Communio - 19811
Communio - 19811
Communio - 19811
En collaboration avec :
ESPAGNOL : Revista catolica itemacional Communio (Edidones Encuentro, Urumea 8, Madrid 2, Espagne) Antonio Ardrs,
Ricardo Blazquez, Ignacio Camacho, Carlos Diaz, Javier Bzo, Flix
Garda-Marlyon, Juan-Maria Laboa, Jos-Miguel Oriol, Juan MartinVelasco, Alfonso Perez de Laborda, Juan-Luis Raz de la Pena:
Attestations
Adrienne von SPEYR (textes choisis et prsents par Hans-Urs von Balthasar)
page 63 .................................................................... L'exprience du Samedi Saint
Pierre-Marie GY, o.p.
page 72 .......................................... La Lex orandi dans la liturgie des funrailles
Signets
Andr BERTHON
lieux (receptacula) pour les bons et les mchants ; on peut aussi les
concevoir de faon plus prcise comme une sorte de salle d'attente
dans laquelle les morts d'avant l're chrtienne se rassemblaient
pour attendre la venue du Christ, sans lequel personne ne peut
parvenir au Pre dans le ciel, car lui seul est le chemin pour y aller,
lui seul nous fraie, travers le grand abme (Luc 16, 26), une
voie, pour nous prparer une place de l'autre ct.
CET nonc central devrait nous suffire. Deux erreurs sont donc
viter : vouloir en savoir trop, et rester indiffrent. Trop, parce que
certains anciens manuels de dogmatique, et encore maintebeaucoup de croyants, veulent en savoir trop : y a-t-il des damns ? Et
combien ? Que deviennent les enfants morts sans baptme ? Le Christ
est-il seulement descendu chez les pieux patriarches , ou aussi dans
l' enfer proprement dit ? Ou encore : le Christ est-il
descendu seulement en son me ou aussi en son corps ? Laissons de
ct ce que nous ne pouvons pas savoir. Pour les chrtiens - c'est le
grand message de Thrse de Lisieux , l'esprance, l'esprance en le
salut de tous les hommes, n'est pas seulement mieux sa place, mais,
tout simplement, meilleure qu'un savoir problmatique et soustrait
celui qui juge les vivants et les morts.
Trop peu, aussi. On voudrait retirer du Credo cet article de foi, car on
le dit mythologique. Non. C'est faux. Il est d'un bout l'autre christologique et dcoule ncessairement de l'incarnation du Verbe. On ne
manquera pas de remarquer, surtout aujourd'hui, de quelle inquitante
faon l'ide de l'enfer comme de la perte totale de Dieu, de la mort de
Dieu , est devenue pour nous quelque chose de vivant. L o,
aujourd'hui, les humanismes plissent et quel rythme ! , partout
se rpandent, si un christianisme authentique n'entre pas en jeu, des
visions toujours plus cruelles de l'enfer. Les cauchemars d'un Jrme
Bosch semblent bien inoffensifs ct des images de l'Archipel du
Goulag.
LE
de comprendre la grandeur, mais aussi les limites des sermons des Pres
de l'glise d'Orient, et de ces icnes de la descente aux enfers qui (
partir du XIe sicle) passrent pour fournir l'image centrale de la
rdemption. Qu'elle est mouvante, cette tonnante homlie, attribue
Epiphane et retrouve par Henri de Lubac (1), dans laquelle le Christ
entre en disant le Seigneur soit avec vous dans les tnbres de l'enfer
du plus profond desquelles Adam lui rpond. Et Jsus de lui dire : Que
fais-tu ici, image de mon Pre ? Ce n'est pas pour cela que tu as t
cr . Et le rdempteur conduit toute l'humanit hors des enfers, vers le
ciel. Les icnes montrent le Christ debout sur les deux vantaux arrachs
de la porte des enfers, et tendant la main Adam et Eve ou l'un des
patriarches pour les relever.
L'orient reprsente ainsi la descente aux enfers comme un vnement
lumineux et victorieux. Est-ce juste ? Ne devons-nous pas inclure le jour
de la descente dans la Semaine Sainte, et non le rattacher la gloire de
Pques ? La victoire sur le pch et la mort n'a-t-elle pas lieu dans le plus
profond silence ? Le contact entre les morts et la vie ternelle n'est-il pas
produit dans l'absence absolue de tout contact ? Dans l'ultime possibilit
d'obissance du Fils, qui, au-del de tout ce qu'il peut comprendre, doit
chercher le chemin qui le ramne la vie du Pre l o celui-ci ne peut en
aucun cas se trouver dans le royaume intemporel de la mort ? Ce n'est
certes plus le Jsus de Nazareth vivant qui accomplit ce dernier geste
d'obissance, car celui-l est dj mort. Mais la knose du Verbe, du Fils
ternel, d'une manire inconcevable, permet la relation qui rgne entre
le Fils et le Pre = pur amour reconnaissant qui a, par amour, pris la
forme de l'obissance d'aller jusqu' cette fin suprmement paradoxale, qui va plus loin que la mort et l'arrache ses gonds. L'amour
est fort comme la mort ( Cantique des cantiques 8, 6) non, il est plus
fort.
LE
Hans-Urs von Balthasar, n Lucerne en 1905. Prtre en 1936. Membre de la Commission thologique internationale ; membre associ de l'Institut de France. Sa dernire
bibliographie, arrte 1977, compte 90 pages dans Il filo d'Ariana attraverso la mi a
opera, Jaca Book, Milan, 1980. Derniers ouvrages parus en franais : Nouveaux points de
repre (textes revus et annots par Georges Chantraine), coll. Communio , Fayard,
Paris, 1980, Aux croyants incertains, coll. Le sycomore , Lethielleux, Paris, 1980.
Wilhelm MAAS
Jusqu'o
est descendu le Fils
La descente aux enfers n'est pas une invention de thologiens tardifs. Elle appartient essentiellement au Credo.
La difficult n'est que de concevoir l' inactivit du Christ
au shol. Mais comme vnement trinitaire , la descente
aux enfers s'actualise dans la manire dont chaque chrtien
vit son baptme.
LE problme thologique central de cet article est contenu dans son sujet :
Descendu aux enfers ? ou descendu dans le royaume de la mort ?
La premire de ces formules a t pendant longtemps utilise par la
liturgie dans le Credo. Puis, les efforts des glises chrtiennes de langue
allemande pour , parvenir une traduction commune des textes liturgiques ont,
il y a environ dix ans, abouti l'utilisation d'une nouvelle formule, la seconde.
Le mot enfers fut supprim et remplac par une expression plus neutre, le
royaume de la mort . Cette transformation vraiment profonde (comme nous
allons le montrer) n'a eu ce moment que peu d'cho dans le monde des
thologiens, si l'on excepte quelques prises de position isoles (mme parmi
les thologiens protestants). On a pu constater, plutt, un certain soulagement.
Pourquoi ? Croyait-on que le mot enfer n'avait plus sa place l'intrieur de
ce que l'homme d'aujourd'hui, hritier des Lumires, peut comprendre et
prouver ? Croyait-on avoir enfin libr le Credo d'un lest mythologique depuis
longtemps superflu ? La dmythologisation tait-elle ici le mot magique ?
Croyait-on que le mot enfer , si fortement imprgn par les reprsentations qui
en ont t faites la fin du Moyen Age, ne permettait pas d'accder au sens
vritable de l'article de foi descendu aux enfers ? tait-ce pour des raisons
pastorales que l'on cartait l'expression ? S'tait-on rendu compte qu'elle ne
passait plus et qu'en consquence il fallait raliser un aggiornamento
thologique en l'adaptant aux destinataires du message chrtien ?
Quelle que soit la nature des motifs invoqus, on peut, il est vrai, manifester
au premier abord (mais seulement au premier abord) une certaine comprhension pour cette attitude, et la considrer en quelque sorte comme une contreattitude vis--vis des coles de dogmatique de la premire moiti de notre sicle,
qui prtendait tout savoir sur les fins dernires. Mais y regarder de plus prs
(et c'est le but de cet article), cette dvaluation et cette interprtation approximative de la descente du Christ aux enfers sont extrmement graves et mme
Wilhelm Maas
thologiquement injustifiables : on ne voit plus la dimension en profondeur de
cet article du Credo ; on capitule inconsidrment devant le caractre insolite
(en admettant qu'il le soit et qu'il le reste) de ce mystre de notre foi.
Mais ce n'est pas seulement pour des raisons d'ordre thologique (sur
lesquelles nous reviendrons de manire dtaille) que l'on peut faire une critique
approfondie de l'attitude de scepticisme ou mme de refus l'gard du dogme
de la descente aux enfers. D'un point de vue anthropologique et existentiel, il
convient galement de rfuter l'objection souvent entendue selon laquelle l'ide
d' enfer n'apparatrait plus dans le vocabulaire de l'homme moderne ni dans
son exprience de la vie. Or, c'est justement l o l'exprience humaine se traduit
en exemples condenss, c'est--dire dans la posie et la littrature, que le terme
d' enfer sert peindre la condition de l'homme moderne et constitue le lieu
par excellence d'une existence perue de faon ngative. Le mot lui sert
exprimer avec prcision la vie o il se situe. On pourrait s'en rendre compte en
faisant une lecture dtaille de la grande littrature du XIXe et du XXe sicles
Nerval, Baudelaire, Rimbaud, Lautramont, Claudel, Kafka, Thomas Mann,
Beckett, Joyce, Bernanos, Soljnitsyne, pour n'en nommer que quelques-uns (1).
Or, si l'on veut que la flche de la parole de Dieu touche rellement la condition
humaine jusque dans le langage utilis pour la rendre, cela implique galement
que, pour proclamer aujourd'hui notre foi, la formule qui parle de la descente
du Christ aux enfers est non seulement autorise, mais ncessaire, quelle que
soit dans le dtail la signification de son contenu. Si l'on veut s'adresser
l'homme moderne en parlant son langage, alors il faut parler aussi de l'enfer,
car nul, plus que l'homme moderne, n'en a jamais autant parl.
Pour en tudier de plus prs le contenu et la signification thologique, nous
allons nous occuper tout d'abord des aspects bibliques, dans une premire partie.
Il faudrait vrai dire complter la mthode de critique historique en interprtant l'criture avec les yeux de l'Esprit : inventorier la mystique relative au sujet
qui nous occupe et l'exploiter sur le plan dogmatique serait une tche
thologique aussi urgente que fconde (2). Puis, en seconde partie, nous
essaierons de donner de la descente aux enfers du Christ une interprtation
succincte dans la perspective de la thologie systmatique actuelle.
Wilhelm Maas
l'aube des temps messianiques. Jsus mort est le Christ dont le sjour parmi les
morts amne les morts la vie. Qu'il y ait ici l'arrire-plan une reprsentation
juive d'une descente du Messie n'est peut-tre pas exclure (6).
2. Le passage obscur : 1 Pierre 3,19 et 4, 6
Ces versets font partie des passages les plus discuts qui soient. Pendant des
sicles, ils ont t considrs comme la rfrence biblique par excellence pour la
descente aux enfers. Il est vrai que saint Augustin, par exemple, tait dj d'un
autre avis. En tout cas, les exgtes contemporains ont tendance croire que le
passage n'envisage pas un rle actif jou par le Christ lors de sa descente aux
enfers pendant les trois jours passs au tombeau. Si l'on rapproche ce passage
des chapitres 6 16 de ce que l'on appelle l'Hnoch thiopien, qui en constitue
l'arrire-plan, on l'interprte alors de la faon suivante : le Seigneur ressuscit
s'adresse aux mauvais anges, insoumis et dchus, qui ont entran l'homme au
pch, provoquant ainsi la sentence de punition du dluge, et qui dsormais sont
retenus prisonniers jusqu'au Jugement dernier dans les airs o ils ont leur
demeure. Il leur annonce au moment de son Ascension la victoire dfinitive qu'il
vient de remporter sur eux. Mme celui qui ne veut pas accepter cette interprtation, notre avis bien fonde, doit en tout cas nous concder que, dans ce
passage, on ne peut plus voir aujourd'hui d'une manire absolue une action
rdemptrice de Jsus au royaume des morts entre sa mort et sa rsurrection (7).
Nous nous trouvons donc devant un fait curieux : certains des passages-types
habituellement utiliss propos de la descente aux enfers ne sont plus interprts
dans ce sens. Et en revanche, de nouveaux passages, jusqu'ici quelque peu
ngligs, passent au premier plan. En outre, si l'on veut se faire, partir de la
Bible, une ide globale adquate de la descente aux enfers, il faut aussi analyser ce
qu'impliquent les reprsentations bibliques du shol.
3. Le shol : l'homme abandonn par Dieu et par ses semblables
Pays d'o l'on ne revient pas, o l'on est totalement spar des vivants et oubli
de Dieu, o rgnent le mutisme et l'obscurit, bref la solitude et l'abandon, telles
sont les caractristiques du shol. Il signifie le rgne souverain de ce qui est
ngatif, le triomphe des puissances du chaos sur la vie et l'ordre (kosmos). L'tat
de mort et le shol constituent la somme de tout mal, la ngation de tout ce qui
est bon, attirant, dsirable. Les conditions d'existence au shol sont en retour
dans le monde d' avant la cration, fait de tnbres et de chaos, et oppos au
dessein de Dieu : le tehom, le chaos marin l'origine des temps (tel que le
personnifie le monstre marin. Lviathan) et le shol ont entre eux des rapports
troits, et pas seulement sur le plan de la localisation (l'eau de la mort). Ainsi, la
victoire sur le shol reprsente une nouvelle cration.
Mais le pire pour celui qui se trouve au shol est qu'il est totalement
abandonn de Dieu et des hommes, sans le moindre rapport avec qui que ce soit.
La profondeur insondable de l'loignement de Dieu symbolise ici l'horreur par
excellence. De nombreux psaumes (par exemple le Psaume 22 et le Psaume 88)
citent l'abandon par Dieu comme tant la premire de toutes les souf-
frances (8), et dans ce mme contexte, ils mentionnent galement sans arrt
l'tat de celui qui est livr et sacrifi. Nous aurons y revenir. Il est alors trs
curieux de constater que pour tout ceci la rciproque est galement valable :
manquer totalement de relation, tre en proie la solitude, tre abandonn de
Dieu et des hommes, c'est se plonger dans le domaine du shol. Mais avant de le
prouver, il nous faut encore dmontrer brivement que le shol ne commence pas
seulement aprs la mort, mais que d'aprs la Bible, cette situation de
descente se rencontre galement durant la vie elle-mme.
4.
La Bible ne voit pas dans le shol un simple espace statique, mais aussi une
dynamique lie une existence. En tout cas, le premier aspect ne doit pas tre
surestim et mis tout seul en lumire. Le shol n'est pas considr seulement
comme un lieu , mais aussi comme un royaume , c'est--dire le domaine o
s'exerce une souverainet et une puissance. Le shol est une puissance dynamique
et agressive qui fait irruption dans la vie et l'anantit. La descente, le chemin du
shol, commence dj au cours de cette vie. Misre en tout genre, maladie, tat
d'abandon, c'est cela le shol, d'une manire certes partielle, mais pourtant
relle. Beaucoup de psaumes en sont l'expression. Sagesse 17 en est aussi un
tmoignage loquent : l'exprience de l'angoisse que l'homme a au fond de 'uimme est le symbole de la ralit du shol. Ces affirmations ne sont pas
seulement des mtaphores outrancires. Si, selon la Bible, la vie est plnitude de
joie, de sant, de communication, de sret, de proximit de Dieu, alors tout ce
qui affaiblit, diminue ou dtruit ces lments constituants de la vie est mort et
shol : le deuil, la misre, le chaos, la maladie, la souffrance, la solitude,
l'abandon par Dieu.
5. La descente comme abandon et l'abandon comme descente
(6) Cf. en outre mon Gott und die Hlle (cf. bio-bibliographie la fin de l'article), 73-97. J'y expose en
dtail les thmes que cet article ne fait souvent qu'effleurer et j'y donne une bibliographie.
(7) Cf. W. J. Dalton, Christ's Proclamation to the Spirits (A study of I Peter 3, 18-4), 6, Rome, 1965 ;
N. Brox, Der erste Petrusbrief, Zurich et al., 1979, 170 et 189.
Wilhelm Maas
shol, l o rgne l'absence de toute communication et de tout lien. On trouve un
schma presque strotyp de cette situation ds Nhmie 9. Pourtant, et
l'accent ne cesse d'tre mis sur ce point lorsque le Peuple a rompu l'Alliance,
lorsque l'homme a abandonn Dieu, celui-ci ne l'abandonne en fin de compte
que pour peu de temps et ne le laisse pas jusqu'au bout dans l'tat d'abandon
du shol. Sur cet arrire-plan se dtache d'autant plus nettement la nouveaut
du message chrtien : Jsus-Christ, qui, parce qu'il s'identifie la volont du
Pre, on ne peut reprocher aucune rupture de l'Alliance, est livr par son Pre
en lieu et place de ceux qui l'ont rompue (cf. Romains 8, 32). Donc, tant donn
que le Pre le livre et ce, jusqu'au bout , que sur la Croix il est abandonn par
ce mme Pre et qu'il ne connat aucun mnagement comme ce fut, par
exemple, le cas pour Isaac (Gense 22) , pourquoi alors, parlant de ce mme JsusChrist, et dans le cadre de toutes les perspectives offertes par la Bible et
prsentes ici, ne pourrait-on pas dire : Il est descendu au shol, dans les enfers ?
Le Nouveau Testament l'exprime implicitement dans un dernier passage,
quand, dans Actes 2, 27-31, citant le Psaume 16 ( Tu ne laisseras pas mon
me dans l'Hads, condamne l'abandon ), il constate ou prsuppose d'abord la
prsence du Christ dans l'Hads (parmi les morts), puis qualifie cette descente ou
cette prsence parmi les morts d'tat d'abandon par le Pre, sans donner cet abandon
un caractre dfinitif ( Tu ne laisseras pas... ). L'ide de l'abandon du Fils livr
par le Pre est en quelque sorte une parenthse thologique qui rsume et
implique la Passion de Jsus, sa mort et sa descente au shol. Mais inversement, on pourrait dire aussi d'une certaine manire : la descente aux enfers est, en
langage thologique, le condens de Gethsmani, c'est--dire de la Passion de
Jsus, de sa mort et de son tat de mort. Thologiquement parlant, il serait donc
rationnel d'adopter dans le Symbole des aptres l'ordre suivant : ... est
descendu aux enfers : a t crucifi, est mort, a t enseveli .
6. Valeur des passages bibliques sur la descente
Ayant analys les lments fournis par la Bible et aprs avoir interprt les
passages-cls habituellement utiliss, nous pouvons retenir la conclusion
suivante : nulle part, il n'est expressment question d'une vritable descente, du
moins dans le sens d'une participation active du Christ l'conomie du salut,
au royaume des morts, entre sa mort et sa rsurrection. La descente aux
enfers proprement dite n'est pas explicitement thmatise. D'un point de vue
formel, le thme n'est trait que comme un -ct impliqu ou suppos par la
Croix, la Rsurrection et la victoire qui en rsulte sur le mal et sur la mort.
Pourtant, ce caractre formel ne diminue pas la valeur intrinsque de ces
passages, si nous tenons compte de l'ensemble de la thologie biblique du shol, et
si nous procdons une analyse dtaille des multiples implications de l'ide
qu'on peut s'en faire. C'est la seule faon de parvenir une intelligence totale et
adquate de la descente selon la Bible. Nos remarques, par exemple propos de
Matthieu 12, 40 et 27, 51b-53 ainsi que Romains 10, 7, ont, je l'espre, montr
clairement que la restriction que nous venons de faire (en ne voyant dans la
descente aux enfers dont parle le Nouveau Testament qu'une implication d'ordre
secondaire dans le contexte prpondrant de la mort et de la Rsurrection) ne
diminue en rien la valeur de ces textes ni leur importance, ni non plus la richesse
du message qu'ils contiennent. Bien plus, le labeur de l'exgse, combien
ingrat, met aussi en lumire les dveloppements que notre travail systmatique
de thologien va maintenant nous permettre de faire, afin de montrer que le
dogme de la descente aux enfers ne se situe pas la priphrie, mais au centre de la
thologie.
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Wilhelm Maas
descente. Pour cela, nous croyons pouvoir souligner l'importance particulire
d'aspects relevant respectivement de l'anthropologie, de la christologie et de la
doctrine du salut, de la thologie trinitaire et de la thologie pratique. Il est bien
entendu que, malgr leur diversit effective, ces aspects n'en sont pas moins en
fin de compte insparables. Le point de vue christologique n'est pas concevable
sans celui de l'anthropologie ; il est la source et le type du point de vue de la
thologie pratique et sacramentaire, ainsi que de la thologie morale, et ces
points de vue runis ne peuvent exister en dehors du point de vue de la thologie
trinitaire, qui les englobe tous.
2. L'enfer et l'homme moderne
Comme nous l'avons dj vu, la posie et la littrature modernes, qui, sous une forme
condense, donnent une image de l'exprience humaine, montrent
l'vidence que l' enfer est la reproduction exacte de l'espace o se droule
aujourd'hui la vie humaine. Ce mot, qui dsigne ce qui est inquitant, pouvantable, absurde, sert l'homme pour dire avec prcision o il se situe et quel est
son tat. L' enfer est le mot-cl le plus couramment utilis pour interprter
l'existence. Chaque jour vers l'enfer nous descendons d'un pas (Baudelaire).
Je me crois en enfer, donc j'y suis (Rimbaud). L'enfer a bien des noms et bien
des visages, des noms comme ceux dont se servait dj l'homme tourment des
psaumes. Chose curieuse : mme le nouvel enfer intrioris de la littrature
moderne a conserv un trait fondamental de cette tradition biblique, savoir la
condition de total abandon. trange, de cheminer dans le brouillard ! / Vivre,
c'est tre seul. / Personne ne connat son semblable. / Chaque homme est
seul . Ces mots d'un pome de Hermann Hesse expriment l'ide qu'au plus
intime de notre existence, il y a le dsespoir de la solitude auquel nous ne pouvons
jamais chapper, et que ne peuvent atteindre ni l'amour ni le soutien ni les
paroles de consolation de nos semblables. Nous sommes abandonns, alors que le
trfonds de notre tre est fait pour la vie en communaut. Le point culminant et la
dernire extrmit de ce manque de communication est la mort ou ce qui, dans la
Bible, est finalement la mme chose, le shol.
A cette premire mort, dj suffisamment terrible, s'ajoute encore la seconde
mort , celle du pch. C'est lui qu'il nous faut examiner maintenant. La
tentative dmesure du cur recourb sur soi-mme pour s'riger en absolu et
tenter de se passer de toute relation avec Dieu et les hommes est dj en soi une
descente au shol, un enfer o la libert absolue est comprise de travers et utilise
contresens. En ce sens, notons-le, l'enfer est le mystre de l'amour du Pre, qui a
cr les hommes libres, parce que l'amour suppose la libert et qu'ainsi
l'homme peut refuser la grce qui lui est offerte et se replier sur soi-mme dans un
isolement infernal. Le rvolt descend dans les profondeurs de Satan
quand, malgr l'chec auquel sa tentative est voue a priori, il essaie de trouver en
lui-mme un fondement absolu de tout et de vivre repli sur lui-mme alors qu'il
lui est demand de se donner aux autres.
Si la condition humaine est ainsi dcrite avec exactitude, l'homme qui se
trouve dans cet enfer (envisag l'intrieur du monde actuel ou aprs la mort)
est alors l'objet de l'action salvatrice de Jsus-Christ. La prdication et la
thologie, quand elles invitent cet homme moderne la foi, ne peuvent pas ne
pas en tenir compte, et devront voir dans l'homme soumis cette exprience et
cette situation un point de dpart et un destinataire du message prendre au
srieux. La descente de Jsus aux enfers et la proclamation de ce dogme deviennent alors bel et bien ncessaires. Dans son tableau intitul Le Christ dans les
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Wilhelm Maas
doute que dans cette attitude, souvent nglige, de la t solidarit vers l'arrire
ne soit inclus un lment important de la doctrine chrtienne du salut, auquel
la thologie a t en effet trs attache ds le dbut de son histoire. Le sjour
parmi les morts est effectivement quelque chose de comparable un aiguillon
apocalyptique dans l'essence de la foi chrtienne. Certes, en face de cette
solidarit avec le pass, il convient d'avoir aussi une attitude critique et de se
demander si elle peut rellement faire place ce qui est purement et spcifiquement christologique, ou si au contraire elle ne , provient pas simplement d'un
schma trs formel emprunt une certaine philosophie de l'histoire (celle de
W. Benjamin). C'est justement la dimension inamissible par laquelle - la
Rdemption chrtienne s'applique au prsent et s'ouvre galement sur l'avenir
qui n'y trouve pas son compte. Du point de vue christologique, on ne peut
vraiment parler de la descente du Christ chez les morts que si, en mme temps et
partant du mme principe, on parle de la Rsurrection. C'est pourquoi il ne faut
pas retomber encore une fois dans une doctrine triomphaliste du salut. En tout
cas, cette solidarit envers le pass ne suffit pas faire comprendre et dcrire
toutes les dimensions christologiques et sotriologiques de la descente aux enfers,
et surtout pas les dimensions les plus profondes.
Cette constatation vaut galement pour une autre interprtation qui estime
incluse dans la doctrine de la descente l'ide selon laquelle la mort du Christ
donne sa ralit humaine et spirituelle une relation d'ordre franchement
ontologique avec le monde dans sa totalit et dans son unit cache derrire le
morcellement de l'espace et du temps. D'aprs cette ide, l'me humaine ne
devient pas, la mort, a-cosmique ; elle ne perd pas purement et simplement
sa relation au monde. Au contraire, elle devient pan-cosmique . Dire que les
enfers sont en bas , c'est aussi dire qu'ils sont au fond . Descendre aux
enfers, c'est aussi descendre au fond des choses, dans la couche profonde de ce
que le monde est en sa ralit dernire, vers les racines o tout s'unifie (et qui
concident peut-tre avec l'inconscient collectif) (11). La descente aux enfers
signifie alors qu'une nouvelle catgorie de l'existence humaine (un nouvel
existential ) est dsormais insre dans le fond radical de l'tre cosmique (12).
Du point de vue philosophique, il est dj difficile de dterminer le rapport de
l'esprit la totalit du monde sans sortir du systme traditionnel des concepts
qui articulent l'ontologie ; et les images qui structurent notre pense ne sont pas
assez entranes exprimer des thmes de ce genre. Mais c'est surtout du point
de vue de la thologie qu'il faut exprimer des rserves devant cette interprtation
de la descente. Il n'y a certes rien dire contre l'ide que la Rdemption atteint
aussi les couches les plus profondes des archtypes humains, voire jusqu'au
domaine de l'inconscient. Mais on peut se demander si cette interprtation de la
descente est suffisante. Si en effet l'action de solidarit du Christ sauveur notre
gard se limitait subir la mort qui est notre lot commun, mme s'il l'a assume
et intriorise en pleine conscience et en parfaite obissance envers son Pre, et
mme si, par le don de sa Personne qu'il a fait au monde d'une manire
absolument unique et exclusive, il a tabli une nouvelle catgorie d'existence,
mme ainsi on n'aurait pas encore saisi le caractre spcifique de son tat de
mort, en quoi il va plus loin que l'exprience de la mort commune tous les
hommes. Et en outre, on n'aurait pas pris suffisamment au srieux des affirmations de la Bible comme 2 Corinthiens 5, 21 ( il l'a fait pch pour nous ) ou
(11) Cf. K. Rahner, Schriften zur Theologie III, 263-281, surtout 271-276.
(12) Cf. K. Rahner, Zur Theologie des Todes, F re iburg et al., 1961 (3e d.), surtout 58-61 (traduction
franaise : Le chrtien et la mort, coll. Foi vivante ).
14
(14)
Cf. H.-U. von Balthasar, Le mystre pascal s, dans Mysterium Salutis, Paris, Cerf, 1972,
13-264 ; B. Albrecht. Eine Theologie des Katholischen. (Einfhrung in das Werk Adrienne von Speyrs),
1er vol. : Durchblick in Texten s, Einsiedeln, 1972, surtout 104-120.
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rsulte de son amour pour le monde. Il faut donc que le Fils, qui a pris la nature
humaine pour sauver le monde et auquel le jugement a t confi soit conduit par
le Pre jusquen enfer. Dans le chaos et les tnbres de l'enfer, le Fils, totalement
soumis, dcouvre ce qui, jusqualors, tait le domaine rserv au Pre : tout ce qui,
dans la crature, a t rejet par le jugement du Pre, la somme de toutes les
uvres impies. Envisag de ce point de vue, sur lequel Adrienne von Speyr a mis
l'accent, l'enfer est peut-tre en dernier ressort un vnement trinitaire.
En voyant ce qu'il en est dans la Bible, nous avons dj constat que l'ide de
don de soi , d' abandon a un lien trs troit avec la descente, laquelle ne se
comprend dans toute sa profondeur que si on envisage la dimension trinitaire. Si
bien que Romains 8, 32 fait galement partie des passages qui expriment le
caractre spcifique et nouveau de l'tat de mort de Jsus, par rapport
l'exprience de la mort commune tous les hommes. Comme le fait remarquer
H.-U. von Balthasar, la dimension d'abandon de la part de Dieu et de descente
aux enfers, na pas t invente pour les besoins de la cause par les thologiens qui ont
rflchi sur le salut, mais se trouve dj prsente, au sein de la Trinit, dans la
dimension du don de soi sans rserve, dans le dpouillement ternel de Dieu,
dans la faon dont le Christ renonce aux effets de sa divinit (knose), geste qui
traduit l'ternelle manire d'tre de Dieu. La diffrence trinitaire entre le Pre et
le Fils est l'ultime base conditionnant la descente : Abandonner le Fils, pour le
Pre, et se laisser abandonner par le Pre, pour le Fils, les deux mouvements sont
situs dans l'unit et l'accord du conseil trinitaire. Le chemin qui mne le Fils
l'alination totale de sa Personne (car la mort, l'Hads, Satan, c'est le refus de
Dieu, l'incompatibilit avec Dieu, donc la rprobation de la part de Dieu) est
parcouru dans l'obissance (Philippiens 2, 7 s.) conformment l a v o l o n t
d ' a b a n d o n p a r l e P r e , e t a v e c u n e s p o n t a n i t q ui, en elle-mme
est une "puissance " (Jean 10, 18), mais qui se laisse manipuler dans lultime
impuissance de la mort et de l'tat de mort. Lalination absolue de sa propre personne
dans lexprience de lenfer est fonction de l'obissance du Christ fait homme, et cette
obissance est son tour fonction de l'amour qu'il prouve en toute libert pour
son Pre (15).
une privation absolue ne peut que donner une parfaite conscience de soi -mme N.
La communaut divine se traduit donc, chez le Dieu fait homme, par une
sparation.
Ce qui est vrai du Christ crucifi l'est galement de l'Esprit qui, au moment de la
mort de Jsus, se dtache de lui. Il est naturellement esprit de vie ternelle et de
communion ternelle entre le Pre et le Fils. Mais, au moment o le Christ
expire, il se traduit en termes de mort et d'abandon de la part de Dieu.
L'Esprit qui a accompagn le Fils jusqu' la fin a fait une fois pour toutes
l'exprience de cette fin, et lorsqu' Pques il est insuffl la communaut de
l'Eglise, il ne peut plus faire abstraction de cette exprience qui lui est devenue
essentielle N. Balthasar voit dans l'Esprit l'expression et la personnification de
Ce qui a t dit de la Bible a montr que les ides contenues dans les concepts
de shol, abme, profondeur de la mer, chaos, mort, sont remarquablement
proches l'une de l'autre. Sombrer dans l'abme, dans les profondeurs menaantes
de l'Ocan, cela signifie et implique une descente au shol, dans le royaume du
chaos d' avant la cration, l o s'exercent les forces destructrices du mal.
Ceci ne vaut pas seulement pour l'Ancien Testament, mais dans le cadre du
(16) H. Mhlen, Die Verdnderlichkeit Gottes als Horizont einer zukiinftigen Christologie, Mnster,
1969,33.
(17) Der abwesende Herr (Der Tag, an dem es einen bloss "historischen" Jesus gab) , dans
RheinischerMerkur, no 15, du 13.4.1973, p. 31.
16
17
Wilhelm Maas
Nouveau, nous pouvons galement constater des rapports du mme genre, mme
s'ils sont exprims de manire moins explicite, plus allusive.
Le passage de la Mer rouge qui, reprsentant aux yeux des Juifs le fonds
chaotique de l'Ocan, symbolisait galement le lieu o rgnent la mort, la
menace et le malheur, devient tout simplement le modle clatant de l'action
rdemptrice de Jsus-Christ. Les Pres de l'glise voient alors dans ce passage
de la Mer rouge un modle de l'vnement du baptme, grce auquel nous
commenons avoir part l'oeuvre rdemptrice de Jsus (18) (cf. 1 Corinthiens
10, 1 s., Romains 6, 3-5, et Hbreux 11, 27-29 trois points de repre
importants, qui servent de lien entre les concepts cits plus haut). En tout cas,
l'immersion et la descente dans l'eau (de la mort) au cours de la crmonie du
baptme taient autrefois aux yeux de l'glise une rptition de la descente de JsusChrist. On voit aussi un rapport entre le baptme dans le Jourdain et la
descente. Autre chose remarquable : l'une des plus anciennes peintures
reprsentant symboliquement le baptme qui soient parvenues jusqu' nos jours
(avec galement une des plus anciennes images du Christ), laquelle se trouve
dans le baptistre de la salle de runion de la communaut chrtienne de
Doura-Europos, reprsente Pierre marchant sur les eaux du lac de Tibriade,
celui-ci tant le symbole de la vie mise en danger, de la mort et de l'abme.
L'ptre aux Hbreux (11, 29) utilise le terme traverser pour dsigner le
passage de la Mer rouge, et cela, en se fondant sur Isae 51, 9 s. : N'est-ce pas
toi qui as tu Rahab et qui as transperc le dragon ? N'est-ce pas toi qui as
assch la mer aux eaux tumultueuses (tehom) et qui, des profondeurs de la mer,
as fait un chemin pour que le peuple libr la franchisse ? . Le dpart d'gypte,
la marche au fond de la mer, la traverse du royaume de la mort, donnent
naissance une e nouvelle cration . La descente devient traverse, les
profondeurs deviennent un chemin que le chrtien parcourt nouveau dans
l'eau du baptme. La descente dans les profondeurs de la mer, au shol, est certes
invitable, mais cette descente n'est pas autre chose qu'un chemin, qu'un
passage sur la voie du salut. L'oeuvre salvatrice de Jsus transforme les
profondeurs sinistres de l'abme o la mort guette en la source profonde du salut.
Dans tout cet ensemble, Aphraate, Pre irano-syrien de l'glise (19), nous
ouvre une perspective trs intressante en insrant dans ce contexte le thme du
lavement des pieds : Isral a t baptis en plein milieu de la mer, la nuit de
Pques, l'heure o il fut sauv : notre Sauveur a galement lav les pieds de ses
disciples la nuit de Pques, et c'est l le mystre du baptme... Cette nuit-l, le
Sauveur a confr le vrai baptme... Cette nuit-l, il leur a montr le mystre du
baptme dans les souffrances de sa Passion . Aphraate souligne donc que le
Christ a institu le baptme au moment du lavement des pieds.
Si donc la descente peut tre interprte comme le plus haut degr de la
solidarit que Jsus nous manifeste nous autres pcheurs en pntrant au plus
profond de la nuit de la mort et dans l'ultime solitude de l'enfer ; si par
consquent elle peut tre interprte comme l'abaissement et l'abandon de soi
l'extrme limite de ce qu'on peut concevoir, comme l'amour vcu jusqu'au
bout et comme le don de soi pouss la dernire extrmit, et cela, dans le
contexte unitaire de la vie, de la mort et de l'tat de mort de Jsus ; si, par la
(18) Cf. P. Lundberg, La typologie baptismale dans l'ancienne glise, Leipzig-Uppsala, 1942 ; D. A.
Bertrand, Le baptme de Jsus, Tubingue, 1973, surtout 127 s.
(19) Cf. E. 1. Duncan, Baptism in the Demonstrations of Aphraates the Persian Sage, Washington,
1945.1e cite : Homlies 12, 10.
18
Wilhelm MAAS
(traduit de l'allemand par Paul Lamort)
(titre original : "Abgestiegen zur Hdlle ",
Aspekte eines vergessenen Glaubensartikels )
Jos-Manuel SANCHEZ-CARO
20
(3)
Cf. B. Baroffio, Meditazioni sul triduo pasquale ,, Rivista di Pastorale Liturgica 87
(1978), p. 31-32.
21
Jos-Manuel Sanchez-Caro
La tradition et la dvotion populaires du peuple chrtien ont galement donn leur interprtation du Samedi Saint. C'est l'humus naturel
dans lequel sont nes les reprsentations tragiques de la douleur de Marie
devant son fils mort, exprimes dans les planctus Mariae mdivaux,
ainsi que par les Piet et les Dolorosas de la Renaissance. Et avec une
intuition qui n'est exempte ni de grandeur ni de pdagogie, l'on a report
ce sentiment d'absence et de solitude de l'glise sur Marie ; le peuple l'a
chante, reprsente et vnre comme Dolorosa et Dame de la Solitude.
La mditation de l'glise devant le tombeau a ainsi enrichi le Samedi
Saint au moyen d'un rpertoire de thmes qui lui donnent tout son sens et
toute son actualit : la solidarit du Christ avec la mort, sa descente au
royaume des morts, l'exprience humaine de l'absence et de la douleur,
ainsi que le repos calme et serein du Seigneur.
Solidaire avec la mort
Le premier sens du Samedi Saint, celui dont tout le reste drive et part,
c'est la constatation que Jsus est mort, vritablement mort. Il a expir
(Marc 15, 37), il a t dvor par les angoisses de la mort et pris dans ses
filets, selon l'expression du krygme primitif (Actes 2, 24), il est descendu
dans l'abme, dans les profondeurs du royaume des morts (Romains 10,
7), il est entr dans la nuit, cette nuit o nul ne peut travailler (cf. Jean 9,
4). C'est pour cela qu'il est pleur devant le tombeau (Jean 20, 11) et que
nat le dsespoir chez ses disciples (cf. Luc 24, 19-20). Sa mort est la
dernire consquence de son incarnation, du ralisme avec lequel le Fils
de Dieu est devenu fils des hommes, non seulement dans les manifestations de la vie, mais encore jusqu' la mort (Philippiens.2, 8). Il faut
viter de donner une fausse signification hroque cette mort de Jsus.
La mort n'est jamais en elle-mme libratrice, elle n'est pas signe de salut
pour le chrtien, contrairement ce que pensait le platonisme qui
imprgnait le monde hellnique contemporain. La mort est le sceau
dfinitif de la chute de l'me et de la ruine de l'homme, tel que Dieu
l'avait voulu (4). La mort physique est un mal, le plus grand de tous les
maux aprs la mort spirituelle, dont elle n'est qu'un signe, son secret
dmoniaque , comme le dit L. Bouyer.
22
A (5).
J.L. Hidalgo, Los Muertos , en Cuatro poetas de boy, Madrid, 1975, p. 24.
(6)
FL-U. von Balthasar, Le mystre pascal , dans Mysterium salutis, Paris, Cerf, 1972.
23
Jos-Manuel Sanchez-Caro
balbutie une rcente tentative d'claircissement (7). D'autre part c'est une localisation populaire au centre de la
terre, oppose au ciel, qui est en haut . En tous cas elle exprime une
situation de passivit absolue, de non-vie, en parfait accord avec la
situation de la mort (8). Ainsi donc, en liminant tant l'aspect actif du
verbe descendre que sa connotation locale, et en vitant la connotation
mythique que pourrait suggrer le mot enfers , on pourrait traduire
l'expression comme un voyage au royaume des morts . Le fait que l'on ne
puisse faire une description plus exacte de sa signification vient,
comme nous l'avons dj remarqu, de notre incapacit exprimer ce que
l'on n'a pas prouv. Ici, comme pour tant d'autres choses, il nous faut
nous contenter d'une approximation, que l'on ne peut essayer de prciser
qu' l'aide de priphrases humaines. En rsum, on nous parle d'une
situation diffrente de la vie, qui est caractrise par la passivit de la mort.
Ces deux donnes, situation nouvelle et passivit mortelle, sont prendre
srieusement en compte ds que l'on veut interprter tout ce que le
Nouveau Testament dit sur ce thme.
En fait, ce n'est pas grand chose. Il y a coup sr une insistance
constante dans le Nouveau Testament sur le fait que Jsus ressuscite
d'entre les morts (dit une cinquantaine de fois), ce qui nous apprend
indirectement qu'il a sjourn au milieu d'eux. De cela, nous trouvons
plusieurs confirmations. Ainsi Jsus, en repoussant toute demande de
signe eschatologique sur sa mission devant les incrdules, leur rpond :
Gnration mauvaise et adultre ! Elle rclame un signe, et de signe, il ne
lui sera donn que le signe du prophte Jonas. De mme en effet que Jonas
fut dans le ventre du monstre marin durant trois jours et trois nuits, de mme
le Fils de l'homme sera dans le sein de la terre durant trois jours et trois
nuits (Matthieu 12, 39-40). Si nous interprtons le texte partir de la
rfrence Jonas 2, 3-10, cantique du prophte dans les entrailles du
monstre, ce qui suppose une analogie entre son tat et celui de ceux qui
sont descendus au shol, nous comprendrons mieux l'expression
dans le sein de la terre . Il semble ne pas s'agir seulement du tombeau mais
d'une allusion assez claire la descende de Jsus aprs sa mort au shol, au
royaume des morts (9). A partir de cet clairage, il est peut-tre possible de
mieux comprendre le cantique de victoire de l'Apocalypse 1, 18 : Je fus
mort, et me voici vivant pour les sicles des sicles, dtenant la clef de la
Mort et de l'Hads . La mort de Jsus, affirme ce passage, lui a procur la
victoire sur ceux que l'Hads, le shol, avait assujettis la mort sans
esprance (cf. galement Romains 10, 6-8).
Dans son rcit de la Passion, Matthieu dcrit avec des traits apocalyptiques les effets de la mort du crucifi (27, 51-53), en introduisant une
incise significative : Les tombeaux s'ouvrirent et de nombreux corps de
loin de Dieu et ne le loue pas
(7)
Nueva Biblia Espanola, Madrid, 1975, p. 1949.
(8)
Cf. J. Nelis, Sheol , dans H. Haag-S. De Ausejo, Diccionario de la Biblia, Barcelona, 1970,
1828-1830.
(9)
Cf. I. Goma, op. cit., p. 651.
24
(10) Sur ce texte, part les prcisions de Hans-Urs von Balthasar dans l'tude dj cite, cf. C. Spicq,
Les ptres de saint Pierre, Paris, 1966, p. 146 s. ; M. Schlier, Das Ostergeheimnis, Einsiedeln, 1976.
(11) Surtout dans livre apocryphe d'Enoch ; cf. Balthasar, op. cit., p. 246, qui cite J. Jeremias, Der
Opfertod Jesu christi , Calver Hefte 62 (1963), p. 8. (Sur ce passage controvers, cf., dans ce cahier,
l'article de W. Maas qui propose une autre interprtation) (N.d.1.R.).
25
Jos-Manuel Sanchez-Caro
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27
Jos-Manuel Sanchez-Caro
beaucoup d'efforts, surtout si l'on tient compte des grandes failles dans le
rocher o l'on situait crucifixion et tombeau, vocatrices de ce tremblement de terre apocalyptique que dcrit Matthieu l'heure de la mort de
Jsus, et qui rend libres et ressuscits ceux qui jusqu'alors taient rests
attachs par les liens de la mort (18).
C'est toute une vision universelle de l'histoire dans une dimension
verticale qui est ici reprsente : Adam, Jrusalem, le Calvaire, la Croix,
le tombeau, le shol. Rien d'trange ce que l'on en tire des consquences thologiques. Saint Jrme, crivant sur tous ces lieux
Marcella, dcrit thologiquement la faon dont le sang du Christ purifie
Adam du pch : C'est dans cette ville, ou plutt l o elle est maintenant, que l'on dit qu'a vcu et est mort Adam. C'est pour cela que le lieu
oil notre Seigneur a t crucifi s'appelle Calvaire, car c'est l qu'aurait
t enterr le crne du premier homme. Ainsi, le deuxime Adam, des
gouttes du sang du Christ tombant de la croix, aurait lav de ses pchs le
premier Adam, pre du genre humain, qui y reposait ; alors se seraient
accomplies ces paroles de l'aptre : "Eveille-toi, toi qui dors, lve-toi
d'entre les morts, et sur toi luira le Christ" (Ephsiens 5, 14) (19).
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Jos-Manuel Sanchez-Caro
Et ce peuple, qui s'est parfois laiss entraner des excs dans les clbrations de la Semaine Sainte, a trouv dans ce cas avec une intuition
admirable le sens de cette journe, en l'incarnant dans la figure de Marie.
Elle est le reflet tragique de la solitude du Fils long dans l'obscurit de sa
mort ; elle est l'expression plastique d'une Eglise qui prend au srieux la
mort de son fondateur, et avec lui celle de chaque homme ; elle est la
personnification de l'homme de chaque poque, seul devant la mort, la
sienne ou celle de celui qu'il aime ; elle est l'image parfaite de l'attitude
chrtienne devant la mort, mlange d'une douleur invitable parce
qu'humaine, et d'esprance ferme et sereine, parce que fonde sur la foi
en Jsus-Christ, lui qui, en mourant, ouvre les portes la vie.
(24) Pour des renseignements sur l'iconographie espagnole, cf. M. Trens, Maria (Iconografia en et acte
espanol), Madrid, 1946, p. 233-242 ; Diccionario de Historia Ecclesiastica de Espana, IV, Madrid, 1975, p.
2354 s.
(25) Le pome la solitude de Marie peut tre aisment consult dans la slection de J.-M. Peman, Suma
potica, Madrid, 1950.
30
(26)
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Jos-Manuel Sanchez-Caro
33
Michel COSTANTINI
Giotto
la vie, la mort (sauves)
VOICI un trs beau thme pictural, et pour la sculpture aussi : la mort. De quoi
exciter l'imagination, susciter le fantasme. Transis ou squelettes,
corchs ou livides, entiers ou en morceaux (1), les cadavres ne manquent
pas dans l'art, et particulirement dans l'art des chrtiens. Mais la mort n'est
vnement qu'au regard de la vie, celle des autres ou celle du sujet. D'o nous
trouvons l'occasion d'y faire participer la communaut, sous la forme thmatique de
l'enterrement et parfois la communaut voit s'adjoindre elle des tmoins d'un
autre monde (2). D'o nous pouvons d'autre part la lire, cette mort, comme conclusion
d'un parcours, clausule d'une priode. Il y aura ainsi, tout au long du sicle qui
n'attendait pas Giotto mais dut lui cder la lice, de ces Vies de Saints que la mise
au tombeau achve (3). Et puisque nous nous apprtons rflchir sur le modle
giottesque de la basilique d'Assisi (4), en son glise suprieure vie de saint
Franois notons que ses prdcesseurs du dessous avaient de fait propos l'image de
la mort du sujet pour clore l'histoire de sa vie (5).
( Souscrivez
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35
Michel Costantini
Commencer et finir
La mort, une fin ? A cette tentation, le peintre florentin a su rsister. Il ne
renonce pas dcrire la vie d'un sujet humain au-del de sa disparition physique.
La mise au tombeau j'entends celle du linceul propre, de la roche taille tout
rcemment pour Joseph d'Arimathie (6) n'est qu'une tape dans notre
contemplation, lorsque dans la temporalit se dploie le mystre du Christ. Il en
va de mme pour Franois : y compris dans la srie pourtant restreinte
quelques scnes que peindra Giotto la chapelle Bardi (7), une apparition fait
suite l'enterrement. Pour Assisi, la mort est assigne la vingtime fresque :
il (8) en a peint vingt-huit ! Si l'arrt des battements de coeur n'arrte pas
l'inspiration du peintre, c'est que Franois lui parle encore nous parle encore.
S'agissant des saints, et peut-tre, dans la tradition occidentale, de Franois
particulirement, un double parallle s'impose : les saints sont imitateurs du
Christ, et nous sommes les imitateurs des saints. S'instaure alors en droit un
systme du sacr, littralement une hirarchie (9) dont Giotto nous livre une
traduction spcifique, dans l'ordre narratif et la formulation figurative, qui sont
les siens. Mais son souci de paralllisme ne va pas sans une attention soutenue
aux diffrences de statut, composante essentielle, au demeurant, de la hirarchie.
Pour le Christ, nous clbrons son avnement, nous faisons mmoire de sa fin
terrestre. Pour les hommes, nous aurions tendance considrer la spulture
comme le pendant de l'accouchement. Et de clbrer les anniversaires, de
commmorer les dcs. Exemplaire, donc, par sa faon de se dmarquer, le rcit
d'Assisi : pas de symtrie naissance/mort.
Faisons quelques pas en avant dans l'histoire de la peinture occidentale. En
1452, Benozzo Gozzoli excute aux murs d'une autre glise une autre Vie de
saint Franois (10). Bon peintre, il commence son rcit, en toute logique
humaine, par la naissance du sujet hros (anne de rfrence = a.r.: 1181). Il
ne s'arrte, l'issue d'une srie de douze scnes, ou plutt il n'est arrt que par
le double thme de la mort et des funrailles (a.r. : 1226). Giotto ne reprsente
pas la naissance ; il s'attache suivre la gense de la saintet : de mme
pouvons-nous clbrer plutt l'anniversaire baptismal ou la fte de nos proches.
Giotto ne reprsente pas la naissance ; il carte la pittoresque table et ses
animaux qui feignent ds le dbut le style christique : on ne mime pas d'emble,
chez lui, il y faut parvenir. Acquisition, conqute sur soi. Vieil homme,
homme nouveau pelure neuve. La premire fresque du rcit giottesque nous
(6) Matthieu 27, 59-60.
(7) Santa Croce, Firenze, vers 1306.
(8) Il : qui (son nom) a vraiment peint ceci ou cela ? Peu importe. Je suis ici G. Ruf, San
Franceso e San Bonaventura (C. E. Francescana, Assisi, 1974) qui, malgr les termes
malheureux d'appendice et d'pilogue, prend en charge l'ensemble des fresques. Que
Giotto ne soit, depuis Dante, que le contre-nom de Cimabue, on le sait mieux grce
l'article dcisif de l'Encyclopedia Universalis, Giotto , par H. Damisch. Aussi bien,
Giotto voudra dire ici tantt Angiolotto di Bondone (?) soi-mme, tantt l'un ou l'autre de
ses aides, successeurs ou commanditaires.
(9) Le seul sens du mot que nous devions connatre, reconnatre et promouvoir, cf. Denys
l'Aropagite, Hirarchie cleste et Hirarchie ecclsiastique (d. Migne, Petit-Montrouge,
1857) et J.-L. Marion, L'idole et la distance, coll. Figures , Grasset, Paris , 1977,
notamment p. 183-244, ainsi que mon Du modle smiotique au modle chrtien de la
parole , Rsurrection, n 46, p. 97-117 ; surtout p. 113-4.
36
prsente un Franois de vingt ans (a.r. : 1204 ?), jeune bourgeois vtu en
bourgeois. Le manteau qu'il porte peut devenir, travers l'exprience de la
nudit (fresque V), une bure monacale (fresque VI). Et le fils papa, moyennant
rupture avec le pre (fresque V, galement), un vritable fils de Dieu.
Mais si cette gense seule a du poids, qu'importe, en effet, la naissance ? Celle du
sujet, en rien. Mais celle qui rend la gense possible, combien ! Donc, nous
aurons droit nous aussi au bb, aux langes, la paille... Seulement le bb n'est
pas Franois, c'est le Christ (fresque XIII). Car sans nuit de Nol, pas de vie des
saints. Sans crche de Bethlem, pas d'imitation de Jsus-Christ. Cette histoire
de saintet qui se cherche et se trouve, lorsque le peintre achve de la raconter, il
prouve le besoin de la sceller par sa condition de possibilit : le Nol Greccio
(a.r. : 1223) termine en effet le pan de mur ct droit de la nef qu'il a
consacr ce cheminement du saint, dans les sept premires fresques, cet
avnement de l'homme nouveau, manifest dans les cinq suivantes. Naissance
historique (11) qui efface l'autre. Naissance historique tous les sens : celle qui
vient dans l'Histoire donner lieu ces histoires que nous pouvons peindre, lire
ou vivre.
De l'importance de la fin
Nous sommes dans l'glise suprieure, en arrt devant cette crche.
Retournons-nous. Quelqu'un meurt. Il se nomme, nous prcise-t-on (12),
chevalier de Celano. Donc, de la fresque XIII, aprs virevolte, nous voici face la
seizime. Mais si telle est bien leur numrotation dans l'ordre de lecture et
comment advient, au juste, l'ordre de lecture comme ukase ? il n'en va pas de
mme dans l'ordre d'avance vers la nef. J'entre par la grande porte. Ces fresques
sont alors les premires que je rencontre, respectivement droite et gauche.
Tout se passe, on en conviendra, comme si elles donnaient le ton. D'un ct, une
thmatique de la naissance. De l'autre, une thmatique de la mort. Ici,
l'incarnation, et cet vnement considrable d'une Histoire compntre par ce
qui la dpasse et l'enveloppe. L, cho ou contrepoint, l'instant infime, vite
oubli d'une vie humaine qui se termine ; le coup bref de l'Heure ultime d'un
quidam (littralement dans le titre), ce rien au regard de l'Histoire ; et cet tre
historique qui gagne de la sorte l'ailleurs de l'Histoire, cet ailleurs qui la dpasse
et l'enveloppe. Tout de mme que la treizime fresque clt le temps de la gense,
la fresque XVI annonce la mditation giottesque sur la mort.
Parlons quantits. Benozzo Gozzoli concde au mourir un douzime de ses
fresques : une. Giotto lui en accorde prs d'un tiers : neuf. Se rappeler, ce point
du dcompte, qu'il ne reprsente pas la naissance. Parlons m a i n t e n a n t
distribution chronologique. Lorsque Duccio peint la Vie de la Vierge (13) sept
(10) San Francesco, aujourd'hui muse, Montefalco, le balcon de l'Ombrie .
(11)
Nol Greccio, tel qu'il est peint, est la fois imitation et commmoration,
temps de Franois et temps des anniversaires de Franois : dmonstration due P.
Francastel, La Figure et le lieu, Paris, Gallimard, p. 189-190.
(12) Cuidam militi de Celano x dit le titre, titulus sous la fresque, issu de saint
Bonaventure, Legenda maior, XI, 4.
(13) Dans le cadre de la Maest (Majest) de la Vierge (Pinacothque, Siena, vers
13081311), cf. La Maest di Duccio ,Forma e colore 42, Firenze, Sanson', 1965.
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Michel Costantini
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trs actifs, ils organisent des funrailles, ils accueillent le Pape, ils s'efforcent de
soigner les malades, ils emprisonnent Pierre d'Alife. Bref, les confesseurs
confessent, les pontifes pontifient, etc. Ou : que faire, le Samedi Saint ? La
question n'est interrogation que pour les vivants ; d'ailleurs le mort, lui,
s'occupe, on le verra. Mais pour les vivants en fonction du mort, de sa mort, de
la Mort. Peut-tre devrions-nous toujours dj, mditant l'action de notre vie,
nous tenir devant la mort.
Donc, lorsqu'il est mort, Franois, le Christ ou mon prochain, ce qui advient
est plus qu'une suite des temps, qu'un dlai supplmentaire pour ceux qui
survivent. C'est une redistribution du jeu. C'est, avec toute la force que lui
confre une forme douloureuse et pathtique, du nouveau (18). Habiter ce monde
priv d'un tre singulier, s'aventurer dans une configuration o il ne figure plus.
La nouveaut, c'est d'abord que notre vie nous se renouvelle. Traduction
figurative : quand le btiment change, tout a chang. L'architecture de la
modeste glise consacre saint Damien est toute transforme. En 1205 (a.r.),
je veux dire sur la quatrime fresque, on s'apitoyait sur un difice roman ruin.
Certes, depuis lors, l'appel du Christ (x rebtis mon glise ) avait t, trs
matriellement, entendu. Et l'glise reconstruite. Mais en 1226 (a.r.), quand
les Clarisses surgissent de son sein pour venir honorer le cadavre de Franois,
elle ne saurait prendre l'allure de cette luxueuse projection de l'esprit gothique,
faon Arnolfo di Cambio (19) que nous prsente la fresque XXIII. Ces ogives,
ces marbres plaqus, ces pinacles ne suivent pas la chronologie franciscaine,
mais bien la rvolution de la temporalit. Nous passons d'un archasme notre
modernit. D'un temps dcal du destinataire ce temps qui lui est connaturel.
Le destinataire premier, n'est-il pas, en effet, ce bourgeois d'Assisi qui, vers
1300, s'avanait parmi les fresques, fraches presque encore, du matre ?
S'il faut d'autres preuves de cette insistance sur l'immdiate contemporanit,
que suscite, qu'appelle la mort, regardons la vingt -deuxime fresque. Le
chevalier Jrme, nouveau Thomas, s'interroge sur les stigmates de saint
Franois. De ses yeux, de ses mains, il les vrifie. Pour toucher le cadavre, il
s'agenouille, au-dessous d'un Crucifix. Cette figuration de la mort sur la Croix
ne ressemble en rien une image du temps de Franois. Des Crucifixions de
style italo-byzantin du Duecento, nous n'en trouvons pas beaucoup dans le cycle.
Une tout de mme : justement sur la fresque IV, l'intrieur de Saint-Damien,
pour voquer l'image qui s'est mise parler (a.r. : 1205), elle cumule des traits
byzantins et des traits cimabuesques. Ce n'est pas l'volution relle de 1205
1226 qui justifie ce que nous trouvons au-dessus de Jrme, une Crucifixion
typiquement giottesque des annes 1290. De toute vidence, c'est le nouveau qui
est signal par cette irruption, dans le rcit, du moderne. L'instantan de la
mort, pour autant qu'il dsigne, l'issue d'une existence historique, l'entre
dans la non-histoire, nous est toujours contemporain. Quand Franois meurt en
1226, quand le chevalier de Celano meurt en 1224, ils sont d'emble l o nous
39
Michel Costantini
40
Neuf fois la mme chose, et neuf fresques si diffrentes ! C'est que neuf fois
les vivants actualisent Franois. Neuf fois ils montrent leur manire eux de le
recevoir. Ainsi du Christ enterr : les Marie y pensent, et les gardes, et les
Pharisiens. Pour chacun d'entre eux, son historicit actuelle est distincte. Mais
(25) Une description exemplaire de ce phnomne a t donne par Claude Simon, La
route des Flandres, d. Minuit, Paris, 1960. La prsence proche des morts s'y attache
pourtant aux vivants avec force, dans un certain rapport entre l'oubli et savoir. De
mme, avec dosage diffrent, dans les Trachiniennes : plus gnralement, toutes les
tragdies de Sophocle qui nous restent ont t lues sous cet angle-l par J. Lacarrire,
Sophocle, coll. Les grands dramaturges , L'Arche, Paris, 1960, surtout p. 131-2.
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Michel Costantini
en chacun d'entre eux, elle s'impose, d'une prsence forte. Et cet absolu se livre
notre monde de relativits, ce monde o il entrait, lui aussi, dans le jeu pluriel ou
duel. Franois : lui et le Pape s'agenouille, se relve, se penche, se
regardent... (fresque VII) ; lui et son Pre s'cartent, se toisent, s'avance, se
retire, tend les bras, dtourne les pas... (fresque V) ; lui et le Sultan ordonne,
propose, trne, dsigne... (fresque XI). Ce monde o l'on donne prise, o l'on
chappe aux prises voyez Jsus et les scribes. Ce monde de pousses et de
reflux, de flous et de marges, d'infimes mais continues modifications de nos
cellules, de nos biorythmes, de nos intentions et points d'attention. Monde des
tropismes.
C'est notre mobilit nous car nous ne sommes pas continment,
uniformment hliotropes qui fait varier le mode d'tre-ici du mort. Le voici
donc nouveau dans notre monde, mais la mesure de notre accueil. Tel malade
lui voue une ferveur particulire : il descend (fresque XXVI). Telle dame de
Monte Marano, prs de Bnvent, est morte, qui lui rendait un culte fidle, mais
avait nglig de confesser quelque dernier pch ; il la ressuscite (fresque
XXVII). Et ce Pierre d'Alife (ces histoires sont trs napolitaines, Alife, comme
Bnvent, est moins de 75 kilomtres de l'antique Parthnop) ! Tout d'un
coup, il apprend, dbut octobre, que ce jour est vigile de la Saint-Franois. Sa
supplication obtient le bris des chanes (fresque XXVIII). Notre attention
actualise le mort. Notre puissance rside dans la parole, la prire, l'appel. Ou,
figurativement, dans le regard : tous ces yeux du peuple et des clercs, des lacs et
du Pape. Et, preuve a contrario : il reste toujours des gens qui ne voient pas, des
assoupis, de ceux qui tournent le dos, de ceux qui quittent la salle,
dsempars. Vous en verrez tout le long de la paroi. Pour eux, le mort, en vrit,
reste absent, totalement exclu de l'tre. C'est dire si notre propre acceptation de
la vie de Celui qui a t enterr compte dans la dfinition de son rle actuel.
C'est dire si notre propre ouverture l'ailleurs lui donne prise dans l'Histoire,
ou l'empche d'y accder.
La force de l'absent
Les ignorants, ceux qui ne veulent plus savoir ce qui continue d'tre, ont
pourtant raison, d'une certaine faon : aprs tout, le tombeau est vide, tt ou
tard. Je tiens que le Tombeau vide est surtout symbolique doublement du
retrait. Spulcre, il tmoigne de la soustraction accomplie par la mort. Vide, il
recule davantage encore celui qui nous tait si familier, si proche. Le Christ
ressuscitant, le Christ descendu aux enfers, n'est mme plus, sous forme de
cadavre, la porte d'une lance de soldat romain ou d'une fiole parfume de
disciple. Le mort se dfinit d'abord par son absence, en ce monde des vivants.
Il nous a quitts. Il est parti. Il a disparu. Derrire le marbre, rien. Sous la dalle,
rien.
Peut-on reprsenter l'absence ? On note a contrario que Franois, au cours de
ce cycle, s'impose un peu. Il est le hros de toutes les fresques, chose trs
naturelle assurment, mais non ncessaire. Aprs tout, la plupart des Vies du
Christ (26) commencent sans lui. De mme Franois reste absent de plusieurs
(26) Ainsi par Giotto lui-mme la chapelle des Scrovegni.
42
scnes dans les panneaux que lui a consacrs l'art italien du XIIe sicle (27).
En Assisi, non. Ou plutt, une seule exception, et de taille, la vingt-quatrime
fresque. On l'intitule gnralement la Canonisation. Beaucoup de vivants, la
foule qui se rassemble, femmes, enfants, bourgeois, clercs. Sans doute la zone
suprieure est-elle abme, o l'on devait rvrer le Pape, ainsi que le suggre
la suscription (28). Quelle que soit l'altration de la peinture, elle ne laissait en
tout cas pas de place pour Franois. Fresque unique, donc, par son retrait de la
figuration. Or, tout l'entour, il se fait ostensiblement figure : quatre fresques,
avant celle-ci, exhibent le corps du sujet mort. Quatre fresques, aprs celle-ci
qui fait charnire, donnent lire nouveau un corps, l'apparence du vivant,
de l'agissant, et nous mnent la fin du rcit.
Progression indiscutable. Non sans intrt, si l'on examine sa structure.
D'abord Franois est prsent, sur un certain mode (je le dsigne par pa). Puis
Franois encore, plus tard, est prsent sur un autre mode. Et ce dernier s'oppose
au premier comme vivant s'oppose mort et p pa. Pour passer d'un terme
l'autre et ces termes sont la fois semblables et diffrents il faut
l'preuve de la ngation, une sorte de feu purificateur. Entre la prsence de vie
renouvele et la prsente de mort, on transitera par l'absence et le retrait (soit p).
D'o la squence : Pa p p. Dialectique assez ordinaire, au demeurant,
au cours de ce cycle. Quand il s'agit d'avancer, en effet, quand il s'agit, par
exemple, de passer de l'ancien au nouveau, de l'archaque au moderne. Le
pass ? Un Christ du Duecento, on l'a vu, suffit l'indiquer (fresque V). La
rvolution du nouveau : c'est un Crucifix giottesque (fresque XXII). Mais tout
cela ne saurait aller sans un moment intermdiaire, et ngatifs Une rupture du
contrat de figurativit : le troisime crucifix du cycle, c'est celui de la treizime
fresque, Nol Greccio. Ce crucifix est neutre, ni l'un ni l'autre, ni ancien ni
moderne : on l'aperoit retourn, support vierge, vide de toute dtermination
prcise. Dans l'ordre on aura : a l > >.a 2 . Soit une formule
substantiellement comparable la prcdente.
Mais le retrait n'est pas que l'lment d'une formule. Dans la figuration de
Greccio, l'absence de Crucifix est riche d'un double enseignement. Le Christ,
d'Eboli probablement (30), est mont jusqu' Greccio, redevenu bb. Il est ici,
prsent, vivant. Premire fonction du retrait faire disparatre le double
mort sur la Croix peinte on y gagne l'original vagissant dans la paille. Et,
(27) Les vanneaux de 1250 (Pinacothque vaticane et San Francesco, Assisi) et celui qu'a
sign Berlinghieri (reproduction : p. 24 de The World of Giotto, Time-Life books, NewYork, 1967).
(28)
Cum dominus Papa personaliter veniens ad civitatem Assisii (La fois que
notre martre le Pape vint en personne la cit d'Assise)... Pour l'ensemble des
tituli'reconstitus par Marinangeli, cf. G. Ruf, op.cit., passim.
(29)Sur la structure, identique, de la gense du vtement (fresques I VI) voir mon Giotto;
le thtre fig : quelques processus d analyse du dcor et de la gestualit , Degrs 13, f - f
19 (1978).
(30)Rien de plus terrible que cet espace on le Christ semble ne pas tre arriv, ne pas tre
venu apporter une rdemption au pch, donner un sens moral la ralit du mal. Sa mort
parait alors indiffrente, inutile et la vie (et la mort) des saints, tout autant. Cf. Carlo
Levi, Cristo si fermato a Eboli, Mondadori, Milano, 1980, p. 16, rd. de Einaudi, 1945.
Nous avons tous notre Gagliano (au-del d'Eboli) intrieur.
43
Michel Costantini
(31) Les morts n'arrtent pas. Ils peuvent jeter du sable dans les yeux, renverser des verres
pleins de vin, subtiliser les chaises o l'on est assis, faire cailler le lait, etc... Surtout les
enfants morts avant leur baptme, les monachicchi (cf. Carlo Levi, ibid., 127-8 ; on
n'oubliera pas la forte interprtation que donne de ce passage Irne Papas dans le film du
mme nom d Fr. Rosi).
(32) Gens du pays c'est votre tour (et var. mon tour) de vous laisser parler d'amour ,
se plat dire, chanter, offrir,. Gilles Vigneault ses publics. Sur le retrait, cf. mon
Linguistique et modle chrtien de la parole , dans La confession de la foi, coll. Communio , Fayard, Paris, 1977, surtout p. 253-7.
(33) En effet, l'apparition intervient aprs la mort (celle-ci est raconte dans la Vita de
Bonaventure, celle-l dans le De Miraculis) et avant la sanction (il s'agit de calmer le doute
du Pape avant qu'il dcide d'inscrire Franois au catalogue des saints).
44
(34) Cf. M. Lgaut, L'homme d la recherche de son humanit, Aubier, Paris, 1971, surtout
p. 218 (et mon Linguistique... , p. 254-5).
45
Michel Costantini
rection n'est possible que par la Croix Franois se laisse dfinir dans sa vraie
nature, ce que peut devenir tout mort : un mdiateur (39). Un mdiateur de la
nouvelle vie.
En nous quittant, le mort Christ, Franois, le prochain se fait trs
proche, sous l'apparence, au demeurant bien relle, cruellement relle, de son
retrait. Proche porteur d'un autre temps, d'un non-temps ; proche porteur d'un
autre espace, d'un non-espace. Et de cet autre temps, et de cet autre espace, il
est le mdiateur. Lui qui a vcu notre vie d'homme, et ses souffrances et ses joies,
et ses maladies et ses sommeils et ses enfermements, il peut, la mesure de notre
accueil et de sa saintet, nous aider gurir de nos difficults, ressusciter de
nos morts intrieures, nous librer de nos entraves. La vie que je me construis
patiemment et que j'enfante douloureusement, c'est toujours aussi du mort que
je l'attends pour partir :
Car il a bris les portes de bronze
et les barres de fer il les a fracasses (40).
Michel COSTANTINI
c'est vrai que des morts / font sur terre un silence / plus fort que le sommeil
(38).
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L'enfer dantesque
Pas plus que Lucifer n'est beau Dante le prsente
bestial, difforme et sombre , l'Enfer n'a des charmes
exquis. Il recense les fixations glaces de ce que chaque
pcheur a voulu : une solitude absolue avec soi, ou plutt
avec la caricature laquelle le vice rduit le pcheur.
LE
48
L'enfer dantesque
DE
49
Giovanni Fallani
la Caina, l'Antenora, la Tolemea et la Giudicca (2). Ainsi se manifeste la
condamnation ternelle dans la bouche de Lucifer, d'o pendent, broys,
Juda, Brutus et Cassius. Toutes les fautes ne sont pas gales. La
configuration d'une faute se distingue par l'importance du rle qu'y
joue la volont et la connaissance du caractre peccamineux de l'acte.
L'incontinence, qui comprend la luxure, la gourmandise, l'avarice, la
prodigalit, la colre, le dgot, dnote l'abus des choses possdes avec
trop ou trop peu de rigueur. Il s'agit d'un pch de passion, et les fautifs
restent (au contraire des coupables volontaires) l'extrieur de la cit
de Dis. Dante savait parfaitement que cette distinction, incomplte
d'ailleurs, allait tonner : en particulier l'usure est inscrite parmi les
violences faites Dieu, et non pas au prochain. Il explique que n'existent
en fait que la nature et le travail (au moyen-ge manque la notion de
capital , comme richesse produite par le travail, mais capable son
tour de produire un autre travail) ; celui qui pratique l'usure, au
contraire, et qui vit des intrts du prt, vend deux fois la mme chose,
donc mprise l'une et l'autre, s'oppose indirectement Dieu et fait
violence la nature en soi et l'industrie de l'homme.
Aristote, dans le livre VII de l'thique Nicomaque, traite de trois
dispositions que Dieu ne saurait admettre : l'incontinence, la mchancet
et la bestialit insense. Pour Dante, la classification des fautes devient :
Incontinence, violence et tromperie. Sans entrer dans d'autres questions
particulires, rappelons que les deux discours de Virgile (3) contiennent
la mme ide du pch. Il y a sept pchs capitaux, disposs pralllement dans l'Enfer et le Purgatoire : mais dans le premier cas, du
moins grave au plus grave, dans l'autre, inversement. En effet, dans
l'Enfer, il s'agit de punir les fautes auxquelles les vices ont donn lieu,
tandis que dans le Purgatoire, il ne s'agit que d'expier les taches qu'ils
ont laisses sur l'me ; il est donc naturel que nous trouvions dans ce
premier cas des distinctions et divisions notablement plus nombreuses
que dans le second, qui ne connat que sept cadres. La division de la cit
infernale suivant la morale et la thologie se caractrise par l' absence
d'amour (comme l'a dit Ozanam), ce qui constitue le supplice extrme
de la volont fautive.
M AIS
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L'enfer dantesque
Giovanni Fallani
Pour Dante, les pchs de l'esprit sont plus graves que les pchs de
la chair, ce qui s'accorde avec la conception de saint Thomas selon lequel
les premiers font qu'on s'loigne de Dieu, les seconds qu'on s'attache la
crature en vertu de la concupiscence inne de l'homme. La gravit des
pchs de l'esprit consiste en ce que le principe de l'acte se trouve dans
l'agent lui-mme, puisqu'il est un acte de volont et que l'on peut pcher
par choix dliber, par tromperie, en connaissance de cause, par pure
mchancet donc.
L'enfer dantesque
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53
Giovanni Fallani
une sorte de mlange, jusqu' ce qu'elles soient spares par le jugement
dernier, et que l'une, jointe aux bons anges, obtienne dans son roi la vie
ternelle, et que l'autre, jointe aux mauvais anges, soit jete avec son roi
dans le feu ternel .
C 'EST dans ce climat que vit Dante, un climat dans lequel la force
dmonstrative de la raison rencontre harmonieusement les
postulats de la foi rvle, mais dans un moment de dsorganisation du pouvoir civil et religieux. Le mal a pris possession des autorits
que la providence a choisies comme dirigeantes. Le pch des individus
est si violent qu'il a cr une socit des violents, qui travaille contre la
libert et la justice. La cit du diable a ses fidles et ses membres partout,
et les tribulations prdites dans l'criture concident, dans la vision du
paradis terrestre, avec la grande apostasie et l'assaut contre le mystrieux
char de l'glise, humili par la putain effrne (7) et par le gant qui y
sige. Le mal a pris la forme que dcrit l'Apocalypse, et qui est signe des
derniers temps : le dsir de domination et la tromperie, la rvolte contre
l'esprit et la lettre de l'vangile font du lieu saint un gout .
Mais la peine des damns n'est-elle pas une faon de se venger de tout
cela ? Non. Elle n'est ni une vengeance, ni non plus un remde. La
conscience du damn persiste immuablement dans le pch, qui ne cesse
jamais de s'lever contre Dieu, lequel ne peut pas ne pas en vouloir la
punition. L'enfer selon Dante est l'intrieur des damns ; la torture
physique visible ne fait que souligner la peine morale. Un problme
difficile se posait Dante : comment reprsenter le personnage de Satan,
le dessiner et le colorier dans l'imaginaire ? Dante conut une figure aux
antipodes de l'humain, dans le sens de l'horrible, afin de peindre ce que
le mal et ses consquences ont de repoussant. Des les scnes de jugement
dernier, ce qui intressait tait l'ide de la monstruosit bestiale, renforc
par le dcor rocheux d'une nature dfigure, comme la peint Giotto dans
la Cappella degli Scrovegni. L'antithse absolue de la beaut est une
consquence de la rbellion. Pour Dante, le passage d'Isae (14, 12.15)
qui mentionne la chute de Lucifer dans la profondeur d'un lac, devient
dans la Comdie le marais du Cocyte et l'tang des plaintes. Lucifer n'a
pas perdu ses six ailes, mais elles sont comme la parodie des six ailes
des sraphins dont il tait, lesquelles taient couleur de feu, alors que les
siennes sont sombres et nervures comme celles des chauves-souris.
Singe de la Trinit, Lucifer a trois visages, de couleurs diffrentes :
vermeil, jauntre et noir. Lucifer, qui a trahi son crateur, est maintenant
tortur par la haine et l'chec qui caractrisent le mal.
La pense de Dante n'a rien voir avec le gout romantique qui chercha
rhabiliter Lucifer, devenu frre de Promthe et hritier des Titans,
(7) Purgatoire XXXII, 149.
54
L'enfer dantesque
et comme eux introducteur de nouvelles expriences de culture. Ce qu'il
a introduit, pour Dante, ce sont les tnbres : l'ange sage, prcipit par
sa rvolte dans les profondeurs de l'enfer, y est condamn l'immobilit,
au silence, l'chec de la damnation.
Giovanni Fallani, n en 1910 Rome. vque titulaire de Partenia. Prsident de la Commission Pontificale de l'art sacr en Italie, de la Commission des monuments historiques et
artistiques du Vatican et de la Casa di Dante Rome. Enseigne la littrature dantesque
l'universit pour les trangers de Prouse. Publications : outre de nombreux articles de
critique d'art, des rcits dont La pi grande vita, Naples, 1978 et Manz farci le Porte di
S.Pietro, Bologne, 1980. Parmi ses travaux sur Dante, citons : un commentaire la Divine
Comdie, Florence, 1965, ainsi que : Dante poeta teologo, Milan, 1965, Dante e la cultura
figurativa medievale, Bergame, 1976, L'esperienza teologica di Dante, Lecce, 1976, Dante
autobiografico, Naples, 1975, Dante moderno, Ravenne, 1979.
Corinne MARION
LINSENS dit en son coeur : Il n'y a point de Dieu , par quoi il prouve bien
qu'il est insens. L'homme peut-il vivre sans Dieu ? Et quand il le
prtend ou que, de fait, il vit spar de Lui, que devient-il ? L'cume des
jours peut masquer un temps cette misre de l'homme sans Dieu. Les idoles
occupent le terrain : elles alinent sans combler cette solitude de fond qui spare
bien plus srement que les ocans.
Quant aux idologies, opium des peuples, aprs avoir dvor leur tribut de
chair humaine, repues et dfaillantes, elles n'en finissent pas de mourir en une
longue et pnible agonie, rvlant ainsi la plus grande duperie de l'histoire. Alors
vient un jour, dans la vie de chacun et dans la conscience des socits, o la
situation apparat dans sa nudit.
Il semble que nous ressentions avec une acuit douloureuse cette absence de
Dieu que les esprits forts de nagure entrevoyaient comme une libration. Notre
poque s'est libre, parait-il. Mais on ne voit pas qu'elle rayonne de bonheur.
Nous assistons plutt une remonte des dmons intrieurs, au rgne de la force.
chaotique - dlire, folie, peur de la mort, de la maladie, torture, exterminations, autant de figures de l'enfer qui menacent l'tre tout entier.
Trs bien, diront certains, plongeons dans l'abme, comme le Christ l'a
inaugur lui-mme. Nous en ressortirons victorieux, c'est une loi maintes fois
vrifie. Ce serait oublier que la vie spirituelle possde ses propres lois, et qu'il
ne suffit pas de descendre pour ncessairement remonter.
Au risque de dcevoir les amateurs impatients de happy ends rapides et
spectaculaires, il faut souligner que toute plonge en enfer n'est pas automatiquement un Samedi Saint qui s'ignore ; le risque est grand d'y rester, le temps
d'une saison qui pourrait , bien s'terniser. N'en ressort, parce qu'il y est
totalement tranger, que le seul Innocent, le Christ. Quant nous, nous savons
bien que la face cache de notre coeur, , complice de la mort en nous et contre
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Corinne Marion
Ah ! mon cher, pour qui est seul, sans dieu et sans matre, le
poids des jours est terrible (4)
(4) Albert Camus, La Chute, d. Pliade, 1962, p. 1544. Toutes les rfrences qui suivent renvoient
cette dition.
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Corinne Marion
d'esprance, de foi et de charit : Je me permets tout nouveau, et sans rire
cette fois. Je n'ai pas chang de vie, je continue de m'aimer et de me servir des
autres. Seulement, la confession de mes fautes me permet de recommencer plus
lgrement et de jouir deux fois, de ma nature d'abord, et ensuite d'un charmant
repentir (p. 1548).
Cette confession , bien sr, n'est pas adresse au Christ qui pourrait
rellement le dlivrer. Elle s'adresse seulement un semblable, car nous
souhaitons seulement tre plaints et encourags dans notre voie . Et Camus
termine son Prire d'insrer par cette affirmation indubitable : O commence
la confession, o l'accusation ? Celui qui parle dans ce lieu fait-il son procs,
ou celui de son temps ? Est-il un cas particulier, ou l'homme du jour ? Une
seule vrit, en tout cas, dans ce jeu de glaces tudi : la douleur, et ce qu'elle
promet .
Une certitude se dgage : l'enfer n'est peut-tre pas dans les autres, mais
d'abord en soi-mme, quand, prisonnier, on refuse d'tre dlivr.
Un vrai gaillard ?
l'a guett, ce jour, car il veut montrer tout le monde ce que c'est qu'un vrai
gaillard x (p. 55). Il se met en mnage avec Linna, parce qu'ainsi la vie est plus
Et peu peu, la mort se rvle tre la Vie, la seule force qui soit vraie, car
enfin tu n'as plus le dsir de te conserver (p. 433). Il se voit au fond d'un ravin,
dans l'obscurit. Une chelle lui est tendue et la mort fournit la lumire, sous
forme d'clairs. Franz crie ; il sent qu'il passe sur le billot ; centimtre par
centimtre la hache s'abat, il est coup en morceaux ; mais, curieusement, le
corps ne meurt pas et la vie continue. Il rampe toujours au milieu des clairs et
des sifflements, tandis qu'une voix intrieure hurle dans sa tte et lui explique
sa vie. Franz qui souffre questionne et objecte : Mais qu'ai-je fait ? N'ai-je pas
assez pein ? Je ne connais personne d'aussi misrable. J'ai voulu devenir
honnte, mais Lders m'a tromp (p. 436). Et la mort dnonce sa ccit, sa
surdit, son obstination. Le film de sa vie repasse devant ses yeux, comment et
expliqu. Il finit par comprendre que ses rsolutions contradictoires Je
resterai honnte, Tegel c'est fini , et Le boulot n'a encore enrichi personne, je
te l'dis, moi. C'est la filouterie qui s'en charge x (p. 263) se ressemblent
trangement. La mort claire ceci : L'unique chose que tu dsires, c'est d'tre
fort A (p. 436). Il semble naf parce que, comme tout le monde, il refuse de
comprendre. A sa manire, il ne veut que dominer, possder, ne pas se donner,
lui. C'est ainsi qu'il tua sa premire matresse. Au lieu de s'humilier et de se
repentir, il veut encore tre fort. C'est pourquoi, alors que vient Mimi, la
dernire, il n'a toujours pas compris. Elle est venue toi, pleine de grce...
Que comptait pour toi un tre humain ? Tu es all t'en vanter auprs de
Reinhold. Elle est morte pour toi, pour personne d'autre (p. 436-7).
Il comprend qu'il n'a pas le droit de juger Reinhold parce que lui aussi, Franz,
comme Reinhold, est un assassin. A chaque fois qu'il reconnat ses fautes, il
avale le jus de viande qu'on lui ingurgite et un spasme profond le renouvelle. Le
dialogue se poursuit. Maintenant, il reconnat qu'il n'est pas un homme, mais
une bte ; il revoit Ida, Mimi. Il pleure ses fautes. Il se livre, il se sacrifie
la douleur qui accomplit sa tche de destruction du vieil homme. Casser,
(5) Alfred Dblin, Berlin Alexanderplatz, Gallimard, 1970, p. 55. Toutes les rfrences qui suivent sont
empruntes cette dition.
60
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abattre, terrasser, dcomposer, voil ce qu'elle fait (p. 440). Ainsi meurt le
vieil homme. K Maintenant tout s'est accompli , nous dit-on. Mais alors surgit
un homme nouveau qui s'appelle Franz Biberkopf.
Par la suite, son innocence est prouve, on le libre. A sa sortie de Buch, les
maisons se tiennent tranquilles, les toits sont immobiles (p. 444). Franz
Biberkopf accepte une place de concierge supplant dans une modeste usine.
Les autres le trouvent chang ; il a un nouveau regard, un regard calme,
profond (p. 445). Il porte un soleil dans son coeur qui renforc d'un petit
verre de fine et d'un fortifiant dans le potage, le remontera peu peu (p. 446).
L'exprience
du Samedi Saint
Adrienne von Speyr (ne en 1902 La Chaux-de-Fonds, dcde en
1967 Ble) devint mdecin Ble aprs une jeunesse difficile et des
tudes pendant lesquelles elle dut gagner elle-mme sa vie. Elle se
convertit au catholicisme en 1940, aprs avoir reu de moi /instruction
ncessaire. Ensuite, tout en continuant d'exercer sa profession, elle reut
une multitude de grces mystiques, parmi lesquelles de nombreuses
grces de participation la Passion. Pendant vingt-six ans, elle me dicta,
moi qui tais son confesseur, un grand nombre de mditations
spirituelles, entre autres des commentaires de l'Ancien et du Nouveau
Testament. La plupart de ses crits sont en vente dans les librairies, des
traductions anglaises, italiennes et franaises ont commenc de
paratre (1).
Un centre important de sa mission thologique trs vaste fut, sans
doute pour la premire fois dans l'histoire de l'glise, de pouvoir suivre le
Christ mort le Samedi Saint, et de pouvoir alors dicter ce quelle prouvait
en termes clairs. Les descentes vcues chaque anne aprs la mort de
Jsus (du Vendredi Saint aprs trois heures jusqu'au matin de Pques)
prsentent des aspects toujours nouveaux; le court rsum qu'on va lire
ne peut que simplifier indment la richesse des aspects. Tout ce qui est dit
par Adrienne se trouve en italiques et entre guillemets. Les textes
complets seront publis plus tard ; deux courts fragments se trouvent
dans Objektive Mystik. Beaucoup de choses dans ses autres oeuvres
(par exemple, le radicalisme de son petit livre Bereitschaft) ne sont
explicables qu'ai partir de /ide que le Fils, le Samedi Saint, doit, dans une
obissance suprme, chercher et mme reconnatre le Pre l o se
trouve ce qui est totalement rejet par Dieu : tout le pch du monde.
Hans-Urs von Balthasar
La Croix
La Croix est l'acte par lequel le Fils assume et expie tous les pchs
(mme les pchs futurs ) . O n ne peut pas souffrir sans tre
rellement atteint par le pch . Le poids de ce pch est inimaginable,
Corinne Marion, ne en 1945. Matrise et CAPES de Lettres Modernes en 1972. Enseigne
dans un lyce Paris. Marie, deux enfants. Membre du Comit de rdaction de Communio. Publication : Qui a peur de Soljenitsyne ?, Fayard, Paris, 1980.
62
sa
mission
thologique,
63
non-sens .
Seigneur, dont elle sait qu'il passe ou est pass par ici, mais les traces
restent invisibles : dans l'enfer, le Christ mort n'agit plus. K Quand on
suit sur la terre le Seigneur ou ses saints, on trouve partout des traces ;
des traces de la grce, des traces de la prsence passe ou de la parole
passe N. Dans l'enfer, non. On tente de suivre ses traces, et on
remarque que ce n'est pas possible . On marche sur les pas du
Seigneur, et pourtant on ne les connat pas . Inutilit , tel est le nom
de cet tat.
La substance de l'enfer
65
du Pre au Fils ne peut se produire que dans le plus profond silence, pour
ainsi dire en se dtournant l'un de l'autre dans la plus extrme
discrtion de l'amour . Mme au sein de l'ternelle vie trinitaire, A.
parle assez souvent de la richesse de cette vie et de sa nouveaut
constante, si bien que, humainement parlant, il y a toujours prtes en
cette vie, pour Dieu lui-mme, des surprises toujours nouvelles, un
ravissement toujours nouveau. Maintenant, c'est le Fils en tant
qu'incarn qui est introduit dans le mystre inconcevable de la fcondit
paternelle. Jusqu ' prsent, il a vcu avec le Pre dans la confiance
rciproque, mais il n'a pas encore vu, dans la dernire cachette du Pre,
tout ce que le Pre a d'incomprhensible, le mystre de l'origine de la
puissance gnratrice paternelle elle-mme ! Ainsi, le Samedi Saint
est presque plus un jour du Pre qu'un jour de la mort et de l'enfer. Il.
est la voie la plus directe qui mne au Pre. En ce jour, rien n'est pargn
au Fils . Il doit maintenant, pour voir l'obscurit du Pre, voir la
somme de toutes les aversions humaines , c'est--dire tout abus possible
67
L'obissance du Fils incarn tait depuis toujours le mode sotriologique de son don ternel d'amour au Pre. Si la mission de Jsus est
accomplie avec la mort sur la Croix, et s'il rend au Pre l'Esprit qui l'a
envoy, l'obissance du Seigneur mort est l'objet d'une sur-exigence
ultime, inattendue et imprvisible. Dans le calice est toujours mis
encore du nouveau, sans considration de ce qu'il est dj plein
dborder . C'est, d'un ct, une obissance sans vision possible, puisque
le Fils doit chercher le Pre l o il ne peut pas tre, dans ce qui est rejet
par Dieu. De l'autre ct, ce n'est plus une obissance active, il ne lui
reste plus de force productive , il est men plutt qu'il ne va
lui-mme , il est devenu pure fonction , une contrainte que l'on
s'impose soi-mme, ou plutt : que l'on vous a impose . Il est pure
C'tait une vision si terrible qu'A. tombait dans un trouble toujours plus
grand : Elles doivent se repentir, elles doivent briller tout prix . Je
voyais A. se lever et, appuye la paroi, faire le geste de recevoir, avec
toujours plus de peine, jusqu' ce qu'elle tombt terre comme morte,
en se blessant gravement. Elle m'expliquait ensuite : elles m'ont remis
leurs torches et alors elles pouvaient brler. Briller signifie : reconnatre
son pch, tomber dans le purgatoire, manifester le dsir de purification . On les laisse en face de l'enfer, jusqu'au moment o elles
dcident de brler .
Lyon : Decitre
6, place Batecour
Editions Ouvrires
9, rue Henri-/V
Chevassu
119, Grande Rue
Bordeaux : Les Bons
Livres 70, rue du Pa'aisGallien
Caen : Publica 44,
rue Saint-Jean
Ub. Sant-Paul 8,
place Bellecour
Marseille ter : Le Mistral
11, impasse Rammerion
Paria 16e :
Lavocat 101,
avenue Mozart
Names : Lanc z
Paray-le-Monial : Bouteloup
16, rue de la Visitation
Saint-Jacques-du-Haut-Pas`
252, rue Saint-Jacques
Tarbes : Massabielle
77, rue du Regiment-de-Bigorre
Toulon : Centre de Documentation
de Catchse, 14, rue Chelucet
Toulouse : Jouanaud
8, rue des Arts
Ub. Saint-Michel-Sorbonne
20, rue de la Sorbonne
Paris 6e : Apostolat des Editions
46-48, rue du Four
Procure du Clerg
1, rue de Mzires
Librairie Saint-Paul
6, rue Cassette
Saint-Germain-des-Prs
3, place Saint-Germain-des-Prs
Notre-Dame de l'Assomption*
rue de l'Assomption
Notre-Dame d'Auteuil' Z
place d'Auteuil
9 0,
Rennes : Bean-Saint-Germain 6,
rue Nationale
Rodez : La Maison du
Livre Passage des Maons
Genve : Martingay
Corraterie20
Grenoble : Lib. Notre-Dame
10, rue Notre-Dame
Louveciennes : Paroisse
Saint-Martin', pl. de l'glise
Nancy : Le Vent
30, rue Gambetta
Lille : Tireloy
6Z rue Esquermoise
Montpellier : Logos
7, rue Alexandre-Cabanel
Lib. Saim-Paul
Prdles 38
Nevers : Bihoreau
17, avenue du Gnral-de-Gaulle
Mmes : Biblica
23, boulevard Amiral-Courbet
Fribourg (Suisse) :
Librairie Saint-Augustin
84 rue de Lausanne
Lausanne : La Nef
Avenue de la Gare 10
Stella Maris
132, rue du Bac
rue de Verdun
Centre Catchtique
2 bis, rue Georges-Clemenceau
Marseille 6e : Le Centurion
47, boulevard Paul-Peytral
La Celle-Saint-Cloud :
Notre-Dame de Beauregard
La Pierre-qui-Vire :
Librairie Sainte-Marie (SantLger-Vauban, Yonne)
Sitac Maffre
33, rue Croix-Baragnon
Versailles : Hellio 37,
rue de la Paroisse
L'univers du Livre
17, rue Hoche
Comits de presse paroissiaux
69
cette chane est si raccourcie que le diable est refoul dans le dernier
recoin de l'enfer ; par l, le monde infernal est devenu le lieu de naissance
du purgatoire .
La chute
Mais mme avec tous ces motifs, les explications verbales A. l'a
toujours fortement soulign restent fragmentaires. La thologie du
Samedi Saint ne peut pas tre pense et crite systmatiquement. Le
Samedi Saint est le jour o la Parole de Dieu se tait, et mme si ce silence
est l'arrire-plan vivant de tout discours de Dieu, et si toute parole de
Dieu sort de ce silence et doit y tre ramene pour tre comprise comme
parole divine mme alors le silence du Samedi Saint reste quelque
chose de diffrent des autres silences de Dieu. Ce fut une grce spciale
qu'ici un tre humain trs pur et obissant ait pu participer cette
exprience suprme du Verbe de Dieu fait homme, devant qui tout
genou doit flchir non seulement au ciel et sur la terre, mais aussi sous
la terre , et qui tient dans ses mains la cl de la mort et de l'Hads .
Si on prend au srieux les expriences dcrites, on se gardera de
conclusions prmatures en direction d'une doctrine systmatise du
salut universel. Nous avons soulign l'intemporalit de la Croix et
l'intemporalit (encore une fois diffrente) ou l'ternit de l'enfer. Pour
celui qui en fait l'exprience, il n'existe ni pass ni avenir. C'est ce que
Jean de la Croix a soulign pour l'exprience de la nuit obscure.
A. a toujours vcu Pques et la Rsurrection dans un instant
indivisible, sans transition. Quand la mesure est pleine mais
personne ne peut savoir quand cela arrive, cela est envelopp dans
l'obscurit du Pre se produit la conversion . Elle est subitement l
dans toute sa plnitude . Et aussi avec la plnitude de l'esprance pour
tous : Avec le Fils, le Pre ressuscite tous les pcheurs, ils ont un accs
Dieu .
Adrienne von Speyr, ne en 1902, dcde en 1967 (voir les lments fournis par H.-U. von
Balthasar dans sa prsentation de l'article). Ont rcemment t publis dans la collection
Le Sycomore (Lethielleux, Paris) : L'exprience de la prire, Fragments autobiographiques,
Parole de la croix et sacrement, La Servante du Seigneur.
71
73
Pierre-Marie Gy
74
La liturgie des funrailles prie pour que le dfunt soit pardonn de ses
pchs et accde au bonheur de Dieu. Pour lui la messe est offerte lors
des funrailles et aussi ultrieurement. Ceci est d'autant plus important
que le Nouveau Testament, qui affirme si clairement la rsurrection de
la chair, laisse dans le vague le sort des dfunts entre la mort et la
rsurrection gnrale. Or la pratique de prier pour la rmission de leurs
pchs et d'offrir pour eux l'Eucharistie apparat ds le Ile sicle, et la
prire pour les morts prend au cours des sicles suivants la consistance
d'une vritable lex orandi. Dans la suite, on peut dire que c'est
l'intrieur de cette lex orandi que l'glise a dvelopp les deux dogmes
du Purgatoire et de la vision batifique ds avant la Rsurrection.
L'euchologe grec contient pour les funrailles une prire trs ancienne,
qui remonte peut-tre au IVe sicle :
des esprits et de toute chair" (Nombres 16, 22),
qui as dtruit la mort,
qui as pitin l'enfer
et qui as fait au monde la grce de la vie ;
Accorde le repos l'me de ton serviteur
dans le lieu de lumire,
dans le lieu du rafrachissement,
o " il n'y a plus de douleur, de tristesse ni de gmissement " (Isae 35, 10).
Tout pch commis par lui
en parole, en oeuvre ou en pense,
pardonne-le, Toi qui es bon et qui aimes les hommes,
car il n'est pas d'homme qui vive et ne pche pas ;
Toi qui es seul sans pch,
et ta justice est justice pour les sicles, Seigneur,
et ta parole est vrit .
" Dieu
75
Pierre-Marie Gy
souligne la victoire du Christ sur la mort, la romaine l'attente de la
Rsurrection. Des deux cts l'eschatologie ttonne dans des images
empruntes l'criture, et l'me dont il est question ici est encore mal
dgage du sens biblique selon lequel la psuch dsignait la personne.
Peu peu trois points se clarifieront. Le premier, attest par la liturgie
ds l'poque des Pres, est que les saints sont dj entrs dans le
bonheur de Dieu. En second lieu, les images bibliques de l'au-del
vont, en Occident, se cristalliser dans la doctrine du Purgatoire,
dfinie par le Concile de Florence : les dfunts pour lesquels l'Eglise
prie ont encore, aprs leur mort, tre purifis pour pouvoir entrer
dans le bonheur de Dieu, et ils ne peuvent accder auprs de Dieu
avant cette purification, cette purgatio. Une telle doctrine est cohrente
avec ce que c'est que voir Dieu, et elle est en mme temps l'achvement
de l'efficacit du mystre pascal.
En troisime lieu, la doctrine du Purgatoire et celle de la vision
batifique des saints et des justes ds avant la Rsurrection (dfinie
par Benot XII) suffiraient elles seules rendre ncessaire, du point de
vue de la foi, la distinction entre l'me et le corps. Bien que les oraisons des
funrailles romaines soient antrieures de plusieurs sicles ces dveloppements, elles n'offraient pour la plupart aucun obstacle tre
interprtes dans le sens du dveloppement de la doctrine, et elles
l'ont t de faon spontane.
Cette lex credendi, atteste par la lex orandi en mme temps que dans
le cas elle la dveloppe, est exprime de manire synthtique dans
les deux premiers paragraphes des Prliminaires de l'Ordo
Exsequiarum de 1969 :
C'est le mystre pascal du Christ que l'glise clbre avec foi dans les
funrailles de ses enfants. Ils sont devenus par leur baptme membres du
Christ mort et ressuscit. On prie pour qu'ils passent avec le Christ de la
mort la vie, qu'ils soient purifis dans leur me et rejoignent au ciel
tous les saints, dans l'attente de la rsurrection des morts et la bienheureuse esprance de l'avnement du Christ.
Aussi l'glise offre-t-elle pour les dfunts le sacrifice eucharistique
de la Pque du Christ et elle leur accorde ses prires, et ses suffrages ;
ainsi, puisque tous les membres du Christ sont en communion, elle obtient
pour les uns un secours spirituel en offrant aux autres la consolation de
l'esprance .
Deux particularits du nouveau Rituel des funrailles
L'Ordo Exsequiarum, dont les oraisons sont pour la plus grande partie
empruntes l'euchologie romaine ancienne, a introduit dans la prire
pour les dfunts un lment nouveau : certaines oraisons prient aussi
pour ceux qui sont dans la peine d'avoir perdu l'un des leurs. Il y a l
la fois un largissement naturel de la prire, qui comme tel n'a pas besoin
d'tre justifi, et, dans la fidlit la Tradition catholique, une attention
76
Pierre-Marie Gy, n en 1922, fait profession dans l'Ordre des Frres Prcheurs en 1941,
est ordonn prtre en 1948. Professeur au Saulchoir de 1949 1969, directeur de l'Institut
Suprieur de Liturgie (Institut Catholique de Paris) depuis 1964. Auteur de nombreux
articles de thologie sacramentaire et de liturgie. Il a t expert de la commission de
liturgie prparatoire au Concile et du Conseil liturgique post-conciliaire, dans lequel il a
notamment t responsable de la prparation du Rituel des funrailles. Il est actuellement
consulteur de la Congrgation pour les Sacrements et le Culte divin.
77
Andr BERTHON
Matire et mystre
L
78
Matire et mystre
Andr BERTHON
Andr Berthon, n en 1942. Mari, deux enfants. Ancien lve de l'cole Normale
Suprieure, agrg de mathmatiques, docteur en physique. Chercheur au CNRS, puis
ingnieur dans une socit d'tudes. Publications : articles de physique nuclaire dans
diverses revues scientifiques. Membre du Comit de rdaction de Communio en franais.
79
80
81
Guy BEDOUELLE
DU
(1) Dom G. Oury et Dom B. Andry, Les Congrs eucharistiques : Lille 1881 - Lourdes 1981, Solesmes,
1980, 252 p.
82
(2) Lettre du Souverain Pontife Jean-Paul ii tous les vques de l'glise sur le Mystre et le culte
de la Sainte Eucharistie , Osservatore Romano, dition hebdomadaire en langue franaise du 25 mars
1980, p. 3-8, et Documentation catholique, n 1783, 6 avril 1980, p. 301-312. Voir la prsentation qu'en a
dj faite Jean-Robert Armogathe dans Communio, n V, 6, p. 68 s.
83
Guy Bedouelle
Il serait trop long et un peu vain de vouloir reprer les raisons multiples
de cette dviation. Mieux vaut profiter du temps fort de prire et de renouveau
spirituel que proposait le Pape dans sa lettre au cardinal Knox, prsident des
Congrs eucharistiques internationaux, en date du 1er janvier 1979.
Le Pain rompu
La commission thologique de prparation du Congrs de 1981 a publi un
texte remarquable. Nous pensons utile de le signaler de nouveau (3), car il peut
fort bien faire l'objet d'une tude de groupes de rflexion, de cercles paroissiaux,
de journes de rencontre, etc.
Le titre adopt est celui-l mme qui sert de thme au Congrs eucharistique
de Lourdes : Jsus-Christ, pain rompu pour un monde nouveau , soulignant
le sacrifice du Christ et sa fcondit qui donne son dynamisme l'glise. Le texte
suit pdagogiquement la structure liturgique de la clbration eucharistique.
L'glise se rassemble : c'est l un fait extraordinaire en soi. Au Jour du
Seigneur , convoqus par l'glise issue des aptres, invits se joindre la
communion des saints, les chrtiens qui se savent une sainte socit de
pcheurs (pour reprendre une expression du XVIe sicle) sentent aussitt
qu'il s'agit d'une adjuration la conversion, selon la premire parole du Christ
rapporte par l'vangile : Repentez-vous et croyez la Bonne Nouvelle
(Marc 1, 15). Tous peuvent alors devenir les prmices d'un royaume de
rconciliation .
L'glise proclame la Parole de Dieu, coutant ce que l'Esprit lui dit sans cesse
(Apocalypse 2, 7). Cette Table de la Parole n'est pas simple prparation
l'Eucharistie : on y trouve dj nourriture et communion. La Parole du Dieu de
l'Alliance, transmise et interprte dans l'glise, transcrite par les exemples que
donnent les saints et dchiffre aujourd'hui, en particulier dans la prdication,
amne la Parole faite chair (Hbreux 1, 2).
L'Eucharistie est d'abord action de grce adresse au Pre, parce qu'elle est
enracine dans la louange d'Isral (et le texte renvoie ici la grande prire du
chapitre 9 du Livr de Nhmie) et reprend la double prire sacerdotale du Christ
lui-mme (Luc 10, 21-22 et le chapitre 17 de Jean). Mais le don que nous
recevons aujourd'hui et qui suscite notre reconnaissance dbouche sur une
action de grce ternelle (p. 39). Nous sommes rassembls pour le festin du
Royaume.
Par l'Eucharistie, l'glise fait mmoire du Christ. Il faut lire les pages importantes consacres la dimension sacrificielle (p. 45-47). Par son sacrifice unique
sur la Croix, le Rdempteur nous libre par l'enfantement d'une nouvelle cration
(Romains 8, 21-22) : nous y participons tous en devenant nous-mmes du pain
rompu pour un monde nouveau (p. 53). Le Christ nous rconcilie aussi avec nos
frres afin de nous permettre de boire avec eux le vin abondant du festin
(3) Jsus-Christ, pain rompu pour un monde nouveau, document thologique de base pour le Congrs
eucharistique international, Lourdes, juillet 1981, avec une prface de Mgr Henri Donze et la lettre de
Jean-Paul II au cardinal, Knox, ditions du Centurion, 1980, 94 p. Jean-Robert Armogathe (art. cit.) avait
dj brivement attir l'attention sur ce document dans Communio.
84
Le chrtien communie cette nourriture de rsurrection, semence d'immortalit pour alimenter sa charit et raliser la communion des saints. Ainsi
l'Eucharistie fait-elle l'glise, la rassemblant dans l'unit, comme le dit dj la
Didach (9, 4) et comme le demandent instamment les piclses aprs la conscration des nouvelles prires eucharistiques.
C'est que finalement l'glise, par l'Eucharistie, participe la mission du Christ,
en devenant un peuple de tmoins (c'est--dire de martyrs). Elle atteste que
l'homme ne vit pas seulement de pain (Matthieu 4, 4) et rend son tmoignage
la Vrit (Jean 18, 37). Elle devient aussi un peuple de veilleurs, spcialement
en son corps sacerdotal, annonant l'aurore d'un jour o il n'y aura plus de
larmes, de mort, de cris et de peine (Apocalypse 21, 4), celui des Noces de
l'Agneau. L'glise devient aussi un peuple de frres, car le pain partag nous
convertit en hommes de partage (p. 83).
Des pages belles, simples, nourries de cette Parole et de cette Tradition
auxquelles elles veulent nous introduire, pntres du sens de l'adoration de
cette Eucharistie laquelle elles nous invitent.
Eucharistie et unit
Il ne fallait pas au temps de la prparation de ce Congrs oublier nos frres
chrtiens avec lesquels, pour des raisons historiques et thologiques, nous ne
sommes pas en pleine communion et donc que l'Eucharistie, malgr sa
vocation profonde, n'unit pas mais continue de sparer. C'est pourquoi l'abb
Ren Laurentin, dans son style d'heureuse vulgarisation, propose un dossier
surtout orient vers le dialogue avec les autres confessions chrtiennes et
spcialement les protestants, qui peuvent tre drouts par la runion
solennelle d'un Congrs eucharistique mondial, pour reprendre l'expression de
Mgr Le Bourgeois qui prface ce livre (5).
L' essai de l'abb Laurentin commence par une mditation de ce qu'est
l'Eucharistie. Les oppositions avec les conceptions et pratiques protestantes; si
dlicates traiter, sont abordes sous la forme d'un status quaestionis et de la
mise par crit d'un dbat auquel l'auteur a particip Lausanne en 1976.
Les positions thologiques actuelles, avec leur vocabulaire parfois technique,
sont bien exposes, dans un grand esprit d'ouverture, soulignant la maladresse
de quelques expressions typiquement , catholiques, comme par exemple la
descente du Christ dans l'hostie (p. 63 s.). On pourra reprocher l'auteur un
(4) Jean-Luc Marion, Le prsent et le don , Communio, n II, 6, p. 50-70, peut ici servir de rfrence,
ainsi que tout le numro et le prcdent (n11, 51.
(51 Ren Laurentin, Jsus-Christ prsent (pour prparer le Congrs eucharistique), DDB, Paris, 1980,
180 p.
85
Guy Bedouelle
bien grand optimisme, qui nous parat fond sur quelques silences et quelques
approximations.
Il parat exagr de dire par exemple que laccs au calice a t rendu aux
fidles catholiques , ce qui serait minemment souhaitable, mais reste encore
l'tat inchoatif (6), mme si la tendance parat renverse. Il faut noter qu'il n'est
pas si curieux que l'glise catholique au XVIe sicle n'ait pas cd sur ce point,
en un temps o la concession du calice aux Tchques hussites (dits
utraquistes ) n'avait absolument pas russi matriser leur irrdentisme.
La pdagogie de la prsentation, l'intelligence des illustrations (malgr la
lgende errone de la p. 96), le srieux de la bibliographie (7) font de ce livre un
excellent instrument de travail pour la prparation du Congrs eucharistique. Il
nous sera permis de lui faire cependant quelques objections. Il semble que la
conception du ministre, qui figure parmi les problmes fondamentaux abords
par ce livre, ne soit pas traite avec assez de dtails et de profondeur. Or il s'agit
l d'un des plus graves enjeux de notre dialogue avec les protestantismes. L'abb
Laurentin ne rappelle pas que l'Eucharistie est d'abord celle de l'vque (8).
Envisageant seulement cette question du ministre dans une rponse orale
Lausanne, il n'chappe pas une certaine lgret dans l'exemple donn pour
illustrer le clbre adage Ecclesia supplet (l'glise supple, complte la validit
d'un acte fait invalidement mais dans l'intention d'oprer ce qu'elle veut).
Peut-on vraiment comparer le cas de cet vque que sa nourrice a invalidement
baptis, avec les contrecoups formidables des dcisions des Rformateurs ?
En le faisant, nous ne les honorons pas.
Je doute mme qu'on puisse, sans porter atteinte la cohrence des positions
thologiques, dire propos des conceptions sur la prsence relle que nos
diffrences aujourd'hui ne sont pas plus considrables que celles qui
existent entre les coles de thologie ou de spiritualit (p. 77) sans
vraiment discuter, par exemple, la consubstantiation luthrienne (p. 73), ou
l'importance de la permanence de l'Eucharistie, ou le rle d'un magistre.
AINSI,
la prparation du Congrs doit nous permettre de placer l'Eucharistie au centre du mystre chrtien. L'abb Laurentin nous propose un
style eucharistique . Les auteurs du document thologique de base
nous invitent une existence eucharistique (p. 40), en faisant eucharistie...
travers tout ce que Dieu nous confie et par exemple dcouvrir une
(6) Les limites de la discipline actuelle ont t rcemment rappeles par le Saint-Sige : Instruction Inaestimabife donum ,Documentation catholique, n 1789, 6 juillet 1980, p. 643.
(7) Il faut cependant regretter l'absence de la mention des intressantes confrences de l'Institut
catholique de Toulouse, publies sous le titre : L'Eucharistie, parole nouvelle pour un monde nouveau,
Centurion, Paris, 1978,156 p.
18) Cf. Juan-Miguel Garrigues, L'glise locale comme communaut eucharistique , Communio,
n V, 5, p. 48-62 et Jean-Guy Pag, L'vque, l'glise particulire et l'eucharistie , dans ce numro
VI, 1, page 88.
86
19) A.-M. de Monlon, Jsus-Christ est Seigneur, Marne, Paris, 1980, p. 66-67. L'ensemble de cette
confession de foi a est lire, mditer et a prier.
Guy Bedouelle, n en 1940. Prtre dans l'ordre dominicain en 1971. Professeur la Facult de
thologie de Fribourg (Suisse). A publi L'glise en Angleterre et la socit politique
contemporaine, Paris, 1968, et deux ouvrages sur l'humaniste Lefvre d'taples, Genve,
1976 et 1979. Membre du bureau de rdaction de Communio en franais.
Jean-Guy PAG
L'vque,
l'glise particulire
et l'Eucharistie
Certes, la communaut ecclsiale se dfinit d'abord par la
clbration de l'Eucharistie ; certes, l'vque se manifeste
avant tout comme y prsidant. La vrit de ces principes ne
doit pas dissimuler ce que l'volution historique a par
ailleurs fait comprendre l'glise.
DANS
jour le rgne de Dieu s'accomplit plus parfaitement dans l'glise, ce qui permet
celle-ci de se rapprocher de plus en plus de son tat eschatologique.
Et du moment qu'une eucharistie est clbre selon la volont du Seigneur,
par un ministre qui rattache validement l'glise au corps apostolique qui se
continue dans le corps piscopal, cette eucharistie difie l'unique communaut
des chrtiens en vue du rassemblement dfinitif du Royaume. On ne peut
minimiser bien sr le rle spcial de l'vque au sein de son glise particulire
(mieux qu' glise locale , comme l'a montr H. de Lubac dans glise
universelle et glises particulires), tel que le fait apparatre l'histoire des
premiers sicles chrtiens. Mais il ne faudrait pas oublier d'autres donnes de
l'histoire. Une premire est sans doute qu'il existe une dialectique entre le rle
de l'vque au sein de son glise particulire et son rattachement au collge
piscopal : l'vque n'est pas que le symbole du Christ-pasteur pour une glise
particulire ; il est aussi celui qui, par son insertion dans le collge piscopal,
assure le lien de cette glise avec l'glise universelle au plan de la doctrine et
celui des sacrements, particulirement de l'eucharistie.
De plus, aux origines, tant donnes les dimensions plus restreintes des
communauts chrtiennes, c'est le collge des ministres (ayant indubitablement
sa tte un prsident, quel qu'en ft le nom) qui officiait aux sacrements et, en
particulier, l'eucharistie. Puis, l'poque patristique, le rle de l'vque
(entour de son presbyterium), comme gardien spcial de la foi et comme
prsident de l'assemble chrtienne convoque en particulier dans l'eucharistie,
a t mis en vidence. Rapidement, cependant, le nombre des fidles
augmentant, il a fallu que les vques dlguent les presbytres pour
prsider des communauts plus loignes et simplement pour que la relation
du prsident l'assemble eucharistique demeure taille humaine, comme le
souhaite l'auteur. Cette volution est irrversible, mme si on doit corriger les
dviations auxquelles elle a pu donner lieu, comme par exemple la perte du sens
de la collgialit chez les presbytres . Mais il semble que l'volution de la
thologie de l'piscopat dans l'glise catholique s'est effectue dans une ligne
qui fait de l'vque autre chose qu'un gros cur .
Pour ces diverses raisons, il faut reconnatre que, mme si l'eucharistie
prside par l'vque entour de son presbyterium demeure le prototype de
toute clbration eucharistique et son point de rfrence obligatoire, d'autres
clbrations, plus ou moins larges que celle prside par l'vque, demeurent
des eucharisties non seulement valides, mais valables d'un point de vue
ecclsiologique. Elles peuvent, elles aussi, rassembler ceux qui, sur le
tmoignage des Aptres, croient au Christ mort et ressuscit... , condition que
celui qui les prside soit en communion avec la foi de l'glise et avec le ministre
apostolique et qu'il s'efforce toujours d'oprer un lien concret entre l'assemble
et cette foi et ce ministre de l'glise universelle. Seuls les vques et ceux qui
sont en communion avec eux dans le ministre apostolique, c'est--dire les
presbytres ou prtres de second ordre , peuvent convoquer et animer une
eucharistie valide et ecclsialement valable. Dj d'ailleurs saint Ignace
d'Antioche le soulignait dans cet extrait de la Lettre aux Smyrniotes (VIII, 1) que
cite l'auteur. Et nous souscrivons aux remarques faites par le P. Garrigues la
suite de cette citation.
C'est cependant pousser le principe un peu loin que de laisser dans l'ombre
la valeur typique et relle d'une eucharistie prside par le pape, avec un grand
concours d'vques, de prtres et de fidles. Une telle clbration prfigure
89
Jean-Guy Pag
l'unit dfinitive de l'glise et contribue la construire. De mme, bien qu'il soit
plus normal et plus signifiant pour un prtre de clbrer avec un peuple, une
messe dite faussement prive possde en elle-mme une valeur ecclsiale
universelle. Il s'agit que le clbrant ne l'oublie pas : ce qui n'tait srement pas
le cas du P. Charles de Foucauld. L'auteur a cependant raison de dplorer
certains abus passs et actuels de la dvotion eucharistique qui obscurcissent
le caractre ecclsial du sacrement de l'autel. Mais il en vient ensuite des
affirmations qui durcissent le principe et ne tiennent pas compte suffisamment
d'une volution historique qui, dans l'glise, est parfois au moins un indice de
progrs dans la doctrine. Par exemple, il ne nous semble pas que le principe
soit mis en veilleuse dans le cas de religieux accueillant des fidles dans l'glise
de leur ordre et couronnant par l'eucharistie, mme le dimanche, le ressourcement spirituel qu'ils leur offrent; il en est de mme dans le cas d'un prtre
clbrant avec un groupe particulier , condition que toujours soit explicit le
lien la grande glise : ce qu'indique entre autres (mais c'est un minimum dont
on ne peut se contenter) la mention du nom du pape et de celui de l'vque du
lieu en toute prire eucharistique, comme le mentionne l'auteur.
NOUS avons voulu non pas infirmer le principe dfendu par le P. Garrigues, mais
tenter de le formuler de faon plus complte et d'en faire des
applications moins rigides et plus ralistes. Prsenter ce principe sous la
forme que l'vque n'existe que comme prsident de la communaut
eucharistique de /glise qu'il peut rassembler en un lieu nous parat quelque
peu triqu. L'vque est plutt celui qui, en vertu de son rattachement au
collge piscopal, ralise de facto l'glise dans une communaut particulire
(cf. Lumen gentium 23, 35, 26) en oprant le lien de cette communaut avec
l'glise universelle au plan de la doctrine, au plan de l'organisation et de
l'animation de la vie chrtienne et, comme un sommet-source, au plan de la
clbration eucharistique.
Jean-Guy PAG
91
Jean-Robert ARMOGATHE
L'exemplaire conversion
de Paul Claudel
On a voulu minimiser la conversion de Claudel en y
voyant une perception lucide de la vocation personnelle du
pote. Mais c'est peut-tre cela prcisment qui atteste
qu'une personne a t interpelle par la Personne.
DANS une brillante tude (1), Henri Guillemin a voulu rduire la conversion de Paul Claudel la simple solution d'une crise d'adolescence :
FRQUENTANT,
92
vritablement, est une connaissance et une vue tout extraordinaire par laquelle
Pme considre les choses et elle-mme d'une faon toute nouvelle. Cette
nouvelle lumire lui donne de la crainte, et elle lui apporte un trouble qui
traverse le repos qu'elle trouvait dans les choses qui faisaient ses dlices... (2).
Cette nouveaut est nouveaut de la dcouverte ; ce n'est pas une nouveaut
de mutation, de retournement, elle est nouveaut d'approfondissement. Claudel
l'a senti : L'homme qui vient de se convertir, il dcouvre en lui-mme quelque
qui ne comprenait pas ce qui lui arrivait, quelque chose de foudroyant qui a mis
entre le monde et moi de l'irrparable ; je n'y peux rien, mais le tragique est que
cet appel de Dieu ne s'est pas traduit par une vocation simple; le jour o je l'ai
essay, je n'ai pas t nettement repouss (4), et j'ai d, depuis ce jour,
maccommoder de ce compagnon faux, imbcile, grotesque, souill, menteur,
(2)
(3)
(4)
Allusion ses incertitudes autour de sa vocation monastique, dans les annes 1900.
93
Jean-Robert Armogathe
dont vous avez raison jusqu' un certain point de vous plaindre, pas tant que
moi; il a failli m'entraner en enfer, et grce lui, j'en connais le got (5).
Cette lucidit sur l'homme intrieur est douloureuse, parce qu'elle contraint au
sacrifice : Il est impossible d'tre chrtien sans effort. Il est impossible de
mettre au jour l'homme nouveau sans une coopration douloureuse et souvent
hroque ce Dieu qui nous a faits et qui nous demande de l'aider nous
refaire (6).
Tout au long de la vie de Claudel, nous trouvons ce fracas de contradiction,
l'appel au sacerdoce, le drame de Fou-Tchou, les fortes et vives pressions de
sa personnalit ( je ne perds jamais le sentiment de ma personnalit l (7).
eux-mmes. L'irrligion des adolescents est d'abord une crise de leur identit;
la perception vive de Dieu dont nous devons leur proposer l'occasion passe
par l'affirmation de leur identit divine, de leur vocation personnelle.
On ne peut pas apprendre le christianisme comme une leon compose de
chapitres nombreux et divers, mais il faut toujours le lier avec une Personne,
avec une personne vivante : Jsus-Christ... Chacun de nous est comme un
"matriau " particulier dont on peut en suivant le Christ tirer cette forme
concrte, unique et absolument singulire de la vie qu'on peut appeler la
vocation chrtienne (9).
Peut-il y avoir une autre conversion que la dcouverte de Celui qui, comme
Personne, rvle l'homme lui-mme (10) ?
Jean-R. ARMOGATHE
LE
drame est bien, avec la joie et le sens de la vie, un des trois secours et
profits que la Religion donne au pote chrtien (8) : Claudel a trouv tout cela
dans l'clair de lucidit qui lui a fait percevoir sa vocation, et cela mrite bien,
peut-tre, d'tre nomm rvlation avec les nuances que Claudel saura
apporter au mot, lorsqu'il se prsente dans sa conversation ou sous sa plume.
Cette rvlation de l'homme intrieur n'est pourtant pas le connaistoi toi-mme delphique, tout honor qu'il soit d'une longue descendance
chrtienne ; la connaissance n'est ici d'un instrument de devenir. La maxime
proposer, si maxime il y a, serait plutt : deviens qui tu es . Ainsi Sal le
pharisien, aptre (shalyahl du Grand Conseil pour arrter les chrtiens de
Damas, a dcouvert soudain, inopinment, que la cohrence de sa vie entranait
qu'il devienne chrtien, aptre du Seigneur Jsus ; ni abandon, ni
renoncement, mais besoin de cohrence plus grande, fidlit plus profonde et
plus troite encore l'enseignement de Gamaliel. A Nol 1886, le jeune
Claudel dcouvre, inopinment lui aussi, les exigences de cohrence qu'entrane
sa vocation d'crivain et les insupportables implications que cela entrane dans sa
vie personnelle. Percevoir sa vocation drange : Henri Guillemin a raison de
rduire le grand dbat intrieur des quatre annes d'attente des questions de
convenance et de carrire. Cela en montre bien l'authenticit ; devenir qui l'on
est est astreignant, pnible et exigeant, car cela n'appelle pas, le plus souvent,
l'hrosme, mais bien une besogneuse et drisoire rvision de vie qui n'a
mme pas sur l'hroque renoncement au monde l'avantage de la gloire
publique !
Ainsi donc, pour rducteur que puisse sembler ce point de vue, la conversion ne s'puise pas dans la mdiocrit lorsqu'elle est vocation ; elle n'est plus
alors, seulement, un instant illuminateur, mais un vnement fondateur, porteur
d'une existence entire. Elle peut tre propose ceux qui cherchent, car ils ne
trouveront Dieu que par la mdiation du projet divin qu'ils portent en
(5) Lettre Mme Romain Rolland, cite par Pierre Emmanuel dans La pense religieuse de Claudel
( Recherches et Dbats , DDB, Paris, 1969, p. 214-215).
(61 P. Claudel, Contacts et Circonstances, 1940, p. 50.
(7) Mmoires improvises, Gallimard, Paris, 1954, p. 132.
(8) Religion et Posie 11927), OEuvres en prose, Pliade, p. 63-65.
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(9) Jean-Paul Il, Discours au Parc des Princes , 9 (France, que fais-tu de ton baptme ? Le Centurion,
Paris, 1980, p. 172).
110) Expression de Lumen Gentium, souvent reprise par Jean-Paul Il, en particulier dans l'encyclique
Redemptor Hominis.
N Marseille en 1947, Jean-R. Armogathe est prtre depuis 1976 ; il appartient l'quipe
pastorale de Notre-Dame de Paris. crivain et universitaire, il a reu le Grand Prix Catholique
de Littrature pour son dernier livre Paul, ou l'impossible unit (Fayard-Mame, 1980).
Membre du Bureau de Rdaction de Communio francophone. Cet article a t repris et
dvelopp dans une confrence donne Brangues, le 30 aot 1980, dans le cadre des
Journes claudliennes.
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GLISE ET SOCIT - Lothar Roos, Georges Cottier, Paul
Valadier, Cardinal Bernardin Gantin, Jean-Miguel Garrigues, etc.
tome VI (1981)
3.
4.
5.
6.
la vie consacre
la thologie
le simple prtre
les batitudes
Vient de paratre
dans la collection Communio (Fayard)
Sujets dj traits
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tome / (1975-1976)
1. la confession de la foi
2. mourir
3. la cration ,
4. la fidlit
5. appartenir l'glise
6. les chrtiens et la politique
Z exgse et thologie
8. l'exprience religieuse
tome // (1977)
1. Jsus, a n du Pre
avant tous les sicles
2. les communauts dans l'glise
3. gurir et sauver
4. au fond de la morale
5. l'Eucharistie
6. la prire et la prsence
(l'Eucharistie - ll)
Seuls sont encore disponibles
les n3 et 4du tome III, les n5
et 6 du tome IV, et les n 4,5
et 6 du tome V.
Rglement :
par(1):
CCP,
).
espces.
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