Les Gestes d'Arkaadia II

L.V. Cervera Merino

Publication: 2013 Catgorie(s): Fiction, Contes et lgendes Tag(s): lune fantasy trilogie

Illustration de couverture: Tom Robberts

PREMIRE PARTIE : JEAN DE LA LUNE

Chapitre

Lorsque le hameau de Fourchevieille eut t dpass, avec ses maisons basses aux toits de tuiles roses et aux murs blancs et chauls, dots de volets de bois peints de teintes bleues, entoures de prs de luzerne et d'herbe o paissaient des moutons, lorsque Fourchevieille devint une mince ligne l'horizon se profilant entre des collines, le jeune homme arborant des vtements fatigus et une longue chevelure couleur de son poussa un soupir sous le ciel azur. Il allait par les chemins voici dj un bon moment, se dit lui-mme le vagabond : Caderousse aux demeures de pierre et aux bois de chne-lige, aux clairires herbues devenait un souvenir dans sa mmoire, mme si le petit village avait seulement t dpass dans la matine. Il quitta pas lents la voie de terre s'tirant sur l'chine bombe du sol, et auprs d'arbres frissonnants il s'assit mme l'herbe folle. Dans un ruisseau, il entreprit de se laver les pieds, car il n'avait pas de sandales ni mme de sabots comme en ont parfois les habitants des campagnes. Lorsque ce fut fait, il sortit d'un sac de toile brune port en bandoulire le maigre repas qui serait le sien pour la journe, du fromage dessch et une outre d'eau, une poigne de fruits et du pain noir, agrment de baies et de noisettes grappilles durant sa marche. Cette nourriture lui avait t donne la veille par un paysan taciturne, en contrepartie d'un travail agricole. Aprs avoir de cette manire repris des forces au soleil de midi, il jugea bon de se mettre l'abri des rayons accablants en se plaant sous le couvert des arbres, dcouvrant alors une bastide dlabre non loin de l, dont trs probablement seulement une partie devait tre habite. Un champ de narcisses s'tendait prs de la demeure, des cyprs formant des haies le long de chemins proches afin de protger les cultures du mistral, ardent et violent dans cette rgion du sud. L'on entendait des cris joyeux d'enfants, et un chat caramel et blanc ml escaladait vivement le tronc d'un mrier. Le mendiant, gure plus g d'une vingtaine d'annes, sourit en s'tendant de tout son long, ses yeux gris dj clos. Un sommeil lourd pesait sur ses paupires, sa besace place sous sa

nuque faisant office d'oreiller, il s'endormit graduellement, berc par la rumeur des cigales et le bruissement du vent dans les branches. Enroul dans les plis de son manteau rendu cendr par la poussire des chemins, l'homme possdait des traits fins et rguliers avec une chevelure aux mches blondes et parses. Il avait un teint de peau trs clair, des plus singuliers vrai dire en cette latitude mridionale. Il portait un pantalon de toile bruntre autrefois crme, ou peut-tre mme blanc, et une chemise de toile se refermant au col par un bouton de nacre. Et c'tait tout, car les tres sans foyer ni racines n'ont pas coutume d'tre dots en biens matriels. Le soleil avait lentement progress et dans l'herbe frache le vagabond dormait toujours, avec un souffle rgulier faisant se mouvoir sa poitrine. Un bourdon au noir bleut tournoya plusieurs reprises autour de son orteil droit, blanc et immacul, puis un oiseau chanta, une pie entreprit de sautiller non loin de l, semblant incommoder le bourdon et le faisant s'en aller. Le ciel tait bleu, non pas d'un bleu lger et ple, presque effac, pareil celui de certains pays du nord, froids et lugubres, o les loups hurlent la nuit et vont en meutes, mais d'un bleu intense et brillant, massif et sans nuances. Un bleu original et ancien, confrant un clat nul autre pareil aux murs blancs et aux bois de chne, aux ruisseaux glacs jaillissant des rocs en gazouillant et dont l'eau vous fait venir aux lvres et jusqu'aux dents la fracheur intense des entrailles de la terre. Oui, ce bleu-l est exceptionnel et se rencontre uniquement dans le sud de notre beau royaume de France, puisse-t-il exister toujours et durer mille ans, et l'on assure, du moins des bergers et des paysans du lieu l'affirment-ils l'envi, que de grands malades venus des cits se sont trouvs guris la seule vue de ce ciel-l. Car il est vaste et profond, gai et rieur avec ses broderies de nuages ou mme taciturne et fier lorsque le dsir lui en prend : mais l'humeur maussade ne lui dure jamais longtemps, car, affirment les bonnes gens, " la tristesse ne convient pas notre beau soleil ". Ce ciel est gouleyant et fruit l'image d'un bon vin, et de vieilles personnes ayant pris l'habitude de le fixer de temps autre, depuis l'enfance, ne se lassent toujours pas, au crpuscule de leur existence, de le faire encore. Il est unique, vritablement, et n'a pas de rival en aucune autre contre du monde. Le ciel de Provence est une friandise, une gterie pour les petits et les grands. Pour les amoureux des choses bonnes et simples, loigns des complications et des tracas, des soucis. Chacun peut se procurer sans effort une telle merveille. Il suffit pour cela de marcher jusqu'au pays du soleil, et de lever la tte. Tout simplement.

Mais des rumeurs enfantines taient parvenues aux oreilles du vagabond, et venaient de le tirer de son sommeil. Entre les buissons pineux se tenaient deux enfants, observant le dormeur avec fracheur et une certaine impertinence. C'taient de jeunes enfants, car aucun ne devait avoir plus de dix ans. Ils avaient de grands yeux noirs et le visage grl de taches de rousseur, chuchotant entre eux jusqu' raliser l'veil du mendiant. Bonjour, monsieur ! lana la fillette aux cheveux noirs tresss de nattes. C'est un fait, les petites filles sont toujours davantage polies et duques que les garons, et l'ge ne fait rien l'affaire. Les femmes sont attaches aux bonnes moeurs et usages par nature, c'est tout. Le garon clata d'un fou rire inextinguible, promptement repris par sa soeur. Un sourire naquit sur les lvres de l'homme devant le spectacle form par les deux enfants, en se penchant de cette faon dans la troue vgtale, entre les buissons. Qui tes-vous ? l'interrogrent les deux enfants. Ils devaient tre l'origine des cris et des vocifrations entendus prcdemment, rflchit en lui-mme le vagabond, et habiter probablement dans la bastide en ruine prs de l. L'un avait des culottes courtes et l'autre une jupe jusqu'au genou, tous deux portant sur les jambes des traces vertes laisses par l'herbe sur laquelle ils s'taient rouls abondamment, comme il convient des enfants de leur ge lorsqu'ils se sont amuss et dpenss n'en plus pouvoir. Une chemise habillait le garon et un tricot de laine rude la fille, ils avaient l'air veill et jovial de ces marmots levs dans la nature, au milieu des arbres, des chiens et des chats. Je suis un vagabond, finit par rpondre l'homme aux traits plutt jeunes, je n'ai pas de nom. Comment a se fait ? s'tonna la fillette aprs avoir fronc ses noirs sourcils. Tout le monde a un nom ! Moi j'en ai un, mon frre aussi a un nom Ah oui ? s'enquit avec un air faussement tonn l'tranger, en prenant visiblement un grand plaisir discuter ainsi avec les enfants. Pour ma part je ne les connais pas, aussi je dois en conclure ceci, vous n'en avez pas, vous non plus ! Vous tes des menteurs ! Ouaip ! conclut-il en mchonnant ngligemment un brin d'herbe aprs l'avoir arrach et port ses lvres. Les deux enfants se rcrirent vivement, le plus srieusement du monde, en prtendant le contraire. La fillette s'appelait Sandra, et son frre Vivien. Leurs deux noms taient fort beaux et dignes d'tre ports,

assurrent-ils au mendiant, ce dernier ne pouvant s'empcher de rire son tour devant leur empressement naf. Oui, nous on a un nom ! lui dirent les deux enfants, srs prsent de leur bon droit. Et toi ? Tu nous as menti, pas vrai ? lui demanda Vivien avec des yeux brillants. Tu as un nom ? Les gens sans nom, a n'existe pas, coupa enfin la fillette aprs avoir tritur songeusement l'une de ses tresses, la droite. Mais le monsieur, il existe, lui ! se rcria le garon vers sa soeur, son ane. Alors, c'est vident, il ne veut pas nous le dire ! assura la fille l'gard de son frre. Tu es vraiment naf Une fois de plus l'tranger aux pieds nus se mit rire, et la blancheur de ses dents attirant le regard des enfants, il finit par se calmer. Il ramassa ses affaires aprs s'tre remis sur pied, se revtant de son manteau, non sans l'avoir auparavant pousset. Ayant mis son sac sur l'paule, il entreprit de partir vers le sud, en direction de terres loignes o des taureaux sauvages vivent librement, et o des oiseaux filiformes et roses, semblables des cigognes, peuplent les marcages. Il marcha sur le chemin bord d'un talus herbeux parsem d'ajoncs et de boutons d'or, prs d'une mince rivire, lorsqu'il vit les deux enfants le suivre de loin en loin. Il s'arrta et se tournant demi, il leur fit signe de la main. Les enfants se regardrent mutuellement avec un peu de gne, s'apercevant avec retard de leur trop grande vivacit, dcidment capable de leur rapporter un jour des ennuis. Ils allrent vers l'tranger aux pieds nus lentement, celui-ci se remettant ensuite marcher avec les deux enfants sa hauteur. Tu vas loin, monsieur ? s'exclama la fillette du nom de Sandra, hardie et dgourdie. Le vagabond fit un geste vague de la main en dsignant les alentours. Je vais o je veux. La libert seule guide mes pas, voici bien longtemps dj, j'ai laiss mon sort entre ses mains. Je n'ai pas de but prcis. J'abandonne au hasard le soin de me trouver un toit chaque nuit. Le mendiant avait raffermi sur son paule la sangle de son sac, et coiff de la main les longues mches blondes lui tombant dans le dos. Les enfants marchaient ses cts, heureux de s'en aller eux aussi, en compagnie du vagabond, jusqu'au bout du monde. Sa venue les avait excits, sa prsence avait apport un vent d'aventures grisantes. Pourtant, les enfants ralentirent leurs pas lorsqu'ils virent se rapprocher une barrire de bois l'ore d'un champ. Des trfles poussaient en abondance prs de

cette clture, longeant un maigre ruisseau. Les enfants s'intressrent ds lors particulirement ses alentours et son eau pure elle-mme. L'homme aux longs cheveux s'arrta. Je m'en vais loin d'ici, rvla-t-il en chassant de son front une mche rebelle, vers des pays et des rgions sans pareil. Voulez-vous venir avec moi ? Les deux enfants depuis un petit moment avaient commenc traner des pieds, et n'taient plus gure enthousiasms l'ide de parcourir la Terre. Ils se trouvaient aux limites de la demeure familiale : l'autorit et la puissance de la mre, du pre, Vivien et Sandra ne l'ignoraient pas, allait en s'affaiblissant par-del les frontires de trfles et d'eau. Nous ne pouvons pas venir, lcha timidement la fillette en mettant ses mains derrire son dos. Maman ne veut pas nous voir aller trop loin, expliqua l'enfant. On rencontre parfois des gens mchants, poursuivit Sandra en dcrivant des ronds sur la poussire du chemin, du bout de son soulier dcrpit. Papa a voyag quand il tait jeune, il dit aussi la mme chose, renchrit son tour Vivien en s'enhardissant l'approche du dpart de l'tranger. Sur les gens comme moi ? sourit le mendiant. Les deux enfants avaient ouvert de grands yeux en remuant ngativement la tte, les traits empreints de la plus grande franchise. Oh non ! Alors coutez mes paroles, leur affirma l'tranger aprs s'tre rapproch des enfants. Votre papa et votre maman ont tout fait raison, il y a dans le monde des personnes cruelles, dont les petits enfants doivent se mfier, et il ne vous faut jamais suivre un inconnu, ou mme accepter rien de lui lorsqu'il ne vous a pas t prsent par vos parents. Ce sont de sages conseils, veillez les suivre et les appliquer toujours. Sans autre forme de crmonie le vagabond la longue chevelure de son et aux pieds nus, au grand manteau sombre, fit volte-face et s'en alla par la route de terre escaladant une verdoyante colline. Aprs avoir attendu quelques minutes, la fillette le hla. Tu pars, monsieur ? L'homme s'tait retourn avec un large sourire. Oui, les enfants, je m'en vais l'appel de la route. Au revoir. Les enfants lui avaient souhait un bon voyage avec de grands gestes de la main.

 Vous reviendrez ? lui cria le garon. Vous nous raconterez vos aventures ? Le mendiant retint de justesse un clat de rire. Peut-tre ! grands pas l'trange personnage escalada le coteau bord de vignes et d'oliviers, dont la lente reptation s'levait dans le ciel avant de redescendre. Les enfants, le coeur gros, s'en taient retourns en direction de leur maison avant d'entendre la voix de l'inconnu rsonner au loin. L'homme chantait sur la route, pour se donner du coeur et de l'entrain. Ainsi, avec une mlodie aux lvres, le vagabond s'en alla par la route en gardant encore en mmoire la fracheur et la gentillesse des deux enfants. Mentalement, il mit le dsir de pouvoir les revoir un jour. Puis une masse sombre dboula travers les fourrs et il accueillit avec surprise un grand chien noir aux muscles saillants, l'chine vigoureuse et aux oreilles, la queue coupe. Et bien ! lana-t-il l'animal lui faisant fte, ce dernier ne lui voulant apparemment aucun mal. mon image tu fuis les hommes, on dirait ! Voudrais-tu donc m'accompagner ? Le crne anguleux et marqu de l'animal arrivait presque hauteur du torse du mendiant, et quiconque se serait retrouv nez nez avec ses crocs eut t en grand danger, dans l'ventualit d'une raction agressive de l'animal. Pourtant, ce dernier ne semblait pas mchant ou mme dangereux, mme s'il tait de ces chiens accompagnant partout leur matre, jusque dans les lieux de bataille. Plus d'un sauva la vie de son mentor, affirme-t-on, et jamais soldat ne trouvera compagnon plus fidle et loyal. La robe de l'animal tait fauve et noire, avec un poil ras laissant distinguer de fines et longues cicatrices. Son cou arborait un collier de fer, avec ces pointes si dangereuses pour les loups, lorsqu'ils recherchent de leurs crocs les veines porteuses de vie. Le mendiant pensa bien le chasser mais le regard implorant du chien l'en dissuada, du moins pour le moment, aussi le laissa-t-il l'accompagner. Il tait pourtant conscient de la difficult de la situation, le chien noir ne pourrait le suivre longtemps, mais il finit par caresser aprs rflexion l'ventualit de le garder. Les errants taient exposs quantit de prils, et souvent ils s'armaient de chiens ou de btons pour s'en mieux prvenir. Une fois n'est pas coutume, songea le jeune homme aux longs cheveux en se remmorant la priode de solitude l'accompagnant depuis quelques annes, il serait bien temps de le faire repartir au petit matin. Il flatta l'animal au poitrail vigoureux, lui faisant comprendre de se placer derrire lui. Aprs avoir gmi de protestation et

de tristesse l'animal s'excuta, heureux de n'avoir pas immdiatement t renvoy. Puis il fit mine de s'en repartir, avant de le regarder en biais, continuant s'loigner, crant une certaine perplexit chez le vagabond. Quel curieux animal tu fais ! Si tu veux partir, pars donc, tu finiras bien par revenir ! Le vagabond marcha et marcha encore, par un chemin bord de champs de lavandes donnant sur une montagne de pierre blanche, au plus lointain de l'horizon. Le soleil poursuivait son dclin vers la fin de l'aprs-midi lorsqu'une demeure apparut, prs d'un bois de mriers. Elle avait des murs d'une couleur crme passe, comme si la maison eut t d'un ge sans fin, et des volets claire-voie couleur vert d'eau apportaient une note apaisante dans le dcor. Les grillons et les cigales stridulaient continuellement dans les sous-bois pntrs d'ombres grises, un massif de roses paulant le mur principal, prs de la porte d'entre. Le toit tait pentu et les tuiles oranges, sur lesquelles les rayons solaires avaient dard durant la journe leur chaleur, craquelaient presque de manire audible sous la vote indigo. Prfrant viter de rester dcouvert, l'homme se mit l'ombre, en un lieu plus commode. Et il regarda. Une commre se tenait l, corpulente et un fichu sur la tte, elle se trouvait ceinte d'un large tablier de travail. Elle venait de sarcler son jardin en cet aprs-midi finissant, et attendait de voir se coucher le soleil pour arroser le petit lopin de terre. Son visage bruni frona ses sourcils lorsqu'elle aperut le vagabond. Hol ! s'exclama-t-elle. Vous cherchez quelque chose, mon ami ? Seulement un repas, ma bonne dame, lui rpondit le mendiant de sa voix la plus doucereuse. Je suis en route depuis longtemps et la faim m'accompagne. Je compte bien partir au plus vite. Tu ne manques pas de culot, tranger, lui dit alors la vieille femme, probablement veuve, comprit le vagabond en observant le noir de ses vtements. Dans cette rgion la paye se gagne avec le travail, uniquement. Je peux effectuer une tche votre convenance, ma'me, consentit le vagabond en hochant de la tte. En fait, il avait bien pens avant de trouver la demeure cette ventualit, mais cette issue l'avait rebut. Il avait dj us de cette mthode voici deux jours, et le paysan roublard lui avait fait chrement payer un repas plutt maigre. Aussi ds lors avait-il repouss ce type de transaction des situations d'extrme urgence. Je n'en ai pas besoin, soupira la vieille femme en semblant remarquer la mine mditative du misreux, tout ses penses. Il me reste l quelques pommes et deux ou trois patates, je vais vous les donner.

Ensuite, vous partirez, j'aime pas trop les vagabonds. Ce sont des paresseux, trop fainants pour travailler la terre. La vieille femme rentra dans sa maison et revint bientt avec les fruits et lgumes promis. Promptement, le mendiant au long manteau crasseux avait enfoui son trsor dans son sac en bandoulire avec une avidit visible. Ce faisant, la commre aux allures de matrone ne l'avait pas quitt des yeux. Vous n'tes pas d'ici, lcha-t-elle enfin. Non, avoua-t-il. Je viens du nord, mme si j'en suis parti depuis des annes, il me reste encore l'accent de l-bas, c'est certain. Le vagabond avait jet un regard admirateur sur la maison et le petit champ cultiv se trouvant devant lui, sur le bosquet de mriers prs de l et les marguerites poussant en normes bouquets dans des jarres de terre cuite. Par ma foi, je n'ai pas vu d'aussi bel endroit depuis longtemps, c'est la maison du bonheur, ici ! sourit l'homme. Pour sr, approuva la vieille femme la langue apparemment bien pendue, en s'exprimant de manire vive et en balanant les bras. Le lutin de la maison tait dj l du temps de mon enfance, il veille sur l'endroit. Il ne manque jamais de rien, son cuelle de lait est bien remplie, tous les matins. Je peux vous l'assurer. Si seulement ces gens tristes et soucieux pensaient en faire autant ! Le mendiant avait opin de la tte vigoureusement aux paroles de la matrone, cette dernire se rpandant maintenant en discours sur le bon air de l'endroit et la puret de son eau, la lgitime fiert des habitants du coin. En fait, avait dj cru pouvoir remarquer part lui le voyageur, tout le monde tait trs fier et digne vers les terres du sud. Plus l'on descendait vers ces lieux o brle le soleil, plus les hommes devenaient taciturnes et mme ombrageux, bruyants et parfois querelleurs, prtendaiton. C'tait l un trait de leur caractre largement connu dans le royaume de France. Mais la commre ne paraissant plus vouloir s'arrter de parler, le vagabond jugea bon de dvier le cours de la conversation. Et ce lutin protgeant la demeure, l'avez-vous dj observ ? s'enquit-il innocemment. Je ne l'ai plus vu depuis longtemps, reconnut la vieille femme, mais je me souviens de l'avoir distingu fugitivement lorsque j'tais petite. Depuis, je ne lui ai aucun moment manqu de respect, et je n'ai jamais eu lieu de m'en plaindre. Les malheurs m'ont toujours vit.

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La veuve prit le temps de rflchir car elle avait pris got la conversation, elle qui commenait manquer cruellement d'interlocuteurs, et c'tait vraiment le comble pour une mridionale son image. J'en suis mme certaine, oui monsieur ? Au revoir et merci encore pour les pommes ! se contenta de lui rpondre le vagabond en faisant mine de ne pas avoir entendu sa dernire question. Celui-ci poursuivit sa route sur le chemin aprs la halte constitue par la discussion avec la vieille femme, non sans remarquer l'absence du grand chien noir. Sans accorder ce fait davantage d'importance, il avana vers le soleil aux forces dclinantes, teintant et colorant d'or en fusion les feuillages et les plus hautes cimes des bois. Le vent frais du soir faisait se mouvoir les branches cuivres par l'clat de l'astre solaire, et les herbes pliaient sous l'effet du souffle lger. Le mendiant commenant ressentir les effets de la fatigue, il se choisit une clairire l'cart du chemin, par-del de hautes pierres. Une fois seulement aprs avoir franchi leur cercle il s'aperut de leur nature particulire, il s'agissait de ces pierres leves appeles menhirs, et elles taient rparties en cercle. Le vagabond se souvint de la rumeur populaire, savoir que celui dormant dans leur ombre se rveillait le lendemain pote, ou bien dment. Sans plus se soucier de l'trange environnement rocheux, le mendiant ramassa ses longs cheveux sur sa nuque l'aide d'un cordon de soie carlate, et ainsi soulag de leur fardeau, il se mit en devoir de grappiller par-ci par-l du bois mort, afin d'en faire un bon feu. Lorsqu'il en eut amass un nombre suffisant et qu'un briquet d'amadou eut fait natre une douce chaleur, avec un cortge d'tincelles montant dans le ciel avant de se perdre dans les nues, il plaa ses pommes de terre dans la cendre autour du foyer et se mit attendre, les piquant quelquefois dans un bton pour en acclrer la cuisson, lorsque son apptit le rendait par trop impatient. Aprs s'tre rgal de ce repas frugal mais savoureux, le vagabond mangea deux pommes, et pas plus. Sa faim tait apaise, et il ne tenait pas dgarnir sa rserve de nourriture, faire preuve de sagesse tait prfrable. Il laissa s'teindre le feu sous l'ocan nocturne peupl d'toiles scintillantes, et en soupirant s'enroula dans son manteau, recru de fatigue. Il se laissa gagner par un sommeil lourd. La nuit tait prsent totale, et les bois de chnes-liges abritant le cercle mystrieux des pierres se dissimulaient dans une obscurit impntrable, lorsque les nuages occultant l'clat de la lune se levrent un un de devant sa lumire. Ds lors, un flot de rayons ples et laiteux

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inonda la campagne en lui prodiguant un clat spectral. Car toute chose, lorsqu'elle est claire par la lune ronde et nacre, nantie de la totalit de son rayonnement comme c'tait justement le cas, toute chose donc semble y dvoiler une identit mystrieuse et inquitante. Les cyprs paraissent des gardiens vgtaux, immobiles, et en attente on ne sait trop de quoi. Chaque recoin d'ombre et d'obscurit, au creux des racines ou entre les pierres donne l'illusion de dissimuler la prsence d'un membre des Petites Gens, troll ou elfe, lutin. Mme le chant des sources y gagne en intensit, et le cristal de son eau se pare de sombre argent. Les buttes et les pentes d'herbe ont un aspect trange, les fleurs aux corolles closes sont diffrentes. Et quand au loin, dans une clairire solitaire, s'lve vers l'abme arien le hurlement de quelque chien-loup, l'me la mieux trempe ne peut s'empcher de frissonner et de se pelotonner au creux de son lit. Depuis toujours la nuit est un domaine singulier, dans lequel tout homme bien n rpugne s'aventurer. La nuit appartient au Mal, puisque les mchants et les voleurs prparent leurs complots et les accomplissent souvent dans le noir. Elle appartient aux btes sauvages, puisque celles-ci retrouvent leurs pleines prrogatives la tombe du jour, sans rivaux. Elle appartient galement la Terre, quand les hommes s'assoupissent et lui abandonnent la possession des royaumes. Et pour finir, elle appartient galement aux femmes. En effet, un grand prodige advint dans le cercle de pierres, l'homme protg par son manteau restant plong dans le plus profond des sommeils. Cela se passa minuit, heure maudite et merveilleuse, ferique et enchante depuis la nuit des temps. Or, donc, il survint sous la lune blanche l'aura violette et pourpre mle, ensommeille au centre du ciel sur une litire de nuages, un miracle sans pareil. Les pierres grises se mirent luire d'un surprenant clat, toutes simultanment, et entreprirent de tourner sur elles-mmes d'une manire inconcevable. Ce faisant, elles ne produisaient pas le moindre bruit, pargnant le sommeil du mendiant aux blonds cheveux, toujours endormi ct du feu, maintenant teint. Les pierres grises avaient cess de tournicoter, elles s'taient volatilises, en leur lieu et place, dans un cercle sinistre, il se dressait treize silhouettes revtues de tnbreux atours, avec des vtements flottants et de larges chapeaux, des jupes amples et des chles noirs. C'taient des femmes la haute taille et la peau sombre, toutes taient sorcires : elles taient treize, car treize tait le nombre de pierres leves disposes en cercle, auparavant. Chacune avana ensuite vers le centre du cercle, tenant ensemble un curieux conciliabule, audible uniquement par les chouettes au regard pntrant et les livres gris, depuis

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le creux des taillis. Le discours des sorcires s'adressant les unes aux autres tait un chuchotis sifflant. Mes soeurs, allons, allons ! disait l'une. Htons-nous et courons, allons, allons ! renchrissait une autre. Il est temps, cherchons sans trve ni repos, cherchons ! assurait une troisime. Dans les vieilles forts de Gascogne, cherchons ! reprenait une sorcire. Cherchons ! chuchotaient le reste des sorcires l'unisson. Entre les montagnes d'Auvergne o se cachent les Petites Gens, cherchons ! poursuivait la premire des sorcires s'tre exprime. Cherchons ! affirmait le choeur noir. Dans la cit d'Ys battue par les flots, cherchons ! cracha une sorcire arborant une chevelure indigo, et chacune de ses mches de cheveux tait une flamme bleue. Cherchons ! terminrent les sorcires sur un ton bas et tranant. Les sorcires joignirent chacune leurs mains, doigts contre doigts, et ces derniers taient noirs et longs, car la majorit des sorcires mais non pas toutes, certaines arboraient un teint de lait avait la couleur de l'bne, chacune approuvant de la tte silencieusement. Allons, conclurent-elles simplement. De leurs longs et amples vtements elles sortirent chacune un balai de gents, puis le chevauchrent avant de s'envoler silencieusement au coeur de la nuit toile et froide, la lune ronde dissimule par une muraille nuageuse. Chaque sorcire avait emprunt une direction diffrente. Enroul dans son manteau, le vagabond grogna et se retourna, soupira et se retourna encore auprs des cendres du foyer, froides maintenant. Les vnements nocturnes n'avaient attir son attention en aucune manire.

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Chapitre

Le soleil tait dj haut dans le ciel et la matine allait sur sa fin : le vagabond avait repris son chemin et le chien vigoureux, aprs l'avoir rejoint le jour prcdent, n'tait toujours pas reparu. Il avait sans doute flair un gibier aux alentours, ou bien un autre loisir tait-il venu distraire l'attention du chien noir la queue coupe. L'homme d'apparence encore juvnile malgr l'tat de salet dans lequel il se trouvait chassa cette pense de son esprit. L'animal en fuite n'avait besoin d'aucune protection, contrairement lui, allant solitaire par les chemins du royaume de France. Sur une butte en haut d'une colline, donnant une vue dgage sur des champs et des forts de pins et de chnes-liges, d'arbustes pineux, l'homme aprs avoir observ les environs avec attention s'accorda enfin une pause. La journe en tait arrive son midi, la canicule tait devenue omniprsente, faisant reposer sur la nuque et les paules une intense chaleur. Les habitants de l'endroit s'taient rfugis dans leurs fraches maisons ombrages de vignes, et le mendiant pour sa part se plaa auprs d'une range de grands arbres, sous lesquels il poussait une herbe humide la verdeur revigorante. L'homme s'tait dsaltr de son outre de peau, aprs l'avoir rempli une source, et il avait mang son content de pommes donnes par la commre rencontre le jour prcdent et de prunes sauvages, de noisettes glanes durant sa marche. Un fromage, reste de jours plus fastes, commenait se faire vieux et il l'engloutit avant de le voir se perdre. Puis sans autre manire il repartit de l'avant. Il ne l'ignorait pas, sous ces latitudes la sieste tait un crmonial ncessaire et presque oblig, tant le soleil de plomb une certaine priode de la journe se faisait pesant. Mais il tait originaire de rgions plus froides et il pouvait attendre encore, de plus, il avait dormi tout son saoul durant la nuit, s'veillant bien aprs l'aube. Ayant aperu au loin les mandres argents d'un fleuve, il se mit envier la fracheur de ses rives, par contraste avec la plaine plante de cyprs et d'herbes folles o il se trouvait. Il se mit progresser

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vers le bas de la colline et l'atteignit rapidement, en raison du manque de reliefs vritablement levs et digne de ce nom dans ce pays. Il marcha et marcha encore par des sentiers en lacets bords de chardons et de cailloux blancs, blessant cruellement ses pieds nus lorsque par mgarde il les posait dessus. Il se reposa deux reprises l'ombre d'arbres tordus par la chaleur, et, aprs avoir repris des forces, il put enfin atteindre la berge borde de boqueteaux d'arbres agits par la brise. Sous le soleil ardent le fleuve tait placide, calme et lent comme le sont les personnes dotes par la nature d'une constitution puissante et massive. Oui, le fleuve tait placide, calme et lent. Et vert. Telle la sombre meraude retire du linceul de la terre, les forts mystrieuses se cachant dans les les par-del les mers, ou mme semblable la verdeur luisante et sans mlange de ces grenouilles vives se dissimulant dans les recoins des puits, lorsqu'ils sont laisss l'abandon. Le vagabond chemina le long de la berge, laissant dans son dos une petite cit de toitures oranges et de murs blancs, de places ombreuses ornes de platanes et de ponts de bois. Il y avait des champs prs de la rive, avec des orangers au feuillage obscur et des citronniers, des grenadiers. Des barrires de bois recouvertes de glycines en dlimitaient les abords, empchant l'homme d'en franchir l'enceinte. Il pitina l'onde du fleuve, cette dernire massant agrablement ses pieds crasseux et endoloris par la longue route, les faisant devenir aussi blancs et propres qu'au jour de sa naissance. Il se trouvait sur le point de se retirer sous le couvert de chnes-liges accueillants, la recherche d'un endroit paisible convenant une sieste, lorsque le bruit d'une grande masse s'brouant dans l'eau du fleuve vint lui. Aussitt il s'immobilisa, et tendit l'oreille en direction de l'endroit d'o il provenait, puis il tressaillit en distinguant une silhouette sombre et ventrue merger non loin de l, ruisselante d'eau et de vase. Alors, le mendiant aux cheveux de bls mrs se frotta dsesprment les yeux, afin de mieux pouvoir se convaincre de la ralit de sa vision. Un grand dragon la gueule bante se dressait de toute sa hauteur, et dj s'avanait vers la rive o le mendiant se situait, de manire bien imprudente. tranger, pourquoi marches-tu sur mes terres, avec tes cheveux d'or et ta peau blanche pareille du lait ? ructait le dragon aquatique la taille respectable. Les gens du lieu ont soin d'viter cet endroit, ils le savent appartenir de plein droit la Tarasque. Le vagabond se trouvait prs de la bonne ville de Tarascon, ralisa ce dernier, il devait s'agir de la bourgade entr'aperue voici peu de temps

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encore. La Tarasque tait un monstre connu pour ravager et dsoler les alentours de cette cit, la demeure du dragon se dissimulant dans le grand fleuve proche, le Rhne. En vrit, se dfendit le jeune homme en faisant deux pas en arrire, observant la Tarasque se dgager peu peu des eaux en venant vers lui, j'tais ignorant de cela et mon imprudence me trouve bien fch. Une telle erreur ne se reproduira plus ! La Tarasque possdait un large et long corps cailleux, de teinte sombre, sa masse devenant noire en gagnant des reflets bleuts par endroits. Ses nageoires puissantes et cailleuses se terminaient par des griffes, et l'aidaient progresser sur la berge caillouteuse. Mme si son corps tait celui d'un dragon, sa queue tait celle d'un poisson, avec un crne hideux. Il tait norme et renfl, presque difforme, et disposait d'yeux saillants sur les cts de la tte, extrmement carts l'un de l'autre. L'homme se demanda d'ailleurs par quel miracle la Tarasque pouvait regarder devant elle. Sa langue tait rouge sang et ses crocs d'ivoire jauni semblaient des dagues, son haleine tait repoussante et empestait la vase, les immondices en provenance des profondeurs du Rhne. J'entends tes paroles, homme, reprit la Tarasque sans cesser de s'avancer en direction du vagabond, bien ennuy de s'tre fourr en un tel ptrin, mais je ne t'coute pas. Tu me parais vraiment trs savoureux Parfois il me vient la lassitude de seulement me nourrir des moutons et des noys, le sais-tu ? Et il me prend l'envie de mordre dans un autre met plus savoureux et consistant, la chair parfume et dlicate, unique, nulle autre pareille, oui, la chair d'homme ! La Tarasque avait termin sa phrase en grondant, et devant l'numration de toutes ces bonnes choses, un filet de bave avait fini par goutter subrepticement d'un coin de sa gueule. Tu ne peux faire une telle chose, Tarasque, lui affirma le jeune homme en reculant maladroitement. La chair humaine est toxique et trs indigeste, surtout pour un estomac raffin ! Oh non, rfuta la Tarasque en balanant sa tte bulbeuse. Le dragon aquatique finit par traner sa masse hors du Rhne et s'apprta balancer ses crocs vers le mendiant, mais ce dernier jugea bon cet instant de glisser sur un galet jusqu' s'affaler par terre. Alors la Tarasque bondit avec un rugissement rauque, et son crne cogna lourdement contre des barreaux de cristal pais. Une cage de verre ferique l'emprisonnait et l'avait place au centre du fleuve. Une lumire tait ne sur les bords du Rhne, intense et puissante en dpit du jour, au point

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d'en clipser les rayons du soleil. Une apparition fminine flottait au-dessus de la rive, non loin de l. Elle tait d'une beaut cleste, jamais l'homme n'en avait distingu de pareille nulle part, et son coeur se serra douloureusement sa vue jusqu' paratre se briser. Ses cheveux diaphanes et dnous taient blonds et purs, presque blancs, ses yeux taient verts et limpides, beaux n'en plus pouvoir et d'une teinte exactement identique celle du fleuve prs duquel ils se trouvaient. Ses lvres taient de sang, de perles ses dents : une robe vanescente serre la taille par une ceinture de boucles d'or entremles voletait autour d'elle, ses pieds chausss de tulle immacul battant l'air. Tarasque, Tarasque, dclara d'une voix claire l'apparition, tu ne dois pas nuire aux humains dans notre domaine, celui-ci tait dj ntre bien avant ta naissance. peine la bonne dame se fut-elle mise parler les gens du peuple appelaient ainsi de tels tres, surnaturels et enchants une odeur de lys et de rose s'tait mise flotter dans l'air. La Tarasque en s'entendant interpeller de cette faon avait adopt une attitude soumise et inquite. La bonne dame lui faisait peur, en dpit de la corpulence du monstre et de sa puissance. Douce dame, se lamenta la crature aquatique ainsi emprisonne, mon estomac criait famine lorsque ce vagabond est apparu. Les gens de Tarascon se mfient de moi, mes repas deviennent problmatiques ! Apaise ton apptit de plantes marines ou de verdure terrestre, lui conseilla l'entit surnaturelle en avanant dans sa direction. Ou du contraire, je me verrai contrainte de te laisser ainsi enferme et de plonger ta prison au fond des eaux, et jamais plus les innocents de l'endroit n'auront souffrir de ta mchancet, Tarasque. C'est toujours tout pour les mmes ! se plaignit la crature cailleuse tout en flottant la surface du Rhne dans sa prison. Il n'y en a que pour les humains ! Ici est leur lieu de croissance et d'apprentissage, dit la dame, apprends te contenter du quotidien. Prends patience et attends, un jour, toi aussi, il te faudra grandir et dcouvrir. Tu verras, a n'a rien de facile, crois-moi. C'est trs joli, mais en attendant mon estomac se lamente bruyamment, renchrit la Tarasque. L'entendez-vous se plaindre et gmir ? demanda-t-elle la ronde, allant mme jusqu' essayer de faire natre de la piti chez le mendiant. Plus en aval, un meunier a laiss tomber trois sacs de farine dans l'eau du Rhne. Dj les poissons sont sur place, va jusqu' l-bas et

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apaise ta faim, mais veille ne pas oublier de revenir. J'ai un service te demander, il concerne mon protg. Naturellement, douce dame, il va de soi ! grondait joyeusement la Tarasque, les barreaux cristallins de sa gele s'vanouissant l'un aprs l'autre. Des sacs de farine ! Trois ! rugissait le dragon d'eau en ondulant souplement vers le lieu en question. On ne me dit jamais rien, moi ! La bonne dame s'tait tourne vers le jeune homme aux cheveux longs et blonds, et sa lumire avait aveugl d'abord le mendiant, ce dernier ayant du mal s'accoutumer une telle luminosit. Vagabond, il va te falloir me suivre au Royaume d'Eau, o ta prsence est demande sans retard. Donne-moi la main et oublie tout autre dessein. Aprs quelques hsitations les gens ayant eu commerce avec de tels tres ont parfois vcu des moments dsagrables l'homme prit la main de l'apparition de lumire et celle-ci s'envola, l'entranant sa suite dans les profondeurs du Rhne l'onde meraude. Puis le monde s'inversa. Lorsque le mendiant franchit la surface liquide du fleuve, il dcouvrit qu'en compagnie de l'apparition il s'levait de plus en plus vers un ciel lumineux. Sous eux, comme s'ils s'loignaient du sol, le Rhne serpentait dans une plaine l'trange clat. Mais celle-ci n'avait rien de terrestre, du reste n'aurait-on pas cru y distinguer la silhouette de la Tarasque, mme une certaine distance ? Cela dit la crature aquatique tait visible de par dessous, tel si le monde de la Terre s'y trouvait observ partir de ses profondeurs. De surprenants buissons noirs se dressaient sur le sol, intriguant fortement le jeune homme. Il finit par dcouvrir la ralit, il s'agissait simplement des racines d'arbres plongeant jusque-l. Emport par la bonne dame, l'homme commenait regretter amrement son geste inconsidr, tout en traversant un ciel ros, en un paysage ensoleill proprement enchanteur. Puis ils longrent des colonnes de lumire dore barrant les cieux en oblique, et de curieuses cratures ariennes voletrent entre elles silencieusement. Ils s'levaient sans trve et les nues iridescentes s'assombrirent, le rose se mua en violet puis se fit bleu nuit. Apparut alors au sommet du ciel, au plus haut de la Terre, une demeure enchante comme aucun peuple humain ne pourra en construire jamais. Elle tait de marbre et d'opale, de jade blanc et d'amthyste travaill. Il y avait des colonnes sculptes soutenant des coupoles et d'innombrables toits aux teintes multicolores, des ailes avec des tourelles de cristal, des murs d'ivoire et d'opale aux fentres ariennes donnant sur un jardin en pierre prcieuse entourant le btiment. Dans ce parc il en dtenait en effet les dimensions les arbrisseaux et

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les plantes, mme le plus infime brin d'herbe tait de diamant ou de rubis, d'meraude ou tout le moins de pierre semi-prcieuse. Le tronc des arbres tait d'onyx noir vein, leur feuillage d'aigue-marine. Il y avait des fleurs aux formes fantastiques rparties en massifs, elles taient constitues de bryl ou bien de topaze, et les fruits des orangers taient en or, ceux des citronniers aussi. Les bleuets taient en saphir, les coquelicots de rubis sanglant. Tout le reste de ce jardin merveilleux tait l'avenant. Il tait pourtant en ce lieu un dtail trange : il se dressait des statues en certains endroits, mais elles n'taient pas prcieuses, car elles taient constitues uniquement de pierre. De plus elles avaient toutes un air humain curieusement raliste, et cela donna la chair de poule au mendiant, d'une faon indfinissable. La douce dame le lcha seulement cet instant-l, le jeune homme touchant le sol nacr de la demeure en haut du ciel. Elle s'y tenait sur la crte d'une invisible structure couronnant le mystrieux Royaume d'Eau, eut-on dit. Il y avait l une multitude de belles et jolies dames toutes identiques en beaut et en charme, certaines vtues l'image de personnes de sang royal et d'autres de manire plus austre, mais leur clat tait semblable celui des toiles, lorsque le ciel se drape de tnbres dans la nuit de la Terre. Homme, il te faut affronter des prodiges sur les Chemins du Ciel, lui assurrent-elles de la manire la plus tendre et aimable. Avant de poursuivre ton destin sur la Terre, affirmait la premire des bonnes dames l'avoir interpell, les terres du Zodiaque, il va te falloir franchir. Les mille ans sont passs, reprit une de ses compagnes, pare de bijoux et ressemblant une fontaine de gemmes. Ta formation humaine est assure et te voici un homme fait, il est temps pour toi de passer de plus vastes perspectives. Les jolies dames paraissaient possder chacune un pouvoir prodigieux, et elles le menrent vers le centre de leur demeure cleste, en haut du Royaume d'Eau, o se trouvait une grande cour intrieure. Elle avait une forme quadrangulaire cercle de noires colonnes de marbre, canneles de haut en bas. Une lumire sombre et bleute tombait de la vote, et le mendiant en une pareille situation fut saisi d'une crainte respectueuse. Les dames taient baignes par la lumire bleute et cela donnait leur dj clatante luminosit un aspect magique et enchant. Seul le vagabond aux pieds nus avait perdu au change, son teint de peau lact tait devenu indigo ple et ses longues mches blondes possdaient maintenant une teinte sombre. Ses pieds sales pitinaient

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maladroitement le sol carrel et froid en pierres de cristal. travers elles, on pouvait distinguer avec une nettet parfaite le relief singulier du Royaume d'Eau. Bientt un chariot d'bne, luisant et tincelant, descendit des nues tir par deux chevaux la robe tnbreuse et aux naseaux frmissants, et une femme, une guerrire au physique de desse en tenait les rnes. Elle portait une armure d'or, et son bouclier avec son glaive, son javelot tait en or galement. Sa chevelure tait d'un noir intense, et son physique, sa beaut, n'avaient rien envier aux gentes dames du Royaume d'Eau. Tout roi de la Terre eut accept avec joie d'en faire son pouse : mais son visage aux traits rguliers arborait un air de srieux, une expression martiale capable d'en faire reculer plus d'un, et des plus vaillants. Cette amazone cleste semblait faite pour les faits d'armes et les combats, et non pas les plaisirs et les joies de l'amour. Quel est l'homme ? interrogea-t-elle, et sa voix, mme si produite par des lvres cerise ravissantes et adorables, n'en possdait pas moins des clats tranchants et glacs. Le voici, lui rpondirent simplement les bonnes dames en poussant en avant le vagabond. Il est trs gentil et a accompli ses mille ans, il est temps pour lui de devenir pleinement adulte. La gentillesse n'est pas une qualit prpondrante chez un mle, grogna l'amazone. Les gentils sont toujours les premiers tomber au champ d'honneur. Ils nous infligent un travail considrable, mes soeurs et moi, lors des batailles. C'est un grand garon, avana doucement une dame l'aspect serein, il a bien appris de ses erreurs et ne te dcevra pas, tu seras contente de lui comme nous l'avons t nous-mmes. L'homme en coutant ces paroles se vit plong dans une grande perplexit, car jamais encore il ne lui tait survenu une pareille aventure, encore moins avait-il eu affaire aux bonnes dames et leurs charmes magiques. Il n'tait cependant pas au bout de ses surprises, sans autre forme de procs l'amazone le prit par le col et le dposa prestement, berlu, sur le plancher de bois prcieux de son char arien. Elle fouetta de ses rnes les deux alezans d'bne et leur course les entrana au coeur de la nuit recouvrant le monde, lorsque le Jour enfui, les toiles se disposent en dsordre sur la vote du ciel. Il faisait frais et mme glac, dans l'infini de l'espace s'tendant par-del le Royaume d'Eau. Malgr sa position raide et inconfortable, le mendiant eut le temps de distinguer bien des merveilles se dissimulant dans les hauteurs, voiles la vue du

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commun des mortels. Puis le char merveilleux creva la vote tnbreuse, mer anthracite et tumultueuse aux vagues bouillonnantes. Sur une plaine l'herbe verte et au sol vallonn, il se dployait un ciel bleu trs semblable par certains points celui de la Terre, un soleil dor clairant des forts sombres et des pics enneigs, au loin, comme pour mieux renforcer cette impression. Pourtant, la voix de l'amazone tait empreinte de crainte et de prcaution. Homme, lui dit-elle voix basse, tu prendras garde toi chacun de tes pas, tu te trouves dans les landes des Dieux, o aucun mortel n'est habilit, de par sa condition de faiblesse, laisser son empreinte. Elle ta de son cou un mdaillon d'or orn d'une escarboucle rutilante, le passant aussitt au col du jeune homme. Ceci est l'Oeil des Amazones, dclara-t-elle, il sera ton sauf-conduit travers les landes du Zodiaque. Veille ne le perdre jamais, ou bien ton sort sera funeste. Je vous suis gr de votre aide, la remercia ce dernier avec une expression malaise, mais je suis inquiet. Pourquoi m'avez-vous men dans ce lieu sacr, interdit aux mortels ? Protg par l'Oeil des Amazones, tu iras de Maison en Maison et feras en sorte de convenir, d'agrer de ton mieux leurs matres. Chacun d'eux te donnera une toile, lorsque tu en auras assez pour pouvoir te constituer une couronne, ta couronne, la Montagne Invisible t'apparatra. Mais nous n'en sommes pas encore l. Et si j'chouais dans les Maisons du Zodiaque ? s'enquit avec angoisse le jeune homme, rong malgr tout par la crainte. Alors tu te ptrifieras, dclara l'amazone en remontant sur son char, et une nouvelle statue viendra orner le jardin des Compatissantes, des Princesses et des Aimes. Courage ! lui lana-t-elle depuis son char s'lanant au galop vers le ciel saphir. Je viendrai te chercher, mme si ton destin est malheureux. Le vagabond fixa longuement le char cleste avec la crature ferique le conduisant, jusqu' sa disparition complte. Il ralisa aprs coup combien il tait seul et dsempar, dans cet univers divin, bien trop grand et prilleux pour lui. Il prit la dcision de marcher sans s'arrter, jusqu' trouver la premire de ces mystrieuses Maisons, ou bien d'tre trop fatigu pour pouvoir prouver de la peur. cet instant seulement il observa un chat rouge vif surgir des buissons proches, et diriger sur lui ses pupilles d'or en fusion. Bonjour, miaula le chat en tournant sa tte triangulaire dans sa direction. C'est un endroit dangereux pour un mortel, mais tu possdes

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l'Oeil des Amazones, je vois, c'est l une sage prcaution. Elle t'ouvrira des portes, et te fera des amis. Vraiment ? lui demanda avec surprise l'homme. Mon nom est Balbillus, chat-cerise de mon tat, lui rvla avec aplomb et une voix pointue le chat la fourrure carlate. Aimerais-tu faire un peu de chemin en ma compagnie, Balbillus ? lui proposa le mendiant, pntr aprs-coup d'un peu plus de courage. Je me retrouve solitaire dans un pays inconnu, et j'aurais besoin d'aide pour dcouvrir les diffrentes Maisons du Zodiaque. Pourquoi pas, aprs tout ? consentit le chat-cerise en marchant ds lors ses cts. Les Portes d'Enchantements sont encore loin de se refermer, il me reste suffisamment de temps pour te venir en aide. Mais ce, une seule et unique condition. Laquelle ? Tu le sauras en temps voulu, lui rtorqua le chat carlate. J'accepte par avance ! accepta le vagabond, dsireux par-dessus tout de ne plus tre seul en ce milieu hostile. Tu ne le regretteras pas, lui miaula simplement le chat-cerise. L'homme marcha auprs du chat carlate aux yeux d'or, et sans plus rien dire, ils avancrent sur la plaine d'herbe, au-dessus de laquelle il planait une atmosphre printanire, ou tout le moins plaisante. On se serait cru la fin de l'hiver, mme si le mendiant n'avait pas la moindre ide de la saison actuelle, dans ce pays mystrieux. Finalement une btisse se dressa devant eux, au dtour d'un chemin creux. C'tait une demeure assez haute et de forme ramasse, arrondie, avec des tuiles de porcelaine blanche et des pilastres de marbre rose sur les murs, des fentres aux vitres opaques et des aiguilles d'or en diffrents points des toitures, car la maison en possdait plusieurs. Un bouquet d'arbres se refltait sur un tang dcor de nnuphars non loin de l, et sur le pas de la porte un curieux personnage, sur le point de rentrer dans la btisse, les appela avant de marcher dans leur direction. Balbillus ! appela immdiatement le mendiant. Le matre de cette demeure pourrait-il tre dangereux pour nous ? Tout dpend de la manire dont tu te comporteras avec lui, je suppose, lcha le chat-cerise en le fixant bizarrement. Que peut-il nous vouloir ? Rien d'impossible pour toi, le rassura le chat Balbillus, ne dsiraistu pas voici peu visiter les Maisons du Zodiaque ? Voici la premire d'entre elles.

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L'inconnu possdait un embonpoint prononc et un teint livide, presque blanc. Ses yeux taient saillants et ses lvres rouges contrastaient avec la pleur de sa peau : son visage enfl et obse au crne chauve, coiff d'un tricorne, avait tous les aspects de l'astre lunaire, dont il paraissait de la tte aux pieds une vivante image. Ses vtements taient en satin blanc et en velours immacul, avec des chausses identiques et des souliers crme boucle d'or. Fomalhaut, tel est mon nom, affirma ce dernier. Vous tes de nature mortelle, monsieur, et vous le comprendrez bien, en raison de cela je dois ragir. Les chats tant infinis, ou presque, votre ami dtient un statut diffrent. Vous, par contre, je me vois contraint de vous effacer. N'ayant pas plus tt termin son discours, il brandit en direction du jeune homme l'index de sa main gauche, l'instar d'une arme redoutable, mais le matre de la premire des Maisons du Zodiaque interrompit son geste en observant la mine dsapprobatrice du chat-cerise. Vous n'avez donc pas observ l'Oeil des Amazones son col ? Il me parat pourtant visible ! Ce mortel est protg car il a accompli ses mille ans, tout simplement. Par la malepeste ! s'tonna alors l'homme ventripotent au visage lunaire, en dcouvrant le joyau en question. Votre venue s'en trouve claire d'un jour nouveau ! Me ferez-vous l'honneur, dans ce cas, d'effectuer une partie de pche dans cet tang de ma proprit ? Dj Fomalhaut, l'habitant de la premire Maison du Zodiaque, dsignait l'tang encombr de nnuphars. L'homme ncessita de plusieurs secondes pour raliser le revirement effectu par le personnage, et ct de quoi il tait en dfinitive pass. Puis il se souvint. Chaque Maison du Zodiaque devait lui apporter quelque chose, et le chat-cerise le dtaillait avec insistance. Aussi se fit-il conciliant, cet individu, Fomalhaut, paraissait puissant malgr son comportement trange. Aprs tout, pourquoi pas ? lana-t-il en grimaant un sourire. Fomalhaut, le chat-cerise Balbillus et le vagabond marchrent vers l'tang et s'arrtrent au bout de quelques instants peine, car l'tendue d'eau stagnante se situait prs de la maison. Il y avait des ajoncs et des plantes d'eau sur ses abords, avec des nnuphars et des lotus blancs flottant sur l'onde. De manire impromptue, le matre de la Maison alla vers une cabane en bois et en revint avec une canne pche de bambou vert jade, l'extrmit de laquelle s'tirait un long fil semblable du cristal souple, eut-on dit le voir si flexible et solide la fois. Un hameon d'or pendait au bout du fil, et le mendiant se plaignit de ne voir aucun appt garnir l'hameon.

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 Ne t'en inquite pas, lui assura le chat-cerise calmement, ce dtail n'est pas de ton domaine. En effet, durant le court dialogue venant de s'changer Fomalhaut s'tait occup de cela, et avait fait signe ensuite au jeune homme de s'activer. La peur au ventre, ce dernier s'tait excut et avait projet son hameon dans l'tendue glauque de l'tang. Ni une ni deux, l'extrmit de sa canne en bambou plongea aussitt plusieurs reprises, et, avec un cri de surprise, l'homme la chevelure d'or en retira un poisson large et plat, frtillant d'argent et de moirures. Il le rejeta sur l'herbe aux pieds de Fomalhaut, mais ce dernier fit la grimace sa vue et le mendiant en eut le coeur glac. Il ne l'ignorait pas, la tche impose lui par les dames du Royaume d'Eau passait par la satisfaction des seigneurs des Maisons. Il replongea son hameon aprs la nouvelle invite de l'tre lunaire, ralisant avec un temps de retard l'absence de morceau de lige sur le fil de sa ligne. Mais en vrit cela n'tait d'aucune utilit dans cet tang de lotus et de nnuphars, les poissons se jetaient presque d'eux-mmes sur l'hameon d'or prpar chaque fois soigneusement par Fomalhaut. Pourtant en dpit des nombreux poissons retirs par l'homme, Fomalhaut ne montra aucune espce de satisfaction, mais bien plutt une irritation croissante. Et Balbillus le chat-cerise secouait la tte de gauche droite en soupirant, comme si le jeune homme alignait les inepties les unes la suite des autres. Puis un incident survint, au moment prcis o le vagabond la chevelure de soleil devenait de plus en plus nerveux et maladroit. Un poisson de vieil argent jaillit au bout de son fil de pche, et son aspect archaque tait extrmement curieux, mais ce n'tait pas tout. Il avait ouvert la bouche et dgringol sur l'herbe humide, la grande joie de Fomalhaut et du chat-cerise Balbillus. Il contenait en effet un autre poisson dans son estomac, et c'tait ce dernier qui avait mordu l'hameon ! Le mendiant eut une expression abasourdie en ralisant l'impossibilit de la chose, savoir la similarit de dimensions pour tous les deux, l'avaleur et l'aval. Bravo ! Bravo ! hurlait le lunatique Fomalhaut en battant vigoureusement de ses mains grasses et blanches. Bravo ! Le chat la robe d'carlate levait la tte en fixant le haut du crne de l'homme, et d'instinct ce dernier l'imita, sans cesser de tenir sa canne de bambou d'une main. Une minuscule tincelle d'or flottait au-dessus de sa tignasse blonde, et bien qu'immobile, elle clignotait et scintillait doucement. Comme une toute petite toile.

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Chapitre

Allons, mon garon, il est temps, le relana le chat-cerise Balbillus la fourrure carlate et aux somptueux yeux d'or. Il n'est pas bon de s'aventurer trop longtemps dans les territoires divins, lorsque l'on est un faible et misrable mortel. Hte ton pas. Le jeune homme aux pauvres vtements fit ainsi, encore tout emptr de sommeil. Le sang battait ses tempes et chez lui la curiosit le disputait l'tonnement, il avait du mal croire l'enchanement d'vnements ahurissants l'ayant emport si soudainement, et le faisant maintenant avancer dans des landes interdites, escort par un chat-cerise au savoir mystrieux. Pourtant les recommandations des dames du Royaume d'Eau avaient t on ne peut plus claires, aussi le vagabond acclra-t-il l'allure. Il rgnait un froid piquant, et la moindre parole se voyait accompagner d'un panache de vapeur montant vers le ciel. Pourtant, ce dernier tait d'un bleut profond et cristallin, dpourvu de tout nuage capable d'amoindrir l'clat du soleil se levant l'horizon. Par des chemins de terre sillonnant des champs herbeux et vallonns, l'homme suivit le chat carlate, ce dernier le prcdant de quelques mtres en trottinant une allure rapide. O allons-nous ? finit par demander le mendiant son guide, mme s'il s'tait fait lui-mme la promesse de dvoiler le moins possible son ignorance. Vers la seconde Maison du Zodiaque, lui rpliqua le chat-cerise, elle se situe non loin d'ici. Le temps ne va pas tarder se couvrir, des nuages s'approchent, c'est bon signe. En effet, au grand tonnement du jeune homme, le ciel se parait d'une mare nuageuse floconneuse la teinte cendre, et cette vague cleste barrait le ciel en progressant vers eux. Lorsqu'ils atteignirent un bosquet de frnes au sous-bois humide parsem de champignons et de fougres pres, dj les nues taient bleues et grises mles, en un brassage subtil. Puis mergrent les colonnes d'albtre d'une demeure seigneuriale aux allures de palais, et la vote cleste devint une tnbreuse coque sombre,

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se transformant bientt en une pluie fine et persistante. Rapidement, le jeune vagabond et le chat-cerise Balbillus se mirent couvert sous une colonnade protge par un surplomb pierreux. La demeure les abritant de la pluie battante tait de plan quadrangulaire, avec un grand toit pyramidal en tuiles de schiste, tout ruisselant de noirs clats sous l'averse drue inondant les alentours. La colonnade s'tirait sur le pourtour de la demeure jusqu' former un porche devant l'entre principale, non loin de l. Les baies des fentres s'ornaient de croisillons en pierre grise, leur forme tait ogivale, remarqua le mendiant en marchant la suite de son guide vers l'entre. Quelle chance avait t la sienne de pouvoir rencontrer ce flin, bavard, mais si savant des choses de ce monde ! se rjouit en lui-mme le vagabond. Cependant le fait de franchir le portail de bois noir, tandis qu'au-dehors la pluie redoublait de plus belle, l'empcha de pousser plus avant ses rflexions. Qui habite ici ? s'enquit le mendiant sur le pas de la porte, en une tentative maladroite pour reprendre son compte l'initiative des oprations. L'toile d'Altar, lui fit cho une voix claire et puissante, en rsonnant depuis les profondeurs de la demeure. N'avance pas au-del, mortel, seul l'asanthne carlate peut franchir le Cercle. J'ai en ma possession l'Oeil des Amazones, dclara le vagabond en se souvenant de sa premire rencontre avec l'un des seigneurs du Zodiaque. Cet humain a accompli ses mille ans, l'informa le chat-cerise, il se constitue sa couronne, les bonnes dames du Royaume d'Eau lui ont donn leur appui. Voil toute autre chose, consentit la voix svre et grave de l'toile d'Altar, celle-ci depuis le dbut de la conversation n'ayant toujours pas montr son apparence aux visiteurs. Pntrez en moi jusqu' mon coeur, nous parlerons plus aisment de cela. Oui, avancez jusqu'au trfonds de mon tre. Je vous y attends sans faute. Et souvenez-vous, dans mon palais chaque erreur peut tre mortelle, car jamais personne n'a pu en repartir par le chemin de l'aller. La voix de l'toile d'Altar ne se fit plus entendre, et aprs un laps de temps significatif, le jeune homme lana son guide une question angoisse. Qu'a-t-il bien voulu dire par l, Balbillus ? Nous sera-t-il impossible de revenir sain et sauf ? Certainement pas, mon garon, lui affirma le chat carlate, les seigneurs des Maisons ont coutume d'impressionner ainsi leurs visiteurs

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afin de les rendre plus mallables leur volont. N'aie donc aucune inquitude. D'un autre ct, c'est vrai aussi, chacun d'entre eux le mensonge est interdit, toute transgression de cette rgle serait suicidaire Alors ? Alors avance, vagabond de la Terre, miaula calmement en retour le chat-cerise. Le mendiant prouva un fugitif instant un sentiment de panique, puis leur marche dans des tnbres opaques chassa son angoisse par d'autres questions, bien plus pressantes. Par exemple : d'o provenait cette soudaine humidit ? En dpit du toit de la Maison, des gouttes d'eau tombaient de manire rgulire dans les couloirs et les salles tnbreuses. Le vagabond de la Terre prfra garder pour lui ses questions, et malgr cette pluie incongrue, trempant jusqu'aux os les voyageurs pntrant dans la Maison de l'toile, tous deux continurent avancer dans la sombre et mystrieuse btisse. Le temps s'coula et des flaques se formrent sous leurs pas, pendant leur progression dans des couloirs clairs de flambeaux, intervalles rguliers. dire le vrai, seul le jeune homme la chevelure d'or nourrissait des craintes, car en dpit des faits le chat-cerise Balbillus, pour sa part, ne ressentait aucune peur. Ils franchirent de cette faon de vastes pices aux plafonds plongs dans l'obscurit, des colonnades intrieures et des salles rondes bordes de pilastres, avec toujours cette pluie intrieure traversant les innombrables toits de schiste distingus par les voyageurs sur le btiment, avant d'y pntrer. Sous leurs pieds, les flaques d'eau se faisaient mares. Balbillus, finit par s'effrayer le mendiant, la pluie du ciel tombe sur nos ttes, comme si cette maison mystrieuse tait dpourvue de toiture ! C'est pourtant loin d'tre le cas, lui assura le chat-cerise, mais tu n'es pas au bout de tes peines dans ces landes o t'ont men les Compatissantes du Royaume d'Eau. Ici et durant le reste de ton voyage, veille bien ne jamais t'tonner de rien et savoir t'adapter toujours. Ce sera une des clefs de ton succs, si tu parviens mener ta tche jusqu' son terme. Sommes-nous loin du coeur de cette Maison ? interrogea encore le jeune homme. L'eau ne cesse de monter et m'arrive maintenant aux mollets. Se trouve-t-il une raison d'tre tout cela ? Certaines questions ne gagnent rien tre poses de faon prmature, lui rpondit le chat carlate, savoir agir au moment juste de la manire convenant le mieux, sans exagration ni retenue, est l'apanage des sages, et d'eux seuls. la suite de cela, le chat-cerise la fourrure de sang et aux yeux d'or resta silencieux, mme lorsque le vagabond, avec une pointe de terreur

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dans la voix, s'effraya de voir le niveau de l'eau atteindre ses genoux. Mais il consentit porter le chat-cerise dans ses bras lorsque ce dernier l'estima ncessaire. Leur chemin l'intrieur de la demeure tait semblable aux entrailles d'un labyrinthe s'abaissa ensuite, le chat-cerise port par le jeune homme intimant ce dernier l'ordre de pntrer dans un couloir. Celui-ci s'enfonait dans le sol, gargouillant d'une eau glace. Sois vaillant, mon garon, et pntre dans la crypte, nous touchons au but car c'est l la rsidence de l'toile d'Altar ! lui souffla le flin carlate. Nous ne pourrons plus revenir, l'eau monte sans cesse, s'inquita le vagabond en roulant des yeux exorbits, sa peur tait intense et des plus relles en cet instant. Avance, tu ne t'en repentiras pas, ton toile suivante est l. Rappelle-toi des statues ptrifies du jardin des bonnes dames ! Souhaiterais-tu tre la suivante ? Aiguillonn par ce fouet, le mendiant de la Terre descendit le chemin menant la crypte noire de l'toile. Au terme d'un cheminement sombre et angoiss, il accda en une ouverture bante dans la roche, claire par une lueur d'origine mystrieuse. Le spectacle lui fit pousser un cri de stupeur, et oublier momentanment sa frayeur. Une cavit d'origine naturelle se trouvait l, creuse dans ses flancs de multiples galeries s'en allant se perdre vers de tnbreux abysses. Des filets d'eau allaient en grossissant et ruisselaient sur le sol pierreux en formant une nappe liquide, celle-ci droulant des bras cristallins dans chacune de ces ouvertures. Au centre de la caverne d'aspect vaguement sphrique, il y avait un sarcophage de bois peint et sculpt de manire trs raliste, et son grand effroi le vagabond y dcouvrit sa propre image. Cela fut cause chez lui d'une grande nervosit, malgr l'clat apport la scne par la lumire pure de l'toile d'Altar, tincelante dans le coeur de sa Maison. Tu as peur, lcha l'toile en observant le mouvement de recul du vagabond. L'toile d'Altar tait un globe de lumire blanche de la grandeur d'un homme, des clairs brillants irradiaient depuis sa surface plusieurs mtres la ronde, sans jamais blesser pourtant quiconque. Mais ses clats taient cause de brusques changements de luminosit dans la caverne, et taient directement responsables des variations qui avaient intrigu le mendiant de la Terre lorsqu'il s'tait rapproch de l'endroit, par le couloir vot et humide.

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 Pourtant l'Oeil des Amazones devrait te prvenir des craintes, s'tonna l'toile. Apprends l'avenir bannir de toi toute frayeur inutile, les vraies raisons d'avoir peur ne manqueront pas, sache-le donc. Ce mortel est bien jeune encore, l'excusa le chat-cerise Balbillus la fourrure carlate en rompant son silence. J'avais compris, asanthne, le rassura l'toile d'Altar d'un ton comprhensif. En rponse un signe invisible venu de nulle part, le flot des eaux arrivant du couloir enfla dmesurment, jusqu' devenir une authentique cataracte. La pluie intrieure de la Maison du Zodiaque, l-haut la surface, n'avait apparemment pas dsempli. Le dbit de l'onde acquit rapidement une pression insupportable : pourtant ni l'toile de la Maison, ni le chat-cerise Balbillus, confortablement cal au creux des bras de son porteur, ne parurent s'en mouvoir ni mme s'en apercevoir. coute mes paroles, lui lana alors l'toile d'Altar, coute ma voix et ne discute pas, d'aucune manire, car je dteste les fats et les sots, ces derniers prorent sans raison et parlent seulement pour mieux s'couter jacasser. Il est dans la vie bien des chemins et seul l'un d'entre eux est convenable pour l'homme, car il est la Juste Voie. Celle-ci est droite, et ne leur ment pas malgr les vicissitudes de l'existence. Bientt, le flot va t'emporter dans l'abme sans retour possible, choisis la bonne route et tu seras non seulement sauv d'une mort certaine, mais en plus dot d'une toile supplmentaire. Bonne chance toi. L'toile d'Altar s'vanouit, et dans l'obscurit totale le mugissement des eaux acquit une intensit extraordinaire. Balbillus, nous sommes perdus ! se lamenta le mendiant de la Terre en s'efforant de faire porter sa voix par-dessus le vacarme liquide. Peut-tre pas, miaula le chat-cerise. Si tu crains de prir noy sur l'heure, contrairement moi je suis un chat et je possde donc neuf vies grimpe sans tarder dans le sarcophage devant toi. Il te permettra de flotter sur l'eau, si tu ne perds pas trop de temps. Le vagabond aux cheveux dors fit ainsi et trs vite, comme l'avait prdit le chat-cerise recroquevill maintenant sur ses genoux tremps, le sarcophage de bois peint, ouvert en deux telle une bote macabre, flotta sur l'eau. Elle se dandina de gauche droite au grand effroi du jeune homme, celui-ci nourrissant la crainte de la voir se retourner d'un instant l'autre. Dans la nuit noire et mugissante, les inquitudes de l'homme n'avaient pas de fin et ressemblaient un puits sans fond. Balbillus, quelle sortie choisir pour ne pas aller vers la mort ? s'interrogea le matelot malgr lui. Et comment se diriger vers elle ?

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 Je ne connais pas la solution ce problme, lui rpondit le chat carlate, seule l'toile d'Altar aurait pu te rpondre, mais elle ne l'a pas fait. Mieux vaut dcouvrir certaines choses par soi-mme. Ferme dj le couvercle du sarcophage, tu nous viteras de chavirer de manire intempestive. Mais le chemin droit ? se plaignit le jeune homme en obissant sa demande, dpass par les vnements. Sur la Montagne Invisible, le Hasard et le Destin ont les mmes traits, lui affirma le chat-cerise pour seule rponse. Le coeur du mendiant faisant un bond dans sa poitrine, le sarcophage les emporta et se pencha en avant, plongeant dans les eaux froides, vers les abysses. Le vagabond atterr fit alors cette constatation bien trange : les yeux d'or de Balbillus brillaient dans le noir o ils se tenaient confins. Le temps s'tira avec une lenteur intolrable, quelques gouttes d'eau mouillant le visage du jeune homme jusqu' lui faire comprendre l'vidence. Les yeux de son cercueil taient trous, afin de leur permettre de respirer. plusieurs reprises le couvercle de leur embarcation funraire heurta et cogna violemment la vote de quelque conduit obscur, et chaque fois le jeune homme se demandait s'il ne s'agissait pas l de leur dernier instant. Car en dpit de la rponse sibylline du chat-cerise, le vagabond n'tait pas certain de la bonne direction indique eux par le sort, ou la ncessit. Il y eut des rumeurs grondantes et terrifiantes rpercutes autour de leur esquif, des raclements sinistres. Balbillus, je n'en peux plus ! s'exclama le vagabond, grelottant dans leur prison de bois silhouette humaine. Je dois voir o nous sommes ! En cet endroit prcis, je te le dconseille, le mit en garde le chat-cerise, toujours pelotonn sur ses genoux. Mais l'homme aux longs cheveux d'or ne faisait plus cas des conseils du chat la fourrure carlate, l'trange aventure dans laquelle il se trouvait emport lui avait fait perdre tout sens de la mesure et de la raison. Si je dois mourir, je veux avoir les yeux grands ouverts ! se rcria le mendiant. Il ne fit pas attention la voix de Balbillus, lui miaulant la plus grande prudence. Immdiatement le jeune homme se mit sur son sant en rabattant de ct le couvercle de bois pesant. L'tranget de la scne le fit se recroqueviller aussitt sur lui-mme. Sur un aqueduc de pierre naturel, leur sarcophage maintenant ouvert filait l'air libre sur l'onde agite. Ils se trouvaient dans une immense cavit souterraine, un ciel de tnbres et de jais, aux draperies de roche

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sinistres, s'tirant loin au-dessus de leurs ttes. Une obscurit tenace rgnait, seulement repousse ponctuellement par des bouquets de champignons phosphorescents faisant saillie sur les parois et sur le sol. Ils clairaient de manire partielle des cratures ailes volant entre les piliers de rocs, parsemant le monde silencieux et froid de leurs cris aigres. Une vgtation de fougres foisonnait vers les profondeurs opaques, et l'on voyait depuis le haut aqueduc les transportant le fait de forts de bambous et les fts d'arbres grimaants, tordus et glacs. Alors les cratures ailes et inquitantes parurent s'apercevoir du sarcophage ouvert filant sur l'aqueduc de pierre, et grands coups d'ailes elles se rapprochrent de la construction traversant leur royaume d'Eblis. Elles ricanrent en percevant l'effroi tordant les traits du vagabond, et volrent plusieurs reprises au-dessus d'eux. C'taient des vieillards grotesques et dents, aux ailes de cuir et aux corps de chauve-souris, ces habitantes muettes de la Nuit. Le jeune homme referma prcipitamment le couvercle du sarcophage sur lui sitt avoir aperu l'clat sanglant de leur regard. Balbillus, o sommes-nous ? Ces monstres vont nous tuer, nous sucer le sang jusqu' la dernire goutte, c'est certain ! s'effraya en haletant le mendiant vers le chat-cerise Balbillus. Ils ne pourront rien contre toi, tu es sous la protection du sarcophage confectionn par l'toile d'Altar, lui assura le chat aux yeux d'or. Mais cette protection disparatra sitt auras-tu ouvert le couvercle. Contre ces Immondes, l'Oeil des Amazones lui-mme est impuissant. Ce pendentif t'apporte l'estime et le secours des seigneurs des Maisons, mais non pas du reste des prils se trouvant ici. Aussi l'avenir sois bien prudent dans ta dmarche, et ne nglige plus mes conseils. la suite de cet incident le vagabond d'un long moment n'ouvrit plus la bouche, et encore moins le couvercle du sarcophage. Lorsque la rumeur liquide lentement s'apaisa, leur embarcation de fortune atteignant des eaux plus calmes, des coups secs et rpts furent ports au couvercle de bois peint. Cette fois-ci avec l'approbation de Balbillus, le battant fut de nouveau entrouvert. Et comme la dernire fois, le mendiant de la Terre manqua le refermer aussitt. En effet le sarcophage s'tait immobilis en un lac d'eau noire et placide. Sur les abords d'une rive seme d'ajoncs leur route s'tait acheve, et un homme d'une carrure impressionnante, revtu d'une paisse toison noire, quasi animale, les fixait. Il avait aperu leur sarcophage emptr dans les herbes aquatiques et tait venu aux nouvelles, semble-t-il. Sa

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tte norme de chvre noire, aux cornes recourbes, les fixait silencieusement. Le bonjour, seigneur de la Maison, lui miaula sans autre faon le chat-cerise en sautant sur le sol de galets ronds et gris, car les lieux, l'image de la caverne des hommes-volants, taient clairs des mmes champignons luminescents. Bonjour vous, voyageurs, et bienvenue dans ma demeure, termina-t-il en faisant une courte rvrence, la main sur son estomac musculeux. Dneb est mon nom, puissent les deux toiles vous escortant vous porter chance tout au long de votre chemin vers les Maisons du Zodiaque. Alors seulement le mendiant se souvint de la promesse de l'toile d'Altar et levant la tte, il vit les deux tincelles d'or flotter silencieusement au-dessus de sa tignasse emmle. Il en prouva une sorte de joie rtrospective, vite tempre par l'apparence sinistre de leur hte, en dpit de ses bonnes manires. Le petit groupe traversa une fort silencieuse, et le sol tait d'une froideur ternelle, puisqu'videmment jamais aucun soleil ne rchauffait ses entrailles. Des herbes tourmentes s'levaient de part et d'autre du chemin et d'tranges fleurs en forme de crne poussaient en massifs dans des champs blmes proches de l. Puis ils aperurent au loin une tche bleue et pour les voyageurs, ou pour le mendiant tout au moins, ce fut un authentique soulagement de pouvoir s'en rapprocher. La Maison de l'tre noir et caprin du nom de Dneb se dressait non loin d'eux, et bien au-dessus, dans le znith obscur de ce monde de jais, il s'ouvrait une brche ovale par laquelle s'abattait sur la btisse et uniquement sur elle un flot de lumire dore et solaire, car l se trouvait une brche vers le monde du dessus, dont ils avaient trop peu got les attraits, aux yeux du vagabond, pour en tre dj privs. La demeure quant elle tait de briques noires et brillantes, avec des fentres rondes tires de rideaux gris et de multiples toits de diffrentes hauteurs, aux tuiles rouge vif. Elle tait de petite taille, mais par contre large et tale, impressionnante en cela par ce ct de son aspect. Il y avait un bosquet de sapins noirs poussant ct de la Maison, et un jardin d'herbe verte clair par le soleil du dessus. C'tait vraiment l un trange spectacle, et l'atmosphre s'en dgageant frappait tout point de vue l'esprit. Mme le chat carlate ne pouvait s'empcher d'en tre troubl, eut-on dit le voir si emprunt. L'tre tnbreux l'aspect de chvre, pour la tte, tout au moins, leur fit de la main un signe d'invite silencieux et le mendiant, suivi du chat-

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cerise, obit tacitement la demande du matre de cette Maison. Ils en arrivrent de cette faon prs du petit bois de sapins noirs et brillants, le jeune homme dcouvrant alors une vole d'escaliers. Sur les cts de la caverne ils montaient de faon interminable vers la troue rocheuse salvatrice, par laquelle s'panchait une lumire indigo et dore la fois. Mais ce chemin de pierre tait obtur, parvint distinguer le jeune homme en fronant les sourcils, par une grille de bronze massif, et la grosseur de ses barreaux tait des plus dissuasives. Le chemin menant au-dehors a attir ton attention, je vois, remarqua l'tre du nom de Dneb, et dot vritablement d'une musculature hors du commun. Dsirerais-tu rejoindre l'extrieur ? Le mendiant du royaume de France allait rpondre par l'affirmative lorsqu'il vit la mimique ngative du chat-cerise, aux yeux d'or plisss par le souci. C'est--dire, les bonnes dames du Royaume d'Eau m'ont charg d'aller chercher des toiles, par les Maisons du Zodiaque, rpondit d'une voix faible le vagabond. Malgr tout il dsirait visiblement remettre le pied sur la surface du sol, ft-elle trangre et emplie de prils. Dans ce cas, la voie menant vers le haut t'est interdite, murmura Dneb, et tu vas devoir progresser encore dans cette obscurit, mme si elle t'effraye. Pourtant, les tnbres sont aussi emplies de lumire, sache-le, lui affirma la crature humanode tte caprine. Et la luminosit tapie au milieu de la nuit est nulle autre pareille. Tu veux une toile, j'en suis bien conscient, et malgr mon aspect repoussant, je ne serais pas pour toi de mauvais conseil. Mon bien se dissimule non loin d'ici, au bout de la route vers le bois de sapins noirs. Suis mon conseil et tu m'en remercieras. L'tre rpondant au nom de Dneb leur fit un dernier signe de la main, et s'en retourna tranquillement dans sa demeure du Zodiaque. Les deux voyageurs pour leur part franchirent le bosquet obscur et mirent le pied sur un sentier filant dans des tnbres l'opacit croissante. Seuls de curieux champignons leur dispensaient un faible clat, et bientt mme leurs auras s'attnurent et finirent par disparatre une une. Alors le mendiant cessa d'avancer et en appela au jugement de son guide carlate. Celui-ci jusqu' maintenant ne lui avait jamais fait dfaut en sagesse et comprhension. Balbillus, nous nous trouvons l dans une bien mauvaise passe, s'attrista-t-il voix basse.

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 N'aie crainte et ne te dcourage pas, souviens-toi des paroles du seigneur de la Maison, au coeur des tnbres se situe une lumire sans gale et rare entre toutes. Rassur par ces paroles, le vagabond suivit ttons, dans le chemin bord d'ornires, le chat carlate au regard dor. Grande finit par tre la surprise du jeune homme lorsqu'il distingua au loin un arbre des plus singuliers, environn d'une lumire obscure et clairante la fois, ce dernier paradoxe n'tant pas le moins tonnant. C'tait un arbre la position inverse, littralement fich en terre, le tronc bien droit, et l'endroit o devait se trouver logiquement son feuillage tait invisible, puisque plant dans le sol. Dans les hauteurs o s'talaient normalement les ramures des arbres du commun, se rpandaient avec abondance de sombres racines terreuses, et leur aspect inquitant tait celui de serpents fabuleux tirs du sol, encore englus du limon des profondeurs. Dans le fouillis serpentin se dissimulait une minuscule toile, vacillante et flottante. Bien, tranger, lana alors depuis l'invisible la voix rauque de Dneb, le seigneur de la Maison. L'toile est toi, mais veille maintenant repartir sans retard par le chemin suivi actuellement. Ne reste pas l, ta prsence me deviendrait intolrable et je serais oblig de te chasser. Ne fais pas demi-tour non plus. Sans plus prononcer une parole le chat-cerise Balbillus s'tait mis trottiner dans la direction indique par Dneb, l'tre sombre, et ne prenant pas la peine de vrifier si effectivement l'toile s'tait ajoute celles dj en sa possession, le mendiant avait embot le pas au flin carlate. Des ranges de sapins noirs dfilrent le long de leur chemin, et bientt l'accueil mystrieux de Dneb fut loin derrire eux. Car les champignons phosphorescents avaient refait surface le long des parois, et une nouvelle caverne naturelle avait merg. Celle-ci semblait bien tre la dernire se situer sous terre. Au loin, un ciel de saphir brillant se laissait apercevoir. Nous allons toucher au but, Balbillus ! se rjouit le jeune homme en sortant du tunnel, mettant le pied sur le sol caillouteux de la caverne. Au terme de notre priple souterrain seulement, lui prcisa le chatcerise sans se dpartir de son calme. Une Maison se dresse encore sur notre route, il nous faudra en passer par elle si nous voulons accder l'air libre. Tel tait en effet le cas puisquaprs avoir long une rivire d'eau cristalline, aux berges dotes de broussailles meraude et de lucioles luminescentes, les deux voyageurs en vinrent tre abords par une crature surprenante, un centaure l'air martial, avec un arc de bois pass dans

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son torse. Il tait mi-homme, mi-cheval, et arborait une touffe courte de cheveux roux et boucls, des bras musculeux d'archer mrite. L'effroi de l'homme fut son comble lorsque, sans mme dire une parole, le centaure se saisit de son arc, et, tirant d'un carquois une flche de bois blanc, il dcocha rapidement un trait en direction du vagabond. Ce dernier fit un saut en arrire en hurlant, Balbillus poussant un miaulement strident. Dj la flche tait partie en une trajectoire rectiligne vers le coeur du mendiant, s'arrtant de faon brutale sur l'Oeil des Amazones. Le bois de la flche s'mietta en brindilles parses, la silhouette thre de celle qui avait men jusque-l sur son chariot d'bne le mendiant apparaissant successivement, trs courrouce et irrite. Hors a, Rastaban, siffla la guerrire l'armure d'or et la chevelure de jais, tu souilles l'honneur des Maisons. Prsomptueux et sot ! Sans attendre, le centaure avait point une nouvelle flche, mais cette fois-ci sur l'amazone cleste, et son bouclier d'or la fit ricocher promptement. Sa silhouette pour tre brumeuse n'en dgageait pas moins une tenace impression de force. Une trange passe d'armes s'engagea sans qu'aucun des deux belligrants ne prononce un seul mot, une flche de l'amazone venant toujours contrer celle lance par le centaure. Puis, finalement, lorsque l'amazone parut se lasser d'un tel mange, celui-ci commenant traner en longueur, la guerrire abandonna son bouclier d'or et sa lance, son carquois de flches avec son arc prcieux. Elle bondit de plusieurs sauts souples sur la croupe du centaure mdus, entreprenant de venir bout de sa volont rebelle, malgr les mouvements du centaure Rastaban pour se dbarrasser de sa cavalire. Enfin, au bout d'une course perdue et gesticulante, dsordonne, le centaure se coucha sur le sol herbeux, le souffle coup, haletant et couvert de sueur, face aux deux voyageurs encore effars de ce duel terrible. Grce, grce, gmissait le centaure prsent dpourvu de toute morgue. Mon toile t'appartient, mortel, chuchota-t-il cependant qu'aprs avoir lav l'affront inflig l'Oeil des Amazones, la guerrire terrible s'en tait repartie dans l'ailleurs. Son nom est Temprance.

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Chapitre

Le vent soufflait en violentes rafales et faisait se ployer les arbres les plus solides, les mieux arrims la terre de toute la rgion, sur bien des lieues la ronde. Le ciel tait couvert de nues grises dployes en oblique, occupant peu peu la totalit de l'espace. Les hautes herbes se couchaient sur le sol et le tapis de la prairie tait parcouru d'ondulations rythmes : derrire une muraille opaque le soleil tait devenu un astre ple et faible, presque moribond. Le mendiant depuis le dbut de la tempte avait rabattu les pans de son manteau crasseux et relev son col. Le chat-cerise Balbillus pour sa part ne paraissait pas autrement surpris de la violence des lments, mais le jeune homme ne se sentait gure enclin lui demander des explications. Il avait ses raisons pour cela. Le vagabond l'avait interrog sur la signification du terme " asanthne ", ce dernier lui parlant demi-mot d'une vieille plaisanterie entre les matres des Maisons et lui. Le jeune homme avait pris sa rponse pour une drobade, et n'avait plus ds lors ouvert la bouche afin de ne pas le faire s'loigner. Le chat carlate possdait en effet de grandes connaissances sur ces terres du Zodiaque, et il ne tenait en aucune faon, par maladresse ou ignorance, se voir priver de son aide. Pourtant les vents gagnaient en force, le mendiant au front rid par les soucis fronant ses sourcils d'inquitude. Allons par ce sentier, miaula le chat couleur de sang. Mais la tempte va en augmentant Justement, lui assura le chat aux yeux d'or et la dmarche placide, en dpit de sa fourrure courte hrisse par la bourrasque. Il nous faut aller dans le sens du vent, ici dominent les lments ariens. ce moment prcis les vents, obissant un signal invisible, montrent en puissance d'une manire considrable et l'homme eut le plus grand mal ne pas se laisser emporter par les rafales. C'tait une tornade en miniature, et le vagabond n'avait encore jamais eu en souffrir de pareille dans toute son existence. Son coeur fit un bond, lorsqu'il vit son guide carlate s'envoler sur les ailes du vent. Balbillus ! s'poumona-t-il.

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 Rejoins-moi, mon garon, lui rpondit le chat depuis les hauteurs, les vents nous traitent ainsi parce que telle est leur volont, ils dsirent nous mener vers un lieu bien prcis. cet instant le vent cueillit le jeune homme comme on se saisit d'une fleur, et sans mme l'avoir dsir ce dernier se retrouva hurlant au milieu des airs, non loin de Balbillus, le chat-cerise. Courage ! lui lana le chat carlate aux yeux d'or. L'homme voulut lui rpliquer par une phrase dmontrant son courage et son assurance dans cette situation dlicate, mais sa peur, bien plus forte encore, l'emporta. Aussi durant un moment, beaucoup trop long son got, selon le mendiant, les deux voyageurs en provenance du Royaume d'Eau furent emports par-dessus les plaines du Zodiaque aux teintes dores et meraude, entre des pics de montagne acrs couverts de neige et mme au-del d'un ocan la teinte mauve bleute. Jamais encore ils ne s'taient aventurs si loin dans ces terres zodiacales, songea le jeune homme. Il eut le plus grand mal ne pas perdre sa besace durant le priple arien, puis la tempte de vents les dposa sur un sol de pierres et de cailloux gristres, o rgnait un profond silence. Il fut pour eux un baume apaisant tant leur avait t insupportable le tumulte olien, tout au long de leur voyage. Le chat couleur de cerise reprit promptement son quilibre, le mendiant ncessitant de davantage de temps pour se remettre de ses motions sur des jambes flageolantes, puis pour s'pousseter de la poussire accumule. Enfin il releva la tte son tour et distingua une construction, celle-ci retenant l'attention du chat-carlate depuis quelques instants. Dj le chat trottinait vers elle, la demeure se dtachant nettement sur le fond des montagnes rocheuses, dans la valle lugubre et dsertique o les vents les avaient laisss. C'tait une btisse curieuse en forme de bulbe, compose d'arches de pierre se rejoignant dans les hauteurs en formant un dme aplati. La silhouette gnrale tait celle d'une couronne, cette dernire tant ouverte tous les vents par les interstices entre les montants de pierre blanche. Mais aprs l'avoir rejoint, la suite du chat-cerise, l'homme aux longs cheveux dcouvrit un autel rig en son coeur, avec une silhouette tire revtue d'un drap blanc son ct. Lorsqu'elle vit les deux voyageurs, fourbus et recouverts de la poussire amasse par leur voyage, l'tre dissimul ainsi aux regards ne leur adressa pas la parole, mais leur fit signe d'avancer d'un index ivoirin. De cette manire, tous deux purent observer la blancheur intense des doigts fminins aux ongles rubis, d'une longueur effarante.

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 Bienvenue vous, dclara l'tre voil d'une voix tranante : quel bon vent vous amne chez la Mort ? Le premier, Balbillus lui rpondit, prenant de vitesse le jeune garon. La Mort, ma bonne amie, lui avoua sans dtour le chat Balbillus, le ciel vous envoie, en vrit, mon compagnon a t charg par les dames du Royaume d'Eau d'aller travers les landes du Zodiaque afin d'y rcolter ses toiles, comme on dit. Il possde donc mille ans rvolus, murmura lentement la Mort en rabattant en arrire la capuche lui recouvrant le visage. La Mort tait une fort belle femme, avec de longs cheveux noirs aux reflets bleuts cascadant en boucles sur ses paules, ses sourcils et ses yeux arborant le noir de la nuit la plus profonde. Ses lvres ressemblaient du corail, l'clat de ses dents un rempart de nacre. Sa peau tait de la neige, immacule et pure. Elle sourit. Puis dsigna une coupe munie de deux anses, place sur l'autel. Bizarrement, le vagabond ne l'avait pas discern lors de son premier regard circulaire. Si tu convoites mon toile du nom d'Agna, il te faut boire le venin de mille scorpions, il se trouve rassembl dans cette coupe, dit-elle en la dsignant, son gracieux visage nanti du plus charmant sourire au monde. Car la Mort tait vraiment trs belle. Le mendiant fixa la coupe aprs s'en tre rapproch de quelques pas, puis il lana vers le chat-cerise un regard angoiss. Balbillus, c'est impossible ! se lamenta-t-il. C'est un poison infme, je vais mourir, sans aucun doute ! Probablement, reconnut le chat carlate aux yeux d'or, mais tu as entendu la demande de la Mort, devant laquelle les vents viennent de nous abandonner. C'est ici la Maison suivante, il te faut en passer par son dsir si tu veux obtenir satisfaction. Le jeune homme regarda la Mort, cette dernire le fixant en silence, puis la coupe, le chat la robe de sang enfin. Il semblait paralys, aussi le chat-cerise Balbillus lui vint-il en aide une dernire fois. Mais aprs l'avoir entendu, le mendiant ne parvint pas dcouvrir s'il avait essay de le secourir ou bien d'augmenter son tracas. Le conseil du flin carlate avait t sibyllin, tout le moins. Parfois trop rflchir nuit la Destine, avait lch laconiquement le chat en se lchant une patte, puis se frottant derrire l'oreille. Il faut en certaines circonstances laisser agir le corps et savoir se comporter de manire impulsive et mme sotte. Car la folie, parfois, est pleine de sagesse.

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Le vagabond hsita encore puis parut prendre une dcision, aussi difficile soit-elle. Il franchit la distance le sparant de la coupe puis lorsqu'il fut devant elle c'tait un large rcipient d'argent pur maill d'ivoire et parsem de pierres semi-prcieuses il fixa la surface du suc noir et ambr, puis, l'empoignant par les anses, il souleva la coupe difficilement, car elle tait lourde. Ainsi il approcha le rebord nacr de ses lvres frmissantes : la liqueur vnneuse d'innombrables scorpions noirs. Bois, lui chuchota la Mort en se rapprochant de lui. Bois, reprit le chat-cerise avec une expression sereine. Sans plus attendre davantage, ses lvres se collrent au mtal froid et une gorge bouillante descendit le long de son tre. Aussitt ses sensations se brouillrent, mme sa vision se voila. Le monde dployait un aspect inconnu. Les alentours s'taient vanouis, et, cependant qu'une infime sensation de brlure le pntrait, des montagnes couvertes de neige avaient merg de l'horizon et s'taient rapproches toute allure. Il lui semblait maintenant flotter dans les airs au-dessus d'une valle alpine. Bois encore, tu dois vider la coupe, lui rappela une voix dans son dos. Avec un intense sentiment de dsespoir, car le poison noir possdait un got infme et repoussant, le mendiant du royaume de France s'excuta. Il lui parut immdiatement tre emport par un coup de vent, semblable celui l'ayant propuls en compagnie du chat carlate pardessus les contres du Zodiaque. Diverses couleurs tires de l'arc-en-ciel zbraient les hauteurs, le plafond nuageux ouvrait ses portes de brume, et, sans cesser de tenir sa coupe d'argent deux mains, le vagabond en franchissait les seuils. Les nues s'cartant un large chemin se profila, donnant accs un paysage cleste. Mais ses contours s'affaiblirent en devenant fantomatiques. Les mondes du ciel s'effilochaient et partaient en lambeaux. Bois, rpta la voix de la Mort. Le jeune homme avala encore une gorge du nectar rpugnant et sa noirceur ardente rchauffa son corps, ravivant l'trange facult de vision acquise il y a peu. Les empires mirifiques dvoils lui regagnrent en nettet et clat, et secou par des vents cosmiques, le vagabond franchit des horizons tourments et thrs jusqu' survoler un relief montagneux, dot de forts sombres envahies de lumires parfumes dans ses sous-bois. Il y eut une mer saphir sur laquelle voguaient des barques de pcheurs, puis de nouveau la terre ferme. intervalles rguliers la Mort

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ou bien le chat-cerise lui donnait l'ordre de s'abreuver davantage la coupe de poison noir. Je n'en peux plus ! s'exclamait souvent le mendiant. Cette liqueur tnbreuse me ronge, une torche brle mes entrailles ! Mais ni la Mort ni le chat-cerise ne prenaient garde ses plaintes, et toujours ils le sommaient de boire davantage. Ce dernier ne manquait jamais de le faire, en dpit de ses craintes. De cette faon, ils en vinrent voir se rapprocher au loin une haute montagne de lumire, tincelante et chatoyante de reflets iriss comme si elle tait de cristal. On aurait cru le soleil car on n'en voyait pas en ces lieux dissimul dans les entrailles de la montagne. C'est la Montagne Invisible, lui rvla le chat-cerise, la Montagne des Dieux. Bois. Il n'y en a plus ! mentit effrontment le mendiant, car il n'en pouvait plus d'absorber une si dtestable potion. C'est faux, le contredit la Mort en relevant d'autorit la coupe vers ses lvres. Bois encore, mortel, ou tu mourras. Mme l'Oeil des Amazones, en ce lieu ultime, ne peut rien pour toi. Le vagabond bon gr mal gr dut s'excuter, et il sembla ce dernier toucher enfin terre, si cette expression pouvait tre utilise, entour de la Mort et du chat carlate. Ils se trouvaient devant une cit enchanteresse, et son plan et ses maisons, ses tours, ses petites places aux boutiques de bois blanc et aux pavs ronds paraissaient avoir t traces par un pote, et non pas par un architecte. Le jeune homme aux longs cheveux leva la tte en fixant la montagne de lumire au pied de laquelle se blottissait la ville, son tonnement ds lors ne connaissant plus de bornes. L'aura s'en dgageant tait blouissante, on ne pouvait la fixer trop longtemps sans risquer d'tre aveugl. Mais le mendiant en avait assez vu pour tre abasourdi. Car en cercles concentriques et spirals s'levant le long de ses murailles vertigineuses, des divinits caquetantes et joyeuses, ou bien lugubres et funestes, taient disposes les unes prs des autres la manire des briques d'une paroi, leur nombre allant s'tirant le long des flancs brillants jusqu'au sommet tapiss d'une couronne nuageuse. Les divinits recouvraient ainsi totalement les versants abrupts de la montagne cleste, du pied jusqu'au sommet nuageux. Sa luminosit intense transparaissait travers les milliers de dieux disposs l et les faisait devenir transparents. Le vagabond but de lui-mme la coupe de poison noir, si grand tait son moi et sa stupfaction, et pour cela personne ne dut le pousser ou gronder. Ce faisant la temprature de son corps s'leva jusqu' atteindre

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un point de non-retour, d'une brlure presque douloureuse tant tait extrme sa chaleur interne. Balbillus, j'ai peur, lui confia en apart le jeune homme, cependant qu' la suite de la Mort tous deux marchaient par des ruelles enguirlandes de lierre, entre de petits parcs grillags de fer forg au noir brillant. Des demi-dieux et des desses, des Hros des Temps Anciens les ctoyaient sans mme leur accorder un regard. L'attention prte par le chat carlate aux paroles de son lve n'tait pas davantage consciente, mais bientt la Mort parvint devant une charmante demeure de pierre et de bois, coiffe de chaume et prcde d'un grand jardin, enclos par un grillage de barreaux de bronze. Elle ouvrit d'un geste ngligeant le portail ouvrag, l'aide d'une clef d'onyx noir. Bienvenue chez moi, lana-t-elle d'un ton enjou au vagabond, mais tu n'as pas achev encore ta coupe. Excute-toi, voyons, lui souffla le chat carlate. Pass le got abominable et pouvantable de cette liqueur, il me vient chaque fois une chaleur toujours plus forte. Dernirement sa rudesse tait grande, pargnez-moi, j'en ai bu assez. Peu d'hommes seraient alls jusque-l, vous en conviendrez. C'est exact et je ne le nie pas, reconnut la Mort, mais ta Destine est ainsi faite, par cette voie obscure et fangeuse il te faudra passer. Plus loin le soleil te reviendra, ne t'attriste pas. Mais pour l'instant le nectar de scorpion doit tre consomm jusqu' l'ultime goutte, de manire ter dfinitivement toute souillure de la coupe sacre. Courage. Ayant finalement compris l'inutilit de ses efforts, le mendiant fit contre mauvaise fortune bon coeur et but jusqu'au bout le poison vnneux. Il s'embrasa aussitt l'image d'une torche, de vives et ardentes flammes consumant son corps, et il n'en resta plus rien, seulement un petit tas de cendres grises sur le sol. Le tout s'tait droul de manire rapide et l'homme aux cheveux d'or n'avait pas eu le temps de pousser un cri d'effroi. Les flammes rubis et oranges avaient t promptes comme l'clair. La coupe fatale se trouvait entre les mains de la Mort, celle-ci sifflant entre ses lvres de corail par deux fois, jusqu' ce qu'une crature aile et maladroite, d'une blancheur de neige, se pose sur les branches d'un oranger au bout de quelques instants. Le vagabond, malgr son immatrialit vaporeuse, manqua bien sursauter tant elle tait singulire. C'tait un oiseau de la grandeur d'un homme dont la tte tait d'aspect tir et fin la ressemblance d'une cigogne, avec des ailes immenses et de longues pattes oranges, des serres et des ergots d'un carmin vif. Elle

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avait des yeux saphir identiques au ciel du royaume de France, en t, lorsque les cieux sont dgags par un mistral venant du sud. Pour complter le tableau, dans la coupe tenue par la Mort elle-mme, l'oiseau blanc dgorgea de son long bec un suc laiteux et blanchtre, dont la seule vue rvulsa le coeur du mendiant, pourtant rduit en cendres ce moment-l. Bois une dernire fois, mortel, lui enjoignit la Mort, la liqueur de l'Oiseau de Cristal est une panace, car il niche au sommet de la Montagne Invisible. Bois ce nectar divin et mon toile t'appartiendra. Bois, mon garon, lui conseilla le chat-cerise Balbillus, la victoire sera tienne ! Il tait persuad d'tre dpourvu de toute enveloppe corporelle, mais cependant le vagabond absorba de son mieux le rpugnant contenu de cette coupe d'argent. Elle paraissait possder une grande importance aux yeux de la Mort et du chat carlate, et lorsque ce fut fait un tourbillon de nues et de fumes grises s'agita autour de lui jusqu' lui masquer toute vision du jardin de la Mort, situ prs de la Montagne Invisible. Le tumulte dissip le jeune homme avait retrouv son apparence normale, une toile scintillant auprs de celles voletant dj au-dessus de sa tte. Ils taient revenus dans les terres du Zodiaque, Balbillus se tournant vers lui aprs avoir avanc vers une minence de verdure. La Mort nous a t secourable, elle nous a ramens prs de la Maison suivante, allons vers elle sans tarder, car notre chemin est encore long. Les deux voyageurs firent ainsi, puis une btisse se dressa devant eux. Elle avait une forme arrondie, avec un grand et unique toit quadrangulaire dont les bords allongs touchaient presque le sol. Les parois taient de briques carlates avec des poutres de bois apparentes, et les fentres possdaient des baies ovales voiles d'une gaze arachnenne bleu lavande. Une longue aiguille de terre cuite orange s'lanait sur le fait pointu du toit, son ombre marquant le jardin l'herbe verte et rase. Prs de l se trouvait un banc de bois vermoulu, sur lequel se tenait assise une femme aux yeux bands, drape dans une robe de lin blanc. Lorsqu'elle les entendit s'approcher de sa demeure puisqu'elle tait aveugle elle se leva et ses sandales d'herbes sches tresses mordirent sans bruit le tapis vgtal en venant vers eux, de la manire la plus sre. Sa chevelure argente, car la personne tait d'un certain ge, tait ramasse en chignon sur sa nuque et dgageait des reflets brillants. Chre madame, lui miaula sans autre forme de crmonie le chatcerise, ce mortel est en qute de ses toiles. La bienveillance des bonnes

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dames lui est acquise, elles lui ont lgu l'Oeil des Amazones. Lui viendrez-vous en aide, l'image des prcdents matres des Maisons du Zodiaque ? Certes, je le ferai, si ce dernier est un Juste. Car Spica elle avait prononc ce nom en mettant une main sur sa poitrine n'aime pas l'injustice et donne seulement aux Purs. Alors mettez-le l'preuve, il est de ceux-l et aucune tche n'a souill encore son tre profond. Si le chat tenait tant acclrer les choses, c'tait surtout en raison du choc rcent subi par le jeune homme, le chat carlate craignant le refus de la dame si par malheur son traumatisme devenait trop flagrant. Mais soit la matresse de la Maison en raison de sa ccit ne s'en tait pas aperue, soit elle jugea cela de peu d'importance, rien de tout ceci n'advint en dfinitive. D'un geste sans quivoque, la femme aux yeux bands et la chevelure argente les mena par-derrire la maison o tait une grande balance de bronze, sur une plate-forme dore. Elle comportait deux vastes plateaux au bout de chanes d'or, et dans l'un d'eux un feu s'alluma spontanment, sur un ordre invisible. Monte sur l'autre plateau, toi, le choisi des lues, lui dit Spica. Ton poids contre-balancera cette flamme haute et brillante, si ton coeur est son image lumineux, chaleureux et clair. Alors mon estime te sera acquise, et je te lguerai mon bien. Balbillus, jamais je n'y parviendrai ! lui murmura d'un ton pouvant le vagabond la longue chevelure de bl. Mon poids l'emportera ! N'aie crainte et soumets-toi sa volont, lui suggra le chat carlate. Mes conseils t'ont-ils t nfastes jusqu' maintenant ? Le jeune homme dut convenir du contraire, aussi malgr son inquitude il grimpa dans le plateau de la grande balance de bronze, et aprs avoir dangereusement tangu d'un ct puis de l'autre, cette dernire s'immobilisa en un quilibre parfait. Le mendiant en fut le premier tonn, il ne s'attendait pas ce rsultat, puis il se souvint : la coupe de poison noir, dans la Maison prcdente, l'avait totalement consum avant son retour. Il lia aussitt un fait l'autre, et comme il en avait pris l'habitude jusqu' maintenant, il passa outre cette chose pourtant extraordinaire, savoir, son poids tait devenu exactement identique celui d'un clair et bruyant brasier. La dame du nom de Spica leur accorda cong sans mme prendre la peine d'enlever son bandeau, laissant chacun dans le doute sur la nature relle ou bien artificielle de sa ccit. Il fut taraud par ce dtail un instant, puis des soucis plus pressants l'assaillirent leur tour, en vagues

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successives. En effet une licorne blanc de neige s'en venait au galop, et allait passer tout prs d'eux. Sa corne tait compose de tourmaline, et finement spirale l'image d'un dlicat travail d'orfvre. Le mendiant allait s'carter de sa route lorsque le chat carlate aux yeux d'or le mit en garde. Grimpe sur son dos de ton mieux, et fais-le sans attendre ! Elle sert la matresse de la Maison suivante et te mnera vers elle infailliblement ! Le vagabond eut en direction de son guide flin une grimace trangle, le cheval fabuleux se rapprochant toute allure, ses sabots noirs et luisants tincelant dans la poussire du chemin. N'aie crainte, le rassura alors le chat-cerise en observant son malaise, souviens-toi, l'Oeil des Amazones veille sur toi ! ces mots, le jeune homme respira plus librement. Effectivement, le fait de distinguer le prcieux pendentif sur la poitrine du mendiant avait stopp la licorne, elle s'tait apaise et tait devenue soumise et placide. Ce fut un jeu d'enfant pour le vagabond et le chat carlate de sauter sur son dos, leur monture faisant aussitt demi-tour au petit trot. Par des chemins ombrags longeant une vaste fort, elle les emporta. Ils franchirent un petit pont de bois en dos d'ne, longeant un pr d'herbes folles la frache senteur. Puis leur route les mena dans l'paisse et inextricable fort, jusqu' ce qu'ils se perdent sous de tnbreuses ramures. Au bout d'un temps infini ils parvinrent dans une clairire ovale, au coeur de laquelle se tenait une chaumire de bois la toiture pentue avec une vranda couverte. Il y avait des narcisses et des ajoncs poussant de manire sauvage et indiscipline autour de la demeure. C'est donc l la Maison suivante ? Balbillus, le chat coquelicot, ouvrit sa gueule pour rpondre, mais une jeune femme d'azur et de rose vtue sortit de la btisse et marcha vers eux, pargnant Balbillus les frais d'une conversation. Par politesse, les deux voyageurs descendirent bas de la licorne et se prsentrent tour de rle. La jeune femme ge d'une vingtaine d'annes les couta en silence, puis hocha de la tte. Elle tait belle et possdait un visage d'ange, avec une chevelure chtain dor lui tombant sur les paules et des traits fins et dlicats. Sa robe couleur de rose et indigo lger tait fronce la taille et lui tombait sur les chevilles, ses pieds d'ivoire chausss de mocassins en daim. Si vous dsirez obtenir l'toile de ma Maison, il vous faudra aller me cueillir un bouquet de fleurs dans un champ prs d'ici, leur demanda la dame l'apparence aristocratique. Car j'aime par-dessus tout leur

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prsence, et je n'en ai jamais assez autour de moi. Le pr est cltur de bois noir. Croyez en notre parole, damoiselle, lui dclara aussitt le vagabond, moustill par une aussi frache prsence et au surplus agrablement surpris de la demande. Nous vous rapporterons sans faute de quoi vous gayer le coeur et l'esprit durant de longs jours. Le jeune homme ne tenant pas passer pour un lche devant une si jolie jeune fille, pressa alors le pas en direction du champ dsign, distanant le chat carlate Balbillus pour la premire fois depuis le dbut de leur priple. Finalement tous deux parvinrent destination devant des barrires de bois sombre, et le mendiant, aprs avoir song les escalader, dut renoncer son ide initiale. Sur les conseils du chat aux yeux d'or ils longrent les barrires bordes de halliers, les cltures ne laissant presque rien transparatre de l'tendue de verdure jusqu' arriver devant un portail de bois. Prudemment, Balbillus passa la tte par l'entrebillement, car les battants taient entrouverts, et il poussa un miaulement interrogateur. L'homme, irrit de rester ainsi l'cart, passa outre et s'avana vers l'intrieur du champ. Trois petites dames, toutes de vert des pieds la tte, les attendaient les bras croiss avec une expression des plus srieuses. Elles taient petites et arrivaient peine la taille du mendiant, leur couleur tait de la verdeur vgtale son apoge, aux plus beaux jours du printemps. Elles n'taient pas vraiment jolies et possdaient un visage ingrat, mme s'il n'tait pas franchement dplaisant non plus. Elles paraissaient frustes et dnues de recherche. Leur habillement tait compos de feuilles cousues les unes aux autres, leur constituant des jupes verdtres, avec des manches l'identique et des bonnets coniques et sylvestres. Leurs lvres taient vert sombre, presque noires, d'une teinte similaire leurs cheveux coups courts, ces derniers ne dpassant d'aucune manire de leurs bonnets. Ne voil-t-il pas un tranger, mes soeurs ? s'enquit l'une. Dsirerais-tu quelque chose ? s'tonna une autre. Nous te l'accordons bien volontiers, sauf s'il s'agit de nous demander nos fleurs, termina la troisime. Effectivement de bien belles fleurs de toutes sortes et couleurs, jusqu'aux plus extravagantes, poussaient dans ce lieu magique. Et le jeune homme n'en avait jamais vu de si somptueuses et si grandes, certaines lui taient d'ailleurs inconnues, poussant exclusivement dans les contres du Zodiaque.

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 Mesdames, commena timidement le mendiant, mon souci est grand, un bouquet de vos plus belles fleurs je m'en venais chercher. Ne soyez pas mchantes et accordez-le-moi, s'il vous plat. J'en ai besoin pour avoir l'toile de la dame la licorne. Les dames vertes du pr se regardrent l'une l'autre avec un feint ennui, secouant la tte l'unisson. Cela nous est impossible, mon beau garon, lui rpliqua la premire d'entre elles. Nous sommes les missaires des plantes, car nes d'elles, d'entre elles. Nous leurs sommes semblables en bien des points et il nous serait insupportable de te voir les dcapiter et les emporter ensuite, toutes sanglantes de sve. moins dit l'une de ses soeurs vgtales. Accorde-nous notre souhait, renchrit la dernire, je te trouve plaisant d'aspect et plutt joli coeur. Moi aussi ! assura sa soeur verte. Et moi donc ! conclut la dernire des petites dames. Que demandez-vous en change, par ma foi ? interrogea avec un sombre pressentiment le jeune homme, ce dernier ralisant un peu tard l'embrouillamini dans lequel il s'tait fourr. Je veux trois baisers d'amour, trois ! Je veux pouvoir te serrer contre moi ! Je veux pouvoir caresser ton beau visage ! Tels taient les souhaits des dames vertes. Et le vagabond fut saisi d'une soudaine inquitude en se remmorant les paroles des dames, lorsqu'elles prtendaient tre issues du champ et de la vgtation. Mais de quelles plantes tes-vous nes, en fait, mesdames ? s'informa le mendiant aux cheveux d'or avec une voix trangle. Nous sommes les filles de l'Ortie ! lui lancrent en choeur les petites dames vertes. Balbillus le chat-cerise riait, s'en dcrocher la mchoire : pour preuve, deux larmes cristallines s'coulaient le long de son museau rose.

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Chapitre

Le chat carlate aux yeux d'or tourna la tte derrire-lui en direction du mendiant. En cet instant prcis, ce dernier avait beaucoup faire pour viter les ressauts de la roche moussue et humide, avec une pluie de gravillons s'abattant sur son crne en raison de la prsence du chat-cerise, au-dessus de lui sur la muraille. Courage, mon garon, lui lana dans un miaulement vibrant le chat la fourrure coquelicot. Nous voici au sommet. La paroi abrupte festonne de mousses verdtres et de lichens, expose tous les vents de la plaine, commenait laisser entrevoir ses limites. C'tait une masse de rocs gris et spia, surgie inopinment de la grande fort aprs que les deux voyageurs, ayant obtenu l'toile de la vierge, se fussent remis en route. La citadelle de roc s'tait oppose leur progression, et le jeune homme accompagn de son mentor flin avait d se rsoudre la gravir, pniblement, mais du mieux possible. tions-nous vraiment obligs de nous donner tant de mal pour franchir cette barrire ? interrogea le vagabond, tout en remettant d'un mouvement d'paule sa besace en place. N'aurions-nous pas d plutt faire un dtour afin d'viter cet obstacle ? Absolument pas, car si le Destin a voulu disposer sur notre route une telle chose, c'est certainement pour une raison bien prcise, lui rpondit Balbillus le chat-cerise en mettant enfin le pied, ou mieux dit, la patte, sur le sol herbeux s'tendant de l'autre ct. la suite de cela le jeune homme prit pied son tour sur l'tendue d'herbes folles et d'arbres tordus l'corce fendue, empreinte d'un ge sans nom. Il y avait des fleurs sauvages se balanant doucement au rythme du vent, et des nuages nacrs voguant dans l'azur en faisant courir leur ombre sur la plaine humide. Une demeure se tenait l, aux colonnes de pierre stylises et aux murs de porcelaine colore, avec des lambris extrieurs mi-hauteur et des baies translucides aux chaudes couleurs. Les toitures multiples portaient des tuiles de quartz transparent, probablement pouvait-on observer depuis son intrieur les

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mystres du ciel. Le mendiant arriv la suite du flin carlate sursauta, car un rugissement puissant venait de se faire entendre, intense et profond. C'tait un lion norme, imposant, la robe fauve et la crinire lonine d'un noir de jais : ses yeux furibonds taient des sphres d'amthyste et ses muscles vifs faisaient saillie en courant sous sa fourrure. Il marcha en provenant de derrire la Maison et sa vitesse s'acclra, jusqu' avancer par grands bonds vers eux. Le vagabond n'en menait pas large, il tait terroris. Le lion, de toute sa hauteur, se pencha vers le jeune homme engonc dans son manteau. Les mortels n'ont pas traverser les landes du Zodiaque, grondait le fauve, je vais devoir trancher le fil de ta vie. Ferme les yeux et recommande-toi aux vieilles gens de ta ligne, termina le fauve en se radoucissant. Tu ne sentiras presque rien. Apaise ta fureur, Rgulus, lui miaula alors le chat, au contraire du vagabond, il n'avait nullement t dsaronn par la venue du lion. Cet humain est ici sous la protection des Compatissantes et des Aimes, des Princesses, elles lui ont fait don de l'Oeil des Amazones, il bat actuellement sur sa poitrine. Si tu n'avais pas t si imptueux, et impressionnant, ce pauvre garon aurait pu t'en parler de lui-mme. Hum, reconnut alors le fauve en secouant la tte pour se disculper, aprs avoir entr'aperu l'clat tincelant du mdaillon sur le torse du jeune homme, je suis terrible et puissant, il est vrai, se rengorgea le lion visiblement flatt des paroles du chat, parfois mme trop ! Cela a bien failli me jouer un tour, dirait-on ! Ainsi, cet humain est arriv au terme de ses vies ? Plus simplement, il vient de s'couler mille ans depuis la premire d'entre elles, reprit le chat carlate en clignant de ses yeux d'or. C'est un bon garon, tu sais. Il va par les landes du Zodiaque afin de complter sa couronne. La magnanimit le disputerait en toi la grandeur si tu acceptais de lui lguer ton toile personnelle, Rgulus. Le lion imposant, malgr les belles paroles du chat-cerise, secoua ngativement la tte, par ailleurs lourde et velue comme le reste de son corps. Ce serait avec plaisir, mais je peux le faire seulement avec mon gal. S'il me rejoint dans le combat, dans la vitesse de sa course ou mme en force pure, je la lui donnerai. Du contraire, cela me sera impossible. Malheureusement, cet humain, malgr toutes ses qualits, ne peut pas tre mon image. Je ne partage pas ton pessimisme sur son compte, dclara d'une voix acidule le flin carlate. Car tu ne l'as pas soigneusement observ.

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Aussitt le chat aux yeux d'or demanda l'homme de dgager sa blonde chevelure, dissimule partiellement par son manteau de voyage. Cet habit est la possession des pauvres gens du royaume de France, et de tous ceux dont la condition exige d'aller par les routes et les chemins, les sentiers de province. Ainsi lorsque le vagabond arbora en plein soleil sa toison blonde l'image des bls mrs, le lion Rgulus ba alors de stupfaction sa vue. Par ma foi ! s'exclama le lion de la Maison du Zodiaque. Jamais encore je n'avais distingu un humain avec une pareille crinire, elle le dispute presque la mienne ! D'une patte malhabile, il avait palp les mches volatiles d'or pur. On dirait des cheveux de femme plus qu'une vritable crinire lonine, rugit le matre de Maison, mais le fait est, il peut largement se comparer moi sur ce point-l. Je vois prsent o tu voulais en venir, Balbillus, et je m'incline devant ta sagesse. Mon toile t'appartient, homme. Car mme si tu t'en juges indigne, tu te l'es largement mrite. Il ouvrit la gueule face au mendiant et celui-ci ferma les yeux, s'attendant il ne savait trop quoi. Mais Rgulus la robe fauve exhala en soufflant une toile d'or, minuscule tincelle de lumire palpitante et thre. Elle s'en alla se placer auprs de ses soeurs flottant dj au-dessus du jeune homme. Lorsque la lumire de midi tait son apoge, elles semblaient presque devenir invisibles et le vagabond lui-mme oubliait leur prsence, se prenant songer avoir rv de les croire seulement l. Puis dans la pnombre et les lieux obscurs sa couronne scintillante luisait au-dessus de sa tte, et sur le miroir des eaux, le jeune homme avait parfois du mal croire ses yeux. Tout heureux de la bonne conclusion de leur aventure, le flin carlate dj s'en tait reparti sur un chemin serpentant aux cts d'une profonde fort, aprs avoir fait ses adieux Rgulus, le lion de la Maison du Zodiaque. Et le vagabond toujours son bonheur trbuchait et trottinait derrire lui, surpris d'tre encore vivant. O vas-tu donc, Balbillus ? s'enquit le mendiant, encore puis aprs l'escalade prouvante de la muraille rocheuse, et la priptie constitue par la rencontre de Rgulus. Pour l'heure, il aspirait seulement un repos rparateur. la suite de ton Destin, lcha simplement le chat. Oublierais-tu le terme de ton aventure ? Avec le service en paiement pour mon travail ? Le jeune homme aux pieds nus, vrai dire, avait largement perdu de vue cela et il se renfrogna, car la liste des corves l'attendant venait

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brusquement de se rallonger. Dcidment, il n'avait jamais eu autant faire depuis longtemps. Regarde l-bas, lui dit le chat-cerise Balbillus en le tirant de ses penses. Le vagabond leva la tte son tour et frona les sourcils devant le spectacle. Il se trouvait prs d'un bosquet de saules frmissants une demeure en briques rouges et aux toits noirs, avec de multiples girouettes en cuivre dor. Elle avait de grandes baies de cristal sombre aux reflets opaques et un portique de pierre blanche s'arrondissant devant la porte de chne. Un sentier sinueux y menait en partant de la route suivie par le duo. Mais en fait ce n'tait pas tant cela qui causait la stupeur et mme l'moi, c'tait plutt l'trange quipage quittant un btiment proche de cette jolie maison. Un grand chariot de bois aux roues pleines, tir par un crabe aux pinces rougetres. Une vieille femme aux allures de sorcire se tenait l'avant, tenant les rnes, et naturellement avait le plus grand mal faire avancer son quipage. Car le crabe norme avanait latralement, indisposant ainsi sa matresse. Ho, Pollux, ho ! clamait cette dernire. Du nerf, voyons ! Le jeune homme, d'abord fascin par la scne, se reprit et allait adresser la parole la vieille dame lorsqu'une fois encore le chat-carlate, dcidment serviable, le prcda. Ma commre, c'est un grand plaisir de vous rencontrer ! miaula-t-il dans une formule de politesse exagrment fleurie. Nous allions justement vous demander de nous lguer votre belle toile, madame ! La matresse de cette Maison leur lana un regard peu aimable en cessant de s'escrimer sur ses rnes, mais elle ne dit mot. Aussi Balbillus reprit-il son discours. Ce garon est des plus braves et serviables, il collecte ses toiles afin de s'en constituer une couronne. L'Oeil des Amazones prouve sa qualit, et l'appui apport par les bonnes dames. Pourriez-vous donc lui donner votre toile ? Cela lui permettrait de poursuivre au plus tt sa tche, vous savez comme moi la complexit de ces choses-l La vieille femme porteuse de nippes grises et noires, jupons et tabliers, sabots de bois et coiffe de dentelle, secoua la tte en sifflant de rage entre ses dents jaunies et cartes. Cela ne me gnerait pas le moins du monde, mais dj ma propre tche est loin d'tre acheve, puisque je n'ai pas pu seulement l'entamer. Mes moissons attendent la fenaison, je dois les mettre sur mon chariot, seulement ce diable de Pollux refuse d'avancer de manire convenable, en ligne droite. Venez-moi en aide, mon garon, demanda-t-elle

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clairement l'adresse du mendiant, et je vous offrirai en retour mon toile. Le chat-cerise Balbillus tourna la tte vers le vagabond, attendant sa raction la proposition. Ce dernier ragit positivement la demande de son guide flin dans ce royaume trange, mais son embarras n'tait pas mince. Ce serait avec le plus grand plaisir, madame, lui avoua l'homme en grattant nergiquement son cuir chevelu, mais je crains de ne pas pouvoir rpondre votre attente. Votre Pollux, souffla-t-il avec peine, tant il lui semblait incroyable de voir un crabe atteindre de telles proportions, et d'tre afflig au surplus d'un prnom pareil, ne peut rpondre votre attente. Il marche en crabe, si je puis dire ! Comment pourrait-il constituer un animal de trait convenable ? Se trouve-t-il encore beaucoup de sottises dans votre tte, mon garon ? se rcria la vieille aux sabots de bois, du haut de son chariot. Pollux a toujours t un excellent animal de trait. Simplement, les annes ont pass et ma mmoire faiblit, je ne me souviens plus de quelle manire je procdais autrefois pour aller ainsi jusqu' mon champ de bl. Ce fichu Pollux sait uniquement me faire tourner en rond ! Le mendiant prit le temps de la rflexion, et comprit enfin ce dont il s'agissait. Ma bonne dame, au lieu de l'atteler tel un animal de trait normal, dans le dsir de le voir avancer droit, vous auriez d l'harnacher de ct. Car il est possible d'aller de l'avant mme lorsque la nature vous permet seulement de progresser latralement. Ainsi elle montre bonne justice l'gard de tous, mme envers ceux dfavoriss par le sort. Balbillus, votre ami est loin d'tre idiot, mme si j'en avais dout. Il rflchit trs sainement. Je vous l'avais dit, lui sourit le chat-cerise en adoptant ds lors un ton plus dcontract. Avez-vous besoin d'aide pour votre fenaison ? Discutant de faon dtendue, les deux voyageurs du Zodiaque s'en allrent prter main-forte la vieille femme, ayant t dots pour l'un d'entre eux d'une toile supplmentaire. Pollux le crabe monstrueux avait vu ses harnais tre disposs diffremment et de cette faon, il avait de sa dmarche fuyante men le chariot de bois o tous avaient pris place jusqu'au champ de bl s'tendant non loin de l. Une fois l, le crabe Pollux avait t dtach et l'tonnement du vagabond n'avait pas t petit, lorsqu'il avait distingu celui-ci faucher le bl de ses pinces puissantes. Le mendiant lia les bls jusqu' en faire des gerbes et les dposa dans le chariot. Il fut vite plein, car la vieille n'tait

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pas peu travailleuse. Son aide, en dpit de sa bonne volont, se montra mme moins rapide. Le champ n'tant pas bien grand, le travail fut fait rapidement et lorsque ce fut termin, pour remerciement de l'aide apport, la vieille femme avant de s'en remonter sur son chariot leur dsigna une direction bien prcise. Vous dsirerez atteindre la Maison suivante, maintenant. Elle se dresse non loin d'ici, et pour la rejoindre le chemin le plus rapide est la rivire. Il y a l une barque, elle m'appartient et je ne m'en sers plus, je suis trop vieille pour cela. Prenez donc l, je vous la donne. Et allez en paix sur les routes du Zodiaque. Le mendiant au manteau crasseux raffermit sa prise sur sa besace sous son bras et suivit le chat carlate. Par un sentier caillouteux ils arrivrent une pente douce, descendant jusqu' un dbarcadre fait de poutres de bois, plant dans une rivire aux remous cumeux. Une barque flottait l, lie au ponton par une corde noircie par les annes. Prcdent la suggestion de Balbillus, le jeune homme sauta bord et aida le chat-cerise en faire autant. Puis il dnoua la longe et s'aidant des rames, il fit atteindre le milieu du cours d'eau leur barque. Bientt les environs glissrent autour d'eux, l'allure lente du courant. Finalement sur les bords de cette rivire du Zodiaque surgit non pas une Maison, mais deux, et chacune d'entre elles se tenait sur un bord diffrent et oppos, comme si elles taient rivales. Quelle trange chose, Balbillus ! lcha finalement le mendiant, sans comprendre pourquoi en lieu d'une demeure il leur en tait donn le double. Est-ce bien la Maison suivante dans notre parcours ? Apparemment oui, puisque tu as entendu comme moi les paroles de la vieille femme, lui rpondit lentement le chat carlate. Mais comment pourrons-nous faire pour traiter avec deux personnes en lieu d'une seule et mme ? Avec laquelle devrons-nous parler ? Ce problme se rsorbera de lui-mme, mon garon, le rassura d'une voix sereine le chat-cerise, en voyant s'approcher les demeures de pierres grises. Mais ses moustaches taient frmissantes d'une excitation contenue, et leur agitation dmentait le calme de sa faade. Au fur et mesure de leur avance, les Maisons grandirent et le vagabond put observer en double les mmes murs de pierre aux blocs quadrangulaires, de larges portes d'entre et de semblables toitures arrondies avec un grand jardin orn de plantes et d'arbres la ramure vaporeuse.

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Puis comme si leur approche avait t entendue de quelque manire secrte deux personnes surgirent sur le perron des Maisons, ou pour mieux dire : chaque demeure vit son propritaire leur adresser la parole depuis son foyer. Mais leur discours fut inintelligible pour les voyageurs, car les deux hommes d'une ressemblance parfaite jusque dans le moindre dtail s'taient mis parler en mme temps. Au surplus, chacun ne semblait gure porter l'autre dans son coeur. Leurs insultes et leurs grimaces ne pouvaient gure laisser de doute cet gard. Lequel d'entre eux peut-il bien possder l'toile ? s'interrogea une fois de plus l'homme aux pieds nus, crasseux de la salet accumule durant le long chemin. Puis, sans mme attendre la rponse du chat-cerise, il amarra la barque au tronc d'un orme bulbeux l'aide de la longe, et il vint en aide Balbillus pour le porter sur la berge. Lorsque ce fut fait, suivi de l'asanthne, il marcha vers celui se trouvant de leur ct, l'autre sur sa rive leur tendant le poing avec un air furieux. Cher monsieur, recevez de notre part le bonjour le plus aimable, rcita d'un trait le jeune homme en endossant les formules de politesse en usage aux landes du Zodiaque. Pour mes mille ans d'apprentissage les gentilles dames m'ont men jusqu' vous aprs m'avoir fait don de l'Oeil des Amazones, vous pouvez le voir sur ma poitrine. Ce garon se constitue sa couronne, renchrit Balbillus, et il vous demande bien humblement de lui donner celle lui manquant encore, c'est--dire naturellement la vtre. Le matre de maison exhiba une mine furibonde et pancha son fiel d'un trait, avec de violents gestes des bras. Pour a, n'y comptez pas ! Fichtre non ! c'est point moi qui l'avions, c'est plutt mon aut'frre, lui, l-bas, qui pouvions vous la donner ! Mais je s'rais vous je'me ferais point trop d'illusions, c't'une sacre canaille, un ruffian, oui, monsieur ! Les deux voyageurs se regardrent sans rien dire, le vagabond avec une franche stupeur sur les traits, tandis que son guide carlate arborait une expression nigmatique. Mais allez plutt le voir, c'est a, oui, les poussa-t-il en direction de leur barque, toujours rattache par sa longe un orme, comme cela vous verrez bien que j'ments point et je'suis point une mauvaise personne, comme mon bandit de frre le prtend ! Vous tes frres ? ne put s'empcher de demander le mendiant, sur le point de dnouer l'amarre entravant leur embarcation.

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 Plutt deux fois qu'une, pour sr ! assura leur premier interlocuteur aprs s'tre rapidement essuy le nez d'un revers de manche. Nous sommes jumeaux, le fidle reflet l'un de l'autre ! Je ne sais trop pourquoi, si je ne peux videmment mettre en doute la gmellit de ces propritaires, je les trouve surprenants. Leur personnalit dtonne par rapport celle des prcdents habitants. N'est-ce pas, Balbillus ? N'ai-je pas pour moi toute la raison du monde ? Il est encore trop tt pour accabler un frre des dfauts de l'autre, je pense, miaula calmement le chat-cerise. Attendons pour voir, et prenons la peine de juger seulement aprs. Mais les vnements donnrent raison aux pressentiments du jeune homme. J'en tais sr ! gronda le frre jumeau du prcdent riverain, et effectivement ils avaient la mme silhouette recroqueville, les mmes traits du visage en lame de couteau, de semblables yeux noirs, petits et enfoncs, Bellatrix s'est dbarrass de la corve que vous r'prsentiez en vous expdiant moi, Rigel ! Mais qu'est-ce qui vous fait croire que j'avions plus de temps libre que lui ? Fripouille ! rugit-il en montrant le poing son frre, celui-ci de l'autre ct de l'onde lui faisant de pareils commentaires. Monsieur mon toile murmura d'un filet de voix le vagabond. Ma couronne J'en avions rien faire ! s'exclama le riverain gmellaire avec un large geste du bras. Pourquoi ferais-je la corve que ce paresseux de Bellatrix n'a pas voulu faire ? J'suis point son service ! Ni au vtre, du reste ! Permettez, s'insurgea alors le mendiant en raffermissant sa prise sur sa besace. Je bnficie de l'Oeil des Amazones ! Celui du nom de Rigel avait jet un bref coup d'oeil sur le mdaillon, puis avait ruct un grognement. Et alors ? S'il m'empche de vous faire du mal, il m'oblige point vous secourir envers et contre tout ! Je suis libre de vous donner mon toile ou pas, comme mon idiot de frre ! Et je n'en ai pas envie Parce que je ne vous aime pas ! Mais comment vais-je pouvoir faire ? se lamenta le jeune homme en direction de Rigel. J'ai vraiment besoin de cette toile pour pouvoir mener bien ma tche ! C'est hors de question ! coupa brusquement le jumeau Rigel. J'avions point davantage de raisons de vous satisfaire que mon frre.

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Allez l'revoir et qu'il se charge lui d'la besogne, aprs tout, c'est lui que vous tes alls en premier. Avec un haussement d'paules fatigu, le vagabond avait fait le geste de s'en retourner de nouveau vers leur esquif lorsque Rigel lui saisit le bras. Qu'alliez-vous faire l ? C'est-y que vous m'auriez confondu avec Bellatrix en matire de fausset et d'hypocrisie ? Contrairement lui je possdions l'me droite et bien trempe, j'n'aurais pas la bassesse de vous obliger traverser de nouveau le cours d'eau. Apprenez m'sieurs qu'une Porte d'Argent se trouve au fond de ma Maison, et que par un royaume intermdiaire elle donne accs la demeure de Bellatrix, mon jumeau. Empruntez-la et ainsi vous pourrez l'atteindre pied sec, sans avoir utiliser votre barque. Pour sr ! Aprs un instant de surprise, l'homme suivit Rigel et en compagnie du chat-cerise Balbillus, trs silencieux depuis quelque temps, ils entrrent dans la maison. Par un escalier sombre ils s'enfoncrent en sous-sol, et se trouvrent bientt face un large miroir bouchant la totalit du couloir. Il tait cercl d'un montant l'image d'une porte vulgaire, l'illusion aurait t totale s'il avait t seulement pourvu de gonds. Avancez, avancez, m'sieurs ! leur lana Rigel. Vous accderez sans danger chez mon frre, moi-mme j'ai emprunt le mme chemin rcemment ! Le chat-cerise, la queue droite telle un i, s'enfona le premier travers le miroir et par voie de consquence le vagabond se vit forc de le suivre, pestant contre l'imptuosit de son guide flin. Puis il n'eut plus l'occasion de protester, car l'tranget du spectacle clt ses lvres. Un univers irrel et un peu sombre, avec une lune blanche en croissant sommeillant entre des couvertures nuageuses s'talait au-devant d'eux. Le sol tait sec et craquel de motifs naturels quasi gomtriques, des arbres de cristal tordus et fondus par endroits se dressant dans une plaine dessche. Il y avait des maisons parpilles intervalles rguliers, mais elles avaient toutes la particularit d'tre en ruine, semblant avoir t laisses l'abandon depuis longtemps dj. Les demeures taient souvent effondres et leurs toitures manquaient parfois, les portes et les battants disjoints battaient tous les vents. Il y avait des montagnes noires dans le lointain, avec une grande fort d'arbres de pierre, ptrifis depuis des sicles. O pouvons-nous tre, Balbillus ? l'interrogea le jeune homme en comptant une fois de plus sur le savoir du chat carlate.

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 Nous sommes au Pays des Miroirs, il renvoie aux voyageurs le traversant l'image de leur moi le plus secret. Le mien se trouve-t-il vraiment dans cet tat ? s'inquita le mendiant. Oui, mais ne te chagrine pas, tu n'es pas le plus mal loti, loin de l, le rassura l'asanthne. Les deux voyageurs avaient continu leur marche dans le Pays des Miroirs, et le vagabond n'avait cess de jeter des regards de gauche et de droite, afin de dnicher la Porte d'Argent capable de les sortir de l, et de leur donner accs la maison de Bellatrix. Le temps passa, en vain : le jeune homme commenait s'inquiter srieusement lorsqu'il entendit la lamentation d'un vieillard habitant l'endroit. Il tait revtu d'une robe blanche et ses cheveux et sa barbe, d'une longueur respectable, taient blanc de neige. Il se trouvait pieds nus et se lamentait auprs d'un puits de pierre. Pourquoi pleurez-vous ? s'enquit l'homme en continuant chercher des yeux la Porte d'Argent tant convoite. J'aurais besoin de retirer un grand seau de l'eau du puits, geignit le vieil homme, et il m'est impossible de le faire moi-mme. Votre grand ge en est responsable, probablement, lui rpondit machinalement le mendiant, tout son affaire. Fichtre non ! se rcria alors l'homme g, je pourrais facilement le faire moi-mme, mais cela m'est interdit ! Un autre doit le faire ! Vieillard, ce serait un plaisir pour moi de vous secourir, mais je cherche une Porte d'Argent trs importante. Un inconnu passera bientt et il vous aidera, j'en suis sr. Un aveugle ne saurait distinguer la Porte d'Argent, mme si elle devait se dresser devant son nez, gloussa pour toute rponse le vieillard en jouant avec sa barbe. Le vagabond n'avait accord aucune espce d'importance aux paroles du vieil homme, et il allait repartir afin d'inspecter les environs les plus proches, lorsqu'il surprit l'expression furibonde du chat-cerise. Plusieurs secondes lui furent ncessaires pour se dire qu'aprs tout, venir en aide un vieillard ne pourrait pas lui faire perdre trop de temps. Il revint en arrire et prs du puits se tenait toujours le vieillard, ct de l'asanthne Balbillus. Celui-ci ne lui avait pas embot le pas. Il jeta dans l'onde noire un seau de bois cercl de fer, et aprs de durs efforts avec une chane rouille grinant pouvantablement, il parvint remonter le seau la surface. L, grande fut la surprise du mendiant en dcouvrant un or liquide bouillonnant dans le seau. Tout alors se droula trs vite, le

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vagabond ayant mme besoin de plusieurs secondes pour raliser ce qui s'tait pass. Car le vieil homme en riant pleins poumons, et avec une force incroyable dmentant son apparence faible et snile, avait vid le seau d'or liquide la figure du vagabond. Lorsque celui-ci, toussant et suffoquant, parvint retrouver ses esprits, le dcor avait chang du tout au tout. Il tait devenu superbe, avec une herbe verte parseme de fleurs colores et parfumes de mille senteurs. La fort au loin n'tait plus ptrifie, mais vivante, et parcourue de rumeurs bruissantes faisant plaisir entendre. Il y avait des cureuils sur des branches basses, des castors nageant dans un ruisseau, prs de l. Et sur un buisson un oiseau blanc et noir au regard d'amthyste, s'esclaffant avec une voix identique celle du vieil homme. Il s'broua puis s'envola tire d'ailes vers la fort toute proche, prsent attirante et des plus belles regarder. Serait-ce de la magie ? se plaignit le mendiant. C'est une moquerie cruelle en remerciement du service rendu ! Pourquoi te plaindre ? lui reprocha le chat-cerise. L'image renvoye par le Pays des Miroirs est maintenant plus agrable, non ? Et de plus tes yeux se sont dessills, puisque la Porte d'Argent se trouve devant nous ! Effectivement, le Miroir faisant office de porte pour la demeure de Bellatrix se dressait non loin de l, au centre d'une clairire. Et c'tait l'entre principale d'une belle demeure, trs jolie et bien conue, prcieuse regarder sous tous ses angles. Mais le caractre de Bellatrix n'en avait pas chang pour autant, et tait toujours identique celui de son frre Rigel. Il se refusa obstinment donner au mendiant l'toile de leur Maison, au grand dsespoir de ce dernier. Alors le chat-cerise dcida de s'interposer, comme si cette comdie, tout bien pes, avait beaucoup trop dur. Votre frre Rigel s'est vant devant nous d'avoir usurp votre foyer, sans problme aucun puisqu'ils sont tous deux identiques, savez-vous ? Et il vous aurait mis au dfi de l'obliger rintgrer sa vraie maison, tout comme il vous croit incapable de rcuprer votre bien, de l'autre ct de la rive ! En vrit, je l'ai trouv prsomptueux Hurlant de rage devant cette tromperie infme il s'tait bien dout, la dernire fois, durant leur passage, d'une inversion singulire Bellatrix prit la direction de la Porte d'Argent, se faisant fort de rparer cette forfaiture. Et de reprendre immdiatement sa maison, obligeant Rigel retourner au plus vite chez lui. Balbillus commena le jeune homme aprs quelques instants. Comment as-tu su ?

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 Les Maisons sont censes nous aider, mme si c'est de faon dtourne le plus souvent, miaula en guise d'explication Balbillus. Leur attitude tait suspecte. Or, si le Pays des Miroirs rflchit, apparemment, les Portes d'Argent inversent. La conclusion tait simple. Mais nous n'avons pas t inverss, nous ! s'tonna le jeune homme. Nous n'avons pas de jumeau, mon garon, lui rpliqua d'un ton ensommeill le chat couleur cerise. Et pour clore toute discussion, il se pelotonna au creux d'un large fauteuil de velours dans la maison de Rigel en attendant sa venue, beaucoup plus calme et apais, conciliant certainement, en tout cas.

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Chapitre

C'tait un concert ininterrompu de cloches sonnant la vole depuis un bon moment dj. Elles se faisaient entendre au-del des valles et des collines de verdure, des champs herbus dpourvus de barrire et des chemins creux s'insinuant entre des talus parsems de boutons d'or. Le jeune homme en avait entendu les premires notes aprs avoir pris pied sur un sentier, en compagnie du chat carlate la robe coquelicot. Ds lors, le tintamarre des cloches de bronze avait enfl et gagn en intensit, au fur et mesure de leur avance dans ce royaume. Aprs leur rveil au creux d'un fourr, sous le ciel indigo, les deux voyageurs avaient poursuivi leur route sans apercevoir jamais le lieu d'o pouvait bien provenir le singulier vacarme. Enfin il mergea un btiment paraissant tre au coeur de tout cela, et sans prendre la peine de se concerter, les deux voyageurs s'en approchrent pas rguliers, d'une dmarche aise. Lorsque la btisse dans une vaste prairie ombrage d'arbres la ramure large et majestueuse se dressa devant eux, il apparut clairement son caractre singulier et totalement diffrent des autres Maisons visites jusqu' prsent. Des senteurs d'encens s'chappaient par la porte ouverte aux battants de bois noir, et les murs s'ornaient de colonnes d'albtre et d'arcboutants ajours en dentelle d'obsidienne. Les toitures latrales taient en tuiles d'or et il y avait une coupole centrale tout en argent, avec un clocher de briques en porcelaine et un pinacle effil de cristal, sur un petit toit rond et minuscule. C'tait l l'origine du tumulte depuis le dbut de la matine, et qui leur avait permis la localisation prcise de la Maison. Le mendiant s'interrogeait encore sur le mystre de l'endroit lorsque les cloches terminrent leur bruyant carillon. La clameur se tut et la rosace centrale audessus de la porte d'entre cessa de rsonner. Il y eut un bruit de sabots claquants dans la pnombre de la porte d'entre, monumentale et haute, et le vagabond recula de frayeur devant la soudainet de l'apparition surgissant sur le seuil. Un taureau noir aux cornes d'or pur se tenait devant eux, sur le perron de granit gristre. Il dambulait comme le plus banal des taureaux, ces

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btes imposantes vivant dans les terres enchantes et mystrieuses de Camargue, et ne se diffrenciait d'eux qu'en ceci. Il avait un oeil unique au centre exact de son front velu et sombre, et disposait en une espce de compensation d'autres yeux dissmins au petit bonheur la chance sur le reste de son corps. Mentalement, le vagabond se mit machinalement les compter avant de s'arrter sept, la crature inconnue ayant pris entre-temps la parole. Voici un jour bien singulier, beugla le taureau en s'exprimant parfaitement pour un animal de sa condition, car les visiteurs humains se font rares de nos jours dans ces landes du Zodiaque. L'Oeil des Amazones rutile sur votre poitrine, cette protection n'est pas inutile, sachezle. Du contraire les bois entourant l'endroit se seraient referms sur vos traces et jamais plus l'on n'aurait entendu parler de vous. Mme votre souvenir se serait perdu. Schratan, miaula alors le chat-cerise Balbillus en prenant la parole son tour, mes paroles vont tre sans artifices et j'irai droit au but, car notre temps, comme bien tu te l'imagines, nous est compt. Ce jeune homme mes cts a accompli ses mille ans, et court aprs les toiles du Zodiaque pour s'en faire une couronne. Viens son secours en lui accordant ton don, ton coeur est noble, ne te drobe pas. Balbillus, mon ami, lui mugit en retour le taureau Schratan il paraissait le connatre parfaitement rares sont les ntres capables d'accorder leur richesse de faon gratuite, et je ne suis pas de ceux-l, tu le sais. Mais mon dsir en change de son souhait sera peu de choses. Ce mendiant doit deviner combien d'yeux porte mon corps, et je lui ferais don de mon toile, sans regret. Le chat-cerise aux yeux d'or en fusion et le taureau sombre aux cornes dores tournrent leur regard vers le jeune homme, ce dernier se trouvant bien en peine pour accomplir la volont du seigneur de la btisse. Puis il se souvint du dcompte auquel il s'tait livr auparavant, il y a quelques instants peine, lorsqu'il avait dvisag le taureau sur le pas de la porte pour la premire fois. Sept ! lana avec une certaine hsitation l'homme. Non, rpondit le taureau aux yeux multiples en secouant sa tte cornue. Neuf ! hasarda de nouveau le vagabond. Non plus, ajouta encore Schratan. Dix ! lcha dans un souffle le mendiant, se voyant dj refuser l'une de ses dernires toiles en un coup de d.

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 Hum, oui, convint le taureau avec lenteur aprs un moment d'hsitation. Hourra ! se rjouit d'un ton vif le chat-cerise Balbillus, comme s'il attendait cela depuis le dbut de la conversation. Eh l ! gronda le taureau vers l'asanthne. Il a chou deux fois ! Et alors ? interrogea le chat carlate avec un soupon d'insolence. Il a trouv le bon chiffre, tu n'as jamais prcis davantage, et surtout pas une tentative unique. Seul le rsultat compte, il connat la vrit. Tiens ta parole, Schratan. Ce dernier avait secou sa tte bovine en souriant, si jamais toutefois une face de taureau pouvait esquisser un sourire. Tu as toujours l'esprit aussi vif, Balbillus, soupira le taureau aux cornes d'or pur. Voici mon toile, poursuivit-il en agitant de gauche droite ses cornes, de l'une de ses extrmits une tincelle d'or s'en allant voleter vers celles flottant dj au-dessus de la tte du vagabond. Son nom est Algol, elle accompagnera ta course jusqu' son terme et t'apporteras la prosprit, le bonheur et la russite. Le chat-cerise Balbillus et le mendiant se dclarrent rjouis de l'attitude droite et loyale du matre de Maison, et les deux voyageurs poursuivirent leur route dans les landes du Zodiaque. Un moment s'coula durant lequel ils franchirent des bois et des plaines rases sur lesquelles s'tiraient de longs chemins, mais jamais ils n'y distinguaient de prsence humaine, en dehors des matres de Maison rencontrs jusqu' maintenant. Enfin, ils finirent par apercevoir au dtour d'un sentier un imposant blier la toison immacule et vritablement blouissante de blancheur, ce dernier ne daignant pas leur accorder d'attention jusqu'au dernier moment. Il tait mollement tendu au centre d'une plaine humide, nantie d'une herbe la verdeur intense, faisant ressembler de maigres steppes grises le plus verdoyant des pturages de France. Eh bien, Aris, lui dit le chat-cerise, quelle mlancolie t'afflige ? Je t'ai connu plus gai ! Comment peux-tu me poser une telle question, lui rpliqua tristement le blier aux cornes recourbes et aux yeux doux, ne vois-tu pas mon tat ? Il m'afflige et me navre. Et de fait le chat-cerise, l'image du vagabond, cherchait en vain distinguer quelque chose travers le labyrinthe de verdure touffue enserrant la plaine. Il avait jet un regard circulaire avant de revenir vers le blier avachi sur l'herbe. O est ta Maison, Aris ?

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 C'est bien l le problme, mon ami, lui bla le dnomm Aris. Je n'ai plus de Maison, elle s'est vanouie. Que m'importe, dsormais ? Il me reste seulement mon toile Le chat-cerise mit un toussotement gn, car il ne lui avait pas encore fait part du motif de leur visite. C'est ennuyeux au possible, articula son tour le mendiant, car je suis en qute d'toiles afin de me constituer une couronne. Et ta maison, Aris, tait la dernire ! miaula d'une voix teinte l'asanthne aux yeux d'or. De cela je me doute bien, car il en est toujours ainsi, s'affligeait le blier Aris. Les matres des Maisons donnent chacun leur d et se trouvent de cette faon cruellement dmunis, lorsque mon palais merveilleux vient disparatre c'est l le signe indubitable qu'un humain, ayant mille ans, marche son sacre. Alors, notre fin tous, seigneurs des Maisons, est proche. Comment cela ? s'enquit avec une certaine gne le mendiant, ignorant tout de cette vrit. Es-tu donc si ignorant, mon garon ? Le matre de Maison aprs s'tre dparti de son toile est bien proche de sa mort, mes prdcesseurs, chacun leur manire, sont actuellement atteints de langueur. Votre chance vous, les humains, nous ne l'avons pas. Moi aussi j'aurais voulu me constituer ma couronne, mais pourquoi m'couterait-on ? Je suis seulement un animal, et un animal est moins qu'un homme Le vagabond, au coeur serr d'angoisse et de tristesse l'ide du malheur atteignant ses bienfaiteurs, jura ds lors ne plus vouloir continuer une pareille qute. Le chat-cerise Balbillus pour sa part ne dit rien et garda sa gueule close. Le mendiant affirma prfrer mieux se dfaire de tout son bien pniblement amass sur les landes du Zodiaque, et pour mieux prouver sa dtermination il fit don haute voix des toiles devenues siennes. Elles voletaient continuellement au-dessus de sa tte, jusqu' prendre presque timidement la direction du crne cornu du blier. Aussitt ce dernier en sembla transfigur, car le blier Aris dtenait dj sa propre toile et sa couronne tait complte. Un air de majest auguste et serein se lisait sur ses traits, son port de tte tait devenu plus fier et noble. Tout son corps tait empreint de grce et de puissance, et ses yeux taient devenus vivants, transfigurs. Mon garon ta dernire preuve est termine et tu l'as passe bravement, mme si elle tait la plus difficile. Tu as appris la valeur du renoncement, il donne tout ses fidles. Monte sur mon dos, et toi aussi, Balbillus. Ton lve s'est montr digne d'loges.

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Mme si le mendiant tait loin de se considrer comme tel, savoir un lve, il chevaucha le blier Aris et le chat-cerise Balbillus l'imita en sautant sur sa croupe. grands bonds leur monture commena voler dans les cieux et fendre les airs. Tu as pass l'preuve mais sache-le, je ne t'ai pas menti sur un point, les toiles donnes par les Matres doivent leur tre rendues, sinon ils mourront. Mais comment vais-je pouvoir faire lorsque je reparatrai devant les bonnes dames du Royaume d'Eau ? se demanda avec inquitude le vagabond. De cela n'ai aucune inquitude car nous saurons veiller sur toi, le rassura le blier d'un ton de voix apais, et les toiles de sa couronne audessus de sa tte lui constituaient un diadme scintillant. De cette faon ils rejoignirent le taureau Schratan, bien mal en point devant sa demeure, et son toile s'en alla vers lui et lui fit l'effet d'un lixir de vie. Lorsque le trio s'en repartit, le taureau Schratan les suivit au galop. Les jumeaux taient l'un contre l'autre enfin rconcilis dans les prmisses ultimes d'un trpas, leur toile car ils en possdaient une seule pour deux, tel si au fond ils faisaient seulement un leur insufflant son nergie. Cela leur permit de chevaucher le taureau, et de poursuivre ds lors sur leurs traces. La vieille dame attele son crabe tait l'article de la mort, mais son toile put la retenir et lui faire rebrousser le chemin des dfunts. la petite troupe elle affirma aller mieux, et pouvoir ds lors avancer entre les seigneurs des Maisons. Le groupe disparate atteignit le lion Rgulus maintenant dmuni de cette force le rendant si fier, mais son toile le vivifia et enfin ragaillardi il galopa et gronda, rugit au coeur du cortge des matres du Zodiaque. La vierge solitaire au teint de lys arborait la blancheur des roses pures, on aurait cru son sang retir de son visage, et seule son toile d'or parvint faire revenir le vermeil ses joues. Lorsque ce fut fait, elle chevaucha Rgulus en amazone et se joignit eux sans autre explication, comme si une telle chose allait de soi. La dame Spica s'en revint d'un long sommeil ds lors que son tincelle de vie lui fut rendue, prs de la vieille femme au chariot elle trouva sa place et s'assit sans faon. La Mort avait disparue de sa Maison et nul ne put la retrouver en dpit des recherches entames par chaque seigneur. Finalement du cortge d'toiles subsistant encore au-dessus des cornes du blier Aris toujours chevauch par le vagabond, en compagnie de Balbillus, une tincelle s'en alla et tourbillonna vers l'autel, prs duquel apparut bientt une apparition blouissante comme jamais le mendiant

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n'en avait observ. Durant un court instant, on aurait cru distinguer une porte de cristal noir ouverte dans la trame de l'univers, laissant apercevoir un ciel de nuit toile. Puis une femme la beaut irrelle et pare telle une reine tait apparue, pleine de vie et d'nergie la ressemblance d'un nouveau-n. Elle avait des yeux noisette transperant les coeurs et une chevelure au jais tnbreux ramasse en chignon sur la nuque, enserr dans une rsille de perles et d'or. Ses lvres taient des fruits mrs et ses paules, son corps tait celui d'une desse d'albtre. Elle portait de riches atours chamarrs et tincelants, des parures sans prix. Ses chaussons taient orns d'onyx et d'incrustations d'ivoire, ses doigts effils gants d'hermine dcrivant des mouvements gracieux et plein de charme. Ses hanches taient enserres par une ceinture d'argent tress orne de pendeloques. J'tais la Mort, mon toile Agna m'est revenue et me voici rendue la Mort. Elle avait retrouv l'aspect connu par le vagabond prcdemment. Elle s'lana dans les airs en volant, sans pour autant battre des bras, et se joignit l'expdition. Cette dernire parvint l'entre d'une profonde et vaste caverne. Le centaure auparavant si agressif tait prs de dfaillir et fut sauv uniquement par le retour de son tincelle de vie. Celle-ci lui pargna une issue fatale, et il trotta bientt leur suite jusqu' atteindre avec le groupe la demeure suivante. Dans les tnbres de ce monde souterrain, Deneb la crature sombre et caprine la musculature puissante tait devenue l'ombre d'elle-mme, mais son toile le revigora et grandes enjambes, il rejoignit en compagnie des matres de Maisons la surface aprs le fouillis impntrable d'un ddale souterrain. En chemin ils avaient retrouv l'toile d'Altar, rduite aux dimensions d'une luciole, et sitt vivifie par son tincelle de vie propre, elle retrouva sa luminosit tincelante et blouissante. partir de cet instant elle ne les quitta plus, et alla avec eux jusqu' la demeure du lunatique Fomalhaut. Ce dernier tait assis prs de son tang, il somnolait sur la rive, dpourvu d'nergie. Mais son toile lui rendit le got de vivre, et il se joignit la troupe, d'autant qu' prsent les landes du Zodiaque s'taient vanouies et un chemin de gemmes multicolores et chatoyantes perait les cieux jusqu' la nuit cosmique. toute allure, les matres de Maison affirmant au mendiant et son compagnon sa dure de vie limite, tous galoprent, bondirent, coururent ou mme volrent sur la route surnaturelle jusqu' de blancs battants d'ivoire, hauts et infranchissables. Sur les remparts, des cratures

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hideuses et difformes nommes Vahhuias par Balbillus montrrent un facis repoussant. Halte-l ! rugirent-ils l'unisson. L'on ne peut emprunter les Chemins du Ciel ! Ce garon, dclara la Mort d'un ton chantant en dsignant le vagabond du royaume de France, a accompli ses mille ans et retrouv sa couronne. Moi, la Mort, je suis son diamant. Et moi, Fomalhaut, son meraude, prcisa ce dernier aux Vahhuias mfiants et suspicieux, abominables. L'toile d'Altar lui lgue la tourmaline. Mon aura sera sa perle noire, renchrit Dneb. Le centaure Rastaban est l'amthyste. Spica le topaze, affirma pour sa part la dame vnrant la droiture. Moi, la vierge, je serais son rubis. La force du lion est dans le saphir, je le lui donne, gronda fortement celui-ci. Et la suite la vieille dame sur son chariot, les deux jumeaux et le taureau Schratan, le blier enfin rvlrent aux Vahhuias tre successivement le grenat, l'opale et la turquoise, l'aigue-marine de sa couronne. Les Vahhuias hochrent du chef en signe d'accord manifeste aux matres des Maisons du Zodiaque, et en un laps de temps infinitsimal, il sembla au jeune homme sombrer dans un vide infini et tourbillonnant. Pourtant presque aussitt il se retrouva, mergeant au terme d'un long sommeil eut-on dit, au pied d'une montagne de cristal, tincelante et fabuleuse, dj observe en prsence de la Mort elle-mme durant le priple zodiacal. C'tait la Montagne Invisible, recouverte d'une couche bruyante de divinits inconnues et mystrieuses. Ces dernires riaient et l'apostrophaient en le distinguant depuis leurs positions diffrentes sur les flancs de la montagne l'intense luminosit : elle les transperaient en les rendant immatriels. La cohorte des dieux s'tirait depuis la base jusqu'au sommet, dissimul comme la dernire fois par d'pais nuages blanchtres. Mais cette fois-ci le vagabond aux longs cheveux, portant toujours le mme manteau lim et gardant sous son bras sa besace de toile, cette fois-ci le vagabond tait seul et bien seul. Les dieux sur le mont sacr, non loin de la cit o rsidait la Mort, le raillaient en se moquant de lui. Voyez le sot, il croit pouvoir nous surpasser avec sa couronne ! riait un poussah bedonnant vtu de soie moire, et son ventre tressautait au rythme de son rire saccad.

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 L'Oeil des Amazones peut t'ouvrir des portes, mortel, lui assura une autre divinit voisine, habille d'une ample robe de lin lui remontant sur la tte, mais cela ne peut tout te permettre. Seul un tre exceptionnel peut gravir sans risque la Montagne Invisible, ajouta un dieu la barbe en broussaille et aux cheveux fous, encore revtu des attributs du chasseur. Il ne manquait pas de divinits pour partager leur opinion et discuter sans fin, l'cho de ces monologues roulant et enflant le long des parois. Ce sujet de conversation allait d'un dieu l'autre en se dplaant et tournoyant de plus en plus haut, jusqu' atteindre les dieux les plus levs et austres, les plus lointains dans l'avenir. Alors, le vagabond aperut entre les divinits humaines d'autres intervalles rguliers originaires de l'espace, certaines semblables des ombres noires et parlant un langage liquide et glougloutant. Ces divinits extraterrestres n'taient pas les moins effrayantes, et leur opinion parut au mendiant tout aussi ngative. bloui par l'aura de lumire irradiant des trfonds de la Montagne Invisible, le vagabond en vint se demander la conduite adopter, puis un oiseau blanc et frle descendit lentement, en tournoyant, les ailes tendues jusqu' se poser ses cts. Non sans surprise, le mendiant reconnut l'Oiseau de Cristal. Aux dires de la Mort, il nichait au sommet du pic des dieux et lui avait sauv la vie, mme si c'tait d'une manire rpugnante. l'aide de claquements de bec sonores, l'Oiseau de Cristal lui enjoignit de monter sur son dos, et, d'abord craintif en raison de son aspect chtif, le mendiant s'excuta. grands coups d'ailes sa monture sans prter attention au caquetage indign des dieux ce mortel n'est pas assez bien pour nous ! crut-il entendre plus d'une fois vola en cercles concentriques autour des parois, montant chaque fois de plus en plus haut. Et les dieux montraient chaque niveau supplmentaire un aspect plus serein et sraphique, voil de sagesse et de bienveillance. Vers la fin, sous le plafond de nuages, ils avaient tous, hommes et femmes ou bien divinits interstellaires les yeux clos et les traits empreints d'une paix ineffable. Puis ce fut le nant, car l'Oiseau de Cristal franchissait la barrire des nuages. Au terme d'une longue priode au cours de laquelle son passager mortel s'impatienta plus d'une fois, l'oiseau creva la couche brumeuse puis un profond silence advint. Un pic au granit cristallin se dressait l, pointant de manire raide vers le ciel d'bne. En contrebas se tenait un nid de branchage grossier, et sans plus de manires l'Oiseau de Cristal d'une faible hauteur le laissa choir sur l'un des versants, avant de

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s'en aller se poser vers son nid, se dsintressant alors compltement de son passager. Le mendiant hbt d'une si longue monte, et fatigu au surplus, marcha et grimpa jusqu'au sommet dsert, aigu et abrupt l'image d'un roc de cristal blanc. Il naquit alors un craquement sonore au-dessus de lui, dans l'ther froid et vide, et en proie l'angoisse le vagabond leva la tte, les mains devant son visage pour parer d'avance quelque mauvais coup. Mais seul un tourbillon conique se tenait l, brassage furieux d'ondes lumineuses. Le vortex grondant l'engloutit et l'ingra jusque dans les entrailles du mont cristallin, le faisant descendre de plus en plus bas en une spirale vertigineuse. Au terme de cette rotation, le vagabond ncessita de plusieurs minutes pour retrouver ses esprits et pouvoir dtailler les alentours. Il tait dans une plaine froide et blanche, parseme de rocailles scintillantes affleurant ici et l. Il y rgnait un brouillard intense, et le mendiant encore tonn fit quelques pas au hasard jusqu' atteindre une grande colonne de verre bleut, luisant et brillant de mille feux. Une voix se fit entendre claire et distincte dans l'esprit du jeune homme, et ce dernier comprit. Sa longue qute travers les landes du Zodiaque venait de trouver son aboutissement et son terme. Mon enfant tes mille ans se sont couls, te voil un homme fait. J'ai constitu ma couronne, avana malaisment le mendiant, en jetant des regards perdus de gauche et de droite afin d'en distinguer l'origine. Je suis la Montagne Invisible et tu te trouves en mon coeur, lui rvla la voix. Chaque tre Humain au moins une fois dans sa vie, obligatoirement, doit se prsenter moi aprs l'preuve. Mais sur Terre personne ne le sait ! Tout souvenir leur en a t retir au passage de la Frontire, elle spare le Royaume d'Eau des pays humains, dclara la voix. coute et apprends : un jour, moi aussi, j'ai t comme toi. L'oubli obscurcira mes paroles, mais si tu sais en conserver prcieusement le souvenir elles sommeilleront dans ton tre, et peut-tre ressurgiront un jour lorsque tu t'y attendras le moins. Vous avez t humain ? s'tonna avec des yeux effars le vagabond. Mais vous tes une montagne ! La Montagne Invisible dtient sa force de son centre devant lequel tu te dresses, et ce coeur est l'ternit. C'est l le fondement intime et insurpassable de tout tre. Au fond de toi, mme si tu n'en es pas encore conscient, est l'ternit. Ton ternit. Une partie de ton tre est prissable

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et passagre, mais il en est une autre inaltrable comme l'or le plus pur. Cette partie-l est vritablement toi, elle est sans fin ni commencement, car elle a toujours t et sera toujours. Elle est totalement toi, et en mme temps, infiniment plus. C'tait cela le but de l'preuve des bonnes dames, n'est-ce pas ? s'enquit le vagabond. Oui, lui rpondit le centre de la Montagne Invisible. Mais l'examen a t concluant. Tu as bien fait de ne pas couter les dieux, ils sont seulement mes attributs. Car la vritable spiritualit est intrieure, il est menteur et faux celui qui laisse la vue de tous son bien le plus prcieux. Mais ce n'est pas tout, tu dois continuer apprendre encore aprs ces mille ans, car ta vie terrestre n'est pas conclue. Malgr tout, si tu le dsires, elle peut s'achever bientt, car tu t'es attir mon estime. Pourriez-vous tre plus clair ? interrogea avec une certaine crainte le mendiant aux cheveux d'or. Les contingences terrestres et les probabilits sont des Lois inflexibles et elles doivent tre respectes, expliqua le coeur de la Montagne Invisible, si tu prfres achever ta vie millime ds maintenant il va te falloir attendre de retourner au royaume de France pour pouvoir y dcder, ce qui t'arrivera sans tarder, tu peux me croire. Ensuite dbutera pour toi un nouveau cycle de savoir. Non, non, se rcria le mendiant en dcrivant de ses mains des gestes vhments. Je ne veux pas mourir encore ! J'ai trop de choses importantes retrouver sur la Terre ! Je me rjouis de ta dcision, lui affirma la voix profonde et sereine de la Montagne Invisible. coute bien la teneur de tes vies venir. Tu vas continuer grandir et l'Amour rencontrera. Car un homme sans amour est l'ombre d'un homme, et sans la femme l'homme jamais ne peut s'accomplir. Alors le vagabond s'emporta. Les histoires d'amour l'ennuyaient et il prfrait de beaucoup se consacrer aux voyages, sans liens ni attaches. Mais le centre de la Montagne Invisible reprit. L'Amour est la force toute puissante capable de faire se mouvoir et perptuer le monde, elle fait mourir et natre chaque chose, de la plus grande la plus petite, inlassablement et sans fin. Va de l'avant, tu progresseras. Mais apprends couter les autres, et surtout compter avec ton coeur. Le tourbillon, aprs avoir entran le mendiant au centre de la Montagne Invisible l'engloutit de nouveau et fit tournicoter de plus belle le

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vagabond, le dcor irrel prenant un aspect tournoyant. Simultanment s'affaiblissait la voix de celui qui avait t humain. Tu rencontreras bien des merveilles durant ton prochain cycle d'existences, poursuivait-elle, mais tu ne manqueras pas de remarquer des constantes. Tout cependant participera ton instruction, ne rejette jamais rien, car mme le plus amer apportera de la lumire ta flamme ! Le mendiant s'tait rveill dans l'herbe verte d'une plaine ensoleille et fleurie, la lisire d'une fort. Il flottait un globe d'or brlant au midi du ciel mouchet de nuages, et le jeune garon encore songeur sursauta lorsqu'un miaulement aigu le tira hors de ses penses. Mon garon, tout s'est-il bien pass, selon ton bon plaisir ? lui demanda le chat-cerise Balbillus la fourrure coquelicot. Ma foi, oui, en effet, convint le vagabond en tirant ses muscles, mais o pouvons-nous donc tre ? L o tout a commenc pour toi, voyons, ta mmoire flancheraitelle dj malgr ton ge ? Allons ! Avec difficult le mendiant reconnut effectivement les prs de verdure o l'avait dpos l'amazone sur son char cleste, et comme de juste du sol naquit une masse informe, gagnant aussitt en couleur et substance. C'tait la svelte guerrire l'armure d'or et l'allure martiale, tenant d'une main ferme son char de guerre obscur et brillant, attel de magnifiques chevaux aux naseaux frmissants et la robe d'onyx. Sur ses cts tait son glaive et sa lance d'or cisel, travaill magnifiquement. Elle repoussa cette dernire prestement en posant pied terre. Mortel, te voici un homme, lui dit-elle avec un sourire narquois, et son minois tait charmant l'image d'une fe, sa prestance et son allure n'avait pas d'gale dans les royaumes de la Terre. Je suis venu te reprendre l'Oeil des Amazones, puis je m'en vais te ramener chez les Compatissantes et les Aimes du Royaume d'Eau. Eh l, une minute ! miaula alors avec force le chat-cerise Balbillus. Cet humain m'avait promis de me secourir en change de mon aide, et je compte bien lui demander de me rendre la pareille ! Avec une mimique ahurie, et aprs avoir sursaut devant le ton pressant de Balbillus, le vagabond se souvint de leur accord et il hocha de la tte en signe d'assentiment, mme avec retard. Ou bien aurais-tu l'intention de te parjurer ? Certainement pas ! se dfendit avec vhmence le mendiant. Je le ramnerai aux bonnes dames le plus tt possible, lana avec assurance le chat-cerise en direction de l'amazone sculpturale dans son armure d'or guilloch et ouvrag. Soyez sans crainte.

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 Dans ce cas acquiesa lentement cette dernire en marchant vers le jeune homme et lui retirant le collier d'or l'escarboucle rutilante. Ce faisant, elle apposa ses lvres parfumes sur celles du vagabond en un long et dlicat baiser, donnant ce dernier un avant-got du paradis.

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Chapitre

Depuis dj quelques instants le vagabond avanait sur ses gardes, tendu et nerveux, sur un chemin pav ondulant doucement. Il tournait l'extrmit de son champ de vision, et le chat-cerise se tenait auprs de lui en trottinant paisiblement, malgr l'aspect fantastique du dcor. En effet un soleil obscur aux franges violettes trnait dans le ciel entre des nuages noirs, et un semis de sombres toiles peuplait la vote cleste. Pourtant la nuit n'y tait pas totale et le ciel en lui-mme paraissait nacr : simplement le jais de son clat lui venait de l'astre solaire et de sa suite d'toiles, celle-ci colorant de tnbres la coupole arienne au-dessus de la terre. La fort auparavant impntrable et touffue en dehors du mince sillon de terre s'claircit, et les arbres s'espacrent en dvoilant un paysage fantasmagorique de saillies rocheuses mergeant de champs d'herbe, avec des talus d'ajoncs et des ormes songeurs se refltant dans des ruisseaux d'argent, des haies d'pineux, et des demeures lilliputiennes conues pour des gens de petite taille. Certains des arbres la silhouette puissante illuminaient de belle manire leurs environs d'auroles multiples car ils portaient des fruits lumineux et arrondis, le chat-cerise lui apprenant le nom de ces arbres mirifiques. Ils s'appelaient arbres-lumire. Chemin faisant le chat-cerise s'tait entretenu avec le mendiant, et lui avait rvl les tenants et aboutissants de l'affaire les menant jusque dans ce lieu singulier. Balbillus le chat-cerise avait un cousin flin prnomm Alban, possdant au dire du chat carlate un talent indniable pour se fourrer dans des situations inextricables. Il tait prisonnier de sinistres sorcires noires rsidant sur la face cache de la lune, au coeur de leur royaume. Des espions fourrure avaient cru comprendre un sombre dessein : il serait emport bientt vers un monde lointain de la Roue, prs des systmes galactiques du Centre. La solidarit fline n'tait pas un vain mot : le grand empereur des chats, le Chamagnon Tigr, avait ordonn le sauvetage d'Alban et pour cela exig la participation de Balbillus, le chat-cerise, l'expdition.

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Celui-ci par affection pour son cousin avait volontiers accept, condition de pouvoir tre accompagn d'un tre Humain. Car les sorcires noires sont aussi humaines, et un homme, davantage qu'un chat, pourrait facilement dfaire des serrures ou ouvrir des portes closes. Le Chamagnon Tigr avait donn son accord sa suggestion et lui avait intim de dnicher cette perle rare, charge pour lui de l'amener en sa compagnie au pays des chats, dans l'Arkaal, la prochaine ouverture des Portes d'Enchantement. L se tiendrait une runion importante, o il serait dbattu des ultimes dtails avant le dpart. Ainsi de cette faon saugrenue, par raccroc, aprs qu'un miaulement magique eut fait onduler l'air devant eux, une grande porte de cristal noir cisel et travaill de faon ravissante avait merg, ouverte largement, le mendiant aux pieds nus passant par l'entrebillement en compagnie du chat-cerise. Il s'tait retrouv ensuite fouler le sol d'un monde de nuit, aux cieux anthracite rchauffs par un soleil d'onyx. Et maintenant une grande fort s'talait aux quatre points cardinaux, avec quantit d'arbres de diffrentes essences, et certains mais non pas tous portaient des baies luminescentes et rondes, colores de blancheur. Elles rpandaient par endroits de vives lumires, et permettaient au mendiant d'y voir clairement et de ne pas trbucher sans cesse tel un aveugle. Au terme d'une marche brve dans la fort noire et claire tout la fois, un grand palais finit par apparatre au loin, des chats de plus en plus nombreux, de toutes races et couleurs, commenant se laisser distinguer en provenance des endroits les plus secrets. Chacun d'eux se htait en allant vers le palais merveilleux, la queue bien droite, en direction du grand conseil extraordinaire des chats, selon les dires du chat-cerise Balbillus lui-mme. C'tait un somptueux btiment aux lignes effiles et irrelles, en marbre rose et blanc avec des tours spirales de cristal scintillant et des toitures en pente douce o des milliers de chats dormaient les uns prs des autres, des coupoles ruisselantes de nacre surmontes de flches d'or. Des fentres en dentelles de pierre trouaient les murs d'ivoire et de porcelaine, et donnaient sur des jardins la moelleuse pelouse et aux bancs de bois confortables, avec des bassins cristallins o se mouvaient des poissons mystrieux, et dlicieux sans doute pour le chat le plus dlicat. Un kiosque de pierre se tenait l'cart du parc, dot de buissons parfums et d'alles en labyrinthe, dtailla en un ultime coup d'oeil le jeune homme, avant de gravir la suite du chat carlate les marches menant au coeur du palais.

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Des chats siamois au regard impntrable et vigilant les accompagnrent jusque dans la salle principale parseme de colonnes torsades aux vives couleurs, o se trouvaient dj des milliers de chats, rpartis en dsordre sur des coussins et des bancs de bois, parfois simplement mme le sol. Sur un trne de marbre blanc garni de coussins de soie rouge brochs d'or tait le Chamagnon Tigr, avec un air altier et assurment royal. Il les aperut ds l'instant o le chat carlate et son compagnon humain mirent le pied dans la salle principale, et leur fit d'un signe de tte un geste d'invite. Bienvenue, Balbillus, lui miaula-t-il en un feulement bas. Mes respects, sire, lui rpondit le chat-cerise aux yeux d'or. Ce faisant il avait ploy une patte devant le monarque imprial selon l'usage en vigueur, mais sans faire preuve d'une servilit exagre. En effet il semblait y avoir entre le Chamagnon Tigr et l'asanthne Balbillus une vritable et authentique estime, et partir de l ils s'exprimrent chacun librement, d'gal gal. Aucun flin de la cour ne parut trouver cela outrageant ou mme inconvenant. Balbillus, ton cousin Alban serait sur le dpart, dclara sombrement le monarque. Il va falloir, si l'on veut lui pargner tout malheur, aller le secourir ds maintenant. Est-ce lui l'humain dont tu nous as parl ? Oui, affirma Balbillus travers le brouhaha produit par le reste des chats en s'informant les uns des autres des dernires nouvelles. Il sera parfait pour effectuer toutes ces tches insurmontables aux flins, mais si aises pour un humain. Il ne me parat pas bien redoutable, miaula le Chamagnon Tigr en le fixant attentivement. Dtrompez-vous, lui assura le chat-cerise en regardant son tour le vagabond aux cheveux d'or et au visage juvnile, celui-ci tranchant assurment au milieu de cette cour de chats. Les seigneurs des Maisons du Zodiaque lui ont fourni sa couronne et vous avez devant vous un homme total, en dpit des apparences. Sa valeur est irrprochable. Nous ne pouvions rver mieux, approuva un chat g en se prsentant au vagabond comme chastrologue royal. Mais trve de bavardages. Il faut agir sans tarder, convint le Chamagnon Tigr. Voici la dcision du conseil des Matous, nona-t-il la cantonade afin de pouvoir tre entendu de chacun. Trois chats vont accompagner notre ami Balbillus au secours de son cousin Alban, prisonnier des sorcires noires de la lune sombre, dans l'univers du soleil d'or. Un homme ami des chats les accompagnera dans leur aventure, afin de les secourir avec cette astuce des humains si lgendaire chez nous.

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 Connait-on l'identit de ces trois chats hroques ? s'enquit une voix fline de derrire une colonne d'albtre, et bientt une autre voix lui fit cho, puis une troisime encore. J'allais y venir, mes sujets, les rassura le monarque du pays des chats. Les augures en ont dcid ainsi. Prosper, notre chastrologue royal sera du voyage, avec Chocolat bien connu de vous tous pour sa hardiesse, et Nudd galement. Nudd ? lcha avec tonnement un chat, semblant se rveiller brusquement. Nudd ? reprit l'assemble de la gent fline, et chaque participant fixait avec surprise son voisin afin de lui demander confirmation des paroles du Chamagnon Tigr. Apparemment la rputation de ce dernier tait conteste, et le monarque dut justifier son choix. Nudd est assez couard et sensible, il est vrai, mais reconnaissez-le, il ne manque ni de gentillesse ni de bonne volont. Il peut nous tre utile. La Purissime, loue soit-elle, aime les faibles et les petits son image, sa prsence dans l'quipe pourrait nous attirer sa bont et mansutude. Bien jou ! acquiesa un matou en approuvant du menton, tout en fixant son voisin. Bravo pour la finesse de son jugement ! Flicitation pour son sens de la mesure ! renchrit un autre, un imposant abyssin aux oreilles pointues. Miaou pour son talent de l'intrigue ! Miaou pour l'amour qu'il voue tous les chats ! lana son tour un chartreux gris-bleu et dodu. Miaou ! Miaou ! clama l'assemble des chats en choeur. Merci, fidles sujets. Mais le temps est venu d'agir. Faites venir Chocolat et Nudd, l'aventure doit commencer. En peu de temps la salle de colonnes jaspes et iridescentes, torsades, se vida de la totalit de ses chats, et promptement un dtachement de siamois amena eux Chocolat et Nudd, bahis vrai dire d'avoir t choisis pour une telle affaire. Mais le plus abasourdi des deux tait bien Nudd le chat, roulant des yeux effars lorsque Prosper, le chastrologue royal, eut expliqu aux deux flins leur avenir immdiat. Je ne pourrai jamais ! se lamenta Nudd devant le regard amus de Balbillus. Allons, Nudd, le pressa le monarque trs flin, je suis persuad pour ma part du contraire. De plus Chocolat t'accompagnera, et Prosper notre trs savant chastrologue, avec l'humain prsent ici. Vous allez vous

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couvrir de gloire ! miaula d'une voix la plus forte possible le Chamagnon Tigr. Et mon rgne en a bien besoin, termina l'empereur moustaches pour lui-mme. La diffrence tait grande entre les chats dsigns pour le sauvetage d'Alban, observa part lui le vagabond. Car le chat-cerise arborait un carlate soutenu, et le vnrable Prosper, chastrologue attitr du monarque des chats avait des yeux d'ambre pur et une robe de nuit raye d'or. Chocolat possdait une fourrure courte d'identique couleur, une robe marron obscur avec le bout des pattes immacules, comme des chaussons blancs. Et Nudd dont la valeur avait t mise en doute par le conseil des chats tait le plus menu et mince de tous, avec une fourrure caf au lait tirant sur le roux, tachete de crme, et une queue toute blanche, agite de gauche droite en signe de nervosit vidente. Mais son sort, apparemment, tait scell. l'unisson le chat-cerise Balbillus et le chastrologue Prosper avaient mis en oeuvre la trs puissante et secrte magie des chats, dj l'air ondoyait en s'agitant, et les ombres des chats morts et trs anciens leur venant en aide par-del les ons se profilaient derrire les Trames. Lorsque le mouvement de l'air se fut ralenti graduellement jusqu' stopper sa course, le paysage les entourant avait grandement chang en conservant cependant des points communs avec son prdcesseur. Car ils taient sur une plaine obscure et dsertique, avec des roches faisant saillies intervalles rguliers, et une multitude d'arbres ples se trouvaient rpartis par bosquets en divers endroits du noir pays. Il y rgnait une noirceur intense, mme si l'horizon tait clair sur ses limites d'une lumire blanche et crue, et l'on aurait cherch bien en vain de ces arbres--lumire si typiques du pays des chats. Oooh ! firent l'unisson Chocolat et Nudd la vue de ce lointain immacul. Silence ! leur intima d'un miaulement sec le chat-cerise Balbillus, en jetant un regard mfiant aux alentours. Ne l'oubliez pas, la Terre se situant de l'autre ct n'est pas la ntre. Celle-ci est inverse et entretient peu de points communs avec l'Arkaal de notre naissance. Son soleil, par exemple, n'est pas noir, mais brillant et semblable de l'or. Oooh ! firent encore malgr eux les deux novices, au grand nervement du chat-cerise. Chut ! ajouta son tour le chastrologue royal. Et sur la face cache de cette lune o nous sommes par la volont de nos trs saints aeux, lous soient-ils, sont les Amazoons.

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 Ce sont de noires et tnbreuses sorcires aux cheveux bleus, rvla sur le ton de la conspiration Balbillus, et dans leur cit ignore des hommes de la Terre est fait prisonnier Alban, mon imbcile de cousin. Il nous va falloir le rejoindre et le dlivrer. Comment diable depuis l'empire des chats ton cousin Alban a-t-il pu se retrouver ici ? demanda alors voix basse le mendiant de la Terre, tout moustill cependant d'tre si prs de sa plante d'origine. Les chats ont toujours t tenus pour de grands aventuriers, avana en guise d'explication le chastrologue, lissant ses moustaches machinalement. Alban est trs spcial, murmura le chat-cerise Balbillus en hasardant une tte discrte au-del d'une crte rocheuse. Le reste des chats approuva silencieusement, et Balbillus revint vers le reste de la troupe avec une excitation mesure. La magie des chats est vraiment efficiente car Nra la ville des Amazoons est non loin d'ici, dclara-t-il calmement. Marchons avec confiance, nous dcouvrirons bien une fois l-bas le moyen de parvenir jusqu' mon cousin. Le vagabond, Chocolat et Nudd, suivi de Prosper le chastrologue et de Balbillus le chat-cerise allrent de l'avant sur la plaine montueuse. Effectivement, une cit de tours noires et de btiments imposants dgageant des clats froids se dressait dans le lointain, prs d'une fort d'arbres anthracite formant un vritable manteau sur l'est. Le reste de la plaine paraissait en comparaison bien plus vide et dsert, avec ses myriades de bosquets obscurs et son sol craquel, revtu d'herbes sches et de ples fleurs lunaires. Chemin faisant les quatre chats et leur aide aux pieds nus dcouvrirent un un les mystres cachs de cette lune, et l'eau froide et glace d'une rivire cumante, se faufilant entre des pans abrupts, ne fut pas le moindre d'entre eux. Les chats ayant grand-soif, Nudd et Chocolat en particulier, ils s'abreuvrent la surface agite de la rivire, et celle-ci affirmrent-ils tait bonne boire et dsaltrante. Mais une rumeur leur vint aux oreilles, et ils eurent juste le temps de se faufiler entre les rocs, le dernier y parvenir tant le vagabond aux cheveux d'or, cela bien videmment cause de sa plus grande taille. peine tait-il parvenu dnicher une cache suffisante dj de grandes ombres se penchaient leur tour au-dessus de la berge pour boire goulment. Et le mendiant du royaume de France aperut avec crainte le crne cailleux et anguleux d'effroyables cratures aux yeux d'argent, avec de longs cous serpentins reliant leur tte morose leur masse norme, la

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plus imposante jamais distingue par le jeune homme. Elles avaient des pattes lourdes et rondes l'image de troncs de chnes, et une queue massive reposait dans la poussire lunaire. Longuement ces monstres au nombre de trois s'abreuvrent longs traits dans leur point d'eau habituel, et alors, mais alors seulement, le vagabond vit leurs cavalires, car c'taient des femmes. Le mendiant frissonna en se souvenant des paroles de Balbillus peu de temps auparavant. Elles taient habilles de longues robes noires ornes de filigranes argents et de sandales en herbes tresses, des rsilles de pierres prcieuses enserrant leurs chevelures en chignon. Elles avaient la peau noire bne avec des traits dlicats et des cheveux bleu azur. L'vidence s'imposa son esprit avec la force d'une gifle. C'taient les terribles sorcires noires, les Amazoons. Elles parlaient entre elles, et plaisantaient. Les alalhs sont nerveux, mes soeurs, disait l'une. Ce n'est rien, une bte sauvage hantera l'endroit, mais leur masse nous met l'abri, affirma une autre calmement. Il ne s'agit pas de cela, j'en suis certaine, lcha une troisime aprs un court instant. Aucune bte ne peut inquiter un alalh sauf un Evzoon. Un bruyant clat de rire vint aux oreilles du mendiant par-dessus son abri de roches, et il se demanda part lui la nature exacte de cet animal curieux, un Evzoon, pour inquiter de si puissantes sorcires, jusqu' ce que l'oeil d'argent d'une de ces btes normes vienne le dtailler dans sa cache, de bruyants souffles d'air s'chappant de ses naseaux dilats par la fureur. Et le cri des sorcires en le dcouvrant fut unanime. Un Evzoon ! Un filet s'abattit sur lui et avant de pouvoir ouvrir la bouche un violent coup de gourdin lui tait assen sur le crne. Dans un puits noir chuta le vagabond aux blonds cheveux, instantanment. Lorsqu'il revint lui, le martlement rgulier d'un tambour battait ses tempes. Il tait prisonnier d'une sombre cellule, et seul l'clat d'une torche rsineuse, derrire la grille de sa porte, lui apportait un peu de lumire. Une rumeur confuse de pitinements survint et sans tarder le pne rouill de sa prison tourna en grinant. Les sorcires firent leur apparition, au nombre de quatre. Mais le mendiant fut bien incapable de savoir s'il s'agissait de celles ayant men leurs impressionnantes montures au point d'eau, car leur contact avait t par trop bref et heurt. En silence, les Amazoons au teint de jais et aux cheveux de ciel le firent se relever et le menrent en l'escortant par de sombres couloirs en ogives, jusqu' une grande salle tapisse de tentures noires et meuble

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chichement, mais avec raffinement. Les rares objets taient d'or ou d'argent, d'onyx fin : les baies vitres taient arrondies et de cristal sanguin, parfois d'un meraude tincelant. Certaines taient ouvertes afin de faire circuler l'air frais et pur de l'atmosphre lunaire, et l'on observait en arrire-plan des jardins l'herbe livide et des massifs de fleurs aux formes surprenantes, d'une allure jamais vue par le vagabond nulle part. Sans interrompre leur marche, les Amazoons continurent le pousser en avant et finirent par le mener devant la porte noire et large du lieu de travail d'une sorcire de haut rang, car un tapis prcieux tait dispos devant l'entre, et la torche brlant prs de l n'tait pas malodorante, mais au contraire scintillante et parfume. L'une des sorcires frappa la porte, et sa voix porta claire et assure d'un bout du couloir l'autre. Andromde ! Un moment de silence survint avant qu'une voix fminine ne rponde, interrompue eut-on dit au milieu d'un travail important. Nous apportons l'Evzoon captur prs de l'Ambreuse, reprit une autre sorcire en fixant le mendiant, peu rassur en ces circonstances. Entrez, mes soeurs, rpondit leur interlocuteur de l'autre ct de la porte. Les sorcires, sans lcher le mendiant du regard firent ainsi et le petit groupe accda en un bureau vaste et confortable, aux dimensions spacieuses. Deux fentres ovales teintes de vert amande trouaient les murs garnis de bibliothques surcharges de livres et de grimoires, de manuscrits et mme de rouleaux de parchemin. Des meubles en bois clair taient poss divers endroits, et des trophes d'tranges cratures garnissaient les vides. Il y avait aussi un bureau de forme rectangulaire avec quelques ouvrages, dont un entrouvert prs d'une lampe huile cristalline. Une autre luisait doucement sur un mur, en applique. La sorcire Amazoon derrire le bureau tait d'un ge approximativement similaire celui du vagabond, toujours encombr de sa besace et de son pardessus noir lim. Leur taille tait quasiment identique galement. Mais la peau de la sorcire appele Andromde par ses compagnes tait d'un noir sans faille, et ses longs cheveux fins cascadant gracieusement sur ses paules dtenaient l'clat de l'indigo. Ses yeux taient bleus galement, mais plus clairs, presque dlavs, ses traits charmants dgageaient une grce incontestable. Elle tait revtue d'une robe d'toffe crme s'enroulant autour de son corps en plis innombrables, un chle lger et prcieux, diaphane, pos sur ses paules. Ses mains brillaient de gemmes diverses, toutes de grand prix.

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Le silence s'ternisant, l'une des sorcires reprit la parole en le dsignant du doigt. Allons-nous devoir le rendre au monarque de la Lune Blanche, de l'Imprium ? demanda-t-elle. Ce serait ennuyeux, car il me parat en bonne sant et pourrait excuter pour nous des tches pnibles. Nos soeurs en seraient soulages d'autant. C'est possible, lcha celle du nom d'Andromde, car ce n'est pas un lunaire. Cet Evzoon est un terrestre. Un terrestre ! Indubitablement, mes soeurs. cet instant prcis un chat noir et blanc de bonne taille grimpa sur le bureau et la sorcire se mit le caresser songeusement, le vagabond cachant de son mieux sa surprise. Il devait s'agir l d'Alban, le cousin intrpide et maladroit du chat-cerise Balbillus. Une rencontre vritablement inattendue. Laissez-nous seuls, mes soeurs, dit alors d'une voix de cristal Andromde. Je vais l'interroger personnellement. Les sorcires Amazoons rpondirent d'un hochement de tte en quittant la pice, mais plus d'une jeta un regard tonn sur Andromde et le jeune homme, ce dernier ne sachant trop quelle conduite adopter. N'hsite pas nous appeler si cet Evzoon se montrait dangereux, soeur, lui dclara la dernire du groupe. Nous sommes prs de l en attente si besoin est. La jeune sorcire au regard cleste sourit en mettant gracieusement une main sur sa poitrine, mais elle ne dit rien. Elle revint des yeux sur le mendiant et le fixa avec le plus grand srieux. Qui es-tu, Evzoon ? l'interrogea-t-elle doucement. Et elle haussa les sourcils en guettant sa rponse, ses yeux brillants d'un clat particulier. Mais les paroles attendues ne vinrent pas, et elle en afficha une mine dpite. Allons, parle, le relana-t-elle. Sois sans crainte, aucun mal ne te sera fait. Ne m'oblige pas user de sortilges, contre ta volont je pourrais facilement dlier ta langue. Je suis de la Terre, commena d'une voix malaise le vagabond, encore troubl par le charme mystrieux de la belle inconnue et sa manire de s'exprimer distinctement, d'agiter ses mains tout en caressant ce fichu Alban, cause de ses malheurs. L'Amazoon Andromde approuva de la tte avec satisfaction l'coute de ses paroles. Elle pointa vers lui un index orn de bagues

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rutilantes, et sa bouche rose se plissa en une moue que le jeune homme aux longs cheveux d'or fut forc de reconnatre ravissante. Pourquoi tais-tu prs de l'Ambreuse, sur la face cache de la lune ? Tu te trouves sur le territoire des Amazoons, et seules les Amazoons ont le droit d'y voluer ! Comment es-tu venu jusqu'ici ? Dsireux de ne pas dvoiler l'existence de Prosper le chastrologue et du chat-cerise, de Chocolat et de Nudd, le mendiant prfra garder le silence. Et habilement il dtourna la conversation sur un autre terrain. Je viens du royaume de France, ajouta-t-il en essayant de donner sa voix un ton plus ferme et assur. Tiens donc, lcha son tour Andromde l'Amazoon, certaines de nos soeurs sont l-bas, actuellement. Elles recherchent quelqu'un, termina-t-elle abruptement, craignant d'en avoir dj trop dit. Mais tu n'as pas rpondu ma question : comment es-tu arriv jusqu' nous ? Le vagabond resta coi et ne sut que rpondre. Alors la sorcire lcha un soupir rsign, et d'un seul geste fit natre et tournoyer dans la pice un nuage color, de milliers d'tincelles compos, chatoyantes et chamarres. Seule la voix de la sorcire rsonna d'abord, en des paroles graves et sacres appelant des sorts trs anciens. Puis il se fit entendre un toussotement discret, et le jeune homme, s'attendant au pire, vit avec soulagement apparatre devant le bureau o se tenait Andromde le chastrologue Prosper et Nudd, suivi de Chocolat et du chat-cerise Balbillus. Celui-ci se dirigea posment vers le chat noir et blanc et agita ngativement sa tte, faisant frtiller ses moustaches. Cousin, quel idiot tu fais ! Pourquoi n'as-tu plus donn signe de vie personne ? Nous tions tous trs inquiets pour toi, et le Chamagnon Tigr lui-mme nous a demand de te dlivrer ! Car nous te pensions prisonnier ! En v voil une ide ! bgaya en retour Alban le chat, tout en s'extrayant des mains de sa matresse, puis en allant vers ses amis flins. S S Seul mon bonheur m m m'a fait oublier mes devoirs. Le mendiant fut grandement tonn de dcouvrir cela. Le chat Alban, en plus d'tre cervel, tait bgue. Puis il s'ensuivit une conversation heurte entre chats totalement incomprhensible pour toute personne non-fline, faisant aussitt se dtourner l'attention de la sorcire noire et du vagabond. Mais comment a-t-il pu savoir si vite o se trouvait son cousin ? s'tonna candidement le jeune homme en remettant sur son paule la sangle de sa besace.

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 Il l'a vu par tes yeux, Evzoon, lui rpondit avec un sourire amus la sorcire aux cheveux bleus, aprs avoir ouvert la porte ses soeurs, attires par l'clat de leur conversation. Des problmes ? rugit l'une d'elles, la premire, en observant tous ces chats. D'o viennent-ils ? demanda une autre. Ce sont des amis d'Alban, mon chat familier, articula posment Andromde. Ils le pensaient en mauvaise posture. Fichu bgayeur ! cracha la premire vers Alban. Tss-Tss, la gourmanda Andromde d'un index taquin. Bien, c'est au moins clair et net, lana en direction des sorcires et du vagabond le chat-cerise Balbillus. Nous allons donc pouvoir nous en repartir l'me sereine vers le palais du Chamagnon Tigr, dans l'Arkaal. Es-tu bien certain de ne pas vouloir repartir avec nous ? Oui, reprirent en choeur le chastrologue Prosper et Nudd, Chocolat, ne dsires-tu pas revenir au palais des chats ? N N N Non, pas pour le moment. Mon bonheur est t t trop grand. Mais soyez r r rem m mercis. Et donnez le bonjour au Chamagnon Tigr, notre m m monarque f f flin. Les quatre chats en compagnie du vagabond s'apprtrent faire demi-tour lorsque les Amazoons s'interposrent en les voyant se diriger vers la porte. Un instant, les arrta schement Andromde, nous vous laissons partir d'ici car nous n'avons rien contre le peuple des chats, mais il est hors de question de laisser partir cet Evzoon. Oui, nos soeurs terrestres sont rduites en esclavage par des Evzoons de son sang, et nous lui ferons subir le mme sort, responsable du malheur de nos soeurs Amazoons sur la Terre, renchrit une autre. Nous avons besoin de sa force, et il nous servira. Le chat-cerise Balbillus paraissait dtenir un certain ascendant moral sur le reste de la troupe fline, et il mit un miaulement afflig, agitant ngativement sa tte triangulaire aux yeux d'or. Cela me semble impossible dans l'actuel tat des choses, assura-t-il. Il sera bien trait, n'ayez crainte, lui affirma le plus srieusement du monde Andromde en regardant de nouveau le mendiant. J'y veillerai. Il ne s'agit pas de cela en l'occurrence, mesdames, miaula le chat-cerise. Mais cet Evzoon, comme vous l'appelez, se trouve sous la protection des bonnes dames et ces dernires l'attendent impatiemment au Royaume d'Eau. Voyez-vous, il est pass par certaines preuves et il lui faut les oublier pour pouvoir continuer progresser.

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 Les Compatissantes et les Aimes, les Princesses, ne nous font pas peur ! grina une sorcire aux vtements d'argent et de nuit, au fichu de soie sombre. Lilith est avec nous, et les Ensanglantes et les Dames Sombres, mme les Veuves Noires ! Cet Evzoon restera Nra ! Mes soeurs, il faut nous apaiser, temporisa alors Andromde en arborant une expression soucieuse. Car les bonnes dames sont des lues quand nous sommes seulement humaines, l'quilibre entre les Honnies et les bonnes dames doit tre prserv. L'Obscurit ne doit pas ptir de notre inconsquence. Voil de sages paroles, Andromde, convint le chat-cerise en clignant ses yeux d'or, puis les tournant vers l'embrasure d'une fentre ouverte dans le bureau prsent bien encombr. Une vive lumire semblable une toile filante venait de dchirer les cieux entnbrs du ct occulte de la lune, aux abords de la ville sombre de Nra, et progressait vers la demeure o se tenaient les sorcires Amazoons. Les Compatissantes du Royaume d'Eau, dj, s'en viennent le chercher, ce me semble, conclut le chat-cerise paisiblement.

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Chapitre

Te voici revenu aux portes du Royaume d'Eau, lui assura la Compatissante aux voiles de tulle et au visage enchanteur aprs l'avoir men jusque-l. Ton apprentissage est conclu et tu l'as men heureusement jusqu' son terme. Dsormais un autre dbute, et tu vas devoir retourner dans le monde des hommes d'o tu proviens. Le vagabond au manteau sali par la route et les chemins de traverse acquiesa aux paroles de la bonne dame en silence, avec une expression mi-figue mi-raisin. Il resserra sa besace de toile contre lui, ses pieds nus foulant le sol mousseux de l'endroit. Il pressentait la venue de quelque vnement important, et vaguement craignait qu'il ne fut porteur pour lui d'inconvnients divers. Le cours invers du Rhne aux vertes eaux s'coulait paisiblement et les racines noires et humides, terreuses, des arbres et des arbustes se dressant de l'autre ct de la barrire liquide taient sombres et inquitantes, avec une particulire tranget. L'herbe tait souple et humide de rose sur la berge ponctue de rocs et de graviers, et une faune mle une flore toute terrestre et naturelle peuplait l'endroit. Des massifs de fleurs sauvages au coeur d'or gayaient les lieux de manire pisodique, une lugubre tanire dessinant son ouverture dans des fentes de rochers, prs d'un bosquet. Des nues omniprsentes voilaient le ciel, et mme si aucun soleil n'y profilait sa silhouette derrire leur matire vaporeuse, une douce chaleur descendait du znith dans les vallons et les flancs des montagnes, les sentiers escarps et la grande plaine s'tirant le long de l'avers du fleuve. Aziella ! Aziella ! hla vivement la Compatissante au teint de lait et aux lvres cerise, aux dlicates mains d'ivoire et de porcelaine. Une effrayante sorcire d'un ge avanc sortit de la tanire en clopinant, mettant devant ses yeux ses mains tordues par les annes en guise de visire. Hol ! Bonne dame ! lui dit la personne dote d'une peau d'un noir de jais avec des cheveux bleu filasse et pars, mls de cheveux blancs :

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cela ne laissait pas de former une coloration tout le moins curieuse. Viendriez-vous pour l'usage de la Source d'Oubli ? Tout fait, ma mie, lui rpondit la Compatissante avec un doux sourire son gard, bientt la Tarasque s'en viendra le chercher et il lui faudra retourner dans la demeure des hommes. Cela ne saurait gure tarder, la Tarasque s'approche et ma volont, elle vient se plier. l'coute de leurs paroles au sujet de cette fameuse Source d'Oubli, le mendiant du royaume de France comprit la triste vrit. Tout souvenir de son aventure au Royaume d'Eau allait lui tre retir, et il tressaillit douloureusement en mesurant l'tendue de sa perte. Puis lui vint l'image de la sorcire noire Andromde, entrevue sur la face cache de la lune, et cette ventualit lui parut inacceptable. En mme temps, la masse monstrueuse de la Tarasque soufflait bruyamment la surface du Rhne en ondulant vers eux, avec son sombre corps cailleux aux reflets bleuts, ses nageoires griffues et sa queue de poisson. Le vagabond se tourna vivement en direction de la bonne dame, cette dernire le fixant avec amour. Elle parut deviner l'angoisse du jeune homme, et ce dernier s'apprtant parler se ravisa au dernier moment, tant sa souffrance tait grande. Elle ne parvenait pas passer par sa bouche, lui semblait-il. La bonne dame eut un fin et charmant rire de gorge, rsonnant tel un tintinnabulant concert de clochettes. Elle avait pos sa main droite orne de gemmes sur sa gorge, en un geste naturel empreint de grce. Dans le bouquet de voiles ondulant autour d'elle et de sa longue robe de satin lumineux, elle tait une desse de beaut tire du sein des dieux. Vagabond, cesse de t'effrayer, car ton oubli s'illuminera sous peu. Quant au traitement inflig par la vieille Aziella, gardienne de la Source d'Oubli, il est habituel tous les hommes ayant travers sans faillir les terres du Zodiaque. Aucun humain ne doit se souvenir des secrets du Royaume d'Eau. Sois donc rassur, je m'en vais. La Tarasque te mnera vers les terres de ton enfance. L-bas ton destin interrompu reprendra son cours, et le temps pass au Royaume d'Eau te semblera n'avoir jamais exist. Sur ces paroles apaisantes, la bonne dame dans un froufrou imperceptible s'leva jusqu'aux nues et se perdit en direction du palais ferique des Compatissantes et des Aimes, des Princesses, le vagabond dcontenanc restant regarder le crne hideux et grotesque de la Tarasque, aux yeux saillants et globuleux, trs carts l'un de l'autre. En ahanant, la sorcire noire vnrable avait dgag une pierre prs de sa caverne

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ombreuse. D'abord imperceptiblement, ensuite en un flot rgulier, une onde pure s'tait mise ruisseler et couler en direction du Rhne. Allons, bois donc la Source d'Oubli, mon garon, le pria la vieille sorcire Amazoon. Et fais-le par trois fois, sans tarder. Sinon, les poissons du fleuve risquent d'tre frapps d'amnsie de manire inconvenante. Sans tarder davantage, car le mendiant du royaume de France en tait bien conscient, dans le cas contraire la Tarasque lui rserverait un mauvais parti, le jeune homme aux longs cheveux d'or s'accroupit. Posant ses deux mains plat sur le sol herbeux, il but mme la source d'eau frache s'panchant des entrailles de la terre. La premire gorge lui procura un effet curieux, un vent puissant tourbillonnant dans son esprit en emportant ses souvenirs. Du moins, les plus rcents, ceux ayant trait son entre immdiate dans le Royaume d'Eau des Compatissantes et des Aimes, des Princesses aux riches atours. Bois encore, mon garon, lui rpta avec une patience raille la sorcire noire. Tu dois oublier certaines choses. Que veux-tu, Tarasque ? lana-t-elle avec une ombre d'agacement vers le dragon du Rhne, celuici de manire pataude se dandinant vers l'Amazoon. Vous m'aviez promis de m'instruire sur la magie ancienne, sorcire d'oubli, vous en souvient-il ? se plaignit la Tarasque. Je vous ai rendu de menus services Allons, mon garon, il te faut boire encore par deux fois ! le sermonna l'Amazoon Aziella, tout en rflchissant intensment au reproche fait par la Tarasque. Sans prendre la peine de ragir le vagabond s'tait de nouveau dsaltr la source enchante, et l'image des Maisons du Zodiaque, de Balbillus le chat-cerise, s'loigna de son esprit pour se perdre dans des tnbres opaques. Voyons murmura la sorcire en caressant pensivement son menton rid. Le sortilge pour voler l'image d'un oiseau ? Je le connais dj, sorcire, et j'ai souffert du vertige la dernire fois. Un charme te rendant imposant et majestueux, aussi fringant qu'un prince ? lui proposa la sorcire en observant du coin de l'oeil l'air de plus en plus hbt du vagabond, au fur et mesure de l'envahissement de sa mmoire par un nant diffus. J'ai t dot de tout cela profusion, c'est vident ! rtorqua la Tarasque vivement. Je connais un sortilge permettant de se dplacer travers le ciel, reprit la sorcire en ordonnant d'un geste imprieux au mendiant de

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terminer sa tche, et de runir les tres chris par l'Amour mais dsunis par le sort. Le mendiant inclina la tte et pour la dernire fois but longues gorges, sa tte lui donnant l'impression de tourner follement. Il lui devint mme malais de se souvenir de son propre aspect, et de son identit. C'est dj mieux, approuvait la Tarasque, tout son affaire, en se dandinant d'impatience auprs de l'Amazoon. Alors, coute, poursuivit la vieille en observant le vagabond essuyer son menton emperl de gouttes luisantes. Il faut dire en esprit ou mme de vive voix : " Un, plus deux, plus trois, jamais plus de moi ne t'loignera ! Trois, plus deux, plus un, nos coeurs spars retournent l'unit ! " J'entends bien, j'entends bien ! se rjouissait le mastodonte sombre et puant en se trmoussant, sa masse imposante sautillant sur place. Sa nageoire caudale balayait l'endroit et ses cailles noires scintillaient d'un clat iris non loin de la surface du Rhne, de telle manire que l'attention de la sorcire en fut attire. Elle ne vit pas le mendiant, bien malgr lui, toussoter discrtement et recracher sa dernire gorge, sous peine de s'touffer irrmdiablement. La Tarasque s'tait ensuite approche du vagabond. Celui-ci avait la tte pleine d'un vide rugissant et rcent, puisqu'il s'tendait uniquement sur les souvenirs dbutant au Royaume d'Eau, et paraissait empreint d'un grand malaise. N'tait-ce pas imprudent de dvoiler un tel secret devant lui, sorcire ? s'enquit la Tarasque. Les lus ne nous le pardonneraient pas La vieille Amazoon s'tait approche du mendiant et l'avait fix dans les yeux, d'abord rapidement puis avec soupon, car l'pisode durant lequel le jeune homme avait failli s'touffer lui tait inconnu. Non, dclara-t-elle lentement. La Source d'Oubli a fait son effet, il ne se souviendra bientt plus de nous. Sache-le encore elle semblait malgr tout plus circonspecte cette magie est humaine, et seul un magicien peut en user, car l'aide d'un asanthne est ncessaire. Mais c'est un sortilge efficace, tu pourras le monnayer un bon prix. Je te remercie, sorcire, rugit la Tarasque en agitant sa tte norme, puis signifiant ensuite au vagabond de la suivre jusque sur le Rhne, ou plutt sur l'avers du fleuve. Mon estime t'est acquise, plus encore qu'auparavant. Le dragon d'eau s'tait plong dans l'onde frache au vert meraude, et le mendiant non sans quelques hsitations s'tait juch sur son dos. Il fit un signe d'adieu la sorcire, car elle s'tait comporte de faon aimable avec lui, et la vieille femme noire aux cheveux blanc-bleu lui rendit son

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adieu. Mais une ride soucieuse barrait son front, et ses yeux intenses le scrutaient jusqu'au plus profond de son tre. Ainsi sur l'onde pure la Tarasque la tte norme et bulbeuse et aux nageoires puissantes, termines par des griffes respectables, fendit les flots en ondulant et s'enfona travers le Rhne dans un ocan liquide, o le vert de l'eau se teintait d'un or sans mlange. C'tait un ciel infini constitu d'eau en lieu et place d'air : sans trve ni repos la Tarasque vivement franchissait des tendues immenses, rejoignant la Frontire sparant le monde des humains du ferique Royaume d'Eau. En dpit de sa vigueur et puissance, la Tarasque commena prouver de la fatigue et mme de l'puisement, contrairement la Compatissante durant l'aller. Enfin le crne bulbeux du dragon aquatique se rapprocha d'une surface plane aux reflets d'argent et de bronze fluide, puis l'homme hbt et frapp de stupeur mergea sur son chine la surface du fleuve mridional. Le dsarroi peuplant ses penses tait total, un grand mur blanc se dressait dans le fond ultime de ses souvenirs. Une trange dame l'avait plong au sein du fleuve, et presque immdiatement aprs un dragon d'eau l'en avait sauv en le ramenant l'air libre. Sur la grve blanchie par le soleil, avec un lit de graviers et de galets gristres s'tirant sous le couvert de petits bois de pins et de cyprs, la Tarasque abandonna le vagabond, encore surpris et tonn de la mansutude du monstre, puisque selon son entendement ce dernier venait de lui sauver la vie, en dpit de ses manires peu aimables. Humain, reprends ta route, va-t-en loin d'ici, gronda la Tarasque au regard mchant en dvoilant une blanche range de crocs, et veille ne me revoir jamais. Car il se pourrait qu'en pareil cas je me comporte de faon plus brutale qu'aujourd'hui, o tu m'as vu sous un angle inhabituel aux yeux de ma race. Sur ce, sans plus ajouter un mot, le dragon d'eau plongea dans le Rhne en laissant en surface un mince sillage, prenant bientt la direction de la cit de Tarascon, blottie au loin. Le mendiant aux cheveux d'or et aux pieds nus, au manteau de toile sale, avec sa besace sous le bras, marcha pas lents vers le couvert des arbres, l'esprit encore embrum des suites de son trange aventure. tait-il en effet priptie plus singulire ? Une bonne dame avenante et douce l'avait men dans le Rhne pour le noyer, et ce monstre hideux au coeur de pierre, la Tarasque, lui avait sauv la vie, il ne savait trop pourquoi. Ces faits incroyables se chevauchaient dans sa tte l'image d'un joyeux maelstrom, mais des jappements rauques rsonnrent derrire des buissons avant de se diriger vers lui.

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Des yeux le mendiant chercha une branche morte pouvant lui servir de gourdin contre un adversaire furieux, mais bientt le soulagement le disputa l'allgresse. Le chien aboyant de cette faon tait celui rencontr le jour d'avant ou tait-ce plus loign dans le temps ? Le vagabond s'avra incapable de trancher et qui l'avait si heureusement distrait de sa solitude. Le grand chien noir aux yeux brillants et la queue, aux oreilles coupes, de nouveau comme lors de leur premire rencontre, sauta autour de lui et lui fit fte. L'enthousiasme naf de l'animal l'mut et il lui vint l'esprit le dsir de le garder. Car les chemins de France n'taient pas srs pour un homme seul, mme dans ces terres ensoleilles du sud, et les occasions de se faire dtrousser ne manquaient pas. Il flatta le poitrail puissant de l'animal, caressa son crne fin et allong puis se dcida en reprenant sa marche, l'enjoignant d'un geste le suivre. Ds lors le chien noir marcha ses cts, et ce fut le dbut d'une grande amiti jointe une profonde complicit. Par les chemins creux le vagabond avait cess de marcher seul, aussi alla-t-il vers le nord, guid par le hasard. Le soleil venant dcliner, il prit la dcision de s'abriter dans les versants de colline situs non loin de l, auprs de plaines brles de soleil. Escaladant des troncs d'arbres desschs et abattus, il avana dans des sous-bois ombreux tapisss d'aiguilles de pin, avec les gambades et les jappements du chien avanant avec lui. Un moment le mendiant se mit fixer le chien bruyant, ce dernier tant tout son bonheur de farfouiller au sein des buissons et de flairer l'humus sous les souches pourries. Toi non plus, tu n'as pas de nom, mon compagnon, lui dit le jeune homme. En raison de cela, probablement, le Destin nous a fait nous rencontrer. Le chien noir la silhouette race, au crne lgant et aux oreilles pointues le regarda son tour en entendant son matre parler ainsi vers lui, et il lui rpondit d'un aboiement bref, avant de s'en repartir sur les traces d'une proie invisible. Mais les btes ont un avantage sur les tres Humains, reprit le vagabond aux cheveux de soleil, car elles peuvent recevoir un nom d'une race diffrente. Je te retirerai cette honte, mon camarade. Dsormais tu auras nom Tagor. Et ce nom devint le sien, lui plaisant l'coute, apparemment. C'tait comme s'il tait dj sa proprit de manire invisible depuis longtemps, avant d'en tre officiellement investi par le jeune mendiant. Ds lors sous cette appellation le chien noir rpondit aux appels et aux sifflets de son

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matre, sans faillir ni tarder jamais. Et plus d'une fois, l'homme dut convenir de son bon choix au sujet du nom de son chien, Tagor. Le soir tomba et colora de pourpre amthyste les cieux, les nuages rosissant brivement lorsque s'effondra derrire les montagnes l'astre solaire l'or rougeoyant. Une brise frache vint, agitant les branchages des mriers l'abandon et des noisetiers, les lieux s'assombrissant au fur et mesure du droulement de la soire. L'indigo du ciel se fit bleu nuit, et l'or des feuilles et des ramures se chargea d'clats rutilants en plongeant dans les tnbres. La marche pour le vagabond se fit plus difficile au sein des halliers, l'obscurcissement ambiant y tant pour beaucoup. Finalement, le chien Tagor lui-mme cessa de fureter de gauche et de droite et tenta avec la meilleure volont possible de venir en aide son matre, en vain. Comme il est courant dans ces occasions-l, lorsque l'on se trouve plac par le sort dans de grandes difficults et o aucun chappatoire n'est visible, le secours vint incidemment, par la prsence d'un minuscule sentier. Des chvres elles-mmes eussent prouv de la rpugnance l'emprunter, tant son trac en tait alambiqu et tortueux. Le jeune homme souponna l'aide invisible de sa bonne toile, cette dernire lui montrant nettement la direction suivre pour son salut. Aussi sans la moindre apprhension ni gne le mendiant progressa-t-il dans l'ombre du soir l'paississement graduel, une nue d'toiles nacres et scintillantes, chuchotantes de secrets glacs, se dvoilant au firmament. Chemin faisant, pourtant, une faim ardente s'veilla en lui, et ses entrailles finirent par se tordre en un spasme douloureux chacun de ses pas. Aussi son regard se posa-t-il sur des arbres gris se dressant l avec une rgularit gomtrique, et il dcouvrit avec une certaine stupeur des arbres fruitiers laisss l'abandon depuis de longues annes dj. Son bras se tendit presque contre sa volont et leur got lui sembla savoureux, mme si l'tat de dcrpitude dans lequel se trouvait ce verger tait cause d'une certaine aigreur des fruits. Des poiriers isols dans le fouillis vgtal comblrent plus facilement sa faim, du moins en grande partie, et avec un estomac davantage apais le vagabond put poursuivre sa marche en qute d'un havre pour la nuit. Car il n'est pas bon qu'un homme dorme ainsi trop souvent la belle toile, la merci des btes sauvages. Telle une apparition spectrale, une maison dlabre au toit ventr surgit alors de la muraille tentaculaire constitue par cette impntrable fort. Voici longtemps ce verger avait un propritaire, ralisa le mendiant, et cette personne devait loger dans cette maison. Le vagabond,

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accompagn de son chien, poussa une porte branlante, celle-ci manquant se briser bruyamment. Aprs cela le jeune homme pntra dans une pice aux relents cres de poussire et d'abandon, d'une vtust sans nom. Une fentre ronde et brise ornait un mur de torchis, et des meubles vermoulus rongs par les ans tombaient en poussire dans les deux ou trois pices visites rapidement par le vagabond, la lueur de la lune commenant se lever. Car la nuit tait belle avec sa longue robe noire aux perles brillantes et stellaires, son oeil blanc et rond aux cratres gristres, observa pensivement le mendiant en revenant sur ses pas devant la porte. Aucun nuage n'encombrait plus le ciel, un mistral rgulier les en ayant chasss. Et comme en tout endroit envahi par les tnbres nocturnes, il se dgageait de l'endroit, de la maison et du jardin abandonn, une atmosphre trange et insidieuse, enchantant l'me mais l'inquitant dans des proportions identiques. Eh bien, Tagor, murmura le mendiant au chien noir la queue coupe, pourquoi ne passerions-nous pas ici cette nuit d't belle et chaude ? Le chien Tagor leva vers lui des yeux brillants d'intelligence et de vivacit, mais il ne rpondit pas, baissant la tte pour scruter la noirceur vgtale les encerclant. Elle noyait jusqu'au chemin menant jusque-l. Allons dormir, demain nous repartirons l'aube, poursuivit en soliloquant l'homme au long manteau noir, semblable ces personnes souffrant de solitude depuis trop longtemps. Nous irons vers les terres magiques de Camargue, o les beauts et les enchantements n'ont pas de fin. Le jeune homme escort de son chien alla vers l'intrieur de la maison dlabre, mais jugea trs vite son tat trop piteux et dplorable pour permettre quiconque de s'y reposer. Ce bref moment ncessaire pour estimer l'tat des lieux ne fut pas cependant inutile, puisqu'il lui permit de dcouvrir sur le sol de la pice principale une trappe de bois orne d'un anneau rouill, donnant sur l'escalier d'un dbarras sous la cuisine. Lorsqu'il laissa retomber la trappe vnrable, un nuage de poussire s'leva : toussant et suffoquant, le mendiant dut marcher jusqu'au dehors afin de reprendre son souffle. Sous une avance du toit de chaume dbordant largement sur un ct de la maison, presque la belle toile, le vagabond dcida finalement de s'allonger. Il se roula dans les pans de son manteau, d'ailleurs prvu pour cela, et le chien noir Tagor se coucha ses cts sur le sol d'herbes sches et odorantes tapissant le lieu autour de la demeure abandonne. Dans la nuit noire et intense, le mendiant du royaume de France s'abma

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en un sommeil de plomb. Il tait puis par tous les vnements de la journe et ses jambes, ses pieds, taient recrus d'avoir tant march. Il lui paraissait presque dormir sur un lit de velours et de brocart, puis un vent lger tel un infime souffle se leva, comme pour ajouter son bonheur. La pleine lune tait une sphre de nacre sertie dans l'onyx. Il y avait des toiles et des astres scintillants rpandus en constellations, ruisselant d'un blanc et froid clat au-dessus du mendiant et de son chien, tous deux assoupis. Un moment passa sans qu'aucun bruit ou rumeur ne vienne rompre l'harmonie nocturne. Puis l'on entendit au loin, par-del la noire range des arbres de la fort, un hululement sinistre, rsonnant longuement. Au bout de quelques instants, un second lui fit cho. Un chapelet de secondes s'coula encore puis de nouveau un hululement fusa, cette fois-ci prs de la maison abandonne. Tagor avait relev machinalement les oreilles sans bouger d'un pouce aux premiers hululements, mais ensuite il s'tait dress lentement avant de gronder, rveillant son matre. Un autre hululement rsonna lugubrement, et le vagabond cette fois-ci bien veill entendit distinctement le bruit de branches mortes crases par des pas furtifs. Alors, une silhouette indistincte traversa les cieux fuligineux et se posa non loin de l, dans le jardin. D'un bond, l'homme s'tait redress et avait intim le silence son chien, celui-ci se tenant coi d'extrme justesse. Le jeune homme aux longs cheveux d'or, pas feutrs mais rapides, prit la direction de la porte principale, et, soulevant la dalle au milieu de laquelle trnait un anneau, il s'engagea avec Tagor dans l'escalier avant de refermer derrire eux le panneau. Il tait temps. Dj des clats de voix se faisaient entendre au dehors et les hululements, trop nombreux pour tre naturels, prolifraient. Des bruits divers rsonnrent dans la cuisine et des raies de lumire s'insinurent entre les interstices du sol jusque dans la cache du mendiant. Il eut le plus grand mal obtenir le silence de Tagor, son chien. Des personnes la rputation douteuse tenaient runion dans l'endroit et avaient allum une source de lumire, d'origine indtermine. Il y avait semble-t-il de plus en plus de gens entrant dans la pice, car les pitinements se faisaient innombrables. Risquant un oeil prudent entre les lattes de bois disjointes, le vagabond abasourdi dcouvrit une assemble de sorcires toutes d'allure jeune et belle, et certaines taient venues cheval sur leur balai voici peine quelques instants. Les conversations taient agites, mais touffes en raison de la discrtion recherche par les sorcires. Le jeune homme tendit davantage encore l'oreille.

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 Mes soeurs, disait une voix rauque, aigre et basse, la chasse a-t-elle t bonne de votre ct ? Fort peu, ma commre, lui rpondit une autre, les fillettes rpondant aux attentes de nos amies noires ne sont pas lgion. C'est ennuyeux, renchrit une troisime sorcire, nous voici au dernier jour de recherche et les Amazoons, nos soeurs sombres de l'autre ct de la lune, nous attendent avec impatience. Devront-elles retourner les mains vides vers les Mondes Centraux de la Roue ? Qu'adviendra-t-il du trne de la Vierge Noire, chri par nous tendrement ? Allons, allons, mes soeurs, il ne faut pas dsesprer, car j'amne une petite fille de sang royal, elle me parat correspondre trait pour trait aux critres requis par nos amies de l'espace. La sorcire de noir vtue, aux traits durs et froids, poussa dans le cercle des femmes une fillette aux riches habits, aux cheveux blonds ramasss en nattes et habille d'une robe de dentelle blanche, de trs grand prix, jugea le vagabond dans les circonstances difficiles o il se trouvait. Moi aussi j'amne quelqu'un, mes soeurs, ajouta alors une autre, elle avait plac dans son dos son chapeau rond et pointu et avait pass autour de son cou une charpe noire dcore de fils d'or. Je l'ai capture prs de sa maison dans une rgion proche d'ici, et ne dois sa dcouverte qu'au plus grand des hasards. Mtamorphose en hiboux, je dormais sur la branche d'un arbre. La voici : cette peste s'est arrte de pleurnicher il y a peu. Une petite fille intimide aux yeux rougis fut mise en avant sans mnagement, et le mendiant du royaume de France, la dcouvrant de biais et de faon malaise cause de sa situation, manqua bien sursauter en jurant. Il s'agissait de la fillette rencontre auparavant avec son frre, elle lui avait dit s'appeler Sandra. Elle possdait la mme jupe rude et un identique tricot de laine, avec des cheveux noirs mi-longs et un visage fin grl de taches de rousseur. Ses grands yeux noirs taient encore embus de larmes. Le conseil des sorcires avait approuv silencieusement la vue des deux fillettes. C'est bien, mes soeurs, dclara calmement l'une d'entre elles, la plus ge. Nous n'irons donc pas au sabbat de nos soeurs sans prsents, comme je commenais le craindre. La Vierge Noire aura une fille, j'en suis persuade. Nos sombres amies ont envoy des missaires galement chez nous, peut-tre leurs recherches ont-elles t plus fructueuses ?

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La conversation des sorcires runies dans la maison abandonne au coeur de la fort en resta l, avec le plus grand enthousiasme elles dcidrent de rejoindre au plus vite leurs soeurs sur la lune, pour le grand sabbat. Les sorcires Amazoons seraient l aussi et toutes mettraient leurs dcouvertes en commun pour le bien de la communaut, cette dernire constituant apparemment une seule et grande famille. Une une, les sorcires sortirent en poussant devant elles les deux fillettes terrorises et larmoyantes. Sandra ne cessait de demander sa famille, et le vagabond aux longs cheveux d'or en eut le coeur bris de tristesse, car ses hoquets et ses sanglots taient dchirants. Bientt, le silence seul rgna sur la demeure abandonne et dserte. Le mendiant, l'esprit encore agit des choses entendues, prfra patienter quelques instants supplmentaires, avant d'oser enfin relever la trappe et prendre pied sur le sol branlant de la cuisine. Il n'y avait plus personne dans la maison, constata-t-il avec soulagement, et le chien noir Tagor aprs avoir entrepris immdiatement de faire un tour d'inspection aux environs revint en s'agitant joyeusement, tant il tait heureux de n'avoir rencontr quiconque. L'homme s'aventura alors avec hsitation dans le jardin fantomatique, l'horizon s'illuminant lentement et la noirceur se colorant de bleu nuit. Les toiles plissaient et la lune, voici peu encore pleine de force et de lumire, commenait se voiler. Le temps avait pass, la plus grande partie de la nuit s'tait coule durant le conseil des sorcires. Probablement taient-elles parties vers la lune rejoindre leurs soeurs sur leurs balais, ou bien avaient-elles us pour cela de tnbreuse magie. Le vagabond suivi de Tagor billa de fatigue en marchant le long du sentier, il ne se sentait gure le courage de terminer sa nuit dans la maison dsormais, aprs les dernires pripties. Il pensa quelques instants trouver prs de l un fourr ou bien une clairire dserte et isole pour profiter du sommeil lui manquant encore, puis le souvenir de la petite fille entr'aperue lui revint en mmoire et ne le quitta plus. Il avait apprci sa gentillesse et sa fracheur, devinant l'avance l'tendue de son chagrin, sans compter la tristesse et la peine des siens, de son frre, de son pre et de sa mre. Il marcha et marcha encore dans l'aube humide, s'attendant presque revoir en quelque lieu la petite fille toute tremblante et plore. Mais aucune dcouverte de ce genre ne survint, car depuis longtemps dj les sorcires taient reparties vers la lune pour le grand sabbat avec leurs captives.

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Le mendiant au bord de l'puisement franchit des buttes et dvala des pentes, longea de minces ruisseaux dont il ignorait mme le nom en qute d'un sommeil fuyant. Sans trve ni repos, l'image de la fillette aux yeux rougis entoure des sorcires cruelles s'imposait dans son esprit. Enfin, il parvint l'ore d'un champ de luzerne et s'affala sous les branches d'un arbre la ramure paisible, le globe du soleil montant en illuminant le ciel. Sa fatigue tait intense, la marche force aprs sa nuit interrompue, les soucis tenaces en dcoulant avaient us ses dernires forces. Son chien Tagor ne devait pas penser autrement, peine le vagabond se fut-il envelopp dans les pans de son manteau crasseux, le chien s'tait blotti vivement ses pieds en jappant. Le sommeil s'abattit aussitt sur le mendiant, lourdement. Des penses confuses tourbillonnaient et virevoltaient dans son esprit. L'on y voyait des images tranges d'un royaume vert d'eau diffrent de la Terre, ou bien les traits tirs de la petite fille dont le malheur avait tant attrist le vagabond. Ce dernier gmissait dans son sommeil, cause de son impuissance la secourir. D'autres penses lui venaient encore, des phrases absurdes dont il ne comprenait pas le sens. Il les repoussa dans les trfonds de son me. Mais les mots s'enttaient, papillonnant avec insistance dans sa tte. " Un, plus deux, plus trois " chantonnaient-ils d'euxmmes en poursuivant leur ronde. Au fur et mesure de cette suite de mots incomprhensibles, le jeune homme s'agita et se retourna en sentant un froid intense parcourir son corps. Mais en raison de son puisement il ne se rveilla pas, et son chien Tagor non plus.

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Chapitre

Saisi par le froid l'assaillant de toutes parts, l'homme n'en pouvait plus d'tre engourdi de cette manire. Il se retourna plusieurs fois la fin de cette pnible nuit, et se redressa sur son sant aprs avoir longtemps repouss cette corve. En billant frocement, le chien Tagor se redressa ses cts et secoua vivement la tte pour s'brouer, tandis que son matre aux longs cheveux de son et au manteau noir pouvait seulement ber d'tonnement et de surprise, devant l'trange spectacle s'offrant eux. Le paysage lumineux et chaud de la Provence avait chang du tout au tout. prsent de noirs arbres l'corce rugueuse et scintillante se dressaient prs de l, autour de la clairire inquitante o ils venaient de s'veiller. L'herbe rude et ple s'tait subtilement mtamorphose, les tnbres et l'obscurit avaient subitement pris possession des lieux. Des montagnes pointues et obscures se pressaient dans le lointain, les replis argents et brillants d'une rivire sinuant silencieusement dans l'ombre. Il y avait galement des btiments tranges et d'une architecture sans pareille, aux yeux du vagabond, au bout de la fort irrelle, et ces derniers constituaient une grande ville noire troue de vives et blouissantes lumires. Mme si le mendiant avait parfaitement conscience de s'tre assoupi au terme d'une journe bien remplie, fixer les environs la nuit paraissait rgner sans entrave sur le lieu, et il semblait loin encore le moment o le globe solaire viendrait de sa lumire dore desserrer l'treinte de la nuit. Pntr de curiosit et pourquoi ne pas le dire, d'une sourde angoisse galement quant aux vnements responsables d'une si surprenante transformation, le jeune homme marcha pas lents sur l'herbe sche poussant entre les rocs. Tagor au fin museau et la silhouette race trottinait avec mfiance prs de lui, inspectant un territoire inconnu. Le mendiant marcha et marcha encore escort de son chien, sans cesser un seul instant de serrer sa besace contre lui dans l'ventualit d'une rencontre avec un verger accueillant, l'image de celui d'hier soir, la gnrosit bienvenue. Mais les lieux taient sinistres, il y avait seulement une terre noire l'herbe claire curieusement claire, d'ailleurs et des arbres

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tordus aux ramures tires. Des rocailles mergeaient du sol l'image de fers de lance, avec pour seule touche apaisante des fleurs immacules au coeur de rubis. Elles dgageaient un parfum enttant, identique celui de la violette. S'il n'avait pas eu l'intime conviction de n'avoir pas chang de place, le vagabond se serait cru transport en un autre monde. Soudain, devant les pieds du mendiant, la berge de la rivire large et imposante aperue brivement se dvoila lui, et les rochers sombres escortant sur la rive les vagues grises lui procurrent une motion singulire. Il ne parvint pas se l'expliquer totalement, car aucun souvenir dans son esprit n'tait rattach elle. Mais cela parut cependant tre un discret signe du destin, car ds lors il se dvoila devant l'homme un authentique prodige. Sur un ruban d'argent ondoyant et dot de vie, franchissant l'espace, il se dirigeait vers le vagabond une flottille de nefs aux voiles blanches, et cet ahurissant miracle franchissait les cieux noirs vive allure. Tagor aboya fortement, et bientt l'trange cortge se rapprochant de plus en plus le jeune homme parvint distinguer les nefs, au nombre de cinq, avec des hommes en armes se trouvant son bord. On entendait galement des hennissements de chevaux, par-del les boucliers multicolores ornant les plats-bords. Finalement le ruban mouvant en vint se mler aux flots ambrs de la rivire, sur le bord de laquelle il se tenait, et de cette manire le mendiant dcouvrit la nature aquatique du support transportant les nefs la voile carre. Sitt les navires fond plat ayant commenc flotter dans le cours d'eau, non loin du mendiant, l'enchantement liquide s'vanouit : et les cinq nefs vinrent se ranger contre la berge en faisant force rames. Devant le vagabond abasourdi, les chevaux furent mens terre dans la nuit claire de flambeaux, et des hordes de guerriers barbus au torse puissant descendirent avec leurs armes. Ils taient revtus de cottes de mailles argentes pour certains, et d'autres allaient la poitrine nue, seulement protgs d'un ceinturon clout. Ils portaient des pantalons de cuir et la plupart d'entre eux allaient pieds nus, leur visage tait farouche et sauvage, avec des reflets gris dans les yeux, ainsi qu'il convient des soldats choisis pour des missions prilleuses. Chacun possdait un bouclier de cuir ouvrag et noirci, avec un glaive droit dans son baudrier, certains arboraient mme des poignards au manche de nacre passs dans leur ceinture, et des marteaux de combat dans la main. Alors d'aucuns partis en claireurs non loin des berges de la rivire l'aperurent, et, poussant des cris rauques, s'en vinrent le rejoindre puis l'emmenrent avec le chien Tagor vers le reste de l'expdition arienne

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continuant dbarquer des nefs. Leur chef tait puissant et grand, vnrable avec sa barbe blanche. Il tait habill d'une toge de lin lui tombant sur les chevilles, et une cape de pourpre brode d'or flottait sur ses paules. Son pe tait taille dans quelque matire fabuleuse, car sa poigne mergeant de son fourreau tait de grenat rutilant et d'onyx taill, de sombre amthyste. Leur chef caressa pensivement l'extrmit de sa barbe, et ses pieds protgs de bottes de cuir pitinrent l'herbe en venant vers eux. Qui es-tu ? demanda-t-il au jeune homme d'une voix tonnamment paisible et douce, ses yeux gris-bleu l'clat dlav se penchant vers lui. Le mendiant ne put s'empcher de bredouiller, car les grands personnages et les tres d'importance l'avaient toujours intimid. Il survint alors un familier du patriarche, apparemment, son comportement et son allure, sa prestance, tant celle d'un habitu des cours princires. Il possdait une tunique courte en cuir de daim finement tann, et une ceinture de soie prcieuse la taille dans laquelle tait gliss un poignard courbe fait d'une seule pice d'ivoire orne d'argent. Des braies lgantes et soignes recouvraient ses jambes, des mocassins d'hermine chaussaient ses pieds. Il tait d'apparence raffine, contrairement la plupart des guerriers descendus des nefs, nota mentalement le vagabond : mais il n'en dgageait pas moins une impression de force lgante et souple, l'image de celle dtenue dit-on par ces carnassiers exotiques portant le nom de panthre ou bien lopard. Mon oncle, lana alors dans sa direction le nouveau venu aprs avoir examin avec un sourire la mine effare du vagabond, c'est seulement un croquant, identique ceux se trouvant par chez nous. Il serait bien en peine de nous apprendre quelque chose d'important, ou nous tre utile dans notre affaire. Nul ne peut prsumer de l'avenir, dit alors une voix neutre avec un timbre clair, en dtachant nettement ses mots. Et celui prtendant le contraire est un fat, et un sot. L'opprobre retombera sur lui, tt ou tard. Le mendiant, encore sous le coup des vnements venant de se drouler et dont il venait d'tre au coeur, bien contre sa volont, se retourna avant de tressaillir vivement. Il venait de surgir de l'ultime nef un quipage jusque-l masqu par la pnombre, et sa composition tait des plus htroclites. Il s'y trouvait l'tre venant de s'exprimer avec tant de tranquille assurance, et son habillement tait singulier. Son corps souple et longiligne, de haute taille, tait vtu d'une tunique de soie noire et moire, lui recouvrant le torse et les bras de manire lche. Il portait galement un pantalon de mme couleur avec une ceinture paisse orne de

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pendeloques d'or, et des bottillons noirs et luisants. Il exhibait en une touche finale un bret de velours crnement enfonc sur un ct de la tte, une plume d'bne s'en chappant avec recherche. Ses traits taient fins et rguliers, avec des cheveux de jais coups courts et un teint de peau marmoren, ses yeux obscurs et noirs dgageant un clat particulier. Au surplus une troupe de chats se tenait derrire lui, l'un d'entre eux possdait la couleur des cerises en t joint des yeux de l'or le plus pur, ce dernier ne cessant de le fixer avec une curiosit intense. Il y avait galement un autre chat la robe marron sombre et le bout des pattes blanches, comme s'il les avait tremps dans une assiette de lait. Le troisime tait hautain et arborait des yeux d'ambre avec une robe d'onyx noir zbre de fils d'or, l'ultime et dernier tant le plus petit, nanti d'une fourrure courte couleur caramel et d'une queue presque entirement blanche. Aprs avoir aperu le chien Tagor aux pieds du mendiant, il se rfugia peureusement derrire ses semblables et n'en bougea plus. Deux soldats dpassant d'une bonne tte le reste de la troupe s'en vinrent changer quelques mots avec l'homme rpondant si familirement leur chef, le second s'adressant l'tre vtu de noir et escort de chats. Ce gueux dissimule sa vritable identit, estima Aquilon le Myrionime, il peut se rvler dangereux. Seul un magicien a pu ainsi voler jusqu' nous, sur la lune, dit-il. Sur la lune ! s'exclama avec une authentique surprise le mendiant, et le ton de sa voix avait de rels accents de sincrit, au point de troubler la certitude d'Aquilon le Myrionime et de finir par le gner. Oui, et plus prcisment sur la face cache de la lune, reprit en appuyant volontairement sur ces mots le second des deux soldats sortis des rangs, et possdant une aura si singulire. Je suis pour ma part Gnsio le Triptolme, et comme mon compagnon Aquilon je distingue des choses chappant au commun des mortels. Un cortge d'toiles danse autour de toi, tu as t choisi. Es-tu un mage ? Mais le vagabond n'en revenait pas de se trouver malgr lui sur l'astre lunaire, et il accorda peu d'intrt ses paroles. Les deux hommes de haute stature paraissaient dtenir de l'importance, pourtant. Tous deux portaient de longues capes de satin, privilge partag avec le chef vnrable et barbu de cette expdition guerrire. Des chemises de lin blanc recouvraient leur torse, et des braies au cuir us protgeaient leurs jambes, comme si ces pantalons avaient travers un cortge d'ons. Ils avaient de simples sandales, leurs vtements frustes n'empchant pas le reste de la troupe de les considrer avec respect. Peut-tre tait-ce en raison de leur

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front haut aurol de mches folles et grises, car ils avaient l'image du jeune homme de longues chevelures, ou bien leur faon tranante de s'exprimer. Mais plus probablement tait-ce la force archaque mle un savoir immmorial tapi au fond de leur regard qui effrayait de manire si visible le reste des guerriers. Allons, Gnsio, ce pauvre homme ignore tout de ce dont tu lui parles, tu le vois bien, lcha le personnage vtu de noir des pieds la tte, aussi grand qu'eux. Probablement a-t-il t le jouet d'une sorcellerie dont il serait bien en peine de s'expliquer. N'est-ce pas ? la troupe nombreuse se tournant vers lui, le mendiant put seulement bafouiller son assentiment, le chat carlate dont la prsence lui causait tant de trouble ne cessant de le fixer. Ds lors le vagabond parut perdre toute espce d'importance, et les soldats le relchrent pour pouvoir monter un campement de fortune. coutant attentivement les conversations, l'homme finit par comprendre. La petite fille enleve sur Terre, dans le royaume de France, Sandra, n'avait pas t la seule. Une petite fille de sang royal l'avait t galement, et le rapt de cette dernire motivait le mouvement de ces soldats. Aussitt ce fut une illumination dans le cerveau du mendiant, et il lui revint en mmoire la scne laquelle il avait assist bien malgr lui, savoir la runion secrte des sorcires avant leur dpart vers le sabbat. La petite Sandra, dont le sort lui importait tant, devait se trouver non loin de l, et probablement aussi sa royale compagne de captivit. Il courut vers le personnage impassible aux noirs atours et s'ouvrit immdiatement lui de tout cela. Aquilon le Myrionime, Gnsio le Triptolme l'coutrent galement avec une attention polie. Parfaitement, termina hors d'haleine le vagabond, et les sorcires avaient parl aussi d'Amazoons et du systme de la Roue, et d'une Vierge Noire, me semble-t-il. l'coute de ses paroles chacun avait hoch de la tte avec inquitude. Cela corrobore nos craintes, dclara le personnage vtu de noir l'adresse du chef vnrable et de son second. Souhaitons ne pas tre arrivs trop tard. Sinon ? s'enquit l'intermdiaire entre le puissant roi et les trois autres personnes. Sinon une fois le sabbat conclu les sorcires avec leurs soeurs Amazoons et leurs captives s'en repartirons vers le Systme de la Roue, vers dennia o est le sige de leur pouvoir. Et les Flots Ariens invoqus ne peuvent emporter vos troupes aussi loin, Charlemagne, trs grand roi des Francs, conclut le magicien noir.

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 Dans ce cas l'urgence s'impose nous, rugit le lieutenant de Charlemagne dans cette expdition. Partons immdiatement vers cette cit de sorcires devant nous, avant de les voir s'enfuir travers l'espace par un artifice magique. Tout doux, Roland, mon neveu, lui lana le monarque d'un geste apaisant. Il nous faut d'abord dresser le campement nous servant de base arrire. Ensuite seulement lorsque nos chevaux seront reposs de leur long voyage nous pourrons aller de l'avant rcuprer Grace, notre jolie princesse. Et Sandra ? intervint le vagabond d'une voix trangle en comprenant que seul le sort de la princesse les intressait. Peut-tre se trouve-t-il galement d'autres fillettes prisonnires comme elles ! Ne sera-t-il rien fait pour les dlivrer ? Charlemagne la carrure large et la sagesse vnrable se tourna vers lui, semblant le distinguer pour la premire fois. Qui es-tu ? L'homme carta les bras de son corps en signe d'impuissance. Je suis un vagabond, majest, je vais par les chemins de France en qute de gte et de couvert, car je suis pauvre. Charlemagne caressa pensivement les plis de sa longue barbe neigeuse en continuant le fixer. Et comment t'appelles-tu ? l'interrogea-t-il encore. Je Je n'ai pas de nom, seigneur, finit par avouer le mendiant. Est-il possible ? sursauta alors le neveu du monarque, appel par ce dernier Roland. Comment cela se fait-il ? s'informa le monarque. Tu es un enfant trouv ? Oui, majest, reconnut le mendiant avec une gne certaine. Je fus donn un seigneur de domaine, mais je m'enfuis trs tt, j'y tais maltrait. Je ne me souviens plus de mon nom. Le monarque continua hocher du chef avant de reprendre la parole. Si je pouvais te faire lire les registres de ta rgion, pourrais-tu t'en rappeler en le voyant ? Le vagabond rougit violemment en entendant cela et prfra ne pas rpondre. Le neveu de Charlemagne, Roland, le fit pour lui. Il ne sait pas lire, mon oncle, ni probablement crire. Tous ces jeunes gens ignorants sont une grande tristesse pour mon royaume, marmonna l'empereur part lui. Mais s'il n'est pas en mon pouvoir de t'instruire dans l'criture et la lecture, je puis au moins te rendre ton bien, retir par un sort injuste. Moi, Charlemagne, je te

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nomme ds maintenant Jean, Jean de la Lune, puisqu'il m'a t permis de te rencontrer ici par le plus grand des hasards. Mais, mon oncle, cette appellation dtient des consonances nobles ! s'tonna Roland en arquant de surprise ses sourcils. C'est normal, car en accordant tant d'importance cette petite fille du peuple, il vient de dmontrer la grandeur de son coeur et l'lvation de son me, trancha le monarque des Francs. Et prsent il suffit, car j'ai parl. Charlemagne l'allure sereine et auguste marcha vers la tente dresse son intention, et y entra afin de prendre du repos. Des flambeaux avaient t dresss en divers points et plusieurs feux avaient t allums. Autour de l'un d'eux le magicien vtu de noir s'tait plac, accompagn de plusieurs chats, et les deux soldats aux si singulires manires avaient fait de mme. Ils tenaient une conversation paisible, bton rompu, cessant de parler sitt s'approcha d'eux le mendiant. Ils lui proposrent de s'asseoir leurs cts avant mme de distinguer son visage rjoui. Comment vas-tu, vagabond ? lui demanda d'une voix claire le magicien noir, presque invisible hors du cercle des torches en raison de l'obscurit de ses vtements. Le noble roi Charlemagne m'a donn un nom, Jean, Jean de la Lune, exhala-t-il dans un souffle avec des yeux brillants, et mme Tagor le chien paraissait partager son allgresse. Il est trs seyant, vraiment, convint avec srieux le magicien en remettant une branche morte dans le brasier. Le mien est Iolo, Iolo le Tnbreux. Jean de la Lune serra la main de Iolo le Tnbreux, et puisqu'il avait acquis une nouvelle identit les deux hommes l'aura immmoriale se prsentrent de nouveau et lui rvlrent tre le mendiant s'en tait dout de ces immortels appels des Hros des Temps Anciens, des gens aux grands pouvoirs capables de traverser les res et les sicles sans dommages apparents. Autour du feu les langues se dlirent, des amitis se nourent. Mme Tagor parvint sympathiser avec les chats, dont le mystrieux flin carlate, et un invisible trait de paix fut sign entre eux partir de cet instant. De fil en aiguille chacun parla de soi avant d'interroger les autres, sauf les deux Hros des Temps Anciens, Gnsio le Triptolme et Aquilon le Myrionime : sur leurs lointaines annes, ils restrent trangement muets. Mais c'taient de puissants seigneurs aux pouvoirs tranges, et chacun autour du brasier respecta leur silence. Lorsque le petit chat couleur caramel se fut install sur ses genoux, celui dont le nom tait dsormais

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Jean de la Lune raconta brivement son enfance grise et ses annes derrance. Puis vint le tour du magicien noir dot d'affinits spciales avec les chats, et sa voix s'leva avec clart dans l'atmosphre cristalline de la face cache de la lune. Je suis Iolo le Tnbreux, et j'ai t envoy par les miens vers le royaume de France, afin de secourir le roi de ce noble pays des desseins ourdis par les sorcires Amazoons. Mais je crains d'tre venu trop tard et l il semblait s'adresser particulirement aux chats, on ne savait trop pourquoi car mon coeur est inquiet. Quels sont les tiens dont tu nous parles, dclara le mendiant en s'tonnant lui-mme de sa propre hardiesse. Seraient-ce des magiciens ton image ? Iolo le Tnbreux sourit en observant l'attitude nouvelle du jeune homme son gard, et l'clat de ses yeux noirs, si sombres, si obscurs, si tnbreux, s'adoucit brivement. Oui, nous sommes une association de magiciens illustres et vnrables. La Ligue des Magiciens de la Terre, lcha-t-il en remuant l'aide d'une branche les tisons du foyer, faisant monter dans le ciel de jais une gerbe d'tincelles crpitantes. Les deux Hros des Temps Anciens, Aquilon et Gnsio, gardrent une expression impntrable et ne dirent rien. Seul le vagabond tiqua devant l'incongruit de la chose. J'ai du mal le croire ! s'exclama-t-il en prenant les deux puissants soldats tmoin. Une telle chose ne peut pas tre ! Aussitt le mendiant plaqua ses mains sur sa bouche mais avec retard, car l'normit dj avait t dite. C'est toutefois le propre des grands de ne pas corriger avec violence les manquements des petits, mais bien plutt avec humour et tolrance. La Ligue des Magiciens existe, reprit-il d'une voix toujours aussi dtermine et nette. Mais elle ne se situe pas sur ta Terre. O se trouve-t-elle, dans ce cas ? dit alors un des Hros des Temps Anciens, Aquilon le Myrionime, dont la curiosit venait d'tre veille. Sur MA Terre, articula paisiblement Iolo le Tnbreux, fixant les profondeurs impntrables et ternelles de la lune. Les deux Hros des Temps Anciens et le mendiant Jean de la Lune froncrent les sourcils avec perplexit devant cette bizarrerie. Seul l'assemble des chats et le chien noir Tagor ne ragirent pas, mais c'est un fait reconnu. Les animaux ne s'tonnent jamais de rien, comme si les miracles leur taient familiers, et les enchantements pour eux matire ennui et somnolence. Pourtant, l'explication donne par le magicien noir

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sur son lieu de naissance ne manqua pas de sel, en vrit. Et Aquilon le Myrionime, Gnsio le Triptolme, avec Jean de la Lune, ncessitrent d'un estomac des plus solides pour pouvoir la digrer. Vois-tu, Jean de la Lune, poursuivit le Tnbreux, la Terre d'o je proviens, pour toi, n'existe pas. Mais elle est bel et bien. Le jeune homme secoua la tte avec une expression effare, il n'avait jamais entendu parler d'une situation aussi paradoxale. C'est impossible ! se dfendit-il, et les deux Hros des Temps Anciens paraissaient tre de son avis. coutez-moi, vous tous, leur demanda alors avec un calme olympien le magicien l'expression impntrable, en se penchant vers eux, prs du feu l'or brlant. La Terre dont je suis originaire n'existe pas ici mais peut par vous tre imagine. Ds cet instant, elle est. Car si l'on peut imaginer tout ce qui existe autour de nous, pourquoi n'existerait-il pas de manire tangible tout ce que l'on peut imaginer dans notre esprit ? C'est aussi clair qu'une nuit sans lune, grogna Aquilon le Myrionime. Je ne suis pas capable de saisir de telles subtilits. Mais Iolo le Tnbreux sourit largement en dvoilant une range de dents la blancheur immacule, et le mendiant, rabrou plus souvent qu' son tour, en conut une douce satisfaction. Ds lors le magicien noir, aprs avoir pris le chat carlate au regard dor sur ses genoux, le caressa pensivement en dvidant l'cheveau de ses penses. Cela semblait tre pour lui aussi simple qu'un jeu d'enfant. Si l'on peut imaginer tout ce qui existe, pourquoi n'existerait-il pas tout ce que l'on peut imaginer ? vous ai-je affirm. Chez moi, dans les Royaumes Magiques, par-del Pwyll, chacun sait que tout, absolument tout, existe. Mme ce qui n'existe pas, et dont nous rvons. Comme il existe des univers qui existent, qui sont, il est des univers qui n'existent pas. Il est dans la nature des univers qui existent d'exister, d'tre, il est dans celle de ceux qui n'existent pas de ne pas exister. Mais ce n'est pas pour autant que l'on peut dire qu'ils ne sont pas. Le silence dans l'assemble tait total, et le feu attis vigoureusement par Iolo le Tnbreux projeta des ombres fantastiques et rouges sur les faces des veilleurs se tenant l. Leurs yeux cillrent peine lorsque le magicien reprit son rcit brivement interrompu. Distinguez-vous ces jeunes arbres, spars par une courte distance ? lana-t-il vers Gnsio, le Hros des Temps Anciens. Se trouve-t-il entre eux un buisson d'pine ? Non, n'est-ce pas, affirma-t-il sans attendre la rponse ngative de ce dernier. Donc, il n'existe pas l de buisson

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pineux. la place de cette crevasse proche, est-ce qu'il y a une douce colline ? Non, assurment, il ne se trouve pas l de colline. Sur ce chemin que nous voyons longer les berges de la rivire, il y a-t-il une sorcire s'en venant vers nous ? Non, bien sr, il n'y a personne, cette sorcire n'existe pas. Et la place de ce buisson d'pine qui pourrait tre, entre les deux arbres, s'il y avait un verger ? Un Graak effrayant ? Un Lvite de passage, un dragon norme et terrifiant, un sylphe papillonnant ? Vous aurez compris l'essentiel, j'espre, expliqua le magicien noir en grattant son chat cerise derrire ses oreilles velues, avec srieux et application, pour une seule chose qui existe, il en est bien davantage encore qui n'existent pas. Il ne se trouve pas seulement une Terre qui, telle la mienne, n'existe pas, mais des milliers ! Et bien plus encore, car leur nombre est infini. Pour un arbre plant au milieu d'une prairie verte, il y en a des milliers d'autres qui ne s'y trouvent pas ! L'ventail de telles virtualits est au-del de toute description. Toutes ces choses et ces gens numrs auparavant appartiennent des Terres qui n'existent pas, des Terres diffrentes de celle-ci, qui est la tienne, Jean de la Lune, assura-t-il en le dsignant nommment. Mais si alors il vous venait l'envie de me demander o ces Terres hypothtiques se trouvent, je vous rpondrais : vous posez mal votre question. Cet univers qui nous entoure existe. Ces autres univers dont je vous parle, puisquimaginaires, n'existent pas ! Il ne faut donc pas me demander o ils sont, mais o ils ne sont pas ! Ils sont, leur manire, tout autour de nous, sans y tre ! Car leur nature est pour nous et cette dernire prcision est importante leur nature est pour nous de ne pas exister. Toutes ces notions d'existences inexistantes me sortent par les oreilles, se plaignit le mendiant en commenant tre passablement tourneboul. Moi de mme ! renchrit le Myrionime Aquilon. Hum, bien, consentit le magicien noir d'un ton apaisant, puisque mes arguments vous dconcertent, afin de vous venir en aide et de vous clairer davantage, je vais empoigner le problme par un autre ct. Se trouve-t-il ici un univers diffrent du ntre ? Non. Un tel univers n'existe pas, il est fictif. Mais gardons toujours en mmoire qu'il est dans la nature des univers imaginaires de ne pas exister ! Conclusion, il y a donc bien ici autour de nous un univers qui n'existe pas, puisqu'il n'y existe pas, dmontrant par-l mme qu'il est ! Sa prsence est nos yeux dans son absence, veillons ne pas l'oublier.

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Et nous tournons en rond, poursuivit Iolo le Tnbreux en dcrivant de grands gestes, car l'on peut galement s'interroger : il y a-t-il ici deux univers imaginaires ? Il y a-t-il ici cent univers imaginaires Attention toutefois, beaucoup de ces univers fictifs o se trouve chaque fois une Terre sont identiques presque point par point avec l'univers rel dans lequel tu rsides, vagabond, prcisa le magicien l'attention exclusive eut-on dit de Jean de la Lune. Car dans la multitude sans fin des univers n'existant pas, il en est de trs diffrents de celui o nous sommes en ce moment, mais il en est d'autres qui nous sont comme frres, qui nous sont parallles ! Ces Terres fictives si proches en dpit de leur inexistence se trouvent nos cts, l'une auprs de l'autre ! Et mesure que le nombre des univers imaginaires s'tire vers l'infini, ils acquirent graduellement des diffrences entre eux, jusqu' atteindre des proportions nous paraissant nous, ancrs dans le rel o nous nous situons, proprement abracadabrantes. coutez bien ceci, prsent, les prvint Iolo le Tnbreux avec solennit, car tout ce que je vous ai dit tait seulement une portion de la vrit. L'univers o nous sommes actuellement n'est un univers rel que pour ceux qui l'habitent, mais il est un univers imaginaire pour le reste des univers au sein desquels il volue, qui sont fictifs nos yeux, mais trs concrets pour les gens qui y vivent ! Chaque univers est imaginaire pour ceux qui l'entourent, et concret pour ceux qui y naissent, leur nature, en tout temps et en tous lieux, est double. Autrement dit, notre univers rel est aussi fictif, tout comme les univers imaginaires sont galement rels. Tout univers est une ventualit matrialise pour celui qui y vit. Ainsi, lorsque chacun de nous rve ou imagine des pays fabuleux, nous sommes bien loin de produire machinalement des fantasmagories inutiles, nous nous transportons en fait mentalement dans la contre d'une Terre imaginaire bien prcise. Elle ne nous semble chimrique et trange qu' cause de son loignement et donc de ses diffrences par rapport notre monde, l'univers o nous nous sommes dplacs par le rve tant celui d'une Terre illusoire pour nous, mais pas pour leurs habitants qui eux considrent le contraire, conclut-il enfin. Apparemment, le magicien noir s'attendait quelque raction de la part de son auditoire mais rien ne vint, chacun tant trop occup ruminer la longue palabre de l'enchanteur. Un silence pesant survint, bris uniquement par les hennissements des chevaux et les craquements des branches maigres se consumant devant eux. Ainsi, magicien, commena alors le mendiant aux longs cheveux et au grand manteau noir, la Terre dont tu es originaire

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 Se trouve prs de la tienne, termina le magicien au regard de jais en rajustant son bret sur le ct de son crne. Ce disant, il avait jet une nouvelle fourne de branches mortes sur le brasier, et une flamme claire et haute s'leva vers les tnbres cosmiques dans une nue d'tincelles sanglantes, telle une colonne de lumire brlante, vivante et torture.

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Chapitre

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Derrire la troupe s'en allant sous la nuit mouchete d'toiles, le vagabond Jean de la Lune marchait aux cts de son chien Tagor, ce dernier partageant un calme et un allant semblable au sien. Sur le chemin poudreux luisant sous l'clat des torches dissmines dans les rangs des guerriers bards de cuir et barbus, chevelus, une longue colonne de cavaliers en armes s'tirait, muette et inquite, en ces contres de la lune sombre, patrie des sorcires de la Terre et de leurs soeurs noires Amazoons. Les sabots des chevaux avaient t envelopps d'toffes afin de faire le moins de bruit possible, entre les talus herbeux et sinistres s'levant de part et d'autre du chemin. Il y avait des champs d'herbe violette poussant drue de toute part, avec des fleurs neigeuses au coeur de sang et aussi des arbres puissants aux larges ramures et d'autres plus petits et malingres, avec une corce annele et craquele et des fruits brillants. Des champignons bulbeux et mauves taient dissmins entre les souches d'arbres et les sous-bois obscurs des halliers, comme si une averse soudaine avait donn vie ces discrets habitants des bois. Des saillies rocheuses brisaient l'uniformit des tendues de verdure, et ces rocs taient tantt d'un clat teint et d'autres fois brillant l'image de l'onyx. Bientt le convoi s'engloutit dans l'ombre de la fort jouxtant Nra, la cit des sorcires, et en queue de cortge Jean de la Lune se retrouva son tour au coeur de la nuit. Seuls les yeux des chats se laissaient distinguer dans l'obscurit, et curieusement aussi ceux des deux Hros des Temps Anciens, Aquilon le Myrionime et Gnsio le Triptolme. Mais ces deux derniers taient des humains d'un autre on, et le vagabond ne s'en montra pas autrement surpris. Les bras maigres des arbres se recourbaient hideusement au-dessus de leurs ttes, et depuis les fourrs il leur venait aux oreilles la rumeur sourde des habitants des bois : la nuit lunaire leur confrait une dimension supplmentaire, diffrente de celle peuplant les forts des royaumes de la Terre. Chacun retenait son souffle, les soldats francs entravant les mouvements des pes dans leur fourreau afin de les empcher de cliqueter,

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leurs conversations se rduisant son strict minimum. Enfin aprs une courte marche la troupe rapparut en plein air puisqu'il ne saurait tre question, sur la face cache de la lune o ils marchaient, de parler de plein jour et apparut une surface plate et dgage bordant les premiers btiments de Nra, la cit des sorcires. Elle tait grande, et belle, jugea premire vue le vagabond, jamais encore il n'en avait observ de si gracieuse dans le royaume de France. Il s'y lanait de hautes tours noires arrondies et tournoyantes, perces de mille lumires multicolores, accompagnes d'aiguilles tincelantes de hauteurs ingales et de btiments de plusieurs tages en forme de pyramide gradins. Il s'y blottissait des temples arrondis aux coupoles de nacre avec des colonnades de cristal, des maisons en briques d'bne chapeautes de toits pentus aux tuiles d'argent, des chemins pavs et droits de pierres blanches, si propres et reluisantes qu'on les aurait imagins avoir t frott la veille encore. Une rivire sombre sinuait prs de l et de petits ponts de bois carmin enjambaient le cours d'eau, donnant sur des jardins spars par des haies odorantes ou des massifs de fleurs, avec des kiosques d'or ajour et cisel, travaills artistiquement. Sur chacun des btiments levs de Nra il brlait un feu clair afin d'en chasser la nuit, et mme sur les versants abrupts des montagnes se dressant en arrire-plan, il y avait de minuscules temples de pierre grise au coeur desquels ondulait une luminosit identique. Il se dgageait de l'ensemble une impression de grce sereine et paisible, de cet clat dgag par les personnes parvenues au terme d'une longue existence, et possdant la sagesse de la vie. Assurment il ne s'agissait pas l d'une cit maudite construite de bric et de broc, par des sorcires terrestres ou Amazoons en butte un exil forc. Seules des personnes matures en paix avec elles-mmes et l'univers avaient pu tracer les plans d'une si ravissante cit. Les deux Hros des Temps Anciens taient songeurs en observant ses attraits, mais le plus mditatif et pensif tait encore le magicien tnbreux, tout de noir vtu. Le chat carlate aux yeux d'or, eut-on dit, partageait ses rflexions intimes par le secours d'on ne sait quelle magie fline. Iolo le Tnbreux fit signe au vagabond de cesser sa marche, lui-mme avec les chats circonspects en faisant de mme. La colonne de guerriers maussades et graves en observant leur arrt s'immobilisa, et descendant de son cheval afin de faire le moins de bruit possible, le neveu du grand roi des Francs, Roland, avana pas feutrs vers le magicien.

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 Allez-vous attendre notre retour ici, magicien ? lui chuchota-t-il en fixant les alentours avec une inquitude non feinte. Nous aurions peuttre eu besoin de vos sortilges contre ces sorcires Je n'en doute pas, pour ma part, se dfendit schement Iolo le Tnbreux, mais les magiciens de la Ligue abhorrent toute forme de violence et servent une seule magie, la plus haute et leve d'entre toutes. Peut-on savoir laquelle ? s'enquit le vagabond avec curiosit, touffant en mme temps de sa main un aboiement de Tagor, fort malvenu assurment dans ces circonstances. L'Amour est la plus puissante des magies, elle est l'origine et la fin de la Vie, nous la vnrons. Si par ma personne la Ligue des Magiciens de la Terre s'intresse de si prs aux Amazoons et leurs soeurs de la Terre, ce n'est assurment pas pour les combattre, mais pour les mieux connatre. Elles ont enlev Grace, une princesse de sang du royaume de France ! manqua de s'touffer en retour le neveu du patriarche barbu, regardant dans leur direction avec souci. Avec une seconde fillette, je sais, et peut-tre d'autres encore, avana le magicien. Mais il ne peut comprendre entirement, celui qui ne fait que juger. Voyez leur avant-poste, dit-il en le dsignant du doigt. Un fou ou bien un criminel aurait-il pu en avoir la vision ? Roland, le neveu princier, secoua la tte en approuvant contrecoeur. Les sorcires Amazoons sont un peuple trs vieux, il rgnait autrefois sur la Terre, murmura entre ses dents Aquilon le Myrionime, l'un des deux Hros des Temps Anciens. Car avant, les femmes avaient la suprmatie sur l'homme. Le magicien vtu de noir approuva silencieusement. La Ligue dtient le Scavoir trs Ancien, dont elle est le dpositaire, renchrit Iolo le Tnbreux. Lorsque l'homme affirma sa puissance sur la femme certaines d'entre elles, dtentrices de la science immmoriale des femmes, partirent vers les toiles avec leur desse incarne, la Vierge Noire. Elles s'tablirent dans le systme de la Roue, dans les galaxies centrales, termina Gnsio le Triptolme en fixant la cit obscure de Nra. Tout cela est lointain Mais elles laissrent des ambassades en des lieux retirs. La princesse Grace ne saurait tre si cavalirement traite ! articula d'une voix blanche le neveu du roi. Cet enlvement est indigne de personnes civilises !

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 En cela, je suis tout fait d'accord, acquiesa le Tnbreux, et ma mission d'tude est galement une mission de remontrance. La Ligue des Magiciens de la Terre possde un devoir de protection envers la Terre, toutes, autant qu'elles puissent tre, et ce disant il esquissa un faible sourire envers le vagabond et les deux Hros des Temps Anciens, et nous ne saurions laisser quiconque empiter sur notre domaine sans ragir. Alors venez avec nous, de votre magie puissante vous nous ouvrirez toutes les portes ! le supplia Roland d'une voix discrte mais nettement audible. Non, trancha le magicien aprs avoir jet un bref regard aux alentours. Mme si nos buts se ressemblent, nos moyens pour les atteindre sont dissemblables. Mon chemin n'est pas celui de la violence, ni celui des armes. Allez votre route, j'irai la mienne. Pour ma part, j'attendrai votre retour ici. Sans autre forme de procs Iolo le Tnbreux alla s'asseoir tranquillement au pied d'un arbre gris-argent nanti de feuilles longues et tombantes, et les chats s'parpillrent aux environs en mission de reconnaissance. Malaisment, car il ne savait trop quelle attitude adopter et de plus, il tait tout sauf une personne belliqueuse, le mendiant Jean de la Lune en compagnie de son chien alla se reposer son tour dans l'herbe ple, et frache. Elle tait soyeuse et douce, nota-t-il incidemment. Pestant et renclant, la colonne de soldats reprit sa marche silencieuse en compagnie des deux Hros des Temps Anciens. Charlemagne, roi des Francs, avec son neveu bien-aim Roland prit pied peu aprs dans la plaine ombreuse et curieusement brillante la fois entourant Nra : les montagnes lointaines paraissaient fixer le dtachement avec vigilance et attention. Distraitement, le mendiant en caressant son chien Tagor Iolo le Tnbreux pour sa part restait muet et perdu en de sombres rflexions fixa l'tendue d'herbe ple foule par les guerriers francs sur la face cache de la lune. Soudain, les innombrables pierres leves faisant saillies en divers points de la plaine, jusque l d'une immobilit parfaite, se mirent tourner lentement, puis ensuite une allure de plus en plus rapide. Le cri d'tonnement du vagabond attira l'attention du magicien noir, mais aprs un bref regard il s'en dsintressa compltement, comme si cela n'avait aucune espce d'importance. Le dtachement des Francs avait vu lui aussi le surprenant phnomne, et s'tait immobilis avec mfiance sur la plaine. Aprs avoir pivot sur elles-mmes telles des toupies dmesures, les pierres ancestrales s'taient vanouies. En leur lieu et place des tres mi-hommes mi-chiens parurent, aboyant lugubrement en faisant tinceler l'clat nacr de leurs

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crocs. Les chevaux renclrent en sentant leur prsence et aprs les avoir repris en main, les soldats spcialement choisis par le roi des Francs pour leur courage et leur vaillance se lancrent au galop afin d'chapper l'encerclement des homme-chiens. Ces derniers taient barbares et effrayants en diable, avec leur nudit et leur facis canin, leur fourrure fauve pendant par mches dsordonnes et leur voix rauque odieusement humaine. Sans la moindre peur ils bondirent sur les cavaliers, et mordant pleines dents les chevaux, ils les firent se cabrer violemment afin de se saisir de leurs matres. D'autres barrrent la route vers Nra, cette cit ne donnant aucun signe d'agitation, et leur simple prsence fit rebrousser chemin aux chevaux. Un vent froid soufflait sur la plaine, venant des montagnes, il faisait onduler le tapis des hautes herbes lunaires et frissonner les taillis pineux par vagues successives. Les glaives frappaient et glissaient sur la peau des homme-chiens, dure et coriace tel du vieux cuir. Les couteaux, les poignards et les lances n'taient pas d'un plus grand secours. Dans la plaine d'herbe grise, sous le couvert des toiles argentes et la nuit ternelle de l'espace anthracite, le dtachement des Francs se battit pied pied avec les homme-chiens surgis des pierres leves. Leur chair paraissait tre minrale, leur coeur et leur rsolution sans faille ne faiblissaient pas. Les guerriers avec leur tte le grand roi et son neveu se dmenaient hardiment l'aide d'injonctions viriles et de grands moulinets, mais ils reculaient insensiblement et finirent par former un cercle, bien malgr eux, car ils taient acculs. Pourtant Aquilon le Myrionime et Gnsio le Triptolme, les deux Hros des Temps Anciens convaincus par Charlemagne de se joindre la troupe, grognaient sourdement en frappant d'estoc et de taille avec leurs lames merveilleuses, irradiant dans la nuit en mordant et ripant sur la couenne tenace des homme-chiens. Ceux-ci mordaient et dchiraient bruyamment, avec une joie sauvage, les guerriers ples et puiss de leurs efforts violents et ininterrompus. Finalement seuls les deux Hros des Temps Anciens, ns aux dbuts du monde des hommes, poursuivirent le duel avec les cratures dmoniaques. Mais bientt mme eux s'aperurent de l'inutilit de leurs efforts, et de l'infriorit numrique laquelle ils taient rduits. Ils plantrent leurs pes ciseles dans la terre humide et noire de la lune, comme l'avait dj fait le reste du dtachement de guerriers. Et Gnsio le Triptolme grogna. C'est inutile, affirma-t-il simplement.

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D'un mouvement de tte, Aquilon le Myrionime l'approuva. Puis il tourna son regard vers une imposante crature d'cailles avanant vers la troupe avec sa cavalire, car il s'agissait d'une sorcire, et du coin de l'oeil il observa Iolo le Tnbreux. Jean de la Lune venait aussi vers eux. Evzoons, l'impudence le dispute chez vous la sottise, leur dit la sorcire visiblement envoye par les Amazoons de Nra. Vous traversez nos terres indment, et vous marchez sur Nra avec une inconscience confinant la folie. Vous imaginez-vous que nous avons pour habitude de laisser sans dfense nos demeures ? Vous connaissez maintenant la puissance des Amazoons sur leur territoire, par les griffes et les crocs de nos Stryphes. Retournez chez vous immdiatement, Evzoons, c'est un avertissement sans frais, cracha l'envoye de noir vtue. Et considrezvous heureux d'tre encore en vie. Aprs avoir baiss la tte durant le discours de l'Amazoon sur sa monture cailleuse disproportionne, le roi des Francs Charlemagne essaya de dfendre sa position aprs cette dfaite pitoyable. Sorcire, tes enchantements ne nous effrayent pas et ils sont sans effets sur notre vaillance, lui assura le vieillard au port de tte altier. Nous sommes venus jusqu'ici chercher des petites filles arraches leurs familles par les vtres, au coeur de notre royaume de France. Cet acte est odieux, et il constitue une grande injustice. La sorcire ne rpondit pas, se contentant de cracher par terre en signe de mpris. Le cercle des tres mi-homme mi-chien appels Stryphes n'avait pas desserr son treinte, et tait sur le point de dferler en un assaut ultime et sanglant sur les guerriers chous dans ce domaine lunaire. Vous, les Evzoons, vous aimez crier ainsi l'injustice, rtorqua la sorcire en grimaant de colre contenue, vous qui faites ployer nos soeurs Amazoons sous le faix de votre brutalit et ignorance. En vrit, nous n'avons pas enlev vos petites filles vos traditions barbares : nous les avons libres. Quelle ignominie est-ce l ? s'emporta le neveu du monarque en prenant son tour la parole. La princesse Grace va tre sacrifie au cours de vos ignobles sabbats, et vous osez encore vous justifier ? Seuls vos artifices vous ont permis de conserver la vie, du contraire votre tte menteuse aurait dj t spare de son corps. Votre seul droit est celui du silence, Evzoons, siffla la sorcire. Vous vous souciez du sort de vos enfants seulement lorsqu'ils servent vos intrts, mais en dfinitive tous les royaumes de la Terre sont au service ultime des Evzoons, ils sont votre manation et les Amazoons ont pour

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seul devoir et unique but de vous servir, comme des esclaves. Vous avez le dshonneur pour tout bagage ! Les membres de l'expdition avaient blmi sous l'insulte, seul le magicien noir coutait l'cart, les bras croiss, sans rpondre. Et les enfants de vos pouses, vous les leur enlevez lorsque le dsir vous en vient ! reprit la sorcire d'une voix dure. En fait, vous protestez pour conserver intactes vos prrogatives. Contentez-vous de savoir ceci : ces cinq petites Amazoons, car elles sont cinq, mme si seule l'une d'entre elles, dirait-on, vous importe, seront heureuses avec nous et oublieront rapidement la misre et la crasse du lieu de leur naissance. Vous vous consolerez vite, car le bonheur de vos enfants, au fond, vous importe peu. Alors le roi des Francs s'tait avanc, au comble de la fureur. Ses joues taient cramoisies et ses yeux tincelaient de fureur, ses lvres tremblaient. Il tendait un index maigre vers la sorcire, l'abri sur sa monture lphantesque. Vous vous garez en nous mprisant ainsi, sorcire noire ! Nul tre sur la Terre n'est aussi indigne, mme les plus viles des btes apportent davantage d'amour leurs enfants, contrairement vos paroles. Nous sommes pauvres par rapport vous, sorcire Amazoon, et nos cits ont peu de ressemblances avec la vtre, et les autres dissmines par l'univers. Mais la fiert de nos pres, nous l'avons transmise nos enfants. Et aucun de ceux du royaume de France, aucun, vous m'entendez bien, ne pourra dire jamais avoir t abandonn par son roi son sort. J'ignore o se trouve votre capitale, et votre empire, mais les petites filles enleves notre amour, nous vous les reprendrons. Elles sont des ntres, et le bonheur est chu seulement ceux capables de protger ses descendants. La sorcire eut un large sourire, presque carnassier, dvoilant l'clat immacul d'une range de blanches dents. La fiert est avec l'ignorance un don largement dispens par chez vous, dclara-t-elle en retenant visiblement un clat de rire. Mais vous tes dans l'erreur, notre mpris l'encontre de l'archasme des Evzoons de la Terre ne se teinte pas d'ostracisme. Vous tes les bienvenus chez nous, sur Edennia, dans le Systme de la Roue. Et vous pourrez vousmme constater de visu le bonheur de vos "filles", elles sont bien traites et le seront toujours. Car l'une d'elles est sans conteste l'incarnation de la Vierge Noire. Cette dernire est notre guide, et notre idal, termina-t-elle dans un souffle respectueux.

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 Nous acceptons votre invitation, et tenterons au mieux de pouvoir y rpondre, lana alors avec une voix paisible Iolo le Tnbreux, jusqu' prsent l'cart de la conversation. La sorcire eut un bref hochement de tte dans sa direction, avant de faire volter sa monture norme, au cou serpentin et la tte argente, aux pattes massives. Qu'il en soit ainsi. Veillez cependant lorsque vous marcherez dans nos artres et sur nos mondes garder toujours en mmoire un proverbe de chez nous. Et ce proverbe dit : Une place pour chaque chose, et chaque Evzoon sa place. Sur ces paroles, la sorcire noire aux cheveux bleus s'en fit demi-tour vers la cit de Nra au petit trot. Les tres canins appels Stryphes avaient trottin vers les pierres leves, ces dernires engloutissant les vigiles aprs s'tre de nouveau mises tourbillonner silencieusement. Les soldats barbares aux bras ballants s'taient regards les uns les autres avec une mine consterne, car le combat avait eu lieu et la dfaite avait t consomme. Les gardiens des Amazoons s'en taient retourns dans leurs pierres, et ne feraient plus de quartiers si jamais ils devaient remonter de nouveau la surface. D'un geste las, Charlemagne, dont les habits de grand prix avaient souffert du combat, avait donn l'ordre de la retraite. Avec une lenteur infinie les guerriers de la colonne s'en retournrent vers leur base, l'endroit de la rivire d'ambre o s'taient poses leurs nefs. Lorsqu' la suite du dtachement Iolo le Tnbreux et les deux Hros des Temps Anciens, accompagns de la troupe de chats avec Jean de la Lune, son chien Tagor, s'en furent revenus prs de la clairire aux abords rocheux et glougloutant, ils se joignirent au cercle form par le vnrable roi de France. La voix de ce dernier tait tremblante et brise d'motion, son coeur tait en peine. Des sorcires noires nous ont pris cinq de nos enfants, et n'ont aucune intention de nous les rendre, ngligeant notre volont et notre moi, se lamenta le roi la cape souille par les Stryphes. Jamais le dshonneur frappant notre royaume n'a t aussi grand. La honte s'abattra sur nous, renchrit son neveu Roland en se griffant le visage, puisque nous avons t indignes. Leurs sides nous ont vaincus, et nous ont abandonns ensuite comme un adversaire misrable et ngligeable. Honte, honte, honte sur nous ! Les guerriers aux longs cheveux et aux mines farouches, aux bras muscls et aux visages barbus se frappaient la poitrine en gmissant, certains

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sanglotaient en raison de leur grande dtresse. Ils taient des soldats d'lite, et ils avaient faut en tant surclasss par leurs adversaires. Allons, voyons, les consola fermement le magicien noir, oublieriezvous l'invitation faite par l'missaire des Amazoons ? Son statut d'envoy lui accordait le droit de dlivrer de telles promesses, rien ne nous empche aprs tout d'aller vers la civilisation Amazoon la rencontre de ces cinq petites filles. Une fois l-bas nous pourrons srement plaider notre cause bien mieux, peut-tre leur reine se laissera-t-elle flchir ? Charlemagne, la barbe de neige et aux traits encore virils en dpit de son grand ge, prit le temps de rflchir soigneusement l'ide prsente, et secoua ngativement la tte aprs avoir tudi les diffrents aspects du problme. Dj avant de vous rencontrer, magicien, rvla-t-il, des pillards s'agitaient sur les frontires du royaume, et je les ai ngligs pour venir jusqu'ici la recherche de Grace, notre princesse jolie. Je ne peux me passer davantage des lments de valeurs se trouvant ici, car les escarmouches et les batailles vont tre nombreuses, je le pressens. Je ne peux rester plus longtemps, les affaires du pays de France me rclament sans retard. Mon oncle, se rcria avec horreur son neveu, vous ne pouvez abandonner ainsi la princesse Grace ! Et Sandra ? interrogea le mendiant Jean de la Lune, et les autres petites filles ? Elles doivent pleurer souvent, leurs parents ne connatront plus jamais le repos ! D'un autre ct mdita songeusement le monarque en caressant son menton. Il va de soi, quelque chose doit tre fait, et une telle action des sorcires ne peut rester impunie. Avez-vous une suggestion, mon oncle ? lui demanda en retour son neveu Roland, portant encore sur le visage les traces des griffures qu'il s'tait imposes. Les flins tenaient un conclave inintelligible prs du chat carlate aux yeux d'or, lui-mme se situant derrire Iolo le Tnbreux, le magicien d'une autre Terre. Mmement, les deux Hros des Temps Anciens ne disaient rien et aprs avoir fourbi leurs armes, ils s'taient placs l'cart puisque leur aide n'tait plus d'aucune utilit. Le roi des Francs, Charlemagne, avait arbor une expression ruse. Puisque ces sinistres Amazoons se vantent d'un plus haut niveau de civilisation, nous les mettrons au pied du mur en leur envoyant une ambassade, dit-il lentement en fixant les cieux noirs sous l'clat des

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flambeaux sur leurs trpieds de bronze. Et leur monarque, nous demanderons justice. Nos fillettes, toutes nos fillettes, doivent nous tre rendues. Il y eut des vivats et des hourras de la part de la troupe guerrire, rsonnant dans les environs de la plaine lunaire au centre de laquelle trnait Nra, protge par le cercle discret de ses pierres leves. Puis les clameurs peu peu se turent, car chacun bien videmment se demandait de quelle manire il allait pouvoir leur tre possible d'atteindre le royaume des Amazoons, dans le systme de la Roue, auprs des galaxies centrales. Alors le preux Charlemagne, noble et auguste, toussota discrtement pour s'claircir la voix avant de s'adresser au magicien noir responsable de leur arrive en ce lieu lunaire et obscur. Iolo le Tnbreux sourit brivement, paraissant attendre cela depuis un bon moment dj. Enchanteur, voici peu tu as accept l'invitation des sorcires de nuit nous rendre chez elles, dans leur lointain royaume. Et pareillement tu as ranim l'ardeur de mes guerriers en le leur rappelant, assura le grand roi. Ta magie seule est responsable de notre arrive en ce lieu inhospitalier, tu le sais. Accepterais-tu, par ta science, de guider mes missaires jusqu' la patrie des femmes noires aux cheveux bleus ? Iolo le Tnbreux resta muet et pencha la tte pour mieux s'aider penser, la relevant seulement aprs un bref miaulement de connivence du chat rouge sang. Ce serait avec plaisir, cela pourrait nous apporter des connaissances sur des magies trangres et cet enrichissement est apprciable aux yeux de la Ligue des Magiciens de la Terre, assurment, affirma-t-il. Ma mission ne consistait pas seulement jauger la puissance magique des Amazoons et le fait de mener votre ambassade me permettrait de la poursuivre utilement. Mais je dsire poser une condition essentielle mon accord sur cette entreprise. Quelle peut-elle tre ? s'enquit avec une feinte surprise le monarque, celui-ci s'attendant le voir formuler en retour une demande pcuniaire. Je ne dsire ni or, ni argent, encore moins de bijoux ou rien de prcieux d'aucune manire, assura l'enchanteur. Mais je dsire choisir moimme les membres de cette ambassade. savoir ? Votre neveu Roland pourra se joindre l'aventure, articula Iolo le Tnbreux, car sous son apparence dsinvolte et ses manires futiles, je devine un homme de bien. Mais je voudrais galement voir venir avec

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nous mes amis les chats, ils m'en ont fait la demande, avec Aquilon le Myrionime et Gnsio le Triptolme. Alors, il ne savait trop pourquoi, le vagabond Jean de la Lune eut le coeur serr par un tau de glace, car il avait conu l'espace d'un instant l'espoir fou de se joindre au groupe. Puis le mage reprit la parole, et le mendiant manqua hurler de joie. Mon asanthne dsirerait galement voir nous suivre celui auquel vous avez donn le nom de Jean de la Lune. Votre quoi ? grogna le monarque en tendant l'oreille, il n'avait pas trs bien entendu, ni trs bien compris le terme utilis par le mage. Mon chat-cerise, si vous prfrez, expliqua Iolo le Tnbreux pour faire court. Le roi Charlemagne hocha de la tte afin d'exprimer sa comprhension, puis se tourna vers les personnes ainsi sollicites. Chacun de vous est-il d'accord pour constituer l'ambassade du roi des Francs, mon ambassade, en mission vers le pays des Amazoons au plus profond de l'espace ? Il semblait plus particulirement chercher l'approbation des deux Hros des Temps Anciens, car ces derniers taient de par leur qualit des personnages considrables, il est vrai. Mais aucun des deux ne se dsista, bien au contraire, et son neveu, avec Jean de la Lune, consentit volontiers la demande du magicien mystrieux. Le roi des Francs Charlemagne fit ses adieux son neveu qu'il semblait de toute vidence chrir tendrement, et cette occasion deux larmes discrtes sillonnrent ses joues ples. Il serra les mains de ceux devenus ds cet instant ses missaires, mme le vagabond au manteau noir, aux pieds nus, eut droit son accolade. Sur un seul geste du mage Iolo le Tnbreux, une arienne rivire d'argent identique celle ayant men jusque-l les nefs du roi des Francs jaillit de l'Incre, et, quittant les flots sombres du cours d'eau lunaire, l'onde se courba en se perdant dans les cieux en un dversement ininterrompu. Il ne vous faut plus tarder davantage retourner sur la Terre, vers le royaume de France, lana d'une voix sereine le magicien noir en direction de Charlemagne et de son dtachement. Cet enchantement possde une dure limite, il ne tiendra pas au-del de quelques heures. Puisque vos adieux ont t faits, grand roi, faites monter vos chevaux dans les navires et ramer d'abondance vers la Terre, car il vous faudra compter avec le temps pris par votre voyage de retour. Veillez ne pas rester perdus dans le ciel obscur par un excs de lenteur.

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Ainsi les choses s'acclrrent et la petite troupe fit comme suggr par Iolo le Tnbreux : lorsque les nefs aux voiles carres vogurent sur les flots du sortilge franchissant l'espace, les hommes restant sur la grve rocheuse se regardrent les uns les autres sans raction. Ils venaient de raliser leur solitude, sur la face cache de la lune, dans le domaine et le territoire des sorcires de la Terre et de leurs soeurs Amazoons. Les chats ne s'en effrayrent pas outre-mesure, ni les deux Hros des Temps Anciens. Probablement avaient-ils d vivre d'autres odysses, plus prilleuses encore. Seul montra une certaine inquitude le neveu du monarque, Roland, en dcouvrant quel point la suite des vnements dpendait de la bonne volont de ce mystrieux enchanteur, envoy d'une Ligue magique non moins inconnue. Le vagabond du royaume de France raffermit sa prise sur la besace de toile renfermant ses seules possessions et il ne vacilla pas, car la solitude tait son lot dj depuis de longues annes, elle constituait pour lui une compagne fidle. Mais il ne s'en interrogea pas moins, voix haute videmment. Ainsi nous allons marcher vers le coeur de l'empire Amazoon ? Et nous allons chercher ramener sur la Terre les cinq petites franaises enleves contre leur volont ? Dont Sandra ? Iolo le Tnbreux en leur faisant de la main un signe d'invite approuva, et il avana en les prcdant vers une crique rocheuse non loin de l'endroit choisi pour le dbarquement. Il y avait l des arbres noirs et tirs dcrivant un cercle frissonnant autour de la troue. peu de choses prs, sourit vers le vagabond le magicien. Le chat carlate aux yeux de soufre dor partageait avec lui un identique sourire, eut-on dit.

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Chapitre

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O pouvons-nous bien tre, s'interrogea le vagabond Jean de la Lune, en flattant machinalement son chien Tagor. Il fixait avec les deux Hros des Temps Anciens l'endroit cart et sauvage dans lequel, aprs une marche laborieuse travers les fourrs lunaires le long de l'Ambreuse, le magicien noir Iolo le Tnbreux escort de ses chats venait de les mener. C'tait un lieu rocailleux partir duquel la cit des sorcires Amazoons n'tait presque plus visible l'horizon, signe manifeste du long chemin parcouru par la petite troupe pour parvenir jusque l. La rivire sous l'clat des toiles s'coulait placidement entre des rocs gris, bordant la rive sur laquelle se trouvaient les ambassadeurs du roi des Francs. Son neveu Roland, aprs avoir march vers les rochers immmoriaux et les avoir examins de long en large, revint pas lents vers ses compagnons de voyage, l'air soucieux et tonn. Ce sont des pierres leves, expliqua-t-il en caressant son menton. Les mmes utilises par les sorcires noires Amazoons ? s'enquit de nouveau le mendiant du royaume de France, dtenteur prsent d'une identit et d'une dignit nouvelle. Exactement, articula le magicien en accdant son tour la rive de l'Ambreuse : cet endroit le relief dcrivait une lgre excursion hors de son lit, en un lieu lgrement aplani. Les rocs dchus formaient une vague circonfrence, un cercle chaotique et confus. Les pierres normes se trouvaient tantt dans une partie de l'Ambreuse, et tantt sur la rive grise. Car le cercle des pierres mordait sur l'Ambreuse et une portion de rive. Ces pierres sont anciennes et datent d'il y a bien longtemps, reprit Iolo le Tnbreux. Elles se dressaient dj lorsque les Amazoons n'taient pas encore parties vers les toiles de la Roue, en direction des galaxies centrales. C'est dire leur antiquit, en dehors de la Ligue des Magiciens de la Terre peu d'habitantes de Nra doivent tre au courant de leur existence. Nous allons user d'elles et imiter les sorcires Amazoons, car ses

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pierres doivent leur existence leur art et la magie archaque des femmes. Mais ces pierres sont croules, pour la plupart ! lcha Gnsio le Triptolme en les dsignant d'un geste vhment. C'est bien l le problme, en effet, reconnut avec un faible sourire le magicien de la Ligue, il nous va falloir les redresser, toutes, afin de reconstituer le cercle et d'activer la magie dpose en elles par les sorcires Amazoons d'autrefois. Un grand silence tomba sur le groupe, le travail n'tait pas mince et demandait bien des efforts. Un vent aigre se leva, faisant frissonner les arbres lunaires. Les chats accompagnant le magicien inspectrent les environs avec nonchalance, et le plus petit d'entre eux alla mme jusqu' escalader un roc mgalithique situ sur le sec, il est vrai. Puis enfin chacun se dcida et convint de mettre en oeuvre la partie la plus difficile de leur entreprise. savoir, redresser dans sa totalit le cercle des pierres leves, empitant sur une partie peu profonde de la rivire lunaire et sur sa rive pierreuse. Iolo le Tnbreux se mit torse nu et chacun put apercevoir la blancheur de sa peau, avec une musculature bien marque et un torse large. Le neveu de Charlemagne, Roland, se dvtit de mme jusqu' la ceinture, suivi des deux Hros des Temps Anciens, Gnsio le Triptolme et Aquilon le Myrionime. Pour finir le mendiant Jean de la Lune les imita enfin en dpit de la morsure du vent glacial, faisant se hrisser sa peau au contact de la bise lunaire. Sans tarder, tous se mirent en devoir de relever d'abord les rocs mgalithiques reposant sur le sec. Leurs dimensions n'taient pas excessives, il est vrai. Et les quelques cordes dniches par le noble Roland dans une cabane non loin de l leur furent d'une aide apprciable. Lorsque les pierres ancestrales sur la rive de l'Ambreuse eurent enfin t replaces dans leur position initiale, et disposes suivant l'ordonnancement d'origine, la petite troupe aprs avoir su sang et eau entreprit de se remettre au travail au terme d'une courte pause. Jean de la Lune ne fut pas le seul grimacer lorsque l'onde glace lui arriva la taille. La prise des pierres tait malaise, elles taient uses et moussues par le passage immmorial de l'eau, et certains mgalithes avaient t rouls sur une courte distance par la force du courant. Tout cela augmenta le temps ncessaire pour leur remise en place, et ils ncessitrent de plusieurs priodes de repos pour rcuprer des forces. Mais finalement la tche pnible fut mene son terme, et le cercle des pierres ainsi

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disposes cheval sur la limite de l'Ambreuse arborait un aspect singulier, mais sans conteste possible similaire son tat prcdent. Le magicien noir d'abord ne fit rien, part allumer avec l'aide du noble Roland un feu de bois craquant, afin que chacun, tremp par l'aventure, puisse se scher loisir. Ainsi agit avec un plaisir vident le jeune homme aux longs cheveux de bl mr, aprs s'tre enroul dans son manteau sombre. Pareillement fit le magicien de la Ligue, sur ses sous-vtements il enfila son pantalon de soie noire avec sa large ceinture orne de pendeloques d'or, et il se chaussa de ses bottillons obscurs en revtant sa tunique de soie, noire galement. Mme le bret de velours la plume d'bne dont il s'tait dbarrass pour participer l'rection des pierres anciennes retrouva sa place sur sa tte. Le noble Roland lui aussi avait remis ses vtements de riche apparence, des braies raffines recouvraient ses jambes et son torse portait une tunique de daim tann, avec une ceinture de soie dlicate la taille. Les deux Hros des Temps Anciens, Gnsio le Triptolme et Aquilon le Myrionime pour leur part s'taient une fois encore nantis de leurs capes pourpres, par-dessus leurs chemises de lin. Eux aussi, comme le noble Roland, portaient des braies sur leurs jambes mais leur matire n'en tait nullement prcieuse, car elles taient faites seulement d'un cuir us et tann par les annes. Ils avaient des sandales de cuir dtonnant par leur simplicit avec les mocassins prcieux du neveu princier, mais sur ce point-l celui surprenant le plus tait le mendiant, Jean de la Lune. En effet, sa grande honte, il se contentait de marcher pieds nus. Enfin Iolo le Tnbreux, aprs s'tre rchauff et repos loisir devant le feu de bois, en compagnie des autres, chats et chien y compris, jugea le moment venu de faire se mouvoir les pierres leves portant encore la puissante magie des sorcires Amazoons. Il s'approcha du cercle et sa bouche s'agita silencieusement, ses mains se rejoignant dans les manches de satin de sa tunique en se mouvant l'abri du tissu, dcrivant des signes secrets cabalistiques et des figures mystrieuses. Le chat carlate aux yeux d'or se tenait prs de lui, contrairement au reste de l'assemble fline place en retrait. Jean de la Lune crut discerner en cela une entente secrte et mystrieuse entre le magicien de la Ligue et le chat carlate, sans pouvoir la percer jour mais la pressentant nanmoins fortement. Le vagabond continuait de songer ces choses lorsque les pierres leves dans leur cercle magique se mirent tourbillonner sur elles-mmes, sans pour autant changer de place d'un pouce. Iolo le Tnbreux se tourna vers le reste de l'assemble.

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 Les pierres leves de la crique sont toujours puissantes, les informations de la Ligue des Magiciens de la Terre taient donc exactes. Allons ! Ne tardons plus, car le raffut pourrait attirer l'attention d'une patrouille d'Amazoons. Chacun doit choisir une pierre, et se laisser transporter par elle jusque dans le systme de la Roue. Voyant le courage et la vaillance de la petite troupe dcrotre dans la nuit glace et lunaire, le mage de la Ligue s'engagea sans attendre dans l'treinte tournoyante de la pierre leve la plus proche, le chat carlate trottinant sur ses talons. Le reste des chats sans la moindre apprhension s'engloutit dans la pierre suivante, et le noble Roland avec les deux Hros des Temps Anciens, Jean de la Lune en compagnie de son chien Tagor, se regardrent sans mot dire. Le magicien tait parti et s'ils ne voulaient pas rester bloqus sur la lune pour le restant de leurs jours, leur chemin tait tout trac. Chacun marcha vers une pierre leve et celle du vagabond se trouvant dans l'onde de l'Ambreuse, Tagor le chien noir ne voulut tout d'abord pas accompagner son matre, ce dernier se refusant l'abandonner ainsi. Finalement Tagor parut se rsoudre l'inluctable, et le jeune homme entra le dernier dans le tourbillon de la pierre la plus proche. Lorsque cela fut fait, le mouvement giratoire des pierres leves cessa. Et ds lors l'onde de l'Ambreuse retrouva son habituelle srnit, le cercle des rocs subsistant l'image de gardiens statufis et hiratiques sous le ciel noir aux toiles d'argent. Un court instant, le mendiant eut l'impression d'tre emport la vitesse de l'clair dans un vide tnbreux et glac orn d'astres scintillants, puis l'trange spectacle dont il crut tre le tmoin s'vanouit et il reprit ses sens auprs de ses compagnons dans le systme de la Roue, sous un ciel tide dans lequel trnait un ple soleil, deux trois fois plus petit que celui de la Terre. Toute la troupe se trouvait dj l, dispose en circonfrence : il y avait Iolo le Tnbreux et son chat carlate, le noble Roland et le reste des flins, les deux Hros des Temps Anciens avec le chien noir Tagor. Prs de l se dressait un cercle entier de pierres leves, rplique exacte du modle lunaire responsable de leur long voyage. L'aspect et la coloration des mgalithes tait dlav, l'tat d'oubli dans lequel il subsistait ici devait tre semblable celui frappant son lointain homologue, prs de la Terre. Entre les taillis du paysage vgtal abandonn o ils venaient d'arriver, des massifs de fleurs en forme de clochettes et de fines trompes, oranges et indigo stries de filets d'or, se mouvaient au rythme de la brise. Des herbes folles poussaient en tous lieux, des arbres squelettiques dressant leurs branches griffues vers le

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znith au bleut teint. Un troupeau de nuages blanchtres moutonnait dans le ciel. Ce paysage ressemble beaucoup celui de la Terre, remarqua voix basse le Hros des Temps Anciens, Aquilon le Myrionime, en posant une main sur le pommeau de son pe, dans son baudrier de cuir. Cela n'a rien d'extraordinaire, lui rpondit le mage de la Ligue en jetant un regard circulaire alentour, puis en prenant une direction bien prcise. Ce doit tre par l Si les pierres ne nous ont pas gars ! Chercheriez-vous quelque chose ici, ou bien quelqu'un ? lui demanda son tour le noble Roland. Il y a avec nous seulement trois pes, et ce fait me parat discutable Il vaudrait mieux augmenter nos forces pour pouvoir dfendre nos vies, si le besoin s'en faisait sentir. Rengainez vos penses belliqueuses, Roland, lui assura calmement Iolo le Tnbreux en s'engageant sur un sentier troit presque invisible, tant il tait vieux et inutilis. Ne l'oubliez pas, nous sommes une ambassade forme par votre oncle, le preux Charlemagne. Nous sommes venus demander aux Amazoons la libration des cinq petites franaises et leur retour immdiat dans leurs familles. Notre mission n'est pas de rpandre le sang, sachez vous en souvenir. Durant quelques instants la troupe la queue-leu-leu s'tira sur plusieurs mtres le long d'un chemin bord d'une herbe sche et envahissante, puis ils traversrent une fort aux ramures enchevtres dans laquelle les rayons du soleil de l'endroit pntraient faiblement. Iolo le Tnbreux avanait avec prudence, son chat carlate aux yeux d'or allant devant lui en claireur. Le sentier montait et dvalait des buttes, se coulant entre des pans de rochers bruntres avant de se perdre dans le coeur de la fort, aux senteurs cres d'humus et de rsineux. N'est-il pas surprenant, malgr tout, de voir ce monde ressembler tant celui de la Terre ? s'tonna son tour le vagabond. Le magicien de la Ligue se retourna vers lui et lui dcocha un sourire. Lorsqu'il y a bien longtemps, dans l'enfance de la Terre, les sorcires Amazoons s'en furent vers les toiles elles ne partirent pas au hasard, leur science tait grande et cela aurait t suicidaire, naturellement. chacune de ses paroles les Hros des Temps Anciens opinaient du menton en signe d'assentiment. Elles choisirent ce monde aprs l'avoir mis en balance avec quelques autres du mme systme de la Roue, poursuivit le magicien, et celui-ci leur semblant tre le mieux mme de les accueillir, il fut tout naturellement slectionn. Ces femmes avaient foi en l'avenir et lui donnrent le nom d'Edennia.

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 Les autres mondes de la Roue furent peupls par les Amazoons seulement aprs, renchrit Gnsio le Triptolme, en poursuivant sa progression dans le chemin troit parsem de feuilles mortes. Comment savez-vous tout cela, Iolo ? interrogea le noble Roland en fronant les sourcils, et celui-ci arborait alors une expression mfiante, car le mage paraissait vraiment bien inform sur ce peuple mystrieux. Iolo le Tnbreux avait lev les yeux vers le ciel visible travers l'entremlement des branches, et sa voix devint rveuse. L'on aurait cru le dvisager ainsi, marchant sur le sentier et discutant, qu'il observait travers ses yeux mi-clos on ne savait quel pass immmorial. Les annales de la Ligue des Magiciens de la Terre sont vasives sur certains points mais formelles sur d'autres, dont je viens de vous entretenir. Ayez confiance en moi, et ne doutez pas de ma sincrit. Dans les res recules la magie de la Ligue tait la seule faire pendant la sorcellerie des Amazoons, et lorsque ces dernires s'en furent la Ligue resta seule pour veiller sur les intrts de la Terre. L'ostracisme des Amazoons envers la Terre et la Ligue ne s'est jamais dmenti au fil des ons : seules les sorcires, leurs soeurs, avaient rang de dignit leurs yeux. Mais elles ont enlev cinq petites filles de la Terre, et la Ligue ne saurait rester les bras croiss. Chacun garda le silence la suite de cette rvlation, et le magicien resta muet lui aussi, car il avait besoin de reprendre son souffle. Une certaine distance fut parcourue dans cette profonde fort d'Edennia, au coeur de l'empire des sorcires Amazoons, et un petit pont de bois branlant fut franchi. Au loin se laissrent distinguer les tuiles brunes d'une demeure vnrable, et le magicien parut en ressentir une satisfaction intrieure. Aussitt chacun sans s'tre mme concert acclra le pas afin de parvenir au plus tt cette btisse mystrieuse. En mme temps, la curiosit nous taraude, dclara de nouveau Iolo le Tnbreux, ragaillardi la vue de la maison perdue dans la verdure. Comment a volu la peuplade des Amazoons ? quoi ressemblent leurs arts, magiques et autres, et leurs cits ? C'est pourquoi mon voyage pour les gens de la Ligue revt un caractre double. D'une part rparer le tort caus aux gens de la Terre en ramenant les fillettes, d'une autre essayer d'amasser des renseignements utiles sur la civilisation Amazoon, au sujet de laquelle nos connaissances sont infinitsimales. La demeure entr'aperue auparavant se dressait maintenant devant eux, et son toit aux tuiles brun-rouge tait des plus pentus. Ses murs de briques sombres comportaient des fentres closes aux carreaux multicolores, et les baies affectaient des formes rondes. La porte d'entre se

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trouvait cercle d'un portique de colonnes minces en pierre grise, et elles taient coiffes d'un petit toit aux tuiles bruntres galement. Un balcon de pierre se situait juste au-dessus du portique d'entre, et peine Iolo le Tnbreux eut-il frapp la porte une silhouette malingre fit son apparition au balcon, sursautant leur vue et refermant vivement la baie vitre donnant accs au balcon. Peu de temps aprs l'tre vtu d'un ensemble bleu gris et serr, sauf aux manches et aux pieds, ouvrait la grande porte de bois se dissimulant sous le portique et le groupe tout entier, chien et chats compris, accda en un sombre vestibule clair de rosaces ciseles. Elles dgageaient un clat bleut et paraissaient tailles en un granit aux proprits lumineuses. Ensuite l'tre avec une grande motion et tension mit sa manche gauche, large et pendante, contre la manche droite du magicien, de manire dissimuler leurs mains et ils firent de mme avec leur autre main, pour pouvoir semble-t-il changer des signes de reconnaissance secrets. Ceux-ci durent se rvler concluants, puisque dans une intense agitation et crainte l'tre au teint de peau noir les mena alors vers sa bibliothque et salle d'tude tout la fois, car il tait dress en ce lieu des tables encombres de documents et de hautes ranges de volumes et grimoires, de parchemins rouls et poussireux. Il y avait aussi quelques meubles bas, et plusieurs chaises disposes en cercle devant l'tre d'une chemine, prsentement teinte. Les chaises taient larges et basses, dbordantes de volutes ondoyantes, avec une disposition frappant l'oeil par la singularit de son agencement. Mais il convient cependant de le reconnatre, ce dernier se mariait merveille avec le teint du bois, couleur miel, et la patine des meubles entretenus avec soin. Le propritaire de l'endroit avait rabattu le capuchon sur ses paules, avant leur venue il devait recouvrir compltement sa tte, et ses mains fines s'agitaient nerveusement en se frottant l'une l'autre, tant tait grande son motion et sa nervosit. Ses yeux, d'un noir de jais et d'une intensit frappante, papillonnaient en se posant sur chacun de ses visiteurs. Il possdait des traits fins et des cheveux courts, d'un bleut clair et presque blanc. Ses lvres taient minces et bien dessines, son visage respirait l'intelligence et le savoir. Il avait les mains dlicates, marbres de veinules bleutes, des rudits habitus compulser les ouvrages savants et se trouvait chauss de sandales aux reflets d'argent et la semelle plate faite d'une matire transparente. Avec un accent singulier, celui du peuple d'dennia, comprirent plus tard les ambassadeurs, le propritaire de la maison leur expliqua que la Ligue des Magiciens de la Terre, tout comme les sorcires Amazoons, possdait elle aussi des

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ambassades en divers lieux dont une, ultrasecrte, sur dennia mme. Et c'tait bien videmment celle dans laquelle ils se trouvaient cet instant. C'est vritablement un grand moment pour les gens de la Ligue ! murmurait voix basse le propritaire de la demeure, tantt en direction du magicien Iolo le Tnbreux et tantt en direction du reste de la troupe. Aprs tant de sicles, le contact est de nouveau nou entre la Ligue de la Terre et son ambassade la plus recule ! Soyez donc bnis, heureux visiteurs venus de si loin ! Comment va la Terre, comment se portent ses doux pays ? Dans son excitation et motion le matre de maison, les larmes aux yeux, les accablait de mille et une questions similaires. Enfin Iolo le Tnbreux calma le flot de ses paroles en apaisant quelque peu sa soif d'informations sur la patrie originelle des Amazoons et des Evzoons, puis il eut un geste prcis en direction de l'habitant du lieu. Il ne nous faut plus tarder mon ami, car la tche accomplir est urgente et l'ignorance de la Ligue des Magiciens de la Terre, au sujet des us et coutumes des Amazoons, est grande, affirma-t-il. Vous tes Algotire, l'actuel descendant de notre contact ancien, il suivit les Amazoons dans leur exil pass, n'est-ce pas ? Oui, je le suis, reconnut avec une pointe de tristesse dans la voix ce dernier. Vous devez tre Iolo, celui annonc par le message ? Oui, Iolo, Iolo le Tnbreux, convint celui-ci. Je viens d'une autre Terre. Je sais, lcha Algotire avec une expression de srieux. Jean de la Lune comme Gnsio le Triptolme, Aquilon le Myrionime, secourent la tte avec une expression compasse et douloureuse en se souvenant de l'explication fournie par le magicien sur son lieu d'origine. La plus grande confiance doit rgner ds maintenant entre nous, le succs de notre entreprise, immense et importante, en dpend, reprit le magicien. En raison de cela, je vous relve du serment de silence pesant sur vous, les chats, par le pouvoir de votre monarque, le Chamagnon Tigr, dont il m'a fait dlgation. Soyez donc bavards et diserts l'image de tous les chats de l'Arkaal, il y a seulement des amis prs de nous dsormais. Devant le mendiant de la Terre et le noble Roland, fort surpris, les chats firent claquer leurs mchoires avec un plaisir vident et discoururent qui mieux-mieux, puisque la promesse scellant leur gueule leur avait t retire. Ainsi, par ma foi, vous parlez ! s'tonnait encore le noble Roland, en se voyant transport par magie en un royaume d'enchantements et de

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merveilles. S'agirait-il d'une fable infme, destine nous tromper ? Prenez garde ! Ce n'en est aucune, lui assura l'un d'entre eux en affirmant la ronde tre un chat fameux, chastrologue de son tat, les chats de l'Arkaal, contrairement ceux de la Terre, parlent couramment et avec distinction, je vous prie de me croire. Dans l'Arkaal se trouve la patrie de tous les chats, avec leur roi, et les anciens secrets flins n'y ont pas t oublis, contrairement la Terre, miaula son tour un petit chat caramel, le plus minuscule des trois. Les anciens secrets du Scavoir n'ont pas t oublis non plus par la Ligue, semble-t-il, dit Gnsio le Triptolme avec un geste dsinvolte. Quant votre mutisme, sa singularit pour des chats de l'Arkaal ne nous a pas chapp, nous les Hros des Temps Anciens. Et d'autres de nos frres, Hros des Temps Anciens de leur tat, l'auraient remarqu pareillement. Ainsi chacun des chats se nomma, et l'un tait Nudd, l'autre, chastrologue royal de sa trs gracieuse majest fline s'appelait Prosper et arborait une fourrure sombre raye de filets d'or, il possdait des yeux au regard profond et ambr. Un autre tait Chocolat et mritait bien son nom, puisqu'il tait recouvert de la tte jusqu' l'extrmit de sa queue d'un marron sombre et soutenu, et comme en contraste le bout de ses pattes tait d'une blancheur immacule, l'image de chaussons de neige. Le dernier et le plus singulier d'entre eux tait sans conteste celui se tenant l'cart et ne quittant jamais les pas du magicien noir, il affirma se nommer Balbillus. Un rouge incarnat le vtait avec luxuriance, ses yeux taient d'un or flamboyant et chaud, dont les profondeurs mystrieuses devenaient fort troublantes ds lors qu'il posait son regard sur quelqu'un. Je suis un chat-cerise, lana-t-il, c'est une espce de chat trs rare se trouvant seulement dans l'Arkaal, en quantit rduite au demeurant. Ne nous serions-nous pas dj rencontrs ? finit par demander avec tonnement Jean de la Lune, dont l'image de ce chat-cerise troublait trangement l'esprit. Oui, ne nous serions-nous pas dj rencontrs ? miaula son tour le petit chat la fourrure caf au lait et crme du nom de Nudd. Du coup, le vagabond et le chat Nudd se croisrent du regard avec surprise. J'en doute fort, rpondit avec une tranquille assurance le flin rouge sang, son matre obscur esquissant aussitt un lger sourire. Ou alors en rve, peut-tre

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 Revenons notre problme, Algotire, s'interposa Iolo le Tnbreux en direction de leur hte. Il nous faut retrouver et ramener chez elles cinq petites filles enleves sur la Terre, et emmenes jusqu'ici par les Amazoons. Nous pensons, la Ligue des Magiciens de la Terre, qu'un important vnement est responsable de cet tat de fait, car jamais les sorcires noires n'avaient os transgresser si grossirement les frontires de la Ligue. Qu'en est-il exactement, Algotire ? Et o peuvent-elles tre retenues prisonnires ? Algotire se lana alors dans une longue explication, confuse et chaotique souhait, de laquelle les deux Hros des Temps Anciens et le noble Roland, le magicien tnbreux, durent tirer les renseignements convenant le mieux la tche fixe par l'empereur des Francs. savoir, rejoindre la suprieure des Amazoons au plus vite en son palais magique et lui demander justice, ou bien rcuprer les fillettes par la force et les ramener sur Terre au moyen des pierres leves. Mais cette dernire hypothse devait tre envisage en tout dernier recours, les prils lis son utilisation tant des plus grands, affirma le mage ses compagnons. Donc, crurent comprendre les ambassadeurs de la Terre, les sorcires Amazoons vnraient une divinit fminine appele Lilith, l'Obscure, et son incarnation humaine gouvernait dennia et ses mondes satellites sous le titre de Vierge Noire. Elle tait la reprsentation physique et vivante de la Mre, figure immmoriale et titulaire de la mythologie Amazoon. Naturellement les Amazoons rgissant dennia au nom de la Vierge Noire taient mortelles : lorsque leur fin tait venue l'esprit de la Vierge Noire allant d'Amazoon lue en Amazoon sacre depuis la toute premire d'entre elles, au commencement des temps s'incarnait de nouveau en une Amazoon inconnue, les sorcires s'en allant chercher son nouveau rceptacle avec rapidit aux quatre coins de l'univers. Pour la premire fois depuis l'immmorial exil de la Terre, sur leur plante d'origine s'tait pos l'esprit de l'ultime Vierge Noire, avaient rvl les signes et les oracles consults par les plus hautes sorcires Amazoons. En dpit du ressentiment froce nourri par les Amazoons envers les Evzoons de la Terre, par l'entremise des cercles de pierres leves les sorcires noires s'en taient alles dcouvrir leur nouvelle Vierge Noire. Le royaume de France tant le lieu suppos de naissance de l'enfant, une fois l-bas ces cinq petites filles devaient leur avoir sembl convenir. Elles les avaient ramenes sur dennia, dans le systme de la Roue, afin de subir l'preuve unique garantie fiable de validit d'o il ressortirait sans erreur possible la nouvelle Vierge Noire d'dennia et de toutes

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les Amazoons. Du moins Algotire interprta en ces termes le fil des vnements survenus. Ainsi ce serait donc cela articula pensivement Iolo le Tnbreux. O se droule cette fameuse preuve cense rvler l'authentique Vierge Noire ? Nul ne le sait encore car le lieu en est changeant, du moins aucun Evzoon ne partage actuellement ce secret accessible aux seules Amazoons, se dfendit Algotire. La Rgente tient les rnes d'dennia durant l'entre-rgne et pourrait mieux vous rpondre. La cit majeure d'dennia se situe cinq jours de marche d'ici, par chance pour vous car dennia est un monde vaste. Le nom de cette cit est Blancoon, et l repose le centre et le coeur du pouvoir Amazoon. Il est tiss de merveilles et d'trangets, les chimres hantent le palais central o rside la Vierge Noire. Elle seule peut s'asseoir sur le Trne Ensorcel : et son Cavalier, aussi. Son Cavalier ? interrogrent en choeur les deux Hros des Temps Anciens et le jeune homme du royaume de France. Oui, c'est un Evzoon de confiance de la Vierge Noire, et c'est le titre le plus lev auquel puisse prtendre un Evzoon sur dennia. Tout cela est bien confus, mais nous connaissons notre devoir : aller demander la libration immdiate des cinq petites franaises, elles doivent manquer terriblement leurs familles, coupa le noble Roland, agac visiblement par ce verbiage interminable. Tout fait, certainement, approuva le magicien noir, et le chat-cerise opina bruyamment ses paroles. Pourtant Jean de la Lune crut distinguer un clair madr dans le regard de Iolo le Tnbreux, et le chat carlate lui aussi fixait le mendiant aux longs cheveux d'or bizarrement. Mais aussitt le magicien noir trancha dans le vif, faisant cesser net toute rflexion au vagabond. Il nous faut partir, Algotire, vous savez notre dsir, n'est-ce pas. Oui, je le sais, cher confrre, lui assura l'homme la peau noire et aux cheveux bleus de blanc ml. Et pour cela je vous le dis : vous pouvez sortir sans crainte avec vos habits de la Terre, au sus et la vue de tous et de toutes. Devant les mines rjouies l'coute de cette bonne nouvelle, l'ambassadeur occulte de la Ligue sur dennia reprit. Ici les Evzoons, les hommes, comme vous les appelez, ne s'habillent pas en gnral de noir, couleur traditionnelle des Amazoons, car la diversit leur est accorde. De plus il est des peuplades anciennes sur dennia, et mme dans des satellites proches, dont l'habillement

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ressemble fort au vtre. On vous croira originaire des terres de Saphe, hors votre facis, dont la dissimulation sera plus hasardeuse. Mais le peuple Amazoon est un peuple tolrant, malgr les soucis vous menant chez moi, je vous assure, et il est des nations entires s'tre rfugi sous la bannire raye d'or de l'Empire de la Roue. Les tres tranges aux coutumes indiscernables sont lgion par chez nous, vous n'y serez pas importuns. Aussitt chacun remercia le contact de la Ligue, Algotire, pour ses renseignements prcieux, et ce dernier les mena une pice ronde et vaste. Il y avait t plac une table portant des mets savoureux de la cuisine Amazoon d'dennia, et des boissons dans des carafes de verre blanc, avec des friandises chocolates, de dlicieuses ptisseries. Chacun put faire bombance et connatre mieux cet agrable sympathisant de la Ligue des Magiciens de la Terre, jusqu'au moment o, enfin, Iolo jugea ncessaire de repartir. Les ptisseries furent pilles une dernire fois par le noble Roland et plusieurs chats de la troupe et des effusions sincres furent changes. Finalement Algotire les raccompagna jusque sur le seuil de sa demeure, et leur prodigua force adieux. Ainsi sous le soleil froid flottant dans l'indigo lger du ciel, la troupe d'ambassadeurs du roi des Francs marcha sur un sentier bruntre jonch de feuilles mortes, leur route finissant par quitter le couvert de la fort et rejoindre une voie pave plus importante. De hautes montagnes crtes de neige aux reflets iriss s'tiraient dans le lointain, et le soleil sur son dclin illuminait l'endroit d'une lumire rasante et dore. C'tait visiblement le coeur de l'automne qui se dvoilait eux, avec son cortge de couleurs rouilles et pourpres, amarante, noyes dans les senteurs humides apportes par les vents. Il y avait une colline de verdure l'herbe vert d'eau s'tirant sur un ct, et il se trouvait fich dans son chine vgtale des arbres l'ombrage arrondi d'une manire quasi parfaite. Des buissons de groseilliers et de ronces en occupaient la base, et il y avait une petite clairire l'cart, avec des bancs de pierre et une fontaine l'onde frache s'panchant d'une gorgone ptrifie. Le ruban dall s'tirait interminablement entre les monts jusqu'au lointain des montagnes, sur les cimes desquelles un ocan de nues rostres paraissait s'tre fich malencontreusement. L'automne tait somptueux et talait leurs pieds une palette ruisselante d'or cuivr et de teintes fauves et tranches, comme autant de gemmes aux regards des voyageurs exhibes. Dans le chemin sinueux Iolo le Tnbreux marchait en tte, et il tait suivi par le chat-cerise Balbillus. Derrire avanaient les deux Hros des Temps Anciens, Gnsio

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le Triptolme et Aquilon le Myrionime en compagnie du trs noble Roland. Puis venait le trio des chats et enfin en queue de cortge tait le vagabond du royaume de France, sur les traces duquel gambadait joyeusement Tagor, le chien noir aux oreilles et la queue coupe. Tout ceci se passait en un monde bien loign de la Terre, dans le systme de la Roue, prs des galaxies centrales. Et cette plante avait pour nom dennia.

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Chapitre

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Longuement et de manire interminable, l'clair gronda et roula dans le ciel gris, illuminant les entrailles nuageuses de sa clart jusqu' faire trembler le sol dtremp sous son contact. La pluie battante redoubla de fureur, et au sein du dluge formant sur les plaines herbeuses un rideau crpitant aux vagues successives, il devint difficile de pouvoir distinguer sa route plus de quelques pas. Les voyageurs de la Terre se courbaient sous les assauts des rafales de vent, qui leur projetaient au visage et sur les bras des feuilles mortes et des brindilles, des branchages suintants d'eau dont les gifles les frappaient comme autant de vertes mains. Les ramures laisses derrire eux, en cette deuxime journe de leur priple sur dennia, s'agitaient et bruissaient tel si elles eussent t atteintes de folie, et les hautes herbes constituaient alentour un tapis sillonn d'ondulations reptiliennes. En tte marchait Iolo le Tnbreux et son chat-cerise Balbillus, ce dernier ne le quittant jamais d'une semelle. Puis venaient ensuite les deux Hros des Temps Anciens, Aquilon le Myrionime et Gnsio le Triptolme, avec le noble Roland escort du reste des chats. Dans les circonstances actuelles ils arboraient une mine triste et dpite, convenant mal ceux dont la bonne humeur et l'allant avaient t unanimement apprcies jusqu' cette matine funeste, dans laquelle de lourds nuages noirs taient venus saluer leur rveil. Puis enfin et pour fermer la marche tait le vagabond aux longs cheveux d'or, allant de l'avant stoquement, pli en deux afin de mieux faire opposition aux rafales hurlantes en compagnie de son fidle Tagor. Tout comme ses compagnons depuis le dbut des intempries, il n'avait cess de maudire en silence ses vtements de voyage et les conditions ambiantes. En effet sous l'averse ininterrompue les premiers s'taient mus en un pesant carcan, humide et froid. La pluie redoubla d'intensit, et le mendiant en queue de cortge sursauta lorsque les gouttes d'eau se mirent crpiter sur la terre une cadence acclre. Des mares se formaient et des rigoles se mirent sinuer travers champs : un cours d'eau encaiss, non loin de l, tait devenu un tumulte bourbeux. Le vent s'tait lev de nouveau aprs une courte

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accalmie et sifflait aux oreilles des voyageurs, les branchages des arbres se mouvaient de manire saccade et bruyante, dans un lugubre ballet. Avec un craquement sinistre, un seigneur des forts d'dennia, nagure encore majestueux et noble, s'tait croul sous les coups de boutoir ariens. L'envoy de la Ligue des Magiciens de la Terre s'tait tourn vers le reste de la troupe. Une telle situation n'est plus tenable, il nous faut trouver un refuge au plus vite ! leur cria-t-il travers la tempte. Voil de sages paroles ! l'approuva bruyamment le noble Roland en mettant ses mains blanches et dtrempes en porte-voix. Ainsi par les chemins dtremps devenus des fondrires, car les pluies diluviennes avaient eu tt fait de recouvrir de boue les routes paves et ordonnes, le petit groupe d'ambassadeurs du roi des Francs s'en alla en qute d'un gte et d'un couvert afin de pouvoir chapper la pluie battante les accablant depuis le matin. La rgion atteinte par l'entremise du cercle oubli des pierres leves devait tre singulirement dpeuple et isole, ou bien le monde d'dennia tait fort vaste, mais il leur fallut encore durant longtemps aller par monts et par vaux, escalader des buttes glissantes et contourner des rivires en crue avant de parvenir trouver une btisse en pierres noires quadrangulaire, dont les toits bombs et arrondis taient de tuiles sombres et s'ornaient de flches tincelantes. La porte tait ogivale et toute d'un seul tenant, en marbre bordeaux et carmin vein de blanc, et le fenestrage tait rgulier sur toute la longueur du btiment. Les baies taient ogivales elles aussi et toutes de verres multicolores, elles faisaient penser des vitraux abstraits. Une tour mergeait l'angle est de la demeure, lui donnant des allures de manoir seigneurial. La flche de pourpre sommant sa coiffe sombre tait rouge sang, et une grande baie se trouvant l tait entrouverte en dpit de la pluie battante. La main dtrempe du magicien de la Ligue frappa plusieurs reprises au centre de la porte de marbre, et le bruit sonore dclench dans les ddales de la demeure rsonna longuement. Mais nul mouvement ne se fit entendre en retour. Le premier, le noble Roland montra son agacement. Pour l'heure, cette maison est inoccupe, dirait-on, lcha-t-il en tiraillant nerveusement sa lvre suprieure. cet instant prcis un objet d'allure indtermine s'engouffra vivement dans la btisse par la fentre ouverte de la tour est, aprs avoir rapidement survol un rideau d'arbres. Avec un lger frisson, le vagabond du royaume de France ralisa que la forme pouvant s'approcher le plus

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de cette singulire silhouette tait celle d'une sorcire califourchon sur son balai. Attendons encore, temporisa Iolo le Tnbreux avec un lger sourire, aprs avoir observ comme les autres l'irruption de l'Amazoon. La matresse de maison ne saurait plus tarder nous ouvrir, prsent. Effectivement, aprs un court moment, la porte de marbre fut entrebille avec une douceur infinie et une sorcire Amazoon essouffle, et avec les cheveux humides se montra eux. Son expression fut d'abord celle d'une surprise intense, car il lui fallut un bon moment pour dvisager chacun des membres de la petite troupe, tout entire devant la porte, sous une pluie battante. Enfin ses yeux tombrent sur les chats dtremps la mine de martyr, et sur l'expression afflige de Tagor, le chien noir la queue et aux oreilles coupes. Lilith ! Pauvres btes ! Rentrez vite ! Tous s'engouffrrent alors dans le corridor, avec en dernier Jean de la Lune aux longs cheveux d'or. Il avait d'abord cru l'invitation de la sorcire noire dirige vers les chats et Tagor, mais il se reprit vite et suivit les autres l'intrieur. Par un couloir de pierres noires recouvert de riches tentures, foulant un pais tapis constituant pour les pieds nus et meurtris du mendiant un vritable dlice, la petite troupe accda en une large salle nantie de colonnes et claire par des flambeaux parfums sur de fins et hauts trpieds en cuivre dor. Il y avait des fauteuils en bois sombre recouverts de cuir, sur lesquels chacun s'assit avec un plaisir vident, les ambassadeurs de la Terre apprciant de se retrouver enfin au sec. Dans une chemine brlait un feu de bois aux clats orangs et or, le sol tant constitu de carreaux de terre cuite, dans lesquels le noir et le blanc prdominaient. Eh bien, commena vers la petite troupe l'Amazoon de noir vtue, ma maison a crois votre route temps. Me direz-vous votre identit, et d'o vous venez ? Il y eut entre les invits un flottement, un temps de silence, un court instant d'une rflexion panique car personne n'avait envisag une telle hypothse. Leur couverture allait-elle devoir tre dj sacrifie, avant mme d'avoir pu servir ? Iolo le Tnbreux parut prendre une dcision rapide, indiquant d'un geste vague une direction hypothtique. Il toussa. Puis s'claircit la voix. Nous venons de la Terre. Du royaume de France, pour la plupart. La sorcire carquilla les yeux cette nouvelle, puis frona les sourcils en signe de rflexion. Elle tait encore habille d'un long manteau noir destin lui pargner les rigueurs des voyages, et ses cheveux bleu ple

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coups courts lui donnaient un air charmant et mutin, contrebalanc par l'clat profond de ses yeux, l'intelligence affirme. Sa peau sombre avait la couleur du chocolat, et ses traits taient fins, gracieux et charmants. Elle tait chausse de bottillons noirs et brillants, claquant joliment chaque pas sur les dalles de terre cuite. Cette dernire particularit plongea chaque mle de l'assistance en une profonde perplexit, dclenchant chez la sorcire un rire d'oiseau, frais et tintinnabulant. Sans la moindre gne, elle s'tait dbarrasse de son manteau dans une pice adjacente et s'en tait revenue vers la salle o se tenaient les nouveaux venus, arborant une courte tunique de soie colore et un pantalon de satin troit et moir, aux bariolures semblables celles de sa tunique. Ses poignets minces s'ornaient de bracelets clinquants en nombre, et tous furent grandement surpris en eux-mmes de voir la sorcire dissimuler de si brillants et beaux vtements derrire ses noirs atours. Elle se campa enfin devant les ambassadeurs de la Terre, et s'adressa plus particulirement Iolo le Tnbreux. Vous faites partie de ceux ne provenant pas du royaume de France, je suppose. Tout fait, reconnut le mage. Il y eut un moment de silence mditatif de la part de la sorcire, puis son regard se posa sur la troupe des chats : les moustaches en bataille et l'oeil brillant, ils s'taient mis en devoir d'explorer prudemment les environs. Nudd le chat retint tout particulirement son attention et ses lvres esquissrent un sourire. Comme tu es joli ! Viens moi, petit chat ! Volontiers, madame, se contenta de lui rpondre poliment le dnomm Nudd la fourrure caramel teinte de crme, qui ni une ni deux lui sauta dans les mains. Et toi, d'o viens-tu ? demanda de nouveau la sorcire au fin visage. Je suis n dans l'Arkaal, sous le rgne de Basile le Vnrable, lui miaula Nudd. Et le Chamagnon Tigr est notre monarque, il nous a envoys escorter un grand ami des chats afin de lui faciliter la tche, et accessoirement d'augmenter le lustre de son rgne. Vous faites partie de la Ligue, n'est-ce pas ? interrogea encore la sorcire de l'endroit vers Iolo le Tnbreux. Ce faisant elle cajolait et caressait doucement Nudd, littralement sous le charme, et loin de s'attendre un tel accueil. Mais cela fut pour le magicien un secours inespr, car pour la premire fois depuis le dbut de cette folle aventure le Tnbreux avait marqu un temps d'arrt, franchement abasourdi devant la facilit avec laquelle la sorcire avait mis bas

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son ultime camouflage. Apparemment, crut comprendre Jean de la Lune devant l'expression ennuye de leur mentor enchanteur, il aurait voulu conserver un anonymat prudent le plus longtemps possible. Pour tout dire, cet espoir avait fait long feu. Ne soyez donc pas si inquiet, beau magicien ! lui lana avec des yeux rieurs la sorcire Amazoon, mais nous nous attendions tt ou tard voir arriver sur dennia des missaires de la Ligue des Magiciens de la Terre. On ne pitine pas impunment le territoire de la Ligue, et chacun sait le soin jaloux avec lequel ils veillent sur leurs frontires. Les Amazoons ne nous ont pas paru davantage complaisantes sur les limites de leur domaine, rpliqua le noble Roland, et il avait redress la tte en s'adressant la sorcire, devant l'tre de la chemine. Ainsi c'tait vous exhala d'une voix basse la sorcire sans cesser de caresser le chat Nudd, ce dernier depuis un moment se croyant parvenu au paradis des chats. La nouvelle tait donc exacte, vous avez tenu parole Je suis Iolo le Tnbreux, se prsenta l'envoy de la Ligue en ne jugeant plus bon de continuer feindre. Mon asanthne ici prsent se nomme Balbillus, c'est un chat-cerise, une espce trs rare. Enchant, lui dclara poliment d'un signe de tte la sorcire, et son expression paraissait des plus sincres. Il me semble tout point de vue remarquable, j'aurais aim avoir un asanthne son image. Vos paroles me flattent, lui assura en retour le chat-cerise la fourrure carmin et aux yeux d'or, le destin exaucera un jour votre souhait, je n'en doute pas. Vous me paraissez dtenir toutes les qualits requises pour cela. Et le reste des chats, vous le savez maintenant, provient de l'Arkaal, Terre obscure claire par le soleil noir Nigredo. L'un est chastrologue et s'appelle Prosper, l'autre Chocolat. Chacun fut dsign la jeune sorcire, et elle hocha de la tte chaque fois. Lorsque les deux Hros des Temps Anciens furent numrs leur tour, la sorcire parut rellement impressionne et elle assura aux deux hommes l'estime pleine et entire de toutes les Amazoons envers les Vieilles Gens. Le noble Roland eut droit sa considration, puis vint le tour du mendiant aux longs cheveux d'or et aux pieds nus, encore dtremp par l'onde rcente. Sa prsence tonna la sorcire, elle s'en ouvrit au mage. Balbillus, mon chat-cerise, a tenu le voir figurer au nombre des ntres, rvla l'envoy de la Ligue, il prtend ce vagabond dtenteur de

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quelque acquit secret. Il pourrait nous tre utile par la suite, et j'ai appris faire confiance la sagacit mle d'intuition de mon asanthne. Jean de la Lune se trouvait trs gn par cette monstruosit norme, selon lui, car il tait persuad de l'inexistence de tout cela. Il ressentit le vif dsir de se justifier mais chercha en vain, jusqu' ce que l'image de la petite Sandra ne traverse fugitivement son esprit. Nous recherchons des petites filles au nombre de cinq, elles ont t enleves leurs familles par des sorcires noires, articula abruptement le mendiant. Je chris particulirement l'une d'elles, elle a touch mon coeur par sa gentillesse et son innocence. Tous se retournrent en fixant de manire curieuse le vagabond, celuici venant de leur rappeler un dtail infime, ayant quitt leurs penses on ne sait trop pourquoi. Je comprends votre dsir, et croyez en mon estime car moi aussi, j'aime tendrement les enfants, lui dit-elle. Mais n'allez pas croire ces enfants dsigns par le sort maltraits ou mme malheureux de quelque faon, aucune Amazoon, aussi dgnre soit-elle, n'y consentirait. Cela dit je partage vos craintes, il n'est rien ici-bas capable de remplacer une mre et un pre aux yeux d'un enfant. Ayant dit cela, elle arbora une expression songeuse sans cesser de serrer le jeune Nudd dans ses bras, et le gardant contre elle, elle fit signe la troupe de s'asseoir dans des fauteuils moelleux face au feu de chemine, allant jusqu' appeler des serviteuses pour aider les ambassadeurs se dvtir de leurs habits mouills. Elle s'assit son tour en un fauteuil revtu de velours ctel. Notre qualit d'Evzoon de la Terre ne nous causera-t-elle pas quelque souci dans vos royaumes ? s'enquit finalement le noble Roland aprs s'tre enfonc dans un sige profond, se frottant les mains d'aise face l'tre brlant. Croyez-vous la Rgente d'dennia susceptible de librer les cinq petites franaises drobes dans notre pays ? C'est l le voeu le plus cher de notre bon monarque, le vnrable Charlemagne, termina Jean de la Lune. On vous a dj entretenus des us et coutumes de notre monde, je vois, lcha ngligemment la sorcire en coulant un regard pntrant en direction de Iolo le Tnbreux. Sachez donc qu'il des Amazoons l'esprit troit pour ne pas apprcier les Evzoons de la Terre, c'est exact Pour des raisons anciennes et historiques bien connues. Cela dit, ne vous proccupez pas outre-mesure de ce fait, car de telles personnes arrires et rtrogrades sont rares, mme si elles existent. Chez nous, l'intolrance et la xnophobie constituent un crime grave, car bien des races et des

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peuplades composent notre Empire de la Roue. Les lois et les coutumes d'dennia vous protgent donc Quant la Rgente j'ignore totalement quelle pourra tre son attitude, mme si sa mansutude me semble peu probable. La rincarnation de la Lilith primordiale se trouve parmi elles, l'une des cinq petites filles deviendra notre Vierge Noire. Et la patrie Amazoon ne saurait plus se passer davantage de sa Mre. Il y avait dans la voix de la sorcire noire un rel accent de sincrit, aussi le vagabond du royaume de France jugea inutile d'insister davantage. De plus les servantes obscures taient arrives dans la salle pour les inviter passer table, et chacun tait trop affam pour refuser une telle offre. En une grande pice tout en longueur, claire par des chandelles parfumes et torsades, l'on servit aux convives des mets simples et nourrissants, base de verdure et de venaison, de fruits de saison, et chacun aprs leur prgrination mfiante dans dennia entreprit de se restaurer et de faire bombance sans le moindre remords. Des ptisseries leur furent menes en fin de repas, avec une boisson noire et chaude inconnue appele par la sorcire Amazoon "caf". Le magicien de la Ligue s'en servit une seconde tasse sans hsitation, le mendiant sursautant devant le naturel dont il avait fait preuve. Puis Jean de la Lune songea : l'envoy de la Ligue, aprs tout, avait peut-tre dj dgust en son pays un pareil breuvage. Par les fentres croisillons dors entrouvertes, les intempries allaient en s'loignant et les pluies auparavant si violentes se mourraient. Les nues s'claircissaient et lentement dvoilaient un ciel noir, car la nuit s'en tait tomb en apportant dans son sillage un champ d'toiles. Le vagabond surpris de leur quantit et luminosit finit en raison de la fixit de son regard par attirer l'attention du reste de ses compagnons, ces derniers durant quelques instants l'imitant malgr eux. Entre les lambeaux de nuages ploys par leur course cleste le spectacle tait enchanteur, il est vrai, en tout cas pour ceux aimant fixer rveusement le ciel, de jour ou bien de nuit. Nous apprcions son juste prix votre savoir-vivre, madame commena alors le magicien pour rompre un silence pouvant devenir pesant. Mais je m'en aperois, vous ne nous avez pas dit votre nom ! Appelez-moi Morgane, leur sourit la sorcire en dvoilant une range de dents clatantes. Mais nous ne saurions abuser de la situation, reprit l'envoy de la Ligue. Comme vous l'aurez compris, puisque vous n'ignorez plus rien du but de notre voyage, la route jusqu' Blancoon est encore longue, et il nous faudra demander audience votre Rgente.

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 N'ayez crainte, les rassura d'un geste apaisant la sorcire Morgane, il fait encore frais dehors et o iriez-vous dormir ? Acceptez mon hospitalit pour la nuit, je vous en prie. Ainsi, lorsque vous retournerez sur la Terre, dans le royaume de France, vous ne pourrez pas dire avoir t accueilli avec ddain par les sorcires Amazoons. C'est aimable vous, gente sorcire, lui rpondit de la manire la plus courtoise le magicien de la Ligue, nous n'oublierons pas vos gards envers nous, d'aucune manire. Restons-en l, lui assura la sorcire en s'essuyant machinalement le revers des lvres d'une serviette brode. Mais il me vient l'esprit, il pourrait vous tre agrable, dans le cours de votre voyage sur dennia, d'assister des rjouissances clbres dans le systme de la Roue et portant le nom de Saturniales. Saturniales ? Vraiment ? interrogea avec une expression intrigue l'un des Hros des Temps Anciens, Gnsio le Triptolme. Je croyais ces festivits, dont j'ai dj entendu parler par ailleurs, totalement interdites aux hommes. Vous voulez dire aux Evzoons, je suppose, lui rpliqua avec un gracieux sourire la sorcire Morgane. C'est vrai, en principe, mais les cinq fillettes choisies sont d'origine terrestre et chez elles les Evzoons possdent la suprmatie. Cela donne aux Evzoons du royaume de France, dont vous tes en majorit, des droits refuss aux autres. Evzoons, s'entend. Pourrions-nous avoir des explications sur ces Saturniales ? demanda son tour le vagabond Jean de la Lune. Ce sont de gaies et sincres rjouissances, elles ont lieu une fois par an, rvla la sorcire en penchant vers ce dernier son fin visage. Il converge vers la Plaine de l'Ellipse les sorcires de bien des mondes, et mme des sorcires blanches ou jaunes de la Terre viennent y participer. L'on y honore Lilith, et mme Aphrodia des Amazoons de la Mer Purpurine fait un devoir d'y apparatre. La Rgente sera l galement, et la plus vieille des sorcires, la sorcire d'Oubli, et aussi la Petite Princesse Coeur-de-Pomme avec sa tortue Jezabelle, en compagnie d'autres sorcires fameuses entre toutes. Cette fte dure une semaine entire. Vous arriviez de l, peu avant notre venue, ralisa voix haute le noble Roland. Tout fait, acquiesa d'un mouvement du menton Morgane l'expression nigmatique, car elles ont dj dbut. L'occasion est belle pour vous d'y rencontrer notre Rgente et de lui faire parvenir vos dolances. Convenez-en.

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Il y eut entre les diffrents ambassadeurs de la Terre un certain flottement, et mme eut-on dit un malaise confus. Car s'il tait vrai que chacun avait en venant jusque sur dennia un but bien prcis, personne ne s'tait attendu voir les vnements tourner de cette faon en leur faveur de manire si aise et facile. Nanmoins cette situation positive ne pouvait tre nglige, et le mage tnbreux de la Ligue saisit la balle au bond. Parfait, cette invitation nous convient et nous l'acceptons avec joie. N'est-ce pas, les amis ? Il avait fait d'un regard interrogateur le tour de la petite troupe, et chacun lui avait donn son plein et entier accord, mme les chats de leur voix pointue taient moustills l'ide de vivre une pareille aventure : sait-on jamais, miaulaient-ils, peut-tre pourraient-ils frayer avec des flins inconnus et exotiques. Alors d'un geste la sorcire Morgane avait fait signe l'assemble de la suivre au-dehors, devant la btisse o s'tendait une cour d'herbes folles encore humides, car les pluies torrentielles s'taient arrtes seulement depuis peu. Elle avait tir de son corsage un sifflet d'or pass en un riche collier, et aprs y avoir souffl bruyamment plusieurs reprises des cygnes noirs vinrent d'un tang voisin se poser devant eux. Leur taille tait grande, leur allure inquitante. Evzoons de la Terre, expliqua-t-elle, vous dsirez rencontrer notre belle Rgente et lui exposer vos reproches : chevauchez sans crainte mes cygnes noirs, car j'en ferais autant et je vous mnerai aux Saturniales d'dennia. Bon gr mal gr, tous firent comme il leur avait t demand et Iolo le Tnbreux, le mage envoy par la Ligue, prit dans ses bras son chat-cerise Balbillus. Les deux Hros des Temps Anciens avec le noble Roland portrent chacun un chat l'image du magicien, Jean de la Lune restant seul ne pas enfourcher une monture aile et noire. Car son chien Tagor, auquel il tait attach, ne pouvait tre manipul si facilement en raison de sa corpulence, et dansant d'un pied sur l'autre le mendiant fut grandement gn, avant d'tre interpell par le magicien. Eh bien, Jean de la Lune, ne viendras-tu pas avec nous cette fois ? Mille excuses, mais mon chien Tagor ne peut nous accompagner et je ne puis l'abandonner. Lorsque j'tais dlaiss des hommes il a t le seul m'offrir son amiti, et je dois en tenir compte. Dans ce cas, mes servantes te mneront ta chambre lorsque le sommeil viendra toi, vagabond de la France, dclara la sorcire Amazoon en plissant les yeux. D'ici l tu as toute latitude pour visiter les alentours et ma demeure, mais veille ne pas franchir les portes closes et

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prends garde ne dranger en rien les habitants de l'endroit, ils sont anciens et ont pleinement le droit de se trouver en ce lieu. Maintenant volez, mes beaux cygnes, vers les Saturniales d'dennia, lana-t-elle la cantonade, et ses cheveux bleuts tincelaient d'clats indigo la lumire des torchres places l par les domestiques de la maison, volons vers les Saturniales, volons vers le Sabbat. En un concert feutr de bruissements d'ailes, les cygnes noirs s'lancrent dans la nuit tnbreuse et les ambassadeurs du roi des Francs, du moins certains d'entre eux, s'en allrent faire part de leur demande la Rgente des Amazoons au Sabbat annuel d'dennia. Le vol souple des cygnes s'tira au-dessus d'une profonde fort, et sous la vote stellaire totalement dgage, l'on aurait cru voir une flche d'bne transpercer les airs, en direction du levant o se situaient les Champs de l'Ellipse. Jean de la Lune en proie au dsoeuvrement flatta son chien, celui-ci gmissant sourdement comme s'il tait conscient d'tre responsable de la mise l'cart de son matre. Le mendiant aux pieds nus rabattit sur lui les pans de son manteau de voyage et dcida, toute rflexion faite, de s'en aller dormir pour se reposer des fatigues de la journe. Son chien noir, lass de promener et de muser aux alentours, semblait penser de mme. pas lents et d'une dmarche tranante, le vagabond se dirigea vers l'entre principale o se dressaient hiratiques et voiles de sombre les deux servantes de la sorcire Morgane. Elles le menrent sans mot dire jusqu' sa chambre, troite et longue, avec une chemine de pierres noires l'clat brillant et un lit d'herbes sches odorantes aux lourdes couvertures, quelques meubles de bois la patine ancienne supportant pour l'un d'eux une coupelle de cristal cisel emplie de fruits. Il y avait galement une grande fentre deux battants ouvrant sur un balcon de granit, il donnait sur l'arrire de la demeure et n'avait pu tre distingu pour cette raison par les voyageurs leur arrive devant la porte principale. Soupirant de tristesse l'ide d'avoir d ainsi renoncer de fascinantes rjouissances, avec probablement des invits prestigieux de divers mondes, Jean de la Lune se dvtit et jeta ses nippes crasseuses sur un meuble bas, se laissant tomber dans le lit de fougres qui ploya sous son poids. Son chien Tagor se coucha ses pieds et le mendiant d'abord tourneboul par les vnements rcents et leur direction imprvue tourna et se retourna dans sa couche, en vain. Le sommeil le fuyait et il se sentait envahi d'une confuse excitation. La boisson noire appele "caf" par la sorcire Morgane en serait-elle la cause ? songea-t-il. Le vagabond en conut

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quelque frayeur et se jura, l'avenir, d'tre plus mfiant lorsqu'une sorcire lui prsenterait un lixir quelconque, fut-il mme et surtout ! des plus savoureux. Nanmoins, il se souvint du fait suivant : Iolo le Tnbreux, le magicien de cette Ligue mystrieuse en avait bu lui aussi, et cela le rassura. Un calme paisible vint lui et il finit par sombrer en un sommeil lourd. Mille et un souvenirs de la journe venant de s'couler tourbillonnrent dans son esprit engourdi, jusqu' former devant ses paupires closes un magma color. De cette confusion chaotique il finit par merger l'image de la petite fille qui avait tant marqu son coeur, et l'me du vagabond en fut douloureusement afflige. Jean de la Lune s'agita dans son demi-sommeil et ses pieds son chien Tagor tressaillit l'unisson, le mendiant dans la pnombre de la chambre tide se blottissant plus profondment encore sous les couvertures de laine barioles. Tout en cdant un engourdissement dlicieux, le vagabond du royaume de France s'assoupissait doucement. Pourtant un je ne sais quoi d'indfinissable et de voil persistait papillonner et voleter aux lisires de son esprit, quelque chose d'impossible carter, une comptine ancienne chappant son emprise et cantonne dans les trfonds obscurs de sa psych, au coeur du territoire gristre jouxtant la conscience humaine. Un grand prodige s'tait dj produit auparavant, et il se rpta encore. L'homme assoupi et son chien noir, tous deux runis par le corps et l'esprit, se trouvaient envelopps d'une lueur mordore projetant une ple lumire dans la chambre. Bien malgr eux, leur insu, leurs traits marqus par le relchement du sommeil commenaient s'effacer, leurs corps s'vanouissaient et disparaissaient dans l'inconnu. " Un, plus deux, plus trois " chantonnait une voix grle derrire les penses endormies de Jean de la Lune. Cette voix dtenait une existence et une identit propre. L'enchantement se poursuivait et le vagabond avec son chien quitta le manoir de la sorcire Morgane : la magie n'avait pas cess, bien au contraire. Elle s'acheminait la vitesse de l'clair travers les plans et les trames formant de manire invisible l'ossature et l'armature du monde des tres Humains, et bientt, au terme d'un court priple, une luminosit ambre naquit dans le centre d'une antique et immmoriale citadelle de pierre, au bord d'une mer agite de vagues violettes dans la nuit d'dennia. Au milieu de ses entrailles granitiques il se matrialisa dans le plus grand silence, sur un sol feutr, le corps de Jean de la Lune et celui de son chien fidle. Ils avaient gard dans leur sommeil une posture fige, mais la diffrence d'emplacement fit qu'aprs s'tre tourn et

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retourn plusieurs fois, et ayant en vain cherch les pans d'une couverture fuyante, le mendiant finit par se rveiller en sursaut. Dj son chien l'avait imit et le matre comme l'animal rprimrent un bruyant tonnement. Le changement de dcor s'il n'tait pas flagrant tait sans quivoque, et nul doute n'tait permis, en vrit. Ils ne se trouvaient plus dans le manoir de la sorcire o ils s'taient endormis. Alors l'homme aux cheveux d'or, grelottant dans une demi-obscurit, se souvint d'avoir rencontr auparavant pareille msaventure et la premire fois dj il n'tait pas parvenu lui trouver d'explication. Il rflchit encore sur ce mystre rpt mais de nouveau il n'arriva rien, sinon se donner un mal de tte. Il pivota sur lui-mme, examinant la profondeur d'une il cligna des yeux pour mieux voir chambre de repos, puis un mouvement imperceptible se fit entendre. Jean de la Lune se retourna prcautionneusement, car il se trouvait en territoire inconnu, dans une tenue rduite sa plus simple expression.

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Chapitre

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La chambre de pierre tait haute de plafond et un reste de feu de bois finissait de se consumer dans l'tre de la chemine, exhalant un filet de fume en un conduit obscur. Des tentures veloutes aux couleurs et aux motifs abstraits couraient sur les murs, et il y avait dans la chambre des meubles en bois prcieux et travaill, dont l'un comportait un miroir ovale l'clat argent. Il se trouvait une fentre de cristal sur un ct, donnant sur une mer aux vagues purpurines crtes d'une mousse violette, des rochers noirs surplombant l'ocan se laissant distinguer jusquel. De profonds et moelleux tapis recouvraient le sol froid, pour le plus grand soulagement des pieds nus de Jean de la Lune. Son chien Tagor tait prs de lui, et l'image de son matre il se tenait dans l'expectative. Assise sur le rebord de son lit de bois noir et luisant, Andromde la sorcire Amazoon tait en tenue lgre tout comme le mendiant du royaume de France, vrai-dire accompagne d'Alban le chat de l'Arkaal, noir et blanc, dont l'locution avait ceci de particulier qu'elle tait afflige de bgaiement. La matrialisation du vagabond l'avait tire de son sommeil, et les explications confuses de Jean de la Lune, avec la prsence surprenante de son chien, avaient grandement intrigu la sorcire. Magiquement, elle avait tent de dnouer l'cheveau du mystre, en dpit de l'motion saisissant son coeur : mais elle avait d finalement s'avouer vaincue. Alban, mon chat, laissa-t-elle chapper dans un soupir fatigu, je n'y comprends rien. Quelque chose se cache dans l'esprit de cet Evzoon, je ne parviens pas le saisir compltement. Il possde un don cach, diraiton, impermable aux enchantements et aux sortilges. C ..C Cet homme ne m'est p p pas inconnu, miaula le dnomm Alban. Souvenez-vous, matresse, sur la face c c cache de la lune, prs de la Terre. La sorcire Andromde avait rabattu ses beaux cheveux indigo en arrire, plissant ses yeux au regard velout, une main pose pudiquement sur sa robe de nuit vanescente. Le vagabond pour sa part dansait d'un pied sur l'autre, tiraill entre l'tonnement constitu par le don

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d'locution du chat, et l'motion intense cause par la vue de la belle sorcire noire la chevelure de saphir et aux gestes gracieux. Pour tout dire, les effets de la Source d'Oubli de la vieille sorcire d'eau avaient effac de sa mmoire cet pisode de son existence, o il s'tait rendu sur la face cache de la lune, en compagnie d'un bataillon de chats. Et l'image de la sorcire Amazoon Andromde s'tait retire de son esprit, mais non pas de son corps physique, eut-on cru. Car si en cet instant singulier les penses de Jean de la Lune redcouvraient avec un regard neuf la troublante sorcire, son corps lui se souvenait. L'me de Jean de la Lune tait pntre d'une tideur nouvelle, dont la douce chaleur s'tait mise rayonner en lui depuis un centre invisible. C'tait comme si le mendiant aprs avoir t expos une froidure et un gel intense s'tait trouv face un feu ronflant, capable de le faire revenir la vie en chassant de son corps toute trace de glace et d'immobilisme ptrificateur. C'tait vraiment l une mtamorphose complte pour Jean de la Lune, et pour la sorcire Amazoon aussi. Cette dernire tait en proie un tourbillon de penses et de rflexions rebelles, dont l'entrechoquement dans les mandres de son esprit lui tait douloureux, apparemment. Une puissance inconnue se cacherait-elle en lui, d'une si grande force ? Est-il possible ? s'interrogea la sorcire noire. Souvenez-vous, m matresse, bgaya de nouveau Alban le chat, des envoys du roi des Francs, Charlemagne, avaient promis de venir jusque s s sur dennia, rcuprer les petites franaises. La description de l'un d'eux res semble fort celui-ci. Andromde l'Amazoon avait opin du menton, le coeur battant malgr tout d'une crainte confuse. Evzoon, es-tu de ceux-l ? demanda-t-elle enfin au mendiant. En vrit, oui, reconnut celui-ci. Je suis Jean de la Lune. Et je fais partie de l'ambassade forme par notre roi Charlemagne, nous venons chercher nos petites filles, dont l'une d'entre elles m'est chre. Vous Vous n'tes pas aux Saturniales ? L'Amazoon Andromde eut un fin sourire et ses lvres s'tirrent en un mince pli, ses sourcils s'arquant joliment. Je suis heureuse de te retrouver plus loquace, Evzoon, je m'en souviens maintenant, les bonnes dames du Royaume d'Eau te retirrent nous. P ..Peut-tre sont-elles derrire son pouvoir myst ttrieux, finit par miauler le chat Alban, fixant en mme temps le chien noir Tagor avec une prudence extrme.

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 Qui sait, consentit Andromde en jouant avec une mche soyeuse de ses cheveux bleuts. Non, je ne suis pas aux Saturniales, lcha-t-elle en direction du vagabond. J'tais fatigue, termina la sorcire. Depuis ttt ta rencontre, Evzoon, avoua le chat noir et blanc. Tais-toi, Alban, lui ordonna sa matresse. Mais il est tard, ce me semble, et ce mystre faisant partie de ta personne, Evzoon, ne saurait tre nglig en dpit de l'heure tardive. Sors de ma chambre, Jean de la Lune, je dois me vtir. Puis je te donnerai de quoi t'habiller et nous irons percer ce secret si intriguant. Sans retard. Ainsi fit le vagabond du royaume de France accompagn de son chien noir : il grelotta en un couloir clair de faibles lumignons et lambriss d'un bois luisant. Le sol tait lui constitu de lattes de bois rparties en carrs disposs de diffrentes manires, et Jean de la Lune tait en train de se perdre dans l'tude de ses innombrables motifs lorsqu'Andromde l'Amazoon refit son apparition, vtue cette fois-ci de pied en cap. Elle portait une jupe plisse de soie brillante et noire, avec des mocassins plats orns de perles d'or, et une courte veste garnie de festons dors, dcore d'paulettes d'argent recouvrant un chemisier la teinte crme. Sa chevelure bleute tait rejete en arrire par un serre-tte rutilant, et avec une attitude et une dmarche davantage assure qu'auparavant, elle mena le mendiant une petite pice adjacente. Pardonne le fait de n'avoir pas agi ainsi avant, se dfendit l'Amazoon, mais puisque personne ne s'en est encore occup, je pense devoir m'en charger la premire, car il n'est plus possible pour toi de te dplacer ainsi par chez nous, pied nu de cette faon. Ce disant elle avait fait signe Jean de la Lune de se chausser de sandales de cuir places devant lui, et aprs quelques ttonnements maladroits le vagabond fut tout bahi de dambuler entre de sombres couloirs la suite de la gracieuse Amazoon. ses cts trottinait avec la queue releve son chat familier Alban, et un pas de distance respectueuse allait le mendiant avec son chien noir Tagor. Tous suivirent la sorcire Amazoon sans faillir dans une direction bien prcise, et pour cela ils passrent par de hauts couloirs et de grandes salles plonges en une semi-obscurit, et certaines avaient des toits de verre travers lesquels on parvenait distinguer l'clat des innombrables toiles du systme de la Roue, dans les Galaxies Centrales. O allons-nous, m m matresse ? s'enquit le chat Alban, ignorant du but de leur voyage nocturne tout comme l'tait Jean de la Lune. Au Sanctuaire, Alban, o nous allons chercher l'appui de la Mre, lui rpondit sans sourciller Andromde l'Amazoon.

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Tout au long de leur priple en ce palais mystrieux, la sorcire noire n'avait cess de faire des gestes de connivence aux patrouilles de sorcires circulant par les lieux, agissant de mme envers les Stryphes de garde protgeant l'accs de vastes salles. Finalement, le petit groupe parvint l'air libre sous une vote fourmillante d'toiles, et par un jardin inquitant, dans la lumire nocturne troue de laiteux rverbres de bronze, ils suivirent un sentier de gravillons blancs au sein d'une imposante citadelle en bordure d'une mer pourpre, ainsi que Jean de la Lune avait dj pu s'en apercevoir depuis la fentre de la chambre d'Andromde. De toutes parts il se dressait vers les cieux des tours quadrangulaires couronnes de toitures pyramidales, et des btiments massifs chapeauts d'aiguilles de terre cuite. Les fenestrages taient innombrables et les colonnades succdaient aux loggias, derrire de hauts remparts dpourvus du moindre crnelage. Enfin, ils parvinrent par un bois l'herbe emperle de rose jusqu' une alle borde de sphinxs tte de blier, et le chemin menait un petit temple l'entre bante, dont on discernait l'intrieur les multiples lumires de lampes huile maintenues en l'air par des chanettes d'or. Le groupe arriva dans la pice centrale du Sanctuaire, une grande salle de colonnes noires et brillantes faiblement claires par l'clat tremblotant des lampes, et il se trouvait un espace dgag au centre, une ouverture circulaire dans le plafond qui s'ouvrait sur la nuit aux constellations inconnues. Dans l'ombre des fts restrent immobiles Jean de la Lune et son chien Tagor, le chat Alban. Sous le cercle de tnbres, au coeur du Sanctuaire, Andromde l'Amazoon avait lev les yeux au ciel, les bras carts. Son dsespoir paraissait sincre. Mre, parle-moi et ne me laisse plus dans le doute, mon coeur est troubl d'vnements mystrieux et il bat contre-temps. Tes desseins et ta volont ont t accomplis, et pourtant mon me est triste car elle voit pleurer des enfants. O est passe ta bont, Mre ? Par deux fois un Evzoon a crois ma route, et mon inquitude est grande, car il semble puissant. Viens mon secours, Mre, ne m'abandonne pas dans la peine. nuit de la grande Mre, parle-moi. Aprs ce singulier discours un moment de silence s'coula, durant lequel attirs sans doute par l'tranget de la crmonie venant de s'couler des Stryphes vinrent du dehors, cratures fantastique mihomme mi-chien, au service des Amazoons. Les Stryphes inquitants formrent un cercle attentif autour du vagabond et de son chien, du chat Alban noir et blanc. Mais des battements d'ailes furtifs se firent entendre au-dehors, sur le toit plat du Sanctuaire. Et souplement trois silhouettes

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revtues de larges et amples habits s'taient laisses glisser par l'ouverture avant d'apparatre dans l'espace dgag entre les colonnes, au coeur du temple de la Mre. Chaque personne de l'assistance, Stryphes y compris, fit un pas respectueux en arrire, car elles irradiaient une sombre et impressionnante aura, ainsi qu'ont coutume de le faire les tres au-dessus du mortel, comme les bonnes dames ou bien les lus. Mais celles-ci ne se trouvaient pas dans le camp de la lumire, car les sorcires taient leurs filles et elles leur ressemblaient par l'allure et la couleur gnrale. L'une tait une Ensanglante et possdait des habits carlates, une grande cape sur une robe rubis enserre par une ceinture de plusieurs rangs de perles de sang, et sa chevelure rousse luxuriante tait coiffe d'un bret de velours grenat. Une autre tait une Veuve Noire toute de jais revtue, avec des traits fins et des cheveux noir corbeau coup courts, un chle tnbreux sur des habits de soie moire. La troisime et ultime avait pour qualit Dame Sombre, et elle arborait sur ses cheveux auburn un large chapeau noir, coutumier aux sorcires de la Terre dans leurs sabbats. Elle portait aussi une robe sans manches dvoilant le teint marmoren de sa peau, et ses doigts effils portaient une infinit de bagues d'or, toutes motif de tte de mort. Rjouis-toi, ma fille, et ne crains plus, notre Mre a entendu tes sanglots et nous envoie ton secours, dclara d'une voix dure la premire d'entre elles s'tre engage par la troue, une Ensanglante aux cheveux de feu. Nous sommes venues du coeur de la Nuit pour te mener Aphrodia, sur les ordres de la Mre. Car Aphrodia, aux Saturniales d'dennia, comptait sur ta prsence pour pouvoir te parler. Au grand bahissement des Stryphes prsents dans le Sanctuaire et galement des sorcires Amazoons de l'endroit, les trois envoyes de la Mre s'taient leves par l'ouverture ronde du toit, et Andromde l'Amazoon avec son chat Alban, Jean de la Lune et son chien noir Tagor se retrouvrent sur l'esplanade de pierre coiffant le Sanctuaire, au coeur de la mystrieuse citadelle Amazoon. Il y avait l un quadrige de chevaux noirs et ails, admirables et superbes, sans rivaux dans les royaumes de la Terre, aux yeux du vagabond tout du moins. Ils tiraient un carrosse de bois d'bne, dcouvert, avec des siges de cuir sombre et des lanternes de cristal clatantes de lumire. Les grandes roues du carrosse taient toutes de verre translucide, croire cette matire miraculeuse seule capable de pouvoir circuler sur les routes du ciel. Montez dans le carrosse de la Mre, leur enjoignit la Dame Sombre en battant dans ses mains pour les mieux faire s'acclrer. Il nous reste

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une longue route faire par-dessus la Mer Purpurine jusqu' la demeure d'Aphrodia, l'toile des Amazoons. Ainsi firent avec une perplexit croissante les passagers emports par les Honnies de la Nuit, et le mendiant aux cheveux d'or, l'Amazoon Andromde, leurs deux animaux familiers respectifs les imitrent sans rechigner. Lorsque le quadrige obscur se fut envol dans les cieux constells, l'Ensanglante se tourna vers eux pour leur parler travers le vent glacial de la nuit. Grande est votre chance, mortels, contrairement beaucoup d'autres vous avez compris, mme de manire vague, l'importance de votre animal de compagnie. Jamais il ne quitte vos cts, et en cela vous avez parfaitement raison. Des nuages roses et sanglants s'tiraient vers l'horizon o le disque solaire n'affleurait pas encore, seuls ses rayons mordors parvenant se glisser par-dessus l'extrme bord d'dennia. Des rouleaux de vagues bleutres dfilaient interminablement sous les roues transparentes du carrosse, bien loin au-dessous d'eux, sur la surface de la Mer Purpurine. Un simple coup d'oeil inquiet avait suffi au vagabond pour s'apercevoir que la mystrieuse citadelle des Amazoons dans laquelle le sort ou le Destin l'avait fait se rveiller constituait seulement une minence gristre au bord d'une cte dentele. En effet ils sont le revers obscur de votre me, l'archasme de votre tre : il vous relie au pass de votre race, poursuivit la Veuve Noire des Honnies, en maintenant serre contre elle son chle de laine anthracite. Ils reprsentent votre anctre primitif, affirma pour sa part la Dame Sombre, veillez ne les ngliger jamais car en agissant de cette faon, sans mme vous en rendre compte, vous vous couperiez d'avec vousmme. Il y a en toi du chien, mendiant, lui lana-t-elle de manire impromptue, et en toi du chat, Andromde. Sachez-le, et ne le reniez jamais. Le soleil affleurait au bord du monde des Amazoons, et le quadrige l'allure rapide des chevaux ails poursuivait sans trve sa course cleste. L'air froid se rchauffait graduellement au fur et mesure de l'lvation du globe brlant, et les vagues violines y gagnaient une teinte violette plus marque. Les crtes d'cume, de tnbreux indigo, se faisaient roses. Une mince frange de sable blanc se laissait distinguer au loin, gagnant en dimension jusqu' ce qu'une le d'assez grande taille fasse son apparition. Elle possdait une haute montagne dcrivant un demi-cercle sur son pourtour, et sur sa cime conique il se trouvait la gueule d'un volcan. Un palais de marbre ros, tout en btiments thrs et coupoles

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dlicates, tourelles amoureusement ciseles et sculptes se situait sa base et une ville Amazoon l'entourait l'image d'un crin respectueux. Un large chemin se situait prs de la plage de sable blanc, et prs d'un bois de chne se posa le quadrige cleste. Mi-sautant mi-flottant, les Honnies au nombre de trois descendirent du carrosse et allrent vers les Amazoons de la Mer Purpurine, ces dernires tonnes par l'tranget de leur quipage en cette heure matinale venant de s'approcher d'elles. Amazoons, leur dirent la Veuve Noire, la Dame Sombre et l'Ensanglante, d'une seule et mme voix, allez informer l'toile de la Roue et des Amazoons d'dennia de notre venue imminente en ses appartements, car le dsir de la Mre est de voir instruite cette Amazoon du nom d'Andromde. Honnies, se dfendirent les sorcires, avec les marques du plus profond respect, Aphrodia, notre toile, n'est pas encore l. Elle est partie aux Saturniales pour une raison de la plus haute importance, et ne saurait tre de retour avant quelque temps. Amazoons, nos soeurs, leur rpliqurent avec un accent inflexible les Honnies, allez sans tarder la trouver, elle sait les Voies de la Mre et dans le plus grand secret s'en est revenue vers son palais de pierres roses. Faites vite, ou notre colre sera sans gal. Avec des traits ples et dfaits s'en allrent les sorcires Amazoons de la Mer Purpurine, sur la chausse de marbre gris s'en allant rejoindre les entrailles de la cit insulaire, dans le coeur du palais de l'toile des Amazoons. Quelques instants plus tard le groupe des sorcires Amazoons revint augment de plusieurs Stryphes berlus, et les mmes Amazoons aprs avoir affirm l'absence de l'toile en sa demeure avourent humblement leur erreur, Aphrodia tait bien dans ses appartements et dsirait leur prsence, effectivement. Alors la Dame Sombre et l'Ensanglante, la Veuve Noire dlaissrent le carrosse par lequel elles avaient men le petit groupe jusque-l, et, prcdes par une dlgation d'Amazoons de la Mer Purpurine, elles marchrent avec Andromde et Jean de la Lune, accompagns de leurs animaux familiers, vers l'crin de l'toile de la Roue. De cette faon longrent-ils des avenues sur les pentes de la cit et traversrent-ils de grandes places paves de grs et ornes de dolmens sculpts, avec des ciselures spirales du plus gracieux effet, jugea le mendiant aux cheveux d'or. Finalement ils arrivrent aux portes du palais, et Aphrodia ellemme se tenait sur les marches, nue et superbe la ressemblance du soleil d'or son znith.

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Elle tait d'une beaut rare et vritablement splendide, avec une taille bien au-dessus de la moyenne et des membres fins, nantie au surplus d'un teint de peau ivoirin et transparent. Ses cheveux taient de l'argent brillant et faisaient pendant ses yeux d'un gris dlav. Ils taient en amande et cillrent en les fixant, surtout les trois Honnies, puis elle parla d'une voix fluide et hypnotique. Les deux humains, l'Amazoon et le terrestre, eurent le plus grand mal entendre. C'est bien, mes soeurs, dclara-t-elle en direction des trois Honnies, ces dernires faisant dj mine de s'en repartir vers le quadrige cleste et nocturne. L'accroc a t rpar et le cours des choses peut de nouveau suivre sa voie. Sans plus dire un seul mot, la Veuve Noire et l'Ensanglante, la Dame Sombre, firent aussitt demi-tour et marchrent le plus naturellement du monde travers la petite cit de la Mer Purpurine, leur altire silhouette disparaissant au tournant d'une ruelle tortueuse. Instinctivement, Andromde l'Amazoon et le vagabond du royaume de France levrent les yeux pour les voir s'en aller au loin sur leur carrosse de nuit aux roues de cristal. Mais dj Aphrodia avait fait un geste de dngation. Ne regardez plus en arrire, seuls les sots perdent leur temps de tels enfantillages, assura-t-elle. Venez avec moi plutt dans mon palais rose, car j'ai vous parler, toi, Andromde, et toi aussi, Jean de la Lune. sa suite le groupe franchit le cercle des colonnes roses, et dans le petit matin dor se levant sur l'le, perdue dans l'immensit de la Mer Purpurine, ils avancrent jusqu' accder en une vaste pice claire par une rosace de cristal multicolore, place une grande hauteur, sur un mur de pierre brute. Il se trouvait dans le flot de lumire ainsi dvers sur le dallage un trne surlev, sur lequel prit place Aphrodia, toujours dans le plus simple appareil. Devant elle se placrent en cercle l'Amazoon Andromde avec son chat noir et blanc, Alban, et Jean de la Lune en compagnie de son chien. L'toile d'dennia et de tous les mondes de la Roue eut un soupir de satisfaction, semble-t-il, les voir ainsi disposs devant elle, comme si elle voyait se raliser par leur entremise un trs profond dsir, puis elle leur fit un geste d'invite avec un gracieux sourire. J'ai vous dire, mes jeunes enfants, bien des choses, en vrit, susurra-t-elle doucement dans leur direction. Mais je le vois, des soucis vous encombrent, et je n'aurais pas la cruaut de vous faire attendre davantage. Dites-moi le motif de vos tracas, et je tenterai de les apaiser de mon mieux. Allons, Andromde, ma douce enfant, parle-moi la premire, car la Mre de la Nuit a t mue par ton appel.

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 Aphrodia, j'ai suppli la Mre dans le Sanctuaire de me secourir et grande est ma joie de voir sa raction, elle ne m'a pas oublie, rpondit en retour la sorcire noire Amazoon. Des chagrins m'ont peine car je ne peux voir pleurer des enfants, j'en ai moi-mme convoy cinq depuis la Terre lointaine jusqu' nos prairies d'dennia. Mon coeur est dans le doute depuis, et je me pose des questions. De plus, cet Evzoon par deux fois dj a crois ma route et je ne peux croire le Hasard seul responsable. Je suis trouble, mes tudes s'en ressentent. Tous ces vnements ont-ils une signification, et quelle peut-elle tre ? L'toile des Amazoons garda un lger moment de silence et se tourna alors vers le mendiant Jean de la Lune, celui-ci se balanant pour l'heure maladroitement d'un pied sur l'autre avec une expression de gne. Aphrodia, je suis dans la peine, et la confusion, lcha l'homme aux cheveux de bl mr. J'ai rencontr une petite fille innocente et elle s'est fait enlever par de mchantes personnes, elles l'ont fait pleurer, et ses parents aussi ont pleur, et ils doivent pleurer encore cette heure. Pourquoi tant de mal une enfant ? Elle n'a jamais fait de mal personne. Et cette sorcire m'est lie par une magie dont je ne sais rien, elle me fait me dplacer contre ma volont. Aphrodia, cette sorcire prs de moi a bless des petites franaises, mon tre est douloureusement atteint. Puis il se tut prcipitamment, car il venait de dbiter tout cela d'un trait. tres Humains, dit alors de sa voix douce Aphrodia, vous vous trouvez dans les tnbres, l'image de l'univers dans lequel vous voluez, il vous tire hue et dia, dans deux directions opposes. Tout cela est normal, les forces de Vie font opposition celles de la Mort, et dans votre coeur galement il se trouve les vnneuses roses du Mal, jointes aux fleurs de l'Amour. Vous tes semblables au monde dans lequel vous tes ns, et ce dernier, aprs vous avoir faonn, vous a donn une nature identique la sienne. Tout ceci, pour vous, s'clairera bientt, mais il vous faudra comprendre la dualit fondamentale de toute chose, et la rsolution de cette dernire dans l'unit. La seule faon de s'accommoder des extrmes se situant en soi et au-dehors consiste rester soi-mme, par-del les avatars et les avanies. C'est un petit problme, en vrit, et votre jeune ge deux milliers d'annes peine vous deux ! explique l'acuit de vos tracas, pourtant bien plots. Ne surestimez pas les obstacles se prsentant vous, leur affirma Aphrodia depuis sa haute chaise, face la rosace multicolore, ils sont mesurs avec le soin le plus extrme par votre Destine, afin de n'tre pas insurmontables pour vos forces. N'ayez plus de craintes et allez de l'avant, sans remords, les

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personnes regrettant le pass avancent vers l'avenir reculons. Souvenez-vous en, les cycles de la Vie sont l'image de la nature, tout hiver est suivi d'un printemps, puis d'un t. Gardez foi en la Vie, et toujours elle marchera avec vous. Maintenant coutez attentivement mes paroles, tres Humains, j'ai vous dire une nouvelle de la plus haute importance. L'toile des mondes de la Roue et de toutes les Amazoons d'dennia allait raconter par le menu cette fameuse information lorsqu'elle se reprit, visiblement interpelle par quelque pense venant de la frapper. Cela est toutefois trs secret, et mme des oreilles mortelles en dehors des vtres ne doivent pas les entendre. Elle avait excut de la main un singulier mouvement de sa main gauche, et ce faisant le dcor du palais de pierres roses s'tait vanoui, un sombre paysage faisant son apparition. Andromde l'Amazoon avec son chat Alban, le vagabond avec son chien noir Tagor se trouvaient maintenant sur une grande dalle de marbre noir et luisant, en forme d'toile treize branches. Cette toile de marbre noir tait trs grande, elle voguait, statique et immobile dans l'espace obscur constell, et tout le long de son extrmit des Honnies immobiles et hiratiques taient disposes, Ensanglantes, Veuves Noires et Dames Sombres, et peut-tre mme d'autres lus tnbreux de nature indiscernable pour les humains. Aphrodia se tenait toujours assise sur son trne de pierre, leur faisant face comme auparavant. Ici, nul mortel ne peut nous couter et mes soeurs les Honnies veilleront notre paix, reprit-elle. Enfants, voici. Il en est de l'univers des mortels comme de ceux qui y vivent, je viens de vous le faire comprendre. l'image des tres Humains dchirs par les Puissances qui les possdent, les Forces Duales ternellement s'opposent et se repoussent, de la mme manire qu'elles s'attirent et ne sauraient vivre l'une sans l'autre. Elles sont la Nuit et la Lumire, le Bien et le Mal, ou bien l'Evzoon et l'Amazoon, quelque nom que vous dsiriez leur donner. Elles se meuvent dans les thers et entre les Trames, les Plans, elles rsident au coeur de la Terre et des plantes la recouvrant, elles agissent galement dans le sein des tres. Priodiquement, elles mergent dans les sphres humaines et poussent leur support la ralisation consciente de leur propre nature. Je s'interposa Jean de la Lune. Silence, Evzoon, lui rpondit d'un ton svre Aphrodia, et le regard des Honnies en nombre sur le pourtour de l'toile de marbre noir tait peu amne galement. Les Forces Duales, leur nom l'indique, sont deux :

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et l'incarnation de l'une amne immanquablement la venue de l'autre. Trs bientt, comme cela se produisit il y a bien longtemps, car l'ternit est une succession de morts et de renaissances cycliques, les Forces Duales reviendront de nouveau au coeur des plans mortels. Et comme les tres Humains sont l'image fltrie et amoindrie des Dieux, dont ils sont les reflets, leur mergence bouleversera jusque les sphres clestes des lus. Car il doit en tre ainsi. L'expression intrigue et inquite de l'Amazoon Andromde jointe celle de Jean de la Lune dut faire comprendre l'toile des mondes de la Roue que ces auditeurs n'avaient peut-tre pas totalement saisi le fond de sa pense. Elle se reprit, d'une voix chuintante. Lorsque les montagnes sont uses, la fin des ons, elles retournent en poussire dans le fond des mers, les abysses s'agitent et les Molochs sous les mondes font natre de nouvelles terres des ocans. Puis les Molochs s'assoupissent en se rveillant de manire intermittente. Cela n'a rien d'anormal, car les Plans et les Trames, tout comme les tres Humains, grandissent et meurent avant de renatre nouveau. C'est naturel et dans l'ordre des choses. Un tat statique et fig pour l'ternit serait anormal et inconcevable. Les Forces Duales, Lun et Lune, elles aussi, grandissent et se meuvent : elles se rencontrent tout en se fuyant. Le vagabond avait regard Andromde l'Amazoon avec une expression tonne, et vrai-dire cette dernire lui avait rendu une identique perplexit. Pourtant il semblait qu'Aphrodia avait termin son discours. J'en ai assez dit, dsormais, conclut-elle. Et je vais vous ramener sur l'le de la Mer Purpurine, o sommeille sur son trne mon cho. Toutes mes paroles, en retournant sur l'le, vous seront retires. Voyant les deux visiteurs sur le point de hurler l'injustice, Aphrodia avait enchan de nouveau. Rassurez-vous, le fait d'avoir oubli quelque chose n'est pas dfinitif, le savoir enfoui n'est pas perdu jamais. Car il se trouve dans les profondeurs de tout tre Humain un moi suprieur, et ce dernier n'oublie jamais, il se souvient de tout. Cet autre vous-mme, lorsque les circonstances l'exigeront, saura se rappeler vous. Le but dsir aura t atteint. Aphrodia, en quoi cela nous concerne-t-il ? s'tait interroge la sorcire noire aux cheveux de saphir avec une surprise non feinte. Ces Forces Duales Pourquoi nous fallait-il apprendre leur existence, pour devoir la perdre ensuite ? demanda son tour l'homme aux cheveux d'or. Aphrodia, l'toile des mondes de la Roue ne rpondit pas et dans la nudit totale o elle se trouvait, se contenta de sourire simplement. Elle

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avait fait un geste de la main : le dcor de l'le de la Mer Purpurine, par les baies du palais de pierres roses, avait de nouveau fait son apparition. Prs de l'entre de la grande salle, claire par la rosace multicolore, se tenaient la grande surprise de Jean de la Lune le magicien tnbreux escort de sa cohorte de chats et les deux Hros des Temps Anciens, avec pour finir le noble Roland. Tous taient des plus heureux de revoir le mendiant, et trs surpris de le dcouvrir en si charmante compagnie. La Roue tourne, leur lana en une ultime recommandation l'toile des mondes. Ce disant elle avait dsign l'assemble la direction de la sortie, d'un geste imprieux.

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Chapitre

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Il y avait foule sur la voie pave menant Blancoon, et des quipages monts sur des alalhs la dmarche pesante dpassaient le chariot tir par un trakker. Andromde s'en tait retourne vers les siens, ou plutt les siennes, depuis la soire prcdente dj, s'attristait Jean de la Lune : comme le reste de ses compagnons, il s'tait juch dans la carriole aux roues de bois pleines. Il y avait ct de lui Iolo le Tnbreux avec son asanthne flin la robe rouge sang, le noble Roland et les deux Hros des Temps Anciens, Aquilon le Myrionime et Gnsio le Triptolme. Sans oublier le reste des chats, Prosper, Chocolat et Nudd, avec videmment son chien Tagor. Au petit matin le magicien de la Ligue s'tait prsent devant la vaste auberge o ils s'taient reposs, et aprs leur avoir dsign la charrette, il leur avait enjoint de monter. Car, leur avait-il affirm, il allait se drouler Blancoon l'importante crmonie dont leur avait parl la Rgente, aux Saturniales. Comme le vagabond Jean de la Lune n'avait pu assister cette festivit il avait obtempr sans dire un mot, mme s'il aurait bien aim tre inform davantage du motif de leur hte. Depuis l'aurore ils allaient de cette manire sur la voie pave, et nombre d'Amazoons les ctoyaient avant de les laisser derrire eux. Certaines chevauchaient de ces alalhs normes, et c'taient des montagnes de chair aux teintes varies, aux cailles colores semblables celles des serpents, avec des cous massifs ou fins, et leurs ttes taient diffrentes, car certaines taient cornues et d'autres ne l'taient pas. Leurs pattes taient pareilles des colonnes mobiles et pesamment, elles allaient l'amble sur la route de Blancoon, la capitale d'dennia. Des alalhs supportaient des palanquins dors et cela l'on devinait ses passagers nombreux, il y en avait d'autres transportant seulement leurs matresses. Il ne se trouvait pas d'hommes avec eux, ou trs peu. Ils allaient en couple avec leur pouse, comme il est naturel, ou bien taient plusieurs monter des trakkers, ou tre tracts par eux l'image du petit groupe d'ambassadeurs du roi de France.

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L'on aurait pu croire les traditions d'dennia responsables de cette coutume, interdisant aux hommes ou pour mieux dire aux Evzoons de monter des alalhs, ces cratures mastodoniennes, et leur laissant uniquement le droit de chevaucher des trakkers, sauriens rapides la longue queue. Machinalement Jean de la Lune chercha des yeux celle dont l'absence lui tait cruelle, mais il ne la dcouvrit pas et en dsespoir de cause il laissa errer son regard aux environs. Le temps tait pass depuis leur dpart prcipit et matinal de l'auberge des Trois Chemins, et le soleil de l'endroit, de taille rduite, beaucoup plus petit que celui rchauffant la Terre, tait bien prs d'atteindre son znith. Des vallons verdoyants et humides, en raison des dernires pluies, s'talaient aux alentours et des massifs clairsems s'tiraient l'allure nerveuse et endurante de leur trakker. Le ciel tait d'un bleu lavande et pur, la transparence sans pareille. Jamais, durant ses voyages dans le royaume de France, le vagabond n'avait pu en observer de si brillant et thr. Il subsistait encore dans les creux et les valles des nappes de brouillard et de brume, elles se lovaient et se cramponnaient dans les parties basses du paysage, comme des dentelles iridescentes et nacres aux volutes vaporeuses. Il y avait de temps autre des demeures de bois et de pierre l'architecture lourde mergeant de la masse de verdure, et il dbouchait continuellement sur la route, par de petits chemins sinueux, des alalhs monts par de farouches Amazoons vtues de noir. Et c'tait un fait avr, jamais le mendiant de la Terre n'avait pu se l'expliquer, mais seulement le constater, gnralement les Amazoons d'dennia taient revtues de noir, et leurs maris ou bien tout autre Evzoon taient habills d'une autre couleur, mais jamais sombre ou obscure. prsent les maisons se faisaient plus nombreuses l'approche d'une agglomration, et aux abords d'une colline de verdure la route dalle dj passablement encombre dcrivait un coude et tournait l'ore d'un bois de frnes et de chnes. L'herbe tait d'une verdeur surnaturelle, mais les fleurs des champs possdaient des couleurs trs similaires celles de la Terre. Lorsque le groupe d'ambassadeurs atteignit le virage, il fut dpass par un cortge impressionnant d'alalhs couverts de tissus chamarrs, certains portant sur leur chine des palanquins luxueux aux voilages de soie. Les sorcires se trouvant l taient souvent accompagnes d'Evzoons, mais ces derniers taient diffrents des tres que le groupe de terriens avait pu distinguer jusqu' lors. Car ces sorcires avec leurs maris n'avaient pas la peau noire comme les habitants d'dennia, ni blanche. Les passagers de ces alalhs exotiques arboraient le teint rouge de la terre cuite, et des yeux en amande avec des

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cheveux noirs et lisses, aux reflets cuivrs. Leurs vtements taient diffrents de ceux observs jusque-l en dennia, et leur harnachement galement, car tous les alalhs portaient un somptueux caparaon d'apparat, diffrence notable et curieuse. Alors, le mendiant aux longs cheveux d'or se souvint. Les Amazoons d'dennia taient un grand peuple, dploy dans de nombreux mondes. Dans le systme de la Roue, des Galaxies Centrales, comme les avait appeles Iolo le Tnbreux, il devait se trouver d'autres ethnies ayant dclar allgeance aux sorcires Amazoon et leur toile Aphrodia, leur Vierge Noire. Puis d'autres cavaliers surgirent, et venant appuyer ses rflexions eux aussi possdaient une identit raciale trangre, sur des trakkers fringuant. Mais la route encombre d'quipages divers et de cavaliers avait dpass l'ultime colline, et s'aplatissait vers une vaste plaine au coeur de laquelle serpentait un fleuve de pur argent sous le soleil de midi. La capitale des Amazoons d'dennia ruisselait de lumire et de couleurs, sous la course placide des nuages arrivant de montagnes lointaines. Ces dernires se trouvaient loin l'horizon, on les confondait presque avec celuici car elles devenaient un fil minuscule aux limites du ciel. La priphrie de la ville fut atteinte bientt par un flot de vhicules et de cavaliers, et des demeures augustes de pierres ciseles et peintes, aux vitrages gomtriques taills facettes, dfilrent de toutes parts sous les yeux bahis de Jean de la Lune et du noble Roland. Mme les deux Hros des Temps Anciens faisaient des yeux ronds et dissimulaient avec peine leur admiration. Seul l'envoy de la Ligue des Magiciens de la Terre conservait sa placidit, prs de son chat-cerise aux yeux d'or. Blancoon, la capitale impriale des sorcires Amazoons, tait une merveille. Les voies en taient larges et parfaitement paves, elles n'avaient pas de ces circonvolutions tournoyantes enserrant le coeur des vieilles villes de France, en leur donnant cependant tant de charme. Les btisses taient de pierres carres et de briques cuites, et souvent galement de pierres noires l'clat brillant pareil celui de l'obsidienne, mais ces dernires n'en taient pas, nota in petto le Tnbreux, elles possdaient dans leurs entrailles minrales des veines laiteuses d'une brillance argente d'origine extra-terrestre. Il y avait des jardins l'herbe rase dlimits par des barrires d'pineux impeccablement tailles, et une petite voix dans l'esprit du mendiant lui en souffla l'explication. Ce devait tre pour empcher les mastodontes des sorcires, les alalhs, de divaguer librement au coeur des demeures prives. Au grand bahissement des passagers du chariot de bois, il se dressait des maisons aux fenestrages chatoyants sous les rayons du soleil, elles

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s'levaient vers le ciel et l'on se serait presque attendu les voir transpercer les nues et jusqu' la trame de la tapisserie cleste. Il y avait des sentiers de granit une grande hauteur permettant le passage d'une tour de briques cuites une autre, et ils aboutissaient quelquefois sur le sol, dans des jardins de fleurs et d'arbustes odorifrants, de mimosas et de lauriers-roses. Rgulirement, le long de l'avenue principale, il y avait des chemines de pierre, et chacune possdait un escalier permettant d'accder au sommet. Ce dernier dtail dcida de la ferme conviction du vagabond Jean de la Lune, il se trouvait bien dans la plus belle cit du monde. Mme la riante cit fluviale de Pars ne pouvait d'aucune manire se comparer elle. Les demeures succdaient aux palais et les balcons et les fentres taient copieusement garnis de gens de toutes conditions regardant passer le fleuve humain. Des quipages bigarrs ctoyaient les ambassadeurs francs, car le flot allait en se ralentissant au fur et mesure de l'approche du coeur de Blancoon, au centre d'une vaste tendue dgage. Des avenues bordes d'arbres centenaires la sombre verdure dfilaient transversalement, car les rues taient impeccablement traces dans la cit et tout espace y tait combl par une maison aux proportions imposantes ou bien par un jardin, un temple de pierre ou un monolithe solitaire fich dans la terre noire. Puis entre les vagues d'Amazoons et d'Evzoons dtenteurs d'un curieux sentiment de fiert et de crainte, eut-on dit les voir, le petit groupe dboucha en une place cercle sur son pourtour immense d'une colonnade austre. Les colonnes n'taient pas rondes mais carres, malgr qu'elles fussent canneles et porteuses d'un linteau cisel le long de la grande place. Un palais se tenait l'arrire-plan, se dcoupant en plusieurs btiments aux fentres de cristal noir. Les murs comportaient des niches dans lesquelles des statues se tenaient figes, et les tourelles taient en tages dcroissants avec des toitures pyramidales de tuiles grises. Les flches en quartz tincelant couronnaient de larges surfaces de tuiles, donnant un clat singulier au palais de granit. Car la demeure royale de Blancoon n'tait pas ostentatoire, mais elle impressionnait par sa grandeur et puissance, comme si elle tait vieille de milliers d'annes et se fut trouve au coeur de la cit depuis l'aube des temps. Des groupes se formaient par affinit culturelle et ethnique, crut remarquer Jean de la Lune, car les tres la peau rouge avaient form un groupe et d'autres avaient fait de mme, dont certains possdaient un teint de peau dor et des yeux au regard orange, intense et pntrant, avec des cheveux coups courts pour les deux sexes, Evzoon ou

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Amazoon. Il y avait quantit de sorcires la peau noire et aux cheveux bleus postes prs d'une fontaine, laquelle trakkers et alalhs s'taient mis en devoir de s'abreuver. Iolo le Tnbreux avait fait signe ses compagnons de voyage de le suivre, et aprs tre descendu du chariot, les chats le suivirent en miaulant d'excitation. Mais les deux Hros des Temps Anciens et le noble Roland prfrrent les prendre avec eux, pour ne pas les voir se faire pitiner. Tagor, le chien noir la queue et aux oreilles coupes quant lui suivait son matre Jean de la Lune sans rechigner, car les odeurs et les cris rauques des mastodontes, la petitesse du soleil et le ciel tranger au-dessus de lui, tout cela l'tonnait et le plongeait en une perplexit intense. Aprs avoir jou des coudes dans une vaste foule devant le palais de Blancoon, les ambassadeurs terrestres en vinrent se retrouver avec d'autres non loin d'un balcon de pierre, dont les fentres de cristal taient entrouvertes, car une Amazoon somptueusement pare venait d'y faire son apparition. Le magicien de la Ligue la montra discrtement du doigt Jean de la Lune, et sans ncessiter de davantage d'explications l'homme aux longs cheveux d'or comprit. Il devait s'agir de la Rgente des Amazoons, ses compagnons l'avaient rencontr aux Saturniales d'dennia. Elle portait un diadme de cristal prcieux, de gemmes et d'argent travaill : ses cheveux d'un bleut arien et cleste taient relevs en un chignon soign et les traits de son visage l'ovale et aux mplats gracieux taient trs bien dessins. Sa peau tait de la couleur de la nuit, non pas d'une nuit inquitante peuple de terreurs nocturnes, mais bien plutt d'une obscurit chaude, et accueillante. Semblable ces nuits d't o il fait si bon tre et o l'on ne voudrait pas avoir se coucher, pour en mieux profiter, et o il vous pse presque de voir le jour se lever. Ses vtements taient de teinte sombre et ses jambes longues, ses bras dlicats taient des lianes souples revtues de beaut. Sa jupe de soie lui arrivait mi-jambe et laissait distinguer des escarpins de pierreries, ses poignets minces aux bracelets de porphyre tintant chacun de ses gestes. Il y avait sur ses paules agraf par des aiguilles d'or une cape au bleu nuit somptueux se droulant jusqu'au sol, et tout cela contrastait avec la nudit de la personne se trouvant ses cts. Le vagabond la reconnut avec des yeux bahis comme tant Aphrodia, le puissant personnage qui s'tait comport si mystrieusement avec Andromde l'Amazoon et lui, dans son le de la Mer Purpurine. Jean de la Lune frissonna d'une peur inconnue, car il lui paraissait qu' travers la distance la belle dame aux membres de nacre le distinguait et l'observait fixement, mais la Rgente

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avait cart les bras et la place immense avait t parcourue d'un mme cri. Mes soeurs du peuple de la Roue, commena d'une voix claire et tranche la Rgente des Amazoons, et chacune de ses paroles tait reprise mot mot par une noire sorcire, du haut d'une minence en maonnerie, elle informait les autres sorcires l'aide d'un porte-voix en bois prcieux et en plumes de paon, mes soeurs chries, voici les temps anciens revenus de nouveau, notre Mre nous observe du haut des cieux avec ses yeux au regard toil et elle va nous dvoiler sa fille incarne icibas. La Vierge Noire, n'en doutons pas, se trouvera bientt parmi nous, et d'ici peu ses serviteurs, comme ils l'ont toujours fait, descendront des cieux. Comptons sur leur aide. Ad'shammash ! Ad'shammash ! scanda la foule avec une intense dvotion. L'tonnement, voire la stupeur des ambassadeurs du roi des Francs ne connaissait plus de bornes, car dans de grands mouvements ondulatoires descendaient du ciel d'immenses voiles aux couleurs tranches, et leurs dimensions taient telles que l'ombre en recouvrit promptement la place. Ds lors tout s'enchana trs vite, puisque sur un alalh majestueux et noir, aux cornes d'ivoire savamment dcores, s'en vinrent les cinq petites filles du royaume de France dans un palanquin magnifique men par Andromde. Le coeur de Jean de la Lune fit un bond dans sa poitrine, et ce aussi bien la vue des fillettes ples et craintives qu' celle de la sduisante sorcire. La taille de l'alalh motivait les carts de la foule son passage, et il n'eut de cesse de progresser dans la place noire de monde recouverte d'une ombre inquitante s'paississant d'instant en instant avant de parvenir non loin du balcon de la Rgente des Amazoons et de leur toile, Aphrodia, la beaut sereine et la nudit parfaite et sans tache. Voici l'heure des Asmodens, Ad'shammash, clama de sa voix touffe l'toile Aphrodia, et les sorcires tnbreuses sur leur promontoire s'vertuaient en reprendre les paroles, certaines allant mme jusqu' essayer d'imiter son accent chuintant, ils vont dsigner de leur souffle ign notre nouvelle Vierge Noire, incarne sur notre sol par la volont de notre Mre, la Nuit, la sainte mre de toutes les Amazoons. travers l'espace galactique ils sont venus vers nous l'heure dite, les Asmodens, Ad'shammash, poursuivit en tat de transe l'toile, et son regard tait fixe du haut de son balcon de pierre, et ses bras blancs taient raides le long de son corps. Ils savent la couleur de notre temps et la venue de jours miraculeux, ils sont venus nous secourir de leur

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misricorde, les Asmodens, Ad'shammash, siffla Aphrodia. Et ils sont deux car double est leur nature, les Asmodens, Ad'shammash. Ad'shammash ! reprit le grondement vibrant et intense de la foule, l'alalh noir et haut portant sur le palanquin de son chine les cinq petites franaises ne pouvant s'empcher de tressaillir de nervosit lorsque les Asmodens couvrirent de leur masse la place de Blancoon, leur corps infini donnant l'impression d'obscurcir le ciel. Les habitants des profondeurs intergalactiques avaient un corps tir tout en rondeur, l'image de ces poissons tranges peuplant les mers terrestres et portant le nom de raies. Ils taient parcourus d'ondulations continuelles et ininterrompues, et si leur dmesure dvoilait sans fard la platitude de leur surface, on devinait aux Asmodens, au nombre de deux, une multitude de protubrances diverses naissant et se rtractant sans fin leur surface. L'on aurait cru ces tres d'outre-espace porteurs sur leurs corps de valles veloutes et de plaines frissonnantes encombres de cailloux, reclant des monts recouverts d'une vgtation exotique et ondoyante avec des tendues de liqueurs cristallines et moires, apparaissant puis disparaissant pour ressurgir en d'autres parties de leur tre. les observer ainsi leur nature semblait ambigu, trouble et mouvante, au lieu d'tre fixe une bonne fois pour toutes, comme il est courant pour chaque crature de l'univers. Ondulant perptuellement des forts impntrables et des vallons mergeaient, des herbages et des saillies ruiniformes tressaillaient sous le vent, des lacs d'humeurs naissaient puis s'engloutissaient dans leur masse pour rapparatre ensuite, ailleurs, en une autre partie de leur chair : tout cela laissait au spectateur une impression inoubliable. Ad'shammash ! Ad'shammash ! criait la foule, entonnant une litanie ancestrale et immmoriale. Iolo le Tnbreux, le noble Roland et mme les deux Hros des Temps Anciens dont la valeur n'tait plus prouver frissonnrent subitement. Dans la place de Blancoon certains avaient hurl, d'aucuns mettant leurs mains sur les yeux, d'autres se jetant face contre terre en tremblant. Car les Asmodens dont l'un tait d'une blancheur de neige et l'autre d'un rouge carmin, les Asmodens venaient d'ouvrir les yeux. Ils taient d'une petitesse disproportionne par rapport leur taille, fins et tirs en ovale sur leur tre tremblotant : l'or le plus pur et le plus vif, le plus liquide tait leur lot et mme si cela pouvait paratre bizarre, aucune horreur ou tranget ne s'exhalait de ces yeux-l. Mais plutt une douceur bonne enfant et vnrable, pareille celle des vieilles personnes envers les jeunes enfants.

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 Ad'shammash ! Ad'shammash ! gronda de nouveau la place de Blancoon, et les ambassadeurs du noble Charlemagne se surprirent tre du nombre. Puis les lvres violtres des Asmodens s'tirrent dans leur face cyclopenne, si toutefois le terme de face pouvait tre utilis dans leur cas, et chaque Asmoden exsuda un mince fil d'or, un cil cleste et magique, ondulant longuement en franchissant les cieux vers le groupe des cinq petites franaises. La foule d'Amazoons et d'Evzoons mls, en une mme rumeur, avait chuchot cependant que les cinq petites filles taient environnes d'une lueur dore. Andromde l'Amazoon avait plac ses mains devant son beau visage, afin de n'tre pas aveugle par la vive luminosit, et la matresse du grand alalh noir cria la premire lorsqu'elle comprit. Quelque chose d'inhabituel tait en train de se produire. Le blanc Asmoden lentement ramenait lui trois petites filles, elles s'levaient graduellement travers les airs, devant la foule bahie face cette aberration, car il n'y avait pas de prcdent une telle rupture dans les traditions d'dennia. L'Asmoden rouge sang faisait de mme avec la princesse Grace et la petite Sandra, le coeur de Jean de la Lune battant tout rompre en voyant les deux tres de l'espace engloutir les cinq petites franaises. Un flottement se produisit entre les multiples peuples de la Roue, et Aphrodia parut tonne de la tournure prise par les vnements. Une lueur singulire traversa son regard, de manire trs visible pour Jean de la Lune, situ prs du balcon royal avec les siens. De nouveau l'toile des Amazoons reprit la parole, la Rgente d'dennia tant trop suffoque pour pouvoir le faire. Ad'shammash ! Ad'shammash ! lana-t-elle en tendant les bras, et sa brillante chevelure d'argent lui tait une couronne royale, les temps sont donc rvolus o les Asmodens dsignaient la Vierge Noire, puisque les serviteurs de notre Mre nous ont retir les princesses. Ad'shammash ! La Roue du Temps a tourn une fois encore : l'Empyre nous est revenu. Les yeux magnifiques de l'toile pour une fois taient absents et presque vitreux, comme si en parlant elle distinguait d'autres choses et un univers diffrent de celui dans lequel elle se trouvait. Elle recommena discourir et chaque sorcire sur son perchoir de briques reprenait ses paroles et mimait chacun de ses gestes, la foule d'Amazoons et d'Evzoons, de diffrentes races et provenance ployant la tte continuellement. cet instant confus o chacun dans la grande place ne savait trop quelle contenance adopter, suite l'attitude inhabituelle des Asmodens, le magicien de la Ligue fit signe ses compagnons de marcher

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avec lui vers leur carriole attache une fontaine avec le trakker la crte rougetre, et lorsque tous se furent installs, ce fut avec difficult qu'ils purent faire demi-tour. La foule tait encore dense dans la place principale de Blancoon, et ils eurent du mal se dgager de la masse. Le vagabond du royaume de France eut peine le temps de se retourner et d'observer une dernire fois la belle Andromde aux traits tirs sur son alalh noir, dj leur chariot quittait l'endroit. Bien haut par-dessus leurs ttes les deux Asmodens s'en retournaient mollement vers les profondeurs de l'espace, et l'on aurait cru voir des nuages singuliers s'loigner dans les cieux et s'effilocher en gagnant de l'altitude. L'azur n'tait plus recouvert de ce carmin intense ni de la blancheur des deux cratures cosmiques, le soleil recommenait clairer la capitale des Amazoons et un indigo ple de nouveau prdominait dans la vote cleste. Par une ruelle adjacente, les ambassadeurs parvinrent en longeant des demeures aux arcades sombres dcores de verdure jusqu' une voie pave plus paisible. Sous le soleil d'dennia brillant toujours haut dans le ciel et tirant des reflets mordors des vitres de cristal et des balcons fleuris en marbre blanc, ils arrivrent hors du coeur de Blancoon, jusqu' ses abords immdiats. L, ils ctoyrent de vastes jardins et beaucoup d'entre eux possdaient des pierres leves l'clat sombre. Visiblement, il s'agissait bien l des racines du peuple Amazoon, les sorcires de cette faon perptuaient leurs rites et le souvenir de leurs anctres. Les demeures de bois noir et de pierres sculptes s'espacrent des deux cts de la carriole tire par le trakker, et ils reprirent en sens inverse la route de leur auberge, celle des Trois Chemins. Dans le chariot brinquebalant Jean de la Lune tait ple et hagard, ne disant rien, le noble Roland tait muet, mme les deux Hros des Temps Anciens semblaient abattus. Seuls les chats taient vifs et alertes, toujours gaux eux-mmes, comme les animaux ont coutume de l'tre. Bientt alors qu'un bois de frnes avait t dpass l'envoy de la Ligue, Iolo le Tnbreux, parut remarquer le mutisme de ses compagnons de voyage et s'en avisa auprs d'eux. Amis, ne soyez pas si moroses et ne faites pas triste figure, je le vois bien, vous pressentez un sort funeste pour nos petites filles. Alors je vous le dis ne tremblez plus, car mme s'il vous en cote de le croire, il ne leur est rien arriv de fcheux. En cet instant mme l'toile des Amazoons, Aphrodia, doit tre en train d'informer de cela les peuples de la Roue, probablement, miaula son tour le chat-cerise Balbillus, l'asanthne du magicien.

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 Une telle chose me parat impensable, je ne peux le croire, se dfendit avec vigueur le mendiant Jean de la Lune. Sa voix tait tendue et sa pleur extrme. Mon coeur est bris car j'ai vu pleurer et sangloter des petites filles, s'exclama son tour le noble Roland, trs mu par ce spectacle. Je ne serais jamais plus le mme aprs cette terrible vision, elle m'a vieilli et dessch. Ne craignez plus, amis, reprit une nouvelle fois le magicien noir en tenant fermement les rnes de leur trakker, le paysage vallonn continuant dfiler autour d'eux en ce dbut d'aprs-midi. Soyez confiants. Son expression en se tournant vers le reste de ses compagnons tait sincre et son assurance ne semblait pas feinte, d'aucune manire. Mais cela rassura le reste des ambassadeurs seulement moiti, et ces derniers ne lchrent plus un mot avant d'tre de retour l'auberge des Trois Chemins, dans laquelle ils avaient pass la nuit prcdente. tant affams il leur fut servi un repas copieux, et la fin ils s'en allrent sur la terrasse profiter de la fracheur de l'endroit, sous l'avance des tuiles envahies de glycines. Les clients taient nombreux avec une allure bien loigne des ambassadeurs, et ils en ressentirent davantage encore leur diffrence d'origine. Car il se trouvait l quantit d'Amazoons avec leurs amies ou bien leur amant, des Amazoons trangres d'autres mondes et aussi des Evzoons la couleur de peau surprenante, mme pour un terrien ayant largement voyag sur son monde d'origine. Le brouhaha des personnes inconnues, les tables aux plats singuliers, la petitesse du soleil et la teinte de l'herbe diffrente de celle du royaume de France, tout cela fut cause d'un accs de nostalgie chez le vagabond aux cheveux d'or, et il eut un frisson douloureux en ralisant l'abme le sparant de sa terre natale. Il prouva un instant un dsir fou et lancinant de tout abandonner et de retourner chez lui au plus vite, afin de ne plus souffrir ainsi et d'tre de manire si prilleuse la merci d'une peuplade tnbreuse et mystrieuse. Puis il lui revint l'esprit l'image des petites filles arraches leur foyer, et il pleura de tristesse et de rage. Son chien noir Tagor se reposait ses pieds, des insectes aux couleurs vives dansaient dans les rayons du soleil s'infiltrant travers la masse du feuillage tombant d'un pan du toit. Les chats taient partis en exploration aux alentours, et d'o il tait plac, le mendiant pouvait encore distinguer Nudd sur une table proche. Les deux Hros des Temps Anciens, Gnsio le Triptolme et Aquilon le Myrionime discutaient entre eux voix basse. Iolo le Tnbreux, l'envoy de la Ligue des Magiciens de la Terre caressait son chat carlate avec sur les lvres un sourire imperceptible. Le

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noble Roland se tenait non loin de l, fixant d'un air morose la table la plus proche, o plusieurs Amazoons discutaient entre elles bruyamment, avec de vifs clats. La scne dgageait une indniable impression de paix et de convivialit mais Jean de la Lune n'en avait cure, car son me tait en peine.

Il y avait une rougeur profonde et omniprsente, une chaleur tide avec une palpitation ininterrompue, un souffle vivant faisant bouger les parois carlates la matire douce et lisse. Sandra prisonnire de l'endroit depuis dj de longues heures se dcida explorer les lieux, et, aprs en avoir fait le tour en palpant des mains la surface des murs elle passa littralement travers une toile lisse et se retrouva en un haut plateau caillouteux et sec, donnant l'impression de parcourir un monde perdu, une trs grande altitude. L'air y tait rarfi et la vote cleste y arborait un bleu sombre, presque noir, elle tait recouverte d'un point cardinal un autre d'un semis fourmillant d'toiles aux constellations distordues. Une pente douce menait un plateau en contre-bas, et ce dernier se vtait d'une vgtation dpourvue de tout point commun avec celle d'dennia ou mme de la Terre. Car les buissons y taient vert meraude avec des clats dors en leur coeur, et d'tranges cratures aux yeux de cristal sautillaient sur l'herbe. Des arbres au feuillage lancol et mtallique, avec des troncs gristres crevasss d'un indigo brillant, dodelinaient sous une brise glace. Des bancs de nuages brumeux et blancs taient fichs sur les pans d'une fort clairseme, non loin de l, et des charpes tourbillonnantes s'en chappaient lentement en montant vers les cimes. Un chemin descendait en courbes molles, et il se prsenta au dtour de ce sentier un vieil homme trangement vtu, n'ayant pas le moins du monde l'air surpris de rencontrer en cet univers mystrieux une petite fille du royaume de France, correctement vtue et coiffe, mais assurment loin de chez elle. Le vieil homme avait des cheveux blancs coups courts, il possdait des traits burins par les annes et ses rides taient autant de crevasses sillonnant sa face. Ses yeux arboraient un vert dlav et ple, et l'une de ses mains noueuses se tenait une canne au bois jauntre. Il tait habill de tissus amples et colors, flottants et recouverts de motifs circulaires curieux. La petite fille ne put s'empcher de leur accorder une beaut indniable, mme si elle tait familire seulement des traditions de la Terre et non de celles des Amazoons, encore moins d'une autre peuplade.

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L'homme marchait vot et pourtant sa dignit et son srieux en imposaient, la petite fille le trouva austre mais aussi aimable, intelligent. Bonjour, mademoiselle, lui lana-t-il en la fixant de ses yeux plisss, et disant cela il s'appuyait sur sa canne et cette dernire se ployait de telle faon que Sandra s'attendait presque la voir se rompre d'un instant l'autre. Je suis Sandra, lui rpondit la petite fille en le fixant gravement, tortillant l'ourlet de sa jupe grise et blanche dont l'avait pourvue Andromde l'Amazoon. Ce monde lui paraissait froid et inquitant, et la succession de rebondissements l'ayant mene avec ses compagnes de captivit jusque sur dennia lui donnait l'impression de se poursuivre encore. Bonjour, Sandra, dclara le vieil homme. Tu vas faire un long, long voyage, et tes quatre amies de la Terre seront avec toi. Mais tu n'auras rien regretter car tu verras de grandes choses, et un jour proche tu retourneras dans ta maison. En attendant viens avec moi, car il a t rserv une maison pour toi et tes amies et elle se situe non loin d'ici. Le vieillard la dmarche lente fit demi-tour, et instinctivement Sandra la petite franaise se joignit lui et marcha sa suite sous le couvert des arbres gris. Un village aux maisons de pierres et aux toitures rondes se laissait distinguer au loin, des cris d'enfants s'en chappaient. Le coeur de Sandra se mit battre plus fort dans sa poitrine, et elle acclra l'allure sur le chemin de poussire.

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DEUXIME PARTIE : LES SENTES D'AVALON

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Chapitre

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Les Asmodens dont l'un tait Nabab et l'autre Achtor arboraient chacun des couleurs diffrentes, car l'un avait l'clat de la neige hivernale et l'autre possdait celui des forges des artisans, lorsqu'ils travaillent le bronze et le fer, avec d'autres sortes de mtaux. Et malgr leurs dimensions imposantes, presque illimites, ils semblaient petits dans l'infini de l'espace la noirceur fuligineuse. Sous l'clat nacr des astres et des nuages thrs peuplant l'entre-monde, les Asmodens progressaient sans trve ni repos, inlassablement et avec constance. Les constellations obscures ils franchissaient, et les tres immatriels hantant ces endroits se tapissaient avec crainte au fond de leurs demeures. Les ocans d'astrodes ne les arrtaient pas, tout au plus les ralentissaient-ils quelques instants, avant que les gigantesques cratures aux yeux d'or ne parviennent trouver la passe salvatrice. Alors les Asmodens reprenaient leur marche en avant vers l'infinie froidure de l'espace, et ondulant mollement ils poursuivaient leur course cleste. Aux environs du lieu-dit nomm les Sources Noires, situ prs de ce monde du nom de Arios, les deux cratures parurent prouver une divergence sur la marche suivre, Nabab allant vers l'orbe d'Arios et au-del, Achtor laissant apparatre une nette rpugnance le suivre dans cette direction. Alors, un cri inaudible tout autre qu'eux franchit l'ther intergalactique et partir de cet instant, sans plus perdre de temps davantage, les Asmodens reprirent leur route avec srnit, car ils avaient entendu l'Appel. L'espace tait devant eux un vaste ocan peupl de coraux dors et de mystres insondables, et leur disposition alentour des cratures gigantesques et voyageuses, dans l'immensit cosmique, tait celle d'une vaste roue, dont les Asmodens viseraient le centre. Un fort vent faisait s'agiter en bruissant les feuilles des arbres de la prairie, sous le dais du ciel l'indigo dlav. Une plaine verdoyante s'talait, les herbes aromatiques et les fleurs champtres resplendissantes de couleurs et d'odeurs sous les rayons mordors d'un soleil blanc, aux doigts d'cume translucide en ce dbut de journe. Une fort de pins dvoilait ses premires sentinelles prs de l, et des nuages longilignes semblables des vagues immatrielles longeaient des montagnes douces, au plus loin de l'horizon. Sur une pente herbue la faible

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dclivit, les cinq petites franaises s'en donnaient coeur joie. Elles se laissaient rouler jusqu'en bas de la pente en poussant des gloussements et des cris stridents, et n'avaient de cesse lorsqu'elles taient parvenues au pied de la pente de remonter au plus vite afin de recommencer. Depuis maintenant un bon moment, les habitants du lieu avaient laiss les petites filles en cet endroit la maternelle chaleur, et les choses y arboraient une ferique beaut. Les franaises, en dpit de leur immense chagrin suite leur sparation d'avec leurs familles en avaient vu leur peine allge, mme si elle n'avait pas t supprime compltement. Le temps s'coula ce jour-l en de bruyantes rjouissances, puis une singulire apparition leur cacha le soleil avant de se poser non loin de l, sur l'herbe tendre. Le vieil homme, le premier accueillir Sandra voici plusieurs jours dj, descendit bas de son oiseau dgingand au bec recourb et rougetre, au plumage clatant. Il marcha posment vers les petites franaises dont les vtements taient souills par le vert de l'herbe, et les joues rosies par leur folle hilarit juvnile. Sitt descendu de sa monture aile au caqutement perptuel le vieillard s'tait empar de sa canne, et, en dpit du vent faisant se mouvoir en tous sens ses vtements flottants et multicolores, il avait eu un geste de reproche, bien lger, envers les petites franaises. Allons, fillettes, il vous faut retourner au village maintenant, car le djeuner est servi et ne saurait attendre davantage, sous peine de refroidir. Venez, venez avec moi, et je marcherai avec vous. La cuisinire en chef vous attend avec impatience, petites filles du royaume de la Terre. Suivant le vieillard, le petit groupe alla par un chemin de gravillons blancs bord d'herbe et il arriva ainsi bientt un village prs de l, en contre-bas, sur l'extrmit d'un plateau tir. Les demeures taient de bois et de pierre avec des toitures arrondies et des balcons dbordant de fleurs, des baies vitres de diffrentes couleurs en grand nombre, comme si le verre color se trouvait en cet endroit profusion. Les ruelles taient presque toutes en pente car c'est cheval sur un versant qu'avait t bti le bourg de Limasol, et le sol en avait t entirement pav de pierres rondes. Il poussait l'ombre des maisons des arbres caractristiques dtenant un feuillage mtallique d'aspect, avec des troncs gris souris sillonns dans leur corce rugueuse d'un rouge clatant. Les buissons taient galement singuliers, car s'ils arboraient la verdeur de ceux du pays de France, ils possdaient des tches d'or en fusion dans leur centre, et de curieux animaux nomms par les petites franaises "dodos" se

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dissimulaient souvent dans les sous-bois, laissant deviner de leur apparence frle seulement leurs yeux transparents, au regard de cristal. De la salle des repas de Limasol, venaient jusque vers les petites filles les bonnes odeurs allchantes du repas concoct pour la communaut. Dans la tour de bois aux tuiles d'corces grises une cloche de bronze ne cessait de carillonner la vole, pour indiquer aux habitants l'heure de midi. Le vieillard renouvela son geste d'invite vers les petites filles, mais en vain, car elles venaient de le prcder sur le chemin en se chamaillant l'une l'autre. Et Sandra courait en tte et prcdait Coralie, avec Sylvia et Barbara, et la princesse Grace clturait la marche en poussant, comme ses camarades, de ces cris perants horripilant les adultes senss et leur faisant plaquer sur les oreilles, en soupirant, leurs mains en une tentative inutile pour ne plus les entendre. Le ciel tait gris sur dennia et de manire identique les mines des ambassadeurs du roi de France taient maussades, pour ne pas dire austres. Car en dpit des paroles apaisantes du magicien de la Ligue, Iolo le Tnbreux, personne n'avait le coeur rire ni mme sourire dans la petite troupe. Les cinq petites filles avaient disparu, elles avaient t enleves par ces cratures de l'espace l'apparence gigantesque et cyclopenne appeles Asmodens par les Amazoons. Apparemment leur raction n'avait pas t de celles adoptes habituellement lors de chaque intronisation de leur Vierge Noire, et tout comme les ambassadeurs du royaume de France les Amazoons d'dennia taient dans la crainte, et l'expectative, et l'inquitude. Devant la troupe en goguette Iolo le Tnbreux ouvrait la marche au sein d'un bois profond s'talant non loin de Blancoon, la capitale des Amazoons, et le chat-cerise Balbillus trottinait derrire lui en compagnie du reste des chats, savoir le petit Nudd, la fourrure caramel et blanc, avec Prosper et Chocolat, ces derniers les suivant un mtre derrire. Ensuite venaient les deux Hros des Temps Anciens, Gnsio le Triptolme et Aquilon le Myrionime, avec le preux Roland, neveu chri de l'empereur Charlemagne. Fermant le cortge, il allait dans la fort sombre, escaladant les buttes et suivant les chemins, le vagabond aux longs cheveux d'or Jean de la Lune, escort de son chien Tagor. La fort tait noire, et les derniers rayons du soleil parvenaient difficilement percer la vote vgtale entrecroisant ses branches au-dessus de la sente suivie par le groupe. La sylve prenait un malin plaisir eut-on dit crer une atmosphre pesante et obscure dans l'endroit, et les sous-bois avec la tombe de la nuit ne cessaient de s'entnbrer, faisant crotre une

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sombre noirceur. Dans un silence complet le magicien vtu de jais se frayait un chemin malais, comme si la route suivie n'tait plus emprunte par quiconque depuis bien longtemps. Le vent sifflait et agitait les branches grinantes au-dessus de leurs ttes, ceci sans interruption jusqu' l'arrive des ambassadeurs en une troite clairire en pente, car situe sur le flanc d'une colline. L, le mage de la Ligue des Magiciens de la Terre dcrta un court repos, et chacun en profita pour tirer ses membres gourds et se reposer o il le pouvait, sur le sol feuillu ou bien sur une souche morte, Nudd le chat le premier dcouvrant une source pure non loin de l. Il s'abreuva bien videmment tout son saoul avant d'en informer le reste de la troupe, et ce fut ensuite une vritable rue vers le lieu en question. Seul le mage conserva son calme, se levant seulement lorsque chacun se fut rassasi, et avec la placidit d'un sraphin il emplit l'onde glace sa gourde de cuir, porte en bandoulire. Finalement chacun se reposa dans la petite clairire claire par la lumire rasante du soleil couchant d'dennia, et le noble Roland, en compagnie de chats aventureux, s'en alla en qute de baies et de fruits, car pour sa part il avait grand-faim. Aquilon le Myrionime tant parvenu force de volont contenir les grondements de son estomac rcalcitrant, il se tourna vers le mage et lui parla sans dtour. Car il tait un Hros des Temps Anciens, il tait de ces Vieilles Gens dont on dit qu'ils ont assist la naissance des hommes, et rien ni personne ne pouvait lui imposer de la crainte ou bien de la terreur. Magicien, la cit de Blancoon quitt ton instigation est bien loin, maintenant, le soleil se couche et il me semble que nous n'allons nulle part, sinon un destin funeste, murmura avec une expression de srieux dans le regard Aquilon. Je pense comme mon compagnon, lcha son tour le second Hros des Temps Anciens, Gnsio le Triptolme, le destin des cinq petites filles a mu mon coeur et pour elles j'ai accept de venir jusqu'ici, dans la patrie des noires Amazoons. Or, l'instar de mon compagnon, j'essaie souvent de sonder ton esprit et tes penses me sont fermes, j'en arrive croire ceci : tu nous trompes, le but poursuivi par la Ligue des Magiciens de la Terre, laquelle tu appartiens, est autre, il est diffrent du ntre. Iolo le Tnbreux avait pris durant la diatribe des deux Vieilles Gens son chat carlate aux yeux d'or sur ses genoux, il avait crois ses jambes gaines dans un pantalon de soie noire nanti d'une ceinture d'or, et l'on voyait briller ses bottillons de cuir dans la pnombre, sa tunique sombre car il tait vtu de noir des pieds la tte lui donnant grande allure, avec son bret de velours orn d'une plume fuligineuse. Ainsi, les deux

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Hros des Temps Anciens inclinaient la tte en la secouant de temps autre, car des soucis lugubres hantaient leur esprit et leur coeur n'tait pas en repos. Ils s'taient envelopps dans les plis de leurs larges capes lie-de-vin, et leurs braies de cuir taient uses jusqu' la trame et leurs sandales donnaient l'impression d'avoir fait plusieurs tours du monde avant de venir fouler les royaumes des sorcires Amazoons. Tout ceci formait un tableau des plus singuliers, le mage de la Ligue terrestre prenant le temps de s'exprimer d'une voix claire et nette, comme il avait coutume de le faire chaque fois. Amis, ne doutez plus de moi, mon me est sincre, commena le Tnbreux sans cesser de caresser son asanthne Balbillus, aux yeux miclos, perdu en un lointain ailleurs. Il est des choses et des desseins en moi cachs, je le sais et je ne le nie pas, en vrit, consentit-il. Si le dsir me poussant connatre mieux la civilisation Amazoon est grand, il l'est pour une raison bien prcise et elle vous sera rvle tantt, mais les temps ne sont pas encore venus. Souvenez-vous toutefois de ceci, lorsque vous tiez abattus sur Blancoon, aprs l'enlvement des petites filles par les Asmodens, je vous ai soutenu et encourag ne pas baisser les bras. C'est la vrit, reconnut Jean de la Lune en revenant d'une rcolte fructueuse aux abords de l'tendue dgage. Il venait de se joindre au petit groupe et ni une ni deux, les pans de son manteau de voyage crasseux touchant le sol, il s'assit benotement auprs des Vieilles Gens afin de dguster son repas frugal. Son chien noir Tagor tait invisible, comme du reste le noble Roland aux riches vtements et les autres chats. Au-dessus d'eux le vent du soir soufflait en rafales, et l'or du crpuscule dorait le sommet des arbres dans la nuit tombante. La temprature frachissait, et le mendiant du royaume de France s'enroula frileusement dans les pans de son manteau. Trs bientt, il leur faudrait se rsoudre passer la nuit dans des conditions rudes, c'est--dire la belle toile. Le vagabond aux cheveux d'or grimaa cette seule pense, il s'tait habitu de bien meilleures conditions de vie depuis le dbut de cet incroyable priple, et la seule ide de revenir en arrire lui dplaisait fortement. Il prta nanmoins l'oreille aux paroles du mage de la Ligue, elles taient importantes pour la suite des vnements et jamais le sort des cinq fillettes du royaume de France n'avait cess de hanter ses penses. Apprenez, amis, murmura le mage tnbreux en lanant un regard appuy la ronde, je sais de source sre souvenez-vous, la Ligue dtient en ce lieu un contact fiable, il s'agit de notre ami Algotire les

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fillettes emportes actuellement vers un monde lointain situ prs du moyeu de la Roue, et ce monde je dsire atteindre. J'en suis persuad, l se trouveront bientt saines et sauves les cinq petites franaises. Voil mes penses, voil le but dont je poursuis la ralisation pour l'heure. Vous convient-il et consentez-vous me suivre ? La voix du mage noir tait limpide, semblable l'onde glace s'coulant dans les sous-bois non loin de l, et identique tait le regard mystrieux de son chat la fourrure rouge sang, il fixait tour tour les membres de l'assistance, puisque le noble Roland s'en tait revenu se mler au cercle. Mais en tes-vous vraiment sr, magicien, lui lana de manire impromptue le neveu de l'empereur Charlemagne, aucun mal n'a t fait nos petites filles ? Je ne peux nourrir aucune conviction mais les faits parlent pour nous, jamais, m'a assur Algotire, reprit le mage la peau laiteuse, les Asmodens n'ont bless aucune de leurs captives. Ils chrissent les enfants et on me l'a affirm, un monde singulier vit en eux, ou bien ils constituent un monde unique, dans lequel vivent des peuples et des gens de bien. Comment une telle chose pourrait-elle tre possible ? s'enquit d'une voix brusque Gnsio le Triptolme, de son poing repli il soutenait son menton avec une expression dubitative, ses sourcils froncs. L'envoy de la Ligue des Magiciens de la Terre haussa les paules en laissant retomber terre son chat carlate, et celui-ci se reut souplement sur le sol prs du reste des flins. Ils venaient l'instant de rejoindre le groupe, dans la clairire ombreuse au soir finissant. L'astre solaire tait bien prs de se coucher, et l'indigo du ciel se parait de sombres et obscures splendeurs. Les feuillages bruissaient vers les hauteurs, et le vagabond du royaume de France saisi par son imagination fertile peuplait les sous-bois tnbreux et les ramures de cratures sifflantes et inquitantes. Nul ne peut savoir la totalit des choses, car l'tendue de l'inconnu est l'image du monde, presque sans limites, argua le mage. Il vous suffit de le croire, de tels faits existent, ils sont rellement. L'envoy avait pris une direction oppose la leur, suivi de son chat carlate, comme s'il fallait reprendre la route sans se poser davantage de questions. Et le reste de la petite troupe lui embota d'abord le pas machinalement puis l'un d'entre eux, le noble Roland en l'occurrence, songea lui en demander le pourquoi. Je pensais m'tre fait comprendre, amis, dclara avec une expression pondre le mage. Nous sommes actuellement la recherche de

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pierres leves, elles seules, l'image de celles nous ayant donn accs dennia, nous permettront par la magie trs ancienne des sorcires de parvenir jusqu'au monde o vont tre dposes nos petites filles. Algotire, ce brave homme, m'indiqua l'emplacement probable du cercle enchant, nous ne serons pas de trop nous tous pour pouvoir le dcouvrir. Aprs avoir t mis au courant de la marche suivre le groupe y consentit de bon coeur, puis, sans jamais se perdre de vue, chacun ratissa avec soin une portion de territoire bien dtermin avec un zle notable. La nuit tait tombe et seuls les chats dont la vue nocturne avait une rputation fameuse marchaient en tte au milieu des taillis et des fourrs touffus. Le reste de la troupe suivait avec un silence pesant, chacun s'attendant dcouvrir quelque ennemi puissant en ces contres appartenant aux Amazoons d'dennia. Bientt cependant leur parvint aux oreilles la voix touffe de l'un des Hros des Temps Anciens, celle de Gnsio le Triptolme. Nous touchons au but, compagnons, leur dit d'une voix chuintante celui des Vieilles Gens, car il se dresse non loin de nous une trange construction de pierres, aux vifs clats. Vifs clats ? s'interrogea le mage de la Ligue, il avait toujours cru la magie des pierres leves dpourvue de luminosit. Aprs avoir rejoint Gnsio le Triptolme ils purent observer de visu, aprs avoir chacun par un sentier diffrent rejoint une tendue dsole, un alignement de pierres ancestrales et moussues, presque rodes par les annes, se dressant l en cercle, bravant la bise nocturne et le noir profond de la nuit scintillante d'toiles. Un feu crpitant avait t allum en son centre, et le plus grand silence rgnait sur l'endroit. Curieux commena d'un ton de voix touff le noble Roland, dont les riches vtements de cour, chamarrs et prcieux, avaient souffert de son passage inopin entre des ronces aiguises. Vous avez t bien longs pour rejoindre les portes d'Avalon, messieurs, leur reprocha depuis une butte une silhouette obscure au manteau nigmatique, il la recouvrait totalement, de la tte aux pieds. Et le froid venant, avec la nuit, j'ai allum un feu, pour me rchauffer et vous indiquer la route suivre. Je craignais vos informations dpourvues de la prcision ncessaire. La sorcire noire Amazoon s'tait rapproche sans crainte du groupe, il se tenait pour l'heure dans l'expectative, et elle avait rabattu en arrire la sombre capuche voilant ses traits. la lueur vacillante et orange du brasier chacun put reconnatre alors, avec un certain tonnement, la

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personne les ayant recueillis en sa demeure lors de leur arrive sur dennia, Morgane. Vous nous attendiez, articula pensivement le mage noir. Il n'est sur dennia aucun autre cercle de pierres anciennes accdant Avalon, et en ce lieu seulement sont dposes les fillettes ayant chou la Reconnaissance, poursuivit avec une certaine bonne humeur la sorcire aux traits dlicats et la chevelure cleste. Pouvait-il en tre autrement, je vous le demande ? Elle eut de ses doigts fins un geste ngligent empreint d'lgance. Allons, progressons ensemble, puisque nous voil runis, vers les sentiers d'Avalon. Si Lilith daigne nous accorder ses faveurs, les fillettes recherches seront au royaume des fes, sinon dans l'empire des dragons. Morgane avait referm sur elle les pans flottants de son manteau tnbreux, sous le dais obscur et toil se profilant au-dessus du cercle des pierres anciennes et enchantes, mais d'un geste l'envoy de la Ligue avait fait arrter sa marche. Apparemment, cette faon impromptue d'engager la troupe la suivre dans l'inconnu, s'il l'avait dj pratiqu par lui-mme, lui dplaisait singulirement ds lors qu'elle tait mise en oeuvre par un autre. Un instant, sorcire noire, l'arrta-t-il avec une intonation mfiante. Comme vous le comprendrez, nous ne saurions aller ainsi sur vos traces sans explication supplmentaire. Votre apparition, pour aimable et accommodante, me parat suspecte. Votre route a dj crois notre chemin, et nouveau un tel tat de fait se rpte, inopinment. C'est se demander si ce n'est pas de votre part un acte dlibr, et si en agissant ainsi vous n'essayez pas, d'une manire subtile, de nous mener l'chec. Morgane possdait assurment un charme indniable, et des manires empreintes de dlicatesse jointes une grande douceur. Elle s'tait retourn vers la troupe des ambassadeurs du royaume de France et avait ddi ceux-ci son plus beau sourire, sans se dpartir un instant de sa bonne humeur. Vous l'oubliez trop facilement, messieurs les Evzoons de la Terre, vous-mmes avez frapp ma porte les premiers, me rvlant de cette manire votre arrive sur dennia. Je ne suis pour ma part responsable en rien de votre conduite. M'accuseriez-vous d'avoir provoqu par sorcellerie cette tempte si funeste ? Le silence seul lui parvint des rangs des ambassadeurs infortuns, aussi la sorcire la peau noire et aux cheveux bleu ciel reprit-elle la parole

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le plus srieusement du monde, comme si sa dernire insinuation tait seulement un bon mot uniquement lanc pour dtendre la galerie. De plus ma prsence en ce lieu ancien de pierres leves et vnrables vous garantit la vie sauve, Evzoons, vous paraissez n'en tre pas conscients. Vous laisser subir seuls l'assaut des gardiens de l'endroit ne me coterait aucun effort, savez-vous ? Ce disant elle avait dsign d'un geste plusieurs Stryphes patibulaires jusqu' lors masqus dans les feuillages, de manire trs habile et ingnieuse. Ni le chien Tagor ni l'assemble des flins n'avaient eu vent de leur prsence. Les Stryphes taient des tres infmes, mi-hommes michiens, et ils taient les serviteurs attitrs des sorcires noires. Les Hros des Temps Anciens et le noble Roland avaient dj eu maille partir avec leur frocit et leur acharnement dans les plaines lunaires, leur grand dam, car leur chec avait t cuisant. Leur nombre en ce lieu retir d'dennia tait trop important pour le petit groupe, nul ne douta d'une issue funeste en cas de combat. Pensiez-vous vraiment les cercles de pierres dnus de toute surveillance ? Vraiment, vous sous-estimez les Amazoons ! Morgane avait secou la tte avec une nonchalance et une grce tudie. Allons, ne faites plus les enfants, Evzoons, et marchez ma suite vers Avalon. Comme vous, le sort des fillettes de votre pays lointain me proccupe, et il me tarde de les savoir enfin en scurit vos cts. D'un geste lent l'envoy de la Ligue des Magiciens de la Terre avait fait signe ses compagnons de suivre la sorcire Amazoon, mais son visage tait impassible et ses traits figs. Les vnements s'acclraient, semblait-il au mage, et toute prise sur eux devenait difficile, sinon impossible. Les Stryphes canins aux crocs jauntres s'taient carts et d'une voix aigu, presque inaudible, la sorcire Morgane avait fait tourbillonner les pierres leves sur elles-mmes. Si grande tait leur vitesse de rotation que les flammes du brasier dispos en leur centre s'taient mises s'agiter et se mouvoir de faon convulsive, et ce fut pour le vagabond aux longs cheveux d'or un bien curieux spectacle. Il l'emporta avec lui dans ses penses, avant de choisir la suite de ses compagnons une pierre prcise. Ainsi en compagnie de son chien Tagor il fut emport une allure vertigineuse par-del l'ther et le vide interstellaire vers le centre de la Roue et les Amas Obscurs, au-del des Joyaux, sur Avalon la mythique et trs belle. Un monde de femmes comme il ne s'en est jamais vu, et comme il ne s'en verra plus avant longtemps.

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La pice tait vaste, large et ronde, avec une architecture de bois verni soutenant toute la largeur du toit. Les baies avaient t entrouvertes et une intense lumire provenait des dehors champtres de Limasol jusque dans l'endroit. Les personnes se trouvant l avant l'arrive des petites franaises une poigne, vrai dire venaient de se retirer. Il restait Sandra aux cheveux noir corbeau, avec des habits neufs et colors, Grace, la princesse de sang royal la blondeur dore, d'apparence menue, puis le reste des franaises ravies par les Amazoons dans le royaume de France. savoir Barbara, ressemblant par beaucoup de cts Sandra, Sylvia, la chevelure auburn et frimousse charmante. Pour finir Coralie tait l aussi, elle avait t enleve dans les montagnes centrales de France, et elle avait longtemps pleur aprs les siens avant de se reprendre un peu. Mais ses yeux taient encore rougis car le dsespoir se saisissait souvent d'elle, l'image de ses petites camarades. Alors la fillette laissait ses cheveux de jais s'emmler furieusement, et les larmes traaient sur ses joues des sillons brillants. Toutes portaient des vtements bariols d'apparence identique, chacune avait reu des robes de dentelle et de toile fine, des capes multicolores. Elles les avaient nous autour de leur cou et celles-ci leur donnaient l'air, lorsqu'elles se mettaient courir, de papillons erratiques sur le point de s'envoler. Les cinq petites filles avaient repris leur calme car la chef du village avait une expression soucieuse, et malgr le ciel d'un bleu intense au-dehors et le ballet vrombissant des abeilles, bourdonnantes de joie, sous les rayons mordors du soleil, chacune accorda une grande attention la cheftaine. Son apparence tait srieuse et toutes, tour de rle, avaient eu l'occasion d'prouver la rigueur et la svrit de son caractre, mme si souvent elle l'avait envelopp de douceur. Prsentement la cheftaine du nom de Maaria arborait des nattes aux reflets bleuts de chaque ct de son visage ovale, tout en mplats, tirant ses yeux de chat en prenant une mine pensive. Elle recouvrit ses genoux de l'ourlet de sa robe brune, sur laquelle elle avait laiss encore son tablier de mnage dont elle ne se sparait jamais. Elle se trouvait assise sur une chaise de paille, et les cinq petites franaises furent toutes oues, la bouche be et la mchoire pendante, durant son bref discours. Mes enfants, depuis de longs jours dj les vnements vous ont emmens parmi nous et je peux vous l'affirmer, jamais, aucun instant, vous entendez, nous n'avons eu nous plaindre de vous. Vous tes turbulentes et agites, c'est vrai, mais ainsi se comportent toujours les enfants de votre ge et nous savons quelles preuves ont t les vtres, dclara-t-elle d'un trait, avant de s'claircir la gorge en plaant son poing

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ferm devant sa bouche. Le temps a pass depuis votre arrive, et les jours se sont couls la vitesse d'un rve. C'est--dire, trs vite. Le moment est venu de nous sparer : demain Slme, le premier vous accueillir en ce lieu, vous mnera par des chemins secrets jusque dans la maison des Cavaliers. Ils ont seuls accs aux Mondes trangers, et ils vous permettront de rejoindre un pays merveilleux o de gentilles dames s'occuperont de vous. Mais n'ayez craintes, reprit-elle aussitt en distinguant l'expression inquite des petites filles l'nonc de ses paroles. Par le pass il en a toujours t ainsi, vous n'tes pas les premires tre attendues de cette faon. Ces femmes sont belles et ravissantes audel de toute expression, et leur contact vous apprendrez beaucoup. Vous serez heureuses, sur Avalon. Retournerons-nous un jour chez nous ? finit par interroger la petite Sandra, reprise par un subit accs de nostalgie. Vous serez heureuses, sur Avalon, se contenta de rpter la cheftaine Maaria. Il rgnait un froid mordant dans l'immensit intergalactique et Nabab, celui des deux Asmodens la blancheur intense et immacule, avait demi referm l'ovale de ses yeux dors jusqu' seulement laisser entrevoir d'eux une mince fente, pareille un fil d'or. Son regard transperait l'espace et traait sa route par-del le vide jusqu' l'Appel, l'origine de leur qute et de leur long voyage. Le corps du blanc Asmoden tait mouvant et ondoyant sur la soierie obscure de l'ther, et les deux tres gigantesques ils taient identiques dans leurs dimensions ces astrodes normes croiss durant leur course voyaient sans cesse se mtamorphoser et se transformer de la manire la plus singulire l'trange vgtation poussant sur leur extrmit suprieure et infrieure. En effet des sylves tranges croissaient et disparaissaient sans trve sur les deux faces de leurs corps, les deux Asmodens tant d'une platitude infinie et commune, malgr leur diffrence principale rsidant dans la blancheur pure de l'un et la rougeur clatante de l'autre. Des monts peu levs croissaient parfois et se rsorbaient d'eux-mmes, puis dans des plaines silencieuses s'tirant longuement il jaillissait de leur masse des lacs bruntres devenant des mers, avant de s'vanouir et de se muer en prairies et en steppes herbeuses. D'une couleur carmin ou bien laiteuse, on l'aura compris. Les yeux troits des Asmodens fouillaient sans trve le vide en qute de la source de l'Appel, de son origine et de sa naissance. l'image de mondes en mouvement, une chelle plus rduite il est vrai, les deux cratures filrent silencieusement travers les abysses sans fin de l'ther cosmique, la noirceur de l'espace les accompagnant le long de leur voyage, et les

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toiles filantes ne les dtournrent pas de leur tche, ni les habitants sinistres des confins. Car les Asmodens taient lourds d'une vie secrte et profonde, et il se trouvait dans leur sein des pays et des tres, et des vies. Ils taient des arches, transportant par l'univers des tres Humains de monde en monde. Des nuages parfums ils franchirent, s'approchant toujours plus prs du centre de la Roue. Des sphres colores et cercles de jade pourpr ils frlrent, avant de ralentir leur vol soyeux au coeur du vide cosmique. Un globe amarante et ros venait de faire son apparition, illumin par les ples rayons violets d'un soleil doux. Des nuages cotonneux dfilaient en stries ininterrompues sur son hmisphre austral, et les contours bleuts d'un ocan marin se dessinaient autour des tons ocre et meraude d'un continent unique. Il tait travers de veines bleutes la ressemblance d'un tre vivant, et tantt l'un prcdant l'autre, avant parfois d'inverser leur ordre, les Asmodens sans cesser leur mol mouvement ondulatoire se laissrent glisser vers le monde chatoyant, illumin par les reflets rasants et amthyste, violet clair, de son brillant soleil. Avalon tait un joyau, et l'Appel tait intense.

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Chapitre

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Combien est belle Avalon, lcha voix basse le mendiant du royaume de France en dtaillant le paysage verdoyant les encerclant. On dirait une coupe sertie d'meraude, assura l'un des Hros des Temps Anciens, Gnsio le Triptolme, et les bois et les champs, les collines et les fruits, les fleurs colores, sont comme autant de diamants, et de saphirs, et de brillants rubis. Le noble Roland, impressionn lui aussi par la beaut et la joliesse du spectacle fut sur le point de surenchrir son tour, tant il avait t subjugu par le spectacle des environs, mais il prfra se taire, sous le charme encore de la vision observe. Un soleil lavande brillait mi-hauteur de l'abme cleste, il illuminait les alentours boiss d'Avalon, sans pour autant blesser les yeux des voyageurs. Le pied d'une montagne coiffe de neige s'tirait non loin de l'endroit o le cercle de pierres magiques venait de les transporter, et sur l'herbe tendre il poussait des buissons au vert vif, luisant d'une humidit rcente. Les bois s'levant au-del taient touffus et d'aspect impntrable, composs de chnes noirs et de sapins inquitants, de htres bruissants. Aprs avoir l'image de ses compagnons jet sur le monde nouveau un regard circulaire, l'envoy de la Ligue des Magiciens de la Terre, Iolo le Tnbreux, se tourna vers la sorcire Morgane, cette dernire de faon impromptue s'tant jointe au cortge des ambassadeurs. Derrire eux, l'arrondi des pierres leves tait fig de manire monolithique, aprs le passage des voyageurs travers leurs chemins secrets et minraux. Sorcire, nous avons atteint le monde des femmes, dclara-t-il en fixant malgr tout avec une certaine inquitude les environs, car jamais de mmoire d'homme des enfants de la Terre n'avaient pouss si loin pareille expdition. Et vous tes maintenant sur l'unique continent de ce monde, il a nom Fmignina, renchrit la sorcire, particulirement au fait des spcificits de l'endroit, des coutumes du lieu, et de ses singularits.

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 Connaissez-vous l'endroit dans lequel les petites franaises peuvent tre dtenues ? demanda son tour l'un des Hros des Temps Anciens, Aquilon le Myrionime. dire le vrai, je le devine plus ou moins, reprit la sorcire Morgane, car la Demeure des Coeurs est seule susceptible d'accueillir de jeunes enfants, et de les nourrir, de les duquer. Mais il se trouve sur Avalon plusieurs de ces foyers merveilleux, et chacun se situe dans un endroit diffrent, j'ignore celui dont il s'agit. Les Compatissantes et les Aimes seules dirigent ces maisons, leur pouvoir est au-dessus des Amazoons, de la Rgente d'dennia, et du simple mortel. Avec une expression agace, le mage noir fixa les environs boiss les entourant de toutes parts, comme s'il pouvait s'y cacher un pril ou un danger capable de mettre leur rsolution en chec. La premire, la sorcire Morgane aprs un moment de rflexion fit part de ses penses voix haute au reste de la troupe. Et le groupe des chats avec le chat-cerise si li au mage sombre se tint coi, et mmement firent les deux Hros des Temps Anciens, et le noble Roland, neveu de l'illustre Charlemagne. Jean de la Lune flattait pour sa part son chien noir Tagor : ce dernier paraissait tre heureux de se retrouver dans une atmosphre de verdure, et prs de son matre aux longs cheveux d'or il n'avait de cesse de dtailler la sorcire Morgane se tenant au centre de la petite assemble. En effet, il se trouve trois Demeures des Coeurs dans le continent de Fmignina, poursuivait-elle en paraissant discuter pour elle-mme. Et les lus ne font aucun cas de la volont des Amazoons, cause de leur nature mortelle. Aussi nous va-t-il falloir visiter chacune de ses trois maisons, l'une aprs l'autre, afin d'intercder humblement auprs des Compatissantes et des Aimes, des Princesses, elles seules peuvent en dtenir les cls et nous permettre de librer ces jeunes enfants. Mais cela risque d'tre pouvantablement long ! s'inquita le noble Roland avec une mine consterne. Tout fait, messieurs, reconnut la sorcire noire aux cheveux bleus et boucls, et chacune est trs loigne l'une de l'autre. C'est--dire ? interrogea le mage de la Ligue, Iolo le Tnbreux, aprs avoir pris dans ses bras son chat-cerise la fourrure carmin et aux yeux d'or. La premire des demeures, lcha la sorcire Morgane, mi-amuse, mi-srieuse, se situe au royaume des fes, la seconde dans l'empire des dragons. La troisime et ultime, enfin, se dresse au pays des sorcires. Chacun en convint, il tait ncessaire par consquent d'aller d'une partie de Fmignina une autre, la premire d'entre toutes tant le royaume

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des fes du nom de Shala. Tous opinrent aux paroles du magicien de la Ligue, il importait, affirma-t-il, de rejoindre la premire Demeure des Coeurs au plus tt, afin de retrouver les cinq petites franaises drobes leurs foyers, et de rduire d'autant le chagrin de leurs familles, si loin d'elles en cet instant, sur la Terre. Il partit en tte la sorcire noire aux cheveux bleus, et d'un pas lger, elle traa la route travers les chemins creux s'insinuant flanc de coteaux et s'enfonant jusque dans le coeur des forts d'Avalon. Au bout d'un moment d'une marche silencieuse, par des prairies de verdure et des portions de sylves impntrables, o l'on ne distinguait qu'alignement de fts vgtaux orns de mousses sous un toit de branchages, le petit groupe la queue leu leu parvint une tendue plate semi-dgage, dans laquelle le chemin bruntre et bourbeux, la terre sombre, se divisait en plusieurs directions. Le soleil violet ple luisait et tincelait sur un poteau indicateur de bois prs de l, et ce dernier portait en caractres anciens et archaques le nom du royaume des fes, Shala, avec la direction suivre pour le rejoindre. Hardi, les amis, lana le mage tnbreux de la Ligue des Magiciens de la Terre, c'est de bon augure pour la suite de nos recherches, n'en pas douter. La direction de la Demeure des Coeurs la plus proche se trouve par l, marchons sans repos. Les deux Hros des Temps Anciens, Aquilon le Myrionime et Gnsio le Triptolme approuvrent vigoureusement du menton, et pareillement agit le noble Roland. La troupe des chats forte de Prosper, chastrologue officiel du Chamagnon Tigr, Chocolat le hardi et Nudd, le jeune chat dlicat, miaula son approbation avec force. Et Balbillus le chat-cerise aux yeux d'or ne pipa mot, mais son regard tait approbateur et en disait long sur sa dtermination. Tagor, le chien noir la queue et aux oreilles coupes s'tait dj lanc en avant d'un trait, tel une flche, et il n'avait laiss d'autre alternative son matre au manteau de voyage crasseux et aux longs cheveux d'or que de le suivre dans cette folle aventure. Lorsque la dcision de tous fut clairement tablie, d'un pas plus gaillard ils allrent sur le chemin montant et descendant en un mouvement ondulant, jusqu'aux abords d'une autre fort. Laissant derrire eux le poteau de bois peint sur la frontire du royaume, ils progressrent sur la route de terre battue, et il fut possible certains des membres de l'expdition de distinguer de curieuses et vacillantes lumires l'ore de la grande fort, mais personne n'en parla son voisin de peur de rpandre dans les rangs une inutile et vaine angoisse. La voie tait pour le moment dgage, songea le mage tnbreux de la Ligue, il serait bien

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temps, lorsque les circonstances l'exigeraient, de ragir face un pril ventuel. Malheureusement pour la troupe des ambassadeurs de l'empereur Charlemagne, emporte par le destin plus loin qu'aucune autre expdition terrestre, ils arrivrent en avanant de cette faon nonchalante jusqu' un bosquet de saules et de frnes, de peupliers enracins dans une terre humide et noire, et l'un d'eux, de taille imposante, agita sinistrement ses branches feuillues leur approche. leur vif effroi, l'arbre de forme conique avec un curieux toupet vgtal sa cime se planta si l'on peut dire, puisque pour se dplacer il avait d extirper ses racines filandreuses du sol et user d'elles comme de multiples pieds au milieu du chemin et il les apostropha vivement, sa voix tant produite par l'agitation des milliers de feuilles dores constituant sa masse vgtale. Halte l, coquins et manants, faquins ! s'emporta l'arbre. Avalon est un monde de femmes, la prsence des mles y est prohibe. Sur Fmignina ils ne peuvent tre, ni dans le royaume des fes, l'empire des dragons, ou encore moins le pays des sorcires ! Mon nom est Morgane, dclara alors la sorcire noire aux traits dlicats vers le gardien vgtal, puisque telle tait sa fonction en ce lieu, ces Evzoons sont des amis, je te demande de les laisser en paix. Ils sont ici pour une courte priode, aussitt leur tche remplie ils s'en repartiront au plus vite, je peux te l'assurer. Chacun dans la troupe des ambassadeurs le rassura vivement sur cette ventualit, afin de chasser le doute de l'esprit de la sentinelle. Mais cette dernire, malgr tout, paraissait dubitative. Aussi renchrit-elle de sa voix singulire, et, si l'on peut dire, feuillue. Les ordres donns moi par les bonnes dames sont formels, et de ne pas m'y conformer me rapporterait des tracas et du souci, se dfenditil en agitant ses branches basses de manire vhmente. Vous m'assurez des bonnes intentions de vos amis, madame la sorcire, mais votre seule parole ne saurait me suffire, certes pas. Les Compatissantes et les Aimes sont des personnes de puissance leve, tout manquement de ma part ne pourrait les garer longtemps. Te voici devenu bien intransigeant, Saripolien, lui miaula alors le chat-cerise Balbillus. Et je te dcouvre plus grand et plus fort que lorsque je t'ai connu, t'en souvient-il ? L'arbre, interpell par le chat la fourrure rouge vif et aux yeux d'or, tourna vivement son extrmit suprieure nantie de son ridicule toupet en direction du chat-cerise, et il sembla n'en pas croire ses yeux.

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Apparemment, le chat-cerise ne lui tait pas inconnu, et depuis bien longtemps ils ne s'taient plus revus tous les deux. Balbillus, mon vieil ami ! s'exclama l'arbre en occupant toujours le chemin montueux de sa masse, vraiment, les miracles existent, et les prodiges se rptent plus d'une fois ! Si tu savais combien souvent j'ai pens toi, et au gentil garon t'accompagnant ! Comme il m'en souvient, ami, et comment pourrais-je jamais oublier cela ? Moi non plus je n'ai pas gar ton souvenir, Saripolien le Nigaud, dit d'une voix claire le mage de la Ligue, depuis la pnombre o il se tenait jusqu' lors, en arrire-plan. Et plus d'une fois j'ai revu ton image en penses, et je me suis interrog sur ton sort. Comme s'il ne pouvait plus croire la succession des vnements, l'arbre appel par les deux amis Saripolien le Nigaud sautillait sans cesse en allant de l'un l'autre, et il les serrait contre son tronc rugueux en pleurant des torrents de feuilles ambre clair. Un long moment fut ncessaire la sentinelle arboricole pour apaiser ses dbordements de joie, puis les trois amis se racontrent les uns aux autres les vnements survenus depuis leur dernire sparation. Saripolien le Nigaud conclut l'expos. lorsque tout fut termin, je demandai quitter le Pays Bienheureux et je retournai par un long priple quelle aventure, mes amis ! jusqu' ma valle natale, o je restai ds lors de longues annes. Mais on ne se refait pas, et je tiens de mes anctres voyageurs, vous le savez, un irrpressible besoin de me dgourdir les racines. Je repris la route, et fis bien des rencontres singulires. L'une d'elles Mais nous reparlerons de cela une autre fois ! assura-t-il vers ses anciens compagnons, de nouveau retrouvs. Ainsi, vous voil sur Avalon ! Le mage tnbreux et son chat-cerise Balbillus lui expliqurent le pourquoi de leur visite en ce lieu interdit aux mles, et l'arbre pleura plusieurs feuilles lorsqu'il apprit le sort des cinq petites franaises, arraches de manire si cruelle leurs maisons et leurs familles. Une telle chose est odieuse, certainement, c'est une abomination, reprit l'arbre d'une voix tremblante, et je n'en doute pas, les bonnes dames des Demeures des Coeurs, ds votre arrive, vous remettront sans tarder les fillettes recherches. Pour ma part, je ne m'opposerai pas une si noble et vaillante entreprise, et tant pis pour les consquences ! J'espre seulement en la comprhension et la mansutude des bonnes dames, elles le comprendront, si j'ai failli mon devoir de sentinelle, c'est uniquement par amour des enfants.

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 Est-ce bien par ici la route de Shala, le royaume des fes ? s'enquit la sorcire noire Morgane, aprs avoir ramass sur sa nuque ses superbes cheveux d'un bleu cleste. Certainement, belle dame, lui affirma Saripolien le Nigaud, et afin de m'assurer de l'absence de tout danger dans votre entreprise, je m'en vais vous escorter jusqu' la prochaine passe. Ensuite je repartirai, car de vous revoir de nouveau, amis, m'a rendu nostalgique, je suis rest trop longtemps sur Avalon. Sur la route bossele et ondulante, la troupe reprit sa marche interrompue de manire si brusque par le rveil de la sentinelle, heureusement amie, en dfinitive. En tte avanait Morgane, et les chats baguenaudaient derrire elle. Il y avait aussi le noble Roland allant grandes enjambes aux cts du vagabond aux cheveux de bl mr, Jean de la Lune. Les deux Hros des Temps Anciens se rjouissaient entre eux de voir les vnements prendre pour l'heure une tournure si heureuse, et le mage noir en compagnie de son chat-cerise discutait d'abondance avec leur vieil ami. Autour de celui-ci tournait et retournait le chien noir Tagor, comme s'il ne parvenait pas croire un arbre capable de se dresser sur ses racines et de dambuler voix haute, l'image du plus banal des tres humains. Le temps s'tira de cette manire paisible et indolente, le soleil violet ple calquant sa descente sur la lente avance de la troupe. Enfin aprs une route sans incident majeur le groupe de voyageurs arriva une monte entoure d'une profonde fort, et les rayons ross et pourpres du soleil dcoupaient dans la masse vgtale de Saripolien le Nigaud des clats purpurins mls d'orange, d'amthyste et de violet. Nos routes, de nouveau, se sparent en ce lieu, compagnons, assura l'arbre en agitant ses branches. L'aventure m'appelle et des merveilles m'attendent, mon coeur est triste mais je le sais, nous nous reverrons. Saripolien le Nigaud, le hla le chat-cerise Balbillus, moi aussi, je suis afflig de ton dpart. Je partage ton opinion, sache-le. La tournure des choses nous a t favorable, elle le redeviendra encore l'avenir, n'en doutons pas. Pour l'heure, sois prudent sur la route, le mit en garde le mage tnbreux, car j'ai pris plaisir te revoir. Et l'envoy de la Ligue se tut brusquement, car le chagrin tranglait sa voix. Saripolien le Nigaud avait quitt le chemin de terre et arpentait dsormais un champ d'herbe humide, dans la pnombre du soir venant. Adieu, adieu, leur lana-t-il, et vous-mmes, avec vos amis, ne manquez jamais de prcautions. Vous marchez sur un monde de femmes, et

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votre prsence, tt ou tard, y sera dtecte. Faites donc vite, et ne tardez plus accomplir votre besogne. Ayant dit cela l'arbre sur ses racines agiles et noirtres, terreuses, avait mu une dernire fois ses branches aux clats d'or et s'tait perdu dans le labyrinthe vgtal encerclant le chemin, jusqu' disparatre au sein de l'ocan de verdure. Seul son toupet se laissa discerner encore un peu, avant de s'vanouir son tour. Alors la troupe poursuivit son avance une allure morne, et nul dans le groupe des ambassadeurs n'osa adresser la parole l'envoy de la Ligue ou son asanthne rouge cerise car une profonde mlancolie affligeait ses derniers, tel si d'anciens vnements et de hauts faits venaient de se rappeler eux, les plongeant dans un tat de langueur intense. Bientt le groupe de voyageurs, aprs une courte pause destine reposer leurs membres gourds, en vint atteindre une rgion escarpe, le chemin sinuant flanc de coteaux. En contrebas on distinguait une bruyante rivire l'onde glace, car elle provenait des montagnes proches et tait encore pntre de la froideur des glaces ternelles et des entrailles d'Avalon. Le sentier descendit graduellement jusqu'au niveau des valles se situant entre les monts, et par un pont de bois branlant les ambassadeurs de la Terre franchirent l'onde froide, surplombe de haut voici peu encore. Ils accdrent de cette manire de vastes champs cultivs, et au loin tait un village de bois et de tuiles, comme il s'en trouve dans les zones recules du royaume de France, affirma le vagabond ses compagnons de voyage. Les dtails taient en effet flagrants, mme si les dimensions devaient n'en pas tre les mmes, puisque seuls des Petites Gens elfes et nains, gnomes en tout genre, y habitaient en familles nombreuses. Le soir color de nuit tombait sur le hameau, la place ronde tait orne d'arbres centenaires avec une fontaine de bronze en son milieu, et les demeures de bois comportaient des soubassements de pierre et des toits pentus, des balcons dcors de fleurs vives si nombreuses qu'elles escaladaient mme les toits de certaines maisons. Les Petites Gens l'arrive de cette troupe incongrue avaient interrompu leurs diverses activits, pratiques la lumire de flambeaux et de chandeliers, et s'taient regards les uns les autres avec un certain tonnement. Apparemment, la prsence d'tres humains mles en Avalon tait si prohibe que personne n'avait encore jamais pris la peine d'enfreindre cette loi antique. Finalement un gnome ventru et d'allure autoritaire prit la parole en venant vers eux, d'un pas dcid.

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 Inconnus, partez au plus vite car les rgles des bonnes dames d'Avalon sont formelles, elles interdisent aux hommes de rester ici. Ne voyez l rien de dsobligeant votre encontre, poursuivit le responsable du village des Petites Gens, mais les choses sont ainsi faites en Avalon, au pays des fes, il ne s'y trouve pas de place pour vous, messieurs, sous peine de voir se lever bientt de graves dangers pour vos personnes. Mais la dame noire Amazoon peut rester si elle le dsire, renchrit alors un nain aux joues roses et rebondies, dans la multitude des habitants de l'endroit faisant cercle autour des voyageurs. Nous savons cela, bonnes gens, leur dclara la sorcire Morgane. Notre sjour en ce lieu sera de courte dure, et nous nous faisons fort de l'expliquer aux Compatissantes et aux Aimes, car nous avons foi en leur bont et justice. Nous partirons demain, sans faute, leur promit le mage tnbreux de la Ligue, et les deux Hros des Temps Anciens, avec le noble Roland, approuvrent d'un nergique mouvement du menton. Voyant cela le suprieur des Petites Gens de l'endroit parut rassur l'ide d'un prompt dpart, et avec un large sourire il souhaita aux nouveaux venus un heureux sjour. Un repas consistant leur serait fourni bientt, en signe de bienvenue. Le fait est reconnu de partout, les Petites Gens sont trs hospitaliers, et tout tranger en dtresse n'a jamais eu se plaindre d'eux. Aussi les voyageurs firent comme il le leur avait t suggr, et dans la pnombre d'un petit bosquet, clair par des flambeaux de rsine odorifrante, ils se reposrent de leur marche force et des vnements rcents. Les lumires des torches clairaient les lieux, et les arbres du royaume des fes paraissaient grimacer et les fixer trangement dans les tnbres des sous-bois. L'tang cristallin situ prs de l, lui-mme, brillait et tincelait d'clats singuliers comme s'il abritait une vie secrte et occulte. Le vagabond perdu dans un abme de rverie en contemplant l'tang mlancolique fut bientt tir de ses penses par la venue des Petites Gens. Ils apportaient sur des chariots de bois nantis de roues des plats succulents et varis, avec des boissons ambres et des desserts savoureux. Les chats ne furent pas oublis, ni le chien noir Tagor, la queue et aux oreilles coupes. Pendant un certain temps aucun discours ne fut plus chang entre les convives, car le repas tait un rgal, et il semblait qu'un cuisinier hors pair avait prsid l'laboration des mets. Enfin lorsque le repas sur l'herbe, o de grandes nappes avaient t disposes, fut achev et les plats avec les serviettes retires, chacun se plaa en un endroit o il disposa un matelas d'herbes sches, car les maisons des

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Petites Gens taient par trop rduites pour accueillir serait-ce seulement l'un d'entre eux. Les voyageurs se rpartirent d'eux-mmes en groupe lorsque les Petites Gens du village se furent loigns, et le mage de la Ligue, Iolo le Tnbreux, avec son chat-cerise Balbillus et le reste des chats se retrouva en compagnie de Morgane la sorcire noire aux traits dlicats et l'expression nigmatique. Les deux Hros des Temps Anciens, Aquilon le Myrionime et Gnsio le Triptolme, discutrent bton rompu durant quelques instants avec le noble Roland, et chacun parlait l'autre voix basse depuis son matelas d'herbes. Enfin comme souvent il advenait ces derniers temps le vagabond du royaume de France, Jean de la Lune, se retrouva seul prs de l'tang songeur sous ses nnuphars et ses plantes d'eau, mais le mendiant ne s'en offusqua pas, car son chien Tagor, affectueux et fidle, tait ses cts. Dans la nuit d'Avalon, au royaume de Shala, aucun feu n'avait t allum car la temprature tait douce et les maisons illumines de chandelles, l'arrire-plan, constituaient un dcor chaleureux et rassurant. Les conversations allaient d'un endroit l'autre, d'un voyageur un ambassadeur, d'un chat au vagabond, mais elles dcrurent au fur et mesure de l'affaiblissement des flambeaux, car la nuit incitait au repos et au sommeil, et leur fatigue tait grande. Le mendiant resta veill le dernier, fixer les toiles tranges dans la noirceur d'Avalon : ses longues errances dans les provinces franaises l'avaient familiaris avec le spectacle des astres nocturnes scintillants, et les constellations disposes dans les cieux ne lui rappelaient rien de connu. Les dtours du destin taient vraiment chose incroyable, songea-t-il en lui-mme, puis il s'assoupit au bord de l'tang avec la singulire impression d'entendre un sifflement discret. Il s'affaissa, chut dans un puits noir comme s'il traversait la terre ferme, mais la pense lancinante d'tre appel le retint d'extrme justesse au bord du sommeil. Avec un agacement contenu, il revint lui en ouvrant les yeux, puis les carquilla presque aussitt. Un serpent tincelant et multicolore, au regard de sombre jade, se tenait jaillissant demi de l'tang. La surface de celui-ci tait devenue vaporeuse, et un large escalier de cristal s'tirait vers les profondeurs de l'tendue aquatique. Psst ! Mon garon ! Jean de la Lune ! sifflait voix basse l'ophidien la langue fourchue, d'une rougeur de braise. Abasourdi, le vagabond aux longs cheveux d'or tout en s'enroulant dans son manteau crasseux regarda le reste de ses compagnons, afin de les prendre tmoin du prodige, mais ils dormaient du plus profond

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sommeil. Seul le jeune chat Nudd s'tait relev de la troupe fline, et, frtillant des moustaches avec mfiance, il observait de loin le serpent merveilleux mergeant de l'onde spectrale. Psst ! rpta le serpent, finissant par convaincre le mendiant de se rapprocher de l'ouverture magique. Viens avec moi dans le domaine aquatique des bonnes dames, car ma matresse, dtentrice de cet tang prs duquel tu allais t'assoupir, a des reproches te faire. Des reproches ? s'enquit le mendiant avec une inquitude non feinte, embotant en mme temps le pas au serpent color et dvalant sa suite les marches glissantes de l'escalier de cristal. Le vagabond tait persuad de l'inutilit de toute rsistance devant de si puissants personnages, au surplus matres dans leur domaine, au royaume des fes. Nudd le chat avait dcid de suivre galement l'escalier magique aboutissant au fond de l'tang, tant les chats sont des cratures mystrieuses nanties d'une curiosit insatiable, et rien ne les attire autant que l'interdit et toutes ces sortes de choses. De cette manire surnaturelle, par l'escalier cristallin, le mendiant suivi de Nudd accda au bas des marches, ou plutt en haut, puisque une fois arriv le vagabond dcouvrit un phnomne singulier. La marche palire donnait sur une plaine rase aux bosquets circulaires, et non pas en un univers souterrain et spulcral. Autrement dit, en dvalant l'escalier magique ils venaient de s'lever, mme si la logique de la chose paraissait de prime abord irrelle. Mais Jean de la Lune jugeait le royaume des fes propre engendrer quantit de merveilles, durant son sjour dans la patrie des bonnes dames il lui serait donn de distinguer encore bien des prodiges, auxquels il ne comprendrait rien. Dans la plaine la verdeur intense l'herbe s'agitait sous un vent frais, et le ciel tait gris de plomb, voil par une brume impntrable. En dpit de tous ses efforts il lui fut impossible de distinguer jamais un quelconque soleil, ou tout astre lumineux indispensable la vie. Le vagabond suivait en silence le serpent ondulant gracieusement sur le chemin blanc, et Nudd la fourrure caramel et au temprament aventureux n'avait de cesse de dtailler les environs en avanant vers la demeure de la matresse de l'endroit, la maison se rapprochant d'eux chaque instant davantage, au fur et mesure de leur avance. La btisse tait presque princire, car sa beaut tait grande et ses dimensions imposantes, elle tait ronde et ventrue mais sa grce n'avait pas de limites. Toute en briques et en moellons d'ivoire et d'albtre, de quartz translucide aux diffrentes couleurs, ses fentres taient hautes et tires, avec des voilages de gaze s'tirant par les baies entrouvertes. Ses

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toits possdaient diffrentes hauteurs et ses tuiles arrondies avaient la couleur terne du ciel, car elles taient de vieil argent, et d'entre elles mergeaient des chemines de schiste noir, le plus bas et large des toits arrivait presque au sol, reposant distance rgulire sur des colonnes de marbre et de porphyre canneles. Un escalier aux marches dores menait la porte principale pour l'heure grande ouverte, une vive lumire illuminant les couloirs intrieurs de la demeure avant de se diriger vers les nouveaux arrivants. La bonne dame dlgue la protection de l'tang venait vers eux, et sa colre tait visible. C'tait une Compatissante voile de gaze et de tulle des pieds la tte, elle se mouvait perptuellement environne d'un amas de tissus vaporeux et arien, rose doux ou bleu ple, crme et ivoire, ou bien d'un blanc de neige clatant. Son aura tait ferique, et ses gestes dlis sous sa longue et fine robe de satin nacr la rendaient gracieuse de manire incomparable. Sa beaut enchantait, son visage et ses traits, avec ses cheveux noir corbeau flottant en une couronne somptueuse derrire elle taient dignes d'une reine ou d'une personne de haut rang. Pourtant sa simplicit et sa gentillesse taient videntes, put se rendre compte le mendiant, lorsqu'elle se fut rapproche de lui le toucher, le grondant demi-mot. Vagabond, Jean de la Lune, lui reprocha-t-elle en le dsignant de son index translucide, comment peux-tu oublier ainsi tes devoirs, et emprunter une si longue route pour arriver ton terme ? Oublierais-tu les cinq petites franaises, se morfondant jour aprs jour, et attendant en vain l'arrive d'un librateur ? Pourquoi t'es-tu joint ainsi l'expdition du roi de France ? Tu es suffisamment fort pour pouvoir te passer de quiconque, car mme si l'oubli t'a t impos, les lues du Royaume d'Eau t'ont accord une couronne sans pareille, et elle vaut mille de celles des mortels. On a infus en toi des forces dessein, afin de t'aider accomplir ta tche. Ton manque de confiance, en ta valeur et en nousmmes, nous, les bonnes dames, nous a cruellement dues. Madame, se dfendit le mendiant du royaume de France en ne comprenant pas les reproches ainsi formuls, le cours des vnements s'est saisi de moi et m'a utilis comme un jouet. Je puis vous l'assurer, jamais le sort des petites filles ne m'a t indiffrent, d'aucune manire. Je le sais, lui affirma la Compatissante d'un ton davantage apais, c'est pourquoi ma colre n'tait pas virulente. Apprends toutefois avoir davantage confiance en toi, l'avenir. Andromde l'Amazoon aura besoin d'aide bientt, et il ne te faudra pas faillir. Celui manquant son destin rencontre la mort, inluctablement.

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 l'nonc de celle dont le sort lui tait devenu si cher, le coeur du vagabond avait fait un bond douloureux dans sa poitrine. Ses mains taient devenues moites, et avec une gorge dessche il couta le reste des paroles de la bonne dame. Par les Landes Magiques tu peux facilement poursuivre ta route jusqu' la premire des Demeures, il s'en trouve trois sur Avalon et dans l'une d'elles peuvent tre laisses les petites franaises. En chemin, des aventures surviendront : et l'Amour, de nouveau, tu rencontreras. De grands accomplissements natront ensuite, mais tu en sauras davantage en temps utile. Pour l'instant, va, mortel, et ne te retourne pas. La Compatissante avait dsign d'un geste large les alentours brumeux, avec l'tendue d'herbe humide et le ciel bas, les quelques arbres mergeant du linceul de brouillard. Le vagabond du royaume de France avait retourn son regard la Compatissante avec une expression douloureuse. Apparemment, Nudd le chat la fourrure caramel dsirait se joindre l'aventure, mais son chien noir tait rest en haut, dans l'univers du dessus. Sa prsence lui manquerait, qu'adviendrait-il de lui sans son matre ? Le reste de ses compagnons pourrait-il s'en occuper comme il convient ? Sur cette funeste pense des aboiements joyeux clatrent dans son dos, aprs une galopade effrne. Tagor, son ami fidle, n'avait pu se passer de lui, et, avec l'instinct infaillible des animaux, il avait emprunt l'escalier enchant se perdant au fond de l'tang. l'heure du rveil, le reste des ambassadeurs se poserait nombre de questions sur l'trange disparition venant de frapper leurs rangs. Mais pour l'heure, ralisa Jean de la Lune aux cheveux d'or, rien ne s'opposait plus son dpart vers la Demeure des Coeurs la plus proche.

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Chapitre

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Le roulement tumultueux s'amplifia et la plaine d'herbe humide sous le ciel gris, occult depuis la journe prcdente par un pais manteau nuageux, continua tressauter et tressaillir une allure rgulire. Aussitt Jean de la Lune et Nudd le chat, valeureux en dpit de son jeune ge, avec le chien noir Tagor, se poussrent promptement dans les buissons proches. Le grondement de l'quipage tnbreux se fit de plus en plus proche, puis finalement en une galopade effrne, dans un bruit de cataclysme, il dferla cinq cavaliers vtus de sombre des pieds la tte, et ils avaient des visages maigres et blancs, avec de larges chapeaux voilant leurs visages demi et de grandes capes noires battant au vent, du haut de leurs fringants coursiers tout de nuit et de jais. Au coeur du buisson d'aubpine qu'il avait t le seul choisir, durant le passage bruyant de la troupe de cavaliers, le mendiant se maudit intrieurement plus d'une fois pour son mauvais choix effectu dans la hte. Mais il en profita pour observer de quelle manire le groupe malmenait ses montures avec la dernire nergie, leurs chevaux couverts de sueur et les yeux fous exhalant des panaches de vapeur par leurs naseaux dilats. Il ne manqua pas de remarquer galement leur trange posture sur leurs chevaux, avec une expression intrigue. Chacun d'entre eux eut-on dit serrait contre lui un fardeau de valeur, envelopp dans les plis et les contours de leurs habits sinistres. Lorsquenfin la rumeur de leur cavalcade se fut attnue l'horizon jusqu' disparatre, tous trois mergrent prcautionneusement des massifs d'herbes folles et de fourrs dans lesquels chacun s'tait prcipit tte-bche, et ils dtaillrent avec prcaution les alentours boiss des Landes Magiques, o jusqu' cette brve intrusion ils venaient de passer leur premire nuit, des plus paisibles, il est vrai. Voil bien un trange quipage, dans ce royaume d'enchantements, miaula le premier le chat Nudd, sa petite langue rose pointant entre ses crocs de nacre.

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 Nous aurons bientt, je pense, une explication leur passage, lcha son tour le vagabond du royaume de France en terminant de s'pousseter le postrieur afin d'en dtacher les dernires pines. Le chien noir Tagor contrairement au chat ne possdait pas le don de la parole, puisqu'il tait n dans le royaume de France et non pas dans l'Arkaal, mais il aboya vivement pour marquer son approbation aux paroles de son matre, voulant signifier par l : " Je ne peux m'exprimer et ma gueule est scelle, mais je n'en pense pas moins ". Le trio, aprs s'tre dtach sur les conseils de la bonne dame de l'tang du reste de la troupe des ambassadeurs, reprit alors sa marche interrompue par l'incident et sur la route ondulante, il traversa la plaine verte semblable un ocan d'meraude. Le ciel tait toujours imperturbablement gris de plomb, et il n'y avait pas de soleil pour traverser les nues, mais le besoin ne s'en faisait pas sentir. Une luminosit suffisante s'panchait du haut des cieux et apportait toute chose de ce lieu merveilleux une clart blanche et pure, ininterrompue et ne vacillant pas. Il y avait des monts s'levant de part et d'autre, prsent, car le trio depuis leur arrive dans les Landes Magiques avait fait bien du chemin, et des forts de rsineux s'talaient sur les pentes douces, l'image de vertes lames au ressac fig. Le chat Nudd la vue perante et l'oue fine miaula de surprise soudainement en fixant le lointain, et ses deux compagnons, voyant uniquement dans cette direction de curieux fils d'or s'tirant sur de grandes hauteurs, pensrent le flin victime d'une imagination trop fertile. Pourtant tel n'tait pas le cas, comme purent s'en apercevoir de visu Jean de la Lune aux cheveux d'or et son fidle Tagor, lorsque leur marche les eut davantage rapprochs de l'endroit en question. En effet le chemin de terre sombre, bord d'une herbe frange de rose sous le ciel gris s'insinuait aprs un dtour dans un petit col, et de l le sentier descendait vers une valle s'talant derrire les montagnes mousses. Il se trouvait l une vaste platitude, dans laquelle se dressait un singulier spectacle. Celui de colonnes de lumire ondoyantes tournant sur elles-mmes en un mouvement sans fin, pareilles des langues de feu scintillantes et blouissantes allant se perdre dans le coeur impntrable des nues ouates bouchant le dais de cet univers ferique. Pntr de la plus grande surprise pouvant se concevoir, et on le serait moins, le vagabond avec ses deux compagnons fit route vers l'tendue dsertique recouverte seulement d'une herbe rase, dpourvue du moindre arbre ou monticule de terre, mme pas de la plus petite taupinire, et il s'en alla examiner de plus prs ces curieuses colonnes de lumire vertigineuse.

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Lorsque le chat Nudd la langue rose et le chien Tagor l'eurent rejoint auprs de la plus proche colonne, ils ralisrent qu'elles mettaient un curieux chuintement en tournant ainsi sans trve. Les flammes s'agitant inlassablement paraissaient vivantes et non pas thres, elles parlaient seules et mme entre elles, d'une colonne l'autre. " Viens, viens ! Viens moi ! " semblaient-elles chuchoter l'adresse de Jean de la Lune, celuici s'en trouvant abasourdi et s'approchant de plus prs pour pouvoir mieux les distinguer. En dfinitive, son grand dam, les flammes le frlrent au point de lcher ses vtements, et promptement le saisirent et le firent disparatre dans leur masse. Le chien Tagor s'en effraya mais les flammes le ravirent aussi, et le petit chat Nudd la fourrure caramel fut le dernier rejoindre le cortge, car transi de peur il s'tait cart et une langue de feu s'en alla le chercher pour le saisir et l'emporter la suite des autres. La colonne brlante tait tide et non pas blessante, finit par raliser Jean de la Lune, et les flammches montant toujours plus haut vers le ciel riaient et gloussaient en emportant les trois voyageurs des Landes Magiques vers le znith. Finalement le groupe sur un ultime clat de rire des flammes tournantes mergea en un tapis nuageux recouvrant le royaume enchant, et pour la premire fois depuis leur arrive en ce lieu irrel, il leur fut possible de distinguer le ciel, et la vote thre, avec l'ornement d'un vaste semis d'toiles. Mais ils ne purent y observer le soleil, car la nuit tait tombe dans ce pays suprieur, et il ne s'y trouvait pas de lune permettant aux trois compagnons de s'aventurer sans pril dans le sol nuageux et solide se droulant sous leur pas. Avec les plus grandes prcautions le petit groupe poursuivit en qute d'un indice quelconque au sujet de ces mystrieuses Demeures des Coeurs, et ils finirent par apercevoir au loin un chemin bord de lanternes la flamme troite et vacillante. Ayant rejoint bientt le premier fanal, ils en suivirent le trac par un sentier velout jusqu' rejoindre une demeure imposante et sombre sous le dais noir de la nuit, avec des toits pentus et des girouettes de bronze, des baies d'un jais profond et des murs en briques d'onyx, partiellement recouverts d'un lierre gris-argent scintillant et nacr. Un porche abritait la porte d'entre, et il ne leur fut pas ncessaire de frapper bruyamment pour attirer l'attention du matre de maison, car ce dernier se trouvait dj sur le seuil, les observer fixement. C'tait une vieille femme aux cheveux gris et filasse, vote et bossue, avec cette grimace particulire des personnes ges lorsqu'elles n'ont plus de dents. Elle tait vtue de noirs habits avec un tablier sombre et un fichu sur la tte, et sous ses jupes on distinguait, bizarrement,

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l'extrmit tincelante de sabots de cristal, brillants et chatoyants un point extrme. On les aurait crus confectionns avec du diamant et non pas du simple verre. Ses mains taient dformes par l'arthrite et le grand ge, ses veinules bleues faisaient saillies entre ses phalanges la peau jaunie. Vous tes des mortels, visiblement, leur lana la vieille femme, vous n'tes pas des Landes Magiques, n'est-ce pas ? Tout fait, convint Jean de la Lune, aprs avoir quelque peu arrang son manteau de voyage et ses longs cheveux blonds, nous sommes la recherche d'une Demeure des Coeurs, sur les dires d'une bonne dame. Notre route a t longue jusqu'ici, et d'tranges cavaliers nous avons crois. La vieille femme ne leur rpondit pas tout de suite et la dernire phrase du vagabond se contenta d'acquiescer d'un mouvement du menton. Il ne vient pas souvent des visiteurs en mon manoir, venez donc, je vous prie, leur assura-t-elle en rentrant dans sa demeure, les engageant d'un geste la suivre, le repas est servi, il ne doit pas refroidir. D'abord interloqu par une invitation si subite et dsinvolte, Jean de la Lune se dit en lui-mme : aprs tout l'occasion tait profitable, puisque leur estomac tait tous trois vide depuis la journe d'hier soir, et dtaillant les lambris prcieux ainsi que les tapis velouts dcorant les couloirs, il se prit penser. Cette trange vieille femme ne devait pas tre pauvre ni dans le besoin, loin de l. Dans une grande pice aux baies entrouvertes, dont certaines donnaient par l'entremise de balcons ouvrags sur la nuit profonde advenue entre-temps, il leur fut apport un agrable repas, chacun selon sa nature et les gots de sa race. Avec surprise le vagabond ralisa son grand apptit, et il oublia ses bonnes manires et son quant--soi pour faire honneur aux plats amens par des silhouettes furtives et sombres, translucides, allant et venant de la pice o ils se trouvaient aux dpendances proches. Durant le repas la vieille femme se montra courtoise envers ses invits et eut souvent pour chacun des paroles aimables, et chaque question de la personne ge se voyait donner une rponse par le mendiant aux cheveux d'or, entre deux bouches. Ainsi, vous venez de bien loin, me dites-vous, poursuivait la vieille femme en faisant signe ses serviteurs immatriels de dbarrasser la table, puisque le repas touchait sa fin. Tout fait, madame, du royaume de France, pour tre prcis, lui dclara Jean de la Lune en s'essuyant les lvres d'une serviette.

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 Et moi je suis Nudd le chat, miaula son tour celui-ci, je proviens de l'Arkaal, sur lequel rgne notre souverain bien-aim, le Chamagnon Tigr. Vous lui prsenterez mes hommages, lui affirma la personne ge en se tournant vers le petit chat caramel. Cela sera fait, acquiesa Nudd, aprs s'tre soigneusement lustr les moustaches. Et vous recherchez activement cinq petites filles, reprit la propritaire du manoir, vous souhaitez les ramener en leurs demeures, si j'ai bien compris Voil en effet le but de notre priple, approuva le mendiant, et une bonne dame m'a assur de son appui, elle m'a engag suivre seul ma route. Elle a agi convenablement, assurment, et je souscris votre qute, voyageurs, celle-ci me parat noble, prilleuse et hardie, tout la fois, dit la vieille femme. Par mes sabots de cristal, ma dcision est prise, votre secours, je m'en vais aller. Car j'apprcie beaucoup les petits garons et les petites filles, et j'abomine la simple ide de les savoir malheureux. La matresse de l'endroit leur fit signe et le chien noir la queue et aux oreilles coupes, le jeune Nudd avec Jean de la Lune suivirent la vieille femme sur un balcon. Relevant ses jupes, elle exhiba ses sabots de cristal pur, brillant et chatoyant de mille feux dans les tnbres. Elle sauta prestement sur la rambarde, et tous l'imitrent sans prendre la peine de rflchir, elle bondit encore et ses sabots l'emportrent dans les cieux. Le vagabond saisit la main de l'ancienne, le chat Nudd s'agrippa au manteau du mendiant et sous peine de le laisser en arrire, Jean de la Lune saisit son chien fidle par le cou et l'entrana avec eux. Par l'espace vide les sabots cristallins filaient comme sur de la glace, un vent froid soufflant aux oreilles de tous. La vieille femme riait, et riait encore, gorge dploye, de l'tonnement de chacun des voyageurs se tenant elle. Les sabots de cristal laissaient de fins sillons d'argent, traant sur l'bne nocturne deux chemins accols et gracieux, suivant exactement la course qu'imprimait la vieille ses mystrieux sabots. Par les routes clestes des Landes Magiques le curieux et surprenant quipage franchit bien des lieues au-dessus de paysages fantastiques plongs dans l'obscurit, puis finalement la personne ge les dposa sur le sol herbeux d'un vaste pr, aux alentours de minuit, jugea mentalement le vagabond. Voyageurs, nous allons nous sparer, prsent, car il me dplat de laisser trop longtemps mon foyer dsert. Non loin d'ici se situe la

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premire des maisons, elle vous portera chance, j'espre, et les petites filles se trouveront l. C'est du moins mon plus grand dsir. Recevez mes encouragements, et au plaisir de nous revoir un jour. Sur ces paroles aimables la vieille femme repartit en filant comme l'clair grce ses sabots de cristal, et ils scintillrent et tincelrent brivement entre les tnbres avant de disparatre au loin. Le vagabond se retourna et distingua alors les hauts murs d'une gigantesque btisse, avec des tourelles en encorbellement et des balcons de vif-argent, des murs d'albtre et d'ivoire orns de grandes fentres avec des chanes d'argent tendues en guise de barreaux. Tout ceci en une succession presque sans fin, puisquune profusion chaotique et anarchique d'ornements architecturaux adornait l'immense maison sur la totalit de sa surface. Cette Demeure des Coeurs ne possdait pas de limites vers le haut ni vers le bas, son fate s'levant jusqu'au znith noirtre en lequel il se perdait, et sa base plongeant sous la surface, touchant les abysses des Landes Magiques. Il y avait un portail vot de bois noir cisel et sculpt devant eux, supportant un heurtoir de bronze qu'en dpit de l'heure tardive le mendiant se rsolut utiliser. Un son net et profond la fois rsonna dans les entrailles de la Demeure des Coeurs, et Tagor tressaillit en touffant un aboiement, le jeune Nudd de crainte irrpressible se dissimulant derrire les jambes de Jean de la Lune. Un visage au teint crayeux fit son apparition dans l'entrebillement, perdu dans l'immensit de la maison cyclopenne, mais il s'agissait en fait d'un masque rigide dissimulant les traits vritables de son porteur, ralisa avec surprise Jean de la Lune. Celui se tenant l intima le plus profond silence au mendiant, d'un index explicite pos sur ses lvres, recouvertes par le masque occultant ainsi son identit. Nul ne peut accder aux Demeures des Coeurs durant la nuit des Landes Magiques, expliqua le gardien, car durant les tnbres des enchantements vont librement par les chemins, et la voie des Demeures leur est interdite. eux, comme vous. Mais nous sommes la recherche de cinq petites franaises, dont le sort nous est cher, lcha le vagabond avec angoisse, car il avait peur de se voir refuser les renseignements esprs. Exactement, renchrit alors son tour Nudd de sa voix perante, ce sont de gentilles petites filles, et nous dsirons les ramener dans leurs familles au plus vite. Le chien noir Tagor aboya galement, son hurlement bref rsonnant longuement aux alentours et jusque dans les entrailles de la Demeure des Coeurs ferique. Apparemment le glier n'avait pas prvu ce

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vacarme, car ce dernier veilla les habitantes de la maison infinie. Bientt des lumires naquirent aux fentres et aux innombrables balcons, et il vint jusqu' eux par les couloirs de ces tres clestes et fminins, enchanteurs, appels bonnes dames. Pour les amoureux des rves et des lgendes, des contes, elles sont divises en plusieurs catgories, dont les principales sont celles des Compatissantes, des Aimes, ou bien des Princesses. C'est de ces dernires bonnes dames dont il s'agissait, en effet les femmes radieuses faisant cercle autour des nouveaux venus arboraient chacune, en plus de vtements somptueux et de parures scintillantes, de magnifiques et somptueuses couronnes, irradiant dans la nuit l'clat de la lune et du soleil terrestre, tout la fois. Vagabond, misreux, pourquoi viens-tu nous en ces heures sombres ? demandait l'une, gante de nacre irise et porteuse d'un diadme thr. Le sais-tu, les malfices sont nombreux durant la nuit, et les portes honntes se ferment leur venue, ajoutait une autre. Es-tu toi-mme pouss par l'obscurit ? Dirige-t-elle ton coeur ? interrogeait enfin une troisime. Gentes dames, se dfendit Jean de la Lune, il n'est rien de tout cela, je peux vous l'affirmer, et qu'il m'advienne les plus grands malheurs si je venais vous mentir. Je suis la recherche de cinq petites filles retires leurs familles terrestres par des sorcires noires, assura le mendiant, et elles ont t envoyes dans une Demeure des Coeurs situe sur Avalon, dans le fond d'un tang une bonne dame de vos amies Silence, vagabond, lui intima alors la premire l'avoir apostroph, il nous souvient maintenant clairement de tout ceci, et je m'en aperois avec retard, tu portes une couronne d'toiles, mme si tu n'en es pas conscient. Mes soeurs, il nous faut le secourir, son dessein est noble : son coeur n'a pas dchu, c'est encourageant, articula une Princesse reste l'cart. C'est vident, tout le moins, convint une autre en cho. La personne dtenant dans l'assemble ferique des lues un certain ascendant calma les bonnes dames, les Princesses, d'un geste apaisant. Tout cela est vrai, et je consens aisment votre volont, mes soeurs, affirma-t-elle dans la nuit noire des Landes Magiques, claire uniquement par l'clat dgag par les lues, mme si je crois les choses insuffisamment avances pour pouvoir m'estimer satisfaite. La route de cet humain est encore longue. Mais il va de soi, reprit-elle aussitt, comme pour faire taire par avance toute objection, notre aide va lui tre accorde. Sache cependant une chose, vagabond, les petites filles ne sont

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pas ici. Les Cavaliers les emportent et ils ont un seul matre, ce dernier dtient un rang identique au ntre. Nous ne pouvons donc pas les obliger s'arrter chez nous, peut-tre auras-tu davantage de chance dans la Demeure des Coeurs suivante. part lui Jean de la Lune se mit songer et mditer, ralisant que ces mystrieux Cavaliers dtenant les cinq fillettes devaient constituer l'quipage qui les avait dpasss au grand galop, voici quelque temps. Tagor et le jeune Nudd, face aux bonnes dames de la Demeure, hochrent de la tte comme s'ils avaient devin ses penses et partageaient son opinion. Mais il ne saurait tre question pour nous d'en rester l, vagabond, poursuivait la Princesse devant le reste des lues. Ta recherche nous a mus, et toutes ensemble, nous allons te faire un don te permettant d'aller plus avant. Le cercle des Princesses de la Demeure des Coeurs approuva bruyamment aux paroles de l'lue, et le mendiant aux cheveux d'or, le coeur battant, attendit avec apprhension la suite des vnements. Voici une pe, dclara la Princesse en faisant merger de nulle part une longue et large pe d'or, la lame parseme de fines stries d'onyx et la poigne de cristal taill. Elle te viendra en aide bientt, mme si tout d'abord elle peut te paratre inutile car son dessein n'est pas de retirer des vies, loin de l. C'est mme plutt le contraire : si d'aventure un bless ou un moribond tu rencontreras, touche-le de ton pe d'or et l'agonisant revivra, le mutile gurira. Car nous sommes les bonnes dames, et nous n'aimons pas donner la mort, mais bien plutt la vie. Nouant sa ceinture le baudrier de l'pe magique, et remerciant vivement les Princesses de la Demeure des Coeurs pour leur cadeau, le vagabond avec les siens s'en repartit dans la nuit en qute de la Demeure des Coeurs suivante, car il lui tardait de parvenir jusqu'aux fillettes et il esprait rejoindre au plus vite ces inquitants Cavaliers. Par les chemins et les sentiers d'obscurit, la fatigue et la lassitude n'avaient pas encore assailli le petit groupe, aussi marchrent-ils longtemps. Ils continurent avancer dans ce royaume des nuages avec difficult, car le ciel tait obscur, mais la vision nocturne de Nudd le chat leur vint en aide plus d'une fois, et le flair aiguis du chien Tagor galement. Dans cette quipe nocturne trange entre toutes ils rejoignirent une vaste clairire entoure d'une profonde fort, et l ils dcouvrirent un spectacle singulier. Cela leur fit raliser combien les Landes Magiques taient des terres d'enchantements et de sortilges, de malfices. Il se trouvait l une grande sarabande, et

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quantit de cratures porcines dmoniaques, noires et velues, sautillait et bondissait en se tenant par la main. Ds qu'il aperut le cercle des petits Vahhuias dans la clairire illumine d'un vaste feu Jean de la Lune, effray et en proie une intense crainte, se tapit dans les fourrs et s'aplatit sur lui-mme de son mieux, mais un diablotin venta sa prsence. Avec une voix de fausset il bondit sur le mendiant aux longs cheveux d'or, et le chien noir en prsence de cratures si hideuses et sombres s'pouvanta et fuit, tout comme le fit le chat Nudd en ralisant la nature des habitants de l'endroit. Les dangers et les prils de la nuit, au coeur du royaume nuageux des Landes Magiques, n'avaient pas tard se rvler lui, songea mlancoliquement le mendiant. Les tres porcins et diaboliques s'taient jets sur lui en piaillant, le plaant au centre de leur cercle, prs du brasier ronflant. Un tre humain ! Un tre humain ! s'criaient les petits Vahhuias, dont certains avaient des cornes et d'autres de longs cheveux emmls. Nous allons lui faire du mal ! disait l'un. Nous allons le rtir ! rpliquait un autre. Non, s'interposa un troisime, nous allons le taillader et le supplicier avec cette belle pe d'or, et elle sera nous ! Le petit dmon aprs avoir parl ainsi avait dgag de son baudrier l'pe lgue par les bonnes dames, et la lame d'or pur tincelait et brillait dans la nuit noire, sous les vivats et les acclamations des diablotins. Sitt dit, sitt fait : Jean de la Lune abasourdi par la suite des vnements se retrouva pieds et poings lis un poteau de bois invisible jusqu' lors, cause de la semi-obscurit dans laquelle il voluait, et il ralisa combien son trpas allait tre funeste. Ne me faites pas de mal ! leur demanda le mendiant, je suis la recherche de cinq petites filles enleves leur foyer ! Nous ne nous soucions pas de tes dsirs, lui affirma un diablotin en jouant avec l'pe d'or, et ayant peine dit cela il fit siffler la lame d'or et la passa travers la gorge du vagabond, ce dernier en restant bahi. L'tonnement des jeunes Vahhuias n'tait pas moindre, en effet le mendiant aux cheveux de bls mrs n'arborait la suite de ce coup fatal aucune blessure, et rien de fcheux ne lui tait mme survenu. Le frle Vahhuia renouvela son essai et transpera le ventre du vagabond, mais une fois encore le prodige se rpta et nul rsultat pnible ne lui advint. Jean de la Lune nota seulement une lgre tideur parcourir ses entrailles, puis un grand rconfort l'envahit. Il se sentit mme mieux, subitement, et apais. Alors la surprise des dmons se fit stupeur, et une vague d'incrdulit et de rumeurs parcourut leurs rangs. Cet homme ne

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craignait pas les coups, quelle pouvait tre la qualit de celui dont on ne pouvait faire couler le sang ? En un ultime dfi l'un d'eux se saisit son tour de l'pe et tenta de son mieux, si l'on peut dire, de dcapiter enfin le mendiant, celui-ci se trouvant toujours pour l'heure en bien fcheuse posture. Mais la lame si elle traversa de part en part le cou du malheureux ne lui causa pas davantage de dommages qu'auparavant, et cela sembla porter son comble l'effroi des jeunes Vahhuias. Ils jetrent l'pe au loin, et s'enfuirent en piaillant dans tous les sens. Laissant li sur son poteau le vagabond, ce dernier ncessitant de longues minutes pour pouvoir se dfaire de ses entraves dans la clairire dserte, illumine seulement par le feu des diablotins. Lorsqu'il se fut libr, Jean de la Lune dcouvrit avec satisfaction le jeune chat Nudd et son chien Tagor revenant vers lui aprs avoir vaincu leur peur, et fixant avec gne la garde de l'pe d'or, dont la lame tait reste fiche dans le sol. La poigne de cristal irradiait une blanche lumire, crant une certaine inquitude chez les deux compagnons, le chien et le chat. Allons, n'ayez plus de craintes car les dmons sont partis, cette pe d'or n'a pas de mystre, leur dclara-t-il. Dtrompez-vous, lui susurra une voix pointue depuis les hauteurs d'un arbre proche, elle recle bien des choses extraordinaires. Moi-mme je ne peux les dcouvrir toutes, en dpit de ma grande science des choses caches. Le vagabond tirant ses membres gourds se retourna en direction de la voix, il s'agissait en l'occurrence des hauteurs d'un arbre, et il dcouvrit une chouette grise et blanche aux grands yeux de soufre pur, ne cillant jamais et possdant assurment une fixit trange. La chouette prit son envol et se posa prs du mendiant, sur une branche basse. Voyez comme elle brille, bientt le feu se sera teint et alors seule la lumire de l'pe vous clairera. Son possesseur jamais plus ne craindra les tnbres, elle luit toujours et ne s'teint jamais, hulula la chouette. Vous devez possder une grande science, hasarda Jean de la Lune vers la chouette, ne sachant trop quelle attitude adopter envers elle. Tel est bien le cas, en effet, lui rpondit l'oiseau nocturne en s'envolant aux abords de la clairire, avant de partir dfinitivement. Et j'ajouterai encore ceci : n'abandonnez jamais cette pe, elle ne redonne pas seulement vaillance et vie, lumire au coeur perdu dans les tnbres, lorsque l'occasion s'en prsentera elle pourra, et elle seule, ouvrir la plus irrmdiable des portes, la Porte Sagamange. Elle donne accs Oniria, dont nul ne sait rien et dont chacun attend tout.

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Sur ces paroles nigmatiques, la chouette s'envola tire d'ailes et disparut dans les tnbres. Recru d'une fatigue intense Jean de la Lune remit l'pe enchante dans son baudrier, et puisque les dmons s'en taient repartis, il dcida de dormir sur l'endroit mme o ils avaient essay d'attenter sa vie. Il se sentait puis et ne s'estimait pas capable de faire un pas de plus, mme le jeune Nudd miaula son accord, lui dont les coussinets des pattes taient devenus douloureux et ne lui permettaient plus le moindre effort, assura-t-il. Avec de telles dispositions le petit groupe lut sa rsidence nocturne dans le creux d'un buisson de genvrier, et aprs s'tre confectionn une couche d'herbes chacun s'employa passer une nuit la plus paisible et reposante possible. La vote sombre des Landes Magiques constituait au-dessus de leurs ttes un tnbreux royaume, et les toiles s'y trouvant taient trangres la mmoire de Jean de la Lune et la science toute fline du jeune Nudd. Tagor pour sa part n'attacha aucune importance la majest du ciel de jais et roul sur lui-mme il fut le premier s'assoupir, Nudd le chat, pntr de lassitude et d'puisement venant en second. Jean de la Lune pour l'occasion s'tait enroul dans son long manteau de voyage et il ne tarda pas longtemps en dpit de sa fatigue sombrer dans le sommeil. Comme souvent il lui arrivait, il fixa d'abord les cieux entnbrs en se demandant s'il parviendrait se montrer la hauteur de son destin, et surmonter les embches venir. Il se promit de faire de son mieux, se mettant ainsi l'abri de tout reproche pouvant lui tre adress par quiconque, fusse la plus vertueuse des bonnes dames. Sur cette rsolution douce-amre, car depuis son dpart de la Terre la mlancolie souvent figeait ses traits, le vagabond plongea dans une profonde torpeur et il eut l'impression fugitive de s'engloutir au coeur d'un noir ocan, voluptueux et doux. D'abord un grand oubli et repos s'abattit sur lui, puis au milieu de la nuit il revint des royaumes stygiens un tat de conscience plus lev. Il rva, de singulires images hantant son esprit toujours profondment assoupi. En effet le souvenir des fillettes et surtout de Sandra s'agitait dans les profondeurs de son me, et aussi l'image de la belle Amazoon du nom d'Andromde. Elle l'avait rejoint et lui parlait doucement travers ses songes. D'tranges paroles elle lui disait, en faisant des gestes d'invite : " Un, plus deux, plus trois, jamais plus de moi ne t'loignera " Et le curieux phnomne qui s'tait dj produit par deux fois dans le pass rcent de Jean de la Lune se rptait encore. Une singulire aura scintillait autour du vagabond et de son chien fidle, et leurs traits

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ensommeills lentement s'estompaient. Leurs corps avaient acquis la transparence de l'onde pure, ils se dmatrialisrent graduellement, se diluant jusqu' disparatre du lit d'herbes dans lequel ils avaient lu domicile pour la nuit. Nudd le chat, rveill en sursaut et encore recru de fatigue, dut soudainement se rendre l'vidence. Ses deux compagnons de voyage venaient de le quitter de bien cavalire manire, et en dpit de ses craintes, il se retrouvait seul avec les mystres et les prils des Landes Magiques.

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Chapitre

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Nudd le chat se tourna et retourna sur lui-mme plus d'une fois, au coeur de l'amas herbeux dans lequel il avait trouv refuge pour sa premire nuit en solitaire dans les Landes Magiques, puis il lui apparut invitable de devoir se rsoudre s'veiller. Il s'tira longuement, en billant affreusement, car chaque rveil lui tait une tche fastidieuse et pnible, laquelle il se rsolvait seulement aprs bien des tergiversations. Il s'extirpa hors de sa cache prcautionneusement, et il lui sembla que les alentours taient affreusement dserts et hostiles, cela lui avait d'ailleurs dj frapp l'esprit durant la journe prcdente, en laquelle il avait err en vain par monts et par vaux en qute d'une rencontre secourable, en pure perte. Les arbres taient immobiles l'image d'inquitantes sentinelles sous le ciel transparent, et le sol gris-blanc constitu de nuages solidifis car Nudd s'en souvenait parfaitement, il voluait en un univers suprieur et mystrieux, dans lequel des flammes joueuses les avaient transports, ses deux compagnons et lui, avant d'tre spars par le sort tait pourtant assez rude pour supporter des ifs et des pins, des chnes robustes avec une herbe drue et vigoureuse, la verdeur affirme. Le soleil brillait au coeur de la vote cleste de pur indigo, ramenant quelques forces Nudd le chat. Ce dernier, prenant son courage deux mains, voire deux pattes, se dcida enfin arpenter la plaine d'herbes descendant doucement, esprant de nouveau quelque nouveaut positive et salvatrice. Longtemps il alla le ventre creux et la mine famlique par des sentiers indiscernables, et plus d'une fois Nudd le chat se crut sur le point de croiser un frre de race, et ainsi d'en apprendre davantage sur les us et coutumes de cet univers lev. Mais chaque fois son espoir fut du, et ce, souvent de manire cruelle : la premire occasion se prsentant fut la vision fugitive d'une repoussante sorcire, motivant une retraite prcipite de la part de Nudd derrire la souche d'un arbre mort. la seconde un loup noir et froce passa prs de lui le frler, faisant craindre le pire Nudd dissimul de son mieux. Aussi comme on peut le voir Nudd le

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chat, seul et afflig sur des terres tranges, ne manqua pas de motifs d'inquitudes ou d'insatisfactions sur son chemin, mais il ne s'en formalisa pas outre mesure et alla de l'avant. Car l'image de ces personnes dtenant au fond du coeur une innocence inaltrable, d'aucuns diraient de la navet, il tait persuad d'une chose. Les vnements ne restent jamais ternellement ngatifs, le destin vient toujours en aide ceux suivant le chemin assign par la vie. Hasard, concidence, ou bien mystre insondable, la suite des pnibles rencontres venant d'tre cites, Nudd s'accorda une halte en un recoin ombreux, et il tenta en vain de croquer des mulots se trouvant prs de l. En essayant de les attraper il pntra inconsidrment dans une muraille vgtale, celle-ci constituant un mur d'arbustes pineux serrs les uns contre les autres de manire exagre, afin de rendre impossible quiconque, eut-on dit, le franchissement de l'enceinte. Les mulots agiles, au nombre de deux, longrent la paroi sinistre et impntrable puis disparurent un angle, et tenaill par la faim le jeune Nudd en fit de mme, avant de s'engouffrer dans un couloir au trac gomtrique. On aurait pu croire les parois tailles par quelque jardinier mrite. Mais de banale la situation devint tantt complexe, car il advint ceci. Les mulots sur lesquels il comptait tant disparurent dans une cache indcelable, et, ayant dpass un coude, puis un autre, Nudd le chat s'engagea en un labyrinthe inextricable. Il fallait s'y attendre, il s'gara trs vite. Aussitt la solution s'imposa lui, d'vidence: il lui fallait faire demi-tour au plus vite, avant de s'avancer trop profondment dans la nasse et de ne plus pouvoir en sortir. Las, ses tentatives pour dcouvrir le chemin de la sortie se rvlrent vaines, il se retrouva au bout d'un long moment puis et hagard, en une situation dangereuse et difficile, pour ne pas dire prilleuse. Finalement il parvint dans un endroit dgag comportant seulement une issue pour pouvoir en sortir, avec une fontaine de pierre de laquelle s'chappait un clapotis cristallin. Heureuse fut pour lui cette dcouverte, car elle lui permit d'tancher sa soif. Avec davantage d'allant le chat Nudd reprit sa route dans le labyrinthe, dcrivant maints tours et dtours pour, son grand dam, se retrouver encore plus perdu qu'auparavant. Enfin sa joie se fit sincre, les mandres de la construction vgtale le menant en une petite place ronde trs semblable celle visite auparavant, et il avait t pos sur une table de pierre des mets savoureux, auxquels sans la moindre vergogne Nudd le chat fit honneur aprs en avoir escalad les bancs.

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Lorsque le jeune chat caramel et blanc estima s'tre suffisamment repu, il sauta bas de la table de pierre avec un peu d'inquitude. Au fond de lui il s'en doutait bien, le repas devait tre destin quelqu'un, et peuttre mme plusieurs personnes. peine Nudd le chat fut-il parvenu l'extrmit de la place un fort vent s'tait lev et une silhouette singulire tait apparue, avec des vtements serrs et bariols et une curieuse toque sur le ct de la tte, pose crnement. L'tre possdait des traits austres et un long nez crochu : ayant distingu les dgts causs par Nudd aux diffrents plats disposs sur la table de pierre, il avait serr les poings en une rage silencieuse et froide. Nudd le chat avait dtal sans demander son reste, dsirant viter d'tre dcouvert. toute allure Nudd courut dans les enfilades serres des couloirs du labyrinthe, et plus d'une fois le jeune chat s'corcha aux pines acres garnissant les parois, ces dernires les rendant impntrables littralement. Dans sa course perdue Nudd observa peu de choses, et il conserva de cet pisode pnible des souvenirs restreints. Il parvint seulement se rappeler, bien des annes aprs, du ciel particulirement pur et bleu, couleur singulire pour lui qui tait n dans l'Arkaal, la nuit ternelle sombrement illumine par le soleil noir Nigredo. Le sol tait doux et ferme la fois, une sensation trange pour quelqu'un accordant une grande importance aux sensations pouvant lui tre apportes par les coussinets de ses pattes. Enfin, des rares images subsistant de son priple labyrinthique mergea celle d'une petite maison de bois dote d'un auvent sur le devant, avec un hamac tendu entre des piliers. La porte d'entre tait ferme, et les fentres de la maisonnette l'taient galement, ce dernier dtail donnant du courage Nudd, il avait en effet grand-peur de rencontrer les habitants de la maison. Ils taient peut-tre sinistres, avec une allure inquitante semblable celle de l'humain aperu brivement. Nudd tait un jeune chat inexpriment et pleutre, mais non pas vil ou lche. Souvent son bon coeur et sa gnrosit d'me l'avaient mis en de tristes situations, dans lesquelles aucun Vaillant ni mme Intrpide n'aurait t assez fou pour se compromettre. La preuve en est qu'ayant observ la solitude totale de la demeure, il sauta prestement sur le hamac et s'y pelotonna en boule pour y dormir profondment, car la ribambelle d'motions diverses l'avait vid, et il ncessitait grandement d'un repos urgent et impratif. Nudd tait bien jeune, et de plus c'tait un chat, nul n'ignore combien ces cratures aux neuf vies sont adeptes des siestes impromptues et des sommes prolongs, le plus souvent dans des

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proportions effarantes. Un tre humain dsireux de les imiter pourrait aisment passer pour mort aux yeux de son entourage. Donc, Nudd le chat dormit. Puissamment et profondment, avec une obstination et un acharnement rare, Nudd songea, rva, se rveilla, billa, se retourna puis se rendormit. Le temps s'coula au coeur du labyrinthe, l'aprs-midi dclina doucement jusqu'au soir et le saphir arien du ciel se teinta de stries rostres et opalescentes, violines, amthyste. Au-dessus du hamac de soie blanche des tnbres profondes vinrent obscurcir la vote cleste, apportant dans leur sillage des toiles d'argent comme autant de merveilleuses fleurs. La nuit se fit totale audessus de Nudd le chat, et le sommeil de ce dernier tait toujours aussi fort et tenace, l'image de ces mauvais rhumes dont l'emprise est totale. Oui, le sommeil de Nudd le chat confinait l'enttement, car la fracheur de la nuit ne vint pas bout de lui, et la brise matinale et parfume le vit toujours pelotonn au coeur du hamac. Enfin, un oiseau chanteur vint grener ses trilles non loin de l sur les pineux, l'veillant dans les couleurs brillantes et moires du petit matin. L'aube transperait de milliers de rayons d'or et de nacre les interstices minuscules des parois vgtales labyrinthiques. Rapidement cette fois-ci le chat crme et caramel sauta terre et s'loigna sans demander son reste, tant il dsirait trouver au plus vite la sortie de cette malfique construction de verdure. De nouveau il vagabonda dans les couloirs se croisant et s'enchevtrant, l'atmosphre de l'endroit lui devenant familire, ou bien le sixime sens allou au jeune chat fonctionnant enfin. Nudd ralisa avoir atteint un lieu important du pige d'meraude, dans lequel il marchait depuis la journe prcdente. En effet ses pas venaient de le faire dboucher au coeur du labyrinthe, il s'agissait d'une vaste tendue circulaire, et il s'y trouvait des arbres auprs d'une demeure princire n'ayant rien de comparable avec celle prs de laquelle il avait profit d'un lourd sommeil. Celle-ci tait constitue de pierres grises, donnant une grande allure la maison vaste et trs ornemente. Elle avait son pourtour bord de colonnades lgantes, et ses hauts murs arboraient des fentres troites avec des dentelles de marbre cisel en guise de protection. La porte principale tait ovale et quasi ronde, et avait ceci de curieux. Elle faisait penser une bouche grande ouverte, comme si la btisse lorsqu'elle entrebillait sa porte soufflait violemment une rafale, au lieu de laisser le passage un quelconque habitant. Le toit tait large et pentu avec des tuiles de schiste translucide et il possdait plusieurs niveaux, ce dernier dtail ne manquant pas de lui donner un aspect des plus pittoresque.

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Ceci tant Nudd le chat aprs avoir dtaill la grande demeure de pierre de haut en bas jugea qu'elle au moins devait tre habite, et, entendant prs des jardins verdoyants des clats de voix, il s'en approcha, le coeur battant. Il n'osait croire encore une aide possible dans son malheur, aprs tant de soucis et de craintes. Avec mille prcautions pour ne pas venter sa prsence savait-on jamais, il se trouve tant de personnes mchantes par l'univers il longea une range de plantes touffues dans des pots de grs et arriva prs du lieu en question, o des phrases sches avaient rsonn. Ses oreilles, mme si elles taient fatigues, ne l'avaient pas induit en erreur, comprit Nudd en se blottissant de plus belle entre deux pots enserrant des fougres denteles, retombant en longues mches jusqu' terre. Deux personnes se tenaient l. L'une d'elles lui tait connue, ralisa Nudd en rprimant un frisson, il s'agissait de l'humain entr'aperu brivement la journe prcdente, lorsqu'il s'tait repu des plats sur la table de pierre. Arion, mon frre, tes paroles me semblent justes mais reconnat-le, en dpit de nos efforts, nous n'avions rien trouv, disait l'un des humains. Et moi je dis ceci, nous ne l'avons pas repr cause de notre sottise, rpliquait l'autre, le dnomm Arion, car le repas prpar pour nous, les quatre vents du monde, a t entam par un tre vil. Il nous a drob notre bien et s'est enfui lchement. Quelqu'un se terre dans notre labyrinthe, c'est un tre bas et mprisable, il nous faut le retrouver au plus vite. Sa prsence ici est insupportable tout point de vue. Cela me parat pourtant insens croire, Arion, reprit l'autre, souviens-toi, les mortels n'ont pas accs notre labyrinthe, une barrire magique protge notre Berceau des Vents pour le garder cach prcieusement. Nudd le chat ouvrit des yeux carquills derrire l'amas des fougres protecteur, ralisant la nature des tres se tenant devant lui. Celui ayant parl le premier tait le vivant reflet du second, il portait l'image de son interlocuteur des vtements serrs de mille couleurs, avec des motifs curieux et des mocassins lgers aux pieds, comme si tout en lui devait faciliter la marche et mme la course. Un fuseau de toile fine recouvrait ses jambes. Leur visage, et c'tait pour cela que Nudd le chat comprit immdiatement leur gmellit, tait pratiquement identique et arborait un mme nez crochu avec un teint de peau blanchtre, des cheveux courts et clairsems aux tempes grisonnantes et des yeux noirs aux reflets tincelants, un visage glabre aux joues creuses. Seul leur chapeau tait diffrent de l'un l'autre, et ce dtail uniquement on les pouvait diffrencier

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l'un de l'autre, observa avec attention Nudd. L'un en effet possdait une toque de toile conique, vert-de-gris avec un toupet ivoirin, et l'autre une coiffe similaire mais de forme arrondie, d'un bel indigo zbr de nacre argente. Puis les vnements s'acclrrent : un vent se leva en faisant s'agiter les plantes de l'endroit, et Nudd le chat manqua se retrouver dcouvert, lorsqu'un troisime larron apparut, d'aspect semblable aux prcdents la coiffe prs. Celle-ci tait toile, avec une toffe feutre de sombre amthyste. Arion, Astrid, leur lana-t-il avec un agacement perceptible, n'est-ce pas incroyable et ne douterez-vous pas de moi, votre frre, mais en vrit rien n'est plus certain, quelqu'un a bu notre fontaine chrie, j'en jurerais, et depuis lors mon esprit n'est plus en repos. Dans un brouhaha, les vents Arion et Astrid lui rpondirent affirmativement. Telle tait galement leur conviction, et durant un instant leur excitation ne connut plus de bornes, un grand tumulte emplissant l'endroit en faisant se ployer les herbes autour de la maison de pierres. Les vents et le souffle de l'air s'taient mis tourbillonner l'unisson des trois tranges personnages bizarrement vtus. Zbor, Zbor, l'interpella Astrid, mon frre, il nous faut rechercher l'intrus et le neutraliser au plus vite. Tu connais les rgles lgues par feu notre pre. savoir, poursuivit Arion, aucun humain dans notre Berceau des Vents. Il pourrait dcouvrir nos secrets, et matriser les Puissances Ariennes. Et ces Puissances doivent rester en notre pouvoir, assurment, approuva une autre voix, basse et grave. Une violente bourrasque venait de se lever prs de la maison des vents protge par le coeur du labyrinthe, et un quatrime personnage venait de faire son apparition avec un bret en guise de couvre-chef, mais ses vtements, eux, taient de forme et d'aspect identique ceux de ses trois autres frres. Edolon ! s'cria le reste des vents dans une clameur. Les quatre vents du monde runis devant leur demeure suprieure tournrent leur attention vers le lieu o se tenait dissimul Nudd le chat, car l'arrive du dernier des vents, Edolon, avait t accompagne d'un souffle puissant et la cache du jeune chat caramel et blanc s'en tait vu mise jour. Au grand effroi de Nudd, restant muet de saisissement durant un court instant. Hors a ! jurrent les quatre vents d'une mme voix.

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 Plat-il ? parvint enfin miauler lamentablement ce dernier. Est-ce bien toi, petit chat, l'interrogea en fronant ses noirs sourcils le dernier des vents, Edolon, qui a mang notre repas, et bu notre fontaine, et dormi dans notre hamac de soie fine ? Oui, en effet, reconnut Nudd, catastroph d'tre de cette manire le centre d'attention des quatre vents du monde. Mais j'ai mang seulement en raison de ma faim, et j'ai bu pour apaiser ma soif, enfin ma fatigue explique mon somme dans votre hamac. Messieurs les vents, soyez indulgents avec moi. Je suis seulement un trs jeune chat, et jamais la malice ou la mchancet n'ont t la cause de mes actes. C'est bien, dans ce cas, convint Astrid avec un soulagement sincre, voil pourquoi tu as pu si facilement vaincre les barrires infranchissables de notre labyrinthe, jusque dans son coeur. Ta gentillesse est seule responsable. Mais pourquoi te trouves-tu dans notre domaine, petit chat, et ne te trouves-tu pas bien loin du pays des chats ? Davantage rassur par l'attitude des vents, Nudd le chat se lana dans une longue explication du priple responsable de sa venue au Berceau des Vents, et il ncessita de toute sa force de persuasion pour convaincre les quatre vents de la vracit de ses dires. Quelle aventure, vraiment, petit chat ! lui assurrent les quatre vents en hochant de la tte aprs la fin de son discours explicatif. Tu dois tre bien hardi pour avoir parcouru un tel chemin jusqu'en ce lieu o nous sommes ! renchrit Arion la mine emprunte. Et de la magie des bonnes dames tu as pu bnficier, grce ton ami Jean de la Lune ! affirma son tour Zbor. Ta petitesse t'a permis de franchir les remparts vgtaux de notre labyrinthe secret ! le flicita Astrid. Bravo toi ! Merci, merci, messieurs les vents du monde, leur miaula Nudd le chat dj tout rjoui de l'heureuse tournure prise par les vnements. Vous n'tes donc pas fchs des petits larcins commis dans votre labyrinthe, je peux m'en repartir libre d'ici ? Les quatre vents se regardrent les uns les autres en silence puis Edolon, qui semblait dtenir un certain ascendant sur ses frres, prit la parole en faisant un pas vers Nudd le chat puis en le prenant dans sa main, l'levant presque hauteur de son visage austre. Il va de soi, nous n'entretenons plus ton gard aucune rancune, petit chat, lui dclara le vent, mais tu es parvenu jusqu' nous aprs tant d'preuves, malgr ta faiblesse apparente Je le pense vraiment, tu peux constituer un alli prcieux, pour nous, les vents du monde.

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 Nous avons souvent eu besoin d'un messager fidle et discret dans les univers des hommes, en dehors des bises ou mistrals, tramontane ou autant, lui expliqua Zbor avec de grands gestes d'vidence. Tu seras notre serviteur attitr dans les dimensions humaines, et mme les cercles des lus, il te faudra parcourir. Oh non, par piti ! les supplia le chat Nudd, dj tremblant d'pouvante l'ide de devoir parcourir des royaumes aussi tranges et mystrieux. J'en mourrais de frayeur ! Sottises et billeveses, le gourmandrent les quatre vents, tu as travers des preuves terribles et jamais nous ne pourrons t'en infliger de pareilles, le rassurrent les vents l'unisson. Mais je viens de l'Arkaal, au noir soleil, se rcria en une ultime tentative de dfense Nudd le chat, dont la voix frle bgayait dj, le monarque des chats, le Chamagnon Tigr, s'inquitera pour moi. Il me pensera misrable, ou bien souffrant, ou encore tragiquement parvenu au terme de mes neuf vies ! Et la mission assigne envers les petites franaises ? Oublie tout cela partir de maintenant, trancha le vent, et pour le reste tu n'as pas d'inquitudes avoir, petit chat, tu seras bien trait par nos soins et tu n'auras jamais te plaindre de nous, je peux te l'assurer, lui dit en guise de dernire conclusion le vent du monde Astrid, pointant son index maigre et blanc vers lui. Tes priodes de travail ne seront pas nombreuses et puisantes, et entre chacune d'elles il te sera permis de te reposer et de rjouir notre jeune soeur. Souvent, elle s'ennuie dans notre Berceau des Vents. Tu seras son compagnon, et nous comptons sur toi pour l'gayer et la rendre heureuse, comme il sied un gentil chat. Quel est son nom ? s'enquit en une ultime question Nudd. Arielle est le nom de notre soeur, lui souffla Edolon en prenant avec ses frres les vents du monde la direction de leur Berceau des Vents, grandes enjambes. Nudd le chat dans le creux de la paume d'Edolon soupira intrieurement, soupesant cette mystrieuse Arielle laquelle son destin venait d'tre si troitement li. Il conut alors quantit d'ides sombres et tristes. Mais souvent on se fait de l'avenir une ide prconue, et lorsqu'on attend la pluie il rgne un beau soleil, et quand il nous vient un dsir de lumire de lourdes tnbres s'abattent sur nos ttes. Par la marche des quatre frres Nudd fut men jusqu' la maison des vents, et par-del les colonnes grises encerclant la btisse Arion, Astrid et Zbor avec Edolon lui firent franchir la porte principale grande ouverte. Il se trouvait l un large couloir haut de plafond envahi de lumire, car le toit tait

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transparent l'image du cristal et tout tait resplendissant et clatant de manire merveilleuse. Les meubles de bois d'argent brillaient et les sols taient nantis de carrs de marbre formant des dessins gomtriques gracieux, il y avait des lustres de verre color flottant dans les hauteurs et des lambris de bois prcieux sur les cts. Aprs avoir pass avec les quatre vents plusieurs pices richement dotes de tables laques et de tentures, d'objets d'art recherchs, ils parvinrent en une vaste pice quadrangulaire intrieure paraissant occuper une position centrale dans la demeure, et elle se situait sous une coupole de verre arrondi laissant pntrer des flots de lumire. Il y avait sur un ct un escalier de pierre blanche la teinte laiteuse, il menait une petite tour ronde, derrire une porte de bois noir joliment travaille. Cette dernire tait entrebille, et l se tenait avec des yeux vifs et rveurs semblable ceux d'une jeune biche la petite soeur des quatre vents du monde, Arielle. Immdiatement elle aperut Nudd dans les bras d'Edolon, son grand frre, et son regard s'illumina. Le coeur du jeune chat se mit battre plus fort, sans en savoir le pourquoi. Nudd la jugea gentille, et douce, et cline, pourvue de mille autres qualits encore lui faisant dsirer trs fort de pouvoir mieux la connatre. Pour sa part, la soeur des vents s'tait penche sur la rambarde du blanc escalier et elle leur parla depuis les hauteurs. Quel joli petit chat vous avez l ! leur lana-t-elle avec une expression envieuse, et ses lvres roses elle avait mordu pensivement en disant cela. Il te plat, petite soeur ? lui demanda Astrid en haussant les sourcils. Nous l'avons pris pour toi, poursuivit Zbor en dsignant Nudd de l'index. Il rjouira tes jours et ravira ton me, ce chat a vcu nombre d'aventures avant de parvenir notre labyrinthe, reprit Edolon en levant Nudd le chat vers la jeune fille. Et lorsque nous ncessiterons d'un messager ou d'un observateur fidle, il nous servira utilement, si tu consens nous le prter. Oh, volontiers, voyons ! consentit d'un air joyeux la jeune Arielle. Ayant dit cela, la jeune femme s'tait prcipite au bas des escaliers et Nudd le chat avait promptement chang de propritaire, si l'on peut dire. La jeune Arielle s'tait rpandu en remerciements confus envers ses quatre frres les vents, ces derniers souriant en se regardant les uns les autres la vue du bonheur de leur jeune soeur. Arielle regarda Nudd, puis Nudd fixa Arielle, et les quatre vents s'clipsrent en silence, sur la

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pointe des pieds. pas lgers, Arielle serrant Nudd contre son coeur l'emmena dans sa chambre rose et circulaire, situe dans la tour, et l Nudd le chat dcouvrit pour la premire fois la chambre d'une jeune fille, avec ses mystres et son lit de velours, ses fanfreluches et une invraisemblable collection de poupes de toutes sortes avec laquelle il lui fallut bien cohabiter. Il y avait un balcon ouvrag par-del une large fentre, elle donnait sur les jardins verdoyants de la demeure, et l'on voyait au loin les entrelacs sinueux du labyrinthe vgtal. Sur un ct, tout prs de la baie vitre, tait visible la coupole cristalline clairant le coeur du Berceau des Vents. Il se trouvait quantit de livres sur un pan de mur, avec un bureau, et sur les tagres il y avait des bibelots galement et une armoire linge orne d'un grand miroir. Dans ce miroir il se refltait avec fidlit l'image d'Arielle, une ravissante jeune femme. Elle avait des cheveux longs et fins, d'une noirceur de jais, avec un bret ivoirin sur le ct de la tte. L'ovale de son visage tait gracieux et marmoren avec des sourcils tirs et un front haut, une poigne de taches de rousseur et des yeux de tnbreux onyx, un petit nez pointu, des plus charmants contempler lorsqu'elle s'exprimait et le faisait se mouvoir imperceptiblement sans s'en apercevoir. Ses vtements taient ceux d'une jeune fille puisqu'elle portait une robe mi-longue, plisse, de rose et de blanc crmeux, avec une ceinture de soie nacre la taille et des escarpins d'argent aux pieds. Ses bras comme ses jambes taient d'une blancheur lactescente, et l'on aurait cru, la voir et l'observer, distinguer une statue d'albtre, tant elle tait parfaite de proportion et d'attitude, lorsqu'elle se penchait vers Nudd et lui chuchotait : " Quel amour de petit chat ! " Nudd en retour avait jet un regard circulaire dans la chambre de la jeune fille, et il avait fait une ronde circonspecte dans ce domaine tranger et nouveau pour lui. Comment t'appelles-tu, petit chat ? l'interrogea de nouveau la jeune fille, aprs avoir mis ses mains sur ses genoux afin de se courber et de dtailler Nudd son aise. Nudd, je suis Nudd le chat, miaula ce dernier la question de la jeune fille. Moi je suis Arielle, se prsenta-t-elle en posant une main sur sa poitrine. Je le savais dj, lui rpliqua Nudd avec une expression hardie. Comment cela ? s'tonna la jeune fille, et elle haussa ses noirs sourcils, Nudd la trouvant plus avenante et belle encore.

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 Vos quatre frres me l'on dit, auparavant, matresse, avoua-t-il en lui accordant ce grade, car Nudd venait de dcouvrir qu'il l'aimait. Et il n'y eut plus ds lors d'obstacle capable de les tenir loigns l'un de l'autre bien longtemps, car si leurs corps venaient de se dcouvrir l'un l'autre seulement depuis peu, leurs coeurs quant eux se connaissaient dj depuis longtemps. La conversation s'tira et curieusement leurs gots s'harmonisaient exactement, et lorsque des dissemblances surgissaient elles finissaient par s'accorder avec les diffrences de l'autre, leur contraste constituant un tout rsolument harmonieux. Finalement la jeune Arielle prit Nudd dans ses bras et l'emporta jusque sur le balcon, et elle le dposa sur la rambarde de pierre, les bras de la jeune fille constituant pour lui des barreaux enchanteurs l'enserrant dlicatement. Il y avait un ciel bleu et pur dans le monde suprieur situ au-dessus des Landes Magiques, et il flottait au coeur du dais azur un soleil d'or l'apparence souveraine. Un vent tide soufflait du lointain, o se dressait un massif de montagnes denteles mi-chemin de l'horizon. Non loin du labyrinthe vgtal protgeant le Berceau des Vents s'talait la fort traverse durant la journe prcdente, et il en distinguait depuis son perchoir lev et dlicieux les clairires et les valles ombreuses, les masses de vgtation impntrable avec les arbres solitaires et noirs se dtachant en avant-poste de ses rangs, l'image de cerbres inflexibles et austres. Nudd, lui demanda la jeune fille en fixant les alentours boiss et somptueux avec ses teintes fauves, me diras-tu un jour tes aventures si impressionnantes, et pourquoi tu te trouves aussi loin du pays des chats ? Matresse, je vous rvlerai cela bientt, la rassura le jeune Nudd, et vous en saurez alors davantage, mme si cela vous chagrinera peuttre Une mission d'aide m'avait t demande par notre monarque trs flin, et, avec d'autres chats, la russite nous avait t exige. Alors, tu me quitteras, Nudd, et je resterai de nouveau seule, s'attrista la jeune Arielle, elle paraissait vraiment trs afflige et sur le point de sangloter. Allons, je suis prisonnier de vos frres, l'oubliez-vous ? lui rappela Nudd la fourrure caramel et blanche, la petite queue annele. Et puis si une telle chose devait survenir un jour, je ne manquerais pas de vous prvenir, matresse. Oubliez tout cela et soyons heureux, la vie procure rarement de tels moments de bonheur, soucions-nous seulement de les savourer de notre mieux, ce sera dj merveilleux. Nudd le chat se tut, en souhaitant vivement dans son for intrieur voir Arielle changer de conversation. Il le savait, une issue aussi dsagrable

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devrait tre envisage un moment ou un autre, et son coeur tait lourd des larmes venir d'Arielle, et de son chagrin. M'aimes-tu, joli petit chat ? s'enquit Arielle tout de go, souriante et charmeuse, en chatouillant ses moustaches. Oui, lui affirma ce dernier en fermant les yeux. Et Nudd le chat ronronnait de bonheur, parce qu'il n'tait rien de plus vrai.

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Chapitre

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la une ! Les quatre vents du monde sous la vote du ciel azur, Arion, Astrid, Zbor et Edolon aux vtements troits et ajusts, affreusement bariols, tenaient ensemble le malheureux Nudd. Au plus haut de la petite tour ronde, au coeur de la demeure ancestrale des Vents, il se voyait dj, bien malgr lui, prcipit dans le vide entourant de toute part le promontoire architectural. la deux ! Arielle, la mine plore et aux yeux rougis de chagrin, se tenait en retrait en mordillant ses lvres cerise. Les quatre vents avaient imprim au malheureux Nudd tout chamboul un mouvement de balancier prs de la rambarde de la tour, faisant natre chez ce dernier les plus grandes craintes. Le soleil tait presque son znith et seules de rares nues moutonnaient dans les cieux, la rgion entourant le labyrinthe protecteur tait tantt solide ou tantt brumeux comme un brouillard changeant et ferique, semblable de merveilleuses nappes de cristal neigeux et ouat. Un spectacle fabuleux, assurment, nota rapidement Nudd le chat, tandis que les quatre vents la coiffe dissemblable, aprs une courte pause, venaient de reprendre leur activit. Et la trois ! Arielle au visage elfique avait pouss un cri perant : le pauvre Nudd, hriss et toutes griffes dehors, s'tait retrouv catapult dans l'espace arien. Durant un court instant, l'effroi du jeune chat fut son comble puis un soulagement intense lui succda lorsqu'il ralisa les faits. Une meute piaillante et glapissante de vents juvniles, intrpides et hardis l'image de jeunes chiens, le soutenait et l'emportait au loin, le propulsant dans l'ther telle une main invisible et vloce. Mais galement bruyante et sifflante, dsordonne, il va de soi. Ses craintes s'vanouirent et il lui vint aux oreilles les voix, grles et pointues, ou bien graves et fortes, des quatre vents du monde, ses nouveaux matres, avec celle de Arielle. Souviens-toi de nos paroles, petit chat, et visite bien les foyers dont il t'a t parl, nous les Vents nous aimons connatre les demeures

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accueillantes, et il n'aura pas de bon air frais durant les chaleurs, l'habitant inhospitalier et froid ! reprit Zbor. Elle n'aura pas non plus de vent glac en hiver pour chasser les miasmes, la maison dont nous aurons t chasss ! assura Astrid. Et souvent claqueront dans la nuit les volets du foyer malcommode et clos ! trancha Edolon en mettant ses mains en porte-voix, afin de mieux pouvoir se faire entendre du jeune chat loign par les vents, hurlants de joie d'tre enfin lchs sur le vaste monde. Prends bien garde lorsque tu survoleras le pays des sorcires, hors des Landes Magiques ! lui lana en une ultime recommandation le dernier des quatre vents, Arion la coiffe tarabiscote. Dj, les vents rieurs et soufflant tue-tte l'emportaient par-del le labyrinthe protgeant la secrte demeure des vents et lui faisaient traverser le Royaume Suprieur. Dans l'ther filait telle une flche immatrielle Nudd avait t affubl par ses matres d'un total tat d'invisibilit l'envoy des quatre vents du monde, et il se mit dfiler un somptueux paysage sous l'quipage venteux et olien. En un ultime cho il lui restait en tte les paroles dernires d'Arielle, sa belle matresse : " Et prends soin de toi, mon joli chat ! " Puis il subsista uniquement le grondement rugissant du vide autour de lui, car une vitesse vertigineuse la bourrasque forme magiquement par les quatre vents tourbillonnait et hurlait en soufflant follement dans les cieux. Bientt tout s'obscurcit pour le jeune chat dans son quipage olien, une nuit intense et totale se levant aux alentours. Nudd rflchit : par un abme de noirceur inhrent au Royaume Suprieur, la meute piaffante de vents juvniles le portant devait emprunter un chemin d'onyx afin d'accder aux terres merveilleuses du dessous, si une telle expression n'tait pas trop ardue dans son abstraction. En dfinitive, tel tait bien le cas, puisque le jour succda la nuit sombre et sur une fort de pins noirtres aux lacs mlancoliques et aux monts dors, le cortge venteux de Nudd s'lana toute allure, en qute de la premire demeure visiter. Bientt apparut une demeure tapie dans les bois, et la bourrasque bruyante emportant Nudd se mit siffler et rugir autour d'elle, l'image d'une cohorte arienne encerclant une victime innocente jusqu' l'hallali. Les volets disjoints se mirent claquer et battre bruyamment entre les rafales, puis la girouette grinante ornant le toit tourna sur elle-mme plusieurs fois de suite en gmissant, les arbres alentour commenant ployer par saccades. Alors survint courb par la force du vent un chasseur porteur d'une gibecire, et lorsque la matresse de maison jusque l soigneusement l'abri de la tourmente

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entrebilla la porte de bois son mari, un lan puissant de la troupe des vents juvniles catapulta le chat Nudd, rduit l'tat d'entit invisible, l'intrieur de la demeure. Par le ciel, s'effraya la vieille femme en tablier sombre son mari, depuis longtemps une telle tempte ne s'tait pas leve ainsi chez nous ! Elle est survenue peu avant ton arrive, et me voici tremblante, et effraye, sursautant au moindre bruit ! Femme, ne crains plus, la rassura son poux, nanti tout comme elle de cheveux grisonnants, mais l'hiver approche grands pas et le ciel, l'occident, se couvre dj. De telles bourrasques sont habituelles en cette saison. Non, je te le dis, mon mari ! se rcria l'pouse, qui, sous le coup du dchanement olien constitu de miaulements et de rugissements aigus tourbillonnant autour de sa maison, paraissait bien prs de perdre le contrle de ses nerfs. Ces rafales me paraissent mystrieuses, et malfiques en mme temps ! Nudd le chat trottinait petits pas prs du plafond chaul, prsence dsincarne, et il se prit sourire malgr lui des propos de la commre, empreints d'erreurs et de vrit de manire inextricable. Allons, allons, allons ! la rabroua son poux aprs s'tre dbarrass de son gibier sur la table et avoir rapidement rang ses affaires. Tout cela est affaire de ton imagination ! Sans doute, sans doute, Flicien, mon poux, lcha la vieille femme, mais combien cette maison me semble vide et triste depuis le dpart de nos enfants ! Elle carta les bras en parlant, afin de mieux reprsenter l'ide de vastitude et d'espace exprim par ses paroles. Tout est silencieux, il y a ici seulement du vent, dsormais poursuivit la vieille femme en se lamentant. Horreur, malheur ! s'crirent en cho les petits vents magiques transportant Nudd, et lui servant de montures avant d'tre autoris par les quatre vents du monde errer librement dans l'univers des hommes. Chasse ces ides noires, femme, lui rpondit le vieil homme, pensais-tu les garder auprs de nous ternellement ? Je sais tes penses. La vieille femme avait baiss la tte avec lassitude. Moi aussi ils me manquent, avoua piteusement le mari. Mais ils reviendront nous voir, tu le sais. Et cette plaine venteuse dans laquelle nous nous trouvons te semblera plus heureuse, et dserte par les dmons du chagrin.

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 Horreur, malheur, reprirent une fois encore les jeunes vents en refluant au-dehors sur l'injonction de Nudd, car celui-ci estimait en avoir entendu assez. Ils n'apprcient pas le vent et les multiples avantages apports aux humains ! Quelle ingratitude, et quel manque de politesse de la part de ces vieilles gens ! ajoutrent au surplus d'autres vents. Les vents discouraient ainsi en tourbillonnant dans les mondes, franchissant en mme temps quantit de barrires intangibles interdisant l'accs aux mortels. Nudd le chat mu par les anciens gourmanda les vents imptueux jusqu' leur faire adopter son point de vue. Celui-ci tait le suivant : il ne se trouvait pas bien des lieux la ronde de personnes plus respectueuses des vents, puisqu'ils mettaient leur disposition quantit d'objets mouvoir ou bien agiter. Et s'ils adoptaient ainsi une attitude aussi bourrue et austre, c'tait pour mieux cacher leur amour des rafales et des autans. Sinon, pourquoi resteraient-ils en un lieu aussi venteux, assurment ? Les jeunes vents finirent par se rallier l'opinion du chat Nudd, puis le cortge bruissant et imptueux parvint en une bourgade aux maisons de murs gris et aux toits d'ardoises. Les ruelles en taient tortueuses et il s'y trouvait de petites places rondes cercles d'arbres aux larges ramures, avec une rivire tumultueuse s'engouffrant sous un pont de pierre arqu joliment. Par les venelles en encorbellement se faufilrent en rugissant les vents, et suivant les ordres de ses matres, les quatre vents du monde, Nudd le chat alla en trottinant invisiblement par les chemins et les balcons de granit afin de vrifier si le passage des vents y tait favoris, ou mme souhait. Ainsi taient Arion, Zbor et Astrid, ou mme Edolon. Ils avaient la plus haute ide de leur office et de leur charge. Les ruelles sont petites en ce lieu, se plaignirent les jeunes vents constituant en mme temps le cortge et le vhicule de Nudd le chat. Notre passage est rendu difficile ! Vous pourrez ainsi mieux vous serrer les uns contre les autres en riant, leur affirmait Nudd pour ne pas dclencher la colre des quatre vents du monde. Et les pauvres gens de la bourgade se claquemuraient dans leurs maisons trapues en fermant portes et fentres, effrays par la soudainet de la tempte venue tambouriner leur foyer. Et ce pont de pierre sous lequel ils nous obligent nous courber, c'est pure mchancet de leur part, certainement ! Mais non, au contraire, ainsi il vous sera possible de soulever de l'onde des gerbes d'cume mousseuse, et vous en conviendrez avec moi,

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l'occasion est belle pour de puissants vents de jouer avec l'eau et d'en rider sa surface ! miaulait avec bonhomie le messager des quatre vents du monde. Comme leurs arbres sont grands et forts, presque centenaires, c'est pour nous obliger les contourner et nous faufiler entre leurs branches, de toute vidence ! argumentaient une fois encore les vents. Cela prouve quel point votre inexprience est grande et votre manque de savoir-vivre, flagrant, renchrissait Nudd le chat, nourrissant dans son coeur une grande tendresse pour les tres et toutes les choses de la vie. Ils les ont plants ainsi pour les entendre bruire et s'agiter en sifflant gaiement votre passage, il serait trs inopportun de s'imaginer le contraire. Les vents taient mortifis par la rationalit et la sagesse manant de ce chat pourtant presque aussi jeune qu'eux, car s'il les dpassait de quelque longueur dans les annes, ces dernires taient en nombre des plus rduits. Ils gardrent le silence en poursuivant leur route par les chemins du ciel jusqu' leur dernire visite, et celle-ci se situait bien des lieues de l. Les vents s'lancrent longtemps travers des montagnes enneiges et des plaines dores par les bls, ils franchirent des ocans cumeux et gris puis par une voie dissimule ils aboutirent dans un monde proche par la gographie dimensionnelle et l'apparence gnrale, mme si des diffrences perceptibles y taient notables. Ce n'tait plus en effet un univers irrel de charmes et de sortilges mystrieux, mais bien plutt un cosmos connu de Nudd dans lequel il est des mondes ferms aux hommes, comme celui d'Avalon. Et il venait d'merger dans l'un de ses royaumes secrets, ralisa bientt l'envoy des quatre vents du monde, en mme temps que lui revenaient en mmoire les ultimes dtails de sa mission d'information. Le dcor bientt se fit omniprsent et tangible. C'tait une valle de montagne encaisse entre deux pics dentels, et il y avait des nues s'accrochant au-dessus des demeures comme si les nuages avaient dsir pouvoir tout moment investir le hameau et le dissimuler la vue des regards indiscrets. Le ciel gristre tait impntrable, et seul un faible soleil se cachait derrire l'un des pics en tirant des clats brillants de la vgtation de l'endroit. Le soleil et le ciel n'appartenaient plus visiblement aux Landes Magiques, mais bien plutt aux mondes des humains. Les diffrences y taient sensibles dans la qualit de l'air : une fragrance impalpable il y a peu encore peuplait l'ther des contres feriques, mais avait maintenant totalement disparu.

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Il se trouvait l un village, et tout entier il arborait une allure trange, car le trac en tait rgulier et rectiligne, cela lui confrant un aspect artificiel mais cependant esthtique, et non dpourvu de joliesse. Il y avait des personnes dambulant par les rues bordes de chnes et d'rables, et c'taient toujours des femmes vtues de noir, avec des capes et des chapeaux lgants, des escarpins brillants et une allure nonchalante, comme si le coeur de ces femmes tnbreuses tait ptri de savoir et de sagesse. La totalit des btisses paraissait empreinte d'un ge avanc et bien des murs portaient des dessins gomtriques compliqus, leurs briques taient d'bne et de neige avec des fentres de jade tincelant : des charrettes tires par de rutilants sauriens parcouraient les rues jusqu' l'horizon de la route, et seulement alors il fut permis Nudd de distinguer une image caractristique. Celle d'une sorcire emmitoufle dans des vtements de nuit, cheval sur un balai de genet et franchissant les cieux avant de pntrer dans sa demeure, par une fentre. Sur ce une deuxime sorcire, d'un autre point du village, dcrivait le chemin inverse, puis une troisime l'imitait bientt. Voil un singulier hameau, vraiment, lana pour lui-mme Nudd le chat, et les vents joueurs l'accompagnant dans sa mission d'information taient eux aussi saisis par l'tranget de l'endroit et craignaient mme, eut-on dit, de jouer dans les branchages des arbres noueux et de passer travers les fentres arrondies et entrebilles des mansardes, comme si l'endroit leur eut inspir les plus vifs frissons. Le cortge olien s'engouffra finalement par des demeures accueillantes, o il se glissa avec une prudence inaccoutume encore jusqu' prsent, et l'atmosphre leur parut lgre et fminine. plus d'une reprise, les habitantes semblrent remarquer son passage. Nudd crut tre suivi des yeux par quelques-unes des femmes vtues d'obscurit, et il en conut un certain tonnement. Si cela tait avr, ce serait bien la premire fois que son invisibilit serait mise jour. Nudd le chat finit par raliser l'ironie de la situation. Il se trouvait dans la rgion d'Avalon appele " le pays des sorcires ", et il se souvint des paroles des quatre vents du monde. Ces derniers lui en avaient dj parl, lui conseillant de se tenir toujours sur ses gardes. Aussi avec des prcautions redoubles les jeunes vents aux mines anxieuses se firent zphyrs ou bise lgre pour visiter imperceptiblement les moindres recoins du village de sorcires et de magiciennes. Il y avait l quantit de ces gens vivant la nuit et se plaisant marcher au milieu des tnbres, mme et surtout lorsque luit la lumire du jour. Pareillement aux vents agit Nudd, flottant prs de murs pentus et sur l'extrmit des toits, car il

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craignait ces femmes tranges au teint ple ou bien mme parfois obscur, pare de bijoux et la dmarche altire, avec sur le visage une expression fire et rsolue. Finalement Nudd parvint une vaste demeure dispose en demicercle, et par les fentres de verre sombre il lui vint aux oreilles les clats d'une conversation diffuse. Elle finit par attirer son attention de messager olien, les vents impressionns par l'ambiance de ce pays tnbreux jouant le plus silencieusement possible entre les branches basses et les buissons de groseilliers sauvages. Nous ne pourrons jamais vous remercier assez pour votre accueil dans notre longue course, disait une voix. Dj nos montures sont prtes pour la suite de notre route, soyez assures, mesdames, de notre respect et fidlit. En effet dans une remise proche on entendait les piaffements caractristiques de chevaux guettant le signal du dpart, Nudd le chat songeant part lui. Les femmes de la maisonne n'taient peut-tre pas de si mauvaises gens, aprs tout, puisquapparemment elles venaient d'accorder l'hospitalit des voyageurs inconnus, dans les sentiers d'Avalon. Mais le jeune messager des quatre vents du monde, sur le point de repartir en qute d'autres maisons inspecter, perut les sanglots caractristiques d'une petite fille, aussitt coups par l'injonction d'une voix svre. Immdiatement se produisit dans l'esprit de Nudd le chat une illumination. Il lui revint en mmoire des souvenirs d'avant sa capture, et cela fut cause chez lui d'une grande douleur. Ils avaient trait aux cinq petites filles recherches primitivement, avec ses amis Prosper, Chocolat et le chat-cerise Balbillus, entre autres. Ses yeux se remplirent de larmes lorsqu'il ralisa son oubli, et le peu de cas accord depuis la mission assigne aux chats par le Chamagnon Tigr. En effet par le plus grand des hasards des cavaliers de noir vtus marchaient hardiment dans la cour, et ils taient coiffs de larges chapeaux avec des capes de satin flottant derrire eux. Ils avaient des traits tirs, et un visage ple en lame de couteau. Chacun tranait avec lui une petite fille l'air triste et srieux, l'un des cavaliers sinistres tournant la tte en direction de l'une des sorcires de la valle cache leur ayant accord l'hospitalit. Soyez remercies encore pour votre appui, soeurs Amazoons, leur assura-t-il sans cesser de maintenir fermement l'une des petites filles, elle avait des cheveux noirs de jais et des taches de rousseur sur le visage. Nous nous souviendrons de vous, car notre situation n'est pas fameuse.

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Un puissant roi de la Terre a envoy ses sbires nos trousses, et certains d'entre eux sont mystrieusement impntrables nos sens. L'un est appuy par les bonnes dames elles-mmes, et ils ont scind leur groupe afin de mieux nous poursuivre, affirma un des cavaliers aprs tre mont sur son cheval bai et avoir serr contre lui l'une des petites filles de la Terre. Il se trouve galement des chats avec eux, le Chamagnon Tigr lui aussi est de la partie, prcisa un autre, sans compter l'envoi d'un missaire de la Ligue. Nous les connaissons et ne les apprcions pas, jamais encore la Ligue des Magiciens de la Terre ne nous a montr beau visage, dclara l'une des sorcires en fixant les airs, et curieusement, parut-il Nudd, elle le regardait, ou du moins elle en donnait l'impression, semblant deviner ses mouvements pourtant indiscernables. Partez, amis, et rejoignez au plus vite les Demeures des Coeurs puisque l seulement les petites filles pourront tre en scurit. Il n'est pas bon de les faire souffrir davantage, nos coeurs de sorcires Amazoon pleurent avec leurs larmes. Fuyez, je sens avec tout mon instinct et mon exprience de vieille sorcire d'tranges prsences autour de nous. Allons, ne tardez plus, ajouta son tour une magicienne dente et vnrable, nous allons nous occuper d'eux. Galopez bride abattue, puisque le monde d'Avalon est prohib aux Evzoons, aux mles votre image. Sans laisser Nudd le temps de raliser la porte des paroles des habitants de l'endroit, les cinq cavaliers qui si bruyamment s'taient dj manifests Nudd le chat, lorsqu'il n'avait pas encore t spar du vagabond Jean de la Lune par des vnements singuliers, s'en taient repartis par les chemins d'Avalon vers des contres loignes. Ils emportaient avec eux leurs captives terrestres, et l'une des sorcires avait exhib une jarre enchante au large col. Aprs en avoir retir le bouchon de lige il se fit entendre un bruit incongru, celui d'une succion ne laissant Nudd et son cortge olien aucune chance. En effet, aprs quelques instants de vains efforts pour se dgager de son attraction malfique tous se retrouvrent enserrs bien malgr eux dans le ventre noir et froid de la jarre, dont la sorcire prestement scella l'orifice aprs leur absorption totale. Vous voil donc prisonniers, mes gaillards ! rugit triomphalement la sorcire travers la paroi hermtique de leur prison. Vous en sortirez seulement lorsque seront loin les Cavaliers, et les fillettes hors de porte

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de vos machinations. Vous dsiriez nous les reprendre, c'est certain, mais il n'en sera pas ainsi. Ayant entendu cela, les vents enfantins en compagnie de Nudd le chat sentirent comment on les transportait en un local o fut dpose leur prison de terre cuite, et ds lors Nudd disposa d'un long moment pour tudier la situation, afin de trouver la solution leur problme. Cette dernire ne tarda pas lui apparatre, vidente et inluctable. Arielle ! Arielle ! miaula-t-il dans le noir. Les vents en apprentissage se murmurrent les uns aux autres : le messager de leurs matres avait perdu l'esprit, si jamais il tait possible un chat de pouvoir en dtenir une once. Par le plus grand des bonheurs la voix assourdie d'Arielle pargna Nudd le soin de rpliquer, et il fut trop heureux d'entendre enfin le timbre ravissant de sa matresse. Nudd, mon joli petit chat, lana dans les tnbres de leur gele la soeur cadette des quatre vents du monde. O es-tu donc pass ? Et comment se fait-il, je n'arrive plus te voir par la magie de mon coeur ? En vrit vos frres m'avaient pourtant bien prvenu d'tre prudent lorsque je serais parvenu au pays des sorcires, et je n'ai pas su me souvenir assez de leur conseil, lcha piteusement Nudd prs des jeunes vents, ceux-ci, pourtant tout aussi fautifs, opinant vigoureusement son avis. Avec mon cortge venteux j'ai t captur par une sorcire roue, et elle nous a enferms dans une jarre magique. Tout cela ne me dit rien de bon. Oh, Nudd, ta situation est trs triste et je voudrais vraiment pouvoir te secourir ! lui rpondit Arielle. Mais mes frres sont partis des tches diverses, et je vais devoir attendre leur retour afin de leur demander conseil ! Ainsi se cltura provisoirement leur conversation, Arielle toutefois rassurant le jeune chat. Elle allait immdiatement se poster au balcon de sa chambre, afin de pouvoir alerter ses frres au plus vite ds leur arrive. partir de cet instant, l'atmosphre dans l'amphore magique se fit mitige, tout le moins. Certains des vents croyaient fermement en la puissance terrible des quatre vents du monde dont ils taient les serviteurs, et d'autres se lamentaient en craignant de voir leur dtention devenir sans fin et plus longue encore, si c'tait possible. C'tait assurment beaucoup trop pour Nudd, aussi en dpit de ses craintes il s'employa rassurer ses congnres oliens. Mais alors d'aucuns talrent leurs griefs. Ils s'taient quelque peu sentis oublis par la douce Arielle, celle-ci ayant seulement accord son attention Nudd. Ce dernier dtail, par ailleurs, tait malheureusement exact. La conversation dans l'endroit

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resserr et exigu o ils se trouvaient clotrs menaait de prendre un tour dsagrable, lorsque la jarre de terre cuite tressauta sans mnagement. Puis il se fit entendre au-dehors la voix aigrelette de la sorcire. Vous prenez beaucoup trop de place dans ma demeure, mes chris, leur rvla-t-elle, et les Cavaliers se sont suffisamment loigns pour mettre hors de votre atteinte les petites franaises, le savez-vous ? Les vents et l'envoy de leurs quatre matres, Nudd le chat, se fixrent les uns les autres avec une expression soucieuse en craignant le pire. Arielle n'avait toujours pas donn signe de vie, et les vnements, apparemment, se prcipitaient. Je vais me dbarrasser de l'amphore enchante en un lieu quelconque, et peu m'importe votre sort futur, termina la voix. Dsormais vous et vos allis de la Terre ne pouvez plus nuire nos soeurs Amazoon, et aux desseins de la grande Lilith. la suite de ces paroles fatales, leur prison de terre cuite parut flotter un long moment dans le vide avant de s'enfoncer en une tendue liquide la manire d'un morceau de bois. Puis un long moment s'coula, terrible et angoissant pour les prisonniers de la jarre magique, jusqu' ce que les eaux les emportant dans l'inconnu leur fassent rencontrer une surface rocheuse. Cette dernire fit voler en clats leur gele. Nudd le chat en perdit son tat ferique d'invisibilit et les vents recouvrrent leur libert, ce retournement de situation permettant chacun de jeter un regard anxieux autour de soi, afin de pouvoir dcouvrir en quelle sinistre lande la sorcire les avait abandonns. Dans une nuit noire semblable aux entrailles d'un four le jeune chat accompagn des vents scruta les tnbres, et il apparut tantt chacun la terrible vrit. Trs probablement, la sorcire du pays malfique s'tait dbarrasse d'eux en jetant l'amphore magique dans un puits, et celui-ci devait accder une nappe souterraine la surface de laquelle la jarre magique avait surnag avant de se rompre violemment. Sur une surface dure, Nudd le chat trottina une allure circonspecte. La mchancet de la sorcire ne devait pas tre si grande, finalement, car aucun pril n'apparut encore, et, bien au contraire, une lgre dclivit se prsenta sous ses pattes. Les vents, tout ragaillardis, le prcdrent en hurlant joyeusement vers un chemin menant une ouverture circulaire. Ainsi parvinrent-ils par le sentier obscur l'endroit en question, dcouvrant de l'autre ct, l'air libre, des montagnes noires, avec un versant herbeux sur lequel poussaient des pins odorants et des picas touffus. cet instant pourtant le tronc crevass d'un des arbres bougea et Nudd le chat crut assister un prodige, jusqu' raliser sa mprise. Il

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s'agissait en fait du col serpentin d'un dragon, aux cailles de pourpre et d'or, son crne triangulaire au regard turquoise s'tirant vers Nudd. Ses longues ailes duveteuses et moires mergrent de la pnombre en se repliant. Ses pattes griffues labouraient le sol en y laissant des stries profondes, et sa masse imposante coupa littralement le souffle Nudd. Les jeunes vents, pour leur part, avaient encore peu voyag et ils ignoraient pour ainsi dire tout du monde des mortels, ils en restrent coi d'motion, et bien videmment, un calme plat rgna ds lors sur l'endroit. Bienvenue en Oslo, l'empire des dragons, petit chat, lui rugit le monstre en entrouvrant ses mchoires abondamment dentes. Ce disant un filet brlant s'tait exhal de sa gueule, et le jeune Nudd en avait vu l'extrmit de ses moustaches se roussir. Mais grce au ciel, il ne lui fut pas ncessaire de rpondre. Un vent puissant se leva sur les monts, et mena tout ce petit monde l'exception du dragon lui-mme, bien videmment travers les rgions et les provinces de l'empire des dragons, par des sentiers clestes jusque dans le repaire secret des quatre vents du monde. Edolon la mine svre se tenait raide et droit dans la chambre circulaire d'Arielle, cette dernire ayant accept de participer sa leon d'cole journalire la condition expresse de voir y assister Nudd, son petit chat rescap d'une terrible aventure, avait-elle assur. Finalement le plus savant des quatre vents du monde y consentit contrecoeur, et de cette manire Nudd le chat, aprs une bonne sieste et un excellent repas confectionn de la main mme d'Arielle, s'tait vu inviter s'instruire, lui aussi, sur la science des vents et des tramontanes diverses. Sur le bureau de bois verni d'Arielle, Nudd somnolait presque sous l'effet sdatif de la voix d'Edolon, il faisait les cent pas dans la chambre de la jeune fille, avec un grimoire la main et l'autre, la dextre, replie derrire son dos. Son reflet se mouvait dans la glace de l'armoire linge et du coin de l'oeil le jeune chat ne pouvait s'empcher de suivre son trajet circulaire. Arielle aux longs cheveux noirs dnous et la robe liliale s'escrimait coucher sur un manuscrit de cuir rouge les paroles de son frre, l'aide d'une plume d'oie et d'encre noire. La voix d'Edolon tait monotone, il scandait les phrases de son ouvrage d'un geste machinal de la main. Avant les Mondes, il y avait les Vents, articulait-il nettement. Et avant les Vents, tait le temps d'AuparaVent !

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Chapitre

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Il y eut des craquements secs et vifs lorsque les sandales d'Arielle pitinrent les branches mortes, les ombres des arbres marbrant son visage de tches lumineuses et d'ocelles voiles. La pente se fit rude et Nudd le chat trottina la suite de l'adolescente de son mieux, car cette dernire avait pris une certaine avance sur le flin caramel et blanc et ne paraissait pas s'en satisfaire encore. Doucement, matresse, lui miaula le jeune chat. Quelle mouche vous pique et o nous menez-vous donc ? Oublieriez-vous les conseils de prudence donns par vos frres, et l'ordre qui m'a t fait de vous gourmander en cas de besoin ? Nous y sommes presque, Nudd, lui rpondit en cho la jeune soeur des quatre vents du monde, et tu verras, l'endroit est bien beau, il recle, j'en suis certaine, des mystres cachs et peut-tre mme des secrets ! De la manire dont la jeune fille avait prsent la chose des prodiges inconcevables devaient se dissimuler prs de l, et mme si Nudd tait le premier conscient de l'irrationalit d'une telle ventualit, il ne put s'empcher d'acclrer l'allure. Afin tout la fois de dvisager au plus vite l'bouriffant miracle, et de ne pas se laisser distancer encore, si cela tait possible. Hol, hol, matresse, se plaignit d'une voix basse et feutre le garde flin. Il me vient soudain le dsir d'avertir vos frres, afin de punir votre clrit La jeune Arielle dans sa course perdue avait dnou ses longs cheveux et les laissait flotter librement dans son dos. Elle se retourna demi et esquissa un doux sourire, ses lvres roses s'tirant gracieusement. Sa tunique de soie noire tait orne d'un motif brod d'or et d'incarnat, et elle portait un pantalon de toile fusel et mince, par endroits macul dj de traces d'herbes et de terre grise. Son visage affirmait clairement : " Je le sais, tu ne diras rien. " Son index ple tendu vers l'avant dsignait son unique centre d'attention. Sur ses traces, Nudd le chat dboula toute allure, vitant mme de peu de rentrer en collision avec les jambes gaines de sa matresse. Puis il roula dans un tas de feuilles mortes aprs avoir

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trbuch sur des racines noirtres, et le rire cristallin d'Arielle emplit douloureusement la tte de Nudd durant un instant. Lorsque le malaise saisissant son esprit se fut dissip, Nudd le chat dut reconnatre en luimme qu'effectivement l'escapade propose par Arielle, loin du Palais des Vents, en valait la peine. Il y avait sous un ciel de pur saphir un soleil clatant et ruisselant de lumire, comme une sphre brlante et radieuse l'image d'un globe d'or. Ce dme cleste et arien la beaut irrelle rayonnait sur une grande valle d'meraude et de blanc jade, car les pentes environnantes taient envahies d'une herbe humide, et cette dernire tait constelle d'arbres vigoureux de diffrentes espces montagneuses avec des fleurs multicolores, au parfum enttant. Tout cela tait ravissant. Par endroits il se laissait distinguer le sol de terre grise et blanche, spia, supportant ce royaume, car ils se trouvaient en un pays de nuages, au-dessus des Landes Magiques. Si d'aventure Nudd le chat en et dout, les ouvertures bantes trouant les flancs des montagnes et les lointaines valles, tel s'il se ft trouv en bas une tendue ocane, se seraient chargs de le lui rappeler. Mais alors un trange phnomne se produisit : il y eut un craquement sinistre et la terre arienne de ce pays enchant bougea, trembla et mme tressauta. Quelquefois, comprit aussitt Nudd, les ouvertures des nuages les portant se refermaient et d'autres naissaient, causant probablement de temps autre quelques bouleversements. In petto le chat Nudd se demanda si par malheur une telle chose ne pouvait pas survenir au Palais des Vents dont il tait malgr lui l'hte, et Arielle aprs avoir lu ses craintes dans son regard lui rpondit par une mimique ngative. Nudd en fut rassur, il ne tenait d'aucune manire se retrouver durant son sommeil prcipit avec toute l'imposante btisse vers le sol des Landes Magiques. cet instant, l'inquitant se colora de mystre. En ce haut royaume, cause de changements rcents venant de se produire dans la topographie de la valle, un cours d'eau tumultueux se prcipitait maintenant par une brche, dans le sol nuageux vers les terres du dessous. Il pleut, lui expliqua brivement Arielle. Sans se rpandre davantage en discours elle sauta par-dessus un tronc abattu, vestige de prcdentes intempries, et par des sentiers alpins bords de haies de groseilliers et d'arbustes elle entreprit de se lancer dans l'exploration de l'endroit. Apparemment elle n'avait pas eu le courage de le mener son terme, jusqu' la venue de Nudd ses cts. Le jeune chat se vit oblig de courir une fois encore, et pour ne pas droger la rgle

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 derrire Arielle par monts et par vaux, vitant de son mieux les ouvertures de l'corce nuageuse, jusqu' se dcider enfin mettre un terme sa galopade effrne. Par piti, Arielle, se lamenta Nudd en exhibant plaintivement sa petite langue rose ple, si les lieux sont ptris de la plus grande beaut, ils ne reclent pas davantage de mystre que la tte vide de mon frre an. C'est pourtant vrai, finit par reconnatre Arielle avec une pointe de lassitude dans la voix, il m'en cote de l'admettre mais tu as raison, Nudd, mon joli chat. Cela est sagement dit, matresse, poursuivit Nudd, retournons donc la maison, en votre confortable Palais des Vents, tapi dans son labyrinthe protecteur. Nous y jouerons colin-maillard, consentit Arielle en esquissant contrecoeur une moue pensive, et tu te cacheras de ton mieux. C'est a, c'est a, approuva Nudd en se sentant d'humeur plus plaisante aussitt le retour au palais devenu inluctable. Nous y prendrons un goter savoureux, il me revient encore en mmoire les agapes divines auxquelles j'ai t convi, lors de mon arrive. De songer cela, dj les moustaches de Nudd en frtillaient d'aise, l'eau lui venant la bouche. Car les quatre vents du monde taient galement de remarquables cuisiniers, et ils s'taient surpasss dans la matrise de l'art culinaire afin de lui faire regretter le moins possible la captivit impose lui. cet instant la jeune Arielle mit un cri perant de sa voix aigu, faisant se coucher les oreilles veloutes de Nudd, et immdiatement l'envoy de l'empereur des chats, le Chamagnon Tigr, se tourna vers la vision ayant inspir sa matresse olienne une pareille frayeur. C'tait celle d'un dragon de taille moyenne aux ailes de cuir dor rayes d'andrinople et d'amthyste, d'aigue-marine, avec sur toute la longueur de son corps puissant une cuirasse impressionnante d'cailles moires et tincelantes, chatoyantes, comme de vivantes et organiques gemmes. Ses pattes postrieures taient osseuses et griffues, son appendice caudal s'enroulant ngligemment autour de lui. L'obsidienne d'une griffe acre pose sous le menton tir de sa gueule, le nouveau venu s'tait retourn lui aussi, puisquapparemment la surprise de leur dcouverte avait t mutuelle, et ses mchoires s'entrouvrirent en rvlant un ton de voix badin, presque humain. Par la malepeste, gronda le dragon moustachu nanti d'une barbiche de poils blancs, avec des oreilles pointues recourbes en arrire, je me rjouis de pouvoir reposer un instant mes ailes, car ma fatigue tait grande

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et mon trpas aurait t funeste, si votre pays lev ne m'tait pas apparu au loin. Il toussa de fatigue, tant il semblait de manire visible au bord de l'puisement, et du coup des flammches incarnat et tango s'chapprent de sa gueule et de ses naseaux. Il battit des ailes, Arielle dvore de curiosit se rapprochant du nouveau venu en lui posant, comme bien l'on s'en doute, mille et une questions. Tout d'abord le dragon parut tonn par l'attitude de la jeune fille, cette dernire de manire familire venant de lui demander son nom, et pourquoi il se trouvait ainsi gar au royaume des vents, et si vraiment la prsence sur son dos de ses magnifiques ailes lui permettait de voler travers les cieux. Puis il finit par s'en accommoder, ce dragon n'tait pas un mauvais bougre, et il rpondit volontiers au flot de questions dvers par Arielle. Cette dernire tait aux anges. Elle venait enfin de rencontrer un mystre norme, au tout dernier moment ! Arielle, la petite soeur des quatre vents du monde ne se tenait plus de joie, et Nudd maudissait le sort et les circonstances de la vie, si opposes sa soif de farniente et de bons petits plats. En dfinitive, le nom du dragon pos sur le sol nuageux du royaume thr, au-dessus des Landes Magiques, tait Azmode et il tait originaire de l'empire des dragons, dont Nudd avait dj entendu parler puisquavec le royaume des fes et le pays des sorcires, il formait le continent unique d'Avalon dnomm Fmignina. Il s'tait gar aprs les frontires entre les mondes, puisque les dragons ont le pouvoir de franchir les Barrires afin de baguenauder d'univers en continuums dissemblables. De longues heures il s'tait escrim retrouver sa route, en vain. Le flair lgendaire des dragons, l'efficience incomparable au coeur de la plus noire des nuits, lui avait fait dfaut. Je suis enrhum, dclara le dragon Azmode, et cela me rend la navigation difficile. De siens amis s'en viendraient sa recherche bientt et ne tarderaient pas le localiser, mais de tels contretemps le mettaient dans une colre noire. Il dtestait le temps perdu, et toutes ces sortes d'vnements importuns. Comme je vous comprends, lui miaula en guise d'assentiment Nudd le chat. Le jeune dragon Azmode, car il leur confessa qu' l'chelle des dragons ses 2753 ans taient bien peu de choses, s'en revenait de la demeure lointaine o vivait reclus son grand-pre. Dans un univers loign il avait fonction de garder un trsor, et cette tche lui prenait beaucoup de son temps. Il n'avait donc gure la possibilit de pouvoir rendre visite

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ses proches, et ces derniers, en bons dragons, s'en allaient lui rendre visite tour de rle. Azmode, l'un des petits derniers du clan, s'en tait parti son tour saluer l'anctre respectable, aux moustaches blanchies par l'ge et dont la barbiche touchait le sol en des circonvolutions compliques. Mais le climat est brumeux et des plus humides dans le monde o rside mon grand-pre, conclut Azmode, j'ai pris froid en quittant son foyer. Venir jusqu'ici me fut pnible et difficile ! Vous serait-il possible de voler par les airs, et de pouvoir emporter des passagers ? roucoula Arielle en direction d'Azmode, et Nudd le chat s'effraya des projets dissimuls dans ses paroles. Parbleu ! lui rpondit abruptement le dragon. Un petit vol d'essai vous ferait-il plaisir, mademoiselle ? Ne nous emballons pas, matresse ! s'interposa Nudd. Ne l'oubliez pas, vos frres nous ont recommand la plus grande prudence, et nous ne connaissons cet Azmode en rien. Nudd, lui lana Arielle avec une intonation de reproche dans la voix, quel poltron tu fais ! Sans doute, mais " Prudence est mre de tortue ", dit le proverbe, se dfendit le petit chat caramel et blanc. Nudd, tu n'es pas une tortue ! s'exclama Arielle dans sa direction. C'est vrai, convint celui-ci, mais j'aurais pu l'tre ! De plus, je connais parfaitement la route menant l'empire des dragons, poursuivit sa matresse. Nous pourrions lui venir en aide. Azmode voyait bien que Arielle et Nudd tiraient chacun dans une direction diamtralement oppose, et il tenta videmment de faire pencher la balance en sa faveur. Ses yeux noirs l'clat velout adoptrent une expression misrable, ses lvres violettes s'tirrent en un sourire charmeur, dvoilant une interminable range de crocs l'clat neigeux, et sa langue rose pendit lamentablement, comme si son puisement, loin de son foyer, tait intense. Mais de manire inopine un nouvel ternuement lui survint, et un torrent de feu dboula vers Nudd. Ce dernier eut seulement le temps de se prcipiter en miaulant dans un massif. vos souhaits, grina Nudd depuis l'intrieur du genvrier, o il se trouvait encore. Merci, lui fit cho Azmode en reniflant bruyamment, vous tes bien civil, mon ami. Nous allons faire au mieux pour apaiser notre conscience, Nudd, poursuivit sa matresse, et pour cela nous allons ramener dans ses terres

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ce pauvre dragon, s'il continue il va prendre froid de manire irrmdiable. Tout cela durera peu, lui promit-elle. videmment, miaula Nudd in petto avec une certaine amertume, tout en se dgageant de son massif protecteur. De cette manire et bien contrecoeur, Nudd le chat se vit oblig de grimper sur l'chine cuirasse d'un dragon, enrhum et catarrheux de surcrot, et Arielle la soeur des quatre vents du monde se plaa derrire lui afin de mieux le maintenir, lorsque Azmode reprit gaillardement son vol. Il ploya ses larges ailes rayes de rubis et de teintes vives, puis le vent de leur course fouetta les moustaches de Nudd et fit se coucher ses oreilles. Nous courons l un grand danger, matresse, se plaignit-il, j'ai le vertige et une mort atroce nous guette, n'en pas douter ! Seigneur, combien tout cela me dplat ! Allons, Nudd, ne soit pas aussi pusillanime, le gourmanda Arielle en le prenant dans ses bras et en serrant contre son coeur le petit chat grognon. Rien de grave ne pourra t'arriver, aussitt aprs avoir men Azmode bon port nous reviendrons de manire arienne, je suis un vent, ne l'oublie pas, et mme si mes pouvoirs soient moindres que ceux de mes quatre frres, ils existent bel et bien, je peux te l'assurer. grands coups d'ailes Azmode franchissait les paliers du ciel et bientt sous les nuages supportant au znith le royaume cach et cleste, un paysage de terres ocre et de vertes forts se profila sous eux. Guidant le dragon vloce en direction du soleil Arielle lui fit dcrire plusieurs changements de cap, jusqu' s'estimer satisfaite. Nous voici sur les terres des sorcires, Azmode, bientt nous atteindrons les landes des dragons si la bise nous pousse encore quelque temps. Telle est galement mon opinion, dit en hochant du chef Azmode, il me vient depuis quelques instants aux naseaux des senteurs familires, elles ne me font plus douter de l'heureuse issue de mon retour. Au bout de plusieurs minutes d'un vol puissant de hautes montagnes se rapprochrent au loin, et ds lors le dragon acclra son allure en frlant les cimes touffues des pins et des massifs de chnes-liges. Ils survolrent des clairires paisses et des rivires d'cume l'onde glace, l'altitude se faisant bientt sentir : un air froid rgnait maintenant et les monts recouverts de vgtation arboraient un aspect dnud et dsol rvlant sans fard l'lvation croissante laquelle ils se trouvaient. Le temps passa et il finit par surgir devant eux un pic noir sur lequel se tenait comme en quilibre instable, en dpit des innombrables tais de

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pierres soutenant sa base, une forteresse l'aspect onirique. Elle tait nantie de tourelles aux toitures d'or et de murailles en pierres vitrifies, avec des crneaux aux pointes aigus et des ouvertures en pur cristal. Azmode se posa sur le parvis dgag d'une tourelle d'angle, et Arielle tout comme Nudd le chat se rjouirent de pouvoir enfin se dgourdir les jambes, sur le territoire de l'empire des dragons portant le nom d'Oslo. Mais cela, dire vrai, Nudd le chat le savait pertinemment, il avait dj eu affaire brivement un natif cailleux de l'empire, voici plusieurs jours. Un dragon imposant et vnrable venait de se poser prs de l, il trottina la suite de son atterrissage vers les nouveaux arrivants et eut une courbette aimable. Ce bon rien d'Azmode a trouv le moyen de s'garer, comme je le craignais, gronda le dragon en fixant sur ce dernier des yeux brillants de malice et d'humour. Mais tu as rencontr des bonnes mes pour te venir en aide, et tu le sais prsent, il n'est de situation prilleuse dpourvue d'une lueur d'espoir. Ce voyage s'est-il bien pass pour toi, Azmode, mon tout-petit ? l'interrogea-t-il en marchant vers lui. Il s'est droul on ne peut mieux, pre, en vrit, lui dclara ce dernier, Grand-Pre se porte merveille et a souhait pour notre clan toute la flicit et la prosprit possible. C'est une grande nouvelle, certainement, approuva le grand dragon en plissant ses yeux demi, et du coup une fumerolle mditative s'chappa de ses naseaux fumants. Car son ge est respectable et chacun de ses voeux est porteur de bonheur pour nous tous. Rjouissons-nous ! Mais tu ne m'as pas prsent tes nouveaux amis, mon fils ! prsent un autre dragon s'tait pos prs d'eux, sur le reste du parvis, le nouveau venu tant d'une taille plus rduite, puis Azmode, une fois de plus, laissa chapper un ternuement sonore. Du coup, Nudd le chat s'tait prcipitamment abrit derrire les jambes protectrices de sa matresse Arielle, mais cette fois-ci ce fut au tour d'un crneau envahi de lichen de se voir noirci par un jet de flammes brlantes. Tu t'es enrhum, mon enfant ! s'tonna le pre d'Azmode. Auraistu pris froid en franchissant les dimensions ? Je le crains, pre, avoua Azmode avec une expression contrite. Maman t'avait bien dit de te couvrir, nonna le dernier arriv, le nombre de ses sicles d'existence ne devant pas excder 7 ou 8. Allons, rentrons au plus vite dans la salle principale, o nous attend un repas d'accueil et de retrouvailles. Nous ferons plus ample connaissance avec tes amis devant un bon feu.

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Le petit groupe se dirigea par les larges escaliers vers le centre de la citadelle, et Arielle accompagne de Nudd put observer de visu comment la demeure ancestrale du clan d'Azmode tait btie aux dimensions de ses matres normes. Ces derniers ne se dplacrent pas par la voie des airs, mais ils empruntrent bien plutt de larges degrs de pierre. Ils avanaient en se dandinant l'image des humains, leurs pattes postrieures muscles leur permettant un maintien vertical, et leurs membres antrieurs, en leur laissant la possibilit de reposer sur leurs quatre pattes, n'taient pas seulement limits un si simple usage, comme les visiteurs purent s'en rendre compte par la suite. Leur appendice caudal les aidait de surcrot garder leur quilibre, leurs larges ailes de cuir color, lorsqu'elles taient replies contre leur masse, en devenant presque invisibles. Bientt tous furent runis dans une grande salle en croise d'ogives, et Arielle avec Nudd furent gaillardement convis partager leur banquet. Il tait prvu depuis plusieurs jours dj en guise de bienvenue pour le retour d'Azmode, dont c'tait visiblement le premier vol lointain. La famille de dragons, mme si puissante et riche, puisqu'elle rsidait dans une citadelle ne devant rien au palais des quatre vents du monde, tait pourtant d'un abord aimable et sans manires. La mre et le pre d'Azmode se prsentrent respectivement la jeune fille et son chat Nudd, et c'taient visiblement des gens de bien, car leur politesse fut exquise, et leur accueil sincre. Pareillement firent leur tour les deux invits dans la grande salle, et les frres et soeurs d'Azmode firent irruption en s'numrant les uns les autres, produisant brivement un joli brouhaha. Mais cette diversion fut de peu d'importance en dfinitive, l'atmosphre se rvla extrmement joviale, au centre d'une cour de dragons aimables et raffins, chahuteurs et taquins pour ceux dont l'ge tait mince, mais qui leur place aurait agi diffremment ? Les fous rires et les clats de voix sont l'apanage et le charme de la jeunesse lorsqu'elle n'atteint pas la vulgarit, et ce ne fut pas le cas ce jour-l, assurment. Les plats dfilaient les uns la suite des autres, et les jeunes frres et soeurs de la maisonne assurrent le service, apportant les diffrents plats confectionns par les cuisiniers dragons pour leur pre, leur mre et leur frre, avec bien sr leurs deux invits. Ainsi, le repas fut plaisant au possible. Et savourant un dessert raffin, puisque la cuisine des dragons est l'image de leurs manires et de leur humour, savoir cultive et de bon ton, le pre de famille s'adressa Arielle. La table dbordait de convives avec ces trois dragons attabls

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autour des invits, sur de hautes chaises dossier, le reste de la famille plac sur des chaises tout le long de la table. Il semblait se tenir l une runion plnire de l'assemble des dragons, et ils se servaient de leurs pattes antrieures comme autant de bras pour se chamailler ou bien se tirer les oreilles, mange enfantin trs vite interrompu par le pre. Ainsi, vous tes Arielle, et votre ami s'appelle Nudd, m'avez-vous dit ? Tout fait, monsieur, lui rpondit la jeune fille en hochant de la tte, Nudd approuvant du menton aux paroles de sa matresse. Les quatre vents du monde sont vos frres, n'est-ce pas ? C'est exact, reconnut encore une fois Arielle. Les connaissez-vous ? demanda-t-elle en tournant son regard vers la gueule bante du dragon, aux moustaches imposantes et blanchies par les annes. Il me souvient les avoir rencontrs quelquefois, durant ma jeunesse je vagabondais souvent de par les mondes en qute d'aventure, expliqua pensivement ce dernier. Vraiment ! l'interrompit Arielle. Comme je vous envie, et combien il me plairait d'agir ainsi ! se lamenta Arielle de nouveau, apparemment, elle avait t reprise par sa lubie d'aventures hroques, au grand dsespoir de Nudd. Ce furent de belles et riches annes, j'en conviens, mademoiselle, poursuivit le dragon d'exprience, mais les dangers furent nombreux galement et apprenez-le, je dois la chance, la seule chance, d'tre vivant encore et de pouvoir vous parler aujourd'hui. Ce fut un long chemin, je ne songeais pas encore fonder une famille. Il ne m'avait pas t donn de rencontrer Hlose, ma douce moiti, et je cherchais le bonheur comme on cherche la lumire dans les tnbres, c'est--dire en aveugle, ttons. Mais vous avez voyag ! le relana Arielle, qui n'avait pas pour habitude de lcher sa prise de sitt. Vous avez vu de lointains pays et fait quantit de rencontres remarquables ! C'est vrai, indubitablement, avoua le dragon, matre du castel de la montagne. Sachez seulement ceci, les prils ne manquent pas d'accourir vers celui partant dans les mondes en qute de quelque chose de mystrieux et de profond, de lger et d'indiscernable. Qu'est-ce donc ? s'enquit Arielle avec des yeux brillants. Il me semble avoir, moi aussi, durant des annes, cherch en vain une telle chose ! Nul ne le sait, lui dclara avec gravit le dragon ancien, et toute la table avait conserv le silence pendant son discours. Chaque tre vivant

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est diffrent d'un autre, aussi les rponses sont-elles multiples et diverses. Mais personne n'est complet et adulte s'il n'a entam une telle qute. Un long moment de silence s'coula dans la haute salle, et Arielle la premire reprit la parole, car le discours du matre de maison l'avait visiblement marque. Vous avez raison, monsieur le dragon, lcha-t-elle pensivement, et vos paroles m'ont permis de me rvler moi-mme, et de rflchir sur certaines choses dormant en moi auxquelles je n'avais pas prt attention encore. Arielle, Arielle, quoi penses-tu donc encore ? Ouvre-t'en a moi, sans retard ! la supplia Nudd. Mais la jeune soeur des quatre vents du monde ne l'coutait dj plus, et le dragon venait de se lever de table. Il se tenait droit presque l'image d'un humain et ses ailes, replies contre son dos, taient magnifiques de couleurs et de motifs bigarrs. Tous les dragons de la grande salle venaient de l'imiter. Les meilleures choses ont une fin, il nous faut maintenant repartir, messieurs les dragons, reprit Arielle d'une voix atone, comme si d'importantes dcisions se bousculaient dans son esprit. Nous l'avions devin, aussi allons-nous vous accompagner jusqu' vos terres clestes, lana le matre de la troupe dragonnesque du chteau. Sur son dos cailleux et brillant de mille feux prirent place une Arielle rveuse et un Nudd inquiet quant la suite des vnements. Sur le sol de la citadelle montagneuse le dragon s'lana de la plus haute tour et majestueusement, suivi par toute la troupe de ses enfants, garons et filles, il prit la direction d'un passage enchant permettant de rejoindre au plus vite le royaume cach des vents du monde. Seul l'inexprience d'Azmode lui avait interdit l'usage d'une pareille facilit. Ils franchirent de grandes tendues et le ciel bleu tait un champ d'herbe cleste et indigo dans lequel les dragons formant le gros du convoi se roulaient joyeusement en dcrivant des gambades ariennes, et tantt leur pre respectable les admonestait et tantt il les observait la drobe en souriant furtivement. Bientt furent atteintes les limites de l'empire des dragons, et la presque totalit de la troupe fit demi-tour en direction de leurs terres. Seul poursuivit son vol paisible et serein le dragon vnrable, survolant une terre pour Nudd et Arielle inconnue, car continuellement se mouvait le nuage supportant le labyrinthe vgtal dans lequel se dissimulait la demeure des vents, et par consquent il ne se trouvait jamais le mme

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relief sous les nues magiques. Mais le soir prsent tait l et dans un bleut infini allant en s'assombrissant Nudd se dgagea de l'treinte d'Arielle, celle-ci commenant par trop l'touffer. Il respira avec davantage de facilit l'air frais tourbillonnant autour du dragon ail, Arielle relevant son col de soie prcieuse afin de n'tre pas importune par la morsure du vent. Au loin, dans le sein d'une nue particulirement obscure et inquitante, des lueurs se mirent tinceler doucement et le dragon en avisa Arielle. Mademoiselle, nous touchons au but et les portes de votre demeure, dj, lentement se rapprochent. Il me tarde d'tre chez moi, monsieur le dragon, lui assura en cho Arielle, pour rpondre la politesse exquise des dragons elle tenait en effet ne pas se dpartir d'une civilit extrme. Mes frres seront rassurs de mon absence, et je les informerai de votre grande amabilit. Je leur rvlerai galement une importante dcision personnelle. ces mots le sang de Nudd se mit bouillir, et dans la pnombre o l'on ne distinguait plus gure les environs, il se tourna vers sa matresse Arielle. Il craignait par-dessus tout les paroles du dragon, au sujet des voyages permettant de dcouvrir on ne sait trop quelles billeveses dans le coeur sensible des jeunes filles. Il prit sa respiration, excuta un quart de tour, et il s'ensuivit un incident, mineur, certes, mais lourd de consquences funestes. Arielle se redressa sur l'chine du dragon afin de mieux pouvoir dtailler l'approche du nuage magique, et ce faisant elle poussa du coude le pauvre Nudd, ce dernier de surprise en tombant la renverse. Dans tous les sens du terme, littralement, et chutant sans discontinuer dans l'air sifflant vers la fort profonde situe cet instant-l sous la nue des vents, le petit chat s'aperut que nul ne s'tait rendu compte de sa disparition, puis trs vite l'obscurit engloutit la vision du dragon emportant sa matresse. Nudd n'eut pas le temps d'mettre serait-ce seulement un miaulement d'effroi, si bref fut-il, dj des branches noueuses amortissaient sa chute. D'tage en tage, il finit par dgringoler bruyamment, parmi un concert de miaulements douloureux, sur un sol tendre et frais compos d'aiguilles vgtales et de feuilles mortes, de broussailles et d'pineux. Nudd le chat ncessita d'un long moment pour se remettre de ses motions, puis il finit par jeter un regard hbt alentour. Il se trouvait en une clairire pntre de la plus intense obscurit, et durant un instant il eut la conviction fugace, mais certaine, d'tre silencieusement pi. Puis il finit par distinguer des pupilles phosphorescentes dissimules dans les tnbres, et il se retrouva encercl par un

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nombre indtermin de chats. Au bout d'un instant, aprs un bref conciliabule non loin de l, vers les sous-bois, un chat de taille moyenne s'aventura souplement vers Nudd et se campa face lui, ce dernier restant ptrifi de surprise devant son attitude singulire. Soldat Tcheng, miaula le chat siamois, du Commando Spcial des Chats. tes-vous natif de l'endroit, tranger ? lui demanda-t-il sans davantage de manires. Nous sommes la recherche de plusieurs de nos compatriotes de l'Arkaal. Ils n'ont plus donn signe de vie notre empereur trs flin, ajouta un autre en quittant le couvert d'un chne sombre. Nudd ! Je suis Nudd ! leur dit alors ce dernier, il venait de reconnatre entre les chats sortant peu peu de l'ombre plusieurs de ses camarades de jeux. Ne vous souvenez-vous donc pas de moi ? Sergent, sergent ! s'exclama l'claireur avec des yeux ronds comme des soucoupes aprs avoir dtaill Nudd. En voici un ! Par mes moustaches ! s'tonna bruyamment en retour un chat roux et blanc en trottinant souplement vers le jeune Nudd. Par mes moustaches !

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Chapitre

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Hors a, mes Asmodens, mes grands, mes forts, mes tous beaux, lana la desse sombre d'une voix froide, venez moi et prtez-moi attention, je suis votre matresse et mon coeur est marri. Il est irrit et courrouc, rvolt et emport comme s'il tait pris dans la plus violente tempte. Dans le centre secret et immense d'Avalon, au sein de tnbres impalpables, flottaient dans des cieux intrieurs les deux Asmodens Achtor et Nabab, aux couleurs dissemblables et l'aspect cyclopen. Ils avaient rpondu l'Appel, et leurs yeux d'or fixaient avec amour celle disposant jamais de leurs jours. Elle se tenait sur l'extrmit la plus leve d'un promontoire rocheux, avec en retrait des Dames Sombres et des Veuves Noires, des Ensanglantes en grand nombre. Il y avait galement quelques sorcires de nature mortelle au milieu de toutes ces Honnies, car leurs qualits leur avaient attir la sympathie de la Desse de la Nuit et elle leur avait confr ce droit. Les Cavaliers emportent cinq de mes petites filles loin des Demeures des Coeurs, hors des chemins assigns par les Lois. Ayant dit cela, la desse Lilith rabattit d'un geste ngligeant derrire une oreille une mche de fins cheveux bleus, et dans l'univers intrieur d'Avalon, tout mortel interdit, elle reprit son souffle. Elle tait des pieds la tte revtue d'or et de tnbres, un long chle prcieux s'enroulant autour de son corps svelte. Ce chle tait entirement bord de perles nacres, et cela lui donnait, en dpit de son visage svre aux traits divins, une grce certaine. Ses longs cheveux d'azur dgringolaient en boucles soyeuses sur ses paules, et ses escarpins d'argent tapotaient d'agacement contenu le sol schisteux de la plate-forme leve sur laquelle elle se tenait. Je ne saurais tolrer cela plus longtemps, mon peuple des Amazoons a t bafou, des sorcires nul ne peut se jouer, et chacun doit craindre leur colre. Je ne veux plus de petites filles en pleurs, nulle part en mon royaume.

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Dans les profondeurs de l'immense cavit souterraine, au plus secret des entrailles du monde d'Avalon, se fit un mouvement d'approbation au sein de la cour des Honnies se trouvant l. Et les sorcires avec les Veuves Noires, les Dames Sombres, hochaient de la tte en un assentiment muet aux paroles de colre de Lilith, la Desse des Amazoons vnrant la nuit et servant l'obscurit avec dignit et diligence. Une telle chose ne doit plus durer, d'autant qu'il m'est venu aux oreilles, par certaines de nos soeurs mortelles, une rumeur inquitante. Les Evzoons leur tour sont entrs dans la danse. Un roi de la Terre a envoy une expdition pour les rcuprer Si la victoire doit revenir au plus mritant, renchrit une Ensanglante aux rouges habits, en contre-bas, l'heure du bilan en la maison du Compteur de Temps, cela ne pourrait-il pas leur apporter un avantage dterminant ? De plus, trs intelligemment, ils se sont scinds en plusieurs groupes, appuya une autre, sorcire puissante de son tat. Ils n'ont pas d agir ainsi consciemment, je pense, dclara la desse Lilith du haut de son trne de pierre, sous l'immense et mol battement d'ailes des Asmodens. Il s'agit plutt l de l'oeuvre des bonnes dames, les Forces et les Puissances sont l'oeuvre, souvenez-vous, et personne, pas mme les lus, ne peut se soustraire leur activit et influence. Bientt, trs bientt, Lun, et Lune, mergeront Les Amazoons et le reste des peuples sombres attendent toujours leur Vierge Noire, Mre de toutes les sorcires, la crainte est dans leur coeur, et dans celui de la Rgente d'dennia, souffla depuis la pnombre une proche conseillre. Le choix n'a toujours pas t fait, et cela n'est gure convenable Par rapport la rbellion incomprhensible des Cavaliers, cela constitue une priptie mineure, nona Lilith du haut de son promontoire ombreux. Mre, cela ne peut tre vrai ! se lamenta le choeur des sorcires. Si, rpliqua schement la desse Lilith, et un silence confus flotta quelques instants dans les entrailles mystrieuses d'Avalon, o se droulait la runion secrte des Honnies. Je sais des choses sur les Cavaliers, autrement plus inquitantes dans leur signification. En particulier, sur les temps archaques. Mais vous tes jeunes, et pour moi, mes filles, il me semble vous voir natre encore, se radoucit finalement la desse tnbreuse. Allons, ne sanglotez plus, je puis vous rvler certaines choses, mme s'il se trouve se trouve parmi nous des mortelles, c'est--dire des tres non encore clos. La Vierge Noire a dj t choisie, mais nul ne

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s'en est encore aperu. Les Asmodens, contrairement aux craintes du peuple Amazoon, ont correctement rempli leur office. Aphrodia a feint la surprise pour honorer sa charge de mdiatrice, lors de l'preuve. Simplement, moi, Lilith, j'ai chang, et je considre ceci : certaines choses, auparavant convenables, ne le sont plus prsent. Le peuple des Amazoons, lui aussi, devra changer. Ainsi vous savez tout, Mre ? l'interrogea une voix, et le soulagement de l'assemble devint palpable. Disons plutt, je sais presque tout, sourit Lilith, puisque je ne m'explique pas la volte-face des Cavaliers. Le problme de la Vierge Noire sera rsolu, au mieux pour chacun. Mais il doit tre repouss au second plan. Car je ne veux plus voir sangloter mes enfants, surtout les plus jeunes, ils ncessitent de leur pre et de leur mre. Ds maintenant une urgence nous s'impose, celle de mettre la main sur les fillettes. Alors ? s'inquita une voix dans les replis rocheux d'Avalon, et la toute-puissante Lilith lui lana en retour un regard en coin. Alors, lcha pensivement la Reine de la Nuit, et l ses yeux se posrent sur les Asmodens, nous allons faire ceci Elle fit un signe de la main aux cratures immenses et ariennes flottant dans l'onyx du vide intrieur o se tenait l'assemble secrte, et les habitants de l'espace se rapprochrent lentement du pic lev o se dressait la mre des sorcires et des magiciennes, des enchanteresses.

Ainsi, sergent, vous l'aurez compris, lorsque nous avons ralis, Prosper, Chocolat et moi, que la mission d'escorte du Chamagnon Tigr risquait de s'allonger un peu, nous n'avons pas hsit une seconde, voyez-vous. Depuis dj un long moment la troupe du Commando Spcial des chats s'tirait par un sentier sinuant entre des versants boiss, et pendant les explications de Nudd avec Arzur, le suprieur du dtachement, l'claireur Tibert l'oeil perant et la course vloce s'tait dj plac aux avant-postes. Mille bruits et rumeurs venaient de partout en cette portion de fort o ils voluaient, et chaque chat du dtachement jetait des regards mfiants de toutes parts. Suspicieux comme un soldat, dit-on couramment, et c'tait bien vrai, en tout cas dans la situation actuelle de ce dtachement d'lite. Une valle humide encombre de brume fut dpasse, et de nouveau il leur fut ncessaire de s'aventurer sous le couvert ombreux et froid d'picas odorants. Avanant souplement, Arzur le chat se tourna vers Nudd.

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 J'entends bien, mon garon, mais vous auriez pu au moins donner signe de vie en cours de route. Voyez-vous, les chats de l'Arkaal souvent s'interrogent sur votre sort, et demandent de vos nouvelles notre monarque trs flin. Nudd, trottinant de son mieux ses cts, baissa piteusement la tte. Tout leur odysse fabuleuse ils avaient nglig de songer aux leurs : et encore ne s'tait-il pas expliqu sur sa disparition personnelle des ambassadeurs du roi de France, pour rcuprer les cinq fillettes. Notre monarque toujours doit leur faire la mme rponse, poursuivit Arzur en escaladant, lorsque vint son tour, un tronc abattu par le poids des ans, et des intempries. J'aimerais tant pouvoir apaiser votre curiosit, mes fidles sujets, miaula-t-il en singeant, apparemment, les faons de leur monarque. Mais je n'en sais pas plus actuellement, car je n'ai reu aucun cho ! Oui, mon garon, voil les dernires rponses reues par tous les chats de l'Arkaal, termina le suprieur du dtachement. Et croyez-le bien, une telle chose lui est trs dsagrable, il aime tant satisfaire ses sujets. Vous le savez bien, conclut-il. Vous savez quoi ? interrogea navement Nudd, plong dans un abme de rflexion en essayant de trouver la meilleure explication possible sa situation. Le Chamagnon Tigr est toujours proccup du bien-tre de ses sujets, voyons, le reprit Arzur le chat. Vous le savez bien. Ah oui, oui, dit alors faiblement Nudd en signe d'assentiment. Et vous-mme, mon garon, vous ne devriez pas tre aux cts de Prosper et Chocolat, ou mme de Balbillus, l'asanthne de notre ami Iolo ? " Misre, " songea rapidement le chat Nudd l'coute de la fatidique question, " nous y voil ! " Eh bien, voyez-vous, bgaya Nudd, il m'est arriv une aventure extraordinaire, l'coute de laquelle, j'en suis certain, vous allez rester baba Vraiment ? lui lana Arzur avec un regard narquois, fixant en mme temps au bout du chemin l'claireur Tibert, immobilis tel une statue de poils gris. Voui ! miaula avec nergie Nudd. C'est peine croyable, assurment, il s'avre Au mme instant Tibert vint eux empreint d'une grande excitation, et ce fut pour Nudd un authentique soulagement de se voir viter l'explication fatale, celle o il lui faudrait avouer combien la compagnie

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d'Arielle lui avait t prcieuse, et combien il la chrissait tendrement, aprs tout. Sergent, sergent ! s'exclamait d'une voix aigu Tibert, grand chat gris de cendre, mince et svelte, avec des yeux d'argent identiques des pierres de lune. Silence, claireur, le rabroua svrement Arzur, votre rle est de garder un oeil vigilant sur les prils pouvant se dresser devant nous, et non pas d'bruiter notre prsence. Qu'il y a-t-il donc, Tibert ? Il se trouve une forte concentration d'humains dans une valle proche, dclara Tibert un ton plus bas. Parmi eux il y a aussi des chats ! C'est parfait, tout point de vue, grogna comme pour lui-mme le suprieur du Commando Spcial. Nous reprendrons cette intressante conversation plus tard, dclara alors sans ambages Arzur aprs s'tre tourn vers Nudd. J'y compte bien, lui rpondit Nudd dans un souffle. partir de cet instant, la nouvelle apporte par Tibert s'tant rpandue dans le dtachement, le silence se fit dans les rangs avant mme l'ordre imprieux d'Arzur. La plus extrme prudence leur tait requise, en effet, leur rappela leur suprieur la rousse fourrure parseme de cicatrices glorieuses. Finalement les chats en progression camoufle entendez par l, ils avanaient sur les cts du chemin en profitant du moindre monticule ou buisson pour dissimuler leur avance atteignirent une portion de chemin dcrivant un coude, et ils finirent par rejoindre les abords d'une clairire, cercle de tous cts par une fort impntrable d'arbres gris, en cette fin d'aprs-midi dans laquelle ils se trouvaient. Il y avait des arbres minces prs desquels se tenaient les humains, certains debout et d'autres adosss avec nonchalance contre leur tronc. Ils paraissaient se trouver l en repos, ainsi que le faisaient galement souvent les chats du Commando Spcial, mais le sergent appelait cela des tudes Impromptues sur les Reliefs de l'Endroit. En fait, on voyait surtout une ribambelle de chats paresser avec un plaisir vident au soleil, ou bien grimper aux arbres, ou excutant toute autre sottise leur passant par la tte. Ainsi donc Nudd le chat passa entre des fougres un oeil prudent, et, observant le spectacle de ces humains, son coeur bondit dans sa poitrine lorsqu'il ralisa la chose. Il s'agissait des deux Hros des Temps Anciens, Aquilon le Myrionime et Gnsio le Triptolme, avec non loin de l le noble Roland, neveu du grand roi de France l'origine de cette folle quipe. Son regard s'habituant davantage la pnombre de l'endroit, il remarqua galement la prsence de la sorcire Amazoon Morgane, au

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visage gracieux et aux traits mystrieux, et prs de l Iolo le Tnbreux, ce grand ami des chats. Nudd ne se tenait plus de joie, ses camarades ne sauraient tres loigns. Il finit par dcouvrir Balbillus, le chat-cerise la fourrure rouge vif et au regard dor, et ses deux compagnons Prosper et Chocolat, la couleur caractristique. De joie, il miaula. Oh, les amis ! la grande frayeur de la colonne de chats dissimule prs de l, il rpta : Oh ! Quelques instants plus tard, l'atmosphre s'tait franchement dtendue au sein du Commando Spcial des chats, et la jonction entre les deux groupes se fit de manire sereine, mais on ne peut plus rglementaire, la grande satisfaction d'Arzur. Sergent Arzur, au rapport ! se prsenta-t-il gaillardement l'adresse de Prosper, le mage du Chamagnon Tigr. Chastrologue Prosper, je prsume ? Vous prsumez bien, en effet, sergent, lui rpliqua ce dernier aprs avoir soigneusement liss ses moustaches en signe de profonde attention. Vous nous voyez surpris de votre venue Le Chamagnon Tigr s'inquitait de votre longue absence, en monarque trs flin et attentionn, lui avoua Arzur aprs avoir prodigu un regard circonspect sur le reste du groupe, fixant tout ce remue-mnage avec attention. Il supposait naturellement votre retard motiv par quelque puissant motif, mais il ignorait lequel, puisque vous l'avez tenu sans nouvelles. Et son coeur de monarque bienveillant tait soucieux, votre sujet. Il n'avait pourtant aucune raison de s'inquiter, lui dit alors le chatcerise Balbillus, prenant la parole en sortant des rangs. Iolo le Tnbreux prenait soin de nous. Tout fait, renchrit en cho Chocolat, nous avons dcid d'aider ces humains accomplir une qute des plus nobles, et nous ne reviendrons pas au palais d'ivoire et de nacre avant de l'avoir mene son terme. Par mes moustaches ! miaula le sergent Arzur. Le Chamagnon Tigr serait grandement rjoui d'apprendre une pareille nouvelle, vous savez combien il tient au lustre de son rgne, et l'aura de gloire attache son nom pour les gnrations futures. Expliquez-moi donc tout cela, compagnons de l'Arkaal. En peu de mots le chat-cerise Balbillus s'excuta, et lorsque ceci fut fait le chat Arzur, avec le reste du dtachement de chats, approuva vivement

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l'attitude de Prosper, Nudd et Chocolat, partis pour ramener au bercail le sieur Alban, bgue et oublieux lui aussi, et ipso facto embarqus dans une folle quipe. Immdiatement il dcida de suivre avec le bataillon de chats les trois aventuriers de l'empire, et sa dcision fut suivie par une vague de miaulements approbateurs parmi les rangs de ses troupes. Nous informerons le Chamagnon Tigr ds que l'occasion s'en prsentera, assura avec conviction le sergent Arzur au chat-cerise Balbillus, et ce dernier hocha de la tte ses paroles avec le plus grand srieux. Mais il se garda bien de piper mot. Voici longtemps eux-mmes avaient dj pris une telle rsolution, sans trouver le temps de la raliser jamais. La troupe des ambassadeurs du royaume de France venant ainsi de recevoir un renfort consquent, en la personne d'une bonne vingtaine de chats, les prsentations furent faites dans l'ambiance la plus conviviale. Et la troupe envoye par le monarque trs flin de l'Arkaal dcouvrit la belle sorcire Morgane, vtue de noirs habits de voyage brochs d'argent, et coiffe d'un large chapeau gracieusement perch sur sa tte. Ses cheveux bleus taient dlis sur ses paules, ses bottes de cuir noir, talons plats, ornes de filets d'or. Elle portait une jupe ample, et son manteau sombre et argent l'embellissait en la protgeant. Sa peau tait de l'bne le plus profond, son visage avait la perfection d'une perle noire. Son sourire tait radieux : la plupart des chats se dtournrent avec difficult d'une pareille beaut, et le neveu de Charlemagne, roi de France, s'avana vers eux. Il portait sans frilosit apparente une simple tunique de daim dlave, et ses jambes taient recouvertes par des braies de riche tissu, prsent mis mal par les innombrables pripties endures. Une ceinture de toile et de simples bottillons, tel tait prsentement son lot. Son aspect se rapprochait grandement de celui des deux Hros des Temps Anciens, dvisags par les chats avec respect. Eux aussi portaient des braies rayes plusieurs couleurs, mais elles semblaient tre d'un ge indfini, se diffrenciant en ceci de celles du noble Roland. Les Vieilles Gens se contentaient de chausser des sandales de cuir, et ils s'enveloppaient dans des capes violettes avec de blanches chemises. l'image du noble Roland, ils taient seuls porter des armes, comme si cela eut rpugn Iolo le Tnbreux, ce dernier apparaissant aux regards le plus singulier de tous. Il tait en effet obscurit des pieds la tte, et portait un pantalon de soie noire serr la taille par une ceinture adorne de pendeloques dores. Il arborait une tunique de soie noire galement, avec aux pieds de sombres et plates bottes. Son visage et sa couleur de peau taient d'une blancheur lunaire, contrastant grandement avec le jais de ses cheveux

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corbeaux. Il tait coiff avec la plus grande lgance d'un bret de velours dcor d'une plume d'bne, poussant le vice jusqu' apparemment ne se salir jamais. la suite de cela, Arzur le chat prouva le besoin de rendre leur politesse ces inconnus aimables et si bien tourns de leur personne, et pour montrer la volont du bataillon de se prsenter son tour, il forma les rangs et lana l'appel. Ainsi furent numrs sans discontinuer les chats formant le commando, les Hros des Temps Anciens souriant entre eux de leur effort pour se montrer sous leur meilleur jour. Finalement ils estimrent cette revue des troupes bien sympathique, et ils joignirent leur attention celle des autres, l'appel touchant son terme. Soldat Tibert ! haranguait Arzur. MIAOU ! fit cho ce dernier. Soldat Ahzmoud ! MIAOU ! rpondit le persan. Soldat Gontran ! MIAOU ! Soldat Nudd ! cria Arzur. Miaou ! ragit la nouvelle recrue avec retard, toute surprise d'tre ainsi enrle. Soldat Nudd ! rpta Arzur. MIAOU ! Hurlez, bon sang ! MIAOU ! exhala Nudd en dsespoir de cause. Et l se clt la prsentation des uns et des autres, une salve d'applaudissements nourris venant saluer la performance des chats du Commando Spcial. Des groupes se formrent, et Nudd, aprs avoir t le centre de l'attention gnrale, bien malgr lui, se retrouva dans le cercle constitu par Iolo le Tnbreux, le mage de la Ligue des Magiciens de la Terre, avec le chat-cerise Balbillus et la sorcire Morgane, ainsi qu'Arzur, le sergent du dtachement. Vous le comprendrez notre position, si elle n'est pas des plus mauvaises, est tout le moins dlicate, expliquait le mage Arzur, tout en caressant d'une main distraite le chat-cerise Balbillus. Le mage tait assis sur un roc moussu, sous les ramures d'un arbre centenaire, et Morgane la sorcire Amazoon se tenait non loin de l, taquinant Nudd de ses ongles dmesurs. Vous n'avez donc pas retrouv encore ces cinq petites filles, comprit le sergent en secouant la tte. Non, en effet, reconnut le mage, on pourrait les croire vapores dans la nature.

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 Nous les avons cherches en vain dans la Demeure des Coeurs du royaume des fes, poursuivit Balbillus, et allons rejoindre la Demeure des Coeurs de l'empire des dragons. Peut-tre l-bas obtiendrons-nous plus de chance. Mais les mystres lis Avalon sont nombreux dans cette affaire, convint le chat-cerise. Ainsi, l'un des ntres, Jean de la Lune, a disparu mystrieusement, reprit Iolo le Tnbreux, et nul ne sait rien de lui depuis. Les prils ne manquent pas en Avalon, o seules les femmes ont droit de cit, renchrit en prenant la parole la sorcire Morgane. Il est des tres et des cratures dont la seule tche est d'liminer tout Evzoon de la surface de Fmignina, o nous nous trouvons, affirma la sorcire. Peuttre votre ami Jean de la Lune a-t-il rencontr de similaires personnes. Mais dis-moi, Nudd, dclara avec une expression soucieuse le mage de la Ligue, n'tais-tu pas avec lui lors de sa disparition ? Comment nous es-tu revenu avec le dtachement du sergent Arzur ? Oui, Nudd, explique-nous donc cela, veux-tu ? lui demanda son tour le sergent, venant semble-t-il de se remmorer une ancienne rsolution. " Nous y voil ! " songea avec tristesse le chat Nudd, dtestant pardessus tout les embarras et les soucis. Il se prpara tout rvler, l'appel du serviteur de la bonne dame, dans le lac, la disparition soudaine du vagabond et l'heureuse rencontre avec Arielle, qui lui avait fait oublier par sa grce et gentillesse tous ses devoirs, puis une apparition inopine vint le tirer de ce mauvais pas. Elle fut aussitt suivie par d'autres, et bientt tout un groupe de sauvages guerrires, revtues d'or en guise d'armure leur fit face, descendues des nues sur des chariots de guerre, tirs par des chevaux superbes la robe d'onyx. Cela devait arriver, s'attrista la sorcire Morgane en fixant la grande beaut et prestance des nouvelles venues. Cette plante est interdite aux Evzoons, et nous avons trop tard. Les Walkyries, protectrices de l'endroit, ont fini par intervenir. Immdiatement Morgane s'avana vers les guerrires aux cuirasses tincelantes, dont certaines avaient dj mis pied terre, et elle se plaa devant les Evzoons, prenant leur dfense car leur cause lui tait chre. Mes soeurs, retenez votre bras, ces Evzoons sont de braves gens, assura-t-elle. Ils dfendent les intrts de cinq petites filles, et cherchent par tous les moyens les ramener chez elles, sur la Terre, dans le royaume de France.

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 Nous savons cela, en vrit, lui rpliqua la guerrire la plus avance. Nous savons aussi combien tu as couvert leur prsence en ce lieu interdit aux mles, sorcire. C'est--dire, moi aussi j'ai pris en piti ces fillettes, et je veux leur bonheur, Walkyries, lcha Morgane dans un souffle. Cela est de peu d'importance, pour les Walkyries chrissant les Lois, continua la premire des Walkyries. Mais notre tolrance a des limites, et nous avons t charges de vous le signifier. Partez immdiatement d'Avalon, sans plus prendre aucun retard, et le pire vous sera vit. Nous, les Walkyries, sommes du rang des lus et le sang ne nous agre pas. Mme s'il nous est possible de vous faire passer de vie trpas, si vous insistiez davantage dans votre folle quipe. Mesdames, soyez remercies de votre mansutude, et croyez-le bien, avant la tombe du jour nous serons partis loin d'ici, ce sanctuaire rserv aux Amazoons, lana alors le magicien tnbreux de la Ligue. Laissez-nous simplement tracer quelques plans de voyage, et nous vous obirons sans condition. Parfait, donc, consentit la Walkyrie avant de se retourner vers ses soeurs. Allons, maintenant, et marchons sans faiblir jusqu' la forteresse de silence ! Le groupe des guerrires s'lana vers le ciel l'allure rapide de leurs chevaux, et avant de disparatre au loin la voix de la suprieure belliqueuse rsonna encore leurs oreilles. Demain, la premire heure, nous reviendrons. Si vous manquiez votre parole nous ne manquerions pas la ntre. Et vous croupiriez dans les geles de l'me, pour l'ternit ! Elles ne semblent pas plaisanter, murmura le Hros des Temps Anciens, Gnsio le Triptolme, l'adresse de Iolo le Tnbreux. Non, lui rpondit avec un air madr ce dernier en les regardant disparatre dans l'invisible, elles ne semblent pas plaisanter Lorsque les Walkyries se furent vanouies travers les cieux le noble Roland, catastroph aprs ce contre-temps navrant, marcha vers le mage de la Ligue et l'apostropha en des termes svres. Vraiment, magicien, je ne comprends pas votre attitude, et le pourquoi de cette tincelle de joie brillant dans vos yeux. Je vous le rappelle, nous avons fait jusqu' prsent un long chemin pour secourir cinq petites franaises ravies leurs familles, et non seulement nous n'avons en rien progress dans notre tentative, mais ces guerrires mystrieuses nous ont signifi un cong immdiat, et sans retour. Comment pourrons-nous

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retrouver les petites filles dans ce cas de figure ? se lamenta-t-il avec une pointe d'amertume. Tout cela est des plus tristes, ajouta le Hros des Temps Anciens Aquilon le Myrionime. Tout fait, absolument, opina son tour le sergent Arzur, et avec lui le reste des chats formant le Commando Spcial. Allons, cessez d'tre si dfaitiste, il vient de m'apparatre une ide, les rassura aussitt Iolo le Tnbreux. Vous ne l'ignorez pas, les Cavaliers ont pris en charge les fillettes, et se sont enfuis lchement. Eh bien ? l'interrogea avec une mine soucieuse le reste du groupe, humains et chats compris ne parvenant pas dcouvrir o il voulait en venir. Eh bien, tout comme nous, en majorit, du moins, sourit-il l'adresse de la sombre Morgane, ce sont des Evzoons et pareillement, ils ont d se faire rabrouer par les guerrires d'Avalon, se voyant signifier un dpart immdiat. Comprenez-vous la teneur de mes rflexions, messieurs ? clama-t-il la ronde. Nous cherchons en Avalon ces Cavaliers en pure perte, ils doivent poursuivre leur course ailleurs, sur un autre plan dans lequel le pouvoir des Walkyries n'a aucune prise. Aussitt le mage de la Ligue s'tait tourn vers le ciel et de ses deux bras il avait exhort les nues d'Avalon s'assombrissant dans le soir. Son chat-cerise le fixait sans mot dire, et pourtant il semblait aider intrieurement son compagnon magicien de toutes ses forces. Iolo le Tnbreux dclamait, il rcitait un dbit rgulier une posie trs ancienne dont le sens et les rimes taient oublis de tous, mais non pas des chats et de ceux ayant pu tudier le Scavoir trs ancien. Mme Morgane l'Amazoon ne comprenait goutte au pome enchant, et pourtant son art dans la magie et les sortilges avait peu de rivaux dans le monde. Mais le langage originel de la Terre possde des vertus magiques dont les qualits ne sont plus dmontrer, mme si seule la Ligue et les chats de l'Arkaal savent encore le parler. Cela se vrifia une fois de plus cette occasion, o il finit par apparatre une barque ventrue au bois vermoulu, flottant sur une rivire cleste et enchante. Vous avez fait merger l'Al'zir, la rivire cosmique qui traverse l'Univers et abreuve le serpent Our aux trois yeux, acquiesa Prosper, le chastrologue royal. Je n'aurais pas agi diffremment pour ma part, mme si j'aurais us sans doute de vers moins archaques. J'ignorais ces derniers, vrai dire. La Ligue possde encore quelques secrets dans ses tiroirs, reconnut le mage, ils ont leur importance lorsque le besoin s'en fait sentir. J'ai, du

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reste, dj us d'une similaire posie magique pour faire atteindre la lune aux guerriers francs de Charlemagne le preux. Allons, ne tardons plus ! Montez bord, j'ai une ide sur la faon dont nous pourrons retrouver les Cavaliers. Et plus tt nous serons parvenus destination, mieux cela vaudra. Chacun s'excuta et les chats de l'Arkaal ne furent pas les derniers. Tous prirent une place sur les bancs plats de l'embarcation, Nudd s'tonnant voix haute de voir des rames disposes contre le plat-bord. Hum, oui, reprit le mage, l'Al'zir est une rivire universelle faisant moult dtours au rythme de la nature, par ailleurs fort lent. Si nous voulons retrouver ces fillettes avant qu'elles ne soient en ge de se marier, il va nous falloir acclrer l'allure. Pestant et jurant les Evzoons s'escrimrent en ahanant, et les chats de par leur nature aventureuse les encourageaient de leur mieux en visitant l'embarcation, allant de-ci ou bien tantt de-l. Une brume paisse environnait la barque magique et un fort vent provenant des mondes intermdiaires ridait les vagues sombres et dcoiffait chacun, rebroussant les poils des chats et claboussant d'embruns la belle sorcire noire. Joli petit chat, dclara Morgane Nudd, viens donc sur mes genoux, j'aime beaucoup ta compagnie. Arrire, intrigante ! lui rpliqua ce dernier. Je n'en ferai rien, mon coeur est pour Arielle, jamais. Voyez-vous a ! ne put s'empcher de lcher Morgane, Arielle ? C'est ma matresse, je l'ai connue lors d'une priptie pique, hroque, et mme J'aurais pourtant aim avoir un asanthne ton image, se plaignit faussement Morgane en fixant le jeune chat. C'est ainsi, ne le prenez pas mal mais les choses sont scelles dj, se buta Nudd. Je chasserai votre tristesse, se rcria alors le dnomm Chocolat. Morgane, moi je veux bien de vous ! miaula-t-il en bondissant sur un banc proche, occup pour l'heure par le noble Roland. Ce dernier souquait de toutes ses forces, pour abrger le voyage et ainsi ne plus entendre l'change fleuri. Vraiment, Chocolat ? lui lana avec un fin sourire la sorcire Morgane, ce disant elle avait plac sa main droite sur sa poitrine. Chocolat est mon nom, il est vrai, poursuivit celui-ci, et mon coeur justement est de mme, fondant et rempli de douceur pour vous, jolie Morgane.

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 Oh, Chocolat ! lui roucoula Morgane en le serrant contre elle. Tu aurais d me dire cela avant ! J'attendais juste le moment favorable matresse, souffla Chocolat. La peste soit des chats en mal d'amour, grina Roland en se tournant vers les deux Hros des Temps Anciens, s'escrimant sur un banc proche. Sur Terre, au moins, ils savent se taire ! Magicien, notre destination est-elle encore loigne ? Allons, encore un peu de courage et nous toucherons au but, lui dit Iolo en ramant rgulirement, comme il le faisait depuis le dbut. Mais Nudd, tu ne nous as toujours pas expliqu votre dpart, Jean de la Lune et toi. Son chien va-t-il bien, au moins ? Il se porte merveille, du moins je le pense, affirma Nudd. Voici toute l'affaire. Cela a t une priptie pique, hroque, et mme Tu nous l'as dj dit, Nudd, le coupa doucement Gnsio le Triptolme. Je sais ! se dfendit Nudd. Mais c'tait juste pour marquer les esprits. Je reprends

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Chapitre

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Les chevaux sombres pniblement escaladaient la butte coupant l'extrmit du chemin, l'horizon dj rosissait la nuit : elle se teintait d'or et de pourpre ruisselant, colorant de ferie les feuillages des arbres assoupis et l'herbe des champs, les arbustes pineux dans les sous-bois. Les Cavaliers taient descendus de leurs montures puises, et seules les cinq petites filles taient restes sur leur dos en raison de leur puisement extrme. Depuis la tombe du jour, les Cavaliers en un territoire inconnu n'avaient cess d'avancer. Fendant les tnbres, ils avaient incit leurs chevaux fourbus progresser sans trve, et une grande fort ils avaient travers, inquitante et glace. Mme les Cavaliers, en dpit de leur hardiesse et vaillance, avaient frissonn au plus profond de leur coeur, tout au long de cette nuit. prsent l'aube venait petitement, dposant une couche de givre sur le sol en le rendant dangereusement glissant. Il faisait venir aux lvres et aux naseaux des chevaux un panache de vapeur blanche. Frre, lana finalement un Cavalier, aprs avoir drap malencontreusement sur une pierre moussue, les chevaux sont puiss, et les petites filles aussi. Leur sant risque d'en ptir, nous en serons punis, avana un autre. Il nous faut faire une pause, dclara le Cavalier marchant en tte, aprs s'tre retourn dans la pnombre vers les siens. Celui vers lequel le choeur des rcriminations s'levait garda le silence, et, songeusement, il fixa les cieux la clart grandissante. Bientt, trs bientt, poindrait le jour. Et les quitterait enfin cette humidit poisseuse collant leurs os et leurs vtements, paraissaient songer les Cavaliers, et peut-tre mme bien galement leurs montures. Moi aussi je suis puis, et faible, et hagard, reprit la cible de leurs regards. Mais l'heure n'est pas encore au repos, mme si je suis conscient de notre tat de lassitude et de fatigue. La sant des cinq petites franaises, elle aussi, ne m'est pas indiffrente. Les cinq chevaux avanaient une allure lasse le long d'un champ d'herbe humide, et un voile de brume s'effilochait graduellement au-

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devant de leur route. Des monts verdoyants et rods taient poss non loin de l. Il y avait des arbres massifs aux ramures imposantes bordant leur chemin, et nerveusement la plupart des Cavaliers se demandaient en eux-mmes si chaque tronc ne dissimulait pas un ennemi. Il s'coula une priode de temps interminable, et les cinq petites franaises ne restaient pas muettes, elles commenaient se plaindre et geindre bruyamment. La rsistance d'une petite fille n'est videmment pas celle d'un adulte, encore moins quand ce dernier est coutumier de cavalcades interminables, et de randonnes sans fin travers les plans. Il se trouve une dlgation imposante nos trousses, ne l'oubliez pas, poursuivit le commandant du groupe, et les prils sont immenses. Nous n'avons pu nous arrter encore, mais rjouissez-vous car nous sommes sur la bonne voie. Bientt, si la maison recherche apparat au loin, nous serons sauvs, elle appartient l'un des ntres. Un Cavalier ? s'enquit un des membres du groupe, tir de son apathique lthargie par cette nouvelle. Oui, frres, un Cavalier comme nous, mme si depuis longtemps dj il a cess de servir notre matre. Mais son coeur lui est rest fidle, il nous viendra en aide. Je sais des choses Mais htons notre pas, nos ennemis nous talonnent. Ne les entendez-vous pas ? Ne devinez-vous pas leur prsence aux lisires du monde ? Oui, frre, oui, frre, dit l'un d'entre eux avec un regard hallucin, je les vois, je les vois ! Il y a des chats hardis, ils miaulent et s'approchent ! Il y a des Hros des Temps Anciens, ils viennent sans dfaillir ! Et aussi un vagabond couronn aux cheveux d'or, avec une sorcire Amazoon au coeur tendre ! Il y a un magicien de la Terre, port par les siens ! Son ombre est noire comme la nuit ! Il y a Le Cavalier cet instant s'arrta, la vision transparaissant travers les ons semblant par trop incroyable voir. Puis il reprit, avec des difficults videntes. Deux mondes, blancs et rouges, ils s'approchent en ondulant lentement On dirait Les Asmodens, lcha d'une voix neutre l'un d'eux, et la couleur de sa peau tait devenue crayeuse, ses mains se mettant trembler de manire incoercible. Ds lors il ne s'accorda plus un instant de repos lui ou mme aux chevaux, sauf de rares haltes exiges par le bon sens, et il fut seulement apais lorsque le groupe dans le petit soleil frileux du matin, accda en une plaine rase formant une cuvette cerne de verdure. La fracheur remontant de la terre embaumait des plantes sylvestres, et cela constitua

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pour tout le monde, aprs la fatigue et la frayeur de la nuit, un authentique nectar. Il n'y a rien encore, se lamenta l'un des Cavaliers, n'en pouvant plus de traner pniblement ses bottes. On ne voit rien, se plaignit un autre en choeur. Il n'y a ici aucune demeure, ni maison accueillante. La fort aux environs est dserte, et seul ce grand arbre, au milieu de la plaine verte, attire les regards. Justement, sourit celui marchant en tte, justement, frres Il acclra le pas en tenant la bride de son cheval, et de quelques remontrances sonores la monture continuant de porter le corps las de la petite Sandra, il la fora marcher vers le coeur de la dnivellation naturelle. Au centre d'une prairie d'herbes folles et de gents, le petit groupe s'approcha de l'arbre imposant. Trs vite ils se retrouvrent sous les ramures ombreuses, et le tronc de l'arbre arborait des dimensions normes. Le Cavalier entreprenant d'en faire pied le tour assura n'en avoir jamais vu de telles. Le fait est, les premires branches basses se situaient une hauteur vertigineuse, et les feuilles jonchant le sol alentour taient impressionnantes de grandeur. Dans la matine radieuse, chaque Cavalier fixa avec crainte celui qui avait pris les commandes de leur fuite perdue, ce dernier fixant avec ngligence les profondeurs de l'arbre, au lieu de se soucier, leur image, de l'arrive de leurs poursuivants. Leur mission se prsentait sous les pires auspices, songeait la majorit des Cavaliers en son for-intrieur. Et l'homme menant la troupe tait frapp de draison. Mais aprs avoir siffl doucement par trois fois, des hauteurs de l'arbre leur vint une voix humaine, touffe par la distance les sparant. Une porte de bois large au vitrail cristallin venait de se dvoiler dans l'corce rugueuse, au grand bahissement du Cavalier le plus proche. La porte de bois tait orne d'un heurtoir de bronze cisel, et poliment, mme si leur hte, par son sifflement convenu, tait parfaitement au courant de leur prsence, le Cavalier principal toqua l'huis. Ouvrant la porte largement, la troupe pntra entirement, chevaux compris, en une antichambre obscure claire par des cristaux de gypse bleu. Il se referma derrire eux la porte avec un grondement sourd, faisant sursauter de frayeur les cinq petites franaises, mais non pas, bien au contraire, les Cavaliers fourbus par leur longue chappe. Des hauteurs descendit une voix grle. Montez, montez sans crainte, voyageurs ! Les marches sont larges et peuvent tre escalades par vos chevaux, ils se reposeront dans mes

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curies ! Un bon repas, dj, est en train de se prparer pour vous ! Montez, montez ! Dans le halo bleutre et diapr des gemmes saphir, une vole de marches en bois s'tirait en colimaon l'intrieur de l'arbre, jusqu'au lieu d'o provenait la voix. Pestant et jurant devant la tche impose, les Cavaliers pourtant s'taient excuts, ragaillardis par la promesse faite d'un asile accompagn d'un plat chaud. la hte ils avaient descendu les cinq petites franaises des montures harasses, et elles s'taient jointes tristement leur marche dans les escaliers de bois s'levant vers les hauteurs de l'arbre fabuleux. Durant un bon moment, on entendit uniquement le claquement sec des chevaux peinant pour escalader les degrs. intervalles rguliers des bouquets de gypse illuminaient les entrailles de l'arbre, et aussi des fentres de cristal, indiscernables depuis l'extrieur, apportant leur monte une lumire bienvenue. Plusieurs fois des ouvertures transversales surgirent de part et d'autre, montrant des voles de marches descendant vers le bas, en diffrentes directions, ou mme partant latralement car les dimensions de l'endroit taient vritablement normes. Mais enfin ils parvinrent dans une grande pice dgage, avec des baies largement ouvertes laissant parvenir eux l'air embaum du petit matin, mle la chaleur du soleil. Leur hte survint, affable, et sans connatre personnellement aucun d'entre eux, il les accueillit tous chaleureusement. Il avait des traits burins et taills la serpe, avec une peau hle et tanne, comme s'il avait pass une partie de sa vie au grand air. Vu son ancienne activit semblable celle des Cavaliers, c'tait sans doute vrai. Une robe noire avec des fronces de velours violet il portait, et des chaussures talon plat ornes de boucles d'or protgeaient ses pieds. Ses mains taient sches et longues, et d'une voix claire il les pria de laisser leurs montures pour les faire mener aux curies proches. Ayant dit cela sa main orne d'une bague au chaton d'tincelante amthyste virevolta dans les airs, et des serviteurs emportrent leurs btes afin de les panser et rafrachir, nourrir de leur mieux. Entrez, entrez, mes amis, leur lana d'un ton enjou l'homme habitant avec les siens de faon secrte dans le sein de cet arbre. Mon nom est Auguste : Jocastre, celui de ma moiti. Ayant dit cela son pouse d'un ge identique au sien s'lana dans l'entrebillement de la porte et prit vers elle les cinq petites franaises, recrues d'puisement et de fatigue. Toutes ses gens les menrent dans les quartiers de la dame Jocastre, o elle leur fit prendre un bon bain chaud n'en avaient-elles pas besoin, s'exclama-t-elle, aprs un pareil voyage !

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 et lorsque toutes cinq furent pimpantes et avenantes elle leur fit servir dans les cuisines de la demeure un repas rapide. Puis elle les fit aller se coucher aussitt. La dame Jocastre, une matrone aux joues rouges et coiffes de nattes blanchissant joliment, toujours vtue d'un tablier austre sur un jupon color, s'en alla gourmander son mari avec ses invits. A-t-on ide, vraiment, les tana-t-elle, d'avoir impos une telle preuve de frles enfants ! Comment peut-on tre si cruels ! Je vous souhaite de ne pas faire l une sottise, de laquelle les petites filles pourraient avoir souffrir ! Dans une telle hypothse je saurai en tre informe, et sachez-le bien je ne resterai pas de bois ! assura-t-elle d'une voix pointue, montant graduellement dans les aigus. Ma douce, ma perle, lui dclara d'une voix mielleuse le vieillard, nos invits sont des Cavaliers, comme je l'ai longtemps t moi-mme, t'en souvient-il ? Ce sont des gens respectables, jamais ils n'agissent la lgre et sur leur qualit je mettrais ma main au feu. Auguste, mon mari, lui rpliqua d'une voix sifflante son pouse, mes paroles n'taient pas seulement destines nos invits, mais galement toi. prsent, je retourne voir si les petites filles sont convenablement installes, et si le sommeil est venu elles. Vu les circonstances, j'en doute fort, mais sait-on jamais. plus tard, ma mie, lui murmura doucement le vieillard. Mais son pouse Jocastre ne lui rpondit pas, et elle s'en alla dans ses quartiers o avaient t places les cinq petites franaises. la suite de cela les Cavaliers restrent seuls avec leur hte, et en sa prsence un repas revigorant leur fut servi. Ils firent honneur aux plats, puis enfin ils se mirent expliquer leur souci. Avec comprhension et tact, le matre de maison, autrefois Cavalier, lui aussi, pencha lgrement la tte de ct en les coutant. Il opinait du chef brivement lorsqu'il lui semblait l'idal des Cavaliers respect, ou bien fronait les sourcils lorsqu'il lui paraissait le contraire. Quand les Cavaliers eurent termin leur explication, une impression mi-figue mi-raisin dominait chez l'ancien. Durant un court instant, il garda le silence face l'ultime requte formule, et visiblement il prit le temps de la rflexion avant de s'exprimer nouveau. Mais lorsque ce fut fait il vida son sac d'un trait, et ne s'arrta pas avant d'avoir panch compltement son coeur. Sincrement, amis Cavaliers, je tombe des nues devant la tche assigne vous, et je ne sais comment vous expliquer mon trouble. Je dois vous le confesser en toute franchise, si j'avais t inform de votre dsir et de votre acte, jamais, je peux vous l'assurer, vous n'auriez trouv

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refuge en ma demeure. Mais ma parole je vous ai donn, et sachez-le, si cela peut vous rassurer, je n'y reviendrai pas. Nous ne saurions en aucun cas vous forcer la main, Auguste, le prvint un des Cavaliers. Nous respecterons votre dcision. Je le sais pertinemment, acquiesa Auguste aprs avoir machinalement tripot sa lippe, des rides soucieuses se creusant sur son front. Voici : je vais vous aider, c'est d'accord. Mais je dsapprouve vos actes, les Demeures des Coeurs seules auraient d recevoir ces petites filles. Pour elles uniquement, et non pas pour vous, mme si vous tes Cavalier, comme je l'ai t autrefois, je vous permettrai d'approcher les Seuils Enchants. Toutefois une certaine route vous restera encore faire, en dpit des prils vits grce moi. Ds lors il indiqua aux Cavaliers des chambres aux lambris dors, et tous allrent avec soulagement s'crouler sur les lits aux draps parfums. Tous, non pas, en fait, car l'un d'entre eux, celui qui avait eu connaissance de la demeure d'Auguste et les avait mens jusque l, tait rest ses cts, pouss par un dernier scrupule moral, aurait-on dit. Mais l'ancien Cavalier, Auguste, aux traits prsent inflexibles, ne lui adressa pas la parole en prenant la direction d'un balcon de bois ouvrag donnant sur l'extrieur. De l, grandiose et superbe tait la vision sur les alentours, et seule la hauteur de l'arbre avait empch les Cavaliers de distinguer le balcon sur lequel ils se trouvaient, ni aucun non plus des autres, car en fait son grand dam le Cavalier en dcouvrit plusieurs. Accoud sur la rambarde de bois, le Cavalier regarda Auguste l'ge vnrable s'en repartir vers l'intrieur de la demeure, aprs s'tre empar d'un arrosoir en bois, lanse imposante. Il se trouvait au coeur de l'arbre un puits l'eau cristalline, dans lequel il s'en tait all benotement puiser. Navement le Cavalier crut d'abord leur hte troubl par leur irruption, puisqu'il allait apaiser son esprit en arrosant les jardinires et les innombrables plantes vertes ornant les balcons de sa maison, puis il ralisa sa mprise. L'ancien Cavalier dversait simplement l'eau de son arrosoir par les interstices de son balcon. Ainsi vidait-il son ustensile, apparemment, en pure perte. Auguste remarqua la surprise de son hte, mais ne ragit pas tout d'abord. Il le fit seulement aprs tre all chercher une seconde fois de l'eau au puits intrieur, et l'explication donne ne manqua pas de piment. Autrefois, dans mes jeunes annes, avant de devenir Cavalier, je fus Hraut, rvla-t-il son interlocuteur. Oui, Hraut, poursuivit-il, comme si cela eut pu paratre proprement insens. Et j'tais l'un des nombreux serviteurs de Trag-Mor, en son palais du Youjouljour, dans le Royaume

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Vermeil. Puis je rencontrai Jocastre, et rien ne fut plus comme avant. Je demandai tre relev de mon serment de fidlit, car la vie de errance ne me convenait plus, et Trag-Mor, en sa bont et magnificence, accepta. Quelle grande chance fut alors la vtre, lcha d'une voix trangle le Cavalier, souffl par l'normit de sa dclaration. Oui, en effet, reconnut Auguste, et ma rencontre avec Jocastre ne fut pas mon seul bonheur. En rcompense pour ma loyaut sans faille, TragMor me donna une graine de ssame. Une graine de ssame ? s'tonna son interlocuteur en fronant les sourcils, car il ne voyait trop o son hte voulait en venir. Une graine de ssame, rpta Auguste, maintenant son arrosoir s'tait vid et il l'avait repos sur le sol de lattes de bois du balcon, des frmissements mls de craquements secs se faisant entendre des pieds de l'arbre immense jusqu' eux. Mais celle-ci tait enchante, et sitt l'avoir jete en terre dans la valle de mon enfance, elle grandit et donna l'arbre splendide sur lequel vous vous trouvez. J'y construisis ma demeure, et ne m'aperut pas immdiatement de l'trange particularit de son support. savoir, la moindre pluie, il grandit de manire dmesure en franchissant les plans et les rideaux de matire, jusqu' merger aux portes des Seuils, n'est-il pas ? Tout fait, convint Auguste. Et vous en conviendrez avec moi, il ne nous est pas possible d'attendre la prochaine onde, n'est-ce pas. Indubitablement, approuva le Cavalier rejoint par Auguste, accoud tout comme lui sur la balustrade, cette dernire s'levant toute allure dans les cieux avec le reste de l'arbre. Mais cet tat de grandeur de l'arbre de ssame est-il dfinitif ? Bien videmment non, lui rpondit l'ancien Cavalier Auguste. Il retrouve ensuite lentement sa taille premire, et cette succession d'agrandissements suivis de rapetissements est pour Jocastre et moi, comme tous les gens de notre maisonne, un merveillement continuel. Charmante matine, dit le Cavalier en voyant s'loigner le sol de la valle de manire irrmdiable. Je trouve aussi, lui fit cho Auguste, sous le dais azur de la coupole indigo s'assombrissant lentement, recouverte d'un semis d'toiles. La barque de bois vermoulu par le passage d'ons sans nombre cogna avec un bruit sourd le roc de la berge, et ce fut pour le groupe des voyageurs le signal d'une dlivrance longtemps attendue. Ils avaient plusieurs fois fait des haltes impromptues sur les bords de l'Al'zir afin de se

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reposer et de se restaurer, et bien des visions tranges ils avaient ctoy sur les confins des mondes, en lesquelles ils avaient craint plus d'une fois de rester chous, si par malheur il leur tait venu la malencontreuse ide d'garer leur embarcation sur les flots. Aussi chacune de leur tape avaient-ils toujours pris soin d'amarrer leur barque sur quelque relief, et avaient-ils pu tout loisir observer les singularits des alentours ensuite. Malgr cela souvent les chats manqurent-ils se perdre dans des limbes inconnus, sauf une fois en laquelle un paysage sinistre et gristre dcor de rocs moussus accompagna leur repos. Mais enfin c'tait termin, songea Nudd en sautant bas de l'embarcation le premier. Et dj il n'avait plus souvenance de ces landes tnbreuses et froides ayant accompagn leur dplacement, prtes happer quiconque aurait eu le malheur de fouler leur sol. Un soleil rouge, car il tait son couchant, illuminait la plaine herbeuse sur laquelle soufflait un vent rgulier parfum d'armes fleuris. Des bosquets pars se tenaient en divers endroits, semblables des monticules dposs par la nature sur un tapis d'meraude. Par mes moustaches ! miaula d'une voix forte le sergent-chef Arzur, du Commando Spcial des chats. Prosper, Chocolat et Nudd, mme le chat-cerise Balbillus et le reste de la lgion du Chamagnon Tigr acquiescrent son opinion, et Tibert le chat fut envoy en claireur. Mais la troupe des chats ne put attendre longtemps son retour et les soldats s'parpillrent avec des mines circonspectes Dame ! Peut-tre se trouvait-on dans le territoire d'un chat puissant, de noble lignage parmi la plaine mirifique. leur tour, les deux Hros des Temps Anciens, Gnsio le Triptolme avec Aquilon le Myrionime avaient mis pied--terre. Puis le noble Roland, neveu de Charlemagne vint en aide la sorcire Amazoon Morgane et le dernier Iolo le Tnbreux sauta sur le sol herbeux. Il se tourna alors vers la barque en cet endroit singulier, et mit une brve complainte, aux allures d'ode musical et de stances, tout la fois. Mais les paroles taient dans la langue inconnue qui est la toute premire de la Terre, datant du temps des origines, de l'ge d'Or, et le chat-cerise Balbillus fredonna doucement les ultimes paroles avec le mage. Finalement lorsque s'acheva la dernire syllabe du magicien et de son asanthne, il s'vanouit dans l'invisible la barque enchante. Et Iolo, toujours vtu de sombre des pieds la tte, mritant totalement son surnom de Tnbreux, se tourna vers le reste de la troupe. Hauts les coeurs ! leur lana-t-il d'une voix claire, faisant se retourner vers lui la belle Amazoon Morgane, cette dernire arborant sous son

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diadme de cheveux bleuts aux longues cascades de boucles un regard velout. Tous les espoirs nous sont permis, et je vais vous dire pourquoi. Il serait grand temps, lui dclara le Hros des Temps Anciens Gnsio le Triptolme. Depuis notre dpart de Blancoon, les dsagrments se sont succd sans interruption. Et jamais encore nous n'avons pu apercevoir seulement l'ombre de leurs ravisseurs, renchrit le noble Roland. Morgane l'Amazoon avait opin du menton aux paroles prononces, et le magicien de la Ligue d'un geste large, sur la plaine verte, dans le couchant, fit taire les rancoeurs naissantes. Noble Roland, le destin parle par ta bouche, en vrit. Et tes paroles sont prmonitoires. Devant l'expression perplexe de ses compagnons de voyage, l'envoy de la Ligue poursuivit. Ici, o s'achve le jour et o la nuit est sur le point de se lever, va bientt surgir le Royaume des Ombres. Vraiment ? l'interrompit d'un air narquois la sorcire Amazoon, elle avait jet son coute un bref regard alentour en distinguant seulement un paysage bucolique et dsert. Mais oui, poursuivit le mage tnbreux en levant un index afin de mieux attirer l'attention des siens, ayant sans doute jug la majorit des chats, pour l'heure en goguette, sourd de manire irrmdiable son discours. Et je m'en vais aussitt vous en expliquer le pourquoi. Chacun de nous possde une ombre, fidle et silencieuse, marchant derrire nous lorsque nous voluons dans la lumire, face au soleil de notre monde respectif. Il est en effet, vous le savez, bien des soleils de par l'univers et leur grande quantit ne fait rien notre affaire. Or, donc, durant le jour, notre ombre volue dans notre sillage. Mais bien peu de gens s'interrogent sur son sort, lorsque tombe le jour et viennent les tnbres. Oui, lorsque rgne la nuit, o donc s'en vont nos ombres ? Ayant dit cela le mage Iolo le Tnbreux avait jet un regard circulaire sur le petit groupe l'entourant, et les deux Hros des Temps Anciens, la sorcire Morgane et le noble Roland du royaume de France taient rests silencieux la suite de son discours. Seul le chat-cerise Balbillus, la fourrure carlate et aux somptueux yeux d'or ouvrit la gueule pour lui rpondre, car lui aussi tait mage, et la rponse lui tait connue. Elles s'en retournent au Royaume des Ombres, miaula le chatcerise. Exactement, compagnon, lui assura le mage, et certaines s'acheminent vers les Marches, prs de la Terre, et d'autres aux Abysses,

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quelques-unes encore prfrent les territoires de Sphlos. Mais les Ombres sont peu nombreuses choisir cette dernire destination. La plupart prfrent le Royaume des Ombres, l est le sige de leur pouvoir. Dans le palais de leur roi, Ngrassombra, est la Source Obscure, et l'Ombre la distinguant aprs l'avoir touch s'en trouve ragaillardie pour longtemps. Tout ceci me semble bien fumeux, se dfendit le noble Roland. Je ne vois en rien comment cela pourrait nous avancer dans notre recherche des petites filles. Nous avons perdu la trace des cinq Cavaliers qui les emportent on ne sait trop o, voil la seule et unique vrit. Et l'espoir de les revoir s'amenuise de jour en jour, ajouta la sorcire Morgane, elle aussi trs abattue. Ne me faudra-t-il pas user de magie, afin de les revoir et localiser ainsi leurs ravisseurs ? Abstenez-vous de telles penses, la prvint le mage de la Ligue, plusieurs fois, en compagnie de mon asanthne Balbillus nous avons effectu de pareilles tentatives et un refus des plus nets nous a t signifi par les Puissances, et les Forces, ou bien le Destin, comme vous voudrez appeler certaines ralits dpassant la ntre. Un Mnne protge ces Cavaliers, cette voie-l nous est interdite. tez-vous l de l'esprit immdiatement ! Ne nous restera-t-il donc rien faire ? se lamenta le Hros des Temps Anciens, Aquilon le Myrionime. Mais si, voyons, les reprit doucement le mage tnbreux dans le soir ombreux s'paississant lentement autour d'eux, et nous sommes venus jusque dans ce pays cosmique afin de raliser mon ide, elle seule, je pense, nous permettra de rsoudre cette nigme. savoir, localiser enfin de manire certaine nos cinq petites franaises. Mais voici, la nuit, dj, vient nous. Voyez, voyez, amis Quelle pense vous est donc venue, et a motiv notre priple ? l'interrogea voix basse le noble Roland, impressionn malgr lui par la nuit intense de l'endroit. Nul du petit groupe n'coutait plus dsormais le neveu illustre de Charlemagne. Car dans les tnbres naissantes, par myriades ou bien l'unit, apparaissaient de sombres tincelles se muant en silhouettes mouvantes, comme autant de froides personnes dont le vide aurait t la consistance suprme. Elles allaient et venaient dans la valle il y a peu encore dserte, et l'on aurait cru voir un monde invisible lentement merger. Des demeures et des btisses inquitantes surgissaient, avec des tourelles et des clochetons argents brillant sous l'clat d'une lune d'argent. Des voies empruntes par des cavaliers fantomatiques

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traversaient les lieux : et l'on distinguait des fentres claires d'clats d'onyx, avec des ombres dambulant paisiblement. Avez-vous entendu ma question, magicien ? le relana le noble Roland, il avait cess de dtailler les spectrales apparitions du Royaume des Ombres pour se tourner vers leur guide en ce pays de mystres. Le mage de la Ligue ne prtait pas attention aux paroles du neveu de Charlemagne. Il appelait doucement vers la nuit aux branches sifflantes, dans la bise nocturne, et sa voix ne portait pas au-del de quelques mtres. Pourtant, il fut entendu. Ashiamm ! Ashiamm ! murmurait-il d'un ton de voix chuintant. L'espace d'un instant la totalit de la troupe aussitt apparu le Royaume des Ombres le Commando des chats s'tait repli en bon ordre se demanda si leur guide tait conscient de ses actes et ce vers quoi il les engageait, lorsquenfin survint pas de loup une ombre noire, haute et inquitante selon les critres de tous. Mais elle ne se montra pas menaante, et elle eut un geste de civilit pour chacun. Ashiamm, tu sais le pourquoi de ma venue, et la raison de ma prsence ici avec mes amis. Car tous, ici, sont mes amis, du premier au dernier, affirma-t-il l'ombre noire. L'ombre inclina la tte vers le mage en signe d'assentiment. Iolo, lui dit-elle d'une voix fort basse, mais non pas glaciale ou spulcrale comme on aurait pu s'y attendre, tu veux demander une audience notre seigneur, Ngrassombra. En effet, ombre, lui avoua le mage de la Ligue. Je voudrais tre men jusqu' lui, et tu dois, si tu le veux, nous protger de la vindicte des tiens. Il est des ombres menaantes et irascibles envers les humains, Ashiamm, tu le sais. Je le sais, leur rpondit cette dernire, tout en les invitant d'un geste marcher prs d'elle, sur la route venant d'apparatre. Suivez-moi, mais soyez sans inquitude, la route est courte. Et mon soutien ne vous manquera pas. Vous n'avez toujours pas rpondu ma question, magicien, s'entta le noble Roland. J'allais y venir, le rassura le mage, alors que tous avanaient sur le chemin, vers le trne de Ngrassombra du Royaume des Ombres. Je me suis pris songer ceci, dcouvrir la trace des Cavaliers tait par trop difficile et malais. Par contre, magiquement, il nous tait possible de rencontrer leurs ombres respectives. Et elles, mon ami, sauraient trs certainement nous renseigner sur la position de leur moi lumineux. Tout simplement.

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 Croyez-vous vritablement ce stratagme capable de nous venir en aide ? s'enquit d'une voix inaudible la sorcire Morgane, passablement impressionne par ce noir pays. Sans l'ombre d'un doute, lui sourit Iolo le Tnbreux. Autour de lui voluait la troupe des chats, et il se trouvait dans les premiers rangs le chat-cerise Balbillus, le sergent-chef Arzur en compagnie du jeune Nudd. Il s'escrimait suivre la dmarche rapide de tout ce petit monde, en agitant nerveusement sa queue annele de gauche droite.

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Chapitre

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Lorsque le tumulte rgnant dans la grande salle se fut enfin apais, entre les colonnes torsades de la citadelle du roi des Ombres, Ngrassombra, l'assemble obscure se tut et cessa de manifester son mcontentement. Ngrassombra aprs leur avoir demand le silence reprit la parole. Sous la vote du palais se perdant dans des hauteurs prodigieuses les piliers se noyaient en un ciel tnbreux, et il n'y avait pas de lumires pour illuminer les lieux, mais simplement des lumignons gristres, car les habitants du Royaume des Ombres n'aimaient pas la clart, en vrit. De larges baies vitres exhalaient de fraches senteurs des jardins alentour, et sur le sol marbr s'talaient des incrustations prcieuses d'onyx et de jade en formant des volutes ondoyantes. Impressionnant tait autour des voyageurs le cercle muet des silhouettes au noir de jais, et les chats comme l'envoy de la Ligue, Iolo le Tnbreux, les deux Hros des Temps Anciens avec la sorcire Amazoon Morgane, le noble Roland, taient tous effars par l'atmosphre de solennit peuplant l'endroit, et par les regards froids des milliers d'ombres se dressant l. Ngrassombra tait assis sur un trne d'obsidienne cisel et taill dlicatement, orn de gemmes prcieuses comme pierres de lune et perles noires, sombres amthystes. Le monarque tait de grande taille et toisait sans amnit les nouveaux venus de toute sa grandeur, les deux mains, d'une obscurit fuligineuse, bien plat sur les montants de son sige. Aucun dtail vestimentaire ne venait dparer sa silhouette, car toutes les ombres de la premire la dernire paraissaient dpourvues d'habits, et taient seulement nuit des pieds la tte. Pour autant elles n'taient pas totalement nues et les dtails de leur anatomie intime taient invisibles, mais simplement leurs vtements n'taient pas de ceux frappant le regard et cette impression pourquoi le taire de nudit tait bien davantage psychologique que relle. Ngrassombra, avec tout le poids de son autorit, avait fait taire les rumeurs cres par la venue du petit groupe dans la salle du trne. Et avant de lever le bras en signe de pouvoir, il couta avec une grande attention les explications fournies par l'envoy

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de la Ligue des Magiciens de la Terre, Iolo le Tnbreux. Dont l'habillement obscur des pieds la tte intriguait visiblement le cortge des ombres. Ainsi, prtendez-vous, commena lentement le monarque, des ombres ont ravi cinq petites franaises leurs foyers, et vous ignorez le lieu o elles sont caches actuellement Non, non, se dfendit avec un geste de dngation Iolo le Tnbreux, devenu malgr lui le centre de toutes les attentions, avec son chatcerise Balbillus. Ce sont des Cavaliers flons, ils les ont ravis, et les dissimulent en un lieu inconnu. Depuis longtemps dj, nous les poursuivons Depuis Blancoon ! lana son tour la sorcire Morgane aux cheveux bleus, et Ngrassombra hocha silencieusement de la tte son coute. Nous les recherchons en vain, poursuivit Iolo aux noirs habits, et puis nous avons rflchi : s'il nous est impossible de dcouvrir leur retraite, nous savons par contre o vivent leurs ombres, et o elles se trouvent Nous poursuivons une noble tche, et nous n'avons pas dout un seul instant de l'aide du peuple des ombres. Car les ombres, elles aussi, ont un coeur. N'est-il pas ? Ngrassombra avait une fois encore opin du chef, et d'un geste large il s'tait tourn vers l'assemble des siens. Nobles sujets coutez-moi, dit-il la cantonade. Je sais votre ressentiment leur gard, car souvent les tres Humains de leur ombre n'ont aucun gard, et ils ne se soucient pas d'elle car ils la tiennent pour quantit ngligeable. Pour la majorit d'entre eux, c'est comme si leur ombre n'existait pas et ne possdait pas une existence propre. Mes sujets, se trouve-t-il un mensonge derrire mes paroles ? Vous ai-je menti une seule fois dans mon discours, ou dsapprouvez-vous de quelque manire ma pense sur votre opinion des hommes notre sujet ? Iolo le Tnbreux, dcontenanc par l'attitude de Ngrassombra et par la tournure des vnements s'apprta mettre une protestation lorsque silencieusement la sorcire Morgane, en le regardant, posa un index sur ses lvres ourles. C'tait une invite la discrtion, la retenue, et l'envoy de la Ligue, malgr son dpit, se le tint pour dit. De part et d'autre de l'assemble des ombres s'levaient des clameurs et des cris, des vocifrations. Il s'en trouvait mme tendant le poing vers leur groupe, et les chats envoys par l'empereur de l'Arkaal s'taient peureusement rfugis dans les jambes de leurs amis. Ils n'ont aucun respect pour nous ! s'exclamait une ombre. Ils nous hassent et nous refusent la vie ! renchrissait une autre.

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 Pour eux, nous n'existons pas, dclarait une troisime. Toujours ils prennent soin de leur personne et de leurs biens, mais quel tre Humain se soucie de son ombre, et s'interroge sur son confort, et sur la tristesse ou l'affliction pouvant tre la sienne ? Les uns envers les autres, ils affectent de s'entraider et mme de s'aimer, mais leur ombre ils mprisent, et ils ne lui apportent aucune considration. ce point du brouhaha Iolo le Tnbreux crut voir s'arrter l son stratagme astucieusement labor, et il se lamenta amrement. Son trait de gnie s'avrait en dfinitive un coup d'pe dans l'eau. Mais une voix parmi les ombres de Ngrassombra s'tait leve, paisible et calme, dtonnant par sa srnit de son entourage obscur, autrement plus excit et nerv. C'est faux, lcha d'une voix nette l'ombre du nom d'Ashiamm aprs les avoir escorts envers et contre tout jusqu'en ce lieu sacr. Beaucoup d'humains sont ainsi, mais en vrit il s'en trouve trs diffrent de cette image ngative, du moins dans leur manire de traiter leur ombre. Un profond silence s'tait fait dans la salle royale de Ngrassombra, et ce dernier, sur son trne de nuit, coutait avec attention les paroles d'Ashiamm, la tte lgrement incline de ct afin de mieux favoriser l'coute. Le reste des ombres avait fait de mme, et dsormais une assemble muette faisait cercle autour d'Ashiamm et du petit groupe de voyageurs, au sein du Royaume des Ombres. Ashiamm est mon nom et vous me connaissez tous, reprit ce dernier vers ses semblables. Vous savez ma nature, Iolo le Tnbreux est mon frre lumineux et il me traite avec gard et humanit. Notre amiti date de longtemps, mme s'il n'en a pas toujours t ainsi, au dbut de notre existence. Mais nous nous rconcilimes, et ds lors une stricte galit devint la rgle entre nous : souvent il ncessite mon aide et toujours je viens lui. Lorsque sa prsence me manque comme il est normal entre deux frres, je l'appelle et il vient jusqu'en mon pays. Quelquefois il me libre de son emprise et je vaque cach, il va de soi dans la lumire des hommes et la clart du grand jour. ces mots un murmure touff avait parcouru les rangs ombreux, comme s'il venait d'tre profr une nouvelle bouriffante, incroyable, inoue. Aussi je vous le rpte, articula Ashiamm, ne croyez pas votre infortune commune toutes les ombres, car tel n'est pas mon cas, je viens de vous le rvler. Tous les tres Humains, mme s'ils sont de mme aspect, n'ont pas un coeur identique. Ne les jugez donc pas de manire si htive,

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vous pourriez en blesser quelques-uns, et certains assurment ne mritent pas de telles critiques. Sur ce, Ngrassombra du haut de son trne de nouveau se remit parler aux siens, et il le fit d'une manire assure, avec un dbit rgulier dnotant une prestance certaine de sa part. vous les ombres, mes frres et soeurs, dclama-t-il, je le vois bien, vos opinions sont partages et je ne puis seul dcider pour vous de la suite donner la requte de ces trangers lumineux. Car de vous je dtiens ma puissance, et j'ai dcid : j'en appelle votre jugement. Si vous dsirez voir les Ombres apporter leur aide ces tres Humains, levez donc la main. Et si vous estimez le contraire cause de leur appartenance la race humaine, restez immobiles et gardez vos bras le long du corps. Allons. Agissez prsent selon votre coeur. Iolo le Tnbreux en compagnie du reste de ses compagnons, empreints d'une vive excitation, jeta la drobe un regard circulaire sur la cour obscure les encerclant de toutes parts. Bien peu de mains s'levaient pour eux et les cinq petites franaises, s'aperut-il avec tristesse. Au bout de plusieurs secondes, leur sort tait scell et avec une amertume non dissimule Iolo le Tnbreux se tourna vers Ngrassombra lorsque ce dernier le hla. Vous venez de le voir, les ombres ont tranch et de notre secours, il va falloir vous passer, expliqua le monarque, aprs le verdict les ombres vindicatives par les portes d'entre et les multiples baies s'en repartant vaquer leurs affaires, interrompues par la venue des missaires terrestres. Croyez-le bien, j'en suis le premier navr, mais les choses sont ainsi. Repartez sans tarder de notre royaume, l'affaire est entendue. Non sans prodiguer un regard afflig sur le monarque inflexible, Iolo le Tnbreux accompagn de la tribu des chats, avec le reste de la troupe, prit le chemin du dehors lentement et bientt ils se retrouvrent tous cheminer sur une voie couleur de cendre. La cit royale des ombres s'levait autour d'eux, et par des avenues mirifiques de btisses obscures, bordes de clochetons et de tourelles merveilleuses, la troupe des missaires finit par rejoindre l'extrieur de la cit, boise et encombre de vgtation. Au loin rapetissaient les aiguilles cristallines et les places rondes ornes de fontaines, aux statues figes en des poses altires. Les arbres dans les bois alentour paraissaient davantage bruyants que dans la cit proche, o ils taient figs et immobiliss par la crainte, ou bien par quelque mystre inhrent au pays obscur envahissant rgulirement le lieu.

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Silencieusement avanait maintenant le groupe, Arzur le sergent-major des chats avec sa troupe progressant en tte, comme si le fait de devoir les premiers braver un ventuel ennemi leur permettait de chasser la tristesse et la langueur. Derrire tait l'envoy de la Ligue des Magiciens de la Terre, Iolo le Tnbreux. Avec son chat-cerise Balbillus, il leur avait fait faire un bien long et prilleux voyage au Royaume des Ombres, en pure perte. Nudd le chat trottinait aux cts de l'asanthne Balbillus, car son chagrin tait immense de voir le sort des petites franaises toujours aussi prcaire. Au surplus, souvent il lui revenait en mmoire l'image de son Arielle bien-aime. Son coeur alors dfaillait de tristesse. C'tait l un nouveau coup du sort, paraissaient mditer chaque voyageur, et le noble Roland, la jolie Morgane la peau d'bne et la chevelure cleste, avec les deux Hros des Temps Anciens, Gnsio le Triptolme et Aquilon le Myrionime, mditaient de funestes penses. Iolo le Tnbreux avec le reste du groupe s'tait dplac en une clairire proche, de laquelle on pouvait encore distinguer dans le lointain les difices altiers de la cit de Ngrassombra, les noirs paysages du Royaume des Ombres. La nuit lentement tirait sa fin, bientt surviendrait le jour : alors de nouveau des murailles invisibles se dresseraient entre les univers des hommes et ceux des ombres, rendant impossible toute nouvelle confrontation. Jusqu' la prochaine nuit Chacun, puis et fatigu par les derniers vnements, s'tait repos en un coin de l'tendue dgage. La troupe des chats de l'Arkaal s'tait positionne en formation, sur les ordres d'Arzur. Chocolat, le chat ayant choisi Morgane pour matresse, reposait avec dlice sur les genoux de cette dernire, et Roland le neveu de Charlemagne entamait une discussion lasse avec les deux Hros des Temps Anciens. Ces derniers arboraient pour l'heure des traits tirs. Ashiamm, l'ombre de Iolo tait encore avec eux, partageant visiblement la tristesse de son frre lumineux. L'envoy de la Ligue des Magiciens de la Terre pour sa part avait, pas lents, quitt la clairire et s'tait mis dambuler dans les sous-bois obscurs. Pitinant un tapis de broussailles et de feuilles mortes, la forte senteur d'humus, il alla de l'avant afin de chasser les penses lugubres hantant son esprit. ses cts voluait Balbillus, le chat-cerise aux yeux d'or. Et galement Nudd le chat. En dpit de sa pleutrerie il affichait une mentalit aventurire et ni une, ni deux, il s'tait joint au couple dont la prsence lui causait toujours une motion singulire. Mais ne les aurait-il pas dj rencontrs ? Incontinent, il chassa cette pense futile. D'autres soucis, et des plus graves, les tenaillaient dsormais.

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 Iolo, mon ami, tu es triste, lui miaula Balbillus. Jamais je ne t'ai vu ainsi. Comment pourrait-il en tre autrement ? se dfendit l'envoy de la Ligue. Ma mission d'tude est un chec, et les cinq petites franaises n'ont jamais t aussi loin de notre atteinte. Quant notre second objectif N'en parlons mme pas. Allons, Iolo, il te faut ragir. Toujours tu as su le faire, et souvent je t'ai observ redresser des situations autrement plus embrouilles. Mais le mage tnbreux, la grande peine de Nudd le chat, secoua la tte en signe de dngation. Il faut tre raliste, Balbillus, reprit le magicien. Nous ne pourrons jamais retrouver ces petites filles. Lorsque je suis parvenu retomber sur mes pieds, le destin, toujours, m'avait donn un coup de pouce. Rien de tout ceci ne se produit, expliqua-t-il en dsignant les alentours d'un geste d'vidence, vois, l'aurore survient et avec elle suivra le jour, le royaume des ombres s'vanouira. Silencieusement le chat-cerise Balbillus baissa la tte, et Nudd aussi resta muet parmi les sous-bois dserts, en cette heure funeste prcdant le matin. Iolo le Tnbreux tait immobile tel une statue, et en ce moment de recueillement forc et combien pnible il vint aux oreilles du trio les lamentations et les pleurs stridents de jeunes enfants. En proie l'tonnement, chacun s'avana avec prcaution et par-del des fourrs d'pineux ils dcouvrirent dans des halliers cinq jeunes et frles ombres, pleurant et reniflant abondamment. Malgr ses soucis et sa peine, Iolo le Tnbreux leva la main afin de les apaiser, et de signaler sa prsence tout la fois. Allons, ne pleurez plus, jeunes ombres, leur lana-t-il, il y a ici assez de malheur et de tristesse, n'y rajoutez pas au surplus votre chagrin. Mais les jeunes ombres ne se souciaient gure des conseils du mage, elles recommencrent pleurnicher de plus belle et avec des sanglots dans la voix l'une d'elles s'adressa l'envoy de la Ligue, comme aux deux chats prs de lui. Nous ne l'ignorons pas, il se trouve de par le monde bien d'autres afflictions suprieures la ntre, assura-t-elle. Mais notre malheur est sans pareil, et il ne se trouve pas d'ombres dans notre Royaume ayant subi et continuant traverser encore des avanies si cruelles. Vous croyez les choses ainsi cause de votre grande jeunesse, leur dclara le mage, mais vous manquez d'exprience et de repres, je vous le dis. Allons, schez vos larmes, le jour bientt va se lever.

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 Bientt, vous partirez, renchrit le chat-cerise Balbillus, aux yeux d'or brillant. Et vos frres lumineux, vous retrouverez, affirma Nudd, malgr tout pntr de piti pour ces frles ombres, toujours larmoyantes et reniflant bruyamment. En cela vous vous trompez, trangers, vous ne connaissez rien du Royaume des Ombres et de leurs habitants, leur rpondit la premire s'tre exprime. Sachez d'abord ceci, nous n'avons pas des frres, mais bien plutt des soeurs. Car nous sommes de petites filles, et fires de l'tre, soyez-en srs. Quant nos tourments, ils sont uniques, j'en suis certaine, et mes camarades pensent comme moi. Des rayons mordors illuminaient l'horizon, une couronne rubis levait sa crte gemme par-del de lointaines montagnes. Et l'onyx profond des tnbres nocturnes se voilait sur son pourtour d'un bleut radieux et infini. Le jour s'annonait entre les clats ross de l'aurore, avec lui s'teignaient et se diluaient lentement les paysages tourments et obscurs du Royaume des Ombres, en ce lieu de passage singulier entre les deux univers. La cit lointaine de Ngrassombra s'vanouissait graduellement, la noirceur des jeunes ombres faisant face Iolo et aux deux chats plissait au fur et mesure de la monte du jour. Leur voix, mmement, s'affaiblissait, leur parvenant d'une distance de plus en plus grande. Eh bien, commena Morgane d'une voix acerbe, en compagnie du noble Roland, faisant irruption dans le lieu retir. Parleriez-vous quelqu'un ? Nos soeurs du jour ont t ravies leurs foyers voici bien longtemps, poursuivit l'une des ombres sans prter la moindre attention aux nouveaux venus, et elles ne connaissent plus de repos depuis ce jour maudit. Bien des gens aimables et attentionns elles ont crois, mais rien ne saurait remplacer une famille pour de jeunes enfants. Elles se sont enfuies des griffes de leurs geliers, enchana une autre ombre aux accents d'outre-tombe, dans l'envahissement des lieux par la lumire matutinale, et elles errent par les Limbes en qute de la lumire. Se trouvera-t-il un homme pour sauver nos soeurs du jour, et apaiser leurs craintes ? La sorcire Amazoon Morgane eut l'coute de ces paroles sibyllines une mine tonne en direction de l'envoy de la Ligue, mais ce dernier, l'image de son asanthne Balbillus, lui intima le silence. De singulires rvlations pntraient son esprit, comme lorsque le dcouragement

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s'empare de nous, aprs une longue errance dans le noir, et qu'au coeur du dsespoir le destin nous apporte gracieusement la solution. Sur les eaux glaces d'Alcyon elles marchent, apeures et se tenant par la main, dit une autre d'un filet de voix, un dragon d'or dcrit des cercles autour d'elles. Sur ce un coq lointain salua la venue de l'astre diurne, et mystrieusement les cinq ombres s'vanouirent, silhouettes ples l'indiscernable aura. Satisfait et un sourire rayonnant aux lvres, Iolo le Tnbreux s'tait saisi de la belle sorcire Morgane et lui avait fait dcrire une ronde effrne, les laissant tous deux essouffls, et haletants. Et l'on ne savait trop si la belle Amazoon tait outre de la libert prise par l'envoy de la Ligue avec elle, ou si elle en tait secrtement rjouie. Viendrait-il de se rpter ce fameux coup de pouce du destin ? s'enquit le jeune Nudd vers le mage. En effet, convint l'envoy de la Ligue des Magiciens de la Terre en rajustant ses vtements, aprs la danse impromptue improvise en compagnie de Morgane. Exactement. Le reste de la troupe venant de dbouler sur les lieux, il expliqua voix haute la succession des vnements et ce qu'il convenait de mettre en oeuvre ds prsent. Lorsque chacun fut inform, la joie et l'enthousiasme se rpandirent dans les coeurs l'image d'une trane de poudre. Tous coutrent avec attention les paroles de Iolo le Tnbreux. Sous un ciel gris et indfinissable volaient de grands cygnes noirs, appels l par les artifices de la sorcire Morgane. Il tait nou leur col des lacets de soie prcieuse, soutenant des nacelles d'osier. Ces dernires taient au nombre de trois, ainsi suspendues entre ciel et terre par des liens d'toffe chamarre les reliant au vol des cygnes d'bne. Dans l'une des nacelles tait Morgane l'Amazoon, franchement ragaillardie, physiquement et moralement, depuis les dernires nouvelles. Il se trouvait ses cts Iolo le Tnbreux, en compagnie de son asanthne Balbillus, le chat-cerise. Dans la deuxime nacelle d'osier taient benotement assis les deux Hros des Temps Anciens, Gnsio le Triptolme et Aquilon le Myrionime. Il tait plac prs d'eux le noble Roland, et pour l'heure tout ce beau monde avait pour seule occupation d'astiquer et de faire reluire son armement personnel. Puis venait enfin en queue de cortge la dernire des trois nacelles, estil besoin de le prciser elle tait la plus dissipe et bruyante de toutes, car il s'y trouvait la presque totalit des chats de l'Arkaal, l'exception du chat-cerise la robe sanglante et aux yeux d'or. Il y avait l Prosper et

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Chocolat, Tibert l'claireur, le sergent-chef Arzur, Tcheng, le siamois, sans oublier Ptolm et Gaston, Balourd, Gonzague et Ahzmoud le chat persan, Pnlope, la fminine de l'quipe, et bien d'autres encore. Sans oublier Nudd, l'cart du remue-mnage qu'Arzur, grand renfort de voix, essayait de contenir. Car la troupe htroclite s'en tait derechef parti au bout du monde, c'tait le cas de le dire, la recherche des cinq petites franaises, et avait pris maintenant la direction des Limbes, o se cachait, affirmait Morgane, Ce Qui Serait Un Jour. L'envoy de la Ligue des Magiciens de la Terre avait rpliqu son dsaccord, on y dcouvrirait plus probablement Ce Qui n'tait Plus. La diffrence tait bien mince, avait song intrieurement Nudd. Leur nacelle voguait dans des cieux indfinis, et de temps autre de hauts pics et des monts enneigs peraient le linceul de brouillard les environnant de toute part. Une fois encore, l'me de Nudd tait en peine, et triste, et dchire. Le souvenir de la frle et jolie Arielle tait revenu troubler ses penses, et il se prenait songer douloureusement. Peut-tre sa matresse se languissait-elle de lui, et pensait Nudd comme Nudd pensait Arielle. Mais alors lui revenait galement en mmoire le but poursuivi par tous, la dlivrance des cinq petites franaises, et son coeur tait cartel entre ses deux dsirs antagonistes. C'tait l faire preuve d'une grande noblesse d'me de la part d'un chat, et il s'agissait en l'occurrence d'un bien lourd fardeau supporter pour un si jeune tre. Mais les vnements vinrent bientt la rescousse de ce couard frle et hroque tout la fois, il va en tre fait le dtail ci-aprs. Voici donc, en vrit, la simple et nue succession des faits. Le voyage se poursuivait sans anicroche ni priptie aucune, et les trois navettes soutenues par le vol des cygnes noirs allaient bon train vers la destination assigne par Morgane lorsquaprs plusieurs heures d'un vol paisible si vraiment l'on pouvait qualifier de cet adjectif l'atmosphre rgnant dans la nacelle des chats un vent se leva, faisant dcrire un infime travers l'quipage arien. Puis les lments gagnrent en force et intensit, la grisaille gnrale autour d'eux se faisant impntrable, pour ne pas dire oppressante. Nudd le chat observa Arzur, ce dernier regardant Tibert, lui-mme fixant avec inquitude celui des chats nomm Gaston. Le temps se couvrait, apparemment, et l'on tait encore loin du port, en juger par l'expression chiffonne de la sorcire Amazoon.

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 Nous allons essuyer une tempte ! leur clama l'envoy de la Ligue, Iolo le Tnbreux, depuis sa propre embarcation. Cramponnez-vous de votre mieux, la route menant aux Limbes n'est plus trs longue ! Chacun bord des nacelles d'osier fixa avec souci les nues opaques s'agitant et tournoyant en folles volutes autour d'eux, puis l'air devint soudain plus froid, glacial, mme. Et de lourds flocons de neige se mirent descendre du znith, entre des vents violents et sifflants. Pour un peu, le pauvre Nudd se serait cru revenu au Manoir des Vents : mais les vents locaux taient bien moins accueillants et tides, ils hurlaient et rugissaient aux oreilles des voyageurs comme s'ils taient pris de folie. Bientt, les nacelles se retrouvrent charges d'une lourde couche neigeuse qui les encombrait et alourdissait le vol des cygnes noirs, et chaque quipage dut se dbarrasser bon gr mal gr de la masse de neige, les chats s'aidant de leurs pattes, contrairement aux humains. Le fait devint pourtant vident trs rapidement, la tempte gagnait en force et puissance, car les cygnes noirs haletaient et caquetaient d'puisement au coeur des lments, tant les rafales glaces causaient du tort leur avance. Les nacelles dcrivaient dans les hauteurs des embardes inquitantes, et plus d'une fois des pics effrayants, semblables des gants ptrifis, rompirent subitement le linceul de neige et de vents. Chaque fois l'quipage des missaires de la Terre et ses amis dut au seul hasard de ne pas s'craser sur un pan de montagne meurtrier, puis finalement la nacelle des chats essuya un coup de boutoir venteux la violence inoue, et les parois d'osiers frottrent contre des rocs rendus glissants par les intempries. Sous la soudainet du choc, plusieurs des soldats du Commando Spcial furent proprement jects sur les pentes froides, galement Nudd, Chocolat, et Tibert. Immdiatement le sergent-chef Arzur, autoproclam capitaine au long cours de la nef d'osier, tonna d'une voix forte et il ordonna aux cygnes noirs supportant la nacelle de faire demi-tour, ces derniers acceptant volontiers. Ainsi, donc, la nacelle des chats, contrairement aux deux autres s'loignant dj, pousses par les lments dchans, la nacelle des chats donc revint en arrire au sein des rafales de neige et des vents glacs. Elle entreprit une dlicate opration de sauvetage, puisque les dgts sur la nacelle elle-mme, heureusement, n'avaient pas t trop importants. De cette manire un Tibert rfrigr parvint au bout de plusieurs sauts remonter bord, puis deux soldats, aprs avoir distingu la masse de la nacelle au milieu des nues hurlantes, l'imitrent en miaulant de soulagement. Au loin, perdues dans le ciel gris, rapetissaient graduellement

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les deux nefs menant le convoi. Avec inquitude, Arzur fit dcrire un nouveau demi-tour la nacelle et repcha in extrmis les deux soldats manquants, puis finalement Chocolat, ce dernier croyant dj sa dernire heure venue. Mais le coeur endurci du sergent-chef Arzur se serra, en dpit des innombrables batailles et combats livres au nom des chats, lorsqu'il ralisa l'absence de Nudd l'appel. Ils le hlrent tous, du premier au dernier, et dcrivirent plusieurs passages contre la pente de la montagne venteuse, mais en vain. Dj les autres nacelles taient devenues des points l'horizon, et le risque pour eux de se perdre galement tait grand, en vrit. La mort dans l'me, le sergent du Commando Spcial ordonna aux cygnes noirs de reprendre au plus vite leur route premire, et ds lors un silence pesant rgna au sein de la nef d'osier. Pourtant le destin, ou bien le sort, n'avait pas t ingrat envers Nudd, contrairement aux craintes nourries par ses amis de l'Arkaal. Immdiatement aprs sa chute il avait gliss malencontreusement en une troite crevasse, et dans l'impossibilit o il se trouvait de rejoindre les hauteurs de l'ouverture, place bien au-dessus de lui, il avait d se rsoudre tourner sur lui-mme dans l'troite prison de roc. Finalement, aprs s'tre brivement laiss aller au dsespoir, il reprit courage en distinguant dans la paroi glace une mince issue, et il parvint une cavit se prolongeant au coeur de la montagne mystrieuse. Tout d'abord, le jeune chat s'inquita de la longueur draisonnable de son absence de la nacelle. Puis il rflchit. Plusieurs fois depuis le dbut de son aventure les vnements lui avaient t d'abord dfavorables, avant de lui sourire nouveau. Il se dtendit enfin. Et avec davantage d'allant, il suivit le noir couloir allant progressivement en s'largissant. Il se dissimulait dans les entrailles de cette masse granitique un lacis tortueux de sentiers et de souterrains, car il ne cessa de les arpenter dans le plus grand tonnement. Plusieurs salles dotes de hautes colonnes ciseles il traversa, et certaines remarqua-t-il taient claires de flambeaux laissant observer de riches dcorations et de superbes meubles, avec des tapisseries et des portes ouvrages. Pourtant il se trouvait l une absence singulire dans la disposition de cette trange demeure, et Nudd mit plusieurs secondes la remarquer. En effet, dans aucune des innombrables pices successivement parcourues il ne dcouvrit de fentres. Mais plutt des ouvertures circulaires et noires au centre de certaines pices, en hauteur, travers lesquelles on entendait distinctement le vent sifflant et rugissant battant les flancs de la montagne, au-dehors. Finalement les clats d'une conversation anime lui vinrent aux oreilles, et le bruit de ces voix allant en augmentant, Nudd ralisa qu'il

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allait tre dcouvert. Aussitt il grimpa avec clrit sur un meuble, puis de l dans l'troite ouverture ornant le plafond. L'orifice bant se coudait quelque peu, remarqua Nudd dans les tnbres de l'endroit, mais cela lui permit de s'agripper un minimum aux parois glissantes. Pour la dernire fois, s'exclamait une voix grave et tonnante, rocailleuse et roulante comme celle du tonnerre, acceptez d'tre mon pouse, jolie jeune fille, et je vous comblerai de cadeaux. Vous tes si belle ! Sachez-le, je vous aime. Il n'en est pas question ! lui rpliqua une voix pointue et alerte, le coeur de Nudd la reconnaissant immdiatement en bondissant dans sa poitrine, manquant d'ailleurs lui faire perdre son quilibre. Je ne vous aime pas et vous tes laid, d'ailleurs, vous sentez de la bouche. Oh ! lcha avec des accents scandaliss l'inconnu. Cruelle ! Je me suis soigneusement lav la source d'un ruisseau, et j'ai mch des clous de girofle n'en plus finir ! Dans l'troit conduit Nudd tenta dsesprment de conserver sa prise mais en vain, l'inclinaison du boyau venteux dans lequel il se trouvait cach finissant par lui tre fatale. Il chuta lourdement dans la pice, une voix hurlant en le dcouvrant. Qui va l ? rugissait-elle. Ae ! rpondit Nudd avec -propos.

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Chapitre

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Vraiment, Arielle, la gourmanda avec une mine svre mais pas trop Nudd le chat, revenu par le hasard des choses de la vie en compagnie de sa jolie matresse, vous avez fait l une grande sottise. La preuve : vous tes maintenant prisonnire de ce Morock singulier, et ses allures comme son langage ne me disent rien de bon. Si je n'tais pas partie de moi-mme, jamais mes frres n'auraient accept mon dpart, se dfendit Arielle en ramenant machinalement sur son paule une longue mche de cheveux noirs. Et je voulais connatre l'aventure. Vous voil servie, matresse, renchrit Nudd en fixant les alentours o ils se trouvaient avec une mine renfrogne. satit ! Tous deux taient dans une pice close de la demeure immense creuse dans les entrailles de la montagne, o se trouvait le foyer du mystrieux Morock. Il y avait des barreaux dans une petite fentre laissant voir l'extrieur, si loin et si proche la fois, et l'on pouvait distinguer par l'ouverture des pans de ciel bleu, aprs la tempte de la journe prcdente. Les murs taient de pierres compactes, et sur le sol froid il avait t dpos des tapis par leur gelier, en signe malgr tout de clmence, probablement pour Arielle, songeait amrement Nudd. Il y avait un banc contre le mur, sur lequel Arielle, en dsespoir de cause, vint s'asseoir. Nudd le chat l'imita et se percha sur ses genoux, communiant avec les soucis de la jeune femme, ses regrets, et ses craintes. Arielle n'avait pas chang d'un pouce depuis la disparition de Nudd combien elle avait pleur de sa disparition, et comme longtemps elle l'avait cherche ! et elle tait toujours aussi ravissante. Avec ce petit quelque chose en plus ajout au charme des jeunes filles par le passage des annes, celui-ci dployant leurs atouts en ciselant leurs traits. La matresse de Nudd portait des vtements sombres contrairement son habitude, ralisa le chat, mais sans doute avait-elle voulu voyager sans avoir se soucier toujours de l'tat de ses habits. Elle tait chausse de bottillons et de braies en solide tissu, souple et confortable, et se trouvait

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revtue d'un tricot aux motifs sylvestres sous un court manteau de voyage. Son teint de peau immacul, son visage, par sa finesse et douceur, tait l'image d'un came. Ses yeux noir vif et rieurs semblaient rveurs, mme si des penses tristes paraissaient s'y tenir en arrire-plan, comprit Nudd dont l'habilet pour scruter le coeur de ses proches tait reconnue. Les longs cheveux corbeaux de la jeune fille taient retenus en arrire par un ruban de soie, quelques mches rebelles s'chappant de son treinte pour retomber sur son front, lui donnant un air frondeur et songeur tout la fois. Arielle avait embelli, elle tait ravissante, ralisa Nudd en se demandant comment diable une telle mtamorphose avait-elle pu s'oprer en un laps de temps si court, car enfin, ils n'avaient pas t spars par une priode infinie. Alors Nudd eut une grande pense, une authentique rvlation. Les jeunes filles ne grandissent pas le jour, au vu et au su de tout le monde, mais seulement la nuit, lorsque personne ne les observe, chacun dormant du sommeil du juste. Au matin chacun s'interroge et s'tonne avec surprise, n'en revenant pas d'un pareil accomplissement. Nudd mdita sur l'importance d'une dcouverte si primordiale, et se promit d'y rflchir plus soigneusement par la suite. Mais, lui vint-il l'esprit, Arielle tait dj extrmement belle auparavant, et cette grossire incongruit dans son raisonnement esthtique fut cause du trbuchement de ses penses, ces dernires s'embrouillant de manire irrmdiable en lui faisant oublier sa rsolution premire. Il n'eut plus jamais l'occasion d'y revenir afin d'approfondir tout cela, et aujourd'hui encore nul ne sait vraiment quelle activit mystrieuse se livrent les femmes pour s'embellir, lorsque le dsir leur en prend, et chaque mle normalement constitu se perd en conjectures ds qu'elles s'enferment dans leurs quartiers. Mes frres taient inquiets de ton absence, eux aussi, lana tout coup Arielle en brisant le silence dans la pice austre, et ils se lamentaient de ne plus te voir, ils n'avaient encore jamais eu de messager comme toi. Ils te regrettaient sincrement. J'en suis navr, vraiment, lui rpondit en miaulant doucement Nudd, et je l'espre, nous aurons bientt la possibilit de les revoir de visu. En effet, il va me falloir vous ramener chez vous, matresse. Vous comprendrez cela, j'espre, poursuivit Nudd. Je ne t'en voudrais pas le moins du monde, avoua la jeune femme en arborant une expression lasse, je suis puise des longues errances venteuses de par les mondes, et je ressens le besoin d'une pause. Il me manque l'atmosphre chaleureuse de ma Demeure des Vents, et ma

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chambre me semble bien confortable par rapport l'endroit o nous nous trouvons ici. Oui, Nudd, grand est mon malheur, acquiesa Arielle en se penchant vers son chat crme et blanc, et je dois le reconnatre, tu m'avais pourtant mise en garde. Je ne vous le fais pas dire, lcha le chat en soupirant bruyamment. Nous voici dans les ennuis jusqu'au cou. Et dieu sait si j'ai horreur de cela. Tu as raison, mon joli petit chat, dclara la jeune femme en caressant Nudd pensivement. Mais au moins dans mon malheur je t'ai retrouv, et avec ta prsence je ne serai jamais seule. Matresse, lui reprocha Nudd, je vous interdis d'tre triste. Cela m'empche de rflchir, assura-t-il aprs un instant de silence. Sur ce la porte de bois massif s'ouvrit en grinant, et Morock se tint dans l'entrebillement. Il tait de haute taille et son crne manquait de peu la vote arrondie de la porte, son ventre faisait saillie par dessus une ceinture de boucle de cuivre tincelante, et une culotte de cuir tann recouvrait ses jambes arques et massives. Il portait des bottes de fourrure d'une blancheur clatante, et une chemise en toile rugueuse ceignait son torse large. Ses traits taient rudes mais non dpourvus de finesse, songea mentalement Nudd, ses yeux gris fixant alternativement la jeune Arielle ou bien le chat sur ses genoux. Ses sourcils broussailleux taient bien prs de se rejoindre, sur son front, remarqua Nudd, fascin par la luxuriance de sa chevelure : elle dgringolait sur ses paules en longues boucles torsades. Vous voil bien amis, s'tonna Morock en dsignant de l'index le couple assis sur le banc. Pourtant vous m'aviez assur ne pas le connatre d'aucune manire, mchante Arielle. C'est la vrit, affirma la jeune femme sans cesser de serrer Nudd contre son coeur. Et je ne suis pas mchante ! a, c'est vrai ! s'exclama son tour Nudd, ne pouvant s'empcher de dfendre sa matresse. Simplement, je ne vous aime pas. D'ailleurs vous me retenez prisonnire. Voil ! Et puis nous avons sympathis. C'est vrai ! dit encore Nudd. Je sympathise trs vite. En fait, j'ai bien connu sa mre, voyez-vous, Mordock ? rajouta encore Arielle. Morock, prcisa violemment le susdit, cruelle et perfide ! Vous faites un mauvais procs cette jeune femme, articula avec le plus grand calme Nudd en fixant leur gelier. Elle n'est rien de tout cela,

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car elle est nantie des plus hautes valeurs morales. En plus, elle a bien connu maman Nudd fit mine de s'apitoyer sur des images anciennes. Ah, doux souvenirs ! mentit-il effrontment. Il suffit, je n'en supporterai pas davantage ! s'emporta violemment le matre des lieux. J'ai besoin d'une rponse claire, et surtout positive ! En un mot, je vous somme de devenir mon pouse, et d'y consentir librement. La force ne sied point ce genre d'affaires. Du contraire ? interrogea Nudd en le fixant avec inquitude. Du contraire, reprit Morock, je vous exilerai dans mes Caves, situes au trfonds de ma demeure montagneuse, et je vous assure, il ne fait pas bon s'y trouver. Une obscurit ternelle y rgne, et des rumeurs tranges s'y font parfois entendre. Morock recula de trois pas, se tenant firement dans l'entrebillement de la porte. Je vous donne jusqu' demain pour y rflchir, fire et cruelle Arielle. Ce soir je vous servirai personnellement votre repas. La porte de bois imposante fut referme bruyamment et un silence lourd rgna en cho dans la pice. Arielle semblait pensive : Nudd le chat ne l'tait pas moins. Quelle dcision prendras-tu, Arielle ? finit par lui demander son ami le chat. Je ne vais pas accepter, je crois, mme si je ne trouve pas ce Morock si repoussant, au fond, soupira la jeune femme. Mais il veut me contraindre et je ne peux l'accepter. Ce genre de choses doit tre un acte mutuel librement consenti, et un mariage forc n'est pas un mariage d'amour. Jamais. Elle jeta un regard circulaire sur leur cellule blafarde, avec la haute fentre munie de barreaux, de laquelle s'coulait la luminosit du reste de l'aprs-midi. Et cette union ressemblerait la pice dans laquelle nous nous trouvons, conclut doucement Arielle. Bravo ! miaula Nudd avec une nergie feinte, voulant par l distraire sa matresse de sa mlancolie et de son accs de langueur. Cherchons donc une chappatoire, avant de nous retrouver dans cette horrible Cave. Cherchons. Et, ma foi, nous trouverons. Durant quelques instants Nudd le chat fut la proie d'une excitation frntique, s'agitant de toutes parts dans leur troite prison jusqu' enfin, comme s'y attendait Arielle, puisqu'elle n'avait pas boug d'un iota, s'avouer vaincu. Nulle issue salvatrice il n'avait pu dcouvrir dans aucun

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recoin, et le soir venait. N'eut t ses yeux de chat, il aurait d s'avouer vaincu depuis un moment dj. Tu vois ? grommela Arielle en balanant ses pieds depuis sa couchette. Je le savais dj, c'tait inutile. Seuls les faibles et les couards se laissent aller au dcouragement, argumenta Nudd en refusant de reconnatre l'inanit de ses efforts. Toujours il faut faire preuve d'obstination, et de tnacit dans l'effort. Pour quel rsultat ? grina Arielle son adresse avec une pointe d'acidit. Visiblement, l'abattement de sa matresse tait irrmdiable, nota Nudd avec peine, mais cet instant on toqua distinctement leur porte et d'tonnement, chacun regarda l'autre fixement. Qui va l ? miaula Nudd d'instinct, sans prendre la peine de rflchir ni de raliser l'tranget de la situation. C'est moi, Morock ! nona la voix de ce dernier travers le battant de la porte. Et ayant ouvert nouveau cette dernire, il se prsenta ses prisonniers avec une allure bien moins martiale cette fois-ci. Pourrais-je me rfugier dans votre cellule pour la nuit ? les suppliat-il d'une voix tnue. Il vient des bruits tranges de mes Caves, et ils sont en train de se rpandre dans ma maison. Comment ! s'tonna alors Nudd, saisissant promptement la balle au bond. Et vous laisseriez des inconnus s'emparer de votre demeure ? Mais il vous faut ragir, mon ami ! Je suis seul, et je n'en ai pas, justement, d'amis, lcha d'une voix abattue le sieur Morock. Avec vos vilaines manires, le contraire serait surprenant, dclara Arielle en prenant d'emble la direction des oprations. Allons, vous n'tes pas si solitaire, puisque nous sommes l, nous. Nous allons vous aider. Parfaitement, dit son tour Nudd en suivant Arielle, cette dernire quittant leur cellule d'un pas dcid. Tout d'abord, il vous faut fixer votre adversaire dans le blanc des yeux, et lui dire crnement Mais je ne le connais pas ! se dfendit Morock en suivant ses anciens prisonniers avec difficult. Des sons curieux ont commenc voici quelque temps hanter mes Caves, jusqu' prsent obscures et glaciales, silencieuses, et maintenant ils se rpandent dans les parties basses de ma demeure. Dans ce cas, avant toute chose il nous faut d'abord mettre jour ce mystre.

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 Aprs, il nous sera toujours possible d'aviser, trancha Nudd. Mais il tait loin en fait d'tre si vaillant, et cette maison dans le coeur de la montagne lui paraissait bougrement sombre et inquitante Par des couloirs et des escaliers, lentement et avec prudence, presque ttons, puisquen ce lieu l'obscurit tait de mise, le trio ainsi constitu s'achemina par des pices dsertes au mobilier ancien, nanties de voilages et de vastes rideaux lorsque des fentres trouaient la paroi de la montagne. Bientt Arielle, puis Nudd estimrent plus prudent de se munir d'une source de lumire, et avec la meilleure volont du monde Morock leur fournit une lampe de cristal et de cuivre, dgageant tantt un halo de lumire rassurant. Les pices succdrent aux couloirs lambrisss et aux recoins secrets, mais jamais ils ne purent y croiser personne. Nudd le chat en vint raliser le triste sort de Morock, et il finit par le plaindre de sa situation lamentable, mme s'il n'excusait d'aucune manire son comportement vis--vis de sa matresse. Le temps ayant pass depuis le dpart si opportun de leur cellule, il leur vint aux oreilles, effectivement, la rumeur d'une trange activit. Et, corroborant ainsi les paroles de Morock, cette dernire n'tait pas fixe et paraissait cesser, puis reprendre de nouveau quelque distance de l. C'tait, pour ainsi dire, un mlange de crissements et de couinements, avec un brouhaha de petits bruits vifs et secs, comme si l'on frappait avec des objets pointus sur une surface dure. Vous voyez ? leur lana Morock, franchement inquiet. Cela dure depuis plusieurs nuits, et c'est insoutenable. Dans les Caves murmura songeusement Arielle, sans cesser de tenir bout de bras la lanterne de cuivre. Oui, tout a commenc partir de l, rvla leur ravisseur en fixant avec inquitude un point invisible situ sous leurs pieds. Qu'allons-nous faire ? Mais, lui rpondit Arielle en le fixant avec des yeux rieurs, aller constater tout cela de prs, voyons ! En la suivant le long d'escaliers glissants et tourbillonnants, Nudd le chat, lui-mme talonn par Morock, maudit mille et une fois ce got du risque et de l'aventure dtenu par sa matresse, qui l'obligeait endurer les situations les plus prilleuses. Puis tout ses cogitations il remarqua la lgre avance prise par sa matresse sur lui, et il dut trottiner vive allure pour pouvoir la rattraper. Finalement il la rejoignit au terme d'une spirale d'escaliers effrayants et sombres, n'eut t la lanterne brandie par la jeune femme, et dans le cercle lumineux apparut une porte de bois noir, orne en son centre d'un anneau de mtal rouill.

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 Nous voici aux portes de mes Caves, annona peureusement Morock, et disant cela il se tenait en retrait, derrire l'angle de l'escalier de pierre menant aux soubassements de sa demeure. Avec un courage et un aplomb frisant l'inconscience, jugea intrieurement Nudd, la jeune Arielle repoussa en arrire la porte. Il se dvoila eux un spectacle curieux. Il y avait par-del les soubassements vots des lumires clignotantes dansant dans les tnbres, et il se faisait entendre la curieuse musique aux vibrants chos ayant tonn si fort le matre des lieux, Morock, depuis les hauteurs de sa maison. C'tait une succession syncope de haltements, de bruits touffs et d'autres encore vifs et prcipits, et, dcouvrit galement le groupe, il s'y mlait des voix humaines, nasillardes ou aigus, mais jamais graves ou bien effrayantes. Du coup Arielle talonne par Nudd perptuellement sur ses gardes, savait-on jamais s'avana dans l'antre tnbreux s'tendant sous la demeure montagneuse, et, descendant les marches luisantes d'humidit menant sur le sol de pierre, le couple marcha dans l'obscurit la plus totale. Morock les suivait avec prcaution distance, puis aprs avoir dpass de solides piliers taills dans le roc Arielle se dirigea vers la source de tintamarre la plus proche. Ils dcouvrirent d'abord quelque chose d'assez effrayant, puisque l'entit tait pourvue d'yeux l'clat tincelant se mouvant sans cesse, puis la jeune femme ralisa la nature de l'agitation devant elle, et elle clata d'un rire cristallin, rsonnant dans toutes les Caves noires et faisant s'interrompre la si mystrieuse activit. En fait, il s'agissait d'un groupe de bruyants gnomes des Petites Gens, travaillant avec acharnement le coeur de la montagne afin d'en extraire les richesses. Apparemment, ils ignoraient encore la prsence au centre du massif montagneux de la demeure opulente et immense de Morock. Et cause de cela l'habitant irascible de la maison y avait gagn quelques frayeurs, et bien des nuits blanches. Mais les Petites Gens barbouills de la noirceur de la terre s'taient aperus de leur prsence, et celui se tenant le plus prs du groupe se retourna vers eux. C'tait bien un gnome, car ses proportions taient des plus rduites, mme si ses traits taient ceux d'un adulte, quelque peu rbl par un travail pnible. Il portait encore la main le pic noir dont il usait pour briser les roches, et sur la tte un casque de feutre orn d'un diamant, capable d'irradier une vive lumire afin d'aider son propritaire dans sa besogne. Le gnome s'essuya maladroitement les mains sur son tablier de cuir, les saluant d'un geste amical, quoique son expression ft tonne.

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 Bonjour, jolie dame, et vos compagnons aussi, pour sr, nasilla-t-il vers eux. Mais vous avouerez, la rencontre est cocasse. Travailleriez-vous dans les mines, vous aussi, jolie dame ? lui demanda un deuxime gnome, se joignant au premier. Ce serait imprudent car c'est une vocation dangereuse, renchrit un troisime, dont le diamant brillant perait les tnbres ambiantes avec efficacit. De plus, vous y abmeriez vos jolies mains, pour sr. Pour sr, opina de nouveau le premier s'tre exprim. Le plaisir de notre rencontre n'est pas partag par l'ensemble des personnes se trouvant ici, je le crains, pouffa Arielle en fixant les travailleurs souterrains formant un cercle autour d'eux. Il me semble, messieurs, dclara-t-elle aux gnomes des Petites Gens, que tout votre travail vous n'avez pas observ convenablement la nature du lieu vous entourant Allons bon, donc ! lcha l'un des mineurs cavalirement. Un dtail nous aurait-il chapp ? Parfaitement ! rugit cet instant Morock en s'interposant au milieu du groupe. Dans ma demeure, parmi mes sombres Caves, vous forez vos fichues galeries depuis plusieurs jours dj ! Sans la moindre permission ! Survint un moment de surprise intense pour tous les gnomes, et chacun de fixer son voisin avec surprise, d'autres dtaillant les environs l'aide de leur lampe magique, sur la tte. Quelques instants s'coulrent, durant lesquels Morock ne cessa de vituprer aprs le sans-gne des Petites Gens, et leur lgret dans la poursuite de leurs tches. Finalement, suite un examen semble-t-il plus attentif les gnomes se consultrent voix basse, plusieurs revenant vers le groupe. L'un des Petites Gens leur parla d'un ton pos. Nous avons, dirait-on, commis quelques erreurs d'apprciation lors de nos travaux d'approche, reconnut-il. Nous pensions nous trouver dans une caverne souterraine, il n'en est rien, apparemment. Comment avez-vous pu ne pas vous apercevoir de votre mprise ? s'tonna alors Nudd le chat vers les gnomes, dansant maintenant d'un pied sur l'autre avec gne. Du rendement, du rendement, toujours du rendement ! expliqua d'une voix faible l'un des gnomes. Rsultat, on ne prend plus le temps de rflchir. Et on commet des erreurs fatales. Mais cette msaventure explique bien des choses. En particulier, la pauvret gologique de l'endroit, rvla un autre.

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 Messieurs, je vous somme de partir ! tonna alors Morock en retrouvant aprs coup toute sa superbe. Et je vous engage rparer vos brches dans mes Caves, avant de disparatre jamais ! Ce sera fait, sans faute, lui assura d'une voix douce l'un des gnomes. Vous n'entendrez plus jamais parler de nous Pour sr ! Et nous ? interrogea Arielle, et s'exprimant de la sorte elle tenait toujours sa lampe de cuivre dor au bout de sa main haut place. Seronsnous libres enfin ? Disant cela, elle s'tait visiblement adresse Morock. Ce dernier l'coute de ses paroles s'tait redress, les gnomes, contrits et penauds avec leur oeil de cristal sur la tte, s'en repartant dans l'obscurit des Caves, vers les ouvertures fores par eux dans la maonnerie, sans mme s'en apercevoir. Ne croyez pas avoir gagn au change du fait de cet interlude, tendre et jolie Arielle, la mit-il en garde. Vous allez retrouver immdiatement votre cellule, et n'en ressortirez pas avoir d'avoir accept de m'pouser. Votre chat sera le tmoin de notre union, il en sera ainsi. Arielle avait mis sa main droite sur ses yeux de dsespoir, et l'autre tenant la lanterne elle avait vacill dangereusement. Nudd miaula de colre en se prcipitant sur Morock pour le griffer : mais celui-ci lui assna un violent coup de pied, et l'envoya proprement voler au loin. Lorsque Nudd retrouva ses esprits, la scne avait chang du tout au tout. Les Petites Gens avaient t les tmoins de l'algarade, et ayant pris fait et cause pour la jeune Arielle ils avaient ragi en consquence. Morock subissait les assauts d'une meute de gnomes furieux, et certains avaient grimp jusque sur sa tte o ils assnaient de violents coups de poing sur son crne, et d'autres pitinaient en hurlant les pieds du matre de cans, gmissant de douleur sous cette attaque soudaine. L'un des Petites Gens s'tait dirig vers les prisonniers affligs et leur avait dcoch, dans l'obscurit des Caves mais sous l'clat de sa lumire magique, un large sourire. Laissez l votre faible lampe, mademoiselle, dit-il Arielle, depuis un moment dj elle s'est teinte. Venez donc avec nous en compagnie de votre chat, mes amis ne pourront pas retenir cet affreux personnage encore longtemps. Venez, venez ! Ayant entendu cela la jeune Arielle et le chat Nudd, encore tout tourdi du coup reu sur la tte, s'engouffrrent sa suite dans l'obscurit la plus totale, et seul l'clat blanc et pur de la gemme prcieuse ornant son casque leur permettait de distinguer le chemin. Bientt le silence les entoura, puis des clats de rire et des exclamations fusrent. Les gnomes

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avaient cess de s'occuper du triste sire de Morock, et s'en taient retourns dans les profondeurs de leurs cavernes derrire eux. Dj les murs aux moellons massifs avaient disparu, avec la brche bante pratique par les Petites Gens. Des parois gristres aux plafonds bas, tays distance rgulire de tronons de bois s'tiraient sans fin et quelquefois, Arielle tait oblige de se pencher pour ne pas se cogner la tte la vote du boyau. Ce Morock n'a-t-il pas t trop ennuyeux ? s'enquit finalement l'un des gnomes les entourant, et mis au courant de leur situation par Nudd. Non, lui affirma Arielle en ramenant en arrire l'une de ses longues mches. Je crois la solitude seule responsable de son geste, et si je devais le punir je ne l'accablerais pas avec une svrit excessive. Une remontrance serait plus adapte, je crois, au lieu d'un lourd chtiment. Chemin faisant le long de couloirs pierreux les prsentations furent faites, et Arielle accompagne de Nudd ralisa combien les gnomes taient des gens aimables et forts civils, avec en plus des personnalits bien tranches et un caractre souvent amne. Ils taient diserts et joyeux, hbleurs et bavards au possible. Arielle est votre prnom, m'a-t-on dit, lanait l'un, il est charmant et ravissant, pour sr ! Votre chat est un vritable aventurier, par ma foi, ajoutait un autre. A-t-il vraiment t le messager de vos quatre frres, les vents du monde ? Allons, allons, s'exclama un troisime, en tte du cortge depuis un moment, alors qu'un long chemin venait d'tre fait et plusieurs embranchements dpasss. Notre invite et son ami doivent tres fatigus de vous entendre et doivent aspirer seulement une chose, le repos. Pour sr ! Aussi taisez-vous, nous arrivons dans notre cit. Ayant dit cela le couloir dcrivit un coude, et se dvoila devant le regard d'Arielle et de Nudd la vision merveilleuse de la ville des Petites Gens. Elle tait souterraine, bien entendu, et devait se trouver au pied de la montagne dans laquelle se situait la demeure de Morock. Il y avait l une grande, une immense cavit, avec des pitons rocheux descendant de la vote en scintillant vivement, car il tait incrust sur leur surface des gemmes rutilantes dgageant une intense lumire. Une rivire souterraine l'onde noire jaillissait d'une lointaine paroi, presque l'horizon, pour s'en aller traverser la salle dmesure et disparatre en une faille bante, de l'autre ct de l'espace dgag. Des chemins sinueux sillonnaient la vaste caverne, donnant accs des ouvertures menant en d'autres lieux, loin du berceau de la cit des gnomes.

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 Voici l'Ysle-sous-terre, finit par lcher l'un des gnomes escortant Arielle et Nudd, des Petites Gens de l'endroit venant vers eux avec sur le visage une expression de surprise. L'Ysle-sous-terre tait vritablement une cit de Petites Gens, strictement identique une agglomration humaine, mais une chelle moindre, tout y tait plus petit. Aucun dtail ne manquait pourtant, et rien n'aurait pu la faire passer pour infrieure une cit des hommes, bien au contraire. La grce et la beaut n'taient pas le moins du monde absentes de ses faades ou bien de ses ornementations, et chaque maison de pierres aux tuiles blanches, chaque demeure aux colonnades prcieuses et aux fentres de verre color tait apte supporter la comparaison son avantage. Oh ! se rjouit Arielle en portant Nudd dans ses bras, au fur et mesure de l'avance de leur groupe vers la cit, empruntant pour cela un pont de pierre enjambant la rivire aux noires eaux. C'est une adorable petite ville ! Chaque gnome du groupe avait rosi d'motion et rougi de fiert, car c'tait vrai et cela ne constituait d'aucune faon une flatterie inutile. L'Ysle-sous-terre des gnomes tait vritablement un bijou, et des gnrations de Petites Gens avaient oeuvr son dification et embellissement, sans cesser de s'escrimer la tche ni relcher jamais leur effort. Il n'y avait pas de murailles pour ceinturer leur cit, expliqua un gnome, la montagne constituant elle-mme la plus puissante fortification pouvant se btir jamais, et cela suffisait amplement leur protection. Il se dressait l des maisons aux petits toits de porcelaine avec des lucarnes de verre, et d'autres dotes de toitures tarabiscotes montant en s'enroulant sur elles-mmes. Ces dernires brillaient et tincelaient sous la lumire provenant des pitons rocheux, tout au dessus des ttes, et on aurait cru leurs tuiles de cristal ou bien de toute autre matire thre. Dans l'Ysle-sous-terre avana le groupe, une nue de gnomes joyeux et rjouis par leur prsence escortant Nudd le chat et Arielle, dont le coeur tait rchauff devant tant de gentillesse et d'amabilit. La tte d'Arielle, vrai dire, ne devait pas tre loin des toits des maisons les plus basses, mais cela ne la gnait pas outre-mesure en lui permettant de distinguer au mieux les particularits architecturales de l'endroit. Souvent Arielle attira l'attention de Nudd sur tel mur de briques ciseles, ou bien sur un jardin particulirement esthtique et odorant, ou mme sur un balcon gracieux au-del de toute mesure. Et Nudd rpondait aux " Oh " et aux " Ah " d'Arielle par un miaulement approbateur, jusqu' ce que cette

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dernire lui indique une taverne la devanture masque sous des plantes grimpantes meraude, et Nudd resta coi de surprise. Il se trouvait l par le plus grand des hasards des tres Humains et non plus des Petites Gens, dcouvrit avec stupeur Nudd, et ces tres Humains taient au nombre de deux : il s'agissait en l'occurrence de Jean de la Lune, le vagabond de la Terre perdu de vue depuis, oh, une ternit ! et d'Andromde, l'Amazoon. Non loin d'eux tait Tagor, le chien noir la queue et aux oreilles coupes, et il aboya joyeusement l'approche d'Arielle et de Nudd, au milieu d'une nue de gnomes papillonnants.

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Voil comment s'est pass notre priple, termina le vagabond Jean de la Lune, aprs avoir termin la narration de leur voyage jusqu'aux cinq petites franaises, que pour leur part ils avaient manqu rejoindre d'un cheveu. Andromde l'Amazoon au mystrieux sourire avait hoch du menton aux paroles du vagabond aux habits de voyage crotts, aux longs cheveux d'or. Tagor le chien avait opin pareillement vers son matre, prs duquel il se tenait. Devant la taverne des Petites Gens tait attabl tout ce beau monde, avec la jeune Arielle et le chat Nudd, ce dernier tant revenu vers le groupe aprs une courte frayeur la vue du chien. Il s'tait souvenu du bon comportement de Tagor en compagnie des chats, contrairement au reste de la gent canine. Ils se trouvaient devant une table spcialement conue pour les tres Humains, car la diffrence du reste du mobilier de la taverne, il tait, pour les Petites Gens, de dimensions extraordinaires, mme s'il convenait peine Jean de la Lune, Andromde l'Amazoon ou bien Arielle. Nudd le chat se pelotonnait sur les genoux de sa matresse, et Tagor aprs une longue immobilit aux pieds de Jean de la Lune venait de reprendre une sarabande infernale dans les environs. Dsormais parfaitement au courant des embches affrontes par Jean de la Lune en compagnie de l'Amazoon Andromde, comme des tendres liens nous entre eux, le chat caramel et blanc estima de son devoir d'informer leurs amis de leurs avanies, puisqu'ils poursuivaient un dessein identique. Ou du moins pour la plupart d'entre eux, se morigna mentalement Nudd, puisque s'il dsirait librer les cinq petites filles, et ne plus se sparer jamais d'Arielle, la jeune femme souhaitait avant tout rencontrer l'aventure. Mais aprs tout, se trouvait-il un meilleur moyen pour elle de ramener sur Terre les cinq petites franaises, et d'en garder un souvenir blouissant ? Assurment il ne saurait y avoir de priptie suprieure celle-l, et elle pourrait ensuite en toute quitude se terrer dans le Berceau des Vents jusqu' la fin de ses jours, en compagnie de Nudd, il va de soi, songea in petto celui-ci.

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Gardant mentalement dans un coin de son esprit cette somptueuse hypothse, Nudd entreprit de raconter par le menu son chemin depuis leur sparation mystrieuse, et il expliqua comment il avait fait la rencontre de la jeune fille, et la charge de messager des quatre vents du monde assigne par les frres d'Arielle. La rencontre avec une famille de dragons voyageurs, et la chute de Nudd du dos de l'un d'entre eux, le plus g et vnrable, ses retrouvailles avec un bataillon expditionnaire du Chamagnon Tigr, puis la jonction avec les ambassadeurs du preux Charlemagne, guids par Iolo le Tnbreux, l'envoy de la Ligue des Magiciens de la Terre. Quelle joie d'entendre parler d'eux nouveau ! se rjouit sincrement le mendiant du royaume de France, en interrompant le discours de Nudd. Et chacun se porte comme un charme, je puis vous l'assurer, lui affirma Nudd. Il poursuivit une allure soutenue le reste de leurs aventures, et en plus de l'Amazoon Andromde et du croquant aux longs cheveux d'or, les coutaient en buvant littralement ses paroles toute une assemble de gnomes et de trolls venus se rjouir avec leurs amis la taverne de l'Yslesous-terre. Tout cela constituait un cercle attentif poussant des exclamations rgulirement, lorsque l'action mritait d'tre souligne, et le comble de l'ahurissement fut atteint quand Nudd expliqua comment Iolo le Tnbreux, envoy par la Ligue pour venir en aide aux ambassadeurs terrestres, les avaient fait parvenir jusqu'au mystrieux et impntrable Royaume des Ombres. En dpit d'un accueil froid, ils avaient pu parvenir obtenir d'importantes rvlations sur la situation des fillettes, ravies tratreusement par les Cavaliers, on ne savait trop pourquoi. Sur les eaux glaces d'Alcyon lcha songeusement le vagabond en grignotant l'ongle de son pouce. Et un dragon d'or les survole poursuivit Andromde songeusement. Ceci est intressant plus d'un titre. Pourquoi cela ? demanda alors Arielle, et l'on voyait bien que la majorit des Petites Gens coutant leurs aventures partageait cette opinion. Pour une raison bien simple, expliqua Andromde aprs avoir remis en place une de ses mches bleutes, et je vais vous en dire le pourquoi Alcyon est un univers froid, de gel et d'hiver. Il se situe en des Sphres lointaines, prs des Limbes. Et les Limbes sont un monde bien particulier.

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 En quoi est-il si particulier ? interrogea un nain de l'assistance, son visage poupin encore tout barbouill du suif de la terre. Les Limbes sont un monde de passage, une Voie, d'aucuns diraient un chemin accdant s'interrompit-elle. ? la relana le mendiant du royaume de France, tout en lui saisissant tendrement la main. Oniria, rvla la sorcire noire aux cheveux de ciel bleu, dont les Limbes constituent la frange et la bordure immatrielle. Oniria est un univers clt par la Porte Sagamange. Vraiment ? reprit le vagabond. Cela me rappelle les paroles de la chouette, lorsque je doutais de la valeur de mon pe d'or Ce disant il jeta un regard intrigu sur son arme fabuleuse porte en bandoulire en permanence, lgue par les bonnes dames de la premire Demeure des Coeurs : une pe d'or la lame strie d'onyx, la garde de prcieux cristal cisel. Oui, l'approuva d'un regard la sorcire Amazoon, tu m'en as parl, les armes des lus ont peu de ressemblances avec celles des mortels. Cette pe ouvre la Porte Sagamange, t'a-t-on dit, et je veux bien le croire. Mais il nous faut retrouver les fillettes au plus vite, avant leur venue au terme des Limbes. Seuls les songes et les morts vont au-del de la Porte, elle possde comme tu t'en doutes un redoutable gardien. Ne serait-ce pas ce mystrieux dragon d'or dont nous ont brivement entretenus les ombres des petites franaises ? s'enquit Nudd avec inquitude. Andromde l'Amazoon donna corps ses angoisses en acquiesant de la tte. Hlas, si. Il s'agit de Zkull, le dragon d'or, gardien ultime des Seuils. Car Oniria est un royaume sacr. Si les petites filles par mgarde ou par erreur entrouvraient la Porte, il nous faudrait les considrer comme irrmdiablement perdues. Mais vous avez prtendu la Porte Sagamange protge par le dragon d'or ! s'insurgea Arielle, ne parvenant pas comprendre la logique de tout cela. S'il remplit son office de Gardien du Seuil, il empchera les fillettes franaises de franchir la Porte et tout ira pour le mieux ! Non ? Andromde l'Amazoon la regarda avec douceur et secoua ngativement la tte : ce faisant, ses lourdes boucles bleutes volrent de gauche et droite et parurent brivement lui constituer une couronne sacre, d'indigo et de saphir scintillant. Les choses ne sont pas aussi simples, lui expliqua la sorcire noire, la Porte Sagamange s'ouvre seulement aux songes allant peupler les

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mondes, et aux morts allants et venants sans trve. Or, de tout temps, les enfants ont entretenu d'tranges rapports avec les rves et les dfunts. C'est pourquoi je vous ai dit, et je vous le rpte avec force, si les cinq petites franaises franchissaient la Porte Sagamange, il nous faudrait les considrer comme mortes. Si le dragon d'or n'en a pas d'abord termin avec elles, bien videmment, conclut-elle lugubrement. Il y eut la suite de cela un silence pesant, respect par tous du premier au dernier, du ct des Petites Gens comme de celui des tres Humains. Puis finalement, l'un des elfes de l'endroit appel par les siens vint parler avec eux, sans doute devait-il dtenir un grade de bourgmestre ou quivalent, car il leur fit une proposition intressante. Voyageurs, nous vous avons accueilli en notre belle cit de l'Yslesous-terre avec joie et bonheur, et disant cela il avait paru s'adresser tout particulirement Andromde l'Amazoon et au vagabond du royaume de France, et lorsque vous tiez gars en de mauvais chemins sous la terre nous vous avons men chez nous. De la mme faon, nous avons agi ainsi galement pour la jeune fille et le chat l'accompagnant. Entendant de cette manire l'elfe raconter les circonstances dans lesquelles les Petites Gens avaient accept le trio dans leurs demeures, sous la montagne o rsidait galement Morock, Nudd le chat tourna la tte en direction du vagabond aux cheveux d'or mais ce dernier lui fit un signe d'attente discret, comme si une telle curiosit tait malsante en de pareilles circonstances. L'elfe reprenant son discours Nudd se le tint pour dit, se promettant cependant d'en apprendre davantage la premire occasion. Maintenant nous apprenons cette terrible nouvelle, et le danger encouru par des petites filles dont nous ignorons tout, assura-t-il. Bien videmment, puisque vos fatigues sont effaces, il va vous falloir reprendre la route au plus tt. Ignorant le but de votre long voyage, nous aurions t enchants de vous garder parmi nous longtemps encore. Mais nous sommes au courant du triste destin de ces filles, rien de cela ne peut plus tre dsormais, renchrit un autre des Petites Gens, un gnome rbl la peau ride et au teint bruntre. Il vous faut repartir. Et au plus vite, prcisa le premier s'tre exprim. La rivire noire traversant notre valle mirifique est l'Alambra, elle se jette dans une mer souterraine et obscure, elle-mme par un dtour secret aboutissant en un ocan extrieur. Voil la route suivre pour vous, elle vous vitera les peines et les fatigues pour atteindre la surface. Tout autre chemin serait puisant par ses tours et ses dtours, ajouta un autre.

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Ayant dit cela les Petites Gens demandrent aux tres Humains de les suivre, et puisquau fond c'tait bien l le but poursuivi par tous, Arielle ayant lch d'une voix tremblante vouloir suivre la troupe le plus longtemps possible, le groupe marcha jusqu'aux abords de la cit, o sur une plaine d'herbe douce s'coulait l'onde d'une rivire. Il se trouvait l un dbarcadre de bois branlant, et sur l'un des pontons tait noue l'amarre d'une barque effile, avec un mt central nanti d'une voile triangulaire, prsentement replie. Voici l'embarcation propose, expliqua l'un des Petites Gens avoir guid leurs pas, elle convient parfaitement des tres Humains puisqu'elle appartenait un enchanteur. Souvenez-vous en toute circonstance de nos paroles : l'Alambra se dverse dans la Mer Noire, elle-mme terminant dans l'Ocan de Brume. De l, rejoignez au plus vite les Limbes, par vos propres moyens. Et surtout, faites-nous bien la promesse d'embrasser pour nous les cinq petites filles, et de les ramener dans leur foyer. partir de l tout discours devenait inutile et les voyageurs remercirent les Petites Gens pour leur accueil et surtout l'aide apporte leur tche. Ayant grimp dans l'embarcation de bois le mendiant du royaume de France se mit la barre, et, lorsque l'quipage fut au complet, l'amarre fut largue et chacun se souhaita bonne chance pour les uns, bonne route pour les autres. Sur l'onde obscure se dandina la barque au gr du courant, et bientt l'Ysle-sous-terre s'amenuisa jusqu' disparatre. L'herbe des talus bordant la rivire continua dfiler autour d'eux, puis une gueule noirtre se profila au loin, grandissant sans cesse. Instinctivement, Nudd se serra contre sa matresse, cette dernire rentrant la tte dans les paules, et Tagor le chien la queue et aux oreilles coupes grogna sourdement. Mais Andromde l'Amazoon les rassura d'un fin sourire et retira de son corsage un mdaillon ouvrag, d'or et d'onyx serti. Le bijou dtenait dans son coeur une pierre de cristal pur, la nature lumineuse intense : elle dgageait un flot de blancheur dans la profonde obscurit se crant autour d'eux, puisque la barque venait de pntrer dans le tunnel emprunt par l'Alambra. L'Amazoon eut des paroles rassurantes pour les plus jeunes voyageurs, comme pour le chien noir Tagor, gmissant prs des jambes de son matre. Celui-ci calculait mentalement la hauteur de la vote rocheuse, craignant de voir le mt de leur barque frotter contre la paroi au risque de faire chavirer l'embarcation. Mais rien de cela heureusement ne survint, et avec un esprit davantage libr Nudd put enfin adresser la parole au vagabond du royaume de France.

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La garde de l'pe magique du vagabond irradiait elle aussi une vive lumire, et dans le puits de noirceur o voluait leur nef cette source d'clat supplmentaire n'tait pas ddaigner, assurment. Car des parois de roc suintaient d'humidit en se droulant autour d'eux, l'allure lente du courant les emportant, et grande tait la nuit dans laquelle ils se dplaaient. De temps autre, Jean de la Lune donnait un infime coup de barre, et leur barque reprenait la direction dsire lorsque par le hasard des choses la nef avait dvi de son cap. Nudd le chat grogna, toussa, puis finalement s'estima prt pour poser au mendiant la question le taraudant depuis dj un moment. En effet si Jean de la Lune et sa compagne Amazoon ne leur avait cach aucun dtail des innombrables tentatives mises en oeuvre pour rejoindre au plus vite les petites filles, ils avaient t bien moins diserts sur la manire dont ils avaient pu se retrouver dans les entrailles d'une montagne, sur Mais o taient-ils donc, au fait ? Jean de la Lune, mon ami, lui miaula Nudd le chat, sans quitter les genoux de sa bien-aime Arielle, vous nous avez informs des msaventures vcues dans vos recherches, et nous en avons fait de mme votre gard. Pourtant si vous savez parfaitement prsent comment nous nous sommes retrouvs dans la ville secrte des Petites Gens, nous ignorons par quel moyen vous avez pu nous y prcder. Est-ce par hasard, ou bien par calcul ? Le mendiant du royaume de France se retourna l'coute des paroles de Nudd le chat, et Andromde l'Amazoon l'imita en portant ses mains dlicates ses lvres, afin d'en masquer un sourire pouvant blesser les jeunes gens. En vrit, seule la fortune a pu expliquer notre rencontre, que je qualifierais pour ma part dheureux hasard, en raison de cette importante information dont vous nous avez fait part. Sachez donc, puisque votre perspicacit en a t titille, il est bien des voies pour atteindre un but, et d'aucunes passent par les airs et d'autres par la terre. L'arienne a t jusqu' prsent la route des ambassadeurs de la Terre : souterraine a t la ntre, car Andromde, ma douce et aime, matrise fort convenablement les chemins subterrestres, par sa magie ancienne et son savoir. Ayant dit cela il prit la main de l'Amazoon et la baisa dlicatement, ce geste ayant pour effet de clore les paupires de la sorcire noire. Lorsqu'elle les rouvrit, la sorcire reprit son tour la parole. Par les Trames, nous avons pu rencontrer l'Ermite de la Montagne de Couleur, mditant dans le sein de la premire plante de la Roue, du nom de Fortune. Dans l'obscurit des entrailles d'un monde nous avons

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affront l'Ogre Jean, et l'aide de Tagor nous a t prcieuse. Les renseignements extorqus l'Ogre nous ont permis d'avancer vers les petites franaises, et nous avons bien manqu les rattraper, affrontant ainsi leurs ravisseurs, les voyant clairement comme nous vous observons en ce moment, affirma-t-elle Arielle et Nudd. Mais la chance tait contre nous, lcha tristement Jean de la Lune, puisqu cet instant prcis, les cinq Cavaliers venant peine de prendre pied sur les Seuils Enchants, nous dmes nous colleter avec des trolls de la montagne. Le temps de dissiper le malentendu et les cinq Cavaliers s'taient enfuis bride abattue. Alors pour se faire pardonner leur malencontreuse intrusion les trolls sylvestres et hirsutes nous indiqurent le chemin d'une terre souterraine, en laquelle rgne un vent noir et froid nanti des plus grands pouvoirs, poursuivit l'Amazoon Andromde aprs avoir rabattu sur elle un pan de son large chle noir. Ils nous montrrent les sentiers accdant au coeur des royaumes du dessous, et nous les suivmes avec espoir. Mais nous nous sommes tromps de route, et nous n'avons pas tard nous perdre, nous garant bel et bien dans le lacis des chemins obscurs. L'aide de mon mdaillon lumineux, et la lumire de l'pe d'or nous fut d'un grand secours, mais nous n'en fmes pas moins soulags lorsque nous rencontrmes un groupe de Petites Gens s'en allant effectuer leur travail de mineur, au coeur des profondeurs. Ils nous menrent l'Ysle-sous-terre, o nous ncessitmes de plusieurs jours pour rcuprer de nos forces et recouvrer la sant, reprit le vagabond aux longs cheveux d'or, tout en accordant une caresse distraite au chien noir Tagor. L nous nous rencontrmes, sirotant paisiblement de la liqueur de lys bleu la taverne, sourit Andromde. Pour notre plus grand bonheur, car nous avons t enchants de faire votre connaissance, Arielle, lui ditelle doucement. De plus, les renseignements apports ont soulag mon coeur, ils lui ont donn enfin des raisons d'esprer. Qui sait ? Bientt peut-tre retrouverons-nous galement les ambassadeurs de la Terre, et nous tous nous pourrons dnouer la tragdie perptre en partie par mon peuple des Amazoons. Ayant dit cela un voile de tristesse avait obscurci son regard, Jean de la Lune se rcriant en lui interdisant de se laisser aller au dsespoir. cela renchrit Nudd en blmant les Cavaliers aux ordres de qui ? responsables du rapt des petites franaises loin de la route devant les mener aux Demeures des Coeurs, selon les traditions Amazoons. Lorsque l'on

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en saurait davantage sur cet abominable drame, il serait bien temps alors de distribuer les responsabilits chacun. Arielle pour sa part, comme le reste de ses compagnons, avait devin l'intense et profond chagrin d'Andromde et s'apprtait encourager mmement la belle sorcire noire lorsque sa bouche fit un de surprise, tant tait grande sa stupfaction. L'Alambra souterraine venait de jaillir de son long tunnel, et en une tendue dgage et immense leur barque mergeait enfin. Sur des eaux sombres, les eaux de la Mer Noire, Jean de la Lune dploya la voile triangulaire afin de la traverser au plus vite, mais les vents ne se bousculaient pas dans ce lieu ferm et souterrain. Aussi Arielle sous forme de brise douce quitta-t-elle la nef, et se mit-elle en devoir de faire office de vent maritime, si l'on peut dire. Matresse, je ne vous avais jamais vu encore sous votre forme olienne, s'tonna Nudd en miaulant ainsi vers Arielle, cette dernire volant en riant parmi les hauteurs. Trop souvent tu m'avais rattach la terre, lui dclara-t-elle en gloussant. Et comment crois-tu que j'ai pu voyager seule aprs avoir quitt le Berceau des Vents ? Je te l'avais pourtant dit. C'est vrai, reconnut Nudd d'un ton contrit, en baissant les oreilles. Tu ne m'coutes jamais, clata de rire Arielle en frlant ce dernier de son souffle. C'est encore vrai, probablement, soupira Nudd en se drapant firement dans sa dignit blesse. une allure soutenue, la nef la voile triangulaire vogua dans la nuit ternelle de la Mer Noire, et le pouvoir lumineux du pendentif d'Andromde leur fut d'un grand secours tout le long de la traverse. Des vagues sombres dferlaient sur la coque de bois, un sillage brillant suivant leur embarcation travers les tnbres. Nulle part, sans doute cause de la faiblesse de leur source de lumire, il ne leur fut possible de distinguer les limites de l'tendue marine. Andromde l'Amazoon la premire observa une intemprie mystrieuse se diriger vers eux. N'est-ce pas curieux ? lana-t-elle avec un air de doute et d'tonnement ml, une masse obscure et mouvante se profile au loin. Disant cela elle avait lev haut son pendentif de lumire, un cercle clair s'largissant autour de leur esquif perdu sur des vagues d'bne. Tu dois faire erreur, Andromde, lui rpliqua le mendiant du royaume de France, en observant les environs avec une expression inquite. Je ne vois rien autour de nous, seulement un vide pour le moins sinistre

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L'Amazoon Andromde s'chinait scruter l'indiscernable lorsqu'un cri leur vint des hauteurs o se trouvait Arielle, occupe jusque-l pousser leur embarcation. En effet un vent froid et mme glacial s'tait lev, faisant irruption en provenant de nulle part, agitant leur embarcation et faisant natre sur l'onde des milliers de vaguelettes agites. Il n'avait apparemment rien de naturel, car Arielle aussitt s'tait prcipite vers la nef, o elle avait repris son aspect de jeune fille humaine, gracieuse et effarouche. L'embarcation tanguait avec violence, une tempte souterraine venait de les rejoindre, comme en avait eu le pressentiment la sorcire Andromde sur la surface de la Mer Noire. Eh bien, Arielle ? l'interrogea avec une feinte surprise l'Amazoon, fronant ses fins sourcils afin de mieux appuyer ses paroles. Un coup de vent pourrait-il vous effrayer ce point ? Je suis bien place pour connatre les intentions profondes de chacun d'entre eux, les quatre vents du monde sont mes frres, ne l'oubliez pas, lui rpondit-elle. Et celui faisant s'agiter en ce moment notre nef est rien moins qu'inamical, il est noir et froid l'image du lieu o nous sommes, je lui devine mon gard des intentions dplaces. Encore ! miaula de dsespoir Nudd le chat. Nous n'en finirons donc jamais ! Vous auriez d tre ne laide et inintressante, matresse, dclara-t-il vers elle, ma tche en serait facilite d'autant ! Si tout cela tourne mal, vos quatre frres, Arion, Astrid, Zbor et surtout Edolon ne me le pardonneront jamais ! Andromde l'Amazoon, un faible sourire aux lvres, avait esquiss un geste d'apaisement vers les deux amis, un violent roulis faisant tanguer la nef. Un vent sifflant traversait les lieux, et par le plus grand des hasards leur embarcation paraissait se trouver en son picentre. Le tumulte olien augmenta, de plus en plus, les rafales hurlantes s'agglomrant en un maelstrm vertical, dont la fracheur extrme et la couleur de jais taient pour ainsi dire palpables. Avant mme que le vent de l'endroit commence s'exprimer Andromde l'Amazoon et son compagnon avaient trci leurs yeux, afin de mieux le distinguer. Puis le tourbillon tnbreux s'exprima, et chacun bord de l'embarcation ballotte par les lments comprit pourquoi Arielle avait excut une retraite si prcipite. Hors a ! Des tres Humains impudents franchissent mon domaine liquide, et pensent pouvoir le faire sans me ddommager ! Excusez-moi de vous interrompre ainsi, seigneur olien, mais ne seriez-vous pas l'Autan Ancien rgnant sur le Pays Souterrain ? s'enquit

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Andromde l'Amazoon. Voici quelques jours nous tions sa recherche, et nous nous sommes gars en le voulant rencontrer. Aprs un court instant de surprise le matre venteux de l'endroit s'adressa de nouveau aux occupants de la barque, sans toutefois radoucir d'un iota le ton de sa voix, dsagrable et grinante au possible. Il avait le ton de donner la chair de poule, et Nudd songea part lui qu'un morceau de craie crissant sur un tableau d'ardoise serait bien plus mlodieux aux oreilles. C'est bien le cas, en effet, convint-il, mais ne vous faites pas de vaines illusions sur mon compte. Nombreux sont ceux venant moi en qute de mon savoir, effectivement immense et sans borne, pour ainsi dire. Mais peu, trs peu d'entre eux, sont capables de m'en donner le prix exig. Chacun dans le navire la voile triangulaire arbora une mine attriste, leur recherche des cinq petites filles, et surtout leur dpart vers les Limbes, se trouvant retard d'autant. Malgr tout Nudd le chat ne s'avoua pas vaincu et interrogea le vent de la Mer Noire sur le prix demand pour ses services, mme s'il s'en doutait dj un peu au fond de lui. La rponse obtenue, hlas, ne le contredit pas. Habituellement l'or et la perle suffisent peine pour combler mes exigences, articula en s'apaisant l'Autan Ancien, mais je vois ici un diamant prcieux, valant lui seul les plus grands trsors. Cette demoiselle olienne elle est de ma race, je le vois bien restera ici avec moi, et je comblerai le plus exigeant de vos souhaits. Et n'ayez de craintes sur l'tendue de ma force, elle confine la toute-puissance. Il n'est pas question pour nous de nous prter un si vil marchandage, lcha d'un air dcid la noire Andromde aux cheveux clestes, et dans les tnbres de l'endroit son pendentif tincelant lui confrait un aspect surnaturel et pour ainsi dire inquitant. Nous sommes la recherche de cinq petites franaises, afin de les ramener au plus vite dans leurs foyers. Faire en sorte de les rendre heureuse en attristant jamais notre amie Arielle serait un pis-aller lamentable, conclut le vagabond du royaume de France, et disant cela il avait dgain son pe d'or, luisant doucement parmi la nuit souterraine de la Mer Noire. Observant son attitude l'Autan Ancien avait eu un rire grondant et vibrant, qui se rpercuta longuement la surface de l'ocan souterrain. Oh ! Oh ! Oh ! hoqueta-t-il bruyamment. Cela est risible au possible ! Cette jeune femme deviendra mon pouse trs bientt, lorsque ma volont l'aura dcid !

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 De cela il n'en sera rien, s'exclama une voix lointaine se rapprochant vive allure, je lui ai dj demand sa main, et il va de soi, je suis, bien avant vous, prioritaire ! Arielle et Nudd reconnurent avec tonnement la voix du sieur Morock, dcidment obstin jusqu' l'enttement. Puis les vnements s'acclrrent, car le vent vnrable somma Morock de partir, le traitant mme de paltoquet outrecuidant. Le susnomm rpliqua par le terme de cuistre dcrpit, voulant signifier par l le trop grand ge de l'Autan Ancien pour Arielle. Ds lors, le combat des vents s'engagea et la nef la voile triangulaire fut prise, dans la mer de tnbres, en une tempte pouvantable manquant bien l'envoyer par le fond, tant les rafales sifflantes fusaient de toutes parts, les gerbes d'eaux souleves par la violence du combat s'abattant drues sur les occupants de la barque. Plus d'une fois l'Amazoon Andromde crut son dernier instant venu, et serrat-elle avec force la main du mendiant aux longs cheveux d'or, le chat Nudd et Arielle communiant de mme, en compagnie du chien noir Tagor la queue et aux oreilles coupes. Le combat faisant rage dans les hauteurs entre Morock et l'Autan Ancien, puisque ceux-ci se disputaient avec ardeur la main de la belle Arielle, une arme de vents, le terme n'tait pas trop fort, survint depuis l'horizon jusqu'au thtre du combat. La mer souterraine tout entire survole par des souffles piaffants et furieux, l'Autan Ancien comme Morock cessrent leur pugilat, inquiets et craintifs. Que diable se passait-il donc ici ? semblaient-ils se dire l'un l'autre, en dpit de leur inexpiable inimiti. Arion ! Astrid ! Zbor ! s'cria la jeune fille en reconnaissant ses quatre frres dans le ciel obscur, au milieu de l'arme venteuse. Edolon ! termina-t-elle quand elle aperut la silhouette de ce dernier flotter prs de la barque. Bonjour tous et toutes, dclara laconiquement Edolon depuis les airs vers la belle et noire Andromde, cette dernire, malgr sa surprise, faisant un geste amical en direction des nouveaux venus. Quel grand plaisir est le ntre de te revoir saine et sauve, petite soeur, dit-il son adresse, nous nous inquitions pour toi. Mais Nudd prenait soin de ta personne, je vois. Oh, il a t si gentil ! assura-t-elle. Il ne m'a pas lch ds l'instant o nous nous sommes retrouvs ! Nous n'en doutons pas, affirmrent en choeur le reste des vents du monde.

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Disant cela ils s'taient ensuite tourns au milieu de la multitude des vents vers l'Autan Ancien et Morock qui, il y a peu de temps encore, bataillaient durement dans les hauteurs, mais ils n'taient plus l. Craignant par avance un combat ingal, en force et en nombre, ils s'taient clipss discrtement, dsunis dans l'affrontement, mais unis dans la droute. Petite soeur, reprit Edolon, nous sommes trs mcontents. Notre inquitude tait grande et nous t'avons cherch longtemps. Quantit de dangers auraient pu te mettre mal, tu es bien jeune et jolie, les mauvaises gens ne manquent pas, renchrit Astrid. Pourquoi es-tu parti ainsi ? lui reprocha Zbor. Ne soyez pas trop durs avec elle, s'interposa Andromde, il est de son ge de vouloir agir et visiter le monde. De cela nous sommes conscients, reconnurent les quatre vents du monde, aussi pour cette raison nous ne renouvellerons plus les anciennes erreurs. Arielle va apprendre l'office olien de notre tradition familiale, elle aura ainsi l'occasion de voyager jusqu' plus soif, lorsqu'elle aura termin son apprentissage, dans quelques annes. Il en sera ainsi. Allons, il nous faut partir, trancha Edolon aux vtements bariols. Arielle, dit adieu Nudd, tu ne le reverras peut-tre plus de longtemps. Car tu n'as pas l'intention de redevenir notre messager, n'est-ce pas, Nudd ? l'interrogea avec srieux Edolon. C'est--dire, pleurnicha lamentablement Nudd, le Chamagnon Tigr, ma mission Les petites franaises Dans son tre son coeur tait bris, il craignait par-dessus tout d'tre spar jamais de sa douce et jolie matresse. Arielle s'tait effondre en larmes, ses frres l'amenant avec eux dans les hauteurs, au sein de leur arme venteuse. Mais Andromde l'Amazoon s'tait hausse sur la pointe des pieds pour leur demander une ultime faveur. Comment ? Jusqu'aux Limbes ? rpta Edolon, semblant mal comprendre la demande des occupants de la nef. Oui, nous pouvons vous faire atteindre un pareil endroit, si cela est vraiment votre volont Cependant une prcaution s'impose. Craignez-vous les courants d'air ? demanda Zbor en remettant sur le sommet de son crne sa coiffe colore.

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Chapitre

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Dans les Seuils Enchants, depuis un long moment dj le petit groupe constitu par Jean de la Lune et la sorcire noire Andromde allait de-ci de-l, en qute d'indices rvlateurs. Le vagabond aux longs cheveux d'or fouillait jusqu'au moindre des buissons, cherchant une trace visible du passage des cinq petites filles, puisqu'au dire de leurs ombres respectives ces dernires s'taient enfuies des griffes de leurs geliers. Ils marchaient sur des sentiers perdus, et le mendiant auscultait la poussire des chemins, les champs d'herbes folles. Mais aucune bonne nouvelle ne venait rjouir son coeur, et son visage arborait des traits de plus en plus tirs, au fur et mesure de l'avancement du jour. Allons, courage, relana-t-il encore en direction de Nudd le chat, ce dernier ne cessant de soupirer, tout en queue de cortge, Tagor le chien noir foltrant et gambadant dans un champ proche. Si le bcheron jette sa hache la premire cogne, il n'arrivera jamais rien. Je le sais bien et j'en suis conscient, miaula tristement Nudd, il en avait gros sur le coeur depuis leur arrive aux Seuils Enchants, prs des Limbes. Mais la prsence d'Arielle, ma douce matresse me manque, et s'ajoute encore mon chagrin au sujet des petites franaises. Les Seuils Enchants se droulaient perte de vue, et dans les cieux dors flottait un soleil blanc et pur, distillant une lumire clatante qui pourtant jamais ne brlait le regard, mme lorsque par mgarde on levait les yeux sur lui. Des nues filandreuses et thres barraient le ciel bien au-dessus des ttes, et le pays magique s'tirait autour d'eux. Il y avait des bosquets d'arbres sombres plants en divers endroits, et des champs de hautes herbes frissonnantes sous le zphyr du lieu. Leurs pis allaient et venaient de manire rythmique, en longues et savantes ondulations. Des collines basses et rodes se trouvaient non loin de l, en amont d'une troite passe. Leur chemin, sinueux et entortill, les y menait tout droit. Ton coeur est bon et empli d'amour, mon petit Nudd, lui assura Andromde en rabattant ngligemment sur son paule l'un des plis de son chle prcieux. Mais sois certain de cela, le Destin tt ou tard

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rcompense les plus mritants, sachant mettre le bonheur des autres audessus de leur bien-tre personnel, et les vnements un jour prochain tourneront en ta faveur. C'est trs possible, belle Andromde, lui rpondit le chat blanc et crme, mais le chagrin me pse et treint mon coeur. Une nuit noire se trouve dans mon tre, et le reste du monde se situe, contrairement moi, en pleine lumire. Cette impression est trompeuse, lui dclara la sorcire Amazoon en un doux sourire, et sans cesser de parler ils progressaient toujours sur le chemin, chacun ici-bas a une charge porter, et une tche prcise accomplir. Veille en dpit des difficults mener terme la tienne, certains te paraissent lger de comportement en raison de l'oubli de leurs devoirs. Et eux, contrairement toi, devront un jour le payer. Sois-en sr. C'est trop de malheur pour un seul chat, lcha tristement Nudd, en se remmorant le chagrin d'Arielle, lors de leur sparation, et il se crut sur le point de dfaillir. Il hoqueta en rprimant un sanglot, et du coup quitta le chemin pour s'affaler sur les herbes proches bordant le chemin. Une tendue dgage se trouvait l, et Jean de la Lune comme Andromde l'Amazoon se prcipitrent pour remettre sur pied le petit chat. Lorsque ce fut fait c'est cependant un regard aigu que le vagabond jeta alentour, un large sourire illuminant son visage. Des hommes ont foul ce lieu rcemment, des hommes accompagns de chevaux. Ils se sont reposs ici. Les Cavaliers, comprit avec une expression de grand srieux Andromde. Disant cela elle avait rajust son chapeau noir traditionnel sur sa tte, et esquiss un sourire en direction de Nudd. Tu vois, ta langueur nous a t utile, elle nous a permis de dcouvrir que nous sommes dans la bonne direction. Les Cavaliers, eux aussi, doivent tre la recherche des petites filles chappes. Alcyon ne doit pas tre loin, articula Jean de la Lune en dsignant de l'index un point invisible, loin l'horizon. Et mme Tagor le chien noir aux oreilles et la queue coupe fixait la direction en question avec une expression tendue, et vigilante. En ce cas, marchons donc, et n'attendons plus, grommela Nudd, mortifi de sa faiblesse passagre, mme si elle leur avait t profitable, en fin de compte. Dans les Seuils Enchants le petit groupe progressa sur la route, Jean de la Lune aux cheveux d'or devant Andromde l'Amazoon, elle-mme

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prcdent le chien Tagor sautillant aux cts de Nudd le chat. Le mendiant du royaume de France avait mis en bandoulire son sac de voyage informe, sur son manteau de voyage gristre, et il portait depuis le dbut de son long priple un pantalon de toile sombre et une chemise blanche, des sandales de cuir donnes par Andromde et dont il ne se serait pas spar pour tout l'or du monde. Andromde elle arborait l'habit des Amazoons d'dennia, et tait vtue de noir des pieds la tte. Elle avait galement un grand chapeau sombre port sur le ct, et un justaucorps de soie noire et brillante enveloppe dans un chle lche, en mailles d'argent. Des bracelets prcieux tintaient ses poignets, et elle tait chausse de bottillons plats, sans doute en prvision du long voyage aux cts de son amant. Parvenu l'extrmit de la valle le groupe se mit en devoir d'escalader la pente, borde de part et d'autre par des champs d'herbes folles : il n'y avait dans l'endroit absolument personne. Pourtant, cette position dtenue par les Seuils Enchants au-dessus des mondes devait tre pour les magiciens et les enchanteurs, les sorcires, un lieu fort utile pour les travaux magiques. Mais non, s'tonna Nudd en fixant les environs, tout en continuant son chemin, le lieu tait dpourvu d'habitants, songea-t-il in petto. Rflchissant mentalement tout cela Nudd quitta insensiblement le chemin, et il se cogna la tte contre une roche grise. De douleur, Nudd fit : " Ae ! " Et, de manire trs surprenante, la pierre fit " Ae ! " galement. Chacun cessa immdiatement sa marche avec des yeux ronds, Jean de la Lune comme Andromde l'Amazoon, mme Tagor s'tait immobilis, les crocs luisants et l'chine dresse. Puis, par rflexe, Nudd rpta : " Ae ! " et la pierre se mit parler. Vous vous tes fait mal, ce me semble, lui dit-elle d'une voix flte et haut perche. Mais vous l'avez bien cherch, vous alliez museau au vent et l'esprit ailleurs, visiblement. Ce n'tait pas trs prudent de votre part. J'en conviens, reconnut volontiers le chat Nudd, surpris de pouvoir changer une conversation avec un roc si imposant, pour la premire fois de sa vie. Mais l'on se trouvait dans les Seuils Enchants, et si les miracles et les prodiges n'avaient pu se produire l, o donc auraient-ils pu exister ? Assurment, cette incongruit, au fond, n'en tait pas une. Pour preuve, le roc reprit aussitt la discussion. Sans doute tiez-vous proccup par quelque problme d'importance.

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 Je l'tais, en effet, assura Nudd, Jean de la Lune et l'Amazoon Andromde dcrtant aussitt une pause gnrale. Voyez-vous, je souffre d'une grande peine de coeur. Comme je vous comprends ! compatit le roc. Dans ce domaine j'ai dj donn ma part, croyez bien. Et il soupira violemment au souvenir de quelque intense chagrin. Mais il est rare de rencontrer personnes de si bonne compagnie en ce lieu cart, poursuivit la pierre. Pourquoi ne ferions-nous pas connaissance ? En quelques mots Nudd prsenta chacun des membres du petit groupe, et le rocher, de bonne taille et dimension, il convient de le souligner, eut un mot aimable pour chacun. Puis il se prsenta lui-mme. Nudd le chat, rpta soigneusement le roc. Charmant au possible ! Pour ma part, je suis Pierre. Nudd fit de la tte un mouvement de comprhension rapide. En effet, convint le roc en lisant dans ses penses. Ce n'est pas trs original ! Mais c'est ainsi. Dans notre famille minrale, nous nous appelons tous Pierre. Cela ne rend pas nos assembles trs faciles. Appelez quelqu'un, criez " Pierre ", et de la plus grosse roche au plus petit caillou, chacun se sentira interpell et vous rpondra tue-tte. Mais comment faire, alors, interrogea Andromde l'Amazoon, assise sur un roc, silencieux, celui-l. Eh bien, les avis ce sujet divergent, lui rpondit Pierre. Il est bien des mthodes prouves, celle consistant par exemple dire : " Vous, la Pierre Pierre l'aspect ceci et cela, la forme ovale et de couleur untel " Mais elle n'est pas des plus pratiques. Point du tout, en vrit, lui fit cho Jean de la Lune en fixant ds lors songeusement la moindre des roches des Seuils Enchants. Vous pouvez galement aller jusqu'au collgue en question et le toucher de la main, afin de lui faire comprendre votre intrt, continua la Pierre diserte. Cela peut vous obliger de fastidieuses marches, miaula Nudd le chat. Indubitablement, acquiesa leur interlocuteur. Alors, j'ai trouv une autre mthode, et je l'enseigne inlassablement chaque tre Humain de rencontre. Dans les Seuils Enchants, ils ne sont pas lgion, d'ailleurs, mais les choses sont ainsi. Voici mon conseil, car nombre de vos semblables ne savent pas s'exprimer convenablement avec les Pierres. tonnez-vous ensuite que par chez vous elles prfrent rester muettes !

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 Bien sr, videmment, l'approuva Nudd le chat en ne voyant nullement o il voulait en venir. Voici donc comment il convient d'agir, mon sens, reprit le dnomm Pierre. Lorsque l'envie vous prend de discuter avec un de mes semblables dites-lui donc : " Eh, toi, l-bas ! " Et lorsque mon compatriote se sera tourn vers vous, prcisez de nouveau : " Oui, toi ! " Vous viterez ainsi bien des dconvenues, et vous lierez d'amiti sans problme avec les Pierres. Mais pourquoi la Pierre sur laquelle je suis assis ne parle pas, elle ? s'enquit alors Andromde en dsignant la masse granitique lui servant de sige. Pierre parut, sans bouger le moins du monde, hausser les paules, russissant l un tour de force dont resta mdus Nudd le chat et Jean de la Lune. Madame, allons ! Vous le voyez bien, Pierre est endormi ! Vous feriez mieux de ne pas le rveiller, il est vritablement assommant par ses paroles et son jacassement incessant. Voyant le petit groupe se relever et reprendre sa marche en direction d'Alcyon, Pierre le roc s'tait mis en mouvement en roulant sur lui-mme et il avana de cette faon leurs cts, dans la poussire du chemin. O allez-vous ainsi, voyageurs ? demanda la Pierre volubile. En peu de mots Jean de la Lune, le mendiant aux longs cheveux d'or expliqua Pierre leur parcours, et le roc mit un sifflement d'admiration. Voil bien une noble cause, laquelle j'acquiesce totalement, affirma-t-il sans cesser de rouler sur lui-mme leurs cts. Me sera-t-il possible de vous accompagner jusqu' la limite d'Alcyon ? Je ne saurais aller plus loin, ce royaume de givre me fait peur, il y gle pierre fendre, m'a-t-on dit. Andromde l'Amazoon et son amant, Jean de la Lune, lui assurrent de leur accord total et entier, et Nud le chat en fit autant. Tagor lui resta muet, se contentant de vaquer distance respectueuse de la roche singulire, tellement diffrente de celles peuplant la Terre. Les passages comme les vtres par nos Seuils Enchants sont trop rares, je vous assure, continua prorer la Pierre. Les derniers tres Humains avoir emprunt ce chemin suivaient galement la route d'Alcyon menant aux Hauts Lieux. Ils taient cinq, et n'ont pas eu un seul regard pour aucun d'entre nous, les Pierres. Cinq ? s'tonna alors le mendiant du royaume de France, dont l'attention venait d'tre brutalement veille. Serait-ce des cavaliers de

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noir vtus, taient-ils impassibles de traits et coiffs de larges et sombres chapeaux ? Mais oui, absolument, lui dclara la Pierre en continuant rouler leurs cts, ils chevauchaient de superbes montures, par ma foi, et semblaient avoir le diable aux trousses ! Disant cela le petit groupe avait parcouru une certaine distance, et la route prsent montait franchement entre des collines verdoyantes. Le soleil blanc continuait sa lente descente, mais tait cependant encore haut dans le ciel. La troupe en poursuivant son ascension eut la surprise de dcouvrir de nombreux Pierres de diffrentes dimensions venant vers eux, et dsireux galement de se joindre au cortge. vitant des arbres ou des monticules de terre ils accouraient en roulant de leur mieux, et leurs voix perantes faisaient grincer les dents et blessaient les oreilles des voyageurs. Halte l, o allez-vous donc, jeunes cervels ? les apostropha brusquement Pierre qui les accompagnait en leur servant de guide impromptu. Nous allons avec vous ! disait d'un ton acidul un caillou rostre. Nous aussi voulons aller jusqu'aux limites d'Alcyon ! clamait un autre. Les passages sont si rares par chez nous ! se lamentait une roche strie de bandes verdtres, et couverte par endroits d'un lichen effiloch. Il n'en est pas question ! se buta le roc ayant aperu le premier le groupe, le chemin est des plus courts, et nos amis seraient gns par votre prsence intempestive ! Demi-tour, ouste ! les rembarra-t-il. Pierre, Pierre, Pierre et Pierre, repartez ! Toi aussi, Pierre ! Mais les Pierres de l'endroit avaient fait montre d'une grande gentillesse, aussi le mendiant de la Terre avec l'Amazoon d'dennia, Andromde, n'eut pas le coeur de les voir repartir en roulant tristement vers leur champs d'herbe verte. Ils leur permirent de rester avec eux, tout du moins jusqu' la frontire d'Alcyon. Cela dclencha dans l'assemble des Pierres une belle explosion de joie et maintes roulades effrnes de part et d'autre, le premier des Pierres les avoir rejoints devant reprendre les choses en main, si l'on peut dire. Un court moment fut ncessaire cependant pour cela, puis enfin une troupe de cailloux dissemblables et nombreux roula en discutant gaiement derrire l'Amazoon et le vagabond, Nudd le chat suivi du chien noir Tagor. Donc, comme je vous le disais, finit par reprendre le roc Pierre lorsqu'ils furent presque au sommet du petit col, ces cinq cavaliers ne furent pas des plus aimables, non.

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Et le reste des Pierres approuva en choeur, les versants boiss continuant se drouler lentement autour d'eux, au rythme de leur marche. Leur passage remonte-t-il longtemps ? interrogea Nudd le chat en miaulant pour mieux se faire entendre au milieu du brouhaha cr par les jeunes Pierres autour de lui. Trs peu, en vrit, lui assura Pierre, mais voyez plutt, nous sommes dj aux portes d'Alcyon. Entour par les Pierres le petit groupe jeta un oeil mi-inquiet mi-admiratif sur les rives d'Alcyon, sis prs des Seuils Enchants. Ils se trouvaient sur une pente douce se droulant depuis le sommet du col jusqu' une grande plaine, et comme en une coupure nette partir de l un tout autre monde se dvoilait eux. Il tait venteux et blanc, balay de rafales glaces traversant une surface plane hrisse de crtes bleutes et de crevasses bantes. Des amas cristallins se dressaient en divers points de la vaste tendue, elle se dployait l'infini sous un ciel bas dont la dorure se perdait au milieu d'un dais de nuages cireux et impntrables. Le soleil blanc, auparavant des plus visibles, avait disparu. Au coeur d'une bise cinglante le groupe suivi d'une multitude de Pierres alla jusqu'aux limites d'Alcyon, situes au bas de la pente. Puis il apparut un tumulte de cris et de hennissements effrays, mais cela se rvla tre une lutte pre livre par des humains monts sur de noirs chevaux contre des amas de glaces blouissants de reflets. Enfin, la vrit leur apparut sans fard et les yeux de l'Amazoon Andromde comme ceux de Jean de la Lune, de Nudd le chat, se dessillrent. Ce sont les Cavaliers ! comprit Nudd d'une voix pointue, et les Pierres de toutes dimensions autour d'eux marqurent un temps d'arrt afin de mieux pouvoir distinguer ces tres Humains dont la morgue les avait tellement frapps. Ils sont la proie des vents glacs d'Alcyon, dirait-on, renchrit le vagabond en rabattant les pans de son manteau de voyage sur l'pe d'or porte en bandoulire, le prsent fait lui par les bonnes dames. Vous tes grandement dans l'erreur, leur lana alors la premire de toutes les Pierres du Seuil Enchant leur avoir adress la parole, ils combattent l de bien plus redoutables combattants, je le crains. Des combattants ? s'enquit avec tonnement l'Amazoon Andromde. Je vois seulement des fulgurances cristallines se mouvant autour de ces humains mchants. Et pourtant, il n'en est rien, poursuivit la Pierre Pierre, fixez-les et vous distinguerez sans doute possible un dtail vous ayant chapp.

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En effet partir de l ils dcouvrirent des silhouettes constitues de glace et de givre tourbillonnant autour des cinq Cavaliers revtus de noir, ces derniers se trouvant au coeur d'un cercle mortel dont ils ne pouvaient se dfaire. C'taient de puissants sides veillant aux limites d'Alcyon, expliqurent les Pierres des Seuils Enchants : et bien imprudemment les Cavaliers s'taient jets dans leurs rets. Mais comment allons-nous faire alors, s'inquita la sorcire Andromde en portant sa main lgante sa bouche. nous aussi, ces gardiens nous barreront le passage. Et nous ne pourrons venir en aide ces petites franaises ! Le froid intense rgnant ici risque de leur tre fatal, se lamenta Jean de la Lune, et Nudd le chat miaula de tristesse ses paroles. Alors, la multitude innombrable des Pierres leur clama le caractre passager de cet obstacle. Pour insurmontable qu'il leur paraisse il ne l'tait pas le moins du monde, et le destin de ces petites filles leur importait galement eux, les Pierres des Seuils Enchants. Les Pierres les supplirent de garder espoir, elles les encouragrent avancer en dpit de leurs craintes vers les limites d'Alcyon, o le combat entre les Cavaliers et les protecteurs de l'endroit continuait faire rage, et commenait tourner franchement en faveur des retres belliqueux et glacs. Le petit groupe obtempra non sans une angoisse secrte aux conseils des Pierres, et lorsqu'ils furent parvenus prs du thtre des combats ils comprirent enfin le dessein des Pierres hardies. En effet elles s'taient mises rouler en grand nombre, et elles avaient dval sur la pente vers le groupe des Cavaliers, emptr dans les griffes des gardiens de neige et de froid. Tout d'abord, les silhouettes glaces revtues de blancheur et d'un givre puissant ne remarqurent pas l'intrusion des Pierres en compagnie des tres Humains, puis lorsque certaines statues de glace ouvrirent une bouche bante en hurlant de douleur, les Pierres en dboulant emportant une jambe par ci, ou bien le bras de l'un d'entre eux par l, la situation devint diffrente. Les silhouettes glaces, au milieu du souffle froid des vents boraux, s'adressrent les unes aux autres des cris rauques et furieux et les cratures tournrent leur attention vers les nouveaux venus, la grande frayeur de ces derniers, car la droute inflige aux cinq Cavaliers tait impressionnante. Mais les Pierres avaient dcid de leur venir en aide jusqu'au bout, et aussi aux cinq petites franaises, un joyeux tohu-bohu se droulant ce jour-l aux frontires d'Alcyon. Les sides de givre se dressaient de toute leur hauteur et quelquefois ils se saisissaient pleines mains des Pierres

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pour les projeter au loin en hurlant. Mais toujours lesdites Pierres revenaient la charge et bondissaient sur eux, fracassant la glace dont ils taient constitus et leur crant les plus grandes blessures. Bientt, un certain nombre de protecteurs en furent rduits des monticules de neige et de froidure balays peu peu vers les plaines poudreuses d'Alcyon, et il subsista seulement trois gardiens, deux, puis finalement un seul. Il continuait pester et hurler sa rage viscrale de voir ainsi bafouer sa tche de gardien immacul, et Jean de la Lune ne put s'empcher d'admirer la vaillance et le courage d'une telle crature, ignorante de la dfaite et de la mort. Mais un groupe de Pierres se propulsa grands bonds sur lui et anantit le dernier rempart sous leur masse, laissant de lui un amas de neige dure, aux artes saillantes. Allons, ne tardez plus, les mit en garde l'une des Pierres, recouverte presque entirement de givre malgr sa grisaille, le temps vous presse. Les petites filles doivent avoir fort faire en ce froid mordant, il peut mme venir bout de nous, les Pierres, ajouta une autre. Les surveillants de la Limite bientt reviendront eux, ils se reformeront pour poursuivre leur guet inlassable, rvla une troisime Pierre. Mais Jean de la Lune comme Andromde l'Amazoon accordait aux Pierres pourtant si vaillantes seulement une attention discrte, et peine polie : chacun, mme Nudd le chat et eut-on dit, galement Tagor le chien noir cherchait des yeux le groupe des Cavaliers monts sur leurs chevaux. Ils avaient disparu, ils s'taient proprement volatiliss. Tout la vision surprenante de l'attaque des Pierres contre les protecteurs du lieu, chacun avait eu seulement d'yeux pour l'bouriffant spectacle. Ils sont repartis vers leur matre obscur, lana tout coup une Pierre, n'ayant pas pris part au combat cause de sa petite taille. Des tres feriques sont apparus, et pour leur permettre de s'enfuir ont cart de leurs mains la Trame elle-mme. Avec leurs chevaux fourbus ils ont emprunt l'ouverture, jusqu' s'vanouir dans le Nant. Puissant doit tre leur protecteur, comprit le mendiant du royaume de France en hochant la tte de manire significative. Ds lors il ne parla plus des Cavaliers d'aucune faon, comme si en quittant le plan des Seuils Enchants o ils se trouvaient ils venaient de perdre toute espce d'importance. Chacun s'tait retourn vers les plaines d'Alcyon maintenant dgages devant eux, et le premier Tagor le chien noir la queue et aux oreilles coupes s'tait avanc dans la plaine, suivi de Nudd le chat. Jean de la Lune et Andromde l'Amazoon taient rests en arrire, et voyant les amoureux sur le point de partir, puisqu'ils venaient de remercier chaleureusement les Pierres pour leur aide, l'une

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d'entre elles prit Jean de la Lune part. On aurait cru cette dernire sur le point de lui rvler quelque tranget, et tel fut bien le cas, en effet. Si j'osais commena la Pierre. Ainsi, vous en convenez aisment, nous vous avons rendu un grand service, en vous protgeant des gardiens d'Alcyon ? Certes, en effet, convint le vagabond sans parvenir deviner o la Pierre voulait en venir. Vous allez me trouver prsomptueux ! Mais non, voyons, se rcria Andromde l'Amazoon en se joignant l'apart. Nous vous devons beaucoup, et nous en sommes conscients, dclara Jean de la Lune en reprenant de la main l'une de ses longues mches blondes. Allez droit au but, car vous l'avez reconnu vous-mme avec le reste des Pierres des Seuils Enchants, le temps nous est dornavant compt. Eh bien voil, je ne tournerai pas davantage autour du pot, s'enhardit finalement la Pierre Pierre convaincue enfin par toute cette dbauche de bonne volont. Il existe une expression souvent utilise par les tres Humains, et elle m'a intrigu plus d'une fois. dire le vrai, jamais je ne suis parvenu en dcouvrir le sens. Devant le haussement de sourcils de Jean de la Lune, la Pierre poursuivit. Mais le reste des Pierres avait fait cercle autour du groupe, apparemment il s'agissait l d'un grand mystre chez les Pierres, longtemps dbattu et ressass sans avoir pu jamais tre perc jour. Un problme d'importance, donc. J'ai entendu dire par certains tres Humains, en parlant d'autres de leurs semblables, qu'ils avaient " un coeur de Pierre ", exhala d'un trait et sans reprendre son souffle la plus hardie des Pierres. Que signifie cette locution exactement ? Oui, reprit en choeur le reste de l'assemble des Pierres, qu'est-ce que cela signifie ? Le mendiant du royaume de France et l'Amazoon Andromde se regardrent un long moment, affligs et atterrs, la rponse leur semblant trop norme pour pouvoir tre rvle en ce lieu, o tant de gentillesse leur avait t prodigue. Durant plusieurs instants ils restrent muets, puis la situation risquant de traner en longueur jusqu' devenir embarrassante, Nudd le chat, au courant des derniers accomplissements, dcida de prendre les choses en main. Si l'on peut dire. C'est trs simple, en fait, miaula-t-il en sautant lestement sur une Pierre basse, et cette dernire sursauta avec un petit cri lors de ce contact

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inopin. Les personnes s'appelant Pierre sont lgion par chez nous, et dans les mondes des tres Humains leur gentillesse et bont est proverbiale. Quand un tre humain vient se faire remarquer par ses qualits, aussitt on dit de lui : " C'est un homme remarquable ! Il a un coeur de Pierre ", conclut-il l'attention des Pierres rassembles tout autour d'eux, aux frontires d'Alcyon. C'est la vrit vraie ! Oh ! Vraiment ? interrogea la plus imposante des Pierres. Certainement, tout fait, mentit sans le moindre scrupule le vagabond Jean de la Lune. Et Andromde l'Amazoon, sa bien-aime, lui fit chorus. Ils sont vraiment gentils, ces tres Humains ! affirma Pierre. Ils sont mignons ! approuva un autre. Ils sont chou ! Sur ce Andromde l'Amazoon et Jean de la Lune reprirent leur marche en avant dans le royaume glac d'Alcyon, situ dans les Limbes, prs des Seuils Enchants, et Nudd le chat avec Tagor le chien noir partirent dans la froidure venteuse sous les cris d'adieu des Pierres. Un long moment elles s'gosillrent la Limite, avant de s'en repartir tristement dans leur territoire. Bientt il subsista seulement des rafales hurlantes autour d'eux, et un soleil blanc perant difficilement l'crin nuageux. Plus d'une fois Nudd le chat la fourrure couverte de givre et au petit nez durci par le froid se prit soupirer tristement, car il ne cessait de penser sa douce Arielle, mme lorsqu'il patinait et glissait sur la surface fuyante d'Alcyon. Tout d'abord, Nudd s'apitoya sur son sort et son pnible destin, voluant de cette manire dans un environnement hostile loin de sa jolie matresse. Puis il lui revint en mmoire ce pourquoi ils taient l, ramener les petites franaises chez elles : ds lors, il fit taire son chagrin et il but silencieusement ses larmes. Car toujours on pouvait dcouvrir des gens infiniment plus malheureux, et bien davantage en droit de se lamenter et de geindre. De cette faon, au coeur des contres hostiles d'Alcyon le groupe, ployant sous les rafales, en vint rejoindre au milieu de la plaine poudreuse une rivire gele sur plusieurs mtres, et l'on ne pouvait savoir si en dessous de l'eau coulait encore, ou bien si elle tait solidifie sur toute sa profondeur. Chacun regarda son voisin avec une sombre expression. Il devait s'agir de la rivire fige emprunte par les cinq petites filles, aux dires de leurs ombres respectives. Mais nulle part ce mystrieux dragon d'or n'tait visible, et le plafond de nuages s'abaissait de plus en plus. Tout leur recherche malaise en ce milieu hostile et hurlant, faisant se rendre gourd l'extrmit des membres et recouvrir de glace les sourcils et

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les cils de chacun, les nues descendirent encore, si cela tait possible. Ils finirent par voluer au sein d'une masse humide et gristre, en laquelle plus rien n'tait visible hormis un magma vaporeux. Mais bientt la matire nuageuse acquit consistance et solidit croissante, car leurs pas purent s'y poser et ainsi, insensiblement et de la manire la plus naturelle, il leur fut possible d'y grimper jusqu' dboucher en une lande blanche et arienne. Pour Nudd le chat, coutumier de tels prodiges, elle n'avait d'ailleurs rien de bien remarquable ni d'exceptionnel. Le relief nuageux tait recouvert d'un givre scintillant et blouissant d'clats, avec de la glace cristalline en tous lieux et en toute chose. Il y avait l, comme sur les terres du dessous, des valles et des plaines, de petites collines semblables des monts irradiant d'une lumire bleute. Mais, et cela Nudd ne s'y attendait pas le moins du monde, il se trouvait aussi un puissant et robuste dragon d'or, aux ailes prcieuses replies contre sa masse et au crne anguleux, reposant tristement entre ses pattes antrieures griffues. Son expression tait celle de la plus grande langueur pouvant se concevoir. Et par sa gueule, au lieu des coutumires flammes craches par tout bon dragon, il poussait des gmissements plaintifs de nature briser le coeur du plus endurci des tres.

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Chapitre

27

Dans le sein de l'espace obscur et sans fin progressait toujours plus vers les Limites le vol soyeux des deux Asmodens, fendant le jais de l'ther cosmique dans de lourdes vagues l'image de mondes en marche la teinte dissemblable. L'un, Achtor, au carmin intense, s'approchait d'instant en instant de la Barrire Ultime, sa surface aplatie s'agitant de soubresauts multiples modifiant sans cesse sa superficie, en laquelle il naissait des paysages bucoliques phmres s'vanouissant puis renaissant en une autre partie de son corps. L'autre dont le nom tait Nabab arborait la puret de l'ivoire et dtenait les mmes caractristiques, malgr la diffrence de teinte rgnant entre eux. Finalement leur route traversa successivement les dimensions multiples en les faisant s'approcher tout prs des Limites, cela tant dj en soi inconcevable, mais en plus ils les franchirent l'image d'une toile arachnenne librant le passage vers un ailleurs inconnu. L'endroit n'avait rien d'extraordinaire pour les serviteurs de Lilith la Noire, mre et matresse de toutes les Amazoons, des sorcires et des femmes. Il s'agissait en fait du monde extrme et dernier des Limbes, plac prs des Seuils Enchants : tandis que les Asmodens l'aide de leurs molles ondulations se rapprochaient de cet univers glac, une trange vie dans la surface infrieure des Asmodens si l'on peut dire se rveillait et s'agitait, comme si elle avait t tire d'un songe dlicieux et quitt avec regret. Les Asmodens de leurs yeux d'or, perants et doux, fouillaient inlassablement la surface des Limbes, et ni les tourbillons de glace ni les temptes de neige ne pouvaient empcher leur vision. Car ils taient les Asmodens. Finalement du ventre mouvant et agit de perptuelles transformations des Asmodens s'brourent et s'tirrent des cratures au nombre de dix, cinq par Asmodens, et telles des chauves-souris au repos elles se tenaient par des griffes noirtres la surface tide de leurs porteurs. Bientt, elles dployrent leurs ailes de rsilles brillantes, et firent claquer leur bec puissant dans un visage d'homme : leur corps tait celui d'un tre Humain, n'eut t les diffrences cites. Ils avaient

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aussi des bras musculeux et puissants. Cinq dtenaient la couleur du rubis sanglant, et cinq autres semblaient avoir t longuement tremps dans le lait le plus blanc. Au-dessus de la surface des Limbes, venteuses et froides, les Phonmes se laissrent choir en une pluie drue et tantt ils dployrent leurs ailes scintillantes dans les nuages gris. Allons, allons ! encourageait Nabab l'immacul aux Phonmes blancs, ses soldats. Cherchez votre objectif, afin d'apaiser Lilith ! ajoutait Achtor au vermillon resplendissant. Les Phonmes traversaient toute allure les temptes de neige en faisant claquer leurs becs recourbs, essuyant les bourrasques et les tourbillons sans coup frir. " Klak ! Klak ! " paraissaient-ils se lancer les uns aux autres, dans le tumulte des lments, au sein des Limbes. Leurs yeux perants taient la recherche des petites franaises retires indment aux Demeures des Coeurs, et leurs serres avaient hte de retrouver les fillettes, afin de s'en repartir au plus tt. Rien prsent de vos paroles ou bien de vos actions ne me fera d'effet, vous comprendrez, je pense, la tristesse de mon coeur et ma grande peine, jamais, vous m'entendez bien, jamais, de toute mon existence je n'ai vu chose si tragique. Et jamais plus je ne serais le mme. Andromde l'Amazoon et Jean de la Lune, le vagabond du royaume de France, se regardrent l'un l'autre avec des yeux incrdules, les rvlations du dragon d'or tant par trop inconcevables pour pouvoir tre vrai. Tagor, le chien noir la queue et aux oreilles coupes, tait abasourdi et dpit au possible. Quant Nudd le chat, il en avait le souffle coup et il prouva le besoin de se coucher momentanment sur le sol nuageux, afin de reprendre des forces. Zkull le dragon d'or, le gardien des limbes cens empcher le passage de quiconque, tait au plus mal et se mourrait de chagrin. sa grande tristesse et effroi, car son coeur rude de dragon, au fond, abritait un intense amour pour les enfants, il avait pu rattraper enfin avec un retard consquent les cinq petites franaises. Elles avaient pris peur de sa masse tincelante, leur ructa-t-il en se tournant vers eux avec une expression morne, et elles s'taient disperses loin de la rivire glace, dans Alcyon. Zkull avait mis du temps pour les retrouver toutes cinq au sein de la tempte glaciale, et y tait arriv trop tard. Bien trop tard, leur assura-t-il dans un souffle.

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Les cinq petites franaises taient mortes de froid, et une une le dragon d'or avait ramass dlicatement entre ses crocs les petites filles avant de les enterrer non loin de l. Sur ce, le gardien du Seuil laissa choir tristement sa tte dore et grimaante entre ses crocs et ne dit plus un mot. le voir si triste et pantelant, on aurait pu le croire l'article de la mort. Comme s'il tait engourdi, le groupe compos par Jean de la Lune et Andromde l'Amazoon, Nudd le chat et Tagor le chien noir marcha lentement vers le lieu retir en question, finissant par dcouvrir les cinq tumulus sur la plaine glace et scintillante de givre. Zkull le dragon d'or avait pu finalement se redresser et traner sa masse auprs d'eux. Elles reposeront mieux ici, parmi les nuages d'Alcyon, dclara le gardien d'caille. Nudd hocha silencieusement de la tte puis des larmes coulrent sur les joues veloutes et noires d'Andromde l'Amazoon, et pareillement il arriva Jean de la Lune. Au mme instant leurs larmes se figrent en glace brillante, chasses par le mendiant du royaume de France d'un geste vif. Il suffit ! se rcria-t-il d'une voix ferme. Je n'accepte pas, pour ma part, une telle issue notre longue aventure ! Moi non plus, renchrit le dragon d'or, mme s'il n'y avait pas pris part le moins du monde. Ni moi, dit Nudd. Mais que pouvons-nous faire ? Ne l'oubliez pas, les bonnes dames m'ont fait don d'une pe d'or, ranimant les blesss et faisant revenir la vie les agonisants. Je n'en ai jamais encore us jusqu' prsent, le moment me semble venu de le faire. Disant cela il avait entrepris de dgainer son tincelante et brillante pe d'or, et il s'tait approch lentement des tumulus mortuaires. Le vent sifflait sur les nuages d'Alcyon, Andromde l'Amazoon pour se protger de la bise s'tait enroule dans les plis de son chle. La fourrure de Nudd le chat tait couverte de givre jusque sur le bout de ses moustaches, et pour leur part ni Tagor ni le dragon d'or ne paraissaient souffrir des conditions ambiantes. De la pointe de son pe d'or Jean de la Lune avait effleur un tumulus, puis un autre, un autre encore. Un vif clat s'tait dgag de sa lame avant d'inonder l'endroit touch par la pointe, mais la luminosit sur les tombes avait clignot avant de disparatre. De rage, le mendiant du royaume de France avait projet son glaive la poign de cristal cisel sur le sol, o de la pointe l'pe s'tait fiche. Les bonnes dames m'ont menti ! cria-t-il violemment.

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 Point du tout, en vrit, lui rpondit d'une voix douce le glaive prcieux en se balanant sous le vent. Tous montrrent la plus extrme surprise, car si chacun avait entendu de ses propres oreilles s'exprimer bien des choses et des cratures de l'univers, mme des Pierres, il leur tait donn pour la premire fois d'entendre s'exprimer une pe, fut-elle de l'or le plus magique. Mais mes pouvoirs sont surtout efficients lorsque le mal s'est produit rcemment, presque l'instant, reprit l'pe enchante. Un bless, ou un agonisant, t'avaient-elles prvenu. Trop de temps s'est coul depuis leur dcs, leurs mes respectives ne sont plus l, maintenant, et je ne peux t'aider accomplir ton souhait. Je le regrette profondment, mais les bonnes dames ne sont pas en cause. Les larmes aux yeux le mendiant aux longs cheveux d'or avait eu un geste de dpit, parmi le vent glac commenant se lever. Andromde l'Amazoon s'tait rapproche de lui afin de l'apaiser. Je retire mes paroles, elles n'taient pas empreintes de vrit, reconnut finalement le vagabond. la bonne heure, poursuivit l'pe magique. Si la voie prcdente t'est interdite, il en est une autre utilisable, et pourtant tu ne la vois pas. Ayant dit cela le glaive des bonnes dames se tut et garda le silence, chacun, mme le dragon d'or, fixant son voisin avec une attention intrigue. Qu'entendait donc par l cette pe empreinte de malfices ? Je suis une pe compose de l'or le plus pur et le plus prcieux pouvant se concevoir, ajouta l'pe magique. Je le vois bien, coupa le dragon Zkull. Mon or n'est pas un or vulgaire, il est trs rare et d'une valeur pour ainsi dire inestimable, partant de l, ses qualits sont infinies. Et je suis des seuls pouvoir ouvrir deux Portes. Cela n'a rien d'extraordinaire ! lana Nudd agac par ce prambule tortueux. Tous les chats peuvent faire s'entrouvrir les Portes d'Enchantements ! Moi, sorcire de mon tat, je peux aisment franchir les Seuils, assura Andromde. Aprs un nouveau temps de silence, durant lequel l'pe enchante avait cess son balancement, elle avait poursuivi son discours. Eh bien moi, faonne par les bonnes dames et leur art secret, je puis faire entrebiller la Porte Sagamange, vous le savez dj, du reste. Et puis aussi, et surtout la Noireporte. La Noireporte ? s'enquit avec stupeur Andromde l'Amazoon. La Noireporte ? s'trangla de frayeur le petit Nudd.

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 La Noireporte ? gronda en carquillant les yeux le dragon d'or, et ayant dit cela il manqua s'trangler en une toux incoercible, accompagne d'un nuage de fume. Oui, la Noireporte donne accs au Sombre Pays o rgne l'Ange de la Mort, et les Vahhuias composent ses lgions. Les Vigiles et les Protecteurs sont ses allis. L se trouve le sige du Seigneur des mes, l elles doivent tre rachetes une par une. Comment cela ? s'tonna avec une franche stupeur la sorcire Amazoon, en ne voyant pas trop o l'pe voulait en venir. C'est pourtant simple, expliqua le glaive prcieux de sa voix toujours aussi douce et hypnotique. Si nous ne pouvons leur rendre leur ancienne vie, nous pouvons toujours leur en redonner une autre, elle remplacera celle qui leur a t ravie indment. Mais lcha avec un malaise teint d'incomprhension le vagabond, nous ne pouvons leur donner les ntres, nous mourrions aussitt Vous, sans doute, mais il est des tres bien mieux pourvus en existences. Ne vante-t-on pas travers les univers les neuf vies des chats ? Nudd mit un certain temps raliser combien les paroles de l'pe d'or le visaient distinctement, et dj tous les regards du petit groupe s'taient tourns vers lui. Mre, mre, s'inquitait une Honnie la voix rauque, dans le sein du grand palais o rsidait Lilith, de mauvaises nouvelles viennent d'atteindre nos oreilles ! Un grand malheur vient de frapper nos cinq petites filles ! Maudits soient ses cinq cavaliers, ils ont sem le chagrin dans nos rangs ! assna une Veuve Noire en grinant des dents, et disant cela elle avait serr son poing en un geste vif. Paix, mes filles, leur dclara Lilith en se rasseyant sur son sige. Les vnements ne sont pas aussi dsesprs. Elle avait dtourn son regard des Dames Sombres et des Ensanglantes, des sorcires composant sa cour dans le Noir Palais appel galement la Montagne d'Onyx. Et la desse Lilith du miroir de jade s'tait dsintresse, par une baie ovalise elle observait songeusement un jardin merveilleux teint par le bleut sombre du soleil indigo des Dieux, du nom de Aurlia. Elle tait assise droite sur son trne cleste, semblable l'image la reprsentant dans toutes les enluminures, engonce dans la matire minrale composant son sige et claire par les curieuses bulles de lumire le parsemant dans ses profondeurs.

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La desse arborait la beaut des tres suprieurs, et la couleur de sa peau tait semblable la nuit la plus intense, la nacre de ses dents l'clat sans pareil se mariant de faon heureuse avec le bleut de sa chevelure. Elle portait une robe de tissus prcieux s'enroulant plusieurs reprises autour de son corps svelte, et des sandales de raphia chaussaient ses pieds. Ses mains aux doigts effils orns de gemmes rutilantes tambourinaient sur l'accoudoir de son trne mirifique. Tout autour d'elle se dressait la grande salle de commandement de la Montagne d'Onyx, de laquelle partent ses ordres aux Honnies rgentant les univers des femmes. Mre trs ancienne, la supplia une Veuve Noire aux tnbreux habits et au visage masqu d'une rsille arachnenne, la longue robe de deuil, il nous faut agir sans retard : l'A, prince des Enfers, peut seul nous venir en aide. Ses Morts sont plus puissantes que les ntres, car les Enfers constituent son royaume, il peut encore agir en notre faveur si nous le lui demandons. Nous aussi, nous pourrons lui rendre un pareil service un jour, renchrit une sorcire la peau lactescente, dont les trs grands exploits dans le domaine magique avaient attir de manire positive l'attention de Lilith. Il nous faut jouer sur ce tableau, acquiesa son tour une Ensanglante aux habits grenat et au maquillage malfique. Nous ne devons plus tarder. Toute la cour du Noir Palais semblait tre unanime et partager une mme opinion. Mais la mre de toutes les femmes et sorcires, Lilith sur son trne de lumire, dans la Montagne d'Onyx baigne par Aurlia le soleil bleu, eut une moue dubitative. Rien ne sert de courir puisque nos cinq filles sont mortes, et disant cela elle eut un frisson, partag par toute la cour cleste de son palais. Nous allons laisser nos Phonmes en patrouille, dans les hauteurs des Limbes. Il nous faut tre prudentes en raison de la proche prsence d'Oniria, depuis bien longtemps nous n'avons plus de relations avec cet empire puissant. Contacter l'Ange de la Mort est inutile. D'autres s'apprtent le faire. Disant cela elle regarda les Honnies composant sa cour dans le Noir Palais, avec les privilgies humaines les accompagnant. De plus, l'A s'occupe dj de cette affaire. Alors, nous ne faisions rien ? s'tonna avec surprise une sorcire Amazoon, et le ton de sa voix tait dsespr.

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 Si, la rassura la desse noire au diadme de cheveux indigo. Nous agirons. Mais en temps et heure voulu. Ce ne sera plus bien long. Ayant conclu ainsi la desse Lilith se perdit dans la contemplation mditative des environs du pays des dieux, par les baies en ogive, et son regard transperait la Trame et les Arcanes jusqu'au lointain royaume d'Alcyon. Lorsque la Noireporte aux volutes figes et stygiennes sur ses battants infinis se fut entrebille modrment, suffisamment en tout cas pour laisser passer un dfunt ou bien un petit chat, en l'occurrence, Nudd s'engouffra par l'troit passage et sans mme laisser le temps la Noireporte de s'ouvrir davantage il trottina vive allure jusqu' atteindre un chemin de cailloux blancs. La discussion de la veille si elle avait t laborieuse n'avait pas t inutile. Nudd comme l'on imagine avait fini par accepter de donner cinq de ses neuf vies pour faire revenir les petites franaises, et si tout d'abord l'ide lui en avait sembl incongrue, il avait fini par lui trouver une certaine logique. En effet force lui tait de le reconnatre, l'absence d'Arielle il ne la reverrait plus jamais, probablement lui tait prjudiciable au dernier degr. Parfois, il lui semblait perdre la tte. Ainsi dernirement Jean de la Lune avec tact l'avait-il pris part afin de lui recommander la prudence. Il lui arrivait de parler tout seul, comme le font parfois les solitaires, et cela lui donnait l'air d'un dsax. Son me tait dans la langueur la plus intense pouvant se concevoir, et finalement l'ide suggre il n'y avait t forc en rien, chaque membre de la troupe le lui avait clairement expliqu ne lui avait plus sembl si draisonnable et insense. Aprs tout, comme l'avait prtendu Andromde l'Amazoon il lui resterait encore bien des vies, au nombre de quatre, cinq plus quatre, jusqu' faire les neuf vies fatidiques ! Et si jamais cela devait tourner mal pour lui, quelle importance ? Nudd depuis l'absence d'Arielle tait extrmement dprim, et perdu pour perdu, rien n'avait plus pour lui d'importance. part l'ventualit du retour la vie des cinq petites franaises, pour lesquelles tant d'nergie avait t dpense jusqu' prsent. Ainsi, donc, par-del la Noireporte des enfers avanait infatigablement Nudd le chat. Il s'avanait sous une vote obscure, noire comme le coeur d'une sorcire, et une lune d'argent au croissant parfait irradiait sur les lieux et les choses un clat et une aura nacre. Des toiles scintillaient galement dans les cieux et elles taient non pas de sombre jade mais d'argent brillant, prodiguant Nudd un dpaysement total. Des cits singulires peuples de morts se trouvaient au loin, avec des btiments

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arrondis et des tres vanescents allant et venant par les chemins sous la vote d'onyx. Mais Nudd au comble de l'effroi vitait soigneusement les autochtones, de crainte d'tre saisi par eux ou mme d'tre molest. Des tres ails filaient par les cieux d'encre en groupes compacts, et d'autres volaient de manire solitaire. L'un d'eux distingua Nudd sur le sol de ce pays d'outre-tombe et se posa devant lui, tout prs, les moustaches de Nudd en frmissant d'effroi. Le Vahhuia puisque c'en tait un aurait pu le toucher en tendant simplement le bras. O vas-tu ainsi, crature mortelle ? ructa le dmon. Seules les mes et les morts peuvent dambuler de cette faon sur les terres de notre beau prince, l'Ange de la Mort. Je le sais pertinemment, lui rpondit le pauvre chat crme et caramel, d'une voix rendue fluette par l'apprhension, mais des petites filles sont dcdes sur Alcyon rcemment, et je dsirerais m'entretenir avec votre seigneur pour leur donner chacune une de mes neuf vies. Si cela est possible, naturellement. Le Vahhuia possdait un teint de peau obscur tirant sur le bruntre, et une courte toison recouvrait son corps. Il avait des ailes de cuir au filigrane harmonieux, et un corps humain ceint sur les reins d'un pagne de tissu prcieux, or et argent ml. Ses bras et ses jambes taient celles d'un tre Humain, mais le visage chafouin d'une bte constituait leur aboutissement. Au surplus, le Vahhuia arborait des yeux au bleut irrel, quasiment cleste. L'une de ses mains brunes, l'coute d'une si singulire proposition, s'tait mise gratter pensivement sa nuque sous le ciel de tnbres. Voil bien la proposition la plus folle qu'il me soit jamais arriv d'entendre, lui affirma le Vahhuia en le considrant avec davantage de respect. Es-tu bien certain de vouloir ainsi te sparer de cinq de tes neuf vies ? Cela ne te remplit-il pas de craintes ? En aucun cas, lui dclara Nudd le chat avec un aplomb et une assurance loin d'tre aussi inbranlable dans son for intrieur. En ce cas je me dois de te mener au plus vite devant l'A, il se trouve actuellement dans son Palais d'Automne, non loin d'ici, conclut abruptement le Vahhuia en prenant Nudd dans ses bras velus. N'ayant pas encore termin de parler le Vahhuia avait emport le chat pouvant dans les airs froids, et tire-d'aile ils avaient franchi tous deux d'incommensurables distances dans cet empire d'outre-tombe, jusqu' parvenir finalement en un pays sombre et tnbreux o les forts frissonnaient comme par l'effet d'un vent hivernal. Sous la lumire de la

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lune muette un tapis craquant de feuilles odorantes les accueillit, lorsque le Vahhuia portant Nudd atterrit devant un haut et merveilleux palais. Il tait de verre sombre et profond, couleur caf, et il comportait des murailles exquises de briques prcieuses avec des tourelles et des aiguilles par dizaines, les diverses toitures dissmines dans sa masse paraissant tre constitues de tuiles magiques, car elles taient d'argent et le regard pouvait malgr tout observer travers ces dernires. Il se situait de toutes parts des ouvertures aux formes diverses, et dans certaines il tait post des guetteurs dmoniaques et dans d'autres des lus de haut rang, Sphires ou bien Tricksters, invits par le puissant seigneur de l'endroit. Des douves l'eau turquoise encerclaient la base des remparts thrs, et des salamandres au vif incarnat et autres cygnes noirs s'battaient dans l'onde. Parmi les branches des bosquets proches, plusieurs corbeaux croassaient lugubrement. Des arcboutants d'or et de lumire enjambaient ces douves, et de toutes parts des Vahhuias patrouillaient et surveillaient, jusque devant la porte principale face laquelle se tenait maintenant Nudd suivi de son porteur. Des dmons patibulaires firent mine de leur barrer le passage, et celui l'escortant parla en une langue gutturale et ancienne, comprit demi par Nudd, car ils discutaient trs vite et il ne put la saisir totalement. Mais en dfinitive le passage leur fut accord, et par des chemins tapisss de tissus prcieux, orns de lambris en os blanc, sous des luminaires la ressemblance de crnes au cristal blouissant, Nudd fut men en une pice large dont la porte leur fut ouverte, un Vahhuia renfrogn annonant la venue de Nudd, ce dernier se recroquevillant aussitt lorsque le regard du dmon se posa sur lui. Mais la docte assemble se trouvant l en discussion se tut, et un passage se cra entre les Vahhuias et les Vigiles, les Raphals de l'endroit. Nudd put parvenir enfin, intimid et tremblant, devant le Prince des Enfers, l'A. Mais l l'apprhension joint au manque d'assurance vint bout de ses forces, et finalement le Vahhuia l'escortant parla en son nom. Preuve s'il en est que jusque dans le fond des Enfers l'on peut rencontrer des gens aimables et civils, mme sous un aspect singulier et effrayant. Lorsque ce fut fait, le Vahhuia ayant fini de dclamer son discours, un grand silence se fit dans la pice, et du dehors par les baies tamises de voiles de tulle leur vint distinctement une frache bise. L'Ange de la Mort possdait des traits austres presque svres, avec un teint de peau semblable au lait, une haute silhouette drape de noir et des ailes duveteuses d'une couleur de jais. Il adopta une attitude pensive, finissant bientt par prendre la parole.

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 Ainsi, tu dsirerais faire don de cinq de tes neuf vies des petites filles, dcdes rcemment. Est-ce bien exact ? Tout fait, lui assura Nudd en hochant de la tte. L'pe d'or de Jean de la Lune nous a informs de cette possibilit : et je suis pour ma part d'accord entirement. C'est en effet du domaine de mes comptences, acquiesa l'Ange Noir en fendant le cercle de ses courtisans, se plaant devant une ouverture donnant sur un jardin d'hiver, au-dessus duquel brillait sur son couchant le soleil Aurlia. Mais je suis surpris par ton attitude : jamais encore je n'ai entendu quelqu'un me proposer un tel march. Aimes-tu ce point ces petites filles ? Quel est ton nom ? lui demanda-t-il encore. Nudd, lui avoua celui-ci en tremblant sous son regard pntrant. Il me semble t'avoir dj vu en une autre occasion, Nudd. Le cercle des Vahhuias et des Protecteurs, des Vigiles, avait eu un tonnement muet car rares taient les personnes capables d'avoir affaire l'A deux fois de suite dans une mme vie. Mais Nudd avait secou la tte avec assurance. Et un norme chien rouge dot d'une couronne de serpents gris-bleu sifflant autour de ses trois ttes fixait Nudd avec une surprise non feinte, comme s'il le reconnaissait. Dcidment ! semblait dire en lui-mme Cerbre, le fidle serviteur de l'Ange Exterminateur. Curieux lcha d'une voix tranante le Prince des Enfers. Mais aprs tout, qu'importe. Ainsi, tu aimes vraiment beaucoup ces petites filles. C'est tout ton honneur. Mais il se trouve une autre raison encore, je pense. L'A lisait dans le coeur de Nudd comme dans un livre, aussi ce dernier jugea-t-il bon de tout lui avouer jusqu'au bout, afin de ne pas gner le retour des cinq petites franaises chez elles. Il lui parla d'Arielle, et de sa grande tendresse son gard. De son chagrin en tre spar. Nombre d'lus de la grande salle le fixrent alors d'un tout autre regard. Tu sembles avoir un coeur bien grand pour un si petit corps, lcha finalement l'A en ne parvenant pas dissimuler un certain trouble. Ton voeu, puisqu'il est noble et repose sur des bases plus nobles encore, sera exauc. Il en sera ainsi ! Le Prince des Enfers avait peine termin sa phrase et dj Nudd le chat se sentit pntr d'une faiblesse extrme, cinq toiles d'or s'enfuyaient de son tre et filaient vers les dimensions humaines, en direction d'Alcyon. Plusieurs Vahhuias s'envolrent prestement en direction du lieu de rsidence des cinq petites franaises, dans l'outre-monde, afin de les mener la rencontre de leur vie interrompue. Pniblement,

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Nudd le chat se remit sur ses pattes, avec le sentiment douloureux du devoir accompli. Les lus dont l'A faisaient cercle autour de lui, avec une expression respectueuse. Nudd avait une impression bizarre, il se sentait trs lger et pour ainsi dire vanescent. Il mit cette sensation bizarre sur le compte de sa fatigue, d'ailleurs elle s'estompait dj. Il tenta de retrouver le Vahhuia ayant permis sa venue au Palais d'Automne de l'A, mais il ne parvint pas le revoir. Le dcor, autour de lui, se brouillait trangement. O vas-tu donc, Nudd ? l'interrogea doucement le Prince des Enfers, en voyant les tentatives de ce dernier pour retrouver la sortie. Je cherche mon guide jusqu'ici. Je veux rentrer chez moi, miaula Nudd. Les lus eurent une mine consterne, et l'Ange Noir secoua ngativement la tte. Nudd, tu n'as donc pas compris ? Il te restait seulement cinq vies Tu ne rentreras plus jamais chez toi. Vers le miroir magique et opalescent entre les mains des Veuves Noires et des Ensanglantes, parmi la Montagne d'Onyx, la desse des sorcires Amazoons et de toutes les femmes eut un geste premptoire, et ses bagues rutilantes et ses diamants brillrent fugitivement. Sa voix rsonna sous les votes arques de son palais. Maintenant ! nona-t-elle distinctement. Dans les hauteurs d'Alcyon les Phonmes depuis de longues heures se laissaient porter par les vents, ils plongrent vers les lieux o se trouvaient les spultures des cinq petites franaises et rencontrrent aussitt Jean de la Lune et l'Amazoon Andromde. Aids du chien Tagor et de Zkull le dragon d'or, ils s'taient mis creuser avec nergie la neige meuble aussitt aprs avoir entendu les cris des petites filles revenant elles, nanties de leur nouvelle vie. Dans le cercle des entrelacs argents du miroir magique, la scne se laissait distinguer avec la plus extrme nettet. Et les Dames Sombres s'taient rapproch leur tour, suivi de sorcires leves au rang de courtisane, certaines noires comme la nuit et d'autres blanches l'image de l'aurore. Toutes se mirent fixer la rixe avec intensit, Lilith ncessitant de les chasser d'un geste impatient pour pouvoir dtailler tout cela son tour. Les Phonmes au nombre de dix s'taient prcipits vers les petites filles afin de s'en saisir, et voyant cela le mendiant du royaume de France s'tait empar de son pe d'or et avait dcrit de grands moulinets, malgr l'inaptitude de l'pe enchant infliger des blessures. Andromde

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l'Amazoon n'tait pas en reste et seconde de ses Stryphes personnels, surgis de ses terres ancestrales, elle s'tait mise en devoir de repousser de son mieux les Phonmes puissants. Tratresse ! gronda Lilith en serrant ses poings aux ongles laqus. Mais elle n'ajouta pas un mot, car en plus d'tre une sorcire d'excellente facture c'tait galement une femme grandement amoureuse, et il tait des valeurs respectes mme par la desse ultime des Amazoons. prsent l'un des Phonmes se dbattait vainement contre le redoutable Tagor, et Zkull lui-mme s'tait joint aux amis des petites franaises et rugissait bruyamment en direction des Phonmes susceptibles de passer sa porte. Certains commenaient dj sentir le roussi, mais malgr tout la supriorit numrique des assaillants tait patente et bientt les cinq petites filles se retrouvrent dans les bras des Phonmes caquetants de joie. Dans la salle du palais de la noire desse les cris des Honnies fusrent de toutes parts, elles voyaient dj les petites franaises en scurit dans les Demeures des Coeurs. L'allgresse dans la Montagne d'Onyx ne connaissait plus de bornes, au spectacle des Phonmes triomphants laissant derrire eux des vaincus blesss et humilis, lorsque d'inquitantes silhouettes se profilrent au loin. Depuis les hauteurs d'Alcyon se mirent pleuvoir dru des cratures singulires. Que ? Que ? lcha avec effarement la tnbreuse Lilith en se levant demi de son trne, afin de mieux distinguer la surface du miroir enchant. De toute vidence et en dpit de sa folle contrarit, la victoire changeait lentement de camp. Quelqu'un, dans l'ombre, tirait les ficelles du surprenant retournement.

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Chapitre

28

Plus vite ! Plus vite ! s'exclamait Morgane l'attention des cygnes noirs supportant leurs nacelles d'osier, au nombre de trois. Iolo le Tnbreux arborait une expression d'inquitude semblable celle de la noire sorcire Amazoon, en effet les assaillants mystrieux venant de reprendre les petites franaises sous leur nez, chaque instant, s'loignaient davantage. Ils constituaient dsormais des points infimes l'horizon, quasi indiscernables. Le mage de la Ligue en compagnie du chat-cerise Balbillus remchait de lugubres penses. Dcidment, cette aventure se teintait des plus sombres couleurs. Son pessimisme tait extrme, tout comme paraissaient dsorients les deux Hros des Temps Anciens, Gnsio le Triptolme et Aquilon le Myrionime, ou mme le noble Roland, pour leur part sur la deuxime nacelle d'osier. Sur la troisime taient regroups les chats de l'Arkaal, informs de la mort de Nudd mort et bien mort, dans les Enfers et ne sachant plus que dire ou mme miauler. Sur le dragon d'or du nom de Zkull venaient derrire eux Jean de la Lune et l'Amazoon Andromde, le chien noir Tagor assoupi magiquement par la sorcire Amazoon pour la circonstance. Aprs de nombreuses pripties la jonction entre les deux groupes avait pu finalement s'effectuer, mme avec un retard excessif. S'il avait t moindre, leur venue dans les Limbes peut-tre aurait pu changer la face des choses. L'explication par le vagabond des vnements survenus avait t succincte, entrecoupe par les sanglots bruyants d'Andromde, insensible tout apaisement. La vrit tait tragiquement simple : Nudd avait t envoy aux Enfers afin d'changer cinq de ses neuf vies pour faire revivre les petites filles, mortes de froid sur la plaine glace d'Alcyon aprs s'tre chappes des griffes de leurs ravisseurs. Mais Nudd n'tait pas revenu, mme si les petites filles taient retournes la vie. Trop tard chacun s'tait interrog sur le nombre de vies pouvant rester Nudd aprs avoir dgag de leur linceul de neige les petites franaises, et puis des cratures tranges avaient dgringol des cieux et essay de leur arracher les fillettes. Ces animaux blanc ou rouge

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( ils arboraient l'une ou bien l'autre teinte ) avaient t bien prs de russir lorsque de nouveaux assaillants taient intervenus, monts sur des Malammuds, des Byphides, des Mordoggs rugissants, certains mme chevauchant cru des Urauros. C'taient des tres d'une grande pleur, presque transparent. Ils taient tout entiers revtus de blanc, leurs cuirasses, leurs casques taient d'onyx neigeux ou de jade incolore : de grande taille, Jean de la Lune avait d'abord cru avec effarement avoir affaire des gants, certains dpassant allgrement les deux mtres. Ils s'taient finalement empars des fillettes aprs avoir terrass les cratures de couleur, elles-mmes venant de vaincre Jean de la Lune alli Andromde l'Amazoon, et survenant aprs coup les missaires du noble Charlemagne avaient d constater les dgts. Nudd ne revenait toujours pas, et les cinq petites franaises, une fois de plus, s'loignaient irrmdiablement dans l'infini. Sans prendre la peine de rflchir la chasse s'tait organise, les oiseaux hideux s'en repartant vers le sein des cieux, d'o ils provenaient. Les nacelles d'osier portes par les cygnes noirs avaient repris leur envol, grands coups d'ailes furieux, car les cygnes eut-on dit partageaient l'ire et l'emportement de leur matresse Morgane. Zkull s'tait joint au cortge, l'image des petites franaises souffrantes ne cessait de le hanter, grondait-il chacun. Ainsi taient les choses, songeait tristement l'envoy de la Ligue, et avec le passage du temps la distance entre le groupe de chasse et les ravisseurs mystrieux ne diminuait pas, bien au contraire. Les tres gants de pleur vtue semblaient pousser leurs montures fantastiques jusqu'au bout du monde, o dit-on se trouve le Vide bordant l'extrmit des Limbes. Mais enfin, o comptent-ils s'enfuir ainsi ? finit par s'emporter voix haute le magicien noir, d'nervement il avait manqu perdre son bret de velours. En vrit si un autre Plan de matire avait t leur destination ils auraient essay de le rejoindre depuis longtemps dj, et il s'expliquait de moins en moins l'attitude curieuse des assaillants. Tout comme l'trange repli des oiseaux humains aux couleurs dissemblables, dont on ne voyait plus prsent trace d'aucune manire. Les terres glaces d'Alcyon taient loin, et le soleil blanc s'vanouissait derrire les poursuivants continuant inlassablement la traque. Dans les nacelles d'osiers portes par les cygnes noirs, ou bien sur l'chine robuste de Zkull le dragon d'or, les ambassadeurs du royaume de France en compagnie des Amazoons se savaient au bord extrme de l'univers. De fait, tantt, celui-ci disparut et

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les Limbes elles-mmes rapetissrent et s'amenuisrent. Il subsista uniquement un vide suffocant et blme, spulcral. Est-ce l l'Entre-Monde Ultime ? s'inquita haute voix le noble Roland depuis la nacelle voisine. Nous traversons actuellement une authentique pure de pois, lcha pour sa part le Hros des Temps Anciens Aquilon le Myrionime. Notre voyage sera-t-il un priple sans retour ? se lamenta Morgane en tordant ses doigts. Ou bien sera-t-il couronn de succs malgr tout ? Iolo l'envoy de la Ligue des Magiciens de la Terre s'en allait la contredire afin de lui remonter le moral lorsque chevauchant Zkull le dragon d'or, en compagnie d'Andromde, le vagabond lui dsigna d'un geste un point situ encore au loin. Sans doute possible, il devait s'agir de leurs ravisseurs inconnus. Mais l'objet vers lequel se portaient tous les regards tait un portail mythique et fabuleux, une porte en ogive flottant dans les cieux vides et gris sur une plate-forme de nuages vaporeux. Les doubles battants taient de pierre blanche et massive, finement cisele de motifs compliqus : au fur et mesure du rapprochement de la troupe arienne ils se rvlrent tre composs de silhouettes multiples et varies, entretenant peu de rapports les unes avec les autres et pourtant chacune lie l'autre par une subtile harmonie. Trop tard, beaucoup trop tard, les missaires de la Terre et les Amazoons dcouvrirent le pril secret se tapissant dans la Porte, expliquant ainsi l'trange floraison de silhouettes humaines sur le portail de pierre. En effet une attraction puissante s'exerait depuis les battants, et malgr leurs efforts il semblait que leur propre image, bientt, allait comme celle de tant d'autres voyageurs imprudents orner les battants minraux de la grande Porte. Arrire ! Arrire ! clamait le mage de la Ligue aprs avoir enfin distingu le pril. Pourtant depuis dj quelques instants les cygnes noirs s'affairaient essayer d'effectuer un demi-tour, mais en pure perte, car l'attraction se faisait chaque instant plus puissante. Leur destin, eut-on dit, tait scell. Le vagabond fixait avec une intensit mle de surprise les battants malfiques, dont les dessins et les gravures paraissaient s'agiter et se mouvoir curieusement leur approche. Alors vint aux oreilles du mendiant la voix de son pe enchante, lgue par les bonnes dames du Royaume d'Eau. Du coup, l'emprise hypnotique exerce par la construction recula quelque peu.

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 Eh bien, mon ami, attendez-vous d'tre totalement dvor par la Porte Sagamange pour me dgainer ? Usez donc de moi, voyons ! la tana-t-elle. La Porte Sagamange ? s'tonna Jean de la Lune, et Andromde l'Amazoon ses cts en parut frissonner de crainte son coute. Mais oui, auriez-vous donc oubli mes paroles ? le reprit l'pe d'or poigne de cristal, toujours engonce dans son baudrier. La Noireporte peut tre ouverte par moi, et la Porte Sagamange aussi. Vous pouvez donc la franchir aisment, si vous le dsirez. Dans ce cas commena le vagabond. Sachez cependant ceci, la Porte Sagamange est une porte irrmdiable, quiconque la franchit ne peut en revenir inchang, le coupa l'pe d'or, dcidment loquace en cet instant crucial. Pourquoi cela ? demanda Andromde par-dessus l'paule de son amoureux, prs d'eux la Porte vorace se rapprochant dangereusement de leur nacelle, en dpit des efforts dploys par les cygnes noirs. Elle donne accs Oniria, l'Empire du Sommeil dont mme les lus se mfient. L-bas, tout, absolument tout, peut arriver. Mais derrire elle se sont enfuis les ravisseurs, expliqua pensivement le vagabond en caressant son menton. Une telle dcision ne peut tre prise la lgre, je connais des tres Humains ayant prfr se faire dvorer par cette Porte plutt que d'en franchir le seuil, rvla l'pe d'or. Nous sommes perdus ! miaulaient dans leur nacelle les chats apeurs du Chamagnon Tigr. Non, leur rpondit sombrement le mendiant en exhibant son pe d'or vers une serrure bante situe non loin de l, il n'en sera pas ainsi. Il brandit le glaive magique et un authentique miracle s'accomplit : d'elle-mme l'pe d'or quitta sa main et vola par les airs jusqu' entrer entirement dans la serrure, l'image d'une clef s'enclenchant parfaitement dans l'ouverture adquate. La Porte Sagamange en parut acqurir vie et parole puisque les battants normes flottant dans le vide mirent un grognement puis s'entrouvrirent, dvoilant graduellement le paysage interdit de l'Empire du Sommeil. Aussitt aprs l'ouverture des battants la force destructrice exerce par la Porte cessa et les trois nacelles d'osier supportes par les cygnes s'engagrent dans l'ouverture jusqu' se poser dans un champ, les cygnes puiss ncessitant d'un peu de repos, expliqua Morgane au reste des ambassadeurs. De la mme manire le dragon d'or Zkull aprs avoir port jusque-l grands coups d'ailes Jean de la Lune et son aime Andromde, le chien

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noir Tagor, s'tait arrt. En peu de mots il expliqua ses nouveaux amis pourquoi il lui fallait faire demi-tour au plus vite, afin de reprendre sa charge de gardien des terres glaces et froides d'Alcyon. Telle est ma charge, ainsi est mon destin, affirmait le dragon d'or en mouvant ses mchoires puissantes, touffant ses flammes afin de ne pas blesser ses interlocuteurs, avec lesquels il avait fini par se lier d'amiti. Je ne saurais vivre longtemps hors de mon royaume, comme vous vous en doutez je suis une crature magique et mon essence s'teindrait irrmdiablement si je m'loignais par trop du lieu m'ayant vu natre. Je vous ai aid de mon mieux, car j'ai pleur longtemps la mort des petites franaises. Leur retour la vie m'a t profitable, parlez-leur de moi en termes logieux, je vous le demande. Dites-leur combien mon aspect effrayant m'a caus du tort auprs des enfants, mme si j'aime grandement les petits garons et les petites filles. Je penserai souvent elles. Vivement, le mendiant du royaume de France et Andromde l'Amazoon l'avaient assur de leur soutien, et Tagor le chien la queue et aux oreilles coupes s'taient mis aboyer, pour saluer son rveil, eut-on dit, et pour exprimer galement son accord total et entier au dragon d'or. Cela fit hocher au dragon Zkull son crne massif. Si un jour elles repassaient par les plaines froides d'Alcyon, il me viendrait grand plaisir de pouvoir les revoir, et m'entretenir avec elles de leur existence, des changements pouvant y tre survenus. Sur ce le dragon d'or s'lana tire-d'aile par la Porte Sagamange, et cet instant l'pe enchante des bonnes dames quitta la serrure. Les battants de pierre se refermrent et disparurent, la Porte Sagamange ellemme se volatilisant dans le nant. Chacun eut beau regarder soigneusement de part et d'autre, c'tait comme si cette dernire n'avait jamais exist. L'Empire du Sommeil les environnait de toutes parts. Une herbe parfume et douce tapissait le sol, il se trouvait prs de l plusieurs saules pleureurs sur une colline veloute, l'image d'un monticule soyeux. Le ciel tait clair et gris, d'une transparence cristalline, et il n'y avait pas de soleil dans l'endroit. Les cieux eux-mmes illuminaient l'Empire du Sommeil, eut-on dit, et les nuages filiformes s'effilochant dans le vide ne faisaient rien l'affaire. La plaine tait dgage, avec circonspection le groupe des ambassadeurs en compagnie de ses allies Amazoons et des deux Hros des Temps Anciens, de la troupe des chats du Chamagnon Tigr s'avana petits pas en un territoire inconnu. Mais aprs quelques instants Andromde l'Amazoon attira l'attention de Jean de la Lune, avec tous les Evzoons de la troupe, sur les soldats du

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Sommeil, puisque telle devait tre leur qualit, s'en venant vers eux vive allure. Ils taient toujours d'une grande pleur avec des vtements d'une blancheur immacule, et leur taille tait grande. Des Urauros, des Byphides et autres Amnosaures les supportaient vaillamment, leur masse impressionnante ne laissant aucune chance aux missaires terrestres dans leur charge. Mais dsormais, tout comme les retres d'Oniria avaient su faire jouer les vnements en leur faveur, ces derniers, de la mme faon, se retournaient contre eux. Dans la Trame des Choses, des coups de boutoir disproportionns se faisaient entendre et peu peu le sol, les arbres et mme le ciel en furent branls. Un blier cyclopen, en une dimension proche, essayait encore et encore de forer un passage jusqu' l'Empire du Sommeil, une tentative surpuissante y parvenant enfin. Projetant des clats de pierre aigus, la Porte Sagamange venait de se rompre brutalement sous les coups formidables : le premier assaillant mergeant travers l'ouverture fut un Malammud au front large et aux cornes recourbes, ces dernires lui retombant jusque devant son mufle plat. Il tait norme et massif, l'on aurait cru chacun de ses pas observer une montagne de chair se mouvoir librement sur des colonnes pesantes et ongules. Il tait guid par des Honnies vindicatives et folles de rage, s'en allant rcuprer les petites franaises arraches elles, les Amazoons, les sorcires. Derrire suivait le flot ininterrompu des troupes de Lilith, avec des Ensanglantes aux rouges cuirasses et des Dames Sombres protges d'onyx tnbreux, des Veuves Noires aux scintillantes cottes de mailles sur des Byphides, des Mordoggs et autres cratures appartenant aux lus. La masse des Honnies tait impressionnante, par la brche dimensionnelle leur flot ne dsemplissait pas, tant tait grande la colre et l'emportement de la Mre de toutes les femmes. L'arrive des Honnies courrouces fut seule responsable de ce que la formidable aventure des ambassadeurs du noble Charlemagne ne se termina pas benotement l, aux lisires de l'Empire du Sommeil. Car profitant de la diversion cause par leur venue impromptue, chacun s'tait gaill dans le plus grand dsordre, et bientt Jean de la Lune en fut rduit chercher au milieu des escarmouches son aime, Andromde la chevelure de ciel et aux yeux de nuit. Par bonheur, cette dernire le cherchait aussi et son ravissement fut presque complet, mais non pas entier : en effet, son chien Tagor tardait les rejoindre. Alors survinrent dans le tumulte des affrontements deux vnements singuliers. Tout d'abord, des aboiements se firent entendre dans son dos, derrire les buissons o

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ils s'taient rfugis, lui faisant comprendre le retour imminent de son compagnon fidle. Puis une voix fluette s'tait adresse eux, et d'tonnement la belle Amazoon et son amant terrien en avaient hauss les sourcils. Dsireriez-vous donc mourir jamais dans l'Empire du Sommeil, en restant de cette faon au milieu des combats ? disait la voix. Ou bien prfreriez-vous vous mettre l'abri, afin de pouvoir retrouver les petites filles recherches ? Un gnome des Petites Gens s'exprimait ainsi, avec un aspect fluet et des habits bariols, des poulaines de tissu aux pieds et un bret sur le ct de la tte. Il leur montrait du doigt un sentier presque indiscernable, en raison de cela ils n'avaient pu l'observer encore s'tirant prs de l, et se perdant en un bosquet de cyprs et de chnes rouvres. C'est--dire, nous sommes nombreux encore, et nous avons perdu de vue bien des compagnons de route lcha voix basse le vagabond, prs des cris de fureur des Honnies se jetant l'assaut des guerriers du Sommeil, depuis leurs cratures montagneuses. Oui, poursuivit Andromde en glissant un regard effar sur la bataille naissante, et nous avions peur pour eux au milieu du chaos. Des Mordoggs grondants avaient cogn de leur crne norme des Malammuds porteurs de soldats oniriens, des tridents torturs se dressant de toutes parts dans le ciel blanc en lanant de vifs et lumineux clats. Dj les victimes s'abattaient sur le sol en hurlant, des Veuves Noires gisaient sur l'herbe de l'Empire dont elles avaient rompu les frontires, et des soldats au teint marmoren les accompagnaient dans leur chute. Andromde l'Amazooon de crainte avait port ses mains la tte, et le gnome des Petites Gens, ralisant combien les scnes belliqueuses lui rpugnaient, la rassura d'un geste. Les lus ignorent la Mort, contrairement aux mortels, seul l'Endormissement peut leur tre inflig, et c'est dj pour eux une chose grave, mme si non rdhibitoire. Les Honnies dgringolant de leurs montures et les soldats de Morphos sont assoupis pour longtemps. Car le sommeil d'un lu peut durer des res, voir mme des ons Certains lus dormaient dj avant votre naissance, et ils dormiront encore lorsque vous changerez de royaume. Mais pour vos amis ne craignez plus, s'il est de leur destin de survivre ils survivront, soyez en certains. Quant vous, il vous faut savoir ceci : vous n'avez besoin de personne pour mener bien votre tche.

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Alors Jean de la Lune se souvint des paroles de la bonne dame et de la remontrance faite lui pour avoir joint ses pas ceux des missaires de la Terre et de l'envoy de la Ligue, Iolo le Tnbreux. Que devons-nous faire, en ce cas ? l'interrogea doucement le mendiant aux cheveux d'or, en tenant Tagor contre lui, les combats alentour s'intensifiant. Nous ne savons rien de cet Empire du Sommeil o nous sommes. C'est bien pourquoi j'ai t envoy vous, rpliqua le gnome. Suivez-moi, et surtout ne me quittez pas des yeux. Ainsi firent Jean de la Lune et son aime Andromde, le chien noir Tagor, chacun calquant sa route sur celle du gnome bienveillant sans oser tourner la tte vers le lieu des combats, craignant par trop d'y dcouvrir l'un de ses amis en fcheuse posture, ou mme pire encore. Bientt par un sentier d'herbes folles le groupe s'loigna de l'endroit les ayant vu mettre le pied sur l'Empire du Sommeil, et dpassant un groupe d'arbres en atteignirent-ils un bien particulier, se tenant l'cart en arborant des dimensions respectables. Sa silhouette tait lgrement penche et dans son corce bruntre le gnome sembla chercher quelque chose avant qu'un sourire n'illumine son visage : sa main venait d'y dnicher la poigne d'une porte, et prsent l'intrieur un escalier de bois en hlice s'offrait aux regards du groupe. Le gnome des Petites Gens s'y engouffra en premier et se tint prs de la porte, engageant chacun pntrer puis il ferma soigneusement le battant derrire eux, de manire occulter soigneusement l'escalier secret. Dans les entrailles de l'arbre une douce lumire filtrait de l'extrieur par des lucarnes astucieusement dissimules, et en quelques instants Jean de la Lune et son aime, Andromde l'Amazoon, le chien noir Tagor aboutirent en une salle souterraine o la lumire coulait flots, depuis l'intrieur des arbres de la surface, en lesquels des ouvertures semblables celles de leur escalier vgtal avaient t pratiques. Des fleurs champtres et des arbustes odorants poussaient l, car l'eau n'y manquait pas, il s'y trouvait en effet une mare cristalline, et mme plusieurs arbres, d'une verdeur affirme et trs bien taills. Puis dans un angle se tenait une demeure de pierres et de briques rouge, avec un toit pentu et une chemine touchant presque l'extrmit suprieure de la cavit secrte. L'aspect gnral de la maison tait fort russi, mme si trs singulier, la personne ayant prsid sa construction tant apparemment homme de got. Homme, ou bien femme, puisqu'une Compatissante scintillante de ferie et de lumire se dressait devant la porte, et sa trs grande beaut laissa chacun sans voix. Tagor lui-mme resta muet et prfra se

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dtourner de l'apparition lumineuse, dont la clart blessait le regard. Le gnome avait t son bret et pli le genou en signe d'obdience respectueuse. Sois remerci de ton aide et fidlit, Alstor, lui dclara la bonne dame d'une voix l'intonation cristalline. Tu as parfaitement rempli la charge confie toi, je ne l'oublierai pas. Maintenant par un couloir adjacent le gnome appel Alstor s'en tait reparti, et les deux amoureux avec leur chien s'taient retrouvs seuls, devant le regard curieux de la Compatissante pare de blancheur et de lumire. Mes enfants, commena-t-elle aprs un court instant d'observation, j'avais vous parler et mon discours ne pouvait souffrir aucun retard, aussi suis-je bien aise de vous trouver ici runi devant moi. Oui, vraiment, j'en suis bien aise, rpta-t-elle. Voici donc : l'aventure des cinq petites franaises touchera bientt sa fin, mais d'ultimes pripties restent encore venir. Comme bien vous vous en doutez, ce ne seront pas les plus faciles, mais sans mme compter sur les efforts de vos amis, dont il vous faut encore tres spars, vous avez largement vous seuls de quoi mener bien la rsolution de vos coeurs. De vous tous, mes enfants, c'est toi, Jean de la Lune, et toi, Andromde, dont les intentions sont les plus pures et sincres. En raison de cela notre bont vous est acquise tous deux, et nos voeux, tout au long de votre chemin, vous ont accompagns. Nous ne savons plus o aller, les petites franaises ont disparu, se lamenta Andromde. Et l'utilisation de la magie, en ce lieu singulier, m'inspire beaucoup de crainte. J'allais y venir, la rassura la Compatissante dans son halo scintillant. Prends garde ne pas utiliser tes artifices tnbreux dans Oniria, ils pourraient se retourner contre toi de manire implacable. Use seulement dans ton aventure de ton coeur et de ton courage, contrairement ce que tu crois la nature t'en a dot profusion. coutez donc : Lun et Lune sont arrivs dans l'empire, rien ne sera plus pareil. Des Assoupis se rveilleront, et jamais ils n'auraient d s'endormir. L'un est couronn d'toiles blanches, et l'autre d'toiles noires. Le Trne sera pour eux, puisque seuls un Roi et une Reine peuvent y accder. Ds lors tout leur deviendra facile, puisque Larme leur obira. Long est le chemin jusqu'au Trne ! Et celui-ci, mes enfants, leur affirma la Compatissante en donnant l'impression de leur dvoiler le plus grand secret, se trouve dans l'Empire du Sommeil. Elle fit de la main un geste brusque et aussitt le dcor souterrain s'vanouit, littralement, et ils se retrouvrent sur les plaines d'Oniria, en

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un espace dgag pour l'heure encore dsert. Le vent soufflait et faisait se coucher les blanches aigrettes et de dlicates corolles de couleur. leurs oreilles rsonnait encore la voix immatrielle de la bonne dame : " Et surtout prenez garde Morphos ! " Jean de la Lune et Andromde se regardrent l'un l'autre, interloqus pour ne pas dire abasourdis. Et les petites franaises ? s'tonna le mendiant. Elle ne nous en a pas parl ! Morphos ? Qui est Morphos ? demanda pour sa part Andromde, calmant d'une main l'excitation de Tagor, heureux d'tre ainsi revenu la surface de l'empire mystrieux. Au loin s'levait le tumulte des affrontements, donnant l'impression de n'avoir pas cess encore, entre les soldats du Sommeil et la troupe des Honnies : sans connatre l'issue de la bataille, ni mme le sort de leurs compagnons de route, Jean de la Lune et Andromde s'en allrent au hasard dans Oniria, la recherche d'une trace des cinq petites franaises. Ainsi ils prirent un petit chemin sinuant entre des champs, et sous un ciel blanc aux nues grises et vaporeuses, non loin de montagnes denteles l'ocre fonc, ils marchrent et marchrent encore. Chemin faisant, afin d'atteindre une petite maison observe prs de l, il leur prit la fantaisie de vouloir traverser un champ, parsem de fleurs mauves aux dlicats parfums, raffins et sensuels un point inconcevable. Pour gagner du temps et pouvoir approcher ces fleurs magnifiques en mme temps, car leur forme et couleur tait inconnue du vagabond et de l'Amazoon, ils allaient mettre le pied dans le champ lorsqu'une voix grle, vivement, les en dissuada. Halte l, inconnus ! leur lana-t-elle depuis un promontoire. Ce champ, comme tous les champs de Raeves, est la proprit de Morphos, et ce dernier leur prodigue un soin jaloux. Jean de la Lune et Andromde l'Amazoon tournrent leur tte vers la personne recourbe et ge venant ainsi de les apostropher, et ils dcouvrirent une vieille femme revtue d'une robe rouge et d'un tablier crme, avec les cheveux blancs ramasss en chignon, sous un foulard de tissu. Elle tenait la main un sac rempli d'herbes et de fleurs sauvages, probablement cueillies aux environs afin d'en confectionner des charmes et des remdes divers. Malaisment, car le terrain devenait escarp, les deux amoureux escorts du chien noir Tagor firent le tour du champ et se retrouvrent devant la propritaire de la petite maison. tes-vous fous, jeunes gens, ou bien vous manque-t-il de cette matire prcieuse appele raison ? reprit la vieille femme aprs leur arrive ses cts.

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En riant le mendiant et Andromde lui assurrent le contraire, et en peu de mots ils expliqurent la vnrable le pourquoi de leur venue, et leur objectif. Grognant part elle, la vieille femme hocha de la tte plusieurs reprises. Elle finit par leur faire de sa main dcharne et ride un geste d'invite vers sa demeure de torchis au toit de chaume, les nouveaux venus s'empressant d'accepter. Non seulement ils avaient grandfaim, mais en plus leurs renseignements sur l'Empire du Sommeil taient extrmement succincts, pour ne pas dire rduits, et ils taient l'afft de toute indication importante. Derrire la personne ge ils franchirent une barrire de bois branlante, et ils accdrent dans la demeure. Dans la pice principale brlait un feu odorant de pieds de vigne schs dans un tre de pierre. Au-dessus tait une marmite bouillonnante, au fumet apptissant. Vous avez de la chance, jeunes gens, je suis vieille et je me contente de peu, mais j'avais par mgarde aujourd'hui prpar un repas trop copieux, expliqua leur hte. Eh bien ! Mon ragot ne me durera pas au-del d'aujourd'hui. Sur une table de chne luisant elle disposa des cuelles de bois et chacun distribua son d, y compris elle, et Tagor laiss dehors elle donna des restes auxquels le chien fit honneur. Un pichet d'eau glace fut dispos au centre de la table, et durant plusieurs instants on entendit seulement le bruit d'une nergique mastication. Puis l'ancienne enfin amena une coupe de fruits et chacun se saisit satit, leur hte finissant par se tourner vers les deux amoureux en leur adressant un regard pntrant. Aussitt, Andromde l'Amazoon jugea raisonnable de jouer francjeu. Nous ne sommes pas d'ici, avoua-t-elle. La vnrable acquiesa de la tte et balaya d'un revers de main d'ventuelles paroles. Je comprends votre qute. Et je l'approuve, dclara-t-elle de sa voix fle. dire vrai, j'ai discern voici peu de curieuses cavalcades dans l'ther, et une vieille femme comme moi ne s'y est pas trompe. Des voix d'enfant ont rsonn et cela m'a aussitt mis la puce l'oreille. Comment cela ? interrogea Andromde en ouvrant de grands yeux surpris. Jeune dame, lui rpliqua l'ancienne d'un ton ferme, depuis bien longtemps l'Empire du Sommeil n'a plus rsonn du rire frais et argentin des petits enfants. J'ai aussitt compris que quelque chose d'inhabituel venait de se produire, vos explications ne me surprennent pas.

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 Des amis nous faisaient galement partie du voyage, dit au hasard Jean de la Lune, afin d'avoir quelques nouvelles, peut-tre. De ceux-l j'ignore tout, vritablement, rpondit la vnrable. Je sais seulement votre tche juste, aussi ma demeure vous est ouverte. Morphos, je ne le crains pas. Je suis vieille, mais l'Assoupissement ne me fait pas peur. Alors le vagabond du royaume de France et l'Amazoon Andromde se souvinrent des paroles du gnome des Petites Gens, il leur avait affirm la mort incapable d'atteindre les habitants d'Oniria, mais seulement ce fameux Assoupissement. Chacun comprit combien la vieille femme tait sincre, et son rang sans doute devait tre lev, peut-tre mme du niveau des lus. Je puis seulement vous dire ceci : il vous faut avancer sans peur vers le coeur de l'Empire, dans le coeur et nulle part ailleurs se trouve toute solution. Vos petites franaises, elles aussi, doivent se trouver l. Vers ce point font route les lgions de Lilith, elle a pris un bien grand risque en agissant de cette manire. Les lus ont coutume de se respecter mutuellement, l'Alliance a t rompue, peut-tre lorsque les fillettes ont t ravies aux Amazoons. Plutt au noble roi de France, madame ! se rcria Jean de la Lune, en regrettant aussitt ses paroles lorsqu'il distingua le sourire crisp de son aime. Je vous le rpte : allez au coeur des choses, et d'Oniria, martela la vieille dame. Et surtout craignez Morphos, dont la raison a vacill depuis bien longtemps dj, au-del du convenable Elle s'interrompit lorsque rsonna au-dehors un concert d'aboiements furieux dclench par Tagor, puis elle marcha vers la porte d'entre, suivie par le mendiant aux cheveux d'or et l'Amazoon Andromde. Lorsqu'elle ouvrit le battant, un dtachement imposant de soldats du Sommeil se trouvait l, et prestement ils forcrent le passage jusqu' se saisir d'Andromde, l'emportant avec eux. Jean de la Lune en hurlant tenta bien de s'interposer mais en vain, l'un des assaillants le toucha de son trident et il s'croula inconscient. Sur des Malammuds et Urauros piaffants, les agresseurs s'en repartirent promptement. Jetant un regard froid sur les soldats, la matresse de maison n'eut pas un seul geste, mais elle grina entre ses dents, caressant en mme temps le front du vagabond assoupi. Courage, Jean de la Lune, courage. Au bout du chemin est la lumire, et la lumire sera pour toi.

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TROISIME PARTIE : ONIRIA

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Chapitre

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Sur le chemin noir clair seulement par une maigre pnombre, distille avec parcimonie par les rares ouvertures de la paroi rocheuse, Nudd le chat, dcd de frache date, avanait petits pas, comme si au dtour de son chemin il pouvait faire irruption un pril capable de le mettre dans une situation plus dsastreuse encore. Mais plus d'une fois sous la vote obscure il dpassa des coudes inquitants, et aucun instant ils ne dvoilrent de belliqueux habitants infernaux. Derrire lui taient les Sept Valles destines au repos ternel des chats, et il lui avait fallu peu de temps pour s'en dclarer lass, jusqu' en mourir d'ennui. En ce lieu paisible, la nuit ternelle poudre de scintillantes toiles, les chats son image parvenus au terme de leurs neuf vies reposaient dans l'attente d'une nouvelle naissance, durant plusieurs ons souvent, car le nombre de ceux devant venir au monde tait impressionnant, lui avaient assur des compagnons de trpas. De bonnes mes doux euphmisme s'taient mues du sort de Nudd, et lui avaient rvl ceci. Le chat le plus ancien de toutes les Sept Valls s'appelait Hirominet et il rsidait en une tnbreuse caverne amnage prs d'une chute d'eau, situe non loin de l. Il devait avoir parcouru les Enfers en tous sens, cause de son temps de sjour, et si une solution son problme existait Hirominet le Sage ne pouvait l'ignorer, c'tait certain. Pour essayer de rsoudre son problme puisqu'il ne pouvait se rsoudre l'ide de devoir attendre dans les Sept Valles ses prochaines vies, en une re indtermine et pour combattre son ennui Nudd le chat s'tait mis en qute de ce mystrieux sage. Quittant son lieu de rsidence habituel prs d'un arbre la large ramure, sans prendre garde aux Vahhuias effrayants traversant de temps autre les chemins en vaquant de mystrieuses tches, Nudd avait franchi successivement la Valle des Chats en Paix, puis celle des Chats Poltrons avant de trouver la Valle des Chats Aventureux, celle de la chute d'eau en question. L'ayant enfin rejoint grce aux renseignements de chats du lieu, et d'un Trickster aimable, Nudd put dnicher l'entre de la demeure de Hirominet, visiblement amoureux de sa tranquillit. Aprs s'tre gliss

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par le boyau d'entre il avait cogn son museau de dcd une porte close, de bois noir orn de clous de fer. De surprise, Nudd en avait pouss un miaulement de douleur, faisant ainsi office d'alarme bien malgr lui. Aussitt, une voix grle s'tait leve de derrire la porte massive. Qui va l ? interrogea le matre de maison, le plus vnrable de tous les chats des Sept Valles de l'Enfer. Je suis Nudd, Nudd le chat, lui rpondit avec un temps de retard ce dernier, et je me trouve dans les Sept Valles depuis peu. Il sembla Nudd entendre son interlocuteur invisible pousser un gloussement amus, et cela agaa quelque peu le jeune chat, mais il n'en poursuivit pas moins son discours. L'on m'a vant votre sagesse et savoir, vnrable, et mon problme est d'importance. Je suis venu vous en entretenir. N'ayant pas encore termin de prononcer sa phrase la porte imposante avait pivot sur elle-mme, dvoilant dans l'entrebillement un chat gristre aux pupilles d'argent. Il le toisa de haut en bas, puis sans dire un mot il lui tourna le dos et s'enfona l'intrieur de sa demeure, l'invitant le suivre. Avec un bruit sourd la porte se referma derrire lui, et Nudd prfra ne pas s'en inquiter outre mesure. Pardonne mon rire de tout l'heure, lui dclara le chat d'une voix teinte, mais je suis dans les Enfers depuis si longtemps, attendre ma rincarnation, cela m'a rendu amer. J'ai tout oubli de mes dbuts, et t'apercevoir m'a fait un choc, d'antiques souvenirs me sont revenus. Nudd lui affirma videmment n'en tre nullement choqu, et suivant son hte le long d'un couloir ce dernier l'amena parmi une vaste pice au plafond arqu, puis dans une terrasse de pierre. De l la vue tait superbe sur la Valle des Chats Aventureux, avec la valle suivante se profilant au loin et les lacis de la rivire laquelle donnait naissance la chute d'eau, grondante et glace, toute proche. Il y avait une fort de htres et de bouleaux prs de l, dans laquelle des chats parfois allaient baguenauder, lorsque leur coeur tait trop afflig d'tre ainsi spar des vivants. Nudd lui-mme, quand d'aventure ses penses le rapprochaient par trop d'Arielle, son unique et aime, allait se perdre en solitaire sous leurs ramures, jusqu' tre ramen prs de la Frontire des chats par des Vahhuias impassibles. tes-vous vritablement le plus ancien des chats de l'Enfer, vnrable ? lui lana Nudd en prenant place sur un pouf confortable dispos prs de la rambarde. Je le pense, mme si je ne peux nourrir ce sujet aucune certitude, lui avoua l'ancien avec un ton mlancolique dans la voix. Parfois

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j'imagine ma prsence dans les Enfers sans fin, et je me dis : jamais les Compatissantes et les Aimes, les Princesses, ne viendront me chercher pour me mener l'Ocan des Rincarnations. Allons ! lui reprocha vivement Nudd. Toute pnitence possde un dbut et une fin, la Vie viendra vous immanquablement. Tu es bien civil, mon garon, acquiesa en retour Hirominet, juch lui aussi sur un pouf soyeux. Mais dis-moi plutt les raisons de ta venue, car je te devine soucieux. En peu de mots Nudd lui raconta son aventure avant d'tre men aux Enfers, l'enlvement des petites franaises et la tentative d'un roi de la Terre pour les rcuprer, l'expdition laquelle avec d'autres chats il s'tait joint, sa rencontre avec Arielle, les mille pripties jusqu' sa venue en ce lieu funbre. videmment, tu ignorais le nombre de vies te restant encore, n'estce pas ? lui demanda abruptement le sage Hirominet. Oh oui ! lui fit cho Nudd. Il y eut dans le balcon de pierre sous le ciel noir et toil un court silence, durant lequel le vnrable parut mditer des profondeurs insondables. Puis il se tourna vers son hte, et plissant ses yeux argents, il l'interrogea de nouveau. Aurais-tu ramen la vie les petites filles si tu l'avais su ? Cette fois-ci Nudd prit le temps de la rflexion, il songeait videmment Arielle, et ses amis de l'Arkaal perdus pour toujours. Il miaula enfin. Je Je crois, oui. Tu crois ? s'tonna Hirominet en faisant s'agiter ses moustaches. Oui, lcha malaisment Nudd. Disant cela il avait grimac, faisant rire de nouveau Hirominet, dans le vent frais. Je suis bien aise de ta rponse, se rjouit ce dernier. Je lis dans tes yeux la sincrit, ton coeur ne me ment pas. Tu m'as racont bien des choses merveilleuses survenues toi et aux tiens, mais tu ne m'as pas expliqu pourquoi tu es venu jusqu' chez moi, mon jeune ami. C'est pour me demander quelque chose, je suppose. Nudd le chat plac quelques pas du sage hocha vivement du menton, et ses oreilles en frmirent. En effet, consentit ce dernier. La vie de l'Arkaal me manque, mes amis aussi galement ta bien-aime Arielle, n'est-ce pas ? miaula vers lui Hirominet, en plissant malicieusement ses yeux d'argent aux pupilles nacres.

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 Oui, finit par reconnatre Nudd. J'ai la sensation d'avoir laiss derrire moi une tche inacheve, je voudrais nouveau me mouvoir parmi le monde des vivants. Hum, toussota brivement le vnrable, tous les chats ici sont dans ce cas, tu sais, et moi pareillement. Ton dsir est une chose difficile tente par beaucoup de chats, bien peu ont russi. dire le vrai rflchit-il voix haute, aucun chat n'y est jamais parvenu. Nudd avait tristement abaiss la tte, son attitude pitoyable arrachant un soupir de commisration Hirominet. Mais cela ne signifie pas pour autant son impossibilit, bien sr, reprit-il immdiatement. Simplement, ils se trouvaient dans une situation diffrente de la tienne, et surtout Et surtout ? linterrogea Nudd, entrevoyant dj une mince lueur d'espoir, si maigre fut-il. Ils n'avaient pas bnfici des conseils de Hirominet, mon garon, de cela, sois certain ! Reprenons les donnes de ton problme, je ne te le cacherai pas, il est complexe. Donc : tu avais encore cinq vies lorsque tu te trouvais parmi les vivants, et tu les as donnes des petites franaises afin de les voir renatre et retourner dans leurs maisons, c'est bien cela ? Oui, oui, tout fait ! s'excita Nudd en se laissant aller un certain enthousiasme. Mais le Prince des Enfers L'A, poursuivit Hirominet, dans son palais t'a signifi ton dcs immdiat. D'o ta prsence ici, et ton dsir de revenir au milieu des vivants. Hum, hum Visiblement, Hirominet faisait fonctionner de son mieux ses facults intellectuelles rouilles par un long isolement. Tout cela me parat compliqu et ardu, mais j'entrevois pourtant une chappatoire pour toi, lui assura Hirominet. Il existe un passage secret menant des Enfers au monde des vivants, mais il ne te servirait rien de l'emprunter dans ton tat de dfunt, tu serais en effet chez les vivants seulement un fantme, un esprit. Savez-vous, vous, l'interrompit Nudd, o se situerait ce fameux passage secret ? videmment, lcha Hirominet avec une feinte dsinvolture. Dans ce cas, pourquoi ne l'avez-vous pas emprunt dj, au lieu de vous morfondre en attendant votre future rincarnation ? Je te l'ai dj dit, mon jeune ami, soupira l'ancien, cela n'est d'aucune utilit si l'on ne bnficie pas de la Vie, elle seule te permettra d'exister entre les vivants. Dsirerais-tu tre un mort au milieu des vivants ? Est-ce vraiment cela ton souhait ?

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 Non, non, rpondit Nudd en secouant la tte, en aucune faon ! Dans ce cas, ne m'interromps pas tout bout de champ avec des questions oiseuses, veux-tu ? Nudd se le tint pour dit et abaissa piteusement la tte sur son pouf de tissu chatoyant, dans le balcon de Hirominet, sous la nuit ternelle se droulant sans heurt. Un voile nuageux lentement masquait les toiles glaces au-dessus de leur tte. Donc, articula Hirominet, puisque ton chemin vers les vivants est tout trouv il te faudra en effet agir secrtement, tu ne pourras emprunter la Noireporte, il va de soi le problme de ton tat de dcd se pose nous. Tout chat ncessite neuf vies chaque nouveau dpart, pour bnficier du privilge en question il t'en faudra au moins une. Ou mme voir plus ! miaula faiblement Nudd sur son coussin. Ou mme voir plus, rpta Hirominet. La seule issue pour toi est la suivante : lorsqu'un mort est parvenu au terme de son dcs, les Compatissantes le mnent dans leurs jardins secrets o est la Source de Vie. Elles donnent chacun des vies en nombre et qualit adapte leurs mrites avant de le plonger dans l'Ocan des Rincarnations. Si tu dsires retrouver des Vies, c'est l ton but atteindre. Mais comment tu pourrais procder ensuite pour parvenir tes fins, je n'en sais fichtre rien. C'est dj trs intressant malgr tout, convint Nudd en hochant du chef. O est donc situe cette Source de Vie ? Dans les Enfers, bien sr, dclara Hirominet en observant machinalement de vives lueurs prenant la direction de sa demeure dans le ciel noir. Et ce mystrieux passage secret ? L, je le sais, se rengorgea Hirominet. Il est dans les domaines infernaux des tres Humains, il te faudra donc quitter le territoire des chats. Prs du Val des mes Noires, mais prends garde ne pas bruiter sa prsence, car presque personne ne se souvient plus de son existence. Il est cependant un dtail de la plus haute importance dont tu dois tre inform, propos de ce passage cet instant prcis, les lumires scintillantes dj distingues dans le ciel par Hirominet se rapprochrent d'eux jusqu' survoler le balcon de pierre aux balustres moussus, et se rvlrent tre un trio de Compatissantes la blancheur neigeuse, avec des traits enchanteurs et des habits de tulle et de dentelles ariens, de voiles vaporeux. Hirominet, sage et rudit, dit en souriant celle se trouvant le plus prs du balcon, sois heureux car ton sjour aux Enfers a pris fin, nous te

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menons ds prsent vers la Source de Vie, avant de te laisser choir dans l'Ocan des Rincarnations. Emmenez-moi avec vous, s'il vous plat, emmenez-moi avec vous ! supplia vivement Nudd vers les Compatissantes emportant Hirominet, stupfait, dans leurs bras parfums. Cela n'est pas possible, petit chat, le repoussa gentiment une Compatissante blouissante de puret, car tu es mort et ton heure n'est pas encore venue. la Source de Vie, tu ne peux encore songer. Mme s'il me semble avoir entendu parler de ton cas, avoua la troisime Compatissante. Es-tu le chat ayant fait don de ses cinq vies des petites franaises ? Oui, je le suis, miaula Nudd d'un ton morne. Alors sache-le, ton sacrifice n'aura pas t vain, le consola la Compatissante en s'loignant dans le ciel en compagnie de ses soeurs et de Hirominet, il te sera accord un jour une rparation. Mais pour l'heure la Source de Vie t'est ferme inluctablement. Hirominet ! Hirominet ! l'appela alors Nudd. Quel est ce dernier dtail dont tu voulais me parler ? Mais le trio des Compatissantes emportant Hirominet vers la Source de Vie n'tait dj plus visible dans le ciel l'obscurit profonde, et Nudd se rassit tristement sur son pouf. "Misre !" songea-t-il intrieurement. Puis il se secoua et s'tira, descendant bas de son sige afin de quitter la demeure. Mais la porte refusa de s'ouvrir et Nudd dut emprunter un itinraire compliqu pour pouvoir quitter la maison, et retourner chez lui dans son foyer des enfers afin de btir un plan d'action consquent.

Sergent Arzur ! Sergent Arzur ! s'exclamait l'un des chats envoys en expdition par le Chamagnon Tigr, le combat fait rage et nos chats s'impatientent ! Faut-il nous mler la bataille ? Devons-nous choisir un parti ? Car soldats ils taient, en dfinitive, et le sergent-chef Arzur, aprs avoir fix avec intrt l'affrontement tumultueux entre les Rveurs d'Oniria et la troupe des Honnies de Lilith, les uns comme les autres monts sur des cratures monstrueuses et fantastiques, laissa percer un certain dsarroi. Jean de la Lune et l'Amazoon Andromde avaient disparu, avec leur chien noir, pourtant si gentil. Ce n'tait pas tout : Morgane et le magicien de la Ligue, Iolo le Tnbreux, avec son compagnon carlate ne donnaient pas signe de vie non plus. Leur serait-il arriv

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malheur ? Sans cesser de fixer les assauts des Mordoggs et les ruades des Belsphons, le chef du dtachement imprial prfra observer une stricte neutralit. N'oublions pas, fidles chats de l'Arkaal et de son monarque, le Chamagnon Tigr, notre mission initiale, retrouver nos frres flins partis chercher Alban, ce dernier prfrant rester sur Nra. Nous nous sommes joint ensuite l'expdition du noble Charlemagne par amour des petites filles, ne nous loignons pas davantage de la tche fixe. Sergent, sergent, lui miaula d'un ton touff le chat siamois envoy en claireur, aux abords du fourr pais dans lequel le groupe s'tait rfugi, aucun des tres Humains de notre groupe n'est visible, les Hros des Temps Anciens non plus, ni le noble Roland, ni Il suffit, il suffit ! coupa schement le sergent-chef, pour ne pas s'entendre numrer la litanie des disparus et saper encore plus le dj dfaillant moral de ses troupes. Nous sommes venus Oniria afin de retrouver les cinq petites franaises, et si nos compagnons de route ne sont plus, et bien nous agirons de notre mieux pour accomplir notre devoir. N'est-ce pas, mes chats ? lana-t-il d'une voix ferme, un Malammud au grand galop charg de Dames Sombres et de Veuves Noires, en habits de guerre, s'en allant pesamment contre des soldats d'Oniria aux traits svres. Des flches de nacre et des javelots dors plurent de part et d'autre, de vives lumires blouirent les environs, mais la dtermination des chats de l'Arkaal ne faiblit d'aucune manire. En dpit des pertes ventuelles, et elles devaient dj tre importantes au vu des disparus, il leur fallait faire leur devoir envers les petites franaises. Telle tait en effet leur mentalit, mme s'ils taient soldats ils taient aussi et avant tout des chats aimant les enfants. Avec une assurance renouvele, mais le coeur lourd, la troupe fline s'en repartit en file indienne, et par des sentiers dtourns d'Oniria ils s'loignrent peu peu du champ de bataille, o les Honnies de Lilith affrontaient de manire si terrible les Rveurs ples et immenses de l'Empire du Sommeil. Ils atteignirent un petit bois non loin de l et s'engloutirent sous les frondaisons ombreuses, le fracas des combats devenant un murmure touff, s'vanouissant bientt. Dans la fort chuchotante, les oiseaux ppiaient entre les branches et un blaireau noir et blanc, animal pourtant nocturne, s'clipsa discrtement leur vue. Ils rejoignirent par le chemin de terre une tendue d'herbe dgage, et sur une souche d'arbre le sergent-chef Arzur installa son poste d'observation, avant de dcrter un repos gnral, bien mrit aprs tant de pripties. Les chats composant

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sa troupe, Prosper, Chocolat, Tibert, Gontran, Ahzmoud, et bien d'autres s'gaillrent en miaulant de joie, car les tensions avaient t vives et Arzur en bon professionnel des armes ne l'ignorait pas, aussi profita-t-il de ce moment de rpit pour passer en revue l'effectif de sa troupe. Il le fit avec succs, et davantage apais mais non pas totalement, car ils se trouvaient isols en territoire ennemi il laissa errer son regard aux environs, ses yeux rencontrant un curieux monument. Il le dtailla d'abord avec nonchalance, avant d'tre franchement intrigu. Il s'agissait de ce que l'on appelait communment une pierre leve, cette dernire tait haute et lourde, tire, avec une surface rugueuse sillonne d'une mousse meraude et de filets translucides, comme si la pierre d'une antiquit sans nom tait dote de veines de quartz. De tels objets sont difficiles observer, de nos jours, dclara l'astrologue imprial aprs avoir rejoint le sergent-chef Arzur sur son promontoire. Ces pierres sont des plus anciennes, elles tmoignent d'un pass millnaire joint une puissance magique considrable. Les Amazoons n'ont-elles pas coutume d'user de pareils artifices ? interrogea vers le chat rudit le militaire, sans cesser de conserver un oeil distrait sur le reste de ses troupes. En gnral, mais pas toujours, lui assura le chastrologue. Elle bouge ! En effet, lentement, puis une cadence de plus en plus rapide, la pierre leve s'tait mise tourbillonner sur elle-mme, produisant un sifflement tnu, des plus singuliers entendre. D'une voix ferme Arzur donna l'ordre aux chats des environs de se regrouper prs de lui, et il alla prudemment se tapir avec les siens dans un foss, sous un bouquet d'arbres pourvu de buissons profusion, ces derniers les masquant merveille. voix basse, l'astrologue expliqua aux chats surpris par la tournure des vnements pourquoi il fallait garder un silence complet, et il n'eut pas besoin de se rpter inutilement. Bientt un groupe de soldats oniriens aux blanches armures monts sur des Mordoggs, des Malammuds et des Belsphons s'en vinrent toute allure, puis ils descendirent bas de leurs montures lphantesques et formrent un cercle rapproch autour de silhouettes indistinctes. Arzur eut du mal les reconnatre, mais il finit par distinguer les deux Amazoons Andromde et Morgane. Apparemment le sort de la bataille leur avait t dfavorable, et du tourbillon noirtre cre par la pierre leve, des tres ples semblables aux Rveurs mais dpourvus de boucliers et de glaives vinrent prendre en charge les prisonnires, les arrivants remontant sur leurs Belsphons et s'en repartant guerroyer. Dj

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un pitinement sourd annonait la venue des troupes de Lilith, et des cornes imposantes apparurent au loin. Les Honnies veulent rcuprer leurs soeurs, retenues en otage, expliqua Arzur aux siens en un apart impromptu. Le passage ouvert par la pierre leve s'teindra bientt, suivez-moi sans un murmure ! Les vaillants soldats du Chamagnon Tigr se coulrent dans l'herbe parfume d'Oniria et esquivant les pattes lourdes et musculeuses des Amnosaures, des Malammuds, ils se faufilrent par le passage magique sans tre aperus de quiconque. Dans le tourbillon glac, Arzur et les siens eurent l'impression de filer par un ciel tnbreux l'allure de l'clair avant de conclure leur voyage sur un parvis d'argent, nantis de colonnes cristallines et torsades. Des voix se faisant entendre prs de l, Arzur sonna un rappel discret et donna l'ordre aux chats de se dissimuler, certains ayant dj commenc le faire, du reste. Des habitants de l'Empire du Sommeil la haute taille et aux vtements amples enrouls autour de leur corps passaient auprs d'eux une allure sereine, et le premier de tous Arzur soupira lorsqu'ils se furent loigns de l'endroit o la magie de la pierre leve les avait emports. Arzur, est-il bien raisonnable d'avoir agi comme nous l'avons fait ? finit par demander le chastrologue Prosper, dtaillant avec intrt la prodigieuse architecture les entourant. Certainement, n'en doutez pas, lui miaula avec aplomb Arzur. Mon instinct de soldat me le dit, nous allons croiser bientt ces petites filles, grce la prsence des Amazoons Andromde et Morgane. Alors nous les dlivrerons et les mnerons jusqu' l'Arkaal, o notre empereur trs aim les portera chez elles, car immenses sont ses pouvoirs. Ne l'oubliez pas, ne l'oubliez jamais, dit-il d'un ton sentencieux en jetant son tour un regard circulaire, avant d'ouvrir toute grande sa gueule d'tonnement. Car la petite troupe de l'Arkaal se trouvait dans l'ombre de colonnades cristallines, et une vaste tendue quadrangulaire se tenait en son centre, o s'levait une pierre identique celle les ayant transports jusque-l. Une lumire diffuse tombait des cieux, d'une coupole rainure et nervure en toile recouvrant l'endroit d'un seul tenant, et pour explorer les lieux le bataillon des chats men par le sergent-chef Arzur partit en exploration dans ce vaste palais, tout de cristal et de marbre blanc, de quartz translucide et de pur diamant. Il y avait des couloirs aux hautes votes, si leves que les habitants pourtant de grande taille y taient la ressemblance de nains. Les murs taient de briques de verre, travers lesquelles s'panchait une clart intense, car bien videmment la lumire provenait de partout.

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Les portes taient constitues d'un marbre immacul, travaill et ajour avec une grande finesse, on aurait cru une dentelle arachnenne et non pas des battants de pierre ouvre. travers eux, les chats en maraude distingurent plus d'un appartement l'intrieur raffin, avec des meubles dlicats et des tapis luxuriants, des objets d'art prs de baies ovales lgrement ouvertes sur un ciel gris, immense et vide, hormis de petits nuages blancs. Voil un palais bien mystrieux, lcha le chastrologue Prosper l'attention de ses compagnons de voyage, ces derniers approuvant silencieusement ses paroles. Ils dboulrent alors dans une petite place intrieure, car de nouveau des colonnades s'levaient jusqu'aux votes translucides, et elles taient scintillantes et transparentes : un ciel merveilleux s'tirait au-dessus de leurs ttes. Le sol tait de pierres colores dans des teintes crme et ivoire, avec des stries bleutres et meraude. Des Rveurs se tenaient l en un groupe bruyant, prs de murs transparents aux cloisons nacres et aux mdaillons ornementaux. l'coute de la bruissante discussion, les envoys du Chamagnon Tigr se tapirent dans l'ombre des colonnes, et chacun couta avec le plus grand intrt. Car enfin, ils n'avaient toujours pas retrouv la trace des deux Amazoons, encore moins celles des cinq petites franaises, dont le sort leur tenait tellement coeur. Le pril n'a jamais t aussi grand, nos frontires ont t rompues par les Honnies, s'exclamait de manire vindicative l'un des Rveurs, arborant une tenue safrane. Et leur Mre Lilith guide leur colre depuis son palais ! Cela est grave, trs grave ! affirmrent plusieurs des Rveurs se tenant l, et paraissant dtenir un rang important dans l'empire mystrieux d'Oniria. Sottises ! cracha son tour avec un geste vif un autre, sottises, et billeveses ! Le rapt des petites filles est un affront important, et leur courroux, mes yeux, est largement motiv ! ces paroles succda un toll gnral, et il y eut des habitants du royaume d'Oniria pour s'lever contre cette affirmation, et d'autres ples Rveurs de l'empire pour se dresser leur tour contre cette mme raction. Bref, une authentique cacophonie vit un Rveur merger dans la demi-pnombre o se trouvaient les chats, avant de clamer bruyamment sa dcouverte. Un cercle de visages ferms au regard dur, presque intransigeant, se forma alors autour de la petite troupe fline, et le premier de tous celui des Rveurs portant une tenue safrane s'adressa eux. Pourquoi tes-vous dans le Palais Cleste ?

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 La prsence en ce lieu de tout Non-Rveur est prohibe par le monarque d'Oniria, l'ignoreriez-vous ? Cela aussi est grave, trs grave ! renchrit le choeur des habitants de l'endroit. Nous traversons dcidment des temps bien sombres et difficiles, conclut le Rveur ple et droit vtu d'orange. Empruntant des couloirs de cristal brillant des gardes menrent le groupe au coeur du palais de verre, et par des baies chacun put observer avec surprise un dtail extraordinaire : l'difice mystrieux se tenait au plus haut des airs, sans aucun support matriel. Cela promettait des difficults supplmentaires en vue d'un retour ventuel ! s'attrista le sergent-chef Arzur. Ils finirent par aboutir derrire les deux gardes dans une grande salle spacieuse, et il y avait des arcades en ogive parmi les profondeurs suprieures, et des fentres multicolores sur les cts. Le tout videmment baign d'une lumire omniprsente, puisque les lieux comme le reste du palais taient constitus d'un cristal pur et scintillant. Un cercle parfait et bant se trouvait au centre, par o l'on pouvait distinctement observer le sol de l'empire d'Oniria, dfilant lentement sous eux en cet instant mme. Une mince langue de verre s'tirait vers le coeur de l'ouverture en guise de chemin, avant de s'largir afin de soutenir un trne de diamant prcieux, travaill et adorn de figures stylises dotes de somptueuses couleurs. Ce trne tait un enchantement, en vrit, mais le ple Rveur reposant dessus ne semblait nullement en tre conscient. Il avait une stature leve, presque encore davantage que celle de ses congnres, et des membres dlis avec des mains blanches et livides travers lesquelles, eut-on dit, un observateur attentif eut pu distinguer le dcor. Il tait vtu d'une toge de lin s'enroulant autour de lui en dgageant ses bras, et il possdait des traits lgants avec un front dgag et des cheveux courts et blancs, des yeux gris, une bouche fine et tire. Faisant signe Arzur, le chef du groupe, de s'avancer vers lui par le mince ruban de verre, ce dernier s'excuta, non sans apprhension. Finalement, il se tint bien droit devant le noble personnage, et le regarda fixement dans les yeux, sans plus de terreur ni de crainte. Car le Chamagnon Tigr tait son monarque, et il avait proclam allgeance lui seul. Morphos est mon nom, expliqua d'une voix lasse le Rveur dpourvu de couronne, et entendant cela le sergent-chef Arzur observa comment le reste des chats venait d'tre rejoint par ceux devant tre les conseillers du monarque d'Oniria. Je sais pourquoi vous tes l.

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 Dans ce cas notre labeur en sera rendu plus facile, lana hardiment Arzur. Librez les petites franaises, et nous rentrerons chez nous avec elles par nos propres moyens. Entendant cela Morphos clata d'un rire teint, puis fit de la main un geste ngligent. Non, cela n'est pas possible, d'aucune faon, assura-t-il. Mais peuttre dsirez-vous les voir ? Le sergent-chef Arzur avec le reste de sa troupe affirma leur accord, oubliant dans leur empressement de s'enqurir de la bonne sant des Amazoons et sans plus de crmonie, les chats de l'Arkaal furent emports par des rubans de lumire jusque dans le coeur secret d'Oniria. Mais ce faisant Arzur entendit comment Morphos faisait appeler des gens portant le nom de Cavaliers, puis tout le monde fut men dans une grande cavit de cristal nantie de colonnes gemmes et d'un lac artificiel, avec des maisonnettes transparentes et tout s'vanouit de l'esprit du sergentchef. Il y avait l une, puis deux, non trois toutes les petites franaises taient prsentes, saines et sauves ! Le coeur des chats tait en joie, puis une main douce se saisit du sergent-chef et une voix cline murmura son oreille. Auriez-vous si vite oubli vos amies les Amazoons, messieurs les chats ?

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Dans la poussire et le fracas cre par le passage des Mordoggs et des Malammuds, des Belsphons, des Urauros, des Amnosaures sinistres, les arbres eux-mmes semblaient s'carter sous l'effet du dplacement d'air et les hautes herbes frissonnaient en s'agitant. Le ciel clair tait dsert aprs les combats ayant vu s'assoupir nombre de Honnies et de Rveurs, et maintenant chacun s'en retournait dans sa citadelle afin de reprendre des forces et de forger de nouveaux plans d'action. Les Ensanglantes et les Veuves Noires arboraient encore aprs les assauts une expression farouche, sur le dos de leurs montures disproportionnes elles taient semblables des statues grimaantes revtues d'armures et de cottes de mailles, bardes de glaives et de javelots, de lances prcieuses. Sur l'chine d'un Mordogg pesant, celui-ci poussant de temps autre un grondement rogue, il y avait en tant que prisonnier l'envoy de la Ligue, Iolo le Tnbreux, en compagnie de son chat-cerise Balbillus et des deux Hros des Temps Anciens, Gnsio le Triptolme et Aquilon le Myrionime, avec le noble Roland : dans les combats ce dernier s'tait vu doter d'une superbe estafilade, son grand dam. Au coeur du tumulte entre les Honnies et les Rveurs leur prsence avait t rapidement dcele, et comme par un fait exprs les Honnies s'taient saisies des hommes du petit groupe, et les soldats d'Oniria des femmes, ou plutt de Morgane, l'Amazoon, portant ainsi la fureur des Honnies son comble. Apparemment, elles taient venues rcuprer les cinq petites franaises, ni plus ni moins. De Jean de la Lune et d'Andromde nul n'avait plus rien su, motivant ainsi les tourments affligeant sans trve ni repos l'envoy de la Ligue. Que dire au surplus de la disparition des chats de l'Arkaal ? Les soucis de Iolo le Tnbreux taient sans fin, mais son chat-cerise aux yeux d'or s'en aperut et il essaya de l'apaiser par quelques phrases de rconfort. Allons, Iolo, tu n'es responsable en rien des vnements. Nous avons t spars les uns des autres une fois de plus cause du Destin, tu le sais trs bien, et nul ne peut aller contre sa volont.

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 Parfois je me dcourage, nous allons vers un avenir funeste, dans lequel nous nous perdrons tous sans espoir de retour, maugra le magicien, les Honnies prs d'eux sur le Mordogg les fixant froidement. Ami, il faut te reprendre, car tu nous as soutenus souvent lorsque l'apathie nous guettait, lui affirma le Hros des Temps Anciens Gnsio en posant une main compatissante sur son paule. prsent, c'est notre tour de te soutenir et de te dire : courage. Notre aventure tire son terme, j'en suis sr. C'est certain, enchana son tour le noble Roland, il nous faut garder espoir comme nous avons toujours su le faire jusqu' prsent. Il nous faut croire en nous, ds lors tout nous sourira et nous russirons. J'en suis galement persuad, acquiesa Aquilon le Myrionime en observant du coin de l'oeil la troupe des Honnies sur leurs montures montagneuses, autour d'eux, elles paraissaient avoir acclr l'allure. Il nous faut garder la foi. Allons ! Aprs s'tre ainsi revigor les uns les autres Iolo le Tnbreux, l'envoy de la Ligue des Magiciens de la Terre, observa son tour de quelle manire les Urauros et les Malammuds venaient d'tre contraints galoper, dans les plaines d'Oniria, jusqu' voir apparatre au loin une cit de jade noir tout en aiguilles et en tourelles, en difices massifs ceinturs d'une muraille imposante. La ville se trouvait pose sur une colline bruntre et bombe, orne d'une pellicule brillante dcore de motifs gomtriques. Au surplus, la colline en question tait nantie d'ouvertures dans ses extrmits infrieures, ne laissant pas d'intriguer le magicien de la Ligue. Des portes monumentales s'taient ouvertes dans les remparts, et des arches de pierre, la maonnerie large et pesante, permettaient l'accs aux Malammuds et aux Amnosaures, aux Belsphons lourdement chargs. Puis les battants se refermrent derrire eux. De hautes demeures cerclaient les rues rectilignes de la cit des Honnies, et certaines comportaient de riches faades et d'autres arboraient un aspect martial n'augurant rien de bon. Bientt, les envoys du valeureux Charlemagne furent descendus bas de la monture lphantesque les ayant transports jusque-l, et tandis que les cratures disproportionnes taient menes vers leurs stalles, en attente de la prochaine campagne militaire, en une sombre gele furent emports le magicien de la Ligue et ses amis. Dans une cellule humide ils furent laisss, et aprs de longues minutes les nouveaux venus purent s'habituer la pnombre ambiante. Il y avait l tout un pan de la pice plong dans l'obscurit, avec une large ouverture ne comportant aucun barreau. Le vide bant situ au-del, il est vrai, motivait une telle dsinvolture.

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Aquilon le Myrionime s'tait assis benotement contre un des murs de la pice, et Gnsio le second Hros des Temps Anciens avait choisi lui un tabouret de bois blanc. Iolo le Tnbreux s'tait enfonc dans la paille dispose sur le sol en caressant son chat-cerise, et le noble Roland aux traits lgants s'tait accoud au rebord de la baie. Si vous aviez bti fugitivement un espoir de sortie par cette voie, leur lcha-t-il mi-voix, oubliez-les aussitt, vous pouvez m'en croire. Notre situation s'est singulirement dgrade, ajouta Aquilon le Myrionime. En ce cas rjouissez-vous, car seulement lorsque l'obscurit atteint son apoge elle peut se muer en lumire, dclara une voix d'une neutralit surprenante, depuis la zone d'ombre de la cellule, vritablement d'un noir d'encre. Les ambassadeurs du royaume de France n'avaient pas eu le temps de s'tonner encore d'une telle intrusion dans leurs rangs et dj la pice s'tait mise tanguer, tout comme le reste de la cit des Honnies. Par la malepeste ! grogna le noble Roland, pris de court par la simultanit des vnements. Qui tes-vous, tranger ? lui demanda simplement Iolo. Je suis Pharius, leur dit ce dernier en mergeant de l'obscurit dans laquelle il se tenait jusqu' lors. J'ai t jet dans cette cellule peu avant votre venue, expliqua-t-il. Ayant dit cela les secousses dans la citadelle s'amplifirent de plus belle, et un balancement rgulier, quoique lent, agita ds lors les lieux tout entiers. Le dnomm Pharius tait un Rveur d'Oniria, dont il possdait les traits principaux. Une haute taille et des traits fins, distingus, un teint de peau trs clair, des habits lgers enrouls autour de son corps mince et tir. Ses cheveux taient coups trs court, avec une calotte de soie couronnant sa tte. Ne vous proccupez pas outre mesure du mouvement affectant la cit des Honnies, leur assura-t-il. Il s'agit simplement de l'Anuska, elle s'est mise en marche afin de se dplacer jusqu'au lieu indiqu par ses matresses, les Honnies. Aprs avoir entendu cela les ambassadeurs se prcipitrent vers l'ouverture murale, afin d'observer comment la base montueuse de la ville s'tait dote de pattes cyclopennes et s'tait mise dambuler placidement vers l'ouest. Loin, trs loin l'horizon, une tte serpentine et crevasse de rides s'tirait au-dessus du sol herbeux. Sur une tortue gigantesque la cit fortifie des Honnies avait t pose, et prsent elle faisait route, comme l'avait trs bien compris Pharius, vers un nouvel

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objectif. Entre deux hautes montagnes se tenait un col, et vers ce dernier se dirigeait tout droit l'Anuska. Se dplacer en dpit de sa masse norme lui prenait un certain temps, aussi les occupants de la cellule eurent-ils largement le temps ncessaire pour se prsenter les uns aux autres et faire mutuellement connaissance. Ainsi, votre prnom est Pharius, miaula d'une voix pointue le chatcerise Balbillus. Dans quelle circonstance avez-vous t captur par les Honnies ? Pour notre part, nous l'avons t peu aprs notre venue dans Oniria, l'Empire du Sommeil, lcha Gnsio le Triptolme. Je m'en doute, rpondit Pharius en hochant du menton. De toute faon, si vous n'aviez pas t fait prisonniers par les Honnies, vous l'auriez immanquablement t par les soldats de Morphos. Les servantes de Lilith ont semble-t-il trs mal accept la capture des petites franaises. En signe de reprsailles, elles vous ont pris, vous, cause de votre condition masculine. Et j'ai subi un sort identique au vtre. Le noble Roland, aprs s'tre mis de ct afin d'apporter de l'ordre son habillement et de vrifier le bon tat de sa rapire, poussa un cri touff. Au loin descendait le col neigeux une cit entretenant de grandes ressemblances avec la leur, car tout comme celle des Honnies elle tait juche sur une de ces tortues monstrueuses portant le nom d'Anuskas. La nouvelle venue marchait pas lents vers sa soeur, dans l'intention vidente de lui barrer la route. Puis des Belsphons grondants et des Malammuds jaillirent de la ville des Rveurs, tandis que des Urauros et des Amnosaures chargs de Veuves Noires et d'Ensanglantes, de Dames Sombres en proie une fureur guerrire s'taient portes leur rencontre. Trs vite le tumulte fit rage entre les belligrants, et nombre de vaillantes personnes chutrent inanimes dans les deux camps, faisant pousser Pharius un soupir dsol. De si valeureuses personnes ne devraient pas tomber dans l'oubli ! Et vous, Pharius, l'interrogea alors Iolo le Tnbreux, vous ne combattez pas aux cts de vos frres Rveurs ? Si Rveur je suis, reconnut ce dernier, je ne crois pas en l'usage des armes et de la vindicte, et disant cela il avait eu un regard fugitif sur les pes des deux Hros des Temps Anciens, comme sur celle de Roland. Vous avez entirement raison, Pharius, l'approuva avec un large sourire le magicien noir. Mais ensuite les vnements s'acclrrent. Le carnage entre les Rveurs et les Honnies devint froce et les deux cits ennemies sur leur Anuska en vinrent se toucher, puis s'affronter directement. D'un

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rempart l'autre, des assaillants bondissaient en hurlant. Les Anuskas se mordaient mutuellement, de leur bouche immense et dente. Puis il y eut en provenance de la ville des Dames Sombres un pinceau de lumire, aveuglant dans le ciel dgag, et un autre, un autre encore, touchant de plein fouet des tours circulaires dresses au coeur de la cit ennemie. Cette dernire rpliqua, mettant elle aussi un rayon mortel au devant d'elle, sa chaleur brlante frlant la gele des prisonniers. Mais les Honnies ragirent vivement et dans les affrontements terrestres ces dernires prirent graduellement l'avantage. Bientt, il n'y eut plus en provenance des Rveurs aucun rayon luminescent, et sous les assauts des Mordoggs et des Byphides, revigors par l'issue des combats tournant en leur faveur, l'Anuska des soldats de Morphos replia ses pattes normes et sa tte, consommant la dfaite de sa cit. Majestueusement, l'Anuska des Honnies et des Ensanglantes reprit alors sa marche vers le col aprs avoir englouti dans ses flancs les troupes victorieuses. Sans plus attacher d'importance aux bataillons vaincus, les Honnies avaient repris leur progression interrompue vers le col et celui-ci fut vite atteint. De leur cellule, les prisonniers unis prsent par un mme sort observrent avec intrt les contreforts montagneux les entourant, puis ils virent une grande tendue ocane au bleu profond scintiller au loin, et ils se dirent : " l'Anuska va longer la mer pour ainsi viter les accidents du relief, de cette faon son allure s'en trouvera acclre d'autant. " Aprs avoir atteint la mer au terme d'une marche paisible l'Anuska se mit en devoir de longer le rivage, sous le ciel blanc et les nues rveuses et claires, puis, au grand tonnement des prisonniers, l'Anuska excuta pas lents un quart de tour en direction de l'ocan, et progressa dans la mer. a alors ! s'exclama avec une pointe de surprise le Hros des Temps Anciens, Aquilon le Myrionime. L'Anuska prend la direction du large, dclara songeusement Pharius en pinant ses lvres minces. Je ne vois point trop quelle rouerie les Honnies ont en tte, actuellement. Un objectif d'importance se situe peut-tre par l ? lana pour sa part le magicien de la Ligue, Iolo le Tnbreux. Peut-tre dsirent-elles infliger Morphos des dommages extrmes, obligeant ainsi ce dernier restituer les petites franaises ? Nul ne peut le savoir, affirma le neveu princier Roland, tout en observant la cit noire fendant les flots vive allure. L'Anuska calmement allait de l'avant, des vagues mousseuses s'abattant sur sa carapace disproportionne et sur la base des remparts

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de la cit. Des Dames Sombres en compagnie de quelques sorcires s'taient disposes sur les crneaux, et tout comme leurs prisonniers, elles fixaient avec intensit la mer. Des rues droites se croisant angle droit sillonnaient la cit, quelques places dcores d'une vgtation la verdeur affirme trouant de tches meraude la noirceur de la ville Honnie. Parmi les tourelles et les aiguilles de quartz tincelant, des sorcires sur leur balai s'taient mises sillonner les airs, et plusieurs s'loignrent loin au-dessus de la mer, comme en mission de reconnaissance. Des Ensanglantes juches sur des cratures serpentines au long col et aux ailes cailleuses et craqueles, des Vouivres, fendirent les cieux leur tour. L'une des Ensanglantes passa dans le vol sifflant de sa monture reptilienne, et le crne anguleux aux yeux froids de cette dernire tait vritablement effrayant. Patience, Evzoons ! leur cracha-t-elle. Bientt des soeurs viendront vous nourrir et vous abreuver, mme si cela nous fait mal au coeur ! Sur ce, sa Vouivre vira et se perdit dans le lointain, suivie de prs par plusieurs sorcires montes sur leur balai. Cela a au moins le mrite de la clart, dit Pharius le Rveur. Les Honnies ne nous ont pas oublis dans notre cellule, elles ont simplement mieux faire pour l'instant. Je me demande la nature de cette tche si importante ? vrai dire je ne le sais pas, se dfendit avec une expression pensive le Rveur d'Oniria. Les seules terres se trouvant devant nous pour l'instant sont les les du Cauchemar, et elles sont comme vous l'imaginez peu frquentes. Devant nous, il n'y a rien. Uniquement La cit des Honnies sur son Anuska s'inclinait dangereusement, chaque occupant de la cellule tant malgr lui prcipit sur la baie ouverte de leur prison. L'Anuska monstrueuse plongeait vers les trfonds de la mer bleute : progressivement, la cit noire des Honnies s'enfonait dans des tnbres liquides. Ce n'tait apparemment pas prvu par les Honnies ! cria vers ses compagnons de captivit le Rveur Pharius, afin de couvrir la rumeur du tumulte liquide. Un pril doit se tapir dans les profondeurs ocanes, et elles veulent l'liminer ! lui rpondit le mage de la Ligue en mettant ses mains en porte-voix. Les protecteurs des Rves Perdus doivent avoir entendu leur approche, et ils se portent leur rencontre ! s'gosilla le Rveur tandis que le niveau de l'eau montait toujours. Car il est un amas de tels songes au

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fond de la mer, et celui touchant aux richesses oniriques atteint le coeur mme de Morphos. Sur ce la citadelle entire s'engloutit irrmdiablement, et dans les tnbres troubles de l'onde Iolo le magicien vit comment leur image les sorcires et les Honnies ne souffraient nullement d'touffement, mme si des poissons dors flottaient en bancs entiers prs de l. Des Mordoggs s'taient mis fendre les eaux, et des Ensanglantes et des Veuves Noires pointaient sinistrement leurs glaives et leurs tridents vers les agresseurs se rapprochant d'eux. Des silhouettes obscures la progression ondoyante s'en venaient dfendre leurs trsors, les Songes Perdus des hommes. Sur le dos de montures marines taient des Rveurs l'aspect curieux, mi-homme mi-poisson, au contraire de Pharius l'apparence compltement humaine. En contre-bas, dans les profondeurs, luisaient des amoncellements de Rves, dors et scintillants, l'image de ces rves somptueux nous visitant parfois avant notre rveil. D'eux-mmes, les ambassadeurs du roi de France et Pharius s'taient mis nager, entre les tourelles de la cit des Honnies progressant au fond de la mer. Je ne m'explique toujours pas le miracle de notre respiration sous l'eau, finit par lcher le noble Roland, commenant cependant ne pas trouver dsagrable de pouvoir ainsi voluer entre les poissons. Les Honnies ont des pouvoirs sans limites, elles doivent avoir plac un cercle magique autour de l'Anuska afin de secourir les tres de nature mortelle, rvla Iolo aprs s'tre mis nager lui aussi aux cts de Balbillus, son chat-cerise. Prenons garde en ce cas ne pas franchir la limite invisible de ce cercle, renchrit le Hros des Temps Anciens Aquilon, aprs avoir observ comment les Gardiens des Rves Perdus reculaient sous l'assaut froce des Dames Sombres et des Veuves Noires, des Amnosaures la lourde cuirasse. Tous les membres du petit groupe commencrent s'loigner de leur cellule en ondulant, aprs tre passs par l'ouverture bante de leur prison, cette dernire n'tant assurment pas destine tre plonge dans l'lment liquide. Jetant un regard vers la surface de la mer, bien au-dessus d'eux, Roland eut en direction du mage une interrogation muette, laquelle ce dernier rpondit aussitt. N'y songez mme pas. Le cercle magique des Honnies n'atteint pas si haut, vous seriez noy avant de rejoindre la surface. Et dans quel tat ! Les deux Hros des Temps Anciens s'apprtaient rpliquer lorsque de vives et tincelantes lumires attirrent l'attention de chacun. Le trsor des Rves Perdus se trouvait l, porte de main ! Les dfenseurs de

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l'endroit tant trop occups ferrailler contre les Honnies de la citadelle, les ambassadeurs de la Terre purent voluer en toute impunit au sein d'une telle merveille, avec un ravissement ml de crainte. Un amoncellement de sphres dores de la grosseur d'une orange gisait devant eux, sur bien des lieux la ronde, dans le plus total et indescriptible dsordre. Au gr du relief sous-marin les Rves Perdus s'accumulaient sur des saillies rocheuses ou bien le long d'une vaste plaine, et des champs d'algues taient parsems de leur prsence comme par autant de ppites fascinantes. Les Rves Perdus tapissaient le sol, jusqu' escalader des concrtions calcaires et les dissimuler sous leur chape d'or. Chacun s'tait mis se saisir d'eux et les palper, les soupeser avec envie, une expression extatique sur le visage. Puis le Rve Perdu tenu par Iolo entre ses mains s'vanouit, et une mme msaventure survint aux Hros des Temps Anciens, Roland et Pharius. Le mage allait maudire leur malchance lorsqu'une expression de grande inquitude se peignit sur son visage. L'Anuska s'cartait graduellement du trsor des Rveurs, car les affrontements se dplaaient, suivant en cela probablement le but recherch par les gardiens de l'endroit. Mais le cercle magique leur procurant chaleur et vie s'loignait d'autant, et pouvait par sa disparition causer leur perte ! Prcipitamment il mit ses compagnons au courant du pril et chacun se mit faire route vers la citadelle noire, de laquelle ils taient pour le moment tributaires. toute allure ils se rapprochrent de l'Anuska la pesante dmarche, et des Honnies chevauchant un Mordogg leur firent un signe imprieux, celui de nager au plus vite vers leur lieu de rclusion. Les combats en effet se prolongeaient, et les assauts se poursuivaient par vagues successives. Finalement, estimant sans doute la rsistance des dfenseurs du lieu par trop coriace, la citadelle des Dames Sombres et des Ensanglantes la cuirasse carmin prit la direction de la surface, du moins ainsi songrent les ambassadeurs de la Terre, une fois retourns penauds dans leur cellule. L'Anuska voluait sur le fond de la mer, et celui-ci tout doucement allait en se relevant. Bientt, ils reviendraient en surface. Il en sera fait de nous, expliqua Iolo le Tnbreux ses compagnons de captivit, nous ne pourrons plus nous vader d'ici, comme nous venons de le faire. Mais cela serait dangereux de partir, hors du cercle magique nous mourrions touffs, lui rappela Aquilon le Myrionime. Certainement, convint le chat-cerise Balbillus qui comme le reste de ses amis tait sec des pieds la tte, si l'on peut dire. Mais lorsque nous

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serons prs de la surface, et donc du rivage, la distance sera infime et le risque mrite d'tre tent. Je le pense aussi, convint le Rveur Pharius, prs d'ici le continent est escarp et les caches ne manqueront pas, notre fuite en sera favorise d'autant. Ainsi dcidrent d'agir les captifs, et lorsque le noble Roland dclara la surface suffisamment proche, ils profitrent de la diversion cre par le retour des troupes Honnies pour s'esquiver en catimini. vive allure ils atteignirent la surface cumante sans se faire reprer, ce dont le mage de la Ligue se flicita fort, et quelques brasses leur permirent de rejoindre une plage de sable blanc. Iolo le Tnbreux compta et recompta les siens, avant l'mergence de l'Anuska depuis les profondeurs marines : les Hros des Temps Anciens, le noble Roland, le Rveur Pharius avec le chatcerise Balbillus, aucun ne manquait l'appel. Ils coururent se mettre l'abri vers une fort de pins noirtres, et une fois sous le couvert des branches Iolo se tourna vers le Rveur Pharius. Vous avez fait erreur, semble-t-il, Pharius, lui sourit-il durant l'loignement de leur troupe du lieu de dbarquement. Le relief n'est en aucune faon tourment par ici. Le Rveur avait hoch de la tte sans ralentir sa course. Bien au contraire, il l'est, aux environs des Rves Perdus, affirma-til. Alors nous sommes dans une incongruit, s'tonna l'un des Hros des Temps Anciens, puisque cela ne ressemble en rien votre description. Je vous avais parl seulement des terres par lesquelles nous sommes venus, dclara Pharius. Je vous avais dit galement ceci : les Cauchemars, un chapelet d'les, se trouvaient au loin. Donc lcha doucement Iolo avec une grimace maussade. Exactement, acquiesa le Rveur tandis qu'un rugissement inquitant rsonnait au loin. Tout juste. L'Anuska a poursuivi sa route droit devant elle, et nous sommes loin de la protection de la citadelle, au coeur des les du Cauchemar. Iolo le Tnbreux observa combien les environs taient diffrents, effectivement, de ceux prcdemment traverss par l'Anuska avant de s'enfoncer dans la mer. Les lieux taient montueux, avec des collines recouvertes d'une vgtation paraissant n'avoir jamais connu la main de l'homme. Les plaines comme le reste d'Oniria se couvraient d'herbes folles en une prairie sans fin, et de temps autre mergeaient du lacis des collines les cnes fumants de volcans bruntres. l'horizon, l'un

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d'entre eux tonnait et rugissait en projetant la ronde des fumerolles inquitantes et des dbris rougeoyants. Pharius l'avait dsign du doigt, en indiquant ses compagnons de continuer se dissimuler dans la fort de chnes noirs. Dans cet archipel, chaque volcan est l'quivalent d'un tre humain, il dispense sa qualit aux univers humains veills, rvla Pharius. Suffocant est le nom de celui-ci, l'activit dbordante. D'autres sont en sommeil mais ils se rveilleront tantt, lorsque Suffocant se sera essouffl. Ce sera alors le tour de Pnible, Malais ou bien Hurlant de s'agiter et de cracher ses Cauchemars aux tres Humains. De singuliers oiseaux ne planent-ils pas dans les airs, entre ces volcans ? l'interrogea le noble Roland, aprs avoir mis l'une de ses mains en visire au-dessus de ses yeux. En effet, une faune particulire hante les les, reconnut le Rveur, et les moins terribles ne sont pas les Oiseaux Clairs des Nuits Blanches. Ils vivent prs des volcans entre les Cauchemars, car c'est l leur habitat naturel. C'est aussi celui d'tres perdus pour le genre humain, ils subsistent en reclus dans cette zone prilleuse. Sur ce une rumeur sourde vint jusqu' eux depuis la mer, chacun comprenant sans mme avoir se retourner. L'Anuska des Honnies, avec la citadelle malfique sur son dos, venait d'merger la surface et marchait sur la rive d'une des les du Cauchemar. Tous acclrrent l'allure afin de se perdre dans les bois, et au bout d'une priode de temps indfinie Iolo le magicien s'adressa au Rveur pour s'enqurir de leur orientation, ce dernier lui avouant n'en avoir aucune ide. Seul le dsir d'chapper aux Honnies avait occup son esprit, le reste perdant pour lui, brivement, toute espce d'importance. Ils se trouvaient pour l'heure en une zone vallonne, de faible hauteur, entre deux collines, un volcan endormi se situant au loin, l'image d'un gardien menaant. Des arbres songeurs se dressaient, entours d'une herbe rche au vert terne et sans clat. Progressant dans une gorge de dimensions rduites, le groupe en arriva rejoindre une partie de terrain s'tendant en contrebas. Il semblait dsert, et une sphre la couleur irise, aux dimensions d'une citrouille, tait pose en plein milieu de l'tendue vgtale. Iolo le Tnbreux, son chat-cerise et le noble Roland, les deux Hros des Temps Anciens, se rapprochrent avec curiosit de la sphre en question. Sa taille suprieure leur rappelait les Rves Perdus soupess sous la mer, mais le Rveur Pharius les dissuada vivement de la toucher.

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 Prenez garde son contact, malheureux, ou bien vous seriez la proie de visions pouvantables durant vos nuits, votre retour dans les mondes des tres Humains ! Ils ont t projets l par Confusion, vous ne l'avez pas encore compris ? Puis il y eut dans le ciel des cris rauques, et de larges ombres coururent sur l'herbe du val. Levant les yeux en un rflexe instinctif, chacun put distinguer comment de grands oiseaux au plumage immacul planaient dans les airs en poussant des clameurs stridentes : ils taient d'une taille respectable, avec des ailes immenses aux rmiges sanglantes. Rubis taient galement leurs yeux, et leur tte effile s'ornait d'une aigrette retombant sur leur bec. Mais les Oiseaux Clairs des Nuits Blanches puisqu'il s'agissait d'eux avaient piqu sur le groupe et chacun s'tait gaill comme il le pouvait, en vitant les Cauchemars chatoyants disposs en divers lieux par les matres des les. Dispersez-vous ! Dispersez-vous ! clama au reste de la troupe Pharius, ce dernier connaissant le mieux l'attitude adopter en face de tels oiseaux. Retournez vous abriter sous les arbres ! Haletant d'avoir d crier et courir en mme temps, le Rveur se retourna afin de voir si son conseil avait t suivi par tous et il s'aperut avec soulagement que tel avait bien t le cas, puis il se ravisa en fronant les sourcils. Si le noble Roland et les deux Hros des Temps Anciens, le chatcerise aux yeux d'or taient bien l, en divers points du vallon, le magicien de la Ligue avait disparu, et ralisant cela Pharius entendit le reste de la troupe se mettre pousser de subites clameurs. Il tait pourtant dj trop tard. Criaillant de manire atroce, en un crissement vous faisant vibrer douloureusement les tympans, un Oiseau Clair des Nuits Blanches venait de se saisir de Iolo le Tnbreux et grands coups d'ailes l'emportait dans les airs, puis vers le reste des les Cauchemar. Tout cela s'tait droul en une fraction de seconde, de la manire la plus rapide. D'autres congnres criards vinrent rejoindre celui dont la chasse avait t si heureuse, et en formation rapproche ils traversrent les cieux en s'aidant des courants ariens pour conomiser leurs forces. Du reste, le magicien de noir vtu tait trs convenablement maintenu par son ravisseur, ce dernier le gardant prisonnier sans le blesser ni le lacrer d'aucune manire. Visiblement, il tenait le conserver dans le meilleur tat possible, ce dont se rjouit fugitivement Iolo. Puis il observa comment un chenal cristallin tait franchi dans le vol rapide l'emportant, une le verte tant survole la suite. D'autres bras de mer furent de la mme manire traverss, puis les Oiseaux Clairs des Nuits Blanches parvinrent la dernire des les Cauchemar, la plus vaste et tendue galement de

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l'archipel. Divers volcans cercls de verdure se tenaient l dans le plus grand silence, seul l'un d'entre eux, dcal en direction de l'ouest, exhalait un halo vaporeux et blanchtre montant jusqu'au ciel. Virant sur l'aile, ses rmiges largement ployes, son porteur plongea vers celui-ci et au fur et mesure de la descente du groupe il apparut Iolo dans les contreforts mmes du volcan une maison de pierres, tout en dalles de basalte, avec des piliers carrs formant une vranda sur un ct. Il y avait des fentres de verre fum, une chemine de grs sur le toit d'ardoises et une porte de chne gris. Elle s'ouvrit largement, lorsque les Oiseaux Clairs se posrent sur le sol pentu et rocailleux. Iolo fut lch prs de la surface et n'avait pas termin de frotter ses membres contusionns qu'une voix aigre s'tait leve en provenance de la maison. Tiens, tiens ! Un visiteur ? grina une voix raille.

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Chapitre

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Tagor ! La voix claire du mendiant aux longs cheveux d'or, Jean de la Lune, avait fus sous le ciel limpide de l'Empire du Sommeil. Ce dernier, vtu de son ternel manteau noir et de son sac de voyage, avec l'pe enchante battant contre sa cuisse, grogna part lui et lana de nouveau : Tagor ! Depuis un bon moment le chien aux oreilles coupes et la queue minuscule s'tait clips, et prsent le vagabond du royaume de France commenait s'inquiter franchement. Oniria constituait un royaume d'tranget o l'on devait perptuellement rester sur ses gardes, et la prsence du grand chien noir l'avait rassur plus d'une fois. De tout temps, ceux errant par les routes ont eu coutume de tels compagnons, ils les tranquillisent et leur procurent en mme temps une compagnie fidle. nouveau, Jean de la Lune jeta un regard circulaire alentour, en pure perte. Une fort de vgtaux la taille rduite recouvrait les lieux, et bien des rocs rendaient le relief escarp car il ne se trouvait pas de chemin dans l'endroit pouvant lui viter une progression pnible. Le ciel tait d'une grisaille presque transparente et les nues s'taient cartes, le mendiant pouvant se rendre compte, ce dont il se doutait dj, qu'il n'y avait pas de soleil pour illuminer Oniria. Les cieux irradiaient par eux-mmes, euton dit. " Curieuse absence ", songea mentalement le vagabond. Il avait poursuivi sa marche erratique dans un val n'ayant plus vu la prsence d'un tre Humain depuis bien longtemps, son sens, puis le mendiant avait revu son jugement. Aprs tout, c'tait peut-tre on ne peut plus normal, car l'Empire du Sommeil tait protg des tres Humains par la Porte Sagamange, et ils n'avaient pas d tre nombreux arborer comme lui l'pe d'or des bonnes dames. Posant une main distraite sur le pommeau de cristal de son arme, Jean de la Lune escalada une dclivit : un vent parfum d'essences boises soufflait en faisant voler ses cheveux d'or.

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Andromde, sa douce et belle, lui avait t ravie par les Rveurs de l'Empire et de longues journes avec d'aussi longues nuits s'taient coules. Il l'avait recherche frntiquement et son coeur en avait t meurtri, mais ses recherches avaient t vaines et tout comme avec les cinq petites franaises, motif principal de leur long voyage, il avait d finir par avouer son impuissance. La vieille femme l'avait ranim de son endormissement forc, dans lequel l'avait plong un Rveur d'Oniria, et lui avait prodigu mille encouragements et conseils avant de le pousser partir en qute des siens. Cela semblait remonter une ternit, et pourtant le matin dans lequel il se trouvait tait seulement le troisime depuis son arrive impromptue au coeur des terres de Morphos, ce matre si craint. Jean de la Lune tait fatigu, ses membres lui paraissaient lourds et pesants. Les vivres dans sa besace commenaient s'amenuiser fortement, et ses priodes de sommeil avaient t brves, entrecoupes de brusques rveils. Dans un dernier sursaut, le mendiant gristre de la poussire du chemin fray travers les buissons accda au sommet de la butte et un vent frais le frappa comme une gifle, ses longs cheveux lui constituant un halo irrel. En contrebas un lac bleu s'tendait, avec des vaguelettes sombres s'agitant sa surface. Sur la berge courait en aboyant joyeusement Tagor, il venait de s'abreuver longuement, tout comme l'envie lui en montait aux lvres. Car Jean de la Lune n'tait pas seulement puis, affam, et agit de mille tracas, il avait galement soif, une soif inextinguible. Prs d'un bosquet d'arbres longeant le lac le vagabond s'avana, et le chien Tagor, devenu son compagnon insparable, bondit vers lui en signe d'invite. S'aidant de la main comme d'une coupe, le mendiant but avec plaisir puis il dcida de s'octroyer un bain impromptu, et aprs s'tre dvtu il plongea tte premire dans le lac. Il nagea et se rafrachit ainsi de manire agrable, puis prs de la berge Tagor se joignit ses jeux, et, momentanment, le vagabond oublia ses soucis et ses chagrins. Alors vint aux oreilles du mendiant, finissant peine de se rhabiller, la voix reconnaissable entre toutes de son pe d'or. Je vous prie de me lcher au plus vite, manant, disait l'pe enchante des bonnes dames, car je suis la proprit unique de mon matre, Jean de la Lune. Un tre fruste la carrure imposante, vtu de tissus poussireux et coiff d'une tignasse rousse en hrisson, avec une longue natte se coulant entre ses paules, maintenait fermement l'pe d'or. L'inconnu tait nu-

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pied et possdait un pantalon de toile brute, soupesant et faisant tinceler dans l'air cristallin la lame luisante, visiblement admiratif. Ourgl, finit-il par lcher avec un sourire bat sur son facis. Je vous le rpte, il ne saurait tre question pour moi de vous appartenir, d'aucune manire. J'ai prt serment d'allgeance mon seigneur, tenez-le vous pour dit, lui assura l'pe la poigne de cristal. Mais le nouveau venu ne semblait pas dispos lcher l'arme qu'il considrait apparemment comme son bien, et Jean de la Lune, malgr tout impressionn par sa masse et sa puissance, hsitait encore intervenir. Agir, ou rester inactif ? L'pe enchante, pour sa part, avait dj choisi. Brusquement, dans la main velue de l'inconnu, elle s'tait mise vibrer irrsistiblement, et ce dernier avait pouss un hoquet trangl, de surprise et d'effroi. Il avait vu l'pe d'or se dgager de son treinte pour traverser les airs et se ficher dans le sol, aux pieds du mendiant revtu de son manteau de voyage. Cela clt toute discussion, je pense, dclara le vagabond avec un large sourire, et ayant dit cela il avait rcupr le baudrier de son pe et l'y avait plac aisment. L'inconnu possdait une mchoire carre avec un nez camus et aplati, des traits pais, il dsigna l'pe d'or de l'index et dit : " Gog ". Tagor tournait autour de lui comme s'il tait un bon ami, et le fait est, l'homme des plus primitifs le caressait et tapotait son poitrail avec un plaisir vident. Mais le temps passait et Jean de la Lune avait largement rcupr de ses efforts. Estimant la route jusqu' Andromde et les cinq petites franaises encore longue, il mit le cap vers la direction prise par les Rveurs en emportant l'Amazoon, selon les dires de la vieille femme. Longeant le lac Jean de la Lune eut un geste de la main vers l'inconnu, et il fut vaguement amus de voir ce dernier lui rpondre avec une mine emprunte, comme si la personne du vagabond, son arme d'or et mme Tagor pouvaient l'impressionner. Il souriait encore en dcouvrant un troit chemin, puis il accda un sentier d'importance, et ds lors il chassa ces penses loin de lui et n'y songea plus. La route s'tirait en louvoyant, et les merveilles de l'Empire du Sommeil se rapprochaient. Il acclra le pas. Ainsi il marcha et marcha encore, jusqu' ressentir un dbut de fatigue, lui pourtant habitu aux longues marches et aux errances de par son tat de vagabond. plusieurs reprises il s'accommoda de haltes sous le couvert des arbres d'Oniria, atteignant finalement une rgion boise de laquelle mergeait une forme surprenante, demi ensevelie dans la terre. C'tait celle d'un soldat la cuirasse alambique, du moins ainsi en jugea

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le mendiant. Ce dernier dcouvrit alors d'autres statues fantomatiques recouvertes par un linceul de verdure, gisant ainsi entre les arbres depuis des temps immmoriaux. Depuis combien de sicles se trouvent-elles ainsi disposes ? lana Jean de la Lune son chien Tagor, mme si ce dernier tait incapable de lui apporter une rponse. Car certains monticules s'tendant au loin n'taient pas humains et paraissaient plutt reprsenter des cratures fabuleuses, licornes ou bien chimres, hyppogriffes ou centaures. S'aventurant dans le curieux ddale, le mendiant observa du coin de l'oeil comment l'inconnu crois au bord du lac les suivait de loin en loin, les fixant avec curiosit. Sans davantage accorder d'importance cela, le vagabond aux longs cheveux d'or poursuivit sa route. L'Empire du Sommeil pouvait receler bien d'autres mystres dans son sein, et il n'avait toujours pas retrouv ni Andromde, dont la vue lui tait ncessaire, ni les cinq petites franaises. Ayant de cette manire laiss derrire lui le gros des statues, le mendiant parvint devant le dos d'une crature norme, dont seule l'chine jaillissait de terre, tant elle paraissait enfonce profondment dans la terre herbeuse d'Oniria. Un palanquin de pierre moussue tait sur son dos, constituant un monticule octogonal, et un sige devait tre en son centre, bien videmment depuis cette lointaine poque il tait tomb en poussire. Ce sont l les vestiges muets d'un grand roi, nombreux doivent tre les sicles reposant sur eux, reprit voix haute Jean de la Lune. Comme c'tait le dernier monticule subsistant du nombre il se mit cette fois-ci inspecter avec tonnement la statue oublie, palpant la mousse et la terre la recouvrant presque totalement. Grattant le limon noirtre il s'aida de ses ongles, puis finalement dgainant son pe d'or poigne de cristal il usa d'elle comme d'un racloir commode. Mais il se produisit quelque chose laquelle il tait loin de s'attendre. Aussitt l'pe des bonnes dames et-elle touch une chine monstrueuse celle-ci s'broua et s'tira, faisant voler en clats la gangue de terre et de roche la recouvrant depuis de longues res. Le griffon, puisque c'en tait un, avait des yeux sombres et un plumage d'aigle, de longues ailes et un corps puissant, des pattes de fauve. Il tait d'un noir intense et le palanquin maintenant rutilait d'un bois prcieux. Un sige tait en son coeur, il tait vide. D'tonnement, Jean de la Lune avait laiss chapper son pe : elle tomba terre avec un bruit mat. Le griffon crachait et sifflait, en faisant vibrer l'air du mouvement de ses ailes. Une queue de lion battait contre ses pattes griffues.

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 Ne me laissez pas choir ainsi, matre, lui reprocha l'pe d'or, car notre tche n'est pas acheve encore. Que veux-tu dire par l, pe d'or ? lui demanda le mendiant, encore abasourdi du prodige venant de se produire. Le reste de Larme il vous faut rveiller, vous possdez l'pe d'or pouvant seule tirer de leur lthargie les Assoupis. Alors Jean de la Lune se rappela des paroles de l'pe, elle lui avait affirm pouvoir gurir les blesss ou bien les agonisants, mais non pas les morts. Elle pouvait galement ranimer les victimes de charmes magiques, eut-elle d prciser galement. M ds lors par un sentiment trange, d'motion contenue et de profonde exaltation, le vagabond toucha de son pe magique les tumulus encombrant la plaine boise, ce n'taient donc pas des statues en dfinitive, mais des Assoupis malgr eux, comme il l'avait t lui-mme rcemment. Successivement se dressrent de terre les membres de Larme, et il y avait l des tres Humains au teint de peau safran et aux yeux brids, de grande taille, identiques en hauteur aux Rveurs de Morphos. Ils portaient des cuirasses de jade et de porphyre, avec des casques de cuivre brillant et des glaives, des lances de pur argent. Leurs yeux dtenaient le vert de l'meraude ou le bleu du ciel de France, bien loin d'ici maintenant, songea le mendiant en un fugace accs de nostalgie. Des licornes piaffantes jaillissaient nerveusement, des centaures virils et arms de carquois les accompagnaient. Les soldats de safran se dressaient de plus en plus nombreux, et pourtant des caches restaient encore dcouvrir. Le bras du vagabond commenait faiblir mais la chance vint son secours, car un guerrier l'armure d'azur et de cristal, tenant une conque d'or, finit par merger de terre son tour et peine s'tait-il remis de son tonnement, revenir ainsi d'un sommeil sans fin au milieu des vivants, qu'il souffla d'abondance dans sa conque. Jusqu' veiller de partout de puissants chos, ayant pour effet de tirer de leur assoupissement les membres de Larme restant encore appeler. Finalement une troupe puissante de griffons hurleurs et de soldats aux armures multicolores et prcieuses se tinrent autour de Jean de la Lune, et parmi eux il se trouvait des chimres au bec pointu avec des griffes d'aigles et des corps lourdauds, des hyppogriffes accompagns d'hommes-loups, des vampires la dentition effrayante, et mme plusieurs dragons la crte saillante et aux cornes arrondies, aux brillantes cailles rouge et or. Le guerrier ayant sonn le rappel de la troupe, l'homme la peau couleur de safran comme la plupart d'entre eux, mme si cette majorit n'tait pas totale ce dernier donc portait une

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armure de saphir et de verre et il se tourna vers le mendiant, sans cesser de tenir la main sa conque d'or. Matre, Larme est dsormais veille dans son entier, et visiblement vous avez besoin de nous pour une noble cause. Car une couronne d'toiles danse autour de votre tte, et votre pe d'or signifie notre rsurrection. Moi, Algol, je suis fier de vous en remettre le commandement. Sa voix tait claire et nette, il devait dtenir une vidente prminence sur Larme mythique puisque le reste de la troupe, par certains cts des plus disparates, se tint coi durant plusieurs secondes, mme si certains griffons semblaient disposs s'agiter et hurler. Jean de la Lune, n'en revenant pas des vnements acclrs venant de se produire, resta d'abord interloqu et se balana d'un pied sur l'autre, tenant son pe enchante la main. Voyant cela, cette dernire se mit rprimander vertement son propritaire pour son manque de raction. Voyons, mon seigneur, Larme est vos pieds parce que vous l'avez ramen jour, et n'en doutez pas, ma seule prsence n'y suffirait pas, mme si elle est grandement ncessaire. J'ignore tout de cette couronne d'toiles dont il m'est parl, dclara maladroitement le mendiant aux longs cheveux d'or. Leur appui est sans gal, je vous le rpte, ils sont Larme ! martela l'pe enchante des bonnes dames. Souvenez-vous de ceci : vous tes dans un territoire hostile, la recherche de votre moiti, Andromde, et le bonheur des petites filles vous tient coeur. Ayant cout les remontrances polies de l'pe d'or, Jean de la Lune en convint en effet. L'aide de cette dernire, cette fameuse Larme, pourrait lui tre de quelque secours. Sur ce le possesseur de la conque avait march vers lui, et pli le genou en signe d'obdience. Larme est vos ordres, lcha le soldat la cuirasse fabuleuse. Elle attend vos dsirs pour marcher vers votre bonheur, et le conqurir de haute lutte. Nous allons effectivement dans cette direction, consentit le vagabond en acquiesant demi-mot vers le guerrier, et ayant dit cela il avait rengain son pe d'or poigne de cristal. Jean de la Lune grimpa sur le palanquin de commandement avec son chien Tagor, et le souffleur de conque Algol galement. Toute la troupe s'branla derrire lui, et la tte de Larme le mendiant expliqua son nouvel alli ses objectifs, et ses espoirs. Algol plissa ses yeux brids en rflchissant, puis il poussa un grognement.

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 Vous nous demandez l de belles et bonnes choses, ce sera un honneur pour nous de vous aider les accomplir, n'en doutez pas. Mais cependant un problme se pose. Vraiment ? s'enquit le vagabond aux longs cheveux dors, berc par le balancement du palanquin de commandement, sur le dos du griffon. Sur ses traces avanait dans l'Empire du Sommeil Larme, une cohorte de monstres fantastiques et d'tres surnaturels, dans une rumeur de criaillements divers et d'entrechoquements mtalliques. Tagor tait auprs de lui, et semblait impressionn par la puissance et la force se dgageant d'eux. Un obstacle pourrait-il jamais s'opposer leur marche ? Avec un lger rire, Jean de la Lune s'ouvrit Algol de ses penses, et ce dernier en retour ne sourit pas, mais il se contenta de froncer les sourcils. Le temps, seigneur, rpondit-il. Le temps est notre adversaire, depuis de longues res nous nous sommes endormis, et les formes et les contours d'Oniria ont chang, ils ne sont plus les mmes. Nous sommes ici, comme vous, de parfaits inconnus, dsormais. Le mendiant du royaume de France dut reconnatre en effet combien le problme tait ardu et se posait eux avec acuit, sur son sige de commandement il rflchit, et rflchit encore, Larme poursuivant sa route incertaine assigne par leur chef. Algol le souffleur de conque finit par attirer son attention avec vigueur. Voyez donc, seigneur, un habitant se trouve non loin d'ici, il nous fixe intensment ! Tordant le cou, le vagabond toujours pourvu de son insparable besace de voyage dcouvrit l'tre frustre et sauvage crois il n'y avait pas si longtemps, sur les berges du lac. C'tait bien lui en effet, il s'tait fait remarquer par une patrouille vampire et escort par ces derniers il avait t men vers le griffon de commandement. Celui-ci siffla et cracha vigoureusement devant le nouveau venu, ce dernier s'il en fut impressionn essayant de n'en rien montrer. Il constituerait pour nos desseins, seigneur, lui affirma Algol en le dsignant de l'index, un claireur remarquable. Les vampires aux crocs d'ivoire de la patrouille eurent des mimiques approbatrices, et plusieurs soldats aux sagaies cristallines s'taient appuys sur leurs cus avec des mines rjouies. Tout comme Algol et Jean de la Lune, ils avaient grande inquitude de leur ignorance dans le nouvel tat d'Oniria, depuis leur long sommeil. Un dialogue guttural s'instaura entre le primitif et les soldats de Larme, et bientt non seulement ils arrivrent se comprendre, mais ils parvinrent le convaincre

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de leur servir de guide, en change de leur protection et d'autres avantages matriels. C'est une grande chance pour nous, seigneur, lui assura Algol en clignant de l'oeil dans sa direction. L'homme rvla dans son langage primaire se nommer Ammu, il prit la tte de la colonne et selon les dires des vampires, il entreprit de les mener vers une citadelle de Rveurs non loin de l. Eux sauront o se trouve prisonnire votre reine, poursuivit Algol prs de Jean de la Lune. Cela me semble raisonnable, acquiesa le mendiant. Il nous faudra galement nous enqurir des cinq petites franaises, car leur sort m'est cher par-dessus tout. Ainsi nantis d'un guide connaisseur des piges et des particularits d'Oniria, l'Empire du Sommeil, Larme de Jean de la Lune fit route vers une forteresse importante, par des chemins dtourns de l'attention des Rveurs de Morphos. Ceci afin de n'tre pas importun par des belligrants, avant de vouloir vraiment le contact. Aprs avoir franchi une distance consquente, une vaste fort fut laisse derrire eux et ils en vinrent longer une prairie de ces fleurs fabuleuses et merveilleuses que Jean de la Lune en compagnie d'Andromde avait dj distingues avec envie : des fleurs de Raves, proprit exclusive de Morphos. Les fleurs arboraient des corolles denteles et mirifiques n'ayant pas d'quivalent sur la Terre, ni par leur silhouette frle et dcoupe ni par leur parfum, suave et dlicatement enttant. Elles avaient quelque chose d'vanescent et de fragile, bien propre en vrit pousser seulement dans l'Empire du Sommeil. Mais Jean de la Lune n'tait pas le seul de la troupe tre fascin par ces subtiles fleurs de Raves. Les griffons et les chimres, les licornes affames par leur longue lthargie s'taient parpilles dans la prairie mauve et se repurent avec un plaisir vident du bien de Morphos, le matre d'Oniria. Mme les dragons imitrent leur attitude et engloutirent goulment des fleurs violettes et bleues, aux reflets tantt pourprs ou dors. Avec inquitude, Jean de la Lune en compagnie de son chien Tagor s'tait prcipit au-devant de Larme, aprs tre descendu bas de son griffon de commandement. Ammu, leur guide, avait mis ses mains sur la tte devant cette authentique hrsie. Algol le souffleur de conque, entour de divers soldats, vampires et centaures avait tourn la tte de ct afin de mieux couter les craintes de leur prince l'pe d'or et la chevelure ploye. Pourquoi tant de peur ? s'tonnait-il, et un vampire aux cheveux noirs et boucls ramasss en une norme tresse, sur ses paules, opinait

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de mme manire ses paroles. Depuis quand les fleurs de Raves sontelles la proprit de quiconque ? Elles sont parties prenantes de la magie d'Oniria, renchrit un centaure la barbe hirsute et au poitrail velu. Cela a toujours t ainsi. Groooaar ! avait grond en cho un homme-loup, aux griffes animales et la toison bestiale couvrant la totalit de son corps. Celui s'appropriant ainsi les fleurs de Raves doit tre chti, car comme les arbres et les fleurs des champs, elles n'appartiennent personne. Elles sont la proprit indiscutable de tous, dclara Algol en pointant l'index vers Jean de la Lune. Seigneur, de tristes choses sont arrives l'Empire du Sommeil nous ayant vus natre, pendant notre repos. On tourne le dos et pfuitt, c'est la catastrophe ! grogna un vampire la peau blanche et aux traits maussades, sans cesser de tenir un javelot d'amarante. Le bouleversement, ajouta un soldat la peau safran. Le dsquilibre, conclut Algol. Mais cela sera bientt un mauvais souvenir. Des cris rageurs avaient clat de l'autre ct du champ de Raves, et plusieurs hyppogriffes avaient lev la tte de leur repas avec surprise. De lourdes cratures avanaient pesamment vers eux travers les champs voisins, elles devaient provenir de caches secrtes car nul de Larme ne les avait distingus d'aucune manire, pas mme ceux ayant t disposs en sentinelle. Elles taient longues et renfles, d'une masse imposante avec des protubrances anneles sur toute la longueur de leur corps. Disposant d'innombrables pattes sous leur corps, elles arboraient une blancheur cadavrique, tel si elles vivaient au sein des entrailles de la terre d'Oniria. Elles disposaient de petits yeux rouges et cruels sur le sommet de la bosse bulbeuse, l'avant de leur corps, leur faisant office de tte. Qu'est-ce ? s'exclama avec surprise et une pointe d'effroi le vagabond, Tagor son chien clatant en aboiements furieux, plusieurs hyppogriffes et chimres se plaant dj en position de combat, charges de soldats safrans prts la bataille. Ce sont des Larves, expliqua Algol en hochant de la tte, tout en plaant sa ceinture sa conque dore afin d'tre davantage libre de ses mouvements. Ce sont de redoutables cratures, elles ne servent point de petits matres. Je suis vraiment curieux de rencontrer ce Morphos, dont je n'ai pas souvenance dans mes souvenirs d'avant notre grand sommeil. Ayant dit cela comme en un apart sans importance, il avait dcrit de la main droite un geste imprieux et des centaures au galop s'taient lancs vers le groupe de Larves, les centaures prenant au lasso plusieurs

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des pattes des tres difformes, ceux-ci se retrouvant immobiliss. Une poigne de vampires voluant en fantassins lancrent des filins par-dessus la masse des cratures au corps translucide puis ils se mirent en devoir de les clouer solidement au sol, et d'autres membres de Larme leur prtrent main-forte jusqu' carter totalement le pril reprsent par les Larves de Morphos. Cela devrait laisser loisir nos montures d'assouvir leur faim de fleurs de Raves, elles seules permettent l'existence et la survie de leurs races. Algol s'tait tourn vers le vagabond du royaume de France, encore baubi par la rapidit et efficacit avec laquelle ces Larves normes avaient t mises hors d'tat de nuire. Les cratures fantastiques de Larme s'taient de nouveau remises brouter avec un plaisir non dissimul les fameuses fleurs, non loin des Larves dsormais matrises. ma connaissance, Morphos vient de connatre l sa premire dfaite, dit lentement le mendiant au long manteau noir. Toutes ne seront pas aussi aises, lui rpondit Algol en jetant un regard ngligeant aux alentours. Mais nous sommes Larme, et nous ne craignons rien ni personne. Jean de la Lune observa silencieusement les soldats au teint de safran se plaant en divers endroits afin de se reposer, en compagnie des vampires et des hommes-loups, ces derniers dambulant pour leur part quasiment nus. Les centaures patrouillaient aux abords et tout ce beau monde arborait des armes tranges et barioles, merveilleuses n'en plus pouvoir. Assurment, leur puissance tait grande et devait remonter au fond des ges. Ou bien tait-ce plutt un futur loign ? Les chimres et les dragons, les hyppogriffes, mme le griffon portant le palanquin de commandement s'taient rpartis entre les massifs de Raves, en mastiquant d'abondance. Jean de la Lune fut pris d'un vertige en essayant de sonder l'avenir, il ouvrit la bouche afin d'mettre une remarque, puis il prfra finalement n'en rien faire. Dtaillant la drobe Algol, il se contenta de rpondre son large sourire par une grimace se voulant son gale. Misre ! exhala intrieurement Nudd le chat, aprs avoir rejoint la frontire ultime du territoire des chats, sous le ciel noir des Enfers, au terme de bien des dtours et des pripties. Quantit de chats vnrables il lui avait fallu rencontrer pour pouvoir pensait-il trouver le chemin menant aux Enfers extrieurs, et leur nombre tait presque infini : les plus rudits paraissaient s'y garer eux-

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mmes. Nudd pour sa part avait abdiqu bien vite, car dans le labyrinthe des Enfers une chatte n'y aurait pas retrouv ses petits, pour employer une expression fline. Malgr cela une tendance gnrale avait fini par se dessiner, et sous le ciel noir du pays des morts, lorsque la tristesse et la nostalgie de la douce Arielle s'taient montres trop fortes, Nudd s'tait dcid l'action, aprs avoir soupes mentalement les avantages et les inconvnients. Il s'tait achemin par des sentiers tnbreux loin de tous les chats, et vitant mme les Vahhuias surveillant paisiblement le territoire, il s'en tait all, pensait-il, vers sa rdemption. L o tait la Source de Vie tait son sauvetage, il lui resterait seulement atteindre le Val des mes Noires, avec le fameux passage secret en question, le menant, affirmait encore ses oreilles le sage Hirominet, dans le monde des vivants et de son Arielle bien-aime. Donc Nudd s'tait mis en route, et aprs avoir suivi des sentiers tortueux et des voies oublies de tous, pensait-il, car il n'y rencontra personne, il arriva au lieu o il est interdit aux chats d'aller plus avant, car des morts d'autre race reposaient au-del. Et Nudd pour aller la fameuse Source de Vie ncessitait videmment de progresser encore. Il s'apprtait franchir la limite symbolique lorsqu'une patrouille de Vahhuias sombres et cornus, brandissant des tridents d'airain, s'interposa devant lui et l'apostropha violemment. Eh bien, o vas-tu donc ainsi hors des limites de ton domaine ? Pourquoi voulais-tu transgresser la ligne interdite ? s'emporta un autre. Serais-tu devenu muet, en plus d'tre mort ? s'esclaffa un troisime Vahhuia. Misre ! rpta mentalement Nudd, en ne donnant plus cher de ses plans d'vasions, si pniblement conus. C'est--dire, en ralit je rside de l'autre ct, lana prcipitamment Nudd en bafouillant, et j'essayais de retourner chez moi, car je me suis gar Voyez-vous a ! rirent aux clats les trois Vahhuias, et ils se tenaient le ventre en disant cela. Comment peux-tu essayer de nous faire avaler un pareil mensonge ? gloussa le premier d'entre eux. Est-il possible, une telle navet, hoquetait un autre. Les morts rsidants de l'autre ct sont des flins et des carnassiers d'une autre pointure que les chats, il n'y a aucun point commun entre vous. Je suis mort trs jeune, assura en tremblant Nudd, trs jeune, oui de langueur ! Exactement, oui, c'est cela, de langueur !

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 Vraiment ? l'interrogea d'un oeil prsent scrutateur un des Vahhuias. Oui, miaula alors Nudd d'un ton finaud, je me languissais Le bougre ne ment pas, dirait-on lcha un Vahhuia en roulant de gros yeux. Il est en effet atteint de langueur Aprs s'tre regards mutuellement deux des trois Vahhuias s'taient envols dans les cieux obscurs clouts d'toiles argentes, mais l'un d'entre eux s'tait saisi de Nudd, trs effray de l'aventure. Le dernier Vahhuia avait t laiss pour continuer garder les frontires des morts. Tout cela nous dpasse, pour tre un carnassier redoutable, mort en bas ge de langueur, tu ressembles quand mme beaucoup un chat, dclara l'un. Nous allons discuter de tout cela avec le Grand Vahhuia, il saura au mieux tirer le vrai du faux, et prendre la dcision indispensable. Dans le ciel des Enfers, grands coups d'ailes, ils emportrent Nudd travers l'infini. Ce dernier, tout ses dboires, secoua tristement la tte. Misre de misre !

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Chapitre

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Allons, du nerf, paresseux ! le tana la sorcire. Il vous faut maintenant porter de l'eau boire mes oiseaux, blancs et immaculs comme la neige ! ces mots Iolo le Tnbreux ne put s'empcher d'exhiber une mince grimace la vieille tait retorse, et avait l'oeil tout car il se souvenait encore des lambeaux de viande crue apports par son entremise il y a peu, et l'avidit avec laquelle ses protgs s'taient prcipits afin de s'en emparer. Depuis deux bonnes journes le magicien noir, envoy de la Ligue des Magiciens de la Terre, tait prisonnier des griffes de cette immonde vieille, toute de noir et de haillons vtue, ride et grimaante l'image d'une pomme ride. Elle ne cessait de jacasser en tranant les pieds, abreuvant jusqu' le saouler le magicien de tches diverses. Souvent les Oiseaux Clairs des Nuits Blanches se saisissaient des imprudents voyageurs pour s'en nourrir sur les pentes du volcan Fulmino, avait cru comprendre Iolo entre deux proraisons. Mais maintenant le corps entier du mage tait rompu par les tches puisantes imposes par la mchante vieille, et Iolo commenait regretter franchement que la mort ne lui et pas t rserve. Au moins, il n'aurait pas tous les membres moulus de cette manire. De nouveau, Iolo soupira. Non seulement Balbillus le chat-cerise commenait lui manquer, mais cette horrible mgre l'indisposait de plus en plus. Il avait d'abord accompli servilement chaque dsir de la sorcire, guettant une tournure favorable des vnements dans la suite de besognes diverses, mais il commenait croire un fatal enchevtrement de leurs lignes de vie respectives. Il avait pens recevoir de sa gelire des renseignements prcieux, et il devait se rsoudre abandonner cette hypothse. Absorb par ses penses, le mage avait cess d'entendre les recommandations de la vieille femme, elle piaillait d'abondance sur les pentes du volcan o se situait sa demeure de pierres noires. " Quelle mouche a piqu cette mgre, aujourd'hui ? " Pesta intrieurement Iolo le Tnbreux, fixant la sorcire revenant clopin-clopant de sa demeure avec un seau de bois, pour le lui donner en main propre. Si l'on pouvait

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employer une telle expression, car elle tait crasseuse n'en plus pouvoir. Voil, beau prince ! grina la vieille en exhibant un sourire dent sous son nez crochu. Dans ce seau vous mettrez l'eau pour mes mignons, mes superbes, mes splendides Oiseaux Clairs des Nuits Blanches ! D'un oeil dubitatif Iolo fixa le seau en lattes de bois cercl d'un fer rouill, puis les fameux Oiseaux Clairs poss en divers points de l'endroit. Sur le versant du volcan ou sur la surface des rochers, ils tournoyaient en grinant horriblement au-dessus de la demeure, dans le ciel, ou sur le toit mme. Il se tenait l une colonie entire, apparemment le coeur de la sorcire n'tait pas totalement dessch, puisqu'il avait su trouver pour ces volatiles malfiques un semblant d'amour, mme si cela pouvait paratre curieux. Un instant, le magicien de la Ligue regretta qu' l'instar de certaines personnes ges de sa connaissance elle ne se soit pas entiche d'une ribambelle de chats, ou bien de chiens, puis la sorcire ayant de nouveau repris son laus, Iolo tourna son attention vers elle. Aprs tout, il pouvait bien lui rendre un dernier service, avant de disparatre dans la nature afin de retrouver ses amis. Curieusement absents encore, songea une dernire fois Iolo. Mes Oiseaux Clairs des Nuits Blanches ne sont pas d'origine terrestre ni onirique, expliquait la sorcire en proie une grande solitude, car elle ne cessait de se rpandre en soliloques et discours. Ils sont de ma cration, et en raison de cela, seule l'eau bouillante parvient les dsaltrer. Allons bon, lcha voix basse le mage de noir vtu, et dont la beaut des atours avait ds le dbut impressionn grandement la sorcire. Vous faudra-t-il la faire chauffer, aprs l'avoir sorti du puits ? ces mots, la vieille n'avait pu s'empcher de rire en dvoilant ses gencives, car la plupart de ses dents taient parties en emportant sa jeunesse, et dsignant le volcan sur le versant duquel se situait sa maison de pierres, la sorcire reprit. Pas du tout, mon beau ! Mais il va vous falloir marcher jusqu'au coeur du volcan, afin d'y chercher une eau bouillante, elle seule peut apaiser mes chrubins ! Comme s'ils pouvaient comprendre les paroles de l'affreuse vieille les Oiseaux Clairs des Nuits Blanches s'taient rapprochs d'eux, leurs yeux cruels tincelant de manire terrible prs de l'envoy de la Ligue. Ce dernier haussa les paules en se saisissant du seau, tournant la tte vers le chemin montant au loin vers l'extrmit du volcan.

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 Il ne me reste pas d'alternative, je suppose, dclara-t-il d'un ton las et pourtant dtach. Sans mme attendre la rponse de la vieille, Iolo le Tnbreux prit d'un bon pas la direction du sentier, calculant mentalement le nombre de seaux d'eau bouillante dont il aurait besoin pour tancher la soif de ces maudits oiseaux. Ainsi, sur la pente cendre parseme de roches tourmentes l'envoy de la Ligue alla, grimpant et tournant sur la voie jusqu' parvenir au terme du chemin, dont il dcouvrit avec soulagement la brivet, puisqu'il terminait sa progression dans une large anfractuosit. L tait une ouverture de la noirceur de l'Enfer, avec ses abords les dpouilles dessches des porteurs d'eau l'ayant prcd. Je commence comprendre articula Iolo demi-mot, caressant pensivement son menton. Il observa en silence derrire-lui, sur le chemin s'abaissant vers la plaine, et son regard buta d'abord sur un groupe d'Oiseaux Clairs des Nuits Blanches n'ayant pu se rsigner attendre son retour, en bas. Par excs de soif ? Ou bien de faim ? se demanda le mage, en se doutant bien que les difficults seules n'avaient pu venir bout de ses prdcesseurs, bouillants par la chaleur provenant de l'anfractuosit volcanique. De vastes et lourdes volutes vaporeuses se dgageaient en effet de l'ouverture, et entre les diffrentes priodes d'mission de vapeur il lui fallait aller avec son seau chercher le prcieux liquide. Tout comme il venait de fixer les Oiseaux Clairs des Nuits Blanches placs en contre-bas, il revint en arrire afin de dtailler les environs, l'le dernire de l'archipel du Cauchemar, avec l'minence majestueuse du volcan o il se trouvait, la maison de la sorcire, le sol de l'le, la mer clapotante sous le ciel si clair Une embarcation se dirigeait lentement vers l'le, et sa venue arracha un sourire au magicien. Ses compagnons n'taient pas rests inactifs, ils s'en venaient le dlivrer. Il se sentait parfaitement capable de se tirer d'affaire seul, mais le fait de les savoir si prs lui rchauffa le coeur, lui tant le souci d'avoir les rechercher aprs s'tre chapp des griffes de cette mgre. Des claquements de bec furieux rsonnrent vers lui, et l'envoy de la Ligue comprit l'impatience de ces maudits volatiles. Faisant contre mauvaise fortune bon coeur, Iolo, en balanant son seau de bois la main, s'approcha de l'ouverture, et, ayant attendu une priode favorable pour se couler dans l'issue bante, il se perdit dans les tnbres. Peste, rla Iolo, o donc peut se trouver ce puits d'eau bouillante ? Le couloir humide de bue s'tait largi en une vaste salle sombre mais non pas obscure totalement, car un fleuve de lave incandescente coulait

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dans le lointain en un arc de cercle parfait. Elle constituait une source de lumire diffuse, grce laquelle Iolo le Tnbreux put observer plus aisment une plate-forme granitique sur laquelle il venait de mettre le pied, prs d'une cuvette naturelle de laquelle s'chappaient des volutes brlantes et opaques. Une onde clapotante la chaleur mortelle bouillonnait dans les profondeurs de l'anfractuosit, et prs de l se tenait une silhouette drape en un voile de jais. D'emble, le mage devina l'importance du personnage. Bon Rve, Iolo, lui dit l'apparition d'une voix pose, de celle appartenant aux tres matures et accomplis. Bon Rve, madame, lui rpondit l'envoy de la Ligue en dposant le seau de bois terre, car il venait de dcouvrir le pourquoi de l'preuve impose par le Destin, en le faisant enlever par les Oiseaux Clairs afin de le mener en ce lieu sombre. Je suis Je connais ton nom, le coupa paisiblement la femme. Ne parle pas, je ne t'ai pas fait venir ici pour entendre ta voix. coute plutt mon discours. Me rvlerez-vous au moins votre identit, gente dame ? s'enquit Iolo. Cette dernire sourit derrire son voile noir, et l'clat de ses yeux transpera la trame du fin tissu. Ta curiosit peut tre apaise, lui rpliqua la personne enroule dans le voile noir, je suis la Dame des Rves. Ne t'attendais-tu donc pas me rencontrer dans l'Empire du Sommeil, dont je connais chaque route et sentier, jusqu'au plus infime et inconnu ? En vrit non, lui assura l'envoy de la Ligue d'un air contrit. Tu ne te tournes pas assez vers tes rves, lui rtorqua la Dame des Rves. Souvent j'apparais dans tes songes, je te conseille et t'exhortes, je revts mille et une apparences. La Dame des Rves est mon nom. Dame des Rves, j'coute mes songes et je les chris, je les considre comme de prcieux amis, se dfendit Iolo le Tnbreux. Dans ce cas cela n'est pas assez, car tu te trouves embourb en une bien mauvaise passe, lui reprocha-t-elle. Parfois mes rves taient mensongers, lana brusquement le mage comme si un souvenir dplaisant venait de lui monter aux lvres. J'ai t troubl. Je conois tes doutes, Iolo, mais je te visite chaque nuit depuis ta plus tendre enfance et je te connais bien, aussi crois-moi car je ne saurais en aucun cas te vouloir du mal. Ne m'en veux pas et oublie ces fcheries, car la Dame des Rves est venue te parler.

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Ds lors le magicien noir se ressaisit et il se concentra pleinement sur les paroles de la dame, cette dernire s'exprimant en agitant un index blanc orn de bagues prcieuses devant l'envoy de la Ligue. Iolo, voici les faits. De grands accomplissements vont avoir lieu tantt dans l'Empire du Sommeil, et mme si tu n'en es pas encore conscient, il va te falloir en prendre ta part. Comment cela ? s'tonna l'envoy de la Ligue en fronant les sourcils. Ne m'interromps pas, le sermonna la Dame des Rves. Lun, et Lune, bientt brilleront de nouveau comme aux plus beaux jours, et c'est bien ainsi. Ils accompliront leur devoir, et toi, il te va falloir raliser une tout autre tche. Les cinq petites franaises seront rejointes par eux, Lun et Lune veilleront seuls les tirer d'embarras. Et moi, alors, Dame des Rves ? s'insurgea le mage de la Ligue. Me sera-t-il permis de faire une autre tche ? S'il m'tait possible La Dame des Rves avait eu un rire amus en agitant ngativement son index. Oublie tes penses secrtes, et l'obsession de tes confrres de la Ligue, Iolo. L'envoy des Magiciens de la Terre avait pouss un cri dans la grotte obscure, et mis ses mains devant ses yeux en pleurant. Dame des Rves, si souvent j'ai dsir tre celui-l Le sort des petites franaises t'tait cher, Iolo, poursuivit la Dame, mais trop souvent tes penses ont driv comme d'elles-mmes vers le Graal. Apprends ceci, on ne saurait marcher vers lui jamais, car le Saint Graal est libre et il dsigne seul son porteur. Tout comme Balbillus te choisit un jour comme seigneur et compagnon, le Graal agit ainsi, pareillement. La Ligue des Magiciens de la Terre doit-elle se rsoudre le considrer perdu jamais ? se lamenta le mage. Depuis longtemps son clat a abandonn la Terre, ne nous sera-t-il pas possible de le ramener de l'Empire du Sommeil ? Car le Saint Graal se trouve dans l'Empire du Sommeil, n'est-ce pas, Dame des Rves ? De nouveau l'apparition voile de tnbres eut un rire cristallin, et rejeta la tte en arrire brivement. Oui, mon garon, il se cache effectivement au coeur d'Oniria, hors de porte des mortels. Mais chasse-le de ton esprit, tout comme devrait le faire galement la belle Morgane.

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Iolo le Tnbreux hocha de la tte pour accuser le coup. Ainsi les Amazoons avaient devin les intentions secrtes de la Ligue et tent, elles aussi, de ramener sur dennia le Saint Graal aux pouvoirs mirifiques. Le Graal tu dois oublier, il ne se saisit pas comme un fruit, ou un bien matriel achet avec de l'or vulgaire, il se donne de lui-mme l'me noble de son choix. Mais celle-ci doit s'tre vertue dans le droit chemin en dpit des avanies, et avoir perdur dans la lumire, l'image des bonnes dames des champs et des tangs, reprit la Dame des Rves. Tout cela tu l'aurais su depuis longtemps, si tu avais accord de l'importance et du respect tes rves. Mais coute : un des plus grands prils se tapissant dans l'Empire du Sommeil est le suivant, il ne peut tre quitt par l'issue ayant permis d'y entrer. C'est--dire ? interrogea Iolo en ne comprenant pas o voulait en venir l'apparition fminine. C'est pourtant simple, la Porte Sagamange vous a fait pntrer dans Oniria mais elle ne saurait tre utilise pour repartir, toi-mme n'as pu manquer d'observer son invisibilit du ct de l'Empire du Sommeil. La seule besogne t'incombant vraiment est de ramener dans les meilleures conditions possible tout ton petit monde vers la Terre. Pour cela, tu devras dcouvrir le Continent Ignor, dont nul ne connat encore l'existence Disant cela la Dame des Rves s'tait approche de l'envoy de la Ligue jusqu' le toucher, constituant un singulier tableau prs du trou d'eau bouillante et sifflante, avec l'arc de cercle incandescent de la lave de Fulmino, dans le fond de la cavit rocheuse. Il porte le nom de Magoria, et tu es le premier humain entendre ce mot sortant de ma bouche. Magoria tu devras tirer des brumes de l'Inconnu, et l'explorer de part en part car ses frontires jouxtent l'veil Tu en neutraliseras les gardiens, et les petites franaises, lorsque Lun et Lune seront parvenus leur fin, dans le beau pays de France pourront retourner Mais le Saint Graal ? gmit Iolo le Tnbreux. Oublie-le ! cracha avec force la Dame des Rves. Il va te falloir prsent rejoindre au plus vite tes compagnons, car le temps vous est compt. Voici des perles d'or L'apparition avait fait rouler dans sa main de brillantes et scintillantes perles, elles chatoyaient dans la semi-obscurit de la caverne. Fais-les ingrer par les Oiseaux Clairs des Nuits Blanches, au-dehors, elles briseront le sortilge les entravant. Pas plus d'une par oiseau,

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ils constitueront pour vous de commodes et vloces montures. Va rejoindre tes amis, va, Magoria vous attend sans retard. La Dame des Rves mit dans la main du magicien les perles d'or, et avant de s'vanouir dans le nant elle lui lana cet avertissement. Ne t'carte pas du chemin trac ou bien il t'en cuira, tu peux m'en croire. Sois sans crainte, cependant. Je t'apparatrai encore, lorsque les circonstances l'exigeront. Je suis la Dame des Rves, je suis la Dame de tes Rves, Iolo. Sur ces paroles nigmatiques elle s'vanouit, laissant un magicien songeur prs de l'anfractuosit d'eau bouillante. Il rflchit quelques instants ainsi, se balanant d'un pied sur l'autre, puis, finalement, il se dcida faire demi-tour vers l'extrieur, faisant rouler dlicatement dans sa paume les perles d'or de la Dame des Rves. Dehors l'attendaient avec une impatience vidente les Oiseaux Clairs des Nuits Blanches, et lorsqu'ils se prcipitrent sur lui le mage se souvint de leur lancer chacun une de ces fameuses perles d'or, et les Oiseaux Clairs des Nuits Blanches les ingrrent avec gloutonnerie, se mtamorphosant aussitt en grues noires couronnes de toupets, nanties d'yeux saphir et de pattes frles, de la couleur du corail le plus intense. Ils se retrouvrent transforms de cette manire au nombre de sept, et les deux Oiseaux Clairs des Nuits Blanches subsistant en restrent interloqus. Un instant l'envoy de la Ligue craignit de voir leurs pattes minces incapables de supporter le poids d'un homme, mais l'aide de claquements de bec sonores les grues semblrent deviner son trouble et l'assurer du contraire. califourchon sur l'une d'elles Iolo lui indiqua la direction du rivage proche, et le reste des grues s'envola leur suite en une formation triangulaire, dont Iolo occupait la tte. Ils passrent dans de grands battements d'ailes au-dessus de la demeure de la vieille sorcire, cette dernire en distinguant l'quipage ail brandissant son poing ferm avant de se rpandre en d'inutiles insultes. Vers les abords de l'ultime le du Cauchemar ils se dirigrent, et les Oiseaux Clairs des Nuits Blanches, apparemment impressionns, ne tentrent rien contre eux. Sur la grve de galets noirs la formation se posa, non loin de l'endroit o un radeau improvis avait t chou. N'apercevant personne Iolo le Tnbreux rajusta sur sa tte son lgant bret, puis ses vtements sombres, et il poussa un cri, puis un autre, un autre encore. D'abord le vent seul lui rpondit, et les grues noires ajoutrent la clameur en claquant du bec plusieurs reprises, puis ce raffut finit par obtenir l'effet dsir car le chat-cerise Balbillus dressa le premier la tte l'autre bout de la crte, derrire une barrire de rochers, prcdant le noble Roland.

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Les deux Hros des Temps Anciens, Gnsio le Triptolme et Aquilon le Myrionime suivirent ensuite, puis finalement Pharius, le Rveur de haute taille : en s'vadant des griffes des Honnies, il s'tait joint bien malgr lui leur odysse. la vue des grands et nobles oiseaux l'accompagnant ses camarades eurent des mimiques surpris, et l'envoy de la Ligue ncessita d'un certain moment pour expliquer leur prsence ses cts. Il commena par l'affreuse vieille puis conclut par la Dame des Rves, ou mieux dit la Dame de ses Rves. Donc, il nous serait demand de fournir aux petites franaises un chemin de sortie vers la Terre et le royaume de France murmura Roland, encore tout bouriff des embruns marins de la traverse. C'est une noble tche, puisquapparemment de grands personnages vont aller les dlivrer ! s'exclama Gnsio le Triptolme dans un accs d'enthousiasme. Messieurs, les nouvelles ont rarement t aussi bonnes ! ajouta son tour Aquilon le Myrionime. Ce Lun et cette Lune m'inspirent une grande confiance. Je me sens galement enclin l'optimisme, pour la premire fois depuis bien longtemps, reconnut le chat-cerise Balbillus aprs s'tre longuement frott contre l'envoy de la Ligue. L'aide de la Dame des Rves nous sera des plus prcieuses, sa prsence nos cts est un gage de succs. Mais quelle est donc cette mystrieuse Magoria dont nul parmi l'Empire du Sommeil n'a entendu parler ? s'tonna Pharius. Dcouvrir ce qui ne l'a jamais t par personne est loin, trs loin d'tre une mince affaire. Raison de plus pour partir au plus vite, affirma le mage tnbreux en prenant place sur une grue, enjoignant ensuite Balbillus, le chat-cerise, de sauter dans ses bras. En place, messieurs, une tche importante nous attend, par amour des enfants du royaume de France, et d'ailleurs. Chacun s'excuta sans retard, et une troupe nantie d'une grande dtermination s'envola la recherche de Magoria, dont nul dans l'Empire du Sommeil n'avait encore jamais entendu parler. Cinq grues noires sommes d'un toupet transportaient chacune un ambassadeur de Charlemagne, et deux autres grues volaient l'arrire-garde sans supporter quiconque. Comme si elles taient prtes se charger de tout nouvel ami voulant se joindre eux dans leur qute fantastique. Au-del des mers les oiseaux emportrent leurs cavaliers loin des terres connues dans l'Empire du Sommeil, loin galement des troupes de Honnies portes par leur Anuska dont chacun avait trs peur. Finalement au terme d'un

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parcours paisible dans le ciel blanc une le de petite dimension apparut au loin, et Iolo, commenant prouver les premiers effets de la fatigue, l'indiqua de l'index l'oiseau. Celui-ci ds lors descendit lentement jusqu' la survoler enfin. Le reste des volatiles l'avait imit et une formation en ordre parfait, quasi gomtrique, atteignit le sol pierreux de l'le, rocher solitaire au coeur du grand ocan d'Oniria. Avec un soulagement certain chacun descendit terre se dgourdir les jambes, et les grues aux plumes d'bne ne furent pas les moins satisfaites. Elles se mirent vaquer librement de gauche droite, en qute d'eau et de nourriture. Iolo le Tnbreux s'tait dress sur ses pieds et tir en grimaant, le chat-cerise Balbillus ayant pos les pattes sur le sol d'un bond, avant mme l'atterrissage de la grue. Les deux Hros des Temps Anciens dambulrent aux alentours avec curiosit, le noble Roland benotement assis sur un rocher. Magicien, nous nous trouvons ici au bord de l'inconnu, dit-il vers ce dernier. Ce n'est pas une simple image, je le crains, lui lana en retour le Rveur Pharius, dpassant ses compagnons de toute sa hauteur, car si l'Empire du Sommeil a connaissance de l'lot o nous nous trouvons, il n'en est pas de mme du territoire s'tendant au-del. Il avait dsign le lieu d'un geste large, avec la mer alentour. Ceci est l'lot Ptrifi, seuls le roc et la pierraille y abondent, comme vous pouvez le constater, c'est la limite ultime du monde des Rveurs. Et toute chose pouvant se cacher au-del est un grand mystre. Peut-tre s'y trouve-t-il cette mystrieuse Magoria Et si elle se situait dans une direction diamtralement oppose ? interrogea le noble Roland. La seule faon de le savoir pour nous est d'y aller voir par nos propres moyens, afin de nous conformer aux paroles de la Dame des Rves, miaula le chat-cerise. Disant cela, il s'tait vertu grimper sur des rochers couverts de lichen bruntre, et aprs plusieurs tentatives infructueuses il y parvint enfin, obtenant une vue dgage sur la cte oppose de l'lot Ptrifi. Sa dcouverte l'intrigua, aussi ses compagnons aprs s'tre observs les uns les autres jugrent utile de le rejoindre, afin d'observer la raison de son subit immobilisme. En l'occurrence, il s'agissait d'une sentinelle solitaire plante au coeur de l'lot, une silhouette obscure fiche dans une tendue rocheuse et grise. Une pierre leve se tenait l, semblable en tout point celles ayant pour fonction de transporter les voyageurs dans des endroits

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mystrieux. Mais celle-ci tait d'un noir profond, d'une obscurit d'bne parseme d'clats de quartz brillants. C'est trs normal, au fond, reprit le Rveur Pharius aprs avoir dvisag la pierre, et s'tre retourn vers le reste de ses compagnons. Aux extrmits du monde connu d'Oniria, une pierre leve a t dispose afin de surveiller plus efficacement les frontires. Des gardes seraient donc susceptibles d'occuper cet lot perdu aux extrmits du monde onirique, renchrit Iolo le Tnbreux. Aucun d'eux n'est visible, pour le moment, miaula le chat-cerise Balbillus, la robe carlate et aux yeux d'or. Du moins jusqu' preuve du contraire. Mais prcisment cet instant hasard des choses de la vie, et concidence signifiante la pierre leve noirtre s'tait mise tourbillonner en sifflant doucement, et tantt, alors que chaque voyageur s'tait recroquevill derrire un rocher, de grands oiseaux couleur de ciel bleu s'taient dgags de la pierre tournoyante. Un, puis deux, trois, d'autres oiseaux bleuts encore s'taient lancs dans les nues en portant des Petites Gens, gnomes, elfes, lutins parfois, car chacun arborait des coiffes diffrentes. Aucun de ces Petites Gens ne portait d'armes, et grands coups d'ailes ils s'en taient alls vers l'orient, direction diamtralement oppose celle suivie par les ambassadeurs de la Terre. Sont-ils aux ordres de Morphos ? s'enquit Iolo le Tnbreux en mergeant de derrire son rocher, les Petites Gens constituant dsormais des points diffus dans le ciel, et la pierre leve, aprs avoir rempli son office, commenant ralentir sa rotation. Sans aucun doute, car l'emprise du matre d'Oniria s'tend jusqu'ici, comme je vous l'ai dj dit, dclara Pharius. Si nous les suivions, lcha un Hros des Temps Anciens, Aquilon le Myrionime, peut-tre trouverions-nous les petites franaises Ou peut-tre non, se renfrogna l'envoy de la Ligue cette vocation. La Dame des Rves a t des plus claires, leur sort ne dpend pas de nous, mais seulement leur retour dans leurs foyers respectifs. Il eut toutefois un regard songeur dans la direction prise par les Petites Gens, l'orient o ils avaient disparu. Allons, finit-il par s'exclamer, comme s'il dsirait par l'intensit de sa voix briser un charme tenace, propre l'endroit. Nous avons dj trop tard ici. Nous le savons maintenant, Morphos continue s'activer pour mener bien on ne sait quel stratagme, miaula le chat-cerise Balbillus, raison de plus pour en faire autant.

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Sur ce ils rappelrent les grues noires au toupet d'or, et, les enfourchant hardiment vers le plus haut des cieux, ils s'en allrent eux aussi, en tournant le dos la direction suivie par les serviteurs de Morphos. Bientt le vide les entoura, et un banc de nuages survint, les noyant en un pais brouillard. Afin de s'extirper du carcan moite les grues s'levrent de plus en plus, jusqu' rejoindre un sol duveteux et doux sur la couche suprieure des nuages, avec des champs d'herbe blanche et des arbres transparents, des montagnes et des collines irrelles dotes de chemins sinueux et de maisons parses. Ils distinguaient tout cela de haut, comme s'ils survolaient un univers irrel. Les grues ne semblaient nullement surprises d'un tel monde arien au-dessus de l'Empire du Sommeil, et elles se posrent bientt dans le creux d'un champ, l'herbe douce d'une ple blancheur. La terre y tait tide et d'une grande finesse, elle s'parpillait en grains trs fins lorsqu'on s'en saisissait. D'autres grues noires se trouvaient galement dans l'endroit, et lorsque les voyageurs en provenance de la Terre marchrent vers une butte en saillie, ils dcouvrirent derrire elle une multitude de grues sombres volant et se posant o bon leur semblait dans le pays arien. Une demeure fantastique se dressait l, avec des formes hardies n'ayant rien de terrestre, car les murs et les innombrables toitures paraissaient tre constitus d'une matire brumeuse mais solide, semblable une fume grise mle de teintes tranches. Des arbres se trouvaient plants ses cts, et les voyageurs se demandrent avec surprise si par le plus grand des hasards ils n'taient pas arrivs dj Magoria, dont la Dame des Rves avait affirm la proximit avec le territoire de l'veil. Ils prirent un chemin menant la demeure merveilleuse, et, sans cesser de prodiguer des regards admiratifs aux alentours, Iolo le Tnbreux suivi du chat-cerise Balbillus, le noble Roland et les deux Hros des Temps Anciens finirent par parvenir devant la maison, dont l'entre tait grande ouverte. dire vrai, il n'y avait pas de battant du tout, et ils s'en tonnrent brivement en s'aventurant par un long couloir nanti de hautes portes, toutes fermes. Le corridor s'ternisait et l'envie, la curiosit de dcouvrir ce qu'il pouvait se trouver derrire ces cloisons hermtiquement closes finit par dmanger Iolo le Tnbreux : il ne put rsister la tentation d'ouvrir l'une d'entre elles. Lorsqu'il l'eut entrebill un curieux spectacle se dvoila, leur faisant hausser les sourcils d'tonnement et pousser un " oh " de surprise. En effet la pice tait immense, et assurment c'tait une incongruit puisque vue de dehors la btisse n'tait pas apparue ce point dmesure, aucun des visiteurs. Le local l'tendue, plutt n'avait pas de

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murs ou de fentres, encore moins de toits ni de plancher. Seule la porte entrouverte tenue par l'envoy de la Ligue tait visible, le reste tait un ciel bleu lavande et un tapis de nuages d'une blancheur ouate. Ce ciel tait diffrent de celui d'Oniria ou mme de la Terre, ralisrent avec retard les voyageurs. Les pices suivantes de la mme manire dvoilrent un dcor irrel avec des nuages exotiques, chaque fois de provenance diverse. Une entit arienne et thre devait habiter la demeure, pensa Iolo, ils ne devraient pas tarder la rencontrer bientt. Et ainsi se droulrent les choses, car aprs avoir distingu du coin de l'oeil l'incarnat ros d'un monde singulier, pourvu de nues tourbillonnantes aux dlicats reflets, une porte de bois large et basse se prsenta eux. M par on ne sait quelle timidit le mage de la Ligue toqua l'huis, puis une voix fminine lui demanda d'entrer. Ils s'excutrent et dans une pice adjacente se retrouvrent ensuite face une silhouette vaporeuse revtue d'un manteau d'hermine, une capuche de soie recouvrant la tte. Son visage comme le reste de son corps tait constitu de matire nuageuse. Elle tait de grande taille, semblable dans l'allure au Rveur Pharius. Elle tenait entre ses mains un nuage minuscule, le caressant et cajolant l'image d'un animal domestique, puis elle le chassa finalement par la fentre. Mais alors l'extraordinaire rejoignit l'incroyable : de sa bouche elle exhala un souffle brumeux, et il acquit forme et consistance, identique en cela au petit nuage rcemment repouss. Cajolant amoureusement son nouveau-n, la femme se tourna enfin vers les voyageurs en paraissant les dcouvrir seulement l'instant. Vous m'avez ramen mes grues noires, sachez-le, je vous en serais ternellement reconnaissante, dit-elle d'une voix fluide. Seraient-elles donc votre proprit ? demanda le noble Roland, car comme le reste de ses compagnons il avait cru tre au pays cleste des grues. Disons, elles sont mes servantes exclusives, leur rpondit la matresse de maison, en dirigeant avec une douceur infinie le petit nuage par l'ouverture. La Dame des Rves m'a permis de rompre le malfice les entravant, expliqua Iolo la femme les fixant tour tour de sous sa capuche. Oh ! gloussa-t-elle avec un rire dans la voix, dans ce cas il vous sera permis d'user encore de mes grues, si vous l'estimez ncessaire. Elles m'ont manqu durant si longtemps, elles pourront bien me manquer encore un peu.

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 Sommes-nous bien sur Magoria ? interrogea tout coup Iolo le Tnbreux, il n'avait pu rfrner davantage son impatience. Magoria ? rpta la femme en tournant la tte vers l'envoy de la Ligue. Magoria Et elle prononait ce mot comme s'il tait pour elle nanti de la plus grande tranget.

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Chapitre

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travers le vent froid Nudd eut plus d'une fois le temps de songer son sort, ainsi qu' la distance incommensurable le sparant encore de sa douce et tendre Arielle. Dans les bras de l'un des Vahhuias l'emportant travers le ciel des Enfers, Nudd crasa furtivement une larme. Tout n'tait pas perdu, puisque les cinq petites franaises avaient bnfici de son sacrifice involontaire : il n'avait pas encore fini de songer cela et dj les dmons infernaux mirent pied terre devant une imposante btisse. Elle tait entirement de pierres noires, avec des colonnes normes se perdant dans les hauteurs, et des murs opaques aux imperceptibles clats de quartz. Allons, avance, le poussa rudement l'un des Vahhuias, aprs l'avoir dpos sur le sol. Le second dmon l'avait imit d'un geste, le pauvre Nudd devant franchir le perron o se trouvaient plusieurs Vahhuias l'aspect effrayant et aux armures d'airain, certains ails et d'autres pas, et il s'aventura devant ses gardiens dans la demeure princire. Le Grand Vahhuia tenait sa cour en ce lieu, lui avait-il t expliqu durant le vol thr l'ayant port jusque-l. Sa science saurait certainement dmler le vrai du faux, dnouer l'cheveau tram par Nudd pour chapper la vigilance des Vahhuias, gardiens des frontires infernales ddies aux chats. Nudd avait affirm provenir des Enfers voisins, dans lesquels rsidaient de puissants carnassiers, et prtendu un tat de faiblesse pour expliquer sa diffrence de taille avec celle de ses voisins flins. Tout cela afin de pouvoir atteindre la Source de Vie, dont il ignorait encore la localisation exacte, se lamenta Nudd. Plusieurs corridors austres et hautains, nantis distance rgulire de mystrieuses sources de lumire, car il s'agissait de globes argents flottant parmi les hauteurs des plafonds, furent traverss et de vastes salles en lesquelles des assembles de dmons rudits discutaient furent longes, des parcs intrieurs la faune et la flore mirifique dpasss. Finalement, par des passerelles de pierre donnant accs aux points les plus loigns de la vaste btisse, il sembla Nudd atteindre enfin au saint des saints, et le petit chat caramel et blanc

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se sentit pris d'une bouffe de frayeur l'ide de se retrouver face un dmon aussi lev et puissant. Il me fera du mal, croyez-vous ? miaula d'une voix pitoyable Nudd, dont les pattes flageolaient dj. Mais non, avance ! grognrent avec un bel ensemble les deux Vahhuias, tout aussi embts d'avoir affronter un suprieur hirarchique infernal. Est-il grand et fort, fait-il peur voir ? Non, non, le rassura l'un des dmons. Il ne va pas te manger, de toute faon, pouffa voix basse l'un des Vahhuias, un groupe de dmons l'expression affaire venant les croiser en sens inverse. Le second Vahhuia gloussa devant la boutade lance par son camarade, et Nudd fut secrtement agac de leur ironie, prenant sa source dans ses craintes et sa frayeur. Il dcida ds lors de ne plus leur accorder le plaisir de dvisager sa peur, et d'une allure davantage virile et fire empreinte de circonspection, toutefois il alla jusque devant une porte d'bne double battants, travaills artistiquement et orns en leur milieu de deux lourds anneaux d'or. Devant elle tait un couple de Vahhuias obsquieux, accordant seulement un regard distrait Nudd, et pour ainsi dire aucun aux dmons l'ayant men jusque-l. Il fut par les serviteurs obscurs ouvert la porte monumentale du Grand Vahhuia, Nudd se surprenant rester immobile et quasiment ptrifi, puis des piques d'airain pointrent vers lui et le firent bondir en avant. Derrire un bureau en bois d'bne se tenait une silhouette l'allure souple. Elle tait vtue de riches tissus, ainsi que d'un voile retombant sur ses paules. De nombreuses gemmes ornaient sa main gauche, la senestre, et uniquement celle-l. Une lampe de cristal violet et pourpre trnait sur son bureau, o avaient t drouls divers parchemins de soie immacule. Le Grand Vahhuia s'tait lev de sa chaise en os cisel, haut dossier dcor d'un crne humain, en or pur. Nudd en avait laiss ber sa mchoire de saisissement, les dmons mettant respectueusement un genou terre. Le Grand Vahhuia possdait une fourrure courte et noire, avec un visage fin aux yeux d'or et deux cornes vrilles sur le sommet de sa tte. En un mot comme en cent, le Grand Vahhuia tait une femme. Eh bien, me diras-tu la raison de ta venue, Nudd ? dclara d'une voix rauque et gracieuse la fois le Grand Vahhuia. Dcidment, vivant ou mort, il te faut toujours faire parler de toi.

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Nudd un instant ressentit le dsir de rpondre mais il prfra n'en rien faire, car ce dmon lev paraissait tre bigrement inform sur son compte. Ce dfunt a t surpris rdant aux limites de l'Enfer des chats, gronda l'un des Vahhuias. Il affirme provenir de l'Enfer voisin, o reposent uniquement de grands tigres, lions, et autres btes fauves, termina son compagnon. Entendant cela le Grand Vahhuia regarda successivement Nudd le chat puis ses serviteurs infernaux, avant d'clater d'un rire frais, identique une brume de printemps. Provenant d'un dmon puissant cette raction avait quelque chose de saugrenu, il faut bien en convenir. Nous tions dans le doute, confessrent l'unisson les deux Vahhuias, penauds devant l'hilarit de leur suprieur. Est-il possible d'tre bte ce point ? les tana vertement le Grand Vahhuia avec des gestes vifs. Ce chat Elle avait dsign le pauvre Nudd, qui tant le centre de l'attention s'tait rapetiss, renforant ainsi le contraste existant entre un chat apeur et craintif et un fauve rugissant de manire terrible. Cette crature est tout bonnement un chat ! Elle avait eu un regard appuy vers ce dernier, Nudd n'en menant videmment pas large. N'est-ce pas, Nudd ? dit-elle de manire doucereuse. Sans doute, sans doute, bgaya Nudd, mais je tiens souligner combien ma solidarit envers mes frres de sang est totale, et Tu as menti, Nudd, reprit le Grand Vahhuia, devant les deux dmons outrs du stratagme ourdi par Nudd. Tu voulais quitter tes quartiers, Nudd. Ce dernier ne pipa mot, trs inquiet d'avoir t mis jour de manire aussi aise. Tu n'es pas le seul agir ainsi, petit chat, lui affirma le Grand Vahhuia tout en le prenant dlicatement dans la paume de sa main, satine par sa courte fourrure. Mais aucun jamais n'est parvenu ses fins. Disant cela elle avait congdi ses subalternes infernaux d'un geste, et ceux-ci s'taient clipss de la pice en jetant de noirs regards sur Nudd. Dornavant, il vaudrait mieux pour ce dernier ne plus croiser jamais leur route. Le Grand Vahhuia avait fait un demi-tour sur lui-mme, ou plutt sur elle-mme, et s'tait rapproche d'une fentre donnant sur les noires tendues des Enfers. Dans sa main se tenait toujours piteusement Nudd. Son stratagme maintenant dvoil, il ne savait plus trop quelle attitude adopter.

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 Es-tu triste, Nudd ? lui demanda-t-elle brusquement. Je suis rong par le souvenir des miens, finit par lcher le petit chat, et dans ces moments-l, mon sjour aux Enfers devient insupportable. D'autant Oui ? s'enquit le Grand Vahhuia, caressant sa tte songeusement. Je ne me souviens pas d'avoir t particulirement mchant, pour tre en de si tristes parages. Oh, Nudd, clata d'un rire cristallin le Grand Vahhuia, sache-le, si tes souvenirs se sont enfuis tes actes sont rests, et ils n'oublient jamais leur crateur. Sois-en certain, tes mchancets passes et ngliges motivent ta prsence parmi nous. Pourtant, du bien, j'en ai fait aussi, je le jure ! miaula d'une voix faible le petit chat. Comment puis-je ne pas en tre pay de retour ? En raison de la mchancet vers laquelle tu t'es d'abord tourn, lui rpondit le dmon fminin en lustrant dlicatement son menton velu. Le bien viendra ensuite. Vraiment ? Mmm mmm, approuva le Grand Vahhuia d'un hochement de tte. Me laisseriez-vous quitter l'Enfer des chats, jusqu' la Source de Vie ? interrogea Nudd en donnant sa voix le ton le plus suppliant et attendrissant possible. Oh, Nudd, je suis navr, vraiment, articula le Grand Vahhuia en mordant ses lvres de tristesse, mais je ne puis t'accorder cela d'aucune manire. Tu vois le chemin partant au loin ? Allons, rejoints-le et rentre au plus vite, il te mnera chez toi directement. Bonne route, Nudd ! Bonne route, lui fit cho Nudd en sautant de ses bras sur la rambarde, puis de l en un jardin de roses noires et de fleurs au parfum enttant. " Adieu, belle et cruelle ", mdita intrieurement Nudd en progressant dans le jardin, ctoyant des Vahhuias sombres et taciturnes. Ainsi, aprs avoir essuy un cinglant chec, Nudd trottina de manire lasse et dsabuse jusque vers l'Enfer des chats, franchissant des contres tranges et baroques, car toujours il rgnait une obscurit ternelle, avec les toiles d'argent au-dessus des ttes en une atmosphre fige et singulire. Distinguant au loin les frontires de l'Enfer attribues sa personne, il observa venant vers lui les silhouettes de deux Vahhuias arms de tridents, deux Vahhuias de sinistre mmoire. Misricorde ! sursauta Nudd, dvisageant la lueur des toiles fugaces les facis inquitants des dmons.

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Nudd ne se fit pas prier pour quitter le chemin assign par le Grand Vahhuia et se perdre dans les broussailles proches, jusqu' se tapir peureusement en un buisson d'aubpine. Les Vahhuias aprs avoir discern un mouvement au-devant d'eux s'taient avancs, et le petit chat blotti au coeur du buisson se mit trembler de tous ses membres. Psss ! Nudd sursauta en recherchant l'origine de ce sifflement intempestif, alors que la patrouille de dmons frlait sa cache. Si ces deux dmons s'avisaient de remettre la main sur Nudd il passerait un mauvais quart d'heure, s'affligeait ce dernier. Psss ! De nouveau le sifflement avait retenti, et force de tourner la tte Nudd finit par raliser son origine, pour ainsi dire ses cts. Un livre brun-roux de bonne taille se tenait l, il le fixait en penchant la tte et se retenait visiblement de rire. Je voulais vous dire : cessez de frissonner, vous agitez inutilement le buisson. Vous ne tenez pas vous faire remarquer, n'est-ce pas ? Oh ! comprit Nudd en jetant un regard inquiet sur le haut du buisson, celui-ci le masquant la vue des deux Vahhuias. Merci, souffla-t-il vers le livre, cessant du mme coup de tressauter de manire si visible. De rien, dclara benotement le livre. Vous habitez depuis longtemps par ici ? lui lana d'un ton faussement enjou Nudd, ne voulant en rien montrer combien il avait t pouvant. Une ternit, lui assura de manire laconique le livre. Vous devez vous sentir bien seul. On fait aller. Et puis les renards et autres carnivores ne nous empchent pas de dormir. Nudd rit de bon coeur devant la boutade et le livre parut trouver Nudd son got, et mme des plus sympathiques. Pourquoi craignez-vous donc tant ces deux Vahhuias ? Brivement Nudd en expliqua le motif, et le livre parut surpris avant de se reprendre. Il secoua ses longues oreilles comme s'il s'agissait d'un tic nerveux, et engagea le petit chat le suivre dans des sentiers dtourns et des chemins menant loin de l'Enfer des chats. Tout ceci n'est pas commun, en effet, reconnut le livre en progressant aux cts de Nudd par petits bonds, en une trajectoire curieusement zigzagante. Mais avec notre rencontre j'en nglige les bonnes manires, et ce n'est pas dans mes habitudes. Mon nom est Harold.

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 Enchant de vous connatre, Harold, pour ma part je suis Nudd, lui dit d'un ton pos le petit chat caramel et blanc. Permettez-moi de vous inviter chez moi, reprit Harold, nous y serons plus l'aise pour discuter et surtout nous nous trouverons l'abri des rencontres inopportunes. Nudd avait encore en mmoire l'image des deux Vahhuias courroucs, aussi approuva-t-il vivement. De cette manire les deux compagnons prirent un chemin sinueux se tortillant entre de hautes herbes, au coeur des Enfers. Vous vivez seul ? Le livre Harold sursauta devant le saugrenu de la question, tant il est vrai que Nudd persistait se croire toujours du monde des vivants. Vous savez, en Enfer, il n'est gure recommand de fonder une famille. De toute faon, j'ai toujours t un solitaire, mme de mon vivant. Je suis un vieux garon, et fier de l'tre. Ouaip ! Harold avait brusquement secou ses longues oreilles, une courbe large venant eux, prs d'un bosquet. Jamais une sorcire n'a entrav l'talon sauvage en moi. C'est une image, expliqua-t-il Nudd, comme s'il craignait de s'tre mal fait comprendre. Moui, marmonna Nudd en opinant de la tte. Ce faisant ils taient parvenus devant un talus surmont de mousses et d'herbes folles, avec des arbres en surplomb. Un ressaut se trouvait devant, masquant partiellement l'entre de la demeure d'Harold, un terrier au plafond encombr de racines filandreuses. Aprs vous, cher ami, dclara crmonieusement Harold. Nudd s'excuta et aprs s'tre engag dans un boyau tortueux des couloirs divergents, il ne tint plus le compte il se retrouva en une cavit ronde au sol terreux, dans l'obscurit la plus noire. Sentant prs de lui la prsence d'Harold, Nudd ne put s'empcher de s'crier. On n'y voit rien, ici ! Et pourquoi ncessiteriez-vous de votre vision ? Usez donc de votre instinct, mon ami ! le tana Harold. Ceci tant dit le livre passa immdiatement leur affaire, c'est--dire l'pineuse question du franchissement des frontires infernales. Un problme ardu, et complexe. Nudd avait dj entendu un pareil discours, il n'y avait pas si longtemps, de la bouche mme de Hirominet. Le petit chat soupira en songeant la chance de ce dernier. Ainsi, conclut le livre Harold en chuchotant Nudd dans la noirceur de son terrier, vous comprenez, tenter une escapade par la voie

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terrestre est suicidaire, d'ailleurs vous l'avez dj constat par vousmme. Nudd secoua la tte afin de masquer son trouble, car tout ses penses il n'avait pas prt attention Harold, celui-ci imperturbablement poursuivant son discours. Mais, allez-vous me dire, comment faire alors en ce cas ? Car vous ne songez pas renoncer, j'imagine ? Pas le moins du monde, le rassura Nudd. Voici le rsultat de mes rflexions : le chemin terrestre vous est ferm. Voui, approuva le petit chat en essayant de marquer la conversation de son empreinte, mme si c'tait de manire infime, car, commenait-il s'apercevoir, Harold pour dvider l'cheveau de ses penses se suffisait largement lui-mme. Reste la voie des airs, poursuivit le livre. Peu crdible, pour ainsi dire impossible, car ni vous ni moi ne savons voler, ni ne connaissons de cratures ailes. Du reste, les Vahhuias eux peuvent franchir les cieux, et ils vous repreraient facilement. Voui encore, miaula Nudd en commenant juger la discussion dprimante, cause de son manque de dbouchs positifs. Mais il est un autre chemin presque inexplor, et je connais son emplacement comme ma poche, si jamais je pouvais en avoir, s'exclama le livre. Oui, ce chemin est souterrain ! termina-t-il avec un accent de triomphe. Souterrain ? s'tonna Nudd parmi l'obscurit, en fronant son museau. Mais oui, souterrain ! lui soutint avec nergie Harold, dans l'obscurit il agitait continuellement ses oreilles, prodiguant Nudd un infime courant d'air. Durant mes prgrinations j'ai creus bien des terriers, et certains m'ont fait aboutir en des lieux dont je prfre oublier l'existence, car vous le savez comme moi nous nous trouvons dans les Enfers, et tous les morts ne reposent pas dans ses cercles. Ah oui ? s'enquit Nudd avec effroi, car dans sa grande navet cette possibilit ne lui tait jamais apparue. Parfaitement ! affirma Harold, avec une telle conviction que la pointe d'une de ses longues oreilles manqua bien percer l'oeil de Nudd dans le noir. Ainsi, j'ai dcouvert sous les Enfers un pays souterrain affreux et noir, aux habitants repoussants, pouvantables. Je connais des issues pouvant y aboutir, et si vous franchissez une certaine distance en ce

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royaume souterrain, vous aurez seulement remonter la surface ensuite, aprs avoir dpass ces frontires pour vous si dtestables. Mais oui ! s'enthousiasma Nudd en distinguant enfin une issue au problme insoluble le taraudant depuis des jours. Tout ceci est carrment tourneboulant ! Et vous connaissez le chemin menant ce royaume souterrain, Harold ? Certainement, bien sr, videmment ! lui dclara le livre d'un ton faussement suffisant. Dans ce cas, courons-y sans retard ! s'enflamma Nudd. Une voie y mne et elle est proche d'ici, dans les embranchements dpasss en venant. Ils partirent au petit trot dans la demeure labyrinthique du livre Harold, et au bout d'un certain moment avancer parmi les tnbres un dtail effleura les penses de Nudd. Ses habitants souterrains sont donc vraiment si terribles ? ce point-l ? Et bien, oui, tout simplement, lui confirma le livre en faisant une pause. Ah, nous voici arrivs l'embranchement en question. Prenons par l La voie choisie se mit descendre et le coeur de Nudd s'en trouva, comme il tait naturel chez lui, acclr nettement, les questions revenant de nouveau tourbillonner dans l'esprit de Nudd. Mais encore ? En vrit j'y fis uniquement de courtes incursions, car comme je vous l'ai dit ce pays tnbreux ne me fit gure bonne impression. non, convint le livre en dodelinant de la tte l'nonc d'anciens souvenirs. Des habitants pouvantables et repoussants, avez-vous dclar, le reprit Nudd de plus en plus inquiet, car leur boyau terreux touchait son terme. Oui, acquiesa le livre Harold, seules des Lamies et des Stryges, des Harpies et des Goules peuvent habiter cet endroit. Seigneur ! bla Nudd, maintenant terrifi et tremblant de tous ses membres. Mais c'est pouvantable ! Pas si vous courez suffisamment vite parmi leur territoire, jusqu' dcouvrir une issue vers les Enfers du dessus, dit Harold en faisant vibrer ses moustaches. Nous arrivons, je crois. Mais Nudd s'tait immobilis dans le boyau, pris d'une panique intense. Son corps statufi l'empchait d'avancer. Seriez-vous inquiet, mon ami ? lui demanda Harold en le fixant avec compassion.

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 On le serait moins, reconnut Nudd en frissonnant de la tte jusqu' l'extrmit de sa queue. Je ne m'attendais pas un tel endroit. Il est encore temps pour vous de renoncer, vous savez, articula Harold d'un ton comprhensif, et il ne faisait pas de doute l'entendre combien une telle dcision lui aurait paru sage, et des plus raisonnables. Un instant, un trs court instant, l'ide vint Nudd de faire demi-tour et d'attendre paisiblement dans les Enfers la fin de son ternit et le terme de son on, jusqu'au retour des bonnes dames s'en venant le chercher vers la Source de Vie. Puis l'image de son Arielle bien-aime s'imposa son esprit, et il ralisa l'impossibilit pour lui d'attendre de cette manire. Arielle guetterait son retour en vain, avant de perdre espoir au bout de longues annes. Il s'imagina Arielle pleurant chaudes larmes de ne plus pouvoir le revoir jamais, et son affection pour sa matresse se rvla la plus forte. Sa peur pourtant tait grande, mais il se dcida enfin, tremblant encore un peu toutefois. Il se tourna vers Harold. Adieu, Harold. Celui-ci avait hoch de la tte silencieusement puis l'avait men jusqu'au terme du boyau, ce dernier finissant dans un mur. Cela tonna Nudd, car il s'attendait trouver une issue claire de lumire. J'ai bouch avec de la terre meuble l'ouverture, je ne tiens pas voir ces sinistres habitants se rpandre hors du Sombre Royaume, comme vous le comprendrez. Je vais l'ouvrir pour vous. Prenez garde, au bout d'une distance convenable, de remonter vers la surface de la manire la plus efficace. Il se mit creuser la terre par saccades, la rejetant derrire-lui sans se soucier davantage de Nudd. Lorsque le bouchon de terre fut expuls, un vide semi-circulaire ba devant le petit chat. Puis une obscurit la noirceur insoutenable pntra l'intrieur du terrier. Mme si elle ne comportait aucune luminosit, le petit chat blanc et roux ne put s'empcher de cligner des yeux, sa tte finissant par merger timidement dans le vide. Il y avait un vent frais, au-dehors. Ou valait-il mieux dire au-dessous ? Derrire Nudd la voix d'Harold se fit entendre, affichant la plus grande discrtion possible. Adieu, Nudd. Ce dernier s'tait avanc encore, puis il s'tait retourn. Nudd venait de s'apercevoir avec retard que la gentillesse du livre tait immense, car il attendait de voir le chat parti au loin pour refermer le tunnel. Harold tait un ami, ralisa avec retard Nudd : et il s'attrista de devoir le quitter dj. Adieu, Harold.

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Il voulut un instant lui dire quel point son accueil et son aide lui avaient t d'un grand secours, combien il l'avait apprci, puis il prfra finalement n'en rien faire. Les adieux lui avaient t toujours douloureux, il leur prfrait de beaucoup les retrouvailles. Nous nous reverrons, Harold, promit-il. Puis il s'en alla dans les tnbres de l'empire souterrain. C'tait une terre immense, et Nudd dcouvrit avec surprise l'importance de ses dimensions. En vrit, l'endroit paraissait n'avoir pas de fin sur les cts ou vers l'horizon, droit devant lui. Fugitivement Nudd se retourna et observa le lieu o tait situ le gte d'Harold, une muraille terreuse et tnbreuse se dressant devant lui, jusqu' toucher le ciel souterrain. Voici dj une des limites du Sombre Royaume, se dit lui-mme Nudd. Restait trouver les autres, ou du moins une comportant une issue susceptible de le ramener la surface. Les oreilles aux aguets, Nudd s'immobilisa, son coeur battant une folle chamade. N'y avait-il pas eu un raclement suspect ? Aprs quelques instants d'une vaine attente, le petit chat caramel et roux dcida de s'avancer plus avant, pitinant une herbe rche et pour ainsi dire sans couleur. travers un bosquet d'arbres tordus Nudd progressa, et il observa des rais de lumire blafarde descendre des cieux, des Enfers, pour mieux dire. Nudd releva la tte et dtailla les crevasses l'origine des ples zbrures. Elles taient beaucoup trop hautes pour pouvoir tre atteintes, mais peut-tre, plus loin, pouvaient-elles tre rejointes par des saillies rocheuses ou toute autre particularit du relief ? Se souvenant des conseils d'Harold, Nudd fora l'allure. Les arbres denses un un dfilrent ses cts, puis il finit par distinguer prs de l les mandres argents d'une rivire souterraine. Des silhouettes inquitantes taient penches sur sa berge, et le petit chat aprs s'tre avanc sans prcaution battit en retraite prcipitamment. Les cratures sur les bords de la rive s'taient redresses en poussant des sifflements inquitants. Elles avaient des accents rauques et blessants pour les oreilles, avec des becs crochus et des serres de rapace, car elles possdaient un corps de rapace nanti d'une tte fminine. Et elles taient loin de possder le charme et la grce de la douce Arielle, observa Nudd en reconnaissant immdiatement les Harpies. Ma chre, il y a comme un fumet de dfunt, par ici ! s'exclama l'une, au grand effroi de Nudd, recroquevill au centre d'un buisson pineux par mesure de prcaution. Vous perdez la tte, ajouta une autre, des Enfers du dessus nous descend cet arme apptissant, et rien d'autre.

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 C'est dommage, nous ne pouvons pas nous rpandre la surface ! se lamenta la premire. Vous le savez bien, les Vahhuias, ces maudits dmons, mnent une garde vigilante prs des issues de passage. Sur ce les deux Harpies tendirent leurs ailes et s'envolrent au loin, laissant un Nudd inquiet, car sa tche lui apparaissait prsent beaucoup moins aise. Il songea une fois encore reculer, puis chassa cette ide avec force. Il n'tait pas sr de retrouver le chemin du terrier d'Harold, de toute manire. Le petit chat sur les traces de la Source de Vie longea prudemment la rivire noirtre aux clats d'argent, puis le terrain finit par adopter une dclivit, une bise froide lui venant d'au-del. " Mais d'o donc peut provenir ce courant d'air, puisque le Sombre Royaume est enclos sous les Enfers ? " s'tonna intrieurement Nudd, sans cesser pour autant d'avancer. Peut-tre les vents s'engouffraient-ils par les ouvertures suprieures, se dit-il, et ce point de ses cogitations les premires demeures de pierres lui apparurent, sinistres et inquitantes, avec leurs murs aveugles et leurs toits pentus de pierres plates, leurs porches somms de pinacles. Nudd les vita de son mieux car il ne tenait pas croiser les habitants de l'endroit, mais finalement la route l'en carta et lorsqu'elle parvint un coude, dans la nuit profonde, une vision de cauchemar se dvoila Nudd. Une cit immense se dressait dans une dnivellation, une cuvette naturelle lui constituant des remparts ptrifis. Elle tait de plan quadrangulaire avec de larges routes se croisant angle droit, et le sol en tait pav de dalles luisantes sous l'clat de la faible lumire tombant des crevasses. S'avanant toujours plus mais avec d'infinies prcautions, le petit chat parvint distinguer la ville avec davantage de prcision. Elle comportait des btiments levs par endroits, des tours carres au toit pyramidal, mais en aucun cas ils ne parvenaient toucher l'extrmit des votes, Nudd y ayant brivement song. Les maisons comportaient des tages en encorbellement, souvent, et leurs toitures taient dotes de statues grimaantes. Puis Nudd dcouvrit avec effroi la mobilit de ces dernires. Car il s'agissait des sinistres habitants du Sombre Royaume, usant de l'extrmit de leurs toits comme de commodes observatoires. Il y avait l de part et d'autre en diffrents points de la cit, des Lamies, des Goules au regard terne avec des crocs dpassant de leur facis humain, des Stryges galement se laissaient apercevoir trs semblables dans leur aspect celui des Harpies. Mais Nudd ne voulut pas en observer davantage car cette simple vision l'avait terrifi, il fit un cart et longea la ville

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rapidement. Il ne put agir suffisamment vite pour viter de voir les pauvres mes confines dans ce lieu, habitant dans les demeures pour paiement de leurs fautes. Nudd en ressentit une profonde piti leur gard, et il s'apprtait dtaler lorsqu'une silhouette voile apparut devant lui, l'obligeant s'arrter. Ce lieu n'est pas convenable pour une me pure comme la tienne, petit chat, il te faut partir au plus vite, lui dit le dfunt rsidant au coeur de la ncropole ftide. Je ne l'ignore pas, lui rpondit Nudd en tremblant de tous ses membres. Mais je cherche une voie de sortie ce royaume, o j'ai pntr par hasard. Hasard n'est pas le terme convenant mon cas, chtiment serait un mot davantage appropri, reprit le dfunt voil de la tte aux pieds. Mais si tu n'as pas subir l'Enfer des Enfers, tu n'as pas subsister dans le Sombre Royaume. Il n'y a pas de voie de sortie par le haut, comme visiblement tu le souhaites. ces mots le moral de Nudd, dj passablement dfaillant, descendit encore d'un cran, mais l'inconnu le rassura en levant la main. Il existe cependant un chemin, et un seul, il n'est pas toutefois sans danger. Nudd commenait tre las d'entendre toujours le mme refrain, aussi soupira-t-il silencieusement, mais il n'ajouta mot, de crainte de couper la parole son mystrieux interlocuteur. Va droit devant toi, toujours tout droit, jusque vers le lieu o le Sombre Royaume atteint ses frontires naturelles. L'Avesta, la rivire coulant prs de l, se jette dans la roche et merge en surface, tu auras atteint ton but. Nudd allait remercier l'inconnu pour ses conseils dsintresss lorsqu'un bruit de branches brises se fit entendre dans son dos, et vivement le petit chat se tapit dans le feuillage protecteur. Eh bien, lanait une voix raille au pauvre dfunt, tu vagabondais encore loin de ta maison ? Crois-tu agrable pour moi d'avoir te surveiller sans cesse ? Tu le sais pourtant, nous ne pouvons tre l'un sans l'autre ! Je le sais, je le sais, lcha l'inconnu d'une voix lasse. Je m'en revenais, justement Avec qui parlais-tu ? s'nervait la Stryge. Avec personne, lui murmura d'une voix faible le dfunt. Mais Nudd ce moment-l tait dj loin, il courait perdre haleine sans jeter un regard derrire-lui.

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Au loin devant la troupe de Larme le guide l'allure fruste avait tendu le bras pour dsigner quelque chose se trouvant encore en avant, et Jean de la Lune aprs tre remont sur le palanquin de bois prcieux du griffon de commandement fit acclrer sa monture. Alentour taient les vampires, les hommes-loups, et les dragons monts par des hommes de haute taille, la peau safrane et aux yeux brids. Derrire le palanquin, sur le griffon, se tenait Algol, la cuirasse d'azur et de verre prcieux, la conque d'or dans laquelle il souffla puissamment afin de rassembler la totalit de Larme, parpille la recherche de la citadelle des Rveurs. toute vole rsonnait la trompe, et les montagnes proches de l'Empire du Sommeil, les valles et les grandes plaines herbeuses s'tirant sous le ciel livide rpercutrent le son de la conque jusqu'au coeur du royaume de Morphos. De partout arrivaient prsent les soldats tirs par Jean de la Lune de leur sommeil millnaire, et selon l'pe d'or des bonnes dames, ils constituaient Larme. Ils portaient des cuirasses merveilleuses, des armes prodigieuses l'aspect fragile et dlicat. Mais les centaures ne doutaient pas de leur puissance pour autant, et les chimres pitinaient d'orgueil dans l'attente de la prochaine bataille. Plusieurs licornes s'taient mises galoper autour de la troupe, portant de rudes cavaliers l'arc tincelant. Il y avait aussi des hommes la peau noire, et quelques autres possdaient un teint semblable du lait, l'image du vagabond du royaume de France. Chacun arborait de mystrieux insignes l'allure cabalistique, et ils dtenaient des javelines feriques, des boucliers d'or aux motifs flamboyants. Jean de la Lune eut un vertige en songeant leur proche avenir, derrire la butte o se dressait leur guide, Ammu. Je ne suis pas un homme de guerre, Algol, dclara-t-il d'une voix blanche ce dernier, se trouvant comme de coutume derrire le palanquin de commandement, sur la croupe muscle du griffon. Je le savais dj, lui rpondit celui-ci aprs avoir retrouv son souffle.

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 Je n'ai jamais vers le sang, reprit l'homme de la Terre. Mme si l'pe d'or des bonnes dames bat contre ma cuisse, je ne suis pas un guerrier votre image. L'on aurait cru l'entendre que ce dtail indisposait de la manire la plus profonde le dirigeant de Larme, mais le souffleur de conque, constituant le relais entre le mendiant et la troupe, le rassura d'un sourire. Si cela avait t le cas, jamais Larme par votre entremise n'aurait pu tre retire du Grand Sommeil. Et l'pe des bonnes dames, l'imaginez-vous un seul instant capable de pouvoir servir un tre dont les mains sont souilles de sang ? Certes non, lana alors celle-ci, pourtant enfonce dans son baudrier, prs de la cuisse de son matre. Une couronne d'invisibles toiles plane sur votre tte, l est la source de votre pouvoir, ne doutez donc plus car les temps ne sont pas de vaines tergiversations, lui dit Algol. Larme, sachez-le, n'aime d'ailleurs pas rpandre inutilement le sang. Nous ne remportons pas nos victoires ainsi, et nous ne portons pas de tche infamante. D'ailleurs, vous allez le voir bientt par vous-mme. La troupe tait au complet et constituait un cercle multicolore et protiforme autour du palanquin de commandement. Tagor le chien noir, accompagnant le mendiant depuis la lointaine Terre, tait l galement, il aboya de manire intense et parvint presque couvrir la rumeur des chimres et des hyppogriffes, les hennissements des licornes immacules. Algol fit un signe de la main, et Larme entourant et protgeant leur seigneur Jean de la Lune avana sur la plaine d'herbe jusqu'au bout d'un court chemin o ils arrivrent tous, en bon ordre, prs de la position occupe par Ammu depuis un moment. C'tait une butte seme d'arbres, dont certains dpassaient les ttes cornues des dragons rouge et or. De l, on avait une vue plongeante sur la forteresse des Rveurs d'Oniria, situe en contrebas. Elle se trouvait en une grande dnivellation, avec jusqu' l'horizon la plaine rase d'une steppe herbeuse, plate comme le dos de la main. De vastes forts se tenaient aux abords de l'tendue d'meraude, ou peuttre tait-ce des montagnes rapetisses par la distance, le vagabond aux cheveux d'or ne parvint pas trancher vritablement. La citadelle des Rveurs se dressait au milieu de la platitude, et le coeur de Jean de la Lune se mit battre coups redoubls dans sa poitrine lorsque les chimres, puis les hyppogriffes, et enfin le reste de la troupe prirent paisiblement la direction de la place-forte. Des vampires taciturnes

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marchaient prs du palanquin, Tagor aboyant autour d'eux, tel si Larme s'acheminait vers une fte. Mais ce n'tait pas le cas, et Jean de la Lune, en aucune faon, n'tait en joie. Des hommes-loups avanaient en formation, ils avaient dispos sur leurs ttes canines des heaumes cisels, laissant uniquement distinguer leurs yeux rubis, et leurs crocs de pure blancheur. Les licornes progressaient au petit trot : tout ce petit monde tait guid par Ammu, sinuant lentement entre les broussailles, s'arrtant parfois pour trouver la meilleure passe, puis reprenant la route lorsqu'il l'avait dcouverte. La forteresse tait maintenant plus proche et il tait possible quiconque de la dvisager aisment. Elle tait entirement de cristal, d'un verre blouissant aux reflets neigeux et bleuts, blessant douloureusement les yeux lorsque par mgarde on en fixait les contours trop longtemps. C'est l une dfense ingnieuse, affirma Algol aux oreilles de Jean de la Lune, derrire lequel il se trouvait plac, mais cela ne saurait nous retarder beaucoup. Leur raction va tre prompte, mais nous sommes prts. Comme si les Rveurs de l'Empire du Sommeil avaient pu entendre travers la distance les sparant encore les paroles du souffleur de conque, les murailles cristallines s'taient fendues d'ouvertures laiteuses dgorgeant des Malammuds porteurs de Rveurs cuirasss et des Byphides, des Mordoggs et mme un Tnder, bien seul de sa race au milieu du reste des cratures immenses. Elles ressemblaient en effet des collines en marche, grondantes et hurlantes devant les remparts crnels derrire lesquels se profilaient des tours opalines et des pyramides d'amthystes, aux clats d'iris. Seigneur, plit Jean de la Lune en observant les montures des Rveurs, par ailleurs galement l'apanage des Honnies de sinistre mmoire. Le vagabond avait grand-peur car il se souvenait de leur force dans le combat, de leur hardiesse, et aussi de leur puissance. Courage, le rassura Algol en posant une main sur son paule, gardez la foi car jamais Larme n'a tourn les talons devant personne. Les vampires de la troupe s'taient port aux avant-postes en courant grandes enjambes, et devant le galop lourd des Amnosaures, des Malammuds crts de soldats Rveurs en armes ils avaient brandi chacun des sceptres de bois orn leur extrmit d'une gemme minrale grosse comme le poing, l'clat rouge sang. Des ondes carlates s'taient mises irradier autour de leur bton mystrieux de manire extrmement

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visible, les Malammuds, les Mordoggs, se mettant cabrer et ruer en hurlant sourdement. Voici, des Rves Rouges envahissent leur esprit et leur procurent des frayeurs identiques aux pires cauchemars. Seule une arme onirique peut vaincre les Rveurs de Morphos, seigneur, articulait derrire le vagabond Algol, et seuls les vampires de Larme arborent le sceptre des Rves Rouges. La confusion se trouvait maintenant entre les rangs des dfenseurs, et dgags par les javelines des grands hommes safrans, et mme des hommes-loups, des fils d'or venaient annihiler les blanches lumires s'abattant sur eux du haut des cratures normes, en provenance de tridents malfiques. Des cordes enserraient les pattes monstrueuses, puis des pieux les maintenaient entraves. Des soldats de Larme escaladaient les collines d'cailles gmissant dans leurs Rves Rouges, leurs traits de lumire remontant jusqu'aux tridents d'airain et les faisant se rompre en morceaux scintillants. Ds que cela arrivait les Rveurs se rendaient en nombre, car Larme toujours parvenait conserver ses armes. De cette manire le combat commena tourner en faveur du vagabond aux cheveux d'or, au grand soulagement de ce dernier. Plusieurs Rveurs taient tombs terre, dans l'immobilit de la mort, mais Algol dut apercevoir l'expression du mendiant car il le rassura promptement. Leur sommeil sera des plus brefs, tout comme fut le vtre. Des clameurs rsonnrent depuis les remparts, plusieurs explosions retentissant au-dessus de leurs ttes. Elles se rapprochrent graduellement, et des gerbes d'claboussures chromatiques colorrent leurs traits au rythme des dtonations. Il y eut une priode de flottement dans les rangs de Larme, et les dfenseurs de la cit parurent en acqurir un regain de courage. En dpit de leurs traits tirs par la souffrance, malgr leurs yeux clos par les Rves Rouges, leurs matres parvenaient les guider encore, et ces derniers se dplaaient en aveugle. Des gerbes de saphir et de pourpre, d'orange intense, teintaient le dcor, dcouvrit le vagabond aux cheveux de bl mr du haut de son palanquin. Larme pourtant dj avait resserr les rangs, et des boucliers aux motifs mystrieux avaient t brandis par les soldats de safran. Sur leur surface, ruisselante d'ombres saccades, s'crasaient les gerbes multicolores en protgeant les soldats et leurs montures, tant tait astucieuse la manire dont taient disposs les boucliers, et parfaite la couverture constitue par eux. petits pas Larme avait progress lentement aprs un court instant d'immobilit, et le sol d'Oniria se mit trembler de manire convulsive. C'taient des tressautements rpts, accompagns d'un

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grondement sinistre. Dans les airs les griffons semblables celui du mendiant s'lanaient puis gobaient les explosions chamarres, l'image de fruits mrs. Cela sembla consterner les dfenseurs d'Oniria, car les chimres bientt les imitrent, et peuplrent les airs de leur tapage et activit. Algol, que se passe-t-il ? s'enquit Jean de la Lune en fixant le mur protecteur des boucliers contre les couleurs dferlantes. Tous nos soldats ne sont pas la vue et au su de chacun, la totalit de nos armes n'est pas visible au vulgaire, lui rpondit mystrieusement Algol. Il se produisit une explosion au-devant d'eux, et rapidement mergea au milieu d'une avalanche de terre sombre projete dans les airs un serpent monstrueux, aux yeux d'argent et aux cailles d'arc-en-ciel. Il se dirigea vers les remparts, et des vampires le chevauchrent cru, suivis des hommes-loups et de tous ceux de Larme n'ayant pas de dragon ou d'hyppogriffe pour les transporter. Chacun brandissant ses armes, l'ophidien se coula entre les explosions colores continuant se produire, et il escalada souplement la muraille de cristal jusqu' ce qu'une proportion importante de Larme se retrouve dans la ville. Les boucliers prcieux repoussaient toujours les rayons malfiques l'image de vritables miroirs, tandis qu'eux-mmes disposaient d'un armement identique. Dans le ciel, les griffons avaient termin leur tche, et en compagnie des chimres les soldats de safran avaient envahi la citadelle. Dont la grande porte s'ouvrit bientt. Ophis est toujours un argument de poids, consentit Algol avec un lger mouvement du menton vers le serpent monstrueux, ce dernier aprs avoir accompli sa tche s'en retournant dans son univers souterrain, comme si le fait d'avoir agi ainsi l'avait amus brivement, puis venait de le lasser. Un Rveur de haute taille et de grand ge tait venu vers le griffon de commandement, rest l'cart des combats. Sur la plaine devant la cit, les Malammuds et les Urauros, les Tnders, avaient cess de s'agiter et les vampires dtenant le sceptre des Rves Rouges avaient rang chacun leur bton malfique. Apparemment, la bataille venait de prendre un tour dcisif, un notable avait t envoy en dlgation. Sur les remparts, l'agitation avait cess, car l'heure des affaires d'importance venait de sonner. Qui tes-vous, trangers ? leur lana-t-il d'un ton mu, car pour la premire fois une cit des Rveurs venait d'tre dfaite de manire tangible.

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Algol s'apprta lui rpondre puis il se reprit, se tournant vers Jean de la Lune, ce dernier lui donnant d'un signe de tte son accord tacite. Nous sommes Larme, articula nettement Algol en dtachant ses mots, et Jean de la Lune ici prsent, l'pe d'or enchante, est notre matre. Les cratures et les tres composant Larme approuvrent silencieusement ses paroles, et les Malammuds ainsi que les Amnosaures, dont certains portaient encore des Rveurs hagards, se penchrent vers le palanquin de commandement en paraissant le distinguer pour la premire fois. Jean de la Lune, dit d'un ton intrigu le Rveur vnrable, aux blancs habits et la haute taille. Ses cheveux taient longs, identiques dans la longueur ceux du mendiant, mais ils arboraient la puret de la neige. Il fit un signe au croquant du royaume de France, et celui-ci descendit bas de son griffon, avec Algol derrire lui. Tagor le chien noir aboya vivement en retrouvant son matre, et tous firent cercle autour du noble Rveur dlgu par la cit assige. J'ignore votre puissance, Jean de la Lune, mais je connais par oudire Larme, c'tait autrefois un clan d'immortels, assura en cherchant dans ses souvenirs le vieillard. Ils disparurent aprs avoir livr et remport bien des batailles, dans les landes de l'Empire du Sommeil, plus jamais l'on n'entendit parler d'eux. Telles sont les Traditions. Le temps a pass et nous nous sommes endormis, expliqua Algol comme si cela tait trs naturel, et pouvait tre compris par l'esprit le plus simple. Mais l'pe magique de notre seigneur nous a rveills, et par la grce de sa couronne d'toiles, il est devenu notre chef. Ainsi, Larme est de retour, grogna le vieillard. La Roue du Temps a tourn Et force de tourner, vieillard commena Algol. Elle est revenue son point de dpart, conclut l'ambassadeur de la cit en dodelinant de la tte. Pourrais-je voir cette fameuse pe d'or ? Jean de la Lune ne se fit pas prier pour dgainer de son baudrier l'pe donne par les bonnes dames. Lorsque cette dernire tincela dans les airs chacun, mme les Rveurs grands et ples, cuirasss tels des demidieux sur leurs Mordoggs et leurs Belsphons, ne purent s'empcher d'mettre un " oh " de surprise. L'pe d'or la poigne de cristal prcieux brillait l'image d'un joyau inestimable, son clat et son aura constituant une source de lumire dans les cieux gris d'Oniria.

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 Vous avez l un grand chef, cela rjouit mon coeur : la dfaite de nos soldats s'en trouve claire d'un jour nouveau. Larme en est responsable, et Jean de la Lune aussi, nona en guise de sentence l'ambassadeur aux blancs habits. Vieillard, nous marchons aprs cinq petites filles, cinq petites franaises arraches leur lointain royaume par les sorcires de Lilith, puis par les hommes de Morphos, votre chef, reprit Algol afin de ne pas voir la discussion repartir dans une direction inapproprie. Une Amazoon dont la prsence m'est chre, nous recherchons galement, prcisa le vagabond en remettant l'pe enchante dans son baudrier. Car celui-ci ignorait tout de la prsence de Morgane aux cts d'Andromde, en compagnie du bataillon expditionnaire des chats de l'Arkaal, otage malgr lui. Maintenant le tumulte de la bataille n'tait plus, chaque camp avait rappel ses troupes, Larme se positionnant devant les remparts, les Malammuds des Rveurs et les Tnders, les Belsphons, dans leurs stalles de cristal. Les Rveurs se relevaient sur l'herbe rase les uns aprs les autres et s'en repartaient clopin-clopant derrire les murailles crneles, certains tant mme soulags dans leur marche par des frres d'arme compatissants. L'Amazoon recherche dclara le vieillard rest seul des siens prs de Larme, j'en ai entendu parler. Mais les petites franaises ne sont pas ici, Morphos se trouve bien loin, au coeur de son pouvoir, et vous vous situez dans les limbes de son empire. Cela dit, je comprends votre dmarche, mon coeur n'est pas sec et j'ai moi-mme des petits-enfants dont le sort m'est cher. Voici coutez mes paroles, elles vous viennent d'un ami, et non pas d'un adversaire dans la tourmente. Algol, le souffleur de conque, s'tait rapproch du mendiant aux longs cheveux dors, le reste de Larme galement, chacun avait fait silence et les griffons bruyants et les hyppogriffes, les licornes piaffantes, avaient tu leur rancoeur. Ici est la Loria, la citadelle de la Loria, rvla le vieillard de sa voix de basse. Le vaste palais de Morphos se situe en Colchide, allez en direction des montagnes sans dvier de votre route et vous rejoindrez Porphiros, une grande cit portuaire d'Oniria. L-bas vous ne serez plus trs loign de votre objectif, Amarante, o trne Morphos. L-bas rside notre matre, et l-bas doivent tre les petites filles. Mais prenez garde, inconnus de Larme. Disant cela sa voix s'tait amenuise jusqu' tre un mince filet, obligeant ses proches interlocuteurs tendre l'oreille de leur mieux.

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 En Amarante est le Tombeau de la Reine, Lune, et cette dernire symbolise l'tat d'endormissement de l'Empire du Sommeil, dont la nature est de veiller sans fin le long des sicles innombrables. Morphos n'est pas seulement le monarque des Rveurs, il est galement le plus grand protecteur de la Reine et de son Tombeau. Il ne vous laissera pas approcher de ce lieu sacr sans ragir. Nous n'avons aucunement l'intention de profaner ce lieu sacr, s'il est de si grande importance pour le peuple de l'Empire du Sommeil, lui assura Jean de la Lune. Mais pourquoi donc votre matre a-t-il enlev les cinq petites franaises ? D'abord, elles furent retires sauvagement leurs familles, sans le moindre gard. Puis, affirma le vagabond avec de grands yeux, nous tions sur le point de les retrouver lorsque d'odieux Cavaliers les saisirent. Toute Larme avait approuv d'un air lugubre l'nonc de l'pope dbutant sur la lointaine Terre avant de parvenir Oniria, et le vieillard ragit. Cela est mal, indubitablement, nos coeurs ensommeills sont meurtris galement. Je vous ai rvl de l'affaire mes connaissances, croyez en ma sincrit, je n'en sais pas davantage. Maintenant, vous allez partir. Algol le souffleur de conque avait hoch de la tte, dj Larme avait repris sa formation pour la marche et les centaures, les vampires et les hommes-loups piaffaient d'impatience d'aller vers Porphiros et au-del la mythique Amarante. Mais des Rveurs de la Loria s'en venaient chargs d'outres et d'amphores, de coupes d'or et d'argent, de hanaps cisels en un dlicat travail d'orfvre. Et le vieillard avait repris. Vous ne sauriez repartir vers votre Destin sans boire avec nous la liqueur sacre du Rave, elle scellera entre notre peuple de la Loria et Larme une amiti indfectible, comme il sied de nobles partis s'tant combattus vaillamment, et se portant une estime mutuelle dans la dfaite ou bien la joie. Ainsi firent les belligrants, et avec un rel plaisir Jean de la Lune gota pour la premire fois de sa vie cette boisson ambre et ptillante aux noirs reflets, la liqueur raffine tire des fleurs de Raves. Chacun trinqua avec son voisin, et les Rveurs souhaitrent longue vie et heureux sommeil aux membres de Larme, ces derniers leur rpondant avec motion de semblables souhaits. Sous les remparts de la cit auparavant assige, les libations s'achevrent dans l'allgresse et en nourrissant de francs regrets, Jean de la Lune et Algol durent prendre cong.

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 Nous n'oublierons pas de sitt le courage des Rveurs de la Loria, promit Algol, et leur grandeur d'me dans la bataille. Non, nous ne l'oublierons pas de sitt. Nous parlerons chacun de leur accueil splendide, et de la succulence de leur liqueur de Rave, ajouta Jean de la Lune. Sur de sonores adieux Larme fit route vers la cit de Porphiros, et la plaine bientt les environna de toutes parts. La ville de la Loria s'tait amenuise derrire eux, jusqu' disparatre. Ammu, leur guide, durant la bataille onirique s'tait prudemment mis l'cart mais dsormais il avait repris la tte. Par des voies cartes il mena Larme jusqu'en un val oubli, o taient les ruines d'un ancien palais, parsem de murs abattus et de morceaux de colonnes gisant dans la terre, demi ensevelis par les sicles comme l'avait t Larme il n'y avait pas si longtemps. Des blocs de pierre mergeaient de partout, les ronces avaient envahi l'endroit, pourtant vaste et tir comme il sied l'habitation d'un prince. Jean de la Lune, fatigu par le voyage et la nervosit gnrale durant les affrontements avec les Rveurs, descendit bas du griffon de commandement et il ordonna un temps de pause, approuv en cela par le souffleur de conque Algol. Larme s'tait rpandu dans les ruines dsertes et les centaures avaient pris leur quartier en compagnie des licornes et des hommes-loups, par affinit. Les soldats safrans, d'une taille identique celle des Rveurs, s'taient joints aux vampires et aux rares hommes la peau blanche ou mme noire, et les dragons, les hyppogriffes, se postrent non loin de l. Des guetteurs furent dlgus par Algol afin d'explorer les alentours, et le campement fut ainsi dispos la grande satisfaction de Tagor, le chien noir aux oreilles coupes, visiblement las lui aussi. Cet endroit est des plus singuliers, dclara Algol en revenant ensuite auprs du vagabond aux cheveux d'or, je ne me souviens pas d'avoir jamais entendu parler d'un similaire palais. Disant cela, il fixait l'troit corridor rocheux leur ayant permis d'atteindre la valle enclose entre de hautes murailles, elle donnait l'impression de n'avoir jamais t visit par quiconque. Jean de la Lune partageait son opinion, et Ammu apostroph par Algol cause de sa perplexit croissante se rpandit, dans son langage guttural, en explications confuses, estima le souffleur de conque. Mmm lcha-t-il, songeur. Il serait venu ici seulement une fois, il y a bien longtemps, et le couloir d'accs tait obstru par de monstrueux boulements de roches, ils l'empchrent de progresser plus avant avec ses compagnons, expliqua Algol en direction de son seigneur. Il ne

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comprend pas comment les rocs ont pu se volatiliser ainsi, et il dcouvre avec nous les vestiges mystrieux dissimuls derrire. Il pense, ajouta-t-il aprs un temps de repos, que nous sommes les premiers tres fouler le sol de cette valle retire. Jean de la Lune soupira, songeant la route suivie en direction de Porphiros, longue et tourmente dans la plaine de la Loria, jusqu' voir apparatre enfin des contreforts sinistres se dcoupant sur le ciel gris blanc d'Oniria. Ce val singulier n'avait pu tre dcouvert encore par personne et cela n'avait rien de surprenant, en dfinitive ! Pour sa part, sans l'aide d'Ammu il lui aurait t pratiquement impossible d'y parvenir, mme avec son exprience de vagabond sur les chemins du royaume de France. trange se contenta de murmurer le mendiant en fixant les ruines entre lesquelles s'tait installe Larme. Aprs un rapide tour d'inspection quelques vampires partis en claireur dans les alentours revinrent, affirmant n'avoir rien trouv de prilleux, seulement des blocs de maonnerie tombs en poussire et des herbes sauvages s'insinuant sur les pans de mur et les vestiges anciens. Ds lors Larme s'en trouva dtendue, et chacun vaqua ses affaires. Des tentes de tissus furent dresses en divers points et l'emblme hraldique de Larme, consistant en une spirale cinq branches, fut hiss sur un mt d'apparat. Une odeur apptissante se rpandit dans le campement, car des centaures, forts bons cuisiniers comme soldats vaillants, s'taient mis la tche. Bientt cependant des cris vifs rsonnrent prs de l, et chacun dans le campement tourna la tte dans la direction des clameurs. Un puits vient d'tre dcouvert, informa Algol Jean de la Lune, aussitt aprs avoir t mis au courant des faits. Ils s'approchrent du puits en question, et prs des vampires surexcits par la bonne qualit de l'eau ils n'avaient pas tard s'y abreuver, tarauds par la soif Jean de la Lune observa alors comment des marches de pierre, sur l'une des parois, descendaient de plus en plus bas dans le sol, jusque dans des tnbres profondes. Immdiatement un centaure viril, musculeux et barbu, rugit de la trouvaille ainsi faite. Hors l ! avait grogn le centaure, porteur sur la tte d'un casque d'or et de cristal noir, nanti d'incrustations faisant la paire avec celles dcorant sa cuirasse de cuivre brillant. Un chemin se profile dans le puits, semble-t-il ! Nombre de cratures agglutines autour de la maonnerie vtuste avaient grond bruyamment, et dj plusieurs voix s'taient leves pour se proposer de l'explorer. Apparemment, ralisa avec satisfaction le

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vagabond aux cheveux d'or, l'amour de l'aventure tait pour un membre de Larme une condition oblige. Mais la voix d'Algol se fit entendre aussitt, et Jean de la Lune avec retard ralisa la sagesse de ses paroles. La fatigue nous accablant actuellement ne nous permet pas de faire une telle chose, assura Algol, et en cela le mendiant l'approuvait totalement. Restaurons-nous, mes amis, car le repas est prt et nos estomacs crient famine. Dans nos tentes, nous nous reposerons ensuite. Aprs seulement nous verrons ce puits, et s'il est ncessaire vritablement de l'explorer. Je vous le rappelle, la route vers Porphiros est encore longue, aprs il nous faudra rejoindre le sige de Morphos, en Amarante. cela Larme entire avait donn son approbation, et tous s'taient dirigs vers les trteaux, o une succulente nourriture avait t dispose par les centaures cuisiniers. Des brasses de fleurs de Raves furent jetes sur le sol pour les chimres et griffons, hyppogriffres et dragons, et Tagor lui non plus ne fut pas oubli. Jean de la Lune put goter aux spcialits gastronomiques des centaures de Larme, les jugeant savoureuses et dlicates. D'un seul coup son bagage d'expriences culinaires venait de s'enrichir de faon sensible, car en plus des dcouvertes rcentes, il lui restait galement dans la bouche le souvenir de la mirifique liqueur de Rave. Lorsque le repas fut achev les tables furent ranges, et les troupes de Larme disposes dans leurs quartiers. Puis l'on changea les gardes, comme il est coutume de le faire priodiquement au sein des armes en campagne. Jean de la Lune, las et puis, s'accorda une ultime gorge d'eau frache, provenant du puits voisin, et il la jugea cristalline et arienne, dlicieuse telle de l'ambroisie. Pourtant c'tait seulement de l'eau, mais en vrit, elle dtenait une saveur trs particulire. S'enroulant dans son insparable couverture de voyage, avec ses cts le fidle Tagor, il s'assoupit bientt l'air libre, non loin d'Algol, le souffleur de conque. Jean de la Lune avait refus de s'abriter dans une tente chamarre, malgr la proposition faite par Algol, en effet, le vagabond tait trop habitu aux errances en plein air pour adopter de telles coutumes. Algol afin de ne pas tre spar de son seigneur l'avait imit silencieusement, et de cette faon, le campement de Larme au milieu des ruines s'assoupit. Ds lors, une magie mystrieuse et dj maintes fois manifeste sur la personne de Jean de la Lune se rpta, une fois de plus. Tout son sommeil, les penses du mendiant s'agitaient d'elles-mmes, des paroles se mouvaient perptuellement dans les trfonds psychiques du vagabond, entonnant une danse frntique. Elles constituaient une mlope, une complainte soutenue aux allures de litanie. " Un, plus deux, plus trois,

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jamais plus de moi ne t'loigneras. Trois, plus deux, plus qu'un, que nos coeurs spars ne fassent plus qu'un ! " Comme cela dj s'tait rpt, d'une manire jamais encore lucide par le vagabond du royaume de France, une aura dor naissait autour de la silhouette de ce dernier, profondment endormi, et de son chien Tagor. Les traits de celui-ci, l'unisson de ceux de son matre, se brouillaient et s'effaaient telle une image sur le point de s'vanouir. Puis le souffleur de conque Algol, rveill en sursaut par la luminosit faible, mais perceptible, de la singulire magie, secoua l'paule du vagabond. Il en perdit son clat scintillant, et le voile commenant recouvrir ses traits. Il bafouilla puis Tagor se mit aboyer, crant un beau remuemnage dans le campement endormi sous le ciel blanc d'Oniria. Seigneur, une magie mauvaise tait l'oeuvre, elle vous emportait peu peu se dfendit Algol devant la mine courrouce du mendiant : comme bien d'autres, il avait une sainte horreur de se faire agiter ainsi. Je craignais de vous voir disparatre on ne sait o Quoi ? grogna le vagabond en reprenant peu peu ses esprits, et ralisant les paroles du souffleur de conque il se radoucit, car il venait de se souvenir des prcdentes fois o de tels miracles s'taient produits, effectivement. Oui, cela arrive parfois, bien contre mon gr Vraiment ? s'tonna Algol en fronant les sourcils. Oui, poursuivit Jean de la Lune en faisant taire le chien Tagor, encore surexcit. Elle se met en branle, semble-t-il, chaque fois que mes rves me rapprochent d'Andromde et des cinq petites franaises Dans ce cas mon intervention fut inapproprie, dit Algol avec agacement. Vous auriez pu gagner un temps prcieux ! Nous aurions t spars, dans ce cas, conclut le mendiant avec philosophie, se retournant sur sa couche improvise afin de retrouver le sommeil perdu. C'est vrai, reconnut Algol en continuant rflchir. Mais la prochaine fois cette magie singulire ne nous prendra plus au dpourvu, et je la laisserais aller jusqu' son terme. Nous vous suivrons dans votre sommeil travers l'espace, jusqu' votre destination. tes-vous d'accord, seigneur ? Algol se retourna vers Jean de la Lune afin de recueillir son opinion, en pure perte, puisque ce dernier s'tait endormi en laissant le souffleur de conque seul dans son veil. Ce dernier se recoucha son tour, silencieux, mais n'en pensant pas moins. Algol fit cette nuit-l un rve pntrant, dans lequel travers le puits il dcouvrait une cavit merveilleuse, emplie de lumires ruisselantes et de prismes. L'on aurait cru la salle

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d'un prince, orne de tapisseries et d'incrustations prcieuses, de colonnes baroques et d'un dallage en or pur, aux carreaux stris de forme octogonale. En un sige d'apparat, haut dossier, se tenait un important personnage faisant un geste d'invite l'encontre d'Algol, dans son rve. Mais celui-ci ne bougea pas d'un pouce, malgr l'aspect bienveillant et doux du monarque. Car ses atours princiers taient d'une consistance brumeuse, pour ainsi dire thre. On aurait pu le croire transparent, presque invisible. Algol n'eut pas la chance ou bien le malheur ? de se voir retirer d'un aussi puissant rve par une main secourable, en effet Jean de la Lune partageait un songe identique, et tous ceux de Larme avec lui. Ou, pour mieux dire, tous ceux ayant got de la savoureuse et dlicieuse eau du puits archaque.

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Chapitre

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Au-dessus des vagues indigo crtes de mousse, l'ternelle houle, les grues noires portant l'envoy de la Ligue, avec son chat-cerise Balbillus et le noble Roland, ainsi que les deux Hros des Temps Anciens et le Rveur Pharius, volaient sans faiblir depuis un long moment dj lorsque le premier, le neveu de l'illustre Charlemagne, s'inquita de l'effort prolong demand leurs montures ariennes. Magicien, nous sommes repartis depuis longtemps du mystrieux pays des nuages, lana-t-il travers le vide cleste. Pensez-vous donc les forces de nos grues sans limites ? L'envoy de la Ligue des Magiciens de la Terre secoua ngativement la tte distance, exhibant un mince sourire. Pourtant la mine soucieuse des Hros des Temps Anciens, Aquilon le Myrionime et Gnsio le Triptolme, en disait long sur leur crainte, pareille celle du neveu princier. Si elles venaient s'puiser, elles s'abmeraient dans la mer sans retour, lcha son tour Pharius. Et qu'adviendrait-il de nous ? renchrit Gnsio le Triptolme. D'un enchantement, je vous sauverais, dclara le plus srieusement du monde le magicien noir. Mais il se garda bien d'ajouter n'avoir pas us de sortilge encore jusqu' prsent, car il craignait des ractions violentes de la part des entits caches de l'endroit. De plus, il est une raison prcise pour laquelle le don fait par la Dame des Rves avec les grues me convient parfaitement, poursuivit Iolo. J'aimerais bien connatre cette raison, se renfrogna Roland en distinguant seulement un ocan sans limites et un ciel infini, partout o il tournait le regard. Cette mystrieuse Magoria semble cache comme un prcieux trsor En fait, continua de discourir Iolo le Tnbreux en ralisant combien le moral de ses compagnons tait en train de flancher, les grues noires sont des oiseaux magiques, ils appartiennent la Faiseuse de Nues, vous l'avez vu, vous aussi. Ces oiseaux-l sont ns dans l'Empire

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du Sommeil, et ils me paraissent aptes tracer leur route vers Oniria, en vitant les chausse-trappes et les embches dans lesquelles nous ne manquerions pas de tomber. En cela je vous approuve, magicien, dit Pharius, le Rveur, dont la haute taille le faisait dpasser d'une bonne tte tout le monde. Il y eut au sein de la troupe un moment de silence s'tirant interminablement dans le vide blafard du ciel, aussi de nouveau le noble Roland se rpandit en rcriminations. Ce pays de Magoria nous mnera notre perte, maugra-t-il voix basse, mais pas assez cependant pour ne pas tre entendu par ses compagnons de voyage. Jamais nous n'aurions d dvier de notre dessein initial, c'est--dire sauver de faon prioritaire les cinq petites franaises, mme si Terre ! s'cria alors Iolo le Tnbreux, il avait vu le premier merger de l'horizon brumeux des pics sombres et dchiquets, constituant l'avant-garde d'une muraille granitique. Le soulagement du magicien n'tait pas feint, car en secret, il s'tait plus d'une fois interrog sur le bien-fond de sa dcision. Mais prsent une langue de terre obscure jaillissait de la mer, et les vnements venaient de lui donner raison. Bien avant eux les grues avaient senti la proximit d'un asile hospitalier, et elles avaient fait de leur mieux pour y parvenir au plus vite par-del la mer d'Oniria. L'enthousiasme des voyageurs, y compris celui du chat-cerise Balbillus, fut intense et il y eut des vivats, des hourras, en raison de l'extrme tension ayant prcd ce moment. Pharius le Rveur voulut temprer cependant ses amis. Modrez vos ardeurs, les mit-il en garde, si nous sommes prsent en un territoire inconnu, il va nous falloir nous tenir sur nos gardes. D'autres voyageurs d'Oniria peut-tre ont dj foul le sol si proche, et s'ils ne sont jamais revenus en informer le reste des Rveurs, c'est peuttre le signe d'un grand pril. Aussi, mfiance ! Mfiance ! Les dernires paroles du Rveur semblaient, par un artifice trange, rsonner dans les airs au fur et mesure qu'une cte d'apparence inhospitalire se rapprochait. Elle finit par merger compltement d'un linceul de brume, la mer onirique se jetant en cumant sur des brisants, puis de hautes falaises furent dpasses et dans l'arrire-pays les grues noires dcidrent de se poser. Elles choisirent pour cela une tendue dgage, dans laquelle il y avait seulement pierraille et cailloux, rochers grotesquement torturs et granits festonns de mousses bruntres. C'est dj beaucoup mieux ! jugea avec un soulagement visible Iolo le Tnbreux, lass par la grande distance parcourue depuis leur

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dernire halte, dans l'trange pays nuageux des grues noires. Il me tardait de pouvoir me dgourdir les jambes. Et moi donc ! lui miaula le chat-cerise. Il nous faut trouver des habitants en ce sombre pays, et leur demander si c'est bien l la Magoria recherche, reprit pour sa part le Rveur Pharius, ou bien s'ils en connaissent la position. Certainement, videmment, tout fait, acquiesa le noble Roland en portant les mains ses reins avec une expression douloureuse. Mais d'abord, si vous m'en voulez croire, un temps de repos s'impose, seraitce uniquement pour soulager mes pauvres os. Ds lors cela parut vident l'envoy de la Ligue : les deux Hros des Temps Anciens partageaient avec le neveu du lgendaire Charlemagne une opinion identique, et accompagn de Balbillus et du Rveur Pharius, Iolo le Tnbreux s'en alla en exploration aux alentours, laissant les grues quant elles reprendre des forces en se repaissant des lichens et des mousses de l'endroit. Le petit groupe avait russi trouver une terre d'accueil, et chacun se sentait infiniment plus serein et dtendu. Avec un refrain aux lvres les trois compagnons parvinrent par-del une courte marche jusqu'en une plaine bossele, o se trouvaient crevasses et monticules perte de vue, ceci donnant de loin l'aspect d'un champ ravag par une arme de taupes normes. Taupes capables de forer leurs galeries travers les roches les plus compactes, videmment. Pharius le premier attira l'attention de ses compagnons, d'une exclamation touffe. Seigneur ! Regardez donc ! De fait Iolo le Tnbreux comme le chat-cerise Balbillus eurent beau carquiller les yeux avec attention, ils ne virent rien de bien extraordinaire, seulement des cailloux gristres et ternes, de forme vaguement arrondie, s'tendant par grappes dans les anfractuosits diverses fournies par le relief. Iolo eut un mouvement d'paule du en direction de son chat-cerise, ce dernier lui retournant sa mimique. Il y avait l uniquement des pierres d'une grande banalit, voil tout. Et ils se trouvaient perdus dans une mer rocheuse portant perte de vue. Ce sont des Rves ! Des Rves trs anciens ! s'exclamait Pharius avec des yeux bahis. Des Rves ? s'tonna Iolo le mage, surpris par leur aspect, car il avait encore en mmoire les sphres des Rves Perdus, sous la mer, et celles des les Cauchemar. Mais oui ! lui assura avec une intonation premptoire Pharius. Ils sont d'une vieillesse confinant l'archasme Leur trs grand ge les a

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ptrifis, c'est le sort des Rves n'ayant pu rejoindre les hommes, ils se perdent jamais. Avec une allure davantage circonspecte le trio s'aventura entre les Rves figs par les ons, et aprs avoir dpass cette zone singulire , et cela sans rencontrer jamais le moindre autochtone ils atteignirent une plaine la plus grande platitude, mais toujours compose de roches grises et de rocs dentels. C'tait croire cette portion gographique de l'Empire du Sommeil, depuis les les Cauchemar, pourvue seulement de cailloux et de pierrailles sans fin. Seules de petites constructions de pierre, trs rustique et rudimentaire il est vrai, ornaient l'endroit. Iolo le Tnbreux arbora un large sourire en se tournant vers le Rveur Pharius, son chat-cerise trottinant au-devant, l'aventure. Ces espces de huttes sont de cration humaine, n'en pas douter, dclara-t-il au Rveur avec une fire assurance. Indubitablement, lui fit cho Pharius sans se dpartir de son expression mitige. Ils avancrent entre les huttes constitues de pierres plates choisies et amasses avec soin les unes sur les autres, jusqu' raliser un arrondi parfait en leur sommet. Le plus grand calme rgnait, seule la prsence de Balbillus le chat-cerise apportait un peu de vie dans ce hameau vide, et silencieux. trange endroit, lcha le magicien de la Ligue, gagn malgr lui par la morosit ambiante. Curieux hameau, ajouta le Rveur Pharius, sans cesser de jeter des regards inquiets et vifs de partout. Devant eux Balbillus, le chat la fourrure carlate, venait de pousser un miaulement touff, de surprise et d'tonnement. Une vaste tendue dgage apparaissait, et il y avait l une haute colonne de pierres quadrangulaire, sur le sommet de laquelle tait juche sur un pidestal une pierre noire et brillante, semblable une sphre tnbreuse, l'tincelant clat. sa vue le Rveur Pharius, dj bien ple de nature, avait blmi encore davantage, si cela pouvait tre possible. Un Rve Noir ! avait-il murmur d'une voix touffe. Il semble aussi pur et puissant que s'il tait rcent ! Instinctivement Pharius avait arrt son avance : hypnotis par la vision de la pierre noire, il ne paraissait plus tre en mesure de faire un seul pas, en avant ou bien en arrire. Malgr lui, Iolo le Tnbreux tait venu buter contre le Rveur.

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 Pensez-vous les mystrieux habitants de ce village touchs par son action ? s'tonna-t-il devant l'expression mduse arbore par Pharius. Ont-ils pu avoir en souffrir de quelque manire ? Oui, lui rpondit Pharius prcipitamment, car ils ont d le rver ! Disant cela Pharius avait montr du doigt les habitants de l'endroit, et Balbillus avait commenc effectuer une retraite prcipite. Depuis les huttes de pierres grises des silhouettes massives mergeaient lentement, c'taient des cratures pierreuses, presque totalement ptrifies. Humanodes mais de petite taille, leurs membres et leur torse, leur crne taient de nature uniquement minrale. Leur tte ronde tait un gros caillou, sous le vide bant de leurs yeux s'ouvrit une bouche sinistre, grondant sourdement. En aveugle, les tres de pierre avancrent vers les voyageurs dtalant enfin, aprs une courte priode de fascination morbide. Voici l'effet du terrible et nfaste Rve Noir ! Veillez ne le rver jamais ! les mit en garde d'une voix haletante Pharius. Des pierres et des cailloux avaient vol au-dessus des voyageurs, et retraversant en sens inverse le champ de Rves ptrifis, l'image de ses gardiens, ils coururent vers le lieu o se tenaient dans l'attente de leur retour leurs compagnons d'quipe. Sans prendre la peine de rpondre aux questions ils rameutrent les grues noires la hte, car au loin dj se rapprochaient les habitants de pierre. Les Hros des Temps Anciens et le noble Roland, les dcouvrant leur tour, comprirent immdiatement sans ncessiter d'un long discours. Chacun chevaucha sa grue et bientt s'envola dans les cieux, les premiers projectiles commenant siffler. Il tait moins une ! dit Aquilon le Myrionime en dsignant du menton les tres vindicatifs s'agitant sur la plaine. Un caillou d'une grosseur respectable fila dans les airs et manqua percuter la grue supportant l'envoy de la Ligue, ce dernier en retour hochant sombrement de la tte en direction du Hros des Temps Anciens. Vous l'avez dit, se contenta-t-il de rpondre. Les grues noires au toupet d'or avaient eu le temps de reprendre des forces et tire-d'aile, elles les loignrent de cette contre singulire en s'aventurant toujours davantage vers l'intrieur du pays. Ils rejoignirent enfin des terres plus paisibles, car elles taient dpourvues de cette aridit pierreuse constituant la quasi-totalit des ctes prcdemment explores. Sous eux s'talrent bientt des zones boises et des forts verdoyantes, des collines mergrent du sol en jaillissant leur rencontre. Cela rendit particulirement heureuses les grues noires, on ne sait trop

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pourquoi. Elles se mirent caqueter les unes aux autres, faisant mettre Iolo le Tnbreux un gloussement amus. Une halte va bientt avoir lieu, semble-t-il. Chacun sur sa monture aile approuva de la tte mais ne dit rien, tant cela paraissait vident. Les grues n'avaient pas eu leur content de repos, et en voulaient davantage. De plus en plus bruyamment. Certains membres de l'quipe semblaient partager leur dsir, jugea mentalement l'envoy de la Ligue en observant l'expression soulage du noble Roland, ce dernier essayant de la dissimuler de son mieux. Dans la clairire d'un bosquet de noisetiers se posrent finalement les grues noires, et de nouveau mirent pied terre leurs cavaliers, cette foisci avec une certaine circonspection. L'herbe tait douce et ple comme dans le reste d'Oniria, ce fait rassurant seulement demi Iolo le Tnbreux. Si l'endroit tait agreste et accueillant, Magoria n'tait peut-tre pas forcment le nom port par cette terre mystrieuse. Pour l'instant, seul le repos des grues, indispensables leurs dplacements, importait. La suite pouvait attendre, du moins pour la localisation de Magoria. Cette fois-ci, les grues noires furent laisses elles-mmes dans la recherche de leur pitance. Puis chacun embota le pas au magicien Iolo, lorsqu'il partit en reconnaissance par un chemin herbu. Derrire-lui tait le Rveur Pharius, le noble Roland et les deux Hros des Temps Anciens, le chat-cerise Balbillus, inhabituellement muet, avanant prs du mage. Avanons prudemment, confia en apart Roland vers Iolo. Mais cela ne doit pas nous empche de progresser vers notre but, sourit dans sa direction Iolo le Tnbreux. Chacun lui rpondit par une identique expression et au dtour d'un bosquet, lorsque nul ne s'y attendait, une crature papillonnante et colore, un sylphe minuscule aux ailes diaphanes et aux traits dlicats, la peau laiteuse presque transparente, apparut devant eux. Il voletait de manire insouciante entre les arbres de l'Empire du Sommeil, rpandant dans son vol un sillage iridescent, telle une mouvante luciole. Eh bien, le sylphe, lui miaula le chat-cerise Balbillus en reconnaissant immdiatement les traits de ceux de son espce, nous diras-tu ton nom, et celui de ce pays o nous nous trouvons ? Le sylphe avait eu un rire de cristal, le petit sylphe mettant sa main devant la bouche afin de ne pas pouffer de manire inconvenante ou bien impolie. Voil bien des tres Humains, grands et btes n'en plus pouvoir ! avait lch le sylphe. Bliel est mon nom et vous tes dans le royaume de

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Sylf, o les gens de ma race rgnent en matres. Mais pourquoi tes-vous donc ici ? Quelque peu dpit de ne pas avoir encore atteint Magoria, l'envoy de la Ligue expliqua la raison de leur arrive au pays des sylphes, et lorsque chacun eut prsent au petit Bliel sa qualit, ce dernier approuva de la tte, positivement enchant. C'est un grand voyage, vraiment, je dois le reconnatre, mais ce nom de Magoria ne me dit strictement rien. Iolo le Tnbreux eut un instant le dsir de lui rpondre que son jeune ge tait probablement responsable de cette dficience dans son savoir, mais il se retint, le sylphe ayant malgr tout le temps de deviner ses penses. Je suis peut-tre trop jeune pour cela, reconnut-il, et si vous songez cela Et bien ! Vous n'avez pas tort. Mais il est dans mon village des gens de savoir et d'exprience, eux pourront vous renseigner. Venez donc, venez dans mon village Puisque vous mritez par votre qute de fouler le sol de Framboisy. Immdiatement un spectacle somptueux de nids multicolores et gracieux venait d'apparatre de partout, dans chaque arbre et sommet de buisson, puisque l rsidaient les sylphes, de manire invisible et protgs du regard des hommes. C'taient des constructions trs adroites arborant la silhouette de cnes renverss, et constitues de brins d'herbe adroitement entrelacs avec un petit toit plat d'herbes galement, mais chapeaut de mousses et de brindilles en assurant la cohsion et rigidit. Des chemins de gravillons se tortillaient travers l'herbe des champs, des btiments de bois minuscules taient poss contre les pieds des arbres anciens. Les ambassadeurs de la Terre taient comme des gants au pays des sylphes, et ils eurent grand soin de progresser avec prudence tant tait grand leur dsir de ne dtruire ni de blesser personne. Le long de leur chemin d'autres sylphes curieux les accompagnrent en murmurant et se poussant du coude, la presque totalit du village sylphe finissant par se retrouver derrire eux. Le plus ennuy tait encore le chat-cerise Balbillus, car en termes d'tranget et d'exotisme il remportait tous les suffrages des sylphes. Ainsi Bliel de sa voix grle appela plusieurs reprises vers un nid de feuillages situ sur une branche matresse, puis une sylphide, car ses traits taient indniablement fminins, finit par apparatre en haut de l'arbre. Voletant dans un halo de lumire, elle descendit vers le groupe en dclamant avec une intonation haut-perche et flte.

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 En voil un raffut ! Le village de Framboisy se trouverait-il tout entier sous mon arbre aujourd'hui ? La sylphide mit un hoquet touff lorsqu'elle ralisa avoir donn dans le mille, en dfinitive, et de quelques phrases la conviction imprieuse elle eut tt fait de dgarnir les rangs des sylphes tourbillonnant auprs des voyageurs. Puis elle interrogea le petit sylphe sur la prsence de ces immenses tres Humains dans le village secret de Framboisy. Lorsque le petit Bliel en eut termin de discourir au sujet des ambassadeurs du royaume de France, la sylphide doyenne du hameau hocha de la tte en fixant tour tour chacun des nouveaux venus, s'attardant plus particulirement sur Balbillus et le Rveur Pharius, dont la haute taille laissait mdus chaque sylphe et sylphide de l'endroit. Bliel a bien agi en vous laissant accder notre village, car votre but est noble et nous l'approuvons entirement. Nous aussi nous aimons les petits enfants, et nous esprons avec vous que ces petites franaises retrouveront trs vite leur famille. La Dame des Rves nous a indiqu la tche nous incombant, prcisa alors l'envoy de la Ligue vers la doyenne. Elle nous viendra en aide sans faute, si le besoin s'en fait sentir. Cela confirme la justesse de votre cause, renchrit la sylphide en voletant devant chacun des membres du groupe, tour de rle. Sa caution est gage de justice, elle vous assure ds maintenant notre appui le plus total. Malheureusement Iolo et Roland, Pharius, les deux Hros des Temps Anciens, eurent une mine dpite par avance, se doutant bien du pourquoi de l'expression ennuye de la sylphide. J'ignore tout, absolument tout, de ce mystrieux pays de Magoria. Ici est le royaume de Sylf, plus loin se trouve Larkande, et les contres de Bore sont pour nous les frontires ultimes de l'Empire du Sommeil. Cela ne signifie pas pour autant une proximit quelconque des Franges de l'veil Iolo avait secou la tte avec lassitude, comprenant dj la suite. Lorsqu'ils se seraient reposs, il leur faudrait sans retard chevaucher les grues vers l'horizon le plus lointain. Ce priple n'en finirait-il donc jamais ? Ralisant le dsarroi des tres Humains, la doyenne sylphide avait eu un geste de dngation. Mais rien n'est encore perdu, loin de l, leur assura-t-elle aussitt, et le petit Bliel avait arbor des grimaces vigoureuses, sans cesser pour autant de s'agiter en une sarabande effrne. Prs d'ici dans une petite valle se dresse la Tour du Savoir, dans laquelle rside un Rveur g et

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savant, ami de notre race. Sa sagesse ne connat pas de limites, s'il est quelqu'un ici capable de vous renseigner sur les frontires d'Oniria et la position du pays de Magoria, c'est bien Orion l'alchimiste. Sa valle est proche, Bliel vous mnera jusqu' sa demeure, n'est-ce pas, Bliel ? Celui-ci avait vivement acquiesc, et sans plus attendre il avait effectu un demi-tour virevoltant, laissant sur place le petit groupe : voyant cela le sylphe arrta sa course, et attendit patiemment la venue des ambassadeurs terrestres sa hauteur. Entre temps chacun avait remerci la sylphide vnrable de Framboisy pour son attitude aimable, et le reste des sylphes avait effectu de vrombissantes danses afin de sceller l'heureuse conclusion de la venue des tres Humains au village. Au fur et mesure de leur marche le hameau de Framboisy lentement tait revenu son tat d'invisibilit naturel, seul subsistant des sylphes et sylphides le petit Bliel, dcidment amateur du changement et mouvement constitu par le passage des voyageurs de la Terre. l'ore d'une fort de chnes Bliel s'tait arrt, montrant une grande tour constitue de briques de terre cuite s'levant en colimaon, car un escalier extrieur s'tirait le long de ses murs jusqu'au sommet, plat et bord d'un parapet en fer forg. La btisse tait blottie contre un bouquet d'arbres, sous le ciel blanc laiteux d'Oniria, et Bliel leur parla de sa voix pointue et grle. Voici la Tour du Savoir, ainsi appelons-nous la maison de notre ami Orion. C'est un savant vers dans les mystres et les prodiges, si lui ne parvient pas vous venir en aide alors nul dans toute la contre ne pourra y parvenir, soyez-en certains. Parlez-lui sans dtour, son coeur est vaste et la comprhension y rgne en matre, Orion l'alchimiste est notre ami, il est l'ami de tous les sylphes et de toutes les sylphides de Framboisy. Sur cette formule de politesse Bliel leur fit ses adieux et disparut son tour, probablement vers le hameau de Framboisy mais pouvait-on savoir, en dfinitive ? Iolo le Tnbreux tait certain de la rptitivit des escapades du sylphe, et chaque habitant de son village devait y tre accoutum depuis longtemps. Sur de telles penses, le Rveur Pharius attira son attention en s'approchant, comme le reste du groupe, de la haute tour. Une personne se trouve juche sur le haut de la Tour du Savoir, dit pensivement le Rveur aprs avoir lev les yeux au ciel. Ce doit tre ce fameux Orion, alchimiste de son tat. Le groupe fit de grands signes la personne dresse ainsi sur le sommet de la tour, apparemment dans le dessein d'observer la sphre

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cleste, et l'inconnu leur rpondit pareillement, les engageant le rejoindre au sommet de la construction. Mme si une porte de bois somme d'un fronton triangulaire se trouvait la base de l'difice, chacun se mit en devoir de grimper l'escalier extrieur s'enroulant le long de la tour, et, aprs une monte fastidieuse, les voyageurs se retrouvrent face un vieil homme vtu d'une tunique moire la teinte violine, dont les manches larges taient ornes d'un galon dor, tout comme le bas de sa robe. Il portait des chaussons de cuir sombre et tenait la main un lourd grimoire, sur les pages duquel se laissaient distinguer des formules mystrieuses et des dessins obscurs. Iolo le Tnbreux videmment se trouvait en territoire familier et il en fut extrmement intrigu, mais l'alchimiste referma son ouvrage d'un mouvement sec, rabattant de la main l'une de ses innombrables mches blanches. Car il avait un grand ge, mme s'il tait peu vot encore, et l'clat bleu glacier de ses yeux contrastait fortement avec la puret de sa chevelure, retombant en mches lourdes sur ses paules. tour de rle, chacun se prsenta : puis le mage de la Ligue clt la litanie des numrations en parlant de lui-mme, de leur dessein et de l'appui fourni par les sylphes et sylphides de Framboisy. L'alchimiste Orion car c'tait bien lui, confirma-t-il caressa son menton en fixant le sol, puis il prit une dcision en les engageant brusquement le suivre. S'enfonant dans un escalier accdant ses appartements, il les prcda jusqu'en une salle circulaire o se trouvaient des siges confortables de tissus et de cuir, des tapis aux motifs merveilleux, o chacun put prendre ses aises en soupirant prs d'une vitre ronde. Depuis longtemps, en effet, le groupe n'avait pas t habitu de tels gards, et ils se rjouirent d'autant plus de leur rencontre avec l'alchimiste rudit que bientt ce dernier revint avec un plateau de th fumant. Un parfum de citron, de vanille et de jasmin se rpandit dans l'air, chacun sauf le chat-cerise, videmment se rgalant du brlant nectar. Le premier, Iolo le Tnbreux reposa sa tasse de porcelaine sur la table d'onyx avec un bruit sec, et le reste du groupe des voyageurs l'imita. Seul resta l'alchimiste aux traits hiratiques savourer son th au jasmin, terminant bon dernier en soulevant sa tasse afin de n'en rien laisser perdre. Finalement il l'abandonna lui aussi sur la table, puis, se rejetant en arrire, il croisa ses mains blanches sur son ventre. Ainsi, la Dame des Rves vous a ordonn de dcouvrir Magoria, commena-t-il en fixant le plafond, en carreaux de terre cuite et lambris de bois altern. Ce n'est pas l une mince affaire, savez-vous.

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 Auriez-vous dj entendu parler de ce pays mystrieux ? s'enhardit le noble Roland avec des traits rjouis. Certainement, lui rpondit calmement l'alchimiste Orion. Sauriez-vous nous dire o il se trouve ? poursuivit le magicien de la Ligue. Pas le moins du monde. Au dcouragement s'emparant visiblement de ses invits Orion ne ragit pas, et il se contenta de dcroiser ses jambes en fixant alternativement chacun des missaires de la Terre. N'en serait-il pas question dans un des innombrables grimoires constituant votre collection ? interrogea alors l'un des Hros des Temps Anciens, Aquilon le Myrionime, n'osant croire encore avoir fait ce chemin jusqu' la Tour du Savoir pour rien. Mes ouvrages traitent uniquement d'panouissement individuel et de connaissances anciennes, de mystres oublis, leur dclara Orion. Mais j'ai entendu parler plusieurs reprises de ce pays de Magoria, il est vrai, comme je crois vous l'avoir fait comprendre. Ayant dit cela il se tut en les fixant de nouveau tour tour, et le chatcerise Balbillus, sur les genoux du magicien noir, s'impatienta. Eh bien ? Autrefois, reprit avec une voix rveuse l'alchimiste Orion, l'Empire du Sommeil tait immense et quasiment sans fin. Il couvrait la totalit des univers connus et inconnus. Cela correspond assez aux affirmations de la Tradition trs Ancienne, approuva Iolo le Tnbreux. Partout tait le Rve et le Sommeil, il n'existait aucun royaume d'veil, comme la Terre d'o vous provenez, ou bien d'autres mondes encore. Mais cela ne dura pas, ou si peu au regard des ons, car la Ralit se rpandit lentement de par les Sphres et les Plans. Oniria vit se rtrcir ses frontires, de la totalit l'incommensurable, jusqu' acqurir ses limites actuelles. Voil mes connaissances sur le sujet, bien maigres, je vous l'accorde. Et Magoria ? demandrent en choeur les ambassadeurs terrestres, dont certains commenaient tre las des circonvolutions et des complications de l'alchimiste. Magoria, justement, est l'ultime portion d'Oniria avoir franchi l'veil, il est attest par les sages ceci : une faible portion de son territoire se trouve toujours sous l'emprise d'Oniria. Le reste appartient au Jour et la Ralit.

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 Je ne vois pas trop o vous voulez en venir, monsieur, grogna Roland, en proie un fort mal de tte, comme chaque fois qu'un problme ardu tait soumis son attention. Je crois comprendre, miaula alors Balbillus vers le noble afflig. Il ne nous faut pas chercher Magoria pour dcouvrir la voie vers l'veil, mais trouver d'abord la Ralit afin de rejoindre Magoria. Plus exactement, par dduction, je vous conseillerai d'atteindre les Frontires de l'Aube, elles sont nettement dlimites et connues de chacun, prcisa l'alchimiste. Elles sont hermtiquement closes par les Phalanges et les Hirodules, et presque infranchissables. Mais alors lcha le Rveur Pharius en fronant les sourcils, notre tche est impossible ! Rappelez-vous mes paroles, voyons ! leur reprocha patiemment Orion. Magoria est mi-chemin de l'veil et de l'Empire du Sommeil, elle doit, par sa position, se situer tout prs des Frontires de l'Aube ! Comprenez-vous ? Trouvez les Frontires de l'Aube et parcourez-les de long en large, tt ou tard Magoria la mystrieuse et cache nous apparatra, ralisa Iolo le Tnbreux avec une expression songeuse. Et les Frontires de l'Aube, elles Sont connues de chacun, je vous l'ai dj dit, sourit largement l'alchimiste Orion vers le groupe des voyageurs. Tous s'taient levs comme un seul homme et s'apprtaient repartir, sans mme prendre le temps de remercier l'rudit solitaire pour son amabilit, lorsque la voix de l'alchimiste leur parvint comme un cho incongru. Une dernire tasse de th ? lanait-elle.

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puis d'avoir march si longtemps, et ce sans avoir pris le moindre temps de repos, Nudd s'accorda un court instant de pause sous le couvert d'un arbre du Sombre Royaume, et il observa brivement les alentours de l'empire souterrain des Goules et des Stryges. Des collines basses s'talaient non loin de l, sous l'clat terne des rayons de lumire s'infiltrant travers la vote, depuis les Enfers suprieurs. La ncropole aprs lui avoir inspir une frayeur intense s'tait mue en un souvenir vaguement inquitant derrire lui, et prsent il se trouvait au coeur d'un bosquet clairsem de buissons et d'aubpines, d'arbres blafards. Car la peur qu'entretenait Nudd des habitants malfiques de l'endroit n'avait pas de limites, contrairement celle du Sombre Royaume, du moins l'esprait-il. Depuis un temps infini il souhaitait trouver ses frontires, afin de dcouvrir le lieu o la rivire souterraine de l'Avesta se jetait en une muraille opaque, avant d'merger dans les Enfers suprieurs. Ceci, sur les bons conseils d'un dfunt du Sombre Royaume, ce dernier lui ayant permis d'entretenir un mince espoir. En effet, les hypothses bties avec l'aide du livre Harold s'taient trs vite effondres comme un chteau de cartes. Il n'tait possible d'aucune manire de rejoindre la vote leve, ni les btiments, ni les saillies rocheuses n'en permettant l'escalade. Du reste, une conversation surprise entre les Stryges lui avait rvl combien les Vahhuias gardiens des Enfers maintenaient une garde vigilante, empchant quiconque du Sombre Royaume de se rpandre la surface. Cela, aprs coup, sembla logique au petit chat caramel et blanc. Si tel n'avait pas t le cas les Goules, Lamies et autres Harpies se seraient parpilles dans les domaines infernaux depuis belle lurette. Nudd soupira. Malgr son dplaisir il tait maintenant oblig de marcher jusqu'aux frontires de l'empire souterrain, afin de dcouvrir ce mystrieux endroit o la rivire aperue prcdemment se plongeait dans la roche avant d'en jaillir dans les Enfers suprieurs. Il lui resterait seulement ensuite trouver la Source de Vie, pour pouvoir bnficier de celles lui faisant dfaut. Puis il

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devrait dcouvrir cette issue secrte permettant d'accder au monde des vivants. Mais o se trouvait-elle donc, dj ? Nudd chercha dans sa mmoire les paroles exactes du sage Hirominet, et son esprit s'apaisa lorsqu'il se remmora le Val des mes Noires, le lieu dont il s'agissait. C'tait dj mieux. Nudd devant l'normit de la tche l'attendant soupira une fois encore, puis il secoua la tte. Les besognes harassantes s'accumulant l'une sur l'autre jusqu' atteindre des dimensions normes avaient le don de lui couper les pattes, et de le laisser sans voix. Il resta un moment mditer de cette faon dans le bosquet, jusqu' se souvenir de sa matresse Arielle, et par comparaison le Sombre Royaume lui parut encore plus sinistre et effrayant. Comme il lui manquait sa gentillesse et son amour ! Nudd s'attrista et s'affligea, pleurant sur son sort. Parviendrait-il jamais la retrouver ? Il tait mort, et bien mort, et il se secoua. Son plan tait trac depuis longtemps, des mes charitables lui taient venues en aide : Hirominet le vnrable, Harold au coeur sincre, le dfunt inconnu Il n'tait pas seul, la Providence par trois fois dj l'avait secouru. C'tait un signe indiscutable d'encouragement et il ne devait pas renoncer, mais bien plutt faire preuve de courage, et devant l'adversit arborer une mle attitude. Il sauta sur ses pattes en bombant le torse, du moins essayant d'y parvenir, et derechef il repartit sur les sentiers avec une attitude virile et pour ainsi dire guerrire. Mais voici : des buissons s'agitrent devant lui et oubliant ses belles rsolutions, Nudd le chat s'esquiva dans un massif proche, jusqu' s'y engloutir entirement. L'aventure tait une chose, et la prudence en tait une autre. Il resta l quelques instants, attendre ainsi sa dernire heure, jusqu' ce que Nudd ralise avec retard qu'tant un dfunt de la plus belle eau, sa dernire heure tait dj arrive depuis un moment. Il se dcida donc avancer dcouvert et il arbora une mine abasourdie, pour ne pas dire effare. Harold ! miaula-t-il mi-voix, car dans le Sombre Royaume la discrtion tait une vertu oblige. Comment allez-vous, mon garon ? lui retourna en cho le livre, assez peu surpris pour sa part, apparemment, de leur rencontre inopine. Le petit chat fixait le livre, celui-ci en retour regardant Nudd, luimme dtaillant Tout cela aurait pu s'terniser jusqu' la venue d'une Lamie ou bien d'une Goule sinistre, mais Harold le premier se jeta l'eau.

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 Mon garon, depuis votre dpart j'ai rflchi et je me suis dit : Harold, tu es un balourd. Ce pauvre chat ne connat rien au Sombre Royaume, et tu l'as envoy l-bas l'aventure, sans le moindre gard. Pensez-vous, lui souffla Nudd, je n'ai rencontr aucun problme Ou si peu ! Va donc aider ce garon si gentil et vaillant, sinon tu en auras des remords pour le restant de tes jours. Ouaip ! affirma le livre en faisant dodeliner ses longues oreilles. Voil ce que je me suis dit. Il ne fallait pas, le rassura le petit chat, en n'osant avouer combien l'attitude du livre le comblait au-del de toute mesure. J'aurais mis un peu plus de temps, simplement D'autant, reconnut le livre, qu'aprs coup, j'ai rflchi. S'aider d'un difice ou pic rocheux pour atteindre la vote doit tre assez alatoire Pour ne pas dire impossible, miaula le chat en approuvant de la tte aux paroles de son ami. J'ai fait demi-tour et me suis faufil par l'ouverture, j'ai soigneusement remblay le lieu de mon passage, reprit le livre, et aprs quelques ttonnements Me voici ! Vous avez march longuement, poursuivit Harold en sautant du coq--l'ne. C'est--dire, j'ai hte de parvenir aux termes du Sombre Royaume, expliqua Nudd en reprenant sa marche interrompue par l'arrive inopine d'Harold. prsent le livre et le petit chat caramel et blanc trottinaient de concert dans les sentiers de l'empire souterrain, sous les rayons diaphanes descendant des cieux, puis chacun se mit en devoir de s'enqurir des plans de l'autre. Lorsque ceci eut t fait, le livre flicita Nudd pour le stratagme mis au point par ce dernier afin de quitter le Sombre Royaume, et Nudd sourit en retour. Son aventure spulcrale commenait lui apparatre sous des dehors plus joyeux. En effet Harold, en dpit de la rputation de pleutrerie accorde ceux de sa race, tait d'un grand courage, et il tait nanti au surplus de connaissances tangibles sur le Sombre Royaume. Il constituait un alli de poids pour Nudd. Mais comment tes-vous parvenu me retrouver jusqu'ici ? s'enquit Nudd, brusquement intrigu par la prcision du livre dans ses recherches. Vous n'tes pas trs discret dans vos dplacements, mon cher, et il vous serait dj arriv malheur si les Goules et les Lamies possdaient mon flair puissant et mes dispositions intellectuelles pour la cogitation et les dductions, lui rvla le livre sans cesser de progresser ses cts, par petits bonds. Cela dit, par contre, je vous flicite d'avoir vit cette

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fameuse rivire, l'Avesta. Les cours d'eau sont toujours des points de rassemblement important, vous auriez t dcouvert trs vite si vous n'aviez pas agi de cette manire. Nudd sursauta mais ne dit rien, trop heureux de s'en tirer si bon compte. En effet cette ruse impute lui par Harold tait parfaitement involontaire, il avait cherch en vain cette rivire, aprs sa fuite perdue, sans parvenir la retrouver jamais. Cette mme rivire sur laquelle le livre n'avait cess de buter, semble-t-il. Ils poursuivirent leur chemin dans l'empire souterrain jusqu' parvenir en un lieu o le terrain montait en faisant dcrire une courbe au chemin, et ils atteignirent le virage en question, mais se tenant sur le bord en guise de prcaution. De l ils redescendirent vers une fort presque impntrable, et Nudd dont le coeur battait dj la chamade fut impressionn par le calme olympien d'Harold, continuant son sautillement dans les bois comme si de rien n'tait. Ce bosquet est vritablement terrifiant, vous ne trouvez pas ? miaula Nudd vers son compagnon. Des fts longilignes l'corce vnrable et craquele s'tiraient vers les nues obscures, une herbe ple se droulant sous leurs pattes. Des fleurs amorphes et sans saveur trouaient les sous-bois, sans apporter pour autant de cette grce et joliesse constituant le propre de leurs consoeurs tangibles. De partout, se faisaient entendre des rumeurs inquitantes, des crissements singuliers. Puis le petit chat caramel et blanc finit par raliser que ces craquements tellement angoissants taient en partie les leurs, et il essaya de chasser sa frayeur en adressant de nouveau la parole son ami aux longues oreilles. O allons-nous exactement ? Mais, lcha doucement Harold aprs un temps de silence, vers les frontires du Royaume Souterrain, n'tait-ce pas votre souhait le plus cher ? Nudd s'apprtait lui rpondre avec sa prudence habituelle lorsque les murs d'une imposante btisse s'levrent devant eux. C'tait une maison sinistre au toit pentu, avec une chemine de pierres massives et noires, des murs l'armature de bois vermoulu. Ses fentres taient de verre sale, et d'une teinte indfinie sous les rares luminosits clairant l'empire tnbreux, depuis les enfers suprieurs. La maison, dont le ct arrire tait soutenu par des tais, semblait sur le point de s'effondrer d'un instant l'autre. Pour tout dire, c'tait une masure infme, une bicoque sordide.

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 Ceci exhala Harold en dsignant d'un signe de tte la maison, est la demeure d'une sorcire, mchante et vilaine, aigrie n'en plus pouvoir. C'est bon savoir, dclara dans un souffle de voix Nudd. Il se mit acclrer l'allure afin de s'loigner de la maison, puis les poils de sa fourrure manqurent se hrisser lorsqu'il ralisa la chose. Non seulement Harold ne l'avait pas imit, mais au surplus, il s'tait mis frapper la porte en s'aidant de l'une de ses pattes antrieures. Harold ! s'exclama Nudd d'une voix blanche. Mais vous tes fou ? Pas du tout, voyez plutt, lui rtorqua le livre en faisant frissonner ses moustaches. Je toque l'huis ! Harold ! Oui ? hurla une voix pointue et grle de derrire la cloison de bois. Pourquoi frappez-vous la porte comme a, il n'y a pas de mort ici ! J'ai termin le dernier prcisa la sorcire en pensant probablement avoir affaire des Stryges, ou bien des Lamies en goguette. Nous ne sommes pas des Goules, mais d'honntes voyageurs, madame, dit le livre en faisant des signes imprieux Nudd. Nous sommes fatigus d'un long voyage, et pensions nous reposer chez vous un court instant. Des quoi ? avait grinc la sorcire derrire la porte, sans l'ouvrir encore. Voyageurs, madame, lui avait rpondu Harold en haussant la voix. Puis il avait baiss sensiblement de ton en s'adressant de nouveau Nudd. Eh bien, Nudd, viendrez-vous, la fin ? Votre attitude est impolie, la bonne ducation exige une amabilit correcte et imperturbable avec chacun, et La porte s'tait ouverte en laissant apparatre sur le perron une ravissante jeune femme, celle-ci les dvisageant d'un oeil scrutateur. Oh ! laissa chapper Nudd, dot de la sensibilit et innocence d'une petite fille. Comme elle est jolie ! Artifice, malfice, lui chuchota Harold en apart. Nous sommes des voyageurs bien las, madame la sorcire, reprit le livre en direction de la jeune femme, et nous nous sommes dit comme a, n'est-ce pas, Nudd Ce dernier tait muet de saisissement devant la beaut de la jeune femme. Elle ne correspondait en rien au portrait rebutant trac par le livre, il y avait encore quelques instants. Elle tait de taille moyenne avec des cheveux blonds comme l'or, mi-longs, et un teint de porcelaine enjolivait l'ovale de son visage. Ses yeux avaient un bleu irrel et presque

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surnaturel, ses mains taient fines et dlicates : machinalement, elles avaient arrang l'agencement de sa robe saphir, dote de moirures scintillantes. Elle portait des chaussons noirs, nota mentalement une dernire fois le petit chat, avant de se perdre nouveau dans la contemplation des traits enchanteurs de la sorcire. La jeune femme avait eu un mince sourire et s'tait recul d'un pas en ouvrant sa porte, semblant avoir tout compris de la situation et ne ncessitant plus d'aucune explication. Le hall d'entre de la maison sinistre leur tendant les bras, Harold s'y engagea le premier, suivi de Nudd. Quel esprit mdisant vous faites, Harold, lui avait murmur discrtement Nudd aux oreilles. Cette personne est gracieuse, vritablement. Le livre n'avait pas pris la peine de rpondre, sinon par un ricanement, tout en parcourant le couloir clair par une lampe haut perche. La sorcire avait tendu le bras, et pouss une porte de bois noir donnant sur une petite pice, apparemment destine aux rceptions. Elles devaient tre rares, jugea Nudd en observant le mobilier us jusqu' la trame. Dsireriez-vous quelque chose ? s'enquit avec une amabilit force la sorcire vers ses deux invits, installs sur un large fauteuil, chacun un bout. Oh, rien de spcial, pour moi, s'tait cri Nudd auquel le spectacle de ravissantes beauts coupait toujours l'apptit, avant de le plonger dans la mlancolie. Un caf, peut-tre ? avait suggr pour sa part Harold la sorcire, et elle s'tait clipse aprs avoir approuv de la tte la demande du livre. Harold, cette sorcire est charmante ! continuait de s'extasier Nudd. Un peu de bon sens, mon garon, le secoua rudement Harold, seule sa magie vous la fait apparatre sous ces traits enjleurs. Elle n'est pas vraiment ainsi, elle est mchante, je vous le dis ! Une jolie jeune femme comme a ne saurait mentir, voyons ! s'entta Nudd. Avec d'aussi beaux yeux ? Allons donc ! Seigneur, soupira Harold en secouant la tte de lassitude, et ses longues oreilles frapprent successivement les cts du fauteuil dcrpit. Si j'avais agi de cette faon, mais je me serais mari au moins dix fois ! coutez-moi, il va vous falloir occuper l'attention de cette sorcire, et j'irai discrtement la recherche d'un objet trs utile pour la suite de notre recherche. Puis, Nudd le fixant toujours sans ragir, le livre parla de nouveau.

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 Vous ne pensiez tout de mme pas que j'ai frapp chez cette sorcire pour seulement boire une tasse de caf ? Nudd arbora une mine perplexe, pris de court. Ah bon ? La sorcire cet instant carta la porte en tenant d'une main un plateau porteur de tasses de caf, et le dposa sur une table basse non loin du fauteuil. Elle s'assit entre les deux amis, et d'emble se tourna vers Nudd. Vous tes un bien joli chat, vraiment, comment vous appelez-vous ? lui demanda-t-elle d'une voix doucereuse, derrire-elle Harold lanant au chat un clin d'oeil complice. Nudd Madame, lcha d'un ton de voix trangle ce dernier, en se souvenant de la tche demande par le livre. Nudd avait saut sur la table basse et s'tait approch de sa tasse, laquelle il avait donn deux ou trois coups de langue prudents. Ouh ! C'est fort ! dit-il vers la sorcire. rveiller un mort, sourit la jeune femme en s'emparant de sa tasse. Puis, aprs avoir bu quelques gorges et s'tant aperue de l'absence d'Harold, elle demanda. Et votre ami ? Il ne boit pas ? Nudd avait sursaut avant de se reprendre immdiatement. Il est sorti chercher quelque chose. Il va revenir tout de suite ! Aucune importance, avait rpondu leur hte en haussant les paules. Toi seul est important, mon joli chat. Nudd pour masquer son trouble s'tait de nouveau mis laper son caf dont il buvait les senteurs et l'arme, puisqu'il tait un dcd et donc de nature dsincarne et volatile. Cela n'enlevait rien au got caractristique du breuvage noirtre, il faut le prciser. Enfin la sorcire gracieuse fit de grands gestes d'invite en direction de Nudd, et celui-ci, ne sachant jamais dire non une beaut, fut-elle, et surtout, des plus fatales, acquiesa son geste et se retrouva bientt ses cts, sur le fauteuil. La sorcire lui caressait amoureusement le haut de la tte, et Nudd en retira une impression trange. Il chassa bientt de son esprit cette curieuse sensation car la jeune femme, une fois encore, s'tait adresse lui. Tu dois tre bien fatigu de ton voyage, mon joli chat, dclarait-elle avec une expression faussement dpite. Je le suis, en effet, lui miaula Nudd en retour puis voyant la tristesse de la jeune femme, il ajouta aussitt : cependant pas assez pour vous dcevoir, belle sorcire !

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Celle-ci en eut dans les yeux un clair glac faisant frissonner Nudd, mais aussitt la jeune femme avait retrouv son air charmeur. Tu m'en vois heureuse, petit chat ! Viens donc visiter ma demeure, elle est toute ma vie ! Lui montrant la route la sorcire mena Nudd jusqu' un balcon de bois situ de l'autre ct de la maison, puis elle le mena travers diverses pices jusqu' finalement atteindre une porte de bois sous une vote de pierres scelles, paraissant renfermer le secret des secrets. Ici est mon laboratoire, ma pice de travail dans laquelle j'oeuvre une besogne importante ! expliqua la jeune femme. Elle entrouvrit le battant pais et s'absenta quelques secondes, durant lesquelles elle alluma un chandelier plusieurs branches, puis elle fit signe Nudd de pntrer l'intrieur. Ce dernier, commenant s'interroger nerveusement si oui ou non Harold avait trouv son bonheur, se demanda s'il ne valait pas mieux pour lui s'chapper toutes pattes, puis il se morigna. Cela alerterait prcocement la sorcire, et pourrait peut-tre nuire leur projet. Il fit quelques pas dans la pice sombre et insalubre, sans aucune ouverture vers l'extrieur en dehors de la porte, puis il ralisa son erreur lorsque celle-ci se referma lourdement dans son dos. Il y avait dans la pnombre la silhouette maintenant inquitante de la sorcire, et celle, autrement effrayante, d'une Stryge, femme pouvantable au corps d'oiseau. Nudd sursauta, mais bien trop tard. Sur le sol tait trac un pentacle mystrieux, et des braseros dgageaient une senteur touffante. La Stryge s'agita en se dandinant, puis d'un geste la jeune femme avait intim un ordre au pauvre Nudd. Ce dernier dut se placer dans le pentacle, ralisant seulement cet instant la prsence d'un autre, en tout point identique, mais illumin par des chandelles en ses extrmits, et non plus par des brle-parfums. Du doigt, la jeune femme avait dsign le pentacle vide. Ta venue ici nous comble toutes deux, grina-t-elle, car elle avait abandonn son apparence trompeuse et elle montrait son vritable aspect, celui d'une sorcire dcrpite et laide, aux cheveux pars retombant sur sa robe noire. Il fera parfaitement l'affaire, siffla la Stryge sans cesser de jeter un regard gourmand sur Nudd. De temps autre des dfunts s'aventurent dans notre royaume, et c'est heureux ! Leur sottise fait notre bonheur, se rjouit la sorcire en fixant le petit chat, immobilis sur son pentacle, mais il mrite quelques explications, avant l'apparition de l'tre voulu.

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 Laisse-moi lui parler, ma soeur, cracha alors la Stryge en s'avanant d'une dmarche pataude vers Nudd, jusqu' le toucher. Sache, petit chat, une personnalit suprieure se trouve attache chaque tre, sa condition de vivant ou bien de mort ne fait rien l'affaire. Ma soeur et moi voulons nous envoler dans les airs, loin de cet empire dans lequel la garde des Vahhuias nous maintient prisonnires. Lorsque le Sort de Dissolution sera sur le point de te faire disparatre jamais des Sphres Ultimes, ton tre Suprieur apparatra, et devra agir selon notre volont. Par nos sortilges, nous l'enchanerons nos dsirs et il brisera pour nous les barrires des dmons. Mais les Entits Suprieures jusqu' prsent jamais ne sont apparues, s'affligea la sorcire ge, et effectivement repoussante, comme l'avait affirm Harold. Tu es le premier dfunt dot d'un coeur suffisamment pur pour actionner la magie des pentacles, assura la Stryge. Sous les Enfers o nous sommes, ce n'est pas tellement vident, termina-t-elle d'une voix dclinante. Tu es seulement un faible chat, mais tu conviendras parfaitement. Ton tre Suprieur en sera plus mallable et servile, ajouta la sorcire en exhibant une fine poudre violette. Elle souffla sur la paume de sa main et Nudd, au comble de l'effroi, se vit environn d'un nuage couleur amthyste, il toussa puis doucement il se sentit envahir d'une somnolence confuse. travers un rve, il entendit des pas brusques dvaler l'escalier menant la pice souterraine, puis des coups violents furent frapps la porte. Dranges au milieu de leur crmonie, les sorcires crachrent de rage. Dehors ! hurlrent-elles. La porte vola en clats et dans l'ouverture apparut la vole d'escaliers menant vers la surface, une botte de cuir sombre sautant par la brche, suivie d'une autre. Mais ce sont mes bottes magiques, mes bottes de sept lieues ! rugit la sorcire. En effet telle tait leur qualit, et l'intrieur de l'une d'elles, la gauche, l'on vit merger les longues oreilles puis la tte fine et bruntre du livre Harold, l'oeil aux aguets et les moustaches frtillantes. Laisse immdiatement ces bottes ! crirent en choeur les deux comparses en magie noire. Sinon Sinon ? rpliqua en cho une voix basse et fline, provenant de l'extrmit de la pice. Cette voix dont la profondeur dans les graves paraissait n'avoir pas de limites fit se tourner avec inquitude la tte de chacun, mme celle de

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Nudd, pourtant rduit l'tat d'un frle clat de conscience. Il se dressait en effet dans le pentacle voisin de celui de Nudd une haute silhouette recouverte d'une toison veloute et noire, semblable celle du Vahhuia le plus puissant. Il avait les bras croiss sur sa poitrine musculeuse, et de l'abme infini dans lequel plongeait Nudd il parvenait encore distinguer les muscles roulant sous sa peau. De stature leve et humanode, il portait un pagne de lin ceint sur ses reins : mais il avait des pattes de flin, avec une tte arrondie aux oreilles pointues comme celle d'un chat. On ne voyait dans son facis ni ses crocs ni son museau, mais seulement ses yeux, du rubis le plus vif et le plus sanglant. Les deux longues ailes de cuir ornant son dos ajoutaient encore la singularit de son image, il se pencha vers Nudd et le portant dans sa main, souffla sur lui afin d'en chasser la poudre malfique jusqu'au dernier grain. Puis il le reposa terre, prs du pentacle, et reposa sa question. Sinon quoi ? Ayant dit cela il s'tait mis gratter son menton d'un ongle distrait, ce dernier dgageant des clats nacrs dans les lumires du chandelier, car l'ongle en question faisait bien la longueur d'une main. prsent la Stryge et sa compagne sorcire avaient oubli du tout au tout leur dsir premier, celui de s'affranchir des limites du Sombre Royaume. Elles se regardaient mutuellement avec la bouche ouverte, ne s'attendant pas le moins du monde voir un tre si puissant li un chat minuscule et craintif. Mais le funeste droulement des vnements, aprs avoir mis Nudd en une position si fcheuse, touchait son terme. L'tre se tenant dans le pentacle, sans abandonner sa posture svre, avait claqu des doigts, dclenchant de cette faon une mtamorphose des plus singulires. Elle avait trait aux habitantes de la maison, celles-ci devenant instantanment des chouettes apeures s'enfuyant tire-d'aile par l'escalier, vers l'extrieur. L'tre noir fit mine d'aller vers Nudd mais, percevant la frayeur de ce dernier, il se retint et se contenta de lui adresser un geste de la main, avant de disparatre lentement son tour. nous revoir, gronda-t-il sobrement. Jamais ! lui rpondit Nudd en se prcipitant vers Harold, toujours engonc dans sa large botte de cuir. Vous en avez mis du temps ! lui reprocha-t-il. Pourquoi aurais-je d m'inquiter ? le taquina le livre avec un air finaud. Vous tiez en compagnie d'une si ravissante personne Curieux personnage, ne trouvez-vous pas ? lui lana-t-il en parlant de l'tre sombre venant de disparatre en dernier.

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 Fuyons, fuyons ! s'impatientait Nudd. Comme vous voudrez, acquiesa Harold en dsignant l'autre botte magique Nudd. Grimpez, mon garon, et allons au plus vite rejoindre les limites de cet empire souterrain. Nudd sauta maladroitement dans la botte de cuir, elle lui sembla d'abord roide et froide avant de lui permettre une position plus confortable. Il finit par y parvenir seulement lorsque les bottes de sept lieues furent arrives au-dehors, et elles se mirent progresser grandes enjambes. Trs vite le paysage dfila une vitesse vertigineuse, Nudd se rjouissant des connaissances de son compagnon sur les choses caches de la vie. Enfin, des choses encore inconnues de lui. Cela revenait au mme, ralisa Nudd avec un temps de retard. Dans la botte formant autour de lui un rceptacle la senteur de vieux cuir, Nudd fixa les dtails de leur priple nocturne avant de se tourner nouveau vers Harold, ce dernier se trouvant pour sa part dans la seconde botte. Toutes deux se mouvaient rgulirement, comme si un gant invisible les avait chausses et se dplaait en courant. Leur parcours aurait pu tre comique observer, aux yeux de quiconque les regardant en spectateur attentif. D'abord Nudd tait aux avant-postes, Harold le rejoignant avant de le laisser derrire-lui, puis de nouveau, d'une seule enjambe, Nudd revenait sa hauteur avant d'atterrir dans l'herbe, loin devant. Tarderons-nous atteindre les confins de l'endroit ? demanda finalement Nudd en commenant tre las de sa solitude, toute relative, puisque son ami se situait quelques mtres de lui. Il nous reste encore un petit moment attendre, le rassura le livre en se tournant dans sa direction, puis ce ne sera plus trs long jusqu'aux frontires du Sombre Royaume. Vous en avez de la chance de possder un tel savoir ! miaula Nudd avec admiration. Ta-ta-ta-ta ! le coupa Harold d'un air faussement modeste. Toute personne nantie d'une connaissance prcise du terrain et des coutumes de l'endroit et avec ma sagacit naturelle, videmment pourrait faire aussi bien. Mais d'une chose soyez bien certain, mon garon, sans un sens de l'orientation infaillible et une perception aigu du relief, la russite est impossible, avez-vous bien entendu ? IM-POS-SIBLE ! Sur ce il s'tait tu, car son grand dam les bottes magiques venaient de traverser un campement de Harpies vindicatives, et elles se mirent voleter autour des voyageurs comme giboule en mars. Ces dernires avaient constitu un cercle l'intrieur d'une place, dans ce qui avait d tre autrefois une grande ncropole, et s'tait mu en un amas de tombes

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ventres et de pans de mur effondrs. Il y avait en plusieurs endroits des tronons de colonnes brises, dont les restes jonchaient le sol, et des gravats avec des amas de pierrailles sur lesquels, harcels par les Harpies, les voyageurs se mirent en sautiller de faon dsordonne. Apparemment, leur rencontre impromptue n'tait pas prvue par Harold, et il dut prendre sur lui pour ne pas laisser clater son mcontentement. Mais Nudd, le petit chat caramel et blanc, dpassant peine de la botte magique le transportant, s'en tait dj charg. Misre ! miaulait-il. misre, et pauvre de moi ! Allons, allons, tentait de le calmer le livre, tout en essayant de s'extirper du bourbier dans lequel il s'tait fourr de manire inconsidre. En voil des histoires pour une petite priptie de rien du tout ! l'assaut, mes soeurs, s'criaient les Harpies aux visages convulss de rage, l'assaut ! Les Harpies s'abattaient prsent de partout, arrivant du nant en nombre. Nudd crut un instant avoir affaire une arme, jusqu' raliser son erreur : elles taient seulement une poigne, pas plus de six ou sept, en tout cas. Mais leurs ailes grises faisaient un tel vacarme dans l'air qu'aisment, on aurait pu les croire davantage. Mort aux morts ! renchrit le reste des Harpies, vouant une haine froce aux dcds des Enfers Suprieurs en raison de leur impossibilit pouvoir y sjourner. Finalement, le premier, Harold russit rompre le cercle form par les Harpies autour d'eux, et grands bonds le livre s'chappa, suivi de prs par un Nudd terroris, et pouvant des grimaces froces dcoches par les Harpies. Ces dernires tentrent bien de rattraper les deux voyageurs mais en vain, les bottes magiques dont ils taient chausss si l'on peut dire leur permettant de prendre le large trs vite, seules des bribes de conversations finissant par parvenir aux Harpies essouffles voletant derrire les deux amis. Elles ont voulu tirer mes moustaches ! pleurnichait Nudd. Quel dlicat vous faites, mon garon ! lui faisait cho Harold.

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Chapitre

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prsent, mettez le pied sur le perron situ juste ct : vous aurez accs la grande salle o nous sommes, elle se trouve claire de manire latrale par louverture du puits, seigneur, cria Algol Jean de la Lune. Le vagabond aux longs cheveux dor aprs avoir descendu les marches du puits suivit la suggestion de son lieutenant et il se retrouva bientt aux cts de son compagnon, et de plusieurs membres de Larme qui lavaient prcd dans la cavit secrte. Jetant un regard circulaire alentour, le vagabond du royaume de France eut tt fait de raliser la banalit de la cache de pierre, en dpit de l'tranget de son emplacement. Des vestiges de meubles en pierre galement taient placs en divers endroits, et il rgnait l une propret mticuleuse, comme si le lieu avait t balay la veille. Des tables massives taient disposes vers le fond, o lobscurit tait grande, car la lumire pouvait seulement descendre den haut, par l'ouverture du puits. Des siges mergeaient du sol, faisant croire la runion d'une cour restreinte en cet endroit cart, cause dvnements terribles et mystrieux dont nul ne savait rien. Un sige dapparat est galement ici, rvla Algol en se tournant vers son seigneur. Il confirme nos soupons d'hier, un roi a d il y a bien longtemps se rfugier en ce lieu, avec ses proches, avant de disparatre on ne sait o. Ce sige-ci ? interrogea le mendiant Jean de la Lune en sasseyant paisiblement dans le sige en question, parmi le clair-obscur. Exactement, convint le souffleur de conque en approuvant de la tte. Jean de la Lune fixa les tnbres silencieusement, et il ralisa combien depuis leur arrive dans ce puits ils faisaient fausse route. Cet endroit tait un cul-de-sac, une cache ancienne dpourvue prsent de toute raison dtre. Le temps tait pass, se prit songer le vagabond presque malgr lui, et les choses dissimules aux regards devaient maintenant se montrer en plein jour, comme il convient des tres n'ayant rien se reprocher. Intrigu par la suite dides venant de lui traverser lesprit, Jean

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de la Lune songea un instant sen tonner, les pressentant trangres son exprience de la vie et forme de penser, puis il se dtendit. Aprs tout, elles taient empreintes de bon sens. Remontons vers la surface, il ny a rien ici, seulement du chagrin et de loubli, dit-il aux membres de Larme l'ayant prcd dans la cavit. Si nous nous sommes mis en route, cest pour aller la recherche de l'Avenir. Bravo ! rugirent les vampires et les hommes-loups. La salle cache rsonna des clameurs grondantes, puis retrouva son silence millnaire aprs le dpart vers la surface du dtachement de Larme. Celle-ci avait dj repli les tentes, et les centaures avaient plac dans des chariots bchs les affaires indispensables une troupe en campagne. Des dragons et des licornes, des hyppogriffes, tractaient tour de rle ces lourdes carrioles : tout tait prs pour rejoindre le port ctier de Porphiros, et aussitt aprs tre mont sur son palanquin de commandement, Jean de la Lune ordonna Algol de donner le signal du dpart. La conque dor sonna plusieurs reprises et chacun adopta lallure de la marche, les chimres et les soldats de safran, merveilleusement cuirasss et caparaonns, se mettant en branle entre les dragons et les vampires, derrire Ammu leur guide avanant en tte. Derrire eux, ils laissrent la mystrieuse cavit, l'abandonnant dans son tat de dsolation et d'oubli. Avec cependant une diffrence infime : sur le trne de pierre une silhouette lumineuse tait en train de prendre forme, gagnant en consistance et volume progressivement. Au-dessus de sa tte, tourbillonnait une couronne de blanches toiles semblable celle de Jean de la Lune, mais contrairement cette dernire, invisible aux yeux des mortels, celle de lapparition tait discernable par chacun. Bientt, ltre se leva de son trne, o stait assis auparavant Jean de la Lune, et il accda la surface, marchant sur les traces de Larme. Celle-ci n'tait en rien au courant de ceci, et continuait daller vers Porphiros et au-del le sige de Morphos, en Amarante. Au cours de la longue marche menant Larme de Jean de la Lune jusqu'aux portes de Morphos, en Amarante aux mille jardins et trsors cachs, succda aprs cet intermde curieux l'un des pisodes les plus mouvements qu'eut affronter le mendiant du royaume de France. cette occasion, les ennemis guettant dans l'ombre le moindre faux-pas du vagabond aux cheveux d'or eurent l'occasion de se lamenter, et de comprendre combien l'espoir n avec l'homme dsign par les bonnes dames du Royaume d'Eau n'tait pas prs de s'teindre. Lorsque la grande plaine fut sur le point d'tre traverse par la cohorte bruyante et

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fantasmagorique de Larme, aux dragons et aux vampires, aux hommesloups vaillants, Ammu le premier les prvint d'une injonction gutturale du pril pointant l'horizon. En l'occurrence, il s'agissait d'un nuage de poussire venant sur eux, et augmentant graduellement au fur et mesure de son avance. Hum, murmura voix basse le souffleur de conque Algol vers Jean de la Lune, aprs avoir march auprs de son hyppogriffe pour se dgourdir les jambes il tait en effet remont sur le palanquin de commandement. Nous allons de nouveau devoir affronter un adversaire, diraiton. Jean de la Lune s'tant rang son avis, Algol avait souffl dans sa conque afin de mettre en tat d'alerte les soldats de Larme. Quand le nuage tumultueux et galopant car le grondement rythm de chevaux lancs vive allure agitait la plaine s'vanouit en laissant apparatre cinq cavaliers de noirceur revtus, avec des capes flottantes et de larges chapeaux, des traits ples et tirs, mais de taille semblable celle du vagabond, nul dans le groupe ne fut pris au dpourvu. Le cercle dj avait t form, et un mur compact de javelines scintillantes obligea les Cavaliers faire une manoeuvre d'vitement. Algol, ces Cavaliers ne me sont pas inconnus, dclara le mendiant vers son conseiller. Je les ai dj croiss, et je les souponne d'tre lis la disparition des cinq petites franaises. Cela expliquerait leur dsir de nous voir changer de route, lui rpondit le souffleur de conque aprs avoir dcoch une flche de cristal aux pieds des Cavaliers. Ceci afin de signifier l'arrt aux Cavaliers, tournant sans peur autour de Larme, en nombre pourtant suprieur. Il est surprenant de distinguer leur manque d'inquitude face nous, s'tonna demi-voix le mendiant en portant machinalement la main la poigne de son pe d'or, place dans son baudrier. Ils ne doivent pas tre seuls, probablement, jugea Algol en dcochant une seconde flche d'avertissement vers les Cavaliers. Ces derniers s'immobilisrent, et l'un d'entre eux, au teint de peau ple, presque livide, s'avana vers la troupe. O allez-vous ? leur demanda l'homme noir. Morphos, notre matre, vous ordonne de cesser votre avance, et de retourner chez vous. Par le saint trne d'Amarante, le royaume d'Oniria appartient aux Rveurs, et votre prsence y est prohibe. Pourtant, Rveurs, vous ne l'tes pas non plus, messieurs, leur lana du haut de son palanquin Jean de la Lune.

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 Et les cinq petites filles enleves par votre matre non plus, ajouta Algol en sautant bas de l'hyppogriffe, avec la main son arc prcieux et dans le dos de sa cuirasse sa conque. ces mots le Cavalier se raidit sur ses triers, et son visage, de marmoren, en avait acquis une blancheur cadavrique. Ainsi tel est le motif de votre intrusion ! cracha le Cavalier. Vous nous vitez la fatigue de vous rpondre, lui rpliqua Algol, cela facilite d'autant notre tche. Informez votre seigneur du retour de Larme, et de l'arrive de notre matre, Jean de la Lune, avec une pe d'or magique. Il vient d'un lointain royaume dlivrer des petites filles, et nous, Larme, ne connatrons pas de repos avant de l'avoir aid dans sa tche. De nouveau les cinq Cavaliers s'taient mis tourner bride abattue autour de Larme, dcochant l'aide de grands mouvements de bras des boules de feu sur les griffons hurlants et les hyppogriffes. Chacun s'tait protg de son mieux derrire sa cuirasse ou bien son bouclier, les sphres oranges pleuvant prsent sans discontinuer. Quelle est cette magie ? se mit crier vers Algol le vagabond aux cheveux d'or, afin de couvrir le tumulte se rpandant dans les rangs. Morphos n'entend pas laisser partir si facilement les petites franaises, il va nous falloir les dlivrer de haute lutte ! hurla le souffleur de conque. Effectivement les Cavaliers constituaient de redoutables magiciens, non seulement ils taient insensibles aux traits expdis par les hommesloups et les centaures, mais au surplus ils se permettaient par leur agilit diabolique d'chapper aux charges des dragons et des chimres. Partez, partez ! clamaient les serviteurs de Morphos, en se jouant des javelines et des flches enchantes, ou bien vous mourrez ! Votre sommeil sera ternel, et il n'aura pas de fin jusqu' la consommation des sicles ! La terre s'agita sous l'effet de convulsions inquitantes, puis une arme de cratures terreuses et informes, aux orbites noires, se dgagea des entrailles de l'Empire du Sommeil. On les aurait crus provenir d'un royaume souterrain tapissant les profondeurs, venant appuyer Morphos aprs lui avoir jur allgeance. Des cris emplissaient les airs, depuis o, montant des chevaux ails et hennissants, des Petites Gens cuirasss et casqus sur Larme dcochaient des traits meurtriers. Voici venu le moment du combat suprme ! s'poumona Algol vers les siens, replis en bon ordre et se dfendant de leur mieux contre les

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nouveaux assaillants. De son issue dpend la dlivrance des petites franaises, et l'honneur tout entier de Larme ! ses mots les soldats safrans et les vampires, les dragons et les chimres, avaient frissonn silencieusement avant de se jeter corps perdu dans la bataille. Des plus hautes sphres au royaume souterrain s'entremlrent de manire inextricable cris de victoire et soupirs de tristesse pour celui sombrant dans le Sommeil, sifflements tnus des lances d'or, craquements des rayons dgags par les vampires et explosions de chaleur projetes par les Cavaliers. Trs vite, Jean de la Lune comprit que le monarque de Morphos exposait l le plus gros de ses forces, car aucun Rveur ne faisait partie de ses troupes, comme s'il accordait dsormais sa confiance seulement un nombre rduit de personnes. Le palanquin de Jean de la Lune ayant t plac l'cart, il descendit bas de sa monture piaffante jusqu' retrouver son fidle Tagor. Les affrontements taient quilibrs et la bataille risquait de durer, rflchit le vagabond, puis un Cavalier travers le brouhaha des combats le distingua, et peronnant son cheval fona vers lui. Dgainez-moi, seigneur, dgainez-moi ! le supplia son pe d'or poigne de cristal, donne lui par les bonnes dames. Il n'avait pas fini de dgager l'pe enchante de son baudrier et dj un globe scintillant s'tait mis filer dans sa direction la rapidit de l'clair, suivi d'un deuxime. Mais l'pe magique s'tait dresse dans sa main et avec une clameur assourdissante elle s'appropria la chaleur et la violence des sphres malfiques, faisant de mme avec les suivantes, chaque fois dans un bruit de tonnerre. la suite de cela, devant le mendiant stupfait d'une telle capacit de la part de son pe d'or, dote maintenant d'un clat et d'une brillance incommensurable, l'pe se mit en devoir de dgorger la puissance dont elle s'tait emplie. Les tres de terre furent les premiers en subir les consquences, et au Cavalier furieux l'pe rpliqua par un rayon tonitruant. Il le dsaronna en le laissant bien mal en point, puis il finit par remonter sur son cheval en claudiquant, et eut un long et silencieux regard vers le vagabond, toujours accompagn de Tagor. Ds cet instant les charges des Cavaliers se firent clairsemes, et l'pe magique mit profit les rares projections de sphres pour les renvoyer contre les assaillants, rpandant la consternation dans leurs rangs. Les vampires et les centaures reprirent courage aprs avoir fait lentement reculer les assauts des Petites Gens sur leurs chevaux ails, mme les cratures de la terre d'Oniria furent les victimes des rayons scintillants dgags par les soldats de safran. Elles perdaient toute consistance et

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s'affaissaient sur elles-mmes, avant de disparatre de la surface de l'Empire du Sommeil. Hardi ! Hardi ! les encourageait Algol, en voyant les vnements tourner en leur faveur. Mais les sbires de Morphos, seigneur et matre d'Oniria, prparaient un ultime prodige, car une silhouette menaante et arque, depuis l'horizon, s'acheminait vers le thtre des combats, l'image d'une colline basse nantie profusion et d'une faon assez excentrique de colonnes rectilignes, sur la totalit de son corps. Quelle est cette chose ? interrogea avec surprise Jean de la Lune, pointant vers l'apparition menaante son pe d'or, cette dernire luisant doucement dans le ciel blanc et pur. La dernire des magies employe par nos ennemis, je l'espre, lui rpondit le souffleur de conque en essuyant la sueur de son front. Ophis, le serpent de Larme, pourrait nous en dlivrer ! gronda en cho un homme-loup, en dpit de sa cuirasse d'argent et de vermeil, celui-ci avait fort faire pour venir bout des cratures de la terre, mais il y russit cependant. Il ne servirait de rien dans les circonstances actuelles, assura Algol, je songe d'autres de nos allis, ceux ayant parti li avec les vents, eux je fais appel. Immdiatement une faible brise s'tait mise souffler, un vent solitaire agitant les branches des arbres et caressant l'herbe ple, frissonnant dans les ramures. Cela tait d'autant plus curieux observer pour le mendiant que ce vent paraissait tre multiple, et avoir plusieurs directions diffrentes. Comme si une multitude de vents se trouvaient dans la plaine. Les Petites Gens sur les chevaux ails, les tres de la terre d'Oniria, mme les cinq Cavaliers, leur furent dsigns. Les voici, ils veulent du mal aux enfants dont vous avez berc les jours, les vents de notre enfance ! Venez-nous en aide et secoureznous, un mauvais vent les amne. Ayant peine dit cela les chevaux ails avec leurs cavaliers furent pris dans de violents tourbillons, ils furent obligs de se dporter de gauche et de droite jusqu' devoir finalement abandonner les lieux. Puis leur tour les dernires cratures tires du sein informe et terreux d'Oniria furent rduites des monticules de terre impalpable, laissant seuls les cinq Cavaliers. Ils ne s'inquitrent pas outre-mesure, puisque la monstruosit de mousse et de roche, d'cailles et de fourrure rche nantie d'une forme arrondie et bombe venait de pntrer au coeur de l'action. De loin Jean de la Lune avait pris pour des colonnes droites ses cornes,

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des piques d'une efficacit redoutable. Sa tte plate se trouvait constitue de mousse, avec des yeux teints et une bave translucide s'chappant de la commissure de ses lvres rougetres. Il possdait une queue large tranant dans le sol, couronne d'pines carmin. Ses pattes courtes et renfles taient au nombre de huit, la ressemblance de pitons rocheux, mais dous de vie et de mouvement. C'est un Mauvais Rve, ralisa Algol en se grattant le crne. Il nous sera difficile de le vaincre, les vents de notre enfance ne peuvent rien contre lui. Jamais nous n'avons d affronter un pareil adversaire, se lamentrent les membres de Larme, depuis les soldats de safran jusqu'aux vampires taciturnes et aux hommes-loups. Les vents amis de nouveau s'taient levs et voletaient en sifflant autour du Mauvais Rve, et effectivement il se montrait insensible aux attaques oliennes. Chacun dans Larme arbora un visage grave, l'instant assurment tait solennel. Tout allait se jouer cet instant prcis, face au Mauvais Rve, puissant et malfique, envoy par le tnbreux Morphos. De l'issue de leur confrontation avec l'entit norme, hybride de roche et de chair, d'caille et de mousse meraude, cornu et terrible, dpendait la dlivrance des cinq petites franaises. Elle paraissait bien mal engage, mais saisi d'une inspiration subite Jean de la Lune remonta d'un bond sur son palanquin. Immdiatement il houspilla son hyppogriffe, et le fora se rapprocher du Mauvais Rve en renclant. Seigneur, o allez-vous ? lui cria Algol lorsque Jean de la Lune, grandes enjambes, se mit courir sur l'chine barde d'pines de la monstruosit. Le vagabond aux cheveux d'or n'avait pas rpondu, seul en cet instant o tout pouvait basculer dans le meilleur ou bien le pire. Les chimres et les dragons rouge et or, les centaures, les griffons et les soldats de Larme, chacun adoptait la mme attitude proccupe et soucieuse. Algol le souffleur de conque pour sa part n'en revenait pas, de l'attitude irrflchie et aberrante du seigneur de Larme. Revenez ! s'gosilla Algol cependant que les Cavaliers s'taient de nouveau mis tourner autour de la formation, comme s'ils s'attendaient quelque funeste accomplissement pour le mendiant du royaume de France. Mais Jean de la Lune se proccupait uniquement de l'ide venant de lui traverser l'esprit, et il s'affaira se glisser de son mieux entre les pines disproportionnes du Mauvais Rve. Bientt il fut dans la plus

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haute position possible, sur le sommet de la crature, et lorsqu'il dgaina son pe magique celle-ci gloussa doucement. Bien jou, matre, la Lumire toujours fait s'vanouir les Mauvais Rves. la stupfaction gnrale, et surtout celle des Cavaliers malfiques, le vagabond avait fich son pe d'or poigne de cristal dans la masse du Mauvais Rve, ce dernier poussant un barrissement terrible. Il paraissait touch dans ses trfonds par somme toute une banale piqre d'insecte, mais l'intuition du mendiant se rvla juste. Le Mauvais Rve avait disparu dans un souffle, tel un songe nfaste s'vanouissant au rveil. Le mendiant avait chut de la hauteur o il se trouvait prcdemment, et chacun, Algol le premier, s'en vint fliciter l'homme venant de dnouer de manire opportune une situation compromise. Le Mauvais Rve n'tait plus, au grand dsappointement des Cavaliers. bride abattue ils venaient de s'lancer dans le ciel, escaladant le vide avant de disparatre aux regards, leur dfaite consomme. L'entit norme tait devenue un oiseau bleu et blanc, grands coups d'ailes il s'tait envol vers l'occident, s'amenuisant jusqu' disparatre. Quel joli coup, monseigneur ! se rjouissait Algol au milieu du brouhaha de Larme. Le Mauvais Rve de Morphos, par votre action, s'est mu en un Heureux Prsage ! Les Cavaliers sont partis, notre victoire est totale ! Des cris de joie rsonnrent en cho, mais le mendiant les fit taire d'un geste. Non, notre victoire n'est pas totale, mes amis, leur dit-il aprs avoir rengain son pe magique dans son baudrier. Elle le sera seulement lorsque les cinq petites franaises auront t dlivres, et qu'elles reposeront en lieu sr auprs de leur famille, dans leurs foyers. Chacun convint de la justesse des paroles de Jean de la Lune, puis une pluie fine s'abattant du ciel, Larme reprit la direction du port de Porphiros, puisque l'attaque des retres de Morphos avait interrompu leur parcours. Sous le crachin humide la lassitude finit par se saisir des membres de Larme, depuis les soldats de safran jusqu' Jean de la Lune en personne. Mais dans la plaine rase de l'empire d'Oniria leur guide sauvage Ammu revenu d'exploration ne leur apporta pas de bonne nouvelle, et Algol confirma au mendiant ses funestes prmonitions. Je n'ignore rien de votre fatigue, seigneur, aprs les derniers vnements, mais les faits sont ttus et ils refusent de se soumettre notre bon plaisir. Il ne se trouve aucune cit habite aux environs capable de nous hberger, et nous devrons bientt nous coucher, comme cela est habituel,

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sous les tentes. Mais c'est l le propre des soldats, et dsormais vous tes l'un des ntres. Le vagabond du royaume de France fut saisi fugitivement du dsir d'informer son lieutenant la conque d'or combien les hommes de safran et les vampires, les hommes-loups et autres cratures fabuleuses constituant les rangs de leur lgion taient son image puiss et fourbus, mais il prfra se taire. Aprs tout, il ne revenait pas lui d'inciter au repos, les petites franaises depuis trop longtemps dj attendaient leur dlivrance. Faisant contre mauvaise fortune bon coeur, le mendiant approuva de la tte en dpit de ses contusions diverses sur son palanquin, et ainsi poursuivit sa campagne Larme, veille d'un sommeil millnaire par l'pe magique des bonnes dames du Royaume d'Eau. Elle ne cessa pas sa progression avant de voir apparatre au loin les murailles nacres d'Amarante, tant tait forte la volont poussant les soldats, et vif le dsir de Jean de la Lune aux cheveux d'or. Lorsqu'au terme de leur longue progression sous une pluie fine faisant bruisser les herbes et les talus Larme parvint aux confins de la plaine, des montagnes vallonnes de faible hauteur s'offrirent eux. Ammu en compagnie d'un groupe de vampires tait parti en claireur, et il finit par revenir avec des nouvelles positives. Aprs les collines se trouvait une tendue liquide, chacun se rjouissant avec allgresse son coute. Le chemin parcouru ne l'avait pas t en vain, la ville portuaire de Porphiros ne tarderait plus tre rejointe. Tous taient tremps de la tte aux pieds mais nul ne songea s'en plaindre, et avec un tat d'esprit rgnr ils atteignirent les premiers renflements gologiques. Une voie leur fut indique par Ammu, et sur un chemin devenu boueux par cause de la pluie continuelle Larme continua d'avancer sans faiblir. Peut-tre la pluie cessera-t-elle lorsque nous approcherons de la cte, dclara Algol son seigneur, sur son palanquin. Peut-tre, se contenta de lui rpondre Jean de la Lune, en fixant sans ciller les monts se dressant devant leur passage. Il rabattit sur lui les pans de son manteau noir, dont il se servait depuis la Terre pour se protger des intempries durant ses voyages, et il se laissa aller sur son sige une douce somnolence. Autour de lui progressait malaisment Larme aux chimres fabuleuses et aux centaures, aux vampires sagaces, et derrire son hyppogriffe trottinait son chien Tagor sous le crachin. De partout se faisait entendre la rumeur de l'onde, l'odeur de la terre dtrempe montant du sol jusqu'aux narines du mendiant. Ils atteignirent puis dpassrent des bosquets clairsems, la premire des collines d'meraude fut franchie. Les carrioles de l'intendance laissaient des

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sillons dans la terre grasse, et les dragons d'or et de rubis grondaient sous l'averse afin de tirer les chariots des ornires, lorsqu'il leur arrivait de s'y embourber. La torpeur du vagabond bientt se mua en rverie, et dans ces dernires il lui revenait en mmoire le doux visage de celle ayant pris possession de son me, et dont la peau tait de l'onyx le plus pur et le plus intense, Andromde. Venaient ensuite les silhouettes des petites franaises, et malgr l'assoupissement du mendiant le coeur de ce dernier se mit battre plus fort. Comme cela dj s'tait produit plusieurs reprises, une mlope singulire virevoltait dans sa tte et mergeait des trfonds de son tre pour s'y replier ensuite, revenir, puis refluer, encore et toujours. Secou par la marche de l'hyppogriffe, Jean de la Lune dodelinait sur son palanquin, chacun dans Larme se regardant en souriant devant l'endormissement de leur seigneur. " Un, plus deux, plus trois " Un refrain archaque chantonnait entre ses penses et faisait irradier son corps d'une lumire diffuse. Celle-ci tout d'abord passa inaperue aux yeux des proches du vagabond, mais le souffleur de conque, Algol, progressant ct des soldats de safran, observa le phnomne. " Jamais plus de moi ne t'loignera " La voix rsonnant dans la tte du mendiant possdait une vitalit propre, n'ayant rien voir avec la personnalit consciente de Jean de la Lune : mais nanmoins elle entretenait avec ce dernier de grandes accointances, puisque le vagabond s'tait vu dot d'une infime brillance dans le jour diffus. Ds lors Algol l'armure de cristal et d'azur en avait eu son attention attire. Il lui tait revenu en mmoire les paroles de son matre, le jour o le souffleur de conque l'avait empch au dernier instant de se dmatrialiser pour aboutir on ne sait o. " Trois, plus deux, plus un " Le mendiant se diluait lentement dans l'air, et, tait-ce curieux, nota subrepticement Algol, son chien noir Tagor galement, pourvu d'une identique luminosit. Le souffleur de conque donna Larme un signal d'arrt. Chacun avait distingu l'trange aventure survenant l'tre qui les avait tirs de leur sommeil millnaire, et tous fixaient avec surprise le singulier accomplissement. Le vagabond aux cheveux de bl mr et son chien s'vanouissaient dans l'air, jusqu' une disparition complte. Larme tait maintenant aux aguets, attendant le signal du souffleur de conque. Ce dernier avait dcid cette fois-ci de ne pas renouveler sa dernire erreur, celle o il avait rveill son matre sur le point de traverser l'ther vers les siens.

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" Que nos coeurs spars ne fassent plus qu'un ! " avait termin triomphalement la voix au coeur des limbes oniriques o erraient les penses du mendiant. De son palanquin il avait disparu, en compagnie de son chien noir la queue et aux oreilles coupes, Tagor. Mais ils n'taient plus seuls, cette fois-ci, Larme les suivait dans leur dplacement cosmique derrire le Nant et les Plans. Par-del le ressac des abmes cosmiques s'agitant et murmurant doucement entre les mondes et au coeur desquels se trouve l'Empire du Sommeil, Larme s'tira en franchissant les Trames. Vivement, sur les chimres et les griffons, les hyppogrifes et les centaures, ou mme les dragons merveilleux, la traque fut lance et dura bien longtemps, mme si Jean de la Lune plus tard assura chacun s'tre assoupi brivement. Dans sa course Larme franchit des territoires ombreux au sein des Grands Vides, et des ocans de lumire elle traversa toute allure, les soldats de safran et les vampires affirmant plus tard combien l'onde en tait tide et frache la fois, avec un got sur les lvres veillant l'irrpressible nostalgie d'une luminosit ancienne et dsormais perdue. Des masses mouvantes furent entr'aperues de loin, mais elles ne furent belliqueuses en rien entre les Insterstices. plusieurs reprises il s'opra de singuliers retournements, les faisant se demander s'ils taient l'endroit ou bien retourns sur l'extrmit de l'Envers. Il y eut encore des chevauches mouvementes tandis que l'image du vagabond endormi et de son chien courant ses cts s'amenuisait davantage, puis le ciel obscur sillonn par la troupe se troua brusquement et apparurent des battants de pierre bleue, des portes gigantesques flottant dans les gouffres cosmiques. Elles taient gardes par des tres taciturnes et cornus, porteurs de lances mais n'tant en rien vindicatifs ou belliqueux. Ils ouvrirent les portes indigo en voyant s'approcher la silhouette fantomatique du mendiant port par ses rves magiques, et dans l'entrebillement apparurent les murailles mirifiques de la citadelle de Morphos, Amarante la Pourpre et Belle trois fois. Les gardiens s'apprtaient refermer les battants lorsque Tagor franchit le passage, mais ils s'immobilisrent d'tonnement en dcouvrant Larme lgendaire avec ses vampires et ses centaures, ses hommes-loups et ses chimres galopant dans les Vides Sans Fin jusqu'aux limites extrmes de l'Envers. La magie utilise par Jean de la Lune, bien malgr lui, permit le passage inopin des soldats de safran sous ses ordres, et Algol se rjouit d'avoir cout son intuition premire.

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Chacun flicita Algol pour son heureuse initiative, se dclarant heureux d'avoir pu profiter du passage des Portes Indigo. Mais ils n'taient pas les seuls avoir us d'une pareille facilit, derrire eux, se glissant habilement entre les battants sur le point de se fermer hermtiquement, traversa son tour une silhouette vaporeuse couronne d'toiles brillantes. partir de la cache secrte du puits, elle avait suivi la route de Larme jusqu'aux portes d'Amarante.

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Chapitre

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Aprs avoir saut bas de la grue noire, comme le reste de ses compagnons et du chat-cerise Balbillus, le magicien de la Ligue Iolo le Tnbreux s'tait positionn sur l'minence d'un promontoire rocheux, puis, aprs avoir prodigu un regard circulaire, il s'en tait redescendu auprs de ses amis. Tous comprirent aussitt sa mine soucieuse : les tant dsires Frontires de l'Aube n'taient pas encore l. Pourtant leurs recherches avaient t intensives et ininterrompues, paraissaient dire les visages dfaits de chacun. Depuis leur dpart de la Tour du Savoir, conseills par les paroles du sage Orion, ils avaient fait de leur mieux pour trouver ces mythiques frontires, mais ils avaient pu seulement rejoindre des contres inhospitalires et inhabites de l'Empire du Sommeil. En tout cas, pas les mystrieuses limites d'Oniria renfermant Magoria, le continent ignor. Il ne faut pas nous dcourager, miaula alors Balbillus, le chat-cerise, en direction du groupe. Certainement, assura son tour Gnsio le Triptolme, l'un des deux Hros des Temps Anciens. Le retour des petites franaises dans leur foyer en dpend. force d'obstination la chance finira par nous sourire, vous verrez, affirma son tour le noble l'allure princire, pourtant jusque l pessimiste plus souvent qu' son tour. L'enchanteur de la Ligue des Magiciens de la Terre avait rpondu d'un hochement de tte mi-figue mi-raisin, puis sans ajouter un mot il avait de nouveau enfourch la grue noire. Souplement le chat-cerise Balbillus, son compre en magie, l'avait rejoint et leur monture aile avait fini par reprendre les airs, aprs s'tre laisse tomber souplement dans le vide entourant le promontoire. Le vent sifflant aux oreilles des deux amis, le reste des envoys de l'empereur Charlemagne les avaient imits et dans le ciel blanc et pur de l'Empire du Sommeil, le groupe de voyageurs, une fois encore, avait repris sa route la recherche de Magoria. Au terme d'un vol paisible au-dessus de terres arides de hautes et obscures montagnes se dressrent au loin, et sur les plaines s'tendant au-

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devant il se trouvait des forts impntrables et profondes, comme jamais encore les voyageurs n'en avaient vu dans Oniria, ni mme le Rveur Pharius, pourtant natif de l'Empire du Sommeil. Cela les tonna fort et le dsir leur vint de les examiner de plus prs, aussi bientt les grues noires se posrent en une clairire perdue dans l'immensit de la sylve sauvage. Il y avait l des sous-bois ombreux et une multitude de chnes, de pins et d'rables, de peupliers et bien d'autres arbres encore. Chacun entreprit de se dgourdir les jambes, le chat-cerise Balbillus n'tant pas le dernier apprcier cette halte improvise. Cela ne nous fera pas de mal, en dfinitive, se contenta-t-il de dire son plus proche voisin, en l'occurrence Aquilon le Myrionime. Ils taient au milieu d'une quantit invraisemblable d'arbres de toutes sortes, cela a dj t dit, et aprs un examen attentif chacun ralisa, mais un peu tard, le caractre hors norme de ces arbres. Ils ne comportaient aucun point commun avec les forts de la Terre, ou mme de tout autre monde humain. En effet, ceux-ci ne se contentaient pas de bruisser sous le vent ou bien de frissonner rveusement sous l'clat tendre de la lumire du jour, mais ils les regardaient fixement, et mme avec une certaine insolence. Plusieurs arbres s'taient dtachs de la masse de la fort, et leurs racines terreuses les avaient amens auprs des visiteurs. L'un d'eux s'tait pench vers le neveu princier de Charlemagne. Bouh ! lcha-t-il brusquement. Le noble Roland avait sursaut de surprise et l'arbre un orme dbonnaire au tronc bulbeux s'tait mis rire de bon coeur. Si seulement vous pouviez voir votre tte, mon ami ! gloussait-il. Quel gamin tu fais, Sylvain ! lui reprocha un chne-lige aprs s'tre rapproch son tour. Ne faites pas attention lui, leur dclara le nouveau venu, Sylvain aime plaisanter et taquiner, mais c'est un bon garon. videmment ! reprit le dnomm Sylvain, je suis gai et enjou, quoique la rputation des ormes soit d'tre de nature prtendument mlancolique et soucieuse. Vraiment ? l'interrogea le chat-cerise Balbillus, dsirant amadouer la troupe des arbres entourant maintenant le groupe des ambassadeurs de la Terre. Tout fait, poursuivit l'orme Sylvain en secouant ses feuilles vert d'eau. Mais vous connaissez les fausses rputations et les on-dit, n'est-ce pas. Ainsi, le croirez-vous, les charmes en dpit de leur nom empreint de douceur et de joliesse souffrent du dfaut contraire, et

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 Ah non, alors ! Ah pardon ! s'interposa un arbre visiblement taraud par le discours de l'orme. Les charmes sont de bons vivants et gracieux au possible, comme vous pouvez le voir travers ma personne, j'ajouterais mme Allons, voyons ! Mes amis ! lana celui des arbres ayant prcdemment gourmand l'orme Sylvain pour son effronterie. Voulez-vous cesser ces mesquineries ? Nos visiteurs doivent tre ahuris devant vos chamailleries ! ces mots les chnes et les pins, les trembles et les peupliers, l'orme Sylvain et le charme avec lequel il s'tait querell avaient piteusement baiss la houppe de leur ramure, en signe de contrition. Les bonnes manires et le savoir-vivre taient semble-t-il, chez les arbres de l'endroit, une composante oblige. Nous direz-vous le motif de votre venue ? finit par leur demander l'un d'entre eux, et Iolo le Tnbreux rpondit leur curiosit sans dtour. Les arbres firent frmir leur toupet vgtal l'coute des paroles de l'envoy de la Ligue, et le plus g d'entre eux, un chne noir la voix raille, prit la parole. La Dame des Rves est une grande dame de l'Empire du Sommeil, si elle vous a donn l'ordre de dcouvrir Magoria, alors nous essaierons de vous aider galement. Cela est juste ! affirma un arbre avec vigueur. Cela est convenable ! renchrit un autre. Cela est moral, termina un troisime. Cela est commena un arbrisseau, mourant visiblement d'envie de participer la conversation des grandes personnes. Mais nul n'entre nous ne sait rien de ce continent ignor, rvla le chne noir en cartant ostensiblement l'arbrisseau timide. Les arbres faisant le cercle autour des ambassadeurs de Charlemagne secourent ngativement leurs branches feuillues, et l'arbrisseau auquel on avait dni la parole s'agita afin de pouvoir placer un mot. Pourquoi t'agites-tu de cette faon, mon petit ? s'enquit un pin vnrable. C'est une bonne chose estima l'arbrisseau dans un souffle, d'aider ainsi ces fillettes. Nous savons cela, nous sommes de grandes personnes, lui dit le pin. Ne nous interromps donc pas lorsque nous parlons de choses importantes.

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 Vous ne savez rien de Magoria, j'ai bien entendu, grogna Iolo le Tnbreux, mais les Frontires de l'Aube ? Oui, sauriez-vous nous dire o se situent ces dernires ? demanda le noble Roland en se souvenant de cette dernire particularit. Il y eut un moment de silence, durant lequel le coeur des voyageurs battit tout rompre dans l'attente d'une rponse favorable, mais la mine penaude des arbres de la fort d'Oniria les fit dchanter. Puis une voix fine et fluette s'leva prs des racines terreuses des grands arbres, provenant d'un arbrisseau s'tant dj exprim auparavant, ou du moins ayant essay d'y parvenir. Moi, je le sais, assura l'arbrisseau d'un ton gn. Allons, petit, ne dis pas de btises ! le gronda un arbre. Ces enfants sont incorrigibles, jugea un rable. Toujours inventer des calembredaines et des fantaisies absurdes. Cela est vrai. Absolument ! Tout fait, conclut un frne. Allons, mon garon, ne te fais donc pas remarquer si sottement, et cesse de sautiller ainsi ! Tu vas perdre tes fruits, lui assura-t-il en se tournant demi vers le reste de l'assemble sylvicole, d'un ton empreint de tendresse et de douceur. Mais je sais o se trouvent les Frontires de l'Aube ! glapit l'arbrisseau, de plus en plus nerv et agac. Cet avorton est tourneboulant de prtention, ructa un vieil arbre, couvert la base de son tronc de mousse verdtre. Le respect se perd ! Le fil de la conversation aussi, regretta poliment le mage de la Ligue, aprs avoir pris bonne note des paroles de l'arbrisseau. Les enfants, il est vrai, ont coutume de fabuler et d'inventer loisir, c'est l le charme de la jeunesse. Quelquefois cependant de la vrit se trouve mle leurs contes, et peut-tre est-ce le cas ici ? Allons, vous le voyez bien, nos amis sont l'afft de la moindre nouvelle pouvant leur faire reprendre espoir, ne ragirions-nous pas ainsi nous-mmes, en vrit ? avait clam l'arbre le plus aimable et cordial du lot. Ne sois pas si bougon envers les jeunes arbres, mile. Souviens-toi, tu as t frle et impertinent, toi aussi. Je ne suis pas bougon, se dfendit l'arbre vis. Je rcrimine, seulement ! Je sais o se situent les Frontires de l'Aube parce qu'un jour o je m'tais gar prs de la Grande Nuit, en haut des montagnes, j'entendis la voix de Rveurs de Morphos, perdus eux aussi.

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 Quelle folie, mon enfant ! s'taient exclam plusieurs arbres, devant un acte aussi insens. Ils semblaient craindre de rencontrer ce mystrieux endroit, et ils le disaient proche, expliqua l'arbrisseau. Donc je sais o sont les Frontires de l'Aube : proximit de la Grande Nuit. Disant cela le petit arbre avait dsign de ses branches l'extrmit des hautes montagnes se dressant au loin, au bout de la fort, et alors seulement chaque envoy du roi de France observa comment le ciel au-dessus des pics jusqu' l'horizon n'tait plus blanc, mais sombre, d'une obscurit de jais. On aurait cru un rideau tnbreux chutant du znith, lourd d'une obscurit suffocante. La Grande Nuit cerclant l'Empire du Sommeil, souffla avec respect le Rveur Pharius. Nous voici donc parvenus aux termes d'Oniria. Les dernires nouvelles seraient-elles positives ? interrogea l'arbre s'tant jusqu' prsent comport de manire exquise et polie. En tout point, lui affirma le noble Roland en dcochant vers l'arbre inclin son plus beau sourire. Dans ce cas, il va vous falloir fter cela avec nous, en dansant, dclara l'arbre. Le reste de la fort avait approuv de la tte si l'on peut employer une telle expression en faisant bruisser des milliers de feuilles et d'pines, puis chaque arbre du plus petit au plus grand dans l'immense plaine s'tait mis tourner lentement sur lui-mme, les branches ployes. Observant les ambassadeurs de la Terre les imiter gauchement leur tour, par politesse, chaque arbre les en remercia chaudement. Flicitation ! Vous dansez ravir ! Droit comme un i ! Un vrai sapin ! ajoutait un autre. Finalement, lorsque chaque ambassadeur du noble Charlemagne eut estim avoir sacrifi assez aux convenances et aux traditions de l'endroit, ils exprimrent le dsir de s'en repartir au plus vite vers le sommet des grandes montagnes cerclant la fort, et les arbres comprirent avec sagesse. Leur hte n'tait pas irrespectueuse ou bien grossire, elle tait simplement ncessaire. Sur les grues noires au toupet dor chacun reprit sa place, le valeureux Roland comme le Rveur Pharius la haute stature, les deux Hros des Temps Anciens et le magicien de la Ligue, Iolo le Tnbreux accompagn de son chat-cerise Balbillus. Virant sur l'aile avant de prendre la direction des monts sombres, chacun put voir les arbres innombrables de la grande fort leur adresser un amical adieu, et

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l'arbrisseau timide leur ayant donn un si utile renseignement n'tait pas le moins dmonstratif. Lorsquaprs un certain temps le froid de l'altitude se fit mordant, le silence rgna dans le groupe ail car les montagnes occupaient la totalit de l'espace devant eux. C'taient des pics neigeux et dchiquets agits de bourrasques, mordant et griffant cruellement les voyageurs du royaume de France au fur et mesure de leur lente ascension. Enfin le sommet fut atteint, et, dans l'obscurit croissante, Iolo le Tnbreux eut peine le temps de dtailler le pic ultime de la chane montagneuse. Dj un ocan la noirceur d'encre les environnait. En voil une singularit ! s'tonna vers ses compagnons le neveu princier, Roland. La Grande Nuit o nous sommes dtient une texture quasi solide ! Notre avance n'en sera pas facilite, assura le magicien de la Ligue, avec cette intonation curieuse que possdait la voix de chacun au sein de l'atmosphre stygienne. Il va nous falloir trouver notre objectif au plus vite. Et sans tarder, nos grues noires paraissent particulirement fatigues par leur longue ascension, renchrit Gnsio le Triptolme. Durant un long moment dans la Grande et sombre Nuit le groupe s'escrima voleter de gauche et de droite la recherche de la lueur salvatrice des Frontires de l'Aube, mais force leur fut de constater l'inanit de leurs efforts. Les grues noires, insensiblement, descendirent de plus en plus bas. Leurs haltements se faisaient grinants, bientt il leur faudrait faire demi-tour et dans leur dsir de rejoindre les Frontires de l'Aube, ils auraient lamentablement chou. Alors seulement une voix auguste parvint leurs oreilles, depuis l'infini. Le magicien de la Ligue sursauta le premier, lui avait dj entendu la Dame des Rves et son timbre caractristique. Continuez toujours tout droit vers l'endroit d'o je vous parle, et sans faillir vous atteindrez votre but. Ragaillardies par ce coup de pouce du destin, les grues noires semblrent pntres d'une nergie nouvelle, et tire d'ailes elles firent route vers le lieu dsign, une luminosit bienfaisante finissant par clairer les voyageurs, tel un phare salvateur aux yeux de marins gars. Des murailles opalescentes voiles de brume surgirent, et le froid se fit moins mordant : la noirceur intense se fendit et sans disparatre totalement apparurent les larges dimensions d'une construction en pierres de jade blanc, rflchissant l'image de miroirs ross la clart d'un jour encore loign.

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 Les Frontires de l'Aube ! s'exclama avec un sourire satisfait l'envoy de la Ligue des Magiciens de la Terre. Il nous faut chercher Magoria, maintenant ! lui miaula en retour le chat-cerise Balbillus, un pays baign d'une lumire matutinale mergeant graduellement. La Grande Nuit, grce l'aide bienveillante de la Dame des Rves, avait t vaincue. Les Frontires de l'Aube s'talaient sous eux, dvoilant un pays paisible formant la limite extrme de l'Empire du Sommeil, avec des plaines montueuses l'herbe saupoudre d'un givre cristallin, des forts endormies et des collines silencieuses. Mme si l'on se trouvait l'extrmit ultime d'Oniria, l'emprise du Sommeil et de la Grande Nuit, toujours proche, s'y faisait encore sentir. Un panache de vapeur s'chappait des lvres des ambassadeurs chaque parole change. Il nous faut nous poser, les grues noires ont t fatigues par la monte vers la Grande Nuit, dit Iolo le Tnbreux en direction de ses compagnons. En un champ l'herbe glace se posrent les grues au toupet d'or, et chacun se mit arpenter le sol afin de rchauffer ses membres. Le magicien de la Ligue dtailla les environs boiss, avec la plaine nantie d'une lgre dclivit en direction du sud, et les monts rabots et anciens se dressant tout prs, derrire une valle triangulaire et encaisse. Retrouver le continent ignor de Magoria ne sera pas facile, articula le magicien vers l'un des Hros des Temps Anciens, Aquilon le Myrionime, ce dernier tout comme lui tapotant vivement le sol de ses pieds engourdis, afin d'en faciliter la circulation. De plus nous avons emprunt pour rejoindre les Frontires de l'Aube un chemin dtourn, peut-tre nous aura-t-il loigns de notre but, acquiesa en retour ce dernier. Le froid doit tre ternel, ici, jugea le neveu princier, aux habits royaux et l'pe battant continuellement contre sa cuisse. Regardez le travail obtenu par la glace sur ces arbres et ces rochers ! Il dsignait un surprenant amas de glace bleute, dispos de manire singulire sur une litire d'herbe sche et d'aiguilles de pin. Mais leur tonnement ne s'arrta pas l car la glace s'agita et se retourna, adoptant une silhouette humaine presque aussi haute que le Rveur Pharius. La crature avait tout d'un tre humain, mais elle tait constitue uniquement de glace. Hors a ! lcha l'tre dormant jusqu' lors d'un profond sommeil. Des tres Humains !

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Ayant dit cela il les avait observs avec attention jusqu'au dernier, sans oublier de dtailler leurs grues noires, responsables de leur extraordinaire voyage. On n'en avait plus vu ici depuis longtemps, termina-t-il en mettant ses poings cristallins sur ses hanches. Puis il s'tait gratt machinalement l'appendice froid lui servant de nez, d'un index translucide. Qui tes-vous ? finit par lui demander le Rveur Pharius, car de toute son existence il n'avait jamais distingu crature si trange. Je pourrais bien vous retourner la mme question, leur rpondit sans se dmonter l'tre froid, en plus d'une nudit transparente, en raison de sa constitution glace, il arborait en effet une chevelure de givre lui dgringolant sur les paules et mme les reins. Considrant cela comme une invite se prsenter les premiers, les ambassadeurs agirent ainsi et le chat-cerise Balbillus, la fourrure carlate et aux yeux d'or, cltura la prsentation. Je suis l'asanthne de mon ami Iolo le Tnbreux, il vous en a dj parl lui-mme, miaula le chat-cerise. Parfait, assura l'tre de glace. J'avais bien cru en effet distinguer entre vous deux une connivence secrte, elle ne pouvait s'expliquer d'une autre manire. Je suis pour ma part un Bonhomme de Givre. Chaque envoy du royaume de France avait observ son voisin avec une expression dubitative. Un Bonhomme De Givre, prcisa ce dernier en paraissant tenir normment sa particularit et sa nature. Comme il est des Bonhommes de Neige, il est des Bonhommes de Givre, puisque j'en suis un. N'est-il pas ? Disant cela l'tre de glace avait cart les bras en signe d'vidence, les grues noires dans une clairire proche fouillant la neige meuble la recherche de nourriture comestible. Il y a-t-il beaucoup d'autres Bonhommes de Givre dans la contre, votre image ? l'interrogea poliment le noble Roland, dsireux de ne pas s'aliner un si curieux personnage. Celui-ci avait abaiss la tte, touch en une partie sensible de son tre. En fait Non, avoua-t-il contre-coeur. Je suis seul. Je ne connais pas d'autres Bonhommes de Givre. Il ne faut pas vous laisser abattre, l'encouragea le chat-cerise Balbillus. Un jour, vous trouverez vos semblables. Et jamais plus vous ne souffrirez de solitude.

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 Mais je ne souffre pas de solitude ! s'tait cri le Bonhomme de Givre d'une voix de stentor. Je suis trs bien ainsi ! Et parfaitement heureux ! Il avait frapp sa poitrine scintillante coups redoubls, le mage de la Ligue craignant un instant de voir son torse clater en morceaux. Pour sr conclut l'tre de froidure d'un ton moins alerte. Si moi j'existe, alors d'autres Bonhommes de Givre doivent exister galement. videmment ! lui miaula Balbillus. Naturellement ! renchrit le noble Roland, s'apercevant avec retard de sa maladresse. Ils sont srement quelque part, poursuivit le Bonhomme de Givre. Ici, ou bien l-bas. Quelque part. Je suis tranquille, allez. Je suis sr de moi, je n'ai pas peur. Cela se voit, je vous assure, lui dit paisiblement Iolo en se rappelant comment le Bonhomme de Givre, leur arrive, dormait solitaire au pied d'un arbre des Frontires de l'Aube. Oui, cela se voit vraiment. Trve de bavardage, trancha Aquilon le Myrionime, l'un des deux Hros des Temps Anciens en se rapprochant de l'tre glac. Nous sommes la recherche d'un continent inexplor portant le nom de Magoria, sens se trouver dans les Frontires de l'Aube. Auriez-vous entendu parler d'une telle contre, et dans l'affirmative, pourriez-vous nous dire o elle se situe ? Devant la mine soucieuse de ses compagnons, gns sans doute par la brutalit de leur ami, le Hros des Temps Anciens ressentit le besoin de se justifier. C'est--dire, le temps passe, et peut-tre les cinq petites franaises ont-elles dj t dlivres par nos camarades, leur rappela-t-il. Il nous faut trouver au plus tt la porte de retour vers la Terre, et le royaume de France o elles sont nes. Magoria ? avait dclar le Bonhomme de Givre en regardant tour tour chacun des envoys de Charlemagne. Les missaires de la Terre s'observaient mutuellement avec une pointe d'inquitude, ne sachant trop comment ragir devant l'attitude du Bonhomme de Givre. Vous me demandez si je connais Magoria ? articula celui-ci. Mais je suis n Magoria ! Brusquement les amis de Iolo le Tnbreux, tous la fois et de manire confuse, s'taient rapprochs de la crature glace au point de l'encercler, le bombardant de questions diverses jusqu' rendre leurs vocifrations incomprhensibles. Ralisant finalement l'inanit de leurs efforts ils se

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turent l'un aprs l'autre, dcidant de laisser s'exprimer Pharius le Rveur en leur lieu et place. Aprs s'tre fait expliquer plus clairement l'importance de Magoria pour leurs affaires, le Bonhomme de Givre secoua ngativement la tte. Hlas, mon dpart de l-bas remonte loin dans le pass, j'ignore si je pourrais encore me souvenir de la route menant mon pays perdu. Puis, voyant la figure dconfite des voyageurs, il se reprit in extrmis. Cela dit, rien ne m'empche d'essayer. N'est-ce pas ? leur lana-t-il en observant songeusement les alentours, fouillant dj sa mmoire en qute d'indices et de dtails prcis. Discutant bton rompu de choses et d'autres, le petit groupe se dplaa cette fois-ci pied, suivi de loin en loin par les grues noires gotant fort ce changement dans leur prgrination. Les ambassadeurs et leur ami empruntrent une route sinueuse s'loignant vers l'est, et qui rappelait au Bonhomme de Givre une enfance heureuse et pleine de dlices, leur affirma-t-il. Depuis bien longtemps je n'ai plus arpent ces sentiers, tous derrire la crature de glace se glissant entre des arbres de blancheur revtus. J'tais loin d'ici, vers le levant, expliqua-t-il. Vous tes revenus rcemment, comprit le noble Roland. Exactement, approuva de la tte le Bonhomme de Givre. Avant, j'tais dans les archipels de Terre de Glace. Le Bonhomme de Givre marchait sans faiblir, et il ne rpondit pas une phrase laconique de l'envoy de la Ligue. La fine couche glace crissait sous leurs pas, et bientt il survint une dclivit, l'tre singulier, aprs quelques hsitations, les engageant dans une direction diffrente. la fin, mme le plus enthousiaste des ambassadeurs s'inquita. Le relief tait devenu franchement escarp, avec des arbres abattus par les intempries devant tre escalad, comme si la route suivie n'avait plus t emprunte par personne depuis longtemps. Comble de malchance, dans la pnombre des Frontires de l'Aube, un vent aigre se leva et des flocons de neige descendirent lentement du ciel. tes-vous bien sr de votre direction ? interrogea Iolo le Tnbreux, commenant regretter d'avoir accord une confiance aveugle ce Bonhomme de Givre, aprs tout inconnu. Tout fait, si ma mmoire est bonne et me permet de retracer un chemin ancien, lui rpondit son interlocuteur, s'arrtant continuellement afin de fixer les environs, avec une main translucide en visire sur son front miroitant et froid.

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De nouveau le groupe bifurqua vers un sentier latral, et lorsque la voie minuscule dcrivit une courbe le coeur de l'envoy de la Ligue se mit battre coups redoubls, sans trop savoir pourquoi. Ils parvinrent un coude et une plaine blanche balaye de rafales poudreuses s'tala, laissant derrire elle les terres anciennes. Il y avait un lointain et ple soleil blanc, flottant prs de l'horizon. Cette nouveaut fit pousser une clameur haletante aux ambassadeurs de la Terre. Magoria ! s'exclama le Bonhomme de Givre en tendant les bras. Noble pays de mon enfance ! Dans les brumes irises des silhouettes blanches identiques celle du Bonhomme de Givre marchaient vers eux, et leur guide acclra l'allure en criant. Magoria !

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Chapitre

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partir de maintenant soyez attentif, terminait le livre Harold depuis la large botte le transportant, car les frontires du Sombre Royaume se dressent devant nous, et l'Avesta il nous faut dcouvrir. Aprs une longue course et plusieurs haltes impromptues des murailles noires et abruptes s'lanaient vers les nues, ou plutt le plafond rocheux servant de ciel l'empire souterrain des Stryges et des Goules. Dj depuis quelques minutes les failles clairant les lieux en donnant sur les Enfers Suprieurs avaient disparu, une obscurit tenace et collante entourant les deux amis d'outre-tombe. J'ai parfaitement entendu, et croyez-le bien, je cherche de mon mieux, lui rpondit le petit chat caramel et blanc. Mais il y a seulement ici des tnbres, lAvesta doit probablement se situer ailleurs. Nudd avait termin d'articuler cette remarque acide et dj un " plouf " sonore retentit en faisant cesser lavance des deux compagnons, les bottes magiques s'immobilisant immdiatement. Nudd dans son vhicule de cuir pataugeait au milieu de l'onde d'un cours d'eau, le livre Harold redressant les oreilles d'excitation. Bravo, mon garon, je n'en attendais pas moins de vous ! lui lana-til. Longeons cette rivire, si ce n'est pas l'Avesta elle nous y mnera sans faute ! Ainsi firent-ils et avanant petits pas si l'on peut dire, puisqu'ils taient toujours engoncs dans leur botte magique travers des broussailles et des sous-bois denses, ils finirent par atteindre les abords d'une rivire indubitablement plus large, le livre Harold la reconnaissant aussitt. Voil bien l'Avesta, j'en jurerais ! s'exclama-t-il en jubilant. Sautillant prs du cours d'eau ils observrent comment ce dernier s'incurvait, avant de disparatre en une gueule noire et rocheuse. Une ouverture sinistre trouait la base de la muraille granitique scellant les termes du Sombre Royaume. Cette obscurit est effrayante ! se lamenta le petit chat dont la fourrure se hrissait dj devant une si tnbreuse issue.

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 Elle ne vous fait pas peur, jespre ? lui demanda le livre en sautant bas de son vhicule. Votre tche n'est pas encore termine, souvenez-vous, elle commence peine ! Nudd avait imit son compagnon de voyage, et prsent il fixait intensment le lieu o l'Avesta, son passeport pour les Enfers Suprieurs et surtout, pour la Source de Vie, s'engouffrait en un courant rapide. Voyez, mon garon, un ruban de terre sur le ct longe l'Avesta vers l'intrieur, vous pourrez le suivre un instant avant de devoir plonger, bien sr. Allons, soyez fort, vous le faites pour lamour de la belle Arielle. Harold le livre tait un clibataire endurci comme il ne s'en fait plus, il fora visiblement sa nature farouche pour articuler de telles paroles, mais en vrit il le fit, et fort bien, cela seulement pour pousser son ami Nudd dpasser sa crainte. Toutefois, si Harold le livre tait un tre solitaire et quelque peu misanthrope, il avait aussi un coeur dbordant de tendresse, et observant les difficults de Nudd le chat il se secoua en soupirant. Bon, je vais vous montrer la voie, mais il vous faudra ensuite agir seul, d'accord ? Il est des choses dans la vie devant tre faites sans aide, car nul ne peut les accomplir notre place. Aprs avoir dclar cela il s'tait mis trottiner vers le lieu effrayant si visiblement Nudd, et vivement il chassa les bottes magiques, les bottes de sept lieues. Allons, partez, retournez chez votre matre lgitime, o la sorcire vous droba un jour ! Allez, allez ! Pscht ! Cela comme s'il signifiait son cong une crature de peu d'importance. Sur ce Nudd avait russi vaincre ses rticences, et, avec une dmarche mal assure, le petit chat suivit le livre courageux. Prs de l'onde tnbreuse ils allrent, dans la nuit du large boyau, car maintenant l'Avesta s'avanait dans des tnbres totales. Sur le sol rocheux et humide Nudd s'avana en tremblant, son museau touchant la paroi et le contact lui faisant pousser un " ae " sonore. Soyez donc davantage silencieux, mon ami ! le tana Harold. Auriez-vous perdu l'esprit, et oubli le territoire dans lequel nous sommes, avec ses terribles habitants ? Aprs stre habitu lobscurit le petit chat caramel et blanc put observer la rivire souterraine plongeant dans la roche, travers une ouverture compltement obture par sa masse. Il n'y avait plus d'espace nulle part, et moins de rebrousser chemin, son destin se trouvait l.

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 Il est temps, maintenant, Nudd, lui dit doucement Harold le livre en lui dsignant la surface bouillonnante de l'Avesta, disparaissant vers l'inconnu. Il ne vous faut plus attendre, vous devez sauter. Nudd hsitait et s'avanait, reculait, puis de nouveau repartait, avant de s'arrter encore. Visiblement, deux tres se disputaient en lui, celui dsirant de toutes ses forces rester en scurit, et lautre, aspirant rejoindre sa matresse bien-aime, Arielle. Allons, courage, reprit le livre en poussant gentiment Nudd de la tte, ses longues oreilles replies sur son dos. Vous tes dj mort, alors Nudd s'arc-bouta sur ses pattes sous la pousse de son ami, puis il regarda une dernire fois vers l'ouverture donnant l'extrieur. Il se dtourna vivement puis sauta dans le puits noir, laissant son compagnon Harold pantois devant son courage subit. Eh bien, je ne l'aurais jamais cru capable de se dcider si vite, lcha le livre Harold en lissant machinalement ses longues oreilles brunes. Voil au moins une bonne chose de faite, soupira-t-il comme si cette longue aventure depuis sa rencontre avec le petit Nudd venait de toucher son terme. Sur ces paroles il se retourna vers l'extrieur, et distingua son tour le groupe de Harpies furibondes et de Stryges leur donnant la chasse depuis leur toll au sein de leur campement. Fichu garnement pensa-t-il en mme temps que lui parvenaient les voix stridentes des cratures du Sombre Royaume. Ils sont l ! Ils sont l ! s'criaient-elles en dsignant le seul restant encore. Pestant et rlant contre ce coup du sort Harold le livre se vit forc de plonger son tour, et un fort courant se saisit de lui, l'entranant dans les profondeurs du cours d'eau jusqu' le plonger au coeur d'un puits obscur. Il fut ballott et secou en tous sens, tran sur une distance incommensurable sans jamais parvenir distinguer son compagnon le petit chat, ni mme la surface des Enfers aprs laquelle ils couraient depuis le dbut. Finalement il observa une lueur au loin, et il essaya de se mouvoir vers elle mais le courant l'y transportait dj. Il cessa ds lors de faire aucun effort, leau le dposant sur une grve de galets scintillants, car ils taient en verre et la caverne dans laquelle il se trouvait tait en verre elle aussi. La rivire poursuivait sa route en transperant les murailles cristallines, le livre Harold finissant par rencontrer Nudd, enfin. Mon garon, lui reprocha-t-il, vous auriez pu me prvenir du danger !

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 Je croyais l'avoir fait, lui rpondit le petit chat d'un ton penaud. Ce n'est rien, vous avez russi une grande victoire sur vous-mmes et c'est bien l l'essentiel, le rassura Harold. Sur ce il s'tait mis fureter de gauche droite, la recherche dune quelconque embarcation, ou bien de tout autre objet pouvant en faire lieu, mais ne trouvant rien ils durent se rsoudre aprs une rapide inspection l'endroit tait vide, et de taille trs rduite se jeter de nouveau l'eau, nageant de concert cette fois-ci. Du moins le Destin les avait-il runis, ce dont ils se flicitrent mutuellement. Une fois encore la nuit les encercla, mais l'Avesta se dplaait l'air libre, ou presque. Elle traversait un tunnel humide en produisant d'infimes remous, sonores et discrets, et aprs une certaine distance une ouverture ogivale se profila au loin, lorsque le premier Nudd le chat observa sur la berge sombre de la rive une luminosit indistincte, pareille une forme arrondie. Elle marchait sur les bords de l'eau, et sitt avoir observ l'intrt poli suscit chez les amis, elle se plongea dans l'Avesta pour disparatre promptement dans ses profondeurs. Cest une trange chose, ne trouvez-vous pas ? demanda Harold le livre au petit chat, sans davantage de surprise. Nageants sur l'onde, ils arrivrent enfin dans l'anfractuosit claire distingue auparavant, dcouvrant avec surprise une cavit la grandeur presque identique celle du Sombre Royaume. Les murailles taient tapisses de verre, ou bien de quartz brillant, du sol au plafond. Des ouvertures s'y trouvaient galement, comme parmi l'empire des Lamies et des Goules, crant des flots de lumire clairant des arbres de verre et des massifs colors aux teintes clatantes, une herbe satine la surprenante teinte bleue. Il n'y avait pas de demeures, ni mme d'habitants d'aucune sorte, du moins : mais si des champignons de cristal rouge au pied des souches tincelantes, et des buissons aux baies odorantes et merveilleuses. Nudd le chat trottinait au hasard avec le livre Harold, la recherche d'une issue vers le dessus des Enfers, lorsqu'ils observrent au loin une trombe d'eau s'levant en sifflant jusqu'aux hauteurs de la grande caverne, les deux amis devant se rendre l'vidence, du moins au sujet de l'Avesta. Elle se transporte magiquement vers les Enfers Suprieurs, notre tche en est facilite d'autant puisque tout souci nous est t, affirma Harold. Observant lintrt distrait de Nudd, le livre tourna sa tte aux longues oreilles dans la direction fixe par son ami, et imitant ce dernier

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il marcha vers le lieu en question. Une silhouette la ple luminosit et la forme parfaitement ovode, d'une taille peine suprieure celle du livre Harold, se terrait prs d'un arbre transparent. Elle avait des jambes et des bras pareils ceux des Petites Gens, un corps renfl et bomb, mais ne possdait pas de tte, seulement des yeux noirs et ronds sur le haut de son corps, et une petite bouche, charnue et mobile, rouge vif. Eh bien, interrogea le livre en fixant la crature, visiblement effraye, qui tes-vous, et que faites-vous ici ? L'tre avait l'allure gnrale d'un oeuf littralement et un teint trs ple, il ne rpondit pas et se contenta de ciller des yeux, treint par une peur intense lempchant de parler. Le premier, Nudd reconnut la silhouette les ayant intrigus dans le noir du couloir souterrain, juste avant de dboucher dans cette seconde cavit, o l'Avesta remontait vers les Enfers du dessus. C'est lui, nous lavons vu, tout l'heure, indiqua-t-il Harold en dsignant l'inconnu d'un signe de tte. Est-ce bien vous, mon ami ? s'enquit de nouveau le livre. J'ai peur ! Ohlala, j'ai peur ! finit par s'exclamer l'inconnu en tremblant de tous ses membres, et son corps bomb la lumineuse aura en sembla parcouru de reflets ondoyants et nacrs. Pourquoi tiez-vous dans ce tunnel ? s'tonna Harold. J'avais froid, expliqua l'inconnu en rpondant ct. Oh, s'il vous plat, s'il vous plat, emmenez-moi avec vous, ne me laissez plus seul ! les supplia-t-il en pleurnichant. Le livre jeta un regard surpris Nudd. Mais enfin, vous prsenterez-vous une bonne fois pour toutes ! s'impatienta Harold. George, je suis George, lcha l'tre ovode d'un ton larmoyant. Tout s'claire, grina Nudd, car pour l'heure il avait bien d'autres chats fouetter. Nous cherchons la sortie de cette caverne de cristal, reprit le livre Harold en direction de celui venant de se prsenter. Ce dernier indiqua de la main une main la peau trs blanche et agite de soubresauts l'endroit o l'Avesta s'levait dans un tourbillon puissant vers les hauteurs, et les deux compagnons s'en allrent petits pas. Puis ils observrent le dnomm George, la silhouette pour le moins caricaturale, les suivre en catimini. Emmenez-moi avec vous ! s'cria-t-il lorsque les deux amis se retournrent vers lui avec surprise. Emmenez-moi avec vous !

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Des larmes glissaient le long de son corps renfl et ventru : Harold le livre, le premier, secoua la tte en agitant ses oreilles. Vous n'y pensez pas, voyons ! le mit-il en garde. Nous allons vers les Enfers Suprieurs, o Nudd doit rejoindre la Source de Vie, avant de poursuivre un priple plus prilleux encore ! Pourquoi ne m'imiteriez-vous pas ? suggra alors le petit chat caramel et blanc Harold, brusquement frapp par l'vidence de la chose. Cest hors de question, se dfendit le livre bourru, j'y ai dj song, et j'ai dcid de rester dans les Enfers jusqu' la fin de ma peine. Cest dit, je n'y reviendrai pas. Ne me laissez pas dans le noir, j'ai si peur, s'il vous plat ! Oh, s'il vous plat ! sanglotait George en se tordant les mains. Curieux bonhomme, miaula Nudd en le fixant avec perplexit. Vraiment, curieux bonhomme. Mmm oui, reconnut Harold en adoptant une position songeuse. Cela dit, aprs tout Oui, aprs tout, pourquoi pas ? Nudd avait opin du chef et le dnomm George s'tait mis sautiller sur place. Venez donc George, articula Harold en repartant vers le tourbillon. Mais tenez-vous tranquille, et surtout, ne vous imaginez pas rester toujours coll nos basques ! George parvenait difficilement contenir son allgresse, et, avec cet trange personnage derrire eux, Harold le livre et Nudd le chat s'en allrent vers l'endroit magique o l'Avesta remontait en direction des hauteurs, faisant merger le trio en un petit lac bord d'une maonnerie d'onyx, et cercl de colonnes comme si l'on se trouvait au coeur d'un palais. Aprs un examen attentif des lieux, cela se rvla dailleurs tre bien le cas, en dfinitive. Un carrelage d'or et d'argent s'talait autour d'eux entre des colonnades ciseles, et un plafond haut s'tirait d'arc en ogive en coupoles scintillantes, des portes monumentales se dressant loin de l. Sur des trpieds de marbre rose dansaient des flammes claires, parfumes et dlicates. Le lac artificiel, donc n'tait pourtant pas ferm puisque l'Avesta poursuivait sa course travers une arche et disparaissait l'extrieur, derrire des murs prcieux. O avons-nous pu nous retrouver ? dclara avec surprise le livre Harold en grimpant sur les bords du bassin, ses deux compagnons faisant de mme. Leurs voix rsonnaient trangement sous les plafonds somptueux, et le premier George s'en effraya.

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 O sommes-nous ? Que j'ai peur que j'ai peur que j'ai peur ! Allons, calme-toi, George, tenta de le rassurer Nudd. La situation ne manque pas de piquant, jugea Harold en s'aventurant par petits sauts travers la grande salle, dserte et vaste. cet instant les battants de nacre d'une porte leve s'entrebillrent en grinant, et le trio prcipitamment se dissimula derrire une colonne, hlas en vain. Ils furent dcouverts presque aussitt. Une Compatissante se tenait l, la ravissante beaut voile d'habits de lumire, et auprs d'elle tait un dfunt l'aspect vnrable. Tous deux ne paraissaient pas moins surpris de les rencontrer que le trio, et la premire la Compatissante aux traits thrs haussa ses sourcils d'bne. Pourquoi vous trouvez-vous auprs de la Source de Vie ? les interrogea-t-elle en les fixant tour tour tous les trois. Harold avait regard Nudd, et ce dernier en retour avait observ son ami longues oreilles avec stupeur. Par le plus grand des hasards une mtamorphose inoue venait de se produire, car le livre et le petit chat caramel et blanc avaient abandonn leur aspect de dfunt pour celui de cratures de chair et de sang, puisqu leur insu ils venaient de jaillir travers la mirifique Source de Vie. Seul le dnomm George n'avait pas chang d'tat, tel si son apparence tait au-del de toute mtamorphose. Par exemple ! bredouilla Nudd en ralisant lvnement survenu. tonnant ! Vritablement tonnant ! lana Harold. Mais la Compatissante sur le point de baigner le dfunt dans la Source de Vie, avant de le plonger au coeur de l'Ocan des Rincarnations, venait de comprendre le quiproquo. D'un geste de dngation, elle jeta bas les espoirs du groupe. Vous venez du Sombre Royaume, n'est-ce pas ? Cest une aventure bien singulire ! Mais cela ne saurait durer, car vous n'avez pas respect les tapes ncessaires. Sur un ordre invisible, les portes s'ouvrirent de nouveau et des Vahhuias rbarbatifs firent leur entre, emmenant le trio hors du palais mystrieux o se dissimulait la Source de Vie. Sous le ciel noir des Enfers, au-dessus du Sombre Royaume et hors d'atteinte de ce dernier, mais en toute aussi mauvaise posture qu'auparavant, Harold et Nudd, le craintif George escort des deux Vahhuias allrent par les chemins, se plaignant de concert. Catastrophe ! se lamentait Nudd en agitant ses moustaches. Ma douce Arielle est loin encore ! Vous ntes pas prt de la revoir, je le crains, avoua Harold.

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 C'est terrible ! Cest effrayant ! se plaignait George en tremblant. Ne me laissez pas tout seul ! Ne me laissez pas tout seul ! O allons-nous, messieurs ? demanda le livre en adoptant un ton naturel en direction des dmons. Votre Vie actuelle est indue, puisque vous n'avez pas purg la totalit de votre Mort, grogna l'un des Vahhuias en continuant de les pousser en avant. Nous vous menons chez l'corcheur de Vie, il vous retirera celle dont vous vous tes pars de faon malhonnte. Nudd avait sursaut, pressentant le caractre douloureux et pnible de lopration. Horreur ! souffla-t-il. J'ai peur ! sifflait George en prenant une voix pointue sous l'effet de la crainte. J'ai peur ! Ne m'abandonnez pas ! Combien je prfrerais tre dans les bras de ma douce Arielle ! s'affligea Nudd sous leffet dune puissante nostalgie. Auprs d'elle rien ne pourrait jamais m'arriver, et surtout pas ce vilain corcheur Le paysage obscur somm d'une lune argente avait disparu, sa place venait de se matrialiser par enchantement le dcor familier de la chambre d'Arielle, dans le Berceau des Vents. Rien n'avait chang, sembla-t-il Nudd, abasourdi devant cet vnement singulier et subit, dpourvu de toute explication logique. La chambre circulaire tait toujours aussi rose au sommet de sa tour, et sur le grand lit tait encore une poigne de poupes, moins qu'avant cependant car Arielle avait grandi, ralisa Nudd avec un pincement au coeur. Mais l'armoire linge avec sa glace, le bureau jonch de livres et le balcon de fer forg tait toujours l. La chambre tait vide. Par mes oreilles, chuchota Harold avec stupfaction. Par mes longues oreilles ! Nous sommes dans la chambre de ma douce Arielle ! dclara Nudd en ne parvenant pas raliser encore. J'avais compris, murmura Harold en baissant instinctivement la voix. Prs d'eux se tenait George, il continuait jeter des regards anxieux de gauche droite, semblant craindre encore davoir t poursuivi par les deux Vahhuias dmoniaques jusque dans le Berceau des Vents, au-dessus des Landes Magiques. Votre amie commena Harold. N'est pas l, apparemment, poursuivit Nudd. La grande porte-fentre donnant sur le balcon en fer forg tait ouverte, et subitement une brise agita les voilages avant de voir apparatre

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en hurlant de joie Arielle, la matresse chrie de Nudd. Il miaula vivement en sautant dans ses bras, et ncessita de longues secondes avant de pouvoir s'exprimer calmement. Lorsqu'il eut expliqu la totalit des vnements survenus depuis leur sparation, y compris sa mort puis sa rcente renaissance, Arielle arbora une mine abasourdie devant l'normit de la rvlation. Elle demanda plusieurs fois confirmation Nudd de la vracit de ses paroles, et s'assit sur le bord de son lit soyeux, en parlant d'un dbit rgulier. Je nai pas entendu une histoire aussi incroyable depuis bien longtemps, sourit-elle vers Nudd, heureuse cependant de le revoir aprs sa longue absence. Mais puisque tu me le dis je veux bien te croire ! Qui est-ce ? s'enquit-elle en dsignant George du menton. C'est George ! expliqua Nudd. Nous l'avons rencontr dans une caverne secrte prs de la Source de Vie, ou plutt, de l'Avesta, et il nous a demands Ne me laissez pas tout seul ! dit alors George en entonnant sa litanie. Ne me laissez pas ! J'ai compris, assura Arielle en faisant vers le livre Harold et Nudd le chat une mimique comprhensive. Arielle avait gliss une de ses longues mches brunes derrire son oreille d'albtre, ses traits s'taient affins et embellis encore davantage, observa Nudd. Elle portait un justaucorps, une espce de combinaison en satin velout et des bottillons souples, avec des fronces et des festons artistiquement rpartis sur son corps et des bracelets d'or tintant ses poignets. Un bret coiffait sa tte, puis Nudd se souvint. Ses frres les Vents du Monde avaient dcid de lui faire passer le got de l'aventure en la formant son mtier naturel, celui des vents, videmment. Vous revenez de voyage, matresse ? Oui, mon joli chat, lui rpondit la jeune fille en le prenant contre elle et en le cajolant de ses doigts fins. Mon mtier olien est le plus beau du monde, je suis trs heureuse ainsi. Si vous tes heureuse, matresse, alors, je suis heureux aussi. Oh, Nudd ! roucoula Arielle. Hum, hum, toussota le livre Harold, avant de se sentir de trop. Je vais prendre cong, et George galement, n'est-ce pas, George ? Ne me laissez pas, supplia de nouveau George, oh, ne me laissez pas ! Mais il n'est pas question de cela, le rassura la belle Arielle en adoptant une expression dcide. Car je me souviens trs bien de ton but

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premier lors de notre rencontre initiale, Nudd, et dont je crois t'avoir dtourn Oh, si peu, matresse, minimisa Nudd dans les bras de cette dernire, au comble de la flicit. J'y ai, moi aussi, ma part de responsabilit ! Les petites franaises, n'est-ce pas ? interrogea Harold le livre en secouant ses longues oreilles bruntres. Absolument, approuvrent le petit chat et Arielle d'une mme voix. Comment allez-vous agir, en ce cas ? demanda le livre en commenant trouver l'affaire intressante, pour ne pas dire plus. Il va de soi, Nudd doit remplir la mission assigne par son monarque, affirma Arielle d'un ton imprieux. Puisque ma prsence l'en fit dvier, je me dois prsent de rparer cette erreur. Les petites franaises n'ont pas encore t dlivres et mises labri, je suppose ? Nullement, ma connaissance, mais en fait, babilla Nudd dans les bras de sa matresse, lov comme en un cocon soyeux, notre monarque trs flin de l'Arkaal nous demanda, moi et quelques autres, de rcuprer un mien cousin, Alban, dont nous tions sans nouvelles. Sur la face cache de la lune il se trouvait en compagnie de sa matresse Andromde, et il s'en dclara fort heureux, au point de ne plus vouloir retourner au pays des chats. Intressant, jugea Harold en lissant ses moustaches. N'est-ce pas ? rpondit Nudd. L rside le hiatus, la mprise de ma jolie Arielle : notre monarque dcida de nous joindre l'expdition de secours du noble roi de France, par amour pour les petites filles. Ensuite, ne recevant pas de nouvelles, le Chamagnon Tigr donna l'ordre un bataillon expditionnaire de nous porter secours Et il ne revint pas non plus, puisqu'il se joignit vous, les premiers chats de l'Arkaal avoir adhr cette noble entreprise, comprit Arielle en se rapprochant du balcon ouvrag. C'est cela, en effet, miaula pauvrement Nudd en ralisant combien le retour au pays, un jour ou l'autre, pourrait tre problmatique. Les petites franaises ne doivent plus attendre, renchrit Harold le livre en secouant ses oreilles en signe d'approbation. Et puisque je suis vivant, aprs tout, je me joins vous ! Ensuite, je me chercherai un pays. Pourquoi ne viendriez-vous pas vous tablir dans l'Arkaal ? lui proposa de but en blanc Nudd. Le ciel y est clair mais noirci par Nigrdo, notre chaud et doux soleil, les arbres--lumire y poussent profusion et l'atmosphre est sereine, loue par tous les visiteurs ayant pu traverser notre monde de l'Ultra-Terre. J'y ai des amis : Thibaud l'cureuil et le loir

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Amde, Justin le raton laveur et quantit de chats de ma race. galement une jolie petite fille, la Petite Princesse dans le Castel d'Armor et ses trois amis, Zabello le Gnie de l'ternit, Ia le Chien Astral et Mn, le Dieu-Lune dans la Demeure de Bulles. Vous seriez le bienvenu l-bas ! Vous croyez ? Bien sr ! s'exclama Nudd en secouant la tte avec de grands yeux. Leur discussion menaant de s'terniser dans des dtails oiseux, Arielle se mua en un vent tourbillonnant et les emporta tous trois, avec George, dans les cieux et par-del l'Envers des mondes, une vitesse vertigineuse. Il s'tend devant moi une priode de repos et je ne laisserai pas davantage ces gentilles petites filles dans l'embarras, s'cria-t-elle transforme en une rafale violente, ballottant les trois compagnons comme des jouets. Dans Oniria elles se trouvent prisonnires, m'as-tu dit C'est bien cela, lcha Nudd la fourrure retrousse par l'allure de leur course. Houl ! reprit Arielle. C'est loin ! Et difficile d'accs, je suppose, dclara Harold le livre avec compassion. Pas du tout, car la science olienne est une science exacte, mont appris mes frres, les quatre vents du monde. Tenez, pour parvenir l'Empire du Sommeil, prs des Grandes Limites, rien n'est plus simple. Je prends deux brises et j'ajoute une bourrasque, je retranche sept zphyrs mtins d'un autan puis je divise par trois rafales rageuses et je multiplie le tout par un grand mistral, mais un grand, puissant, et fort, et tout a, j'obtiens ? Heu miaula btement Nudd, car dans les cours flins de l'cole de l'Arkaal il tait un habitu des fonds de classe. Je l'ai su ! Je l'ai su ! se dfendit Harold en triturant ses oreilles en signe d'intense rflexion. Ces calculs compliqus me font peur, dit pour sa part George avec de grands yeux. Je n'ai rien compris ! Arielle s'tait mise hoqueter d'un dlicat rire de clochettes. On obtient un transport immdiat, en coup de vent ! clata-t-elle de sa voix pointue. J'allais le dire, souffla Nudd d'un air penaud. Ils survolrent les Royaumes Suprieurs et aussi les Infrieurs, franchirent les Abysses Tnbreuses sur un Grand Pont d'Or aux parapets orns d'inquitantes statues, jusqu' par-del un ocan de noirceur les chemins des vents nentretenaient aucun rapport avec celui du commun

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des mortels, savait dj Nudd parvenir en un pays parfum, dpourvu d'aucun soleil mais au ciel clair, presque blanc. L'herbe en tait douce et aussitt Nudd reconnut les paysages familiers de l'Empire du Sommeil. Il les gardait toujours en mmoire depuis son dcs accidentel. Il y avait des arbres l'arrondi harmonieux et des taillis la ple verdure, des oiseaux perchs sur des branches s'envolant bruyamment l'approche du cortge venteux. Fin du voyage ! Tout le monde descend ! cria Arielle ses amis en dpit de la relative hauteur laquelle ils se trouvaient encore. Ae ! se plaignit Nudd. Ouille ! ajouta Harold en mordant bruyamment la poussire. Houl ! termina George qui de par sa forme ovode avait roul jusqu'en contrebas d'une dclivit. Ctait seulement une image ! se mit rire la belle Arielle en observant l'air dpit des trois voyageurs. Nudd le chat avait balay les environs du regard avant de se retourner vers sa matresse. Nous sommes bien dans Oniria, il n'y a aucun doute l-dessus. Reste maintenant dcouvrir o, puis trouver mes compagnons de voyage. Excellent programme, Nudd, excellent programme, en vrit, lui avait rpondu Arielle en caressant dubitativement son menton. Dans leur dos, George la silhouette d'oeuf disproportionn s'tait mis luire d'un curieux clat, et ses yeux s'taient ferms comme si une intense rflexion occupait ses penses.

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Chapitre

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Nous y voici ! s'exclama Algol, le souffleur de conque l'armure de cristal et d'azur, en mme temps que l'hyppogriffe sur lequel il tait juch prenait pied son tour dans la surprenante cavit de cristal. Tout ds cet instant se droula trs vite, les vampires et les hommesloups, les soldats de safran aux cuirasses d'onyx et d'airain cisel jaillissant galement dans le lieu clos aprs avoir franchi les Portes Bleues, accompagnes de dragons rutilants et de mystrieuses chimres. Des centaures aux cts d'Ammu, leur guide, avaient dsign de l'index leur matre le vagabond du royaume de France, matrialis le premier en compagnie de son chien Tagor au centre de l'trange endroit. Rveill en sursaut par le vacarme, car la totalit de l'intendance avait suivi galement derrire la brche magique cre par le dplacement du mendiant, Jean de la Lune se mit sur son sant. Vous vous tes assoupi, seigneur, dclara le souffleur de conque en sautant bas de l'hyppogriffe, plus prcisment du palanquin de commandement o il s'tait plac. Votre corps s'est revtu d'un clat singulier, et il a fil travers les Trames avec votre chien Tagor. Le mendiant toujours revtu de ses noirs habits de voyage grogna de manire indistincte. Il lui revenait lentement la mmoire par vagues successives. De tels vnements plusieurs fois dj lui taient arrivs, mais jamais il navait pu se les expliquer vritablement. La raction de son bras droit n'avait pas manqu de promptitude. La luminosit aurolant le corps du vagabond durant son dplacement s'tait vanouie, prsent l'esprit et les penses de Jean de la Lune taient redevenues nettes et pures. Si l'trange magie avait agi de nouveau, alors, tout prs d'ici Le mendiant entre les aboiements vifs et les criaillements des chimres, les grondements des dragons tincelants, les appels des soldats de safran reformant les rangs de Larme, dtailla avec attention les environs, aid en cela par Algol. O sommes-nous ? s'enquit finalement Algol, le souffleur de conque, au comble de l'tonnement.

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Ils se trouvaient en une profonde cavit de cristal, dote profusion de colonnes torses et tourmentes s'en allant bien haut soutenir une vote architecturale aux briques sombres, bleu nuit et blanche, alternativement. Si l'endroit tait grand, il n'en avait pas moins des limites, des parois translucides s'ornant d'ouvertures en ogives par lesquelles s'engouffrait un vent violent. Il y avait galement un lac de cristal bleu, auquel plus d'un, homme ou bte, alla s'abreuver, et le premier Jean de la Lune aux cheveux de bl mr se pencha par une ouverture, bravant les rafales jusqu' dcouvrir le vide, tout simplement. Bien loin au-dessous, un paysage color et dot d'un relief montueux s'tirait sans rpit, comme si l'endroit les transportant se dplaait vive allure. Il me semblait bien pourtant, lorsque se sont ouvertes les Portes Bleues sur notre passage, s'tonna Algol en adoptant une posture pensive, avoir distingu au loin les pourpres murailles de la capitale de Morphos, Amarante. Le Palais Cleste dans lequel vous tes se dplace perptuellement, c'est l sa fonction, et si effectivement il se trouvait dans le coeur d'Amarante voici peu encore, il ne l'est plus depuis quelques instants dj. Le Rveur s'exprimant ainsi sortait d'une maisonnette de verre dresse l, et dire le vrai, ralisa le mendiant, la maisonnette n'tait pas seule, tout un hameau s'y trouvait aussi, parpill dans un bosquet de frnes frissonnants. Mexpliquerez-vous votre prsence, et le pourquoi de votre intrusion dans le coeur de Morphos ? interrogea le Rveur. Il tait de haute taille comme tous les siens, faisant plus de deux mtres, et tait dot d'un teint de peau trs ple, presque diaphane, avec des traits tirs et de blancs tissus enrouls autour du corps. Nous sommes Larme, rpondit le premier Algol, car cette dernire avait reform ses rangs et tait vritablement impressionnante, range en ordre de bataille. Nous cherchons cinq petites franaises, et aussi mon aime, elle est belle comme le jour et noire comme la nuit, renchrit Jean de la Lune. Voil bien du monde derrire lequel vous marchez, estima le Rveur en refaisant machinalement les plis de son vtement drap. Mais la Valle Secrte est vide. Morphos, notre monarque de l'Empire du Sommeil, a convoqu celles que vous cherchez elles se trouvent bien ici en effet dans sa salle d'audience.

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Il leur dsigna un large escalier, dont les marches dores s'engouffraient travers une dclivit dans un porche bant de pierres argentes. Ah, j'oubliais, lana le Rveur impassible vers Jean de la Lune et Algol, ceux-ci allant prendre la direction de l'escalier d'or, il y a galement avec elles une multitude de chats. Larme prcde du palanquin de Jean de la Lune, du souffleur de conque Algol et du chien Tagor s'achemina en silence par le haut couloir, aux proportions vritablement impressionnantes : les chimres et les dragons, l'hypogriffe de commandement n'en touchait mme pas la vote. Le couloir tait empli de lumire en raison des ouvertures donnant sur le dehors, et les marches d'or les emmenrent dans une salle nantie de colonnes leves, avec de hautes croises d'ogives, sous lesquelles Larme ressemblait une colonne de fourmis. Mais des groupes de Rveurs se trouvaient en divers endroits, et ils scartrent deux avec crainte cause de linquitante dtermination se dgageant de ses soldats. Une clart toile tombait des cieux, observa le vagabond du royaume de France en levant la tte avec les siens : une rosace cristalline aux verres diaprs dcorait la place centrale, dgorgeant sur le sol des flots de vagues nacres et rubis, indigo, jaune d'or. Par-del le pur coeur de la rosace on distinguait les nues blanches s'tirant au-dessus d'eux, cela motivant la raction du seigneur de Larme. Nous sommes bien dans le Palais Cleste, perptuellement il surveille l'intgrit d'Oniria, lcha Jean de la Lune. Le Rveur de la Valle Secrte ne nous avait pas menti, ajouta le souffleur de conque. Sur ce Larme reprit sa marche en avant dans la demeure impriale de Morphos, et les colonnes de pierre et de marbre y taient des fts austres et millnaires, identiques une fort antique emplie de dangers. Bientt sur le carrelage de mosaque aux coloris crme et spia ils dpassrent une statue anglique, et, sur un parapet, ils observrent comment un pont enjambait un cours d'eau artificiel. Cette eau doit enjamber le lac de la Valle Secrte, gronda un homme-loup velu la voix gutturale en direction d'Ammu, leur guide primitif et sauvage. Celui-ci approuva dans un mutisme total, tant les environs o ils se trouvaient depuis leur arrive impressionnaient le natif d'Oniria. Sur ce, le mendiant, toujours pied, tait all vers le pont de pierre et l'avait franchi, avant d'tre imit par la suite de Larme. Ils arrivrent travers de vastes et larges couloirs sous des plafonds constitus de verrires

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immenses, et un groupe de Rveurs apeurs devant leur nombre apparemment jamais aucun Rveur n'avait cru possible lintrusion dun importun, voire dun tranger, travers leurs dfenses leur indiqua les quartiers de leur monarque, le seigneur d'Oniria et de l'Empire du Sommeil tout entier. De grandes portes de cristal sombre se dressrent devant eux, et des Rveurs en sentinelle leur interdirent de s'aventurer plus avant dans les quartiers de Morphos. Il se trouve en compagnie de petites filles trangres, et de deux femmes la peau noire, expliqua le garde. Il y a des chats galement, il doit s'entretenir avec chacun de choses trs importantes, termina son collgue, lui aussi arborait une cuirasse de mtal blanc et brillant, un heaume cisel et un bouclier argent, une javeline effile, de verre incarnat. Cela nous rjouit fort, nous sommes venus chercher de telles personnes, justement, dclara Algol, le souffleur de conque. Et comme les deux Rveurs posts en faction devant l'appartement royal ne faisaient toujours pas mine de s'carter, ni mme d'informer de leur prsence le monarque d'Oniria, Algol prit sa conque d'or deux mains et y souffla de toutes ses forces, faisant se rpercuter une clameur assourdissante dans les hauts couloirs et les salles du Palais Cleste. Pourquoi ce vacarme ? s'emporta un chambellan en faisant irruption derrire les portes de cristal sombre. Le Rveur vtu d'une toge bleu ciel enroule autour du corps avait des traits svres et des cheveux coups trs courts, si courts, on aurait pu croire son crne ras. Il fixa d'abord les deux gardes, les croyant responsables du raffut cre, puis Larme, cette dernire occupant en nombre la totalit du couloir d'accs. Il tressaillit lorsqu'il ralisa la prsence des vampires et des hommes-loups, des centaures farouches accompagns des chimres et des dragons, des soldats de safran et d'autres races encore. Puis ses yeux se posrent sur l'hyppogriffe de commandement avec Algol, et il finit par dcouvrir la conque d'or l'origine de tout ce remuemnage. Enfin Jean de la Lune s'avana, le chambellan paraissant se redresser devant un pril menaant. De Larme je suis le seigneur, nous avons fait un long chemin jusqu'ici, le Palais Cleste de Morphos, rvla le vagabond aux noirs habits et aux cheveux d'or. Nous voulons librer les cinq petites franaises, et les ramener dans leurs demeures. Le reste de Larme avait eu, du plus puissant homme-loup jusqu'au plus rou des vampires, mme Ammu, leur guide, une mine de farouche approbation. Cela parut impressionner le chambellan, et il recula.

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 Les dames noires nous voulons librer aussi, la captivit constitue une peine devant choir seulement de mchantes gens, en punition d'actes mauvais, et ce nest daucune faon le cas des dames noires ou mme des petites franaises. Nous savions la venue de Larme imminente, reconnut le chambellan d'une voix brise. Aussitt la nouvelle de son rveil puis de sa marche connue, pour nous les proches Rveurs de notre seigneur, votre arrive ne faisait plus de doutes. Il s'carta, et les portes de cristal sombre il ouvrit largement, car elles taient leves et dmesures. Entrez, entrez, les encouragea une voix altire depuis un point loign. Comme aux petites franaises et aux dames noires, puisque depuis ma place je vous ai entendu, l'explication de ce mystre et la comprhension de mes actes, jugs par certains insenss et fous, va vous tre rvle. Larme d'abord s'excuta, ou du moins essaya, car la salle d'accueil si elle tait large et vaste ne l'tait pas assez pour contenir les dragons, chimres, et autres montures de la troupe. Les chariots de l'intendance eux avaient t laisss dans la Valle Secrte, Algol le premier s'en rjouissant en riant. Le bestiaire fabuleux, fut-il dcid, en compagnie des vampires et des hommes-loups serait laiss dans le couloir central afin de ne pas effrayer les petites filles. Les soldats de safran, tout du moins une bonne partie, se virent accorder par Jean de la Lune le droit de les accompagner avec Algol et Ammu dans le lieu o Morphos tenait cette si importante runion. Entrez, entrez, rpta Morphos. l'image de tous les Rveurs il tait de haute stature, encore plus aurait-on dit que la majorit de ses sujets, dont certains taient prs de lui et formaient sa garde rapproche. Trs ple tait galement sa peau et contrairement son entourage, enroul dans des toges bleu ciel, la sienne tait d'une puret immacule. Son trne tait constitu de diverses matires prcieuses, dont des gemmes et de l'or, de la perle, certaines noires, et le haut dosseret sur lequel s'appuyait le monarque tait surmont d'un panache de plumes prcieuses, provenant probablement de quelque rare et mythique oiseau d'Oniria. Sur des siges se tenaient sagement les cinq petites franaises, la princesse Grace, Coralie, Margot, Mlanie et Sandra, la vision de la dernire petite fille faisant dcrire au cur de Jean de la Lune des bonds joyeux. Tagor, le chien noir, se mit aboyer galement et le mendiant se rpandit en paroles confuses envers les petites filles, les serrant contre lui les unes

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aprs les autres. Au surplus les chats de l'Arkaal en ribambelle innombrable sautrent sur lui en guise d'accueil, crant dans la salle une grande confusion. Mais le monarque d'Oniria, Morphos, avec une expression nigmatique aux lvres, ne parut pas s'en mouvoir outre mesure. Et croyez-le bien, petites filles, le chemin accompli jusqu' vous a t des plus prilleux, assurment, babillait Jean de la Lune au comble de la joie, mais au long de ma route des amis m'ont aid vous rejoindre pour vous faire repartir chez vous. Jai t mandat, avec d'autres compagnons, par le puissant Charlemagne lui-mme, et Repartirons-nous bientt la maison, monsieur ? lui demandrent les petites franaises avec espoir. Nous en avons assez ! Je vous comprends, leur assura le vagabond en adoptant une expression contrite, et je ferai de mon mieux Tagor son chien frtillant ses pieds, une poigne de chats joueurs perchs en divers points de son corps, son regard venait de se poser sur les deux Amazoons : elles avaient tenu compagnie dans la Valle Secrte aux cinq petites franaises, avec les chats de l'Arkaal. De Morgane, aprs lavoir poliment salu, son regard tait tomb sur Andromde, la belle et noire Amazoon d'dennia. Evzoon, mon bel Evzoon aux cheveux d'or, il ne nous faudra plus jamais tre spar, lcha-t-elle sereinement. Cela me semble une sage dcision, acquiesa maladroitement le mendiant, mme sil lui avait plus d'une fois avou ses sentiments. Andromde se rapprocha le toucher de Jean de la Lune, et Tagor le chien du vagabond la regarda avec tonnement, tournant sa tte canine demi comme s'il ne comprenait pas les vnements. Jean de la Lune, je te demande de m'pouser, reprit Andromde d'une voix infime, ce dernier manquant bien ne pas l'entendre. Le mendiant du royaume de France se montra d'abord surpris par la proposition faite, non pas par sa nature, mais bien plutt en raison de linversion des rles. Il ne s'en formalisa pas davantage, toutefois, car ainsi devaient tre les coutumes Amazoon, se dit-il, et Andromde tant l'une d'elles, il lui fallait se conformer aux traditions d'dennia et de toutes les Amazoons. Aprs tout, pourquoi pas ? lui sourit-il en prenant ses mains de tide bne. Cest seulement une demi-rponse, poursuivit Andromde en rajustant son chle sombre et prcieux, ses yeux tirs en une mince fente, mais je m'en contenterai, pour l'instant

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 Si je vous ai fait mander depuis la Valle Secrte, moi, Morphos d'Oniria, avait enchan le monarque suprme des Rveurs, c'est parce que le moment est venu. Je vais vous rvler le pourquoi de la prsence de ces cinq petites filles ainsi que de la vtre parmi nous, mesdames les Amazoons. Le groupe de Rveurs la toge bleute avait approuv de la tte aux paroles de Morphos, et ce dernier en discutant voix haute vers le groupe, dans lequel taient les membres de Larme, avec Jean de la Lune, regardait distraitement par les ouvertures alambiques de la salle d'accueil, d'o l'on distinguait les nues blanches et rapides du ciel de l'Empire du Sommeil. Sans doute vous tes-vous demand pourquoi j'ai agi ainsi par l'entremise des Cavaliers, les anciens vassaux de Lilith, jusqu leur adoubement sous ma bannire. Aussitt les deux Amazoons avaient frmi, mais Morphos d'Oniria fit comme si leur raction lui tait indiffrente, ou, pour mieux dire, invisible. Voyez-vous, mme si cela ne vous est pas apparu clairement encore, Oniria, l'Empire du Sommeil, mon royaume se meurt, continua d'une voix gale le monarque Rveur, la pleur d'albtre. Il se meurt ? interrogea Jean de la Lune, et le souffleur de conque Algol tait tout aussi surpris. Il se meurt, appuya de nouveau le Rveur sur ce terme. Notre fcondit est au plus bas, depuis bien longtemps, des enfants ne sont plus ns dans notre royaume. ces mots le mendiant tiqua, il lui semblait bien avoir dj entendu cette remarque, de la bouche mme d'une habitante ge de l'empire d'Oniria. Nous avons besoin de rves nouveaux, de fracheur et d'innocence dans les songes envoys nos frres humains, expliqua Morphos. Car nos rves ont perdu de ce renouvellement incessant faisant leur charme et leur puissance. Comprenez-moi, humains, les Rveurs, parfois, s'assoupissent puis se rveillent bien des ons aprs, dans Oniria, mais leurs Songes sont toujours les mmes, et cela donne souvent aux rveurs terrestres, durant leur sommeil, l'impression dtestable de tourner en rond. En raison de cela, nous avons ravi ces petites filles, dclara-t-il en les dsignant du doigt. Pourquoi elles ? s'exclama Andromde l'Amazoon en se souvenant dans quelles circonstances elles avaient t enleves.

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 Elles nous taient plus facilement accessibles pour leurs qualits mmes, articula Morphos avec une expression de grande sincrit sur les traits. De plus, elles avaient t soigneusement slectionnes par les missaires des Amazoons d'dennia, et c'tait pour nous un gage de srieux et de russite. Leurs rves ne pourraient pas manquer de qualit ni d'originalit ! Oui, affirma Morphos, nous, les Rveurs d'Oniria, de l'Empire du Sommeil, nous avons besoin des Amazoons, des terriens, de tous ceux pouvant nous aider rver mieux et davantage, peut-tre mme avoir de nouveau des enfants, nous aussi Il y eut un instant de silence, chacun dans l'assistance tant bien conscient de la solennit du moment. Voil pourquoi nous avons enlev les petites franaises, et aussi les deux Amazoons, elles deviendront, je n'en doute pas, d'excellentes Rveuses. Voil aussi pourquoi il nous faudra encore bien d'autres enfants de par les mondes, et d'autres adultes non-Rveurs aussi Le groupe de conseillers la toge d'indigo et la haute taille avait opin de nouveau en silence avec une mine renfrogne, Algol et Jean de la Lune, simultanment, laissant clater leur colre. Quoi ! Les chats, maintenant au courant des tenants et aboutissants de cette incroyable affaire, n'taient pas les moins vindicatifs. Cela ne doit pas se faire, en aucune manire ! se rcria le sergentchef Arzur, le plus grad des chats de l'Arkaal. Le Chamagnon Tigr notre monarque n'y consentirait jamais, et Non plus le grand roi de France, Charlemagne, argua son tour le vagabond, il nous envoya jusqu' vous chercher ces petites filles, et nen dmordra pas de sitt. Allons, pourquoi tes-vous donc aussi naf ? leur demanda Morphos en secouant ngativement la tte, comme si la raction de ses " invits " le navrait irrmdiablement. Il est bien d'autres mondes par les univers que l'Ultra-Terre de l'Arkaal, ou bien celle d'o tu proviens, vagabond ! lui lana le monarque de l'Empire du Sommeil. Nous aurons l'embarras du choix, et la raction des seigneurs de l'endroit ne nous effraie pas outre mesure. Les Honnies de Lilith sont sur notre territoire des Rves, mais nous organiserons notre dfense et nous les repousserons. Pourtant leur cause est juste, assura Morgane d'un air de dfi en direction de Morphos, sur son trne. Elles veulent nous rcuprer, nous, leurs soeurs, poursuivit Andromde en adoptant une expression svre, et galement les cinq petites franaises retires leurs bras.

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 Disons plutt, elles veulent vous dlivrer, prcisa le monarque avec un fin sourire, et les petites filles captures au royaume de France, eh bien elles veulent les retrouver aussi. N'est-ce pas ? La vrit, mme cruelle, est bien celle-ci. Chacun avait adopt un silence mditatif, les faits taient effectivement ceux dpeints par Morphos, et tous observaient avec tristesse les cinq petites franaises dont nul jusqu' prsent n'avait sond le coeur ou l'me afin d'y percevoir le dsir secret. Le premier, Jean de la Lune rompit le silence insidieusement install. Moi, je sais leur volont, et celle de leurs parents, s'cria le mendiant du royaume de France, et cette occasion ses cheveux longs et dors volrent autour de lui en formant une couronne scintillante. Ils veulent voir leurs enfants chris leur revenir, puis grandir dans les maisons les ayant vus natre. Vous tous, ici, vous pensez seulement vous, leur reprocha-til en faisant de grands gestes des bras, et chacun le fixait avec respect, mme parmi les Rveurs, et vous tenez compte uniquement de vos intrts. Mais personne ne se soucie des petites franaises, et de leur bonheur. Vous vous comportez comme si cela n'tait pas important. Laissezles donc parler, ces enfants, au lieu de toujours vous exprimer leur place. Le mendiant se retourna vers les petites filles, ces dernires se regardant ds lors les unes les autres avec une tristesse non dissimule. Nous voulons rentrer chez nous, lchrent-elles d'une mme voix. Il n'en est pas question ! gronda Morphos en adoptant une expression colrique. C'est pour l'Empire du Sommeil une question de vie ou de mort, je vous l'ai dj dit, et O est la Reine ? s'enquit sur ses entrefaites une voix immatrielle, provenant dun mur proche. Je suis l'poux. Chacun se retourna dans la direction en question et y mieux regarder, tous dcouvrirent une grande silhouette franchissant lentement la paroi, l'image d'un passe-muraille. Des toiles brillantes et glaces tournoyaient au-dessus de sa tte telle une vivante couronne, et l'inconnu acheva de se dgager en avanant vers Jean de la Lune. Lun, nona-t-il clairement, sans prendre garde aux regards abasourdis de l'assemble. Lune, dit-il encore en montrant cette fois-ci la belle Andromde. Puis il rpta : O est la Reine ? Je suis l'poux.

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Morphos au comble de l'tonnement resta muet, mais alors une voix mergea son tour de l'immatriel, avant de rsonner aux oreilles de tous. Voici la Reine, je suis l'pouse. Une identique silhouette, vaporeuse et scintillante comme un fantme moir, mais d'apparence nettement fminine, avec une couronne toile flottant au-dessus de sa tte, elle aussi, s'tait avance vers le nouveau venu aprs avoir franchi la paroi. Elle avait dsign Andromde de son fin index. Lune. Que signifie ? s'emporta tout d'abord Morphos sur son trne, et ses traits ples et tirs rosirent brivement sous l'effet de la colre. Sire, sire, cria depuis la grande porte d'entre, encombre par la prsence imposante du reste de Larme, un Rveur au service du matre d'Oniria. Le Tombeau de la Reine a vu merger de la pierre une silhouette indistincte, elle s'est volatilise travers les murs de verre, nous ignorons o elle peut tre en cet instant. Vous tes la reine d'Oniria, ralisa Morphos avec de grands yeux en fixant ltre ayant proclam son identit de Reine, et d'pouse. La Tombe des Rves tait votre demeure, votre Dormition a donc pris fin. Il quitta son sige royal et se jeta aux pieds de l'apparition lumineuse. Joccupais le trne en votre absence et maintenant il vous revient, belle dame, reprenez votre place avec les rnes de l'Empire du Sommeil, puisque le temps des Mauvais Rves est termin. Je consens votre souhait, rpondit celle-ci avec malice. Elle avait retrouv sa place lgitime sur le sige, et le reste des Rveurs, dont Morphos n'tait pas le dernier, poussa de vives clameurs. D'autres Rveurs arrivaient prsent de partout dans le Palais Cleste, continuant toujours fendre les airs d'Oniria, et les cris d'allgresse ne semblaient pas vouloir prendre fin. L'poux, celui ayant le premier affirm tre le Roi, avait pris place ct du trne de la Reine. Il tait assis benotement sur un accoudoir prcieux. Mais depuis mon rveil j'ai entendu tes paroles, Morphos, reprit la Reine, et mme si je ne sous-estime pas le pril menaant Oniria, je n'en tire pas les mmes conclusions. Morphos avait piteusement abaiss la tte, et plusieurs des Rveurs prs de lui avaient mis la main sur son paule en signe d'amiti. Notre royaume ne pourra pas crotre et prosprer en y faisant seulement venir des veills, enchana la nouvelle Reine de l'Empire du

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Sommeil, car s'ils y sont tristes, loin des leurs, comment pourraient-ils produire de beaux et heureux Songes ? Mais nos Rveurs produisent toujours les mmes Rves, expliqua Morphos pour dfendre son ancienne conviction. Bien videmment, parce qu'ils n'voluent pas ! dclara la reine d'Oniria, et son poux ses cts paraissait visiblement goter les paroles de sa moiti. Mais si au lieu de s'endormir et de se rveiller au sein de l'Empire du Sommeil, ils s'assoupissaient dans Oniria et se rveillaient au cur des mondes humains ? Un silence pais et lourd avait travers les rangs des Rveurs. Alors ils gagneraient en force et puissance aux cts des hommes de la Terre, ou d'ailleurs, lorsqu'ils s'endormiraient de nouveau ils reviendraient vers Oniria, enrichis de leur nouveau savoir. De plus, un Rveur reste toujours un Rveur, dans leur existence mortelle ils feront part de leurs Rves leurs frres d'humanit, ils seront pote ou musicien, vagabond ou gentil garon, et sur les deux tableaux, Oniria sortira renforc. Avez-vous compris ? Les Rveurs ne cessaient de s'observer avec une mine crispe, ne sachant trop comment ragir une telle nouveaut. Pour toutes ces raisons, jestime la prsence des petites franaises et des Amazoons dans notre empire onirique inutile. Il y eut une explosion de joie, et pour la premire fois les clameurs de Larme et les miaulements du bataillon des chats se mlrent ceux des Rveurs, soulags par l'heureuse issue des vnements. Pourtant une ombre immense s'tendait sur le Palais Cleste, et faisait natre dans le btiment enchant une pnombre pesante. Chacun se prcipita aux fentres, et la premire Andromde l'Amazoon pointa le doigt vers les masses flottantes au nombre de deux, volant dans les hauteurs. Ce sont les Asmodens, rvla l'Amazoon en fixant les cratures dmesures, l'une couleur incarnat et l'autre d'une blancheur liliale. Les Asmodens taient plats et immenses et leurs extrmits ne cessaient d'onduler, sur leur face suprieure et infrieure les transformations et les changements taient perptuels. Chacun arborait des yeux d'or l'clat ple sur le centre de leur ventre, et Jean de la Lune comme les Amazoons virent des cratures ailes, les Phonmes, se dtacher de leur ventre pour venir jusqu' eux. Au loin, trs loin la surface d'Oniria, les Honnies sur des Anuskas, cratures disproportionnes bien connues par le vagabond, s'acheminaient vers le point o les Veuves Noires, les Ensanglantes et les Dames Sombres comptaient faire atterrir videmment contre sa volont le Palais Cleste. Il y avait galement

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des Malammuds aux cornes recourbes et la toison laineuse, des Urauros aux yeux saillants, des Byphides aux larges ailes Tout ce beau monde tait porteur d'un nombre impressionnant d'Honnies, chacune arme de pieds en cap pour la bataille finale. Klak-klak, hoqueta le premier Phonme se poser sur la fentre de la grande salle d'accueil. C'tait un homme-oiseau puissant et muscl, de la blancheur de la neige en hiver, avec des ailes brillantes identiques celles des libellules, dans leur consistance tout au moins. Il portait un pagne autour des reins et arborait sur son visage humain un bec, lagitant de nouveau. Klak-klak, rpta-t-il. Dites votre matresse Lilith notre respect et notre amour, nona clairement la Reine sur le trne d'Oniria. Ses filles Amazoons vont tre libres immdiatement, et les petites franaises aussi. Le peuple d'Oniria n'emmnera plus jamais de force chez lui personne, mais dornavant les Rveurs s'en iront natre chez les Evzoons et les Amazoons. Mes paroles sont sacres, il n'y aura plus jamais de retour en arrire. J'ai dit. Aprs ces fires paroles le Phonme, d'abord interloqu, secoua la tte puis s'envola de nouveau vers les hauteurs, vers l'Asmoden dont il tait une manation extrieure. Chacun se mit observer aux fentres comment les Honnies sur leurs montures normes avaient arrt leurs prparatifs guerriers, puis une luminosit faible et douce, dans leur dos, attira leur attention. Il venait d'merger dans la salle, dcidment de plus en plus encombre, une jeune femme vtue d'une combinaison noire et moulante, un petit chat caramel et blanc, accompagn dun livre bruntre aux longues oreilles, puis un oeuf, un gros oeuf nanti de bras et de jambes, avec sur son corps ovode une mine ahurie. Il ne cessait de cligner des yeux en fixant les environs. Le premier, le sergent-chef Arzur donna de la voix en reconnaissant l'un d'entre eux. Nudd ! miaula-t-il. Sac papier ! Au rapport !

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Chapitre

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Aussi l'instant est solennel, avertit le magicien de la Ligue, Iolo le Tnbreux, l'adresse de ses amis se tenant derrire-lui avec circonspection. Nous sommes aux frontires du continent inconnu, Magoria, et nous allons devoir lexplorer de part en part jusqu' trouver le chemin du retour et de l'veil. Les petites franaises, lorsque le reste des ambassadeurs de la Terre aura pu les dlivrer, pourront sans encombre emprunter ce chemin et retourner chez elles, dans leur doux pays, approuva de la tte le chat-cerise Balbillus, la fourrure carmin et aux yeux profonds, d'or pur. Nous avions bien compris cela et n'avons pas besoin, en vrit, de nous l'entendre rpter encore, dclara Gnsio le Triptolme, l'un des deux Hros des Temps Anciens, avec Aquilon le Myrionime. Seulement votre nef de glace nous inquite, lana son tour le Rveur Pharius, en se frottant pensivement le menton tout en dtaillant de la proue jusqu' l'tambot la barque apporte par les Bonhommes de Givre, trs civilement d'ailleurs. Un bateau avait t taill en une glace dure et bleue par les nouveaux compagnons du Bonhomme de Givre, et lembarcation flottait maintenant sur l'onde d'une rivire large et calme, encombre de glaons et de blocs de glace comme s'ils se trouvaient en une priode de fonte. grands coups de hache, la coque avait t dcoupe, et l'intrieur vid avec de larges couteaux, mme une voile carre et diaphane tait fige sur son mt. La chaleur venant, la voile en premier disparatra, reprit le premier des Bonhommes de Givre les avoir guids jusque-l. Mais le courant continuera vous porter, et lorsque la chaleur sera devenue trop forte, car elle va en augmentant vers l'intrieur de Magoria Nous nous noierons, grina perfidement le noble Roland, en continuant fixer avec suspicion la masse scintillante sous le soleil bas et blanc.

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 Mais voyons, Roland, lui reprocha Iolo le Tnbreux, nous serons descendus terre depuis longtemps quand cela surviendra. Ou bien nous nous serons envols. Le temps presse, miaula Balbillus, le chat-cerise, en regardant la position du soleil blanc sur son orbe. Nous avons un pays dcouvrir. Et un continent explorer, renchrit Aquilon le Myrionime en se dirigeant le premier vers le navire de glace, montant son bord jusqu' se trouver face ses compagnons. Finalement, bon gr mal gr chacun l'imita, mme les grues noires au toupet d'or, et la troupe se massa devant la grande voile clatante de blancheur et de luminosit. Les maisons bties dans la neige s'levaient en monticules rguliers le long de la rive, et des montagnes scintillantes s'tiraient dans les hauteurs, au loin. La grande rivire ou faudrait-il plutt dire le fleuve ? droulait des boucles en mandres bleuts jusqu' l'horizon, et Iolo le Tnbreux, sur le point de donner le signal du dpart, regarda comment une dizaine de Bonhommes de Givre se tenait sur le quai, l'un d'eux plus particulirement en avant. C'tait celui leur ayant fait dcouvrir Magoria, et le mage, se remmorant son aide, lui renouvela, au nom des siens, ses remerciements. Ce n'est rien, vraiment, se dfendit le Bonhomme de Givre, moi aussi vous m'avez aid, en me faisant retrouver les miens. Notre aide aura donc t mutuelle. Allez votre route, allez votre chemin, leur assura-til tandis que les amarres ayant t brises par des habitants de la cit, la nef des voyageurs s'loignait insensiblement. Et souvenez-vous jamais combien les Bonhommes de Givre, mme s'ils sont mconnus, sont des gens de bien. Nous n'y manquerons pas, et en parlerons autour de nous ! lui affirma Iolo le Tnbreux, le navire de glace pouss par un vent lger se laissant porter par le flot. Au revoir, au revoir ! Sur la rive les Bonhommes de Givre leur faisaient de grands signes, et sur les joues de leur guide scintillaient des larmes de tristesse. Ensuite le vent forcit et le bateau les emporta au loin. Les plaines blanches s'tirrent, puis vitant l'aide de grands coups de barre administrs par Roland les blocs charris par le flot, ils ctoyrent des landes immacules balayes par un vent froid. Sur le navire, chacun s'tait mis l'abri comme il le pouvait, certains en se plaant derrire le mt, devant une cabine rudimentaire, dautres en relevant le col de leur veste. De tous, Balbillus le chat-cerise tait le plus mal loti, avec les grues noires, naturellement.

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 Pourvu que nous ne tardions plus gure rejoindre des contres tempres ! miaula le chat-cerise la fourrure rubis. Les Bonhommes de Givre nous l'ont fait comprendre, et je leur souhaite de tout coeur ne pas stre tromps ! Ragis, Balbillus, s'exclama l'envoy de la Ligue, dont les noirs atours taient constells de flocons de neige, lgers et volatils. Savoure plutt cette aventure, nous explorons un pays inconnu, pour le plus grand bien des petites franaises. La totalit de nos objectifs n'a pas t remplie, ajouta le chat-cerise voix basse vers le mage. C'est vrai, reconnut ce dernier, mais la Dame des Rves m'a fait comprendre limportance du bonheur des petites filles, au-dessus de tout le reste, et mon coeur est dans la joie : nous sommes bien prs d'obtenir leur dlivrance. Sur ce les deux Hros des Temps Anciens avaient pouss des exclamations de surprise devant la montagne sombre recouverte presque totalement de neige, seul apparaissant par intermittence la pente granitique du massif, et ds lors une masse tnbreuse se tint leurs cts, car la rivire s'insinuait entre les deux masses neigeuses. Un grand silence s'tait abattu sur les lieux. On entendait uniquement le cliquetis irrgulier des blocs de glace charris par le courant, frappant de temps autre les rcifs vits avec adresse par le noble Roland, toujours aux commandes du gouvernail. Des rocs humides jaillissaient de l'onde, pareils d'inquitantes sentinelles, et chacun sur le navire ressentit avec une vigueur particulire l'impression de se trouver au bord du monde, ou mme de l'univers. La rivire grise faisait des tours et des contours sans abandonner son lent dbit, s'enfonant toujours plus vers le coeur inconnu de Magoria. Un arc de pierre recouvert d'une enveloppe nacre et dot de pitons scintillants se prsenta eux, le navire s'enfonant sous son arche puis s'aventurant dans une large tendue d'eau, forme par la rivire avant de repartir au loin. Une grve de galets couverte par endroits de neige s'offrit aux regards, de hautes murailles rocheuses montant vers les cimes. la barre, Roland, le neveu princier de Charlemagne, fit le geste de rejoindre la rive, prs des grues noires rendues nerveuses par un proche accostage, mais Iolo le Tnbreux, l'envoy de la Ligue des Magiciens de la Terre, len dissuada. Il est trop tt encore, nous n'avons plus de temps perdre dsormais. Par la voie des airs le chemin est bien plus rapide, mais nous nous privons ainsi de prcieux renseignements de la part des autochtones.

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Pour l'instant, usons de ce commode navire de glace, cela nous changera agrablement et nous conomiserons les forces de nos grues noires. Ayant dit cela il advint nouveau de hautes murailles, elles les encerclrent puis lentement les montagnes s'amenuisrent jusqu' disparatre, les abandonnant au milieu de vastes plaines. Elles taient encore recouvertes de neige mais possdaient des arbres et des massifs de verdure, car la chaleur du soleil blanc allait en prenant des forces, augmentant graduellement. Les voiles fines et translucides, les premires, avaient commenc goutter, ce dont s'avisa le chat-cerise Balbillus, mais l'attention de chacun avait t attire par un tout autre vnement. Sur la rive du fleuve bleu maintenant il ne charriait plus aucun glaon, fors leur navire des champs s'tendaient sans fin, et en dpit de la neige d'tranges serviteurs en faisaient la rcolte comme si de rien n'tait. Roland, et les deux Hros des Temps Anciens, mme Pharius, le Rveur, n'en revenaient pas. Ces serviteurs obissent probablement au matre de cette demeure observe au loin, dclara le Rveur la haute et maigre silhouette. Disant cela il avait dsign de l'index une grande btisse situe l'extrmit du champ moissonn par des tres hves et ples, vtus de haillons et paraissant rduits la plus grande indigence. Ce ne doit pas tre un bon matre, vu l'tat dans lequel se trouvent ses serviteurs, renchrirent les deux Hros des Temps Anciens. Mais le noble Roland cette fois-ci avait lch le gouvernail pour de bon, et fait se rapprocher de la rive leur bateau de glace, ce dernier raclant sourdement le fond. Les grues noires au toupet d'or s'taient loignes de la nef en volant, comme si leur longue inactivit stait faite insupportable. Pestant et rlant, Iolo le Tnbreux accepta de voir une courte pause permettre chacun de se dgourdir les jambes, puisque la majorit de l'quipage semblait tre de cet avis. Mme le chat-cerise Balbillus opinait favorablement, ralisa l'envoy de la Ligue. Peut-tre nous sera-t-il possible alors de nous informer sur la gographie de Magoria, et les limites de ce pays inconnu, lcha-t-il mivoix. Mais dj les grues s'taient mises voler en cercle dans le ciel clair, au-dessus de la demeure seigneuriale aux murs gris et aux tourelles de tourmaline, avec des tuiles rondes de jade blanc, et le Rveur Pharius, les deux Hros des Temps Anciens avaient mis pied terre. Iolo le Tnbreux s'tait tourn vers les moissonneurs revtus de nippes, continuant toujours sactiver dans les champs de neige, puis de nouveau il avait fix la maison vers laquelle ses compagnons marchaient sans faiblir.

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 Sans doute leur seigneur pourra-t-il nous venir en aide, miaula son chat-cerise, aprs avoir surpris le regard songeur de l'envoy de la Ligue. Allons, venez, pourquoi attendez-vous ? demanda vers les deux amis le noble Roland, sur le pas de la porte il rpondait dj avec entrain au matre de maison. Non sans jeter un dernier regard vers leur navire de glace, immobilis dans une petite anse, Iolo marcha grandes enjambes vers la demeure et s'y trouva face un singulier personnage, dot dune barbe noire et dyeux rieurs, de grosses mains et habill dune robe borde d'hermine en raison du froid. Dj, le neveu princier lui avait fait part de leur mission d'exploration et de leur objectif final, vitant ainsi l'envoy de la Ligue des Magiciens de la Terre de se prsenter. L'homme sur le pas de la porte les invita rentrer, et ce faisant il avait remis en place une toque conique sur sa tte, recouvrant demi une paisse tignasse de cheveux noirs et boucls, mls de cheveux argents. Par de vastes couloirs lambrisss de bois l'inconnu les mena sa salle de rception, il y avait dans l'tre de pierre un bon feu, et des banquettes rembourres sur lesquelles chacun s'assit avec un bonheur vident. Sous le plafond bas en solives de bois, Iolo le Tnbreux le premier ne tarda pas s'mouvoir du triste sort rserv aux serviteurs de leur hte, dans les champs. Aussitt, ce dernier partit d'un clat de rire vibrant, sa voix puissante se rpercutant dans la salle et jusque dans les couloirs proches. Et il expliqua leur avoir confr une silhouette humaine uniquement pour leur faciliter la tche, de cette manire il leur tait plus facile de se nourrir des graines enfouies dans le sol gel. Du reste, ils n'taient d'aucune faon ses serviteurs, puisquil vivait seul en ermite, dans sa grande maison, et s'en trouvait bien. Mais spargnant de longs discours il prfra les amener vers une fentre proche, et louvrit pour eux afin de les laisser observer la vrit. Effectivement comme lavait affirm le barbu jovial et ventripotent ceux qu'ils avaient pris pour des humains portaient leur bouche les graines glaces retires du sol, et s'envolaient dans les airs aprs stre rassasis, recouvrant instantanment leur corps de corneilles, corbeau ou de tout autres oiseaux. J'ai un grand amour pour la gent aile, et ainsi je lui permets de supporter au mieux l'hiver rude de notre pays, expliqua le magicien. Du reste, ils pourraient se nourrir ainsi longtemps, s'ils pouvaient supporter de conserver l'enveloppe magique et humaine confre par mes soins. Mais notre sort ne leur parat pas enviable, ils lui prfrent de beaucoup leur libert arienne

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La voix de leur hte s'tait acheve dans un souffle. Cela dit, j'approuve votre recherche, votre dtermination vous fait honneur, reprit-il. Vous agissez dignement, et noblement. Nous cherchons l'extrmit ultime de Magoria, elle est sense toucher l'univers de l'veil, et donc au monde des cinq petites franaises. Il vous faut alors aller vers le soleil couchant, toujours et sans faiblir, puisqu'il parait, selon les dires de certains oiseaux Vous connaissez le langage des oiseaux ? s'enquit de manire impromptue le Rveur Pharius, aprs stre rchauff au feu de la chemine il tait comme revenu la vie, et pntr d'une ardeur nouvelle. Absolument, assura le mage en remettant en place une nouvelle fois sa coiffe conique. Ainsi, vous tes un mage, vous aussi, dit-il vers Iolo le Tnbreux. Tout fait, de la Ligue des Magiciens de la Terre, pour tre prcis. Comment avez-vous appel ce pays ? interrogea encore leur hte. Magoria, rpta Iolo. Je l'ignorais, rpondit le magicien bedonnant avec de grands yeux. Cela n'a rien d'tonnant, poursuivit l'envoy de la Ligue, ce continent est inexplor et inconnu des hommes, la Dame des Rves nous a rvls son existence et chargs de le traverser de part en part. Combien votre voyage me fait envie ! expliqua le magicien la robe bleu ciel de symboles et de motifs constells. Moi aussi, j'aimerais pouvoir explorer Magoria, dites-vous ? et voir de nouveaux horizons. Pourquoi ne venez-vous pas avec nous ? lui proposa alors vivement le noble Roland, tout en chauffant son corps la chemine ronflante, elle crachait des tincelles tourbillonnantes dans le conduit obscur montant vers le toit. Nous manquons d'un guide dans cette contre, et le nombre permet d'affronter au mieux les obstacles. Iolo, investi par les siens d'un rle de commandement, prit le temps de rflchir avant de raliser aprs tout que Roland n'avait pas tort. Leur hte paraissait connatre les lieux de long en large, et son rudition pouvait les aiguiller vers l'issue favorable. Il accepta donc de voir le magicien se joindre eux, et il fit bien, comme les vnements n'allaient pas tarder le lui prouver. Lorsqu'ils repartirent vers leur navire de glace, ayant augment leur rang d'un nouveau membre, magicien de surcrot, ils dcouvrirent avec surprise la totale dconfiture de leur vaisseau de glace. Nous avons trop tard repartir ! se lamenta le chat-cerise Balbillus. Cela ne se rvla pas cependant trop handicapant pour eux, les grues noires ayant profit au mieux de leur priode de repos. Lhomme se nommait Bliel et il se dota d'une monture aile, un grand cygne blanc

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en l'occurrence. Car ses accointances avec la gent arienne taient grandes, en effet, et son attitude le leur confirma amplement. Un nuage d'innombrables oiseaux se mit les suivre, et bientt l'un des Hros des Temps Anciens, Aquilon le Myrionime, demanda au magicien s'il ne lui tait pas trop pnible d'abandonner de cette manire sa demeure. Au contraire, elle me suit comme un chien fidle, leur rvla-t-il, et ce magiquement, puisque je lai cr ainsi. Iolo le Tnbreux avait machinalement tourn la tte en arrire, avant de fixer nouveau le mage bedonnant. La maison de leur hte les suivait travers les cieux, laissant sur le sol une ombre rapide. Hlas, nous ne pouvons pas nous transporter travers elle commodment, elle n'aurait alors plus de raison de se mouvoir. Quel que soit l'endroit o vous vous trouvez, votre maison vous y rejoindra, comprit Iolo le Tnbreux. Exactement, convint ce dernier. Durant ce bref dialogue, les grues au toupet d'or et le cygne blanc avaient travers sans faiblir de grandes tendues de terre, le Rveur Pharius, dont la pleur tait la plus grande, remarquant le premier laugmentation sensible de la temprature. Le soleil, de blanc, devenait dor. La neige commenait se faire rare, laissant apparatre des oasis de verdure en dimensions toujours plus grandes, puis elles finirent par devenir omniprsentes et le relief acquit une verdeur affirme. Des arbres noirs apparurent, en quantit, et de vastes forts s'tirrent sous la troupe arienne. Dans l'air sifflant, Balbillus le chat-cerise plissa le museau, faisant remarquer l'envoy de la Ligue combien la temprature lui convenait davantage. Enfin de vastes murailles de pierres se dressrent au loin, et ne sachant trop si elles taient de construction humaine ou bien artificielle Roland le neveu princier la dsigna au magicien de Magoria, ce dernier haussant les paules d'tonnement. Apparemment, cette portion de son pays lui tait inconnue, et il tait dubitatif. Toutefois il appela de la main un des innombrables oiseaux voltigeant perptuellement autour de lui, et celuici s'en alla au-devant tire d'ailes avant de revenir, au bout de longues minutes. Cette muraille est le fait d'un peuple vivant dans des constructions mgalithiques, affirma le mage aprs de rapides ppiements de l'oiseau, un geai, en l'occurrence, et ces gens occupent une grande partie de territoire, ils semblent tre un peuple cruel car ils prisent beaucoup les oiseaux chanteurs, les enfermant dans des cages pour mieux les entendre chanter. Les oiseaux ne les aiment gure, cause de cela.

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La petite troupe avait franchi la muraille aux crneaux dmesurs, et des guetteurs longilignes la peau cuivre, orns de coiffes de plumes, avaient mis leurs mains en visire au-dessus de leurs yeux afin de les distinguer plus aisment. Il s'talait prsent sous eux des maisons carres en pierres blanches, avec des toits en terrasse, et des chemins sinueux constitus de pierres plates et brillantes, rflchissant le soleil sous le ciel gristre. Il se trouvait une herbe plate et rase entre les demeures, et des palmiers opulents ponctuaient l'endroit de temps autre. Des pyramides pointues s'y dressaient galement, entre des canaux artificiels apportant l'eau la cit. Le premier, Iolo le Tnbreux s'interrogea sur la marche suivre convenant le mieux leurs affaires. Mais il monta vers eux un autochtone sur une plaque de cuivre brillant, et il se tenait avec droiture et rigueur en se rapprochant dans le vide, en dpit de son grand ge. trangers, aboya-t-il brusquement, le peuple de Rooth n'apprcie pas les personnes nes dans dautres communauts, elles ignorent les coutumes de nos terres et ne se soucient pas de les respecter. Au contraire, tenta de l'apaiser le mage de la Ligue en haussant la voix, afin de pouvoir tre entendu en dpit de la distance. Nous sommes des voyageurs, lui rpondit le chat-cerise, nous avons toujours le plus grand respect pour les traditions anciennes. J'en suis le garant, articula vivement l'enchanteur Bliel, entour de sa nue d'oiseaux. Et moi ! reprit le Rveur Pharius. Et moi ! Et moi ! ajoutrent en choeur les deux Hros des Temps Anciens, dans les cieux de Magoria, cet instant singulirement encombrs. Le peuple de Rooth ne croit pas aux trangers menteurs, avides et mprisants, poursuivit le dlgu de la cit d'une voix gale. Il avait des yeux enfoncs dans ses orbites et un crne chauve, parcouru sur les tempes de veines bleutres. Ses mains taient nerveuses, agites de tremblements. Vous avez eu de mauvaises rencontres jusqu' prsent, lcha Iolo le Tnbreux sans se rendre compte que si tel avait t le cas, Magoria ne serait pas rest un continent inexplor et ignor de tous. Mais nous sommes des gens attachs aux valeurs morales, nous poursuivons un noble dessein. La place des trangers n'est pas ici, mais bien aux confins de Rooth, o se trouvent reclus les audacieux et impertinents trangers comme vous, assna le vieil homme.

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Grands devaient tre ses pouvoirs, car une nuit glace sabattit sur eux, et durant quelques instants leurs grues noires et le cygne de Bliel battirent des ailes dans l'inconnu avant le reflux de lobscurit. Il apparut un paysage nouveau, diffrent de celui aperu sur la cit frontire de Rooth, mais non pas d'une diffrence immense cependant. Il y avait de hautes et verdoyantes montagnes, couronnes de neige pure sur ses pics, et une valle en pente, herbeuse et peuple de demeures en son centre. Autour des monts s'talait une impntrable frontire de brume, dune opacit totale et impermable. Une petite localit se tenait l, avec des maisons de bois aux soubassements de pierre, et des chemins de terre allaient de l'une l'autre. Des gens marchaient, seuls ou bien plusieurs, par les chemins en diffrentes directions : certains, observant les ambassadeurs dans le ciel, leur firent des signes de la main. Les envoys du noble Charlemagne voulurent poursuivre leur route jusqu'aux frontires de Magoria, puisque le peuple de Rooth venait de les chasser de leur territoire jusqu' ses limites extrmes. Du reste ce n'tait pas une mauvaise chose, en dfinitive, argua le Rveur Pharius au teint ple, ils venaient peut-tre de leur faire gagner, malgr eux, un temps prcieux. Ainsi firent-ils en forant leurs montures ailes aller de l'avant encore, mais le brouillard semblait dtenir des qualits magiques. Il s'opposa avec obstination toute incursion de leur part au-dessus des montagnes, et avec une rsignation amre ils convinrent de se poser finalement sur un terrain herbu, prs d'un groupe d'habitants, ceux-ci se dirigeant vers eux. Maintenant vous comprenez pourquoi notre dsir d'explorer ce continent s'est rvl vain, et comment nous nous sommes retrouvs prisonniers de la malice du peuple de Rooth, expliqua l'un des habitants de l'endroit, arborant en plus d'une panse rebondie et d'une grise barbiche, une expression lasse. Il vous reste vous btir une maison. Et attendre la mort, lunique dlivrance possible de ce pige terrible, et mortel, termina un autre rsident de la valle malfique. Cela risque d'tre trop long notre got, dclara Iolo le Tnbreux, un bruit sourd rsonnant dans la valle, celui de la demeure de Bliel l'enchanteur, puisquelle ne quittait jamais son propritaire d'une semelle. Les grues noires s'taient mises marcher de-ci de-l gauchement sur l'herbe verte, en compagnie du cygne apprivois de Bliel. Les amis de ce dernier, une nue d'oiseaux de toutes espces ppiant bruyamment, avaient disparu avant de rapparatre en tourbillonnant autour de Bliel, celui-ci souriant largement la vue de leur joyeuse activit.

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 La valle est effectivement enclose par un brouillard magique, il empche toute vasion de ses habitants hors des frontires de l'endroit, dit l'enchanteur en se tournant ensuite vers ses nouveaux amis. Mais il est une demeure fantastique dissimule en haut de cet endroit, entre les montagnes, laquelle on peut accder par un escalier. Jamais nous n'avons vu ici un tel btiment, assura un habitant la triste mine en secouant ngativement la tte. Les oiseaux de nouveau s'taient mis chanter prs de leur ami Bliel, et celui-ci ragit aprs un lger temps de retard, ncessaire la traduction du langage des oiseaux. La maison fabuleuse est invisible, et immatrielle pour tous ceux dpourvus de foi en son existence, rvla-t-il. Mais celui dtenant la connaissance des choses anciennes et lamour des traditions caches peut escalader les marches inaccessibles. Un silence pesant tomba sur l'endroit. Le premier, Iolo le Tnbreux se mit marcher au hasard, son chat-cerise trottinant prs de lui jusqu' s'lancer d'un bond. Il resta suspendu dans les airs avant d'escalader encore une nouvelle marche, effectivement invisible comme l'avaient prtendu les oiseaux, et tangibles cause de la ferme croyance du chat-cerise en son existence. Chacun avait retenu son souffle, certains habitants poussant un " oh " d'tonnement. Les ambassadeurs du royaume de France avaient suivi prcautionneusement le chat la fourrure rubis, puis les grues noires et le cygne avaient ferm la marche. chaque avance faite par le groupe dans l'air bleu, le brouillard magique diminuait sensiblement en opacit, et se faisait chaque fois moins pesant. Lorsqu ttons la petite troupe se trouva une grande hauteur, le chat-cerise se retourna vers les siens. Nous voici au bout du chemin, une porte se trouve devant nous. De manire impromptue et sans prendre la peine de regarder derrirelui, car le vide tait vertigineux et l'altitude grande, le magicien d'obscurit revtu s'approcha de la porte invisible, et frapp d'une inspiration subite il parla. Dame des Rves ! Nous sommes arrivs devant vous ! Il se fit entendre de manire feutre un lger rire derrire la porte, et le vide du ciel s'ouvrit sur un couloir parsem de draperies, dans lequel, interloqu, chacun s'engouffra aprs le singulier priple vcu sur l'escalier invisible. Pharius le Rveur fut le dernier pntrer dans la demeure cache de la Dame des Rves, ce fut la raison pour laquelle il fut le seul observer la disparition totale du brouillard, et par consquent la libration de tous les aventuriers et voyageurs prisonniers de la valle.

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Dsormais la maison enchante tait totalement visible pour les ambassadeurs terrestres, contrairement au premier instant de leur entre dans la demeure, et la Dame des Rves vtue de son voile obscur et diaphane s'avana vers eux. Elle eut un geste bienveillant leur gard, chaque membre de la petite troupe prsentant ses hommages la puissante matresse de maison. Les grues noires taient restes dehors, le cygne blanc de Bliel aussi : cependant des cognements sourds se firent entendre la porte, l'enchanteur Bliel ralisant la nature de leur auteur. Suis-je distrait ! grogna-t-il pour lui-mme. En un tournemain il avait fait entrer sa maison l'intrieur, car sa demeure tait devenue minuscule et elle tenait dans sa main, le magicien la fourrant aisment dans sa poche. Au milieu du couloir sombre clair de globes brillants et minuscules, tirs en une ligne mince le long des murs, la Dame des Rves flicita Iolo le Tnbreux. Bravo, mon garon. Je t'avais demand d'explorer le continent inconnu de Magoria et tu l'as presque franchi de part en part. Nous avons t faits prisonniers par le peuple de Rooth, lcha l'envoy de la Ligue dun ton contrit. Cela vous a permis pourtant d'viter une grande partie des prils se tenant devant vous, affirma la Dame des Rves. Nous n'avons pu informer personne encore de l'existence de ce grand et beau continent perdu, miaula son tour le chat-cerise Balbillus. Le brouillard magique, lorsque vous avez trouv ma demeure, a disparu jamais, et les prisonniers de la valle termineront votre tche d'exploration, ils rpandront aux quatre vents la position de Magoria, et elle deviendra un point important du passage de l'Empire vers l'veil, prdit la Dame des Rves derrire son voile stygien. Nous n'avons toujours pas dcouvert le chemin de la Terre, pour les cinq petites franaises, se lamenta encore le noble Roland avec dpit. Vous l'avez trouv en frappant chez moi, reprit la Dame des Rves en avanant dans le couloir obscur, et il parut bien au groupe des ambassadeurs que les murs du couloir dtenaient encore une certaine transparence, car on pouvait distinguer travers leur matire diaphane un semis tremblotant de ples toiles d'or. Au bout de ce couloir se trouve la Limite de Magoria, dont la Dame des Rves est la gardienne. Chacun frona les sourcils en dtaillant une grande porte en bois cloute d'argent, loin devant eux, mais hormis ce dtail elle paraissait des plus banales. La Limite de Magoria donne sur l'veil, poursuivit la Dame des Rves en la dsignant de l'index, sur l'veil o chacun peut dcider du

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lieu o il reviendra la Ralit. Votre groupe pourrait la franchir ensemble et aboutir dans des endroits diamtralement opposs. Par elle, les petites filles rejoindront leur maison, et chacun des membres de votre expdition retournera chez les siens. Hourra ! s'crirent les deux Hros des Temps Anciens, le Rveur Pharius et mme l'enchanteur Bliel, pourtant joint eux rcemment. Partons vite ! Une seconde, les arrta d'un geste la Dame des Rves, il vous faut d'abord retrouver les petites franaises, car la Limite donne galement sur l'Empire d'Oniria, c'est en effet la plus leve de toutes les issues de l'Empire du Sommeil. Allez donc les chercher, avec les personnes de leur entourage, et ramenez-les ici, avant de franchir nouveau dans l'autre sens l'Extrmit Ultime du Sommeil. Deux ou trois personnes suffiront, le reste de votre groupe peut attendre ici. Ils se regardrent les uns les autres, et finalement Iolo le Tnbreux avec son chat-cerise Balbillus, le Rveur Pharius la haute stature se dirigrent lentement vers la Limite. Nous serons de retour le plus vite possible, promit-il d'une voix ferme vers le reste des ambassadeurs, appuys contre les murs tapisss de voiles du couloir. Puis il saisit la poigne de la porte et la tourna doucement. Une lumire filtra.

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Chapitre

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Morphos avait rajust de son mieux la longue robe blanche apprte pour son voyage, et les plis de son vtement il avait remont sur sa tte, afin de s'en confectionner une capuche. prsent le Palais Cleste avait cess sa course, et il constituait une masse ruisselante d'clats moirs non loin de l, sur la plaine claire de l'Empire du Sommeil. Sous le ciel blanc d'Oniria, on aurait cru une ferie de cristal surgie des abysses. Tout prs, la troupe des Honnies de Lilith sur les mastodontes constituant leurs montures avait termin son avance et formait un cercle protecteur autour des Anuskas, grandes cits guerrires juches sur le dos des tortues gantes. Depuis le retour du Roi et de la Reine d'Oniria sur le trne de l'Empire du Sommeil, bien des difficults et des incomprhensions avaient t surmontes comme par miracle, tant il est vrai qu'il n'est de problme ne pouvant tre rsolu avec de la bonne volont. Maintenant les Dames Sombres et les Veuves Noires, les Ensanglantes aux cuirasses carmin tenaient leurs conciliabules sur les Anuskas placides. Les Asmodens aux singuliers Phonmes, mi-hommes, mi-oiseaux, s'en taient reparti tired'aile vers l'espace. Restait seulement la cohorte innombrable dpche par la mre des femmes et de toutes les sorcires, savoir Lilith la redoutable desse du peuple Amazoon. Subsistait galement auprs du Rveur Morphos la troupe des chats diligente voici une ternit par le Chamagnon Tigr, les cinq petites franaises, Andromde l'Amazoon et sa compagne Morgane, Harold le livre avec Nudd, Arielle, bien d'autres encore. Tel le curieux George, la troupe de Larme, bruyante et colore, le blond Jean de la Lune, le Rveur Pharius avec l'envoy de la Ligue et son chat-cerise, Balbillus. Ce dernier miaula le premier en direction du Rveur Morphos, qui par sa conduite avait de manire si terrible prolonge leur mission au-del du raisonnable. Vous partez, Morphos, miaula-t-il vers le Rveur, et ce ntait pas un reproche, mais bien plutt une constatation. Le temps est venu pour moi de marcher jusqu' rencontrer mon Destin, je le sais, mille pripties me surviendront, dclara l'ancien

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monarque de l'Empire du Sommeil. Bien souvent, lorsque j'tais sur le trne, la nostalgie de la route et des voyages me prenait, et je devais me colleter avec moi-mme pour les faire taire et me consacrer mon rgne. Grce en soit rendu, tout cela est bien fini dsormais. Votre peuple vous regrettera, lui assura Iolo le Tnbreux, prs de chats effronts se pavanant avec insolence aux environs. Vous avez agi de votre mieux dans une situation difficile. Mais les petites franaises me dtestent pour mon action, et je ne pourrais en rien le leur reprocher, leur place probablement ragirais-je ainsi, poursuivit Morphos en chargeant sur son paule un baluchon de tissu. J'espre un jour effacer de la mmoire des hommes le souvenir dtestable de mes frasques. Et alors, je vous l'affirme, vous connatrez le vritable Morphos. Sur ce il tourna le dos la multitude, et s'apprta marcher dans l'inconnu lorsqu'il croisa le regard du vagabond de la Terre, Jean de la Lune, en compagnie de son chien Tagor il ne quittait plus la belle Andromde d'une semelle. Je connais la route que tu vas prendre, Morphos, le mit-il en garde en le tutoyant d'instinct, elle n'est pas claire et ensoleille tous les jours, crois-moi. Les dangers seront prsents, et les tourments aussi. Mais il y aura des moments de bonheur, et par-dessus tout la libert, affirma le Rveur en hochant de la tte aux paroles du mendiant aux cheveux d'or. Je sais tout cela, vois-tu, il y a bien des annes je l'ai rv, et je le rvais dj lorsque tu n'arpentais pas encore les sentiers et les chemins de la Terre. Maintenant, je suis devenu comme toi. Andromde l'Amazoon s'tait serre contre le vagabond, Morphos le Rveur clatant de rire bruyamment. Mendiant, tu as trouv un foyer en rencontrant l'amour, lana-t-il en s'loignant grandes enjambes. Il se trouvera pourtant toujours un vagabond parmi les hommes, puisque j'ai pris ta place. nous revoir un jour, Jean de la Lune, nous sommes frres, dsormais. Sur un dernier signe de main la troupe nombreuse il s'en tait parti sans plus se retourner, et Iolo le Tnbreux allait ouvrir la bouche lorsquapparut un spectacle singulier. Celui d'une vieille femme dcrpite et ge, monte sur une crature marine cailleuse empestant la vase et les fonds marins. On les aurait crus jaillir de nulle part. Halte l ! glapit l'ancienne en sautant terre. Le mendiant du royaume de France fit instinctivement un pas en arrire, pressentant confusment un danger pour lui. La crature monstrueuse tait la ressemblance d'un dragon, mais arborait une queue de

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poisson et des nageoires brillantes se terminant par des griffes. Elle tait de teinte sombre avec des clats indigo, et possdait une tte norme, gonfle, dote d'yeux protubrants sur les cts. Sa puanteur tait pouvantable, mais sa cavalire vnrable, daspect semblable celui des Amazoons, paraissait ne pas en tre incommode. Aussitt aprs avoir mis pied terre, elle se dirigea vers le vagabond et s'adressa lui vivement. Coquin, manant, fripon ! Tue ! Tue ! se mit gronder la crature marine. Sus lui, sus au voleur ! La vieille femme venait de s'apercevoir que le reste de l'assemble commenait, aprs un lger flottement, se regrouper autour du blond fianc d'Andromde. Larme s'avanant grands pas, la nouvelle venue ressentit le besoin de s'expliquer. Je suis Aziella, la gardienne de la Source d'Oubli, rvla-t-elle, et la Tarasque vaillamment m'a permis de venir jusqu'ici, jusqu' ce fcheux ! C'est lui, c'est bien lui ! reprit la Tarasque en dvoilant une large range de crocs jauntres, laissant couler un filet de bave. Ce garon, men moi par les bonnes dames, bnficia de ma Source d'Oubli, renchrit Aziella, mais ce faisant il emporta l'un de mes enchantements, il permet aux amoureux de se rencontrer toujours et de ne se perdre jamais Elle avait eu en direction de Jean de la Lune un geste vif, paraissant saisir dans les airs un invisible objet, et le vagabond ressentit immdiatement la perte dun savoir retir aux trfonds de son tre. Je comprends maintenant pourquoi mes nuits taient souvent agites, et me laissaient dans le dsarroi, ralisa le mendiant. Je comprends, moi aussi, sourit Andromde l'Amazoon en tenant toujours la main de son amoureux. Mais cela n'a plus gure d'importance, dit Jean de la Lune, nous avons pris la dcision de ne plus nous sparer jamais. Vous m'en voyez ravie, mes tourtereaux ! s'exclama d'une voix aigre la vieille sorcire Amazoon, mais je dois men retourner vers ma Source d'Oubli, je ne peux la laisser trop longtemps sans surveillance. Le vol commis inconsciemment ou pas m'a caus bien du souci, cest rpar dsormais. Elle remonta sur le dos glissant de la Tarasque, et cette dernire jeta, de ses yeux exorbits, un regard appuy sur l'assemble alentour Nobles, gnreux et tendres humains, lcha-t-elle avec gourmandise, avant de s'vanouir travers les Trames et l'Envers des choses.

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Aprs la disparition du surprenant quipage Algol, le souffleur de conque de Larme, s'avana vers le vagabond en tranant les pieds, comme s'il lui incombait d'accomplir une bien dsagrable tche. Le temps est venu pour nous de nous sparer, dclara-t-il Jean de la Lune en baissant les yeux, et sa cuirasse de cristal refltait la tristesse de son visage. Larme a accompli son objectif, les cinq petites franaises vont retourner chez elles, n'est-ce pas, seigneur ? Oui, Algol, en effet, les vampires et les hommes-loups, les soldats de safran et les chimres, les centaures de Larme peuvent tre fiers, lobjectif vers lequel ils ont march s'est accompli, approuva Jean de la Lune. Mais je pensais Seigneur, l'arrta le souffleur de conque, notre tche est de servir de nobles desseins dans l'Empire du Sommeil ou bien ailleurs, d'autres devoirs nous attendent par l'univers. De ne pas agir ainsi, le sommeil s'est empar de nous, et vous avez pu vous en rendre compte, il a dur longtemps. Oui, ajouta un centaure d'une voix martiale, l'veil nous a fait le plus grand bien, jamais plus Larme ne s'assoupira de cette faon. Nous irons par les chemins et les routes, en qute d'aventures et de hauts faits, ils enrichissent le coeur et ennoblissent l'me, promit Algol en montant son tour et pour la premire fois sur le palanquin de commandement. L'hyppogriffe portant le palanquin gronda en secouant la tte, et devant la troupe htroclite des soldats ayant si vaillamment ports assistance Jean de la Lune, le Rveur Pharius, timidement, parla. Amis Je voudrais me joindre vous. Toi aussi, Pharius ? s'insurgea le magicien de la Ligue, en voyant comment ses compagnons fidles s'en repartaient les uns aprs les autres. N'est-ce pas le propre de l'amiti de durer toujours, et ne dit-on pas que l'on peut perdre bien des choses, mais jamais ses compagnons ? Jean, Jean de la Lune, mon ami, expliqua le Rveur Pharius, et toi aussi, Iolo le Tnbreux, sachez-le, mon coeur est grand et il emporte le souvenir de tous les gens rencontrs durant cette folle quipe, leur image restera jamais grave dans mon tre. Mais les petites franaises sont sauves dsormais, et j'ai soif de dcouvrir le monde. Larme me le permettra, j'ai bien le droit prsent de penser un peu moi. Certes, tout fait, convinrent d'une mme voix l'Amazoon Andromde et Jean de la Lune. Je suis afflig de ton dpart, compagnon, reconnut Iolo le Tnbreux, mais je te comprends.

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Et comme si elle partageait une identit cache avec l'envoy de la Ligue, Morgane l'Amazoon elle aussi avait opin du menton. Adieu, Pharius, lui miaula alors le chat-cerise Balbillus, nous nous reverrons, tu sais. Vraiment ? s'enquit le Rveur en marchant vers Larme, sloignant dj pas lents. Mais oui, assura le chat en clignant ses somptueux yeux d'or. ce moment-l l'envoy de la Ligue des Magiciens de la Terre, le coeur lourd de tous ces dparts successifs, prouva le besoin de s'asseoir sur la souche moussue d'un arbre de l'Empire du Sommeil. Il dcouvrit aprs coup la prsence de Jean de la Lune, ses cts. Pharius est parti, s'attrista Iolo le Tnbreux, car sous la noirceur de ses atours il dissimulait un coeur sincre. Larme aussi, murmura Jean de la Lune en l'observant s'amenuiser l'horizon d'Oniria. Les chats du Chamagnon Tigr continuaient gambader et sauter aux environs, l'un d'entre eux escaladant les genoux du magicien avant de dguerpir promptement, sous le regard courrouc du chat-cerise Balbillus. Arzur, le sergent-chef de la troupe, avait fort faire pour maintenir un semblant d'ordre, et l'aide du chastrologue rudit Prosper et de Chocolat, entre autres, ne fut pas de trop pour y parvenir. Mais aprs stre fait confirmer leur proche retour Coralie et Sandra, Grace, la princesse royale avec Mlanie et Margot n'avaient de cesse de courir en tous sens et les chats de l'Arkaal, surexcits, se mlaient volontiers leurs jeux. Allons, allons ! tentrent de les apaiser Andromde et Morgane d'une mme voix. Mais les deux sorcires Amazoons comprenaient lintensit du bonheur des petites franaises, et elles souriaient largement en l'observant. Alors seulement les petites filles remarqurent pour la premire fois semble-t-il l'tre trange et singulier, en forme d'oeuf surdimensionn, se tenant peureusement entre la matresse de Nudd, Arielle, et ce dernier, et elles coururent vers lui en piaillant. Il est drle ! Il est bizarre ! Il est beau ! minauda pour sa part Sandra, avant de se voir rabrouer par ses camarades. Vous n'y connaissez rien, rpondit la petite fille aux sarcasmes bruyants de ses compagnes.

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 Qui tu es ? lui lancrent entre des clats de rire les petites franaises, et sous leur assaut infantile l'tre la peau laiteuse et la silhouette arrondie, la large bouche au milieu du corps, frona les sourcils et mordit ses lvres rouges, retenant grand-peine sa dtresse. Je suis George, leur avoua-t-il, et comme si sa rplique contenait un argument comique un clat de rire avait secou le groupe des enfants, l'exception de Sandra. Pourquoi tu es si drle ? interrogea enfin celle portant le nom de Margot. J'ai peur, simplement, rvla George en jetant des regards effrays de gauche et de droite, car Harold le livre tait l'cart, en grande discussion avec Nudd pour son ventuel dpart vers l'Ultra-Terre de l'Arkaal. J'ai trs peur ! Arielle au justaucorps de satin noir tait auprs de ces amis, de ce fait le pauvre George se retrouvait livr lui-mme, ce dont il paraissait avoir une sainte horreur. De quoi ? demanda encore une autre fillette, Mlanie aux cheveux courts, cette fois-ci. De tout ! susurra George d'un ton apeur, de tout, toujours ! C'est un peureux ! s'taient exclames les fillettes. Non ! le dfendit alors Sandra devant le reste de ses camarades. Simplement, il est comme a, voil ! Iolo le Tnbreux avec le chat-cerise Balbillus, Jean de la Lune auprs de Tagor, le chien noir, avaient tous relev la tte machinalement l'coute des dboires du pauvre George, mais un autre souci se prsentait. Provenant des Anuskas rassembles en cercle, montes sur un Malammud pesant, une poigne de Honnies Dames Sombres ou bien Veuves Noires, Ensanglantes, la distance tait trop grande pour permettre de les distinguer venaient dans leur direction, et les Amazoons allrent auprs de Iolo et Jean de la Lune pour en palabrer. De leur ct, les fillettes n'en avaient cure. Viens avec moi, George, dit doucement Sandra au petit tre, depuis quelques instants dj, visiblement, il retenait ses larmes. Volontiers, madame. Il y eut un nouvel clat de rire de la part des petites franaises. Je ne suis pas une madame ! se dfendit Sandra en ne pouvant s'empcher de sourire. Je suis une demoiselle ! Et cela sur le ton de la plus extrme importance. Ah ? s'enquit George en haussant ses sourcils d'tonnement.

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Mais il s'agrippa la main de Sandra comme si c'tait pour lui une planche de salut, et il eut un faible sourire. Avec toi, j'ai moins peur. Sur ce le Malammud montagneux porteur des Honnies la sombre et fire mine tait parvenu devant le groupe, et une ombre s'tendit sur eux en masquant le ciel de l'Empire du Sommeil. Une Veuve Noire la cuirasse de jais s'tait laiss descendre, dans son dos elle avait une pe de mtal brillant, et sur la tte un heaume scintillant d'clats nacrs en dpit de l'obscurit de sa porteuse. Mortels, une grande aventure vous avez accompli, dclara-t-elle d'une voix martiale, et Lilith notre Grande Mre vous en flicite, puisque vous avez men bien la tche demande vous par le Destin. Votre travail est termin, en tout cas pour aujourd'hui. Notre Mre vous demande en sa demeure, elle a bien des choses vous dire. Iolo le Tnbreux, Jean de la Lune avec les Amazoons aux beaux visages, les chats de l'Arkaal taient sur le point de rpondre, s'apprtant produire un beau charivari, lorsqu'ils ralisrent qu'instantanment les environs venaient de se transformer, en l'espace d'un simple battement de cil. La plaine claire de l'Empire du Sommeil o ils se trouvaient peu de temps encore, avait disparu. Le ciel d'Oniria n'tait plus. Mais si une montagne sombre tapisse de lumires sur toute sa masse, et cette montagne tait haute au point de toucher les cieux. Obscurs et cependant lumineux, car il voguait l'est un soleil bleu l'clat doux, intense et velout d'aspect. Un somptueux palais tait construit sur la montagne, et il tait compos de btiments feriques avec des tourelles opalines, des parapets de pierres schisteuses et des toitures en quartz brillant. La construction s'tirait sur plusieurs niveaux, et ralisrent-ils avec retard, elle recouvrait en fait la totalit de la montagne. Lilith la noire et terrible desse les avaient appels en son sein, et les petites franaises se mirent pleurer de frayeur, mais les Amazoons les rassurrent bien vite. Allons, rjouissez-vous plutt, cet honneur n'a pas de prix, affirma Morgane en observant les Honnies mythiques sapprocher d'eux, dans le jardin de bosquets o ils venaient de se matrialiser. Les mortels notre image n'ont pas accs ici, notre Mre toutes nous a permis d'approcher et de ctoyer son amour, comme ses dignes enfants. Tu as bien parl, ma fille, et avec sincrit, assurment, articula une voix. Lilith, revtue de toute sa splendeur, entoure de sa cour de desses et de sorcires, fit se relever les deux Amazoons, qui dj avaient mis un

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genou terre. Le reste du groupe s'tait inclin avec dfrence, mais la Grande Mre des sorcires les mit l'aise d'un geste ngligent. Allons, je ne vous ai pas fait venir dans mes Jardins d'den pour y apporter l'tiquette de la cour. Soyons courtois, et parlons simplement. Disant cela elle avait rabattu autour d'elle les pans de sa longue robe de tulle noire, ses cheveux rpandus en tresses mles de diamants et de perles sur son dos et ses paules, dnudes. Ses doigts fins et lgants taient recouverts de gemmes, ses bracelets tintaient joliment : d'instinct, les petites franaises vinrent se ranger ses cts en raison de sa prestance et de son allure, de sa beaut. Il se dgageait d'elle une aura de force, et en mme temps de douceur infinie. Mes filles, vous tes enfin arrives devant moi et je m'en rjouis. Les Veuves Noires et les Ensanglantes, les Dames Sombres, s'taient enfin dbarrass de leurs oripeaux guerriers et avaient revtu leurs plus beaux atours, elles avaient pouss des clameurs d'allgresse aux paroles de leur Desse, mais Lilith, avec un large sourire, avait repris. Bientt, trs bientt, vous retournerez chez vous, mais je dois encore rgler quelques dtails. Acceptez-vous d'attendre un peu ? Aprs s'tre concertes mutuellement les petites franaises firent oui de la tte, et la grande Lilith embrassa chaque petite fille l'une aprs l'autre sur le front. Vous tes des amours. Cela durera peu, je vous sais impatientes de retrouver vos demeures, et vos parents. Mais tout d'abord Nudd ! Ce dernier tressaillit et manqua bien s'vanouir. Mais sa douce Arielle, fermement, le poussa en avant. Mais avance, voyons ! lui reprocha-t-elle en arquant ses sourcils. Courage, Nudd ! l'encouragea le livre Harold son tour. Bombez le torse, nom d'une pipe ! le tana de loin le sergent-chef Arzur. Nudd, nudd, nudd ! scanda mi-riant, mi-moqueur, le reste de la troupe fline. J'ar rive, lcha finalement le petit chat caramel et blanc en s'excutant. Il marcha vers la divinit dans les mirifiques Jardins d'den, aux pieds de la Montagne Noire, et Lilith riait en observant la scne, la gne du petit chat, couard, timide, et dlicat. Finalement lorsqu'il fut parvenu ses pieds la tnbreuse desse le prit dans la paume satine de sa main, et Nudd en se voyant porter bien au-dessus des siens ne pipa mot, tant il tait confus.

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 Nudd, mon garon, tu as donn tes vies pour les cinq petites franaises, et je tiens te le dire j'en ai t infiniment touche, au plus profond de mon coeur. Oh, bafouilla le jeune chat caramel et blanc, j'ignorais ce dtail alors, et n'importe quel chat aurait fait de mme ma place. Harold a fait une bonne action en te secourant de son mieux, et son attitude aussi a attir mon attention. Sois-en remerci, Harold, dit Lilith en s'inclinant demi vers le livre brun. Mais voyons, c'tait tout naturel, rpondit le livre en lissant ses moustaches. Mais le livre taciturne tait visiblement mu, et il n'en menait pas large non plus. Ton acte tait des plus noble, Nudd, poursuivit la desse des Amazoons vers le petit chat, je dsire t'en rcompenser dignement. Nudd, je t'offre l'ternit, l'ternit des lus, des Honnies, des Puissances et des Forces. Chacun dans le groupe, au cur des Jardins d'den, retint son souffle avec une expression mduse. C'tait bien la premire fois qu'il leur tait donn de voir, et mme d'entendre, une pareille proposition. Nudd tout d'abord avait sursaut de surprise, puis il avait abaiss la tte ensuite, comme sous un lourd fardeau. Belle Lilith, cest un don trop grand pour moi. Ta modestie t'honore, Nudd, le gourmanda la desse en le houspillant de son index orn de bagues prcieuses, mais elle n'a aucune raison d'tre face moi, je peux sonder les coeurs et je connais la sincrit du tien. Illustre desse, se dfendit le jeune chat, l'ternit ne me convient pas. Rflchit bien, Nudd, le mit en garde Lilith, une telle offre n'est pas faite au commun des mortels, mais seulement aux plus illustres et mritants d'entre eux. Chez les Honnies il se trouva des Veuves Noires pour pousser le chat rejoindre leurs rangs, des Ensanglantes aussi, et mme une sorcire la peau blanche provenant de la Terre. Les chats de l'Arkaal l'exhortaient galement devenir un Immortel, sans compter Jean de la Lune ou les Amazoons. Arielle sa matresse le poussait aussi, plus faiblement il est vrai, seul le livre Harold paraissait mditer profondment, en triturant ses malheureuses moustaches, tout bouriffes cause du traitement subi.

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 Non, vraiment, non, gentille et jolie desse des Amazoons et de toutes les sorcires, l'Immortalit, l'ternit n'est pas mon lot. Pourquoi ? l'interrogea Lilith la parure divine, elle rutilait et tincelait de mille feux dans la pnombre des Jardins d'den, au pied de la Montagne d'Onyx. Du haut du ciel je verrai grandir et vieillir Arielle, miaula faiblement Nudd, comme si dire cela devant une importante assemble, au vu et au su de chacun, le gnait au plus haut point. Puis je la verrais mourir, et je ne l'accepterais pas. Elle partirait et nous serions spars. N'est-ce pas ? Dans ses grandes lignes convint Lilith en caressant songeusement Nudd du bout des doigts. Tu pourrais la revoir, mais de loin en loin. Je ne veux pas quitter Arielle, non, je ne veux pas la quitter, s'entta Nudd en martelant ses paroles d'un hochement de tte. Je veux rester un mortel, pleurant, riant et chantant. Et puis qui un jour s'en va, entour de tous les siens. Arielle a pris mon coeur pour toujours. Un grand silence s'tendit sur l'assemble, et la premire, la desse ragit. Bien, bien, un tel choix t'honore, reconnut-elle. Je regrette ta dcision, mais je l'accepte, et je changerai mon service par un autre. Elle laissa Nudd sauter terre, d'o il rebondit bien vite prs de sa matresse. Nudd Tu es trop bte, murmura-t-elle en le grattant derrire les oreilles. Ne le rptez personne, ce sera notre secret, demanda ce dernier en fermant les yeux, car tout le monde l'observait et cela le gnait terriblement. Hum, hum, toussota le livre Harold prs du couple. Voil un choix cornlien, nen pas douter ! tre bte, ou immortel ? Il semblait bien pourtant tre touch, lui aussi, dans ses trfonds, des larmes perlant aux coins de ses yeux bruns. Oui, reprit la desse en s'adressant cette fois-ci aux deux compagnons, Nudd le chat et le livre Harold, sans doute l'avez-vous oubli, mais les Vahhuias sont toujours sur vos traces, depuis votre sortie de l'Empire Souterrain par la Source de Vie, rebours. Voyez-vous a ! ne put s'empcher de s'exclamer Harold, depuis le temps il avait en effet perdu de vue ce fcheux dtail. Exactement, continua Lilith en souriant de tout l'clat de ses blanches dents vers les deux amis, et tantt ils vous rattraperont pour vous mener chez l'corcheur de Vie. Mais par ma volont divine je leur

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interdis de vous toucher et leur enjoins de vous laisser en paix, moi, Lilith, j'ai mis la main sur vous et elle vous protgera aussi longtemps que votre coeur restera sincre et droit. Tel est mon bon plaisir votre gard, vous avez aim et protg mes cinq filles, les petites franaises, ma gratitude nest pas un vain mot. Partirons-nous bientt, madame ? s'enquit alors la petite Sandra, flanque du surprenant George, ce dernier ne le lchant plus d'une semelle. Bientt, trs bientt, ma fille, vous partirez chez la Dame des Rves d'Oniria, elle rendra chacun son royaume, lui assura Lilith en ramenant contre elle un pan de sa robe merveilleuse. Tu en as un joli Graal, petite fille. Il s'appelle George, lui dclara Sandra en poussant devant elle l'trange personnage, dont lclat allait en plissant au fil du temps. On aurait dit qu'il devenait diaphane, presque transparent, et Jean de la Lune comme Iolo le Tnbreux, les Amazoons, s'en murent bon droit. Mais certains, l'image de la douce Morgane ou du sombre Iolo, s'en inquitrent davantage. Sa sant est peut-tre en pril, s'inquita Morgane l'Amazoon en faisant un pas vers George, ce dernier continuant se recroqueviller contre la petite franaise. Ce serait trop triste, conclut l'envoy de la Ligue en rejoignant Morgane. Qu'avez-vous dit sur son compte, illustre desse ? Cet tre est-il vraiment le Graal ? renchrit Morgane la sorcire au large manteau. Ne quitta-t-il pas la Terre lors de l'Exode des Amazoons, pour n'y plus revenir jamais ? miaula d'une voix intresse le chat-cerise Balbillus. La desse Lilith la somptueuse aura s'tait loigne afin de s'asseoir sur un banc de nacre, environne de toutes celles constituant le cortge de ses proches, chacune des Honnies tant la ressemblance d'une princesse de haut rang, ou tout le moins d'un important personnage. Humains Seriez-vous donc encore si ignorants ? Ou bien avezvous oubli dj les Traditions Anciennes ? Nous n'avons pas tout oubli se dfendirent l'unisson les deux personnes, visiblement intresses par le Graal. Nous nous souvenons de beaucoup de choses ! Mais pas de tout, humains, pas de tout, leur reprocha Lilith en rouvrant les yeux aprs un moment de silence. Rapprochez-vous de moi, vous tous, Evzoons et Amazoons, puisque vous tes mes enfants, oui, rapprochez-vous de moi : le temps passe et il va nous falloir conclure. Il

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n'y a pas un Graal, mais plusieurs, une multitude, une infinit, affirma la desse lorsque tous eurent obi sa demande et form un cercle autour d'elle. Il existe un Graal correspondant chaque tre humain, et chacun doit trouver le sien, tout simplement. Elle dsigna de l'index la petite franaise, Sandra, avec George coll ses basques. Sandra a eu la chance de pouvoir connatre son Graal. George est en train de disparatre, madame ! s'effraya alors cette dernire devant le groupe des ambassadeurs de la Terre, fascin par le spectacle. Cest normal, expliqua la desse, il fait maintenant partie de ton tre et ne t'abandonnera jamais, si toujours comme en ce moment, tu fais l'effort de lui tenir la main. George a disparu ! piailla Sandra, tandis qu'effectivement le curieux personnage s'tait vanoui totalement. Il n'a pas disparu, mais il se blottit prsent dans la maison de ton coeur. Veille toujours sur lui et ne l'abandonne jamais, un jour ce sera ton tour et il te protgera, il sera devenu mature, superbe et fort. Ainsi va la vie, termina la desse. J'ai rencontr le Graal et il s'appelle George, grimaa Iolo le Tnbreux devant Morgane, narquoise. Si je l'avais ramen avec moi, mon prestige aurait t grand. En fait, tu as crois le Graal de Sandra et il habite maintenant dans son tre, pour toujours et jamais, rflchit Morgane dubitativement. Bravo, acquiesa la desse sombre au milieu de sa cour. Tu as compris. Chacun de nous devrait rencontrer le sien, poursuivit l'Amazoon en adoptant une expression pensive. Comment cela ? interrogea le chat-cerise Balbillus en prenant le parti de Iolo le Tnbreux. Cherchez, articula Lilith en souriant demi. Eh bien, tout cela nest pas trs clair, lcha l'envoy de la Ligue en se grattant le crne, d'une manire presque comique. Les dbats de notre assemble seront houleux, certainement. Mais l'important, aprs tout, c'est de voir les petites franaises retourner saines et sauves dans leurs foyers. La cour ferique des Honnies, des sorcires immortelles, Lilith la parure enchante eurent une expression entendue. Trs bien. Vous avez dj fait un pas dans la bonne direction.

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Iolo le Tnbreux caressa son chat-cerise, aprs lavoir pris dans ses bras. Je le savais ! Mais tout n'est pas encore dit, prvint la desse vers le cercle des tres Humains autour delle. Morgane, je dsire te voir rouvrir l'immmorial Sanctuaire des Amazoons, abandonn sur Terre depuis des res, voici bien longtemps. Cette dernire frissonna visiblement mais n'articula pas un mot, se contentant de pincer les lvres devant la tche confie elle. La Terre est le berceau de la race Amazoon, et il n'est pas convenable de dlaisser ainsi ses origines, et sa terre nourricire. Pour cela, tu seras l'ambassadrice Amazoon hors de notre Empire de la Roue, je te demande d'aller vers les gardiens de l'endroit, la Ligue des Magiciens de la Terre. Je ne veux plus voir les Evzoons et les Amazoons ainsi opposs. Il en sera fait selon ta volont, mre, souffla la sorcire Morgane dune voix rauque. Iolo le Tnbreux veillera sur toi, c'est un Evzoon de devoir, honnte et droit. Noble et belle Lilith, je protgerai Morgane comme ma propre vie, assura Iolo, et je parlerai avec elle. Vos paroles sur bien des points m'ont ouvert les yeux, et mon cur approuve votre dessein. Bien, ce ne sera pas un travail pnible pour toi, je le sais, sourit Lilith en fixant tour tour l'envoy de la Ligue puis Morgane l'Amazoon. Andromde, approche-toi de moi, Andromde, et celle-ci s'excuta, laissant Jean de la Lune quelques pas derrire. Le temps est pass en un souffle, les petites franaises chez la Dame des Rves, avec vous tous, bientt, s'en vont aller. Je vais donc essayer d'tre brve, mais sache-le, par tes rves, par les faits les plus banals de la vie quotidienne, je te rejoindrai et je te conseillerai. La belle Lilith reprit son souffle en mettant une main dlicate sur ses seins, les yeux ferms, ses cheveux indigo dgringolant en lourdes boucles sur ses paules, puis elle reprit aprs s'tre claircie la voix. Voici, donc. Tu es Lune, et ton mari, puisque tel va tre son rang, est Lun, connais-tu la signification de cela ? Avant mme d'entendre la rponse de l'Amazoon Andromde, elle avait poursuivi en la faisant taire d'un geste. Tu as t choisie par moi, et Jean de la Lune l'a t par les bonnes dames du Royaume d'Eau. Une couronne d'invisibles toiles tourbillonne sur sa tte, et sur la tienne aussi. Notre peuple, le peuple des Amazoons, attend la Vierge Noire. Elle est l'intermdiaire entre Lilith et

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le reste de l'univers Amazoon, son absence ne doit plus perdurer davantage. Pourtant, je n'ignore pas combien ton coeur est troubl, souvent tu t'en es afflige, tu t'en es mme ouvert moi. Le sort des petites franaises Tu n'as pas compris leur sort. Lilith observa Andromde la gracieuse silhouette bien en face, et en dpit des doutes entretenus par l'Amazoon, Andromde baissa les yeux la premire. Sois consciente du fait que tout concourt ma gloire, et la grandeur future des petites filles. Nul n'a le droit de me juger, pour duquer mes enfants il mest ncessaire de longues annes, la somme de plusieurs vies. Pourtant, les choses changent et cest bien ainsi, elles doivent voluer positivement et non pas rgresser. Des changements doivent survenir, ce dont je me satisfaisais avant ne m'agre plus dsormais. Les larmes des petites franaises m'ont mu, reconnut-elle en nonant clairement ses mots, comme si elle voulait tre entendue de tous et de toutes dans les Jardins d'den, et je regrette le chagrin des fillettes destines devenir les Vierges Noires. Elles pleuraient leurs parents, et sanglotaient souvent. J'ai dcid cela ne doit plus continuer ainsi, et les Asmodens eux-mmes, dans leur bont ineffable et leur grand savoir, m'ont donn les clefs. Les Veuves Noires et les Ensanglantes de la Montagne d'Onyx constituaient un cercle compact entre les ambassadeurs du royaume de France, une cohorte de Honnies descendant des cieux, en nuages toujours plus denses, afin de s'abreuver des paroles de la grande Lilith. Il ne faut plus prendre de petites filles si jeunes pour tenir le rang de Vierge Noire, Andromde, nona la desse en soupesant chacun de ses mots, ils ont essay de me faire comprendre cela en les prenant toutes pour les Demeures des Coeurs. Une seule est reste, c'est elle la Vierge Noire, Andromde. Mais, s'tonna cette dernire avec une expression interloque, il n'y avait plus de petite fille sur l'alhal ! Si, Andromde, il y en avait une, et c'tait toi. Je te demande d'tre jusqu' ta mort la Vierge Noire du peuple d'dennia et de tous ses alentours, Andromde. Dornavant, seules des personnes matures pourront en pleine connaissance de cause embrasser une telle voie. Tel est le changement dcid par ma volont, je n'y reviendrai plus. La civilisation Amazoon doit devenir enfin adulte. Mre, j'ai peur, avoua Andromde en roulant de grands yeux. Jean de la Lune est avec toi, il te secondera de son coeur et de tout son amour, la rassura Lilith. De plus, c'est seulement une demande, en

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aucune faon une obligation. Tu as le temps de la rflexion, repose-toi sur Nra, en compagnie de ton amoureux. Lorsque tu seras dcide dennia t'attendra avec impatience, et l'toile des Mondes de la Roue, Aphrodia, aussi. Elle t'aidera. Allons ! Elle tapa dans ses mains, ses explications venaient de se terminer. L'air brillait et ondulait devant le groupe htroclite des chats et des tres Humains venant de conclure enfin leur odysse. Vos compagnons, dans la maison invisible de la Dame des Rves, doivent sinterroger sur votre retard ! La Terre dans le noir profond de l'espace tait la ressemblance d'une sphre merveilleuse, ses teintes ocre et bleutes saupoudres et panaches d'une blancheur crmeuse, l'cume nuageuse du ciel recouvrant les royaumes terrestres. Dans le balcon de pierres blanches, en la demeure choisie par Jean de la Lune et l'Amazoon Andromde pour recouvrer des forces, la vue tait superbe sur la plante soeur de la lune et les environs du paysage lunaire, avec ses collines basses et ses prs l'herbe rase, ses rivires poissonneuses et ses rochers de schiste gris recouverts de mousse. Le couple avait voulu vivre sur la face claire de la lune, aux valles aimables, sans quitter pourtant le ct sombre et ses terres arides, rgentes par Nra et les Amazoons. Aussi leur maison avait-elle t place cheval sur la Frontire de la lune, entre le clair et l'obscur. Une ligne de partition nette tranchait leur foyer, dlimitant les toits pentus et les murs massifs, les colonnades et le fenestrage gracieux. Sur le perron, la porte principale devant le jardin de fleurs pourpres se trouvait plonge dans la lumire. Sur des siges bas Jean de la Lune et Andromde se tenaient la main tendrement, et leurs penses vagabondaient sur l'heureuse fin de leur quipe, leur prsent bonheur et le futur porteur de promesses. Tous deux taient conscients du chemin leur restant encore parcourir, mais aucun n'tait possd par la crainte ou mme l'inquitude, chacun faisant confiance la sagesse inne de l'existence et aux mille chemins qu'elle peut emprunter pour parvenir ses fins. As-tu rflchi au sujet de la Vierge Noire ? s'enquit finalement l'ancien vagabond du royaume de France. Oui, rpondit aprs un lger temps de retard l'Amazoon, prs d'une table basse o fumait encore dans des tasses de porcelaine ce breuvage singulier portant le nom de " caf ".

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Jean de la Lune ne posa pas d'autre question, mais il ramena vers ses lvres la tasse exhalant de tourbillonnantes volutes. Mi Mi Mi Depuis les profondeurs de la demeure rsonna cet trange appel. Mi Mi Mi Andromde repoussa de ct son chle dans lequel elle s'tait enveloppe, car la soire tait encore frache, et elle se tourna en souriant vers son aim : il avait repos avec un bruit sec sa tasse. C'est Alban, mon chat, expliqua-t-elle devant l'expression interloque de Jean de la Lune. Il a dcid, puisque les Amazoons doivent dsormais frayer avec les peuples de la Terre, de commencer pratiquer la langue fline des chats de ton pays. Mi Mi Mi Miaou ! Mi Mi Mi Miaou !

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Du mme auteur sur Feedbooks Iron Duck (2012) Loin des obscures terres du Chaos sur Valhalla, perchs sur des pics rocheux et presques inaccessibles se dressent les Scytes des Immortels, bien au-dessus des Abysses avec ses terribles habitants, les Invisibles, ceux des Profondeurs. Priodiquement ils grimpent les pentes de l'Amasoutra, montagne divine supportant Valhalla, et ses habitants clestes n'ignorent pas qu'une fois de plus ils emporteront un habitant de Valhalla dans leur sombre royaume, aprs avoir franchi les murailles. Le dfenseur ancestral et protecteur de la Scyte a disparu depuis bien longtemps et les clestes de Valhalla sont dsarms. Ne se trouvera-t-il pas un tre courageux capable de se dresser face aux Invisibles des Profondeurs et de leurs cohortes? CHAMPIS (2012) Valentin pense tre d'une autre famille que celle o il se trouve, dans le petit village de Vielle-sur-l'Adour. Souvent plong dans d'interminables lectures qui font galoper son imagination, sa rencontre avec une entit bienveillante, l'Esprit dans les Choses, n'y changera rien, il pense tre un Champis, un enfant trouv dans un champ. Mais une nuit son Destin lui apparait en rve et l'enjoint d'affronter ses doutes au Pays des Enfants, o la vrit sur ses origines pourra lui tre rvle... Son Destin lui fait don d'une formule magique pour rejoindre ce royaume merveilleux et un jour, aprs quelques pripties, il foule durant son sommeil ce pays tant dsir. Projet Ailes de Fer (2012) Mille fleurs dans vos heures, le bonheur pour vos coeurs : moi, Quetzalcoatl, je viens implorer votre aide vous les hommes de la Terre, car je vous connais bien (n'ai-je pas t de vos dieux, autrefois ?) et je sais votre mana puissant. Mais afin de bien vous faire comprendre le pourquoi de ma venue jusqu' vous, il va me falloir revenir longtemps, longtemps en arrire. Voici. En un lointain pass je fus chass du berceau de ma race par mon sanglant rival, Tezcatlipoca, celui qui chrissait l'eau prcieuse des hommes par-dessus tout. Et moi qui prnais l'amour des fleurs et du beau, l'tude des arts et le respect de son prochain, je fus contraint de suivre

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l'exil des dieux, celui qui depuis l'aube des temps pousse les divinits dchues vers des dimensions loignes. Les sources de la lune (2012) Roland de Roncevaux avec son fidle Aldric et les troupes franques viennent d'essuyer une ultime et dernire dfaite, face aux Plthores du Slnaute de l'Imprium. Le royaume de France dj abandonn mystrieusement par le noble Charlemagne est-il perdu jamais ? Il en faut bien davantage pour branler la dtermination de Roland de Roncevaux, qui dans la fort profonde reoit l'aide prcieuse des belles dames et surtout d'Adolphe le blaireau revche, du gentil Pierrot le chne-lige et de l'cureuil espigle Nicolas. Tout ce beau monde ira jusque sur la lune sauver le royaume de France, avec tout son coeur, toute son me... et tout son courage ! A Solsticia (2012) Un ouvrage de fantasy onirique en deux parties rpondant l'une l'autre sur le thme du solstice d't et du solstice d'hiver, avec pour personnage principal le jeune Iolo dans la premire partie et la Petite Princesse Coeur-de-Pomme dans la seconde. Dans la premire moiti du livre le jeune Iolo aspire faire partie comme son grand-pre de la Ligue des Magiciens de la Terre, et dans la seconde moiti du roman la Petite Princesse Coeur-de-Pomme ne souhaite rien tant que de faire tourner en bourrique son chaperon, l'acaritre tortue au long col Jezabelle. Se comportant en cela comme toute adorable petite fille qui se respecte ! La prgrination de Timolon Balsgobius (2012) Ce livre traite de la mort tragique d'un pote, et de sa tentative pour retrouver son aime Bianca Rosa travers les ons et l'au-del. Il sera aid pour cela des anctres de sa ligne, qui s'enracine jusque sur la plante Sirius. Et de bien d'autres entits encore, mais toutes ne serons pas bienfaisantes, loin de l. Ce n'est que lorsque le pote aura pu rencontrer le Prince des Morts que pourra dbuter... La prgrination de Timolon Balsgobius. L'Appel des Morts (2013) C'est toujours ainsi que cela se passe. Dormant paisiblement dans votre lit de draps parfums et de soyeuses couvertures, vous

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marchez durant la nuit au pays des rves en faisant mille rencontres aimables lorsqu'une voix, presque inaudible, vient titiller vos oreilles et vous ramne imperceptiblement la ralit quotidienne. C'est tout d'abord une plainte, un murmure, un sifflement doux n'attirant pas le moins du monde votre attention. Puis cela se mue en un appel tenu, une suite de mots hachs qui par-del l'ther impalpable des espaces cosmiques finit par vous ramener vous-mme et votre couche, o vous vous agitez nerveusement d'un bord l'autre de votre lit. Les Gestes d'Arkaadia (2013) Le jeune Iolo avec son asanthne le chat-cerise Balbillus a t convoqu par la Ligue des Magiciens de la Terre, dans le trs mystique et secret Sige Prilleux, en orbite autour de la Terre. Lui qui ignore encore son don, saura-t-il se montrer la hauteur de la mission qui lui est confie par Basilids le Gnostique? Leur arrive sur l'le de Norland, la recherche d'un mystrieux inconnu, sera le prlude d'une fabuleuse aventure qui les mnera aux confins de l'univers et du monde connu. Cette trilogie fantasy est chronologiquement antrieure aux "Gestes d'Arkaadia II", mme si elle a t publie - et rdige - ensuite. FAERIA (2013) Faeria constitue un florilge des diffrentes nouvelles que j'ai publi dans plusieurs zines et prozines du fandom sf francophone, blogs (un, en fait) et maintes anthologies l'mulation contagieuse. L'chantillonnage en est fort vari et va du rose bonbon au pourpre mordor, avec de fugitifs clats d'ambre et d'onyx par-ci par-l, comme vous ne manquerez pas de vous en apercevoir, j'en suis certain. J'espre que mes petits contes d'outre-temps et d'espace parviendront vous distraire. Sachez que pour ma part j'ai retir grand-plaisir les rdiger et les peaufiner, je souhaite qu'il en soit de mme pour vous. Bienvenue dans mon royaume ! Dans l'ombre de l'Aryenorden (2013) Sur sa couche en plumes dores de qwarks, sous le plafond cristallin de la Chambre Troisime de son manoir de Falu, Myriol le Magnifique s'agita et geignit, l'aube au soleil moribond, en ce vingtime on, teignant de pourpre carmin et de rose fuchsia les tendues de Haute Prairie et les eaux vives de la Ts, coulant prs de l.

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Les rideaux la dentelle arachnenne avaient t laiss carts depuis la soire prcdente, et lentement un flot de lumire l'incandescent rubis, provenant du soleil puis, se rpandait dans la chambre au dcor d'argent et au carrelage scintillant, ralis par un artisan de la lune en Diamants Diaphanes et Musicaux. Opration Commando (2013) La Petite Princesse Coeur-de-Pomme est enleve l'affection des siens par une arme d'envahisseurs brutaux et robotiques. Jusqu' l'empire lointain et froid de Mtall elle est emporte, mais c'est bien plus qu'il n'en faut pour impressionner Jezabelle, une tortue revche et le jeune chat Nudd, le livre Harold et surtout Andr 2115, un dserteur des robots militaires. Rien ni personne ne pourra entraver l'avance implacable du bataillon de libration: tremblez, malfaiteurs cyberntiques!

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www.feedbooks.com Food for the mind

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