Encyclopédie Berbère Volume 9

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ENCYCLOPDIE BERBRE

F O N D A T E U R D E LA PUBLICATION
GABRIEL C A M P S

D I R E C T E U R D E LA PUBLICATION
SALEM C H A K E R

Professeur l'INALCO (Paris)

CONSEILLERS SCIENTIFIQUES H. CAMPS-FABRER (Prhistoire et Technologie) J. DESANGES (Histoire ancienne) O. D U T O U R (Anthropobiologie) M. G A S T (Ethnologie) H. CLAUDOT-HAWAD (Anthropologie sociale et culturelle)

COMIT DE RDACTION D. ABROUS (Anthropologie) M. A R K O U N (Islam) E. BERNUS (Ethnologie, gographie) A. B O U N F O U R (Littrature) R. C H E N O R K I A N (Prhistoire) M. FANTAR (Punique) E. G E L L N E R (Socits marocaines) S. HACHI (Prhistoire) J.-M. LASSERE (Socits antiques) J. L E C L A N T (gypte) K.G. PRASSE (Linguistique) L. SERRA (Linguistique) K. SLIMANI-DIRECHE (Histoire moderne et contemporaine) G. SOUVILLE (Prhistoire) P. T R O U S S E T (Antiquit romaine) M.-J. VIGUERA-MOLINS (Al-Andalus)

INSTITUT DE RECHERCHES ET D'TUDES S U R L E M O N D E A R A B E E T M U S U L M A N (AIX-EN-PROVENCE) C E N T R E D E R E C H E R C H E B E R B R E (INALCO-PARIS)

ENCYCLOPDIE BERBRE
IX Baal - Ben Yasla

Rimpression assure par les soins


de l'INALCO

DISUD L a C a l a d e , 13090 A i x - e n - P r o v e n c e , F r a n c e

ISBN 2-85744-201-7 et 2-85744-509-1 La loi du 11 mars 1957 n'autorisant, aux termes des alinas 2 et 3 de l'article 41, d'une part, que les copies ou reproductions strictement rserves l'usage du copiste et non des tines une utilisation collective et, d'autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d'exemple et d'illustration, toute reprsentation ou reproduction intgrale, ou partielle, faite sans le consentement de ses auteurs ou des ses ayants-droit ou ayants-cause, est illicite (alina 1 de l'article 40). Cette reprsentation ou reproduction par quelque pro cd que ce soit constituerait donc une contrefaon sanctionne par les articles 425 et sui vants du Code pnal.
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disud, 1991. Secrtariat : Laboratoire d'Anthropologie et de Prhistoire des pays de la Mditerrane occi dentale, Maison de la Mditerrane, 5 bd Pasteur, 13100 Aix-en-Provence.

B 1 . BAAL (B1)

Aire gographique La racine laquelle appartiendrait le nom de B'l est atteste dans la plupart des langues smitiques connues comme l'accadien, l'assyro-babylonien, l'ougaritique, le phnicien, le punique, l'hbreu, l'aramen, le nabaten, le palmyrnien, l'arabe, etc. Le nom de B'l tait d'usage courant dans toutes les contres de l'univers dit smitique depuis la Msopotamie jusqu' la Pninsule arabique auxquelles il convient d'ajouter les pays du Maghreb qui doivent son usage aux apports des Phniciens et de Carthage et aux apports de la civilisation arabo-islamique. Le nom de B'l a t introduit galement par les Phniciens et Carthage dans les grandes les de la Mditerrane occidentale comme la Sicile et la Sardaigne ainsi que dans les Balares et dans les rgions mridionales de la Pninsule ibrique.

Cadre historique et chronologique A l'immensit de son aire gographique, le nom de B'l associe l'extension de son cadre historique et chronologique : les crits o l'on peut lire ce vocable couvrent plusieurs millnaires, du III millnaire avant J.-C. (il s'agit notamment de certaines tablettes acadiennes) jusqu' nos jours puisque l'Arabe littral continue d'utiliser le nom de B'l pour dsigner l'poux, matre et pour ainsi dire propritaire de la femme et que l'arabe dialectal notamment au Maghreb qualifie certaines cultures de b'ly adjectif tir sans doute de B'l : il s'agit de cultures sches sans doute celles dont l'irrigation est confie au ciel c'est--dire B'l en tant que divinit responsable de la prosprit agricole. Doit-on cet usage prcis de B'l aux apports de la culture arabe ou s'agit-il plutt d'une rmanence punique? Quoi qu'il en soit, le nom de B'l figure dans les colonnes des lexiques smitiques les plus anciens et les plus rcents.
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C h a m p smantique Du point de vue de la smantique, B'l se distingue par la richesse et la diversit. Son contenu fondamental recle les notions de force, de puissance, de possession, de domination, de richesse, etc. Dans certains parlers comme l'ougaritique et l'arabe, la racine est prsente sous des formes verbales avec le sens de dominer, possder, tre riche, se marier, aduler, flatter par le geste et la parole. Nous avons dj mentionn une forme adjectivale encore vivace dans le parler arabe d'Afrique du Nord, en rapport avec l'agriculture. Sous sa forme nominale, B'l dsigne le seigneur, le matre, le propritaire, le citoyen ou le notable d'une cit comme Maktar o de nombreuses inscriptions nopuniques comportant l'expression B'ly H MKTRM que l'on a souvent traduite par Citoyens de Maktar ou encore par Notables de Maktar. Des inscriptions galement no-puniques dcouvertes Medidi, l'actuel Henchir Meded en Tunisie centrale, contiennent des expressions semblables. Mais qu'il s'agisse de citoyens, ou de notables, il est certain qu'avec ces B'lm nous sommes en prsence de mortels, des gens qui habitaient la cit libyco-punico-romaine de Maktar ou de Medidi sans doute au I sicle avant J.-C. ou tout fait l'aube de l're chrtienne. La forme nominale au fminin B'lt est bien atteste avec galement le sens de matresse, de dame, de propritaire, d'habitante, etc. Dans la langue arabe, nous avons dj signal l'utilisation des B'l pour dsigner
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l'poux, le matre. On y relve la prsence de formes verbales concernant la femme, sa coquetterie, son got pour les beaux costumes, sa soumission au mari, etc. La terre et la palmier sont en rapport avec la racine B'l surtout quand il s'agit d'une haute terre qui ne reoit point d'eau du ciel ou qu'il s'agit du palmier qui pour se nourrir doit se contenter de la fracheur du sous-sol due aux eaux pluviales. Nous devons Ibn el-Mandhour, lexicographe du XIV sicle de l're chrtienne, un dossier riche o tout ce qui, dans la langue arabe concerne B'l a t en vrac vers, faisant tat mme des prises de position de tel ou tel philologue ou grammairien. Ce dossier permet de constater la richesse du champ smantique de la racine B'l au sein mme de la langue arabe. On s'en sert pour la terre, la plante et surtout le palmier, l'homme et la femme dans la diversit de leurs rapports physiques et sentimentaux exprims par le geste, par la manire d'tre et le comportement; on s'en sert galement pour dsigner la divinit et notamment une image divine qui fait l'objet d'un culte avant l'islam, aux temps de Jonas et d'Elie. Le Coran fait allusion cette image pour en vituprer les adorateurs et les fidles. Adorez-vous B'l dlaissant votre crateur, Dieu votre matre et celui de vos anctres (Les Rangs, 125). Quelle tait cette divinit dont le culte est dnonc par le texte coranique? Nous ne le savons pas avec toute la prcision requise. Dans Lissan el-Arab (la langue arabe), Ibn Mandhour pour mieux dfinir B'l du texte coranique prcise en rapportant el Ashari, grammairien et philologue arabe du x sicle de l're chrtienne, qu'il s'agit d'une image S N M , en or, et qu'elle dut porter le nom de B'l parce que ses adorateurs se comportaient envers elle comme s'il s'agissait de leur matre, de leur seigneur, de leur dieu. Mais il y a lieu de croire que ce B'l dnonc par le Coran correspondrait au B'l de la Thora, une divinit cananenne ou phnicienne dont le culte suscita le courroux de Yahv exprim par la bouche des prophtes. Il ne s'agit donc pas d'une divinit arabe. Le nom de B'l ne semble pas avoir t attribu un membre du panthon arabe de l'poque antislamique.
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Les B'lm Il est certain que dans les religions smitiques en gnral et notamment chez les Phniciens et les Puniques, B'l a servi de nom ou de titre plusieurs divinits comme en tmoignent les inscriptions phniciennes, puniques, no-puniques et latines. Il serait fastidieux et beaucoup trop long d'en faire ici le catalogue ; mais voici quelques exemples qui nous paraissent signifiants. Remarquons tout d'abord la place importante qui revient B'l Hammon surtout en Afrique du Nord et plus particulirement Carthage o plusieurs milliers de ddicaces lui furent adresses. Le culte de B'I Hammon est attest dans d'autres cits antiques comme Hadrumte, Cirta, Altiburos, Maktar, Bulla regia, Mozia en Sicile, etc. Nous sommes l en prsence de l'une des plus importantes divinits du panthon punique. A ct de B'l Hammon, l'pigraphie phnicienne, punique et no-punique, pour rester en Mditerrane occidentale et notamment en Afrique du Nord, fait connatre d'autres divinits qui portent le titre ou le nom de B'l comme par exemple B'l Shamim, le matre des cieux. La CIS I, 3 778 mentionne une assemble divine o l'on trouve 5 7 Hammon, le Seigneur ou le matre du Brasier Solaire ou encore le matre des brle-parfum, B'l Shamim et B'l Magonim (le matre ou le seigneur des boucliers, c'est--dire de la guerre ou de la dfense en temps de guerre ou en cas de danger; on a mme voulu y reconnatre Ars, le dieu guerrier dont parle le Serment d'Hannibal. Nous pouvons mentionner B'l addir (le matre puissant). En Orient, on a reconnu la prsence de B'l zeboub une divinit trange que l'on connat trs mal. Il en est de mme pour les autres B'lm qu'ils soient suivis d'un dterminatif nomi-

nal ou adjectival ou qu'ils soient mentionns sous la moindre dtermination l'instar du B'l coranique. A ce propos il y a lieu d'ajouter les stles pigraphes de Tboursouk qui commmorent un sacrifice B'l (il s'agit peut-tre du dieu B'l Hammon) pour un jour faste et bni, selon la propre formule de la ddicace. Il faut ajouter que le culte des B'lm et des B'lt (les dames), en Afrique du Nord, n'a pas disparu avec la chute de Carthage et la romanisation; il a rsist sans toujours se drober entirement derrire la latinit. Nous savons que Saturne d'Afrique couvre le B'l punique et que sur la montagne qui domine le golfe de Tunis du ct de HammamLif dans la banlieue sud de Tunis, il y avait le culte de Saturne Balcaranensis, transcription de l'expression punique 5 7 qrnm, le Seigneur aux deux cornes.

Conclusion Au terme de cette prsentation rapide, il ressort que la notion de 5 7 est trs vieille et trs largement rpandue dans l'univers smitique d'Orient et d'Occident notamment en Afrique du Nord d'avant et d'aprs la conqute arabo-islamique. Elle couvre un trs vaste champ smantique d'une trs grande diversit, qui touche les dieux, les hommes et les femmes, la terre et les plantes. Plusieurs divinits ont port le nom ou le titre de B'l; chacune d'entre elles mrite de faire l'objet d'une monographie exhaustive.

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M . FANTAR
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B 2 . BAB MERZOUKA (Maroc) A une dizaine de kilomtres de Taza, le long de la route de Fs, prs de l'ancien poste militaire aujourd'hui transform en ferme, s'talent au moins deux stations nolithiques de surface dcouvertes en 1915 par X. de Cardaillac. D'autres rcoltes ont t faites aux mmes endroits ou proximit par le capitaine Lafanechre, le commandant Martinie, P. Biberson et D. Grbenart. Ces stations ont livr quelques pices en silex (racloir, lamelles, surtout clats), des galets sommairement amnags, des molettes, des pierres cupules, de rares tessons de cramique, des fragments de haches et de nombreuses haches polies ou bouchardes; ces dernires rappellent les haches relativement frquentes au Maroc (Souville G., Prcisions sur la classification des haches polies du Maghreb , Miscelnea arqueolgica, Barcelona, t. 2, 1974, p. 381-387); plus de quarante exemplaires sont conservs au muse de Rabat, o l'on peut noter la prsence de six erminettes et de trois haches rappelant par leur forme paulement les haches en mtal. L'lment caractristique de cette industrie est reprsent par de gros clats et des haches tailles, de formes varies, mais toujours assez irrgulires; on peut toutefois reconnatre parmi celles-ci des triangles plus ou moins allongs, des trapzes, des rectangles. Les tranchants sont soit rectilignes, soit le plus souvent curvilignes; elles sont toutes tailles la pierre, grands clats, sur les deux faces mais la taille ne s'tend pas toujours la totalit des deux faces. Notamment dans la partie du tranchant, certains enlvements ont provoqu un amincissement de la pice. Les artes produites par la taille ont souvent t crases, parfois par une sorte de bouchardage que l'on peut retrouver sur le bord des outils. Dans certains cas, deux tranchants ont t utiliss. Des videments latraux supposent un emmanchement. La matire premire est varie (roches grseuses, schistes ferrugineux, feldspathiques, microgranits, dolrites, andsites), mais gnralement emprunte au djebel Tazzeka voisin. Elles sont trs abondantes (171 sont conserves au muse de Rabat). L'ensemble a t ramass mme le sol et sur une aire restreinte. Plusieurs stations de la rgion ont livr un outillage comparable, en altitude prs de la daa Chiker (Groub W., La station prhistorique de la daya Chiker (rgion de Taza), Bull. Soc. Prhist. Maroc, t. 11, 1937, p. 31-41) et en plaine, o elles sont particulirement nombreuses entre Bab Merzouka et l'oued Bou Hellou, affluent de l'Inaouen. C'est dans la mme rgion que se trouve la station de traits polis de l'oued Zireg (Grbenart D. et Pierret B., Traits polis et cupules de l'oued Zireg (province de Taza, Maroc), Libyca, t. 14, 1966, p . 329-336). Cette industrie semblait trs particulire et limite la rgion de Taza; on ne connat rien de comparable en Afrique du Nord, mme dans le Mahrouguetien. Depuis, des outils identiques ont t retrouvs en trs grand nombre dans le Sud marocain, dans la rgion d'Akka (Bensimon Y. et Martineau M., Le nolithique marocain en 1986, L'Anthropologie, t. 91, 1987, p. 636) et surtout dans la rgion de Marrakech, dans plusieurs sites du Haouz o 150 objets ont t considrs, probablement avec raison, comme des houes (Rodrigue A., Un nolithique agricole dans le Haouz, Bull. Archol. marocaine, t. 16, 1985-1986, p. 89-98). A Bel Hachmi, dans la mme rgion, un site a fourni prs de 6 000 pices. Mais ces outils taills, recueillis en surface, sont difficiles situer chronologiquement. Ils peuvent sans doute tre attribus des agriculteurs nolithiques.

BIBLIOGRAPHIE CARDAILLAC X. de, La station nolithique de Bab Merzouka, Bull. Soc. Borda, Dax, t. 45, 1921, p. 173-189.

LAFANECHRE R., Contribution la prhistoire de la rgion de Taza (Maroc) , Bull. Soc. prhist. fr., t. 57, 1960, p. 60-63. GRBENART D., Prospection archologique dans la rgion de Taza (Maroc). Prhistoire et Protohistoire, Libyca, t. 15, 1967, p. 152-154. SOUVILLE G., Note prliminaire sur l'industrie de Bab Merzouka (Maroc), Congrs panafricain Prhist., actes 6 session, Dakar, 1967 (Chambry, 1972), p. 83-85. BENSIMON Y. et MARTINEAU M., Les houes nolithiques de la rgion de Marrakech (Maroc), L'Anthropologie, t. 91, 1987, p. 689-691. BENSIMON Y. et MARTINEAU M., Les outils terriens du Maghreb. Les houes de Bel Hachmi (Maroc), Bull. Muse Anthr. prhist. Monaco, t. 31, 1988, p. 49-75.
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G . SOUVILLE

B3. B A B B A , colonia Iulia Campestris Babba Colonie romaine cre par Octave entre 33 et 27 avant J . - C , dans la partie occidentale (Maroc) de l'ancien royaume de Bocchus, future province de Maurtanie tingitane. Elle est mentionne par Pline, H.N., V, 5; Ptolme, IV, 1, 7 et IV, 6, 2; le Ravennate, III, 11 et Stphane de Byzance, s.v. B, mais elle ne figure pas dans l'Itinraire antonin. Le surnom Campestris, qui se retrouve sur une monnaie coloniale dont on ne connat jusqu' prsent que deux exemplaires dont l'un provient de Tamuda et l'autre de Dchar Jcdid/Zilil, se rfre aux divinits campestres et l'origine militaire de la colonie. Babba pourrait tre un toponyme thophore libyque ou punique : Baba/Babbai. Une inscription de Thamusida, IAM 2, 250, est ddie un ancien duumvir de la colonia Babbensis ; mais elle n'autorise videmment pas l'identification de la colonie avec ce site. On ignore en ralit son emplacement exact. Pline, qui numre du nord au sud partir de Tanger les colonies d'Octave, Constantia Zilil, Campestris Babba et Valentia Banasa, la situe dans l'intrieur des terres , quarante mille pas de Lixos, ce qui pourrait correspondre Souk-el-Arba du Rharb, o l'on connat un camp et u n uicus romains ; mais elle serait alors trop proche de Banasa pour s'intgrer au dispositif mis en place aprs la mort de Bocchus le Jeune, dont la vocation manifeste tait de protger le dtroit de Gads contre d'ventuelles attaques maures en rejoignant l'oued Sebou, amnis Sububus de Pline, pour s'appuyer sur sa ripa, solide frontire naturelle renforce au sud par une vaste tendue de terres marcageuses souvent inondes et, au-del, par la grande fort de la Mamora. Ptolme, dont la documentation ne semble pas postrieure Trajan, ignore quant lui la position de Babba qu'il place d'abord au nord de Volubilis et la latitude de Banasa et ensuite beaucoup plus au sud, au-del des frontires de Maurtanie tingitane. Ce flottement, accru par la mention dans la Notifia Dign. O c c , XXVI, 6 et 16 d'un Castrobariensi que Cagnat proposait de corriger en castra Babbensi, et par une trop grande confiance dans les compilations du Ravennate, a conduit rechercher Babba sur quelque 130 km, depuis le camp de Suiar des Beni Aros, une quarantaine de kilomtres au sud de Tanger, jusqu' celui de Sidi Sad, 20 km au nord-ouest de Volubilis. La plupart des localisations suggres sont inacceptables. La plus vraisemblable, qui s'accorde bien avec une lecture rcemment propose du texte de Pline, place la colonie aux abords de la valle moyenne de l'oued Loukkos, sinon Ksar-elKebir mme, comme Lapie, Renou, Tissot et Chatelain l'avaient dj suggr. On admet en gnral que la forteresse almohade d'El Ksar fut construite l'emplacement de l'Oppidum nouum de l'Itinraire antonin, mais l'importance des ruines et l'paisseur des alluvions et des dcombres qu'on a pu y observer pourraient laisser croire l'existence d'un tablissement plus ancien encore. On ne peut exclure, dans ces conditions que celui-ci ait t la colonia Iulia, qui pourrait avoir disparu dans

1 2 9 4 / Barba les troubles du II sicle aprs J . - C . avant de renatre comme oppidum nouum. Elle pourrait cependant aussi bien trouver place parmi les autres ruines de la valle de Loukkos, voire ailleurs mais, en l'tat de nos connaissances, plus difficilement. BIBLIOGRAPHIE
AKERRAZ A., AMANDRY M., DEPEYROT G., KHATIB-BOUJIBAR N., HESNARD A., KERMORVANT
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M.

EUZENNAT

B4. BABARES (voir BAVARES) B5. BABII (ou KABABII) Tribu localise par Ptolme (IV, 6, 6, d. C . Mller, p. 7 4 5 ) en Libye Intrieure, aux abords du mont Mandron, entre les Autololes* au nord et les Daradae*, ou habitants du Draa, au sud. Il n'est pas sr qu'il faille lire kai Babioi, leon donne par presque tous les manuscrits, car Ptolme n'a pas l'habitude de faire prcder de kai (et) le premier terme d'une numration d'ethnonymes. Il pourrait donc s'agir de Kababioi, leon que l'on trouve dans le meilleur manuscrit du Gographe. Un rapprochement avec Baba ou Babiba, ville que Ptolme (IV, 6 , 2 , p. 7 3 2 ) situe au bord de la mer et apparemment au sud de l'embouchure du Daras (Draa), est ds lors trs douteux. Au reste, on peut se demander avec C . Mller (d. de Ptolme, p. 7 3 2 , n. 2 ) si Baba et Oubrix (IV, 6 , 7 , p. 7 4 9 ) n'ont pas t indment transposs pour meubler des rgions dsertiques en redoublant la toponymie de la Tingitane, puisque Ptolme a dj signal dans cette province Baba (IV, 1, 7 , p. 5 8 9 ) et Oubrix (ibid., p. 5 9 0 ) . Quoi qu'il en soit, les Babii ou Kababii semblent avoir t tablis entre le Sous et le Draa.
J . DESANGES

B6. BABOR
Le nom de Babor s'applique l'important massif situ au nord des Bibans et du Guergour qui porte 2 000 m ses roches calcaires dominant le golfe de Bougie (Bjaa*). Mais le nom a t tendu l'ensemble de la rgion montagneuse qui s'tend de la valle de la Soumam la valle de l'oued Djendjen, et s'applique donc la partie de l'Atlas tellien qui s'inscrit dans un vaste triangle dont Bjaa, Jijel et Stif sont les sommets. A l'est du Djendjen apparaissent les roches primaires (gneiss et micaschistes) qui caractrisent la Kabylie de Collo ou Petite Kabylie orientale. Kabylie des Babors et Kabylie de Collo sont les rgions les plus arroses du Maghreb. La moyenne annuelle des pluies tombes sur le Djebel Gouffi, l'ouest de Collo atteint 1 800 millimtres; sur le sommet mme du Mont Babor la pluviosit dpasse 1 600 mm et toute la rgion reoit plus d'un mtre de prcipitations dans l'anne. De ce fait elle possde les plus belles forts d'Algrie constitues de plusieurs varits de rsineux, dont le cdre et un sapin dont c'est l'unique peuplement (Abies numidica); l'essence la plus rpandue est le chne-lige qui occupe les sols grseux depuis le littoral jusqu' une altitude de 1 200 m ; le chne vert et le chne zen sont aussi trs rpandus.

La rgion des Babors et de la Petite Kabylie. 1. Plaines et valles au-dessous de 200 m 2. Montagnes et collines de l'Atlas tellien 3. Au-dessus de 1 000 m 4. Montagnes et collines de structure plisse simple 5. Au-dessus de 1 000 m 6. Limite sud de l'Atlas tellien 7. Limite orientale des parlers berbres 8. Barrages et centrales lectriques (d'aprs J. Despois et R. Raynal). La Kabylie des Babors, qui est la zone reste berbrophone de la Petite Kabylie, est l'une des rgions les plus pittoresques de l'Algrie. Le littoral farouchement model par des effondrements (Golfe de Bougie) est une succession de corniches grandioses : Cap Cavallo (El Haouana), perces de grottes et abris dont beaucoup furent occups la fin du Palolithique et l'Epipalolithique (Afalou bou Rhummel*, Tamar Hat*). La rgion des Babors proprement dite prsente un relief tourment, coup par des valles trs profondes et encaisses qui tmoignent de

la jeunesse du rseau hydrographique. Le principal cours d'eau est l'oued Agrioun qui draine les eaux de la partie septentrionale du bassin de Stif et traverse le massif du sud au nord; en aval de Kerrata, sa valle trs troite devient, pendant sept kilomtres une gorge trs profonde (Chabet el Akra) qui entaille les normes bancs de calcaire liasique de l'Adrar Amellal. C'est par cette cluse que passe l'unique route qui de Stif atteint la mer et Bjaa. Pays farouche, les Babors (le pluriel s'explique par les noms de Babor et de Tababor donns aux deux massifs jumeaux dont les sommets atteignent respectivement 2 004 et 1 969 m) ont, diffrentes poques, jou un rle important dans l'histoire trouble du Maghreb central et oriental. Les tribus qui occupaient cette rgion au cours de la domination romaine faisaient partie de la confdration des Bavares* de l'est. Au milieu du III sicle, ces tribus non accultures et diriges par des rois menacrent un moment la Numidie (253-256). Le lgat de la III Lgion, C. Marcius Decianus, les battit d'abord dans la rgion de Milev (Mila) puis sur la frontire de la Numidie et de la Maurtanie, leurs allis de Grande Kabylie, les Quinquegentiens, furent leur tour battus ainsi que les Fraxinenses, bande de partisans qui doivent leur nom Faraxen un chef rebelle qui fut captur. Quelques annes plus tard, en 260-262, les Bavares descendent nouveau de leurs montagnes, ils se dirigent cette fois vers la plaine de Stif; ils sont arrts au col de Teniet Meksen qui met en communication le massif du Babor et le Guergour. Comme Mila en 253, les romains doivent faire face une confdration de plusieurs tribus conduites par leurs amars suffisamment puissants pour tre qualifis de rois et non de principes. Ces engagements montrent bien que les Bavares taient des montagnards qui cherchaient s'emparer des richesses des plaines. Il est vraisemblable bien qu'indmontrable, que le massif du Babor tire son nom de celui des Bavares, qui est crit parfois Babares et mme Barbares.
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Ces Bavares de l'est, distincts des tribus situes sur les confins de la Maurtanie tingitane, formaient une confdration comptant au moins quatre tribus (ddicace de C. Marcius Decianus, C.I.L., VIII, 2615) de mme, leurs voisins de l'ouest, les Quinquegentiens taient constitus, eux, de l'association de cinq tribus. De ces tribus constitutives de la puissance bavare, nous en connaissons peut-tre une qui devait tre appele un grand avenir. Ptolme cite en effet dans la rgion des Babors, non pas les Bavares mais les Koidamousioi, nom qui se retrouve sous la forme Cedamusensis qui dsigne un vch de Mauritanie sitifienne en 484. A l'poque byzantine, un roi des Ucutamani proclame sa foi chrtienne dans une inscription rupestre du col de Fdouls qu'emprunte la route de Jijel Mila. Dans la mme rgion on voit au X sicle le triomphe des Ketama dans lesquels il est difficile de ne pas reconnatre les (u)Cutamani/Cedamusi/Kedamousioi qui aux sicles antrieurs occupaient le mme pays. Les Ktama eurent un destin peu ordinaire, ils furent l'origine mme de l'empire fatimite qui devait s'tendre jusqu'en gypte; ils avaient accueilli un dai (missionnaire) chiite, le ymnite Abou Abd-Allah qui sut les organiser en une milice particulirement efficace. Ibn Khaldoun les situe entre Stif, Jijel, Collo et Mila, donc en plein pays bavare; leur premire capitale fut Ikjan, un nid d'aigle dans le djebl Tamesguida, au nord d'Arbaoun. En quelques annes, sous la conduite d'Abou AbdAllah, les Ktama s'emparent de l'Ifriqiya et installent Kairouan le fatimide ObedAllah qu'ils taient all arracher de sa prison dans la lointaine Sidjilmassa (Tafilalet). Le Mahdi les envoya ensuite combattre en Sicile puis en gypte et de nouveau dans le Maghreb el aqsa o avec l'aide des Miknassa ils dtruisirent le royaume idrisside. Au cours de ces luttes incessantes, coupes de rvoltes contre le Mahdi lui-mme, la tribu des Ktama s'puisa rapidement et finit par s'teindre. La disparition des Ktama ou tout au moins leur effacement explique dans une certaine mesure l'arabisation de la Petite Kabylie l'est du Babor, alors que ce massif restait berbrophone.
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Difficilement pntrable, dpourvue de routes l'exception de l'unique voie qui suit la valle de l'oued Agrioun, la Kabylie des Babors ne fut jamais vritablement contrle par les tats qui tentrent d'imposer leur souverainet sur ces confins de l'Ifriqiya et du Maghreb central. L'autorit n'tait reconnue que dans les villes littorales (Bjaa, Jijel) et dans celles qui au sud, jalonnaient le principal itinraire terrestre : Constantine, Mila, Stif, Bordj Bou Arrridj. Les Turcs n'exercrent qu'une souverainet nominale et les Babors furent toujours terre de dissidence jusqu'en 1830. Le pays fut cependant facilement soumis, sinon vritablement domin, par les Franais qui eurent moins de mal qu'en Grande Kabylie pour faire reconnatre leur souverainet. Peut-tre parce que la rgion tait moins densment peuple et les structures sociales moins solides. Une premire expdition fut conduite en 1850 partir de Stif, en direction de Bjaa. Elle tait sous le commandement du gnral Barrai qui fut tu ds le dbut des oprations. La conqute vritable commence en 1851 avec l'expdition de Saint-Arnaud qui sans rencontrer de grandes difficults ouvrit la route de Stif Jijel. Mais les Bahors proprement dits ne furent vraiment contrls qu' partir de 1853 : deux colonnes parties de Stif sous les commandements respectifs de Mac Mahon et de Randon construisent la route qui suit la valle de l'oued Agrioun et atteint le littoral Souk et-Tnine. En 1856, est construit le bordj de Takitount qui contrlait le Tizi n-Bchar et cette unique voie de communication; il fut longtemps le sige de la commune mixte qui garda son nom, mme lorsque celui-ci fut transfr An Kbira (ex-Prigotville) devenue aujourd'hui le chef-lieu de la dara. La population du massif fut toujours particulirement pauvre. Les montagnards des Babors ont ouvert de petites clairires et mis en culture des sols ingrats, gnralement acides, ne portant que des crales secondaires, orges et sorgho, des pommes de terre et du tabac. L'levage, surtout celui des chvres et des bovins, est possible grce au pturage traditionnel en fort. L'exploitation du lige est une ressource non ngligeable mais de faible rentabilit. Comme le remarquait J. Despois, une vie rurale aussi pauvre n'a pu donner naissance aucune ville; les centres urbains sont tous situs au nord ou au sud de la rgion. La construction de deux importants barrages, celui d'Ighil Emda, prs de Kerrata, sur l'oued Agrioun et celui de Merz er-Erraguine sur l'oued Djendjen fournissent de l'nergie lectrique mais sans retombes conomiques sur les populations de la rgion qui fournissent un contingent considrable l'migration.
G. CAMPS

B7. BACAX
Divinit libyque adore dans une grotte du Djebel Taya, prs de Guelma (Algrie). Le culte de la montagne si rpandu dans l'Antiquit a laiss de nos jours de nombreuses traces dans le monde rural nord-africain. Certains sommets sont hants par les gnies au point qu'ils sont pratiquement interdits aux hommes. Cette croyance est particulirement rpandue chez les Touaregs du Hoggar (la Garaet ed Djenoun) comme chez ceux de l'Ar (Mont Greboun). Comment ne pas retrouver dans ces interdits l'cho de ce que rapportait Pline l'Ancien au sujet de l'Atlas qui brille la nuit de mille feux et retentit des bats des Satyres et des Egipans (Hist. nat., V, 1, 7). Rcemment l'attention fut attire par un toponyme Tisira qui s'applique en Kabylie aux rochers prsentant soit une forme particulire soit une cavit toujours habite par un Asss (gardien). Le culte de la montagne ou du simple accident topographique doit tre rapproch de la vnration constante pour les grottes que les Berbres ont connue

toutes les poques. L'enfoncement de la grotte au sein de la terre permet la communication avec les divinits chthoniennes et peut-tre avec la divinit suprme puisque certains contemporains de Saint-Augustin croyaient se rapprocher de Dieu en s'enfonant dans des souterrains (Sermones, XLV, 7). Des divinits adores dans les grottes par les anciens Africains, nous ne connaissons le nom que d'une seule, le dieu Bacax dans le Djebel Taya, prs de la ville romaine de Thibilis (Announa). Dans le flanc de la montagne s'ouvre la Ghar el Djemaa*, vaste cavit o les deux Magistri de la cit se rendaient en plerinage tous les ans au printemps. Ils offraient sans doute un sacrifice et faisaient graver une ddicace Bacax Augustus. Les inscriptions conserves s'chelonnent entre 210 et 284 aprs J.-C. Jusqu'en 240, les ddicaces sont dates de la veille des Kalendes d'avril soit le 31 mars; entre 242 et 246 on note qu'elles sont faites aux Kalendes de mai ( 1 mai). Quatre autres sont dates du 1 avril et une seule du 8 mai. Il n'est pas impossible que le moment du plerinage fut command par des manifestations climatiques ou botaniques. La crmonie avait donc lieu entre la fin mars et le dbut de mai. D'autres fidles, que les officiers municipaux de Thibilis, venaient faire leurs dvotions Bacax et ont laiss le souvenir de leur passage dans les galeries de la grotte. Cinq inscriptions dates entre 242 et 273, sont dues aux magistri des Dothenses, communaut inconnue mais qui ne devait pas tre loigne de Thibilis. Le nom de Bacax est connu dans l'onomastique africaine; on relve dans l'index du C.I.L. un Bacques (VIII, 7420) et un Bacquax (VIII, 20702). Je ne sais si ce nom peut avoir quelque parent avec le toponyme Beccaca (un des hameaux d'Adni en Grande Kabylie). Un culte identique tait rendu dans le Djebel Chettaba (rgion de Constantine) par le magister du Castellum Phuensium. Il s'agit ici d'un simple abri sous roche et la divinit qui reut de trs nombreuses ddicaces n'est malheureusement jamais dsigne autrement que par les initiales G.D.A.S.
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G. CAMPS

B8. BACCHUIANA (gens)


Une inscription (C.I.L., VIII, 12331) de Bou Djelida, au nord-ouest dAradi (Bou Arada, Moyenne Medjerda, Tunisie) rvle, sous Antonin le Pieux, l'existence d'une gens Bacchuiana, une quarantaine de kilomtres de Carthage. Malgr la possibilit d'un rattachement Bacchus, qui ne surprendrait pas dans la mesure o les ddicants s'adressent au Saturne de l'Achae, c'est--dire au Saturne grec (cf. M. Leglay, Saturne africain. Histoire, Paris, 1966, p. 241), le nom parat indigne : O.

Bacchuiana I 1299 Masson (Ant. Afr., X, 1976, p. 60) a signal deux attestations de l'anthroponyme Bakhis Taucheira (Tocra), en Cyrnaque (S.E.G., IX, 654 et 656). Il est cependant troublant de constater la prsence, dans le nome de Libye, de Iobakkhi* (Ptolme, IV, 5, 12, d. C. Mller, p. 693), rapprocher d'un lieu-dit Iobbakh, que le pap. Vat. Gr. 11 (VI, 29) situe en Marmarique (M. Norsa et G. Vitelli, Il papiro Vaticano Greco 11, Cit du Vatican, 1931). D'autre part, il faut observer que la ville antique sise Bou Djelida, une fois devenue municipe, n'a pas pris le nom de la gens Bacchuiana (cf. N . Ferchiou, Sur la frange de la pertica de Carthage. La gens Bacchuiana et le municipium Miz (eotor...). Quelques indits Cah. de Tun., XXVII, 1979, n 107-108, p. 17-33). Si prs de Carthage, la fois punicise ( preuve le nom du pre de l'vergte et la prsence d'undecimprimi) et dvoue un culte grec, cette gens, au sicle des Antonins, tait peut-tre un groupement mystique, dont le recrutement a pu tre en grande partie clanique, plutt qu'une tribu libyque.
J . DESANGES

B9. BADIAS (Bads, Bads) Cette localit ancienne, mentionne par la Table de Peutinger (IV, 1-5) sur un itinraire de la frontire de Numidie entre Ad Mdias et Thabudeos correspond la bourgade actuelle de Bads, oasis du Zab oriental, situe au dbouch de l'oued el Abiod-Arab sur le pimont saharien de l'Aurs. Bien que son nom ne figure pas sur la liste des cits de Gtulie soumises par l'expdition de Cornlius Balbus en 19 avant J . - C , on peut penser nanmoins que, comme pour d'autre oasis de la frontire saharienne, existait en ce lieu une agglomration prromaine. La pose de bornes millaires prs de Badias sur cette mme route (C.I.L., VIII, 22346-22350), ainsi que la fondation du camp d'Ad Maiores (Besseriani) par Minicius Natalis lgat de l'empereur Trajan, autorisent dater des premires annes du I I sicle de notre re, l'installation militaire romaine le long de la lisire saharienne au sud des massifs de l'Aurs et des Nemencha entre Biskra et Ngrine (Salama, 1951, carte h.t.; 1987, p. 106). Selon S. Gsell (Atlas Archol, feuille 49 : Sidi Okba, n 51), Badias aurait t un des points d'appui de la frontire et elle est mentionne peut-tre comme lieu de garnison sur un graffito du camp de Gemellae (A.A., feuille 48, n 65; C.I.L., VIII, 17968 : ibi ad Bad[ias]). Un autre indice de l'importance du site est un fragment d'une grande ddicace impriale d'poque svrienne, trouv sur le flanc mridional du tertre qui recouvre le centre antique (Albertini, 1932, p. 50-51). Ce centre sera dot, peut-tre au III sicle, d'une organisation civique, comme le prouve l'inscription funraire d'un decurio municipiis Bad(iensium) dcouverte dans la zaoua des Beni Barbar (C.I.L., VIII, 2451 = 17954). Plus tard, son nom figure sur les listes d'vchs pour la province de Numidie en 411 et 484 : deux vques sont mentionns pour la Vadensis ecclesia sur les tats de 484, ce qui ne signifie pas ncessairement qu'un autre sige homonyme ait exist car Rufinianus a pu succder sur le mme sige Proficius dj mort cette date (Maier, 1973, p. 235; Mandouze, 1982, p. 1251). Le rle militaire de la cit perdure dans l'antiquit tardive, ce qu'atteste la mention dans la Notitia Dignitatum (Oc., XXV, 5, 23, d. O. Seeck, p. 175) d'un limes Bazensis ( = Badiensis), secteur de la frontire confi un praepositus limitis sous les ordres du comte d'Afrique et dont Badias devait tre le poste de commandement (Baradez, 1949, p. 147-148). Au surplus, bien que des rserves aient pu tre prsentes en raison de l'existence d'une cit homonyme dans la rgion des Babors (Ptolme, IV, 2, 6), il apparat comme assur que notre site est bien sous le nom de Bad l'une des cinq villes (avec Bagha, Timgad, le fort de Thouda et
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Amnagements hydrauliques romains dans la rgion de Bads (d'aprs J. Birebent).

peut-tre Mdila) mises en dfense par Justinien contre les Maures sur la priphrie de l'Aurs, selon le tmoignage de Procope (Aed., VI, 1,11; Desanges, 1963, p. 57; Trousset, 1983, p. 373). Le programme de fortifications dont l'excution

avait t confie Solomon est peut-tre reprsent ici par les vestiges d'une muraille d'enceinte en pierres de taille signals sur le site (A.A., f 49, n 51). Mais les tours cylindriques dont tait flanque la muraille suggrent des remaniements plus tardifs de l'ouvrage, sans doute d'poque aghlabide. En effet, cette place forte conserva longtemps son importance, constituant avec Thouda selon Bekr (de Slane, p. 151) une des grandes villes du Maghrib au moment de la conqute arabe. Mme si cette apprciation du gographe du XI sicle est exagre, il est certain que ces deux places furent les premires que Okba ben Nfi entreprit d'attaquer directement au retour de sa chevauche vers le Maghrib extrme, parce qu'elles taient relativement isoles; en investissant l'Aurs par le sud, sa cavalerie tait plus l'aise dans ces plaines prsahariennes. Ayant vit Tobna, il se dirigea donc vers Badis pour en faire la reconnaissance (Al Nuwayri, dans Ibn Khaldoun, 1, de Slane, p. 334), avant d'tre cern et dfait par les troupes berbro-byzantines de Koeila prs de Thouda (65/683). Plus tard dpendante de Tobna, la ville forte de Badis dut conserver, comme le Zb lui-mme une valeur stratgique, sur ces marches (tugr) de l'mirat aghlabide, qui avaient t le berceau de la dynastie ifriqiyyenne (Talbi, 1966, p. 127). Dpen dante de Msila sous les Fatimides, puis de Biskra sous les Hammadides, Badis ne semble plus avoir jou un rle politique notable jusqu' l'arrive des B a n Hill. Ceux-ci contrlrent tout son territoire et ne permirent plus ses habitants de sortir de chez eux autrement que sous la sauvegarde d'un des leurs (Idrs, d. Hadj-Sadok, p. 113). Cette condamnation l'autarcie conomique lui fut fatale et cette grande ville sera rduite l'tat de village d'oasis (zab : Ibn Khaldoun, 3, p. 125)
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Situation de Badias sur le pimont saharien de l'Aurs (dessin J. Lenne). dans une rgion domine par les tribus nomades (Cambuzat, 1968, p. 27). Auparavant, Badis et sa rgion s'taient maintenues dans une grande prosprit : Idrs (p. 113, n 88) parle d'une place forte ( i n) peuple; selon le tmoignage de Bekr(suivi par le Kitab al Istibsar) : la ville se compose de deux forteresses qui possdent un djam et quelques bazars. Aux alentours, s'tendent de vastes plaines et des champs magnifiques en plain rapport. On y fait deux rcoltes chaque anne grce aux nombreux ruisseaux qui arrosent le sol (de Slane, p . 151-152). Cette dernire notation fait cho aux vers de Corippus (Johannide II, 156-157, d. J. Diggle et F.R.D. Goodyear, Cambridge, 1970, p. 32) o il est question des doubles rcoltes d'orge que faisaient au VI sicle les indignes de la chaude Vadis :
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Quique Vadis tepidae messes bis tondit in anno Maurus arans, bino perstringit et ordea culmo Ceci donne penser que les mmes mthodes d'irrigation taient restes en usage. De fait, si les vestiges du centre urbain antique, recouverts par le village actuel, sont mal connus, des installations hydrauliques anciennes de premire grandeur ont t mises en vidence : l'amont de Badias une adduction allait chercher l'eau sur une distance de 100 km jusqu' l'oued Mellagou; le canal, en partie souterrain, suivant ensuite la rive droite de l'oued El Arab, par Khanga Sidi Nadji et Liana (Birebent, 1962, p . 182-187). A l'aval, un vaste systme d'irrigation en forme d'ventail apparat sur les clichs ariens, comprenant des barrages, canaux, rservoirs et partiteurs; il s'tendait en plaine vers le sud-est jusqu' Zribet-el-Hamed). Dans cette rgion o ce mode d'irrigation est aujourd'hui inconnu, on retrouve mme des restes de foggaras (Baradez, p. 169, 192).

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P . TROUSSET

B10. BADIS (ville du Rif)


Petite agglomration situe sur la cte rifaine, faisant face l'ancienne forteresse espagnole du Peon de Velez de la Gomera. Le site de Badis, l'embouchure de l'oued du mme nom, fut occup ds l'Antiquit sous le nom de Parietina. Pendant le Moyen Age, Badis, qui tait le port mditerranen le plus proche de Fs, joua un rle assez important dans les relations entre le Maroc et l'Europe. Il tait frquent par les navires gnois, catalans et vnitiens. Jean-Lon l'Africain crit que les marchands vnitiens, son poque, au dbut du XVI sicle, visitaient rgulirement Badis : tous les deux ans, une flotte marchande qui cabotait le long de la cte de Barbarie venait mouiller au pied de l'lot de Ghomera (futur Peon de Velez). Les transactions, qui attiraient une foule considrable, se faisaient sur la plage de Badis. Le Peon de Velez est un lot rocheux spar de la cte par u n bras de mer de 350 m de large, que franchit aujourd'hui une digue construite au dbut du sicle. L'lot fut occup par les Espagnols en 1508 sous le commandement de Pedro Navarro. Ils y construisirent un fort, mais ds 1522, les habitants de Badis et l'arme du sultan wattaside Mohamed el Bortugali, roccupaient la place. Mais Badis tait entr en dcadence et ses habitants s'accommodrent de l'arrive inopine d'une troupe de corsaires turcs en 1554. Matres du Peon, les Turcs ravagrent les rives espagnoles de la mer d'Alboran. Le plus clbre fut Yahia Ras qui pilla de nombreuses villes et ramena 4 000 captifs chrtiens. Une expdition espagnole mit fin en 1564 ces activits en roccupant le Peon. Heureux du dpart des Turcs, le sultan Moulay Abd Allah reconnut officiellement la possession du Peon aux Espagnols. Badis ne retrouva point son activit portuaire antrieure et son histoire se confond dsormais avec celle du Peon de Velez qui demeura sous souverainet espagnole jusqu'en 1957.
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C. AGABI

B11. BADIS (mir zride)


Fils d'Al Mansr et petit fils de Buluggn* ibn Zr, fondateur de la dynastie, qui les Ftimides partant pour l'gypte avaient confi le gouvernement de l'Ifrqiya et du Maghrib, Bds rgna de 996 1016. Si l'on en croit le Bayn, Al-Mansr aurait, ds 382/992, dsign comme successeur son fils Bds. La succession ne devait cependant pas s'effectuer sans provoquer la rancur d'une partie de la famille des Zrides. Une tentative d'opposition se serait mme manifeste, brise par les esclaves noirs de Bds et ceux de son pre Al-Mansr. Cependant, la cour du Caire reconnaissait solennellement le nou vel mir et lui envoyait, avec le rescrit d'usage lui accordant l'investiture, des robes d'honneur et divers cadeaux. En rponse, le nouveau matre de Kairouan prta le serment de fidlit au Calife. Cette fidlit la cour du Caire peut sembler trange lorsqu'on songe aux manifestations d'impatience qu'avait tmoignes Al-Mansr en certaines occasions, notamment lors de la rvolte des Kutma. En fait, il est bon de considrer que l'autorit des califes est beaucoup plus symbolique qu'effec tive. Ils paraissent de moins en moins attachs l'Ifrqiya, leurs regards est ail leurs, tourn vers l'Orient, aussi bien entendent-ils ne pas trop se mler des affaires du Maghrib et faire confiance leurs reprsentants zrides qui, jusqu'ici, n'ont jamais encore manifest explicitement un dsir d'mancipation totale. De son ct, le lieu tenant du royaume a sans doute encore besoin de l'autorit spirituelle des S ites, autorit qui donne un sens la lutte contre les Zanta, soutenus par l'Espagne. Ils n'ont rien esprer des Abbsides beaucoup trop loin du Maghrib.

Les Zanta avaient mis profit, la priode de transition entre la mort dAl-Man r et le rgne de Bds pour attaquer fermement les anhja. Zri b. A ya avana vers Thert et s'attaqua aux troupes d'I wfat qui appella Bds son secours. Ce dernier dpcha une arme commande par Muhammad Abl- Arab. ammd se joignit ses parents et la jonction des troupes anhjiennes s'opra aux environs de Thert, Zr paraissait en mauvaise posture. La chance, pourtant, lui sourit, les troupes d'Hammd lchrent pied en plein combat, entranant, dans leur fuite les autres anhja, compltement battus. Le regroupement des fuyards s'effectua Achr. Bds, inquiet de la tournure prise par les vnements, se rsolut se mettre luimme la tte des troupes anhjiennes et se mit en marche vers le Maghrib, solli citant au passage l'appui de Falfl, fils de Sa id, le gouverneur de Tobna. Ce dernier, d'origine znte, fit quelques difficults se joindre aux anhja, exigeant tout d'abord un rescrit lui reconnaissant officiellement le gouvernement de Tobna. Bds consentit dlivrer cette pice et poursuivit sa route sur Achr comptant sur l'appui de Falfl, mais celui-ci, profitant de cet loignement, dvasta la rgion et mit le sige devant Baaya (Baga*). Devant ce nouveau danger, Bds ne perdit pas son sang-froid, il rsolut de poursuivre sa campagne contre Zr b. A ya et de se retourner ensuite contre son nouvel ennemi. A l'approche des armes anhjiennes, les Zanta se replirent rapidement sur Thert, apparemment sans lutte, puis les trou pes de Bds se trouvant proximit de la ville, Zrs'enfuit de Thert. En fait, le chef znte s'tait repli en direction de Fs o il pensait sans doute refaire son arme avant d'accepter le combat. La perspective d'une expdition hasardeuse au Maghrib al'-Aq fit hsiter Bds qui prfra se cantonner Achr. C'est ce moment qu'il nomma son oncle I wfat au gouvernement des villes d'Achr et de Thart ce qui lui assurait un pouvoir considrable dont s'offensrent les propres frres d'I wfat. Cinq de ceux-ci : Mksan, Zw, all, Mann et Arim (ou Azim) prirent mme les armes et saccagrent le camp d'I wfat. Bds tait alors occup lutter contre Falfl, fils de Sa id, aussi confia-t-il son oncle Hammd, frre des insurgs, le soin de rtablir l'ordre. Ce dernier s'en acquitta sans aucun mnage ment. Mk an lui tant tomb entre les mains, il n'hsite pas le faire dvorer par ses chiens, tandis que les fils de Mksan sont tus impitoyablement. Les autres frres, cerns dans le mont Chenoua, se rendent et obtiennent la faveur de fuir en Espagne. L'insurrection est rprime, Bds n'a plus d'adversaires dans sa pro pre famille, mais, on peut dire que cette mme aventure assure la fortune d' ammd au Maghrib Central. Il apparat comme le soutien le plus ferme de la dynastie de Kairouan dont il reoit, en rcompense de ses loyaux services, le gouvernement d'Achr, c'est--dire, en quelque sorte, le titre de chef des Zrides au Maghrib Central. A ces graves difficults, qui mettaient srieusement en pril l'autorit des Zrides, s'ajoutaient celles provoques par l'insurrection de Falfl b. Sa id sur les arrires des troupes anhjiennes. Falful disposait d'une solide arme compose non seule ment de Zanta, mais aussi d'un certain nombre de anhja hostiles aux Zrides. A cette troupe vinrent s'ajouter de nombreux mcontents en mal de rformes. Le chef znte tait un brillant capitaine, il tint tte et repoussa vigoureusement le corps d'arme qui tentait de l'craser puis, victorieux, il n'hsita pas se diriger sur Kairouan dans l'espoir vident de supplanter les Zrides. Une difficult l'atten dait en route : la rsistance acharne de Baaya qui soutint un sige de 45 jours et fut dlivre enfin par Bds. Le 10 de Dl-qa da 390 (22 octobre 999) ce dernier russit rejoindre Falfl aux environs de Marmajanna. La bataille eut lieu Wdi Aln. Farouche, longtemps indcise, elle se termina par la victoire de Bds. Falfl, vaincu, laissait 9 000 morts (?) sur le terrain et s'enfuyait au loin, tandis que le Sultan zride rentrait Kairouan au grand soulagement (nous dit-on) de la popula tion qui redoutait l'arrive de Falfl. Zr b. A ya, profitant de la rvolte des frres d'I wfat, tenta une nouvelle fois

de s'emparer d'Achr au mois de juin de l'an 1000, mais il renona son entreprise avant mme que Bds, qui runissait ses troupes Raqqda, se soit mis en mar che. Peut-tre se sentait-il malade puisque quelque temps aprs, alors qu'il s'en retournait Fs, il mourut le 12 Ramadan 391 (dcembre 1000). La lutte contre Falfl n'tait pourtant pas acheve. Le vaincu de Wdi Aln avait refait ses forces et, aprs un chec contre Gabs, il s'tait install Tripoli. Bds inquiet de cette menace la frontire de l'Ifrqiya, peut-tre galement peu rassur sur l'attitude des F imides l'gard du chef znte, appelle Kairouan son oncle ammd afin de s'en faire un appui dans sa guerre contre Falfl , mais il ne put le garder auprs de lui, la situation au Maghrib Central rclamant, nou veau, une prompte intervention des Zrdes. Les Zanta s'taient regroups sous l'autorit dAl-Mu izz, fils de Zr b. A ya, reconnu gouverneur du Maghrib par les Amrides d'Espagne et ils envahirent toute la Berbrie centrale, bloquant Msila et Achr et interceptant les caravanes. ammd fut charg de rtablir l'ordre avec promesse de ne plus tre rappel Kairouan. Autrement dit, Bds se dchargeait totalement sur son oncle du soin d'imposer la loi au Maghrib Central. C'tait en quelque sorte signer un premier acte d'ind pendance. ammd mit immdiatement profit cette libert et en 398/1007, il fonda sa capitale : La Qal a : la dynastie des ammdides tait cre. Mais bientt Bds voulut rduire la puissance de son oncle et lui retira le com mandement de Constantine. ammad se rvolta et fut svrement battu sur les bords de Chlif. Il russit s'enfermer dans la Qal'a et fut sauv par la mort de Bds (406/1016). BIBLIOGRAPHIE IBN AL A R, KMIL FI L-TARI , trad. de Fagnan, Annales du Maghreb et de l'Espagne, Alger, 1901. IBN IDARI Bayan, Al Bayano l. Maghrib, d. Dozy, Leyde, 1848. IBN KHALDOUN, Histoire des Berbres, trad. de Slane, t. III, p. 248. IDRIS H.-R., La Berbrie orientale sous les Zrides, X -XII sicle, Paris, 1962, t. I, p. 83-123. GOLVIN L., Le Magrib central l'poque des Zrides. Recherches d'Archologie et d'Histoire,
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Paris, A . M . G . ,

1957.

MARAIS G., La Berbrie musulmane et l'Orient au Moyen Age, Paris, 1946.


L. GOLVIN

B12. BAGA
Roi des Maures qui aida Massinissa, lorsque le prince massyle revenant d'Espagne aprs le meurtre de Capussa, s'apprtait se rendre en Numidie pour recouvrer le royaume de son pre Gaa (206 av. J . - C ) . Le nom de Baga n'est cit que par Tite-Live : Baga ea tempestate rex Maurorum erat (XXIX, 30, 1) mais le nom n'est pas inconnu dans l'onomastique libyque, on le reconnat sous la forme BGY (R.I.L., n 739, dans le Guergour, et n 1097, dans la Cheffia). Le nom d'Abeggi (chacal) est encore port chez les Touaregs (Ch. de Foucauld, 1940). Massinissa obtint du roi maure une escorte de 4 000 hommes, des cavaliers, qui lui permit de traverser sans encombre le territoire contrl par Syphax et d'atteindre le royaume massyle. Malgr la faiblesse du nombre de ses partisans, 500 numides, Massinissa renvoya immdiatement ses hommes Baga. Il est difficile de tirer de cette unique mention une documentation exhaustive. Elle permet cependant de poser quelques questions : qu'tait-ce un roi des Maures la fin du III sicle av. J . - C ? Sur quel territoire exerait-il son autorit? Baga
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faisait-il partie d'une dynastie ou fut-il un chef sans postrit? Roi des Maures, Baga nous semble avoir t un chef jouissant d'une autorit certaine puisqu'il put fournir Massinissa, qui tait un tranger, une escorte aussi importante que celle que mentionne Tite-Live et que nous n'avons aucune raison de mettre en doute. Baga ne peut donc tre un regulus, un simple chef tribal, il parat au contraire tre un vritable souverain dont l'autorit s'tendait sur un vaste territoire. Une phrase de Polybe (III, I, 33) indique qu' cette poque les Maures sont les plus occidentaux des Libyens puisque cette tribu tait tablie sur les bords de l'Ocan. Cette localisation n'est pas en contradiction avec l'affirmation de Pline (V, 17, 2) selon qui la puissante gens des Maures tait rduite quelques clans proximit desquels se situaient les Masaesyles qui, eux aussi, avaient connu le mme sort. Or les Masaesyles mentionns par Pline occupaient la Maurtanie Tingitane, il ne s'agit pas de ceux qui d'aprs Ptolme se situaient l'est de la Molochat (Moulouya) et avaient, au temps de Baga, constitu la puissance de Syphax. Le fait mme que Massinissa traverse le territoire de Baga avant d'atteindre la Numidie, confirme la situation du royaume des Maures, entre la Pninsule ibrique et les territoires masaesyles et massyles; de plus le contexte prouve que ce royaume contrlait au moins une partie du littoral; ce qui permet de rejeter dfinitivement la curieuse tentative de placer dans l'Aurs le royaume des Maures (A. Berthier, 1981). Si le royaume de Baga peut tre situ sans peine dans la future Maurtanie Tingitane, et plutt dans sa partie occidentale, il est impossible de prciser son tendue. On admettra, l'image de ce qui se passait en Numidie, que le roi exerait un certain contrle, sinon une domination de fait, sur les villes littorales, toutes de culture phnicienne, aussi bien les vieilles cits de Lixus et Tingi que celles, sans doute plus rcentes, qui occupaient les sites d'Emsa et de Sidi Abdeslam, mais aussi et plus srement sur les villes de l'intrieur comme Volubilis et peut-tre Tamuda. Vers le sud, on peut penser que les grandes tribus gtules exeraient dj une pression suffisante qui limitait l'autorit de Baga. Pline cite les Gtules Autoletes (= Autololes) qui s'tendaient jusque chez les thiopiens; on peut penser qu'ils occupaient dj le pays au temps de Baga. Baga n'est-il qu'un chef de guerre, crateur d'un royaume sans lendemain ou faut-il dj l'inclure dans la dynastie maurtanienne qui de Bocchus 1 Bogud rgna sur le mme territoire? Il est difficile de rpondre; en faveur de l'opinion dynastique on peut noter une certaine analogie entre les noms ports par ces diffrents souverains pendant prs de deux sicles. En dfinitive, Baga nous apparat plus comme l'hritier d'une puissance qui se forgea pendant les temps obscurs de la protohistoire que comme un simple aventurier que nous rvlerait un caprice de l'Histoire.
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BIBLIOGRAPHIE GSELL S., Histoire ancienne de l'Afrique du Nord, t. III, p. 175. FOUCAULD Ch. de, Dictionnaire abrg touareg-franais de noms propres, Paris, Larose, 1940. CAMPS G., Massinissa ou les dbuts de l'Histoire, Alger, 1961, p. 162-167. DESANGES J., Pline l'Ancien, Histoire naturelle, livre V, 1-44, Paris, Les Belles Lettres, p. 144-147. DCRET F . et FANTAR Mh., L'Afrique du Nord dans l'Antiquit, Paris, Payot, 1981, 73. BERTHIER A., La Numidie, Rome et le Maghreb, Paris, Picard, 1981 (contra Camps G., Compte rendu in Revue de l'Occident musulman et de la Mditerrane, n 33, 1982, p. 132-141).
G. CAMPS

B13. BAGAI (Bghya)


Agglomration et place forte ancienne dont le Ksar Bagha actuel a conserv le nom. Elle tait situe entre l'Aurs au sud et la Garaat al-Tarf au nord, non loin de l'oued Bou Roughal qui descend de la troue de Khenchela. Le nom antique de ce cours d'eau (Abigas*), cit par Procope (Guerre des Vandales, II, 19) est luimme rapprocher de celui de la ville de Baga dont il irriguait la campagne (Camps, 1984, p. 77). La ville tait tablie sur un mamelon dominant au loin le pays et couvrant une partie des Hautes-Plaines sur le versant nord de l'Aurs. Cette position stratgique sur une des routes allant de Carthage ou de Kairouan au Zab par Tebessa et Lambse au dbouch d'un des passages de l'Aurs vers le Sahara par les valles des oueds el Arab-el Abiod, explique le rle de premier plan jou par la cit fortifie entre l'poque byzantine et le XI sicle. Elle fut le centre d'une rgion militaire dpendante du Zab et souvent au cur des conflits multiples qui opposrent les matres de l'Ifrqiya aux mouvements de dissidence politique et religieuse, ns dans les tribus berbres du Maghrib central (Talbi, 1966, p. 261-265, 662-669; Golvin, 1957, p. 72-73). A l'poque romaine, Baga pourrait avoir t l'origine un castellum indigne ; elle est dote d'un conseil de dcurions en 162 ap. J.-C. (C.I.L., VIII, 2275), mais l'pigraphie du lieu qui n'a pas t fouill, se rduit quelques noms de lgionnaires (Lassre, 1977, p. 262-264; Le Bohec, 1989, p. 502, 527). Elle ne permet pas de dire quand elle devint cit romaine (Gascou, 1972, p. 92, 205). Sige d'un vch ds 256, o elle est reprsente au Concile de Carthage, la ville sera sous le Bas-Empire un des principaux centres du donatisme (Gsell, A.A.A., f 28, n 68); Mandouze, 1982, p. 284, 304, 721-723) : sous Constant, un des instigateurs de la rsistance au pouvoir imprial en Numidie est Donatus dont l'action provocatrice est prsente par Optat de Milev (De schismate donatistarum, III, 1, 4) comme complmentaire de celle de son homonyme plus connu de Proconsulaire : il aurait, par des crieurs publics, rameut les circoncellions des environs Baga, dont la basilique servait de centre de ravitaillement. En 394, un important concile, souvent mentionn par saint Augustin (Contra Cresconius, III et IV), runit Baga 310 vques donatistes. Vers 404, l'vque catholique Maximianus y fut molest par les donatistes pour avoir obtenu contre eux la restitution de la basilique du fundus Calvaniensis. En 411, un vque donatiste, Donatianus, assistait la confrence de Carthage sans rival catholique mentionn. Au dire de Procope (Guerre des Vandales, II, 19), les Byzantins auraient trouv la ville dserte par ses habitants lors de la campagne de Solomon en 539-540; mais elle devint par la suite une des grandes places fortes de la rgion : un tmoignage du mme Procope (de Aedificiis, VI, 7, 8) mentionne Baga parmi les cinq villes mises en tat de dfense autour de la montagne sous la responsabilit de Solomon (Desanges, 1963, p. 43-44). Une inscription publie en 1967 confirme cette assertion : elle commmore la construction de la fortification de Baga, sous le rgne de Justinien par le prfet d'Afrique (Durliat, 1981, p. 42-44). Cette fortification est reste oprationnelle jusqu' la fin de l'poque byzantine : dans les dernires annes du VI sicle, la ville, sige d'un vch, est mentionne par Georges de Chypre comme kastra (d. Gelser, p. 34); pendant l'invasion arabe, elle sert de refuge aux populations d'alentour (Ibrahim ar-Raqiq, p . 41). Sur la route du Maghrib, Oqba rencontra cet obstacle et chercha l'viter : il vainquit la cavalerie grecque sous les murs de Baga en 683, mais ne s'attarda pas au sige de la ville (Ibn Khaldoun, Hist. des Berbres, I, p. 331 ; El Bkri, Description de l'Afrique septentrionale, trad. de Slane, p. 322). Lorsque la Khina regroupa ses forces pour faire face aux troupes de Hsan ben Numan, elle s'appuya sur les rives de la Meskiana. Aprs sa victoire, elle conserva la cit qui ne fut occupe qu'aprs sa mort, par Hsan,
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La citadelle et l'enceinte byzantines de Baga (d'aprs Ch. Diehl).

en 82/701. Il est peu vraisemblable que les remparts de Baga aient t rass par la Khina en juger par ce qu'il en reste et par l'importance de la place pendant les premiers sicles de la priode arabe. Aux VIII et I X sicles, sous le gouvernement des Wult de Kairouan, Bghya maintint la prsence arabo-musulmane et protgea les marches de l'Ifrqiya lors des soulvements berbres de l'ouest, attiss par l'hrsie khridjite. Ceux des Hawwra et des Miknssa Ibdites taient particulirement menaants. Contre eux, Bghya demeura, avec Tobna, une des places les plus importantes du Zb dont on connat le rle politique et militaire, jusqu' la fin de la dynastie aghlabide. Par exemple, sous Muhammad II, c'est cette place que choisit le gnral Bu Hafa a comme base oprationnelle pour ratisser l'Aurs vers 870, et rallier Balazma (Talbi, p. 263).
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Finalement, comme les autres places de la rgion, Bghya ne devait capituler que sous les assauts de l'arme chite de A b Abd Allh al-Ahwal en 907/294. Elle devint ds lors la base stratgique du d'i dans sa marche vers Kairouan. Sa reddi tion durement ressentie par l'mir Zydat Allh III dont l'arme s'tait replie sur Laribus, annonait la chute, deux ans plus tard, de la dynastie aghabide. Aux X et XI sicles, Bghya dpendit des gouverneurs Ban-Hamdn, puis zrides auxquels les Fatimides avaient confi leurs marches de l'ouest. La ville sup porta vers 943 les assauts d'Ab-Yazd qu'elle dtourna vers le Jrid, puis ceux des rebelles Hawwra et Zanta. C'est cette occasion que s'illustrrent les premiers zrides avant de prendre la direction de l'Ifrqiya. Mais pour des raisons obs cures, la ville voulut chapper leur contrle et dut subir une svre rpression. Bghya n'en continua pas moins de survivre : en 999, elle rsista au sige de Fal ful, gouverneur flon de Tobna et fut dlivre par Bds*. Avant de disparatre vers 1024/415 lors de l'invasion des B a n Hill, Bghya avait t un des verrous de l'Ifrqiya zride contre les Zanta et contre la puissance montante des Hammdides (Cambuzat, 1968, p. 45-57). Al Idrs qui parcourt le Maghrib au XII sicle dcrit en ces termes la cit dchue (d. Hadj Sadok, 1983, p. 126) : Bagay est une grande ville, entoure d'un rem part en pierre ; elle a un faubourg galement entour d'un rempart o se tenait autrefois des sq qui se tiennent aujourd'hui dans la ville mme, le faubourg tant inha bit par suite des mfaits des Arabes. C'est la premire ville de la datte; elle a un oued qui lui vient du ct sud et lui fournit l'eau potable ; celle-ci est aussi fournie par des puits. Il y avait, autour de la ville, des campagnes, des villages et des exploi tations agricoles. Maintenant, de tout ceci, il ne reste presque rien. Des groupes berbres y sont tablis qui trafiquent avec les Arabes. Leurs principales ressources sont le froment, l'orge et la perception des taxes. L'autorit est exerce par leur mayi (leurs vieux chefs). Prs de l, la distance de quelques milles seulement, est la montagne d'Awrs, dont les habitants tyrannisent leurs voisins. De la fortification byzantine, certainement remanie au Moyen Age subsiste le trac du rempart urbain dont seule la partie nord-est est conserve aujourd'hui en lvation (Pringle, 1981, p. 184). L'enceinte dessinait un quadrilatre irrgulier de 1 172 m de primtre dlimitant une surface de 8,2 ha. Le mur (2,2 m de largeur) tait form d'un double parement en grand appareil noyau de blocage renforc par des boutisses ; il tait flanqu de 36 tours au total, rondes aux angles et carres sur les cts. Deux portes principales, encadres par des tours, donnaient accs la ville l'ouest et au sud-est. Au nord-ouest de l'enceinte tait accol l'intrieur, un fort ou citadelle de 70 x 63 m, flanqu de tours aux angles et au milieu des cts. Il enveloppait lui-mme un ouvrage plus petit (26 x 26 m). Le mur extrieur du fort tait prcd d'une sorte d'avant-mur. Diehl voyait dans ce dispositif l'ultime refuge de la garnison en cas de sige mais il n'est pas assur que cet ensemble appartienne un tat homogne de la construction. Cette muraille antique, en pierre, tours rondes et carres, est signale par Ibn Hawkal (trad. de Slane, p. 216) et Al Muqaddasi (trad. Pellat, p. 20-21) : c'est probablement avant le X sicle et donc sous les Aghlabides au dbut de l'expansion de Bghya qui se poursuivit jusqu'au milieu du X sicle que les faubourgs furent ceints leur tour d'un rempart. Aprs le passage des Ban Hill, les deux remparts (de la ville et du fort) restrent seuls debout, les faubourgs tant abandonns et les marchs regroups l'intrieur de la premire enceinte (Cambuzat, p. 55).
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BIBLIOGRAPHIE AL IDRISI, Le Maghrib au VI sicle de l'hgire (XII sicle aprs J . - C ) , texte tabli et traduit en franais d'aprs nuzhat mustaq par Mahamad Hadj-Sadok, Paris, Publisud, 1983.
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P. TROUSSET

B14. BAGRADA
Principal fleuve de l'Afrique punique, long de 365 km (l'indication de Julius Honorius : 318 milles [soit prs de 460 km] constitue une exagration), le Bagrada (l'oued Medjerda) prend sa source en Numidie prs de la ville de Thubursicu Numidarum (Khamissa), dans le massif montagneux qui donne aussi naissance l'oued Seybouse. Quoi qu'on ait prtendu, le fait tait reconnu dans l'Antiquit, puisqu'il est expressment mentionn dans la Cosmographia, 47, de Julius Honorius (d. Riese, Geog. Lat. Min., p. 52) : Fluuius Bagrada nascitur in Thubursicunumidarum. Il est faux de dire, comme on s'y est parfois risqu en se fondant sur une erreur de Ptolme (IV, 3, 6) qui place trop au sud la source du Bagrada, que son grand affluent de droite, l'oued Mellgue (que l'on identifie gnralement avec le Muthul), reprsentait aux yeux des anciens habitants de l'Afrique le cours suprieur du fleuve. Son nom dans l'Antiquit apparat sous plusieurs formes. Chez les crivains grecs, on trouve M dans Polybe (1, 75, 5; 1, 86, 9; 15, 2, 8), puisB (Strabon, XVII, 3, 13; Ptolme, Geog., IV, 3, 6, etc.). Chez les auteurs latins est attes te exclusivement la forme Bagrada (Pomponius Mela, De Chorog., I, 34; Pline, N.H., 5, 24; Lucain, IV, 587; etc.) : c'tait sans aucun doute la seule employe pour dsigner l'oued Medjerda sous la domination romaine et la seule qui explique la forme Bajarda ou Badjarda ou Bajrada qui se rencontre chez les auteurs arabes du Moyen Age. La forme actuelle Majrada ( laquelle ne correspond qu'imparfai tement la transcription franaise courante Medjerda) tmoigne d'une alternance dans la consonne initiale (B/M) qui parat remonter une haute antiquit (cf. le nom M dans Polybe) et qui n'est pas sans parallle (cf. Medda [lecture sans doute prfrable Auedda], localit laquelle correspond Henchir Bedd selon J. Peyras, Deux tudes de toponymie et de topographie de l'Afrique antique, dans Ant. Afr., 22,

1986, p. 217; cf. aussi L. Maurin et J. Peyras, Uzalitana, dans Les Cahiers de Tunisie, 19, 1971, p. 64-65). L'origine de ce nom est trs incertaine : C. Tissot, juste titre, a cart toute relation avec le nom phnicien maqor, eau courante , aussi bien qu'avec un autre mot smitique, braka, brakoth, eaux dormantes, tymologies qui, d'ailleurs, s'excluent l'une l'autre, ainsi qu'avec le nom d'une des divinits nationales de Carthage, Melqart, l'Hercule tyrien. C'est trs probablement dans l'onomastique libyenne qu'il faut chercher l'tymologie du nom antique de l'oued Medjerda. C. Tissot croit le retrouver dans la nomenclature indigne de la Tripolitaine, o est atteste sur la cte septentrionale, entre les deux Syrtes, une localit que l' Itinraire Antonin, 62, 3, dsigne sous les mots de Megradi uilla Aniciorum, et le Stadiasmus Maris Magni, 97 (d. Mller, Geog. Graeci Min., I, p. 463), sous le nom de M. Presque l'issue du massif o il prend sa source, le Bagrada suit la direction gnrale O.S.O. E.N.E. qu'il garde jusqu' son embouchure. Il traverse le plateau de Souk Ahras (l'antique Thagaste) et la haute chane qui spare aujourd'hui l'Algrie de la Tunisie. A quelque distance au sud-est de Simitthus (Chemtou), il dbouche dans les Grandes Plaines de Polybe et d'Appien, constitues d'une profonde couche vgtale d'une richesse considrable. Les grandes crues sont rares et ne se produisent qu'au cours d'annes exceptionnellement pluvieuses. C'est la seule rivire de l'ancienne Africa qui ait un dbit permanent tout le long de son cours. Il tait navigable dans l'Antiquit comme il l'est aujourd'hui. Cependant, son rgime irrgulier est typiquement mditerranen : hautes eaux de dcembre avril et basses eaux de mai novembre. Ordinairement, son cours est trs lent. Endormie dans ses innombrables mandres, la Medjerda est toujours le fleuve qu'a si bien dcrit Silius (C. Tissot) : Turbidus arentes lento pede sulcat arenas Bagrada, non ullo libycis in finibus amne uictus limosas extendere latius undas et stagnante uado patulos inuoluere campos (Silius Italicus, Punica, VI, 140-143). Un fleuve aux eaux troubles et au cours paresseux creuse les sables desschs, le Bagrada, et nulle autre rivire sur les terres libyennes n'tend plus loin ses flots bourbeux et ne couvre plus de plates tendues de ses nappes dormantes (trad. Miniconi et Devallet). Le Bagrada reoit divers affluents. Citons notamment : du ct droit, l'oued Mellgue, le plus important de tous, peu prs la hauteur de Bulla Regia (Hammam Darradji); un peu plus l'est, l'oued Tessa; du ct gauche, l'oued Bou Heurtma (qui parat correspondre l'Armascla fluuius que la Table de Peutinger place vingtquatre mille l'est de Bulla Regia); et nouveau droite, l'oued Siliana, la hauteur de Tichilla (Testour). Au-del de Thuburbo Minus (Tebourba) commence le delta du Bagrada. A l'poque antique, ce dernier se jetait dans la mer prs d'Utique. Ses alluvions ont combl peu peu sa vaste et profonde embouchure, et le rivage actuel se trouve environ dix kilomtres l'est du littoral primitif la hauteur d'Utique. La premire mention connue du Bagrada a t faite propos de la campagne de Rgulus en Afrique en 256 av. J.-C. : selon u n pisode lgendaire rappel par de nombreux auteurs (Q. Aelius Tubero, d'aprs Aulu-Gelle, VII (VI), 3 ; ValreMaxime, I, 8, ext., 19; Pline, 8, 37, etc.), l'arme de Rgulus aurait rencontr auprs de ce fleuve un serpent de cent vingt pieds (plus de trente-cinq mtres) qui aurait fait de nombreuses victimes. Les Romains auraient engag contre lui une vritable bataille, et auraient mme d employer des machines de guerre pour le tuer. Le Bagrada est encore mentionn en relation avec la Guerre des Mercenaires, peu aprs 241 av. J.-C. (Polybe, 1, 75), propos du sige d'Utique par Scipion en 203 av.

J.-C. (Polybe, 15, 2 ; Tite-Live, XXX, 25), et de la campagne africaine de Curion en 49 av. J.-C. (Csar, Guerre Civile, II, 24 et 26). Il est noter qu'aucune mention pigraphique du Bagrada ne s'est fait jour jusqu' prsent. L'importance du Bagrada, dont la valle moyenne constitue une coupure naturelle entre les monts de la Kroumirie et des Mogods, au nord, et ceux du Haut Tell, au sud, et en mme temps un axe de circulation et d'urbanisation, la richesse agricole d'une grande partie de son bassin, expliquent la prsence d'assez nombreuses villes antiques sur le fleuve ou son voisinage. On citera, parmi celles-ci : Utique, Thuburbo Minus, Thisiduo, Membressa, Tichilla, Bulla Regia, Simitthus, Thagaste.

BIBLIOGRAPHIE TISSOT C , Le bassin du Bagrada (Mmoires prsents l'Acadmie des Inscriptions et Belles Lettres, t. IX, 2, 1884), p. 1 et s. ID., Gographie compare de la province romaine d'Afrique, t. 1, Paris, 1884, p. 57-82. REINACH S., Atlas de la province romaine d'Afrique pour servir l'ouvrage de M. Ch. Tissot, Paris, 1888. BABELON E., CAGNAT R. et REINACH S., Atlas archologique de la Tunisie, Paris, 1893-1913, notamment feuille n VII (Porto-Farina), n XIII (El Ariana), et n XIV (La Marsa). DESSAU H., Bagradas, RE, II, 2 (1896), col. 2773-2774. GSELL S., Histoire ancienne de l'Afrique du Nord, 8 vol., Paris, 1913-1930, notamment I, p. 325-326; II, p. 143-144; III, p. 110-111, 122; VIII, p. 11-12, 19 et carte p. 13. SALAMA P., Les voies romaines de l'Afrique du Nord, Alger, 1951. DESPOIS J., La Tunisie. Ses rgions, Paris, 1961, p. 171-173. LE GLAY M., Bagradas, Ber Kleine Pauly, I (1964), col. 805-806. GASCOU J., Le nom de l'oued Medjerda dans l'antiquit romaine, Antiquits Africaines, 17, 1981, p. 15-19.
OUESLATI A., PASKOFF R., SLIM H., TROUSSET P., Dplacements de la ligne de rivage en

Tunisie d'aprs les donnes de l'archologie l'poque historique, Dplacements des lignes de rivage en Mditerrane d'aprs les donnes de l'archologie, Aix-en-Provence, 5-7 septembre 1985, Colloque international du Centre National de la Recherche Scientifique dit par P . Trousset, Paris, 1987, p. 71-73 (La cte du delta de la Medjerda).
J . GASCOU

B15. BAGZAN (Monts)


Le massif de l'Ar* (Niger septentrional) constitue un vaste lot rocheux complexe compos de granit et de shistes cristallins dont la longueur est d'environ 450 km sur une largeur minimum de 100 km au niveau du 17 parallle, atteignant jusqu' 200 km entre les 18 et 19 parallles pour finalement se rtrcir dans l'extrme-sud. Les formes actuelles sont consquentes aux bouleversements du tertiaire, poque de grande activit volcanique. L'ensemble apparat comme un chapelet de massifs, gnralement accidents, qui s'grnent du nord au sud; ce sont, le Grebun, les Tamgak, le Gunda, l'Agalak, les Bagzan et les Tarwadji. L'Ar se prolonge gologiquement au sud par le Damagaram, le Munio et les massifs du Nigeria. Les influences climatiques sahliennes se manifestent par des pluies d'hivernage (de fin juin dbut octobre) qui varient de 250 m m dans sa partie la plus mridionale pour tomber jusqu' 20 mm annuels dans la rgion la plus septentrionale du massif. Dans cet ensemble rocheux bord l'est par le dsert du Tnr et l'ouest par les plaines du Talaq et du Tamesna, les monts Bagzan occupent une place particue e e

lire. Sur 600 km de superficie, ils forment un haut plateau ovale de 40 km de longueur sur 20 km de largeur orient N.N.E.-S.S.O. Ils prsentent la configuration gographique d'un horst, militairement imprenable en cas d'attaque des Toubou ou des Arabes (les uled Suleyman du Tchad) mais qui offre cependant deux accs. L'un l'est constitu par la faille d'Ealabelaben, l'autre diamtralement oppos, l'ouest, par une piste nire ou chamelire moins escarpe, celle de Zabo. Les monts Bagzan furent occups ds le VIII millnaire par des populations ayant dj invent la technique cramique (voir Ar*). C'est dans les Bagzan, Tagalagal que furent dcouvertes par J. Roset les plus anciennes poteries connues dans le monde. L'occupation du gisement a t dat entre 9370 30 et 9000 120 BP soit entre 7420 130 et 7050 20 BC. Les premiers occupants historiques des Bagzan furent les Itisen et les Kel Geress. Certaines traditions orales distinguent les Itisen des Kel Geress, les autres les confondent. Il semble cependant que l'arrive des Itisen dont l'aghombulu d'Azod (village historique de l'Ar) tait le personnage le plus influent, prcde celle des Kel Geress. Par la suite, les mariages contriburent une assimilation fonde sur une structure parentale indiffrencie. Les Kel Geress vinrent la fin du XIV sicle. Les premiers cits habitaient des maisons entirement bties de pierres dont il reste encore quelques vestiges. L'organisation territoriale des Bagzan relevait d'une division spatiale matrialise par des murettes construites en pierres limitant des terroirs dont l'accs tait rgl par une prestation autorisant soit le passage soit le pacage des animaux. Peu de choses tant connues sur les Itisen et les Kel Geress de cette poque (vers le XI sicle), je me limiterai procurer quelques donnes historiques et lgendaires puises dans la littrature orale recueillies sur le terrain. La profondeur historique volue entre la fin du XIV sicle et le XVIII sicle. Au dbut du XIV sicle, les Kel Ewey, dont les Kel Bagzan, taient placs sous la dpendance de l'empire du Bornou. Chaque anne, dit-on, le sultan envoyait son gnralissime (le galadima) en Ar aux fins d'obtenir cent vierges pour son harem. Lors d'une de ces expditions, nous disent les traditions orales, un Kel Ewey s'y opposa si fermement qu'il tua le galadima. Les Kel Ewey se rfugirent alors sur les Monts Bagzan afin de riposter aux armes bornouanes qui revinrent en force. Le sige dura plus d'un an et la faim commena se manifester, dcimant l'arme du Bornou. Les Kel Bagzan utilisrent alors un stratagme qui fut concluant et qui contredit la rputation de balourds que leur attribuent les gens de l'ouest. Afin de narguer leurs adversaires, les Kel Bagzan envoyrent quatre chamelles gaves et gorges l'une de mil, la seconde de bl, la troisime de riz (il n'y a pas de riz sur les Bagzan) et la quatrime de haricots. Arrivs dans la plaine, les Bornouans affams s'emparrent de ces quatre chamelles, les gorgrent et les dpcrent, stupfaits de voir une telle abondance de victuailles dans les entrailles de ces animaux. Ils en dduisirent que l'approvisionnement des Bagzan tait inpuisable et dcidrent en consquence de lever le sige. Certains ne purent se dplacer tant ils taient repus : ceux-l furent faits prisonniers sur place tandis que les autres furent capturs au puits d'Achegour sur la piste chamelire qui conduit au Kawar. L'arme bornouane fut entirement dfaite et les Kel Ewey incluant les Kel Bagzan poursuivirent leur conqute, s'emparant des salines de Kalala au Kawar (Bilma) et en y installant leurs prisonniers. Victorieux, les Kel Ewey rintgrrent leurs montagnes. Ce n'est qu' partir de 1917, aprs la dfaite de Kaosen, que les Kel Bagzan, d'abord rprims puis protgs par les troupes franaises contre les incursions Toubous, commencrent descendre des Bagzan pour occuper les kori des valles. Ils tendent alors considrablement leurs terrains de parcours, ouvrant de nome e e e e e

breux pturages, dfrichant et crant de nouveaux jardins qui n'ont cess de prolifrer jusqu' nos jours sous l'effet des programmes de dveloppement. La rputation quelque peu mythique des Bagzan (abondance de vivres et de pturage, rsidence des diables, refuge militaire) a des rsonnances politiques actuelles. Ainsi, lors de l'attaque du commando touareg sur l'usine d'extraction de l'uranium Arlit en avril 1982, certaines populations de la rgion agadzienne ont souponn les membres de ce commando de s'tre rfugis... sur les Bagzan, alors que ces monts sont facilement visits par les touristes europens... Le cheval des Bagzan contribue sensiblement au renom quasiment national de ces Monts o il n'existe plus de chevaux... Jean (1909, p. 147) prsente ce cheval comme petit, en gnral bien roul, fin et muscl. Il est vendu jusqu' trente chameaux, soit six sept mille francs si on donne un chiffre moyen la valeur du chameau. Quant Nicolasen (1963, p. 113) le cheval aurait t introduit en Egypte en 1700 avant l're chrtienne la suite des invasions des Hyksos. D'Egypte, le cheval aurait pntr l'Afrique par la Libye actuelle sous le rgne de Ramss III (soit vers 1200 av. J.-C). Selon Doutresoulle (1947, p. 238) cit par Nicolasen, le cheval des Bagzan appartiendrait au type aryen et aurait t introduit par Tripoli. Ce mme type de cheval se retrouve dans l'Adrar des Ifoas et dans le Hodh mauritanien. Actuellement, les Kel Geress du Gober, de la rgion de Madawa dtiennent beaucoup de chevaux de ce type. Les Monts Bagzan prsentent un grand nombre de gravures et de peintures rupestres qui sont actuellement en cours d'inventaire et d'tude. Les traditions agricoles sur les Bagzan semblent trs anciennes. Le procd d'arrosage le plus courant des jardins se fait partir de sources perennes (itt, pl. ittawin) tandis que dans les plaines environnantes, les jardins sont irrigus partir de puits surmonts d'un difice en bois (la takarkar, pl. tikarkarin) au milieu duquel se trouve une poulie (fefe, pl. feifeiyan). La traction est assure par un buf, un chameau et trs rarement par un ne, ou, le cas chant par l'nergie humaine quand le btail meurt comme pendant la scheresse de 1969-1974. A l'poque des conflits entre Kel Geress et Kel Ewey au XVIII sicle, les sources des Monts Bagzan constituent des enjeux majeurs. En effet, sous les pousses guerrires des Kel Ewey, les Kel Geress quittrent l'Ar vers le Gober non sans avoir au pralable bouch les sources qui alimentaient les jardins, notamment celles d'Eghalabelaben et de Kwokay. La lgende raconte qu'Annur, un Kel Ar de Timia alla se marier chez les Kel Geress. Lors d'une assemble (ameni), tout le monde tait prsent l'exception d'Annur que l'on attendait pour commencer les dbats. Une voix dans l'assemble s'leva pour demander ce que l'on attendait pour ouvrir les discussions : Annur lui rpondit-on ! la mme voix rtorqua : Il est inutile d'attendre un tranger, commenons! Annur, qui venait d'arriver, intervint alors et se fcha. Face un comportement aussi inhospitalier, Annur dcida de retourner en Ar car il craignait mme d'tre tu par deux esclaves dpchs contre lui par les Kel Geress. Cependant, l'assemble lui demanda de rester : il refusa. Alors, un vieillard intervint et lui livra u n secret : Si tu vas en Ar, il faut aller sur les monts Bagzan, dans un Kori qui s'appelle Ealabelaben. Il y a l une source bouche l'aide d'un norme caillou par les Kel Geress avant leur fuite vers le Gober. Mais il faudra que tu sacrifies un buf en prsence de tous les marabouts. Dmuni de tout, Annur se rendit chez Ekabed, un Itegen (fraction des Kel Ewey), Earar, petit village situ au nord des Bagzan. Ekabed fit runir tous les captifs et les marabouts Eyalabelaben et fit gorger un buf. Aprs avoir creus, l'eau coula. Annur fit connatre l'auditoire l'existence d'une autre source Kwokay. Khamid, un Kel Zolan, accompagn d'un Kel Timia, forts de la nouvelle prcdrent tout le monde et ouvrirent un jardin non sans avoir, au pralable, sacrifi un animal. Ces deux hommes
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se partagrent donc Kwokay, l'un prenant le nord, l'autre s'appropriant le sud. Depuis cette poque, Annur devint un personnage clbre tandis que Khamid resta dans la mmoire collective des Kel Bagzan pour avoir transmis une partie de son jardin en biens indivis (akh idderen) dont les effets se manifestent encore aujourd'hui. La production agricole actuelle concerne des crales (mas, orge, bl), des tomates, oignons, aulx, piments, courges, melons, haricots, figuiers, citrons et bien sr, des dattiers dont les fruits sont rputs. Depuis une dizaine d'annes, la production de pommes de terre, intgre dans les circuits de commercialisation, est en extension. Les Kel Bagzan sont galement de grands caravaniers qui, comme beaucoup d'autres Kel Ewey, se rendent annuellement en Agram (Fachi), au Kawar (Bilma) ou au Djado pour y chercher du sel et des dattes. Les Kel Ewey distinguent en fait trois types de caravanes : 1. taferd (p\. iferdawin) ou taghelam, (pl. tighelamiri) qui achemine vers l'Agram (Fachi), le Kawar (Bilma) et le Djado, crales, arachides, tissus, parfums, produits manufacturs en provenance du pays Hausa ainsi que des lgumes schs, viande sche et/ou sur pied de l'Ar afin de les vendre ou des les changer contre du sel et des dattes. Le dsert du Tnr est sillonn chaque anne par des centaines de caravanes du mois de septembre au mois de mars. L'acheminement du sel (moul dans de petites cuvettes (foci, pl. fociten : assiettes ) sur les Bagzan se fait par la face est, celle d'Ealabelaben tandis que le mil est transport par le versant ouest (Zabo) d'accs plus facilecar moins escarp. 2. aran (nom collectif) : aprs quelques jours de repos en Ar, les caravaniers de la taferd se dirigent vers le pays Hausa aux fins de vente ou d'change de sel et des dattes pour se procurer les produits du sud (mil, pices, toffes, indigo, pagnes, miel, ustensiles mnagers, etc.). Ils pratiquent aussi le transport pour le compte des commerants Hausa ou la fumure des champs en change de nourriture. 3. tekaref (pl. tikerfin) : cette caravane tourne vers l'Ahaggar (Tamanrasset, Amadghor, Tassili-n-Ajjer et Libye) n'existe plus depuis une trentaine d'annes. Sur le plan religieux, les Kel Bagzan sont les adeptes de la Khalwatiya institutionnalise par u n rituel appropri : le wird. Le rnovateur fut cheikh Musa (ou Mallam Musa) mort Tabelote en 1959 o il fonda une zawiya. Les Kel Bagzan, tout comme d'ailleurs les autres Kel Ewey, sont accuss par les Kel Tamacheq de l'ouest, de pratiquer la magie noire et la sorcellerie. La croyance aux Kel Essuf (mauvais gnies, diablotins) est trs prgnante. Les Kel Bagzan se parent de nombreuses amulettes destines prvenir ou contrecarrer le mal. Les Monts Bagzan sont considrs comme tant le sige o svissent des diables particulirement actifs. L'un d'entre eux, non identifi, tait singulirement nocif dans la priode qui a prcd l'clipse totale de soleil du 30 juin 1973. Celle-ci a t doublement et paradoxalement interprte. Un certain nombre de bergres ont accus les infidles (akafar, pl. ikufar) de pratiquer la magie par le moyen de l'clipse tandis que d'autres n'ont reconnu dans ce fait naturel que l'intervention du Dieu Tout Puissant. Quoi qu'il en soit, les deux interprtations se rejoignent car dans le combat entre la magie des paens et la puissance de Dieu, c'est bien celui-ci qui est victorieux, c'est lui qui vite le chaos et la fin du monde, puisque l'ordre rapparat avec le soleil qui avait t razzi pendant 7 minutes. Pour les Kel Timia, les paens ont fait l'clips afin de librer le pays et la population des Bagzan d'un diable dont les mfaits n'ont cess de tracasser les gens de ce village de Timia, particulirement encaiss dans des montagnes repres de ces diables.

BIBLIOGRAPHIE BERNUS E., Air, les techniques agricoles, Encyclopdie berbre, III, 1986, p. 357-361. BISSON J., leveurs-caravaniers et vieux sdentaires de l'Ar sud-oriental , Travaux de l'Institut de Recherches Sahariennes, t. XXIII, 1964. BOURGEOT A., La razzia du soleil en pays Twareg , in Francillon G. et Menget P., ed : Soleil est mort. L'clipse totale de soleil du 30 juin 1973, Nanterre Labethno, 1979, 143-167. BOURGEOT A., Les changes transsahariens, la Senusiya et les rvoltes Twareg de 1916-1917, Cahiers d'tudes Africaines, 69-70, XVIII, 1-2, p. 159-185. BOURGEOT A., Terminologie de parent et alliances matrimoniales chez les Kel Ewey (Twareg de l'Ar oriental), 1984. GAUBERT E.-G, Les Kel Ewey. Groupement Touareg de l'Ar, Mmoires des CHEAM, n 1315, rono. JEAN C , Les Touaregs du sud-est. Leur rle dans la politique saharienne, Paris, Larose, 1909, 361 p., carte, photo. LAURENT Cl., L'Ar et ses gens, Mmoires du CHEAM, n 4236, 1966, 45 p., rono. MOREL A., Villages et oasis des Monts Bagzans , Revue de Gographie alpine, LXI, 1, 1973 : 247-266, fig. biblio, cartes, photos. NICOLAISEN J., Ecology and culture of the Pastoral Twareg, The National Musum of Copenhagen, 1963, 548 p., photo. RENNEL OF RODD Fr., Fond. Rodd : Royal Geographical Society, Londres, document (ni dat, ni sign) intitul : Itesan et Kel Geress aux dires du Sultan de Sokoto et d'autres (traduction libre). TRIAUD J.-L., Hommes de religions et Tariqa dans une socit en crise. L'Ar au XIX et XX sicle : le cas de la Khalwat-Iyya , Cahiers d'Etudes Africains, 1984.
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A . BOURGEOT

B16.

BAIURAE

Selon Ammien Marcellin (XXIX, 5, 33), dans l'anne 373, le comte Thodose ngocia avec les Baiurae partir de Tipata (leon des manuscrits; mais il s'agit sans doute de Tipasa), en Maurtanie Csarienne. St. Gsell a propos d'identifier ces Baiurae avec les Baniouri* de Ptolme (IV, 2, 5, d. C. Mller, p. 604), qui semblent cependant avoir t tablis sensiblement plus l'est. Mais la prsence du surnom Baniura Caesarea (Cherchel), attest par deux fois (C.I.L., VIII, 21233 et 21234), suggre que les Baiurae d'Ammien pourraient bien tre des Baniurae, dont l'ethnonyme aurait t dform par la tradition manuscrite. Il est possible, d'autre part, de rapprocher cette population des Bantourari* de Ptolme (IV, 2, 5, p. 603), lire peut-tre Baniourari, et des Baniures ou Vaniures de Julius Honorais (B 48, dans A. Riese, Gogr. Lat. Min., Heilbronn, 1878, p . 54) cits entre les Mosenes ou Musunei (A 48), cf. Musones*, et les Artennites*.

BIBLIOGRAPHIE GSELL St., Observations gographiques sur la rvolte de Firmus , R.S.A. C, XXXVI, 1903, p. 37-38.
J . DESANGES

B17. BAKALES Tribu de Cyrnaque mentionne par les manuscrits d'Hrodote (IV, 171), sauf trois (ABC), sous le nom de Kabales, qui est en ralit celui d'un peuple de la Lycie du Nord. Peu nombreux, les Bakales habitent vers le milieu du territoire des

Auskhisae* et touchent la mer aux environs de Taukheira (Tocra). Callimaque (fr. 484, d. R. Pfeiffer, Oxford, 1949), au dbut du I I I sicle avant notre re, en faisait tat. A une poque indtermine de l'ge hellnistique, l'historien Agroitas insre le hros Bakal dans une liste d'ponymes des tribus libyques, qui nous a t conserve par le grammairien Hrodien, au temps de Marc Aurle (Herodiani Technici reliquiae, d. A. Lenz, Leipzig, 1870, II, 2, p. 918 = C. Mller, F.H.G., IV, p. 294). Ptolme (IV, 7, 10, d. C. Mller, p. 785) signale, pour sa part, les peuples de la Phazanie (cf. Phazanii*) et de la Bakalitis, partir de l'thiopie subgyptienne et en se dirigeant vers l'ouest, au-del des dserts. Certains manuscrits de Julius Honorius (B 47, dans A. Riese, Gogr. Lat. Min., p. 53) suggrent de restituer, dans une numration de peuplades, Bacca [l] ites ou Bacca [l] ides entre Nasamones et Garamantas (acc. plur.). Enfin, au milieu du V sicle de notre re, Nonnos de Panopolis (Dionys., XIII, 376) mentionne, de faon rudite, les Auskhisae et les Bakales. Le nom Bakal est rpandu dans l'pigraphie de la Cyrnaque, et on le rencontre mme Thra (Santorin), dans une inscription du VI ou du dbut du V sicle avant J.-C. (O. Masson, Remarques sur deux inscriptions de Cyrne et de Thra , Rev. de Philol, 3 srie, XLI, 1967, p. 229-230, avec la liste des occurrences). Faut-il en rapprocher Maccal ou Maccalis, attest en Csarienne sous la forme d'un supernomen (CLL., VIII, 9878 et 9890; cf. I. Kajanto, Supernomina, Helsinki, 1967, p. 30). A. Laronde (Cyrne et la Libye hellnistique, Paris, 1987, p. 64) a mis l'hypothse que les Libyens qui capturrent Thibron en 321 avant notre re, apparemment non loin de Taukheira (Tocra), taient des Bakales. Ils auraient donc utilis des biges et seraient, ds cette poque, trs hellniss. Il n'est pas exclure, d'autre part, que les Bakales soient les descendants des Libyens, bqn, mentionns par des inscriptions du Nouvel Empire gyptien, l'alternance *l/*n ne surprenant pas (cf. O. Bates, The Eastern Libyans, Londres, 1914, p . 47-48; K. Zibelius, Afrikanische Orts- und Vlkernamen in hieroglyphischen und hieratischen Texten, Wiesbaden, 1972, p. 111).
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BIBLIOGRAPHIE MASSON O., En marge d'Hrodote : deux peuplades mal connues, les Bacales et les Cabalens, Musum Helveticum, XLI, 1984, p. 139-142.
J. DESANGES

B18.

BAKATAE

Les Bakatae sont situs par Ptolme (IV, 5, 12, d. C. Mller, p. 692) en Marmarique, au voisinage, d'une part, des Nasamons* (eux-mmes proches des Augilae* de l'oasis d'Aoudjila) et, d'autre part, des Auskhitae*. C. Mller (d. de Ptolme, p. 668, n. 17 et p . 669, col. 1) les assimile aux Bakales et pense qu'ils ont t abusivement transfrs en Marmarique par le gographe alexandrin. On sera tent, en tout cas, de rapprocher des Bakatae les Vacathi* de Pline l'Ancien (VI, 194), citant Dalion (dbut du III sicle avant notre re). Ceux-ci, vivant trs au sud de la Grande Syrte, ne se servaient que d'eau de pluie, certainement faute de points d'eau, tout comme les Psylles* (Hrodote, IV, 173).
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J. DESANGES

B19. BALDIR/BALIDIR
Dieu connu par des inscriptions no-puniques et par quatre inscriptions latines, de Sigus, de Bir Eouel (15 km au sud de Constantine) et de Guela bou Sba (rgion de Guelma). La forme originelle du nom de cette divinit est incontestablement phnicienne, Ba al Adir qui signifierait selon S. Gsell Matre Puissant, et selon J. Ferron Seigneur de la claie, c'est--dire de l'aire battre. Un sanctuaire lev Ba al Adir Bir Tlelsa dans le Sahel tunisien, est mentionn dans une importante inscription no-punique. A Cirta, de nombreuses stles du sanctuaire d'El Hofra sont ddies Ba al Adir qui y possdait u n temple (stle n 27). La proximit de Cirta et peut-tre le renom de ce sanctuaire expliquent l'importance que Ba al Adir conserva dans la rgion cirtenne (Sigus, Bir Eoued) l'poque romaine, sous le nom contract de Balidir (Baldir, Guela Bou Sba). Il est fort possible que le nom que porte alors la vieille divinit phnicienne (cf. Malk Adir de l'inscription d'Eschmunazar) ait t dform par contamination du libyque. Il existe, en effet, en berbre un verbe edder/idir qui signifie vivre et entre dans la composition d'anthroponymes, fait qui est constat ds l'Antiquit. On peut citer, en particulier, le prfet de Castra Severiana dans la clbre inscription du roi Masuna, qui portait le nom dlidir (C.I.L., VIII, 9835). Ainsi les habitants de Sigus, qui parlaient libyque, voyaient en Balidir un Dieu Vivant, aux pouvoirs sans doute plus tendus que ceux du Matre de l'aire battre et donc des moissons, dnomination de la vieille divinit phnicienne. Il est vraisemblable, aussi, que sous ces deux noms si proches, les Africains aient rvr Saturne sous ses deux aspects de Frugifer et de matre du temps.

BIBLIOGRAPHIE Voir Baal, Encyclopdie berbre, IX, 1991, p. 1289-1291. BERTHIER A. et CHARLIER R., Le sanctuaire punique d'El Hofra Constantine, Paris, A.M.G., 1955, stles n 4 9, 27, 49. CAMPS G., Qui sont les Dii Mauri?, Antiquits africaines, t. 25, 1990, p. 131-153. FERRON J., Restauration de l'autel et gravure d'une image sacre dans un sanctuaire sahlien de Ba al Adir, REPPAL, III, 1987, p. 193-227. FVRIER J., A propos de Ba al Adir, Semitica, II, 1949, p. 21-28.
G. CAMPS

B20. BALEARES (Berbres aux les)


L'le de Majorque fut conquise en 209/902-903 par I m al Khawln sous l'mirat de l'omeyyade Abd Allh de Cordoue. Nous ignorons quand les autres les de l'archipel furent occupes. Plusieurs Khawln furent wl aux Iles jusqu'en 350/960-961 moment o Abd al Ra mn al-N ir nomma ce poste son mawla Muwaffaq. Aucun chronique, aucun texte gographique ne permet de savoir s'il y eut des migrations dans les les ds aprs la conqute, venant de la Pninle ou du Maghreb. L'analyse toponymique entreprise par P. Guichard au sharq al-Andalus fut suivie de recherches semblables aux les Balares. Les premiers rsultats semblent indiquer que le flux des arrives fut assez constant sans qu'on puisse dterminer des phases plus importantes que les autres. Il ne semble pas que ces arrives furent massives, il s'agissait plutt de petits groupes d'origine clanique ou tribale. Contrairement ce qu'on croyait auparavant, l'immigration almoravide ne donna pas naissance d'importants tablissements ruraux et semble s'tre limite l'occupation des cits. On en dduit que le flux migratoire le plus important se produisit

tablissements tribaux berbres Majorque (d'aprs A. Poveda, 1987).

Pourcentage des tablissements claniques berbres Majorque (d'aprs A. Poveda, 1987).

avant la conqute almoravide (509/1115-1116) sous le commandement d'Ibn Tiqartt. Tout indique que les Almoravides trouvrent un espace socio-politique solidement organis autour d'tablissements patriarcaux qu'il tait difficile de contrler par tir de la ville, Madna Mayrqa, d'o leur tentative de la transplanter l'intrieur des terres. Les dernires analyses du Llibre del Repartiment (inventaire tabli en 1232 par les conqurants catalans pour distribuer les terres indignes) et d'autres documents d'archives montrent que les toponymes d'origine clanique tournent autour de 20% de l'ensemble. Mais ces toponymes en B n suivi d'un anthroponyme, prsentent

d'importantes variations rgionales (35,58% dans le Yartn, 4,54% dans le Jibl, 30,17% Manrqa, 43,80% Ybisa).. Les analyses montrent que l'alqueria (qarya) portant un nom tribal ou clanique est la principale forme d'exploitation insulaire. L'identification des grands groupes tribaux berbres fut facile. On trouve des ta blissements portant les noms des Gumra, Marnza, Ma gara, Madyna, Hawwra, Malla, Haskra, Ma mda, Yuriken, Andara, Mazta, Sumta. Tous ces tablis sements sont, en gnral, des alqueria auxquelles les documents catalans attribuent une superficie en jovades (1 jovada = 11,16 ha). Ainsi l' alqueria tait en moyenne de 85,5 ha et le rafal (ra l) de 49,61 ha. Les conqurants catalans ne crrent pas un nouveau cadastre constitus de lots homognes, ils se contentrent de conserver l'espace indigne antrieur en utilisant des units de mesure nouvelles. La pros pection archologique permet de se rendre compte que les alquerias et rafals n'taient pas seulement des terres de culture, mais des domaines politiques, au sens le plus large, assurant le contrle de toutes les ressources. Parmi les noms d'origine tribale cits ci-dessus, seuls les Haskra et les Yuirken pourraient tre mis en rapport avec les Almoravides et pourraient tre arrivs dans les Iles cette poque. De mme les Ma mda qui sont cits dans le ha z de Madna Mayrqa (les jardins potagers d'al Ma amda) doivent tre issus d'une migration de l'poque almohade; puisque ce pluriel Ma amda s'applique des groupes qui occupaient le Haut Atlas et constituaient le centre originel du mouvement almohade. L'identification des clans et fractions mineures a t beaucoup plus difficile et les rsultats sont moins srs. Par prcaution, il n'a t retenu que les toponymes dans la construction desquels intervient le nom d'une faction mentionne au Maghreb dans les textes d'Ibn awqal, d'Al-Bakr, d'Ibn azm, d'Al-Idrs et d'Ibn Khaldn et d'autres textes mineurs. Ce procd limite svrement les possibilits d'identification des groupes d'immigrants mais il permet de reconnatre les aires d'o sont venus ces immigrants. Il subsiste un nombre important de toponymes non identifis, ils correspondent sans doute une segmentation effectues sur place, aux les mmes. Actuellement, on dnombre 47 toponymes claniques identifis; voici quelques exemples : BanFuranik Beniamira Ban Amra Ban Qsim Benitaref Ban arif B a n B a n Gezen, Benimarwan Gezenya Marwfn Benurraca(n) Ban Ra.s.n Huarfan Wrf.n Huatel Ban Wa l Benicanela Ban Qanla Beniatron Ban Itrn Benifarda Ban Farda Benimarti Ban Izmarti Benigaful Ban Jafual. Beniforani Benicassim Benugezen Benisalem Ban Slim Benifarach Ban al-Faraj Benirakel Ban Rygel Huacner Wagmar Benimarzoc Ban Marzq Artana Iraten

Les toponymes d'origine clanique identifis sont rpartis irrgulirement, mais cette rpartition correspond, comme il tait prvisible, celle des toponymes d'origine tribale. On a pu galement tablir quelques rapprochements et identifications entre certains toponymes insulaires et ceux du Levante pninsulaire. tant donn le caractre tardif de l'occupation musulmane des les, il est vraisemblable que la plupart des immigrations se soient faites partir du Levante et non directement partir du Maghreb, sauf quelques cas exceptionnels qui demeurent difficiles prouver. Ainsi la liste des tribus et fractions ou clans reprsents dans les les se rvle une source de premire importance pour la constitution de celle de la Pninsule antrieurement 902-903/1290. Le procd suivi a permis en outre de localiser avec quelque prcision les zones du Maghreb o ces tribus taient tablies jusqu' la deuxime moiti du V -XI sicle. Prcisment ces aires de concentration se situent le long de la cte mditerranenne dans deux zones privilgies, celle de TetuanNakur et celle de Bejaa-Annaba. L'tude de ces migrations devrait aussi permettre de suivre avec prcision le processus et les causes de segmentation dans les socits berbres que certains anthropologues, comme Balares D. Hart, ont dcrit comme une discontinuit spatiale et une reduplication du nom.
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tablissements berbres en Espagne orientale.

Un petit nombre de toponymes berbres des Balares se rapporte des migrations sahariennes, qui en principe devraient dater de l'poque almoravide. Yartn et B. T a qui ont donn leur nom deux districts majorquins sont des tribus men tionnes Kawkaw (Gao) par Al- Umari. Jijnau, nom d'un autre district est une forme catalanise de ignwen (pl. agnaw) nom par lesquels on dsigne les Sudn (Noirs). Prcisment la prsence de Noirs est dment atteste dans les les. Ainsi Minorque, en 686/1287 aprs la conqute par Alphonse III, sur un total de 641 andalous vendus comme esclaves, les notaires catalans ont opr un classement selon la couleur de la peau : 45% furent classs comme noirs, 23% comme lauri (mtis) et 32% comme blancs. Inkn nom d'un grand district au pied des Monts Tramuntana, au nord de Major que semble drive de la forme n.k.n./n.q.n. de la racine w.n. (cte, lvation...). Des formes zwwa sont reconnues, ainsi la particule locative In- se retrouve dans indjan ou In kn. D'autres formes berbres sont facilement identifiables, ainsi dans Immalasen (In m-l-asen) et Macsen ou Tantxa/Tanga, on reconnat la racine mgi qui s'applique toute sorte de circulation ou mouvement de l'eau, or la Tanga majorquine possde justement une qant. Il importe de signaler que nombreux sont les clans, ayant laiss une trace dans la toponymie, dont l'anctre est une femme : Beniaziza, Beniatzona, Benihalfum, Benicalson, Beniallile, etc. D'autre part, des alquieras et rafah portent des noms

de femme : Maria, Maimona, Senobia, etc. On compte 25 tablissements de cette sorte. Ces rsultats sont provisoires, la poursuite des recherches permettra l'tablissement de listes toponymiques plus compltes, en relation avec les tudes linguistiques berbres. BIBLIOGRAPHIE BARCEL M., Sobre Mayrqa, Palma de Mallorca, 1984. GUICHARD P., Le peuplement de la rgion de Valence aux deux premiers sicles de la domination musulmane, Mlanges de la Casa de Velazquez, V, 1969, p. 102-153; Id., Structures sociales orientales et occidentales dans l'Espagne musulmane, Paris, La Haye, 1977. HART D., Dadda Atta and his forty grandson. The socio-political organisation of the Ait Atta of Southern Morocco, Cambridge, 1981. HART D., Segmentary Systems and the role of five fiths in tribal Morocco, A.-S. Ahmed et D.-M. Hart (ds.), Islam in tribal societies. From the Atlas to the Indus, London, 1984, p. 66-105. LAOUST E., Contribution une tude de la toponymie du Haut Atlas, I , Revue des Etudes Islamiques, 1940, p. 27-77. POVEDA A., Repertori de toponimia rabo-musulmana de Mayrqa segons la documentaci dels arxius de la Ciutat de Mallorca (1232-1276/1229-1300), Fontes Rerum Balearium, III, 1979-1980, p. 81-119. POVEDA A., Introduccin al estudio de la toponimia rabo-musulmana de Mayrqa segn la documentacin de los archivos de la Ciutat de Mallorca, Awrq, III, 1980, p. 76-101. POVEDA A., Toponmia rabo-berber i espai social a les illes orientais dal-Andalus,thse de doctorat indite, Universitat Autnoma de Barcelona, Bellaterra, 1987.
M. BARCEL

B21. BALLENE (BELLENE) PRAESIDIUM


Poste militaire romain mentionn par l'Itinraire d'Antonin et identifi aux ruines qui occupent la rive droite de l'Hilil, l'emplacement de la bourgade moderne qui porte le mme nom que cet affluent de la Mina. D'aprs l'Itinraire d'Antonin, le Ballene Praesidium se situe 20 mille pas l'est de Castra Nova (Mohammadhia), ce qui est exact, et 16 mille pas l'ouest de Mina, alors que la distance entre l'Hilil et Relizane n'est que de 14 mille pas; malgr cette anomalie, aucun autre ensemble de ruines dans le secteur ne peut correspondre Ballene Praesidium. Les vestiges dcouverts l'Hilil sont peu nombreux : citerne, murs, dolia, inscriptions, toutes disparues l'exclusion d'une pitaphe du pre d'un soldat de la III Lgion (CLL., VIII, 21538). Le dfunt tait n Mina qui tait la ville romaine la plus proche. U n important foss, reconnaissable encore au dbut du sicle, a t considr comme appartenant au systme de dfense de la garnison. Ce Praesidium faisait partie du boulevard militaire tabli aux I et II sicles depuis Auzia* (Sour el-Ghozlane) jusqu' Albulae* (An Temouchent) qui s'appela d'abord Praesidium Sufative. Le nom de Ballene ou Bellene est certainement libyque. L'anthroponyme Ballenis figure dans une inscription (marque de carrier ?) rcemment releve au Djedar* F. On peut mme supposer qu'il s'agit d'un nom thophore car il est la fois port par un lieu et par un chef mazique. Ammien Marcellin (XXIV, 5, 17) cite en effet un certain Bellen ou Bellenen, dans la rgion du Chlif, au moment de la rvolte de Firmus. Cette opinion, sur le caractre thophore de ce nom s'appuie sur le cas semblable prsent par le nom de Suggen*, port par un autre chef mazique de la rgion, galement cit par Ammien Marcellin, qui est aussi celui d'une divinit africaine de Magifa (I.L. Alg., n 2977) et d'une montagne (Djebel Suggan). Compte tenu de la frquence de l'emploi des hydronymes dans la toponymie des
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cits romaines de la Maurtanie csarienne occidentale, il n'est pas impossible aussi que l'oued Hilil se soit appel Ballen ou Bellen dans l'Antiquit.

BIBLIOGRAPHIE GSELL S., Atlas archologique de l'Algrie, feuille 21, Mostaganem, n 29. KADRA F., Les Djedars. Monuments funraires berbres de la rgion de Frenda, Alger, O.P.U., 1983. BENSEDDIK N., Les troupes auxiliaires de l'arme romaine en Maurtanie csarienne sous le Haut Empire, Alger, SNED, s.d.
G. CAMPS

B22. BALLII
Mentionns par Pline l'Ancien (VI, 194), d'aprs Dalion (premire moiti du III sicle avant notre re), au voisinage de la partie (imaginaire) du Nil qui coule paralllement la Grande Syrte, dans une numration o les Perusii les prcdent immdiatement. Ces Perusii sont sans doute les Pharusii* (Paurisi du Gographe de Ravenne, III, 11, d. M. Pinder et G. Parthey, Berlin, 1860, p. 164). Or Ptolme (IV, 1, 7, d. C. Mller, p. 591) mentionne, l'intrieur des terres en Tingitane, aprs Dorath (sans doute pour Darath, localiser sur le Haut Draa ?) et l'observatoire diurne de Bokkanon, une ville nomme Ouala ou Oualla. On rapprochera cette squence de celle du Ravennate (ibid.) : Getuli Dare, Turris Buconis, Paurisi, et on mettra l'hypothse que les Ballii taient une tribu du Sud-Marocain, peut-tre situer entre les Gtules Darae* de l'intrieur des terres et les Pharusii.
J. DESANGES
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B23. BANASA, colonia Iulia Valentia B a n a s a , colonia Aurelia Banasa Colonie romaine cre par Octave entre 33 et 27 avant J.-C. dans la partie occidentale (Maroc) de l'ancien royaume de Bocchus, future province de Maurtanie tingitane. Mentionne par Pline, H.N., V, 5, Ptolme, IV, 1, 7, l'Itinraire antonin, 7, 2, le Ravennate, III, 11 et V, 4 et les Geographica de Guido, 84, elle tait situe sur l'oued Sebou, amnis Sububus, praeter Banasam coloniam defluens, magnificus et nauigabilis (Pline). Son identification avec les ruines importantes reconnues en 1871 par Tissot aux abords du seyyid de Sidi Ali bou Djenoun, 17 km l'ouest de Mechra bel Ksiri, et fouilles en partie entre 1933 et 1956 (Thouvenot puis Euzennat), est confirme par la dcouverte de nombreuses inscriptions qui mentionnent son nom ou celui des Banasitani. Le toponyme est sans doute d'origine punique, peut-tre thophore (Vanas); le surnom Valentia, de caractre militaire, est celui de la colonie d'Octave, qui reut ds les premiers mois du rgne de Marc Aurle l'pithte honorifique d'Aurelia, pour une raison que nous ignorons, peuttre lie aux troubles du milieu du II sicle. Les colons s'taient tablis sur la rive gauche du Sebou autour de deux monticules d'alluvions et de dcombres qui dominaient de quelques mtres la plaine et le fleuve, l'emplacement d'une bourgade maure dont l'origine parat aujourd'hui pouvoir tre antrieure au IV sicle avant J.-C. Les traces de celle-ci n'ont t reconnues jusqu' prsent qu' l'occasion de dcouvertes fortuites ou de sondages limits pratiqus dans le quartier sud de la ville romaine et, au nord, le long du cardo secondaire bord par l'insula dite du macele e

Cramique peinte ancienne de Banasa (Girard S., Banasa prromaine, fig. 26).

Boucles d'oreilles et pendentif trouvs Banasa (Girard S., Banasa prromaine, fig. 35). lum. Les plus profonds ont du tre pousss jusqu' 8 m sous le dernier niveau romain pour atteindre le sol vierge. Les tessons recueillis cette occasion voquaient,

quand ils pouvaient tre dats, le IV sicle avant J . - C , peut-tre le V (niveau VI et niveau V). Les premires installations observes (niveau V) taient des ateliers de potiers dont la chronologie, l'organisation, les liens avec un habitat et peut-tre la distribution autour d'une place publique ne se prcisent gure, en revanche, avant le dbut du II sicle avant J.-C. (niveau IV). Les vases qu'on a fabriqus Banasa pendant plus de quatre sicles, probablement partir d'une tradition locale antrieure, ont d'abord subi l'influence des formes et des dcors de la cramique phnicienne d'Extrme Occident et de la cramique proto-ibrique andalouse, avant de se banaliser progressivement en une production commune punicisante, associe la fabrication d'amphores Dressel 18, qui connatra jusqu' la fin du I sicle avant J.-C. une assez large diffusion rgionale. Les constructions qui apparaissent aux abords des fours taient en pis ou en brique crues, mais les conditions de la fouille et ses limites n'ont pas permis d'en observer le plan. Plusieurs tombes mises au jour au sud-ouest du forum, une profondeur relativement faible sous le niveau romain, se rattachent cette occupation ancienne. Certaines ont fourni des bijoux de tradition punique qu'on a pu dater, selon le cas, du VI au IV sicle avant J . - C ; mais l'ignorance de l'histoire du site et de sa topographie ancienne l'poque o elles furent dcouvertes suffit expliquer cette discordance chronologique apparente. Le niveau II est celui de la colonie romaine originelle dont on a galement relev jusqu' prsent peu de traces formelles : au nord-est, des ateliers de potiers toujours en activit; l'emplacement du forum, des murs sous le podium qui le domine, ainsi qu' l'emplacement de la basilique et ses abords : ils correspondaient peuttre un premier tat de la place et Thouvenot proposait mme, dans le premier cas, d'y reconnatre les substructions d'un capitole. Selon lui, le petit btiment carr pilastres a du quartier mridional aurait t de la mme poque; mais il semble en ralit plus tardif. Le second tat du forum, reconstruit au dbut du 11 sicle, se rattache au dispositif orthogonal du quartier central, plus rcent que le quartier dit du macellum , dont l'orientation dut tre rajuste, au nord, l'est et au sud, l'occasion de son amnagement, alors qu'elle s'accordait auparavant avec celle des principaux lots du quartier mridional et avec le tronon de rempart urbain b, dgag au sud-ouest sur environ 60 m. Il semble donc qu'on puisse distinguer dans la deuxime poque de la colonie, que faute de repres prcis, on peut qualifier globalement de postflavienne (niveau I), deux priodes successives au moins et peut-tre trois avant son abandon, au dbut du rgne de Diocltien. Quelques rares tmoins indiquent que les ruines taient encore habites en partie au IV sicle, voire au V sicle; mais la bourgade maure qui succda la colonie parat avoir t trs modeste. Dans son dernier tat romain, le centre de la ville dessinait des insulae rgulire mais ingales autour du forum, place trapzodale dalle de 38 x 35 x 34 m, borde de portiques l'ouest et l'est, flanque au nord d'une basilique rectangulaire k, l'est d'une salle abside n bien petite pour avoir t une curie, et au sud de six cellae, m, prcdes d'un portique commun et leves sur u n podium devant lequel s'alignaient des socles maonns ou des bases de statues. L'ensemble voque l'ordonnance des principia d'un camp, selon un dispositif qui se retrouve, en Maurtanie, Volubilis, Thamusida (temple trois cellae), Sala, Tipasa, et probablement aussi ailleurs. Il est difficile de reconnatre dans les cellae du podium, comme on l'a suggr, le capitole de la colonie, qui se trouvait probablement au sud, vers le seyyid de Sidi Ali ; mais il s'agissait coup sr de chapelles, lies peuttre au culte des divinits tutlaires de la cit ou celui des empereurs, dont tmoigne Banasa la prsence d'une fiammica et de seuiri augustales. On n'a retrouv jusqu' prsent aucun autre moment religieux, l'exception peuttre d'un petit temple, d'identification trs incertaine, dans le quartier sud-ouest ; mais une inscription fait connatre l'existence, au II sicle, d'un temple de la Mre
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Banasa, tat romain, a. btiment pilastres b. rempart urbain c. thermes du sud d. thermes aux fresques e. grands thermes de l'ouest f. petits thermes de l'ouest (thermes la mosaque dionysiaque) g. thermes du nord h. macellum - forum k. basilique m. cellae n. salle abside - maisons : 1. maison au diplme de Domitien 2. maison l'aureus de Juba 3. maison de Fonteius 4. maison du Gnie de l'abondance 5. maison M2.

des Dieux; d'autres, ainsi que des reprsentations figures, qui se rfrent aux dieux habituels du panthon grco-romain et Isis, autorisent croire que ces divinits avaient aussi leurs sanctuaires dans la ville. Les autres monuments publics mis au jour sont des thermes, de petites dimensions mais nombreux, puisqu'on connat cinq tablissements dans la seule partie dgage de la ville (c g), et un macellum h, qui ne doit pas tre cherch dans le quartier nord-ouest, o l'on a abusivement dsign sous ce nom une vaste domus, mais l'ouest du forum o il occupe toute une insula. Les maisons les plus riches de Banasa, maison au Diplme de Domitien, 1, maison Yaureus de Juba, 2, maison de Fonteius, 3, maison du Gnie de l'Abondance, 4, sont plus petites et plus simples que celles de Volubilis. Elles ont t construites autour d'un pristyle, sans atriolum annexe, et, sauf dans le cas de la maison au Diplme de Domitien, leurs dpendances sont rduites. Il existait aussi, dans le quartier nord et surtout dans le quartier sud, des habitations plus modestes, la distribution moins rgulire, qui voquent celles du quartier dit de l'peron Volubilis et gardent le souvenir des maisons maurtaniennes telles qu'on les a reconnues Tamuda et Lixus. Les boutiques sont nombreuses dans toute la partie fouille, o plusieurs boulangeries, reconnaissables leurs installations, ont t mises au jour; la raret des huileries ne saurait surprendre : elle rpond la vocation naturelle cralire et pastorale de la rgion. L'aspect souvent misrable des ruines est trompeur. Il est d l'utilisation du pis et de la brique crue, dans une plaine alluviale o la distance des carrires les plus proches fait de la pierre un matriau rare et souvent de pitre qualit. Le recours la brique cuite, mme pour fabriquer des colonnes et certains dcors d'architecture, en a t souvent le palliatif; mais l'abondance relative de pierres de taille amenes au prix de coteux transports par voie d'eau, les placages de marbre, les enduits peints et les mosaques tmoignent d'une richesse indiscutable de la colonie et de ses habitants. Le matriel trouv au cours des fouilles est important. Prs de 5 000 monnaies ont t recueillies; moins de 200 appartiennent la priode coloniale antrieure l'annexion du royaume de Maurtanie, mais ce petit nombre s'explique dans la mesure o les niveaux archologiques correspondants ont t peine effleurs jusqu'

prsent. La statuaire en pierre est rare : si certaines pices sont de qualit, la plupart ont t brises pour alimenter des fours chaux. Les grands bronzes, relativement peu nombreux et, parmi eux, plusieurs statues questres, ne sont reprsents eux aussi que par des fragments souvent infimes ; les petits bronzes, une quinzaine de statuettes, des lments de dcor de lits ou de meubles, des lampes et accessoires de luminaire, taient en meilleur tat. La collection d'inscriptions, enfin, est riche (IAM, 2, 84 - 246), mais avec la mme disparit. On a de ce fait relativement peu de renseignements sur l'organisation de la colonie : appartenance des citoyens la tribu Fabia, existence d'un ordo municipal, de dcurions, de duumvirs et d'diles. En revanche, parmi les 24 bronzes pigraphiques, on dnombre 13 diplmes militaires, l'un d'eux intact, quatre tables de patronat et deux textes juridiques importants : un dit de Caracalla accordant en 216 une exemption d'impts aux habitants de Banasa, et surtout la Tabula banasitana, de l'poque de Marc Aurle et de Commode, qui atteste la citoyennet romaine d'une famille notable de la tribu maure des Zegrenses et claire d'une manire dcisive les modalits d'attribution du droit de cit aux prgrins ainsi que l'organisation du Conseil de l'empereur et de la Chancellerie impriale. Cre l'extrmit d'une pntrante pousse partir de Tingi, avec les colonies Iuliae de Zilil et de Babba, jusqu' la ripa du Sebou auquel elle s'appuyait et d'o l'on pouvait atteindre aisment l'ancienne regia maure de Volubilis, Banasa fut conue ds sa fondation comme lment d'un dispositif militaire. Elle le resta ensuite, en assurant de manire plus ou moins soutenue avec Thamusida la surveillance de la zone difficile que reprsentait la plaine marcageuse du Rharb. Une unit, aile de cavalerie ou cohorte monte, y tait stationne et occupait un camp rectangulaire de 1,7 ha, aux angles arrondis, que l'on distingue sur les photographies ariennes en bordure du fleuve, 350 m au nord-ouest du forum. Une autre enceinte, d'environ 50 m de ct, visible dans les mmes conditions 150 m au sud-ouest de la prcdente, pourrait tre un fort plus tardif ou, plus vraisemblablement, un relais du cursus publicus. Il est probable que la ville tait protge aussi sous Marc Aurle par un rempart, comme Thamusida ou Volubilis ; mais l'lment de muraille qu'on a mis au jour est plus ancien et rien n'indique qu'il ait fait partie de cette enceinte.

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M.

EUZENNAT

B24. BANDIT D'HONNEUR (Kabylie, Aurs)


Qu'est-ce qu'un bandit d'honneur ? ou encore un bandit social ? Reprenons la dfinition de Hobsbawn qui parle justement de bandit social : Un paysan horsla-loi que le seigneur et l'tat considrent comme un criminel, mais qui demeure l'intrieur de la socit paysanne, laquelle voit en lui un hros, un champion, un vengeur, un justicier, peut-tre mme un librateur (E.-J. Hobsbawn, 1972, p. 8). Ses objectifs sont limits : se venger d'une injustice, redresser les torts. Parfois, il s'intgre des mouvements politiques, symbolisant alors une rsistance politique un ordre considr comme oppresseur. Sa rvolte peut demeurer aussi purement individualiste. Un bandit de droit commun et il y en a eu, il y en a, dans tous les pays n'est pas forcment un bandit d'honneur et le bandit d'honneur n'est pas davantage forcment u n hros national. Simplement, quand il s'intgre un mouvement politique, son action prend forcment une dimension politique plus caractrise. Il existe une relativement abondante bibliographie sur le banditisme la fin du xix sicle en Algrie, particulirement en Grande Kabylie et dans le nord constantinois. Quant l'Aurs, l'tude du capitaine Petitgnot dans la Revue de gendarmerie apporte d'importantes informations. Nous renvoyons donc cette bibliographie essentielle de base, nous contentant ci-aprs de prsenter brivement quatre exemples de bandits d'honneur et de rvolts ou rfractaires (sans les considrer comme de simples bandits de droit commun), qui avaient pris le marquis. Il semble possible de rsumer en quelques points ce qui est commun un certain nombre de bandits d'honneur d'autrefois en Algrie. Ordinairement, le bandit prend le maquis ou la montagne et ne reste pas dans les villes ou aux alentours de celles-ci. Ses actions se droulent donc dans les milieux ruraux. Il s'enfuit, soit aprs un dlit de droit commun, soit pour se venger d'une dnonciation ou d'un affront fait sa famille. Dans ce cas, le vengeur estime que la justice officielle du pouvoir tabli a t injuste. L'honneur doit tre sauf : il faut donc recourir la loi coutumire et faire sa propre justice, celle de la loi ancestrale et tribale. A travers une telle action il faut reconnatre la permanence d'un code de l'honneur propre la socit (ou au clan) o le vengeur agit. D'ailleurs, la socit prend en gnral fait et cause pour lui; elle l'aide et l'appuie, le cache et le ravitaille (de gr, mais parfois aussi de force). Des lgendes sont forges et le bandit
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entre par elles dans la mythification. Il n'apparat pas comme un vulgaire bandit mais comme un homme d'honneur qui applique une vraie justice, celle des anctres. Cependant, ses actions restent ordinairement au plan des rglements de comptes personnels, de la vendetta. Il ne s'attaque pas forcment aux Europens, aux colons (comme on dit), alors qu'actuellement la littrature veut absolument le contraire. Son action demeure individuelle : il ne soulve pas la rgion o il opre. Il n'a pas de projet rvolutionnaire. Il ne devient un combattant politique ou rvolutionnaire que s'il s'insre, comme cela est arriv, dans un Parti qui a pris les armes pour une action d'envergure nationale.

I. Quelques cas
1. Messaoud Ben Zelmat dans l'Aurs On devrait dire Messaoud Azelmad : le gaucher, en berbre de l'Aurs. Nous avons consacr une tude documente ce bandit d'honneur tenant le maquis de 1917 1921 (J. Djeux, ROMM, n 26, 1979). Nous en rsumons quelques points principaux. L'Aurs avait connu l'insurrection de 1879. Puis, en 1916 clataient les troubles de l'arrondissement de Batna ( An Touta et dans le Blezma). La guerre de 1914 entranait dsertions et insoumissions dans l'arme par refus de la conscription ( nous ne donnerons pas nos enfants). Des bandes de dserteurs couraient la montagne. Les paysans taient, eux, de plus en plus rejets sur des terrains peu fertiles pour faire de la place l'exploitation de terres meilleures par des colons. Les dlits forestiers taient nombreux, suivis parfois de crimes contre les reprsentants de la loi, constatant les flagrants dlits. Enfin, les crimes de vengeance entre familles et clans se rglaient selon la loi coutumire. L'aventure de Messaoud Ben Zelmat se situe dans ce contexte historique de rsistance, d'une manire ou d'une autre, l'autorit locale et de mcontentement. Un long pome pique a t sauv de l'oubli par Georges Kerhuel. Il est connu. Nous avons pu en rassembler quelques variantes. Jean Servier en donne d'autres exemples. Ben Zelmat n'ayant pas acquis la stature d'un hros national, nous ne pensons pas que l'on puisse amalgamer ce pome avec un autre o il serait question de Jugurtha (en fait Djoukrane, qui n'est pas Jugurtha, voir E. Masqueray, Tradition de l'Aours oriental, Bull, de correspond, afric, 1885, p. 72-110) comme le fait Gilbert Meynier. Le long pome chant par les femmes ne parle que de Ben Zelmat. Celui-ci tait admir parce qu'il tenait tte celui qui dominait, l'tranger qui le poursuivait. Mme s'il tait craint et si l'on risquait gros en le cachant, on le reconnaissait comme un homme , affrontant la souffrance et la mort : Sur les chemins du Zellatou, mon bien-aim. Il tait celui qui ne pliait pas l'chin, le gnreux pour les pauvres et le justicier faisant payer les puissants, cads et militaires. Ce n'tait pas au colonialisme, comme on dit aujourd'hui, ou encore aux colons qu'il s'en prenait, mais une justice trangre aux lois coutumires et l'honneur. Il rsistait une justice juge par lui injuste. Aucun, parmi les Algriens interviews, ne nous a parl de lui comme d'un bandit politique ou d'un bandit national, hros national. Naturellement, comme la politique est partout, on peut toujours dire qu'indirectement son refus de la loi franaise tait un geste politique. 2. Arezki Ben Bachir en Grande Kabylie On lit parfois Arezki El-Bachir ou Ben El-Bachir, ou encore, dans le roman de Tagmount, Arezki Oulbachir.

Les vnements se droulent en Grande Kabylie entre 1890 et 1895. L'administration protgeait des gens malhonntes, la justice tait souvent bafoue, le mcontentement tait grand. Le brigandage de grande envergure tait le rsultat de l'irritation de beaucoup de gens. Deux bandits d'honneur devinrent clbres : Ahmed Ou Sad Abdoun et Arezki Ben Bachir. L encore, leur brve histoire sera lgendaire. L'image du hros sera vite embellie : il est beau, sducteur de femmes, justicier implacable. Ernest Mallebay, dans ses chroniques, parat avoir de la sympathie pour le hros. Lors du jugement, matre Langlois dfendit Arezki en disant qu'il n'tait pas le bandit vulgaire que l'on croyait. Puis, il attaqua l'administration coupable. Il poursuivait en disant que les crimes d'Arezki taient des crimes politiques : ce fut un rvolt non un bandit; il ne provoquait pas le mpris. La presse de l'poque rapporte les exactions venant, en effet, des amis, des chefs de douars et de certains membres de l'administration franaise. Elle rappelle que les Europens de la rgion d'Azazga soutenaient les bandits. Arezki tait chevaleresque par-dessus tout, pitoyable pour les faibles, mais sans piti pour ses ennemis (Le Monde illustr, t. LXXI, janvier-juin 1895, p. 54-55). Bref, pas plus que Messaoud Ben Zelmat, Arezki n'tait un vulgaire bandit. D'abord coupable pourtant d'un dlit de droit commun (vol avec effraction), il se grandit pour ainsi dire par son rle de justicier qu'il mena dans la montagne. Faut-il pour autant en faire un hros national? Certainement pas. 3. Oumeri en Grande Kabylie Oumeri, dserteur de l'arme franaise, courait la montagne kabyle dans les annes 1945. La violence et le banditisme taient assez frquents. Hocine At Ahmed, livrant un tmoignage personnel sur l'action du P.P.A. dans cette rgion cette poque, crit que chaque famille, chaque village, chaque douar devait s'occuper de ses dshrits, de ses marginaux, voire de ses ttes brles. La densit et la frquence des runions nocturnes des cellules du P.P.A. taient telles que les mouvements des bandits taient pratiquement paralyss (At Ahmed, 1983, p. 69). Oumeri parcourant la montagne, bandit d'honneur sa faon et justicier pour son compte, ne pouvait pas ne pas tre gn par cette pression du P.P.A. Il cessait ses exactions, dit At Ahmed, et ne stoppait plus les autocars que pour faire crier aux voyageurs : Vive le P.P.A., vive l'indpendance! Il avait donc t rcupr dans l'organisation politique, de mme que l'avaient t certains bandits d'honneur dans l'Aurs en 1954. Hocine At Ahmed mentionne galement le cas de Belkacem Krim, qui avait tu le garde champtre de son douar pour des raisons politicofamiliales, ayant pris l une initiative personnelle. Cela se passait en 1947 (son adhsion au P.P.A. datait de l'anne prcdente). Autre cas mentionn : celui de Amar Amsah. Il avait pris le maquis en 1946 la suite d'un dlit de droit commun et avait reu l'ordre de l'organisation de se tenir tranquille. Nanmoins il avait abattu froidement un rival sans arme. Jug par un tribunal du Parti, il fut condamn mort. Amar Amsah dclarait avoir mitraill sans raison l'inspecteur, son ami, apparemment pour le plaisir de se servir de son arme (At Ahmed, 1983, p. 69, note 1). Oumeri, lui, fut trahi un jour, selon ce qu'on rapporte. Il tomba sous les balles de ses adversaires. Son cas est mixte, pour ainsi dire : tte brle, bandit social qui fait sa propre justice, qui ranonne pour son compte, mais qui, un jour, se reconvertit pour entrer dans une action politique organise et contrle, avec des objectifs politiques prcis. Il ne pouvait donc ds lors agir en franc-tireur et se permettre n'importe quoi. L'exemple d'Amsah, cit par At Ahmed, le prouve. On pourrait rappeler encore le conte de la rgion de Kherrata sur Hamza Ladoui (J. Snac, Terrasses, I, juin 1953, p. 117-119) et sur combien d'autres. Sans aucunement clore la liste, citons Malek Bennabi qui crivait dans ses Mmoires d'un tmoin du sicle (1965, Alger) que l'imagination des adolescents s'excitait en enten-

dant les exploits de Bouchloukh qui avait pris le maquis dans les gorges mmes de Rhumel Constantine et que lui-mme, Bennabi, avait nourri son imagination cette lgende et celle de Ben Zelmat, la mme poque.

II. Rflexions
Il y eut des insurgs au Maghreb avant 1830, mais l'apparition des bandits d'honneur se fait, elle, dans le contexte colonial ce qui ajoute un coefficient politique particulier leurs actions, la diffrence d'autres bandits d'honneur, en Corse, en Sardaigne ou en Sicile par exemple (encore qu'ici chez un Salvatore Giuliano la dimension politique ait t fortement marque). Le fait que, parfois, nous avons affaire des brigands purement et simplement, des repris de justice ou des insurgs ou rfractaires, d'autres fois, au contraire, des bandits d'honneur, bandits sociaux, complique l'interprtation des cas. Des bandits d'honneur ont t, de surcrot, intgrs aprs reconversion dans un Parti politique. Rien n'est simple donc.

BIBLIOGRAPHIE AGERON Ch. A., Les Algriens musulmans et la France, Paris, PUF, 1968, t. I. AT AHMED H., Mmoires d'un combattant. L'esprit d'indpendance 1942-1952, Paris, Messinger, 1983. COLIN M., Quelques questions algriennes, Paris, Larose, 1895. DJEUX J., Un bandit d'honneur dans l'Aurs de 1917 1921 : Messaoud Ben Zelmat, Revue de l'Occident musulman et de la Mditerrane, n 26, 2 trimestre, 1979, p. 35-54. Id., Le bandit d'honneur en Algrie, de la ralit et de l'oralit la fiction, Etudes et documents berbres, 1988, n 4, p. 39-60. DMONTES V., L'Algrie conomique, Les Populations algriennes, Alger, Impr. algrienne, 1923. HOBSBAWN E.-J., Les Bandits, trad, de l'anglais par J.P. Rospars, Paris, petite collection Maspero, 1972, p. 8. Voir aussi du mme auteur, Les Primitifs de la rvolte dans l'Europe moderne, trad, de l'anglais par R. Laars, Paris, Fayard, 1966 (premire dition anglaise, 1959). MALLEBAY, Cinquante ans de journalisme, Alger, Fontana, t. II, 1938. MEYNIER G , Loyalisme et inscurit en Algrie pendant la guerre de 1914-1918, Les Cahiers de Tunisie (Tunis), t. XIX, n 75-76, 3 et 4 trimestre 1971, p. 183-207. PETITGNOT, Crimes et dlits dans l'Aurs , Revue de la gendarmerie (Paris), novembre 1938 et 1939, t. I, janvier-mars et mai, et t. II, p. 542-570. SERVIER J., Chants des femmes de l'Aurs, thse complmentaire, Paris-Sorbonne, 1955. VIOLARD E., Le banditisme en Kabylie, Paris, Savine, 1895.
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Jean DJEUX

B25. BANI (Jbel)


Le Bani s'tend sur le versant mridional de l'Anti-Atlas entre Akka l'ouest et Mhamid l'est. A partir de cette oasis, il pouse une large boucle : la Crosse du Bani qui enserre les prestigieuses palmeraies du Fezouata et du Ternata dont la capitale administrative est Zagora. En ralit, la chane du Bani est constitue de deux crtes parallles que l'on dnomme habituellement sous les termes de 1 Bani et 2 Bani ou de grand et petit Bani. La distinction entre ces deux reliefs est surtout nette dans la partie orientale de la chane, entre Sidi-Touama et At-Ouazik, c'est--dire dans la Crosse du Bani au sens large.
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Ces reliefs harmonieux sont de structure trs simple. Les couches alternativement dures et tendres de l'Ordovicien constituent une srie monoclinale donnant naissance des crts ou des cuestas dont le front est tourn vers le nord sauf dans la Crosse du Bani o il pouse la forme d'une large boutonnire (J. Destombes, 1963; J . Riser, 1988). Cette disposition rgulire des sries gologiques est parfois perturbe par quelques fractures comme Sidi-Touama et par des structures plisses comme au nord d'Akka. L'ensemble de la chane est situ aux confins du Prsahara marocain et du Sahara. Dans cette rgion, les prcipitations n'excdent pas 60 mm. La vgtation est rare. Elle est reprsente par une steppe acacias (Acacia raddiana) contracte dans le lit des oueds. Ceux-ci toujours sec, sauf pendant quelques rares crues naissant dans l'Anti-Atlas, regagnent le collecteur principal, l'Oued Dra, en traversant le Bani par des cluses (foum) profondes et majestueuses. C'est souvent sur les cnes de djection, au dbouch de ces cluses que les oasis, seuls lieux de civilisation, sont installes depuis des temps immmoriaux. Elle bnficient d'eaux de surface souvent collectes par un petit barrage artisanal fermant le foum et d'infroflux situs dans des alluvions parfois paisses. Outre ces oasis de foum il faut surtout mentionner les quatre grandes palmeraies de la Crosse du Bani. Elles sont irrigues par les eaux prennes du Dra descendu du Haut Atlas lointain : Ternata, Fezouata, Ktaoua entre 1 et 2 Bani et enfin Mhamid, aux portes brlantes du dsert. Cette distinction existe aussi conomiquement mais avec une nuance. Les palmeraies du Ternata, Fezouata et Ktaoua bnficient, outre des eaux d'irrigation du Dra, d'une infrastructure conomique de plus en plus dveloppe : routes goudronnes et pistes cylindres, systme d'irrigation avec seguias primaires btonnes, centre de mise en valeur et de conditionnement des dattes, huileries. Les ressources principales sont les dattes, le henn en voie de dveloppement, l'huile d'olive, le jardinage sous les palmiers, l'levage ovin, caprin et mme bovin (J. Riser, 1974). Le tourisme, en pleine modernisation, se dveloppe trs vite grce aux sites grandioses de la valle du Dra o s'allient l'austre relief du Bani et la fracheur des grandes palmeraies domines par des ksour fortifis, parfois en ruine. En revanche, l'oasis de Mhamid manque d'eau et ses habitants ont tendance immigrer vers l'amont, le littoral casablancais ou l'Europe. La palmeraie, mal entretenue est menace par les sables de l'erg. Elle offre un spectacle dsol : les palmiers sont peu productifs et atteints du bayoud. Les oasis des foums du Bani : Foum Zguid, Tissint, Sidi-Ressoug, Akka sont moins importantes. Elles vivent en autarcie, isoles dans une rgion de confins comprise entre la Hamada du Dra, au sud de la valle du Dra et l'Anti-Atlas central difficile d'accs au nord. Ainsi la prosprit grandissante des oasis du Dra moyen s'oppose la misre et l'isolement des palmeraies du Mhamid et du versant sud de l'Anti-Atlas central.
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BIBLIOGRAPHIE DESTOMBES J., Donnes stratigraphiques sur l'Ordovicien de l'Anti-Atlas (Maroc), Rev. Inst. Fran, ptrole, d. Technip., Paris, 1963, vol. 18, n 10, p. 1464-1471. RISER J., Le barrage Mansour Eddahbi et les amnagements agricoles de la valle du Dra moyen, Rev. Gogr. Maroc, 1974, n 23-24, 13 p. RISER J., Le Jbel Sarhro et sa retombe saharienne, tude morphologique, notes et mm. serv. gol. du Maroc, 1988, n 317, 361 p.
J. RISER

B26. (AL)BANI (Gravures rupestres)


L'oasis d'Al Bani est situe dans le Fenoughil (Touat, Sahara algrien). L'ensemble des gravures est situ sur un groupe de six gros blocs de grs isols sur le reg un kilomtre au nord-est du village. Cet ensemble avait t signal sous le nom de Abani par E.-F. Gautier en mme temps que d'autres sites, mais part quelques photographies partielles, aucune reprsentation ni transcription n'accompagnait le texte. Les gravures se divisent en deux groupes. D'une part des inscriptions libycoberbres, dont 146 ont pu tre releves et photographies, d'autre part des figurations diverses : cinq groupes de sandales (dont trois paires), un chameau sell mais non mont, trois figurations anthropomorphes (deux hommes et une femme?) et trois figurations gomtriques non identifies. La technique est uniformment le piquetage. Les inscriptions apparaissent assez claires sur le fond rocheux qui est presque noir. Une partie des gravures est dj dtruite par l'clatement des blocs de grs qui se dbitent en larges cailles. Cet ensemble de gravures est le plus important, par le nombre des inscriptions, de ceuxrelevs dans le Touat et le Gourara. Les caractristiques de ces inscriptions, qui prsentent des caractres archaques, les rapprochent des inscriptions anciennes du Maroc. Il semble que tout l'ensemble des gravures du Touat et du Gourara puisse constituer une variante rgionale d'alphabet libyco-berbre.
BIBLIOGRAPHIE

GAUTIER E.-F., Le Sahara algrien. Mission au Sahara, Paris, A. Colin, 1908, p. 344-346,
et pl. X V I I I . J.-C. CHALLIER

B27. BANIOUBAE/BANIURAE
Des Banioubae sont mentionns par Ptolme (IV, 1, 5, d. C. Mller, p. 586) en Maurtanie Tingitane, au voisinage des Zegrenses* d'une part, des Ouakouatae (Baquates*, dj cits par Ptolme, ibid., p. 585-586, sous la forme Bakouatae), de l'autre. Ils sont apparemment situs par le Gographe dans la partie mridionale de la province. Compte tenu de la facilit de confondre le bta et le rh, il semble raisonnable de restituer un ethnonyme Baniourae, attest en Tingitane par Pline l'Ancien (V, 17) et par Silius Italicus (III, 303) sous la forme Baniurae. Pline l'Ancien classe les Baniurae parmi les Gtules et les mentionne avant le peuple beaucoup plus puissant des Autoteles (Autololes*); Silius les nomme galement avant les Autololes. On peut rapprocher des Baniurae l'ethnique Boniuricis (pour Baniuris?), insr par le Gographe de Ravenne (III, 11, d. M. Pinder et G. Parthey, Berlin, 1860, p. 163) entre Bolubili (Volubilis) et Gudda (Gilda). On lit, par ailleurs, Baniurai un graffito sous le pied d'un fond de bol en terre sigille hispanique de la fin du I ou du II sicle de notre re, trouv Banasa (Sidi Ali bou Djenoun). Les Zegrenses, mentionns par la Tabula Banasitana, ne devant pas tre trs loigns de cette ville, R. Rebuffat propose de situer les Banioubae/Baniurae, leurs voisins, dans la valle de l'oued Sebou, en amont de Banasa. En revanche, M. Euzennat (Les Zegrenses, Mlanges W. Seston, Paris, 1974, p. 178; croquis p. 181) localiserait volontiers cette tribu dans le Haut-Rharb, et plus particulirement dans la valle de l'oued Ouerrha.
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BIBLIOGRAPHIE REBUFFAT R., Les Baniures, un nouveau document sur la gographie ancienne , Mlanges offerts R. Dion (Caesarodunum, IX bis), Paris, 1974, p. 451-463.
J . DESANGES

B28. BANIOURI
Mentionns par Ptolme (IV, 2, 5, d. C. Mller, p. 604) en Maurtanie Csarienne, l'est, semble-t-il, des Makkhourebi (Macurebi* de Pline l'Ancien), riverains de la mer, et des Toulensii* (cf. Castellum Tulei, aujourd'hui Diar Mami), situs au sud de ces derniers. C'est vraisemblablement une tribu de Grande Kabylie.
J . DESANGES

B29. BANTOURARI Ptolme (IV, 2, 5, d. C. Mller, p. 603) situe les Bantourari en Maurtanie Csarienne, au-del du mont Zalakon (qui s'lve au sud de l'embouchure du fleuve Chinalaph, localise l'ouest de Caesarea) et des Mazikes*. Le Zalakon pourrait tre la partie orientale du Dahra, ou plutt le Zaccar. Comme un peu plus loin (ibid., p. 604), Ptolme place l'est du mme Zalakon les Makkhourebi*, puis les Baniouri*, il est possible que les Bantourari, lire peut-tre Baniourari, reprsentent une fraction des Baniouri, tablie au sud-ouest ou l'ouest de l'aire d'implantation de cette tribu.
J . DESANGES

B30. BAQUATES
Peuple important de Maurtanie occidentale, signal par quelques sources littraires et une quinzaine d'inscriptions. Ptolme (IV, 1, 5, d. C. Mller, p. 585 et 587) parat bien les avoir mentionns deux reprises, sans s'en rendre compte, dans le cadre ambigu de sa Maurtanie Tingitane : au nord des Makanitae (Macnites*), sous le nom de Bakouatae, et au voisinage des Banioubae* ( lire Baniourae), sans doute l'est de ceux-ci, sous le nom de Ouakouatae. L'Itinraire Antonin (2, 2-3, 1, d. O. Cuntz, p. 1) indique au lecteur que son premier dcompte part de la Maurtanie de Tingi et aboutit Carthage, en prcisant aussitt que le point de dpart est plus exactement l'endroit o demeurent les barbares Baquates et Macnites (A Tingi Mauretania, id est ubi Bacuates et Macnites barbari morantur, per martima loca, Cartaginem usque). Or ce point de dpart d'un itinraire ctier (per martima loca) est nomm ensuite (ibid., 3, 2) : ab exploratione quod Mercurios dicitur. Compte tenu d'un effet d'amplification rhtorique, qui ne surprend pas dans l'ouverture de l'uvre, c'est, notre avis, une faon de signifier que ces barbares vivent aux confins mridionaux de la province. L'Itinraire Antonin ne pouvait en effet, comme on le comprend trop souvent, caractriser l'ensemble d'une province qui comptait au moins cinq colonies romaines, comme la demeure des Baquates et des Macnites. L'Exploratio dite Mercurios, d'o part le dcompte (3, 2-4, 1), tait situe XVI mille (moins de 24 km) de Sala, aujourd'hui Le Chellah aux portes de Rabat (6, 4), en principe non loin

de la cte (cf. per maritima loca), peut-tre aux abords du cours infrieur de l'oued Yquem (M. Euzennat, Le limes de Tingitane, I, Paris, 1989, p. 159). Le Liber generationis (A. Riese, Gogr. Lat. Min., Heilbronn, 1878, p. 167) associe galement les Baccuates aux Massennas (Macnites), qualifiant les uns et les autres de Mauri, alors qu'il donne les Barbares (Bavares*) comme des Afri. La Liste de Vrone (ibid., p . 129) mentionne successivement les Mauri Barbares (Bavares) et les Mauri Bacuates (Baquates). Julius Honorius enfin (A 47, ibid., p. 53) prtend que la Malva (Moulouya) spare les Barbares (Bavares) et les Bacuates. Mais, dans un autre passage (A 48, ibid., p. 54), il fait tat de Salamaggenites immdiatement avant les Bacuates. Nul doute qu'il ne lise une carte o le nom des Macnites tait port prs du fleuve Sala (Bou Regreg), ou mme de la ville homonyme. Il apparat donc que les Baquates passaient pour tre tablis la fois l'est et au sud de la province, dans une perception trs vague des ralits gopolitiques. Tantt on les groupait avec les Bavares et tantt avec les Macnites. La liste des documents pigraphiques mentionnant les Baquates a t dresse par E. Frzouls (cf. en dernier lieu Rome et la Maurtanie Tingitane : un constat d'chec?, Ant. Afr., XVI, 1980, p. 78, n. 5-6 et p. 79, n. 1-4). Une inscription (C.I.L., VIII, 9663) rvle l'existence d'un raid des Baquates contre Cartennas (Tns) en Csarienne, peut-tre sous Hadrien. Onze pigraphes (Inscr. Ant. du Maroc, II, 348-350, 356-361, 384, 402) attestent des rencontres entre les autorits romaines et les Baquates (dans quatre cas, le nom de ces derniers est restitu, d'une faon quasi certaine), depuis 140 jusqu' 280 aprs J.-C. Six de ces inscriptions voquent la confirmation, l'affirmation ou la prennit (en 280 de notre re!) d'une paix mutuelle, ou encore font tat d'un foedus. Les Baquates apparaissent en un cas unis aux Macnites (entre 173 et 175 aprs J.-C), en un autre cas aux Bavares (vers 235 de notre re), dans un troisime une tribu dont le nom a disparu, entre 169 et 180). Deux autres inscriptions concernent les Baquates, mais ne comportent pas d'allusion une activit diplomatique (I.A.M., II, 376; C.I.L., VI, 1800, Rome). On se gardera de supposer que le renouvellement de la paix implique ncessairement un conflit antrieur. Comme l'a soulign E. Frzouls, dans la plupart des cas, les vicissitudes dynastiques chez les Baquates, et peut-tre aussi celles du pouvoir Rome, ont pu justifier ce renouvellement. Mais on ne doit pas, pour autant, exclure la probabilit de quelques pisodes belliqueux. Rome, en particulier, s'employait sans doute dissoudre toute fdration liant deux des plus puissantes tribus qui bordaient le territoire de la province. On s'accorde penser que les Baquates frquentaient une grande partie du Moyen Atlas. Comme on l'aura remarqu, certains tmoignages (l'Itinraire Antonin, Julius Honorius) semblent situer les Baquates au sud de la province, au-del du Bou Regreg et en de des Autololes* et des Macnites. D'autres (Ptolme) suggrent une localisation orientale, l'est, vraisemblablement, des Baniourae et jusqu'en bordure de la Malva (Julius Honorius), l'actuelle Moulouya, d'o l'on comprend mieux qu'ils aient pu s'en prendre Cartennas. Cette apparente ubiquit de leur prsence aux frontires de la Tingitane, mme si dans le dtail devaient apparatre des solutions de continuit, pourrait expliquer leur double mention, avec deux orthographes lgrement diffrentes, dans la Gographie de Ptolme, fertile en bvues de ce type. Si l'on ignore tout de leur rle sur une partie des confins mridionaux de la province, du ct de l'est, au-del du Bled Bou Hellou (cf. M. Euzennat, Les ruines antiques du Bou Hellou (Maroc), Actes du 101 Congrs nat. des soc. sav. (Lille, 1976), sect. d'arch., Paris, 1978, p. 328-329 notamment), il est trs probable que, fdrs Rome, les Baquates ont consenti pendant de longues priodes garantir la scurit des communications terrestres entre les deux provinces impriales de Maurtanie, la Tingitane et la Csarienne.
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BIBLIOGRAPHIE FRZOULS E., Les Baquates et la province romaine de Tingitane, Bull. Arch. Maroc., II, 1957, p. 65-116. ROMANELLI P., Le iscrizioni volubilitane dei Baquati e i rapporti di Roma con le tribu indigene dell'Africa, Hommages Albert Grenier, Bruxelles, 1962, II, p. 1347-1366. EUZENNAT M., Une inscription baquate de Svre Alexandre, B.C.T.H., 1963-1964, p. 175-179. EUZENNAT M., Les troubles de Maurtanie, C.R.A.I.B.L., 1984, p. 372-392. SIGMAN M., The Rle of the indigenous Tribes in the Roman Occupation of Mauritania Tingitana, Diss. New York, Ann Arbor, 1976, p. 146-166 notamment. FRZOULS E., Rome et la Maurtanie Tingitane : un constat d'chec?, Ant. Afr., XVI, 1980, p. 75-82 notamment.
J. DESANGES

B31. BARAKA
Dans le milieu arabe et parmi les populations de la Phnicie et de la Palestine, ainsi que chez les Berbres, pour ne citer que ces peuples, les forces redoutables qui manent d'une nature sacralise taient intensment perues. Le monothisme, sur le chemin de sa marche conqurante, avait rencontr des djenoun, des baalim et bien d'autres entits par lesquelles elles se manifestaient. Mais, alors que le monothisme judaque, dans sa rigueur totalitaire, tait entr en lutte contre ce qu'il considrait comme une forme de superstition attentatoire au culte du Dieu unique, l'islamisme, au contraire, reconnaissait l'existence de ces esprits, tout en distinguant entre les mauvais et les autres, c'est--dire ceux qui pouvaient tre les serviteurs des hommes comme ils avaient t ceux de Salomon. Dsormais, il tait admis qu'une bonne part de ces effluves sacres manaient d'Allah. Tout devenait clair. Le sacr sanctifi prenait la forme de la bndiction de Dieu, d'une baraka. Le terme de baraka n'existe, dans le Coran, que sous la forme de pluriel. Ainsi on apprend comment Allah (VII, 94) aurait pu rpandre les bndictions (barakt) du Ciel et de la Terre sur certaines villes si elles ne s'taient pas endurcies dans l'impit. Le mot rapparat deux fois sous cette mme forme de telle manire qu'on constate qu'Allah est bien le dispensateur de ces bndictions. Il est lui-mme saint par nature. Chargs de la baraka, galement, sont le Coran, les Prophtes, et particulirement le dernier d'entre eux, Mohammed et sa descendance. L'orthodoxie reconnat que cette baraka existe dans l'olivier, dans le 27 du mois de ramadan. Mais ce n'est pas l qu'une prfiguration modeste de la place qui lui est faite dans le milieu de l'Islam populaire. La religiosit berbre, dans son intensit et son exubrance lui a confr une dimension quasiment universelle dans la vie et particulirement chez les ruraux. Qu'il s'agisse du physique ou du moral, elle protge de tous les maux. Elle favorise la fcondit chez les humains et dans la nature vgtale et animale, engendrant ainsi la prosprit, l'abondance, faisant natre en l'homme les sentiments de la confiance et de la scurit. Dans le domaine de la vie sociale, elle se manifeste par le culte des saints. Le saint est, en effet, le porteur de la baraka par excellence, soit qu'il en ait hrit de ses anctres, soit qu'il l'ait acquise par ses hautes qualits de croyant et par l'exemplarit de sa dvotion. Il la transmet ses descendants et peut en communiquer une portion, ft-elle prcaire, aux croyants qui le frquentent ou qui viennent visiter son tombeau. Ce dernier et l'espace qui l'entoure sont rputs habits par la baraka. C'est ainsi que ces lieux, ces sites, rgulirement visits par le peuple ne tardent pas devenir des centres de plerinage, qu'il s'agisse de sources, de rivires, de mares, de grottes, d'arbres, de bosquets, de montagnes. Il est noter que ce fluide prcieux qui peut tre transfr volontairement une

personne selon certaines techniques peut aussi se perdre. Il peut tre retir. On peut le voler qui le dtient. En dehors des saints, bien des personnes peuvent en possder une part. C'est le cas des olba connaissant par cur le texte coranique; des jeunes enfants encore exempts du pch; des vieillards, qui, par leur exprience de la vie, ont acquis un bon renom de sagesse; des dbiles mentaux, s'ils sont innocents et doux. Des hommes, la baraka passe chez les animaux. Entre tous, le cheval passe pour en tre abondamment pourvu. Viennent ensuite le mouton, le blier, le chameau, la vache dont le lait est riche en bndiction. Le chat, qui serait la vivante incarnation d'un djinn, jouit d'une considration spciale. Sont galement porteurs de la baraka, la cigogne, l'hirondelle, l'abeille productrice de miel ; puis viennent les vgtaux : fruits, crales, arbres. Citons : les dattes, les olives, les grenades, les noix, les amandes sches, l'orge, le bl, galement le laurier et le henn dont les femmes font un grand usage. Les deux astres, le soleil et la lune qui, antrieurement au culte monothiste, taient adors des peuples primitifs ont t sanctifis par la baraka. De mme le feu qui rchauffe le foyer, dtruit les mauvais esprits, protge et gurit, doit tre aliment avec soin et surveill. Il est recommand de ne pas le laisser s'teindre. Le calendrier berbre comporte une succession de jours particulirement fastes; ils sont compris entre le 27 avril et le 3 mai. C'est la priode de nisan. L'eau de pluie recueillie cette poque de l'anne a des vertus curatives. Elle favorise une bonne rcolte condition d'accrotre la baraka des grains en la rpandant sur eux. Le 24 juin qui concide peu prs au solstice d't est charg de baraka; les vendredis de chaque semaine, aussi. Certains noms propres, et bien entendu ceux qui touchent au Prophte sont bnis. On comprend l'engouement des musulmans pour le nom de Mohammed, de Khadija qui fut sa premire femme, de Fatima, une de ses filles, qui pousa Ali le troisime des califes orthodoxes. Les nombres impairs, trois, cinq, sept, ont une part eux aussi de la baraka. En fait, tous les nommes sont rputs possder une part de baraka; mais celle-ci ne se manifeste que lorsqu'elle dpasse les limites ordinaires et qu'elle abonde chez certains sujets. Mais, comme il l'a t not, elle peut se perdre, se retirer; car elle aime la puret et elle doit tre prserve. Le pch sous toutes ses formes lui est contraire; de mme les excrments, les choses du sexe. Autour d'elle foisonnent toutes sortes de rites, de techniques. Les charmes et les talismans abondent. C'est qu'il s'agit de mettre la famille, la maison, le verger, le potager, le champ, l'aire battre l'abri des forces malfiques qui les menacent quotidiennement. Et ces pratiques s'apparentent la magie, voire la sorcellerie. Du point de vue social, politique et culturel, la baraka a eu de nombreuses et surprenantes implications. Les zaouia, les rbitt, fondes par des saints, porteurs de la baraka, ont t, pour les ruraux, des foyers d'islamisation bien plus efficaces que les medersa et les mosques des villes. Par ailleurs, ces lieux saints, avec les reliques des pieux personnages conserves dans les tombeaux, ont constitu une structure sociale et religieuse qui tendait chapper au contrle du pouvoir central. C'est partir de ces foyers religieux, vivants et anims par la ferveur populaire, que le soufisme et les confrries ont lanc la grand mouvement du maraboutisme. On sait le rle qu'a jou ce mouvement au Maroc, dans la lutte contre les tablissements espagnols et portugais, en un temps o l'tat marocain s'tait dissous du fait de l'puisement de la dynastie mrinide. Il convient d'observer, ici, que le maraboutisme si efficace contre l'Infidle envahisseur, s'est rvl tre aussi un ferment d'anarchie intrieure qui a singulirement compliqu la tche des souverains. Cependant, dans la querelle pour le pouvoir et l'exercice de la souverainet, la saintet maraboutique s'est heurte la baraka des sultans chrifiens. Le chrifisme des Saadiens, puis celui des Alaouites qui renouent avec la tradition

idrisside, possdent de la baraka du Prophte. Au Maroc, il est toujours en honneur et depuis l'poque saadienne, il domine l'histoire politique du pays. Baraka et chrifisme sont l'origine d'une abondante littrature hagiographique dans laquelle les gnalogies occupent une place importante. Le hros, dans ces crits o le merveilleux s'panouit sous la forme de rcits difiants, est le saint populaire qui, souvent, fait obstacle au pouvoir central en s'interposant entre le gouverneur de la province et le peuple. Dans le pays berbre, la kasbah du cad trouve fort souvent la zaouia en face d'elle; celle-ci tant lieu d'asile et d'enseignement, le sige du chef spirituel de la communaut, chrif lui-mme ou non, mais qui la baraka confre une autorit avec laquelle le pouvoir doit composer. La vie sociale y est rythme par les ftes religieuses lgales, mais aussi par les visites aux tombeaux et les moussem*, c'est--dire la fte annuelle du saint patron du lieu. Les hommes, pourtant si fiers de leur gnalogie, se sont donns frquemment un anctre ponyme qui n'est autre que le grand saint du terroir. Le concept religieux de la baraka est d'une trs grande richesse. Il a faonn une mentalit, inspir des attitudes, cr des situations politiques, dfini une forme de la souverainet et de l'exercice du pouvoir, organis une socit, toutes choses qui constituent une perception du monde dont il conviendrait, aujourd'hui, d'tudier l'volution et les transformations souvent radicales qu'elle a subies rcemment.

BIBLIOGRAPHIE BEL A., La religion musulmane en Berbrie, t. I, Paris, 1938. BIARNAY S., Notes d'Ethnographie et de Linguistique nord-africaines, Paris, 1924. BRUNOT L., Textes arabes de Rabat, II, Glossaire, Paris, 1952 (voir rac. brak). CHELHOD J., La Baraka chez les Arabes , Revue d'Histoire des Religions, t. 148, 1955, p. 68-88. DERMENGHEM E., Le culte des saints dans l'Islam maghrbin, Paris, 1954, Encyclopdie de l'Islam, Baraka, t. I, p. 1063. LAOUST E., Mots et choses berbres. Notes de linguistique et d'ethnographie. Dialectes du Maroc, Paris, 1920 (rdition Soc. maroc. d'dit., 1983). COHEN M . , Genou, famille, force dans le domaine chamito-smitique , Mmorial H. Basset, t. I, Paris, 1928, p. 203-210. WESTERMARCK E., The moorish conception ofHoliness (Baraka), Helsingfors, 1916; Id. Ritual and Belief in Morocco, 2 vol., Londres, 1926 ; Id. Survivances paennes dans la civilisation mahomtane, trad. fran. Roberd Godet, Paris, 1935.
A. FAURE

B32. BARNIS
Le mot, prononc Brans en arabe dialectal algrien est le pluriel de Burnous; on a mis l'hypothse que, lors de la conqute arabe, on a group sous ce vocable l'ensemble des tribus porteur de ce vtement, bien connu encore de nos jours, pour les distinguer d'un autre groupe vtu de tuniques courtes, les Botr*. Nous sommes l, ainsi que le disait si finement William Marais en pleine hypothse. Notons toutefois que ce grand orientaliste admettait fort bien une classification originelle base sur des signes extrieurs. Quoi qu'il en soit, il nous faut constater que ces appellations sont sans valeur du point de vue ethnographique et qu'elles n'apportent rien sur le plan des origines des berbres. Il est peut-tre alors intressant de considrer les modes de vie. Les Barnis sont essentiellement des sdentaires, les Botr, des nomades. En fait, tout est moins simple lorsque l'on entre dans les dtails. Tout d'abord, le problme des origines, loin de s'claircir, se complique et s'obscurcit singulirement ds que l'on s'enfonce dans le maquis des gnalogies. Ainsi en va-t-il des sources arabes, d'Ibn Khaldoun naturellement, qui a bien pens tenir

le fil d'Ariane en se rfrant des autorits les plus sres, lesquelles ne vont pas sans contredire. L'auteur de l'Histoire des Berbres est-il davantage crdible lorsqu'il classe parmi les Baranis, les Awraba, les A isa, les Azda a, les Ma mda, les Gumra, les Kutma et les Zwwa, les a n h a, les awwra, groupes tribaux qui se subdivisent leur tour ? On s'aperoit bien vite que le bt blesse ds que l'on poursuit la lecture du rcit. C'est ainsi que, selon le mme auteur, les Kutma-Zwwa, les anh a, les awwra, se voient des origines sud-arabiques. Leurs gnalogies aboutissent un anctre commun, imyar. Il s'agirait alors d'authentiques Arabes et non de Berbres. Ne nous appesantissons pas sur ces affirmations; on connat la valeur des gnalogies, considrons toutefois que de telles prtentions ne sont pas irrecevables et qu'elles peuvent reposer sur un fond de vrit impossible contrler actuellement. De toute vidence, trs tt dans l'histoire, des groupes de peuplades issues de la Mer Rouge sont arrivs en Afrique du Nord comme il en venait d'un peu partout. Quant ce qui concerne les modes de vie, les Barnis, nous dit-on, sont essentiel lement des sdentaires, des montagnards qui d'ailleurs n'ignorent pas la petite trans humance. Attachs la montagne qui leur assure leur subsistance, ils vivent en autarcie, prts dfendre farouchement leurs biens contre les convoitises des pillards de la plaine. Pourtant, au moins un de ces groupes, apparent aux anh a, vit au dsert, ce sont mme de grands nomades et, par voie de consquence, de rudes pillards. Les vnements historiques, qui nous rvlent seulement les grands faits saillants, nous montrent que ces tribus, accoles sous un mme vocable, sont loin de consti tuer une entit politique dfaut d'une unit ethnique qui reste dfinir. Associs parfois face au danger commun, ils peuvent s'opposer farouchement d'une fraction une autre, d'une valle l'autre, d'un village un autre, querelles familiales rgles par le sang et qui peuvent expliquer des choix politiques aberrants. On voit ainsi des alliances en quelques sorte contre nature entre Zanta et Sanhga, des trahi sons, des retournements subits de situation en pleine bataille. Le lien du sang n'est pas toujours suffisant pour sceller les unions, il y faut le prestige d'un chef, d'un Mand, d'un Zr, d'un Buluggn ou d'un ammd, d'un Ysuf b. Tafn, d'un Ibn Tmart ou d'un Abd al-Mumin, encore cet appel du hros ne suffit-il pas endiguer les scissions, les passages inattendus dans le camp oppos. Au VII sicle, les Awraba ont eu leur heure de gloire en s'opposant aux conqurants arabes, le XI sicle verra le triomphe des Berbres, des Barnis surtout, avec les anh a des Kabylies auxquels les F imides ont confi le sort du Marib. Ce sont alors les belles dynasties zrides, celle du Kairouan, celle de la Qal a des Ban ammd, celle de Grenade, puis ce sera la gloire des Almoravides, d'autres anh a sortis du fond du Sahara pour rgnrer l'Islam. Ils conquirent le Maroc, une grande partie de l'Algrie et l'Espagne musulmane, mais, au sommet de leur gloire ils sont supplants, la fin du XII sicle par les Almohades des Ma mda du Haut-Atlas, prtendant, eux galement, rformer un Islam leurs yeux corrompu. Le XIII sicle marquera la fin de cette poque berbre. La campagne, depuis la fin du XI sicle, est la proie des nomades arabes. Ces nouveaux venus, les Ban Hill, un peu plus tard suivis par les B a n Sulaym, vont dsorganiser les anciennes tribus contraintes se replier vers la montagne ou fuir vers l'ouest, elles se morcelleront en fractions qui, pratiquement, ne joueront plus aucun rle de grande envergure. Le nom mme de Barnis n'aura plus aucun sens et celui des tribus les plus glorieuses, Kutma, anh a, Ma mda, n'voquera que de ples souvenirs dans la toponymie du Magrib et de l'Espagne. Dsormais, le rle politique appartiendra des dynasties d'origine arabe plus ou moins chrifiennes, plus ou moins authentiques, mais qui, surtout, ne se veulent pas berbres. Plus tard encore, les Ottomans feront leur apparition...
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BIBLIOGRAPHIE COLIN G.-S., Barnis, in Encyclopdie de l'Islam. GOLVIN L., Le Magrib central l'poque des Zrides, Paris, 1957. IBN KHALDOUN, Histoire des Berbres, trad. de Slane, Paris, 1969, t. I et II. IDRIS R.-H., La Berbrie orientale sous les Zirides, Paris, 1962. JULIEN Ch. A., Histoire de l'Afrique du Nord, t. II (revu par Le Tourneau R.), Paris, Payot, 1952. TERRASSE H., Histoire du Maroc, Casablanca, 2 t., 1949-1950.
L. GOLVIN

B33. BARARUS (Rougga)


Cette petite localit antique mentionne par la Table de Peutinger (VI, 3), 9 mille romains de Thysdrus sur un itinraire entre cette dernire et Usilla, correspond aux ruines actuelles connues sous le nom d'Henchir Rougga, 13 km au sud-est d'El Jem. Le nom de Bararus apparat dans d'autres sources antiques : un vtran de cette cit est mentionn sur une liste de soldats de Nicopolis (Egypte) recruts en Afrique (A.E., 1955, 238); un curateur republicae exerait ses fonctions la fois dans les trois villes de Thysdrus, Thaenae et Bararus (Insc. Lat. d'Afr., 44); enfin, un vque de cette cit, Iulianus Vararitanus (pour Bararitanus) figure sur les listes de la province de Byzacne en 484 (Maier, L'piscopat de l'Afrique romaine, Rome, 1973, p. 112). Le toponyme n'est pas d'origine punique ni latine mais appartient bien au substrat libyco-berbre o il s'inscrit dans une srie onomastique aisment reprable par la ngation verbo-nominale UR/WR/WAR. Ces noms sont frquents dans l'antiquit et au Moyen Age : on a par exemple Varsissima (la desse sans...); Wararni (sans gal) (cf. Chaker S., Textes en linguistique berbre, Paris, 1984, p. 280). Quant au nom arabe du site, Rougga, il n'est qu'une simple translittration dialectale du mot Raqqa qui, en arabe littraire, signifie la terre que l'eau recouvre et qu'elle vacue ensuite , ce qui convient parfaitement la topographie du lieu. Une mission archologique franco-tunisienne y entrepris des fouilles de 1971 1974 qui permirent de retrouver les vestiges d'une escargotire pipalolithique et un niveau no-punique. La ville romaine, centre administratif des bourgades avoisinantes, s'organise autour d'un forum domin par deux temples. On y rencontre aussi deux grandes citernes circulaires jumeles, un amphithtre install dans une carrire abandonne, un thtre avec de vastes dpendances, un arc, une domus pave de remarquables mosaques. La ville fut peut-tre dtruite lors de l'invasion arabe d'Ibn Sa'd en 647, ce qu'attesterait un trsor de 268 solidi byzantins. Ses ruines furent nanmoins roccupes par une population berbre sdentarise, avant de servir de carrire aux chaufourniers.

BIBLIOGRAPHIE GUERY R., Un trsor montaire byzantin rcemment dcouvert en Tunisie, Bull, de la soc. fran. de numismatique, t. 10, 1972, p. 318-319. GUERY R., MORISSON C , SLIM H., Rougga III - Le trsor de monnaies d'or byzantine, coll. de l'cole fran. de Rome, 1982. GUERY R., L'occupation de Rougga (Bararus d'aprs la stratigraphie du forum, BCTH, nouvelle srie, 17, 1981, p. 91-100. GUERY R., Survivance de la vie sdentaire pendant les invasions arabes en Tunisie centrale : l'exemple de Rougga, Ibid., p. 399-410.

Bararus I 1341

Les citernes de Bararus (relev G. Hallier). Le diamtre moyen du grand bassin est de 40 m.

HALLIER G., Le premier forum de Rougga, BCTH, nouvelle srie, 17, 1981, p. 101-114. HALLIER G., Les grandes citernes de Bararus Municipium (Byzacne) , Histoire et Archol. de l'Afrique du Nord, III Colloque intern., Montpellier, 1985, p. 185-191.
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HALLIER G., Les citernes monumentales de Bararus (Henchir Rougga) en Byzacne , Ant. afr., t. 23, 1987, p. 129-148. SLIM H., Recherches prliminaires sur les amphithtres romains de Tunisie, L'Africa romana, Atti del I Convegno di studio (Sassari, 1983), t. I, Sassari, 1984, p. 129-165 (en particulier n 10, p. 144-145).
R. GUERY et P. TROUSSET

B34. BARATTE (tayettit [kabyle], taeekket [ouargli], tawwart [mozabite], tanwart [tamahaq])
La baratte est un instrument qui sert extraire le beurre selon deux techniques diffrentes : soit en battant le lait l'aide de battoirs, de palettes tournantes, soit en le secouant pour provoquer l'agglutination des gouttelettes de matires grasses. La premire technique ne semble pas avoir exist en Afrique du Nord et au Sahara. En revanche, les barattes qui permettent d'agiter le lait manuellement sont trs varies. Elles changent de formes, de matire et de volume selon les rgions. Elles peuvent tre fabriques en poterie tourne (Alger, Tlemcen, Constantine, etc.) dans des lieux o cette technique est rpandue, en sparterie (Saoura, Gourara), en bois, en peau, partir d'une grosse calebasse (Kabylie, Maroc, Sahara) ou en tle de fer soud (dans les centres urbains). Alors qu'en Europe l'on bat le lait frais ou la crme aprs avoir crm le lait, en Afrique du Nord et au Sahara, le lait, quelque soit son origine (chvre, brebis, vache, mis part le lait de chamelle dont on n'extrait pas de beurre alimentaire) n'est baratt qu'aprs avoir subi un dbut de fermentation, durant environ douze heures, une temprature moyenne de 20. Ce choix est dict par des habitudes trs anciennes en rapport avec le climat et l'cologie locale (il est difficile de garder du lait frais et l'on n'a pas l'habitude de le faire bouillir pour le conserver), mais surtout par les modes de consommations domestiques du lait et de ses sous-produits. Les usagers prtendent extraire davantage de beurre du lait aigri, mais aussi parce que le babeurre devenu leben, c'est--dire un mlange de lait crm aigri et d'eau, reprsente un aliment de premier ordre chez les nomades et sdentaires possdant des btes traire. L'habitude de boire du lait lgrement aigri chez les populations du Maghreb, comme de bon nombre de populations mditerranennes, musulmanes et europennes (des Balkans en particulier), est un trait culturel persistant, li un mode de vie et une conomie familiale, mais aussi un choix dittique particulier : en pays chaud le lait frais se conserve mal, il est difficile digrer si l'on en boit beaucoup, alors que le lait aigri et tendu d'eau est une boisson rafrachissante en priode de chaleur en raison de son acidit, mais aussi trs nutritive, que l'on peut consommer en grande quantit (en certaines rgions sahariennes, les nomades ne boivent que du leben et du lait de chamelle frais durant plusieurs mois l'exclusion de tout autre aliment).

Prparation du leben
(Mot arabe qui n'a pas d'quivalent franais et qui est pass dans le langage courant aujourd'hui en France). Chaque jour, aprs la traite du matin et celle du soir, le lait frais, qu'il soit de chvre, de brebis ou de vache, est vers dans u n rcipient spcial o il subit un dbut de fermentation lactique une temprature qui peut varier, selon les lieux ou la saison, entre 20 et 35 degrs. Il y sjourne jusqu'au lendemain prs d'un foyer, ou protg sous des tissus en un lieu tide. Quand il existe plusieurs espces d'animaux producteurs de lait, on ne mlange jamais les laits frais; chaque type de lait

Outre suspendue pour baratter le lait dans un campement touareg (photo M. Gast).

Outre agite entre les mains Idels (photo M. Gast).

Barattes en terre cuite sur le march de Tiznit, sud marocain (photo G. Camps).

est mis aigrir sparment, alors qu' la consommation les mlanges sont frquents, surtout avec le lait de chamelle qui n'aigrit pas (et ne donne pratiquement ni beurre, ni fromage par manque de casine; cependant des expriences rcentes en laboratoire, ont permis d'obtenir un fromage avec du lait de chamelle). En pays touareg ce premier rcipient (agiwir ou emesesley est une petite outre plate, en peau de chvre ayant subi un tannage spcial qui provoque son pilation totale. Constamment en service, cette outre est ncessairement rapice et trs vite use. La paroi des vieilles outres est tapisse de peaux blanchtres (aklayen) qui abment le cuir l'intrieur en provoquant une sorte de desquamation. Les gens

affams coupent ces peaux en morceaux et les pilent pour s'en nourrir en priode de disette. Ces aklayen contiennent les bactries qui assurent rapidement l'acidification du lait. Cette outre n'est jamais sche, ni rince l'eau. Elle reoit le lait de la traite du matin et celui de la traite du soir en priode d'abondance, sinon uniquement celui du soir. Elle sjourne au soleil l'hiver ou demi enfouie dans les cendres tides prs du foyer chez les nomades.

Le barattage
Quel que soit le type de rcipient utilis pour cette opration (poterie, calebasse, vannerie, peau, etc.), le premier principe respecter est immuable : pour tre convenablement agit, le volume du lait doit tre infrieur la moiti du volume total de la baratte. Les rcipients parois rigides doivent tre la mesure de la force d'une personne les secouant la main, ou tre suspendus deux cordes sur un support, pour tre balancs d'un mouvement brusque, avec un lger temps d'arrt, obligeant la masse de lait heurter violemment les parois. Le mme exercice est obtenu dans une outre, la condition qu'elle soit gonfle d'air, pour permettre le mme type d'agitation du lait qu'elle contient. Chez les nomades du Sahara central (Touaregs), la grande outre de peau (d'un animal entier : chvre en gnral), sans poil qui sert de baratte est toujours solide (et non rapice) pour viter les clatements et les fuites. On y verse le lait aigri et on la gonfle d'air; son col est alors solidement serr d'une double attache de cordelette afin d'en assurer l'tanchit. La tanwart est suspendue aux armatures de bois de la tente ou de la hutte, et balance en cadence environ 30 40 minutes. Cette opration a lieu le matin de bonne heure, car la chaleur du jour ne permet plus le barattage en raison des modifications physiques de la phase grasse du lait qu'elle provoque. Avant la fin du barattage on ajoute un peu d'eau froide; l'abaissement de la temprature qui en rsulte, facilite le rassemblement des grains de beurre. Quand la motte est forme en un bloc compact, on la fait merger au-dessus de la masse liquide en ouvrant largement le col de l'outre. Le beurre est vers dans un pot en bois, en fer tam ou dans une marmite. De couleur blanche, sans odeur prononce, le beurre frais udi wa mellen (t.) ou tesendut, tesufrent (t.), zebda (ar.) est trs rarement utilis tel quel, car il s'oxyde trs vite, contient encore de l'eau et des impurets. Les plus gourmets, en milieu urbain, l'utilisent quelquefois pour assaisonner la graine de couscous sans bouillon (mesff). Il sert parfois aussi d'excipient gras pour soigner certaines maladies (mammites en particulier). Ce beurre frais ne convient gure la civilisation matrielle locale, ni aussi au got des usagers qui lui prfrent le mme beurre, fondu, qui fait davantage ressortir l'odeur suis-generis des btes qui l'ont produit et qu'on agrmente quelquefois d'additifs (plantes aromatiques, graines de crales, corne de mouflon, dattes piles) qui en jouant le rle d'antioxydants colorent et parfument ce beurre (voir beurre*). BIBLIOGRAPHIE BALLET J., Laitage, I.B.L.A., XII, 1949, p. 203-207. FOUCAULD Ch. de et CALASSANTI-MOTYLINSKI A. de, Textes touaregs en prose, dition critique par S. Chaker, H. Claudot, M. Gast, Aix-en-Provence, Edisud, 1984 (p. 58, texte 9 : lait et beurre). GAST M . , MAUBOIS J.-L., ADDA J. et al. Le lait et les produits laitiers en Ahaggar, Mmoires du CRAPE, XIV, Paris, A.M.G., 1969, 72 p. (p. 43-52). GOBERT E.-G., Usages et rites alimentaires des Tunisiens , Archives de l'Institut Pasteur de Tunis, t. 29, 1940, p. 89-90.
M. GAST

B35. BARBARESQUES
Le mot franais barbaresques n'est visiblement que la transcription de son homologue italien Barbareschi, qui drive lui-mme de Barberia ou Berberia employ ds le XIII sicle pour dsigner le Maghreb (trait de 1231 entre Venise et Tunis,
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Ras algrien, dit amiral de la flotte turque, par Wolfgang (Iconographie de l'Algrie, pl. XXVII, 73).

signal par Turbet-Delof). Cette dernire appellation dcoulait sans doute de l'arabe Barbar ou Brabar concernant ceux des Maghrbins qui n'taient ni Roum (chrtiens), ni Afariq (citadins romaniss). L'origine de Barbar reste discute mais elle peut remonter au bas-latin Barbari qui s'appliquait aux mmes populations. Le terme italien Barbareschi qui apparat dans Boccace, rpond la ncessit de nommer des gens d'origine mal dfinie avec lesquels les populations ctires entretiennent des rapports pisodiques et le plus souvent brutaux. Ce collectif aurait d'autant plus de succs que la piraterie maghrbine prendra de l'ampleur compter du xv sicle. Toute diffrence est alors la dmarche du castillan qui, s'il connat et utilise le mot Berberia pour dsigner l'Afrique du Nord, n'prouve pas la ncessit d'un collectif, drive du fait de sa connaissance plus pousse des ralits locales. Certes, il regroupe l'ensemble des populations sous le vocable de Moros, mais il prcise chaque fois qu'il pleut : Alarbes (arabes), Berbres africanos (berbres), Azuaguos (Kabyles), etc. L'emploi de Berberesco, qui ne figure pas dans les dictionnaires ethymologiques, est rcent et relve du vocabulaire historique. L'apparition du mot franais remonterait, selon Turbet-Deloff, Froissard. Il faut attendre le XVI sicle pour qu'il soit d'usage courant. Mais il prend alors un sens particulier. Si l'on en croit le Dictionnaire de la langue franaise du XVI sicle de Huguet, c'est l un adjectif synonyme de barbare. Les exemples fournis sont convaincants, telle la mention de 1' inhumanit barbaresque du roi Clothaire pour Brunehaut. Il aurait ainsi relay le qualificatif mdival Barbarique, dont la signification tait identique. Il ne semble pas qu'il ait, comme prcdemment l'homologue italien, gliss vers une acception gographique par le biais de la dnonciation du comportement barbare des habitants. La disparition complte du mot au sicle suivant ne s'explique en effet qui si on l'avait rang d'office parmi ces innombrables doublets italianisants qui avaient encombr la langue au xvi sicle et dont les grammairiens de l'cole de Vaugelas poursuivirent sans faiblesse l'viction. Le dictionnaire de Furetire l'ignore et Hazfeld et Darmesteter confirment son absence. Les multiples rcits du temps ne l'utilisent pas, mme lorsqu'ils traitent prcisment des corsaires ou des tats de Barbarie, comme ceux du Pre Dan ou de Chastelet des Boys. Il est difficile d'expliquer le renouveau du terme au x v m sicle. Bien que TurbetDeloff indique qu'il figure comme substantif ds 1704 dans le Dictionnaire de Trvoux, il semble que sa vulgarisation ait t assez longue puisque le Dictionnaire de Richelet, dans son dition de 1728 l'ignore encore. Toutefois, il est possible que l'extension des relations de la France avec l'Afrique du Nord ait fait sentir le besoin d'un collectif ethnique qui aurait ainsi succd, aprs un hiatus de plusieurs sicles, Sarrazins, disparu vers la fin du Moyen Age. Mais cette ractivation reste ambigu, comme en tmoigne l'dition de 1771 du mme dictionnaire de Trvoux, qui signale toujours son sens antrieur, savoir cruel, barbare. Ce n'est qu' la fin du sicle, et cela est particulirement sensible dans la correspondance officielle du Consulat, que Barbaresques dsignera exclusivement les gens et les choses du Maghreb. Mais rapidement son sens va aller en se restreignant. Dans le domaine gographique d'abord : alors que Barbarie continuera, tout au long du XIX sicle, de dsigner la rgion allant d'Agadir Tripoli, les tats dits barbaresques s'identifieront la plupart du temps aux seules Rgences d'Alger, Tunis et Tripoli, c'est--dire aux seuls tats de la Barbarie d'influence turque. Le mot s'enrichissait donc, en revanche, d'une connotation gopolitique. Une seconde restriction, de nature quasi psychologique, intervient : Barbaresques ne dsignera que l'aspect extrieur d'une ralit locale, des tats ou des gens vus de l'extrieur. De fait, les voyageurs qui parcourent le pays n'utilisent gure le mot qui ne correspond rien. Dire qu'Alger et l'Ouarsenis sont galement peupls de barbaresques frise en effet l'absurdit.
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Bombardement d'Alger par Duquesne en 1682 (Iconographie de l'Algrie, pl. XX, 52). L'volution politique ne va pas tarder apporter une troisime restriction, d'ordre chronologique peut-on dire. En 1830, la France s'installe en Algrie. Il ne peut plus tre question de ranger cette dernire parmi les tats Barbaresques et l'emploi de l'expression va dsormais ncessiter des commentaires explicatifs. Aussi l'usage s'installe-t-il peu peu d'en limiter l'emploi la priode dite turque, soit du xvi au dbut du xix sicle. Paralllement, passe cette limite, leurs habitants ne seront plus barbaresques, et cette qualification s'appliquera progressivement leur seul comportement antrieur, comme corsaires en particulier. Inversement cette sorte de spcialisation va avoir pour les corsaires barbaresques une extension inattendue : les corsaires de Sal seront parfois rangs sous ce vocable et certains auteurs parleront des pirates barbaresques qui, au xiv sicle, ravageaient la Camargue. Il est donc difficile, comme on le voit, de cerner avec prcision l'emploi du mot Barbaresques. Une certitude cependant demeure : c'est que dans l'esprit de ses utilisateurs le monde berbre en tant que tel tait bien loin.
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BIBLIOGRAPHIE TURBET-DELOFF, L'Afrique barbaresque dans la littrature franaise au xvi'et xvw sicle, Genve, Droz, 1973. GODEFROY, Dictionnaire de l'ancienne langue franaise, Paris, 1880. HUGUET E., Dictionnaire de la langue franaise du xvi' sicle, Paris, 1925. FURETIRE A., Dictionnaire universel, La Haye, 1680. RICHELET C.-P., Dictionnaire de la langue franaise, Lyon, 1728. Dictionnaire de Trvoux, Trvoux, 1704-1771. HAZEFELD et DARMESTETER, Dictionnaire tymologique de la langue franaise, Paris, s.d. BONO S., / corsari barbareschi, Torino, ERI, 1964. DAN R.-P., Histoire de Barbarie et de ses corsaires, Paris. CHASTELET DES BOYS, Odysse..., dit. Piesse, Revue Africaine, t. X, 1866, p. 91-101,
p. 2 5 7 - 2 6 8 ; t. XI, 1867, p. 1 5 9 - 1 6 7 ; t. XII, 1868, p. 14-32, p. 3 5 0 - 3 6 3 , p. 4 3 6 ; t. XIII, p. 3 7 1 - 3 8 3 ; t. XIV, 1870, p. 193-199.

BERBRUGGER A., La Rgence d'Alger sous le Consulat et sous l'Empire, Revue Africaine,
t. XIX, 1875, p. 1 6 - 3 1 et p. 115-147. Pierre BOYER

B36. BARBE (Le cheval)


Les chevaux de l'Afrique du Nord, connus sous le nom gnrique de chevaux barbes, sont considrs par les anciens hippiatres, ds le xvii sicle, comme constituant une race dtermine et dj en 1733 La Gurinire, numrant les races de chevaux de diffrents pays, note les qualits du cheval barbe et le considre comme meilleur talon que le cheval andalou. Le nom de barbe qui a t donn par les Europens aux chevaux de l'Afrique du Nord, drive du nom des tats Barbaresques , ce qui est dans la tradition constante des noms territoriaux donns aux diverses races de chevaux dans les temps passs et modernes, seules faisant exception certaines races cres artificiellement qui portent le nom de leur crateur ou les noms d'origine du lignage (par exemple : le trotteur Orloff ou l'anglo-arabe). L'origine de la race barbe intressant la recherche archologique, il peut sembler utile d'attirer l'attention sur la manire dont s'est fixe dans le pass la dtermination de cette race et la faon dont il convient de la distinguer aujourd'hui. Si, pour le zoologue, les diffrenciations des chevaux en races diverses n'offrent pas d'intrt particulier, la systmatique zoologique ne connaissant que le genre Equus divis en deux espces, le cheval domestique (Equus caballus) et le cheval sauvage (Equus prjwalskii), il n'en est pas de mme pour les hippologues qui, au cours des temps, ont toujours cherch tablir des classifications distinctes et, partir des temps modernes, dissocier les races dites de selle des races dites de trait. Ce n'est donc qu' partir des donnes hippologiques que l'on peut parler de races de chevaux et ce n'est que dans cette optique que l'on peut raisonnablement dfinir une race particulire l'Afrique du Nord, mais encore faut-il pralablement savoir ce que l'on entend exactement aujourd'hui par le mot race quand il s'agit de chevaux. Pour l'hippologue et tous chercheurs dans ce domaine, le mot devrait conserver le sens de la dfinition du dictionnaire une collection d'individus qui prsentent invariablement les mmes caractres morphologiques de gnrations en gnrations ; malheureusement des arguments, le plus souvent d'origine commerciale, ont altr le caractre scientifique de cette dfinition et tent de faire admettre que certains croisements avec d'autres races ne pouvaient qu'apporter une amlioration dans une race considre, en oubliant que ces croisements modifient les caractres morphologiques et que 1'amlioration apporte ne concerne que les performances ou les rendements des individus et non la race elle-mme. A ceci s'ajoute le fait que l'on confond actuellement dans les races de chevaux, les races naturelles, toujours de petite taille, avec les races artificielles obtenues par slections et croisements et que de ce fait, le mot race a perdu la plus grande part de son sens rel dans le langage courant. Enfin, et plus particulirement en ce qui concerne le cheval barbe, nous verrons que les critres retenus par les nombreux commentateurs depuis 1830, pour mettre en vidence l'existence d'une race de chevaux propres l'Afrique du Nord, ne concernaient que les qualits et les dtails morphologiques secondaires qui ne permettaient pas de dfinir une race au sens propre du terme.
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Les critres de jugement au XIX sicle


Ds 1840, le Gnral Daumas, dans son ouvrage Les chevaux du Sahara, fait longuement tat des avis de l'mir Abd el-Kader et publie les lettres que celui-ci lui adressa en rponse ses questions sur le cheval barbe. Si l'on peut juger la lecture de ces textes des connaissances d'un homme de cheval tel que l'mir, particulirement en ce qui concerne l'tude des rgions,

c'est--dire des diffrentes parties qui composent le corps du cheval et de l'excellence de leur conformation, on ne peut cependant pas tablir, mme de faon approximative, un standard du cheval algrien partir de ces nonces qui n'indiquent en ralit aucun caractre morphologique prcis concernant la race. Pour l'mir, un cheval de race est un cheval noble (H'orr) et il considre que, quand il n'y a pas de notorit publique, c'est par l'preuve, par la vitesse unie au fond, que les Arabes jugent les chevaux, qu'ils en reconnaissent la noblesse, la puret de sang (p. 62), ce qui revient dire que l'mir juge un cheval de race d'aprs ses qualits de vitesse et d'endurance et non d'aprs ses caractres morphologiques. Le Gnral Daumas, de son ct, n'attache aucune importance particulire aux caractres morphologiques fondamentaux des races de chevaux et expose une ide toute personnelle ce sujet (p. 211) Le cheval de nos possessions africaines appartient la race barbe. Si l'on veut nous permettre de produire notre opinion personnelle, nous avancerons qu'on est dispos tablir une ligne de dmarcation trop tranche entre le cheval barbe et le cheval arabe. Il est un nom plus gnral qui nous semble devoir tre appliqu tous deux, c'est celui de la race orientale c'est une mme grande famille qui se confond dans l'origine, qui se modifie en s'tendant et se dplaant, sous l'influence des variations de climat, peu sensibles d'ailleurs. On peut observer que les trois derniers mots de la fin de la phrase annulent la proposition qui prcde, mais le Gnral va encore plus loin (p. 212) appelez-le maintenant persan, numide, barbe, arabe de Syrie, nejdi, peu importe, toutes ces dominations ne sont que des prnoms, le nom de famille est : cheval d'Orient. Une opinion de ce genre qui fait se rcrier aujourd'hui tous les hippologues, chaque race numre ayant ses caractres morphologiques propres et le plus souvent opposs (chanfrein concave ou chanfrein convexe, croupe horizontale ou dclive, etc.) montre que le Gnral Daumas n'accorde pas au mot race son sens rel et que sur l'origine orientale du cheval barbe il est, de plus, en complet dsaccord avec l'mir Abd el-Kader qui de son ct attribue inversement une origine africaine au cheval d'Orient en se rfrant aux auteurs arabes ante-islamiques, mais sans plus de vraisemblance que l'hypothse du Gnral. Les qualits d'endurance, de rusticit, de fond ou de vitesse, auxquelles se rfrent le Gnral Daumas et l'mir, sont des critres qui s'appliquent non seulement au cheval barbe, mais beaucoup de races naturelles (poney des steppes asiatiques entre autres) et qui ne permettent pas de dfinir le standard d'une race particulire. Ce n'est qu' partir de 1844, anne de la cration des premiers dpts de remonte en Algrie, que certains militaires, administrateurs et vtrinaires commencrent penser que le barbe constituait rellement une race distincte de l'orientale. En 1855, furent crs les tablissements hippiques, la fois centres d'achats de chevaux de service et dpts d'talons, et o l'on commena tudier et suivre les produits obtenus. La constatation que du croisement entre des juments barbes et un talon prsentant les caractres du cheval oriental, naissait u n produit prsentant la fois les caractres morphologiques principaux des deux races (chanfrein concave de l'oriental et croupe dclive du barbe) et d'une taille gnralement bien suprieure celle de ses gniteurs, amena finalement la cration en 1877 de la Jumenterie de Tiaret o furent entretenus des talons orientaux destins, par croisements avec la race barbe, la production d'un type nouveau dnomm arabe-barbe. Ce modle de cheval fut recherch comme cheval de selle particulirement par l'Arme, car d'une taille plus leve il conservait les qualits de rusticit et d'endurance des races barbes et arabes. Cependant, la lecture de quelques publications postrieures 1850 fait apparatre que certains auteurs, admirateurs inconditionnels du cheval oriental, continuaient ne pas vouloir admettre l'existence de deux races diffrentes et considrant le barbe

Cheval barbe marocain du Moyen Atlas (photo E. Laoust).

Medjeri (10 ans, 1,47 m, rouan pommel), talon barbe de la tribu des Medjers. comme un oriental dgnr, demandaient sa rgnrescence par le cheval arabe. H. de la Rousselire par exemple, dans son Mmoire de 1866, se refuse distinguer la race autrement que par ses qualits natives et crit p. 24 : collectionner dans les tablissements de l'tat les meilleurs lments de reproduction, talons et juments, appartenant au type de la race barbe, c'est--dire de la race locale.

Cheval barbe des Nmencha ayant des antcdents orientaux (photo G. Camps). Si l'on n'y trouvait pas le nombre d'talons ncessaire une bonne reproduction, faire une remonte de reproducteurs en Orient pour arriver ainsi immdiatement au type primitif. L'levage algrien cependant tait la mme poque en contradiction avec cette optique et un leveur algrien de chevaux barbes, J. Duine, crivait en 1902 Peu de gens connaissent ce que l'on entend par cheval arabe et cheval barbe. Et aprs avoir fait la distinction des caractres morphologiques des deux races, il poursui-

vait : La population chevaline algrienne a une puissance numrique de 200 250 000 sujets appartenant presque tous un type de race qui est le Barbe. La race arabe existe si peu qu'on peut dire, sans passer ct de la vrit, que ce type de cheval n'existe pas. Cet leveur mettant en vidence l'existence d'une race barbe rejoignait vers 1900 l'opinion des hippologues qui, mme lorsqu'ils voyaient dans le barbe un arabe dgnr, avaient enfin dfini les caractres morphologiques propres la race barbe dont ils avaient aussi not les allures, les attitudes, les qualits et les dfauts. C'est alors que se posa la question de savoir s'il fallait voir dans le cheval barbe le descendant d'une lointaine race naturelle dont il conservait les caractres propres ou s'il rsultait de croisements incontrls entre chevaux de race diverses amenes au cours des sicles par l'importation commerciale et diffrentes vagues d'envahisseurs. Le problme ne semble pas encore compltement rsolu aujourd'hui et une tude dfinissant le cheval de race barbe peut sembler offrir un intrt pour le chercheur.

Le cheval de race barbe


Les caractres morphologiques La tte est lgrement moutonne (chanfrein convexe), les oreilles le plus souvent divergentes, l'il grand, le toupet abondant. L'encolure est rectiligne, bien dirige, mais l'attache souvent paisse. Le garrot est long, peu saillant, le dos et le rein sont courts. La croupe est longue et dclive, le port de queue nglig, les crins fournis. Le corsage est serr aux paules, mais les ctes s'arrondissent en arrire, les coudes sont souvent plaqus et les jarrets souvent couds. Les membres sont toffs, les canons secs, les pieds gnralement petits talons levs. La taille varie de 1,40 m un peu plus de 1,50 m. Certains sujets atteignant 1,60 m ne correspondent pas au standard et sont le rsultat de croisements plus ou moins anciens soit avec l'oriental, soit avec une autre race. Les couleurs de robes dfinies en hippologie sont toutes reprsentes, mais les robes gris clair et gris pommel sont nettement dominantes. D'autre part deux robes ont t considres comme malfiques par les Arabes : la robe pie parce que s'apparentant celle de certains bovins, et dnomme pour cette cause Khou el Begr (le frre de la vache), et l'alezan trs clair aux crinsdlavs considr comme portant malheur. Les attitudes En station libre l'animal pigeonne constamment, c'est--dire qu'il a presque en permanence un postrieur au repos, demi flchi, le pied reposant sur la pince, le poids du corps support par les trois autres membres. L'attention semble peu veille, l'attitude est confiante, les marques d'irritabilit sont rares, sauf cas flagrant d'incompatibilit d'humeur avec un congnre. Les allures Les antrieurs manquent de geste. Le pas est franc, souvent court, amenant une tendance au trottinement, le pied est sr. Le trot de peu d'tendue n'est pas rapide. Le galop est prcipit, le plus souvent rasant, la foule courte. Les dfauts Les aplombs sont le plus souvent dfectueux (panard ou cagneux du devant, serr et sous lui du derrire), souvent fausss par l'emploi d'entraves dans le jeune ge.

Les pieds le plus souvent talons levs sont sujets l'encastelure et la ferrure doit tre surveille. Les allures, principalement le galop, sont ramasss, sans grandes tendues. Les qualits La rusticit, la sobrit et la rsistance la fatigue sont des qualits propres la race que l'Histoire a enregistres. La douceur du caractre envers l'homme (un cheval barbe ne tape sciemment jamais un homme) et la sret du pied dans tous les terrains sont des qualits connues et apprcies par tous les utilisateurs. Considrations sur la race Utilisation La description du cheval barbe fait apparatre un animal de petite taille, rac, fait en cheval de selle et dont les qualits en font le type d'un cheval d'armes qui a t extrmement apprci et historiquement reconnu. Ces qualits cependant ne sont pas celles rclames dans les temps modernes pour la comptition sportive (courses, concours hippiques, etc.) et cette contrainte a limit l'expansion de la race aprs la disparition des troupes montes. D'autre part, et malgr les prceptes, les sentences et les avis de l'mir Abd elKader, le cheval barbe a t utilis dans le pass non seulement la selle, mais aussi tous les travaux et souvent dans les pires conditions matrielles. Des conditions de vie difficiles ont souvent amen son propritaire l'utiliser aux tractions agricoles, accoupl sous un joug avec un ne, un buf et parfois mme un dromadaire. Ces attelages mixtes sont les plus dfectueux pour des animaux qui n'ont pas le mme pas et provoquent de mauvaises blessures aux btes ainsi accouples; le prcepte hbraque T u n'accoupleras pas sous le mme joug des animaux d'espce diffrentes (Deut, XXII, 10) montre bien que la dfectuosit de cette pratique tait connue ds l'Antiquit. La race barbe a aussi t exporte dans le pass et a t utilise pour l'amlioration d'autres races de chevaux et mme pour la cration de races locales. Au xv sicle dj, Alvise de Cada Mosto relate la vente des chevaux du Maroc transitant par voie de terre vers le Sngal. Au xvii sicle, un cheval barbe donn Louis XV par le Bey de Tunis fut rachet Paris par un Anglais et figura parmi les talons qui sont l'origine du pur sang anglais, sous le nom de Goldophin Barb. Enfin, au xix sicle, la race barbe se rvla la mieux adapte lors des essais d'acclimatation de chevaux Madagascar et forma dans cette le, qui en tait dpourvue, le fond originel de la population chevaline.
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Conclusion
Si une recherche historique peut permettre de suivre aux temps modernes l'utilisation et la diffusion de chevaux barbes, il est par contre remarquable de constater qu'il faut attendre la fin du XIX sicle pour que soit mise dfinitivement en vidence une race de chevaux propre l'Afrique du Nord, atteste par ses caractres morphologiques. Antrieurement cette poque, le nom de barbe ne dsigne que le lieu gographique d'o sont issus ces chevaux, par rfrence aux tats Barbaresques , mais sans que les exportateurs ou les utilisateurs discernent vritablement de diffrences entre les chevaux d'Afrique du Nord et ceux de l'Orient. Il en est d'ailleurs de mme en ce qui concerne ces derniers, car les talons orientaux imports au XVII sicle en Angleterre, et qui sont l'origine du pur sang anglais , sont dsigns par leurs lieux d'origine et sont aussi souvent turcs qu'arabes; c'est d'ailleurs ce qui
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explique qu'il n'y a pas de standard pour le pur sang anglais dont l'origine doit seulement tre atteste par son inscription au Stud Book, et l'on peut constater nouveau par ce fait que le mot race n'est pas pris, dans ce cas prcis, dans le sens de la dfinition du dictionnaire. Il faut, par ailleurs, constater que les reprsentations artistiques modernes des chevaux d'Afrique du Nord ignorent les caractres de la race barbe et que les artistes qui ont uvr dans ces rgions se sont acharns donner le type oriental le plus marqu tous les chevaux qu'ils reprsentaient. On ne reconnat pas de chevaux barbes caractristiques dans les tableaux des peintres de l'Algrie du xix sicle et les sries d'aquarelles d'poque du Muse de Chantilly, la plupart de Phillipoteaux, montrent des chevaux du type oriental le plus pur o la concavit du chanfrein et l'horizontalit de la croupe sont presque exagres. On ne peut voir dans ces figurations que le reflet d'un orientalisme fantaisiste transformant en chevaux arabes tous les chevaux d'Afrique du Nord. D'autre part, les auteurs antiques ignoraient les races de chevaux d'aprs leur morphologie. La description du cheval numide par Strabon par exemple (XVII, 3, 7) ne permet pas de dissocier par des caractres prcis le cheval de l'Afrique du Nord des autres chevaux de l'poque, et les rares documents figurs antiques relatifs aux chevaux numides ne permettent pas davantage de retrouver dans ces reprsentations les caractres morphologiques propres au cheval barbe actuel. Il apparat donc trs difficile de pouvoir mettre en vidence la permanence d'une race de chevaux propre l'Afrique du Nord, de l'Antiquit nos jours, uniquement d'aprs les textes ou les reprsentations artistiques, mais par contre la persistance des caractres propres la race barbe dans les divers produits de croisements qui en sont issus permettent cependant de constater l'existence de cette race aux temps modernes mme si ces caractres ont t longtemps ignors dans le pass. La possibilit que certains de ces caractres aient pu tre modifis, ou acquis, par suite des apports de chevaux trangers au cours des invasions, ne peut videmment pas tre exclue, au moins dans des zones localises (fluctuation des tailles par exemple), bien que comme le note L. Mercier, la densit numrique des chevaux vandales ou orientaux ait t relativement faible en regard de la population chevaline de l'Afrique du Nord. Il apparat donc que l'on peut considrer qu'il existe bien en Afrique du Nord des chevaux appartenant une race particulire, facilement reconnaissable ses caractres morphologiques propres, sans que l'on puisse encore actuellement dterminer avec certitude si cette race est d'origine naturelle, ou si elle s'est fixe dans un pass assez lointain par des apports trangers d'origines diffrentes. Par contre, il apparat aussi que l'hypothse d'une origine de la race barbe par dgnrescence du type oriental doit tre dfinitivement carte, aucune donne historique, archologique ou zoologique, ne permettant de l'accrditer.
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J. SPRUYTTE

Le cheval barbe l'poque antique


L'apport des sources littraires et archologiques

Le type et la race : contrairement ce qui a t affirm parfois (mais surtout peuttre en pensant des peintures de vases) les reprsentations de chevaux sur des mosaques ou des reliefs sculpts africains sont trs ralistes, du moins pour ce qui est des formes, beaucoup moins aberrantes que dans les gravures anglaises des xviii et xix sicles par exemple. Sans doute n'en va-t-il pas de mme de la reprsentation des allures, encore qu'on doive convenir que le galop volant une allure tout fait irrelle n'apparat jamais dans les mosaques : on y voit une tentative de reprsentation du galop allong (qui est au contraire une allure naturelle), celui qui est adopt, par exemple, par les chasseurs de livres de la mosaque d'Oudna conserve au Bardo, et qui voque la description fort exacte de Tite-Live (XXXV, 11, 8) : les chevaux (des Numides), sans mors et mme vilains d'allure, avec leur faon de courir l'encolure raide et la tte allonge. Le ralisme des reprsentations de chevaux des monuments funraires de cavaliers de Tipasa (cf. J. Baradez, Libyca, II, 1, 1954, p. 89-148) a t galement reconnu par le vtrinaire E.-J. Roux, Le cheval barbe, Paris, 1987, p. 26-27. Par ailleurs, les descriptions littraires du cheval africain sont gnralement correctes, en particulier celle, bien connue, de Nmsien de Carthage (Cynegetica, 259-282), o se relve dj cette remarque que chacun a pu faire : C'est avec l'ge seulement que le cheval maure acquiert le talent de soutenir ainsi sa course; mais jusque dans sa vieillesse il conserve une vigueur juvnile. Tous les mrites qu'il a eus dans sa maturit, il les garde jusqu'au bout et son ardeur ne s'puise qu'avec son corps.
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Dignes donc de confiance, tous ces monuments, en particulier les mosaques, nous prsentent une majorit d'equi Numidici telle est la dsignation latine du Barbe, que Tite Live, XXX, 6, 9, est en fait le seul nous donner. Les caractres somatiques qu'on peut y relever sont : qu'ils sont brvilignes ou mdiolignes, et hypomtriques, ce qui se dduit du rapport entre le cavalier et sa monture (les jambes du cavalier dpassent toujours la poitrine du cheval); un chanfrein droit ou lgrement convexe, et parfois un front bomb (le crne dit de poulain); une encolure courte et forte ; une croupe le plus souvent fuyante, mais parfois arrondie, avec une queue attache bas. On reconnat l les caractres les plus vidents des chevaux barbes qui peuplent encore le nord de l'Afrique. Mais un nombre apprciable de reprsentations signalent des individus au profil lgrement ou franchement concave et la croupe horizontale, caractres propres aux chevaux orientaux, longtemps appels Arabes. Ces mmes caractres apparaissent aussi sur certaines monnaies carthaginoises que l'on a accuses d'atticisme, mais sans doute tort car d'autres reprsentent nette-

Dtail d'une mosaque de Cherchel : bon type de Barbe brviligne.

Mosaque d'Oudna (Muse du Bardo), poulain de type oriental.

Mosaque des signes du zodiaque, Kairouan, cheval oriental (Muse du Bardo).

ment des Barbes. En ralit, si l'on suit ici Ph. Barbie de Praudeau, la pntration du cheval oriental en Afrique au dbut du I I millnaire ne se limite pas la valle du Nil : ce cheptel, ml des individus probablement issus du Dongola nubien, engendre en Cyrnaque la race dite barcenne, apprcie des Grecs (Sophocle, Electre, 727, cf. 701-702). Poursuivant leur route vers l'ouest au gr d'vnements divers, certains sujets ont pu faire souche au-del de la Grande Syrte et s'y mler des Numidici. Les reprsentations figures, qui paraissent bien observes, trouvent de cette manire leur explication. Vou la selle, le Numidicus est traditionnellement mont cru et sans bride. Une description de cette quitation sommaire est fournie par Strabon (XIV, 7) : (Les Libyens) se servent de chevaux petits, mais rapides et dociles au point qu'on les dirige avec une petite baguette. Leurs colliers sont de fibre ou de crin (le rle de ces colliers a t tabli par J. Spruytte). Les reliefs de la colonne Trajane illustrent ce passage propos d'une cavalerie auxiliaire leve en Afrique l'poque impriale : les cavaliers montent cru (et la jambe trs en arrire) des chevaux de petite taille, au chanfrein souvent camus et la croupe arrondie, qui n'ont pour harnachement qu'un collier de chasse. Tite-Live nous permet de nous faire une ide du combat de cette cavalerie lgre, propos d'oprations menes en Ligurie en 193 avant notre re : les Numides qui servent dans l'arme romaine endorment d'abord la mfiance de l'adversaire en lui donnant le spectacle d'une troupe mdiocre et mal entrane, mais ils se rapprochent insensiblement de leur objectif et tout coup lancent une charge qui brise les rangs des Ligures et incendient leurs positions avant de se replier (XXXV, 11, 7-13) : mobilit, rapidit, ruse, terreur, ainsi peut-on se reprsenter la faon dont, par exemple, les pelotons de Lusius Quietus rtablirent le calme dans les juiveries d'Orient souleves contre Trajan. Le clbre discours prononc par Hadrien Lambse en 128 (C.I.L., VIII, 18042) fait cependant l'loge des capacits de manuvre d'une cohorte equitata certainement remonte en Barbes. Ces chevaux taient en dotation dans toutes les units qui tenaient les postes du limes et recevaient des missions de contrle dans de vastes secteurs de plaines (d'o l'augmentation des effectifs monts partir du III sicle). A Gemellae, un cavalier a laiss, griffonn dans le pltre d'un mur, le souvenir de son cheval bai (C.I.L., VIII, 17978, 35).
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Cette utilisation traditionnelle du Barbe dans les troupes romaines n'en exclut pas une autre : bien avant Rome, les armes africaines celle d'Hannibal (Polybe, III, 65) ou celle de Juba I (Bell, afr., 19, 3 ; 48, 1) comportent des units d'equi frenati. L'arme de Juba utilise l'une et l'autre cavalerie. Il est probable que cette quitation militaire plus labore est d'origine grecque et que les hipparques carthaginois taient des lecteurs attentifs de Xnophon. Sans doute rservait-on ces units des animaux de plus grande taille, mais il ne peut s'agir que de Barbes plus toffs, de ceux qu'on lve traditionnellement dans le sud de la Numidie, vers Barika en particulier. Le cheval Adorandus, qui tait jadis visible sur la mosaque du haras de Sorothus, pourrait tre un reprsentant de ce type. Outre son usage pour la selle (et parfois avec de bons rsultats, comme le montre le ramener correct d'un cheval de la mosaque de la chasse la gazelle des Oglet Atba, photographie du Lt. Bernard, B.C.T.H., 1906, pl. IX, fig. 4), le Barbe tait la gloire des hippodromes (voir la mosaque de Gafsa, d'poque byzantine, au Bardo, et l'importante collection des tablettes d'excration retrouves Carthage et Sousse). Il tait utilis, comme de nos jours encore, pour le bt (peut-tre un exemple sur la mosaque d'Oudna) et pour le charroi (et peut-tre aussi pour d'autres activits de traction agricole). Deux documents nous montrent des Barbes attels. La stle Boglio, trouve dans la rgion de Siliana, que l'on date du III sicle (M. Le Glay, Saturne africain, Monuments, I, p. 227-228, pl. IX, fig. 4) figure dans son registre infrieur trois voitures de moisson ramenes vive allure par des attelages de deux chevaux sous le joug de garrot. Plus tardive, la mosaque de Segermes (Sainte
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Monnaie de Carthage (photo cabinet des mdailles), cheval de type oriental.

Mosaque de Segermes (Muse du Bardo) : deux barbes attels une charrette.

Marie du Zit, fig. 6) reprsente le transport d'un ft de colonne sur une araba par deux chevaux, mais le dtail de l'attelage a disparu. Les deux animaux sont munis de bridons et d'une longe. Des vestiges d'curies militaires trs succinctes et gnralement trs ruines ont t signals et l dans la zone du limes par les rapports des brigades topographiques. Les deux dcouvertes les plus reprsentatives ont t faites en Numidie, Tiddis d'abord, o une maison installe flanc de rocher comportait une petite curie que rvlent des mangeoires creuses dans la paroi (photographie dans P. Vigneron, Le cheval dans l'antiquit, t. II, p. 1-6); et surtout les vastes equilia de Pompeianus, exhums par A. Berthier Kherba : tout le corps occidental d'un grand btiment carr cour centrale tait occup par une curie de 70 m sur 4, divise dans son longueur par un alignement d'auges de 0,66 m de large, profondes d'une trentaine de cm, et perfores d'un trou d'attache sur un seul ct : celui o les animaux, au nombre d'une cinquantaine, taient installs. L'autre moiti du btiment servait de couloir d'alimentation. On doit signaler que ces mangeoires ne ressemblent en rien celles que reprsente le dessin de la mosaque d l'abb Rousset : sa restitution abusive avait t dnonce ds l'poque par Chabassire. A l'attache, le cheval est quip d'un licol (vraisemblablement tress) bien visible par exemple sur u n pavement du fundus Bassianus ( Sidi Abdallah ou Ferryville) qui reprsente deux talons, Diomedes et Alcides (C.I.L., VIII, 25425-25427; la mosaque est au Bardo). Ce document et d'autres (on a vu plus haut Adorandus) nous renseignent sur les noms donns aux chevaux; on peut les classer en deux groupes, mais les nombres, faibles, ne permettent pas d'en apprcier les proportions relles : celui des noms mythologiques et celui des adjectifs (Ferox, Crinitus, Dominator, etc.). Les chevaux levs dans les haras alimentaient u n commerce d'exportation, surtout sans doute vers l'Italie. Plusieurs inscriptions de Rome (C.I.L., VI, 10047, 10048, 10053, 10058) clbrent les victoires de coursiers africains. Au milieu du IV sicle, l'Expositio totius mundi et gentium, LX-LXI, signale les chevaux comme une des productions majeures et un article d'exportation pour la Numidie et l'Africa. Aucun texte, malheureusement, n'est encore venu nous dire le prix qu'on devait payer u n bon cheval barbe ( titre indicatif, u n papyrus dat de 77 de notre re conserv Florence donne celui d'un cheval noir cappadocien vendu par un centurion : 2 700 drachmes, soit 675 deniers; l'dit du maximum de 301 ne taxe pas les chevaux; dans diverses constitutions du IV sicle on trouve des sommes variables (entre 15 et 23 solidi), mais il s'agit en fait de l'estimation de Yadaeratio (la contrevaleur en espces) des fournitures dues l'arme).
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J . - M . LASSRE

B37. B A R B E R O U S S E (voir Ardj)

B38. BARCAEI/BARKITAE Les Barkitae sont mentionns par Ptolme (IV, 4, 6, d. C. Mller, p. 669) sous la Pentapole et l'est du Jardin des Hesprides. Ce ne sont pas les habitants de Bark, dont Hrodote (IV, 160) a racont la fondation, mais les Libyens qui habi taient cette rgion et qui contriburent la dfaite d'Arcsilas II de Cyrne, vers 568 avant J.-C. (F. Chamoux, Cyrne sous la monarchie des Battiades, Paris, 1953, p. 137). De mme, c'est trs probablement une tribu libyenne que pense Virgile (En., IV, 42-43), quand il voque, aprs les Gtules et les Numides, les Barcaei se livrant au loin leurs fureurs. Il en est de mme au IV ou au v sicle aprs J . - C , de Vibius Sequester (Gentes, 7, dans A. Riese, Gogr. Lat. Min., p. 157), qui qualifie les Barcaei de Mauri. Enfin Corippus (Joh., II, 123; IV, 506), au VI sicle, compte les Barcaei parmi les Libyens que le gnral byzantin Jean Troglita dut affronter dans le Sud-Tunisien, et insiste, lui aussi, sur leur fureur, qui tait peuttre devenue un lieu commun de la posie pique.
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J. DESANGES

B39. BARGHAWATA Confdration berbre appartenant au groupe Ma mda, tablie dans la province marocaine de T m a s n le long des plaines de la cte atlantique, entre l'oued Bou Regreg et l'oued Tensift. Par son importance numrique, elle a jou un rle politique dans l'histoire mdi vale du Maroc, en donnant de la tablature aux dynasties idriside, almoravide et almohade. D'aprs Ibn Zaydn, la tribu se rattacherait Sli b. arf al-lhd(le juif), n Barg ata, localit de la rgion de Jerez, en Andalousie. Le toponyme aurait t arabis en Barg awt. La confdration a pratiqu une religion asctique, drive de l'Islam, sur laquelle al-Bakret Ibn aw al nous donnent quelques maigres renseignements. Ce serait Ynus, fils d'al-Yasa', qui aurait rpandu la nouvelle doctrine, mle de sunnisme, de shi'isme et mme de k ari jisme, au cours d'un long rgne de 43 ans (842-885 J.-C). Les Almohades crasrent finalement les Bag aw a et leur groupement dispa rut de l'histoire. Cependant, sous les Mrinides, on retrouve quelques-uns d'entre eux, participant une campagne de guerre sainte en Andalousie (1285 J.-C). J. Carcopino a propos, la suite de Slane et de Vivien de Saint Martin d'identi fier les Barg wa a aux Baquates. Cette hypothse a t combattue pour des rai sons phontiques. Elle est aujourd'hui abandonne.

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G.

DEVERDUN

B40. BARI (mirat berbre d u I X sicle) L'existence d'un mirat berbre Bari au IX sicle est un vnement historique qui est pass presque inaperu des auteurs musulmans. Un seul d'entre eux, peu prs contemporain des faits, l'oriental a l - B a l u r en relate les grandes lignes et nous livre quelques prcisions sur ce court pisode de l'histoire musulmane d'Occident. Par lui, on sait qu'un certain Halfn, berbre qui se disait de la tribu des Rab'a, aurait russi s'emparer de Bari et s'y installer au dbut du califat de al-Mutawakkil (23 'l- i a 232 = 10 aot 847). Si ce n'tait ni le premier ni le dernier Musulman courir l'aventure en Italie mridionale, soit au compte d'une dynastie affirme, soit son propre compte, c'tait et ce fut probablement le seul Berbre y fonder un petit tat indpendant. Nous n'insisterons pas, ici, sur l'entreprise officielle qui aboutit la conqute de la Sicile, fomente par les Aghlabides de Kairouan et qui partit de Sousse sous la conduite du q de Kairouan, le pieux Asad el-Furt ; cette expdition dbarqua Mazara le 19 Rabi' 1212 = 15 juin 827, inaugurant une longue priode de combats pour la conqute totale de l'le qui allait demeurer trois sicles sous l'autorit de l'Islam. L'aventure de Halfn, sans aucune mesure, semble bien avoir t le fait d'un audacieux chef de bande travaillant son propre compte, et cette affaire serait assez peu connue si de nombreuses sources chrtiennes n'en avaient longuement fait tat. C'est surtout partir de ces Chroniques monacales et de quelques autres, hbraques entre autres, que l'historien sicilien Amari d'abord, puis son confrre Gius Musca ensuite, ont pu crire l'histoire de ce curieux mirat. De toute vidence, la prsence des Arabes en Sicile, bastion avanc en direction de l'Europe continentale, encourageait de nombreux coups de mains fructueux sur l'Italie mridionale, et l'histoire a relat la plupart de ces expditions qui, rgulirement, ravageaient la Calabre, voire les Pouilles ; mais, l'entreprise de Halfn n'avait rien voir avec ces razzias car elle Tut suivie de la fondation d'un tat qui devait tre officiellement reconnu par les 'Abbsides. La Chronique du Mont Cassin, riche en dtails, nous apprend que Halfn (qu'elle nomme Kalfon) aurait rgn cinq ans et cinq mois Bari et qu'il eut subir quelques offensives chrtiennes organises sous l'gide du Pape Lon IV. L'une d'elles, victorieuse Ostie, choua sur Bari, les Lombards n'ayant pas russi investir la ville. Une autre source chrtienne nous dit que les sarrazins avaient fortifi Bari, y accumulant des vivres en vue de soutenir un sige.
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Un peu mieux connu est le second prince qui succda Halfn, un nomm Mufarrig Ibn Sallm (239-242 = 853-856) qui se donna le titre d'mir et qui entreprit des dmarches en vue d'obtenir l'investiture du Calife al-Mutawakkil. A cet effet, il aurait crit, selon al-Balduri, au Directeur des Postes du Caire, le priant d'intercder en sa faveur auprs du Calife de telle sorte que la prire puisse tre dite, Bari, au nom des 'Abbsides. Il sollicitait, en mme temps, le titre de wali qui confortait sa situation. Entre temps, il avait consolid ses tats et il se serait empar de vingt-quatre chteaux. Dans sa capitale, il aurait fait difier une Grande Mosque (masjidal-jmi'). La dmarche semble avoir t vaine; il est vrai que, au mme moment, ses soldats se rvoltaient contre lui et le mettait mort. En fait, son rgne n'aurait pas dur beaucoup plus de trois annes (852 856 J.-C), ce que confirme la Chronica Langobardorum (p. 481). Le troisime, et dernier, souverain berbre de Bari est connu sous le nom de Sdn. Il aurait rgn de 856 871. Reprenant son compte la politique d'expansion au dpens de Bnvent et de Salerne (Talbi), il adressa, directement, au Calife une nouvelle demande rclamant l'investiture des 'Abbsides enfin de donner ses tats les bases juridiques qui lui faisaient dfaut. Malheureusement pour Sdn, alMutawakkil mourut en 246 = 861, avant d'avoir pu donner suite cette requte. Le successeur immdiat du Calife ne devait rgner que six mois et on nous dit qu'ensuite sous le rgne d'al-Musta'in (248-252 = 862-866), la dcision fut retarde par l'assassinat d'Utmis, charg du dpartement d'Occident. Enfin, Wasf, le nouveau titulaire de ce dpartement, fit expdier le diplme officiel. Ces retards successifs ne suffisent pas expliquer entirement la lenteur d'une dcision de Bagdad qui traduit des hsitations dans lesquelles M. Talbi entrevoit une possible intervention des Aghlabides, reprsentants attitrs des 'Abbsides en Occident musulman. Le rgne de Sdn, jug par les sources chrtiennes, est assez contrast. La Chronica Langobardorum ainsi que la Chronique du Mont Cassin, entre autres, ne voient en lui qu'un monstre affreux, un impiissimus e crudelissimus ladrone un suppt de Satan, dont on croit qu'il porte le nom, un pestifr qui dvasta Capoue, Lonza et la Liburie, allant jusqu' menacer Naples, voire un instrument de la colre divine qui ne laissait pas passer un jour sans tuer cinq cents hommes, ou plus, et sedendo sui mucchi di cadaveri mangiava come un cane puzzolente (Chronica SanctiBendecti Casinensis (568-867, p. 476). De telles imprcations furibondes pourraient tmoigner, a contrario, de la puissance acquise par l'mirat de Bari et de la terreur qu'il inspire aux tats chrtiens de la Pninsule. Mais d'autres chos nous prsentent un tout autre personnage, une figure fascinante, un lettr cultiv, un homme sage qui pouvait se muer en aventurier d'exception, cruel l'occasion. Un condottiero qui incendia Ascoli, envahissant la valle de Volturno et s'emparant du monastre de Saint Vincent dont il mit sac le trsor, cependant, on reoit en grande pompe Salerne, les ambassadeurs de Sdn. Aucun vestige de la ville n'a subsist aprs la destruction systmatique ordonne par le roi normand Guillaume I , mais le moine Franco Bernardo, qui l'a visite entre 864 et 866, dit qu'elle est situe sur la cte , dfendue au midi par de larges murailles cependant qu'au nord, elle domine la mer. La puissance de l'mir tait devenue assez forte pour qu'en 859, Bnvent consente lui payer tribut et lui remettre des otages. Enfin, en 871, l'Empereur Louis II russit investir Bari et faire prisonnier Sdn, lequel ne put compter sur aucun secours de ses voisins tant de Sicile que d'Ifrqiya. Ainsi prit fin l'histoire de ce petit tat berbre en terre chrtienne. Nous ne possdons pas de renseignements trs srs concernant l'organisation politique de l'mirat berbre de Bari. Le fait qu'on n'y dcle pas une vritable dynastie nous incite penser que le chef tait dsign par la communaut en cas de vacance du pouvoir et qu'il tait choisi parmi les plus mritants, vieille coutume berbre
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bien connue Thert. Quant savoir comment fonctionnait l'administration, le mystre reste entier. Nous ne sommes pas davantage avancs en ce qui concerne la forme de l'Islam pratiqu Bari. Le fait que le second mir ait cherch (assez timidement et indirectement) l'aval du Calife nous prouve qu'alors ils taient sunnites, mais l'taient-ils lors de leur arrive Bari? Sur les lments de population rencontrs en ville, nous possdons fort heureusement un srieux document dans la Chronique d'Ahimaaz, un juif originaire d'Ostie qui raconte l'histoire de son anctre Shephatiah, rest fidle aux Grecs et qui eut maille partir avec Sdn. Nous savons, par lui, quelle mosaque ethnique composait la population. On y rencontrait, nous dit-il, des Latins, des Grecs, des Lombards, des Francs, des Berbres, et, naturellement, des Juifs. La langue officielle tait-elle le berbre?... Ces divers lments cohabitaient apparemment dans un certain esprit de tolrance, mais ils ne cherchaient pas se fondre en une communaut. Latins, Lombards et Francs se sentaient cependant unis par leur foi commune fidle Rome ; les Grecs se sentaient naturellement attirs par Byzance tandis que les Juifs restaient attachs la religion de leurs aeux. Les Musulmans sont appels Sarrazins. Sur l'conomie, nous ne pouvons qu'chafauder des hypothses. On suppose que les richesses agricoles se composaient de vignes, d'arbres fruitiers, de crales que compltait l'levage. On ne sait pas quel rle tenaient les Juifs, mais tout laisse penser que comme partout, ils taient les banquiers des pauvres (prts gage) et qu'ils se spcialisaient dans le commerce, petits boutiquiers ou riches marchands. L'aisance qu'on leur connaissait en tous lieux de passer travers les frontires facilitait leur talent de colporteurs tant de denres que de nouvelles. A l'occasion, ils pouvaient tre des ambassadeurs et des interprtes. Un document fort intressant, dj voqu, nous indique qu'au temps o rgnait Sdn, le moine Bernardo, accompagn de deux autres religieux, venant de Rome et se dirigeant vers les Lieux Saints, sollicitrent l'autorisation de voyager sur u n navire sarrazin. Une lettre accrditant leur mission leur fut remise l'adresse de l'mir d'Alexandrie et du Caire. Les missionnaires durent s'acquitter d'un droit de passage. Lors de leur prgrination, ces moines embarqurent Tarente o ils purent voir six navires chargs d'esclaves chrtiens, deux en direction de l'Afrique avec trois mille esclaves (?), deux autres en route pour Tripoli de Syrie contenant galement trois mille de ces malheureux. Bernardo et ses compagnons prirent place sur un navire en partance pour Alexandrie. Ce document atteste l'activit du port et il nous rvle ce qui devait tre, sans doute, la plus lucrative de ces oprations, la traite d'esclaves blancs. A cette poque, un march important s'effectuait entre la Sicile et l'Espagne, d'esclaves (sakalib) d'origine slave ou germanique... voire latine, le terme sakaliba tant devenu synonyme d'esclave quelle qu'en soient les origines. Bien que les textes ne le prcisent pas, il semble vident que ces navires ne revenaient pas vide et l'on peut imaginer, qu'en retour, ils ramenaient des esclaves noirs et, fort probablement de l'or et des pices. Tarente, plus encore que Bari, apparat ainsi comme un port de transit important ce qui implique ncessairement des relations suivies avec les tats chrtiens et musulmans. Bien des zones d'ombre subsistent sur ce microcosme politique des Pouilles et tout d'abord la question irritante concernant l'origine de ces Berbres que l'on dit (sans trop l'affirmer) tre venus d'Afrique. La courte dure de cet tat ( peine vingtcinq ans) nous incite penser que les trois souverains qui se sont succd devaient faire partie des premiers assaillants et que, sans doute, ils taient lis par une commune appartenance tribale. M. Talbi met l'hypothse qu'ils venaient de Sicile, ce qui expliquerait la tolrance dont ils purent jouir de la part des Aghlabides, mais, comment, alors, auraient-ils cherch la reconnaissance du Calife sans passer par les reprsentants des 'Abbsides au Maghrib? De toute vidence, les liens taient

rompus avec la Sicile et avec l'Ifrqiya et l'on doit chercher ailleurs les causes de l'indiffrence des mirs de Kairouan. Serait-on mieux renseign en cherchant du ct des ArabesR a b a dont ces Ber bres se disent les clients ? Cette affirmation d'allgeance parat impliquer des conditions de voisinage. Au IX sicle, selon Georges Marais, qui exploite diverses sources arabes, on trouvait des Rab'a en Petite Kabylie, notamment Mila, au nord de Constantine, c'est--dire dans le pays des Berbres Kutma qui s'taient plusieurs fois opposs aux Aghlabides de Kairouan. Le temps n'est plus loin d'ailleurs, o ces montagnards accueilleront le d'i 'Abd Allh et o ils pouseront la cause des F imides dont ils se rvleront les plus srs allis. On voit assez mal cependant, comment ces sdentaires auraient couru l'aventure au-del des mers aussi bien sous l'autorit des Aghlabides qu' leur propre compte. Les a n h a, fdration laquelle ils appartenaient, ne s'taient jamais rvls comme des marins. Mais, Georges Marais mentionne aussi des Rab'a, descendants des premiers conqurants, qui nomadisaient l'entour des villes et des oasis. Ils auraient t assez nombreux dans le pays de Barqa et en Tripolitaine, c'est--dire en pays berbre znte. Un dtail ne manque pas d'tre intrigant; sur les trois mirs connus Bari, un seul possde une kuniya, c'est Mufrri Ibn Sallm. Serait-il absurde de rappro cher ce nom de famille de celui de Sallm b.'Amr al-Luwat, 'aml de Surt au compte des 'Ib ites de Thert? Le fait que M u f a r i ait choisi pour intercesseur un haut fonctionnaire gyptien (qu'apparemment il devait connatre) pourrait se concilier avec la position occupe par ce Sallm Ibn 'Amr Surt, ville davantage tourne vers l ' g y p t e que vers le Maghrib et qui, sous le rgne des F imides allait connatre une assez grande importance. On sait, par ailleurs, les problmes que la Tripolitaine devait poser l'mirat aghlabide (on cite des mouvements sditieux en 189/805, 196/811 et 245/859. Des marins berbres partant de la cte libyenne en qute d'aventure seraient beaucoup plus plausibles que les Kutma de Petite Kabylie. Certes, cette piste rencontre quelques obstacles dont le plus difficile rsoudre est d'ordre religieux. Les Luwta taient ri ites ce qui explique leur allgeance aux Rustamides de Tahert. Comment auraient-ils pu solliciter alors, aprs leur ins tallation Bari, la reconnaissance des 'Abbsides ? Argument de taille, certes, mais auquel on pourrait rpondre en invoquant des situations semblables. Les Berbres nous ont souvent habitu d'tranges revirements d'ordre religieux. Dans sa demande adresse assez trangement au Directeur des Postes d'gypte, Mufarri prcise qu'il veut lgitimer sa conqute et sortir de sa position d'usurpateur illgitime (mutaallibun) et il revendique le titre de wal? Sdn agira de mme, mais, cette fois, il n'hsitera pas s'adresser directement au Calife et il finira par obtenir satisfaction. On a par ailleurs, beaucoup pilogue sur le nom du troisime mir, ce Sdn crit avec deux longues par a l - B a l ur. En arabe, ce mot, ainsi crit, ne peut tre qu'un pluriel (ou un collectif) dsignant des ngres, ce peut tre galement le nom du pays : le Soudan, deux sens qui ne sauraient s'appliquer un homme du point de vue grammatical. On en est rduit penser qu'il s'agit d'un patronyme berbre qui n'aurait rien voir avec la racine arabe S A D. Le fait que le premier mir, Halfn ait pu s'installer Bari sans trop de difficults de la part des Aghlabides fait penser, M . Talbi, qu'il avait l'appui de la Sicile et qu'il avait... tout intrt limiter son champ d'action au sud de la pninsule o les forces de l'mir de Kairouan disposaient, depuis l'occupation de Tarente, en 840 et leur victoire sur la flotte byzantino-vnitienne, d'une base solide tandis que Bnvent se trouvait sous la coupe d'un certain Massar (que Nallino pense pouvoir lire A b Ma'ar, nom bien connu au Moyen Age et que les sources chre

tiennes auraient dform en Massar (Talbi, p. 456). Mais, le mme Talbi nous dit, quelques lignes prcdentes, que la veille de la Pentecte 847, Massar et tous ses auxiliaires furent capturs au cours d'une nuit et conduits au camp du roi Louis II o ils furent tous mis mort coups de lances (Amari, Storia, I, p. 509 et note 2, qui voque le Liber Pontificalis). La Pentecte tant une fte mobile oscillant entre le 12 mai et le 15 juin, il s'ensuit que Massar ne pouvait plus gner les ambitions de Halfn qui, au mieux, n'arriva Bari qu'en aot, date d'accession du Calife al-Mutawakkil. En rsum, l'mirat berbre de Bari ne fut qu'un pisode assez court de l'histoire du monde musulman ou du monde byzantin, un quart de sicle, dont on ne doit pas exagrer l'importance. Il eut beaucoup plus de retentissement dans les milieux chrtiens que dans le monde arabe qui l'a presque ignor, l'intrt majeur qu'il prsente nos yeux est qu'il constitue le seul pisode o les Berbres ont pu s'imposer en dehors de l'Afrique et fonder un tat l'poque o les Arabes triomphaient en Occident musulman, occupant l'Afrique du Nord et l'Espagne. Les nombreuses sources monastiques abondamment exploites par G . Musca ne manquent pas d'intrt ne serait-ce que par les dtails qu'elles nous donnent sur les pripties dont les monastres eurent ptir, mais, sur l'existence mme de cette verrue en terre chrtienne, elles sont peu prs muettes ; la virulence et l'indignation qu'on y trouve ne nous aident gure nous reprsenter ces mirs. Il faut complter ces chroniques et les corriger par le livre du juif Ahimaaz qui ne donne que des flashes peu explicites sur un monde qu'il n'a connu que par la tradition orale, en dfinitive le seul document digne de foi reste la chronique de al-Balur bien trop courte notre gr.

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L. GOLVIN

B41. BAS-SAHARA (Prhistoire)


Le Bas-Sahara occupe la marge septentrionale des zones sahariennes o il s'tend entre 1 0-12 E et 27-35 N . Il fut nomm ainsi par G . Rolland (ingnieur des Mines qui, en 1880, participa la mission Choisy, l'une des missions d'tude en vue de l'implantation d'un chemin de fer transsaharien), en raison de son altitude faible, s'abaissant au-dessous du niveau de la mer dans le Chott Melrir. Il constitue

un vaste bassin artsien renfermant une nappe principale importante et divers appareils secondaires. Les documents prhistoriques qui en proviennent sont marqus par le petit nombre des vestiges du Palolithique infrieur, une apparente abondance des restes nolithiques o la pierre polie et la poterie sont rares. Le Palolithique trs ancien n'est attest qu' l'An Brimba; C. Arambourg y trouva en 1955 un galet amnag dans les dblais de fouilles d'un gisement palontologique qu'un Machairodus rapporte 2,5 millions d'annes. Il doit provenir des niveaux sous-jacents datant probablement du Villafranchien suprieur. Le Palolithique infrieur est connu par deux gisements bifaces (Biskra et Erg Touareg), deux gisements (Gara el Kelb, Ksar el Rhoul) industrie sur clats domine par les racloirs et denticuls. Des bifaces pars, plus frquents dans la partie mridionale, constituent un ensemble homogne extrmit ogivale, base arrondie, bords lgrement convexes. Le gisement de Biskra, dcouvert par le R.P. Poyto, a livr 36 bifaces en grs fortement altrs. Quelques exemplaires ont la base rserve ; beaucoup sont faonns sur clat. Ils taient associs des nuclus, clats levailois, racloirs, denticuls. Le gisement de l'Erg Touareg, prs de Ouargla, a t dcouvert par B. Savelli. Il a livr une centaine d'objets dont 83% de bifaces en calcdoine, aux artes sinueuses rapportables l'Acheulen moyen. Du Palolithique moyen et suprieur proviennent nombre de pices parses sur les regs. Trois points, Sejra Touila, El Haouita (Algrie), Oued el Akarit (Tunisie) l'ont montr en stratigraphie. Oued el Akarit est rapport au Moustrien; les autres, qui n'ont livr chacun qu'une pice mais pdoncule, l'Atrien. A El Haouita, elle vient de la base d'un remblaiement sableux qui a servi de type un mode de sdimentation (Estorges & al., 1969). A Sejra Touila, en 1924, J. Bourcart retirait une pice pdoncule d'un limon sous-jacent une paisse crote gypso-calcaire sur laquelle reposent les dunes actuelles et une industrie nolithique. Quelques gisements de surface ont t retrouvs dans les environs d'Hassi Messaoud, de Touggourt. Ils sont de fort modeste dimension. Des ateliers d'exploitation de matire premire affleurements de silex ou calcdoine laissent penser pour cette poque un faonnage des outils sur les lieux fournissant le matriau. Dans le M'zab il est possible qu'une industrie clats levallois et retouche abrupte rappelant le Kharguien ait exist antrieurement l'Atrien. Elle porte une patine rouge orange, est fortement lustre. Des industries qui connaissent cette mme volution des surfaces, signales aux alentours d'Hassi R'Mel et Fort Thiriet, lui sont peut-tre rattachables. L'Epipalolithique marque une coupure nette avec les temps antrieurs ; ses vestiges se prsentent toujours en gisements plus ou moins vastes o se mlent objets manufacturs, bruts de taille et nuclus. Il parat surtout dvelopp dans le nord de la cuvette. L'Ibromaurusien y est connu El Haouita o, avec un indice de lamelles bord abattu de 40, une position stratigraphique qui en assure l'anciennet, il concourt faire valoir une volution buissonnante de cette culture. Le Capsien typique figure peut-tre aux Ouled Djellal. Le Capsien suprieur a t identifi jusqu' 326'N sous forme de haltes renouveles, mais non d'habitat permanent. L'lassolithisme marque certaines industries du Souf. Une culture spcifique, le Mellalien ou Ouarglien aux caractres ambigus, nombreuses lamelles dos, avec aiguillons droits, quasiment sans microlithes gomtriques, sans pice esquille o la retouche Ouchtata joue un faible rle et o l'art mobilier se dveloppe sur des matriaux non prissables tels que le test d'uf d'autruche, s'panouit dans la rgion de Ouargla. Il est dat entre 8600 150 et 6680 1 7 0 ans B.P. (6650 et 4630 B.C.). Une filiation avec certaines industries de la rgion des chotts tunisiens (Mareth, Menchia, An el Atrouss) n'est pas exclue. L'existence d'Epipalolithique remet en question l'origine du Nolithique. Les filiations que l'on peut souponner annihilent l'ide ancienne d'une vague nolithique venue de l'est.

Industrie pipalolithique (Mllalien) d'Hassi Mouilah. C'est au Nolithique que se rapporte la plus grande part des vestiges prhistoriques. Il intervient au VI millnaire B.C. en divers points. Son substrat pipalolithique est peut-tre tempr au sud par des restes de tradition levallois. Son origine ne saurait tre gyptienne; ce n'est qu' partir du IV millnaire B.C. que se matrialisent des contacts avec les pays du Nil. Une origine mridionale s'esquisse au travers d'une progression sud-nord, mais ne saurait exclure un courant septentrional peine plus tardif. Marqus par la raret de la cramique et de la pierre polie, les ensembles industriels rvlent une grande complexit, un vaste ventail d'outils, une certaine instabilit technologique. Ses structures sociales se traduisent par une sgrgation des types d'outils au sol dont on connat de bons exemples Bordj Mellala et Hassi Retmaa. Aucune preuve directe d'agriculture ou d'levage n'a pu tre faite : l'os n'est quasiment pas conserv, les tmoins botaniques peine mieux; mais du matriel de broyage a t retrouv dans la plupart des sites. Divers objets haches gorge, rondins de pierre, coquillages dont Spatha caillandii ou matriaux amazonite, obsidienne, pridote trangers aux lieux de leur dcouverte, impliquent des changes avec les rgions voisines ou lointaines telle la Mer Rouge. Toutefois, on ne saurait retenir la prsence de jade parfois avance comme argument d'un contact avec l'Asie. Ce matriau est en ralit une pridote provenant des Tassili. L'art rupestre est peu reprsent, peut-tre en raison du manque de support. Sans originalit par rapport aux rgions voisines, il montre peu de stations (Gour Laoud) o s'exprime le grand art naturaliste. Les styles et patines en rapportent la plupart des priodes rcentes. Nanmoins, Mereksem, une station qui doit son originalit un trs grand nombre de spirales, pourrait tre fort ancienne. On ne connat pas les hommes, aucun reste n'ayant t retrouv dans les gisements. Seules de rares reprsentations graves les voquent.
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Industrie nolithique saharienne. De nombreux gisements que leur pauvret en documents rend difficiles analyser, mais o un dbitage d'clats a permis de faonner racloirs et pices coches, o la poterie est relativement frquente, peu ou pas dcore, proviennent de populations nomades s'chelonnant au moins du VI au III millnaire B.C. Paralllement, des gisements importants dont beaucoup renferment des vestiges de populations sdentaires, ont permis de discerner trois phases : un Nolithique infrieur pauvre en ttes de flches et, dans le nord, en racloirs. C'est ces gisements que l'on doit l'affirmation du petit nombre de ttes de flches
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Poteries nolithiques d'Hassi Mouilah (reconstitution graphique). dans le Nolithique bas-saharien, mise par certains auteurs. un Nolithique moyen appauvri en lamelles dos, riche en ttes de flches. Il s'panouit au IV millnaire B.C. un Nolithique rcent o se multiplient les lments de parure et o la flche tranchant transversal pourrait prendre le pas sur les autres formes. Cette volution chronologique ne saurait masquer la varit des facis. Loin d'tre monolithique, le Nolithique bas-saharien offre une multitude d'aspects qui pourraient correspondre des phyllums. L'Hadjarien se dveloppe dans le Bas-Sahara occidental aux VI -V millnaire B.C. Il se caractrise par l'absence de poterie, la prsence simultane de trapzes ct(s) convexe(s), scalnes-peroirs angle arrondi, armature cusson. L'industrie lithique est domine par les lamelles dos avec suprmatie des formes rectilignes et par les microlithes gomtriques avec primaut des trapzes ct(s) convexe(s). Les pices coches sont nombreuses, souvent sous forme de scies. L'uf d'autruche abonde, est souvent dcor. Il existe un matriel de broyage. Le facis pourrait trouver ses racines dans le Mellalien dont il possde les motifs dcoratifs et le mme style de scies. Il volue par rduction des lamelles dos au profit des racloirs et microlithes gomtriques. Le facis El Bayed qui occupe le sud de la cuvette s'identifie par des ttes de flche base concave et ailerons arrondis, des pointes de Labied (mches de foret retouches planes couvrantes), pointes de Temassinine (lamelles dos dont les faces portent des retouches planes), pointes d'Izimane (gomtrique ct
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convexe obtenu par une retouche grattoir), des racloirs et scies de type limace. Le matriel de broyage, l'uf d'autruche y sont frquents. Ce facis est dat de 7300 + 200 et 7250 110 ans B.P. (5350 et 5300 B.C.) El Bayed qui figure parmi les gisements bas-sahariens les plus anciens actuellement connus et 3600 100 ans B.P. (1650 B.C.) Izimane, date peut-tre douteuse mais qui se rapporte un ensemble industriel beaucoup plus volu que celui d'El Bayed. Le facis An Guettara dont l'outillage s'quilibre entre lamelles dos, pices coches, microlithes gomtriques, montre une grande abondance de microburins, peu de racloirs; comme les autres facis, il possde du matriel de broyage, utilise l'uf d'autruche. Il est dat de 5950 100 et 5930 140 ans B.P. (4000 et 3980 B.C.) An Guettara. Le facis Hassi Mouillah en montre l'volution au Nolithique moyen. Riche en ttes de flche, en majorit pdoncules, les lamelles dos y restent prdominantes; les pices coches et microlithes gomtriques n'y jouent plus qu'un rle restreint. Il utilise du matriel de broyage, des ufs d'autruche. Une poterie sombre dcor pseudo-cord vases ovodes ouverture vase dj connue dans le Nolithique infrieur, y est courante. Il est dat de 5930 130 ans B.P. (3980 B.C.) XO La Touffe, 5550 225 ans B.P. (3600 B.C.) aux Deux ufs, 5280 1 5 0 ans B.P. (3330 B.C.) Hassi Mouillah, gisement avec stratigraphie o se peroit le passage insensible au facis An Guettara. Un Nolithique capsien a t rencontr dans les rgions septentrionales, en bordure du Golfe de Gabs. Les pices coches y prdominent, les racloirs sont frquents, les lamelles dos, microlithes gomtriques peu nombreux. L'uf d'autruche abonde. L'un de ces gisements est dat de 5920 120 ans B.P. (3970 B.C.). Dans ces mmes rgions septentrionales doivent exister des ensembles industriels faisant passage au Capsien. Botma Si Mammar, dont la structure lithique rappelle celle du Djebel Fartas, en est un bon indice. On ne sait pas dater encore les monuments funraires. Dans le nord, ils se regroupent en ncropoles que l'on est tent d'attribuer aux nomades chameliers dont les auteurs de l'Antiquit tardive font tat. Au sud, ils sont toujours isols. Dans le centre du Bas-Sahara, ils deviennent rares, de dimensions modestes mais toujours regroups. Tous appartiennent des formes autochtones, variantes des tumulus. Le concept de mer saharienne quaternaire, qui renat rgulirement, est battu en brche si besoin est par cette occupation humaine prhistorique. Celle-ci se fait dans un cadre marqu par des vicissitudes climatiques mais tendant irrmdiablement vers le dsert actuel. La succession de priodes d'aridit attnue dites pluviales et d'aridit accentue dites arides se traduit dans le paysage par quatre glacis. Dans le nord, le Quaternaire ancien a connu une faune de grands herbivores, riche en individus, se rapportant un climat tropical saison sche. Dans la mme rgion, si cette faune persiste au Quaternaire moyen, elle y voisine alors avec des espces eurasiatiques (Ovis tragelaphus, Bos primigenius) qui indiquent un changement climatique. Au Quaternaire suprieur, la flore ne saurait se diffrencier de l'actuelle que par l'abondance des individus et non par les espces. Au V millnaire B.C., abondent les Chnopodiaces; Cornulaca monacantha qui marque l'isohyte 150 mm, pourrait s'y trouver. Ainsi, aux eaux vives, la vgtation luxuriante dont font tat certains auteurs, s'oppose, l'Holocne moyen, un paysage dj dsertique. Il devient ds lors difficile de voir le Bas-Sahara comme ple d'attraction des populations sauf pour y trouver refuge.
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G. AUMASSIP

B42. BASILIQUE CHRTIENNE AFRICAINE Le but de cet article est de dterminer s'il existe un type de basilique chrtienne propre l'Afrique et qui a pu tre influenc par des traditions locales, voire indignes. L'essentiel de cette typologie est tabli depuis le dbut du XX sicle avec des synthses de St. Gsell pour l'Algrie, en 1901, u n recueil de plans d'glises tunisiennes runis par P. Gauckler, publi en 1913 et comment par P. Monceaux, un article de Dom H. Leclercq dans le Dictionnaire d'archologie chrtienne et de liturgie. De nouvelles mises au point ont t faites en 1938 par le P. Lapeyre dans un rapport sur la Tunisie, en 1953 par J.-B. Ward Perkins et R.-G. Goodchild propos de la Tripolitaine, en 1970 par J. Lassus, puis par P.-A. Fvrier, N . Duval et J. Christern. Le type de la basilique africaine peut tre considr comme illustr par une curieuse image sur une tombe en mosaque dans une glise de Tabarka (fig. 1) qui symbolise l'Ecclesia Mater, l'glise Mre qui accueillera la dfunte dans l'Au-Del.
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Dessin de la mosaque de l'Ecclesia Mater Tabarka et reconstitution de labasilique reprsente (d'aprs Ward Parkins). La restitution d'une architrave la place d'arcades est due une mauvaise interprtation de l'image. Il s'agit de la reprsentation d'une basilique dcompose o l'on a juxtapos cte cte, en largeur, la faade, les nefs et l'abside, et en hauteur spares par une brve pitaphe une vue transversale sur le quadratum populi (c'est--dire les nefs de l'glise dont on a supprim le mur latral et coup la premire colonnade) et la toiture de la nef centrale : ce type d'image synthtique , rompant dlibrment avec la perspective, est destin montrer le plus de faces possible du mme btiment, figurer l'intrieur en mme temps que l'extrieur suivant l'intrt de chaque lment; ce procd est employ frquemment depuis l'Antiquit tardive jusqu'au Moyen Age. A travers cette figuration clbre et les plans rassembls dans les recueils prcits (300 monuments environ au total), on peut affirmer que, sans rompre avec le type traditionnel de la basilique latine illustr par les grandes basiliques de Rome (SaintPierre, Saint-Paul, Saint-Jean-de-Latran, Sainte-Marie Majeure), la basilique africaine prsente certaines particularits (fig. 2 et 3). Son orientation parat trs variable mais un noyau important d'glises possdant leur abside l'ouest existe dans tout l'est de l'Afrique du Nord. Cette occidentation tait aussi une des caractristiques des grandes glises romaines alors que l'orientation domine dans l'est de l'Empire. Dans la plupart des cas l'glise africaine est dpourvue d'atrium (mais les grandes glises de Carthage en comportent un) : on entre directement dans l'glise par

Vue cavalire du chur et de l'abside d'une basilique africaine (d'aprs van der Meer) : remarquer l'autel dans la nef et l'abside surleve avec le synthronos et la cathdre piscopale. l'intermdiaire d'un portique ou d'un vestibule plutt qu'un narthex (terminologie, forme architecturale et usage liturgique propres l'Orient). Le type le plus courant possde trois nefs spares par des colonnades arcades (contrairement ce que pourrait faire croire la mosaque de Tabarka qui semble montrer des architraves, qui sont de simples lignes de sparation) supportant une claire-voie, avec couverture en charpente : aucune particularit ici sinon dans l'utilisation frquente de supports doubles, deux colonnes accoles ou une colonne associe un pilier dans 1' cole de Tbessa C'est dans l'organisation interne que se manifeste une spcificit africaine : l'autel, qui dans d'autres rgions est situ dans l'abside ou la corde de l'abside, est plac ici au milieu du peuple mais protg par une enceinte particulire, trs avance dans la nef l'poque ancienne, se rapprochant progressivement de l'abside au VI sicle. D'autre part, il est associ rgulirement (ce n'est pas le cas par exemple en Syrie) des reliques qui sont places gnralement dans la base ou sous la base du meuble liturgique, dans un loculus. Une organisation complexe des chemiE

Plan de la basilique V de Thlepte (Tunisie). Remarquer le plan du chur avec l'emplacement de l'autel et le chevet tripartite. nements et des barrires dcoule de cet emplacement, surtout quand un second centre de culte (un autre autel ou une contre-abside abritant souvent aussi des reliques ou un corps saint) se situe l'entre de la nef centrale ou contre la faade comme c'est le cas dans une trentaine de monuments alors que cette disposition est trs rare ailleurs (quelques cas en Espagne). Il peut se faire qu'un couloir axial relie les diffrentes enceintes rserves aux mouvements du clerg ou mme que toute la nef centrale soit interdite l'accs des fidles par des chancels. En revanche, on ne trouve pas dans le Maghreb (mais on le connat en Tripolitaine) un autre amnagement qui permet la prise de parole ou les lecture au milieu du peuple : l'ambon, qui est de rgle en Orient. Son absence est lie sans doute l'organisation liturgique qui privilgie l'abside pour ce rle (voir infra). A l'extrmit de la nef centrale, sans l'intermdiaire d'un transept, l'abside couverte d'une demi-coupole est, en effet, gnralement surleve en Afrique, parfois de plus d'un mtre (sans que la prsence d'une crypte explique dans la plupart des cas cette dnivellation); elle est par consquent accessible par un escalier, soit des marches occupant toute la largeur, soit un perron axial, soit deux voles de marches latrales. C'est l que sigent les prtres : une banquette (ou plusieurs gradins superposs) longeant le mur en demi-cercle devait exister peu prs partout. Pendant longtemps on n'en a pas reconnu de vestiges et on a conclu des bancs en bois. Les fouilles rcentes ont rvl de plus en plus de restes de ces installations mais la maonnerie, lgre et fragile, avait pu chapper aux dgagements un peu brutaux des premiers fouilleurs. Au milieu de la banquette, une cathdre surleve accueille l'vque, au moins dans les villes qui sont le sige d'un vch (mais c'est trs souvent le cas puisque chaque cit africaine disposant d'une autonomie municipale a pratiquement un vque comme chef de la communaut). C'est de ce sige, devenu le symbole du pouvoir piscopal (les mots sedis et cathedra servent le dsigner), que l'vque parle son peuple, sa plebs comme nous l'apprennent par exemple les nombreuses allusions des sermons de St. Augustin. La surlvation de l'abside et l'inutilit d'un ambon sont lies sans doute cette pratique. Le chevet des glises africaines a toujours t considr comme une des caractristiques essentielles de l'architecture cultuelle de ce pays et souvent mais tort comme un signe d'influence syrienne : l'abside est prise dans beaucoup de cas dans un massif rectangulaire et encadre par deux pices complmentaires si bien

Plan du dernier tat de la basilique II de Sbeitla (Tunisie). Remarquer la contre-abside avec un autel, la nef centrale presque entirement isole avec l'autel au centre et le baptistre derrire le presbyterium.

que le mur du chevet est rectiligne (mais naturellement la couverture distingue la demi-coupole de l'abside, extradosse ou protge par une toiture, et les appentis qui, un niveau infrieur, servent normalement abriter les pices latrales). La mme disposition se retrouve effectivement souvent en Syrie, mais l'Afrique ne parat pas avoir conu la mme utilisation d'un plan comparable. Les pices latrales, qui communiquent avec l'abside et/ou avec les nefs, que les spcialistes ont pris l'habitude utilisant un vocabulaire oriental d'appeler prothesis et diaconicon et que nous prfrons dsigner d'un terme plus neutre de sacristies, n'ont pas ici d'affectation dtermine. Si certaines ont servi probablement de salles de prparation pour le clerg et les actes liturgiques, ou de rserves pour le matriel, dans d'autres cas on y a install u n baptistre ou inhum des dfunts. Rappelons aussi que les statistiques montrent que ce plan-type africain connat de nombreuses variantes et que la moiti environ des monuments ne s'y conforment pas. L'glise est souvent associe un baptistre ou un complexe de salles servant la crmonie du baptme, mme quand il ne s'agit pas d'une cathdrale puisque, partir du V sicle au moins, le baptme ne parat plus rserv exclusivement l'vque. L'emplacement et la forme du baptistre sont extrmement varis encore qu'une petite srie (en Byzacne et en Tripolitaine surtout) semble prfrer un agencement prolongeant le chevet de l'glise par un bloc de mme largeur o le baptistre proprement dit, situ derrire l'abside, est encadr par deux salles annexes. La forme de la vasque a suivi une volution parallle celle que nous trouvons dans d'autres rgions : formes simples ronde ou carre remplaces progressivement par un plan polygonal puis cruciforme ou polylob (ce dernier est presque exclusivement rserv l'Afrique et la priode byzantine). Le bassin n'est pas trs profond, il est souvent dpourvu de dispositifs d'adduction et d'vacuation : le rite de l'immersion est peut-tre devenu symbolique ou a t complt par l'aspersion. Les traits particuliers de la basilique africaine qui ont ainsi t dfinis s'expliquentils par des traditions locales ? Non pas, si l'on parle d'une tradition architecturale venue de l'poque punique, numide ou romaine. Les structures du btiment sont classiques dans le contexte de l'architecture chrtienne. Elles sont naturellement apparentes celles de la basilique civile, mme pour le type deux absides opposes, et il est arriv plusieurs reprises (notamment Tipasa et Lepcis Magna) que des glises aient t installes dans des basiliques antrieures qui, d'ailleurs, n'avaient rien de spcifiquement africain. Il existait par contre un type de temple africain , gnralement cella de petites dimensions (carre ou rectangulaire), au fond d'une cour, mais le sanctuaire tait le plus souvent trop petit pour les ncessits du culte chrtien et, quand celui-ci s'y est install, on a amnag plusieurs reprises le baptistre dans la cella en construisant l'glise dans la cour ou au voisinage. Mais l'Eglise d'Afrique, d'origine trs ancienne et marque au III sicle par sa volont de prserver ses traditions en face du Sige Apostolique, possde indiscutablement un rituel et une liturgie qui lui sont propres et qui ont gard leur spcificit pendant plusieurs sicles. Bien que nous les connaissions mal puisqu'il nous manque les textes techniques qui existent par exemple pour l'Italie, la Gaule, l'Espagne, ces rites peuvent se reconnatre au moins dans leurs consquences matrielles qui ont influenc l'emplacement de l'autel, l'amnagement de l'abside, l'adjonction ventuelle d'une contre-abside, sans doute l'organisation du chevet de l'glise, peut-tre la forme de la vasque baptismale. L'importance en Afrique du culte des martyrs, bien connue par les textes des Pres, explique la prsence rgulire de reliques sous l'autel et sans doute certains amnagements comme des monuments commmoratifs memoriae ou cnotaphes ou les contre-absides, particulirement frquentes en Afrique. Elle peut rendre compte aussi d'une autre spcificit des glises africaines qui accueillent rgulirement, mme en ville, dans leur sol des spultures que la loi
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romaine proscrivait autrefois dans l'enceinte des cits et que d'autres rgions ont toujours rpugn accepter dans l'difice cultuel (mme en dehors de la ville). Ces inhumations qui se pressent surtout ad sanctos, proximit des reliques, ont fait natre une mode, qui n'est pas uniquement mais plus spcialement africaine, de mosaques funraires pour concilier la ncessit de signaler la spulture et celle de conserver un pavement adapt aux prfrences locales. La forte originalit de l'Afrique chrtienne travers la discipline ecclsiastique, la place faite aux martyrs et aux dfunts, les rites et la liturgie a donc fait natre une typologie particulire, plus dans les amnagements que dans l'architecture proprement dite. Malgr une grande diversit locale, surtout dans les techniques de construction et les dcors influencs souvent par des ateliers rgionaux, il ne semble pas qu'on puisse affirmer, comme certains l'ont fait (W.H.C. Frend) que cette typologie est mieux reprsente dans les zones de tradition berbre , dans les campagnes de l'Afrique profonde (par exemple en Numidie centrale et mridionale) que dans les villes les plus romanises. Le schisme, africain par excellence, du Donatisme n'a pas fait natre une architecture religieuse qui lui soit propre, ou du moins n'est-on pas capable de la reconnatre dans l'tat actuel des recherches. A priori, par consquent, la basilique africaine doit plus une tradition liturgique dont il faut faire remonter la naissance la christianisation des II et III sicles, qu' des influences ethniques ou un hritage architectural des civilisations du Maghreb.
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N . DUVAL

B43. BASSAKHITAE
Ptolme (IV, 5, 12, d. C. Mller, p. 692) situe les Bassakhitae dans la partie septentrionale du nome de Marmarique et l'est, semble-t-il, des Aneiritae*. La circonscription de Bassakhis est mentionne dans un registre foncier de Marmarique datant de la fin du rgne de Commode (M. Norsa et G. Vitelli, Il Papiro Vaticano greco 11, II-Registri fondiari della Marmarica, Citt del Vaticano, 1931, V, 24 et 28 ; VI, 42). La localit dite Leukae Kamini ( Fours Blancs ) en faisait partie (Ptol., IV, 5, 13, p. 695; Registri, V, 26; VI, 25). Or elle se trouvait, d'aprs les donnes de Ptolme, un peu au sud-est de Mokkhris, station qui, selon les itin raires antiques (cf. Aneiritae*), tait quelque 33 km d'Antipurgos (Tobrouk), sur la voie venant de Cyrne. Il est donc permis d'en dduire que les Bassakhitae taient implants, au II sicle de notre re, non loin du rivage, l'ouest de l'actuelle ville de Tobrouk. Peut-tre faut-il rapprocher de leur nom celui d'un lieu-dit Masoukhis (Ptol., IV, 5, 13, p. 696), situ apparemment au sud de cette ville.
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J . DESANGES

B44. BT Bt d'ne - Aruku (Ahaggar et Tassili nAjjer)


Ce bt comprend deux parties : 1. l'armature forme de deux arceaux en bois. 2. la matelassure constitue par trois coussinets. Chaque coussinet comprend une paisseur de fibre de palmier cousue dans une enveloppe en peau ou en tissu. On distingue deux coussinets latraux (longs de 50 cm, larges de 15 cm) qui servent d'appui aux arceaux et un transversal (30 cm x 15 cm) qui protge le garrot de l'ne contre tout frottement. Les arceaux sont en bois de sumac (Rhus oxyacantha) ou de laurier-rose quand ils sont fabriqus par les pasteurs, ou bien, s'ils sont confectionns par les agriculteurs, en figuier. Mais quel que soit le bois employ, il faut les mettre en forme en passant au feu les branches vertes pralablement choisies pour leur longueur (90 cm) et le calibre de leur section (3 cm). La courbure, une fois obtenue, est conserve l'aide d'une corde tendue entre les extrmits pendant toute la dure du schage (une ou deux semaines). Dans le mme temps de grosses pierres plaquent l'arceau au sol pour empcher le bois de travailler. Le montage de l'armature se rduit l'assemblage des arceaux au moyen de gaines en peau de chameau non tanne. On assemble les arceaux de faon que seules leurs extrmits viennent en contact pour former des chevrons o s'ajustent les gaines. Celles-ci doivent tre mouilles avant l'ajustage, afin qu'en schant elles resserrent leur treinte autour des sommets de chevrons et en consolident l'assemblage qui d'autre part est renforc par une ligature en cuir. Le hanarchement comprend aussi une sangle en corde de poils de chvre et une croupire culeron. Il est complt par un petit tapis qu'on place toujours entre le dos de l'ne et la matelassure du bt. Les charges sont accroches aux chevrons du bt par l'intermdiaire des boucles dont sont pourvus tous les sacs traditionnellement conus pour ce mode de transport. En l'absence de sacs spciaux, on noue des boucles au cours du ficelage des ballots. Les bts sont, de nos jours encore, trs utiliss par le transport des bagages sur les circuits touristiques de la Tefedest et du Tassili-des-Ajjers. Ils sont utiliss aussi par les femmes en voyage qui montent alors en amazone. Elles s'assoient entre les chevrons du bt en laissant pendre leurs jambes sur le flanc gauche de l'ne. Un bt simplifi appel elbradayen est employ pour le transport des terres d'amen-

Bt d'ne Tamanrasset (photo G. Camps). dement aux jardins. Il est rduit la matelassure du bt ordinaire dpourvu d'arceaux.
G. BARRERE

Bt de dromadaire
Le bt du dromadaire est un amnagement technique pour permettre le transport de matriaux sur la forme anguleuse du dos en prsence de la bosse adipeuse et sensible place sur le milieu de la colonne vertbrale de l'animal. Le Commandant Cauvet dans son livre clbre sur le chameau (Paris, Baillire 1925) s'tend longuement sur les impratifs morphologiques du dromadaire qui conditionnent la conception du bt. Le Capitaine Voinot, dans son tude sur l'artillerie dos de chameau a trs bien dfini les qualits que doit remplir ce harnais. En raison de l'anatomie spciale du chameau, il n'est pas possible de le harnacher avec un bt rigide et enveloppant... La forme du dos l'emplacement du bt est des plus irrgulires. Les apophyses suprieures des vertbres sont trs dveloppes et forment sur le sommet du dos une arte, dont la partie antrieure est tranchante et le milieu noy sous le tissu adipeux de la bosse. Au-dessous de cette arte, les ctes se dtachent de la colonne vertbrale avec des inclinaisons diverses ; hauteur de la bosse, elles sont arrondies en cercle de tonneau et leur partie suprieure se rapproche de l'horizontale. Un bt rigide ne pourrait donc s'appliquer convenablement sur un pareil dos, qu' condition de tailler les arcades et les traverses sa demande. Cela irait la rigueur si la forme du dos tait invariable, mais il n'en est pas ainsi. Lorsque le chameau a bu ou quand il est repu, son abdomen se dilate considrablement... Naturellement, les ctes suivent ce mouvement; aussi le bt rigide qui empche cette dilatation, est-il rejeter d'une faon absolue... La premire qualit d'un bt

Bt d'ne Marnia (photo G. Camps). de chameau est la souplesse. La seule partie qui puisse tre rigide est celle qui embote la colonne vertbrale. Une petite carcasse est mme ncessaire pour empcher le fardeau de prendre directement appui sur le garrot. Cette carcasse doit avoir des arcades courtes, dont les pointes ne psent pas sur les ctes et s'il y a lieu des traverses cintres pousant la courbure du corps hauteur de la bosse. Le plus simple des bts indignes consiste uniquement en un gros boudin rembourr faisant le tour de la bosse sans solution de continuit. Il est maintenu en place par des cordes qui l'attachent au corps de l'animal, l'une en avant, l'autre en arrire de la bosse. La premire de ces attaches passe en arrire de la callosit sternale pour ne pas gner le libre jeu de l'avant-bras, comme elle le ferait en passant en avant. L'autre passe en arrire de la forte saillie cutane triangulaire forme par le fourreau chez le mle, serre en avant, elle peut occasionner des lsions des voies urinaires. Cette rgle est gnrale avec tous les modles de bt ou de selle. Ce type de bt qui est le plus primitif, est encore parfois employ et on peut avoir avantage l'utiliser dans certains cas; on l'appelle en arabe algrien hadedja. (Il sert surtout pour monter les bergers ou les gens qui font des courses aux environs de la tente et qui ne possdent pas de chameaux de selle. On le met aussi sous certains palanquins qui font corps avec la carcasse de leur bt.) Mais il n'y a pas de tissu ni de rembourrage, si solides qu'ils soient, qui puissent rsister un frottement continu sur le garrot tranchant d'un chameau. Aussi, a-ton l'habitude de se servir d'un boudin sectionn par devant. On runit ses deux extrmits libres par une arcade solide en bois; elle les pince, en les fixant sur le garrot du chameau, tout en laissant l'pine dorsale libre de tout frottement. Comme une arcade isole, cheval sur le garrot, basculerait ncessairement et serait entrane soit en avant, soit en arrire en portant sur la partie du dos qu'on veut au contraire protger, on a t amen l'tayer par une seconde arcade. Runies par des traverses, ces deux arcades se prtent un mutuel appui et forment un ensemble rigide. Suivant que ces deux arcades sont rapproches et runies en avant de la bosse

ou que l'une est seule en avant, tandis que l'autre est au contraire en arrire, on a deux sortes de bts diffrents, l'un du type Haouia (arabe d'Algrie) l'autre du type Haredj (Alg). Les figures que je donne de ces deux types de bt reproduisent des modles algriens ; suivant les rgions et les ressources que les habitants ont leur disposition, ces bts sont plus ou moins habilement construits et ils peuvent varier par quelques menus dtails, mais le principe ne varie pas et ils peuvent tre construits trs solidement avec les matriaux les plus simples comme avec les plus perfectionns et les plus luxueux. Les indignes du Djerid tunisien disent qu'un chameau introduit dans un jardin de palmiers, peut en ressortir compltement harnach; le licol, les entraves et les cordes d'amarrage sont faits avec le lif (bourre grossire qui spare les feuilles de palmier); il en est de mme du rembourrage sur lequel s'appuie l'armature solide du bt que l'on confectionne avec l'extrmit aplatie des branches de palmier (kernef); les chouaris (grands couffins servant au transport) peuvent tre tisss avec les folioles des branches de palmier et celles-ci dpourvues de ces folioles fournissent le bton ncessaire pour pousser l'animal (Cauvet, Le chameau, pp. 556-558). C'est donc deux types de bts de dromadaire que l'on rencontre en Afrique du Nord et au Sahara. Sur le boudin de rembourrage ouvert sur le garrot et entourant la bosse, l'on ajoute soit une double armature de planchettes en V qui portent sur le garrot, soit une double armature de planchettes ou branches de palmiers bases des rachis ou karnef de part et d'autre de la bosse, relies sur le ct par deux croisillons de branches assurant la rigidit de l'ensemble. 1. Bt arcade double en avant de la bosse : hawiya (haouia), laki/ilekan (t.) ou kteb (ar.) Ce bt se compose d'une armature en bois (laki) et d'une matelassure (tihekm). Les deux pices sont maintenues assembles par de la cordelette en fibres vgtales. L'armature est constitue de deux arons relis entre eux leurs sommets par deux bandes d'environ 45 centimtres de long. Cette armature peut tre fabrique en nervures de palmes de dattiers de manire rudimentaire, ou tre dbite l'herminette dans des bois divers pour les modles les plus labors. La matelassure, d'une seule pice, est en bourre de palmier (asn en touareg, lif en arabe) le plus souvent recouverte d'une toile ou d'toffes usages. Cette matelassure est replie en son milieu; sur l'animal ce repli repose sur les reins derrire la bosse, tandis que les deux extrmits diriges vers l'avant entourant la base de la bosse recouvrent le haut des paules, et supportent l'armature du bt qui occupe la mme place qu'une selle en avant de la bosse. Le bt est maintenu sur le dromadaire par une corde en fibres de palmier faisant office de sangle (ahaif/ahayf). Pour les trajets en rgions accidentes une longe-poitrail (timugarha), et une croupire (timea ) , galement en fibres, maintiennent le bt sa place, principalement s'il s'agit d'un animal dont la bosse est inexistante. Ce bt trs simple vite toute blessure aux animaux lorsqu'il est en bon tat, mais son utilisation ncessite toujours une division du chargement en deux fardeaux de mme poids qui sont lis l'un l'autre par leurs sommets en deux points d'attaches spars par la bosse, et qui s'quilibrent de chaque ct de l'animal. L'attache avant repose sur les bandes de l'armature et l'attache arrire vient s'appuyer sur la matelassure au niveau des reins. Dans le cas d'un chargement de faible poids, mais volumineux, le ballant pouvant en rsulter pendant la marche peut-tre supprim, ou tout au moins attnu, par l'adjonction externe d'une longue corde de fibres entourant entirement l'ensemble, dromadaire et chargement, la manire d'un surfaix. 2. Bt arcades en avant et en arrire de la bosse : erej (haredj) en arabe, txawit (takhaouit), tebeyut en touareg (voir Foucauld 1952 II : 61, et I : 41).

Les deux types de bts de dromadaire.

Dans ce type de bt, les arcades portent de part et d'autre de la bosse, l'une sur le garrot, l'autre sur la croupe. Elles sont relies sur chacun des cts par deux traverses croises diagonalement, rendant solidaire l'ensemble des pices en gardant la libert des flancs de l'animal. Parfois deux traverses supplmentaires les runissent encore la partie suprieure. L'pine dorsale et la bosse s'en trouvent mieux protges, l'arrimage des charges

et le serrage des cordes sont facilites (Cauvet, ibid, : 558). Pour viter le renversement des charges encombrantes, dans les passages difficiles, on assure le maintien de ce bt par une sangle enserrant le boudin et l'armature avant et qui passe derrire les membres antrieurs sous le ventre. Une deuxime sangle sur la croupe et l'arrire du ventre peut assurer la totale adhrence de ce systme. Les Touaregs ont utilis le principe de ce bt dans la selle de femme appele axawi (akhaoui), mais ou le boudin de matelassure est remplace par quatre coussinets de cuir rembourr comme chez les Toubou.

BIBLIOGRAPHIE CAUVET Cdt, Le Chameau, Paris, Baillres 1925, 784 p. FOUCAULD P.Ch. de, Dictionnaire Touareg-Franais, Paris, Imprimerie Nationale 1951-1952, 4 vol. GAST M . , Collections Ethnographiques Touareg Ahaggar, sous la direction de L. Balout, Paris, A.M.G., 1959, pl.XVII, XVIII. MONOD Th., Notes sur le harnachement mhariste, Bull, de L'IFAN., B, 1-2, 1967, 49p, 57 fig. VOINOT Lt, L'artillerie dos de chameau, tude cite par Cauvet, sans rfrence.
M. GAST et J . SPRUYTTE

B45.

BATELEUR

Personne qui amuse le public en plein vent par des bouffonneries, des tours de force ou des tours d'adresse. Ce personnage presque disparu d'Europe est encore bien prsent au Maghreb. Il se manifeste sur les marchs ruraux hebdomadaires (souqs), mais le bateleur n'est pas exclusivement rural et il tient u n rle non ngligeable sur les places des villes. On songe en particulier aux amuseurs divers qui animent la place Djemma el Fna Marrakech. Parmi les diffrents bateleurs nous avons retenu 4 catgories principales empruntes une tude de A. Robert. Le Meddah Le Meddah est un trouvre errant, qui rcite des pices de posie, des contes sur les places publiques. Il ne craint ni la pluie, ni le soleil, ni la poussire des grands chemins et peregrine dans le Sud, les Hauts-Plateaux, le Tell, n'ayant qu'un but : ramasser l'argent ncessaire la ralisation de ce vu cher tout bon musulman : le voyage La Mecque. Le Meddah est le plus souvent accompagn d'un ou plusieurs compagnons qui constituent l'orchestre et vivent ainsi de leur talent de musiciens. Lorsque le Meddah arrive dans une localit quelconque, il s'installe sur une place, le jour du march et russit bien vite runir un fort groupe de spectateurs en frappant lui et ses compagnons tour de bras sur leurs benaders (tambourins). Les amateurs de posie, d'invocations religieuses, de contes, accourent immdiatement aux appels bruyants du Meddah et le cercle d'auditeurs se forme rapidement. Le Meddah commence d'abord par invoquer tous les saints et tout particulirement Sid Abdelkader ed Djilani, ce merabet si vnr des derwichs, mendiants, saltimbanques et sorciers; chacune de ses invocations sera suivie d'un coup de tambourin frapp par les musiciens puis, circulant grands pas dans le cercle des spectateurs il racontera avec force gestes, un passage des Mille et une Nuits, ou l'histoire de Joseph vendu par ses frres, ou les facties de Si Djeha, les exploits des

vaillants Sidi-Okba et Sidi-Abdallah ou encore les aventures des belles Redah et Djazia ainsi que celles d'Haroun ar Rachid et de son ministre Djafar! Chacun de ses rcits sera entrecoup de posies religieuses, de versets du Coran, d'invocation au prophte Mohammed et aussi d'invitation au public rmunrer le conteur. A cet appel, les pices commenceront pleuvoir et chaque chute sera salue par le Meddah d'une quantit de bndictions l'adresse des gnreux donateurs. Le Meddah aprs avoir ramass la recette et prononc quelques mots de remerciements l'assistance se retire avec ses musiciens. Ils se rendent dans un caf maure o ils passent la nuit et repartent le lendemain pour une autre localit. Le Bousaadia Le Bousaadia est un ngre danseur, il opre seul et circule non seulement dans les villages, mais encore dans les mechtas les moins importantes. Son costume est bizarre; il est coiff d'une chchia sur laquelle sont cousus de nombreux ornements : d'abord une tte de chacal, de renard ou de lynx, puis de petites glaces rondes, des coquillages, des dents de sanglier, le tout surmont d'une vieille queue de cheval ou de mulet. Ses vtements se composent d'une gandoura, d'un pantalon arabe et d'une sorte de casaque aux couleurs voyantes, rouge ordinairement. Cette casaque qui lui couvre le torse est orne de ci, de l, de boutons en cuivre, de vieilles plaques de ceinturon, de cordelettes de diverses espces, de rubans fans, de grelots... Les reins sont serrs d'une ceinture en cuir, faite d'une vieille bretelle de fusil, qui entoure la taille par dessus la gandoura et fait ressembler cette dernire une sorte de jupon. Pour se donner un aspect plus effrayant ou plus comique, le ngre suspend sa taille des peaux, chacals ou renards. Comme instrument de musique, le Bousaadia porte sur la hanche un tambour primitif dont la caisse est en bois et la peau orne de figures grossires traces avec de la pte de henn. C'est sur ce tambour que le ngre fait le bruit assourdissant : il le frappe d'une seule baguette recourbe, tenue de la main droite et aussitt aprs le coup donn, la main gauche, frle lgrement la peau. La danse effectue par le Bousaadia est exactement la mme que celle indique plus haut, mais il chante en mme temps qu'il danse. C'est un petit chant, toujours la mme phrase, dite sur un ton plaintif et monotone. Pour largir le cercle de garonnets qui suivent toujours le ngre artiste, ce dernier excute une srie de petits bonds comiques, tournant sur lui-mme, contractant affreusement son visage, faisant une grimace horrible en ouvrant dmesurment la bouche. Lorsqu'il veut obtenir la rcompense de ses pitreries, le ngre choisit dans l'assistance l'indigne le mieux vtu, il danse, chante et bat du tambour devant lui, jusqu' ce que l'auditeur ennuy plutt que charm, lui accorde une pice ou deux, en rougissant de sentir fixs sur lui, tous les regards de l'assistance, qui l'obligent ainsi s'excuter. Le ngre augmente ses contorsions, se rapproche du donateur, se rapetissant, toujours dansant et ouvrant la bouche, nouvelle sbile, il reoit la pice qui lui est offerte. Il emmagasine ainsi facilement, sans tre gn, plusieurs pices, tel un singe se bourrant les bajoues de nourriture. Chaque nouveau don illumine le visage imberbe, luisant du Bousaadia et provoque chez lui des bonds exagrs auxquels s'ajoute un remerciement qui se manifeste par des inclinaisons de tte et un son mal articul. La figure simiesque, les contorsions du ngre, son costume trange et sa musique infernale, ne lui attirent pas les sympathies de la race canine; les braves toutous des villes en le voyant, le poursuivent d'aboiements rpts, tout en ayant soin de se tenir une respectueuse distance de cet tre fantastique.

On comprend aussi trs facilement que les petits enfants redoutent le Bousaadia, son accoutrement, ses grimaces atroces. Le charmeur des serpents (Es Sehar el Ahnech) Le mtier de charmeur de serpents tait bien connu dans l'Antiquit puisque les auteurs grecs parlent des Psylles, peuples de la Lybie qui savaient protger contre la morsure des serpents. La tradition s'est perptue en Afrique et les charmeurs continuent les mmes exercices que leurs devanciers qui exercent la profession de charmeurs de serpents, qu'ils soient marocains, algriens ou tunisiens appartiennent ordinairement une des sectes religieuses : Assaoua ou Oulad Ahmed ou Moussa, branches de la grande confrrie des Kadria de Sid Abd ek Kader el Djilani. C'est du reste la qualit de khouan qui les fait passer aux yeux des musulmans comme invulnrables et pouvant impunment se faire mordre par la lef (vipre cornes). Les Maghreb ont une grande crainte de tous les serpents en gnral et ne font aucune distinction entre l'inoffensive couleuvre et la lef dont la morsure est mor telle; aussi est-ce toujours avec une grande admiration qu'ils assistent une sance de charmeur. Le Sehar parcourt tout le nord de l'Afrique, de Tunis Tanger, pdestrement ; accompagn comme le Meddah d'un ou plusieurs musiciens, il procde de la mme faon pour recruter un public nombreux. A l'appel des benaders ou de la ghata, un cercle sera form aussitt et comme dans tous les pays du monde, les enfants seront aux premiers rangs, accroupis et bien dcids ne pas perdre un seul dtail de la reprsentation. Les exercices ne seront commencs par le charmeur qu'autant que les assistants auront accd son dsir de recueillir une certaine somme. Il indique cette somme, en circulant dans le cercle et dbitant avec volubilit ses invocations Allah qui doit lui accorder sa protection; il ne manquera pas de faire ressortir quels dangers il s'expose en maniant ses reptiles, le grand nombre de gens morts de la morsure des serpents, et s'efforce de se faire passer aux yeux des auditeurs crdules pour un protg de Dieu et du Prophte. Lorsque la somme fixe par le sehar est atteinte, il sort de dessous son burnous, pralablement plac terre, le fameux mezoud dans lequel se trouvent les reptiles et aprs une nouvelle srie d'invocations Allah, il plonge son bras nu dans la musette et en retire une couleuvre ou une vipre cornes qu'il place sur le sol; ce geste dtermine parmi le public un frmissement d'admiration et de crainte. Le reptile, bloui par la lumire subite du jour, se pelotonne d'abord en rond, mais au bruit fait par le charmeur qui tourne autour de lui en frappant trs fort sur son tambourin ou en soufflant perdument dans son hautbois, il lve la tte, puis le tiers du corps, dirigeant son regard vers le musicien en sortant de temps en temps, et trs rapidement sa petite langue. Le charmeur rtrcissant de plus en plus le cercle, s'arrte enfin devant le reptile et continue jouer de son instrument en balanant le corps de droite gauche; le serpent hypnotis, imite alors les mouvements du torse du charmeur, il fait osciller la tte et la partie antrieure du corps en suivant exactement le rythme de la musique. Souvent, aprs ce premier exercice, pour bien dmontrer son invulnrabilit, le charmeur place dans sa main la vipre ou le serpent, qui lui entoure immdiatement le bras, et les montre aux assistants qui reculent effrays. Quelques charmeurs vont mme plus loin, ils n'hsitent pas se faire mordre le visage par le reptile! Nous avons vu un charmeur originaire des Oulad si Moussa de la commune mixte d'Aumale se faire mordre la langue par une couleuvre jusqu' ce que le sang coule! Le venin de la vipre cornes est renferm dans une petite glande situe derrire

les crochets droite et gauche de la mchoire; il s'coule au moment de la morsure, dans la petite dpression qui existe sur les dents et se dverse dans la plaie produite par la morsure; c'est ce venin qui occasionne la mort. Les charmeurs connaissent cette particularit et ont le soin avant de procder leur reprsentation d'exciter la vipre et lorsqu'elle est bien furieuse, ils lui prsentent un flocon de laine dans lequel le craste mord belles dents, et qui absorbe le liquide scrt par les glandes. Cette opration rpte deux ou trois fois, dbarrasse compltement les vsicules du venin qu'elles contiennent et la morsure de la vipre cornes est alors inofFensive. Nanmoins, malgr ces prcautions, il se produit quelquefois des accidents. Le Sehar aprs avoir fait travailler ses divers numros : couleuvres ou vipres cornes, dbite une dernire litanie l'adresse des assistants, puis se retire satisfait de sa recette, entour de l'admiration des spectateurs qui commentent trs favorablement ses dangereux exercices. Les Oulad Ahmed ou Moussa (Acrobates marocains) Les Oulad Ahmed ou Moussa sont les descendants du Merabet Ahmed ou Moussa originaire de Tazeroualt d'aprs les uns, et de Marrakech selon les autres, thaumaturge clbre, mort il y aurait plus de huit sicles. Ils exercent le mtier de saltimbanques et donnent des reprsentations dans tout le Nord de l'Afrique; les dites reprsentations sont trs suivies, il est du reste juste de reconnatre, qu'au point de vue acrobatique les Oulad Ahmed ou Moussa sont d'une vraie force. Ces acrobates marocains voyagent ordinairement par groupes de 20 25 sujets, grands et petits, leurs troupes comportant toujours au minimum, une dizaine de jeunes lves de dix-huit ans; ils donnent leurs reprsentations en plein air sur les places publiques. Ils sont vtus de gandouras et de pantalons en toffe bariole de diverses couleurs, la taille serre par une ceinture de cuir du Tafilalet; ils sont tte nue, les cheveux coups ras, sauf une petite tresse qu'ils laissent pousser sur l'occiput, le bas des jambes et les pieds, dgags de tout vtement ou chaussure. Comme orchestre, ils possdent deux ou trois musiciens qui jouent de la petite flte aux sons perants et de plusieurs tambourinaires; tous s'assoient simplement sur un tapis terre et le bruyant concert commence. Aprs avoir arrt d'un geste les musiciens le chef de la troupe g habituellement d'une trentaine d'annes, dbite une srie d'invocations religieuses, de versets du Coran, approuvs par tous les assistants qui tiennent religieusement leurs mains ouvertes la hauteur du visage et se les passent dvotement sur la figure en prononant Amin ! Amin ! la fin de chaque invocation, puis la sance acrobatique commence. Les excutants, l'un derrire l'autre, par rang de taille, dfilent d'abord suivant le chef qui leur fait dcrire un cercle de faon faire reculer le public qui se presse et se bouscule pour mieux voir. Ensuite, le chef s'lance, plaant ses mains sur le sol et faisant une pirouette retombe sur ses pieds, cet exercice est rpt plusieurs fois par toute la troupe y compris les plus jeunes lves. Puis les acrobates les plus qualifis, excutent en courant des sauts prilleux et quelques-uns, pour corser cet exercice, tiennent dans chaque main un poignard recourb (khandjar) qu'ils appliquent contre leur poitrine au moment o ils retombent sur leurs pieds. Le chef, qui est naturellement un numro spcial, excute le saut prilleux, sans lan, sur place, retombant sur deux sandales places sur le sol. Cet exercice provoque toujours un sentiment d'admiration parmi les assistants! La sance se termine par la classique pyramide humaine, exercice auquel pren-

nent part une douzaine d'artistes qui grimpent sur la tte, les paules, les bras, les cuisses du chef, lequel solidement tabli, bien camp, supporte cette surcharge avec beaucoup d'aisance en faisant quelques pas. Entre les divers numros de la sance le chef de la troupe n'oublie pas de faire un appel la gnrosit du public et les pices qui pleuvent sont soigneusement ramasses par les excutants qui les remettent consciencieusement dans le bendir (tambourin) ad hoc, plac devant les musiciens. Les Oulad Ahmed ou Moussa ne sjournent pas longtemps dans une localit. Aprs deux ou trois reprsentations, ils la quittent pour se rendre pdestrement dans la ville voisine o ils recommenceront leurs exercices.
A. ROBERT

(Extrait de la Revue africaine, t. LXII, 1921)

B46. BATIK Le batik est le plus gnralement considr comme un mode de dcoration des tissus, originaire de Java et qui consistait en l'application de dessins la cire. En Afrique du Nord le procd ainsi nomm est diffrent, si le principe de rserves reste le mme : ces dernires sont obtenues, l'aide de cordonnets qui nouent une partie du tissu et l'empchent ainsi de s'imprgner de la teinture, dans les zones situes sous les liens. Plusieurs rgions du Maghreb connaissent cette technique : en Tunisie, oasis de Chenini, Oudref, Mareth, en Algrie : valle de la Soummam, Aurs ; au Maroc : Beni Mezguilda, Setta Jaa, At Ouaran, en Tripolitaine : plateau de Garian, 100 kilomtres au sud de Tripoli. Les vtements le plus gnralement dcors de cette manire sont les chles (Tunisie et Aurs) mais aussi les ceintures au Maroc. Les chles des fillettes de Chenini et d'Oudref mesurent environ un mtre carr et sont noirs, tachets de rouge (Bahnq mserrer). Dans l'Aurs, les chles ont un fond brun et de gros dcors circulaires violets et jaunes assez curieusement comparables des tranches d'ananas. R. Ricard (1925) a dcrit avec minutie les diffrents moments de l'obtention du batik. L'toffe de laine file est tisse sur le mtier haute lisse traditionnel et sort gnralement en teinte naturelle. La pice est alors entirement trempe dans une premire teinture rouge. La tisseuse garnit ensuite la partie qu'elle souhaite dcorer de nouets : ceux-ci peuvent tre constitus d'une petite poche dans laquelle sont insres quelques grains de bl ou une petite pierre dont la taille conditionnera celle du dcor. Ces nouets peuvent tre de taille diffrente, plus ou moins espacs, disposs en quinconce ou en lignes et rpartis sur toute la surface ou dans une seule partie du tissu dcorer. Les nuds peuvent tre simples ou multiples. La pice ainsi prpare est trempe dans un autre bain de teinture noire. Aprs schage et dnouage des cordonnets, l'toffe apparat en noir parseme de taches rouges, correspondant la teinture initiale qui n'a t rserve que sous les cordonnets. Pour rduire les frais de teinture, certaines femmes peuvent excuter les nouets sur la pice de couleur crue naturelle, aussitt aprs son tissage, sans teinture pralable ; la teinture excute qu'elle soit rouge ou de toute autre couleur sera donc orne de taches blanches. Il est vident que le trempage dans des bains successifs aprs avoir rparti de nouveaux nouets, permettra de multiplier les couleurs des dcors, comme c'est le cas dans l'Aurs par exemple. Il est bon de rappeler que sur les fresques gyptiennes, particulirement dans le tombeau de Sethi I , les chefs libyens sont parfois revtus de vtements richement orns et certaines taches de couleur sur le fond clair de l'toffe pourraient bien rsulter du procd qui vient d'tre dcrit (Camps, 1961, p . 108).
er

Batik : 1. Nouet excut sous deux tours 2. Nouet excut sous trois tours espacs du cordonnet 3. Grand nouet central d'un chle de Gaan (d'aprs P. Ricard).

BIBLIOGRAPHIE CAMPS G., Aux origines de la Berbrie. Massinissa ou les dbuts de l'histoire. Alger, l'imprimerie officielle, 1961. LEVI-PROVENCAL E., Textes arabes de l'Ouargha, dialecte des jbala (Maroc occidental). Paris, Leroux, 1922, p 153 sq et pl. V. RICARD P., Le batik berbre, Hespris, 1925, V, 4, p. 411-25.
H . CAMPS-FABRER

B47. BATNA
Ville importante du monde berbre, puisque capitale du pays chaouia, qui couvre le massif de l'Aurs et ses marges, et comprend prs d'un million de berbrophones. Les habitants de Batna parlent galit arabe et chaouia.

Rupture et continuit d'une implantation urbaine


Lorsque en 1844 le Colonel franais Buttafoco cra un camp militaire l'emplacement de la ville actuelle, le site tait vierge (vestiges de quelques villas romaines proximit). Pourtant depuis longtemps il avait t reconnu qu'existait l une position remarquable. C'est en effet dans ce secteur que la ligne de contact entre le grand massif de l'Aurs et son pimont septentrional, aligne d'ouest en est, recoupe le grand axe de passage mridien qui, de Skikda Biskra en passant par Constantine et le couloir de Batna, lie le littoral au Sahara. Donc un grand carrefour, gn seulement l'ouest par la barrire du Belezma. Ce carrefour, Rome l'avait valoris ds ses premires implantations en Numidie par les crations de Timgad et Lambse l'est, par celles de Zana au nord, de Lamasba l'ouest. Les militaires franais ont reconnu la mme valeur de position de contrle, mais l'ont valoris un peu diffremment, puisqu'ils ont implant leur camp sur le couloir mme de Batna. Ce site s'tant rvl bon (espace, sources et oueds permettant l'irrigation de jardins), un dcret de 1848 cra la nouvelle ville, en lui donnant le nom de Nouvelle Lambse. L'arme transfra une partie de ses installations 10 km de l, Lambse o elle cra un pnitencier rgional. La ville retrouva rapidement son nom de Batna, mais garda de ses origines militaires le trac gomtrique de sa voirie. Les insurrections de 1871, 1879, et 1916 secourent la rgion, et ramenrent la fonction militaire initiale : de solides casernes furent implantes dans la ville, qui existent toujours et donnent Batna une image de marque. De petits primtres de colonisation furent crs dans les bassins intra-montagnards proches (Condorcet, Victor Duruy, Fesdis, Mac Mahon); la voie ferre atteignit la ville en 1875; Batna devint sous-prfecture en 1885. Pendant toute cette poque la ville fit figure de centre administratif et militaire, au rayonnement limit, dans une rgion marginale du pays.

Une croissance tonnante


Au dbut de la guerre d'Indpendance (1954), la ville comptait 18 000 habitants (dont 3 600 Europens), et faisait figure de petite ville coloniale endormie. Or la priode de la guerre a vu crotre sa population au taux rapide de 6% par an; la priode du dmarrage conomique (1966-77) a vu le mme taux se maintenir; et la priode intercensitaire 1977-87, celle du grand dveloppement industriel, le mme taux encore. Toutes les villes algriennes ont connu une forte pousse rcente, mais celle-ci ne concernait que l'une ou l'autre de ces priodes ; Batna, la pousse trs forte a t en mme temps trs continue. Ce qui explique que la ville atteigne en 1987 l'effectif de 182 000 habitants, non compris la ville de Tazoult (ex Lambse), qui avec ses 16 000 habitants tend devenir une annexe de Batna. La ville donc vu sa population multiplie par 9 en 33 ans, cas unique parmi les villes algriennes. Cette pousse se traduit par la progression remarquable du rang occup par la ville dans la hirarchie urbaine du pays : au au au au recensement recensement recensement recensement de de de de 1954 1966 1977 1987 Batna Batna Batna Batna = 2 1 rang = 10 rang = 8 rang = 5 rang
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LA SITUATION DE ATNA

BATNA ET LES ETAPES DE SA CROISSANCE

1392 / Batna Et pourtant, la rgion ne prdisposait pas Batna une telle croissance : espace relativement marginal dans le pays, densits ne dpassant pas 40 hab./km , activit agricole nettement prdominante. Mais il fallait compter avec la conjoncture historique, et le volontarisme du dveloppement algrien.
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Les lments de cette promotion de la ville Pendant la premire phase de cette pousse, Batna a fonctionn comme exutoire des grands mouvements migratoires qui ont secou tout le pays, et particulirement le massif aursien : comme les autres villes du pourtour montagneux (Khenchela, Biskra), elle a accueilli les tombes montagnardes mises en mouvement par la guerre et l'immdiate aprs-guerre. Les dpouillements effectus par des chercheurs sur ces mouvements migratoires ont montr que la ville avait capt 46% des migrants l'intrieur du territoire wilayal. Le volontarisme de la politique d'amnagement du territoire a pris le relais pendant la priode suivante, et est le responsable principal de cette croissance. La volont d'viter la congestion des villes du Nord, d'tendre le territoire vers le sud, de dvelopper les espaces semi-arides, a amen les pouvoirs publics prendre des dcisions qui ont pes en ce sens : 1956 rection en chef-lieu de dpartement 1964 implantation de 3 units industrielles 1968 programme spcial de la Wilaya des Aurs 1974 cration de la zone industrielle 1977 cration d'un centre universitaire 1989 transformation en Universit part entire L'lment initiateur a donc t la promotion au rang de chef-lieu de dpartement, dcide ds 1956, mais qui prit tout son sens lorsque l'Algrie socialisante utilisa sa hirarchie urbaine pour doter les rgions des services qui y manquaient terriblement : lyces, hpitaux et quipements de tous types s'y sont multiplis, rpondant aux besoins des citadins en mme temps qu'attirant de nouveaux migrants. Le second acte dcisif des autorits a t la transformation de Batna en ple industriel. Ds 1964, dans le cadre d'un programme d'urgence, plusieurs units y taient implantes, dont une grosse filature-tissage. Mais c'est la cration d'une vaste zone industrielle qui a confirm cette orientation : minoterie-semoulerie, enfutage de gaz, briqueterie-tuilerie, tannerie, unit de fabrication de bouteilles de gaz... Au total la ville compte 7000 emplois industriels, dont 58% dans le textile. Ces deux impulsions ont fait de Batna un ple conomique, dontle poids est traduit aussi bien par l'appareil commercial (4500 fonds de commerce) qui a pris le relais du vieux souk traditionnel, que par l'norme mouvement de va-et-vient de voyageurs autour de la ville, assur par des entreprises nationales, communales, prives : la ville anime 410 rotations quotidiennes, et voit arriver ou partir 4 5000 voyageurs/jour (non compris le trafic ferroviaire). Ces trafics assurent la ville un rayonnement qui dpasse aujourd'hui nettement le territoire de sa wilaya, d'autant que celui-ci a t amput en 1984 de sa partie sud par la cration de la wilaya de Biskra.

I m m e u b l e s et auto-construction A l'entre de la ville, le voyageur est accueilli par deux images : une vieille ferme coloniale flanque de tourelles, rminiscence d'une racine angevine ou tourangelle ;

ATNA ET SON TISSU URBAIN

les sphres tincelantes d'une unit moderne d'enfutage de gaz; deux symboles de la ville de Batna, et des tapes ayant constitu son tissu urbain. Le centre ville est le type mme de la cration coloniale, similaire ceux des villes surs de Stif ou Sidi-Bel-Abbes : ville pose plat dans un site uniforme, plan rigide en damier, petites maisons basses tuiles rouges. Le noyau urbain traduit aujourd'hui encore son origine, mme si l'glise et le kiosque musique ont disparu au profit d'amnagements modernes. Ce vieux noyau colonial remani est aujourd'hui noy dans un tissu dmesurment tendu. Tissu fait d'un certain nombre de grands ensembles d'immeubles, raliss par l'tat, en contraste avec des ensembles d'habitat en auto-construction, plus bas, trs homognes dans leur varit de dtail : l'ouest quartier de Kechida et Chikhi Abdelkader; l'est, Zmala dont le plan en ventail reprend le parcellaire des jardins prexistants; au sud, l'immense quartier de Bouakal, ville dans la ville. C'est parce que cet habitat des catgories moyennes et modestes a pu s'tendre sans rencontrer trop d'obstacles fonciers que la ville ne compte aucun bidonville. A l'est, le long de la route de Tazoult, s'alignent les villas somptueuses de la nouvelle bourgeoisie batnenne. La zone industrielle, orgueil de la cit, est spare de celle-ci par la voie ferre; elle aligne ses units modernes et propres, mais n'est pas entirement remplie. Ville de casernes, ville plate, ville qui serait banale si ce n'tait son cadre montagneux qui de tous cts offre pentes, garrigue et forts aux regards des citadins. Revers de ce site de bassin, les risques d'inondation, qui ont oblig canaliser les diffrents oueds convergeant vers le centre de la cuvette. Par contre, les ressources hydrauliques locales ne suffisent plus une ville de 180 000 habitants, qui doit aller chercher son eau 20 km de l dans une quinzaine de forages (plaine d'El Mahder).

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M. COTE

B48. BAVARES (Babares-Baveres) Peuples de Maurtanie Csarienne qui nous sont connus par une srie de textes et d'inscriptions des I I I , IV et V sicles et qui furent prsents par les uns comme des nomades, et par d'autres comme des montagnards sdentaires. Les Bavares sont mentionns pour la premire fois dans une ddicace de Volubilis relatant une confrence entre un prolgat (Furius Celsus ?) et u n princeps gentis Bavarum et Baquatum. Cette inscription date du rgne d'Alexandre Svre (222-235). Les Baquates* tant localiss dans l'est de la Maurtanie Tingitane, vraisemblablement dans la troue de Taza et le Rif oriental, les Bavares sont leurs voisins de Maurtanie Csarienne. Julius Honorius (Riese, Geographi latini min., A, p. 53) prcise que le fleuve Malva (Moulouya) coule entre Bacuates (= Baquates) et Barbares (= Bavares). Dans un autre passage (A, p. 54) le mme auteur cite les Barbares (= Bavares), dans le Dahra, et les Salamaggenites dans lesquels il faut retrouver les Macnites du Moyen Atlas dont le nom fut associ, la suite d'une lecture errone de la carte, celui du fleuve Sala. Cette localisation des Bavares dans la partie occidentale de Maurtanie Csarienne
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est confirme par la liste de Vrone (Riese, op.L, p . 129) qui les cite entre les Mazices de l'Ouarsenis ou du Chlif et les Bacuates. Ammien Marcelin (XXIX, 5, 33) mentionne des Daveres, qu'il faut sans doute lire Baveres, au voisinage des Mazices, sans doute dans l'Ouarsenis et le Dahra, sinon plus l'ouest. Deux inscriptions funraires de Regia (Arbal-Oran) qui sont de 366 au plus tt et de 496 au plus tard, nous font connatre les noms de deux habitants qui furent tus vi Bavaru(m) et confirment la prsence des Bavares dans la rgion occidentale de la Maurtanie Csarienne. A Manliana (ex Affreville), au pied du Zaccar et proximit de l'Ouarsenis oriental et du Dahra, une ddicace du gouverneur du Maurtanie Csarienne Aelius Aelianus rend grce aux Dieux Maures d'avoir cras une gens Bavare, les Bavares Mesgnenses (ou Mesgneitses). La dfaite fut suffisamment grave pour que tous leurs biens (troupeaux ?) et leurs familles fussent ramens par le vainqueur. Il s'agit certainement d'une fraction de tribu, ou d'une gens trs rduite. L'inscription date du rgne de Diocltien; elle serait des annes 284-289. Il s'agit d'une opration de police en relation avec les troubles qui prcdent la grande insurrection de 290, laquelle obligea Maximien venir en personne en Maurtanie en 297. On peut supposer que le combat au cours duquel les Bavares Mesgnenses furent battus se droula dans une rgion voisine de Manliana. Si le combat s'tait droul dans une rgion fort loigne de celle-ci, l'inscription aurait pu figurer sur les lieux mmes de la victoire romaine ou plutt dans la capitale de la province. J. Carcopino a cru pouvoir faire un rapprochement entre ces Bavares Mesgnenses et les Beni Mezguen qui furent battus et extermins prs d'Oran par Yala en 954-955. Si ce rapprochement est exact, nous sommes ramens prs de la localisation, que donnent habituellement les textes, entre l'Ouarsenis et la Moulouya. De beaucoup plus importante est la ddicace de C. Macrinus Decianus, lgat de Numidie sous deux Augustes qui, tant donn les circonstances, ne peuvent tre que Gallien et Valrien. L'inscription comme l'a montr M. Christol, ne peut dater que de la priode comprise entre l'automne 253 et le printemps 256. Elle fut trouve Lambse, mais elle mentionne des faits qui se sont drouls le long de la frontire de Maurtanie. Macrinus Decianus remercie les dieux des victoires remportes sur les Bavares, qui, groups sous le commandement de quatre rois avaient envahi la province de Numidie. Si ces Bavares n'habitaient pas la Numidie, ils n'en taient pas loin ordinairement. En effet, la premire rencontre o les envahisseurs furent battus (primum dit l'inscription) eut lieu dans la rgion de Milev. Les Bavares ne pouvaient donc pas venir du sud, des steppes du Hodna, puisque Milev est au contraire dans le nord de la province, au contact des montagnes de Petite Kabylie. Puis les Bavares sont de nouveau battus (iterato) sur les frontires de la Maurtanie et de la Numidie. Or, ces frontires ne sont pas bien loin de la rgion prcdente, elles suivent le cours de l'Oued el Kbir, l'ouest et au nord de Djemila, et se continuent au nord de Milev. L'inscription nous apprend aussi que les Quinquegentanei, gentiles de Maurtanie Csarienne, prcise le lgat, furent battus en troisime lieu ainsi que les Fraxinenses dont le chef fut captur. Les Quinquegentanei, Ethicus nous l'apprend, sont en Grande Kabylie, et lorsque Maximien entreprendra sa campagne contre eux, c'est dans la rgion de Saldae qu'il tablira ses bases. Donc les Quinquegentanei sont loigns de la Numidie; ce nom est peu connu des habitants de la province. C. Macrinus Decianus explique d'o ils viennent : ce sont des peuplades (gentiles) de Maurtanie Csarienne. Les Bavares, eux, tous les habitants les connaissent, ils ne rsident pas loin des frontires de la Numidie qu'ils ont envahie les premiers parce qu'ils sont les plus voisins. Il est donc inutile de dire d'o ils viennent, tout le monde le sait : ce sont les habitants des massifs qui de la Soumam l'Oued el Kbir dominent la rgion de Sitifis, Mons, Novar, Cuicul et Milev.

Les Bavares orientaux d'aprs les inscriptions du III sicle. C'est de ces montagnes qu'ils se sont prcipits une autre fois vers Cuicul, d'o ils semblent avoir t repousss entre 255-259 puis, sur Milev, comme l'apprend l'inscription de C. Macrinus Decianus. Les combats contre les Quinquegentanei et les Fraxinenses ne semblent pas s'tre drouls en Numidie, mais plutt en Maurtanie. En effet, aprs la deuxime victoire sur les Bavares, les troupes du lgat sont dj la frontire de la Maurtanie; il est donc logique de penser que c'est au-del de cette frontire, dans une troisime rencontre (tertio), que furent battus les Quinquegentanei ainsi que (item) les Fraxinenses. Que les Quinquegentanei aient pu piller certaines rgions de Numidie, cela prouve que la situation devait tre extrmement grave dans toute la Maurtanie Csarienne; le danger cart de Numidie, le lgat accourait dans la province menace d'une subversion totale. La dfaite des Bavares en Numidie ne suffit pas arrter leur rvolte puisque quelque temps aprs Q. Gargilius Martialis, commandant de la place d'Auzia qui avait captur Faraxen, fut tu, en avril 260, dans une embuscade tendue par eux (C.I.L., VIII, 9047). Nous ne savons malheureusement o, mais certainement ailleurs que sur les bords de la Moulouya ou de la Mina. Les vnements que nous a fait connatre l'inscription de Lambse font penser que cela dut se passer quelque part entre Auzia et Milev, c'est--dire soit dans les Bibans, soit dans le Gergour que durent traverser les Quinquegentanei pour dvaster la Numidie, soit dans les Babors. Nous sommes ramens au contact de cette longue barrire montagneuse qui occupe le nord et l'ouest de ce qui sera plus tard la Maurtanie Sitifienne. C'est proximit de ces mmes rgions que se situent les vnements que rapporte l'inscription suivante. Cette inscription fut trouve proximit de El Mahdia (ex Mac-Donald) dans la plaine de Stif. Elle est l'uvre de M. Cornlius Octavianus qui reut un commandement extraordinaire (dux per Africain, Numidiam, Mauretaniamque) en 260-262. Cette inscription prcise bien que M. Cornelius Octavianus avait dj eu com-

battre une premire fois les Bavares alors qu'il tait gouverneur (in priori praesidatu et post in ducatu), sans doute vers 253. Le danger Bavare tait donc particulirement grand en Maurtanie Csarienne. Il s'agit certainement d'une inscription votive leve sur les lieux mmes du combat. Il est bon de remarquer au passage que les Bavares sont qualifis de rebelles et non d'envahisseurs. Il s'agit donc bien d'une insurrection de gens rsidant l'intrieur mme du limes. Faraxen lui aussi tait qualifi de rebelle dans l'inscription d'Auzia, et plus tard les Quinquegentanei reoivent le mme qualificatif dans une inscription de Bougie (C.I.L., VIII, 8924). Ces constatations suffiraient, si on ne le savait dj, dmontrer que le cur de l'insurrection se trouvait en Maurtanie et particulirement dans la partie de celle-ci voisine de la Numidie. Une autre inscription nous rapproche encore plus des Babors. Elle fut trouve au col de Tniet Meksen (B.C. T.H., 1907, p. ccxxv111), qui met en communication la rgion des Babors-Guergour et la plaine de Stif. C'est l qu'eut lieu le combat, en un lieu que choisit le commandant romain : le point o les montagnards, dvalant de leur massif, doivent passer pour s'emparer des rcoltes de la plaine, peuttre aprs avoir pill au passage les greniers d'Horrea (An Roua). Ici encore, les rebelles, c'est--dire des gens de la province, sont descendus du nord vers le sud; le mouvement inverse serait peu comprhensible. Comme dans la rgion de Milev, les Romains eurent en face d'eux une confdration dont les chefs portent le titre de roi et non celui de princeps, ce qui semble indiquer qu'ils avaient chacun sous leur commandement des troupes relativement importantes (Bavarum gentes quorum multitude., dit l'inscription). Ici ces rois sont au nombre de trois et ce sont des personnages connus puisqu'on prend soin de donner leur nom, Taganin (ou Tagavin), Masmul et Fahem; et il est encore question d'au moins trois autres personnages de la famille royale dont les noms sont donns aussi. Il semble que le vainqueur a bien pris soin de nommer ainsi les chefs de la rvolte pour donner sa victoire plus de crdit et faire connatre aux habitants de la rgion que la baraka dont jouissaient ces chefs a dfinitivement disparu. De telles prcisions et un tel souci ne se comprennent que si les rvolts sont bien connus dans le pays. L'emplacement des combats ou des inscriptions qui les mentionnent montre que les engagements entre Romains et Bavares se sont produits au dbouch dans les plaines, les rebelles venant du nord, c'est--dire des montagnes qui s'tendent entre la Sava et l'Amsaga, et, chacun de ces combats apparat comme une offensive Bavare contre les pays riches de plaines et non pas comme une opration romaine en pays Bavare. Il s'agit donc pour les Romains de combats dfensifs correspondant aux grandes insurrections du III sicle, particulirement celle de 253-263. Les Bavares orientaux groupaient un certain nombre de gentes, au moins quatre (C.I.L., VIII, 2615). Si comme nous pensons l'avoir montr ces peuples vivaient dans le massif des Babors, parmi ces gentes il en est une qui tait appele un grand avenir : c'est celle qui deviendra les Kotama*. Nous avons, en effet, semble-t-il, la preuve de son existence antrieurement : Ptolme signale sur le cours moyen de l'Amsaga les Kooo, or Ptolme ne cite pas les Bavares, il considre donc les Kooo comme tant la gens la plus importante de la rgion. C'est peut-tre de la mme rgion que venait l'vque Montanus Cedamusensis de Maurtanie Sitifienne qui fut exil par Hunric en 484. Un peu plus tard, l'poque byzantine, toujours en pays Bavare, un rex gentis Ucutamani se proclame esclave de Dieu dans une inscription du col de F'douls. Ibn Khaldoun enfin cite parmi les villes appartenant aux Kotama : Stif, Djidjelli, Collo, Mila; or nous avons vu les Bavares au nord de Sitifis, au sud d'Igilgili et prs de Milev. Ainsi le nom mme de Bavares peut trs bien avoir t celui d'une des gentes de la confdration qui au cours du III sicle supplanta momentanment la gens principale, celle des Kooo qui, avant (Ptolme), et aprs, sous le nom
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d'Ucutamani-Kotama (Ibn Khaldoun) exera la primaut sur l'ensemble de la fdration. La gens Bavare qui donna son nom la fdration dut s'puiser dans les insurrections du III sicle, et aprs un temps d'incertitude qui correspond au IV sicle et la guerre de Firmus, les Ucutamani reprennent leur prpondrance. Sous le nom de Kotama ils jouent le principal rle dans l'pope fatimide qui les puisera leur tour, ce qui, en dfinitive, facilitera l'arabisation de la Petite Kabylie orientale. Il est incontestable que les Bavares ont sjourn dans l'ouest de la Maurtanie Csarienne, vraisemblablement dans la zone montagneuse presque ininterrompue qui va des Traras au Dahra et l'Ouarsenis. Mais tous les Bavares ne rsidaient pas dans cette rgion. Ceux qui envahirent la rgion de Milev, ceux qui turent Q. Gargilius Martialis, les rebelles que M. Cornelius Octavianus crasa prs de Stif, ceux dont la multitude fut arrte au col de Meksen, constituaient une puissante confdration de montagnards qui habitaient non loin de la Numidie, entre celle-ci et les Quinquegentanei avec lesquels ils s'allirent en 253. Ainsi nous arrivons considrer que deux groupes ethniques, deux confdrations portant le mme nom, existaient en Maurtanie Csarienne ; l'une l'extrme ouest, l'autre l'extrme est, les Bavares Mesgnenses tant vraisemblablement une des gentes du premier groupe. Rien ne s'oppose cette interprtation et l'exemple des Mazices ou des Musones-Mussini prouve que le mme nom pouvait, comme de nos jours, tre port par des peuplades distantes de plusieurs milliers de kilomtres. Il y avait donc des Bavares occidentaux en contact avec les Mazices de l'Ouarsenis et du Dahra et les Baquates du Moyen Atlas, et des Bavares orientaux qui se localisent entre l'Amsaga et la Sava, en relation avec les Quinquegentanei du Djurdjura. Si les Bavares de l'ouest et la fdration orientale de Petite Kabylie qui porta un moment le mme nom de Bavares eurent au cours du III sicle, et d'autres poques, une politique analogue, si nous trouvons mention des Bavares dans des inscriptions de Volubilis et de Lambse, si nous les voyons se rvolter au mme moment ou en des circonstances semblables, cela ne prouve nullement que les mmes Bavares se montraient partout la fois, ni que les Romains appelaient du mme nom un seul et mme peuple. En un mot on ne peut admettre srieusement cette ubiquit des Bavares. Entre les peuples voisins des Baquates et ceux voisins des Quinquegentanei, il n'y avait de commun que le nom et peut-tre le genre de vie, celui de montagnards famliques. L'interprtation que nous donnons des diffrentes sources relatives aux Bavares nous fait donc rejeter celle antrieurement propose par R. Thouvenot pour lui les Bavares habitaient une longue bande de territoire qui allait de la Haute Moulouya au sud-est de Stif et taient les reprsentants, dans l'Antiquit, de ces Nomades qui rdent ternellement aux approches des pays pacifis l'afft du moindre branlement qui en affaiblira la rsistance. Cette opinion fut partage par C. Courtois. Elle parat aujourd'hui difficilement acceptable. Si l'on refuse l'existence de deux confdrations Bavares : les Occidentaux qui se maintinrent dans l'ouest de la Maurtanie Csarienne pendant des sicles et dont la prsence entre la Moulouya et l'Ouarsenis est une constante de l'histoire de cette province, les Orientaux, confdration de courte dure centre sur les Babors et le Guergour, il faudrait tenter d'autres explications aussi peu vraisemblables que celle qui voudrait que les Romains aient indistinctement nomm Bavares les peuples insurgs de Maurtanie Csarienne; or les prcisions administratives donnes par les inscriptions qui donnent les noms des gentes (Bavares Mesgnenses), celui des rois et des membres de leur famille ainsi que le nom des autres groupes rebelles (Quinquegentiani, Fraxinenses) ou associs dans la mme unit politique (Gens
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Bavarum et Baquatum) s'opposent fermement cette manire de voir. Il est tellement plus simple d'accepter le fait, toujours actuel, que des groupes ethniques diffrents et loigns peuvent porter le mme nom. T . Lewicki n'a-t-il pas rcemment propos un rapprochement entre le nom des Bavares de Maurtanie Csarienne et celui des nigmatiques Bafour qui habitaient l'Adrar mauritanien au Moyen Age?

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G . CAMPS

B49. BAYDHAK (AL-)


A b Bakr ibn A l al- inhdjt, surnomm al-Baydhak (le pion), est l'auteur d'une Chronique sur les dbuts de l'histoire des Almohades*. Il tait connu des princi paux historiens arabes, comme Ibn K aldn, mais c'est E. Lvi-Provenal qui dcouvrit son uvre manuscrite, sans titre, et qui la publia en 1923 dans ses Documents indits d'histoire almohade. Ces 150 pages apportent des renseignements trs intressants sur les dbuts des Almohades et sur la rpartition des tribus du Haut-Atlas. Ils contiennent aussi des vulgarismes et des phrases en berbre (langue maternelle de l'auteur) dont la connaissance est trs prcieuse pour l'tude de la linguistique nord-africaine. On ignore le lieu et la date de la naissance d'al Baydhak, comme ceux de sa mort.

BIBLIOGRAPHIE LVI-PROVENAL E., Documents indits d'histoire almohade, fragments du Legajo 1919 du fonds arabe de l'Escurial, Paris, 1923 (troisime partie, p. 75-276) avec Glossaire, deux appendices et trois indices. MARCY H., Les phrases berbres des documents indits d'histoire almohade, Hespris, t. XIV, 1932, p. 62-77.
G. DEVERDUN

B50. BAZINAS
Aussi nombreuses que les tumulus en pierres ou en terre (tertres), les bazinas recouvrent presque tout le Maghreb et le Sahara. Leur nombre, leur forme, leur prsence dans les ncropoles mles des tumulus ont fait que de nombreux auteurs ne jugent pas utile de les distinguer de ces derniers et appellent indistinctement tumulus les tombeaux en pierres sches possdant ou non un appareil architectural plus ou moins simple. Ainsi St. Gsell dit que les diffrents tombeaux en pierres sches reoivent des indignes les noms de bazina, redjem et kerkour (Histoire ancienne de l'Afrique du Nord, t. VI, p. 185). M. Reygasse ne distingue pas non plus les bazinas des tumulus (Monuments funraires prislamiques de l'Afrique du Nord, p. 6). Le choix de ce terme pour dsigner un tumulus revtement appareill est cependant ancien. Ds 1867, Letourneux donnait une dfinition prcise de la bazina : Tout autour de l'Aurs dans la plaine, ainsi que dans le Hodna au pied des montagnes, se montrent en abondance des monuments qui consistent en assises concentriques ou ellipsodales de pierres plus ou moins grosses formant degrs. Le milieu de la dernire assise est rempli de pierraille et le centre en est le plus souvent marqu par trois pierres minces et longues enfonces verticalement en terre et formant les trois cts d'un rectangle allong. Le diamtre du plus grand axe varie en gnral de 9 10 m. Dans certains cas le monument forme une sorte de petit monticule dans la plaine, quelquefois il est plac sur la pente d'un tertre et ne fait butte que du ct de la dclivit du tertre... Cette dfinition tait reprise mot pour mot par J.-R. Bourguinat ds l'anne suivante et plus tard dans la Gographie compare de la Province romaine d'Afrique de Ch. Tissot. On peut critiquer le choix de ce terme d'origine berbre qui, assez frquent dans la toponymie de l'Algrie orientale et de la Tunisie, demeure inconnu dans le reste de l'Afrique du Nord. P. Pallary ayant surtout exerc son activit en Oranie emploie de prfrence le mot djahel pour dsigner les tumulus gradins. Le terme bazina

ne prsente donc qu'une acception rgionale, ce qui est un grave dfaut lorsqu'il s'agit de l'appliquer une forme de spulture trs largement reprsente dans toute l'Afrique du Nord, depuis la Tunisie du nord ou du sud jusque dans la rgion de Mekns et au-del. Fait plus grave, ce terme, d'une grande imprcision, puisqu'il a une valeur topographique, servirait dsigner une simple butte. Ce toponyme est cependant trs souvent associ une forme quelconque de spulture; ainsi le Jbel Bazina prs de Bir Bou Rekba (Tunisie) est truff d'hypoges (haouanet) et le Jbel Bazina, entre Mateur et Chaouat porte effectivement une bazina son sommet. Dans une tude rcente Mbarek Awadi propose de retrouver dans le mot bazina (et abzin qu'il reconstitue) le sens de gravir, ce qui confirme l'explication ancienne. Je ne vois pas pourquoi il glisse de cette interprtation trs intressante celle de gradin et veut rduire le contenu smantique de bazina aux seuls monuments gradins. Bien mieux, la premire apparition du mot bazina dans la littrature scientifique nord-africaine, antrieurement la dfinition de Letourneux, est due l'interprte L. Fraud qui, suivant la coutume locale, dsigne ainsi les grands tertres de la valle de la Meskiana qui ne portent pas le moindre gradin. On appelle aujourd'hui (Camps, 1961) bazinas tous les tumulus qui ne sont pas de simples amoncellements de cailloux ou de galets, tous ceux qui ont un revtement extrieur mme rduit. Bien qu'ils soient trs frquents, les tumulus gradins ne constituent qu'un type particulier de l'ensemble des bazinas. Comme les tumulus, les bazinas peuvent recouvrir une fosse ou un caisson funraire, possder une chambre dont l'accs est rendu facile par une plate-forme dalle ou non, par un cratre ou un couloir. Afin de ne pas alourdir cette classification, il ne sera question que de l'aspect extrieur des bazinas.

Les bazinas enceintes concentriques non appareilles


De forme gnralement circulaire ou elliptique, ces monuments peuvent tre assez facilement confondus avec les tumulus munis d'un cercle de pierres leur base ou avec les tertres cercles intrieurs concentriques. Ils s'en distinguent cependant par le faible intervalle qui spare les ranges de pierres et par le caractre plus soign de leur construction. Dans certains cas, les ranges sont si proches les unes des autres que les flancs des bazinas sont vritablement hrisss des plaques assez minces qui constituent ces enceintes. Mme lorsque ces ranges de pierres occupent toute la hauteur de la bazina, il existe toujours une plate-forme ou, tout au moins, un espace dgarni la surface suprieure du monument. Ce type de bazina semble particulirement frquent dans les hautes plaines de l'Algrie, de part et d'autre de l'oued Touil. De telles spultures sont des formes de transition entre le simple tumulus et la vritable bazina revtement appareill.

Les bazinas carapace


Dans ce type de monument, la base, circulaire, elliptique ou rectangulaire, est circonscrite par une simple range de dalles minces plantes dans le sol, tandis que la surface du monument est soigneusement dalle par des plaques de dimensions lgrement infrieures. Cette carapace assure l'intgrit de la spulture en la protgeant des infiltrations et en empchant l'coulement des terres qui entrent dans sa construction.

Bazinas degrs.

Les bazinas degrs


Lorsque Letourneux dfinissait la bazina, c'est cette forme seule qu'il se rf rait : c'est elle encore que songeait P. Pallary lorsqu'il nommait djahel les tumulus gradins. Si toutes les bazinas ne rpondent pas cette dfinition trop restrictive, il faut admettre que la bazina degrs est la forme la plus commune, du moins dans les

rgions telliennes. Ce sont ces bazinas qui, mles aux dolmens, recouvrent les pentes des montagnes et collines constantinoises; ce sont, elles encore, qui, la frontire algro-tunisienne et en Tunisie du nord, constituent des ncropoles assez importantes. Presque tous les tumulus signals par Pallary ou Doumergue sont des bazinas degrs. Dans les Beni Snassen, au Maroc, c'est encore ce type de bazina qui l'emporte. Bien que ces spultures existent galement dans des rgions, plus mridionales, il est assez tentant de les considrer comme une forme caractristique des rgions telliennes. Les bazinas degrs ont une forme caractristique et peuvent atteindre de trs grandes dimensions. La base est ceinture de blocs choisis gnralement pour leur forme quadrangulaire obtenue par dbitage naturel. Les assises ainsi constitues sont parfaitement rgulires; ces bazinas ont deux ou trois degrs, rarement plus, des pierrailles et plaquettes calcaires assurant le comblement entre les assises concentriques. Sur les terrains dclives, la dnivellation est corrige par l'adjonction d'une demienceinte sur la partie la plus basse ; le reste du monument est construit en retrait sur cette premire plate-forme. Les bazinas degrs peuvent atteindre des dimensions colossales : le Gour, important monument de la rgion de Mekns, est une bazina ayant la base un diamtre de 40 m. Extrieurement, le monument comprend une base cylindrique surmonte d'une srie de gradins en retrait de 5 m sur l'enceinte verticale. Celle-ci faite de plusieurs assises de grosses pierres tailles prsente les caractres d'un mur de grand appareil conserv sur 3 m de hauteur en certains endroits.

Les bazinas degrs quadrangulaires


Certaines bazinas, particulirement au Maroc, sont construites sur une base rectangulaire ou carre. Les parois de ces monuments prsentent les mmes gradins que les prcdents et leur construction est identique. Elles ne mriteraient gure d'arrter plus longtemps notre attention si leur localisation assez curieuse ne soulevait quelque problme ; les plus parfaites de ces bazinas semblent tre celles du Fezzan. De construction fort soigne, elles se terminent par un pyramidion ou par une troite plate-forme. L'analogie avec les pyramides a degrs d'Egypte est trs grande ; la prsence de petits oblisques proximit des tombes incite davantage faire ce rapprochement. Le Sud tunisien semble possder galement de tels monuments. Des bazinas quadrangulaires gradins ont t dcrites l'autre extrmit du Maghreb; dans la rgion de Guercif (Maroc oriental), J. Campardou, tudiant les nombreux tumulus d'El-Mizen, emploie, lui aussi, le terme de pyramides pour dsigner les bazinas rectangulaires d'assez petites dimensions (6 m sur 1 m) dont les flancs sont constitus d'une srie de gradins. Au Maroc galement, mais proximit de Ttouan, un autre monument quadrangulaire entre dans la mme catgorie : il s'agit du Tumulus des Beni Maadan (ou des Beni H'osmor). C'est une pyramide tronque de 12 m de ct et de 4 m de hauteur dont les flancs, suivant Pallary, portaient des gradins. La rpartition des bazinas pyramidales ne semble pas convenir l'extension progressive d'un type primitif venu d'Egypte; si le rapprochement reste valable pour le Fezzan qui rvle d'autres influences orientales, il ne peut tre accept pour la Berbrie. Si on compare les formes respectives des Djedar et du Medracen, il apparat que le plan rectangulaire est beaucoup plus rcent que le plan circulaire. Il est bien plus frquent l'ouest qu' l'est. La structure enfin de ces monuments, mme de ceux du Fezzan, est absolument identique celle des autres bazinas. Leur construction est donc radicalement diffrente et celle des pyramides degrs de

la III Dynastie. Afin d'viter toute confusion ou rapprochement hasardeux, il semble prfrable de rejeter dfinitivement l'expression de pyramides ( degrs ou tronques) pour dsigner ces monuments qui ne sont rien d'autres que des bazinas degrs sur plan rectangulaire.

Les bazinas base cylindrique


Alors que les bazinas degrs paraissent plus nombreuses dans les rgions telliennes sans tre cependant inconnues des pays mridionaux, les monuments ayant une base en forme de cylindre plus ou moins lev sont plus caractristiques des rgions semi-steppiques. Les meilleurs exemples nous paraissent fournis par des monuments des ncropoles d'Ain Sefra, de l'oued Tamda, d'An el-Hamar et du Mistiri. Dans le Sud oranais, la mission Frobenius fouilla un nombre considrable de ces bazinas. La forme la plus simple de ces bazinas est une tombe circulaire ceinture d'une murette en pierres sches; l'espace compris entre la chambre funraire et ce revtement est rempli de pierraille et de terre. Plus nombreuses sont les bazinas qui, au-dessus de la base cylindrique, portent un cne surbaiss en pierres sches. En des rgions aussi loignes qu'An Sefra, dans le Sud oranais, et Oued-Tamda et An El-Hamara, chez les Ouled Djellai, ces bazinas cylindro-tronconiques ont une alle dalle ou un vritable couloir aboutissant au mur circulaire du monument. Ces lments ne prsentent aucune utilit relle : ni les couloirs, ni les alles qui demeurent extrieurs aux monuments, ne sont des voies d'accs vers la chambre funraire. Celle-ci n'est accessible que par le cratre qui, au sommet de la bazina, permet d'aboutir aux dalles de couverture. Presque toutes les bazinas cylindro-tronconiques entrent, en effet, dans le groupe des spultures cratre. Ces pseudo-couloirs et alles sont donc des amnagements culturels symboliques comme il y en a tant auprs des bazinas. L'une d'elles situe sur le Djebel Mistiri fut dcrite par M . Latapie, elle prsentait une niche qui jouait vraisemblablement le mme rle. Il n'est pas sans importance que ce type de spulture soit si frquemment muni d'lments extrieurs rvlant u n culte funraire, car les plus beaux monuments nord-africains, le Medracen et le Tombeau de la Chrtienne, sont prcisment d'immenses bazinas cylindro-tronconiques. Leur base circulaire fut agrmente de demi-colonnes et le cne suprieur constitu d'une succession de degrs. Mme les fausses portes du Medracen, du Tombeau de la Chrtienne ne sont pas sans analogie avec les dalles plaques sur les flancs de certaines bazinas marocaines.

Les bazinas spultures multiples


Les spultures multiples ne semblent gure modifier la forme extrieure des bazinas : elles entranent cependant des modifications de structure assez sensibles. Le procd le plus simple consiste juxtaposer deux caveaux l'intrieur de la bazina comme dans la plus grande des spultures de Tiddis. Ce monument tait ceintur d'une murette de parpaings grossirement dbits ou choisis en raison de leur forme quadrangulaire. Les deux caveaux taient orients approximativement est-ouest tout en n'tant pas parallles. Fait curieux, la construction de ces caveaux ne rpondait pas au souci d'individualiser deux spultures rserves chacune un corps. La fouille et l'tude du contenu des vases mis au jour dans les tombes rvlrent, sans que le moindre doute ft possible, que ces caveaux taient tous deux des ossuaires collectifs et qu'il n'en a jamais t autrement. Ces tombes, soigneuse-

Diffrents types de bazinas. 1 : base cylindrique d'An el-Hamara, 2 et 6 : spultures multiples de Tiddis et de Sigus, 3 : carapace d'An el-Hamara, 4 et 5 : enceintes concentriques de l'oued Ouerk.

ment prpares et semblant convenir parfaitement deux individus, n'ont jamais reu de corps entiers mais les restes dcharns d'un grand nombre de personnes. A Sigus et prs de Zouarine, des bazinas, galement constitues d'un mur circulaire ceinturant un amoncellement de pierraille, possdent deux spultures, mais ces dernires sont disposes en T de telle sorte qu'elles s'interpntrent. Ce procd exige mois d'effort puisqu'il vite mme la construction d'un mur mitoyen; il dnote, en revanche, une insouciance caractrise de l'orientation. Trs nombreuses et couvrant la totalit du Maghreb, les bazinas sont, comme les tumulus, des spultures de type autochtone. C'est d'elles que drivent les grands mausoles nord-africains, Medracen, Tombeau de la Chrtienne, Djedar, Gour, qui des poques diffrentes, loignes parfois de plusieurs sicles, montrent la conservation fidle des formes architecturales berbres sous les chemises punique, grecque ou romaine. Comme les tumulus encore, les bazinas rvlent un nombre assez grand de rites funraires; elles semblent toutefois, plus frquemment que les autres spultures nord-africaines, contenir des restes pralablement dcharns dans une spulture primaire. Cette multiplicit des rites correspond sans doute au long usage des bazinas dont certaines, surtout dans les rgions mridionales, ont pu tre construites peu avant l'Islam. On a cru pouvoir reconnatre que les deux principaux types, la bazina degrs et la bazina base cylindrique, n'avaient pas la mme extension. La premire, plutt tellienne, est frquemment associe aux dolmens dans les grandes ncropoles de l'Algrie orientale, mais s'tend galement toutes les rgions mditerranennes. La seconde est mieux reprsente dans la steppe prdsertique et l'Atlas saharien. On ne saurait toutefois se montrer trop systmatique car il n'y a aucune ligne de dmarcation entre ces deux types qui existent la fois dans le nord et dans le sud. Au Sahara, il existe de nombreuses et fort typiques bazinas degrs, aussi bien dans le Sud tunisien (Bordj Fedj-Fedj) qu'au Fezzan (Oued el Agial) et au Hoggar (rgion d'In Eker) tandis que la plus imposante des bazinas base cylindrique, le Tombeau de la Chrtienne, s'lve sur les collines du Sahel algrois.

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G. CAMPS

B51. BJA Capitale de cette partie du Tell septentrional tunisien qui fut nomm Bled Bja et Bjaoua, la ville de Bja est, avant le Kef et Jendouba (ex Souk el-Arba), la principale agglomration du Tell. Le bassin de la moyenne Mdjerda est une dpression complexe qui depuis le Miocne infrieur connat une importante subsidence ; la plaine de Bja fait partie de ce bassin mais elle en constitue une sorte de diverticule log dans une valle affluente, celle de l'oued Bja, qui coule du nord au sud. Les terres de cette valle ont, de tous temps t considres comme les meilleures de la Tunisie. Cette richesse agricole explique la longue histoire de Bja, actuellement chef-lieu de gouvernorat, qui exera toujours sa fonction de march rgional, au contact des petits massifs du nord (Mogods, Nefza, Hdil, Jbel Zebla) et des riches terres de la Mdjerda. Bja a succd l'antique Vaga qui, comme Bulla Regia et Simittu (Chemtou) plus l'ouest, tait une ville importante ds l'poque numide. Pendant la Guerre de Jugurtha (II sicle av. J.-C), Vaga tait une place de premire importance : civitas magna et opulens, dit Salluste. Elle devait dj cette richesse la production agricole, ce qui explique le dveloppement particulier du culte des Cereres dont la clbration fut mise profit par les habitants de la ville, fidles la cause de Jugurtha, pour massacrer les Romains (Bellum Jugurthinum, lxvi et lxvn). Vaga devenue colonie sous Septime Svre atteint son apoge au dbut du III sicle. De cette ancienne splendeur, il ne demeure que peu de vestiges, ceux d'une porte monumentale en ville et des spultures au voisinage, mais les environs sont bien pourvus en ruines romaines : 8 km seulement au nord-est, florissait au mme moment, la ville de Belalis Maior (Henchir el Fouar), 9 km l'ouest une importante basilique chrtienne subsiste Henchir Rhiria. Chose curieuse, Bja, bien que la plus importante agglomration de la rgion,
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s'est presque toujours trouve sur un embranchement secondaire du principal axe de circulation ; dans l'Antiquit, la grande voie romaine de Carthage Bulla Regia, Simittu et Hippone passait une douzaine de kilomtres au sud de la ville. Elle franchissait l'oued Bja par le pont de Trajan, long de 70 m et large de 7 m, dont les trois arches sont parfaitement conserves. De nos jours, Bja n'est pas desservie par la principale voie ferre de Tunisie, celle qui va de Tunis la frontire algrienne (Ghardimaou), elle lui est relie par un embranchement qui va Mateur et Bizerte. Seule la mise en place d'un rseau routier moderne a fait de Bja un nud de communication important puisque s'y croisent aujourd'hui, les routes de Nefza, Mateur, Medjez el-Bab et Jendouba. Bja n'eut d'importance que par la seule richesse agricole de ses terres; au XI sicle, El Bekri en fait le grenier de l'Ifriqiya , mais quelques dcennies plus tard la plaine opulente, tombe aux mains des Hilaliens n'est plus qu'un vaste terrain de parcours. C'est autour de Bja que se concentrent les Hilaliens en vue de combattre l'mir almohade Abd el-Moumin; on sait que celui-ci les crasa prs de Stif (1152). Un demi-sicle plus tard, Bja fut conquise par Ali ben Ghaniya et devint l'un des principaux centres de son phmre empire. Mais quelques soient les vicissitudes de l'histoire, Bja est et demeure un gros march o, aussi bien les montagnards du nord que les nomades pasteurs du sud viennent s'approvisionner. Aujourd'hui encore, les principales activits de la ville restent troitement lies l'agriculture, ce sont des ateliers mcaniques, des industries de conserves ou de conditionnement de produits agricoles et surtout une importante raffinerie de sucre de betterave. Cependant l'existence d'une ancienne kasbah, dont une partie des murs appartient l'enceinte byzantine construite au VI sicle, rvle une autre fonction de Bja, celle d'une place forte faisant face aux prils venus de l'ouest, lors des diffrentes tentatives algriennes au cours des XVII et XVIII sicles, mais tourne aussi contre les tribus peu contrles du nord. Aujourd'hui que ces dangers ont disparu, la ville moderne est descendue de la colline que domine cette kasbah et s'tend largement dans la plaine. La ville a connu, en effet, une croissance dmographique considrable : la population qui tait de 14 000 personnes vers 1940, passait 22 000 en 1955 et atteignait 29 000 en 1965; le nombre des habitants doit dpasser largement 40 000 aujourd'hui.
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E. B.

B52. BEJAIA (Saldae, Badjaia, An Nasiriya, Bougie)

Les dbuts de Bejaia Ce site militaire et portuaire bien abrit des vents par le Cap Carbon fut occup trs tt. Le port romain, qui n'avait sans doute fait qu'amnager un comptoir punique, prit le nom de Saldae, et fut rig en colonie sous Auguste. Il souffrait cependant de sa position marginale, l'extrmit occidentale de la Maurtanie Stifienne. Occupe par les Vandales au V sicle, par les Arabes en 708, la ville connut des hauts et des bas. Au x sicle, elle tait habite principalement par des Andalous, qui la firent bnficier des apports hispano-mauresques. Elle n'tait cependant qu'un petit port de pche lorsque la dynastie hammadite, centre sur le bassin du Hodna, et qui cherchait u n exutoire maritime, prit en main sa destine. En 1067, An Nasir y fit entreprendre des travaux, ds l'anne suivante il y emmnagea et lui donna le nom de An Nasiriya. La pression croissante des
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Bjaa au XI sicle, d'aprs P.L. Cambuzat, 1986.

nomades dans le Hodna, en mme temps que le dveloppement des changes commerciaux avec l'Europe, avaient ainsi amen la dynastie hammadite transfrer sa capitale, de Qalaa des Beni Hammad Bejaia dcision symbolique du dplacement progressif du centre de gravit, de l'intrieur vers le littoral, qu'allait connatre tout le Maghreb.

La gloire d'une capitale mdivale


Bejaia fut alors capitale d'un royaume s'tendant de Tens Annaba. C'tait le ple de tout le Maghreb central, elle clipsait toutes les autres cits. L'on a estim qu'elle comptait alors 100 000 habitants. Dcrite par Idrissi et plus tard par Lon l'Africain, c'tait une belle cit, un grand carrefour d'change. Les vaisseaux qui naviguent vers elle, les caravanes qui y descendent, impor-

tent par terre et par mer des marchandises qui se vendent bien. Ses habitants sont des commerants aiss et, en fait d'industrie artisanale et d'artisans, il y a l ce qu'on ne trouve pas dans beaucoup de villes. Ils sont en relation avec les marchands de l'Occident, avec ceux du Sahara et avec ceux de l'Orient. Un chantier naval construit de gros btiments, des navires et des vaisseaux de guerre, car le bois de construction ne fait pas dfaut dans ses valles et dans ses montagnes, et la fort produit de l'excellente rsine ainsi que du goudron. On y trouve encore des mines de fer solide. Ainsi, en ce qui concerne l'industrie, tout est merveille et finesse (Al Idrissi, Description de l'Afrique et de l'Espagne, in Golvin). La ville tait connue pour livrer des quantits importantes de cire servant fabriquer les bougies, ce serait l l'origine du nom de ce produit. C'tait aussi une base militaire pour les expditions contre le pays des Rum (principalement la Sicile, 3 jours de navigation). Capitale arabe en pays kabyle, Bejaia tait une ville cosmopolite, o se ctoyaient Arabes, Kabyles, Andalous, Chrtiens et Juifs. La communaut chrtienne tait suffisamment nombreuse pour que le Pape Grgoire VII, y envoie, la demande du souverain hammadite, un vque. Le thologien et philosophe Raymond Lull y mourut en 1315, lapid pour avoir voulu vangliser la population musulmane. Il est hors de doute que la nouvelle capitale des Beni Hammad fut un extraordinaire foyer de culture. La dynastie y connat son apoge, la ville reoit la visite frquente, on pourrait dire constante, de voyageurs venus de tous les points du monde musulman qui abordent et sjournent plus ou moins longtemps dans ce port accueillant, d'accs facile. Les ides s'y changent, sans cesse alimentes par l'apport des dernires nouveauts orientales ou occidentales. La brillante culture andalouse vient se heurter l'inspiration orientale traditionnelle, elle la renouvelle en se renouvelant elle-mme au contact des sources parfois perdues de vue. La science profane trouvera galement sa place ct de la science sacre. Bougie, au XII sicle, apparat bien ainsi comme une ville fanion du Maghreb, une ville moderne qui donne le ton, une ville assez diffrente de Qalaa, cit berbre vivant l'orientale (L. Golvin, 1957). La ville tait enferme dans un rempart et situe sur un petit promontoire dominant la baie. L'eau provenait de Toudja (dans les montagnes l'ouest) par un aqueduc. Le ravitaillement se faisait partir de la petite mais riche plaine agricole locale, au confluent de l'oued El Kebir (la Soummam actuelle) et de l'oued Seghir. A proximit tait exploite la mine de fer de Timezrit.
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Les sicles obscurs de Bejaia Au XIV sicle, la ville fut le sige d'une principaut hafside, qui commerait activement avec les tats chrtiens. En 1509, les Espagnols prirent la ville, pour en faire un comptoir ; la prosprit commerciale se maintint grce aux relations avec Pise et Gnes. Charles Quint en fit sa rsidence en 1541. Mais en 1555, elle fut prise par le Dey d'Alger, passa sous pouvoir turc, et fut progressivement clipse par l'Alger turque, d'autant que le dcoupage de l'Algrie turque en 3 beyliks plaa pendant 3 sicles Bejaia en position marginale. En 1833, lors de son occupation par l'arme franaise commande par Trzel, elle n'tait plus que l'ombre d'elle-mme : elle comptait 265 maisons, soit 2 000 habitants environ. La colonisation amnagea le port existant, construisit un avant-port et un bassin ; la ville retrouva progressivement son rle de dbouch des Kabylies. Lors de l'insurrection de 1871, elle fut attaque (en vain) par les tribus kabyles voisines. Devenue sous-prfecture, elle clata hors de ses remparts, et s'tendit peu peu sur les
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Bjaa et son site : la ville, la zone industrielle et la chane des Babors (photo M. Cte). pentes. En 1954, elle comptait 30 000 habitants, parmi lesquels 6 200 relevaient de la communaut europenne. Cependant, une des dernires dcisions du pouvoir colonial allait tre importante pour la ville : celle, prise en 1960, de faire dboucher Bejaia l'oloduc amenant sur le littoral le ptrole saharien, travers les gorges du Ksob et les Portes de Fer. Bejaia devenait l'exutoire (longtemps unique) de ce ptrole, et du mme coup un port ptrolier important.

Bejaia actuelle ou la difficult s'assurer un hinterland


La ville doit son existence et sa fortune un site portuaire remarquable : site de baie en faucille, protge de la houle et des vents du large (nord-ouest) par l'avance du Cap Carbon; un bon site portuaire dans une des plus belles baies du littoral maghrbin, domine par les hautes montagnes des Babor*. Second avantage, ce site se trouve au dbouch d'une valle large et longue, la Soummam, qui constitue un vritable couloir en direction du sud-ouest. Et cependant, depuis l'poque o la ville a t capitale, un divorce s'est instaur entre Bejaia et sa rgion. A l'chelle macro-rgionale, Bejaia tourne le dos sa rgion... qui le lui rend bien. Sa position l'extrmit de la Soummam la place la limite entre Grande et Petite Kabylie. Mais chacun des deux massifs montagneux s'enferme en lui-mme, se cherche des capitales intrieures (Tizi-Ouzou, Akbou, Kherrata), se dtourne de la mer et des activits maritimes donc de Bejaia. Celle-ci fait un peu figure d'trangre en ce pays. Son faible enracinement local se traduit par l'aire restreinte des tombes rurales sur la ville : elles proviennent de 4 ou 5 communes seulement. A l'chelle micro-rgionale, le problme est autre. Bejaia est le dbouch tout indiqu pour l'Algrie mdiane situe entre Alger et Skikda : exutoire des Hautes plaines, port d'approvisionnement de 2 millions d'habitants. Mais les liaisons avec ce dbouch sont fort dlicates :

La ville de Bjaa.

au sud-ouest, la valle de la Soummam constitue un beau couloir, mais qui s'inflchit vers l'ouest, ouvre seulement sur le bassin des Beni Slimane, lui-mme dj desservi par Alger plus proche; au sud-est, les liaisons sur Stif et les Hautes plaines ne peuvent se faire qu' travers les gorges trs escarpes de Kherrata (oued Agrioun). Une route y a t ouverte par le gnie militaire la fin du XIX sicle. Elle vient d'tre double par un tunnel routier de 7 km; mais elle s'est refuse la voie ferre;
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une troisime voie peut tre trouve au centre, en empruntant la Soummam sur une partie, puis les Portes de Fer et la longue monte vers Bordj-Bou-Arreridj. C'est celle qu'empruntent la voie ferre et la route nationale, au prix d'un long dtour. Aussi, malgr ces efforts, une partie des changes chappent-ils Bejaia, sur ses ailes ouest et est. Les contraintes topographiques maintiennent leurs droits.

Bejaia et ses activits


Elles sont essentiellement de deux ordres : portuaires et industrielles. Depuis longtemps port de pche, et petit port commercial, Bejaia a vu son activit bnficier d'une grande impulsion lorsque la pose de l'oloduc d'Hassi Messaoud en a fait l'exutoire du ptrole saharien. A l'entre de la ville, le visiteur est accueilli par les normes cuves ptrole, relies par conduite au port ptrolier, construit un peu l'cart de la ville. Rejointe et dpasse aujourd'hui par Arzew et Skikda, Bejaia demeure nanmoins le 3 port du pays en volume, avec 9 10 millions de tonnes de trafic par an, dont 2 millions aux entres (marchandises gnrales) et 8 millions aux sorties (hydrocarbures). Fait notable, l'activit industrielle, fort active aujourd'hui, n'est gure ne de ce trafic ptrolier, et gure plus des changes avec l'arrire pays. Elle est avant tout le fait des pouvoirs publics, qui ont voulu crer un ple d'emploi en cette rgion montagneuse et trs peuple. Il existait une base d'industries anciennes, de statut priv; l'essentiel est une cration de l'tat algrien, partir des annes 1970. Il comporte une quinzaine d'units, les plus remarquables tant une unit de jute, une fabrique de grues, une unit de confection, une usine de corps gras... Au total, Bejaia compte 8 000 emplois industriels, en majorit dans le textile. Cette double activit de la ville a t conforte par le statut de chef-lieu de wilaya, la prsence des quipements affrents, et les services grant ou desservant toute la wilaya. Il a ainsi fallu tout le poids de l'tat pour affermir le rle de cette ville dans l'conomie et le territoire national. Elle compte aujourd'hui 115 000 habitants.
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Bejaia et son urbanisation


Adosse au Djebel Gouraya, comme Annaba au massif de l'Edough, face une baie de toute beaut, la ville connat cependant quelques problmes dans son extension spatiale. Le site initial, coinc entre montagne et mer, tait exigu. La petite plaine au sud, celle de l'oued Seghir, avait vocation agricole, et apparaissait trop humide pour tre urbanise. Aussi l'extension l'poque coloniale s'est-elle faite en deux sens : vers le sud pour le port, vers l'ouest pour la ville, qui est demeure sur les bas-versants du Djebel Gouraya. Mais les besoins de la ville rcente ont t d'une autre ampleur, car en 40 ans elle a vu sa population et sa superficie multiplies par 4. Cette urbanisation s'est faite : par extension du tissu urbain sur les contreforts du Djebel Gouraya, en continuit avec la ville coloniale, mais grene sur les collines toujours plus loin vers l'ouest; par implantation d'une vaste zone industrielle au centre de la plaine, au prix du drainage des terrains humides de l'oued Seghir, et du dmnagement de l'ancien arodrome. Elle compte une quinzaine d'units aux grands btiments, modernes et propres, sans compter de nombreux dpts et petites units; par le dveloppement tout rcent de la zone d'urbanisation d'Ihaddaden, sur

Bjaa et ses difficiles liaisons avec l'arrire-pays. le versant de collines au sud. Coexistent l des cits d'immeubles tatiques, et des quartiers en auto-construction qui s'aventurent toujours plus loin sur les pentes. Symtrique de celle du nord par rapport l'axe de l'oued Seghir et de la zone industrielle, c'est l un vritable Bejaia 2 qui a surgi et est en train de se structurer. Le site urbain est aujourd'hui quasiment rempli. Si la ville veut pousser plus loin au sud, elle devra dplacer ses cuves ptrole, recouper le mandre de l'oued Soummam, et btonner les agrumeraies qui la sparent de l'aroport...

Bejaia, ple de culture berbre


Bejaia, cre comme capitale arabe, a longtemps tourn le dos son arrire pays montagnard et kabyle. Mais, au cours des ges, la ville s'est progressivement peuple de kabyles, et est aujourd'hui largement berbrophone.

Si elle a eu peine s'imposer comme capitale conomique de la Petite Kabylie, elle en est indniablement la capitale culturelle. Elle rivalise avec Tizi-Ouzou pour le leadership de la culture kabyle en Algrie : Tizi-Ouzou a pour elle sa situation au cur du pays berbrophone, mais Bejaia a pour elle une taille de population double. Depuis une dcennie, le mouvement est actif. Dans le contexte d'ouverture politique actuelle, se multiplient les groupements, associations, manifestations artistiques et culturelles de tous types. La prsence d'un Centre Universitaire soutient le mouvement. Symboliquement, c'est Bejaia qu'est programme la cration d'un Institut de langue tamazirt.

BIBLIOGRAPHIE GOLVIN L., Le Maghrib central l'poque des Zirides, recherches d'archologie et d'histoire, Gouv. gnral d'Algrie, Paris, 1957, 259 p. CAMBUZAT P.-L., L'volution des cits du Tell en Ijriqiya du VII au xxi sicle, OPU, Alger, 2 vol., 1986. FONTAINE J., Villages kabyles et nouveau rseau urbain en Algrie, le cas de la rgion de Bejaia, URBAMA, Tours, 1983, 274 p; Bejaia, collection Art et Culture, Ministre d'Information, Alger, 1970, 115 p.
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M.

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B53. BELEZMA
Massif montagneux situ au nord ouest du gros massif des Aurs, et qui est un peu une rplique de celui-ci en plus petit. Culminant 2 138 m au-dessus des plaines priphriques situes 800, 900, ou 1 000 m d'altitude, il se prsente comme un massif vigoureux, contrast, aux pentes toujours accuses. Ses fortes dnivellations expliquent l'existence de plusieurs tages de vgtation forestire, la partie sommitale portant une cdraie, la plus vaste d'Algrie. Les cdres, de 100 200 ans d'ge moyen, y sont dans l'ensemble en bon t de rgnration, malgr quelques incendies ; la position mridionale du massif, et la faiblesse relative des prcipitations, sont compenses par la nature trs favorable des terrains dans l'axe central de la chane, o ils sont grseux. Tout le reste du massif est constitu de calcaires (ou marnes) ; les hauteurs portent une couverture neigeuse pendant un mois environ chaque hiver; deux faits qui favorisent une forte rtention des eaux, restitues sur le pourtour en grosses sources vauclusiennes. La structure dissymtrique du massif fait que sa bordure orientale est relativement strile, alors que la bordure ouest est jalonne de grosses sources : Merouana, Tinibaouine, Ngaous, Hammam, Bou Mguer, El Madjen. Certaines ont des dbits puissants, de 100 300 litres/seconde; depuis fort longtemps, elles ont donn naissance de petites huertas de vergers-jardins prospres o domine l'abricotier. La plupart comptent des vestiges d'implantations romaines; Ksar Belezma, 3 km au nord de Merouana, occupe le site de la Lamasba romaine puis byzantine. Humainement, le massif est galement une rplique de celui des Aurs : peupl de Chaouia parlant berbre, il a, au long de l'histoire, fait figure de bastion difficile dominer, et o ont clat plus d'une insurrection. En 1871 (insurrection de Mokrani), comme en 1916 (soulvement des Aurs li la conscription militaire), le Belezma fut en armes, et des combats historiques se livrrent autour du Djebel Mestaoua, cette haute table escarpe qui termine au nord le Belezma. Le massif n'est pas suffisamment tendu, ni suffisamment incis de valles, pour que de vastes collectivits humaines intramontagnardes aient pu s'y constituer comme

Le massif du Blezma. cela a t le cas dans les Aurs. Les implantations humaines sont petites et parses, en mechtas ou carts, sur les flancs ou dans les valles ; les villages de colonisation de Condorcet (Hamla) et de Victor Duruy (Chabet Ouled Chikh) ont t tardifs, trs vite semi-avorts, et sont localiss sur les marges du massif, juste avant le dernier crt priphrique. Les implantations intramontagnardes ont d'ailleurs rgress au cours de la guerre d'Indpendance, qui a vu le massif secou par les combats, et la population descendre en masse sur les pimonts. C'est l en effet que se trouve aujourd'hui l'essentiel de la population du Belezma. Une vritable couronne de localits ceinture le massif, dont on pourrait retrouver la gense dans les villages de colonisation, les camps de regroupement militaires, ou dans des localits nes de faon spontane prs des jardins et le long des routes.

Outre Batna*, chef-lieu de wilaya, en position de contrle du grand couloir de circulation qui longe le Belezma l'est, trois petites villes frangent le massif : Ain Touta (ex. Mac Mahon), Merouna (ex. Corneille), et Ngaous, qui rayonnent sur leur espace rural par leurs gros marchs, et par une fonction de chef-lieu de dara. Une dizaine d'autres agglomrations de toute taille complte le dispositif. Quant la montagne, elle demeure semblable elle-mme, superbe. Les Batnens fortuns y montent le week-end pour profiter de la vue et de l'air pur. Depuis plusieurs annes, il est prvu de constituer la cdraie en un Parc naturel de 9 000 ha.
M. CTE

B54. LE BLIER A SPHRODE (Gravures rupestres de l'Afrique du Nord)


Parmi les trs nombreuses gravures rupestres de l'Atlas il est un thme qui a trs tt attir l'attention des archologues, celui d'un ovid par d'une coiffure globuleuse de forme sphrique et de divers attributs, l'ensemble tant communment dsign sous l'appellation de blier sphrode.

Comparaison propose par E.F. Gautier entre une reprsentation du dieu Amon-Ra de Karnak (Egypte) et un ovin d'une gravure rupestre de Znaga (Algrie). Ces curieuses figurations parmi lesquelles se comptent quelques chefs-d'uvre de l'art rupestre nord-africain ont donn lieu de nombreux commentaires et hypothses. Les plus anciens sont fonds sur une analogie de ces reprsentations avec celles du dieu gyptien Amon-R. Le dieu de Thbes, Amon, tait figur depuis l'ancien Empire sous la forme d'un blier; par suite de sa fusion avec R, le dieu solaire, il faut affubl, surtout devant le Nouvel Empire, du disque solaire. Or les coiffures sphriques des ovins de l'Atlas sont reprsentes plat sur deux dimensions et paraissent tre des disques. La confusion devenait d'autant plus facile que parmi les attributs qui s'chappent des sphrodes sur de rares gravures, les plus soignes (Bou Alem, An Naga, Znaga) certains de forme courbe et redresse sont assez semblables aux uraei (serpents dresss qui flanquent habituellement le disque solaire gyp-

tien). Les premiers spcialistes de l'art rupestre nord-africain taient donc conduits voir dans les reprsentations atlasiques des figurations d'une divinit africaine d'origine gyptienne. Cette opinion tait conforte par l'importance donne alors au culte du dieu Amon durant l'Antiquit classique. On admettait facilement qu' la tte du panthon africain sigeait un dieu suprme, Amon ou Ammon*, devenu clbre dans le monde grec ds le VI sicle av. J.-C. par son oracle de l'oasis de Siouah. Les auteurs croyaient que ce dieu oraculaire, confondu avec le dieu thbain Amon-R, avait tendu son influence jusqu' l'extrme ouest de l'Atlas. D'autre analogies, de nom cette fois, permettaient d'tablir une autre quivalence : on savait qu' Carthage le dieu BaalHammon (dont le nom semble signifier en phnicien le Matre des Brle-parfum) dtenait un rle prminent; les Africains n'auraient-ils pas confondu ce dieu punique et le dieu gyptien sous le mme nom? Enfin, dernier lment l'appui de cette thse, R. Basset retrouvait chez les Guanches des Iles Canaries, le nom d'Aman qui signifiait Seigneur et tait appliqu au Soleil. Amon dieu-blier primordial, devenu dieu solaire par sa fusion avec R aurait ainsi tabli de proche en proche sa domination sur les panthons inorganiss des
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Bliers pars; diffrents aspects du sphrode et des colliers. 1. Bou Alem, 2. Guelmouz el-Abiod, 3. Dayet es-Stel, 4. Hadjra Sidi Bou Baker.

Barbares de l'Ouest africain, mais ceux-ci rests un stade plus primitif adoraient le mme dieu sous sa forme animale. Ce culte aurait subsist trs tard puisque El Bkri, au XI sicle, signalait l'existence d'un culte du blier dans le Sous. La thse tait trop simple. La coiffure des bliers de l'Atlas n'est pas un disque solaire et les reprsentations gyptiennes, situes arbitrairement l'origine de celles de l'Atlas leur sont postrieures de 2 3 millnaires puisque celles-ci appartiennent au Nolithique ancien. St. Gsell, qui dans le tome 1 de son Histoire ancienne de l'Afrique du Nord, avait admis la thse gyptienne, la rejetait dfinitivement en 1927, dans son tome 5. Ds 1900, G.B.M. Flamand avait mis une hypothse inverse, et plus vraisemblable, celle d'une influence libyenne sur le culte du blier de Mends. Ce qui n'empchait pas F. Benot, en 1930, encore, de parler de bliers porteurs de disque solaire flanqu de deux uraei, mais en mme temps il tablissait une comparaison avec les parures de bliers que les tribus Songha sacrifiaient sur les bords du Niger. Ces parures sont des calebasses munies de banderoles de cuir. Le disque solaire devenait une simple calebasse comme l'avait dj suggr G.B.M. Flamand en 1900. Se fondant sur la prsence de cette calebasse et de colliers ports par certains ovins, L. Joleaud prsenta une thse nouvelle assez surprenante qui associait plusieurs thmes des gravures rupestres un rite en vue d'obtenir la pluie. Cette hypothse tait appuye sur des arguments spciaux (ainsi tout trait figur sous les animaux tait considr comme une mission d'urine ou de semence, mme lorsque ce trait jaillissait, comme Znaga, des mamelles d'une brebis), et sur des documents mal interprts, comme les mouflons de Kef Fentria qualifis de moutons sphrode. Elle ne rencontra gure d'cho favorable. Le dernier commentaire des gravures rupestres du Sud oranais relatives ces ovins a t donn par H. Lhote qui fait connatre de nouvelles reprsentations dans les monts des Ksour et le Djebel Amour et les monts des Ouled Nal. La seule ide nouvelle exprime et qui surprend est que les moutons reprsents dans les gravures qui appartiennent au style naturaliste jug le plus ancien, mme ceux munis de collier et de coiffure sphrique, ne sont pas des animaux domestiques. Nous allons successivement tenter de reconnatre l'espce reprsente, d'examiner les attributs qui ornent ces animaux, enfin de dfinir les rapports entre les figures animales et les figures humaines qui leur sont associes.
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L'espce reprsente
L'animal qui figure plus d'une soixantaine de fois, identifi par son sphrode, est trs diffrent du mouton qui vit aujourd'hui dans les mmes rgions. Cependant la rptition de ce qui pourrait paratre une anomalie est trop constante pour qu'on puisse l'attribuer la fantaisie des artistes. Si on examine les meilleures reprsentations, comme celles de Bou Alem, An Naga, Hadjar Sidi Bou Beker, on remarque que ces animaux ont un corps troit port par des membres longs et secs, la croupe toujours plate, parfois anguleuse, aux gigots plats. La queue, mince et longue, descend jusqu' l'articulation mtatarsienne, mais dans certaines figures (Daet es-Stel, Enfous) elle est plus large et s'arrte au bas du gigot. La tte est tout fait remarquable, elle est, dans les meilleures uvres, plus courte, voire camuse, que dans la ralit. Les ressemblances entre les ttes d'An Naga, Bou Alem, Gada el-Kharrouba, Guelmouz el-Abiod, Hadjerat Sidi Bou Beker, Daet es-Stel, etc. sont telles qu'il s'agit manifestement d'une donne stylistique qui aurait voulu accentuer la convexit du chanfrein et le raccourcissement du museau. Or dans la plupart des cas il s'agit d'un blier dont la tte, dans la nature, est effectivement plus convexe que celle des brebis. Prcisment la brebis aux mamelles gonfles de Znaga a une tte bien plus fine et une convexit moins marque ; toutefois

Bliers poils ras du Sahara mridional : mouton maure du Mali et mouton targui de la varit Ara-Ara du Niger. une brebis de Bou Alem a exactement le mme profil que le mle du mme site. Qu'ils soient mle ou femelle ces animaux portent des cornes qui sont encore figures dans les reprsentations moins ralistes ou d'un schmatisme avanc (El Richa, Safiet Bou RNam, Oued Nourme), or la forme et la taille de la seule corne visible sur le profil de ces ovins est d'une constante remarquable, elle est toujours petite, grle, simple courbure, incurve vers l'arrire pour revenir vers l'avant au-dessous de l'il, sauf Khrelouat Sid Cheikh o elle revient au-dessus de l'il. Il s'agit dans ce cas, peut-tre, d'une tentative ou d'un dbut de dformation volontaire qui, comme nous le verrons, semble avoir t parfois pratique par les bergers de l'Atlas cette poque. L'oreille, qui est plus facilement omise que la corne, est pendante, assez longue ; sa racine est cache par le dpart de la corne. Les dtails de la robe des animaux ne sont que rarement indiqus. Dans les uvres les plus soignes (An Naga, Safiet Bou R'Nam, Sidi Bou Beker, Guelmouz elAbiod...) la partie endoprigraphique est entirement polie et peut avoir t peinte. L'un des ovins asexu de Znaga a le corps entirement piquet l'exception du collier et de la tte ce qui rvle bien l'intention de figurer le pelage. Le mme figur apparat sur le corps d'un mle de Khrelouat Sid Cheikh, tandis qu' Hadjar Berrik, Dehar Bel Haadi et ailleurs, le corps de l'ovin trs stylis est, suivant une convention frquente dans le style dit dcadent, cloisonn, sans doute pour suggrer des variations de couleur dans la robe. Le beau blier de Bou Alem est particulirement dtaill; sur le poitrail, le garrot et l'avant-main, des poils assez longs sont figurs par des stries ondules du plus bel effet; l'arrire du corps, comme dans la nature, a un pelage moins fourni. La figuration de ce pelage avait fait penser, un moment, que l'animal figur tait un bouc (S. Gsell, 1901). En fait, l'ensemble des caractres fidlement reproduits sur les meilleurs gravures permet de reconnatre des moutons, mles et femelles, appartenant une ou plusieurs varits du mouton poil de l'espce Ovis longipes Fitzinger. Ce mouton, qui a disparu du Maghreb et du nord du Sahara, subsiste, sans grand changement, dans le Sahel, depuis la Maurtanie jusqu'au Tchad (Ovis sodonica Sanson). C'est l'actuelle race targui de l'extrme Sud algrien, du Mali et du Niger, qui prsente le plus de traits communs avec la varit la plus frquemment reprsente dans l'Atlas. G. Doutresoulle (1952) reconnat au grand mouton targui d'une taille de 0,70 m - 0,80 m, un garrot saillant, un front bomb, des oreilles tombantes, des cornes en larges spires, une crinire frquente chez le mle, une queue longue et mince descendant jusqu'au jarret. Comme on le voit, cette description s'applique la lettre aux ovins des gravures de l'Atlas. Le mme auteur distingue au Niger, parmi les moutons poils ras, deux varits, le Bali-Bali qui est lev chez les sdentaires et le Ara-Ara qui est proprement touareg, aux cornes moyennes, incurves

en arrire, haut de 0,60 0,70 m, dont le corps troit repose sur des membres secs et minces, les gigots sont plats. Enfin G. Curasson dans sa monographie sur le mouton du Soudan franais signalait, parmi les moutons maures, le Touabir, plus petit et plus court que le mouton targui mais dont les poils, qui atteignent 8 10 cm, sont assez longs pour tre tisss. C'est de cette varit que se rapproche le blier de Bou Alem, qui est plus ramass que les autres et dont les longs poils sont indiqus d'une manire trs raliste. Les pendeloques sont assez frquentes chez les diffrents moutons poils du Sahel. Ce dtail anatomique ne semble avoir t indiqu que dans trois gravures d'ovins sphrode, Znaga, Daet es-Stel et sur un jeune mle de Bou Alem. Dans d'autres cas, comme Khrelouat Sidi Cheikh, de prtendues pendeloques peuvent n'tre que les extrmits des jugulaires de la coiffure. Les bliers et les brebis coiffs et orns de colliers que les artistes prhistoriques ont reprsents appartiennent sans conteste aux mmes varits que les ovins poil ras du Sahel. Ces derniers sont les reprsentants d'une trs vieille race domestique que l'Egypte a connu jusqu'au Moyen Empire (Ovis palaegyptiaca Gaillard), cette varit dite aussi blier de Mends se distingue de celle de l'Atlas pour l'encornure dont les spires trs lches se dveloppent horizontalement. Cette caractristique subsiste cependant dans plusieurs varits du Sahel; la race peul de Sambouran, en particulier, a des cornes dont le dveloppement horizontal atteint une dimension gale la hauteur de l'animal. Les cornes spires lches se retrouvent aussi chez certains bliers de la race targui. Parmi les gravures rupestres de l'Atlas, deux figurations se rapportent, peut-tre, cette varit. L'une Hadjar Berrik, l'autre Kef Marbah, dans le Constantinois. Dans cette dernire gravure C. et L. Lefebvre proposent d'identifier les addax en raison de l'angle form par les cornes dresses obliquement ; c'est trs vraisemblable mais la longueur de la queue et l'aspect des cornes les rapprochent davantage des ovins que des hippotraginae. Effectivement, la forme des cornes des ruminants de Kef Marbah prsente de grandes analogies avec celles des moutons hongrois de la varit racka. Quoi qu'il en soit, aucune reprsentation d'Ovis palaegyptiaca n'est assure dans l'Atlas. Que conclure sinon que les moutons de l'Atlas sont, avec les autres moutons poils de l'Egypte ancienne et du Sahel d'aujourd'hui, les reprsentants d'une trs ancienne race domestique, certainement la premire en Afrique. Mais s'agit-il bien d'animaux domestiques sur nos gravures ? La prsence de parures aussi complexes que la coiffure globuleuse, le collier et parfois le caparaon, pourrait servir de rponse immdiatement favorable cette question. Or H. Lhote s'lve contre cette opinion pourtant universellement partage sous prtexte que le sphrode est parfois figur sur d'autres animaux considrs comme sauvages. On cite le cas du grand buffle (Homooceras antiquus) de Trik el-Beda, dans les monts des Ksour; or il s'agit d'une figure trs maladroite sur laquelle les cornes sont dcales; on peut mme se demander si ce disque, fort petit et qui n'a rien de comparable par ses dimensions avec la coiffure des bliers, n'est pas la figuration schmatique du toupet de poils parfois indiqu en arrire de l'encornure. On ne peut non plus retenir les disques plus ou moins douteux qu'on a cru voir sur des gravures ngliges (oryx de Kef Bou Beker). Un autre argument prsent par H. Lhote l'encontre de la domestication du mouton est tir d'une scne de Rosfat el-Hamra Men el-That o un archer suivi de chiens est encadr par deux ovins; tous les sujets sont tourns vers la droite. Aucun lment ne permet d'affirmer qu'il s'agisse d'une chasse au mouton. Comme le fait remarquer F. Libmann, la flche que s'apprte dcocher l'archer est parallle au corps du premier mouton et ne le menace nullement, la cible est ailleurs. L'homme menacerait-il vraiment le mouton que je ne verrai pas pourquoi il s'agirait d'une chasse; on peut en effet sacrifier un animal domestique avec une

Ovins gravs peu soigneusement : 1. de Znaga portant une calotte orne de rameaux et d'un lourd collier d'paule, 2. blier d'El-Hasbaya sphrode non rigide, le petit personnage a t rajout, 3. blier rat de la Dayet el-Hamra portant le sphrode et le collier tress, 4. silhouette stylise d'un blier de Safiet bou Rhenan, la coiffure se confond avec la tte, mais le collier n'a pas t oubli.

flche dcoche bout portant. Les Massa saignent priodiquement leurs bufs en perant la veine jugulaire avec une flche. Le troisime argument oppos la domestication du mouton serait l'existence d'ovins sauvages au Maghreb durant les temps prhistoriques. Il s'agit d'une affirmation exagre et sujette caution. Les rares ossements attribus par R. Vaufrey

un ovin et trouvs dans des gisements capsiens de Redeyef, Bir Khanfous, Relila et Mechat el-Arbi, n'emportent nullement la conviction car, comme l'on fait remarquer G. Esprandieu et R. Vaufrey lui-mme, ces ossements peuvent appartenir de petites femelles de mouflon (Ammotragus lervia). Ni C. Arambourg, ni G. Esprandieu ne croyaient l'existence d'un ovin nord-africain dont la niche cologique est occupe par le mouflon manchette. Les ossements incrimins seraient-ils vraiment des restes de moutons qu'il ne prouveraient pas grand chose car les couches qui les ont livrs appartiennent au Capsien suprieur, c'est--dire qu'ils peuvent tre prcisment contemporains de l'introduction du mouton domestique sur les bords de la Mditerrane, la fin du VII millnaire. Rappelons enfin que la souche du mouton ne peut tre le mouflon manchette (Ammotragus lervia) qui est d'un genre diffrent et dont le caryotype est distinct de celui du mouflon d'Orient (Ovis orientalis) qui est l'anctre du mouton domestique. La cause est entendue : les moutons de l'Atlas sont des reprsentants d'Ovis longipes Fitz., d'origine exotique et sont donc des ovins domestiques, comme leurs congnres de l'Egypte nolithique et pharaonique et comme les actuels moutons poil ras touaregs, maures et peuls.
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Les attributs culturels


Ces ovins, qui ne sont pas toujours des bliers, ont reu une parure qu'il importe d'analyser avant de rechercher sa signification. Lorsqu'elle est complte, cette parure affecte la tte, le cou et l'chine. La parure de tte est la plus frquente et parat le minimum indispensable pour sacraliser l'animal. Rares en effet sont les animaux qui portent un collier sans avoir de sphrode; on citera le petit ovin de Guelmouz el-Abiod qui suit les bliers sphrode, mais comme nous le verrons les ovins de cette scne complexe ont reu leur parure aprs coup. On peut citer aussi le petit ruminant indtermin de l'Oued Dermel qui porte un lourd collier, l'allure gnrale n'est pas celle d'un ovin et les cornes redresses vers l'avant et le haut sont plutt celles d'une gazelle, seule la queue longue et mince rappelle le mouton. Mis part ces deux cas litigieux, je ne connais pas de mouton par d'un collier qui ne soit coiff du sphrode ou qui n'ait les cornes transformes en disque (El-Harara). Parure de tte, le sphrode Cette parure est la plus importante, la plus visible et la plus caractristique. L'essentiel est constitu par un corps globuleux fix l'occiput de l'ovin. Il faut examiner en premier lieu les gravures les plus ralistes qui permettent de comprendre les reprsentations plus schmatiques. Prenons comme exemples caractristiques les bliers et brebis de Bou Alem, le blier de la Gada el-Kharrouba, la belle tte d'Ain Naga, la brebis de Znaga. Ces gravures reproduisent fidlement la coiffure qui est sphrique. On a parl de casque et de calebasse, mais si cette coiffure a une certaine rigidit il importe de remarquer qu'elle est munie de jugulaires qui descendent entre la corne et la joue et se terminent par de petites franges (An Naga). Des gravures aussi dtailles que celles de Bou Alem ou An Naga n'indiquent aucune marque de fixation de la jugulaire sur le sphrode , alors que les boutons du cachesexe de l'homme d'An Naga sont minutieusement nots. Ceci nous fait admettre que la jugulaire, en continuit avec la coiffe est en mme matire qu'elle. Compte tenu de ce dtail technique et de la rigidit du sphrode , nous sommes conduits croire que l'ensemble tait en cuir. Le dcoupage en festons des bords de la jugulaire (Bou Alem) et les franges des extrmits (An Naga), confirment cette opinion. Le port redress de la tte des ovins porteurs d'une telle coiffure sous-entend que celle-ci tait suffisamment lgre pour ne pas gner l'animal; l'usage du cuir

Stylisation du sphrode Techiet el Makhoum, Marhouma, Kef bou Beker, Dechra bel Haadi et Tazina. plus que d'une calebasse convient l'attitude firement campe des bliers et brebis sphrode. Cet attribut nous parat donc tre un bonnet de cuir, coiffure crmonielle dont on dotait l'animal certaines occasions. Or ce n'est pas sans surprise que l'on reconnat une coiffure identique sur la tte des personnages de Khrelouat Sidi Cheikh et de Dekhilet el-Ateuch. Comme sur les bliers, ce bonnet est muni de jugulaires

franges et des rameaux rayonnant sont piqus dans cette coiffure. La position frontale du personnage dont le visage est vu de face est elle-mme exceptionnelle dans le style archaque naturaliste. Il s'agit peut-tre d'une divinit laquelle tait associ le mouton porteur de la mme coiffure. A Moghrar Tahtani, un petit personnage, trs stylis, en position d'orant, porte cependant une coiffure comparable qui ne doit pas tre confondue avec les plumes ou autres ornements de tte si frquents dans le reprsentations rupestres nord-africaines. Le bonnet est la parure de tte principale; il semble avoir suffi sacraliser l'animal puisque des gravures aussi soignes que celles de la brebis de Bou Alem et de l'ovin asexu de Daet es-Stel reprsentent le sphrode dpourvu d'appendices; en revanche, des gravures moins soignes ou plus schmatiques figurent des coiffures plus complexes. Dans de rares cas la jugulaire du sphrode se confond harmonieusement avec la corne (oued Nourme). Dans les gravures schmatiques le bonnet peut prendre deux formes anormales, dans le premier cas il tend se dtacher de la tte et devient une sphre tangente l'occiput de l'animal (Oukameden, Tazina, Dehar Bel Haadi), dans le second cas qui est plus frquent le bonnet prend la forme d'une mitre plus ou moins haute (Dekhilet el-Ateuch Fedj Naam) et parfois n'est mme plus spar de la tte par un trait (Hadjar Berrik, Merdoufa), mais cette absence de sparation se remarque galement sur des figures moins schmatises (El-Richa, Safiet Bou R'Nam). Pour tre complet il faut signaler la forme particulire du bonnet Znaga o la brebis et le mouton asexu portent une calotte hmisphrique profondment enfonce. Une telle forme peut tre encore reconnue Moghrar Tahtani malgr le schmatisme de la gravure. Normalement, la partie suprieure du crne de l'ovin n'est pas visible puisqu'elle est couverte par la bonnet, ce n'est pas le cas pour les deux bliers de la grande scne mythique de Guelmouz el-Abiod dont les sphrodes et les autres lments de parure furent rajouts, ce qui explique galement la petitesse du bonnet du mouton du registre infrieur et la disposition des gerbes piques dans la coiffure que la proximit des pattes du blier suprieur a oblig disposer en deux gerbes ingales. La parure de tte est souvent complte par des attributs fixs au bonnet. On peut en reconnatre deux sortes : des rameaux plus ou moins courbes ou couds ou rectilignes qui rayonnent autour de la coiffe qui sont les plus nombreux et des appendices curvilignes qui avaient t un moment qualifis d'uraei gyptiens. Les rameaux sont disposs de manire assez anarchique, leurs dimensions dans la mme gerbe peut varier. Il est exceptionnel qu'ils soient disposs symtriquement comme sur le bonnet hmisphrique du mouton asexu de Znaga. Il arrive, surtout dans les figures schmatiques ou stylises, qu'ils forment une vritable aurole trs tale autour de la tte de l'animal (El-Krima, An Ben Kerma, Merdoufa) comme autour de celle des hommes de Khrelouat Sidi Cheikh et de Moghrar Tahtani. L'aspect de ces attributs est celui de tiges assez souples et minces, comme celle du drinn (Aristida pungens)> de l'alpha, ou encore de rameaux de genets. Le mouton du registre infrieur de Guelmouz el-Abiod porte sur son bonnet des attributs en lame de sabre qui ne sont pas sans rappeler les feuilles d'iris ou de glaeul. J'hsite rapporter galement au rgne vgtal les appendices curvilignes, au nombre de 2 Bou Alem et An Naga, de 3 Znaga, de 4 la Gada el-Kharrouba, qui sont souvent dcrits comme des plumes, bien que leur forme semble devoir se rapprocher davantage de feuilles allonges. Quoi qu'il en soit les dimensions trop rduites ne peuvent tre celles de plumes d'autruche qui sont cependant les seules prsenter une telle courbure. Ces appendices uraeiformes remplacent les rameaux; Znaga seulement ils sont mls ceux-ci. Aucun dtail graphique ne permet de deviner le mode de fixation au bonnet de ces diffrents ornements; ils devaient tre simplement piqus dans la paroi de celui-ci. Le blier de Dakhilet el-Ateuch

Stylisation du sphrode non spar de la tte Safiet bou Rhenan et Oued Nourme, confusion de la jugulaire et de la corne. porte une coiffure diffrente de l'habituel bonnet sphrique, c'est une espce de tiare plus haute que large dans laquelle sont plants de part et d'autre des ornements qui semblent bien tre des plumes. Cet attribut est tout fait comparable la coiffure que portait l'un des deux agneaux sacrifis de la tombe 81 de la ncropole de Kerma en Nubie. Il est une autre parure de tte, peu explicite et assez mystrieuse, qui est constitue d'un ou deux lments verticaux plants sur le chignon de l'ovin entre deux demi-cercles qui, dans certaines gravures se referment pour former un disque. Dans la plupart des cas (Rosfat Men el-That, brebis de Bou Alem, Daet es-Stel, el-Harara) ce motif n'est pas un sphrode mais des cornes en position anormale, redresses au-dessus de la tte comme le seraient celles de bovines; or, les figures sont suffisamment ralistes pour que l'identification des ovins ne puisse tre mise en doute. La reprsentation trs schmatique du Kef bou Beker doit tre mise part car la parure de tte semble bien tre un bonnet stri de deux bandes verticales ; l'animal garrot trs prononc et tte allonge n'est peut-tre pas un ovin mais la schmatisation de cette gravure est telle qu'il n'est gure possible de se prononcer. Une autre question pose par cette srie de gravures est relative la position et la nature des demi-cercles qui remplacent le bonnet. Ce sont indubitablement des cornes dont elles ont la forme habituelle mais places en position anormale. Cette position est-elle naturelle, provoque volontairement par les leveurs ou ne s'agit-il que d'une libert graphique de l'artiste? La troisime proposition parat trs peu vraisemblable, compte tenu du ralisme gnral de ces gravures ; il est difficile de choisir entre les deux premires. Certes quelques races de moutons ont les cornes redresses, nous avons cit le cas des moutons rackas, mais leurs cornes spirales ne sont jamais en demi-cercle et tendent au contraire devenir rectilignes. On connat, en revanche, surtout dans l'Afrique orientale, de nombreux cas de dformations de cornes sur les bovins. Ces dformations figurent dans u n grand nombre de stations rupestres du Tibesti et de l'Ennedi; elles sont connues dans l'Egypte antique et sont pratiques, de nos jours, chez les Nuer et les Dinka du Nil, chez les Souk du Lac Victoria. Mais, notre connaissance, de telles pratiques n'ont jamais t signales sur des ovins. Celles-ci me paraissent techniquement possibles, l'importance culturelle du blier ou de la brebis les rendent vraisemblables.

An Naga. Le blier de cette belle scne est bien plus grand que l'orant qui le prcde. La parure du blier est complte : sphrode jugulaire, gaine de cou, collier d'paule. La parure de cou Elle est simple et consiste essentiellement en u n collier volumineux plac trs bas et reposant sur les paules tel qu'il est fidlement reprsent Bou Alem, An Naga, Znaga, Guelmouz el-Abiod, Dekhilet el-Ateuch, Deyet el-Hamra, Hadjar Sidi Bou Beker, etc. Ce collier volumineux prsente des chevrons et des motifs cloisonns qui font penser que cette lourde parure tait tresse soit en fibres vgtales soit en lanires de cuir. Le collier forme un pais bourrelet qui est fort bien indiqu de part et d'autre du cou, sauf au Guelmouz el-Abiod o cette parure, comme les autres, semble avoir t rajoute. A Khrelouat Sidi Cheikh et Znina ce collier descend trs bas sur le poitrail tandis qu'il est ddoubl Gada el Kharrouba, et dbordant Mokta es-Sfa. Il n'est pas impossible que cette lourde parure ait eu une autre fonction qu'ornementale; sa position et son poids comprimaient la trache artre. Pour respirer l'animal tait oblig de redresser le cou et de porter la tte plus releve que d'habitude. Effectivement, les ovins porteurs de bonnet, et particulirement ceux qui ont ce collier, ont la tte redresse, le cou formant avec l'axe du corps un angle de 120 130 alors que dans le port naturel le cou et la tte sont pratiquement dans le prolongement de cet axe. Cet artifice destine donner l'animal un port altier me semble, dans deux cas au moins, complt par un dispositif comprimant. En examinant les deux gravures

de Bou Alem et d'An Naga qui sont les plus prcises et dtailles on remarque le long du cou, entre l'extrmit tombant de l'oreille et le collier d'paule, une zone dlimite par un ou deux traits. A Bou Alem cette partie du cou est entirement polie et dpourvue de poils; il s'agit vraisemblablement d'une sorte de gaine en toffe ou en cuir souple qui comprime le cou et ne porte aucun ornement. On pourrait y voir aussi une zone rase dont on ne comprend gure la raison d'tre. L'gorgement du mouton se faisant plus haut, juste sous la mandibule, le rasage de cette rgion du cou ne pourrait mme pas tre considre comme une prparation du sacrifice. D'autres ovins munis de sphrode portent un collier plus simple sur la partie mdiane du cou; il se distingue la fois du gros collier d'paule tress et de la gaine de cuir signale ci-dessus. Ces colliers ont toujours un certain volume et sont parfois assez larges (El-Harra, Dehar Bel Haadi, Rcheg Dirhem). A Hadjerat Sidi Bou Beker le collier prsente des incisions verticales qui suggrent une segmentation, perles ou motifs articuls. La parure d'chine Elle n'est reconnaissable que sur les gravures de Bou Alem et de Guelmouz elAbiod; compte tenu de l'identit des parures on peut supposer qu'elle existait aussi An Naga mais la roche est malheureusement desquame immdiatement en arrire du collier. Cette parure est rendue sur les gravures par une ligne festonne intrieure parallle la ligne du garrot et de l'chine, elle semble s'arrter au point le plus saillant de la croupe. Il ne s'agit pas d'une reprsentation stylise de la courte crinire que possdent les bliers des diverses races de moutons poils car le pelage est trait d'une manire trs raliste Bou Alem; de plus la crinire aurait t reprsente au-dessus de la ligne du dos et non l'intrieur du corps. Il s'agit donc d'une bande assez troite, dcoupe dans un matriau souple et pose sur l'chine de l'animal. Cette parure, vraisemblablement en cuir, tait trop troite pour tenir toute seule sur le dos, or elle est troitement applique comme si elle tait tendue. Seul un dispositif, invisible sur les gravures, comme par exemple une croupire passant sous la naissance de la queue pouvait assurer un tel maintien. Il est possible que ce caparaon formt avec le collier d'paule une sorte de harnais.

Relations entre les ovins sphrode et les hommes


L'intrt des reprsentations de bliers sphrode ne rside pas seulement dans la figuration de l'animal et de ses parures diverses. Cette figure appartient parfois des scnes complexes dans lesquelles entrent des personnages. Ces relations entre l'homme et le blier ne sont pas toujours trs claires dans ces scnes. Les figurations humaines les plus belles sont celles de Gada el-Kharrouba, d'An Naga, de Bou Alem et de Dakhilet el-Ateuch; dans ces scnes, l'homme prcde le blier, lui tournant le dos et s'avance en position d'orant. A Ksar el Ahmar la situation est semblable bien que l'homme soit arm d'une hache et que le mouton asexu soit dpourvu de toute parure. A Bou Alem l'homme, moins profondment grav que le blier, porte un bouclier ou plus vraisemblablement un sac ou un carquois comme les personnages de l'Oued Dermel et de tant d'autres gravures. Dans la scne complexe de Guelmouz el-Abiod, un personnage filiforme s'intercale entre l'animal plus ou moins mythique et ouvert en deux et le plus grand des bliers. Il a une attitude d'orant, jambes et bras demi flchis et il est vu de face. A Moghrar Tahtani, autre scne mythique, l'ovin sphrode est juch sur un personnage de style macaronique dont la tte s'engage entre les pattes de l'animal, ne faisant qu'un avec lui; devant lui et lui tournant le dos s'avance un personnage en position d'orant et portant la mme coiffure rayonnante. Si cette disposition du couple homme-blier est la plus frquente elle n'est pas

Gada el-Kharrouba (calque sur photo trs oblique de R. Vaufrey). Scne identique celle d'An Naga. la seule; il arrive en effet que l'ovin et l'homme soient affronts comme Daet es-Stel, Safiet Larba, Hadjar Berrik et El-Harara. Il faut tenir compte aussi de la position frontale de l'homme comme Guelmouz el-Abiod dj mentionn ou El-Richa. L'homme est toujours plac droite du blier sauf dans trois cas : Daet es-Stel, Hadjar Berrik et Oukameden. Les tailles rciproques de l'homme et du blier ne sont pas toujours respectes, dans six cas au moins, le blier est plus grand que le personnage, ailleurs ils sont de tailles gales; il arrive enfin qu'un personnage minuscule soit ajout aprs coup (El-Hasbaya, Kef Bou Beker). Les hommes sont assez souvent arms, dans un cas (Gada el-Kharrouba) une hache a t ajoute au-dessus de la main de l'homme; mais une fois seulement l'arme semble vraiment dirige contre le blier; c'est El-Harara o prcisment les ovins prsentent une anomalie de cornage. Nous avons dj signal la scne de Rosfat Men el-That o l'archer est plac entre deux moutons qui prsentent la mme anomalie. Dans les autres cas, les personnages arms tournent le dos au blier. La position classique est donc celle de l'orant plac droite du blier, lui tournant le dos ou vu de face. L'attitude mme de ces orants est sujette quelques variations. Les plus prcises est les plus soignes des gravures (An Naga, Gada El-Kharrouba, Bou Alem, Daet es-Stel, Dakhilet el-Ateuch) montrent les hommes de trois-quarts, les bras coll s au corps, les avant-bras demi relevs. Dans les cinq

Bou Alem. Le chef d'oeuvre de l'art rupestre nord-africain. Le blier porte la parure complte : sphrode appendices uraeiformes, jugulaire festonne, gaine de cou, collier tress et caparaon. scnes, pourtant fort loignes les unes des autres, l'avant-bras gauche est lgrement plus relev que le droit et les hommes portent An Naga et Gada ElKharrouba le mme cache-sexe, simple bande d'toffe ou de cuir retenue un lien qui passe autour de la taille. L'extrmit retombe par devant et est fixe par des boutons circulaires An Naga, des btonnets allongs ou des coutures Gada elKharrouba. L'extraordinaire ressemblance entre ces deux gravures est encore accentue par le port d'un bracelet au poignet droit, complt An Naga par un bracelet de biceps gauche. Cette ressemblance permet, mon avis, de rgler dfinitivement la question relative la hache piquete au-dessus de la main gauche de l'homme de Gada el-Kharrouba : ce ne peut tre qu'un rajout car elle ne figure pas sur la scne identique d'An Naga. Dans d'autres scnes les personnages qui sont de style nglig (Guelmouz, elRicha, El-Hadj Mimoun, El-Harara, Rosfat) sont nus et parfois ithyphalliques. Une troisime catgorie est constitue par des porteurs de pagne (Moghrar Tahtani, Feidj Naam) ou de vtements plus complexes (Hadjar Berrik); or, toutes ces gravures appartiennent un style diffrent de celui des grandes gravures naturalistes duquel dpendant les plus belles scnes. Des observations complmentaires peuvent tre faites sur les coiffures et les masques des hommes associs aux bliers sphrode.

Dekhilet el-Ateuch : scne identique celles d'An Naga, Gada el-Kharrouba et Bou Alem. Le blier porte une tiare orne de plumes d'autruche et l'orant qui le prcde porte lui-mme un sphrode antennes divergentes (relev F. Soleilhavoup). Les sujets masqus sont au nombre de deux : Khrelouat Sidi Cheikh, le personnage porte un masque dont l'intrieur est entirement piquet pour souligner sa nature artificielle. Le masque couvre la tte et le cou, son profil est celui d'un ovin. L'homme est plac sous le mufle du blier. Du masque s'chappent des rameaux qui rayonnent en deux gerbes de part et d'autre du museau du blier. A Feidj Naam, le personnage qui est trs stylis porte, semble-t-il un masque, mais, en juger par l'attitude du corps, le museau serait situ en arrire. Plus intressante est la coiffure de deux des trois personnages qui Moghrar Tahtani sont en relation avec le blier sphrode, le personnage de style macaronique, d'o semble s'extraire l'ovin, a une tte globuleuse radie et les rayons apparaissent en surimpression sur le corps de l'animal; l'orant qui les prcde a une coiffure ou plus exactement un masque rayonnant du mme type. A Dakhilet el-Ateuch le personnage porte une coiffure sphrique surmonte de deux antennes courbes divergentes. A el-Harara et Hadjar Berrik, l'homme qui fait face au blier porte une sorte de chapeau trois protubrances dont H. Lhote a montr qu'il n'tait pas exceptionnel dans l'art rupestre nord-africain; les dtails qui remplissent l'intrieur de cette figuration Hadjar Berrik font penser qu'il s'agit d'un chapeau de paille. Chose curieuse, Daet es-Stel, l'homme qui fait galement face au blier, semble porter une coiffure qui serait une sorte de calotte.

Conclusion
L'examen des relations entre l'homme et le blier sphrode permettent, sinon de rsoudre toutes les questions, du moins de suggrer quelques interprtations.

En haut scnes schmatiques de Merdoufa (sphrode stylis, personnage peut-tre plus rcent) et de Fedj Naam (ovin portant une tiare, personnage masqu et arm portant un pagne queue postiche). En bas Merdoufa : blier et orant lui faisant face; la jugulaire est dissocie du sphrode qui semble ici tre une calebasse.

Les plus importantes reprsentations, soit par leur complexit (Moghrar Tahtani, Guelmouz el-Abiod) soit par leur prcision documentaire (An Naga, Gada elKharrouba, Bou Alem, Khrelouat Sidi Cheikh Dakhilet el-Ateuch) ne permettent aucunement de parler d'un culte du blier, car l'orant tourne le dos, on ne fait pas face l'animal. Dans les rares cas o cette position affronte est reproduite (Daet es-Stel, Feidj Naam, Hadjar Berrik, El Harara), l'homme porte une coiffure ou un masque et dans deux cas est arm d'une hache ; le blier porte un sphrode simple ou des cornes releves. Ces scnes semblent donc correspondre soit une autre phase du crmonial, soit une transformation des croyances, une poque plus rcente. Quoi qu'il en soit, l'examen sans ide prconue de ces diffrentes scnes ne permet pas d'affirmer l'existence d'un culte du blier. La prcision des attributs dans les uvres majeures montre bien que ces bliers sont des animaux pars suivant u n rituel assez prcis et destin vraisemblablement tre sacrifis la fin d'une crmonie. Pour donner plus de prestance l'animal,

un agencement a t conu pour l'obliger redresser la tte. Sa parure de tte et souvent son gigantisme par rapport l'homme ont pour but de valoriser la victime offerte la divinit. Les gravures taient peut-tre destines matrialiser le sacrifice et perptuer son souvenir et donc son efficacit. Si cette hypothse tait accepte on pourrait s'tonner que la divinit, ou ce qui en tient lieu dans les croyances des Nolithiques de l'Atlas, n'ait pas t figure, mais il n'est pas sr que ces premiers pasteurs aient ressenti le besoin de reprsenter le dieu, ni mme qu'ils aient t capables de la concevoir sous des traits susceptibles d'tre reproduits.

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G . CAMPS

B55. BELGASSEM NGADI (Belkacem NGadi)


Aventurier, se faisant passer pour cherif, qui a profit d'une situation confuse, ne de la rsistance dans le Sud-Est marocain, pour s'emparer du Tafilalt (1919-1932). N vers 1875-1880, natif de la plaine des Angad, Belqassem se rclamait des Ouled Sidi Belqassem Azeroual (Spillman, 1936), chorfa idrissides dont une des zawiya-s se trouvait Taforalt (Bni Iznassen). Son penchant pour l'aventure se signale de bonne heure lorsqu'il se rallie au prtendant Bou-Hamara (B- m a) dans la rgion de Taza. Il s'installe par la suite au Tafilalt en 1917, et se met au service d'un chef local, faux cherif lui aussi, Moha n-Ifrouten, qui lui confie le commandement de sa petite arme ( arkd). La chance lui sourit le 9 aot 1919, au combat de Gaouz, qui voit l'arme franaise se replier provisoirement sur Erfoud. Entre temps, Belqassem, dont le pouvoir ne cesse de grandir, a fait liminer deux chefs spirituels de la rgion en qui il voyait des rivaux potentiels. En octobre 1919, lors d'une expdition contre le poste d'Erfoud, il assassine Moha n-Ifrouten et impose ds lors son autorit despotique au Tafilalt. Accept par les uns comme champion de l'Islam contre les irrumiyn, contest par d'autres Filala ne voyant en lui qu'un tyran et un usurpateur, Belqassem se fit respecter par ceux-ci et craindre par ceux-l en svissant sans piti contre ses ennemis. Il avait mis en place un pseudo-makhzen autour de la forteresse de Rissani, sur laquelle veillait sa garde prtorienne, compose, pour la plupart, de gens de sac et de corde (Bordeaux, 1931). Cette situation devait durer douze annes, ponctues par des abus et exactions de tout genre, ainsi que par de nombreux coups de main monts contre les postes franais du voisinage par des bandes armes pour lesquelles le Tafilalt tait devenu un repaire inviolable. C'est le 15 janvier 1932, aprs bien des atermoiements (Bordeaux, 1935), que le commandement militaire franais dcide d'en finir avec Belqassem. Ds la premire attaque, entour de ses fidles, il s'chappe vers le Sud-Ouest. Une tentative pour se maintenir dans le Ktaoua ayant choue, Belqassem est contraint se rfugier dans la basse valle du Dra, puis sur l'Oued Noun, la limite du Rio de Oro. C'est l qu'il fera sa soumission en mars 1934, lors de la fin de la rsistance arme dans cette rgion, avant d'tre envoy en rsidence surveille dans la rgion d'Oujda (Saulay, 1985). De tous les chefs de la rsistance du Sud-Est marocain, Belqassem est sans conteste celui que les chroniqueurs de l'poque ont le moins mnag. Dcrit comme petit, maigre, avec un visage maci que mange une barbiche noire, et d'o mergent des yeux perants, sa dmarche claudicante lui vaut le surnom de bellarj (cigogne), alors que dans son dos, en raison de son parler nasillard, on le traite de manan (Bordeaux, 1931). On le dit, par ailleurs, attach aux pratiques religieuses et mari, mais on ne lui connat pas de descendance. A vrai dire, ce sont plutt ses dfauts que l'on numre : personnage complexe, veule et versatile, la fois opportuniste et tyranneau de village, tour tour homme de terrain et intrigant mesquin, qui, en liminant impitoyablement tous ses rivaux, russit faire le vide autour de lui. En contrepartie, si Belqassem tait, certes, un aventurier, il ne faut pas oublier que l'poque trouble o il vcut tait propice l'apparition de Matres de l'Heure, de rogui-s, de tout acabit. Quant son rle de rsistant, mme s'il n'avait cur que son intrt personnel, nul ne peut nier sa contribution sur le terrain. Par sa mainmise sur le Tafilalt (1919-1932), gte d'tape du commerce caravanier et prestigieux berceau dynastique transform en place forte; par l'appui effectif dont il bnficiait de la part des contingents Ayt Khebbas et Ayt Hammu, fer de lance de la dissidence, qui rayonnaient dans toute la rgion; par la menace permanente qu'il faisait peser sur les communications franaises dans la zone des confins algromarocains; par un certain charisme manant de sa personne, doubl du prestige

que lui confrait ce semblant de gouvernement qu'il avait cr Rissani. En somme, quelle que fut sa valeur morale, u n ensemble de circonstances concourait, en ces temps-l, pour faire de Belqassem le porte-drapeau de la rsistance dans le Sud-Est marocain.

BIBLIOGRAPHIE
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VOINOT L., Sur les traces glorieuses des pacificateurs du Maroc, Paris, Charles Lavauzelle, 1939, p. 2 5 5 , etc. M . PEYRON

B56. BEN BARAKAT, ALI (Ou-Barka, Ali) Ali Ben Barakat, ou Ali Ou-Barka sous sa forme berbre, est un personnage historique, bien que quelque peu nigmatique. C'est surtout par le biais de l'hagiographie locale que l'on a pu runir les quelques documents dont on dispose son sujet (Drouin, 1975). Cad makhzen des Ayt Yoummour sous Moulay Ismal, Ali Ou-Barka fit peser l'influence du pouvoir central de faon dterminante sur le pays des imazien une poque o, entre lafindes Dilates et l'mergence des Imhiwas, la pression des Sanhaja se faisait plus forte. Ennasiri ( 1 9 0 6 , 107) le premier fait tat d'un Ali Ben Barakat Elyoummouri envoy Tintealin la tte de contingents Ayt Idrassen et Ayt Yoummour, avec ordre de tenir cette position-clef lors de la campagne mene par Moulay Ismal contre les Ayt Oumalou, les Ayt Yafelman, et les Ayt Serri (Ayt Isri) du Jbel Faazaz en 1693. A lafinde ces oprations, Ali Ou-Barka fut l'un des cads chargs de runir les ttes des rebelles berbres et de les apporter au sultan dans sa forteresse d'Adekhsan. Il semble avoir t confirm alors par le souverain dans son commandement Tounfit et Abala. La fondation de cette dernire localit lui est, du reste, parfois attribue, ainsi que la construction d'une kasbah de garde (Ksiret Ou-Barka) sur une colline au sud-est de Tounfit qui commande les cluses de l'Ansegmir (Peyron, 1 9 8 4 , 122). Son cadat des Ayt Yoummour, qui dura environ 3 5 annes, devait lui permettre, tant bien que mal, de contenir la tribu indiscipline dont il avait la charge. Sa mission consistait essentiellement limiter l'expansion vers le Nord des Ayt Yahya et autres Ayt Sukhman. Si la plupart des Ayt Yoummour sous ses ordres l'paulait dans cette tche, il est clair que d'autres prenaient parfois fait et cause pour leurs frres de la montagne dont ils facilitaient la pousse vers le Tadla (De la Chapelle, 1931, 51). Sans doute ces lments frondeurs lui reprochaient-ils sa svrit leur gard, de mme que l'ardeur qu'il dployait dfendre les intrts du makhzen. Soucieux de faire rgner l'ordre, sans pour autant ngliger la diplomatie, OuBarka se rendit la Zawiya de Tamgrout, dans le Dra, afin de gagner les bonnes grces du trs influent cheikh Ahmed Bennasser, dont le secours pourrait s'avrer utile lors de ses dmles avec les tribus. Il lui concda, du reste, un terrain dans le Tadla o fut par la suite difie Zawiya ech-Cheikh (De la Chapelle, 1931, 49). On ne possde gure d'autres dtails sur sa vie, part le fait qu'il se maria peu de temps avant sa mort, et qu' cette occasion il runit une telle quantit de dattes, que celles-ci formrent une colline. Ce serait l'origine du toponyme Tawrirt n-Tini

( colline des dattes ) proximit d'une de ses rsidences, la limite est du pays Ayt Sukhman. La tradition orale est plus loquace propos de sa mort, bien que les versions divergent. Vers la fin du rgne de Moulay Ismal, la situation tant complique par des intrigues dynastiques, l'agitation dans le Maroc central atteignit son comble. Ou-Barka fut finalement assassin par ses propres neveux, les Ouled Acha Termoun pour dgager les Ayt Yoummour du joug du makhzen (De la Chapelle, 1931, 51); pour laver l'honneur familial suite la violation par leur cad d'un pacte de protection (Drouin, 1975, 39). Ceci venait s'ajouter aux nombreuses exactions commises par ce dignitaire qui, manifestement, tait devenu bien embarrassant pour la tribu. Reprsent ngativement par l'oralit comme teigneux et comme oppresseur, son meurtre eut lieu vraisemblablement du ct d'El Herri, entre Tinte-faim et Khenifra, vers 1727-1730. Une autre source prcise Tit n-Teslit, non loin de Tounfit, comme lieu du drame (Drouin, 1975, 50), ce qui est galement plausible. Sans doute Ali Ou-Barka reprsentait-il une manifestation de plus de ce pouvoir personnel laque, qui allait connatre encore de nombreux mules sur la scne marocaine au cours des trois sicles venir. En effet, chaque fois que des conflits internes miettaient le tissu social de ces tribus, lesquelles semblaient malgr tout tendre vers une certaine dmocratie (Guennoun, 1933, 168) taient alors runies les conditions propices l'apparition des fodaux d'une envergure plus ou moins grande, et qui manquaient rarement de se rclamer d'une caution makhznienne.

BIBLIOGRAPHIE CHAPELLE F. de la, Le Sultan Moulay Ismal et les Berbres Sanhaja du Maroc central, in Arch. Mar., vol. XXVIII, Champion, Paris, 1931. DROUIN J., Un cycle oral hagiographique dans le Moyen-Atlas marocain, Sorbonne, Paris, 1975, p. 38-52. ENNASIRI A., Kitab Elistiqsa (trad. E. Fumey) in Arch. Mar., vol. IX, Leroux, Paris, 1906. GUENNOUN S., La montagne berbre, Omnia, Rabat, 1933. PEYRON M., Contribution l'histoire du Haut Atlas oriental : les Ayt Yafelman, in R.O.M.M., 38/2, Aix-en-Provence, 1984, p. 117-135.
M. PEYRON

B57. BEN BAROUR (Pierres de)


Les Pierres gorge sahariennes ou Pierres de Ben Barour sont des pierres allonges et volumineuses, munies sensiblement gale distance de leurs deux extrmits, d'une gorge de section semi-circulaire qui en fait le tour la manire d'une ceinture sur un corps. Elles sont gnralement paralllpipdiques, plus rarement sybcylindriques ou ovodes; leurs dimensions sont variables. La plus grande actuellement connue est paralllpipdique et provient de la rgion d'Ouargla; longue de 87 cm, large de 23 43 cm, paisse de 20 cm, elle doit peser une centaine de kg. La plus petite est ovode et provient d'Edrichinga dans le Borkou; haute de 19 cm, large de 17 au centre, elle pse 7,4 kg. En moyenne, les pierres gorge mesurent de 40 60 cm de longueur, de 20 30 cm de largeur et d'paisseur et psent de 30 50 kg. Par leurs dimensions et par leur poids qui excluent la possibilit d'un emploi manuel, elles se diffrencient des outils rainure ou gorge : masses, broyeurs et casse-tte dont les formes sont voisines mais qui, destins tre tenus la main ou tre emmanchs, sont toujours plus petits et plus lgers. Faonnes dans des roches d'origine strictement locale, les pierres gorge pr-

sentent, suivant les rgions, une grande diversit de nature lithologique; ce sont tantt des quartzites du Primaire, tantt des grs du Primaire ou du Crtac, tantt des calcaires appartenant aux diffrents tages du Crtac suprieur. Certaines sont des blocs naturels mais d'autres, avant d'tre pourvus d'une gorge, ont subi une taille sommaire qui a rgularis la forme, plus ou moins bien arrondi les extrmits, parfois aplani les faces. Le travail a t effectu par martelage ou piquetage, avec des outils de pierre, l'exclusion, semble-t-il, de tout outil en mtal. La gorge est annulaire une seule exception prs (elle est hlicodale sur une pierre du Tademat central). Large de 2 10 cm (5 en moyenne), profonde de 0,5 4,5 cm (2 2,5 en moyenne), elle a t obtenue par un piquetage plus ou moins mticuleux; elle ne porte qu'exceptionnellement des traces de polissage. Dans plusieurs cas de blocs assez plats, ou de blocs paralllpipdiques artes saillantes, on peut n'observer que de profondes encoches sur les artes au lieu d'une gorge complte. La plupart des pierres gorge n'offrent aucune trace de travail intentionnel autre qu'une mise en forme sommaire et le creusement d'une gorge. Cependant, quelquesunes, et, par exemple, celle dcouverte dans une cendrire capsienne de Dra-Mtael-Ma-el-Abiod, au Sud de Tbessa, prsentent des traits inciss, isols ou groups, dont la signification nous chappe. La petite pierre d'Edrichinga, base plane, est orne d'une double rainure descendant du sommet vers la gorge centrale et de cercles concentriques incomplets; u n autre, provenant probablement de Tabelbalet et conserve au Muse saharien d'Ouargla, est grave, l'une de ses extrmits, d'un cercle point 5 rayons ingaux. Il semble que le voyageur Paul Soleillet (1887) soit le premier auteur qui ait signal l'existence des pierres gorge sahariennes et rapport la lgende qui les concerne. Par la suite, quelques variantes prs, cette mme lgende a t recueillie, en divers points du Sahara central, par l'explorateur F. Foureau, le colonel G. Carbillet, le commandant P. Duclos, le lieutenant R. Bureau, le commandant A. Cauneille, le prhistorien H.-J. Hugot; en 1967, le gologue J.-Ph. Lefranc a pu constater qu'elle tait encore bien vivante chez les nomades merabtines d'In-Salah. Le rcit le plus circonstanci est celui donn par le lieutenant R. Bureau (1955) qui le tenait d'un nomade n auprs du puits de l'oued Tislaouine. La voici : Il existait autrefois un Arabe nomm Brour (Ben Barour, disent Foureau et Carbillet) qui savait parfaitement se diriger au Sahara, d'Est en Ouest et du Nord au Sud, rien qu'en observant les toiles. Il avait conu le projet de tracer un peu partout de ces voies chamelires qui matrialiseraient, de jour, les directions et seraient d'un prcieux secours ceux qui ne jouissaient pas des mmes facults. Pour cela, il utilisait une grosse pierre de forme oblongue qu'il creusait en son milieu et sur tout le pourtour d'une gorge assez peu profonde. Dans cette gorge, il faisait passer une corde (une chane, dit Foureau) qu'il attachait par l'autre extrmit au cou de sa monture. Et il allait ainsi, de Ghardaa In-Salah et d'Aoulef Ghadams. Quand une pierre devenait trop use, il l'abandonnait et la remplaait par une nouvelle qu'il avait toujours en rserve sur son chameau. C'est pour cela que ces pierres sont nombreuses, dissmines au Sahara. Mais, comme tous les gens clbres, Brour a une histoire. U n devin (un marabout, dit Carbillet) lui avait prdit qu'il mourrait un jour, mordu par son chameau garah (c'est--dire par son chameau pourvu de sa denture d'adulte et prsentant sur toutes ses dents une table d'abrasion laissant apparatre l'ivoire, ce qui se produit vers l'ge de 8 ans). Pour tenter de tromper le sort, il se servait donc de jeunes chameaux qu'il changeait avant l'ge fatidique. Mais, devenu vieux, il ngligea cette prudence et s'aperut soudain horrifi, que sa bte avait mis les dents du garah. Il s'enfuit, mais l'animal plus agile le rattrapa avant qu'il et atteint la colline sur laquelle il esprait se rfugier. C'est l qu'il mourut comme le lui avait fix le devin. Et voil pourquoi, quelque part, entre El Gola et Ouargla, il existe une gara que d'aucuns appellent garet el Brour au pied de laquelle est une tombe. Prs de

cette tombe, est une pierre de Brour. D'aprs la version entendue par H.-J. Hugot dans la rgion d'Aoulef, Ben Barour devait quotidiennement limer les dents de sa chamelle ; il omit de le faire un jour et il eut le cou coup par elle. Soleillet fournit, sur l'poque o vivait Ben Barour, un renseignement moins vague que les autres auteurs; c'tait une poque trs recule, au moment o le Touat n'tait pas encore habit. La garet Ben Barour est une butte isole qui se dresse au bord de la piste chamelire de Ghardaa El Gola par Hassi Djafou, l'endroit o la piste traverse l'oued Ben Barour; elle porte effectivement une tombe en forme de tumulus circulaire (djeddar) d'un type prislamique; proximit, J.-Ph. Lefranc a dnombr 11 pierres gorge et remarqu des blocs bruts, prsentant un tranglement en leur milieu, permettant de les utiliser comme pierres gorge sans taille pralable. Bien que Foureau (1905) ait rapport en avoir vu lui-mme un trs grand nombre, il n'est que rarement question des pierres gorge dans les travaux relatifs l'archologie ou l'ethnographie du Sahara publis au cours des deux premiers tiers du XX sicle. En 1967, aprs une enqute de plusieurs annes, J. Morel n'en pouvait encore citer que 189, toutes situes dans une aire correspondant au Grand Erg Oriental, au plateau de Tademat, au plateau de Tinrhert et l'Erg Issaouane. Cependant, depuis 1952, le gologue J.-Ph. Lefranc s'est attach leur recherche et leur tude sur le terrain; il a pu porter plus de 100 le nombre des pierres gorge actuellement recenses et tendre considrablement leur aire de dispersion. En fait, elles sont dissmines dans toute la zone saharienne depuis la Saoura jusqu'au Fezzan et au Tchad (Borkou). Nombreuses dans le Tademat (74), particulirement dans le Tademat central (26) et dans le Tademat septentrional (22) o se trouve prcisment la garet Ben Barour, elles sont moins frquentes dans le Touat (9), la Saoura (5), le grand Erg Oriental et la plateau de Tinrhert (9), rares au Tidikelt (1), en Tripolitaine et au Fezzan (3), au Borkou (1), au Tassili N'Ajjer (1) et dans le Sud tbessien (1).
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A une poque relativement rcente, certaines pierres gorge ont t leves et plantes verticalement comme des bornes (l'une d'elles, dpose depuis au Muse du Bardo Alger, a servi de repre pendant la construction de la piste de FortFlatters Amguid). Mais, quand elles n'ont pas t dplaces pour un remploi moderne, elles gisent couches sur le sol et elles gisent ainsi depuis longtemps puisque la face expose l'rosion olienne est en gnral beaucoup plus profondment corrode que les autres faces. Une seule pierre gorge est approximativement date par un contexte archologique. Elle provient d'une cendrire de Dra-Mta-el-Ma-el-Abiod, 28 km au Sud de Tbessa, la limite septentrionale de la marge steppique qui borde l'Erg Oriental. Longue de 46,8 cm, large et paisse de 30,6 et 21,6 cm au centre, d'un poids de 36 kg, elle est conserve au Muse d'Hippne Annaba. Elle a t extraite, par J. Morel, en 1938, d'un niveau capsien terminal qui ne paraissait pas remani, certainement postrieur aux niveaux profonds du mme gisement dats de 5050 200 avant J.-C. par le C14, et antrieur peut-tre de peu au Nolithique de tradition capsienne lui-mme dat dans la rgion, la Table de Jaatcha, en Tunisie, de 3050 150 avant J.-C... On peut estimer qu'elle est du IV Millnaire avant notre re, mais rien n'autoriserait tendre cet ge l'ensemble des pierres de Ben Barour du Sahara, d'autant qu'elle n'a pas t trouve dans la zone proprement saharienne, s'il n'y avait d'autres raisons de tenir ces pierres pour trs anciennes. En 1957, H. Lhote en a dcouvert une dans un abri nolithique de Sefar, au Tassili N'Ajjer, abri dit des masques noirs, orn de peintures appartenant aux poques bovidienne et post-bovidienne de l'art rupestre saharien (IV et III Millnaires avant J.-C). C'est un bloc long de 36 cm, large de 19 et pais de 16 au centre, d'un poids approximatif de 15 kg; il est muni d'une gorge incomplte et qui prsente un polissage superficiel. Cette pierre, qui est la seule connue au Tassili et qui a t dpose au Muse de l'Homme Paris, reposait sur le sol de l'abri et
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n'tait accompagne d'aucun autre objet tmoignant d'une action humaine; il est possible, mais non certain, qu'elle soit contemporaine des peintures. Aucun contexte prhistorique, archologique ou ethnologique, ne permet de dater les autres pierres de Ben Barour; cependant, elles donnent l'impression d'tre trs vieilles, d'une part parce qu'elles paraissent avoir t faonnes avec des outils de pierre, d'autre part parce que leurs surfaces retouches ont souvent acquis une forte patine : les grs ont pris une teinte brun-noir, les calcaires sont vermiculs et revtus d'un enduit luisant caractristique dit vernis du dsert. Les pierres gorge sont probablement antrieures l'introduction du mtal au Sahara, fortiori la date admise pour l'introduction du chameau.

Pierres de Ben Barour et figures rupestres d'aprs J.-L. Lequellec. 1 et 2. Pierres de Ben Barour d'In Habeter. 3. Pierre rainure de l'escargotire capsienne de Dra mta el-ma elabiod. 4. Gravure de Tel Isaghen (relev Jelineck : grand bovine retenu par une pierre de Ben Barour). 5, 6 et 7. Pierres de Ben Barour de Tabelbalet, de la rgion de Mathends et des environs de Ghudwa. 8. Gravure rupestre du wadi Geddis; grand bovin entrav et retenu par une pierre de Ben Barour.

S'il est difficile de prciser leur ge, il l'est plus encore de deviner leur destination. La lgende de Ben Barour les associe la mise en place des pistes chamelires, mais il n'est pas vraisemblable qu'elles aient pu servir, soit les tracer, soit les baliser. Si elles avaient servi les tracer, elles prsenteraient, au moins sur l'une des faces, une abrasion caractristique que l'on n'observe pas, la seule forme d'usure apparente et presque gnrale tant manifestement d'origine olienne; de plus, les pierres uses auraient d tre abandonnes plus ou moins loin de leur lieu d'extraction alors qu'elles gisent toujours prs de celui-ci. Enfin, on peut penser que le remorquage par une attache centrale unique (et non par une attache double proche des extrmits) n'est ni rationnel ni pratique, que le lien de remorquage pass autour de la gorge n'aurait pas rsist longtemps au frottement sur le sol et que la trace laisse par la pierre aurait t inefficace sur une hamada, insuffisante sur un reg et trop fugace dans un erg o le premier vent de sable et tt fait de l'effacer. Dans l'hypothse du balisage, la gorge ne se justifie plus, le fait que les pierres ne soient pas dresses mais couches sur le sol ne s'explique pas ; aussi bien, quels services auraient pu rendre des bornes hautes de 19 87 cm (souvent 40 60 cm) qui, pour tre stables, auraient d tre cales la base par d'autres blocs que l'on ne retrouve pas ou enfonces dans le sol au moins au tiers de leur hauteur. Les tas de pierres, redjem ou guemar, qui permettent aux caravaniers des ergs de retrouver leur route quand les traces laisses par les voyageurs prcdents ont disparu, sont beaucoup plus hauts et beaucoup plus volumineux pour tre visibles. Il est d'ailleurs remarquable qu' peine un quart des pierres gorge aient t dcouvertes au bord d'une piste chamelire. Les autres sont en relation, non avec un itinraire menant vers quelque lieu habit, mais avec une zone de pturages : cuvette limoneuse du genre data ou mader, aire d'pandage alluvial d'un oued, voire mme hamada pierreuse o la vgtation bien que maigre et diffuse est cependant notablement plus riche qu'aux alentours. Les pierres gorge sont lies la vgtation spontane du dsert ; elles ont t faonnes et abandonnes sur place par des hommes qui menaient une vie de chasseurs et de pasteurs. Or, certaines des aires o on les rencontre ont pratiquement cess d'tre frquentes par les chasseurs et les pasteurs depuis la fin du dernier pisode humide qu'ait connu le climat saharien ; cet pisode ou optimum climatique qui concide avec la nolithisation de la zone actuellement aride ne dpasse pas le III Millnaire avant notre re, la dsertification devenant rapide et intense partir du milieu du Millnaire suivant.
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La remarquable distribution des pierres de Ben Barour suggre des utilisations possibles qui expliqueraient la prsence d'une gorge et les limites de variation de leur poids, poids toujours tel qu'un homme (exceptionnellement deux) puisse les soulever et que cependant leur traction sur le sol soit pnible. Les pierres gorge ont pu constituer des poids morts efficaces et maniables servant arrimer des objets (piquets de tente, par exemple), immobiliser ou entraver des tres vivants (ennemi ou condamn, animal domestique, animal sauvage dont l'abattage tait diffr), armer des piges destins au moyen et gros gibier de plume (autruches) ou de poil (Equids, Bovins, Antilopids, Girafids...). Les Touaregs utilisent encore trois types de piges dont les poids-morts sont des pierres qu'un lien enserre. La destination des rares pierres gorge graves est plus mystrieuse. Il est tentant d'y voir des objets culturels ou tout au moins chargs d'une signification mystique, ce qu'elles ont peut-tre t effectivement. Cependant, l'ethnographie saharienne propose des explications plus ralistes qui d'ailleurs ne sont pas incompatibles avec certaines croyances religieuses ou certaines pratiques magiques. La pierre d'Edrichinga fait d'abord penser une figuration symbolique pour l'instant indchiffrable, mais elle prsente aussi une remarquable convergence de forme avec le modle le plus simple des botes en peau moule (tahatint) des Touareg. Le quadruple arceau dont elle est orne est tout fait comparable au signe des chasseurs, connu depuis la Nubie jusqu' l'Atlas saharien et habituellement compos de qua-

tre demi-cercles concentriques. Cette pierre a pu tre un lourd casse-tte rituel utilis par des chasseurs. Celle conserve au Muse de Ouargla est trop pesante pour avoir t un casse-tte; le cercle point et radi qui la dcore voque immdiatement une reprsentation solaire et l'on n'est pas surpris d'apprendre qu'elle provient probablement de Tabelbalet, haut-lieu de la pense prislamique o ont t trouves les fameuses idoles, btyles sans bouche, sans nez, sans yeux dont le caractre anthropomorphique n'est plus attest que par l'ovale du visage. Toutefois, le cercle point et radi, dans de nombreuses gravures sahariennes, ne reprsente sans doute rien de plus qu'un pige pointes radiaires, quip ou non d'un lacet reli un corps mort. La pierre du Muse d'Ouargla tait peut-tre un tel corps-mort que la gravure avait enrichi d'une vertu magique. Ainsi, sous la dnomination commune de pierres gorge ou pierres de Ben Barour, sont vraisemblablement runis des objets sahariens diffrents dont la similitude de forme masque la diversit des utilisations. Des pierres gorge sont conserves au Muse de l'Homme Paris, au Muse du Bardo Alger, au Muse saharien d'Ouargla, au Muse saharien de Bni-Abbs, au Muse archologique d'Hippne Annaba, au laboratoire de gologie de la Facult des Sciences d'Orsay, ainsi que dans diverses collections prives. BIBLIOGRAPHIE BUREAU Lt. R., A propos des Pierres de Barour, Bull, de Liaison saharienne, 1954, Alger, t. 6, n 20 (mai 1955) p. 23-24. CAPOT-REY R., Dcouvertes archologiques au Borkou, Trav. Institut Rech. Sahar., 1958, Universit d'Alger, t. 17, p. 203-205, 2 pl. CAUNEILLE Cdt. A., Le nomadisme des Zentn (Tripolitaine et Fezzan), Trav. Institut Rech. Sahar., 1957, Universit d'Alger, t. 16 (2 sem. 1957), p. 73-99, 6 fig., 2 tabl., bibl. DUCLOS Cdt P., in Haardt G.-M., Audouin-Dubreuil L., Le raid Citron. La premire traverse du Sahara en automobile. De Touggourt Tombouctou par l'Atlantide, 1923, 1 vol., in-16, Plon et Cie dit., Paris, 310 p., 60 photos, 2 cartes, cf. p. 294-301. FOUREAU F., Documents scientifiques de la mission saharienne Foureau-Lamy. D'Alger au Congo par le Tchad, 1905, Publ. Soc. gog. de Paris, Masson, dit., t. 3, fig., pl., cf. p. 1090. LE QUELLEC J.-L., Pierres de Ben Barour et Radnetzen au Fezzan (Libye), L'Anthropologie, t. 94, 1990, p. 115-126. MOREL J., Enqute sur les Pierres de Ben Barour, Bull, de Liaison saharienne, 1952, Alger, t. 3, n 10 (octobre 1952), p. 8-9. MOREL J., Dcouverte d'une pierre gorge dans une escargotire capsienne de la rgion de Tbessa (Algrie). Les pierres gorge du Sahara oriental, Libyca, 1967, sr. Anthrop. Prhist. Ethn., Alger, t. 15, p. 125-137, 9 fig., bibl. Id. Les pierres gorge du Sahara. Inventaire provisoire et essai d'interprtation , Journal de la Soc. des Africains, t. 52, 1982, p. 68-94. SAVARY J.-P., lments remarquables du Nolithique saharien, Bull. Soc. Prh. franc., Paris, 1967, t. 64, n 3, p. 831-864, 8 fig. SOLEILLET P., L'Afrique occidentale : Algrie, Mzab, Tildikelt, 1877, 1 vol., in-12, Challamel dit. Paris, 280 p., cf. p. 245-246 (journe du 3 mars 1874).
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J. MOREL et J.-Ph. LEFRANC

B58. BEN BOULAID MOSTEFA (1917-1955)


Ben Boulaid Mostefa est l'un des neuf chefs historiques de la guerre pour l'indpendance de l'Algrie et, le premier novembre 1954, le responsable de la wilaya des Aurs-Nemencha dans le sud-constantinois. On le dit n Arris, ce qui est vrai administrativement, mais ne veut rien dire. En effet, Arris aujourd'hui ville de plus de vingt mille habitants, sige de la dara du mme nom, ne regroupe en 1917 que les bureaux de la commune mixe de l'Aurs et les habitations de ses agents; en tout environ 75 personnes.

La famille Ben Boulaid appartient la tribu berbrophone des Ouled Daoud, plus connue sous le nom de Touaba, la plus nombreuse et la plus puissante du massif aurasien; son territoire s'tire sur plus de 70 km du nord-est au sud-ouest dans l'axe de la valle de l'oued El-Abiod, confinant d'un ct avec Timgad, de l'autre avec l'oasis de Biskra. Jusqu'au dbut de ce sicle, les Touaba, entre lesquels s'est maintenue une trs forte solidarit qui a rsist la cration des trois douars issus de leur dmembrement, ont men une vie trs particulire, partage entre la culture sche en altitude, la culture irrigue dans les primtres irrigables et l'levage des chvres et des moutons sur toute l'tendue de leur terroir, ce qui leur a impos des dplacements saisonniers, l'utilisation de la tente pour habitat et la construction de greniers familiaux o ils dposaient leurs provisions et leurs biens et auprs desquels se situaient leurs lieux de prires et leurs cimetires. Quand nat Mostefa Ben Boulaid, la vie des Touaba est en pleine volution. Ayant maintenu leurs activits agricoles et en grande partie abandonn leurs activits pastorales, ils ont commenc se sdentariser et se construire des maisons en pierre auprs des anciens greniers familiaux. C'est ainsi qu'Inerkeb, l'ancien grenier des Ben Boulaid, est devenu son village, sa dechra. Ben Boulaid appartient ces familles dont l'volution vers la sdentarit a t favorise par le voisinage d'Arris, son dveloppement et l'ouverture d'un certain nombre de commerces. Devenus sdentaires, les Touaba ont nanmoins conserv l'habitude de dplacements lointains ncessits par les soins donner leurs champs et leurs jardins. Ils continuent d'aller et venir et connaissent parfaitement la montagne. Cela leur servira au jour de l'insurrection. Par ailleurs ce sont des gens fiers qui n'ont pas oubli les spoliations dont ils ont t les victimes en 1879 : cette poque leurs meilleures terres leur ont t enleves et la blessure est reste ouverte. Leur existence nomade explique leur refus de l'cole du temps des Pres Blancs (1893-1916). Leurs dispositions ont compltement chang quand ils se sont fixs et l'on voit le jeune Ben Boulaid entrer l'cole primaire Batna et non Arris : probablement parce qu'il n'existe pas encore d'cole au sige de la commune mixte ou qu' ses dbuts celle-ci est rserve aux enfants des agents communaux. Mostefa obtient le certificat d'tudes, ce qui est alors le plus haut niveau d'tudes que puisse atteindre un jeune rural et ce qui prouve qu'il matrise parfaitement le franais. Sans doute aide-t-il alors son pre dans ses activits, diverses comme celles de tous les montagnards qui ont toujours des terres cultiver, quelques btes lever. Puis vient le temps du service militaire auquel les Algriens se sont trouvs soumis dans les annes qui prcdrent la premire guerre mondiale et qu'ils ont fini par trs bien accepter. Ben Boulaid fait son temps au 1 1 rgiment de tirailleurs o il est bientt nomm caporal. Rendu la vie civile, il cre une petite entreprise de transports. Quand clate la deuxime guerre mondiale en 1939, il a 22 ans; il est mobilis, il participe aux combats et il aurait t bless. En 1943 il est rappel et ses tats de service lors de la campagne d'Italie lui valent le grade d'adjudant, la croix de guerre et la mdaille militaire. L'administration locale apprcie cette homme srieux, honnte, rserv et d'apparence timide et son retour dans ses foyers, elle lui attribue, faveur insigne, une licence pour l'exploitation d'une ligne de cars de Batna Arris et, dans cette priode de pnurie o il a fallu rglementer le commerce des tissus, elle lui confie la prsidence du groupement des commerants chargs d'en faire la distribution, ce qui va lui permettre de se constituer tout un rseau de relations dans les douars. Pourtant on n'ignore pas tout fait qu'il a eu un pass politique; il a adhr au Mouvement pour le triomphe des liberts dmocratiques, M.T.L.D., de Hadj Messali et il a mme fait partie de son noyau dur, l'organisation spciale, l'O.S.; mais le chef de la commune mixte croit l'avoir ramen de meilleurs sentiments.
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En 1948, il se dvoile en se prsentant comme candidat du M . T . L . D . aux lections l'Assemble Algrienne. Malgr toutes les pressions qui s'exercent sur les populations, il obtient 10 000 voix au premier tour. C'est un succs considrable qui ne dissimuleront pas les rsultats proclams au second tour qui feront d'un individu mprisable (cf. Yves Courrire, Les Fils de la Toussaint, p . 128) l'lu officiel des Aurasiens. Pour le chef de la commune mixte qui s'est toujours flatt de tenir en mains les montagnards, c'est un aveu d'impuissance qui ne sera pas sans suite. La disgrce dans laquelle va tomber Mostefa Ben Boulaid, auquel est retir sa carte violette, ne fait que renforcer son engagement politique; il va feindre d'tre dcourag et de vouloir dsormais se consacrer ses affaires qui prosprent. En ralit, il va dployer dans la clandestinit une activit considrable au service de la cause nationaliste. Le rle qu'il joue la tte du Parti a t reconnu en juillet 1951 avec son admission au Comit central mais ce qui semble lui importer avant tout c'est le renforcement de son autorit dans l'Aurs. Habile politique, il parviendra s'assurer l'appui prcieux de petits groupes d'individus qui ont pris le maquis, dans la tradition demeure bien vivante dans les mmoires de ces bandits d ' h o n n e u r qui, la fin de la guerre mondiale, ont tenu en chec pendant des mois les troupes lances leur poursuite. Il a russi en outre rconcilier les gens de sa tribu, les Touaba, et ceux de la tribu des Beni Bou Slimane, ennemis de toujours. En juillet 1951, en dpit de la prsence d'un administrateur et de gendarmes, ses partisans parviennent empcher le droulement des lections dans un douar de la commune mixte. En 1952, l'inscurit s'y est dveloppe un tel point que le gouvernement gnral a estim urgent d'loigner le chef de la commune mixte en place depuis dix ans. Pour tablir l'autorit de son successeur une opration militaire de grande envergure est mene : c'est la manuvre Aiguill qui, partir du 15 aot 1952, a mis en action plusieurs milliers d'hommes contre les bandits de l'Aurs car, l'poque, on ne voit dans les troubles qu'une manifestation du banditisme traditionnel. chec complet et nouvel aveu d'impuissance, la manuvre Aiguille montre Mostefa Ben Boulaid qu'avec quelques hommes de plus, un peu plus d'argent, un peu plus d'armes, il est capable de se mesurer avec l'arme franaise dont l'essentiel des forces est engag dans la guerre d'Indochine. Des armes, il ne lui est pas difficile d'en trouver, les troupes de l'Axe en ont laiss des quantits dans leur fuite et, depuis, les Stati italiens et les Mauser allemands font l'objet d'un actif commerce de contrebande sur les confins tuniso-lybiens. Il a deux ans devant lui pour parfaire son organisation et faire partager aux autres ses esprances; mais il ne parviendra convaincre ni Hadj Messali qu'il ira voir Niort, ni les Centralistes qui se sont spars de ce dernier. Les uns et les autres estiment qu'engager le combat dans l'tat des forces rvolutionnaires, c'est envoyer le peuple l'abattoir. Ben Boulaid se retrouve seulement avec quatre frres pour crer le Comit rvolutionnaire d'unit et d'action ou C.R.U.A. Si Ben Boulaid estime pouvoir se passer des politiques, en revanche il attache un grand prix l'appui des Kabyles. Il ira donc voir Krim Belkaceme et finira au moins par l'branler car Krim ne rompra pas totalement avec Hadj Messali et, le 1 novembre, les Kabyles resteront dans l'expectative. Le 25 juillet 1954, ils ne seront que 22 autour de lui et certains d'entreeux n'iront pas jusqu'au bout de leur engagement. Le 1 novembre Ben Boulaid sera donc peu prs seul avec seulement ses Aurasiens, 359 hommes bien arms, d'aprs les chiffres que l'on connatra aprs son arrestation. Et ce sera la surprise, car depuis la manuvre Aiguille, il aura soigneusement vit de faire quoi que ce soit qui puisse alerter les autorits. Surprise
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aussi pour les habitants de l'Aurs qui apprendront presque tous par la voie des journaux que la montagne est en insurrection. Tous les effectifs dont pouvait disposer la 1 1 rgion militaire seront envoys sur place, y compris lgionnaires et tabors marocains, sans beaucoup plus de rsultats qu'en 1952 mais avec des effets beaucoup plus traumatisants pour les Aurasiens. Ben Boulaid sera arrt en fvrier 1955 la frontire tuniso-lybienne par des lments franais, au retour d'un voyage qu'il avait entrepris pour se procurer des armes. Les papiers saisis sur lui confirmrent qu'il tait bien le chef de l'insurrection dans l'Aurs et rvlrent tous les dtails de l'organisation qu'il avait mise sur pied; mais c'est seulement beaucoup plus tard que fut connu son rle au niveau national. Jug et condamn mort, Ben Boulaid s'vadera le 4 novembre 1955 et regagnera le massif o depuis son arrestation rgnait l'anarchie. Sa mort, le 27 mars 1956, la suite de la manipulation d'un colis pig priva l'Aurs de la seule tte capable de raliser l'union des montagnards.
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BIBLIOGRAPHIE BIRONNEAU R., Correspondance avec l'auteur. BITAT Rabah, Comment nous avons prpar le 1 novembre 1954, Journal l'Express, 3 novembre 1979. CAZEBONNE G., Correspondance avec l'auteur. COURRIRE Y., La guerre d'Algrie, t. 1; Les Fils de la Toussaint, A. Fayard, 1968. HARBI Mohammed, Le F.L.N. mirage et ralit, ditions J.A., 1980. LE MOUDJAHID, Commmoration du 23 anniversaire de la mort de Mostefa Ben Boulaid, 2 5 mars 1979. VAUTOUR J., De la rvolte la rvolution, Albin Michel, 1985.
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J. MORIZOT

B59. BEN YASLA


La ncropole libyque de Ben Yasla est situe dans la rgion des Mogods, au nordouest de la Tunisie, et plus prcisment dans le secteur d'Aouana (dlgation de Sejnane, gouvernorat de Bizerte). Elle est compose de quarante-quatre haouanet, creuss sur plusieurs niveaux, dans toutes les faces d'une imposante falaise grseuse qui domine les terres cultivables, et sur laquelle est difi un douar, et par ailleurs dans de petits rochers indpendants, rpartis sur le sommet et en contrebas de celle-ci. L'orientation n'est donc pas constante. La disposition des haouanet dans la falaise rappelle de faon tonnante celle des tombes creuses dans le roc, Pantalica, en Sicile, qui sont dates du XIV aux VIII -VII sicles avant notre re. Les haouanet se prsentent sous la forme de chambres spulcrales plan rectangulaire ou carr (H 18 et H 40, par exemple), voire rhombique (H 3). Une bauche de hanout est ovode, forme due ici uniquement l'tat peu avanc du travail. Certaines parois sont lgrement curvilignes. Les plafonds sont plats mais leur surface n'est pas toujours plane. Les dimensions sont variables d'une chambre spulcrale l'autre. La hauteur maximum est de 1,71 m, la hauteur minimum de 1,21 m. La largeur maximum atteint 2,04 m, la largeur minimum 1,11 m. Suivant l'endroit o on les mesure, la hauteur et la largeur peuvent varier d'une dizaine de centimtres. Dans la plupart des cas, la profondeur, comprise entre 2,10 et 1,40 m, permettait de placer le cadavre en dcubitus dorsal ou latral tendu. Tous ces haouanet, qui ont t creuss au pic ou la pioche, sont d'une facture plus ou moins soigne.
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Entre du hanout 8 et coupe du hanout 20.

Les niches
Vraisemblablement destines recevoir les offrandes funraires, elles sont moins nombreuses Ben Yasla que dans d'autres sites puisqu'on n'en dnombre que quatorze pour l'ensemble de la ncropole. Il semble que le hanout H 42, pratiquement inaccessible, en possde galement une. Il s'agit, dans tous les cas, de niches plates. Dans les haouanet H 1, H 6, H 11, H 14, H 15, H 25, H 29, H 33, H 36, H 37, H 39 et H 40, qui en comptent chacun une, elles sont creuses dans la paroi postrieure. H 31 possde deux niches, l'une est galement mnage dans la paroi postrieure, mais l'autre, dans la paroi latrale gauche. Leurs dimensions sont assez semblables, une exception prs (H 17). Les hauteurs varient de 0,12 0,30 m, les largeurs de 0,18 0,30 m et les profondeurs de 0,05 0,13 m. Dans les haouanet H 7 et H 8, c'est l'aide de traits de peinture l'ocre ferrugineuse, d'une paisseur de 0,03 0,10 m environ, appliqus sur la paroi postrieure, que des niches ont t reprsentes. Ces traits dterminent un rectangle presque

Entre du hanout 20 (photo G. Camps).

Frise peinte du hanout 10 (photo M. Longerstay). carr de 0,22/0,24 m, dans le hanout H 7, et un rectangle de 0,39/0,43 m, dans le hanout H 8. Ce type de reprsentation symbolique de la niche est particulier la ncropole de Ben Yasla.

Les corniches Sept haouanet possdent des corniches sculptes, deux (H 7 et H 8), des corniches peintes l'ocre ferrugineuse. Ces derniers comportent galement des niches suggres la peinture. Les corniches de H 7 et de H 8 se prsentent sous la forme d'une bande pleine qui dcore les quatre parois de la chambre. La largeur de cette bande varie de 0,08 0,13 m, dans le hanout H 7 et de 0,14 0,19 m, dans le hanout H 8. Dans les haouanet H 4, H 17, H 22, H 25 et H 38, on observe des corniches rglet qui comportent une seule moulure. Dans le hanout H 9, la corniche qui orne la paroi postrieure, en comporte deux : on a affaire une corniche double rglet carr, en surplomb. En revanche, celles qui courent sur les parois latrales n'ont qu'une seule moulure. Les corniches peuvent orner quatre parois (H 4, H 9, H 17 et H 38), trois (H 19), deux (H 22) ou une seule d'entre elles (H 38).

Les banquettes Ces banquettes, qui ont vraisemblablement servi de support au cadavre, sont toujours accoles la paroi postrieure du hanout. Leurs profondeurs sont assez semblables mais leurs hauteurs varient. La banquette du hanout H 2 est de 0,70 0,78 m de profondeur et de 0,06 m de hauteur, celle de H 8 a une profondeur de 0,83 m et une hauteur de 0,27 m. Quant celle du hanout H 25, elle a une profondeur de 0,73 m et une hauteur de 0,15 m. La prsence de banquettes dans les haouanet est assez rare. Elle est beaucoup plus frquente dans le monde funraire phnico-punique. Sans doute faut-il voir l un emprunt cette tradition.

A m n a g e m e n t s particuliers Dans le hanout H 22, une plinthe est suggre par un trait de peinture plein, l'ocre ferrugineuse, d'une paisseur de 0,11 m, sur les parois postrieure et latrale droite. La paroi postrieure du hanout H 2 est faite de deux parties, dont l'infrieure est en avance de 0,16 m par rapport l'autre. Sa hauteur est de 0,63 m environ.

La dcoration La dcoration revt ici une importance capitale car elle constitue la seule source d'information que nous possdions sur la priode d'occupation des haouanet. En effet, toutes les chambres spulcrales de la ncropole ayant t violes, le mobilier funraire, susceptible de fournir des renseignements chronologiques, fait dfaut. Les peintures et les sculptures qui ornent les parois sont donc les seuls lments de datation dont nous disposons. La dcoration sculpte consiste essentiellement en reprsentations de signes ou de personnages en rapport avec un symbolisme funraire ou religieux. Dans le hanout H 9, un masque funraire est sculpt sur la paroi postrieure. Le hanout H 2 est orn d'un croissant renvers sur le disque, symbole divin, d'origine punique. C'est en orant qu'a t reprsent le personnage, la coiffure tresse, dcorant la baie d'accs du hanout H 3 : genou en terre, il lve les bras au ciel. La dcoration peinte l'ocre ferrugineuse exploite un rpertoire iconographique d'une extrme varit tant en ce qui concerne les thmes choisis que leur origine.

Personnage sculpt sur le pied droit de la baie d'accs du hanout 3 (photo G. Camps).

Si certains se rattachent tantt l'univers punique, tantt au monde libyque, d'autres proviennent du monde grec ou sont le rsultat de l'osmose des diffrentes cultures que connut le bassin mditerranen, dans le premier millnaire avant J.-C. Nous n'en donnerons ici que quelques exemples. Parmi les lments gomtriques les plus intressants, retenons la frise peinte sur la paroi latrale droite du hanout H 10, qui est compose d'une range de postes, d'une range de carrs, dont un sur trois est peint, et d'une range de rosaces inscrites dans des cercles. Nous n'avons trouv d'autre exemple de ce type de motifs superposs que dans la tombe dite d' El Tifone , Tarquinia, date de la deuxime moiti du III sicle avant J.-C. Dans la mme chambre spulcrale, c'est un serpent, divinit libyque protectrice des grottes, qui est associ une scne de chasse : le dfunt, hrocis, plante une lance dans le corps d'un lion, animal dont la reprsentation est un thme de l'iconographie funraire antique. Deux chevaux, dont l'un est mont par un cavalier, sont peints, face face, sur la paroi latrale gauche du hanout H 1 1 . Leur facture est assez proche de celle de chevaux affronts qui sont reprsents sur des plaques places dans un tumulus chapelle de Djorf Torba*, en Algrie. Dans les haouanet H 6 et H 10, enfin, des hommes dansent devant des animaux qui voquent des bovins, comme danse, devant un taureau, un personnage grav dans un hanout de jbel Mangoub*, dans l'est de la Tunisie. Dans les deux haouae

net, on aperoit, non loin des danseurs, des fauves dont l'chin est hrisse de hampes munies de pointes dresses vers le haut. Ces reprsentations, dont le caractre rituel semble vident, voquent ne serait-ce qu'au niveau thmatique , certaines scnes dont l'art crtois a laiss des exemples (cf. G. Camps, REPPAL, III, 1987, p. 54). D'autre part, un des personnages du hanout H 10 porte, semble-t-il, une coiffure plumes, bien atteste dans le monde libyque antique.

BIBLIOGRAPHIE LONGERSTAY M., A travers l'exemple de Ben Yasla, les haouanet de Tunisie et le problme de leurs relations avec les monuments similaires du bassin mditerranen, Atti del Congresso Internazionale di Amalfi, 5-8 dicembre 1983, Napoli, 1986, p. 181-190. LONGERSTAY M., Les peintures rupestres des haouanet de Khroumirie et les Mogods : aspects techniques et rpertoire iconographique , Actes du 11 sminaire de l'Association franaise pour la peinture murale antique, Reims, 30 avril-1 mai 1988, sous presse. CAMPS G., Protohistoire de l'Afrique du Nord. Questions de terminologie et de chronologie, REPPAL, III, 1987, p. 43-70. LE QUELLEC J.-L., Pierres de Ben Brour et Radnetzen au Fezzan (Libye), L'Anthropologie, t. 94, 1990, p. 115-126.
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M . LONGERSTAY

Achev d'imprimer en Octobre 2004 par l'Institut national des langues et civilisations orientales d'impression : 339 Dpt lgal : Octobre 2004 Imprim en France

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