Evaluer Et Prendre en Charge Le Trouble Dissociatif de L'identité
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REMERCIEMENTS V
PRÉFACE VII
PREMIÈRE PARTIE
GÉNÉRALITÉS SUR LE TDI
1. Introduire le TDI... 3
Eric Binet, PhD
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DEUXIÈME PARTIE
PRISE EN COMPTE ET ÉVALUATION DU TDI
6. Épidémiologie du TDI 87
Eric Binet, PhD
Introduction 87
Primauté du PTSD en épidémiologie 89
Spécificité de l’épidémiologie des traumas complexes 91
Divergences épidémiologiques et TDI 93
Prévalence du TDI et sex-ratio 94
Expériences traumatiques passées et TDI 98
Conclusion 99
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de personnalité, 105
Présentations cliniques du TDI et de ses formes partielles 106
Symptômes neurologiques fonctionnels, 106 • La dépression
dissociative, 107 • Le trouble de la personnalité borderline, 108 •
Attaque psychotique brève, 110 • Réaction dissociative aiguë à
un événement stressant, 111 • Une expérience de possession, 112 •
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TROISIÈME PARTIE
PRISES EN CHARGE DU TDI
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BIBLIOGRAPHIE 227
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Dr Laurence CARLUER
Neurologue, psychopraticienne, formatrice IFS, Espace Jean-Baptiste Charcot.
Dr Jan GYSI
Psychiatre et psychothérapeute FMH à Berne, spécialisé dans le diagnostic et la
thérapie des troubles psychotraumatiques.
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Sandra MAZAIRA
Psychologue, psychothérapeute FSP en cabinet privé, vice-présidente de l’AFTD
(Suisse).
Dolores MOSQUERA
Psychologue, praticienne et consultante EMDR Europe, chargée de cours à l’Uni-
versité nationale d’enseignement à distance (UNED) à Madrid.
Emmanuelle VAUX-LACROIX
Psychologue clinicienne, praticienne et superviseur EMDR Europe. Chargée de
cours à l’École de psychologues praticiens et à l’université de Lorraine.
Eva ZIMMERMANN
Psychologue clinicienne, psychothérapeute FSP en cabinet privé, formatrice et
superviseur EMDR à l’IRTP.
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Remerciements
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VI R EMERCIEMENTS
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Préface
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VIII P RÉFACE
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PARTIE I
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Chapitre 1
Introduire le TDI...
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société du spectacle... Ce qui atteste sans doute d’une vraie difficulté à faire
face à l’insupportable, à l’inimaginable associé aux multiples violences extrêmes
sur les enfants et aux tout-petits. Face à cette réalité tardivement reconnue, les
multiples figures du déni et de la dénégation existent hélas bel et bien (Binet et
al., 2007) et peuvent aussi expliquer pourquoi le TDI reste encore impensable,
ou de l’ordre de l’intolérable, pour une grande communauté de professionnels.
Cette entité nosographique est maintenant reconnue internationalement dans les
manuels diagnostiques, pourtant il demeure de façon indéniable des désaccords
sur sa pathogenèse. Divergences qui, soit dit en passant, ne se limitent pas
au TDI (comme pour bien d’autres psychopathologies), même si le TDI peut se
prévaloir d’être la fraction la plus résistante au consensus. Ces controverses
fournissent finalement une nouvelle occasion de vérifier combien il est complexe
de rendre compte d’un phénomène dissociatif en psychologie, psychiatrie ou
philosophie. Car rarement une construction symptomatique a autant suscité de
polémiques au cours de l’histoire moderne de la psychologie, et jamais une
conception comme le TDI n’avait mis autant la dissociation en perspective
dans la psychologie contemporaine. En réalité, peu nombreux sont ceux à ne
pas reconnaître le TDI dans la définition qu’en donne Spiegel (et al., 2011)
lorsqu’il parle d’une dissociation pathologique « vécue comme une perturbation
involontaire de l’intégration normale de la conscience consciente et du contrôle
des processus mentaux ». Cette discontinuité aboutissant à l’émergence de plu-
sieurs états de personnalités distincts, d’identités dissociatives, rejoint bien les
différents tableaux cliniques qui le composent. Pourtant, nous sommes bien
forcés de constater que les cas de TDI passent généralement inaperçus quand
on sait que l’âge moyen du diagnostic se situe entre 29 et 35 ans (Maldonado,
2007).
En ne cessant de se renouveler depuis le milieu du XIXe siècle, les débats d’au-
jourd’hui sur le TDI sont peut-être sur le point de nous faire sortir d’un climat
de controverse idéologique où se conjuguent les lacunes des uns et des autres,
les croyances de part et d’autre. En apparaissant pour la première fois dans
la 4e édition révisée du DSM-IV, Diagnostic and Statistical Manual of Mental
Disorder, de l’American Psychiatric Association en 1994, le trouble dissociatif de
l’identité – auparavant désigné dans le DSM-III (1980) et III-R (1987) « trouble
de personnalité multiple » – a enfin intégré les diagnostics psychiatriques au
niveau international. Cette intégration a également été observée en 1993 dans la
Classification internationale des maladies de l’Organisation mondiale de la santé,
pour devenir beaucoup plus développée dans une section spécifique de la CIM-11
sur les troubles dissociatifs. Cette nouvelle dénomination et une évolution aussi
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Introduire le TDI... 5
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une multiplicité qui s’est construit une unité imaginaire » ? Pour Morin en effet,
« chacun a une identité complexe, c’est-à-dire à la fois une et plurielle » et
« cela dépend des circonstances et des moments où tantôt l’une tantôt une autre
de ces identités prédomine ». Peut-être les personnes souffrant de TDI que nous
rencontrons possèdent-elles des identités dispersées qui ne se succèdent pas et
ne s’intègrent pas aussi bien que les nôtres ?
On pourrait tout autant se demander si cette psychopathologie, se caractérisant
par le fait qu’un corps peut abriter plusieurs personnalités – supportant ainsi les
stigmates d’une désunion, d’une discontinuité de notre intériorité –, n’entraîne
pas de facto alentour une multiplicité de questionnements, de scissions (pour
ne pas parler de clivages) alors que chacun croit détenir la vérité, dès que l’on
en vient à parler du TDI. Si cet effet miroir déroutant existe, il convient alors de
ne pas chercher à s’en détourner mais plutôt de le prendre en compte comme
une composante inhérente – indissociable oserait-on dire – à cette forme de
psychopathologie et un obstacle tangible à son diagnostic. Cette pluralité de
voix, parfois contradictoires et plus certainement contre-transférentielles, ne
doit pas être escamotée. Il nous revient, non de les défier, mais d’y mettre bon
ordre et de les considérer comme un défi nécessaire à la compréhension du TDI.
Pour aller plus loin, ces voix ne sont pas délirantes, elles incarnent avant tout
des savoirs et des hypothèses médicales, psychologiques d’une époque.
Les fragmentations de personnalités qui caractérisent le TDI entraînent un haut
risque de confusion mais pas seulement chez ceux qui en sont atteints. Plus
généralement, cette réalité clinique incarnée par un poly-psychisme nous inter-
pelle quant à notre propre sens de soi, notre libre arbitre, notre agentivité
pour reprendre le terme d’Albert Bandura (2001). Elle rompt avec la conception
traditionnelle d’un sujet comme être pensant, telle qu’elle est considérée depuis
l’Antiquité par la philosophie occidentale. Contrariant aussi au passage notre
conception unitaire fixe et précise de nous-mêmes, de nos proches, de notre
monde, elle vient heurter les schémas qui organisent traditionnellement notre
pensée. Quel que soit l’abord théorique qui se prête à une réflexion à propos du
TDI, sur ces « divisions subjectives » diraient d’autres (Sauvagnat et al., 2001),
nous sommes amenés à nous interroger sur ce qui, selon nous, notre culture et
nos codes sociaux, constitue une individualité, ce qui nous permet d’en avoir le
contrôle momentanément et d’en conserver une mémoire. Comment, par exemple,
suivant notre histoire de vie, le témoignage qui s’y rapporte, pouvons-nous nous
considérer comme un moi ou un soi unique ? Aussi l’étude du TDI s’impose
ici à travers une synthèse ambitieuse dans cet ouvrage collectif réunissant les
connaissances fondamentales nécessaires pour attester de son existence. Ce
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Introduire le TDI... 7
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présentation que Pierre Janet avait fait du cas d’Estelle, âgée de 11 ans, initia-
lement décrit par Despine en 1840 ne datent pas d’hier. Elles remontent à la fin
du XIXe siècle, début du XXe , époque où cette multiplicité pouvait être associée
à l’hystérie, à la transe religieuse ou une psychose hallucinatoire, jusqu’à la
considérer comme de la schizophrénie. Autant de versions diagnostiques héritées
d’une théâtralisation de la psychiatrie qui doit sans doute beaucoup à l’œuvre
de Charcot. Au fil du temps, plusieurs modèles théoriques ont tenté en parallèle
d’élaborer des modèles explicatifs, souvent hélas, avec des caractérisations trop
restrictives. L’un d’eux, fort répandu, repose sur l’hypothèse les considérant
comme de simples altérations de la personnalité, des « personnalités méta-
phoriques ». Mais plusieurs recherches en imagerie médicale (Reinders et al.,
2012 ; Schlumpf et al., 2014) ont clos ce chapitre. Effectivement, des personnes
simulant un TDI ne présentent pas les mêmes profils neurophysiologiques que
les personnes réellement atteintes d’un TDI. Est-ce à dire que les personnes
se dissocient d’une manière différente au XXe siècle qu’au XIXe siècle ? Où les
observations des cliniciens auraient-elles évolué au cours du temps ?
Si on associe l’apparition d’un TDI à des maltraitances apparues très préco-
cement, en particulier liées à des violences sexuelles, le fait est que nous
n’avions effectivement pas les mêmes représentations de cette réalité avant les
années 1980. Cette reconnaissance est récente et clairement nous ne retrouvons
pas d’identification de cette forme d’iatrogénie dans le passé à moins de les
considérer comme de simples « souvenirs-écrans » ou des fantasmes incestueux
ou incestuels. Ainsi, on ne peut être que frappé de constater combien la souf-
france des enfants et des tout-petits liée aux maltraitances, pas seulement
sexuelles, a longtemps été méconnue, sous-estimée. Cultures et époques sont
des caractéristiques qui influencent l’acceptabilité ou l’accessibilité à certaines
notions psychologiques au point de s’interroger parfois si ces notions ne sont pas
de pures constructions sociales. Ainsi, que l’on engage le débat pour savoir si le
TDI est une réalité ou une pure fantaisie de l’esprit – ce qui en soit met de côté
les deux classifications diagnostiques internationales y faisant référence (APA et
OMS) –, les échanges qui en découlent ne sont pas qu’une simple controverse,
ils illustrent des courants de pensée, des formes de constructions sociales avec
toutes les confusions et les avatars qu’elles peuvent générer.
Néanmoins, comme en France avec les « épidémies d’extases » au XVIIIe et jus-
qu’au début du XIXe siècle dans le cimetière jouxtant l’église Saint-Médard à Paris,
on ne peut ignorer la période outre-Atlantique au cours de laquelle sont apparues
d’innombrables personnalités multiples activées par des psychothérapeutes peu
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s’il est fort possible que cet ouvrage entraîne de nouvelles polémiques. Pour
étonnant que cela puisse apparaître à nos collègues anglo-saxons, il a donc fallu
attendre 2020 pour qu’un congrès ayant pour thème le TDI soit organisé pour
la première fois en France sous l’égide de l’Association francophone du trauma
et de la dissociation (AFTD). Cela sans attentes socioculturelles ou influences
médiatiques particulières à notre connaissance, ou sans que nous envisagions
son abord par un effet de mode. Il est tout aussi surprenant de constater que
cet ouvrage sur le TDI est aussi le premier écrit originellement en français, alors
que plusieurs publications internationales sont parues pour certaines il y a plus
de vingt ans. Nous sommes donc très loin de la « frénésie » ou du « militantisme
en vogue » entourant cette entité psychopathologique que dénoncent certains
depuis fort longtemps. Nous y voyons plutôt une extrême prudence. Et cet
ouvrage en particulier en est la preuve.
Les trois parties qui le composent permettent de répondre à de nombreuses
questions en s’appuyant à la fois sur des études empiriques et une vue d’en-
semble des conditions dans lesquelles le TDI se produit. Ces personnalités ou
états émotionnels (voire entités comme dans les phénomènes de possession)
qui, de façon récurrente, contrôlent le comportement et le corps d’un même
individu à des moments différents, coexistent en même temps et peuvent donner
l’impression que l’on a affaire dans un seul corps à une ou plusieurs personnes
séparées et distinctes (en âge, en genre) mais comment cela se produit-il ? Plus
généralement, on admet de plus en plus que le TDI est une forme d’adaptation
ultime à des maltraitances précoces, mais est-ce toujours le cas ?
Dans la première partie de cet ouvrage, nous aborderons quelques généralités
sur le TDI sur le plan historique en établissant des correspondances entre les
grandes étapes de sa reconnaissance en psychiatrie, avec les nombreux aléas
diagnostiques que recouvrent encore aujourd’hui la différenciation des comorbi-
dités incluant les notions de personnalités multiples, de TDI et de TDI partiel.
Une approche qui nous amènera à comprendre comment, dans les nosographies,
a pu s’opérer cette reconnaissance du TDI. Sans oublier la place de la neurologie
moderne, plus particulièrement de l’imagerie médicale, qui a éclairé sous un
nouveau jour cette psychopathologie. Une approche qui, comme nous le verrons,
rend beaucoup plus irrecevables toutes les extrapolations critiques ayant jusque-
là freiné la reconnaissance du TDI. Cette première partie sera donc l’occasion de
vérifier que le TDI est maintenant un diagnostic bien objectivable sur un plan
méthodologique.
Une fois ce cadre conceptuel et terminologique posé, une deuxième partie sera
consacrée à l’identification des différentes sources permettant d’en prendre la
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soit aussi l’occasion d’un meilleur repérage, voire d’une meilleure prévention
de la traumatisation complexe qui ne peut, ni ne doit, se limiter au TDI. Enfin,
qu’il soit aussi l’illustration de la sortie d’une psychiatrie d’un autre âge en
permettant au plus grand nombre l’accès aux recherches les plus récentes tout
en étant toujours ouverts sur une possible réfutabilité.
Même s’il reste fort à parier que s’il y a probablement un moyen de se fâcher
assez rapidement entre professionnels dans le champ de la santé mentale, le
plus simple restera toujours de parler du TDI...
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Chapitre 2
E XPOSÉ DU CHAPITRE
Le trouble dissociatif de l’identité stricto sensu (TDI ou Dissociative Identity Disorder /
DID en anglais) a fait son apparition dans la version de 1994 du manuel de l’APA, le
DSM-IV. Il y était entré, en réalité, une première fois en 1980 (DSM-III) sous l’appella-
tion de « trouble de personnalités multiples » (Multiple Personality Disorder / MPD en
anglais).
Cependant le TDI avait une bien plus longue histoire, et plusieurs générations de
cliniciens y avaient déjà contribué de leurs travaux. Nous retracerons dans ce chapitre
les grandes lignes de cette épopée, que nous faisons débuter au XVIIIe siècle par
Mesmer, bien que ce trouble soit clairement attesté depuis l’Antiquité.
Après la synthèse fondatrice du médecin-psychologue P. Janet, le trouble dissociatif
inspire plusieurs écoles de psychiatrie et de psychologie jusqu’à nos jours, dont nous
évoquerons les principales. L’introduction du trouble au DSM en 1980 est une grande
avancée clinique... qui ne tarde pas, toutefois, à soulever de nouveaux débats, qui
seront ici présentés. Ces récents développements nous permettront d’aborder les
derniers questionnements en cours sur le TDI, liant étroitement son histoire à son
devenir.
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lumière que le cas Félida X, d’E. Azam, présentait également plus de deux per-
sonnalités alternantes : les diagnostics de simple dédoublement (au lieu de
divisions multiples) ont probablement tenu au souhait des médecins de l’époque
de s’insérer dans le nouveau paradigme de double conscience. De ce point de
vue, Félida X précède donc Louis Vivet, a posteriori, comme premier cas avéré
de personnalités multiples près d’un siècle avant l’apparition du diagnostic de
TPM – prédécesseur direct du TDI – dans le manuel de l’APA.
En cette fin du XIXe siècle, de nombreux médecins étudient donc le phénomène de
double conscience grâce à l’hypnotisme. Ces praticiens ont affaire à des patients
aux multiples désordres physiologiques (digestifs, dermatologiques, neurolo-
giques...), que ces approches médicales ciblent en priorité... Nous retrouverons
plus tard ces pathologies sous le terme de troubles somatoformes, mais ceci sera
détaillé par la suite. Tandis que le lien à des traumatismes antérieurs est déjà
bien établi, un tournant historique va bientôt se produire, quand J.-M. Charcot
(1825-1893), neurologue à l’hôpital de la Salpêtrière (Paris), réussit le tour de
force de réintégrer ces pratiques et études au sein de la médecine académique.
Rejetées par l’Académie de médecine depuis 1842, les études sur l’hypnotisme
sont réhabilitées par le prestige et le sérieux du grand neurologue. Lors de
ses célèbres séances du mardi, Charcot montre alors que les sujets hystériques,
une fois hypnotisés, manifestent des phénomènes psychologiques qui réclament
une étude plus approfondie. En provoquant par hypnotisme des crises d’hystérie
« artificielles », il établit que les « idées » des sujets jouent un rôle majeur dans
cette pathologie, qu’il rattache donc aux névroses, ou troubles fonctionnels.
Bientôt d’autres médecins suivent son exemple et l’étude de l’hystérie se rattache
désormais fermement à la psychologie. L’école de la Salpêtrière – comme on ne
tarde pas à l’appeler – sera bientôt critiquée par le médecin H. Bernheim (1840-
1919), à la tête de l’école de Nancy, mais elle a donné une impulsion décisive
à l’étude des liens entre hystérie et somnambulisme provoqué, anticipant dès
la fin du XIXe siècle les recherches actuelles sur le TDI et ses thérapeutiques.
Et l’une des contributions majeures de l’école de la Salpêtrière reste sûrement
d’avoir inspiré les premiers travaux de P. Janet et de l’avoir soutenu au début de
sa carrière.
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Il faut souvent une période d’incubation pour que le sujet éprouve ses premiers
symptômes. Ceux-ci se présentent alors comme des pertes, des lacunes, aussi
bien psychologiques que somatiques :
« Ce sont diverses défaillances (...) des troubles de la perception sous forme
d’inattention et d’anesthésie, des troubles de la mémoire qui constituent diverses
formes d’amnésie, et surtout des troubles de l’action (...). La conscience du sujet
semble perdre de tous côtés le contrôle sur diverses fonctions. » (Ibid. p. 203)
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« De petits phénomènes extérieurs (...) rappellent d’une manière plus nette l’émo-
tion initiale. La vue d’une flamme, quelquefois d’une simple allumette, va amener
l’attaque chez nos sujets impressionnés par un incendie. » (Ibid. p. 204)
Dans sa thèse de médecine (1893), qui devient le traité L’état mental des hys-
tériques (1894), P. Janet revient sur le cas clinique d’Irène, très démonstratif.
À l’âge de 20 ans, Irène doit s’occuper de sa mère atteinte d’un cancer. Son
état s’aggravant, elle la veille durant 60 jours et nuits, tout en travaillant à la
couture. Sa mère meurt et Irène s’épuise à tenter de la réanimer. Quelque temps
après, son attitude est surprenante : elle semble avoir totalement oublié les
événements, pourtant, elle est régulièrement terrassée par des crises où elle en
rejoue les moindres détails.
Tandis qu’entre ses crises, Irène souffre d’une amnésie du trauma, pendant ses
crises sa mémoire est d’une précision invraisemblable : c’est l’hypermnésie. Ainsi,
pour Janet :
« Cette exagération de la mémoire, ces hallucinations qui remplissent les crises
(...) l’hypermnésie semble (...) le phénomène essentiel de la maladie. » (Janet,
L’état mental des hystériques, 1894, p. 215)
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Ces idées fixes disposent de leur moi et de leurs souvenirs : P. Janet propose le
terme de subconscient plutôt qu’inconscient car ces fragments de personnalité
dissociés sont loin d’être dénués de conscience, ils forment plutôt une conscience
secondaire, inaccessible à la conscience principale.
Pour Janet la dissociation des souvenirs et des fonctions est causée par l’émotion
(il entend par là un « choc émotionnel ») :
« L’émotion, (...) a une action dissolvante sur l’esprit, elle diminue sa synthèse
(...). Cette dissociation des souvenirs [entre] dans le groupe plus général de la
dissociation des synthèses par les émotions. » (Ibid. p. 532)
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C’est pourtant en Suisse qu’il nous faut maintenant revenir, car là, le concept de
dissociation de Janet va connaître son plus singulier destin.
Bleuler et la schizophrénie
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Pour autant, Janet avait dès le début associé ce symptôme à l’état de psychas-
ténie, et non à celui de dissociation traumatique :
« La disposition aux rêveries interminables dans le vide nous a été présentée comme
une constitution particulière des schizophréniques, c’est en réalité un signe de
faiblesse et de rétrécissement (...). Les schizophrènes (...) ne sont qu’une variété
des asthéniques psychologiques. » (Janet, De l’angoisse à l’extase, 1926-28)
De plus, Janet avait dûment identifié ce repli sur soi, si typique de la psychas-
ténie, et lui avait donné un nom : la déréalisation. C’est de la déréalisation
que provient, à son tour, le symptôme de dépersonnalisation, que P. Janet
expliquait déjà depuis 1904 ; il répète encore, en 1929, le rapport entre les deux
symptômes :
« (...) la perte de la réalité des objets extérieurs, perte de la réalité des per-
sonnes, se rattache [au] groupe des troubles relatifs à notre propre personnalité.
La dépersonnalisation (...) n’en est qu’une variété. » (Ibid.)
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Le continuum dissociatif
Il faut attendre les années 1960, aux États-Unis, pour que renaisse un inté-
rêt pour la dissociation. Parmi les pionniers, les psychiatres Herbert Spiegel
(1914-2009) et Arnold Ludwig (1933-) considèrent la dissociation comme un
mécanisme de défense et l’inscrivent dans un continuum d’états de conscience
modifiée allant de l’association à la dissociation. Le célèbre cas clinique de Spie-
gel, Sybil, diagnostiquée schizophrène, lui permet de développer son approche
de l’hypnose, popularisée en 1973 par un livre à succès. Controversé sur le plan
clinique, l’ouvrage est rapidement suivi d’émissions télévisées très populaires,
contribuant au regain d’intérêt pour la dissociation.
À la même époque, le psychologue Ernest Hilgard (1904-2001), qui a lu Janet,
entreprend une synthèse sur la dissociation adaptative (mécanisme de défense)
et graduelle (continuum), qu’il baptise néo-dissociation. Ses expériences d’hyp-
nose sur un observateur caché (« hidden observer »), à partir de 1973, étayent la
néo-dissociation. Le psychologue John Kihlstrom (1948-) commente ces travaux
dès le début des années 1980. Il écrit en 1998 que la néo-dissociation de
Hilgard :
« (...) a fait revivre un point de vue initialement porté, fin XIXe -début XXe siècles,
par Pierre Janet, William James, Boris Sidis et Morton Prince (...). Elle a large-
ment contribué à renouveler l’intérêt de la psychologie clinique et sociale pour
l’inconscient psychologique. » (Kihlstrom, 1998)
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Finalement, les deux auteurs ne critiquent pas tant le fait d’avoir ajouté un PTSD
dissociatif, que le fait de laisser subsister à ses côtés un PTSD qui serait, lui,
non dissociatif par nature. Ces malentendus sont liés à l’exclusion d’un grand
nombre de symptômes dissociatifs des catégories diagnostiques.
Négliger plusieurs symptômes dissociatifs diminue artificiellement le nombre
de catégories diagnostiques relevant d’une dissociation structurelle. De ce fait,
selon la TDSP, la majorité des troubles dissociatifs n’est pas, actuellement,
diagnostiquée comme telle. L’exclusion des symptômes négatifs, en particulier,
a des conséquences problématiques : les lacunes, les pertes, les défaillances
fonctionnelles entravent lourdement la vie des patients, ce qui ne soutient pas
la conception de la dissociation comme une adaptation ou un mécanisme de
défense.
C ONCLUSION
Le TDI est l’un des troubles psychiatriques à la plus riche histoire. À Sumer au
troisième millénaire, L’épopée de Gilgamesh décrit déjà la détresse du héros après
la mort de son ami Enkidu, dans des termes où une dissociation traumatique ne
fait guère de doute... Les mêmes symptômes touchent Achille, dans L’Iliade d’Ho-
mère, quand le guerrier perd son ami Patrocle. Pendant des siècles, les symptômes
dissociatifs sont traités par les approches traditionnelles invoquant des forces
magiques ou religieuses. Le siècle des Lumières était propice à un renouveau
d’intérêt : les séances de Mesmer donnent le coup d’envoi de recherches qui ne
s’arrêteront plus.
De très nombreux praticiens ont contribué aux découvertes des XVIIIe et
XIXe siècles, culminant avec la synthèse historique de P. Janet. C’est d’ailleurs ce
grand clinicien qui produit également l’une des histoires les mieux documentées
sur le trouble dissociatif et ses traitements ancestraux, rendant justice à de
nombreuses personnalités injustement oubliées avec le rejet du magnétisme
et du premier hypnotisme. Les médications psychologiques (Janet, 1919) res-
tent encore aujourd’hui une source inépuisable de savoirs cliniques autant
qu’historiques.
Une histoire longue et mouvementée s’accompagne nécessairement de com-
plexité. Un écueil majeur pour la compréhension du trouble dissociatif est la
multiplication des termes ou leur changement de signification. Comment étu-
dier « la dissociation » de nos jours, sachant que chez les cliniciens du siècle
passé, le mot avait un tout autre sens ? Comment examiner son traitement par
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« hypnose », ce mot désignant maintenant une tout autre pratique que celle de
Janet ?
Malgré tout, il semble que depuis une quarantaine d’années, les progrès soient
perceptibles vers une clarification des concepts et – donc – une amélioration
des diagnostics et traitements. Nous retiendrons trois arguments : l’introduction
du trouble dissociatif à la nosographie internationale en 1980, qui a enclenché
un volume de recherches inédit, et en 2013, la reconnaissance d’un sous-type
dissociatif du TSPT (TSPT+SD), ainsi qu’un premier rééquilibrage des prévalences
entre la schizophrénie et la dissociation traumatique, par la suppression des
symptômes de premier rang de Schneider. Le sens de l’histoire semble bien
pointer vers une réunification progressive des troubles d’origine traumatique
sous la bannière dissociative... à laquelle ils appartenaient encore dans les
années 1900 !
Dès les années 1920, P. Janet, concepteur des notions de déréalisation et déper-
sonnalisation, rappelait qu’elles n’étaient nullement spécifiques d’un trouble
dissociatif, mais de la plupart des dépressions. Pourtant, la clinique moderne en
a fait les principaux marqueurs du trouble dissociatif. Ce malentendu reste un
écueil aujourd’hui, en particulier par ses retombées défavorables sur le diagnostic
des patients, et donc leur traitement. Plusieurs associations d’étude de la disso-
ciation traumatique, à l’échelle internationale, continentale et nationale (ISSTD,
ESTD, AFTD...) préconisent judicieusement un retour aux sources historiques pour
mieux appréhender les troubles dissociatifs, et s’en inspirent pour de nouvelles
approches.
Il ne fait aucun doute que l’avenir nous réserve de belles avancées concernant
l’étiologie, le mécanisme et le traitement du TDI et des autres troubles consé-
cutifs à une dissociation traumatique. Ces avancées seront le résultat de la
collaboration internationale des cliniciens auprès desquels les futurs historiens
de la clinique sauront contribuer utilement.
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R ÉSUMÉ
Si le trouble dissociatif de l’identité (TDI ou DID en anglais) apparaît dans la version
de 1994 du manuel de l’APA (DSM-IV), le trouble de personnalités multiples (MPD en
anglais) du DSM-III recouvrait déjà la même notion depuis 1980. Malgré le caractère
récent de ces inclusions, le trouble dissociatif avait déjà une longue histoire.
Attesté depuis l’Antiquité, le trouble dissociatif suscite plus d’intérêt après les démons-
trations de Mesmer (fin du XVIIIe siècle). Bientôt, magnétiseurs et hypnotiseurs identi-
fient des « doubles consciences » chez leurs sujets, et le lien est établi avec l’hystérie,
maladie peu comprise. Grâce aux efforts du grand neurologue J.-M. Charcot, méde-
cins et psychologues relancent les recherches.
Après son agrégation, le jeune P. Janet – bientôt docteur en psychologie (1889) puis
médecin – conçoit la première synthèse des rapports entre hystérie, hypnose et disso-
ciation traumatique : ce trouble, précurseur de notre actuel TDI, reçoit ici sa première
formulation moderne. Les travaux de Janet ont une large audience auprès des clini-
ciens européens et américains, dont Bleuler, avec la schizophrénie, est l’héritier le plus
connu. Mais l’étude de la dissociation et du TDI subit ensuite une éclipse de quelques
décennies.
L’étude de la dissociation reprend dans les années 1970 où la théorie de la néo-
dissociation de E. Hilgard joue un rôle majeur. La néo-dissociation se présente comme
un continuum du normal au pathologique, qui préfigure son introduction dans le DSM
en tant que TDI. Toutefois, ces avancées remarquables suscitent bientôt des débats
encore actifs de nos jours...
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Chapitre 3
Dr Jan Gysi2
E XPOSÉ DU CHAPITRE
Avec la publication de la CIM-11 en 2019, l’Organisation mondiale de la santé (OMS)
a introduit des changements importants, notamment dans le domaine des troubles
post-traumatiques et dissociatifs. Ces ajustements ont un impact important sur les
diagnostics. On note en particulier les nouveaux diagnostics de trouble dissociatif de
l’identité et de trouble dissociatif de l’identité partiel. Trois domaines doivent être éva-
lués : la présence d’états de personnalité, la perte du contrôle exécutif et le passage
d’un état de personnalité à un autre. D’autres aspects importants sont les troubles de
la personnalité et le trouble de stress post-traumatique complexe.
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1. La CIM-11 n’est pas encore publiée en français au moment où ce chapitre est rédigé. Il se
peut donc que les traductions des diagnostics choisies ici ne soient pas exactement celles qui
apparaîtront dans la version française de la CIM-11. NdT.
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que des changements significatifs sont également apportés dans ces domaines
dans la CIM-11, changements qui sont importants pour le diagnostic des troubles
dissociatifs.
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dans le passé, au sens d’un traumatisme de type II. La plupart des personnes
souffrant de troubles dissociatifs sévères répondent également aux critères
du TSPT. Les souvenirs traumatiques et les traumatismes ne sont pas des
critères de troubles dissociatifs dans la CIM-11, ce qui explique pourquoi
de nombreuses personnes souffrant de troubles dissociatifs sévères doivent
également être diagnostiquées comme souffrant de TSPT (plus d’informations
à ce sujet à la fin de ce chapitre).
Traumatisme de type III dans des structures violentes organisées : il faut
distinguer les formes de traumatisme décrites jusqu’à présent de types de
violences particulièrement graves, qui diffèrent par le degré de mise en réseau
des auteurs et leur degré d’expertise psychologique criminelle pour produire
des troubles post-traumatiques et une dissociation structurelle. Ces formes
graves se rencontrent notamment dans les structures violentes organisées
utilisant des rituels. Pour les distinguer du traumatisme de type I (monotrau-
matisme) et du traumatisme de type II (traumatisme multiple), elles ont été
nommées traumatismes de type III (Gysi, 2020).
Dans les structures violentes organisées, le recours systématique à une violence
sexualisée grave (associée à une violence physique et psychologique) à l’en-
contre d’enfants, d’adolescents et d’adultes est rendu possible par la coopération
d’un groupe organisé d’auteurs. Elle est souvent liée à l’exploitation sexuelle
commerciale (prostitution forcée, trafic d’enfants, production de photographies
et vidéos mettant en scène des violences sur des enfants).
Sur la base des constatations faites par la police dans le monde entier, nous
devons supposer que la violence sexualisée à l’encontre des enfants a considéra-
blement augmenté au cours des vingt dernières années, avec la production de
matériel d’images destiné à être utilisé sur Internet et avec un degré élevé de
mise en réseau des auteurs (ECPAT, 2018). Cela pourrait signifier qu’à l’avenir,
nous pourrions voir de plus en plus de personnes souffrant de graves troubles
post-traumatiques et dissociatifs en psychiatrie.
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Dans le TDI et TDIp, il existe des états de personnalité (ou identités dissocia-
tives) capables de prendre temporairement le contrôle exécutif des actions. Ces
changements reposent sur des recherches approfondies menées principalement
au cours des trois dernières décennies, qui ont permis à plusieurs reprises de
mettre en évidence la validité du TDI dans des études de neuro-imagerie1 , et de
réfuter les modèles explicatifs antérieurs nommés sociocognitifs.
En conséquence, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a opéré deux grands
changements de paradigme :
Pour la première fois, il est reconnu que les personnes peuvent avoir comme
symptôme d’un trouble mental la perte du contrôle exécutif.
En outre, les états de personnalité (ou identités dissociatives) sont introduits
comme un nouveau concept qui doit être diagnostiqué ou exclu.
Dans la CIM-10, ces troubles étaient répertoriés en tant que personnalité mul-
tiple ou trouble dissociatif non spécifié. La définition de la CIM-10 contenait
de nombreuses affirmations non scientifiques sur la rareté, l’induction iatrogène,
les caractéristiques spécifiques à la culture et d’autres caractéristiques qui ont,
entre-temps, été réfutées.
N
Le TDI (6B64) décrit un trouble dans lequel deux ou plusieurs états de person-
nalité distincts apparaissent (cf. figure 3.1).
Chaque état de personnalité possède sa propre conscience de soi, avec son
propre schéma d’expérience, de perception, de conception et d’interaction avec
lui-même, son propre corps et l’environnement (cf. figures 3.2 et 3.3).
Il existe beaucoup d’idées fausses et de croyances erronées sur le TDI, ce qui
peut parfois amener à des difficultés de diagnostic et de traitement (Brand,
2016) :
Dérivées de la définition des états de personnalité de l’OMS, de nombreuses
questions se posent sur la terminologie et les traits distinctifs utilisés par les
différentes orientations psychothérapeutiques, comme les états du moi, les
introjects, les fondements de Janet, etc. Des différenciations plus précises
sont en cours d’élaboration et de discussion (Leutner & Piedfort-Marin, 2021).
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Figure 3.1.
Différents états de personnalité (blanc et noir), avec barrière amnésique.
Figure 3.2.
Deux ou plusieurs états de personnalité différents (ici : noir et blanc). Chaque état
de personnalité a son propre modèle d’expérience, de perception, de conception
et d’interaction avec soi-même, son corps et son environnement.
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Figure 3.3.
Au moins deux états de personnalité différents prennent de façon répétée le
contrôle exécutif de la conscience et de l’action. Typiquement, il y a des épisodes
d’amnésie, qui peuvent être sévères. Ici : passage du blanc au noir, avec barrière
amnésique pour le blanc.
Le TDIp diffère du TDI par le fait que la division entre les états de la personnalité
est moins prononcée. En règle générale, il n’y a pas d’amnésie, mais des actions
dissociées partielles se produisent régulièrement. Un état de personnalité est
dominant et d’autres états de personnalité tentent d’influencer l’état de person-
nalité principal par des intrusions mais ne sont pas dominants (cf. figures 3.4 et
3.5). Les tentatives intrusives d’influence comprennent souvent l’automutilation
et le fait de faire du mal aux autres, les troubles alimentaires, la prise de
substances addictives et les actes sexuels.
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Figure 3.4.
Deux ou plusieurs états de personnalité différents (ici : blanc et noir). Chaque état
de personnalité a son propre modèle d’expérience, de perception, de conception
et d’interaction avec soi-même, son propre corps et l’environnement.
Figure 3.5.
Un état de personnalité est dominant et fonctionne normalement dans la vie
quotidienne (blanc), mais est affecté par un ou plusieurs états de personnalité
non dominants (intrusions dissociatives) (noir).
N
Considérations diagnostiques
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Dans une étape ultérieure, il s’agit de prouver les changements qui se produisent
à la suite des états de personnalité et de clarifier la question de savoir si une
amnésie en découle dans ce processus.
Trouble dissociatif de l’identité :
Au moins deux états de personnalité distincts prennent de manière répétée
le contrôle exécutif de la conscience et de l’action dans les interactions
interpersonnelles, dans les échanges avec l’environnement, et dans diffé-
rents domaines de la vie tels que l’éducation des enfants, le travail, ou en
réponse à des situations spécifiques (par exemple, des situations vécues
comme menaçantes).
Les changements entre les états de personnalité sont associés à des modifi-
cations des sensations, de la perception, des affects, des cognitions, de la
mémoire, du contrôle moteur et du comportement.
Typiquement, il y a des épisodes d’amnésie, qui peuvent être sévères.
Trouble dissociatif de l’identité partiel :
Un état de personnalité est dominant et fonctionne normalement dans la vie
quotidienne, mais est affecté par un ou plusieurs états de personnalité non
dominants (intrusions dissociatives).
Les intrusions dissociatives sont associées à des modifications des sensations,
de la perception, de l’affect, des cognitions, de la mémoire, du contrôle moteur
et du comportement et sont vécues comme interférant avec le fonctionnement
de l’état de personnalité dominant et généralement comme perturbantes.
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Dans une étape suivante, il est important de clarifier si d’autres causes peuvent
être responsables de l’ensemble des symptômes. Une condition pour le diagnostic
de TDI ou de TDIp est que les symptômes ne peuvent pas être expliqués par une
autre maladie ni par les effets de substances ou de médicaments.
En particulier en présence d’addictions, le diagnostic différentiel visant à déter-
miner si les amnésies sont dues à l’effet de substances (en particulier des
intoxications alcooliques) ou à des changements entre des états de personnalité
peut être difficile. Parfois, un sevrage complet des substances addictives doit
d’abord avoir lieu afin de pouvoir effectuer une évaluation diagnostique correcte.
N
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Les amnésies dissociatives ont déjà été décrites par Pierre Janet en 1894. Elles
doivent être distinguées des troubles organiques de la mémoire tels que la
démence, l’amnésie globale transitoire et les conséquences de lésions cérébrales.
En outre, elles doivent être distinguées des amnésies liées à des substances (par
exemple, l’alcool, les benzodiazépines).
Selon la CIM-11, l’amnésie dissociative implique l’incapacité de se rappeler de
souvenirs autobiographiques importants, généralement d’événements trauma-
tiques ou stressants récents, incompatible avec un oubli normal. Cependant,
cela ne décrit qu’une seule forme d’amnésie dissociative dans la CIM-11, à savoir
celle qui fait suite à une dissociation péritraumatique.
Dans le cadre de la clarification des amnésies dissociatives, on peut distinguer
trois formes différentes d’amnésies dissociatives chez les patients avec un TDI :
Amnésies après des événements traumatiques et stressants, généralement
après une dissociation péritraumatique (selon la CIM-11) ;
Amnésies régulières dans la vie quotidienne, dans le cadre d’un TDI ;
Amnésies de l’enfance et de l’adolescence, incompatibles avec un oubli normal,
par exemple dans le cadre du TSPT complexe et/ou du TDIp ou TDI.
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trouble borderline ou le TDI. Ce n’est que si aucune autre maladie mentale n’est
une cause possible et que la dépersonnalisation et la déréalisation entraînent
une perte significative de la qualité de vie, de la capacité à travailler et d’autres
domaines de la vie quotidienne qu’elles doivent être diagnostiquées comme un
trouble distinct.
En outre, les formes supplémentaires suivantes peuvent être distinguées :
Désomatisation : les personnes touchées font état d’une sensation de ne pas
avoir de corps. Le corps n’est plus perçu ; sentiment de ne plus posséder
de corps ; réduction significative de la douleur dans le sens d’une analgésie
dissociative.
Déaffectualisation : sensation de ne pas avoir d’affect, avec absence de la
capacité à percevoir des sentiments, absence de réponse affective aux événe-
ments extérieurs, ou sentiment de ne pas être vivant sans être mort.
Détemporalisation : dans le cas de la détemporalisation, les gens rapportent
qu’ils ont une perception du temps très altérée : « Le temps semble s’arrêter »,
« Chaque minute ressemble à une heure », ou encore : le temps passe vite, la
notion de temps ne correspond plus, une heure est comme une minute.
Troubles de la personnalité
Outre les violences sexuelles graves, les personnes souffrant de troubles disso-
ciatifs (en particulier le TDI) ont, dans la plupart des cas, également subi des
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La triade traumatique
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Perturbations de l’auto-organisation
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essaient donc de rester très occupées même pendant leurs vacances et évitent
les occasions de se détendre.
Surrégulation des affects dans la vie de tous les jours, sous-régulation lors
de déclencheurs intenses (par exemple, contact avec d’anciens agresseurs,
confrontation avec des souvenirs non traités, vacances et journées ayant une
signification particulière).
Sous-régulation primaire, la régulation des affects ne réussit que rarement à
être suffisante : nombreuses crises, séjours hospitaliers fréquents, tendance à
utiliser des substances addictives, médicaments, et troubles du comportement
alimentaire, pour pallier la régulation insuffisante des affects.
La plupart des personnes atteintes de TDI et de TDIp répondent également
aux critères du TSPT complexe. Comme le TSPT complexe et le TDI/TDIp sont
répertoriés dans des chapitres différents de la CIM-11, s’ils sont présents, ils
doivent être diagnostiqués tous les deux. Les symptômes du trouble de l’auto-
organisation constituent souvent un défi majeur en thérapie, notamment au
début du traitement du TDI, et doivent faire l’objet d’une prise en charge spéci-
fique.
Le diagnostic différentiel entre le trouble de personnalité borderline, le TSPT
complexe et le TDI (partiel) est sans aucun doute un défi central, résultant,
entre autres, des changements de paradigme de la CIM-11. Les caractéristiques
suivantes, entre autres, peuvent être utilisées pour le diagnostic différentiel
(Ford & Courtois, 2021 ; Gysi, 2020) :
1. Événement traumatique déclencheur : aucun critère pour le trouble borderline,
le TDI et le TDIp ;
2. Triade des traumatismes : uniquement dans le TSPT et le TSPT complexe, pas
dans le trouble borderline ni le TDI (partiel) ;
3. Perturbation de la régulation des affects : labilité émotionnelle due à la peur
de l’abandon dans le trouble borderline, problèmes de régulation des affects
post-traumatiques dans le TSPT complexe ;
4. Perturbation de l’image de soi : concept de soi ou image de soi changeante
dans le trouble borderline, image de soi constamment négative dans le TSPT
complexe ;
5. Perturbation dans les interactions : peur de l’abandon et alternance d’idéalisa-
tion et de dévalorisation dans les relations dans le trouble borderline, vision
négative chronique des personnes avec méfiance et distance dans le TSPT
complexe ;
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R ÉSUMÉ
La CIM-11 contient de nombreuses modifications importantes qui représentent des
changements de paradigme. Ils représentent sans aucun doute un défi majeur. Mais
en même temps, ils nous invitent à procéder à des diagnostics encore plus précis
et à pouvoir encore mieux soutenir nos patients avec des traitements fondés sur des
preuves. Le diagnostic de TDI implique la mise en évidence d’états de personnalité,
de la perte du contrôle exécutif et du passage d’un état de personnalité à un autre.
La clarification des troubles comorbides, notamment les troubles de la personnalité
et les troubles de stress post-traumatique complexe, est également importante pour
la thérapie. Ce changement de paradigme nous incite à être plus précis dans le
diagnostic et peut améliorer considérablement le traitement des personnes atteintes
de TDI.
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Chapitre 4
Neuro-imagerie du trouble
dissociatif de l’identité
Dr Laurence Carluer1
E XPOSÉ DU CHAPITRE
Bien que figurant dans le DSM-5, le trouble dissociatif de l’identité (TDI) fait l’objet de
nombreuses controverses quant à sa reconnaissance sur le plan clinique et à ses liens
avec le psychotraumatisme. Deux modèles théoriques du TDI divergent. Un premier
modèle affirme que le TDI s’observe chez des patients ayant subi des situations de
maltraitance précoce, sévère et chronique dans l’enfance, alors que le deuxième
modèle apparente la symptomatologie du TDI à de la simulation et aux fantasmes
du patient et/ou du thérapeute. Les études récentes en imagerie concernant le TDI
plaident en faveur de la reconnaissance du TDI en tant qu’entité clinique au même
titre que les autres symptômes dissociatifs (amnésie dissociative, fugue dissociative...)
et confirment le lien entre TDI et psychotraumatisme.
I NTRODUCTION
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D E L’ INSTINCT À LA RAISON
N
Le cerveau triunique
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plus efficaces (car plus rapides) pour assurer notre survie. L’inversion de cette
hiérarchie est momentanée, le temps nécessaire à la « gestion » du danger. Une
fois le danger écarté, le cortex peut de nouveau réguler le cerveau limbique
et reptilien, le cerveau fonctionnant de nouveau vers une complexité accrue
et vers l’intégration, notamment de cette expérience menaçante. La capacité à
revenir à une organisation hiérarchique cérébrale « normale » après un danger
dépend, chez le tout-petit, de la capacité de l’adulte qui a en charge sa sécurité
à le rassurer. Ces phénomènes de régulation descendants (« top-down ») et
ascendants (« bottom-up ») se développent de façon précoce et dépendent de la
qualité de l’interaction entre l’enfant et sa figure d’attachement1 . Ainsi la qualité
de cet attachement viendra modeler le cerveau et, plus exactement, des circuits
neuronaux immatures dont dépendra, plus tard, notre capacité à affronter un
événement traumatique, c’est-à-dire notre capacité de résilience. Le traumatisme
psychique répété et la dissociation qui en résulte altèrent ces phénomènes
de régulation descendants et ascendants qui permettent un équilibre entre la
préservation de notre survie et notre capacité à interagir avec les autres, en les
rigidifiant avec une tendance à maintenir cette inversion de l’organisation de la
hiérarchie cérébrale.
1. Pour plus de précisions sur la théorie de l’attachement, merci de vous référer au chapitre 8
d’Alexandra Deprez.
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CORTEX CORTEX
Excès d’inhibition
SYSTÈME
NERVEUX
AUTONOME
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Figure 4.1. ESPT hyperéactif / ESPT dissocié : connectivité des régions cérébrales et influence du système nerveux autonome
Neuro-imagerie du trouble dissociatif de l’identité
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Fantasme ou réalité
Comme nous l’avons souligné au début de notre chapitre, deux théories concer-
nant le TDI s’opposent (Dalenberg et al., 2012). Il est important de bien les
appréhender pour deux raisons. Premièrement, le conflit sous-jacent à ces deux
théories illustre à la fois un phénomène de résistance de la part de la société à
reconnaître la gravité de la maltraitance des enfants, et notamment les consé-
quences sur le plan neuro-développemental, mais aussi le lien indéniable entre
santé mentale et société. Deuxièmement, les études de neuro-imagerie sont
essentiellement pensées et construites en fonction de ces deux théories.
La première théorie à laquelle nous nous référons, la théorie de la dissociation
structurelle de la personnalité (TDSP)1 , suppose que le TDI est un trouble déve-
loppemental complexe secondaire à des traumatismes sévères et chroniques chez
le tout petit enfant (van der Hart, 2006). Ces situations de maltraitance précoce
et chronique, du fait des phénomènes dissociatifs, altéreraient les capacités
d’intégration des expériences sur le plan cognitif, émotionnel et somatique chez
l’enfant, visant ainsi à « encapsuler », à fragmenter les événements traumatiques.
Les phénomènes dissociatifs survenant chez le tout-petit, avant que ne s’installe
une perception unifiée et intégrée du soi, seraient à l’origine d’une structuration
de la personnalité selon des identités alternatives, évoluant de façon indépen-
dante les unes des autres. Selon ce modèle, la personnalité se diviserait en une
partie apparemment normale de la personnalité (PAN) (« apparently normal state
of personality » ou « neutral identity state ») et en une partie émotionnelle (PE)
(« emotional part of the personality » ou » trauma-related identity state »). Il
faut bien comprendre dans ce modèle que les PAN et les PE sont des parties arché-
typales ou prototypiques et qu’il existe chez un même individu plus d’une PAN et
plus d’une PE. La PAN permettrait le fonctionnement quotidien de l’individu de
façon adaptée et serait dans l’évitement des souvenirs traumatiques. Cette PAN
fonctionnerait avec une amnésie partielle ou totale des éléments traumatiques.
À l’inverse, les PE seraient en lien avec les éléments traumatiques et correspon-
draient aux parties jeunes de l’individu (peuvent avoir des âges différents et des
souvenirs traumatiques différents), victimes du traumatisme. Les PE pourraient se
diviser en deux sous-types selon que leurs réactions sont médiées par le système
nerveux sympathique ou parasympathique. Certaines parties émotionnelles, sous
influence du système nerveux sympathique, présenteraient une vigilance accrue,
1. Pour plus de précision sur la TDSP, merci de vous référer au chapitre 9 d’Eva Zimmermann.
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deux groupes sur la base d’un questionnaire sur les expériences créatives. Il s’agit
d’une mesure d’autoévaluation de la prédisposition au fantasme et à l’imaginaire.
La passation de ce test a permis de distinguer dans le groupe contrôle simulant
un TDI, un premier groupe avec un haut niveau d’inclinaison à l’imaginaire et
un deuxième groupe avec un faible niveau d’inclinaison à l’imaginaire. L’étude
de Reinders a permis de montrer que le groupe contrôle simulant un TDI, avec
une forte inclinaison à l’imaginaire, présentait plus de différences sur le plan
du métabolisme cérébral avec le groupe de patient TDI que le groupe contrôle
simulant un TDI, avec une faible inclinaison à l’imaginaire (Reinders et al., 2012).
Autrement dit, le métabolisme cérébral du groupe contrôle simulant un TDI, avec
une faible inclinaison à l’imaginaire, est plus proche du métabolisme cérébral
des patients TDI que celui du groupe contrôle simulant un TDI, avec une forte
inclinaison à l’imaginaire. Le réseau à l’état de base a également été comparé
entre des patients ayant un TDI et des sujets contrôles simulant un TDI (Schlumpf
et al., 2014). L’étude du réseau à l’état de base consiste à demander à des sujets,
une fois dans l’IRM, de laisser leur esprit vagabonder. De façon normale, un
certain nombre de régions cérébrales, principalement médianes comme le cortex
préfontal médian, le cortex cingulaire postérieur et des régions pariétales et
temporales s’activent, et ce de façon synchrone, c’est à dire en même temps.
Ces régions cérébrales forment entre elles un réseau appelé « réseau à l’état de
base ». Cette activité de repos du cerveau intervient dans les mécanismes liés
au concept de soi et à l’introspection, et c’est au travers de ce réseau que se
maintient au cours du temps notre identité (Nortoff et al., 2004). Cette étude a
mis en évidence des différences entre les patients TDI et les contrôles simulant
un TDI avec notamment une activation plus importante du réseau à l’état de
base chez les patients du groupe TDI. À l’inverse, le groupe simulant le TDI
avait une activation plus faible de ce réseau, probablement car les patients
étaient justement concentrés à simuler. Or, le réseau à l’état de base est activé
lorsque l’individu n’effectue aucune tâche et n’est pas focalisé sur le monde
extérieur. Lorsqu’une tâche est effectuée par l’individu, l’activation de ce réseau
est moindre. Ces deux études ont ainsi permis d’affirmer que le TDI n’est pas
corrélé positivement à une forte inclinaison à l’imaginaire et qu’en aucun cas,
le groupe simulant un TDI pouvait reproduire les mêmes schémas d’activation
cérébrale que les patients TDI, et que les PAN et les PE ont bien des schémas
d’activation cérébrale différents.
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Pour appuyer l’idée que le TDI est d’origine traumatique, Reinders et ses col-
lègues ont étudié les liens entre le modèle proposé par Lanius concernant les
deux sous-types d’ESPT et le modèle de dissociation structurelle de van der Hart
(profil hyper-réactif / PE et profil dissocié / PAN) (Reinders et al., 2014). Ainsi
les patients PAN comparés aux patients PE ont une augmentation d’activité au
niveau du gyrus cingulaire antérieur et moyen, du gyrus frontal supérieur, du
gyrus frontal moyen, du gyrus frontal médian et activent le système nerveux
parasympathique, ce qui est assez comparable aux patients ESPT dissociés. Les
patients PE, soumis au script traumatique, ont une augmentation d’activité au
niveau de l’amygdale, du noyau caudé, de l’insula et activent le système nerveux
sympathique, ce qui est assez comparable aux patients ESPT avec un profil
hyper-réactif. Une autre étude intéressante a comparé les différences entre des
patients ayant un ESPT avec un TDI, des patients ayant un ESPT isolé sans TDI
et des sujets contrôles, en mesurant le volume de substance grise du cortex
et des régions sous-corticales (Chalavi et al., 2015a). Une diminution similaire
du volume de substance grise corticale dans les régions frontales, temporales
et insulaires a été constatée chez les patients ESPT/TDI et les patients ESPT
versus les sujets contrôles. Une diminution du volume de l’hippocampe a été
retrouvée chez les patients ESPT/TDI et ESPT ayant une histoire de maltraitance
dans l’enfance (Chalavi et al., 2015b ; Blihar et al., 2021 ; Dimitrova et al.,
2021). Cette superposition des données cliniques et d’imagerie entre ESPT (profil
hyper-réactif versus profil dissocié) et TDI (PAN versus PE) permet de relier,
de façon formelle, le TDI à une origine traumatique et de reléguer la théorie
socio-cognitive du TDI au second plan. De plus, le lien entre la diminution de
volume de l’hippocampe, la survenue de la maltraitance dans l’enfance et la
sévérité des sévices ancre encore davantage la genèse du TDI dans le traumatisme
complexe et précoce du jeune enfant (Chalavi, et al., 2015b).
En résumé
Comme nous l’avons souligné préalablement, les PE et les PAN sont des parties
prototypiques. Autrement dit, il existe plus d’une PAN et plus d’une PE chez un
patient. Les PAN ont peu ou pas d’accès à la mémoire traumatique, avec des
parties qui sont, soit dans l’ignorance, soit dans l’évitement de cette mémoire.
Les PAN sont médiées par le système parasympathique dont l’activation ne va
pas aller jusqu’au figement mais provoquer un détachement émotionnel. Les PE
sont la mémoire traumatique et sont de deux types, soit en permanence dans
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C ONCLUSION
R ÉSUMÉ
Fantasme ou réalité : les études visant à comparer les patients ayant un TDI avec des
sujets contrôles simulant un TDI ont mis en évidence des différences majeures entre
ces deux groupes permettant d’affirmer que le TDI existe et n’est pas de l’ordre du
fantasme du patient et/ou du thérapeute.
Origine traumatique : il existe une superposition des données cliniques et d’imagerie
entre l’état de stress post-traumatique (profil hyper-réactif versus profil dissocié) et le
TDI (partie apparemment normale versus partie émotionnelle) permettant de relier
de façon formelle le TDI à une origine traumatique et de reléguer la théorie socio-
cognitive du TDI au second plan. De plus, le lien entre la diminution de volume de
l’hippocampe, la survenue de la maltraitance dans l’enfance et la sévérité des sévices
ancre la genèse du TDI dans le traumatisme complexe et précoce du jeune enfant.
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PARTIE II
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Chapitre 5
E XPOSÉ DU CHAPITRE
L’évaluation et le diagnostic du TDI sont un processus complexe, nécessitant des
connaissances approfondies sur ce trouble, associées à la capacité d’évaluer la
stabilité de ces patients fragiles. Plusieurs questionnaires de détection et d’évaluation
sont utilisés dans la recherche et dans la pratique clinique (le DES, le SDQ-20 et le
DIS-Q). Deux procédés diagnostiques semi-structurés (le SCID-D et le TADS-I) sont en
cours de publication en langue française, et seul le SCID-D a été validé en français
récemment. Ces questionnaires et instruments diagnostiques sont présentés ici par
rapport au TDI et non à d’autres troubles dissociatifs. Ce chapitre présente aussi
plusieurs défis cliniques dans l’évaluation du TDI.
I NTRODUCTION
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sur les critères diagnostiques DSM ou CIM du trouble en question, pour le TDI, il
n’existe pas encore un tel questionnaire.
N
Le DES (en français : EED, Échelle des expériences dissociatives) est basé sur
une définition de la dissociation comme un phénomène allant du normal au
pathologique, présent à la fois chez les sujets sains et les sujets atteints de
troubles psychiques, en particulier ceux atteints de TDI. La dissociation serait un
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manque d’intégration normale des pensées, des émotions et des expériences dans
le champ de la conscience et de la mémoire. L’auteure principale du DES (Carslon
[ex-Berstein], 2014) s’est dite étonnée qu’on utilise encore ce questionnaire au
vu des travaux conceptuels récents sur la dissociation, en particulier ceux de van
der Hart, Nijenhuis et Steele (2006/2010). Dans le DES, chacun des 28 items
est coté de 0 à 100 et le score total est la moyenne. Les patients TDI ont une
moyenne qui varie de 40,7 à 57,1 selon les études.
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À l’heure actuelle, seul le SDQ-20 est basé sur une définition conceptuelle de
la dissociation en accord avec la théorie de la dissociation structurelle de la
personnalité (TDSP) expliquant les TD et le TDI (voir chapitre 9 d’Eva Zimmer-
mann). Il y a donc une cohérence interne, conceptuelle et discriminante. Le
SDQ-20 est un questionnaire de 20 items, et pour chaque item, le patient doit
préciser s’il existe une cause physique – endogène (trouble métabolique...) ou
exogène (effet d’un médicament ou de substances) – au symptôme. Ce sont des
questions souvent nouvelles pour les patients, y compris ceux qui ont une longue
histoire psychiatrique. Il ne contient pas d’items interrogeant des phénomènes
d’absorption, une variation de la conscience présente dans la population générale.
Chaque item est coté de 1 à 5, et le score total est la somme des scores. Le
SDQ-20 est un bon outil pour détecter les TD avec un cutoff de > 28. La valeur
moyenne des sujets TDI est de 55. Il existe de nombreuses études utilisant le
SDQ-20 auprès de populations cliniques diverses aux États-Unis, en Europe, mais
aussi en Turquie, à Hong-Kong et en Ouganda (Nijenhuis, sous presse).
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L ES
ENTRETIENS SEMI - STRUCTURÉS
POUR LE DIAGNOSTIC DU TDI
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Déréalisation ;
Confusion de l’identité ;
Altération de l’identité ;
Neuf sections à choix permettant d’approfondir les symptômes et de distinguer
le TDI d’autres TD, en particulier le TDI partiel (il est recommandé d’utiliser
deux de ces neuf sections pour un procédé diagnostique complet).
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Exemples de questions :
➙ Avez-vous déjà senti comme s’il y avait différentes parties ou facettes de
vous ?
➙ Avez-vous déjà eu la sensation qu’il y avait une partie de vous « enfant »
ou une facette de vous « enfant » ?
Altération de l’identité : comportement objectif/observable associé à des
altérations/changements de l’identité ou d’états de la personnalité.
Exemples de questions :
➙ Vous êtes-vous déjà senti ou comporté comme si vous étiez encore un
enfant ?
➙ Avez-vous déjà trouvé dans vos affaires des objets qui semblaient vous
appartenir sans que vous ne puissiez vous souvenir comment vous les aviez
obtenus ?
Le TADS-I a été développé par Boon et Mathess (2015). Il comprend 220 ques-
tions rassemblées dans les sections suivantes :
Anamnèse et histoire psychiatrique, utilisation et abus de substances et de
médicaments ;
Symptômes potentiellement liés à des traumas : troubles alimentaires, du
sommeil, de l’humeur et de la régulation des affects, symptômes anxieux et
attaques de panique, comportement auto-dommageable, problème d’estime de
soi et de l’expérience de soi, problèmes interpersonnels, perturbations dans
la sexualité ;
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Exemple 1
Quand vous évoquez un côté enfant en vous, comment cela se passe-t-il ? Est-ce que
vous trouvez que votre personnalité est un peu une personnalité « enfant », ou bien
est-ce que parfois, dans votre comportement d’adulte, vous vous comportez ou vous
parlez soudainement comme une enfant, mais vous ne le voulez pas ?
1. On m’a toujours décrite comme une femme-enfant et c’est vrai. C’est comme si je
n’avais pas vraiment grandi. Je suis un peu naïve mais mes amis aiment ce côté-là
en moi. Et, vous savez, je n’ai jamais voulu grandir, cela me fait peur. à Egosynto-
nique – Plutôt en lien avec un trouble de personnalité.
2. Eh bien mon mari me dit que parfois ma voix change et je parle un peu comme une
enfant, mais je ne remarque rien en fait. Et puis parfois, je me rends compte que je
suce mon pouce. J’ai honte et j’arrête. à Egodystonique – Signe de la présence
d’un état de personnalité distinct (diagnostic possible de TDI ou TDI partiel).
Exemple 2
Ces scarifications que vous avez faites la semaine dernière, comment cela s’est-il
passé ?
1. C’est quelque chose que je fais quand je n’en peux plus, Je sais que je ne devrais
pas mais sur le moment ça me calme presque, et en même temps je me demandais
ce que j’allais bien pouvoir dire au médecin des urgences. à Egosyntonique – Ce
symptôme peut correspondre à un trouble de personnalité borderline ou à un TSPT
complexe.
2. Je ne sais pas. Tout d’un coup je me suis rendu compte que je tenais un couteau
de cuisine contre ma cuisse et je ne pouvais pas arrêter. C’était horrible ! à Ego-
dystonique – Signe de la présence d’un état de personnalité distinct avec légère
amnésie et perte presque totale du contrôle exécutif (diagnostic possible de TDI ou
TDI partiel).
Exemple 3
Lors de la dernière séance, vous étiez très en colère contre moi et vous avez crié très
fort, avez-vous le sentiment que c’est vous l’adulte qui étiez en colère contre moi ou
est-ce que cette colère vous a submergé en venant de nulle part ?
1. C’est bien moi qui étais en colère contre vous et je le suis toujours. Je trouve
scandaleux comme vous avez insinué que je ne fais pas assez les exercices que
vous m’avez dit de faire à la maison. Vos exercices ne marchent pas et puis voilà !
à Egosyntonique – Ce symptôme peut correspondre à un trouble de personnalité
borderline ou à un problème sévère dans la relation thérapeutique.
2. Je ne me souviens qu’à moitié de ce que j’ai dit. En rentrant chez moi j’avais honte.
Je vois bien que vous faites ce que vous pouvez pour m’aider mais cela ne marche
pas ces exercices. Je me suis entendu crier, j’essayais mais je n’arrivais pas à
arrêter cela. à Egodystonique – Signe de la présence d’un état de personnalité
distinct avec amnésie partielle (diagnostic possible de TDI ou TDI partiel).
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Par ces exemples, on voit comment structurer des questions dans l’optique de
différencier si un comportement est potentiellement lié à un TDI ou à un TDI
partiel, ou s’il est en lien avec une autre pathologie.
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dans une forme de transe, baissent son attention, et lui font perdre le fil de
l’entretien, au détriment d’une évaluation rigoureuse.
Enfin des informations floues pourraient mettre le clinicien sur une fausse piste.
Par exemple lorsqu’elle parlait spontanément des traumas de son enfance, une
de ces patientes s’exprimait par un discours indéterminé : « Les choses que ma
mère m’a faites. » En demandant des précisions sur ces « choses », on n’obtient
que des réponses qualitatives (« terrible », « horrible »), mais aucune précision
sur les comportements maternels.
Au niveau contre-transférentiel, on note des phénomènes particuliers qui sont
à prendre en compte et à comprendre dans le cadre du processus diagnostique.
Ainsi avec ces deux patientes imitant un TDI, alors que le clinicien commençait
à douter avec des pensées du type « elle me raconte des histoires, elle n’a pas de
TDI », dans la seconde suivante, la patiente pouvait dire : « Peut-être je me fais
des histoires, peut-être je n’ai pas de TDI. » Un sentiment étrange accaparait
alors le clinicien : « Se pourrait-il que la patiente le ressente quand je pense
qu’elle n’a pas de TDI ? Et si oui, veut-elle satisfaire aux attentes du thérapeute ?
Ou bien profite-t-elle d’une ouverture pour une sortie honorable d’une situation
sans issue pour elle ? » Autant de questions difficiles sans réponses entièrement
certaines.
Draijer et Boon (1999) remarquent une tendance chez les patients imitant un
TDI à prendre le contrôle dans la relation avec le clinicien. Sans doute la transe
du thérapeute, comme dans nos deux cas, est l’effet d’une prise de contrôle sur
le clinicien.
Enfin, certaines informations données de manière spontanées par ces patientes
étaient peu crédibles et le clinicien devait faire des efforts pour ne pas rire.
Dans ces deux cas, le trouble de personnalité histrionique était évident. De
manière intéressante, nous avons observé des réponses similaires (réponses en
double négation et réponses avant réflexion et sans informations concordantes)
et la même tendance à la confusion mentale du clinicien lors de la passation du
SCID-D avec des patientes traumatisées présentant un trouble de personnalité
histrionique mais ne se présentant pas comme dissociées.
Il est clair que ces patients imitant un TDI souffrent, mais pas de TDI, ni
de TDI partiel. On peut dire qu’ils souffrent de confusion identitaire et d’une
dispersion subjective de leur identité, qui n’est pas une fragmentation typique
du TDI (Draijer & Boon, 1999). On peut dire aussi qu’ils peinent à raconter leur
monde intérieur. Enfin, Draijer et Boon (p. 437) résument bien notre analyse
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C ONCLUSION
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R ÉSUMÉ
Des outils et méthodes de diagnostic et d’évaluation du TDI sont à disposition des cli-
niciens et chercheurs. Ils sont validés et permettent de bien différencier le TDI d’autres
troubles dissociatifs et d’autres troubles psychiatriques. Nous recommandons le SDQ-
20 et le DIS-Q comme outils de détection et d’évaluation rapide. Le SCID-D et le
TADS-I servent à un diagnostic structuré se basant sur le DSM-5 et la CIM-11 ; ils
permettent de différencier le TDI d’un TDI imité. L’évaluation et le diagnostic du TDI
sont complexes et devraient privilégier la sécurité du patient.
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Chapitre 6
Épidémiologie du TDI
E XPOSÉ DU CHAPITRE
Alors que la proportion de patients souffrant de troubles schizophréniques est assez
bien étudiée en épidémiologie, le TDI – bien qu’ayant une prévalence quasiment
identique – l’est beaucoup moins, en particulier dans les pays francophones. Pourtant
des données cliniques et sociales sont disponibles dans d’autres pays, lesquelles
confirment son universalité et sa complexité comme pathologie, l’importance de
répondre aux spécificités de ces patients et à leurs besoins selon leurs parcours. Cette
méconnaissance épidémiologique du TDI dans le champ de la santé mentale ques-
tionne quant à l’identification diagnostique de ces personnes et quant à l’efficience de
la qualité des soins qui leur sont proposés.
I NTRODUCTION
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Épidémiologie du TDI 89
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Épidémiologie du TDI 91
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1. Prévalence : nombre de cas présentant une maladie (ou un événement), dans une popula-
tion donnée, sans distinction entre les nouveaux et les anciens cas, dans un temps précisé
(généralement une année).
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Épidémiologie du TDI 93
L’un n’empêche pas l’autre et on pourrait le dire de toutes les formes de psycho-
pathologie connues. Ainsi la grande étude de Stein (et al., 2013) dans 16 pays a
permis de constater, sur un échantillon de 25 018 personnes avec un PTSD, que
14,4 % d’entre elles présentaient des niveaux élevés de symptômes dissociatifs.
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Épidémiologie du TDI 95
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Turquie dans la population générale a ainsi mis en évidence que les troubles dis-
sociatifs non spécifiés autrement (DDNOS)1 étaient le diagnostic le plus répandu
(8,3 %), avec 1,1 % de la population qui a été diagnostiquée comme présentant
un TDI. Les violences sexuelles durant l’enfance, les négligences physiques et
la violence psychologique étaient des prédicteurs importants d’un diagnostic de
trouble dissociatif à l’âge adulte et seulement 28,7 % des femmes présentant un
trouble dissociatif avaient déjà été suivies dans une consultation psychiatrique.
De même, dans d’autres études, la prévalence du TDI augmente chez les patients
psychiatriques hospitalisés où elle monte à 3 ou 4 % (MRL, 1999). Mais ce taux
peut augmenter beaucoup plus suivant la méthodologie utilisée, par exemple
pour Ross (et al., 2002) la prévalence variait suivant l’utilisation du DDIS sur
201 personnes (7,5 %), du SCID-D sur 110 personnes (9,1 %) ou un simple ques-
tionnaire clinique avec 50 personnes (10 %) ; voire jusqu’à 20 % pour Spiegel (et
al., 2011). Malheureusement, là aussi, comparés aux études épidémiologiques sur
la schizophrénie, les échantillons de population étudiés sont vraiment minimes.
Comme nous l’avons déjà évoqué, l’American Psychiatric Association (DSM-5,
2013) considère que les hommes (1,6 %) seraient plus légèrement atteints
que les femmes (1,4 %). Cette différence ne s’observant pas cliniquement, les
hommes auraient moins tendance à effectuer des démarches de soins ou seraient
davantage incarcérés. Enfin, les hommes auraient beaucoup plus tendance à
réfuter un passé traumatique ou des symptômes traumatiques. Mais, à l’inverse, il
se dit que le TDI serait 9 fois plus fréquent chez les femmes que chez les hommes,
mais sans forcément faire le lien avec le fait que la population féminine recourt
davantage aux soins psychologiques. Cette répartition des sexes contradictoire
augmenterait par un autre biais : le nombre élevé de femmes souffrant de TDI
serait sans doute aussi lié au fait que les femmes sont souvent surreprésentées
dans les échantillons et les études cliniques.
Pourtant que ce soit l’étude de Johnson et ses collègues (2006) à New York ou
celle de Şar (2007) à Sivas en Turquie, le TDI dans une population générale
de femmes a été évalué dans une fourchette entre 1,1 et 1,4 %, soit a priori
moindre que dans les normes habituellement admises. Des désaccords persistent
donc sur ce point précis du sex-ratio.
1. Actuellement le diagnostic de DDNOS a été remplacé par celui de DDNEC (Dissociative Disorder
Not Elsewhere Classified), trouble dissociatif non classé ailleurs.
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Épidémiologie du TDI 97
Population générale
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Épidémiologie du TDI 99
C ONCLUSION
Un ancien aphorisme médical dit que l’on ne peut pas poser un diagnostic si
l’on ne sait pas que la maladie existe. En clair, si en amont des études épi-
démiologiques l’évaluation diagnostique du TDI fait défaut – en conséquence
d’une absence de formation ou une formation limitée sur son diagnostic –, la
fiabilité et la validité des résultats observés peuvent être peu concluantes. De
ce point de vue, un pays comme la France est sans doute l’un des pays occi-
dentaux où l’on évalue le moins précisément ce diagnostic. Au-delà du TDI, on
peut constater que l’évaluation des symptômes et des troubles dissociatifs sont
cliniquement encore à ce jour sous-diagnostiqués ou non diagnostiqués avec
toutes les conséquences que l’on observe : depuis les errances thérapeutiques
aux aggravations de la symptomatologie dissociative tout au long de la vie.
Le fait que cette population soit exposée à un risque accru de comportement
suicidaire, par exemple, est à ce jour inconnu. En fait nous ne pouvons pas
chiffrer à l’heure actuelle les coûts que représentent les traitements inappropriés,
mais ils sont certainement considérables pour ne parler que de la santé. C’est
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dire une nouvelle fois si la formation des cliniciens s’avère précieuse si nous
souhaitons rattraper notre retard. En France et dans d’autres pays francophones,
la prévalence du TDI semble minime dans la population générale, pourtant cela
n’est pas le cas dans des populations plus ciblées (victimes de maltraitances,
plus spécifiquement de violences sexuelles). Or ces populations sont justement
les plus défavorisées, souvent composées de minorités. Faute de directives et de
suivis adaptés, ces populations sont donc encore plus fragilisées avec tous les
risques transgénérationnels associés, avec des coûts économiques aggravés pour
notre système de santé, pour la société dans son ensemble. Rajouter les symp-
tômes du TDI aux outils épidémiologiques actuels en santé mentale, comme en
France le « Recueil d’informations médicalisé en psychiatrie » (Rim-p), devient
crucial si nous souhaitons que ces populations soient davantage protégées.
Enfin, bien que d’autres recherches internationales confirment que des popula-
tions spécifiques (victimes de négligences graves, maltraitances physiques ou
violences sexuelles pendant l’enfance) représentent un risque accru de déve-
lopper un TDI, aucune explication ne permet à ce jour de comprendre pour-
quoi, parmi elles, des personnes développent un TDI et d’autres pas, d’au-
tant que cette psychopathologie est toujours associée à des caractéristiques
poly-symptomatiques rendant aussi complexe son évaluation clinique que sa
« recherche ». On peut cependant espérer, en particulier dans les pays franco-
phones, que l’épidémiologie – et plus largement la recherche – sur le TDI et tous
les troubles dissociatifs progresse prochainement. Pour autant que le niveau de
formation des professionnels en santé mentale se régénère lui aussi en amont...
R ÉSUMÉ
On entend parfois en santé mentale que les cas de TDI seraient surdiagnostiqués. Or,
paradoxalement, les mesures épidémiologiques dans la littérature sur le TDI (comme
sur les autres diagnostics liés à la psychopathologie dissociative) sont minimes, voire
inexistantes dans les pays francophones. La complexité de cette pathologie, qui est un
trouble à part entière, son diagnostic et son évolution demeurent de fait peu étudiés.
Les modalités de prises en charge sont également peu renseignées, donnant peu de
lisibilité sur leur variabilité, leurs modalités et le parcours des personnes souffrant de
TDI. Pourtant la prévalence du TDI, proche de celle de la schizophrénie – pathologie
beaucoup plus étudiée – mériterait que nous portions un vrai regard sur ce diagnostic
à l’heure actuelle sous-estimé, écarté de la plupart des outils épidémiologiques en
santé mentale dans les pays francophones. Des progrès doivent être envisagés dans la
formation initiale et continue des professionnels en santé mentale si nous souhaitons
que ces obstacles soient levés.
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Chapitre 7
E XPOSÉ DU CHAPITRE
La divergence entre l’expérience subjective et le tableau clinique contribue à la dissi-
mulation du trouble dissociatif de l’identité (TDI) dans les systèmes de santé mentale
et dans la communauté. La grande majorité des personnes recherchent l’assistance
d’un professionnel en raison des complications aiguës et chroniques de l’état plutôt
que des phénomènes fondamentaux de dissociation. La dépression, les symptômes
neurologiques fonctionnels, les phénomènes « borderline », les expériences de pos-
session et les types non psychotiques et psychotiques de réaction dissociative aiguë
à un événement stressant peuvent en faire partie. La présence simultanée répandue
de stress et de dissociation au début du développement chez les patients souffrant
d’autres troubles psychiatriques rend l’évaluation de ce trouble encore plus confuse.
En outre, le trouble peut rester latent et se manifester cliniquement à n’importe quel
âge, de l’enfance à l’âge adulte, avec des complications adaptées à l’âge, allant
d’un TDAH au niveau symptomatique à des problèmes dans les relations intimes.
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R ECONNAÎTRE LA DISSOCIATION
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Du subjectif à l’objectivable
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peuvent rester résistants au traitement par des interventions conçues pour leurs
formes primaires, car la psychopathologie dissociative sous-jacente n’aurait alors
pas été abordée.
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De l’aigu au chronique
Les patients souffrant de TDI ou de ses formes partielles peuvent entrer dans
des épisodes de crise intermittents situés sur un large spectre : symptôme
neurologique fonctionnel émergeant soudainement, bref trouble psychotique,
réaction dissociative aiguë au stress, ou encore expérience de possession. Les
phénomènes dissociatifs aigus plus graves attirent plus facilement l’attention
clinique car ils constituent des urgences médicales et/ou psychiatriques, en
particulier lorsque prédominent des symptômes neurologiques fonctionnels ou
une perte de contrôle du comportement (par exemple, des pseudo-crises convul-
sives, une amnésie dissociative avec fugue). De tels épisodes de crise peuvent
servir de « fenêtre diagnostique » pour les troubles dissociatifs chroniques. En
effet, la nature urgente et prédominante des épisodes de crise interpelle non
seulement les systèmes médicaux et psychiatriques mais aussi le patient et sa
famille en vue d’une assistance immédiate. Une fois que le patient s’est calmé et
que l’urgence est passée, la motivation première d’aide peut diminuer malgré la
présence de symptômes dissociatifs subtils. Si des examens de suivi ne sont pas
effectués, un processus dissociatif chronique préexistant et continu peut rester
en sommeil.
N
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Les travaux du XIXe siècle sur la dissociation de Charcot, Janet, Freud, et d’autres,
ont considéré les présentations psychologiques et somatiques de la dissociation
sous le concept d’hystérie. La recherche contemporaine soutient l’idée qu’une
séparation complète entre les aspects somatiques (sensori-moteurs) et psycho-
logiques (cognitifs-émotionnels) de la dissociation peut être artificielle (Brown
et al., 2007). Les patients diagnostiqués sur la base d’une dissociation psycho-
logique obtiennent également des scores élevés aux mesures des symptômes
somatiques de la dissociation, y compris les crises non épileptiques. Bien que
plusieurs types de troubles liés aux symptômes somatiques soient également
prévalents chez les patients souffrant de troubles dissociatifs, le trouble de
conversion (symptôme neurologique fonctionnel) est celui qui présente la rela-
tion la plus spécifique avec la dissociation. Et il devrait être dépisté pour un
trouble dissociatif chronique, y compris le TDI.
Le modèle BASK (comportement-affect-sensation-connaissance) (Braun, 1988)
et le modèle structurel (van der Hart et al., 2006) de la dissociation sont tous
deux basés sur des systèmes d’action de survie issus de l’évolution et portés
par les parties « apparemment normales » (survie de l’espèce) et émotionnelles
(survie de l’individu) de la personnalité. Les individus « apparemment normaux »,
alexithymiques et somatisants, ne peuvent pas exprimer leurs émotions. En
fait, ils ont tendance à minimiser les adversités connues dans l’enfance (Şar
et al., 2004), ce qui se traduit en général par une négligence émotionnelle,
une attitude soumise dans les années suivantes et plus tard dans la vie, et des
aspects somatoformes de dissociation. Les patients présentant une dissociation
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La dépression dissociative
La plupart des patients atteints du TDI et de ses formes partielles souffrent d’un
état dépressif qui tend à être chronique. Sur la base d’observations cliniques,
Şar (2011b) a proposé la « dépression dissociative » qui est secondaire à un
trouble dissociatif. La dépression dissociative est qualitativement distincte d’un
trouble dépressif primaire. L’âge d’apparition des symptômes dépressifs n’est pas
clair pour la grande majorité de ces patients. Des périodes de rémission bien
définies ne peuvent pas non plus être identifiées. Malgré la présence d’une large
symptomatologie dépressive, les fluctuations fréquentes, voire quotidiennes, de
l’affectivité peuvent limiter le diagnostic à un trouble dysthymique plutôt qu’à
une dépression majeure. Néanmoins, un épisode de dépression majeure superposé
(« double dépression ») peut compliquer le tableau de façon intermittente et
peut même se transformer en une crise qui n’est plus différente d’un trouble
dépressif primaire.
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Une attaque psychotique brève peut se superposer au TDI, ce qui peut conduire
à l’admission dans un établissement de santé mentale. Une telle attaque peut
servir de fenêtre diagnostique pour le TDI dans le cadre de la psychiatrie générale
classique où la psychose est habituellement une partie importante de la pratique
clinique quotidienne. En fait, en tant que réalité historique, ce phénomène
particulier a conduit à la découverte de cas de TDI en Turquie au début des
années 1990.
La psychose dissociative réactionnelle aiguë (PDRA), qui est un trouble disso-
ciatif qualitatif, est historiquement bien connue et a été appelée « psychose
hystérique ». Il s’agit d’une entité clinique négligée mais toujours vivante avec
un long passé historique. Ce phénomène a été couvert par divers titres tels
que « bouffée délirante aiguë », psychose transitoire, psychose réactive brève,
trouble psychotique bref, psychose dissociative réactive (van der Hart et al.,
1993 ; Şar, sous presse). Ces épisodes sont caractérisés par des symptômes dis-
sociatifs mixtes tels que des flash-back, des hallucinations auditives et visuelles
vives, un comportement enfantin, désorganisé ou très inhabituel/perturbé, une
fugue, une suicidalité, une altération temporaire du test de réalité, une instabi-
lité affective, une désorientation aiguë par rapport aux personnes, aux lieux et au
temps. Le processus disparaît généralement aussi soudainement et brutalement
qu’il a commencé, ne laissant pratiquement aucun résidu schizotypique. Parfois,
l’amnésie peut subsister pendant l’épisode. L’état peut cesser en quelques heures
ou jours, ou se poursuivre pendant quelques semaines, à l’exception des cas
soumis à un stress permanent et/ou souffrant de comorbidité.
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En fait, ces crises se distinguent d’une psychose ordinaire par leur qualité disso-
ciative. Typiquement, la dissociation de type psychotique se produit à la suite
d’une situation qui a été profondément bouleversante pour le patient. Parmi ce
qui précipite la PDRA, on a proposé un conflit interne entre les états de la per-
sonnalité, un stress externe, un environnement oppressant, une perturbation de
l’attachement et l’absence d’une possibilité de psychothérapie ambulatoire. Une
PRDA peut également être considérée comme une fuite face à un environnement
oppressant ou face à une issue « fatale » telle qu’un suicide dans une situation
insupportable. La « crise de la porte pivotante » (Putnam, 1989) et la « crise
de co-conscience » (Kluft, communication personnelle, 1995) ont été proposées
comme mécanismes de la PDRA ajoutés au TDI.
En termes de diagnostic différentiel, les cliniciens doivent être conscients que la
dissociation et la schizophrénie peuvent également coexister (Şar et al., 2010).
Il est intéressant de noter que, parmi les patients atteints de schizophrénie,
deux types de traumatismes infantiles semblaient entraîner des états dissociatifs
différents. Les patients ayant rapporté des abus émotionnels durant leur enfance
présentaient un état plutôt proche du TDI et des symptômes positifs de trouble
schizophrénique. Ceux qui ont en plus rapporté des violences sexuelles et phy-
siques durant l’enfance ont eu tendance à présenter des symptômes négatifs et
positifs de schizophrénie, ainsi qu’un niveau élevé de comorbidité psychiatrique
générale, y compris davantage de critères de TPB. De tels troubles devraient être
différenciés d’une psychose dissociative réactionnelle brève.
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Les patients atteints d’un trouble dissociatif complexe peuvent présenter une
réaction dissociative apparemment aiguë à un événement stressant, sous forme
de crise. La condition dissociative chronique sous-jacente peut rester cachée
jusqu’à ce qu’un examen approfondi soit effectué par le clinicien. La sympto-
matologie mixte d’une telle réaction aiguë peut comprendre des tentatives de
suicide et d’automutilation, une amnésie généralisée soudaine avec ou sans
fugue, des symptômes neurologiques fonctionnels de conversion, des flash-back
et un effondrement soudain de l’amnésie dissociative d’expériences trauma-
tiques passées, ou encore un ESPT récemment déclenché, dévoilé ou ajouté (par
exemple, en raison d’un nouveau traumatisme). Elle est généralement perçue
comme un type de « dépression nerveuse » par l’entourage proche (c’est-à-dire
la famille, les amis, le partenaire) du patient. Selon le DSM-5 (APA, 2013), la
réaction dissociative aiguë à un événement stressant a une durée de moins
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d’un mois et est caractérisée par une ou plusieurs expériences telles que la
dépersonnalisation, la déréalisation, l’anxiété, la stupeur, la transe et la pos-
session. Ces manifestations aiguës peuvent avoir une forte dimension culturelle
(Lewis-Fernandez et al., 2005). Alors que le sous-type dissociatif de l’ESPT
est également caractérisé par des expériences de dépersonnalisation et/ou de
déréalisation, des symptômes neurologiques fonctionnels et des expériences de
possession (en tant qu’équivalent culturel de la dépersonnalisation et/ou de la
déréalisation) peuvent accompagner ces troubles.
Cette forme non psychotique de réaction aiguë est l’un des troubles qui conduit
à l’apparition fréquente de patients dissociés dans les unités d’urgence des hôpi-
taux (Şar et al., 2004). Par définition, contrairement au trouble de stress aigu,
ces réactions peuvent être précédées d’un événement stressant qui n’est pas
nécessairement de nature traumatique. Une expérience effrayante, une tension
dans une relation interpersonnelle importante, un conflit interne remis en cause
par un événement, une colère intense, ou des circonstances similaires peuvent
conduire à une réaction dissociative aiguë.
Une forme non psychotique de réaction aiguë ressemble à un trouble de l’adap-
tation ou à un trouble du stress aigu. Ce type de « dépression nerveuse » peut
également constituer une percée d’un ESPT retardé. En fait, il existe un spectre
de dissociation allant de l’aigu au chronique : trouble de l’adaptation, trouble
de stress aigu, ESPT, sous-type dissociatif de l’ESPT, et ESPT complexe, TDNS et
TDI. Le traitement de la dissociation chronique passe par ce parcours à l’envers :
c’est-à-dire du TDI, au TDI partiel à l’ESPT, et enfin à l’intégration. Ainsi, un
trouble dissociatif chronique peut couvrir un ESPT qui peut rester caché en
arrière-plan jusqu’à ce que les « défenses » dissociatives diminuent. Néanmoins,
toute présentation simultanée est possible.
N
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provoquent une altération de leur sens du soi et de leur capacité d’action (Ross
et al., 2011).
Une expérience de possession se caractérise par le fait d’être contrôlé ou impor-
tuné par une entité étrangère qui est perçue comme provenant du monde « exté-
rieur » plutôt que d’un état de personnalité éloigné situé « à l’intérieur ». À
la différence d’un état de personnalité alternatif, une entité possédante peut
quitter un individu et peut s’immiscer ou contrôler d’autres personnes égale-
ment. Ainsi, elle peut être partagée, car il s’agit d’un phénomène culturellement
accepté. Ces entités peuvent être utiles ou effrayantes, et peuvent aussi susciter
le respect. Une analyse factorielle des expériences de possession et de phéno-
mènes paranormaux a donné quatre dimensions : possession et/ou contact avec
des entités non humaines, communications extrasensorielles, possession par des
entités humaines (mortes ou vivantes) et précognition. La plupart des femmes
dissociées et traumatisées avec ces expériences de possession avaient les scores
les plus élevés pour les quatre facteurs (Şar et al., 2014a).
Les phénomènes dissociatifs et les expériences de possession sont considérés
comme non pathologiques s’ils font partie d’une pratique culturelle largement
acceptée, telle qu’une cérémonie religieuse. Néanmoins, les incidents culturelle-
ment acceptés ne sont présentés à un expert en vue d’un traitement que si la
personne affectée ou ses proches deviennent anxieuses ou craintives en raison
de l’expérience. Ces émotions peuvent affecter à la fois le patient et ses proches
car ils peuvent interpréter cette expérience indésirable comme l’indicateur d’une
faute ou d’un péché inconnu, ou encore, l’expérience de possession elle-même
peut violer ou menacer un code social ; par exemple, être invité à une relation
sexuelle ou même être « violé » par l’« entité intruse » qui peut être associée à
un « déshonneur ».
Comme il y a généralement une ambiguïté sur l’origine de ces troubles pour les
personnes affectées, un personnel médical et/ou un guérisseur paramédical ou
un conseiller quasi-religieux peuvent être approchés pour questionner si l’ex-
périence représente un trouble d’ordre médical-psychiatrique ou une influence
par une entité supranaturelle qui peut être expliquée par des conceptualisations
religieuses. Ces pratiques non autorisées, qui se concentrent généralement sur
« l’élimination de l’entité possédante » par divers moyens, peuvent être nuisibles
et abusives car elles tendent généralement à réaffirmer des normes culturelles
oppressives plutôt qu’à permettre aux patients de s’exprimer1 .
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Des études de dépistage en milieu hospitalier ont permis de découvrir que les
unités ambulatoires de psychiatrie pour adolescents sont les lieux où les troubles
dissociatifs sont le plus souvent observés (Şar, 2011b). Dans un groupe de
patients ambulatoires psychiatriques adolescents, parmi ceux qui ont reçu le
diagnostic de trouble dissociatif, 93,9 % obtiennent au moins un diagnostic
psychiatrique supplémentaire (Şar et al., 2014). Ainsi, leur état ne peut être
considéré comme un phénomène normatif. Parmi les diagnostics supplémentaires,
le trouble d’anxiété de séparation (51,5 %), le TDAH (51,5 %), la dépression
majeure (45,5 %), le trouble oppositionnel avec provocation (33,3 %) et le
trouble bipolaire de l’humeur (21,2 %) sont ceux qui présentent les prévalences
les plus élevées. En effet, les enfants dissociés peuvent être diagnostiqués à
tort comme souffrant de troubles de la régulation de l’humeur, de troubles obses-
sionnels compulsifs, de troubles des conduites et de TDAH. Il peut également
exister des variations culturelles des troubles dissociatifs de l’adolescent, comme
c’est le cas pour le syndrome « hikikomori » signalé au Japon (Hattori, 2006),
alors que leur qualité dissociative peut rester méconnue des professionnels de
la santé mentale.
Un niveau d’agressivité élevé devrait rappeler au clinicien l’ampleur du trouble
dans les cas dissociatifs, qui dépasse généralement celui attendu dans les cas de
TDAH. Ils ne répondent pas aux traitements médicamenteux sédatifs, antidépres-
seurs et stimulants. Le résultat d’un traitement psychothérapeutique approprié
est généralement positif à condition que la psychopathologie dissociative soit
prise en compte. La coopération avec les administrations scolaires, les ensei-
gnants et les psychologues scolaires est importante dans ces cas-là, de même
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que celle des parents, non seulement des enfants touchés mais aussi de ceux
de leurs camarades. La revictimisation et le harcèlement des enfants dissociés
dans le système scolaire (par les administrateurs, les enseignants, les pairs et
les parents des pairs) sont courants.
Pierre Janet (1889) affirmait que la santé mentale était caractérisée par une
grande capacité d’intégration, capable de réunir un large éventail de phénomènes
psychologiques au sein d’une même personnalité (van der Kolk et al., 1989).
C’est également lui qui a inventé le terme de « dissociation » (désagrégation) et
qui a insisté sur l’origine traumatique de l’« hystérie » (trouble dissociatif). Sui-
vant cette même tradition, la dissociation est actuellement définie comme une
perturbation et/ou une discontinuité de l’intégration normale de la conscience,
de la mémoire, de l’identité, de l’émotion, de la perception, de la représentation
corporelle, du contrôle moteur et du comportement (APA, 2013). Alors que cette
définition est principalement basée sur la fragmentation, la question se pose de
savoir s’il est possible de trouver une définition qui tienne également compte
du besoin d’intégration du patient et du thérapeute.
Jusqu’à présent, ces considérations ont porté sur les caractéristiques d’un
individu dissocié, isolé du monde extérieur. En cherchant à décrire l’existence
humaine à la fois comme phénomène personnel et interpersonnel, le philosophe
danois Kierkegaard (1849-1983) a abordé le problème par une série de questions
et de réponses : « Qu’est-ce que le moi ? L’être humain est un esprit. Mais
qu’est-ce que l’esprit ? L’esprit est le soi. Mais qu’est-ce que le soi ? Le soi est
une relation qui se rapporte à elle-même ou est la relation qui se rapporte à
elle-même dans la relation. » De toute évidence, il a souligné la nature relation-
nelle de l’existence humaine. Cependant, sa compréhension de la « relation »
est plus large que celle d’une relation « interpersonnelle » ; la « relation » de
l’individu avec lui-même. En fait, un soi intégré serait basé sur la relation entre
le soi « sociologique » et le soi « psychologique » (Şar & Öztürk, 2007).
En accord avec cette notion, Liotti (2006) a interprété la dissociation comme un
phénomène plutôt interpersonnel. En effet, bien que d’une manière fragmentée,
la plupart des états de personnalité alternatifs sont intéressés par établir un
contact et une relation avec le thérapeute. Erik Erikson (1950/1963), considère
la réciprocité psychosociale comme la base de la psychopathologie : « L’étran-
geté et le retrait dans le comportement de nombreux individus très malades
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cachent une tentative de retrouver une réciprocité sociale en testant les fron-
tières entre les sens et la réalité physique, et entre les mots et les significations
sociales. » Sur la base de ces notions, la dissociation peut être définie comme
une désynchronisation entre les aspects de soi et entre le monde interne et
la réalité externe (Şar, 2017c). Ainsi, l’intégration s’opère quand l’individu se
perçoit comme lui-même face à chacune des différentes réalités psychologiques,
tout en développant des liens sociopsychologiques entre chacune de ces réalités
psychologiques et les noyaux du soi.
La perturbation de l’identité de soi est le facteur central de la psychopatho-
logie dissociative. La relation du patient avec lui-même doit être entretenue
et améliorée. Les intrusions et oublis de la mémoire autobiographique liés au
traumatisme interfèrent avec la perception d’une identité de soi intégrée : les
associations du patient au cours de l’entretien thérapeutique doivent conduire
le thérapeute à combler cette lacune. Le patient doit être aidé à surmonter
sa peur de la solitude. C’est la façon de résoudre l’attachement à l’agresseur.
La relation du thérapeute avec lui-même est d’une importance stratégique en
tant que modèle : s’être accepté tel que l’on est. Ne pas pouvoir se détacher de
certains paradigmes de psychothérapie peut interférer avec l’authenticité de la
relation thérapeutique qui est la source essentielle de la confiance mutuelle.
R ÉSUMÉ
L’hétérogénéité de la présentation clinique des troubles dissociatifs nécessite la com-
pétence du clinicien pour identifier les symptômes centraux de la dissociation afin de
poser un diagnostic et un traitement précis. Alors que les symptômes de base peuvent
être relativement difficiles à articuler pour les patients, leurs conséquences et compli-
cations sont plus facilement décrites et rapportées. Le clinicien doit prendre en compte
trois modes d’états post-traumatiques : les complications aiguës, avec par exemple
l’intrusion de souvenirs traumatiques ; les phénomènes chroniques « de base » liés au
traumatisme cumulatif, avec par exemple les expériences d’influence passive, les carac-
téristiques de la personnalité borderline, la dysthymie ; et les expériences dissociatives
« centrales », avec par exemple la dépersonnalisation, la déréalisation, l’altération de
l’identité qui peuvent coexister ou prendre la prépondérance dans n’importe quelle
séquence (Şar, 2019). Une approche par phase est à privilégier dans le traitement de
tous les patients présentant un niveau élevé de dissociation en installant une certaine
forme de stabilisation.
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Chapitre 8
E XPOSÉ DU CHAPITRE
Sur le continuum qui s’étend des soins adéquats à la carence et à la maltraitance, juste
avant l’infanticide, les TDI peuvent être compris comme la réponse d’adaptation aux
traumas précoces les plus graves. Dans ce chapitre nous présenterons le continuum
développemental des stratégies d’attachement selon différents environnements : des
soins adéquats au trauma extrême. Nous ferons le lien avec le retrait relationnel, la
désorganisation de l’attachement et la dissociation, et enfin nous nous appuierons
sur le Modèle dynamique et maturationnel d’attachement et d’adaptation de Patricia
Crittenden. Une fois celui-ci présenté et expliqué, nous verrons comment plusieurs stra-
tégies d’attachement développées en contextes extrêmes, associées à des dissociations
massives, peuvent conduire à la création de personnalités multiples.
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I NTRODUCTION
Une de mes premières patientes m’a raconté son histoire traumatique d’enfance,
comme ça, dès notre premier entretien. Elle était âgée de presque 50 ans et
moi 25. Son parcours était terrible : abus émotionnel, physique, sexuel, réseaux
pédophiles et prostitution. Je me souviens que je suis restée trois heures à
l’écouter. Je ne pouvais rien faire d’autre. Je suis restée là simplement. Je ne
l’ai pas prise en charge, cela aurait été présomptueux de ma part. Étonnamment,
trois mois après ce premier rendez-vous, elle m’a appelée pour me dire merci.
Merci de quoi ? Je n’avais rien fait. Elle me répondit que j’avais fait plusieurs
choses importantes : je l’avais crue, je l’avais écoutée sans essayer de modifier
ce qu’elle disait ou son émotion, sans interpréter, et j’étais restée là, je ne
m’étais pas enfuie, je n’avais pas évité, je n’avais pas eu peur. Pour elle, ça avait
fait une grosse différence. Je crois que c’est cette patiente qui m’a le plus appris
sur la notion de sécurité en consultation, d’alliance thérapeutique et d’humilité
dans ma profession. Je ne l’ai jamais revue mais je l’ai toujours gardée en tête.
Ce chapitre est la conséquence très éloignée dans le temps de cette consultation,
de cette expérience et des questions qu’elles ont soulevées en moi : comment
survit-on à de tels traumas ? Comment aider ces victimes ? Comment comprendre
leur développement ? Je ne sais pas si cette patiente souffrait de TDI, j’étais
alors bien incapable d’envisager un tel diagnostic, cependant, elle m’a lancée sur
une piste clinique que je poursuis depuis, à savoir celle de comprendre comment
l’être humain, le bébé humain survit au pire. C’est en suivant ce fil rouge du
trauma que je me suis intéressée à la théorie de l’attachement, au bébé placé,
et à la notion de retrait relationnel. Pour survivre à l’adversité, et au trauma de
l’attachement, les bébés et les enfants possèdent des mécanismes de défense
innés. Ils parviennent à adapter leur stratégie d’attachement pour obtenir les
meilleurs soins possible de leur donneur de soins et ils parviennent à survivre,
pour certains en tout cas, dans les conditions les plus extrêmes de négligence
et de maltraitance. Survie physique mais pas toujours survie psychique.
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précoce que vont faire un bébé puis un jeune enfant pendant les premières
années de sa vie va amener à la construction de mémoires spécifiques de soi en
lien avec les autres et des autres en lien avec lui, du monde en général et de
l’aide qu’il peut recevoir en cas de détresse.
La théorie de l’attachement, développée par John Bowlby (1907-1990) postule
le besoin universel et vital chez l’humain de nouer des liens affectifs signifiants.
La relation d’attachement est un type particulier de relation sociale qui est à
la base de la construction psychique de l’enfant, de sa régulation émotionnelle,
de sa capacité à résister au stress, et de sa résilience (Sroufe, 1990). Tous les
bébés naissent avec la capacité de s’attacher. Pour ce faire, ils possèdent un
répertoire inné de signaux de communication (pleurs, sourire, etc.) qui ont
pour fonction de réduire la distance et maintenir la proximité avec la figure
d’attachement (FA) et, au final, de promouvoir leur propre survie. D’un point de
vue neuropsychologique, le bébé est en fait un statisticien et un chef d’orchestre-
né. Statisticien, car ses comportements sont rapidement adaptés en fonction
des réponses les plus fréquentes qu’il va recevoir de son environnement. Chef
d’orchestre, car il peut détecter les contingences, les patterns1 et les rythmes
des interactions dans son environnement et en faire sens. Le bébé n’organise
pas son comportement sur la base des meilleures expériences qu’il fait, mais
sur la base des expériences les plus dangereuses et/ou les plus fréquentes. Ces
expériences relationnelles précoces sont à l’origine des modèles internes opérants
(MIO). Les MIO sont des représentations mentales, agissant à la fois sur le plan
conscient (mémoire épisodique et sémantique), mais aussi inconscient (mémoire
procédurale) qui permettent au bébé d’organiser son expérience, de savoir quelle
est sa place dans le monde, ce qu’il peut attendre de l’autre. En outre, ils sont
à la base de la construction du sentiment de soi. Ces MIO se réajustent en
permanence et sont revisités au regard de l’intensité de ce qui est perçu dans
l’environnement et du degré de danger tout au long de la vie. Il existe trois
sources majeures d’information qui servent au cerveau du bébé pour l’aider à
faire une « prédiction » sur ce qui va lui arriver afin d’adapter son comportement
(Crittenden, 2017) :
➙ l’ordre temporel des informations, c’est-à-dire les contingences de type « si-
alors », « quand-alors » ;
➙ l’intensité des informations (confort/inconfort) ;
➙ les signaux somatiques corporels, l’état du corps et des besoins.
1. Structure sous-jacente des comportements établie à partir des réponses répétitivement reçues
au signaux émis par le bébé.
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Quand tout se passe bien, la FA est sensible aux signaux du bébé, elle est dispo-
nible, mentalisante et peut interpréter les états internes du bébé, y répondre de
façon prévisible, rapide et adéquate. Le bébé peut alors intégrer les informations
temporelles (externes), leur intensité et les informations somatiques (internes)
qui y sont associées dans un tout cohérent qu’il pourra garder en mémoire. Ces
vécus lui serviront à organiser son expérience de lui-même, en lien avec le monde
et les autres, à construire son sentiment de soi. Grâce à ce type d’interactions,
le bébé apprend alors qu’il a un pouvoir sur le monde, que sa communication a
du sens, qu’il est important et que le monde est un endroit sécurisant. Ces bébés
montreront un pattern comportemental d’attachement sécure (type B) lors d’une
évaluation au moyen de la procédure dite de « la situation étrange ». La situation
étrange est une procédure standardisée conçue par Mary Ainsworth dans les
années 1970 pour observer la sécurité de l’attachement chez les enfants dans le
contexte des relations avec les donneurs de soins. Elle s’applique aux nourrissons
âgés de 9 à 18 mois. La procédure comprend une série de huit épisodes d’environ
3 minutes chacun, au cours desquels une mère, un enfant et un étranger sont
présentés, séparés et réunis. Le pattern comportemental d’attachement sécure,
si aucune adversité ne vient le désorganiser (divorce, deuil, etc.) sera maintenu
tout au long de la vie.
Dans certaines conditions, la réponse du donneur de soins n’est pas optimale.
Pour des raisons qui sont propres à l’adulte qui s’occupe de l’enfant à ce moment-
là (stress, propre histoire d’attachement, croyances éducatives, pertes, trauma...),
ce dernier n’est pas sensible ou pas suffisamment sensible aux signaux de l’en-
fant, voire il peut être rejetant, ou pire dangereusement rejetant des signaux
et besoins de l’enfant. Le bébé humain, naturellement infiniment résilient, va
s’adapter pour promouvoir les meilleurs soins possible de sa FA :
Face à une FA prévisiblement rejetante et/ou dangereuse, le bébé va apprendre
à inhiber ses propres signaux d’attachement (ses pleurs par exemple) en pré-
sence de celle-ci. L’information sur laquelle il organise sa stratégie adaptative
d’attachement est une information extérieure à lui (le ton de la voix de sa FA,
son odeur, l’attitude physique prédictive du comportement de la FA). Le bébé
développe alors, sur la base des informations organisatrices qui viennent de
l’environnement extérieur à lui, une stratégie d’inhibition et d’hypoactivation
de son système d’attachement, protectrice, que l’on appelle l’attachement
évitant (type A). Ce sont des bébés qui pleurent peu en présence de la FA, sont
peu demandeurs, souvent performants cognitivement. Cette organisation rela-
tionnelle, « efficace, autonome », plébiscitée dans nos sociétés occidentales,
se maintient facilement tout au long de la vie.
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A DVERSITÉ ,
RETRAIT RELATIONNEL , ATTACHEMENT
DÉSORGANISÉ ET DISSOCIATION
Au cours des deux premières années de la vie, les bébés qui montreront une
désorganisation de l’attachement à la situation étrange présentent souvent aussi
un comportement de retrait relationnel prolongé. Identifié par Main et Solomon
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Les troubles de l’attachement chez l’enfant tel que définis par le DSM-5sont rares
(entre 0,9 et 1,4 % de la population). Il s’agit principalement d’une absence
totale d’attachement avec extinction des signaux d’attachement ou du dévelop-
pement d’une sociabilité indiscriminée, c’est-à-dire des signaux d’attachement
envoyés de façon indifférenciée à tous les adultes, même inconnus. C’est un
diagnostic psychiatrique spécifique que l’on ne retrouve généralement qu’en
cas d’institutionnalisation de l’enfant, de conditions de vie marquées par une
discontinuité extrême et de négligence. Il convient d’utiliser ce terme avec
restriction et d’être bien informé et formé pour poser un tel diagnostic. Il est
courant de rencontrer, même dans la recherche, une utilisation abusive de cette
terminologie pour désigner en fait des désorganisations sévères de l’attachement,
associées à des troubles traumatiques. Mais ces enfants-là, bien qu’en souffrance,
sont en capacité de s’attacher.
La désactivation de la mentalisation, que l’on retrouve typiquement dans le
narratif des adultes dit non résolu, est une défense disponible pour l’enfant
victime de violences ou tout individu souffrant de trauma. Elle a pour fonction de
réduire l’expérience psychique de la douleur, de la terreur ou de tout autre affect
négatif débordant. Ce sont précisément ces états émotionnels qui nécessitent
l’aide d’un donneur de soins. En l’absence de donneur de soins, ou en présence
d’un donneur de soins dangereux, le bébé ou l’enfant va spontanément avoir
recours à la dissociation pour survivre. Main et Hesse (1990) remarquent que le
fait de vivre des expériences de maltraitance plonge le bébé et le jeune enfant
dans un conflit insoluble où la source de réconfort (la FA) est la source de terreur.
D’après ces auteurs, l’attachement est donc à la base du développement de
processus métacognitifs et intégratifs complexes. Les traumas répétés précoces
interrompent le développement normal de la métacognition et la construction,
puis la consolidation, d’un sens de soi unifié, tout particulièrement quand la
source de ces traumas est la FA elle-même. En revanche, l’utilisation de la
dissociation massive (pour supporter la souffrance psychique, physique, intense,
le trauma précoce extrême perpétré par la figure d’attachement), provoque la
création d’états comportementaux et émotionnels séparés contenant l’expé-
rience difficile et fournissent une forme de soulagement vis-à-vis de l’expérience
traumatique : un échappement du présent (Brand et al., 2014). En ce sens, la
dissociation est un processus adaptatif qui promeut la survie, toutes les fois
que l’attachement ne fonctionne pas ou qu’il est la source de souffrances, en
particulier quand les réponses automatiques adaptatives de combat et de fuite
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À ce stade de notre réflexion, on pourrait considérer que les patients TDI ne sont
pas désorganisés mais, bien au contraire, extrêmement organisés. Le modèle
ABC+D de l’attachement (décrit plus haut) développé par Main ne permet pas,
selon nous, de conceptualiser ce type de fonctionnement.
Nous proposons donc ici de présenter le Modèle dynamique et maturationnel
d’attachement et d’adaptation de Patricia Crittenden (Crittenden, 2017 ; Landa
& Duschinsky, 2013) pour tenter de modéliser, au regard de l’attachement,
l’émergence d’un TDI et de son organisation en termes de survie. Crittenden,
comme Main, a été une des doctorantes de Ainsworth et a travaillé en étroite
collaboration avec Bowlby. Son modèle se différencie du modèle standard ABC+D
de l’attachement de trois façons spécifiques :
➙ la prise en compte du danger comme organisateur de la stratégie d’attachement ;
➙ le rejet de la notion de désorganisation de l’attachement ;
➙ la prise en compte de la maturation développementale et de la culture dans
le développement des stratégies adaptatives.
L’ ATTACHEMENT
COMME PRÉDISPOSITION
POUR MAINTENIR LA SÉCURITÉ OU FAIRE FACE
AU DANGER ?
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Biais de traitement de l’information en faveur des cognitions (type A) Biais de traitement de l’information en faveur des émotions (type C)
- hypo-activation des signaux d’attachement - hyper-activation des signaux d’attachement
- information externe privilégiée - information interne privilégiée
EN COMPTE ET ÉVALUATION DU
Non clinique
TDI
Axe de la nature
À risque clinique
de l’information
préférentiellement
traitée sous stress
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1. Les stratégies A ou C sont plus typiquement des stratégies développées par des populations
normatives qui ont peu fait l’expérience de l’adversité et ont peu rencontré de danger sans soutien
de la part de la figure d’attachement au cours de leur développement. Les stratégies A+ et C+
sont plus typiquement développées par des individus appartenant à des populations à risque,
ayant été confrontées à différents dangers au cours de leur développement et ayant nécessité des
adaptations importantes de leurs stratégies d’attachement face à des parents peu disponibles et
potentiellement dangereux. Il en résulte, au niveau du traitement de l’information en mémoire,
que pour faire fonctionner leur stratégie d’attachement du mieux possible et obtenir les meilleurs
soins possibles dans des contextes complexes, il ont recours à des distorsions d’information
(affectives pour les A+ et cognitives pour les C+) plus importantes et massives. Cela leur permet
de fonctionner le mieux possible dans ces contextes de développement, mais les soumet aussi à un
risque de psychopathologie, notamment parce que la régulation des émotions et la compréhension
des liens de cause à effet ne sont pas optimales.
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Les seules stratégies indisponibles aux personnes TDI seraient la stratégie sécure
qui requiert la levée de la dissociation et l’intégration de toute l’information
disponible. Évidemment chacune de ces stratégies, si elle « promeut » du mieux
possible la survie, ne promeut pas pour autant une régulation émotionnelle opti-
male. Quel que soit l’alter agissant, une souffrance psychique est présente, soit
par la présence de pensées intrusives, d’hallucinations, soit par la somatisation,
le corps exprimant des états qui ne sont pas reconnus par la psyché. L’individu
va alors mettre en œuvre tout ce qu’il peut pour réguler et apaiser cet inconfort,
notamment par l’abus de substance, ce qui explique les nombreuses comorbidités
associées au TDI.
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En effet, comment comprendre que tous les enfants soumis à des violences
extrêmes ne développent pas un TDI ? Il nous semble que deux facteurs peuvent
ici être pris en compte :
La sensibilité génétique au retrait relationnel (Costa & Figuereido, 2012 ;
Costa, 2018, unpublished study) et, dans la même lignée, la sensibilité géné-
tique à être plus ou moins perméable à l’environnement, à se désorganiser en
termes d’attachement (Spangler et al., 2009).
L’existence de facteurs de résilience, et notamment d’au moins une personne
qui « sait » avec l’enfant, qui peut l’entendre et lui apporter un peu de récon-
fort et de mentalisation, même s’il ne peut pas toujours changer sa situation
(enseignant, voisin, fratrie, grand-parent, etc.).
R ÉSUMÉ
Dans ce chapitre, nous avons proposé un modèle de compréhension du développe-
ment des personnes souffrant de TDI en lien avec les ressources défensives innées
du bébé humain : le retrait relationnel comme source de la dissociation, l’hypo- ou
l’hyperactivation des signaux d’attachement pour faire fonctionner la FA en fonction
du contexte et du développement, et pour finir, la distorsion du traitement de l’informa-
tion mémorisée. L’hypothèse que nous avons développée nous a conduit à considérer
qu’une personne atteinte d’un TDI utilise les systèmes défensifs au maximum de leurs
possibilités pour survivre à des relations d’attachement les plus dangereuses et trauma-
tisantes possible. Nous proposons d’expliquer leur capacité de survie et leur extrême
résilience par leur aptitude à développer de multiples stratégies d’attachement organi-
sées, mais non intégrées et dont le fonctionnement adaptatif est garanti par le retour
massif à la dissociation. Nous serions en fait confrontés chez les patients TDI à des
organisations extrêmes en l’absence d’intégration. Cette proposition théorique est
basée sur une connaissance du développement du bébé traumatisé, de la théorie
de l’attachement, de la traumatologie, complétée par l’offre théorique intégrative du
modèle d’attachement et d’adaptation de Crittenden, et par les apports de concep-
tualisation théoriques du Pr Guedeney sur le retrait relationnel comme comportement
défensif du bébé confronté à l’adversité. Mais cette hypothèse nécessite encore d’être
explorée, testée et approfondie cliniquement et surtout validée empiriquement par la
recherche.
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Remerciements
Ce chapitre ne saurait avoir été écrit sans l’aide précieuse à la théorisation
de Clark Baim. Clark Baim est psychologue et psychothérapeute, formateur en
psychothérapie psychodramatique et fondateur de l’Institut de psychodrame de
Birmingham.
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Chapitre 9
Eva Zimmermann1
E XPOSÉ DU CHAPITRE
Depuis sa découverte en 1987 par le Dr Francine Shapiro (Shapiro, 2018), la thé-
rapie EMDR a établi un réseau mondial de thérapeutes qui traitent avec succès les
troubles liés aux traumatismes. Le modèle TAI (traitement adaptatif de l’information)
en constitue la base. La théorie de la dissociation structurelle de la personnalité (TDSP)
selon van der Hart, Nijenhuis et Steele (2006) a également traversé les continents
depuis l’Europe et gagne progressivement du terrain et de la reconnaissance en
termes de théorie et de conceptualisation du traitement des séquelles de traumatismes.
La TDSP décrit un modèle qui inclut la classification et le traitement de toutes les
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L’EMDR est une thérapie qui vise à travailler sur les réseaux de mémoire stockés
de manière dysfonctionnelle, en partant du principe que les troubles associés
(souvenirs intrusifs, symptomatologie de détresse, comportements d’évitement,
etc.) seront résolus en travaillant sur les réseaux de mémoire adaptatifs et
en y établissant des liens, grâce à des stimulations bilatérales alternées qui
favorisent la connexion entre réseaux de mémoire dysfonctionnels et adaptatifs
(Shapiro, 2017). Les personnes souffrant de traumatismes complexes peuvent
également tirer profit de la thérapie EMDR, mais le traitement prend ici plus
de temps, car il y a plus de souvenirs à traiter et la stabilité des patientes
nécessite plus de préparation. Cependant, les séquelles de traumatismes qui se
développent chez les personnes victimes ayant subi les expériences de violence
les plus intenses, commençant généralement dans la petite enfance, à savoir
les troubles dissociatifs, et en particulier celles souffrant d’un TDI, sont très
difficiles à traiter avec l’EMDR et représentent un défi de taille, même pour le
clinicien expérimenté. Ces patients risquent d’être trop fortement activés par
l’EMDR et donc de décompenser, ou bien leur façon « habituelle » de se dissocier
n’aboutit que difficilement à un retraitement efficace et sûr avec l’EMDR, car les
patients n’ont pas suffisamment accès au matériel traumatique. Dans ce domaine,
la thérapie EMDR n’est pas assez explicite en termes de conception théorique.
Pour combler cette lacune, il peut être très utile de se référer à la TDSP (van der
Hart et al., 2006).
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Cette théorie, basée à l’origine sur les idées de Janet et développée par van der
Hart (et al., 2006), affirme que la dissociation d’origine traumatique a pour base
une déficience intégrative de l’individu traumatisé qui conduit à une division de
la personnalité. Cette théorie psychologique a l’avantage de couvrir et d’expli-
quer l’ensemble du spectre du traumatisme, et donne en outre de nombreuses
instructions cliniques pour mettre la théorie en pratique. Cette possibilité de
mise en œuvre est le lien que la thérapie EMDR peut emprunter pour le traitement
des cas de TDI et de TDIp.
La TDSP explique, comme l’a fait déjà Janet (1889), la santé mentale comme
l’intégration de tous les événements vécus, avec tous les aspects de ce vécu,
c’est-à-dire avec les images, les pensées, les émotions, les sensations et les
comportements qui ont participé à cette expérience. Les souvenirs d’événements
potentiellement traumatisants, chez les personnes avec suffisamment de capaci-
tés intégratives, sont présents comme étant une expérience difficile, dont elles
peuvent se souvenir et qu’elles peuvent raconter en restant dans leur fenêtre de
tolérance (Siegel, 1999), en les vivant comme une expérience qui leur appartient.
Pour des personnes affectées de séquelles de traumatismes, leur symptomatologie
est considérée comme un échec d’intégration des événements aversifs. D’ailleurs,
Janet a défini l’hystérie comme « une maladie de la synthèse personnelle »
(Janet, 1907). La synthèse est nécessaire pour intégrer ce qui a été vécu dans sa
propre biographie. Dans le cas contraire, les personnes évitent alors de vivre les
événements en tant que tels et de les reconnaître comme faisant partie de leur
propre biographie. Cela se produit déjà pendant l’expérience de ces événements,
et aussi plus tard, en appréhendant qu’ils se répètent : la personne se prépare
à ce que toutes ces mauvaises expériences se reproduisent et évite donc le
vécu mentalement et sensoriellement par un état dissociatif. C’est le cas, par
exemple, lors de violences familiales, de violences sexuelles et d’autres formes
de violences psychologiques, physiques et émotionnelles pendant l’enfance qui
sont souvent synonymes de répétition. Lorsque ces événements sont terminés,
donc lorsque la personne est adulte et a pu s’éloigner de ses agresseurs ou
parents violents, la capacité de dissociation demeure et se manifeste par de
multiples symptômes. Même après ces expériences, la personne victime tend
consciemment ou inconsciemment à éviter les expériences douloureuses. Cela
se fait par l’évitement mental (distraction) ou cognitif (« Je ne veux pas y
penser », « Je ne veux pas faire de thérapie parce qu’il faut alors se souvenir
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La TDSP met en évidence un autre aspect des PE : les PE sont les parties de
la personnalité qui vivent les événements potentiellement traumatiques alors
que la PAN est absente par dissociation. C’est ce qu’on peut entendre chez les
patients qui racontent, par exemple, que pendant les violences sexuelles, ils
n’ont pas vécu l’événement, mais ils flottaient au plafond et n’avaient aucune
sensation pendant que leur corps était maltraité. La PE qui en fait l’expérience
doit faire face seule aux émotions et aux sensations, ce qui est une entreprise
difficile. La « soumission » répétée de la PE à ce qui se passe fait que ces PE
sont décrites comme très fragiles. Nijenhuis (2015) les appelle les « PE fragiles »
ou PE-F. Mais l’expérience répétée de la violence conduit souvent à la création
d’un nouveau prototype de PE, la « PE contrôle » (PE-C). Les PE-C sont souvent
dominantes ou agressives car elles apprennent du modèle de l’agresseur à ne
pas se soumettre mais à être résistantes et puissantes. Et comme les auteurs de
ces actes sont souvent les parents ou d’autres personnes significatives – aussi
des figures relationnelles et des modèles – cette partie imite le comportement
violent ou dévalorisant de ces derniers. Cette dévalorisation et cette humiliation,
que les auteurs communiquent souvent (« Tu ne vaux rien, tu ne mérites rien de
mieux », ou encore « C’est à cause de toi que tout cela arrive, tu m’as incité à le
faire »), sont souvent reprises par les PE-C et transmises aux PE-F. Ces dernières
se sentent alors également sans valeur, honteuses, coupables, etc., ce que les
PE-C renforcent. Les patients TDI entendent souvent des voix dans leur tête (de
la part des PE-C), qui les traitent de manière dépréciative et souvent destructive.
N
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Ce que ces trois catégories ont en commun, c’est la non-intégration des contenus
traumatiques avec leurs symptômes positifs et négatifs, qui s’expriment tant sur
le plan psychoforme que somatoforme (Nijenhuis, 2004) et que Janet (1889)
soulignait déjà. Les symptômes positifs sont des symptômes de « trop », c’est-à-
dire des symptômes psychoformes et somatoformes qui sont présents alors qu’ils
ne devraient pas l’être, comme certaines douleurs, les attaques de panique, les
cauchemars, les troubles de conversion, les voix, etc. Les symptômes négatifs
sont des symptômes de « pas assez » et sont des éléments qui devraient être
présents mais qui manquent, comme certains souvenirs, des sensations corpo-
relles, des sensations de douleur, des émotions, la conscience de la réalité et la
conscience de soi dans son ensemble, etc. En principe, on peut dire que la PAN
a tendance à souffrir de symptômes négatifs et que la PE a tendance à souffrir
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Afin de surmonter ses phobies des parties intérieures, il est important pour la
PAN de faire l’expérience de la thérapeute comme modèle et de voir comment la
thérapeute montre de l’intérêt et de l’appréciation pour les parties. Cela nécessite
une discussion préalable sur la volonté de changer. La PAN doit être prête à
cesser d’éviter, pour avancer doucement vers la compréhension de ce qui se passe.
Cela commence donc par un travail visant à surmonter la phobie des parties
présentes. La thérapeute est ouverte à toutes les parties et ne traite aucune
d’entre elles de manière préférentielle, pas même la PAN. Elle montre de l’intérêt
pour toutes les parties par une attitude appréciative et un désir de comprendre
chacune d’elles tout comme sa fonction. L’attitude thérapeutique de base peut
être résumée par l’affirmation suivante : « Chaque partie est importante et a une
tâche particulière dans l’ensemble du système, même si cette tâche n’est pas tou-
jours compréhensible à première vue », « Voulons-nous essayer de comprendre
ce qui se passe ? », « Voulez-vous explorer avec moi les raisons pour lesquelles
les choses sont telles qu’elles sont, afin de comprendre et éventuellement trouver
une solution encore meilleure au problème, une solution sans aspects négatifs
et acceptable pour toutes les parties ? » Bien sûr, cette déclaration ne peut pas
être dite et comprise en une seule phrase, elle nécessite plutôt beaucoup de tact
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et une approche lente et prudente avec des répétitions afin que la PAN se sente
respectée et que les PE puissent lentement établir une confiance et soient prêtes
à s’ouvrir à un étranger. Ce but atteint, les PE présentes peuvent simplement
être invitées à s’avancer et à oser entrer en contact avec la thérapeute. Il se
pourrait que des PE agressives perturbent cette étape. Dans ce cas, il faudrait
plus de temps de préparation pour que les agissements agressifs soient mis en
lumière comme une volonté de protection d’un danger éventuel appréhendé.
L’une ou l’autre des parties qui se lance, ce qui est presque toujours le cas,
est généralement très intéressée à communiquer sa vision de la vie intérieure,
typiquement les parties agressives qui s’expliquent volontiers, parfois de façon
agressive et dénigrante. Cette vision intérieure d’une partie peut trouver des
réponses à l’aide des questions de base : « Qui fait quoi, pourquoi et comment ? »
À ce stade, il s’agit de développer un intérêt et une prise de conscience attentive
des parties entre elles. Lorsque cette démarche est initiée par la thérapeute, les
autres parties écoutent généralement, au moins partiellement, et peuvent ainsi
gagner lentement en confiance. Ce travail est long et fastidieux. Cependant, ce
travail est important et constitue un préalable à la poursuite de la thérapie,
notamment pour pouvoir un jour pratiquer de l’EMDR sur des contenus trauma-
tiques avec différentes parties (PAN et/ou PE). Voici une brève étude de cas d’un
patient souffrant de TDI partiel qui souhaite démarrer une thérapie mais qui a
une forte peur des parties intérieures :
Patient : J’ai réfléchi et j’ai découvert que PE-C a très peur de ne pas être aimé, même
par vous, parce qu’il fait des choses qui font de lui une mauvaise entité. Et PE-F se
comporte comme un enfant en feu. Mais nous (PAN et PE-C) ne voulons rien avoir à
faire avec lui. Il nous fait peur. C’est pourquoi il est au fond d’un puits profond.
Thérapeute : Un enfant en feu... voulez-vous m’en dire plus ?
Patient : Il (PE-F) veut venir chez nous, mais PE-C ne veut absolument pas de lui et j’ai
peur de lui. Je suis conscient que l’enfant (PE-F) a vécu toutes les mauvaises choses et a
besoin de notre protection, mais je ne peux pas le faire. Je ne peux pas faire ça...
Thérapeute : Et PE-C non plus ?
Patient : Non, PE-C ne veut pas. Même si ça le rend pire.
Thérapeute : Hum... je vois... imaginez ce qui se passe quand une maison est en feu et
que tout le monde s’enfuit... ?
Patient : Oui, la maison brûle.
Thérapeute : Et qu’arrive-t-il à l’enfant ?
Patient : Oui, ça brûle aussi...
Thérapeute : C’est censé être ainsi ?
Patient : Non, mais je ne sais pas quoi faire. J’ai peur.
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On observe donc généralement une forte phobie des parties internes et un fort
évitement de celles-ci, qui sont renforcées par des intrusions de ces parties
dissociatives et qui, dans le cas du TDI, sont également couplées à de fortes
amnésies. La conséquence de ces phobies : les parties ne se connaissent pas ou
à peine et ne coopèrent pas. C’est pour cela que, selon la TDSP, il est important
de développer ensuite connaissance, communication et coopération.
Lorsque les parties individuelles sont entrées en contact avec le thérapeute (et
entre elles), et ont ainsi une meilleure connaissance de leur système interne,
cela conduit à une réduction des phobies des parties et de la PAN (et des parties
entre elles). De cette façon, la deuxième étape, le contact entre les parties, la
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R ÉSUMÉ
Le traitement des patients TDI peut bénéficier de la théorie et des données cliniques de
la TDSP et de la thérapie EMDR. Plus le système d’un patient est complexe, plus l’EMDR
doit être préparé et appliqué avec soin. Certaines étapes préparatoires (surmonter les
phobies et apprendre à connaître le système interne) sont une condition pour pouvoir
mener à bien ce projet. L’expérience et une approche douce et respectueuse de la part
du thérapeute seront des facteurs de réussite de la thérapie avec ces personnes très
éprouvées.
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PARTIE III
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Chapitre 10
Spécificités de l’accompagnement
thérapeutique des patients
présentant une dissociation tertiaire
E XPOSÉ DU CHAPITRE
Ce chapitre sur les spécificités de l’accompagnement thérapeutique des patients pré-
sentant une dissociation tertiaire retrace les étapes de la prise en charge et des défis
la jalonnant. Il propose des pistes cliniques concrètes ayant pour objectif d’aider le
clinicien à diversifier ses actions thérapeutiques en fonction des besoins du patient et
de son système intérieur. La relation thérapeutique nécessite l’activation du système de
coopération, tant chez le thérapeute que chez le patient. Les difficultés relationnelles
dues aux vulnérabilités d’attachement méritent une attention particulière, nous les
aborderons également.
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I NTRODUCTION
1. Pour plus de précisions sur la TDSP, veuillez consulter le chapitre 9 d’Eva Zimmermann.
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F AIRE
CONNAISSANCE , ÉTABLIR UNE RELATION
THÉRAPEUTIQUE , LE PREMIER DÉFI
Les patients avec une dissociation tertiaire viennent en thérapie par différents
biais : certains arrivent pour une raison aiguë, ne sachant rien de la dissociation,
et c’est au décours de la première déstabilisation qu’émergent des symptômes
dissociatifs. D’autres patients ont déjà derrière eux un parcours du combattant
d’échecs thérapeutiques, et sont à la recherche d’un thérapeute qui pourra enfin
répondre à leurs attentes autant explicites qu’implicites.
Selon Giovanni Liotti (2004), tous les patients présentant un trouble dissociatif,
quels qu’ils soient, souffrent d’un attachement désorganisé qui se montre sous
forme de deux mouvements en conflit : l’un complètement phobique de toute
forme d’attachement ou de lien, l’autre avec un besoin désespéré d’être en lien,
avec une panique de perte du lien avec des personnes importantes.
La demande d’aide active le système d’attachement et par ce biais les blessures
de celui-ci. En général, chez les personnes ayant un système d’attachement aussi
blessé, celui-ci fait partie des mouvements internes, donc des PE. La ou les PAN
ont recours à d’autres systèmes d’action pour être en lien : le système de rang
social, ou le système de prendre soin (Solomon & George, 2011).
C’est ainsi que Sandrine est arrivée en thérapie, suite au décès d’un tout-petit
dans le cadre de son travail. En début de thérapie, Sandrine ne montre aucun
signe de dissociation. Elle fait un travail sur dix séances comprenant la stabili-
sation, la désensibilisation de l’événement, une élaboration autour de la prise
en charge des tout-petits et de la suite des événements. D’un commun accord la
thérapeute et elle mettent fin au suivi, Sandrine n’ayant pas d’autre demande.
Quelques semaines après l’arrêt des séances, Sandrine recontacte la thérapeute.
Elle est en arrêt maladie pour dépression. Lorsque la thérapeute reçoit la patiente,
elle a l’impression de se retrouver devant quelqu’un qu’elle ne reconnaît pas : une
personne ne pouvant pas parler à haute voix, ni soutenir le regard, bougeant de
manière hésitante, avec des mouvements comme si elle tombait. Sandrine rase
les murs, parle par bribes... Elle ne ressemble plus du tout à la personne posée,
réfléchie que la thérapeute avait rencontrée lors des dix premières séances.
Même si le thérapeute peut être surpris et décontenancé par cette différence,
il est important qu’il retrouve sa contenance en hiérarchisant son intervention.
Avec un patient qui a des difficultés à parler, nous ne posons pas de questions,
nous commençons par faire des exercices d’ancrage et d’orientation. Il s’agit
d’exercices impliquant le corps du patient, que le thérapeute fait en miroir, et
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qui sont destinés à apporter un apaisement neurovégétatif avant tout. Une fois
que le corps est apaisé, le rôle du thérapeute sera de comprendre les symptômes
dissociatifs, ramener la part adulte dans le lieu thérapeutique pour explorer s’il
y a eu de nouveaux événements négatifs, bref, permettre au patient de s’apaiser,
tout en activant son système de coopération.
Dans le cas de Sandrine, nous faisons l’hypothèse que l’arrêt des séances avec
une thérapeute avec laquelle elle s’entendait bien, a activé le système d’at-
tachement de la patiente, provoquant une déstabilisation majeure, suscitant
de nombreux symptômes dissociatifs. Liotti (2012) soutient que la meilleure
attitude pour travailler avec les patients souffrant de trauma complexes et de
troubles dissociatifs est une relation de coopération côte à côte. Activer ainsi le
système de coopération permet de ne pas susciter les blessures d’attachement,
ce qui amènerait une déstabilisation iatrogène. En cherchant avec Sandrine quel
exercice était le plus efficace pour apaiser son corps, en la réorientant dans
le présent, la thérapeute a pu explorer ce qui s’était passé depuis la dernière
séance, et avancer par petits objectifs d’une séance à l’autre.
En termes d’anamnèse, nous apprenons l’importance de recueillir une histoire
détaillée de nos patients. Cependant, d’une part les zones d’amnésie, des sen-
timents de honte, rendent difficile et lacunaire cette étape nécessaire. D’autre
part, poser des questions sur les relations d’attachement lorsque celles-ci sont
blessées mène à une désorganisation cérébrale chez les patients présentant un
attachement désorganisé (Farina et al., 2013). Notre stratégie va être de récolter
toutes les informations que le patient peut nous confier au fil du temps, et
de les organiser dans un tout cohérent. Chez les patients TDI il n’est pas rare
que les parties émotionnelles émergentes apportent des bouts d’histoire que
les parties adultes ignorent. Dès que nous décelons des symptômes dissociatifs,
notamment ceux que l’on trouve chez les patients TDI, nous savons que ces
symptômes racontent une histoire traumatique faite de traumatismes précoces
répétés, ayant commencé à un âge préverbal, des négligences graves et étendues
dans le temps, de multiples traumatismes psychologiques, avec des mécanismes
d’autodénigrement qui se chronicisent, une traumatisation émotionnelle conti-
nue, des traumatismes physiques et sexuels répétés. Cette histoire traumatique
est posée comme une hypothèse par le thérapeute, que les contenus des patients,
lorsqu’ils pourront les partager, viendront confirmer ou infirmer. Les patients
traumatisés complexes en général et les patients avec des troubles dissociatifs
en particulier, ont appris à envisager le futur en s’attendant à ce que les traumas
continuent ou se reproduisent. Cette prédiction rend les patients dissociatifs
particulièrement sensibles et vulnérables face à la relation thérapeutique, dans
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le passé, ainsi que les éléments qui permettent un apaisement dans le présent.
Ici la motivation du patient et sa capacité à rester connecté à ses parts adultes
seront importantes pour mettre en œuvre ces tâches dans la vie quotidienne.
Dans le recueil de l’histoire il sera essentiel que le thérapeute puisse explorer les
bons souvenirs du passé, les ressources de survie, c’est-à-dire ce qui a permis
au patient de grandir malgré ce qui s’est passé, d’aller à l’école, d’apprendre, de
créer des liens d’amitié, de fonder une famille, bref, tout ce qu’il a réussi à mettre
en œuvre malgré la multitude et la chronicité de sa condition traumatique.
Ces expériences, une fois conscientisées, peuvent faire contraste avec les expé-
riences vécues, et que les parties du système intérieur ne connaissent souvent
pas encore.
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généralement organisés par couches. C’est ainsi que nous, thérapeutes, pouvons
croire avoir fait le tour du système, et voir émerger, après des années de travail,
de nouvelles PE qui ne nous connaissent pas, qui portent des mémoires inconnues
jusque-là, ou qui montrent un fonctionnement nouveau. Un système intérieur
fractionné à un point tel peut donner l’impression au tandem thérapeutique qu’il
s’agit d’une histoire sans fin. Il s’agit d’une impression et non d’une réalité. La
tâche du thérapeute sera de continuer à croire qu’une intégration est possible et
d’œuvrer en ce sens. La propension au désespoir et à l’impuissance du patient
nécessite un thérapeute qui ne lâche pas, qui continue à y croire, et à chercher
des possibilités stabilisatrices et intégratives.
Certaines pratiques visent à demander au patient de dessiner la carte du système
intérieur, de représenter les parties internes sous forme de figurines, ou un dia-
logue parmi les parties internes dans un lieu de rencontre imaginaire, cherchant
ainsi une vue d’ensemble. Ces pratiques visent à permettre un dialogue intérieur,
sans toucher de trauma, dans un but intégratif et de coopération interne.
Les différentes PE nécessitent une réponse différenciée et adaptée en fonction
du système d’action qui les caractérise (agrippement, lutte, fuite, soumission).
Dans la suite du travail, une fois la vie quotidienne stabilisée, et le besoin de
dissociation moins fort, au fur et à mesure que la psychopédagogie permettra
de faire connaissance et de développer de la bienveillance envers les parties
internes, l’intégration des PAN permettra de diminuer l’étendue de l’amnésie
au quotidien et le décrochage dissociatif pour des stimuli non traumatiques.
L’intégration des mémoires traumatiques est un objectif thérapeutique, y compris
l’intégration des PE dans un soi unifié.
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qui continue sans parole, sans élaboration, sans action réfléchie. Ce débriefing
après-crise nécessite une mise en mots de ce qui s’est passé et une réflexion
commune tout en réactivant le système de coopération. Voici nos conseils :
➙ ne cachez pas que vous êtes touché par ce qui s’est passé et veuillez expliciter
votre intérêt pour le bien-être du patient ;
➙ mettez en mots ce qui s’est passé en reliant les différentes séquences du
déroulement ;
➙ reconnaissez votre surprise ;
➙ proposez au patient de réfléchir ensemble à ce qui s’est passé, vous en tant
qu’expert en thérapie en général, lui en tant qu’expert de lui-même, de son
système intérieur et de sa vie ;
➙ identifiez ensemble les déclencheurs présents, les éléments, qui n’ont pas été
vus ou négligés, et qui auraient mérité plus d’attention ;
➙ discutez et listez les conditions nécessaires pour continuer à travailler
ensemble, jusqu’à ce que patient et thérapeute sentent que le cadre de travail
est à nouveau suffisamment sécurisé ;
➙ veuillez remercier le patient pour cette séquence d’apprentissage.
Le thérapeute peut faire des erreurs, commettre des maladresses ou des oublis,
ne pas voir quelque chose d’important. Le fait de le reconnaître et être intéressé
à réparer ce qui peut l’être permet au patient de vivre une expérience qui
contraste avec les blessures relationnelles du passé, et au tandem de s’ajuster
mutuellement.
En tant que thérapeutes travaillant avec des patients TDI, nous notons réguliè-
rement que d’une séance à l’autre, ce n’est pas toujours le patient adulte qui se
présente. Ces différences peuvent déconcerter, voire perdre le thérapeute, qui
peut être amené à douter du patient, à croire qu’il ment lorsqu’il évoque des
horreurs allant de pair avec un émoussement de l’affect. À d’autres moments
nous pouvons nous retrouver soudain en face d’un patient mutique, qui ne
peut que s’exprimer par écrit, voir qui refuse tout contact. Comprendre et faire
l’hypothèse qu’il pourrait s’agir d’une partie interne qui émerge soit parce qu’elle
a été déclenchée, soit parce qu’elle a quelque chose d’important à faire savoir,
qui devrait être pris en compte, amène le thérapeute à explorer le bien-fondé
et le sens de ce qui se passe dans le processus au présent. Nous partons du
principe que toute partie dissociative interne, quelle qu’elle soit, quel que soit
son mode d’action, sa destructivité, cherche à aider le système tout entier, avec
les expériences qu’elle connaît, la manière dont elle a appris à agir, à voir le
monde.
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Un lien constructif est un lien qui permet le partage d’émotions, dans lequel
il existe un ajustement entre deux individus et une absence de conflits entre
les besoins de l’un et ceux de l’autre. En adoptant un regard phénoménologique
pour évaluer des liens interpersonnels (Dellucci, 2016), nous décrivons un lien
constructif par le fait que s’il arrive quelque chose de bien à une personne, cela
fait du bien à l’autre, et s’il arrive quelque chose de négatif à l’une, cela aura un
effet négatif aussi sur l’autre personne. Dans un lien non constructif, si quelque
chose de bon arrive à une personne, cela ne fait pas du bien à l’autre, quelle que
soit la raison pour cela. Si quelque chose de négatif arrive à l’un, cela aura un
effet apaisant sur l’autre personne. Le regard phénoménologique ne questionne
pas le pourquoi d’un phénomène, bien que les bonnes raisons existent, ni ne
cherche à savoir entre qui et qui cela se passe, comme l’analyserait le regard
systémique. L’avantage d’une telle description avec des mots simples est qu’elle
permet au patient de réfléchir sans le mettre en conflit de loyauté, ni le forcer à
se poser des questions pour lesquelles il ne se sent pas prêt.
Selon notre compréhension du système dissociatif, PAN et PE entretiennent un
lien non constructif. Pour que la PAN puisse bien fonctionner, être tranquille, il
faut que le système intérieur se taise et que l’évitement fonctionne, amenant un
traitement inadéquat pour des PE dont les besoins de l’époque restent toujours
d’actualité. Lorsque les PE se font entendre, cela suscite phobie et hostilité chez
la/les PAN, qui ressentent ces mouvements comme egodystoniques, c’est-à-dire
ne leur appartenant pas et suscitant une envie de les éliminer. Lorsque les PE se
manifestent et font entendre leurs besoins, la/les PAN le vivent négativement.
Il s’agit dans un premier temps de pouvoir apaiser la peur chez les parts adultes
pour qu’elles puissent accéder à la curiosité nécessaire à l’exploration du monde
extérieur.
Lorsqu’une PE émerge, celle-ci se vit comme si elle était encore dans le monde
dans lequel elle est restée coincée. La première démarche, pour créer un lien
interne constructif entre PAN et PE, est de mettre de côté le trauma que porte la
PE. Le contenant est un bon outil pour cela, permettant par la suite de construire
un lien qui permet de réorienter la PE dans le temps présent, d’explorer ses
caractéristiques et ses besoins et de permettre un partage d’informations, partant
de l’installation de ressources de l’après-trauma chez la PAN, qui sera invitée à
les partager avec la PE. La tâche de la PAN sera de pouvoir apporter une réponse
adéquate à cette partie enfant, selon les besoins de celle-ci. Cela peut passer
par des interventions imaginaires, dans lesquelles la part adulte va extraire la
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PE de la situation dans laquelle elle se vit, pour l’emmener dans un lieu mieux
adapté. Comme on ne laisserait pas un enfant seul, nous ajoutons des figures
symboliques, permettant de répondre aux besoins d’attachement de cette partie
jeune.
Ce travail se fait hors trauma, car le but est de créer un lien constructif entre
l’adulte d’aujourd’hui et l’enfant de l’époque, sans être submergé par l’expérience
traumatique du passé. Ce lien permettra à l’adulte d’être touché par ce qui est
arrivé à l’enfant, ce qui ouvre une possibilité de commencer à traiter le trauma
que porte cette partie, lorsque le système intérieur donnera son accord. Ce travail
de création d’un lien constructif se fera avec chaque PE, mais au fur et à mesure
des liens créés, cette démarche se fera plus facilement.
Lorsque nous prenons position en thérapie pour dire que les PE, surtout celles
qui se montrent de la manière la plus agressive, sont des parties héroïques, car
elles portent les blessures les plus douloureuses, les patients ont en général une
réaction à la fois défensive et intriguée. Un thérapeute restant dans sa propre
fenêtre de tolérance, convaincu qu’un consensus n’est non seulement possible,
mais inévitable, s’il ne lâche pas, en continuant à inviter à l’exploration des
besoins de chaque partie, agira comme un modèle pour les PAN. Le patient adulte
apprend petit à petit que c’est moins coûteux d’écouter son monde intérieur, et
de négocier avec les différents mouvements, en partant du principe que chacun
a de bonnes raisons de réagir, de les orienter dans le présent et de faire des
exercices de stabilisation chaque fois que cela s’avère nécessaire. Une fois cette
motivation trouvée, et que le patient comprend que s’il apaise son corps, son
monde intérieur s’apaisera, la stabilisation du système s’acquiert, et avec lui
celle de la vie quotidienne.
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Cette réaction déroute les PAN, qui perdent leurs capacités d’adulte adéquat dont
elles peuvent faire preuve dans les contextes dans lesquels elles ont l’habitude
de fonctionner. Lorsqu’émergent des PE fragiles avec des besoins spécifiques, en
conflit avec des PE contrôle qui réagissent avec ce qu’elles ont appris, les PAN
se retrouvent impuissantes et inadéquates face aux lacunes de développement
des PE.
Les PE coincées au temps du trauma n’ont pas appris autre chose que l’expérience
qu’elles portent. Mais nous savons que le développement peut reprendre son
cours, si l’enfant dispose d’au moins un adulte contenant, posé et adéquat, qui
valide son expérience, qui lui explique le cours des événements, en le guidant
et en le soutenant. La plasticité cérébrale tout au long de la vie nous amène à
penser que ce qui n’a pas pu être appris dans le passé, peut l’être aujourd’hui.
Pour cela nous nous appuyons sur la notion de zones proximales de développe-
ment, une notion chère à Vygotsky. Il s’agit d’actions que l’enfant ne peut pas
faire seul, mais qu’il peut faire en lien avec un adulte, pour les apprendre et les
exercer dans un lien intersubjectif étayant, et ensuite les mettre en œuvre seul.
Le thérapeute a un rôle d’accompagnant des PAN, pour les guider dans l’apport
d’une réponse adéquate envers les PE. La PAN apprendra d’autant plus facilement,
si elle a le sentiment d’être soutenue, sans jugement, sans perdre la face :
➙ en expliquant à l’enfant intérieur comment les choses se passent normalement
lorsque cela se passe bien ;
➙ en validant l’expérience de l’enfant intérieur, en lui disant combien les adultes
d’aujourd’hui sont désolés de ce qui s’est passé ;
➙ en préservant son système de loyauté en précédant l’explicitation du com-
portement des adultes par l’introduction « personne ne sait ni pourquoi ni
comment »...
➙ en nommant sommairement ce qui s’est passé sans détails, par exemple « les
adultes ont fait des choses qu’ils n’auraient pas dû faire »...
➙ en reconnaissant le courage de l’enfant d’avoir fait tout ce qu’il a pu, le fait
que ce n’est pas de sa faute si les adultes ont transgressé ;
➙ puis en le réorientant vers le présent en décrivant qu’aujourd’hui ces événe-
ments n’ont plus lieu ;
➙ en réorientant l’enfant intérieur vers le lien avec le patient adulte, présent,
et d’éventuelles figures symboliques si nécessaire ;
➙ en lui rappelant que ce sera l’adulte qui s’occupera de ce qui s’est passé quand
ce sera possible.
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A PPRENDRE LA DIFFÉRENCIATION
La différenciation de soi et de l’autre est une compétence qui doit être apprise.
Elle n’est pas innée.
Murray Bowen (1978), à travers sa théorie de l’autodifférenciation, définit la
différenciation sous deux aspects : 1) L’autodifférenciation est la capacité de
séparer les sentiments et les pensées. Les personnes indifférenciées, n’arrivant
pas à séparer les sentiments et les pensées, risquent d’être inondées d’émo-
tions lorsqu’on leur demande de réfléchir. 2) En outre, l’autodifférenciation
consiste en la capacité de séparer ses propres pensées et sentiments de ceux
des autres. Les personnes indifférenciées ont tendance à se tourner vers leur
famille pour déterminer comment elles pensent aux problèmes, quels sentiments
elles éprouvent envers les autres et comment elles interprètent leurs expériences.
Une différenciation suffisante peut être décrite comme la capacité d’être en
contact émotionnel avec les autres, tout en étant autonome dans son propre
fonctionnement émotionnel.
En cas de trauma, nous savons combien il peut être difficile de différencier les
sentiments des pensées entre le passé et le présent, lorsqu’il s’agit de sécurité,
entre les autres et nous-mêmes, lorsqu’il s’agit de sentiments de culpabilité, de
honte et d’estime de soi. De manière générale, les traumas attaquent les liens
et mènent à une indifférenciation, entraînant une contamination émotionnelle,
un enchevêtrement, des somatisations et une difficulté à mettre des limites.
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1. Pour plus de précisions sur l’articulation des notions d’attachement, de trauma et de dissociation,
voir le chapitre 8 d’Alexandra Deprez.
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les patients avec une dissociation tertiaire, le fractionnement intérieur est tel que
bien souvent ce travail n’est pas possible sans avoir préalablement installé une
ressource spécifique dans le système d’attachement, permettant de débloquer,
sans toucher de trauma dans un premier temps, tous les freins qui empêchent
un lien avec le bébé intérieur, essentiel pour dépasser la traumatisation de cet
âge préverbal. Parmi ces freins, nous comptons les mouvements phobiques et
hostiles propres à la dissociation, mais aussi les habitudes relationnelles du
donneur de soin principal à l’égard du tout-petit, la traumatisation précoce
transgénérationnelle portée par les parents qui se réveille au contact du bébé.
Encouragées par Liotti, nous avons développé un modèle de ressource d’accor-
dage fondamental, lors de laquelle :
En activant le système de coopération du patient, nous lui expliquons avec
des mots simples les notions d’attachement et les stratégies de contrôle pour
faire face à l’impuissance du tout-petit, lui permettant de se reconnaître dans
son fonctionnement.
Nous invitons le patient à mettre tout trauma dans le contenant. Il s’agit ici
de l’installation d’une ressource.
Puis nous demandons au patient d’imaginer le bébé intérieur et nous le gui-
dons avec pour but de créer un lien multi-sensoriel, tout en désensibilisant
tout blocage qui émerge sur ce chemin : peur, manque d’empathie, hostilité,
maladresses... en recadrant le matériel émergeant comme une preuve que le
patient est déjà en lien avec ce réseau mnésique important.
Nous accompagnons le patient jusqu’à ce qu’il puisse fournir au tout-petit
imaginé à l’intérieur, une réponse correspondant à un attachement sécure :
une réponse rapide, chaleureuse et adéquate, c’est-à-dire une réponse adaptée
à ses besoins. Cet accompagnement peut prendre du temps et de nombreux
tissages, le plus important étant d’avancer pas à pas, en guidant le patient
adulte, sans lâcher, jusqu’à ce que le bébé intérieur puisse recevoir une réponse
adéquate, aujourd’hui dans le présent.
Si le patient adulte n’y arrive pas, nous convoquons une figure symbolique,
en général sous la forme d’un mammifère, qui fournira au bébé cette réponse
adéquate, plus sur un plan sensoriel que sémantique. Nous invitons le patient
adulte à observer cette interaction adéquate, lui permettant ainsi d’apprendre
par vicariance.
Pour les patients qui n’arrivent même pas à imaginer un bébé intérieur, nous
leur fournissons une image d’une interaction chaleureuse entre un adulte et un
tout-petit, et nous commençons par le travail de désensibilisation des défenses
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Les lignes directrices pour le traitement du TDI chez les adultes (ISSTD, 2011)
préconisent le traitement des traumatismes après une période de stabilisation
suffisante pour permettre au patient de fonctionner dans la vie quotidienne, en
l’absence de crises majeures. Il s’agit de la seconde phase de traitement, au
cours de laquelle les tâches de stabilisation continuent, entremêlées au travail
sur les expériences traumatiques, de même que le travail d’intégration, qui se
fait également tout au long de la thérapie, mais particulièrement lors du travail
de synthèse traumatique (Steele et al., 2017). Au-delà du retraitement des
expériences traumatiques, chez les patients dont l’identité a été fragmentée,
s’ensuit une crise du changement nécessitant de trouver des nouveaux repères
dans un paysage inconnu jusque-là, donc profondément anxiogène. Ce lent
processus de réappropriation d’une identité unifiée prend du temps et se fait
à travers des valeurs existentielles, qui sont le plus souvent déjà agies par le
patient. Il passe par des hauts et des bas, des déstabilisations dues entre autres
au sentiment d’illégitimité, des défis du quotidien à relever, une confiance à
construire dans la continuité du lien avec des personnes constructives, qui reste
fragile, un accompagnement à travers les phases de changements familiaux...
Bref la résolution traumatique, même si elle est importante, ne suffit pas. Il
s’agit de construire une biographie plus unifiée, permettant de se projeter dans
un futur incertain, mais qui vaut la peine d’être tenté.
Cela étant posé, le travail sur les souvenirs traumatiques chez les patients TDI
se fait avec le concours des parties émotionnelles qui les portent. Le point de
départ est souvent un déclencheur dans la vie actuelle du patient. Quelle que
soit la méthodologie choisie pour viser la résolution des expériences trauma-
tiques, il sera important, pour que le travail sur le trauma puisse se faire à visée
intégrative, d’obtenir le consensus du monde intérieur du patient, de façon à ce
que la résolution de ce trauma puisse être partagée par tous.
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R ESTER
DEBOUT EN TANT QUE THÉRAPEUTE
MARATHONIEN
Ce chapitre est trop court pour permettre de décrire à juste titre le processus
thérapeutique du côté du thérapeute. Sa tâche, à travers les mouvements trans-
férentiels et contre-transférentiels, est de rester debout, c’est-à-dire, prendre
suffisamment soin de lui pour qu’il puisse être en mesure de maintenir des actions
réfléchies ; bref, un thérapeute restant dans sa fenêtre de tolérance, capable de
penser, de prendre du recul, d’étayer sa pratique par ce qu’il a appris, tout en
restant présent dans le lien au patient. Pour cela il est important que le profes-
sionnel ne reste pas seul. Le partage avec les collègues en intervision, le travail
de supervision et la formation sont des outils indispensables. Le thérapeute va
sans doute, dans son cheminement, rencontrer des situations où il va être amené
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à travailler sur soi, car nos patients viennent mettre à jour nos réseaux trau-
matiques les mieux défendus. Il est possible également que le thérapeute ait à
retraiter des traumas vicariants, qui seront autant d’occasions pour lui de grandir
et de transformer ces événements en des expériences d’apprentissage précieux.
Le travail thérapeutique avec les patients dissociatifs et particulièrement les
patients TDI constitue une source inépuisable d’apprentissages et d’évolution,
qui sans eux, ne se feraient pas. Qu’ils soient ici humblement remerciés.
C ONCLUSION
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R ÉSUMÉ
Les spécificités de l’accompagnement thérapeutique chez les patients TDI, depuis
Janet, comprennent une phase de stabilisation, une phase de confrontation aux trau-
mas et une phase d’accompagnement et d’intégration. La particularité des patients
TDI, avec leur symptomatologie envahissante, demande au clinicien de diversifier ses
stratégies de stabilisation, en incluant la stabilisation neurovégétative, basée sur le
corps, psychologique, basée sur l’activation des ressources et des compétences, et
une stabilisation relationnelle, particulièrement importante chez ces patients si blessés
sur le plan relationnel. Ce chapitre retrace les différentes étapes d’une stabilisation à
visée intégrative, toujours renouvelée, pour garantir un travail sécurisé sur les traumas
et la reconstitution identitaire. Loin d’être exhaustif, il décrit des pistes concrètes pour
améliorer la relation thérapeutique, créer des liens intérieurs constructifs, combler
les lacunes de développement, sécuriser le système d’attachement et apprendre la
différenciation, permettant au clinicien de faire face aux défis que présentent ces prises
en charge complexes mais riches en apprentissages.
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Chapitre 11
Emmanuelle Vaux-Lacroix
E XPOSÉ DU CHAPITRE
La psychothérapie avec un patient présentant un trouble dissociatif de l’identité (TDI)
nécessite une psychoéducation approfondie qui s’appuie sur les connaissances théo-
riques du clinicien et le vécu du patient. Les cliniciens peuvent être confrontés à la
complexité d’établir un diagnostic dû à la méconnaissance de ce trouble et à la
similarité de symptômes avec d’autres troubles psychiatriques. Par ailleurs, ce trouble
entraîne souvent de la peur à la fois chez les patients, mais également chez certains
cliniciens qui ne se sentent pas en mesure de travailler avec cette population. Nous
exposerons les modèles théoriques utilisés, le diagnostic, via la symptomatologie et
notre posture thérapeutique. Enfin, nous présenterons, via trois vignettes cliniques, en
quoi la psychoéducation aide ces patients à accepter leur trouble, à l’apprivoiser, à
vivre mieux avec.
I NTRODUCTION
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1. Nous parlons ici de TDI et non de TDI partiel que nous avons également dans notre patientèle.
2. La présentation des personnes a été modifiée pour préserver leur anonymat.
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Marie, 26 ans, a été victime d’inceste paternel et maternel, mise dans un réseau
pédocriminel par ses parents dans sa petite enfance et a vécu des viols en réunion,
quasi-quotidiens, lors de ses années de collégienne. À sa connaissance, le reste de
la fratrie n’a pas été victime directe des parents.
Éric, 50 ans, a eu deux parents qui étaient physiquement et psychologiquement mal-
traitants avec lui. Il a, ainsi que son frère, été victime du syndrome de Münchhausen
par procuration de la part de sa mère. Il a également été victime d’un pédocriminel
en maternelle.
Alexandra, 31 ans, a subi des violences corporelles et psychologiques, de la part
de son grand-père et de son oncle, qui souffraient tous deux d’un trouble de la
personnalité paranoïaque et vivaient avec elle et ses parents observateurs passifs des
faits. Sa sœur aînée a également été victime.
1. Pour de plus amples informations sur la TDSP, se référer au chapitre 9 d’E. Zimmermann.
2. Pour de plus amples informations neurophysiologiques, se référer au chapitre 4 de Laurence
Carluer.
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Le soi adulte
Suite à notre expérience clinique, nous ajoutons une autre grille de lecture à
la TDSP : le « soi adulte », appelé également la personnalité « d’origine » ou
la « personnalité hôte » (Putman, 1989), qui est complexe à définir mais a un
rôle important dans la thérapie, donc dans la psychoéducation. L’importance
du soi adulte nous est apparue avec Marie qui a lu le livre Le soi hanté de van
der Hart (et al., 2010). Elle est revenue en séance en disant : « Je ne suis pas
que “apparemment normale”, je suis aussi moi. » Par ailleurs, ses PAN et ses PE
nous ont expliqué, à maintes reprises, en parlant d’une partie du système qu’ils
nommaient « la grande Marie », qu’elle était différente d’eux. En explorant cela
avec Marie, nous avons identifié, avec son accord, « la grande Marie », comme
étant le soi adulte. Par ailleurs, nous avons pu observer au cours de la thérapie
que c’est au sein du soi adulte que se sont réalisées les intégrations de PAN et
de PE. C’est pour être en accord avec le vécu intérieur de notre patiente que
nous avons alors exploré cette question du soi adulte.
Nous retrouvons ce concept chez différents auteurs et notamment dans la théorie
du système familial intérieur de Schwartz (2009). « Le Self est la véritable nature
de l’individu, qui dispose de qualités de leadership telles que la compassion, le
sens de la perspective, la curiosité et la confiance en soi » (Schwartz, 2009). Pour
ce théoricien de la psychothérapie, les parties dissociatives sont là pour protéger
le soi des souvenirs traumatiques et des intrusions dans la vie quotidienne, mais
ne sont pas une partie en tant que telle. Le concept de soi adulte est également
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repris chez certains de nos collègues praticiens en EMDR1 : « Le soi adulte est
un ensemble émergent de capacités de soi, qui ne sont pas encore développées
dans une partie de la personnalité, y compris dans la PAN »2 (Gonzalez et al.,
2012). Lorsque nous travaillons avec ces patients, nous cherchons, avec eux, à
identifier ce soi adulte qui, à terme, guidera leur monde intérieur.
S YMPTOMATOLOGIE
1. Pour de plus amples informations sur l’EMDR, se référer au chapitre 12 de Dolores Mosquera et
Roger Solomon.
2. Traduction de l’auteur.
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décrivent, souvent, comme des voix qu’ils entendent dans leur tête. Ces symp-
tômes sont associés, pour le grand public mais également pour certains confrères,
exclusivement à la schizophrénie (Martinez et al., 2020). Par conséquent, le
patient est d’autant plus phobique face à ses voix et souvenirs traumatiques. En
effet, ces événements terribles ne sont pas mémorisés sous la forme de souvenirs
autobiographiques, que le sujet peut choisir de raconter tranquillement, mais
sous forme de mémoires traumatiques et isolées des autres souvenirs. Cette
phobie renforce la dissociation et empêche de créer du lien entre les différentes
parties de la personnalité. Il est important de noter qu’un apprentissage essentiel
pour ces patients est la coprésence, à savoir que plusieurs parties peuvent être
présentes en même temps et communiquer entre elles et avec le monde extérieur.
DU DIAGNOSTIC À LA PSYCHOÉDUCATION
N
Notre travail thérapeutique s’appuie sur les travaux de Janet (1911), c’est-à-dire
un processus en trois phases : la stabilisation (qui inclut la psychoéducation),
la confrontation aux traumas et pour finir l’intégration et l’accompagnement
au changement. Avec les patients TDI, la psychoéducation se fera tout au long
du travail. Pour la stabilisation, nous développons l’orientation dans le temps
pour séparer passé, présent et futur, ainsi que la distinction entre les mondes
interne et externe, et le soin apporter à soi (Dellucci, 2016). Pour ce qui est du
traitement des traumas, nous utilisons la psychothérapie EMDR (Shapiro, 2001)1 .
Ce travail thérapeutique sera long, avec des moments de découragement de
la part du clinicien et du patient. En effet, il faut un accordage très affiné,
qui requiert une réelle implication et qualité de présence de la part du psy-
chothérapeute, pour maintenir la continuité du lien avec ces patients qui sont
en discontinuité permanente. Pour renforcer ce lien, ils ont besoin d’un ou
deux rendez-vous hebdomadaires et, autant que possible, au même horaire. Par
ailleurs, nous nous assurons d’avoir toujours deux rendez-vous fixés d’avance.
Travailler avec cette population implique des formations continues, de la supervi-
sion et parfois un travail psychothérapeutique individuel. En effet, nous pouvons
être victimes de traumatisation vicariante car les histoires que nous entendons,
1. Pour de plus amples informations sur l’EMDR, se référer au chapitre 12 de Dolores Mosquera et
Roger Solomon.
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parfois de manière détaillée, rapportées par moments par des voix et postures
d’enfants, ne peuvent nous laisser de marbre. Face à ces patients, il est essentiel
de ne pas être dans la fascination (ce qui reste complexe par moments), ni dans
une curiosité morbide. Il ne faut surtout pas aborder les traumas au départ, et
accepter que, probablement, nous ne saurons jamais tout ce que les patients ont
vécu. Nous ne pouvons, et ne devons pas, leur garantir qu’ils se souviendront
de tout, et pouvons même nous demander si cela est nécessaire. Nous énonçons
souvent cette phrase type, face à leur envie de se souvenir de leur passé : « Tu
te souviendras lorsque ton système intérieur considérera que tu es suffisamment
stabilisé pour ça, et après tu ne pourras pas oublier ce dont tu t’es souvenu1 ».
Enfin, n’oublions pas que les cliniciens sont des experts de la psychothérapie et
que les patients sont les experts de leur vie. Nous sommes responsables du cadre
et du processus thérapeutique et les patients choisissent ce qu’ils souhaitent
travailler en étant responsables des changements dans leur vie (Dellucci, 2016).
N
La psychoéducation
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la dissociation somatoforme. Comme nous le rappelle Steele (et al., 2018), il est
essentiel de normaliser la présence des parties dissociatives de la personnalité
et également de s’adapter au vocabulaire du patient. En effet, actuellement
avec les ressources sur Internet, et les réseaux sociaux, nous accueillons dans
notre cabinet en libéral des patients, et notamment Alexandra, qui utilisent des
vocables anglophones tels que « alter », « être en front ou en back » (une partie
qui est en avant ou en arrière) et « trauma holder » (la partie qui contient le
trauma). Il est important que nous nous adaptions au verbatim de cette nouvelle
génération de patients, car chaque patient TDI est unique et perçoit son monde
intérieur différemment. Aux États-Unis, une patiente TDI ayant écrit un livre
sur son histoire et sa psychothérapie, Trujilo (2011) est membre de l’ISSTD
(International Society for the Study of Trauma and Dissociation)1 . Trujilo a un
rôle extrêmement important pour la psychoéducation en ligne, via son livre, son
blog, et ses conférences pour les patients TDI cherchant des explications à leurs
symptômes. Au sein de l’ISSTD, auquel nous appartenons également, elle peut
répondre à certaines questions de cliniciens, ou chercher des contacts pour les
personnes qui s’adressent à elle pour de l’aide.
Le clinicien doit être « patient » pour deux raisons : la première vient du fait
qu’un patient TDI n’est pas ou peu conscient de ses traumas. Il n’est donc
pas question de le brusquer en utilisant des termes comme viol, inceste ou
maltraitance trop rapidement. La seconde est que la psychoéducation sera très
répétitive au départ, puisque selon les parties présentes, les informations ne
seront pas toujours entendues. Avec le temps, nous pouvons demander au soi
adulte, ou à une PAN, voire à une PE aidante, de transmettre l’information en
interne aux autres parties. Ce mode opératoire est bien plus efficace, mais ne
peut se faire au début de la thérapie. En effet, pour que cela soit possible, ceci
implique que le patient soit capable d’être en coprésence avec ces parties, ce
qui au départ est quasi impossible. En effet, le patient TDI est dans l’évitement
face à certaines parties de sa personnalité (notamment des PE) et, lorsqu’il est
conscient de sa dissociation, a de fausses croyances à ce sujet (que ses souvenirs
sont faux, qu’il exagère ou qu’il « fait son intéressant » pour reprendre un verba-
tim d’Éric). La peur nommée par ces patients est souvent la même : « Si je parle
de ce que je vis, on va croire que je suis fou, me donner des médicaments et
m’enfermer à l’hôpital psychiatrique... » Il est important de noter que certaines
PE vont avoir des comportements auto-agressifs (automutilation, addictions,
trouble des conduites alimentaires [TCA]) pour éviter de ressentir les émotions
1. www.isst-d.org
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1. Pour de plus amples informations sur la stabilisation, se référer au chapitre 10 d’Helene Dellucci.
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labyrinthe interne dans lequel, lorsqu’ils explorent les liens entre les différentes
parties, ils ont un moyen d’avoir accès aux informations qui leur manque. Il suffit
simplement (en réalité cela demande des mois, voire des années, de travail) de
trouver la partie qui va savoir se connecter à l’autre et ainsi de suite. C’est en
acceptant que les PE s’expriment dans notre cabinet, en les aidant à trouver des
modes de communication ou d’action efficaces que les patients pourront observer
que cela amène du soulagement et de la flexibilité dans leur fonctionnement.
Ainsi, ils s’autoriseront de plus en plus à être en contact avec elles et ils pourront
l’expérimenter dans leur vie quotidienne. Car, comme le dit Marie : « Plus j’ignore
une partie, plus elle prend de la place. » Précisons ici que nous faisons le choix
clinique de parfois nous adresser directement aux PE ou aux PAN, en absence
du soi adulte. En effet, au début de la psychothérapie les « switch » peuvent
être tellement envahissants que sans ce travail en direct, nous ne pourrions pas
avancer. Par ailleurs, il est important en tant que clinicien de se présenter à
chaque nouvelle partie qui se manifeste en séance et d’utiliser un vocabulaire
en accord avec l’âge de la PE.
Pour accompagner cette transmission de la théorie, nous leur suggérons des
livres qui leur permettront d’intégrer ce que nous partageons en séance. Des
livres tel que les bandes dessinées Le Trauma, quelle chose étrange de Haines
et Standing (2019) qui décrivent le fonctionnement physiologique du trauma,
Émotions : enquête et mode d’emploi de Art-Mella (2019) qui représente l’utilité
des émotions et plus récemment le roman Le Consentement de Vanessa Springora
(2020) qui permet de déculpabiliser les patients sur leur soi-disant responsabilité
dans leur trauma. Malgré notre très grand respect pour l’excellent manuel de Boon
(et al., 2017), nous ne suggérons plus ce livre pour les patients TDI car nous
observons, à l’usage, qu’il est trop déclencheur. Enfin, nous proposons également
aux patients qui le souhaitent un entretien avec leur proche pour expliquer le TDI.
Nous constatons que cela leur est très aidant et également pour le clinicien qui
aura ainsi accès à de nouvelles informations sur le fonctionnement du patient.
Nous présentons dans les lignes suivantes trois vignettes cliniques pour mettre
en évidence l’utilité de la psychoéducation dans la psychothérapie.
Marie a 26 ans lorsqu’elle est orientée par une collègue suite à d’importantes
idéations suicidaires. N’ayant pas conscience de son trouble, elle nomme d’entrée
de jeu qu’elle a été victime de viols en réunion, durant son adolescence, de
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à l’exception de l’inceste maternel qui a débuté mais reste très douloureux pour
elle. Cela a permis des évolutions, fusions entre les parties, puis l’intégration de
certaines d’entre elles au sein du soi adulte. Elle présente, aujourd’hui, un soi
adulte renforcé et très orienté dans le présent, une seule PAN et une dizaine de
PE.
Témoignage de Marie :
« Il faut savoir que le TDI est très peu connu et on a vu plusieurs psychothérapeutes qui
nous ont collé différentes pathologies, sans expliquer nos bizarreries. Ce qui nous a
aidé, c’est lors de mon premier rendez-vous avec Emmanuelle, où on était d’accord
pour ne pas parler de nos bizarreries. Elle a posé des mots sur ce que je n’osais pas dire,
comme les moments d’absence, les moments où on est différentes, les voix... Elle en
est restée là le premier jour. Puis au fur et à mesure, elle a mis des mots sur le trauma,
avec une échelle du trauma pour en arriver au trauma complexe. Je me souviens de
l’amygdale et du choc et je me suis dit “C’est exactement ça”. Même si on n’aime pas
savoir que l’on a une pathologie mentale, cette fois-ci on l’accepte car elle explique
tout. Puis, elle m’a parlé d’un livre1 qui est un témoignage d’une psychothérapeute qui
accompagne une patiente TDI. J’ai dévoré ce livre, même si en même temps je dissociais
en permanence car je me suis tellement reconnue par moments... Ce qui m’a aidée,
c’est de mettre des mots et d’accepter les voix, donc les parties de moi, d’accepter que je
n’avais pas un fonctionnement comme les autres. Puis est venu le moment de la lecture
du Soi hanté, et là en un weekend j’ai dévoré ce livre. J’ai dû le relire trois fois car au fur
et à mesure j’acceptais de me reconnaître dans la dissociation la plus complexe qui soit.
Il faut apprendre à s’accepter pour être en paix avec soi-même. Et surtout apprendre à
s’écouter et comprendre les parties, c’est éviter les trous de mémoire et les situations plus
complexes... J’ai vécu la même chose avec les addictions, comprendre son adversaire,
c’est déjà le maîtriser. Apprendre à se comprendre, c’est être unie. »
Orienté par une de ses amies psychiatre, Éric, 50 ans, vient consulter pour « un
burn-out ». Il travaille dans le monde du spectacle, est marié et a deux enfants.
Ce qui déclenche la prise de rendez-vous est une répétition où il a verbalement
agressé la troupe de théâtre, sans aucun souvenir de l’événement. Il a été
victime de maltraitance de la part de ses deux parents et, comme son frère, d’un
syndrome de Münchhausen par procuration de la part de sa mère. Par ailleurs, il a
été victime d’un pédocriminel au sein de son école primaire. Son père est décédé
pendant son adolescence. Il a coupé les ponts avec sa mère et son frère après
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« Depuis toujours, je vois que c’est compliqué pour moi de fonctionner comme les autres.
L’absence de fil conducteur : la vie est une mosaïque, un puzzle, une succession de plans
et pas du tout un plan séquence. Impossible d’en reconstituer l’histoire, l’impression d’un
brouillard. Et puis l’entourage doit supporter les changements brutaux qui paraissent
aléatoires, les crises clastiques. On est étiqueté comme instable, inconstant, on a des
lubies. Alors on se dit qu’on est juste une accumulation d’erreurs génétiques, qu’on
est nul, une sorte d’impasse de l’évolution. Je m’étais résigné à être une personnalité
borderline, sans que cela ne m’apporte quoi que ce soit, en dehors de désirer être
encore plus discret, m’effacer de tout. »
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que je suis une erreur de la nature”, à “si je suis comme ça, ce n’est pas parce que
je suis une anomalie, c’est parce que j’ai vécu des choses anormales”. J’ai appris à
faire confiance à ce fonctionnement des “parties de soi”, à lui faire confiance, ainsi
qu’aux parties elles-mêmes, bien qu’il s’agisse tout de même de les canaliser. Ce que
j’ai compris comme “la phobie des parties” est en cours de résolution, et cela m’ouvre
au monde. Je n’ai jamais été, je crois, aussi heureux, même si cela reste très difficile au
quotidien. »
Alexandra, 31 ans, trouve notre contact via un forum sur les TDI. Elle se présente
dans notre consultation avec un diagnostic initié par elle-même, puis confirmé
par son psychiatre. Elle a lu énormément d’articles scientifiques sur le sujet, ce
qui l’amène à utiliser un vocabulaire spécifique lorsqu’elle parle d’elle-même. Mal-
gré de multiples diplômes, elle n’a pas de profession définie. Elle est célibataire
et vit seule avec son chien. Elle a été victime de maltraitance de la part de son
oncle et son grand-père paternels qui souffraient de personnalité paranoïaque.
Son père est décédé, la relation avec sa mère est tendue, et elle n’a plus de
contacts avec sa sœur. Avec le travail, des levées d’amnésies fragmentées font
état d’agressions sexuelles dans l’enfance. Nous n’en savons pas plus pour le
moment. Elle présente une comorbidité de trouble d’utilisation de substances et
d’hypersexualité ainsi que des symptômes dépressifs.
Dès la deuxième séance, elle est capable d’identifier ce qu’elle appelle ses
« sept PAN », qu’elle nomme soit Alexandra, soit Alex, et qui sont féminines,
masculines ou non binaires. Elle les identifie ainsi : une « principale », une
« trauma holder », une qui travaille et d’autres qui n’ont pas de rôle spécifique
mais qui, selon elle, gèrent la vie quotidienne d’une manière ou d’une autre.
Elle leur a attribué des couleurs pour les identifier. Elle a accès à ce qu’elle
appelle les cinq « alters » qui ont des prénoms différents et vont de l’enfance à
l’âge adulte. Néanmoins, ces parties, que nous reconnaissons comme des PE, ne
sont pas les bienvenues. Actuellement, nous n’arrivons pas encore à identifier
celle qu’elle appelle « la principale », qui pourrait être le soi adulte. Cela nous
semble cohérent avec notre expérience clinique, car tant que les PAN et PE
sont très actives, le soi adulte ne peut pas émerger. Ses PE se manifestent
par des changements de posture corporelle, de voix et de langue car Alexandra
est bilingue. Quand nous la rencontrons, son organisation interne est telle que
la partie qui est « en front », donc en contrôle exécutif, est celle qui décide.
Le travail thérapeutique, qui n’en est qu’à son début, implique qu’elle puisse
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« Ce qui nous aide dans la thérapie avec toi, c’est que tu nous contiens et tu n’as pas peur
de nos “switch”. Tu nous donnes des clés pour revenir dans le présent. J’ai compris aussi
que je basculais d’une addiction à une autre et que tant que tout était caché, il y avait
des “switch” qui pouvaient durer 3, 6 ou 9 mois. Nous comprenons que nous devons
nous parler pour éviter qu’une seule PAN prenne en otage le système. Maintenant il
faut être d’accord. Tu as compris depuis le début que si je te pose des questions sur
les détails d’autres patients TDI, c’est parce que je suis en recherche d’autres modèles.
L’objectif, c’est d’être fonctionnelle. Avant tout le monde disait que “rouge” (la “trauma
holder”) était embêtante ; maintenant, on comprend qu’elle a un rôle. Et on cherche à
comprendre le rôle de chaque PAN. Ce qui nous a beaucoup rassurés, c’est quand tu
nous as expliqué que les parties agressives deviennent les plus aidantes, j’ai beaucoup
réfléchi à ça. Tu proposes aux parties d’aider le système d’une autre manière, de changer
de rôle. Enfin, ce qui nous aide aussi, c’est que tu te présentes à chaque nouvelle partie
qui émerge en thérapie et en utilisant un vocabulaire adapté à l’âge de la partie. »
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R ÉSUMÉ
Les patients TDI se présentent en consultation avec une vie chaotique et une incompré-
hension de leurs réactions et comportements dans leurs interactions avec le monde
extérieur et interne. La psychoéducation implique de poser le diagnostic et de donner
des clés pour leur permettre d’appréhender leur trouble et ainsi améliorer leur vie
quotidienne. Il leur faut du temps pour l’accepter et pour comprendre combien cette
pathologie est une des manières, selon nous, les plus fines et complexes pour faire
face au trauma. C’est d’ailleurs ce que nous avons pu constater avec Marie, qui au
bout de quelques années, pouvait dire : « Nous sommes TDI, et fières de l’être. »
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Chapitre 12
E XPOSÉ DU CHAPITRE
La psychothérapie EMDR est une thérapie fondée sur des données probantes pour
le traitement des traumatismes. Elle considère les problématiques actuelles comme
trouvant leur source dans l’encodage mnésique dysfonctionnel d’expériences de vie
défavorables passées (et donc dans l’incapacité de s’intégrer dans le réseau plus
large de la mémoire). Autrement dit, les symptômes actuels sont considérés comme
le résultat d’informations stockées en mémoire de façon dysfonctionnelle, que le cer-
veau est incapable de traiter complètement. La thérapie EMDR utilise des procédures
standardisées pour faciliter l’intégration des souvenirs traumatiques. Elle utilise un
protocole en huit phases et trois temps : traiter les souvenirs du passé associés à des
problèmes et déclencheurs du présent (personnes, lieux, situations), les intégrer, puis
fournir un modèle de comportement adapté pour les temps futurs.
Dans le cas du trouble dissociatif de l’identité (TDI), il est important de prévoir une
phase de stabilisation prolongée afin que les patients soient prêts pour le retraite-
ment des souvenirs traumatiques. Il faut notamment tenir compte de la nécessité de
maintenir le client dans sa fenêtre de tolérance. Les stratégies de préparation, de
stabilisation, de sélection des souvenirs à traiter et de mise en œuvre du protocole
EMDR sont développées dans ce chapitre.
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I NTRODUCTION
1. Pour une approche plus complète de l’EMDR, merci de vous référer au chapitre 9 d’Eva Zimmer-
mann.
2. Pour plus d’informations sur la TDSP, merci de vous référer au chapitre 9 d’Eva Zimmermann.
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Il est primordial d’apprendre aux patients à se calmer, s’apaiser. Les PAN, ainsi
que les parties qui ont une certaine capacité fonctionnelle, peuvent apprendre
à tranquilliser à la fois leurs réactions physiologiques et les « parties jeunes »
plus vulnérables. En effet, lors d’hyperactivation ou d’hypoactivation, la capacité
à rester présent, « remarquer » ce qui se passe et réfléchir, plutôt que réagir,
est très importante à développer. Le patient peut apprendre à observer quand
il ressent de l’anxiété et à utiliser des méthodes d’apaisement, plutôt que des
actions substitutives comme se scarifier ou avoir recours à des comportements
impulsifs pouvant être destructeurs pour les différentes parties. Il faut les aider à
développer leurs compétences pour mieux gérer leur vie quotidienne : la gestion
du temps, la communication, la résolution de problèmes et l’hygiène de vie sont
importantes pour améliorer la capacité d’intégration. Lorsque la vie extérieure
s’est améliorée, les parties sont plus à même de faire confiance à la PAN, et
l’exploration intérieure peut alors débuter...
N
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Vignette clinique
Organiser la technique du lieu de rencontre avec Dorothy
Une partie « homme », imitant l’agresseur, se présenta, ainsi qu’une partie petite fille,
jeune et vulnérable. La partie « petite fille » se sentait piégée dans une maison et voulait
fuir. La partie masculine interdit au psychothérapeute de parler à la petite fille. Après
une conversation avec cette partie masculine, il fut convenu que, pour le moment, la
partie « petite fille » et ses souvenirs ne seraient pas abordés. Cependant, la partie adulte
pourrait calmer la partie jeune tant que les souvenirs ne seraient pas évoqués. Ainsi, un
accord intermédiaire fut trouvé pour la stabilisation.
Cet exemple illustre une phobie entre différentes parties et la stabilisation nécessaire
avec le système intérieur.
N
Beaucoup de nos patients sont dans une lutte constante avec eux-mêmes, et leur
vécu intérieur n’est pas facile à comprendre sans une formation spécifique sur la
dissociation, en particulier la dynamique complexe du TDI. Lorsque les patients
éprouvent des pensées, sentiments, souvenirs et impulsions intolérables, leur
système intérieur a tendance à s’organiser en parties dissociées. Certaines de
ces parties vont souvent être en colère ; elles peuvent être vécues comme des
voix intérieures hostiles et critiques qui conversent entre elles, même lorsque
le soi adulte garde le contrôle exécutif du corps. Ces interactions génèrent
généralement un conflit interne si intense que la personne peut même avoir des
difficultés à tenir des conversations ordinaires et à répondre à des questions
élémentaires. C’est pourquoi il est important de travailler au renforcement de
relations sécures et coopératives entre les parties.
Avec Dorothy, la partie « homme » (une partie imitant l’agresseur) interdisait au théra-
peute de parler à la partie « petite fille ». De son côté, la PAN avait peur de « l’homme »
et d’autres parties internes pensaient même qu’il était l’agresseur. En nous adressant à
« l’homme », nous lui expliquâmes qu’il était une partie importante de la personnalité,
qu’il faisait un travail fondamental, et que nous ne voulions pas qu’il disparaisse, ce qui
de toute façon était impossible, puisqu’il faisait partie du système. Cette partie devint
alors plus à l’aise pour parler avec le psychothérapeute. Après une séance d’expli-
cations supplémentaire, l’adulte (PAN) réalisa que la partie « homme » n’était pas le
véritable agresseur. D’autres parties du système, y compris la « petite fille », comprirent
qu’il s’agissait bien d’une partie imitant l’agresseur. L’ensemble du système s’en trouva
considérablement soulagé. La partie « homme » devint beaucoup moins agitée, et un
accord fut conclu pour que la « petite fille » puisse parler, mais que « l’homme » puisse
informer le patient et le clinicien si quelque chose devenait insoutenable.
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Les parties dissociatives ont été créées pour s’adapter et survivre à la situa-
tion traumatique. Ces parties sont souvent bloquées dans la répétition de ce
qu’elles devaient faire ou ont appris. Quand les patients comprennent que ces
parties sont actives lorsqu’elles sont déclenchées, ils peuvent commencer à
saisir l’idée qu’elles tentent de les aider dans le présent. En explorant pourquoi
elles s’expriment, crient ou envoient des messages menaçants ou effrayants, le
système peut commencer à intégrer que ces dysfonctionnements apparents sont
des tentatives ingénieuses d’aide. Cela permet aux patients d’identifier leurs
fonctions.
Les parties protectrices se déclenchent souvent lorsque le patient doit aborder
ou traiter quelque chose de bien particulier. Leurs réactions peuvent être une
réponse à une menace perçue, ou dues à l’impression que d’autres parties ne sont
pas à la hauteur ou incapables de gérer ce qui doit être fait. Le clinicien doit
se rappeler que les parties et les voix, bloquées au temps du trauma, réagissent
comme si la menace ou le danger existait toujours. Certaines parties peuvent
également protéger le système contre des souvenirs envahissants, en détournant
l’attention de sujets ou de détails rappelant le trauma. Souvent le patient et les
autres parties ne comprennent pas ces tentatives d’aide et les perçoivent comme
des agressions. C’est pourquoi les cliniciens doivent aider les patients à explorer
le rôle des différentes parties, y compris les parties les plus difficiles, et leur
apprendre à reconnaître la fonction adaptative des voix ainsi que leur fonction
de protection.
Les parties ont surtout des fonctions protectrices, bien que cela puisse être
difficile à déchiffrer lorsque la partie est agressive et effrayante. La plupart du
temps, les patients diront des choses comme « Je ne pense pas qu’elle essaie
d’aider, elle ne fait que me gâcher la vie ! » ou « Comment ça, aider ? Il me rend
malheureux ! ». Il est important de garder à l’esprit que la remise en question
de la fonction protectrice de la partie est une réponse logique du patient, soit
parce que la voix est vécue comme effrayante et dangereuse, soit parce que des
parties craintives le bloquent et lui font ressentir de l’impuissance. En analysant
les déclencheurs, le patient finira par comprendre que les parties ont tendance
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Une fois que le thérapeute et le patient ont compris la fonction (le « job »)
des parties, il s’agit de continuer à améliorer la relation entre ces parties et
comment le « job » peut être fait de façon plus adaptée. Certaines questions
explorant différentes alternatives peuvent aider ce processus :
Je sais que cette partie peut apprendre à communiquer d’une manière plus
fonctionnelle, mais elle a peut-être besoin de notre aide ?
Pouvons-nous trouver une manière différente et plus adaptée de communiquer ?
Quel type de messages venant de cette partie est plus difficile pour vous ?
Quels types de messages ou de réponses vous aideraient plutôt ?
Comment pouvons-nous l’aider à communiquer ce type de messages ?
Le travail que fait cette partie est important. Explorons d’autres façons d’ac-
complir ce « job » maintenant que vous êtes adulte.
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Vignette clinique
George avait une partie jeune qui se sentait désespérée et suicidaire lorsqu’elle était
déclenchée, et commençait à se scarifier. Il avait des pensées du type « Tu devrais mou-
rir ». En explorant le système, il s’avéra que le suicide était un moyen de mettre fin à
des émotions intolérables de désespoir, dont il ne voyait aucune issue. Comprendre
cette tâche importante, consistant à faire face à l’intolérable, fut réconfortant pour cette
partie. Le travail thérapeutique consista ensuite à l’aider à réaliser que le danger de
l’enfance était passé, et qu’il y avait un adulte aujourd’hui. L’adulte, dont la capacité
d’intégration augmenta, apprit à réconforter la partie plus jeune à chaque fois qu’elle
était déclenchée.
N
Orientation temporelle
L’orientation temporelle est très pertinente dans le travail avec les TDI puisque
certaines parties et voix ont tendance à rester bloquées au temps du trauma.
Nous devons donc aider les patients à comprendre que ce qu’ils ont vécu s’est
produit dans le passé, et que cela ne se produit plus maintenant.
Les questions suivantes sont utiles pour aider les patients à réfléchir à ce
problème fondamental :
Où êtes-vous en ce moment ?
Quel jour/année sommes-nous ?
Quel âge avez-vous ? Quel âge avez-vous la sensation d’avoir en ce moment ?
Vignette clinique
Lauren avait des parties qui ignoraient que le danger de l’enfance était passé et qu’il y
avait aujourd’hui une adulte avec qui collaborer. Une partie critique, une partie hypervi-
gilante et une partie enfant furent amenées à réaliser que le danger de l’enfance était
passé et qu’il y avait aujourd’hui une PAN (adulte) avec de nombreuses possibilités pour
affronter les problèmes. Ce message fut développé et répété de nombreuses fois au
cours des deux premières années de thérapie, car les parties étaient dissociées les unes
des autres. Comme l’a dit Lauren : « Je sais que c’est vrai, mais j’oublie quand une
autre partie émerge. » Avec le temps, et en comprenant de mieux en mieux son système
intérieur, Lauren put, lorsqu’une partie était déclenchée, s’orienter dans le temps (« Nous
sommes en telle année et je ne suis plus une enfant »). Ceci améliora considérablement
son fonctionnement dans la vie quotidienne.
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Compassion/Empathie
Vignette clinique
Charlotte, en tant que PAN, éprouvait du dégout pour une partie enfant qu’elle percevait
comme un bébé pleurnichard et faible. C’était en fait une partie restée coincée dans les
« pleurs d’attachement », avec un énorme besoin d’être en lien. En faisant comprendre
à Charlotte les besoins d’un petit enfant, le fait que cette partie portait des mémoires
trop lourdes pour elle, ainsi que les capacités limitées d’un tout-petit qui se sent seul,
elle éprouva, en tant que PAN, de la compassion et de l’empathie pour cette partie
d’elle-même, bloquée au « temps du trauma ». Elle put alors, par l’imaginaire, se tenir
à côté d’elle, mettre son bras autour d’elle, et réconforter cette partie enfant.
N
Promouvoir la co-conscience
La co-conscience est le partage des expériences ou des tâches entre les parties.
La vie étant vécue comme fragmentée, le développement de la co-conscience est
un outil fondamental qui aide les patients de différentes manières. Premièrement,
cela les aide à réaliser qu’ils sont en sécurité maintenant. Deuxièmement, cela
leur apprend à recevoir et accepter de l’aide, ce qui est souvent difficile pour
ces patients. De façon plus générale, cela leur permet de prendre conscience
de la différence entre fonctionner avec un système intérieur conflictuel avec
des réponses propres à chaque partie, et progresser en équipe et ressentir la
puissance issue de la réunion des ressources. La PAN et les parties disposant de
ressources peuvent « partager » leurs expériences positives et leurs capacités
avec les PE. Au fur et à mesure que le travail avance, les PE peuvent partager
leurs expériences douloureuses avec la PAN et les autres parties-ressources.
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Comme nous l’avons vu plus haut, toutes les parties sont importantes et peuvent
être une aide et une protection dans l’ici et maintenant. La collaboration n’im-
plique pas l’élimination d’une partie mais l’apprentissage d’un fonctionnement
plus coopératif pour trouver, grâce à l’aide du psychothérapeute, un accord
entre toutes les parties. Un message important à rappeler à différents moments
de cette phase de thérapie est que le « job » d’une partie peut évoluer puis-
qu’aujourd’hui, il y a un « adulte » avec plus de capacités, de connaissances
et surtout de choix que dans l’enfance. Par exemple, il peut y avoir une partie,
vécue comme un adolescent, dont la « tâche » consiste à protéger en se mettant
en colère ou en accusant les autres. Cette partie est invitée à collaborer avec
l’adulte en partageant sa force et/ou ses capacités. La psychoéducation peut
être utilisée pour expliquer qu’en cas d’attaque, il a le choix entre courir, se
défendre, appeler au secours, parler à l’agresseur... et « l’adulte » peut prendre
la meilleure décision pour survivre. Par conséquent, cette partie (et son « job »)
sera toujours importante et elle peut désormais collaborer avec l’adulte.
Vignette clinique
Ralph, un homme de 52 ans, avait un passé de négligences graves. Il avait une partie
enfant vulnérable qui avait peur des adultes, des hommes en particulier, une partie
hypervigilante toujours à l’affût du danger, et une partie critique qui lui répétait, une
fois déclenchée, qu’il était faible et inadéquat. En explorant le système, il est apparu
que la partie critique sortait lorsque la partie enfant était déclenchée et avait peur. En
évoquant les déclencheurs, nous nous sommes aperçus que la partie critique essayait de
protéger l’enfant contre la douleur. Le message « Tu es faible, sois fort » était la tentative
de cette partie d’aider la partie enfant à ne pas être blessée. Une fois que cette tâche
fut comprise, ce travail a été reconnu et donc la manière de protéger l’enfant put être
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modifiée. La partie critique, qui n’était pas consciente de la détresse que cela provoquait
chez l’adulte, accepta de collaborer avec lui. Au cours d’une séance ultérieure, il fut
convenu que la PAN pouvait soutenir la partie hypervigilante lorsqu’elle était déclenchée,
notamment lorsqu’elle voyait un homme adulte. Cela permit à la partie hypervigilante
de s’apaiser, et au patient de mieux fonctionner dans sa vie quotidienne puisque les
déclencheurs étaient beaucoup plus faciles à gérer.
N
Critères de préparation
Progression du traitement
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Sachant qu’il peut être trop difficile pour certaines parties d’être présentes lors
du retraitement d’un souvenir, il est important de décider avec le patient quelles
parties peuvent être là (notamment celles qui ont été impliquées dans l’événe-
ment) et celles qui ne doivent pas l’être. Par exemple un patient ayant subi une
agression à l’âge de 6 ans avait d’autres parties qui se vivaient comme étant
encore plus jeunes. La PAN estima que ces parties-là pourraient être submergées
et confuses par le souvenir de cette agression car elles étaient bloquées dans
d’autres expériences traumatiques. Aussi ces parties furent emmenées dans un
« lieu sûr » pendant le traitement. Cette stratégie de titrage du retraitement
permet de réduire les symptômes et augmenter la capacité à fonctionner dans le
présent. Une fois le système renforcé, conséquence des séances de retraitement
des souvenirs, les parties qui ne pouvaient pas être présentes au préalable pou-
vaient désormais progressivement être incluses dans le retraitement, soutenues
par les parties ayant déjà participé aux séances précédentes. Au final, toutes les
parties devront être incluses dans le retraitement pour parvenir à une intégration
complète du souvenir. Mais il est important d’avancer au rythme du patient.
Vignettes cliniques
Anne a été victime d’inceste par son père et ses deux frères. Après plusieurs années de
stabilisation, elle fut prête pour le travail sur ces souvenirs. Lors du ciblage initial d’un
souvenir d’agression concernant le père, trois parties plus jeunes ne pouvaient être
présentes et restèrent dans un « placard » pendant le retraitement. Lors de séances
ultérieures, ces parties réalisèrent que cela leur était arrivé à elles aussi, et partici-
pèrent à une séance de retraitement des souvenirs.
Bill était quotidiennement maltraité physiquement par ses parents et était également
puni par la privation de nourriture et d’eau. Lorsque Bill se sentit prêt pour le retraite-
ment des souvenirs, deux parties sentaient que ce serait trop douloureux pour elles.
Plusieurs séances furent consacrées au travail avec ces deux parties jusqu’à ce qu’elles
soient prêtes. Puis, le souvenir fut retraité avec toutes les parties présentes.
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Les phases 3 à 8 sont les phases de retraitement des souvenirs. Les critères
de préparation énumérés ci-dessus doivent être à un niveau « suffisamment
bon » pour permettre au patient de rester dans sa fenêtre de tolérance pendant
le retraitement des souvenirs. De plus, il doit avoir des stratégies adéquates
de régulation des émotions pouvant être utilisées pour clore la session (si
nécessaire), et gérer le matériel émotionnel susceptible de survenir après la
séance.
Bien que ce ne soit pas le thème de ce chapitre d’élaborer des modifications du
protocole standard et des stratégies pour optimiser l’accompagnement thérapeu-
tique, vous trouverez ci-dessous quelques suggestions utiles avec les patients
TDI.
Phase 3 – Évaluation : chaque partie peut avoir des points de vue différents
dans la phase d’évaluation, c’est-à-dire différentes « pires images ou moments »,
différentes cognitions négatives et positives, émotions et sensations. En général,
lorsque nous arrivons au traitement du souvenir, le patient peut choisir des
composants représentatifs de chacune des parties, mais il peut y avoir des
situations où il vaut mieux verbaliser les différentes cognitions ou les pires
moments, puis se mettre d’accord sur ce qui convient.
Phase 4 – Désensibilisation : alors que certains patients tolèrent bien les séries
standards de SBA (stimulations bilatérales alternées), d’autres patients peuvent
avoir besoin d’aller plus lentement, par exemple, 10 secondes à un rythme plus
lent, et parfois pas plus de 5-6 secondes. Si le patient ou certaines parties
du corps s’activent de manière excessive, le psychothérapeute pourra être plus
interactif avec une présence calme et sécurisante en faisant des tissages cogni-
tifs. Un « tissage cognitif » intervient lorsque le psychothérapeute fournit des
informations, affirme quelque chose ou pose une question qui aide à relier des
informations adaptatives. Par exemple, une phrase telle que « Savez-vous que
vous êtes maintenant à (ville) et que vous êtes un adulte ? » peut aider un
patient à réaliser que la situation est terminée et qu’il a survécu.
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Au fur et à mesure que le travail sur les souvenirs progresse, et que l’intégra-
tion évolue chez le patient, il est capable d’améliorer sa vie quotidienne de
manière plus adaptée et satisfaisante. À partir de là, il est important de retraiter
les déclencheurs actuels – personnes, lieux ou situations – qui déclenchent
les symptômes. Il est alors possible d’élaborer un scénario du futur, adapté,
pour faire face aux situations qui peuvent encore déclencher ; cela implique de
trouver une stratégie adaptative pour gérer le déclencheur actuel et inviter le
patient à imaginer qu’il adopte un comportement adapté. Les SBA sont utilisés
pour renforcer les scenarios positifs, les émotions et comportements qui les
accompagnent. Les blocages qui apparaissent peuvent être explorés et traités
par le biais des SBA ou de l’identification et du retraitement des souvenirs qui
les sous-tendent. Le protocole en trois volets, en particulier le retraitement
des déclencheurs actuels et des scénarios du futur pour améliorer la capacité
d’adaptation, est une partie importante de la phase de (ré)intégration de la
personnalité du traitement par phases.
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Vignette clinique
Michael a toujours eu du mal à dîner seul au restaurant. Après avoir retraité ses pires
souvenirs, les déclencheurs actuels liés à cette difficulté furent traités aussi en se concen-
trant sur les expériences où il s’était senti nerveux et inadéquat. Après le traitement de
chaque déclencheur, un scénario du futur où Michael pouvait aller seul au restaurant fut
mis en place.
N
Il peut être utile de traiter les souvenirs traumatiques plusieurs fois afin de
favoriser la pleine réalisation de l’événement traumatique et son intégration
dans le réseau de mémoire plus large. Un souvenir peut avoir de nombreux
liens et significations pour différentes parties. À chaque fois qu’un souvenir est
retraité, différentes parties peuvent participer à la séance et différents aspects
du souvenir peuvent se dévoiler. Des associations développementales antérieures
au trauma en travail peuvent apparaître et être retraitées aussi.
Vignette clinique
Alice a retraité la pire partie d’une agression sexuelle qu’elle a subie à l’âge de six
ans. Seule la partie de six ans et l’adulte pouvaient être présentes. Le souvenir de façon
plus large a été retraité au cours des séances suivantes. Une plus grande partie de
l’événement est devenue accessible quand la patiente a pris conscience de l’impuissance
et de la détresse ressenties alors. Lors des séances suivantes, d’autres parties ont pu se
joindre au retraitement, ce qui a permis une intégration complète du souvenir.
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R ÉSUMÉ
La thérapie EMDR est une approche en huit phases et en trois volets (passé, pré-
sent, futur), axée sur le retraitement des souvenirs traumatiques qui sous-tendent les
symptômes et déclencheurs actuels. Il est important de fournir des scenarios du futur
pour chaque déclencheur actuel. Pour les patients souffrant de TDI, la stabilisation
appropriée consiste à augmenter la capacité d’intégration, à gérer les symptômes
et à enseigner au patient des stratégies constructives d’adaptation et de gestion des
affects. Le clinicien doit connaître le système intérieur du patient et travailler avec les
parties pour atteindre la collaboration et la coopération, avec le leadership de la PAN.
Lorsque le patient a atteint une capacité d’adaptation suffisante, le retraitement des
souvenirs peut débuter. Ce travail peut être « titré » en se concentrant sur une partie
de l’expérience, plutôt que sur la totalité, en planifiant quelles parties peuvent être
présentes et celles qui ne doivent pas l’être. Mais, au final, toutes les parties devront
retraiter le souvenir. Le psychothérapeute utilise diverses stratégies pour maintenir
le patient dans sa fenêtre de tolérance. Le traitement des déclencheurs actuels et
les scenarios du futur aident le patient à acquérir de nouvelles compétences et des
stratégies d’adaptation, tout en améliorant l’intégration globale du patient.
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Chapitre 13
Psychotraumatologie et clinique
transculturelle : conceptualisation
d’un trouble dissociatif de l’identité
à forme de possession
Sandra Mazaira1
E XPOSÉ DU CHAPITRE
Comme pour l’ensemble des troubles psychiques, la prise en compte de la dimen-
sion culturelle se révèle essentielle pour évaluer le TDI en contexte interculturel. Les
approches transculturelles en clinique invitent à concevoir la culture comme le pre-
mier contenant psychique, et à penser la psychopathologie comme construite d’une
manière immanquablement culturée, prenant racines dans les matrices culturelles
distinctes du thérapeute et du patient. Les patients migrants peuvent exprimer la souf-
france post-traumatique en rapportant des symptômes attribués à l’agissement d’enti-
tés métaphysiques sur eux, avançant des conceptions de la maladie et du soin d’au-
tant plus étrangères au thérapeute occidental. Le risque est grand alors d’une sous-
représentation du diagnostic de TDI au profit de celui de psychose. Ce chapitre pro-
pose une conceptualisation d’un trouble dissociatif de l’identité à forme de possession
articulant psychotraumatologie et approches transculturelles.
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Monsieur Ali a 50 ans, migrant exilé, dont la biographie est jonchée d’événements
adverses depuis le premier âge : maladie puis handicap, pauvreté, violences
intercommunautaires répétées dans un pays en guerre, exil aux multiples trauma-
tismes, y compris intentionnellement induits. Il évoque finalement à demi-mot
qu’il est possédé par une entité métaphysique, une « Femme Djinn », qui lui
fait perdre contact avec la réalité « terrestre » (discontinuités de la conscience,
amnésies, dépersonnalisations et pertes de l’agentivité), et le torture en lui
infligeant des douleurs somesthésiques « comme des coups depuis l’intérieur ».
Il présente alors un statut nouveau : mutisme avec larmes, symptômes neuro-
végétatifs d’anxiété, grimaces évoquant la douleur. Puis de brefs instants de
discontinuité de la conscience, avant de revenir à l’interaction, orienté mais ne
pouvant relater l’épisode. Le discours redevient cohérent et structuré, la thymie
congruente. « Une partie de moi aimerait tout vous dire, ne plus être seul avec
ça (...) mais (...) elle ne veut pas que je parle : elle me torture si je parle. »
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La clinique transculturelle
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M. Ali décrit une relation de longue date avec cette Femme Djinn, ponctuée de passages
dans « l’autre monde des invisibles », décrits comme des épisodes de dépersonnalisation
ou des amnésies partielles, positivement éprouvés. Mais depuis sa stabilisation en Europe
et son souhait d’aborder son passé en thérapie, cette Femme Djinn s’immisce dans son
quotidien et le « torture » de l’intérieur. Face à notre étonnement d’un éloignement par
rapport à la représentation collectivement partagée de ce type de possession, M. Ali
acquiesce : il y a une relation toute particulière entre lui et cette Femme Djinn, ce qu’il
ne s’explique pas.
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de Van Duijl et ses collègues (2014) sur la corrélation positive entre exposition
au trauma, symptômes de dissociation et expérience de possession.
Les études épidémiologiques actuelles tendant à retrouver les caractéristiques
du TDI à travers le monde entier. Certaines d’entre elles ciblent précisément
la concordance entre possession pathologique et TDI en Amérique du Nord, au
Canada, au Brésil, en Europe, en Chine, en Turquie, en RDC, parmi d’autres (Del-
monte et al., 2016). Elles suggèrent notamment que la possession pathologique
dans le cadre d’un TDI peut être éprouvée tant négativement que positivement.
D’autres établissent ces correspondances au travers d’études plus ethnogra-
phiques en collaboration avec des soignants traditionnels (Van Duij et al., 2010)
en Ouganda. Ces considérations poussent les auteurs vers une approche plus phé-
noménologique, invitant le patient à exprimer, dans ses termes idiosyncratiques
et culturels, sa compréhension et son vécu de la division du soi et de la perte de
l’agentivité. Déjà Somer et Nave (2001) indiquaient la nécessité d’inclure dans la
recherche sur le TDI la perspective subjective du patient quant à son expérience
de dissociation, et avaient présenté des études de cas de patients d’origines
diverses diagnostiqués TDI, en mettant en exergue le rôle des croyances spi-
rituelles. Plus récemment, Pietkiewicz, van der Hart et leurs collègues (2021)
à partir d’étude de cas auprès de patientes catholiques en Mauritanie et en
Pologne, suggèrent que l’individu peut s’inspirer du cadre narratif culturel de la
possession pour donner sens à l’incompréhensible qui l’habite.
Finalement, le DSM-5 explicite que le TDI « à forme de possession » peut revêtir
des présentations culturellement codées, et liste quelques critères liés à la
culture pour différencier les états de possession culturellement admis et non
pathologiques de ceux correspondant à des troubles psychiatriques. Ainsi, la
possession pathologique peut être l’une des formes de présentation du TDI.
Cependant, elle ne lui est ni spécifique, ni suffisante, et tous les auteurs consul-
tés soulignent la nécessité de poursuivre les études en ce sens.
C ONCEPTUALISATION D ’ UN
CAS DE TDI À FORME
DE POSSESSION EN CLINIQUE TRANSCULTURELLE
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Développée par van der Hart, Nijenhuis et Steele (2010), la TDSP propose un
étayage théorique, un modèle et une méthodologie pour la clinique de l’ensemble
des troubles dissociatifs, et plus spécifiquement du TDI1 . L’expérience suggère
qu’elle est particulièrement pertinente pour la conceptualisation du TDI en
clinique transculturelle. Elle sera présentée ici directement dans son application
à la conceptualisation du TDI à forme de possession (cf. figure 13.1).
1. Pour une présentation globale de cette théorie et de ses développements récents, le lecteur
est adressé au chapitre 9 d’Eva Zimmermann, pour des questions d’allégement du texte.
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Après la PAN, c’est donc une PEF (partie émotionnellement fragile) qui se révèle,
portant des affects de tristesse, cherchant à relater du matériel traumatique lié
à de la maltraitance répétée, et dont la tendance à l’action est celle de chercher
du lien. L’anamnèse témoigne de la précocité et de la répétition d’événements
adverses durant l’enfance (pauvreté, négligence, séquelles physiques, guerre
civile et cible directe de maltraitances), et permet d’en déduire des manque-
ments majeurs aux besoins primaires, un possible attachement désorganisé
(Liotti, 2011), et l’hypothèse de la création d’une structure dissociative de la
personnalité.
Une PEC (partie émotionnelle contrôle) est évoquée, à première vue animée
par des affects colériques, œuvrant à ce que la PEF ne partage pas le matériel
traumatique qu’elle contient. Cette PEC intruse la PAN sous forme d’hallucinations
acoustico-verbales et de sensations somesthésiques éprouvées comme doulou-
reuses : cette phénoménologie prend sens dans une conception de relation de
possession au travers de ce que le patient nomme une Femme Djinn. Cette
PEC, selon la TDSP, peut être entendue comme le produit de l’introjection de
l’intentionnalité de l’agresseur, sous forme de reviviscences somesthésiques et
d’injonctions agressives, de tendance à l’action de substitution pour faire face
au matériel traumatique inélaboré.
Ici, la PEC apparaît comme relativement autonome par rapport au système :
➙ elle est vécue par la PAN comme une entité externe ;
➙ elle a un pouvoir d’action tel qu’elle peut maltraiter la PAN en lui provoquant
des douleurs somesthésiques et en intrusant sa conscience ;
➙ elle interagit avec l’environnement selon sa propre perspective à la première
personne (elle attaque lorsque la PAN ou la PEF parlent, mais aussi lorsque la
thérapeute la mentionne) ;
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“Binet_82810_BAT” (Col. : Psychothérapie 2014 17x24) — 2022/2/10 — 22:38 — page 219 — #235
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prennent forme et se présentent les PE (ici une Femme Djinn), ou les interactions
entre PAN et PE (ici une relation de tension entre les deux Mondes).
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“Binet_82810_BAT” (Col. : Psychothérapie 2014 17x24) — 2022/2/10 — 22:38 — page 222 — #238
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Séance après séance, nous constatons que le dialogue interne se déploie, les
parties deviennent plus perméables. Parfois M. Ali peut pleurer au récit d’événe-
ments adverses vécus et se dit soulagé du partage. Jusqu’à ce moment récurrent
lors duquel, soudainement, il présente une discontinuité de la conscience, des
symptômes neurovégétatifs d’anxiété, des mimiques de douleur subie, avant de
revenir à lui et de relater que la Femme Djinn s’oppose au dialogue et lui inflige
des coups, malgré ses tentatives de négociation. La TDSP invite à recontextualiser
cette fonction de contrôle agressive comme une stratégie initiale de faire face
au trauma, devenue dysfonctionnelle avec le temps : il s’agit d’amener la PAN à
envisager le comportement de la PEC comme une tentative d’aide dans son besoin
d’évitement, voire également de protection de la PEF en en barrant activement
l’accès. À nouveau, en concordance avec les représentations traditionnelles,
plusieurs formes de possession institutionnalisées sont positivement connotées :
l’invisible peut être bien intentionné, offrir un don, prodiguer au possédé/élu un
statut social privilégié ou protégé (Nathan, 2016). La recontextualisation posi-
tive de la tendance à l’action agressive de la PEC en tentative d’aide maladroite
est ici toujours discutée à partir de la matrice culturelle du patient.
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M. Ali finit par partager que cette Femme Djinn et lui ont une relation d’amour de
longue date. Elle l’a protégé dans les pires moments de sa vie : « J’ai souvent été mis
à genoux..., mais je n’ai jamais supplié. » Il relate sa séquestration dans une prison
clandestine, assistant chaque jour à l’assassinat violent de codétenus. Un jour, les trois
geôliers l’ont choisi, lui. Terrifié, il « sentit » la Djinn intervenir et « la laissa faire ». Il dit
et mime : « Elle était accompagnée de sa garde royale et de 80 soldats. Elle m’a dit de
ne pas avoir peur. Je ne voyais plus rien. Elle a murmuré à mon oreille “Ne me touche
pas”, et ma bouche l’a dit au geôlier. Il m’a giflé, je suis tombé au sol en saignant du
nez. Pris de peur en me voyant (en voyant un possédé agi par un Djinn), ils nous ont
jetés dehors et on a pu se sauver. »
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« J’aime m’évader avec elle dans l’Autre Monde, surtout quand je me sens triste ici. Et
parfois je ne veux pas venir vous en parler. »
R ÉSUMÉ
Psychotraumatologie et approches transculturelles peuvent aisément trouver un point
d’articulation autour du concept de la dissociation traumatique. Cela peut participer
à la diminution des diagnostics erronés de psychose en situation transculturelle et
orienter sur un plan de traitement plus spécifique, notamment lorsque les symptômes
sont post-traumatiques, de présentation psychotique et de nature dissociative. Pour
la clinique du TDI en contexte interculturel, le thérapeute devra s’étayer sur un fais-
ceau de référents théoriques et méthodologiques multiples pour penser sa posture et
construire sa thérapeutique. La prise en compte de la dimension culturelle dans le
champ des troubles dissociatifs est incontournable. Elle est l’opportunité d’élaborer de
nouvelles pratiques de soin, et une chance de penser l’altérité en soi également : ainsi,
elle dépasse le cadre de la clinique interculturelle et s’invite dans toute rencontre.
Remerciements
L’auteure remercie Mme Saida Mohamed Ali, interprète communautaire et média-
trice interculturelle, pour ses apports professionnels et son investissement per-
sonnel inestimables et indispensables.
L’auteure remercie M. Ali, sans qui rien n’aurait été possible.
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