Le Martinisme Dévoilé...

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ROSE-CROIX
ET MARTINISTES

z
LE MARTINISME
des origines a nos jours

KABBALE E? MARTINISME
la voie du coeur

ORDRE
MARTINISME
TRADITIONNEL
entretien
avec le Souverain
G ran d M aitre

BELGIQUE : 7,00 / LUXEMBOURG : 7,00 / DOM : 6,20 / SU ISSE: 11,00 CHF CANADA: 8,25 CAD / GRECE : 7,00 / PORTUGAL CONT.: 7,00

SOMMAIRE

Editorial: Qu'est-ce que le Martinisme ?


p. 3.

US Le processus d'individuation : selon Jung,


ce processus est le fondement de la realisation
du Soi et correspond a une loi qui ceuvre dans
I'univers, dans la nature et dans I'homme
lui-meme. p. 37.

Introduction : comme toute societe


initiatique, le Martinisme puise ses origines
dans des elements mythiques et historiques.
En creant I'Ordre Martiniste vers 1889, Papus
et Augustin Chaboseau firent renaitre de ses
cendres une tradition ancienne. p. 4.

S De la Genese au prologue de I'Evangile


de Jean : la premiere page de la Genese
presente la vision sacerdotale de la Creation,
et la premiere page de I'Evangile de Jean
se rapporte au mystere de leschouah, Grand
Architecte de I'Univers. p. 40

L'Ordre des Chevaliers Masons Elus-Cohen


de TUnivers : c'est dans ce mouvement majeur
de rilluminisme que le Martinisme trouve ses
origines. Appele plus simplement Ordre des
Elus-Cohen , ce rite ma^onnique plongeait ses
racines dans le judeo-christianisme. p. 5.

L'Ancien et Mystique Ordre de


la Rose-Croix : presentation par Serge
Toussaint, Grand Maitre de I'O.M.T. et de
I'A.M.O.R.C. pour la juridiction francophone,
p. 44.

L'Ordre Martiniste a la Belle-Epoque (1889


a 1918): a la fin du XIXe siecle, deux etudiants
en medecine, Gerard Encausse et Augustin
Chaboseau, decouvrent qu'ils sont depositaires
d'une initiation remontant aux disciples de
Louis-Claude de Saint-Martin. p. 11.

| Actualite de

; LHISTOIRE

MIIUCfilOUIBJII
ujftiimtufti

Le Martinisme moderne et ses obediences


(1920 a 2 0 1 0 ): comme la Rose-Croix et la
Franc-Magonnerie, le Martinisme reste une
tradition tres vivante. Elle est representee de
nos jours par deux mouvements m ajeurs:
I'Ordre Martiniste Traditionnel et I'Ordre
Martiniste. p. 15.

Louis-Claude de Saint-Martin (sa vie, son


ceuvre): le Martinisme se rattache a la vie et a
I'oeuvre de celui qui fut connu egalement sous
le pseudonyme de Philosophe Inconnu ,
considere comme I'un des plus grands esprits
de son epoque. p. 21.

Le Martinisme : un esoterisme, une


theosophie, une gnose : esoterique en raison
de son origine traditionnelle, theosophique
de par la quete de sagesse qui le sous-tend,
gnostique au regard de ses liens avec le
Christianisme primitif, le Martinisme est une
voie de connaissance complete, p. 26.

s s

Kabbale et Martinisme : tout comme la


Kabbale, le Martinisme est une voie cardiaque,
une voie de realisation spirituelle menant a la
connaissance de soi et du monde divin. p. 29.

Entretien avec Christian Bernard, Souverain


Grand Maitre de I'O.M.T., p. 32

in u m

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Redacteurs en chef: Guy Iws Baux el Eric Gam ier
Secretaire general des redactions des Editions Darnetalaises : Jean-1Jtc Gam ier
Principallx associes : J. Gosselin. V A llan!.
L Dumarcet etArtes Media
ISSN 1951 -195 hors-serie de 1249-948X
Commission paritaire 0410 K 84623
Ixi Redaction n 'assume pas la responsabilitf des opinions emises sous leur signature
par les auteurs. Ixs litres, inter litres et presentations des articles, sont de la redaction.
Im reproduction, mcme partielle. des articles He pent etrefaite quavec autorisation
ecrite et sous resen e de mentionner toutes references utiles. Les m anuu rits non inseres
ne sont pas reitdus.
Mise en pages; Marie-Laure Daudet
Im pnm een Fnince par : ETC
76190 Sainte-Marie-des-Champs
Depot leg al: junvier 2010
Ont participr a la redaction de ce numero : Christian Rehisse, Un Martiniste anonynte,
Guy Eyhembide, Huguette Lefort. Jean Massengo. Michel Annengaud. Seige Toussaint.
Une interview de Christian Bernard.
Iconogniphie
O.M.T., archives des auteurs, collections ptirticulieivs- droits resen ts.

S Le Temple de Salomon : dans ses aspects


historique et symbolique, il est une reference
commune aux Martinistes et aux FrancsMagons. p. 35

Carnet d Uidnesses:
O.M.T., chateau d'Om onville. 27110 Le Tremblay
Tel. 33 (0) 2.32.35.4L28 Fax : 33 (0) 2.32.35.66.03
Internet: www.inartinisie.org
C ourriel: a moit & rose-croix.org
Photos de cotiverture
Montage centnil: portm it de Saint Martin -dessin de Simonetta Saenger (document
O.M.T.) :fo n d un temple martiniste (document O.M. T.)
Vignettes: Sceau des Elus-Cohen (document O.M .T.); arcane du tableau
nature! dessin de M arcel Dupre (document O.M.T.) : I Illum ination par le cam:
illustiution extmite d'Emblemata (1630). de D aniel Cnimer (document O.M.T.)

EDI TORI AL

Qu'est ce que
le Martinisme ?
Lorsque I'on evoque I'esoterisme occidental, on pense
generalement a la Rose-Croix et a la Franc-Magonnerie,
dont les origines historiques remontent respectivement
au XVII* et au XVlUeme siecles. Consideres jadis comme
des societes secretes, ces deux mouvements traditionnels,
auxquels Actualite de I'Histoire a deja consacre des
numeros speciaux, ont perdure a travers le temps et
existent toujours sous des appellations diverses.

I
Saint-M artin - dessin de Sim onetta Saenger
(O .M .T.)

Mais il y a en Occidentun troisieme courant esoterique,


moins connu que les deux precites, a savoir le Martinisme.
Historiquement, ce courant remonte a Louis-Claude de
Saint-Martin, philosophe frangais du XVIUime siecle, connu
sous le pseudonyme de Philosophe Inconnu , et auteur
de plusieurs livres d'inspiration judeo-chretienne.

Comme c'est le cas pour la Rose-Croix et la Franc-Magonnerie, le Martinisme a su


sauvegarder et perpetuer un heritage traditionnel, et se presente de nos jours sous
I'aspect de mouvements divers, certains etant plus legitimes que d'autres au regard de
I'authentique Tradition martiniste.
II nous a done semble interessant de consacrer ce hors serie a une etude non exhaustive de
I'histoire et de la pensee martinistes, d'autant qu'elles suscitent toujours un grand interet
chez les chercheurs interesses par I'esoterisme occidental.
Dans cette etude, I'accent sera mis plus particulierement sur I'Ordre Martiniste Traditionnel,
considere de nos jours comme le mouvement martiniste le plus actifdans le monde.

Pensees de Louis-Claude de Saint-Martin :


C'est un grand travail que de chercher a nous connaitre tels
que nous som m es; mais il f aut ensuit e travail Ier a nous
connaitre tels que nous devrions etre. Ces deux sciences sont
liees et doivent continuellement nous occuper. Une troisieme
science vient apres ces deux, et est sans doute la plus difficile
de toutes. C'est qu'apres avoir appris a connaitre ce que nous
devrions etre, ilfaut trovailler sans relache a le de/enir. (Livre
vert, n 993.)
La science est pour le t em porel; I'amour est pour Ie divin.
On peut se passer de la science, mais non de I'amour, et c'est
par I'amour que toutfinira, parce que c'est par I'amour que
tout a commence et que tout existe. (Livre vert, n 415.)
Primitivement, la tete devoit etre reglee par le coeur; elle ne
devait servir qu'a I'agrandir. Aujourd'hui, la tete de I'homme
regne sur son c ceur, tandis que c'est au coeur que le sc eptre

devait appartenir. C'est-a-dire que I'amour est superieur a la


science, attendu que la science ne doit etre que le flambeau de
I'amour, et que le flambeau est inferieur a celui qu'il eclaire.
(Livre vert, n 58.)
Pour notre avancement personnel dans la vertu et la verite,
il suffit d'une seule qualite, qui est I'amour; pour y p ire avancer nos semblables, il en fa u t d eu x: I'amour et /'intelligence;
pour accomplir I'oeuvre de I'homme, il e n fa u t tro is: I'amour,
I'intelligence et I'action. Mais I'amour est toujours la base et le
foyer principal. (Livre vert, n 178.)
L'abus de la parole produit la nullite de la parole, et la retenue de la parole produit la fo rce de la parole. La parole avait
ete donnee a I'homme poursa rehabilitation, et il ne I'emploie
qu'a se corrompre, ou a s'affaiblir e t se rendre nul. (Livre
vert, n 419.)

FEVRIER - MARS

2010

DOSSIER_______________

Introduction

Pantacle m artiniste de I'O.M .T.

En creant IOrdre Martiniste vers 1889, Papus et Augustin Chaboseau faisaient renaitre de ses cendres une tradition reduite au
sommeil depuis les annees 1824. Cet Ordre est souvent associe
a l'occultisme de la Belle Epoque, e'est-a-dire a un esoterisme
qui sent un peu le soufre . Les enormes volumes de Papus,
consacres a la magie et aux sciences occultes. ont certes beaucoup contribue a laisser cette image s'imposer. Mais le Marti
nisme est-il vraiment cela ? Et d'oii vient-il ?
Comme toute societe initiatique, le Martinisme puise ses origines
dans des elements mythiques et historiques. Pour ce qui est du
mythe, la Tradition martiniste se presente comme 1'heritiere de
connaissances remontant aux origines de l'humanite. Enoch. Tils
de Seth, lui-meme troisieme enfant d Adam, les aurait recues
dun ange. Cette Tradition primordiale se serait ensuite transmise de generation en generation, d'initie en initie. et c'est ainsi
qu'au X V IIIemc siecle. Marlines de Pasqually sen trouvait etre
l'heritier. Pour ce qui est de I'histoire, c'est dans le Siecle des
Lumieres que le Martinisme trouve ses origines. Cette epoque,
qui precede la Revolution franqaise, est celle oil triomphe le culte
de la raison, de la connaissance intellectuelle.
A cette periode, deux courants de pensee opposes apparaissent en
France : le Scepticisme et 1'Illuminisme. Les progres enormes
realises par les sciences a cette epoque avaient conduit I'homme
a deduigner la religion. II voyait en elle une survivance des temps
ou l'humanite. encore dans lenfance, attribuait a des dieux imaginaires les phenomenes naturels et les maux dont elle souffrait.
Les courants les plus representatifs de cette attitude sont le Sensualisme et 1'Encyclopedisme. Quelques penseurs se sont inquietes de ce basculement vers le rationalisme. Parmi eux, on
trouve les mystiques que I'on regroupe sous la banniere de I'IIluminisme.

ACTU ALITE DE L'HISTOIRE H O RS S E R IE n38

En effet, rilluminisme s'est pose a contre-courant de ce mouvemcnt qui relcguait au rang de superstition ce qui, jusqu'a pre
sent, donnait un sens a l'existence. Pour ces penseurs, c'est
au-dela de la religion qu'il faut chercher la verite des choses,
grace a une lecture en profondeur, esoterique, des textes religieux. Ce que I'on appelle rilluminisme. c'est done I'esoterisme
du X V IIIcmc siecle. La quote de ces philosophes est une recherche
mystique du sens de la vie. Ce qui la caracterise le mieux, cest
qu'ellc vise essentiellement a apprehendcr le Divin par 1experience interieure.
C'est dans 1'un des courants les plus importants de 1'Illuminisme,
YOrdre des Chevaliers Masons Elus-Cohen de I'U ni vers, par*
lois appelc plus simplement Ordre des Elus-Cohen. que le Mar
tinisme trouve ses origines. II s'agit de l'un des rites
ma^onniques les plus etranges. II possedc en effet une doctrine
qui semble plonger ses ratines dans le judeo-christianisme. qui
*
caracterise 1'Eglise originelle et utilise des rituels qui s'apparentent a une magie-angelique. une theurgie.
Cet Ordre a connu une existence assez breve, car apres la disparition de son fondateur survenue en 1774, soit une vingtaine
d'annees seulement apres la creation de I'Ordre, il entre en som
meil. II connait cependant une survivance, d'une part a travers les
Chevaliers Bienfaisants de la Cite Sainte, et d'autre part avec les
disciples de Louis-Claude de Saint-Martin, dont Papus et Au
gustin Chaboseau seront les descendants.
C'est sous cette forme qu'il existe encore de nos jours a travers
divers Ordres Martinistes, dont Tun des plus importants est VOr
dre Martiniste Traditionnel.

LE M A R T I N I S M E

L' o r d r e

d es c h e v a lie r s

Masons Elus-Cohen
de TUnivers
U n s y s t e m e d e h a u t s -g r a d e s

LOrdre des Chevaliers Masons ElusCohen de I Univers, plus couramment


appele ordre des Elus-Cohen, releve de
ce que Ton uppelle les hauts-grades
magonniques . Ces grades sont apparus
dans la Franc-Magonnerie au X V IIF mc
siecle, epoque ou ils proliferaient avec
une certaine anarchie. Lordre des ElusCohen a ete fonde vers 1754 par Marlines
de Pasqually (17107-1774). Malgre les
recherches de plusieurs historiens comme
Rene Leforestier (1858-1951). Gerard
Van Rijnberk (1875-1953). ou Robert
Amadou (1924-2006), les origines de ce
personnage restent encore mysterieuses.
Depuis. peu de decouvertes importantes
sont venues sajouter a leurs travaux, si
ce nest celle de Facte d'inhumation de
Marlines par Jean Pinasseau en 1969, et
celles de Christian Marcenne en 1996 a
propos de sa carriere militaire.

T u b t r v k

P k i> * r m ,K .s o k

.i . t h i r u s .

U n m y s t e r ie u x f o n d a t e u r
Le pere de Marlines de Pasqually etait un
espagnol, ne a Alicante. Certains histo
riens pensent qu il descendait des Marranes, mais aucun element ne permet de
Faff inner. On dit Marti nes de Pasqually
natif de Grenoble, dans la paroisse NotreDame. Cependant, la date exacte de sa
naissance reste inconnue. car son acte de
bapteme demeure introuvable. Les recentes decouvertes de Christian Mar
cenne permetlent de situer sa naissance
vers 1710.
Le nom meme de Martines de Pasqually
reste imprecis, car il en varia 1orthographe et la composition plusieurs fois.
Ainsi utilise-t-il tantot le nom de Joachim
Dom Martines de Pasqually, et tantot
celui de Jacques Delivon Joacin Latour
de La Case. Nous nous contenterons ici
demployer celui qui lui est generalement
attribue : Martines de Pasqually. Que tut
sa jeunesse ? Nous Fignorons, et on ne
sait rien a propos de ses etudes et de la
formation qu il requt. Ses lettres montrent quil maitrisait mal Fecriture de la
langue fran^aise. Certains rituels ElusCohen sont ecrits entierement en lalin ex. le De Circulo et quelques-uns comp>ortent des citations latines. II est done
possible quil possedait une culture classique. D apres les documents deposes par
Martines chez Perrens fils, notaire a Bor
deaux. il ressort quil a exerce la profes
sion de militaire pendant une dizaine
d annees, avec le grade de lieutenant.
Ainsi, en 1737, il sert en Espagne. dans la

Illustration de Dionysius, p o u r la traduction anglaise des Trois principes, de Jacob Boehm e

compagnie du regiment d EdimbourgDragons, commande par son oncle, Dom


Pasqually. Plus tard, en 1740, il est en
Corse, ou il participe a une intervention
franchise sous le commandement du mar
quis de Millebois. Enfin. en 1747, il esl
au service de IEspagne et combat en Ita
lic.

E m m a n u el S w ed en bo rg
e t M a r t in e s d e P a s q u a l l y
Dans son livre Martinisme Willermosisme - Martinisme et Franc-Magonnerie
(1899), Papus presente Martines de Pas
qually comme un disciple d Emmanuel

Swedenborg. II fait d'ail leurs de ce der


nier le createur des Hauls Grades ma^onniques, et precise quapres avoir initie
Martines a Londres, Swedenborg Faurait
charge de repandre en France les grades
ma^onniques dont il etait le createur.
Papus va jusqua pretendre que le Marti
nisme esl un Swedenborg isme adaple. En
fait, il reprend ici des affirmations erronees, formulees par Ragon dans son
Othodoxie Ma^onnique (1853). Ce der
nier avait lui-meme repris, sans les
controler, des informations donnees par
Marcello Reghellini dans La Magonnerie
consideree comme le resultal des reli-

FEVRIER - MARS

2010

DOSSIER
gions egyptiennc, juive ct chretienne
(1833). Dans ce livre, cct auteur dresse
unc biographic assez fantaisiste du fondateurdes Elus-Cohen. Faisant de lui un
disciple de Swedenborg, il prelend que
e'est ce theosophe suedois qui lui donna
Pidee de creer un rile en relation avee la
symbolique de I'Ancien et du Nouveau
Testament. D'apres lui. Marlines serait
dorigine allemande et mourut centenaire ! On peut s'etonner que Ragon et
Papus aient manque a ce point d* esprit
critique, car une etude memc rapide des
idees de Pasqually et de Swedenborg
montre quelles nont rien en commun.
Reghellini pretendait egalement que
Martines de Pasqually tenait sa doctrine
des juifs talmudistes el des chretiens de
saint Jean qui vivaient dans les lieux
dOrient qu'il avail visites pendant sa jeunesse . II parle de ses voyages en Turquic, en Arabic et en Palestine, sans
toutefois citer ses sources. Que ce soit
dans ses ecrits ou ses correspondances,
Martines na jamais fait etat de tels
voyages ; il semble done impossible d'accorder le moindre credit aux affirmations
fantaisistes de Reghellini.
Selon les dires de Martines. son pere etait
Franc-Ma^on et avail dirige une loge a
Aix en 1723. II aurait ete en possession
d'une patente stuartiste, datee du 20 mai
1738. charge qui etait transmissible a son
fils. Dans ses lettres, Martines de Pas
qually parle a mots couverts des maitres
qui lui ont transmis ses connaissances,
mais eest probablement de son pere qu'il
re^ut Iessentiel de sa formation mys
tique. Cependant. il dit parfois dans ses
textes : la Sagesse m a enseigne ,
comme pour montrer que son savoir provient aussi de sa propre experience spirituelle. Quoiquil en soit. Martines adapta
ses connaissances a son epoque et au
cadre quil avait choisi pour les diffuser,
a savoir, la Franc-Mavonnerie. L'etude de
ses ecrits, de ses instructions et de ses rituels montre qu'il connaissait parfaitement la Bible et particulierement
I Ancien Testament, qu il cite frequemment en renrichissant a l aide d elements
empruntes a la tradition talmudique.

La K a b b a l e
Bien quil soit errone d assimiler le Martinisme avec la tradition kabbalistique, la
doctrine de Martines de Pasqually possede une certaine affinite avec le fonds
general de la mystique juive. Cependant,
par ses rites, IOrdre fonde par Martines
de Pasqually se rapproche davantage des
kabbalistes chretiens de la Renaissance.
II disait tenir ses connaissances dun he
ritage esoterique dont sa famille etait en
possession depuis trois cents ans. Elle au
rait re^u cct heritage de 1 Inquisition.
Helas, nous ne savons rien a ce propos.
S'agit-il de documents renfermant des
connaissances et des pratiques dont Mar
tines sest fait le dispensateur, ou cct he
ritage lui venait-il dune societe
initiatique a laquelle sa famille appartenait ? Jean-Baptiste Willermoz disait que

Martines avait succede a son pere, lequel


vivait en Espagne. Cette remarque laisse
entendre qu il exista probablement un
petit groupe de pre-Cohen sous la di
rection de son pere. Martines de Pas
qually ne pretendait pas etrc le createur
de IOrdrc qu il dirigeait, mais se presentait comme etant Iun de ses sept Souverains. Quoiqu'il en soit, 1Ordre
constitue par Martines est veritablement
une creation. En elTet. lorsqu'on lit les diverses correspondances du maitre avec
ses disciples, on decouvre la genese dun
Ordre, qui meme au moment de la mort
de son fondateur, netait pas encore totalement operationnel.
Letude du Traite sur la reintegration des
etres, texte dans lequel Martines a resume
1'ensemble de sa doctrine, revele la pre
sence delements empruntes a la litterature
talmudique,
rabbinique
et
kabbalistique. Bien des details montrent
aussi la presence de themes propres au
christianisme primitif. On aurait done tort
de faire de Martines un kabbaliste, car sa
philosophic, tout comme sa theurgie. ne
sont pas specifiquement kabbalistes.
Martines de Pasqually se presente
comme catholique romain. Cependant.
ses enseignements sont plus proches du
christianisme primitif que des dogmes
enseignes par l Eglise. En effet. comme
le disait Robert Amadou. Martines pense
comme un chretien davant le premier
Concile. Pour lui, le Christ est un prophete qui s'est incarne a travers le temps
sous differents noms ; il a une conception
angelologique du Christ, position caracteristique du judeo-christianisme. Si les
divers mouvements judeo-chretiens qui
constituent la source du christianisme ont
etc marginalises apres les premiers
Conciles, il n'en reste pas moins vrai que
certains ont subsiste assez longtemps. II
est possible quune survivance judeochretienne ait persiste en Espagne et que
Martines soit lun de ses descendants.
Selon* les ecrits de Martines, la science
des Elus-Cohen trouve son orisine dans
les instructions que Seth, le troisieme fils
d'Adam. aurait revues d un ange. Cette
science enseigne la maniere de conduire
les rites propres a permettre a l homme
de se reconcilier avec Dieu. Pour Marti
nes, les descendants de Seth et d'Enoch
auraient perverti cette connaissance, au
point qu'en definitive, elle serait devenue
inutilisable. II pretend que Noe fut instruit sur cette science qui. de generation
en generation, se serait transmise
jusquaux Elus-Cohen.

l- J

Cachet de M a rtin is de Pasqually

' :

Dessin th iu rg iq u e des Elus-Cohen

Martines de Pasqually estimait que la


Franc-Ma<;onnerie de son epoque etait
apocryphe , eest-a-dire d une authenticite douteuse, et proposait de la ressourcer a partirde la doctrine dont il etait
le depositaire.
Les activites ma^onniques de Martines
debutent en 1754. dans le Sud de la
France, a Avignon, a Marseille et plus
particulierement a Montpellier, ou il au
rait fonde le chapitre des Souverains
Juges Ecossais. A la fin de 1annee 1760.

M a r t in e s d e P a s q u a l l y ,
F r a n c - M acon
Martines de Pasqually definit ainsi sa
mission : Je ne suis quun faible instru
ment dont Dieu veut bien, indigne que je
suis, se servir, pour rappeler les hommes
mes semblables a leur premier etat de
ma$on, afin de leur faire voir veritable
ment qu ils sont reellemcnt hommesDieux, etant crees a I image et a la
ressemblance de cet etre tout-puissant.

ACTUALITE DE L'HISTOIRE HORS S E R IE n38

Jean-Baptiste W illermoz

LE M A R T I N I S M E

sailles, Lyon, Grenoble, la Rochelle,


Strasbourg... L'abbe Fournie (17381825), disciple de la premiere heure,
nous renseigne sur la maniere dont Mar
tines recrutait ses disciples. Dieu m accorda la erace de rencontrer un homme
qui me dit familierement: Vous devriez
venir nous voir, nous sommes de braves
gens. Vous ouvrirez un livre. vous regarderez au premier feuillet, au centre et a la
fin ; lisant seulement quelques mots, et
vous saurez tout ce quil contient. Vous
voyez marcher toutes sortes de gens dans
la rue ; he bien ces gens la ne savent pas
pourquoi ils marchent, mais vous. vous le
saurez . Cet homme, dont le debut avec
moi semble extraordinaire, se nommait
Don Martinets de Pasqually. (P. Four
nie, Ce que nous avons ete, ce que nous
sommes et ce que nous deviendrons,
1801.)
Sceau des Elus-Cohen

U n r it e j u d e o - c h r e t ie n
il se presenta a la loge Saint Jean des Irois
loges reunies, situee a Test de Toulouse.
Martinos y exposa une sorte de plan
parfait de la Franc-Ma^onnerie et ses
projets pour etablir l'ancien et le nouveau
temple des Chevaliers Levites. des Cohenim-Leviym et des Elus Coens . Les
freres de Toulouse se rnontrent scepticjues
et demandent a Marlines de Pasqually de
prouver la realite des connaissances qu'il
pretend detenir. Pour satisfaire a leurs
exigences, il tente de demontrer lefficacite de ses pratiques theurgiques. Apres
deux essais infructueux, notre theurge fut
remercie et invite a quitter les lieux. car
les responsables de la loge toulousaine ne
voulurent pas pousser Vexperience plus
loin.
A Foix. Martines eut plus de chance, et
c'est dans la loge Josue. etablie dans le
regiment present dans cette ville. qu'il va
recruter ses premiers disciples, comme le
lieutenant-colonel de Grainville et le capitaine des grenadiers Champoleon.
C'est la tjuil fonde un chapitre. le Tem
ple des Elus-Cohen. Cependant. c'est a
Bordeaux que commence reellement
l'histoire de cet Ordre. A cette epoque. en
avril 1762. le regiment de Foix est en garnison au Chateau-Trompette de Bor
deaux. Martines sinstalle lui-meme dans
cette ville, et c'est done tout naturellement que le travail commence a Foix
setend a Bordeaux. C'est la qu'il etablit
son Tribunal Souverain , e'est-a-dire
le centre principal des activites de TOr
dre des Chevaliers Masons Elus-Cohen
de I'Univers. Un jeune officier de ce re
giment, le sous-lieutenant de grenadiers,
Louis-Claude de Saint-Martin, va bientot
s'interesser a cet Ordre mysterieux.
Les voyages de Martines a Paris lui permettent egalement de trouver d'autres
disciples, tels Bacon de la Chevalerie, le
comte de Lusignan. Bonnichon dit du
Guers, Henri de Loos et Jean-Baptiste
Willermoz, qui se trouve alors dans la capitale pour ses affaires personnel les.
LOrdre s'etend rapidement a Paris, Ver

LOrdre fonde par Marlines de Pasqually


est une societe initiatique mystique. II est
structure autour d'un systeme theosophique ties particulier, car la mystique de
Martines n'est pas une simple specula
tion ; elle conduit a une pratique. Cette
mise en oeuvre s'appuie sur une magie di
vine. une theurgie, qui se propose de
conduire 1'homme, par purifications successives, a entrer en communication avec
le monde des esprits. D'abord avec
l'ange personnel de I'initie, son compagnon fidele , puis avec les esprits des
mondes superieurs, pour finalement le
conduire a faire l'experience de ce quil
nomme mysterieusement la Chose ,
l'lnnommable.

LA DOCTRINE DE LA REINTEGRATION
Contrairement aux divers systemes de
hauls grades ma^onniques, qui manquent
souvent d'unite doctrinale, celui de Mar
tines se developpe autour d'une doctrine
precise, celle de la Reintegration. Elle est
exposee dans le Traite sur la reintegration
des etres dans leur premiere propriete,
vertu et puissance spirituelle divine, un
texte d'instruction qu'il reservait a ses

disciples les plus avances. Pres de cent


ans apres la mise en sommeil de 1'ordre
des Elus-Cohen, en 1899, cette instruc
tion secrete fut publiee sous la forme
d'un livre paru chez Paul Chacornac.
Plus recemment, en 1993, Diffusion Rosicrucienne en a publie une version plus
l iable d'apres l'exemplaire manuscrit de
Louis-Claude de Saint-Martin. Le Traite
de Martines est un midrach judeo-chre
tien, en ce sens quil commente la Bible
et lui apporte des developpements esoteriques.
On peut resumer ainsi le propos du
Traite : Avant les temps. Dieu emana de
Lui des etres libres. Certains d'entre eux
voulurent exercer eux-memes la puis
sance creatrice. Dieu les ecarta alors de
son Royaume, son Immensite divine ,
en les enfermant dans le monde de la
Creation, celui de la matiere, qu'il crea a
cet effet pour leur servir de prison. C'est
alors que Dieu emana 1'homme, un etre
dote d'un corps de lumiere, auquel il
confia la garde des esprits rebel les et la
mission de les amencr a leur resipiscence.
Cependant. le gcolier se laissa seduire pai*
ses prisonniers et chuta a son tour.
L'homme perdit alors son corps de lu
miere pour se trouver enveloppe piu- un
corps de chair. II garda cependant la
meme mission, mais se trouvait des lors
contraint de reintegrer sa position glorieuse avant de pouvoir 1'accomplir. Ne
disposant plus des memes pouvoirs, il fut
reduit a utiliser un culte exterieur, la
theurgie, pour obtenir l'aide des agents
intermediates . les anges restes fideles
a Dieu. C est ce culte particulier. necessitant de longues preparations, que pretendait
perpetuer
l'Ordre
des
Elus-Cohen.

L e s GRADES COHEN
Martines de Pasqually confiait ses enseignements a ses disciples au fur et a mesure de leur avancement dans les grades
composant la hierarchic de l'Ordre. Cette
hierarchic debute par les trois grades
bleus : Apprenti, Compagnon et Maitre, le plus souvent donnes en une seule

Dessin thurgique des Elus-Cohen, d'apr&s un m anuscrit d e la B.N.F.

FEVRIER - MARS

2010

DOSSIER
ceremonie. Suivcnt les degres de Maitre
Paifait Elu (ou Grand Elu sous la bande
noire), d'Apprenti Elu-Cohen (ou Fort
marque), de Compagnon Elu-Cohen (ou
Double fort marque), de Maitre EluCohen (ou Triple fort marque, ou encore
Maitre ecossais). Viennent ensuite ceux
de Grand Maitre Cohen (ou Grand architccte), de Grand Elu de Zorobabel, (ou
Chevalier d'Orient), et de Commandeur
d'Orient (ou Apprenti Reaux-Croix).
Enfin, la hierarchic de IOrdre est couronnee par un degre supreme, celui de
Reau-Croix (ou
R+).
*
L'Ordre des Elus-Cohen est dirige par un
college de direction, le Tribunal Souverain, compose de Reaux-Croix. Ses
membres portent le litre de Souverains
Juges et font suivre leur signature des lettres S J. Au X V IIIe, le I et le J
ecrits en majuscules ont le meme graphisme, et cette similitude a entraine
quelques historiens a confondre les S.J.
de Martines avec les S.I. du Baron Hund.
Le titre de S.I. n'a jamais fait partie de la
hierarchic Cohen.
Chaque initiation met en scene et fait
vivre aux membres de IOrdre les divers
episodes de la vie de I'homme. D'abord
en evoquant 1emanation du pere de 1'humanite, Adam, dans I'lmmensite divine,
puis sa naissance dans un corps de lumiere, un corps glorieux , et sa chute
dans le monde de la matiere. Ces cere
monies illustrent les purifications que
Ihomme doit suivre pour retrouver sa
gloire perdue et parvenir enfin a sa re
integration . a son retour dans le Divin.
L'ensemble de ces grades est cense rendre le disciple sensible aux influences
spirituelles de son guide interieur, son
bon compagnon , terme par lequel les
Elus-Cohen designent leur ange gardien.
Lorsqu'un initie reussissait a realiser
cette jonction , c'est-a-dire a s'unir
spirituellement avec son bon compa
gnon , il pouvait alors esperer soulever
le voile du monde celeste en utilisant la
theurgie. Seuls les membres ayant atteint
le grade de Reaux-Croix recevaient les
cles secretes permettant de faire de tel les
experiences.

les benedictions des esprits bons. I Is ont


aussi pour but d'execrer, de conjurer les
esprits mauvais, pour chasser leurs in
fluences mauvaises qui tendent sans
cesse a eloigner I'homme de sa mission.
Appeler les esprits bons, eloigner les
mauvais, necessitent de connaitre leurs
noms, leurs jours d'influence et les
heures propices pour les interpeller. Pour
ce faire, Martines confiait a ses emules
Reaux-Croix, un repertoire contenant les
noms, les hieroglyphes secrets de 2400
esprits, et des recommandations sur les
periodes favorables aux operations theurgiques. Le rituel preconise par Martines
est extremement complexe dans sa mise
en oeuvre ; il reclame un lieu specialement amenage. Sur le sol, on dessine le
tableau figuratif de l'operation. une etoile
a six branches et des cercles sur lesquels
l'adepte doit dessiner les hieroglyphes
des esprits qu'il desire evoquer. Sur ce
dessin, il place des bougies dont le nombre peut aller jusqu'a plusieurs dizaines.
Avant d'operer, le disciple doit prendre

Ces rites magiques sont relativement


proches de ceux pratiques par les kabbalistes chretiens et des procedures decrites
par Cornelius Agrippa. II faut souligner
qu'ils ont un caractere mystique et religieux. En effet, a la lecture de ces rituels,
on est surpris par I'importance qu'y occupent les prosternations, les prieres.
souvent extraites des Psaumes. La theur
gie de Martines ne cherche pas a diriger
des forces sur quelqu'un ou a obtenir des
avantages. Ce n'est pas une magie pra
tique orientee vers les petits soucis du
quotidien ; c'est une sainte magie dont
l'objet est 1'union mystique. Tout, dans la
theurgie Cohen, conduit a cette rencontre
entre le visible et 1'invisible. Dans cette
pratique, 1'Invisible, la Chose, se manifeste physiquement, soit par un son, soit
par une voix lente que les Cohen nomment la conversation secrete entre

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Les Reaux-Croix pratiquent la theurgie
(du grec theos, Dieu. et ergon, ouvrage).
Litteralement. la theurgie est done 1ouvrage de Dieu . Au IIle siecle, Jamblique l'a introduite dans la philosophic,
comme auxiliaire a la sagesse purement
speculative dont se contentaient ses predeccsscurs. II la considerait comme une
magic superieure, visant non pas a obtenir des bienfaits materiels, mais a reali
ser progressivement lunion mystique
avec la Divinite. La theurgie de Martines
a les memes objectifs : elle a pour but de
mettre I'homme en relation avec le Divin
en utilisant des intermediates devenus
necessaires depuis la chute de I'homme,
les anges . ou plutot. en termes martinistes, aux esprits celestes et surcelestes.
Ces rites visent essentiellement a obtenir

soin de se livrer aux jeunes et aux purifi


cations necessaires a I'accomplissement
du culte magique.

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Table de hieroglyphes angeliques des Elus Cohen

LE M A R T I N I S M E

I ame et 1*intellect . Le plus souvent, les


esprits expriment leur presence par un
hieroglyphe lumineux. Les Elus-Cohen
appelaient ces diverses manifestations
des passes .
Les instructions secretes, les rituels
Cohen et les correspondances entre Mar
tines et ses disciples montrent la difficulte de tel les operations. A leur lecture,
on peut se demander combien purent rassembler les conditions preconisees par le
Souverain Grand Maitre des Elus-Cohen.
conditions qu'il serait impossible de reunir a lepoque actuelle. On peut aussi se
demander si ces travaux netaient pas
uniquement une preparation exterieure
destinee a conduire le disciple vers une
communion plus interieure avec le Divin.
En effet, pour Martines, le lieu privilegie
de la rencontre avec le Divin reste le ca^ur
de 1*homme, car cest dans ce tabernacle
quil peut recevoir les plus grandes satis
factions, ainsi que les plus grandes fa
vours que le Createur lui envoie.

II faut souligner que les disciples de Mar


tines de Pasqually se devaient detre des
catholiques pratiquants, et plusieurs protestants se convertiront au catholicisme
pour se conformer a cette regie. D'ailleurs, lors de son initiation au degre apprenti. le Cohen devait prendre plusieurs
engagements : le premier etait de garder
secrets les mysteres de l'Ordre. et le se
cond detre fidele a la sainte religion catholique apostolique et romaine. Avant de
pratiquer les rites theurgiques, les disci
ples devaient assister a une messe. Ils se
preparaient au moyen de la priere, notamment en pratiquant la Priere des six
heures, un exercice auquel ils devaient se
livrer toutes les six heures (six heures du
matin, midi, dix-huit heures et minuit).
Ces prieres, en partie composees par
Martines, comprenaient des lectures des
Psaumes, des invocations du saint nom
de Jesus , le Pater, I'Ave Maria, ainsi
que des suppliques adressees a I'ange
gardien. A chaque nouvelle Lune, voire
tous les jours suivants, ils devaient egalement reciter les sept Psaumes de Peni
tences. LOffice du Saint Esprit devait
etre recite chaque jeudi. tout comme le
Misere, qui devait etre dit debout face a
1'Orient, et le De Profundis, face contre
terre. Plus le disciple avan^ait dans la hie
rarchic, plus les obligations, prieres,
jeunes, abstinences augmentaient.
La vie d'un Cohen n'avait rien a envier a
celle d un moine. L'abbe Pierre Fournie
rapporteque les instructions journalieres
de Martines etaient de nous porter sans
cesse vers Dieu. de croitre de vertus en
vertus, et de travailler pour le bien gene
ral ; elles ressemblaient exactement a
celles qui apparaissent dans 1'evangile
que Jesus-Christ donnait a ceux qui marchaicnt a sa suite . Duroy d'Hauterive
precise le travail d'un Cohen en ces
termes : La rejection continuelle de la
pensee mauvaise, la priere et les bonnes
oeuvres : voila les seul moyens d'avancer

OM l

L a p r ie r e

Karl G o tth elf von Hund, createur de la Stricte Observance Tem plitre

dans la decouverte de toutes les verites, et


ce qui est encore au-dessus, la pratique
de toutes les vertus . L'cxisence de tel les
pratiques rebutera de nombreux disciples
venus chercher le merveilleux et peu enclins a suivre des regies aussi contraignantes.

L ' e n t r e e e n s o m m e il
A son arrivee a Bordeaux, meme s il vit
modestement. Martines de Pasqually ne
semble pas manquer d'argent. Cepen
dant, sa situation se degrade rapidement,
et en 1769, il a 1200 livres de dettcs. Or.
a cette epoque, nombre de Bordelais
s'enrichissaient grace au negoce du sucre
avec les Antilles. Les beaux-freres de
Martines de Pasqually setaient dailleurs
installes la-bas, tout comme nombre d'officiers du regiment *de Foix. II semble que
le fondateur des Elus Cohen avait luimeme des interets a Saint-Domingue, et
c'est la raison pour laquelle il s'y rendit
en 1772. II esperait y recouvrir la succes
sion d'un parent decode la-bas et pensait
mottre ainsi un terme a ses difficultes financieres.
Son sejour se prolongea. et en definitive,
le maitre ne centra jamais de voyage, car
il mourut a Saint-Domingue, le 24 septombre 1774. Quolquo temps avant sa
mort, il avait nomine Armand-Robert
Caignet de Lestere, 1'un de ses disciples
d'Haiti, pour diriger l'Ordre des ElusCohen. Mais ce dernier mourut lui-meme
en decembre 1779. Son successcur,
Sebastien de Las Casas, rentra en France

en novembre 1780 et mit officiellement


en sommeil un Ordre qui, depuis la mort
de son fondateur, seteignait de luimeme. En fait. Martines de Pasqually
navait pas consigne par ecrit le rituel
d'initiation au degre supreme de l'Ordre,
celui des Reaux-Croix. Par consequent,
ses disciples etaient dans 1 impossibility
d'assurer la perennite de lOrdre. Par ailleurs, beaucoup de ses membres setaient
eloignes de pratiques theurgiques trop
complexes pour adopter le mesmerisme
ou le somnambulisme, decouvert par le
marquis de Puyseguren 1784. Sans doute
jugeaient-ils ces moyens plus simples
pour entrer en contact avec 1autre
monde.

L e s d is c ip l e*s

L'Ordre des Elus-Cohen ne comporta ja


mais beaucoup de membres. II compta
cependant quelques femmes, chose rare
pour un rite ma^onnique a l'epoque.
Louis-Claude de Saint-Martin (17431803) fut initie dans cet Ordre en 1765.
Officier au regiment de Foix. il quitta
1'armee en 1771 pour devenir le secre
taire personnel de Martines de Pasqually.
Le chef des Elus-Cohen reconnaissait en
effet dans ce jeune homme brillant un
disciple prometteur. capable de 1'assister
dans ses projcts. Grace a son aide, Mar
tines de Pasqually reussit a ameliorer
1'organisation de l'Ordre. En 1772, SaintMartin fut initie au plus haut grade des
Elus-Cohen, celui de Reaux-Croix.
Jcan-Baptiste Willermoz (1730-1824),

FEVRIER - MARS

2010

L H O M M E

DOSSIER

D E

D E S I n.

Par IAuteur <Jc Eucurs & tic b V iriii.

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Des erreurs et de la v6rit&, d e LouisClaude d e Saint-M artin - 1 7 7 5

negociant en soieries a Lyon, fut egalement un membre eminent de I'Ordre. Initie dans la Franc-Ma^onnerie en 1750.
aloi*s qu'il n'avait que vingt ans, il occupa
rapidement une place importante dans la
Ma^onnerie lyonnaise. II entra chez les
Elus-Cohen et devint un disciple zele. Seduit par les enseignements de Martines
de Pasqually, il fut cependant degu par les
capacites d'organisateur de ce dernier. En
efifet, IOrdre des Elus-Cohen restait en
core en pleine gestation, et son fondateur
n'en finissait pas d'ecrire les rituels et les
instructions destines au fonctionnement
des loges.

L e s C h e v a l ie r s B ie n f a is a n t s
d e l a C it e S a in t e
Apres la disparition de Martines de Pas
qually. les deux disciples que nous venons
d'evoquer tentent. chacun a leur manicre,
de poursuivre le travail de leur maltre. Le
premier, Jean-Baptiste Willermoz. integre
la doctrine de la Reintegration dans le rite
maQonnique de la Stricte Observance

5
6

Templiere allemande du baron Carl Gotthelf von Hund (1722-1776), Ordre avec
lequel il etait en relation depuis quelques
annees. En 1778, loi^s d'un Convent, cet
Ordre se reorganise en adoptant cette doc
trine et devient celui des Chevaliers Bien
faisants de la Cite Sainte. Jean-Baptiste
Willermoz redige pour les degres superieurs de cet Ordre, ceux de Profes et de
Grand Profes, des instructions qui presen
ted, sans la nommer directement, la doc
trine de Martines. Cependant, Willermoz
ne transmet pas les enseignements theurgiques de Martines aux Chevaliers Bien
faisants de la Cite Sainte. Lors du Convent
de Wilhemsbad, en 1782, la reforme initiee par Willermoz est adoptee : cest la
naissance du Rite Ecossais Rectifie.
La floraison de ce rite sera entravee par la
Revolution franchise. Avant meme la dis
parition de Jean-Baptiste Willermoz, qui
meurt en 1824. il entrera en sommeil en
France. II survivra en Suisse, notamment
a Geneve, dans les milieux protestants
qui seront seduits par la symbolique
chretienne attachee a ce rite. Ce n'est
qu'apres la Premiere Guerre mondiale,
mace a Edouard de Ribaucourt et a Cami lie Savoire, qu'il renaitra en France.

L a v o ie in t e r ie u r e
La pensee de Martines de Pasqually trouva
egalement des developpements hors de la
Franc-Magonnerie, grace a Louis-Claude
de Saint-Martin. Quelques annees apres la
mort de Martines de Pasqually, ce dernier
abandonna la theurgie, la voie externe, au
profit d'une demarche plus interieure. En
effet, apres des annees de pratique, il jugeait la theurgie dangereuse, et peu sure
pour cheminer vers le Divin. Pour lui. le
creuset de 1'evolution spirituelle, c'est le
coeur de lhomme, et il n'est pas necessaire d'utiliser une quelconque magie ou
de faire appel aux anges. On appelle la
voie preconisee par Saint-Martin une
voie cardiaque , par opposition a la voie
theurgique. C est a la suite de sa decouverte des oeuvres de Jacob Boehme, que

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L'Homme de dsir, de Louis-Claude de


Saint-M artin - 1 7 9 0

Saint-Martin se convertit a la voie inte


rieure. Cependant, les enseignements de
Pasqually eurent sur lui une influence profonde, et Saint-Martin conserva toute sa
vie un grand respect pour celui qu'il appelait son premier instructeur . Les livres qu'il ecrivit sous le nom de
Philosophe Inconnu. depuis Des Erreurs
et de Verite en 1775, Le Tableau Naturel
en 1782, LHomme de desir en 1790 ou Le
Nouvel Homme en 1792... jusqu'a son
dernier livre, Le Ministere de I'HommeEsprit, public en 1802. sont tous marques
de la doctrine de Martines de Pasqually.
La Tradition martiniste veut que LouisClaude de Saint-Martin ait transmis une
initiation a quelques disciples choisis, et
que celle-ci se soit perpetuee au corns du
X IX e siecle. A la fin du X IX e siecle,
deux homines se presenterent comme
etant depositaires de cette initiation : Ge
rard Encausse el Augustin Chaboseau. En
1889, ces deux heritiers unirent leurs ef
forts pour fonder I'Ordre Martiniste des
tine a perpetuer cet heritage esoterique et
mystique.

Christian Rebisse

UNUS

M ausotee du 3e grade des Chevaliers Bien


fa isa n ts de la Cit6 Sainte

ACTUALITE DE L'HISTOIRE HORS S E R IE n38

taUbsa
9& K V

r. y o n .

H-

Dessin p o u r le grade d'apprenti des Cheva


liers Bienfaisants de la Cit6 Sainte

jMImmh fW.

tnrhm , A u /mt y>< in

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Sym boles accom pagnant la signature de


M a rtin is de Pasqually

LE M A R T I N I S M E

la fin du XIX siecle, deux etudiants en medecine, Gerard Encausse (1865-1916) et Augustin
Chaboseau (1868-1946) frequentent les
services du docteur Luys a I'hopital de la
Charite. Au cours d'une discussion, ils
decouvrent qu*ils sont tous les deux depositaires d'une initiation remontant aux
disciples de Louis-Claude de Saint-Mar
tin. mais chacun deux est relie au Philo
sophe Inconnu par une filiation
differente : celle de Papus vient d*Henri
Delaage, tandis que celle d'Augustin
Chaboseau passe par Amelie de BoisseMortemart.

Pa p u s
Papus presente Henri Delaage (18251882) comme ayant ete initie par le chimiste Jean-Antoine Chaptal (1756-1832),
son grand-pere. dont il fait un disciple de
Saint-Martin. On ignore si le celebre chimiste, qui fut membre du Conseil d'Etat
et ministre du Consulat et de 1'Empire,
fut reellement en relation avec LouisClaude de Saint-Martin. On sait cependant qu'il avail etc initie dans la
Franc-ma^onnerie vers 1789 a la loge La
Parfaite Union de Montpellier. Notons
qu'Henri Delaage n'a jamais pretendu
avoir ete initie par son grand-pere. Au

moment de la mort de ce dernier, il


n'avait d'ailleurs que sept ans. La tradi
tion veut qu'entre lui et Jean-Antoine
Chaptal. il ait existe un initiateur dont le
nom ne nous est pas parvenu. II est pro
bable que celui-ci ne soit autre que son
propre pere, Clement Marie-Joseph De
laage (1785-1861).
Comme le montre la correspondance
qu'il echangea en mars 1811 avec
Charles Geille, Clement Marie-Joseph
connaissait asscz bien la pensee de
Louis-Claude de Saint-Martin pour donner a son interlocuteur des conseils de
lecture sur les ouvrages du Philosophe
Inconnu. Charles Geille semble avoir etc
lui-meme ties au fait de pratiques theurgiques voisines de celles qu'enseignait
Martines de Pasqually. A la lecture de
leurs lettres, Paul Vulliaud precisait :
nous devons bien convenir, en elTet, que
la tradition martiniste se perpetue par ini
tiation livresque et individuelle (Histoire et port m ils de Rose-Croix, 1987).

H en ri D ela a g e
Henri Delaage est Kune des figures les
plus curieuses de son epoque. Homme de
bien, il etait connu du tout Paris, et Eliphas Levi voyait en lui un thaumaturge.
Ardent defenseur du magnetisme, il

Papus - photo de Roger Viollet

our

L'Ordre Martiniste a la
Belle-Epoque (1889 a 1918)

A u tel d'une loge m artiniste, selon le rituel


d e Teder, en 1911

considcrait cette science nouvelle comme


un moyen de ramener les homines de son
siecle a la foi. Son premier livre, intitule
Initiation aux mysteres du magnetisme
(1847), sera consacre en grande partie a
ce theme. En 1852, alors qu'il est initie a
la Franc-Magonnerie depuis peu, il
evoque la symbolique des disciples d'Hiram dans Doctrines des societes secretes.
Le F.-. Leblanc de Marconnay lui reproche alors d'avoir expose aux yeux
des profanes les mysteres des divers
grades maconniques . Appele a la barre
du Grand Orient de France pour s'expliquer, il sera exclu des loges pour un an.
Cet episode lui servit-il de lecon ? Quoi
qu'il en soit, Papus precise que : De
laage poussa le respect du secret jusqua
ne pas parler de 1'origine de son initiation
dans ses livres, et c'est a ses intimes qu'il
se plaisait a parler a coeur ouvert du Mar
tinisme . Dans une lettre du 19 janvier
1899 adressee a Papus, Camille Flammarion rapporte qu'il voyait frequemment
Henri Delaage et precise : Je me souviens qu'il m a souvent parle de son
grand-pere, le ministre Chaptal, et de
Saint-Martin (le Philosophe Inconnu).
que son grand-pere connaissait particulierement. II setait occupe aussi luimeme, avec Matter, de la doctrine du
Martinisme. sur laquelle ce dernier au
teur a publie un ouvrage a la librairie academique Didier. oil je Pai aussi
quelquefois rencontre. (Matter, SaintMartin, le Philosophe Inconnu. 1862.)
Papus rapporte que quelques mois

FEVRIER - MARS

2010

11

DOSSIER

Augustin Chaboseau, Grand M a itre de


I'O.M.T. de 1939 61946

avant sa mort, Delaage voulut donner a


un autre la graine qui lui avait ete confiee
et dont il ne pouvait tirer aucun fruit :
pauvre depot, constitue par deux lettres
et quelques points, resume de cette doc
trine de I'initiation et de la trinite qui
avait illumine tous les ouvrages de Delaage. Mais 1'Invisible etait la, et cest
lui-meme qui se chargea de rattacher les
ouvrages a leur reelle origine et de permettre a Delaage de confier sa graine a
une terre oil elle pouvait se developper .
Papus. qui n'etait encore que Gerard Encausse, n'avait alors que dix-sept ans.

A u g u s t in C h a b o s e a u
La filiation d Augustin Chaboseau passe
par un autre chemin. En 1886, alors qu il
est etudiant a Paris, ses parents, inquiets
de le laisser seul, lui recommandent d'aller rendre visite a une de leurs parentes,
la marquise Amelie de Boisse-Mortemart. Des leur rencontre, une grande
complicite s'installe entre Amelie et le
jeune Augustin. D'abord sur le plan litteraire, et ensuite sur la spiritualite. Augus
tin Chaboseau precise : Elle etait
mystique, ultra mystique. Nulle science
occulte n'avait de secret pour elle. II est
vrai qu'a cet egard elle avait ete stylee
par Adolphe Desbarolles. Ce qui la passionnait plus que tout, c'etait le Martinisme. Et il ajoute : Elle me preta les
livres d'Elm c Caro, de Jacques Matter,
d Adolphe Franck. Ensuite ceux de
Saint-Martin lui mcme. Apres quoi, elle
n'hesita pas a m initier, comme elle avait
ete initiee par Adolphe Desbarolles, dis
ciple direct d Henri de Latouche .

L a T r a d it io n o c c id e n t a l e
II est interessant de noterqu'en definitive

12

ACTUALITE DE L'HISTOIRE HORS S E R IE n38

mo

les filiations de Papus et Augustin Cha


boseau se rejoignent, etant donne
quAdolphe Desbarolles et Henri De
laage se connaissaient parfaitement. En
effet, non seulement ils publiaient chez le
mcme editcur, mais tous deux frequentaient le cercle du baron de Guldenstubbe, avec Jacques Matter et le comte
d'Ourches, ou ils participaient a des
seances d'ecriture automatique.
En 1888, Papus et Augustin Chaboseau
decident de transmcttre Iinitiation dont
ils sont depositaires. Ils creent pour cela
un mouvement initiatique : l'Ordre Martiniste. Grace au dynamisme de Papus,
cette organisation connaTt un grand
rayonnement, et bien quelle soit encore
relativement informelle, le nombre d'inities augmente rapidement. Papus n'a pas
encore termine ses etudes et s'apprete a
faire son service
militaire. Pourtant, il a
A
deja fonde l'Ecole Hermetique, organise
lOrdre Martiniste, cree les revues L'Ini
tiation et Le Voile d 'Isis, et ecrit Le Traite
elemental re de sciences occultes (a 23
ans) et Le Tarot des bohemiens (a 24 ans).
Ce n'est que le 7 juillet 1892 quil defendra avec succes sa these de docteur en
medecine.
Les activites de Papus le conduisent a
seloigner de la Societe Theosophique,
dont il desapprouve la conception trop
orientaliste de l'esoterisme. Cette posi
tion, pronant la superiority absolue de la
Tradition orientale, le scandalisait, et
c'est pour cette raison quil jugea utile de
creer un mouvement propre a remettre en
valeur l'esoterisme occidental. En effet.
selon Papus et Stanislas de Guaita, cer
tains occultistes essayaient alors de
deplacer l'axe de gravitation de I'esoterisme hors de Paris, sa terre d'election ;
Aussi fut-il decide en Haut Lieu [precise
mysterieusement Papus], qu'un mouve
ment de diffusion devait etre entrepris.
afin de selectionner de veritables inities,
capables d'adapter la Tradition occiden
tale au siecle qui allait s'ouvrir .
Le haut lieu auquel se refere Papus
semble etre VH. B. of L . (Hermetic Brotherwood of Luxor, c'est-a-dire la Fiaternite Hermetique de Luxor. Cet Ordre
mysterieux avait etc fonde vers 1870 par
Louis-Maximilien
Bimstein
(18471927), dit Max Theon ou Aia Aziz, un
personnage singulier. II se faisait un de
voir de restaurer l'esoterisme occidental
en lui donnant un aspect scientifique. II
voulait ainsi stopper Vexpansion de la
Societe Theosophique. qu'il accusait de
vouloir vicier I'esprit de I'Occident et
l'entrainer sous la domination de la pensee orientale . Son but etait de remettre
en activite un Ordre enracine dans l'esoterisme chretien pour preserver la perennite de la Tradition occidentale.
En 1870.177. B. of L. etait dirigee depuis
lAngleterre par Peter Davidson, que
Papus considerait comme son maitre en
la pratique . En France, c'est F.-Charles
Barlet (Albert Faucheux, 1838-1921), qui
dirigeait l'Ordre. II faut noterque la plupart des membres fondateurs de l'Ordre

Certificat d'initiation d I'Gpoque de Papus

Martiniste, comme Papus lui-meme et F.Ch. Barlet. etaient des membres de YH.
B. o f L Pendant quelque temps, ce mou
vement constitua d'ailleurs une sorte de
cercle interieur dans l'Ordre Martiniste,
cercle qui sera bientot remplace par VOr
dre Kabbalistique de la Rose-Croix.

L 'O r d r e M a r t in is t e
En 1890, Papus demissionne de la Socicte Theosophique, et des ce moment, le
Martinisme sorganise d une maniere
plus precise. Papus et Augustin Chabo
seau rassemblcnt quelques amis comme
Stanislas de Guaita. Lucien Chamuel, F.Ch. Barlet, Maurice Banes, Josephin Peladan, Victor-Emile Michelet et quelques
autres. Les initiations se font plus nombreuses, et 1'annee suivante, en juillet
1891, lOrdre Martiniste se dote d'un Su
preme Conseil compose de vingt-et-un
membres. On procede a une election pour
designer un Grand Maitre, et c'est Papus
qui est elu a cette charge. II refuse
d'abord cette fonction. pensant qu'elle
revient a Augustin Chaboseau. mais ce
dernier estime que Papus est plus a meme
que lui de diriger l'Ordre. Finalement, ce
dernier accepte, el l'Ordre prend rapide
ment un essor considerable. LInitiation,
revue mensuelle, devient son organe

Stanislas de Guaita

LE M A R T I N I S M E

U n A * . D1X rR A M C S

H r . * * p h tl< n G fh ;y u t t n J r f x n J j n J e J * * M

L i* A *

I t p u u l U m c , T t ic o *p t iU r
P r a n r > > a ^ r > a n c r lr , ftrleacci O c c u l l e a

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O C T O B R E 1888
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L 'O r d r e K a b b a lis tiq u e


de l a R+C
Le Groupe Independant d 'Etudes Esoteriques, cercle exterieurde IOrdre Marti
niste, est complete par un cercle
interieur : I'Ordre Kabbalistique de la
Rose+Croi.x. Le 5 juillet 1892 est conclu
un traite d'alliance entre cet Ordre et le
Martinisme. Rappelons que 1'Ordre Kab
balistique de la Rose+Croi.x a etc renove
en 1889 par Stanislas de Guaita et Josephin Peladan. Pour Stanislas de Guaita,
le Martinisme et la Rose-Croix consti
tuent deux forces complementaires. dans
toute la portee scientifique du terme . II
devient alors strictement reserve aux
Martinistes titulaires du grade S.I. et
permet de parfaire leur formation. 11 se
divisait en trois degres d'etudes sanctionnes par les diplomes de : Bachelier
en kabbale, Licencie en kabbale, et Docteur en kabbale.

Revue L'lnitiation, n 1, de 1888

L 'E g l is e g n o s t iq u e
official, et des loges sont creees un peu
partout en France. Paris en compte bienlot quatre : Le Sphinx, dirigee par Papus,
ou se font les etudes generates ; Hermanubis, dirigee par Sedir, ou Fon etudie la
mystique et la tradition orientales ; Velleda. dirigee par Victor-Emile Michelet,
qui se consacre a Fetude du symbolisme :
Sphinge, reservee aux adaptations artistiques.
Le Martinisme se devcloppe aussi dans
de nombreux pays comme la Belgique,
FAllemagne, FAngleterre, I*Espagne,
Tltalie, IEgypte, la Russie, laTunisie, les
Etats-Unis d'Amerique, VArgentine, le
Guatemala et la Colombie. Le nombre
des loges depasse la centaine en 1898.

L a F a c u l t e d es
S c ie n c e s H e r m e t iq u e s
Papus veut renover Fesoterisme occiden
tal : Puisqu'il existe des facultes ou Ton
peut apprcndre les sciences materialistcs,
pourquoi n'y en aurait-il pas une ou Ton
pourrait apprendre les sciences esoteriques ! . C'est a cet effet qu il cree
VEcole Superieure Libre des Sciences
HermetiqueSy un groupe donnant des
cours et des conferences sur Fesoterisme
occidental. Ce ccrcle exterieurde IOrdre
Martiniste deviendra plus tard le Groupe
A
A
Independant d Etudes Esotenques, puis
I'Ecole Hermetique et la Faculte des
Sciences Hermetiques. Les cours y sont
nombreux. el les sujets etudies vont de la
kabbale a l'alchimie et au tarot. en pas
sant par Fhistoire de la philosophic her
metique, soit environ une douzaine de
cours par mois. Les professeurs les plus
assidus sont Papus. Sedir, Victor-Emile
Michelet, F.-Ch. Barlet, Augustin Chaboseau, Sisera... Line section particuliere
etudie les sciences orientales sous la di
rection d Aueustin
Chaboseau. Une
wautre, presidee par Francois Jollivet-Castelot, se consacre a l'alchimie : cest la
Societe AIchimique de France.

Les Martinistes nhesitent pas a s'allier a


d'autres societes initiatiques. Ainsi. en
1908, Papus organise un grand Convent
spiritualiste international a Paris, mani
festation qui ne reunit pas moins d une
trentaine d'organisations. Helas, dans ses
nombreuses alliances, Papus se laisse
parfois deborder par la fougue de ses col
laborate urs. Ainsi en fut-il avec 1'EgUse
Gnostique. On pretend sou vent que cette
derniere. fondee par Jules Doisnel vers
1889 a la suite d'une experience spirite,
devint l Eglise officielle des Marti
nistes. En fait, il n'en est rien. et 1'im
portance de cette alliance a etc grossie
par certains successeurs de Papus. Si
I'Ordre Martiniste se lia avec plusieurs
organisations comme Les Illumines, Les
Babistes, ou Memphis Misraun, il n'en
garda pas moins son independance.
En 1897, sans doute pour remplacer 1'Or
dre Kabbalistique de la Rose-Croix tombe
en sommeil a la suite du deces de Stanis
las de Guaita, Papus, Marc Haven et Sedir
fonderent la mysterieuse Fraternitas The
sauri Lucis (F.T.L.), qui ne connaitra
qu'une existence ephemere. A cette
epoque, il est courant dappartenir a plu
sieurs organisations initiatiques en meme
temps. Beaucoup en abuserent, et certains
Martinistes furent contamines par cette
maladie qui guette les pseudo-inities : la
cordonite , cest-a-dire 1'amour des de
corations et des grades en tout genre. Pour
ceux qui frequentaient le rite de MemphisMisra'fm, les quelques grades martinistes
faisaient pale figure a cote des quatrevingt dix-sept degres de ce rite. Certains
Martinistes, aveugles par les titres mirobolants des grades de Memphis-MisraTm
(43 : Chevalier supreme commandeur
des astres ; 68 : Grand architecte de la
cite mysterieuse etc.), ne prirent meme
plus le temps d'etudier leur propre tradi
tion. Beaucoup se noyerent dans line sorte
de syncretisme initiatique, oubliant le but
et les fondements de I'initiation pour se
perdre dans les apparences.

L es p r e m ie r e s d if f ic u l t y
Papus avait parfaitement reussi a donner
au Martinisme une structure internationale. Cependant. il n'etait guere parvenu
a le relier au systeme philosophique qui
en constituait la source, celui elabore par
Louis-Claude de Saint-Martin. selon la
doctrine de Martines de Pasqually. La
cause de cet echec reposait sans doute sur
1'heritage trop fragmentaire qui lui avait
ete legue et qu'il qualifiait lui-meme de
pauvre depot, constitue par deux lettres
et quelques points . A la lecture des ouvrages de Papus, en particulier celui inti
tule Louis-Claude de Saint-Martin, sa
vie, sa voie theurgique, son a-uvre, ses
disciples (Chamuel, 1901), on sent qu'il
ne possede pas toutes les cles de la doc
trine martiniste. II la confond souvent
avec Foccultisme et la kabbale. En 1901,
le responsable de I'Ordre pour les EtatsUnis, le docteur Edouard Blitz, envoie a
Papus un Memoire confidentiel qui souligne avec raison les confusions de Papus.
Ce dernier napprecie guere, et les deux
homines se brouillent. Lenthousiasme
des premiers collaborateurs de IOrdre
sestompe. Des 1907, Victor-Emile M i
chelet prend une demi-retraite, et Sedir,
Fun des meilleurs collaborateurs de
Papus, se retire en 1910. Beaucoup de
ceux qui s interessent au magnetisme rejoignent YEcole de magnetisme fondee
par Henri Durville, un ami de Papus. Phi
lippe de Lyon lui-meme prend la direc
tion de la filiale lyonnaise de cette ecole.
Quant a Augustin Chaboseau. apres avoir
assure la fonction de redacteur en chef de
la revue Le Voile d'Isis et celle de secre
taire de redaction de Fsyche, il avait pris

Victor-Em ile M ichelet, Grand M a itre de


I'O.M.T. de 1931 a 1938

FEVRIER - MARS

2010

13

DOSSIER

LE VOILE DISIS

-p

G .

A
< *

Sym bole utilise p a r ie s M artin istes (A la Gloire d e leschouah, Grand A rchitecte de I'Univers)

Revue Le Voile d 'lsis, de ja n v ie r 1891

ses distances avec IOrdre depuis plu


sieurs annees. Homme de terrain, le tra
vail speculatif dans les loges ne le
passionnait guere ; il preferait Taction a
I'etude speculative. Toute connaissance.
disait-il est inutile, vaine et egoiste, qui
ne peut profiler immediatement au bien
des autres . Aussi, a partir de 1893, il
avail cesse de participer aux reunions de
loges pour repandre des idees emancipatrices par la plume et la parole. II avait demande a etre mis en conge du Supreme
Conseil de IOrdre Martiniste pour se
lancer dans Taction. Papus. par respect,
lui avait toujours garde sa place, et son
poste ne fut jamais occupe par un autre
membre. Passionne par Teducation, Au
gustin Chaboseau donna beaucoup de
son temps a la Ligue pour TEnseignement de son ami Jean Mace. Ayant laisse
la medecine pour la litterature et le journalisme, il ecrivit nombre d'articles dans
des journaux comme La Famille, I'Aurore, I'Action, Le Courrierdu Soir, le Fi
garo, le M atin, le Farisien, La Petite
Republique.
La collaboration d'Augustin Chaboseau
a La Petite Republique eut une influence
importante sur sa vie. C est la qu'il fit la
connaissance de Benoit Malon, de Fourniere et de tous les leaders du mouvement
socialiste de 1'epoque. En 191 1, il devint
le secretaire du depute Pierre Goujon.

Contrairement a Papus qui ne reussil ja


mais a se faire admettre dans la FrancMagonnerie
frangaise,
devant
se
contenter d'adherer au Swedenborgian
Rite of Primitive et O riginal Freemansonry, de John Yarker. Augustin Chabo
seau eut une vie magonnique assez
remplie. Initie a la loge VAction Socia
liste du Grand Orient de France en mai
1907. il frequenta ensuite la loge du
Foyer Magonnique. A partir de 1919. il
delaissa cette loge pour frequenter 1'obedience du Droit humain.
Depuis 1889, Papus avait rcussi a maintenir YInitiation, une revue mensuelle.
mais au milieu de Tannee 1912, des difficultes se font jour. Les revues de juillet
el aout ne sonl publiees qu'en septembre
dans un numero triple. Ce numero
marque la fin dune revue qui aura mar
que I'histoire du Martinisme. Papus semble conscient des faiblesses de son
entreprise. D'ailleurs, sa rencontre avec
le guerisseur et mystique Philippe de
Lyon Tavait conduit a prendre ses dis
tances avec Toccultisme. Desormais, il
s'interessait davantage a la mystique. En
compagnie de Philippe de Lyon, il se rendit plusieurs fois en Russie a partir de
1901, et les deux hommes entrerent dans
I'intimite de la famille duTsar. II est pos
sible que la resurgence en France des
Chevaliers Bienfaisants de la Cite Sainte
(R.E.R), rite magonnique-martiniste
fonde jadis par Jean-Baptiste Willermoz
puis reveille par Edouard de Ribaucourt
et Camille Savoire en 1910, ne soit pas
etrangere a la remise en question de TOr
dre Martiniste.

La m o r t de Pa p u s
Avec la Premiere Guerre mondiale.

I'Ordre Martiniste tombe progressivement en sommeil. Chacun s'engage pour


defendre sa patrie, et Papus, qui considere le devoir envers son pays comme
sacre, se porte volontaire pour le front. II
est medecin-chef, avec le grade de capitaine. Augustin Chaboseau, reforme pour
raison de sante. prend contact avec son
vieil ami Aristide Briand. qui est devenu
Ministre de la Justice. Ce dernier 1'engage comme secretaire particulier, place
qu'il occupera jusquen 1917.
Comme medecin militaire, Papus
s'epuise a la tache. Devenu diabetique, il
contracte aussi la tuberculose et meurt le
25 octobre 1916. Avec la guerre, les
membres du Supreme Conseil de I'Ordre
Martinisle sont disperses, et on ne peut
pas proceder a 1'election d'un nouveau
Grand Maitre. Augustin Chaboseau indiquera d'ailleurs que contrairement a ce
qui est affirme parfois, Charles Detre, dit
Teder (1855-1918), ne fut pas elu a cette
fonction par le Supreme Conseil.
Quelques annees plus tard. un Martiniste
de la premiere heure. Jollivet Castelot.
dira : Avec Papus. le Martinisme est
mort ( Essai de Synthese des Sciences
Occultes, 1928). Plusieurs disciples tenteront pourtant de prendre la direction de
I'Ordre. et il se crea alors plusieurs
groupes revendiquant chacun Theritage
de Papus. Beaucoup de Martinistes prefereront ne pas sassocier a de tels projets et choisiront de rester independants.
Les choses changeront en 1931. lorsque
les survivants du Supreme Conseil de
IOrdre se joindront a Augustin Chabo
seau pour reveiller le Martinisme originel sous le nom d 'Ordre Martiniste
Traditionnel.
Christian Rebisse

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L'HISTOIRE
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14

ACTUALITE DE L'HISTOIRE HORS S E R IE n38

LE M A R T I N I S M E

Le Martinisme moderne et
ses obediences (1920 a 2010)
a Premiere Guerre mondiale avait
des responsabilites importantes a
considerablement reduit les activilepoque de Papus. mais il nexiste aucun
tes de 1*Ordre Martiniste, et la
element permettant de demontrer que
mort de Papus, survenue deux ans avantPapus 1 ait designe comme son succes
le retour a la paix, avait entraine la confu
seur. Du reste. les survivants du Conseil
sion parmi les Martinistes. D'une masupreme de lOrdre, comme Augustin
niere plus ou moins reguliere, certains
Chaboseau et Victor-Emile Michelet, ont
dentre eux tenterent de faire revivre
toujours conteste cette designation.
TOrdre, sans toutefois parvenir a lui reJean Bricaud. personnage original, fut
donner son unite. C est de cette situation
une figure centrale du Martinisme lyonconfuse que sont nees les diverses obe
nais. II appartenait a YEglise Gnostique,
diences martinistes que nous connaissons
lune de ces Eglises marginales Heurisaujourdhui. Leur genese etant complexe,
sant alors en France. Afin de ne pas sornous nous contenterons d evoquer les
tir de notre sujet, nous n'evoqucrons pas
plus importantes.
les peripeties de ce mouvement fonde par
Jules Doisnel en 1889, a la suite d une
J ea n B r ic a u d
experience spirite chez Lady Caithness.
En 1919. deux Martinistes revendiquent
Nous dirons simplement que l Eglise
la succession de Papus : d une part Jean
Gnostique dans laquelle Jean Bricaud
Bricaud (1881-1934) a Lyon, et dautre
etait eveque sous le nom de Tau Jo
part. Victor Blanchard (1878-1953) a
hannes, puis sous celui de Mgr Jean II.
Paris. Le premier ne se presente pas
ne suffisait pas a cet homme dynamique
comme le continuateur direct de Papus,
et ambitieux. Apres la mort de Teder. il
mais de Charles Detre (1855-1918). dit
se rendit a Paris et presenta aux Marti
Teder. II rapporte que ce dernier avait
nistes de la capitale un document attes
succede a Papus et precise quavant de
tant de sa nomination a la tete de l'Ordre.
passer a lOrient eternel. le 25 septembre
Ces derniers furent sceptiques devant un
1918 a Clermont-Ferrand, Teder 1aurait
document que Bricaud avait probabledesigne comme son successeur. Preciment compose lui-meme. Cette situation
sons quaucun temoin netant present a
ne le decouragea pas pour autant. De re
cette occasion, ces affirmations sont fratour a Lyon, il reussit a rassembler sous
giles. II est vrai que Teder avait occupe
son autorite un petit groupc de Marti
nistes.

L e s M a r t in is t e s ly o n n a is

Jean Bricaud se veut successeur de Teder

II semble que Jean Bricaud tenta de repondre aux critiques formulees par
Edouard Blitz, a propos de la filiation
entre le Martinisme instaure par Papus el
celui du X V III1' siecle. en proposant dassocier plus directement ces deux mouvements. II reecrivit totalement les rituels
martinistes en leur ajoutant des elements
puises dans les catechismes de lOrdre
des Elus-Cohen. que Papus avait publics
en appendice de son livre : Martines de
Pasqually (Chamuel, 1895). Desormais,
1 initie au premier grade etait designe
Associe de lOrdre Martiniste et Apprenti Cohen, Maitre Secret de la Su
preme
Maqonnerie
initiatique
et
Illuminee .
Au premier abord, les textes composes
par Bricaud sont seduisants ; on y sent la
demarche d'un homme qui tente de trou
ver des points de passage entre lOrdre
fonde par Papus et celui instaure par
Martines de Pasqually. Cependant, en y
regardant de plus pres, on constate que ce
choix est pernicieux, car il donne naissance a un Martinisme hybride qui
non seulement melange le Martinisme
avec les Elus-Cohen. mais esalement

Victor B la n ch a rd G ra n d M a itre de l'Ordre


M artin iste et Synarchique

avec I'Eglise Gnostique el la Franc-Maconnerie de Memphis-MisraVm. On peut


se demander comment Jean Bricaud pou
vait pretendre perpetuer lOrdre fonde
par Papus el Augustin Chaboseau,

Schem a d'un tem ple m artiniste,


selon le ritu el de Teder, en 1913

FEVRIER - MARS

2010

15

DOSSIER
puisqu'il Pavait totalement denature !
Le mouvement de Jean Bricaud resta
d'abord essentiellement lyonnais, mais il
connut par la suite une certaine extension
grace a la revue les Annates initiatiques.
Jean Bricaud chercha alors des appuis aupres de quelques Ordres ayant jadis participe au Congres Spiritualiste de 1908. II
se liera a des personnalites parfois douteuses comme Theodor Reuss (O.T.O.) ou
McBlain Thomson (American Masonic
Federation in America). Apres la mort de
son fondateur, en 1934, le Martinisme
lyonnais passera sous la direction de
Constant Chevillon. Nous reviendrons
sur sa succession un peu plus loin.

ROBERT AMBELAIN
Le* Survkances Initio liquet
I

L e Martinisme
contemporaln
ct ses ventablcs engines

TEMPLE

L e T e m p l e d ' E s s e n ie

fOI 4.1.

C h u i u t PAR5

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Le M artin ism e contem porain, de Robert


Am be lain -1946

DU MARTINISME
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Avec la Premiere Guerre mondiale, de


nombreux Martinistes qui avaient cree
des loges dans des pays etrangers etaient
rentres en France. C etait notamment le
cas d Eugene Dupre (1944) et de Deme
trius Platon Semelas (1883-1924), qui
avaient fonde le Temple d'Essenie au
Caire. en 1911. Cette loge martiniste
avait obtenu une certaine independance,
et Papus lui avait accorde le droit de creer
des loges sous sa responsabilite. A Paris,
Semelas etait entre en contact direct avec
Papus, et une relation de confiance s'etait
etablie entre les deux hommes. Etant
donne que VOrdre Kabhalistique de la
Rose-Croix, qui constituait autrefois le
cercle interieur de I'Ordre Martiniste.
etait entre en sommeil. ils envisagerent
de le remplacer par celui de la RoseCroix d'Orient, dont Semelas etait le representant. Papus avait egalement charge
Semelas d'etablir un accord entre IOrdre
Martiniste et le Rite Ecossais Rectifie. En
septembre 1916, il servit demissaire
entre Papus et Edouard de Ribaucourl
(1865-1936), dans un projet ayant pour
but de creer une loge susceptible d accueillir les membres des deux Ordres. La
mort de Papus. dans les jours qui suivirent ces contacts, empecha Paboutissement de ce projet.

Le M artinism e, de Ju les Boucher -1949

L e s A m is d e
C l a u d e d e S a in t - M a r t in

1
o

Platon Dem etrius S6m6las

16

Apres la guerre, D. P. Semelas continua


ses activites martinistes en compagnie de
son adjoint Eugene Dupre. 11 fonda le
Groupe Independant d'Eludes Martinistes
et s'associa bientot avec Victor Blanchard
(1877-1953). Ce dernier, chef de service
des archives a la Chambre des deputes,
etait alors I'unes des personnalites les plus
importantes du Martinisme parisien. A
1'epoque de Papus, il dirigeait la loge Melchissedec. qui avait etc elevee en septem
bre 1911 au statut de Grande Loge de
POrdre Martiniste. Aux cotes de Papus,
Victor Blanchard avail joue un role fondamental dans Porganisation du Congres
Spirit uuliste de 1908. Apres la Premiere
Guerre mondiale. une partie des Marti
nistes parisiens reconnaissaient en lui le
nouveau Grand Maitre de IOrdre.
Enjanvier 1919. un traite dalliance entre
le Groupe Independant d'Etudes M arti

ACTUALITE DE L'HISTOIRE HORS S E R IE n38

A R C A N L
Dr It confusion at I M ohhc *v*c D ie u

A rcane du Tableau N aturel dessin d e M a rcel Dupre

nistes de Semelas et celui de Victor Blan


chard fut scelle. L'instabilite de Victor
Blanchard conduisit assez rapidemcnt D.
P. Semelas et Eugene Dupre a s'orienter
vers d'autres projets. En mai 1920. ils
fonderent Passociation Les Amis de
Claude de Saint-Martin, egalement denommee Ordre Martiniste, en sadjoignant des anciens amis de Papus :
*
Augustin Chaboseau. Victor-Emile M i
chelet. Lucien Chamuel et Octave Beliard. Cette association donna naissance
au groupe Athanor, dirige par Victor
*
Emile Michelet. Quelques annees plus
tard. en 1931, il fut a Porigine de Pemer
gence de I'Ordre Martiniste Traditionnel.

ORME MAKnmvrl* SflCAftQItQK


o o n tw

u O frtm i

M M

Lettre de Victor Blanchard a Harvey


Spencer Lew is, date du 30 ju ille t 1937

LE M A R T I N I S M E

conferences au Palais de la Mutualite.


Pendant cette periode, I'O.M.T. est
proche de la revue Atlantis, et VictorEmile Michel et Octave Beliard president
le Banquet Flatonicien donne par la
revue en 1931 et 1932.

L 'O r d r e M a r t in is t e
ET SYNARCHIQUE
En prenant son independance, Victor
Blanchard donna unc note particuliere a
son groupe en le baptisant, a partir de novembre 1920 : VUnion Gene rale des
Martinistes et des Synarehistes, ou Ordre
Martiniste Synarchique (O.M.S.). S' il
ajoute au nom de lOrdre le qualificatif
de synarchique . cest par deference a
Saint-Yves dAlveydre, qui fut le maitre
intellectuel de Papus. Tout comme Jean
Bricaud Victor Blanchard revendiquait la
succession de Papus. Lun et 1autre se livrerent a une guerre de communiques
en se presentunt chacun comme etant le
seul legitime. Ainsi, dans le numero de
fevrier du Voile d'Isis (1921), Victor
Blanchard passe une annonce dans laquelle il rappelle que YOrdre M arti
niste ancien et prim itif, denomme
lesalement Ordre Martiniste et Synarchiqite, a repris officiellement ses travaux
le 3 janvier 1921, et que sa premiere
tenue a ete consacree a 1'inauguration solennelle et rituelique du Supreme college
de synthese initiatique d*Occident . II
precise que lors de cette reunion, il a
donne lecture des chartes delivrees par
Papus et Teder a lui-meme, et qu'en
consequence les Martinistes doivent se
rallier a lui avant le l cr mai. Passe ce
delai, il estime que toute autre formation
martiniste sera declaree illegitime. Beau
coup de Martinistes, etonnes par cette si
tuation. prefererent rester independants.
Ainsi en fut-il de membres aussi illustres
qu'Augustin Chaboseau et de plusieurs
survivants du Supreme Conseil de 1891.
comme Victor-Emile Michelet.
Sous la direction de Victor Blanchard.
l'Ordre Martiniste et Synarchique aura
d'abord une activite ties reduite. Ce n'est
qu'a la suite de la creation de la Federa
tion Universelle des Ordres et des Societes Initiatiques (EU .D.O .S.I.), en 1934,
que 1'Ordre prendra de 1'extension. Mais
peu de temps apres sa creation, soit des
la fin des annees 1920. Victor Blanchard
delaissa ses responsabilites pour prendre
part aux activitcs des Folaires, un Ordre
fonde par Zam Bhotiva (Cesare Accomani). Ce dernier, grace a la methode de
1'oracle de force astrale , pretendait
etre en relation avec un centre esoterique
rosicrucien de 1'Himalaya. Rene Guenon
sinteressa pendant un temps aux Polaires : cest lui qui relut et corrigea le
manuscrit de YAsia mysteriosa, manifeste public par Zam Bhotiva en 1930.

L 'O r d r e M a r t in is t e
T r a d it io n n e l
En 1931. alors que le Martinisme reste
divise, les membres du groupe Athanor
se decident a sortir de 1'ombre. L'un
d'eux, Jean Chaboseau, suggere a son
pere. Augustin, de reprendre la situation
en main en retablissant lOrdre Marti
niste sur ses bases initiates. N'oublions
pas qu'Augustin Chaboseau avait etc
avec Papus le cofondateur de lOrdre

P h il ip p e E n c a u s s e

*
o

Pantacle m artiniste de I'O.M.T.

Martiniste. II reunit autour de lui les derniers survivants du Supreme Conseil de


1891 : Victor-Emile Michelet et Lucien
Chamuel. Rappelons egalement que Victor-Emile Michelet avait etc un membre
important de lUniversite Hermetique et
le dirigeant de la loge Velleda. Quant a
Lucien Chamuel, il avait etc 1'organisateur materiel de l'Ordre, et c'est dans
l'arriere-boutique de sa librairie que
setaient tenues ses premieres activitcs.
Reunis autour d'Augustin Chaboseau.
ces derniers decident, le 24 juillet 1931,
de reveiller le Martinisme sous son as
pect authentique et traditionnel. Pour le
distinsuer des nombreuses organisations
pseudo-martinistes existant alors. ils
ajoutcnt au nom de l'Ordre le qualificatif
de Traditionnel . Par cet ajout. et
comme I'indiqua Robert Ambelain, les
survivants du Supreme Conseil de 1891
revendiquent la perennite de l'Ordre
fonde par eux avec Papus {Le M arti
nisme, 1946). L'Ordre Martiniste Tradi
tionnel (O.M.T.) n'est done pas un nouvel
Ordre, mais la remise en activite de celui
fonde par Papus et Chaboseau.

Philippe Encausse (1906-1984), le propre fils de Papus, rejoint bientot VOrdre


Martiniste Traditionnel et devient mem
bre de son Supreme Conseil. II sen re
tire en fevrier 1932, pretextant qu'il
n'admet pas la presence de Francs-Magons dans l'Ordre. II fonde Les Amis de
Papus, une association charitable, et ecrit
un livre a la memoire de son pere : Papus,
sa vie, son oeuvre (ed. Pythagore, 1932).
Chose surprenante. le passe martiniste de
Papus est a peine evoque dans cet ouvrage. Jean Reyor sen etonnera : II
semble qu'on ait systematiquement laisse
de cote tout ce qui eut pu etre vraiment
interessant dans la Ciirriere si active de cet
etonnant Papus... Pas un mot sur la
constitution et sur la vie de cet Ordre
Martiniste dont Papus etait Panimateur.... (Le Voile d'Isis, decembre 1932.)

M a r t in is m e e t

F.U.D.O.S.I.

Pendant ce temps, loin de la vie parisienne, Jean Bricaud etend ses activitcs
tout en propageant le rite de MemphisMisraim en Europe. Cependant. son au
torite ne fait pas l'unanimite. notamment
en Belgique. Ces problemes sont a l'origine d'une scission de la part des Marti
nistes belses. Profitant de la mort de Jean
Bricaud au debut de 1934, ils annoncent
dans la revue Adonhiram, organe officiel

V ic t o r - E m il e M ic h e l e t
On procede a l'election du Grand Maitre.
Comme le veut la Tradition, cest le
membre le plus ancien. Augustin Chabo
seau. qui est choisi pour assurer cette
fonction. Celui-ci ne fera guere usage de
ce titre, car des avril 1932, il prefere
transmettre cette charge a Victor-Emile
Michelet (1861-1938). Ecrivain remarquable. passionne d'esoterisme et de l i
terature, ce dernier est I'auteur de
poemes. de contes, de pieces de theatre
et de textes sur l'esoterisme. Ami avec les
plus grands ecrivains de son epoque, il
exerce d'importantes responsabilites
dans le monde des lettres. II est President
de la Societe de Foesie (1910) et de la So
ciete Beaudelaire (1921), puis membre
du Conseil de la M aison de la Foesie
(1931), et enfin batonnier de YAcademie
des Foetes (1932).
Sous sa direction, l'Ordre reste relativement discret. II tient ses reunions au siege
du Grand Prieurc des Gaules du docteur
Camille Savoire. II se manifeste quelquefois a travers le groupe Tan, qui public
alors un bulletin d'etudes psychologiques
et metapsychiques. et qui organise des

Victor-Emile M ichelet, Grand M a itre de


I'O.M.T. de 1931 d 1938

FEV R IER -M A R S

2010

17

Sym bole d e la F.U.D.O .S.I. (Federation Universelle des Ordres et Soci6t6s Initiatiques)

de YOrdre Oriental du Rite A nd en et Pri


m itif de Meniphis-Mismim beige, la crea
tion
de
deux
loges
martinistes
independantes : Uriel a Bruxelles et 77phereth a Strasbourg (revue Adonhirum,
printemps 1934). Pour sortir de leur isolement, les occultistes beiges tentent de
sallier avec dautres mouvements initia
tiques. Ils se tournent alors vers Victor
Blanchard qui dirige a la fois les activi
tes de TOrdre Martiniste et celle de
Memphis-Misrai'm. Cette demarche, initiee par les spiritualistes beiges, est a
Forigine de la creation de la Federation
Universelle Des Ordres et Societes In i
tiatiques ( F.U.D.O.S.I). Cette organisa
tion. qui veut federer les mouvements
initiatiques, tient son premier Convent a
Bruxelles, en aout 1934. Cette situation
offre a Victor Blanchard une opportunity
unique pour reconstituer 1*unite du Mar
tinisme. Pourtant, beaucoup de Marti
nistes sont absents, notamment ceux de
IOrdre Martiniste Traditionnel, qui na
pas souhaite participer a cette manifesta
tion. Profitant de cette absence, Victor
Blanchard se fait reconnaitre comme
Souverain Grand Maitre par les Marti
nistes presents. Georges Lagreze (18831946), qui a lui aussi deiaisse le groupe
de Jean Bricaud dont Constant Chevillon (1880-1944) est devenu le dirigeant . devient son Substitut. C est lors
de 1une des premieres reunions de la
F.U.D.O.S.I. que Victor Blanchard auto
rise Harvey Spencer Lewis (1883-1939),
Imperator de YAncien et Mystique Ordre
de la Rose-Croix,7 a creer des loses
de
c
TOrdre Martiniste Synarchique aux
Etats-Unis.
Helas, Victor Blanchard ne se montre pas
a la hauteur de sa mission, et les activites
de I'Ordre Martiniste Synarchique se limitent le plus souvent a la transmission
des initiations aux divers desres. LOrdre
na pas dexistence reelle, car Victor
Blanchard na pas cree de loge martiniste
a Paris. II se consacre davantage a la Fraternite des Polaires qu il dirige depuis
1933. C'est dans le temple de cette orga
nisation. situe a son domicile, au 26 de la

18

rue Junot, a Paris, qu il confere ses ini


tiations. Beaucoup de Martinistes ne
comprennent pas cette attitude, et
Georges Lagreze, le Substitut de Victor
Blanchard, menace de faire secession. Finalcment, en 1939. il prend la tete d une
delegation qui va rencontrer le Grand
Maitre de IOrdre Martiniste Tradition
nel.
Depuis la mort de Victor-Emile Miche
let, decede le 12 janvier 1938, cest A u
gustin Chaboseau qui dirige IO.M.T. Ce
dernier accepte de prendre en main les
destinees du Martinisme au sein de la
F.U.D.O.S.I. Des le mois de juillet 1939,
il donne de nouvelles chartes aux loges
qui passent sous sa direction. LO.M.T.
sort alors de la confidentialite pour pren
dre une dimension internationale. II se
developpe notamment aux Etats-Unis,
grace a Ralph Maxwell Lewis (19041987), nouvel Imperator de lA.M.O.R.C.
Celui-ci re^oit d Augustin Chaboseau
une charte
de Grand Maitre Regional
/
C
pour les Etats-Unis d Amerique. et de
vient membre du Supreme Conseil Inter
national de IOrdre.

La g u e r r e de 1 9 3 9 -1 9 4 5
La Seconde Guerre mondiale va compromettre le developpement du Marti
nisme. Elle aura en effet de lourdes
consequences, car nombre de ses membres vont perdre la vie sur les champs de
bataille ou dans les camps de concentra
tion. En France, des le 14 aout 1940, le
Journal Officiel public un decret du gouvernement de Vichy interdisant toutes les
societes secretes. La piupart de leurs responsables sont alors arretes, et IOrdre
Martiniste Traditionnel entre officiellement en sommeil. Pendant cette periode,
Ausustin Chaboseau et Victor Blanchard
subisscnt perquisitions et interrogatoires.
Georges Lagreze est lui-meme oblige de
se cacheren Normandie, puis a Angers. II
reussit cependant a resteren relation avec
Ralph M. Lewis par Iintermediaire de
Jeanne Guesdon (1884-1955), Grand Se
cretaire de la juridiction francophone de
IA.M.O.R.C. Cette derniere assure esalement les fonctions de Grand Secretaire
de IO.M.T. en remplacement de Jean
Chaboseau, qui est mobilise.
La r e s u r g e n c e des E lus -Co h e n
Malgre cette situation, deux loges. Athanor et Broceliande, restent secrete me nt
actives et conferent quelques initiations.
C est ainsi quen 1942. Robert Ambclain
(1907-1997) est re^u dans YO.M.T.
D abord au premier degre, par Georges
Lagreze assiste d Henry Meslin et de
Jean Chaboseau, puis aux grades suivants
par Henry Meslin. Georges Lagreze
prend par la suite quelques libertes. Avec
1'aide de Robert Ambelain, il tente en
septembre 1942 de restaurer IOrdre des
Elus-Cohen. Or, aucun deux na etc ini
tio dans cet Ordre, etant donne quil est
en sommeil depuis la fin du xvnr siecle.
Jean Chaboseau denonce cette imposture
et reproche a Georges Lagreze d avoir

ACTUALITE DE L'HISTOIRE HORS SERIE n38

*o

Constant Chevillon

confere a Robert Ambelain des hauts


grades (du 4Cau 33c et les 55c, 66L
\90 et
95c de Memphis-Misrai'm), alors que ce
dernier setait montre incapable de prouver quil etait titulaire du grade de M ai
tre. Jean Chaboseau jugeait la chose
dautant plus grave que Robert Ambelain
profita de loccasion pour transformer
des profanes en Maitres Ecossais dun
coup de maillet . II explique en detail
cette aventure dans une lettre adressee a
Jean-Henri Probst-Biraben, le 21 janvier
1947. II portera laffaire devant les autorites ma^onniques : Camille Savoire et
Dumesnil de Grammont. Ces problemes
seront a Iorigine d un conflit entre Jean
Chaboseau et Robert Ambelain.
L'a p r e s -g u e r r e
A la fin de la guerre, en juin 1945. Au
gustin Chaboseau organise une reunion
dans le but dceuvrer a la reprise des ac
tivites de YOrdre Martiniste Traditionnel.
Une partie des membres s interroge sur
l interet de reprendre des activites sous
une forme obedientielle et rituelle. Apres
quelques hesitations, Augustin Chabo
seau decide de reveiller IOrdre. Ceux qui
ne souhaitaient pas s*y associer se groupent autour dOctave Beliard, Robert
Amadou, Paul Laugenie et Edouard
Gesta, pour fonder Les Amis de SaintMartin, une association ayant pour voca
tion detudier les oeuvres du Philosophe
inconnu. Le Martinisme reprend done ses
activites en France et a Ietranger. Helas,
quelques mois plus tard, le 2 janvier
1946, la mort d Augustin Chaboseau entraine des complications. Le Supreme
Conseil procede a Ielection de son successeur. et cest son fils. Jean Chaboseau.
qui est designe pour occuper la fonction
de Grand Maitre. Jules Boucher. Grand
Secretaire de IOrdre, conteste cette elec
tion, estimant que ce dernier est trop
jeune et ne possede pas un temperament
apte a remplir cette tache. N obtenant pas
sain de cause,7 il decide de se retirer.
Octave Beliard, qui a pourtant beaucoup
daffection pour Jean Chaboseau. pense

LE M A R T I N I S M E

egalement quo son temperament d'artiste


n'est guere adupte a cette fonction. Lavenir montrera qu'il avait raison, car malgre sa bonne volonte, Jean accumule les
echecs. En Belgique, Jean Mallinger, lun
des membres les plus en vue de la
F.U.D.O.S.I., le soupgonne de vouloir de
stabiliser la Federation en etablissant des
relations privilegiees avec les dirigeants
de la Societe Theosophique. Finalement,
les Martinistes beiges refusent de reconnaitre le nouveau Grand Maitre. Apres
avoir hesite a faire appel a Victor Blan
chard, ils font une nouvelle fois secession
en creant une obedience independante :
Y Ordre Martiniste UniverseI (O.M.U.)
dont
Rene Rosart prend la direction. Aux
*
Etats-Unis, Ralph M. Lewis, Imperator
de l A.M .O.R.C., ne les approuve pas.
Comme Jeanne Guesdon. il reste fidele a
ses engagements envers Jean Chaboseau.
En definitive lOrdre Martiniste Universel restera quasi inactif, et apres la mort
de Rene Rosart en 1948, son successeur.
le docteur Edouard Bertholet (18831965). le laissera s'eteindre. (Precisons
que contrairement a ce quaffirmait
Louis Bentin, ce dernier ne succeda pas a
Victor Blanchard a la tele de lOrdre
Martiniste Synarchique.)

Cependant. cette position est contestee


par nombre de Martinistes qui ne comprennent pas que cette question n'ait pas
etc soumise au Supreme Conseil, seule
autorite habilitee a prendre une telle de
cision. Victor Blanchard lui-meme incite
les Martinistes a ne pas accepter la mise
en sommeil dcmandee par Jean Chabo
seau. et c est pour cette raison que
I'O.M.T. restera actif aux Etats-Unis.

servira de vivier a Robert Ambelain pour


donner de 1extension a son propre mou
vement, qui devient rapidement son cer
cle interieur.
Loin du microcosme parisien, le Marti
nisme lyonnais poursuivait son chemin.
En 1934. Constant Chevillon (18801944) avait succede a Jean Bricaud pour
une courte duree, car il fut assassine le 22
mars 1944 par la Milice. A la suite de cet
evenement, le groupe avait connu plu
sieurs successeurs. D'abord HenryCharles Dupont (1877-1960), qui
demissionna fin 1945 et qui fut remplace
piu- Pierre Debeauvais (1885-1974). Mais
quelque temps plus tard, Henry-Charles
Dupont voulut reprendre son titre. et les
membres de lOrdre finirent par se ran
ger de son cote. Dans les annees qui suivirent la guerre, le Martinisme lyonnais
neut plus 1'activite qu'il avait connue au
trefois. Du reste, son Grand Maitre vivait
alors a Coutances, en Normandie.

L 'O r d r e M a r t in is t e R e c t if ie
Jules Boucher (1902-1955) reste egalcment convaincu de la legitimite de I'Or
dre fonde par Papus et Chaboseau.
Cependant, il estime necessaire de revenir a un Martinisme plus sobre, ne comportant qu'un seul grade, comme ce fut

L 'U n io n d e s O r d r e s M a r t in is t e s
En octobrc 1958, Robert Ambelain et
Philippe Encausse prennent contact avec
Henry-Charles Dupont pour linviter a se
joindre a eux en adherant a Y Union des
Ordres Martinistes, un groupe qu'ils
viennent de fonder pour rassembler les
divers courants martinistes. HenryCharles Dupont accepte cette proposition
qui rassemble Y Ordre Martiniste de Phi
lippe Encausse et I ' Ordre Martiniste des
Elus-Cohen de Robert Ambelain. Pour
marquer sa difference et mettre en evidence la note Elus-Cohen que Bricaud
avait donnee a son groupe. il prend alors

U n e p e r io d e d e c o n f u s io n
Jean Chaboseau senl que l'Ordre lui
echappe, et la publication d un article
dOctave Beliard, dans lequel ce dernier
exprime ses doutes sur la regularite de la
filiation regue par les fondateurs de 1*Or
dre Martiniste, contribue encore plus a le
destabiliser (Colliers de I'Homme-Esprit.
decembre 1946). Jean Chaboseau est
dautant plus aflecte qu'il suit que Robert
Ambelain prepare un ouvrage ou il uti
lise cct argument pour pretendre que seul
l Ordre des Elus-Cohen. renove en 1942,
propose une voie authentique (Le M arti
nisme contemporain et ses veritables origines, mars 1948). Devant tant de
critiques et d'impostures, et se sentant attaque de toutes parts, il prefere mettre
1Ordre en sommeil en septembre 1947.

Sym bole de l'O rdre M artin iste R e c tify

le cas pendant la periode qui preceda la


creation de lOrdre. C est pour cette rai
son quil cree en 1948 YOrdre Martiniste
Rectifie. un mouvement quil veut centrer essentiellement autour de la pensee
de Louis-Claude de Saint-Martin. II sen
expliquera dans un article intitule Du
Martinisme et des Ordres martinistes (Le
Symbolisme, sept. 1950). Mais a la fin de
lannee 1951. il est victime dune crise
cardiaque qui le prive de lenergie neces
saire a la realisation de son projet. II decedera dailleurs quelques annees plus
tard. en 1955.

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L 'O r d r e M a r t in is t e
d e P h il ip p e E n c a u s s e
Deux ans apres le retrait de Jean Chabo
seau. Philippe Encausse publie Sciences
occultes, on 25 annees d 'occultisme
(1949). Bien quil reproduise dans cet ou
vrage la lettre de demission de Jean Cha
boseau, il ne semble pas partager
totalement son avis el invite les disciples
de Papus et d* Augustin Chaboseau a refaire une chaine d'union . Robert Am
belain repond a cet appel et propose de
relancer le Martinisme en France. Ce sera
chose faite en 1952. Cette opportunity
permettra a Robert Ambelain de beneficier de l appui du fils de Papus, pour
donner plus denvergure a son Ordre des
Elus-Cohen. qui ne rencontre guere de
succes. Philippe Encausse devient le
Grand-MaTtre d'un Ordre Martiniste qui

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Certificat d'initiation de Christian Bernard,


d la fo n ctio n de Souverain Grand M a itre de
I'O.M.T.

FEV R IER -M A R S

2010

19

DOSSIER

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Ic nom d'Ordre Martiniste-Martineziste.


Henry-Charles Dupont est alors age de
81 ans. Aussi, les responsables de
rU nion lui conseillent-ils de confier sa
succession a Philippe Encausse. Ce sera
chose faite le 13 aout 1960. soil deux
mois avant sa mort. LOrdre de Lyon se
trouvera alors absorbe par celui dirige par
Philippe Encausse.
Quant a I'Ordre Martiniste Traditionnel. il
poursuivait ses activites aux Etats-Unis
sous la direction de Ralph M. Lewis. En
juin 1959, Ivan Mosca. Souverain Grand
Delegue general de VOrdre Martiniste des
Elus-Cohen, fut mandate pour 1'inviter a
se placer sous Vautorite de 1Union des
Ordres Martinistes. Ralph M. Lewis pre
fera rester a l'ecart. En effet, par la correspondance quil avait echangee avec
Jean-Chaboseau. il connaissait parfaitement les graves accusations pesant sur Ro
bert Ambelain. On comprendra qu'il
prefera ne pas sallier avec ce groupe. De
toute maniere, I'Union des Ordres Marti
nistes n'aura bientot plus de raison dexister. car les groupes de Philippe Encausse
et de Robert Ambelain se fonderent en un
seul Ordre. le premier conslituant le cercle exterieur et le second le cercle interieur. Ce mariage se termina neanmoins
par un divorce. En 1967, Robert Ambe
lain, qui avait d'autres projets, demissionna
au
profit
d lvan
Mosca
(1915-2005), qui redonna a YOrdre des
Elus-Cohen son independance. Cependant. inquiet de la legitimite de la resur
gence de IOrdre pendant la guerre
1919-1945. Ivan Mosca prefera le mettre
en sommeil des l'annee suivante (22 avril
1968).

L 'O r d r e M a r t in is t e I n it ia t iq u e
A 1'epoque oil les etudiants parisiens se
revoltent, en juin 1968, soit un an apres
sa demission, Robert Ambelain jette un
pave dans la mare en lancant la crea
tion d'un nouveau mouvement : YOrdre
Martiniste Initiatique. II expedie alors a
toutes les obediences martinistes un do
cument de sept pages intitule : Ordre
Martiniste Initiatique - Origine, Principe
et Modalite de la rectification de 1968.
Ce lexte denonce comme sans valeur
toutes les organisations martinistes.

celles auxquelles il a apparlenu et les autres, car il estime quelles ne possedent


pas de filiation initiatique reelle. Robert
Ambelain precise neanmoins quil a decouvert que Louis-Claude de Saint-Mar
tin avait fonde un Ordre secret entre
1778 et 1782, le Regime Rectifie, que le
prince Galitzine aurait developpe en Russie. Le Regime Rectifie de Saint-Martin
aurait survecu a travers quelques inities
qui auraient confere cette filiation a Ro
bert Ambelain. Celui-ci se proposait done
de regulariser tous les Martinistes
issus de IOrdre fonde jadis par Papus et
Chaboseau.
En fait, la filiation russe revendiquee par
Robert Ambelain releve du romantisme,
pour ne pas dire de la pure fiction. Ro
bert Amadou lui-meme la considere
comme inexistante, car Saint-Martin n'a
jamais fonde un tel mouvement. D 'a il
leurs, aucun document ne permet de donner un poids quelconque aux affirmations
de Robert Ambelain. Ce dernier finira
par se retirer de cet Ordre. pour se lancer
dans d'autres aventures... Destabilise.
I'Ordre Martiniste de Philippe Encausse
n'en continua pas moins d'exister. De
puis 1979, c'est Emilio Loren/.o qui en
assure la direction. Ce groupe publie la
revue YInitiation.

L 'O r d r e M a r t in is t e
T r a d it io n n e l
Pendant ce temps. IOrdre Martiniste Tra
ditionnel continuait ses activites aux EtatsUnis. car Ralph M. Lewis avait conserve
son titre de Grand Maitre Regional. Apres
etre reste relativement confidentiel. cet
Ordre se developpa dans plusieurs pays,
grace au parrainage de YAncien et Mys
tique Ordre de la Rose-Croix (surce mou
vement, voir le hors serie n 36 de
Actualite de I'Histoire , sept.-oct. 2009).
Sous la supervision de Ralph M. Lewis,
devenu le Souverain Grand Maitre de
IO.M.T.. il se reimplanta en France au
debut des annees 1960. 11 y connut rapidement une grande activite en ouvrant des
heptades (nom designant les loges de
IO.M.T.) dans de nombreuses villes. Parallelement, il setendit dans le monde entier pour devenir Iun des mouvements
martinistes les plus importants. En France,

ORDRE MARTINISTE TRADITIONNEL

*Ccrnfuit ^'Initiation
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20

ACTUALITE DE L'HISTOIRE HORS S E R IE n38

& S 3 B nK/ f f l C T E l
PUI 1 *IVIATC.t*
* 9

SSE

Certificat d'initiation d e Serge Toussaint,


Grand M aitre de la ju rid iction francophone
de I'O .M .T

il possede une publication annuelle, la


revue Pantacle, ties appreciee des Marti
nistes et des Francs-Ma^ons. Actuellement. c'est Christian Bernard qui est le
Souverain Grand Maitre de I'Ordre Mar
tiniste Traditionnel, et c'est Serge Tous
saint qui en est le Grand Maitre pour la
juridiction francophone.
Pour conclure ce panorama des obe
diences modernes du Martinisme, on
peut dire que malgre les differends qui
opposerent autrefois les tenants du Mar
tinisme. cette Tradition, cousine de la
Franc-Magonnerie et de la Rose-Croix.
reste aujourd'hui ties vivante. Deux siecles apres la mort de Louis-Claude de
Saint-Martin et un siecle apres sa reno
vation par Papus et Augustin Chaboseau.
elle est representee par deux mouvements
majeurs : I'Ordre Martiniste Traditionnel.
et I'Ordre Martiniste. Elle a egalement
donne naissance a un nombre important
de rameaux dont il serait fastidieux de
faire linventaire. Si la plupart d'entreeux nont eu quune existence ephemere,
ou ne constituent le plus souvent que des
groupes marginaux, ils temoignent nean
moins de l'interet que le Martinisme ren
contre aupres de ceux qui s interessent a
la Tradition occidentale et a Iesoterisme.

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ili^Urr

Christian Rehisse

LE M A R T I N I S M E

Louis-Claude de Saint-Martin,
sa vie, son oeuvre
Le Martinisme, tel que le suivent de nos jours les Martinistes, se rattache a la vie et a I'ceuvre
de Louis-Claude de Saint-Martin (1743-1903), connu egalement sous le pseudonyme de
Philosophe Inconnu . Nous ne pouvons done faire Timpasse sur une biographie de
ce personnage hors du commun, considere comme I'un des plus grands esprits franca is
du X I /III* siecle.
II y a trois vilies en France dont l'une
est mon paradis, et c'est Strasbourg... .
C est en ces termes que Louis-Claude de
Saint-Martin parlera plus tard dans son
Portrait de cette ville de France oil il
vecut trois ans. On etait alors en pleine
periode revolutionnaire, et ce furent
pourtant trois annees d'un itineraire interieur oil une alchimie subtile sopera en
lui. C'est la aussi qu'il tourna une page
de sa vie en decouvrant en leur langue
originelle les ecrits du mystique allemand
Jacob Boehme.

L e P h il o s o p h e I n c o n n u
Celui qu'on appela le Philosophe Inconnu est age de 45 ans quand il arrive
a Strasbourg, ce 6 juin 1788. A la veille
de la Revolution, cette vieille cite d 'A l
sace est consideree comme la ville fran<^aise la plus tolerante et la plus
accucillante, oil se donnent rendez-vous
les theosophes et les mystiques de tous
les pays d'Europe pour sentretenir librement. Ce X V III0 siecle est celui des Lumieres. oil la montee de Vesprit
scientifique, de I'intelligence philosophique et du liberalisme religieux, illustres par la renommee de Voltaire. Diderot
ou Rousseau, contraste avec une grande
credulite confinant au merveilleux et
bien sou vent au charlatan isme. Avant que
l'epoque de laTerreur ne vienne tout interdire, on voit apparaitre dans la ville,
des mages, des dev ins. des thaumaturges
et des occultistes de toute sorte. Stras
bourg est aussi une grande capitale ma^onnique puisque, comme Lyon et
Bordeaux, elle est le siege d'un des trois
Directoires ecossais.
Quelques annees auparavant, Cagliostro a
sejourne a Strasbourg et opcre des guerisons miraculeuses en excitant son art.
Cette ville est la capitale du Mesmerisme ;
depuis la plus haute societe jusqu'au petit
peuple. on y pratique le magnetisme
prcsquc a chaque coin de rue. Le grand
elan romantique du Sturm und Drang
a effleure cette cite de son souffle en la
personne de Goethe, qui, quelque vingt
ans aupaiavant, a sejourne a 1Auberge de
IEsprit avant de s installer rue du vieux
Marche aux Poissons. II y avait pris un
vif interet pour l'alchimie et y avait goute
aux disciplines hermetiques sous les

Saint-M artin - dessin de Sim onetta Sa en ger (O .M .T.)

voutes basses, ornees de salamandres, de


la pharmacie du Cerf. Est-ce aussi,
comme Goethe, la fleche de la cathedrale, cet ange de gres rose . qui attira
Saint-Martin, telle une aiguille aimantee
fixant la direction de son etoile ? C'est
en tout cas sous le signe de la Divine Pro
vidence qu'il place son voyage en Alsace,

comme il le dit dans son Portrait :


Dieu nous livre quelquefois dans notre
demarche terrestre a nos simples mouve
ments vagues et indetermines, dans lesquels nous devons eprouver ou des
contra rietes ou des privations, el cela
a/in que nous axons I 'occasion d e.xercer
notre patience et notre courage qui pour-

FEVRIER - MARS

2010

21

DOSSIER

S a je u n e s s e
Mais qui etait done Louis-Claude de
Saint-Martin ? Un gentilhomme du
X V I I I 0 siecle. au caractere doux et aimahle, que Joseph de Maistre decrivait
comme le plus sage, le plus instruit et le
plus elegant des theosophes niodernes .
Ne dans une noble famille d'Amboise le
18 janvier 1743. il manifeste ties tot des
aspirations pieuses et idealistes, ainsi
qu'une vive intelligence. Sa jeunesse est
eclairee par Vamour d une belle-mere
comprehensive qui marquera sans doute a
jamais son co:ur en eveillant en lui de no
bles sentiments. Conformement aux
voeux de ses parents, il passe du college a
Tecole de dioit et devient avocat. Mais cette
profession ne repond pas a son ideal : deja
nourri de lectures philosophiques. il
abandonne vite la jurisprudence pourentrer dans la carriere des armes. II integre
a 22 ans le regiment de Foix, en garni son
a Bordeaux. N'allons pas croire que Par-

mee reponde mieux a ses aspirations profondes ! II detestait la guerre au nom de


tous ses principes et de toutes ses affec
tions. Mais le traite de Versailles, en mettant fin a la guerre de Sept ans, avait
assure a 1Europe un etat de paix quon
augurait de longue duree, et laissait aux
militaires beaucoup de temps de loisir. II
embrassa done la carriere d* off icier pour
continuer ses etudes favorites, cel les de
la religion et de la philosophic.

D E

DESIR.

Pat rAitfcu* <Ui Ericur* St du lx Vctiie.

S o n p r e m ie r M a it r e
Les aspirations mystiques de Saint-Mar
tin trouvent a Bordeaux un element plein
de seduction : 1un de ses amis
officiers
*
est membre de IOrdre des Elus-Cohen
dirige par Martines de Pasqually. Celui-ci
est un personnage mysterieux, verse dans
la sagesse secrete, telle q if on la retrouve
dans les enseignements esoteriques
dEgypte, de Grece et dOrient. D originc israelite. il est devenu chretien et.
dit-on, a re^u de Swedenborg, le pere de
rilluminisme au X V III0siecle. un rite au
titre biblique : les Elus-Cohen . Par
quelles doctrines, quels talents et quel
charisme. ce thaumaturge au francais imprecis et chantant, sattacha-t-il SaintMartin, ce jeune philosophe de bonne
naissance, au point de rester son premier

Saint-M artin - Extrait d e Les N om bres (1861)

22

L H O M M E

ACTUALITE DE L'HISTOIRE H O R S S E R I E n38

L Y O N ,

Om I. SLtrim G ia a it, l.;vnm . |n(


M* Mmrcuvu, (? I

7 9 O.
OMt

raient s'affaisser sans cela . Plus loin,


il dit encore : M a seconde epoque a eu
lieu dans tnon voyage a Strasbourg,
voyage qui etait encore plus vague que le
premier, quoique cependant j eusse deja
quelques connaissances a Strasbourg...
.

Saint-M artin. Page titre de


L'Hom m e de d6sir (1790)

Maitre ? C est que les enseignements de


cet evocateur d'anges avaient de quoi
seduire. II pretendait en effet que par les
prieres et les vertus, l'homme peut recouvrer les pouvoirs premiers quil possedait a la Creation et que le Peche
originel lui a fait perdre. Toujours est-il
que Louis-Claude de Saint-Mai tin est initie dans IOrdre des Chevaliers-Masons
Elus-Cohen de l Univers a 1age de 22
ans. Tout en sinterrogeant neanmoins sur
les rites et les operations theurgiques ties
complexes de cet Ordre, il parviendra au
plus haul degre, celui de Reau-Croix.
En 1771, Saint-Martin quitte 1armee
pour se consacrer au ministere spirituel
auquel il se sent appele. II devient le se
cretaire personnel de Martines de Pas
qually et etablit des liens profonds
dami tie avec lui. Mais en 1772. ce der
nier quitte la France pour Port-au-Prince,
en Haiti ; il y meurt deux ans plus tard.
LOrdre des Elus-Cohen tombe progressivement en sommeil, son fondateur
ay ant emporte avec lui les doctrines quil
enscignait. C est alors que Jean-Baptiste
Willermoz, ancien disciple de Pasqually,
rejoint avec dautres Elus-Cohen la
Stride Observance Templiere allemande
et cree IOrdre des Chevaliers Bienfai
sants de la Cite Sainte. Ma^on convaincu
et passionne, il imprime la note ma^onnique a 1 heritage theurgique de Pas
qually. Quant a Saint-Martin, il suit un
tout autre chemin et etablit des contacts
nouveaux avec de nombreux occultistcs
a travers le monde.
Lors de son dernier sejour a Lyon, LouisClaude de Saint-Martin rencontre MarieLouise de Monspey, une femme medium
qui influenza profondement Jean-Baptiste
Willermoz dans la creation de la Loge ma(^onnique de Lyon, dont les membres
etaient recrutes parmi les Chevaliers Bien
faisants de la Cite Sainte par cette femme

LE M A R T I N I S M E

qui se disait agent de la Puissance invisi


ble. Le Philosophe Inconnu revicnt de
cette rencontre profondement de^'u et plcin
de disillusions. Mais laissons-le parler:
Une voie purlieu Here s 'esl ouverte a Lyon
en 1785. J 'y jus appele pour partager la
recolte. Au milieu des nombreuses richesses qu 'elle offrait, elle renfermail
aussi de la fausse monnaie, et I on a fin i
par s'en degouter. On y avait abuse du
Nombre et de la Doctrine a moi connue
anterieurement sur les animau.x. On y
avait surtout abuse du gout de Willermoz
pour la Maqonnerie, et on I avait mis partout. Je vins a cette initiation avec le desir
le plus pur et fam e la mieux disposee.
Mais comme je ne trouvais dans aucun
genre d'aliment ce qu'il me fa llait, je me
trouvais a la fin plus arriere qu'au com
mencement .

Q u e l q u e s p e n s e e s d e s a in t - m a r t in
L'homme est un etre charge de continuer Dieu la ou Dieu ne Se fa it plus connai
tre Lui-meme . (Le Ministere de I'Homme-Esprit).
C'est pour que I'homme porte sa tete dans les Cieux, qu'il ne trouve pas ici-bas de
quoi reposer sa tete . (Mon Livre Vert, n 40).
La science est pour le temporel; I'amour est pour le divin. On peut se passer de la
science, mais non de I'amour, et c'est par I'amour que tout finira, parce que c'est par
I'amour que tout a commence et que tout existe . (Mon Livre Vert, n 415).
Les grandes choses ne s'enseignent que dans le silence. Nous ne pouvons nous
lire que dans Dieu Lui-meme et nous comprendre que dans Sa propre splendeur...
. ( Ecce Homo ).
C'est un grand travail que de chercher a nous connaitre tels que nous som m es;
mais ilfaut ensuite travailler a nous connaitre tels que nous devrions etre. Ces deux
sciences sont liees et doivent continuellement nous occuper. Une troisieme science
vient apres ces deux, et est sans doute la plus difficile de toutes. C'est qu'apres avoir
appris a connaitre ce que nous devrions etre, ilfa u t travailler sans relache a le devenir . (Mon Livre Vert, n 993).
Crains les choses fo ciles: il est plus aise de converser que d'ecrire, plus aise d'ecrire
que de prier, plus aise de prier que d'agir . (Mon Livre Vert, n 9).
Le secret de notre avancement consiste dans la priere, le secret de la priere dans
la preparation, le secret de la preparation dans une conduite pure, le secret d'une
conduite pure dans la crainte de Dieu, le secret de la crainte de Dieu dans Son
amour. Ainsi, I'amour est le principe et le foyer de tous les secrets . (Mon Livre
Vert, n 178).
Je ne puis trop le rep eter: Ilfa u t craindre Dieu avec mesure, mais ilfa u t I'aimer
sans mesure . (Mon Livre Vert, n 431).
Primitivement, la tete devait etre reglee par le coeur; elle ne devait servir qu'a
I'agrandir. Aujourd'hui, la tete de I'homme regne sur son cceur, tandis que c'est au
coeur que le sceptre devait appartenir. C'est-a-dire que I'amour est superieur a la
science, attendu que la science ne doit etre que le flambeau de I'amour, et que le
flambeau est inferieur a celui qu'il eclaire . (Mon Livre Vert, n 58).
La seule initiation que je preche et que je cherche de toute I'ardeur de mon ame,
est celle par ou nous pouvons entrer dans le coeur de Dieu, etfa ire entrer le cceur
de Dieu en nous, pour y faire un manage indissoluble qui nous rend I'ami, le frere
et I'epouse de notre divin Reparateur. II n'y a d'autre mystere pour arriver a cette
sainte initiation, que de nous enfoncer de plus en plus jusque dans les profondeurs
de notre etre, et de ne pas lacher prise, que nous ne soyons parvenus a en sortir, la
vivifiante racine; par ce qu'alors tous les fruits que nous devons porter, selon notre
espece, se produiront noturellement en nous et hors de nous . (Correspondante au
baron de Kirchberger).
Purifie-toi, demande, regois, agis : toute I'oeuvre est dans ces quatre temps .
(Mon Livre Rouge).

U n HOMME DE DESIR
Suite a cette rencontre particuliercment
decevante, Saint-Martin douta de la
theurgie et fut convaincu qu'elle navait
pas sa place dans Vceuvre de la Reinte
gration. Et c'est cet homme de^u qui ar
rive en 1788 a Strasbourg, accompagne
de L'Homme de Desir , livre qu'il
commenqa a Londres et qu'il finira dans
la cite alsacienne : Dieu est un eternel
Desir et une eternelle Volonte d'etre manifeste, pour que son existence se pro
page et s'etende a tout ce qui est
susceptible de la recevoir et de la sentir.
L'homme doit done aussi vivre de ce
Desir et de cette Volonte, et il est charge
d'entretenir en lui ces affections sublimes;
car dans Dieu, le Desir vient rarement
jusqu'a ce terme complet, sans lequel
rien ne s op ere. Et c'est par ce pouvoir
donne a I'homme d'amener son Desir
jusqu'au caractere de Volonte q u 'il
devrait etre reellement une image de
Dieu .
Les premieres impressions de LouisClaude de Saint-Martin sur Strasbourg ne

Louis-Claude de Saint-Martin

Jacob Boehm e,
Portrait de von Gottlob Glymann ohne

semblent pas avoir etc ties favorables. La


ville, ou deux langues et deux cultures se
cotoient (fran^aise et allemande). ne lui
inspire pas grand interet, pas plus que ne
le seduit, derriere les belles facades des
hotels particuliers, la societe qu'il frequente. II laissera dans son * Portrait la
note suivante : J 'a i vu des homines qui
n'etaient mat avec personne, mais dont
on ne pouvait pas dire non plus qu 'ils y
etaient bien ; car ils n 'avaient point assez
de mesures developpees pour etre saisis
de ce qui est vrai et vif ni pour etre choques de ce qui est m il et faux. C'est a
Strasbourg oil j'a i fa it cette observation,
et ici je dois me rappeler au mains les
noms de plusieurs personnes qui m 'y ont
interesse . Et Saint-Martin d'enumerer
de nombreuses families et personnages
de Strasbourg, comme s'il voulait sen
graver le souvenir. Mais cette note, ties
curieusement. se termine dune tout autre
maniere puisqu'on peut y lire : Je cor-

rige I effet de ma premiere appreciation.


Je dois dire que cette ville de Strasbourg
est une de celles a qui mon cceur tient le
plus sur Terre .
Qu'arriva-t-il done a Saint-Martin durant
ces trois annees ? Quels charmes se devoilerent a son ame pour que Strasbourg
vienne occuper en son cceur la premiere
des places ? La lettre qu'ecrit un siecle
plus tard Matter, un de ses biographes, au
directeur de la Revue d'Alsace , nous
donne quelques eclaircissements : Un
des homines les plus disting lies de la fin
du siecle dernier et qui se qualifiait de
Philosophe Inconnu " dans ses premiers
ecrits /.../, Monsieur de Saint-Martin, est
alle passer a Strasbourg, vers 1790, les
annees les plus decisives de sa vie. Appliquant ses belles facidtes et ses nobles
tendances a I'etude des sciences mys
tiques, mais peu satisfait des pratiques et
des pretentions de quelques associations
secretes auxquelles il etait affilie, /.../ il

FEVRIER - MARS

2010

23

DOSSIER
se mil tout a coup a etudier I 'allemaml
pour aborder la lecture du plus gmnd des
philosophes mystiques du XVIT siecle.
Jacques Boehme. /... / Deuxpersonnes de
Strasbourg, Madame de Boecklin et Mon
sieur Salvnann , furent les initiateurs de
Monsieur de Saint-Martin a I 'etude du
mysticisme, disons mieux, de la theoSo
phie de Boehme .

S o n s e c o n d M a it r e
Frederic Rodolphe Salzmann est ne en
1749 en Alsace, a Sainte-Marie-auxMines. ou son pere etait pasteur. On la
parfois confondu avec son cousin Johann
Daniel Salzmann, qui fut Fami de
Goethe. Avec les freres de Turckheim.
autre grand nom alsacien. il organisera a
Strasbourg une Loge des Chevaliers
Bienfaisants de la Cite Sainte. Parallelement, il dirigera la Librairie Academique,
situee a l'ansle de la rue de la Chaine et
de la rue des Serruriers, et fondera une

gazette lilteraire bilingue (en frangais et


en allemand). La tourmente revolutionnaire le chassera de Strasbourg, mais
apres la fin de la Terreur, il y reprendra
ses activitcs litteraires. II restera toute sa
vie I'ami devoue de Jean-Baptiste
Willermoz et de Juna Stilling. Dans son
ouvrage intitule Regards sur les mysteres des voies de Dieu relatives a Vhumanite . il developpe une cosmogonic
ties proche du Martinisme. Maitrisant
parfaitement la langue allemande,
comme tous les natifs des bords du Rhin,
il correspond regulierement avec les mys
tiques de 1AlIemagne et de la Suisse al
lemande. Ses lectures et ses etudes font
totalement familiarise avec les textes de
Law, Swedenborg et Boehme, quil fera
connaitre a Saint-Martin.
Les sympathies entre Saint-Martin et
Salzmann sont grandes en un premier
temps, mais des divergences sur des
questions essentielles. soil de theorie soil

L ' h o m m e d e d s ir , s e l o n L o u is - C l a u d e d e S a in t - M a r t in
Dans sa condition actuelle, l'homme est en etat d'exil. Rien ici-bas ne parvient a
le satisfaire pleinement. Certes, le monde materiel lui apporte des satisfactions, des
plaisirs et des joies. Mais au plus pr ofond de lui-meme, il sait que le bonheur
auquel il aspire n'est pas de ce monde et se situe ailleurs. Plus ou moins consciemment, il ressent egalement la nostalgie de I'etat glorieux qui etait le sien a I'origine,
d'ou une certaine melancolie. Au regard du Martinisme, quiconque aspire a comprendre cette melancolie et a retrouver sa purete primitive est un Homme de
Desir . Son desir, c'est le desir de Dieu. Sairt-Martin disait a ce su j& : II n'ya rien
d'aussi courant que I'envie et d'aussi rare que le desir .
Devenir un Homme de Desir, c'est vouloir reconstruire son Temple interieur et
reintegrer sa divine condition. Le Martiniste s'appuie sur deux piliers pour y parv e n ir: I'initiation et I'enseignement. La premiere marque le debut de son cheminement sur la v oie cardiaque, car c'est le momen t ou il r egoit le g erme de
Lumiere qui constitue le fondement de sa regeneration interieure. C'est aussi I'instant privilegie ou il rencontre son Initiateur et ou il est admis dans la filiation mar
tiniste, faisant de lui un maillon d'une chame initiatique remontant a Louis-Claude
de Saint-Martin. Precisons que cette initiation doit etre conferee dans un Temple
martiniste pour etre dument reconnue et faire du recipiendaire un veritable Initie.
Si elle est un preliminaire indispensable, I'initiation martiniste n'est que la repre
sentation terrestre d'une initiation transcendantale, celle que Saint-Martin appelle
l'initiation centrale et qu'il definit a in si: Cette initiation, est celle par laquelle
nous pouvons entrer dans le cceur de Dieu, et faire entrer le coeur de Dieu en nous,
pour y faire un mariage indissoluble... II n'y a d'autre mystere pour arriver a cette
sainte initiation, que de nous enfoncer de plus en plus jusque dans les profondeurs
de notre etre, et de ne pas lacher prise, que nous ne soyons parvenus a en sortir, la
vivifiante racine; par ce qu'alors tous les fruits que nous devons porter, selon notre
espece, se produiront naturellement en nous et hors de nous .
Selon le Philosophe Inconnu, le travail de I'Homme de Desir provoque une trans
formation interieure, un engrossement spirituel qui porte la promesse d'une re
naissance interieure. Grace a ce travail, le Vieil Homme cede progressivement
la place a un Nouv el Homme . Ce Nouvel Homme, une f ois ne, passe ensuite
par tous les stades de revolution, jusqu'a atteindre sa complete maturite. Devenu
Homme-Esprit , il pourra accomplir son Ministere et devenir I'intermediaire
actif entre la nature et Dieu. Alors, la communication sera retablie entre le haut
et le bas, et la Terre pourra trouver le sabbat .
D'un poin t de vue martinis te, ce n' est qu' apres s' etre r egenere que I'Homme
participera a la reintegration du Tout dans I'Un et redeviendra le Temple de Dieu :
Hommes de paix, hommes de disir, telle est la splendeur du Temple dans lequel vous
aurez droit un jour de prendre place. Un tel privilege doit d'autant moins vous etonner qu'ici bas vous pouvez commencer a I'elever, que vous pouvez meme I'orner a
tous les instants de votre existence... Souvenez-vous que, selon I'enseignement des
sages, les choses qui sont en haut sont semblables a celles qui sont en bas; et concevez que vous pouvez concourir vous-meme a cette ressemblance, en faisant en sorte
que les choses qui sont en bas soient comme celles qui sont en haut .

24

ACTUALITE DE L'HISTOIRE HORS S E R IE n38

de pratique, les eloignent, et leur amitie


s'etiolc. Au moment de leur separation,
c'est a Madame Salzmann, femme de
grand caractere et pleine d admiration
pour la seduisante humilite du Philosophe Inconnu, qu'il legucra son amitie.
La gente feminine a toujours joue un
grand role dans sa vie. II aimait la compagnie des femmes animees par de hautes
aspirations mystiques ou religieuses,
mais il se defiait beaucoup de celles qui
avaient trop d'inclinalions pour les ora
cles somnambules, comme on disait a
1epoque. C'est d ailleurs pour Tune
dentre elles, Madame de Bourbon, qu'il
commen^a a Strasbourg son ouvrage
Ecce Homo . 1'engageant a se tourner
vers un mysticisme epure des pratiques
theurgiques. Mais la place quoccupe
Charlotte de Boecklin est tout a fait a
part : J 'a i par le monde une amie
comme il n y en a point. Je ne connais
qu elle avec qui mon dme puisse s 'epancher tout a son aise et s entretenir sur les
grands objets qui m occupent, parce que
je ne connais qu elle qui se soit placee a
la mesure ou je desire que I 'on soit pour
in'etre utile... . Comme il le confia luimeme, 1affection profonde qui le lia a
cette femme fut purement platonique :
II v a deux etres dans le monde en pre
sence desquels Dieu m 'a aime. Aussi,
quoique I'un de ces deux etres fut une
femme (ma B.), j'a i pu les aimer tous
deux aussi purement que j'aim e Dieu, et
par consequent les aimer en presence de
Dieu ; et il n y a que de cette maniere-la
dont Von doive s'aimer, si Von veut que
les amities soient durables . C est a elle
qu'il rapporte le plus fecond evenement de
sa vie : laconnaissance du philosophe al
lemand Jacob Boehme, son second
Maitre .
Presque deux siecles separaient SaintMartin et Boehme, mais celui-ci fut par
dela le temps le deuxieme instructeur du
Philosophe Inconnu. Ce dernier dira
dailleurs : C'est a Martines de Pas
qually que je dois mon entree dans les verites superieures ; c 'est a Jacob Boehme
que je dois les pas les plus importants
que j ai fairs dans ces verites . SaintMartin apprend lallemand et, jusqua la
fin de sa vie, se fera une tache quotidienne de traduire les ecrits de son cherissime B. . Jacob Boehme, ne pres de
Goerlitz, en Silesie, fut I'un des plus
grands representants du courant mystique
et theosophique qui parcourt I'Allemagne du X V ICau X V IIc siecle. Chretien
erudit dans 1'etude de la Bible, il presenta
une gnose originale, complexe et souvent
obscure, qui se manifesta a lui sous
forme d'une revelation. Sa doctrine est
construite autour de la notion medievale
de la Deite, \' Ungrund , la Source
mcme de I etre divin ; cest I'Absolu des
absolus qui est en dega et au-dela de la
Creation, et dans lequel Dieu personnifie
n'ex isle pas. La Deite precede done la
Trinite divine. En elle reside depuis tou
jours un desir eternel et infini d'autorevelation : la Volonte. Dans son processus

LE M A R T I N I S M E

dc manifestation, cette Volonte se reflete


a travcrs laTrinite et son image parfaite :
la Sophia, la Sagesse.
Humble, Jacob Boehme ne cessa
d'avouer sa propre incapacile : Parm a
prop re force, je suis un homme aussi
aveugle qu 'un autre et ne puis rien. mais
par I'esprit de Dieu, mon esprit innepenetre tout, mais pas toujours avec assez
de perseverance . I I se sent comme un
enfant adopte par la divine Sophia, qui
l introduit dans le Grand Mystere ,
celui de la naissance de Dieu dans
I*homme et de 1'homme en Dieu. Selon
lui, le monde visible symbolise le monde
interieur, et la Sagesse siege dans le cceur
de 1*homme. C'est la qu'elle se tient. at
tendant avec patience d'etre decouverte,
entendue et aimee. Si 1'homme penetre
dans les secrets de son cceur, les Mysteres
divins lui sont reveles. Cette theosophie de Boehme prefigure la voie cardiaque du Martinisme el va modifier
profondement la philosophic de SaintMartin, qui s'oriente deliberement vers la
voie interne, renoncant a son passe par un
acte symbolique : il demissionne de la
Franc-Maconnerie, tout en restant fidele
a son initiation d'Elu-Cohen. Cette evo
lution interieure le protegea sans doute
aussi des evenements exterieurs, car la
Revolution fran^aise. en chassant les me
diums et en condamnant la Ma^onnerie.
obligea a la plus grande prudence,
nolammenl dans les ecrits.

S a d o c t r in e
Le Nouvel Homme , ouvrage que
Saint-Martin ecrivit lors de son sejour en
Alsace, n'est pas encore petri de la pen
see de Boehme, et c'est sans doute pour
celaque le Philosophe Inconnu se sentait
insatisfait ct mecontcnt a Strasbourg.
Plus qu'une theorie sur la Regeneration,
il voulut ecrire une exhortation a la Re
generation, comme il le dira plus lard
dans sa correspondancc avec le baron
Kirchberger. S 'il est vrai qu'il redigea
cc livre a 1'instigation du Chevalier de
Silverhiclm, neveu de Swedenborg, il

n'est cependant pas vrai. comme on au


rait pu le faire croirc, qu'il ne fit que rcprendre les doctrines du visionnaire
suedois. Quoi qu'il cn soit, arretons-nous
sur ces pensees merveiIleuses, inspirees
et originales : Dieu n'apas dedesirplus
vifet plus ardent que la Regeneration de
I 'liomme, car par son essence n etant que
pur Amour, il tend les bras a la creature
decline... De cette sublime verite que
I'homme est une pen see du Dieu des
etres, il resulte une vaste lumiere sur
notre loi et notre destination ; d savoir
que la cause finale de notre existence ne
pent etre concentree dans nous, mais
qu 'elle doit etre relative a la source qui
nous engendre comme pensee, qui nous
detache d'elle pour operer au-dehors ce
que son unite insubdivise ne lui permet
pas d'operer elle-meme /.../. C'est pour
cela que cette pensee du Dieu des etres,
doit nous etre la voie ou doit passer la
Divinite toute entiere, comme nous nous
introduisons journeliement tout entier
dans nos pensees, pour leur faire atteindre le but et la fin dont elles sont I'ex
pression, et pour que ce qui est vide de
nous devienne plein de nous. Car tel est
le va'u secret et general de I 'homme ; et
par consequent, tel est celui de la Divi
nite dont I'homme est image .
Selon Saint-Martin, la destinee du Nouvel
Homme est inseparable de celle du Christ.
Par I'imilation interieure de l'alchimie
christique, il doit epanouir graduellement
des vertus dont il ignorait jusque-la 1'existence. Poursuivant fidelement cette imita
tion du Christ, 1homme doit mourir d'une
triple mort et triplement ressusciter : Le
Vieil Homme est mort sous le joug d 'une
triple mort, que I 'on designe sous le norn
de la mort du corps, la mort de I ame et la
mort de I'esprit /.../. Il faut done que le
Nouvel Homme ait pour niche de se pro
curer une triple resurrection, e est-a-dire
qu il armche sa pensee. sa parole et son
action aux tenebreuses regions oil elles
sont en esclavage, qu 'il retienne sa pen
see. sa parole et son action sur le bord du
precipice dans lequel I'ennemi cherche

journeliement d les entminer, et qu 'ilprevienne pour I avenir la mort de sa pensee,


de sa pamle et de son action sur le bord du
precipice, dans toutes les circonstances ou
I'ennemi pourra les menacer . Devenu
frere du Christ, le Nouvel Homme retrouvera, apres avoir fait resonner en lui les
trompettes du Jugement dernier, les rap
ports qu'il avait avec Dieu a 1'Age d'or. La
Jerusalem Celeste sera alors rebatie. et le
processus de la Reintegration sera termine
: Ne te donne done point de reldche que
cette ville sainte ne soit rebatie en toi, telle
qu 'elle aurait toujours du y subsister si le
crime ne I'avail renversee, etsouviens-toi
tons les jours de ta vie que le sanctuaire
invisible ou notre Dieu se plait d'etre honore. que le culte, les illuminations, I'encens dont la nature et les temples
exterieurs nous offrent des images instructives et salutaires, qu 'enfin toutes les
merveilles de la Jerusalem Celeste peuvent se retrouver encore aujourd'hui dans
le caiir du Nouvel Homme, puisqu\elles y
ont existe des I'origine .

Sa m o r t
C'est pendant 1'ete 1791 que LouisClaude de Saint-Martin fut brutalement
arrache de son paradis, Strasbourg : son
pere venait d'avoir une seconde attaque
de paralysie et le rappelait pres de lui. La
Divine
Providence
avail
conduit
I'Homme de Desir qu'il etait jusqu'a
Strasbourg, et elle cn eloignait mainlenant le Nouvel Homme qu'il etait de
venu. Mais si sa ville natale ne lui
pcrmettait pas de parler ou d'entendre
parler des verites qu'il aimait, il n'y
trouva pas non plus les fanatiques de la
Terreur qu'il aurait rencontres a Stras
bourg, ce qui lui fit dire : Toutes les cir
constances de ma vie ont ete comme des
echelons que Dieu pla^ait autourde moi.
pour mefaire monter jusqu 'a Lui . Estcc en ayant cela a l'esprit qu'il quitta ce
monde un jour de 1803. pour rejoindre le
Dieu qu'il venerait tant ?

Un Martiniste anonyme

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FEVRIER - MARS

2010

25

DOSSIER

L e M a r t in is m e

Un esoterisme,
une theosophie, une gnose
'esoterisme a un caractere univer
se!. Que ce soit dans le chamanisme, qui. selon de recentes
interpretations, remonterait aux temps
prehistoriques, ou dans les grandes reli
gions orientales comme occidentals, on
y retrouve la presence d'un savoir, d une
connaissance, dune sagesse qui sont re
serves a des inities et qui leur permettent
de faire Iexperience, apres un long apprentissage, de 1union avec une realite
supra-humaine. Ce cceur. ce noyau esote
rique. interieur, nourrit et vivifie lexterieur. 1aspect exoterique des religions.
Si I'esoterisme est aussi universel, c'est
parce qu'il correspond a la structure profonde du monde et de l'homme, a savoir
qu'il y a depuis la sortie de 1'unite originelle un interieur et un extericur des
choses, mais egalement un chemin menant de I'un a Fautre. Parce qu'il est eter
nel, I'esoterisme n'en a pas moins irrigue
d une maniere souterraine le monde
occidental a travers quatre courants
qui. bien que relies, ont garde leur specificite : 1'hermetisme. la kabbale, 1'alchimie et la theosophie.
La theosophie, dans son sens moderne,
est I'un des courants de I'esoterisme oc
cidental. Sa caracteristique reside dans le
fait qu'il est d'essence chretienne. La fi
gure du Christ y est omnipresente, mais
atteint une ampleur qu'il n'a pas dans la
religion exterieure. La theosophie s'est
developpee aux XV le et XV IIe siecles
avec les Rose-Croix, Paracelse, Jacob
Boehme, et sest perennisee ensuite a tra
vels les oeuvres de Martines de Pasqually
et de Louis-Claude de Saint-Martin.
Quant a la gnose. elle insiste sur la voie
ascendante qui mene vers la Connais
sance, bien qu'elle designe parfois aussi
cclle-ci, con^ue comme une sagesse qui
libere et guerit. Ainsi, toutes les voies
esoteriques authentiques sont des gnoses,
dans la mesure ou elles impliquent une
pratique initiatique qui permet d'acceder
a l'absolu. A la vue de ces definitions, il
nous a semble interessant d'etudier en
quoi le Martinisme est un esoterisme. une
theosophie et une gnose.

U n e sote rism e
L'esoterisme, nous 1'avons dit, est le
coeur. le noyau, de toutes les religions,
car. comme 1'enseigne le Martinisme,
elles prennent leur source dans une seule
Religion. Ce cceur, cet interieur commun
a toutes. permet d acceder a une realite
supra-humaine par une experience inte-

26

L'lllum ination p a r le coeur, illustration extra ite d' Em blem ata (1630), de Daniel Cramer

rieure. Lesoterisme per^oit 1 unite derriere la diversite et developpe quatre


themes que Ion retrouve sur tous les
continents, meme s'ils sont traites differemment :
Le premier est la presence d'un principe
vital unique, present en toute chose et en
devenir, en evolution vers une perfection
latente. Le plus sou vent, on l'a appele
Ame du monde et symbolise par la
spirale, la roue ou le germe en gestation.
Le deuxieme theme est 1'exclusion de
l'homme de 1'unite originelle, que relate
le mythe de la chute symbolique present
dans toutes les cosmogonies. L'histoire de
l'homme, mais aussi du cosmos, repre
sente dans cette vision la longue marche
du retour vers 1unite perdue.
Le troisieme est la loi de polarite. Le
mouvement de 1'uni vers nait avec la dualite, I'Un etant statique. L uni vers est
rythmique et dialectique. en ce sens que
des forces antagonistes et complementaires s unissent pour donner naissance a
des manifestations superieures, le deve
nir cosmique etant oriente par 1'Esprit.
Ainsi, la matiere genere la vie, la vie genere la conscience, vie et conscience

ACTUALITE DE L'HISTOIRE HORS S E R IE n38

etant presentes de maniere latente dans


leur matrice materielle.
Le quatrieme theme est la loi d'analogie
et de correspondance entre le microcosme et le macrocosme, d'ou decoule
un principe de connaissance essentiel: on
ne peut connaitre que ce que I'on porte
deja en soi. Or, nous retrouvons tous ces
themes dans le Martinisme.
L'esoterisme se caracterise egalement par
trois manifestations : le secret, la trans
mission d une tradition dite primordiale,
et 1'initiation. Le secret peut etre aborde
de plusieurs manieres. Tout d'abord. il
s'avere necessaire pour assurer la protec
tion des enseisnements et des rituels. Son
but est d'en preserver l'integrite et 1'efficacite, afin de reserver leur acces a
ceux qui le demandent, mais aussi a ceux
qui le meritent. Mais le secret, c'est aussi
celui des textes, qui exigent interpreta
tions symboliques et meditations. Ainsi.
tout esoterisme veritable se refere a un
mythe originel que I'initie doit decrypter
pour donner un sens a sa vie. Pour I'ini
tie martiniste, ce mythe sappelle la Ge
nese, dont il doit penetrer le sens
hieratique a la lumiere de I'Evangile de

LE M A R T I N I S M E

Jean, de la Kabhalc et des ecrits de Jacob


Boehme, Martines de Pasqually et LouisClaude de Saint-Martin. Le secret, cest
enfin l interieur cache des choses que
l'homme. dans sa quete de 1 unite, doit
chercher et decouvrir par lui-meme.
Deuxieme manifestation de 1esoterisme : la transmission de la Tradition primordiale. Cette Tradition immemoriale,
unique, transcendante et transmise d'age
en age, de maitre a disciple, le Marti
nisme Iappelle la Lumiere eternelle de
la Sagesse divine. C est une connaissance non-rationnelle, intuitive, presente
en tout etre, mais qui doit etre eveillee
par la filiation spirituelle et Iinitiation.
C est un legs spirituel que les Ordres initiatiques authentiques ont en depot et
quils ont la charge de transmettre. C est
pourquoi ces Ordres mandates, bien
quancres dans leur temps, sont en fail
hors du temps et relies au principe originel qui leur donne force, vie et perennite.
Derniere manifestation de tout esoterisme : Iinitiation. C est en effet Iinitia

initiations et de ses rituels, est I un des


fleurons de lesoterisme occidental et de
lesoterisme tout court.

tion qui assure la transmission de la Tra


dition. En ce sens, elle est a la fois un
commencement pour celui qui entre sur
le sentier, et un retour a Iorigine, au Prin
cipe. par Iinfluence spirituelle qui passe
de l initiateur a rinitie et fait de ce der
nier un disciple de la Lumiere. L initia
tion est done une experience impliquant
un contact direct, physique entre eux.
mais aussi un contact subtil provoquant
eveil et illumination. Ce processus symbolique exige plusieurs choses : la pre
sence effective du candidat. lexamen de
sa dignite, la transmission de symboles et
le don dune force spirituelle lors de 1'ini
tiation. 11 appartient ensuite a 1initie de
faire germer la semencequ il a regue. Le
but est la realisation spirituelle et la rein
tegration d une harmonie perdue qu il
faut retrouver.
Ces analyses des themes et manifesta
tions de lesoterisme ne laissent done pla
ner aucun doute : le Martinisme, tant par
les lignes de forces de son enseignement
que par la rectitude traditionnelle de ses

U n e t h e o s o p h ie
Un chercheur a ecrit: La theosophie est
la doctrine chretienne des X V Ic et XV II1
siecles, representee par Paracelse, Wiegel, Fhtdd... et qui se caracterise par la
reflexion analogique et I 'illumination interieure, I 'experience spirituelle et les
notions d 'emanation, de chute originelle,
d 'androgynat, de Sophia, de reintegra
tion, d arithmosophie, et surtout de dou
ble force.... Nous retrouvons dans cette
definition des themes de la theosophie,
qui est une forme eminente de 1esoterisme occidental.
La theosophie est la connaissance des
mysteres divins incarnee par Sophia, la
Sagesse divine. Hochmah dans la kabbale. C est elle qui se transmet et devient
accessible a la comprehension humaine a
travers ce quon appelle la Tradition. Elle
est presente en toute chose, et bien sur en
l homme, comme un tresor cache. Dieu
se cache pour que I homme le cher che
dit un vieil adage. Et lhomme peut acceder a cette sagesse, car il possede en lui
des profondeurs qui sont en resonance,
en harmonie, avec les profondeurs des
Mysteres divins. Mais pour cela, il lui
faut operer la conversion du regard, descendre dans la nuit, et frapper a la porte
du sanctuaire qui souvre lorsque 1on est
pret a affronter la Lumiere de la Sagesse.
Or, les enseignements et les rituels mar
tinistes nont duutrc but que de preparer
a cette entree dans le sanctuaire ou soperent les noces chymiques.
Lautre figure centrale de la theosophie
est celle de Ieschouah. le Christ cosmique. Lunivers nest pas laisse a la de
rive. II est habite et souleve par le Feu
christique. Teilhard de Chardin, ce mys
tique moderne, en a fait le moteur de
revolution. Rayonnant en Tiphereth, Ie
schouah est le mediateur qui permet au
monde den-bas de sharmoniser avec le
monde d en-haut pour rejoindre Vunite
de Kether, et au-dela, le Dieu inconnaissable. Le Martinisme est bien une theo
sophie par sa filiation remontant par
Louis-Claude de Saint-Martin, ainsi que
par la place centrale qu il accorde a la So
phia. la Sagesse divine, et a la puissance
transfigurante du Christ cosmique.

U ne g n o se

af

Apollonius
, I'un des plus grands representants de la sa g esse antique

La gnose est une connaissance qui libere.


Mais cest aussi la voie qui mene a la
Connaissance. Elle exige lacquisition
d'un savoir qui demande a la fois re
flexion intellectuelle, experimentation, et
descente en soi. C est alors qu il devient
sasesse.
La ssnose
est aussi le chemin asw
*cendant, 1itineraire peril leu x entre des
forces contradictoires. De l errance de
I Homme du torrent a la maitrise du Nouvel Homme, elle est une dialeclique, mais

FEV R IER -M A R S

2010

27

DOSSIER
degre est une gnose sur des plans differents. Linconscicnt est la racine de notre
etre, le centre spirituel vers lequel il nous
faut converger pour puiser aux sources de
la Creation. Par lui, nous sommes en har
monic avec les rythmes cosmiques et
notre nature divine. Mais il existe aussi
en nous une region plus obscure, nee de
nos desirs refoules et de nos peurs se
cretes, bien etudice par les psychanalystes, en particulier par Jung, qui
I'appelait Pombre . C'est pourquoi la
voie initiatique reclame de 1initie prepa
ration. patience, perseverance et ferveur.
Quoi qu'il cn soit. le Martinisme est bien
une gnose par la structure de son enseignement, le cheminemcnt au sein de
chaque degre. et Part de combiner l'oratoire et le laboratoire.

Planche extra ite de L'Am phitheatrum


(1603), de Henrich Kunrath

par Guy Eylierabide

OMt

une dialectiquc nee de 1'union de deux


forces antagonistes et complementaires,
symbolisees par les deux piliers. a tous
les niveaux de la creation, de Patome a
1'homme, cette dialectiquc fait naitre, par
le choc et l'union de deux energies opposees, des manifestations qui nexistaient
pas jusqualors, ou qui n'existaient qu'a
Petal latent. L'union est cicatrice, mais
elle preserve la singularite et la difference
des forces initiales. Sa forme la plus elaboree est P amour humain.
Aux niveaux mental et emotionnel, c'est
1'interaction du moi et du monde qui provoque nos prises de conscience. Au ni
veau spirituel, c'est le dialogue difficile
mais fructueux de notre etre conscient et
de notre ame inconsciente qui nous fait
avancer sur le chemin. Le Martinisme
prepare a ce genre de confrontation et
permet d'en retirer tous les fruits. Chaque

OMT

O ratoire et Laboratoire, planche extraite


de L'Am phitheatrum (1603),
de Henrich Kunrath

Tetragram m e, de Serouya
Herm es Trism^giste (Pavem ent de la cath^drale de Sienne)

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28

ACTUALITE DE L'HISTOIRE

HORS SERIE n38

LE M A R T I N I S M E

Kabbale et Martinisme
e mot Kabbale vient du terme
hebreu qabalalt, qui signifie ce
qui est re^u (forme a partir de la
racine qihel, recevoir). C'est une tradition
qui s'est perpetuee au cours des ages.
C'est a la fois une voie de connaissance
fondee sur retude des textes bibliques
(en hebreu), et une voie de realisation
spirituelle basee sur un travail de perfectionnement individuel. Par extension, il
s'agit d'une sagesse voilee qui sest
transmise de bouche a oreille el d'initie a
initie. ce qui fait penser a la citation de
Francis Bacon : La gloire de Dieu est
de cacher une chose ; la gloire de
I 'homme est de la decouvrir . Pour pouvoir etudier la Kabbale, il faut developper deux qualites : 1'humilite et rumour
du prochain. En cela, c'est une voie
cardiaque assez proche du Martinisme. A
ce propos. Moshe de Kobryn n'a-t-il pas

dit : II faut vivre dans la jo ie ; il faut


vivre dans I'amour. D'ailleurs, c'est une
seule et meme chose.

L e s n iv e a u x d e l a K a b b a l e
La Kabbale ne doit pas etre etudiee
comme une methode speculative, une
methode theurgique ou une methode divinatoire. Ceci conduit a I'erreur et a la
confusion. La Kabbale est surtout une
voie pratique permettant d'aboutir a la
conduite juste (en respectant les 613
mitsvoth ou commandements de la loi
juive, avec kauanah ou intention mys
tique. Cette conduite juste peut se resumer en ceci: Ne J'ais pas a autrui ce que
tu n'aimerais pas q u 'il te fasse. c'est la
toute la Torah, le reste n 'en est que le
commentaire (Hi 1lei, Talmud. Traite
Chabhat 30b). Rappelons que la Torah
correspond au Pentateuque. l'ensemble

PORTAE LVCI

H j c e f t p o n a T c tra g ra m a ro n iu fti in rrib H t p ta r a ,


_________________ _____2------------------------------------

win w ur/iruit'

Les Portes de la Lu m itre ( Portae Lucia , J.B .A . Gikitilla, 1516)

des cinq premiers livres de la Bible (Ge


nese. Exode, Levitique. Nombres. Deuteronome).
Dans la Kabbale. on distingue quatre ni
veaux de lecture de la Torah : peshat (litteral. pour rechercher des informations
dans le texte biblique d'origine), rentez
(affiliation des lettres, symbolisme des
lettres et des nombres). derash (allegorique. on va scruter et utiliser des systemes de combinaison comme la
guematrie. la temourah, la notarika), sod
(niveau secret, accessible par la medita
tion). La premiere lettre de l'ensemble de
ces mots forme le mot PaRDeS, qui si
gnifie Paradis .
L'etude des textes bibliques et kabbalistiques permet d'aborder les niveaux superficiels {peshat et remez), fortement
associes a I'intellect. Les textes les plus
connus sont:
- la Torah elle-me me (la Loi), qui cor
respond aux cinq premiers livres de la
Bible (le Pentateuque),
- le Talmud (l'ame de la Loi), compose
de commentaires sur la Torah.
- le Zohar (l'ame de l'ame de la Loi),
comprenant une interpretation biblique
esoterique, ainsi que divers traites de
magie, dangelologie, de chiromancie,
des ecrits sur la reincarnation et sur les
mysteres du Nom divin.
- le Sefer Yetsirah qui constitue une ex
plication esoterique de la Creation.
- le Maasseh Bereshit. vision de la Crea
tion. comportant des experiences mys
tiques,
- le Maasseh Merkavah, vision de la fin
des temps, avec sa litterature des palais
(hierarchie celeste),
- et d'autres livres comme le Sefer Ha
Bahir, le Sefer Ha Razim, le Shiour
Qom ah...
Neanmoins. la Kabbale ne doit pas etre
uniquement speculative et intellectuelle.
D ailleurs, meme a propos de sujets
cSlaves comme la creation du monde.T les
rabbins ne perdent pas le sens de 1hu
mour, comme en temoigne la citation suivante tiree du Midrash Rabba sur la
Genese : Pourquoi I'homme fut-il cree
le dernier jo u r ? Four que, si I 'orgueil le
pretid, on puisse dire : dans la Creation,
le moustique t 'a precede .
Pour atteindre un aspect plus emotionnel
et decouvrir cette voie cardiaque, il est
important de travailler les deux autres ni
veaux de lecture de la Bible {derash et
sod), non par la lecture d'ouvrages sur la
Kabbale ou le suivi de seminaires, mais
par la pratique effective et personnelle. et
la decouverte par soi-meme de codes enfouis dans le corpus biblique.
Le symbolisme des lettres hebraiques ou
de la grammaire peut nous y aider. Dans
la Torah, certains noms bibliques apparaissent parfois avec un He, parfois sans.

FEVRIER - MARS

2010

29

DOSSIER
Nous trouvons par exemple Adam ou Ha
Adam, Abram ou AbraHam. Or la lettre
He symbolise I'alliance avec Dieu. Elle
est legerement ouverte en haut a gauche,
cote cceur, et correspond a un H' aspire.
Elle est associee a un passage d'air et a
la fenetre, done a l'ouvcrture vers le haut,
au chemin de la remontee vers Dieu, et
par consequent a l'alliance avec Dieu.
Ainsi. Ha Adam correspond a Adam, au
premier homme, qui etait encore dans
l'alliance divine, dans le jardin d'Eden.
Lorsquil est chasse du Paradis, il devient
Adam (sans le He), celui qui n'est plus
dans I'alliance avec Dieu. Dans le mcme
ordre d'idce, Abram devient Abraham
apres avoir scelle son alliance avec Dieu
(apparition du He). De meme, dans cer
tains passages de la Genese, on trouve
des enonces oil le feminin est attendu.

alors que le masculin est rencontre, el


vice versa. Y a-t-il eu une grossiere erreur de grammaire ? Ceci apparait essentiellenient lorsque Adam et Eve sont dans
le jardin d'Eden. Par exemple, dans le
*
chapitre 3, verset 20. Adam appelle Eve
et parle de lui au lieu d'elle. En fait, a
cette epoque du recit biblique, Adam et
Eve sont androgynes (a la fois male et femelle), d'ou cette indifference entre les
modes masculin et feminin.

L a s c ie n c e k a b b a l is t iq u e
Les Kabbalistes, selon leurs tendances,
abordent la symbolique des lettres de diverses manieres. Certaines methodes ont
ete mises au point pour evoquer des ana
logies entre mots ou passages de la Torah.
On irouve ainsi toute une batterie de codages comme la guematrie, la temourah.

W 3

COVRONNE

la notarika (ou notarikon).


- La temourah est la science des permu
tations des lettres, I'art sacre des anagrammes. Les combinaisons obtenues a
partir dun mot localisent son origine et
sa quintessence. Par exemple, Molse en
hebreu se dit Moshe. En permutant les
lettres, nous obtenons Hashem, qui signifie le Nom (sous-entendu Dieu).
Ainsi, Moise est celui qui regoit la Torah,
et Dieu celui qui la donne. II s'agit pour
le Kabbaliste de trouver le lien existant
entre les mots, et d'arriver au cceur de
I'energie animee par 1ensemble des let
tres, devoilant ainsi l'essence du mot
d'origine.
- La notarika. quant a elle, est la science
des abreviations. Elle consiste a obtenir
de nouveaux mots a partir des premieres
ou dernieres lettres de phrases ou simplement de mots. C'est la technique des
acrostiches. On peut, en partant des let
tres initiales ou finales des mots d'une
phrase, former un nouveau mot. Par
exemple. les lettres finales des trois pre
miers mots de la Genese Bereshit Bara
Elohim (Au commencement Dieu
crea...) donnent TAM (parfait). Ainsi.
la Creation de Dieu est parfaite (Tam).
- La suematrie est la science des nombres. C'est un procede qui applique une
valeur numerique a chaque lettre. C'est
une technique ties largement employee
chez les Kabbalistes. Elle etudie les
transpositions etablies, de telle sorte
qu'un mot peut se transformer en nom
bre et un nombre en mot. Lorsque deux
mots ont la meme valeur. on dit alors
qu'ils sont relies I'un a l'autre, car pour
les Kabbalistes, tout a ete cree au moyen
de permutations de lettres du Verbe divin.
On chcrche alors les mots ayant la meme
somnie, afin de trouver des correspondances secretes entre ces mots. Par exem
ple, la Kabbale dit que Dieu est amour
et unite . En voici la raison : le mot
AHAVAH (amour) est compose des let
tres Aleph. He, Beth et He. ce qui donne
un code de 1 + 5 + 2 + 5 = 13. Or. Dieu
est unite (E'HAD), mot compose des let
tres Aleph Heth et Dalet, ce qui nous
donne I + 8 + 4 = 13. Ces deux mots
ayant le meme code numerique, il existe
une correspondance entre eux. Pour la
Kabbale. amour et unite sont done equi
valents et se completent. De plus, le nom
de Dieu YH W H a pour valeur numerique
10 + 5 + 6 + 5 (Yod, He, Vav, He), cgale
a 26, soit 13 + 13. En d'autres termes,
amour plus unite correspondent a Dieu.

L ' u n io n m y s t iq u e

L'Adam Kadmon

30

ACTUALITE DE L'HISTOIRE

HORS SERIE n38

Mais le niveau de comprehension le plus


profond (soil) ne peut etre aborde que par
la meditation. Abraham Aboulafia, Kab
baliste du passe, preconisait la technique
de contemplation des lettres, qu'il qualifiait de technique d'union mystique. En
effet. pour les Kabbalistes, la lettre est un
lien entre l'homme et Dieu. Elle devient
alors un support de meditation pour \ddevequth, I'adhesion a la Conscience di
vine, et complete parfaitement les

LE M A R T I N I S M E

techniques de combinaisons evoquecs


precedemment, techniques plus associees
a des aspects intellectuels et emotionnels.
On quitte alors le mental pour aborder un
niveau plus spirituel.

L ' im p o r t a n c e d u coeur
Le coeur a une grande importance dans
la Kabbale. Un certain nombre d'indices
nous permettent d'en prendre cons
cience. Ainsi. la premiere lettre de la
Torah est un Beth (le premier mot de la
Genese est Bereshit). Cette lettre corres
pond a la preposition en. dans (interieur).
On peut done penser que le debut de la
Torah se situe en Dieu, faisant ainsi pen
ser a l'etat dorieux de Vhomme a son
origine. Dc meme, la derniere lettre de la
Torah est Lamed (le dernier mot est Is
rael). Cette lettre correspond elle aussi a
une preposition : pour, vers (direction).
On cn conclut que la finalite de la Torah
est daller vers Dieu. Celle-ci est done
une voie menant de Beth a Lamed, cc qui
forme le mot BaL (abondance, fertilite).
(Une autre signification de BaL est interdit , rigueur de la Loi ).
II est troublant de constater que le sens in
verse (Lamed Beth, au lieu de Beth
Lamed), suggerant le retour, lc flux op
pose, forme le mot cceur {LeB en hebreu). Le coeur est done, dans la Torah, la
voie a suivre pour retourner a Dieu. En
effet, le debut du mot c<x\\\ILeB (la let
tre Lamed) est situe a la fin de la Torah,
alors que la fin de ce mot (la lettre Beth)
est placee au debut de la Torah. Ainsi,
rhomme peut retourner a VUnite divine
en suivant les injonctions de son coeur.
II est surprenant egalement de constater
que la guematrie du mot cceur donne
32 (30 pour Lamed + 2 pour Beth), soit
les 32 sentiers de la sagesse. Ceci evoque

La voie christique (D 'a prts une planche


extraite de I'ouvrage Sym boles secrets
des Rosicruciens des XVIe et XVIIe siecles )

egalement le chapitre 32 de la Genese,


contenant le combat de Jacob avec Dieu.
Dans cette scene, Jacob traverse le fleuve
Yaboc ; en fait, il traverse son propre
nom. En effet, la temoura de Yaboc
donne Yacob (Jacob). Apres avoir combaltu avec l ange, il devient Israel . La
Notarika sur la fin des mots Yacob et
Israel nous donne la encore BaL (et
LeB dans Iautre sens). Le verset 27 du
chapitre 32, in as lutte avec Dieu et tti
as ete vailiqueur , peut alors etre interprete par : in as combattu la rigueur du
BaL. le commandement de Dieu, et tu as
vaincu par LeB, le cceur . Ce passage
montre ainsi un face-a-face : un nom face
a un autre nom, un homme face a Dieu, lc
debut de la Torah face a la fin.
Enfin, precisons que le coeur est au cen
tre meme de la Kabbale. En effet, le mot
c/abalah secrit QBLH (Qof. Beth.
Lamed, He), et contient en son centre les
lettres Lamed et Beth, qui formcnt le mot
LeB (coeur), integre au centre, mais a
lenvers. On comprend alors mieux la ci
tation suivante, extraite du Traite Brakhot
17a : II importe pen que ce que I on fait
soit grand ou petit, pourvu que I'on di
rige son cceur vers le d e l .

m t^ n
Tetragram m e, Nom sacr4 de Dieu dans la
tradition judo-chrtienne

K a b b a l e e t M a r t in is m e
Tout comme la Kabbale, le Martinisme
est une voie cardiaque, une voie de reali
sation spirituelle menant a la connaissance de soi et du monde divin. On
retrouve dans 1enseignement kabbalis
tique plusieurs notions martinistes,
comme la reintegration de 1'humanite (le
tikkoun ou la restauration de Yordre originel), la reincarnation (le gilgoul ou la
transmigration des ames), Vunion divine
(la kawanah ou le retournement vers
Dieu), la quete d'illumination (la devequth ou la contemplation), etc.
La Tradition martiniste rapporte que tous
les etres humains represented les cellules
d'un meme corps, celui de 1'humanite,
chacun ayant neanmoins son autonomic et
son individuality propres. Cette evidence
est la cle de la fraternite, car elle implique
que l'individu ne peut s'elever sans eleva
tion parallele de la collectivite. Un chemin
etroit et ardu, mais pur el lumineux. peut
conduire vers cet ideal: c'est le chemin du
juste milieu, qui dessille les yeux et I'esprit. et conduit a la serenite et au respect de
Iautre. Pour y parvenir. il faut equilibrer
les oppositions de la vie. symbolisees par
les piliers de 1'initiation, afin de mieux apprehender l'unite omnipresente, en haul
comme en bas, dans le macrocosme
comme dans le microcosme.

La voie du coeur

II y a de nombreuses definitions pour le


mot unite . L'une d'elles est harmonie . C'est celle a laquelle doit tendre
tout Martiniste. II est possible de trouver
de nombreux symboles de l'unite dans la
nature, oil tout animal, vegetal et mineral
depend des autres et ne peut vivre qu'en
harmonic avec les autres, formant ainsi
un ecosysteme. Que I'un des maillons de
cette chaine naturelle soit brise, et c'est
tout le systeme qui en patit. De l'unite
nait la multiplicity, elle-meme destince a
reintegrer l'unite. Ainsi, dans la Kabbale,
l'arbrc des 10 sephiroth, ou arbrc sephirotique, comporte a son sommet une sephira unique, appelec Kether ou
Couronne. C'est de Kether que naissent
les sephiroth Hokmah ct Binah, puis
toutes les autres le long des trois piliers
(Rigueur, Misericorde et Equilibre), pour
arriver finalement au niveau le plus bas.
oil I'on retrouve la encore une sephira
unique : Malkuth. Ccs deux sephiroth.
Kether tout en haut. et Malkuth tout en
bas, sont toutes deux placees sur le pilier
central, la voie du milieu ou pilier de
l'equilibre. qui harmonise les oppositions
de la vie. Or. la lettre hebraique associee
a l'equilibre et a l'harmonie, mais aussi
au souffle ct a la vie, est la lettre Aleph.
Elle correspond justement au chiffre 1. a
l'unite.
Dans le meme ordre d'idee, la Kabbale
demande a 1'homme de pratiquer 613
commandements, lesquels correspondent
a diverses lois et conduites a suivre pour
devenir un tsaddik, un juste. Or, si Ton
fait 1'addition theosophique de 613, nous
arrivons a 6 + 1 + 3 = 10, ce qui nous
conduit au chiffre 1. De meme, si on associe chacune des 22 lettres hebraiques a
un nombre par la guematrie, et si I'on fait
la somme des valeurs numeriques des
304 845 lettres composant la Torah, on
arrive au resultat extraordinaire de 1 ! Assurement. tout nous ramene a l'unite...
C'est par sa conduite juste et son service
desinteresse que I'homme pourra arriver
a la plenitude de 1'Unite. afin d'atteindre
son but ultime : reintegrer la Divinite.
Pour cela. il doit sefforcer de devenir un
mail Ion de la chaine qui contribuera peutetre a ramener un jour 1'humanite vers
son etat glorieux d'origine. Tel etait le but
des Kabbalistes ; tel est le but des Marti
nistes.

Huguette Ijifo rt

f e v r ie r - m a rs

2010

31

DOSSIER

I n t e r v ie w

C h r is t ia n B e r n a r d ,
Souverain Grand Maitre de lOrdre Martiniste Traditionnel

e nos jours, l'Ordre Martiniste Traditionnel est


considere comme le mouvement martiniste le plus
dynamique. Present dans le monde entier, il fonctionne
a travers diverses juridictions de langues ecrites et parlees,
dirigees chacune par un Grand MaTtre et placees sous
la supervision de Christian Bernard, qui assume la fonction
de Souverain Grand Maitre. A I'occasion de ce hors-serie,
nous I'avons contacte pour cet entretien.

A .H .: Vous etes le Souverain Grand


M aitre actuel de l'Ordre Martiniste
Traditionnel. Sans entrer dans
I'historique, qui est longuement
developpe dans cette revue,
pouvez-vous nous dire en quelques
mots ce qu'est I'O.M.T. ?
C.B. : Par definition, il sagit d un mou
vement philosophique, initiatique et tra
ditionnel qui remonte a Louis-Claude de
Saint-Martin, eminent philosophe frangais du X V III0 siecle. Son but est de perpetuer Ienseignement qu'il a transmis a
ses disciples. De nos jours, cet enseignement peut etre regu de deux manieres :
oralement, en se rendant dans une Heptade ou un Atelier ; par ecrit. en etudiant
chez soi des documents adresses par le
siese de lOrdre.

M ais Louis-Claude de Saint-Martin


n'a pas cree d'Ordre Martiniste
en tant que tel ?
Non. De son vivant, il nenseigna qua
quelques disciples, choisis avec circonspection. La tradition rapporte quapres sa
mort, il se forma un Cercle. connu sous le
nom de Societe des Intimes . Ceux qui
en faisaient partie se reunissaient de
temps a autres et echangeaient sur les
ecrits du Philosophe Inconnu, de Marti
nes de Pasqually et de Jacob Boehme.

De quoi traite I'enseignement


martiniste ?
D une maniere generate, il propose une
approche esoterique des grands themes
specifiques a la Tradition judeo-chretienne, tels que les origines de la Crea
tion, la Chute de I'Homme, la
reintegration des etres, la veritable mis
sion du Christ, la science des nombres, la
symbolique celeste, I'angelologie, etc.,
non sans etudier la Kabbale, ainsi que le
sens voile de 1Ancien Testament, des
Evangiles apocryphes, etc.

Qu'entendez-vous par approche


esoterique ?
Pour les Martinistes, il est evident que
nombre de themes presents dans 1Ancien
comme dans le Nouveau Testament ont

32

une dimension symbolique et allegorique. II faut done aller au-dela de I *in


terpretation litterale si 1on veut en
comprendre le sens profond, pour ne pas
dire cache. Lenseignement martiniste a
precisement pour but de decrypter les verites mystiques contenues dans la Bible,
non sans sappuyer sur les exegeses et les
ecrits apocryphes.

Pouvez-vous nous donner


un exemple ?
Si Ton en croit la Genese. la creation du
monde s'est faite en six jours. II est evi
dent qu'une telle chose est impossible. De
meme, l'humanite ne peut provenir d'un
couple originel, en roccurrence Adam et
Eve. Ces recits genesiaques correspondent
en fait a des lois et des principes ontologiques, cosmologiques et cosmogoniques
expliques dans le Martinisme.

Combien de temps dure


I'enseignement martiniste ?
II s'echelonne sur trois degres qui necessitent chacun deux ans d'etude. avant
d'acceder a un ultime degre intitule
Cercle des Philosophes Inconnus.

On pretend que I'initiation est


fondam entale dans le Martinisme.
Qu'en est-il vraiment ?
Effectivement, pour etre considere
comme un veritable Martiniste, il faut
avoir ete initie dans un Temple par un initiateur qui a ete lui-meme dument initie
au Martinisme, et ainsi de suite en re
montant dans le temps. Le but de cette
initiation est double : transmettre au recipiendaire I'influx spirituel qui fait rituellement de lui un Martiniste ;
1'admettre traditionnellement dans la fi
liation martiniste.

ble a tout moment de se faire initier dans


un Temple.

A priori, on pourrait croire que


I'enseignement martiniste est
intellectuel. Est-ce le cas ?
II est un fait que Ietude martiniste, que
ce soit sous la forme orale ou ecrite. necessite un travail de reflexion. Mais ce serait une erreur de reduire le Martinisme a
cette approche intellectuelle. II faut ega
lement apprendre a ressentir 1'aspect
emotionnel de la note" martiniste. En
cela, rappelons que Louis-Claude de
Saint-Martin lui-meme a dit : Ce n'est
pas la tete q u 'il faut se casser ; c'est le
cceur . Le Mai tinisme est dailleurs sou
vent qualifie de Vote cardiaque , ce
qui est ties significatif.
II faut savoir egalement que 1'enseignement martiniste est tout autant pratique
que theorique. C'est ainsi qu'il integre de
nombreuses experiences ayant pour but
d'eveiller notre conscience interieure.
afin d'accroitre notre sensibilite a ce qu'il
y a de plus divin en nous et autour de
nous, ce qui suppose, naturellement.
d'etre spirilualiste.

Faut-il etre Ju ifou Chretien pour


acceder au Martinisme ?
Non. Le Martinisme est ouvert a toute
person ne qui sinteresse a l'esoterisme
judeo-chretien, qu'il appartienne ou non
a la religion juive ou chretienne. Quant
aux Juifs et aux Chretiens qui sont Mar
tinistes. 1'experience prouve que l'enseignement qu'ils etudient au sein de
l'Ordre leur permet de mieux compren
dre les fondements ontologiques de leur
religion de base.

L'Ordre Martiniste Traditionnel est-il


ouvert aux fem m es ?

Mais qu'en est-il des Martinistes qui


etudient I'enseignement chez eux et
qui ne frequentent ni une Heptade, ni
un Atelier ?

Naturellement. Les femmes etaient admises dans le Martinisme des le X V IIIe


siecle. II en etait de meme a Iepoque de
Papus.

On peut dire d'eux qu'ils ont acces a


I'enseignement martiniste. mais qu'ils ne
font pas veritablement partie de la filia
tion martiniste. Cela dit, il leur est possi

L'O.M.T. s'implique-t-il sur le plan


politique ?

ACTUALITE DE L'HISTOIRE H O R S S E R I E n38

Non. II est totalement apolitique, ce qui

LE M A R T I N I S M E

explique qu'il compte parrni ses mem


bres des personnes ayant des opinions divergentes, voire opposees, dans ce
domaine.

Vous etes egalement le Responsable


mondial de I'Ancien et Mystique
Ordre de la Rose-Croix.
Pourquoi cette double fonction ?

Et com bien de Rosicruciens sont-ils


Martinistes ?
Environ 20 %. Cela s'explique par le fait

sagesse, en vue de rendre le monde meilleur.

que tous les Rosicruciens ne sinteressent


pas necessairement a l'esoterisme judeochretien.

En tant que Souverain Grand M aitre


de I'O.M.T., quel regard portez-vous
sur le monde actuel ?

Quelle difference y a-t-il entre


le Martinisme et le Rosicrucianisme ?

Parce que c'est l'A .M .O .R.C . qui parraine I'O.M.T. depuis le debut du X X C
siecle, et que 90 % des Martinistes sont
Rosicruciens. Tous les Grands Maitres de
l'A .M .O .R.C . sont d'ailleurs eux aussi
Grands Maitres de I'O.M.T. En assumant
la responsabilite conjointe de ces deux
Ordres freres, cela permet de mener leurs
activites respectives en parfaite harmo
nic.

Comme je l'ai rappele. l'enseignement


martiniste a une connotation judeo-chretienne, ce qui ne veut pas dire pour autant qu'il ait un caractere religieux.
L'enseignement rosicrucien, de son cote,
est plus large et plus universel, en ce sens
qu'il se rattache a la Tradition primordiale et transcende toutes les religions
existantes et ayant existe. Pour prendre
une image, I'Ordre de la Rose-Croix est
un arbre dont I'Ordre Martiniste Tradi
tionnel est une branche.

Et y a-t-il un lien entre le Martinisme


et la Franc-Magonnerie ?

I T t O X * L

A % !

C ir t ifx c t t

f r a Initiator

tr

MUi .MimiWUMtWW
KOir w w v , { f i 2

S H n JM iM

B t ? . l ,W
y-U l.T H l.T lIJl.

Ils voient en Lui PIntelligence, la


Conscience, PEnergie. la Force - peu importe le terme - qui est a 1'origine de la
Creation et qui Se manifeste a travers elle
selon des lois impersonnelles, immuables
et parfaites. En fait, c'est dans I'etude et
le respect de ces lois que reside le bonheur auquel tous les hommes aspirent.
Mais encore faut-il qu'ils en aient
conscience et qu'ils agissent en conse
quence...

En dehors des reunions tenues dans


les Heptades e t les Ateliers,
les Martinistes ont-ils la possibility
de se rencontrer ?

tfMfftPi frnvsrf.~+4h i w v h

i>1*

S?

Quelle est done leur conception de


Dieu ?

Oui. L'O.M.T. organise regulierement des


Convents qui se tiennent sur un plan re
gional. national ou international, permettant ainsi a des Martinistes venus de
divers horizons de se rencontrer et de tra
vailler ensemble. Vu sous cet angle, il
s'agit d'une Fraternite authentique.

1*?/& + - iljjOtWxtai
''I

Certificat d'initiotion de Christian Bernard,


en font que Sou\/erain Grand M a itre de
I'O.M.T.

CC [ Christian BERNARD
O
1 Souverain Grand Maitre

En une phrase, comment defmiriezvous I'ideal martiniste ?

OMl

T*

Je ne suis pas Franc-Ma^on. mais d*apres


ce que je sais, certains rituels magonniques sont ties proches des rituels mar
tinistes. Cela s'explique notamment par
le fait que Martines de Pasqually, initiateur de Louis-Claude de Saint-Martin.
appartenait a la Franc-Magonnerie.

Le meme que celui que je porte en tant


que Responsable de l'A.M .O .R.C. Pour
etre plus precis, je pense que l'humanite
s'est atheisee ct qu'elle risque de perdre
son ame dans sa course effrenee au materialisme. II faudrait qu'elle renoue avec
une spiritualite authentique, e'est-a-dire
non religieuse. fondee sur le ternaire eso
terique Homme-Nature-Dieu, tel que les
Martinistes, les Rose-Croix et autres
Mystiques Le conqoivent.

C'est un ideal de Chevalerie spirituelle.


fonde sur la volonte de cultiver en soi la

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FEVRIER - MARS

2010

33

DOSSIER__________________

L'enseignement martiniste

Une H eptade m artiniste de nos jo u rs

enseignement martiniste est transmis a la lois par ecrit. sous forme


de manuscrits, et oralement, lors
des reunions tenues dans les Heptades
les Ateliers de IO.M.T.

Precisons que cest la forme orale qui est


la plus con forme a la Tradition marti
niste, car elle s inscrit dans un processus
initiatique remontant a Louis-Claude de
.Saint-Martin. Parmi les sujets traites, citons, entre autres :
Le Grand Architecte de 1Uni vers
LAdam Kadmon
La Chute de I Homme
Les origines de la Creation
Le Temple universel
Le Temple de Salomon
La Sophia
La science des nombres
Les arcanes de la Kabbale
LAncien Testament
Le Nouveau Testament

34

Les Evangiles apocryphes


Le Livre de la Nature
Le Livre de IHomme
etLa mission du Christ
Les cycles de lhumanite
Le monde invisible
Les anges
La symbolique celeste
Lalchimie des reves
La priere
La reintegration des etres, etc.
Dans leurs travaux, les Martinistes nemploient ni theurgie ni magie, car ils se
conforment a I ideal du Philosophe In
connu : Conduire I esprit de l'homme
par une voie naturelie aux choses surnaturelles qui lui appartiennent de droit,
mais dont il a perdu totalement Tidee,
soit par sa degradation, soit par I 'ins

truction fausse de ses instituteurs .

ACTUALITE DE L'HISTOIRE HORS S E R IE n38

LE M A R T I N I S M E

Le Temple de Salomon
Le Temple de Salomon, dans ses aspects historique et symbolique, est une reference
commune aux Martinistes et aux Francs-Magons. son etude fait partie de I'enseignement
de I'Ordre Martiniste Traditionnel. Pour I'illustrer, void un extrait de ce qui est dit a son sujet
dans I'un des manuscrits qui lui sont consacres.
omme le rapporte la Bible au pre
mier Livre des Rois (chap. 5 a
9) ct au second Livre des Cbro
il iques (chap. 3 et 4), le Temple de Je
rusalem fut construit par le roi Salomon
vers 960 avant I'ere chretienne. D'apres
la tradition juive. il fut edifie sur le mont
Moriah, a I'endroit meme ou Abraham
etait sur le point doffrir son fils Isaac en
holocauste. Ce Temple etait considere par
les Hebreux comme la dcmeure de Dieu
sur Terre. II ahritait YArche d'Alliance,
dans laquelle reposaient les Tables
de la
*
Loi que Moi'se avait revues de rEternel,
sur le mont Sinai.
Pendant l'Exode, cest-a-dire pendant le
peri pie qui raena le peuple hebreu
jusqu'en Israel, la Terre Promise. 1Arche
sacree reposait dans le Tabernacle. Celuici consistait alors en un temple demontable erige a 1'aide de tentes faites de
peaux, que Ton depla<;ait au rythme des
La reconstruction du secon d Temple. Extra it de Suburbia elus sicut tem pore christi flo ru it ,
peregrinations. Lorsque David scm para
de Christian van Adrichom (1533-1585)
de Jerusalem, il y fit amencr IArche
d'Alliance et projeta de construire un
Celle de droite etait appelee Yakhin et
en cause peu de temps apres sa mort. En
Temple permanent, digne de Dieu. Mais
effet. son fils Roboam. qui lui succeda en
celle de gauche Boaz .
rEternel rejeta ce projet, carce roi avait
Dans le Saint lui-meme se trouvait
931 avant 1'ere chretienne, avait un cafait couler trop de sang. Ce fut done son
Y Autel des Harfitms , encadre d'un
ractere impulsif, et son arrogance enfils, Salomon, qui avec 1'aide d Hiram,
cote par la <
<
Table des douze pains de
train a la separation des douze tribus
roi de Tyr. eut le privilege de mener a
proposition , et de Fautre par un
d'Israel. Durant cette periode de division,
bien cette construction.
Chandelier a sept branches . Selon le
d'autres lieux de culte. comme Bethel ou
Livre des Rois , le Saint etait separe du
Dan. concurrencerent le Temple de Jeru
D e s c r ip t io n
Saint des Saints par des vantaux de bois.
salem. On y raviva le culte du Veau d'or
Conlbrmement aux prescriptions donnees
et les anciens rites y etaient meles a celui
Cependant, le Livre des Chroniques
par Dieu Lui-meme, le Temple de Salo
indique que les deux pieces etaient delide Yahve.
mon fut bati en pierres non taillecs, et
mitees par une tenture pourpre, brodee de
Le royaume d'Israel resta longtemps di
aucun outil de metal ne fut employe pour
cherubins.
vise. Cinq annees a peine apres le debut
sa construction. II sapparentait a un batiDerriere les vantaux ou la tenture qui
du regne de Roboam. le pharaon Chement rectansulaire de soixante coudees de
donnait acces au Saint des Saints se trou
chanq profita de la situation p<^)ur s'emlong et vingt de large, e'est-a-dire d'envivait Y Arche d'Alliance . Elle avait
parer de Jerusalem et pilier le Temple.
ron trente metres sur dix. Sa hauteur etait
I'apparence d'un coffre dont le couvercle
Mais le coup fatal fut porte par les Babyde trente coudees, soit environ quinze me
etait orne de deux cherubins aux ailes deloniens. En 605 avant Jesus-Christ, Natres. 11 comportait trois parties distinctes.
ployees. Elle etait sacree pour les He
buchodonosor, roi de Babylone, lan<;a
D'abord le Oidani ou Vestibule , enbreux, car ils consideraient que Yahve y
une expedition contre Jerusalem. En 601,
suite le Hekal ou Saint , et enfin le
demeurait reellement. Seul le Grand Prele Temple fut saccage, les colonnes bri Debir ou Saint des Saints . Cet edi
tre pouvait entrer dans cette partie du
sees et une partie du mobilier emportee a
fice etait de loin le plus imposant de toute
Babylone. ou de nombreux Juifs lurent
Temple. II y penetrait une fois l'an. pour
la ville de Jerusalem.
prononcer le Nom divin et y venerer
deportes quelques annees plus lard. Puis
Chaque partie du Temple de Salomon
TEternel. Mais avant de le faire, il devait
en 586, Nabuchodonosor detruisit totaleetait agencee d'une fa^on particuliere. Le
prendre soin de s'y preparer par des pu
ment le Temple. On rapporte cependant
Vestibule comportait un vaste bassin de
rifications corporelles et spirituelles. En
que peu de temps avant ce drame, le probronze, la Mer d'Airain , destine aux
cas d'impurete, il risquait en effet la
phete Jeremie cacha I' Arche d'Alliance
purifications corporelles. II etait aussi
mort.
dans une caverne dont il seel la I'entrec.
dote d'un Alltel des Holocaustes , sur
Le Temple de Jerusalem etait un edifice
Alors qu'il etait parmi les exiles a Baby
lequel on sacrifiait des animaux. On acmagnifique construit avec les materiaux
lone, le prophete Ezechiel, qui avait precedait a la partie suivante du Temple, le
les plus nobles, tel le bois de cedre et de
dit la destruction du Temple, en revela la
Saint, par un double portail en bois de cy
cypres. II etait recouvert d'or fin en de
cause : Dieu avait voulu punirson peuple
nombreux endroits. Pendant le regne de
devenu idolatre et infidele. Mais le pro
pres et dolivier, decore de cherubins et
de palmes. De chaque cote de ce portail
phete avait annonce aussi qu'un nouveau
Salomon, il etait le cccur du culte israese dressaient deux colonnes de bronze.
lite, mais cette predominance fut remise
Temple serait construit un jour a Jerusa-

FEVRIER - MARS

2010

35

DOSSIER
lera ct qu'il aurait la forme d'un carre
(Ezechiel, ch. 40-48). Effectivement, la
Bible rapporte que Cyrus, roi de Perse, se
rendit maitre de Babylone en 539 avant
notre ere. Souverain ambitieux mais to
lerant, il rendit aux Juifs leur liberte et
leurs biens spolies par les Babyloniens.
Ainsi, apres avoir ete exile pendant
soixante-dix ans, le peuple d'Israel revint
a Jerusalem et, sous I'impulsion de Zorobabel, entreprit de batir un nouveau
Temple. Mais les conditions avaient
change ; la paix et 1'allegresse ne regnaient plus dans la Ville sainte comme
jadis a l'epoque de Salomon. Ce
deuxieme Temple fut done construit dans
I'agitation. Confrontes a de multiples
dangers, les ouvriers etaient plus occupes
a se defendre qu'a construire.

C o n s t r u c t io n
Alois que les materiaux du premier Tem
ple avaient ete tires des contrees les plus
riches et assembles sans aucun outil en
metal, il n'en fut pas de meme pour le se
cond Temple. Les ouvriers furent obliges
de creuser le sol pour extraire les debris
de 1'ancien edifice, et le batiment qu'ils
parvinrent peniblement a eriger etait tres
imparfait. Sa construction s'acheva la

faites un repaire de brigands (Mt 21,


12-13). Bien des annees apres la mort du
Christ, les Juifs de Palestine se revolterent contre Rome. En I'an 70, Titus mit
un terme a cette rebellion. II fit detruire
Jerusalem et le Temple fut incendie. Depuis cette epoque, seul le soubassement
de la muraille occidentale subsiste ; c'est
le fameux M ur des Lamentations .
Apres avoir evoque les grandes etapes
ayant marque la vie du Temple de Jeru
salem, voyons maintcnant comment la
Tradition martiniste les interprete. JeanBaptiste Willermoz insiste sur le fait que
ces etapes ne doivent rien au hasard, car
el les sont en correspondance avec la
Creation et avec l'homme lui-meme.
Ainsi, la construction du premier Temple
represente I'em anation du premier
Homme. Pour s'en convaincre, il suffit de
noter qu'il fut edifie sans outil de metal,
a 1'instar du corps primitif d'Adam. qui
fut cree sans operation materielle. Par ailIeurs. comme vous l'avez appris dans le
degre Associe, la Creation, appelee aussi
Temple Universel , comporte trois par
ties : Le Monde terrestre, 1Immensite ce
leste et lTmmensite surceleste. Or,
chacune d'elles correspond a une partie
du Temple de Salomon : le Monde ter-

pond a 1'Immensite surceleste, laquelle


est la partie mediatrice entre 1'Immensite
divine et le reste de la Creation universelle. C'est pourquoi on y trouve I'Arche
d'AUiance.

S y m b o l is m e

5
O

Le Temple de Jerusalem , reconstruction d apres des docum ents d'archives

sixieme annee du regne de Darius, vers


515 avant Jesus- Christ. Bati sur le meme
plan que le precedent, il etait de dimen
sions plus modestes, et le Saint des Saints
etait vide, car 1'Arche d'AUiance avait
disparu. Beaucoup plus tard, lorsque la
Judee passa sous la domination romaine,
Herode decida de lui rendre son prestige
d'antan. Flavius Josephe rapporte que dix
mille hommes furent employes a cette
fin. Le Temple de Jerusalem retrouva
alors une partie de sa splendeur. Cepen
dant, le peuple hebreu n'avait plus la
meme ferveur qu'autrefois. A ce sujet.
chacun sait que Jesus chassa les marchands hors du Temple en leur disant :
11 est e crit: "M a maison chit etre une
maison de priere". Mais vous, vous en

36

restre au Vestibule ; 1'Immensite celeste


au Saint, et 1'Immensite surceleste au
Saint des Saints.
Tout comme le Vestibule est 1'endroit oil
I'on offre des sacrifices, le Monde ter
restre est le lieu oil I'on doit se purifier
pour s'elever vers des plans de
conscience superieurs. Par ailleurs, tout
comme le Saint comporte un chandelier a
sept branches, 1'Immensite celeste est
marquee par le septenaire et correspond
aux sept planetes traditionnelles. Ajoutons qu'elle est le monde de la Reconci
liation auquel accedent ceux qui se
livrent a un veritable travail spirituel. ce
travail etant symbolise par l'Autel des
Parfums. Quant a la troisieme partie du
Temple, le Saint des Saints, elle corres

ACTUALITE DE L'HISTOIRE HORS SERIE n38

Les trois parties du Temple de Salomon


sont egalement en relation avec les trois
parties de lhomme, a savoir, nous le rappelons, Iabdomen, la poitrine et la tete.
L*abdomen correspond au Vestibule du
Temple de I'Homme, le lieu des sacri
fices et des purifications qui lui sont necessaires pour parvenir a maitriser sa
nature corporelle. La poitrine est associee
au Saint du Temple de IHomme, la oil se
trouve l'Autel sur lequel il doit offrir quotidiennement des parfums a la Divinite,
cest-a-dire des prieres. C'est grace a ce
travail spirituel qu'il peut allumer progressivement les sept luminaires du
Chandelier, qui symbolisent les sept niveaux spirituels conduisant a la chambre
superieure de son Sanctuaire interieur.
Enfin, la tete correspond au Saint des
Saints, car c'est par la pensee que
l'homme peut. apres avoir sanctifie son
cceur, communier avec la Lumiere divine.
II faut noter egalement que le nombre 6
marque la construction du Temple de Sa
lomon. En effet. il fut bati en six annees,
et c'est au cours de la septieme que
1'Arche d AUiance fut placee dans le
Saint des Saints, a la Gloire de Yahve. Or.
comme cela est indique dans la Genese.
le processus de la Creation s'echelonna
sur six Jours, au terme desquels elle fut
sanctifiee. Selon la Bible, l'homme luimeme fut cree le sixieme Jour. Par ail
leurs, Martines de Pasqually considere
que le Temple de Salomon symbolise
l'homme avant la Chute, lorsqu'il possedait un corps glorieux et vivait en pre
sence de Dieu. Par sa desobeissance, il
perdit ce corps glorieux, ce premier Tem
ple dans lequel residait 1'Esprit divin. la
veritable Arche d'AUiance en lui. C'est
alors qu'il fut revetu d'un corps de matiere, d'un second Temple qu'il doit
maintenir en etat par ses propres efforts,
avec toutes les epreuves et tous les sacri
fices qui en resultent.
Pour les raisons qui vous ont ete expliquees dans ce manuscrit, le Temple de
Salomon est un symbole fondamental
dans la tradition judeo-chretienne. Pour
Louis-Claude de Saint-Martin, il symbo
lise en effet le cheminement de l'homme
depuis ses origines et represente sur Terre
le Temple universel, a propos duquel il
dit dans son livre le Tableau NatureI :
C'etait lui peindre sa destinee sous des
couleurs vives, que de lui representer
I' Uni vers comme un grand temple, dont
les astres sont les flambeaux, dont la
Terre est I autel, dont tous les etres corporels sont les holocaustes et dont
l'homme est le sacrificateur. IJar la, il
pouvait recouvrer des idees profondes
sur la grandeur de son premier etat qui
ne I'appelait d rien moins qu'a etre le
pretre de TEternel, dans TUnivers .

LE M A R T I N I S M E

Le processus d'individuation
ou la realisation du Soi
Parallelement a I'enseignement officiel qu'ils etudient dans les Heptades et les Ateliers,
les membres de I'Ordre Martiniste Traditionnel ont la possibility de presenter des exposes
qu'ils ont eux-memes rediges sur un sujet de leur choix. Void un exemple parmi d'autres
de ces "planches".
elon Carl Gustav Jung, medecin
psychiatre de la premiere moitie du
X X Csiecle et pere de la vision spiritualiste de la psychologic des profondeurs, 1'individuation est le processus
de transformation qui libere I'etre huniain de son assujettissement d I 'inconscient. C'est l %
exploration de la nature
profonde de / 'homme, au moyen de I'alchimie des reves, sans intervention d'une
autorite exterieure . Jung precise encore
que le processus d'individuation est la
demarche par laquelle I 'individu sort du
cadre social, collectif pour realise/' son
destin propre, individuel, dont il est pre
gnant, comme I drbre est contenu dans le
germe . Par ce processus, 1homme de
vient pour ainsi dire autonome. et non
dissocie. Selon cet auteur, cest vers cela
que 1*homme doit tendre s' il effectue un
parcours normal, pour devenir simplement lui-meme.
Cependant, il faut preciser que 1*indivi
duation ne signifie pas tomberdans 1 individualisme, qui est Iexacerbation des
differences. L'individuation preconisee
par Jung est tout le contraire de Iegoccntrisme, car elle est I'union avec soimeme el avec le monde exterieur. Plus
tard. Jung a elargi ce concept a la trans
mutation alehimique, en le definissant
comme la reintegration dans VUnite
primordiale et ultime, la cessation de la
division, des dualites, des oppositions .
Mais en quoi Tindividuation, ainsi definie. peut-elle etre un processus conduisant a la realisation du Soi ou a 1eveil
spirituel. et quel interet peut-elle presen
ter pour les Martinistes ? C est a ces deux
questions que nous allons tenter de repondre, en nous appuyant sur quelques
elements tires de la vie et de 1oeuvre de
Jung.

L ' in c o n s c ie n t
Pour mieux comprendre ce vaste sujet, il
nous faut tout dabord avoir en memoire
quelques notions sommaires sur ce quest
linconscient, selon Jung. En realite, cest
Freud qui a etc le pionnier de l inconscient. avec la publication de son livre
paru en 1899 et intitule L'interpretation
du reve . Freud avait essentiellenient
mis a jour 1aspect pathologique de 1inconscient, constitue par des conllits, des
nevroses, des psychoses, etc.
Carl Gustav Jung a considerablement

C. G. Jung - extra it de L'Hom m e et ses sym boles - R obert Laffont (1992)

elargi la notion d inconscient a linconscient collectif, alors que pour Freud son
Maitre, il etait strictement individuel. II
Ia aussi rendu plus noble, plus accessi
ble, plus rassurant. II lui a donne son au
tonomic en le liberant des refoulements
et en lui conferant un role spirituel im
portant. Enfin. la grandeur de Jung reside
aussi dans le fail que son oeuvre est le
fruit de sa propre experience interieure.
C est ce que revcle son autobiographic
quand il ecrit: Ma vie est I'histoire d'une
realisation du Soi par l'inconscient .
Mais que renferme notre inconscient ?
Par definition, linconscient est considere
comme I'immense reservoir de contenus qui sont nonnalement inaccessibles
d la conscience , 11 est, nous dit Jung.
un flot infini, un ocean d'images et de
formes . Pour les psychologues, Ien
semble de la psyche ou conscience
humaine possede des profondeurs insondables. Elle comprend une ties infime

partie du fonctionnement psychologique


nomine conscient , flottant sur ce
que Jung a appele un ocean infini
d'images , cest-a-dire l* inconscient .
D une maniere generale. linconscient est
un veritable tresor aussi bien sur les plans
materiel, intellectuel, emotionnel que spi
rituel. C est notre gardien de jour comme
de nuit, tandis que notre conscient, qui
comprend nos facultes objectives ct subjcctives, travaille plutot par intermittence.
Le conscient a en general une activitt*
diurne. alors que linconscient est plutot
noctambule, en ce sens quil se manifeste
surtout a nous la nuit, au moment oil le
corps physique est assoupi pendant le
sommeil.
Les contenus de l inconscient sont de
deux ordres : ceux qui nont jamais etc
proposes a la conscience et ceux qui,
l'ayant ete, ont fait lobjet d un refoule
ment ou sont tombes dans loubli. En
outre, l inconscient est doue d une me-

FEVRIER - MARS

2010

37

DOSSIER
moire illimitee ou tout est grave de ma
niere indelebile. C'est un depot de toute
1'experience humaine ancestrale, accumulee depuis des millions d'annees.
Enfin, c'est aussi notre centre spirituel,
le centre de la veritable intelligence, du
pouvoir et de la sagesse. II est par-dessus
tout notre meilleur serviteur. Mais com
ment 1'inconscient est-il structure pour
avoir autant d'attributs ?
L'inconscient est constitue de couches
ties vastes qui s interpenetrent les unes
les autres. L'une. denommee inconscient personnel , renferme notre histoire
individuelle. nos experiences vecues, nos
complexes pathologiques et nos refoule
ments. Lautre appelee inconscient col
lectif ,
contient
les
experiences
emotionnelles de toute l'humanite, ainsi
que les pulsions instinctives et animales
remontant a des millions d'annees. On la
designe sous le nom d' inconscient collectif %parce qu'il a des contenus et des
modes de comportement qui sont les
memes partout, et chez tous les individus.
C'est le reservoir des grands mythes. des

C. G. Jung - p a r Karst d'O ttaw a (Camera


Press Londres)

38

contes, des rites, etc. C'est de la que jaillissent les symboles universels portant le
nom generique d ' archetypes . De
toutes ces couches, seul l'inconscient
personnel est susceptible de reveler des
maladies, notammcnt des nevroses.

L es a r c h e t y p e s
Comme on vient de le souligner, les ar
chetypes, en tant que contenus de 1'in
conscient collectif, sont des depots ou
une accumulation de tout ce que I'humanile a vecu, en remontant jusqu'a ses plus
obscurs commencements. II ne s'agit ni
d'un depot mort, ni d'un champ de
mines, mais d'un systeme de reactions et
de disponibilites qui determinent la vie
individuelle par des voies invisibles. Ce
sont done des types ties anciens ou.
mieux encore, originels, e'est-a-dire des
images universelles presentes depuis tou
jours.
Jung a identifie de nombreux archetypes
situes dans un champ independant du
temps et de l'espace. Parmi ceux-ci, il a
designe l'archetype qui influence le rap
port de notre moi avec le monde exterieur. sous le nom de Persona ,
e'est-a-dire le masque que nous laissons apparaTtre de nous-memes. Pour lui
la Persona est ce que quelqu 'un n 'est
pas en realite. mais ce que lui-meme et
les autres pensent de lui . Elle n'est
qu'une realite secondaire liee au fait que
nous avons un nom. un titre, une charge
ou une fonction dans la vie. C'est tout
simplement notre ego. II parlera aussi de
l'archetype de V Ombre . Selon Jung.
L'Ombre est la partie psychique de
nous-memes qui n'est pas dans la lu miere du conscient, parce qu 'elle est tombee dans l'inconscient . En psychologic
des profondeurs, 1'Ombre correspond a
1aspect sombre et negatif de notre personnalite, e'est-a-dire a nos propres defauts. Notre Ombre est aussi parfois ce
que nous n'aimons pas chez autrui, ce qui
chez lui genere de 1'hostilite et qui n'est
en realite que le reflet, la projection, de
ce que nous sommes nous-memes.
Jung a egalement cree les concepts
d' Animus et d' Anima pour desi
gner ce qui influence le rapport du moi
avec le monde interieur. L'Animus est la
personnification de la nature masculine
de l'inconscient de la femme, tandis que
1'Anima personnifie la nature feminine
de l'inconscient de l'homme. L'Anima
correspond a des qualites tel les que 1'in
tuition. Ia sensibilite, la receptivite, etc.,
alors que 1'Animus correspond a des qua
lites comme 1'autorite, la fermete, la rigueur, la force. Enfin, selon Jung, tous
les archetypes ont en leur centre un ar
chetype de l'ordre et de la totalite de
l'homme, le Soi, e'est-a-dire le Moi
divin. le Maitre interieur, le Guide spirituel. Jung a ecrit a ce sujet : Le Soi est
non settlement le centre, mais aussi le perimetre qui inclut conscient et incons
cient ; il est le centre de cette totalite
comme le moi est le centre de la
conscience
Le Soi est aussi le but de

ACTUALITE DE L'HISTOIRE HORS S E R IE n38

la vie. car il esl I'expression la plus com


plete de ces combinaisons du destin que
I'on appelle un individu .
A cette etape de notre expose, nous pou
vons faire deux observations importantes. La premiere concerne la structure
de notre conscience humaine qui, au lieu
de former un ensemble coherent, uni et
harmonieux, est au contraire composee
d'entites Ires distinctes. Jung parle d'une
scission de I ame qui engendre le mal
en nous, I angoisse, le gardien du seuil
qui nous empeche de retablir / harmonic
entre ses differentes parties . Le but du
processus d'individuation est precisement de parvenir a 1'union harmonieuse
entre les differentes composantes de la
psyche et d'etre a 1'unisson avec soimeme. Cette re-unification, nous dit
Jung, consecutive aux differentiations anterieures necessaires, procede par
conjonction d'opposes, oil I'unite est affirmee en meme temps que maintenue la
difference des elements .

L a m e h u m a in e
La deuxieme observation concerne la na
ture spirituelle double de l'homme. En
effet, celui-ci possede une Ame divine
parfaite, le Maitre interieur. qui a sa
source dans la Divinite elle-meme, et une
ame individuelle imparfaite. qui traduit
le degre d'expression que nous donnons
dans notre vie courante aux qualites de
1'Ame divine. Mais ces deux energies ne
sont pas vraiment distinctes : elles s'interpenetrent sur le plan vibratoire, et sont
indissociables. L'ame individuelle, leAdisciple, evolue done au contact de l'Ame
divine, le Maitre. celle-ci infusant de plus
en plus de sa Sagesse a la premiere par
suite de 1'assimilation, par 1' individu, des
legons de la vie et de la transmutation de
ses defauts en leurs qualites opposees.
C'est pourquoi les anciens alchimistes,
explorateurs de la nature profonde de
l'homme, parlant en symboles ou en nietaphores, disaient que Les excrements
ou le fum ier sont la matiere premiere a
partir de laquelle on pent fabriquer le
metal incorruptible ou or . Le metal in
corruptible est l'ensemble des vertus spirituelles de l'ame. C'est pourquoi ils
disaient aussi : Ce q u 'il y a de plus
eleve en ce monde est a rechercher dans
ce qu 'il v a de plus bas . Ainsi, lorsque
sest produite la conquete de 1'Ombre et
la prise de conscience de 1'Animus ou de
1'Anima, le Soi surgit. d'une certaine ma
niere, dans le reve, sous forme symbolique. C'est ce qui constitue I'un des
aspects fondamentaux du processus d'in
dividuation preconise par Jung, et que
nous allons aborder maintenant de ma
niere synthetique.
Tout le processus d'individuation peut se
resumer en une loi qui est a I'oeuvre dans
lunivers, dans la nature et dans l'homme
lui-meme. Les anciens alchimistes
avaient coutume de le caracteriser en
trois mots : <<mourir pour renaitre . En
effet, le destin auquel est convie tout etre
humain qui se soumet au processus d'in-

LE M A R T I N I S M E

dividuation est celui de I'oiseau mythique : le Phenix. Selon la legende,


quand ce dernier sent ses forces le trahir,
il se prepare un bucher, se pose dessus, y
met le feu et se consume. Au milieu de
ses cendres, on voit apparaitre, au bout
d'un certain temps, un ver qui est le
serme du Phenix renouvele. Le Phenix
s'embrase done au feu de I'immortalite
pour se regenerer. Le paradoxe reside
dans le fait que ce qui le fait mourir est
aussi ce qui le fait revivre, a I'image de la
crucifixion de Jesus sur la Croix, pour les
Chretiens. De meme, nous devons, non
pas tuer le vieux m i , notre ego, mais
le transmuter, et faire germer a sa place
les vertus spirituelles de l'Ame parfaite
en nous.

T r o is e t a p e s
Selon Jung, le processus d'individuation
comprend trois etapes essentielles : 1'ana
lyse, la confrontation avec 1'Ombre, et la
confrontation avec 1' Anima ou VAnimus.
Uanalyse est ce qu'il appelle la grande
psychothempie menant a la realisation
du Soi. Elle est I'action de delier, de
dissoudre la conscience en ses differents
elements constitutes . C'est aussi le pre
mier grand arcane de la psychologic des
profondeurs, que Jung nomme la dis
solution de la conscience ou la reduc
tion du sujet en la Materia Prima. II
compare cette etape a la premiere grande
operation alchimique appelee Putre
faction ou Nig redo . Jung est venu a
l'alchimie alors qu'il etait deja bien
avance dans son experience interieure.
Cela lui a permis de rapprocher, sans les
confondre, les deux langages : celui de
l'alchimie et celui de la psychologic moderne.
La deuxieme etape. celle de la confron
tation avec 1'Ombre, la partie cachee de
notre inconscient, est le trait distinctif de
la psychologic des profondeurs. Ce stade
de I'oeuvre correspond d'abord a la prise
en consideration de nos defauts, puis a
leur transmutation en leurs vertus opposees. C'est done 1'etape de la Purifica
tion, dont les grands psychologues
connaissaient 1'importance et qu'ils nommaient la voie purgative . Dans la terminologie de Jacob Boehme. inspiree de
la Kabbale. c'est l a colere de Dieu opposee a Son oeuvre . Cette phase s?accompagne de conflits provoques par la
mise en presence des opposes, que Jung
appelle la collision des devoirs . En
effet, I'individu parvenu a cette etape fait
face a des litiges qu'il doit trancher seul,
sans reference, et s'expose aux critiques
de ceux qui I'observent sans soupgonner
son drame interieur. La collision des
devoirs, dit Jung, est la pierre de touche
de I'individuation . C'est par ce moyen
que s'opere le passage a un degre superieur de conscience, la naissance du Soi.
La confrontation avec 1'Anima, troisieme
etape du processus d'individuation, a
pour equivalent chez la femme le dia
logue avec 1'Animus. Pour Jung, la ren
contre avec l'archetype de 1'Anima est

une phase capitale de revolution spiri


tuelle. Si, dit-il, I'explication avec
I'Ombre est I'a'uvre de I'apprenti et du
compagnon, I'explication avec I'Anima
est !'<i'uvre du Maitre . En effet. la rela
tion avec I'Anima est une veritable
epreuve du feu et du courage pour les
forces spirituelles et morales de
l'homme ; car affronter 1'inconscient.
c'est en quelque sorte prendre la liter
et exposer sa barque aux ternpetes .
Dans la vision de 1'Hermetisme. cela cor
respond aux Noces chymiques ; polit
ies alchimistes, c'est 1'union du Soufre et
du Mercure, derniere etape du Grand
CEuvre.
Le processus d'individuation, tel que decrit par Jung a partir de son experience
personnel le, est done un processus mys
tique, puisqu'il debouche sur l'experience de fusion intime avec le Divin en
nous. Comme telle. 1'individuation est
necessairement un processus spirituel
long et eprouvant, car le centre de l'Ame
humaine est un mystere indicible . A
ce propos, nous pouvons nous souvenir
de 1'episode allegorique de la Bible,
lorsque, sur le mont Sinai, Moise demanda a I'Eternel de lui manifester Sa
gloire. Dieu lui repondit : Nul ne pent
me voir et vivre . Moise ne fut admis a
contempler que la trace de Dieu. Son re
flet ou Son image, depuis le creux d'un
rocher. C'est la raison pour laquelle Jung
declare ne vouloir se borner qu'a decrire
et a interpreter les images ou symboles
par lesquels le Soi apparait dans la
conscience, et principalement dans les
reves. C'est ce qu'il appelle la voie lutmide , par opposition a la voie dite
seche ou obscure , sans images, de
certains anciens alchimistes qui se mettaient directement aux prises avec les ex
plosions provoquees par le feu intense
dans le fourneau appele athonor , ici
le corps humain.

L es r e v e s
Dans la pratique, le processus d'indivi
duation s'appuie sur 1'interpretation des
symboles reveles par les reves. II com
prend essentiellement deux volets : I'un
theorique et I'autre pratique. Le volet
theorique est constitue par la lecture et le
commentaire des livres anciens, 1'inter
pretation de leurs maximes et de leurs
images archetypiques. C'est pourquoi
Jung a souvent insiste pour que les psy
chologues aient une culture mythologique et religieuse etendue ; nous
pouvons ajouter hermetique, car cette
culture est la base de la comprehension
du sens de certains reves. En effet, pour
Jung, un reve est une production naturclle, au meme litre qu'un arbre ou une
flcur. Comme il se compose de symboles,
il offre un vaste champ a 1'interpretation.
Le symbole n'esl pas, pour Jung, une
simple allegoric ; il donne une image de
I'inconscient a un moment determine.
Le volet pratique consiste a mediter sur
les symboles et les images fournis par les
songes et a les interpreter. L'ecole de

Jung preconise pour cela deux modes


d'interpretation des images oniriques :
I'amplification et I*imagination active.
Dans ce qui est appele amplification ,
1'image rencontree dans un reve a en ellememe une place et une signification dans
l'ensemble de l'univers humain. Prenons
un exemple generalement cite a ce
propos : si je reve que je suis coupe en
morceaux et que je me limite a la
contemplalion de cette image, je risque
fort de ne retenir que son aspect sinistre
et tragique, etant alors situe sur le plan de
I'objet. Mais cette image peut symboliser egalement un archetype. En effet, si
je me souviens du mythe d'Osiris, je saisirai que cette mort peut etre une etape de
la transformation qui doit conduire a ma
resurrection, e'est-a-dire a ma renais
sance spirituelle ; ce faisant. je me situe
alors sur le plan du sujet. La plupart du
temps. les deux plans ne sont pas dissocies. II convient meme de les examiner
successivement, car 1'exterieur est le re
flet de 1'interieur.

L ' in d iv id u a t io n
En quoi consiste la methode de 1imagi
nation active ? Elle a pour but de choisir,
a I'etat de veille. un fragment de reve ou
un phantasme, et a fixer librement son at
tention sur lui. Le sujet observe ainsi, en
temoin vigilant, le libre jeu des images
qui peuvent defiler sur l'ecran de sa
conscience, tout en exer^ant, s'il le faut,
des choix selon son inclination interieure.
II s'agit la d'une entreprise de longue haleine. Mais cela fait progressivement en
trer I'individu en contact avec des zones
de plus en plus profondes de son ume, et
avec les energies qui en emanent.
Cette etude sommaire du processus d'in
dividuation, loin de nous avoir emmenes
dans un univers inconnu. nous interpelle
sur deux points : le role dynamique de
1'inconscient dans notre vie. et 1'impor
tance que nous devons accorder a nos
reves. Mais comment tirer un enseignement de nos reves, sans recourir neces
sairement a toutes les techniques du
processus d*individuation qui ne nous
sont pas familieres ? Ce que nous devons
faire, c'est d'abord nous convaincre de
1'importance et du role des reves dans
notre vie ; puis chercher a nous en sou
venir aulant que possible et les noter dans
un cahier specialement destine a ce but ;
enfin, prendre, dans une ou plusieurs se
quences du reve, les images et les idees
qu'elles renferment, travailler sur elles,
chercher a comprendre la symbolique
qu'elles convoient, et ecrire ce qui nous
vient a I 'esprit par association d' idees.
Une fois le sens du reve compris, il faut
faire l'effort necessaire pour agir au quotidien dans le sens du message qu'il vehicule.
Jean Massengo

FEV R IER -M A R S

2010

39

DOSSIER

De la Genese
au Prologue de Jean
L'article ci-dessous est extrait de la revue Pantacle, publication annuelle de
I'Ordre Martiniste Traditionnel. Cette revue, consacree a I'esoterisme et a la spiritualite
occidentale, est destinee avant tout aux Martinistes, mais elle est accessible a toute personne
interessee par les sujets traites.
a Genese presente deux recits de la
Creation qui different tant par leur
portee doctrinale que par leur style
litteraire. Le premier recit, celui des sept
jours de la Creation, appartient a la tradi
tion sacerdotale ; il a la forme d'un textc
destine a la proclamation liturgique. La
composition ordonnee est ponctuee de re
frains. C'est une veritable prose rythmec.
Des pieties de Jerusalem en auraient
commence la redaction avant lexil a Ba
bylone, et la mise cn forme definitive daterait du retour d'exil.
Le second recit. oil I'homme devint une
dme vivante , adopte une expression
plus humaine, plus narrative, voire poetique. II appartient a la tradition yahviste,
denomination en relation avec Iemploi
du tetragramme dans 1expression IHVH
(yhawe) Elohim. C'est 1'apparition de
cette expression qui permet de situer la
transition entre les deux recits, au milieu
du verset 4 du chapitre 2. Le recit sacer
dotal situe rhom m e dans Iunivers ; le
recit yahvistae presente un decor desertique transforme par Dieu en un jardin
luxuriant. Dans le recit sacerdotal,
I'homme napparait qu'au terme de la
creation de 1'univers, alors que le recit
yahviste presente I'homme dans sa rela
tion avec les animaux. la femme et Dieu.

G e n e s e , p r e m ie r r e c it
d e l a C r e a t io n ( G en 1 - 2 ,4 a )
Nous n'aborderons que le premier recit,
le texte sacerdotal, qui est le plus riche du
point de vue symbolique. Ce recit de la
Creation est le premier de la Torah - ou
Pentateuque terme definissant les cinq
premiers livres de la Bible.
Ce texte etait certainement utilise pour la
liturgie et l'instruction, d'oii sa structure
qui facilite la memorisation. Le mouvement est oriente vers la sacralisation du
septieme jour. ce qui nous permet de penser que ce texte etait destine a la celebra
tion d une fete en l'honneurdu Createur.
A Babylone, une telle fete etait celcbrce
a lequinoxe de printemps, en l'honneur
du dieu Marduk. Le poeme de la Crea
tion y etait lu le quatrieme jour.
Avant d'examiner le premier mot de la
Bible tysarb, arretons-nous sur sa pre
miere lettre : la lettre b (beith). C est la
seconde de 1'alphabet, associee au nom
bre deux . Symboliquement. elle nous

40

Saint-Jean su r I'ile d e Patm os, p a r B erto di Giovanni

indique lentree dans la dualite. ce que


nous allons verifier. Beith est d'ailleurs
une lettre double, pouvant se prononcer
V si elle n'est pas accentuce, ou B
si elle comporte un accent appele daguesh. C'est ici le eas. Autrement dit, si
la lettre represente la dualite, ce point
daccentuation place en son sein symbo
lise l'unite divine. La premiere lettre de la
Genese nous indique cicja que l'unite di

ACTUALITE DE L'HISTOIRE H O R S S E R I E n38

vine va se manifester dans 1univers spatio-temporel par la loi de dualite.


Si le premier mot tysarb commence par
la lettre b (beith). il se termine par la let
tre t (thaw), derniere lettre de 1'alphabet
hebreu. Symboliquement, de h (beith)
a t (thaw ) equivaut a notre expression
de A a Z . En effet. s'agissant du
monde cree. la lettre a (aleph), represcntant Dieu, ne peut y etre incluse.

LE M A R T I N I S M E

Cc premier mot est tradii it de differentes


fagons : Au commencement, en tete... .
Le mot hebreu signifie bien commen
cement, debut ou encore principe .
Ce que confirme la version grecque de la
Septante qui traduit par en arch, signifiant au commencement, a Vorigine, au
point de depart .
La traduction rigoureuse, que Ton trouve
dans la version bilineue des editions
Colbo, est : Au commencement, Dieu
avait cree le d e l et la terre . Cette traduction respecte scrupuleusement le sens
de 1*accompli.
En hebreu, il y a deux formes verbales
majeures: 1'accompli et l'inaccompli.
Cette phrase traduit un paradoxe : com
ment le ciel et la terre etaient-ils deja
crees. au commencement ? Nous allons
tenter de repondre a ce questionnement.
Certes, la terre etait creee, mais la terre
etait encore a l'etat chaotique. C'est le fameux tohu (et) bohu (whbw wht), qui associe les deux mots triliteres : wht et whb.
wht associe la lcttre t (thaw) aux lettres h
(he) et w (waw), qui sont deux lettres appartenant au tetragramme divin.
whb associe la lettre b (beith) aux lettres
h (he) et w (waw). qui sont deux lettres
appartenant au tetragramme divin.
Nous retrouvons encore la deuxieme et la
derniere lettre de 1'alphabet hebreu. qui
sont ici sacralisees par la presence des
lettres du tetrasramme divin. Ce tohubohu incluait done la totalite du monde
en devenir. Ces deux lettres forment le
mot tb (fille). La Creation n'est-elle pas
1' engendree, la fille ?
Un peu de guematrie va encore nous
eclairer : wht vaut 6, whb vaut 4, leur to
talite vaut 10. qui symbolise la totalite. se
reduisant a 1. le Tout.
Les teneb res etaient a la surface de
I 'abime, et le souffle de Dieu plcmait stif
les faces des eau.x . Les deux premiers
versets presentent letat primordial en
core inorganise de la materia prima:
chaos, tenebres, eaux primordiales... Le
souffle de Dieu represente l'Esprit qui allait mettre en ccuvre 1'action cicatrice par
la puissance du Verbe : Dieu d i t : Que
la lumiere so it! . Cette introduction du
premier chapitre de la Genese nous pre
sente les deux aspects du Divin dans le

Creation du ciel et de la terre, des arbres e t herbes, des astres et de tous les anim aux ,
gravure d e Jean Cousin, extra ite d e Figures de la Bible

Gravure de Raphael Sadeler; repr^sentant Dieu au centre de la Creation

monde manifeste : le passif et I'act if.


Nous comprenons mieux qu'au com
mencement. le ciel et la terre avaient deja
etc crees en substance, mais sans forme ;
crees certes, mais a l'etat chaotique. Tout
etait pret pour que commence l action organisatrice du Verbe, ou parole divine.
Les six jours des huit actions ci catrices
La Creation se deroule en six jours, le

L 'I m m e n s i t d iv in e
Avant le temps, Dieu emano des etres spirituels, pour Sa propre gloire, dons son
Immensite divine. Ces etres avaient a exercer un culte que la Divinite leur avait fixe par
des lois, des preceptes et des commandements eternels. Ils etaient done libres et
distincts du Createur, et I'on ne peut leur refuser le libre arbitre avec lequel ils avaient
ete emanes, sans detruire en eux la faculte, la propriete et la vertu spirituelle et
personnelle qui leur etaient necessaires pour operer avec precision dans les bornes ou
ils devaient exercer leur puissance. C'etait positivement dans ces bornes ou ces
premiers etres spirituels devaient rendre le culte pour lequel ils avaient ete emanes.
Ces premiers etres ne pouvaient nier ni ignorer les conventions que le Createur avait
faites avec eux, en leur donnant des lois, des preceptes et des commandements,
puisque c'etait sur ces conventions seules qu'etait fondee leur emanation .
Martines de Pasqually,
Traite sur la reintegration des etres (Diffusion Rosicrucienne)

septieme jour voit la consecration de


I'oeuvre achevee. En realite. nous observons huit actions cicatrices
. Creation de la lumiere et separation du
jour et de la nuit.
. Creation des cieux qui separent les eaux
den bas et les eaux d'en haut.
. Separation du sec et de 1'humide. de la
terre et de la mer,
. Creation des vegetaux,
. Creation des luminaires : soleil, lunc et
ctoiles,
. Peuplement des eaux et des cieux (poissons et oiseaux),
. Peuplement de la terre,
. Creation de l'homme et attribution de la
nourriture.
Plus que des creations, les trois premieres
actions sont des separations le jour, de la
nuit - les eaux d'en haut, des eaux d'cn
bas - le sec, de 1humide. Trois actions
qui manifestent 1entree dans la dualite.
C'est cette entree dans la dualite qui per
met la manifestation de 1'univers spatiotemporel, par la mise en action de la loi
du triangle.
Le redacteur de la Genese tenait absolument a organiser la Creation suivant un

FEVRIER - MARS

2010

41

DOSSIER
schema hebdomadaire. C'est ties habilemerit qu'il repartit les huit actions cica
trices en six jours. Nous devons observer
une correspondance entre les trois pre
miers jours et les trois derniers jours. Au
premier jour correspond le quatrieme. au
second jour correspond le cinquieme et
au troisieme jour correspond le sixieme.
C'est ce que nous allons detailler maintenant.
Le premier jour. Dieu cree la lumiere.
Une lumiere bien mysterieuse, puisqu'il
ne peut s'agir de la lumiere visible. En
effet, le soleil, la lune et les etoiles ne
sont pas encore crees. Cette lumiere ne
peut done etre que 1'energie primordiale
a 1origine de toute manifestation. La se
paration lumiere/tenebres peut s'inter

Le

preter comme 1'introduction de la bipolarite. Ce jour n'est pas appele premier


jour, mais jo u r un ; ce qui est ties judicieux. Les nombres ordinaux ne peuvent s'utiliser qua partir de deux. Pour
qu'il y ait un premier, il faut au moins
deux participants. L'expression jo u r
un precise que ce premier acte est
unique, qu'il est la manifestation du Un,
mais du Un qui inclut leTout.
Trois jours plus tard cette lumiere originelle va se densifier avec 1'apparition du
soleil. de la lune et des etoiles. La dualite
est encore soulignee par 1'astre du jour et
l'astre de la nuit. Cenergie primordiale
du premier jour se manifeste par la lu
miere visible, trois jours plus tard.
Le deuxieme jour voit la separation des

L IV R E DE L 'H O M M E E T LE L IV R E DE LA N A TU RE

Dans leurs travaux, les Martinistes n'emploient ni theurgie ni magie, c ar ils se


conforment a l'idal du Philosophe Inc onnu : Conduire I'esprit de I'homme par
une voie naturelle oux choses surnoturelles qui lui oppartiennent de droit, mais
dont il a perdu totalement I'idee, soit par sa degradation, soit par I'instruction
fausse de ses instituteurs . Pour cela, il est inutile d'accumuler un savoir intellectuel, car ce n'est pas la tete qu'il faut se casser, mais le coeur. Dans son travail, le
Martiniste utilise deux livres : le Livre de la Nature et le Livre de rHomme. La
nature est la vraie come d'abondance pour notre etat actuel... Elle est en effet le
point de ralliement de toutes les vertus creees... Ainsi, toutes ces vertus divines,
ordonnees par le grand principe pour cooperer a la rehabilitation des hommes, exis
tent toujours autour de nous . Cela signifie que Dieu a seme dans la na ture les
symboles de Sa sagesse, afin que nous puissions la dc ouvrir par nous-memes.
Aussi constitue-t-elle pour I'lnitie un immense reservoir de connaissances.
Le Livre de I'Homme es t egalement essentiel pour le Martiniste. Selon SaintMartin, rhomme est le seul livre ecrit de la main de Dieu ; c'est en lui que se
trouvent ecrites toutes les lois de I'univers, car toutes les verites importantes et
fondamentales (existent) dans tous les hommes avant d'exister dans aucun livre.
La Connaissance n'est done accessible que par I'introspection, e'est-a-dire par le retournement vers le centre de I'etre, le cceur, a propos duquel le Philosophe Inconnu
nous d it : il est I'organe et le lieu ou se rendent toutes nosfacultes et ou elles ma
n ifested leur action ; et comme cesfacultes tiennent a tous les regnes qui nous
constituent, soit le corporel, le spirituel et le d i v i n , l e coeur est le rendez-vous et
I'expression continuelle de I'ame et de l'esprit. Ce retournement de I'etre vers son
centre, cette contemplation interieure, correspond a la priere veritable, car elle imbibe notre ame de ce charme sacre, de ce magisme divin qui est la vie secrete de
tous les etres .

Dieu e t A dam , pa r M ich el Ange

42

ACTUALITE DE L'HISTOIRE HORS S E R IE n38

h
2r

7T\V
V

>

Schem a de la Creation, de Jacob Boehm e

eaux d'en haut et des eaux d'en bas, par


la creation des cieux. En hebreu. les eaux
et les cieux n'existent qua la forme
duelle. une forme grammaticale qui s'applique a tout ce qui est double - en he
breu moderne, les lunettes qui ont deux
verres et les bicyclettes qui ont deux
roues. Trois jours plus tard le cinquieme
jour, le ciel et les eaux sont peuples par
les oiseaux et les poissons.
Le troisieme jour marque le regroupement des eaux qui permet lemergence
des terres. Mais c'est aussi le jour de
1'apparition des vegetaux. Trois jours
plus tard le sixieme jour, nous observons
aussi deux etapes : le peuplement de la
terre avec les animaux et la creation
d' Adam. Que les terres emergees le troi
sieme jour se peuplent le sixieme jour,
c'est conforme aux correspondances deja
observees. Mais quelle correspondance
peut-il y avoir entre 1'apparition des ve
getaux le troisieme jour et ce qui se produit trois jours plus tard ? Le sixieme
jour. Dieu precise qu'il a donne les vege
taux comme nourriture pour Adam et
pour les animaux terrestres.

Im po rtan ce du sy m b o u sm e
DU NOMBRE TROIS
Ce premier chapitre est structure sur la
symbolique du nombre trois. Nous venons de voir la correspondance entre les
trois premiers jours et les trois jours suivants. Le second jour manifeste une hie
rarchic a trois niveaux : les eaux d'en bas.
les cieux et les eaux d'en haut. Le troi
sieme jour, les especes vegetales creees
sont au nombre de trois herbes. graminees et arbres. Le quatrieme jour, trois
sortes de luminaires apparaissent : le so
leil, la lune et les etoiles. Dans un premier
temps, il est precise qu'ils ont trois fonctions : separer le jour de la nuit. scrvir de
signes pour fixer les fetes et illuminer la
terre. Dans un deuxieme temps, il nous
est dit qu'ils sont la pour trois raisons il
luminer la terre, presider au jour et a la
nuit, et separer la lumiere des tenebres.
Le cinquieme jour. Dieu donne trois or
dres aux poissons et aux oiseaux: fructifiez, multipliez et emplissez. Le sixieme
jour, trois formes de vie animale appa
raissent sur terre : le betail, les reptiles et
les betes sauvages. L'ordre est donne a

LE M A R T I N I S M E

L'Evangile selon Jean confirme cette in


terpretation, lorsqu'il precise que nul
n 'a vu le Pere, si ce n est celui qui vient
de Dieu. Lui (Jesus), il a vu le Pere
(Jean 6,46).
Le septieme. jour, la Creation est achevee. Dieu benit et consacre ce jour. Cette
formule traduit bien la forme sacerdotale
de cc texte, destine a la liturgie.

Adam de fructifier, multiplier et emplir.


Le pouvoir lui est donne sur les poissons
(eau), sur les oiseaux (air) et sur les animaux terrestres (terre).
Le but de ce texte n'est pas de presenter
une conception scientifique de la cosmo
gonic, mais d'etablir une hierarchic dans
la Creation. La Genese s'acheve par la
creation de l'Adam. La Septante traduit
par anthropos, qui n'a pas d equivalent
en fran^ais : nous pourrions rendre son
sens par humanite ou espece humaine . En traduisant par homme ,
nous introduisons un concept sexue qui
n'existe ni dans le texte hebreu ni dans sa
version grecque. Ainsi. la precision
homme et femme il les crea coule de
source. Adam est place au sommet de la
hierarchic : tous les etres vivants lui sont
soumis (Gen 1.26), et les vegetaux lui
sont donnes comme nourriture.
La creation de l'homme I'image et a hi
ressemblance de Dieu donna lieu a de
nombreuses interpretations. Dans son
commentaire de la Genese. Basile de
Cesaree explique ties bien cette dualile :
Nous possedons I 'image par la Crea
tion, mais nous acquerons la ressem
blance par la volonte . En termes
martinistes, nous pourrions traduire :
1 image est 1effet de la Providence, la
ressemblance est le resultat de la volonte.
Ce texte accorde aussi une certaine pre
ference aux oiseaux et aux poissons. car
comme Adam, trois choses leur sont reservees : ils sont crees. ils sont benis. et
ils reqoivent l'injonction : fructifiez, multipliez et emplissez.
Les actions que ce texte attribue a Dieu
sont : dire, voir, nommer, faire, creer,
benir et separer. La seule perception ob
jective attribute a Dieu est ici la vision.
Mais parlant de Dieu, ne s'agit-il pas de
la vision interieure ou connaissance ?

L a p a r o l e c r e a t r ic e

a
o

La tentation d'Eve, p a r Wiliam Blake

Dans la Torah, Dieu seul a le pouvoir de


creer. C'est par la parole que Dieu cree :
a neuf reprises, nous trouvons I"expres
sion Dieu dit. Soit les huit actes createurs et l'attribution de la nourriture.
C est precisement ce theme de la parole
creatrice que nous retrouvons au premier
verset de la premiere page de 1'Evangile
selon Jean.
Au commencement etait le Logos, et le
Logos etait tourne vers Dieu, et le Logos
etait Dieu . Le mot grec logos corres
pond a l'hebreu dabar, qui signifie aussi
bien la parole que la chose. Le Logos serait la parole en acte, la parole creatrice
du premier chapitre de la Genese. 11 est
le principe act if donnant forme au principe passif, la materia prima. Les stoiciens consideraient le Loaos
comme
w
1'esprit du monde. Pour Phi Ion d'Alexandrie. le Logos est le lien de 1'uni vers, un
lien indestructible ; creature de Dieu. il
serait l'intermediaire entre Dieu et les
hommes.
Le quatorzieme verset du Prologue nous
precise que le Logos s'est fait chair. Autrement dit. en l'homme Jesus s'incarne
le Logos, la parole creatrice. Le prologue
du quatrieme Evangile presente done leschouah comme etant createur de toute
chose, e'est-a-dire le Grand Architecte de
I'Univers. Paul de Tarse avait deja reconnu en Christ le createur de l'univers.
Dans Iepitre aux Colossiens, il dit :
Tout est cree par lui et pour lui (Col
1,16) et dans la premiere epitre aux Corinthiens, il precise : II n 'y a pour nous
qu un seul Dieu, le Pere, de qui tout vient
et vers qui nous allons, et un seul Sei
gneur, Jesus Christ, par qui tout e.xiste et
par qui nous sommes (1 Cor 8,6).
Pour conclure sur la conjonction entre les
deux pages ouvertes, nous preciserons
que 1'Evangile de Jean et la Genese commencent par la meme expression : Au
commencement . Une etude suematrique demontre que la valeur numerique
du premier verset de la Genese et du pre
mier verset du prologue de Jean traduit
en hebreu donnent le meme resultat :
2701, qui peut se reduire a 10 et done a 1.
Sa decomposition en produits de facteurs
se limite a une seule solution : 37 x 73
qui presente une tres belle symetrie a par
tir des nombres symboliques de la Ge
nese : trois et sept. Mais 37 et 73 sont
aussi les deux valeurs guematriques du
mot sagesse en hebreu : hmkx (8 + 20 +
40 + 5 = 7 3 et + 11 + 13 + 5 = 37).
Selon la cosmogonie sacerdotale. apres
avoir termine son ccuvre, Dieu semble se
rctrancher dans le repos sabbatique.

L'Ancien des jo u rs , p a r William Blake

L'Evangile de Jean corrige cette vision en


precisant que Dieu est constamment a
1'oeuvre. Nous trouvons cette information
dans le recit de la guerison du paralytique. lorsque les Juifs reprochent a Jesus
d'avoir accompli la guerison le jour du
sabbat. Mais Jesus leur repondit: Mon
Pere, jusqu a present, est a I ouvre et moi
aussi je suis a Touvre . (Jean 5,17.) II
est remarquable que cette precision soit
apportee a propels du sabbat. qui corres
pond a la sacralisation du septieme jour
de la Creation.

L 'e T U D E E T L A P R lfiR E
L'etude sans la priere, a dit autre
fois un sag e, es t un v eritable
atheisme, e t la prier e sans Vetude
une vaine presomption. C'est-a-dire
que celui qui croit pouvoir acquerir
une vraie lumiere par I'etude et par
la seule f orce de son applic ation,
pense e t agit c omme un a thee, et
que celui qui presume que pour obtenir la connaissance de la verite, il
lui suffit de la demander dans ses
prieres, sans faire aucun effort pour
la decouvrir et sans mediter sur ses
voies, n'est qu'un homme prsomptueux, lache ou indifferent pour elle.
Le pr emier n' acquerra qu' une
science vaine et dangereuse ; Tautre
restera dans l'ignorance.
Jean-Baptiste Willermoz
Mes Pens^es et celles des autres

La premiere page de la Genese et la pre


miere page de 1'Evangile selon Jean se
completent. L'une nous presente la vision
sacerdotale de la Creation, 1autre nous
introduit au mystere de Ieschouah. Grand
Architecte de IUnivers, incarnation du
Logos et divin Reconciliateur.

M ichel Armengaud

FEV R IER -M A R S

2010

43

DOSSIER_______________

L'Ancien et Mystique
Ordre de la Rose-Croix
Depuis sa fondation, I'Ordre Martiniste Traditionnel est parraine par
I'Ancien et Mystique Ordre de la Rose-Croix. C'est ce qui explique pourquoi de nombreux
Martinistes sont egalement Rosicruciens. II nous semble done opportun de nous arreter
sur l'A.M.O.R.C., qui constitue actuellement le mouvement rosicrucien le plus actif
dans le monde. A cet effet, nous avons demande a Serge Toussaint, Grand Maitre de
la juridiction francophone, de nous le presenter. (II est aussi le Grand Maitre de la juridiction
francophone de I'O.M.T.).

Une loge rosicruciennne

ans la plupart des livres de refe


rence, IAncien et Mystique
Ordre de la Rose-Croix est defini
comme un mouvement philosophique,
initiatique et traditionnel. ouvert aux
hommes comme aux femmes, sans dis
tinction de race, de classe sociale et de re
ligion. Depuis toujours, il a pour devise
La plus large tolerance dans la plus
stride independance . Pour comprendre
ce qu'il est, je pense que le mieux est
d'expliquer precisement en quoi il est
philosophique, initiatique et traditionnel.

44

N o n r e l ig ie u x
Mais avant de le faire, il me semble utile
de preciser que l'A .M .O .R.C . n'est pas
une religion, ce qui explique quil compte
parmi ses membres des personnes de
toutes confessions religieuses, parmi lesquelles des Juifs, des Chretiens, des
Bouddhistes, des Musulmans, des Animistes, ou autres. En cela. il ne se rattache pas a un Prophete ou un Messie tels
que Moise. Jesus, Bouddha ou Mahomet,
pour ne citcr que les plus connus. De

ACTUALITE DE L'HISTOIRE HORS S E R IE n38

meme. son enseignement ne repose pas


sur un Livre sacre comparable a la Bible,
au Tripitaka ou au Coran. J ajouterai
qu'il est depourvu de tout dogme, que ce
soit d'ailleurs sur le plan doctrinal ou
moral. Certes, son symbole est une RoseCroix, ce qui peut laisser supposer qu'il
est lie au Christianisme. II n'en est rien.
Pour les Rosicruciens, la croix represente
le corps physique de Ihomme. Quant a
la rose, placee au centre, elle symbolise
son ame. Cela revicnt a dire que la RoseCroix, dans son ensemble, represente la

LE M A R T I N I S M E

dualite de tout etre humain, cc qui fait


d'elle un symbole, non pas religieux,
mais traditionnel et universel. Cela etant,
l'A.M.O-R.C. est respectueux de toutes
les religions, au point que ses membres
restent entierement libres de continuer a
pratiquer celle de leur choix.
A propos de religion, je souhaiterais lever
une equivoque. On a tendance a penser
que toute personne qui croit en Dieu ap
partient necessairement a une religion.
Pourtant. on peut ties bien avoir la foi
sans suivre un credo religieux. Quant a
Dieu Lui-meme, on peut en avoir une
conception differente de celle qui est pronee par les religions. C'est ainsi que les
Rosicruciens ne Le voient pas comme un
Surhomme siegeant quelque part dans le
ciel et decidant Seul de notre destinee.
Pour eux, Dieu Sapparente plutot a TIn
telligence absolue qui est a Forigine de
toute la Creation et dont F Essence impregne et anime tout ce qui existe. En tant
que tel. il est impossible de Le comprendre ou de Le connaitre. En revanche, on
peut etudier les lois par lesquellcs II Se
manifeste dans Funivers. dans la nature
et dans F homme lui-meme. Vous noterez
que cette conception de Dieu nest ni
dogmatique ni partisane. et qu elle est
plus scientifique que religieuse. Le mysticisme et la science ne sont d'ailleurs
nullement incompatibles. On peut meme
dire qu'il s'agit de deux voies complementaires de Connaissance, les mys
tiques s'interessant plutot au pourquoi
des choses et les scientifiques au com
ment

firent connaitre en Allemagne, en Angleterre et en France par trois Manifestes devenus celebres dans le monde de
Fesoterisme : la
,
la
et les

Fatna Fraternitatis
Confessio Fraternitatis
Noces cliymiques de Christian Rosenkreutz , publies respectivement en 1614.

1615 et 1616. De nos jours, on sail que


ces Manifestes, qui melent des recits a la
fois historiques et allegoriques, ont ete
rediges par un College de Rosicruciens
eminents : le fameux
. Quelques annees plus tard, en
1623, une affiche placardee dans les rues
de Paris fit connaitre davantage FOrdre
de la Rose-Croix. Dans les siecles qui
suivirent. cet Ordre perdura sous des
formes et des appellations diverses. pour
finalement resurgiren 1909 sous le nom
d
. Precisons que FA.M.O.R.C. publia en mars 2001 un quatrieme
Manifeste. la
, que des historiens
comme Roland Edighoffer et Antoine
Faivre situent dans la lignee des M ani
festes du X V IF siecle.

gen

Cercle de Tubin

V Ancien et Mystique Ordre de la RoseCroix

Rosae-Crucis

Posit io Fraternitatis

Mais s' il est un fait que les origines his


toriques de la Fraternite rosicrucienne se
situent au X V II0 siecle, son heritage tra
ditionnel est beaucoup plus ancien.
puisqu'il remonte a I'Egypte antique. De
nos jours, nous savons quil existait dans
ce pays des ecoles regroupant des chercheurs qui s interessaient aux mysteres
de Fexistence, dou leur nom
. Ces chercheurs, ces mys
tiques. elaborerent graduellement une
connaissance secrete, une gnose. qui se
repandit bien au-dela des frontieres egyptiennes. C est ainsi que des philosophes
grecs comme Heraclite. Thales, Pythagore et bien dautres, apres avoir etudie
de nombreuses annees en Egypte. fonderent leur propre ecole de mysteres en
Grece. A leur tour, des penseurs de la
Rome antique etudierent les mysteres
grecs, eux-memes inspires des mysteres
egyptiens, et creerent egalement des cen
tres d'etudes dans leur pays. Par la suite,
cet heritage esoterique fut recueilli par
les Alchimistes du Moyen-Age. puis par
les Rose-Croix de la Renaissance. Nous
voyons done que parallelement aux reli-

d' ecoles

de mysteres

A p o u t iq u e
Outre qu'il n'est pas une religion, il faut
savoir egalement que FA.M .O.R.C. est
totalement apolitique. Pour etre plus pre
cis, toute discussion politique est interdite au sein de I'Ordre. Naturellement.
tout membre est entierement libre de ses
opinions et de ses actions dans ce domaine, mais il ne doit pas en faire etat
lors des activites rosicruciennes. Et cest
precisement parce que I'Ordre est apoli
tique quil reunit des personnes ayant des
opinions politiques differentes. parfois
meme opposees, sans que cela ne pose le
moindre probleme sur les plans relationnel et fraternel. Parailleurs, il encourage
ses membres a s'interesser au devenir de
la societe el a Fevolution du monde en
general. C'esl ainsi que nombre d'entre
eux s'impliquent a titre personnel dans
des associations diverses et s'investissent
dans des actions sociales, caritatives, etc.
En cela, ils ont a cceur d'assumer au
mieux leur role de citoyens.
Venons-en maintenant plus precisement
a ce qu'est FA.M .O.R.C., a savoir.
comme je l'ai indique en preambule, un
mouvement philosophique, initiatique et
traditionnel.

%' V I

T r a d it io n n e l
Sur le plan purement historique, I'Ordre
de la Rose-Croix remonte au X V II0 sie
cle, epoque a laquelle les Rosicruciens se

Ce m anifeste fu t sign6 d Bruxelles, en 1934, p a r les plu s hauts responsables de la F.U.D.O.S.I.


II etablit officiellem ent que I'A.M .O .R.C . e st pleinem ent habilite d perp tu er dans le m onde
!'heritage de ia u th en tiq u e Tradition Rose-Croix.

FEVRIER - MARS

2010

45

DOSSIER

I n it ia t iq u e
Voyons maintenant en quoi 1'A.M.O.R.C.
est un mouvement initiatique. II Test par
le fait qu'il perpetue un enseignement
graduel. ponctue par dcs initiations. Dans
les siecles passes, cet enseignement etait
dispense oralement, dans des lieux tenus
secrets, afin d'eviter les persecutions religieuses ou politiques. C est pourquoi
l'Ordre de la Rose-Croix etait considere
jadis comme une societe secrete. Depuis
le debut du X X Csiecle, l'A .M .O .R.C .
s'apparente plutot a une organisation dis
crete et transmet son enseignement par
ccrit. Celui-ci se presente desormais sous
la forme de monographics adressees aux
membrcs d'une manierc confidcntielle.
Ces monographies, qui consistent en des
fascicules de quelques pages, s'echclonncnt sur douze degres majeurs. De mois
en mois, dannce en annce. dc degre cn
degre. chaque membre de l'Ordre est
done initio a ce que les Rose-Croix enseignent depuis des siecles sur les mysteres de Vexistence. Ce processus
initiatique est particuliercment efficace,
car il permet aux connaissances acquises
de transcender I *intellect et de devcnir
une partie integrante de la conscience de
Iame, cc qui est le but de toute quete veritablement mystique.
Quel est done le contenu de Tenseigne
ment rosicrueien ? Sans entrcr dans les
details, je dirai qu'il traite des grands
themes auxquels les mystiques se sont
toujours interesses : la nature du Divin.
les lois de la Creation, I'origine et la fi
nal ite de l'univers. les concepts de temps

46

Art-**A.MOXC

|>W14

OM1

gions clablics, une connaissance esoterique sest transmise a travels les ages,
decole dc mysteres cn ecole de mysteres.
Et dc nos jours, 1A.M.O.R.C. cst Tun dcs
heritiers dc ccltc connaissancc seculaire,
doii son aspect traditionnel.
Sur Ic plan etymologique, rappelons quc
lc mot tradition vicnt du latin tmdere , qui vcut dire trammettre . Ap
plique a lA.M .O.R.C., ce mot se
rapporte a 1*heritage culturcl et spirituel
qu'il transmet a travers son enseignement. Or. comme nous venons de le voir,
cet enseignement cst ties ancien.
puisqu'il prend sa source dans FEgypte
antique, non sans avoir evolue au cours
dcs ages. Vu sous cet angle, le qualificatif traditionnel vehicule l'idee d'anciennete et d'authenticite. II integre
egalement la notion de filiation. C est ce
qui explique pourquoi il existe de nos
jours peu dc mouvements veritablement
traditionnels. Quoi qu'il cn soit,
lA.M.O-R.C. se rattache traditionnellement aux Rose-Croix du passe et se
consacre a perpetuer l'heritage qu'euxmemes avaient re^u de FAntiquite, et ce
dans Fesprit humaniste et spiritualiste qui
leurest propre. Au X V IICsiecle, Michacl
Maier, Fun d'eux. disait d'ailleurs : Nos
origines sont egyptiennes, brahmaniques,
issues des Mysteres d'Elen sis et de Sarnothmce, des Mages de Ferses, des Fythagoriciens et des Arabes

Sym bole cr4 p a r l'A .M .O .R.C . en 1998 d p a rtir d'un dessin realise p a r Frangois M&rindier, d
l occasion des Salons de la Rose-Croix tenus d Paris en 1893

et d'espace. la matiere en tant qu'energie


et substance, le but ontologiquc de la vie.
Fame humaine ct ses attributs, les phases
de la conscience et les facultes qui leur
sont propres, les phenomcnes psychiqucs, Falchimic dcs reves, lcs mys
teres de la mort, de Fapres-vie ct de la
reincarnation, la science des nombres. les
symboles traditionnels, etc. Parallclement a ces themes d'etude, les monogra
phies
integrent
egalement
des
experiences consacrees a Fapprentissage
dc techniques fondamcntalcs sur le plan
mystique, je pense notamment a la visua
lisation, la meditation, la regeneration.
Fevcil psychique. Fharmonisation astrale, la communion spirituel le et autres.

ACTUALITE DE L'HISTOIRE HORS S E R IE n38

Rappelons que Fenseignement rosicrucicn n'a aucun caractcre dogmatique. Autrement dit, les explications donnces sur
tel ou tel sujet constituent davantage une
source dc reflexion qu'une verite a laquellc il faut absolumcnt croirc. Une telle
demarche cultive un esprit tolerant tout
en posant les bases d'une personnaiite indcpendante dans le choix dc ses convic
tions philosophiques.
S'il est un fait que I'enseignement rosicrucicn se presente sous une forme ecrite
depuis le debut du X X Csiecle. il existe
dcs Loges chargees dc perpetuer F aspect
oral de la Tradition rosicrucienne. Ce
sont des lieux ou lcs mcmbres pcuvcnt se
reunir rcguliercment pour participer a des

LE MA R T I N I S ME

DOSSIER
travaux collectifs et partager des mo
ments de fraternite. C est egalcment dans
ces Loges que sont transmises les initia
tions rosicruciennes. Etant donne qu*i 1
existe douze degres dans renseignement
de rA .M .O .R .C ., tout membre qui le
souhaite peut done recevoir douze initia
tions dans le cadre de ses etudes. Si je
precise qui le souhaite . c'est parce
qu'elles ne sont pas obligatoires, mais
conscillees. Par ailleurst on n'est pas
oblige de se rendre dans une Loge pour
en beneficier. Partant du principe que
c'est en nous-memes que reside le plus
grand des Initiateurs, il est possible de les
effectuer chez soi, a laide d'une mono
graphic prevue dans ce but. Sans devoiler
le contenu de ces initiations, on peut dire
qu'elles consistent en des ceremonies
symboliques ayant trois buts majeurs :
admettre ritucllement le candidal dans un
nouveau degre, lui confier de nouvelles
cles esoteriques. lui permettre de communier avec la partie la plus divine de
son etre. Precisons qu'elles n'ont aucun
caractere magique, theurgique ou occulte, car la magie. la theurgie et l'occultisme ne font pas partie des pratiques
enseignees dans I'Ordre, et sont meme
deconseillees.

rA.M .O.R.C. n'est pas unc voie de


croyance, inais une voie de connaissance.
Autrement dit, il n'est pas demande a ses
membres de croire aveuglement a re n
seignement qui leur est transmis. mais de
toujours le soumettre au crible de la rai
son et de 1experimentation. En cela, la
philosophie rosicrucienne n'est pas spe
culative. mais operative, et le laboratoire
des Rosicruciens nest autre que le
monde. C'est en effet au contact des au
tres qu'ils appliquent la connaissance acquise afin, precisement, d'en faire une
science de la vie utile au bien commun,
ce qui lui donne un caractere profondement humaniste. A ce propos, voici ce
que declara Francis Bacon, celebre RoseCroix du XV IItf siecle, pere de la metluxle
experimentale : La plus grande erreur
de toutes consiste a se meprendre sur le
but veritable de la connaissance. car cer
tains ne sont pousses vers elle que par
une curiosite naturelle et un temperament
avide de savoir ; d'autres pour entretenir dans leur mental la variete et un cer
tain plaisir ; d'autres par ostentation et
pour etre bien consideres ; d'autres en
core dans un but d'emulation et pour la
victoire ; beaticouppour I'appat du gain
ou pour gagner leur vie, et peu seulement
pour se servir du don divin de la raison

dans I'interet de /'humanite .


Nous venons de voir en quoi les Rosi
cruciens cultivent I'amour de la sagesse
et la science de la vie. Mais si 1'on com
bine ces deux definitions du mot philo
sophie , on en obtient une troisieme, a
savoir amour de la vie . Trop souvent,
on croit que le mysticisme exige que 1'on
se prive des plaisirs legitimes de l'existence. Rien nest plus faux. L'ideal est au
contraire de mener une vie equilibree, ce
qui suppose de repondre a la fois aux besoins du corps et aux aspirations de
lame. C'est precisement pour cette rai
son quun athee ou un materialiste ne
peut etre heureux a long terme, pas plus
qu'une personne qui se consacre cxclusivcment a la spiritualite. Partant de ce
principe, l'A.M .O.R.C. laisse ses mem
bres entierement Iibres de vivre comme
ils l'entendent. ne les soumettant a au
cune obligation ni aucune interdiction. A
titre d'exemples, il ne leur demande ni
d'etre vegetariens. ni dejeuner, ni de pratiquer 1ascese, ni de s'abstenir de telle
ou telle chose. Mais aimer la vie. c'est
aussi la respecter sous toutes ses formes
et la preserver dans sa diversite. C'est
pourquoi les Rosicruciens accordent une
grande importance a I'ecologie. la nature
etant pour eux le plus beau des sanc-

II nous reste a voiren quoi l'A.M .O.R.C.


est un mouvement philosophique. Tout
d'abord. il faut rappelerque le mot phi
losophic signifie litteralement amour
de la sagesse . Cela suppose que les
Rose-Croix sont des amoureiux de la
sagesse . Mais qu'est-ce que la sagesse ? Bien qu'il n'en existe aucune de
finition dogmatique, je dirai simplement
qu'elle correspond a Ietat de conscience
de toute personne qui exprime dans son
comportement les vertus que Ton prete a
l'ame humaine, dans ce qu'elle a de plus
divin. Dans 1'absolu, est done sage celui
qui a eveille en lui la patience, la tole
rance, 1humilite, la generosite. le cou
rage. la bienveillance, la non-violence et
autres qualites que 1'on attribue a 1'intel
ligence du cceur. Autant dire qu'il y a peu
de Sages parmi les homines... Etant
convaincus que le but de tout etre humain
est de se parfaire, les Rosicruciens s'efforcent done de devenir meilleurs, non
seulement pour leur bien-etre personnel,
mais egalcment pour celui des autres.
Comment ? En pratiquant I'alchimie spirituellc, laquelle consiste a transmuter
chacun de nos defauts en sa qualite opposee. Comme vous l'aurez compris,
cette forme d'alchimie est la contrepartie
spirituelle de I'alchimie materielle que
pratiquaient les Alchimistes du MoyenAge, et dont le but etait de transformer
les metaux vils en metaux precieux, notamment en argent et en or.
Mais si la definition premiere du mot
- philosophic est amour de la
sagesse , elle est parfois definie comme
etant la science de la vie . La encore,
cette definition s'applique parfaitement
au Rosicrucianisme, en ce sens que

47

ACTUALITY DE L'HISTOIRE HORS S R IE n38

OMT

P h il o s o p h iq u e

Sigle de l'A .M .O .R .C . depuis 1909, avec le nom de I'Ordre 4crit en latin


(A nti qu us M ysticu sque Or do Rosae Crucis)

FEVRIER - MARS

2010

47

DOSSIER
tuaires. Pour reprendrc les propos dc
Francois Jollivet-Castclot. eminent Rosicrucien du X X Csiecle. elle est le Grand
Livre de Dieu .

M y s t iq u e
Nous avons vu precisement on quoi
1'A.M.O.R.C. est un mouvement philosophique, initiatique et traditionnel. Mais
a plusieurs reprises, j'a i egalement em
ploye le mot mystique . Ceci merite un
bref commentaire. Dans le langage courant, ce mot est souvent utilise d une maniere pejorative pour designer une
personne dont on juge 1'ideal ou le comportement mysterieux, etrange, insolite,
voire marginal. Pourtant, ce terme designe simplement un individu qui s'interesse aux mysteres de la vie , au sens
traditionnel de cette expression. Par ex
tension. le mysticisme n'est rien d'autre
que la science des mysteres , la encore
au sens traditionnel. A ce propos, on peut
citer un extrait du discours que Margue

rite Yourcenar presenta lorsqu'elle fut


nominee a I' Academic frangaise. Parlant
de celui auquel elle succedait, voici ce
qu'elle declara : Le voici done parvenu,
et ce n est pas sans timidite qu V/ / avoue,
a une mystique de la matiere. Je crois
sentir dans cette timidite ieffet de deux
etats d'esprit souvent presents chez l %
in tellectuel de type purement rationaliste.
et peut-etre surtout en France, I 'un. une
crainte presc/ue superstitieuse du mot
"mystique', comme si ce mot signifiait
autre chose qu adepte de doctrines restees plus ou moins secretes ou chercheur
de choses demeurees cachees. Et pour
tant, nous savons tons que toute pen see
profonde reste en partie secrete, faute de
mots pour I 'exprimer, et que toute chose
nous demeure en partie cachee. Le se
cond de ces deux etats d'esprit n 'est
autre qu'un certain dedain du mot ma
tiere"', celle-ci etant trop souvent consideree comme la substance a I'etat brut,
placee aux antipodes du mot "dme "... .

E s o t e r iq u e
Ce que Ton vient de dire a propos du mot
mystique me conduit a preciser brievement le sens du mot esoterique , que
j ai egalement employe a plusieurs re
prises. La encore, on donne souvent a ce
terme un sens pejoratif, pour ne pas dire
negatif. En realite, il designe une tradi
tion, une pratique ou un enseignement
qui n*est connu que d'un petit nombre
d'individus, non pas parce q u il est se
cret, mais parce que peu de personnes s*y
interessent. Vu sous cet angle, il est vrai
que FA.M.O.R.C. est un mouvement eso
terique, ce qui explique pourquoi ses
membres sont relativement peu nombreux et pourquoi il est peu connu du
grand public. A Tinverse, les religions
sont dites exoteriques, car elles sadressent aux masses et sont suivies par de ties
nombreux fideles. Cela dit, vous noterez
que la plupart dentre elles ont donne
naissance a des courants esoteriques qui
leur sont propres et dont le nombre
d'adeptes est limite : le Kabbalisme pour
le Judaisme, le Johannisme pour le Christianisme. le Soufisme pour Y Islam... Au
sens traditionnel. 1'esoterisme na done
rien de pejoratif, mais il constitue un domaine de connaissance a part entiere.
d'ou l'interet que lui portent deminents
historiens.

LA ROSE-CROIX
Qui done a marie la r
ose a la
croix ?, ecrivit Goethe. Nul ne le sait
vraiment. Quoi qu'il en soit, e
t
contrairement a ce que Ton pourrait
penser a priori, la R ose-Croix n'est
pas un symbole religieux et n'a pas
de connotation chrtienne. La croix
represente le c orps ph ysique de
rhomme, et la rose son ame qui \ j o lue de vie en vie v ers la perfection.
Autrement dit, elle symbolise la dualite de V etre humain, vu sous un
angle spiritualiste. Dans IA.M.O.R.C.,
les douze lobes de la cr oix corres
pondent aux douze degres de Tenseignement.

U n e F r a t e r n it e m o n d ia l e

Portrait im aginaire de Christian Rosenkreutz

48

ACTUALITE DE L'HISTOIRE HORS S E R IE n38

A la lumiere de ces quelques explications,


chacun est a meme de comprendre en quoi
1'A.M.O.R.C. est effectivement un mou
vement philosophique, initiatique et tradi
tionnel. et meme en quoi il est mystique et
esoterique. Mais s il ne fallait retenir
qu*une seule chose a son sujet, ce serait
qu'il est une Fraternite mondiale, composee d'hommes et de femmes de toute race,
de toute classe sociale et de toute religion.
A une epoque ou I individualisme prevaut
et ou le nationalisme est encore ties mar
que, cette ouverture desprit merite d'etre
signalee. Par la meme, 1'A.M.O.R.C. demontre son humanisme et sa volonte de
contribuer a I'elevation des consciences.

J*

LE MA R T I N I S ME

=S.

a-t-il le merite, independamment de 1en


seignement qu'il perpetue. detre un vecteur de tolerance, dharmonie et de paix.
C'est ce qui a fait dire : Lame de la
Rose-Croixfa il partie de celle, humaniste
et spirituelle, de I Occident ; elle en est
I un de ses joyaux etincelant de beaute.
d 'amour et de purete .

R o s ic r u c ie n e t R o s e - C r o ix

Dans ce sym bole qui n'a aucune connota


tion religieuse, la croix reprsente le corps
physique de I'hom m e, e t la rose son Qme en
voie d e v o lu tio n . Quant aux douze lobes, Us
sym bolisent les douze degrs m ajeurs de
l'A .M .O .R.C .

Cola ne vcut naturel lenient pas dire quil


dctient la Verite el que quiconque suit son
enseignement est assure de tout connaitre
sur tout et de mener une existence depourvue de tout probleme. Mais au moins

II faut maintenant preciser un dernier


point. Comme vous lavez certainement
remarque. je me suis refere tantot aux
Rose-Croix. tantot aux Rosicruciens. En
rcalite, ces deux termes ne sont pas synonymes dans la Tradition rosicrucienne. Si
Ton veut etre precis, le mot Rosicrucien
designe un membre de l'A.M.O.R.C.. el
d'une maniere generate un etudiant du Rosicrucianisme. Quant au mot Rose-Cmix
, il s'applique en principe a tout Rosicru
cien qui a atteint la sagesse, au sens que
nous avons defini precedemment. Dans
labsolu, un Rose-Croix est done un etre,
sinon parfait. du moins proche de letat de
perfection, tel quon peut 1exprimer sur le
plan humain. Tout comme il y a ties peu
de Sages parmi les hommes, vous comprendrez quil y ait tres peu de Rose-Croix
veritables...
Pour clore cette presentation de

l'A .M .O .R.C ., j aimerais tout simplement citer 1extrait d un texte de Comenius, celebre Rosicrucien du X V IIC
siecle, considere de nos jours comme le
Pere spirituel de l U.N.E.S.C.O. Cette ci
tation resume parfaitement ce qua toujours etc 1ideal Rose-Croix :
Nous voulons que tons les etres hitmains, ensemble ou pris isolenient,
jeunes ou vieux, riches ou pauvres, no
bles ou roturiers, hommes ou femmes,
puissentpleinement slnstruire et devenir
des etres acheves. Nous voulons qu'ils
soient ins fruits parfaitement et formes,
non settlement sur tel ou tel point, mais
egalement sur tout ce qui permet a
I 'homme de realiser integralement son
essence, d 'apprendre a connaitre la Ve
rite, a ne pas etre trompe par des fauxsemblants, a aimer le bien et a ne pas etre
seduit par le mal, a faire ce qu 'on doit
faire et a se garder de ce qu 'il faut eviter,
a parler sagement de tout avec tout le
monde ; enfin, a toujours trailer les
choses, les hommes et Dieu avec pru
dence et non a la Iegere, et a ne jamais
s'ecarter de son b u t: le bonheur .

Serge Toussaint
Grand Maitre de l'A .M .O .R.C . et de

ro.M.T.

Bibliographie
Etu d es :
ACTUALITY DE L HISTOIRE,
numero special: Fratic-Magonnerie et
Martinisme, mai 2002.
DACHEZ. Roger : L'invention de la
Franc-Maconnerie, Vega. 2008.
*

FAIVRE. Antoine : L'Esoterisme


au X V IIrnr siecle, Seghers. 1973.
JACQUES-LEFEVRE. Nicole :
Louis-Claude de Saint-Manin, un illuministe au Siecle des Lumieres,
Dervy, 2003.
JOLY. Alice : Un mystique lyonnais et
les secrets de la Franc-Ma^onnerie,
Jean-Baptiste Willermoz, Teletes,
2009.
LE PAPE, Gil les : Les ecritures magiques - Aux sources du registre des
2400 noms, d'anges et d archanges de
Marlines de Fasqually, Arche Edidit,
2006.

MATTER. Jacques : Saint-Martin,


le Fhilosophe inconnu. Diffusion
Rosicrucienne. 1992.
RACZYN SK I, Richard : Dictionnaire
du Martinisme. Dualpho, 2009.
VIATTE Auguste : Les Sources
occultes du Romantisme, Illuminisme,
Theosophie ( 1770-1820), Slatkine,
2009.

T extes
V1ARTINES DE PASQUALLY. Traite
de la reintegration des etres, Diffu
sion Rosicrucienne. 1995.
SAINT-MARTIN. Louis-Claude de,
L'Homme de desir, Editions du Rocher. 1979.

Le Nouvel-Homme, Diffusion
Rosicrucienne. 1992.
Le Ministere de I'Homme-Esprit.
Diffusion Rosicrucienne. 1992.

Le Tableau naturel.
Diffusion Rosicrucienne. 2001.
Le Temple du cceur, Diffusion
Rosicrucienne, 2001.
Les Voies de la sagesse, Diffusion
Rosicrucienne, 2000.
Lettre d un ami ou Considerations
politiques, philosophiques,
et religieuses sur la Revolution
rangaise, Jerome Million, 2005.
Maximes et pensees, Andre Silvaire,
1963. 2003.
Les Nombres. Cariscript. 1983.
W IL L E R M O Z. Jean-Baptiste :
Traite des deux natures, Diffusion
Rosicrucienne, 1999.
CUVELIER-ROY. Xavier: Sursum
Corda Trois entretiens sur les sciences
secretes, Diffusion Rosicrucienne.
2003.

FEVRIER - MARS

2010

49

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Traite sur la
reintegration des etres

par Wartines

dans leur premiere propriete,


vertu et puissance spirituelle divine
Le "Trait6 sur la reintegration
est Iun des livres essentiels
de Iesoterisme occidental. Cest
aussi le texte fondamental du
Martinisme, une tradition qui
s'interesse au mysticisme judeochretien. II traite des origines de
la Creation et du role des etres
qui Ihabitent: anges et hommes.
Dune maniere generate, ce livre
montre la voie que Ihomme en
exil dans le monde materiel doit
suivre pour reintegrer Ilmmensite
divine.
Realisee par Robert Amadou
d apres le manuscrit personnel
de Louis-Claude de Saint-Martin
(1743-1803), cette publication est
la premiere edition authentique
du celebre Traite de Martines de
Pasqually (17277-1774). II comporie un guide de lecture (table
analytique), ainsi que des index
qui en facilitent la lecture et
Ietude. En outre, cette edition est
actuellement la seule a integrer
le Tableau Universe!**. cl6 indis
pensable a sa comprehension.

Traite sur la
reintegration des etres
dun* leur pmnii n proprklt*.
virtu el puisMince spirihidlt* divin?

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M artines de Tasquallv
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J t U w h-Cktudt iie Sumi-Mitrnn SUiMir et p td w itfr put

Robert Amadou
b HTYUKM
Mf NK H I < 3KNNK

470 pages - Format 14,5 x 21,5 cm - 21,50

En vente en librairie
Editeur: Diffusion Rosicrucienne - 27110 Le Tremblay - T e l: 02 32 35 39 78 - [email protected] - www.drc.fr

Les voies
de la sagesse
CEuvres posthum es

Les voies de la sagesse


regroupe quatre textes de
Louis-Claude de Saint-Martin.
Contrairement aux autres livres
du Philosophe lnconnu, ces
textes netaient pas destines
au grand public, mais a ses
freres martinistes des Loges
lus-Cohens.

Les voies
de la sagesse
(Euvres posthumes

Ce livre aborde directement la


philosophie et la cosmogonie
martinistes. II est fondamental
pour comprendre la doctrine
de la Reintegration, laquelle
concerne Iexil de Ihomme et
son retour vers le Divin.
Saint-Martin evoque egale
ment dans ce livre le role des
etres qui peuplent les differentes spheres de la Creation :
mondes terrestre, celeste et
surc6leste.

Louis-Claude de Saint-Martin

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