Debussy Long
Debussy Long
AU PIAI\O
AVEC
DU MEME AUTEUR
Chez le même éditeur
CLAUDE DEBUSSY
Au piano avec Gab¡iel Fauré.
Au piano avec Maurice Ravel.
G
7L7L
4 {ì
APPARITION
M. L.
aux écroulements, dont meurt la nature même, du théâtre. La réaction n'est,pas bruyante, mais
entre la mer et le feu >. C'était vrai. Moins d'un âpre, acide, fusant en lazzí ót en quoli-
-sourde,
demi-siècle après son bâtisseur, le Walhall en- bets. Et _quand Mélisande, traînée par les che.
trait dans I'immortalité des Classiques, laissant veux, exhale un dernier < Je ne suis pas heu_
âu ( wagnérisme > des plagiaires une odeur de reuse ), de francs éclats de rire parlent des
décombres. galeries. Messager qui a dirigé, o animé > cette
...Et voici que peu à peu, sur ce terrain æuvre incomparable, s'effondre, déchiré de tant
allaient éclore des fleurs. Comme après
calcinê;.. d'incompréhension. Et Debussy ?
les Srands cataclysmes, des espèces nouvelles Dès 1895 il écrivait : < Toute mon inquiétude
apparaissaient dans tous les arts : Ngrn phéas de commence. Comment le monde va-t-il se com-
Cláude Monet, Pommes .de Cézanne, Pégase porter avec ces deux pauv"6s-.petits êtres ? >
d'Odilon Redon, Faune et Naiod¿s de Claude Ilfaintenant, il est barricadé danJ le cabinet du
Debussy... Couleurs et accords se mariaient, Directeur comme en un phare inaccessible. Aux
charmaient les habitants d'une terre encore une amis venus le chercher après le baisser du rideau,
fois juvénile. La voix de Mélisande < passant il dit simplement : < Parlons d,autre chose. >
sur Ia nrer au printemps > répandait' en une Voilà d'où remonta bientôt, vers une gloire
bnée, parfums et sons irisés. < Nous baignions universelle, Pellëas et MéIísande.
dans de Ia lumière sonore >, dit Robert Kemp,
un des premiers debussystes, < des opales {.
venaient à nous >>. :l nt
Mais à la répétition générale et à la ( pre
mière > de PeIIéas, les partisans ont embouché Dès.sa révélation, le hasard ou la providence
trop tôt I'olifant de la victoire (t) : comment m'avaient faite debussyste. L,ouvrage, admira_
cacher cette i\¡resse qui nous gagne ? Le groupe blement monté par Albert Carré, étaiï áirigé pan
des fidèles échange des regards, des serrements André Messager dont Debussy, ému, vanta la
de mains d'un élan presque mystique. L'oppo- < merveilleuse mise en place >. ùIais
en même
sition jusqu'alors sournoise s'exaspère. Quels temps directeur du Covent Garden, Messager fut
ennemis ? -- Les rivaux, les jaloux, les révoltés rappelé à Londres après la troisième représen_
sincères. et jusqu'à Maetertinck lui-même, ulcéré tation. Pour lui succéder au pupitre, il, choisit
qu'à I'interprète qu'il eût souhaitée l'on préférât mon câ,rna'radeHenri Büsser, compositeur et déjà
Mary Garden. On attribue même au 1rcète I'idée chef des chæurs à I'Opéra-Comique. AfÌñ de faõi_
de brochures ironiques distribuées sur le trottoir liter sa tâche, Büsser, tandis qu'il travaillait la
partition d'orchestre, me demanda de lui jouer
(1) A I'Opéra4omique;'les 28 et 30 awll 1902. Souve- la partition de piano. Ainsi pénétrai_je peu à
nirs ile R,ené Péter qut, dè8 son enta,Doe, tut rm lcn¡ent
du Maltre. peu dans la forêt enchantée où, beaucbup plus
t4 AA PIANO AVEC CLAUDE DEBUSSY 15
tard, le Maltre viendrait lui-même à ma ren- croquis < de ce garçon si matériel, si taciturne,
contre... s'il ne s'agit de bonnes adresses où se procurer
Il faut avouer que si l'æuvre de Debussy avait du caviar >; à Léon-Paul Fargue, enfln, alors
été un choc, son aspect et son ( aura > en provo- fondateur d'une Revue de Luxe, Le Centaure,
quaient un autre. Devant Ines souvenirs, et de- << Nous le voyions arriver d'un air sombre,
vant tant de portraits du musicien brossés par écrit le poète, coiffé d'un petit chapeau très
ses contemporains, peintres ou poètes, I'impres- étroit, cravaté d'une Lavallière, enrafalé d'un
sion persiste d'une sorte de saisissement devant grand capuchon triste... Rarbe clairsemée, front
l'étrangeté d'une telle présence : en proue, jupitérien, la paupière chargée. Seule,
.< Ce corpS mou et nonchalant, (c'est Henri de une belle bouche rouge et sensuelle posait une
Régnier qui parle, ami de jeunesse, et beau- note de couleur là-dedans. Il ressemblait à la
frère de Pierre LouÍs)... Ce visage d'une pâleur tête de Saint-Jean de Solario qui est au Louvre.
mate, ces yeux noirs et vifs aux paupières lour- Debussy s'asseyaii silencieusement au piano du
des, ce front énorme et singulièrement bossué petit cabinet-bibliothèque et se mettait à impro-
sur lequel iI ramenait une longue mèche crépue, viser. Tous ceux qui I'ont connu savent ce que
cet aspect å la fois félin et tzþane, ardent et cela pouvait être... >
concentré... La parole est lente et traîne sur les Seule, Colette nous montre un Debussy gai,
mots. Du reste, il parle peu, sauf avec les intimes, ou du moins d'une teinte dyonisiaque très
et alors sâ conversation est un mchântement. > conforme à I'Après-midí d'un Faune. L'on don-
Chez d'autres, les épithètes d'< olympien r, nait, en cette année 1908, Shéhérazade de
de < solitaire >, de < tragique >, alternent avec Rirnsky-Korsakov (version orchestrale) et la
< câlin >, < voluptueux >, < cynique >, ( para- romancière, âlors Colette Willy, revenait du
doxal >. Ce qui n'étonne guère devant les bou- concert avec ses compagnons dont Debussy
tades favorites du Maìtre : et les Louis de Serres fort -excités par cette
Pourquoi s'essoufrler à construire des sym- -
première audition sensationnelle. <Fièvre russe >
-
phonies ? Faisons des oPérettes. qui n'allait que monter au cours du souper chez
Ou bien : les Serres. (Les fameux Ballets de Diaghilev
Si Dieu allait ne pas aimer ma musique... allaient bientôt révolutionner Paris.)
- < Debussy exultait, raconte Colette, grisée. Il
On peut presque dire que Debussy sert de chantait par bribes cette musique neuve, s'aidait
réactif aux écrivains : à Léon Daudet, chroni- d'un glissando sur le clavier, imitait les tam-
queur parisien, guettant chez Weber ( ce gra'nd bours sur une vitre, le glockenspiel sur un vase
musicien qui s'avance, avec son front de ehien de cristal. Il bourdonnait comme un essaim,
pékinois >; à Jacques-Emile Blanche, laissant, riait de tout son étonnant visage et nous le
avec un beau portrait de Debussy le méchant trouvions bien beau.,
16 AU PIANO AVEC CLAADE DEBUSSY t7
C'est une réplique de Massenet à son élèvè fois ceux de la technique et du subconscient.
Gustave Charpentier (') {ui est Ia plus proche C'est ensuite qu'il aboutit à de géniales florai-
de mon impression personnelle. Le musicien de sons.
Louíse é¡'oque'une conversation (') au cours de Souvent, on ne cherche en lui que paysages
Iaquelle I'auteur de Manon, supputant les chan- et poésie descriptive là oÌ¡ se mêlent tendresse,
ces des jeunes cornpositeurs d'alors, s'arrêta humour et gravité, de façon déroutante, il
brusquement. Puis, songeur : faut I'avouer. Comnent traduire une pensée
Debussy, reprit-il, c'est l'é.nígme. aussi originale, aussi raffìnée ? Non, les virtuoses
-Tel était I'homme qui suscitait tant de luttes, ¡re la saisissaient pas encore. Rien de ce que
tant de détracteurs ou d' << idolâtres >, comme j'entendais ne me satisfaisait. Les interprétations
on disait après Pelléas. Tel restait le sombre et diverses soulignaient plutôt l'écar.t (l'abîme) qui
ensorcelant démiurge dont la musique de piano, les séparait de celle de l'auteur. Quand il jouait
après son révolutionnaire opéra, commençait à sa musique, c'était merveilleux.. Avec les autres,
faire parler d'elle. rien de pareil ! Je n'arrivaiç pas à comprendre.
J'ai joué, et en < première audition >>, presque
** toutes les grandes æuvres françaises ! Que les
siennes fussent toujours absentes de mes pro-
Alors que Debussy était en pleine gloire, que grammes agaçait Debussy, je le voyais bien. Au
déjà de nombreux pianistes I'inscrivaient à leurs hasard des circonstances, des phrases lui échap-
programmes, je ne le jouais pas. Non, certes, paient: <Vous n'aimez donc pas.ce que je
faute d'admiration ! Au contraire, cette admi- fais ? >, ou quelque chose d'approchant. Puis, un
ration me posait, à moi aussi, des énigmes. jour, il me posa brusquement la question :
Comment exprimer ce je ne sais quoi d'indéfìni, Vous ne voulez donc pas jouer ma mu-
de chatoyant, de si profond ? Pour expliquer des -
sique
accords troublants, des timbres .qui semblent
?
-Erreur ! J'étais frop admirative, au contraire !
épars, le terme d'/mpressionnísme' est commode.
Mais Debussy se défendait d'être impression- Je lui dis mon appréhension :
niste : sous I'apparence trontpeuse de I'impro- Elle est trop diffìcile.
visation, sa musique cache un tel souci de la
- Diffìcile ! Mais elle n'est pour vous que
forme, de l'agencement intérieur ! L'artiste, plus
- d'enfants !
jeux
proche du géologue que du glaneur, suit la La note, oui. Mais la réalisation ? Il y â...
nature et la science. Ses terrains ? Tout à la It -y a quelque chose qui m'échaPPe.
- J'allai jusqu'au.bout de ma pensée. J'avouai
(1) Gustave Charpentier occupa à la Villa Médictg, l'ébranlement ressenti à I'apparition de Pelléas,
à Rome, la même chambre que Debussy. à celle d'un nouvel art du piano... Et aussi,
(:2) Cha,nteclerc,24 mars 1928.
2
18 AA PIANO AVEC CLAADE DEBUSSY 19
A l'entracte, mon mari sortit de la loge : mains de mage ! J'aurais donné dix ans de ma
-- J'ai rqncontré Debussy dans les couloirs, vie pour qu'il m'eût appris, en rêve, son secret
dit-il en revenant. et la traduction d'une ceuvre pareille :
Et devant mon interrogation muette : Oh ! Je ne vais pas vous la < jouer >, ne
Que vouliez-vous que ie lui dise, fìt-il sim- - attendez pas à une exécution
vous ! Vous allez
-
plement. vous asseoir près de moi... Et dès la deuxième
Oui, la beauté, l'émotion, sont parfois inexpri- mesure, vous allez m'arrêter.
mables... Le silence de mon rnari, ce soir-là, Debussy se mit à rire et notre travail dura
m'aida plus tard à en convaincre Debussy. Si toute la journée. Le deuxième dirnanche nous
incroyable que cela paraisse, l'auteur de Sai¡¿f- rapprochait encore d'événements qui devonaient
Sébastien, m'entendant une fois qualifìer de tragiques. Je revois ce petit hôtel des Debussy,
< beau > un morceau d'un autre compositeur, square du Bois-de-Boulogne, dominant presque
pensa tout haut, un peu amèrement : les anciennes fortifìcations. Il était üout proche
On ne m'a jamais dit, à moi, que c'étaít de la gare du Bois, et les nerfs du musicien
- !
beau souffraient déjà du fracas du chemin de fer >,
<<
Les bras < rn'en tombèrent >, d'abord. Puis joint aux échos d'une école de elairons et au
je réalisai combien, malgré la gloire, sa sensi- bruit des tambours. N'empêche ! Ces moments
bilité sa susceptibilité était vulnérable' qui nous étaient laissés fìguraient une sorte'de
Le récit- de ce souvenir -lui-fit comprendre que trêve. Le salon nous accueillait, Iuxueux, tran-
l'émotion due à la beauté peut parfois rester quille. Par une fenêtre ouverte, les bouffées de
muette ! LtIsIe Jogeuse s'envolaient de < la maison lyri-
Debussy, qui avait tant fêté, tant évoqué le íque, :tournée vers les rails brutaux de tous les
< dimanche > : Dímanche su¡ les uilles, Dímanche iléparts ainsi parlait d'Annunzio. Quelle pro-
dans les cæuÍs, Je surs née ttn dimanche, un phétie ! -C'est en ce dernier dimanche qu'assis
dímanche à midi, Debussy marqua s¡çs¡s ;cê près de Mme Debussy, mon mari m'entendit
jour de minutes Poignantes : jouer pour la dernière fois. Le 2 aofit, la guerre
Par deux dimanches torrides de juillet 1914, éclatait, on affìchait la mobilisation. Les raíIs
j'arrivai chez lui avec le programme quelnous b¡utauæ, de tous les dé.parts I Le 12 août, c'était
avions arrêté ensemble. Il en était heur,eux' le sien, celui de Joseph de Marliave, rejoignant
Moi, j'étais tremblante ! le front. Douze jours plus tard le 24 --:- il
Js¡s2-moi d'abord L'IsIe Jogeuse, me dit-il. tombait au chomp d'honneur. -
Je-suis curieux de voir cs qu'une artiste comme
vous peut en faire.
Un instant, je contemplai le clavier calme, et *
*tc
ses mains qui pouvaient tout lui demander. Ses
22 AA PIANO AVEC CLAADE DEBUSSY 28
tité, de musiciens et de compositeurs se retrou- vie : < Entendez-vous la mer ? me disait-il bien-
vèrent à cette séance : Debussy, Florent Schmitt, tôt, face à la splendeur de I'océan, la mer, c'est
Ravel et beaucoup d'autres... Par contre, était tout ce qu'il y a de plus musícal. > Ce courage
absent Roger-Ducasse dont l'æuvre eut un très dans la souffrance restait un exemple, un but.
gros succès (1) : '< J'ai entendu vos Efudes si Un apaisemerit âussi, avec la musique, la musi-
difficiles pour lesquelles les doigts de Marguerite que qui console et qui peu à peu allait devenir
Long se sont multipliés ! >, lui écrivit Debussy. mon unique raison d'être.
Ce dernier m'attendait à I'issue du concert. Sa Pourtant, le 1" juitlet, décrivant à Jacques
curiosité toujours à I'affût de la technique du Durand Saint-Jean-de'Luz et ses estivants, le
piano était visible : musicien lui annonce qu'on y accueillera <( Ma-
Je veux tâter ces bras, dit-il, pour voir dame Marguerite Long qui joue-.si bien du
-
comment et en quoi ils sont faits, pour jouer, piano >.
pour mater tout cela ? Cornme jaloux d'un temps réservé à la compo-
Et Mme Debussy, dont l'intuition guettait tout sition, ajoute Dieu I'accompagne et fasse
il <<
ce qui pouvait servir la musique de son mari, qu'elle ne soit pas <( mitoyenne )> ! Que le même
proposa aussitôt un rendez-vous. Dieu m'accorde assez de tranquille santé pour
Vous viendrez déjeuner demain, me dit- travailler à ces fameux Travaux en cours >.
<<
Mon cher Maître, je suis confuse. Excusez- La mer ! rrous entendez 2 La mer, c'est
- mais
moi, je ne sais pas de quel sof dièse il - ce qu'il
tout y a de plus musical, Et je me
s'agit. Où ? Dans quoi ? souviens qu'il ajouta : < Tout ce que I'on voudra,
Il s'agissait de Mouuement, la troisième des mais que ce soit rnusical / >
premières Images. Et il changeait tout simple- Puis tout à coup, changeant d'image :
ment la nuânce d'un accord (1) ! Et il y avait Il fautlra demain que nous travaillions le
pensé toute Ia " nuit ! Quelle leçon pour les -
Gënbal Lauíne. Cet homme en boís était un
Iibertés que prennent certains vis-à-vis, non homme de génie. lI était musical.
seulement des nuances, mais du texte... Mme Debussy ne passait pas du coq-à-l'âne, comme
Debussy allait jusqu'aux termes d' < irres- on pourrait le croire : Général Lattíne, eccenttic,
pect )i de < malhonnêteté >, si quelque interpré- Siælème préIude du Deuxièmei Livre, firt inspiré
tation faussait tant soit peu une tradition si par un ciown du cirque lUédrano, sorte de Grock
scrupuleusement méditée et fìxée pour toujours. àu début du siècle. Cet équilibriste, cet < homme
en bois >, masquait d'humour et de pirouettes
f* un cæur trop sensible... Comme son portrait,
son évocation par Debussy, trahit les varia-
Cette même série des Images nous offre, pour tions affectives- du musicien lui-même ! Main-
débuter, Reflets dans l,eau. Reflets ? < poème tenant que ie le voyais de si près, la ten-
de l'agonie de la lumière, dit André Suarès, de dresse et I'ironie m'apparaissaient comme les
la lumière estompée par I'onde, où chantent marques distinctives de son caractère, une
trois notes d'une poésie intense. >> Ces trois notes < gouaille > atténuée par .l'amitié, l'âge et la
sont vraiment le < tout > qu'un véritable créa- maladie, mais dont, au temps de sa jeunesse,
teur fait avec <( rien >. Leur densité flottante il devait se cuirasser devant la vie. (Comme
s'aimante d'une irrésistible attraction, car nul Général Lauine /) Nous retrouvons cette sorte
comme Debussy n'a été le poète de I'eau. C'est d'auto-défense dans la correspondance de l'épo-
dans < I'infìdèle élément >> qu'il semble puiser que de ses trente ans ; dans cette lettre qui va
ses plus belles inspirations. J'ai déjà dit qu'un suivre et qui est connue' Adressée à Pierre
jour, à Saint-Jean-de-Luz où j'avais Ia joie émue Louys, son plus intime ami d'alors, elle com-
de l'accompagner dans une de ses promenades mente une rupture alnoureuse- Eile me semble
une des dernières ptomenades de son derniêr - expliquer la nostalgie mathématique et fugace
êté arrivant sur la falaise, il me pressa le du sirième préIude comme un.impossible équi
bras- : libre de l'âme :
..(1) 4lq.q"q9 6, 15. mesure : le 1.r tempa, indiqué , ... i'ai tout de mêmeé,té bouleuersé, et
tiù, lorte doit être, au coDtraire, pi,ana subito pour per_
mettre unç reprise da crescendo. encore une fois attrísté de te sauoír si loin, si
30 AA PIANO AVEC CLAUDE DEBUSSY 31
irréfutablement loin que je n,auais pas la force
son attitude restait totalement engagée dès
!9 faire le geste símple d.e t,écríre i it *e ,"^-
b-lglt que cela n,aníueraít pds iom^e il le qu'il s'agissait de musique, dès qu'il prenait
possession du piano.
fallait; les paroles que l,on-dit les geur dans < Il avait I'air d'accoucher le clavier, notait
des geur amís ne se remplacent pãs par de
l'écríture- déjà Léon-Paul Fargue. Il te berçait, lui parlait
> Tu pensetas peut-ê.tre < tout cela est d.e doucement, comme un cavalier à son cheval,
sa f aute > ; mais uoítà je suis parf ois senfi_ comme un berger à son troupeau, comme un
mental comme une modíste - batteur de blé à ses bæufs. C'est sur ce vieil
qui au¡aít été Ia instrument qu'il nous joua un jour ce qu'il
maîtresse de Chopin ; j,aí beioin de constater
que mon cæut est encore susceptible de avait composé de Pelléas. >
tressaíllír lieu de faire tranquíIiement de D'après NIlle Vasnier, la fille d'und'des pre.
la chímíe personnelle et qui n,engage qu'une mières muses de Debussy, celui-ci composait au
piano, ou parfois en marchant, fumant une éter-
responsabíIité de papier... (t) >
nelle cigarette. La trace des brûlures de celle-ci
sur les touches des pianos de sa jeunesse le
* prouve bien. Il cherchait longtemps dans sa tête
avant d'écrire.
Un autre témoignage, à peine postérieur, reste
capital, lui aussi, puisqu'il donne le diapason
esthétique d'un Debussy jetne c'était treize
AU PIANO ans avant Pelléas -
dont les idées sont à ses
-
ceuvres ce que la graine est à I'arbre. Ce docu-
ment est le carnet de Maurice Emmanuel, futur
II auteur de Salamine (') et contemporain de
Claude-Achille. Comme lui, Emmanuel devait
Debussg au píano. libérer leur art de beaucoup d'entraves confor-
Les mod.ulatíons.
Les nuances. La -techníque debussgste mistes, et, comme lui, en pâtir. Son amour pour
- les modes anciens, rénovateurs, le fait mal voir
dès le Conservatoire, d'oir Léo Delibes I'exclut du
Rien n'était plus contraire à Debussy qu'une
seule ( responsabilité de papier >. Et combien (1) Tragédie lyrique, sur ¿€s Pe"s¿s, d'Eschyle, où
Maurice Emmanuel a rejoint la grandeur du trag:ique
grec >, dit René DumesniL Sala,mine fut représenté avec
(1) I juin 1894. Cit. par Pasteur Vallery-Radot un grand succès à I'Opéra en 1929. En 1959, la R,.T.F.
étølt Cla,ud,e Debrtssy, Julliard, éd. p. Tel donne en première audition l,rØtuéthée enchaî,né, toujourr
11¡.- d'après Eschyle. Art rtein de valeur et d'oiignalité.
32 AU PIANO AVEC 33
CLA,UDE DEBUSSY
Concours pour le prix de Rome et, fìnalement, Gu¡neup
de sa propre classe de composition.
Maurice Emmanuel s'adresse alors clandesti_ Maís quand ie føís ceci : Il faut bíen que çd
nement à Ernest Guiraud qui, lui aussi, enseigne se résolue I
au Conservatoire et dont les idées sontieaucõup
plus larges. C'est l,ancien professeur de Debuss!
et c'est chez lui que nous assistons à la ren_ æ
contre des deux jeunes gens, puis à une discus_
sion entre Guiraud etl'Enfant prod.igue, Debussy DnnussY
revenant Grand prix de Musigue de la Ville
Ilternelle. .I't'en fìche ! Pourquoi ?
... il est émouvant, ce petit carnet noir, d'as_
pect presque söolaire, et qui reste une page de GurRAuD
notre Histoire de la lVlusique ! Sur ses feuilles
quadrillées, lucide, amusé, N{aurice Emmanuel Alors, uous trouuez ça iolí7
s'empresse de noter au vol le dialogue qui suit,
entre maître et ancien disciple :
Debussy, fuyant déjà les sentiers battus,
esquisse au piano des séries d'intervalles...
DesussY
Qu'est-ce que c'est que ça ? (On reste confondu du scandale causé en 1890
p"ì' i;"*pl;i de quintes et octaves.parallèles')
ðãp""a.tit, toujoúrs au piano, Debussy plaque
Deeussy d'autres accords :
3
34 AU PIANO AVEC CLAUDE DEBASSY 35
Gu¡neun Gurnlun
Maís comment Dous en tirez-uous 2 Ce que Qu'est-ce qui vous a le plus frappé à Rome ?
vous faites là est joli, je ne dis pas. Mais c'est
absurde, théoriquement.
DnnussY
f.
..Jlessayais, ce¡rendant, pour
-ce jouer sø musique, Maintenant, après r""* ,.", parlé c travail >,
cl'apprendre sa manière, q.il ì;. f,ianistes de < scrupule >, << recherche >, etc., osons le para-
tous les temps devront fäire. C,est ii"t¿.Ct doxe qui reste une des dures lois de I'interpré-
peuvent présenter ces souvenirs, puisqu,il qrrã tation : La première condition, pour jouer la
semble entendre, encore, l'""t"rri -¡t,."" me musique de Debussy, est de ne pas la juger
ses
æuvres. difficile. Dntendons-nous bien : elle demeure
Debussy était un pianiste incomparable. parmi les plus difficiles, et la technique parti-
Com_
ment oublier la souplesse, Ia ìa profon_ culière qu'elle exige remplira le prochain cha-
deur de son touchãr ! En rne-u "rr"r'.",j"_ps qu,il pitre ! Mais une sorte d'état de grâce doit être
glissait. avec une douceur si pénétraniã
mis < à la clef >. C'est-à-dire le privilège d'être
clavierj il le serrait et en obtenait des sur son
accents séduit d'emblée. Ou, comme interprète, de trans-
d'une extraordinaire nui-:sance .-p*..i"".
nous trouvons le secret,_f,énrgme pianistiquei¿
mettre pleinement cette intime persuasion.
A ceux qui, de prime abord, fentendent chez
sa_musique. LrÌ réside ta teónniqïi ii¿i¡A"dé Debussy que dissonances, sans mélodie, sans
Debussy : cette douceur ¿ans la-irÃjån a
conti_ révélation incluses, je conseille d'attendre que
nue, et Ia couleur qu'il en obteiait la grâce les touche, ou bien d'abandonner.
seul. piano- Il jouait presque toujours "r;-;;;
en demi_
teinte, mais avec une sonðrite pËine-ei irrt"rr"" _ (1) Chopin, Trois Etud¿s postvu,nres, pour la tHéthode
des Méthodes, de Moschelès.
38 AU PIANO AVEC CLAUDE DEBUSSY 39
- Dans cet art,il ne faut pas s'évertuer resque. Nous devrons donc aplo.n|¿¡, non seule.
mettre ce qui n'y est pas et, surtout, desà ment les aspérités possibles, mais jusqu'au sou-
< effets >. La qualité qui importe, c'est l,unité uenir du travail que cela nous aura cotté ! Si
de--ton. Tout ce qui la troubÈ : suspension de cette notion d'effort se mue, pour fìnir, en un
rythme, ralentissement ou accéléraìion arbi_ bien-être < harmonique >> et harmonieux, alors
traires, est funeste. (Sauf, naturellement, la cette phrase célèbre du peintre Whistler se
dé.c-ísíon voulue par I'auteur, de quelque natùre réalisera : II faut que Ie trq.uaíI efface Ie trauail.
qu'elle soit. ) Ce n'est à rien moins qu'à I'euphorie totale
- Les
pianistes ne devront pas davantage que nous devons viser et.atteindre.
attirer I'attention sur ce qu,ils nomment, biãn
à tort, les < traits >. (I¡aifJ .. figurations rapides
I.'euphorie ? requise, en effet, par tant de
dont Ie rôle est d'envelopper les chants soins, de patience, de méticuleuse ferveur...
cipaux, de leur tracer une harmonie avecþrin_ des Comme un soir je compulsais ces notes, une
lignes conformes au caractère même du piano émission me parvint de la Radio, concernant les
et d'animer les fonds.) philosophes de l'Ancienne Grèce. Evoquant
Pythagore, non seulement auteur du nombre
- Souvent
montées
les notes sont soulignées ou sur_
d'une petite barre. LeJ uns croient d'or, mais moraliste et musicien :
devoir les détacher, les autres les renforcer..
- Qu'y a-t-il de plus sage ? Iui était-il
Selon Louis Laloy ('), ce qui est demandé, c'est demandé.
une sonorité transparente. pour moi, cette l'e¡d¡s; disait le Maître.
petite barre signifie plutôt, selon chaque mor_ - a-t-il de plus beau ?
ceau, < attaque >, < poids.>, < changement de - Qu'y
l'þ¿¡¡¡6¡is.
sonorité >>, etc. Encore une fois, s'il -n,y a pas -
d'indication de I'auteur, I'intuition personnelle *
a son rôle. Mais I'indication faif rarement
défaut.
Dans I'orchestre debussyste, il faut éviter
que- les archets grincent, que les anches cla_
quent, que les flûtes frottent, que les cuivres
cornent aux oreilles. Nos cordes, à nous, celles
du piano, doivent aussi vibrer et charmer. Ici,
rien de revêche, même en faveur d'un effet pitto_
I'eau véritable, inestimable, du diamant debus- nellement, je n'en réalisais la plénitude que
syste. grâce à une sorte de relaxation physique, d'aban-
L'extrême lln n'est qu'obsession de ces trois don total, d'expiration.
notes dont il faut varier le message selon le A la page suivante, quatrième ligne, I'auteur
souflle, le vent ou I'heure qui les apporte. Peut- me conseillait de retarder de deux mesures le
être par un < soir > fauréen ? Peut-être au si- diminuendo (au commencement de la dernière
lence de Midi ? ligne), ce qui ramène d'une façon saisissante le
thème en pianissimo.
L'Hommage à Ramea4 frère de la Sarabande, Debussy écrivait de grands < écarts ), mâis
est une autre merveille dans le même style. L'au- le seul accord qu'il ait arrangé pour ma main
teur y met en garde contre la grandiloquence trop petite (à la cinquième mesure de ee même
menteuse < des enfants fous de gloire, négligeant thème) est celui-ci :
le goût parfait, l'élégance stricte qui forment I'ab-
solue beauté de Ia musique de Rameau >. Pre-
mière étape de ce pèlerinage âux sources natio-
nales attribuant plus tard à Claude'Debussy le
nom de Claude de France donné par d'Annunzio. P
Mais cette danse lente et grave n'est à mon avis
pas plus française (Iu' << ancienne >. Antique Comme, aucun prix, il ne tolérait qu'on
à
plutôt... Pur rythme' processionnel, comme arpégeât, il
m'avait indiqué cette syncope que
sculpté dans un fronton grec : je suggère aux mains ne pouvânt plaquer < neu-
Comme une offrande, demandait le Maître, vièmes> et <dixièmes>:
- le début. Et, tel la Sarcäande, au métro-
pour
nome.
Au commencement de la troisième page, des
accords ineffables évoquent un Au-delà.sonore
au sein duquel Debussy dut les entendre. Je
sais que, tel un rescapé du rêve, il s'acharnait De tout le reste, je n'ai jamais rien éludé.
à les retrouver, à les traduire, à les transcrire, Dans l'Ëlo¡¡tmo.ge ù. Rameau comme partout ail-
à les < recommencer >> jusqu'à ce que I'interprète Ieurs, nulle infraction au rythme.
l'efüsi¿¡t, pourrait-on dire puisse révéler
-à son tour ces harmonies sublimes- (r). Person- Mouuement est une impression rapide, d'un
rythme souple et obstiné, un tournoiement de
(1) Je sais qu'Ðmma, Debussy fut la conñdente et le chatoyantes sonorités, une fantaisie tourbillon-
< coûseil > du musicien, dans cette recherche prelque
myrtique. nante...
48 AA PIANO AVEC CLAUDE DEBUSSY 49
La FanfaÍsie pour piano et orchestre (1889- d'ordre uniquement musical, mais aussi prati-
1890) est l'aînée de ces morceaux. Debussy sem- que : Debussy ne voulâit pas que l'æuvre parût.
ble avoir éprouvé, à son sujet, plusieurs crises Cette pièce dialogante pour piano et orchestre
de complexes. D'abord, il compose à Paris cet a pourtant son charme et sa fraîcheur. C'est un
enuoi dit << de Rome >> dont il ne souffle mot des rares terrains où nous voyons la forme pres-
à I'Institut. Pour le concert avec orchestre du que classique d'un premier allegro rapprocher
21 avril 1890, à la Société Nationale, il retire Debussy de Vincent d'Indy celui de la SUm-
l'ouvrage du prograrnme après la dernière répé- -
phonie sur un thème montagnard, dite < céve-
tition (2). Et lorsque, à Saint-Jean-de-Luz, je nole >, et aimée des virtuoses.
lui avouai mon ( faible > pour cdtte æuvre de L'Andante de la Fcnfaisie est poétique, fleuri
jeunesse et mon désir de la jouer : de courbes et de fléchissements exquis, bien de-
Non! pas maintenant, objecta-t-it. Je vou- bussystes. Sa < soudure > avec le FínaI annonce
- faire avant, pour vous,
drais quelque chose à dêjà PeIIéas; et dans ce fìnal si vivant, nous
reconnaissons le thème de Fêtes, le deuxième
(1) Voir deuxième chapitre : Au pi.ano I.
(2) Le soliste était René Chansarel, à qui I'ceuvre e¡t (1) l{anusciit original pour piano à quatre matng,
dédicacée.
1889.
50 AA PIANO AVEC ,CLAUDE DEBUSSY 51
Feuæ FoIIefs de Liszt. A un second concert, iì son landaise en plein terrain de chasse, sa
jouera Reflets dans I'eau, Mouuement... > - J'acceptai donc de pénétrer dans
seconde passion.
Planté avait alors soixante-dix-sept ans ! De sa I'intimité de ce grand pianiste, de ce < gentil-
verte vieillesse surgit toujours pour moi la vision homme du clavier et du fusil )>, comme on disait
de mon enfance, oir il resplendit comme le pre- dans le pays. Je ne savais pas ce qui m'y atten-
mier grand pianiste que j'aie entendu à t'âge dait :
de huit ans. Non seulement sa volubilité - pia- Vêtu de < pied-de-poule >>, guêtré de blanc,
nistique, mais aussi la manie qu'il avait de par- béret basque et barbiche au vent blancs éga-
ler entre les morceaux, m'avaient laissée suffo- lement * il vous accueillait dès le - perron, l'æil
guée autant qu'éblouie. vif, prônant déjà le Vésuve comme déeor à la
Depuis, bien sùr! je I'avais entendu maintes Tarentelle de Chopin. A peine rentré, sautant au
fois, mais jamais approché. Chez les Debussy, piano, il attaquait celle-ci.
je fus frappée de sa courtoisie. Elle se fìt bien Le Vésuve, c'est vous ! avait-on envie de
vite affectueuse et bienveillante : il voulut m'en- Iui- crier.
tendre...
Très émue par ce nom de Planté qui avait Infatigable, dès I'aube, il sifflait sous mes
fenêtres : il fallait faire, refaire de la musique!
dominé ma jeunesse, je jouai, j'attendis. Il
paraissait surpris. Au bout d'un instant, seu- Cela, jusqu'à 2 heures du matin ! Il me fìt bien
lement :
répéter cinq fois de suite ce fameux Mouoement
Il me semble que je me vois jouer dans de Debussy :
un- miroir ! -
Mais enfin, que vous dit-il ? Ici, et là ?
Je ne compris pas tout de suite, mais quel Quand vous travaillez ensemble?
compliment ! Je le répète sans vanité, pour I'en- Pourquoi ne lui avez-vous pas demandé
couragement, seul, qu'il me procurâ. Enhardie, -
vous-même quand vous le voyiez à Saint-Jean-
je lui demandai le souvenir qu'il conse¡vait de de-Luz ? répliquai-je naivement.
grandes pianistes telles que Mme Szarvady, que Alors le vieux virtuose, toujours pétillant :
Clara Schurnânn, et d'autres... Il les avait enten- Ma petite amie !... Si je m'étais mis sur
dues, fréquentées, jadis ? le -pied de réclamer aux auteurs ce qú'ils veulent,
N{a petite amie, me dit-it, ça ne vous aurait je n'en serais jamais sorti!
- plu I Et revoyant en pensée
pas le passé, il C'est ainsi qu'il jouait la Légende'"de Saínt-
ajouta : C'étaient des < dames à mitaines >. Frcnçois d'.á.ssise, de Liszt, une octave au-dessus
du texte original, câr, selon lui, << c'était beau-
Je me liai avec tui et il m'invita à faire un coup plus près de la tessiture des oiseaux ! >>
séjour clans son domaine de Saint-Avit, près de Et Liszt en l'entendant n'avait, paraît-il, rien
Mont-de-Marsan. Il vivait retiré dans cette mai- dÍt, Enfin I
I
I
-t-
En scène, Pachmann parlait au public comme Pourquoi ne serais-je pas < simple >? ai-je
Planté et, tel Paderewski, il témoignait d'une ré- -
répondu.
ceptivité maladive à l'égard des mouvements de A Rio-de-Janeiro, même décor dans un palace,
Ia salle. Ce n'est pas un éventail, mais la parti- mais encore plus fleuri, étant donné ce merveil-
tion sur laquelle < suivait > un auditeur qu'il fìt Ieux pays où les orchidées enlacent les arbres'
fermer, un soir, s'arrêtant net pour déclarer : A mon arrivée, les photographes, des âmis, s'em-
Je ne veux pas de contrôle. pressaient autour de moi, devant la femme de
-Mais quel type ! Quel pianiste ! Quelle < su- chambre brésilienne.
perbe > ! Je n'aurais peut-être pas osé I'imiter Elle me questionna :
¡È
Dans notre destinée J'iot""pr¿tes, tout est à
rl3 rt base de conscience. Sous un dehors fantaisiste,
Planté restait le scrupule même : < Il n'y a pas
Je me sens loin, cependant, de l'orgueil des de meilleure improvisation que celle qui est pré-
< monstres sacrés > : parée de longue date >, disait-il. Et comme c'est
J'étais en séjour à Nice pour un concert, et viai! Si le hasard nous sert parfois, souvent il
le maître d'hôtel qui me servait dans mon appar- nous perd. Quand parut l'æuvre de Gustave Sa-
tement, voyant beaucoup de fleurs et de, photo- mazeuilh, le triptyque dt Chant de Ia mer, pour
graphes, gre dit : piano (la première partie, dédiée à I'allègre vieil-
Je voudrais dire quelque chose à Madame... lard; la seconde, à moi-même; et'la troisième,
- je n'ose p&s.
Mais à Alfred Cortot), je la jouai en entier assez rapi-
-- Mais bien str! Pourquoi pas? dement, en première audition. Stupéfait, le châ-
Est-ce que je me permets?... Je trouve que telain de Saint-Avit écrivit d'une traite à I'au-
-
Nfadame est si... si simple! teur : < Comment ! notre amie en est à la période
58 AA PIANO AVEC CLAADE DEBUSSY 59
ma toilette me semble un des douze travaux Tristan'et Yseult ne restait-il pas aussi pour
d'Hercule! Et j'attends je ne sais quoi, une révo- Ðebussy un sujet qui, d'aprèsluil n'avait jairais
lution, un tremblement de terre, qui m'évitera été traité encore !
la peine de le faire. > Et. pourtant, quelque trente ans plus tôt, il
Et pourtant Debussy s'habillait et descendait passait ses nuits entières à jouer, avec paul
déjeuner avec les siens. Presque chaque jour, Dukas, le chef-d'ceuvre de wagner !
je me joignais à eux avant notre séance de tra-
vail, au Chalet Habas. Cette habitation, elle, au
moins, l'égayait : < ... C'est basque, avec une per- *
rF*
gola, détaillait-il, et une vue sur des montagnes
sans prétentions à devenir célèbres. > Le confort L'étude sur L'Isl¿ Jogeuse commencéë à paris,
régional se fìgnolait d'un anglicisme dû à la je la poursuivais avec le grand rnalade gu'était
nationalité du propriétaire, le colonel' Nicoll : devenu son auteur. Celui-ci attachait une impor-
< Je m'attends à voir S. Pickwick, êse., descendre tance extrême à ce morceau, particulier dans
I'escalier >, plaisantait I'auteur du Neuuième Pré- son æuvre. Je m'attacherai aussi à cette pièce
lude. Détendu, bavardant avec moi, il laissait superbe, colorée, diffìcile, où la virtuosité fes-
parfois déborder son ironie sur des personnalités tonne une harmonie suggérant les grandes æu-
qu'il eût pu épargner... Des musiciens, par vres du xvrrr" siècle. On pense à Watteau, à
exemple... I'Embarquement pour Cgthère qui fut le modèle
Je déteste bien les concertos de Mozart, voulu par Debussy.
-
murmura-t-il un jour, mais moins que ceux de C'est une vision fastueuse, un vent de joie
Beethoven !
d'une prodigieuse .exubérance, une Fête du
A ce moment, je travaillais le Cínquième, et Rgthme où, sur de vastes courants de modula-
n'ai jamais osé le lui dire. Non pas qu'il m'eût tions, le virtuose devra maintenir une technique
influencée, mais ii m'aurait fait une réflexion exacte, sous les voiles tendues de son imagi_
par moi trouvée juste, probablement, et qui m'eût nation.
cléfloré le divin < Empereur >. Alors que son
porte-parole, Monsieur Croche, porte aux nues la Au début, la cadenza en forme d'Introduction
est eonçue ( comme un appel >>, disait le Maître.
Neuuíème Sgmphoníe, sur I'Uf Míneut Debussy
Mais après avoir exposé le thème à une cadence
lançait volontiers : < On croit que ça va fìnir, et joyeuse, précise et implacable, la difficulté reste
il y en a encore pour dix minutes ! > de maintenir ce rythme dans la progression conti-
Et pourtant, quelque quarante ans plus tôt, à
Rome, avec Paul Vidal et Henri de Saussine, nue de la nuance et du mouvement d.e plus en
c'est à genoux, < à six mains >, que les jeunes plus animé... Cette puissance < atomique r, il
gens, transportés, jouaient le Final de l'Héroíque. faut la maîtriser à tout prix, la graduer jusqu,à
62 AU PIANO AVEC CLAADE DEB¿TSSY 63
la fìn. Elle ne doit y éclater qu'après I'apothéose clamé par l'auteur. Pour I'obtenír, il reste indis-
cuivrée des trompettes : pensable d'adopter te doigté qu'il conseillait (ci-
dessous), et de tenir I'accord dans la mesure du
possible (r). Observer rigoureusement l'accentua-
:-- fÍon indiquée, les premières crêtes des premières
va8ues...
t
¿
A la réexposition, dernière ligne, effaçons le lire comme à jouer, son et lumière semblent
premier mezzo-forte. Sans être encore fort, c'est lutter de vitesse. Qu'une grande autorité préserve
plus brillant. toujours le rythme.
Page 10 *
t*
Dernière ligne : le grând trait descendant,
serré, rapide comme un glissando, doit aboutir, Si L'Isle Jogeuse fut un < signe > dans ma
toujours f, à une courte respiration, précédant vie musicale, son allégresse, sa fulguration, pré-
un pp subit. ludèrent toujours à des drames : en juillet 1914,
à la Guerre maintenant, en août 1917, à l'épui-
Page 11
- auteur. Malgré
sement de son I'intérêt passion-
nant de notre travail, je suis parfois tentée d'in-
Gardez le rythme toujours. A la quatrième terrompre Debussy. Il est si affreusement las !
- un accent sur la der-
ligne, première mesure, Sans forces pour jouer! Pour que j'aie c€pen
nière diuble-croche de la montêe en crescendo : dant la connaissance exacte du texte musical, il
fredonne celui-ci, se mettant au piano, s'aidant
de quelques accords. Alors, Mme Debussy, dou-
cement, tendrement :
-=¿- Claude ! Ce n'est pas de la musique de
-
chant !
Mais < Claude Debussy ne faisant plus de mu-
6 s sique n'a plus de raison d'exister >, écrit-il. Il
va lutter jusqu'au bout, farouchement, héroique-
ment. Il me fait encore travailler un groupe de
ses Efudes que je dois donner en première audi-
tion à Paris, au concert de réouverture de la
Société Natíonale, à la rentrée.
Pages 12 et 13 t
tË*
Il faut amener le Un peu cédé en martelantle Les Douze Etudes pour Ie píano résument
et en élargissant les doubles-croches, avant
Meno Mosso. vingt ans de recherches et toute la technique
Par contre, à la dernière page, vertigineuse à propre à Debussy. Composées deux années plus
AU PIANO AVEC CLAUDE DEBUSSY 69
68
( pour les degrés chromatiques >, une autre...
tôt sur la côte normande, elles sont, je crois'
."{ais si je vous raconte tout, vous n'aurez plus
I'un de ses derniers bons souvenirs' de surprise ! En tous cas, ces Etudes dissimulent
Après une horrible période cìe dépression, de une rigoureuse technique sous des fleurs d'har-
néänt >, l'été 1915 I'avait retrempé dans ce qu'il monie (sic), ou < On n'attrape pas les mouches
"
appelait ion étément vital, la mer. Et il ajoute avec du vinaigre! > (¡esic). Vous croirez avec
veux dire la mer infìnie >'--Il retrouvait la moi qu'il n'est pas nécessaire d'attrister la tech-
"-jä
faäulté de penser et de travailler' Les Etudes
nique davantage pour paraître plus sérieux, et
en sont nées, puis dertenues. I'ultime message qu'un peu de charme'n'a jamais rien gâté. Cho-
à son instrument : ,pin I'a prouvé!... >
< En deçà de la technique, écrit-il, ces Etudes
prépareront utilement les pianistes à-mieux com- Puis, fìnissant ses missives de la journée :
pr".tat" qu'il ne faut pas 9nt1e¡. dans la mu- < ... Enfìn, voici Ie soleil ! Qu'a-t-il bien pu faire
äiqrr" qn'åroec des mains redoutables' En vérité' de I'autre côté, pour arriver à une heure aussi
ceite musique plane sur les cimes de l'exécu- tardive ? , (')
tion. > (1)
Par ces < cimes >, Debussy entend non seu- f)ebussy, écrivain, m'éblouit. Quelle liberté !
lement I'acrobatie pianistique nécessaire à tout Quelle poésie ! Quelle << classe > ! Quelle drôlerie !
virtuose, mais la musique elle-même, s'échappant J'ai toujours trouvé que les dons de cet auto-
des barreaux scholastiques comme la colombe du didacte, comme il se réclamait de l'être, eussent
Saint-Esprit. Musique < éternelle >. Mer < infì- pu faire de lui, << en deçà > de la musique, un
nie > et toujours Proche : peintre, ùn savant, un très grand poète. Que
u J'ai médit de la rner boudeuse, cés jours dire, par exemple, du contrepoint de ces deux
derniers, à pleurer ! confessé-t-il encore à son édi- thèmes : < Les arbres sont de bons anis, voyez-
teur. Aujourd'htti, elle est belle à défìer toute vous ! Meilleurs que Ia mer qui s'agite, mord les
Je la remercie d'être à portée de rochers, et a des colères de petite fìlle, singulières
"o-pat"i.on...
nles yeux fatigués du sempiternel papier réglé"' pour une personne de son importance... Les
A ce propos, je viens de terminer la douzième arbres acceptent et se renouvellent malgré les
Etud.e qui sera < pour les agréments > - pas siècles; n'est-ce pas la plus belle leçon de philo-
ceux dei pianistes, diront les virtuoses volontiers sophie ? > (')
facétieux. Elle emprunte la forme d'une Bar-
carolle sur une mer un peu italienne; une autre
(1 et 2) I'ettt'es de CI. Ðebu"ss't/ à son Ed,itcur, Povr-
vil¡s ct Puys, aott et septembre 1916.
(ll Lettt'es ile Cl'auitre Debussy à' son Edl'teur' Durand
et Èiis, (éd. Pourville, aott et septenbre 1916)'
70 AU PIANO AVEC CLAUDE DEBUSSY 7t
Et ailleurs : < La mer, toujours innombrable Commencer sagemenf, ainsi qu'il est écrit,
et belle ! > et -non pas vite, comme on le fait trop souvent.
Peut-être cet enchantement, ce renouvellement, Puis, < cahne >, < tranquil-le >, passant par
sont-ils la poésie du piano, peinte par Debussy -
l'accelerando pour maintenir ensuite, dans son
dans un cadre strict d'< études >? Le piano, avec anímé, le < N{ouvement de Gigue >> plus vif, et
sa palette < innombrable et belle >, elle aussi'.. sans ralentir au dimínuendo.
Tout à son ( ardente rigueur >, l'auteur souligne Cette première ligne dit bien ce qu'elle veut
le caractère imagé des diffìcultés, des harmonies dire :
favorisées par ses recherches : < Pou¡ les Siæfes,
demoiselles prétentieuses, assises dans un salon,
faisant maussadement tapisserie, en enviant Ie
rire scandaleux des folles neuuièmes ! >
A guarante ans de distance, des conseils im- So- ¡r¡-¡l
pressionnants de netteté résonnent encore à mes
oreilles, ceux du Maître lorsqu'il m'expliquait
ces pièces à peine parues : P €e- 0a-6oöo
Page 4
Page 5
situation des Efudes de Chopin, immortels chefs- On n'est jamais si bien servi que par soi-
d'æuvre surgis, eux aussi, de la technique pure. -
même.
Plutôt qu'à Couperin, auquel il avait pensé, I'au- Or, dans l'étude Pour les ltuit doigts, < la posi-
teur lui dédie son æuvre : tion changeante cles mains rend incommode I'em-
C'est pour cette raison qu'au dernier Concours ploi cles pouces et son exécution en deviendrait
International l\larguerite Long-Jacques Thibaud, acrobatique >, est-il indiqué.
les Efudes de Debussy figuraient au programme ... La tentation de'i'enant pour moi trop forte,
imposé, à côté de celles de Liszt et de Chopin. et I'eflet obtenu trop satisfaisant, je m'empressai
Chopin le plus grand de tous, répétait-il, de désobéir. (< Cherchons nos doigtés! >, disait
- avec ufr est
car, seul piano, il a tout trouvé! Ia Préface.) Devant le succès du fait accompli,
I'auteur ne put qu'applaudir et {u'on me
Tel I'illustre musicien, Debussy fouille le passé pardonne ce mauvais jeu de ¡¡6[s- lui aussi,
comrne l'avenir. Il passe au crible le plan, même < mettre les pouces >. -
négatif, d'une exécution : << Vous savez mon opi- Comme Chopin, enfìn, Debussy se préoccupe
nion sur les mouuements métronomíques, ê.crit- du rôle de la pédale et l'écrit à son éditeur ('?).
il; ils sont justes pendant une mesure, comme Celui-ci se souvient que I'usage qu'il en faisait
<< les roses I'espace d'un matin ,. (Ce qui fait
était étourdissant, spécialement dans le dosage
ma joie, avec l'auteur de Pour les notes ré.pétées, de la < péd. ll >> avec Ia < pécl. pp >. Mais I'hor-
c'est qu'il se contredit sans cesse : < Au métro-
nome ! Au métronome ! > Combien de fois cette vant assembler les notes d'un accord, imaglna d'en faire
injonction a-t-elle retenti? Mais, seuls les imbé- une avec le bout de son nez, ne résoud pas Ia. qu€stion,
ciles ne changent pas d'avis, disait M. de Talley- et n'est peut-ôtre dt qu'à I'imagination d'un compilateur
rand. L'anecdote suivante en fait foi). ttop zélê ?
Nos vieux ma,ltres je veux nommer nos admirables
L'omission volontaire des doígtés auxquels, clavecinistes -
n'inAiquèrent jamals de doigtés, ae
-
confiant sans doute à l'ingéniosité de leurs contemporains.
d'habitude, Debussy tient tant, fait I'objet de la Douter de celle des virtuoses modernes serait malséant
Préface des Efudes (t). Toute liberté y est laissée Pour conclure : I'absence de doigté est un excellent
au virtuose: exerclce, supprime I'esprit de contradition crui nous
pousse à préférer ne pas mettre le doigté de I'aut€ur, et
vériffe ces paroles éternelles : << On n'est jamais si bien
(1) Intentionnellement, les présentes Etudes ns con- servi que par soi-même >. Cherchons nos doigtés ! C. D.
tiennent aucun doigté ! En voici brièvement la raison :
Imposer un doigté ne p€ut logiquement s'adapter aux (2) < ... La tranquille vérité est, peut-être, que I'abus
différentes conformations de la maln. La pianlstlque de la pédale n'est qu'une manière de dissimuler un man-
moderne a cru résoudre cette question en en superposant que de technique, et puis, qu'il faut faire beaucoup de
plusleurs ; ce n'€st qu'un embarras... T.s musique y prend bruit pour empêcher d'entendre la musique que I'on
l'aspect d'une étrange opération, où par un pbénomène égorge ! Théoriquernent, il faudralt trouver un moyeD
lnexpllcable, les doigts se devraient multlplier... graphique d'indiquer cette < respiration >... çs. n'est pas
Le cas d6 Mozart, claveclnlste précoce, lequel, ne pou- introuvable. ) 1¡" septembre 101õ..
76 AU PIANO AVEC CLAUDE DEAUSSY 77
reur debussyste de toute emphase fait. bénéfìcier Jogeuse. Il faisait très chaud, et ma blouse de
I'instrument, en soi, < cl'une alchimie spéciale >, mousseline restait trempée de sueur. Voyant l'état
dit I'auteur, < à quoi il faut sacrilìer sa chère de fatigue dans lequel je me trouvais, le Maïtre
petite tranquillité >. Et peut-être aussi < un as- dit alors :
pect de sa personnalité >. Position objective, com-
parée au < moi > romantique ! Tel Chopin, tel
vous demande pardon d'être si exigeant,
Schumann, nous pouvons donc nous représenter
Debussy face au clavier, en compositeur. Mais
- Je
mais, vous comprenez, quand je n'y serâi plus,
lorsque I'auteur du Carnaual s'écrie : < Je vou- il y aura quelqu'un qui saura exactement ce que
drais chanter à en mourir, comme le rossignol ! je voulais.
Je voudrais faire éclater mon piano ! >, Debussy Nous nous sommes regardés, interdits ! Et
recommande seulement à voix basse : l'émotion qui nous étreignit tous, jeire puis la
Laissez-le parler. décrire...
-
t
at Comme la S.M.I. l'avait fait au printemps, la
Socié.té Natíonale de Musíquerou¡'rait ses portes.
Quel changement entre cette période de créa- C'est le l0 novembre, qu'avec une autre grande
tion des Etudes, et le tragique octobre 1917 au ceuvre française, je jouai en première audition
cours cluquel son état s'aggrave encore! < C'est un groupe des Efudes de Debussy :
à se demander si cette maladie n'est pas incu-
rable ! écrit-il. On ferait mieux de m'en avertir,
alors ! Oh ! alors ! (comme dit ce pauvre pour les Arpèges composés
Golaud)... >
pour les Sonoríté,s opposées
Même auprès dlamis comme le poète Toulet pour les Cínq doígts
et sa femme, il s'excuse de ne pouvoir aller jus-
qu'à leur maison de Guéthary. Ce sont eux qui Au concert, à peine avais-je commencé les
viennent, qui assistent souvent à nos séances de do-ré-mí-f a-sol - f a-mí-ré-do de la troisième pièce
travail. C'est devant eux que, pour la première pour les Cinq doígts (d'après Monsíeu¡ Czerng)
fois, il échappe à Debussy cette terrible allusion que, dans le public, une dame réfractaire à I'es-
à sa fìn, que nous savions, hélas ! proche et iné- prit, et croyant retrouver sans doute les < gam-
vitable. Sans nul doute, lui aussi saif mainte- mes > fastidieuses de sa jeunesse, s'exelama, suf-
nant : foquée :
Par une journée lourde, oppressante, nous Tout de même ! Si ee n'était pas signé
avions revu sans répit les Etudq et L'IsIe -
Debussy !
78 AU PIANO AVEC CLAUDE DEBUSSY 79
De vigoureux applaudissements, dont les siens, Ce furent les derniers mots qu'il traça de cette
saluèrent pourtant la fÌn du morceau' et tout ce main magicienne qui, jamais plus, ne se poserait
que nous ãvon" dit de sa beauté musicale' sur le clavier !
Nous étions en pleine tourmente, en pleine
*
{.* offensive allemande de mars 1918. Le 22, eut lieu
un raid d'avions à proximité de l'hôtel des De-
hussy. Sa faiblesse était si grande qu'on ne put
La veille, j'étais encore allée faire une dernière le descendre dans I'Abri. Aux encouragements
répétition avec Debussy. Revenu depuis l'au- de son éditeur, venu le voir le lendemain, la
toinne, il allait de plus en plus mal, ne sortant terrible lucidité du NIaître opposa le seul désir
plus, menant < cette vie d'attente, disait-il -_ que I'ami de toujours I'embrassât. Le 241, arrivait
ãe salle cl'attente.'. Pauvre voyageur espérant un
du front un < fìdèle > de la première heure, petit-
train qui ne Passera Plus. >>
6
82 AU PIANO AVEC CLAUDE DEBT]SSY 83
Mais on le sentait absent, perdu dans le monde .{ Ia classe, il fonce sur le clavier, soufflant
sonore. pour marquer les temps dans les traits difficiles.
Jeu, tantôt martelé, tantôt d'une douceur extra-
Je suis arrivée tard dans une destinée excep- ordinaire (déjà!). euelques diffìcultés à faire les
tionnelle. J'ai longtemps cherché la cause d'un trilles. Main gauche merveilleuse < avec une sur-
isolement si riche; peut-être est-elle dans la prenante faculté d'extension >. Avant tout, il suit
nature d'homme du Ntaître? Et même dans l'at- son idée et n'hésitera pas à scandaliser par ses
tente du jeune garçon de jadis, faite de désir, < innovations >> professeurs et camarades (t).
de fìerté, de guet? En rangeant des photos -- C'est de certains d'entre eux, Gabriel pierné,
vieux clichés d'anniversaires offìciels je suis Paul Vidal, Xavier Leroux, que nous tenons ces
frappée par le regard d'un Debussy de- cinq ans, détails. Ils révèlent l'énorme difficulté qu'eut De-
juché sur son cheval de bois. Il y brûle la même bussy à se réaliser; ils soulignent une contra-
lueur que pendant nos travaux! diction grandissante entre lui et son milieu, artis-
Je'ne fais pas ici une biographie : des sou- tique, farnilial ou social. Ses parents étaient de
venirs de maîtres et d'amis m'ont livré ce que très petits employés sa mère tenant leur mo-
je n'ai pas pu connaître et j'y retrouve l'es- deste intérieur de la - rue Clapeyron, son père
quisse de tous les grands thèmes debussystes. emmenant parfois Claude (qu'on appelait alors
Oui ! dans l'existence de < Claude de France >>
pianiste italien. Etle lui fait préparer le Conser- porté deux ans aupâravant avec la Sonate en
vatoire et il Y entre à dix ans (1). sol mineur de Schumann. Toujours fìer, il va
En classe de solfège, puis d'accompagnement renoncer à la, carrière de virtuose; ses parents
au piano, on lui reproche bientôt son mépris des semblent les plus déçus ! Lui, son instinct l,aver-
< hãrmonies cìe I'auteur > il préfère les tit que cette imrnobilité cache de grandes pro-
siennes. Et aux exercices
-
d'improvisation, à I'or- lnesses.
gue, César Franck lui crie à I'oreille dans le
fracas des Jeuæ .' ùIais comment gagner sa vie? Par chance, il
I\Iodulez ! Modulez ! se trouve que pour les vacances de cette même
-Achille reste sourd, tout en pensant : < Il année 1879 celle du concours raté une
grande dame - russe, arnie de Tchaïkovsky - ('),
tient la corde, le père Franck ! et it dégote I'Ins- cherche un pianiste. Riche mécène, passionnée
titut ! > ('z). de musique, elle constitue, pour faire partie de
Le garçon aime les choses raffÌnées : frian- sa Maison, un T'rio,le << Trio de I\fme von Meck >.
dises, éntremets de sa mamån. gâteaux de Bour- L'artiste choisi devra encore instruire ses enfants
bonneux, chocolat Prëuost, cravates à pois, blbe- et accornpagner voix et instruments divers. Elle
lots minuscules, parfums, fleurs.'. Et cette par- s'adresse au Conservatoire et engage (recom-
ticule qu'il découpe dans son nom pour signer mandé par Marmontel) Debussy, < le petit
ses devoirs musicaux : < Achille de Bussy' > Français >, << Rüssick >, comme I'appellera bien-
N'est-il pas un aristocrate-né? Ne fréquentant tôt toute la famille von Meck, patricienne, mil-
guère l'éõole, il apprend, silencieux, le soir, dans lionnaire, bohème, charmante. Avec elìe il va
le dictionnaire. voyager, connaître les châteaux de la Loire, I'Ita-
A seize ans, Dehussy ne devait pas être telle- lie, la Russie, l'Autriche, et, peut-être pour la
ment différent de I'homme que j'ai connu : au première fois, I'amour.
physique, ressemblant à un Titien; moralement, Il a fait si bonne impression sur Madame
ombrageux, jaloux, mais <.charrnant avec ceux peut-être en louant Tchaïkovsky tout en pensant -
qu'il aimait > (t). Il attend son heure, car' aux
Jorr"o,ttt de 1879, le Premier Prix de piano lui (1) Mme Nadèjda von Meck, russe d,origlne et martée
- un
échappe. Il restera donc sur un second, rem- à important ingénieur des provincei Baltes, est
par la passion qir'elle
connue dans l'Histoire musicale
éprouva pour Tchaîkovsky. pendãnt quatorze an!, ils
(L) T-ê 2t5 octobre 18?2, dans la cìasse -de piano de échangèrent une correspond,ance dont les termes ardents
tvtaimontel. Ðt le ? novembre 18?2, dans la classe de rela.tent leurs sentiments comme leur vle de tous les
solfège d'Albert Lavignac. Jours.., sans qu'une seule rencontre se produlsit jamais !
Mãe Mauté de Fleurville, ancienne élève de Chopin, < L'amle bien-almée > ne-vit jamais dãns son õhâteau,
étåit la betle-mère de Verlalne. aux cinquante-trois chambres, celul qu'en retour ellé
(,2) Cøtnet, de Maurice Emmanuel' nommai! < mon Selgneur ei mon Maitre >. DAmle ble*-
(3) Boør¡e¿drs, de Mlle Vasnier. oirnée, B. von trÎecR, New-York, l9B?,
86 AU PIANO AVEC CLAUDE DEBUSSY 87
à autre chose il en est si heureux, qu'on le de Nfme Moreau-Sainti dont Gounod était le pré-
réengage. - trois étés semblables, trois étés
Après sident. < N{a mère avait une voix délicieuse >),
de .è"e, son élève Sonia (quinze ans) lui a tourné écrit sa fìlle. Et M. Vasnier, architecte réputé,
la tête. recevait tous les artistes de valeur. Debussy de-
vient I'enfant de Ia maison, vit à peu près chez
Il la demande en mariage à sa mère, Nadèjda ses nouveaux amis, rue de Constantinople ou
Filaretowna Frolowsky von Meck... Et il est aus- à Ville-d'Avray. Il travaille, compose, lit, non
sitôt très amicalement prié de quitter Vienne, seulement le dictionnaire, mais les romanciers
où ils résidaient à ce moment-là. (< Sonia a un et les poètes d'alors : Gautier, Bourget, Banville,
nouveau professeur de piano ))' annonce Mme von
Poë, et bientôt Mallarmé, Laforgue, Verlaine
Meck à iot u très précieux >> auteut d'Eugène Verlaine, surtout. -
Onéguíne. C'est tout!) Le petit Büssick (vingt
.t r) connu la grande vie et sa première Naturellement, il s'éprend de < sa fée mélo-
"o.aamoureuse. Il aura composé un ?¡io
déception dieuse >>. Amour bientôt qualifié de < fou, je le
et sa seule Sgmphoníe. Il aura capté les premiers sais, mais dont la folie m'empêche de réfléchir.
échos des compositeurs russes (t). Mais sa plus Non seulement la réflexion n'aboutit qu'à plus
grande impresJion fut cell'e produite p-ar les Tzi- de folie encore, mais elle est toute prête à trouver
!".t"t, qrr'il d.tt entendre dans les cabarets fré- que je n'ai pas assez fait pour cet amour... )
[uentés-par l'aîné des jeunes von Meck : < Ces Ainsi s'épanche-t-il dans le sein d'un ami. Pour-
gens-là, ô'est la musique même ! > s'exclama-t-il' tant, quel plus merveilleux hommage que son
recueil des premières F'éf¿s Galantes, dédiées :
**
{<
A Madame Vasníer
Revenu à Paris, son cceur et son talent vont
mûrir pour Mme Vasnier, fìxant le type de la Ces clransons qui n'ont jamaís ué.cu que par
<femme de sa vie >> son aînée, musicienne, et qui perdraient leut grdce charme¡¿sse si
eIIe,
-
reine d'un intérieur plein d'agrément. .iamaís elles ne pclssent par sa bouche de fée
mélodieuse,
Il l'a connue et accompagnée âu cours de chant
L' auteu r éternellement reconnaissanf .
décirné te 27 juin 1884 (r). Mais maintenant, obstinément droit devant lui, très loin, un point
il faut partir pour I'Italie, et cela il ne le réalisait imaginaire >. Vers ce point, qui se révèle être le
pas ! If est sirr te point de refuser le séjour à centre du monde symboliste, l'amitié va le guider.
ia Vitla Médicis, celui-ci l'éloignant pour trois Aux lectures fìévreuses, pêle-mêle, succèdent
ans de Mme Vasnier : des contacts avec les peintres et les poètes. A
Cette abominable Víllal dira-t-il ('z). la petite boutique de l'.4rf Indé.pendanf (du cu-
-La séparation, gâtant son séjour, n'a guère rieux éditeur Edmoncl Bailly) , au Centaure, aux
favorisé son travail. Et, bien que s'étant cru, un < mercredis >> de Pierre Louys et, le mardi, dans
instant, < le petit chéri des Dieux dont parlent l'étroite salle à manger de Mallarmé, où vien-
les Légendes Antiques >, il faut, iI faut qu'il re- nent Henri de Régnier, André Gide, Maurice De-
vienne avant le temps fìxé par l'Institut : nis, Whistler, Jeän de Tinan, Odilon Redon,
< J'ai trop pris I'habitude, gémit-il dans une Pierre Louys. Parmi les < cafés > (succédant pqur
lettre au tttêmì ami (3) j'ai trop pris I'habi Claude-Achille au Chat Noír et à Poussef ), celui
tude de ne vouloir et de- ne concevoir que par tle Wéber réunit le Tout-Paris artiste et litté-
raire. Nous avons vu Léon Daudet y tracer le
"'ínitì.! à son retour < l'intimité de jactis n'était portrait de Debuss¡r. Il y a encore Maurras,
plus la même >, conclut Mlle Vasnier' < Il avait J.-L. Forain, P.-J. Toulet, Henri de Toulouse-
évolué, nous aussi. Nous avioírs déménagé, fait Lautrec, Reynaldo Hahn, André Tardieu, le jeune
de nouvelles connaissances. Avec son caractère Charles de Chambrun, parfois Léon Blum, par-
sauvâge et ombrageux, il ne se retrouvait plus fois Oscar Wilde, souvent Marcel Proust. Mais
chez lui. Il cessa de venir... >> Debussy décline, paraît-il, I'honneur d'une petite
réception musicale donnée pour lui, chez I'auteur
å de PasfÍcl¿es et MéIangês F).
Parmi les musiciens, Paul Dukas parle de
Raymond Bonheur, à qui est dédié te Prélude cette ambiance, de cette < matière unique >>
à lAþrès-Midí d'un Faune, voit Debussy << lìxant formée par les fervents de tous les arts. D'ail-
(1) Pour sa Cantate de Ilønlont Prod¿gu'e' Debussy leurs, I'auteur de l'Apprenti Sorcíer comprend
eut'-áz- võix poùr lui (dont unè majorité de peintres'
-gràveurs les < emballements >> de son ami :
JJ"foæ"t", et architectes) sur 28- vot¿nts' Les
dt"fftt"i Ztaieot Rose Caron, van D-vck- et Taskin'
î"ä""^åpãg"¿J-pãi
- t'auteu" et són ami R,ené chansarel' (1) V. I. Sérov raconte qu'en compagnie de René
(2)-Dãbussy y habitalt la chambre dite <( tombeau Péters, Debussy, lorsqu'il s'ennuyait chez Wéber, flnissait
étrusque D, Peinte en vert. la Duit, tout près, au << Reynols > où se réunissaient les
<st Co-rne la cltatlon précédente, lettre -de Debussv Jockeys, les danseurs et les clowns du Nouveau-Clrque,
e J-í ã*î õtauoius Popelin, G,rand piix- de Rome de dont le célèbre F'ootit. Le futur aut€ur de eftnéral La,oine
ôitée par paiteui Vallery-Radot, Tel étøit spprécleit déjà les eccentrlca,
".irto"ã.-
bcÞ.ttsstt, p. 34. Julltard, éd.
90 AU PIANO AVEC CLAUDE DEBUSSY 91
< Lâché dans les nouvelles formes de I'Art dant le Pré.lude à I'après-mîdi d'un faune>>,
et de la vie, Debussy braquait une curiosité de disait Maurice Ravel qui considérait cette æuvre
faune à I'affût. > Il en éprouvait un immense comme la plus parfaite en musique, oÌr, sans Ie
et apaisant bien-être, et l'Exposition Universelle suivre pas à pas, I'orchestre s'empare de ce
¿e ßgS va faire de ce bien-être une griserie' poème de joie, de lumière et de volupté païenne :
Liberté !
Variété ! Le jonc uaste et jumeau dont sous I'azur on joue,
Exotisme qui lui raPPelle Moscou' expose le thème alangui de chromatisme qui tra-
Toutes les musiques du monde affluaient à versera tout le Prélude sous le bruissement des
Paris : orientale, russe (dont celle de Mous- harpes et des trémolos de violon. La seconde
sorgski qu'il découvre), espagnole, indonésienne' idée vient animer les << bords siciliens-du calme
u Rãppeúe-toi la musique javanaise qui contenait marécage > et chante le souhait des sens. Puis
toutes les nuances ! >>, écrira-t-il à Pierre Louys' c'est l'apaisement, c'est la fuite du faune, au
Avec ce dernier, il se lie de plus en plus, harmo- fìer silence de midi. Comment pourrait-on ou-
nise trois poèmes encore manuscrits' < Bilifis blier, dans les dernières mesures, ces deux notes
est dans toutes les mains > lui annonce-t-il' Sen' de cymbales attiques, vibrations de lumière,
sualité, irriguant toute sa musique ! Transport effeuillement de clartés, laissant en nous :
intellectuel ! Mystérieux rapports entre la nature
et t'imagination dont il se réclamera toujours ! Le visíble et serein artificíel
Il est Sãnfié de chefs-d'ceuvre qui vont naître De I'inspiration qui regagne Ie ciel.
de 1S9ã jusqu'à
- la fìn du siècle : Les Proses
Lgríques dont, sous I'influence de Mallarmé'
it" éciit la musique et le texte; le Quatuor à L'immense succès du PréIude consacra De-
cordes (1893) et, en 1894, le PréIude à I'Après- bussy symphoniste. L'ceuvre fut < bissée > en
mídí d'un Faune, tiré encore de l'églogue de première audition à la Société Nationale, le
Mallarmé. 22 décembre 1894, et cette date continue de luire
comme I'avènement de la musique moderne.
Ces syllabes sonnent I'heure la plus réelle- Puis, en 1899-1900, les Nocfurnes (Nuqges, Fêtes
ment, ù plus profondément debussyste : le et Sirènes) apparurent à leur tour cornme
zénitú de sa jeunesse. Heure < antique >> aussi, d'admirables poèmes pour orchestre ('). En cette
grâce à un panthéisme délicieux. Celui qui, l'été,
ãn pleine nature, couché à même I'herbe tiède' _ (1) Parmi les interprétations, le Maltre aimalt spécla-
entônd I'obscur contrepoint de la sève et du lement la < fluidité > de Gabriel pierné. Dans la leuae
génératlon, Je veux signaler aussi, au piano, l'ébloulssante
.""â, peut goûtèr cet après-midi torrid'e manière dont Sanson I'rançois joue l'escellente trans-
"uf"i-tà
et dienheureux.'. < Je voudrais mourir en enten- cription de Fêtes, par Léonard Borwick.
92 AU PIANO AVEC CLAADE DEBUSSY 93
même année 1899, Debussy vâ épouser sa vail- De plus, très artiste. Mon mari et moi la consi-
lante compagne de lutte, Lily Texier' Sa vie dérions comme une extrâordinaire musicienne.
matérielle esi tou;ours diffìcile, << cruelle et lan- - Personne n'a chanté comme elle La Bonne
cinante aux gens sans portefeuille> dit-il (1)' Chanson, disait Gabriel Fauré, qui avait dédié
Mais il est connu en France et à l'étranger' ce recueil à son inspiratrice.
L'avenir luit, proche, prometteur' Demain, il va Enseignant la composition à son fìls, Debussy,
voyager; demãin, critique musical à la Reuue lui aussi, accompagne bientôt Mme Bardac, dans
ntânóhe (l9ol), il dira tout ce qu'il pense sur ses mélodies. C'est I'eætase langoureuse... et c'est
I'Art; demain, naîtra Pettéas I (1902)' Demain, aussi le coup de foudre, avec toutes ses consé-
il aura quarante ans. quences. Claude-Achille devenu << Claude > enlève
ou plutôt rejoint à Pourville, près de Dieppe,
I'incomparable interprète de le Bonne Chanson.
,t
** Elle y devient celle des deuxièmes Fêtes Galan-
fes (').
Dans un regain de jeunesse, avec une naïveté
Le dernier temps de cet Après-midi se fera de collégien épris, Debussy ofire ces poèmes
plus < couvert >. Plus lourd, comme avant I'orage musicaux à celle qu'il adore secret, pense-
l- orages d'un divorce et d'une seconde union, t-il. II y associe ce début d'été qui couronnâ
tempêtãs autour de Sainf-Sébastíen' leurs amours; sa dédicace l'évoque pleinement,
en tgO¿, cinq ans après son premier mariage' mais d'une manière sibylline :
une autre incarnation de la < femme de sa vie > (Pour remercier Ie mois de juin 1904.)
était apParue à Debussy. A. L. P. M.
uari¿ã à Sigismond Bardac, banquier parisien,
-cor¡temporaine de Claude-Achille'
elle était la ( A. L. P. M. >, c'est .4 la Petíte Mienne;
< \{adame Bardac avait cette séduction que pos- explique I'auteur à son éditeur J. Durand
sédaient certaines femmes du monde au début c'est un peu mystérieux, rnais il -
faut bien faire
ã" ;; rì¿"t">, écrit d'elle un de ses amis (')' quelque chose pour la légende ! > Ces appella-
tions de < mienne >, < ma mienne >, << Petite
lll Le iour de son tnariage, Debussy, devait faire ilÍienne > deviendront le leit-motíu de ce qui res-
t""ìJiriãi ,i""-cr¿"" ilá aéaicatái"e du'Prélud'e de la suite
;;;;-i;Þt;""1.--Ceuè-ci lui proposa de remettre la leçon tera toujours pour Debussy < la tendresse volup-
-à un autre jour... tueuse de notre vie >.
::ï;;'"äiïüait
'pãîr le m-usici?n, j'ai besoin.de ces vingt
francs l'nviter ma belle-famille ap¡ès la cérémonle'
äiïã-*'".ó" " s;en tut-au-iardin des Þlantes, sur I'lmpé- Ingénu,s. IL Le Faune. fIL, Le Colloque
- (1) L Lespoèmes
Bentlnenta,l.
riale de l'omnibus.
'*?;;il"ìüri; de E'aul Verlaine. La 1'. série, plus
ùãuerv-Raaot, préface Let*es itc a¡cienne de vingt aus, est dédtée à Mme Vagnlen
-de
øaäáe' äàùä"v' ù-;; r";,;^á h"*a' Flammarion' éd'
g4 AU PIANO AVEC CLAUDE D¿'BUSSY 95
Des remous, drames et brouilles suscités par confìe à Louis Laloy : < la joie de cela m'a
deux divorces rapides et pénibles, nous ne par- un peu bouleversé et m'effare encore ! >. Puis,
lerons pas. Trop de gens I'ont déjà fait. Qui à une Chouchou de quatre ans, il offrira la suite
peut s'ériger en juge ? Et puis, on ne moralise pour piano du Children's Corner:
pas un faune ! Claude et Emma brûlaient d'une
passion réciproque. De plus, Claude goûtait au- I. Doctor Gradus ad Parnassum.
près d'elle, une ambiance parfaitement < sienne >, II. Jímbo's Lullabg.
elle aussi. Luxe quotidien, liberté du travail... III. Ser¿nade for the doll.
A lui, qui avait tant << trimé > pour gagner sa IY. The snow il dancíng.
vie ! V. The little shepherd.
Devenue en 1905 la femme du Maître, Emma YI. Gollíwog's cake-walk
Debussy se lìt sa grande-prêtresse. Muette, atten- avec ( Ies tendres excuses > de son papa.
tive, immobile comme les objets de son culte,
( ... sâ table de travail à laquelle on est habitué, Cette exposition-miniature est assez proche du
qui connaît les manies de votre corps, et qui tr{oussorgsky des Enfantines. Ironie charmante,
vous reçoit comme une vieille amie à qui on dans la satire des Exercices de Czerny (n" l),
peut tout dire >. A peine circule-t-elle à pas et dans le Cake-wal/c fìnat.
feutrés, son regard d'émail doré observant tout : J'ai entendu Chouchou elle-même jouer le
les vases grecs, le fameux panneau de laque du numéro cinq, Le Petit Berger; c'était très émou-
Japon qui inspira Poissons d'ot, frx,ê au mur du vant. Elle rappelait presque Debussy ! Le
bureau, à gauche du piano droit. Dans la chemi- rayonnement de cette æuvre dans laquelle bai-
née, un beau feu de bois: gnait son enfance mûrissait ce petit cerveau.
Quand je ne vois pas les flammes, disait Quelques années plus tard, je travaillais la der-
le -Maître, j'ai I'impression d'avoir froid. nière page d,e l'Hommage à Ramea¿r et Chouchou
Hiver comme été, des roses rouges -- ses était à côté de moi. A l'indication < Un peu plus
préférées fleurissent toute la maison. Sur la lent > :
table, un -crapaud de bois chinois sculpté. Ses
yeux globuleux renferrnent tant de sagesse que .f
Debussy le surnomme Arkel : Si je pouvais
I'emmener en voyage ! -
Petite, ardente, la chair transparente, les lèvres P- PP
charnues, Ernma Debussy, amoureuse et mère,
veille encore sur le plus cher trésor de I'avenue
du Bois : la petite Claude-Emma, dite < Chou-
chou >. A la naissance de cette enfant, Debussy
98 AU PIANO AVEC CLAUDE DEBASSY 99
Miss Teyte > (t) et qui devient son compagnon quelles conditions infernales ! sans qu'on
ait Ie
d'insomnie. Et pourtant ! Combien I'avenir allait !9Tp. de la transporter en clinique. Mais hélas !
dépasser en horreur ces jours de séparation... il était trop tard !
Un peu plus tl'un an après la mort de son père, Elle avait à peine quatorze ans !
te t4 juillet l9l9; Chouchou devait le reioindre, Cette douleur atroce fut épargnée à Debussy
bien au-delà de < cette saison en purgatoire >. qui, naguère écrivait : << Aurions--.rous sans le
disait-il, que fìgurait pour lui l'étranger. s¿vsi¡ - Atrides
des ancêtres dans la famille des
-
pour qu'ainsi une mauvaise destinée nous pour-
C'était l'été, à Paris. J'avais continué à voir :1tr"... ? > Combien plus pathétique encore, cette
très souvent celles que le Maître appelait jadis lettre, oir, d'outre-tombe, < dloutre-Croche >
< mes deux aimées >>. Elles habitaient I'Hôtel comrne il disait, I'auteur de La Boî4e à Joujout
Plazza, le nouvel apparternent de Mme Debussy' semble lutiner encore son petit diable bien-aimé :
rue Vineuse, n'étant pas encore installé. Ce jour- ,Ton pauure papa ... estbien triste d.,être príué
là, au matin, Chouchou est soudain prise d'un depuis tant d.e jours de ne plus uoir ta jolíe
violent mal de gorge. Le médecin en vacances, petite figure de Clrcuchou, de ne plus
entend¡e
.c/¡onsons, fes éclats d.e rire,'enftn- tout ce
la gouvernante en congé, moi-même souffrante, tes
IlÍme Debussy me fait dire par Roger-Ducasse oruit qui fait de toí une petite personne fnsup-
qu'elle ne peut pas venir me voir à cause de portable quelquef ois, mais cha-rmante Ie plis
cìtte maladie subite. Le soir, le rnal empire, I'en- souuent... Et le uieuæ Xantho ? (t¡ ¿,Uime_t_it
fant étouffe, c'est Ia dyphtérie. Un chirurgien toujours Ie jardin ? Je te donne liautorísatíon
est appelé d'urgence dans la nuit, on décicle la de le gronder d.'une uoít forte (;).
< Ce bruit ? > < Insupportable? > <
trachéotomie. A I'aube, la petite est opérée, dans ... d'une
v.oix forte ? > de tout õela, Chouchou se jus-
lait I'entendre, et obtint alnsi un grand succès dang le - encore à l'âge Oes poupees, en
tifìait volontiers,
monde musical de Moscou. me conlìant en secret :
< Quelque temps après, un haut personnage du
Conseivatóire de Pêtersbourg vint à Moscou et descendit -.Je-ne sais pas comment faire ? papa veut
également chez les i(ousseviisky. on lui raconta I'histoire ig joue du piano... MaiS il me déiend de
t"i hi ãntenare I'oiseau. Ii ne dit rien; mais la nult Pe
Iarre du bruit !
"í ""
Buivante, on entendit du bruit dans le salon et on aperçut
ledit haut personnage en train de siffler à son tour une
de ses mélodies au merle...
(( Malheureusement, il ne fut pas aussi heureux que
Debussi. Probablement que sa musique ne plut pas à
I'oiseau, car il ne la siffia jamais. >
Serge Prokofiev, Chanteclerc,24 fr,a¡s 1928.
(1) Maggy Teyte fut la deuxième merveilleuse inter' (1) Le- chien < Colley > des Debussy.
preié'ae tr?iisattãe âprès Marv Garden, à la reprise de (0) Coltection de Mmã G. de Ttnan. ''
Peltrées, le 12 juin 1908, à I'Opéra-Comique.
tES PRELIIDES
_
De cette époque jusqu'à l,extrême avant_
Suerre, l'æuvre de.Debuisy
mûrissant. s'épurant aussi. -fr"ì
.,¿p""Luissant,
", ã"îJîe cotoris,
la._solidité des < valeurs ), (lue
A""" iã.
-"" ìvthmes,
délicats, aériens, toujours '1""i.ft..
*,*o:'-^1"-oebussv a mûri- Il atteint sa perfec-
uutr propre et meme la perfection, dais
deux tivres de Dluzg pi¿t"aii -làur les
Suarès ptace La citn¿ir"íi*ï"såíii"
ptano.
?¿¡rasse des Audiences. parmi et La
pièces pour le clavier. n
les plus belles
S{il v .it
depuis tes trois dernières S;;;"" ""
uã-äo.iq.r",
à;È;eihoo"o,.
Des.rayons les ont pé;ét;ilã;iJt"ñisä"e,
réolés. d.u au_
_cultj eue I'auteur,
vouait à ta Nature. Iì n'esi "o*-u-iîcroyant,
d¿;;;;""es émis-
sions subtiles ou .."rètes q",iiìätTãpt¿es,
du_ites, en ces vrais poemes tra_
musicaux-
Prdtz{99 s'énlnoui*.""t .rìJLn
^-t11
uT" vari¿té,
T quatíté pmche de ceile a"-bhãpin,
gtand modèle. La concentratio" son
¿"ù,rJrvste y
telle qu'on
3:::1, -pense au vers de Baudetaire
sur la < forme et I'essence
divine n--f*Lot"oo
!e 9es deux livres est d,une ;;;""4;,on
peut confondre avec aucune autre. ne
CLAADE DEBUSS]. 103
t02 AT] PIANO AVEC
que métronomique (t), Ses valeurs sonores res-
Un grand musicien disait de certains airstant
de
taient moelleuses et d'une hiératique densité.
Mozart qu'ils peuvent se passer de texte' De sorte que les figures du bas-relief évoqué
i""r "*pt""siori est juste' Debussy' lui'.se passe devenaient plus prêtresses que danseuses.
parlante' Une indi-
de titres, tant sa *t'iiqtt" est Les deux derniers accords comme une proster-
piècå comme un posf-sc riptum'
J.tiå" nation.
"ïii "rtuqrr"
ñ";;:-tà a'aôquit de conscience'. Ces sug-
ä".tiorrr, il les souàettait à Emma' et souvent II,, Voíles (r) est une image ímmatérielle
if. ¿é"i¿aient ensemble' De plus' les PréIudes -
des barques sur la mer, la mer, < ce toit tran-
""
;;;;"t;;.-à¿¿i¿*- Peut-être le sont-ils à lui- quille où marchent Ies -colombes >, écrira paul
même, comme on I'a dit pour
-
I'Op' III de Valéry. Il faut y penser, car Debussy critiquait
;;i:hå";; r... uti. par acquit de conscience' certaines interprétations < colorées >, oñr plutôt
nous aussi' ne risquoi* pat tl'"tteur d'interpré- < coloriées > :
Ce n'est pas une photo de plage ! Une carte
'*'ñãotot, donc les Víngt-quatre Ptëludes de
tation. -
postale pour le 15 août !
DebussY :
III. Le uent dans Ia plaine. Moissons, her-
-
bes couchées par une descente d'accords rapides
en < pianissimo >. Puis, accents soudains des
grands ( coups de bélier > du vent.
PREMIER LIVRE
ry. Les sons et les parfums
(1900-1910) - soi¡ (3), préludent ici àtournent
I'aír du
dans
l,année lgl0.
Datés du 1"'janvier, ils sont un cadeau lourd
d'un rythme
de sens, riche de I'angciisse baudelairienne :
l. Danseuses de Delphes' Pages eharme troublant des vibrations de la nuit, lan-
-
*ri""t"""*l-i"spìt¿"s par un 1 g-rolpe de trois
>>
guenr de l'éphémère que nous sommes, avides
Tem-
ã"i.""."t, iragment sóulpturatvuduIafameux
reproduction
d'ivresses sans lendemain. Seul compte Ie plaisir
;i;ä-te tríaître en avait de I'heure ! disait volontiers Debuisy.
joué par
ã,il]ã""t", et l'on constate déjà le rôledebussyste Dès la première page, il faut réussir le legato
iî ohrt.stäfhi" d"rr" I'interprétation ( égal et doux > : Ia poésie flotte, vous enveloppe
a"Ë^;r,;i;it"ã1. l"i, sa réaiisation musicale. est et s'accroche comme de la brum e. lJne cocla,
si pure que nous pourrions presque en survre
'- tracé du doigt' donna lui¡nême ce préIude
le (l) Le 25 mai 1910.
(2) Egalement joué par Debussy en première audi-
<1*"¿ Debuãsy il .,
rton, au,concert du 25 mai 1910, à la Société Nationate.
toaitiott à la Société Nationale'
pres' (3) Baudelaire.
"rr-i."-i¿te
ãi"ii io"¿ lentement, âvec une exactitucle
AU PIANO AVEC CLAT]DE DEBUSSY 105
104
VIII. La aur cheueur de lín. Le plus comme par les amateurs. Parmi les exigences
- des fiIIe
littéraire compositeurs paraphrase ici la de son interprétation, reste toujours la maîtrise
Chanson Ecossaise de Leconte de Lisle. Cette de cette technique en profondear, spécifìquement
poésie,il faut en traduire I'assonance préraphaé- debussyste, que nous avons étudiée de si près (').
lique par une sonorité-sæur, tout près du clauier. Je dirai même qu'ici c'est < une pression de
plongeur > que la main du pianiste devra exercer,
L'amour, au claí¡ soleil d'été comme pour atteindre les pierres englouties
Auec I'alouette a chanté. alors que cette main, dès I'instant d'après, -
ébranle l'énorme boutdon percutant de la Cathé-
Sans être pianiste, Chouchou Debussy jouait drale, telle un maître-sonneur. Par ces deux
ce prélude comme son père, dans un sentiment façons opposées d'attaquer la corde-. un triom-
de pureté musicale inimitable. phant contraste est obtenu. L'imagination peut
alors guider l'interprète vers ses trouvailles per-
IX. La séré.nade ínterrompue. Adorable sonnelles, les assises de son talent étant, comme
-
image-fantaisie d'un pauvre guitariste espagnol. celles du temple, inébranlables ! Et n'est-ce pas
La phrase un peu suppliante qu'il fredonne I'imagination qui a inspiré le poète ?
émerge des échos d'une lbe¡ía populeuse, et son
tempo indiqué quazí guitarra (modérément Pou¡ nous être apparu enfin
animé), est généralement pris trop vite. Car T'oí, d'abotd, qu'on comprit à peine
mille incidents de la rue arrêtent la chanson Plus français que l'Ange d'Amiens
d'amour de notre pitoyable don Juan : Et qûe les sanglots de Verlaine
Pauvre bonhomme ! disait Debussy __ il
est- toujours interrompu ! Pour aooir faít de fes frissons
Et peut-être de ta souffrance
X. La Cathëdrale englouti¿. Au début de A tq cathë.drqle de sons
-
ce préIude, l'univers mouvant cher à I'auteur Le plus beau uitraíI de France... (2)
de La Me¡ recouvre les trésors de la Ville d'Ys...
fügende venant d'aussi loin que Ce qu'a uu le f)ebussy est maintenant le dieu familier de
oent d''Ouesú, où des < années-son >> nous sépa-
tons les fervents de sa Cathédrale {3).
rent des orgues et des cloches de la cité morte.
Statique est son linceul d'eau. Mais Debussy (1) Chapitres 3 et 4 : Au Pio,no (\T, et Au l¡iøt¿o (tÍl).
arrache la Ville aux nappes sous-marines par (2) Maurice Rostand, Sta,nces à Clauile Debussy.
un thème superbe, surgissant en coupole, et qui Poème publié pàt Cho,nteclerc, le 24 mars 1928, annlver-
gaire des dix ans de la mort du Maitre.
ne cesse d'inspirer les artistes. Aucun des Pré- (3) Debussy avait présenté lui-même ce prélucle, à la
ludes n'est joué aussi souvent, par les virtuoses Société Na,tione,le, le z5 rnai 1910.
108 AA PIANO AVEC CLAUDE DEBUSSY 109
XI. La danse de Puck fut donnée en pre- Qui n'a connu sa modestie proverbiale, son
mière -audition le rnême soir que La CathédrøIe humour qui servait celui d'un Debussy ou d'un
engloutíe (toujours à la Socíëté Natíonale), par Ravel ?
Debussy lui-même. Celui-ci, qu'attirait Shakes- Au début du siècle, leurs æuvres, générale.
peâre, avait mis en musique des fragments du ment jouées en première audition à Ia Société
Roí Lear, ébauché un Comme iI uous plaíra. Nøtíonale de Musíque, paraissaient très < mo-
Le nain Puck nous ramène au Songe d'une nuít dernes >. Maintenant qu'elles restent
d.'é.té., à ses caprices légers, incisifs. Appel du paími les
cor d'Obéron ! qui protège une retraite rythmi- ¡t_lus
grands Classiques, pensons à tout ce que
que et sentimentale avec attendrissement, fan- Vinès, grand pianiste espagnol, fìt pour la musi-
taisie et humour déguisé. Nous sommes dans que de notre pays.
I'ambiance britannique . qu'aimait I'auteur de
ChíIdren's Corner-
C'est une des plus belles choses du deuxième Debussy n'avait pas, et n'a jamais franchi
livre des PréIudes, que cette pourriture douce. les Pyrénées. Lui qui, avec une divination pres-
Et cependant, au PIus lent de la page 3, deux que occulte, nous laisse, après ses pièces < espa-
appets inattendus de trompettes précèdent I'a-do' gnoles >, irrémédiablement épris, troublés, trépi-
rãñle question de la fìn, formulée par les der- dants, ou tristes à mourir. Depuis que je sais
nières notes: c¡u'en latin Carmen veut dire < charme >, j'ai
Le printemPs reviendra-t-il ? compris !
-III. Dairs La Puerta del Víno, quel tanin Lorsqu'il reçut cette photo représentant la
sonore-! Quelle lascivité, à I'intérieur de ce bouge, Porte célèbre de Grenade, le Maître, impres-
derrière cette Porte du Vin ! Quels ferments sionné, dit simplement :
poplrlaires autour d'une danseuse espagnole ! -- Je ferai quelque chose avec ç4.
Auec de brusques oppositíons d'eætrême uio'
Ience et de passíonnée douceur celle-ci se donne, IV. Les Fées sont d'eæquises danseuses...
se reprend... Telle I'héroïne de < La femme et - capricieuses des nymphes de < I'Après-
et fìlles
le pantin >, sur une cadence de haban¿¡a' Au midi d'un faune >. La virtuosité doit être ici
piairo, deux accords arpégés serré, < plissés > des charmante, impalpable, et d'une souplesse
ãeux mains, ondulent puis se déploient comme aérienne.
la jupe d'une infernale maj<ì de Goya ! Ces
arpèges doivent être assez rapldes pour que ne
brãnóÌre pas le rythme, inflexible. (Pour arriver V. Brugères. L'odorat sensible du Maître
à cela, peut-être ai-je répété ces accords cent
- < sentir la mer > jusqu'au milieu des
lui faisait
fois de suite avec Debussy !) D'ailleurs, tout bois. Il en mariait I'odeur à celle de ces buis-
est marqué, jusqu'aux plus petites nuances : sons celtiques qui prolifèrent sous les grands
< gracieui >, < ironique )> le côté provoquant pins. Du tout, il disait :
de la scène ne serâ jamais- trop souligné' Avec C'est ça, Ies' bruyères ! Et non ces petites
une morgue inattendue, dans ce bas-fond sombre -
fleurettes aux tons de porcelaine que je déteste.
et chaud en ré b maieur. Quel décor' pour une Du point de vue de I'exécution, la limpidité
pareille vision ! presque mozartienne de ce prëlude rendait
Une carte postale I'inspira, dit-on, envoyée Debussy plus exigeant, plus méticuleux encore.
d'Andalousie þar Manuel de Falla' (Je crois, Invisible à première vue, la diffìculté des der-
pour ma part, que I'expéditeur était Carlos de nières mesures restait si tenace, à la basse,
Castéra, dilettante et musicien, mais peu im- qu'inlassablement, toujours au travail... on
porte.) recommençait :
tt2 AU PIANO AVEC CLAADE DEBUSSY 113
Mais, sur ces mêmes rë-sol, ré-sol, l'effort X. Canope. L'urne grecque qui.ornait son
pourtant si primitif des quartes montantes '--- bureau- servit de thème à Debussy plutôt
áominante à tonique atteint soudain la force son couve.rcle, dit ( canope >. Comme pour les
lunaire qui soulève les- marées. Quand le pauvre Danseus¿s de Delphe, il sonorise des lignes pen-
Debussy quasi-mourant plaisantait d'un < direc- sives et tendres, rythme discrètement un chant
teur pour la musique des Sphères >>, ajoutant : funéraire.
< Je me crois tout à fait désigné pour ce < haut >
emploi ! >, il ne croyait pas si bien dire. Loin' XI. Les tierces alternées. Seul parmi les
déjà, de la formule sentiment-mélodie, à la -
vingt-quatre pré.Iudes, celui-là est un divertisse-
Massenet, par exemple, cette musique semblait' ment purement technique. Il rappelle les Etudes,
hier, incompréhensible. Demain, familière aux les recommandations de l'auteur ooncernant
voyageurs de l'espace, peut-être sera-t-elle sifflo- Chopin et sa manière : << ... j'ai des souvenirs
tée comme Au clø.fu de lo. lune 2 Qui sait ? très précis sur ce que m'a raconté Mme Mauté
de Fleurville. Il voulait (Chopin) que I'on étu-
VIIII. Ondíne. Petites vagues d'accords diât sans pédale, et, qu'à de très rares excelF
dont se joue la naïade espiègle. Le thème du tions, on ne la conservât pas ('). r
milieu est d'une mélancolie un peu irritante par Ne I'oublions donc pas (r).
ses frottements de second¿s. La fìn, précise,
doit être gardée très nette. Bref ressac masquant XII. Feuæ d'artífice. Ce morceâu doit être,
la fuite d'Ondine... Comme elle, le virtuose doit avant -tout, < placé >. D'unç manière géne-
se jouer de la fluidité, de la fantaisie des traits,
rale, on ne le joue pas en mesure et je ne sais
et mettre ta pédale avec un grand soin.
pour quelle raison ? C'est contre quoi s'insur-
geait I'auteur :
l. Pagode.s.
II. -
La sobée dans Grenade.
III.- Jardins sous Ia pluie.
-
Avec la troisième Estampe, un vent de Paris descente (Rapíde\ est comme un glßsando,
nous cingle délicieusement, paradoxalement, dans marquer ensuite le :
les "fardins sous la Pluíe.
Une ronde d'enfants au Jardin du Luxem-
- ! Du soleil ! demande l'auteur, pour cette
bourg
féerie bruissante. On croit avoir mal compris,
tout d'abord. Si ( après la pluie vient le beau
temps >, il faut encore y penser. Il n'était pas ?
facile de happer au vol comme il I'entendait les
intentions du Maître ! On s'explique le contrç d'une touche légère. Mais surtout, dès cette
sens de certaines interprétations <( en grisaille > même page 21, commencer à peindre sou¡dement
'un
après ce titre de Jardins sous la pluÍe. Lorsque le Tempo < mystérieux > comme nuage pré-
j-échos-ravissants
enregistrai cette pièce, menant rondement les cédant I'arc-en-ciel.
de Nous n'írons plus au boís,
Ies lauriers sont coupés... le tempo en fut discuté
à la parution du disque.
C'est Marguerite Long qui a raison, et son
-
mouvement est le bon" conclut Emile Vuiller-
rnoz elle I'a travaillé avec Debussy. (En effet'
-
la mesure à 2 temps et I'indication Nef et uíf
prouvent assez que l'allure est rapide.) S'il est
diffìcile de se juger, une artiste n'a-t-elle pas le
droit de se rappeler ces heures trop vite envo-
lées où, près d'elle, le Maître écoutait, indiquait
une nuance, précisait une sonorité, la condui-
sant doucement à substituer son interprétation
à la .sienné ?
Ainsi, à la page 21, dernière ligne, il faut
< monter > pro¡¡ressivement les degrés du chant
qui part du sol de la basse' pâsse de main en
-- La musique de Debussy m'émeut, répond- Jean Cocteau m'a frappée, s'appliquant si bien
elle à I'enquête de La Reuue, elle me transporte au cas Debussy :
dans le pays du rêve --- cl'un rêve tendre, volup- L'art, c'est Ia science faíte chair (1).
-
tueux, charmant'.. La nature, il faut le dire, avait bien travaillé.
Faut-it voir dans cette disposition une corres- Fvoquons une dernière fois l'auteur d,e Pellëas,
pondance entre I'auteur et ses auditrices ? On a jeune... Déjà < déterminé >, orienté, < bien en
àit ¿" lui qu'il avait l'âme féminine; celle-ci chair, figure ironique et charnelle, mélancolique
ne détient-elle pas ce ( pouvoir de plaire qui est et voluptueuse >. Au moral, < une extrême atten-
proprement un don > ? Ici, c'est Debussy qui tion, regard de poète à la française, qui analyse
i'exprime, parlant de Nfassenet, le type même jusque dans la rêverie, et qui ne cesse pas de
du < charme français > de l'époque. Massenet comprendre > (").
est d'ailleurs le musicien entre tous qu'il est A lui, maintenant, de braquer vers les mys-
intéressant de comparer avec f)ehussy (qui ne tères d'un art qu'il adore ces phares de I'intelli-
fut jamais son élève, quoi qu'on ait rlit). Il suffìt Sence et de la sensualité...
d'évoquer leurs principales hér<lines : Thais, Tel son grand aïeul, Illonteverde, le musici.en
courtiiane, Manon, < femme légère >, Mélisande, usera de I'alchimie spéciale invoquée pour les
princesse... ; de comparer leur message artis- Etudes. Il va < bûcher > en savant autant qu'en
liqnu , ¡{ssíeds-foi près de moi, couronne-toí de amant délicat ; épousant déjà ( la sonorité sen-
Ríen n'est urai que d'aimer l.-. Adieu ! suelle r des paroles, se servant < d'effets pure-
"oJes...
notre pelite table...; et (dans la scène de la Grotte ment sonores pour rendre guelque état fugitif de
de Pellé.as, où les puristes prennent < les trois la sensibilité > ('). Le sillage des á¡abesques ou
vieux pauvres qui se sont endormis >> comme d'autres æuvres de jeunesse nous permettent
symboie des désirs sensuels ('), le pudique : Ne ensuite de le suivre mélodiquement. Mais la
les réueillons P¿ts ! IIs dorment encore.,. Mélodíe, seule, n'est pas la formule magique
Chez Debussy, le réveil n'en sera que plus propre à Debussy. C'est par I'harmonie qu,il
dangereux ! Non seulement son impulsion natu- exerce un empire qui est peut-être sans égal,
rellã laisse loin derrière elle celle de Wer- < L'Harmonie > ? Au sens Manuel dtharmoníe
fher, mais, de même qu'il forgea sa technique des Conservatoires, combien scolaire, ingrate, re-
de la sonorité ou de l'émotion, de même il va butante ! Il semble y avoir contradiction dans
folger sa technique de la séduction' Personnelle- les termes, et cependant... Qui de nous, au cours
ment, je vois dans I'attirance debussyste exacte- du Seæfuor d,e Don Juan, ou même d'une simple
lnent le contraire du côté < à fleur de peau > (7) Le coq et I'arleqpln.
de Massenet. C'est pourquoi cette réflexion de (2) Louis Laloy.
J3) Siegmund von Hausegg:et (Lø, ReÐue d.u Tánps
(1) Charles I(oechlin. I'a Reuu'e fllrsicare. WéserLt, 1909.)
134 AU PIANO AVEC CLAUDE DEBUSSY 135
< Quand vous assistez à cette féerie quotidienne tent un aveu terrible, où même l'élancement dou-
qu'est Ia mort du soleil, avez-vous jamais eu la loureux se fait musique. Pourquoi ces pièces
pensée d'applaudir ? > On sait qu'il projetait admirables pour piano à quatre mains sont-elles
ã'harmoniser le Palais du Silence, ballet. Ses si rarement jouées?
< flns de scène >, ses < lìns d'acte > sont suspen- < Terriblement triste >, dit son auteur de la
dues à un souffle immobile... Mais de cette paix, Sonate pour fltrte, alto et harpe, seconde de la
la mélancolie renalt avec les mots : série des Sonaf¿s (le n' I est pour Víoloncelle et
Je suís heurcuse rnais je suis ttíste, chante píano, l9l5). Quant à la Sonafe pour uiolon et
-
Mélisande, dont le baiser trahit si vite. I'amer- píano (n" 3, 1916), dernière Guvre qu'il ait joué
tume que notre angoisse apparait. Et Debussy en public en 1917, l'idée de son FínaI avait si
reste trop lucide pour nous faire grâce, après longtemps harcelé Debussy qu'elle *esta pour
tant de délices, des tortures dont il connaît tous lui r I'exemple de ee que peut faire un homme
les rouages celles tle la chair jalouse : malade pendant une guerre >. Et, plein d'anxiété :
- -
En est-ce fìni pour moi, de ce désir d'aller
toujours plus avant, qui me tenait lieu de pain
Gor.run (t¡atnant MéIísande, à genout, et de vie?
Par sa chevelure)
pure de la ¡rensée >, Ia mélodie (').4 un critique Et Debussy continuera de prendre ce rythme,
viennois, le félicitant d'avoir < enfin supprimé la ce ( pouls >> du monde gui I'entoure tel le sien
mélodie > : propre. Comme âvec un diapason appuyé sur
l\{ais, monsieur, rna musique n'est que mê-
- ! répondit I'auteur cles Nocfu¡nes. le cæur : < Ah I Je l'aimais uraíment bíen I
lodie s'écrie-t-il, à vingt-neuf ans, après un chagrin
Il ira jusqu'au souci d'assurer cette courbe d'amour. J'ai laíssé beaucoup de moi a.cctoché
vitale par une sorte de relais entre créateur et à ces ronces I >
public, par la chaleur humaine de I'interprète : Ce < beaucoup de moi >, c'est toute sa musi-
< Je m'explique, écrit-il à Messager, après les
que. C'est même le graphique minuscule et clâir
représentations de I'Opéra-Comique, vous avez su de ses .manuscrits, où < blanches >, < noires >,
< croches > et ( soupirs ) pourraient tenter le
éveiller la vie sonore de Pelléas avec une délica-
tesse tendre qu'il ne faut plus chercher à retrou-
microscope, fìgurer dans une coupe de cellules
ver, car il est bien certain que le rythme intérieur encore vibrantes... Ce.bruissement de vie fìnit par
de Ia musique dépend de celui qui l'évoque, dépasser < la science des accords >. Il recouvre
cornme tel mot dépend de la bouche qui le pro- chiffrages ou squelettes musicaux de la chair
nonce. > (2) des personnages debussystes. Ne sont-ils pãs
prêts, maintenant, pour affronter I'aventure com-
(1) < La méIodie sera toujours I'e-tpression la plus bien plus grave que celles des mathématiques
pure de la pensée humaine. ) Charles Gounod.
2) Debussy n'est pas seul à célébrer I'incomparable ou du plaisir l'þp¡s¡ve de I'amour?
rnusicien que fut André Messager ! iVlon affection et mon -
admiration s'expriment ici devant le véritable panorama
sonore qu'il anima de sa sollicitude, de son talent, de
son éclectisme... Si des modernes comme Poulenc (avec
le ballet des BiclLes), Saug:u€t (avec La, Cllatte) bénéfl-
cièrent de ce que Debussy åppelait sa << mise en place >
extraordinaire, n'oublions pas I'orchestration qu'il écrivit
pour rnoi dtt Concerto en fa tnineur de Chopin, et que
j'enregistrai par la suite. Rappelons-nous le triomphe
de son interprétation ð,e Parsi,la,l, ¡" 1.r janvier 1914 :
Mais ce que Iê public, toujours amoureux de Véronique
ov de Fortunio, ignore sans doute, c'est la passion de
Ieur auteur pour la musique pure... Un jour, apercevant
sur son piano une partition ouverte des Møaurkas de
Chopin, un peu étonnée, je I'interrogeais du regard :
Mais, ma chère amie ! insista-t-il, je
- des soirées d,élici,euses, tout seul aveccroyez-moi,
passe les Mazurkas
de Chopin.
Qui eût soupqonné ce séducteur, gâté par la gloire
et par les fêmmes, de passer ainsi << des soirées délicieu-
ses )) ? Sûrement pas les grandes súø"s de I'époque dont
il avait fait de presque toutes la conquête !
- -
------T
Le colloque sentimental.
-
...Des púrs sur Ia neíge. -- Masques.
qu'il était capable d'affection comme de désaf- qu'au mariage. Epoque cruciale correspondant à
fection. Rien n'est plus vrai : une ombre plane la conception, puis à la < bataille > de PeIIéasl
dès les premières liaisons de sâ < vie de Gaby Dupont, puis Lily Texier qui, d'ailleurs,
furent amies et qu'avec la perspective- du Temps
Bohème >. Quoi de plus fleur bleue >, de plus
<<
partagèrent la quasi-misère
< Mimi Pinson > que < Gaby aux yeux verts on peut confondre
avec laquelle il vécut dix ans, selon son expres-
>>,
de leur grand homme - sans trop le comprendre
sion < dans une purée noire, verte, multicolore, autrernent qu'en I'aimant, en se taisant, en lui
et jusqu'au cou ). C'est avec ferveur que Gaby < faisant à manger >. La légende prétend qu'au
de son vrai nom, Gabrielle Dupont admi- soir de la < première >> de Pelléas, Claude et
-nistra cette gêne de tous les jours. Et -Debussy Lily Debussy avaient, à eux deux, seize francs
la < désaima > pourtant au point de persifler sa en poche! -
jalousie, le < drame > cle leur rupture, et le < vrai Les confìdences de Debussy le montrent, au
rêvolver > qu'elle préférait encore à la vie sans contraire, réagissant avec violence. Cynique o_u
lui ! Mais, cette fois, le drame n'alla pas plus chagrin, c'est une question de date. It suffit
loin. de voir cette édition de PeIIéas donnée à Gaby
Puis, ravissante blonde native de Bourgogne, ( en souvenir d'un passé commun si proche et
vint Rosalie Texier, mannequin dans une maison déjù si loíntain ('). Au moment de leur mariage,
de couture, que tout Paris baptisa Lily. Imitant (1) Pourtant, début et fln d'une idylle meurtrissent
parfois le cceur sibyllin du Maitre i A titre de < pure
en effet le faire-part (') de son ami Pierre Louys, ttypothèse >, ma,is Íroas¿ble, V.I. Sérov avance que la
Debussy ânnonce, en 1899, son mariage en ces lettre suiva¡ite put être inspirée pør Camil,le Ql'øuclel, la
termes : < Mlle Texier a changé son nom inhar- sceur du poète. Elle et Debussy se voyaient beaucoup, au
moment de ce récit (d'ailleurs, en pleine < époque
monique pour celui de Lily Debussy, bien plus Gaby >). Sculpteur de talent, élève et < égérie > de
euphonigue. > Puis il écrit sur sa partition des Rodin, cette belle jeune femme, auditrice ferveûte de
Debussy et de six ans son alnée, ne se décida pas à
Nocturnes.' < Ce manuscrit appartient à ma pe- l'épouser. Mais beaucoup de ses æuvres, dont < l'aunes-
tite Lily-Lilo. Tous droits réservés. En témoi- sei >, u Sirènes ), etc... parlent pour elle. De son côté,
gnage de la joie profonde et passionnée que I'auteur d,es Nocturnes s'en ouvre à Robert Godet, son
ami, dans une lettre digne de Nietszche ou de Saint-
j'ai d'être son mari. Claude Debussy, ce jour de Exupéry :
I'An 1901. > < ,.. Je suis encore très désemparé : la fin tristement
inattendue de cette histoire dont je vous avais parlé,
Ton faussement badin, qui voile le sérieux de fin banale avec des anecdotes, des mots qu'il n'aurait
deux engagements successifs dont l'un alla jus- jamais fallu dire. Je remarquais cette. bizatte transpG
sitlon, c'est qu'au moment où tornbaient de ses lèvres
ces mots si durs, j'entendais en moi ce qu'elle avait dit
(1) ( En raison de son amour pour la rime rich€, de si uniquement adorable; et les notes fausses (réellee,
hérité sans doute de son père, Mlle Louise de Hérédia hélas!) venant heurter celles qui chantaient en moi me
a changé son nom en Louise Louys, ce qui est plus déchiraient, sans que je pusse presque comprendre. Il
symétrique et a plus d'équilibre. > Cité ,par V.I. ,Sérov, a pourtarit bien fallu,comprendre depuis, et j'ai laissó
Ctroud,e Ðebltss'gt. Corréa, éd. beaucoup de moi accroché à ces ronces, et serai long-
_______Y
10
t46 AU PIANO AVEC CLAUDE DEBUSSY t47
C'est une chose terrible que de uoir l,amour quiil choisit, même rêveusement, pour sienne,
s'éteínd¡e au fond de soi, alobu" son héros, c,esf les triples perfections, morales, physiques et sÞ.
comme sí l'on uoulaít uenír au secouÍs d,un en_ ciales? >
fant qui se noíe et qui s,enfonce un peu plus Avec ce genre de femmes, Debussy souffrit
quand on ueut le serrcr dans ses bras. Ce n'est d'aimer trop. Peut-être jadis avec Sonia von
pas ma faute... Meck, sa première flamme; sûrement avec
Mme Vasnie¡ dont I'absence puis l'éloignement
défìnitif le désespérèrent. II pleura < Ia dispati-
< Ce n'était pas la faute > de Claude,
ans, puis cinq ans de vie commune révélaient
si dix tíon du Rêue de ce rêue > (I'ínconnue d.e Ia lett¡e
à Robert Godet). Mais ses vrais < drames > furent
brusquement qu'une femrne n,était pas << son les séparations d'avec Emma. Après deux lustres
égale sur le plan intellectuel >>, qu'elle ire pouvait de mariage, il restait passionnément épris, et
pas avoir d'enfants et << qu'un abîme lei sépa_ plus attaché à son intérieur par le fait des cir-
rait > ! Au-dessus de cet abîme brillait celte qu'il constances. A cinguant'e âns, certes ! son pain
désirait maintenant... n'était pas à gagner, mais bien la vie assez dis-
Presque tous ses amis reprochèrent à Debussy pendieuse de sa femme et de sa fìlle
. d'où le
d'être sensible à un < côté décoratif >, de même -
nécessité d'accepter de diriger des concerts De.
qu'à une situation matérielle au_dessus de la bussy à l'étranger. De lui dépendait donc cette
sienne ce qui, il faut bien I'avouer, fut le aisance qu'on lui avait tant reprochée? Quelle
cas pour-_Emma Bardac à laquelle il sacriiìa Lily. douceur ! Quelle fìerté ! Mais aussi, à chaque
Nous connaissons les circonstances grâce aux_ départ, quel arrachement ! De chaque étape,
quelles < Claude >, d'abord professeur ãe son fìls, quelles nouvelles déprimantes et déprimées :
puis familier de Ia maison, connut cet intérieur
séduisant qui comblait ses.propres goûts. Avant
l'explosion d'une passion I'amãn"rrt- divorce J'en aí tellement gros s¿¿r Ie cæ.ur que je nc
et à une seconde union, I'auteur du "o prcmenoir sais pas par où comntencer... Je me sens affreu-
des deuæ annants dut hanter cette antichambre de semerú dépareíllé et, si je ueur m'appuyet sur
l'âmour dont I'accès se nomm e prestíge. le < côté cæut >, c'est Ia pÍre douleur, puisque
_ D'oir le reproche de ses amis de viseiau_dessus c'est en toi qu'il trouue son appuí...
de lui; mais, quand on est Debussy, y a_t_il un Ce uogage qui doit nous servir... II faut peut-
< au-dessus >> social ? <
euel est i'hómme, dit être Ie considërer comme une sorte de régime
Balzac dans Za Duchesse de Langeais, quel est ímposé par la uie à. notre ø.mour quí en so¡fi¡a
I'homme, en quelgue rang que le sort l;aii placé, non pas plus beau, car çq serait Ie mal juger,
qui n'a pas senti dans son âme une jouissance maís reuêtu de cette < patine > que donne Ie f øit
indéfìnissable, en rencontrant chez uire femme d'auoir souffert pour Ia chose que I'on aime Ie
,_________!r
Sur ce scénario de I'Errant solitaire, Debussy, (l) ... Cl¿aque üWa,genten reti,re urù rreu ; ã, la, fin,
avec son génie habituel, trouve l'expression juste' le finí,røi par nlêtre pour to¿ Eltlun étna'nger qúl
x¡l,us
[taj,se et øuquel â,1 rú"est plus besoin d'e s'a,ttach,eî... Ptur
En musique, le sombre sol bémol møieur de la m,o|, dest I'efret co'ntraòre... Il ne laut pas esr¡érer chn'nger.
page 5 de Masques; et, dans cette lettre de Rome, les rctes de lo, d.estínéø. Rome, 21 février 1914.
(2) Moscou, 8 décembre 1918.
ia oisiott d'un univers moral désolé :
152 AT] PIANO AVEC CLAADE DEBUSSY 153
Bientôt, que ce soit d'Italie (1913), de Hollande Feígníes,29 auríI 1914, l0 heures.
et de Betgique (1914), dernières stations de ce
que le musiõien appelle son calvaire, un avant- Bonjour ma Míenne. A tout à l,heure midí qua-
goût de retour naît sur ses lèvres. (Pour moi, rante" 7'endresses.
j'entends le Premier Tempo de Masques repre- Cr,¡.uor.
nant o très vif et fantasque>>, crescendo jusqu'à
une manière de triomphe, à la page 9.) Tandis f*
qu'en lettres et télégrammes parlent à nouveau
Iã fantaisie, la hâte : (de Pise) II A a ící des Cette aptitude frémissante à âimer, Debussy
uiolettes que ttt aimerqis. Mais ttt n'es pas Ià' l'étend à son métier, jusqu'à hausser celui-ci à
Pourquoì g a-t-il des uiolettesT la <'mission divine > de l'artiste, à laquelle il
fait allusion ¡rlusieurs fois :
(Télégramrnes) : L¿s trcÍns ne uont pas uíte' Soufirir, mourir, mais rester pur et euryth-
I nt patíe ntes t e nd t e s se s - -
mique!
De son pays et sa provincg, il harmonise les
Hâte qui devient Pathétique : poètes : Villon, Charles d'Orléans, Tristan L'Her-
mite... Cette lle-de-France < toute frissonnante
Je suis comme lvlélísande : < Je ne dis pas ce de peupliers et de ruisseaux >, c'est la douceur
que je ueutr >... J'auoue humblement que mon onduleuse du sol natal. Comme Louis XIV, De-
iorpotíence a dépassé toutes les bornes. Il faut bussy est né à Saint-Germain, et l,on sent en lui
qrà ¡e tetrouue mon bonheur, ma uíe..' l'âme d'une race qui nous a valu des rois. < Où
est-il ? a dit d'Annunzio. Je ne sais pas imaginer
la tombe de cet inventeur aérien. > ùIusicien
Feígníes,2 mars 1914, 14 h.20. f rançaís, comme il s'intitule, il n'en est que plus
universel, plus croyant, âussi, à sa manière :
PIus que tluelques heures. Tout tnon amour --- Sentir la suprême et mouvante beauté du
spectacle auquel la Nature invite ses hôtes éphé-
Cr-euon. mères, voil¿ì ce que j'appelle prier.
-- Seuls, les musiciens ont le privilège de
eapt^er toute la poésie de la nuit et du jour !
eonfìait-il encorc au NIaître Ingelbrecht, d,en
Bruæelles, 28 auril 1914, 20 h. 21- rythmer I'immense palpitation...
Ces mots, d'une telle beauté, nous montrent les
Enfin, c'est fini. Pourquoi nl¿s-fu pas Ià pout <¡ncles debussystes englobant peu à peu le monde
que j'oublie ma fatígue? dans une sortc de panthéisme, pourtant très
154
tien, < sagittaire à la chevelure d'hyacinthe >. Un arbre, un pin blessé, saignant la résine,
favori de I'etnpereur. Déjà celui-ci s'inquiète. au cours d'un séjour du poète dans les Landes,
doute, s'irtite, ordonne des épreuves : le plus lui suggère l'irnage du laurier-martyr. Mais gui
cher de ses officiers renierait-il le culte d'Apol- jouera jamais Ie rôle du Saint ?
lon? C'est alors qu'en 1910 d'Annunzio a la révé-
Devant toute l¿r cour, le bel Archer du Liban lati<¡n des Ballets russes, au Théâtre du Châ-
triomphe d'aborcl ; dansant sur les charbons telet. Découverte éclatante ! Chocs ou alliances
ardents qui se changent en lys ; guérissant la entre les r¡rthmes, les couleurs et les sons !
F-emme lllalade de la Fièvre, symbole de I'huma- Iìblouissement clû à Serge tle Diaghilev et à sa
nité souffrante : troupe qui devient illustre, qui stupéfìe Paris :
! dit simplement te grand ani-
Amou¡. que ie sois øss¿¡uuie, s'écrie celle-ci, - Etonne-noi
rnateur à son danseur-étoile.
Seigneur Amour, voící ma uie! Et Nijinsky. dans le Spectre de Ia Rose, pul-
r'érise les lois de l'équilibre et de la pesanteur!
Devant I'enrpereur fou cl'angoisse, le Saint' L'Oiseau de Feu plane, Pé.trouchka éclate, les
refusant la Victoire d'or offerte par César, mime noms de Bakst, de Picassø, d'Alexandre Benois
enfìn la Passion du Christ. Rien ne peut désor- côtoient ceux de Rimsky-Korsakov, du jeune
mais éloigner son calice : Stravinsky; d'Anna Pavlovà, de la Karsavina,
Percé de traits par ses propres soldats, ces aux diadèmes hiératiques. Parmi ces spectacles
flèches fleuriront le << Laurier blessé >, bois du prodigieux, un poète de ses amis, Robert de
supplice, tandis qu'en âme et esprit Sébastien lfontesquiou, signale à d'.dnnunzio Schéhérazade,
atteint les lueurs paradisiaques. <,lansé par trIme Ida Rubinstein. Son intuition
ne I'a pas trompé...
*
** L'auteur du Fer¡ voit I'Orient dorer ce grouil-
lement génial des Bcll¿fs... Dans Saínt Sébastien,
ce mêrne Órient paiera la rançon de Ia flèche
A cette s¡'nthèse poétique de I'antique et du lancée par I'Archer d'Emese vers nos pâys, nos
chrétien, comment d'Annunzio était-il pan'enu? croyances. Et pour traduire et imposer au public
I)epuis longtemps. délaissant pour le Martgre un pareil < saut vers l'au-delà > (1) aucun accent
tous ses autres projets, il travaillait, tâtonnait, ne sera superflu pas plus celui tle la décla-
s'acharnait. Il ne lui faudrait pas moins de quatre mation que ceux- de la musique, du chant, de
rnille vers pour modeler les traits de cet q archer la danse de la danse, surtout.
certain du but >, si éloigné de son attitude -
personnelle. Un double choc fut pour son héros (1.) Albert Cemus. Le ì[ath,e d,e Sisltphe, Gallimard, éd.
l'étincelle de vie :
158 AA PIANO AVEC CLAUDE DEBUSSY 159
Là surgissait, comme des steppes de I'Asie rabatteurs indigènes rompait sa solitude. Ceux-ci,
centrale, I'extraordinaire apparition d'Ida Ru- quand le gibier royal était signalé, approchaient
biùstein. Sa ligne < éionguée > à I'extrême cou- jusqu'au champ de tir la chaise à porteurs ou le
ronnait les recherches iconographiques, gravures, palanquin de I'actrice. < Caprices fastueux ! >,
statues, tableaux, enluminures du Saint, que le disait-on à Paris. Enfìn, quand Schéhérazade eut
poète poursuivait fìévreusement dans tous les accepté de jouer le rôle du Saint, une passion
pays. Au point que l'on ne pouvait, chez lui, commune rapprocha encore d'Annunzio de celle
ne pas heurter une effìgie quelconque du favori qu'il nomma < mon cher frère >. Fréquentant
d'Auguste ! Et voilà qu'en Scåéhérazade, là, à les cercles d'Archers régionaux, ils s'entraînèrent
deux pas de son fauteuil d'orchestre... il croyait de compagnie au Tir. La longue silhouette cam-
rêver : brée, désincarnée, ne ployait-elle pas comme la
Vois-tu, dit-il brusquement à Tom Anto- ligne même des grands arcs ?
- son secrétaire, vois-tu, ce sont les jambes
niaggi, Où trouverais-je un acteur dont le corps
de saint Sébastien que je cherche vainement de- - aussi immatériel? s'écriait le poète.
soit
puis des années. L'æuvre fut inscrite au programme de la
Le propos semble frivole. Je le cite, pensant Grande Saison de Paris de mai lgll par Gabriel
aux premières représentations da Martgre : il Astruc bien avant d'être fìnie. IJn lien inattendu,
me suffìt de fermer les yeux pour revoir tra- une sorte de < soif d'infìni > reliait de loin entre
-
çant de ses longs pieds aigus le Signe Eternel eux les créateurs et leur interprète. Celle-ci
sur I'incandescence de La Cour des LAs sacrifìait tout maintenant à ce nouveau rôle
IVIme Ida Rubinstein, < être fabuleux >>, à la fois qu'elle voyait de style très Fra Angelico. Le
personnage de vitrail, danseuse, et mime d'un poème surgissait fìévreusement du lutrin sur le-
< lumineux délire )), d'une < démence su- quel d'Annunzio, debout dans sa villa landaise
blime >. (') Charitas, écrivait la nuit à la lueur d'une chan-
delle. Quant à Debussy, c'est en février 1911
Ce n'était pas tout. Dans la vie privée, la seulement qu'il en reçoit à Paris les premières
légende de I'Interprète comblait, complétait celle stances. Message dont il doit capter le rythme
de I'Auteur. .Telle une antiqus Amazone, elle octosyllabique, suggérer I'ambiance inexprima-
chassait le lion en Afrique et seule la présence de ble. < Des mois de recueillement m'auraient été
nécessaires ! gémit le compositeur. Ah ! si seule-
(1) Lorsqu'€lle était au contraire près de I'auteur, Ida ment je pouvais faire ce que je voudrais ! >
Rubinstein insistait pour travailler < jusqu'à ce que En vérité, ce que ses ennemis appelleront les
chaque mot, chaque gieste corresponde exactement à ce
que vous voyez €t à ce que vous entendez >>. Lorsque les < numéros disparates > de sa musique de scène
répétitions commencèrent, tous les deux s'installèrent à et de ses chæurs va souligner, illuminer la com-
I'Hôtel des Réservoirs, à Versailles. Mais nous n'en étio¡¡s
pas là... plexité du livret :
160 AA PIANO AVEC CLAUDE DE'BUSSY 161
I-a violence de I'accent ne le cède en couleurs J'ai ressenti moi-même ce malaise. Mais je
qu'à Ia musique de Debussy, à ses lamentations, pense qu'il est à I'autre versant de l'æuvre ce
d'un lourd chromatisme oriental. Pour les mena- que I'ombre est au soleil : rayons déjå divins
ces de I'empereur au Concíle d.es Faut-Díeux., que le Duo a capella des Deuæ. Gémeauæ mar
son orchestre trouve le langage des tortures elles- fyrs / que I'enlacement d'une flûte tendre avec
mêmes : ignition, rougeoiement des cuivres, cré- cors et clarinettes pour la Danse eætatique! que
pitements, halètements des bourreaux-esclaves la poignante persuasion du Bon Pasteur ! euand
éthiopiens. Timbales à I'arythmie presque car- Emile Vuillermoz parle du pouvoir << talisma-
diaque d'une PassÍon où Sébastien, éperdu, chan- nique et surnaturel > de l'æuvre, ce talisman
celle, interroge : évoque pour moi aussi la voix de Ninon Vallin,
jeune débutante en 1911. Son timbre (celui de
la Vierge Erigone), bloquait la Porte de Bronze
Auez-uous vu celuí que j'aíme7 L'auez-uous oa? sur le Mystère .{ntique ou I'ouvrait << sur une
aveuglante lumière > les Nouveaux. Temps.
Ln Crroun
- Vallin ressuscite
Pour moi, la voix de Ninon tou-
jours les Nouveaux Temps ! O miracie du talent,
miracle de la musique : < Le PréIude d,e La Cour
Comme iI est beau ! Comme iI est beau ! des Lgs apparaît comme une perspective de se-
CLAADE D.EAUSSY 163
162 AU PIANO AVEC
pièces de Claudel par exemple, e.t le public des
condes, magnifìque escalier d'appels mystiques, grands Galas patronnés par la politiqúe. L'un
conclut notre grand critique, et la fin de la scène et
I'autre répondirent par d'inflexibles ôracles.
rappelle un autre Enchantement célèbre.-. De- Quinze jours avant la < première >- flxée au
bussy a écrit ce jour-là son Parsifal, mais ce
-mai lgll, alors que-la musique de Debussy
^_
21
Parsifal attend toujours son Bayreuth. > arrivait aur répétitions, feuillet par feuillet, brus'-
q-uement,- l'archevêque de paris interdit la pièce.
.i- II frappait d'excommunication tous les fìdèlôs qui
applaudiraient une danseuse qui osaìt incarrier
Nous touchons Ià à la mélancolie de l'art et le Sa¡nf / Ayant confondu avec^ ceux cles Genfils
de la vie ! Cette fresque originale et magnifique, les premiers ¡ites chrétiens. d'.{nnunzio fut mis à
ce déploiement gigantesque de talents et d'efforts, l'Index.
ce nombre de musiciens, d'acteurs, de lumières, Le destin laic prit la forme d'un accident
de décors, de figurants, ces < chefs de chceurs >> --
d'aviation : I'hélice d,un appareil qui décollait
mués en généraux phéniciens sur un champ de happa le ministre de la dùerre, Ài. - Berthaut,
bataille, cette analyse spectrale de l'Orient et de qui présidait un meeting international à Issy-
I'Occident, cette multipticité dans la qualité n'a les-Moulineaux. Il eut Ia tête tranehée.
pas < réussi >. Saint Sébastien a souffert de sa
richesse et de sa rtualité : on n'allie pas impu- C'était au matin du dimanche 2l mai, date
nément Adonis à un Sébastien christique, la déca-
dence romaine âu Mgstère moyenâgeux; un 9u. 11 ^repétition générale, sur invitations, de
Saint Sébastien. Le Gala fut annulé,, la repré-
souflle néo-romantique italien à la métrique fran- sentation remise au lendemain, mais, par suite
çaise de l'époque 1900. d-u-dguil gouvernemental, sans aucun iüstre offi_
Qu'en est-il né? << Un long sortilège, une im- .ciel. Soirée < livrée aux bêtes >, si j'ose comparer
mense incaniation, tln envoûtement réalisé à aux grands fauves les critiques qui ne fùrent
I'aide de mots rares, de rythmes étranges, de pas.tendres. Le public; désorienté par la dispro_
sonorités hallucinantes. Si le charme opère, ciest portion_- entre poème et musique et par
I'extase, s'il est brisé?... > (1) I'exo_
tisme d'une interprète pourtani géniale, fut en-
Hélas ! Une æuvre porte en elle son style et core plus cruel, < sortant petit à petit du théâtre
son retentissement, glorieux ou navrant : les comme I'eau qui s'écoule d'un vaìe fendu >.
foudres du Zodiaque romaiú de Saínf Sébastíen
et les imprécations de ses magiciennes éclatèrent ..Près de cinquante années se sont écoulées,
elles aussi, depuis la naissance de Sainf Sébas_
dans le ciel de Paris. Deux < mondes > y étaient ff¿n. Aucune n'a eomblé vraiment cet enfant
pressentis : un milieu catholique, fervent cles
TfptiAug qui défiait trop de lois ! Bien qu'it sus_
(1) Emile Vuillerrnoz. "t,u,,]o"to"rs de véritables passions, aúcune de
164 AU PIANO AVEC
CLAUDE DEBUSSY 165
fut un succès, âu sens maté-
ses < reprises > ne
riel du mot. Faut-il voir dans le Sort, que De- blanches ),('), à ce < goufrre de clarté >, il fal-
bussy nommait son vieil ennemi, l'adversaire lait une Vision de f)amas, une Beauté oi¡ I'art,
victorieux du < Sagittaire à la chevelure de I'amour,. la Foi se rejoignent.,. peut-être le
l\{yrte'>? Ou plutôt l'artisan de son immortalité? psychisme survolté des deux artistes leur fìt-il
accueillir, adorer la ffgure du Christ comme seule
Unité possible...
+
¿¡* La flèche, symbole de toute la tragédie, a
atteint son but : l'âme de Sébastien ne retom-
'bera pas. < Cessez, ô pleureuses!> dit
La Voíæ.
Beaucolp de gens pensent donc r¡ue Sainf < Le monde est lumière, tel qu,il I'annonce. >
Sébastíen fut une erreur.
A leur jugement, je préfère cette phrase-clé
de d'Annunzio, qui éclaire I'art de Debussy : /l Voíci les sept Témoins de Dieu
g a celui quí a une ûme pour chaque musíque,.. Les Chefs de la Mílíce ardente
Il g a celuí qui a un uísage pour chaque amour. Tout Ie Ciel chante I
Et le visage de Sébastien resplendit de I'amour Louez Díeu le Seígneur dans l,ímmensíté. de sa
du Christ du Christ conçu comme < un ravis- ff orce'
-
seur irrésistible fondant sur les âmes les plus Aileruiar
rebelles >.
Nous savons que (pas plus qge son poète)
I'auteur des Nocfurnes n'avait de croyance reli-
gieuse. Son ancienne devise : < Seul compte le
plaisir de l'heure >, explique le panthéisme amou- D'après les témoignages, Debussy travailla
reux baignant toute son æuvre. On comprend dans un véritable état d'exaltation. Lui, que Ia
aussi que cette variante : < L'Art, c'est toute la métaphysique n'avait jamais empêché de dõrmir,
Vie, c'est une émotion voluptueuse... ou reli- fut.pris de la fièvre qui rongeait d'Annunzio :
gieuse >, I'ait porté vers un sujet où le culte < ...-Il ne faut pas oublier que I'atmosphère de
d'Adonis se confond avec celui de Jésus. Un ce drame liturgique est le mfuacte, rupétãit celui-
< mélange d'intense vitalité et de sentiment chré- ci. Le deuxième et Ie troisième actei sont vrai-
tien > I'intriguait, touchait d'une manière nou- ment le sommet du surnaturel.,. La Voûte des
velle son sens esthétique profond. Mais pour Planètes est un problème i le puradis est un
atteindre à cette extraordinaire prémonition des autre problème. >
Chæurs du Pa¡adis, à ces hiérarchies célestes
alertant toutes les harpes, à ces << provisions _- (1)- Delcri.ption de I'horizon céleste par A. de
- --' Saiht_
Elxupéry, dans yo¿ d,e nutt. Galltmard, éå.
CLAUDE DE'BUSSY 169
168 AU PIANO AVEC
Et suivent enfin les ,. maiires-mots >>, comme
écrivait prophétiquement le poète à son inter- tlisait Debussy, ceux qui, pour nous tous, sont
prète, la grande lda Rubinstein. l'espoir et la vie :
Cette sorte d'archan¡¡e à I'armure d'or ne vit
pas seulement devant nos yeux grâce aux admi-
rables portraits de Léon Bakst qui peignit aussi Je uous enuoie lu Salutøtíon du soir
Ies décors de Sainf Sé-bastien. Combien de chefs- Mon cher irère
d'æuvre, dont le BoIérc cle Ravel, furent inspirés Je suis près de uotre courage
par elle ! Combien de grands ¡nusiciens : qu'ils et j'entends le Saínt me díre :
s'appellent Florent Schmitt, Stravinsky, Honeg-
ger, Auric, I\{ilhaud, Sauguet. Borodine ou De- JE VAIS REVIVRE
bussy!... Nfme Ida Rubinstein m'a fait le présent
royal de certaines lettres que lui adressa d'¿ln-
nunzio au moment de Ia conceptiorr de Søinf
Sébastien. Comment pourrais-je conclure un essai
sur l'Art mieux qu'en les offrant à mes lecteurs. FIN
artistes et mélomanes? Ces vrais poèmes n'illus-
trent-ils pas, chez les < grands >>, la formule < La Sauveté >
même de I'Immortatité : don, amour, Iabeur? Saint-J ean-Cap-Ferrat
septembre 1959.
ecrivait le poète;
Je uoís luíre l'aube comme ta lueur
Roséel Frelche sæur
de la larme chaude !
Au reuoir, au reDoir, je uous aime
à traoers les flammcs de mon esprit...
: MARGUERITE LONG
(
EXTRAIT dU CATALOGUE
7622
MARGU ERITE LONG
i
i
I
f
LATJDE, DEBTJSSY
MARCEL SENECHAU D t, der Stadt Basel
T
Le Répertoire lyrique d'hier {
78875
el d'aujourd'hui
i
Concerts symphoniques
f þ
I
ALBEIIT LAVICNAC I
I
I
BIBLIOTHEK DER
Gérard BI LLAUDOT. Editeut' MUSIK-AKADEMIE
Leonhardsstr. 4-6 CH-4051 Baset
1 lll t_t_AUDOT,
Editeur
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