Karol Cytrowski, L'Abbé Jules D'octave Mirbeau en Tant Qu'exemple de L'influence de Fiodor Dostoïevski Sur Le Roman Français de La 2e Moitié Du XIXe Siècle
Karol Cytrowski, L'Abbé Jules D'octave Mirbeau en Tant Qu'exemple de L'influence de Fiodor Dostoïevski Sur Le Roman Français de La 2e Moitié Du XIXe Siècle
Karol Cytrowski, L'Abbé Jules D'octave Mirbeau en Tant Qu'exemple de L'influence de Fiodor Dostoïevski Sur Le Roman Français de La 2e Moitié Du XIXe Siècle
Karol Cytrowski
Numéro du carnet de notes : 342068
Mémoire de maîtrise
écrit sous la direction de
prof. Anita Staroń
Łódź 2018
2:77773216
Instytut Romanistyki
Karol Cytrowski
Numer albumu: 342068
Praca magisterska
napisana pod kierunkiem
dr hab. prof. UŁ Anity Staroń
Łódź 2018
3:75854172
INTRODUCTION .......................................................................................................... 5
1. L’INTRODUCTION ................................................................................................. 7
CONCLUSION ....................................................................................................................... 53
BIBLIOGRAPHIE ................................................................................................................. 55
5:20396686
INTRODUCTION
2
C’est ainsi que l’explique Michel Raimond dans son ouvrage canonique. M. Raimond, La Crise du
roman. Des lendemains du Naturalisme aux années vingt, Paris, José Corti, 1966.
6:77763115
Qu'est-ce qui relie vraiment ces deux auteurs ? Les influences du psychologisme
de Dostoïevski sont-elles visibles dans les œuvres de Mirbeau ? Cette étude est une
tentative démontrer ces relations en s’appuyant sur l'analyse de deux romans clés, L’Idiot
de Dostoïevski et L’Abbé Jules de Mirbeau. Le premier chapitre contiendra des
informations contextuelles sur la littérature russe et française et sur les relations entre
elles au cours de la période mentionnée. À cette étape, la présentation générale du
contexte de la littérature russe sera la plus importante, comme une clé et un point de départ
pour des paragraphes dans lesquels la question du roman français et son lien avec les
auteurs russes sera développée. La partie la plus importante et la plus vaste de l'analyse,
contenue dans le deuxième chapitre, a été consacrée à la création du personnage principal
sur la base d'aspects choisis de manière subjective, car c’est bien un individu qui est au
centre dans ce type de romans qu’on peut qualifier de « psychologiques ». Ces aspects
sont notamment relatifs à la genèse du comportement du prince Mychkine et de l’abbé
Jules Dervelle ainsi que de leurs vues et leurs relations avec d’autres personnages, ce qui
composera la base pour la conclusion sur des similitudes et les différences dans la façon
de montrer des protagonistes dans les deux romans. Cette analyse sera complétée par une
image des réalités contemporaines qu’on peut construire à partir des deux œuvres, et qui
fait l’objet des réflexions du troisième chapitre. Dans cette partie, le plus important sera
ce qui a une dimension plus vaste, à savoir l’image des sociétés et d'autres questions
importantes soulevées dans les deux ouvrages, telles que le problème de la religion, le
rôle de la famille et l'image de la femme. À partir de l’analyse complète des œuvres
contenue dans deux chapitres, on pourra tirer des conclusions générales à propos de leur
relation et de l'influence de la créativité de Dostoïevski sur Mirbeau et son second roman.
7:42424033
CHAPITRE I
LA CRÉATION DE FIODOR DOSTOÏEVSKI ET D’OCTAVE
MIRBEAU DANS LE CADRE DU DÉVELOPPEMENT DE LA
LITTÉRATURE DU XIXÈME SIÈCLE
1. L’INTRODUCTION
Le XIXème siècle marque un tournant tant pour le monde occidental que pour la
Russie. Bien sûr, une considération sur le changement social et son influence sur la
littérature peut sembler banale, surtout dans le contexte du XIXème siècle. Cependant ces
changements ont un caractère spécifique dans le pays des tsars. La Russie fait partie de
l’Europe dans le sens géopolitique, on ne peut pas mettre en question sa connexion à
l'occident, mais même aujourd’hui ce pays reste une structure complètement séparée et
différente pour tous les autres du point de vue de la mentalité et de la culture. Au milieu
du XIXème siècle, la Russie lutte avec sa propre dissonance entre l'ouverture à l’occident
laïque et les valeurs traditionnelles. L'un des symboles de cette époque est l'œuvre de
Fiodor Dostoïevski. Ce conservateur, un slavophile, d’une profonde spiritualité, a eu un
grand impact sur les plus grands esprits de l'époque, y compris les écrivains et les
philosophes aussi bien athées que chrétiens. La principale innovation dans les ouvrages
de Dostoïevski était son mode de présentation des héros. L'auteur lui-même définit son
travail de cette façon3 :
On m’appelle psychologue, […] mais ce n’est pas vrai, je suis un réaliste au sens le plus vrai du mot, c’est-
à-dire que je montre les profondeurs de l’âme humaine.
C'est la capacité extraordinaire d'analyser la personnalité humaine qui l'a fait une
inspiration pour d'autres artistes comme Joyce ou les romanciers du XXème siècle. Même
aujourd'hui les œuvres de Dostoïevski sont parmi les plus citées, devenant un symbole
d’« intemporalité littéraire ». Elles sont d'autant plus intéressantes qu'elles se combinent
aux réalités russes de l'époque et il semble difficile de les comprendre sans la
connaissance de la mentalité contemporaine et des problèmes spécifiques de ce pays.
Toutefois, du point de vue du destinataire étranger, ou bien des lecteurs des générations
3
http://terredecompassion.com/2011/11/14/dostoievski/
8:22001867
futures, « les problèmes locaux » ne sont pas si importants. Malgré cela, Dostoïevski est
entré dans la conscience de masse des XIXème, XXème et XXIème siècle. Cela concerne
aussi les représentants de divers environnements et positions sociales. Même en Pologne,
cet auteur a gagné beaucoup d’intérêt, malgré le fait que ses manifestations politiques
visibles dans les romans étaient, pour le dire doucement, défavorables pour la patrie de
Chopin.
Le style de créer et de présenter un personnage fait de Dostoïevski un modèle
inaccessible. Grâce à sa perspicacité discrète, il a influencé des générations de créateurs
comme « dénudeur des âmes humaines »4. Cela est valable aussi pour des romanciers
français, qui se sont inspirés de Dostoïevski plus ou moins consciemment. L'un des
exemples d’une telle influence est Octave Mirbeau. Il semble que ces auteurs n'aient pas
beaucoup de points communs. Ils sont divisés par la langue, la culture, et avant tout, par
un regard sur les problèmes sociaux et politiques. Mirbeau dès le début de son travail était
un journaliste et activiste d’extrême gauche, de plus, un athée. Il est difficile de
soupçonner qu’un tel auteur s’inspire des œuvres d’un slavophile russe, chrétien zélé. De
plus, au niveau littéraire il est également difficile de lier ces deux auteurs car la manière
de percevoir le concept de l’œuvre présentée par Dostoïevski semble d’être
« impraticable » du point de vue de Mirbeau. Il a commencé sa carrière à l’époque du
triomphe des naturalistes, et il a essayé de montrer la réalité de la manière la plus
imaginative afin d'influencer les émotions du lecteur de façon directe, se référant parfois
à des images violentes et choquantes. Il semblerait que Mirbeau est très éloigné de ce que
Dostoïevski offre. Bien qu'il ne blanchisse pas la réalité, il la montre d'une manière
complètement différente. Pour Dostoïevski, l’homme et son for intérieur sont au centre,
alors que Mirbeau paraît se concentrer davantage sur la critique de la société. Malgré ces
différences évidentes et malgré le fait que Mirbeau n’a consacré aucun texte à
Dostoïevski, on sait que l'écrivain russe a eu une influence considérable sur son travail.
La correspondance de Mirbeau témoigne le mieux à quel point il était fasciné par les
romans de Dostoïevski. Voici un exemple de la lettre à Rodin en juillet 18875 :
Avez-vous lu L’Idiot de Dostoïevski ? Quel prodigieux livre ; et comme nous paraissons petits – même les
plus grands – à côté de ce dénudeur d’âmes ! Cette œuvre m’a causé une vive impression, plus intense que
celles de Baudelaire et de Poe : on est, avec ce merveilleux voyant, en pleine vie morale, et il vous fait
découvrir des choses que personne n’avait vues encore, ni notées...
4
http://mirbeau.asso.fr/dicomirbeau/index.php?option=com_glossary&id=73
5
Ibid.
9:76194577
On voit donc que ces sont la manière de dénuder la psyché humaine, avec la sensibilité
inhabituelle et le rôle de l'inconscient qui ont enchanté Mirbeau. Ces inspirations sont
déjà visibles dans ses premiers romans Le Calvaire et L’Abbé Jules. On peut constater
que Dostoïevski l’a aidé à se libérer de « la routine naturaliste »6. La présente étude est
une tentative de comparer le style de ces deux romanciers et de de trouver la réponse à la
question de savoir quelle influence a eu Dostoïevski sur Mirbeau. Les deux romans
(L’Idiot et L’Abbé Jules) seront la base de l’analyse à plusieurs niveaux avec un accent
particulier sur le psychisme des personnages et les moyens de la montrer par le narrateur.
Pour bien présenter, analyser et comparer L’Abbé Jules de Mirbeau avec L’Idiot
de Dostoïevski il faut monter un contexte littéraire plus large. Il est nécessaire de
connaître les réalités de l’époque, surtout en ce qui concerne l’ouvrage de Dostoïevski,
car sa patrie peut sembler un peu « exotique » du point de vue de récepteur occidental. Le
XIXème siècle est appelé « un siècle d’or » de la littérature et du roman russe. C’est l’ère
de Gogol, Tolstoï, Dostoïevski7. Cependant, tout cela était un processus complexe,
associé à l'histoire turbulente. Le début du siècle était une période très marquante pour le
développement de la littérature et son rôle dans le contexte de la conscience sociale. Une
courte période du despotisme total résultant en isolation totale du monde extérieur et
l’interdiction des œuvres étrangères s’est terminée avec l'accession au trône du tsar
Alexandre I. Son règne, qui a duré presqu’un quart de siècle, abonde en contradictions.
Cette ère est une période d’un développement dynamique de la littérature qui devient «
une littérature nationale moderne »8. Le rôle politique de la littérature change aussi, de ce
moment-là elle est un élément important dans la création de la conscience sociale. Ces
changements rapides favorisent la diversité. En Russie évolue beaucoup de phénomènes
artistiques qui échappent au classement standard du processus historique-littéraire. Il est
difficile de définir cette période, même une description détaillée ici est insuffisante,
6
A. Lévy, « Mirbeau lecteur de Dostoïevski », Cahiers Octave Mirbeau, n° 21, Angers, Société Octave
Mirbeau, 2014, pp. 139-154.
7
E. Etkind, G. Nivat, I. S. et V. Strada, Histoire de la littérature russe, t. 3 : Le XIXème siècle. Le temps
du roman, Paris, Fayard, 2005, 1553 p.
8
B. Mucha, Historia literatury rosyjskiej od początków do czasów najnowszych, Wrocław, Ossolineum,
2002, p. 144.
10:11060771
10
cependant, il faut mentionner les plus importants thèmes généraux c’est-à-dire l’abrasion
des tendances sentimentales et les influences du Siècle des Lumières y compris le
néoclassicisme inspiré par des courants français. Le désir de donner à la littérature russe
un caractère national indépendant était un élément unificateur. Une autre tendance
littéraire de cette époque était la littérature des décabristes. Dérivée du mouvement
politique et strictement subordonnée à ses idées, elle devait promouvoir des idéaux
révolutionnaires et patriotiques. Cette fois aussi la littérature devrait avoir un caractère
national. Le ton pathétique, le désir de créer une esthétique séparée de l’influence
étrangère, le rôle du poète-prophète – voici les traits caractéristiques pour l’art des
décabristes. Leurs œuvres portent la marque des débuts du romantisme. Cela concerne
principalement la couche idéologique : le rôle de l’individu, la liberté, le patriotisme.
D’autre part, ils ont postulé aussi quelques concepts des Lumières. Bien que l’insurrection
de décabristes soit tombée, l’activité littéraire de ses partisans est très importante pour
cause d’influence qu’ils ont exercée sur les générations des auteurs futurs. Les idées de
ce mouvement ont été promues plus tard par les plus grands des poètes russes, Alexandre
Pouchkine et Mikhaïl Lermontov. Les années 20 et 30 du XIXème siècle c’est, en Russie,
une période de réaction après la résurrection des décabristes. De nombreux mouvements
d'étudiants surviennent. Les jeunes développent une nouvelle conscience culturelle. Le
romantisme français est particulièrement favorisé (surtout Balzac, Hugo). Cependant, les
idées romantiques ont une dimension différente de celle de l'Occident. Les romantiques
russes sont plus enclins à revenir à des tendances étrangères qu’à leurs propres traditions.
Ce mouvement n'a jamais pris de forme dominante et il a duré relativement court.
Pouchkine, Lermontov, Gogol sont reconnus comme les principaux représentants de la
tendance romantique, mais ses signes ne sont que temporaires dans leur création. Le
romantisme russe a été développé par des artistes moins connus et il a été rapidement
supplanté par des tendances réalistes. Cependant, il est important que certains éléments
de la prose romantique soient visibles dans les œuvres de Fiodor Dostoïevski.
Comment résumer le travail de Pouchkine ? Pourquoi est-il si important non
seulement pour la prochaine génération, mais aussi pour les époques suivantes ?
Dostoïevski lui-même donne une réponse dans son Discours sur Pouchkine9 :
Pouchkine a su admirablement incarner en lui l’âme de tous les peuples. C’est un don qui lui est particulier ;
cela n’existe que chez lui, comme aussi ce don prophétique qui lui fait deviner l’évolution de notre race .
9
https://bibliotheque-russe-et-slave.com/Livres/Dostoievski%20-
%20Discours%20sur%20Pouschkine.htm.
11:41764856
11
Pouchkine est un véritable symbole de son temps. Il a montré et exposé l'âme russe en
utilisant un vaste atelier littéraire. Une multitude de genres, un langage révolutionnaire
sont les caractéristiques de style de l’auteur que le rendent immortel.
La mort prématurée de Pouchkine était une tragédie, mais aussi, en même temps,
une chance pour la littérature russe, une occasion pour la floraison d’un nouveau grand
talent représenté par Mikhaïl Lermontov. Parmi les ouvrages les plus importants de
Lermontov, il faut mentionner Le Démon. Ce poème a été créé pendant 12 ans, il est donc
un exemple parfait du développement artistique de l'auteur. Par des motifs religieux, le
poète soulève des questions sur le sens de la liberté et la relativité du bien et du mal. À
part la poésie identifiée avec la période de la jeunesse et la prose qu’il a créée à la fin de
sa vie, Lermontov a aussi écrit des œuvres dramatiques. Cependant, pour bien
comprendre l’essentiel de Lermontov il faut s’arrêter en 1840. Un héros de notre temps a
été appelé par Aleksander Kaczorowski dans son article « un premier vrai roman russe,
un roman sans lequel il n’y aurait pas Dostoïevski »10. Lermontov est parti très tôt,
cependant, il a laissé son héritage artistique et le seul roman qui jettera bientôt les bases
de l'âge d'or de ce genre, en inspirant Dostoïevski, Tourgueniev et Tolstoï11.
Les années 1840 marquent le début d'un roman réaliste. Cette période était sous
l’influence des créations de Pouchkine, Lermontov et surtout Gogol. Sur cette base une
nouvelle tendance littéraire est apparue. L’auteur de Les Âmes mortes a contribué à la
création de ce qu’on a pu appeler l'« École nouvelle »12. Au cours de l'oppression tsariste,
un contrepoids sous la forme de nombreuses organisations intellectuelles a été créé. Le
jeune Dostoïevski n’appartenait pas aux slavophiles mais aux socialistes. Son premier
roman, Les Pauvres Gens13, est en fait une continuation de Gogol et s'intègre parfaitement
dans le contexte dominant. Au cours des années suivantes, les idées et la créativité de
Dostoïevski ont évolué, marquées par des événements dramatiques, ainsi que le roman
russe, initié et fondé par les trois grands artistes qui ont influencé la création des prochains
grands écrivains de prose, y compris Dostoïevski qui, de ses débuts, a surpris par
l'étonnante profondeur de l'analyse psychologique.
Il est impossible de ne pas mentionner dans ce contexte l'une des figures les plus
remarquables et les plus reconnaissables de la culture russe dans le monde, Lev Tolstoï.
10
http://wyborcza.pl/1,75517,2803265.html
11
B. Mucha, op. cit., p.239.
12
ibid. p.250-253.
13
https://www.gosc.pl/doc/804118.Pieklo-i-nadzieja
12:52283161
12
Cet auteur était une autorité morale pour les représentants contemporains et des grands
noms de générations futures. Les deux créateurs ont vécu à la même époque. Ils étaient
les grands représentants du réalisme. Bien qu'ils aient des points de vue différents et ne
partageaient pas une même vision de la création, ils s’appréciaient mutuellement et ils
s'accordaient sur l'importance du rôle de l'art14. Notons au passage qu’en termes de
valeurs, on peut relier Tolstoï avec Mirbeau, car l’écrivain russe était un anarchiste et un
amoureux de la nature.
En résumé, la création de Dostoïevski est marquée par la spécificité turbulente du
développement de la littérature russe. Ceci est étroitement lié à l'histoire de cette période
et à la séparation du monde oriental qu’il s'est trouvé à la croisée des chemins. La direction
principale a été établie par les grands noms des créateurs, dont Pouchkine, Lermontov et
Gogol étaient les plus importants. Pouchkine a exercé une énorme influence sur la
manière de penser de nombreux écrivains russes pendant les époques suivantes, et Gogol
a poussé la littérature vers la prose, initiant en quelque sorte la période d'or du roman
russe.
14
http://kulturaiwartosci.umcs.lublin.pl/wp-
content/uploads/2011/11/Ewa_Cichocka_Cechy_swoiste_sztuki_Tolstoj_i_Dostojewski.pdf
15
https://www.etudes-litteraires.com/figures-de-style/realisme.php
16
J. Prokop, B. Marczuk, K. Dybeł, Historia literatury francuskiej, Warszawa, Wydawnictwo Naukowe
PWN, 2006, p. 295.
13:41628758
13
17
http://mirbeau.asso.fr/dicomirbeau/index.php?option=com_glossary&letter=N&id=554
18
https://mirbeau.asso.fr/romans.htm
19
J. Prokop, B. Marczuk, K. Dybeł, op. cit., p. 308-321.
14:86502030
14
Il a déjà été mentionné qu’il existe un lien entre la littérature russe et française de
XIXème siècle. On peut établir une conclusion banale que les artistes russes s’inspiraient
par des changements qui ont lieu dans la patrie de Balzac, car la France de cette époque
peut être considérée comme la capitale culturelle du monde. Cependant dans le contexte
de cette analyse une relation inverse est la plus importante. Jean Bonamour explique ce
phénomène comme cela :
Aux alentours de 1880, la littérature russe connaît en France une vogue extraordinaire, qui durera une
quinzaine d'années. Cette « mode russe » n'est sans doute qu'un épisode dans la longue histoire des contacts
entre les deux peuples, mais, par sa soudaineté et son intensité, c'est un épisode révélateur20.
Bien que les contacts entre les deux nations au niveau culturel se soient
considérablement étendus, la fascination pour la littérature russe a été précédée par une
période d'ignorance et de désinformation :
Tout ce qui touche à la Russie est perçu en France de façon passionnelle. Dès le XVIII e siècle, Voltaire et
Diderot ont exprimé leur vision de ce vaste territoire mystérieux, dressant de la Russie de Catherine II un
tableau séduisant, celui d’un grand pays désireux de s’ancrer à l’Europe et animé d’une farouche volonté
de modernisation21.
Cette image pas tout à fait vraie de la patrie de Pouchkine est causée par son
inaccessibilité à la fois géographique et culturelle. Les images du monde oriental créées
par les auteurs polonais ne sont pas sans importance. Ce sont des auteurs comme
Mickiewicz qui ont créé le concept français sur les questions slaves. Cependant, la
situation sociopolitique a changé ainsi que les tendances littéraires. Le début des années
1880 est en France une période de crise. C'était le résultat de la défaite de 1871 et la
volonté de changer concernait non seulement les problèmes nationaux, mais aussi la vie
culturelle et littéraire. Les tendances antinaturalistes sont nées, car l'approche réaliste et
scientifique a commencé à s'épuiser, en d'autres termes, des changements étaient
nécessaires. Le rapprochement culturel et politique de la Russie et de la France était une
bonne occasion pour la découverte littéraire. La percée est la publication de Le Roman
russe par Eugène-Melchior de Vogüé en 1886. Ce manifeste antinaturaliste ouvert a reçu
un accueil extrêmement enthousiaste et a contribué à l'explosion de la russophilie à la fin
du siècle. De cette manière, les intellectuels français, mais aussi le public ordinaire,
20
J. Bonamour, « La littérature russe en France à la fin du XIXe siècle : la critique française devant
"l’âme slave" ». In: Revue Russe n°6, 1994. LA RUSSIE et la FRANCE. Trois siècles de relations. Actes
du colloque organisé à Saint-Lô et à l’abbaye d’Hambye par le Conseil général de la Manche, 1993. pp.
71-73.
21
https://www.afr-russe.fr/spip.php?article266
15:49510593
15
pouvaient découvrir à la fois le génie littéraire et l’âme russe. Il faut dire cependant que
l'admiration concernait principalement les œuvres de Dostoïevski et de Tolstoï avec
l'œuvre phare Guerre et Paix, qui devenaient alors le synonyme de l'art russe. La richesse
psychologique et les connotations spirituelles ont été un remède parfait aux problèmes de
la littérature française, contribuant à la renaissance de l'idéalisme22. Cependant il est
difficile de dire si la russomanie de cette période n'a pas créé dans les esprits français une
autre vision déformée et incomplète de ce pays, de sa mentalité et de son rôle
international23. Cependant, avant la publication de l'œuvre de Eugène-Melchior de
Vogüé, Octave Mirbeau était l’un des précurseurs de la découverte de la littérature de
Dostoïevski en France. La correspondance entre son œuvre, L’Abbé Jules, et de l’un des
principaux romans de l’auteur russe constituera le principal axe d’analyse dans le
deuxième et le troisième chapitre.
22
https://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/eugene-melchior-de-vogue-par-anna-204599
23
J. Bonamour, op. cit., p. 73-77.
16:66793610
16
CHAPITRE II
LE ROMAN PSYCHOLOGIQUE – LA CRÉATION DU
PERSONNAGE PRINCIPAL DANS L'ABBÉ JULES ET L'IDIOT
24
P. Michel, Les combats d’Octave Mirbeau, Besançon, Annales Littéraires de l'Université de Besançon,
1995, p. 174.
25
P. Michel, L’Abbé Jules : de Zola à Dostoïevski, Préface de L'Abbé Jules, Angers, Éditions du
Boucher, 2003.
17:25453950
17
par une période de fascination nationale pour la littérature russe. Bien qu’il soit difficile,
ou même impossible, de donner la date précise en ce qui concerne l’introduction du roman
« psychologique » en France, c'est un fait que cette tendance de « dénuder les âmes » a
été inspirée par Dostoïevski qui était son instigateur principal26. On peut constater avec
assurance que L’Abbé Jules était l'un des premiers romans psychologiques français dans
son sens actuel et, au moins, l’un des premiers qui d’une manière évidente profite des
moyens de Dostoïevski par rapport à la construction du héros. On peut supposer que
L'Idiot était l’inspiration principale qui a contribué à la création de L’Abbé Jules, bien
qu'il y ait des opinions différentes sur ce sujet27. Dans son article « L'Abbé Jules et les
Démons de Dostoïevski. Quelques remarques sur la dramaturgie des deux romans »
Jonathan Artaux montre les relations avec une autre œuvre d’écrivain russe28. On sait que
Mirbeau a lu d’autres romans de Dostoïevski, mais on ne peut pas dire si c'étaient Les
Démons qui avaient la plus grande influence sur ses premiers romans. Certes, Mirbeau
connaissait différentes œuvres de nombreux artistes. Cela, peut-être même
inconsciemment, a trouvé un reflet dans ses œuvres. Cependant, dans cette analyse, on
fait confiance aux paroles de l'auteur lui-même, qu’on a citées au début. On n'essaiera pas
de montrer quelle œuvre est plus importante du point de vue de Mirbeau, car une analyse
excessivement détaillée, visant à montrer des relations entre des œuvres différentes et
basée sur des hypothèses, pourrait priver l'auteur de son originalité. Une citation dans
laquelle Mirbeau se réfère directement à L’Idiot est une preuve tangible de la connexion
de ce roman avec sa création, cependant dans ce travail ce n'est qu'un prétexte pour une
analyse comparative approfondie du texte, l’analyse qui vise à évaluer la méthode
d'inspiration à travers le prisme des similitudes et des différences.
Il est évident que l'analyse comparative des romans psychologiques doit être
concentrée autour d’un personnage. Dans le cas des œuvres mentionnées ci-dessus la
question semble très simple. On a les deux romans dont le héros principal est inscrit dans
le titre. Au cours de l'analyse, il sera possible de déterminer dans quelle mesure les
caractères principaux constituent le centre des œuvres et quel est leur rôle par rapport à
la création du monde présenté, mais cette convergence est un bon point de départ. Pour
déterminer ce que « l’Abbé du titre » a en commun avec le héros appelé perversement
26
R. Ponton, « Naissance du roman psychologique : Capital culturel, capital social et stratégie littéraire à
la fin du XIXe siècle », Paris, Actes de la recherche en sciences sociales, 1975.
27
P. Michel, « Aux sources de L'Abbé Jules »,Université de Toulouse, n° 30, février 1994, pp. 73-87.
Cahiers Octave Mirbeau n° 21, Angers, 2014, p. 48-55.
18:10405432
18
« l’idiot », il faut entreprendre une analyse basée sur quelques aspects sélectionnés. Ces
questions se concentrent sur les protagonistes – la façon dont ils sont créés et les relations
qui les relient aux autres personnages. De cette façon, on peut saisir ce qui est plus
important dans l'analyse comparative du roman psychologique, cependant le choix de la
problématique a un caractère arbitraire.
29
F. Dostoïevski, L’Idiot, Tome Premier, Paris, La Bibliothèque électronique du Québec, Édition de
référence, , Gallimard, Coll. Les classiques russes,1939, p. 91. Par la suite, nous utiliserons l’abréviation
I1, suivie du numéro de page.
19:20945037
19
comportement (malgré le récit à la troisième personne qui sert le plus souvent à relater
des évènements). Revenant à notre propos – le prince était orphelin. On sait qu'il a passé
son enfance à la campagne pour des raisons de santé. Il s’abandonnait à la merci des
autres, il a réussi à survivre grâce à l'aide de l'ami de son père. Il y a une certaine chaîne
de faits mineurs qui n'ont apparemment pas d'importance, cependant cette brève
description contient un détail essentiel – le début de la maladie du héros. Une maladie
mystérieuse qui peut être décrite comme l'épilepsie30 a façonné le prince dans son âge
précoce. Des accès fréquents l’ont réduit à un état végétatif, le prince lui-même se décrit
comme un idiot. On sait que le personnage principal luttait avec les effets de la maladie
aussi comme un adulte. C’était un facteur qui a influencé de manière significative la
personnalité du héros et dans une large mesure, dirigeait ses actions. Il convient de
mentionner aussi une sorte de « boucle » : au début de la narration, on apprend que, enfant,
le protagoniste est tombé malade, ce qui l’a privé de parole. Avec le temps, grâce au
traitement, « il est revenu à la vie ». Cependant, les symptômes sont retournés, enfin, à la
suite d'expériences traumatisantes, et le prince se retrouve au point de départ – il redevient
« l’idiot ». Cela conduit à la conclusion que dans ce roman de Dostoïevski l'enfance du
héros est un problème énigmatique. Néanmoins, cette période peut être considérée
comme la genèse de l'histoire principale – on peut y chercher une source du comportement
du héros. On peut aussi dire que le prince est chassé par son passé. L'auteur n'a pas accordé
trop d'attention à ce problème, l'enfance du héros est connue des descriptions
rudimentaires, mais il est difficile de résister à l'impression que c’est un choix délibéré.
Les sous-entendus créent un aura de mystère, c'est au lecteur de résoudre l’énigme qui lie
le héros à son passé.
Dans L’Abbé Jules la question de l’enfance du protagoniste paraît plus claire. Au
début, il faut mentionner la façon dont le passé du personnage principal est présenté. On
apprend la plupart des faits de la vie de Jules grâce à la relation du narrateur qui est l’un
des personnages (le neveu du protagoniste). Le narrateur lui-même était enfant quand il a
rencontré son oncle extraordinaire pour la première fois. Il présente la figure de l’abbé
Jules par la rétrospection basée sur sa propre expérience et sur des relations de ses
proches : « [...] d’après les souvenirs personnels que j’en ai, d’après les recherches
30
https://www.swarthmore.edu/sites/default/files/assets/images/russian/Diagnosing%20Prince%20Myshkin.
pdf
20:10498863
20
passionnées auxquelles je me livrai chez les personnes qui le connurent et dans les divers
milieux qu’il habita »31.
L'image de l'enfance du héros qui émerge de cette description est loin d'être
idyllique :
Jamais on n’avait vu un enfant comme était Jules ; sournois, tracassier, cruel, il ne se plaisait que dans les
méchants tours. Son frère et sa sœur avaient beaucoup souffert de lui […] C’est tout le portrait de son père,
se disait en pleurant la pauvre femme. Et de fait, elle remarquait avec effroi, chez son fils, les mêmes gestes,
les mêmes regards qu’avait son mari […] Au collège, où on le mit de très bonne heure, Jules battait ses
camarades, les dénonçait, se révoltait contre ses professeurs. Mais il était très intelligent, travailleur même
et toujours le premier de la classe. […] il s’échappa, après avoir sali de dessins obscènes une quantité
considérable de papier timbré. En même temps, il s’était pris d’une véritable passion pour la lecture ; il
lisait de tout (AJ, p. 54-55).
Ce fragment assez vaste soulève deux conclusions. Tout d'abord, on a ici un portrait
détaillé du jeune protagoniste. En tant qu’enfant, il manifestait une tendance à l'agression
et à la rébellion. Il a eu un effet dévastateur sur les environs, dans un sens, il était un
sadique qui a même blessé sa propre famille et cela lui a fait plaisir. Même alors, il était
vulgaire et obscène – il a utilisé la sphère sexuelle pour exprimer sa rébellion. Dans le
même temps, Jules était très intelligent et il avait le désir de savoir. En lisant cette
description, il est facile de remarquer que toutes ces caractéristiques correspondent
parfaitement à la description du héros adulte, on peut dire qu’elles se sont seulement
renforcées au fil du temps. On a affaire à une sorte de « prédestination », le héros-enfant
manifeste des traits prédéterminés, se dirige dans une direction spécifique, il n'y aura pas
de changements majeurs car son caractère est déjà formé. Dans le cas de Jules ces traits
s’aggravent, le héros plonge dans la folie et l'autodestruction. Le deuxième facteur
important qui compose l'image et la signification de la description de l'enfance du héros
est la question de l’hérédité. Le père de Jules pour le moins, n'était pas un « saint » et le
protagoniste « est tout le portrait de son père» (AJ, p. 54-55). On peut dire que le
personnage principal est, dans un sens, condamné à être « méchant ». Cela est également
confirmé dans d’autres fragments. Le héros lui-même accuse la société. À la destruction
du jeune héros a contribué aussi la morale chrétienne oppressive qui supprime les besoins
primaires rendant l'homme malheureux et induisant un individualiste comme Jules à se
révolter :
O. Mirbeau, L'Abbé Jules, Éditions du Boucher, 2003, p. 53. Par la suite, nous utiliserons l’abréviation
31
21
Et, sais-tu pourquoi ? Parce que dès que j’ai pu articuler un son, on m’a bourré le cerveau d’idées absurdes,
le cœur de sentiments surhumains […] On a déformé les fonctions de mon intelligence comme celles de
mon corps, et à la place de l’homme naturel, instinctif, gonflé de vie, on a substitué l’artificiel fantoche, la
mécanique poupée de la civilisation, soufflée de l’idéal (AJ, p. 187).
En conclusion, la psyché de protagoniste est influencée par deux facteurs :
l'héritage et la société oppressive32 contre laquelle il tente de se rebeller. Toutes ses
caractéristiques sont déjà visibles pendant l'enfance, il est ainsi façonné à l'avance et ne
peut pas s'opposer à sa nature. On a ici une sorte de fatalité post naturaliste, où l’image
de l'enfance devient une expression de l'injustice de l'ordre social. Pour Mirbeau la
religion était un symbole principal de ce problème, mais cette question sera développée
dans le chapitre suivant.
Dans L’Idiot, de même que dans L'Abbé Jules, l'enfance du protagoniste n'est pas
montrée de manière exhaustive. Bien que les auteurs n'aient pas consacré trop de temps à
ce problème et les souvenirs de cette période sont seulement des mentions, les premières
années de la vie des héros sont extrêmement importantes en ce qui concerne l'analyse
approfondie, en particulier dans le contexte du roman psychologique et le rôle du
personnage principal. Dans le contexte de l'espace que l'auteur a consacré au sujet de
l’enfance, cette question est similaire dans les deux œuvres, mais L’Idiot et L'Abbé Jules
diffèrent dans la façon dont ils présentent ce problème. Dans l’œuvre de Dostoïevski, on
a affaire à un certain type de mystère que le lecteur doit résoudre lui-même, combinant le
passé énigmatique du héros avec son profil psychologique et les événements actuels. Par
contre, dans L’Abbé Jules cette période est présentée comme un signe avant-coureur des
événements ultérieurs, dans ce cas c’est la révolte du protagoniste qui, en tant qu’enfant,
manifeste une agression et un désaccord avec les règles sociales. Ce serait une
simplification exagérée de dire que Mirbeau a réduit la question du développement d’un
jeune homme à deux facteurs, cependant l'influence sociale et l'héritage sont la clé pour
comprendre la source du comportement rebelle de Jules. Il convient de noter que, bien
que le héros puisse hériter le caractère difficile de son père, il possède aussi des qualités
positives telles que l'intelligence supérieure ou la passion pour la lecture. On peut se
disputer si ce sont seulement les gènes du père qui l'ont rendu antisocial et agressif, ou
peut-être ce comportement prouve que Jules dès son plus jeune âge, d'une manière
32
A.-L. Séveno, « L’Enfance dans les 'romans autobiographiques' d’Octave Mirbeau : démythification et
démystification d’une tradition littéraire : le Thème de l’enfance », Cahiers Octave Mirbeau no 4, Angers,
Société Octave Mirbeau, 1997.
22:86818495
22
réfléchie, a exprimé une déchirure profonde et une sensibilité spécifique. On peut donc
conclure que dans les deux œuvres, la question de l'enfance des héros a une signification
différente. Une analyse approfondie de cette période donne un nouveau regard sur les
actions ultérieures des héros, cependant, dans les deux cas, il est impossible de déterminer
indéniablement la genèse de leur comportement.
23
sociales. Mychkine est prêt à pardonner tout mal, il ne montre pas de colère, cependant il
a des principes moraux durs, des vues claires et il ne manque pas de courage pour les
montrer, mais il exige principalement de lui-même33. Certes, l'attitude du prince et son
originalité peuvent être une source d'inspiration pour les spécialistes de l'âme humaine,
de la philosophie à la psychiatrie34. Malheureusement, comme ce n’est pas difficile à
deviner, un tel comportement entraîne des conséquences négatives, mais c’est un matériel
pour un prochain point de l’analyse.
Comment, dans ce contexte, on peut juxtaposer la figure de l’abbé Jules ? Est-ce
que ces héros ont quelque chose en commun ? Certainement ils sont liés par une sorte de
solitude, mais sans aucun doute Jules ne ressemble au prince en ce qui concerne la
manière dont ils traitent les gens. Dans cette matière, il y a un antagonisme extrême entre
eux. La plupart du temps le protagoniste du roman de Mirbeau se comporte, pour le dire
gentiment, de manière pas amicale. Il est froid et distant envers ses proches, avec un talent
particulier de les blesser. Il est aussi un manipulateur compètent. Sa relation avec l'évêque
et sa carrière dans les structures d'église sont un exemple du cynisme grâce auquel il
utilisait ses propres émotions et celles des autres pour réaliser ses intentions. Cela prouve
aussi sa force de caractère et sa capacité à influencer les autres. La cupidité et la jalousie
lui sont familières et l’ont poussé à voler. Le héros, en un sens, joue avec les gens, il
essaie de les tromper, de se moquer d'eux, même après la mort. Alors, l’abbé Jules est-il
un psychopathe sans sentiments plus profonds, qui n'est guidé que par l'hédonisme et
l'intérêt personnel ? Pas complètement.
Il y avait des moments où cela lui faisait du bien de poser ses yeux sur ce bonnet blanc, blanc comme sont
blanches les ailes d’un ange gardien, et sur ce petit châle noir, attendrissant et modeste, sous lequel se
cachaient tant de courage simple et tant de bonté […] (AJ, p. 144)
Ses sentiments privés envers certaines personnes, comme sa mère ou l’évêque, trahissent
Jules et prouvent qu’il avait aussi un visage humain, désirant la proximité. En quelques
éclairs, l’abbé Jules regrette ses écarts et il se confesse de ses péchés. Aussi une relation
spéciale avec le narrateur quand le héros joue involontairement le rôle de « l'enseignant »
et essaie de transmettre au jeune garçon sa vision du monde, montre son meilleur côté.
Pour comprendre son attitude envers l'environnement, il faut se référer à sa déchirure
intérieure. Le héros méprise les gens, les traite avec distance, mais il n'est pas dépourvu
de moralité. Peut-être que c’est la conscience de la méchanceté humaine et de l'hypocrisie
33
http://villmar.blogspot.com/2012/08/fiodor-dostojewski-idiota.html
34
http://filozofuj.eu/natasza-szutta-ksiaze-myszkin-idiota-moralny-swiety/
24:56670234
24
qui le pousse à cette attitude de rejet. Jules est déchiré entre la sensibilité, le désir du bien
et la volonté de manifester sa révolte qui se combine avec le mépris, qu'il révèle aussi
envers lui-même. Il stigmatise également la corruption de son environnement
professionnel. Pendant l'attaque de rage, il expose clairement tous les péchés du clergé,
ce qui prouve que Jules est conscient du mal et, dans un certain sens tordu, exprime son
opposition :
Vous mentez tous !... Depuis une heure, je vous regarde... Et, à le voir porté par vous, je rougis de l’habit
que je porte, moi... moi qui suis un prêtre infâme, qui ai volé, et qui vaux mieux que vous, pourtant !... Je
vous connais, allez, prêtres indignes, réfractaires au devoir social, déserteurs de la patrie, qui n’êtes ici que
parce que vous vous sentiez trop bêtes, ou trop lâches, pour être des hommes, pour accepter les sacrifices
de la vie des petits. (AJ, p. 126)
En fait, ce court fragment reflète parfaitement l'attitude du héros envers les gens. D'une
part, Jules est conscient de ses fautes, il peut s'humilier, mais il n’est pas capable de
contrôler sa nature. Il voit le mal et l'hypocrisie comme des attributs assignés à l'homme
et cela le pousse à se rebeller, à mépriser l’humanité, mais paradoxalement, peut-être
inconsciemment, il justifie de cette façon ses propres actions. Sûrement, il ne fait
absolument rien pour changer la situation. Cette profonde contradiction est au cœur de la
folie du héros, mais ce sujet sera développé dans un autre paragraphe. Un fait est certain,
en termes de relations avec les gens, l’abbé Jules est la négation totale du prince
Mychkine.
25
26
Jules forme des visions effrayantes d'une figure diabolique car il est imprégné des
relations, des opinions et des peurs de sa famille.
Je dormis très mal, cette nuit-là, en proie à des rêves pénibles où passait et repassait la grimaçante figure
de mon oncle. […] Mais l’émotion, la peur me coupèrent la parole. Au moment où je prononçais ces mots,
il me sembla qu’une atroce, qu’une diabolique image se dressait devant moi, l’image menaçante de mon
oncle !... Et je restai bouche bée (AJ, p. 126).
L’abbé Jules a suscité la peur dès le plus jeune âge. Il a terrifié sa mère, il a réussi
à terroriser son supérieur, l'évêque. Même le comportement d'un frère qui essaie d'être
favorable au héros et qui a, peut-être, des sentiments honnêtes pour lui, est marqué par la
peur. L'une des sources du problème est la nature explosive de Jules. Son comportement
violent, ses changements d'humeur extrêmes et sa tendance à l'agression amènent des
associations avec la possession et pour beaucoup, il est comme l'incarnation de Satan,
mais ce n’est qu’un sommet de l'iceberg. La vraie source de la perception négative de
Jules repose dans la manière dont il se réfère aux principes sociaux et religieux. Cela
éveille la plus grande horreur et fait de Jules une menace. Pour le clergé, il est une menace
de leur position et de leur influence. Pour les esclaves des conventions de la petite
bourgeoisie, il constitue la destruction de l'ordre incontesté. Il doit donc être l'incarnation
du mal et beaucoup le traitent avec distance et mépris. Bien sûr, Jules lui-même va bien
au-delà de notion d’une rébellion pour de bonnes causes, une lutte contre la corruption,
parce que son comportement soulève souvent des inquiétudes justes. Cependant, personne
ne se soucie de comprendre la motivation du héros qui, en réception générale, sape les
structures les plus importantes de la réalité connue – la religion, la famille et les
convenances. Enfin, il convient de mentionner un petit aspect reliant le héros de Mirbeau
et de Dostoïevski. Ils trouvent un peu de compréhension, de sympathie et de bonne
volonté de la part des enfants, qui sont souvent plus ouverts et non affectés par les
distorsions du monde adulte. Pour le prince, les enfants, qu’il se rappelle de son séjour en
Suisse, sont un modelé du bon, tandis que Jules s'ouvre au narrateur et tente de lui
transmettre son point de vue comptant sur sa nature non encore corrompue. En résumé,
les deux héros se heurtent au rejet et au manque de compréhension, bien que leur situation
et leur attitude soient extrêmement différentes. Sur cette base, on peut tirer des
conclusions tristes. Peu importe si on est bon sans tache, sincère et honnête ou agressif et
vulgaire. Tout ce qui va au-delà des habitudes et menace la convention est traité avec
détachement et mépris. À ce stade, on soupçonne que Jules est vraiment le reflet d'une
autre figure de Dostoïevski.
27:77731574
27
Contrairement aux apparences, cela ne sera pas une analyse dans le style de Freud.
Il convient cependant de présenter brièvement les relations amoureuses des protagonistes
comme une source de connaissance sur les personnages et sur la façon dont les auteurs
touchent cette question. Sur cette base, on peut tirer beaucoup de conclusions à propos du
portrait psychologique du héros et découvrir comment l’affectent les relations avec le
sexe opposé. Dans le cas du protagoniste de roman de Dostoïevski la situation est un peu
plus compliquée. Ici il faut limiter le champ de l’analyse au « triangle » entre le prince,
Nastasia Philippovna et Aglaé Epantchine. Au début, il vaut la peine de noter que les
relations créées par le prince sont principalement platoniques. La sensualité et la
corporéité sont à l’arrière-plan de l’œuvre de Dostoïevski pour laisser place à une
dimension spirituelle, ou plutôt psychologique, dans une forme pure. Il faut cependant
noter la présence du thème d’admiration de la beauté extérieure. On arrive ici au sujet clé
du point de vue de l’analyse, c’est-à-dire la genèse et le déroulement de la relation entre
le personnage principal et Nastasia Philippovna. Il est difficile de dire quand le prince
tombe amoureux de Nastasia. Il admire sa beauté pour la première fois en regardant son
portrait. Cependant, la première rencontre avec l’héroïne exerce une grande impression
sur le protagoniste. Désormais, la compassion sera un sentiment majeur qui construira la
relation des héros et influencera le comportement du prince Mychkine envers Nastasia
Philippovna. Ainsi se forme un cercle vicieux. On peut supposer que les personnages
partagent un sentiment sincère, mais l'attitude du prince est dominée par l'empathie, tandis
que Nastasia est guidée par le remords ; ne voulant pas le blesser, elle lui fait plus de mal.
Un enchevêtrement tragique sera complété par d'autres personnages. Rogojine est une
source de mortification pour Nastasia. En fuyant vers lui, elle noie sa conscience et se
punit pour ses crimes imaginaires, croyant qu'elle protège le prince. Le deuxième
personnage tragiquement empêtré dans l'intrigue amoureuse c’est Aglaé Ivanovna
Epantchine. Elle est enchantée par le héros et attirée par sa gentillesse et sa simplicité.
Cependant Aglaé est naïve et enfantine, peut-être même vaine. Son amour pour Mychkine
est immature, on peut dire que c’est une sorte de caprice. Cela doit être prétendument
démontré par l'histoire de sa relation avec le comte polonais, qui ridiculise, en quelque
sorte, l'héroïne et expose sa nature. Le prince aime les deux femmes, mais d'une manière
différente. C'est vraiment trop pour une telle personne. Il est dominé par la compassion
28:17492723
28
et ne peut pas gérer les sentiments. Quand il prend la décision finale, la situation est
compliquée à nouveau par Rogojine. Cette relation entre les personnages depuis le début
se dirige vers la fin tragique. On peut voir que cela est inévitable. Il y a ici un mélange
tragique, les héros guidés par des sentiments extrêmement différents blessent eux-mêmes.
Les gens comme le prince Mychkine et Nastasia Philippovna ne peuvent pas gérer une
telle tourmente et ils n'ont aucune chance d’être heureux35.
Dans le cas de L’Abbé Jules la situation tout à fait différente. Puisque le
personnage principal est un prêtre, on peut attendre que ses relations intimes ne soient pas
un fil principal. C’est vrai en un sens. Contrairement au roman de Dostoïevski, le thème
du développement des relations entre homme et femme n’est pas une histoire principale.
Dans l’analyse de cette question, il convient de se référer à une scène clé. C'est une
description naturaliste, voire iconoclaste, de la tentative de viol. Aussi bien cette courte
scène que la réaction ultérieure de Jules sont la principale source de connaissance de la
perception du sexe opposé par le protagoniste. L’abbé Jules succombe à la convoitise. En
un instant, d'une personne consciente, essayant de se contrôler, il se transforme en un fou
qui peut commettre les pires crimes. L'intention cruelle échoue ; cependant, la réaction
du héros est très importante. Quand il réalise ce qu'il a fait, il essaie sans succès d'étouffer
le remords. Il tombe d'un extrême à l'autre. Encore une fois, il ne peut pas se contrôler.
Cette fois il plonge dans l’extase de mortification. Il est terrifié par son acte, il ressent du
dégoût et du mépris pour lui-même. Bien sûr, c’est une fureur momentanée qui n’entraîne
aucune réflexion profonde ni changement dans l'attitude du héros. Encore une fois, il
révèle sa double nature et sa déchirure interne. Donc, en un sens, Jules est soumis à la
moralité traditionnelle. Bien qu’il soit dominé par l’hédonisme et des impulsions, il ne
peut pas se libérer de la pensée conventionnelle, qu'il méprise au fond. Cela conduit à une
contradiction qui devient la source de son hypocrisie et de sa folie. On ne peut pas trouver
beaucoup de descriptions qui éclairent l’attitude de l’abbé Jules envers les femmes. Les
poèmes iconoclastes qu'il récitait à l'agonie et une grande collection de contenu
pornographique suggèrent que Jules est resté dans un monde de fantasmes insatisfaits.
Enfin, la question des relations amoureuses concerne principalement le contact intime, le
désir, la corporéité et leur contraste avec la moralité traditionnelle. Cela distingue
certainement Mirbeau de Dostoïevski. Une approche de ces questions peut être combinée
avec la tradition littéraire par laquelle les deux auteurs ont été inspirés. Bien qu’il y ait ici
35
http://galeriakongo.blogspot.com/2014/04/idiota-fiodor-dostojewski.html
29:25166708
29
un contraste, à partir des deux visions émerge une image pessimiste de relations
humaines.
36
https://www.history.com/this-day-in-history/fyodor-dostoevsky-is-sentenced-to-death
30:10304084
30
« l’humanisme chrétien ». Cependant, il n'est pas sans critique dans cette approche. Le
Christ est mis au centre, mais le christianisme a une forme spécifique dans la version du
prince. La religion est inséparablement liée à la moralité, elle est un indicateur, mais il
s'agit de sa dimension spécifique. La religion est combinée au concept de nation et à la
mentalité russe. Le héros rejette l'athéisme comme une expression de frustration et de
noirceur mais, le catholicisme est même pire. De plus, cette religion conduit à l’athéisme.
Mychkine perçoit la civilisation occidentale et sa compréhension du Christ comme une
menace, l'accusant d'effondrement, d'exploitation et de matérialisme. La foi catholique
est, à son avis, une extension de l'empire romain et s'est écartée du Christ en faveur des
valeurs laïques.
Pavlistchev était un esprit lucide et un chrétien, un vrai chrétien, déclara brusquement le prince ; comment
aurait-il pu adopter une confession... qui n’est pas chrétienne ? Car le catholicisme est une foi qui n’a rien
de chrétien […]
C’est avant tout une religion qui n’a rien de chrétien, repartit le prince avec une vive émotion et sur un ton
excessivement cassant. Voilà le premier point. Le second, c’est qu’à mon avis le catholicisme romain est
pire que l’athéisme même ! Oui, telle est mon opinion ! L’athéisme se borne à proclamer le néant, mais le
catholicisme va plus loin : il prêche un Christ qu’il a défiguré, calomnié, vilipendé, un Christ contraire à la
vérité. Il prêche l’Antéchrist, je vous le jure ! [.. .] Pour moi il ne constitue même pas une religion ; c’est à
proprement parler la continuation de l’Empire romain d’Occident ; tout en lui est subordonné à cette idée,
à commencer par la foi […]
[…] tout a été troqué contre de l’argent, contre un misérable pouvoir temporel. Et cela n’est pas la doctrine
de l’Antéchrist ?
[…] L’athéisme est sorti du catholicisme romain lui-même ! C’est par ses adeptes qu’il a commencé :
pouvaient-ils croire en eux-mêmes ? Il s’est fortifié de l’aversion qu’ils inspiraient ; il est le produit de leurs
mensonges et de leur impuissance morale. L’athéisme37!
Tout cela contribue à l'image de la civilisation occidentale qui s'oppose au monde russe
et le menace. Le départ de « la vraie foi » résultant en désespoir conduit à la confusion.
Cela, selon le Prince, provient de la théologie catholique et provoque de nouvelles
« distorsions » qui sont extrêmement dangereuses :
Oh ! non, non ! ce n’est pas exclusivement du domaine de la théologie, je vous en réponds ! Cela nous
touche de beaucoup plus près que vous ne le pensez. Toute notre erreur est justement là : nous ne pouvons
pas encore nous faire à l’idée que cette question n’est pas seulement théologique ! N’oubliez pas que le
socialisme est, lui aussi, un produit du catholicisme et de son essence. Comme son frère, l’athéisme, il est
né du désespoir ; il représente une réaction morale contre le catholicisme, il vise à s’approprier l’autorité
37
F. Dostoïevski, L’Idiot, Tome Second, Paris, La Bibliothèque électronique du Québec, Édition de
référence, Gallimard, Coll. Les classiques russes, 1939, p. 588-592. Par la suite, nous utiliserons
l’abréviation I2, suivie du numéro de page.
31:66987519
31
spirituelle que la religion a perdue, à étancher la soif ardente de l’âme humaine et à chercher le salut, non
pas dans le Christ, mais dans la violence ! (I2, p. 595)
32
les vues de Jules ? Quel est le sujet le plus exposé dans ce contexte ? Avant tout, on
remarque que la religion est au premier plan, ce qui n'est bien sûr pas une surprise
considérant le métier du héros. Cependant, il s'agit de quelque chose de plus. Dans ce cas,
la critique de la religion devient le motif principal. Non seulement le comportement des
personnages, mais aussi les paroles du héros lui-même constituent l’accusation contre les
institutions religieuses. Les questions politiques, la notion d’État passent dans ce cas au
second plan, quoique, bien sûr, ils apparaissent comme un élément de « la machine de
l'oppression ». Toutefois, il convient d’indiquer clairement que le protagoniste ne se
concentre pas sur des exultations patriotiques sublimes et que le bien de sa patrie n’est
pas un facteur déterminant du bien général pour lui. Les conclusions résultant de l'analyse
des mots du héros seront plus générales, concernant la nature de l’homme, avec un accent
particulier sur la foi, bien qu’une évaluation critique des relations sociales ne sera pas
évitée. La meilleure source de connaissances sur les réflexions de Jules repose dans ses
conversations avec le narrateur. Au cours de ces discours, le héros semble honnête avec
sa vision du monde :
Qu’est-ce que tu dois chercher dans la vie ?... Le bonheur... Et tu ne peux l’obtenir qu’en exerçant ton corps,
ce qui donne la santé, et en te fourrant dans la cervelle le moins d’idées possible, car les idées troublent le
repos et vous incitent à des actions inutiles toujours, toujours douloureuses, et souvent criminelles… ne pas
sentir ton moi, être une chose insaisissable, fondue dans la nature […]
Je t’avertis que ce n’est point facile d’y atteindre, et l’on arrive plus aisément à fabriquer un Jésus-Christ,
un Mahomet, un Napoléon, qu’un Rien […]
Tu réduiras tes connaissances du fonctionnement de l’humanité au strict nécessaire : 1° L’homme est une
bête méchante et stupide ; 2° La justice est une infamie ; 3° L’amour est une cochonnerie ; 4° Dieu est une
chimère... Tu aimeras la nature ; tu l’adoreras même, si cela te plaît, non point à la façon des artistes ou des
savants qui ont l’audace imbécile de chercher à l’exprimer avec des rythmes, ou de l’expliquer avec des
formules ; tu l’adoreras d’une adoration de brute, comme les dévotes le Dieu qu’elles ne discutent point.
[…]
Malheureusement, tu vis dans une société, sous la menace de lois oppressives, parmi des institutions
abominables, qui sont le renversement de la nature et de la raison primitive […]
Tiens, tout à l’heure, je te disais que Dieu était une chimère... Eh bien ! je ne sais pas... je ne sais rien... car
la conséquence de notre éducation et le résultat de nos études sont de nous apprendre à ne rien savoir, et à
douter de tout (AJ, p. 186-187).
C’est la religion catholique qui a fait de la mort un sombre épouvantement, tandis qu’elle n’est que la
délivrance de l’homme, le retour du prisonnier de la vie à sa véritable patrie, au néant bienfaisant et doux
(AJ, p. 218).
Je n’ai jamais cru à la sincérité de la vocation des prêtres campagnards, et j’ai toujours pensé qu’ils étaient
prêtres parce qu’ils étaient pauvres. Le métier de prêtre attire surtout les paresseux qui rêvent une vie de
33:31417523
33
jouissances grossières, sans labeurs, sans sacrifices, les vaniteux et les mauvais fils que la blouse dé goûte
et qui renient leurs pères aux dos courbés, aux doigts calleux ; pour eux, le sacerdoce c’est le confortable
bourgeois du presbytère, la table servie, l’orgueil d’être salués très bas par les passants (AJ, p. 230).
En réalité, cette collection de citations est un recueil de vues de l’abbé Jules. On
pourrait presque parler d’une sorte de manifeste anarchiste. Le héros marque tous les
aspects de la civilisation et leur donne une dimension générale. La famille, la société,
l’état, l’école et la religion, ces sont les parties d'une machine d'oppression, des créatures
artificielles qui éloignent l'homme du bonheur. Tout ce qu'un homme apprend, ou ce qui
lui est enseigné mène à l’inconscience, ainsi, la religion éloigne les gens de Dieu. Jules
met en rang des messies et des grands leaders. Il s'oppose au culte de l'individu sous toutes
ses formes, soit religieux soit laïque, croyant que tout cela est une illusion. Cependant, il
n'est pas athée, même s'il n'accepte aucun système religieux. Jules lui-même admet qu'il
succombe parfois à la foi, l'appelant d’ailleurs « la poison ».
Est-ce que l’abbé Jules a quelque chose en commun avec le prince Mychkine dans
cette matière ? C'est certainement l’attitude envers la religion catholique. Jules, comme
le prince, évoque la déformation de cette religion, l'accusant d'hypocrisie et de
matérialisme. Cependant, il fait certainement référence à un contexte plus large et ne
considère aucune autre foi comme un remède, traitant chaque religion comme une source
de mal. La plainte principale qui concerne tous les aspects mentionnés ci-dessus concerne
le fait qu’ils confondent un homme le détachant des besoins naturels et par conséquent de
bonheur, L’abbé Jules lui-même en est le meilleur exemple. La seule solution est de
rompre avec les conventions sociales et la religion et de se rapprocher de la nature, en
admirant de façon irréfléchie sa beauté. Cependant, est-ce que Jules peut le faire ? On
voit qu’un rapprochement du héros avec la nature ne donne qu'un bonheur apparent, et il
ne peut pas réaliser sa vision, ce qui résulte en des conclusions plutôt pessimistes. Les
héros des romans de Mirbeau et de Dostoïevski sont-ils complètement différents ? Jules,
contrairement au prince, se concentre sur les défauts humains, mais il est certainement
plus compliqué et écartelée. En un sens, Jules Dervelle représente ce avec quoi le prince
se bat dans son discours – le produit désespéré et perdu de la réaction anticatholique,
rejetant Dieu à cause des mensonges et l'hypocrisie de cette religion. On ne peut pas nier
aux deux héros la perspicacité et les conclusions intéressantes, quoiqu’extrêmement
différentes, résultant de l'observation de la réalité. Contrairement aux apparences, l’abbé
est aussi sensible, mais de manière différente. Il semble plus conscient, mais il n'a pas de
vision cohérente. Il n’est pas capable de donner une réponse qui pourrait apporter un
34:63926728
34
remède « aux maux du monde ». Jules ne peut pas trouver sa place et plonge dans le
désespoir. Comment comparer leurs schémas idéologiques, l’humanisme chrétien et le
nihilisme anarchiste « écologique » ? On peut certainement dire que dans une certaine
mesure, ils reflètent les opinions des auteurs. Un autre lien est aussi une connotation
pessimiste. Les deux attitudes rencontrent une incompréhension complète et sont rejetées
par la société, suscitant un manque de respect pour le prince et la peur et le mépris envers
l’abbé Jules pour lequel le petit garçon est un seul confident.
35
38
P. Michel, L'Abbé Jules, ou l'évangile du cynisme, préface de L'Abbé Jules, Lausanne, L'Âge d'Homme,
2010, pp. 7-27.
36:51067415
36
39
http://mirbeau.asso.fr/dicomirbeau/index.php?option=com_glossary&id=642
40
Ibid.
37:44628473
37
38
CHAPITRE III
LE CONTEXTE SOCIAL DANS LES ROMANS DE DOSTOÏEVSKI
ET D’OCTAVE MIRBEAU
LA VISION DU MONDE CONTEMPORAIN
On sait que les protagonistes des deux romans sont associés aux auteurs. Ils
portent leurs traits et expriment leurs opinions. Mais comment cela se présente dans un
contexte plus vaste ? Les romans de Dostoïevski et de Mirbeau ne constituent pas
seulement une analyse de profondeur psychologique et de nature humaine, mais comme
on a montré précédemment, ils contiennent aussi une image des réalités contemporaines,
le témoignage des temps et des visions des auteurs. Bien sûr il ne s’agit pas de l’analyse
dans le style de Taine et des conceptions naturalistes41, où l'œuvre entière est subordonnée
à des faits historiques sans âme et dépouillée de la dimension artistique, mais ces écrivains
et leurs romans n'existaient pas dans le vide et ils se réfèrent aux plusieurs aspects de la
vie quotidienne, constituent son profil vu à travers les yeux de l'auteur. C’est
particulièrement important dans le cas de Dostoïevski dont l’ouvrage a un sous-texte
politique. En résume, l’analyse dans le troisième chapitre est basée sur les aspects
généraux sélectionnés concernant les questions des relations sociales, la politique et
l’histoire. Pour faire cela, il convient de présenter brièvement le contexte de la création
ces deux romans.
Dans le contexte de L’Idiot de Dostoïevski il faut évoquer quelques faits les plus
importants. Premièrement, la situation de Russie. Le pays a fait face à de nombreux
dilemmes. Le pouvoir territorial grandissait, mais économiquement, elle restait en retard
sur l'ouest industriel en croissance rapide. La Russie devait choisir la voie du
développement, risquant la perte de la stabilité interne42. Cependant, les changements
économiques rapides ont été associés à un changement de mentalité et des idéologies et
c’est le principal problème dans les considérations de Dostoïevski. L'attitude de l'auteur
s'inscrit dans le contexte plus large du motif du messianisme dans la littérature russe.
41
J-T. Nordman, Taine et la critique scientifique, Paris, Presses Universitaires de France, 1992.
42
http://countrystudies.us/russia/6.htm
39:92110780
39
43
D. M. Betha, The shape of apocalypse in modern Russian fiction, New Jersey, Princeton University
Press, 1989, p. 62-65.
44
http://mirbeau.asso.fr/dicomirbeau/index.php?option=com_glossary&id=642
40:17206004
40
45
A. Antoniacci, The crisis of the Russian family in the works of Dostoevsky, Tolstoy and Chekhov,
Christchurch, University of Canterbury, 2015, p.44-45,112-114.
41:43736790
41
46
http://mirbeau.asso.fr/dicomirbeau/index.php?option=com_glossary&letter=F&id=644
42:83781789
42
Et puis, ils étaient très imprégnés de cette idée qu’un enfant bien élevé ne doit ouvrir la bouche que pour
manger, réciter ses leçons, faire sa prière (AJ, p. 28).
La description de la maison du narrateur est également très significative :
[…] dans cette salle, sans meubles, aux murs nus, aux fenêtres pleines de nuit, je me sentais bien seul, bien
abandonné, bien triste. Du plafond, des murs, des yeux même de mes parents, un froid tombait sur moi, qui
m’enveloppait comme d’un manteau de glace, me pénétrait, me serrait le cœur. J’avais envie de pleurer. Je
comparais notre intérieur claustral, renfrogné, avec celui des Servière, des amis chez qui, toutes les
semaines, le jeudi, nous allions dîner. Comme j’enviais l’intime et douce chaleur de cette maison […] (AJ,
p. 33).
Il y a une image très triste de solitude vue à travers les yeux d'un enfant. Le temps passé
avec la famille était une corvée pour le protagoniste, dominé par les règles rigides dictées
par la mère. Elle a forcé le héros à respecter la rigueur, symbolisée par de nombreuses
heures de prière. Cette femme était l'incarnation de la froideur et du sérieux. Le garçon se
sentait abandonné, il a envié aux enfants de ses voisins. Est-ce à supposer qu’il y a un
monde normal quelque part où existe de la joie, ou peut-être que c'est juste une vision du
héros ? On ne le découvre pas. L'image d'une famille « amie » est plus importante que le
portrait d'un personnage potentiellement positif. L'enfance du héros était sombre et
ennuyeuse, la femme de chambre était la seule personne qui lui montre des sentiments.
Mirbeau est allé plus loin en rappelant la figure de Mme Robin et sa famille. Autant que
la famille du héros présente une image négative, les Robins constituent des allégations
extrêmement exagérées contre cette cellule sociale. Les réunions des deux familles ont
pris la forme d'une farce grotesque. C'était un spectacle de vantardise et de vanité, avec
une attention toute particulière à la convention et à la courtoisie. Le ménage est obsédé
par ces apparences, et pour les préserver, il recourt à des mensonges répétés. Mme Robin
joue un rôle particulier dans ce théâtre. C'est une femme sans âme, vaine et cruelle. Elle
a honte de son fils malade et défectueux. Elle soigne sa frustration en abusant
« discrètement » du narrateur. Pour renfermer la boucle de la présentation de la famille
dans L’Abbé Jules il faut se référer à ce que les personnages font, quand Jules est revenu
à la ville, à la fin de l'action. Les parents utilisent délibérément leur fils pour un gain
financier. La mère déteste le prêtre et s’adresse à son fils d'une manière sèche et
indifférente, mais la nouvelle à propos d’une fortune prétendue la fait préserver les
apparences et la femme exploite l’enfant comme un outil. Ainsi, la famille n'est pas
seulement la première étape inconsciente de la répression sociale, mais aussi l'écloserie
de mauvaises habitudes et le déclin de la moralité. Cette institution est dominée par
l'hypocrisie, le matérialisme et le cynisme. L'auteur donne un exemple de famille qui
43:68219976
43
pourrait être le contraire de cette image négative, cependant c’est seulement un fond
épisodique, comme si la normalité était une exception. Mais pourquoi la description
exagérée de la mère du narrateur et de Mme Robin a-t-elle été mise en évidence ? On ne
peut pas cacher que dans ce spectacle de la corruption, les femmes jouent un rôle de
premier plan, en étant la source et l’inspiration des distorsions. On peut constater que la
famille selon Mirbeau est la société en bref, car elle représente tous ses défauts et reflète
le niveau des relations interpersonnelles. La constatation que L’Idiot et L’Abbé Jules
montrent une image de la crise de la famille serait un euphémisme injuste. La vision de
Mirbeau est beaucoup plus exagérée et subordonnée à d'autres objectifs. Est-ce que
quelque chose relie des romans dans ce contexte ? Ce sont certainement des personnages
d'enfants. Ils sont un point lumineux contrastant avec l'image générale. Puisque leurs
esprits n'ont pas encore été corrompus, les enfants se distinguent par leur honnêteté, leur
ouverture et des sentiments sincères.
3. LE PORTRAIT DE LA FEMME
47
https://philitt.fr/2017/06/23/la-femme-redemptrice-chez-dostoievski/
44:43608847
44
être en raison de son âge. Élisabeth Prokofievna, sa mère, est une personne complètement
différente. Elle est un archétype de matrone. C’est une femme avec les pieds sur la terre,
qui est capable de gouverner toute la famille. De l’autre côté, elle peut être sensible et
délicate bien qu'elle ne soit pas sans défauts. Il convient aussi de mentionner Marie, une
amie du prince des temps d’émigration. C’est une fille très simple qui a beaucoup souffert.
La question reste, ce qui découle de cette brève analyse ? Les femmes sont un exemple
de diversité. Les héroïnes ont des caractères différents et elles se caractérisent par la
profondeur psychologique, tout en évitant la catégorisation selon les modelés
prédéterminés. Dans le monde de Dostoïevski, les femmes jouent divers rôles souvent
moralement ambigus, ce qui crée une impression de réalisme et de crédibilité. On peut
dire que, si possible, Dostoïevski a évité l'approche stéréotypée du personnage féminin,
encore que, évidemment, ils aient été intégrés dans des réalités historiques et sociales
spécifiques.
Que-est ce que dit Mirbeau à propos des femmes ? Encore une fois on peut
compter sur des informations recueillies par Pierre Michel :
Pour avoir beaucoup souffert de quelques femmes (Judith Vimmer et Alice Regnault, notamment), Mirbeau
a eu fâcheusement tendance à généraliser à tout le sexe dit faible et s’est fait de la femme une image peu
engageante de créature, certes séduisante, mais généralement peu intelligente et volontiers cruelle, dont la
seule mission serait de perpétuer l’espèce et, à cette fin, d’attirer des mâles dans ses rets, de les « dominer
» et de les « torturer » […]
Et puis Mirbeau est un des tout premiers à avoir proclamé, dès 1890, le droit à l’avortement et à s’être battu
pour que les femmes puissent disposer du contrôle de leur propre fécondité, combat féministe s’il en est !
Comme quoi les rancœurs de l’homme malheureux dans ses amours n’aveuglent pas complètement
l’intellectuel engagé dans des combats éthiques48.
En général, on peut dire que l'image de la femme selon Mirbeau est marquée par la
misogynie qui peut venir des expériences personnelles désagréables. Cependant ce n’est
pas une image si évidente qu’on pourrait le supposer. Alors, quel portrait de la femme on
peut trouver dans L’Abbé Jules qui était créé au début de carrière de romancier de
Mirbeau ? Il faut dire directement que dans son second roman l'image de la femme a été
rendue superficielle et soumise à une thèse. La femme, comme Ève biblique, est la source
du péché. La mère du narrateur et Mme Robin, décrites plus haut, constituent l'exemple
le plus fort et le plus évident. Ces femmes représentent le manque de sentiments, un
matérialisme et un cynisme extrême, on peut dire qu’e c’est le mal incarné. Elles sont
nées pour manipuler, comme la plupart des femmes, car il n’y a pas de contrepoids. Bien
48
http://mirbeau.asso.fr/dicomirbeau/index.php?option=com_glossary&letter=F&id=827
45:98792430
45
que les hommes ne soient pas des saints, les femmes sont même pires. On peut voir cela
sur l'exemple de la relation des parents du héros. Le père est influencé par sa femme, qui
inspire tout le mal. Il est impuissant dans une certaine mesure, il est amené au mauvais
chemin comme Adam. La seule figure positive est la grand-mère du narrateur, une femme
modeste, simple, travailleuse et sensible, elle a beaucoup souffert à cause des autres. Elle
personnifie des valeurs générales particulièrement proches de l'auteur.
En résumé, Mirbeau présente une image exagérée de la femme pour prouver sa
raison. Est-ce qu'il le fait délibérément tout en étant conscient de l'exagération ? C'est
difficile à dire. Il est vrai que les personnages féminins dans l’œuvre de Dostoïevski sont
plus développés et complexes. Ceux de Mirbeau sont marqués par l'autobiographie et
soumis à des préjugés. Au détriment de la crédibilité.
49
W. P. van den B., Christian Fiction and Religious Realism in the Novels of Dostoevsky, London,
Anthem Press, 2011, p. 9-13.
46:50305048
46
seconde est la critique du catholicisme, qui incarne l'Ouest. Cela est montré à travers la
déclaration du prince et l'histoire de Marie. Tout pour montrer la corruption, l'hypocrisie
et même la cruauté de cette religion vue comme une menace. Quelle est alors l'attitude
envers l'église orthodoxe ? L'argument principal concernant la religion et son rôle crucial
a été présenté dans le discours émotionnel du prince, qui a été mentionné dans le chapitre
précédent. William Peter van den Bercken remarque le contraste entre cette déclaration
et la nature douce du protagoniste qu’on peut observer dans la suite du roman. Il associe
cette explosion avec une attaque d'épilepsie à venir. L’auteur de Christian Fiction and
Religious Realism in the Novels of Dostoevsky tente de distancer le héros de la religion
orthodoxe et même de la foi50. C’est vrai dans une certaine mesure, mais pas
complètement. En effet, le prince ne montre pas de piété orthodoxe. On ne peut l’appeler
« un dévot ». Cependant, on ne peut sous-estimer son discours émotionnel comme une
négation de la personnalité du héros. Il ne faut pas attendre que Dostoïevski, qui a dit
ouvertement que le prince est un « homme parfait », détache le protagoniste de la
religiosité profonde combinée avec des idées nationales. C'est le cas ici. L’exultation du
prince est vraiment en contradiction avec sa personnalité, mais cela souligne ses mots en
leur donnant une force exceptionnelle. De cette manière, la manifeste du héros se
distingue sur le fond de l’œuvre. Cependant, on ne peut pas dire que c'est un manifeste
orthodoxe. Dostoïevski s'oppose à l'Occident, attaquant toute la civilisation. Il dénonce
ses défauts dont la source et la représentation est le catholicisme avec sa corruption qui
provoque le développement de l'athéisme. On a donc une sorte de manifeste culturel. Les
valeurs russes doivent être la réponse. La foi et le Christ sont leur principale source. Il n'y
a pas d'hypothèses de programme ici, ni de référence aux dogmes spécifiques. Cependant,
il y a un concept clair d'humanisme chrétien combiné avec la tradition nationale, construit
sur de nouvelles fondations et une sorte de renaissance des valeurs. Ces mots peuvent
certainement être considérés comme l'opinion de l'auteur bien que ce ne soit pas sans
critique. Dostoïevski est conscient de la situation, ce qui est présenté dans la réaction de
l'entourage, ironique et indulgent. Les conclusions sont encore une fois pessimistes mais
pas désespérées. En général, la foi selon Dostoïevski est un concept complexe. Toute
déclaration univoque ou inscription dans un contexte religieux serait injuste, car
Dostoïevski montre ce problème sous un éclairage différent. Cependant, on peut trouver
ses messages. Le concept principal est l'humanisme chrétien, basé sur la sensibilité et en
50
Ibid., p. 33-35.
47:47677489
47
opposition à la violence. Dans L’Idiot l’auteur, par les mots du héros, combine ce concept
avec l’idée de la nation et de la civilisation en réponse à la menace qui vient de l’Occident.
Comment ces problèmes sont présentés dans le roman de Mirbeau ? Tout d'abord,
les questions de foi et de religion sont plus développées, mais il y a beaucoup plus de
religion que de foi. Mirbeau se concentre sur la religion en tant qu'institution et ses
représentants comme une partie de l'ordre social. La religion à laquelle l'auteur se réfère
est bien sûr la religion dominante en France à cette époque, le catholicisme. Ce n'est pas
sans raison que le personnage de titre a choisi une telle profession. En fait, beaucoup
d'espace a été consacré à l'image de l'église et de sa structure. L'influence de la religion
est déjà visible au début du roman. La vie religieuse domine les relations de la
communauté petite-bourgeoise. Cela concerne principalement « le formalisme
religieux », c’est-à-dire la démonstration de la religiosité. Tout pour montrer l'hypocrisie
et la faiblesse de cette attitude, une image sombre des gens étouffés par le régime, qui, en
un sens, s’imposent leur-mêmes dans la crainte du jugement. La religion est un élément
important de la vie sociale, mais dans un sens négatif. Un autre élément important de la
présentation de l'image de l'église sont ses structures montrées sur l'exemple de la carrière
de l'abbé Jules. C’est une institution hiérarchique, où il y a un dur combat pour des
influences. Ce combat vaut la peine. C’est un jeu de la richesse et du pouvoir. Il en résulte
une image accablante qui montre à quel point la religion est loin de l'essence de la foi.
Cependant, Mirbeau essaie de ridiculiser certains aspects. Le comportement du Père
Pamphile, sa poursuite insensée d’un mirage est un symbole de ce que la religion est
devenue, détachée de la réalité et basée sur des idées délirantes. Un autre exemple
important associé à l'église est la figure de l'évêque. C'est la quintessence du
conformisme. Son domaine sont des clichés triviaux et des formules ennuyeuses, tout cela
est rempli d’une peur égoïste.
Dans ses allocutions, ses lettres pastorales, ses mandements, il esquivait soigneusement les questions
irritantes, se bornait aux banalités ambiguës, aux recommandations courantes du catéchisme […]
Relisons, relisons, monsieur l’abbé... Et, je vous en prie, tâchons de ne pas nous compromettre... nous
sommes les missionnaires de la paix des âmes... Notre devoir est de concilier, d’apaiser... ne l’oublions pas,
monsieur l’abbé […]
La nuit, dans ses rêves, il voyait les phrases de son mandement, casquées de fer, hérissées d’armes terribles,
rangées en bataille, se précipiter contre lui avec des hurlements sauvages. Alors, brusquement, il se
réveillait, la sueur au front, et il demeurait de longues heures, très malheureux, tourmenté par la crainte
qu’une virgule mal placée n’amenât des gloses, des querelles, d’incalculables désastres (AJ, p. 64, 65).
48:69776763
48
Un moment très important du point de vue de cette question et en même temps un tournant
dans l'action de l’œuvre est le discours émotionnel du héros cité dans le deuxième
chapitre. On peut voir ici une analogie avec le manifeste du prince. On peut avoir
l’impression que l’auteur crie lui-même à travers les paroles du héros, stigmatisant tout
le mal et l’hypocrisie en quelques mots émotionnels. C’est un témoignage clair des vues
de l'auteur sur cette question. Il faut aussi dire que le comportement des prêtres est marqué
par une farce derrière laquelle les intentions réelles sont cachées. Tout le monde veut
gagner quelque chose pour eux-mêmes. Toutes les tentatives de secouer l'ordre actuel
sont traitées comme une manifestation d'hostilité, car les représentants de l'église vivent
dans la peur de perdre leur position. Le portrait de Jules lui-même est également
important. Comme on sait, pour le dire doucement, le héros n'est pas dépourvu de défauts,
mais il semble une figure même positive dans le contexte du clergé. La distinction d'un
tel protagoniste sur le fond de l'environnement apporte discrètement des associations avec
le personnage de Dostoïevski. Il est intéressant de noter que Mirbeau n'attaque pas la foi
si fortement, bien que l’abbé Jules se réfère à toutes les religions. Dieu et la foi sont
quelque chose d'indéfini, il y a des accusations selon lesquelles la religion catholique a,
en quelque sorte, monopolisé ces concepts, comme l’amour, en leur donnant une forme
déformée.
Les religions — la religion catholique, surtout — se sont faites les grandes entremetteuses de l’amour...
Sous prétexte d’en adoucir le côté brutal — qui est le seul héroïque —, elles en ont développé le côté
pervers et malsain, par la sensualité des musiques et des parfums, par le mysticisme des prières et
l’onanisme moral des adorations... comprends-tu ?... Elles savaient ce qu’elles faisaient, va, ces courtisanes
! Elles savaient que c’était le meilleur et le plus sûr moyen d’abrutir l’homme, et de l’enchaîner […]
Dieu !... Dieu, ce n’est qu’une forme de la débauche d’amour !... C’est la suprême jouissance inexorable,
vers laquelle nous tendons tous nos désirs surmenés, et que nous n’atteignons jamais... Autrefois, j’ai cru à
l’amour, j’ai cru à Dieu !... J’y crois encore souvent, car de ce poison on ne guérit pas complètement (AJ,
p. 203).
Au final, cette image est ambiguë. On ne peut pas parler ici d’un manifeste athée. L’abbé
Jules est plein des contradictions, tout comme Mirbeau. Cependant la critique de la
religion, surtout catholique, est très visible, voire brutale, et fait partie de la pensée
générale de Mirbeau51. Les différences entre le roman de Mirbeau et L’Idiot, en ce qui
concerne le sujet de la foi et du rôle de la religion sont évidentes, mais est-ce qu’il y a des
ressemblances ? Avant tout, la création du protagoniste en est la première. Ce sont surtout
51
http://mirbeau.asso.fr/dicomirbeau/index.php?option=com_glossary&letter=R&id=207
49:98516898
49
les héros de titre qui transmettent les vues des auteurs, mais pas seulement. Quand
Dostoïevski se concentre sur une question idéologique et spirituelle liée à une vision
humaniste de l'homme et des problèmes nationaux, mais en détachement complet des
questions formelles, Mirbeau présente un profil plus large de la religion et des structures
de l'église elle-même. Selon lui, la religion est un autre élément du mécanisme
d'oppression, qui détache l'homme de sa vraie nature et de son bonheur. Il y a aussi un
autre point commun, c'est le catholicisme. La critique de cette religion a une dimension
similaire dans les deux romans. Bien sûr, cela est difficile à qualifier d'inspiration,
cependant, des caractéristiques telles que le matérialisme et l'hypocrisie sont aussi
mentionnées par Dostoïevski, bien que les visions des auteurs concernant cette religion
évoluent évidemment dans une autre direction.
52
J. Orr, Tragic Realism and Modern Society, Edinburgh, Palgrave Macmillan, 1977. p. 69-70.
53
https://www.bbc.com/news/magazine-30129713
50:59872483
50
54
Ibid.
51:74794288
51
55
http://mirbeau.asso.fr/dicomirbeau/index.php?option=com_glossary&letter=S&id=832
52:10329319
52
pessimiste résultant d’une analyse profonde de la nature humaine encore une fois relie
L’Abbé Jules et L’Idiot.
53:75231763
53
CONCLUSION
Sur la base de nos analyses, on peut conclure qu'il existe une relation forte entre
la littérature russe et les auteurs français des années 1880 et 1890. C'est une relation
mutuelle, bénéfique pour les deux côtés. Pour les Français, la littérature russe représentée
par Tolstoï et Dostoïevski, constituait une grande source d'inspiration et le début de la
réforme de la sensibilité, voire du changement culturel 56. D'autre part, grâce à la
russomanie française, les auteurs orientaux ont acquis une reconnaissance mondiale et se
sont inscrits comme les grands romanciers du monde, inspirant les générations suivantes.
Toutefois, il convient de noter que l’image de la culture russe et du pays lui-même
obtenue de cette manière était quelque peu superficielle et incomplète. Octave Mirbeau a
joué un rôle important dans ce processus post-naturaliste d'absorption des œuvres de
Dostoïevski. On peut dire en toute confiance qu’il a été un précurseur en matière de la
découverte de la véritable essence des romans russes, c’est-à-dire une profondeur
artistique et psychologique inhabituelle dans la création du personnage. Bien qu’on ne
puisse pas clairement indiquer comment et dans quels fragments de son roman Mirbeau
a été inspiré par Dostoïevski, on peut dire sans aucun doute que son second ouvrage
L’Abbé Jules porte des traits distinctifs de telles influences. Cela est bien visible en ce qui
concerne la présentation du personnage principal. Comme Dostoïevski, Mirbeau se
concentre sur le protagoniste du titre, montrant sa nature compliquée grâce au recours à
l’inconscient. Les deux auteurs utilisent des instruments similaires pour montrer des
caractères complètement différents. Cependant, il faut admettre qu'il existe également des
similitudes au niveau du contenu. Les deux écrivains créent une image tragique d'un
homme unique et donc condamné à la solitude et au rejet. L’utilisation de thèmes
autobiographiques est une autre question importante, qui lie L’Idiot avec L’Abbé Jules.
Les deux auteurs donnent à leurs personnages leurs propres caractéristiques et croyances,
ce qui rend les œuvres très personnels. Dostoïevski et Mirbeau ont grandi dans une
tradition complètement différente, à la fois littéraire, sociale et culturelle. Il n'est donc pas
surprenant que leurs visions de la société et leurs vues soient complètement différentes,
mais les deux œuvres analysées contiennent une sorte de message, car ils diagnostiquent
parfaitement leur temps. Il y a une clé pour comprendre ce qui relie les deux auteurs, à la
fois dans le contexte de la présentation des personnages et de l'image plus large de la
56
http://mirbeau.asso.fr/dicomirbeau/index.php?option=com_glossary&letter=D&id=73
54:62261468
54
55
BIBLIOGRAPHIE
OUVRAGES ANALYSÉS :
OUVRAGES CRITIQUES :
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and Chekhov, Christchurch, University of Canterbury, 2015
David M. Betha, The shape of apocalypse in modern Russian fiction, New Jersey,
Princeton University Press, 1989
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Dostoevsky, London, Anthem Press, 2011
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2015
Pierre Michel, Bibliographie d’Octave Mirbeau, Angers, Société Octave Mirbeau, 2011
56:53421965
56
Pierre Michel, L’Abbé Jules : de Zola à Dostoïevski, Préface de L'Abbé Jules, Éditions
du Boucher, 2003, Pierre Michel, Cahiers Octave Mirbeau no 21, Angers, 2014, p. 48-55
Pierre Michel, L'Abbé Jules, ou l'évangile du cynisme, préface de L'Abbé Jules, Lausanne,
L'Âge d'Homme, 2010, pp. 7-27
Pierre Michel, Octave Mirbeau et le roman, Angers, Société Octave Mirbeau, 2005
John Orr, Tragic Realism and Modern Society, Edinburgh, Palgrave Macmillan 1977
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Paris, José Corti, 1966
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https://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/eugene-melchior-de-vogue-par-anna-204599
58:50574887
58
STRESZCZENIE
59
Załącznik 1
……………………………………………..
(imię i nazwisko)
OŚWIADCZENIE
Łódź, dnia…………………………………….
……….……………………
(własnoręczny
podpis)
niepotrzebne skreślić
60:72929641
60
załącznik nr 2 do
Regulaminu udostępniania egzemplarzy
niepublikowanych prac gromadzonych w zbiorach Uniwersytetu Łódzkiego
OŚWIADCZENIE
…………………………
(podpis)
61:47640743
61
Załącznik 3
Dane studenta
Imię i nazwisko ...........................................................
Numer album ............................................................
……………………………………………………………………………………………
……………………………………………………………………………………………
……………………………………………………………………………………………
………………
.………………………
(data i podpis studenta)
.…………………………
(data i podpis promotora)
62:42777309
62
Załącznik do Zarządzenie nr 42
Dziekana Wydziału Filologicznego UŁ
z dnia 1 marca 2016r.
………………………………………………….
Imię i nazwisko studenta
………………………………………………….
Kierunek studiów, numer albumu
OŚWIADCZENIE
……………………………………………………..
data, podpis studenta