Les Interventions Psychologique Dans Les Organisations PDF
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C L I N I Q U E
Dana Castro
Les Interventions
psychologiques
dans les organisations
Les interventions psychologiques
dans les organisations
P S Y C H O S U P
Les interventions
psychologiques
dans les organisations
Sous la direction de
Dana Castro
Conseiller éditorial
Jean-Luc Bernaud
Avec la collaboration de :
PREMIÈRE PARTIE
L’APPROCHE PSYCHOSOCIALE CLINIQUE
1 Introduction 57
TABLE DES MATIÈRES IX
1 Tentatives de définition 71
1.1 Le pouvoir au centre de l’action 72
1.2 Empowerment, subsidiarité et compétences 73
2 La mise en place de l’empowerment
par les organisations responsabilisantes 74
3 Comment préparer le passage à l’empowerment ? 75
4 Les effets mesurés de l’empowerment 77
4.1 Le présentéisme 77
4.2 Les accidents du travail 77
4.3 Les procédures disciplinaires 77
4.4 Les conflits sociaux 78
4.5 Le turn-over 78
4.6 L’appréciation du personnel 79
4.7 L’ergonomie 81
4.8 Les idées de progrès 81
4.9 L’éthylisme 82
5 L’empowerment ou la grande illusion ? 84
6 L’empowerment, l’entreprise et le psychologue 85
7 Conclusion 86
Lectures conseillées 86
X LES INTERVENTIONS PSYCHOLOGIQUES DANS LES ORGANISATIONS
SECONDE PARTIE
L’APPROCHE PSYCHOPATHOLOGIQUE
CONCLUSION 187
BIBLIOGRAPHIE 195
INDEX DES NOTIONS 211
INDEX DES AUTEURS 217
INTRODUCTION1
L’APPROCHE
PSYCHOSOCIALE
CLINIQUE
1 TROUBLES PSYCHOLOGIQUES
ET PSYCHOPATHOLOGIQUES LIÉS
AU TRAVAIL : FACTEURS DE PROTECTION
DE LA SANTÉ DANS LE TRAVAIL1
Le travail est à la fois une activité forcée, une action organisée et continue, un
effort producteur, une activité créatrice d’objets et de valeur ayant une utilité
dans un groupe, une conduite dont le motif peut être personnel – gain, ambi-
tion, goût, plaisir, devoir –, mais dont l’effet concerne les autres hommes.
(Meyerson, 1948b, p. 16)
réaliser et les ajuster en temps réel ; décisions et actions qui ont un cadre de
contraintes temporelles et qui obéissent à des normes de production (Gollac
et Volkoff, 2000). Comme le montrent les travaux de différentes équipes en
psychologie du travail et en ergonomie, le déroulement quotidien de l’acti-
vité dans ce cadre n’est pas prévisible, et il existe toujours un écart entre le
travail prescrit et le travail réel (Daniellou, 1996 ; Leplat, 1997 ; Béguin et
1. Rappelons que la fatigue chronique va de pair avec d’autres dysfonctionnements, tels que
l’augmentation des accidents, l’absentéisme, les troubles fonctionnels atypiques, etc.
TROUBLES PSYCHOLOGIQUES ET PSYCHOPATHOLOGIQUES… 13
– qu’on peut difficilement admettre dans ce cas que les ouvriers se dévoilent
brusquement et massivement « neurasthéniques » (ou toute autre classifi-
cation psychopathologique) ;
– qu’on ne peut se contenter de la seule explication par des résistances au
changement, donc par une mauvaise volonté adaptative (volontaire ou non).
Dès les années 1910, on sait que le « travail est d’autant plus nocif qu’il
est monotone et assujettissant » (Lahy, 1910), c’est-à-dire qu’il ne favorise ni
créativité ni pensée. Ce ne sont donc pas toujours les mauvaises conditions
de travail qui sont en jeu dans la nocivité, mais bien l’organisation de travail.
Rappelons la différence entre conditions de travail et organisation de
travail (Dejours, 2001). Les conditions de travail concernent les altérations
des ambiances physiques, chimiques et biologiques de travail (conditions qui
ont connu des améliorations à poursuivre). Ces conditions de travail se réper-
cutent directement sur le corps et les troubles qu’elles occasionnent consti-
tuent les pathologies professionnelles. L’organisation de travail relève, quant
à elle, de la division des tâches et de la division des hommes dans le travail.
Ses modifications et ses altérations atteignent le fonctionnement psychique
et au-delà la santé mentale.
Pourtant, ces faits s’effacent devant le besoin d’une rationalisation du
travail qui s’est construite non seulement sur la division du travail, déjà
connue des ouvriers, mais, et de plus en plus, sur la maîtrise du temps et de
l’organisation du travail. Cette rationalisation du travail comporte en elle-
même une méconnaissance de la fonction psychologique du travail pour l’être
humain, mais aussi de la place de la mobilisation du corps et de la pensée
dans le travail. En effet, le contrôle du temps et de l’organisation de travail,
plus que jamais à l’œuvre dans la gestion actuelle du travail, constitue une
atteinte des structures psychologiques qui permettent l’implication créative
du sujet dans son activité, le déroulement de la pensée dans le temps et le
temps nécessaire pour un retour sur l’activité, retour qui seul peut permettre
de lui donner sens (Dejours, 1995 ; Clot, 1999 ; Gollac et Volkoff, 2000).
Or dans notre société moderne, il apparaît de plus en plus que ce ne sont
pas tant les conditions de travail à proprement parler qui sont nocives à la
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.
santé des individus dans bien des cas, mais une forme d’organisation du
travail qui peut s’opposer à la pensée. Ce qui conduit à s’interroger sur le
sens du travail et sur sa fonction spécifique parmi les activités humaines.
2 La centralité du travail
et sa fonction psychologique
Pour Wallon, comme pour Meyerson, le travail reste une activité forcée,
étrangère à nos besoins, située dans un milieu et parmi ses semblables. Cet
14 L’APPROCHE PSYCHOSOCIALE CLINIQUE
Ce qui veut dire qu’il n’y a pas de neutralité du travail vis-à-vis de l’identité,
il en fait partie, il la modèle, et elle le modèle en retour. Travailler, c’est inven-
ter, chercher, trouver, s’exprimer, transformer et se transformer. L’écart entre
travail prescrit et travail réel indique que les sujets au travail ne sont pas
simplement des producteurs passifs, mais bien des acteurs engagés dans
plusieurs mondes, dans plusieurs temps vécus, mondes et temps qu’ils cher-
chent à rendre compatibles entre eux (Curie, Hajjar et Beaubion-Broye, 1990).
5 Conclusion
La psychopathologie du travail (Le Guillant, 1984), comme la clinique de
l’activité (Clot, 1999) ou la psychodynamique du travail (Dejours, 1993), en
abandonnant l’approche causaliste simple entre condition de travail et
pathologie, s’intéresse bien plus aux processus d’appropriation du travail,
source de plaisir et/ou de souffrance. On peut alors s’interroger sur les
formes d’intervention possibles dans le cadre du travail pour le psychologue
et/ou le psychiatre, mais aussi pour le médecin du travail. Alors que dans le
TROUBLES PSYCHOLOGIQUES ET PSYCHOPATHOLOGIQUES… 21
Lectures conseillées
BILLIARD I. (2001). Santé mentale et travail. L’émergence de la psychopathologie du
travail, Paris, La Dispute.
CLOT Y. (1999). La fonction psychologique du travail, Paris, PUF.
DEJOURS C. (1995). Le Facteur humain, Paris, PUF.
GOLLAC M., VOLKOFF S. (2000). Les Conditions de travail, Paris, La Découverte.
LEPLAT J. (1997). Regards sur l’activité en situation de travail, Paris, PUF.
1. Psychologues et médecins du travail sont conduits de plus en plus à intervenir dans le cadre de
demandes concernant la santé au travail, psychiatres et psychologues sont également consultés
pour des troubles liés au travail. Les demandes qui leur sont adressées sont spécifiques suivant
leur fonction, davantage évaluatives (médecin du travail), organisationnelles (psychologue du
travail) ou bien centrées sur l’accompagnement et le soin (psychiatres et psychologues clini-
ciens). Loin d’être interchangeables, leurs rôles sont donc complémentaires.
2 LA PART DES DIFFICULTÉS
RELATIONNELLES DANS L’INSERTION
PROFESSIONNELLE : L’APPORT
DE LA THÉORIE DE L’ATTACHEMENT1
sociale du travail est très affectée, et les préoccupations liées à cet attache-
ment insécurisé distraient le sujet de son travail. Les personnes concernées
souffrent de cette insécurité permanente qui mobilise leur énergie psychique.
En conséquence, on note une grande difficulté à faire aboutir les projets, à
respecter les limites temporelles et on constate, en définitive, une faible
performance au travail.
Quant aux sujets sécurisés, ils s’épanouissent au travail et sont satisfaits
de ce qu’ils peuvent y faire. Ils sont soucieux de la qualité de leur travail et
tiennent compte de l’évaluation faite par leurs coéquipiers ou leur supérieur
hiérarchique, sans que celle-ci fragilise, pour autant, leur santé mentale, ou
perturbe leurs relations sociales ou privées. Ils pensent d’ailleurs être bien
considérés, témoignent d’une bonne estime d’eux-mêmes. N’étant pas dans
une quête perpétuelle de reconnaissance, ils peuvent se consacrer entière-
ment à leur tâche.
Pour compléter cette approche, Hardy et Barkham (1994) ont mis au point
une série d’échelles révélant les problèmes liés à un attachement insécurisé,
qu’il soit de type anxieux/ambivalent ou évitant. Les résultats obtenus à ces
échelles sont tout à fait satisfaisants, puisqu’ils révèlent que les sujets qui
présentent un attachement insécurisé de type anxieux/ambivalent sont anxieux
à la fois à propos de leurs performances de travail et de leurs relations profes-
sionnelles. Concernant les sujets insécurisés de type évitant, des corrélations
sont trouvées entre ce type d’insécurité et l’accumulation des heures passées
au travail, un sentiment général d’insatisfaction au travail, des conflits avec les
collègues et des difficultés relationnelles à la maison et dans la vie sociale.
Dans la même optique, Joplin, Nelson et Quick (1999) ont centré spécifi-
quement leur intérêt sur le lien entre les types d’attachement et la performance
au travail. Le suivi de militaires, nouvellement engagés, a attesté que ceux qui
abandonnaient leur formation présentaient un type d’attachement significative-
ment plus insécurisé que les soldats officiers et les soldats de base.
Krausz, Bizman et Braslavsky (2001) ont, quant à eux, décidé de tenir
compte de la conjoncture actuelle du marché de l’emploi en Israël (compéti-
tions globale et locale, évolution rapide des technologies, demande de flexi-
bilité et d’adaptation aux employés), pour mener à bien leur étude visant à
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.
savoir si les contrats de travail choisis par les employés sont fonction de leur
type d’attachement. L’échantillon de l’étude réalisée par Krausz et al. est
composé de 194 ingénieurs-informaticiens. 70 % d’entre eux présentent un
attachement sécurisé, 8 % sont insécurisés de type anxieux/ambivalent et
21 % ont un type d’attachement insécurisé évitant. L’ensemble de ces ingé-
nieurs-informaticiens, en raison d’une offre plus importante que la demande,
est en mesure de choisir de travailler selon plusieurs formules. Nous ne cite-
rons que les deux retenues pour l’étude :
– la première est d’accepter un emploi proposé par une agence extérieure à
l’entreprise recruteuse (sorte d’agence d’intérim) dont la durée n’est
28 L’APPROCHE PSYCHOSOCIALE CLINIQUE
Selon ces auteurs, les types d’attachement seraient prédicteurs des comporte-
ments adaptatifs au sein du lieu de travail et sont à mettre en perspective avec
le niveau de progression dans le développement de carrière.
La capacité d’exploration est un premier élément à considérer dans le
développement de carrière, car elle est utilisée de façon différente selon le
type d’attachement des sujets. L’exploration, considérée comme étant active
tout au long de la vie, par Blustein et al., participe aux transitions
développementales nécessaires à une progression de carrière. Les fonctions
de l’exploration sont d’aider le sujet à développer des savoir-faire en relation
avec le monde extérieur. Cette exploration du marché du travail conduit,
aussi, à une réévaluation narcissique, car elle oblige à faire le point sur qui
l’on est par le biais du niveau d’éducation, des acquis professionnels et des
intentions de carrière. La façon dont l’exploration du marché du travail se
déroule est représentative du niveau de sécurité interne de la personne
concernée et reflète, du même coup, l’estime qu’elle se porte, la confiance en
elle qu’elle est en mesure d’afficher et sa capacité à mettre en relation ses
attentes, en terme d’emploi, et ce qu’elle peut offrir en tant que savoir-faire.
Le fait de se sentir en sécurité favorise l’expérience exploratoire en élevant
les niveaux de connaissances, à la fois sur le monde et sur ses compétences
sociales. Elle facilite, aussi, le comportement d’exploration en réduisant
l’anxiété associée à la séparation d’une base sécurisante ou tout au moins
maîtrisée.
Un second élément apparaît dans la capacité à faire un choix de carrière.
Bien que ce choix résulte de la conjonction de nombreux facteurs (économi-
ques, sociaux, historiques, culturels), il est aussi le fruit d’une certaine prise
de risques. En effet, le choix d’une voie professionnelle peut être freiné par
la peur de l’engagement, par l’idée que faire un choix professionnel revient à
se couper de toutes autres possibilités, par le changement de statut personnel
que le travail engendre comme le fait d’être désormais considéré par autrui
comme un adulte. Les sujets sécurisés sont les plus à même d’effectuer des
choix et de s’engager professionnellement.
Pour exemple, nous citerons l’étude de Blustein (1991) qui met en
évidence le fait que les post-adolescents insécurisés qui restent trop proches
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.
par l’un des parents reconnu comme figure d’attachement, est positivement
reliée à une approche active de planification de carrière.
Les parents soutenants ont donc une influence positive sur le processus de
développement de carrière. Si l’on s’appuie sur la théorie de Bowlby, il est
concevable que les parents concernés, en étant « disponibles et
responsables » dans la négociation des transitions scolaires et de la prise
d’indépendance sur le plan de la carrière professionnelle de l’adolescent
soutiennent son émancipation en lui assurant une base de sécurité.
Être en mesure de développer une carrière professionnelle satisfaisante
implique la construction d’une identité personnelle cohérente et d’un moi
solide. Le processus de séparation-individuation, observé dans l’enfance
jusque dans la post-adolescence, est un précurseur nécessaire aux différents
types de séparation auxquels l’adulte va être confronté dans le monde profes-
sionnel (collègues, équipes mais aussi lieu). Progresser au plan de la carrière
réactive des expériences de séparation d’avec les figures d’attachement et
oblige à redéfinir son identité – professionnelle – en raison des nouvelles
exigences et responsabilités inhérentes à la fonction. Ces deux caractéristi-
ques de l’ascension professionnelle ont un coût psychique que tout le monde
n’est pas en mesure de payer. Accepter ces changements revient à renoncer à
une fonction qui, bien que devenue étroite, offre une sécurité certaine par la
maîtrise des paramètres essentiels qui la composent. Mais, c’est surtout
prendre le risque de traverser une période d’insécurité psychologique, désta-
bilisante pour la personne, le temps de se forger de nouveaux repères sur les
plans matériel et humain et d’assumer pleinement ses nouvelles charges.
4 Conclusion
Nous pouvons dire que la théorie de l’attachement éclaire d’une façon inté-
ressante les difficultés relationnelles sur le lieu du travail et permet de
comprendre le mal-être psychologique dont peuvent souffrir, en résonance,
les personnes concernées. Si ces difficultés ont sans doute toujours existé, on
peut penser que la conjoncture économique de ces dernières décennies les
souligne. C’est vraisemblablement le cas pour bon nombre de personnes
insécurisées. Mais il serait faux d’affirmer que c’est la situation de toutes.
Certaines d’entre elles savent, comme en témoignent les résultats de l’étude
de Krausz et al. (2001), tirer parti des opportunités que procure l’évolution
de l’emploi et de la technologie. Elles s’accommodent, en faisant ce type de
choix professionnel, de leurs difficultés relationnelles.
Ce contre-exemple nous montre combien l’insertion professionnelle des
personnes insécurisées est loin de tout déterminisme. Même si l’on sait que
les styles d’attachement sont plutôt résistants au changement, il est possible
de viser l’épanouissement des personnes concernées dans le milieu profes-
sionnel. Cette précision nous amène à rappeler que les styles d’attachement
mis en lumière par Mary Ainsworth sont à mettre en perspective avec le
LA PART DES DIFFICULTÉS RELATIONNELLES 33
Lectures conseillées
BLUSTEIN D.-L., PREZIOSO M.S., PALLADINO-SCHULTHEISS D. (1995). « Attachment
Theory and Career Development : Current Status and Future Directions », The
Counseling Psychologist, 23 (3), 416-432.
BOUTEYRE É. (2002), « Théorie de l’attachement et contributions actuelles à la
recherche en psychopathologie. François Marty et collaborateurs », Le lien et quel-
ques-unes de ses figures, Mont-Saint-Aignan, Publications de l’Université de
Rouen, 41-74.
KRAUSZ M., BIZMAN A., BRASLAVSKY D. (2001). « Effects of Attachment Style on
Preferences for and Satisfaction with Different Employments Contracts : An
Exploration Study », Journal of Business and Psychology, 16 (2), 299-316.
MALLET P. (2000). « Que peut apporter la théorie de l’attachement aux psychologues
du conseil ? », L’Orientation scolaire et professionnelle, 29 (1), 51-77.
3 HARCÈLEMENT ET RUPTURE DU CONTRAT
MORAL : PAROLES DE VICTIMES1
1. Par Jean-Luc Viaux. La recherche dont ce texte rend compte doit beaucoup à Alix Chavron,
étudiante en DEA de psychologie, qui a travaillé pour son mémoire de maîtrise sur ces paroles
de victime, avec un autre logiciel et dans une axiomatique un peu différente. La très longue
saisie des textes a été effectuée par David Labat Saint-Vincent, étudiant en DEA de psychologie.
Que soit remercié aussi Jean-Luc Bernaud, coauteur de la procédure de recherche d’où sont
issues les données qui ont servi à cet article.
36 L’APPROCHE PSYCHOSOCIALE CLINIQUE
1. Ego : ce terme est employé pour rendre compte de la part consciente d’un sujet, ce qu’il connaît
de lui-même, de ses intentions, de ses motivations, de sa projection dans l’avenir, de la représen-
tation qu’il se fait de lui-même.
38 L’APPROCHE PSYCHOSOCIALE CLINIQUE
(65,7 %), une faible partie des collègues proteste (5,7 %) : « on retrouve ici
des comportements propres aux structures dictatoriales : la peur et la soumis-
sion à l’autorité » (Viaux et Bernaud, 2001).
L’expression phénoménologique de ce repli du groupe face aux agisse-
ments du harceleur peut s’expliquer par l’état agentique. Il s’agit du stade où
l’individu n’est plus maître de ses actes ; sous l’autorité, il devient un agent
exécutif des volontés d’autrui (Milgram, 1974). Le comportement et l’équili-
bre interne de l’individu s’en trouvent modifiés, et subissent des altérations,
ce qui le conduit à devenir totalement différent de ce qu’il était avant son
intégration dans la hiérarchie. Autrement dit, en se dévouant à sa hiérarchie
(et à sa conception de l’intérêt de l’entreprise et de son intérêt), l’individu
devient un instrument, ou bien (et c’est une partie du problème) se fait
instrument, en sauvegardant, par des raisons « raisonnables », sa part
d’implication affective dans la relation conflictuelle entre harceleur et
harcelé, ce qui ne fait qu’accroître l’aspect pathogène de la situation. Le
concept d’état agentique rend compte de ce que, dans des situations de
conflit au travail, l’enjeu se situe entre pouvoir (sur autrui) et reconnaissance
(pour soi). Mais aussi et surtout, ce concept signifie que le sujet ne peut que
s’identifier à son rôle social et reconnaître celui des autres : le dominant par
position (hiérarchique) doit dominer, le non-dominant se soumet aux ordres,
et ainsi il n’y a pas de dissonance structurale.
La rupture – et le vécu de harcèlement – va provenir de ce que dans certai-
nes situations, le sujet n’est pas seulement (ou plus) « soumis » à des
nécessités de travail conformes au rôle social qu’il croit ou doit jouer, en
fonction de ce qu’il se représente de l’entreprise. Il est aussi soumis à des
attaques concernant sa valeur propre, et ce qu’il apporte à l’entreprise par
cette valeur. Les trois conditions de bonne santé mentale au travail (harmo-
nie avec les aspirations de l’individu, activités de conception, reconnaissance
du travail accompli) sont anéanties par la persécution morale qui attaque
autant le JE, sujet subjectif, que l’« ego », sujet social. L’individu va alors se
culpabiliser, mettre en doute ses propres valeurs, puis tenter de les défendre
comme cohérentes avec celles de l’entreprise : ce faisant, il sort de la
soumission « normale » et, dès lors, s’expose en tant que JE à la stratégie
d’autrui dominant. Il va progressivement s’enliser dans un conflit qui devient
non plus « de travail » mais un conflit de valeur, ce qui, d’un point de vue
clinique, renvoie ego à une souffrance narcissique. Le harcèlement ne fait
pas qu’entraver les aspirations et désirs de l’individu, il le blesse, en l’enser-
rant dans un faisceau de contradictions.
La violence psychologique que subit un salarié harcelé correspond donc
bien à cette définition : « […] Dans les relations intersubjectives, les psycho-
logues ont décrit deux grandes formes de violence morale exercées par les
personnes dominantes pour prolonger leur supériorité : la menace de retrait
d’amour et de la protection (mécanismes fréquents dans la névrose), un
usage pervers du raisonnement qui soumet la victime à des contradictions
HARCÈLEMENT ET RUPTURE DU CONTRAT MORAL 39
2 L’organisation du harcèlement :
une analyse de l’univers des victimes
La recherche présentée est le prolongement de l’étude menée par le labora-
toire PRIS1 (Viaux et Bernaud, 2001), sur une centaine de personnes,
membres d’une association d’aide aux victimes de harcèlement psychologi-
que au travail (aujourd’hui disparue), auxquelles il a été proposé de décrire
leur situation. Les critères d’adhésion à cette association (sur dossier précis
concernant la victimisation) ont servi de filtre pour s’assurer que les person-
nes étaient bien victimes de harcèlement et non d’un conflit collectif de
travail. Les premiers résultats publiés, dans l’article déjà cité, ont porté
essentiellement sur la situation de harcèlement et les réactions psychologi-
ques (stress et coping) à partir d’un questionnaire composé de plusieurs
séries de questions fermées.
Ce questionnaire était précédé de deux pages blanches sur lesquelles les
personnes sollicitées étaient invitées à raconter ce qui leur était arrivé. Beau-
coup ont ajouté des feuillets à ces deux pages et développé un récit consé-
quent. À la fin du questionnaire, après une partie consacrée au stress
éprouvé, figurait par ailleurs une question « ouverte » : « Vous pouvez ajou-
ter dans ce cadre une remarque sur votre état psychologique, en rapport avec
ce dont vous avez été victime si vous pensez que ce questionnaire ne l’a pas
mis en évidence. »
Le contenu du récit, de quelques lignes à plusieurs pages, augmenté de la
réponse à cette dernière question, a été utilisé comme un corpus de discours,
et a été traité sujet par sujet pour en dégager les points communs. Nous avons
pu ainsi analyser le harcèlement psychologique au travail comme un proces-
sus de rupture.
Le choix de cette méthode est fondé sur de nombreuses études qui
démontrent que le récit libre de la victimisation est, en matière de
témoignage, l’un des modèles les plus fiables, surtout quand il s’agit d’un
témoin-victime (Dale, Loftus et Rathbun, 1978)2. L’objet de l’analyse de ces
récits, considérés par hypothèse comme homogènes du fait d’une motivation
commune (témoigner d’une victimisation équivalente), a été de constituer
une typologie du phénomène décrit et ses principales caractéristiques : les
étapes du processus, ses articulations, les grands traits caractérisant le lien
harceleur-victime.
Notre investigation a porté sur 50 récits en procédant à une analyse en
trois temps, à l’aide d’un logiciel de traitement automatique de textes, Tropes
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Communi-cation
Organi-sation
Harcèle-ment
Hiérarchie
Temps1
Emploi
Santé
Droit
Mots clefs
Nombre de récits
où ils apparaissent 44 30 23 37 19 22 27 4
Maximum : 50
Tableau 3.11
Mots clefs de l’univers des victimes2
En prenant les occurrences d’apparition (sujet par sujet), quatre mots
clefs3 de l’univers des victimes se détachent nettement des autres : au rang le
plus élevé le « temps », suivi de la « hiérarchie », l’« emploi », et enfin la
« santé ». Les références au harcèlement n’apparaissent dans les univers de
référence que loin derrière les autres termes et seulement dans le récit de
4 sujets.
• Le temps est la scansion de la plupart des récits : les dates, les expressions
comme « après, quelques jours plus tard », le rappel du nombre d’années
d’expérience (souvent plusieurs fois), de la durée de la carrière passée au
service de l’employeur. C’est dans cet univers temporel que va apparaître
l’avant et l’après du harcèlement, le moment donc où quelque chose
« change » pour ego et signe pour lui le début du processus de victimisation.
Auparavant, deux maisons de retraite géographiquement distinctes […].
Avril 1998 : arrivée d’une nouvelle surveillante décrite comme bardée de
diplômes, spécialiste en gériatrie, très à la hauteur […]. Au début, elle séduit
toute l’équipe en mettant l’accent sur une animation très sympathique, en per-
mettant à chacun d’y participer […]. Après quatre mois, elle reprend la surveil-
lance de la deuxième maison de retraite et commence à tout contrôler […]4.
1. Nous employons de façon extensive la notion de « mots clefs » : il s’agit en fait de tous les mots
renvoyant à l’idée de temporalité, par exemple, et non strictement de la seule apparition du mot
« temps ».
2. Ce classement en rang (du mot clef le plus représenté dans le plus grand nombre de récit au mot
clef le moins représenté) est fondé sur un calcul de médiane : nous avons calculé le rang moyen,
sujet par sujet, de ces mots clefs issus de l’analyse par le logiciel Tropes.
3. Nous n’avons conservé que les mots clefs (triés par le logiciel Tropes) apparaissant dans plus
d’un tiers des récits – sauf pour le mot « harcèlement ». On notera que 4 termes seulement sont
présents dans plus de 50 % des récits – ce qui est déjà remarquable au regard de l’hétérogénéité
des situations et des textes.
4. Toutes les citations sont extraites des récits de victimes. Nous avons conservé la syntaxe, même
défaillante, mais pas l’orthographe.
HARCÈLEMENT ET RUPTURE DU CONTRAT MORAL 43
• Puis vient la hiérarchie : la référence est constante aux rôles des chefs,
directeur de service, cadres et autres employeurs directs qui sont mis en
cause – même si la passivité des collègues est souvent évoquée.
La personne avec laquelle j’avais eu des difficultés graves se retrouve en haut
de l’organigramme du service du personnel et tout s’accéléra.
Les trois mots clefs qui succèdent (en terme d’occurrence médiane) sont
la « communication », les problèmes de droit et les questions relatives à
« l’organisation » (organisation du service, management, etc.) :
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.
– tout ce qui est de l’ordre du relationnel est mis à mal par des « entretiens »
qui accablent le sujet, par des refus de le laisser s’exprimer, ou parce
qu’on ne lui adresse plus la parole, voire qu’on communique à l’ensemble
du personnel les reproches qui lui sont faits, moyen de l’humilier ;
– le droit, c’est le recours mais il n’est pas utilisé par une majorité de sujets :
le rôle actif ou passif des instances juridiques ou juridictionnelles et des
professions est cependant souvent cité ;
– l’organisation du service est responsable, complice, ou prétexte de la victi-
misation.
Interdiction de parler avec les collègues, de participer aux réunions d’équipes.
44 L’APPROCHE PSYCHOSOCIALE CLINIQUE
Ces trois mots clefs fournissent une représentation du harcèlement subi par
celui qui fait le récit en décrivant l’univers relationnel et de « non-droit » dans
lequel il a évolué. Mais le terme de « harcèlement » est lui-même peu
employé : 4 occurrences du mot clef dans 50 récits (17e rang des préoccupa-
tions des sujets). Cela peut être interprété de deux façons, non contradictoires :
d’une part, cette terminologie ne correspond pas seulement à un « habillage »
commode pour des personnes souffrantes qui se reconnaissent dans une repré-
sentation sociale à la mode ; d’autre part, ce récit fait par des victimes renvoie
bien implicitement au terme contenu dans la question, mais ce terme très
chargé de sens est en partie tabou, comme le dit une victime :
En aucun moment, le mot harcèlement m’a été prononcé ni reconnu par les su-
périeurs du harceleur. On parle de « conflit relationnel » sans plus.
3 Le scénario
L’étude des scénarios consiste à faire une seconde lecture pour rassembler en
quelques concepts clefs les termes les plus révélateurs sortis de l’examen des
univers de référence. Aucun scénario1 ne décrit complètement tous les sujets,
mais après en avoir testé plusieurs, il s’est dégagé un ensemble de cinq
concepts qui rend compte de ces univers rapportés par nos sujets. Un sur
cinq des sujets étudiés n’entre pas exactement dans ce scénario type, mais
s’en approche partiellement. L’explication de cette impossibilité à trouver un
seul scénario pour tous les sujets provient à la fois de la diversité des situa-
tions, mais aussi de l’hétérogénéité des styles et des niveaux de langage :
– le concept « santé » domine de loin cette synthèse, dès lors qu’il y est
inclus en plus du mot clef santé de première analyse, tout ce qui touche à
la souffrance aux consultations médicales, et consommation de
médicaments ;
– le concept « harcèlement » rassemble des mots descriptifs de violence
sous toutes ses formes, ainsi que la dépendance hiérarchique ;
– le concept de « rupture » traduit à la fois l’évolution temporelle de la
situation telle que la décrivent les sujets, mais aussi ce qui marque concrè-
tement (voire physiquement) le processus de harcèlement : le changement
de dirigeant, de bureau ou d’agence, les « après » ou « avant », notamment
un arrêt de travail ou un changement dans l’organisation – on retrouve
dans ce concept deux des mots clefs principaux du premier niveau
d’analyse : temps, hiérarchie) ;
– le concept d’éthique traduit à la fois la problématique de la confiance (en
terme moral) et la question du respect de la politique de l’entreprise ou du
service, voire du service public ;
– le concept de lien apparaît avec une fréquence nettement moins élevée : le
lien est évoqué souvent par son contraire « isolement » et correspond
notamment aux problèmes de communication entre le sujet et les autres
personnes de l’entreprise, terme apparu comme mots clefs.
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.
Au bout de cette analyse, chaque récit paraît construit autour d’un ou deux
concepts de synthèse. Ces données mettent à jour que le sujet est atteint
autant par des « procédés » que par des personnes, et subit un processus de
rupture et de remise en cause de ce en quoi il croyait (la dimension éthique,
le lien), et il se sent attaqué en particulier sur son « savoir faire » (en témoi-
gne la position défensive fréquente qui consiste à souligner les éloges à la
1. Le logiciel Tropes est un outil qui permet facilement de tester la cohérence d’un scénario : le
scénario est composé des concepts qui restituent les liens articulant le récit. Nous avons cherché
celui qui pouvait correspondre le mieux à la majorité des auteurs de ces récits.
46 L’APPROCHE PSYCHOSOCIALE CLINIQUE
4 Le harcèlement psychologique :
schéma d’un processus de rupture
Si l’on prend pour hypothèse qu’il existe une « logique » sous-jacente au
processus, on peut, compte tenu de ce qui a été mis à jour précédemment,
inférer un schéma en trois mouvements dans le processus (nous le nommons
« articulations du processus ») : la relation de la victime à l’entreprise, oppo-
sée ou différente de celle du harceleur ; un ou des moments de rupture qui
inaugurent le vécu du harcèlement ; et enfin deux « acting » (le changement
et le déplacement), formes très concrètes de modifications de la position
d’ego dans l’entreprise, qui entraîne des réactions de la victime (l’invocation
du droit, l’inscription au syndicat, etc.). La fin du processus, au sens d’une
perception par le sujet victime de sa victimisation, est la description d’une
sorte de paralysie ou de blocage de toutes les issues possibles (par exemple :
« plus je faisais ceci ou cela qu’on me demandait, plus ça empirait »). Ce
blocage, que nous avons nommé l’enlisement, est très identique au phéno-
mène des sables mouvants et clôt la mise en place du harcèlement.
Chacune de ces articulations se décline selon une ou deux sous-dimen-
sions, composées de différents items, dont on peut repérer la présence dans
les récits.
4.1.1 Le lien
Le lien est composé de trois catégories d’items :
– les modes de relations instaurées (et éventuellement leur évolution à partir
du harcèlement) entre ego et les autres (harceleurs ou non), ainsi qu’avec
l’entreprise en tant qu’entité : liens respectueux ou égaux, démocra-
tiques/réciproques, autocratiques, conviviaux, etc. ;
– le syndrome de « l’étranger » : ego ne fait pas partie du groupe ou est
considéré à son arrivé comme quelqu’un qui n’appartient pas à au groupe,
au service, à la région, à l’administration, etc. (exemple : un fonctionnaire
d’une administration locale muté à sa demande dans un service de la
préfecture, administration d’État) ; ego est « étranger » à la culture
d’entreprise (ses références ou ses appartenances sont différentes ou
supposées différentes de la culture d’entreprise, par exemple en terme
d’appartenance politique ou syndicale) ; ego est « étranger » par des
caractéristiques internes (la formation ou le métier d’origine, le sexe, etc.).
À un « placardisé » son nouveau directeur conseille ainsi « de se laisser
tout le temps nécessaire à l’acquisition de la culture du milieu qui lui fait
défaut et qui, une fois acquise, donnera davantage de légitimité à ses
propositions… » ;
– les liens de famille : Ego est entré dans l’entreprise par relation familiale,
ou bien est remplacé (ou remplaçable) par un membre de la famille ou
équivalent de la « famille » (exemple : famille politique dans les collecti-
vités locales) du harceleur.
Le harcèlement a commencé lorsque la fille unique de mon employeur a dû
faire un stage de deux ans pour le BTS en PMI. […] La jeune fille a fait plu-
sieurs tentatives pour occuper mon poste.
4.1.2 L’éthique
L’éthique est un item qui décrit la prise de position morale implicite ou
explicite d’ego par rapport à l’entreprise ou au service auquel il appartient.
Les victimes de HPT décrivent très souvent que leur conscience profession-
nelle les a conduites à défendre tel ou tel principe, qu’elles pensaient
légitime, et ont été stupéfaites de découvrir que ces principes n’étaient pas
partagés et les mettaient en opposition avec leurs collègues ou l’institution.
Je n’y ai pas cru, je ne croyais pas que cela serait possible, compte tenu de mon
éthique personnelle et professionnelle… et des missions du service public
dont j’étais partie prenante le plus justement possible.
48 L’APPROCHE PSYCHOSOCIALE CLINIQUE
Après un retour de vacances, c’est moi qui ai droit à des avances courtoises
certes, mais insistantes. Orchidée sur le bureau… réflexions de la nouvelle
CES [venue le 01.11] style : « le chef semble bien t’aimer ».
Avant que je n’aie cet arrêt maladie, le PDG m’avait dit : « si c’est le travail
qui te stresse et te fatigue autant, c’est que tu n’es pas faite pour travailler en
bureau d’études. […] Dans la semaine qui suivit mon retour, il m’a répété cette
phrase au moins quatre fois (chaque jour donc) c’est à ce moment que j’ai
compris qu’il cherchait à se débarrasser de moi.
• Ego se voit reprocher une « faute », alors qu’il s’oppose à son supérieur, et
cette « faute » est imputée dans un domaine différent. Par exemple, le refus de
faire des heures complémentaires est assimilé à de l’incompétence ; le refus de
nouveaux horaires est assimilé à un manque de respect de la sécurité :
J’avais insisté lors des entretiens d’embauche du caractère indispensable de
respecter les 39 heures pour l’équilibre de la vie conjugale ; pour cela j’avais
abandonné mon statut et mon salaire de cadre […], je pensais que la surcharge
était temporaire et qu’en connaissant mieux mon poste les choses s’arrange-
raient. Mais quand je refusais au bout de neuf mois de décaler un jour de ré-
cupération, mon harceleur se dévoilait : il ne tolérait en fait aucun refus de son
pouvoir.
Mon bureau a été installé dans un couloir où tout le monde passait soit pour
aller aux toilettes, soit pour aller dans le bureau du maire, soit pour aller aux
archives, soit pour sortir de la mairie.
4.3.2 L’enlisement
S’enliser, c’est avoir conscience d’être prisonnier de quelque chose (les
sables mouvants, ou une situation d’aliénation psychologique) et que tout
effort pour en sortir contribue à confirmer cette situation.
Tout échange avec le harceleur renforce le phénomène de déplace-
ment/changement, en amoindrissant l’espace d’autonomie de la personne :
l’épisode de rupture, vécu comme inaugural par la victime, n’est que la
perception de ce que les désagréments ne sont ni partagés par d’autres (le
sujet est isolé), ni le fait d’une faute précise qui lui est reprochée et contre
laquelle il pourrait se défendre (ne serait-ce que parce que l’on emploierait
les procédures prévues au Code du travail), mais d’une punition-brimade
sans logique. Toute défense rationnelle qu’Ego oppose ne change rien, toute
acceptation ne change rien non plus : c’est le syndrome du sable mouvant.
Le salarié s’enlise, se coupe des autres, devient vulnérable. Et le harceleur
suit la même logique d’enlisement : la dégradation de la relation devient
inévitable une fois un cap de non-retour dépassé.
J’ai continué à me débattre, d’essayer de temporiser, de négocier, solliciter des
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.
Dans cette troisième articulation, la « rupture » est celle qui est la plus
souvent décrite depuis les travaux de Leymann, qui avait classé les compor-
tements des harceleurs et leurs effets sur les victimes en cinq facteurs
(Leymann, 1993) : comportements empêchant la victime de s’exprimer,
comportements visant à isoler la victime, à la déconsidérer auprès des collè-
gues, comportement discréditant la compétence de la personne dans son
travail (« mise au placard »), enfin comportements compromettant la santé
52 L’APPROCHE PSYCHOSOCIALE CLINIQUE
LIENS
CHANGEMENT
+ RUPTURES ENLISEMENT
ÉTHIQUE DÉPLACEMENT
Figure 3.1
Spirale du harcèlement du point de vue du sujet
leur défense, qu’il s’agit moins de victimiser par plaisir sadique, ou par
vengeance stricte, que d’éliminer un « intrus ». Si l’estime de soi des sujets
est si violemment atteinte, c’est bien parce qu’elle est visée, non en soi, mais
comme moyen de faire partir le sujet vers d’autres lieux (de travail ou de
soin). Si les auteurs sont « pensés » comme des pervers, c’est parce qu’ils
s’en prennent au narcissisme du sujet.
Pour autant, on ne peut déduire d’un fait clinique (le psychotraumatisme,
l’atteinte narcissique) que toute la question du harcèlement provient de la
volonté (ou le plaisir à) détruire psychologiquement un sujet. Les paroles des
victimes, qui cependant adhèrent fortement à ce leurre (compte tenu qu’il a
été fortement repris par les médias), montrent que le processus est plus
complexe et repose sur une stratégie de rupture, où la personne est visée
moins pour ce qu’elle est que pour ce qu’elle représente (en terme de système
de valeur). À partir d’une démonstration déjà ancienne, Lewin mettait déjà en
garde contre « toute théorie “unifactorielle” de l’agression ». « Pour le
problème de l’agression, le mode culturel déterminé par le groupe dans lequel
vit un individu, et par son histoire passée, est d’une grande importance. Il
détermine dans quelles conditions l’agression sera pour l’individu en ques-
tion, le chemin perçu vers le but » (Lewin, Lippit et White, 1939).
Le harcelé est rejeté par l’entreprise (ou la hiérarchie, ou les collègues)
moins parce qu’il est un « intrus » que pour le lien qu’il entretient avec son
travail au-delà de son lien avec des personnes. Il est d’autant plus harcelé
qu’il défend une certaine conception de son travail en y projetant une morale
sociale et personnelle : plus dure est la chute quand l’autre (les autres, qu’il
soit collègues ou supérieurs) se moque de cette morale, ou du sens du service
public, et surtout du respect de la différence.
5 Conclusion
Le législateur a consacré le terme de harcèlement moral pour codifier
l’atteinte à la dignité de la personne, plutôt que le harcèlement psychologi-
que. Il n’a pas eu complètement tort, même si le phénomène est essentielle-
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.
Lectures conseillées
BUDD J.W., ARVEY R.D., LAWLESS P. (1996). « Correlates and Consequences of
Workplace Violence », Journal of Occupational Health Psychology, 1, 2, 197-210.
DALE P., LOFTUS E., RATHBUN L. (1978). « The Influence of the Form of the Question
on the Eyewiteness Testimony of Preschool Children », Journal of Psycholinguis-
tic Research, 7, 269-277.
DEJOURS C. (1998). Souffrance en France : la banalisation de l’injustice sociale,
Paris, Le Seuil.
DORON R., PAROT F. (1998). Dictionnaire de la psychologie, Paris, PUF.
GAILLARD J. (2003). Les psychologues sont sur place, Paris, Mille et Une Nuits.
GHIGLIONE R., LANDRÉ A., BROMBERG M., MOLETTE P. (1998). L’Analyse automati-
que des contenus, Paris, Dunod.
HIRIGOYEN M.-F. (1998). Le Harcèlement moral. La violence perverse au quotidien,
Paris, La Découverte-Syros.
HARCÈLEMENT ET RUPTURE DU CONTRAT MORAL 55
LEWIN K., LIPPIT R., WHITE R. (1939). « Patterns of Agressive Behavior in Experi-
mentaly Created Social Climates », Journal of Social Psychology, 10, 271-299 ;
tr.fr. in K. Lewin, Psychologie dynamique, 1973, Paris, PUF.
LEYMANN H. (1993). Mobbing. La persécution au travail, Paris, Le Seuil.
MILGRAM S. (1974). La Soumission à l’autorité, Paris, Calmann-Lévy.
VIAUX J.-L., BERNAUD J.-L. (2001). « Le harcèlement psychologique au travail : une
recherche nationale auprès des victimes », Pratiques Psychologiques, 4, 33-39.
4 LES DISPOSITIFS ET PROCESSUS
D’ACCOMPAGNEMENT
PSYCHOLOGIQUE DANS LE
DÉVELOPPEMENT DE LA CARRIÈRE1
1 Introduction
Le lien qu’un salarié entretient avec sa carrière a régulièrement fait l’objet
d’un intérêt pour les chercheurs et praticiens de la psychologie du travail et
1. Quelques rares formations de psychologie sont centrées sur l’accompagnement comme le DESS
« psychologie et accompagnement de la trajectoire professionnelle » de l’université de
Toulouse. Cependant, beaucoup de DESS de psychologie, sociologie ou sciences de l’éducation
ont intégré des modules centrés sur l’accompagnement de salariés ou de personnes en difficulté
d’insertion professionnelle.
60 L’APPROCHE PSYCHOSOCIALE CLINIQUE
travaux récents ont été récemment publiés, notamment grâce aux contribu-
tions de François (2000), Saint-Jean, Mias et Bataille (2003). Un numéro
spécial de la revue Carriérologie a par ailleurs été consacré au thème de
l’accompagnement (Boutinet, 2003 ; Lhotellier, 2003 ; Paul, 2003). On trou-
vera également dans la littérature nord-américaine sur le courant du career
counseling de nombreux travaux qui analysent le processus sous-jacent.
Notre analyse abordera trois thématiques : le modèle de consultation, les
fonctions et les conséquences potentiellement négatives.
Il s’agit donc ici de développer des éléments relatifs à la gestion de soi. Cette
fonction n’est pas négligeable quand on sait qu’environ 60 % des personnes
sollicitant une consultation en orientation présentent des difficultés psycho-
logiques associées (Multon, Heppner, Gysbers, Zook et Ellis-Kalton, 2001).
Le rôle de l’accompagnateur est donc d’encourager au changement, d’antici-
per les difficultés dans la mise en place du projet et d’aider le bénéficiaire à
gérer son anxiété face au choix de carrière. S’agit-il pour autant d’une
psychothérapie ? Plusieurs auteurs se sont intéressés au recouvrement, diffé-
rences entre accompagnement psychologique, comme dans le coaching ou le
conseil en orientation, et la psychothérapie (Hart, Blattner et Leipsic, 2001 ;
Lecomte et Guillon, 2000). Il semble qu’il y ait de larges recouvrements et
analogies entre la psychothérapie et le processus d’accompagnement ; même
si l’objectif de ce dernier n’est pas de réduire des symptômes relevant de la
psychopathologie, l’accompagnement œuvre dans le sens d’un soutien
social, d’une réduction de l’incertitude, d’une valorisation des ressources
personnelles. En ce sens, l’effet psychothérapique (pris comme la réduction
du sentiment subjectif d’inconfort personnel) de bon nombre de procédures
d’accompagnement peut être considéré comme probable.
6 Conclusion
Nous avons tenté de démontrer, dans ce chapitre, la diversité des modes
d’accompagnement psychologique dans le développement de la carrière et
avons analysé quelques-uns des processus psychologiques qui les sous-
tendent. Les évaluations qualitatives (Kirschner, Hoffman et Hill, 1994) ou
quantitatives, de type méta-analytique (Whiston, Sexton et Lasoff, 1998)
montrent un effet substantiel de la relation d’accompagnement sur le plan
professionnel, en terme de clarification des représentations et de prise de
décision quant à son avenir. Cet impact positif, s’il montre que l’accompa-
gnement doit être engagé lorsque la situation le nécessite, ne permet pas de
se réjouir, car l’époque actuelle, témoignant d’une société en perte de repè-
res, va de pair avec le succès de l’accompagnement ; or comme le signale
Boutinet (2003), « l’adulte a d’autant plus besoin d’être accompagné qu’il a
l’impression d’être laissé seul face à lui-même, privé de repères sociaux ».
La valorisation actuelle d’une carrière « protéenne », où l’individu doit gérer
lui-même sa carrière, comme il doit lui-même maintenir son niveau
d’employabilité, interroge sur l’autonomisation (en trompe-l’œil ?) qu’elle
procure.
L’un des enjeux futurs consiste à mieux prendre en compte la question de
l’information sur les différentes formes de relations d’aide qui peuvent être
offertes au salarié et à permettre un choix éclairé à celles et ceux qui, à un
LES DISPOSITIFS ET PROCESSUS D’ACCOMPAGNEMENT 69
moment de leur vie, considèrent qu’il est utile de leur apporter un soutien.
En ce sens, l’accompagnement à la carrière doit être accessible aussi bien à
des cadres et des non-cadres (c’est-à-dire répondre à un principe d’équité
procédurale) et s’inscrire, autant que possible, dans un cadre non contraint.
Or beaucoup de dispositifs actuels sont encore réservés à une élite et/ou sont
marqués par une obligation de fait : l’accompagnement de carrière est
souvent proposé comme monnaie d’échange pour retrouver un emploi,
bénéficier d’une promotion interne, être accepté dans une formation financée
par un organisme paritaire ou pour percevoir une augmentation de salaire.
Ces conditions amènent beaucoup d’acteurs à percevoir l’accompagnement
de carrière comme l’élément d’une transaction plutôt que relevant d’un
choix éclairé et équitable.
Une autre dimension à valoriser est le rapport au temps dans les décisions
de carrière. La demande de consultation semble intervenir fréquemment
dans les situations d’urgence (Bernaud et Bideault, 2004), lorsqu’un
problème épineux se pose au salarié. Or l’anticipation face aux difficultés
semble un facteur majeur d’efficacité dans la carrière. Seibert, Crant et
Kraimer (1999) ont démonté que les conduites proactives ont une incidence
à la fois sur la réussite subjective et objective de la carrière. Le développe-
ment, pour l’ensemble des salariés, de cette compétence d’anticipation cons-
tituera donc un enjeu majeur dans le futur.
Un dernier enjeu touche au développement des problématiques de recher-
che. Sans aller jusqu’à la définition d’un programme de recherches, tel que le
proposent, en psychologie de l’orientation, Heppner et Heppner (2003), il
nous paraît utile de conclure sur quelques axes de développement pour
mieux cerner le processus d’accompagnement. Le développement de proto-
coles de recherches analogiques, s’appuyant sur la méthodologie expérimen-
tale, nous semble utile à encourager, car ceux-ci permettent de mettre en
évidence certaines propriétés essentielles des dispositifs d’accompagnement.
L’étude de la représentation de la relation d’aide constitue un premier axe
intéressant et est jusqu’à présent particulièrement peu étudiée. Or il apparaît
utile de saisir comment les formes d’accompagnement sont perçues et
hiérarchisées par les acteurs sociaux, et quels sont les facteurs qui amènent à
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.
Lectures conseillées
BOUTINET J.-P. (1998). L’Immaturité de la vie adulte, Paris, PUF.
FRANÇOIS P.H. (2000). « Orientation, vie professionnelle et conseil individuel », in
J.-L. Bernaud et C. Lemoine (éds.), Traité de psychologie du travail et des organi-
sations, Paris, Dunod.
GAUDRON J.-P., BERNAUD J.-L., LEMOINE C. (2001). « Évaluer une pratique d’orien-
tation professionnelle pour adultes : les effets individuels du bilan de
compétences », L’Orientation scolaire et professionnelle, 30, 4, 485-510.
LEMOINE C. (2002). Se former au bilan de compétences, Paris, Dunod.
5 L’EMPOWERMENT1
1 Tentatives de définition
Le mot empowerment est aussi impossible à traduire que le concept qu’il
exprime est difficile à comprendre.
1. Après les travaux de K. Suzaki en 1992, de grands groupes industriels se sont engagés résolu-
ment dans l’empowerment en créant des organisations responsabilisantes, c’est-à-dire de
nouvelles unités de travail où la responsabilisation permet de libérer les initiatives et de mobili-
ser le potentiel du personnel en donnant à chacun l’autonomie nécessaire et le pouvoir de déci-
sion correspondant à sa mission dans le cadre des orientations stratégiques de l’entreprise.
2. Roue de Deming : représentation graphique de la boucle de la qualité ; ce modèle décrit
l’enchaînement des activités qui vont de l’identification des besoins à l’évaluation de leur satis-
faction et l’analyse de leur évolution. C’est ce bouclage qui assure le progrès continu.
L’EMPOWERMENT 75
4.1 Le présentéisme
Le présentéisme apparaît comme le premier gagnant de l’empowerment.
Toutes choses égales par ailleurs, nous pouvons enregistrer une baisse de
l’absentéisme statistiquement significative, pouvant aller jusqu’à moins
50 %. Dans une entreprise industrielle avec une structure pyramidale tradi-
tionnelle, on enregistre des taux de l’ordre de 6 %. Une organisation respon-
sabilisante stabilisée peut descendre à environ 3 % et s’y maintenir
durablement.
L’empowerment motivant les équipes, ces dernières ont une tendance tacite à
s’autoréguler, à s’autodiscipliner et même à s’autosanctionner ! Mais sans
arriver à l’échec que constitue toujours la punition, le plus remarquable est la
diminution flagrante, voire la disparition totale des fautes, des manquements,
des délits, comme si la personne « empowered » se sentait responsable au
sens plein du terme. Il y aurait donc moins de « coupables » avec ces équi-
pes, les motifs réels et sérieux de sévir s’évanouissant d’eux-mêmes. Les
avertissements, blâmes, mises à pied et licenciement diminuent de manière
très significative. Moins d’agissements fautifs, donc aussi moins d’arbitres
pour siffler les dérives, car les « joueurs » sur le terrain s’autopénalisent,
78 L’APPROCHE PSYCHOSOCIALE CLINIQUE
avant même que les partenaires n’aient à les juger. L’entreprise gagne en
sérénité et en maturité, quand les acteurs se sentent en confiance mutuelle et
réciproque, en toute transparence.
Si l’équipe est plus motivée, si elle adhère à des objectifs communs partagés,
si elle coopte ses membres, rien d’étonnant que les tensions baissent et qu’en
conséquence les « antagonismes de classe » s’estompent.
En concentrant les énergies vers un élan vital collectif, en maîtrisant les
affects individuels pour les transcender en un bouillonnement créateur de
progrès, l’organisation responsabilisante inhibe les pulsions de mort, l’esprit
de destruction de l’œuvre commune. Cette dernière accomplit de façon tacite
ou manifeste les besoins de réalisation de soi, de reconnaissance sociale que
Maslow (1968) plaçait au sommet de sa pyramide. En transformant la
contestation en force de proposition, l’organisation responsabilisante
rend les acteurs et les facilitateurs « émotionnellement intelligents »
(D. Goleman, 1997).
La maîtrise des émotions et l’automotivation permettent une convergence
d’intérêts entre les acteurs (employés) et les initiateurs (direction),
désamorçant ainsi les velléités de conflits destructeurs et de grèves paraly-
santes. Là encore, certains y verront une récupération à bon compte de la
conscience ouvrière et de la toujours insidieuse collaboration de classes.
Mais les résultats sont là, les conflits sociaux baissent systématiquement
lorsqu’une organisation devient responsabilisante par transfert de compéten-
ces et investissement de pouvoir.
4.5 Le turn-over
4.7 L’ergonomie
L’implication des acteurs et leur concertation sur les conditions de travail et
les questions de sécurité vont accroître de façon considérable l’ergonomie
des postes de travail et de leur environnement. Nous avons vu précédemment
que cela se traduit par une baisse immédiate et radicale des accidents de
travail, avec leur lot d’arrêts et de traumatismes et leur cortège de handicaps
et d’invalidités. En outre, nous enregistrons une tendance, qui demande à
être confirmée, à la baisse des maladies professionnelles. Toutefois, ces
dernières, se révélant le plus souvent par la répétition de gestes ou l’exposi-
tion prolongée à des atmosphères ou des contacts, ne peuvent être observées
qu’à très long terme.
Ce qui est sûr, c’est que l’investissement du pouvoir de faire « bouger les
choses » dans son atelier, son équipe et son poste de travail se traduit de facto
par un meilleur confort, mais aussi par une moindre sollicitation des
muscles, des sens, des articulations, etc. Ainsi les troubles musculo-squelet-
tiques (TMS), qui s’avèrent être le véritable « mal du siècle » dans les entre-
prises industrielles, se trouvent battus en brèche. Les lombalgies, tendinites,
épicondylites et autres syndromes du canal carpien, débouchant le plus
souvent sur des maladies professionnelles reconnues, se verront éradiqués à
la source, les employés-acteurs s’attaquant à leurs causes plutôt que de lais-
ser le pouvoir d’en traiter les effets aux seuls médecins du travail.
4.9 L’éthylisme
7 Conclusion
Au total, si l’empowerment offre autant de bénéfices, pourquoi ne se généra-
lise-t-il pas ? Dans certains cas, il peut être anxiogène chez des salariés,
naturellement portés au pessimisme et à la résistance au changement. Toute-
fois, nous constatons, dans notre expérience, qu’une fois franchi le pas de
l’enablement, la crainte de la nouveauté et de l’échec diminue, pour disparaî-
tre totalement. Chez la majorité des acteurs et plus particulièrement chez les
moins âgés, l’empowerment agit en anxiolytique libérateur de forces de
proposition et révélateur de talents occultés. L’osmose avec le groupe opère
une véritable thérapie, avec toutefois en corollaire un effet secondaire
potentiel : l’usure du pouvoir !
En effet, investi de pouvoir, tout acteur est à la merci de la dérive bipolaire
« paranoïaque/mégalomaniaque ». Toutefois, dans le cas présent, le groupe
se révèle être un régulateur de choix, grâce à un savant équilibre de forces
permettant de corriger, de compenser et d’améliorer.
Alors, la morale de cette histoire ? Si l’empowerment n’existait pas, il
faudrait l’inventer ! Puisqu’il existe, mettons-le en place. Il restera toutefois
quelque chose à découvrir : sa traduction littérale française.
Lectures conseillées
AUBÉ C. (2003). « La confiance, un mode de management », Enjeux, février 2003,
pp. 94-97.
CRAWFORD C.B., BRUNGARDT C.L. (1999). Building the Corporate Revolution : Real
Empowerment through Risk Leadership, Internet, International leadership associa-
tion publications, Academy of Leadership Press, 2000.
L’EMPOWERMENT 87
L’APPROCHE
PSYCHOPATHOLOGIQUE
6 LA PLACE DES ÉMOTIONS
EN MILIEU PROFESSIONNEL1
Dans le service il n’y a pas la place pour la spontanéité. Ce qui est de mise c’est
la discrétion ! (Gérard, 25 ans, agent administratif)
Quand j’ai appris le décès de ma grand-mère, on m’a fait des réflexions parce
que j’ai éclaté en larmes. On m’a dit : « on comprend que vous soyez malheu-
reuse, mais, le malheur, vous le gardez pour vous ». (Nadine, 50 ans, ven-
deuse)
Je me suis mise en arrêt car je ne peux plus supporter les hurlements du patron.
Pour un oui ou pour un non, il nous convoque dans son bureau et il crie ; mais
nous, le petit personnel, on n’a pas le droit de faire des réflexions. Il n’est pas
toujours après moi, mais je le prends tout le temps mal, je n’arrive pas à me
faire une raison et à prendre sur moi. (Isabelle, 30 ans, comptable)
Cette impression est liée au fait que le lieu de travail est souvent perçu
comme un environnement rationnel, émotionnellement neutre, d’où sont
exclues les émotions individuelles. Or de nombreux changements, tels que
le développement du secteur des services, modifient aujourd’hui les
contextes de travail. Différents rôles professionnels comportent des atten-
tes distinctes dans les interactions avec autrui. Dans ces échanges profes-
sionnels, l’expression émotionnelle n’est plus juste un corrélat observable
des états affectifs internes ; elle a une fonction sociale majeure dans les
processus d’interaction. L’expression émotionnelle de l’un a des effets
importants sur l’autre. Ainsi, par exemple, des émotions perçues par un
usager comme peu sincères peuvent interférer négativement avec le service
apporté par son prestataire.
De ce fait, dans la société, l’expression émotionnelle brute est proscrite,
elle est modelée par le processus de socialisation. Les conventions sociales
d’expression sont différentes d’une culture à l’autre et prescrivent la quantité
d’émotion qui doit être manifestée, ses destinataires, ainsi que les circons-
tances opportunes d’expression.
À leurs niveaux, les organisations élaborent des règles explicites ou impli-
cites concernant la manifestation des émotions qui portent sur le moment de
leur révélation (quand), ainsi que sur la forme de leur expression (comment).
Ces règles sont d’autant plus fortes, lorsque l’emploi implique des niveaux
élevés d’interaction avec des clients, lorsque les salariés ont des rôles de
service. Dans ce contexte, gérer des émotions est une façon de réaliser les
objectifs de l’entreprise. Les employés qui se trouvent en première ligne, au
service d’une clientèle, sont supposés exprimer des émotions de bonheur et
de sympathie. Si un employé devait manifester une humeur dépressive ou
colérique vis-à-vis d’un collègue ou d’un client, cela pourrait nuire à sa
performance et donc, implicitement, à son entreprise.
Dans la perspective d’une modification de la finalité de l’activité profes-
sionnelle (produire des services et non plus des productions), les aspects
émotionnels deviennent des objets d’étude importants tout comme les
processus qui assurent leur régulation. Aujourd’hui, en effet, est reconnu le
fait que l’action des émotions a un réel impact sur l’organisation en tant que
système, sur les employés en tant qu’individus et sur les phénomènes
d’interaction entre les deux. Ainsi, les processus de régulation émotionnelle
pourraient expliquer, par exemple, de nombreux aspects de la vie organisa-
tionnelle et de celle de ses employés.
Dans ce cadre, l’objectif de ce chapitre est de présenter certaines concep-
tions contemporaines qui traitent de l’impact des émotions en milieu profes-
sionnel et de décrire les mécanismes psychiques par lesquels peut
s’effectuer, dans ce même contexte, leur régulation.
LA PLACE DES ÉMOTIONS EN MILIEU PROFESSIONNEL 93
• Elles structurent les traits de personnalité. Les émotions positives sont plus
typiques chez les extravertis et chez les individus impulsifs, alors que les
émotions négatives se retrouvent chez des personnes angoissées ou
névrosées (Strelau, 1987). Les individus expressifs sont, en général, perçus
comme plus sympathiques, plus chaleureux, alors que les individus peu
expressifs sont jugés plus froids, réservés et calmes. Buck (1991) a mis en
évidence deux styles d’expression émotionnelle : les internalistes (internali-
zers) qui manifestent des réactions physiologiques plus intenses et les exter-
nalistes (externalizers) qui se distinguent par une plus forte expressivité
accompagnée de faibles réactions physiologiques.
94 L’APPROCHE PSYCHOPATHOLOGIQUE
prendre les choses ». Je me suis dit : « finalement qu’y a-t-il de positif dans
cette affaire ? : t’as plus de temps pour faire les choses qu’on te demande ; on
ne t’embête pas, tu peux surfer sur Internet, tranquille, tu as plus de temps pour
jouer au tennis, tu as plus de temps pour chercher autre chose, et tout ça alors
que ta paie continue à tomber ». J’ai réalisé au fond que j’étais dans une situa-
tion confortable de transition, qui d’un, ne va pas durer éternellement, et de
deux qui va me permettre de m’orienter différemment. Et, franchement, j’en
ai profité. Je me suis investi dans mes recherches d’emploi et ça a marché !
(Victor, 40 ans, cadre supérieur dans une agence d’études)
d’en diminuer l’impact émotionnel. C’est un travail cognitif qui repose sur
une évaluation différente de la situation extérieure. Ainsi, percevoir les
caractéristiques d’un travail comme stimulantes ou motivantes, plutôt que
préoccupantes, permet de se protéger contre d’éventuelles réactions de
stress. Ou par exemple, lors d’un différent, un employé peut essayer d’envi-
sager le point de vue d’un collègue pour diminuer le sentiment de colère vis-
à-vis de ce collègue.
C’est une manière efficace de lutter contre des émotions négatives au
travail.
Les employés qui régulent en profondeur leur vécu émotionnel sont en
général appréciés par leur entreprise, car ils manifestent des émotions qui
paraissent authentiques. De ce fait, ils sont perçus comme investis dans et
motivés par leur activité professionnelle (Rafaeli et Sutton, 1987). La
régulation émotionnelle en profondeur implique donc de modifier la focale
de ses pensées personnelles.
■ Le sexe
Les hommes sont moins expressifs que les femmes sauf pour ce qui est des
manifestations de colère. Les femmes, plus que les hommes, sont plus à
même à gérer leurs émotions, tant en milieu professionnel que dans la vie
privée (Grandey, 2000). Mais, chez les femmes, il existe aussi un décalage
important entre ce qu’elles expriment et ce qu’elles ressentent vraiment.
Elles sont plus attentives à contenir leurs émotions, alors que les hommes
souhaitent garder le contrôle et manifester des émotions puissantes telles que
la fierté ou la colère.
■ La coloration affective
Un état affectif positif génère de l’enthousiasme et de l’optimisme, alors
qu’une affectivité négative induit des pensées pessimistes et des états
d’humeur aversive. L’affectivité négative nécessite un plus grand effort de
LA PLACE DES ÉMOTIONS EN MILIEU PROFESSIONNEL 99
régulation. Dans ce cas, la régulation émotionnelle est plus intense donc plus
coûteuse psychologiquement (King et Emmons 1990). Les personnes qui ont
une affectivité négative et une vue générale pessimiste du monde sont plus
susceptibles que d’autres de développer des troubles mentaux (de type
dépressif ou anxieux). Leur réponse aux événements, mêmes quotidiens, est
en effet différente, empreinte de pessimisme ou d’un sentiment de menace.
■ L’autonomie
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.
dans des contextes où le support social est fort (Gross, 1998). Certains grou-
pes de travailleurs, conscients de vivre des situations de travail pénibles ou
particulières, mettent en place un mécanisme psychologique spécifique
appelé « l’idéologie défensive du métier » (Dejours, 2000). Lorsque l’un des
leurs souffre de dépression, par exemple, et que le groupe estime que cette
maladie est consécutive aux conditions de travail, le collectif se montre
particulièrement accueillant, partant du principe que n’importe quel membre
aurait pu se trouver à la place du malade. Si, en revanche, le groupe consi-
dère le collègue comme faible et incapable de tenir aussi bien que les autres,
une attitude de rejet peut se manifester.
Un support social de qualité diminue l’effort créé par la régulation
émotionnelle et agit ainsi positivement sur la satisfaction professionnelle
(Hochschild, 1983).
ainsi que sur l’attitude des usagers, car il est bien connu que la perception
qu’ont ces derniers de la qualité d’un service dépend en partie de la qualité
des relations existantes à l’intérieur d’une organisation.
1. L’épuisement professionnel est une réaction de stress qui se trouve typiquement chez des
personnes impliquées dans une relation d’aide. Elle survient lorsque l’employé s’investit dans la
relation, devient débordé par elle et a peu d’occasions pour se ressourcer.
LA PLACE DES ÉMOTIONS EN MILIEU PROFESSIONNEL 105
entre collègues, ainsi que par des interactions répétées avec des parents
exigeants et hautains, est excédée par les pleurs d’un enfant difficile et finit
par le brusquer de manière inappropriée.
Le dysfonctionnement professionnel en lien avec la régulation émotion-
nelle peut s’installer de manière insidieuse en réaction à des événements
quotidiens, ou de manière brutale en réaction à des événements exception-
nels ou aigus.
En réaction à des événements quotidiens, la régulation émotionnelle perd
son efficacité dans différents contextes :
– lorsque l’investissement professionnel diminue progressivement. Plus
l’investissement professionnel est médiocre, moins efficace est la
régulation émotionnelle (Ttoterdel et Holman, 2003). En effet, gérer les
émotions en milieu professionnel devient une préoccupation secondaire
pour ces personnels. Le travail psychique de régulation est moins perfor-
mant et accroît la dissonance émotionnelle ;
– lorsque la perception qu’ont les employés des attentes de leurs usagers est
source de tension. L’idée que l’usager attend nécessairement des manifes-
tations de courtoisie ou de cordialité peut devenir un facteur de stress et
interférer négativement avec la capacité de l’employé à se conduire de
manière cordiale (Houkes et al., 2003). La dissonance émotionnelle
devient importante et de ce fait, la régulation émotionnelle perd son carac-
tère adaptatif ;
– lorsque le contexte social et les relations professionnelles comportent des
éléments anxiogènes. La présence des autres agit comme un inhibiteur de
l’expression émotionnelle authentique (Friedman et Herringer, 1991). Le
client est perçu comme source aversive plus fréquemment que le collègue.
Le client suscite plus souvent la colère du salarié que ses collègues. Ainsi,
il apparaît que la régulation émotionnelle de surface par la falsification des
émotions est plus fréquente en réponse à des usagers qu’à des collègues
(Rafaeli, 1989). A contrario, lorsque le client est perçu positivement par
l’employé, il génère des attitudes positives de projection dans l’avenir.
Lorsqu’elle survient en réaction à des événements aigus, la régulation
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.
4 Conclusion
L’action des émotions dans les organisations a longtemps été considérée
comme un sujet secondaire d’étude dans l’analyse du phénomène travail.
Mais aujourd’hui est admise l’idée selon laquelle les contextes profession-
nels participent à l’apparition de toute une gamme d’émotions s’échelon-
nant, sur un continuum, de ressentis très plaisants aux éprouvés très
LA PLACE DES ÉMOTIONS EN MILIEU PROFESSIONNEL 107
Lectures conseillées
BAQUÉ M-F. (éd.) (1995). Qualité de vie. Pratiques psychologiques, Bordeaux,
L’Esprit du temps.
BRUCHON-SCHWEITZER M., QUINTARD B. (éds). (2001). Personnalité et maladies.
Stress, coping et ajustement, Paris, Dunod.
ROLLAND J-P. (2000). « Le bien-être subjectif : une revue de question », Pratiques
Psychologiques, 4, 5-21.
SANTIAGO-DELEFOSSE M. (2000). « Fonction première des émotions : accordage ou
protection », Pratiques Psychologiques, 1, 35-49.
SANTIAGO-DELEFOSSE M. (2002). Psychologie de la santé. Perspectives qualitatives
et cliniques, Sprimont (Belgique), Pierre Mardaga.
7 DE LA RELATION
PSYCHOPATHOLOGIQUE AU TRAVAIL :
WORKAHOLISME
ET WORKAHOLOPHOBIE1
S’il est bien connu que nombre de maladies, désignées comme profession-
nelles, peuvent être générées par les conséquences du travail, il est bien
singulier d’imaginer que le travail en lui-même puisse devenir une maladie,
ou qu’il soit relégué au niveau d’une habitude nuisible.
Le sens commun tendrait à penser que s’il n’est imposé au sujet que par
lui seul, le travail ne peut pas donner lieu à excès ni à abus. Le travail se doit
d’être reconnu socialement et récompensé. Il mérite d’être digne de louanges
et peut être l’objet d’émulation. Le travailleur opiniâtre gagne logiquement
le respect de ses collègues, l’approbation de ses supérieurs. Il gagne aussi les
récompenses matérielles de son labeur (les gratifications pécuniaires, les
promotions hiérarchiques…). Dans cette optique, étant considéré une chose
bonne en soi, le travail ne saurait être excessif.
Il est difficile d’imaginer des milieux professionnels qui ne valoriseraient
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.
à consacrer toujours plus de son temps et toujours plus de son énergie à ses
tâches professionnelles.
La valorisation sociale du travail fait en sorte que le workaholique ne
ressent pas la culpabilité qu’éprouvent d’autres formes de malades
dépendants. C’est bien souvent aux stades de ses complications médicales,
psychiatriques – plus que sociales ou relationnelles que le patient prend
conscience de la nature de son trouble. Les personnes addictées au travail
tendent à nier leur dépendance. Des affirmations de ces personnes selon
lesquelles elles pourraient arrêter n’importe quand, dès qu’elles l’auraient
décidé, sont souvent entendues. Ces personnes vont justifier leur hyperacti-
vité professionnelle parce qu’elle permet de fournir à leur famille d’utiles
revenus supplémentaires ou qu’elle correspond à une surcharge de travail
temporaire.
Il est important de faire la différence entre une personne qui présente les
caractéristiques du syndrome d’addiction au travail et celle qui, tout en étant
un travailleur tout aussi acharné, relève d’une personnalité de type A non
décompensée. Le type A garde la possibilité de ralentir son rythme à certains
moments et de mettre en place des frontières salutaires entre vie privée et vie
professionnelle. Le workaholisme implique une perte de contrôle ou une
impossibilité de réguler l’emploi du temps et les comportements de
travailleur. Le type A a un style hyperactif de fonctionnement qui se mani-
feste en toutes circonstances. Le problème du workaholisme est spécifique
au travail et il implique l’impossibilité de contrôle du comportement-
problème qui tend à s’aggraver avec le temps.
114 L’APPROCHE PSYCHOPATHOLOGIQUE
au jeu, ils sont tout le temps sur la brèche : ils affectionnent les emplois et les
tâches à haut risque. Contrairement aux workaholiques boulimiques qui
peinent à démarrer un projet mais qui le finissent parfaitement, les workaho-
liques hyperactifs commencent beaucoup de projets et les accomplissent de
manière incomplète, négligeant en général leur suivi.
• Le workaholique de type épicurien est lent, méthodique et excessivement
scrupuleux. Les participants ont du mal à abandonner un travail. Ils s’y plai-
sent, s’y accrochent, savourent leur projet comme un connaisseur le ferait
d’un grand cru. Ce workaholique est un modèle de perfectionnisme
consommé. On ne sait jamais quand le travail est fini. Leur réalisation n’est
116 L’APPROCHE PSYCHOPATHOLOGIQUE
et intellectuel d’un travailleur dont toute l’énergie s’est consumée sous les
contraintes d’un travail envahissant.
L’alcoolisme ou d’autres addictions chimiques constituent d’autres
complications bien connues du workaholisme.
7 Workaholiques et workaholophobiques
8 Comment agir ?
Le surinvestissement au travail étant très souvent initialement valorisé
comme une attitude positive, les personnes impliquées ne cherchent de l’aide
que tardivement, lorsqu’un événement imprévu se produit (licenciements,
changement de poste, etc.) ou que leurs rôles professionnels se modifient de
manière substantielle, ou encore quand les complications surgissent. Le vrai
workaholique se déclare rarement de lui-même, sinon à un stade où les
complications ont déjà abouti à des conséquences conjugales, familiales,
DE LA RELATION PSYCHOPATHOLOGIQUE AU TRAVAIL 119
9 Conclusion
Malgré le fait que les associations possibles entre workaholisme et santé ont
été examinées dans la littérature, peu de recherches existent sur la relation
existant entre workaholisme et bien-être au travail. L’identification de
méthodes effectives d’intervention avec ces personnalités est aussi haute-
ment souhaitable. Il est nécessaire d’intégrer les composantes psychiques du
risque workaholique, notamment en matière de dépistage et d’orientation.
Attirer l’attention des médecins et psychologues confrontés au problème
est utile. Il est capital de sensibiliser les encadrements en entreprise et les
services des ressources humaines à un phénomène générateur de dysfonc-
tions personnelles et dans le groupe.
DE LA RELATION PSYCHOPATHOLOGIQUE AU TRAVAIL 121
Lectures conseillées
ADÈS J., LEJOYEUX M. (2001). Encore plus ! Jeu, sexe, travail, argent, Paris, Odile
Jacob.
DEBRAY Q., NOLLET D. (1995). Les Personnalités pathologiques. Approche cognitive
et thérapeutique, Paris, Médecine et Psychothérapie/Masson.
GRAZIANI P., HAUTEKÈETE M., RUSINEK S., SERVANT D. (2001). Stress, anxiété et
trouble de l’adaptation, Paris, Acanthe/Masson.
FERRERI M., LÉGERON P. (éds.) (2002). Travail, stress et adaptation. L’adaptation au
travail : contrainte ou fait humain ?, Paris, Elsevier.
VENISSE J.-L. (éd.). (1991). Les Nouvelles addictions, Paris, Médecine et Psychothé-
rapie/Masson.
8 TRAVAIL ET SUICIDES :
UN LIEN À FACETTES1
le suicide escapiste qui correspond à un acte dont le sens général est la fuite.
Il se dépiste dans deux tiers des tentatives de suicide et dans la majorité des
suicides aboutis. Il s’agit, en se donnant la mort, d’échapper à quelque chose.
Ce suicide escapiste se décline sous la forme de la fuite (échapper à une
situation ressentie comme insupportable par le sujet), du deuil (réaction à la
perte d’un élément central de la personnalité ou du plan de vie), du châtiment
(expiation d’une faute réelle ou imaginaire). Un autre type de suicide est le
suicide agressif où il est question d’une agression contre autrui. On distingue
quatre sous-types : la vengeance (provoquer des remords chez autrui ou lui
infliger l’opprobre de la communauté), le crime (entraîner autrui dans sa
mort), le chantage (faire pression sur autrui en le privant de quelque chose à
quoi il tient), l’appel (pour avertir l’entourage que le sujet est en danger). Le
suicide oblatif comprend le suicide sacrifice (sauver ou atteindre une valeur
jugée supérieure à la vie personnelle), le passage (accession à un état consi-
déré enviable par le sujet). Le dernier type de suicide est l’autodestruction
qui se caractérise par l’ordalie (besoin de s’éprouver soi-même ou de sollici-
ter le jugement des dieux) et par le jeu (se donner des chances de mourir
dans le seul but de jouer avec sa vie). Cette typologie, précise Baechler, offre
un descriptif des suicides sans pour autant en déceler les causes.
L’approche psychopathologique du suicide repose essentiellement sur la
théorie psychanalytique. La dualité dynamique entre la pulsion de mort
(Thanatos) et la pulsion de vie (Éros) est un premier support pour compren-
dre l’acte suicidaire. Se greffent à cela la notion de rupture des investisse-
ments, que l’on retrouve détaillée par Freud (1920) dans Au-delà du principe
de plaisir, et le retournement des forces de destruction contre soi-même lors-
que le sujet est mélancolique (Freud, 1917).
Le suicide est, le plus souvent, un acte personnel et intime, souvent réalisé
loin du regard d’autrui. Or, il est de plus en plus fréquent que cet acte soit
associé à une problématique d’emploi en raison des pressions économiques
actuelles, de la précarité qui caractérise le marché du travail, de la
maltraitance subie par les employés. Ces liens méritent d’être observés de
près. C’est ce que nous tenterons de faire dans le cadre de ce chapitre. Nous
savons déjà que ces liens ne sont pas toujours directs ou ne relèvent pas
seulement d’une cause à effet simple et univoque. Par exemple, il apparaît
que le travail peut entraîner le suicide, mais aussi que le suicide peut trouver
sa force d’expression grâce aux spécificités du travail, sans que celui-ci soit
forcément la cause du passage à l’acte suicidaire. Nous ferons le point sur les
différentes fonctions que le travail peut remplir dans la mise en œuvre des
suicides, en nous appuyant sur les résultats de recherche de la littérature
internationale. Et bien que Baechler (1975, p. 126) nous prévienne que
« pour le suicide, le sens à construire de l’acte ne peut être fait que par et
pour l’observateur », il nous semble important de saisir la nature pathogène
de la relation entre le travail et le suicide afin d’en favoriser la prévention.
TRAVAIL ET SUICIDES : UN LIEN À FACETTES 125
1 Le travail suicidogène
1.1 Le stress au travail : un facteur de risque suicidaire parmi tant
d’autres ?
Se basant sur le fait que le stress est un facteur de risque suicidaire, la plupart
des études disponibles sur le lien entre le stress éprouvé au travail et l’auto-
lyse sont rétrospectives et se focalisent, en conséquence, sur les tentatives et
intentions de suicide. Ces explications obtenues dans « l’après-coup » susci-
tent bien des controverses et invitent à opter pour des méthodologies
s’appuyant sur un plus grand nombre de variables.
Comme nous le verrons, il existe des emplois qui, d’emblée, présentent
plus de facteurs stressants que d’autres et qui, de ce fait, laissent présumer
d’un taux de suicide plus élevé. Cependant, si l’on se fie aux études récentes,
la réalité est plus complexe, particulièrement lorsqu’on prend en compte les
différents facteurs tant personnels qu’environnementaux qui font la vie des
sujets. Le rôle exact du stress engendré par le travail dans le passage à l’acte
suicidaire est, alors, à déterminer avec prudence.
Le risque de se suicider varie de façon nette en fonction de la profession
exercée. Cette affirmation se retrouve dans la plupart des études qui,
régulièrement, offrent un état des lieux du suicide en lien avec l’emploi
occupé à partir de données nationales sur les taux de mortalité de la popula-
tion. L’étude de Liu et Waterbor (1994), réalisée à partir de certificats de
décès émis sur six années en Alabama, révèle que les employés de l’adminis-
tration publique connaissent les plus faibles taux de suicide, alors que ceux
exerçant dans la construction industrielle ou dans l’industrie minière rencon-
trent les plus élevés. Des taux intermédiaires de suicide sont observés chez
les employés agricoles, les forestiers, les pêcheurs ou encore chez les
employés d’entreprises d’utilité publique. Les résultats obtenus par Conroy
(1989) diffèrent légèrement. Il constate, que pour la période s’étendant de
1980 à 1985, 3 % des décès enregistrés par le National Traumatic Occupatio-
nal Fatality concernent des suicides perpétrés sur le lieu du travail. Les
hommes exerçant dans l’armée, l’agriculture, la sylviculture ou dans l’indus-
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.
est plus étonnant : les policiers municipaux ont un taux de suicide trois fois
plus élevé que celui des autres employés. On en déduit que le travail effectué
par les employés municipaux – autres que les policiers – offre des conditions
particulièrement protectrices contre le suicide, ce qui n’est pas le cas pour les
policiers qui sont, sans commune mesure, confrontés au stress. Des examens
psychiatriques étant effectués avant l’embauche de ces policiers, l’hypothèse
d’un terrain psychologique favorable au suicide est à écarter.
Parmi les stress les plus dénoncés ces dernières années, et ce sur le plan
international, se trouve le harcèlement moral. Il est défini par des comporte-
ments destructeurs persistants et répétés en direction d’une personne ou d’un
128 L’APPROCHE PSYCHOPATHOLOGIQUE
groupe cible, sur le lieu du travail. Il est reconnu qu’il peut avoir des consé-
quences à la fois sur la satisfaction à travailler et sur la santé physique et
mentale des victimes (Salin, 2001). Zapf et Gross (2001) modélisent la
progression du harcèlement en neuf paliers. Le premier est un conflit, que
l’on pourrait qualifier de banal, le plus souvent lié à des changements organi-
sationnels. À ce stade, trouver une issue constructive à la situation est possi-
ble. Si tel n’est pas le cas, les relations professionnelles s’enveniment et
apparaissent des marques d’hostilité, de rejet de la ou des victimes. Il
s’ensuit une série de paliers où l’agression psychologique et parfois physi-
que devient de plus en plus fréquente. La réputation de la personne et la
qualité de son travail sont mises en doute. Des manœuvres sont imaginées
pour qu’elle soit prise en défaut, voire en faute professionnelle. Le dernier
palier correspond au départ de la personne (obtention d’un poste dans une
autre entreprise, démission et chômage, arrêt maladie de longue durée) ou
encore, à son suicide.
L’étude menée par l’équipe de Kivimaki (2003) auprès de 5 432 employés
travaillant dans un hôpital révèle une prévalence de harcèlement moral de
6 %. Une forte corrélation est obtenue entre ce type de stress et l’apparition
de dépressions. Le harcèlement moral est bien un facteur étiologique agis-
sant sur la dégradation de la santé mentale.
En France, la presse nous informe de jugements récents concernant le
harcèlement moral, pouvant faire jurisprudence. Les faits qui conduisent les
personnes concernées à se traduire devant la justice vont du non-respect du
contrat de travail de la part de l’employeur (non-paiement des primes,
disqualification) au malaise d’une employée survenu à la suite d’une
communication téléphonique avec sa supérieure hiérarchique dont les propos
étaient violents, aux tentatives de suicide et aux suicides. Ainsi, « un salarié
se suicide par pendaison sur les lieux de son travail. Sa mère sollicite de la
caisse primaire d’assurance maladie, puis du tribunal des affaires de sécurité
sociale la qualification d’accident du travail car, selon elle, le geste de son
fils résultait d’un état dépressif consécutif à des pressions exercées par son
employeur… » (Borie, 2000). La caisse primaire d’assurance maladie a été
condamnée à prendre ce décès en charge au titre d’accident du travail.
époque tient aux conditions de travail. Ils doivent entretenir la forêt en dépit
de la nuit et du froid persistants. Si les fermiers choisissent le printemps pour
passer à l’acte, alors que cette saison est symbole du renouveau de la nature,
c’est en raison de leur dépendance aux conditions climatiques. Dans le nord
de la Finlande, un retard dans la venue des beaux jours compromet d’emblée
les récoltes et est annonciateur de difficultés financières. Une autre explica-
tion tient au changement brutal de la luminosité et de la température qui
prédisposerait les plus sensibles à ces variations au suicide. Les employés
travaillant en milieu fermé se suppriment principalement en été, lorsque le
repos occasionné par les vacances n’est pas suffisant pour atténuer le stress
du travail. Au Japon, Nishimura, Terao, Soeda, Nakamura, Iwata et
130 L’APPROCHE PSYCHOPATHOLOGIQUE
4 Suicide et chômage
4.1 Le chômage : facteur de risque suicidaire
De nombreux auteurs soulignent la corrélation existant entre la conjoncture
économique et le taux de suicide. Pour exemple, les années de prospérité
économique (1945-1975 en France) correspondent à un faible taux de
suicide (24 pour 100 000), alors que pour celles s’étendant de 1977 à 1985,
le taux de suicide masculin augmente de 42 % (Chauvel, 1998).
L’étude d’Ostamo, Lahma et Lönnqvist (2001), en s’attachant à cet aspect,
souligne aussi son caractère international. En portant leur attention sur les
personnes mises au chômage en raison de la récession économique sévère
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.
qu’a connu la Finlande de 1989 à 1994, ils ont pu constater que le nombre de
tentatives de suicide chez ces personnes est plus élevé que celui observé en
population générale. Le taux de suicide masculin dépasse le féminin et cela
tout au long de la période de récession économique. Les chômeurs âgés entre
20 et 30 ans, pourvus d’un faible niveau d’éducation, sont les plus à risque
de chômage et donc de suicide.
Plusieurs auteurs introduisent la présentation de leur recherche en
annonçant que si un lien entre chômage et suicide existe, les raisons de cette
association restent vagues. Il s’ensuit la mise à l’épreuve de variables comme
le sexe, l’âge, le niveau d’éducation, l’état civil ou encore le niveau socio-
134 L’APPROCHE PSYCHOPATHOLOGIQUE
favorisant le suicide (vivre seul, avoir une histoire familiale marquée par de
précédents suicides), la maladie mentale ayant entraîné une ou plusieurs
hospitalisations lui est le plus fortement associée. Viennent ensuite le
chômage et le fait de vivre avec de faibles revenus, ceci plus particulièrement
pour les hommes. Le discours tenu par Beautrais, Joyce et Mulder (1998) est
à peu près du même ordre. Pour eux, la morbidité psychiatrique contribue à
la fois au risque de chômage et de suicide. Selon leurs calculs, le fait d’être
au chômage n’interviendrait que dans une faible mesure dans le risque suici-
daire.
5 La symbolique du geste
Après avoir abordé la question du suicide en lien avec l’emploi, reste celle
des autolyses réalisées sur le lieu même du travail. Bien que cette question
soit attractive, force est de constater que ces autolyses sont rares, même si
elles marquent les esprits par leur nature inattendue, la mise en scène dont
elles font l’objet et le traumatisme qu’elles ne manquent pas de susciter dans
l’entourage professionnel et personnel. Ce petit nombre de cas explique sans
doute le manque de littérature portant spécifiquement sur ce type de suicide
qui nourrit davantage la une des journaux que les populations de recherche.
Par ailleurs, il est souvent difficile d’expliquer la raison précise du geste
suicidaire. Ceux qui en ont réchappé, nous informe Baechler (1975, p. 126),
sont généralement incapables de donner un sens à ce raptus. C’est l’histoire
d’un instant où tout bascule, d’une décision forcément soudaine même si elle
a été mûrement réfléchie, d’un événement – au travail ou au dehors – qui
joue, à ce moment-là, le rôle de déclencheur.
Malgré ces restrictions, se donner la mort sur le lieu du travail donne au
suicide une dimension hautement symbolique. L’autre (la société, la direc-
tion, les collègues, la famille) est pris à témoin par le fait que l’espace de
travail est utilisé comme scène médiatique. Le suicide a pour objectif de
sortir le sujet d’un anonymat annihilant. Ce suicide « vengeance », comme le
qualifie Baechler, vise aussi à culpabiliser toutes les personnes ayant une
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.
familial du suicidé. Ces actions peuvent être amorcées par une cellule d’aide
psychologique intervenant rapidement après le drame. Elles doivent se pour-
suivre sur le long cours par le biais d’un relais mis en place avec les organis-
mes de santé mentale locaux.
7 Conclusion
Comme nous l’annoncions dans le titre même de ce chapitre, le lien entre le
travail et le suicide présente de nombreuses facettes. Nous avons pu en
distinguer certaines : le stress occasionné par le travail qui favorise le
suicide, les métiers reconnus d’emblée à risques en raison de leurs caracté-
ristiques (niveau de luminosité, exposition aux champs magnétiques, etc.), le
fait que le travail apporte une aide logistique dans le passage à l’acte (cas des
médecins, infirmières, militaires, etc.), la place des troubles psychiatriques à
la fois dans les choix professionnels et dans la difficulté d’accéder à l’emploi
avec, comme alternative, l’autolyse. D’autres restent certainement à recon-
naître.
Bien qu’il apparaisse clairement que le travail peut être source de souf-
france et de suicide, les chiffres recueillis – parfois très élevés – invitent à la
prudence en raison des problèmes méthodologiques que nous avons déjà
évoqués. La convergence de plusieurs autres déterminants rend difficile toute
généralisation du phénomène. Boxer et al. (1985) évoquent des variations
dans les résultats des différentes études liées à l’évolution des professions et
des facteurs de stress qui leur incombent, la mouvance du climat social, ainsi
que l’influence du type de personnalité dans le choix professionnel. Ils
notent aussi des difficultés d’estimation réelle des suicides en lien avec
l’emploi. Des données précises font défaut. Les certificats de décès sur
lesquels sont fondés les recueils de données indiquent, le plus souvent, la
profession exercée par le défunt sans préciser si, au moment des faits, il
l’exerçait. De plus, il est souvent impossible de connaître l’ancienneté dans
l’emploi du suicidé. On ne peut donc savoir si l’autolyse intervient comme la
conséquence d’une usure professionnelle, comme l’expression de la peur de
quitter l’emploi – pour un départ à la retraite par exemple –, comme la
marque d’une difficulté d’adaptation à un nouvel environnement de travail
(dans le cadre d’une réorientation professionnelle ou d’un reclassement, etc.)
ou pour d’autres raisons encore. Les sujets traités médicalement ou psycho-
logiquement pour troubles de l’humeur ne sont généralement pas distingués
des autres employés, ce qui a pour effet d’amoindrir la portée des données
disponibles.
Malgré ces critiques, on ne peut manquer de reconnaître l’intérêt que doit
éveiller la relation entre travail et suicide et, principalement, sur le plan
préventif. Il s’agit, bien sûr, de favoriser la fonction contenante du travail
plutôt que d’exacerber ses possibilités destructrices. Toute personne peut
TRAVAIL ET SUICIDES : UN LIEN À FACETTES 139
Lectures conseillées
DEBOUT M. (2002). La France du suicide, Paris, Stock.
DEJOURS C. (1998). Souffrance en France, Paris, Le Seuil.
LEGERON P. (2001). Le Stress au travail, Paris, Odile Jacob.
9 L’INTERVENTION PSYCHOLOGIQUE
AUPRÈS DES VICTIMES1
tes institutions, elle présente des variantes qui sont autant de facettes d’un
ensemble en perpétuelle amélioration et qui n’a pas fini de se construire.
2.1 Historique
Ce sont les psychiatres militaires qui ont préconisé et instauré la psychiatrie
de l’avant, avec le double but de soulager les soldats présentant des chocs
émotionnels aigus de combat et d’éviter que ces chocs aigus – non traités ou
trop tardivement traités — n’évoluent vers des névroses traumatiques
chronicisées dont l’accumulation finissait par constituer une fonte d’effectifs
notable.
144 L’APPROCHE PSYCHOPATHOLOGIQUE
Tout sujet exposé inopinément à une agression réagit par la réponse bio-
physiologique de stress ou « réaction immédiate d’alarme, de mobilisation et
de défense de l’organisme face à une agression ou une menace ». Il s’agit
d’une réaction réflexe quoique consciente qui, par le canal de ses voies affé-
rentes (conduisant l’information depuis les organes des sens jusqu’au
cerveau cortical), de ses voies centrales (du cerveau cortical au
mésencéphale) et de ses voies efférentes (du cerveau central vers les effec-
teurs, muscles et organes, par voie rapide nerveuse ou par voie lente
sanguine véhiculant les hormones), met de l’énergie (sucre sanguin) à dispo-
sition des muscles et des organes, active leur excitation nerveuse et déclen-
che des conduites salvatrices de protection ou de retrait. Sur le plan de la
biologie, cette réaction de stress s’effectue en fonction de la libération
sanguine de noradrénaline, puis de cortisol, puis de peptides opiacés, puis de
défenses immunitaires. Sur le plan de la psychologie, ces mécanismes biolo-
giques et neurobiologiques donnent lieu à la réaction de stress adaptative,
salvatrice, avec ses trois effets de focalisation de l’attention, de mobilisation
des capacités cognitives et de contrôle émotionnel, et d’incitation à l’action,
aboutissant à l’élaboration d’une décision adaptative et à la mise en œuvre de
cette décision, dans des conduites de défense ou de retrait, de sauvegarde et
d’entraide.
Le stress se situe sur le registre biologique. Le traumatisme psychique, ou
trauma, lui, se situe sur le registre psychologique. Le traumatisme psychique
ou trauma, c’est le phénomène d’effraction des défenses psychiques par
l’afflux d’excitations amené par l’exposition à un événement soudain et
violent qui menace la vie, l’intégrité physique ou psychique d’un individu.
Dans son essai Au-delà du principe du plaisir, conçu pendant la Grande
Guerre et paru à son lendemain (1920), Freud comparait l’appareil psychi-
que à une boule protoplasmique protégée pas sa couche superficielle « pare-
excitation », couche dotée d’énergie et chargée de repousser les excitations
nociceptives venant du dehors ou de les filtrer en les fragmentant et en les
atténuant, afin que le psychisme puisse les assimiler. Par ailleurs, pour Freud,
ces défenses psychiques, outre leur fonction « énergétique » quantitative, ont
aussi une fonction « associative », attributive de sens, et donc qualitative.
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.
chose que ce qui vient de lui arriver. Et le psychologue sera attentif aussi à
décrypter, dans la verbalisation que fait la victime de son expérience vécue,
les indices (rétrospectifs) qui font suspecter que l’événement a été vécu
comme un trauma : surprise totale, effroi, horreur, impuissance et sidération
de la volonté, impression d’être abandonné, perte du sens du réel et du
présent, vécu d’automate et dépersonnalisation. La mission d’intervention du
psychiatre ou du psychologue ne se terminera que lorsqu’il aura assuré le
relais thérapeutique, en fonction de ces éléments d’évaluation du pronostic.
En tout état de cause, il remettra aux victimes une note écrite d’information
sur les symptômes de stress (qui se sont produits) et les symptômes psycho-
traumatiques (qui risquent de se produire), avec indication de la conduite à
160 L’APPROCHE PSYCHOPATHOLOGIQUE
4 Conclusion
En fin de compte, que doit-on penser, que peut-on penser, de l’intervention
psychologique auprès des victimes des catastrophes ou des accidents et inci-
dents graves ? La pratique en est récente, remontant à deux décennies, mais
il apparaît qu’elle a fait la preuve de son utilité et de son efficacité. Pour ce
faire, répondons aux cinq questions : de quels accidents s’agit-il ? Qui sont
les « blessés psychiques » ? Quelle est leur pathologie ? Quelle est la justifi-
cation de l’intervention ? Qui va la demander ? À quels personnels va-t-on
demander d’intervenir ? Et, enfin, de quelles interventions s’agit-il ?
Tout d’abord, de quels accidents et incidents s’agit-il ? Des catastrophes,
attentats et accidents collectifs, bien sûr ; mais aussi des accidents plus limi-
tés laissant des rescapés hagards et des témoins choqués ; des agressions
ayant visé un groupe (prise d’otages dans une banque ou détournement
d’avion), ou un seul individu, devant témoins ou sans témoin ; et aussi des
accidents et incidents survenus sur les lieux du travail et ayant une forte
répercussion sociale par l’effet de surprise, d’horreur et de
décontenancement qu’ils ont exercé sur la communauté présente : condisci-
ples et enseignants (voire parents d’élèves) dans le cas du suicide d’un enfant
à l’école, collègues, cadres et dirigeants dans le cas d’une mort ou d’une
blessure grave d’un employé à l’usine ou dans les bureaux.
Ensuite, qui sont les victimes, les « blessés psychiques » à secourir ? Tous
ceux qui ont été subitement menacés dans leur vie ou leur intégrité physique,
qui ont « vu leur mort » sans y être préparés, et qui reviennent ainsi des
Enfers (Crocq, 2000). Et aussi tous ceux qui, témoins ou acteurs impuis-
sants, ont vécu l’effroi et l’horreur du spectacle insoutenable et incompré-
hensible de la mort ou de la souffrance d’autrui : les témoins d’une
catastrophe ou d’un accident, et les impliqués de diverses appartenances,
familles, collègues, amis et même sauveteurs. Ils ont vécu l’événement
L’INTERVENTION PSYCHOLOGIQUE AUPRÈS DES VICTIMES 173
s’en être sorti « quitte pour la peur », certaines victimes ne s’aperçoivent pas
leur état morbide ou le sous-estiment, pensant que « cela va passer avec le
temps »).
Et à quels personnels va-t-on demander d’intervenir ? S’il s’agit d’une
catastrophe ou d’un accident collectif catastrophique, c’est auprès des orga-
nismes professionnels spécialement créés et formés pour ces interventions
(en l’occurrence les cellules d’urgences médico-psychologiques qui
quadrillent tout le territoire français et que le préfet peut faire actionner par
l’intermédiaire des SAMU). Mais s’il s’agit d’un accident plus limité ou
d’un incident en institution, l’institution devra s’adresser à des organismes
publics ou privés spécialisés dans ces interventions : des psychologues
formés au sein de l’institution elle-même (pompiers, police ou Éducation
nationale par exemple), des cabinets de psychologues offrant leurs services à
la clientèle, ou encore des psychologues formés à la psychotraumatologie
proposant de tels services dans la gamme de leurs compétences.
Enfin, dernière question, de quelles interventions s’agit-il ? À la phase
immédiate, il s’agit essentiellement de l’activité de defusing (ou déchocage),
seule ou incluse dans un cadre plus vaste de soins et de secours. Le defusing
assure la présence rassurante et contenante du psychothérapeute de l’urgence
et, surtout, incitant la victime à verbaliser son émotion, initie chez cette
victime cette maîtrise de l’expérience insensée du trauma par la parole attri-
butive d’associations et de signification. À la phase post-immédiate des jours
suivants, le debriefing (bilan psychologique d’événement), instauré à tête
reposée, plus codifié et encadré que le defusing, fait reparcourir l’événement
en y explicitant toutes ses dimensions, cognitives (le vu, le perçu, le pensé),
émotionnelles et affectives (le vécu, l’éprouvé, le ressenti), et volitionnelles
ou comportementales (le désiré, le voulu, l’agir), poursuit le travail d’attribu-
tion signifiante, fait réinscrire l’événement dans le continuum de l’histoire de
vie et désengage le sujet de l’emprise (de l’imposture) de son trauma. Appli-
qué à des victimes ou impliqués seuls ou en groupe, ce debriefing peut être
conduit à un niveau superficiel et de priorité narrative, à visée éducative et
sans prétention thérapeutique, à l’intention de pompiers ou de policiers peu
éprouvés par un incident critique ; ou, au contraire, il peut être conduit à un
niveau plus profond, à visée à la fois thérapeutique (de la pathologie
présente) et préventive (de la pathologie à redouter) où l’énonciation maïeu-
tique de l’éprouvé prend le pas sur le récit construit et conventionnel. Le
premier style (Mitchell, Armstrong, Dyregrov) décrit et codifié par plusieurs
auteurs sous le nom de psychological debriefing, a acquis droit de cité auprès
des institutions demandeuses, car il apporte sédation de l’effervescence
émotionnelle et restitution de la disponibilité à reprendre le service ; mais il
ne guérit pas les individus qui sont réellement et profondément traumatisés,
car tel n’est pas son but. Aussi est-ce lui faire une mauvaise querelle que de
lui reprocher de tels échecs. Le second style (Raphaël, Shalev, Crocq,
Lebigot, De Clercq et Vermeiren), exercé par des psychiatres et des
L’INTERVENTION PSYCHOLOGIQUE AUPRÈS DES VICTIMES 175
Lectures conseillées
BARROIS C. (1988). Les Névroses traumatiques, Paris, Dunod, 2e édition, 1998.
CROCQ L. (1999). Les Traumatismes psychiques de guerre, Paris, Odile Jacob.
DE CLERCQ M., LEBIGOT F. (2001). Les Traumatismes psychiques, Paris, Masson.
VITRY M. (2002). L’Écoute des blessures invisibles, Paris, L’Harmattan.
10 LES INTERVENTIONS PSYCHOLOGIQUES
EN ENTREPRISES1
Depuis une dizaine d’années et surtout après les attentats dans les RER de
Paris (en 1995-1996) et leur médiatisation, certaines entreprises ont pris
conscience de la nécessité de prendre en charge leurs personnels en leur
proposant des rencontres avec des psychologues spécialisés, le plus souvent
à la suite d’événements s’étant déroulés dans le cadre de leur travail ou
parfois dans leur vie personnelle mais affectant leur disponibilité profession-
nelle.
Il est intéressant de noter la modification de ces comportements, qui, par
le passé, ne reflétaient pas, chez les dirigeants d’entreprise, le souci de
l’équilibre psychique des employés (parfois même on observait des attitudes
culpabilisantes lorsque ceux-ci décidaient de chercher de l’aide dans les
milieux spécialisés).
En 1995, après le premier attentat du RER, le professeur Crocq, soutenu
par le ministre Xavier Emmanuelli et avec l’accord de Jacques Chirac, avait
proposé la création d’une cellule d’urgences médico-psychologiques,
dépendant du SAMU de Paris. Tout d’abord conçue pour l’ensemble des
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.
sociétés qui étaient, plus que d’autres, exposées, par l’objet de leur activité, à
des agressions. C’est ainsi qu’ont pu être élaborés des plans de formation à la
sécurité, adaptés à chacune d’entre elles. Ces formations ont été proposées
sur un ou plusieurs jours suivant qu’elles s’intégraient ou non à des forma-
tions très spécialisées.
Ainsi, dans la plus grande société de transports de fonds, en France, en
plus des activités annexes de sécurité, trois types de formations ont été ainsi
mis au point. Celles-ci se déroulaient :
– auprès de nouveaux recrutés, à leur arrivée dans le poste, dans un but de
sensibilisation aux dangers potentiels ;
180 L’APPROCHE PSYCHOPATHOLOGIQUE
choc parmi les spectateurs. Au bout de quelques instants, une fois l’émotion
apaisée, la discussion s’engage sur ce qui aurait été possible de faire pour
l’éviter.
Enfin, l’analyse des émotions et leur impact sur le comportement se
mettent en place avec les participants et visent à aborder la question de la
gestion du stress ressenti en situation.
• Le second exemple se déroule sur le même principe, à l’aide d’un film.
Dans ce film, le chauffeur trouve particulière la position de deux voitures,
qui le précèdent sur la route, à l’entrée d’un village. Le film s’arrête, des
questions sont posées aux participants pour appréhender leur perception de
la situation. Le film reprend ensuite. Dans le film, le chauffeur regarde alors
son rétroviseur et voit deux camionnettes qui le suivent. En alerte, il accélère
sa vitesse, au moment où les deux voitures le précédant sont en train de
s’immobiliser sur la route. En les percutant et en les contournant, il réussit à
sauver ses collègues et son camion de l’attaque qu’il avait bien anticipée.
Après une discussion avec les personnels présents à la formation, sont
reprises les notions de stress, stress adapté dans ce cas-ci, ou stress dépassé
comme dans le premier exemple, ainsi que les conduites à tenir pour limiter
au maximum les risques encourus dans ces situations dangereuses.
Ces formations ont des objectifs communs :
– permettre aux participants de comprendre les dimensions biologiques,
neurophysiologiques et psychiques des réactions émotionnelles liées à la
peur et leurs conséquences sur le comportement ;
– favoriser l’implication dans une réflexion sur des événements de vie
(sociaux, professionnels ou personnels) pour en analyser les
répercussions ;
– permettre d’accepter de se mettre en situation de danger au travers des
simulations soigneusement organisées ;
– analyser ensuite, avec les formateurs, la pratique des procédures fournie et
les émotions dégagées sur le moment et en post-immédiat.
En priorité, ce sont les personnels du terrain qui sont concernés mais
également leur hiérarchie qui doit ainsi se représenter ce qui peut se passer,
physiquement et psychiquement, chez une personne soumise à un tel événe-
ment, afin de permettre une communauté de vue aux membres de la même
société.
C’est donc la préparation à la survenue des symptômes les plus fréquents
qui va d’abord dédramatiser leur apparition, mais aussi permettre aux victi-
mes de formuler ensuite le malaise ou la détresse sur lesquels le travail
d’élaboration psychologique va se fonder.
182 L’APPROCHE PSYCHOPATHOLOGIQUE
2 L’entretien psychologique
comme forme de prévention secondaire
Quel que soit le type d’événement subi, l’intervention psychologique a un
objectif thérapeutique qui est celui de limiter, voire de faire disparaître, les
manifestations psychiques et/ou somatiques dysfonctionnelles, qu’elles
soient immédiates, post-immédiates ou plus tardives (parfois après un temps
de latence plus ou moins long qui n’avait rien laissé paraître).
Cet objectif s’obtient également par l’intermédiaire de la présentation aux
personnes concernées d’une information pertinente et adaptée.
Cette information porte sur les symptômes les plus courants qui apparais-
sent immédiatement ou dans les heures qui suivent l’événement, sur la
conduite à tenir devant ces signes, ainsi que sur la liste des consultations
hospitalières spécialisées.
Des études récentes, tout comme notre pratique clinique, nous ont
démontré que l’absence de secours psychologiques, au lieu de permettre la
restauration de « blessures psychiques », les laisse, au contraire, évoluer vers
ce qui risque de devenir un handicap irréversible, aux conséquences ultérieu-
res difficiles à prévoir, autrement dit vers un état traumatique (Lebigot,
1999).
Dans le même temps, l’intervention de soignants spécialisés (psychiatres,
psychologues ou infirmiers cliniciens) permet à ces victimes, qui se sont
senties abandonnées pendant l’accident, d’envisager des solutions thérapeu-
tiques.
Il suffit souvent aux sujets concernés de savoir que cette assistance existe
et qu’elle est justifiée pour faciliter une verbalisation cathartique1.
Cette intervention se conçoit aussi bien dans une visée de santé publique,
dans la population générale, pour une limitation des effets pernicieux entraî-
nés par un fait imprévu, que sur un plan individuel dans le but de permettre à
chaque victime une reprise de sa vie habituelle.
Elle se met en place au moyen de l’entretien psychologique.
Cet entretien donne à la victime, l’occasion d’évacuer, en les narrant tout
d’abord, les émotions profondes qui ont perturbé à plus ou moins court terme
son ressenti et son comportement. La mise en mots de ce qui, en situation, a
pu paraître indicible, la représentation verbalisée de ce qui a semblé s’appa-
renter au « néant » vont ensuite autoriser la reconstruction et surtout la
1. Nous ne reviendrons pas en détail sur la définition du stress (ensemble des réactions psychiques
liées à la survenue d’un événement imprévu), et sur l’analyse du phénomène de « catharsis »
(l’effet produit par la décharge des émotions pathogènes en les verbalisant va permettre la
réorganisation et donc l’apaisement du sujet qui vient de vivre un imprévu grave).
LES INTERVENTIONS PSYCHOLOGIQUES EN ENTREPRISES 183
3 Conclusion
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.
Lectures conseillées
CROCQ L. (1999). Les Traumatismes psychiques de guerre, Paris, Odile Jacob.
LEBIGOT F. (1999). « Intérêts des soins immédiats et post-immédiats dans les trauma-
tismes psychiques », Médecine des catastrophes et urgences collectives, Paris,
Éditions scientifiques et médicales Elsevier, 2, 83-87.
VITRY M. (2002). L’Écoute des blessures invisibles, Paris, L’Harmattan, 129-162.
CONCLUSION
Les êtres humains ont besoin d’évoluer et de s’accomplir, dans des contextes
professionnels sains, pour pouvoir s’investir pleinement dans les systèmes
sociaux pour lesquels ils travaillent et dans lesquels ils vivent.
Dans cette perspective, l’intervention psychologique, telle qu’elle se
dessine au fil des différentes approches exposées dans cet ouvrage, vise à
introduire, dans les organisations, les changements nécessaires à l’améliora-
tion des conditions psychologiques de travail et à la réduction des imprévus
psychosociaux. Par ses effets, et à un niveau organisationnel, l’intervention
psychologique favorise la construction ou à la reconstruction d’environne-
ments professionnels plus réactifs aux besoins individuels, et contribue ainsi
à promouvoir et/ou à maintenir la santé du système. À un niveau individuel,
l’intervention psychologique permet aux hommes et aux femmes qui s’y
trouvent impliqués de dépasser les situations de rupture, de retrouver une
identité professionnelle cohérente, ainsi que de penser autrement le sens de
leur activité quotidienne.
Les auteurs de ces textes nous apprennent que l’intervention psychologi-
que fonde sa légitimité sur trois principes fondamentaux :
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.
sur les individus, les hommes et les femmes qui subissent ces phénomènes
ou qui les initient. Enfin, elles s’adressent nécessairement aux
méthodologies d’intervention elles-mêmes, à l’évaluation de leur effet et de
leur pertinence.
Dans les problématiques qui la requièrent, Marie Santiago-Delefosse,
Jean-Luc Viaux, Bernard Castro ont bien montré les mécanismes de mise en
place d’organisations dysfonctionnelles du travail, d’anéantissement indivi-
duel par le harcèlement psychologique ou de désinvestissement par le
workaolisme. Ils incitent ainsi à explorer les voies identitaires et leurs
métamorphoses.
Évelyne Bouteyre étudie les relations professionnelles des hommes et des
femmes au travail à la lumière de la théorie de l’attachement. Elle engage
ainsi à l’examen approfondi des modèles émotionnels sous-jacents et de
leurs répercussions sur le phénomène de l’attachement.
Enfin, Louis Crocq, Dominique Demesse, Jean-Luc Bernaud et Gilles
Lelouvier, en présentant des méthodologies diverses d’intervention psycho-
logique, mettent l’accent sur la nécessaire évaluation de leurs effets par des
procédures contrôlées et validées scientifiquement.
Les contributions de l’ensemble des auteurs amènent à s’interroger sur
l’opportunité et l’intérêt de la création de services psychologiques auprès des
entreprises, services spécifiquement spécialisés dans les questions et le trai-
tement des dysfonctionnements professionnels.
Retenons le consensus qui se dégage de l’ensemble de ces textes. De par
sa nature, l’intervention psychologique dans les organisations est une inter-
vention indispensable dans les situations de rupture, de crise ou de transition.
De par sa dynamique, l’intervention psychologique permet une conceptuali-
sation différente des impasses et contribue à la résolution des problèmes, à
un moment donné de la vie d’une organisation. De par ses effets, au niveau
individuel et groupal, l’intervention psychologique réussie agit comme un
véritable organisateur identitaire et/ou comme un puissant vecteur de déve-
loppement.
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206 LES INTERVENTIONS PSYCHOLOGIQUES DANS LES ORGANISATIONS
F J
facteurs jeu répétitif, 166
– protecteurs de la santé, 10
– salutogènes, 94 K
falsification, 103, 104 Karoschi, 16
– de la manifestation émotionnelle, 97
L
– des émotions, 98
fonction psychologique, 10, 14, 18 lien, 46
fonctions psychologiques du travail, 3, 13 – éthique, 36
formation, 179 M
fuite panique, 154
majoration, 104
G – de la réaction émotionnelle, 97
Manuel statistique et diagnostique des
genres de vie, 14
troubles mentaux (DSM-IV), 112
gestion des émotions, 4, 103
médiation symbolique, 14
groupe de parole, 162, 170, 173
méditation, 164, 173
H Mental Health Consultation Services, 145
mentor, 61
harcèlement
méthode cathartique, 172
– moral, 36, 39, 53, 127
méthodes cognitivo-comportementales,
– psychologique, 46, 53
119
– psychologique au travail, 40, 54
métiers de service, 101
histoire, 174
milieux de vies, 18
histoire de vie, 171
mobilisation au travail, 18
horreur, 152, 155, 159, 172
mode de management, 72
I modèles internes et opérants, 24
modification cognitive, 96
identité, 15, 184
monde des vivants, 157, 161
– professionnelle, 137
moratoire, 164
impact sur le comportement, 181
motivation, 111
impliqués, 172
mythes, 84
impression d’abandon, 155
impuissance, 155, 159, 184 N
INAVEM, 147 narrations, 170, 171
incident critique, 171, 174 néant, 173
inconscient, 15 neutralité bienveillante, 148, 169
incubation, 164 névrose traumatique, 141, 162, 165, 166,
information, 179 167, 168, 169, 173
inhibition stuporeuse, 154 note d’information, 173
injustices, 17 notice d’information, 169
intelligence au travail, 14
internaliste, 93 O
intervention, 178 objet perdu, 152
– en post-immédiat, 169 œuvre, 14
– psychologique, 3, 182, 186, 187, 189, organisation, 92, 102
192 – de travail, 13
– psychothérapique précoce, 170, 172 organisations, 1, 187, 190
214 LES INTERVENTIONS PSYCHOLOGIQUES DANS LES ORGANISATIONS
COX J., 72, 73 GROSS J.J., 95, 96, 98, 99, 101, 108
CROCQ L., 144, 146, 152, 161, 171, 172, GUIDETTI, 132, 136
174, 184, 185 GULLI O., 137
CURIE J., 15 GUNNARSDÓTTIR H., 127, 131
D H
DAMIANI C., 147, 156 HAJJAR V., 15
DANIELLOU F., 9, 14 HALFON O., 24
DE CLERCQ M., 161, 171, 174 HALL R.J., 29
DEADMAN J., 130 HANSEN H.L., 132
DEBOUT M., 136 HARDY G.E., 27, 31
DEJOURS C., 9, 10, 12, 13, 15, 16, 18, 19, HARRINGTON J.M., 126
20, 21, 35, 36, 101 HAVERKAMP, 31
DEMING, 74 HAWTON J.A., 130, 134
DESOILLE H., 12 HAYES J., 23
DUBROW R., 127 HAZAN C., 26
DURKHEIM É., 123 HELMKAMP J.C., 132
DYREGROV A., 171, 174 HERRINGER T., 99, 105, 108
HOCHSCHILD A.R., 95, 97, 98, 99, 100,
E 101, 102, 103, 104
EMMONS A.R., 99 HOLMAN D., 102, 105, 108
HOROWITZ L.M., 26
F HOUKES I., 99, 100
FAGG J., 134 HUMPHREY R.H., 103
FASSINGER R.E., 29
FENICHEL O., 167 I
FERENCZI F., 167 IWATA N., 129
FERRERI, 184
FESKANICH D., 126 J
FIEDLER R., 127 JAFFE D., 72
FLING S., 116 JAHODA M., 23
FLORIAN V., 30 JANET P., 154, 164, 166
FREDRICKSON B.L., 6, 94 JENSEN J., 132
FREUD S., 124, 151, 152, 164, 167 JOHNSON R., 100
FRICKE, 131 JONES F.D., 145
FRIDMAN, 99 JOPLIN J.R.W., 27
FRIEDMAN S.H., 105, 108 JOYCE P.R., 135
FRIEDMANN G., 11 JUDA, 133
G K
GALLO A., 93 KANAI A., 116
GEORGE C., 30 KARASEK R., 20
GLASSER K.J., 191 KELTNER D., 94
GOLEMAN D., 78 KENNY M., 29
GOLLAC M., 9, 10, 13, 14, 19 KIECHEL, 112
GOURNAY M., 135 KING A.L., 99
GRANDEY A.A., 95, 98, 99, 103, 104, 106, KIVIMAKI M., 128
107 KLECKNER R.C., 130
GROSS C., 128 KOSKINEN O., 129
INDEX DES NOMS 219
L O
LAARA, 131 O’BRIEN K.M., 29
LAHMA, 133 OATES W., 110
LAHY J.-M., 13 OSTAMO A., 133
LANIÈCE F., 135
LAZARUS R.S., 93 P
LE GUILLANT L., 11, 12, 20 PACAUD S., 12
LEBIGOT F., 152, 161, 171, 174, 182 PALLADINO-SCHULTHEISS D., 28
LEBOVICI S., 24 PARAYRE C., 123
LEGERON D., 137 PIENKOWSKA, 131
LEMOINE C., 62 PIERREHUMBERT B., 24
LEPLAT J., 9, 14 PITTS, 133
LESTER, 131 PREZIOSO M.S., 28
LEVENSON R.W., 108
Q
LÉVY-LEBOYER C., 80
QIN P., 134
LEWENSON R.W., 98
QUICK J.C., 2, 3, 27
LEYMANN H., 51
LINDEMAN, 131 R
LIU T., 125
RAFAELI A., 97, 100, 102, 105
LOCKERBIE, 146 RAFNSSON V., 127, 131
LOFTUS E.F., 106 RAPHAËL B., 174
LÖNNQVIST J., 131, 133 RE A., 128
LOOMIS D., 130 RICH, 133
LOWMAN L.R., 1, 101 ROBINSON B.E., 114, 117
ROQUES M., 23
M
ROSENBERG E., 6, 94
MALLET, 31 ROSKIES, 113
MALMBERG, 131
MARSHALL J., 127, 145 S
MASLOW A.H., 78 SAKAMOTO K., 130
MEYERSON I., 13 SALIN D., 128
MEZZA-BELLET, 131 SALMON, 144
MIKULINCER M., 30 SANTIAGO-DELEFOSSE M., 11
MILGRAM S., 37, 38 SAVITZ D.A., 130
MILJKOVITCH R., 24 SCHMIDTKE, 131
MITCHELL J.T., 170, 171, 174 SCOTT C., 72
MORADI B., 29 SHALEV A., 174
MORIOU S., 72, 84 SHATAN C.F., 145
MORTENSEN P.B., 134 SHATAN F., 167
MULDER R.T., 135 SHAVER P.R., 26
220 LES INTERVENTIONS PSYCHOLOGIQUES DANS LES ORGANISATIONS
T W
TERAO T., 129 WAKABAYSHI M., 116
THEORELL T., 20 WALLON H., 13, 14, 15
THERIAULT G., 130 WATERBOR J.W., 125
TOKAR D.M., 29 WEILL-FASSINA A., 10
TOTTERDEL P., 102, 105, 108 WELLER A., 30
TYSSEN R., 126 WEST M., 30
WEST R., 111
U WITHROW J.R., 29
URSANO R., 161 WITTIG, 25
V Z
VACHER J., 12 ZAPF D., 128
VAGLUM P., 126 ZOUTE C., 106
Imprimé en Belgique
PSYCHO SUP PSYCHOLOGIE
COGNITIVE
PSYCHOLOGIE
SOCIALE
PSYCHOLOGIE
CLINIQUE
Sous la direction de
Dana Castro
LES INTERVENTIONS
PSYCHOLOGIQUES
DANS LES ORGANISATIONS
Dysfonctionnements et interventions dans les organisations sont DANA CASTRO
ici abordés dans une double perspective théorique et Chargée d’enseignement
professionnelle et sont analysés à la lumière des modèles de la à l’École des
psychologie sociale clinique et de la psychopathologie. Psychologues Praticiens,
elle est aussi psychologue
Ancré dans la réalité des milieux professionnels actuels, cet ouvrage clinicienne.
poursuit deux objectifs. Avec la collaboration de :
Le premier est de décrire une série de dysfonctionnements JEAN-LUC BERNAUD
individuels et organisationnels qui exacerbent le sentiment de ÉVELYNE BOUTEYRE
détresse psychologique et détériorent le climat de l’entreprise. BERNARD CASTRO
LOUIS CROCQ
Le deuxième est de présenter, dans ce cadre, les apports de DOMINIQUE DEMESSE
l’intervention psychologique : GILLES LELOUVIER
– comme réponse aux situations de rupture, de crise ou de MARIE SANTIAGO-DELEFOSSE
JEAN-LUC VIAUX
transition ;
– comme outil de conceptualisation des impasses ;
– comme organisateur identitaire ;
– comme vecteur de développement personnel.
Cet ouvrage s’adresse aux jeunes chercheurs en psychologie des
organisations, aux psychologues, aux médecins du travail, aux
équipes de ressources humaines. Les chercheurs découvriront un
vaste réservoir de possibilités pour des recherches futures. Les
psychologues trouveront matière à confronter leurs pratiques. Les
médecins du travail ou les membres des équipes de ressources
humaines se familiariseront avec les apports de la psychologie
dans l’analyse et la gestion des situations professionnelles
complexes.