Mythes Et Erotismes Dans Les Litteratures Et Les Cultures Francophones de L'extreme Contemporain - Rodopi
Mythes Et Erotismes Dans Les Litteratures Et Les Cultures Francophones de L'extreme Contemporain - Rodopi
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388
Sous la direction de
Efstratia Oktapoda
Le papier sur lequel le prsent ouvrage est imprim remplit les prescriptions
de ISO 9706: 1994, Information et documentation - Papier pour documents -
Prescriptions pour la permanence.
ISBN: 978-90-420-3762-5
E-Book ISBN: 978-94-012-1012-6
Editions Rodopi B.V., Amsterdam - New York, NY 2013
Printed in The Netherlands
Remerciements
Efstratia Oktapoda
Introduction
Efstratia Oktapoda
Lextrme contemporain
3
Sandrine Meslet, Sexualit : projection de linstance sensorielle en terres litt-
raires , Dossier n 4, Littrature et sexualit. Dans La Plume francophone.com :
http://la-plume-francophone.over-blog.com/article-5127942.html
4
Sur la problmatisation de lextrme contemporain, plusieurs critiques ont entour le
sujet sans pour autant reprendre tous la mme terminologie. On peut lire profit les
ouvrages suivants : Murielle Lucie Clment (d.), Le Malaise existentiel dans le ro-
man franais de lextrme contemporain, Sarrebruck, ditions Universitaires Euro-
pennes, 2011 ; Barbara Havercroft, Pascal Michelucci et Pascal Riendeau (ds), Le
Roman franais de lextrme contemporain. critures, engagements, noncia-
tions, Qubec, ditions Nota bene, coll. Contemporanits , 2010 ; Dominique
Viart, Bruno Vercier, Franck Evrard, La Littrature franaise au prsent. Hritage,
modernit, mutation, Paris, Bordas, 2008 ; Bibliographie. tudes sur la prose fran-
aise de lextrme contemporain en Italie et en France (1984-2006), Bari, B. A. Gra-
phis, 2007 ; Matteo Majorano (d.), Le Jeu des arts, Bari, B. A. Graphis, 2005 ; Bruno
Blanckeman, Aline Mura-Brunel et Marc Dambre (ds), Le Roman franais au
tournant du XXIe sicle, Presses de la Sorbonne Nouvelle, 2004 ; Rosa Galli Pellegrini
(ds), Trois tudes sur le roman de lextrme contemporain : Marie Ndiaye, Sylvie
Germain, Michel Chaillou, Paris/ Fasano, PU de Paris-Sorbonne, 2004 ; Matteo
Majorano (d.), Le Got du roman, Bari, B.A. Graphies, 2002 ; Dominique Viart, Le
Roman franais au XXe sicle, Paris, Hachette, 1999.
Introduction 9
5
Dominique Fourcade, Outrance, Utterrance et autres lgies, Paris, P.O.L., 1990,
p. 12.
6
Revue Posie, n 41, Belin, 1987. signaler aussi qu la suite de cette publication
sur lextrme contemporain dans la Revue Posie en 1987, nat chez le mme diteur
Belin la collection du mme nom, qui compte aujourdhui prs de soixante-dix titres.
10 Efstratia Oktapoda
La force de lrotisme
7
Bruno Vercier, Dominique Viart, La Littrature franaise au prsent. Hritage,
modernit, mutation, Paris, Bordas, 2008.
Introduction 11
lessence mme de la vie et de la mort qui est exprime dans les textes
et dans les films.
Les images damour cdent la place aux scnes sexuelles qui
simposent par leur rptition obsessionnelle. Le regard pornographi-
que, linstrumentalisation des corps et la reprsentation de lintimit
sont des thmes rcurrents, dont la signification est beaucoup plus
importante que lon ne pense, car toutes ces scnes sexuelles sont
sous-jacentes dune ralit et dune vrit autres. Voici une nouvelle
perspective dtude pour les littratures et les cultures francophones
de lextrme contemporain.
Si pour Barthes la littrature daujourdhui est ptrie de mythes, le
mythe constitue un outil de lidologie, des croyances de la socit, un
discours.
Dans Mythologies (1957) Barthes dmystifie le mythe et parle de
mythe de sensation, mythe de valeur (59) ou encore mythe dex-
pression et mythe de projection (111), mais il parle aussi de fan-
tasmes et dapaisements, de dlires et de fantaisies8, de dsirs pervers.
Livres de plaisir ou livres de la mort, plaisirs du texte ou pas, pour
faire ainsi rfrence son ouvrage Le Plaisir du texte (1973), Barthes
vante le discours amoureux et tout ce qui a trait limaginaire en
terme psychanalytique.
Et si le mythe est un discours, dit Barthes, la mythocritique prend
pour postulat de base une image obsdante , un symbole moyen
pour tre intgr une uvre, mais qui va organiser aussi luvre de
8
En anglais, on utilise le mot fantaisie (fantasy), alors quen franais, cest ordinai-
rement, le mot fantasme. En franais, le sens premier du mot est tomb en dsutude,
et il dsigne quelque chose dexcentrique. Lagache (1964) est lun des rares psychana-
lystes franais utiliser le mot fantaisie dans son sens classique. En grec, fantaisie
correspond lactivit cratrice de lesprit (imagination), et fantasme sa production.
Notons quen franais, les mots fantasme et phantasme sont quivalents. Crpault
(2007) utilise la notion de fantaisie pour dsigner un fantasme qui procure un plaisir et
un simple amusement, sans pour autant que le sujet veuille le raliser. La notion de
fantasme rotique veill peut marquer une distinction par rapport au fantasme ro-
tique lors du sommeil, cest--dire le rve rotique. Par dfinition, le fantasme veill
est conscient. La notion de fantasme sexuel est beaucoup plus large et renvoie len-
semble des mentalisations sexuelles plus ou moins dformes par les processus dfen-
sifs. Entrent dans cette catgorie aussi bien les conceptions que lindividu se fait du
sexe oppos ou de son propre sexe que les constructions mentales conscientes et
inconscientes par rapport la fonction reproductrice et aux conduites sexuelles pro-
prement dites. Voir Claude Crpault, Les Fantasmes, lrotisme et la sexualit. Lton-
nante tranget dros, Paris, ditions Odile Jacob, 2007, note 2 et 3, p. 224.
12 Efstratia Oktapoda
9
Gilbert Durand, Le voyage et la chambre dans luvre de Xavier de Maistre ,
Romantisme, vol. 2, n 4, 1972, p. 84.
10
Ann-Dborah Lvy-Bertherat, ros , Dictionnaire des mythes littraires, Pierre
Brunel (d.), nouvelle dition augmente, Paris, ditions du Rocher, 1988, p. 565.
Introduction 13
11
Sigmund Freud [1905], Trois essais sur la thorie sexuelle, traduit de lallemand
par Philippe Koeppel, Prface de Michel Gribinski, Paris, Gallimard, coll. folio
essais , 1987, p. 38.
12
Ibidem, p. 59.
13
Claude Crpault, Les Fantasmes, lrotisme et la sexualit. Ltonnante tranget
dros, op. cit., p. 199.
Introduction 15
1970 et surtout les annes aprs 1980 a connu une grande vague de
perturbations rotiques et un dysfonctionnement sexuel qui renvoyait
la conception mcanique de la sexualit.
Ces trente dernires annes, les rles se sont peu peu inverss et
le dsir fminin, de plus en plus exprim, a entran une crise
masculine , souligne Willy Pasini14.
14
Willy Pasini [1997], La Force du dsir, traduit de litalien par Jacqueline Henry,
Paris, ditions Odile Jacob, 1999, p. 10.
15
Boris Cyrulnik, LEnsorcellement du monde, Paris, Odile Jacob, 1997.
16 Efstratia Oktapoda
16
Georges Bataille, Lrotisme, Paris, Les ditions de Minuit, 1957, p. 24.
17
Ibidem, p. 6.
18
Georges Bataille [1961], Les Larmes dros, Prface de J.-M. Lo Duca, Paris,
Jean-Jacques Pauvert, coll. 10/18 , 1971, p. 55.
Introduction 17
19
Edward Sad, LOrientalisme: lOrient cr par lOccident, traduit de langlais par
Catherine Malamoud et prfac par Tzvetan Todorov, Paris, ditions du Seuil, 2005.
[Orientalism: Western conceptions of the Orient, New York, Pantheon, 1978].
20
Michel Foucault, Histoire de la sexualit 2. LUsage des plaisirs, Paris, ditions
Gallimard, 1984, p. 10.
18 Efstratia Oktapoda
21
Aristote, Politique, VII, 16, 1 335 b ; cit dans Michel Foucault, LUsage des plai-
sirs, op. cit., p. 24.
22
Michel Foucault, LUsage des plaisirs, op. cit., p. 25.
23
Platon, Le Banquet, 217 a-219 e.
Introduction 19
24
Michel Foucault, LUsage des plaisirs, op. cit., p. 111.
25
Oribase, Collection mdicale, III, pp. 168-178 ; cit dans Foucault, LUsage des
plaisirs, op. cit., p. 129.
26
Roland Barthes, Le Discours amoureux. Suivi de Fragments dun discours amou-
reux: indits, Paris, ditions du Seuil, coll. traces crites , 2007, pp. 43-44.
20 Efstratia Oktapoda
y avait une Topique amoureuse, dont la figure fut un lieu (topos) 27.
Toutefois, Barthes fait distinction et parle damour et non pas dros
comme Bataille.
Barthes parle aussi de souffrance, dangoisse et de deuil, de
castration et de frustration. Il smiotise le discours afin de lui promul-
guer une image nouvelle damour. Mais il y a aussi dans ses propos
thoriques fascination et rotisation (sans rotisme) et des sentiments
contraires. Dans lerrance, damour en amour, Barthes est tour tour
heureux et malheureux.
Dans le sillage de nouveaux critiques de lrotisme, Pascal
Bruckner et Alain Finkielkraut (1977) sen prennent aux schmas
prtablis du discours sur la sexualit et construisent leur thorie sur le
nouvel ros du XXIe sicle, ce quils appellent le nouveau dsordre
amoureux. Toutefois, ce nouveau dsordre na rien de nouveau, si
ce nest que lcriture trs littraire, criture de couteau, et o du reste,
dans un style pre et profondment provocateur, on retrouve les
mmes notions philosophiques et psychanalytiques interchanges ici
avec le littraire. Les auteurs sen prennent aux notions de linversion
sexuelle du sujet et parlent de tendances normalisatrices et donc
totalitaires, et aux censeurs du savoir. Belle dmarche du reste qui
fait figure neuve pour reparler et replacer lrotisme sous le signe du
plaisir et de la jouissance sentimentale.
Le titre est dj rvlateur, peut-tre pas dune angoisse, comme
chez Bataille, mais certainement dune souffrance.
Il faut dire aussi que les auteurs prnent lrotisme masculin, en
dmultipliant ainsi les sujets et motifs qui ont proccup les critiques
et thoriciens avant eux, chacun sous une perspective disciplinaire
diffrente.
Lengouement pour lrotisme masculin aux XXe et XXIe sicles,
semble marquer les tendances et dsigner une littrature rotique parti-
culire tout comme un nouvel rotisme.
Pour Bruckner et Finkielkraut, lrotisme est plaisir et volupt de
deux corps et de ce quils appellent connivence 28. Mais pour eux,
lrotisme ne peut tre que viril. Et voil les limites et les strotypes
27
Roland Barthes, Fragments dun discours amoureux, Paris, ditions du Seuil, 1977,
p. 8.
28
Pascal Bruckner et Alain Finkielkraut, Le Nouveau Dsordre amoureux, Paris,
ditions du Seuil, 1977, p. 7. Il est significatif de signaler que la premire dition de
cet ouvrage a paru dans la collection Fiction & Cie .
Introduction 21
29
Ibidem, p. 7.
30
Ibidem, p. 8.
31
Ibid.
32
Ibidem, p. 9.
33
Ibidem, p. 11.
34
Ibid.
22 Efstratia Oktapoda
35
Ibidem, p. 230.
36
Georges Bataille, Les Larmes dros, op. cit., p. 51.
Introduction 23
Dans le fait littraire, cest la scne qui est ralit, ici le texte
rotique est mythe, rve, merveilleux, mais il peut tre aussi comme
dans le cas de Despentes , cauchemar et descente aux enfers, la
volupt dans la cruaut.
De Sade Bataille en passant par Pierre Klossowski, chez les cri-
vains, lrotisme est associ souvent la honte et au mal. Le secret de
lrotisme tient cette relation confuse entre le dchanement rotique
de la pulsion de vie (ros) et les forces de haine et de mort de la
pulsion de mort (Thanatos), et la hantise des perversions dont Michel
Foucault a magistralement signal le dploiement. Limage de lros
oscille toujours entre une reprsentation solaire et vitale et une vision
nigmatique et malfique. La littrature et les films (Romance (1999),
Trouble Every Day (2000), Proposition indcente (1993), et encore
plus Fatal attraction (1988) ou Baise-moi (2000)) lont bien montr.
Alination ou structure profonde de la pense ? Lhomme semble
aimer user de sexe de plus en plus. Le sexe entre en scne, dans les
textes aussi. Dferlement potique, mtaphorique, multiplication tex-
tuelle, sans cesse en vogue. Mensonge ou artifice, le mythe vient en
effet constituer le monde en thtre 37 et faire de lhomme moderne
un acteur particulier. Paradoxe du monde, paradoxe de lcriture,
plasticit des corps et des textes, une libido sciendi, lacte procrateur
fait prouver aux textes des sensations dlectables, cet attrait irr-
sistible des plaisirs sexuels dans les textes littraires qui subliment
lros et percent ses mystres. Lusage des plaisirs de Foucault trouve
toute son essence dans la reconnaissance des hommes et des femmes
comme sujet du dsir.
Il va de mme pour la pornographie, qui tout en ne sembarrassant
pas des interdits (masturbation, adultre), dveloppe aussi un ventail
de volupts conformes. La banalisation de lobscne dans lexplosion
ditoriale va dans le mme sens de lanalyse historique des plaisirs et
sinscrit inexorablement la rvolution de murs et la rvolution
sexuelle. Les textes pornographiques se donnent comme une vritable
esthtique de la chair o le but est la jouissance par lart.
37
Jean-Jacques Pauvert, La Littrature rotique, Paris, Flammarion, Dominos, 2000,
p. 127.
24 Efstratia Oktapoda
38
Claude Crpault, Les Fantasmes, lrotisme et la sexualit, op. cit., p. 33.
39
Ibid.
40
Ibidem, p. 34.
41
Ibidem, pp. 34-35.
42
Ibidem, p. 35.
43
Ibidem, p. 136.
44
Ibid.
26 Efstratia Oktapoda
45
Francesco Alberoni, Lrotisme, Paris, Ramsay, Pocket, 1987, p. 10.
46
Ibid.
47
Simone de Beauvoir, Le Deuxime Sexe, vol. 2, Paris, Gallimard, 1949.
48
Voir Christine Plant, dans Atelier de thorie littraire : Genre- Gender , Table
ronde avec Catherine Nesci et Martine Reid, anime par Audrey Lasserre. URL :
http://www.fabula.org/atelier.php?Genre_-_Gender
49
Il se caractrise par des revues spcialises, par des maisons ddition, comme la
cration des ditions des femmes, mais aussi de collections Femmes chez des
grands diteurs, comme par exemple la Collection Bibliothque du fminisme
chez LHarmattan.
Introduction 27
50
Voir notamment Hlne Cixous, Le rire de la mduse , LArc, Simone de
Beauvoir et la lutte des femmes , n 61, 1975, pp. 39-54.
51
Avec Hlne Cixous, il faut mentionner aussi Derrida et tout un dbat qui a eu lieu
sur la libert de se positionner lgard des contraintes des genres et le choix dtre
dun sexe plutt que dun autre. Dautre part la thorie de Bourdieu est indispensable
pour analyser le problme de domination des sexes masculin-fminin dans les textes
littraires. Voir Pierre Bourdieu, La Domination masculine, Paris, Seuil, 1998. Voir
galement ldition de 2002, La Domination masculine suivie de Quelques questions
sur le mouvement gay et lesbien, augmente dune prface. Les Rgles de lart :
gense et structure du champ littraire, Paris, Seuil, 1992.
52
Susan Rubin Suleiman, Subversive Intent: Gender, Politics, and the Avant-Garde,
Cambridge, Massachusetts, London, England, Harvard University Press, 1990. Lou-
vrage de Suleiman est une contribution majeure pour les tudes fministes littraires
et pour les tudes dans la littrature du XXe sicle.
28 Efstratia Oktapoda
hommes. Ce nest que dans les annes 1970, avec lcriture fminine,
que lon peut finalement parler dun projet avant-gardiste dans lequel
les femmes jouent le premier rle. Plus que les hommes, il est caract-
ristique que les femmes crivains de la fin du XXe sicle, de 1990 au
prsent, comme Christine Angot, Virginie Despentes ou encore Marie
Darrieussecq, revendiquent une nouvelle criture autofictionnelle
associe la souffrance, voire au traumatisme, sexuel ou autre. Elles
innovent ainsi en matire de forme et dcriture, en empruntant et
transformant les techniques scripturales. Mais plus que les techniques
narratives, ce qui est trs significatif chez les femmes crivains de la
fin du XXe et du dbut du XXIe sicle, cest quen traitant des thma-
tiques inavouables dans une fiction qui se veut une autobiographie,
elles sinscrivent dans un mouvement de rforme et de revendication
sociale et politique.
travers la fictionnalisation de lexprience fminine de la sexua-
lit, ces crivaines sinscrivent dans un contexte socio-culturel globa-
lement propice lexpression de lego, aux panchements personnels
et lexhibition de lintriorit. Elles simposent ainsi sur le devant de
la scne en explorant le fil intimiste, souvent avec crudit, quon
dcle dans lcriture des hommes.
Dans la littrature de lextrme contemporain, les femmes cri-
vains sont de plus en plus nombreuses dcrire lexprience de linti-
me et donnent une place prpondrante aux descriptions dune sexua-
lit active. On a ainsi des crivains comme Anna Rozen, Catherine
Cusset, Catherine Millet, Christine Angot, Anne Garrta, Nelly Arcan.
Dans dautres domaines de la cration, on peut citer la photographe
Nan Goldin (photographe amricaine qui vit depuis 2007 entre Lon-
dres et Paris), lartiste Sophie Calle et la cinaste Catherine Breillat,
qui puisent la matire de leur travail dans les dtails les plus intimes
de leurs vies sexuelles.
Dans le mme sens de lexprience fminine de la sexualit, sins-
crit la dmarche des thoriciennes du cinma qui ont orient une partie
de leur recherche sur les genres vers le cinma pornographique
(Virginie Despentes) ou qui se sont investies dans une pratique subjec-
tive de la thorie mlant sensations et sexualit.
Dans le domaine littraire, lhybridation des discours, critique,
thorique et intime, est aussi trs en vogue, cest le cas de Nancy
Huston entre autres, provoquant un ramnagement et un dbat de
taille autour des genres et du genre.
Introduction 29
53
Robert Jesse Stoller, Sex and Gender: on the development of masculinity and
femininity, New York, Science House, 1968. Recherches sur lidentit sexuelle
partir du transsexualisme, traduit de langlais par Monique Novodorsqui, Paris,
Gallimard, 1978.
54
Voir Catherine Nesci, Christine Plant et Martine Reid, Atelier de thorie
littraire : Genre-Gender , Table ronde anime par Audrey Lasserre. URL :
http://www.fabula.org/atelier.php?Genre_-_Gender. Voir aussi louvrage de Andrea
Del Lungo et Brigitte Louichon (ds.), La Littrature en bas-bleus. Romancires sous
la Restauration et la monarchie de Juillet (1815-1848), Paris, classiques Garnier,
coll. Masculin/fminin dans lEurope moderne , 1, 2010.
30 Efstratia Oktapoda
55
Judith, Butler, Gender Trouble: feminism and the subversion of identity, New York,
Routledge, [1990] 2006. Trouble dans le genre: pour un fminisme de la subversion,
prface dric Fassin, traduit de langlais par Cynthia Kraus, Paris, La Dcouverte,
2005. Voir aussi Judith Butler, Laclau Ernesto et iek Slavoj, Contingency, Hegem-
ony, Universality: contemporary dialogues on the left, London, New York, Verso,
2000.
56
Naomi Schor, George Sand and Idealism, New York, Columbia University Press,
1993.
57
Pour ce qui concerne les tudes dix-neuvimistes sur le genre, parmi les ouvrages
marquants, signaler ceux de Dorothy Kelly (1989), Margaret Waller (1993), Naomi
Schor (1993), Jann Matlock (1994), Janet Beizer (1994), Franoise Massardier-
Kenney (2000) et le volume dirig par Dominique D. Fischer et Lawrence R. Schehr,
Articulations of Difference: Gender Studies and writing in French (1997).
Les tudes rcentes sur le genre aux tats-Unis portent plutt sur la construction des
sexualits et des masculinits, et la reprsentation de lhomosexualit. On na qu
noter les nombreux ouvrages qui ont ouvert la voie ds 1995 : Lawrence R. Schehr,
The Shock of Men: homosexual hermeneutics in French writing, Stanford, Stanford
University Press, 1995 ; Lawrence R. Schehr, Alcibiades at the Door: gay discourses
in French literature, Stanford, Stanford University Press, 1995 ; Dominique D.
Fischer et Lawrence, R. Schehr (eds), Articulations of Difference: Gender Studies and
writing in French, Stanford, Stanford University Press, 1997.
Introduction 31
58
Voir Catherine Nesci, Christine Plant et Martine Reid, Atelier de thorie litt-
raire : Genre- Gender , op. cit.
59
Monique Wittig, The Straight Mind and Other essays, introduction par Louise
Turcotte, Boston, Beacon Press, 1992. Voir aussi : La Pense straight, traduit de
langlais et prfac par Marie-Hlne Bourcier, introduction rvise par Monique
Wittig, introduction rvise par Louise Turcotte, Paris, Balland, coll. Modernes ,
2001.
60
Voir Luce Irigaray, thique de la diffrence sexuelle, Paris, Minuit, 1984.
61
Voir Catherine Nesci, Atelier de thorie littraire : Genre-Gender , op. cit.
62
Ibid.
63
Ibid.
64
Voir propos, Franois Cusset, Queer Critics: la Littrature franaise dshabille
32 Efstratia Oktapoda
68
Francesco Alberoni, Lrotisme, op. cit., pp. 30-31.
34 Efstratia Oktapoda
69
Ibidem, p. 47.
70
Ibid.
71
Voir entre autres les travaux de Toril Moi, Sexual/Textual Politics: feminist literary
theory, London, New York, Methuen, 1985 [London, New York, Routledge, 1993 et
2002] et le rcent ouvrage philosophique de Elsa Dorlin, Sexe, genre et sexualits.
Introduction 35
72
Roger Godard, Itinraires du roman contemporain, Paris, Armand Colin, 2006,
p. 258.
73
Ibid.
38 Efstratia Oktapoda
74
Ibidem, p. 259.
75
Bruno Blanckeman, Les Fictions singulires. tudes sur le roman franais
contemporain, Paris, Prtexte diteur, 2002, pp. 123-124.
Introduction 39
76
Willy Pasini, La Force du dsir, op. cit., p. 11.
77
Claude Crpault, Les Fantasmes, lrotisme et la sexualit, op. cit., p. 218.
78
Ibid.
Introduction 43
Bibliographie
79
Voir Claude Crpault, op. cit., p. 221.
44 Efstratia Oktapoda
Gatan Brulotte
corps. Si ces livres sont gnralement tous assez explicites, les rsul-
tats de ces explorations de lrotisme au fminin sont cependant extr-
mement varis. Quest-ce qui relient Virginie Despentes et la sexualit
meurtrire de ses hrones en dsarroi dans un monde oppressant et
alinant, aux duos sensuels dAnnie Ernaux o dominent des relations
personnelles trs intenses et auxquelles beaucoup de femmes peuvent
sidentifier ? Quont en commun les masturbations frntiques ou les
rencontres passagres de Catherine Cusset et lmancipation sexuelle
de la musulmane marocaine dans LAmande de Nedjma, libration
culturellement audacieuse et qui brise une conspiration du silence ?
Quest-ce qui rapproche encore le sadomasochisme polic fantasm
par la Belge Caroline Lamarche de la froideur prostitutionnelle
dsabuse de la Qubcoise Nelly Arcan ? Quels liens existe-t-il entre
lascse sexuelle labore dans Dolorosa soror de Florence Dugas en
une sorte de refonte dHistoire dO qui conduit la mort dune des
protagonistes, et le gros portefeuille de liaisons et dorgies de
Catherine Millet, pour ne retenir que ces quelques exemples ?2 Il ny a
pas quune sexualit fminine, nous rptent ces uvres lenvie au
cas o on ne le saurait pas, il y en a une multitude. Pas de type
fdrateur, pas de mode demploi de la femme, mais pluralisation des
modles et dispersion. Cependant, par-del lextrme diversit des
dsirs et des univers, essayons de faire ressortir quelques points
communs.
cette fin, cette enqute porte sur une quarantaine duvres fran-
cophones contemporaines et passe trs rapidement en revue ce qui
parat tre nouveau dans ce discours par rapport la tradition rogra-
phique. On en relvera ensuite quelques dimensions qui le sont peut-
tre moins ou qui peuvent prter plus discussion.
Ce qui, bien sr, saute aux yeux avant tout, cest que la femme
contemporaine se veut la souveraine de son corps, revendique le libre
accs au plaisir, clame haut et fort son droit dexprimenter et dexplo-
rer la sexualit sans culpabilit et en toute libert, ainsi que celui den
parler sans censure. Dj lisabeth Barill dans Corps de jeune fille en
1986 insistait sur ce droit. Au tournant du millnaire, la Belge lisa
Brune dans Petite Rvision du ciel parle mme de pratique sensuelle
quitable , de sexe quitable , comme on le dit du caf. La libert
2
Sans parler de lcriture dont les formes sont, bien sr, extrmement varies et qui
mriterait une analyse littraire part.
50 Gatan Brulotte
sexuelle reprsente pour les femmes une des concrtisations les plus
fortes de leur autonomie en rupture avec des sicles o les seules pri-
vauts tolres taient masculines. La femme quon voulait anglique
nest plus. Lternel fminin, avec ses connotations transcendantales et
mystiques depuis Goethe, est aujourdhui en berne. Les femmes sont
devenues trs actives sexuellement et aiment ltre sans pudeur. Elles
affirment le plus souvent leur ouverture au ludisme rotique sous de
multiples formes : plaisir solitaire ou de groupe, varit des postures,
des situations, en public, en priv, change de partenaires, fellations,
sodomie, pratiques s-m, etc. Franoise Rey, par exemple, dans La
Femme de papier dcrit les aventures dune hrone en compagnie de
lhomme de sa vie et dvoile comment son couple soffre une sexua-
lit diversifie et complexe, avec parties triangulaires, ligotement du
mle, zoophilie, amours publiques, jeux pour vieillards, dviations
excentriques, transvestisme, rapports interraciaux. Catherine Millet,
quant elle, montre que sa vie sexuelle intense est galement compa-
tible avec une vie professionnelle russie. La femme donne delle-
mme une image trs incarne. La plus extravagante caricature en est
peut-tre la femme porcine dont Truismes de Darrieussecq a bross le
portrait, cest--dire celle qui apprcie tous les plaisirs sensuels et
sexuels, loin des normes ambiantes de puret et de puritanisme. Il
faut vivre, aimer, se salir , dit la romancire dans un entretien au
Figaro Magazine3. En levant ainsi le lourd rideau sculaire qui lenfer-
mait dans la discrtion et la pruderie la femme se veut moins interdite
ou difficile daccs, Elle sintresse plus la permissivit qu la
transgression. Dans la plupart de ces crits, le dsir nest pas mort,
ainsi quon a pu lannoncer comme une caractristique du temps
prsent. Tout au contraire, on dirait mme que cest la seule grande
valeur qui reste.
Mais ce qui est encore plus frappant, cest que la femme nest plus
lobjet du discours rotique, elle en est dsormais le sujet. Elle ne
subit plus le dsir, elle lincarne, le vit, lexprime, en tudie les voies
et les apories sans restrictions. Dans ces uvres, se dploie un net
effort pour creuser la conscience du dsir et du plaisir au fminin. On
navait, par exemple, jamais eu le point de vue de la fellatrice sur sa
pratique ni une description dtaille du plaisir quelle-mme en tire.
3
quoi rvent les jeunes femmes ? , Le Figaro Magazine, 21 sept. 1996.
La crise de lternel fminin 51
4
Catherine Millet, La Vie sexuelle de Catherine M., prcd de Pourquoi et comment,
Paris, Seuil, Points, 2001-2002, pp. 185 sqq.
5
Nelly Arcan, Putain, Paris, Seuil, 2001, p. 172.
6
Catherine Cusset, Jouir, Paris, Gallimard, coll. folio , 1997, p. 23.
7
Ibidem, p. 108.
52 Gatan Brulotte
8
Nelly Arcan, op. cit., p. 123.
9
Elisabeth Barill, Corps de jeune fille, Paris, Gallimard, 1986, p. 166.
La crise de lternel fminin 53
10
Camille Laurens, Dans ces bras-l, Paris, P.O.L., 2000, p. 35.
11
Alina Reyes, Sept nuits, Paris, Robert Laffont, 2005, p. 60.
12
Caroline Lamarche, Carnets dune soumise de province, Paris, Gallimard, 2004,
p. 95.
54 Gatan Brulotte
13
Catherine Millet, op. cit., p. 179.
14
Jai dvelopp cet aspect dans mon article LArs erotica de lOccident , dans
Gerald Prince (ed.), Eroticisms/rotismes. Sites. The Journal of 20th Century/Contem-
porary Studies, n 6.1, 2002, pp. 133-153.
La crise de lternel fminin 55
15
Annie Ernaux, Se perdre, Paris, Gallimard, 2001, p. 36.
56 Gatan Brulotte
16
Annie Ernaux et Marc Marie, LUsage de la photo, Paris, Gallimard, 2005, p. 131.
17
Catherine Millet, op. cit., p. 127.
La crise de lternel fminin 57
18
Nelly Arcan, op. cit., p. 161.
58 Gatan Brulotte
19
Alina Reyes, op. cit., p. 51.
20
Isabelle Sorente, L, Paris, Latts, 2001, p. 25.
La crise de lternel fminin 59
21
Alina Reyes, Le Carnet de Rrose, Paris, Robert Laffont, 2006, p. 68.
22
Claire D, Sourdes Amours, Montral, XYZ diteur, coll. Romanichels , 1993,
p. 198.
60 Gatan Brulotte
23
Nelly Arcan, op. cit., p. 129.
24
Camille Laurens, op. cit., p. 182.
La crise de lternel fminin 61
25
Jai analys cette dimension dans mon livre sur la littrature franaise contempo-
raine : Les Cahiers de Limentinus : Lectures fin de sicle, Montral, XYZ diteur,
1998. Je nen reprends ici que les grands traits.
26
Annie Ernaux, op. cit., p. 23.
62 Gatan Brulotte
27
Catherine Millet, op. cit., p. 207.
28
Ainsi que je le suggre dans uvres de chair, op. cit., la section Beaut .
29
Virginie Despentes, Baise-moi, Paris, Grasset, 1993, p. 127.
La crise de lternel fminin 63
30
Serge Tisseron, LIntimit surexpose, Paris, Ramsay, 2001.
31
Georges Vigarello, Histoire de la beaut : le corps et lart dembellir de la Renais-
sance nos jours, Paris, Seuil, 2004, p. 241.
La crise de lternel fminin 65
32
Dans Jeannine Paque, LOutil le plus raffin est limagination : le dernier livre de
Caroline Lamarche , Nouvelles tudes Francophones, n 19.2, Automne 2004, p. 94.
68 Gatan Brulotte
33
Catherine Millet, op. cit., p. 127.
34
Marie Nimier, La Nouvelle Pornographie, Paris, Gallimard, 2000, p. 169.
35
Jean-Claude Bologne, Histoire de la conqute amoureuse de lAntiquit nos jours,
Paris, Seuil, 2007, pp. 322-327.
La crise de lternel fminin 69
36
Ibidem, pp. 328 sqq. Bologne relve mme une monte du machisme dans certains
manuels.
37
Christine Dtrez et Anne Simon, leur corps dfendant : les femmes lpreuve du
nouvel ordre moral, Paris, Seuil, coll. La Couleur des ides , 2006.
70 Gatan Brulotte
38
Virginie Despentes, op. cit., p. 51.
39
Je le fais un peu dans mon livre uvres de chair, op. cit., au chapitre sur les mots
de lamour.
La crise de lternel fminin 71
de certaines femmes qui publient des livres sur leur vie sexuelle et
dont les motivations mercantiles paraissent videntes. crire pour
faire de largent brouille-t-il le message ? Est-ce que cela peut crer
des distorsions dans la configuration de la sexualit fminine qui sy
reprsente ?
Terminons sur un autre point : est-ce que cette littrature a une
mission sociale qui serait de subvertir tout contrle idologique des
dsirs et de la sexualit par un groupe donn, quil soit politique,
religieux, phallocentrique, voire fministe ? Cest une ide mise par
John Phillips et qui parat digne de mditation. Ouvrons le dbat sur
une pense quAnnie Ernaux voque dans LUsage de la photo : Est-
ce qucrire spare ou runit ? 40 Sur le plan de la rception, est-ce
que cette rographie des femmes dans sa grande varit rapproche
vraiment les sexes ou les loigne davantage ?
Quoiquil en soit, ces romans sous forme de tranches de vie
sexuelle composent une littrature de lextimit, o on pressent quune
nouvelle forme du dsir apparat dont les contours sont encore flous
mais qui se dmarque des anciennes conceptions. On nest plus telle-
ment dans une perception du dsir comme manque. Dj les surralis-
tes avaient pu lui donner une impulsion diffrente en concevant le
dsir comme force positive, active, cratrice, expressive. Duras, quant
elle, en a accentu la force subversive et les effets de dissolution de
soi et de lautre. Or, dans nombre de confessions sexuelles rcentes, le
dsir nintresse plus tant pour sa puissance de transgression ou dan-
nihilation que pour sa fonction exploratoire : il procde de la ncessit
de vivre lexprience de la passion jusquaux limites du possible, je
suis mange de dsir en pleurer , dit Ernaux dans Se perdre. Je
veux la perfection de lamour []. Elle ne peut tre que dans le don,
la perte de toute prudence 41. Comme cette dernire, les femmes
cherchent mettre au jour ce quelle nomme lessentiel : la bte
enfouie 42, et comme elle, elles rptent sur divers tons : ce qui
compte pour moi, cest davoir et de donner du plaisir, cest le dsir,
lrotisme rel 43, cest linvention perptuelle du dsir. Ce que
Sorente appelle le QE, le quotient motionnel44, par opposition au
40
Annie Ernaux et Marc Marie, op. cit., p. 151.
41
Annie Ernaux, op. cit., p. 21.
42
Ibidem, p. 40.
43
Ibidem, p. 61.
44
Isabelle Sorente, op. cit., p. 19.
72 Gatan Brulotte
QI : Je ne crois pas avoir appris ailleurs quentre les draps 45. Cet
rotisme exploratoire dpasse le seul plaisir : il devient, ici, un instru-
ment de discernement, un outil dinvestigation de soi et de lautre, une
sonde dans labysse des sens et de la psych, cest--dire un moyen de
connaissance.
Cest en investissant publiquement de toutes les faons le champ
de la sexualit que les femmes peuvent ainsi changer la donne sur le
sujet et non en se billonnant, comme lont bien vu Nathalie Collard et
Pascale Navarro dans leur ouvrage Interdit aux femmes, lun des plus
intressants sur le sujet. Lerreur, cest le silence, non la licence. Est-
ce que ces uvres sont fministes ? Certes, rpondraient justement ces
dernires puisque le principe du mouvement est de promouvoir la
parole des femmes, leurs visions des choses, en particulier quand elles
ont des modes de vie diffrents et quelles veulent transformer les
rgles du jeu46. Dj dans les annes 1980, la fministe Franoise
Collin rclamait la constitution dun imaginaire rotique fminin :
Le dveloppement dune fantasmatique fminine sera un signe non
encore prsent de la libration des femmes. [] La jouissance des
femmes a t dvolue aux choses. Elle a envahir les mots 47.
Depuis, cest ce qui sest produit massivement. Du coup, leffet de ces
confessions relativise les reprsentations dominantes en matire de
sexualit, banalise les uvres masculines qui leur sont contempo-
raines et leur fait ombrage dans les mdias. Cest en occupant lespace
public de leurs productions que les femmes peuvent renouveler le
discours sur lamour, sur la sexualit, sur lengagement social et la
morale (quitte ce quil y ait des rats sur le plan esthtique), et non
en prnant la censure, comme certaines fministes ont pu proposer de
le faire. Autofiction ou pas, tmoignage vcu, fabulation de soi ou
pure imagination, ces uvres dmontrent dj lenvi linventivit
fminine dans lcriture de soi et surtout le renouvellement du genre
littraire le plus ancien de lhumanit, lrographie.
45
Ibidem, p. 92.
46
Nathalie Collard et Pascale Navarro, Interdit aux femmes, Le Fminisme et la
censure de la pornographie, Montral, Boral, 1996, p. 124.
47
Franoise Collin, Les bords , Les Cahiers du GRIF, Jouir, n 26, mars 1983,
pp. 134 et 136.
La crise de lternel fminin 73
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76 Gatan Brulotte
Christa Stevens
1
Catherine Breillat, Pornocratie, Paris, Denol, 2001.
78 Christa Stevens
2
Marguerite Duras, La Maladie de la mort, Paris, Minuit, 1982.
3
Catherine Breillat, LHomme facile, Paris, Christian Bourgois, coll. 10/18 , 1968.
4
Une premire version de ce roman est parue en 1974 sous le titre Le Soupirail aux
Editions Guy Authier.
5
Selon la quatrime de couverture de son livre dentretiens avec Claire Vass, Corps
amoureux, Paris, Denol, 2006.
Pour en finir avec lobscnit fminine : Pornocratie de Breillat 79
6
De la femme et la morale au cinma, de lexploitation de son aspect physique, de
sa place dans le cinma : comme auteur, comme actrice ou comme sujet , prface
Romance (scnario), Paris, Petite bibliothque des Cahiers du cinma, 2001, p. 20.
7
Pierre Brunel, Mythocritique. Thorie et parcours, Paris, P.U.F., 1992, p. 18.
8
David Vasse, Catherine Breillat. Un cinma du rite et de la transgression, Paris,
ditions Complexe et Arte ditions, 2004.
9
Catherine Breillat (d.), Le Livre du plaisir, Paris, ditions 1, coll. livre de
poche , 1999, p. 15.
10
Ibid.
80 Christa Stevens
11
Georges Devereux, Femme et mythe, Paris, Flammarion, coll. nouvelle biblioth-
que scientifique , 1982, p. 5.
12
David Vasse, Catherine Breillat, op. cit., p. 18.
13
Ibid.
14
Ici aussi, Pornocratie est limage du texte de Duras qui, dans les termes de
Blanchot, est un texte dclaratif o tout est dcid davance par la voix narrative
fminine qui est plus quautoritaire, qui interpelle et dtermine ce qui arrivera ou
pourrait arriver (Maurice Blanchot, La Communaut inavouable, Paris, Minuit,
1983, p. 59).
15
Trsor de la langue franaise.
16
Catherine Breillat dans sa prface au livre de David Vasse, Catherine Breillat, op.
cit., p. 13.
Pour en finir avec lobscnit fminine : Pornocratie de Breillat 81
seulement pour dnoncer les vrits et les tabous qui motivent les
diffrents mythes fminins, mais encore pour situer son rcit dans ces
zones-limites o sopre le passage du tabou 17, passage ncessaire
pour pouvoir reprendre les choses zro, primitivement, mythique-
ment 18. Dans Pornocratie, elle le fait en se penchant sur une srie de
femmes mythiques19, quelle mentionne explicitement ou voque par
simple allusion. Nous allons-en considrer quelques-unes qui se rap-
portent toutes une notion qui motive la qute de la femme du rcit,
savoir la soi-disant obscnit du sexe fminin.
Gnalogies de lobscne
17
Catherine Breillat, De la femme et la morale au cinma , Romance, op. cit.,
p. 17.
18
David Vasse, Catherine Breillat, op. cit., p. 17. Italiques dans le texte.
19
Dans un entretien, lauteur explique cette prsence mythique dans le cadre de la
gense de son livre, qui tait initialement conu comme un texte pour la voix-off dun
film prvu effectivement une adaptation de La Maladie de la mort, qui a chou
parce que la cinaste na pas obtenu les droits. Les rfrences mythologiques staient
imposes pour donner un contexte littraire et mythique ncessaire aux images
autrement difficiles et drangeantes. Voir Catherine Breillat dans un entretien avec
Geoffrey Macnab, Catherine Breillat, Written on the Body , Sight and Sound, vol.
14, no 12, dcembre 2004, p. 22.
20
Le Trsor de la langue franaise. Voir Le Petit Robert : ce qui blesse la pudeur en
suscitant des reprsentations dordre sexuel .
82 Christa Stevens
23
Voir sur cette double signification du propre dans le discours phallocentrique :
Hlne Cixous, La Jeune Ne, Paris, Bourgois, 1976.
24
La Tte de Mduse (trad. J. Laplanche), dans Sigmund Freud, Rsultats, ides,
problmes II, 1921-1938, Paris, Presses Universitaires de France, coll. Bibliothque
de psychanalyse , 1985, pp. 49-50.
84 Christa Stevens
ngative 25, Lilith subit dans les textes juifs un sort qui fait delle une
diablesse dangereuse, mangeuse denfants et violeuse dhommes. Son
histoire veut que, maltraite par Adam qui elle refuse dobir se
considrant comme son gale, comme elle ltait en fait de par sa
cration, elle est rfractaire prendre la position infrieure lors de
leurs bats amoureux , elle senfuit du jardin dEden et se soustrait
mme lordre divin de rejoindre son compagnon. Cette insubordina-
tion lui cotera cher : Dieu la bannira du monde humain et la livrera
pour toujours des sentiments de jalousie et de vengeance envers les
hommes.
Une partie du discours misogyne de Pornocratie exploite le mythe
de cette premire femme mal fame, qui a seulement refus de se
soumettre lhomme. Apprenez-leur nous servir. nous donner
dfrence (65) sont des mots qui prennent en cho ce quAdam, et
Dieu, auraient pu avoir dit la compagne rebelle. De mme, lhomme
du rcit na de cesse de raffirmer sa position suprieure, voire de
sattribuer le pouvoir dachever la punition divine, par exemple quand
il peroit le sexe de la femme servile comme la nuque courbe de
lesclave et qui donc appelle la punition et les coups (47), ou encore
quand il estime que cette goule matrice suceuse de lternit (68)
doit tre combattue par un pnis- dague senfonant dans les flancs
ennemis pour vaincre par la sentence de mort (68).
Cette goule matrice suceuse rappelle trs prcisment limage
dmoniaque de Lilith comme voleuse de la semence des hommes
elle serait notamment responsable de leurs jaculations nocturnes et
pratiques masturbatoires. Dans le rcit elle est voque au moment o
lhomme, touchant du doigt le vagin de la femme, croit dceler dans
une spasmodique succion la prsence inexorable de la goule (50).
Lallusion la diablesse Lilith devient encore plus explicite dans la
description du liquide dont la goule est dite se nourrir : il sagit certes
de sang, mais dun sang limage de la semence, ce sang [tant]
plus prcieux que le sang puisquil contient toutes les vies ternelles
de lhomme (50). Un vocabulaire lilithien est galement de rigueur
quand la narratrice, toujours dans la perspective de lhomme apeur,
dcrit la femme de la chambre comme une bacchanale infernale
(50), au destin marcageux et diabolique (50), au sexe ouvert au
25
Mireille Dottin-Orsini, Lilith , dans Pierre Brunel (d.), Dictionnaire des mythes
fminins, Paris, ditions du Rocher, 2002, p. 1152.
86 Christa Stevens
vent ( nous tout prend le vent affirme la femme, 24), le vent tant
lun des attributs du spectre de nuit ainsi que la plupart des
traductions de la Bible dsignent Lilith lunique endroit o elle est
voque26.
Il est significatif que ces rfrences lilithiennes soient associes
la problmatique de lob-scnit du sexe fminin. En effet, la narra-
trice dit explicitement que ce qui rend les femmes obscnes , au
sens dimpudiques, ouvertes, insatiables, ce nest pas ce quon voit
(49, 50) et dont on les culpabilise par exemple, pour rester dans le
discours mphitique : une peau qui sue, qui suppure, une peau
infecte comme celle des grenouilles qui ont au moins la dcence dtre
vertes (49-50) , mais cest ce qui se drobe (50) et pourtant se
laisse deviner travers cette mme apparence putride (50) : une
chair intrieure, obscure et inconnue. Lob-scnit de cette intriorit
tant un fait incontournable, lhomme exprime son dgot devant ce
quil peroit comme les signes extrieurs de cette intriorit, savoir
les scrtions et les odeurs, ces exhalaisons mmes qui rendent la
femme mphitique . Mais ce qui le droute le plus et lattire en
mme temps est lob-scnit de cette chair, son intriorit, celle qui
est donne comme un mystre. / Et par ce mystre elles se jouent de
nous, et nous attirent dans leur obscnit (65).
Associe au mystre, linvisibilit de cette intriorit rend ce corps
redoutablement fantasmatique (83), un cran sur lequel viennent
se projeter des fantasmes mles. Pornocratie en fait tout un inventaire.
Ainsi il y a le fantasme de la profondeur de la cavit, profondeur que
les hommes dsirent et craignent infinie (49), sy perdre, et
qui, en signe de sa puissance inadmissible que corrobore le sceau
dmoniaque (51), devient une profondeur que vous envient les
garons qui ne vous aiment pas et que hassent ceux qui vous aiment
(49). Il y a aussi la peur de la cavit aspirante, dvorante, dont la
femme du rcit, au moyen dun tampon puis dune pierre, montre
lhomme que lide du vagin engloutissant , qui rappelle le mythe
de la vagina dentata, est anatomiquement incorrecte et que le sexe
fminin constitue, dans sa ralit physique, un nant (111) qui ne
ressent pas ce qui sy introduit et ne le possde encore moins (110).
Enfin, il y a aussi le dsir et la crainte de voir en quoi consiste
cette intriorit fminine infinie, de considrer ce qui la rend si tran-
26
Es. 34 : 14, dans la traduction de Louis Segond.
Pour en finir avec lobscnit fminine : Pornocratie de Breillat 87
27
Patrick Quignard, Le Sexe et leffroi, op. cit., p. 116.
28
Ibidem, p. 117.
29
Plutarque, Trait de la vertu des femmes, V, 246, cit par Emmanuel Vernadakis,
Baub , Pierre Brunel (d.), Dictionnaire des mythes fminins, op. cit., p. 231.
30
Voir Emmanuel Vernadakis, Baub , op. cit., p. 231.
Pour en finir avec lobscnit fminine : Pornocratie de Breillat 89
31
Jean-Pierre Vernant, La Mort dans les yeux. Figures de lAutre en Grce ancienne.
Artmis, Gorg, Paris, Hachette, coll. textes du XXe sicle , 1985, pp. 31-38.
32
Selon lune des versions du mythe de Baub, la prtresse tire de dessous ses jupes
le fils de Dmter, Iacchos.
33
Voir pour la notion de la femme affirmative Sarah Kofman, Baub. Perversion
thologique et Ftichisme , dans idem, Nietzsche et la scne philosophique, Paris,
Union gnrale dditeurs, coll. 10/18 , 1979, pp. 263-304.
90 Christa Stevens
37
Corps amoureux, op. cit., p. 117.
38
Ibidem, pp. 113 et 133.
Pour en finir avec lobscnit fminine : Pornocratie de Breillat 93
39
Ibidem, p. 107.
94 Christa Stevens
Bibliographie
Karin Schwerdtner
9
Cest ce que nous avons voulu dmontrer partir dune tude de lerrance dans des
crits de femmes au Qubec : Karin Schwerdtner, Entre ltre et laction. Errances
au fminin chez Monique LaRue , Voix et images, vol. 32, n 2, 2007, pp. 63-75 ;
Fever, fever, forever. La course laventure au fminin dans Le Dsert mauve de
Nicole Brossard , Jean Morency, Jeanette den Toonder et Jaap Lintvelt (ds), Romans
de la route et voyages identitaires, Qubec, Nota bene, 2006, pp. 87-110. Sur la
remise en cause du rapport binaire fminin/masculin dans sa dimension systmique,
voir, outre le dossier dj cit de Boisclair et Saint-Martin ( Fminin/masculin ),
Les conceptions de lidentit sexuelle, le postmodernisme et les textes littraires ,
Recherches fministes, vol. 19, n 2, 2006, pp. 5-27.
10
Elizabeth Richardson Viti, Passion simple, Fragments Autour de Philippe V., and
LUsage de la Photo: The Many Stages of Annie Ernauxs Desire , Women in French
Studies, vol. 14, 2006, p. 76.
11
Sylvie Ramanowski, Passion simple dAnnie Ernaux: le trajet dune fministe ,
French Forum, vol. 27, n 3, automne 2002, p. 99.
12
Entretien avec Serge Cannasse, Carnets de sant, juin 2008 : http://www.carnets
desante.fr/Ernaux-Annie. Cette dmarche consistant offrir (exposer) une perspective
de femme sur le dsir charnel aurait souvent t juge impudique : On a souvent
parl dimpudeur mon sujet et on a voulu faire de moi lanctre de Catherine Millet
ou de Christine Angot alors que nous navons entre nous rien de commun. Mais cest
toujours ainsi lorsquon parle des crivains femmes. Et dune femme, on attend
lmotion, les signes de lmotion comme aurait dit Barthes, des sentiments, la
consolation. Ce que je ne cherche pas . Entretien avec Serge Cannasse, Carnets de
sant, juin 2008 : http://www.carnetsdesante.fr/Ernaux-Annie.
13
Annie Ernaux et Marc Marie, LUsage de la photo, Paris, Gallimard, coll. folio ,
2005.
100 Karin Schwerdtner
14
Notre argument sinspire de ce que Sylvie Germain conoit comme le paradoxe et
la force du dsir. Sylvie Germain, La morsure de lenvie : une contrefaon du
dsir , Marie de Solemne, Entre dsir et renoncement. Dialogues avec Julia Kristeva,
Sylvie Germain, Robert Misrahi et Dagpo Rimpoch, Paris, Albin Michel, 2005, p. 50.
15
Elizabeth Richardson Viti, op. cit., p. 76.
16
Les compositions crites (Ernaux et Marie, op. cit., p. 16) prennent appui sur celles
que forment les vtements et objets abandonns aprs lamour. Nora Cottille-Foley les
conoit en termes de tmoignages. Voir Nora Cottille-Foley, LUsage de la
photographie chez Annie Ernaux , French Studies, vol. 62, n 4, 2008, p. 180.
17
Longtemps, comme Marie Nimier nous le rappelle, la femme a d tenir dans la
souffrance, en silence : La dignit, la tenue. Ne pas se rpandre. Ne pas sapitoyer.
Ne pas se plaindre surtout, ah non, voil qui serait le comble du mauvais got .
Marie Nimier, La Reine du silence, Paris, Gallimard, 2004, p. 114.
18
Elizabeth Richardson Viti, op. cit.
Dsir et relation: LUsage de la photo 101
19
Nous soulignons.
20
Soulign dans le texte original.
21
Non seulement A. et M. ont-ils d affronter, chacun de son ct, la mort dun
parent, mais aussi le dcs de la mre de M. devient-il, pour A., le lieu dune ven-
tuelle confusion : jai limpression qu force de trier et rassembler dans des cartons,
aux cts de M., les choses qui appartenaient sa mre [...] sans lavoir jamais ren-
contre je lai tout de mme connue (Ernaux et Marie, 73). Martine Delvaux, Des
images malgr tout. Annie Ernaux/Marc Marie, LUsage de la photo , French
Forum, vol. 31, n 3, 2006, p. 154 (note 8 en fin darticle).
http://muse.jhu.edu/journals/french_forum/v031/31.3delvaux.html
22
Pour improbable quait t notre rencontre, notre survie ne le fut pas moins .
Ernaux et Marie, op. cit., p. 104.
102 Karin Schwerdtner
23
Sylvie Germain, op. cit., p. 41.
24
Cest A. qui, le plus souvent, prfre larticle dfini le pronom possessif inclusif
( notre jouissance, notre amour ). Comme si elle cherchait montrer combien
femmes et hommes peuvent avoir en commun, ou encore partager : la sexualit, le
got du sexe, du plaisir et de lamplification du dsir.
Dsir et relation: LUsage de la photo 103
25
Soulign dans le texte original.
26
Nous soulignons.
27
Comme M. le montre de lamour sexuel, ce travestissement peut galement servir
lui faire oublier son adolescence et tout ce qui lui reste du dgot et des sentiments
dinsuffisance et de doute que lui inspirait alors son apparence. Sentiments qui
seraient connots fminins, selon les schmes traditionnels.
104 Karin Schwerdtner
Lavidit photographique,
ou pour une nouvelle pratique rotique
28
Quand, dans dautres circonstances, A. na vraisemblablement plus envie de
demeurer objet du regard de son homme, ni de corroborer tacitement les mythes de
passivit fminine, il lui arrive de sapproprier lappareil photo et, au moins une
reprise, selon un reversement de la convention qui fait du corps fminin lobjet
privilgi du regard photographique, de fixer sur pellicule le pnis en rection de M.
Sur LUsage de la photographie chez Annie Ernaux , voir par exemple larticle de
Nora Cottille-Foley.
29
Nous soulignons.
Dsir et relation: LUsage de la photo 105
multiplier les prises de vue. Pour rappeler le lien entre crire et jouir30,
le geste de photographier rejoint ainsi le fait de dsirer ( la fois faire
lamour et photographier). Pour A., en particulier, la manipulation de
la camra (le rglage du zoom) est une excitation particulire qui lui
donne la sensation davoir un sexe masculin, image qui renforce
quel point elle jouit dune sexualit et dune nergie connotes
masculines.
Or, si le dlai ncessaire au dveloppement des pellicules fait
repousser le plaisir final et, par la mme occasion, fait accrotre ce que
A. nomme un dsir de savoir (88) ou de dcouvrir, la dcouverte
des photos est chaque fois cause de dsenchantement : la scne
daprs lamour ne leur semble plus celle qui les a bouleverss dans
un premier temps, celle qui les a pousss la sauver matriellement :
Paradoxe de cette photo destine donner plus de ralit notre
amour et qui le dralise. Elle nveille rien en moi. Il ny a plus ici ni
la vie ni le temps (188). Chose curieuse, cette sensation de perte ou
de vide prouve regarder les photos dveloppes, ou encore
attendre la ralisation dun projet photographique qui ne parvient pas
saccomplir comme prvu, ne leur empche pas de continuer avec les
prises de vue. Au contraire, elle est plutt cela qui invite aller plus
loin : Cest comme une perte qui sacclre. La multiplication des
photos, destine la conjurer, donne au contraire le sentiment de la
creuser (122-123).
Avec le temps, force leur est dprouver combien leur entreprise ne
suffit pas. Comme sil leur fallait encore quelque chose de plus pour
combattre la perte, A. et M. ajoutent leur dsir physique et photogra-
phique une troisime dimension scripturale. Abandonnant la pra-
tique historique de la collaboration littraire conjugale31, selon laquelle
lhomme (lpoux) joue, au moins publiquement, le rle de collabo-
rateur dominant et, en mme temps, refusant la conception tradition-
nelle du couple , A., auteur reconnu, et son compagnon, se
30
Critiques et thoriciens (en particulier, Roland Barthes, Le Plaisir du texte) ont dj
beaucoup insist sur le lien qui peut exister entre texte et jouissance entre criture,
plaisir et acte sexuel. Sur ce lien chez Ernaux, voir, par exemple, Monique Saigal,
Lcriture : lien de mre fille chez Jeanne Hyvrard, Chantal Chawaf, et Annie
Ernaux, Amsterdam/Atlanta, Rodopi, 2000, p. 137.
31
Margot Irvine, Pour suivre un poux : Les Rcits de voyages des couples au dix-
neuvime sicle, Qubec, ditions Nota bene, 2008. Voir aussi : Irvine, Spousal
Collaborations in Naturalist Fiction and in Practice , Nineteenth Century French
Studies, vol. 37, n 1-2, automne/hiver 2008, pp. 67-80.
Dsir et relation: LUsage de la photo 107
De la relation la rvlation
32
Entretien avec Serge Cannasse, op. cit.
Dsir et relation: LUsage de la photo 109
33
Robert Misrahi, Le libre dsir : un mouvement vers la joie , Marie de Solemne,
Entre dsir et renoncement, Julia Kristeva, Sylvie Germain, Robert Misrahi et Dagpo
Rimpoch, Paris, Albin Michel, coll. espaces libres , 2005, p. 14.
110 Karin Schwerdtner
Bibliographie
34
Soulign dans le texte.
Dsir et relation: LUsage de la photo 111
Metka Zupani
UNIVERSITY OF ALABAMA, TUSCALOOSA
1
Efstratia Oktapoda, Appel contribution. Mythes et rotismes dans les littratures
et les cultures francophones de lextrme contemporain , document compos en vue
de la prparation de ce volume. Voir supra, Efstratia Oktapoda, Introduction , pp. 7
et 8.
114 Metka Zupani
2
Ibid.
Marie-Sissi Labrche et lexploration des limites (rotiques) de ltre 115
3
Marie-Sissi Labrche, Borderline, Montral, ditions Boral, 2000.
4
Marie-Sissi Labrche, La Brche, Montral, ditions Boral, 2003.
5
Lyne Charlebois (ral. et scnario, avec Marie-Sissi Labrche), Borderline, film sorti
en fvrier 2008. Prix du meilleur premier film, pour la ralisatrice, au Festival
International du Cinma de Toronto, septembre 2008.
6
Marie-Sissi Labrche, La Lune dans un HLM, Montral, ditions Boral, 2006.
Sigles utiliss : B (Borderline) ; LB (La Brche) ; LL (La Lune dans un HLM).
7
Ainsi, le Dictionnaire des symboles de Jean Chevalier et Alain Gheerbrant (Paris,
Laffont, 1969) signale que la traverse des phases diffrentes et le changement
rgulier de sa forme relie la lune au principe fminin , avec la priodicit et le
renouvellement ; elle est symbole de transformation et de croissance (590). Chez
Labrche, La pense donner le titre ponyme du livre un tableau qui serait centr sur
son rapport avec la mre (LL 128). La lune peut en effet tre vue comme le symbole
de la mre (meilleure, saine, transforme) vers laquelle aspire ce personnage alors
que sa mre reste une lunatique. La possibilit de lassociation entre la lune et la mre
est mentionne vers la fin du rcit de La, par la protectrice nomme Paloma (228) ;
faudrait-il mentionner que cest le prnom de la plus jeune fille de Picasso dont la
peinture joue un certain rle dans ce livre ?). La lune est aussi la promesse de la
transformation possible par les arts ; tout comme lcriture dans laquelle est lance la
narratrice assure la possibilit de voir plus clair en soi, pour grandir et changer. Parmi
116 Metka Zupani
les modles littraires du pass (avec des livres crits par des femmes) o labsence de
la mre est compense par lintervention de la lune comme porteuse de conseil, on
peut penser principalement Jane Eyre de Charlotte Bront (1847), surtout au
moment o la lune vient apaiser Jane qui est tiraille entre le dsir et lamour pour
Rochester et ses doutes et apprhensions la suite des menaces par la folle du
logis , la lunatique, la femme lgitime de Rochester enferme sous les combles et
rduite la non-existence cause de sa folie. Ce livre propose alors dj la situation
archtypale en triangle, entre la jeune femme amoureuse et confiante, lhomme
reprsentant la passion rotique dangereuse et une autre femme plus ge incarnant
les principes de dmesure et de folie. Cest par ce dtour aussi quon peut mieux
comprendre la lune en tant que signe de folie chez Marie-Sissi Labrche.
Marie-Sissi Labrche et lexploration des limites (rotiques) de ltre 117
8
Il faut prciser que chez Marie-Sissi Labrche, cest vers les hommes que se dirige
le plus souvent le dsir rotique des narratrices dans tous ses romans. La tendance
prdominante htrosexuelle nexclut cependant pas les relations avec les femmes,
souvent tout aussi ngatives et blessantes. Ds le premier roman de Labrche,
Borderline, ces caractristiques sont dj amplement prsentes. Sissi, la jeune femme
qui cherche lintimit autant quelle la dtruit, se voit mme comme castratrice. Une
cantatrice de la castration. Je fais un chant de mon corps pour mieux leur couper les
bijoux de famille avec mes dents acrs (LB 50). Une sorcire, voire une Mnade
dans cette situation, mais qui est consciente de son pouvoir ngatif consciente aussi
quil faut en chercher les origines dans son rapport avec la mre, lors dun retour
(visiblement pnible) lenfance : Cest de ta faute, ce qui marrive ! Cest de ta
faute ! (B 66). Le trouble motif (li ventuellement une instance de pdophilie
peine suggre, double des soins et dattention que voue la petite Sissi son profes-
seur barbu) se dverse en crise dasthme (LB 69). Ces problmes de sant (plutt
physique) revtent assez rapidement des caractristiques dun cas psychiatrique in-
cluant la difficult, voire limpossibilit de sengager dans un couple : je ne suis une
fille pour personne. Je ne suis mme pas une fille du tout. Je suis un cas pour le DSM-
IV [un des codes mdicaux en Amrique du Nord, pour les troubles mentaux]. Je suis
un cas tudier, dissquer comme une souris de laboratoire. Dailleurs, le psy du
CLSC la compris et il veut que jaille me faire traiter (LB 51). Problmes didentit,
problmes de stabilit mentale, problmes de perception de soi : langage encore trs
direct et qui fouille dans les profondeurs de ltre.
9
Dans plusieurs interventions publiques rpertories dans les sites dinternet, surtout
aprs la sortie du film Borderline qui a repos la question du rapport entre le vcu et
sa transformation en littrature ou au cinma, Marie-Sissi Labrche insistait souvent
sur sa prfrence pour lautofiction ; voir par exemple lentrevue publie par Karl
118 Metka Zupani
suggre le dialogue dabord entre la mre et la fille et ensuite avec dautres personnes
quon souhaite aimer (LL 247).
11
Souvent dans le rcit, la narratrice la premire personne essaie de se prouver
elle-mme quelle est capable des relations saines (avec un mari en Suisse quon ne
rencontre qu travers ses mots elle), aprs tous les dchirements du pass : plus
dhistoires de folies amoureuses, de passion dvastatrice o on oublie jusqu notre
identit pour ltre quon dsire plus quon ne laime vraiment (LL 147).
120 Metka Zupani
12
Cet homme, appel de manire assez sarcastique Fred Riche, qui ne demande
dabord qu tre cout et admir, lors de ses logorrhes frlant la folie des
grandeurs, prsente bientt la jeune femme la perspective de lextase sublime qui
savre ntre quune dviation sexuelle, o son plaisir masochiste vient de la torture
quil se laisse infliger par sa jeune compagne encore bien nave.
13
Cette relation rappelle fortement lattachement pervers et souvent pathologique de
Kiki son professeur, bien plus g quelle, dans La Brche, ce qui sert de base pour
lintrigue du film Borderline.
Marie-Sissi Labrche et lexploration des limites (rotiques) de ltre 121
14
Luce Irigaray, Et lune ne bouge pas sans lautre, Paris, ditions de Minuit, 1979 ;
Le Temps de la diffrence, Paris, Librairie Gnrale Franaise, 1989.
15
Barbara G. Walker, Restoring the Goddess. Equal Rites for Modern Women,
Amherst, NY, Prometheus Books, 2000 ; The Womans Encyclopedia of Myths and
Secrets, San Francisco, Harper & Row, 1983.
16
Le recours aux figures mythiques en provenance de la Grce ancienne constitue les
bases de lapproche post-jungienne telle que pratique surtout aux tats-Unis. Les
trois desses symbolisent la fcondit et la maternit possessive dans le cas de
Dmter, la virginit et la navet de Kor quelle perdra une fois devenue
Persphone, la suite du rapt par Hads et la dcouverte du monde souterrain, alors
que la figure moins souvent voque est celle dHcate gardienne des secrets les plus
profonds (enfouis sous terre) et de la sagesse fminine.
122 Metka Zupani
17
Jennifer Barker Woolger et Roger J. Woolger, The Goddess Within, New York,
Fawcette Columbine, 1987.
18
Cest moi qui paraphrase et traduis, The Goddess Within, p. 254.
19
Ann et Barry Ulanov, The Witch and the Clown, Wilmette, Illinois, Chiron
Publications, 1987.
20
Dans le roman La Brche, Kiki dessine un visage de clown son amant, le
professeur Tchky, souvent impuissant, lors de leurs bats rotiques dans des
chambres dhtels bon march (126-127). Dans ce livre, Tchky meurt dans un
accident de voiture dont la narratrice se sort handicape ; dans sa folie, elle se croit
mettre au monde des enfants tant dsirs de cet homme, des jumelles qui ont mon
visage, un visage de clown qui sourit tristement (157 ; faut-il y voir le retour des
jumelles qua perdues la mm ?). Les cratrices du film Borderline ont choisi un sort
moins tragique leurs personnages, tout en maintenant la figure du clown : la
premire scne est celle de Kiki et Tchky, allongs, nus, aprs leur dernier rendez-
vous rotique, sur un matelas nu, barbouills tous deux (ce qui est aussi la scne
finale, dans ce retour cyclique qui en souligne limportance), puisque Kiki a dessin
cet homme un visage de clown, comme pour se venger davoir t, elle, pendant toute
une anne, un clown de chambre dhtel. Lors de la visite de la grand-mre sa fille
folle, cette dernire (montre toujours comme une sorcire) dessine un visage de
clown sa gnitrice, comme en signe annonciateur de la mort qui ne tardera pas
demporter laeule. dix ans dj, Kiki, voulant faire le clown avec un chapeau
conique rouge, observe avec dsarroi sa mre et sa grand-mre se soutenir dans des
comportements bizarres, voire pathologiques. Limage en clown de Kiki vingt ans,
dans le film, qui devant des miroirs sautomutile et utilise son propre sang pour se
faire un visage plus gai, correspond la fin du roman Borderline, avec la narratrice
Sissi restant un clown triste (153).
Marie-Sissi Labrche et lexploration des limites (rotiques) de ltre 123
23
Le mot utilis dans La Lune dans un HLM est dailleurs infanticide (240), dans
le sens o le rapport entre la mre et la fille est dj invers et que la fille est devenue
mre de sa gnitrice, comme on la vu plus haut. Dans le film Borderline, Kiki
sobstine maintenir sa relation malsaine avec Tchky, en lui affirmant quelle aime
jouer dans son complexe ddipe ; dans la perception des scnaristes, ce mythe est
dj renvers, avec Kiki se voyant en dipe et Tchky qui doit jouer un double rle,
Marie-Sissi Labrche et lexploration des limites (rotiques) de ltre 125
celui dun pre incestueux dans cette relation quil taxe de toxique et celui dune
mre incapable dtre l pour sa fille.
24
Comme on la vu dans les citations de la p. 98.
25
La culpabilit (envers la mre, mais non pas lgard des extravagances sexuelles)
traverse tout le roman, malgr les injonctions frquentes du genre : tu nas pas le
droit de me faire porter ta maladie ; tu nas pas le droit de me faire sentir
coupable (LL 216).
126 Metka Zupani
26
Un grand nombre douvrages psychologiques ou psychiatriques se penchent avec
comptence sur les maladies mentales quon identifie communment avec le terme
borderline . Vu limpossibilit pistmologique de faire la psychanalyse des
personnages romanesques ou filmiques, je nvoquerai pas plus fond les questions
concernant ces troubles psychiques.
27
Isabelle Blais joue magistralement Kiki vingt et trente ans ; Jean-Hugues
Anglade dans le rle de Tchky incarne un Franais, avec laccent qui marque son
tranget dans la socit qubcoise, alors que son nom livresque (Tchky K.)
indique son origine tchque. Le site qui semble donner le plus dinformations sur les
films canadiens permet didentifier les autres comdiens dans cette production :
http://www.northernstars.ca/ titles/2007/borderline.html
Marie-Sissi Labrche et lexploration des limites (rotiques) de ltre 127
Bibliographie
28
Je paraphrase daprs leur ouvrage The Witch and the Clown, op. cit., surtout le
chapitre XV, p. 289 sqq.
Marie-Sissi Labrche et lexploration des limites (rotiques) de ltre 129
Efstratia Oktapoda
2
Choderlos de Laclos, Les Liaisons dangereuses, prface dAndr Malraux, Paris,
ditions Gallimard, Le Livre de poche, 1952, p. 37.
134 Efstratia Oktapoda
3
Tropique du Cancer a t interdit pendant vingt-sept ans aprs sa premire
publication en 1961.
4
Murielle Lucie Clment, Michel Houellebecq revisit, Paris, LHarmattan, 2007,
p. 11.
5
Ibid.
Michel Houellebecq 135
7
Il est significatif de noter que tous les hros de Houellebecq, hommes ou femmes,
ont la quarantaine. Peut-tre une excuse ? Jtais dans la quarantaine, enfin dans le
dbut de la quarantaine , avoue Michel, le hros de Plateforme. Voir Michel Houelle-
becq, Plateforme, Paris, Flammarion, 2001, p. 91.
8
Michel Houellebecq, Les Particules lmentaires, Paris, Flammarion, France
Loisirs, 1998, p. 356.
Michel Houellebecq 137
9
Les Particules lmentaires attaque galement lcrivain Philippe Sollers. Le livre
obtient le Prix Novembre, dcern par un jury dans lequel est prsent le mme
Philippe Sollers qui vient galement tmoigner en faveur de Houellebecq dans son
procs caus de ses dclarations sur lislam. Houellebecq a partag avec son
traducteur Frank Wynne le prix IMPAC 2002 pour Atomised, la traduction des
Particules lmentaires.
10
Nom dun authentique camp dont le propritaire a essay, sans succs, de
poursuivre Houellebecq en justice.
Michel Houellebecq 139
dannes, il est venu l pour le sexe. Pour elle, les ravages de la gn-
ration de 68 sont vidents sur les femmes qui participent aux ateliers :
Elles vieillissent dans la solitude et leur vagin est virtuellement mort
[] latelier termin[], elles se redcouvrent seules, vieillissantes et
moches. En gnral elles ont fait une analyse, a les a compltement
sches (183-184).
Dans la recherche dun bonheur possible, le bonheur par le plaisir,
Christiane emmne Bruno dans un implacable voyage de sexe en
groupe avec des touristes allemands et dorgie en botes de nuit
parisienne mal fames. Selon Freud lamour sexuel (gnital) procure
ltre humain les plus fortes satisfactions de son existence et
constitue pour lui vrai dire le prototype de tout bonheur 11. Mais
dans ce vampirisme de la qute sexuelle 12, une sexualit dbride
et hors mesure, en qute du fantasme de la culture officielle du
systme sadien 13 dpourvu totalement de morale, et dans le rythme
frntique de la dmesure et dans un lent processus de dconstruction,
lindividu, acteur et actant du systme, ne fait que courir son
dprissement.
Cela parat dailleurs curieusement assez paradoxal que le livre
qui se prsente comme une attaque contre la permissivit des annes
soixante , puisse tre autant rempli de descriptions aussi lourdement
charges de sexe. Cela fait sans doute partie de la stratgie de Houel-
lebecq. Il y a en effet un sombre dterminisme dans le fait que Chris-
tiane, comme Annabelle, ne survivra pas lhistoire Annabelle
meurt, et Christiane se suicide. Aprs une vie sexuelle dbride sans
vergogne et aprs deux avortements, la belle Anabelle meurt dun
cancer dutrus au moment o elle dcide enfin davoir un enfant. De
mme, Christiane qui a utilis tant ses jambes toute sa vie durant dans
les clubs changistes et les sectes, finira les jambes paralyses.
Dans la partie finale du roman, on retrouve Michel dans un Centre
de Recherche de Gntique Galway, en Irlande ; sa vie a reu un
nouvel lan grce une thorie rvolutionnaire quil a dveloppe :
convaincu que la race humaine sest puise dans une poursuite de
lindividualisme et de la gratification sexuelle, il travaille un projet
de race gntiquement modifie, de personnalit uniforme et dpour-
11
Sigmund Freud, Malaise dans la civilisation, trad. de lallemand par Ch. et J. Odier,
Paris, PUF, 1971, p. 52.
12
Ibidem, p. 131.
13
Ibidem, p. 304.
140 Efstratia Oktapoda
vue de dsir sexuel. Son travail, qui est poursuivi aprs sa mort en
2009, conduit rien moins qu la cration, en 2029, dune race gn-
tiquement contrle, et finalement lextinction de la race humaine.
La plupart des critiques littraires ne sont gure assez qualifis pour
commenter les thories de Houellebecq sur la mutation des gnes,
mais il faut relever que lauteur sest senti suffisamment en confiance
pour envoyer des copies de son livre des experts dans ce domaine. Il
apparat que lhistoire est crite par un clone, en hommage limpar-
faite race humaine.
Dans Les Particules lmentaires, lhomme nest pas plus capable
daimer. Il recherche alors une reconnaissance sexuelle. Mais est-ce le
dsir permanent de pntration de lhomme qui est en cause, ou plutt
lmancipation de la femme qui ne veut plus rpondre servilement la
satisfaction du dsir de lhomme ? Le nouvel tre humain prn dans
Les Particules lmentaires est asexu. Selon Houellebecq, il est
possible darriver un sentiment de dsir tout fait nouveau, un dsir
qui pourrait tre ressenti par tous les pores.
Nous en sommes maintenant la fin de lvolution culturelle,
affirme lauteur. Il est donc invitable quune nouvelle volution gn-
tique prenne le relais. Proche des ides de progrs, de lathisme et de
la mtaphysique, lauteur pense que ltre humain nest pas encore
arriv lre scientifique. Il continue se poser la question du sens.
Ce nest pas une question scientifique, linstar de la recherche de
Dieu, mais une question simpliste. En posant la main sur la cuisse et
non sur le bras de Caroline, Bruno paie cher son erreur. Sil avait agi
de manire plus rflchie, sa vie serait peut-tre tout fait diffrente.
Cherchant comprendre ce que peut tre lamour pour Houelle-
becq, cest peut-tre cette sorte de tendresse qui constitue la plus forte
preuve damour. Michel narrive pas embrasser Annabelle, son
amour denfance. Il prfre toucher Annabelle lorsquelle dort. La
sexualit est de la partie, mais Michel ne la recherche pas expres-
sment. Il fait des cauchemars et veut se calmer en ayant ct de lui,
dans son lit, un corps chaud, rond et doux. Pour lauteur, si lon veut
augmenter le dsir, il ne faut pas quil y ait de plaisir. Au contraire, si
lon prouve du plaisir, le dsir diminue. Il faut donc augmenter sans
cesse la stimulation. Pour rester comptitif dans notre socit sexiste,
il faut stimuler sans cesse le dsir, mais sans atteindre le plaisir, prne
lauteur.
Les Particules lmentaires ont provoqu une avalanche de pol-
Michel Houellebecq 141
Mon tort, cest en fait davoir dcrit des scnes sexuelles peu satisfaisantes
pour les partenaires ; cela a caus des ractions trs violentes dans le public,
parce que dhabitude, les scnes rotiques sont toujours positives, tout le
monde jouit, tout le monde est content, alors que dans mon livre, il y a
souvent un malaise vident li la sexualit, que par ailleurs, je dcris froi-
dement, sans participation et sans passion. Tout cela a dconcert les
lecteurs, ce qui prouve que dans le domaine de la sexualit, le ralisme nest
pas permis. Je me retrouve donc dans une situation paradoxale, puisque
dun ct, je suis accus dtre un pornographe, tandis que de lautre parce
14
Voir Adrian Tahourdin, Michel Houellebecq : Les Particules lmentaires , 30
mars 1999 : http://www.republique-des-lettres.fr/26-michel-houellebecq.php
15
Murielle Lucie Clment, Michel Houellebecq revisit, op. cit., p. 13.
142 Efstratia Oktapoda
16
Fabio Gambaro, Le romancier qui divise la France , (trad. de litalien par
Michelle Levy), 1999.
http://www.houellebecq.info/popmedia.php3?id=17. Mise en ligne le 17/05/99.
17
Murielle Lucie Clment, Houellebecq, Sperme et sang, Paris, LHarmattan, 2003, p.
192.
18
Sigmund Freud, Malaise dans la civilisation, op. cit., p. 24.
Michel Houellebecq 143
Ce que nous essayons de crer cest une humanit factice, frivole, qui ne
sera plus jamais accessible au srieux ni lhumour, qui vivra jusqu sa
mort dans une qute de plus en plus dsespre du fun et du sexe ; une
gnration de kids dfinitifs19.
[J]e ne ressentais plus en moi aucun dsir, et surtout pas celui, dcrit par
Spinoza, de persvrer dans mon tre ; je regrettais, pourtant, que le monde
me survive [] je ny voyais plus quun lieu terne, dnu de potentialits,
dont la lumire tait absente22.
22
Ibidem, pp. 482-483.
Michel Houellebecq 145
Prsentation de lauteur
Bibliographie
Najib Redouane
nistes, en posant sur le monde, sur les tres, sur lamour, sur la
sexualit, le regard de femmes sexprimant travers leurs valeurs et
leurs dsirs, Badia Hadj Nasser, crivaine marocaine, saffiche
diffrente et en quelque sorte hors normes. Cette perspective fminine
librale avance dans lcriture provoque la peur et lincomprhen-
sion, et suscite le blme voire le rejet car, pour une femme, lacte
dcrire est considr comme une effraction subversive, surtout quand
il touche des zones interdites.
Avec Le Voile mis nu, Badia Hadj Nasser donne naissance une
uvre clate qui dtruit les normes de toutes les conventions sociales
et sexuelles. Cest un roman qui prend en charge lcriture de la
violence, du Je contestataire quil cherche transmettre, susciter.
Un roman contre le pouvoir suprme et par extension contre toute
autorit individuelle ou sociale. Il rvle un mcanisme de frustration
dont lorigine se situe dans les barrires qulve le pouvoir religieux
et politique ainsi que dans les limites imposes la qute rotique des
femmes. Par la force de la parole, la voix fminine trop longtemps
censure rompt avec le silence. Laffirmation dune criture de
lextrme dsir, de la libre expression est une qute sans fin : cest sa
raison dtre dans un univers touffant et opprimant lui permettant
dassumer son choix et de mieux vivre avec elle-mme3.
Par les thmes quil aborde, les rflexions quil suscite, les vrits
quil soulve et latmosphre qui sen dgage, La Liaison4 de Lyne
Tywa (Rita El Khayat) se prsente comme lun des crits les plus durs
3
Voir Errance sexuelle et contestation dans Le Voile mis nu de Badia Hadj
Nasser , Yvette Bnayoun-Szmidt et Najib Redouane, Parcours fminin dans la
littrature marocaine dexpression franaise, Toronto, ditions La Source, 1990, pp.
77-96.
4
Lyne Tywa, La Liaison, Paris, LHarmattan, 1994. Rita El Khayat, psychologue
prolixe et libre penseur sur la question fminine, dont laudace littraire a t plus
prononce mais est longtemps passe inaperue, est lauteure de La Liaison, mais
tant donn le ton trs os de ce livre et la date de sa publication, on comprend quelle
nait pas pu dvoiler sa vritable identit lpoque. Quand elle sest sentie plus sre
delle et que sa notorit pouvait la protger, elle a rvl son identit. Voil ce quelle
rapporte propos de ce roman : En 1995, jai t marque par LAmant de Mar-
guerite Duras. Je voulais en faire un pastiche et jai fini par crire franchement sur le
corps de la femme. Je lai crit comme un psychiatre, introduisant toutes formes de
perversion. lpoque, javais une fille sur le point de se marier. Pour la mnager, je
lai sign Tywalyn (mes prunelles, en berbre) . Aujourdhui, dbarrasse de toute
raison de sauto-censurer, elle rdite La Liaison (titre original du roman) en lassu-
mant de bout en bout.
152 Najib Redouane
5
Voir Najib Redouane, criture fminine au Maroc, Continuit et volution, Paris,
LHarmattan, 2006.
6
Ne Rabat, lcrivaine Bahaa Trabelsi est journaliste et membre dune association
de lutte contre le SIDA. Elle vit actuellement Casablanca. Avec Une femme tout
simplement, elle signe son premier roman qui a eu un grand succs. Elle a galement
publi deux autres romans : Une vie trois, Casablanca, EDDIF, 2000 et Slim les
femmes, la mort, Casablanca, EDDIF, 2004.
7
Bahaa Trabelsi, Une femme tout simplement, Casablanca, EDDIF, 1995.
8
Voir Bouchra Salhi, Thmes et personnages dans : Une femme tout simplement de
Bahaa Trabelsi, Mmoire de Licence s-Lettres, Universit Sidi Mohammed Ben
Abdellah, Facult des lettres et des sciences humaines, Fs, Anne universitaire 1998-
1999.
154 Najib Redouane
Cest que durant son sjour Paris, il sest connect avec son tre
au plus profond de lui-mme, vivant pleinement ses dsirs.
Jai vcu une passion dans un monde o je me suis senti libre. Le Paris gay
ma combl. Je me suis dcouvert motionnellement et sexuellement, avec
la sensation dappartenir une communaut dote dune culture, dun syst-
me de valeurs qui lui est propre, au-del des frontires et des problmes
9
Voir Au cur de la mtamorphose humaine dans Une femme tout simplement de
Bahaa Trabelsi , Najib Redouane, criture fminine au Maroc, Continuit et volu-
tion, Paris, LHarmattan, 2006, pp. 251-273.
10
Bahaa Trabelsi, Une vie trois, Casablanca, EDDIF, 2000.
Expressions sexuelles dans le texte fminin au Maroc 155
Une histoire damour. Dmente. De celles dont ne revient pas ou alors avec
une dchirure qui jamais ne cicatrise, bante pour lternit. Un amour im-
11
Le Parc de la ligue arabe est le lieu de la prostitution masculine Casablanca. En se
rfrant lui, lcrivaine veut non seulement situer le lieu o se droule la prostitution
masculine dans cette ville mais aussi illustrer le phnomne de la violence. Cest l o
Jamal se fait violer par un flic parce quil na pas donn son bakchich.
156 Najib Redouane
possible. Celui dun jeune dor, lev dans les traditions et qui sen dpartit
le temps dun voyage dans un autre monde. Pour un autre jeune homme
argent de trop aimer le dsamour (27).
En plus, les parents dAdam veulent voir leur fils mari pour se
reconstruire dans son propre contexte. Ainsi, pour sauver les appa-
rences et rpondre leur attente, il va se marier malgr lui. Il choisit
pour pouse Rim, une gamine, candide et docile, esprant pouvoir la
manipuler sa guise. Sa nuit de noces est un choc terrible pour lui :
Adam sapproche delle, hsitant. Il sait quil va falloir coucher avec elle. Il
nest pas excit. Tout juste attendri par cette gamine au regard effarouch
qui est maintenant sa femme. Dans la salle de bain, il se masturbe en pen-
sant Jamal. Il revient, teint les lumires, sallonge ct delle, ferme les
yeux en pensant trs fort son amant et la prend sans ses bras. [...] Dans
lobscurit, le corps chaud et menu de Rim soffre aux mains dAdam. Con-
centr sur ses fantasmes, il finit par la pntrer brutalement. Ses mouve-
ments de va et vient dans la chair de Rim sont violents. Son rection dure
peu de temps. Il se retire et scroule sur le lit abattu par son effort Quand
Rim entend le souffle dAdam devenir rgulier, elle se lve pour essuyer les
perles de sang de son hymen avec le sroual et len imprgner. Est-ce
suffisant ? sinterroge-t-elle panique lide de dcevoir sa famille (88).
Il convient dadmettre quil nest pas facile, dans une socit rgie
par des valeurs sculaires et une thique pesante, voire touffante,
daborder un tel sujet. Bahaa Trabelsi russit le faire de faon cla-
tante, dpassant la curiosit malsaine ou encore la provocation gratuite
pour raliser une tonnante fiction. Elle aborde sans mnagement la
profonde passion amoureuse de deux hommes et dresse des portraits,
rares, mais saisissants de vrit, dtres dlicats et sensibles, inadapts
dans une socit hypocrite et forcment drangeants. Son style
limpide et clair peut parfois paratre cru et sans enrobage, mais
aucun moment il nest vulgaire.
En fait, ce roman est crit dune faon rsonnante, et quelque peu
contre-courant. Il est la fois local et universel. Au fur et mesure
quon tourne les pages, suivant lessoufflement, les mouvements
frntiques des personnages, on est, de plus en plus, choqu par linto-
lrance des gens et par la rigidit des valeurs socitales. Laction est
soutenue, cohrente et on est happ du dbut la fin par une ralit
tenue en haleine par les passions humaines. Dans la prsentation
quelle donne lUniversit de Rennes propos de ce roman, elle
sest dite concerne par ce sujet, farouche dfenseur des droits des
opprims et des marginaliss, militante active dans les Associations.
158 Najib Redouane
Elle estime tout simplement que son criture est un miroir qui reflte
une ralit prsente qui ronge la socit marocaine :
Quand jai crit ce roman, je faisais de la lutte contre le SIDA, jtais dans
le milieu de lhomosexualit masculine, pour faire de la prvention sur luti-
lisation des prservatifs et cest comme a que jai rencontr des person-
nages qui ressemblent Jamal. Quand jai crit le roman Une vie trois, je
lai senti tellement fidle cette ralit mme au niveau du cadre. Par exem-
ple quand je parle de Casablanca ou des lieux de Casablanca, je nai mme
pas chang les noms des lieux ni des quartiers. Mme chose en ce qui con-
cerne Marrakech. Cest un peu comme si on se baladait dans une ralit, je
savais que ce roman allait avoir un effet miroir et que beaucoup de gens
allaient sy reconnatre. Cest un peu une provocation car cest la premire
fois quun romancier parle dhomosexualit au Maroc de bout en bout et je
savais quil allait tre lu12.
12
Dans sa prsentation le 19 dcembre 2002 au Canal U de Rennes 2, Universit
Haute Bretagne, Bahaa disait alors sa raction lgard de lhomosexualit.
Expressions sexuelles dans le texte fminin au Maroc 159
13
Ibid.
14
Nedjma, LAmande, Paris, Plon, 2004. Nedjma a choisi lanonymat, pour tenir
secrte sa vritable identit afin de se prserver des islamistes, mais elle a accept les
plateaux de tlvision.
15
peine publi, ce livre a connu un grand succs en France o, en deux mois et
demi, se sont vendus prs de 44 000 exemplaires. Il a aussi suscit lintrt de
plusieurs diteurs ltranger pour de nombreuses traductions.
16
Nedjma est le titre du roman clbre de lcrivain algrien Kateb Yacine.
160 Najib Redouane
Jen voulais Imchouk qui avait associ mon sexe au Mal, mavait interdit
de courir, de grimper aux arbres ou de masseoir les jambes cartes. Jen
voulais ces mres qui surveillent les filles, vrifient leur dmarche,
palpent leur bas-ventre et pient le bruit quelles font quand elles pissent
pour tre sres que leur hymen est intact. Jen voulais ma mre qui avait
failli me blinder le sexe et mavait marie Hmed (91).
De retour la maison, jai mis la tte sous les couvertures, tir ma culotte
et regard le petit triangle, lisse et rond qui a reu lhommage dune main
inconnue mais que je savais aimante. Jai refait son parcours dun index
rveur. Paupires closes et narines palpitantes, jai jur davoir un jour le
plus beau sexe du monde et dimposer sa loi aux hommes et aux astres,
sans piti ni rpit. Simplement, je ne savais pas quoi pouvait ressembler
un tel objet une fois arriv maturit (93).
Il est vrai que dans cette socit rigide et archaque, la virginit est
un capital valorisant pour toute jeune fille. Le culte entourant la
sauvegarde de lhonneur familial en gardant lhymen intact montre
limportance de linstitution du mariage. Comme toute jeune fille,
grandie dans la peur et le trauma de ce poids socital, leve pour
honorer la relation normalise du couple, Badra est svrement sur-
veille. Aussi, pour se prparer au mariage, doit-elle subir tout un
cortge de traditions barbares et dhumiliations sexuelles. Du rituel au
hammam des noces jusqu la crmonie de la nuit de la dfloration,
elle est blesse et bafoue, assistant la conspiration de femmes
mres dj violes qui prparent des vierges pour subir le mme
traitement sculaire. La nuit de la dfloration est tragique et constitue
pour ladolescente de 16 ans un viol lgalis.
Aprs cinq ans de hideux mariage , o elle vivait sans amour et
Expressions sexuelles dans le texte fminin au Maroc 161
sans passion, baise comme une morte, Badra dcide de mettre fin sa
vie de femme soumise. Ainsi, viole par Hmed le notaire, son vieux
mari quelle dteste, elle quitte au prix de sa vie sa famille qui la
sacrifie pour un mariage arrang. Elle fuit son village qui la humi-
lie, passe outre les menaces de mort de son frre Ali et trouve le
courage de tout planquer. Elle part Tanger chez sa tante Selma.
Jai dbarqu Tanger aprs huit heures de trajet et ce ntait pas un coup
de tte. Ma vie allait droit vers la catastrophe, tel un corbillard ivre, et pour
la sauver je navais dautre choix que de sauter dans le train qui quitte tous
les jours la gare dImchouk quatre heures du matin tapantes. Pendant cinq
ans, je lai entendu arriver, siffler et partir sans avoir le courage de traverser
la rue et denjamber la barrire basse de la gare pour en finir avec le mpris
et la gangrne (17).
Quand jai quitt Driss, mon cur bris na pas tard devenir multiple. En
abjurant son visage, je suis devenue prosaque, le cul la porte du premier
venu, ou presque, refusant que mes amants partagent mon sommeil, mon
ultime citadelle, une fois la bagatelle expdie (235).
17
Le vif du sexe, de lrotisme et de lintimit dans ce roman se trouve aux pages 107
209.
Expressions sexuelles dans le texte fminin au Maroc 163
Il fut un temps o je variais les amants au rythme des saisons. Un tous les
trois mois. Jaurais voulu quun homme bloque le tourniquet, ralentisse mon
moteur trop puissant pour ma carcasse. Jaurais voulu rencontrer un homme
patient. Pour limpatiente que je suis, rien nest plus impressionnant que les
gens qui savent attendre. Mais personne na jamais attendu que je me calme,
que je me pose sur sa plus haute branche et commence ppier. Les
hommes sont trop presss, trop acclrs : bouffer, bouger, jaculer, oublier.
En cela, ils me ressemblent et je ne leur en veux pas (237).
Le Jardin parfum :
Louange Dieu qui cra les verges droites comme des lances, pour
guerroyer dans les vagins [...]. Louange Celui qui nous fit don de
mordiller et de sucer les lvres, de poser cuisse contre cuisse, et de dposer
nos bourses au seuil de la porte de la Clmence (9).
Lamande tire sa force de son criture, alchimie des contraires, tout la fois
crue et potique, lubrique et sensuelle, moderne et traditionnelle. Mais aussi
de la personnalit de son auteur. Jamais une femme, maghrbine de surcrot,
naura, avec une telle franchise, racont lrotisme des corps et des mes,
lev le voile sur les tabous sexuels dune socit brime par un islam
dfigur . Dans sa prface, Nedjma, lArabe berbre, annonce la couleur :
crire en rougir , rivaliser daudace avec les Anciens, librement, sans
chichis, la tte claire et le sexe frmissant 18.
Dans cette vie, il est donn aux uns dapprendre les bonnes manires, aux
autres dduquer lesprit et de fortifier la foi. Je nai pas eu le privilge de
dispenser lun ou lautre enseignement, porte telle que Dieu ma faite sur
le plaisir, ne sachant ni lire ni crire, qui plus est. Il me restait un moyen
daccomplir bonne uvre avant de mourir : initier quelque jeune fille
lamour. Dans le plus grand secret ; bien sr. Ce pays a dcid de bannir le
sexe et de se voiler de fausse vertu. Si lon vient midentifier, on me
pendra (9).
18
Marianne Payot, Plaisirs amers , LExpress du 22/03/2004.
19
Alexandra Destais, Mode de reprsentation du corps rotique de la femme
musulmane dans LAmande de Nedjma : Du corps rotique au corps libertin ,
Nouvelles tudes Francophones, 21.1 Printemps 2006, pp. 63-78.
20
Nedjma, La Traverse des sens, Paris, Plon, 2009.
166 Najib Redouane
Pour lui, jtais sa femme, son esclave, sa bte de somme, je devais suppor-
ter ses humeurs, ses coups, ses pets, ses rhumatismes, sa torture. Je le sup-
pliais, embrassais ses pieds, invoquais Allah. Il me tirait par les cheveux
jusquau lit : Ne salis pas de ta bouche de femelle le nom dAllah. Il nous
a prvenus des turpitudes des femmes et nous a bien recommand de les
battre jusqu ce quelles reviennent en rampant nos pieds. Fort de
sourates quil savait interprter son profit, il me ligotait et minfligeait
soigneusement trente coups de cravache (57-58).
leve sans aucune allusion au sexe. Elle navait pas entendu parler ni de
plaisir ni de volupt. Ni ne savait quelle partie de son corps pouvait spa-
nouir sous la caresse, saillir comme un bourgeon, juter comme un fruit. Elle
ne devait pas connatre ces tremblements qui secouent le ventre, montent
vertbre par vertbre, font resserrer les parois et allumer lincendie (69).
21
signaler que dans lespace romanesque, ce prnom scrit de deux faons :
Zobida et Zoubida.
168 Najib Redouane
22
Abdellah Tourabi, LITTRATURE. Le conte est bon , Tel Quel, no 373, 2009.
23
Ibid.
Expressions sexuelles dans le texte fminin au Maroc 169
La bouche suant leur narguil, ils regardaient les toiles qui filaient entre
les ranges de boutiques, heureux dtre ainsi faits, remerciant Allah de leur
avoir permis dexister sans dsormais se fatiguer. Avant de rentrer chez eux,
pour monter leurs femmes (201).
Cest pour cette raison que jai dcid de prendre un amant lettr, aprs une
srie de bites analphabtes. Lui, linstituteur Ali, il vicieux et fesses
nerveuses, dur de caractre comme du tournevis, du panache et de la
distance ! Je lai deux fois par semaine entre les cuisses, sans que personne
sen doute, et il ne viendrait pas lide de ses crtins dlves que si sa
parole coule de source le jour, cest que sa bouche sabreuve abondamment
ma fontaine la nuit (9).
Je mamuse quand Ali parle. Et il parle comme il fait lamour, avec des
chevauches spectaculaires et des rires rentrs. Il ignore quil ny a pas que
mon prnom pour varier les combinaisons. Ma vie aussi. Et que je rve de
lcrire, ma vie. Du moins ce que jen ai fait Zbib. Hlas ! Je ne suis que
Zobida. Experte du sexe, mais ignorante des choses de lesprit. Cantatrice
du dsir qui aurait voulu tre la matresse des mots ! (9)
Pour lui expliquer son prnom, la langue est mise en jeu. En le dcom-
posant, chaque fragment est dpositaire de signification rotique et
sexuelle. En fait, ce prnom quelle porte nest que le reflet delle-
mme et de sa relle identit.
Mais quand elle attribue des paroles son pre propos du Dieu
des Musulmans, elle jette un regard des plus ironiques sur la religion
pour dnoncer lobscurantisme dominant et lintolrance affiche par
les islamistes qui ne supportent aucune allusion ni au Crateur
Suprme ni son Prophte :
Comme le disait mon pre, Allah, cest notre patron den haut, on peut
le chahuter, lui assner des reproches, lui retirer notre confiance, lui envoyer
une babouche la figure, a ne fera que du bien au monde. Mais il faut
sagenouiller pour qumander son pardon aussi, lamadouer avec une prire,
le hler au bout du cur . SIl nexistait pas, on se demanderait avec qui
faire causette et se chamailler ! Il ne nous en veut jamais. Nous le savons et
son silence est loquent, il ressemble la voix des colombes (194-195).
24
Ibid.
172 Najib Redouane
25
Driss Ksikes, Littrature. Elles (d)crivent le corps , Tel Quel, no 166, 2005.
26
Cette crivaine qui a crit 37 livres, a une belle carrire pleine de combats, continue
lutter pour donner aux femmes arabes droit la parole et voix de chapitre dans des
socits encore bloques. Cest une militante fministe qui a des ides rvolution-
naires pour le Maghreb. Voir ce sujet lentrevue ralise par Lisa-Marie Gervais,
Cent fois sur le mtier , La Gazette des femmes, vol. 31, no 2, Septembre-Octobre
2009, pp. 22-23. Voir URL: http://www.placealegalite.gouv.q.ca/place_egalite_
insc.html
27
Dans son intervention luniversit de Rennes, lcrivaine rvle son intrt pour
toutes les formes de lhomosexualit. Aprs celle des hommes, sujet de son roman
Une vie trois, elle songe aborder celle des femmes : Lhomosexualit fminine
fera srement lobjet dun autre roman un jour. Je ne lai pas traite dans ce roman l
mais jai beaucoup dcrit l-dessus en tant que journaliste. Jai fait des dossiers sur
lhomosexualit au Maroc et de la mme manire que lhomosexualit masculine, cela
fait partie de lordre des choses et mme de moi . Elle prsente aussi sa position
lgard de ce phnomne : Lhomosexualit fait partie des tabous comme ailleurs.
En ce qui me concerne cest quelque chose que je narrive plus comprendre. Je veux
dire que cest quelque chose qui fait tellement partie de lordre des choses que je ne
peux mme pas comprendre que lon puisse encore en faire quelque chose de tabou
mais voil Il y a le poids de la religion, videmment il y a le poids des traditions
mais jai confiance en lavenir car je suis sre que cest quelque chose qui finira par
ne plus poser problme .
Expressions sexuelles dans le texte fminin au Maroc 173
Bibliographie
Alison Rice
Rsum : Dans les crits des femmes algriennes, les hybridits sont
multiples, langagires et sexuelles : le corps devient un lieu dcriture,
marqu par de nombreux mouvements et histoires, et source dinnovation
littraire la fois stylistique et thmatique. Dans LAmour, la fantasia,
Assia Djebar voque les quatre langues la disposition des femmes
algriennes. La quatrime est celle du corps, et lauteur met en scne ce
langage dans son rapport lamour physique. Notre tude se concentre
sur le corps fminin dans son rapport au dsir et au plaisir sensuels dans
luvre de Massa Bey, dAssia Djebar et de Lela Sebbar.
Les quatre femmes dans cette tude font des explorations textuelles
personnelles des hybridits gographiques, linguistiques et corpo-
relles, ouvrant ainsi dans leurs traductions et leurs ngociations
littraires un tiers espace qui permet ces crivains dchapper
aux catgorisations strictes et hirarchiques. En effet, les mondes
romanesques quelles crent montrent que ces auteurs sont influencs
par des hybridits au pluriel, car ces femmes ne sont pas toujours dans
un entre-deux , mais plutt dans un entre qui se situent dans un
mouvement entre plusieurs pays, idiomes et modes de vie.
La notion d hybridit telle que nous la concevons dans cette
tude nest pas simple et uniforme. Nous ne cherchons pas une
dfinition troite et prcise. Nous tirons profit de lexplication de
Robert Young qui souligne laspect positif de ce mot :
1
Homi K. Bhabha, Cultural Diversity and Cultural Differences , dans Bill Ashcroft
et al. (eds.), The Post-Colonial Studies Reader, London, Routledge, 2006, p. 157.
Cest moi qui traduis ce passage et les autres de langlais au franais dans cet article.
2
Robert Young, The Cultural Politics of Hybridity , dans Bill Ashcroft et al. (eds.),
The Post-Colonial Studies Reader, London, Routledge, 2006, p. 159.
Hybridits et sexualits 177
Sexualits et postcolonialits
Car il est clair que les formes dchange sexuel engendres par le colonia-
lisme taient elles-mmes et les miroirs et les consquences des modes
dchange conomique qui constituaient la base des relations coloniales ;
lchange de proprit prolong qui commena avec les petits marchs de
troc et les bateaux desclaves en visite ont cr, certes, autant un change de
corps que de biens : comme dans ce paradigme de respectabilit, le mariage,
lchange conomique et sexuel taient intimement lis, accoupls, ds le
dbut. Lhistoire des significations du mot commerce inclut lchange et
de la marchandise et des corps dans lacte sexuel. Ctait donc entirement
appropri que lchange sexuel et son produit miscgn qui capte les
relations de pouvoir violentes et antagonistes de la diffusion sexuelle et
culturelle, qui devrait devenir le paradigme travers lequel le trafic cono-
mique et politique passionn du colonialisme fut conu. Ceci forme peut-
tre le dbut dune explication des raisons pour lesquelles nos propres
formes de racisme demeurent si intimement lies la sexualit et au dsir3.
3
Ibidem, pp. 161-162.
4
Assia Djebar, Ces voix qui massigent, Paris, Albin Michel, 1999, p. 237.
178 Alison Rice
Dans les crits dAssia Djebar, comme dans dautres livres de fem-
mes algriennes, les hybridits sont multiples, langagires et sexuel-
les : le corps devient un lieu dcriture, marqu par de nombreux mou-
vements et histoires, et source dinnovation littraire la fois stylis-
tique et thmatique. Cette tude se concentre sur le corps fminin tel
quil est reprsent dans luvre de Massa Bey et dAssia Djebar, en
sinspirant des commentaires de Robert Young sur la politique cultu-
relle de lhybridit et les relations entre le commerce et la sexualit,
entre lchange et le corps. Lorsque le corps singulier est dcrit dans
ces diffrents tats, il chappe aux tiquettes racistes qui cherchent
piger ltre selon son apparence. Les pulsions et les motions qui
influencent les femmes dans le texte dvoilent la complexit de ltre
hybride dont le corps est un terrain riche et complexe daffects et de
rflexions de son temps.
La figure du pre
5
Assia Djebar, LAmour, la fantasia, Paris, Albin Michel, 1995, p. 203.
6
Massa Bey, Surtout ne te retourne pas, Paris, ditions de lAube, 2005, p. 53.
7
Ibidem, p. 182.
Hybridits et sexualits 179
Le pre, silhouette droite et le fez sur la tte, marche dans la rue du village ;
sa main me tire et moi qui longtemps me croyais si fire moi, la premire
8
Ibid.
9
Ibidem, p. 13.
10
Assia Djebar, op. cit., p. 11.
180 Alison Rice
11
Assia Djebar, op. cit., p. 86.
12
Ibidem, p. 42.
13
Lela Sebbar, Je ne parle pas la langue de mon pre, Paris, Julliard, 2003, p. 31.
182 Alison Rice
Cest ce quil pense et, depuis que des enfants lui sont ns corps et langue
diviss, il en est ainsi, il doit en tre ainsi, jusqu la prochaine gnration
des enfants, trangers au-del des mers, hors de lui, qui il a parl dans la
langue de lexil, lunique dsormais, avec laccent et la voix et le rire ou la
colre de sa terre absente, abandonne. (23)
lenfer, la porte franchie, et que ses filles seraient asphyxies, tourdies par
la violence rpte du verbe arabe, le verbe du sexe []. (42)
Circulant dans le mtro, les jours suivants, je dvisage dun regard avide les
femmes, toutes les femmes. Une curiosit primitive me dvore : Pourquoi
ne disent-elles pas, pourquoi pas une ne le dira, pourquoi chacune le cache :
lamour, cest le cri, la douleur qui persiste et qui salimente, tandis que
sentrevoit lhorizon du bonheur. (124)
Ce nest pas pour gurir que Sultana est revenue dans son pays
dorigine, mais Vincent a fait le voyage en Algrie pour la premire
fois prcisment cause des maux dont il cherche le rtablissement.
15
Assia Djebar, Ces voix qui massigent, op. cit., p. 138.
16
Malika Mokeddem, LInterdite, Paris, Grasset, 1993, p. 151.
17
Ibidem, p. 116.
186 Alison Rice
21
Homi K. Bhabha, op. cit., pp. 156-157.
22
Lela Sebbar, op. cit., pp. 114-115.
188 Alison Rice
Lacte priv damour est rendu public dans ce passage o une voix
dhomme se moque dune femme. Lemploi du mot pjoratif roumi, en
italiques dans le texte, souligne la provenance trangre des hommes
avec qui on allge que Sultana ait fait lamour. Non seulement elle a
os coucher avec quelquun dune autre race, mais elle a daign le
faire avec quelquun de la race de lennemi dhier. Elle est expose
aux jugements des autres, fusille de regard pour sa vie prive aussi
bien que pour sa vie publique. Les femmes quelle soigne lhpital
algrien linterrogent sur sa progniture : Je ne suis pas totalement
un monstre. Malgr mes fonctions et mon apparence, mon corps
appartient la confrrie des candidates la boursouflure du ventre,
aux fidles du culte de la matrice (126). Les hommes la scrutent
lorsquelle rentre de lhpital pied :
En sortant de lhpital, je flne sans but. Pas longtemps. Trs vite, la fivre
des yeux force mon indiffrence, minterroge et minterrompt. Foule
dyeux, vent noir, clairs et tonnerres. Je ne flne plus. Je fends une masse
dyeux. Je marche contre des yeux, entre leurs feux. Et pourtant, je nai plus
de corps. Je ne suis quune tension qui sgare entre pass et prsent, un
souvenir hagard qui ne se reconnat aucun repre. (172)
23
Malika Mokeddem, op. cit., p. 172.
Hybridits et sexualits 189
Ngociations et identits
26
Les couples dans Les Nuits de Strasbourg dAssia Djebar sont de diffrents ges et
nationalits. Le couple le plus inattendu est compos dve, une Maghrbine juive, et
Hans, un Allemand ; ces deux amoureux immigrs Strasbourg doivent surmonter un
pass historique et des diffrences linguistiques pour crer une relation stable malgr
la nature hybride et instable des cultures cres par le dbat actuel en France,
expliqu par Mamadou Diouf. Cest un dbat dont les acteurs sont forcs, selon
Diouf, transiger entre lici franais et lailleurs (anciennement imprial), lillusion
et les ralits, la mmoire et lassimilation , donnant lieu une nouvelle dfinition
d identit aujourdhui plurielle . Mamadou Diouf, Les tudes postcoloniales
lpreuve des traditions intellectuelles et des banlieues franaises , Contretemps,
n 16, 2006, p. 29.
27
Assia Djebar, Vaste est la prison, Paris, Albin Michel, 1995, pp. 188-189.
28
Ibidem, p. 191.
Hybridits et sexualits 191
29
Massa Bey, Entendez-vous dans les montagnes, Paris, ditions de lAube, 2002,
p. 20.
192 Alison Rice
Bibliographie
30
Ce genre de conversation est exemplaire des rencontres performatives dcrites
par Mireille Rosello dans son livre intitul Encontres mditerranennes. Rosello
soulve le travail affirmatif effectu par des rencontres entre (les reprsentants de) la
France et le Maghreb, soulignant le fait que mme les changes difficiles permettent
une meilleure comprhension entre ces deux entits.
31
Massa Bey, Entendez-vous dans les montagnes, op. cit., p. 72.
Hybridits et sexualits 193
Susan Mooney
1
Tous mes remerciements pour lattention gnreuse dAnnick Farina qui ma aide
corriger ce texte.
2
Nina Bouraoui, La Voyeuse interdite, Paris, Gallimard, 1991.
196 Susan Mooney
Aventures inventes
3
Michel Houellebecq, Plateforme, Paris, Jai lu, 2001.
4
Dans La Voyeuse interdite on ne comprend pas clairement si Fikria crit un journal
ou un manuscrit (mais beaucoup de critiques prsument que cest le cas), tandis que
dans Plateforme la prmisse de crer un manuscrit comme trace confessionnelle est
vidente.
Empreintes paternelles chez Nina Bouraoui et Michel Houllebecq 197
5
Selon McIlvanney, les actes imaginaires de la protagoniste reprsentent le courage.
Elle la dcrit en effet ainsi : With the severely limited contestatory tools she has
available, Fikria succeeds in undermining, and in resisting on her own terms, the
sexual stereotypes to which patriarchal authority confines her (114). (Avec les outils
contestataires extrmement limits quelle a sa disposition, Fikria russit rompre et
rsister, ses conditions, devant les strotypes sexuels dans lesquels les autorits
patriarcales lenferment).
198 Susan Mooney
8
La vision est souvent examine dans les uvres critiques sur Houellebecq et
Bouraoui. Par exemple, Baggesgaard suggre lexprience quune sexualit base
sur la visualit implique la suppression de soi chez Houellebecq. Voir Baggesgaard,
Le corps en vue : Trois images du corps chez Michel Houellebecq , dans Murielle
Lucie Clment et Sabine van Wesemael (ds), Michel Houellebecq sous la loupe,
Amsterdam, Rodopi, 2007, p. 244). En expliquant que cet crivain fait partie de la
tradition raliste franaise, il crit, Le ralisme, tout comme la pornographie, est
soumis un paradoxe insoluble, dans lequel le dsir dexplication soppose la
ncessit esthtique et sexuelle dune distanciation pour soutenir le dsir [...] (p.
245). Ce point de vue (dvelopp en vue du livre de Martin Jay, Downcast Eyes: The
Denigration of Vision in Twentieth-Century French Thought et Body Work par Peter
Empreintes paternelles chez Nina Bouraoui et Michel Houllebecq 201
Brooks) comprend lide du regard masculin distanci, mais explique seulement une
faon de dsirer.
Sara Kippur explore la rupture entre lil et le regard chez Houellebecq. Kippur nous
rappelle ladage de Jacques Lacan, Jamais tu ne me regardes l o je te vois (dans
Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse). Elle continue : Pour Lacan,
le regard provient de sites imprcis, multiples et externes, tandis que lil se situe
intrieurement, dun point fixe : ...je ne vois que dun point, mais dans mon
existence je suis regard de partout . Kippur, Le voyeurisme impossible chez
Houellebecq : Lil, le regard, et la disparition de lhumanit , dans Murielle Lucie
Clment et Sabine van Wesemael (ds), Michel Houellebecq sous la loupe, op. cit.,
p. 255.
9
Houellebecq, Plateforme, op. cit., pp. 57-62.
202 Susan Mooney
Brnice, Valrie enlve son haut de maillot pour offrir ses seins au
regard de Brnice (60) ; peu aprs, elles vont dans sa chambre pour
faire lamour encore. Dans le cas de Michel, la plage aussi, Valrie
dcouvre ses seins. Mais cette fois-ci leffet est retard. Peu peu,
lhtrosexualit de Valrie se fait vidente. Leur union ventuelle,
acheve leur retour Paris, marque le milieu du rcit (premier
chapitre de la deuxime partie, Avantage concurrentiel ) et un
climax artificiel avant le fait. On doit supposer que Michel saura
lhistoire lesbienne seulement aprs quil deviendra lamant de
Valrie.
Le regard dsirant de Michel se compare avec le regard de la jeune
Brnice ; il est possible que le regard ne compte pas sur le genre du
voyeur. Il est guid par le dsir du voyeur ou de la voyeuse. Dans les
deux cas lobjet de dsir, Valrie et sa synecdoque ses beaux seins,
reprsentent le phallus. Ou plus prcisment le dsir de la femme
reprsente le phallus. Valrie est un rve pornographique de lhomme
(et de la lesbienne masculine) : toujours prte faire lamour, soit
dtre pntre, soit suce. Tous les orifices sont disponibles ; elle est
toujours de bonne humeur, ouverte des expriences nouvelles
comme des mnages trois (la scne Cuba avec la fille de chambre ;
lpisode au spa franais avec la femme dge mr; dans ces deux cas
les femmes sont toutes dsirantes ; tandis que la fille est paye aprs le
rencontre. Elle nhsite pourtant pas participer au dbut avec la
motivation de samuser). Selon lhistoire juvnile sexuelle de Valrie,
Michel pense que : Ce qui lui manquait, au fond, ctait surtout le
dsir de sduire (62). Mais ce manque est peut-tre encore plus
sduisant pour le spectateur : elle dsire tout, point. Ainsi Houellebecq
offre un dvoilement du dsir ; mais il est peut-tre impossible de le
dnuder tout fait. Le supplment ou lexcs restera toujours, mme
avec lextrme disponibilit sexuelle des femmes belles et jeunes.
Valrie, la femme parfaite, aime Michel ; leur sexualit fait partie de
cet amour, mais il est prt avoir une famille et vieillir avec elle,
ide impossible au dbut de son rcit. Il est notable que dans la
premire partie du roman, sa phase mlancolique de clibataire, il
dispose des prostitues pour satisfaire ses apptits tandis que le
paradis se trouve et se perd en Valrie dans la deuxime partie, o
Michel na plus besoin des filles loues. Le couple cre un tourisme
sexuel utopique Aphrodite qui promet de satisfaire tous les dsirs ;
mais ironiquement Michel et Valrie sont dj satisfaits dans leur
Empreintes paternelles chez Nina Bouraoui et Michel Houllebecq 203
10
Houellebecq, La Possibilit dune le, Paris, Fayard, 2005, p. 341.
204 Susan Mooney
11
Ettinger, The Matrixial Borderspace (Essays from 1994-1999), Minnesota, Univer-
sity of Minnesota Press, 2006.
Empreintes paternelles chez Nina Bouraoui et Michel Houllebecq 205
Mon sexe intact apparat dans un nouvel clat : lIronie. Il nargue la pice,
les objets, ltonnement, la question. Est-ce le mme quhier, avant-hier,
est-ce celui du ventre de ma mre ? Oui, cest le mme. Pur, vierge. Un sexe
dadolescente sur un corps adolescent. Un sexe tratre, soign, prt ac-
cueillir un inconnu, prt satisfaire lorgueil, lespoir et lattente de la fa-
mille, un sexe obsdant qui drange la jeunesse des filles, les rves des
hommes, un sexe convoit, dsir, imagin mais rarement satisfait. Centre
de la silhouette, picentre du plaisir, il tale aujourdhui sa malice en bril-
lant de tous ses feux comme un emblme cousu que je ne peux arracher de
son plastron. (116)
Empreintes corporelles
12
McIlvanney, Double Vision , op. cit., p. 111.
Empreintes paternelles chez Nina Bouraoui et Michel Houllebecq 207
Cohsions inattendues
Signes fministes
crucial in that it has a gathering effect; like a magnet, the center of the
universe provides reunification with the absolute; it counteracts the
unwavering commands personified in the paternal figure 13. Bouraoui
utilise Ourdhia comme cl fminine pour chapper ou viter les em-
preintes paternelles ; mais Fikria peut seulement observer et apprcier
cette possibilit.
Houellebecq nous propose aussi des visions fministes au moyen
dune jeune artiste, Sandra Heksjtovoian, qui fait des moulages de son
clitoris en rection ; elle monte ces petites pyramides en un ruban
mouvant pour produire une sculpture interactive. Ayant tudi cet art,
Michel contemple le clitoris de Valrie et peu aprs lui donne un
orgasme oralement presque tout de suite. Il se demande si cet art lui
enseigne quelque chose et proclame : son travail [de Heksjtovoian]
incitait porter un regard neuf sur le monde (293). Michel est
ouvert apprcier les regards diffrents des femmes ; nanmoins dans
ce roman Houellebecq leur assigne des emphases priphriques. Les
implications de la vision de Heksjtovoian restent inexplors, comme
des possibilits utopiques et alternatives : par exemple, au lieu dun
plaisir phallique, tlologique et normatif, lartiste propose un modle
de plaisirs qui se multiplient et se partagent et elle suggre notre
manque de perception de lanatomie fminine.
Un pouvoir fministe est suggr avec plus de dtails dans La
Possibilit dune le avec le systme futur de la Sur suprme et les
no-humains. Dans ce milieu, on essaie dchapper la mythologie du
pouvoir des organes sexuels, mais la nostalgie et peut-tre des traces
biologico-psychiques continuent troubler quelques-uns des habitants
futurs du monde. Daniel24 crit, Les femmes donnent une impres-
sion dternit, avec leur chatte branche sur les mystres [...] alors
quil ne sagit que dun trou nains tomb en dsutude ; et pour
Marie22 son vagin lenveloppe ; elle envoie des vers potiques : Je
suis seule comme une conne / Avec mon / con 14.
13
Zuylen, Maghreb and Melancholy: A Reading of Nina Bouraoui , op. cit., p. 91.
Ourdhia trouve lessence de lexprience dans le centre absolu du monde, qui
concide avec le centre du nant. La figure au milieu est cruciale parce quelle a un
effet de rassemblement ; comme un aimant, le centre de lunivers fournit la
runification avec labsolu ; elle contrebalance les ordres inbranlables personnifis
dans la figure paternelle .
14
Ibid., p. 12, p. 13. Quelques critiques (Clment ; van Wesemael ; Crowley ; Kippur ;
Sweet) de Houellebecq le trouvent trs svre envers les femmes, mais il faut recon-
natre que ses personnages masculins sont gostes, proccups par leurs dsirs. Dans
212 Susan Mooney
19
B. Chikhi, Algriades : dAssia Djebar Nina Bouraoui , Bulletin of Franco-
phone Africa, vol. 9, printemps 1996, p. 37.
214 Susan Mooney
Bibliographie
Julie Monty
1
Cet article est traduit de langlais par Sabrina Parent, qui est chaleureusement
remercie.
2
Traduction de langlais par Alexandre Dumas, 1820.
218 Julie Monty
6
Cest--dire, un monde dans le futur proche qui ressemble plus un cauchemar qu
un rve des films traditionnels, Hollywoodiens o tout est pour le mieux .
7
Il est le metteur en scne de deux films extrmement violents, la sexualit trs
graphique : Seul contre tous (1998), un film qui explore la pauvret, la rage
pathologique et linceste, et Irrversible (2003), un film dramatique traitant de la
vengeance qui fait suite un viol.
8
Maybe the French arts are becoming more provocative because the American arts
are becoming less and less provocative... Anything that resembles a visceral
perception of war or death has been erased from TV news, CNN, even the movies.
The way movies deal with these subjects is so clean, its like meat: everything is done
to make you forget that it comes from an animal that has been killed for your
pleasure .
9
Il est le ralisateur du film Intimacy (2001) qui contient des scnes explicites et non-
simules des rapports sexuels.
Virginie Despentes et Coralie Trinh Thi 221
10
Cette tude, Hardcore: Power, Pleasure, and the Frenzy of the Visible, est une
rponse la deuxime vague de fminisme anti-pornographique qui prtendait que
cette pratique est une violence contre toutes les femmes.
11
Ce livre est une critique des conclusions de Freud et de Lacan sur la sexualit
fminine.
12
Je me rfrerai dsormais ce livre en utilisant labrviation KKT.
222 Julie Monty
13
Pour mieux comprendre les opinions de Paglia sur la sexualit voir ses livres Sex,
Art, and American Culture et Vamps & Tramps.
224 Julie Monty
14
Pour mieux comprendre les points de vues sur la pornographie de Dworkin et de
MacKinnon, voir leurs articles dans Feminism and Pornography, Part 1. Anti-
Pornography Feminism, Drucilla Cornell (ed.), Feminism and Pornography, New
York, Oxford UP, 2000.
Virginie Despentes et Coralie Trinh Thi 227
15
Dans Gender Trouble: Feminism and the Subversion of Identity, Butler propose
quon utilise le drag pour dstabiliser lopposition extrieure/intrieure du systme
binaire, pour se moquer de la notion quun genre original existe, et pour dmon-
trer, travers lexagration, que le genre est rpt et perform.
16
Dans les annes 90, la chanteuse punk Courtney Love est licne de ce look appel
kinderwhore.
228 Julie Monty
17
[Despentes and Trinh Thi] defy the soft-focus erotic prettiness, the contained
lyrical musical interlude, that has marked the sex scene of mainstream Hollywood .
18
Elles luttent contre les films bourgeois dans lesquels on trouve des scnarios
dignent dun conte de fes, des normes tablies douloureusement respectables et bor-
nes, et un snobisme critique.
Virginie Despentes et Coralie Trinh Thi 229
Baise-moi
19
Trinh Thi explique dans Bad Girl : Ce nest pas du cinma bourgeois. Cest avec
des gens vraiment sincres... .
230 Julie Monty
cachs dans un coffre. Elles vont dans un night club, tirent sur tout le
monde, torturent un homme et lui tirent une balle dans lanus. Manu
est tue dans une station service, par un des employs. Nadine enve-
loppe son corps dans une couverture et y met le feu. Elle se met le
revolver sur la tempe, mais est arrte par la police avant quelle ne
puisse tirer.
Ces anti-hrones, Nadine et Manu, subvertissent lensemble des
mythes de la culture htronormative grce des mthodes qui, a
priori, paraissent promouvoir les caractristiques traditionnellement
attribues aux femmes telles que la passivit et la soumission, mais
qui, en dfinitive, clbrent lagentivit sexuelle fminine. Durant la
scne du viol, les deux femmes victimes, Manu et sa copine, ragis-
sent de faon oppose. Son amie soppose violemment son agresseur
en hurlant et frappant. Manu dboutonne calmement son pantalon et
se met quatre pattes comme son assaillant lui ordonne de le faire.
Cependant, ce dernier ne peut maintenir son rection parce que Manu
refuse de faire pivoter ses hanches. Son agentivit rsulte de sa passi-
vit. Sa force provient de son instinct de survie, de sa connaissance du
fait que, bien quil puisse abuser delle physiquement, son agresseur
ne pourra jamais lui enlever ce qui est prcieux. Elle dclare quelle
ne possde en elle rien de valeur quelle puisse offrir, sachant quen
tant que femme dans un monde satur de violence masculine, elle
prend un risque chaque fois quelle entre dans la sphre publique.
Manu reste en contrle de ses motions et ds lors, elle nest pas aussi
battue ni ensanglante que son amie20. Bien que Manu russisse
exprimer ses motions de sa propre faon, la scne du viol nen reste
pas moins drangeant pour laudience. Despentes dfend cette scne
dans un entretien : Nous navons pas invent le viol. Jai t viole
une fois et une de mes actrices aussi. Cest horrible et je ne vois pas
pourquoi je naurai pas trait le sujet de cette faon-l 21. Dans la
scne finale, qui rappelle le film de John Boorman, Dlivrance (1972)
et en particulier la scne du viol qui ouvre le film, Manu oblige un
homme, dans un club o sont organises des partouzes, se mettre
quatre pattes et crier comme un porc. Ici, les rles sinversent et
20
Dans le roman Baise-moi de Despentes, la copine de Manu est tue par leurs
agresseurs.
21
We didnt invent rape. Ive been raped and one of my actresses has been raped...
Its horrific, so I dont see why I shouldnt treat it that way dans Sick Sisters ,
Sight and Sound, vol. 11, n 7, 2001, pp. 28-29.
Virginie Despentes et Coralie Trinh Thi 231
Manu est dominatrice tandis que lhomme est soumis. Cette scne de
fantasy symbolise lappropriation par les femmes de la position de
pouvoir que les coralisatrices revendiquent pour les femmes dans
notre socit contemporaine.
Dans toutes les scnes de sexe explicites, y compris la scne du
viol, Manu et Nadine exercent un certain contrle de leur sexualit.
Quand Nadine, qui fut prostitue pendant un moment, est avec un
micheton, elle refuse ses tentatives multiples de lembrasser sur la
bouche. Elle regarde la tlvision pendant quils font lamour, se
concentrant sur ce qui lui fait plaisir elle (elle est excite par des
images pornographiques) et non lui. Dans une autre scne, Manu et
Nadine font lamour, chacune un homme, dans des lits spars mais
dans la mme chambre. Toutes les deux prouvent du plaisir, non pas
des hommes, mais de se regarder lune lautre faire lamour. Au fur et
mesure que le film devient plus cauchemardesque, les femmes
deviennent galement plus violentes, leur domination sexuelle sur les
hommes plus ouverte galement. Elles couchent avec des hommes et
les tuent ensuite. Manu et Nadine font, dans le film, des choses
indicibles, linstar de Despentes et Trinh Thi, les ralisatrices, qui
ont instill des scnes dune extrme violence et des scnes de
sexualit fminine dans un cinma mainstream.
Trinh Thi et Despentes non seulement minent les conceptions
communes de la sexualit et de la violence fminines, mais elles
problmatisent aussi nos conceptions de ce quest le genre sexuel.
Irigaray et Butler remettent toutes deux en question la notion de genre,
mais de points de vue diffrents. Tandis quIrigaray, dans Ce sexe qui
nen est pas un, se focalise sur le dni de toute sexualit fminine dans
la thorie psychanalytique et sur la dfinition des genres sur base du
sexe biologique, Butler, dans Subversive Bodily Acts souhaite la
fin de la notion pr-tablie de deux genres distincts. Bien que leur
approche soient diffrentes, les deux thories de ces fministes
aboutissent la mme conclusion, savoir que la rsistance est
ncessaire. Baise-moi est un film qui dmontre la similarit sous-
jacente entre les conceptions dIrigaray et Butler. Nadine et Manu
dstabilisent le systme binaire des genres fminin et masculin, en
exhibant des comportements la fois hyper-fminins et hyper-
masculins. Dun ct, ce sont des femmes qui portent des armes feu,
qui boivent de la bire, qui sont amateurs de vidos pornos, qui se
masturbent de faon obsessionnelle et considrent les hommes comme
232 Julie Monty
des objets sexuels. Dun autre, elles portent des mini-jupes et des
soutiens-gorges pigeonnants, se maquillent ou polissent leurs ongles
dans presque toutes les scnes et elles sont soucieuses des autres et de
leur bien-tre. Cette instabilit en matire de performance des genres
sexuels se poursuit tout au long du film. Au dbut, Nadine prend soin
de son meilleur ami, Francis, une came, et Manu agisse comme une
figure maternelle envers Radouan, un dealer de drogue un peu naf.
Elles performent ou font leur genre, comme dirait Butler. Au
dpart, elles se comportent comme des femmes traditionnelles et pas-
sives, mais agissent beaucoup plus agressivement dans les scnes qui
suivent tandis quelles parcourent la France dans leur frnsie
destructrice et sanglante. Le film dmontre que les gens sont diffici-
lement catgorisables en termes de genre sexuel, mais quils se
meuvent dune identit sexuelle lautre. Dans une des scnes finales,
nous voyons Nadine pleurer la mort de Manu, performant encore une
fois un acte fminin traditionnel : prendre soin de quelquun. En exp-
rimentant la thorie de Butler suivant laquelle le genre sexuel se
dfinit par ce que lon fait et non par ce que lon est, et la thorie de la
mimesis dIrigaray, selon laquelle le rle fminin doit tre assum
dlibrment pour pouvoir le contrecarrer, Despentes et Trinh Thi
aident les femmes librer leur corps des reprsentations existantes et
questionner les catgories. Baise-moi pourrait en effet reconqurir
une voie pour les femmes.
Conclusion
Il est clair que dans Baise-moi, les vengeresses amorales que sont
Nadine et Manu se vengent non seulement des injustices quelles ont
subies, mais aussi des injustices dont les femmes en gnral sont
victimes. Leur vengeance concerne toute femme qui a souffert ou a t
rendue silencieuse dans une socit domine par les hommes. Elles se
vengent des sifflets, des assauts sexuels verbaux, des assauts physi-
ques, du viol et de linjustice quotidienne avec lesquelles les femmes
sont traites dans nos socits. Cela nest pas nouveau. Les fministes
ont dj attir lattention sur toutes ces problmatiques. Cependant, ce
qui est neuf, cest la manire dont elles reprsentent ces problma-
tiques. Cest ce film, extrme dun point de vue sexuel, gore et vio-
lent, qui est diffrent. Elles ne correspondent aucun modle
dauteurs ou de ralisateurs fministes du pass. Elles ouvrent une
Virginie Despentes et Coralie Trinh Thi 233
nouvelle voie, une voie qui attire lattention sur des problmatiques
qui concernent la libration sexuelle des femmes, problmatiques qui
ont t enterres depuis le mouvement de libration de la femme dans
les annes 70. Elles font revivre ces problmatiques, entamant de nou-
velles batailles, les faisant voir sous un autre jour, avec un autre centre
dattention et un autre point de vue. Despentes dfinit un fminisme
nouveau, rvolutionnaire qui inclut les hommes et va bien au-del
dun salaire gal sur le lieu du travail. Dans KKT, elle dclare :
Bibliographie
Filmographie
Safoi Babana-Hampton
1
Nancy Huston, LEmpreinte de lange, Paris, Actes Sud, 1998
2
Nancy Huston, LIgnorance, Paris, Gallimard, 2000.
238 Safoi Babana-Hampton
3
Milan Kundera, Le Rideau : essai en sept parties, Paris, Gallimard, 2005, p. 64.
4
Gatan Picon, La Vrit et les mythes, Paris, Mercure de France, 1979, p. 179.
5
Ibidem, p. 220.
6
Ibidem, p. 200.
7
Ibidem, p. 209.
8
Ibidem, p. 260.
240 Safoi Babana-Hampton
lenvisage Picon, revient pour lart hberger dans son domaine la vie
dans son paisseur, sa complexit et sa plnitude :
[Le mythe] est autant modelage de, que model par une identit fluide
mme de relier la vivacit dun pass filtr et assum avec laction prsente
en vue de projections dides cratrices sur le court terme. Il est tant
renforcement de, que renforc par une vitalit et une volont dbordantes
qui cooprent au renouvellement de la socit en en stimulant l esprit
dinvention 11.
9
Ibidem, p. 261.
10
Simone Vierne, Prface , dans Simone Vierne (d.), Le Retour du Mythe,
Grenoble, Presses Universitaires de Grenoble, 1980, p. 8.
11
Willy Gianinazzi, Naissance du mythe moderne : George Sorel et la crise de la
pense savante (1889-1914), Paris, ditions de la Maison des sciences de lhomme,
2006, p. 209.
12
John Vickery, Myths and Texts: Strategies of Incorporation and Displacement,
Baton Rouge/London, Louisiana State University Press, 1983, p. 54.
Nancy Huston et Milan Kundera 241
13
engendr par la crise de la raison . Sappuyant sur la dfinition
quen donne Paul Valry, Alain Deremetz remarque que le mythe,
prenant racine dans les valeurs de la vie humaine, est lhomme
inventant le monde []. Il est un jeu de langage, le jeu crateur du
14
langage . Lide du pouvoir crateur du mythe conduit considrer
avec Pierre Brunel que : [L]e mythe est un ensemble, qui ne saurait
15
se rduire ni une situation simple [] ni un type .
Compte tenu de lesthtique romanesque pratique par Huston et
Kundera, laquelle procde du dploiement dun langage fluide,
poreux, ambigu, densment intertextuel, et surtout conscient de son
pouvoir de cration, il est ais de constater que leur conception du
roman en tant quhistoire fictive saccorde plusieurs gards avec les
perceptions labores ci-dessus relativement au mythe ; car
[M]ythe et histoire se rangent tous deux dans la catgorie du
16
rcit . Se pencher sur la question du mode dorganisation du rcit
serait donc indispensable pour asseoir la construction des rapports
rotiques ainsi que la conception et la fonction du mythique dans
LEmpreinte de lange et LIgnorance.
LEmpreinte de lange offre un festin de rcits entrelacs o se
lovent des points de vue et des perceptions diverses de lexprience
humaine. Le roman raconte lhistoire de Saffie, une jeune allemande
qui, visiblement inexpressive, met les pieds sur le sol franais pour
faire le deuil du trauma dun pass indicible ou du moins le fuir. Elle
trouve un emploi chez Raphal, un fltiste de renom qui lengage
comme femme de mnage, mais tombant sous son charme mystrieux,
il lui demande un jour sa main en mariage. Aprs une grossesse
angoissante durant laquelle elle tente de se faire avorter, tant accable
par des rves dinfanticides associs aux crimes nazis, leur fils Emil
est n et accueilli par sa mre de manire trangement apathique.
Indiffrente aux tentatives successives de son mari pour mener une vie
13
Franoise Gaillard, Le Renchantement du monde , dans Antoine Faivre et
Frdrick Tristan (ds), Le Mythe et le mythique, Actes du colloque organis Cerisy
en juillet 1985, Paris, Albin Michel, 1987, p. 50.
14
Alain Deremetz, Petite histoire des dfinitions du mythe , dans Pierre Cazier
(d.), Mythe et cration, Lille, Presses Universitaires de Lille, 1994, p. 16.
15
Pierre Brunel, Mythocritique : Thorie et parcours, Paris, Presses Universitaires de
France, pp. 28-29.
16
Gilbert Durand, Permanence du mythe et changements de lhistoire , dans
Antoine Faivre et Frdrick Tristan (d.), Le Mythe et le mythique, op. cit., p. 17.
242 Safoi Babana-Hampton
17
Nancy Huston, Romain Gary: A Foreign Body in French Literature , Poetics
Today, vol. 17, n 4, Winter 1996, p. 556.
18
Ibidem, p. 565.
19
Georges Bataille, Lrotisme, Paris, Les ditions de Minuit, 1957, p. 35.
Nancy Huston et Milan Kundera 243
20
Nouss, Alexis, Plaidoyer pour un monde mtis, Paris, Textuel, 2005, pp. 35-36.
244 Safoi Babana-Hampton
a fait voir les malheurs des Algriens dans les banlieues de Paris :
devant le spectacle navrant de la misre des Algriens, elle ne trouve
encore qu lui parler de sa souffrance (179). Pour exposer la
situation de Saffie comme personnage se croyant non concern par la
vie des autres, mais dont la vie en ralit est profondment imbrique
dans celle dautrui, la narratrice recourt lintgration simultane de
deux niveaux de rcits enchanant ce quelle appelle la grande Histoire
(celle de la guerre et de la mort qui dciment des peuples entiers) aux
petites histoires des personnages (celle du triangle amoureux) : Lt
est chaud. En mtropole et outre-mer la violence prolifre [], trois
musulmans abattus par des policiers, bong ! OAS, bang bang ! FLN.
Atrocits et contre-atrocits []. Pendant ce temps, Saffie joue avec
Emil dans leau turquoise de la mer Mditerrane [] sendort sous
les palmiers (174). Ce genre de transitions brusques entre rcit de la
mort et rcit de lamour est frquent dans ce roman, pour souligner la
prise de conscience des personnages de leur place dans un monde o
se ctoient les contradictions, des histoires simultanes et htrognes,
en tmoignent les rfrences multiples la guerre dAlgrie et au
monde : O est le monde en ce dbut de dcennie ? (160), ou
encore Comment tant de mondes peuvent-ils coexister sur une seule
plante ? (162). Dans son traitement de lhistoire de la guerre
dAlgrie, le roman de Huston, paru un an avant ladoption par le
gouvernement franais de la loi du 18 octobre 1999 (162)21, rappelle
ainsi par sa juxtaposition de la vie banale dun couple bourgeois et
lHistoire sanglante de la guerre dAlgrie la reprsentation cinmato-
graphique de la guerre dAlgrie dans de tels films que Muriel
(dAlain Resnais, 1963), Diaboliquement votre (de Julien Duvivier,
1967), Cach (de Michael Haneke, 2005) o les vnements
dAlgrie sont refouls et relgus au domaine de linconscient collec-
tif de la bourgeoisie franaise. Le personnage principal de Diaboli-
quement votre, atteint damnsie la suite dun accident de la route,
devient victime des escroqueries de deux amants qui, pour faire
fortune, tentent de lui faire disparatre pour toujours ses souvenirs de
soldat pendant la guerre dAlgrie. Dans ces films, les vnements
dAlgrie ne refont surface que sous forme de rves ou de cauche-
21
Il sagit de la Loi no 99-882 du 18 octobre 1999 reconnaissant officiellement la
guerre dAlgrie, en substituant lexpression oprations effectues Afrique du
Nord , lexpression la guerre dAlgrie [] combats en Tunisie et au Maroc ,
paru dans le Journal Officiel, no 244 du 20 Octobre 1999.
Nancy Huston et Milan Kundera 245
22
Il convient de noter lapparition grandissante en ces dernires annes de films tels
que Indignes (2006) et Hors-la-loi (2010) de Rachid Bouchared, et LEnnemi intime
(2007) de Florent Emilio Siri, remettant en question ce long silence et reconstituant
cette mmoire bafoue. Les mots de lpilogue de LEnnemi intime en disent long sur
linscription de ce film dans un projet de restauration dune mmoire oublie : Ce
nest quen octobre 1999 que ltat franais a reconnu officiellement quil y avait eu
la guerre en Algrie .
23
Alexis Nouss, op. cit., p. 35.
246 Safoi Babana-Hampton
24
Loraine Day, Trauma and the bilingual subject in Nancy Hustons LEmpreinte de
lange , Dalhousie French Studies, n 81, 2007, pp. 6-8.
248 Safoi Babana-Hampton
25
Pierre Brunel, Mythocritique, op. cit., p. 71.
Nancy Huston et Milan Kundera 249
26
Nancy Huston, The Matrix of War: Mothers and Heroes , Poetics Today, vol. 6,
n 1/2, The Female Body in Western Culture: Semiotic Perspectives, 1985, p. 164.
Nancy Huston et Milan Kundera 251
pour Huston, pour quun romancier puisse crire une histoire qui a du
sens, il devrait tre en mesure daccepter le non-sens, de faire face la
laideur, de dcrire lhorreur et de comprendre la trahison et la perte27.
Autrement dit, en soulevant des questions difficiles sur les lments
drangeants du rel, tels la cruaut, limpensable et la souffrance,
Huston souhaite exploiter lespace romanesque pour les exposer
comme tels afin davancer sur ces points notre connaissance de
lexistence humaine et la maitriser comme le propose Picon, sinon
changer la condition humaine avec responsabilit.
Par consquent, le portrait de ces personnages pris dans le cycle de
rptition permet la rflexion non seulement sur leur condition de
victimes de la souffrance mais aussi sur le rle quils jouent dans la
perptuation de cette souffrance qui entrave leur panouissement total,
car ils omettent de rflchir aux consquences de leurs actions sur les
autres. Huston sinterroge sur le rle que jouent ces personnages pour
transmettre leurs souffrances tel un hritage :
Faibles nous sommes, et craintifs, et surtout las, las. Aveugles et muets nous
sommes, les yeux bands par nos propres mains, la gorge obstrue par nos
cris. Nous ne savons gurir notre douleur, seulement la transmettre, la
donner en hritage. Tiens chri. (196)
27
Nancy Huston, Novels and Navels , Critical Inquiry, vol. 21, n 4, Summer
1995, p. 712.
28
Jacques Derrida, Spectres de Marx, Paris, Galile, 1993, p. 94.
29
Ibid.
30
Ibidem, p. 150.
252 Safoi Babana-Hampton
31
Jean-Pierre Sironneau, Retour du mythe et imaginaire socio-politique , dans
Simone Vierne (d.), Le Retour du Mythe, Grenoble, Presses Universitaires de
Grenoble, 1980, p. 25.
32
Milan Kundera, The Art of the Novel, New York, HarperPerennial, 2000 [1986], p.
109.
Nancy Huston et Milan Kundera 253
la triste histoire de son dsir. Elle navait connu aucun plaisir damour
avant de rencontrer Martin (35). La rencontre rotique dIrena et de
Josef permet leur renaissance leur humanit aprs avoir connu la
ngation de leur tre sous leffet de lHistoire, notamment le rgime
totalitaire. La rfrence lrotisme dans le roman est essentielle, car
dune scne lautre, le narrateur lexploite comme un microcosme
des relations humaines en gnral (comme lvoque Kundera ci-
dessus), pour dnoncer tout systme entranant la dgradation de la vie
humaine et exprimer la libration de ltre. De ce fait, crire
lamour, cest en dire le besoin lancinant, le manque tragique dans les
vies prisonnires de ce qui en est lenvers : lindiffrence, la voracit,
la fureur 33. Le narrateur dcrit leffet de cette exprience sur la vie
de Josef :
33
Andr Ricard, crire lamour , crire lamour 2, Montral, ditions de lHexa-
gone, 1987, p. 50.
254 Safoi Babana-Hampton
premier laffirme. De plus, cet change met en relief leur dsir partag
de se librer de cet attachement au pays dorigine, qui leur est impos
par les autres : Les Franais confie Irena Josef ne sintres-
saient pas ce que nous pensions, ils sintressaient nous en tant que
preuves vivantes de ce quils pensaient, eux (194).
Comme chez Saffie, ce qui pousse Irena vers cette relation est le
fait de ne pas avoir t matresse de sa vie jusque-l : Depuis
toujours, jai eu limpression que ma vie tait rgie par dautres
(186). Le narrateur dcrit la manire dont lexprience rotique permet
Irena non seulement de sortir des confins des images rductrices de
limmigr qui collent son destin implacablement lHistoire, mais
galement de loppression que lui infligent ses liens de famille :
Sauvagement, lascivement, elle fait lamour et, en mme temps, le
rideau de loubli enveloppe ses lubricits dans une nuit qui efface
tout (207). Paradoxalement, Irena semble avoir remplac une forme
dattachement par une autre ; cest Josef qui remplace dornavant le
lien avec la patrie et les liens de familles dans son univers intrieur :
Irena sest donne lui avec tout le poids de sa vie, tandis que lui
dsirait vivre sans poids (216). Autrement dit, Josef dsire sarracher
toute forme dattachement au pass : ce pass, aujourdhui, tait
loin de lui. Il ne lhabitait plus (177). Le narrateur signale le
caractre illusoire de cette libert retrouve laquelle est engendre par
un grave malentendu : [Irena] a eu limpression que leur histoire
damour, commence vingt ans plus tt, avait seulement t reporte
au moment o ils seraient libres tous les deux (115). Le narrateur
nous exprime son scepticisme lgard des relations humaines qui
cherchent leur justification dans un attachement aux souvenirs :
Jimagine lmotion de deux tre qui se revoient aprs des annes. Jadis, ils
se sont frquents et pensent donc tre lis par la mme exprience, par les
mmes souvenirs. Les mmes souvenirs ? Cest l que le malentendu
commence : ils nont pas les mmes souvenirs ; tous deux gardent de leurs
rencontres deux ou trois petites situations, mais chacun a les siennes ; leurs
souvenirs ne se ressemblent pas ; ne se recoupent pas [] : lun se souvient
de lautre plus que celui-ci ne se souvient de lui. (145)
dans le bar, la vrit est pire : il ne sait pas qui elle est ! il ne la connat
pas ! (213). Si sduisante que cette rencontre rotique puisse lui
paratre, Josef ne saurait lui sacrifier sa libert personnelle sans
rserve.
Alors que Josef et Irena semblent proccups par le sens de leur
retour au pays dorigine au moment prsent, cest lide de leur dpart
rpt qui est sonde par Kundera, o le retour ne serait pas du tout
un retour, seulement lun des nombreux dtours sur le long parcours
de son existence (139). Le roman sachve symboliquement par le
dcollage de lavion de Josef quittant dfinitivement, cette fois-ci, son
pays dorigine : Lavion senvola vers un ciel noir, puis senfona
dans les nuages. Aprs quelques minutes, le ciel souvrit (223).
Cest ainsi que, dans ce roman, lide du dpart continue de jeter son
ombre sur celle du retour. Le choix de laroport comme le lieu o se
situent le commencement et la fin de lhistoire a pour effet de
souligner la fin du roman comme un recommencement, ou le dbut
dune nouvelle histoire, comme chez Huston. Elle voque la
possibilit, pour Josef, dvoluer dabord en tant quindividu (et non
en tant que membre dune communaut nationale), ayant pris
conscience de sa participation laccomplissement de son propre
destin.
La mise en valeur despaces de transition, ouverts, fluides ou inter-
mdiaires notamment laroport et lhtel sites privilgis de
laction la plus importante du roman, celle de la rencontre de Josef et
dIrena, soulignent fermement cette ide. Sur limage de lhtel dans
lespace romanesque moderne, Peter Coulmas maintient : Lhtel est
un lieu de passage [], le client de lhtel est en voyage, loin des
contraintes de chez lui. Cela favorise les rapports sans engagements,
une ouverture lautre et des formes particulires dintimit [].
Lhtel international est lespace romanesque par excellence 34.
Dans ce roman, lrotisme, tout comme lironie et lhumour, remplis-
sent la fonction principale de miner, de transgresser et enfin de dmys-
tifier les dogmes esthtiques, les certitudes morales et politiques, ainsi
que les vidences pistmologiques relatifs la condition humaine.
Ceci est achev dabord travers les rfrences multiples une ralit
changeante, celle de la socit tchque daprs 1989 quand le pays a
34
Peter Coulmas, Les Citoyens du monde : Histoire du cosmopolitisme, Paris, Albin
Michel, Bibliothque Ides, p. 278.
Nancy Huston et Milan Kundera 257
adopt les slogans des temps nouveaux : fraternit de toutes les races ;
mlange de toutes les cultures ; unit de tout, unit de tous (86),
mais aussi par linsertion dune multiplicit de points de vue en
accentuant les divergences existant au niveau des perceptions quont
les personnages de leurs souvenirs et de leurs rapports prsents.
Leffet esthtique est la description dun monde se caractrisant par
lexistence dun maximum de densit et de diversit dans le
minimum despace comme effet de cette ouverture au monde35.
Kundera voit dans ce geste darrachement aux visions mystifiantes
lessence mme du roman trouvant ses sources dans le voyage de Don
Quichotte : un rideau magique, tiss de lgendes, tait suspendu
devant le monde. Cervantes envoya don Quichotte en voyage et
dchira le rideau []. [C]est en dchirant le rideau de la printer-
prtation que Cervantes a mis en route cet art nouveau ; son geste
destructeur se reflte et se prolonge dans chaque roman digne de ce
nom ; cest le signe didentit de lart du roman 36.
Pareillement au cas de Saffie, on assiste dans le parcours dIrena et
de Josef au priple de deux tres qui prouvent un besoin existentiel
de se librer du poids des modles identitaires hrits et qui entrent
dans un processus compliqu les menant vers cette libration. Ce
dcor historique et mythique quinfuse Kundera dans les petites
histoires est un ensemble de tableaux de la tyrannie, de labsurde et de
linjustice dont leffet est danantir la capacit de cultiver ou de
connatre des sentiments humains. La reprsentation du dsir rotique
fournit un contrepoint travers lequel la capacit de faire renatre des
sentiments humains redevient possible. Kundera estime que la
reprsentation de la sexualit dans son uvre lui permet de jeter une
lumire crue sur lessence des personnages et de leurs situations dans
la vie37. Pour contrer les mythologies politiques rappelant le totalita-
risme communiste qui touffe la vie de tous les points de vue,
Kundera, comme le propose Igor Webb, recourt une approche de la
sexualit et de lespace romanesque comme moyens de sinterroger
sur la vie et lexistence humaine, pour ainsi librer la pense du joug
du totalitarisme et offrir la possibilit de vivre38.
35
Milan Kundera, Le Rideau, op. cit., p. 45.
36
Ibidem, pp. 110-111.
37
Cit dans Igor Webb, Milan Kundera and the Limits of Scepticism , The
Massachusetts Review, vol. 31, n 3, Autumn 1990, p. 358.
38
Ibidem, p. 361.
258 Safoi Babana-Hampton
39
Milan Kundera, Le Rideau, op. cit., p. 58.
40
Ibidem, p. 54.
Nancy Huston et Milan Kundera 259
Bibliographie
41
Ibidem, p. 78.
260 Safoi Babana-Hampton
UNIVERSIT DAMSTERDAM
1
Au cours dun entretien que nous avons eu avec lui, Andre Makine explique la
raison de ce retournement. Jai t trahi par mon diteur Albin Michel qui a com-
menc raconter cela tout le monde. Du coup, le fait a commenc tre trop connu
pour que je garde lanonymat et, surtout, il y a eu deux ou trois articles, quatre peut-
tre, dans le Figaro o ils divulguaient ce secret. Jai su par mon attache de presse
quils prparaient encore quelque chose. Je me suis dis, Il faut dire les choses claire-
ment. Mais ce ntait pas calcul. Si javais pu rester dans mon anonymat, jaurai
continu travailler tranquillement .
2
Andre Makine, Le Livre des brves amours ternelles, Paris, Seuil, 2011.
262 Murielle Lucie Clment
3
Gabriel Osmonde, Alternaissance, Paris, Pygmalion, 2011.
4
Gabriel Osmonde, Le Voyage dune femme qui navait plus peur de mourir (2001)
Paris, Le Livre de poche, 2004.
5
Gabriel Osmonde, Les 20.000 Femmes de la vie dun homme (2004), Paris, Le Livre
de poche, 2007.
6
Gabriel Osmonde, Luvre de lamour, Paris, Pygmalion, 2006.
7
Ceci est loin de nous surprendre si nous observons Le Monde selon Gabriel
(premire mondiale le 15 mai 2009 Amsterdam dans une mise en scne de Murielle
Lucie Clment) o Andre Makine manie un tout autre registre que celui habituel de
ses romans.
8
Fait que nous voquions au colloque Le Monde selon Andre Makine en janvier
2009 dans notre communication : Andre Makine et Gabriel Osmonde : Passerel-
les , dans Murielle Lucie Clment et Marco Caratozzolo (ds), Le Monde selon
Andre Makine. Textes du Collectif de chercheurs autour de luvre dAndre Makine,
Sarrebruck, ditions Universitaires Europennes, 2011.
9
Dans lentretien susmentionn.
Gabriel Osmonde 263
[] un jeune officier qui suit une femme dans la fort. Les jeux sont faits, il
va laborder, lembobiner, coucher avec elle, loublier. cette femme, la vie
noffre que ce rle-l. Cest le contenu de sa Deuxime naissance. Lhomme
avance vers elle et soudain se fige, car il y a ce soleil bas dans le sous-bois
printanier, les taches claires de la dernire neige et la femme assise au milieu
10
Gabriel Osmonde, Alternaissance, op. cit., 2011, p. 313.
11
Au cours de lentretien susmentionn. Cf. aussi larticle dAstrid de Larminat,
Osmonde sort de lombre , dans Le Figaro du 30.03.2011.
12
Cf. entre autres, Zadig ou la destine , dans Voltaire, Romans et contes,
Gallimard, coll. La Pliade , 1979.
264 Murielle Lucie Clment
des fleurs pourpres dont elle caresse les ptales en pleurant Et ce brave
militaire se sent autre. Et ce nest pas une privation, car ce quil obtient est
infini, la femme lui appartient dans toute lternit de cet instant de beaut13.
13
Gabriel Osmonde, Alternaissance, op. cit., 2011, p. 219.
14
Maurice Blanchot, Espace littraire, Gallimard, 1955, p. 31.
15
Gabriel Osmonde, Le Voyage dune femme qui navait plus peur de mourir, op. cit.,
p. 73.
Gabriel Osmonde 265
De Osmonde Osmonde
mouvement de contre-culture qui nest pas sans rappeler les Diggers dOsmonde.
Gabriel Osmonde 267
18
Andre Makine nous a confi plusieurs reprises vouloir crire un Heptamron
sign Osmonde.
268 Murielle Lucie Clment
Les clients lui montrent le robinet sur lequel est tomb leur choix : un
mitigeur monocommande pour lavabo, bec extractible. Elle les accompagne
jusquau pas de la porte, les voit sloigner. Des gens qui vont, se dit-elle,
ouvrir et refermer ce robinet plusieurs fois par jour, pendant de longues
annes Jusqu leur mort peut-tre ! Lide lui parat si monstrueuse
quelle fait quelques pas en avant comme si elle pouvait encore rattraper le
couple qui traverse dj la rue du Faubourg-Poissonnire. Comme sil tait
possible de les appeler : Attendez, vous allez vous laisser piger par ce
robinet inusable que vous serez obligs de tourner toute votre vie ! Le test
dendurance la dmontr, il rsiste plus de deux cent mille manuvres.
Jetez-le et partez ! O vous voudrez, mais partez ! Ses clients hsitent un
instant au carrefour (ils sont nouveaux dans le quartier) puis prennent la rue
Hauteville20.
19
Gabriel Osmonde, Les 20.000 Femmes de la vie dun homme, op. cit., p. 239.
20
Gabriel Osmonde, Le Voyage dune femme qui navait plus peur de mourir, op. cit.,
p. 185.
Gabriel Osmonde 269
Les dalles taient nettes, sans la moindre trace, juste ce vieux gant macul
de pltre qui tranait prs du fauteuil. Donc le rasoir, pensa-t-elle, une
coupure chaque poignet, leau chaude empchera le sang de coaguler.
Elle baissa la lampe, dune main lasse. Et cest dans cet angle de lumire ra-
sante que soudain, tout prs de la chemine, elle vit lempreinte un long
pied nu, aux courbes oblongues et lgantes. Madame Baroncelli se redressa
et, sentant en elle ltonnant regain dnergie que provoque un danger va-
guement surnaturel, elle pronona mi-voix : Et bien, il faudra que je tire
tout a au clair (28-29).
Je suis venue voir une amie, Anvers, il faisait chaud et la nuit, jai ouvert
ma fentre et travers les rideaux dun appartement den face jai devin les
fragments dun tournage. Ctait un film o la femme dote dune trs belle
corpulence se prtait la simulation des supplices et des viols. Le
lendemain, jai russi la rencontrer, elle sappelait Sanko, sans doute un
prnom de scne. Calmement, elle ma expliqu quil ne sagissait pas de
simulations et que depuis plusieurs annes dj elle poursuivait, trs
consciemment, cette atroce exprience de la descente aux enfers, pour voir,
disait-elle, si au-del de cette chair, de sa chair, dsire, exploite, torture
et bientt dfigure, oui, si au-del de ce que les hommes convoitaient en
elle, il y avait une possibilit de dpassement. Elle paraissait la fois saine
desprit et tout fait folle. La chair, disait-elle, est le condens de lunivers
humain, sa force motrice. En la poussant jusqu lextrme limite, jusqu
270 Murielle Lucie Clment
21
Gabriel Osmonde, Alternaissance, op. cit., pp. 258-259.
22
Gabriel Osmonde, Luvre de lamour, op. cit., p. 19. Une autre ekphrasis filmique
dcrit le viol dune femme enceinte par trois hommes et la mise mort de son ftus
pendant lacte, p. 290.
23
Sigmund Freud, La Vie sexuelle, Paris, PUF, 1969, p. 35.
Gabriel Osmonde 271
27
Sigmund Freud, Pour introduire le narcissisme , dans Cline Masson, Laurent
Joseph et al. (ds), Rsum des uvres de Freud, tome III, (1914-1920), Hermann,
2008.
28
Cf. Ren Girard, La Violence et le sacr, Paris, Grasset, 1993, p. 246.
Gabriel Osmonde 273
29
Andr Comte-Sponville, Luc Ferry, La Sagesse des modernes : Dix questions sur le
sens de la vie, Paris, Laffont, 1996, pp. 283-284.
30
Gabriel Osmonde, Alternaissance, op. cit., p. 218.
274 Murielle Lucie Clment
Les non-aimants
Le Crtinisme dt, visualis sur les Sables-dOlonne et crit par
ltudiante attentive de Godbarsky, Sandra Cohen, offre une rflexion
philosophique hautement difiante et trs personnelle des relations de
couple dont les plaisirs sexuels sont invraisemblables et, probablement
inexistants :
31
Sigmund Freud, La Vie sexuelle, Paris, PUF, 1969, p. 7.
276 Murielle Lucie Clment
32
ce sujet cf. Philippe Ortel, La Littrature lre de la photographie. Enqute sur
une rvolution invisible, Nmes, ditions Jacqueline Chambon, 2002.
33
Grard Genette, Figures II, Paris, Seuil, 1969, p. 59, William J. Thomas Mitchell,
Picture theory, op. cit., pp. 176-181.
34
Meschonnic reproche image de glisser surtout vers le visuel alors quil est
capital de noter que lanalogue ne comporte aucune prsence ncessaire du visuel, ne
se situe pas ou pas seulement dans le visuel . Henri Meschonnic, Pour la potique,
Paris, Gallimard, 1970, p. 102.
35
Mitchell note que la description est la forme la plus courante dekphrasis et rfre
Genette pour signifier labsence de diffrentiation smiologique entre la description et
la narration, plus prcisment que chaque narration et chaque description sont
uniquement diffrenties par le contenu et non le contenant et quil ny a rien
grammaticalement parlant qui distingue la description dun tableau de la description
dun kumquat ou dun jeu de baseball (cf. William J. Thomas Mitchell, Picture
theory, Chicago, University of Chicago Press, 1994, p. 159). La lgre diffrence que
voit Genette entre description et narration est laccent temporel et dramatique mis par
la narration sur le rcit, alors que la description apporte plutt, selon lui, une contri-
bution ltalement spatial du rcit. Ceci en raison de lattachement de la narration
aux actions et vnements considrs comme de purs procs et du fait que la
description envisage des procs eux-mmes comme des spectacles (cf. Grard
Genette, Figures II, Paris, Seuil, 1969, p. 59).
36
Mieke Bal, Narratology, Introduction to the Theory of Narrative, University of
Toronto Press, 2e dition, 1992.
Gabriel Osmonde 277
37
Cf. Sigmund Freud, Le Malaise dans la culture (1929), Paris, PUF, 2004, p. 26.
38
Gabriel Osmonde, Luvre de lamour, op. cit., p. 50.
278 Murielle Lucie Clment
[] un homme muscl malaxait les gros seins dune femme blonde, tandis
que lautre plongeait son sexe dans une bouche grassement maquille. La
disposition des corps manquait de grce, la mise en scne devait tre trop
htive. Mais je dcouvris le dtail qui mavait frapp dj la premire fois.
Le reflet de cette fentre, dans un grand miroir, ces rideaux qui laissaient
voir ce que le photographe navait certainement pas remarqu : des arbres
nus aux branches alourdies de neige, un rverbre dans le crpuscule,
linstant suspendu dune vie. (180-181)
39
Sur le punctum dans la photographie cf. Roland Barthes, La Chambre claire ,
dans uvres compltes, t. III, Paris, Seuil, 1994 ; Murielle Lucie Clment, Andre
Makine. Prsence de labsence : une potique de lart (photographie, cinema,
musique), (thse de doctorat), Amsterdam, Emelci, 2008.
40
Konrad Lorenz, LAgression, Paris, Flammarion, 1969, p. 217.
41
Dj peut se lire ici la dimension de la Troisime naissance explicite dans
Alternaissance.
42
Ibidem, p. 51. Dans ce passage peut dj se lire lannonce de la Troisime
Gabriel Osmonde 279
On peut sopposer un tyran et prir. Le crtin est mou, il vous englue dans
la mdiocrit de ses rves, vous impose la laideur de ses gots et vous ne
pouvez pas lattaquer, car le crtin a sacralis son mode de vie en lappelant
dmocratie, droits de lhomme, antiracisme, tolrance, lavant-garde artis-
tique Quiconque sen prend au crtin devient automatiquement un
ennemi du peuple, mieux, lennemi du genre humain ! (117)
Bibliographie
Rabia Redouane
Vous verrez : mes mots moi tressautent et cliquettent comme des chanes.
Des mots qui dtonnent, dglinguent, dvissent, culbutent, dissquent,
torturent ! Des mots qui fessent, giflent, cassent et broient ! Que celui qui se
sent mal laise passe sa route... Parce que, ici, il ny aura pas de soutiens-
gorge en dentelle, de bas rsille, de petites culottes en soie prix excessif,
de parfums de roses ou de gardnias, et encore moins ces approches
rituelles de la femme fatale, empruntes aux films ou la tlvision. (11)
Quinze ans. Oui, jai attendu quinze ans pour lier connaissance avec le sexe
dans ces ruelles nausabondes aux senteurs de pot de chambre. Jai attendu
quinze ans dans ce bidonville o lhomme semble avoir plus de pass que
de futur quinze ans pour enfin connatre lamour. (12)
Jai dj couch avec des tas dhommes, dis-je. Des flics, souvent mes
trousses, des gros, des petits, des maigres, des poilus, des femmes jeunes ou
fltries. Dans toutes les positions : debout, allonge, sur des capots de voitu-
res. Les toilettes ont dj eu le plaisir daccueillir mes bats, les cabines
dessayage, tout... Mais jamais je nai ressenti de lmotion ! (27)
Mes parois sont humides, cernes de toute part par le dsir. Je fonds de
plaisir et me perds dans la mare des sexes qui senvolent. Nos langues se
serpentent, senroulent, se cajolent. Jusqu extraire les derniers sucs
dinhibition. Quelquun me caresse, quelquun membrasse. Est-ce Fatou ?
Est-ce Ousmane ? Je lignore. Je veux ma part de ravissement. Je ne crois
pas au communisme des plaisirs, mais leur individualit. Je laisse le
vaisseau de la batitude me transporter vers les toiles. Je traverse les gros
nuages et une myriade de fleurs de coton sinfiltre dans mon cerveau. Il est
si ramolli quil se ratatine, sefface pour devenir une minuscule lueur au
lointain : le sexe est plus doux pour lme que lamour de Dieu. (36)
Cest sa faon de maimer. Je nai pas pu lui donner un fils, alors je com-
pense. Je laide crer des situations rocambolesques qui augmentent sensi-
blement nos plaisirs. Ainsi, dans son esprit, il ny a plus de place pour pen-
ser une vie de famille avec les enfants et tout le tralala. Il a de charmantes
visions, des divertissements intrieurs qui remplacent, je lespre, les babil-
lages dun bb. (65)
Cest ce quelle fit car elle comprit que le thtre, le grotesque, la dpra-
vation, la lascivit sans me, ces jeux pervers, excitants mais dangereux,
sauveraient leur amour agonisant et donneraient un sens leur couple qui
navait dautre objectif que celui de vivre deux. (73)
Ce jour-l, sept, peut-tre huit hommes mont fait lamour avec une avidit
abstraite. Deux mont pntre en mme temps. Lun comme si javais t
un garon, lautre stait content de la banalit restante. Ainsi cartele, jai
dcouvert dautres ocans. Jai travers des continents et des mers. Jai
compris la signification des distances. Jai expriment la grandeur. Et lors-
quun autre a cach ma tte sous un oreiller avant de fendre mon sexe avec
le dgot que lon a boire un mdicament, je me suis sentie incan-
descente !
puise, fatigue, je sombre dans un sommeil rparateur. Cette
dpravation me rjouit. En toute conscience, elle aurait pu tre qualifie de
perversit. Mais lexcs dans lequel je sombre saccomplit dans une zone
neutre de mon cerveau. Ma perversion est non vcue ou vcue seulement
dans une conscience inexprime. (58-59)
Une chose apparat certaine pour Irne : Fatou lui offre en mme
temps quun toit une place au cur dun espace intime ouvert lacti-
visme sexuel et la navigation de plusieurs fantasmes et spculations
dhommes qui y passent et repassent chacun voulant satisfaire, par
tous les moyens, ses pulsions inassouvies. Dans son univers rotique
et onirique, le sexe outrance avec des dmons de la dcadence se
transforme en foyer ardent do elle puise lnergie et la force
ncessaire pour sa ralisation personnelle. Une succession de scnes
orgiaques mlant acteurs de tous ges et de tous formats, sur fond de
misre et de salet consolide laspect subversif et dpravant dun
rotisme africain ouvert la violence et la cruaut. Irne est saoule
de sexualit htrogne par des expriences et des pratiques qui se
290 Rabia Redouane
Puis, soudain, un cri de joie transperce lair et les oiseaux tonns arrtent
leur vol. L-haut dans le ciel une toile, curieuse de vivre lvnement, de le
raconter ensuite aux morts, apparat alors que le crpuscule na pas donn.
Dans la pice, les corps se figent dans leurs positions pornographiques.
(105)
Soudain, une musique cleste slve que nous sommes seules entendre.
Cest un cadeau du Destin aux malades de lesprit. Nous jouissons de ce
dont les gens normaux ne souponnent pas lexistence. Mozart, Bach,
Beethoven nont jamais exist. Et nous nous dshabillons. Et nous nous
lanons, danseurs toiles perdus dans les confins du monde. Un regard
rpond un autre. Je sens les souffles sur les peaux. Je les respire, je les
engloutis et puise des atomes de vie travers lunivers. Je suis insouciante :
la terre, le ciel, les astres peuvent se dsagrger, se dissoudre, disparatre
dans les mandres de lhistoire humaine. Je suis ailleurs, accroche aux
cimes corporelles, dcouvrant des spasmes cosmiques. Mes doigts
senfoncent dans le sexe dva comme dans le sable mouvant. Elle se
tortille, se dlie et se rtracte. Et je suis si exalte par la beaut de son corps
quil memporte les sens avec la puissance dun fleuve en crue. (104-105)
5
Ibidem, p. 182.
Calixthe Beyala 293
une guerre sans merci contre la salet, on acqurait le respect des hommes,
dfaut de leur amour ? (52-53)
Ce qui est dcri galement dans cet crit, tout comme dans
luvre de lcrivaine camerounaise, cest que la valorisation de la
femme noire doit passer par lhomme africain. Mais celui-ci, trs
souvent reprsent de manire strotype, continue de refuser
lentire dmocratisation de lespace public qui favorise louverture,
le partage, la communication, le respect et la tolrance. Lordre tabli
demeure encore solide et le sexe masculin rduit la femme un objet
sexuel qui doit toujours tre prt et obissant pour satisfaire ses
besoins intimes. Cet tat de fait affecte ngativement les reprsen-
tations de la femme en Afrique, de son corps et de sa sexualit. vrai
dire, son bien tre ainsi que ses plaisirs sont encore censurs dans un
continent marqu de fausse pudeur, telle une maison replie sur sa
moralit oppressante o lon ne supporte pas les cris de plaisir des
femmes (163).
Aprs une ducation sentimentale africaine trs varie qui lui
procure une riche connaissance des cent dix mille positions de la
fornication (154), Irne dcide de retourner chez elle. En effet, quels
que soient les changements et les bouleversements apports par sa
fugue, celle-ci doit se terminer, ce qui loblige rintgrer son monde
habituel et, surtout, composer avec sa ralit familiale.
Je ne serai plus vorace. Je ne mordrai plus dans la vie telle une affame qui
a saut plusieurs repas. Je rentrerai dans le rang comme toutes les autres
avant moi. Je te le promets maman... Je te le promets... (189)
Jaime cette terre dAfrique, ce ventre violent du monde. Jaime son toffe
qui, par saison chaude, dchire la plante des pieds. Jaime la moiteur
corcheuse de ses cailloux. Jaime ses craquelures qui sont autant de
blessures de mon me. (182)
Bibliographie
Beyala, Calixthe, Femme nue, femme noire, Paris, Albin Michel, 2003.
Kobrosly, Faten, Lamour dans les deux romans : Cest le soleil qui
ma brle de Calixthe Beyala et La Femme de mon mari de Ezza
Agha Malak , dans Gilles Sicard (Coordonn par), Ezza Agha
Malak. Regards Croiss Francophones sur son uvre narrative et
potique, Paris, LHarmattan, 2005, pp. 165-188.
Senghor, Lopold Sdar, Femme nue, femme noire , Chants
dombre, Paris, Seuil, 1948.
Le manque et lexcs :
la sexualit dans la littrature antillaise
UNIVERSIT DANKARA
1
Raphal Confiant, Eau de Caf, Paris, Grasset, 1991, p. 94.
Le manque et lexcs 301
Le temps dantan
2
Raphal Confiant, Ngre marron, Paris, ditions criture, 2006, p. 20.
3
Marie-Clie Agnant, Le Livre dEmma, La Roque dAnthron, Vent dAilleurs,
2004, p. 150.
4
Ibidem, p. 25.
302 Arzu Etensel Ildem
5
Ibidem, p. 150.
6
Maryse Cond, Moi, Tituba sorcire noire de Salem, Paris, Mercure de France, coll.
folio , 1986, p. 13.
7
Ibidem, p. 16.
8
Lesclavage au Brsil a t aboli bien aprs les Antilles franaises, en 1888.
9
Belinda Tschibwbwa Mwa Bay, Les femmes en esclavage : Partie I dans le monde
des matres ; http://www.grioo.com/qui_sommes_Nous.php
Le manque et lexcs 303
10
Moi, Tituba sorcire noire de Salem, op. cit., p. 20.
11
Le livre est compos de cinq rcits ayant chacun pour hros un ngre marron dont
le prnom commence par la lettre s : Samuel, Samson, Simon et Simao. Le
premier ngre vient darriver du Congo et sest chapp avant de recevoir un nom de
baptme.
12
Raphal Confiant, Ngre marron, op. cit., p. 123.
13
Maryse Cond, Moi, Tituba sorcire noire de Salem, op. cit., p. 245.
304 Arzu Etensel Ildem
14
Raphal Confiant, Ngre marron, op. cit., p. 95.
15
Raphal Confiant, Eau de Caf, op. cit., p. 228.
16
Ibidem, p. 320.
17
Raphal Confiant, Ngre marron, op. cit., p. 66.
18
Raphal Confiant, Eau de Caf, op. cit., p. 319.
Le manque et lexcs 305
19
Dans le monde oriental lesclavage est une institution lgifie dune faon stricte et
selon le Coran, lenfant dune esclave conu par le matre doit tre reconnu par lui
comme un enfant lgitime. En principe le matre doit librer son esclave devenue la
mre de son enfant soit tout de suite, soit sa mort.
20
Raphal Confiant, Eau de Caf, op. cit., p. 327.
21
Maryse Cond, Moi, Tituba sorcire noire de Salem, op. cit., p. 82.
22
Ibidem, p. 86.
306 Arzu Etensel Ildem
23
Ccile repense Tamu, sa douce enfant. Elle avait douze ans peine, sa Tamu, ses
petits seins comme deux fleurs de grenade, le mme ge que Kilima, lorsquils lont
force se mettre avec ce gros ngre dloi. Deux enfants quil lui fit dun coup, ce
vieux mastodonte ! , Le Livre dEmma, op. cit., p. 159.
24
Saint-Domingue plus de 50% de la population esclave tait bossale . Lon-
Franois Hoffmann, Littrature dHati, Paris, EDICEF/AUPELF, 1995, p. 12.
25
Marie-Clie Agnant, Le Livre dEmma, op. cit., p. 152.
Le manque et lexcs 307
26
Raphal Confiant, Ngre marron, op. cit., p. 86.
27
Ibidem, p. 85.
28
Ibidem, p. 42.
29
Maryse Cond, Moi, Tituba sorcire..., op. cit., p. 35.
30
Ibidem, p. 70.
31
Ibidem, p. 198.
308 Arzu Etensel Ildem
32
Raphal Confiant, Ngre marron, op. cit., p. 115.
33
Ibid.
34
Ibid.
35
Raphal Confiant, Eau de Caf, op. cit., p. 179.
Le manque et lexcs 309
36
Ibidem, p. 98.
37
Marie-Clie Agnant, Le Livre dEmma, op. cit., p.136.
38
Ibidem, p. 114.
39
Maryse Cond, Traverse de la mangrove, op. cit., p. 169.
310 Arzu Etensel Ildem
40
Marie-Clie Agnant, Le Livre dEmma, op. cit., p. 48.
41
Ibidem, p. 183.
42
Ibidem, p. 184.
43
Raphal Confiant, Eau de Caf, op. cit., p. 26.
Le manque et lexcs 311
peu importe la couleur de leur peau, sont des mamzelles. Ali Tanin
note les noms de ses conqutes dans la pure tradition donjuanesque et
dcline le nom de maintes jeunes filles qui on aurait baill le Bon
Dieu sans confession (26). Le succs dAli Tanin est un secret connu
de tous. Lors de laffaire de lincube, son pre la Syrie a vendu des
culottes noires toutes les femmes de Grand-Anse pour les protger.
Cest ainsi quAli Tanin a vu toutes les coucounes du village et par
la suite il a pu sduire toutes les femmes car, comme on dit dans le
pays : une fois que tes yeux ont pu se poser sur la chose, ma foi,
pourquoi continuer faire des macaqueries et minauderies ? Le mal
nest-il pas dj fait ? (97).
Thmistocle qui se fait passer pour un ngre marron, est un autre
Don Juan de la localit mais il a des tendances plutt agressives. Il a
viol dans les champs Franciane, la ngresse-aux-grandes-manires
qui est la mre dEau de Caf et qui en est morte. Thmistocle force
aussi Man Doris, mais le viol amorc tourne son avantage. Il avait
une verge dune longueur impressionnante, peut-tre deux mtres,
voire plus, quil enroulait avec une infinie prcaution autour de sa
taille (203). Man Doris est trs satisfaite de cette aventure et se met
immdiatement en mnage avec Thmistocle.
Dans cette socit o la sexualit est lordre du jour, les bats
dAntilia, la ngresse mystrieuse venue de la mer, et du chauffeur de
camion font la joie des enfants du village. Antilia remontait sa robe
son menton et stalait face en lair contre un sac de farine-France.
Ctaient des sacs blancs et donc les seuls dont on pouvait savoir
coup sr sils taient propres ou pas. Elle cartait largement les
cuisses, les bras replies sous la tte pendant que le chauffeur, qui
navait fait que baisser son pantalon aux genoux, la bourriquait de
toutes ses forces, ahanant dune faon comique (58). La mme
Antilia causa sans le vouloir la mort du bon abb Paul-Germain. Un
jour elle se mit courir une calenda dune rare obscnit sur la
place du village, autrement dit, elle se mit danser nue la danse
traditionnelle des Noirs dAfrique. Le bon abb se fraye un passage
parmi la foule et est frapp par la bellet de la jeune femme. Il en
tait tout bonnement statufi. Il lui avait donc fallu buter sur les seins
fermes, les hanches gnreuses et le sexe rutilant de sueur fine dune
ngresse pour sapercevoir que cette race-l tait aussi faite limage
de Dieu. Pire, cette bellet stait mue en un dsir brutal dans le
mitan de son ventre maigrichon et gagnait ses reins avec un ballant
312 Arzu Etensel Ildem
44
Marie-Clie Agnant, Le Livre dEmma, op. cit., p. 123.
45
Raphal Confiant, Eau de Caf, op. cit., p. 333.
46
Ibidem, p. 334.
314 Arzu Etensel Ildem
Bibliographie
Introduction
Efstratia OKTAPODA France 7