Cavagna - Enfer Et Purgatoire Dans Le Pelerinage de L'âme PDF

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ENFER ET PURGATOIRE DANS LE PLERINAGE

DE LME DE GUILLAUME DE DIGULLEVILLE,


ENTRE TRADITION ET INNOVATION
Mattia CAVAGNA

Le Plerinage de lme de Guillaume de Digulleville sinscrit dans une tradition


littraire bien tablie, celle des voyages allgoriques dans lau-del, une tradition
qui son tour doit tre considre comme la continuation, plus ou moins directe,
de la production visionnaire mdiolatine. Certains chercheurs, comme Herman
Braet et Fabienne Pomel, ont attir lattention sur cette continuit entre les deux
genres littraire, en soulignant en mme temps les dirences importantes qui
les distinguent 1. Ces dirences intressant tant les aspects linguistiques on
passe du latin aux langues vulgaires que les aspects hermneutiques, puisque le
registre littral est abandonn au profit du registre allgorique, qui prsuppose une
lecture au second degr. Les lments de continuit, au niveau de la narration et de
limaginaire sous-jacents ces textes, sont dune vidence indniable. Pourtant, si
le cadre narratif est trs similaire, le dessein et les fins des rcits ont chang dune
manire radicale : dans les voyages allgoriques, lattention nest pas concentre sur
les fins dernires de lhomme, mais sur la vie terrestre ; lobjet de la rvlation ne
concerne pas une vrit thologique, dvoile travers le tmoignage authentique
1. Parmi les tudes qui insistent sur la continuit entre la tradition visionnaire et la production allgorique, il faut
citer surtout F. POMEL, Les voies de lau-del et lessor de lallgorie au Moyen ge, op. cit. ; H. BRAET, Les visions
de linvisible (VIe-XIIIe sicle) , art. cit., p. 405-419 ; P. DINZELBACHER, Jenseitsvisionen Jenseitsreisen ,
dans Epische Stoe des Mittelalters, d. V. Mertens, U. Mller, Stuttgart, Krner, 1984, p. 61-80, cf. p. 71, o la
production allgorique est considre comme une Nachfolge de la littrature visionnaire. H. R. Patch propose
un long excursus des motifs et des thmes que la tradition visionnaire a transmis la littrature vernaculaire
du Moyen ge tardif. H. R. PATCH, The Other World according to Descriptions in Mediaeval Literature, op. cit.,
p. 175 : the literature of vision may transmit a vast amount of material and stories of travels in search
of mythical realms . Cf. aussi F. BAR, op. cit., p 124 : La littrature des visions, en mme temps que les
descriptions romanesques, est probablement lorigine du fameux songe au cours duquel le hros du Roman
de la Rose parcourt le verger merveilleux.
132 UNE CRITURE DU SALUT

de lexprience visionnaire, mais comporte avant tout un enseignement moral,


transmis travers llaboration dune fiction potique. Parmi les voyages allgo-
riques nous citerons surtout le Songe dEnfer de Raoul de Houdenc (vers 1210),
un voyage entirement construit sur le registre parodique, la Voie de Paradis de
Rutebeuf (vers 1265), la Voie dEnfer et de Paradis de Jean de la Mote (vers 1340)
et bien dautres textes anonymes 2.
Le Plerinage de lme, crit entre 1355 et 1358, occupe lintrieur du corpus
des voyages allgoriques une place particulire puisque, loin de se limiter trans-
mettre un message moral, il comporte galement une rflexion thologique, une
rflexion qui dailleurs na pas retenu lattention quelle mrite 3. linstar des
anciens textes visionnaires, le Plerinage de lme vhicule une conception eschato-
logique prcise et met en scne une construction cosmique complexe et articule,
en touchant des points dlicats du dogme, notamment larticulation entre lenfer,
les limbes et le purgatoire. Une telle dmarche le distingue nettement des autres
textes allgoriques du XIIIe sicle qui, eux, ne font aucune mention des espaces
intermdiaires tels que les limbes et le purgatoire : puisque leur intrt porte
exclusivement sur lenseignement moral, ils se contentent de proposer un imagi-
naire de type binaire, fond sur lopposition entre les vices, manations de lenfer,
et les vertus, manations du paradis.
Nous ninsisterons gure ici sur la classification des pchs propose par
Guillaume de Digulleville : dans sa thse, Jrme Baschet a trs bien montr que
lauteur se base sur le systme des sept pchs capitaux tel quil a t codifi par
Grgoire le Grand 4. Nous nous concentrerons plutt sur larticulation entre les

2. Le Songe dEnfer de RAOUL DE HOUDENC (vers 1210) est le premier voyage allgorique en langue franaise,
cf. Raoul de Houdenc, Le Songe dEnfer suivi de La Voie de Paradis : pomes du XIII e sicle, d. Ph. Lebesgue
(1908), rd. Genve, Stlatkine, 1974. Le texte de Rutebeuf se lit dans ldition de M. Zink, RUTEBEUF,
uvres compltes, Paris, Garnier, 1990 [Lettres gothiques, 4560], p. 63-69, celui de JEAN DE LA MOTE dans
ldition de la Sur M. A. Pety, La Voie dEnfer et de Paradis. An unpublished poem of the fourtheenth century,
by Jean de la Mote, Washington, The Catholic University of America Press, 1940. propos des autres voyages
allgoriques anonymes, nous renvoyons A. MICHA, F. BAR, G. HASENOHR, Voies de Paradis , dans le
Dictionnaire des Lettres Franaises, Paris, Fayard, 1964, pp 1489-1491.
3. Comme le suggre Genevive Hasenohr, ce texte repose sur dexcellentes bases thoriques et a constitu un
ple de rfrence oblig, en milieu lac comme en milieu ecclsiastique, dans la propagation de la doctrine
chrtienne. Cf. G. HASENOHR, La Littrature religieuse , dans La littrature franaise aux XIV e et XV e sicles,
GRLMA VIII/1, d. D. Poirion, Heidelberg, Winter, 1988, p. 266-305 (cf. p. 271-272).
4. Les justices de lau-del. Les reprsentations de lenfer en France et en Italie (XIIe-XVe sicle), Rome, cole Franaise
de Rome, 1981, p. 467-471. La doctrine des sept pchs capitaux trouve son origine dans luvre de Cassian
qui propose lnumration suivante : gula, luxuria, avaritia, ira, tristitia, acedia, vana gloria, superbia. Comme
on la suggr, cette liste a t ensuite revue et corrige : les deux couplets tristitia et acedia et vana gloria et
superbia ont t considrs comme des synonymes, ce qui rduit la liste six pchs, auxquels il faut ajouter
linvidia. On obtient ainsi la liste des sept pchs capitaux telle quelle a t propose par GRGOIRE LE GRAND,
Moralia in Job, (PL 76, col. 621) : Septem nimirum principalia vitia, de hac virulenta radice proferuntur, scilicet
LENFER DANS LE PLERINAGE DE LME 133

direntes rgions de lespace infernal en menant une enqute, dans une approche
diachronique, sur les sources utilises par Guillaume de Digulleville. Cela nous
permettra de mieux situer ce texte lintrieur du dveloppement de lhistoire
des croyances en revenant notamment sur un dbat historiographique qui nous
intresse particulirement : lorigine du purgatoire.

Lenfer quadriparti
Guillaume rve quil quitte son corps et quil assiste larontement dun ange
et dun dmon se disputant son me. Cette confrontation, violente mais purement
verbale, cde la place un vritable procs plac sous lautorit dun vritable
tribunal cleste, compos par Justice, Raison et Vrit, en prsence de plusieurs
tmoins rpartis en deux groupes. Saint Michel, le juge suprme, a recours une
balance, afin de peser les uvres de limput. Le poids des pchs dpasse dabord
celui de ses bienfaits, mais Misricorde propose une grce supplmentaire qui
sauve le plerin de la damnation : il est condamn passer mille ans au purgatoire
et part aussitt la suite de son ange gardien. Cette scne initiale rcupre certains
lments qui ont t labors dans la tradition visionnaire, notamment lide du
jugement individuel, sous la forme dun arontement entre un ange et un dmon,
qui a lieu juste aprs la mort 5 ; mais en mme temps on note la mise en place
dune scnographie solennelle, calque sur limage de la cour judiciaire et sur celle,
dorigine biblique, de la balance, qui est dveloppe surtout par les arts figuratifs
dans liconographie du Jugement Universel 6.
Guillaume se trouve plong dans un espace indfini et tnbreux, mais le
processus de purification lui permet de recouvrir progressivement la vue : au fur
et mesure quil se purifie de ses pchs, le pnitent arrive distinguer plus claire-
ment le contexte o il est projet et ore, pour la premire fois dans la production
allgorique, une description de la structure de lenfer. Lespace infernal est compar
une noix, constitue de quatre sphres concentriques : le lieu de la damnation

inanis gloria, invidia, ira, tristitia, avaritia, ventris ingluvies, luxuria. Cf. M. W. BLOOMFIELD, The Seven Deadly
Sins, Michigan, State College Press, 1952 (cf. p. 69-70) et C. CASAGRANDE et S. VECCHIO, I sette peccati
capitali. Storia dei peccati nel Medioevo, Turin, Einaudi, 2000 ; version franaise : Histoire des pchs capitaux
au Moyen ge, Paris, Aubier, 2002.
5. propos de la tradition du jugement individuel, nous renvoyons aux tudes de C. VIOLA, Jugements de Dieu
et jugement dernier. Saint Augustin et la scolastique naissance (fin XIe milieu XIIIe sicles) , dans The Use and
Abuse of eschatology in the Middle Ages, d. W. Verbeke, D. Verhelst, A. Welkenhuysen, Louvain, Mediaevalia
Lovaniensia Series I / Studia XV, 1988, p. 242-298, et de J. BASCHET, Jugement de lme, Jugement dernier :
contradiction, complmentarit, chevauchement ? , Revue Mabillon, n.s. 6 (1995), p. 159-203.
6. Limage de la balance qui mesure le poids des bonnes et des mauvaises actions se retrouve dans lApocalypse
(Ap. VI, 5) : Et ecce equus niger et qui sedebat super eum habebat stateram in manu sua.
134 UNE CRITURE DU SALUT

ternelle constitue le noyau central ; il est entour par le limbe des enfants non
baptiss, par le purgatoire et par le limbe des saints pres.
Enfer ainsi comme nois est,
De III couvertures couvert est.
Il est le noyel du milieu,
Du quel trouver nest point de gieu.
Une pelace a entour li
Qui est dite lourl de li,
Qui tout ainsi lenvironne
Com pelace fait la pome.
L sont les enans non purgs,
Non lavs et non baptiss
Et qui doriginel pech
Tant seulement sont entach,
En tenebres tousjours y sont
Et jamais goute ny verront.
Paine leur est que Dieu voir
Il nont et naront ja pouoir.
Sus ceste pelace mise
Pres est lescaille et assise,
Cest le purgatoire present
O du feu tu sens le tourment.
Sus ceste escaile lescorce est
Qui toute la nois dehors vest,
Cest o Jhesucrist descendi
Et le lieu o enfer mordi.
Le mors fu grant quant en sacha
Ses amis et les emmena. (v. 3693-3718 7)
Aprs un long sjour dans le feu du purgatoire, lme de Guillaume est amene
sur terre, dans les lieux o le plerin avait commis pchs 8. Au cours de ce voyage,
elle rencontre les mes de plusieurs personnes qui, comme lui, subissent des peines
particulires dans les lieux les plus disparates (Aucuns en murs ou maisieres / Ou en
mer ou en rivieres / Aucuns en terre, aucuns en air 9). Guillaume dcrit en parti-
culier un pcheur enferm dans la glace : sa faute est davoir trop aim les bains,
les tuves et les aventures amoureuses pour faire plaisir son corps 10. Lange

7. Toutes les citations du Plerinage de lme sont tires de ldition de F. DUVAL, Descente aux enfers avec
Guillaume de Digulleville. Edition et traduction commentes dun extrait du Plerinage de lme, Saint-L,
Archives dpartementales de la Manche, 2006 (ici, p. 82-84).
8. Or vous di ne demoura pas / que en tous les liex et les pas / O javoie fait folie / Ou men mauvaise vie / Ou fait
aucun vice ou pech. Ibid, p. 88.
9. Ibid. p. 90
10. Se jai aim baigneries, / Estuves et druries, / Ce fu pour le corps aisier, / Qui ore nest qu un fumier. Ibidem.
LENFER DANS LE PLERINAGE DE LME 135

explique Guillaume que la pnitence sur terre concerne les pchs vniels qui
nont pas t eacs travers une pnitence susante. Les pchs mortels, par
contre, doivent tre expis en enfer 11.
Guillaume voit ensuite son propre corps, puant et corrompu, et entretient
avec lui un dialogue, en lui reprochant de lavoir fourvoy et davoir mis en danger
son salut ternel. Finalement, lange amne Guillaume dans lenfer proprement
dit, mais le rassure : sa peine ne sera pas augmente, il sagira seulement de visiter
les lieux des tourments ternels.
Mme travers un rsum trs succinct, la complexit de ce texte saute aux
yeux. Guillaume de Digulleville seorce dinsrer dans la structure narrative du
voyage allgorique un certain nombre de topo tirs de plusieurs traditions litt-
raires direntes. Dun ct, on reconnat le motif de la purification individuelle
des pchs vniels qui seectue sur terre. Il sagit dun motif bien connu dans les
rcits de miracles et de revenants de la tradition mdiolatine qui remonte au moins
aux Dialogues de Grgoire le Grand. Lallusion aux bains et aux tuves est assez
emblmatique en ce sens puisque, dans la tradition des miracles, les tablissements
thermaux sont les lieux les plus frquents par les mes du purgatoire 12. Dun
autre ct, on reconnat la tradition allgorique du dbat du corps et de lme, une
tradition qui se dveloppe, en langue franaise, partir du dbut du XIIIe sicle.
Une enqute sur les sources de ces passages apporterait sans doutes des rsul-
tats intressants, mais la question qui nous intresse davantage ici concerne la
structure de lenfer et larticulation des quatre rgions infernales : les limbes des
enfants non baptiss et des saints Pres, le purgatoire et lenfer proprement dit.

Dans la production visionnaire, lenfer est traditionnellement divis en deux


parties superposes : lenfer infrieur, reprsent comme un goure obscur qui
renferme les damns pour lternit, et lenfer suprieur o les pcheurs sont tour-
ments pour un temps limit, le temps de leur purification, avant dtre admis
au paradis 13. Dans les visions de Drithelm et du moine de Wenlock (dbut du

11. Des pechs mortex autrement / Vueil dire, car chascun descent / En enfer, actendant celui / Qui la fait jusquil est
feni. / L lassaut il et envast / Et contre li forment sasprist / Selon la qualit quil est. Ibid, p. 98.
12. Voir par exemple le tmoignage relat par GRGOIRE LE GRAND, Dialogues IV, chap. 57, d. A. de Vog,
Paris, Cerf, 1980 [Sources Chrtiennes, 265], p. 184-188.
13. Cette distinction entre les deux parties de lenfer a t arme lorigine par saint Augustin dans ses
commentaires sur les Psaumes, notamment partir du passage eruisti animam meam ex inferno inferiori
(Ps. LXXXV, 13). Saint Augustin considre le terme latin inferior en tant que comparatif de ladjectif inferus,
ce qui implique justement lexistence dun terme de comparaison, constitu, videmment par ladjectif
superius. Il sagit pourtant dune question problmatique, dans la mesure o le latin tardif avait neutralis
lopposition entre le comparatif et le superlatif si bien que le terme inferior traduisait tout simplement lide
de trs profond .
136 UNE CRITURE DU SALUT

VIIIe sicle), sur lesquelles nous reviendrons plus loin, lenfer suprieur remplit
donc la mme fonction que le purgatoire. partir de la fin du XIIe sicle, le terme
purgatorium fait son apparition dans le milieu de la spculation thologique et
dsigne, justement, la partie suprieure de lespace infernal, laquelle sajoutent
galement les deux limbes : celui des enfants non baptiss et celui des saints
pres.
Cette conception quadripartite de lespace infernal a t probablement labo-
re dans lentourage dAlbert le Grand, cest--dire au moment de lessor de la
thologie scolastique du XIIIe sicle. Dans son trait De Resurrectione (III, 5-8),
Albert le Grand aborde la question des lieux de chtiment (loci poenarum), en
expliquant que lespace infernal est compos de quatre rgions, savoir : le goure
infrieur, les limbes des enfants, le purgatoire, les limbes des saints pres 14. Voici la
rubrique qui introduit la partie en question : Et primo quaeritur de inferno, secundo
de purgatorio, tertio de limbo puerorum, quarto de limbo patrum. Pour chacune de
ces quatre rgions, Albert le Grand propose une srie de considrations, exposes
de faon assez complexe, selon les procds de la disputation scolastique, concer-
nant la nature des peines : dans lenfer proprement dit, les mes sourent le tour-
ment du feu (aictio) et la damnation ternelle (damnatio) ; dans le purgatoire,
elles sourent seulement le tourment du feu (aictio) et bnficient en outre de
lespoir du salut ; dans le limbe des enfants, il ny a point de tourment, mais leur
condition est ternelle et ils nont aucun espoir de voir le Crateur ; le limbe des
saints pres, quant lui, a t vid par Jsus-Christ au moment o il est descendu
pour amener les saints pres au paradis. Albert le Grand ne propose pas une
vision spatiale de lespace infernal mais sinterroge en revanche sur les rapports de
proximit entre les direntes rgions. Il conclut que le limbe des enfants est plus
proche du goure infernal que le purgatoire, car les enfants non baptiss sont plus
loigns de Dieu par rapport aux saintes mes du purgatoire (quod pueri in limbo
magis elognati sunt a Deo quam sanctae anime, quae sunt in purgatorio 15).
La thorie dAlbert le Grand est reprise et approfondie par lun de ses lves,
Hugues de Strasbourg, dans son trait intitul Compendium Theologicae Veritatis
(IV, 22 16). Par rapport son matre, ce thologien manifeste dexcellentes quali-
ts de synthse et propose une description claire et succincte des quatre rgions
infernales :

14. ALBERT LE GRAND, De Resurrectione, d. W. Kbel, dans Alberti Magni Opera Omnia, t. XXVI, Mnster,
Aschendor, 1958, p. 312-320.
15 Ibid. p. 318.
16 De descensus Christi ad inferos, d A. Borgnet, Alberti Magni Opera, t. XXXIV, Paris, L. Vivs, 1895, p. 146-
148.
LENFER DANS LE PLERINAGE DE LME 137

Item, prout infernus sumitur pro loco poenae , quadrupliciter distinguitur.


Unus est infernus damnatorum, in quo est poena sensus, et damni, ac tenebrae inte-
riores et exteriores. Id est, absentia gratiae : iste semper habet luctum.
Super hunc est limbus puerorum, ubi est poena damni, et non sensus : et sunt ibi
tenebrae exteriores et interiores.
Supra hunc locum est purgatorius, in quo est pena sensus et damni ad tempus, et
sunt ibi tenebrae exteriores, et non interiores, quia per gratiam habent lucem inte-
riore, quia vident se esse salvandos. Supremus locus inter haec est limbus sanctorum
patrum, ubi fuit peana damni et on sensus, et fuerunt ibi tenebrae exteriores, et non
tenebrae privationis gratiae.
Dans ce passage, Hugues de Strasbourg bauche une structure verticale, en
prcisant que les quatre tages sont superposs, alors que Guillaume de Digulleville
pousse plus loin llaboration spatiale, en proposant une structure concentrique.
Pourtant, lordre et la dfinition des quatre rgions infernales sont tout fait
similaires.
Cette conception de lenfer labore par les thologiens scolastiques a t
reprise par lauteur anonyme du Speculum humanae salvationis (fin du XIIIe ou
dbut du XIVe sicle), un texte latin versifi qui connat une diusion norme la
fin du Moyen ge, tant dans sa rdaction latine on compte presque trois-cent
manuscrits latins que dans de nombreuses traductions en langue vernaculaire 17.
Au chapitre XXVIII, lauteur propose une longue description de lespace infernal,
dont nous ne proposons ici que les vers essentiels :
Est autem quadruplex infernus, sive quatuor loca infernorum,
Videlicet damnatorum, puerorum, purgandorum et Sanctorum.
In inferno damnatorum est fumus et ignis inextinguibilis,
Adspectus daemonum et horror terribilis,
Vermes conscientiarum et tenebrae palpabiles,
Frigus inenarrabile et foetores intolerabiles,
[]
Super istum infernum est locus, qui dicitur infernus puerorum,
Incircumcisorum videlicet et non baptizatorum :
Ibi non est poena sensus, sed tantum poena damni
Et gaudium habent magnum de bonitate Dei magni ;
[]
Super hunc locum est infernus purgandorum ;
In illo est diversitas poenarum et dolorum multorum ;
Nam secundum peccatorum quantitatem et qualitatem

17. Le texte latin, accompagn de la traduction de Jean Milot, se lit dans ldition de J. Lutz et P. Perdrizet,
Speculum humanae salvationis, texte critique, traduction indite de Jean Mielot (1448), Mulhouse Carl Beck,
Meininger Leipzig, 1907 (tome I). Le tome II (1909) prsente le fac-simile du manuscrit de Munich,
Clm 146.
138 UNE CRITURE DU SALUT

Recipit quilibet purgationem et poenalitatem.


[]
Super hunc locum infernus Sanctorum esse comprobatur,
Qui alio nomine sinus Abrahae vel limbus appellatur.
Hunc infernum omnes Sancti olim intraverunt,
Qui ante resurrectionem Christi mortui fuerunt.
Ad istum infernum Christus descendit et intravit
Et omnes, qui in ipso erant, potenter inde liberavit 18.
linstar dAlbert le Grand et dHugues de Strasbourg, lauteur de ce texte
explique les direntes conditions des mes enfermes dans les quatre rgions de
lenfer : les damns sont soumis des tourments ternels ; les enfants non baptiss
nont aucun espoir de voir Dieu mais ne sourent aucun tourment ; les mes du
purgatoire sont tourmentes pour un temps limit ; les pres de lancien testament
ont t sauvs par le Christ et amens au Paradis, si bien que le limbe des pres
est dsormais vide. Mis part quelques dtails le limbe des enfants accueille
aussi les enfants non circoncis ; le limbe des pres est appel enfer des saints
(infernus Sanctorum) une telle conception quadripartite de lenfer correspond
parfaitement celle du Plerinage de lme. Vu la diusion norme du Speculum
humanae salvationis, dont les manuscrits commencent se multiplier partir des
annes 1330, nous sommes ports croire quil a constitu la source directe de
Guillaume de Digulleville 19.

Loin de constituer une conception eschatologique originale, lide dun enfer


quadriparti a une diusion remarquable jusqu la fin du XVe sicle, comme en
tmoignent au moins deux autres textes littraires franais de la fin du Moyen ge.
Le passage dHugues de Strasbourg quon vient de citer a t repris et traduit
littralement par Regnaud le Queux dans son Baratre Infernal (1480), un trait
en prosimtre qui se veut la somme de toutes les connaissances sur lenfer depuis
lAntiquit jusqu son poque. Dans le passage en question, on notera laccu-
mulation de synonymes, sous forme de glose mta-linguistique, qui est lune des
caractristiques de la prose et du style de ce rhtoriqueur :

18.. Ibid., p. 58.


19. On notera en outre que de nombreux manuscrits contenant le texte latin et les traductions vernaculaires du
Speculum humanae salvationis ont un riche apparat denluminures comprenant aussi, dans plusieurs cas, la
reprsentation des quatre tages de lenfer. Cf., par exemple, le ms. de Munich, Clm 146 (latin, milieu du
XIVe s.), disponible dans une reproduction fac-simil dans ldition cite (tome II, planche 55) ; le ms. de Paris
BNF, fr. 188, f. 32, (XVe s., traduction franaise anonyme) ; le ms de Kremsmnster, Cremifanensis 245, fol.
33va, (dbut du XIVe s., traduction allemande anonyme), disponible dans la reproduction fac-simile, Graz,
Akademische Druck, 1972.
LENFER DANS LE PLERINAGE DE LME 139

Le premier lieu est des dampnetz, et au pourpoz, ou est paine de sens cest de
sentir et de dommage, avecques tenebres interieures et exterieures, cest assavoir
carence cest absence et defaillance de grace et de gloire.
Sur cestui est le lymbe des enfans, cest dessus le premier lieu des infimes et le plus baz,
voire qui sont mors sans baptesme, la ou est paine de dommage et non de sens.
Et sur cestuy est purgatoire, auquel lieu sont paines et de sens et de dommage, mes
ce a temps ; la ou sont tenebres exterieures et non pas interieures, car par grace ceuz
qui la sont ont lumiere interieure.
Le plus hault lieu des quatre les le lymbe des saints peres, ou fut paine de dommage et
non pas de sens ; et la furent tenebres exterieures et non pas privation de grace 20.
Contrairement son habitude, Regnaud le Queux ne cite pas la source de cet
extrait, et le titre du paragraphe renvoie, de faon gnrale, la Bible : Des quatre
estages denfer selon la sainte Escripture. Pourtant, le passage concide parfaitement
avec le texte dHugues de Strasbourg qui devra donc tre compt parmi les trs
nombreuses sources du Baratre Infernal 21.
La conception quadripartite de lenfer se retrouve, telle quelle, dans un autre
texte qui a connu une grande popularit la fin du Moyen ge : le Mystre de
la Passion dArnoul Grban. Dans le passage suivant, le pauvre Lazare explique
Marthe que lenfer est divis en quatre parties :
Et en la plus haulte partie
Qui le limbe des peres est
Sont de prophetes grant partie,
Et dautres a qui moult desplaist
Que len diere leur procest.
Eulx qui sont de floire actentifz
Mais espoir repaist les chetifz.

[]
En lautre lieu qui est notoire
Et bien ordonn par raison,
Est lenfer quon dit purgatoire
Ou il y a dames grant foison,
Pugnies par vive achoison
Comme chascun a desservy :
Nul mal ne demeure impugny.

[]
Lautre enfer qui plus bas descend,
Pu les sieges sont mal ournz
20. Ms. Paris, BNF, fr. 450, fol. 127-127v.
21. Parmi les rares rfrences bibliographiques concernant ce texte, voir surtout D. LESOURD, Le Baratre infernal
de Regnaud le Queux , Positions des thses de lcole des Chartes, 1969, p. 87-95.
140 UNE CRITURE DU SALUT

Est lieu par tenebre indescend


Et la sont les enans mornz
Moult piteusement actournz
Quame jamais ne les descoulpe :
Fort plaint qui porte lautruy coulpe.

Au plus bas, est le hideux goure


Tout de desesperance taint
Ou, sans fin, art leternel soure
De feu qui jamais net estaint
La sont les maleureux contraint
Porter parturable tempeste :
Ou espoir falt, la mort est preste 22.
On note que la superposition des quatre tages correspond, une fois encore,
la structure propose par Hugues de Strasbourg.
Finalement, il faut rappeler que le Speculum humanae salvationis a t traduit
plusieurs reprises en France et dans le reste de lEurope. Parmi les traductions les
plus importantes, nous citerons celle de Jean Milot, ralise en 1448 lintention
de Philippe le Bon, duc de Bourgogne, intitule Le Miroir de la Salvation humaine.
Voici le dbut du passage en question :
Il est ci a noter quil y a quatre manieres denfers ou quatre lieux quon dist enfer,
cest a savoir lenfer des dampns, des enfans, de ceulx qui font leur purgatoire, et
des saints 23.
Tous ces textes latins et vernaculaires tmoignent en somme que la conception
quadripartite de lenfer connat une diusion tout fait remarquable en France
aux XIVe et XVe sicles.

Le sens du mot enfer


Dans le Plerinage de lme, la rflexion sur la constitution de lespace infernal
est accompagne de certaines considrations linguistiques qui sont, notre avis,
dune importance capitale et qui nont pas encore susamment attir lattention
des spcialistes :
Tout est denfer et hors et ens
Mes distintes sont les tormens,
Et le nom denfer largement

22. Le Mystre de la Passion dArnoul Grban, d. O. Jodogne, Bruxelles, Palais des Acadmies, 1965, tome I,
p. 210 (v. 15745-17803 avec coupures). Je tiens remercier Darwin Smith de mavoir signal ce passage.
23. Speculum humanae salvationis, texte critique, traduction indite de Jean Mielot (1448), d. cit., p. 145.
LENFER DANS LE PLERINAGE DE LME 141

Entendu et estroictement.
Car estroictement est cellui
Ou dampns sont et est emmi,
Mes appell est largement
Pour les peines que chascun sent
Dedens le cercle o il et mis
En quel degr quil soit assis. (v. 3721-3730)
Ce passage nous invite reconsidrer le sens du mot enfer , tel quil a t
utilis dans la langue mdivale, en proposant des considrations quil faudrait
analyser avec attention et quil faudrait appliquer lhistoire des croyances tout
entire : le mot enfer peut tre compris et utilis, au Moyen ge, tantt au
sens large, tantt au sens strict. Les deux emplois du terme ne concident gure et
ne doivent surtout pas tre confondus : au sens strict, le mot enfer dsigne le
goure o sont enferms les damns pour lternit ; au sens large, le mot enfer
dsigne un espace complexe lintrieur duquel il existe plusieurs rgions o les
pcheurs sont tourments des degrs dirents, dans des conditions direntes,
pour une dure dirente. Nous sommes habitus identifier le terme enfer
avec le goure qui enferme les damns. Il sagit dune interprtation univoque qui
entrane des erreurs dinterprtation assez importantes et qui ne considre le terme
que dans son sens strict. Mais le terme enfer est employ bien plus souvent au
sens large, pour dsigner lespace qui accueille les pcheurs aprs leur mort et qui
se compose, comme on la vu, de quatre rgions concentriques ou superposes.
Lambigut du terme ne concerne pas seulement la langue franaise, mais
galement le latin, comme en tmoigne, une fois encore, luvre dHugues de
Strasbourg. Dans le passage que nous avons cit, Hugues de Strasbourg donne une
dfinition cohrente et prcise du mot enfer , en armant quil dsigne gnra-
lement le lieu des tourments (infernus sumitur pro loco poenae ). Par la suite,
aprs avoir expliqu la structure quadripartite de lespace infernal, il propose des
observations plus articules, en tirant son inspiration dun passage de la liturgie :
Ex jam dictis patet quare cantamus Libera animas omnium fidelium defunctorum
de poenis inferni, et de profundo lacu : quia infernus ibi sumitur pro purgatorio,
sicut et ibi sumitur pro limbo, quando dicitur Christus ad inferos descendisse vel
infernum destruxisse 24.
De ces observations, on comprend bien pourquoi on chante Dlivre les
mes de tous les dfunts fidles des peines de lenfer et de la fosse profonde :
parce que le terme enfer est employ pour dsigner le purgatoire, de mme

24. De descensus Christi ad inferos, op. cit., p. 151. La traduction est personnelle.
142 UNE CRITURE DU SALUT

quil dsigne les limbes lorsque lont dit que le Christ est descendu aux enfers ou
quil a dtruit lenfer.

linstar de Guillaume de Digulleville, le thologien attire ici lattention des


fidles sur la complexit du terme infernus qui est souvent utilis, dans la liturgie
comme dans la diusion de la foi catholique, dans un sens trs large, si bien quil
peut dsigner tantt le purgatoire tantt les limbes, tantt le lieu de la damnation
ternelle. Le langage liturgique, profondment ancre dans la tradition, conserve
naturellement le terme infernus alors que le terme purgatorium est employ,
lpoque dHugues de Strasbourg, par les thologiens et les exgtes.
Jacques Le Go a insist sur le fait que le terme purgatorium napparat qu la
seconde moiti du XIIe sicle 25. Ce quil na pas expliqu, cest que ce mot ne dsi-
gne gure un concept eschatologique nouveau, mais sapplique tout naturellement
une rgion de lenfer qui a toujours exist ds le dbut de la tradition chrtienne.
Voici une armation qui demande tre justifie lappui dune documentation
solide. Nous allons faire quelque pas en arrire, du point de vue chronologi-
que, pour revenir brivement sur llaboration de la gographie de lenfer, ce qui
nous permettra de mieux situer la conception eschatologique de Guillaume de
Digulleville dans lhistoire des croyances.

Pour une nouvelle histoire du purgatoire


Dans notre thse de doctorat nous avons essay de montrer que le concept
de purgatoire a t labor, ds le dbut de lre chrtienne, dans le contexte
de la littrature visionnaire 26. Ce nest pas une ide originale, dans la mesure
o plusieurs chercheurs, qui ont ragi plus ou moins directement au livre pion-
nier de Jacques le Go, sont arrivs ces mmes conclusions bien avant nous 27.
Cependant, la conception eschatologique propose par Guillaume de Digulleville,
ainsi que ses considrations de nature linguistique, nous invite revenir sur nos
sources avec un regard nouveau en essayant de mettre de ct beaucoup da priori
25. J. LE GOFF, La Naissance du Purgatoire, Paris, Gallimard, 1981.
26. M. CAVAGNA, La Vision de Tondale et ses versions franaises (XIII e-XV e sicles), Paris, Champion, [Nouvelle
Bibliothque du Moyen ge] ( paratre)
27. Cf. surtout A. J. GOUREVITCH, La culture populaire au Moyen ge (1981), trad. fr. Paris, Aubier, 1996,
(cf. surtout p. 193-266) ; M.-P. CICCARESE, Le pi antiche rappresentazioni del purgatorio, dalla Passio
Perpetuae alla fine del IX. sec. , Romanobarbarica, 7 (1982-83), p. 33-76 ; R. EASTING, Purgatory and the
earthly paradise in the Tractatus de Purgatorio Sancti Patricii Cteaux, Commentarii cistercienses. Bulletin
dhistoire cistercienne. Cistercian history abstracts, 37, 1986, p. 23-48. Pour une mise au point de dbat autour
du purgatoire, cf. B. BEYER DE RYKE, La naissance du Purgatoire vingt ans aprs , Villers, 25, 2003,
p. 13-29.
LENFER DANS LE PLERINAGE DE LME 143

et en oubliant notamment lassociation entre enfer et damnation ternelle. Loin


de vouloir rcrire lhistoire de leschatologie chrtienne, nous nous contenterons
ici de proposer quelques considrations au sujet de la gographie infernale, et
donc de lorigine du purgatoire, partir de ses origines bibliques et apocryphes,
jusquaux textes mdivaux qui constituent les anctres, voire mme les sources
du Plerinage de Guillaume de Digulleville.
Nous souhaiterions commencer cet excursus en proposant quatre citations
bibliques qui constituent les rfrences incontournables pour le dveloppement
de limaginaire infernal :
Nec opus nec ratio nec scientia nec sapientia erunt apud inferos (Eccl. IX, 10)28.
Quoniam non est in morte qui memor sit tui. In inferno autem, quis confitebitur
tibi ? (Ps. VI, 5 29).
Et fumus tormentorum eorum in saecula saeculorum ascendit, nec habent requiem
die ac nocte, qui adoraverunt bestiam et imaginem eius (Ap. XIV, 11 30).
Et ipse clamans dixit : Pater Abraham, miserere mei et mitte Lazarum ut intin-
gat extremum digiti sui in aquam, ut refrigeret linguam meam, quia crucior in hac
flamma. At dixit Abraham : Fili, recordare quia recepisti bona tua in vita tua,
et Lazarus similiter mala : nunc autem hic consolatur, tu vero cruciaris. (Lc XVI,
24-25 31).
Ces quatre citations bibliques doivent tre considres parmi les fonde-
ments de la conception chrtienne de lenfer au sens strict, cest--dire du lieu
de la damnation ternelle. partir de ces passages, nous retiendrons les lments
suivants : 1) labsence de tout ordre, de toute raison, de toute possibilit de discer-
nement, les damns tant privs de toutes les facults de lintellect humain, facults
qui sont dorigine divine et nont pas leur place en enfer ; 2) leacement de la
mmoire, et notamment de la mmoire divine, qui est source de misricorde ; 3)
linluctabilit du tourment et limpossibilit dune pause ou dun moment de
rpit.

Venons-en aux sources apocryphes et notamment lApocalypse de saint Paul,


qui doit tre considre, sous certains aspects, comme le texte fondateur de la

28. Il ny a ni oeuvre, ni pense, ni science, ni sagesse, dans le sjour des morts, o tu vas.
29. Car on ne se souvient point de toi dans la mort ; dans le shol, qui te clbrera ?
30. Et la fume de leurs tourments montera dans les sicles des sicles, et il ny aura repos ni jour ni nuit pour
ceux qui auront ador la bte et son image.
31. Alors il scria : Pre Abraham, aie piti de moi et envoie Lazare tremper dans leau le bout de son doigt
pour me rafrachir la langue, car je suis tourment dans cette flamme. Mais Abraham dit : Mon enfant,
souviens-toi que tu as reu tes biens pendant ta vie, et Lazare pareillement ses maux ; maintenant ici il est
consol, et toi, tu es tourment.
144 UNE CRITURE DU SALUT

production visionnaire mdivale. crit en grec autour du IIIe sicle, ce texte a eu


une diusion extraordinaire grce un grand nombre de traductions et rcritures
latines, connues sous le titre de Visio sancti Pauli 32.
Au dbut de son voyage, saint Paul voit une srie de lieux de tourments, quil
dsigne travers lexpression loci poenarum ( lieux de chtiment ). Lespace infer-
nal ne prsente aucun lment structural : si certains groupes de damns sont bien
distincts les uns des autres, la plupart dentre eux est plonge dans un fleuve ou
bien dans des fosses 33. Saint Paul contemple lenfer dune position externe : il se
contente de tourner son regard, si bien que les images des tourments sont prsen-
tes selon le principe de la juxtaposition (et respexi et vidi et inspexi et vidi
et iterum respexi et vidi). un certain moment, pourtant, il y a un dplacement
spatial. Lange amne saint Paul sur un puits dont lauteur souligne laltrit par
rapport au reste de lenfer : Et tulit me ad septentrionalem locum omnium poenarum
et statuit me super puteum. Lange lui explique que les pcheurs jets dans ce puits
sont eacs tout jamais de la mmoire divine :
Si quis missus fuerit in hunc puteum abyssi, et signatum fuerit super eum, numquam
commemoratio eius fit in conspectu Patris et Filii et Spiritus Sancti, et sanctorum
angelorum34.
lintrieur du goure, saint Paul ne voit que des tnbres et de la fume, et
aperoit le vers qui ne dort jamais . Devant ce spectacle areux, saint Paul, pris
de piti et de commotion, prononce une complainte sur tout le genre humain :

Melius erat nobis si non fuissemus nati, nos omnes qui sumus peccatores 35 !
Ensuite il prie Dieu pour quil octroie aux pcheurs en enfer un refrigerium. Devant
la prire de lAptre, le Christ annonce :

32. Frdric Duval considre ce texte, juste titre, comme lune des sources du Plerinage de lme (op. cit.,
p. 125).
33. Dans les rdactions courtes, et notamment dans la version IV, date du XIIe sicle, les lieux infernaux
connaissent une diversification et certains lments structuraux font leur apparition, notamment des portes,
qui suggrent un modle architectural, tranger au texte original. Pour les rdactions courtes du texte,
cf. ldition dH. Brandes, Visio Sancti Pauli. Ein Betrag zur visions litteratur mit einem deutschen und zwei
lateinischen Texten, Halle, Niemeyer, 1885, p. 65-71 (rd. I) et p. 75-80 (rd. IV). La version longue L1 se
lit dans ld. de Cl, Carozzi, Eschatologie et Au-del. Recherches sur lApocalypse de Paul, Aix-en-Provence, PU,
1994 qui est notre dition de rfrence.
34. Si quelquun est envoy dans ce puits de labme, et quil est scell sur lui, il nest jamais fait mmoire de lui
en prsence du Pre, du Fils et du Saint-Esprit, ainsi que des saints anges. Ed. et trad. Cl. Carozzi, op. cit.,
p. 244-245.
35. Il aurait mieux valu pour nous que nous ne fussions pas ns, nous tous qui sommes pcheurs. Ibid. p. 246-
247.
LENFER DANS LE PLERINAGE DE LME 145

In die enim qua resurrexi a mortuis, dono vobis omnibus qui estis in poenis noctem
et diem refrigerium in perpetuum 36.
Grce lintercession de saint Paul, Jsus-Christ octroie aux pcheurs tour-
ments en enfer un rpit le jour du dimanche. Ainsi ce texte apocryphe semble
littralement dmentir lApocalypse canonique, celle de saint Jean, qui comme on
la vu exclut explicitement lide du rpit (nec habent requiem die ac nocte). Une
telle dmarche ne manquera pas de nous tonner, dans la mesure o les textes
apocryphes, loin de vouloir corriger , voire mme contredire les critures, se
proposent gnralement comme des complments ou des supplments aux
textes canoniques.
Lapocalypse paulinienne devra alors tre soumise une interprtation
nouvelle, qui remet justement en perspective le concept d enfer . Les lieux de
tourments dcrits par saint Paul nappartiennent probablement pas lenfer au
sens strict. En relisant le texte, on saperoit en eet que saint Paul nvoque jamais
lide de damnation , sauf pour le puits infrieur, qui renferme les pcheurs dont
la mmoire est eace pour lternit. Le fait que le Christ octroie aux pcheurs un
jour de rpit signifie que ceux-ci sont soumis laction de la misricorde divine.
Notre interprtation pourra sembler, une premire vue, un peu trop opti-
miste. Cependant, elle est supporte par bien dautres textes qui reprennent lide
du rpit, introduite par la Vision de saint Paul, en lui confrant une signification
thologique plus prcise et explicite.
Selon notre interprtation, dans la division propose par ce texte entre les loci
penarum et le puteum abyssi, il faut reconnatre une premire bauche de la bipar-
tition de lenfer qui sera reprise et approfondie par toute la production visionnaire
mdivale et qui concide, au moins partir du VIIIe sicle, avec la distinction
entre lenfer et le purgatoire. Lide du refrigerium, qui ramne une large partie de
lespace infernal sous laction de la mmoire divine, et donc aussi de la misricorde,
constitue un concept-cl dans le dveloppement de lide du purgatoire.

Notre bref excursus de textes mdivaux commence avec la Vision du moine de


Wenlock, crite par saint Boniface au dbut du VIIIe sicle 37. Aprs que son me a
t ravie en extase, le moine visionnaire contemple une srie de puits, placs dans

36. Au jour o je suis ressuscit des morts, je vous accorde tous qui tes dans les peines une nuit et un jour de
rafrachissement, perpetuit. Ibid. p. 252-253.
37. Le texte est contenu dans une ptre date de 816 et adresse labbesse Eadburge. Cf. Monumenta Germaniae
Historica, Epistolae Merovingici et Karolini I, p. 252-264. Toutes les citations du texte sont tires de cette
dition.
146 UNE CRITURE DU SALUT

les profondeurs de la terre, qui jettent dehors dhorribles flammes 38. Les pcheurs
qui sont tourments dans ces flammes apparaissent sous la forme doiseaux noirs
gmissant avec des voix humaines 39. Ces oiseaux bnficient de temps autre
dun instant de repos : ils se posent sur le bord des puits o ils cessent de sourir
pour quelques instants, mais ils sont bientt replongs dans le feu. Lun des anges
qui accompagnent le visionnaire explique que ce petit moment de repos symbo-
lise la grce que Dieu leur accordera au moment du jugement : Parvissima haec
requies indicat quia omnipotens Deus in die futuri judicii his animabus refrigerium
supplicii et requiem perpetuam praestiturus est. Juste aprs, le visionnaire peroit
des cris et des gmissements encore plus terrifiants qui semblent provenir dun
lieu encore plus profond (in imo profundo), situ au-dessous des puits enflamms.
Lange lui explique que ces pleurs viennent des mes qui seront tourmentes pour
lternit.
Dans ce texte, saint Boniface distingue donc entre un enfer suprieur, consti-
tu par les puits enflamms, et un enfer infrieur situ dans les profondeurs les
plus extrmes, dont le visionnaire naperoit mme pas lentre. Lide dun repos
(requies) octroy aux pcheurs est inspire, de toute vidence, par la Vision de saint
Paul. Cependant ce repos assume ici une signification prcise : il symbolise le repos
ternel et indique donc clairement que la condition des pcheurs tourments est
une condition temporaire, et que les tourments quils subissent ont la fonction de
les purifier de leurs pchs. De ce point de vue, ce texte doit tre considr comme
une sorte de glose lapocalypse paulinienne.
La Vision de Drithelm, crite par Bde le Vnrable autour de 730, propose
une conception eschatologique trs similaire. Suite une maladie et un ravisse-
ment extatique, Drithelm, un pieu lac anglais, est conduit par son ange-guide en
direction du Nord-Est (contra ortum solis solstitialem 40) et parvient au bord dune
immense valle. Un ct de la valle est rempli de feu ardent et lautre de neige
et de grle : les pcheurs sont tourments en alternance dans la chaleur et dans
38. Igneos puteos horrendam eructantes flammam.
39. Lassimilation des mes des morts des oiseaux a des origines trs anciennes et a laiss des traces dans
limaginaire de plusieurs civilisations. Chez les Grecs, lme, psych, tait reprsente sous la forme dun
papillon ; dans la civilisation palochrtienne, des colombes blanches et des oiseaux noirs taient reprsents
sur les parois des catacombes ; chez les Celtes, les oiseaux taient communment assimils aux mes des
dfunts, comme dans lImmdam Ua Corra. Pour les traditions grecques et romanes, cf. C. NOIREAU, La lampe
de Psych, Paris, Flammarion, 1991, p.11-52 ; pour les traditions celtiques, cf. R. A. BARTOLI, La Navigatio
Sancti Brendani e la sua fortuna nella cultura romanza dellet di mezzo, Fasano (Br), Schena, 1993, p. 82-85
et W. STOKES, Souls in Form of Birds , Revue Celtique, 2 (1873-1875), p. 200.
40. La vision est insre dans lHistoria Ecclesiastica Gentis Anglorum, d. B. Colgrave et R. A. B. Mynors, Oxford,
Clarendon, (1969) 1991 (cf. livre V, p. 488-498). Toutes les citations du texte sont tires de cette dition.
Pour la traduction franaise, cf. Ph. DELAVEAU, Histoire ecclsiastique du peuple anglais, Paris, Gallimard,
1995.
LENFER DANS LE PLERINAGE DE LME 147

la glace. En passant ct de cette valle, Drithelm pense quil sagit de lenfer


dont il avait entendu parler maintes fois 41 , mais lange le dtrompe et annonce
que cette valle nest pas lenfer auquel il pense (Non hoc, inquiens, suspiceris ; non
enim hic infernus est ille quem putas). En poursuivant sur leur chemin, les deux
parviennent au bord dun puits qui jette dehors des globes enflamms. Au milieu
des flammes, Drithelm reconnat les mes des pcheurs qui sont rduites sous
forme dtincelles. Lange lui explique quil sagit du vritable enfer, o les mes
des damns seront tourmentes pour lternit, alors que la valle bipartite ntait
quun lieu temporaire de purification.
Comme dans le texte de saint Boniface, la division entre les deux parties de
lenfer assume une signification thologique prcise : lenfer suprieur accueille les
mes qui doivent tre purifies de leurs pchs mais qui sont destines au salut,
lenfer infrieur enferme les damns pour lternit. Si le terme purgatorium nest
jamais employ, nous pouvons armer que la fonction remplie par lenfer sup-
rieur est exactement la mme.
La Vision de Tondale, compose Ratisbonne en 1149, montre des rapports
intertextuels trs vidents avec la Vision de Drithelm, qui doit tre considre
comme lune de ses sources principales 42. La distinction entre les deux parties de
lenfer est toujours aussi nette, mais lenfer suprieur connat un dveloppement
considrable : Tondale traverse huit rgions o sont tourmentes huit catgories
de pcheurs (homicides, tratres, orgueilleux, avares, voleurs, gloutons, luxurieux,
pcheurs rcidivistes). Loin de traverser ces rgions en tant que simple spectateur,
Tondale doit subir lui-mme les peines infernales afin dtre purifi de ses propres
pchs. Aprs avoir travers ces huit rgions, Tondale parvient enfin au bord dun
goure immense et tnbreux qui jette dehors des globes enflamms. Lange lui
explique que les pcheurs rencontrs jusquici attendent le jugement de Dieu ,
alors que ceux qui sont dans le puits ont t dj jugs et seront donc damns
pour lternit (Omnes quos superius vidisti, iudicium Dei expectant. Sed hi qui
adhuc sunt in inferioribus, jam judicati sunt).
Certaines traductions franaises de la Vision fournissent une interprtation
plus claire et explicite de ce passage, en armant que dans lenfer suprieur les
pcheurs attendent la misricorde de Dieu , soulignant ainsi quils sont purifis
41. Cumque hac infelici vicissitudine longe lateque, prout aspicere poteram, sine ulla quietis intercapedine innumerabilis
spirituum deformium multitudo torqueretur, cogitare coepi quod hic fortasse esset infernus, de cujus tormentis
intolerabilibus narrari saepius audivi.
42. Le texte latin se lit dans ldition B. Pfeil, Die Vision des Tnugdalus Albers von Windberg. Literatur- und
Frmmigkeitsgeschichte im ausgehenden 12. Jahrhundert. Mit einer Edition der lateinischen Visio Tnugdali
aus Clm 22254, Francfort, Peter Lang, 1999 [Mikroksmos. Beitrge zur Literaturwissenschaft und
Bedeutungsforschung, 54].
148 UNE CRITURE DU SALUT

en attente dtre admis en la compagnie des saints 43. Dans dautres traductions
lenfer suprieur est carrment appel purgatoire , ce qui confirme, une fois
encore, la continuit entre les deux concepts 44.
Pour terminer notre excursus, il convient de citer le Purgatoire de saint Patrice,
qui a t considr, tort, comme lacte de naissance littraire du purgatoire
et qui, en ralit, propose une conception eschatologique dans lexacte ligne de
la Vision de Drithelm et de la Vision de Tondale. A linstar de ces textes, lespace
infernal est divis en deux parties superposes. linstar de Tondale, le chevalier
Owein traverse dabord le purgatoire, parvient jusquen enfer et remonte ensuite
au paradis terrestre.

Cet excursus de textes visionnaires nous a permis dapprofondir lhistoire de


la bipartition infernale et de sa transformation. Au XIIIe sicle lenfer suprieur est
rebaptis, avec le nologisme purgatorium, sans que cela cause des modifications
majeures sur sa fonction ni, dans la plupart des cas, sur sa situation gographi-
que. Lidentification entre lenfer suprieur et le purgatoire est dailleurs arme
explicitement par Albert le Grand dans son De Resurrectione (III, 6) : Dicimus
quod purgatorius locus est iuxta infernum, et est pars inferni superior 45. Dans cette
sentence, il est vident que le terme enfer est utilis dans deux acceptions
direntes : tout dabord au sens strict (le purgatoire est ct du goure des
damns), et ensuite au sens large (le purgatoire est la partie suprieure de lespace
infernal).

Pour revenir au Plerinage de lme, nous devons rappeler que, aprs avoir
eectu sa purification sur terre, Guillaume est finalement amen en enfer ici le
mot est employ, apparemment, au sens strict o il visite les lieux de chtiment
des damns. Lenfer travers par Guillaume de Digulleville prsente toutes les
caractristiques des enfers voqus par les textes visionnaires que nous venons de
prsenter. Il sagit dabord de toute une srie de lieux o les direntes catgories
de pcheurs sont soumises des tourments traditionnels (roues cloues, pendai-
sons, etc.). Finalement, aprs avoir travers en tant que spectateur ces
lieux de tourment, Guillaume se retrouve au bord dun goure immense, dont il
43. Cf. par exemple la version P (date de la fin du XIIIe sicle) : Tuit cil que tu as veu dessus en poine, atandent ancor
la misericorde Deu, mais cil que tu verras de ci en avant, sont ja jugi et dempn perpetuelment. Cette version
se lit dans ld. V. H. Friedel et K. Meyer, La Vision de Tondale (Tnudgal), texte franais, anglo-normand et
irlandais, Paris, Champion, 1907.
44. Vers 1250, Vincent de Beauvais reprend le texte sous une forme abrg et parle galement du purgatorium
a propos de lenfer suprieur. Dautres versions franaises tmoignent de la mme ide.
45. ALBERT LE GRAND, De Resurrectione, d. cit. p. 315.
LENFER DANS LE PLERINAGE DE LME 149

naperoit quune petite partie, o tous les damns sont punis sans aucun ordre
et sans aucun critre :
L avoit une fosse grant,
Tres orrible et orde et puant
Plaine de vermine et horreur
De feu et soure grant ardeur. (v. 5433-5436)
Les pcheurs tourments prononcent une complainte qui semble tire direc-
tement des paroles de saint Paul :
Las chetis, pourquoi fusmes ns
Pour estre ci ainsi dampns ? (v. 5449-5450)
On voit apparatre ici le terme dampns qui renvoie justement lide dun
tourment ternel et inluctable. Guillaume voque donc dun ct ce que nous
appellerons lenfer suprieur, compos de lieux de peines particulires et de lautre
lenfer infrieur, le goure o les damns sont tourments sans distinction. Ce
puits est le rgne du chaos et se rattache de prs la tradition de lenfer biblique
et la tradition visionnaire de lenfer infrieur :
Ceux-ci et tous communement
Qui maintenus confusement
Se sont sont l dedens gets
Et sens ordre tousjours dampns.
Point ne retourne qui y va.
Nulle redempcion ny a.
Sens faillir tousjours y dure
Toute punaisie et ordure. (v. 5499-5506)
Les caractristiques traditionnelles de lenfer au sens strict sappliquent cette
fosse infernale plus qu tout autre lieu. On notera notamment ladverbe confuse-
ment, la locution sans ordre et les termes renvoyant lternit et linluctabilit
des peines (dampns, sans faillir, tousjours).
Dans ce passage du Plerinage de lme, il est facile de reconnatre la biparti-
tion infernale traditionnelle de la littrature visionnaire : la distinction entre les
lieux de tourments suprieurs , o les pcheurs sont punis selon leurs propres
fautes, et le goure infrieur, o tous les damns sont tourments confusment,
sans distinctions de sorte. De toute vidence, Guillaume de Digulleville na pas
retenu lun des enjeux fondamentaux de la bipartition traditionnelle de lespace
infernal, savoir que lenfer suprieur est le purgatoire. Il a donc essay de mettre
contribution en mme temps deux conceptions de lespace infernal la concep-
tion bipartite et la conception quadripartite qui, en ralit, sont lune dans la
150 UNE CRITURE DU SALUT

continuit de lautre et qui sont donc superposables, sans pourtant y parvenir


dune manire trs cohrente.

Conclusion
Le Plerinage de lme de Guillaume de Digulleville a le grand mrite dattirer
lattention sur un aspect fondamental de leschatologie chrtienne : la complexit
et lambigut du terme enfer qui est utilis, dans la langue mdivale, dans
deux acceptions direntes qui ne doivent pas tre confondues. Lenfer au sens
large du terme est donc compos, selon la conception que lauteur partage avec
bien des thologiens et des crivains de son poque, de quatre rgions concentri-
ques : lenfer infrieur, le limbe des enfants non baptiss, le purgatoire et le limbe
des saints pres. Lanalyse du texte et de ses sources nous a fourni loccasion de
revenir brivement sur la question de lorigine du purgatoire, et de souligner que,
contrairement la thorie avance par Jacques Le Go, celui-ci a t gnralement
considr, ds les origines du christianisme jusqu la fin du XVe sicle, comme une
partie de lenfer 46.
La distinction entre lenfer proprement dit et le purgatoire a t labore
au sein de la production visionnaire mdiolatine sous la forme dune distinction
entre un enfer infrieur , demeure ternelle des damns, et un enfer sup-
rieur , demeure temporelle des pcheurs qui attendent la misricorde divine. Au
XIIIe sicle, la spculation thologique accorde lenfer suprieur une nouvelle
dnomination, celle de purgatoire , et complte la gographie de lespace infer-
nal avec lajout de deux autres rgions : le limbe des enfants et le limbe des saints
pres. Les deux conceptions de lespace infernal, la conception bipartite et la
conception quadripartite, se situent donc dans une continuit parfaite et harmo-
nieuse, une continuit que Guillaume de Digulleville ne semble pas avoir assimile
de faon trs approfondie ; cest pourquoi il seorce de prsenter les deux modles
infernaux lun la suite de lautre 47.

46. La Divine Comdie de DANTE reprsente, bien videmment, la plus clbres des exceptions.
47. Nous tenons remercier plus de cinq cent fois maistre Silvre Menegaldo pour sa relecture.

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