la croissance. La vulnérabilité de l’économie marocaine à l’aléa climatique fait que la
dynamique de croissance économique demeure étroitement liée à celle de l’agriculture (voir infra.).
Depuis 1989 et avec l’ouverture de l’économie nationale sur l’extérieur et notamment sur l’Union
européenne, la croissance conjoncturelle de nos principaux partenaires exerce des effets sur l’évolution
cyclique de l’économie nationale, la corrélation étant de fait plus étroite. Sur la période 1989-2002, le cycle
du PIB marocain, semble parfaitement en phase avec les cycles européens en termes d’évolution et de
périodicité. Cette plus forte corrélation résulte de la libéralisation de l’économie nationale et d’une plus
grande interdépendance avec les économies européennes.
En revanche, le cycle du PIB marocain est peu sensible à l’évolution conjoncturelle des économies
maghrébines du fait de l’absence d’intégration entre ces économies (les échanges avec le Maghreb ne
représentent que 4% du total des transactions marocaines) et des économies asiatiques en raison de la
faiblesse des échanges avec ces pays.
Toutefois, la maîtrise de l’inflation durant la période 1996-2003 et la revalorisation des salaires dans les
secteurs public et privé (hausse du SMIG) ont permis à la consommation réelle des ménages d’afficher une
légère amélioration de sa contribution à la croissance.
72
Diagramme 3.5. Contribution des éléments de la demande à la croissance réelle (en %)
Les inégalités de revenus influent négativement sur la croissance (élasticité partielle négative de l’ordre de
0,003). Dès lors une politique de redistribution des revenus, tendant à corriger les effets de la concentration
des revenus à travers le développement des mécanismes de solidarité et le renforcement de la protection
sociale, est susceptible d’accélérer la croissance. Contrairement à des pays comparables, l’amélioration du
capital humain n’a pas constitué, en longue période, un des principaux facteurs explicatifs du régime de
croissance au Maroc. En effet, l’effort d’alphabétisation n’a pas eu d’incidence significative et l’impact du
taux de couverture de l’enseignement secondaire a été globalement limité.
Le commerce extérieur a été pour l’économie marocaine un facteur de décroissance permanent. En effet,
en dehors des années 1982-1987 où la contribution des importations à la croissance a été nulle en raison
de la forte contraction de la demande au cours de cette période, la contribution du commerce extérieur à la
croissance a été constamment négative. Elle a fluctué dans une fourchette allant de -0,4 (entre 1967et 1974)
à –2 points du PIB (1975-1981), notamment du fait de la progression plus rapide des importations de biens
et services par rapport aux exportations. Ainsi, alors que la contribution des exportations de biens et
services à la croissance économique réelle est restée stable autour de 1,3 point du PIB, celle des
importations s’est, quant à elle, située en moyenne autour de 2 points du PIB .
73
forte concentration géographique des exportations sur le marché européen caractérisé par un dynamisme
modéré et par une forte concurrence et, enfin, à la spécialisation du Maroc dans des secteurs peu
dynamiques du commerce mondial : les exportations restent, en effet, largement tributaires de quelques
secteurs d’activité à faible valeur ajoutée et pour lesquels les perspectives d’essor sont limitées (ces
secteurs, comme le textile et l’agro-alimentaire représentent, au cours des années 1990, 25% des échanges
mondiaux).
Cependant, le niveau de la production agricole, bien qu’enregistrant des fluctuations plus ou moins amples,
est resté en moyenne supérieur à celui enregistré au cours des périodes antérieures à 1991, cette tendance
étant le fait de la production végétale restée fortement soumise aux aléas climatiques. Dans le même
contexte de sécheresse sévère la production animale a, en revanche, accusé une nette tendance à la hausse.
La position qu’occupe le Maroc par rapport au reste des pays de l’échantillon s’explique, outre les faibles
dotations du pays en ressources naturelles, par la sous-industrialisation déjà soulignée et, notamment, par
l’incapacité du régime de croissance à générer suffisamment d’emplois pour absorber une population rurale
sans cesse croissante. En effet, le Maroc présente l’une des proportions les plus élevées de la population
active dans l’agriculture (35% en 2002). Seules l’Egypte et la Turquie ont des taux plus élevées. La Tunisie,
avec la même proportion que le Maroc en 1961, a réussi à réduire à moins de 25% en 2002 la population
active agricole. Le cas le plus spectaculaire est constitué par la Corée du sud : 9% en 2002 contre 60,1%
en 1961, témoignant du dynamisme de l’industrie dans la transition sectorielle et le façonnage de
l’économie. La situation du Maroc ne semble pas s’améliorer : les effectifs de la population agricole ont
tendance à s’accroître et le Maroc figure parmi les cinq pays de l’échantillon présentant un taux de
croissance positif de la population active dans l’agriculture.
74
Il importe de noter toutefois que, à partir de 1996, les répercussions de l’aléa climatique sur la croissance
économique se sont atténuées grâce au développement de l’élevage et de la pêche et au dynamisme de
certains secteurs (électronique, commerce, bâtiment) qui ont permis de soutenir la croissance du PIB hors
agricole.
La croissance agricole a progressé en moyenne de 9,14% tout au long de la trajectoire (contre 6,88% entre
1981 et 1992 et -1,86% entre 1973 et 1981). Le taux de croissance moyen de la production agricole est trois
fois plus élevé que celui du PIB global. Toutefois ce taux élevé ne semble pas avoir joué un rôle
d’entraînement sur la croissance économique qui en représente en moyenne le tiers. On peut supposer que
le caractère cyclique et fluctuant de la production agricole lui enlève toute efficacité. Par ailleurs, on peut
supposer un impact limité des réformes macro-économiques sur le développement rural. Enfin, sur un plan
plus structurel et contrairement aux pays développés, les phénomènes de désarticulation ville- campagne
et de désintégration agriculture-industrie ne sont pas sans liens avec le sous-développement du monde
rural en général et avec les pulsations plus ou moins amples de l’activité agricole.
En termes de rendements, à quelques exceptions près (certains fruits et légumes ou cultures industrielles,
en système d'exploitation intensif), les rendements des principales productions n'ont guère évolué, même
en longue période. En ce qui concerne les céréales - qui couvrent plus des deux tiers des surfaces cultivées,
leurs rendements tout au long de la décennie 1990 se sont élevés, en moyenne, à 10,3 quintaux par hectare
seulement, ce qui dépasse à peine de deux quintaux le niveau atteint durant les années 1950. Si l’on retient
75
la moyenne des cinq dernières années, et qu’on la rapporte à celle du début des années 1960, on s’aperçoit
que le rendement des céréales est passé de près de 8 quintaux à 12 quintaux, ce qui signifie que, dans
l’ensemble, le pays a gagné quatre quintaux en quarante ans. A titre de comparaison, on peut noter que
durant les quatre décennies qui ont suivi la Seconde Guerre mondiale, les rendements des céréales en
France ont progressé de 40 quintaux, soit une moyenne de 1 quintal par an, et une performance dix fois
supérieure à celle du Maroc. Sur une période moins longue (1981-2002), mais à une échelle plus large (les
pays de la Méditerranée), le Maroc - avec la Turquie - est celui où les rendements ont le moins progressé :
23% contre143%, 129% et 114%, respectivement, au Portugal, au Liban et en Syrie.
76
disponible : au contraire, avec un flux permanent et élevé d’exode rural, on observe à la fois la persistance
d’un " sous emploi " dans les campagnes et une montée du chômage urbain. Quant au progrès technique, la
faiblesse des gains de productivité estimés en tendance tant dans l’agriculture que dans le reste de
l’économie conduit à supposer qu’il n’a pas joué un rôle déterminant. En revanche, cette faiblesse des gains
de productivité a pesé sur la croissance via la compétitivité à l’export et l’absence de dynamique
salaires/productivité (ibid.).
Est également rejetée l’impulsion procédant des dépenses publiques (ibid.). L’hypothèse formulée pour le
cas du Maroc est que ces dépenses ont suivi le PIB marchand. Autrement dit, elles ont été endogènes au
processus de croissance. Cela ne signifie pas que certaines dépenses publiques n’ont pas eu un rôle moteur.
Mais cela ne s’applique pas à leur masse globale : celle-ci a été contrainte par les recettes fiscales (et non-
fiscales) induites par la croissance du secteur marchand dans le cadre de la politique visant à un équilibre
des finances publiques. Dans la pratique, comme il a été souligné précédemment, cet équilibre n’a été
atteint qu’en ayant recours à des " recettes exceptionnelles " récurrentes, notamment le produit des
privatisations depuis 1993. Le fait que cet équilibre ne soit pas " normalement " atteint ne donne pas, par
là-même, aux dépenses publiques le statut de force primordiale d’impulsion, à partir du moment où le déficit
courant (avant recettes exceptionnelles) ne s’accroît pas (ibid.).
Une autre force d’impulsion est considérée comme inopérante : il s’agit des hausses nominales de salaire
dans le secteur privé. On ne peut, en effet, faire état dans le secteur privé de processus réguliers de
négociation des salaires sur la base d’un partage des fruits de la croissance (El Aoufi, 1992). En l’absence
de gains de productivité conséquents, l’effet est déterminant des réajustements du salaire minimum sur les
salaires effectivement versés (même si la législation est inopérante dans certains secteurs ou certaines
entreprises). Il y a eu des relèvements récurrents du salaire minimum qui ont conduit à une progression plus
rapide que celle du niveau général des prix et, partant, à une augmentation tendancielle en pouvoir d’achat
du SMIG horaire. On ne peut parler d’une force motrice, c’est à dire d’une impulsion autonome. Mais on ne
peut pas, non plus, retenir l’hypothèse d’un effet négatif de l’existence du SMIG sur l’emploi (Direction de
l’Emploi, 2004).
Toutefois, une analyse plus fine prenant en compte la dualité du rapport salarial (secteur privé/secteur
public) et distinguant diverses sous-périodes conduit à nuancer ce propos (Billaudot, 2005). En fin de période
en effet, les hausses de salaires qui ont eu lieu dans la fonction publique ont constitué sans nul doute une
force d’impulsion relayant quelque peu l’investissement privé et l’exportation. Mais on doit ajouter que ces
hausses n’ont pas été générales : elles n’ont eu lieu que pour certaines catégories de personnel à la suite
de revendications syndicales et elles visaient pour une part à compenser les baisses de pouvoir d’achat
enregistrées durant les années 1992-1996 (ibid.).
77
Pour ce qui est de l’impulsion liée à l’investissement privé, celui-ci n’étant pas seulement tiré par un
manque de capacités de production, mais par la recherche d’un profit ou d’un revenu d’activité, les décisions
qui ont conduit au flux de FBCF constaté ont anticipé la demande, tant étrangère qu’intérieure (Billaudot,
2005). Cela revient à dire que l’écart entre la demande anticipée et la demande constatée a autant conduit
à fixer le taux de sorties structurel qu’à moduler l’investissement fixe nouveau. A ce titre, l’hypothèse faite
est que le taux global de sorties s’est situé en permanence à un niveau relativement élevé, en raison
d’investissements fixes qui n’ont pas débouché sur une production effective (en installations industrielles
comme en logements) ou qui n’ont pas fait preuve, à l’expérience, d’une compétitivité suffisante pour
justifier un maintien de la mise en exploitation. Cela signifie que, dans la relation d’ordre comptable qui lie
le rythme de la croissance potentielle permise par le capital fixe installé au taux d’investissement mesuré
en rapportant le volume de formation brute de capital fixe au volume de PIB, la variable motrice a été le
taux d’investissement et la variable d’ajustement le taux de sorties (ibid.).
Cette observation s’accorde avec le constat que le taux d’investissement a progressé en fin de période
(diagramme 3.7.) sans que l’on ait eu, dans le même temps, une nette accélération de la croissance. Autant
dire que cette montée du taux d’investissement s’est accompagnée d’un plus faible taux d’utilisation de la
capacité installée et/ou d’un taux de sorties plus élevé, sans exclure toutefois que l’on ait eu une baisse de
la productivité potentielle du capital (ou encore une élévation du coefficient de capital potentiel).
Ce statut qui est ainsi attribué dans notre analyse à l’investissement privé comme force d’impulsion
primordiale s’accorde à la politique de privatisation poursuivie.
78
L’évolution des taux d’activité est caractérisée par une diminution aux âges extrêmes chez les deux sexes,
en raison de la prolongation scolaire et de l’accroissement des sorties à la retraite, avec une quasi-stabilité
chez les hommes à forte activité et une augmentation chez les femmes en milieu urbain.
La décomposition de la variation de l’offre de travail montre que 58% de l’augmentation de l’offre de travail
s’explique par les facteurs socio-économiques, 11% seulement par la croissance démographique et 32% par
les effets conjugués de ces deux derniers facteurs.
L’offre de travail qui, en 2003, se compose de 10,9 millions de personnes réparties entre 73,4% d’hommes
et 26,6% de femmes et dont 53,3% résident en milieu urbain contre 46,7% en milieu rural s’est accrue de
3,2% par an par rapport à 1960, avec une décélération de 3,6% entre 1971 et 1982, de 2,8% entre 1982 et
1994. Ce rythme de croissance, dépassant celui de la croissance démographique de 37%, met pleinement
en évidence la problématique de l’emploi qui s’est accentuée au cours des années 1990. L’offre de travail
additionnelle annuelle en milieu urbain a plus que triplé entre 1961-1971 et 1994-2003, passant de 53 000
à 153 000.
Le rythme de création nette d’emplois dans l’ensemble de l’économie a fortement varié d’une période à
l’autre. Après avoir augmenté, en moyenne annuelle, de 80 000 postes de travail durant le quinquennat
1968-1972, le nombre d’emplois créés s’est élevé à 152 000 sur la période 1971-1982, baissant à 137 000
entre 1982 et 1994 pour ensuite augmenter à 217 000 au cours de la période 1995-2003. Une bonne partie
de ces créations d’emplois est localisée dans les villes : 123 000 postes de travail entre 1985 et 2003, avec
un fléchissement à 124 000 au cours de la période 1995- 2003 contre 134 000 de 1985 à 1993.
Ce sont les catégories de main-d’œuvre ayant le niveau de l’enseignement fondamental et secondaire qui
ont vu leur part dans l’emploi urbain augmenter sensiblement entre 1978 et 1997, passant, respectivement,
de 43,6% à 68,4% et de 17,2% à 29,8%, alors que celle des diplômés de l’enseignement supérieur reste
globalement faible par rapport à celle des techniciens et des cadres moyens. Si la part de cette dernière a
pratiquement quadruplé entre 1984 et 2002 passant de 2,1% à 8%, celle des diplômés des études
supérieures est passée de 5,8% à 6% après avoir atteint 7,7% en 1993.
La durée de travail mensuelle, qui a fluctué autour de 23 jours durant la période 1978-1994, a enregistré
une baisse significative depuis 1993 atteignant 22 jours en 2002, soit une réduction équivalente à une
journée de travail. Cette diminution a été toutefois compensée par une augmentation de la durée
hebdomadaire, en milieu urbain, d’environ trois heures et demie.
En milieu urbain, où la pression de l’offre de travail est forte, l’emploi, qui a progressé à un rythme soutenu
de 5,4% entre 1984 et 1993, a connu une diminution passant à 2,5% entre 1995 et 2003. La création nette
79
d’emplois (103 000 en moyenne annuelle sur la période 1971-1994) s’est élevée légèrement à 108 000 entre
1995 et 2003, avec un pic de 150 000 au cours de la période.
En dépit des efforts déployés pour améliorer la couverture de l’infrastructure socio-éducative en milieu
rural, la part des services administratifs et sociaux dans l’emploi total a régressé passant de 24% à 13,5%
entre 1971 et 1994, avec moins d’un emploi pour cent ruraux alors qu’en milieu urbain ce ratio est passé de
3,6 à 5,9 entre ces deux dates.
L’évolution des coûts du travail est largement déterminée par celles des prix, de la productivité du travail
et des salaires minima. L’évolution des salaires dans les entreprises affiliées au régime de sécurité sociale
est implicitement indexée à raison de 68% sur celle de la productivité apparente du travail et de 47% sur
celle des prix à la consommation.
En longue période, l’évolution du SMIG en termes réels a bénéficié de 1,4% des fruits de la croissance entre
1970 et 2000. De ce fait, la hausse des salaires minima a vraisemblablement contribué à la réduction des
disparités en matière de rémunérations dans la mesure où les ratios du SMIG et du SMAG au seuil de
pauvreté ont, respectivement, augmenté de 4,4% à 5,1% en milieu urbain et de 3,1% à 4,3% en milieu rural
entre 1984-1985 et 1998-1999.
L’analyse des rémunérations en relation avec les principaux indicateurs économiques et du marché du
travail apporte un éclairage sur les mécanismes de répartition des fruits de la croissance et les contraintes
pesant sur les performances de l’appareil de production en matière de création d’emplois. Entre 1980 et
2000, le salaire moyen brut industriel a connu une progression assez régulière de 5% en valeur nominale.
Comparé à l’évolution des prix à la consommation, le salaire moyen a diminué en termes réels de 1,5% au
cours de la décennie 1990, après avoir augmenté de 0,5% au cours de la décennie 1980.
Entre 1960 et 1982, le nombre de personnes en chômage est passé de 304 000 à 643 000, soit une
augmentation de 15 000 par an. Celle-ci s’est élevée à 57 000 entre 1982 et 1994 portant le stock de
chômeurs à 1 332 000. Depuis cette date, le nombre de personnes au chômage se situe à près de 1 300 000.
Une explication de cette montée et persistance du chômage implique de distinguer ses deux composantes
structurelle et conjoncturelle. Dans un contexte où l’offre de travail augmente plus vite que le croît
démographique, tout ralentissement de la croissance économique se traduit par une hausse de la
composante conjoncturelle du chômage, plus particulièrement depuis la décennie quatre-vingt-dix. La
persistance d’un taux de chômage élevé en milieu urbain s’explique par une plus grande rigidité de la
composante structurelle du chômage elle-même liée à une forte incidence du chômage de longue durée,
affectant les trois quarts des chômeurs et plus particulièrement les jeunes diplômés. Un autre indicateur
corrobore la prévalence du chômage structurel : la dispersion des chômages catégoriels. Entre 1984 et 2003,
la part des chômeurs de plus de douze mois en milieu urbain a augmenté passant de 54,7% à 74,8%, celle
des personnes à la recherche de leur premier emploi s’est élevée de 43,4% à 54,4%. Le taux de chômage
80
global cache cependant de fortes disparités entre les différentes catégories de diplômés : il atteint, en
2002, 18,6% chez les techniciens et les cadres moyens, 28,5% pour les diplômés en qualification
professionnelle, 30,8% au niveau des diplômés de l’enseignement supérieur. Le taux de chômage des
diplômés de l’enseignement supérieur (y compris les techniciens, cadres moyens et bac et +) en milieu
urbain a plus que triplé entre 1985 et 2003, passant de 8,3% à 27%.
La réduction remarquable du taux d’inflation et du déficit du compte courant depuis la décennie 1980 n’est
pas sans effet sur le chômage. Le cumul des variations annuelles du taux de chômage pendant les cycles
identifiés plus haut ayant augmenté avec la baisse du taux d’inflation, on peut se demander si le chômage
conjoncturel n’aurait pas alimenté la composante structurelle du chômage dans un contexte marqué par un
ralentissement de la croissance potentielle.
Le processus d’ajustement des effectifs à l’emploi désiré est caractérisé par une inertie relativement élevée
dans la mesure où les variations annuelles de l’emploi dans les industries de transformation représentent
en moyenne 32% de l’emploi optimal.
L’intensité de l’emploi qui est le rapport entre le taux de croissance de la valeur ajoutée et le taux de
création d’emploi est déterminée par de nombreux facteurs, tels que le coût relatif du travail et du capital,
la durée du travail, le progrès technologique. L’intensité d’emploi dans le secteur industriel est relativement
faible, nécessitant un taux de croissance de 5,5% de la valeur ajoutée pour générer une croissance de
l’emploi de 2,8%.
Il s’agit d’examiner dans la présente section le comportement du secteur privé, observé au cours des années
1990, dans ses différentes composantes et son adaptation aux conditions de l’ouverture. Rappelons que
celles-ci postulent un comportement des entreprises privées plus dynamique, plus compétitif et plus ouvert
à l’innovation. Elles impliquent également un recentrage des entreprises sur leurs métiers de base et une
réorientation vers l’exportation de produits pour lesquels le Maroc dispose d’un avantage comparatif. Le
secteur privé n’étant pas un tout homogène, il y a lieu de distinguer les groupes et grandes entreprises
privées, d’une part, les petites et moyennes entreprises, d’autre part.
La première combine renforcement des positions acquises et diversification " tous azimuts ".
L’exemple le plus frappant est fourni par le groupe de l’Omnium Nord Africain (ONA) qui a cherché
tout au long de la décennie 1980 à acquérir une position dominante dans le secteur agro-alimentaire
(industrie laitière, industrie des huiles alimentaires, industrie sucrière) où il était très actif à travers
l’accroissement des parts de marché (réalisation d’investissements d’extension et de modernisation
81
et rachat d’entreprises telles que Huileries, savonneries Gouin et Cosumar) et, dans une moindre
mesure, par un début d’intégration de l’amont de la filière (rachat de SEPO - Société d’exploitation des
Produits Oléagineux -, seule unité de trituration de graines oléagineuses, dans le but de garantir un
approvisionnement régulier de ses filiales). Plus tard, au milieu des années 1990, le groupe va
entamer une opération de mise à niveau de certaines de ses filiales pour faire face au nouveau
contexte de libéralisation et d’ajustement industriel. C’est le cas, à titre d’exemple, de la société
Lesieur Cristal qui a connu une véritable restructuration industrielle axée autour des volets suivants :
optimisation des coûts et des moyens de production, réduction d’effectifs et recentrage sur les
métiers de base, parallèlement à la sous- traitance des activités périphériques (emballage, etc.).
Cette logique industrielle, conçue en termes de technologie, de produits et de contrôle des marchés, se
combine avec une démarche de diversification conglomérale mettant l’accent sur l’aménagement des actifs
financiers. Celle-ci semble évoluer dans le temps, tant en ce qui concerne les activités ciblées, les
modalités de redéploiement stratégique, que pour ce qui est des objectifs généraux recherchés. Ainsi, tout
au long de la décennie quatre vingt, le groupe ONA a-t-il cherché à devenir un acteur majeur dans de
nombreux secteurs, en essayant de conjuguer le souci de la rentabilité financière et l’ambition de jouer le
rôle de locomotive et d’ " éducateur " du secteur privé en matière de modernisation et de mise à niveau de
l’économie. La stratégie multisectorielle englobe l’agro - alimentaire, les mines, l’automobile, la pêche
hauturière, l’industrie textile, la finance, le tourisme, l’immobilier et la communication et les hautes
technologies. Le support principal de cette stratégie conglomérale a été la croissance externe (rachat
d’entreprises, privatisation d’entreprises semi-publiques, prise de participations dans des sociétés).
A partir du milieu des années 1990, le groupe ONA procède à un redéploiement stratégique accompagné
d’un effort de modernisation du style de management. On assiste ainsi à un recentrage de la stratégie du
groupe autour de quatre pôles : mines et matériaux de construction, agro-alimentaire, activités financières
et distribution. Une politique de construction de " champions nationaux " ayant la taille critique pour faire
face à la concurrence internationale est poursuivie dans chaque pôle. De ce point de vue, deux opérations
majeures méritent d’être soulignées : la prise de contrôle de l’important groupe semi-public, la Société
Nationale d’Investissement (SNI), suite à sa privatisation par l’Etat, d’une part. D’autre part le renforcement
du pôle bancaire et financier de l’ONA, suite au rapprochement-fusion entre la Banque Commerciale du
Maroc (BCM) et le groupe Wafabank, donnant naissance au premier " conglomérat " financier du pays. Sur
le plan du management du groupe, une nouvelle orientation est adoptée sur la base des choix suivants :
formulation claire des critères d’appréciation et des attentes vis-à-vis du management, déconcentration de
l’organisation et responsabilisation des directeurs généraux des filiales, création de procédures de
reporting, etc. Enfin, un changement dans les objectifs du groupe est clairement affiché où la création de la
valeur pour l’actionnaire tend à l’emporter sur les considérations de développement économique et social
qui doivent, elles, relever de la responsabilité de l’Etat.
82
du chiffre d’affaires du groupe en 1992. Cette financiarisation des activités du groupe s’est faite
autour du concept d’ " offre financière et de service globale " impliquant une diversification des
services financiers de la banque par l’adjonction de nouvelles activités rémunératrices telles que le
crédit à la consommation (Wafasalaf), le leasing (Wafabail), l’assurance (renforcement de l’activité
de la société Nouvelle d’Assurance qui devient Wafa Assurance), l’informatique (Wafa Systèmes),
la monétique (Wafa Monétique), l’ingénierie financière (Wafa Investissement), le négoce
international (Wafa Trade).
La nouvelle stratégie du groupe SOPAR semble s’être faite aux dépens des activités industrielles,
notamment de l’industrie textile où le groupe détenait des intérêts importants, mais où il a subi les
contrecoups de la mauvaise conjoncture économique, de la perte de certains marchés extérieurs (marchés
irakien et libyen du fait de l’embargo international appliqué contre ces pays, concurrence asiatique sur les
marchés des pays du Golfe) et de certaines erreurs de gestion (surinvestissement, problème de coordination
entre le siège social et les usines, etc.), de l’électroménager du fait, notamment, de la libéralisation des
importations et du développement de la contrebande, et du bâtiment et travaux publics (faillite de la société
Comaprise, Constructions Marocaines et Entreprises).
Le groupe Finance.Com est justiciable de la même analyse, à cette différence près que sa financiarisation
est le résultat direct de la privatisation de la Banque Marocaine du Commerce Extérieur (BMCE) en 1995.
Ainsi ce groupe, dont l’activité d’origine consiste dans l’assemblage de véhicules et la distribution de
grandes marques de l’industrie automobile, a-t-il complètement changé de configuration sectorielle au
cours des années1990. Désormais le groupe est réorganisé autour de quatre pôles où la finance occupe une
position leader : un pôle bancaire autour de la BMCE-Bank, un pôle " assurances ", un pôle " technologie
multimédias " et un pôle " industrie et services ".
Une troisième configuration stratégique caractérise le comportement des groupes ayant décidé de
se retirer des secteurs où ils évoluaient auparavant. C’est le cas des groupes SIM (Société
Industrielle Marocaine) et Nova Holding qui se sont tout simplement retirés de l’industrie des
boissons au profit de la firme multinationale Coca Cola, moyennant une compensation financière.
Le groupe SIM a cédé tous ses actifs industriels à Coca Cola pour se reconvertir dans un premier
temps dans le financement de la consommation (rachat de la société Credor), avant de céder cette
dernière à un important groupe financier de la place.
Au total, ces différentes configurations stratégiques reflètent un comportement économique différencié des
groupes face à la libéralisation de l’économie et à l’ouverture à la concurrence internationale. Elles ne
semblent pas se conformer aux prescriptions du modèle de croissance centrée sur un redéploiement des
activités des groupes vers les secteurs exportateurs où le Maroc dispose d’avantages comparatifs.
83
39% de la valeur ajoutée manufacturière et 46% des salaires distribués par les industries de transformation.
Une forte majorité de PME (72%) est concentrée dans les activités de commerce et de services. Durant la
décennie 1980, le nombre d’entreprises non financières soumises au régime du bénéfice net réel a été
multiplié par près de 2,5 fois, passant de 11 906 entreprises en 1983 à 22 838 en 1990 et à 28 290 en 1993.
Cette augmentation a touché surtout les secteurs du commerce et des services et, dans une moindre mesure,
les industries de transformation. Celles-ci ont vu leur nombre presque doubler, passant de 2 854 entreprises
en 1984 à 5 540 en 1993. Cet accroissement a surtout profité à la branche de l’habillement qui a réalisé, à elle
seule, 33,7% des créations nettes d’entreprises industrielles imposées au bénéfice réel. Il dénote un certain
dynamisme de l’entrepreneuriat marocain dont les rangs semblent avoir été renforcés par une " troisième
génération d’entrepreneurs " issus de couches sociales et d’activités professionnelles diverses (ouvriers,
techniciens, cadres de l’administration, etc.). L’émergence de cette " nouvelle vague d’entrepreneurs ",
caractérisée par " un esprit de concurrence plus agressif ", a été favorisée par les opportunités offertes par
l’accès quasi-libre au marché européen dans le cadre du régime de perfectionnement passif. De ce fait, toute
une industrie de prêt-à-porter dédiée à l’exportation va se développer sur la base des avantages compétitifs
que sont la main-d’œuvre bon marché et la proximité géographique et culturelle de l’Europe. Les PME qui s’y
sont engagées durant les années 1980 vont contribuer de manière significative, à côté des grands groupes
publics, à la transformation de la structure des exportations marocaines où la part des produits manufacturés
va passer de 23,3% en 1980 à 63,4% en 1993.
Toutefois, un tel dynamisme entrepreneurial va atteindre rapidement ses limites. La productivité du travail
est inférieure en 1990 de 30% à celle de 1986. Si les causes de cette baisse relèvent d’abord de facteurs
internes à l’entreprise (manque de formation du personnel, problème d’organisation, vétusté du matériel de
production, etc.), elle n’est pas moins encouragée par la rente procurée par le régime d’accès préférentiel
au marché européen. Par ailleurs, et à partir des années 1990, la compétitivité des entreprises marocaines
va être érodée du fait de l’exacerbation de la concurrence internationale (démantèlement de l’accord
multifibres, adhésion de la Chine à l’OMC, élargissement de l’Union européenne aux pays d’Europe centrale
et orientale), des hausses de salaires intervenues au Maroc, de l'appréciation du dirham, etc. Enfin, la
concentration des exportations sur le système de perfectionnement passif va contribuer à limiter l’activité
industrielle aux opérations d’assemblage dont l’impact sur l’industrialisation du pays est limité.
Pour ce qui est des PME orientées vers le marché intérieur, elles ont souffert de plusieurs contraintes, dont
notamment l’impact dépressif des mesures d’ajustement structurel sur la demande interne durant la décennie
1980. Si le classement des contraintes a quelque peu changé durant les années 1990, le poids de la contrainte
" faiblesse de la demande " ayant diminué au profit des obstacles liés au comportement de l’administration,
du coût du financement et de l’insuffisance des ressources humaines, il n’en reste pas moins vrai que
l’environnement ou " climat " des affaires est plus contraignant pour les PME comparativement aux grandes
entreprises, aux entreprises affiliées à des groupes marocains et aux filiales de groupes étrangers. Ces
contraintes s’ajoutent aux faiblesses internes aux PME (gestion à court terme, sous-capitalisation, sous-
encadrement et manque de transparence financière) et hypothèquent lourdement la capacité de ces
entreprises à faire face aux défis de la mondialisation et de la zone de libre-échange euro méditerranéenne.
Le problème de la compétitivité des PME est d’autant plus menaçant qu’à l’érosion des avantages
compétitifs traditionnels - émergence de pays concurrents où les coûts salariaux sont plus bas - s’ajoute un
sérieux handicap en matière de qualité et d’innovation.
84
L’amélioration de la qualité passe notamment par l’adoption d’une démarche de " qualité totale "
(qualité pour le client, qualité pour l’actionnaire et qualité pour les employés) et le recours de
l’entreprise aux procédures de normalisation, de certification et d’accréditation. Au Maroc, la
certification à la qualité reste un phénomène limité : on estime à un peu plus de 200 le nombre
d’unités certifiés, ce qui laisse notre pays loin derrière des pays à niveau de développement
similaire. L’adoption de la démarche qualité ne va pas sans poser des problèmes dans la mesure où
elle se heurte au style de management paternaliste du propriétaire-dirigeant et à l’absence
d’implication du personnel de base de l’entreprise.
Pour ce qui est de l’innovation, le retard du Maroc peut être illustré par le faible nombre
d’entreprises ayant une pratique de R&D : 8% des entreprises conduisent des travaux de recherche
de façon continue ou discontinue au sein de l’industrie marocaine. Elles représentent, toutefois,
20% du chiffre d’affaires. L’effort moyen de R&D, qui s’élève à 1,4% environ du chiffre d’affaires,
est plus important dans les secteurs du textile (4,5% du chiffres d’affaires) et de l’électronique (2,4
% du chiffre d’affaires).
De manière plus globale, il existe quatre types de comportements en matière de R&D au sein des
entreprises marocaines : (i) les filiales de firmes multinationales qui profitent du potentiel scientifique et
technique de la maison-mère, ce qui leur permet d’avoir des produits compétitifs tant au plan des prix qu’à
celui de la qualité ; (ii) les grandes entreprises privées nationales dont les responsables, plus conscients
des enjeux de la R&D, mobilisent les moyens nécessaires ; (iii) les PME dont les dirigeants, convaincus de
la nécessité d’investir dans la R&D, manquent de ressources ; (iv) enfin, les entreprises familiales orientées
vers le marché local ne ressentant pas le besoin de faire de la R&D et se contentant, quand cela s’avère
nécessaire, de recourir au marché étranger pour acheter le matériel recherché.
L’indicateur de développement humain s’établit au Maroc à 0,602 point en 2000 contre 0,691 pour les pays
à développement humain moyen et 0,747 pour les pays à revenu intermédiaire. Par rapport à l’échantillon
de pays émergents, le Maroc est classé 123e (sur un total de 173 pays), tandis que la Turquie, la Tunisie et
l’Egypte occupent, respectivement, le 85e, le 97e et le 115e rang, loin derrière la Coré du Sud (27e), la
Pologne (37e), le Chili (38e), et la Malaisie (59e).
Face à cette situation de déficit des capacités humaines, les catégories frappées ont tendance à s’enliser dans
des stratégies de survie que les actions homéopathiques de lutte contre la pauvreté ne semblent pas en mesure
de faire évoluer vers une véritable amélioration des opportunités économiques et des facilités sociales.
Un grand nombre d’unités informelles ont été créées dans les années 1970 mais le rythme s’est accéléré à partir
des années 1980 et 1990, tout particulièrement dans le commerce et les services. Il s’agit essentiellement d’unités
de petite taille (les unités unipersonnelles représentent plus de 70% du total).
85
En 1999-2000, l’emploi informel occupe 39 % de l'emploi non agricole et mobilise essentiellement des
jeunes, des migrants, des femmes, des enfants mais aussi des diplômés, des petits fonctionnaires etc. La
dynamique du secteur informel révèle la montée des travailleurs indépendants et de l’auto-emploi. Souvent
lié à un impératif de survie, il constitue la forme dominante de création d'emploi dans le secteur informel :
69% des actifs occupés sont des indépendants ou travaillent à compte propre. Celui-ci peut être exercé
d'une manière permanente ou irrégulière et touche généralement les ménages exposés à l'irrégularité des
revenus. L’auto-emploi est dominant dans le commerce et les services et, dans une moindre mesure, dans
l’industrie. Les petits vendeurs ambulants, cireurs de chaussures, gardiens de parkings et autres catégories
vulnérables constituent la figure principale de l’auto-emploi. Le taux de vulnérabilité est de 51,5% contre
42% pour les salariés et 33,4% pour les inactifs (Direction de la Statistique, 2002). C’est également au sein
des micro-entreprises indépendantes que l’incidence de la pauvreté est la plus affirmée.
Le travail des enfants s'inscrit dans une stratégie de minimisation des risques liés à une perte d’emploi par
un membre de la famille. Les effectifs, difficiles à dénombrer, se concentrent dans les zones urbaines,
l’artisanat traditionnel (dinanderie, travail du cuir, poterie, tapis, agriculture traditionnelle…), les services
(mécanique auto, plomberie...), le micro-commerce de rue (petits porteurs, cireurs, laveurs de voitures,
vendeurs de mouchoirs, de sacs en plastique, etc.) ou les activités domestiques (petites bonnes). Par
ailleurs, on assiste à une polarisation selon le genre : les fillettes sont plus nombreuses dans le travail à
domicile et dans le secteur du tapis, dans les activités de rue et dans certaines activités agricoles.
Les niveaux faibles de formation de ces catégories révèlent l’étroite corrélation entre le travail des enfants
dans l’artisanat et les déperditions scolaires. La main-d’œuvre enfantine est généralement occupée dans
des travaux subalternes, faiblement ou non rémunérés, non protégés juridiquement et dangereux, portant
atteinte à leur santé et à leur sécurité. Dans les activités des métaux et les garages, la durée dépasse les
10 heures par jour pour 84% des enfants (Banque Mondiale, BIT/IPEC, UNICEF, 2003).
Le travail des femmes, comme celui des enfants, est indissociable de la montée de la pauvreté et de la
précarité. Représentant 12,7% des emplois occupés dans le secteur informel, il s’agit pour l’essentiel
d’activités à domicile, non valorisées en tant que telles, cachées ou peu visibles et s’inscrivant dans des
stratégies familiales complexes d'acquisition des revenus ou/ et des qualifications (travail à domicile, dans
les services domestique, aides familiales, travailleuses indépendantes ou main- d'œuvre occasionnelle
circulant entre pôle formel et pôle informel).
Au total, témoignant d’une situation de vulnérabilité extrême et profonde, le secteur informel est moins une
alternative et une planche de salut pour les populations défavorisées qu’une " trappe à pauvreté ", moins
un moyen de réduction des risques qu’un chaudron constituant une véritable menace pour l’équilibre social
et pour la sécurité humaine.
86
C HAPITRE 4
V ERS UN RÉGIME DE CROISSANCE
CENTRÉE SUR LE DÉVELOPPEMENT HUMAIN
Au terme de ces développements mettant en perspective historique les politiques économiques suivies
depuis l’indépendance, les enchaînements macroéconomiques aux quels elles ont donné lieu et les effets
produits en termes de développement social, il convient de réitérer l’hypothèse des limites liées à la logique
des relations faisant dépendre le bien-être social de la réalisation d’un taux élevé de croissance du PIB, elle-
même fonction du maintien dans la durée des équilibres fondamentaux. Confirmant ainsi les résultats
empiriques déjà établis pour de nombreux pays par le Rapport mondial sur le développement humain, le
bilan qui vient d’être dressé soutient le principe théorique d’une codétermination de la croissance
économique et du développement humain, voire d’une consubstantialité entre les deux catégories d’objectifs
et de besoins. Ce principe théorique doit être repris dans cette dernière partie du rapport consacrée à une
définition des linéaments d’une nouvelle macroéconomie incorporant de façon inséparable les indicateurs de
développement humain à la fois comme moyen et comme fin. Dans cette perspective un retour d’abord sur les
dimensions du développement humain et sur les fondements d’une " bonne croissance " permettra de recadrer
dans un second point les perspectives qui sont présentées en termes de croissance économique.
Il a été montré plus haut que les approches ayant prévalu dans le passé procèdent toutes, dans leur
principe, de la croyance que la recherche de la croissance économique entraîne dans le même mouvement
celle du développement économique et social. Bien plus, selon ce paradigme la croissance économique est
une condition nécessaire et suffisante à l’amélioration du niveau de vie des populations. L’échec des
modèles de développement mis en œuvre tout au long de la seconde moitié du XXe siècle traduit, par
ailleurs, les limites des politiques de lutte conte la pauvreté fondées exclusivement sur les mécanismes de
redistribution des revenus en faveur des populations les plus défavorisées. Une telle conception de la
justice sociale, outre qu’elle est conditionnée par l’existence d’un surplus économique et monétaire
disponible, est à la fois inefficiente à long terme et neutralisée dans son impact par les inégalités associées
aux conditions de base et aux dotations premières des différentes catégories de population.
Tout d’abord, la pertinence de la " perspective de la liberté " (Sen, 1999) réside dans la distinction
qu’elle permet d’opérer entre " libertés négatives " ou formelles et " libertés positives " ou réelles :
ces dernières englobent, outre les droits politiques et civiques liés à la démocratie (droit de vote,
d’expression, participation, etc.), les possibilités qu’ont les individus à mettre en œuvre leurs droits et
libertés, à faire fonctionner les ressources dont ils disposent. En d’autres termes, les libertés positives
traduisent une situation de capacité réelle (et non pas seulement juridique) des individus ou des
communautés à traduire leurs positions formelles en dispositions réelles, en fonctionnements. Dans
cette optique, les libertés sont à prendre à la fois comme processus et comme possibilités (de
développer les facultés individuelles).
Ensuite, il s’agit d’une perspective essentialiste du développement mettant en jeu et articulant trois
valeurs ou " importances " de la liberté : une valeur intrinsèque, une valeur instrumentale et une
valeur constitutive.
89
En effet les libertés publiques, la participation politique, les droits démocratiques doivent être considérés
du point de vue de leur importance intrinsèque, comme des " biens premiers " et " sans chercher à les
justifier par leurs effets positifs sur le développement " (Sen, 1999). Mais la composante pratique et
instrumentale de la liberté n’est pas moins importante dans le développement : les droits démocratiques
constituent autant d’incitations politiques favorisant les initiatives des individus, leur engagement à
compter sur leurs propres forces et leur implication positive dans le développement. Dans la même optique,
les opportunités économiques, la justice sociale, la sécurité protectrice et la durabilité accroissent la
capacité d’un individu de vivre librement. Un troisième rôle de la perspective de la liberté réside dans le fait
que les libertés fondamentales politiques et sociales (liberté de participation ou d’expression, libre accès à
l’éducation élémentaire, à la santé) ne sont pas de simples " conducteurs " ou catalyseurs du
développement. Mieux ils sont constitutifs du développement. Pour comprendre cette " importance " des
libertés non seulement comme fin mais aussi comme moyen, il suffit de rappeler l’" exemple des famines "
dû à A. Sen (1989) : "L’absence de famines dans les régimes démocratiques nous fournit l’exemple le plus
évident de cette connexion (…). Aucun pays démocratique, même le plus pauvre, n’a jamais subi de
famines. La raison en est que la prévention de ce fléau ne présente aucune difficulté pour autant que les
gouvernements aient la volonté de la mettre en œuvre. Bien entendu, une démocratie multipartite, dotée de
médias libres et d’un système électoral, constitue, pour un gouvernement, une forte incitation politique à
prendre les mesures préventives ".
Prenant appui sur une vaste étude empirique et comparative, l’exemple de Sen met en exergue deux
relations pertinentes du point de vue de la perspective du développement comme liberté.
La première met en jeu le rôle constitutif et instrumental -déjà souligné- de la démocratie dans le
développement et constitue, dès lors, une réfutation de l’hypothèse selon laquelle les systèmes politiques
autoritaires seraient plus efficaces pour promouvoir le développement et que la démocratie est tout sauf
viable dans un environnement marqué par la pauvreté et le sous-développement. La seconde relation définit
le processus de la pauvreté précisément comme un processus de privation de capacités et dans cette
optique les actions de lutte contre la pauvreté sont d’autant plus efficientes qu’elles sont favorisées par un
processus d’expansion des libertés et d’élargissement des possibilités de choix des individus et des
populations.
Cette conclusion s’applique avec la même intensité aux autres paramètres constitutifs du développement
humain : l’espérance de vie, l’éducation élémentaire, l’alphabétisation, l’accès à la santé, etc. ont tendance
à s’améliorer dans un contexte marqué par les incitations politiques et constituent, dans leur
complémentarité, un puissant facteur de renforcement des facultés individuelles et d’incitation au travail, à
la production et à la création de revenus.
De ces développements généraux il importe de retenir une série d’enseignements en résonance avec les
perspectives suggérées pour le Maroc.
(i) Le premier concerne l’engagement de l’Etat dans le processus de dotation en capacités humaines des
catégories les plus défavorisées. Cet engagement doit privilégier, de façon intégrée et cumulative, les
domaines de l’éducation de base et de l’alphabétisation, de l’accès aux soins de santé, à l’eau potable et à
90
l’électricité, des infrastructures de base, etc. L’arbitrage en faveur de ces domaines est justifié non
seulement par l’ampleur du déficit enregistré mais aussi et surtout par les possibilités qu’ils offrent en
termes de réalisation des choix des citoyens, de réduction des inégalités de capabilités et d’amélioration
des autres indicateurs de développement humain, en particulier du niveau de revenu et de la croissance
économique.
(ii) Se traduisant par des dépenses publiques non négligeables, cet engagement prioritaire est, par
conséquent, de nature à reproduire les mêmes déséquilibres budgétaires et à déboucher sur les mêmes
déficits sociaux que par le passé s’il n’est pas doublé d’un élargissement des libertés substantielles, de la
participation, de la responsabilisation, du contrôle par les citoyens de leur destin. En dernière analyse c’est
à une telle indexation des capacités humaines sur les libertés qu’est subordonnée la vraie garantie du
conséquentialisme des décisions publiques et des politiques de l’Etat, c’est-à-dire de la traduction des
objectifs en résultats concrets.
(iii) Un autre enseignement a trait au rapport entre croissance économique et politiques sociales en général
et aux contraintes liées au financement de ces dernières en particulier. Outre l’argumentation théorique en
faveur d’une dynamique de la croissance économique tirée par les processus d’accroissement des capacités
humaines, l’expérience marocaine a largement invalidé les modèles faisant dépendre les dépenses sociales
de la réalisation hypothétique d’un taux de croissance élevé. C’est précisément en raison de cette
dissociation contreproductive que les contraintes budgétaires ont été, d’année en année, dupliquées et qu’a
été reproduit le cercle vicieux des lois de finance. La perspective formulée par rapport à cette problématique
met en jeu, au contraire, l’impératif de refonder le régime de croissance sur un bouclage des enchaînements
macroéconomiques incorporant dynamique de la productivité et dynamique de la demande populaire. Cette
macroéconomie " consensuelle " et " utile ", sans être incompatible avec les critères d’ouverture sur les
marchés internationaux, de compétitivité externe, de promotion des exportations et d’incitations aux
investissements, est la seule qualifiée pour amorcer un processus vertueux et autoentretenu de croissance
combinant intraversion et extraversion, dynamique d’élargissement du marché interne et maîtrise des
relations externes.
(iv) Dans la même optique, l’engagement volontariste de l’Etat ne saurait être exclusif du rôle
complémentaire incombant au secteur privé. Outre la création de richesses et de valeurs, l’entreprise
moderne contribue à l’innovation sociale, à la codification du rapport salarial et à l’organisation des
relations professionnelles. Les nouvelles normes sociales définies notamment par l’OIT (responsabilité
sociale de l’entreprise, travail décent, interdiction du travail des enfants, etc.) tendent à s’imposer, en ce
début de siècle, comme des critères d’efficacité et de compétitivité internationale obligeant les entreprises
nationales à reconfigurer leurs procédures de management eu égard au respect des droits fondamentaux
des salariés et à l’application de la législation du travail. Ces principes, convergents avec les objectifs du
développement humain, impliquent cependant un infléchissement de la dépendance du chemin, c’est-à-dire
un renversement du régime de croissance tirée de façon prévalente par l’avantage comparatif salarial, la
disqualification du droit du travail et le recours aux formes d’emploi informel et précaire.
(v) Un tel renversement prend acte des perspectives à l’œuvre à l’échelle mondiale en matière de travail et
d’emploi. De fait, les modèles productifs ont tendance à valoriser les ressources humaines, à mobiliser les
91
compétences et à asseoir les différentiels de compétitivité sur la qualité des procédés, des processus et des
produits. Les opportunités associées à ces modèles productifs doivent constituer un facteur d’impulsion d’une
nouvelle dynamique de création d’emplois qualifiés. Cette inflexion doit être accompagnée par une stratégique
d’incitation à l’emploi des jeunes fondée sur les préconisations suivantes (El Aoufi, Bensaïd, 2005) :
améliorer le système d’information et de connaissance relatif aux jeunes dans les domaines d’emploi,
d’autres catégories que les jeunes diplômés) afin d’éviter les comportements opportunistes et les
gaspillages ;
accroître l’efficience du système d’intermédiation sur le marché du travail : professionnalisation des
agents, décentralisation de l’action de l’ANAPEC en relation avec les bassins d’emploi et avec la
nouvelle politique territoriale, gestion locale de l’emploi et des compétences ;
mettre en œuvre les " Réseaux régionaux d’éducation-formation " (prévus par la Charte de l’Education)
et une meilleure cohérence entre les actions et les politiques mises en oeuvre : entre les différentes
instances qui peuvent être impliquées par l’emploi des jeunes ;
procéder de façon systématique à l’évaluation des politiques publiques en matière d’emploi : sans
dispositifs et mécanismes transparents de suivi et d’évaluation le risque est grand de renforcer les
effets pervers au détriment notamment des jeunes les plus vulnérables;
redéfinir les programmes de mise à niveau de l’entreprise de façon à impliquer davantage les
entreprises et les associations professionnelles dans la prise en compte les nouvelles normes en
matière d’emploi et de travail décent (développement des ressources humaines, responsabilité sociale,
formation en cours d’emploi, travail décent, libertés syndicales, etc.) ;
refonder la configuration des relations professionnelles autour des enjeux de l’emploi des jeunes sur
la base de procédures négociées entre les partenaires sociaux (accords d’entreprises, conventions
collectives) ;
last but not least, veiller de façon plus efficace à l’application effective et au respect scrupuleux des
(vi) De façon plus structurelle, la définition d’un régime de croissance enrichie en emplois est connivente
d’une politique industrielle volontariste et intégrée. Coordonnée par l’Etat en partenariat avec les
associations et les organisations professionnelles, cette politique doit avoir les finalités suivantes :
le développement de relations de coopération intersectorielles et d’alliances stratégiques
interentreprises ;
l’amélioration de la compétitivité territoriale autour de districts industriels ou de systèmes productifs
localisés ;
le renforcement de relations de sous-traitance nationale entre les grandes entreprises et les PME ;
l’insertion active dans le " nouveau monde industriel " (Veltz, 2000) à l’œuvre au niveau mondial.
92
(vii) Outre l’impact décisif produit sur le maillage du tissu productif, la politique industrielle intégrée a pour
vertu de contribuer à l’extension de l’emploi salarié (au détriment des formes domestiques, atypiques et
vulnérables) et à l’élargissement des bases de la société salariale. Les éléments de bilan concernant les
relations de longue période entre la croissance économique et les catégories d’emplois font apparaître un
processus de salarisation restreinte, voire de désalarisation qui n’est pas sans liens avec l’échec des
stratégies d’industrialisation. Une telle évolution semble pour le moins paradoxale eu égard précisément au
régime de croissance extensive dominant, fondé sur des niveaux faibles de productivité et sur un coût du
travail relativement bas. Le renforcement des relations clients-fournisseurs entre les branches industrielles
est susceptible d’engendrer des dynamiques d’emploi salarié contribuant à affranchir l’économie et la
société des modalités d’emploi domestique et informel et à réduire cette non-liberté économique que
constituent le chômage ou les activités de survie.
(viii) Enfin comme l’impératif de recentrage de la croissance sur la finalité de l’emploi, la perspective d’un
développement industriel volontariste et intégré suppose :
la cohérence de l’architecture institutionnelle et la complémentarité de ses instances de décision.
La première condition prend en considération l’influence conjointe des différentes institutions sur
l’économie dans son ensemble. De même elle tient compte de l’interdépendance des processus de décision
des agents. Par ailleurs la hiérarchie institutionnelle (Aoki, 2001) entre différents niveaux territoriaux et
instances décisionnelles implique des arrangements institutionnels constants : les institutions centrales ne
produisent pas toujours des effets différenciés et cohérents au niveau local et, inversement, les institutions
locales n’engendrent pas que des effets locaux mais peuvent affecter l’équilibre de l’économie toute entière
(Boyer, 2004 ; Amable, 2005).
Plusieurs domaines peuvent inciter dans le cas du Maroc à la recherche d’une plus grande complémentarité
institutionnelle : complémentarité entre système d’éducation et de formation et système productif, entre
développement rural et industrialisation, entre promotion des exportations et élargissement du marché
interne, entre système financier et système monétaire, entre système budgétaire et système fiscal, entre
système monétaire et système de promotion des investissements, entre politique de création d’entreprises
et politique d’incitations salariales et de protection du travail, entre politiques sectorielles ciblées sur les
secteurs compétitifs et politique nationale, intégrée et durable, etc.
93
Mais le cheminement dans et par le processus démocratique étant indissociable des avancées enregistrées
par et dans le développement humain, les perspectives qui suivent, relatives aux politiques économiques,
ne sont intelligibles que par rapport à une pragmatique générale des réformes par le débat public et le
consensus.
De fait, la dépense budgétaire a été tendanciellement tirée vers des limites dépassant les capacités en
ressources de l’économie nationale. Les recettes budgétaires, elles, subiront, en l’amplifiant, ce type de
régulation de la dépense. De façon structurelle, les recettes ont été marquées, en longue période, par une
instabilité chronique ayant des origines aussi bien dans la recette que dans la dépense proprement dite. De
ce point de vue, la problématique de la recette budgétaire, et notamment son instabilité, se trouve aussi
bien en son sein (réforme du système fiscal, recettes douanières, recettes de monopole, etc.) qu’au niveau
de la dépense budgétaire régulée de façon administrative et réglementaire sans référence suffisante au
dynamisme de l’économie nationale. Quant aux politiques monétaires suivies durant les cinquante dernières
années, elles ont été marquées globalement par une certaine orthodoxie. Comparativement à la Turquie, par
exemple, qui a connu des taux d’inflation à deux chiffres depuis les années 1980, la politique monétaire
marocaine a rarement servi d’instrument de relance économique conjoncturelle, à l’exception des années
1973-1977. L’évolution du taux de change a été maîtrisée, avec même une tendance à l’appréciation.
Les politiques économiques ont, tout au long d’un demi siècle, évolué dans les limites étroites de
l’ajustement (politique budgétaire) et du monétarisme (politique monétaire). Dans de telles " quadratures "
de la politique économique, la croissance ne peut évoluer que sur un sentier étroit. En effet il a été observé
une stagnation en longue période du taux moyen de croissance économique depuis plus de quarante ans. Le
taux de croissance agricole est resté volatile, bien qu’il ait enregistré une reprise depuis la grande période
de sécheresse des années 1980.
Au total, la croissance économique évolue en longue période selon un profil en "dents de scie" de plus en
plus accentué et les politiques macroéconomiques mises en œuvre dans un contexte de régulation
administrative et réglementaire n’ont pas été suffisantes pour amorcer un taux de croissance moyen élevé
et durable.
Depuis l’indépendance, les principaux indicateurs sociaux se sont détériorés. Le taux de chômage urbain a
augmenté passant de 10% à 20%. Quant aux dépenses sociales (éducation et santé), elles n’ont
pratiquement pas évolué en pourcentage du PIB durant cette longue période alors que la population a
doublé en 1981 et triplé en 2003 par rapport aux années 1960.
94
Au vu des résultats sociaux obtenus, les politiques macroéconomiques et de croissance semblent avoir
atteint leurs limites. De telles politiques seront de plus en plus difficiles à poursuivre dans l’avenir au
regard des défis économiques et sociaux auxquels le Maroc aura à faire face dans les vingt prochaines
années.
La croissance est le résultat de projections de variables exogènes telle que la croissance de la population
active, l’investissement en capital humain (éducation, formation, etc.) et l’investissement en capital
physique. Dans la région de pays à revenus intermédiaires, l’hypothèse a été faite de l’évolution maximale
du taux d’investissement et l’on suppose, par ailleurs, que ces pays profiteront dès la présente décennie
d’une meilleure insertion internationale. " Pour la Turquie, l’Europe du Sud-Est, et les pays non pétroliers
d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient, le décollage serait favorisé par l’intensification des liens avec
l’Union européenne" (ibid., p. 36).
L’évolution du PIB est ainsi déterminée dans un contexte de " croissance économique soutenue, une
croissance démographique sur le déclin et un progrès technique au même rythme que sur les 30 dernières
années passées " (ibid., p. 36). Ainsi, en ce qui concerne les pays d’Afrique du Nord et du Moyen Orient, les
Etats producteurs de pétrole voient leur PIB augmenter d’environ 2% par an durant les 30 prochaines
années, rythme qui diffère peu de leur performance moyenne sur la période de 1970-2000. En revanche, et
comme auparavant, les pays non pétroliers de la zone croissent plus vite et gardent un taux de croissance
élevé entre 3,5% et 4% jusqu’en 2030 (Ibid., p. 36).
Face à une telle prospective de la croissance économique d’ici à 2030, les politiques macroéconomiques
marocaines ont plusieurs défis à relever.
(i) Une croissance plus vigoureuse. Il s’agit tout d’abord de rompre avec l‘atonie de la croissance observée
depuis près de cinquante ans : environ 5% durant les années 1960-1980, puis 4% au cours des années 1980-
1990, pour se fixer à 3% sur les années 1993-2002. A ce rythme, l’économie nationale ne peut qu’évoluer sur
un sentier stationnaire au cours des années à venir, et ce quel que soit le comportement de l’agriculture.
Le taux de croissance prévu par le CEPII à l’horizon 2030 pour les pays non pétroliers de la région est une
moyenne. Les pays à politiques macroéconomiques plus adaptées, et qui sauront mieux s’intégrer à
l’économie régionale et mondiale, réaliseront des taux supérieurs, en moyenne, à 3 ou 4%, alors que les
autres stagneront ou feront moins.
95
La croissance démographique du Maroc s’étant ralentie, les facteurs de croissance résident encore dans la
population jeune, mais celle-ci se caractérise par un niveau de formation faible. Quant aux autres facteurs,
en l’occurrence, l’investissement physique et le progrès technique, ils ne sont en général porteurs de
croissance que s’ils sont combinés avec un capital humain plus valorisé.
Aussi, le scénario de croissance économique de 3% à 4% d’ici à 2030 dans les pays d’Afrique du Nord non
producteurs de pétrole constitue-t-il pour le Maroc un objectif non seulement à atteindre, mais à dépasser.
En effet, si les politiques macroéconomiques n’évoluent pas au-delà de 4% de croissance, la situation
économique et sociale de la population ne réussira pas à s’affranchir de la tendance actuelle marquée par
l’aggravation des résultats tout à la fois économiques, sociaux et humains.
Aussi, face aux processus manifestes de régression sociale et humaine associés aux trajectoires
précédentes, les politiques macroéconomiques sont appelées à saisir les " ruptures " en cours dans les
domaines du commerce, de l’industrie, de la finance et des services, à s’insérer de façon active dans les
nouvelles trajectoires et à opposer aux contraintes externes les opportunités économiques, les facilités
sociales et les fonctionnements macroéconomiques offerts par le développement humain et l’élargissement
des choix et des possibilités des populations les plus défavorisées.
(ii) Une ouverture maîtrisée. Au plan microéconomique et sectoriel, les accords de libre- échange signés
avec l’Union européenne et avec les Etats-Unis ne manqueront pas d’avoir des retombées sur l’ensemble
des entreprises, des secteurs et des branches. Face à des macroéconomies à forte régulation fordiste et
post-fordiste (UE et USA), il peut s’avérer anachronique, voire contreproductif, de maintenir dans le cas du
Maroc des politiques macroéconomiques régulées pour l’essentiel de façon administrative et en
déconnexion par rapport aux leviers que constituent les capabilités dues au développement humain.
De ce point de vue, comme il a été souligné plus haut, l’ouverture économique n’est pas la panacée
(Bensidon, Chevalier, 2002) : " si l’ouverture est favorable au développement, elle est loin d’en être une
condition suffisante. Différents travaux se sont attachés à montrer pourquoi les relations entre ouverture
commerciale et croissance sont plus complexes que ne le voudraient les apôtres de l’ouverture. La
libéralisation commerciale est vouée à l’échec si les mécanismes de marché ne fonctionnent pas de manière
satisfaisante. La capacité des gouvernements à mettre en œuvre les réformes macro et microéconomiques
qui doivent accompagner l’ouverture (réformes fiscale, amélioration de l’accès des entreprises au
financement, réforme juridique…) est tout aussi essentielle que l’ouverture elle-même. En outre,
l’ouverture se traduisant par une plus grande exposition aux chocs, elle réclame des ajustements
macroéconomiques qui peuvent être entravés par la faiblesse des institutions chargées de la gestion des
conflits d’intérêt".
En effet, comme on l’a remarqué à propos des politiques budgétaire et monétaire, l’ouverture économique
du Maroc, notamment sur les pays de l’Union européenne, produira des effets, tout au long des vingt
prochaines années, sur les méthodes de conception et de mise en œuvre de ses politiques
macroéconomiques. A cet égard, en se plaçant dans l’hypothèse d’une croissance de 3% à 4% durant les
20 prochaines années, il semble nécessaire d’infléchir les politiques macroéconomiques en direction d’une
modalité de régulation incorporant de façon constitutive les principes de développement humain tels qu’ils
ont été définis précédemment.
96
Au niveau financier, l’ouverture commerciale sur l’Europe est de nature à renforcer davantage la position
privilégiée de l’économie nationale. De ce point de vue, la monnaie unique européenne peut constituer un
véritable atout si la capacité d’adaptation de la politique macroéconomique (budgétaire et monétaire)
s’affirme vigoureusement et rapidement afin d’intégrer le marché européen.
(iii) Une agriculture intensive, compétitive et durable. L’enjeu agricole en ce début de siècle est de réussir
la transition vers une agriculture intensive, compétitive et durable, c’est-à-dire socialement, politiquement et
écologiquement acceptable. Dans les conditions actuelles, une politique visant une " insertion gagnante " au
sein de l’économie mondiale peut avoir des conséquences négatives sur le monde rural dont la situation
structurelle constitue précisément l'obstacle majeur à la libéralisation des échanges. Celle-ci ne peut être un
mouvement isolé, mais doit s’inscrire dans une dynamique d’ensemble commençant par les réformes internes
et se prolongeant par un processus d’" ouverture " maîtrisée et négociée. Dans ce processus de modernisation
de l’agriculture l’Etat doit jouer pleinement son rôle à la fois de stratège, de régulateur et de traducteur de
consensus entre les différentes parties prenantes (les élus, les partenaires sociaux, la société civile, l’opinion
publique, etc.) autour de choix engageant la société dans son ensemble (les fonctions de l’agriculture et la place
du monde rural dans le développement du pays, les réformes internes préalables, le contenu et le niveau de
sécurité alimentaire requis, le degré et les modalités de la libéralisation des échanges, les modes de régulation
économique et sociale appropriés, la préservation des ressources naturelles, etc.).
En matière de développement agricole, comme pour l’industrie et les services, l’Etat doit agir avec
volontarisme afin de réaliser les restructurations ou les reconversions nécessaires, mettre en œuvre les
politiques d'accompagnement appropriées susceptibles d’atténuer l'ampleur des chocs, de favoriser les
efforts d'adaptation et de préserver les conditions de vie décente pour la grande majorité de la population.
(iv) Agir contre le chômage structurel. Dans le domaine de l’emploi, sur la base des taux d’activité
tendanciels, l’offre de travail pourrait passer de 10,9 millions en 2005 à 13,8 millions en 2014 et à 16,6
millions en 2024, ce qui correspond à une offre additionnelle annuelle de 293 000 et de 263 000,
respectivement. Compte tenu de l’exode rural, plus de 90% du croît de l’offre de travail seront localisés en
milieu urbain. Les perspectives suivantes peuvent être envisagées :
Afin de maintenir le taux de chômage à son niveau actuel jusqu’en 2024, les créations d’emplois
devraient atteindre, en moyenne, 285 000 entre 2005 et 2014, impliquant une évolution du taux de
croissance du PIB supérieure à 4,7% au cours des dix prochaines années. Durant la période 2015-2024,
l’effort de création d’emplois resterait important avec 276 000 postes d’emplois, en moyenne par an,
correspondant à une croissance moyenne de 4,4% l’an du PIB.
Pour réaliser une baisse significative du taux de chômage à 10% à l’horizon 2014 et pour le maintenir
à ce niveau jusqu’en 2024, il faudrait réaliser une croissance minimale d’environ 5% à même de
générer une création de 311 000 emplois en moyenne entre 2005 et 2014 et un taux de croissance de
4,4% sur la période suivante pour créer annuellement 250 000 emplois nets.
Enfin l’objectif plus ambitieux d’un taux de chômage de 6% à l’horizon 2024 suppose un rythme de
croissance plus soutenu de l’ordre de 5,4% et plus riche en emplois capable de générer, en moyenne,
366 000 postes de travail entre 2005 et 2014 et 260 000 entre 2015 et 2024.
(v) Réinstitutionnaliser les activités informelles. Les enjeux liés au secteur informel diffèrent
respectivement selon les catégories : les mieux lotis (employeurs, les catégories relativement plus
structurées, etc.) ou les moins bien pourvus (les salariés non qualifiées, les femmes et les enfants, etc.). Les
actions devraient être différenciées selon les composantes de l’informel.
97
En matière tout d’abord des stratégies envers les micro- entrepreneurs, l’analyse révèle qu’il est plus
approprié de lever les contraintes pesant sur les micro-entreprises de manière à stabiliser leur environnement.
Le choix en faveur d’une configuration formelle et légale peut, en effet, procurer des avantages comme l'accès
aux formes de crédits institutionnalisés, aux commandes publiques, etc. Le passage des micro-unités
informelles à une échelle supérieure de type PME est, toutefois, conditionné par un changement
d’organisation, de normes et de règles que l’" informel " ne peut, de par sa nature, observer toutes choses
égales d’ailleurs :
Mettre en place un cadre institutionnel favorable. L’approche selon laquelle il suffirait de soustraire le
secteur informel à tout contrôle législatif, administratif et fiscal pour assurer rapidement croissance et
prospérité est pour le mois simpliste. Il appartient à l'Etat d'assumer une fonction essentielle, à savoir
compenser les insuffisances du marché et stimuler le développement économique en facilitant l'accès
au crédit, en investissant dans l'infrastructure et dans la mise en valeur des ressources humaines.
Concernant la fiscalité, un système fiscal souple et adapté aux spécificités des unités informelles est
souhaitable. L'établissement d'un impôt forfaitaire et constant est souvent déploré, alors que les
revenus varient parfois dans des proportions considérables. Au niveau réglementaire, certaines
réglementations conçues dans l'intérêt collectif sont économiquement et socialement justifiées et
doivent, par conséquent, être appliquées (protection sociale des travailleurs règles d’hygiène de santé
et sécurité, etc.). D'autres doivent être améliorées (fiscalité).
Améliorer l’environnement, commercial et financier, en renforçant les relations avec le secteur formel,
de manière à développer un processus endogène d’industrialisation intégrant certains segments de
l’artisanat. Dans la même optique, la mise en place d’une politique de crédit sélective peut constituer
une incitation à la formalisation (paiement de certains impôts).
Créer des liens d’interface entre l’informel et les activités modernes, sur le plan organisationnel, par le
renforcement des capacités associatives, le regroupement des petits producteurs indépendants, etc.
Dans le domaine, ensuite, des politiques d’emploi et de travail, les perspectives suivantes sont à envisager :
Le chômage des diplômés étant de plus en plus régulé par l’insertion dans les activités informelles, des
actions en leur direction sont nécessaires.
Des catégories plus particulièrement vulnérables comme les enfants et les femmes exigent des
interventions spécifiques. L’adoption de normes sociales du travail telles que l’abolition progressive du
travail des enfants, la lutte contre les formes de discrimination frappant les femmes en matière de
formation, d’accès à l’éducation, d’emploi, l’amélioration des conditions de travail, etc. s’avèrent être
des objectifs prioritaires de développement humain.
Des objectifs en direction de la formation et de l’éducation des actifs du secteur informel. Les unités
informelles ne peuvent à elles seules prendre en charge la formation des jeunes, ni se substituer
totalement au système de formation professionnel. Il importe d'articuler les systèmes de formation
avec les modes de transmission des qualifications ayant cours au sein des unités informelles.
La mise en place d’un filet de protection sociale minimale pour la main-d’œuvre, à un coût moindre et
compatible avec les systèmes organisationnels des micro- entreprises (à titre d’exemple un taux faible
de cotisation).
(vi) Des entreprises économiquement efficaces et socialement responsables. Une brève analyse
prospective de l’évolution du secteur privé permet de dégager deux scénarios possibles.
98
Poursuivre les réformes structurelles engagées dans les années 1990 contribuant à implémenter, en
dépit des résistances d’ordre organisationnel et culturel, le modèle actionnarial de gouvernance de
l’entreprise dans l’espoir que la création de valeur pour l’actionnaire permettra d’optimiser l’impact
escompté en matière de développement humain. Le déclenchement de la crise asiatique, les taux de
croissance décevants du continent sud-américain - région où les réformes libérales ont été les plus
importantes, la catastrophe argentine ou encore l’insuffisance des résultats économiques des pays les
moins avancés ont montré clairement les limites d’un tel modèle (Boyer, Dehove, Plihon, 2004).
Promouvoir un modèle de gouvernance du secteur privé de type stakehholders qui, prenant en compte
les intérêts des différentes " parties prenantes " (actionnaires, salariés, usagers, collectivités
territoriales, etc.) et incorporant le principe de responsabilité sociale, tend à rejoindre les objectifs du
développement humain.
En résonance avec les perspectives prônées dans ce rapport, un tel scénario suppose, outre une politique
volontariste et intégrée de l’Etat (politique industrielle sélective, soutien de la demande interne, création
d’externalités positives, etc.), des inflexions majeures dans l’environnement international et interne
favorisant l’optimisation de l’impact du secteur privé sur le développement humain.
Au niveau international, les règles et politiques mondiales régissant le commerce et la finance doivent
laisser une plus grande marge de manœuvre aux pays du Sud (abandon de la conditionnalité imposée de
l’extérieur, traitement spécial et différencié pour ces pays). De nouvelles règles pour les investissements
directs étrangers et la concurrence doivent être adoptées. La protection et la sécurité des populations,
notamment au sein des pays en voie de développement doivent constituer l’enchâssement social et humain
de la croissance mondiale.
Au niveau national, le secteur privé est appelé à adopter des modes d’organisation et de management
conjuguant la recherche de la rentabilité financière et les principes de responsabilité sociale et d’éthique
des affaires, l’initiative privée et les valeurs de solidarité, le développement de l’espace concurrentiel et
l’affirmation de l’engagement en faveur de la production du développement humain. Il s’agit d’incorporer,
de façon institutionnelle, les intérêts et les choix des différentes parties prenantes dans les stratégies des
entreprises et de traduire dans les pratiques du secteur privé les fonctionnements élémentaires propres au
développement humain (programmes sociaux en matière de santé, d’éducation et d’alphabétisation, choix
technologiques favorisant la création d’emplois et l’apprentissage, incitations salariales, promotion de
l’égalité professionnelle entre les hommes et les femmes, etc.). L’entreprise est considérée, dans cette
optique, non seulement comme un espace de création de valeur et de distribution des richesses, mais aussi
comme un lieu nodal d’innovation sociale, d’apprentissage des capacités et de mise en oeuvre à une plus
grande échelle des libertés positives.
99
Les capacités fonctionnelles de base pour une vie digne et décente
Les perspectives qui viennent d’être déclinées à grands traits trouvent leur justification- ainsi qu’ on a tenté
de le vérifier tout au long de ce bilan - dans l’impératif d’une inflexion majeure des enchaînements macro-
économiques en termes de développement humain. La croissance économique est non seulement
conditionnée par les avancées des libertés positives et par l’amélioration des indicateurs de développement
humain, mais elle peut trouver dans le relèvement des capacités fonctionnelles de base (Nussbaum, 1990 ;
Nussbaum et Sen, 1990) des individus et des groupes les plus défavorisés le ressort de sa dynamisation et
de son engagement sur un sentier vertueux et autoentretenu.
L’argumentation en faveur d’une telle hypothèse générale se fonde dans le cas du Maroc sur l’ampleur de
la pénurie des capacités liée précisément à une déconnexion durable observée entre croissance économique
d’une part, développement social et humain d’autre part. Cette situation structurelle tend à créer une
dépendance de chemin et à générer des processus incapacitants pour l’action politique et pour les
politiques économiques. La perspective défendue dans ce rapport se fonde, à l’inverse, sur l’idée que les
irréversibilités peuvent êtres réversibles et que la résilience économique et sociale est fonction de la
résilience humaine.
Au Maroc, loin d’être irréaliste, cette perspective implique comme exigence première une restauration des
conditions de vie digne et décente pour l’ensemble des catégories vivant dans le sous-développement humain.
Le principe de vie digne et décente constitue, dans le cas spécifique du Maroc, un facteur irréductible de
résilience humaine et peut trouver sa traduction dans la mise en œuvre des capacités fonctionnelles de
base suivantes :
(i) Capacité de vivre une vie humaine complète marquée dès la naissance par la dignité et la décence ;
(ii) Capacité de vivre en bonne santé tout au long de sa vie et de bénéficier des soins de base, des
moyens de prévention des maladies et d’une alimentation adéquate et saine ;
(iii) Capacité d’accéder à un logement décent, les bidonvilles et les logements insalubres étant pour les
familles les plus défavorisées des conditions extrêmes de souffrance, d’insécurité humaine et
d’absence de dignité;
(iv) Capacité de bénéficier d’une éducation de base et d’une formation tout au long de la vie ;
(v) Capacité d’accéder à un emploi salarié assurant à l’individu un revenu couvrant ses besoins
essentiels et ceux de ses enfants et l’affranchissant des restrictions de sa dignité;
(vi) Capacité d’occuper un travail décent et de bénéficier pleinement de ses droits fondamentaux ;
(vii) Capacité de se soustraire à la mendicité, au travail domestique, aux activités de survie, à l’insécurité
humaine (délinquance, violence, etc.) et de desserrer la contrainte de non-liberté économique que
traduisent les situations de désaffiliation sociale que sont le chômage, le sous-emploi, la précarité
du travail, et la pauvreté;
(viii) Capacité pour les enfants d’échapper au besoin de travailler, celui-ci contribuant à compromettre de
façon irréversible leurs opportunités et à débiliter de façon définitive leurs potentialités.
(ix) Capacité pour les femmes de jouir des mêmes libertés positives que les hommes et de disposer des
mêmes droits à une " vie bonne ", digne et décente.
(x) Capacité pour les hommes et les femmes de fonctionner comme des agents du développement
humain grâce à leur participation réelle aux processus de décision, de mise en œuvre, d’évaluation
et de contrôle des politiques publiques.
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2005/2613
50 ANS DE DÉVELOPPEMENT HUMAIN
&
P E R S P E C T I V E S 2 0 2 5
Croissance Economique
et Développement Humain
RAPPORTEURS
Noureddine EL AOUFI RAPPORT THÉMATIQUE
Ahmed HERZENNI
Mohamed BENSAID