Rimbaud Une Biographie

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RIMBAUD

A LA MEME

LIBRAIRIE

DU MEME AUTEUR

VERLAINE
1 fort

volume

(Ouvrage couronn par rAcdmie franaise).


in-S".

Le manuscrit de Sagesse.

Documents

Ftes Galantes.
relatifs

Paul VeRLAmB.

GERMAIN NOUVEAU

(Prface

aux " Vo/n fines

").

ERNEST DELAHAYE

RIMBAUD
UARTISTE E L'TRE MORAL

PARIS

ALBERT MESSEIN, DITEUR


Ig, QUI SAINT-UICHEL,

1923

IQ

IL

A ETE TIRE CE CE LIVRE

iO exemplaires sur verg de Hollande


numrots de

k iO

AVANT-PROPOS

Des admirateurs de Rimbaud demanderont


pourquoi

pas

je n^ai

crit

sur ce grand pote

un

cuivrage aussi considrable que celui consa-

cr

Verlaine

question bien naturelle si Von

juge de ces deux noms d'aprs leur importance

dans

de

Vhistoire

notre

littrature^

car

ils

reprsentent une innovation capitale en posie

franaise

On

le

Rythme

expressif.

peut leur trouver des prdcesseurs,

n'est nulle part de gnration spontane

il

citer

essais,

au besoin Racine

La Fontaine en

coupe veillant

(1)

le

en de

trs rares

quelques fantaisies de

soupon d'un commencement

Boileau mme,

rythme expressif

(1;

si

l'on veut,

un jour du

fait

Suspende l'hmistiche, en marque

le

repos.

Racine parat avoir cherch Vexpression plutt par


des sonorits.

AVANT- PROPOS

au moins de systme, surtout

celui qui fut le

Hugo,

vrai premier sur cette voie,

Ni

Baudelaire, Leconte de Lisle.

les

autres n avaient de faon nette,


pru,2t

Virgile

tandis que

ses

aprs lui

et

uns ni

moyens de communication,

Rimbaud

et

Verlaine, dlibrment,

franchement, abordrent ce problme

au

les

em-

rsolue,

donner

vers franais les pouvoirs d'expression

du

vers latin.
O, r invention doit-elle

dont

volutions

les

nont

poque. Jusqu' prsent.


ce

potes, ni

mme

prvues aucune

Von ne

repoussent

mirent
le

De

et

le

sur

plus grand nombre

aucunement,

puisqu'ils

C ad-

semblent effrays plutt qu loigns

prendre pour modle.


cette

nouvelle porte qu^ils ouvraient

mouvement

gnie des chanteurs, de ce


tique, le

plus intressant,

soit produit
le

voit gure

disposs les suivre. Et

pourtant cest un art que

de

littrature...

chemin de concurrents prts dpasser nos

deux

ne

nous mener ? Mys-

qui appartient au destin de la

tre

depuis

les

le

au

artis-

plus hardi qui se

jours

du Romantisme,

mrite appartient autant

Verlaine, ils ont transform

le

Rimbaud qu
rythme, grce

AVANT-l'ROPOS

leur science d'humanistes, peu prs dans

mme

le

l'autre

indpendamment

temps,

le

premier plus

attentif et plus docile

s'inspirer des habilets romaines,


plus fantaisiste

et

plus

libre,

rle

meurt cinquante

trente-sept

et lve

et

un

ans,

Rimbaud,

Deux

deux uvres

trs

ingalit,

par

existences,

quantits

et

d'lments

ans

trois

qui

Rimbahd

la vie littraire de Verlaine

quant l'tendue,

et

de chiffres

trente ans, celle de

les

influence

point de vue

ce

Mais s'impose une comparaison


Veri'^ine

second

au mme rang.

spcial, mettons-les

le

sans

rciproque, sans qu'il y ait matre

pour l'importance du

de

l'un

et

dure

demi

ingales
suite,

s'offraient

en

au

biographe.

L'hvre

de

nous donne sa

Verlaine,
vie

presuue

sentiment a) e

en

les

entier,

allusions

ses malheurs, ses fautes, ses amours, ses dsespoirs, ses colres, ses regrets, ses dsirs, ses

scrupules, ses repentirs, ses lans religieux en

composent

amen par

la plus

grande part. Tout cela

des faits nombreux.

en prsence d'un roman,


srie de

romans, que

le

est

Nous sommes

disons

mme une

lecteur veut connatre^

ATANT-PBOPOS

10

puisGu'U faut vUre avec

povr

ci

le

le lire

pour

les

tait

il

pote poiw

lui

une

assoient fait

uns

le

mprenare. Pvis cent aneaioies

un

notorit corjuse

satyre dont on accueiUaii

le

nom

des curiosits mfiantes, pour d^autres

ai^ec

un

amusant bonhomme, quelque peu scandaleux


sa mauvaise tenue, sorte de clown auani

v{Mt

besoin de piti et surtout d'indulgence.

Les

mes qui aiment son gnie ne pouvaient qu'en


souffrir, icne justice leur tait
les

due

remplacer

lgendes par la simple vrit, faisant voir

un

ce f^C est

intelligent,

un

dlicat^

un

sensible,

montrant F enchanemeni des circonsiances qui


r conduisirent,

absolu

nous

innocent, jusqu'au

dnument

rendre ainsi la posie ce respect dont

Et

la voilons entoure.

bien des pripties

dune

c'taient dcrire

t-ie

dramatiquement

remplie.

Le

cas de

Rimbaud

est diffrent.

D'abord

une partie de ses posies, presque imperson^

Aies, se

d
y

compose de descriptions, de tableaux,

Par exemple, c'est bien lui qui


Une Saison en Enfer et dans

httciivisme.

dans

bonne moiti des Ulummations, mais


de

combats spirituels

t.

il

d agitations

s'agit

psy-

AVANT-PBOPOS

11

chiques pht'^'t que d'vnements. Ceux-ci, ds


la fin

de 1873, concernent

la littrature, et ce

nen

tait

celle

sorti de

quoi devait tendre Vhisto-

moins montrer

Rirnhaud que

un homme

la vie extrieure de

de son eiprU.

HISTOIRE SOMMAIRE DE RIMBAUD

En

runissant

La Voce de
en

Florence, o

par

italien

le

et

dernier

chapitre
le

ils

publis

dans

furent traduits

Ardengo
viens d'ajouter un

peintre crivain

auxquels

Soffici,

pens que

articles

les

je

qui

tait

ncessaire,

j'ai

lecteur voudrait connaUre, dans

un ordre biographique,
vie du pote objet de

plus de dtails sur la


cette tude, et avoir

tout d'abord quelques renseignements sur ses


origines.

Charleville

tobre 1854,
tt'est

(Ardennes)

Rimbaud (Joan

le

20 oc-

Nicolas Arthur)

pas purement ardennais, mais de race

mle.

Son

pre,

Rimbaud

(Jura) en 1814,

tailleur d'habits

Franche-Comt par sa mre


son ducation enfantine il avait du sang

appartenait
et

d'un

(Frdric), n DIe

bourguignon par son ascendant paternel (n


Dijon).

HISTOIRE SOMMAIRE DE RIMBAUD

16

Sa mre,

Vitalie

Roche

naquit

Cuif,

(arrondissejnent de Vcuz,iers) en 1825, d'une


famille

de

cultivateurs

paternel

(cts

et

maternei) qui habita de temps immmorial


ce pays essentiellement agricole.

Et

ainsi,

toujours

en tenant compte de l'ambiance,

forcment

Rimbaud,

ducatrice,

et grandissant Charle\ille, est plus qu'

moiti ardennais

de l'ascendance maternelle
penois, prcision

Ardennes

mme,

ajoutons

non
du

lorraines

cause

ardennais-cham-

inutile,

car

il

y a

les

nord-est, les Ardennes

presque belges du nord.

Le pre, qui semble avoir lgu aux siens,


du moins ses fils, l'esprit d'aventure, eut
une carrire de vrai soldat

Engag, dix-huit ans, dans


Sous-lieutenant

de

l'infanterie.

pied

chasseurs

en

1841.

campagne en Algrie o
chef de Bureau arabe.

il

devient

Vient Givet, puis Mzires,

comme

Fait

capitaine au 47 de ligne, ce grade obtenu

en 1852.

Son mariage,

Charleville,

avec Vitalie

HISTOIRE SOMMAIRE DE RIMBAUD

Cuif, a lieu le
la fin

8 fvrier 1853. Naissance, ds

de l'anne, d'un premier enfant, Fr-

un an

dric, et,

17

ce

moment

de naissance

aprs, d'Arthur.

(octobre 1854), d'aprs l'acte

le

Rimbaud est en
femme vient

capitaine

garnison Lyon, tandis que sa

d'accoucher Charleville. Dj
sparations

Les

temporaires.

motifs et autoritaires tous

y a des
poux sont
il

deux

l'excs.

Cela n'empche pas des rconciliations, car


il

lear nat

une autre,
ne

fait

une

fille,

Isabelle,

pas venir sa

Vitalie,

en 1860. Mais

le

capitaine

femme pour

le

rejoindre

dans sa garnison. Aprs

la

belle, lui et

M^^ Rimbaud

vement

parti

ct

le

(1) et,

vers 1858, et

naissance d'Isa-

prennent

de vivre chacun

autant que

je sache,

ils

dfiniti-

de

son

ne se sont

pas revus.

(1) Arthur Rimbaud avait six ans. Il lui restait le


souvenir de ce qui fut sans doute la dernire altercation conjugale, o un bassin d'argent, pos sur le buffet,
jouait un rle qui frappa son imagination pour toujours. Le papa, furieux, empoignait ce bassin, le jetait
sur le plancher o il rebondissait en faisant de la musi-

que, puis... le remettait sa place

et la

maman,

HISTOIRE SOMMAIRE DE RIMBAUD

18

La condition toute

particulire de ce m-

nage, parfaitement rgulier et honnte mais

coup en deux,

socits

la curiosit

impitoyable des

de province, qui ne saurait tolrer

sans interrogations harassantes cette continuelle absence de l'poux, font que

baud ne voit personne


replie

farouchement sur

le

M^^ Rim-

Charleville et se

soin de ses enfants,

non moins

fre, prenait son tour l'objet sonore et


excuter la mme danse, pour le ramasser aussitt et le replacer avec soin l o il devait
rester. Une manire qu'ils avaient de souligner kurs
arguments et d'affirmer leur indpendance. Rimbaud
se rappelait cette chose, parce qu'elle l'avait amus
beaucoup, rendu peut-tre un peu envieux, car luimme aurait tant voulu jouer faire courir le beau
bassin d'argent
Pour cette biographie sommaire j'utilise les
puisque j'tais l'ami
confidences que j'ai reues,
la connaissance des faits dont j'ai pu
de Rimbaud,
suivre le dveloppement, et puis j'emprunte aux rcits
de M. Georges Izambard, non moins son ami, aux renseignements spciaux qu'ont publis MM. Jean Bourguignon et Charles Houin dans leurs articles de la
Revue (TArdenne et d'Argonne, aux documents d'tat
civil et quelques informations relatives la famille
contenus dans rou"VTage de M. Paterne Berrichon,
certains dtails fournis par Verlaine, enfin la Correspondance de ce dernier qu'a recueillie M. Ad. Van
Bever (A. Messein, dit.).

lui

faisait

HISTOIRE SOMMAIRE DE BIMBAL'O

dont

elle

19

voudra, avec une fermet mticu*-

leuse, faire toute seule l'ducation sociale et

desquels l'avenir, surtout,


irritant (1).

n'auront

Pour

qu'

lui sera

les filles c'est

suivre

un

simple

l'exemple

souci
:

elles

maternel,

devenir des femmes pieuses, des mnagres

conomes

et ordonnes.

Mais

les

garons

?...

Elle pourrait songer en faire des cultiva-

teurs

comme

ses parents

officier

du

reste, elle pos-

Non !... Les fils


M^ Rimbaud va donc

sde une ferme et des

d'un

!...

terres...

suivre et stimuler de toute son attention, de

toute sa rigoureuse, inqaite nergie, leurs


progrs scolaires

tement, ds
cadet

elle

le

(2).

Elle chouera compl-

dbut, avec l'an. Avec

le

pourra a\oir quelque temps cette

croyance ternellement due

puisque en

(1) Son mari parti, toutes les charges lui restent.


Heureusement elle n'est pas sans ft^itune. Rimbaud
m'a dit qu'elle avait fait de mauvais placements, perdu

ainsi des

sommes

dant

disposait de six huit mille francs de rente

elle

qu'il

ne pouvait valuer, que cepen-

(vers 1870).
(2) Pour que cette histoire soit comprise, il convient
de savoir que l'instruction de M'^^ Rimbaud tait au
niveau du brevet simpl tout au plus.

HISTOIRE SOMMAIRE DE RIMBAUD

20

opposition avec les

commune,

homme

si

de Nature

lois

vivace dans

mais

peut tre dirig dans

si

qu'un

les familles,

la vie

par ceux

comme

externes

qui l'ont mis au monde.

En

1862

place ses

elle

dans une institution

fils

de

libre

Charleville,

tenue par un actif ducateur, M. Rosst, o


;

mais

collge

com-

l'on faisait des

humanits compltes

dsirant mieux,

elle les

munal

(1)

ds aprs Pques de 1865. Arthur

a prs de onze ans,

que

met au

il

entre en 7^, n'y reste

en 6

trois mois, passe

tobre, est assez avanc,

pour sauter

scolaire,
les

en
sur

les

ne

il

suffit

la 5 et suivre

veut

Quand

aisment
il

arrive

pas sa mre de recevoir

progrs de son

tins, elle

rentre d'oc-

au bout de l'anne

cours de 4 (1866-67).
?>6,

la

fils

d'optimistes bulle-

qu'il aille plus vite et lui fait

donner des leons particulires par

le

pro-

fesseur de la classe, M. Ariste Lhritier (2).

prsent un lyc e.
homme brun, bouillant, dramatique,
voix tonitruante, mais trs bon et trs priseur, entich
de littrature, condition qu'elle ft strictement conforme aux lois de Boileau, passant de l'indignation la
(1) C'est
(2)

Un

petit

HISTOIRE SOMMAIRE OE RIMBAUD

partir de la 2^ (1868-69),

il

21

arrive souvent

Rimbaud de dposer sur la chaire du professeur un devoir de vers latins fait aussi en

vers franais, ou des versions latines,


versions grecques traduites en vers

prose

(1).

et

des

en

ne se contente pas de traduire,

Il

de dvelopper,

il

veut crer son tour.

Chose assez remarquable, Boileau fut de ses


premiers modles,
cette poque,

me

li

crivait cependant, vers

une tude

souviens d'avoir lue

fort svre

o taient signals

avec une cruelle minutie


de style dcouverts par

du Parnasse. Mais

que je

les

lui

moindres dfauts

chez

ses

le lgislateur

yeux trouvaient

gaiet en q uelques minutes, vous promettant la guillotine, puis vous ouvrant sa tabatire. La rserve timide de Rimbaud, quand ils se trouvaient en tte

dconcertait quelque peu. Afin d'gayer ce


il s'amusait, au cours d'une explication,
barbouiller de sa plume, abondamment garnie d'encre,
le nez d'un magot en porcelaine qui dcorait son entte,

le

farouche,

crier

dire

l'lve se contentait de sourire poliment, sans

un mot, ne pouvant

pdagogue

si

la posie latine,

croire,

sans doute, qui ce

au mcanisme de
ne ft pas toujours sur le point d'entrer

criard,

qui

l'initiait

en fureur.
(1) Seules les scitnces
sont par lui dlaisses.

mathmatique

physiques

HISTOIRE SOMMAIRE DE RIMBAUD

2S

grce

Lutrin,

le

le

Repai. ridicule, dont s'ins-

outrant, bien entendu

l'apprenti pote pour de petites satires

pirait

en

les

riait la gaiet

fait

pre qu'il avait alors. C'tait

trop rapidement,

Ds

la 2'%

il

n'en a rien conserv.

vaut au collge de Charleville

succs

plusieurs

il

au

Concours

acadmique

(entre les lyces et collges

du Nord, du Pas-

de-Calais, de

Ardennes, de

Somme)

l'Aisne,

des

:.

tnier prix de vers latins (1).

dsormais,

un

as

rique,

comme on

Au

dirait

L'anne 1869-70

il

la vie

collge

il

est

aujourd'hui,

celle

de rhto-

a pour guide ce brillant professeur

de vingt ans, Georges Izambard

en

la

accessit en version grecque, pre-

Rimbaud une double

de

D'abord, son jeune matre

il

prsente

activit (2).

soumet presque

chaque jour quelque devoir supplmentaire,


prpare

si

bien ses compositions qu'il ob-

tiendra bonne moiti des prix de la classe

(1) Sujet
(2)

Dj

de la composition
il

s'initie

et,

Abd-el-Kader.

la littrature franaise la plus

rcente, vient de lire Intimits de Coppe, Vignes folles


et Flches d'or

de Glatigny.

HISTOIRE SOMMAIRE DE RIMBAUD

23

compte deux nouveaux


triomphes au Concours acadmique second

grce

Charleville

lui,

prix de discours latin, premier prix de vers


latins (1). D'autre part,
tures

il

a envoy

pour tous un pome,

les

aux Lec-

Etrennes des

orphelins, qui parut le 2 janvier 1870. C'est

encore trs jeune, l'auteur avait tout au plus

quinze ans. Son esprit va mrir avec une

tonnante rapidit

(2)

avant

la distribution

des prix,

il

Ophlie,

Vnus Anadyomne,

a crit Sensation, Soleil

Morts de quatre- i^ingt- douze


tout cela est remis
sions

Forgeron,

le

et

(3),

et chair,

presque

Izambard avec des ver-

ou des analyses de classiques.

La guerre franco-allemande vient d'clater,


sa rpercussion amne des perturbations

(1) Sujet donn pour la posie latine


Sancho Pana son ne.

AUceution d

'

(2) D'un mois l'autre , me disait tout dernirement Georges Izambard, en parlant de ces mois qui

s'coulrent depuis
71,

(3)

le

milieu de 70 jusqu'au milieu de

on voyait surgir un nouveau Rimbaud


Sonnet

ab

rponse immdiate l'arjuillet 1870


une copie
plus tard est postdate 3 septembre.
crit

irato,

ticle

du Pays en date du 16

faite

par

lui

HISTOIRE SOMMAIRE DE KIMBAUD

24

profondes en l'existence rgle


de

la famille

Rimbaud.

taine avait laiss ses

J'ai dit

Frdric
les

(1)

marche vers

embote

capi-

avant.

Un

la frontire.

pas, se faufile dans

le

rangs, est accueilli par les soldats que sa

bravoure amuse

et

qui

laissent

le

dans leur wagon, partagent avec

(1)

de

le

prouve ds

le

mme

mois d'aot, peut-tre

rp:iment passe, en

que

quelque chose de

fils

son esprit aventureux. L'an


le

svrement

si

Grand garon

la famille. Il tait

monter
pain et

les yeux bleus


bon pain. Ses cama-

ayant

trs robuste,

bon ^-^mme

lui

le

rades parfois le taquinaiLi.., bien qu'il ft plus fort que


n'importe lequel d'entre eux je ne me souviens pas de
r avoir vu donner une pichenette. Il semblait bien ruinsouciant et gai
nir en lui les Rimbaud et les Cuif
parce que Bourguignon par ses aeux, ddaigneux de
culture intellectuelle ainsi qu'un vrai rustique. M^^
Rimbaud, cependant, le maintint au collge dont
il suivit les cours jusqu' la deuxime inclusivement
:

(U 69-70). Ayant fait comme volontaire une partie


la campagne de France, il fut ensuite marchand de

de

journaux, puis soldat pendant cinq annes (exemptant


du service avec le grade de sergent, fut
employ dans une ferme, puis conducteur de voiture
publique. Frdric se maria, eut deux filles, un ou deux
lils. Des enfants de M^^e Rimbaud c'est lui qui possArthur), sortit

dait la plus rsistante vitalit,

soixantame.

il

est naort vers la

HISTOIRE SOMMAIRE DE RIMBAUD

rata,

quand on

puis,

est sur la Moselle, le

comme une

gardent parmi eux

25

sorte d'enfant

de troupe. Ce gamin de dix-sept ans serait


enrlable, et certes ne

Mais

les

demande pas

conditions lgales...

des parents

est

Il

?...

le

donc admis en qualit

soupe dans

d'auxiliaire, porte la

mieux...

consentement

les

tranches,

sert ainsi la France, trs militairement, est

bloqu Metz avec son rgiment adoptif,


s'chappe au

moment

de

la capitulation, re*

vient vers Charleville par tapes.

En

Rimbaud Frdric (qui aura lieu en novembre), Rimbaud


Arthur, sans tre jaloux, prouve un senti Le grand a
ment d'mulation trs vif
attendant

le

retour de

quitt la maison

pourquoi pas moi

?...

Il

avait dj pens, du reste, avant cela mme,


s'en

Pouss par l'exemple,

aller.

plus, part le

29 aot. C'est Paris

il

n'hsite

qu'il a

en

vue, c'est en ce foyer des rvolutions et des


arts

que veut vivre

celui qui vient

un vigoureux sonnet
vingt-douze

il

fera

de rimer

sur les morts de quatre-

du journalisme, a dans

son portefeuille ses premiers pomes. Georges

Izambard

et

Lon Deverrire (autre ami),

mSTOIRE SOMMAIRE DE RIMBAUD

26

prvenus de sa rsolution, tentrent vaine-

ment de

dissuader.

le

Il

avait promis de re-

noncer son projet, mais n'y renonce


s'y

prend

rat

bien qu'en arrivant Paris,

si

fait arrter,

et

se

d-

qu'il

mcontente par de hautaines

rponses, est envoy Mazas,

invoque par

jours,

il

passe une nuit au dpt, compa-

devant un juge d'instruction

concerte

pas...

lettre

y reste quelques
Izambard, alors

dans sa famille Douai. Celui-ci obtient sa

on

libration,

le

lui

envoie,

pendant une quinzaine,

finit

l'hospitalise

il

par

le

dcider,

malgr sa rpugnance, revenir chez sa mre


qui

plusieurs fois rclam trs vivement.

l'a

Rimbaud

est Charleville le

s'enfuit de

nouveau

pied

la

vers

le 7

Belgique,

Fumay, Vireux,

27 septembre,

octobre, se dirige

avet des

arrts

voit en route son camarade

parvient Charleroi, visite

Billuart,

recteur du journal de cette

ville,

le

offre

di-

une

non accepte, va jusqu'


chez un ami de son professeur,
Paul Durand, qui lui remplace ses vtements

collaboration
Bruxelles,

en lambeaux, donne quelque argent aussi,


grce

quoi

le

vagabond prend

le

train

HISTOIRE SOMMAIRE DE RIMBAUD

27

pour Douai, avec pour objectif

la

maison

d'Izambard, qui courait aprs

de

ville

ville,

lui

M^^ Rimbaud,

sur la prire de

en

et le

trouve occup copier maints sonnets que

viennent d'inspirer ces semaines


aventures. M"^^

tance
encore,

jours de

Tous

rclamer qu'on doit

le
il

est rentr

novembre

au bercail ds

le

occup

il

va forcment
le

premiers

se tenir tranquille.

mettre en pension,

collge ne rouvre pas


qu'il est

Rimbaud de
Devant

(1)

les

renvoyer

(1).

Sa mre a dcid de
mais

le lui

folles

d*nsis-

chemins tant pris par l'invasion

les

allemande

de

Rimbaud met tant

les tudes,

par une ambulance. Libre

se promener...

la

pour

maman

dans Charleville

indigne

reparaissaient

presque en mme temps les deux gaillards auxquels sa


direction, pourtant si nergique et si vigilante, n'avait
su inculquer l'amour d'une vie casanire. Eux pouvaient difficilement se regarder sans rire. Mais Arthur,
de plus mauvais esprit sous certain rapport, trouvait
amusant de blaguer le patriote Frdric. Celui-ci, trs
calme, avec un accent quelque peu mridional qu'il
avait contract au rgiment, et sur le ton apais de
l'homme qui se repose, ne rpondait que ces trois
mois Tu me dgotes . (D'aprs un rcit de Rimbaud).
:

HISTOIRE SOMMAIRE DE RIMBAUD

28

Mzires,

et

vrier 1871 fut

du pote

normment,

lire

La priode d'aot

pomes...

une des plus fcondes en

Ce qui

Rv pour Vhiver,

cabaret vert,

La

Dormeur du

val,

f-

la

vie

Nina. Les Effars,

retient

Bal des pendus, Roman,


baisers.

des

crire

1870

Comdie en

Ma

trois

Bohme,

maline. Rages de Csars,

Au
Le

la musique.

Les potes de

sept ans (1), Accroupissements,

Le Mal, Les

pauvres Vglise.

Lon Deverrire,
bard,

la

nissent

autres amis d'Izam-

communale

copieusement de lecture.

mme temps
Edgar Poe
lui

les

bibliothque

le

four-

Dans

le

que Bouilhet, Daudet, Flaubert,

et cent autres,

fort estim, a trois

il lit

Proudhon, par

dieux

Leconte de

Lisle, Banville, Gautier.

Ce dernier

le

sduit par son culte de la

forme, son got pour la fouille des dictionnaires,

langue.

ses

recherches en vue d'enrichir la

Vers

le

mois de novembre 1870,

Du

26 mai 1871, d'aprs l'dition Lon Vanier;


Georges Izambard, chez qui cette
pice a t crite. Il faut dire que Rimbaud datait
(1)

de

fin 1870, rectifie

facilement du jour o

il

recopiait.

HISTOIRE SOMMAIRE DB RIMBAUD

Rimbaud me dveloppe
de ce

qu'il

Enfer)

il

l'Alchimie du Verbe

premire

sa

Non que

dj

des nuits, des silences, des

pour l'instant ce sont


le

pouvoir d'expression

dcupler

il

cherchera dans

les

moyens

les

picturaux,
;

ide

appellera plus tard {Saison en

songe crire

vertiges

29

qu'il

veut

langues an-

ciennes, les langues modernes, la terminologie


scientifique,

popu-

et

C'est ainsi que nous trouvons, dans

laires.

ses

parlers rustiques

les

pomes de 1870-71,

les

expressions nitide,

iride, sreux, cphalalgie, strideur, latescent,

hydrolat, pialat, fouffe, ithy phallique, fringa-

lant

cillement

gastre,

illun,

aqueduc,

hypo-

pubescence,

homhillent... (1).

Au commencement

de fvrier,

nouvelle

tentative sur Paris. Sa montre d'argent ven-

due

un

sert

payer

le

voyage.

En

sou. Prsenter ses vers

arrivant, plus

un homme de

(1) Dans la lettre qu'il lui crivit au cours de l't de


1871, Verlaine, qui il avait soumis ses vers, lui dconseilla l'emploi de pareils termes tout au moins des
par la
scientifiques Rimbaud approuva son avis
;

suite

il

-onle voit dans son uvre -qu'une


resserre, une langue mme pauvre est

reconnut

langue limite,
souvent une langue plus fortO

HISTOIRE SOMMAIRE DE RIMBAUD

30

lettres

ou un

artiste suffirait, lui semblait-il,

pour obtenir l'instant


sont

les

lettres,

o sont

artistes,

les

hommes de

par ce temps de guerre qui vient

peine de

Le

l'aide fraternelle.

finir ?

Il

caricaturiste

ne trouve qu'Andr

explique

c'est encore trop tt

pour

manger

nature passionner

francs.

tenace erre dans

couche dans

les

faire de la littrala

est la seule qui soit

de

le

public, la seule qui

pour longtemps au moins

donne dix

Rimbaud que

du ravitaillement,

ture Paris, la question

question du

Gill.

l'intressera.

Il lui

Cela puis, l'aventurier


les

rues

plusieurs

jours,

bateaux charbon, se nourrit

des dbris de nourriture que l'on dpose

matin devant

les

portes,

le

enfin revient p-

destrement Charleville. Qu'il va scandaliser


en promenant par ses rues formalistes une
chevelure romantique ayant pouss jusqu'
lui

descendre au milieu du dos

(1)

Un

jour

(1),

qu'il

va

quaWe sous, en
chez le coiffeur ; il les prit, dit
et porta les beaux dcimes au bureau

un

loustic lui prsenta

lui conseillant d'aller

merci bien !...


de tabac. En 1871, pour cette menue somme, on pouvait acqurir vingt-cinq grammes de scaferlati.

HISTOIRE SOMMAIKE DE RIMBAUD

indigner en fumant

un

admirablement, dont
en

le

fourneau est tourn

gamin aux joues roses et au


chapeau melon !... Le collge a ouvert

ses portes, les classes

ont repris. Des fentres

du djeuner, on voit
pipe aux dents. Ce
point de sa part intention de bravade :

rfectoire, l'heure

passer, repasser
n'est
la

brle-gueule, culott

bas... lui le

petit

du

31

Rimbaud

bibliothque est voisine,

verture. Mais

le

triomphateur

alumnus,
dmiques,

si

en attend l'ou-

il

principal est navr

des

heureusement

cet olim

concours

aca-

prpar

pour

entrer des premiers l'Ecole normale sup-

M"^

rieure

!...

ment

rsolue

pension.

Il

Rimbaud
mettre

se

montre absolu-

l'insubordonn

en

a nettement formul sa volont

Nos promenades nous menaient souvent dans un


contraire, s'est dtermin tout.

bois entourant des carrires, o, par explo-

sion de mine, s'tait creuse

grotte

il

une

sorte de

s'y logera le jour, dormira,

heures de nuit, dans la hutte o

aux

les carriers

font leur sieste et rangent l'outillage...

si

sa

mre persiste l'empcher de vivre Paris.


Simplement il me demande
j'habitais un

32

HISTOIRE SOMMAIRE DE RIMBAUD

village tout voisin

dans
de

la journe.

suite,

de

apporter du pain

Projet Spartiate, qui n'a pas

Rimbaud

M"^^

lui

se rsignant pa-

tienter jusqu' la fin de ce qu'elle considre,

apparemment, comme une


sance

crise

de crois-

(1).

On apprend
est de

les

cur avec

vnements du 18 mars.

Il

la rvolution, ses ides le

portent l-bas avec eux.

Du

reste

il

trou-

vera maintenant des moyens d'existence

les

trente sous par jour de la garde nationale.

Dans le courant d'avril, en


marche (2), il parvient pour
(1) Elle fut, c'est vrai,

62,

la troisime fois

exceptionnellement rapide ;
tait de 1 m. 61

Rimbaud, la fm de 1870,
de 1 m. 79 la fin de 1871.

la taille de

ou

six journes de

Traversant en pleine nuit la fort de Villersil eut presque une motion


tout coup sur
la route
o jusqu' cet instant rsonnait seul le
bruit de ses pas
formidable et grandissant tapage
rue de chevaux lancs au triple galop. S' tant blotti
dans un de ces abris en pierre qui servent aux cantonniers, Rimbaud comprit, quand devant lui passa
l'ouragan et qu'il entendit des mots d'enthousiasme
furieux profrs en langue trangre
c'taient des
cavaliers allemands qui s amusaient ainsi faire une
charge dans l'obscurit, au risque de se tuer eux-mmes
et srement de broyer tout noctambule qu'ils eussent
(2)

Cotterets,

HISTOIRE SOMMAIRE DE RIMBAUD

33

Paris, se prsente au premier groupe de


fdrs. Cet enfant

de pervenche

aux yeux de myosotis

qui leur

dit

soixante lieues pour venir vous...

s'exprime
les

mme
les

si

simplement,

bons communards

une

collecte...

rgaler

puis

le

dont
voici

et qui

bien touche

si

ils

et

J'ai fait pied

font l'instant
le

produit sert

dans

enrl

Francs-tireurs de la Rvolution

caserne de Babylone o rgnait

le

les

log la

plus beau

dsordre parmi des soldats de toutes armes

garde nationaux,

zouaves

ou

18 mars, avec

francs-tireurs,

m.arins
les

ayant

insurgs.

lignards,

fraternis,

une

dont

il

voquait

tristesse attendrie,

le

lime parlait plus

tard d'un soldat du 88^ de marche,


telligent

le

trs in-

souvenir avec

pensant

qu'il avait

tre fusill, lors de la victoire des Ver-

saillais,

avec tous

les

hommes de

ce rgiment

qui furent pris et reconnus. Mais notre franctireur

ne reoit ni armes ni uniforme,

les

rencontr pour son malheur. Une minute, et le bruit


s'vanouit dans les tnbres
le pote jugea n'avoir
qu' sourire
des emballs aussi, des frres plus
enfantins, plus brutaux, voil tout...
;

HISTOIRE SOMMAIRE DE RIMBAUD

34

troupes casernes Babylone ne comptent

gure dans l'arme communaliste.

passe

le

temps des promenades et des causeries avec


son ami du 88, qui est comme lui un lettr,
un rveur croyant l'mancipation du monde
par

l'insurrection sainte

Vers

la

mai, Rimbaud peut s'chapper de

fm de

Paris.

Sa

jeunesse, ses vtements civils dtournent les

soupons de

la

gendarmerie, et

il

revient

pied par Villers-Cotterets, Soissons, Reims,


Rethel, rapportant une fantaisie assez singulire, sans

doute crayonne

longtemps
parisien

(1)

si

fanatique

le

caserne et

la

qui parat s'inspirer de Banville,

dont

il

fut

Chant de guerre

(1).

Ici se

place

un pisode romanesque,

bablement dans sa vie

le seul

pro-

qui restera mystrieux.


Rimbaud parlait volontiers gaiement, abondamment
de tout, mais rarement de sa vie sentimentale. Parfois
cependant, au milieu d'accs jie trop forte mlancolie,
des besoins d'expansion lui venaient tout coup. Un
jour, en 1872, comme je m'tonnais de son air soucieux,

me

et

un souvenir, une inquitourment


remontait l'anne prcdente... II avait
Charleville une matresse, une jeune fille peu prs
de son ge. Lorsqu'il lui dit son intention de s'enrler
dans l'arme communaliste, elle voulait l'accompagner.
i]

dit tre

tude... Cela

HISTOIRE SOMMAIRE DE RIMBAUD

Son
lentie.

activit productrice ne s'est pis ra-

Aux uvres

dj cites la premire

moiti de 1871 ajoute


nions, les Assis,

le

Premires comrnu-

les

Cur

^ol (1), V Orgie pari-

sienne ou Paris se repeuple,


les

35

Mains

Sur

de Charit,

de Jeanne-Marie, Douaniers et pro-

impossible
c'tait pied qu'il gagnerait Paris...
La jeune fille n'en parla plus... Mais alors qu'il tait
franc-tireur de la Rvolution , il eut la surprise,
passant dans une rue trs frquente, il eut l'motion
de la voir, leurs regards se rencontrrent... il s'lana...
En vain elle ^vait disparu dans la foule... Evidem!

ment elle tait venue Paris pour lui... Par quels


moyens ? Prit-elle, ainsi qu'il le supposait, pour prtexte - auprs de ses parents et afin d'obtenir l'argent
du voyage certains membres de leur famille habitant Villers-Cotterets ? Il n'en pouvait tre sr, ne
l'avait pas revue depuis. Avait- elle continu le suivre ainsi en se cachant ? Le chercha-t-elle, quand il eut
quitt Paris ? Que devint-elle, pendant la semaine terribt' ?... Ces questions l'avaient harcel dj souvent et
venaient de se reprsenter plus angoissantes. Au cours

de l'anne d'aprs, dans un m,oment o il causait de


lui-mme avec un abandon assez joyeux, je me risquai
lui rappeler la jeune fille. Sa figure changea, il dit
tristement Je n'aime pas qu'on m'en parle ... Ne
se sont-ils vraiment jamais revus ?... La Vierge folle
est- elle une autre ?...
:

(1)

Qui pourrait

l'explication qu'il

galement

s'intituler

m'en donna

le

Pitre,

- d'apr

36-

IRE

IlIST*^

bablement

SOMMAIRE DE RIMBAUD

fameux sonnet des

le

Deux pomes

qu'il

me

lut en avril

n'ont pas t retrouvs


puis

un

autre,

me

je

premier et

dernier

Brune,

Car

En

elle

ce

elle

un genre de

vers...

avait seize ans

mnera

il

lui a

en prose.

crit le

Il

ayant pour

titre

la

il

le
?..,

sujet

le

maria-

de dix-sept ans.

faut mentionner

travail littraire

qu'ensuite

trs

et

pourquoi

quand on

fils

printemps

Baudelaire

mai

fin

rappelle seulement

aime d'amour son

mme

'

Carnaval des Statues,

peut-tre parce qu'ils disent tout

ou

roman simple

petit

condens dont
le

Voyelles.

trs loin.

il

La

lecture de

dbute,

suggr de tenter des pomes

commencement d'une

Les dserts de V Amour

srie
(1)

(1) Copie de ces pomes en prose me fut envoye,


en 1906, par l'minent crivain Georges Maurevert, et
je la remis aussitt mon cher ami J. Ren Aubert,
le gracieux auteur du Bois Sacr, qui publia les Dserts
de V Amour dans sa Revue littraire de Paris et de Champagne. A Georges Maurevert encore les lettrs doivent
d'avoir lu Douaniers et Surs de Charit, dont Verlaine
avait dplor la perte, et qui parurent galement, pour
la premire fois, dans la mme revue, par les mmes
Bins. Deux ans aprs ils taient publis dans la Revue
d'Ardenne et W A r sonne.

37

HISTOIRE SOMMAIRE DE RIMBAUD

deux rves prcds d'un Avertissement o


apparat

le

souvenir de Jean- Jacques Rous-

une combinaison d'art

seau. Ces rves, par

capricieux et hardi, mlent de simples fan-

tmes nocturnes

qu'il

prsente

ceux-ci ont paru ou qu'il arrange

comme

des

souvenirs de ralits arranges aussi plus ou

moins,

le

tout pour obtenir des effets drama-

tiques et des effets de couleur. Ainsi

le

smi-

nariste

du second pome n'est pas invent

c'tait

un

condisciple

naire suivant nos cours


bibliophile

(1)

qui

J'ai cru inutile

lui

de

lui prtait ces livres, tl

les lves

du

un compagnon
Rimbaud.

des

prtait

du smiet un

livres.

le jeune homme qui


ne s'agit pas de Jules Mary,

nommer

qu'attendait un avenir littraire


lui aussi

collge

(1)

d'tude,

si

brillant, et qui fut

un

excellent

ami de

Rimbaud ne cherche gure inventer . Partisan


catgorique de l'observation, il se sert plutt de choses
relles et qu'il a connues, mais souvent les dplace de
l'ensemble prouv, les scinde en parties utilisables
dans un sens nouveau, rapproche et runit des dtails
qui taient trs loigns en fait, dpouille tel sujet de
son attribut pour le donner un autre, etc. C'est en
partant de l que nous pourrons comprendre l'emploi
de ces mots : livres cachs qui avaient tremp dans
l'ocan

HISTOIRE SOMMAIRE DE RIMBAUD

38

l'poque o

en question,
avec

Rimbaud composa les pomes


tant un jour en promenade

lui, je vis

au bon

sourire,

ce grand jeune

brun,

dans un village tout prs de

Mon ami

Charleville.

homme

lui

rapportait certains

ouvrages communiqus, notamment je ne


sais plus

quel pote

V index

chambre de pourpre

et je revois la

vitres de papier

non certes

jaune

et les

volumes,

relis

en cuir de Russie.

Le projet de Constitution rvolutionnaire


(on ne

pas retrouv) est postrieur de

l'a

quelques semaines. crit aprs que l'auteur


eut quitt la caserne de Babylone.
pirait

s'ins-

en partie des ides organisatrices de

Commune

la

(1).

Cependant Rimbaud n'a pas perdu

(1)

il

l'espoir

Mais y ajoutait plus d'une ide personnelle. De


me donna du systme j'ai retenu
dans les petits Etats composant la Grce an-

l'explication qu'il
ceci

cienne c'tait r

Agora

qui conduisait tout, l'agora,

c'est--dire la place publique, les citoyens assembls,

dlibrant, votant,
fallait faire. (Il

avec droits

gaux,

commenait donc par

sur

ce qu'il

abolir le gouver-

nement reprsentatif, et le remplaait, en somme, par


un rgime de rfrendum permanent)

HISTOIRE SOMMAIRE DE RIMBAUD

un pote

d'obtenir par

duction dans

la

39

parisien son intro-

grande vie

littraire.

Il

pense

Lon Dierx, Thodore de Banville, pour-

tant bien

diffrents

quant au

sentiment

de leurs posies, mais qu'il aime galement,


croit deviner
les

en Paul Verlaine, dont

Pomes saturniens
de

et,

lettre

fait,

celui-ci

J'ai

...

lycanthropie
l't

1871

il

a lu

(1), une nature parente,


rpond sa premire

comme un relent de votre


courant de
La dmarche

avait

t approuve,

par son ami Charles Bretagne

appuye

(2), li

depuis

(1) Il connaissait aussi les Ftes galantes, en parle


avec admiration dans une lettre Georges Izambard.
Enfin il venait de lire, dans le Parnasse, Les Vaincus,
pome qui montrait le Verlaine d'alors comme un
violent insurg et ainsi le lui rendait encore plus sympathique.

(2)

Violoniste de talent, caricaturiste et chanson-

nier parfois, Charles Bretagne tait attach, en qualit

d'agent contrleur des Contributions indirectes,


l'une des sucreries de Charleville. Son premier poste
avait t Fampoux (Pas-de-Calais), o il exerait les
mmes fonctions la sucrerie de Julien Dehe, cousin
de Verlaine, qui fit chez son parent de frquentes villgiatures et avec qui le musicien eut ainsi l'occasion
de se lier. Esprit dlicat, original et profondment ob-

40

HISTOIRE SOMMAIRE DB RIMBAUD

plusieurs

annes avec

le

pote parnassien.

Rimbaud envoyait beaucoup de


mandait en

mme temps

laine rpond,

donne

tout des loges

arm en guerre

!...

Charles

Ernest

Gros,

des conseils. Ver-

les avis

Vous

tes

Puis

ses vers, de-

il

demands, surprodigieusement

se concerte

d'Hervilly,

avec

Philippe

Burty, Lon Valade, Albert Mrat, et alors


^

nouvelle lettre

on vous

La

appelle,

veille

de

Venez, chre grande me,

on vous attend
son

dpart

!...

fin

sep-

il connaissait l'auteur des Effars par des


amis communs: Georges Izambard et Lon Deverrire
(professeur de philosophie l'Institution Barbadaux).
De dix ans l'an du pote enfant, ce septentrional,
trs froid en apparence, mais d'un cur extrmement

servateur,

gnreux, lui donna constamment les conseils les plus


sages et les plus prudents pour la vie pratique, tout en
accueillant avec une curiosit joyeuse les audaces de
sa verve et de son imagination. Il compte parmi les
meilleurs de ces hommes qui entourrent d'une sympathie et d'une chaleur ncessaires l'closion du gnio
de Rimbaid.
Charles Bretagne, par la suite, quitta CharlevilJe

pour Sainte-Marie- Kerque (Pas-de-Calais), o il mourut encore jeune et sans avoir revu les deux pot(;s.
Verlaine lui avait fait envoyer les Romances sans
paroles.

SOMMAIRE DE RIMBAUD

HISlX)iniE

sembre 1871

Rimbaud me

Pai'is

Comme

Bateau

lit

ivre.

pour prsenter aux gens

J'ai fait cela, dit-il,

de

41

je lui prdis alors qu'il

va

clipser les plus grands

noms,

colique et proccup

Qu'est-ce que je vais

faire l-bas
sais

pas

Je ne

?...

Oh

parler...

crains personne

sais
!

{sic)...

pour

lui a

me

la

mlan-

tenir, je

ne

pense, je ne

Le lendemain matin,
je le vois la gare

pas

reste

il

quand

cependant,

de Charleville (Deverricre

donn vingt francs pour payer sa place

en chemin de
cette

fer),

il

est rassrn

conquise

libert

enfin,

l'ide

de

l'amusement

d'un voyage avec bon accueil au bout...


M^6

Rimbaud

dire,

il

ni'est

n'emporte

pas avertie, cela va sans

rien...

que

ses manuscrits.

Verlaine, forcment, avait prvu

d'aprs ce qu'il venait d'en

lire,

Rimbaud

et,

quoique

inform de son ge, attendait un homme.

Je

m'tais, je ne sais pourquoi, figur le pote

tout autre. C'tait pour


tte d'enfant

dodue

corps osseux et

le

moment, une vraie


un grand

et frache sur

comme maladroit d'adolescent

qui

grandissait

encore, et de qui

trs

accentue

en ardennais, presque pa-

la

voix,

IIISTOIKU:

^j2

SOMMAIRE DE RIIUBAUD

hauts

toisante, avait ces

mue...

bas de

et ces

la

(1)

Log quelques Jours dans

de

famille

la

Verlaine, 14 rue Nicolet, puis chez Banville,

enfin rue Campagne-Premire,

groupe d'crivains qui l'ont

fait

il

reoit

venir

du
et

une subvention
francs qui en

sont loin d'tre riches


journalire de trois

feraient

Avec

quand on a
aussi peu de besoins que Rimbaud, on peut
attendre... Mais bientt, dans le mnage du
pote qui l'avait appel, mnage en querelle
dix aujourd'hui.

six

cela,

mois auparavant, rconcili ou calm

dans

l'intervalle,

n'en peut mais


esprit affm,

ment

fait

ce

nouveau venu

a rallum

qui

Son
tonnam-

la discorde.

dvelopp, mri

de sa conversation

un

si

plaisir indis-

pensable Verlaine, d'autant plus que leurs

deux gaiets mutuellement

se suscitent, s'en-

tretiennent, se renforcent, et l'auteur de la

Bonne chanson, devenu


aprs

les

motions de

la

paisible et casanier

Commune, reprend

(1) uvres posthumes de Paul Verlaine, vol II


Arthur Rimbaud. Chroniques.

HISTOIRE SOMMAIRE DE RIMBAUD

son ancienne vie de

met
Rimbaud.
La rputation de

l'pouse qui se

causes, devient
tistes et

ment

moment
jamais

va

il

violemment

dtester

pour d'autres

celui-ci,

lettres.

les

milieux d'ar-

Et son

pressenti-

quand en septembre, au

juste

tait

Indignation de

cafs.

mauvaise en

de gens de

43

de partir,

craignait

il

de n'avoir

mondanit ncessaire. Sans doute

la

figurer dans le Coin de table

Fantin-Latour

Louvre

avec

d'Hervilly,

Camille

Pelletan,

Lon Valade, Paul

Ernest

Verlaine, Jean
;

on

prsent Stphane Mallarm, Tho-

phile Gautier, Victor


cette parole
il

de

aujourd'hui au muse du

Aicard, Emile Blmont, Elzar Bonnier


l'a

Hugo

qui

le

salua de

C'est Shakespeare enfant

n'est gure de potes, romanciers (1),

ou peintres connus par Verlaine

siciens

n'ait rencontrs

(2).

Mais

il

muqu'il

a eu dans un

(1) Il me parlait d'une soire passe au caf avec,


entre autres, Jules Claretie, qui par sa familiarit camarade, gentille, sa gaiet jeune, avait gagn toute son

estime

Rimbaud
(2)

Il

Un bon

garon

!...

Et dans

la

bouche de

cela n'tait pas loge banal.

eut pour ami

un jeune

dessinateur, Louis

HISTOIRE SOMMAIRE DE RIMBAUD

44

quand

banquet certaine algarade

ivre,

il

devenait querelleur, bien que fort doux en

tout autre temps

avec Etienne Carjat

(un coup de canne pe qui blessa lgre-

ment

la

main

le

pote photographe,

irri-

table de son ct, autoritaire, et qui l'avait

appel

crapaud

>))

par imitation trs

fantillage,

par en-

s'est attribu,

de

exagre

Baudelaire, des obscnits pouvantables

en cela
(la

il

imitait bien aussi

Chanson de Cabaner sur


barbe)

coter

cher

qui

ces

un peu Verlaine
l'air

de

la

plaisanteries

galement

Femme

devaient

au

offens,

moins gtn beaucoup de monde par sa tenue


au caf de Cluny, o
sur la banquette,

il

s'il

se couchait en

avait

grognant

un monsieur

d'une vanit par trop provoquante

nonc

des opinions politiques et sociales trs


prises

au lendemain de

Commune,

est

devenu

pote, excellent

la

homme

la

mal

guerre et de

la

bte noire d'un doux


:

Albert Mrat.

Forain, (ami aussi de Verlaine, qui dans sa correspondance l'appelle Gavroche ), destin lui-mme un
talent fortement original, un nom clbre

HISTOIRE SOMMAIRE DE RIMBAUD

Les dissentiments dans

ayant augment d'acnit,

mnage Verlaine

le
il

45

une cause

se voit

de trouble et de mal, a des scrupules, revient

me

Charleville o Verlaine, je
lui crivait

On

souviens,

t'en veut, et frocement

des Judiths... des Charlottes...

C'est vers la fin de l'hiver de 71-72.

parle d'un projet

nouveau

qui

Il

me

ramne

le

aux pomes en prose essays l'anne prcdente, veut faire plus grand, plus vivant, plus
pictural que Michelet, ce grand peintre de
foules et d'actions collectives, a trouv
titre

L'histoire magnifique, dbute par

srie qu'il appelle la Photographie des

passs.

Il

me

lit

plusieurs de ces

en

les

ge,

temps

peut-tre

cartons de collectionneurs jaloux). Je

rappelle

vaguement une

mle rutilante

trouvaient
rasses

une

pomes (qui

n'ont pas reparu jusqu' prsent

me

un

d'or

de sang

dont Verlaine

pour un vers de Sagesse

Moyen

sombre, o se

la fois et

les toiles

sorte de

et les

s'est

cui-

souvenu

avec plus de nettet

une image du xvii sicle, o le


catholicisme de France parat l'apoge de

je revois

son triomphe,

et

qu'il

condensait,

il

me

4B

HISTOIRE SOMMAIRE DE RIMBAUD

semble,

chape

et

un personnage splendidement
mitre d'or, se dtachant sur une

en

scne dont cette seule lecture ne peut m'avoir


laiss
fit

de souvenir prcis. La Piscine o Jsus

son premier miracle, tableau dont on a

retrouv une premire bauche


vue, qui est trs

difficile

appartenir cette

srie.

lire,

que

j'ai

devait

L'anne 1872 date l'explosion, pourrait-on


dire,

de toutes

losophiques

les

tendances littraires ou phi-

en puissance

dans

son

esprit

depuis l'ge de quinze ans, et que ses dernires lectures viennent d'embraser ensemble.

Verlaine nous raconte

de 1871,

ceux

qui

cercle

si

il

(1)

que, ds l'automne

ddaignait ses premiers vers


lui

avaient

cependant valu un

parisien d'admirateurs

et cher-

chait des formules plus libres, plus hardies,


plus loignes de la tradition.

La

vrit c'est

que son esprit a maintenant une vie trop


intense, des besoins d'expression trop

breux

(1)

et impatients

uvres posthumes.

Rimbaud.

nom-

pour ne pas tendre ce

Vol.

IL Nouvelles

notes sur

HISTOIRE SOMMAIRE DE RIMBAUD

qui va venir

y avait du

la

47

notation pure et simple.

reste pour le pousser l

une

(II

in-

Donc 1872

fluence dont je parle plus loin).

Rimbauds, depuis celui


que le collge a form si brillamment, jusqu'
celui qui voudrait se former lui-mme
les
Chercheuses de poux, les Corbeaux, deux chefsd'uvre de l'art le plus classique, Vertige
encore, dont le rythme s'est mancip da-

nous donne tous

les

vantage, mais qui contient ce vers absolu-

ment

latin

par son art expressif

Qui remuerait

les tourbillons

de feu furieux

puis une jolie chose parnassienne

?...

Tte de

faune, une autre, o dj insoucieux d'elre

compris,

le

pote n'exprime que sa sensibilit

imaginative
lui

seul

telle

qu'elle a fonctionn

un instant

Est-elle

aime

pour
?

De

quelques mois, de quelques semaines, peuttre,

en sont spars Age

et ces essais
lies (1),

(1)

qu'il appelle

d'or,

propos desquels

Saison en

enfer.

Faims,

Soifs,

une de mes
il

fo-

nous prvient

HISTOIBE SOMMAIRE DE RIMBAUD

48

seront incomprhensibles

qu'ils

servais la traduction
oiseaux...

somme

il

je r-

que Loin des

tels

du matin
on comprend,

quatre heures

exagre

Vt...

En

l'on voit

que ce sont des sensations ou des souvenirs


trs simples,

qui ont pass en

moins rapides,

plus

lui

ou

dans leur ordre

qu'il dcrit

ou non, que parfois il fractionne et transpose.


Nous pouvons en dire autant de Michel t

comme

Christine, de Entends
rivire

de cassis roule

brame..., de

ignore...

faut dcrire, dcrire et dcrire,

que

raillera,

qu'il

un systme

plus tard, l'introduction d'une

me

Saison en enfer, mais je

Rimbaud me

C'est

La

disait,

en

la littrature c'est cela

l't
!

so^iviens

de 1871

que

Toute

Et nous n'avons

qu' ouvrir nos sens, fixer avec des mots ce


qu'ils
la

ont reu, nous n'avons qu' couter

conscience de tout ce que nous prouvons,

quoi que ce

nous
tions,

soit,

mots ce qu'elle
Dans ces condi-

et fixer par des

dit qu'il lui est arriv.

avec ces exigences d'esprit que dj

savait avoir

quand

il

il

parlait Verlaine de

jeter les rgles par-dessus bord, la proccu-

pation formiste, qui avait fait de

lui le

pote

HISTOIRE SOMMAIRE DE RIMBAUD

49

d'hier, devait, sinon disparatre entirement,

du moins cder presque toute

la

place une

autre, celle de voir, d'entendre, de sentir...

On

de noter.

ne peut pas dire que

pote ait disparu, supprim par

puisque

second

le

crit les

quelques-unes
enfin des posies en
haut

il

le

premier

le

second,

posies cites plus

trs irrgulires,
les

mmes

mais

jours o

note ces souvenirs, ces impressions, ces

motions, ces hallucinations, cette vie psy-

cho-physiologique observe qui forme

le re-

pomes en prose intitul par lui


Illuminations (1). Nous y trouvons les genres
de dveloppement les plus divers des pices
rgulirement composes, commc^. Aprs le
cueil des

dluge^

(1)

Mot

ce

mlange de notations,

anglais

grac-res

qui veut dire

Bar-

colories.

en sous-titre ceux-ci: coloured


plates, qui suffisaient et qui sont plus clairs si l'on entend seulement gravures en couleurs (aquatintes), mais
il tenait au double sens et dsirait impliquer, en plus, la

L'auteur avait

crit

signification franaise

ou

d'Illuminations,

c'est--dire

y en a quelquesunes en effet d'autre part; les souvenirs ne soni-ih pas


eux-mmes des venues subites de lumire ?
intuitions

visions racontes

il

HISTOIRE SOMMAIRE DE BlMBAt'B

50

hare

(1),

il

a mis, conformment son

programme, tout ce qui passait en


sensations,

mme

les

curiosits,

ides

fait

de

ou image,

et

rflexions contradictoires

prsentaient, car

il

s'agit

possible des rceptions de

de fixer

qui se
le

plus

la seule

l'esprit,

obligation d'ordre tant qu'elles soient ru


nies en groupe, et dans ces conditions d'art

couleur,

varit,

surprise...

Aprs avoir pass Charleville


l'hiver 71-72,

Rimbaud

la fin

de

est retourn Paris,

et Verlaine, qui veut en finir avec

une vie

conjugale devenue trop orageuse, l'emmne


Arras d'abord, puis en Belgique

(juillet

1872). C'est l que sont crits Jeune mnage^

qui parat s'tre inspir de

la

Sleeper d'Ed-

gard Poe, et Bruxelles [Boulevard du Rgent).

Ce dernier pome,

srie de sensations notes

ple-mle, a des rimes ultra libres, mais le

rythme
lie

vers

(1)

pour

On y remarquera

est traditionnel.
:

Bavardage des enfants

et

des

du manuscrit
semble avoir rappro-

Verlaine, qui a dispos les pices


la

ch ces

premire publication,

deux pomes

contraste.

afin

d'en

faire apprcier le

HISTOIRE SOMMAIRE DE RIMBAUD

cages
latine

dont

les

SI

souvenirs tenaces de la posie

ont videmment produit l'harmonie

imitative.

De Belgique

les

errahundi

sont

passs en Angleterre (10 septembre)^ ensuite

Rimbaud

est

(novembre),

revenu

puis

dans

les

retourn

Ardennes

Londres

(i),

(1) Je demande pardon au lecteur, mais Tavertis


qu'une frquente rptition des mots parti, retourn,
refc'e/zu, ne peut tre vite dans l'histoire de Rimbaud.
Lors de son premier sjour Londres, en cette
anne 1872, outre Flix Rgamey qu'il vit souvent
son atelier de Longham street, et qui le croqua par
d'un haut-de-forme impressionnant (Voir l'album de

Rgamey

intitul Verlaine dessinateur)

il frquenta
de la Commune Lissagaray, Vermersch,
Matuszewicks, Andrieu. Il me parla surtout de ces deux
derniers, considrs par lui comme tant ses frres
d'esprit. Mais Andrieu, littrateur parisien, d'intelligence hardie et fine, tait son prfr, il prouvait
son gard des sentiments de vritable affection. D'autre part, l'ancien membre de la Commune ne pouvait
qti'avir une curiosit trs sympathique pour Rimbaud, car il devait tre frapp de ce hasard qui le
mettait mme de connatre dans le mme temps deux
gnies prcoces trois mois prs du mme ge
un
Franais, un Anglais. On sait qu' Andrieu eut p '"uf
lve ce fameux beau-frre de Rossetti, l'enfant pote,
romancier et peintre Oliver Madox Brown, qui fit
treize ans des Sonnets d'une originalit d'expression
et de pense tonnante , dit James Darmesteter.

les rfugis

HISTOIRE SOMMAIUE DE RIMBAUD

52

pour soigner son ami malade, jusqu'


de

rive

l'ar-

M"^ veuve Verlaine (dcembre).

Les premiers mois de 1873

le

trouvent tantt

Charleville, tantt Roche (arrondissement

exposa la Dudley Gallery ds quatorze ans, dessina


quinze ans, pour l'uvre de Byron, un Mazeppa
tempte vivante , crivit, seize ans, ce roman si
dramatique, si trange, Le Cygne noir, peignit, dixsept ans, un SilasMarneroh']et d'applaudissements unanimes la Socit des artistes franais de Bond Street.
Rimbaud l'a-t-il rencontr chez Andrieu ? Ma mmoire ici fait dfaut. S'il me Fa dit, c'est tellement
en passant qu'il ne m'en reste pas de souvenir. Ce que
je me rappelle bien, c'est qu'il me conta sa brouille
avec Andrieu. La scne eut lieu il en restait surpris
et afflig -vers la fin de 1873. Le professeur d'Oiife/Madox Brown tait-il ce moment tour lent, au
point de perdre en partie sa force morale, par l'tat
de son lve qui commenait souffrir de la maladie
qui l'emporta l'anne suivante, dix-neuf ans ?... Le
fait est qu'il reut Rimbaud avec une mauvaise
humeur allant jusqu'aux procds brutaux. La rupture fut dfinitive. Nous devons regretter qu'une
certaine animosit, semble-t-i!, ait persist chez Andrieu car cet crivain distingu, qui exera
dit le
critique cit plus haut
une influence considrable
sur l'esprit d'Oliver Madox Brown, aurait pu nous
laisser, propos de ces deux jeunes gens, une tude dt
;

rapprochements littraires et moraux extrmement


puisque l'Anglais tait lui-mmn une
sorte de visionnaire.

intressante,

UWTOtRE SOMMAIRE DE RIJIBAUD

53

de Vouziers) dans une ferme appartenant


sa mre.

En

prfaant l'dition, chez Lon Vanier,

des Posies compltes d'Arthur Rimbaud, Verlaine dit

<(

Nous n'avons pas de vers de

postrieurs 1872.

Il

lui

probable cepen-

est

dant que se prolonge quelque peu en 1873


la

priode o

extrme
lgre

crivit

il

de

libert

comme

et

connut gure

posies

ces

harmonie

d'une

rime,

inattendue,

d'une

que l'on ne

avant Rimbaud, mais qui

(1)

ne pourront jamais faire cole, puisque cette

morbidcsse est

rsultat de conditions in-

le

tellectuelles, surtout morales, qui

un pote que
Chanson de la

veraient encore runies dans

par un hasard imprvisible

ne se trou-

plus haute tour, Patience, Elle est retrouve.,,


saisons, 6 chteaux

En
(1)

Je dis

gure

!...

Verlaine, pour refaire sa

avril 1873,

et

non

pas du tout

il

y a des

prcdents, vagues, sans doute, qui pourtant ressemblent.


la rigueur, pourrait-on voir quelque analogie
en le fameux Combien fai douce souvenance... mieux

encore en trouverait-on dans ces

posies

trs,

trs

simples, inspires par les mlancolies de la vie paysanne,

que des

folkloristes

ont

recueillies.

Je

me souviens qu'en

HISTOIHB SOMMAIBE DE XtMBACD

5^

venu habiter un

sant, est

Belgique, non

loin de

petit village de

Sedan

et de Bouillon.

C'est dans cette dernire ville que, le


il

par Rimbaud, et tous deux

est rejoint

partent pour Londres.


Bruxelles o

En

l'auteur de

donn

]y|me

Verlaine tente de

revenir prs de sa

s'il

le

juillet ils

sont

Romances sans pa-

rendez-vous

roles

au pardon

24 mai,

sa

dcider son

femme

mre.
fils

qui est dispose

pote se rvolte l'ide que

cde en cela, ce sera

le

dsaveu de son

1872 Rimbaud aimait chantonner un couplet de


vieux genre, trouv je ne sais plus o :

Sur

les

rives

de l'Adoxcr

y avait un pastour,
Pur, naf, exempt de vices,
Oui pchait des crevisses ;
Il disait
mon bon Dieu,
Si tu exauces mon vu.
Il

le bord de ce canal
Je te btis un hpital.

Sur

ETridemmeat, e qu'il a fait est tout autre chose ;


mais Edgar Poe dj connaissait et caractrisait ce
charme, quand il disait, en son Poeticprinciple, pro.pos d'un petit pome de Longfellow : ... Chiefy to bo
admired for the gracefui insouciance of his mtre so w^ll
in aocordanee with the cJiaraeter of the sentiments .

HISTOIRE SOMMAIRB DB HIVBAVD

55

amiti pour Rimbaud, la justification des

calomnies, qui les ont poursuivis tous deux.


Il

s'exalte,

il

refuse de suivre sa mre. Mais

Rimbaud veut

la sparation,

Verlaine

Querelle.

fice.

moiti d'ailleurs,
qui

le sacri-

ivre

un coup de revolver

lui tire

blesse au poignet

le

exige

exaspr,

(10 juillet 1873).

Aprs quelque temps de sjour l'hpital


Saint-Jean,
il

crit

que

Rimbaud

retourne Roche, o

Une saison en Enfer

les

(1).

M"^^ Rimbaud,

venues de son

alles et

fils,

trois ans, avaient tant dconcerte,

depuis

prend

le

parti de se rconcilier avec l'ide qu'il pourrait

gagner sa vie en faisant de


Illusion

que maintenant

curieux

(1)

Il l'a

renversement

date ainsi

le

des

littrature.

la

pote n'a plus


rles

Ayril-Aot 1873

Mais

il

commence,

par consquent, avant le drame de Bruxelles, avant


mme son dpart pour l'Angletrre avec Verlaine. Le
premier chapitre Mauvais sang - venant aprs l'introduction qui est une conclusion
dbute ( J'ai de
mes anctres gaulois... ) dans la manire des poomts
c'est crit avec une amertume
ea prose habituels
assez calme on voit que Rimbaud continuait son travail de notations au printemps de 1873. Le ton change
:

quand

l'auteur revient de l'hpital Saint- Jean.

56

HISTOIRE SOMMAIRE DE RIMBAUD

accepte l'argent que

imprimer
et C^^,

la

lui offre sa

mre, et fait

plaquette Bruxelles, chez Poot

37 rue aux Choux. Aucun lancement

de cet ouvrage par

la presse franaise qui l'a

compltement ignor, aucune ou peu prs


aucune tentative de Rimbaud pour le signaler
l'attention des gens de lettres, et

un exem-

plaire adress Verlaine {!), alors en prison

Mons pour son beau coup de Bruxelles,

un

autre moi, quelques uns, bien peu certai-

nement, de rares amis osant encore se


montrer,
reste,

il

dsintress

aussitt

s'est

est reparti

pour l'Angleterre, avec

du
la

rsolution d'abandonner toute littrature et

d'exercer autrement l'activit de son esprit.


C'est vers la fin de 1873
la

dernire

fois,

Germain Nouveau,
tion des

murs

lie

il

le

Paris,

vu pour

connaissance

avec

sduit par la descrip-

anglaises, tel point

que ce

(1) Celui-ci lui avait envoy des vers faits aux


Petits-Carmes, prison de Bruxelles, notamment Je
suis un berceau... - La cour se fleurit de soucis...
Dame souris trotte... Rimbaud prisait surtout la
dernire pice, peut-tre cause de ceci, d'un rythme
:

si virgilien

Rose dans

le gris

du

soir...

HISTOIRE SOMMAIRE DE RIMBAUD

57

Jeune pote veut l'accompagner Londres.

Pour

vivre,

ils

travaillent d'abord chez

un

fabricant de botes, puis se sparent et se

comme

placent dans l'enseignement

profes-

seurs de franais.

Rimbaud

passe environ

un an

(1874) en

Angleterre et ainsi arrive parler l'anglais

couramment que

aussi

En

nelle (1).

langue

sa

Charleville o rappel par


service militaire
d'ailleurs

mater-

un sjour
question du

janvier 1875, durant

dont

il

la

trouve dispens

se

par son frre an alors sous les

drapeaux,

nouveaux

projets, d'ordre tout positif

annonce M"^ Rimbaud de

commerce,

dustrie,

promet

connaissance des langues

la
il

il

faut l'allemand

un

sjour

elle le

Stuttgart

Au moment

(1)

Rimbaud

in-

d'y russir par


;

aprs l'anglais

subventionne pour
(1875).

Cependant

de son arrive Paris en 1871,

un accent ardennais assez fort, mais le


perdit presque immdiatement, et aprs six semaines
de s jour, parlait comme un Parisien n natif . II
avait

que cette facult de prendre les accents lui


beaucoup dans l'acquisition des langues trangres
elle tait due sans doute ^on esprit d'observation qui fut vraiment exceptionnel.
est certain

servit

HISTOraB SOMMAIRE DB BIIIBAUD

58

Verlaine est revenu Paris. Ses tentatives de


rconciliation avec sa

femme ont

chou, la

sparation judiciaire, prononce l'anne prcdente,

reste

dfinitive.

Abandonn

de

presque tous ses amis et devant l'impossibilit

de se reconstituer une vie de famille,

il

une forte diversion morale, m'crit


pour me dire sa tristesse et me demander o
est Rimbaud, me charge pour lui d'une

veut

lettre

il

catholicisme,

l'informe de sa conversion au
le

presse de se convertir aussi

Aimons-nous en Jsus

!...

(1).

Rimbaud me

rpond d'abord par des plaisanteries sur le


nouveau chrtien, que pour railler en mme

nous
Quelle que soit la faiblesse passagre
- qiti a' compagna son entreprise, le
dsir prouv par Verlaine de ramener Jsus l'ami
qu'il considrait comme un pauvre athe, s'exposant
(1)

allons la voir

la perdition ternelle, ne peut faire aucun doute et


rien n'est plus logique. Il souffrait, cherchait du secours dans la prire celle-ci voque des souvenirs de
:

commises ( Pardonnez-nous nos offenses....


le sentiment
Priez pour nous pauvres pcheurs... )
fautes

d'avoir t coupable autrefois, l'ide de repentir, d'ex-'


piation, de rparation, qui chez lui venaient toujours
avec ou aprs la douleur, ne devaient-ils pas lui prsenter

comme

consolation suprme ce mrite qu'il

aurait acquis devant Dieu

mSTOIBB SOUMAIRE OC RKfBAUS

temps
il

Monsieur Homais

ie

surnomme

g^aiement

de Flaubert,

Loyola

59

(1),

mais

consent donner son adresse et Verlaine part


aussitt pour l'Allemagne (fvrier 1875).

Stuttgart SS raisonnements demeurent sans


effet sur l'esprit

du pote des Premires com-

munions. Rimbaud
ricanerj

il

prudence, car au
il

ne se contente pas de
Im-

fait boire l'aptre et le grise.

moment

de la sparation,

entre eux une discussion dernire qui

y a

tourne en furieuse bataille, coups de poings

seulement, par bonheur,

Belgique

se

gardant

bien

porter sur lui des armes.

le

condamn de

maintenant

de

Rimbaud

lui

avait renais la veille, sur ses instances proba-

blement,

manuscrit des Illuminations

le

Germain

enverrait

Bruxelles,

en vue de

lettre

Nouveau,
les

faire

qu'il

alors

diter.

Une

de Verlaine, crite de Stickney (Lin-

cokishire) le

envoi.

1^ mai

1875, fait allusion cet

Le projet n'eut pas de

suite et le

nuscrit lui revint, selon toute apparence.


(jl)

Verlaine lui disait

pendant
mdites

six
!...

mois

et

<t

Cette lettre je

Rimbaud

s'criait

l'ai
:

ma-

En

mdite

Mince de

HISTOIRE SOMMAIRE DE RIMBAUD

60

tout cas,

s'il

y eut chez Rimbaud une dernire

vellit de littrateur,

il

n'y songeait plus huit

me

jours aprs, c'est certain, et je ne

sou-

viens pas de lui avoir entendu dire quoi que


ce ft sur ces pages dont

dbarrass tait plutt

Une

matre de

fois

veut savoir

l'italien,

la

il

le

s'tait dpossd...

mot

qu'il pensait.

langue allemande,

(a aussi

une intention

spciale),

vend

sa malle, contenant et

pour

faire

un peu

se

il

contenu

d'argent, peut amsi

parvenir en chemin de fer jusqu'au bout do


l'Allemagne, continue pied,

y compris

la

traverse du Saint-Gothard.

Dsormais

va

1879

il

lupt

c'est la vie errante.

se livrer

Il

tresse
jours.

cette vo-

qu'il prvoyait,
(1).

mais sans ressources,

Une dame

l'hospitalise

charitable s'in-

pendant quelques

Elle a reconnu, par sa conversation,

lettr,

crit,

lui,

quinzime anne

est arriv Milan,

puis de fatigue.

un

perdument

d'aller loin, loin...

qu'il chantait ds sa

De 1875

a d l'interroger sur ce qu'il avait

car son hte, qui n'a plus

(1) Sensation

(mars 1870).

aucun ma-

HISTOIRE SOMMAIRE DE RIMBAUD

nuscrit

lire

ou

faire lire, se rappelle

61

m'avoir

donn une Saison en enfer et me la redemande (1). Et puis en route, en route !... Son
but est simple il sait ou croit savoir qu'un
qui fut
trs bon ami parisien, Mercier
:

aussi l'ami de Verlaine


d'industrie, a

Ceos (Zea)
vent

(2)

une savonnerie dont


;

(3) ira le

pl'is facile

s'occupe prsent

l'le

de

l'homme aux semelles de

retrouver, rien ne lui parat

gagner pied Brindisi, travailler

(1) Au cours de son existence, Rimbaud possda un


''^apeau haut-de-forme dont je le vis coiff Ciiarleviiie
ce fastueux ornement avait t achet dix shillings en Angleterre - vers 1872, quand lui et Verlaine
;

de mme il
cLerchaient des leons de franais ;
s'offrit, une fois dans sa vie, des cartes de visite,
graves, sur joli bristol, Stuttgart, o sa condition
d'tudiant vivant chez des petits bourgeois tenant
pension de famille, lui imposait certain dcorum. Il
m'en envoya une de Milan et y avait crit son adresse :
2 Piazza del Diiomo.
(2) Je crois bien me souvenir que Rimbaud me dit
Ceos, mais je ne puis l'affirmer absolument, le nom
n'ayant gure t prononc qu'une fois il se peut que
ce ft plutt Syra ou Naxos, mais coup sr il dsignait cette le comme faisant partie du groupe des
;

Cyclades.
(3)

L'un des surnims que

quand

il

lui

ne prfrait pas l'appeler

donnait Verlaine,
philomathe .

msTOiRE soMaMKE: de rimbavd

62

de

ci

de

pour avoir de quoi manger

l,

d'abord, ensuite payer

le

bateau.

Alexandrie, parvient Sienne

Il

atteint

mais aprs

qu'il a quitt cette ville, la chaleur se fait

accablante, sur la route


sire

le

un pied de pous-

malheureux suffoque,
demi-mort quand

d'insolation,

Livourne o

le

entre

consul de France, genre d'es-

prit analogue la

chez

est frapp
il

bonne Milanaise,

lui et le soigne.

Rimbaud

le

reoit

de ct

laisse

provisoirement son projet. Grce au consul

peut s'embarquer pour Marseille, y rereste un mois l'hpital, se

il

tombe malade,

une des

disposait ensuite s'engager dans

bandes

carlistes

Pyrnes, quand

fermer

les

que l'on formait en de des


la fin

de l'insurrection vient

bureaux d'enrlement

de renoncer cet autre

pays
lui

La

petite

moyen de

l'hiver de 1875-76.

Son temps y

sa
oii

est

du
mre

voir

somme demande

permet de revenir Charleville,

ncessit

il

passe

employ

tudier l'arabe, faire un peu de russe... et

du piano

Sa sur Vitalie

est

morte

le

Sans avoir appris la musique, mais il entend nit


mettre et ses essais, temporaires, furent des plus

(1)

s'y

(1).

HISTOIRE SOMMAIRE DE RIMBAUD

18 dcembre 1875

d'une synovite, aprs

(1),

des souffrances dont

ment

le

spectacle l'a cruelle-

affect. Cette secousse morale, plutt,

je crois,

que des tudes acharnes et diverses,

dut contribuer aux violents


qui

63

lui

buant

maux

de tte

surviennent ce moment. Les


ses

un remde

cheveux trop
singuHea:

touffus,

il

attri-

y applique

se faire raser le crne,

courageux
du moins il satisfit son apptit norme
d'apprendre et acquit des connaissances de thorie
musicale. L'histoire du piano, telle que la racontait
Rimbaud, est assez amusante. Il alla chez un loueur,
natului remit comme adresse une carte de sa mre
rellement non prvenue.
Quand le piano fut dans
l'escalier, une dame sortit et rclama hautement ; elle
avait la promesse du propritaire que jamais dans la
;

maison il n'entrerait un piano. Et puis enfin, ce piano,


pour qui ? Les porteurs rpondirent Pour madame
Rimbaud . Entendant parler d'elle, M^ie Rimbaud
sortit son tour, et. sans perdre de temps s'tonner,
ne voulant voir que son droit mconnu, signifia sa
voisine, non moins catgoriquement, qu'elle jouerait
:

du piano tant

qu'il lui plairait.

tall d'autorit et

Rimbaud put

L'instrument fut inss'y vertuer pendant

des journes entires.


(1)

par
les

dix-sept ans, celle qui lui ressemblait le plus


carnation, la chevelure chtain fonc,

la frache

yeuxbleus Rimbaud en
:

trs belUe jeune

fille.

HISTOIRE SOMMAIRE DE RIMBAUD

au

je dis raser...

que

rasoir, ce

perruquier

le

ne consentit faire qu'aprs mille tonne-

Et Rimbaud doit
assister aux obsques de sa sur en montrant une tte blanche comme du parchemin

ments

et

protestations.

neuf, de sorte que des assistants, placs

peu

loin, disaient entre

cheveux d'un

les

Cependant

eux

vieillard

!...

est reparti

il

Le

un

frre a dj

le voici

en Au-

Pensant tou-

triche, allant vers la Bulgarie.

jours Mercier que l'obstin veut rejoindre

en son
c'est

le

aes Cyclades, ce n'est plus Brindisi,

Varna

qu'il choisit

Mais Vienne
dpouill par

sans

un
la

un

fiacre, est

cocher, se rveille sur le pav

sou, allg de son chapeau, de son

pardessus,

dans

s'enaort dans

il

le

pour s'embarquer.

essaie

ville

quelque temps de rester

et trouver

son voleur, a des

discussions avec la police, est expuls

tranger

sans

moyens

comme

d'existence,

puis,

d'tats allemands en tats allemands qui


l'envi le repoussent, dpos la frontire de

France...

d'o retour pied dans ses Ar-

dennes.
a

Je redoute l'hiver, avait-il

crit,

parce

nSTOIRE SOMMAIRE DE RIMBAUD

65

du confort (1). C'tait


le besoin, l'obligation du confort qu'il redoutait, l'hiver tant une saison tyrannique
pour les vagabonds qui ne peuvent se passer
alors de petites commodits misrables, forcs qu'ils sont de compter avec les journes
que

c'est la saison

de pluie et

Rimbaud
ses

deux

de

la

les

nuits de glace. C'est pourquoi

tendait vers les pays de

pour vivre sous

essais

soleil.

beau

le

mer Ege venaient o'aboutir

checs.

Un

jour

(2),

il

me

Mais
ciel

deux

part d'un

fait

projet vraiment inattendu. Pas besoin d'tre


iixissionnaire et prtre

Une saison en

(1)

pour

aller en orient

enfer.

Pendant ses sjours Charlevile, je voyais Rimo nous passions quelques heures caudans un caf, et le dimanche employ une excur-

(2)

baud
ser

le jeudi,

sion champtr.

meur

Il

tait de la plus

grande

j'avais prpar l'itinraire

facilit

d'hu-

Nous passerons

nous irons jusque-l... II disait Allons !...


Pas d'autre fantaisie indpendante
que celle-ci Quand nous nous arrterons dans un
vilage, disait-il plaisamment, o je tiens au plus beau
par

ici,

se laissait conduire.
:

caf

!...

En

arrivant, l'on faisait son choix

1'
;

Esta-

minet de la Jeunesse le tentait peu, de prfrence il


opinait pour le Caf du Commerce ou le Rendezvous des Voyageurs . Sortant de l, revigors par une

HISTOIRE SOMMAIRE DE RIMB..UE>

66

y envoie de simples

l'on

frres,

instituteurs

vtus d'une soutane qui ont contract un


paire de chopes, nous chantions ensemble ce couplet

des Cent

Vierges

qu'il

Paris, et qu'il aimait

avait rapport autrefois

de

Heureusement
Qu' ce moment
Nous n'avons pas perdu
Et qu'en nageant

la tte.

Adroitement,
Nous avons brav la tempte...

Un dimanche matin, j'appris subitement que je ne


pourrais disposer de ma journe. J'allai l'endroit
'

m'attendait j'tais si contrari que je fus brusImpossible aujourd'hui !... Ce pauvre Rimque
baud n'avait pour toute distraction, au bout d'une
morne semaine, que cette promenade avec l'ami d'enfance. Il devint trs rouge, baissa la tte, se passa la
main sur la nuque en un geste d'accablement... Je
Cela te fait de la peine !,,, 11
m'criai, tout mu
sourit, balbutia quelques mots ironiques l'adresse
de lui-mme et sur une faiblesse qu'il n'avait pas
contenue, puis aussitt parla d'autre chose avec sril

('

nit.

Que l'on me pardonne ce personnalisme. J'ai cru


intresser le lecteur par quelques traits du caractre

De ses anciens condisciples je ne fus pas


toujours le seul lui tenir compagnie dans ses priodes
de repos ardennais. Il retrouva Ernest Millot, si doux,
si joyeux, si ardent, qui mourut jeune, hlas !... me
de Rimbaud.

charmante dont

la

mienne portera toujours

le

deuil

HISTOIRE SOMMAIRE DE RIMBAUD

enojagement

dans

annuel,

personnel

67

enseignant

chrtiennes de Chine ou autres

les coles

pays lointains.

Pourquoi ne

moins

le

temps

somme quelque
le

serait-il

pas

d'aller l-bas

frre

Or

?...

il

fait

au
en

chose d'analogue. Ses jambes

portent travers la Belgique, travers la

Hollande
lui fait

(1),

jusqu'au Helder

un racoleur

toucher une prime et l'enrle parmi

d'autres volontaires de l'arme nerlandaise

destination des colonies ocaniennes. Bien


trait

pendant

la

traverse

gnait les dsertions,

si faciles

car on crai-

quand

le

bateau

qui vit encore, grce


il retrouva Louis Pierquin,
Dieu, car c'est un robuste, c'est aussi un gai, comme
on en rencontre souvent dans ce pays cordial, c'est
aussi un rudit, un savant, il a crit une uvre superbe
l'histoire de Pache.
:

(1)

En

route

il

fallait se nourrir,

coucher

Rimbaud

Pondant les nombreux mois passs Roche,


il avait souvent donn un coup de main aux ouvriers de la ferme, acquis ainsi l'habitude de l'effort
physique et un certain savoir-faire que ncessitent
mme les gros travaux, en sorte qu'il pouvait, de manire ef iicace, aider dcharger ou charger une voiture,
un chaland... ouvrages que l'homme robuste et rsolu
trouve un peu partout.
travaillait.

HISTOIRE SOMMAIRE DE RIMBAUD

68

suivait le canal de Suez

chait

escales

aux.

ou lorsqu'il touRimbaud, pendant

(1),

huit semaines, a l'enchantement de voir des


terres nouvelles, des

inconnues

la

mers aux constellations

cte soudanaise, la cte arabe,

l'Ocan Indien, Ceylan... Mais, arriv Su-

matra,

fait

connaissance avec

la

la vraie discipline militaire. Elles

lui convenir,

avec dlices

il

les

caserne et

ne sauraient

fausse compagnie, parcourt


plus sauvages rgions de

s'arrte

un

anglais,

transportant

petit port de la cte

comme manuvre;

et

du

o un

sucre,

l'le,

voilier

l'accepte

contournant l'Afrique,

subissant une forte tempte hauteur du

Cap

(2), le

ramne Liverpool, d'o

il

se fait

transporter en France et y attend, Roche


d'abord, Charleville ensuite, quelque pos-

l'enrl sautait l'eau, sa


en vit plusieurs
et gagnait en quelques brasses le
rivage, d'o il allait chercher aventure dans les villes
(1)

Il

prime en poche,
gyptiennes.

arins de, cet qui(2) Le danger fut srieux : les


page, un peu de fortune, taient plus que rudos, habipourtant
tus profrer les plus violents blasphmes
Rimbaud les vit s'agenouiller sur le pont, rciter des
;

prires.

HISTOIRE SOMMAIRE DE RIMBAUD

sibilit

dress bientt

on

l'a racol,

connaissance de l'allemand
trer

Nouveau plan

aventures.

d'autres

69

lui

Sa

racolera.

il

permet d'en-

en conversation, dans une brasserie de

Cologne, avec des recrues qu'il

prsentent

des

camarades,

enj(31e,

qui

c'est

et

lui

une

dou?.aine de soldats prussiens vendus la

Hollande. Primes pour eux,

pour lui-mme. Avec cela


bourg,

villes (1)

se

il

commission

rend

Ham-

Nous entrerons aux splendides


curiosit dans un

jolie

pntre par

casino, se laisse tenter par la roulette, veut

doubler son gain et perd tout. Mais

dcav a dj vu tant de pays


bien

les diverses

monnaies,

qu'il

le

joueur

en connat

sait les

compter,

expliquer, discuter leur propos en plusieurs

langues, talents prcieux en cette ville cos-

mopolite et qui
ses

pour

Il

aller

vivre et se

mettent

comme

services,

Loisset.

le

le

suit

mme

d'offrir

au

cirque

receveur,

Copenhague,

le

quitte

Stockholm, n'y trouve pas


fait

rapatrier par

le

consul de

France (1877). Son passage Hambourg

(1)

Une saison en

enfer.

lui

HISTOIBC SOMMAIRE DE RIMBAUD

70

a donn des ides sur Alexandrie d'Egypte.

Premire tentative

fin

la

de 1877

em-

barqu Marseille, tombe malade (suite de


marches excessives, d'aprs le mdecin du
bord), est dbarqu en Italie, soign, mais,

ds qu'il peut mettre

va

visiter

un pied devant

l'autre,

Rome... et puis revient, convales-

cent, dans les Ardennes.

Moment,

o Rimbaud va

semble-t-il,

rsoudre vivre d'une profession

se

pendant

son sjour dans une maison de campagne


Saint- Laurent

prs

de

Charleville

(1878),

revenant une ambition intellectuelle expose Verlaine autrefois (1875)) et qu'il

qui fournit au
pote de Sagesse matire bien des rcriminations ou sarcasmes,
appelait

philomathie

ce

l'ancien littrateur

se

met aux

sciences

on

lui

voit dans les

mains une algbre, une gomtrie, un manuel

du mcanicien.
En novembre
plus vite

le

1878,

voulant

atteindre

port de Gnes, point d'embar-

quement pour l'Egypte, il franchit pied


une partie de la chane des Vosges, puis le
Saint-Gothard pour

la

seconde

fois,

en d

HISTOIRE SOMMAIRE PE RIMBAUD

cembre

est

Alexandrie,

ingnieur franais

qui

71

au service d'un
procure ensuite

lui

l'emploi de chef de carrires

l'le

de Chypre

(Entreprise Thial et C*^, maison Larnaca).

Son
ger

rle consiste regarder plutt qu' diri-

l'extraction

poudre qui
leur

des

blocs,

distribuer

la

sert les faire sauter, surveiller

embarquement, payer

les

ouvriers d'ori-

gines diffrentes 3t dont sa connaissance de


l'italien,

prendre
partie

ou

d'un peu de grec, l'aidait comles

langages.

du temps

se baigner

passe

11

la

plus grande

rver, couch sur le sable,

dans

mer. (Une lettre sa

la

famille nous apprend qu'il est chef de car-

du 24 avril 1879;. Le climat


est trs chaud, dangereux pour les non acclimats, la maison Thial rend justice la
bonne volont, la probit de Rimbaud, et
quand la fivre le fait partir de Chypre, il
qu'il
en rapporte un certificat logieux
me montra en souriant, lgrement ironique,
rire la date

mais content tout de mme.


C'est son

dbut dans

En septembre 1879

il

la vie rgulire.

est

Roche, o

il

s'occupe aux travaux de la ferme, avec sa

72

HISTOIRE SOMMAIRE DE RIMBAUD

mre

et sa sur. Je l'y vois

fois.

Maintenant,

me

pour

dit-il,

l'Europe est trop froid pour

la dernire

climat de

le

mon

tempra-

ment... qui s'est modifi... Je ne puis plus

vivre que dans


est

les

pays chauds

Dj

(1).

il

souvent repris d'accs fivreux, et enfin


typhode qui se dclare

c'est la fivre

passer

Roche tout

Retourn en gj/pte,
ploi,

il

l'hiver

il

doit

1879-80.

de

n'a pas trouv d'em-

va de nouveau Chypre,

comme

est

surveillant de travaux dans

plac

une en-

treprise de constructions pour le gouverne-

ment

non plus cette

anglais,

fois

au bord de

mer, mais sur une haute montagne,

la

Troodos (mai
s'entendant

:1880).

pas

11

avec

reste peine,

l'ingnieur,

le

ne

quitte

Pendant ma visite Roche, o il causa beaucoup,


raconta mille choses ayant trait sa vie de voyageur, nullement ses gots anciens, je lui posai soudain la question
Mais la littrature?... Troubl,
Surtout tonn, comme par une image de mot qui n'aurait point paru dans son cerveau depuis trs longtemps,
le pote rougit, un tout petit clair passa dans ses yeux
d'azur, et laconiquement, sur un ton o pointait si peu
que rien de nervosit, rpondit : Je ne pense plus
(1)

me

a.

HISTOIRE SOMMAIRE DB RiMiBAUD

Chypre, ds

mois de

le

encore, cherche

Ja Mer Rouge

du

73

pour l'Egypte

juin,

travail dans les ports de

Massaouah, Djeddah, Soua-

kim, Hodeidah, est accept par

Socit

la

Mazeran,

Viannay

Bardey,

qui

fait

le

commerce

des cafs Aden, se

met

vite

au

et

courant, est laborieux, trs utile par sa facilit

l'anglais et l'arabe.

dey,

notamment

parler plusieurs langues,

homme

pu apprcier

Son chef

bienveillant
l'adaptabilit

direct.

M, Bar-

perspicace,

et

remarquable du

si

jeune commis, a su comprendre que


trts de la

maison seront bien

grands besoins d'initiative


salaire, lui

bnfices

les in-

servis .par ses

double son

il

donne un tant pour cent sur


l'envoie,

et

second

employ,

Ich

l'agence qu'il vient de fonder au Harar (1)


(acquisition de cafs, cuirs,

gommes, plumes

d'autruches... en change de cotonnades et

autres produits d'Europe).

Rimbaud

(1)

Ethiopie.

(2)

Correspondance avec sa mre

de Jean-Arthur Rimbaud.

- publies par

le

et sa

crit (2),

sur

{Lettres

Egypte, Arabie, Ethiopie,

Mercure de France).

HISTOIRE SOMMAIRE DE RIMBAUD

74

13 dcembre 1880

le

Je suis arriv dans

ce pays aprs vingt jours de cheval...

11

reste jusqu' la fin de 1881, est de retour

Aden en

janvier 1882, n'y peut satisfaire son

inquite activit, projette

un

instant d'aller

jusqu' Zanzibar, est envoy au Harar de

nouveau,

comme

agent principal, y fonc-

Aden

tionne en juin 1883, puis revient


(avril 1884),

cause de

la

guerre en Ethiopie

et

d'embarras financiejs qui ont dtermin

la

compagnie suppiinier temporairement

deux agences
rouvrir

son inaction
ses

(1).

Cependant

en attendant
(2),

il

celle

souffre

reprend enfin

d'Aden va

beaucoup de
(juillet

1884)

fonctions de premier employ dans la

maison d'Aden, mais s'ennuie, veut


ailleurf,

aller

pense au Tonkin, l'Hindoustan,

une
Choa (dcembre de la mtme
anne) en vue d'aller vendre au roi Mnlik
quitte l'agence en octobre 1885, forme

caravane pour

le

des fusils europens d'ancien modle, mais

rencontre de nombreuses difficults et subit

(1)

Correspondance avec sa mre

(2)

Ibid.

et sa

sur,

HISTOIRE SOMMAIRE DE RIMBAUD

retaTds

sur

75

Septembre

retards...

1886

le

trouve encore immobilis Tadjourah (colonie

d'Obock) par une grave maladie de son

La pense

associ.

lui est

venue de

se joindre

une autre caravane, celle de l'explorateur


Soleillet...

mais

celui-ci

Enfm Rimbaud
d'o
faite

crit

il

le

parvient Antotto (Choa)


avril

avec Mnlik

malheureusement

meurt

1887.

bnfice

tout

30.000

l'associ vient de

obligation de payer ses dettes

fr.

mourir

deux

fois

gain ralis est perdu. Ce qui reste de

le

entreprise

cette

L'affaire s'est

phique

est

l'itinraire,

un document gogranot par, lui, que suivit

au retour l'audacieux trafiquant pour

aller

d'Antotto Harar. Ces notes furent envoyes

par M. Bardey
les

la Socit

de Gographie qui

publia dans ses Comptes rendus de no-

vembre 1887

(1)

gnon

(1).

elles furent releves par MM. Jean BourguiCharles Houin, qui les ont fait insrer dans la

O
et

Revue d'Ardenne et d'Argonne en juin 1899. (Elles emplissent deux pages de la revue). Rimbaud avait eu
prcdemment l'intention de travailler pour la Soc. de
Gographie. Il m'crivait d'Aden, le 18 janvier 1882 :

HISTOIRE SO\bMAlRE DE RIMBAUD

76

De Harar,
Caire o

il

ensuite,

Rimbaud

passe la fin de

l't,

se

rend au

en vue d'un

repos devenu indispensable, car sa sant n'a

pas cess de pricliter depuis 1880

il

plaignait alors de battements de cur,

1881 de

la fivre,

digrer,

dans

les

en 1884 de ne plus pouvoir

maintenant
reins,

se

en

c'est

dans

la

de rhumatismes

genou

cuisse et le

Aden en octobre

gauches. Revenu

1887,

l'ternel

ennuy parle encore d'habiter Zan-

zibar

Quoi

faire

en France

?...

Il

est bien

certain que je ne puis plus vivre sdentaire-

ment... Surtout

Enfin

je

j"ai

grand peur du

froid...

n'ai ni revenus suffisants, ni emploi,

ni soutiens, ni connaissances, ni profession,


ni ressources

terrer

que de

d'aucune sorte. Ce serait m'enrevenir... (i)

En dcembre

1887, repris par l'ide de

Je suis pour composer un ouvrage sur l,e Harar et les


Gallas que j'ai explors , me priait en mme temps de
lui acheter quelques instruments ncessaires la con-

fection des cartes ; mais presque aussitt des occupations et projets diffrents dtournrent son esprit.
(1)

Lettre sa famille (mre et sur), rsidant

Roche.

HISTOIRE SOMMAIRE DE RIMBAUD

vendre des armes Mnlik, nous


solliciter

77

le

du gouvernement franais

voyons

l'autori-

sation d'tablir sur le territoire d'Obock une

fabrique de fusils et cartouches destins au


roi

du Choa, autorisation

refuse d'abord,

accorde
dfinitivement
cause de conventions avec
ensuite,

retire

l'Angleterre.

Il

se retourne vers le Harar, s'y tablit son

compte en mai 1888 (commerce d'ivoire,


caf, musc, poudre d'or... et de cotonnades,
soieries, etc.

association avec M. Tian, n-

gociant Aden). Les lettres que


crit
1

Rimbaud

de Harar jusqu'en 1890 parlant toujours

d'ennui en ce qui

le

concerne, mais sont op-

Ltimistes quant aux affaires, qui vont bien.

Au
dans

dbut de 1891, de nouvelles douleurs


les

treprise

jambes

le

forcent quitter une en-

florissante,

Aden, d'o

il

revenir pniblement

crit le

30

avril,

annonce son

entre l'hpital et qu'un mdecin anglais


tumeur synovite . jLe mapour Marseille, amput
embarqu
lade
d'une jambe l'hpital de la Conception

a diagnostiqu

est

(juin 1891), essaie d'un


mille,

sjour dans sa fa-

Roche, mais n'y reste que bien peu

78

mSTOIBE SOMMAIRE DE RIMBAUD

de temps, retourne Marseille et au


hpital, o

il

meurt,

aprs avoir manifest


foi la

le

mme

10 noembre 1891,

les

sentiments de

la

plus vive, de la plus touchante pit.

LA VIE DE SON ESPRIT

Quand

Verlaine {Les Potes maudits) (1)


eut rvl Rimbaud, ce qu'il fit surtout pour

payer une dette d'amiti et proclamer sa


reconnaissance envers qui
si

lui

avait offert de

belles ftes d'esprit, quelques-uns,

dans

la

jeunesse littraire, se rjouissaient tout sim-

plement d'avoir goter un pote de

plus,

ajoutant son originalit forte d'autres

ori-

(1) Je dois mentionner galement Flicien Champsaur et sa Dinah Samuel. Entre beaucoup d'artistes
et littrateurs, dfilant dans ce roman sous des pseudonymes, parat le jeune pote Arthur Cimber, et neus
devons l'auteur la citation
publique pour la premire fois, il semble bien
de tout un passage des
Chercheuses de poux.
Il convient d'ajouter que bon nombre des posies de
Rimbaud furent retrouves ensuite par Rodolphe
Darzeus.

LA VIE DE SON ESPRIT

82

ayant prcd

ginalits

sienne

la

beaucoup

y virent une occasion de repousser

les

rpu-

tations admises et contenter l'instinct individualiste, lequel fait dire en secret

peut arriver qu'un

nom

noms

cule aujourd'hui les

quoi pas

le

mien

comme

le

aussi

mon

ne serait-ce pas

hier

S'il

inconnu bous-

consacrs, pour-

Pourquoi, demain,

tour d'tre considr

plus tonnant pote

?...

Mais

la

plupart, mi-amateurs, mi-bourgeois ou mi-

voulaient

snobs,

uniquement

donner

se

l'avantage d'tre premiers connatre un


talent qualifi par eux de

rare

ils

insis-

parce que prcder

taient sur ce vocable,


le

vulgaire en la connaissance et la possession

d'un objet de luxe, non rpandu encore, c'est


tout de suite se poser
dernire

lancer

comme

tant plus

la

mode
et ils s'empressaient de
Rimbaud comme on lance un nou))

veau manche de parapluie.

Rimbaud

tait

justement

rare et de l'inattendu.

Il

ne

le

contraire

fallait

du

pas voir

dans sa potique une rvolution, une dmolition,

un changement de

route,

mais une

reconstruction et un point d'arrive.

LA.

VIB DB SON ESPRIT

La grandeur de son

rle est de reprsenter

progrs littraire dans ce qu'il peut avoir

le

de plus fcond et de plus normal.

Il

continuait

ce fait naturel, impratif malgr toutes aven-

tures ct
les

buissons avec

nassiens

il

L'on avait battu

la tradition.

les

ramenait

Romantiques,

les

Par-

la littrature franaise

la nourriture latine

il

la faisait

plus que

jamais classique.
Je veux dire qu'il se remettait fortement,
vraiment, dans

le

courant de sensibilit ar-

tistique de l'Antiquit.

Cette sensibilit nous l'avions perdue en


partie

au cours du Moyen Age, retrouve,

croyait-on, mais peine connue (1) au

temps

du xvi^ au xix^ sicle.


Qu'est-ce, en effet, que s'inspirer de l'Antiquit ? Est-ce emprunter des sujets l'hisdes potes qui vcurent

toire grecque

ou romaine

Non, puisque

les

artistes de l'Antiquit furent des modernistes

en leur temps, et que faire de l'histoire ancienne c'est exactement

que faisaient

le

contraire de ce

les anciens.

(1) Bien que Racine


d'harmonie expressive.

ait

eu de curieuses vellits

LA VIE DE SON ESPRIT

84

L'histoire des peintres franais nous fournit de cela des

enseignement

exemples qui apportent un

dcisif.

Je ne crois pas que l'on

puisse trouver une cole plus en dehors de la

beaut antique que

l'cole

de David. Ces

gens-l sont tout ce que l'on voudra, sauf des


classiques, tandis

que Watteau, peignant des

scnes de la comdie italienne, des pastorales


galantes, construit ces contemporains avec
le

sens vident de la pure beaut antique, et

du tout dans V Enlvement des


Sabines (1), dans le Retour du Proscrit (2),
c'est dans V Embarquement pour Cythre que

ce n'est pas

l'on trouve la dlicatesse vibrante et radieuse

du dessin
pli ses

grec. Parce

de beaut dues

dans

que Watteau avait em-

yeux, son esprit, son cur des visions

ses

la statuaire classique,

et

personnages vtus de satin, essen-

tiellement

modernes,

il

mettait

l'lgance

nerveuse, douce et robuste d'un art qui avait

son insu ou non pntr en


imprgn pour toujours.
(1)

David.

(2)

Gurio,

lui, l'avait

tA VIB DB SJN ESPRIT

Tel
Il

Rimbaud possd par

y eut

une sorte de

les latins.

fatalit.

secrtement

farouche,

timide,

85

L'enfant

volontaire,

port isoler son me, a reu d'abord, avi-

dement

aspir la posie paisible et imprieuse

la fois du Catholicisme, puis a voulu s'en


dlivrer par contre-coup de la rvolte qui

montait dans

lui

en soubresauts graduels,

ds l'ge conscient, contre l'incessant dog-

matisme trop

terre--terre de l'autoritarisme

maternel (voir

les

Potes de sept ans). Et ce

besoin d'chapper au milieu familial en fait

par
situations bourgeoises

un studieux perdu. On
espoir naf de belles

on exige

qu'il ait les

veut, chez lui

premires places,

les

premiers prix au collge, qu'il fasse des devoirs encore et encore,

apprenne par cur

des textes qu'on lui fait rciter mcanique-

ment, caporalement, avant de l'envoyer au


professeur...

tudes, cet

Eh

bien,

ces

travaux,

emprisonnement avec

ces

les cahiers

un peu de vraie libert dj,


c'est un commencement de pouvoir vivre
intellectuellement pour soi-mme
et puis
la classe, c'est, quelques heures par jour au
et les livres, c'est

86

LA VIE DE SON ESPRIT

moins,
,

le

milieu diffrent,

indpendance,

l'air

Surtout quand

cet esprit
tress

si fin, si

le

bonne

la classe

a pour directeur

noble,

hautement dsin-

jeune

si

homme

pre intellectuel de

encore (20 ans),

une certaine mesure,

tre le guide et, dans

Il

refuge, la

Georges Izambard.

Celui-ci, tout

va

le

mental qui convient.

Rimbaud.

succde Duprez, autre belle

intelli-

gence, plus craintive et presque pouvante

de ce qu'annonait l'enfant, mais dont


deur professionnelle domine

les

scrupules

Izambard dploie toute sa science de


se croit oblig

l'ar(1).

lettr,

de l'augmenter par de nouvelles

recherches, en vue de

mieux

faire sentir

l'lve-ami les saveurs puissantes et nourricires

de

la

phrase latine. Son action pour-

tant ne se borne pas


l

introduit

l.

Rimbaud dans

la

socit

(1) A chacun son d. J'ai nomm autre part les


premiers matres, je dois signaler aussi parmi les initiateurs de Rimbaud la forme classique Prette, professeur de 4e, Lhritier, professeur de 3^ il eut en 2
Duprez ; Izambard tait professeur de rhtorique.
:

LA VIE DE SON ESPRIT

d'autres intellectuels
nel

on

laurat

pour

parmi

les

Le-

(1),

au

programmes du bacca-

sort des

des

Deverrire

Alors on n'est plus

Bretagne.

(2),

collge,

87

randonnes

uvres de toutes

audacieuses

poques. Plus

les

seulement Homre, Pindare, Sophocle, Euripide

entier

Xnophon, mais Aristophane en


plus seulement Ovide, Horace et

et
;

mais Lucain, Juvnal, Catulle

Virgile,

seulement

le

Grand

sicle

Rabelais, Marot et ceux de la Pliade

seulement Vauvenargues, Montesquieu

Mrope de

potes,

romanciers

Leconte de
et

Champfleury,

Or

il

plus
et la

contemporaine

Gautier aprs Hugo,

Lisle, Banville aprs Baudelaire,

naturellement

lectuelle

plus

Voltaire, mais Rousseau, Helv-

et puis la littrature

tius...

mais Villon,

le

Parnasse

et

Balzac,

etc.

a ceci dans toute formation intel-

que

les

choses apprises difficilement,

par obligation, par devoir, s'installent plus

libre

Professeur de philosophie dans une institution


de Charleville.

(2)

Professeur de 4^ (successeur de M. Prette) au

(1)

collge de Charleville, historien de Marmontel.

LA VIE DB SON ESPRIT

88

solides, plus matresses

que

acquisitions

les

dues seulement au plaisir des lectures. Si


les

crivains

romantiques ou ralistes du xix

sicle lui

potes de la Renaissance,

les

donnent

le

got du pittoresque
qui

d'observation

besoin

se

et l'obsdant

manifesteront

dans toute son uvre (voir surtout Les Assis,


Les Pauvres V glise, Oraison du
pissements)

Accrou-

rigorisme familial, en pous-

si le

Rimbaud

sant

soir,

chercher les compensations

du vagabondage, est aussi une circonstance


favorable qui dveloppe en lui la facult de
voir

l'instinct

si

de libert absolue, produit

ncessairement par toute compression auto^


ritaire,

l'habitude ddaigner, viter,

fuir

en ses

que

l'on appelle

comme

crits,

comme
mesure

en sa conduite, ce

et qu'il considre

banalit ou froideur

la discipline

formiste due au latin subsiste et prdomine.


Il

chappe toute

loi,

except

la forte loi

de Rome. Ce n'est pas sans rsultats s'imposant dfinitifs que l'on a scand longtemps
le

mtre

latin,

que

l'on a t sous la crainte

unique, salutaire, des fautes de quantit.


en

vient

toujours,

en gotant

les

Il

potes

LA VIE DE SON ESPRIT

89

nationaux, comparer leurs sductions,

les

lments dont leur technique dispose, avec


ce que lui a mis dans l'esprit la prosodie
latine.

C^est ainsi qu'il devient le rimeur formi-

dable de Bateau
le

moyen

temps que

i>re.

C'est ainsi qu'il trouve

d'avoir la rime riche


brillante, inattendue,

Comme je descendais les


Je ne me sentis plus tir
Des peaux rouges

en

mme

frappante

fleuves impassibles,

par

les hleurs.

criards les avaient pris pour cibles,

Les ayant clous nus aux poteaux de couleurs.

Mais, dans
Virgile

donne

mme

le

et

chef-d'uvre, ce que

impose au pote franais ap-

parat plus vident encore, l'action de


plus

surgit

rythme

latin

clatante
(1)

par

l'action

Rome
de

ce

que nos potes avaient

(1) Un des procds virgiliens que l'lve d'Izambard devait remarquer, tudier tout d'abord, le rejeta
avait t introduit dans notre posie surtout par Hugo,
qui du reste en rendit hommage qui de droit :

Mais

je

soit servi

Virgile,

mon

matre

I...

ne crois pas qu'aucun pote moderne s'en


avec autant d'habilet que Rimbaud et en

LA VIE DE SON ESPRIT

90

dsespr

Pour

d'acqurir la matrise.

ait

Rimbaud

de capter, dont

sentir

vient
cela

obtenu un aussi grand pouvoir d'eiet. Quelques


parmi les uvres du temps o

citations cueillies et l
il

il

tait encore

sous l'influence des

auteurs

Et

l'un avec la hart, l'autre avec la cravache


ous fouaillaient...
{Le Forgeron).

Dans

les granges entrer des voitures de foin


Enormes...

{Ibid).

Du jambon

rose et frais,

parfum d'une gousse

D'ail...

{Au Cabaret
Tout

le

jour

il

Vert).

serait d'obissance, trs

Intelligent...

{Les Potes de sept ans).

Or il

s'est accroupi, frileux, les doigts

de pieds

Replis...
(.4

Cependant le cur
Des dessins...

choisit

pour

ccroupissements).
les

enfances

{Premires communions).
...

Sourires verts, les

dames des

quartiers

Distingus...

{Pauvres V glise).

LA VIE DE SON ESPRIT

91

de suivre

suffit

la

marche d'abord

calme, et fatale du bateau sur les


passibles

souple,

fleuves im-

jusqu' la glissade en l'estuaire

Les fleuves m'ont

laiss

descendre o je voulais,

jusqu'au
...

quand

clapotement furieux des mares.

la

cadence

tout

coup

se

brise,

rebondit, sursaute, et jusqu'aux danses ingales sur le flot, jusqu' l'abandon


prices,

aux

fureurs,

aux

ca-

aux langueurs des vagues

innombrables.

Dans Bateau
Et depuis

je

me

ivre, disait

suis

Verlaine,

baign dans

le

il

y a

pome

)e la mer...

{Bateau
II

entend leurs

cils

ivre),

noirs battant sous les silences

Parfums...

{Chercheuses de poux).

Et qu'interrompt parfois un sifflement, salives


Reprises sur la lvre, ou dsirs de baisers...
{ibid).

Inutile d'expliquer au lecteur ce qui est par lui si directement, immdiatement senti, de mme que ces

92

LA VIE DE SON ESPRIT

toute la
lorsque

mer . Je
Rimbaud

que

dois dclarer

son pome,

crivit

mer,
il

moyens

merveilles expressives dues d'autres


classique

la

ne

d'art

Regardent

boulanger

le

Le lourd pain

faire

blond...

{Les
Sire, tes

vieux canons sur

Effars),

les sales pavs...

Le Forgeron).

Quand

et tu bruis,
...
s'ouvrent lentement tes grandes portes noires.*,
(Le Buffet).

Et vous

les coutez,

cognant leurs ttes chauves

Aux murs sombres,plaquant et plaquant leurs pieds tors..


{Les Assis).

Tels qu'au

fil

des glaeuls

le

vol des

libellules...

{Ibid).

Et

leurs caboches

vont dans des rouhs d'amour...


{Ibid).

Trs nafs

et

fumant des

roses, les pioupious...

{A

Mon pauvre cur bave

la

musique).

la poupe...

{Cur
Paix des ptis sems

vol).

d' animaux...
(

Voyelles),

LA VIE DE SON ESPRIT

93

chappes

l'avait pas encore vue, ses quatre

de

la

maison maternelle ne l'ayant men plus

Plus lger qu'im bouchon,

Presqu'le balotant sur

Et les

j'ai

dans sur les flots.


{Bateau ivre).

mes bords les

fientes d'oiseaux clabaudeurs

querelles

aux yeux blonds...


{Ibid).

Je courus et les pninsules dmarres


N'ont pas subi tohubohus plus triomphants...
{Ibid).

Fleur ternel des immobilits bleues...


{Ibid).

Aux

vingt gueule 8 gueulant des cantiques pieux...


{Pauvres V glise).

Ici Rimbaud va plus loin que Virgile, Catulle et


Juvnal non seulement il donne le tapage des chanteurs, mais il exprime encore, au moyen de la prononciation du dernier mot, le mpris haineux prouv par
:

celui qui raconte.

Cette action du modle antique ne cessa, d'ailleurs,


jamais entirement chez le pote, mme voulant s'en
librer

;
.

Aux

doigts, foulant l'ombelle trop fire

l'ombrelle

pour

elle...

{Mmoire, 1872).

Et je ne puis que conclure, ainsi qu'autrefois


Emules de Rimbaud, faites d'abord des vers latins
1

lA VIE DE SON ESPHIT

94

loin

que Charloroi, Bruxelles, Douai, Paris.

Cette description gniale venait d'un souvenir d'enfant

Meuse dbordant au moment

la

des grandes pluies printanires ou automnales,

une

et roulant ses

entre

prairie

eaux limoneuses dans

Charleville

l'imagination faisait

poluphlosboio thalasss, et
figuratives de

Mme

l'

le

il

sonorits

mme

richesse

fameux sonnet des

Voyelles.

cette

Chercheuses de poux, dans

moment o

science
les

dans

si

les

Corbeaux. C'est

vient d'tre appel Paris

par Verlaine. Ses causeries avec un


d'une

Enide.

Dveloppement de
le

les mille

science rythmique,

de rimes dans

Mzires

et

le reste et aussi l'Iliade

homme

profonde intelligence et d'un sens


merveilleusement

dlicat

artistique

si

suggrent

de nouveaux raffinements

lui

dans

la

forme. Avec l'auteur de la Bonne chanson

il

reconnat

que l'emploi perptuel de

consonne d'appui

sable,

que

la

au

la

lieu d'tre indispen-

peut trs bien passer pour insuffisant,

rime doit ne pas se contenter d'tre

uniformment rigoureuse ou
tendre

plus

d'action

riche

efficiente

mais

par des

LA VIE DE SON ESPRIT

95

inflexions musicales sensibles l'oreille au-

tant qu' l'esprit

une croise
Grande ouverte, o l'air bleu baigne un fouillis de fleurs,
Et dans ses lourds cheveux o tombe la rose
Promnent leurs doigts fins, terribles et charmeurs (1).

Elles asseoient l'enfant devant

Sois donc le crieur

du

devoir,

notre funbre oiseau noir

Laissez la fauvette de mai


Pour ceux qu'aux fond du bois enchane,
Dans l'herbe d'o l'on ne peut fuir,

La

dfaite sans avenir

(2),

Je dois m'arrter encore sur cette uvre

une volution passagre de

l'auteur, par

sentiments qui n'est pas rare chez


a t pour une

fois

les potes,

patriote. Les

Corbeaux

parlent avec pret de revanche aux survi-

vants, la fauvette de mai chante doucement,

d'une voix lgre qui devient un soupir, la


piti sur les morts.

Je voudrais dire surtout

que peut-tre nulle part Rimbaud n'est

ar-

riv plus prs de cette perfection cherche

par

les

latins

peindre,

(1)

Les Chercheuses de poux.

(2)

Les Corbeaux.

non pour

les

yeux

96

LA VIE DE SON ESPRIT

seulement, mais pour

mais l'adresse

l'esprit,

de toutes nos facults rceptives,


dire faire voir, entendre,
la

ou

description

gestes,

etc.

content

de

la

sentir,

par

Bateau

non

nous communiquer

la

mer

capricieuse,

wre,

folle,

la

langue

l'acidit agrable

prsent

d'un fruit

entendons

nous

d'abord lointains

(ce

qui rappelle

oir...

le...

funbre oiseau noir


le

sres.

corbeaux,

les

cris svres...

pressa

corvi

puis sur nos ttes

imitant du bras

pommes

Arme trange aux

ture),

mouve-

sensations que cause

les

Plus douce qu'aux enfants la chair des

jouet

nous obligeait

il

goter, au moins exprimer par des

ments de

divers

les

balancements de cette planche


de

provoquer

reproduction

dans

Dj,

c'est--

...

crieur
et

ter

du

gutde-

nous voil

tournoiement des sombres

oiseaux tantt carts et tantt rassembls

dans

le

vent qui ulule

Dispersez-vous, ralliez-vous

!...

LA VIE ne SON

97

ESriiST

Mais j'aurais d avant tout signaler ce


vers

si

impressionnant de

d'un rythme lent et


souvenir

on

premire strophe,

que termine

triste

croirait

de cloche mourant dans


et glac

la

le

d'un dernier son

restant

lui-mme,

tus...

tout

en

docilement, puissamment vcu avec


ciens,

il

morne

crpuscule

Les longs anglus se sont

Donc

le

se remettait

au point o

l'art

ayant
les

an-

antique

tait parvenu, profitait de ce qu'avaient fait


les

meilleurs, ajoutait son propre gnie et

tendait

l'arc

d'Ulysse

prsent du pass.

en rapprochant

le

ri

Et

vcil qu suffirait

Bateau

teur de

ire

aux esthtes

un degr de
avant lui, ce qu'il y

teint

L'au-

notre langue

forg

potique en un mtal nouveau,


l'art franais

il

a port

non atavait de mieux


science

dans Hugo, dans Musset, dans Baudelaire,

dans Leconte de Lisle se trouve gal, surAlors

pass...

?...

Continue de chanter, chanteur

nous ayons, grce


toujours

plus

toi,

dlicates

!...

Que

des jouissances d'art


et

plus

profondes.

Ainsi parlent tout naturellement les dilettantes. C'est

dommage que

le

pote soit non

un instrument que l'on tire volont de sa


bote, mais un homme, un esprit soumis aux
terribles lois de la vie intellectuelle.
Il

a,

disons-nous, ce talent

pour notre

profit,

pour

le

qu'il

sien.

en use,

Touchante

LA VIS DE SON ESPHIT

100

bonne volont du monde Nous ne songeons


pas aux circonstances, aux phnomnes qui
!

ont produit

merveilleux savoir-faire,

le

comme

nous croyons que l'on devient pote

on apprend jouer de

mandoline. Or

la

santes

on ne

la

mme

posie, habilet verbale, doit tre en

temps une

et

trs vive ardeur des facults pen-

cette ardeur, ce feu, cet incendie

fait

point sa part

bien allum,

il

une

fois

que

c'est

faut que tout flambe.

Rimbaud d'apprendre

On. a dit

il

appris, a voulu savoir, et de plus en plus.

Son premier succs


fait

en classe de 6

contenait

d'colier fut
(il

avait douze ans) qui

un rsum de

l'histoire primitive

(Egypte, Assyrie, Chalde,

nant pour que

le

un devoir

etc.)

professeur

assez ton-

(1) l'ait

montr

avec orgueil tout le personnel enseignant

du

collge,

dans

le

en

monde

lui

annonant l'apparition

scolaire d'un

Voir l'ensemble de

la vie

petit prodige

des peuples, c'tait

voir de l'immensit vivante, c'tait la cons-

cience individuelle s'veillant oeu peu en

u.

Crouet

101

LA VIE DB SON ESPRIT

conscience humaine. Les curiosits, les sensibilits

trouvent ensuite des lments subs-

tantiels

en Ttude dtaille de

de

romaine

la vie

les

peuples

nation

un

il

voit de plus prs s'agiter

bientt avec sa propre

est

il

grecque,

la vie

tre collectif

nouveau, d'abord

fruste et barbare, mais d'une ferveur nave

en sa brutalit, dont l'me


avec ce qu'a

la sienne,

vraiment bon

c'est--dire de

antique

il

se nourrit,

voit

cette

comme

laiss d'imprissable

socit

la

pense

adolescente

grandir, combattre, s'adoucir, parvenir elle


aussi

un

d'Auguste

sicle

mais

diffrent,

sinon plus beau, du moins plus haut.


Croit-on qu'un tel spectacle pourrait laisser
froide l'imagination de ce regardeur qu'est

un pote

?...

Ah

prix d'histoire

il

on veut

qu'il ait aussi des

aura, mais ce ne

les

sera

pas impunment. Histoire politique, histoire


sociale,

histoire littraire,

tout se tient, et

avec l'imagination va entrer en danse


raison de

l'colier.

Point ne

qurir des faits et des


rer, juger, conclure,

toujours

davantage.

noms

lui
:

il

la

suffit d'ac-

veut compa-

pour cela se renseigner


Pourtant,

ce

qui

le

LA VIE DB BON ESPRIT

^02

passionnera dans l'histoire du

moins

monde

c'est

guerrier que le penseur, moins la

le

marche des

que

faits

celle des ides

qui les

dterminent.

Et
tale,

il

faut,

pour bien expliquer sa vie men-

revenir sur l'action exerce par l'ensei-

gnement secondaire
en

organis

marcher cte

classique

nait l'existence et

oii

le rle

du temps de Louis XV,


q lire le

celui-ci

cte l'antiquit et les

Au moment

modernes.

qu'il

tel

Toujours

France.

il

Rimbaud

des

est
fait

temps
appre-

philosophes

se trouvait

conduit

pote latin Lucrce. La cause occa-

sionnelle fut toute simple.

L'auteur du

De

natura rerum tait l'ami de Cicron, Virgile


l'imita,

Ovide avait pour

affectueuse.

pour

n'en

Il

attirer sur

lui

fallait

son uvre

une admiration
pas

davantage

la curiosit

studieux enfant. Les sductions de

concourent alors avec

la

du

forme

la force originale des

penses. Lucrce reprsente l'esprit antique,

longtemps
thses,

et

pluraliste

cette

pour Rimbaud
logique,

si

si

arrivant aux syn-

norme
de l'immense et du

considration
pris

est

invinciblement port l'absolu.

103

LA VIE DB SON ESPRIT

Ajoutons

qu'il est alors

en rvolte contre

De Lucrce

la tradition catholique.

il

retient

donc surtout cette conjecture qu'une divinit


rgnante et providentielle peut tre juge
inutile

mais adopte, interprte sa faon,

avec un ardent enthousiasme,

atomes

d'une

crateurs,

nourrice

thorie des

la

mre

Nature

quand

suit le pote latin

exalte la grandeur de l'homme,

quand

il

parle de sa faiblesse

le

ne pas croire

Vnus

trouve

que l'Amour

en

est loi

pure forme

Et quand on

est

nglige

moment,

s'enivre de l'Invocation

personnelle

conclusion

unique

tout cela dans son premier


et

celui-ci

laquelle ses

espoirs dmesurs prfrent, en ce

et

Soleil et

couch sur

puis

il

chante

pome de

Chair

(1)

la valle,

belle

on sent

Que la terre est nubile et dborde de sang,


Que son immense sein, soulev par une me.

comme Dieu, de chair comme la emme,


Et qu'il renferme, gros de sve et de rayons,
Le grand fourmillement de tous les embryons.
Vnus, detse !...
Et tout crot et tout monte

Est d'amour

(1) 1870.

104

LA VIE DE SON ESPRIT

Mais ne dit -il pas aussi

Une

brise

Amour

d'amour dans

physique,

fondent dans
fant pubre.

amour

la nuit a pass...

amour moral

conscience perdue de l'en-

la

Amour,

c'est piti

c'est lan fraternel...

Les effars

multe

pour

l'asservissement

pr-

les sicles

vient de contempler

il

Quoi donc trou-

humaine en

blait l'harmonie

paratoires dont

con-

se

le

tu-

voit que ce furent tant d'eiTorts

Il

rciproque

chose

horrible...

Amour, Libert

quel rve, pauvre folle


neige au feu,
Tes grandes visions tranglaient ta parole
Et l'infini terrible effara ton il bleu (1).
Ciel,

Tu

te fondais lui

Amour, Libert

Rvolution

ment

...

franaise...

philosophique de

la

Eh

bien, voici la

Justement

Rimbaud

(dernire priode

France

comme une

s'veille

l'esprit

au mo-

du second empire) o

est particulirement avide

de tout

(1) Ophlie (1870). Le jeune pote voit en elle autant


lui-mme que le personnage de Shakespeare. Remarquer surtout les deux derniers vers de la citation.

105

tA VIE DE SON ESPRIT

savoir sur ce grand

les

tudes

les

drame

social et politique,

plus vastes et les plus fer-

ventes viennent d'apporter ses curiosits

une documentation qui

s'accrot de jour en

La bibliothque de Charleville, celle


du principal du collge (M. Desdouests, qui

jour.

avait dit

Faites-lui lire tout...

professeurs ses amis (1) livrent

),

celles

des

Rimbaud

les

travaux de Thiers, Mignet, de Tocqueville,


Michelet, Lamartine, Quinet, Louis Blanc.
C'est ce

dernier qui exercera l'influence

(1) Les amis du cercle Deverrire, Bretagne, Lenel...,


de mme que certains camarades du collge, ne se contentaient pas de lui prter des livres, mais parfois les
lui offraient en pur don son tour il voulait donner ces
volumes c'est ainsi qu'aprs avoir lu toute la bibliothque de son professeur, il demanda la permission d'y
ajouter Florise et Les exils de Banville, un numro
des Nouveaux Samedis de Pontmartin, Les Couleuvres
de Veuillot, les Nuits persanes d'Armand Renaud,
plusieurs brochures du Parnasse contemporain (voir
Lettres retrouves
l'article de Georges Izambard
d'Arthur Rimbaud, publi dans Vers et Prose). Pour
mon compte, je me rappelle avoir t gratifi d'un
Louis Bouihet (Melaenis) et d'un Charles Dickens
{Les Temps difficiles). C'est ce qu'ils ont fait de
mieux , ajoutait Rimbaud, et cela prouve que le pote
fut aussi un critique des plus srs.
;

106

LA VIE DE SON ESPRIT

un

dfinitive. Louis Blanc, d'abord, est

un

un

historique et

soin

scrupuleux
qu'il est

mais

il

can-

Rvolution avec

dide, personne n'a tudi la

moral plus

sens

de particulier

ceci

avant tout l'historien du rgne de

Louis-Philippe,

triomphante,

bourgeoisie

juge

l'incorruptible
et

la

aperoit

qu'il

l'uvre rvolutionnaire travers

de

la socit

qui en a profit, qu'il accuse de l'avoir exploite, fausse,

corrompue.

Cette honntet vengeresse

pntration

puissante,

donne

lui

clairvoyance

la

la

et

l'attention fermes. Sous le fracas des paroles


et

dans

la fatalit

l'impulsivit

des vnements

commune que

la

il

discerne

race

avait

contracte, qui prenait part au drame, qui

devait en dtourner
vice

humain

autour de

lui

les

voyait svir maintenant

qu'il

avec une sorte de cynisme

conscient, dont

il

montrait

la fin

du Moyen Age,

vrai

nom

comprendre
introduction

meilleurs effets, ce

qu'il

les

nommait de son

V indwidualisme.
d'ailleurs,

sur

la

XV1116 sicle, que le

en une
vie

in-

progrs ds

Il

laissait

dramatique

intellectuelle

monstre

lui fut

au

dnonc

lA VIE DE SON ESPRIT

par Jean-Jacques Rousseau,

107

avouait son

il

culte pour celui-ci...

Rimbaud

seigne moiti.
rateur.

l'homme qui

se ren-

voulut connatre

l'inspi-

n'tait pas
Il

courut Jean- Jacques

11

(1)

(1870-

1871).

Et

de ceux, de

c'est l'histoire

celles

qui

rpondirent un jour, par curiosit, l'appel

d'une passion leur faisant signe,

les saisissant

tout coup ds approchs, leur laissant pour

jusqu' la mort

Rousseau

que

est

trouble de son treinte.

le

l'homme que

rien ne trompe.

Il

il

ou jeunes,

il

vit dans le plus brillant

entend parler autour de

des sicles,
lui, vieilles

voit,

rien ne sduit,

les

gnrations

les

plus

audacieuses, intelligentes et inventives qui


furent

gure

jamais,

fait

qu'elles trouvrent

moment o
le

nous

quotidiennes avec

Pendant

il

les

n'avons
principes

vient en France au

cette nation est l'inspiratiuce et

modle du monde

(1)

puisque

depuis que dvelopper

les

il

est

mis en relations

les esprits les

plus vastes

cours de sa quinzime anne, ge


dans la vie de l'tre pensaut.

critique, ge dcisif

108

et

lA VIE DE SON ESPRIT

plus puissrnts,

les

il

'^st

prsent, r^ii,

ihoy rnrne, dans la socit la plus aristo-

Et on

"iatique et la plus raffine.

lui dit

ette poHiesse, cHte douceur lgante,


besoin
la

d'intellectL-.olit,

c'est

civilisation,

le

ce

le

produit de

rsultat

du progrs

c'est

des lettres, des arts et des sciences... Voyez

l'homme devient
Rousseau

dit

pas meilleur.
mauvais": Et

11

s'il

meilleur...

Non

L'homme ne

devient

devient, au contraire, plus

continue dans cette voie,

il

deviendra pire encore...

Ah

Rousseau aperoit tout,

prvoit

il

tout, jusqu'aux amoralistes de nos jours, et

pour empcher que ce doute ne

Qu'importe

qu'il soit meilleur ?

L'homme devient
intrt.

voyez

Car
le

il

pire...

soit
il

la

contre son propre

souffre davantage.

L o vous

progrs je vois V orgueil,

voyez l'humanit en marche vers


et

mis

ajoute

o.

vous

la libert

connaissance, je vois l'accroissement

du mal

et je vois l'accroissement

de

la servi-

tude...

mieux

Mais

alors,

votre compte,

tre des sauvages ?

il

^audrait

LA

VIIJ

Pourquoi

DE SON ESPRIT

pas

109

Croyez- vous

?...

l'homme primitf vous

tait

que

infrieur

et

connaissait autanr que vous cette chose que


je

vous opposerai toujours, parce que vouf

reculerez

devant

toujours

Vous

france... ?

elle

au

clbrerez

lu

60uf-

besoin

la

beaut des vices, mais vous ne voudrez pas


souffrir, et

sur

malgr ce que vous pourrie? dire

splendeur

la

aurez malgr vous

d'une

vie

intense,

vous

dsir, l'impiicux be-

le

du calme, c'est--dire du
bonheur, du seul bonheur. Et ce qui s'oppose
votre bonheur c'est l'orgueil. Et ce qui fait
du

soin

repos,

que peut-tre

il

et t prfrable pour vous

de rester sauvages, c'est que vous n'tes


de

sortis

la

sauvagerie que pour devenir,

uns des aristocrates et


c'est--dire tous des

les

les

autres des esclaves,

mchants, des voleurs,

des injustes, des oppresseurs, des haineux,


des envieux... c'est--dire tous des malheu-

reux

On

serait port s'crier

mais pas davantage

...

<r

Paradoxe

comme

joli*

disaient

bien des contemporains qui ne savaient enci^re

il

allait

en venir,

si

l'histoire

ne nous

110

LA VIE DE SON ESPRIT

apprenait que l'auteur des deux fameuses

rponses des questions bien troublantes


et

en tout cas bien indiscrtes

poses par

une acadmie de province (1) est devenu,


conduit par sa logique, non seulement le
boute-feu de la Rvolution franaise, mais
quelque temps son guide et son flambeau.

Et de

mme

que nous, Rimbaud

est

prsence de l'uvre entire de Rousseau.


suit le
oi

dveloppement de sa pense,

il

en
11

voit

sa sensibilit exaspre, sa raison coura-

geuse
route.

le

mnent. L'humanit a

fait fausse

produit

Vingalil,

L'tat

social

source de toutes

maux. Et
politique,

il
il

les injustices et

de tous

les

arrive au Discours sur V Economie

arrive au Contrat social.

Or l'auteur de ces livres a enferm nos


dans un terrible dilemme
L'homme
est n libre, soit
Mais alors, ou l'isolement
dans la vie de nature de celui que vous

esprits

1 en 1750 : Le progr
(1) L'Acadmie de Dijon
des arts et des sciences a-t-il contribu corrompre ou
purer les murs ? - 2 en 1753 Quelle est l'origine de l'ingalit parmi les hommes ? Est-elle conforme la loi naturelle ?
:

LA VIB DE SON ESPRrr

nommez un
ai

montr

de

socit

le

lit

sauvage, de celui dont je vous

bonheur

et l'innocence,

ou

l'tat

que vous avez voulu, dont vous ne

pouvez plus
comporter

sortir.

la

Et

cet tat social,

pour

ne peut reposer que

libert,

sur une organisation forte qui aura Vgalit

pour base, mais qui supprimera ncessaire-

ment

Encore une

l'autre et tout

une

individualisme de l'homme

l'intgral

primitif...

fois,

c'est

ou

l'un

systme intermdiaire serait

erreur.

C'est alors qu'il expose sa conception de

l'tat qu'il appelle dmocratie. Cet tat ne

peut subsister que par Vgalit. L'galit ne

peut se maintenir

un citoyen

si

arrive

prendre plus d'importance qu'un autre. Par

consquent

l'individualisme.
ait

exige

l'galit

Car

pas de matres,

il

si

l'crasement

l'on veut

qu'il

de
n'y

faut qu'il n'y ait pas

ce que l'on appelle des individus.

chaque instant l'auteur

supriorit,

insiste

sur

la

sur l'infaillibilit de la volont

gnrale oppose aux volonts particulires,


sur la ncessit pour celles-ci de s'immoler
celle-l, ce

qui est l'intrt

le

mieux entendu

LA VIE DE SON

112

de chaque particulier

ESPIllT

un pour

tous

tous,

peur un.
Il

n'hsite pas voir et accepter l'entire

consquence de son principe. Pour parvenir


la libert par

ment

l'galit,

faudra

il

le nivelle-

progressif des situations, des fortunes,

des rles, des rputations, des influences, et


le

commun

bonheur

aura

pour condition

que chacun vive dans un tat galement


loign de l'abaissement et de la gloire, dans
cet tat que trs franchement, trs coura-

geusement

il

appelle

mdiocrit.

vraie dmocratie est-elle ralisable

La

L'auteur du Contrat social avoue tristement


qu'il

en doute. Est-elle conforme

L'ducation

donn une promptitude


dductif qui

le

!...

de

lui

raisonnement

porte voir la seconde ques-

tion de prfrence, et
certes

la raison ?

Rimbaud

de

classique

y rpondre

Oui

avec une conviction d'autant

plus chaude que sa nature morale

le

porte

d'abord vers l'abngation.

Et pourtant... que
c'est

angoissant

jeune

!...

pour

c'est
la

imprieux, que
conscience

d'un

113

LA VIE DE SON ESPRIT

Cette guerre dclare l'individualisme,

on la comprend dans l'ge mr, quand on a


un peu de cette exprience du monde que
possdait

le

quinquagnaire Rousseau. Mais

l'individualisme

homme,

sduisant

tellement

c'est

moment

pour

le

sent crotre en lui mille forces pour la

il

jeune

ce

conqute, l'instant o

du moi, o il en sent
Et cette mdiocrit
qu'il faudrait vouloir

ne se

ferait

l'art et

ciales

de

homme

il

de

la vie

prend conscience

la floraison

ardente

!...

qu'il fauarait aimer,

Et

!...

Rousseau qui

ce

de lettres qu'en haine de

la littrature

!...

on n'en veut pas,

Les supriorits so-

c'est

entendu

mais

cette sincrit inexorable qui ordonne d'tre

consquent

que ce

soit

et interdit la supriorit
!...

outrance qui enivre

comprend que par

Rimbaud
!...

Ah

dont

que ce

il

il

est

calice

!...

On a retrouv des fragments


Rimbaud (1) crits l'poque o
(1)

et

raison, par justice

prfrable de se librer
s'loigne

en quoi

Mais ce besoin d'intellectualit

Pomes on prose Les


:

indits
il

de

tait ra-

Dserts de V Amour.

'la vie de son esprit

114

vag par
les

Il

du grand rvolutionnaire.
prcder par cet aveu qui montre

la lecture

a fait

angoisses de sa conscience et de sa raison

les

Ces

sont d'un jeune,

critures-ci

homme, dont

tout

dveloppe

la vie s'est

jeune

n'importe o, sans mre, sans pays

soucieux de tout ce qu'on connat, fuyant

toute force morale,

sieurs pitoyables jeunes

si

ennuy,

mort,

s'amener

terrible et fatale.

S'amener

mort

!...

ans,

avant

ce

qu'il

comme

baud

fit

mort, presque dsirer

la

mme

de subir

la

dceptions

les

connut Paris dans

Et peut-tre que

le

monde

l'on dira encore

N'est-ce pas chose inutile et folle que

un

artiste et
(2)

un savant

exasprant,

tel

que Rim-

?...

(1) Tout lecteur des Confessions peut voir


veut mCler son histoire, sa personnalit
Rousseau.
(2)

que

par une pudeur

moralisme aigu, torturant,

chez

ne

lui,

Telle tait la crise, dj, quinze

affreuses qu'il
littraire

furent dj plu-

hommes, mais

troubl,

si

la

comme

(1), in-

Et on

le lui

dit,

ici qu'il

celle

de

non pas seulement au temps o

LA VIE DE SON ESrniT

Hlas

115

Est-on vraiment un grand pote,

a-t-il exist

un

grand pote sans une trs

seul

vive rceptivit intellectuelle, et surtout sans


crivait Les Potes de sept ans
maintes fois il fut
chapitr ce sujet, si nous en croj^ons le pome A^e
d'or, qui date de 1872 ;
il

Quelqu'une des voix

Est-elle anglique

Il

s'agit

de moi,

Vertement s'explique

Ces mille questions,

Qui se ramifient.
N'amnent au fond
Qu'ivresse et

folie.

Reconnais ce tour

m
Ter

ouater que
^

1
<
'

Si

^,

gai,
,

facile

si

est tout

Et

jilme

tre

Rimbaud

un lve

:
.

.,

et flore,

c'est ta famille

Le monde

Tu

onde

dis

est vicieux.

tu t'tonnes

n'a jamais

d revenir de son illusion :

docile et travailleur,

pour

elle,

c'tait

acqurir ce qu'il faut pour devenir un gros monsieur ,


elle ne voyait pas plus loin... Hugo, si elle l'avait

connu, l'aurait avertie

Ce que

l'on ne sait pas c'est peut-tre terrible...

116

LA VIE DE SON ESPRIT

les

perscutions d'une vie morale intense

Et

les

hommes

pendants,
qu'ils

les

qui paraissent les plus ind-

plus sceptiques, les plus positifs,

soient chimistes, musiciens, peintres,

au commerce ou
que nous ne les entendons

sculpteurs, qu'ils se livrent

l'agiotage, est-ce

pas sans cesse blmer, louer, mpriser, se

non pas tant

plaindre, s'indigner, se vanter,

propos des uvres qu' propos des actes


Est-ce

me le sujet le plus

sempiternel de leur

conversation n'est pas ce qui touche leur


vie morale

D'o
la

il

suit

que l'tude morale

plus forcment humaine,

plus scientifique

de ct

les

du monde,

et

est la chose

c'est--dire

que

si

l'on

la

met

mathmatiques, seul enivrement

qui soit de nature isoler notre me, la


science suprieure, la science qui s'imposera

toujours

puisque

est
c'est

celle

des

rapports

sociaux,

d'eux que naissent toutes nos

agitations.

Cependant Rimbaud
continuera l'enqute.

avec son
suffit

Homme

se

remet debout.

Il

Sans doute Voltaire,

aux quarante

cus,

ne

pas pour contrebalancer Rousseau.

lui
Il

LA VIB DE SON ESPRIT

a d'autres cloches entendre. Les conver-

probablement

Izambard
commentant ce
a

sations
aussi

avec

Deverrire

qu'il

dans Louis Blanc,


II

117

se plonge

lui

avidement dans

L Esprit, U Homme

lu

suggrent Helvtius.

(1871).

les

deux

livres

L encore

il

est

en prsence de thories

sociales et politiques

hardiment novatrices.

Comme

probablement d'aprs

lui,

Rousseau

Helvtius

besoin

et

demande

sacrifice

le

l'intrt gnral

la

subordination, au

des

intrts

puis

il

particuliers

tend Vgalit en

proposant

une

biens (1)

rduire la richesse des uns, aug-

nouvelle

distribution

des

menter

celle des autres,

tel tat

d'aisance qu'il puisse subvenir ses

mettre l'ouvrier en

besoins et ceux de sa famille par

un

travail

quotidien qui ne dpassera pas sept ou huit


heures

('1)

(2).

Moins radical que Rousseau qui

Ce qui sera

(2) En quoi
temporains.

il

fait

aprs 89 (biens nationaux).

fut le prcurseur des socialistes con-

120

LA VIE DE SON ESPRIT

a t toute sa vie pauvre, Helvtius, ancien

fermier gnral, seigneur de Lumigny, riche


et incapable

peut

aller

de se passer de

jusqu' condamner

seulement que

mieux

les

la richesse,
le

luxe

commodits de

il

ne

veut

la vie soient

rparties entre les citoyens

il

insiste

sur la ncessit de faire des lois justes et


fortes, surtout

de rpandre et perfectionner

l'ducation qu'il veut de plus en plus large,


brillante, scientifique.
cit

Son

active la fois

une

so-

l'industrie,

les

idal est

dans

sciences, les arts et les lettres. C'est pour lui


une condition du bonheur contimun. En cela
il se met en opposition avec Rousseau dont
il

cherche rfuter

simple.

Rimbaud

les

opinions sur la vie

constate

que tous deux

sont pourtant d'accord sur ce point que la

chose chercher par l'homme, quelque genre

de vie qu'il adopte, c'est

Rousseau
instant,

et

le

bonheur,

mot que

Helvtius emploient chaque

que nous trouverons

aussi,

plu-

marque d'une proccupation


douloureuse,, en l'uvre du pote.
On pensera qu' Helvtius est plutt modr pour gagner entirement un absolu-

sieurs reprises et

LA VIE DE SON BSPBIT

tiste

comme Rimbaud

et

de

121

fait, cette lec-

ture lui causait des impressions bien diverses.

Helvtius entreprend de dmontrer que


trt,

l'amour de

nous guident

et

soi, le

l'in-

besoin de plaisir seuls

nous dterminent, que de

nos qualits, nos

viennent, sans exception,

dfauts, nos talents, nos actes les pires, nos

actes les meilleurs.

nant

Une

pareille thorie, ve-

rencontre des morales convenues,

pouvait

satisfaire

le

jeune

insurg,

mais

Helvtius a mentionn aussi l'amour de


gloire

comme

la vertu,

la

excellent mobile pour conduire

pour

faire des

hommes

suprieui^s

et l'ide de supriorit individuelle rpugnait

invinciblement Rimbaud. Je

me

souviens

que, certain aprs-midi, lui et moi, nous pro-

menant par
obligs

les

rues de Charleville, fmes

par une soudaine averse de nous

abriter dans une maison en construction o

nous trouvmes un maon

trs ivre, et fort

expansif, dont la conversation parut stupide

ma

superficielle jeunesse.

La

pluie ayant

du maon,
exprimai sur son compte des opinions moqueuses. Mon ami fut d'un avis tout contraire.
cess,

nous sortmes,

je reparlai

122

Il

LA.

VIE DE SON ESPRIT

m'expliqua comment ce rude avait,

yeux,

de

le

la

ses

grand mrite d'tre simple et prs

nature

comment dans

paroles

ses

naves ou grossires on devait voir plus de


gnrosit, plus de bont franche et cordiale,

plus

mme

de vrai bon sens que dans

la

conversation de maints bourgeois instruits,


cossus,

hypocrites et orgueilleux que nous

connaissions

(1).

Ce sentiment d'galit intransigeante

for-

mait l'indestructible base de sa mentalit.


11 en avait trouv sans doute le germe en ses
enfantines indignations contre

le

conserva-

tisme maternel, qui s'affirmant ddaigneux


et autoritaire, s'alliant, ainsi

vent

il

arrive,

que trop sou-

une religion peu

poussa rejeter aussi

la foi

claire, le

catholique

Et si l'ayant surpris des pitis immondes,


Sa mre s'eirayait, les tendresses profondes
De l'enfant se jetaient sur cet tonnement

(1) Il y a une thorie assez analogue dans VEmile


justement Rousseau parle aussi d'un maon rminiscence chez Rimbaud peut-tre, mais, non moins vraisemblablement, rencontre des deux esprits.
;

123

LA VIE DE SON ESPRIT

H n'aimait pas Dieu, mais les hommes qu'au soir fauve,


\

Noirs, en blouse,

D'autre
l'loge

il

voyait rentrer dans le faubourg

part,

des

acceptait

s'il

passions,

(1).

d'Helvtius

voyait que celui-ci

il

voulait en rgler l'action par des lois bien


faites...

Des

cabrait...

lois

l'extra-indpendant se

!...

souffrait aussi de sentir sa logique

Il

perdue traves des opinions dont


d'abord

il

adoptait

unes, par exemple que nous en-

les

trons dans la vie sans ides, ce qu'il a traduit,

en Bateau

ivre

...plus

sourd que

mais dont
autres,

il

cerveaux d'enfants,

les

repoussait d'instinct quelques

comme

ngation du sens moral,

la

puisqu'il le sentait vivre en lui avec


tensit victorieuse, et

irrductible

ennemi de

jamais consentir

que
la

la

comme

la

considration qu'elle procure

Les potes de sept ans.

in-

quoi cet

vanit ne pourrait

On n'aime dans

fm du printemps de 1871,
(1)

ceci,

une

il

me

la
.

vertu

Vers

dit plu-

124

LA VIE DE SON ESPRIT

sieurs

fois

ma

ouvrages

et

pas

lises

les

un jour il rpondit, soucieux,


demande Mieux vaut que tu ne le

d'Helvtius

Je te prterai

!...

Enfin,

qui

ce

Rousseau

le

dj choqu

l'avait

patriotisme combatif,

il

dans
le re-

trouvait chez Helvtius, aggrav de l'ide

de gloire et de puissance.

J'ai racont

(1)

qu'ayant assist une revue de l'arme

une observation

prussienne,

il

de moi sur

la belle organisation

rpliquait

par une sortie violente contre


contre tous

taire,
il

allait

de

celle-ci

la gloire mili-

les orgueils- nationaux,

et

jusqu' cette thorie, que l'on trou-

vera certes bien trange

Allemands

c'est qu'ils

ont

L'infriorit des

la victoire...

Oui

cause de cela et par rapport nous vaincus,


ce sont des arrirs, des distancs, positive-

ment des

infrieurs (2)

!...

Rimbaud (dition de la Revue littraire de Paris


de Champagne).

(1)
et

(2)

Rimbaud

pensait que

le

progrs gnral

au-

- amnerait la fin de l'esprit


guerrier. A cette poque on pouvait avoir cette illusion mais ce qui vient de se passer en Europe - nous
quel

il

croyait alors

VIE DE SON ESPRIT

125

Malgr tout, l'emprise d'Helvtius

nous

forte

le

par

s'exerait

verrons ensuite,
sductions

des

tait

mais
d'un

elle

autre

ordre.

Quittant

Contrat social pour V Esprit,

le

l'loquence pour l'analyse,


froid,

il

le

chaud pour

orable mthode exprimentale

Presque toujours
la logique doit tre

ct, parce

que

bases relles.

de

tirer

la

jamais
tions (1)

le

raisonnement a

tort,

mise provisoirement de

ses prmisses

Le propre de

ne sont pas des


l'esprit juste est

des consquences exactes des opi-

nions reues.

pour

le

gote aux pres jouissances de Tinex-

Or

ces

opinions sont fausses

plupart et l'esprit juste ne remonte


jusqu'
.

l'examen

Cela, chez

de

Rimbaud,

ses

opra-

flattait

la

portant revoir l'histoire des quatre derniers sicles,


constater que les guerres, cause du progrs mme,
sont devenues toujours d'une organisation et d'une
prolongation plus faciles - peut nous faire craindre
que l'homme civilis , loin de tendre l'tat pacifique, ne devienne, au contraire, de plus en plus belliqueux. A moins que n'arrive dominer puissamment,
dans un temps impossible prvoir, le sentiment
chrtien.
(1)

Helvtius.

LA VIE DE SON ESPRIT

126

{ois

l'amour de toutes

les

rvoltes et celui de

l'tude intrieure. Puis voici qui lui plaisait

encore davantage, parce que l'incitant se


dfier,

s'il

voulait exactement savoir, d'un

outrecuidant

sentimentalisme

L'on

se

croit souvent anim ou d'un sentiment unique


ou de sentiments diffrents de ceux qui nous
meu\ent .
Merveilleux pour un chercheur de science

et

de vrit

tel-

que Rimbaud

Helvtius

dcompose, en montre

mcanisme. Inspir par La Rochefoucauld pour


sa morale de l'intrt, disciple de Locke en

prend

l'ide, la

le

ce qui concerne les origines de la pense,

fonde ce que l'on pourrait appeler


rialisme intellectuel.
n'ait d'abord t

vement
bilit

Rien dans

dans

les sens,

le

il

mat-

l'esprit

qui

aucun mou-

d'esprit qui ne vienne de la sensi-

physique.

tudions,

exerons,

culti-

Pendant des annes, il a lu,


regard, cout, accumul notes sur notes
o il fixait tout ce que peuvent donner les
vons

celle-ci.

sensations d'art, les acquisitions historiques,

philosophiques,

les

observations sur

sions ambiantes, sur les siennes,

les pas-

mme dos

127

LA VIE DE SON ESriUT

souvenirs de grosse luxure,

nisme mental qui

mme

de l'ona-

praraissaient devoir

lui

contribuer efficacement faire l'esprit plus


vaste, plus puissant, plus aigu.

Rimbaud va
hantise qui

le

partir de l pour obir la

poursuivra toujours, essayer

de raliser cette formule qui sera

conclu-

la

sion et pouvait tre aussi bien l'pigraphe

Une Saison en Enfer Possder


dans une me et un corps .
d'

la s'rit

Maintenant il runit le corps et l'me en


une seule puissance toute matrielle il n'en
;

est pas encore deviner,

pk::

tard

(1),

que

les

comme

il

sensualistes

le

fera

ayant

attribu la matire la facult de penser,

nous pouvons retourner

la

proposition et dire

qu'une pense, mieux encore, a pu crer

La

matire.
d'aprs

lui, la

sensibilit

physique

la

tant,

cause des actes de l'intelligence

Dans Une sa., on en enfer {Mauvais sang)


Nous allons VEsprit... Trs apparemment il
voulut dire Nous allons cette notion que F lment
(1)

esprit est l'origine de toute matire,

en d'autres
termes que la matire ne peut exister spontanment
et par elle-mme.

LA VIE DE SON ESPRIT

128

il

se rallie

nue dans

provisoirement

la thorie

conclusions de

L'Homme

les

que

suis sensible, c'est

conte:

Si je

une me, un prin-

j'ai

cipe de vie et de sentiment auquel on peut

toujours donner

Cependant
Rousseau

nom quon

le

Helvtius

il

l'en a

veut

l'a-t-il

simplement

dlivr

de

distrait,

en

vers un genre
temprament
si
d'tudes qui convient son
pris de sensations. Rimbaud ne pouvait que
faisant

obliquer son

remarquer

les

lement entre

esprit

dissidences qui existent fata-

deux rvolutionnaires. La

les

rfutation de Rousseau par Helvtius devait


lui

paratre faible, quoiqu'elle adoucit, pour

un

instant,

En

tout cas, tourment par l'un, sduit ou,

si

les

l'on veut,

angoisses de son idalisme.

dbauch

pure, avant d'aller

du

par l'autre,

avant de se dcider pour

lut,

moi

donner

jugeait leur

vou-

l'ide, c'est--dire la

devoir.

projet de constitution
les

il

sensation

aux exclusives recherches


une satisfaction

politique et la sociologie,
qu'il

la

oi

il

Et

il

crivit son

fondait ensemble

conceptions de Rousseau, Helvtius, Ma-

bly, Morelly, en les laissant

dominer par

les

LA VIE DE SON ESPRIT

129

siennes propres qui amenaient l'organisation


radicale

dicte

somme du

par sa

logique.

C'tait

en

socialisme non tatiste, quoique

revenant peu prs au mme. Je

me

seulement

dispositions

quelques-unes

principales
et

socialisation des biens fonciers

moyens de production,

par

les

des

rappelle

lgislation directe,

citoyens gaux, dans

les

communes

indpendantes, mais fdres, travail impos


chaque

homme

valide, sous la direction de

chefs lus, pourvus de

temporaires

Quand on
que

mandats

limits et

(1)...

fait cet

l'on s'en est

adieu V altruisme, c'est

mal dtach, que

l'on est

possd par quelque chose qui vous forcera


d'y revenir, et
veiller ce

circonstances devaient r-

quelque chose de

malgr toutes

au moins

les

les

telle

tentations,

manire, que

Rimbaud, pour

ce qui lui resterait de vie, refuserait

dfinitivement d'tre un

individu

(1) Voir, dans son Histoire sommaire, le passage ot la


note qui concernent le projet d Constitution comiuu-

Qiste.

IV

Cependant, puisque Helvtius


la culture

de toutes

lui

a suggr

les sensibilits,

l'examen

sans trve et sans peur du moi sensoriel autant que du moi intellectuel, cela pour accrotre

la

puissince

de

l'esprit,

Rimbaud

veut s'arracher aux inquitudes qui extriorisent par trop l'tre

pensant

il

tentera

donc de concentrer celui-ci et verra la psychologie vraie dans l'exercice des sensations.

Mais

sinon l'abandon

la

de cette sociologie qui vient de

ngligence
lui inspirer

L'Orgie parisienne et Les mains de Jeanne-

Marie ne devait pas


volution

se produire

tranquillement

comme une

volontaire.

Ses

premiers essais de vie psychique analyse,

d'un genre transactionnel encore et joignant


l'ide

pour

scientifique
la

forme

une vritable passion

littraire,

sont Voyelles, Bateau

LA VIE DE SON ESPRIT

132

Et l'auteur de ce dernier pome n'a


pas tout fait mis dehors le sens moral
wre

(1).

tant raUl par Helvtius,

ment dsavou

ses rves

il

n'a pas entire-

gnreux, celui qui

une sorte de sanglot touff


amertumes de rvolutionnaire vaincu

trahit par

ses

Je ne puis plus, baign de vos langueurs, lames,


Enlever leur sillage aux porteurs de coton.
Ni traverser l'orgueil des drapeaux et des flammes.
Ni nager sous les yeux horribles des pontons (2).

Car
les

il

comprend que

le

temps

est pass oii

proltaires pouvaient s'affranchir par des

coups de force, et
d'autres

moyens,

comme
tout

il

lui

ne suppose pas

semble

perdu,

fini...

La dception,

colre

vont acclrer l'volution du pote.

le

dcouragement,

la

Bientt ce n'est plus seulement par got et


curiosit

d'tude,

c'est

par dsespoir qu'il

veut s'ensevelir dans l'exclusive contemplation de sa vie mentale

(3),

rflchissant

le

(1) On peut y joindre Les Chercheuses de poux, minutieuse tude de sensations.

(2)

ports

Allusion
:

Bateau

aux navires o l'on gardait les divre fut crit pendant l't de 1871.

Les
(3) Il y aura cependant quelques distractions
Corbeaux et son projet d'Histoire magnifique en 1872.
:

133

LA VIE DE SON ESPRIT

monde extrieur tout en restant farouchement isole.


De la sorte aboutirait brusquement le
pote d'OpIiHie, l'auteur d'une Constitution

communiste

aurait suffi, pour lui faire

Il

?...

abandonner l'altruisme

sa

et

loi

d'amour,

d'un seul dsastre prouv par ses


gionnaires politiques

Voyons
minantes

coreli-

?...

aussi d'autres circonstances dter-

qui

aggravent

prcipitent

et

la

rvolution morale.

Rimbaud
laine.

vient Paris appel par Ver-

est introduit

11

dans cette socit

lit-

traire qu'il n'avait vue, dans sa petite ville,

qu' travers

du

laquelle,
j'ai

les

reste,

il

et les livres, vers

allait

avec mfiaace

parl autre part de sa tristesse, de ses

pressentiments
lui

journaux

et le

aussitt

monde
plus

le

Quelques-uns
thiques

Stphane

la veille

les

lui

de partir.

artistique

ou

Entre

lettr

clate

complet des malentendu:-.


sont

videmment sympa-

amis de Verlaine

Mallarm,

Lon

Charles Cros,

Valade,

milft

Blmont, Ernest d'Hervilly, Camille Pelleran,


Philippe Burty

ce n'est qu'un petit groupe,

LA VIE DE SON ESPRIT

134

la

grande majorit des autres se compose

d'aimables gens parfois un peu

pair

fro<^-s

tourderie ou nvrose, pris de plaisirs lgers,

de

d'aomour-propre

satisfactions

nales,

avant des pr^a-ccupa lions

demandant seulement

minines,

de provoqier chez les


clamation Ah que c'est
d'art

ne vit que pour

mf me de

consquent

il

ba-

comme

f-

^u^re

oisifs cette exjoli

!.,.

i;

et lui

pense intensive,

la

mme

peuE avoir besoii de luxe,


fort,

assez

moindre

la

de

frivolit

ne

il

co(m-

par

ferm toute ambition

est

commune.
L est Tabme qui

le

spare de leurs habi-

tudes d'esprit. Pour eux

l'art est

un mtier

ou mie distraction noble, une faon d'tre


plus

ou

moins

leurs dsirs

d'un

mondains qui sont

bourgeois

quelconque.

pur,

rintellectiiel

apptits,

subordonne

accessoire,

absolu,

n'existe

pour

n'a

ainsi

ceux

pareils

Lui

s'est

fait

pas d'autres
dire

pas

en

dehors.

Quant Tidal

sociologique

du

jeune

penseur, ce qu'il en reste est bafou, pitin

on \m

erie

Ne

parlez pa d'un genre d'opi-

LA VIR DE SON

nions qui a

Louvre

failli

faire brler le

et

on

le

!...

ne lugubre

monde

Rimbaud

...

Il

considre

une sorte de bandit, et Andr

l'appelle
pelle le

muse du

et la Bibliothque nationale

rpond par des ricanements,

comme

135

ESl'RIT

Gill

se rap-

littraire, tel qu'il paraissait

du moins au temps de l'Empire, o presque


tous adhraient fervemment l'opposition

Commune,

rpublicaine. Mais depuis la


littrateurs sont prts se faire
fusiller

les

mutuellement

ou envoyer Cayenne. Quelques

in-

dulgents se bornent demander avec instance que


terres

les

questions nfastes soient en-

au plus profond de

simplement redevienne ce
doit tre

l'oubli,

que Paris

qu'il tait, ce qu'il

un endroit amusant.

Rimbaud se replie, douloureux, sur luimme, Qu'on n'approche pas. Je sens le


roussi, c'est certain (1).

tons

le

monde,

Et

il

conclut

Imi-

religieux qui fuit les ambitions


choisit de vivre

uniquement dans

contemplation des souffrances, des


lans spirituels. Mais

(1)

Une Saison en

comme

enfer.

la vie

du
la

joies, des

de l'me,

136

LA VIE DE SON ESPRIT

Helvtius et d'aprs Rimbaud, ne

d'aprs

se distingue pas de la vie des sens, c'est celle-ci

faut

qu'il

conduire.

surexciter,

Le

regarder,

exalter,

matrialisme

d' Helvtius

donc produit ce rsultat inattendu


mystique

athe,

souvent

il

y a de

un moine

Car assez

visionnaire.

et

ou plutt des

la vision,

hallucinations de la vue, de l'oue, de l'odo-

obtenues

et

hallucinations cherches

mme du tact

rat,

l'uvre

en

Rimbaud

de

qui commence Voyelles. Dans ce sonnet


fameux les obligations de la forme potique
lui

imposaient l'amplification

quelque chose de plus rigoureux

en atten-

dant certains retours dont je parlerai,


se librer des

la

rimes

et des

il

il

veut

arrive

simple notation en prose.

Mais quoi
il

rythmes

faut

lui

il

qu'il veuille et

reste le littrateur en

philosophe qu'a

fait

D'abord son style

mant

quoi qu'il tente,

mme temps

que

le

son ducation classique.


est cette

prose de dia-

qu'admire Verlaine, puis on y trouve


sans cesse des rapprochements et des compa

raisons

malgr

comme
son

chez

parti

Homre
pris

et Virgile, enfin,

d'examen profond,

137

La vik de son esi'rw

inexorable et positif,

un

impossible d'isoler
part,

il

lui est

fait

lui faut obir ces

il

gnralisatrices

qui

ordinairement

pour l'tudier

mmes tendances

possdrent

les

lettrs

du xvii et du xviii^ sicle un fait observ


amne tout de suite d'autres phnomnes,
et il ne peut procder par fiches et il tombe
:

sous la constante obligation de concevoir ou

de chercher des ensembles.


Cela prouve la sant vigoureuse de son
gnie prt aux amplexions

les

plus immenses,

affrontant les rceptions les plus multiples


et les plus complexes.

D'autre part,
se

borne

le

programme

vie

et-il t l'observateur qui

et localise qu'il n'aurait pas ralis


:

dvelopper intensivement la

intellectuelle

volontaire

ardents

en traitant l'imagination

comme un

livrs

attelage de

eux-mmes,

chevaux

sans brides,

(thorie des passions d'Helvtius) qui l'on

ne demande que d'atteindre

loin, loin, plus

loin encore.
Il

faudrait,

pour bien montrer

lyser pice pice le recueil des


tions

le

cadre de

mon

cela,

ana-

Illumina-

travail sur la forma-

LA TIE DB SON ESPBIT

138

Rimbaud ne

tion artistique et morale de

permet pas

trouvera fort peu de ces

nom

qu'il leur

prsente

et j'y

le

je puis dire cependant que l'on

pomes en prose

donna d'abord
o se
insiste
une sensation

unique. Presque toujours c'est une suite, une

accumulation de
tant

et

ce

sensoriels se prcipi-

flots

torrent

rassembl,

conduit,

quoique furieux, par une logique sre, imprativc,

s'appuyant sur de vastes acquisitions

doue d'un regard

historiques,

prompt qu'on ne

la suit

si

large et

si

pas sans vertige.

Parfois abondant, tumultueux, cumeux,

dbordant (voir

Villes,

montoire), le

coule toute vitesse


totalit

Mtropolitain,

le

lecteur voit alors la

de l'exprience et des sensibilits

humaines passer en quelques


dans

Pro-

courant tout coup se resserre,

Veilles, la pice qui se

lignes

(voir,

termine par

Et le rve frachit ).
Et chaque instant se rencontrent des
phrases comme Rve intense et rapide...
Etre de tou^ les caractres parmi toutes les

apparences...
Il

sait bien

De

que

toutes faons, partout...


l'esprit dort

quand

il

limite

LA ViE DE SON ESPRIT

et

189

borne l'examen de ses oprations,

tera souvent sur cette crainte


l'esprit

en

la

es

voir,

par exemple, Vingt ans

ce

te naettras
11

insis-

...

Tu

tentation d'Antoine... l'bat du zle

Mais tu

court..^ l'affaissement et l'effroi...

le

il

du sommeil de

travail...

ne reculera pas devant l'excs amenant

dgot

certaines sensations, se prolon-

geant, peuvent devenir curantes

prvoir l'curement, l'accepter,

pour

aller

puis

rebondir et

jusqu'au bout de

bordes de

bosquets et

curs

continuer

eh bien

le vouloir,

connaissance,
f

les

routes

contenant peine leurs

grilles

les atroces fleurs

et surs,

la

qu'on appellerait

damas damnant

de langueur

possessions de feriques aristocraties ultrarhnanes, japonaises, guaranies, propres encore


Il

recef^oir

acceptera

le

la

musique des anciens...

malaise,

mme

et

comme un coup

clbrant, lui

athe,

la souffrance

mort ou de

(terreur, angoisse, ide de

truction)

telle

il

regrettera

excitation parfois lui

(voir la merveille intitule

thorie bien

chrtienne de la douleur fconde,

qu'une

des-

de fouet salutaire
cette

Aprs

le

manque
dlugeJ)

LA VIE DE SON ESPRIT

14.)

Donc aimer

Un coup
tous

le pril et la

sons et

les

monie...

le

Mais aussi ne

force de Psych...

tambour dcharge
commence la nouvelle har-

de ton doigt sur

chapper au-

laisser

cun moyen d'obtenir des sensations.


bien que l'enfance est

Il

sait

curieusement doue

sous ce rapport, qu'elle

a,

pour

sentir,

des

facults exceptionnelles, trsor souvent psrdu,

tout bonnement parce que nous n'avons pas

pens

le

consarver

et ce

jeune

homme

qui

n'a pas vingt ans, ce presque enfant veut


tre plus enfant encore-; tant qu'il peut

retient

ou

petits,

si

se

il

vives,

apprendre

...

donne
si

les

sensations des tout

dlicates,

Les lampes et

il

y a tant

les tapis

veille font le bruit des vagues... la


la

veille

telle

que

plaque du foyer noir


grves...

De

seins

les
:

il

la

mer de

d'Amlie...

de rels

cela, des visions

de

soleils

la

de

enfantines ou

s'efforce

de tout retrouver,

revoir, goter, sonder

nouveau (Enfances,
Mmoire) (1).

adolescentes

il

Aubes, Ornires, Fleurs,

(1)

Cinq couples de strophes n'ayant que des rimes


Gomme son nom l'indique, Mmoire est une

fminines.

LA VIE DE SON ESPRIT

Et,

quand mme,

toutes personnelles,
le

visite des souvenirs...

charme des lieux fuyants

chappe

la

loi

des sensations

le plaisir
t la

141

ne font pas qu'il

de synthse impose par

l'impulsion intellectuelle due l'cole

Re-

prenons l'tude au bruit de l'uvre dvorante qui se rassemble et remonte dans


masses.

C'est pourquoi le

humain

glorifi,

tre

seul

le

lieu

Adoration

de Christ

sent...

il

Gnie

les

l'esprit

appel par Helvtius pour

crateur,

le

apporte sa promesse qui


l'ancienne

Il

rdempteur,

seul

sonne
le

et

Gnie

remplace

tiendra

est l'affection et le pr-

est l'affection et l'avenir, la force et

l'amour que nous, debout dans


les ennuis,

voyons passer dans

collection d'images revenues

les

le ciel

devant

rages et

de tem-

l'esprit et qu'il

arrange suivant les procds de composition dont j'ai


parl en son Histoire sommaire (sparation parfois des
parties de l'image, transposition, rapprochement de
dtails htrognes, etc). Les couples I, II, IV et V
contiennent des tudes curieuses de milieux liquides
sous quelques-uns des aspects qui lui donnrent des
Ecnsations. Je dis quelques-uns des aspects, parce que
cet amour et cette observation de l'eau, on les remarque aussi dans plusieurs autres de ses pomes.

LA VIE DE SON ESMIIT

142

pte et

drapeaux

les

cendra pas d'un

aim

tant

de cultiver

Car
les

d'extase.,.

cieL... 'Cest f^mit,


il

ne

s'agit,

ne redes-

Il

lui tant et

aprs tout, que

sensibilits physica-morales,

passions qui donnent les coups de lu-

les

mire

La

(1).

pendu dans
prodiguer

Mais

corps

le verger... le

un

fruit

trsor

(2) L..

la possession

un trouble
les

un

chair n'est-elle pas

par Psych peut devenir

effroyable (voir les pices intitu-

Angoisse, Honte),

le

<f

plus terrible que la bataille

combat spirituel,
d'hommes (3),

cette perptuelle tension d'esprit travers


les

satisfactions donnes

aux

curiosits des

sens produit chez ce matrialiste la haine et


l'effroi
lit,

je

de

la

ne

matire, fait accepter la possibisais

(1)

Helvtius.

(2)

Il

quel trange dsir de voir

ne faut pas dissimuler qu'il

pendant une courte priode, jusqu'

l'a

prodigu

l'alcoolisme, le

haschich n'ayant pas russi. L'inspiration de quelquesuns de ces pomes semble bien avoir t enrichie par
bien que
l'hyperidation que produit l'ivresse,
ceux-l, pourtant, soient peu nombreux et, pour ainsi

dire,
(3)

exceptionnels.

Une saison en

enfer.

143

LA VIE DE SON ESPRIT

s*abmer, disparatre tout ce que l'on voit,

ce que l'on touche, et presque l'univers entier, ainsi

foule

que l'enfant qui s'nerve brise

aux pieds

joujoux qui

les

lui

et

donnrent

Le moment de l'tuve, des


mers enleves, des embrasements soutertrop de joie

rains, de la plante

emporte, des extermina-

tions consquentes...

Il

froidement ce cataclysme

de prvoir

s'efforce

l'tre srieux de surveiller

qu'il sera

donn

mais d'autres

associations d'ides se forment, se heurtent:


il

a parl de

fraternit sociale

les

rancunes

du sociologue du se rallument, font explosion au contact de la pense qu'il vient d'avoir


d'une destruction norme
;

Qu'est-ce pour nous, mon cur, que les nappes de sang


braise, et mille meurtres et les longs cris

Et de

De

rage, sanglots de tout enfer renversant

Tout

ordre, et l'aquilon encor sur les dbris

Europe,

Asie,

Amrique,

Les volcans sauteront

Ce

n'est rien

et

disparaisses

l'Ocan frapp

j'y suis, j'y suis toujours

Sans doute, on ne se dissout pas

ainsi

pour

LA VIE DE SON ESPRIT

144

un

cri

les

branlements dus au systme de culture

de colre.

Il

continue de vivre malgr

psychique appliqu outrance. Les vers que


de citer

je viens

de rythme
pote

d'une

si

gniale hardiesse

sont parmi

encore

traditionnel.

derniers

du

Cependant

la

les

Rimbaud ne meurt pas d'un coup.


demande alors, comme Verlaine et pour

posie chez
Il

des raisons analogues,

De

douceur, de la douceur, de la douceur

la

et persiste chanter, l'on dirait par sanglots

apaiss peu peu qui se prolongent en fredons

y a quelque chose de cela


du Requiem Et lux perptua luceat

mlancoliques.

dans

l'air

Ftes de la faim,

(voir

eis

Il

Chanson de

Patience,

Soifs,

la plus haute tour (1)...)

Inutile d'y chercher

un systme

la rime,

rythme n'y sont volontairement ni supprims ni travaills mais Rimbaud est l'auteur
le

de Bateau

ivre,

qui peut

le

plus peut

rien d'tonnant ce que ce

(1)

Voir aussi

posies de

le

moins

le

moins,

soit ado-

passage qui concerne les dernires


Histoire sommaire.

Rimbaud dans son

LA VIE

rable.

Quand

de bronze
les

le

ne

SON ESPRIT

au sein

marteau

retentir,

faire

elles

Dff

parlent

toujours, et c'est

des

s'arrte et

encore,

murmurent

elles

une musique haute qui

nous suivons, que nous voudrions

dont nous guettons

le

qu'elle est tout fait

Ah
O

d-

de plus en plus faible et douce, que

crot,

de

cesse

vibrent

elles

plus,

cloches

fortes

retour longtemps apr^

morte

que le temps vienne


curs s'prennent

les

Aux

branches claires des tilleuls


Meurt un maladif hallali,
Mais des chansons spirituelles
Voltigent partout les groseilles.
Que notre sang rie en nos veines

Le ciel est joli comme un ange,


Azur et onde communient
saisons,

retenir,

chteaux

Il

s'agit

quoi

maintenant de comprendre pour-

Rimbaud

pourquoi, ds

au

al>outit

la fin

de 1373,

renoncement,

il

ne donne plus

rien ni en vers ni en prose, pourquoi

dis-

il

parat.

Dans un crivain
personnage
dans

intressant

pote

le

il

qui

a,
:

nous

d'ordinaire,

qui

celui

occupe

deux personnages intressants


crit, celui qui n'crit plus. Et

si

un

crit
il

celui

l'on

a
qui

veut

ngliger le second, ce sera en vain, la question

reviendra.
C'est

qu'un

que nous admettons

talent,

ceux qui

les

difficilement

une force ne profitent pas

possdent, que nous ne pouvons

gure nous reprsenter un profit autrement

que sous forme de


tends du vivant

gloire et de fortune. J'en-

mme

de ceux

les

ayant m-

LA VIE DE SON ESPRIT

148

et c'est

rites,

pour

nous nous indignons

homme

du grand
obscur. Nous

propos

qui meurt pauvre et

incriminons alors

meut que
voix

sans doute, que

cela,

lui

Socit:

la

elle

ne s'en

suppose cause d'une

trs peu, je

disant sourdement qu'en ralit

n'y a pas de victime

et

si

l'on

l'on pense l'intensit de vie

y
donne par

il

rflchit,

si

la

Providence aux gnies mconnus, on trouve

que

la socit a

quelque droit de ne pas

les

plaindre.
Ici

l'vnement est particulier.

mritant

qiii

refuse, le pote fait

qui dlibrment tourne

le

C'est

pour

dos

la

le

la gloire

tentation

mmorable. Nous ne pouvons y consenil a tenu trop de place.

d'tre
tir

Voyons
vie
Il

cela ne le

haute et

diminue pas

est autre chose

conscience,
le

la simplicit

le

de sa

moins du monde.

qu'un talent,

- je prends ce

claire

mot

il

est

une

la fois dans

sens que lui attribuent les moralistes et

dans celui qu'y attachent

les

psychologues,

une conscience prodigieusement et douloureusement vive, rvle elle-mme,


fconde l'origine par des prtres catho-

149

LA VIB DE SON ESPRIT

trouble

liques,

rendue

ensuite,

ment exigeante par

tonnam-

frquentations avec

les

rintellectualisme antique, puis franais, au-

quel l'ont introduit des professeurs de bonne

prparation

Cette

volont.

n'a

rien

d'ex-

traordinaire en la socit actuelle et beau-

coup de gens

l'ont plus

avec

diffrence,

cette

ou moins reue
peut-tre,

qu'ils

comme Charles Brecomme Georges Izam-

n'avaient pas des amis


tagne, des initiateurs

bard
est

et

Lon Deverrire

que Rimbaud s'en

portions

pable de dsirer

le

siste

cas spcial

devint inca-

qu'il

^ain matriel et banal,

petites douceurs de vanit

munment

le

imprgn en pro-

soit

peu attendues

si

les

demands com-

une rputation littraire. J'in-

la-dessus

de Rimbaud et

entre

l'ide

intellectuel

l'apptit

d'ambition

il

ne pouvait

qu'y avoir antinomie, alors que cent raisons


militent souvent pour les runir, son orga*

s'opposait

nisation

accord.

ne discutait

Il

les paules,

de

invinciblement

ou

riait

mme

Il

leij^'

pas, haussait

simplement, avec un peu

colre. Cette rpulsion venait

l'enfance.

d'abord de

reut une ducation familiale trs

450

ih TtB vm SON esprit

honnte, niais imbue d'esprit bourgeois, entendit vanter les

belles positions

tre suggestionn, appartenait

tamment

filles

aurait

y en a plus d'un,
qui sont ports cons-

cette catgorie d'tres

garons ou

au contraire

il

ragir contre les habitudes, le tour

d'esprit, les sentiments

parentaux.

que, pour son compte,

il

En

sorte

dtesta la concep-

tion d'une supriorit sociale ds l'ge o


les

impressions enfantines poussent leurs ra-

cines les plus indestructibles

(1), et

que plus

tard, dans les limites imposes par l'imper-

fection humaine,
liste

pur

il

ne put tre que

l'ida-

(2).

Tout y concourut
la science des

mots,

la

la

formation artistique,

rception en lui-mme,

trs pntrante et vive,

du

(1) Je siBB forc de rappeler une


plusieurs lignes objectionables

ncessairement lire pour


Poles di sept ans.

s'initier

travail pensant

uvre qui contient


mais qu'il faut
L.
Rimbaud

(2) C'est l'effet que me firent toujours le petit adolescent rose, expansif, pas donn de 1870, et l'homme
athltique, au teint hl, qui cachait ses luttes int-

rieures sous

1872-75.

un

sourire de

bonhomie en

la priode

151

LA YIE DE SON ESPRIT

qui les a engendrs et qu'ils reproduisent, la

connaissance des thories rassembles, sys-

ou

tmatises...

forges...

au xviii

sicle, la

possession par celles-ci tour tour, jusqu'au

moment o

il

parut inutile et pnible de

lui

vivre pour autre chose que pour

1'

ide

Mais l'esprit devenant unique matre, l'instant devait arriver o

y a en

qu'il

fort
taire

La

dominer ce

ferait

de plus constitutif et de plus

lui

la logique.

il

Elle dit

au penseur

littrature tend la gloire

abusif, c'est

menteur,

le

raisonnement

et,

me unie

1'

s'est

c'est

corps.

Avec

sens moral,

le

sensible

ne peut

l'imagination

celui-ci,

l'organisation

comprime pas sans douleur.


il,

un

dvelopp

non moins que

tient

c'est vain.

Si puissante qu'elle soit, la logique

agir seule dans

gali-

on ne

la

J'ai essay, dit-

d'inventer de nouvelles fleurs et de nou-

veaux

astres

faut perdre...

voil des jouissances qu'il

Une

conteur emporte

belle gloire d'artiste et de


:

prial joueur de lyre,

presque

quand

il

le

mot de

se

un poignard dans la gorge.


Heure svre , en effet, dans

fit

l'im-

enfoncer

cette vie de

152

LA.VJB DE SON ESPRIT

pote.

[1

que

est certain

fut avance, prcipite,

rendue violente par

des causes occasionnelles,


gique, dfection d'amis
lettrs

venant

lettres

mais

temps, mais

elle

affaire

de Bel-

dgot pour

(1),

au

aider

suprme

la dcision

dgot

pour

les
les

s'annonait depuis long-

elle tait fatale...

ne pouvait non

dchirements intimes.

plus s'excuter sans

La subjection de Rimbaud aux

lois

de

Nature, son humanit se rvlent, clatent

superbement dans
conte

le

drame

Une Saison en

Ce pome en prose
pour

les

non

chef-d'uvre qui

le

Enfer.

est assez difficile lire

Pourtant l'auteur ne

initis.

ra-

l'a

pas fait mystrieux dessein. Rien de plus

franchement ingnu.
pas toujours

les

S'il

nglige souvent

expressions conjonctives

(1) Il fut afflig surtout - lors de la campagne de


calomnies faites contre lui - d'tre abandonn par
deux potes qu'il aimait particulirement, que leur
fit nerveux et timors, et qui
turent de la mauvaise humeur f gard d'un camarade
devenu... dcidment ennuyeux . L'af finement
de l'esprit amne parfois ces durets. Personne de si
terrible qu'un pote ou un artiste, quand il leur prend

dlicatesse, peut-tre,

fantaisie d'tre

bourgeois

une

fois

par hasard.

LA VIE DE SON ESPRIT

153

OU sparatives, s'il carte ces moyens de


grammaire qui nous aideraient suivre et
comprendre, c'est que ses penses jaillissent
tantt se compltant et

ainsi,

lies l'une

l'autre, tantt brusques, haches, opposes,,

avec des dparts soudains, puis des retours


qui s'acharnent.

Hugo

dcrivit ce qu'il appelle

un crne

pte sous

une tem-

Rimbaud met dans

crne une masse igne, tumultueuse,


rible

un

ouvrit

enfer. Celui

portes

les

jsprance qui
insu, et

dont

le Fils

hor-

de l'homme

une

ajoute-t-il, rvlant

lui est

ce

suggre presque son

que nous verrons,

la fin

de sa vie,

ralise.

Nous
moi

le

assistons au supplice, nous

Rimbaud dans

de

penses contradictoires
le

torturent,

s'unissent,

le

brlent

quoique

se

les

elles

sans

voyons
flammes ses
:

le
le

terrassent,

dtruire,

combattant,

pour

l'envelopper de tourbillons furieux qui parfois


le

cachent, semblent avoir dvor leur vic-

time, puis la font reparatre vivante, hurlante

damn

le

feu

qui

se

relve avec son

154

LA VIE DE SON ESPRIT

du procd

L'habilet

cord avec la sincrit nue


rait-on

sans

dire,

littraire est
il

qu'il

d'ac-

imagine, pour

invention

ait

dsordre, le crpitement des langues ar-

le

dentes, la difficult pour nous de les suivre,


puisqu'elles sont mille se croiser, se couper, se

que

monter

l'une sur l'autre, ce n'est

de ce

la ralit

qui

dans

lieu

son

esprit.

Tous

les

raisonnements possibles,

et,

ri-

goureux, complets en quelques mots, prci-

bout dans une course vertigi-

pits jusqu'au

neuse

toutes les expriences de sensibilit

morale, avec leurs conclusions, leurs rsultats

galement contraires, dont


en sceptique, dont

il

il

ne s'amuse pas

reconnat souffrir pou-

vantablement.

Une

solidit

la

pourtant

chose

psychologique

tan, tu

veux me

soudra

pas.

Le

philosophe

la

lui

et

l'tre

Sa-

ne se

dis-

c'est

une

11

ou non,

que reste

domine

la

victoire,

crivit
Unique et
donn cette formule
consumant que Rimbaud

qui

avait

Use ta vie en

de

dissoudre...

Malgr

thorie spiritualiste

sa proprit

reste

155

LA VIE DE SaX ESPRIT

un jour avec une exactitude

interprta
jolie

si

De

votre ardeur seule.

de

Braises

Le devoir

Mais

satin,

s'exhale...

ce matrialisme fataliste est mainte-

nant vaincu. L'me veut retenir ces


lments

trois

conceptions du pass, du prsent,

de l'avenir. Stirner
c'tait naturel

avait aussi ni

(1)

Rimbaud

hier et demain.
A.

les

affirme avec tnacit. Tout

pome

il

le

long du

s'obstine se souvenir, veut

se chercher

dans

tains, parvient

les

atavismes

leur par le

hroque

par

la rvision

ses aspirations, de

mme

plus loin-

du moins charmer

rappel d'une

les

sa dou-

jeunesse aimable,

de ses rves, de

son histoire mentale de-

puis trois ans.

Alors peu lu en France Rimbaud ne devait pas


conna re, puisqu'il n'ipprit l'allemand que deux
ans aprs, et les vers que je cite repr enteraient une
simple rencontre... moins qu'il n'ait entendu parler
de Stirner par Charles Gros, ou encore les savants professeurs qu'il frquentait Charleville.
(1)

le

LA VIE DE SON ESPRW

156

Tout revient
Les

joies, les

triomphes de

l'art

Veut-on

des chants ngres, des danses de houris

?...

L'altruisme perdu, insuffl par Rousseau


et le dsir

qu'il raille

lequel,

pourtant,

d'tre

un nouveau

mme

les

petits

avec mlancolie, sur

Christ (1)

enfants

Venez

encore

s'attendrit

il

...

que

je

vous

cur
Pauvres hommes,
le cur merveilleux
Je ne demande pas de prires
travailleurs
console, qu'on rpande pour vous son
!

avec votre confiance seulement

reux

je serai heu-

La culture

angoisse, froce, des facults

pensantes, Helvtius, qu'il vomit


science

!...

les

la

remdes de bonnes femmes

et

chansons populaires arranges...

les

vertissements des princes et


interdisaient

les

les

di-

jeux qu'ils

Gographie, cosmographie, m-

canique, chimie
noblesse

Oh

:...

La

science,

la

nouvelle

Le progrs. Le monde marche

!...

N'est-ce pas Helvtius qui lui enseigna la


(1)

Du

reste c'est

combin avec des souvenirs de

l'Ecriture sainte qu'il a lue enfant


(1 et 3).

voir IsAe. ch.

LV

LA VIE DE SON ESPRIT

ngation du

sens moral

Les criminels dgotent

Moi

je suis intact et a

gal,

puisque

? Et maintenant

comme

cet essayeur d'anarchie

Pas

dgotent

le

des chtrs.

m'est gal

criminels

les

157

admirant jadis

si
,

le

forat intraitable sur qui se referme toujours

bagne, visitant

le

les

qu'il aurait sacrs

avec son ide


de

la

les

bleu et

le

criminels le

garnis

les

par son sjour

le ciel

campagne

auberges et

voyant

travail fleuri

parce que sanglants et amoindris

dgotent
:

c'est

donc

y a quand mme des sentiments inns,


que tout ne vient point parles sens, quoi qu'en
qu'il

John Locke, aprs lui Condillac,


l'auteur
de UEsprit et de

aient dit

eux

aprs

L' Homme.

Allons
appelle

des souvenirs encore...

Dlires

Ceux

qu'il

sont relativement calmes

et ses confidences

deviennent presque pai-

coutons la confession d'un compagnon d'enfer... Evidemment il s'agit d'une


femme,
celle, peut-tre, qui voulut le
sibles.

suivre Paris

sime
(Ij

fois,

quand

il

y vint pour

la fm d'avril 1871

Voir son IlisLoirc sw/nmaire.

(1).

la troi-

Certains

158

VIE DE SON ESPRIT

fclk

prouvent un vritable mariag-e phy-

dtails

du Mercure). Le

sique (page 58, dition

tme

de dguiser sa pense

sys-

l'on appelle

qi>e

symbolisme fut toujours inconnu Rimbaud. La preuve que ce compagnon ne

peut tre pris pour un homme, on a voit


sans peine, on la voit parfaitement claire en

passage

le

moi...

Il

Et souvent

dit

il

s'emporte contre

Je n'aime pas

femmes

les

l'amour est rinventer, on

ne peuvent plus que vouloir une position

assure.

sont mis de ct

({

dain, l'aliment

La

position gagne,
:

il

Elles

le sait.

cur

et

beaut

ne reste que froid d-

du mariage

aujourd'hui...

Verlaine, que l'on a cru reconnatre, tait

bien plutt

le

contraire de cette crature

Rimbaud me

absolument fminine.
de
tile

lui

de

Trs gentil, mais...

discuter,

s'il

mots

Je vais o

diquent rien
fluence de

il

va,

il

disait

est ivre, inu-

parce qu'alors

le

son

tire

il

couteau et on n'a plus qu' ficher


les

le

camp;

faut

n'in-

non plus en faveur d'une

Rimbaud

si

in-

sur Verlaine, car c'tait

prescjue toujours ce dernier qui disait

lons Arras, allons en Belgique...

Al-

et l'ami

LA Vf DS SON

rpondait
reste,

L ou

159

SJ>RIT

ailleurs...

soit

I...

a parl de Verlaine une seule

il

V illumination intitule

Vagaj^nds

Au

fois,
,

en

sujet

que l'auteur de Paralllemeni traita son


tour dans

Lti

il

faudrait

seul,

bizarre,

on peut voir

satanique doc-

le

l'esclave

de

Rimbaud,
invente ce mo-

supposer que

dans Une saison en

ment

confondu avec

doit tre

l'poux infernal

Ou

et errabundi

pitoyable frre

si le

teur

enfer,

par on ne saurait quel caprice


sans

dtruit,

et

l'unit de son

uvre toute de simple

loureuse vrit

U Alchimie

aucune

raison,
et dou-

!...

un autre rcit.
Tout individu ravag quelque temps par la
littrature
plaisirs

du verbe

trouvera

est

dans

dus autrefois

le

souvenir

la cration

des

un joujou

qui distrait et apaise. Rimbaud, travers


cette ironie sur lui-mme dont

est coutu-

il

mier, nous explique ses jeux et ses systmes

J'inventai la couleur des voyelles... Je rglai

la

forme

consonne

et
.

le

mouvement

Cette dernire ide

de
lui

chaque

a t sug-

gre par la frquentation des potes latins

160

LA VIE DE SON ESPBIT

La

potique

vieillerie

part...

encore

le
il

une bonne

voulait perfectionner bien plus

11

les sens,

avait

verbe potique accessible tous


essaya,

dit-il,

d'crire des silences,

des nuits, de noter l'inexprimable, de fixer


des vertiges.

que

dclare,

traduction

la

qu'ensuite

de

Il

tait rserve, convient

prfra contempler le dsordre

il

son esprit

tion simple

en se plaisantant,

Je m'habituai l'hallucina-

je voyais trs

franchement une

mosque la place d'une usine, une cole de


tambours faite par des anges... un salon au
fond d'un lac... , avoue aussi que tous ces
viols de l'me par la sensation produisirent

une inquitante exaspration des facults


psycho-physiologiques
ville

dressait

ses

Un

pouvcmtes devant moi...

J'enviais la flicit des btes...

Cependant
voyons

les

les

Mon

caractre

Je disais adieu au monde...

s'aigrissait.

gagner

de vaude-

titre

la

visite des souvenirs

portes de son

enfer

derniers tressants dans

;)

et

l'aide

nous

le brasier.

C'est la lutte de l'instinct providentiel, de la


;|/

l<ii

qui oblige tout

cur,

contre

les

homme

dsirer la paix du

dveloppements cruels

LA VIE DE SON B6Pnit

qu'a subis

161

depuis la fin de l'Orient.

l'esprit

Les deux courants du xviii


trouvent en prsence

le

donnent

sions fcondes qui

les

se

sicle

progrs

les

coups de

(1) et la

logique sociale qui sont dans la

diocrit (2)

lu-

recherche du bonheur simple,

mire

de

la

re-

pas-

Le

m-

revoici entre ses premiers

matres de philosophie

Je retournais

sagesse primitive et ternelle.

Il

la

parat

que c'tait un rve de paresse grossire (3) ...


Et puis le supplice des raisonnements, des
dmonstrations

!...

Le christianisme apporta

en vain des formules

libratrices, et,

malgr

l'homme se joue, se prouve


du plaisir de rpter

l'Evangile,

vidences, se gonfle

preuves et ne vit que

comme

cela

trouv ds sa naissance un rival

Prudhomme

est

n avec

le

Christ

les

ces

Jsus a

Monsieur
.

[U Im-

possible).

Sans doute,

(1)

Helvtius.

(2)

Rousseau.

(3)

En

effet,

le

raisonnement est une tor-

un reproche de

Rousseau par Helvtius

ce genre fut adress

et Diderot.

162

LA VIE DE SON ESPRIT

tiire, la

faute

logique est

un bourreau

pense.

la

mais qui

Rimbaud

devait se

souvenir que Rousseau crivit sur

de

la

voulut vivre exclusive-

celui qui

ment pour

la dialectique (1)

parce que

abus

les

en

lui aussi

fut l'amant et la victime. Ce qui affole le

damn

que

accept, dont

dont

il

a aim la domination, ne

le

c'est
il

la logique,

lchera pas qu'il ne meure ou consente


obir.

Et son ordre a t double

religieux

nous

le

un de ton
un
loin,

verrons plus

de ton rationaliste qu'il entend ainsi

de

telle sorte

que

la

maxime

Agis

de ton action

puisse tre rige par ta volont en une

loi

universelle.

C'est--dire que, te plaant

au pur point

de vue ngatif ou critique, tout ce que tu as

blm dans

les

t'empcher de

actions d'autrui, tu ne
le

blmer en

car

toi,

peux
tu

si

consens dsavouer tes blmes passs, tu ne

peux renoncer aux blmes


dire

que

si

futurs.

C'est--

tu nies l'impratif catgorique

(2),

(1)

Discours sur

(2)

Qui n'est au fond qu'un souvenir de l'Evangile

le

progrs des sciences

et

des arts
i

LA VIE DB SON ESPRIT

163

tu renonces ton propre esprit, et

tu ne

veux

le

pas,

comme

tu ne

le

comme

peux

pas,

faut tre consquent avec toi-mme. Ce

il

qui t'a rvolt dans autrui c'est l'gosme,

eh

bien

dvouement

Certes, sa gnrosit, son courage l'y portaient,

mais ce devait tre alors

outrance en vue d'amener


et

les

outils, les

armes,

le

l'activit

la justice sociale...

temps

?...

[Mau-

vais sang).

Rendons-nous compte que Rimbaud vit


une poque o rgnent encore les lgendes
rvolutionnaires et o l'on croit la seule

d'une action rapide et violente. De

efficacit

dcouragement

son

regrets attendris

apparat

exaspr,

quand

l'ide

Plutt s'en garder

l'abrutissement simple.
veilleuse! Ici

bas,

de
:

O ma

pourtant!,.

puis

ses

justice

la vie dure,

charit

mer

{Mauvais

sang).

Mais

il

parlait ainsi (1)

Ne fais pas

autrui, etc..

avant

On

sait

la diversion

que Kant, des-

tin par ses parents la carrire de pasteur, tudia la

thologie
(1)

N'oublions pa? que Saison en enfer dcrit un

164

LA Vre DE SON ESPRIT

annonant que

{Dlires)

s'abattait peu peu

moment

du

terrible

de l'enfer

en tait encore au

supplice, et, cette mi-

un arrachement

nute,

il

feu

le

s'est fait

en

lui

Or-

voit maintenant ce que c'est, le

gueil... Il

nomme... pour

le rejeter.

Donc

ve l'opration ncessaire.

Le

elle est

voici

ache-

ramen

l'humilit intgrale, frache et forte,


conception

galitaire,

Jean- Jacques

ou ange,

chercher et

Moi qui

je suis

rendu au

la ralit

Cependant

si

me

suis dit

treindre...

droits

doivent-ils

de

celle-ci,

tre

la sensation^

devenue inofensive,

abandonns

pable pour aimer

les

paysages,

tures

les

climats

nouvelles,

par cette victoire

morale, a dgag son entit de


les

mage

avec un devoir

sol,

rugueuse

l'esprit,

de

dmocratie

la

la

Est-on coules architec-

inconnus,

grand

air accueillant et caressant le

cette

le

voyageur,

vie d'aventures qui existe dans

es

livres des enfants ?

Une
chaos

transaction intervient en dernier lieu

les ides s'y

na grand dsordre.

prsentent ncessairement dans

165

LA VIE DE SON ESPRIT

un

consentir n'tre qu'un pauvre,

un commis, un
acceptant

serviteur, gagner son pain en

les triviales

besognes, mais... o

il

dans autant de lieux divers, au moins,

plaira,

sera

qu'il

ouvrier,

Et pour

possible.

partout,

d'aller

de

vivre

en tat

tre

partout,

il

ap-

prend une demi-douzaine de langues trangres.

Le

renoncement k

littrature,

la

aux

profits de la gloire, a lieu total et sans re-

L'histoire

tour.

Rimbaud

de

partir de

1874, faite d'aventures plutt quelconques,

on

si

compare celles de cent autres


modernes ou anciens, ne compte

les

errants
plus...

sinon

par ce

grand,

qu'il

veut

trs

d'ailleurs

fait,

dsormais

n'avoir

pas

d'histoire.

S'en tonner quivaut refuser de com-

prendre une nature de pote. Aprs tout,


de

l'ide

tient-elle

an

s'vader

comme

exclusivement

en Enfer, et ne

saison

pas

un

prcurseur,

lui

ou

il

dit,

l'auteur

appar-

d'Une

trouverons-nous

mieux

un

frre

?...

If

there be no love

among men

crivit

LA VIE DE SON ESPRIT

66

whatever institutions they

autrefois Shelley,

may frame must

be subservient to the same

purpose
If

to the continuance of inequality.

there be no love

who

among men, it is bestthat he

sees thro the hollowness of their pro-

should

fessions

from

fly

own

society

their

and

Et plus loin It is
because, o mankind, ye value and seek the
empty pageantry of wealth and social power
suffice to his

sol.

that you are enslaved to


crease your wants
Suffire par

(1)...

its

possession. De-

soi-mme son me

L'ami

de Byron aurait-il pris volontairement ce


parti final,

la

si

mort, tragique, n'avait bondi

sur lui tout coup

Rimbaud
et choisit

(1)

a le

?...

temps de

de s'enterrer vivant. Ce

la publication,

cente.

qu'il criait

Extrait des Bodleian manuscripts.

ment Rimbaud n'a pu connatre


dont

se dcider loisir

En voici

S'il

quelles

n'y

faire, elles

par A. H. Koszul, est toute

la traduction

les

les

hommes,

pourront
but l'entren'y a pas d'amour parmi les
institutions

serviront fatalement au

tien de l'ingalit. S'il

r-

d'amour parmi

pas

que soient

Naturelle-

cet indit de Shelley

qu'ils

mme

LA VIR DE SON ESPRIT

d'abord en

rage du dsespoir

la

d'un poing dessch


cueil

167

le

couvercle

Soulever

du

cer-

l'accepte et le veut ensuite avec

il

calme, avec la fermet d'une rsolution dfi-

Le tombeau, sans doute,

nitive.

tionn l'me,

monde,

il

est propor-

a l'tendue presque du

compose de grandes

se

villes,

de

routes poudreuses, d'ocans, de dserts, de


forts sauvages.

crise

C'est la solution cherche,

au milieu d'une pouvantable

dcouverte

la vrit

dans une me

et

un corps

bonhomie farouche a trouv qu'un


mocratique dont on dsespre,
le raliser

en

soi

il

Sa

idal d-

n'y a qu'

par cette mdiocrit de vie

que l'galit exige. Et pour que l'acte d'husoit complet et sincre, non moins

milit

logiquement

il

doit rien dire.

d'un

estime que

Et pour que

la

tel idal soit plus absolue,

hommes,

sacrifi

le

il

n'en

satisfaction

faut que

la

il est prfrable que celui qui voit jusqu'au


fond le creux de leurs belles paroles fuie leur socit et
par lui-mme suffise son me... Race humaine, c'est
parce que tu admires, parce que tu cherches la pompe
vaine de la richesse et du pouvoir social que tu es
asservie leur possession. Rduis tes besoins...

LA VIE DE SON ESPRIT

168

conscience

parle hautement, pour son propre

compte, dans

les solitudes (1).

(1) Stphane Mallarm, propos de Rimbaud {The


chap book, puis Divagations). Chose curieuse, Mallarm
pense comme Shelley, dont il semble rsumer le pasnon souvenir mais rensage que l'on vient de voir
contre, c'est plus que probable, car l'article du Chap
book fut crit plusieurs annes avant que M. Koszul
dcouvrt, dans cette bibliothque d'Oxford, les pages
impublies du pote anglais. Et cela nous met simplement en prsence de trois grands potes qui ont eu,
chacun de son ct, eu toute indpendance, le mme
:

sentiment.

VI

Mais ce rle Jou par Rimbaud dans l'volution de l'art national, sa conscience lui
qu'il a

voulu bouleverser, retourner de cent

un

manires, cela plit devant

fait qui doit

nous mouvoir bien davantag-e

l'action de

Dieu.
Elle a laiss libre en tous ses jeux, en tous
ses carts cette

me

cre

pour

finir elle la

ramne, la sauve, la reprend.


Les lecteurs

d'

Une Saison en Enfer ont vu

que Rimbaud parle d'une


qu'il cherche, d'une

pas assez vite pour nous

nanmoins, a

fait

une

cette dclaration est

La

religion

(1) Il

du

clart divine

le

qui

ne va

que cette science,


dclaration

christianisme

que
(1)

Christ, en effet, reste la con-

entend par

nouvelle, et dans

science

le

videmment une orientation

sens vrai,

de l'nergie humaine.

LA VIE DE SON ESPRIT

170

qute

la plus

durable que prsente l'histoire

du monde. Alors que


militaires

et

puyes par

les

puissances politiques

s'croulent,

les

n'tant

peuples dus, que

plus

ap-

les entre-

prises de l'homme demeurent confuses dans


leurs rsultats ou sont abandonnes, nous la

voyons

inbranlable aprs bientt deux

mille ans, accepte pour des besoins

moraux

qui sont universels, ne varient pas et qu'elle


seule peut satisfaire

en voie d'accroisse-

ment continuel

et s'tendant

surface entire

du

peu peu sur

C'est l'ide chrtienne, a-t-il

d penser, qui

rpond

le

mieux aux tendances de notre

gique

il

apparat que notre esprit fut

sistiblement, par

la

globe.

un pouvoir

mme

tran la recevoir,

lo-

irr-

suprieur, en-

s'il

se

mprend

chez quelques races et adopte ce succdan

sagesse btarde

la

Et

le voici

du Coran

(1).

remis en face des croyances na-

gure maudites ou bafoues en plusieurs de


ses

pomes.

(1)

Troisime parag. du chap.

parle pas de l'Orient

V Impossible.

Je ne

extrme o n'existent plus que

des poussires de religions.

tA VIE DE SON ESPRIT

On

171

a pu remarquer surtout, dans la Saison

en Enfer, une redite qui se prsente jusqu'

onze

fois

Charit,

Amour

diin (Voir, dans

du Mercure de France, aux pages 9,


23, 30, 31, 33, 56, 59, 86, 109). La seconde
expression est employe trois fois pour sa
part. Elle montre qu'il a retenu certains
l'dition

enseignements de son catchisme


pelle

bien

fort

la

dfinition

et se rap-

de

Charit

amour de Dieu, amour du prochain,


rsume simplement
Christ

me

votre prochain

nes par

ce qui

double formule du

Vous aimerez Dieu de

de toutes vos forces

et

indications

Loi

la

toute votre

2 Vous aimerez

comme vous-mmes,

ces

deux

tant conclues, tant sanction-

un ordre sans

rplique

C'est la

(1),

(1) Tout le christianisme repose l-dessus, et c'est


une des preuves que son fondateur est Dieu. Si Jsus-

Christ avait t un simple agitateur voulant recruter


des partisans, il aurait cherch plutt inspirer la
colre et l'enthousiasme qui font mpriser le pril dos

Sa morale, au contraire, ne pouvait former


parfaitement inutiles pour raliser
les projets d'un ambitieux. Son insistance revenir
toujours sur l'amour du prochain, le soin qu'il met

batailles.

que des

inofensifs,

172

t.\

VIE DE SON ESPRIT

Cette hantise des deux amours ne l'avait

gure quitt,
nait la

complet,

le

il

s'adon-

voulait r-

et

carnet d'Helvtius.

Orgueil plus bienveillant que

les

charits

une Illumination (Gnie) :


dans le pire temps d'ivresse imaginative

perdues
Ainsi,
il

l'poque o

chasse spirituelle

plus

crire,

mme

s'crie

n'avait au moins pas oubli ces deux cha-

rits

que

la

doctrine runit en une seule pour

obir Jsus. D'o vient une pareille obsession

des

Rimbaud

sentiments religieux chez l'athe


?

entrer dans les dtails, prvoir les cas, sa logique


rigoureuse prescrivant la patience et le pardon jusqu'
rendre le bien pour le mal, son loge des petits enfants,

modles d'innocence, le conseil de ne pas juger autrui (le jugement produisant toujours de l'aigreur
qui souvent tourne en haine), cette prire qu'il dicte,
pour faonner par des reprsentations choisies notre
mentalit, nous mettre mieux en communication avec
le Pre et nous aider en obtenir la force dont nous
pourrions manquer pour la tolrance et le pardon,
cela indique une intention dominante
retirer aux
hommes tout motif de se nuire mutuellement, c'est un
systme conservateur de l'ordre dans la cration, introduit chez des tres motifs et ports par l au dsordre le Crateur seul, qui eut ses raisons pour leur
donner une sensibiht aigu, devait vouloir la diriger
dans l'intrt de son uvre entire.
:

>

LA VIB DB SON ESPRIT

173

C'est d'abord qu'il n'avait jamais t athe

comme l'tait peut-tre son ami


Lon Valade quand il se flattait que la grandeur du blasphme n lui tait refuse. Cet
paisiblement,

hrosme

maines

braver

puissances

les

surhu-

Promthe, appelant la foudre qui s'apprte^


A vu Zeus se dresser et les cieux obscurcis
Trembler au froncement des terribles sourcils (1)..,

Rimbaud y

prtendait sans doute,

au cours de nos promenades en


public de Charleville (1871), je

la craie

sur les bancs

tait troubl

passants,

le

quand,

le

jardin

voyais crire

M...

Dieu

seulement de constater que

stupfaits

de

l'initiative,

Il

les

n'ap-

prouvaient et n'effaaient non plus l'injure


enfantine. Occups de sujets beaucoup moins

philosophiques,

ils

souriaient avec de

difrence qui lui inspirait pour eux


pris...

commencement de

la

l'in-

un m-

dception et de

l'incertitude.

(1)

Lon Valade, dans

le

Parnasse contemporain.

174

LA VIE DE SON ESPRIT

Mais pourquoi cette haine inquite

Pour-

quoi cette rage convulsive propos de


prire,

dans son pome des Premires Com-

munions
dans
tique

Pourquoi,

rencontre un abb

s'il

la rue, s'exclame-t-il
:

la

Un

prtre

conversations

(1)

avec

!...

des

sur

un ton

sarcas-

Pourquoi, dans

camarades,

les

usant

moins de raisonnements que de moqueries

parce qu'il sait que tout argument valable


fait

dfaut

cherche-t-il semer autour

de

lui l'incrdulit ?

C'est qu'il a voulu arracher de son

quelque chose qui se dchire,


pourtant ne s'en va pas.
exemple,

la

lui fait

me

mal

que,

C'est

vue de cette robe noire ne

et

par

l'gaie

aucunement, bien qu'il rie elle l'agace


pour employer le mot qui dsigne la colre
;

mal consciente de

ses causes

rappel de souvenirs, fait

jaillir

l'enfance chrtienne... Car le

elle agit

en

l'autrefois,

jeune prodige

D'habitude, les interpells passaient ddaigneux


provocation. Un jour pourtant l'un d'eux s'arrta,
vint prs du jeune homme, lui demanda ce qu'il vou(1)

de

la

lait...

Rimbaud

sourit

amrement, haussa

continua son chemin (1871),

les paules,

LA VIE DE SON ESPWT

comme

orgueil de M. Crouet, fut,


latine,

175

en classe

premier du petit catchisme, du

le

grand catchisme, du catchisme de persvrance. Les formules

du

de

prcoce

l'aumnier, sa

absorbait aussitt, se

dment

intelligence

les

assimilait profon-

les

pieux cet esprit ab-

les exercices

livre, les explications

que donner

solutiste ne pouvaient

la ferveur,

et l'on voit, par ses reniements perdus, ses

rcriminations furieuses

ne priait point du bout des lvres

cit.) qu'il

et

de plus tard (op.

par mcanisme d'habitude.

toujours

si

vif chez

demi quand

il

Rimbaud,

fallait

les

martyrs,

un jour

l'entre de la chapelle

grands

sage

n'agissait pas

il

priait, c'tait

avec une sorte d'emportement.

invitable,

Cela fait

vouloir,

fondre son cur au

sens des paroles adorantes, et

Le

du

il

pensa

collge,

il

l'tre.

vit des

qui se jetaient l'eau bnite au vi-

drision

criminelle,

profanation

le

bambin voulut les repousser, les battre, fut


battu, causa un hourvari qui valut tout le
monde, naturellement, une punition syre,
et lui, en plus, le surnom de petit cagot
dont les impies, quand ils le recontraient

LA VIE DE SON ESPRl

il

dans

les rangs,

au passage
Ces

ne manquaient pas de

pourrions-nous dire,

d'un pote. C'est

donne

les

le

de

part

la

sentiment chrtien qui

premires inclinations idalistes,

formation religieuse qui prserve

c'est la

les

jeunes mes des brutalits

santes de la vie triviale


la surdit, la ccit

somme

de

le

salis-

car la grossiret,

vient en

l'esprit, cela

des pchs, et c'tait bien

chisme, qui, lui dnonant

une

rejeta

les

il

fut attir vers d'autres cultes. In-

il

gratitude,

mieux

fougueuses

dlicatesses

quand

le saluer

(1).

le

pch

le

cat-

comme

laideur, lui avait le plus srement, ds

ses premires
le sens et

annes de vie consciente, donn

l'amour du Beau.

11

est vrai

que

l'in-

fluence des philosophies payennes fut assez

courte

il

avait trop besoin de

de vie pour s'y attarder

grand sducteur Rousseau

mouvement

d'autre part,

est tout

et
le

imprgn

Cet incident, qui me fut cont par Rimbaud vers


de 1870, montre que le pote de sept ans , qui
n'aimait pas Dieu , avait bin chang par la suite, ou
que peut-tre il y a confusion voulue entre lui et le
pote de quinze ans, devenu un t grand son tour.
(1)

la fin

LA VIE DE SON ESPRIT

177

de christianisme, en sorte que

Rimbaud

Vgalit chez

la

passion de

du

fut encore

chris-

tianisme rminiscent.

Rminiscence qui clate soudain en mi-

moire

ma

claire

vie tait

...

un

curs, o tous

retrouver

Jadis,

si

je

me

les

vins coulaient... J'ai song

la clef

du

clef. Il

avoue

festin ancien

prendrais peut-tre apptit


cette

souviens bien,

festin oii s'ouvraient tous les

cela

La

je re-

Charit est

au dbut du

livre,

dans une sorte d'introduction crite videm-

ment en

dernier lieu, et servant rsumer la

transformation morale qu'il vient de subir.


Qu'entend-t-il par ce

mot de

n'est pas la bont simple

Sa bont

et

elles, etc.. Il

deux
prit,
il

le

sens.

sa

il

charit

Ce

donneraient

lui

a distingu les

Le terme de

Charit

dit d'autre part

deux mots,

les

charit, dans son es-

a une signification nette. Certainement

pense

la

vertu

chrtienne,

trouvons accompagn du

nous

car

mot abnga-

Jon.
Sacrifier quelque chose de
e lui a

soi-mme

expliqu au catchisme

condition ncessaire pour excuter

on

est
le

une
com-

178

LA VIE DE SON ESPRIT

mandement
drais

Fais autrui ce que tu vou-

que l'on te

fasse.

on demande pour

Il

soi

n'y a pas de doute

l'aide,

l'indulgence (que l'on appelle


sion

),

et

si

la

concession,

comprhen-

nous analysons ce qui

se passe

en nous quand nous voulons obir au prcepte, nous

voyons que nous ne pouvons

faire

au prochain, cder au prochain, ce que nous


lui

demandons de nous cder ou de

nous, comprendre

le

faire

pour

comme nous

prochain

voulons qu'il nous comprenne, sans agir plus

ou moins contre
les

moi

le

ses susceptibilits,

tendances qui se sont installes en

habitude

et

lui

par

agissent fortement, c'est--dire

sans comprimer, violenter, monder, mutiler

en quelque sorte
sans abngation.

le
Il

moi

(1)

c'est--dire

y a beaucoup de prtres

qui clbrent de prfrence la Charit, la

considrant

comme

stimulant

capital

toute vie spirituelle. L'ducateur de


tait de ceux-l.
rit est

(1)

Il

lui a

par excellence

Ce qui aboutit

plus beau.

le

de

Rimbaud

enseign que la cha-

la

vertu d'activit, la

reconstituer plus vaste et

LA VIE DE SON ESPRIT

vertu martiale. Active sur

le

179

corps dont

elle

dissipe les langueurs, les dgots, les motions

m.alsaines

active sur

l'intelligence

qu'elle

oblige un vigilant travail de comparaison,


un passage perptuel du subjectif l'objectif
et rciproquement (1), un exercice de
l'attention toujours en veil pour discerner

en nous l'humeur aveugle de


infaillible

moyen

pense lucide

d'atteindre l'indpendance

du mal caus par

d'esprit en nous librant


le

la

scandale des paroles et des actes qui nous

entourent

lixir

qu'elle excite

puissant pour

combattre en nous

la

volont

la cupidit,

l'orgueil, l'envie, la paresse, la colre, et tant

d'autres vices produisant l'gosme, la duret,


la

haine...

lesquels sont aussi autant d'er-

reurs.

Le prtre a

dit encore

La

charit condi-

tionne l'tat de puret. Si nous ne cherchons

pas tre avant tout charitables, suivant


l'ordre

du Sauveur, nous arrivons

vite

Observation que mille chrtiens ont pu faire,


un jugement
son dbut, l'examine, le transforme et nous fait dire:
C'est maintenant que j'ai raisonn juste.
(1)

l'intervention de la Charit-Loi arrte

La vie de son espuit

180

violer

chaque

du Dcalogue, nous

article

devenons mauvais de toute manire. C'est

reconnu

je soupirais

damns

Rimbaud

trs clairement par


Ciel

ici-bas

Moi

dans leur troupe. Je

La

charit

j'ai

tant de temps dj

les

connais tous. Nous

pote

...

poursuivant

mon

remords,

gique tude

Du

nous

nous nous d-

est

inconnue

U Impossible).

(Extrait du chap.

Hier

sommes-nous assez de

nous reconnaissons toujours


gotons.

du

obstin

mon

Enfin au

bonheur

ver... J'ai fait la

ma-

bonheur, que nul n'lude...

on avait appris notamment C'est beaucoup,


pour ramener la tranquillit de l'me en ses
inquitudes perptuelles, que pouvoir se
dire
Je suis sr au moins de n'avoir pas
pch contre la charit. Et voyez, au cours
de ses angoisses dans le chap. Mauvais sang
Je n'ai pas fait le mal, les jours vont m'tre
:

lgers, le repentir

pas eu

les

me

sera pargn, je n'aurai

tourments de l'me presque morte

au bien, etc.

Ainsi l'enseignement de la troisime vertu

thologale est ce qui a

baud, ce qui

le

lui est rest

plus frapp

vague

Rim-

et subcons-

181

LA VIE DE SON ESPRIT

cient, puis tout

coup se

fait reconnatre,

ce qui le porte signaler cet

orgueil plus

bienveillant que les charits perdues

simple faux pas de l'esprit

(1)

violent, au-

jourd'hui ce dsir mlancolique

!...

le

calme

Pourquoi

la

ne

Christ

mon me

Disposition

(1)

Si

Dieu

arien de la

Christ, Christ, ternel

voleur des nergies

donnant

cleste,

ce qui donne pour rplique au

vers fou de 1871

comme

de l'oraison suggre au-

trefois, des ferveurs

m'accordait

{Nuit de V Enfer)

ce qui au pote contempteur

prire

phrase implorante
m'aide-t-il

noblesse

maladiv de

pas

en

et libert (2) ?

l'esprit

serait

peut-

voulu
dir. Contre cette malformation, plus accentue chez
les malheureux atteints d'alination mentale, mais qui
existe quelque degr chez tous les hommes (boutade
L'orgueil meurt un quart
clbr d'un thologien
d'heure aprs nous ), les raisonnements n'ont que
peu d'effet, seul est efficace le sentiment religieux, et
Rimbaud, dont la caractristique morale la plus vidente, manifeste cent fois, fut malgr tout une haine
obstine de l'orgueil, dut avoir de cela une conviction
instinctive, puisque nous le voyons hant par l'ide de
cette vertu chrtienne, la charit.
tr plus exact, et c'est, je crois bien, ce qu'il a

(2)

tion

J'ai soulign les derniers


si

mots, d'une observaon trouva cette

belle et si profonde. Plus loin

LA vie DE SON ESPRIT

1B2

Dans un ouvrage de pit crit par un


religieux, pour des mes dvotes, on ne
trouverait pas, au moins en si peu de pages,
une plus grande frquence des mots Dieu,
Seigneur, Christ, et moins souvent
parce

qu'tant sous entendue


ril

que

toute

mme

de radotage. C'est que

cette ide vient d'voquer

sa pense ne put jamais,

dtacher entirement,

et

une poque dont


quoi qu'il
la

du

petit cagot

l'entre d'une chapelle

se

fit,

reprsentation

Charit reconstruit, on dirait, toute la


talit

au risque d'tre accus de

minute,

redondance,

Cha-

Rimbaud ramne

littrateur

le

l'expression

qui se

fit

men-

meurtrir

pour imposer

le res-

pect de l'eau bnite.


Qu'est-il

donc arriv au Rimbaud d'aprs,

celui qui fut

le

pote de Soleil

Mal, des Pauvres V Eglise,


Lucrce,

nourrirent

Diderot,

et

Chair,

l'esprit

du
que

Helvtius

phrase, qui flamboe comme un clair de gnie le chaos fuligineux


des rsolutions contra-

parmi

dictoires

La

vision de la justice est

le plaisir de
cependant qu''un souvenir, encorq,
de l'enseignement chrtien: Dieu seul est juste.
:

Dif u seul

ft

et n'est

LA VIE DE SON ESPRIT

Une

183

un

secousse terrible, une chute,

crou-

lement...

Sur

mon

lit

m'est revenue

doute

d'hpital l'odeur de l'encens

scandale,

rible

puissante

si

Le coup de

et

Eh

!...

folie

de Verlaine,

tout

projet

sans

le ter-

quelconqua

comme par une bourrasque, en


du point de dpart donc retour forc

ramen,
arrire

l'enfance

et puis la douleur physique, le

dchirement des nerfs


l'immobilit

poignet),

muscles

ont

vivre,

il

chang

(une

balle

la

dire, plus

rituelle.

de

du corps

l'esprit seul intact,

vie double de celui-ci, vie plus libre et,

peut

le

les

faon gnrale

a eu alors humiliation

abattu, revanche de

dans

impose tous

et

si

l'on

vraiment, plus fortement

spi-

Odeur puissante de l'encens

!,..

Contrairement ce qui a lieu d'ordinaire,

une sensation venue du dedans et non


de l'extrieur, c'est l'esprit envoyant aux
organes ce que ceux-ci, d'habitude, lui enc'est

voient laborer

une

on

dirait scientifiquement

hallucination de l'odorat

l'hallucination,

suractive

!...

'qu'il

L'odeur

mais, pour

faut une imagination

de

l'encens

qui

re-

184

LA VIE DE SON ESPRIT

vient

souvenir surgi, dlicieux, des ftes

sacres

avec cet image l'association

de

faite aussitt

ments

trs purs

la rflexion,

daigner ces effets de la


fance

mais ne peut

vie tait
>

un

festin

curs, o tous

les

peut attaquer
C'est

dclarer

les

que

le plaisir

n'en

ma

o s'ouvraient tous

les

vins

mon

esclave de

veut d-

ducation d'en-

la voici

ment par un retour

Je

l'enfer

ne

significatif

baptme...

payens

qu'il

coulaient...

Autre aveu non moins


suis

il

Jadis

preuve

soit rest, et la

sale

faire

s'est

de senti-

joies trs saines,

(Nuit de V Enfer).

souffre parce

que tour-

offensif de la foi primi-

que son esprit fut duqu de manire

tive, et

ne plus pouvoir se rfugier dans les torpeurs

de l'indiffrence. Qu'il se plaigne de


vissement,

n'importe,

pourvu

qu'il

l'asser-

serve

Ainsi qu'autrefois l'on imprimait sur l'paule

de l'esclave un signe qu'il ne pourrait effacer,


qui

le

mettait dans une espce d'hommes

/laquelle
y^/

le

appartiendrait jusqu' sa mort,

pote d'Une saison en Enfer a t marqu


la religion chrtienne, et de cette marque
Dieu misricordieux qui nous protge et

par
le

il

LA VIE DE SON ESPRIT

nous suit ne permettra pas

185

qu'il se dlivre

jamais.

Bien

Dans Nuit de Venfer


La peau de ma tte

qu'il le veuille.

combat

le

dur

est

...

se dessche. Piti, Seigneur. J'ai peur. J'ai


soif,

soif

si

Horreur de

Marie

!...

ma

btise

Vierge

Sainte

!...

!...

Pourtant, grce l'vocation du double

amour,

que

la

le

salut

va venir tout prs

Adieu chimres,
est

Je vois

nature n'est qu'un spectacle de bont...

bon

frres...

idals, erreurs...

bnirai

je

la

vie,

j'aimerai

[Mauais sang). Et

U Impossible

Mais

je

Le monde
enfin,

m'aperois que

mes
dans

mon

esprit dort. S'il tait bien veill toujours

partir de ce

moment, nous

serions bientt

la vrit, qui peut-tre nous entoure avec


ses anges pleurant

!..,

S'il

avait t veill

jusqu' ce moment-ci, c'est que je n'aurais

pas cd aux instincts dltres, une poque

immmoriale
veill, je

puret

S'il

a\ait toujours t bien

voguerais en pleine sagesse

puret

C'est cette

minute

!..,

d'veil

qui m'a donn la vision de la puret... Par


l'esprit

on va

Dieu...

1S6

ME

LA

DE SON ESPRIT

parvenu au bord mme de


la conversion. L'on dirait qu'il va se prcipiter, n'a plus aucune raison pour ne pas le
faire. Eh bien, non
Il s'arrte sur un cri de
Cette fois

est

il

un sanglot

peine,

Comment
tout

coup

presque dit

me

et

Je

si

me

rester

en

serait

douloureuse
soumets, je

le

domine

un.

ou plutt ce

duire,

me

dont

et

redevenait

S'il

quelque

lui

dissolution qu'il dfia

en

protestation,

cette

renonce... Mais n'oublions pas

cupation qui

irrit.

expliquer

avait

renie, je

une procparl

j'ai

croyant,

comme

chose

mme

Il

ce

cette

Satan de pro-

couper Rimbaud

serait

supprimer l'homme de rvolte, jeter

trois,

un tronon de Rimbaud pour rattacher


premier au troisime. Alors

le

le

sentiment est

plus fort que l'impulsion donne par la lo-

gique

tout en vivant
saire,

venu cette mort...


Savoir que c'tait nces-

Faut-il en tre

que

!...

c'est bien

!...

Dchirante infortune

Quand

Oh
!...

fin

trop cruelle

Saul, interpell par Dieu, fut jet

rudement sur

la

en se relevant,

route de Damas,

le

il

changement moral

accepta,
install

LA VIE DE SON ESPRIT

en

lui

de force,

il

ne

sourd

un

crie,

voix qu'il a entendue, coute

la

instant.
Il

pense avoir retrouv

le

calme, avoir

meilleur parti de cet enfer dont

le

Rimbaud

cria pas.

machinal, d'aller devant

se relve, continue,
lui,

187

Tenir

pas gagn

le

il

tir

sort

Et en somme tout

n'est point annihil de l'inspiration reue


le

mpris

va

qu'il

ambitions et de
diocrit

va

qui

le

gagner

la gloire, le

en

effet,

vouloir de

des

m-

rattache Rousseau et qu'il

retenir, c'est, sinon la charit religieuse,

au moins sa vertu conditionnante,

nommer

sans cesse, Vahngaiion.

pas, quoi qu'il fasse,

ce

Dieu

qu'il

11

qu'il faut

n'a donc

perdu tout contact avec

n'insulte

plus,

mais dont

il

veut, boudeur, se dtourner une fois encore.

Et notez bien que

s'il

refuse, c'est sans

une

un mot de discussion.
Au cours du monologue dsordonn dpei-

parole hostile, sans

gnant

trs

exactement

nous avons du reste

la

mle psychique,

assist

au phrionicne

connu de ceux qui prouvrent


aspirations religieuses

les

fortes

rves difh'rcnts, que

l'on croyait limins, qui se reprcscntcnt

LA VIB DE SON ESPRIT

188

Quand

monts, saluer

et les

nouveau,

par del

irons-nous,

la

la

sagesse

tion,

adorer

terre

?...

Ou
aprs

premiers

de

la supersti-

Nol sur

la

bien des scheresses venant subitement


les

ma

serves

la fin

des

fuite

{Matin).

ardentes.

effusions

Mauvais sang,
fait

les

naissance du travail

nouvelle, la

tyrans et des dmons,

grves

les

dans

Ainsi,

alors qu'il a dclar

force (1) et je loue Dieu

Dieu

ces r-

Apprcions

sans

vertige

mon innocence... Je ne suis


de ma raison (2)... Je veux la

de

l'tendue

pas prisonnier
libert

dans

le

salut...

Cette ingratitude

Les gots frivoles m'ont quitt.

besoin de dvouement ni d'amour divin


(j)

Souvenir d'Isa

Potes de sept an
Il lisait

(2)

XII^J^

voir,

...

dans Les

une bible

De mme Hugo

(ch.

Plus

la

tranche vsrt chou...

fut hant, toute sa vie, par la Bible.

G'st sa raison qui parle et

il

est convaincu, n:ais

pourquoi obirait-il, agirait-il d'aprs sa conviction...


seulement
Aveu sincre d'une inconsquence bien
humaine il y a la logique, il y a aussi nos instincts.
;

189

LA VIE DE SON ESPRIT

Cette ironie

Chacun a

ma

je retiens

sa raison

place au

mpris et chant

sommet de

gliqae chelle de bon sens

Mais

il

peu aprs

dira,

Les Saints, des forts

...

!..,

soupirs empests se modrent,


les

cette an-

grincements de dents,

Si ensuite les

si

les

ont disparu

tendances vers on ne sait quelle morale

moins

tte en bas et apparente plus ou

ropussadicum(i),
vers),

il

(la

mchancet

par cette phrase bizarre

lument moderne

Il

de

l'uni-

d'une

prsence
Il

faut tre abso-

La Saison en Enfer nous


pendue.

loi

inhibe son impulsion vers la pit

conversion

laisse

donc en

bauche,

sus-

part pour sa vie errante, gardant

connu que de rputation. A une


s'abandonnait encore aux curiosits les plus noires, il demanda les ouvrages du divin
marquis au British Musum, mais c'tait dans la
salle publique, il ne put obtenir cette communication :
il et fallu des prsentations officielles, permettant
(1)

Rimbaud no

poque (1872) o

l'a

il

de l'admettre parmi

les lecteurs privilgis

ce qui a

galement notre Bibliothque nationale et probablement partout en Europe.


lieu

190

LA VIE DE SON ESPRIT

mme

quand
de

la crise

ce

mot

charit retrouv

et qui le

gardera

lui aussi,

n'en ayant plus qu'une ide partielle

pouvoir ngliger

nant

l'amour divin

l'abngation

prend pleinement dans


Mais

il

lien

le

il

com-

sens tymologique.

que par

un

une soumission dfaut d'adoration

dans

et insignifiant

l'chelle

du grand

au plan, l'intention
cette

croyant

et s'en te-

d'ailleurs

doit avoir conscience

inconnu

met

posa,

le

rattache au Crateur, car son parti pris

d'tre
le

que

au cours

le

monde

tout, obit ainsi

claire de Celui qui im-

dans un but d'universelle harmonie,


de Charit dont l'humilit en actes,

loi

prparant

l'humiht

dans

l'me,

est

une

condition ncessaire.

Et

trouble

le

ments puis
temps dans

les

douloureux,

les

consente-

rvoltes vont subsister long-

cet esprit qui se refuse moiti

Le pote de Sagesse eut une belle


intuition de l'avenir quand il lui crivait,
toujours.

en 1875

...

Toi

si

intelligent,

si

prt (bien

que a puisse t'tonner) J'en appelle ton


dgot lui-mme de tout, ta perptuelle
!

colre contre

chaque chose. Juste, au fond,

LA VIE DE SON ESPRIT

191

du pour-

cette colre, bien qu'inconsciente


quoi...

Etait-elle

si

inconsciente

mis

ici

d'emprunter

mon

vraiment

Dieu attendait son heure. Qu'il

me

soit per-

prcdent

livre

quelques lignes propos des derniers jours

Rimbaud en

de

Aden,

de volcan

Que

le
.

Afrique.

rocher nu, la ville

dans un fond

Pas un brin d'herbe...

l'alignement des chiffres, que

niement des sacs de

caf,

que

le

le

ma-

travail mi-

nutieux ou fatigant des mains, que

la

vie

schement pratique, assourdissante, active


dsesprment du commis-marchand qui
change, vend, achte, discute avec

les b-

douins, circule, affair, parmi les nes, les

chameaux,
paille,

trompe

la

chevaux, dans

les

poussire,

sur lequel, pas

me

les

cette angoisse

un

du

les ballots,

la

tourdisse

et

cris,

sacrifice de gloire

instant, ne reviendra son

obstine.

Si l'on s'tonne

meur sombre

autour de

et farouche,

si la

lui

d'une hu-

clairvoyance

de M. Bardey attribue ce subordonn d-

vou mais trange une ducation suprieure,

192

LA VIE DE SON ESPRIT

dans un pass mystrieux, quelque roman

et,

grandiose,

toutes

par

les

sur

la

les

le

sauvage employ, qui connat

langues, ne pourrait rpondre que

paroles amres que Michel- Ange grava

statue de la Nuit

...Non sentir m'e gran ventura


Pero non mi destar (1) 1

Donc

elle dort, la

morne

son sommeil est plein de cauchemars


soubresauts

Pour chasser

voudrait plus qu'agir

que

statue, mais

la pense,

et

de

il

ne

l'action n'est pas assez

vertigineuse son gr, pas assez constante


et

il

revient, le torturant moustique.

Alors touffer l'imagination en bourrant

la

mmoire, en

les

plus fortes et les plus lourdes.

pour remplir

les

la

gorgeant des nourritures

?...

veut

lire,

nuits sans sommeil, les nuits

ardentes... Lire quoi

de l'histoire

Il

Il

des romans, des vers,

demande,

le

pote,

il

en-

voie en Europe les conomies faites sur son


salaire

pour qu'on

que voici
(1)

pa

adresse les ouvrages

Ne pas

...

lui

sentir m'est

grande chance

ne m'veille

LA VIE DE SON ESPRIT


.

193

PI

Menuisier, le Peintre en btiments, Manuel du


Briquetier, le parfait Serrurier, Manuel du
Fondeur, Manuel du Charron, Manuel du

Lwre

du Charpentier,

de poche

le petit

Tanneur, Trait de Minralogie, Trait des


Puits artsiens. Exploitation des Mines,

Hy-

draulique agricole. Guide de V Armurier,

Ma-

nuel de Tlgraphie, Manuels du Verrier,


Potier,

Or,

il

n'toufe pas,

nation tenace
grise

Je

cela,

ferai

?...

Ah

seulement et

la

entreprendre

!...

cela encore...
il

Que me

faut s'assimiler aussi

Engeneering military and

Topographie

Mtorologie

ne tue pas Timagi-

partir...

cela...

Dictionary of

civil.

il

l'irrite

il

Allons

manque-t-il
le

du

du Faencier, du Fabricant de Bougies..

et

Godsie par Salneu^e,

par Mari-Davy,

le

Ciel

par

Guilemin, Chimie industrielle par Wagner,

Hydrographie, Trigonomtrie, V Annuaire du

Bureau

Et

des longitudes...

il

va, vient, retourne

d'Aden Harar,

de Harar Aden, parcourt toute l'Abyssinie,


fc-anchit

des

immensits
les

centaines

solitaires

brigands et

les

de lieues

dans

les

que peuplent seulement


btes froces, expos
i3

La vie de son esprit

t94

tout et ne craignant rien, puisqu'il souffre.

Des moments,
mme...

il

est forc de s'arrter

faut attendre six mois.,

Il

Oh cela c'est le vide


nom Que les autres

peut-tre...

torture sans

quand
un an,

affreux, la

s'arrtent,

suspendent avec tranquillit l'action qu'en-

momentanment

travent

venir.
les

Il

n'en veut pas

choses

tentent

pierres

jamais,

cet

La

pense, la vision,
orgueils

les

Et

!...

La pense va

Cela n'existe pas

pas que cela existe

remue des

lui

d'autrefois,

!...

exist,

!...

circonstances

les

ne peut pas s'arrter,

il

qui

ne veut

Il

!...

cela n'aura pas

pas une seule minute,

s'il

caisses, des outils, doi terres, des

s'il

plonge ses mains fivreuses dans

amas des productions aux

d'une industrie barbare

acres

s'il

une barque, au milieu des vents

parfums

se jette

dans

et des vagues,

pour traverser, retraverser, traverser encore


la Mer Rouge si un cheval le secoue pendant
;

des jours, des jours, des jours, sur les cailloux,


sur les rocs

du dsert d'Ethiopie

?...

.....

Et

voici

s'croule.

Une

que

le

corps dfinitivement

suite ordinaire

des troubles

iA VIE DE SON ESPRir

le rhumatisme
aux membres hroques

cardiaques,

atroce

cloue sur son

le

l'insomnie sans piti.


011,

Il

aigu, s'attache

La douleur

vingt jours, dans

lit,

...

195

est alors

au Harar

force de travail, d'ingniosit, de har-

diesse,

il

vient d'augmenter

pargne, o

le

croit tenir les

il

produit de son
trois,

quatre

mille francs de rente qui lui permettront de

vivre sa guise.

11

faut

quelques dbris de

en nos

Rimbaud,
villes,

ne

abandonner

garder

que

la petite fortune.

devant tre ordinaire dans

Puis, rien ne

vie de

liquider

prospre,

l'tablissement

ce

la

que nous voyons passer

bref tristement et vulgaire, la

civire portant

un moribond

vers l'hpital

s'accompagne d'une lente caravane qui che-

mine durant deux semaines par soixantequinze lieues d'pres solitudes...

La mort, pourtant, ne
ger

les tortures.

se pressa. pas d'abr-

Elle les prolongea six mois

encore...

C'est

une synovite, une hydarthrose, etc.


sa famille, le 23 mai 1891, de

crit-iJ

l'hpital de Marseille.

Cela doit durer

^^ VIE DE SON ESPRIT

196

des complications n'obligent

trs longtemps,

si

pas couper

jambe.

la

estropi. Mais

En

je cloute

tout cas

m'est devenue impossible...

Et quand
le

je resterai

que j'attende. La vie

cet actif, cet inquiet,

mouvement

fut toujours

pour qui

une imprieuse

ncessit, cet allant infatigable qui trouvait

dans

la

marche une

ivresse consolante, fut

oblig de savoir que l'ancienne souplesse des

membres ne
qu'il
lui

.reviendrait

en aucun temps,

ne marcherait plus, qu'il se tranerait...

qui avait franchi pied

deux

fois la

chane

des Alpes, lui qui entreprit jadis de traverser

de mme, dans sa longueur et d'un bout


l'autre, la pninsule italienne, son dsespoir
jaillit

en ces mots d'une simplicit poignante

qui voquent les grandes lamentations


l'antique tragdie

Que

je suis

de

donc mal-

Que je suis donc devenu malheureux !... (mme lettre du 23 mai).


La jambe tomba sous le couteau du chiheureux

rurgien.
... Voici le

beau rsultat

me

et, de temps en temps, je


une centaine de pas sur mes

je suis assis

lve et sautille
bquilles, puis

197

LA VIE DE SON ESPRIT

me

je

rasseois.

Mes mains ne peuvent

rien

Je ne puis, en marchant, dtourner

tenir.
la tte

de

La

quilles.

avant

mon

et

seul pied et

du bout des

b-

tte et les paules s'inclinent en

vous bombez

tremblez voir

comme un

gens

les

bossu.

et les objets se

Vous
mou-

voir autour de vous, crainte qu'ils ne vous

renversent pour vous casser

On

la

seconde patte.

ricane vous voir sautiller. Rassis, vous

avez

les

mains nerves,

l'aisselle

scie,

la

Le dsespoir vous reprend,


vous demeurez assis comme un impotent

figure d'un idiot.


et

complet, pleurnichant et attendant la nuit


qui rapportera l'insomnie perptuelle et la

matine encore plus

triste

que

la

veille.

(Lettre du 15 juillet 1891).

Mme

ces

pour sauver

emport

le

tourments se prouvaient inutiles


la vie

mal,

l'amputation n'avait pas

qui gagnait sur d'autres

points.

Dieu prcipitait
grce
Il

la

la

fin

par l'envoi de sa

mutilation, l'infirmit, la souffrance.

opprimait

le

corps pour assurer, dfinitif,

le

triomphe de

si

vivace qu'il se rcrie et n'admet pas sans

l'esprit.

Mais notre orgueil est

LA VIE DE SON BSPBIT

rvolte les conversions dues quelque force

en dehors de nous
et

le

il

voudrait que

le

pcheur

mrite de dcouvrir la vrit par un

processus rgulier de sa vie mentale, et qu'il


dpouillt sans aide

peu

raliste

le

homme.

vieil

Qu'importe

Dsir

manire dont

la

un

fait s'est produit, puisqu'il a lieu et qu'il

est

bon

Dsir peu logique, peu inform des

lois d'quilibre

remet

leur, qui

car c'est ce

les

moyen,

la

dou-

il

tait

choses en place, et

indispensable en sa violente nergie, tant

donn

poids

le

souvent

notre

raison

condamner

elle est

notre

sensibilit,

Pensons aux raisons divines


raient tre de

Eliminons

soulever.

prfrences de notre

les

trop

faiblesse.

celles-ci

pour-

l'gar ne pas

retrouver la vrit qu'il a jete en chemin


il

faut les accueillir avec joie,

fier

quand

elles

un

faut les glori-

pardonnent.

Rimbaud jugea
pela

il

qu'il allait

mourir,

il

ap-

prtre.

Cette fois

il

ne s'agissait plus,

comme au

Une Saison en Enfer, de certains


sentiments rehgieux plus forts et mieux enracins dans l'me, dont l'motion un instant
temps

d'

tA VIB DE SON ESPRIT

le

199

domina, ni d'appeler son secours

le

Christ et la Vierge ou les saints par des invocations jetes au hasard et que faisait revenir

de l'enfance une mmoire surexcite. Ainsi


qu'avait fait Verlaine

se souvint

toute

allait

il

l'glise

dont peut-tre

franchement

il

demandait

il

l'glise,

sacre-

les

ments.

Adhsion

totale, consciente, absolue.

Le prtre qui

l'assiste,

qui reoit ses der-

qui lui donne la

niers aveux,

communion,

s'tonne de l'loquence, inentendue par


jusqu'alors, avec laquelle ce

exprime

l'effusion

veur de sa

de

foi,

veilleuse dont

il

malade obscur

de sa gratitude et
la posie

lui

la fer-

trangement mer-

pare des visions du

vert devant son espoir extasi.

cet

ciel

ou-

homme

pieux et doux tait rserve par un Dieu


jufite

de bnir la conversion d'un

fte

la

Rimbaud

il

tait, le

bon

prtre,

parmi ces

anges dont a parl Jsus et qui sont

reux

tence

Car

pour un seul pcheur qui


l'esprit

du philosophe

et

si

heu-

fait pni-

du pote

venait d'tre reform, pur de tout alliage,

200

LA VIE DE SON ESPRIT

pour

>n^

la vraie

suprme.

Il

'

connaissance et pour la posie

avait autrefois gmi

ne va pas assez vite pour nous

La
La

science

science

venait pourtant de l'atteindre.

Ont pass
logiques

la

l'arrire-plan les idals socio-

combinaison de Rousseau avec

l'Evangile est remplace par cette


divine

qu'il cherchait,

clart

ne voulait pas voir,

qui l'inonde enfin de ses rayons. Se sachant

emport
r

surtout,

divin

a renouvel

amour

moi

de

la

, il

heure,

cette

vers

pensons

le

Nuit de V enfer, senti que donncff

Dieu tout son cur, c'est en

mme temps

donner tout son cur l'humanit cause


de Dieu

c'est,

sainte, apporter

par l'exemple d'une mort

au monde une

otlrande d'amour, que

en Enfer ait

ma

le droit

l'homme

prcieuse

si

d'

Une saison

de redire avec certitude

charit merveilleuse

!...

Et l'motif qui avait entrepris de

se forcer

vivre en dehors des exaltations de l'esprit,


le

pote qui essaya de

magnifier

l'histoire

pouvait maintenant sans scrupule tancher


sa soif

d'motion et de grandeur,

pi'Oidrb

tous ses lans,

comme

la

laisser

Vierge

201

LA VIE DE SON ESPniT

Mre,

le

plus joyeux,

passonn des essors

le

plus enivr,

le

Dominum.
meus in Deo sa'utari

Magnificat anima raea

Et

exaltavit spiritus

dif-o...

plus

Voici l'criture de
vait pas varier

Rimbaud

adolescent;

Ce qui frappe d'abord


bonhomie ingnue,

et surtout

Je

c'est

un

et cette particularit, ainsi

de choses dans sa vie mentale,

ment de

elle

ne de-

beaucoup partir de 1871.


air

de

que tant

distingue radicale-

le

mille autres crivains.

parlais

du

gnrale

l'allure

di;

graphisme

arrtons-nous sur quelques dtails. Les mots tendraient

monter plutt

l'optimisme

et

premier mouvement de

la

caractre concessif

finaux en
vous...

cules

Eh

volont, pourtant, car

coup de pioche

simples

ment proportionne
habitude en

lui

d'architecturer

marge

bienveillance; la

bien, voyez

trs

l'esprit

comme

est

la

s'largit
il

y a des

direz-

l'artiste?

hauteur des majus-

admirablement, tonnamdes

celle

installe,

Mais

pour

forte et

savamment

la

minuscules

permanente,

parole crite.

une
celle

D'autre

part, les majuscules de notre pote indiquent certains

manques. Pas de ces largeurs, de ces talements qui


sont le

fait

des sans-gne; pas de ces

vifs et capricieux,

au

contraire,

(ju'assez

elles

traits lancs,

trahissant la grande spontanit

sont

comme

frquemment dans

rtrcies.

cette criture

il

J'ajoute

a des

2G4

l'criture db rimbaud

temps en temps,

angles, que, de

plume appuie,

la

lapprochons nos trois observations dernires, inter-

formule

prtons

l'aide

procd

obligatoire en graphologie

le

d'une

froide
:

et

neutre,

nous avons

timide sensible qu'un feu secret force parfois

s'exprimer avec passion.

Enfin remarquez

sement forms
ses F

comme

les r

minuscules,

si

consciencieu-

presque jamais un orgueilleux ne

cela.

fait

L'CRITUBE

(T^^

yc_
.
f

SB BIMBAUD

-T^^i'Of^oz

205

>

l'critube de aiMBAtiD

206

itfe/i

^vHv/x>

(^

candeur

Jj^ 4^mM<x^ .c^V<^ /fetr

L'CRITURE DE

RIMBAUD

207

Imprim en France par

K.

GAULTIER.

Par^s

5-42

uma.
PQ
2387
R5Z617

Delahaye, Ernest
Rimbaud

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