La Parabole de Mars de Busto Nicenas

Télécharger au format pdf ou txt
Télécharger au format pdf ou txt
Vous êtes sur la page 1sur 6

ANONYME LA PARABOLE DE MARS DE BUSTO NICENAS 1



LA PARABOLE DE MARS DE BUSTO NICENAS

Demütiges Sendschreiben, an die Hocherl. Gottselige und Heilige Frat. des R.C.
Neben einer angehengten Parabola und Entdeckung seines hierzu
veranlassenen Studii, abgehen lesset. MaRs de Busto nicenas 14 juni 1619.

Cet extrait fait partie d’une lettre ouverte, adressée aux Rosé-Croix, le 14 juin 1619,
dont le titre complet est : « Humble message à la très illuminée, pieuse et sainte
Fraternité de la R + C, avec une parabole comme supplément, et la relation de l’étude
qui l’a motivée, adressée par MaRs de Busto Nicenas. »

Elle figure, traduite par « Debeo » dans l’ouvrage posthume constitué des notes
inachevées de Sédir, et publié en 1930 sous le titre : « Histoire et Doctrine desR+C ».

On remarquera le pseudonyme très parlant, en latin, de son auteur : Mars vainqueur


du tombeau. Bustiim a aussi le sens de brasier d’un autel, et de cendres d’un cadavre. Le
vocable est on ne peut plus approprié, sans parler du quasi anagramme qu’il permet.

La fin de cette courte parabole est l’un des très rares textes faisant des allusions précises
et reconnaissables à certains phénomènes propres à la voie sèche.(Bernard Husson)

* * *

« Certain jour, j’ai entrepris un long voyage vers un lieu très éloigné, voyage
que beaucoup ont commencé avant moi, et aussi de mon temps. Mais, pour
l’accomplir, il faut un homme sain de corps et d’esprit, qui ne connaisse ni la
crainte ni le doute, mais qui soit constant et puisse supporter maint malheur et
difficulté ; car il ne s’agit pas seulement de l’éloignement du lieu, mais aussi des
nombreux obstacles que l’on peut rencontrer au cours de ce voyage. C’est pour
cela que le partant doit se munir du nécessaire, afin qu’il ne soit pas obligé de
revenir soit peu après son départ, soit à mi-chemin, où il ne peut guère espérer
un secours. Si quelqu’un ne veut point agir ainsi, qu’il s’abstienne entièrement
de prendre cette voie.

« Or, j’entrepris également ce voyage, cependant sans réfléchir à toutes les


circonstances relatées ci-dessus, mais que j’ai reconnues plus tard en
recommençant à plusieurs reprises ce voyage ; j’ai appris surtout combien il est
insensé d’entreprendre quoi que ce soit sans réfléchir et sans peser la fin. Mais
je ne m’en suis jamais lassé et, au contraire, mon esprit s’embrasait de plus en

1
ANONYME LA PARABOLE DE MARS DE BUSTO NICENAS 2



plus, et il me semblait que je marchais plutôt sur des émeraudes, des saphirs,
des hyacinthes, des diamants et des rubis que sur de la mauvaise terre. Mais
par cela beaucoup ont été trompés, la rudesse de la voie leur était inconnue. »

« De plus, le fond de ce lieu changeait de couleur suivant les circonstances, le


temps et le rayonnement du soleil, ce qui m’émerveillait grandement et excitait
encore mon envie. Et, bien que ce fût en hiver et que la planète dominante
manifestât puissamment son action par le froid, je trouvais encore ça et là de
belles prairies, des prés verdoyants et des fleurs de couleurs variées ; mais je ne
pensais qu’aux délices du lieu vers lequel tend la voie rebutante, surtout parce
que cela avait été commencé pour l’honneur de Dieu tout-puissant et pour le
bien des hommes. »

« Comme je n’ignorais aucunement que je devais ou renoncer entièrement à


contempler ce lieu de délices, ou supporter avec une grande patience toutes les
difficultés que je rencontrerais sur ma route, je me décidai à souffrir plutôt, avec
l’aide de Dieu, tous les malheurs que d’y renoncer, car il était impossible de
modérer mon esprit enflammé et plein de désir. Surtout parce que ce chemin
paraissait au début très beau et agréable, tel un miroir, et en majeure partie
couvert de fleurs bleues appelées héliotropes ou sol sequium ; je pense,
toutefois, que ce lieu devait être plein de sang, parce que les Grecs y ont livré de
très grands combats aux Troyens, ainsi que me l’apprenaient les habitants de ce
pays. »

« Je remarquais, en outre, que de telles prairies ondoyantes et ces fleurs variées


apparaissaient surtout quand le soleil était masqué par des nuages opaques, de
sorte qu’il ne pouvait émettre sa clarté avec une force suffisante ; mais, quand le
soleil luisait par ses rayons sans obstacle, le sol devenait noir comme du
charbon ou de la poix luisante, qui m’aveuglait presque. Ce voyage (le terme ou
le lieu très éloigné ne m’étant pas encore connu) me convenait fort bien, car
l’hiver persistait dans sa rigueur, ce qui me donnait un grand désir ; et, ce qui
l’augmentait encore, c’est qu’au lever du soleil, malgré le froid intense, le fond,
le sol ou la terre était partout humide, comme s’il devait en être ainsi
naturellement, ou comme si la nature avait enraciné toute son humidité en ce
lieu, ou si le marais salant y prenait son origine. »

« Mais divers embarras me retenaient, ainsi que je l’ai rapporté plus haut ; et,
comme j’estimais que le voyage m’était impossible par manque de nourriture, je
m’en retournai, tout en observant avec soin à quel endroit je quittai le sol
humide, ce dont j’avais un signe certain, car c’était le lieu où Fortuné reçut sa
bourse de la Fortune ; Fortuné y était encore peint avec l’aimable Fortune,
2
ANONYME LA PARABOLE DE MARS DE BUSTO NICENAS 3



comme si cette image venait d’être achevée le jour même ; je gravai de mon
mieux ce lieu dans ma mémoire. »

« Mais je dois exposer aussi la cause qui m’incitait à ce voyage, car elle est
importante. J’avais appris que sept Sages ou Philosophes devaient habiter dans
sept capitales différentes de l’Europe, et que tous ces Sages, plus que tous les
autres, étaient instruits dans tous les arts et dans toute sagesse, et, en
particulier, dans la médecine. Comme tout homme possède le désir naturel de
vivre longtemps et en bonne santé sur cette terre, je conçus également un grand
désir de visiter tous ces lieux, pour voir ces Sages, espérant obtenir aussi d’un
de ces Sages une médecine parfaite pour la conservation de ma santé jusqu’au
terme prédestiné par Dieu. Je délibérai donc en moi-même à quelle ville je
devrais me rendre en premier lieu, puisqu’il dépendait de ma bonne fortune
que quelqu’un parmi ces sages voulût ou même pût me satisfaire. Aussi ai-je
appris à maintes reprises, à mon détriment que les propos sont vains si la
prospérité et la bénédiction de Dieu font défaut ; de même, je présumai
facilement que, quoique ces sept Sages eussent été vantés comme les plus sages
dans tous les arts du monde entier, l’intelligence ne devait pas être pareille pour
tous, mais différente pour chacun, parce que Dieu doue constamment un
homme de plus d’intelligence, de vêtus et de sagesse qu’un autre, de sorte que
l’un surpasse beaucoup l’autre en qualité et en vertus ; je pensai donc qu’il
devait en être de même pour ces sages. Je priai donc avec ardeur Dieu le Tout-
Puissant de me conduire sur la voie véritable à l’homme véritable qui surpassât
les autres par sa sagesse, pour qu’il fût favorable à ma volonté et m’accordât ma
demande. »

« C’est ainsi que j’eus pendant la nuit un rêve ou une vision qui me dit à haute
voix : Dirige tes pas vers le pôle qu’observent les marins et qu’ils appellent
étoile polaire ; c’est là que ton désir sera exaucé. »

« Quand je m’éveillai de la nuit sombre, je méditai si je devais ajouter foi à ce


songe ou non. Enfin je me décidai, pénétré du désir et dans la pensée d’entrer
dans la bonne voie, à entreprendre le voyage ; et, comme c’était sans doute un
bon ange qui m’en avait indiqué la direction dans le songe, je me mis en route, à
la grâce de Dieu. »

« Mais, dès que je voulus avancer, je vis devant moi des rochers hauts et
pointus, un chemin dur et rude, des crevasses profondes, des gouffres de fumée
où l’eau produisait par sa chute un tel bruit que j’en fus effrayé ; et je m’arrêtai
brusquement dans la terreur qui me saisit, en m’interrogeant si je devais oser ou
m’en retourner. »
3
ANONYME LA PARABOLE DE MARS DE BUSTO NICENAS 4



« D’une part, le grand désir m’incitait à atteindre ce que j’avais devant moi ;
d’autre part, l’aspect terrifiant du lieu très rude me repoussait et, à vrai dire,
j’eus une grande peur en voyant devant moi un chemin si difficile. Je restai
donc dans une grande peine, ne voyant aucun homme près de moi qui pût me
conseiller ou me consoler dans cette alternative. »

« Me trouvant ainsi sans aide ni consolation, je pris mon courage à deux mains,
surtout en me rappelant mon songe, et je m’avançai à la grâce de Dieu d’un pas
joyeux, tout en étant obligé de me reposer fréquemment avant d’avoir accompli
l’ascension du lieu. Mais, quand j’eus atteint la hauteur ou le sommet, je ne vis
rien devant moi qu’une vaste étendue ; j’étais donc obligé de recourir à ma
petite boussole que j’avais emportée à tout hasard ; et celle-ci me montra bientôt
de son doigt la ville qui était plus proche que je ne l’avais pensé. »

« J’entrai donc dans la montagne, et je parvins à la véritable capitale, dont j’ai


oublié le nom. Je questionnai aussitôt les habitants de cette contrée au sujet du
sage et, comme la situation et le lieu de sa demeure me furent indiqués, j’allai
m’entretenir avec lui. »

« Mais voici que je trouvai un homme extraordinaire, qui ressemblait à un


voleur, à un brigand, ou à un grossier artisan passant ses jours devant une
forge, à brûler du charbon, bien plus qu’à un savant physicien. Mais, en vérité,
dans la conversation, je trouvai tant de raison et d’habileté en lui, que je
n’aurais pas voulu le croire et que mille autres ne le croiraient pas, sans l’avoir
entendu. Car tous les sages des six autres capitales étaient obligés de prendre
conseil de lui seul quand il s’agissait d’une chose très importante. »

« C’est donc une grande sottise que de vouloir juger d’après l’aspect des
personnes, ainsi que le dit le poète : Sœpe latent humili, fortes sub corpore vires, ce
qui s’applique également à cet homme. »

« Cet homme grossier et étrange, mais très savant selon l’esprit, occupait un lieu
et une demeure singuliers ; en outre, il possédait des qualités et des mœurs
extrêmement étranges, et dont je m’étonnais grandement. »

« Car, de même que Diogène demeurait dans un tonneau qu’il préférait aux
plus beaux palais, de même la nature avait implanté également dans la nature
de cet aventurier, par d’étranges influences et incidences, la détermination
d’élire comme demeure un lieu pareillement étrange ; il ne se souciait d’aucune
pompe ni ostentation au sujet de beaux palais ni de beaux vêtements ; mais il
faisait grand cas de sa sagesse et de ses vertus qu’il aimait plus que tous les

4
ANONYME LA PARABOLE DE MARS DE BUSTO NICENAS 5



trésors du monde. »

« Sa résidence se trouvait dans un roc grossier et dur, où ni la chaleur ni le froid


ne pouvaient l’atteindre ; mais, à l’intérieur, ses chambres étaient peintes avec
de si belles couleurs naturelles, qu’elles paraissaient édifiées avec le plus
précieux jaspe, ou peintes par l’artiste le plus habile qui y eût dépensé tout son
art et toute son habileté. »

« De même, il ne souffrait jamais ni de la soif ni de la faim ; mais, selon les us et


coutumes ordinaires, il obéissait aux flèches de Cupidon ; c’est pourquoi il
s’inquiétait souvent, en cherchant à sortir, ce que ne lui permettaient pas
toujours ceux qui habitaient avec lui. Il appelait donc les voisins, leur disant :
Amis, aidez-moi un peu à sortir à la lumière, alors je vous aiderai à mon tour.
Quand les voisins entendaient cela, ils étaient fort satisfaits, car ils savaient qu’il
ne les laisserait pas sans récompense. »

« Dès qu’il était libre, ils devaient lui préparer un bain, pour lui donner du
passe-temps. Mais il s’en trouvait fort mal. Car le cher homme se mettait à
transpirer et devenait la proie d’un malaise, de sorte qu’il criait et tempêtait
comme un possédé, au point de s’évanouir. Alors le musicien commis à ce soin
saisissait son instrument pour lui chanter son chant habituel que les pâtres
chantent communément au dieu Pan. »

« Dès qu’il percevait ce chant, il revenait à lui ; mais, contre toute attente, en
toute hâte, il mettait au monde un fruit vivant, non sans grande peine et
douleur, à vrai dire ; ce fruit ne lui ressemblait d’aucune manière, ainsi que l’on
put s’en assurer quand il eut atteint l’âge mûr. »

« Ce fruit devait être quelque chose de merveilleux, car il venait d’une nais-
sance étrange, telle que l’on ne peut en trouver une pareille. Il comportait deux
natures, c’est pourquoi il fallait le nourrir du lait d’une chèvre qui donnait du
lait et du sang. »

« Et là encore il y avait des difficultés à vaincre, car la chèvre ne voulait se


laisser traire que par une seule accoucheuse qui portait le nom d’une sorcière ;
elle s’appelait Urganda. Celle-ci se servait d’un verre étrange composé de pièces
merveilleuses par l’artiste le plus habile ; il paraissait plutôt naturel qu’artificiel,
et il me semblait que c’était un morceau de la Table d’Hermès et signé du même
seing pour que les vapeurs subtiles du lait ne pussent s’éventer. »

« Et Urganda faisait bouillir le lait au point qu’il paraissait incandescent par la


chaleur, et en nourrissait le merveilleux nouveau-né qui, en raison de son
5
ANONYME LA PARABOLE DE MARS DE BUSTO NICENAS 6



alimentation régulière avec ce lait, croissait de jour en jour, de semaine en


semaine, de mois en mois, d’année en année, et augmentait en grandeur, en
force et en vertus, à tel point qu’il surpassa de beaucoup les vertus de son père
et eut une grande renommée. Des enfants royaux ont de même été engendrés. »

« Quant à Urganda, la vieille sorcière, elle pouvait, malgré son grand âge, se
changer journellement, au point que ses cheveux mêmes, quand ils n’étaient
pas tressés et qu’un léger courant d’air froid les touchait, s’étendaient, tels les
plus beaux et longs fils d’or, ou les rayons du soleil ; c’est ainsi qu’ils
voltigeaient et ondoyaient. »

« Voilà, ô très illuminés serviteurs de Dieu, ce que j’ai voulu porter à votre
connaissance, concernant ma seconde préoccupation, en vous priant et
suppliant encore humblement de ne point me refuser, mais de m’admettre et de
m’accueillir de grâce. Avec l’aide du Seigneur, je me montrerai humble, soumis
et obéissant dans tout ce dont vous me chargerez, en tant que je pourrai le
supporter et l’accomplir dans ma faiblesse humaine. Je vous recommande
ardemment et humblement, ô très illuminés serviteurs de Dieu, ainsi que moi-
même, à la toute-puissance et à la protection divines. »

Fait à N., le 14 juin 1619.

Vous aimerez peut-être aussi