Evaluer Et Prendre en Charge Le Trouble Dissociatif de L'identité

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“Binet_82810_BAT” (Col. : Psychothérapie 2014 17x24) — 2022/2/10 — 22:38 — page I — #1


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Table des matières

LISTE DES CONTRIBUTEURS III

REMERCIEMENTS V

PRÉFACE VII

PREMIÈRE PARTIE
GÉNÉRALITÉS SUR LE TDI

1. Introduire le TDI... 3
Eric Binet, PhD

2. Un point de vue historique sur le TDI 13


Isabelle Saillot, PhD
Du magnétisme à la double conscience 13
De la double conscience aux personnalités multiples 16
La dissociation des fonctions selon Pierre Janet, 16 • Diffusion
internationale de la dissociation, 19
Des personnalités multiples aux altérations de conscience 20
Bleuler et la schizophrénie, 20 • Le continuum dissociatif, 22

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X TABLE DES MATIÈRES

La dissociation, entre renouveau et malentendus 23


TDI et troubles dissociatifs dans le DSM-III (1980), 23 • Vers
une schizophrénie dissociative ?, 25 • La théorie de la dissociation
structurelle de la personnalité, 26
Conclusion 27

3. Les troubles dissociatifs dans la CIM-11 : un changement de paradigme


dans l’histoire de la psychiatrie 31
Dr Jan Gysi
Les traumatismes comme cause des troubles dissociatifs 34
Trouble dissociatif de l’identité et trouble dissociatif de l’identité partiel 35
Trouble dissociatif de l’identité (6B64), 36 • Le trouble dissociatif
de l’identité partiel (6B65), 38 • Considérations diagnostiques, 39 •
Exclusion d’autres troubles, 42 • Preuve de perturbations dans divers
domaines de la vie, 42
Amnésie dissociative (6B61) 43
Trouble de dépersonnalisation-déréalisation (6B66) 43
Autres aspects importants des troubles dissociatifs 44
Troubles de la personnalité, 44 • Trouble du stress post-traumatique
complexe (6B41), 46

4. Neuro-imagerie du trouble dissociatif de l’identité 51


Dr Laurence Carluer
Introduction 51
De l’instinct à la raison 54
Le cerveau triunique, 54 • Le système nerveux autonome, 55 •

La régulation émotionnelle « normale », 56


Neuro-imagerie de la dissociation et du trouble dissociatif de l’identité 57
Neuro-imagerie de la dissociation : un excès d’inhibition
cortico-limbique, 57 • Neuro-imagerie du trouble dissociatif
de l’identité, 60
Conclusion 66

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Table des matières XI

DEUXIÈME PARTIE
PRISE EN COMPTE ET ÉVALUATION DU TDI

5. Évaluation et diagnostic du trouble dissociatif de l’identité :


outils et méthodes 69
Olivier Piedfort-Marin, PhD
Introduction 69
Considérations générales concernant l’évaluation et le diagnostic du TDI 70
Les outils de détection et d’évaluation du TDI 71
Quelle définition de la dissociation ?, 72 • Les principaux questionnaires
de détection utilisés dans la recherche et la pratique clinique, 72
Les entretiens semi-structurés pour le diagnostic du TDI 75
Le Structured Clinical Interview for Dissociative Disorders – SCID-D, 75 •

Le Trauma and Dissociation Symptoms Interview – TADS-I, 77 •


Conclusion sur les entretiens semi-structurés, 78
Diagnostic différentiel : TDI versus TDI partiel et trouble de personnalité
borderline 79
Différencier le TDI du TDI imité 81
Conclusion 84

6. Épidémiologie du TDI 87
Eric Binet, PhD
Introduction 87
Primauté du PTSD en épidémiologie 89
Spécificité de l’épidémiologie des traumas complexes 91
Divergences épidémiologiques et TDI 93
Prévalence du TDI et sex-ratio 94
Expériences traumatiques passées et TDI 98
Conclusion 99

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XII TABLE DES MATIÈRES

7. Les multiples facettes du TDI : tableaux cliniques et psychopathologie


de fond 101
Prof. Vedat Şar
Reconnaître la dissociation 102
La face cachée de la dissociation, 103 • Du subjectif à l’objectivable, 104
• De l’aigu au chronique, 105 • De l’état de possession à l’état

de personnalité, 105
Présentations cliniques du TDI et de ses formes partielles 106
Symptômes neurologiques fonctionnels, 106 • La dépression
dissociative, 107 • Le trouble de la personnalité borderline, 108 •
Attaque psychotique brève, 110 • Réaction dissociative aiguë à
un événement stressant, 111 • Une expérience de possession, 112 •

Enfants et adolescents dissociés, 114


Revisiter la définition de la dissociation 115

8. Comprendre l’émergence d’un TDI au regard du développement précoce


confronté à l’adversité et au nouveau modèle théorique
de l’attachement 117
Alexandra Deprez, PhD
Introduction 118
Qu’est-ce que la théorie de l’attachement ? 118
Adversité, retrait relationnel, attachement désorganisé et dissociation 121
Le TDI : un trouble de l’attachement ? 123
Un autre modèle théorique pour mieux comprendre la traumatisation
complexe 125
L’attachement comme prédisposition pour maintenir la sécurité ou faire face
au danger ? 125
Lien entre le Modèle d’attachement et d’adaptation de Crittenden
et le développement de TDI 131
Quelques pistes pour comprendre pourquoi tous les enfants soumis à
l’adversité extrême ne développent pas forcément un TDI 133

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Table des matières XIII

9. EMDR et TDI à la lumière de la théorie de la dissociation structurelle


de la personnalité (TDSP) 135
Eva Zimmermann
Introduction : le spectre du traumatisme et la thérapie du traumatisme par
l’EMDR 136
La théorie de la dissociation structurelle de la personnalité 137
La classification des séquelles de traumatismes à la lumière
de la TDSP, 139 • La symptomatologie des parties dissociatives
et leur dynamique, 140 • Aspects psychologiques de la dissociation
de la personnalité, 141 • Piliers thérapeutiques de la TDSP, 142 • Selon
la théorie de la dissociation structurelle de la personnalité, qu’est-ce qui
doit être spécifiquement pris en compte pour le traitement du TDI partiel
et du TDI ?, 142
Application de la thérapie EMDR dans le TDI partiel et le TDI 147
Points clés pour la thérapie EMDR avec le TDI partiel et le TDI à la lumière
de la TDSP 149

TROISIÈME PARTIE
PRISES EN CHARGE DU TDI

10. Spécificités de l’accompagnement thérapeutique des patients


présentant une dissociation tertiaire 155
Helene Dellucci, PhD
Introduction 156
Faire connaissance, établir une relation thérapeutique, le premier défi 157
La stabilisation de la vie quotidienne, une vaste affaire 159
Connaître le système intérieur, mission impossible ? 160
Réparer le lien, maintenir le lien, le soin à travers la qualité du lien retrouvé 161
Créer des liens internes constructifs 163
Dépasser les lacunes de développement 164
Apprendre la différenciation 166
Sécuriser le système d’attachement 167
Le traitement des traumas 169
L’évaluation, une stratégie pour maintenir le cap 170

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XIV TABLE DES MATIÈRES

Rester debout en tant que thérapeute marathonien 170


Conclusion 171

11. Trouble dissociatif de l’identité et psychoéducation 173


Emmanuelle Vaux-Lacroix
Introduction 173
Les modèles théoriques en appui 175
La théorie de la dissociation structurelle de la personnalité, 175 • Le soi
adulte, 176
Symptomatologie 177
Du diagnostic à la psychoéducation 179
Notre posture thérapeutique, 179 • La psychoéducation, 180

12. Utilisation de la thérapie EMDR avec le trouble dissociatif de l’identité 191


Roger Solomon, PhD et Dolores Mosquera
Introduction 192
Phase 1 – Recueil de l’histoire et planification du traitement 193
Phase 2 – Préparation et stabilisation 193
Stabilisation et augmentation de la capacité d’intégration, 194 •
Explorer le système intérieur – rencontrer les parties, 194 • Établir
des relations de coopération entre les parties, 195 • Comprendre
le « travail » des parties, 196 • Orientation temporelle, 198 •
Compassion/Empathie, 199 • Promouvoir la co-conscience, 199 •
Collaboration des parties avec le leadership de la PAN, 200 • Critères
de préparation, 201
Points de départ pour le retraitement des souvenirs 201
Progression du traitement, 201 • Décider quelles parties doivent
être présentes et lesquelles ne doivent pas l’être, 202 • Considérations
spéciales à propos des phases 3 à 8 (EMDR), 203 • Protocole en trois
temps, 205 • Traiter les souvenirs plusieurs fois, 206

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Table des matières XV

13. Psychotraumatologie et clinique transculturelle : conceptualisation


d’un trouble dissociatif de l’identité à forme de possession 209
Sandra Mazaira
La clinique en contexte interculturel 210
Culture, traumatisme psychique et psychopathologie, 210 • La clinique
transculturelle, 211 • Évaluer l’étiologie des symptômes de présentation
psychotique en contexte interculturel, 212
La possession pathologique comme interprétation culturelle du TDI 214
Articulation de la possession pathologique et de la dissociation au sens
janétien, 214 • La possession comme interprétation culturelle
de la souffrance post-traumatique et du TDI, 215
Conceptualisation d’un cas de TDI à forme de possession en clinique
transculturelle 216
Une conceptualisation sur la base d’une hypothèse de travail, 217 •
La théorie de la dissociation structurelle de la personnalité appliquée
au TDI à forme de possession, 217 • Une cocréation métaculturelle
de la définition du trouble et de son étiologie, 218 • Une cocréation
métaculturelle des objectifs thérapeutiques et du traitement, 221 •
Un système thérapeutique métaculturel propice au traitement
d’un trouble dissociatif à forme de possession, 222

BIBLIOGRAPHIE 227

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Liste des contributeurs

Eric BINET, PhD


Psychologue clinicien, président de l’AFTD, maître de conférences à l’École de
psychologues praticiens à Paris, chargé de cours à l’université de Lorraine et de
Côte d’Azur, à l’université Paris-V.

Dr Laurence CARLUER
Neurologue, psychopraticienne, formatrice IFS, Espace Jean-Baptiste Charcot.

Helene DELLUCCI, PhD


Psychologue, praticienne et superviseur EMDR Europe. Chargée de cours à l’uni-
versité de Lorraine, membre fondateur de l’AFTD.

Alexandra DEPREZ, PhD


Psychologue et formatrice responsable pédagogique du centre de formation
Humagogie, ingénieure pédagogique.

Dr Jan GYSI
Psychiatre et psychothérapeute FMH à Berne, spécialisé dans le diagnostic et la
thérapie des troubles psychotraumatiques.

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IV L ISTE DES CONTRIBUTEURS

Sandra MAZAIRA
Psychologue, psychothérapeute FSP en cabinet privé, vice-présidente de l’AFTD
(Suisse).

Dolores MOSQUERA
Psychologue, praticienne et consultante EMDR Europe, chargée de cours à l’Uni-
versité nationale d’enseignement à distance (UNED) à Madrid.

Olivier PIEDFORT-MARIN, PhD


Psychologue, psychothérapeute FSP en cabinet privé, directeur de l’IRPT, membre
fondateur et président d’honneur de l’AFTD.

Isabelle SAILLOT, PhD


Docteure en psycho-anthropologie, coordonnatrice du Réseau Janet, elle a pré-
sidé l’Institut Pierre Janet et sa revue Janetian Studies.

Prof. Vedat ŞAR


Psychiatre, professeur à la faculté de médecine de l’université de Koç (Istanbul,
Turquie). Ancien président de la Société internationale pour l’étude du trauma-
tisme et de la dissociation (ISSTD) et de la Société européenne pour l’étude du
stress traumatique (ESTSS).

Roger SOLOMON, PhD


Psychologue, directeur de programme et membre principal de la faculté de
l’Institut EMDR, il enseigne l’EMDR au niveau international.

Emmanuelle VAUX-LACROIX
Psychologue clinicienne, praticienne et superviseur EMDR Europe. Chargée de
cours à l’École de psychologues praticiens et à l’université de Lorraine.

Eva ZIMMERMANN
Psychologue clinicienne, psychothérapeute FSP en cabinet privé, formatrice et
superviseur EMDR à l’IRTP.

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Remerciements

’ASSOCIATION FRANCOPHONE du trauma et de la dissociation, son président et


L ses vice-présidents, tiennent ici à remercier celles et ceux qui ont parti-
cipé historiquement à sa fondation et à son développement depuis sa création
en 2015.
Nous pensons aux membres fondateurs du premier comité : Helene Dellucci,
Bernard Gente, Manoëlle Hopchet, Olivier Piedfort-Marin, Jenny Rydberg, la
Dre Muriel Salmona, le Prof. Cyril Tarquinio, Eva Zimmermann. Puis à celles et
ceux qui leur ont succédé : Eric Binet, Joanna Smith, Alain Simoni, Sandra
Mazaira, Thibaut Lorent, Emmanuel Faraüs, Sophie Le Quillec Obin, la Dre Isabelle
Roy, Alexandra Deprez, Valérie Moralès.
Cet ouvrage sur le TDI n’aurait pu se concrétiser sans la participation de toute
une équipe qui nous a rejoints dans cette aventure mêlant engagement, persé-
vérance et courage. Un engagement clinique d’abord, tant la discussion sur la
thématique du TDI se voit encore trop souvent confrontée à des débats pourtant
déjà dépassés. Elle exige des psychotraumatologues une étude approfondie de la
littérature clinique et scientifique actuelle, et un savoir-faire thérapeutique qu’il
s’agit d’oser présenter au plus grand nombre.
Un engagement associatif ensuite, qui ne compte pas ses heures et qui n’a pas
peur du défi. Car pour rappel, lorsque nous avons choisi d’aborder le trouble
dissociatif de l’identité pour les 4es journées AFTD de Paris le 28 mars 2020, nous
n’avions pas prévu de devoir faire face à l’émergence de la pire crise sanitaire
de notre époque. Et surtout de parvenir à nous y adapter ! En moins de trois

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VI R EMERCIEMENTS

semaines, après avoir craint de devoir annuler le résultat de plusieurs mois


de travail d’équipe, nous avons improvisé, avec les moyens du bord et notre
enthousiasme, la transformation d’un programme en présentiel en distanciel.
Maintenir cet événement sur l’actualisation des connaissances sur le TDI était
pour nous prioritaire. Et nous avons eu raison : un succès inattendu, avec plus
de 400 personnes en ligne et un public particulièrement attentif et ouvert aux
échanges. Nous adressons nos remerciements tout particuliers à Vincent Dennery,
notre collaborateur administratif qui a su, jour et nuit, jouer de toutes ses
compétences afin de mener à bien cette journée en distanciel.
Finalement, après de nombreux tumultes, nous avons eu le plaisir d’entendre
Mesdames Helene Dellucci (Suisse), Simone Reinders (Pays-Bas) en Angleterre,
Manoëlle Hopchet (Belgique) et Françoise Detournay (Belgique) et le Prof. Vedat
Şar (Turquie), le Dr Jan Gysi (Suisse) sous la modération du Prof. Cyril Tarquinio
de l’université de Metz, avec les traductions précieuses d’Emmanuelle Vaux-
Lacroix, Anne Fischler, Emmanuel Faraüs et Thibaut Lorent. Ils ont tous participé
à l’actualisation des connaissances sur le TDI.
D’autres nous ont depuis rejoints dans la suite de cette aventure en participant
à l’enrichissement de cet ouvrage au travers de leurs spécificités ; que tous les
auteurs soient ici chaleureusement remerciés : Mesdames Isabelle Saillot, Dre Lau-
rence Carluer, Sandra Mazaira, Dolores Mosquera, Emmanuelle Vaux-Lacroix, Eva
Zimmermann, et Messieurs Eric Binet, Olivier Piedfort-Marin, Roger Solomon.
Sans oublier les traductions et relectures effectuées par Sophie Le Quillec Obin,
Isabelle Roy, Emmanuel Faraüs et Thibaut Lorent.
Nous tenons aussi à remercier Madame Valérie Le Rey des éditions Dunod pour
ses encouragements à la bonne réalisation de cet ouvrage, pour sa constance et
sa confiance.
Enfin c’est à nos membres qui nous ont fait confiance, de plus en plus nombreux
ces dernières années, que nous adressons nos remerciements les plus cordiaux,
sans leur soutien l’AFTD n’aurait pas l’élan et la dimension qui lui sont propres
actuellement.

Eric Binet, président de l’AFTD, Paris, France


Sandra Mazaira, vice-présidente de l’AFTD, Mont-sur-Lausanne, Suisse
Thibaut Lorent, vice-président de l’AFTD, Gerpinnes, Belgique

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Préface

de l’Association francophone du trauma et de la dissociation, en


L A CRÉATION
2015, sera dans les années à venir considérée comme un moment important
ayant massivement contribué au développement de la psychologie et de la
psychothérapie en France et dans les pays francophones. J’ai eu la chance de
participer à ce mouvement et j’ai fait partie du collectif de départ qui était
alors convaincu de l’importance de promouvoir les problématiques relatives aux
psychotraumatismes et aux troubles dissociatifs.
Aujourd’hui, l’AFTD joue un rôle majeur dans les milieux de la psychologie et
cette association reste, à mes yeux, l’une des sociétés savantes les plus saines
et les plus dynamiques qui soit. Elle fédère bon nombre de spécialistes qui
mettent à la disposition des débutants ou des professionnels, qui connaissent
parfois encore mal nos domaines d’investigation, un ensemble de connaissances
susceptibles de les éclairer dans la prise en charge des patients dissociés.
On doit reconnaître à l’AFTD un véritable engagement, presque militant, qui
consiste à penser que les théories de la dissociation sont porteuses d’une heuris-
tique nouvelle, susceptible d’éclairer de façon plus efficace la compréhension des
patients, qui dans leurs parcours de vie ont été confrontés à des situations trau-
matiques et qui souffrent d’un mal que la psychopathologie a souvent négligé,
tant sur le plan théorique que sur le plan des réponses psychothérapeutiques. Il
est encore des milieux qui associent la dissociation à la schizophrénie, comme si
les connaissances dans ce domaine n’avaient ni bougé, ni évolué depuis un siècle.
Au-delà de la diffusion des connaissances, l’AFTD a su se doter, en lien avec
l’European Society for Trauma and Dissociation (ESTD), d’un support de diffusion

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VIII P RÉFACE

des connaissances scientifiques : l’European Journal of Trauma & Dissociation


(EJTD). C’est l’AFTD qui, ici encore, fut à la manœuvre alors même qu’on l’avait
dissuadée de s’engager dans une telle voie car on pensait le projet irréaliste. En
collaboration avec Elsevier, nous avons alors créé de toutes pièces une revue
scientifique dont la finalité est de promouvoir la recherche fondamentale et
clinique dans le champ du psychotraumatisme et de la dissociation. Depuis
plusieurs années maintenant, la revue publie de façon trimestrielle de nombreux
articles. Aujourd’hui indexée, elle est devenue incontournable dans le domaine
pour tous ceux qui souhaitent publier leurs travaux de recherche fondamentaux
ou cliniques. Oui, les cliniciens aussi sont invités à produire, élaborer, théoriser
et problématiser leur pratique clinique. Cela n’est plus l’apanage des seuls cher-
cheurs. La parole est aussi aux praticiens, qui ont peu à peu compris qu’ils étaient
en mesure de faire évoluer la discipline et de proposer une pensée complexe qui
soit en prise avec la pratique clinique dans le domaine de la psychopathologie
et de la prise en charge psychothérapeutique.
Le livre proposé ici par l’AFTD, qui traite du trouble dissociatif de l’identité
(TDI), s’inscrit dans une telle dynamique. Il y a des livres qui passent et que l’on
oublie et d’autres qui comptent, que l’on ne range jamais dans sa bibliothèque
car ils nous servent. À n’en pas douter, celui-ci comptera ! Il propose pour
la première fois un regard sur le TDI. Le TDI intrigue depuis toujours et bien
qu’il soit reconnu par le DSM-5 et la CIM-11, beaucoup doutent encore de son
existence. Cet ouvrage permet de clarifier les choses et d’apporter des éléments
de compréhension sur un trouble trop souvent caricaturé. Le lecteur trouvera ici
l’opportunité de mieux comprendre la complexité du TDI. Au fil des chapitres, on
ne peut que prendre conscience qu’il s’agit d’une réalité clinique mal maîtrisée
qui impacte bon nombre de patients qui sont souvent en errance thérapeutique
avec leur souffrance ! Cet ouvrage initié par l’AFTD est donc une occasion unique
de faire connaître la nature de ce trouble, sa complexité, son évaluation, tout en
posant le cadre d’une réflexion sur sa prise en charge. Saluons la performance de
l’AFTD et du Docteur Éric Binet, d’avoir réussi à réunir, dans un même ouvrage,
les meilleurs spécialistes internationaux et francophones de la discipline.
Un livre donc, à mettre entre toutes les mains !

Professeur Cyril Tarquinio


Université de Lorraine
Editor-in-Chief of the European Journal of Trauma and Dissociation (Elsevier)

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PARTIE I

Généralités sur le TDI

Chap. 1 Introduire le TDI... . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3


Chap. 2 Un point de vue historique sur le TDI . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 13
Chap. 3 Les troubles dissociatifs dans la CIM-11 : un changement
de paradigme dans l’histoire de la psychiatrie . . . . . . . . . . . . . . . 31
Chap. 4 Neuro-imagerie du trouble dissociatif de l’identité . . . . . . . . . . . 51

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Chapitre 1

Introduire le TDI...

Eric Binet, PhD1

et de la validité des recherches les plus récentes


E N DÉPIT DES PREUVES ACCUMULÉES
en imagerie médicale confirmant l’objectivation de sa réalité clinique, le
trouble dissociatif de l’identité (TDI) continue en France à être méconnu d’une
majorité de professionnels de santé. Certains s’en servent comme d’une cible privi-
légiée, considérant cette forme de fragmentation psychologique ni plus ni moins
comme l’homoncule de Penfield, sorti tout droit d’une imagination débordante
ou d’un scénario hollywoodien. D’autres préfèrent amener le TDI sur un terrain
conflictuel et stérile qui oppose une démarche structurale franco-germanique
– courant psychanalytique – et une approche descriptive anglo-saxonne – courant
cognitiviste et orienté vers le DSM – tout en oubliant qu’il existe une approche
qui combine les deux, si on veut bien prendre en compte les travaux de P. Janet
sur la dissociation ayant inspiré S. Freud. Heureusement qu’aucune molécule ne
guérit à ce jour le TDI, sans quoi nous aurions également à prendre en compte
une théorie du complot commercial. À partir de là, comment expliquer ces bar-
rières continuant de reléguer le TDI et ses souffrances – parfois avec brutalité –
hors du champ de la santé mentale ? Cette sous-évaluation serait-elle l’un des
derniers héritages du cartésianisme et des tenants de l’unité de la conscience ?
Ou serait-elle l’ultime témoignage d’une résistance au démembrement du temple
de l’hystérie par ses derniers gardiens ? Temple aux multiples fondations remon-
tant à l’Antiquité, maintes fois reconstruit et maintenant en ruine, mais toujours
visité avec un engouement certain par ceux-là mêmes qui associent le TDI à la

1. Maître de conférences, École de psychologues praticiens, président de l’AFTD.

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4 G ÉNÉRALITÉS SUR LE TDI

société du spectacle... Ce qui atteste sans doute d’une vraie difficulté à faire
face à l’insupportable, à l’inimaginable associé aux multiples violences extrêmes
sur les enfants et aux tout-petits. Face à cette réalité tardivement reconnue, les
multiples figures du déni et de la dénégation existent hélas bel et bien (Binet et
al., 2007) et peuvent aussi expliquer pourquoi le TDI reste encore impensable,
ou de l’ordre de l’intolérable, pour une grande communauté de professionnels.
Cette entité nosographique est maintenant reconnue internationalement dans les
manuels diagnostiques, pourtant il demeure de façon indéniable des désaccords
sur sa pathogenèse. Divergences qui, soit dit en passant, ne se limitent pas
au TDI (comme pour bien d’autres psychopathologies), même si le TDI peut se
prévaloir d’être la fraction la plus résistante au consensus. Ces controverses
fournissent finalement une nouvelle occasion de vérifier combien il est complexe
de rendre compte d’un phénomène dissociatif en psychologie, psychiatrie ou
philosophie. Car rarement une construction symptomatique a autant suscité de
polémiques au cours de l’histoire moderne de la psychologie, et jamais une
conception comme le TDI n’avait mis autant la dissociation en perspective
dans la psychologie contemporaine. En réalité, peu nombreux sont ceux à ne
pas reconnaître le TDI dans la définition qu’en donne Spiegel (et al., 2011)
lorsqu’il parle d’une dissociation pathologique « vécue comme une perturbation
involontaire de l’intégration normale de la conscience consciente et du contrôle
des processus mentaux ». Cette discontinuité aboutissant à l’émergence de plu-
sieurs états de personnalités distincts, d’identités dissociatives, rejoint bien les
différents tableaux cliniques qui le composent. Pourtant, nous sommes bien
forcés de constater que les cas de TDI passent généralement inaperçus quand
on sait que l’âge moyen du diagnostic se situe entre 29 et 35 ans (Maldonado,
2007).
En ne cessant de se renouveler depuis le milieu du XIXe siècle, les débats d’au-
jourd’hui sur le TDI sont peut-être sur le point de nous faire sortir d’un climat
de controverse idéologique où se conjuguent les lacunes des uns et des autres,
les croyances de part et d’autre. En apparaissant pour la première fois dans
la 4e édition révisée du DSM-IV, Diagnostic and Statistical Manual of Mental
Disorder, de l’American Psychiatric Association en 1994, le trouble dissociatif de
l’identité – auparavant désigné dans le DSM-III (1980) et III-R (1987) « trouble
de personnalité multiple » – a enfin intégré les diagnostics psychiatriques au
niveau international. Cette intégration a également été observée en 1993 dans la
Classification internationale des maladies de l’Organisation mondiale de la santé,
pour devenir beaucoup plus développée dans une section spécifique de la CIM-11
sur les troubles dissociatifs. Cette nouvelle dénomination et une évolution aussi

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Introduire le TDI... 5

importante de la nosographie psychiatrique nécessitent d’être recontextualisées


historiquement et socialement, sans quoi elles peuvent rapidement devenir illi-
sibles, surtout si on ne les situe pas comme un contrecoup à des débats d’une
époque que l’on pourrait parfois qualifier de baroque. Car l’apparente unanimité
qui ressort de ces manuels diagnostiques internationaux n’a semble-t-il pas suffit
à « révolutionner » les pratiques sur le terrain. En effet, peut-on réellement
constater que le TDI est actuellement mieux connu des professionnels en santé
mentale ? Pour celles et ceux convaincus qu’il s’agit bel et bien d’une psycho-
pathologie incontestable, l’identification des personnes simulant un TDI ou de
« faux positifs1 » leur est-elle aisée ? On songe par exemple à ces personnes
qui apparaissent de plus en plus sur les réseaux sociaux, ou d’autres supports
médiatiques, pour mettre en avant leur diagnostic de « TDI » a priori posé par
des « spécialistes ». Sans parler des « faux négatifs » qui eux continuent de
circuler d’urgences psychiatriques en urgences psychiatriques...
Sans doute pas si l’on observe la majorité des psychiatres et des psychologues
qui continuent de douter de son existence ou si l’on compile les programmes de
cours universitaires en médecine ou en psychologie qui n’y font tout simplement
jamais référence. Le changement de paradigme nous faisant passer du trouble de
personnalité multiple au TDI n’a manifestement pas modifié nos représentations
de la dissociation héritées du XXe siècle les ramenant toujours à une forme de
schizophrénie ou d’hystérie. En laissant de côté la notion de personnalité mul-
tiple, des barrières semblent toujours bien s’opposer à une reconnaissance d’une
unité/multiplicité, et à ce trouble de la conscience de soi et de la compréhension
de soi aboutissant à cette compartimentation intrapsychique que recouvre la
notion de TDI. Finalement, ce changement sémantique n’enlève rien au caractère
profondément dérangeant et questionnant auquel nous exposent les personnes
qui en sont atteintes. Pourtant, sans se revendiquer TDI, Edgard Morin (2021)
dans sa centième année reste convaincu du principe de la diversité de l’identité
unitas-multiplex comme d’une évidence : « Le refus d’une identité monolithique
ou réductrice, la conscience de l’unité/multiplicité (unitas multiplex) de l’unité
sont des nécessités d’hygiène mentale pour améliorer les relations humaines. »
Pour résumer son propos, nous assistons à l’émergence d’un moi pluriel contre
un moi unique. Mais n’est-ce pas une pensée proche de celle de Nietzsche
(1888) pour lequel « l’identité est une grande illusion », car « nous sommes

1. En épidémiologie, un « faux positif » correspond à un diagnostic positif donné à une personne


alors qu’elle n’est pas porteuse de cette maladie. Un « faux négatif » correspond à un diagnostic
indiquant qu’une personne n’est pas porteuse d’une maladie alors qu’elle l’est, sans donc avoir été
détectée.

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6 G ÉNÉRALITÉS SUR LE TDI

une multiplicité qui s’est construit une unité imaginaire » ? Pour Morin en effet,
« chacun a une identité complexe, c’est-à-dire à la fois une et plurielle » et
« cela dépend des circonstances et des moments où tantôt l’une tantôt une autre
de ces identités prédomine ». Peut-être les personnes souffrant de TDI que nous
rencontrons possèdent-elles des identités dispersées qui ne se succèdent pas et
ne s’intègrent pas aussi bien que les nôtres ?
On pourrait tout autant se demander si cette psychopathologie, se caractérisant
par le fait qu’un corps peut abriter plusieurs personnalités – supportant ainsi les
stigmates d’une désunion, d’une discontinuité de notre intériorité –, n’entraîne
pas de facto alentour une multiplicité de questionnements, de scissions (pour
ne pas parler de clivages) alors que chacun croit détenir la vérité, dès que l’on
en vient à parler du TDI. Si cet effet miroir déroutant existe, il convient alors de
ne pas chercher à s’en détourner mais plutôt de le prendre en compte comme
une composante inhérente – indissociable oserait-on dire – à cette forme de
psychopathologie et un obstacle tangible à son diagnostic. Cette pluralité de
voix, parfois contradictoires et plus certainement contre-transférentielles, ne
doit pas être escamotée. Il nous revient, non de les défier, mais d’y mettre bon
ordre et de les considérer comme un défi nécessaire à la compréhension du TDI.
Pour aller plus loin, ces voix ne sont pas délirantes, elles incarnent avant tout
des savoirs et des hypothèses médicales, psychologiques d’une époque.
Les fragmentations de personnalités qui caractérisent le TDI entraînent un haut
risque de confusion mais pas seulement chez ceux qui en sont atteints. Plus
généralement, cette réalité clinique incarnée par un poly-psychisme nous inter-
pelle quant à notre propre sens de soi, notre libre arbitre, notre agentivité
pour reprendre le terme d’Albert Bandura (2001). Elle rompt avec la conception
traditionnelle d’un sujet comme être pensant, telle qu’elle est considérée depuis
l’Antiquité par la philosophie occidentale. Contrariant aussi au passage notre
conception unitaire fixe et précise de nous-mêmes, de nos proches, de notre
monde, elle vient heurter les schémas qui organisent traditionnellement notre
pensée. Quel que soit l’abord théorique qui se prête à une réflexion à propos du
TDI, sur ces « divisions subjectives » diraient d’autres (Sauvagnat et al., 2001),
nous sommes amenés à nous interroger sur ce qui, selon nous, notre culture et
nos codes sociaux, constitue une individualité, ce qui nous permet d’en avoir le
contrôle momentanément et d’en conserver une mémoire. Comment, par exemple,
suivant notre histoire de vie, le témoignage qui s’y rapporte, pouvons-nous nous
considérer comme un moi ou un soi unique ? Aussi l’étude du TDI s’impose
ici à travers une synthèse ambitieuse dans cet ouvrage collectif réunissant les
connaissances fondamentales nécessaires pour attester de son existence. Ce

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Introduire le TDI... 7

faisant, cette approche globalisante pourrait donner l’impression d’imbriquer des


paramètres non juxtaposables. Au contraire, richement documentée, elle nous
fait toucher au plus près la complexité spécifique qui traverse le monde interne
des personnes souffrant du TDI.
Qu’elles soient contemporaines ou plus anciennes, dès lors qu’une personne a
présenté plusieurs identités distinctes, des « alters », ce qui fut appelé plus
anciennement encore « double conscience », des « personnalités alternantes »,
un « dédoublement de la personnalité », ou encore « personnalités dédoublées »
(Bless, 1936), des controverses ont toujours ponctué chaque époque. De façon
plus ou moins radicale, surtout si l’on songe à la période du Saint-Office de
l’Inquisition ayant en quelque sorte réglé définitivement le problème de ces
phénomènes « diaboliques ». Mais c’est au cours du XIXe siècle, berceau de l’émer-
gence du « moi pluriel », que le philosophe analytique Hacking (1998) fait
remonter leur apparition à 1885 avec les travaux du Dr Voisin, médecin à Bicêtre,
qui s’intéressa à un patient, un certain Vivet, ne présentant pas moins de huit
personnalités distinctes. Pour rappel, à cette même époque Ambroise Tardieu
(1860) publia une première étude de médecine légale à Paris sur « les sévices
et mauvais traitements exercés sur les enfants ». 632 cas de violences sexuelles
y étaient recensés, pour la plupart sur des mineures concernant lesquelles,
notait Tardieu, ces viols pouvaient conduire à l’hystérie, voire au suicide. Dans
une autre publication en 1868, il ne dénombrait pas moins de 726 meurtres
de nouveau-nés à Paris identifiés entre 1837 et 1866. Ce changement du dis-
cours médico-légal ouvrait à une première exploration épidémiologique de ces
violences, en particulier sur les enfants, sans pour autant qu’elle ait un vrai
retentissement. Il faudra finalement attendre encore plus d’un siècle, les tra-
vaux du nord-américain Silverman publiés en 1953, pour que ces violences
commencent à être reconnues à leur juste mesure. Reconnues physiquement du
moins, car la reconnaissance des conséquences psychologiques ne viendra que
bien plus tard... Quasiment un siècle après les études de Tardieu. Un siècle que
l’on pourrait intituler « au nom du fantasme », déniant quasi systématiquement
tous les témoignages d’agressions sexuelles vécues pendant l’enfance, encore
plus pendant la petite enfance. Quitte à banaliser ou à normaliser ces révélations,
par exemple sur l’autel de l’interprétation du complexe d’Œdipe, dont il n’est pas
rare d’entendre encore les échos dans certains parcours psychothérapeutiques
ou médico-sociaux particulièrement douloureux retracés par des patients.
Pourtant, ces descriptions de « multiplication de consciences », de « multiper-
sonnalités », dans les articles d’Henri Piéron, Alfred Binet en passant par la

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8 G ÉNÉRALITÉS SUR LE TDI

présentation que Pierre Janet avait fait du cas d’Estelle, âgée de 11 ans, initia-
lement décrit par Despine en 1840 ne datent pas d’hier. Elles remontent à la fin
du XIXe siècle, début du XXe , époque où cette multiplicité pouvait être associée
à l’hystérie, à la transe religieuse ou une psychose hallucinatoire, jusqu’à la
considérer comme de la schizophrénie. Autant de versions diagnostiques héritées
d’une théâtralisation de la psychiatrie qui doit sans doute beaucoup à l’œuvre
de Charcot. Au fil du temps, plusieurs modèles théoriques ont tenté en parallèle
d’élaborer des modèles explicatifs, souvent hélas, avec des caractérisations trop
restrictives. L’un d’eux, fort répandu, repose sur l’hypothèse les considérant
comme de simples altérations de la personnalité, des « personnalités méta-
phoriques ». Mais plusieurs recherches en imagerie médicale (Reinders et al.,
2012 ; Schlumpf et al., 2014) ont clos ce chapitre. Effectivement, des personnes
simulant un TDI ne présentent pas les mêmes profils neurophysiologiques que
les personnes réellement atteintes d’un TDI. Est-ce à dire que les personnes
se dissocient d’une manière différente au XXe siècle qu’au XIXe siècle ? Où les
observations des cliniciens auraient-elles évolué au cours du temps ?
Si on associe l’apparition d’un TDI à des maltraitances apparues très préco-
cement, en particulier liées à des violences sexuelles, le fait est que nous
n’avions effectivement pas les mêmes représentations de cette réalité avant les
années 1980. Cette reconnaissance est récente et clairement nous ne retrouvons
pas d’identification de cette forme d’iatrogénie dans le passé à moins de les
considérer comme de simples « souvenirs-écrans » ou des fantasmes incestueux
ou incestuels. Ainsi, on ne peut être que frappé de constater combien la souf-
france des enfants et des tout-petits liée aux maltraitances, pas seulement
sexuelles, a longtemps été méconnue, sous-estimée. Cultures et époques sont
des caractéristiques qui influencent l’acceptabilité ou l’accessibilité à certaines
notions psychologiques au point de s’interroger parfois si ces notions ne sont pas
de pures constructions sociales. Ainsi, que l’on engage le débat pour savoir si le
TDI est une réalité ou une pure fantaisie de l’esprit – ce qui en soit met de côté
les deux classifications diagnostiques internationales y faisant référence (APA et
OMS) –, les échanges qui en découlent ne sont pas qu’une simple controverse,
ils illustrent des courants de pensée, des formes de constructions sociales avec
toutes les confusions et les avatars qu’elles peuvent générer.
Néanmoins, comme en France avec les « épidémies d’extases » au XVIIIe et jus-
qu’au début du XIXe siècle dans le cimetière jouxtant l’église Saint-Médard à Paris,
on ne peut ignorer la période outre-Atlantique au cours de laquelle sont apparues
d’innombrables personnalités multiples activées par des psychothérapeutes peu

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Introduire le TDI... 9

scrupuleux, avec des pratiques anti-déontologiques, ayant voulu voir systémati-


quement dans les malaises existentiels de leurs patients des agressions sexuelles
vécues durant leur enfance. Si à cela nous ajoutons les enjeux politiques propres
aux élections outre-Atlantique des shérifs, procureurs de districts et juges dans
une majorité d’États, nous avons là de quoi obtenir en réalité une multiplication
des dossiers de cas d’allégation de pédocriminalité – mettant en cause aussi
bien hommes et femmes, jeunes ou retraités –, menés tambour battant le temps
des campagnes électorales. L’épidémie de pseudo « personnalités multiples »
associée au « mouvement des souvenirs retrouvés » accompagnés de procès
retentissants, médiatisés avec la retenue que l’on sait, accrut jusqu’au début
des années 1990 encore plus cette méfiance ancestrale. Elle a en réalité mis en
évidence, outre la dimension pernicieuse d’un système politico-judiciaire d’une
époque, que la dissociation pouvait être induite expérimentalement comme l’ont
décrit Spanos (1994) ou Fareng et Plagnol (2014). Ce faisant, cette mésaventure
nous a appris qu’il y a un réel risque à attribuer trop rapidement un rôle étiolo-
gique unique aux mémoires dites traumatiques pour expliquer l’émergence d’un
état dissociatif. Comme E. F. Loftus l’a expliqué depuis 1993 puis plus récemment
encore (2012, 2014), non sans soulever de nombreuses polémiques, il ne fait
aucun doute que de meilleurs appuis empiriques soient nécessaires, sans doute
multifactoriels, pour comprendre les phénomènes dissociatifs comme les causes
des troubles dissociatifs. Pour le dire autrement, nous savons maintenant que
la dissociation ne protège pas d’influences suggestives, d’échecs de mentalisa-
tion (Berthelot et al., 2013). Elle peut même augmenter la vulnérabilité aux
influences suggestives liées au stress (Giesbrecht et al., 2010). En somme, nous
voilà de plus en plus amenés à considérer qu’il n’y a pas forcément de lien direct
entre un traumatisme et la dissociation mais une complexité causale aggravée
par le traumatisme impliquant de nombreuses variables autres que le trauma-
tisme lui-même. Ce chevauchement de plusieurs variables, tant quantitatives que
qualitatives, donnerait une piste explicative pour comprendre pourquoi certaines
personnes victimes de violences sexuelles dans leur enfance développent un TDI
et d’autres pas. Faute de ne pas tenir compte de ces différentes configurations,
le risque est grand de frôler la pétition de principe et finalement de n’assoir
notre capacité à rendre compte des phénomènes dissociatifs en ne se référant
qu’à une seule conception, en réalité une seule croyance.
Si les points de vue divergent sur le TDI, notre souhait ici ne sera pas de les
opposer, mais plutôt dans une perspective irénique de comprendre ces positions
mieux qu’elles ne se comprennent elles-mêmes. Au-delà de clivages, ces désac-
cords sont un défi actuel pour que plusieurs thèses puissent se rencontrer, même

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10 G ÉNÉRALITÉS SUR LE TDI

s’il est fort possible que cet ouvrage entraîne de nouvelles polémiques. Pour
étonnant que cela puisse apparaître à nos collègues anglo-saxons, il a donc fallu
attendre 2020 pour qu’un congrès ayant pour thème le TDI soit organisé pour
la première fois en France sous l’égide de l’Association francophone du trauma
et de la dissociation (AFTD). Cela sans attentes socioculturelles ou influences
médiatiques particulières à notre connaissance, ou sans que nous envisagions
son abord par un effet de mode. Il est tout aussi surprenant de constater que
cet ouvrage sur le TDI est aussi le premier écrit originellement en français, alors
que plusieurs publications internationales sont parues pour certaines il y a plus
de vingt ans. Nous sommes donc très loin de la « frénésie » ou du « militantisme
en vogue » entourant cette entité psychopathologique que dénoncent certains
depuis fort longtemps. Nous y voyons plutôt une extrême prudence. Et cet
ouvrage en particulier en est la preuve.
Les trois parties qui le composent permettent de répondre à de nombreuses
questions en s’appuyant à la fois sur des études empiriques et une vue d’en-
semble des conditions dans lesquelles le TDI se produit. Ces personnalités ou
états émotionnels (voire entités comme dans les phénomènes de possession)
qui, de façon récurrente, contrôlent le comportement et le corps d’un même
individu à des moments différents, coexistent en même temps et peuvent donner
l’impression que l’on a affaire dans un seul corps à une ou plusieurs personnes
séparées et distinctes (en âge, en genre) mais comment cela se produit-il ? Plus
généralement, on admet de plus en plus que le TDI est une forme d’adaptation
ultime à des maltraitances précoces, mais est-ce toujours le cas ?
Dans la première partie de cet ouvrage, nous aborderons quelques généralités
sur le TDI sur le plan historique en établissant des correspondances entre les
grandes étapes de sa reconnaissance en psychiatrie, avec les nombreux aléas
diagnostiques que recouvrent encore aujourd’hui la différenciation des comorbi-
dités incluant les notions de personnalités multiples, de TDI et de TDI partiel.
Une approche qui nous amènera à comprendre comment, dans les nosographies,
a pu s’opérer cette reconnaissance du TDI. Sans oublier la place de la neurologie
moderne, plus particulièrement de l’imagerie médicale, qui a éclairé sous un
nouveau jour cette psychopathologie. Une approche qui, comme nous le verrons,
rend beaucoup plus irrecevables toutes les extrapolations critiques ayant jusque-
là freiné la reconnaissance du TDI. Cette première partie sera donc l’occasion de
vérifier que le TDI est maintenant un diagnostic bien objectivable sur un plan
méthodologique.
Une fois ce cadre conceptuel et terminologique posé, une deuxième partie sera
consacrée à l’identification des différentes sources permettant d’en prendre la

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Introduire le TDI... 11

mesure. Aussi passerons-nous en revue quelques outils et méthodes d’évaluation


du TDI, puis nous verrons ce que l’épidémiologie a à nous apprendre à son sujet.
Dans un chapitre suivant, la multi-dimensionalité du TDI notamment sur le plan
culturel sera abordée puis complétée par une réflexion sur les origines possibles
des vulnérabilités vécues pendant la petite enfance pouvant suggérer l’appa-
rition d’un TDI plus tard. Après ces considérations psychodéveloppementales,
l’apport de la théorie de la dissociation structurelle de la personnalité (TDSP)
clôturera cette deuxième partie en nous proposant un modèle psychologique de
compréhension du TDI, avec l’utilisation de la psychothérapie EMDR.
Enfin la troisième partie de cet ouvrage, tout en se conformant aux lignes direc-
trices de consensus proposées par l’ISSTD (2011), se penchera sur différentes
facettes du traitement psychothérapique du TDI. Nous ouvrant à des perspectives
thérapeutiques encourageantes, l’importance de l’établissement d’une relation
thérapeutique sera d’abord discutée, avant d’envisager plus précisément com-
ment la psychoéducation est cliniquement une étape fondamentale dans le suivi
des patients. Plusieurs exemples du suivi en psychothérapie EMDR de patients TDI
donneront une illustration des particularités nécessaires à leur réussite. Enfin,
un dernier chapitre envisagera combien il est important de connaître les autres
spécificités du TDI dans le champ de la clinique transculturelle.
Si le TDI a suscité de tels débats et de telles controverses, sans doute est-ce
également pour de bonnes raisons mais, malgré la force de l’éloquence associée,
on ne peut que constater la faiblesse des modèles explicatifs qui s’y opposent,
ne serait-ce que pour contredire les publications les plus récentes en imagerie
médicale. Ainsi, un consensus commence maintenant à émerger dans la com-
munauté francophone, il repose sur la certitude que le TDI est objectivable
neurobiologiquement. Ce n’est pas dire que cette forme de psychopathologie
n’est plus une construction sociale « en surface » au sens où l’emploie Hacking
(1997), cela dit juste qu’elle n’est plus seulement ou simplement un produit de
notre culture. Cela ne dit pas non plus qu’il n’y a pas des personnes qui puissent
présenter des TDI imités, bien au contraire, il en sera justement question.
Au terme de cette introduction, s’il s’avère que les controverses entourant le
TDI sont innombrables, tant sont nombreux ceux qui y voient une fiction, la
file active de publications qui s’y réfèrent s’amenuise depuis une vingtaine
d’années. En tant que président de l’Association francophone du trauma et de
la dissociation, je forme le vœu que ce premier ouvrage en langue française
entièrement dédié au trouble dissociatif de l’identité puisse enfin aider soignants,
professionnels du champ médico-social ou éducatif mais également judiciaire, à
aborder avec une meilleure compréhension les personnes atteintes du TDI. Qu’il

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12 G ÉNÉRALITÉS SUR LE TDI

soit aussi l’occasion d’un meilleur repérage, voire d’une meilleure prévention
de la traumatisation complexe qui ne peut, ni ne doit, se limiter au TDI. Enfin,
qu’il soit aussi l’illustration de la sortie d’une psychiatrie d’un autre âge en
permettant au plus grand nombre l’accès aux recherches les plus récentes tout
en étant toujours ouverts sur une possible réfutabilité.
Même s’il reste fort à parier que s’il y a probablement un moyen de se fâcher
assez rapidement entre professionnels dans le champ de la santé mentale, le
plus simple restera toujours de parler du TDI...

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Chapitre 2

Un point de vue historique sur le TDI

Isabelle Saillot, PhD

E XPOSÉ DU CHAPITRE
Le trouble dissociatif de l’identité stricto sensu (TDI ou Dissociative Identity Disorder /
DID en anglais) a fait son apparition dans la version de 1994 du manuel de l’APA, le
DSM-IV. Il y était entré, en réalité, une première fois en 1980 (DSM-III) sous l’appella-
tion de « trouble de personnalités multiples » (Multiple Personality Disorder / MPD en
anglais).
Cependant le TDI avait une bien plus longue histoire, et plusieurs générations de
cliniciens y avaient déjà contribué de leurs travaux. Nous retracerons dans ce chapitre
les grandes lignes de cette épopée, que nous faisons débuter au XVIIIe siècle par
Mesmer, bien que ce trouble soit clairement attesté depuis l’Antiquité.
Après la synthèse fondatrice du médecin-psychologue P. Janet, le trouble dissociatif
inspire plusieurs écoles de psychiatrie et de psychologie jusqu’à nos jours, dont nous
évoquerons les principales. L’introduction du trouble au DSM en 1980 est une grande
avancée clinique... qui ne tarde pas, toutefois, à soulever de nouveaux débats, qui
seront ici présentés. Ces récents développements nous permettront d’aborder les
derniers questionnements en cours sur le TDI, liant étroitement son histoire à son
devenir.

DU MAGNÉTISME À LA DOUBLE CONSCIENCE

L’étude des troubles dissociatifs émerge graduellement de l’ancien magnétisme


et de l’hypnotisme, sur une période courant de la seconde moitié du XVIIIe au

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14 G ÉNÉRALITÉS SUR LE TDI

milieu du XIXe siècle. F. A. Mesmer (1734-1815) ne contribue pas directement à


ces études, mais c’est en s’inspirant de ses procédés que le marquis de Puysé-
gur (1751-1825) définit le « somnambulisme magnétique », ou somnambulisme
provoqué par magnétisation. Son approche, élaborée en traitant son patient
Victor, constitue la première version de ce qui allait bientôt devenir l’hypnose. Le
médecin A. Bertrand (1795-1831) et le naturaliste J. Deleuze (1753-1835) font
rapidement le rapprochement entre l’état de somnambulisme provoqué et une
maladie bien souvent évoquée à l’époque – mais peu comprise –, l’hystérie. En
réfutant le rôle d’un « fluide » magnétique et en attribuant l’état somnambulique
à « l’imagination » du patient, Deleuze fait entrer l’hypnotisme dans le registre de
la psychiatrie et de (ce qui ne s’appelle pas encore couramment) la psychologie.
C’est en étudiant ces recherches pionnières que le chirurgien J. Braid, dans son
livre de 1843 intitulé Neurohypnology, promeut la notion d’hypnotisme pour la
dégager définitivement des conceptions « fluidistes » du magnétisme animal,
dont la dénomination subsistera cependant plusieurs décennies encore.
Les bases psychologiques de l’hypnotisme étant posées, les premiers cas cliniques
représentatifs vont pouvoir être décrits. Peu avant 1850, en effet, de nombreuses
expériences d’hypnotisme, ou somnambulisme provoqué, dégagent l’idée que
sous l’effet de cette pratique certains patients subissent une « division » ou un
« dédoublement » de la conscience. Ainsi, en 1840, le médecin C. Despine (1777-
1852) publie le cas d’Estelle L’Hardy, qui peut être considéré comme la première
publication d’un trouble dissociatif (ou TDI) indubitable. Cet article important
rattache alors les recherches sur le somnambulisme provoqué au domaine d’étude
de la « double conscience ». En 1876, le chirurgien E. Azam (1822-1899) publie
le cas clinique de Félida X qui connaîtra un grand retentissement. Cette publica-
tion assoit le modèle de la double conscience, encore conforté par son ouvrage
de 1887 Hypnotisme, double conscience et altérations de la personnalité. Selon
J. Carroy, historienne de la psychologie, c’est le cas Félida X qui révèle enfin
l’explication du « cas Estelle » de Despine.
En 1888 a lieu un important événement pour l’histoire du TDI : les médecins
H. Bourru et P. Burot, en réévaluant le cas clinique Louis Vivet, lui attribuent
le premier diagnostic de personnalités multiples, et non plus « double ». En
1997, l’accès au dossier médical du patient a permis au psychiatre H. Faure
et ses collègues de confirmer ce diagnostic, qui avait pourtant été écarté non
seulement par ses médecins contemporains, mais aussi par des auteurs plus
récents, en particulier I. Hacking. Notons au passage que le cas Louis Vivet
constitue une démonstration de l’existence de l’hystérie masculine dès l’année
1886. Par ailleurs, la publication de H. Faure et ses collègues met aussi en

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Un point de vue historique sur le TDI 15

lumière que le cas Félida X, d’E. Azam, présentait également plus de deux per-
sonnalités alternantes : les diagnostics de simple dédoublement (au lieu de
divisions multiples) ont probablement tenu au souhait des médecins de l’époque
de s’insérer dans le nouveau paradigme de double conscience. De ce point de
vue, Félida X précède donc Louis Vivet, a posteriori, comme premier cas avéré
de personnalités multiples près d’un siècle avant l’apparition du diagnostic de
TPM – prédécesseur direct du TDI – dans le manuel de l’APA.
En cette fin du XIXe siècle, de nombreux médecins étudient donc le phénomène de
double conscience grâce à l’hypnotisme. Ces praticiens ont affaire à des patients
aux multiples désordres physiologiques (digestifs, dermatologiques, neurolo-
giques...), que ces approches médicales ciblent en priorité... Nous retrouverons
plus tard ces pathologies sous le terme de troubles somatoformes, mais ceci sera
détaillé par la suite. Tandis que le lien à des traumatismes antérieurs est déjà
bien établi, un tournant historique va bientôt se produire, quand J.-M. Charcot
(1825-1893), neurologue à l’hôpital de la Salpêtrière (Paris), réussit le tour de
force de réintégrer ces pratiques et études au sein de la médecine académique.
Rejetées par l’Académie de médecine depuis 1842, les études sur l’hypnotisme
sont réhabilitées par le prestige et le sérieux du grand neurologue. Lors de
ses célèbres séances du mardi, Charcot montre alors que les sujets hystériques,
une fois hypnotisés, manifestent des phénomènes psychologiques qui réclament
une étude plus approfondie. En provoquant par hypnotisme des crises d’hystérie
« artificielles », il établit que les « idées » des sujets jouent un rôle majeur dans
cette pathologie, qu’il rattache donc aux névroses, ou troubles fonctionnels.
Bientôt d’autres médecins suivent son exemple et l’étude de l’hystérie se rattache
désormais fermement à la psychologie. L’école de la Salpêtrière – comme on ne
tarde pas à l’appeler – sera bientôt critiquée par le médecin H. Bernheim (1840-
1919), à la tête de l’école de Nancy, mais elle a donné une impulsion décisive
à l’étude des liens entre hystérie et somnambulisme provoqué, anticipant dès
la fin du XIXe siècle les recherches actuelles sur le TDI et ses thérapeutiques.
Et l’une des contributions majeures de l’école de la Salpêtrière reste sûrement
d’avoir inspiré les premiers travaux de P. Janet et de l’avoir soutenu au début de
sa carrière.

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16 G ÉNÉRALITÉS SUR LE TDI

DELA DOUBLE CONSCIENCE AUX PERSONNALITÉS


MULTIPLES
N

La dissociation des fonctions selon Pierre Janet

Passionné de psychologie depuis son enfance, P. Janet (1859-1947) entreprend


des études de philosophie, qui englobe alors la psychologie comme spécialité.
Agrégé en 1882, nommé professeur au Lycée du Havre, il commence à s’occuper
des patients de l’hôpital psychiatrique. Il soutient son doctorat sur L’automa-
tisme psychologique en 1889 ; il s’agit de la première synthèse de l’histoire
sur la dissociation traumatique. Ce travail est immédiatement reconnu comme
extrêmement novateur. Charcot l’invite à diriger le laboratoire de psychologie de
l’hôpital de la Salpêtrière à Paris. Il est docteur en médecine en 1893 avec sa
thèse sur L’état mental des hystériques. Praticien toute sa vie, fondateur de la
Société française de psychologie (1901), titulaire de la chaire de psychologie
du Collège de France, Janet produira plus d’une centaine d’articles de recherche
et de livres sur la psychologie normale, pathologique, et sur l’histoire de sa
discipline. Unanimement reconnu comme l’un des plus grands psychologues de
son temps, ses conceptions ont eu une large influence de l’Europe aux Amériques,
sur plusieurs générations.
Dans son traité des névroses (Janet, 1909), Janet résume ses conceptions à
propos des deux grandes pathologies qu’il a identifiées : la psychasténie et la
dissociation (l’hystérie). Un passage nous donne à voir le mécanisme d’appari-
tion d’une crise dissociative de reviviscence. Janet souligne d’emblée l’étiologie
traumatique du trouble :
« Ces accidents débutent d’ordinaire à l’occasion de chocs traumatiques, (...) il
s’agit d’un incendie, du feu mis à ses robes par une lampe à pétrole ; dans d’autres
d’une chute de tramway, d’une chute de bicyclette... » (Janet, Les névroses, 1909,
p. 202)

Il faut souvent une période d’incubation pour que le sujet éprouve ses premiers
symptômes. Ceux-ci se présentent alors comme des pertes, des lacunes, aussi
bien psychologiques que somatiques :
« Ce sont diverses défaillances (...) des troubles de la perception sous forme
d’inattention et d’anesthésie, des troubles de la mémoire qui constituent diverses
formes d’amnésie, et surtout des troubles de l’action (...). La conscience du sujet
semble perdre de tous côtés le contrôle sur diverses fonctions. » (Ibid. p. 203)

Après l’incubation, les crises de reviviscence traumatique apparaissent à la suite


d’un élément déclencheur :

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Un point de vue historique sur le TDI 17

« De petits phénomènes extérieurs (...) rappellent d’une manière plus nette l’émo-
tion initiale. La vue d’une flamme, quelquefois d’une simple allumette, va amener
l’attaque chez nos sujets impressionnés par un incendie. » (Ibid. p. 204)

Le début de la crise est perceptible au changement de comportement du sujet,


et détail notoire, la crise elle-même ne laisse pas de souvenir en mémoire :
« L’état mental du sujet devient de plus en plus anormal (...) le sujet ne nous
répond plus et ne paraît pas réagir aux excitations du monde extérieur, (...) après
l’attaque il ne paraît pas se souvenir de ce qui s’est passé. » (Ibid. p. 206)

Dans sa thèse de médecine (1893), qui devient le traité L’état mental des hys-
tériques (1894), P. Janet revient sur le cas clinique d’Irène, très démonstratif.
À l’âge de 20 ans, Irène doit s’occuper de sa mère atteinte d’un cancer. Son
état s’aggravant, elle la veille durant 60 jours et nuits, tout en travaillant à la
couture. Sa mère meurt et Irène s’épuise à tenter de la réanimer. Quelque temps
après, son attitude est surprenante : elle semble avoir totalement oublié les
événements, pourtant, elle est régulièrement terrassée par des crises où elle en
rejoue les moindres détails.
Tandis qu’entre ses crises, Irène souffre d’une amnésie du trauma, pendant ses
crises sa mémoire est d’une précision invraisemblable : c’est l’hypermnésie. Ainsi,
pour Janet :
« Cette exagération de la mémoire, ces hallucinations qui remplissent les crises
(...) l’hypermnésie semble (...) le phénomène essentiel de la maladie. » (Janet,
L’état mental des hystériques, 1894, p. 215)

Pour Janet, la dissociation traumatique est surtout une maladie de la mémoire.


La mémoire n’a pas pu intégrer l’événement à la continuité biographique du
sujet, l’amnésie devient donc le symptôme principal :
« La maladie consiste en deux choses simultanées : 1° l’incapacité où est le sujet
d’évoquer consciemment et volontairement les souvenirs ; 2° la reproduction
automatique irrésistible et inopportune de ces mêmes souvenirs. (...) la maladie
consiste dans l’émancipation de certains souvenirs que la conscience générale ne
gouverne plus et qui se développent indépendamment d’une manière exagérée. »
(Ibid. p. 528)

Les souvenirs traumatiques, devenus subconscients, reviennent sous forme auto-


matique : c’est la crise de somnambulisme. L’événement traumatique est devenu
une « idée fixe », figée dans le trauma. Une idée fixe est :
« (...) un système composé d’une foule de phénomènes psychologiques associés
les uns aux autres. Les éléments sont : quelques tableaux visuels, des images
empruntées aux différents sens, un petit nombre de tendances motrices, et surtout
des phrases. » (Ibid. p. 662)

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18 G ÉNÉRALITÉS SUR LE TDI

Ces idées fixes disposent de leur moi et de leurs souvenirs : P. Janet propose le
terme de subconscient plutôt qu’inconscient car ces fragments de personnalité
dissociés sont loin d’être dénués de conscience, ils forment plutôt une conscience
secondaire, inaccessible à la conscience principale.
Pour Janet la dissociation des souvenirs et des fonctions est causée par l’émotion
(il entend par là un « choc émotionnel ») :
« L’émotion, (...) a une action dissolvante sur l’esprit, elle diminue sa synthèse
(...). Cette dissociation des souvenirs [entre] dans le groupe plus général de la
dissociation des synthèses par les émotions. » (Ibid. p. 532)

La dissociation des fonctions, ou défaillance des synthèses, peut s’expliquer par


le rétrécissement du champ de conscience, par analogie avec le champ visuel :
sous l’effet d’un choc émotionnel, la synthèse n’a plus assez de force pour
emmagasiner l’intégralité des données vécues. Le champ de conscience rétrécit,
laissant échapper des éléments qui sont mémorisés à part, dans ce qui deviendra
une partie dissociée de la personnalité principale.
Clinicien hors pair et inventeur en 1896 de l’expression « psychologie clinique »
(comme le rappelle R. Plas en 2000), P. Janet est également l’un des plus
grands théoriciens de la psychopathologie moderne, dont le commencement peut
d’ailleurs être fixé au début de ses publications. En dehors de ses contributions
majeures au champ de la psychologie normale, de la fatigue, de la rumination et
de l’obsession (« psychasténie »), il est donc, pour ce qui nous concerne ici, le
concepteur du premier modèle intégré de dissociation traumatique.
P. Janet a consacré une grande partie de ses travaux à réinterpréter les notions
les plus débattues de son temps, au premier rang desquels l’hystérie, l’hypnose, la
suggestion et la suggestibilité, l’inconscient, le magnétisme animal, le médium-
nisme et le spiritisme, la possession, l’écriture et la parole automatiques. En
positionnant ces concepts dans le cadre novateur de son modèle dissociatif, il
leur a conféré un sens inédit, tout aussi original que personnel. Dans bien des
cas, le mot seul subsiste, tout à fait découplé de son sens courant : un effet
particulièrement sensible pour les termes encore usités (et débattus) de nos
jours. Au final, les bouleversements terminologiques et théoriques introduits par
Janet s’apparentent à un changement de paradigme. C’est pourquoi la lecture
de Janet, facile au premier abord, nécessite en réalité une profonde immersion
dans son système et son vocabulaire : comme nous allons le voir, le vocabulaire
de Janet aura une belle postérité... mais dépouillé de sa signification d’origine !

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N Un point de vue historique sur le TDI 19

Diffusion internationale de la dissociation

La modélisation de la dissociation des fonctions de P. Janet connaît une large


diffusion en Europe et en Amérique grâce à ses articles, ses livres, ses cours au
Collège de France qu’on vient écouter de plusieurs pays : C. Jung, J. Piaget, ou
H. Ey font partie de ses auditeurs (Saillot & van der Hart, 2015). Ses voyages y
contribuent aussi, car Janet participe assidûment aux tout premiers congrès de
psychologie ; il est, de plus, souvent invité par des universités lointaines pour
donner des séminaires.
En France, le psychologue A. Binet (1857-1911) travaille sur la dissociation
traumatique (hystérie) bien avant de se consacrer à la psychométrie. Dès 1887,
il adopte le modèle de Janet et ne tarde pas à confirmer la possibilité de person-
nalités multiples (pas seulement doubles). Le psychiatre J. Séglas (1856-1939)
identifie des personnalités dissociées parmi ses patients ; il en sera de même
des médecins G. Ballet (1903), Dupré, Anglade, ou Régis et Hesnard dans les
années 1910. De son côté, le psychiatre E. Minkowski (1885-1972) adopte le
modèle dissociatif de Janet et ne va pas tarder à le rapprocher de la schizophrénie
de Bleuler (nous y reviendrons).
À l’étranger, les travaux de Janet rencontrent également une large audience.
En Autriche, un jeune neurologue, S. Freud (1856-1939), montre dès 1893 que
la dissociation de Janet peut rendre compte de paralysies hystériques. Avec
Breuer, Freud rend aussi justice aux travaux de Janet et de Binet en 1895 dans
leurs Études sur l’hystérie, confirmant l’étiologie dissociative du trouble. En
quittant la recherche expérimentale pour le secteur associatif, Freud renie ses
premiers écrits à partir de 1899... À cette exception près, les résultats de Janet
obtiennent une reconnaissance durable. En Suisse, C. Jung et E. Bleuler vont
bientôt donner comme fondement à leurs travaux la dissociation de Janet et, en
Grande-Bretagne, le médecin et psychologue C. Myers (1873-1946), créateur du
« Shell Schock » ou choc traumatique de guerre, corrobore le modèle dissociatif
de Janet concernant les soldats de la Première Guerre mondiale.
En 1896, W. James (1842-1910) a fait une série de conférences sur la dis-
sociation, regroupées par E. Taylor (1983), au cours desquelles il compare la
dissociation de Janet au « subliminal mind » du Britannique F. Myers (1843-
1901). Toujours aux États-Unis, le psychiatre B. Sidis (1867-1923) publie Multiple
personality en 1904, discutant lui aussi les vues de Janet. Enfin le médecin
Morton Prince (1854-1929), publie en 1906 son célèbre cas de personnalités
multiples « Miss Beauchamp », analysé, comme le rappelle S. Nicolas en 2012,
dans le cadre théorique élaboré par Janet.

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20 G ÉNÉRALITÉS SUR LE TDI

C’est pourtant en Suisse qu’il nous faut maintenant revenir, car là, le concept de
dissociation de Janet va connaître son plus singulier destin.

D ESPERSONNALITÉS MULTIPLES AUX ALTÉRATIONS


DE CONSCIENCE
N

Bleuler et la schizophrénie

C. Jung (1875-1961), d’abord étudiant puis médecin assistant auprès du psy-


chiatre E. Bleuler (1857-1939), directeur de la clinique du Burghölzli à Zurich
(Suisse), vient suivre les cours de Janet au Collège de France en 1902, puis
réinterprète la notion de « démence précoce » de E. Kraepelin (1856-1926) dans
son livre Über die Psychologie der Dementia Praecox (1907). Comme l’ont signalé
de nombreux travaux à partir des années 1970 (Ellenberger, 1970), plusieurs
concepts de l’ouvrage reposent sur le modèle de Janet, en particulier « l’abaisse-
ment du niveau mental » (cité de Janet en français), mais aussi le « relâchement
des associations » ou les « complexes » (idées fixes de Janet). Jung revendique
la filiation de Janet : « Fondamentalement, il n’y a pas de différence de principe
entre une personnalité fragmentée et un complexe » (1907).
E. Bleuler écrit en 1908 un article avec Jung validant, en particulier, la notion
de « complexes ». C’est sur cette base commune que Bleuler publie son livre
Dementia praecox, oder Gruppe der Schizophrenien en 1911. Comme il a déjà été
souligné (Bottéro, 2003), Bleuler reprend ici le projet de Jung d’interpréter la
démence précoce dans le cadre du modèle dissociatif : la schizophrénie se pré-
sente d’emblée comme une variété de l’hystérie. Le vocabulaire de Dissoziation,
ou plus souvent Spaltung, se réfère explicitement à la dissociation (de Janet).
Bleuler note, par ailleurs, que les patients dissociés/schizophréniques présentent
fréquemment un repli sur soi. En contractant l’expression « auto-érotisme » de
Freud pour éviter sa nuance sexuelle, Bleuler crée la notion d’« autisme », comme
retrait de la réalité extérieure. Le symptôme d’autisme ainsi présenté est rappro-
ché de la « perte de la fonction du réel », ou « déréalisation » de Janet, en 1927,
par le psychiatre E. Minkowski (1885-1972) dans son ouvrage La schizophrénie.
Ces travaux ne manquent pas d’attirer l’attention de Janet :
« Toute une école a suivi l’interprétation de M. Bleuler et on a baptisé du nom
d’autisme (la vie de soi-même), cette forme de rêverie (...) : le mot autisme carac-
térise la perte du sens du réel et l’énorme développement de cette vie intérieure. »
(Janet, 1929)

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Un point de vue historique sur le TDI 21

Pour autant, Janet avait dès le début associé ce symptôme à l’état de psychas-
ténie, et non à celui de dissociation traumatique :
« La disposition aux rêveries interminables dans le vide nous a été présentée comme
une constitution particulière des schizophréniques, c’est en réalité un signe de
faiblesse et de rétrécissement (...). Les schizophrènes (...) ne sont qu’une variété
des asthéniques psychologiques. » (Janet, De l’angoisse à l’extase, 1926-28)

De plus, Janet avait dûment identifié ce repli sur soi, si typique de la psychas-
ténie, et lui avait donné un nom : la déréalisation. C’est de la déréalisation
que provient, à son tour, le symptôme de dépersonnalisation, que P. Janet
expliquait déjà depuis 1904 ; il répète encore, en 1929, le rapport entre les deux
symptômes :
« (...) la perte de la réalité des objets extérieurs, perte de la réalité des per-
sonnes, se rattache [au] groupe des troubles relatifs à notre propre personnalité.
La dépersonnalisation (...) n’en est qu’une variété. » (Ibid.)

La dépersonnalisation est une déréalisation appliquée à notre propre person-


nalité. Autrement dit, pour Janet, l’autisme de Bleuler caractérise la psychas-
ténie. Or, si le sujet dissocié est généralement psychasténique (déprimé ou
dépressif), la réciproque n’est pas valide : tout dépressif n’est pas dissocié. Ces
discussions soulèvent donc, dès les années 1920, un problème fondamental de
nosographie. Nous verrons bientôt que la validité du critère de déréalisation-
dépersonnalisation des troubles dissociatifs ressurgira avec force à partir des
années 1990-2000.
Malgré les questions qu’il suscite, l’ouvrage de Bleuler va connaître un retentis-
sement international. Pour autant, le concept de dissociation diffusé par Janet
est loin de bénéficier de cet engouement. En 1912, M. Trénel, l’un des premiers
médecins à vulgariser la schizophrénie de Bleuler en France, choisit de traduire
Spaltung par dislocation. Minkowski opte, lui, pour le mot de désagrégation,
tandis qu’Hesnard choisit le vocable de Janet, la dissociation. Finalement, ce
sont les commentaires et traductions que H. Ey fait de Bleuler à partir de 1934,
qui constitueront la référence : or dans ses textes, Ey a traduit Spaltung par
dissociation, en écho à ce que Jung appelait déjà « l’école française ».
C’est ainsi que, contre toute attente, à partir des années 1930, l’intérêt croissant
de la psychiatrie pour la schizophrénie ensevelit graduellement l’ancien terme
de Janet, celui de dissociation. Le remplacement rapide de la dissociation de
Janet par la schizophrénie de Bleuler entraîne à sa suite un oubli de P. Janet et
de ses modèles pionniers.

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22 G ÉNÉRALITÉS SUR LE TDI


N

Le continuum dissociatif

Il faut attendre les années 1960, aux États-Unis, pour que renaisse un inté-
rêt pour la dissociation. Parmi les pionniers, les psychiatres Herbert Spiegel
(1914-2009) et Arnold Ludwig (1933-) considèrent la dissociation comme un
mécanisme de défense et l’inscrivent dans un continuum d’états de conscience
modifiée allant de l’association à la dissociation. Le célèbre cas clinique de Spie-
gel, Sybil, diagnostiquée schizophrène, lui permet de développer son approche
de l’hypnose, popularisée en 1973 par un livre à succès. Controversé sur le plan
clinique, l’ouvrage est rapidement suivi d’émissions télévisées très populaires,
contribuant au regain d’intérêt pour la dissociation.
À la même époque, le psychologue Ernest Hilgard (1904-2001), qui a lu Janet,
entreprend une synthèse sur la dissociation adaptative (mécanisme de défense)
et graduelle (continuum), qu’il baptise néo-dissociation. Ses expériences d’hyp-
nose sur un observateur caché (« hidden observer »), à partir de 1973, étayent la
néo-dissociation. Le psychologue John Kihlstrom (1948-) commente ces travaux
dès le début des années 1980. Il écrit en 1998 que la néo-dissociation de
Hilgard :
« (...) a fait revivre un point de vue initialement porté, fin XIXe -début XXe siècles,
par Pierre Janet, William James, Boris Sidis et Morton Prince (...). Elle a large-
ment contribué à renouveler l’intérêt de la psychologie clinique et sociale pour
l’inconscient psychologique. » (Kihlstrom, 1998)

Comme il l’indique dans cet article, ses propres recherches interviennent à un


moment où le domaine de l’hypnose commence à délaisser le concept de dissocia-
tion : Kihlstrom lui rend de la vigueur dans la recherche en psychologie cognitive
et sociale, et en psychopathologie. L’observateur caché de Hilgard s’apparente
étroitement à la manifestation expérimentale d’un dédoublement de la personna-
lité. Cette dissociation sous hypnose présente donc une forte analogie avec les
anciens cas cliniques de dissociation du tournant du XXe siècle, déjà étudiés par
Janet, Binet ou Myers. Pendant l’hypnose, en effet, ces cliniciens observaient
déjà l’émergence d’une ou de plusieurs personnalités différentes de celle de
l’état de veille. En réactivant l’intérêt pour ces questions, Hilgard et Kihlstrom
ouvrent la voie à la reconnaissance clinique et expérimentale des phénomènes de
personnalités multiples jadis rattachés à l’hystérie. Le trouble de personnalités
multiples (TPM), alors en passe d’intégrer la nosographie internationale, va
trouver ici l’une de ses origines.
Ainsi, autour des années 1975-1980, l’engouement pour le thème de la dissocia-
tion semble s’intensifier, et de nombreux nouveaux cas cliniques sont rapprochés

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Un point de vue historique sur le TDI 23

de ce trouble. Les vétérans de la guerre du Vietnam, les femmes victimes de mal-


traitance, se structurent en associations : le rapprochement est bientôt effectué
entre leurs symptômes et une dissociation traumatique. Les études théoriques
et cliniques se multipliant, un événement déterminant vient alors bouleverser la
situation.

LA DISSOCIATION , ENTRE RENOUVEAU


ET MALENTENDUS
N

TDI et troubles dissociatifs dans le DSM-III (1980)

En 1980, le manuel diagnostic de l’Association américaine de psychiatrie (DSM)


sort sa première version « athéorique », le DSM-III, visant à évacuer les notions
émanant de communautés privées, en particulier les diverses associations de
psychanalyse. Même le concept de « névrose », l’objet historique de la psycho-
pathologie, est chassé ! Les anciennes névroses deviennent des catégories diag-
nostiques identifiées par leurs symptômes. Pour ce qui nous intéresse particu-
lièrement ici, le DSM-III apporte une innovation historique : l’hystérie, cette
maladie phare des XIXe et XXe siècles, est remplacée par une section intitulée
« Troubles dissociatifs ».
L’entrée de la dissociation dans le DSM ne manque pas d’être saluée par de
nombreux spécialistes (van der Kolk & van der Hart, 1989 ; van der Hart &
Dorahy, 2009), lesquels soulignent vite, aussi, quelques insuffisances. Dans le
DSM-III, en effet, les troubles dissociatifs historiques sont dispersés sur trois
catégories différentes : troubles dissociatifs, troubles somatoformes, troubles de
stress.
Les troubles dissociatifs comprennent la fugue et l’amnésie « psychogènes »,
la dépersonnalisation/déréalisation, et le trouble de personnalités multiples
(TPM). Les troubles somatoformes comprennent les troubles de conversion et
divers troubles moteurs et sensitifs. Ainsi le manuel exclut du cadre dissociatif
les symptômes somatiques : or ce sont les troubles principaux des patholo-
gies dissociatives, ceux mêmes à l’origine de la formalisation du syndrome fin
XIXe siècle ! Paralysies, insensibilités et anesthésies, surdité, cécité ou amaurose,
douleurs, chorées, tics... ces manifestations majeures de la dissociation trauma-
tique formaient le cœur des études fondatrices du domaine. Dans le DSM-III,
la dissociation apparaît désormais comme purement « psychogène ». Un tel
revirement, au sein de la psychiatrie, ne laissera pas de susciter des critiques.

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24 G ÉNÉRALITÉS SUR LE TDI

Par ailleurs, dans le DSM, la dépersonnalisation et la déréalisation sont des


critères diagnostiques de la dissociation. Or, nous avons vu que, dès les
années 1920, Janet – concepteur des deux notions – réfutait ce rapprochement.
C’est ce que rappelaient déjà, en 2004, van der Hart et ses collègues en
mentionnant que :
« (...) la dépersonnalisation produite par le manque de sommeil, la maladie, l’addic-
tion (...) reflète généralement des altérations de conscience et non une dissociation
structurelle » (van der Hart et al.,2004).

En faisant de la dépersonnalisation/déréalisation un critère diagnostique de la


dissociation, le DSM tente de faire cadrer ces deux concepts de Janet avec un
modèle théorique auquel ils sont foncièrement étrangers, celui du continuum
d’états de conscience modifiée. L’introduction au DSM-5, en 2013, d’un sous-type
dissociatif du trouble de stress post-traumatique (TSPR+SD), relance le débat sur
la pertinence de ces critères diagnostiques.
L’introduction des troubles dissociatifs au DSM-III aura pour effet de multi-
plier les recherches cliniques à l’échelle internationale, et produire une grande
quantité de nouvelles connaissances sur ces troubles ; mais elle entraîne égale-
ment – surtout aux États-Unis – une véritable envolée du nombre de diagnostics
de TPM. En s’identifiant souvent au célèbre cas Sybil de Spiegel, de plus en
plus de patients se sentent habités par plusieurs personnalités. En 1985, on
dénombre près de 50 000 cas de TPM aux États-Unis. Dans le cadre du modèle
traumatique du TPM, les patients recherchent alors le souvenir des agresseurs les
ayant traumatisés durant leur enfance. Des dérives apparaissent et le nombre de
procès à l’égard de ces agresseurs présumés s’envole lui aussi. Des associations
se forment pour défendre les personnes accusées à tort, et l’affaire devient
fortement médiatique. En 1992, la psychologue E. Loftus crée la False Memory
Syndrom Foundation (FMSF) qui insiste sur la malléabilité des souvenirs, affir-
mant que la plupart de ces agressions sont des « faux souvenirs » induits par
les thérapeutes eux-mêmes. Ces remous médiatiques, ainsi que le progrès des
connaissances cliniques depuis 1980, font partie des motivations qui incitent les
experts à changer l’intitulé du TPM en 1994 à l’occasion de la sortie du DSM-IV.
Ce trouble dissociatif devient alors le trouble dissociatif de l’identité (TDI) que
nous connaissons depuis. L’effet escompté est au rendez-vous : la prévalence du
TDI redescend rapidement à son taux actuel.

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N Un point de vue historique sur le TDI 25

Vers une schizophrénie dissociative ?

L’introduction des troubles dissociatifs au DSM-III a rapidement attiré l’atten-


tion des chercheurs et des cliniciens sur leur ressemblance avec les symptômes
schizophréniques. Déjà en 1987, R. Kluft, l’un des pionniers de ces recherches,
établissait la profonde parenté entre les symptômes psychotiques et ceux du
trouble de personnalité multiple, qui allait devenir le TDI en 1994 (Kluft, 1987).
Les recherches ultérieures ont ensuite convergé pour établir que :
➙ une exposition au trauma, en particulier infantile, aggrave sensiblement le
risque de survenue de symptômes psychotiques. Depuis 1993, de nombreuses
recherches, en particulier celles de van der Hart, Moskowitz, ou Şar, allaient
dans ce sens ; la revue systématique de Bucci et ses collègues, en 2018,
appuie ces résultats, et plus récemment, Longden confirme cette association
(Longden et al., 2020) ;
➙ la réciproque est également vérifiée, à savoir que dans une population de
sujets diagnostiqués psychotiques, l’origine traumatique des troubles est
fréquemment avérée : dans leur article de 2010, Laferrière et ses collègues
mentionnent une proportion de 43 % à 98 % des sujets selon les études
antérieures ;
➙ enfin, il est désormais bien établi que des troubles dissociatifs non diagnosti-
qués sont extrêmement fréquents chez les sujets psychotiques (Ellason et al.,
1995 ; Ross et al., 2018). Lyssenko en 2018 le confirme encore.
Ces travaux convergent tous vers l’idée que de nombreux cas de psychoses
et de schizophrénies relèvent en réalité d’une dissociation traumatique non
diagnostiquée. Les importants chevauchements entre symptômes dissociatifs
et psychotiques incitent quelques auteurs à aller plus loin : les symptômes
dissociatifs de la schizophrénie seraient l’expression d’un trouble à part entière,
la schizophrénie dissociative. Ainsi, pour Laferrière et ses collègues (2010), l’in-
troduction de cette nouvelle catégorie nosographique contribuerait à résoudre
les dilemmes diagnostiques, dans le même esprit qu’a été introduit le TSPT+SD
en 2013 (DSM-5).
C’est dans le même esprit que les symptômes de premier rang (FRS) de Schneider,
considérés pendant des décennies comme caractéristiques de la schizophrénie,
ont été graduellement rapprochés des symptômes dissociatifs. L’un des premiers
à avoir remarqué cette analogie est R. Kluft en 1987, déjà mentionné. Il sera
bientôt suivi par Ross en 1990, Spiegel en 2011, et finalement une majorité des
cliniciens pour qui les FRS sont désormais plus caractéristiques de la dissociation
que de la schizophrénie. La convergence de ces travaux aboutit alors à un coup

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26 G ÉNÉRALITÉS SUR LE TDI

de théâtre : en 2013, le DSM-5 supprime de la nosographie les FRS de Schneider !


La suppression des FRS, qui faisaient double emploi avec les symptômes du TDI,
apparaît comme un affaiblissement du diagnostic de psychose au profit de celui
du trouble dissociatif.
Pour certains auteurs, le mouvement va continuer : en 2018, Guloksuz et Van Os
prévoient (et prônent) la disparition prochaine de la catégorie de schizophrénie,
au profit d’un continuum des « troubles du spectre psychotique » (psychosis
spectrum disorder), sur le même modèle que les troubles du spectre autistique. En
attendant de tels bouleversements, d’autres auteurs proposent une réévaluation
du TDI et des autres composantes des troubles traumatiques, ce que nous allons
détailler maintenant.
N

La théorie de la dissociation structurelle de la personnalité

Fondé sur les résultats de P. Janet, la théorie de la dissociation structurelle de la


personnalité (TDSP) vise à rendre de la clarté à l’étiologie, à la symptomatologie
et au traitement des troubles traumatiques. L’approche est détaillée dans le livre
de van der Hart et ses collègues Le soi hanté (van der Hart et al., 2010). La TDSP
regroupe sous la bannière dissociative près d’une dizaine de troubles actuel-
lement dispersés dans le DSM. Ce faisant il reconstitue l’unité historique des
troubles dissociatifs, telle qu’elle était conçue des années 1890 aux années 1920.
De ce point de vue, l’introduction au DSM-5 d’un sous-type dissociatif du TSPT
(TSPT+SD) pose problème : en effet, dans le manuel, les symptômes du TSPT+SD
sont la dépersonnalisation et la déréalisation. Or, restreindre le TSPT+SD à la
dépersonnalisation/déréalisation réactualise les malentendus déjà soulevés par
l’introduction de ces deux phénomènes aux critères diagnostiques des troubles
dissociatifs eux-mêmes.
Nous avons vu que le concepteur de ces deux notions, P. Janet, avait réfuté le
lien entre ces deux symptômes et une dissociation traumatique. De même, dans
leur article de 2015, Dorahy et ses collègues rappellent que la dépersonnalisa-
tion et la déréalisation, qui sont des altérations de conscience, n’impliquent
pas la dissociation. Inversement, le TSPT dit non dissociatif, qui subsiste dans
le manuel auprès du TSPT+SD, est pourtant lui aussi généralement de nature
dissociative :
« (...) le PTSD est généralement dissociatif. La dépersonnalisation et la déréali-
sation, qui caractérisent le sous-type dissociatif de PTSD dans le DSM, sont des
manifestations restreintes et non représentatives des symptômes dissociatifs en
général, et des symptômes dissociatifs du PTSD en particulier. » (Dorahy & van der
Hart, 2015)

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Un point de vue historique sur le TDI 27

Finalement, les deux auteurs ne critiquent pas tant le fait d’avoir ajouté un PTSD
dissociatif, que le fait de laisser subsister à ses côtés un PTSD qui serait, lui,
non dissociatif par nature. Ces malentendus sont liés à l’exclusion d’un grand
nombre de symptômes dissociatifs des catégories diagnostiques.
Négliger plusieurs symptômes dissociatifs diminue artificiellement le nombre
de catégories diagnostiques relevant d’une dissociation structurelle. De ce fait,
selon la TDSP, la majorité des troubles dissociatifs n’est pas, actuellement,
diagnostiquée comme telle. L’exclusion des symptômes négatifs, en particulier,
a des conséquences problématiques : les lacunes, les pertes, les défaillances
fonctionnelles entravent lourdement la vie des patients, ce qui ne soutient pas
la conception de la dissociation comme une adaptation ou un mécanisme de
défense.

C ONCLUSION

Le TDI est l’un des troubles psychiatriques à la plus riche histoire. À Sumer au
troisième millénaire, L’épopée de Gilgamesh décrit déjà la détresse du héros après
la mort de son ami Enkidu, dans des termes où une dissociation traumatique ne
fait guère de doute... Les mêmes symptômes touchent Achille, dans L’Iliade d’Ho-
mère, quand le guerrier perd son ami Patrocle. Pendant des siècles, les symptômes
dissociatifs sont traités par les approches traditionnelles invoquant des forces
magiques ou religieuses. Le siècle des Lumières était propice à un renouveau
d’intérêt : les séances de Mesmer donnent le coup d’envoi de recherches qui ne
s’arrêteront plus.
De très nombreux praticiens ont contribué aux découvertes des XVIIIe et
XIXe siècles, culminant avec la synthèse historique de P. Janet. C’est d’ailleurs ce
grand clinicien qui produit également l’une des histoires les mieux documentées
sur le trouble dissociatif et ses traitements ancestraux, rendant justice à de
nombreuses personnalités injustement oubliées avec le rejet du magnétisme
et du premier hypnotisme. Les médications psychologiques (Janet, 1919) res-
tent encore aujourd’hui une source inépuisable de savoirs cliniques autant
qu’historiques.
Une histoire longue et mouvementée s’accompagne nécessairement de com-
plexité. Un écueil majeur pour la compréhension du trouble dissociatif est la
multiplication des termes ou leur changement de signification. Comment étu-
dier « la dissociation » de nos jours, sachant que chez les cliniciens du siècle
passé, le mot avait un tout autre sens ? Comment examiner son traitement par

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28 G ÉNÉRALITÉS SUR LE TDI

« hypnose », ce mot désignant maintenant une tout autre pratique que celle de
Janet ?
Malgré tout, il semble que depuis une quarantaine d’années, les progrès soient
perceptibles vers une clarification des concepts et – donc – une amélioration
des diagnostics et traitements. Nous retiendrons trois arguments : l’introduction
du trouble dissociatif à la nosographie internationale en 1980, qui a enclenché
un volume de recherches inédit, et en 2013, la reconnaissance d’un sous-type
dissociatif du TSPT (TSPT+SD), ainsi qu’un premier rééquilibrage des prévalences
entre la schizophrénie et la dissociation traumatique, par la suppression des
symptômes de premier rang de Schneider. Le sens de l’histoire semble bien
pointer vers une réunification progressive des troubles d’origine traumatique
sous la bannière dissociative... à laquelle ils appartenaient encore dans les
années 1900 !
Dès les années 1920, P. Janet, concepteur des notions de déréalisation et déper-
sonnalisation, rappelait qu’elles n’étaient nullement spécifiques d’un trouble
dissociatif, mais de la plupart des dépressions. Pourtant, la clinique moderne en
a fait les principaux marqueurs du trouble dissociatif. Ce malentendu reste un
écueil aujourd’hui, en particulier par ses retombées défavorables sur le diagnostic
des patients, et donc leur traitement. Plusieurs associations d’étude de la disso-
ciation traumatique, à l’échelle internationale, continentale et nationale (ISSTD,
ESTD, AFTD...) préconisent judicieusement un retour aux sources historiques pour
mieux appréhender les troubles dissociatifs, et s’en inspirent pour de nouvelles
approches.
Il ne fait aucun doute que l’avenir nous réserve de belles avancées concernant
l’étiologie, le mécanisme et le traitement du TDI et des autres troubles consé-
cutifs à une dissociation traumatique. Ces avancées seront le résultat de la
collaboration internationale des cliniciens auprès desquels les futurs historiens
de la clinique sauront contribuer utilement.

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Un point de vue historique sur le TDI 29

R ÉSUMÉ
Si le trouble dissociatif de l’identité (TDI ou DID en anglais) apparaît dans la version
de 1994 du manuel de l’APA (DSM-IV), le trouble de personnalités multiples (MPD en
anglais) du DSM-III recouvrait déjà la même notion depuis 1980. Malgré le caractère
récent de ces inclusions, le trouble dissociatif avait déjà une longue histoire.
Attesté depuis l’Antiquité, le trouble dissociatif suscite plus d’intérêt après les démons-
trations de Mesmer (fin du XVIIIe siècle). Bientôt, magnétiseurs et hypnotiseurs identi-
fient des « doubles consciences » chez leurs sujets, et le lien est établi avec l’hystérie,
maladie peu comprise. Grâce aux efforts du grand neurologue J.-M. Charcot, méde-
cins et psychologues relancent les recherches.
Après son agrégation, le jeune P. Janet – bientôt docteur en psychologie (1889) puis
médecin – conçoit la première synthèse des rapports entre hystérie, hypnose et disso-
ciation traumatique : ce trouble, précurseur de notre actuel TDI, reçoit ici sa première
formulation moderne. Les travaux de Janet ont une large audience auprès des clini-
ciens européens et américains, dont Bleuler, avec la schizophrénie, est l’héritier le plus
connu. Mais l’étude de la dissociation et du TDI subit ensuite une éclipse de quelques
décennies.
L’étude de la dissociation reprend dans les années 1970 où la théorie de la néo-
dissociation de E. Hilgard joue un rôle majeur. La néo-dissociation se présente comme
un continuum du normal au pathologique, qui préfigure son introduction dans le DSM
en tant que TDI. Toutefois, ces avancées remarquables suscitent bientôt des débats
encore actifs de nos jours...

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Chapitre 3

Les troubles dissociatifs


dans la CIM-11 : un changement
de paradigme dans l’histoire
de la psychiatrie1

Dr Jan Gysi2

E XPOSÉ DU CHAPITRE
Avec la publication de la CIM-11 en 2019, l’Organisation mondiale de la santé (OMS)
a introduit des changements importants, notamment dans le domaine des troubles
post-traumatiques et dissociatifs. Ces ajustements ont un impact important sur les
diagnostics. On note en particulier les nouveaux diagnostics de trouble dissociatif de
l’identité et de trouble dissociatif de l’identité partiel. Trois domaines doivent être éva-
lués : la présence d’états de personnalité, la perte du contrôle exécutif et le passage
d’un état de personnalité à un autre. D’autres aspects importants sont les troubles de
la personnalité et le trouble de stress post-traumatique complexe.

1. Avec la traduction d’Olivier Piedfort-Marin.


2. Dr. med., spécialiste en psychiatrie et psychothérapie FMH, sollievo.net, Berne, Suisse.

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32 G ÉNÉRALITÉS SUR LE TDI

Avec la publication de la CIM-11 en 2019, l’Organisation mondiale de la santé


(OMS) a introduit des changements importants par rapport à la CIM-10 dans le
domaine des séquelles de traumatismes (WHO, 2019). Entre autres choses, la
CIM-11 propose un nouveau chapitre sur les troubles dissociatifs. Les innova-
tions les plus importantes sont le trouble dissociatif de l’identité (TDI) et le
trouble dissociatif de l’identité partiel (TDIp). En outre, les troubles dissociatifs
somatoformes sont décrits de manière beaucoup plus détaillée que dans la
CIM-10 et sont renommés troubles dissociatifs à symptômes neurologiques1 (cf.
tableau 3.1).
Diagnostics dans le chapitre « Troubles dissociatifs », 6B6
Diagnostic CIM-10 CIM-11
Trouble dissociatif de l’identité (TDI) F44.81 6B64
Trouble dissociatif de l’identité partiel (TDIp) F44.9 6B65
Troubles dissociatifs à symptômes neurologiques F43.1 6B60
avec perturbations visuelles - 6B60.0
avec perturbations acoustiques - 6B60.1
avec vertiges ou étourdissements - 6B60.2
avec d’autres perturbations sensorielles F44.6 6B60.3
avec crises non épileptiques F44.5 6B60.4
avec perturbations de l’élocution - 6B60.5
avec parésie ou faiblesse - 6B60.6
avec perturbations de la démarche - 6B60.7
avec perturbations du mouvement F44.4 6B60.8
avec symptômes cognitifs - 6B60.9
Amnésie dissociative F44.0 6B61

1. La CIM-11 n’est pas encore publiée en français au moment où ce chapitre est rédigé. Il se
peut donc que les traductions des diagnostics choisies ici ne soient pas exactement celles qui
apparaîtront dans la version française de la CIM-11. NdT.

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Les troubles dissociatifs dans la CIM-11 : un changement de paradigme 33

Trouble de dépersonnalisation-réalisation - 6B66


Trouble de transe F44.3 6B62
Trouble de transe de possession F44.2 6B63

Tableau 3.1. Diagnostics troubles dissociatifs CIM-10 et CIM-11

En outre, la CIM-11 contient un nouveau chapitre consacré spécifiquement aux


troubles liés au stress. Dans ce chapitre, le trouble de stress post-traumatique
complexe (TSPT-C) et le trouble de deuil prolongé sont présentés. Nous mon-
trerons brièvement ci-dessous que les modifications apportées dans ce chapitre
sont également pertinentes pour le diagnostic des troubles dissociatifs (cf.
tableau 3.2).
Troubles spécifiques liés au stress, 6B4
Diagnostic CIM-10 CIM-11
Trouble de stress post-traumatique (TSPT) F43.1 6B40
Trouble du stress post-traumatique complexe F62.0 6B41
(TSPT-C)
Trouble de deuil prolongé (Z63.4) 6B42
Troubles d’adaptation F43.2 6B43
Trouble réactionnel de l’attachement dans la petite F94.1 6B44
enfance
Trouble de l’interaction sociale désinhibée F94.2 6B45

Tableau 3.2. Troubles spécifiques liés au stress CIM-10 et CIM-11

Ce chapitre présente spécifiquement les changements apportés aux troubles


dissociatifs dans la CIM-11. Les changements incluent certains changements de
paradigme, qui seront brièvement décrits. Par ailleurs, les troubles dissociatifs
seront classés dans le contexte de la traumatisation. Enfin, les comorbidités fré-
quentes avec les troubles de la personnalité et les TSPT-C sont présentées parce

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34 G ÉNÉRALITÉS SUR LE TDI

que des changements significatifs sont également apportés dans ces domaines
dans la CIM-11, changements qui sont importants pour le diagnostic des troubles
dissociatifs.

L ESTRAUMATISMES COMME CAUSE DES TROUBLES


DISSOCIATIFS

Les troubles dissociatifs, et le trouble dissociatif de l’identité (TDI) en particu-


lier, sont étroitement associés à des traumatismes, le plus souvent graves de
l’enfance et l’adolescence (Brand et al., 2016 ; Piedfort-Marin, Rignol, & Tarqui-
nio, 2021). De nouvelles découvertes sur le contexte traumatique des troubles
dissociatifs ont conduit à ce que ces troubles reçoivent plus d’attention dans
la recherche et la pratique clinique. Par ailleurs, en raison des aspects négatifs
des développements technologiques de ces vingt dernières années, davantage
d’enfants risquent de subir des violences graves et, par conséquent, le nombre
de personnes souffrant de troubles dissociatifs sévères pourrait augmenter dans
les années à venir (Gysi, 2020).
De manière résumée, on peut distinguer différentes formes de traumatisme :0
 Traumatisme d’attachement : les traumatismes liés à l’attachement com-
prennent des événements macro-traumatiques tels que des maltraitances phy-
siques, des agressions sexuelles et la négligence physique, ainsi qu’une multi-
tude de micro-traumatismes répétés à travers des dévalorisations continues et
des demandes excessives, des situations prolongées de solitude et un manque
de sécurité émotionnelle et physique, en particulier dans les premières années
de l’enfance. Les personnes atteintes de troubles dissociatifs présentent géné-
ralement aussi un trouble de l’attachement. Dans la CIM-11, ces difficultés
d’attachement et relationnelles ne sont pas mentionnées dans le chapitre des
troubles dissociatifs. Elles doivent être diagnostiquées comme un trouble de
la personnalité comorbide supplémentaire.
 Monotraumatisme type I : événements traumatiques ponctuels, accidentels,
catastrophes naturelles ou traumatismes interpersonnels tels que la violence
sexuelle (par exemple le viol), la violence physique, les agressions et les
attaques terroristes.
 Traumatisme de type II : événements traumatiques multiples, survenant
de manière répétée et/ou régulière, par exemple des violences sexualisées
répétées dans l’enfance, l’adolescence et l’âge adulte. Les personnes souffrant
de troubles dissociatifs graves ont vécu de multiples événements traumatiques

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Les troubles dissociatifs dans la CIM-11 : un changement de paradigme 35

dans le passé, au sens d’un traumatisme de type II. La plupart des personnes
souffrant de troubles dissociatifs sévères répondent également aux critères
du TSPT. Les souvenirs traumatiques et les traumatismes ne sont pas des
critères de troubles dissociatifs dans la CIM-11, ce qui explique pourquoi
de nombreuses personnes souffrant de troubles dissociatifs sévères doivent
également être diagnostiquées comme souffrant de TSPT (plus d’informations
à ce sujet à la fin de ce chapitre).
 Traumatisme de type III dans des structures violentes organisées : il faut
distinguer les formes de traumatisme décrites jusqu’à présent de types de
violences particulièrement graves, qui diffèrent par le degré de mise en réseau
des auteurs et leur degré d’expertise psychologique criminelle pour produire
des troubles post-traumatiques et une dissociation structurelle. Ces formes
graves se rencontrent notamment dans les structures violentes organisées
utilisant des rituels. Pour les distinguer du traumatisme de type I (monotrau-
matisme) et du traumatisme de type II (traumatisme multiple), elles ont été
nommées traumatismes de type III (Gysi, 2020).
Dans les structures violentes organisées, le recours systématique à une violence
sexualisée grave (associée à une violence physique et psychologique) à l’en-
contre d’enfants, d’adolescents et d’adultes est rendu possible par la coopération
d’un groupe organisé d’auteurs. Elle est souvent liée à l’exploitation sexuelle
commerciale (prostitution forcée, trafic d’enfants, production de photographies
et vidéos mettant en scène des violences sur des enfants).
Sur la base des constatations faites par la police dans le monde entier, nous
devons supposer que la violence sexualisée à l’encontre des enfants a considéra-
blement augmenté au cours des vingt dernières années, avec la production de
matériel d’images destiné à être utilisé sur Internet et avec un degré élevé de
mise en réseau des auteurs (ECPAT, 2018). Cela pourrait signifier qu’à l’avenir,
nous pourrions voir de plus en plus de personnes souffrant de graves troubles
post-traumatiques et dissociatifs en psychiatrie.

T ROUBLEDISSOCIATIF DE L’ IDENTITÉ ET TROUBLE


DISSOCIATIF DE L’ IDENTITÉ PARTIEL

Dans la CIM-11, deux nouveaux troubles ont été introduits ou nouvellement


nommés dans le chapitre sur les troubles dissociatifs, et définis de manière
beaucoup plus différenciée : le trouble dissociatif de l’identité (TDI) et le trouble
dissociatif de l’identité partiel (TDIp).

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36 G ÉNÉRALITÉS SUR LE TDI

Dans le TDI et TDIp, il existe des états de personnalité (ou identités dissocia-
tives) capables de prendre temporairement le contrôle exécutif des actions. Ces
changements reposent sur des recherches approfondies menées principalement
au cours des trois dernières décennies, qui ont permis à plusieurs reprises de
mettre en évidence la validité du TDI dans des études de neuro-imagerie1 , et de
réfuter les modèles explicatifs antérieurs nommés sociocognitifs.
En conséquence, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a opéré deux grands
changements de paradigme :
 Pour la première fois, il est reconnu que les personnes peuvent avoir comme
symptôme d’un trouble mental la perte du contrôle exécutif.
 En outre, les états de personnalité (ou identités dissociatives) sont introduits
comme un nouveau concept qui doit être diagnostiqué ou exclu.
Dans la CIM-10, ces troubles étaient répertoriés en tant que personnalité mul-
tiple ou trouble dissociatif non spécifié. La définition de la CIM-10 contenait
de nombreuses affirmations non scientifiques sur la rareté, l’induction iatrogène,
les caractéristiques spécifiques à la culture et d’autres caractéristiques qui ont,
entre-temps, été réfutées.
N

Trouble dissociatif de l’identité (6B64)

Le TDI (6B64) décrit un trouble dans lequel deux ou plusieurs états de person-
nalité distincts apparaissent (cf. figure 3.1).
Chaque état de personnalité possède sa propre conscience de soi, avec son
propre schéma d’expérience, de perception, de conception et d’interaction avec
lui-même, son propre corps et l’environnement (cf. figures 3.2 et 3.3).
Il existe beaucoup d’idées fausses et de croyances erronées sur le TDI, ce qui
peut parfois amener à des difficultés de diagnostic et de traitement (Brand,
2016) :
 Dérivées de la définition des états de personnalité de l’OMS, de nombreuses
questions se posent sur la terminologie et les traits distinctifs utilisés par les
différentes orientations psychothérapeutiques, comme les états du moi, les
introjects, les fondements de Janet, etc. Des différenciations plus précises
sont en cours d’élaboration et de discussion (Leutner & Piedfort-Marin, 2021).

1. Pour plus de précisions, merci de se référer au chapitre 4 du Dr Laurence Carluer.

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Les troubles dissociatifs dans la CIM-11 : un changement de paradigme 37

Figure 3.1.
Différents états de personnalité (blanc et noir), avec barrière amnésique.

Figure 3.2.
Deux ou plusieurs états de personnalité différents (ici : noir et blanc). Chaque état
de personnalité a son propre modèle d’expérience, de perception, de conception
et d’interaction avec soi-même, son corps et son environnement.

 Le TDI n’est pas la schizophrénie (Piedfort-Marin et al., 2021 ; Gysi, 2020).


Dans le contexte du TDI, les troubles formels de la pensée et les idées déli-
rantes ne se produisent généralement pas. Le fait d’entendre des voix est
généralement clairement reconnu par les personnes concernées comme une
expérience subjective au sens d’une pseudo-hallucination De nombreuses

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“Binet_82810_BAT” (Col. : Psychothérapie 2014 17x24) — 2022/2/10 — 22:38 — page 38 — #54
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38 G ÉNÉRALITÉS SUR LE TDI

Figure 3.3.
Au moins deux états de personnalité différents prennent de façon répétée le
contrôle exécutif de la conscience et de l’action. Typiquement, il y a des épisodes
d’amnésie, qui peuvent être sévères. Ici : passage du blanc au noir, avec barrière
amnésique pour le blanc.

personnes atteintes de TDI entendent également des voix d’enfants, ce qui


n’est presque jamais rapporté dans la schizophrénie. Les comportements par-
tiellement ou totalement dissociés ne sont pas présents chez les personnes
souffrant de schizophrénie. Surtout, les amnésies dans la vie quotidienne sont
une caractéristique essentielle pour confirmer le diagnostic de TDI et exclure
la schizophrénie.
 Comme l’ont montré de nombreuses recherches ces dernières années, les états
de la personnalité ne sont pas une construction psychologique. Les états de
personnalité sont des états distincts au niveau physiologique et au niveau de
la morphologie cérébrale (par exemple : Reinders et al., 2018 ; Schlumpf et
al., 2019).
N

Le trouble dissociatif de l’identité partiel (6B65)

Le TDIp diffère du TDI par le fait que la division entre les états de la personnalité
est moins prononcée. En règle générale, il n’y a pas d’amnésie, mais des actions
dissociées partielles se produisent régulièrement. Un état de personnalité est
dominant et d’autres états de personnalité tentent d’influencer l’état de person-
nalité principal par des intrusions mais ne sont pas dominants (cf. figures 3.4 et
3.5). Les tentatives intrusives d’influence comprennent souvent l’automutilation
et le fait de faire du mal aux autres, les troubles alimentaires, la prise de
substances addictives et les actes sexuels.

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Les troubles dissociatifs dans la CIM-11 : un changement de paradigme 39

Ce diagnostic n’existait pas dans la CIM-10. Souvent, un « trouble dissociatif,


non spécifié » (en anglais : dissociative disorder not otherwise specified, DDNOS)
était alors diagnostiqué.

Figure 3.4.
Deux ou plusieurs états de personnalité différents (ici : blanc et noir). Chaque état
de personnalité a son propre modèle d’expérience, de perception, de conception
et d’interaction avec soi-même, son propre corps et l’environnement.

Figure 3.5.
Un état de personnalité est dominant et fonctionne normalement dans la vie
quotidienne (blanc), mais est affecté par un ou plusieurs états de personnalité
non dominants (intrusions dissociatives) (noir).
N

Considérations diagnostiques

En résumé, l’évaluation du TDI et du TDIp implique les considérations diagnos-


tiques suivantes :

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“Binet_82810_BAT” (Col. : Psychothérapie 2014 17x24) — 2022/2/10 — 22:38 — page 40 — #56
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40 G ÉNÉRALITÉS SUR LE TDI

Preuve de la perte du contrôle exécutif

Les personnes atteintes de TDIp et de TDI perdent de manière répétée le contrôle


exécutif de leurs actions, par exemple pour des actions qui mettent en danger
leur personne et autrui (automutilation, troubles du comportement alimentaire,
obsessions et compulsions, crises d’agressivité, consommation de substances,
et bien d’autres), mais aussi pour des actions du quotidien (cuisiner, voyager,
travailler, etc.).
Le diagnostic porte donc sur la question de savoir si les personnes affectées
perdent le contrôle exécutif de leurs actions. En plus des expériences qui sont
investiguées par le SCID-D, des précisions détaillées sont aussi nécessaires
concernant les automutilations et les blessures infligées à autrui, les vomis-
sements dans le contexte de la boulimie, de l’alimentation incontrôlée, des
automutilations (en particulier les automutilations sévères et répétitives dans
les troubles d’automutilation non suicidaire), de la prise de substances addictives
lors d’états dissociatifs, et bien d’autres encore.
On peut distinguer deux formes de perte de contrôle de l’action (Gysi, 2020) :
 Action partiellement dissociée : perte du contrôle exécutif de l’action, avec
souvenir de l’action mais avec une perspective distante (dans le sens d’une
dépersonnalisation) : dans le TDIp et le TDI.
 Action totalement dissociée : perte du contrôle exécutif sur l’action, avec
amnésie simultanée des actions : uniquement dans le cas du TDI.

Preuves de différents états de la personnalité

Dans un deuxième temps, la question est de savoir si différents états de person-


nalité sont responsables de la perte du contrôle exécutif :
Y a-t-il au moins deux états de personnalité ou identités dissociatives qui se
distinguent par :
 Vécu subjectif : y a-t-il différents modèles d’expérience de soi, de son propre
corps et de l’environnement, entre autres avec des affects et des cognitions
partiellement différents ?
 Perception : y a-t-il différents modes de perception de soi, de son propre corps
et de l’environnement, entre autres, avec des sensations en partie différentes ?
 Conception : y a-t-il différents schémas de conception de soi, de son propre
corps et de l’environnement, avec des souvenirs en partie différents ?

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Les troubles dissociatifs dans la CIM-11 : un changement de paradigme 41

 Interaction : y a-t-il différents modèles d’interaction avec soi-même, son


propre corps et l’environnement ?
Dans le processus diagnostique, il est nécessaire de clarifier ce qui suit :
 Y a-t-il des émotions partiellement et totalement dissociées ? Ou en d’autres
termes : existe-t-il des émotions egosyntoniques et des émotions egodys-
toniques (c’est-à-dire des émotions qui ne sont pas « mes émotions », par
exemple des sentiments intrusifs de peur) ?
 Existe-t-il des cognitions partiellement et totalement dissociées ?
 Existe-t-il des conceptions partiellement et totalement dissociées ?
 Existe-t-il des interactions partiellement et totalement dissociées avec soi-
même, le corps et l’environnement ?

Preuve des changements d’états de personnalité et des amnésies

Dans une étape ultérieure, il s’agit de prouver les changements qui se produisent
à la suite des états de personnalité et de clarifier la question de savoir si une
amnésie en découle dans ce processus.
Trouble dissociatif de l’identité :
 Au moins deux états de personnalité distincts prennent de manière répétée
le contrôle exécutif de la conscience et de l’action dans les interactions
interpersonnelles, dans les échanges avec l’environnement, et dans diffé-
rents domaines de la vie tels que l’éducation des enfants, le travail, ou en
réponse à des situations spécifiques (par exemple, des situations vécues
comme menaçantes).
 Les changements entre les états de personnalité sont associés à des modifi-
cations des sensations, de la perception, des affects, des cognitions, de la
mémoire, du contrôle moteur et du comportement.
 Typiquement, il y a des épisodes d’amnésie, qui peuvent être sévères.
Trouble dissociatif de l’identité partiel :
 Un état de personnalité est dominant et fonctionne normalement dans la vie
quotidienne, mais est affecté par un ou plusieurs états de personnalité non
dominants (intrusions dissociatives).
 Les intrusions dissociatives sont associées à des modifications des sensations,
de la perception, de l’affect, des cognitions, de la mémoire, du contrôle moteur
et du comportement et sont vécues comme interférant avec le fonctionnement
de l’état de personnalité dominant et généralement comme perturbantes.

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42 G ÉNÉRALITÉS SUR LE TDI

 Les états de personnalité non dominants ne prennent pas de façon répétée


le contrôle exécutif de la conscience et du fonctionnement, mais il peut y
avoir des épisodes transitoires limités occasionnels dans lesquels un état de
personnalité prend le contrôle exécutif pour effectuer des actions limitées,
par exemple en réponse à des états émotionnels extrêmes ou pendant des
automutilations ou encore pendant des reviviscences de souvenirs trauma-
tiques.
N

Exclusion d’autres troubles

Dans une étape suivante, il est important de clarifier si d’autres causes peuvent
être responsables de l’ensemble des symptômes. Une condition pour le diagnostic
de TDI ou de TDIp est que les symptômes ne peuvent pas être expliqués par une
autre maladie ni par les effets de substances ou de médicaments.
En particulier en présence d’addictions, le diagnostic différentiel visant à déter-
miner si les amnésies sont dues à l’effet de substances (en particulier des
intoxications alcooliques) ou à des changements entre des états de personnalité
peut être difficile. Parfois, un sevrage complet des substances addictives doit
d’abord avoir lieu afin de pouvoir effectuer une évaluation diagnostique correcte.
N

Preuve de perturbations dans divers domaines de la vie

En outre, il convient de clarifier les effets de ces symptômes. Les symptômes


doivent entraîner des dysfonctionnements importants dans divers domaines de
la vie : personnel, familial, social, éducatif, professionnel, etc.
Ce résumé compact montre que le diagnostic peut être complexe et difficile.
De nombreuses personnes concernées nient initialement la présence d’états de
personnalité ainsi que la perte du contrôle exécutif, ou en négligent les indices,
par exemple en raison de l’anosognosie (c’est-à-dire la non-reconnaissance patho-
logique des symptômes) ou à cause de la honte et de la peur des conséquences
d’un diagnostic (thérapie, famille, auteurs, etc.) (van der Hart, Nijenhuis, &
Steele, 2006).
Il ne fait aucun doute que ce changement de paradigme vers le TDI et le TDIp
pose des défis professionnels majeurs aux cliniciens en matière de diagnostic et
de thérapie.

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Les troubles dissociatifs dans la CIM-11 : un changement de paradigme 43

A MNÉSIE DISSOCIATIVE (6B61)

Les amnésies dissociatives ont déjà été décrites par Pierre Janet en 1894. Elles
doivent être distinguées des troubles organiques de la mémoire tels que la
démence, l’amnésie globale transitoire et les conséquences de lésions cérébrales.
En outre, elles doivent être distinguées des amnésies liées à des substances (par
exemple, l’alcool, les benzodiazépines).
Selon la CIM-11, l’amnésie dissociative implique l’incapacité de se rappeler de
souvenirs autobiographiques importants, généralement d’événements trauma-
tiques ou stressants récents, incompatible avec un oubli normal. Cependant,
cela ne décrit qu’une seule forme d’amnésie dissociative dans la CIM-11, à savoir
celle qui fait suite à une dissociation péritraumatique.
Dans le cadre de la clarification des amnésies dissociatives, on peut distinguer
trois formes différentes d’amnésies dissociatives chez les patients avec un TDI :
 Amnésies après des événements traumatiques et stressants, généralement
après une dissociation péritraumatique (selon la CIM-11) ;
 Amnésies régulières dans la vie quotidienne, dans le cadre d’un TDI ;
 Amnésies de l’enfance et de l’adolescence, incompatibles avec un oubli normal,
par exemple dans le cadre du TSPT complexe et/ou du TDIp ou TDI.

T ROUBLE DE DÉPERSONNALISATION - DÉRÉALISATION


(6B66)

Dans la CIM-11, le trouble de dépersonnalisation-réalisation est réperto-


rié comme un tableau clinique distinct. Une distinction est faite entre la
dépersonnalisation et la déréalisation :
 Dépersonnalisation : se sentir étranger, irréel, détaché, ou comme si l’on était
un observateur extérieur de ses propres pensées, sentiments, sensations, son
corps ou ses actions ;
 Déréalisation : les autres personnes, les objets ou le monde sont perçus comme
étrangers ou irréels (par exemple, comme dans un rêve, éloignés, brumeux,
sans vie, sans couleur ou visuellement déformés), ou un sentiment d’être
séparé du monde.
Le trouble de dépersonnalisation-réalisation ne doit pas être diagnostiqué si les
symptômes sont dus à une autre maladie mentale, telle que la dépression, le

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44 G ÉNÉRALITÉS SUR LE TDI

trouble borderline ou le TDI. Ce n’est que si aucune autre maladie mentale n’est
une cause possible et que la dépersonnalisation et la déréalisation entraînent
une perte significative de la qualité de vie, de la capacité à travailler et d’autres
domaines de la vie quotidienne qu’elles doivent être diagnostiquées comme un
trouble distinct.
En outre, les formes supplémentaires suivantes peuvent être distinguées :
 Désomatisation : les personnes touchées font état d’une sensation de ne pas
avoir de corps. Le corps n’est plus perçu ; sentiment de ne plus posséder
de corps ; réduction significative de la douleur dans le sens d’une analgésie
dissociative.
 Déaffectualisation : sensation de ne pas avoir d’affect, avec absence de la
capacité à percevoir des sentiments, absence de réponse affective aux événe-
ments extérieurs, ou sentiment de ne pas être vivant sans être mort.
 Détemporalisation : dans le cas de la détemporalisation, les gens rapportent
qu’ils ont une perception du temps très altérée : « Le temps semble s’arrêter »,
« Chaque minute ressemble à une heure », ou encore : le temps passe vite, la
notion de temps ne correspond plus, une heure est comme une minute.

A UTRESASPECTS IMPORTANTS DES TROUBLES


DISSOCIATIFS

Les personnes atteintes de troubles dissociatifs présentent généralement plu-


sieurs autres troubles psychiatriques comorbides, surtout souvent des troubles
de la dépendance, des troubles du comportement alimentaire, des troubles de
l’humeur et d’autres troubles psychiatriques (Steele, Boon & van der Hart, 2016).
Souvent, ces troubles comorbides sont au premier plan et doivent être traités en
priorité, ou alors ils compliquent le diagnostic de trouble dissociatif (Nijenhuis,
2017).
Les troubles de la personnalité et le TSPT complexe sont très souvent comorbides
avec des troubles dissociatifs sévères.
N

Troubles de la personnalité

Les troubles de la personnalité dans la CIM-11

Outre les violences sexuelles graves, les personnes souffrant de troubles disso-
ciatifs (en particulier le TDI) ont, dans la plupart des cas, également subi des

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Les troubles dissociatifs dans la CIM-11 : un changement de paradigme 45

violences émotionnelles dans l’enfance, telles que des dévalorisations constantes


et des exigences excessives, des situations de solitude et de manque de sécu-
rité, une négligence émotionnelle, un comportement parental incohérent ou
négligent et des pertes précoces de figures d’attachement significatives (Steele
et al., 2016). Outre les symptômes dissociatifs, cela entraîne également des
problèmes au niveau relationnel dans le sens d’un trouble de la personnalité.
Dans la CIM-11, de par un autre changement de paradigme, les troubles de la
personnalité ne sont plus subdivisés de manière catégorielle, mais de manière
dimensionnelle avec les dimensions légère, modérée et sévère. En outre, il est
décrit une catégorie de problèmes de personnalité (CIM-11 : QE50.7) qui n’a
pas de valeur de maladie mais affecte la santé et les thérapies (analogue aux
diagnostics Z de la CIM-10).
La procédure de diagnostic selon la CIM-11 est basée sur une approche en trois
étapes :
 1re étape : Investigation sur les critères généraux de diagnostic (Y a-t-il un
trouble de la personnalité ?)
Dans un premier temps, il faut décider, selon la CIM-11, si l’on est en présence
d’un trouble de la personnalité. Le diagnostic existe si des schémas inadaptés
inflexibles de cognition, d’expérience émotionnelle, d’expression émotionnelle
et de comportement apparaissent très tôt, dès l’adolescence.
 2e étape : Évaluation de la sévérité du trouble
Si la présence d’un trouble de la personnalité est avérée, alors dans une
deuxième étape il faut classifier la sévérité du trouble. La sévérité est principa-
lement basée sur deux aspects : a) l’étendue de l’altération du fonctionnement
social, par exemple le nombre de relations sociales et l’accomplissement des
tâches professionnelles et familiales, et b) la présence d’un comportement
autodestructeur et/ou d’autres comportements dangereux.
➙ Trouble de la personnalité d’intensité légère (CIM-11 : 6D10.0)
➙ Trouble de la personnalité d’intensité modérée (CIM-11 : 6D10.1)
➙ Trouble de la personnalité d’intensité sévère (CIM-11 : 6D10.2)
 3e étape : Expression des cinq domaines de caractéristiques
Dans une troisième étape, on pose le diagnostic d’un des cinq traits ou
domaines caractéristiques :
➙ Affectivité négative (CIM-11 : 6D11.0)
➙ Détachement (CIM-11 : 6D11.1)
➙ Dissociabilité (CIM-11 : 6D11.2)

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46 G ÉNÉRALITÉS SUR LE TDI

➙ Désinhibition (CIM-11 : 6D11.3)


➙ Obsessivité (CIM-11 : 6D11.0)
Trouble de personnalité à structure borderline (6D11.5)

L’inclusion du trouble borderline dans la CIM-11 a été pendant longtemps parti-


culièrement controversée et a été simplement ajustée par rapport à la CIM-10
Les caractéristiques suivantes appartiennent à la structure borderline :
1. Instabilité de l’image de soi
2. Instabilité dans les relations interpersonnelles
3. Instabilité des affects
Il existe de nombreux chevauchements entre le trouble de la personnalité border-
line et le TSPT complexe. Cela s’explique notamment par le fait que de nombreuses
personnes souffrant de trouble de la personnalité borderline font état d’abus
dans leur histoire de vie. La comorbidité entre le TPB et le TDI n’a pas fait l’objet
de recherches approfondies (Ford & Courtois, 2021).
N

Trouble du stress post-traumatique complexe (6B41)

Le TSPT complexe a été introduit comme nouveau diagnostic dans la CIM-11


(Maercker, 2021) et représente un autre changement de paradigme, puisque la
violence répétée est désormais reconnue comme un déclencheur potentiel de
trouble mental et qu’un nouveau modèle de trouble a été défini à partir de là.
Selon la CIM-11, trois domaines principaux sont nécessaires au diagnostic du
TSPT complexe. Outre les événements traumatiques en tant que déclencheurs, on
observe une triade traumatique et un trouble de l’auto-organisation.

La triade traumatique

 Reviviscences : les principaux symptômes sont les intrusions, les flash-back,


les cauchemars, la détresse émotionnelle due aux déclencheurs et des réac-
tions physiologiques lors de rappels mnésiques.
Les personnes souffrant de troubles dissociatifs graves font souvent état
d’intrusions post-traumatiques qui, surtout au début de la thérapie, semblent
dans la plupart des cas trop légères par rapport à l’ampleur du trouble men-
tal. En raison de l’amnésie dissociative, au début, l’accès aux souvenirs les
plus graves fait souvent défaut mais l’absence de souvenirs traumatiques ne

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Les troubles dissociatifs dans la CIM-11 : un changement de paradigme 47

constitue pas un critère d’exclusion du TDI (partiel) en raison de la présence


fréquente d’une amnésie dissociative.
 L’évitement post-traumatique : en réaction à la reviviscence de souvenirs
associés au traumatisme, les personnes concernées tentent de toutes leurs
forces d’éviter les pensées, les sentiments et les souvenirs de l’événement
traumatique. Il s’agit notamment de l’évitement des pensées et des sentiments,
de l’évitement des activités ou des situations (évitement des déclencheurs),
de tentatives de distraction extrême, d’un retrait social, d’une distraction par
l’utilisation de substances : médicaments (en particulier les benzodiazépines),
alcool, drogues, mais aussi nourriture (graisses, sucre), nicotine, et bien plus
encore.
Les personnes souffrant de troubles dissociatifs sévères ont souvent des diffi-
cultés à percevoir leurs symptômes dissociatifs. Sans thérapie, les symptômes
tels que la dépersonnalisation, la déréalisation, l’amnésie dissociative et les
actions partiellement dissociées ne sont souvent pas perçus, ou perçus de
manière réduite, ou encore minimisés. Les symptômes dissociatifs peuvent
être compris comme un évitement post-traumatique dans le sens d’une non-
réalisation. Cela devrait être pris en compte dans le diagnostic et la thérapie
des troubles dissociatifs.
 L’hyperactivation : après un événement traumatique, il peut y avoir une aug-
mentation persistante du niveau d’activation du système nerveux autonome
(états psycho-physiologiques d’hyperactivation), caractérisée par une tension
accrue, de l’agitation, des difficultés à s’endormir et à rester endormi, de
l’irritabilité, des réactions agressives, des troubles de la concentration, une
vigilance excessive (hypervigilance), une perception persistante d’un danger
accru, une nervosité accrue, de la peur et de l’anxiété, et divers symptômes
psychosomatiques.
Chez les personnes atteintes de troubles dissociatifs sévères, l’hyperactivation
n’est souvent plus visible. Cependant, les personnes qui en souffrent font
souvent état de problèmes de relaxation, de troubles du sommeil, de problèmes
de concentration et de nombreux autres symptômes d’hyperactivation (Steele
et al., 2016).

Perturbations de l’auto-organisation

Sur la base de recherches approfondies, la CIM-11 définit trois troubles de


l’auto-organisation qui sont présents dans le TSPT complexe (Maercker, 2021).
Le concept de trouble de l’auto-organisation peut être classé comme un autre
changement de paradigme dans la CIM-11.

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48 G ÉNÉRALITÉS SUR LE TDI

Après le début de l’expérience de stress et accompagnant la symptomatologie


du TSPT, les limitations suivantes se développent :
 Trouble de la dysrégulation des affects : les problèmes de dysrégulation des
affects se caractérisent par une réactivité émotionnelle accrue, ainsi que
par des difficultés à se remettre de stress mineurs, et par des expressions
intenses des émotions, des comportements de mise en danger de soi ou
auto-dommageables, et une tendance à des états dissociatifs dans des situa-
tions stressantes. En outre, un engourdissement émotionnel peut se produire,
notamment l’incapacité à éprouver du plaisir ou des sentiments positifs. Cela
inclut une tendance accrue à la dissociation.
 Problèmes profonds de l’image de soi : les convictions prononcées de se consi-
dérer comme inférieur et sans valeur représentent une altération persistante
du sentiment d’identité. En outre, il existe une conviction profonde d’avoir
fait quelque chose de mal dans la vie et de mener une vie abîmée et sans
valeur, ainsi que des sentiments permanents de culpabilité et de honte.
 Difficultés relationnelles : les difficultés relationnelles se manifestent par une
incapacité à interagir d’égal à égal dans les relations. Il y a une susceptibilité
à avoir des vues et des attentes exagérées d’une relation et une incapacité à
faire confiance dans les relations intimes.

Les trois symptômes de la triade traumatique ne doivent pas nécessairement


être au premier plan dans l’ensemble des symptômes du TSPT complexe. Ils
peuvent même être difficiles à détecter car les symptômes du trouble de l’auto-
organisation se manifestent au premier plan.
Les personnes souffrant de troubles dissociatifs graves présentent presque tou-
jours un trouble grave de l’auto-organisation. Dans la pratique clinique, on peut
distinguer différentes formes (Gysi, 2020) :
 Surrégulation des affects pendant la journée et sous-régulation le soir : pen-
dant la journée, certaines personnes affectées peuvent contrôler leurs affects
post-traumatiques et fonctionner normalement au travail et à l’école. Le soir,
les forces mentales s’affaiblissent et la régulation ne fonctionne plus. Cela
peut entraîner l’apparition de crises d’anxiété, de colère ou de honte et
d’intrusions post-traumatiques dans la soirée.
 Surrégulation des affects pendant les périodes où il y a beaucoup de travail,
sous-régulation pendant les week-ends et/ou les vacances : le travail peut
structurer, distraire et ainsi aider à réguler les affects post-traumatiques.
Lorsqu’il y a relaxation, cette capacité à surréguler est affaiblie et davantage
d’affects post-traumatiques apparaissent. Certaines personnes concernées

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Les troubles dissociatifs dans la CIM-11 : un changement de paradigme 49

essaient donc de rester très occupées même pendant leurs vacances et évitent
les occasions de se détendre.
 Surrégulation des affects dans la vie de tous les jours, sous-régulation lors
de déclencheurs intenses (par exemple, contact avec d’anciens agresseurs,
confrontation avec des souvenirs non traités, vacances et journées ayant une
signification particulière).
 Sous-régulation primaire, la régulation des affects ne réussit que rarement à
être suffisante : nombreuses crises, séjours hospitaliers fréquents, tendance à
utiliser des substances addictives, médicaments, et troubles du comportement
alimentaire, pour pallier la régulation insuffisante des affects.
La plupart des personnes atteintes de TDI et de TDIp répondent également
aux critères du TSPT complexe. Comme le TSPT complexe et le TDI/TDIp sont
répertoriés dans des chapitres différents de la CIM-11, s’ils sont présents, ils
doivent être diagnostiqués tous les deux. Les symptômes du trouble de l’auto-
organisation constituent souvent un défi majeur en thérapie, notamment au
début du traitement du TDI, et doivent faire l’objet d’une prise en charge spéci-
fique.
Le diagnostic différentiel entre le trouble de personnalité borderline, le TSPT
complexe et le TDI (partiel) est sans aucun doute un défi central, résultant,
entre autres, des changements de paradigme de la CIM-11. Les caractéristiques
suivantes, entre autres, peuvent être utilisées pour le diagnostic différentiel
(Ford & Courtois, 2021 ; Gysi, 2020) :
1. Événement traumatique déclencheur : aucun critère pour le trouble borderline,
le TDI et le TDIp ;
2. Triade des traumatismes : uniquement dans le TSPT et le TSPT complexe, pas
dans le trouble borderline ni le TDI (partiel) ;
3. Perturbation de la régulation des affects : labilité émotionnelle due à la peur
de l’abandon dans le trouble borderline, problèmes de régulation des affects
post-traumatiques dans le TSPT complexe ;
4. Perturbation de l’image de soi : concept de soi ou image de soi changeante
dans le trouble borderline, image de soi constamment négative dans le TSPT
complexe ;
5. Perturbation dans les interactions : peur de l’abandon et alternance d’idéalisa-
tion et de dévalorisation dans les relations dans le trouble borderline, vision
négative chronique des personnes avec méfiance et distance dans le TSPT
complexe ;

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50 G ÉNÉRALITÉS SUR LE TDI

6. Auto-mutilation : utilisation consciente de l’automutilation pour réguler les


affects dans le trouble borderline et le TSPT complexe ; perte du contrôle
exécutif avec action partiellement dissociée dans le TDIp et action totalement
dissociée dans le TDI ;
7. Amnésies : ne se produisent que dans le cas du TDI, ne sont pas un symptôme
du trouble borderline ou du TSPT complexe ;
8. Action partiellement dissociée : uniquement dans TDIp et le TDI ;
9. Action totalement dissociée : uniquement dans le TDI
De nombreuses personnes ayant reçu un diagnostic de trouble borderline dans la
CIM-10 sont plus susceptibles de répondre aux critères de comorbidité du TSPT
complexe et du TDIp dans la CIM-11.

R ÉSUMÉ
La CIM-11 contient de nombreuses modifications importantes qui représentent des
changements de paradigme. Ils représentent sans aucun doute un défi majeur. Mais
en même temps, ils nous invitent à procéder à des diagnostics encore plus précis
et à pouvoir encore mieux soutenir nos patients avec des traitements fondés sur des
preuves. Le diagnostic de TDI implique la mise en évidence d’états de personnalité,
de la perte du contrôle exécutif et du passage d’un état de personnalité à un autre.
La clarification des troubles comorbides, notamment les troubles de la personnalité
et les troubles de stress post-traumatique complexe, est également importante pour
la thérapie. Ce changement de paradigme nous incite à être plus précis dans le
diagnostic et peut améliorer considérablement le traitement des personnes atteintes
de TDI.

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Chapitre 4

Neuro-imagerie du trouble
dissociatif de l’identité

Dr Laurence Carluer1

E XPOSÉ DU CHAPITRE
Bien que figurant dans le DSM-5, le trouble dissociatif de l’identité (TDI) fait l’objet de
nombreuses controverses quant à sa reconnaissance sur le plan clinique et à ses liens
avec le psychotraumatisme. Deux modèles théoriques du TDI divergent. Un premier
modèle affirme que le TDI s’observe chez des patients ayant subi des situations de
maltraitance précoce, sévère et chronique dans l’enfance, alors que le deuxième
modèle apparente la symptomatologie du TDI à de la simulation et aux fantasmes
du patient et/ou du thérapeute. Les études récentes en imagerie concernant le TDI
plaident en faveur de la reconnaissance du TDI en tant qu’entité clinique au même
titre que les autres symptômes dissociatifs (amnésie dissociative, fugue dissociative...)
et confirment le lien entre TDI et psychotraumatisme.

I NTRODUCTION

La dissociation est aujourd’hui la pierre angulaire de la compréhension du psy-


chotraumatisme. Elle correspond à un morcellement de la conscience qui entraîne

1. Neurologue, psychothérapeute, membre de l’équipe INSERM 1077.

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52 G ÉNÉRALITÉS SUR LE TDI

un sentiment de déréalisation, de dépersonnalisation, voire de « décorporéisa-


tion ». Cette approche du phénomène de dissociation implique que la conscience
formerait une certaine unité, qu’elle serait la résultante de notre capacité à
intégrer différents processus cognitifs, émotionnels, somatiques en un tout
cohérent. De cette cohérence émergerait le soi, concept en lien étroit avec celui
de conscience. Dire « Je », définir son identité, implique de prendre conscience,
conscience de soi-même et de l’autre. Le soi et la conscience sont certes médiés
par des processus cognitifs de haut niveau, mais ils sont aussi la résultante de
la cohérence générée par l’intégration de marqueurs somatiques, émotionnels et
cognitifs. Autrement dit, il n’y a pas de conscience de soi sans corps, la tâche
du cerveau pour « produire » de la conscience et du soi s’ancre dans le corps. Il
existe différents niveaux de conscience incluant d’ailleurs l’inconscient jusqu’à
la métaconscience. Il en est de même pour le soi : du « proto-soi » de Damasio à
un soi pouvant se penser lui-même (Damasio, 1999), chaque niveau s’appuie sur
le précédent, en constitue une expansion plus complexe et influence le suivant.
Des phénomènes de régulation descendants et ascendants permettent de faire
évoluer ce système vers davantage de complexité. Comprendre qu’il n’y a pas
de conscience, ni de soi sans corps, est primordial dans la compréhension des
phénomènes dissociatifs.
Le cerveau est à la fois le siège de cette intégration, de la cohérence qui en
découle et de cette complexité. Toutefois, dans notre propos, les limites du
cerveau ne sont pas celles de la boîte dans laquelle il se trouve, c’est-à-dire notre
tête. Comme ce qui est postulé précédemment, il s’agit d’un cerveau incarné,
c’est-à-dire un cerveau dans un corps mais c’est aussi plus que cela ; un cerveau
dont les limites sont celles de mon corps, de ma peau. Dans la formation de
l’embryon, la peau et le cerveau sont issus de la même couche de cellules, du
même feuillet embryonnaire. Ainsi notre enveloppe corporelle et notre « machine
à nous penser » seraient en continuité histologique.
La dissociation va venir altérer notre capacité d’intégration des marqueurs soma-
tiques, émotionnels et cognitifs aboutissant à un morcellement de la conscience
et du soi. En effet, en cas d’effraction par un événement traumatique, le rôle
du cerveau ne serait plus de fabriquer du soi et du sens mais d’assurer la survie.
Nous considérons que la dissociation est un processus neurobiologique dont la
finalité est d’assurer la survivance du soi. Il s’agit donc d’une stratégie défensive
de protection du soi dans des situations extrêmes d’effraction psychique et/ou
physique. Cette protection du soi se fait cependant au détriment de sa cohérence
et sa continuité, aboutissant à une non-intégration des parties de soi.

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Neuro-imagerie du trouble dissociatif de l’identité 53

Les symptômes dissociatifs, que ce soit l’amnésie dissociative, le trouble dissocia-


tif de l’identité (TDI), la fugue dissociative ou le trouble de dépersonnalisation,
sont l’expression de ce morcellement du soi. Dans l’amnésie dissociative, le sou-
venir ne peut être rattaché au soi. Le trouble de dépersonnalisation correspond
à l’impression d’être l’observateur de son propre corps. Le trouble de conversion
traduit aussi un corps séparé du soi où, en dehors du champ de la conscience,
le traumatisme psychique se trouve converti en symptômes physiques. Ainsi, le
TDI se caractérise par une perte du soi unifié et un défaut du traitement émo-
tionnel de la mémoire autobiographique. Il semble bien établi que les troubles
dissociatifs s’observent chez les patients ayant subi, de façon chronique, avec
l’incapacité de s’y soustraire, des situations de traumatisme psychologique dans
l’enfance (Vonderlin et al., 2018). L’âge d’apparition de la maltraitance, sa durée,
le fait qu’elle soit d’origine parentale sont des facteurs associés à la sévérité
des symptômes dissociatifs (Vonderlin et al., 2018). La grande hétérogénéité
clinique des troubles dissociatifs, tout autant que leur coexistence chez un même
patient, interroge sur ce qui relève d’un processus neurobiologique commun à
l’ensemble des troubles. Le phénomène dissociatif a d’abord fait l’objet d’études
en neuro-imagerie, au travers des états de stress post-traumatique (ESPT) ne
présentant pas de phénomènes de reviviscences traumatiques au premier plan,
tels qu’ils sont décrits sous l’appellation de sous-type « dissocié » par Lanius
(Lanius et al., 2010).
Depuis peu, les différents symptômes dissociatifs sont étudiés de façon séparée.
Bien que figurant dans le DSM-5, le TDI fait l’objet de nombreuses controverses
quant à sa reconnaissance sur le plan clinique et à ses liens avec le psychotrau-
matisme. Tel qu’il est décrit dans le DSM-5, le TDI se caractérise par au moins
deux états de personnalité distincts ou bien une expérience de possession et
des épisodes récurrents d’amnésie. Ces états de personnalité ont leurs propres
schémas de perception, de réactions, de cognition à propos de l’environnement
et du soi. Ces états de personnalité coïncident avec des états de conscience
fluctuant et des accès changeant à la mémoire autobiographique. Deux modèles
théoriques du TDI divergent (Dalenberg et al., 2012). Le premier modèle affirme
que le TDI s’observe chez des patients ayant subi des situations de maltraitance
précoce, sévère et chronique dans l’enfance alors que le deuxième modèle attri-
bue la symptomatologie du TDI à la simulation et aux fantasmes du patient
et/ou du thérapeute. Les études récentes en imagerie concernant le TDI plaident
en faveur de sa reconnaissance en tant qu’entité clinique au même titre que les
autres symptômes dissociatifs (amnésie dissociative, fugue dissociative...) et
confirment le lien entre TDI et psychotraumatisme.

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54 G ÉNÉRALITÉS SUR LE TDI

D E L’ INSTINCT À LA RAISON
N

Le cerveau triunique

La dissociation ne peut être appréhendée sans considérer l’ontogénèse et la phy-


logénèse du système nerveux. Le cerveau est, en effet, le résultat de l’évolution
et doit être vu comme l’assemblage de structures héritées de notre arbre phylo-
génétique. Avec le modèle du cerveau triunique, MacLean postule qu’au cours
de l’évolution trois cerveaux se juxtaposent : le cerveau reptilien, le cerveau
limbique et le cortex (MacLean, 1990). Nous les présenterons à l’inverse de ce
que l’on considère être notre phylogénèse, afin de comprendre les phénomènes
de dissociation.
 Tout d’abord le cortex et plus particulièrement le cortex préfrontal. Plus primi-
tif chez les autres mammifères, le cortex est ce qui nous permet l’élaboration
de processus cognitifs complexes (le raisonnement, le langage, la pensée
abstraite, l’empathie). C’est grâce au cortex préfrontal que nous accédons à
une représentation du monde extérieur car il est connecté à toutes les régions
cérébrales impliquées dans le traitement des informations sensorielles. C’est
aussi grâce à ce cortex préfrontal que nous accédons à notre monde intérieur
car il est aussi connecté au cerveau limbique.
 Ensuite le cerveau limbique. Il existe chez tous les mammifères. Il est le siège
principal des comportements émotionnels. Deux structures anatomiques très
importantes se trouvent dans ce cerveau limbique : l’amygdale et l’hippocampe.
L’amygdale permet d’attribuer une signification émotionnelle aux expériences
que nous vivons et, surtout, elle détecte ce qui peut être menaçant pour
l’individu. C’est le centre de la peur. L’hippocampe, région atteinte dans la
maladie d’Alzheimer, sert à mémoriser nos expériences, ainsi que les détails
de ces expériences dans leur contexte spatial et temporel.
 Enfin, le cerveau reptilien, qui, sur le plan anatomique, correspond au tronc
cérébral. Le tronc cérébral centralise en quelque sorte toutes les grandes
fonctions vitales et assure l’homéostasie intérieure : le rythme cardiaque, la
respiration... Le tronc cérébral, plus exactement une petite structure nom-
mée « substance grise périaqueducale », est le siège des comportements de
défense (fuite/lutte/figement), comportements très bien observés dans le
règne animal. Le choix entre la fuite, la lutte et le figement n’est pas réfléchi
ou conscient. Au sein de la substance grise périaqueducale, on identifie une
partie ventro-latérale dont l’activation entraîne une réaction de figement
en lien avec le système parasympathique et une partie dorso-latérale dont

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Neuro-imagerie du trouble dissociatif de l’identité 55

l’activation provoque la fuite ou la lutte, en lien avec le système nerveux


sympathique (Terpou et al., 2019).
N

Le système nerveux autonome

Le système nerveux autonome (SNA), issu du cerveau reptilien et constitué


des systèmes nerveux sympathique et parasympathique, contrôle notre « monde
intérieur ». L’activité du SNA est indépendante du contrôle volontaire. Son rôle
est d’adapter les fonctions des organes internes aux besoins de l’organisme. Il
est en effet en grande partie autorégulé et possède ses propres mécanismes
de gestion. Le SNA est responsable de la motricité involontaire (viscérale) et
transmet les informations du système nerveux central au muscle cardiaque, aux
muscles lisses et aux glandes. Les travaux de Porges1 apportent un éclairage
nouveau sur la façon dont le système nerveux autonome, en dehors du champ
de notre conscience, régule nos interactions avec autrui en détectant ce qui est
menaçant, et en le différenciant de ce qui est sécure (Porges, 2011). En effet,
Porges a affiné la compréhension du système nerveux autonome, et notamment
celle du système parasympathique, en montrant qu’au cours de l’évolution des
espèces est apparu le système parasympathique avec une première branche dor-
sale (il y a 500 millions d’années) impliquée, en cas de danger, dans la réponse
de figement. L’animal se trouve alors « comme » mort, ce qui lui laisse poten-
tiellement une chance d’échapper à son prédateur. L’activation de la branche
dorsale ralentit le rythme cardiaque et respiratoire, et diminue la consommation
d’énergie. Dans un second temps, apparaît le système sympathique, impliqué
dans les réponses de fuite et/ou de combat. L’activation du système sympa-
thique accélère la fréquence cardiaque et respiratoire, et mobilise l’énergie de
manière à avoir une réponse défensive adaptée : la fuite ou le combat. Après
la branche dorsale, de façon plus récente dans l’évolution des espèces (80 mil-
lions d’années), apparaît chez les mammifères la branche ventrale du système
parasympathique, qui est impliquée dans l’engagement social. L’activation de la
branche ventrale du système parasympathique permet l’engagement social et la
communication. Cette branche ventrale est notamment reliée aux nerfs inner-
vant les muscles du visage (détection des expressions faciales) et les muscles
du pharynx (détection des tons de voix). En situation sécure, cette branche
permet de créer des interactions entre les individus et donc des liens, ce qui

1. La traduction en français de l’ouvrage dirigé par S. W. Porges et D. Dana, Applications cliniques


de la théorie polyvagale. L’émergence des thérapies polyvagales paraîtra en mars 2022 aux éditions
SATAS avec le concours de l’AFTD.

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56 G ÉNÉRALITÉS SUR LE TDI

caractérise les mammifères. L’organisation du système nerveux autonome chez


l’être humain se fait de façon hiérarchique, c’est-à-dire du système le plus évolué
ou le plus récent vers le système le moins évolué ou le plus ancien. Ainsi, la
perception d’un éventuel danger se fait en premier lieu par la branche ventrale
parasympathique. Dans l’interaction avec l’autre, de façon inconsciente, si la
détection d’expressions faciales, de ton de voix, de posture oriente vers une
menace et que cette menace n’est pas levée dans le cadre de cette interaction,
ceci entraîne une diminution d’activité de la branche ventrale parasympathique
(légère augmentation de la fréquence cardiaque) sans engagement du système
sympathique (fuite et/ou combat, car coûteux énergétiquement). Si malgré
ces signaux, le danger persiste et s’accentue, le système sympathique s’active,
préparant l’organisme à la réponse de fuite et/ou de combat. Lorsque l’activation
maximale du système sympathique ne permet pas d’envisager une résolution du
danger, la branche dorsale du système parasympathique s’active brutalement, ce
qui entraîne le figement. Le figement produit un état d’anesthésie physique et
psychologique permettant de « supporter l’insupportable », état qui correspond
à la dissociation.
La théorie polyvagale permet de bien comprendre l’impact du psychotraumatisme
sur le fonctionnement du SNA et l’implication du SNA dans la dissociation.
En effet, le milieu extérieur et plus particulièrement nos interactions avec les
autres semblent jouer un rôle majeur sur le SNA et, en cas de menaces avérées,
conduisent à des dérégulations progressives du SNA en modifiant ces phéno-
mènes de balance rétroactive adaptative et en altérant ces phénomènes de
régulation descendants et ascendants. Un enfant (son système nerveux) exposé
à des situations de maltraitance, de négligence ou d’abus de façon chronique,
faute de pouvoir se soustraire à l’adulte qui est censé s’occuper de lui, apprend
très vite que l’interaction avec cet adulte ne permet pas d’aboutir pas à une
relation sécure (hypoactivation de la branche ventrale parasympathique), que la
fuite est impossible (hypoactivation du système sympathique). La seule réponse
possible à ces situations de traumatisme chronique est l’activation de la branche
dorsale parasympathique qui permet à l’enfant de se déconnecter de sa vie
émotionnelle intérieure.
N

La régulation émotionnelle « normale »

En temps normal, notre cortex tend à inhiber les réponses instinctuelles et


donc domine le cerveau limbique et reptilien. En cas de danger, cette hiérarchie
va être inversée et laisser place à des réponses instinctuelles qui vont être

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Neuro-imagerie du trouble dissociatif de l’identité 57

plus efficaces (car plus rapides) pour assurer notre survie. L’inversion de cette
hiérarchie est momentanée, le temps nécessaire à la « gestion » du danger. Une
fois le danger écarté, le cortex peut de nouveau réguler le cerveau limbique
et reptilien, le cerveau fonctionnant de nouveau vers une complexité accrue
et vers l’intégration, notamment de cette expérience menaçante. La capacité à
revenir à une organisation hiérarchique cérébrale « normale » après un danger
dépend, chez le tout-petit, de la capacité de l’adulte qui a en charge sa sécurité
à le rassurer. Ces phénomènes de régulation descendants (« top-down ») et
ascendants (« bottom-up ») se développent de façon précoce et dépendent de la
qualité de l’interaction entre l’enfant et sa figure d’attachement1 . Ainsi la qualité
de cet attachement viendra modeler le cerveau et, plus exactement, des circuits
neuronaux immatures dont dépendra, plus tard, notre capacité à affronter un
événement traumatique, c’est-à-dire notre capacité de résilience. Le traumatisme
psychique répété et la dissociation qui en résulte altèrent ces phénomènes
de régulation descendants et ascendants qui permettent un équilibre entre la
préservation de notre survie et notre capacité à interagir avec les autres, en les
rigidifiant avec une tendance à maintenir cette inversion de l’organisation de la
hiérarchie cérébrale.

N EURO - IMAGERIEDE LA DISSOCIATION


ET DU TROUBLE DISSOCIATIF DE L’ IDENTITÉ
N

Neuro-imagerie de la dissociation : un excès d’inhibition


cortico-limbique

Avant d’aborder la neuro-imagerie du TDI, il convient de faire état des connais-


sances concernant la neuro-imagerie de la dissociation. Ruth Lanius a été la
première à distinguer deux sous-types parmi les patients atteints d’état de
stress post-traumatique (ESPT) : les patients avec un profil hyper-réactif et les
patients avec un profil dissocié (Lanius et al., 2010). Les patients avec un profil
hyper-réactif sont ceux qui présentent des flash-back, des reviviscences trau-
matiques. Ces patients revivent certains « morceaux » du traumatisme comme
si le traumatisme avait lieu au présent. Pour ces patients, le traumatisme n’est
pas remémoré, il est revécu. Les patients avec un profil dissocié sont ceux qui

1. Pour plus de précisions sur la théorie de l’attachement, merci de vous référer au chapitre 8
d’Alexandra Deprez.

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58 G ÉNÉRALITÉS SUR LE TDI

expérimentent un sentiment de déréalisation, de dépersonnalisation et/ou des


symptômes dissociatifs.
Cette distinction a été très importante pour mieux comprendre d’un point de vue
clinique et neurobiologique les phénomènes sous-tendant ces deux profils et a
mis, de nouveau, en exergue le rôle primordial de la dissociation et ses liens
avec le psychotraumatisme tel que le concevait Pierre Janet.
Selon Lanius, pour le profil hyper-réactif, la reviviscence traumatique serait due
à l’incapacité du cortex préfrontal médian et du cortex préfrontal ventro-médian
à réguler l’activité de l’amygdale et de l’insula qui deviennent hyperactives
(inhibition cortico-limbique déficitaire). L’amygdale étant le centre de la peur
et l’insula étant impliquée dans la conscience corporelle, il s’ensuit des réac-
tions émotionnelles intenses associées à des manifestations somatiques. D’après
Lanius et ses collègues (2010), pour le profil dissocié, il existe à l’inverse un
excès d’inhibition cortico-limbique. Une hyperactivation du cortex préfrontal
médian et du cortex cingulaire antérieur dorsal va venir inhiber l’amygdale et
l’insula de façon excessive, qui vont à leur tour devenir hypoactives. Les émotions
(amygdale) ne sont donc plus ressenties (émoussement affectif). La conscience
corporelle (insula) est modifiée, pouvant aller jusqu’à des expériences de « sortie
hors du corps ».
Les études les plus récentes confirment le modèle de Lanius en l’affinant avec
l’intégration de la substance grise périaqueducale et des systèmes nerveux sympa-
thique et parasympathique (Nicholson et al., 2017). Ainsi, le profil hyper-réactif
de l’ESPT a un pattern d’activation du bas vers le haut (région dorsolatérale
de la substance grise périaqueducale / système sympathique / amygdale et
insula / cortex préfrontal médian). Le profil dissocié a un pattern d’activation
du haut vers le bas (cortex préfrontal médian / amygdale et insula / système
parasympathique / région ventro-latérale de la substance grise périaqueducale
(cf. figure 4.1).
Pour Lanius, la dissociation correspond du point de vue fonctionnel à une
désafférentation corticale : le cortex est coupé des autres structures cérébrales
(Lanius et al., 2014) comme s’il fonctionnait indépendamment, sans traiter les
marqueurs somatiques et émotionnels. Cette désafférentation corticale pourrait
expliquer cet état modifié de conscience (déréalisation, dépersonnalisation et
décorporéisation) à l’origine de l’ensemble des symptômes dissociatifs. Cette
désafférentation corticale s’accompagne d’un excès d’inhibition cortico-limbique.

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ESPT HYPER RÉACTIF ESPT DISSOCIÉ


PE hyper réactive PAN ou PE dissociées
FUITE / LUTTE DÉPERSONNALISATION
HYPERVIGILANCE DÉRÉALISATION
DÉCORPORÉISATION
FIGEMENT Excès d’inhibition

CORTEX CORTEX

CERVEAU LIMBIQUE CERVEAU LIMBIQUE


Amygdale / Insula Amygdale / Insula
ALIMBIQUE ALIMBIQUE
LIMBIQUE LIMBIQUE

CERVEAU REPTILIEN CERVEAU REPTILIEN

Excès d’inhibition

Connectivité des régions Connectivité des régions


cérébrales avec prédominance cérébrales avec prédominance
cér
des phénomènes de régulation des phénomènes de régulation
ascendants descendants

SYSTÈME
NERVEUX
AUTONOME
“Binet_82810_BAT” (Col. : Psychothérapie 2014 17x24) — 2022/2/10 — 22:38 — page 59 — #75

Figure 4.1. ESPT hyperéactif / ESPT dissocié : connectivité des régions cérébrales et influence du système nerveux autonome
Neuro-imagerie du trouble dissociatif de l’identité
59




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60 G ÉNÉRALITÉS SUR LE TDI


N

Neuro-imagerie du trouble dissociatif de l’identité

Fantasme ou réalité

Comme nous l’avons souligné au début de notre chapitre, deux théories concer-
nant le TDI s’opposent (Dalenberg et al., 2012). Il est important de bien les
appréhender pour deux raisons. Premièrement, le conflit sous-jacent à ces deux
théories illustre à la fois un phénomène de résistance de la part de la société à
reconnaître la gravité de la maltraitance des enfants, et notamment les consé-
quences sur le plan neuro-développemental, mais aussi le lien indéniable entre
santé mentale et société. Deuxièmement, les études de neuro-imagerie sont
essentiellement pensées et construites en fonction de ces deux théories.
La première théorie à laquelle nous nous référons, la théorie de la dissociation
structurelle de la personnalité (TDSP)1 , suppose que le TDI est un trouble déve-
loppemental complexe secondaire à des traumatismes sévères et chroniques chez
le tout petit enfant (van der Hart, 2006). Ces situations de maltraitance précoce
et chronique, du fait des phénomènes dissociatifs, altéreraient les capacités
d’intégration des expériences sur le plan cognitif, émotionnel et somatique chez
l’enfant, visant ainsi à « encapsuler », à fragmenter les événements traumatiques.
Les phénomènes dissociatifs survenant chez le tout-petit, avant que ne s’installe
une perception unifiée et intégrée du soi, seraient à l’origine d’une structuration
de la personnalité selon des identités alternatives, évoluant de façon indépen-
dante les unes des autres. Selon ce modèle, la personnalité se diviserait en une
partie apparemment normale de la personnalité (PAN) (« apparently normal state
of personality » ou « neutral identity state ») et en une partie émotionnelle (PE)
(« emotional part of the personality » ou » trauma-related identity state »). Il
faut bien comprendre dans ce modèle que les PAN et les PE sont des parties arché-
typales ou prototypiques et qu’il existe chez un même individu plus d’une PAN et
plus d’une PE. La PAN permettrait le fonctionnement quotidien de l’individu de
façon adaptée et serait dans l’évitement des souvenirs traumatiques. Cette PAN
fonctionnerait avec une amnésie partielle ou totale des éléments traumatiques.
À l’inverse, les PE seraient en lien avec les éléments traumatiques et correspon-
draient aux parties jeunes de l’individu (peuvent avoir des âges différents et des
souvenirs traumatiques différents), victimes du traumatisme. Les PE pourraient se
diviser en deux sous-types selon que leurs réactions sont médiées par le système
nerveux sympathique ou parasympathique. Certaines parties émotionnelles, sous
influence du système nerveux sympathique, présenteraient une vigilance accrue,

1. Pour plus de précision sur la TDSP, merci de vous référer au chapitre 9 d’Eva Zimmermann.

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Neuro-imagerie du trouble dissociatif de l’identité 61

des émotions intenses, et une conscience exacerbée de soi et de son corps.


D’autres, sous l’influence du système nerveux parasympathique, présenteraient
un émoussement affectif, une plus faible vigilance et une conscience corporelle
plus faible.
Le deuxième modèle théorique du TDI est un modèle socio-cognitif qui postule
que le TDI est une pathologie socialement construite (Dalenberg et al., 2012).
Les troubles supposés de l’identité seraient liés d’une part aux fantasmes des
patients qui, du fait d’une propension à l’imaginaire, ne seraient plus à même de
distinguer la part réelle ou imaginaire du traumatisme, et d’autre part aux fan-
tasmes des thérapeutes qui pourraient influencer les patients du fait, notamment,
de questionnements suggestifs concernant l’existence d’identités alternatives.
Une première étude sur la neuro-imagerie du TDI s’est appuyée sur le modèle de
dissociation structurelle de la personnalité (Reinders et al., 2006). Le métabo-
lisme cérébral de patients ayant un diagnostic de TDI selon le DSM-IV a ainsi
été étudié en utilisant la tomographie par émission de positons. Les patients
TDI avaient, au préalable, acquis la possibilité de passer facilement, à l’aide du
thérapeute, d’un type de partie à l’autre (PAN vers PE et inversement). Un script
d’éléments autobiographiques neutres et un script d’éléments autobiographiques
liés au traumatisme étaient préalablement recueillis pour chaque patient, de
manière à être lus lors de la mesure du métabolisme cérébral en situation de PAN
ou de PE. Cette étude a montré un métabolisme différent des régions cérébrales
selon que les patients « activaient » une PAN ou une PE, et également selon que
le script lu était neutre ou en rapport avec le traumatisme. Les PE, soumises
au script traumatique, présentaient des réactions émotionnelles et corporelles
intenses et étaient associées à des différences de métabolisme cérébral au niveau
de plusieurs régions sous-corticales comme l’insula, les noyaux gris centraux
dont le noyau caudé. À l’inverse, les PE soumises au script neutre avaient le
même profil d’activation cérébrale que les PAN. Cette étude a également montré
qu’il n’y avait pas de différence dans le métabolisme cérébral pour les PAN
qu’elles soient soumises au script neutre ou au script traumatique, montrant
ainsi l’absence d’effet ou le peu d’effet sur le plan émotionnel du script d’ordre
traumatique sur ce type de parties.
Cette étude a été critiquée par les défenseurs du modèle socio-cognitif, sou-
tenant que les modifications du métabolisme cérébral observées dans cette
étude ne prouvaient en rien l’authenticité et la validité du TDI en tant qu’entité
diagnostique et qu’elles pouvaient être l’effet de l’imagination. Deux études ont
proposé l’ajout d’un groupe contrôle simulant un TDI (Reinders et al., 2012 ;
Schlumpf et al., 2014). Ce groupe contrôle simulant un TDI a ensuite été divisé en

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62 G ÉNÉRALITÉS SUR LE TDI

deux groupes sur la base d’un questionnaire sur les expériences créatives. Il s’agit
d’une mesure d’autoévaluation de la prédisposition au fantasme et à l’imaginaire.
La passation de ce test a permis de distinguer dans le groupe contrôle simulant
un TDI, un premier groupe avec un haut niveau d’inclinaison à l’imaginaire et
un deuxième groupe avec un faible niveau d’inclinaison à l’imaginaire. L’étude
de Reinders a permis de montrer que le groupe contrôle simulant un TDI, avec
une forte inclinaison à l’imaginaire, présentait plus de différences sur le plan
du métabolisme cérébral avec le groupe de patient TDI que le groupe contrôle
simulant un TDI, avec une faible inclinaison à l’imaginaire (Reinders et al., 2012).
Autrement dit, le métabolisme cérébral du groupe contrôle simulant un TDI, avec
une faible inclinaison à l’imaginaire, est plus proche du métabolisme cérébral
des patients TDI que celui du groupe contrôle simulant un TDI, avec une forte
inclinaison à l’imaginaire. Le réseau à l’état de base a également été comparé
entre des patients ayant un TDI et des sujets contrôles simulant un TDI (Schlumpf
et al., 2014). L’étude du réseau à l’état de base consiste à demander à des sujets,
une fois dans l’IRM, de laisser leur esprit vagabonder. De façon normale, un
certain nombre de régions cérébrales, principalement médianes comme le cortex
préfontal médian, le cortex cingulaire postérieur et des régions pariétales et
temporales s’activent, et ce de façon synchrone, c’est à dire en même temps.
Ces régions cérébrales forment entre elles un réseau appelé « réseau à l’état de
base ». Cette activité de repos du cerveau intervient dans les mécanismes liés
au concept de soi et à l’introspection, et c’est au travers de ce réseau que se
maintient au cours du temps notre identité (Nortoff et al., 2004). Cette étude a
mis en évidence des différences entre les patients TDI et les contrôles simulant
un TDI avec notamment une activation plus importante du réseau à l’état de
base chez les patients du groupe TDI. À l’inverse, le groupe simulant le TDI
avait une activation plus faible de ce réseau, probablement car les patients
étaient justement concentrés à simuler. Or, le réseau à l’état de base est activé
lorsque l’individu n’effectue aucune tâche et n’est pas focalisé sur le monde
extérieur. Lorsqu’une tâche est effectuée par l’individu, l’activation de ce réseau
est moindre. Ces deux études ont ainsi permis d’affirmer que le TDI n’est pas
corrélé positivement à une forte inclinaison à l’imaginaire et qu’en aucun cas,
le groupe simulant un TDI pouvait reproduire les mêmes schémas d’activation
cérébrale que les patients TDI, et que les PAN et les PE ont bien des schémas
d’activation cérébrale différents.

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Neuro-imagerie du trouble dissociatif de l’identité 63

Le TDI : une origine traumatique

Pour appuyer l’idée que le TDI est d’origine traumatique, Reinders et ses col-
lègues ont étudié les liens entre le modèle proposé par Lanius concernant les
deux sous-types d’ESPT et le modèle de dissociation structurelle de van der Hart
(profil hyper-réactif / PE et profil dissocié / PAN) (Reinders et al., 2014). Ainsi
les patients PAN comparés aux patients PE ont une augmentation d’activité au
niveau du gyrus cingulaire antérieur et moyen, du gyrus frontal supérieur, du
gyrus frontal moyen, du gyrus frontal médian et activent le système nerveux
parasympathique, ce qui est assez comparable aux patients ESPT dissociés. Les
patients PE, soumis au script traumatique, ont une augmentation d’activité au
niveau de l’amygdale, du noyau caudé, de l’insula et activent le système nerveux
sympathique, ce qui est assez comparable aux patients ESPT avec un profil
hyper-réactif. Une autre étude intéressante a comparé les différences entre des
patients ayant un ESPT avec un TDI, des patients ayant un ESPT isolé sans TDI
et des sujets contrôles, en mesurant le volume de substance grise du cortex
et des régions sous-corticales (Chalavi et al., 2015a). Une diminution similaire
du volume de substance grise corticale dans les régions frontales, temporales
et insulaires a été constatée chez les patients ESPT/TDI et les patients ESPT
versus les sujets contrôles. Une diminution du volume de l’hippocampe a été
retrouvée chez les patients ESPT/TDI et ESPT ayant une histoire de maltraitance
dans l’enfance (Chalavi et al., 2015b ; Blihar et al., 2021 ; Dimitrova et al.,
2021). Cette superposition des données cliniques et d’imagerie entre ESPT (profil
hyper-réactif versus profil dissocié) et TDI (PAN versus PE) permet de relier,
de façon formelle, le TDI à une origine traumatique et de reléguer la théorie
socio-cognitive du TDI au second plan. De plus, le lien entre la diminution de
volume de l’hippocampe, la survenue de la maltraitance dans l’enfance et la
sévérité des sévices ancre encore davantage la genèse du TDI dans le traumatisme
complexe et précoce du jeune enfant (Chalavi, et al., 2015b).

En résumé

Comme nous l’avons souligné préalablement, les PE et les PAN sont des parties
prototypiques. Autrement dit, il existe plus d’une PAN et plus d’une PE chez un
patient. Les PAN ont peu ou pas d’accès à la mémoire traumatique, avec des
parties qui sont, soit dans l’ignorance, soit dans l’évitement de cette mémoire.
Les PAN sont médiées par le système parasympathique dont l’activation ne va
pas aller jusqu’au figement mais provoquer un détachement émotionnel. Les PE
sont la mémoire traumatique et sont de deux types, soit en permanence dans

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64 G ÉNÉRALITÉS SUR LE TDI

la reviviscence des expériences traumatiques, soit dans un état de dissociation


extrême de type figement. Les PE sont médiées soit par le système sympathique
(fuite/lutte) soit par le système parasympathique (figement).
Il convient de bien comprendre qu’en séance de thérapie, les patients ayant
un TDI vont accéder à toutes sortes de parties, PAN ou PE. Il est de même
pour les patients ayant un ESPT qui pourront, dans une même séance, être
dans un état dissocié puis passer à un état hyper-réactif lors de l’accès à la
mémoire traumatique. Il existe donc une difficulté voire une impossibilité pour
ces patients à demeurer dans un état qui pourrait être qualifié d’état de régula-
tion émotionnelle normale et qui se situerait, sur une ligne imaginaire, entre la
dissociation et la reviviscence traumatique. Cet état de régulation émotionnelle
normale pourrait correspondre à une perception de soi unifié. Il est ainsi facile
de comprendre que si le ou les événements traumatiques ont lieu bien après
l’installation d’un soi unifié, comme dans le cas de l’ESPT simple, il sera d’autant
plus aisé, à l’aide d’un travail psychothérapeutique, de retrouver cet état de
régulation émotionnelle normale. À l’inverse, si les événements traumatiques ont
lieu avant l’installation d’un soi unifié, comme dans le cas de l’ESPT complexe
ou du TDI, c’est-à-dire dans la toute petite enfance et, de ce fait, bien souvent
de la part de l’un des parents, il sera d’autant plus difficile de trouver cet état
de régulation émotionnelle normale.
Les études en neuro-imagerie font état d’un processus neurobiologique commun
au TDI et à l’ESPT :
 Les PAN ou les PE (figement) comme le profil dissocié de l’ESPT se carac-
térisent par une activation du système parasympathique qui entraîne une
hypoactivation de l’amygdale et de l’insula et une hyperactivation du cortex
préfrontal médian et ventro-médian.
 Les PE (reviviscence traumatique) comme le profil hyper-réactif de l’ESPT
se caractérisent par l’activation du système sympathique qui entraîne une
hyperactivation de l’amygdale et de l’insula et une hypoactivation du cortex
préfrontal médian et du cortex préfrontal ventro-médian qui sont censés
réguler les structures cérébrales inférieures (cf. figure 4.1).
 Les études récentes en neuro-imagerie font état, également, de processus
neurobiologiques spécifiques du TDI le différenciant ainsi de l’ESPT avec l’im-
plication de certaines régions cérébrales dont le rôle exact devra être confirmé
par des études ultérieures (Blihar et al., 2020). Il s’agit des régions corticales
postérieures, du thalamus, du striatum et du cortex pariétal inférieur.

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Neuro-imagerie du trouble dissociatif de l’identité 65

 Les régions corticales postérieures (le précunéus, le gyrus fusiforme, le gyrus


lingual, le gyrus occipital et le gyrus parahippocampique) interviennent dans
l’intégration somato-sensorielle d’une information. Ainsi, les PAN activeraient
plus précisément ce réseau neuronal cortical connu chez le sujet sain pour être
impliqué dans la suppression de souvenirs à fort contenu émotionnel expli-
quant ainsi comment les PAN, soumises au script traumatique, se désengagent
subjectivement du contenu autobiographique de la mémoire traumatique,
comme si le lien mémoriel entre le soi et le traumatisme était inhibé (Reinders
et al., 2014).
 Le thalamus agit habituellement comme un relai des informations somato-
sensorielles à la fois du bas vers le haut, c’est-à-dire vers le cortex, mais aussi
du haut vers le bas, en relayant les informations venant du cortex, permettant
ainsi la régulation des structures cérébrales inférieures. Le thalamus se situe
à l’intersection du cerveau reptilien, du cerveau limbique et du cortex. Il
pourrait agir, en cas de menace, comme un disjoncteur en interrompant les
voies de relais des informations sensorielles vers le cortex faisant en sorte que
l’intégration sensorielle ne se fasse plus au niveau cortical mais au contraire
dans des structures cérébrales appartenant majoritairement au cerveau rep-
tilien. Une diminution de l’activité du thalamus agirait, ainsi, pour protéger
le cortex d’une stimulation excessive, en diminuant l’attention de l’individu
vers le monde extérieur qui peut potentiellement réactiver des souvenirs
traumatiques.
 Le striatum fait partie des noyaux gris centraux qui sont des structures sous-
corticales. Les PE, figées en quelque sorte dans le traumatisme ou les éléments
traumatiques, sont corrélées à une activation du striatum. Le striatum serait
impliqué dans les switch entre des états d’identité différents et dans le
maintien dans le temps d’un état d’identité donné (Reinders et al., 2014).
 Le cortex pariétal inférieur gauche est une aire associative intégrant les infor-
mations sensorielles de différentes modalités. Une diminution de volume du
cortex pariétal inférieur gauche a été constatée uniquement chez les patients
ESPT/TDI par comparaison avec les patients ESPT et les sujets contrôles (Cha-
lavi et al., 2015a). Il existe une corrélation entre la diminution du volume du
cortex pariétal inférieur et la sévérité des symptômes dissociatifs. L’atteinte
du cortex pariétal inférieur pourrait rendre compte de l’impossibilité d’intégrer
en un tout cohérent les informations sensori-motrices, visuelles, auditives,
participant ainsi à la fragmentation des expériences.

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66 G ÉNÉRALITÉS SUR LE TDI

C ONCLUSION

Le TDI d’origine traumatique existe et n’est pas de l’ordre du fantasme. Les


études du TDI en neuro-imagerie concourent à le démontrer.
Des neurosciences à la clinique, quel nouveau regard pouvons-nous y porter ? Le
TDI est la résultante d’un psychotraumatisme précoce, chronique du tout petit,
avant l’installation d’un soi unifié. L’âge de début précoce de ces situations de
maltraitance chez le tout-petit conduit à une structuration psychique sous la
forme de parties ou personnalités alternatives. La particularité de ce fonction-
nement psychique est que les parties fonctionnent indépendamment les unes
des autres dans une forme de clivage du moi qui n’est pas sans rappeler les
travaux de Mélanie Klein (1882-1960). Dans ces situations de psychotraumatisme
précoce, le moi est clivé, faute d’un autre bienveillant (en référence au concept
de « mère suffisamment bonne » de Winnicott). En effet, à la naissance, la
partie du cortex la plus immature est le cortex frontal qui va se développer sous
l’effet de la richesse de l’interaction de l’enfant et de sa figure d’attachement.
Or, la maturation de cette région cérébrale, et plus particulièrement du cortex
préfrontal médian, va progressivement sous-tendre les mécanismes de référence
à soi et d’inférence d’états mentaux à l’autre. On pourrait dire que la maturation
accomplie de cette région cérébrale permet de se penser et de penser l’autre.
On comprend, dès lors, les effets dévastateurs des sévices subis par de jeunes
enfants sur le plan neuro-développemental et de la structuration psychique
(Reinders et al., 2018).

R ÉSUMÉ
Fantasme ou réalité : les études visant à comparer les patients ayant un TDI avec des
sujets contrôles simulant un TDI ont mis en évidence des différences majeures entre
ces deux groupes permettant d’affirmer que le TDI existe et n’est pas de l’ordre du
fantasme du patient et/ou du thérapeute.
Origine traumatique : il existe une superposition des données cliniques et d’imagerie
entre l’état de stress post-traumatique (profil hyper-réactif versus profil dissocié) et le
TDI (partie apparemment normale versus partie émotionnelle) permettant de relier
de façon formelle le TDI à une origine traumatique et de reléguer la théorie socio-
cognitive du TDI au second plan. De plus, le lien entre la diminution de volume de
l’hippocampe, la survenue de la maltraitance dans l’enfance et la sévérité des sévices
ancre la genèse du TDI dans le traumatisme complexe et précoce du jeune enfant.

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PARTIE II

Prise en compte et évaluation


du TDI

Chap. 5 Évaluation et diagnostic du trouble dissociatif de l’identité :


outils et méthodes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 69
Chap. 6 Épidémiologie du TDI . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 87
Chap. 7 Les multiples facettes du TDI : tableaux cliniques
et psychopathologie de fond . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 101
Chap. 8 Comprendre l’émergence d’un TDI au regard
du développement précoce confronté à l’adversité
et au nouveau modèle théorique de l’attachement . . . . . . . . . . 117
Chap. 9 EMDR et TDI à la lumière de la théorie de la dissociation
structurelle de la personnalité (TDSP) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 135

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Chapitre 5

Évaluation et diagnostic du trouble


dissociatif de l’identité : outils
et méthodes

Olivier Piedfort-Marin, PhD

E XPOSÉ DU CHAPITRE
L’évaluation et le diagnostic du TDI sont un processus complexe, nécessitant des
connaissances approfondies sur ce trouble, associées à la capacité d’évaluer la
stabilité de ces patients fragiles. Plusieurs questionnaires de détection et d’évaluation
sont utilisés dans la recherche et dans la pratique clinique (le DES, le SDQ-20 et le
DIS-Q). Deux procédés diagnostiques semi-structurés (le SCID-D et le TADS-I) sont en
cours de publication en langue française, et seul le SCID-D a été validé en français
récemment. Ces questionnaires et instruments diagnostiques sont présentés ici par
rapport au TDI et non à d’autres troubles dissociatifs. Ce chapitre présente aussi
plusieurs défis cliniques dans l’évaluation du TDI.

I NTRODUCTION

Pour chaque trouble psychiatrique sont développés en général des questionnaires


de détection et de mesure de sévérité, ainsi que des instruments structurés ou
semi-structurés permettant de réaliser un diagnostic répondant aux critères

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70 P RISE EN COMPTE ET ÉVALUATION DU TDI

diagnostiques des classifications DSM ou CIM, et le cas échéant, à des critères


médico-légaux et de recherche. Concernant le trouble dissociatif de l’identité
(TDI), nous avons à notre disposition des outils de détection et d’évaluation
qui concernent en réalité la dissociation en général. Par ailleurs nous avons des
instruments semi-structurés d’évaluation diagnostique qui, eux, ciblent spécifi-
quement les troubles dissociatifs, dont le TDI, selon les manuels diagnostiques
internationaux DSM et CIM. Peu de recherches ont étudié le TDI sous l’angle
de tests projectifs, par ailleurs pas dans un but d’évaluation ou de diagnostic,
mais pour mettre en évidence que le TDI aurait un profil différent à ces tests en
comparaison d’autres troubles (Brand Amstrong & Loewenstein, 2006 ; Leavitt
& Labott, 1998). Ce champ d’étude ne sera pas abordé ici. Dans ce chapitre
nous allons passer en revue les outils de détection et d’évaluation du TDI, puis
les instruments diagnostiques, avant d’aborder quelques défis cliniques dans
le diagnostic de ce trouble et la recherche empirique sur le TDI. Nous nous
concentrons exclusivement sur les outils qui ont été réalisés pour des adultes
mais peuvent aussi être utilisés auprès d’adolescents.

C ONSIDÉRATIONS GÉNÉRALES CONCERNANT


L’ ÉVALUATION ET LE DIAGNOSTIC DU TDI

Certaines personnes souffrant de TDI présentent une fragilité importante alors


que d’autres semblent fonctionner relativement bien au quotidien, tout au moins
en apparence, mais au prix d’efforts conséquents. Par ailleurs, les spécialistes
internationaux s’accordent à dire que ces personnes ont en général vécu des
négligences ou des violences, souvent de la part de personnes significatives,
voire même leurs propres parents. En conséquence, entrer en relation avec un
thérapeute, homme ou femme, est un défi de chaque instant. Lorsque le clini-
cien soupçonne un TDI, faire une évaluation clinique et poser un diagnostic
requièrent rigueur clinique, tact, respect et une attention particulière à ne
pas déstabiliser trop le patient. Il y a un accord général (ISSTD, 2011) sur le
fait qu’une évaluation diagnostique du TDI prend du temps et nécessite une
relation thérapeutique suffisamment stable, à défaut d’être encore solide lors des
premiers mois, voire de la première année, de thérapie. Avec certains patients
TDI, si le clinicien pose les bonnes questions assez tôt dans la prise en charge
du patient, celui-ci peut alors se sentir compris et un début de confiance peut
s’installer rapidement ; certains symptômes peuvent même s’améliorer. Mais avec
d’autres patients, investiguer trop tôt la symptomatologie peut les déstabiliser.

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Évaluation et diagnostic du trouble dissociatif de l’identité : outils et méthodes 71

Alors, la honte à l’égard de certains symptômes ou les réactions impulsives ou


destructrices de certaines parties dissociatives, peuvent déstabiliser le patient
TDI, parfois jusqu’à la décompensation et l’hospitalisation. Abus de substances,
comportements auto-dommageables, changements d’un état de personnalité à
un autre (le terme anglais « switch » est communément admis) plus fréquents
ou chaotiques, sont autant de régulations problématiques des interactions entre
les différentes parties dissociatives. Lorsque le clinicien a des suspicions d’un
TDI chez un nouveau patient, il doit accepter ce dilemme et gérer au mieux
l’évaluation préalable nécessaire. Parfois, lorsque le TDI est masqué ou lorsque
le thérapeute ne prend pas en considération des indices d’un possible TDI, il
peut être surpris par une soudaine déstabilisation du patient après, par exemple,
avoir investigué les expériences traumatiques de l’enfance.
Dans le cas d’une expertise, par exemple judiciaire ou pour une assurance, il
n’est pas possible d’établir une relation de confiance minimale préalable et, en
outre, la situation stresse toute personne expertisée. En cas de TDI, nous recom-
mandons aux cliniciens, dans leur rôle d’expert, de s’assurer que le patient vient
accompagné d’une personne de confiance qui attendra dans la salle d’attente et
qui pourra stabiliser ou réconforter le patient si besoin.
Il vaut mieux suivre le principe de sécurité dans l’évaluation et la pose du
diagnostic du TDI. Lorsque c’est possible, nous recommandons de prendre le
temps nécessaire à cette évaluation préalable. Dans certains cas, les symptômes
de switch apparaissent dès les premières séances et, lorsque la présence de tels
switch est confirmée dans le quotidien et pas seulement en séance, le diagnostic
de TDI est posé rapidement. Néanmoins il peut être nécessaire pour le clinicien
de procéder à une évaluation complète, en utilisant les outils d’évaluation et de
diagnostic que nous présentons maintenant.

L ES OUTILS DE DÉTECTION ET D ’ ÉVALUATION DU TDI

Il existe de nombreux questionnaires mesurant la dissociation et servant à la


détection des troubles dissociatifs, dont le TDI, chacun basé sur sa propre défini-
tion de la dissociation (Frangeul, 2020). Par ailleurs on se rend compte que, en
cherchant à mesurer la dissociation, ces questionnaires, à l’exception du SDQ-20,
échouent à cibler spécifiquement les troubles dissociatifs, dont le TDI. Alors
que pour de nombreux troubles, comme les troubles anxieux ou dépressifs, des
questionnaires de détection et d’évaluation sont réalisés en se basant clairement

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72 P RISE EN COMPTE ET ÉVALUATION DU TDI

sur les critères diagnostiques DSM ou CIM du trouble en question, pour le TDI, il
n’existe pas encore un tel questionnaire.
N

Quelle définition de la dissociation ?

Parmi tous les questionnaires évaluant la dissociation, les définitions de la


dissociation sont différentes, allant de processus normaux de modification de la
conscience à des phénomènes d’intrusion post-traumatique, ou des phénomènes
de changement d’états de personnalité. Dans la littérature contemporaine on
entend par « dissociation » des symptômes spécifiques (la dissociation péri-
traumatique, la déconnexion émotionnelle allant jusqu’à la dépersonnalisation et
la déréalisation, des changements d’états de personnalité chez des patients TDI),
des causes possibles de ces symptômes (comme des mécanismes de défense ou
une dissociation structurelle), ou encore des altérations normales ou patholo-
giques de la conscience (absorption, attention duelle, hypnose) (Dorahy & van
der Hart, 2015 ; Nijenhuis & van der Hart, 2011). Une définition si large amène
à des confusions ayant des répercussions dans la recherche, la pratique clinique
et dans la capacité de ces questionnaires à déceler le TDI. Il est important de
rappeler qu’un score élevé sur une mesure de la dissociation n’est pas forcément
un signe absolu de la présence d’un TDI.
N

Les principaux questionnaires de détection utilisés


dans la recherche et la pratique clinique

Nous allons présenter les questionnaires suivants :


 DES (Dissociative Experience Scale : Bernstein & Putnam, 1986 ; version fran-
çaise : Darves-Bornoz, Degiovani & Gaillard, 1999) ;
 DIS-Q (Dissociation Questionnaire : Vanderlinden et al., 1993 ; version fran-
çaise validée par Mihaescu et al., 1998) ;
 SDQ-20 (Somatoform Dissociation Questionnaire : Nijenhuis et al., 1996 ; ver-
sion française validée par El Hage et al., 2002).

Le Dissociative Expérience Scale – DES

Le DES (en français : EED, Échelle des expériences dissociatives) est basé sur
une définition de la dissociation comme un phénomène allant du normal au
pathologique, présent à la fois chez les sujets sains et les sujets atteints de
troubles psychiques, en particulier ceux atteints de TDI. La dissociation serait un

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Évaluation et diagnostic du trouble dissociatif de l’identité : outils et méthodes 73

manque d’intégration normale des pensées, des émotions et des expériences dans
le champ de la conscience et de la mémoire. L’auteure principale du DES (Carslon
[ex-Berstein], 2014) s’est dite étonnée qu’on utilise encore ce questionnaire au
vu des travaux conceptuels récents sur la dissociation, en particulier ceux de van
der Hart, Nijenhuis et Steele (2006/2010). Dans le DES, chacun des 28 items
est coté de 0 à 100 et le score total est la moyenne. Les patients TDI ont une
moyenne qui varie de 40,7 à 57,1 selon les études.

Le Dissociation Questionnaire – DIS-Q

Les auteurs du DIS-Q conçoivent la dissociation comme un manque d’intégration


de la conscience, souvent à la suite d’expériences traumatisantes. Ils considèrent
que les symptômes dissociatifs sont présents dans de nombreuses pathologies,
comme les troubles dissociatifs (TD), le trouble de stress post-traumatique
(TSPT), le trouble de personnalité borderline ou encore les troubles des conduites
alimentaires. Les analyses factorielles du DIS-Q ont mis en évidence quatre
catégories de symptômes : la perturbation de l’identité, la perte de contrôle,
l’amnésie et l’absorption. Chaque item est coté de 1 à 5, et la valeur totale est
la moyenne des scores.
Le DIS-Q a montré une bonne valeur prédictive des troubles dissociatifs (valeur
de cut-off1 ) au score de 2,50. Néanmoins, avec cette valeur cut-off, environ un
quart des patients ne serait pas détecté correctement par le DIS-Q (Piedfort-
Marin, 2021). Le score moyen des patients TDI serait de 3,5. Le DIS-Q est
disponible entre autres sur www.irpt.ch.

Le Somatoform Dissociation Questionnaire – SDQ-20

Le SDQ-202 a été développé selon une définition plus stricte de la dissocia-


tion, se basant à la fois sur les travaux de Janet et sur la compréhension des
réactions de défense animales face à la menace d’un prédateur. Les travaux
de Nijenhuis (1999) mettent en avant que l’on trouve des symptômes disso-
ciatifs somatoformes dans tous les TD d’origine traumatique, y compris le TDI.
Ces symptômes dissociatifs somatoformes peuvent être positifs (par exemple
des tremblements sans origine médicale, ou une crise de pseudo-épilepsie) ou
négatifs (par exemple une paralysie d’un membre ou une perte de l’élocution).

1. Valeur de cut-off : valeur au-delà de laquelle il y a un pourcentage élevé significatif d’avoir un


trouble évalué par le questionnaire en question.
2. Le SDQ-20 est disponible à : http://www.enijenhuis.nl/sdq

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74 P RISE EN COMPTE ET ÉVALUATION DU TDI

À l’heure actuelle, seul le SDQ-20 est basé sur une définition conceptuelle de
la dissociation en accord avec la théorie de la dissociation structurelle de la
personnalité (TDSP) expliquant les TD et le TDI (voir chapitre 9 d’Eva Zimmer-
mann). Il y a donc une cohérence interne, conceptuelle et discriminante. Le
SDQ-20 est un questionnaire de 20 items, et pour chaque item, le patient doit
préciser s’il existe une cause physique – endogène (trouble métabolique...) ou
exogène (effet d’un médicament ou de substances) – au symptôme. Ce sont des
questions souvent nouvelles pour les patients, y compris ceux qui ont une longue
histoire psychiatrique. Il ne contient pas d’items interrogeant des phénomènes
d’absorption, une variation de la conscience présente dans la population générale.
Chaque item est coté de 1 à 5, et le score total est la somme des scores. Le
SDQ-20 est un bon outil pour détecter les TD avec un cutoff de > 28. La valeur
moyenne des sujets TDI est de 55. Il existe de nombreuses études utilisant le
SDQ-20 auprès de populations cliniques diverses aux États-Unis, en Europe, mais
aussi en Turquie, à Hong-Kong et en Ouganda (Nijenhuis, sous presse).

Recommandations pour la détection du TDI

De manière générale, le clinicien devrait faire passer les questionnaires au patient


en séance plutôt que de les lui faire remplir dans la salle d’attente ou seul chez
lui. En effet, les questions peuvent parfois activer les patients et la présence du
thérapeute peut être un facteur de sécurité important. En outre, pour les patients
ayant un TDI, dans certains cas, ce n’est pas l’état de personnalité « adulte »
(partie apparemment normale, selon la théorie de la dissociation structurelle de
la personnalité, voir chapitre 9 d’Eva Zimmermann) qui remplit le questionnaire,
mais un ou plusieurs autres états de personnalité. Les réponses peuvent ne pas
être les mêmes selon quel état de personnalité (ou partie dissociative) répond
aux questions.
Pour la détection d’un probable TDI, ainsi que pour une évaluation chiffrée rapide,
nous recommandons en premier lieu le SDQ-20. Ce questionnaire a l’avantage
d’être bref, peu intrusif, et de peu activer les personnes psychiquement fragiles.
Aucun des items n’aborde les symptômes de TDI les plus gênants pour les patients,
symptômes qu’il leur est difficile de décrire sans une grande confiance dans le
thérapeute, comme les changements d’un état de personnalité à l’autre (switch),
les hallucinations auditives ou encore les amnésies. Le clinicien demandera des
exemples afin de s’assurer que les réponses positives sont bien psychogènes.
Le DIS-Q est un questionnaire intéressant pour la détection et l’évaluation du
TDI. Néanmoins tous les cas de TDI ne sont pas au-dessus de la valeur de 2,5 :

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Évaluation et diagnostic du trouble dissociatif de l’identité : outils et méthodes 75

un certain nombre de patients TDI ne sont pas conscients de certains de leurs


symptômes, alors qu’un nombre non négligeable d’items abordent des symp-
tômes souvent associés à de la honte chez les patients TDI. Par ailleurs c’est
un questionnaire assez long (63 items). Par contre, pour les cliniciens encore
peu familiarisés aux entretiens diagnostiques structurés, nous recommandons
d’utiliser le DIS-Q comme une suite de questions à poser à des patients pour
lesquels on soupçonne un TDI.

L ES
ENTRETIENS SEMI - STRUCTURÉS
POUR LE DIAGNOSTIC DU TDI

Il y a peu d’instruments de diagnostic structurés ou semi-structurés utilisés en


recherche et dans la pratique clinique pour les troubles dissociatifs. Nous avons
retenu ceux en voie d’être publiés en français :
 Le SCID-D (Steinberg, 1994), révisé plusieurs fois, dont la dernière version en
cours de publication (Steinberg, sous presse) a été validée dans sa version
française (Piedfort-Marin et al., 2021) ;
 Le TADS-I (Boon & Matthess, 2015) dont la traduction française serait en
cours de validation.
N

Le Structured Clinical Interview for Dissociative Disorders


– SCID-D

Le SCID-D est clairement l’outil diagnostique des TD le plus utilisé en recherche.


Avec son application possible désormais pour le DSM-5 et la CIM-11, il devrait
rester un outil de référence au niveau international. La validation de sa version
en langue française ouvre de nombreuses possibilités à des recherches sur les
TD dans l’espace francophone.
Le SCID-D est divisé en plusieurs sections, pour un total de plus de 300 questions
(mais 200 sont habituellement posées), investiguant les domaines suivants :
 Anamnèse psychiatrique et médicale, notamment utilisation et abus de
substances ;
 Symptômes somatiques en lien avec un trouble dissociatif à symptômes neu-
rologiques selon la CIM-11 ;
 Amnésie ;
 Dépersonnalisation ;

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76 P RISE EN COMPTE ET ÉVALUATION DU TDI

 Déréalisation ;
 Confusion de l’identité ;
 Altération de l’identité ;
 Neuf sections à choix permettant d’approfondir les symptômes et de distinguer
le TDI d’autres TD, en particulier le TDI partiel (il est recommandé d’utiliser
deux de ces neuf sections pour un procédé diagnostique complet).

L’amnésie, la dépersonnalisation, la déréalisation, la confusion de l’identité


et l’altération de l’identité forment les symptômes dissociatifs à la base des
différents diagnostics de troubles dissociatifs. Ils sont définis ainsi (Steinberg,
1994, sous presse) :
 Amnésie : sentiment subjectif de perte de mémoire concernant des informa-
tions ou des expériences autobiographiques, ou bien des trous de mémoire ne
pouvant pas être attribués à un oubli ordinaire.
Exemples de question :
➙ Avez-vous déjà eu l’impression qu’il y avait des lacunes dans votre mémoire ?
➙ Vous êtes-vous déjà retrouvé dans un endroit, incapable de vous souvenir
comment ou pourquoi vous y étiez allé ?
 Dépersonnalisation : sentiment de déconnexion de soi (par exemple, de ses
sentiments, de ses pensées, de son comportement ou de son corps), ou senti-
ment d’être un observateur extérieur de soi.
Exemples de questions :
➙ Avez-vous déjà eu le sentiment d’être étranger à vous-même ?
➙ Avez-vous déjà eu des difficultés à vous reconnaître dans le miroir ?
 Déréalisation : sentiment de déconnexion de l’environnement (par exemple,
les gens ou l’environnement donnent l’impression de ne pas être familiers,
d’être irréels ou déformés).
Exemples de questions :
➙ Avez-vous déjà eu la sensation qu’un environnement familier ou des per-
sonnes que vous connaissiez semblaient inhabituels ou irréels ?
➙ Vous êtes-vous déjà senti comme si vous étiez détaché (ou déconnecté)
des autres personnes ou de votre environnement ?
 Confusion d’identité : sentiments subjectifs d’incertitude, de perplexité, de
conflit ou de lutte concernant sa propre identité.

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Évaluation et diagnostic du trouble dissociatif de l’identité : outils et méthodes 77

Exemples de questions :
➙ Avez-vous déjà senti comme s’il y avait différentes parties ou facettes de
vous ?
➙ Avez-vous déjà eu la sensation qu’il y avait une partie de vous « enfant »
ou une facette de vous « enfant » ?
 Altération de l’identité : comportement objectif/observable associé à des
altérations/changements de l’identité ou d’états de la personnalité.
Exemples de questions :
➙ Vous êtes-vous déjà senti ou comporté comme si vous étiez encore un
enfant ?
➙ Avez-vous déjà trouvé dans vos affaires des objets qui semblaient vous
appartenir sans que vous ne puissiez vous souvenir comment vous les aviez
obtenus ?

Pour chaque catégorie de symptômes, le clinicien exclut de possibles origines


non-dissociatives, comme l’abus de substance, une commotion cérébrale, etc.
Enfin le clinicien évalue les possibles symptômes dissociatifs qu’il a pu objectiver
pendant l’entretien. Un guide lui permet d’évaluer les réponses du sujet et de
les coter selon un index des degrés de sévérité de chaque symptôme. Chacun
des cinq symptômes est évalué sur une échelle de 1 à 4 (1 = absent ; 2 = léger ;
3 = modéré ; 4 = sévère) en se basant sur la fréquence et la durée des symptômes,
l’atteinte au niveau du fonctionnement global. Enfin le diagnostic est posé par le
clinicien en se basant sur les réponses du sujet, le score pour chaque symptôme,
le score total et les critères d’exclusion.
N

Le Trauma and Dissociation Symptoms Interview – TADS-I

Le TADS-I a été développé par Boon et Mathess (2015). Il comprend 220 ques-
tions rassemblées dans les sections suivantes :
 Anamnèse et histoire psychiatrique, utilisation et abus de substances et de
médicaments ;
 Symptômes potentiellement liés à des traumas : troubles alimentaires, du
sommeil, de l’humeur et de la régulation des affects, symptômes anxieux et
attaques de panique, comportement auto-dommageable, problème d’estime de
soi et de l’expérience de soi, problèmes interpersonnels, perturbations dans
la sexualité ;

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78 P RISE EN COMPTE ET ÉVALUATION DU TDI

 Perturbations de la conscience : dépersonnalisation, déréalisation, absorption,


transe et rêve éveillé ;
 Plaintes somatiques, dissociation somatoforme, anamnèse médicale et somatique ;
 Dissociation psychoforme, amnésie psychogène, symptômes schneideriens
ou intrusions, possibles symptômes indiquant une division du soi, parties
dissociatives de la personnalité.

Enfin une section supplémentaire optionnelle permet d’évaluer une possible


imitation d’un TDI. Chaque symptôme est évalué sur une échelle à 3 points
(1 = léger, 2 = moyen, 3 = sévère) selon sa fréquence, sa durée et l’atteinte au
niveau du fonctionnement global (vie sociale, professionnelle, etc.). Enfin le
clinicien pose son diagnostic selon les résultats de l’évaluation. Plusieurs études
sont en cours pour valider le TADS-I et les résultats sont attendus.
N

Conclusion sur les entretiens semi-structurés

Le SCID-D et le TADS-I se différencient par les portes d’entrée à l’évaluation


des symptômes dissociatifs et l’ordre des questions. Les questions générales
(anamnèse, histoire psychiatrique, abus de substances, etc.) sont identiques.
Les questions concernant les symptômes dissociatifs, y compris les symptômes
schneideriens, ne permettent pas de distinguer ces deux outils diagnostiques.
Concernant la section du TADS-I sur les symptômes potentiellement liés à des
traumas, le SCID-D aborde directement seulement certains d’entre eux. Par
ailleurs l’expérience montre qu’en investiguant les cinq catégories de symptômes
dissociatifs du SCID-D (amnésie, dépersonnalisation, déréalisation, confusion
de l’identité et altération de l’identité), on obtient des informations spontanées
des sujets aux questions qui ne sont pas abordées directement dans le SCID-D
mais le sont dans le TADS-I. Enfin, il est intéressant de noter que ni le TADS-I ni
le SCID-D n’investiguent de possibles événements traumatisants. La durée d’une
investigation avec le TADS-I ou le SCID-D est d’environ trois à quatre heures
pour une personne avec un TD sévère ou avec un autre trouble psychiatrique
sévère. Chaque entretien devrait être limité à maximum deux heures.
Pour finir, la traduction française du SCID-D, dans sa dernière version (Steinberg,
sous presse) adaptée au DSM-5 et la CIM-11, a une fiabilité et une validité discri-
minante et convergente bonnes à excellentes (Piedfort-Marin et al., 2021), tout
comme dans les études similaires sur les versions précédentes du SCID-D dans
différentes langues. Actuellement le SCID-D est l’entretien diagnostique semi-
structuré des TD le plus utilisé au niveau international et considéré comme l’outil

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Évaluation et diagnostic du trouble dissociatif de l’identité : outils et méthodes 79

diagnostique « gold standard » (Brand et al., 2018). Validé dans différentes


langues, le SCID-D s’est montré également performant auprès de populations non
occidentales, comme en Turquie et aux Philippines (Piedfort-Marin et al., 2021).

D IAGNOSTIC DIFFÉRENTIEL : TDI VERSUS TDI PARTIEL


ET TROUBLE DE PERSONNALITÉ BORDERLINE

Une question importante réside dans la différenciation entre le TDI et le TDI


partiel, et entre un TD et un trouble de personnalité borderline. Le TDI partiel
selon la CIM-11 (voir le chapitre 3 de Jan Gysi) correspond presque entièrement,
mais pas entièrement, à l’autre trouble dissociatif spécifié selon le DSM-5. Dans
le TDI, les switch sont fréquents, alors qu’ils sont rares dans le TDI partiel. Le
TDI partiel a pour symptômes centraux des intrusions dissociatives, c’est-à-dire
des intrusions de la part d’états de personnalité (des PE, selon la TDSP) qui
ne prennent pas le contrôle exécutif total sur l’état de personnalité dominant
(la PAN selon la TDSP). Néanmoins les patients avec un TDI ont aussi de nom-
breux symptômes intrusifs ou de prise du contrôle exécutif partiel d’un état
de personnalité sur un autre. En outre, les patients souffrant de TDI parlent
moins volontiers de leurs symptômes les plus sévères (comme des switch ou
des amnésies complètes dans le quotidien). Soit ils en ont honte, soit ils y
sont tellement habitués qu’ils ne remarquent rien d’anormal. L’investigation de
symptômes moins sévères, mais plus perturbants dans leur quotidien, peut être
une porte d’entrée dans le processus d’investigation. Par ailleurs, la différence
entre des intrusions dissociatives et des symptômes borderline est parfois ténue.
Nous présentons ici des questions types qui peuvent aider à distinguer des
symptômes en vue d’un diagnostic différentiel. Ces questions s’incluent parfaite-
ment dans un procédé semi-structuré, comme le SCID-D, et peuvent aussi être
utilisées pour affiner les réponses du patient auquel on passe un questionnaire
comme le DIS-Q. Elles servent à déceler un possible état de personnalité distinct,
autrement dit une dissociation structurelle. Avec ces questions, il s’agit de
clarifier si le comportement, la pensée, l’émotion ou la sensation corporelle, est :
➙ egosyntonique (action avec un sentiment d’être l’agent de l’action ; l’action
est produite par la personne en tant qu’individu ou en tant que PAN, qui
peut avoir des volontés et désirs différents selon les contextes ou selon des
variations d’humeur) ;
➙ egodystonique (sentiment qu’une action n’est pas produite par soi, qu’on en
est pas l’agent : dans ce cas il faut alors penser qu’un état de personnalité
distinct en est l’agent).

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80 P RISE EN COMPTE ET ÉVALUATION DU TDI

Voici maintenant quelques exemples de réponses des deux types :

Exemple 1
Quand vous évoquez un côté enfant en vous, comment cela se passe-t-il ? Est-ce que
vous trouvez que votre personnalité est un peu une personnalité « enfant », ou bien
est-ce que parfois, dans votre comportement d’adulte, vous vous comportez ou vous
parlez soudainement comme une enfant, mais vous ne le voulez pas ?
1. On m’a toujours décrite comme une femme-enfant et c’est vrai. C’est comme si je
n’avais pas vraiment grandi. Je suis un peu naïve mais mes amis aiment ce côté-là
en moi. Et, vous savez, je n’ai jamais voulu grandir, cela me fait peur. à Egosynto-
nique – Plutôt en lien avec un trouble de personnalité.
2. Eh bien mon mari me dit que parfois ma voix change et je parle un peu comme une
enfant, mais je ne remarque rien en fait. Et puis parfois, je me rends compte que je
suce mon pouce. J’ai honte et j’arrête. à Egodystonique – Signe de la présence
d’un état de personnalité distinct (diagnostic possible de TDI ou TDI partiel).

Exemple 2
Ces scarifications que vous avez faites la semaine dernière, comment cela s’est-il
passé ?
1. C’est quelque chose que je fais quand je n’en peux plus, Je sais que je ne devrais
pas mais sur le moment ça me calme presque, et en même temps je me demandais
ce que j’allais bien pouvoir dire au médecin des urgences. à Egosyntonique – Ce
symptôme peut correspondre à un trouble de personnalité borderline ou à un TSPT
complexe.
2. Je ne sais pas. Tout d’un coup je me suis rendu compte que je tenais un couteau
de cuisine contre ma cuisse et je ne pouvais pas arrêter. C’était horrible ! à Ego-
dystonique – Signe de la présence d’un état de personnalité distinct avec légère
amnésie et perte presque totale du contrôle exécutif (diagnostic possible de TDI ou
TDI partiel).

Exemple 3
Lors de la dernière séance, vous étiez très en colère contre moi et vous avez crié très
fort, avez-vous le sentiment que c’est vous l’adulte qui étiez en colère contre moi ou
est-ce que cette colère vous a submergé en venant de nulle part ?
1. C’est bien moi qui étais en colère contre vous et je le suis toujours. Je trouve
scandaleux comme vous avez insinué que je ne fais pas assez les exercices que
vous m’avez dit de faire à la maison. Vos exercices ne marchent pas et puis voilà !
à Egosyntonique – Ce symptôme peut correspondre à un trouble de personnalité
borderline ou à un problème sévère dans la relation thérapeutique.
2. Je ne me souviens qu’à moitié de ce que j’ai dit. En rentrant chez moi j’avais honte.
Je vois bien que vous faites ce que vous pouvez pour m’aider mais cela ne marche
pas ces exercices. Je me suis entendu crier, j’essayais mais je n’arrivais pas à
arrêter cela. à Egodystonique – Signe de la présence d’un état de personnalité
distinct avec amnésie partielle (diagnostic possible de TDI ou TDI partiel).

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Évaluation et diagnostic du trouble dissociatif de l’identité : outils et méthodes 81

Par ces exemples, on voit comment structurer des questions dans l’optique de
différencier si un comportement est potentiellement lié à un TDI ou à un TDI
partiel, ou s’il est en lien avec une autre pathologie.

D IFFÉRENCIER LE TDI DU TDI IMITÉ

Quand bien même la littérature scientifique confirme l’existence du TDI comme


un trouble à part entière (pour une revue de la littérature : Piedfort-Marin,
Rignol & Tarquinio, 2021), certains mythes sont difficiles à déconstruire, dont
celui qu’il s’agit d’un trouble iatrogène. On doit admettre qu’un certain nombre
de thérapeutes, sans doute pris par une fascination problématique, posent des
diagnostics de TDI ou de TDI partiel dans des cas où une évaluation rigou-
reuse ne permet pas de confirmer un tel diagnostic. On doit aussi admettre que
certaines personnes imitent ou simulent un TDI, ce qui est en lien avec une
autre psychopathologie. La distinction entre TDI et « faux » TDI est un enjeu
dans tout pays où la littérature sur le TDI devient plus accessible au grand
public. Le rôle d’internet et des réseaux sociaux en ligne doit aussi être pris
en considération, à la fois dans la transmission de connaissances simplifiées
sur un trouble complexe, et dans une certaine fascination pour le TDI. Il existe
peu d’articles sur la reconnaissance du TDI imité. Récemment, Pietkiewicz et
ses collègues (2021) ont publié une étude qualitative sur six cas de TDI faux
positifs ou imités, qui confirme des observations plus anciennes (Draijer & Boon,
1999). Nous reproduisons ici la liste des critères à prendre en considération pour
déceler de possibles TDI faux positifs ou imités, selon Pietkiewicz :
1. Le sujet s’attend, directement ou indirectement, à une confirmation de son
auto-diagnostic de TDI ;
2. Le TDI a été précédemment suggéré par un ami, un psychologue ou un
médecin, sans évaluation clinique approfondie ;
3. Le sujet est familiarisé avec les symptômes par des lectures, des vidéos, des
discussions avec d’autres patients, la participation à un groupe de soutien
pour patients TDI ;
4. Le sujet utilise le jargon clinique ;
5. Le sujet parle volontiers d’expériences douloureuses et de dissociation, sans
indicateur d’une véritable honte ou de conflits intérieurs associés à la révéla-
tion de symptômes ou de parties ;

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82 P RISE EN COMPTE ET ÉVALUATION DU TDI

6. Le sujet justifie volontiers la perte de contrôle des émotions et les comporte-


ments inacceptables ou honteux par le fait de ne pas être soi-même ou d’être
influencé par un autre état de personnalité ;
7. Aucune preuve d’intrusions de souvenirs traumatiques non désirés et évités
ou de leurs reviviscences dans le présent ;
8. Le sujet nie avoir des pensées ou des voix egodystoniques, surtout celles
qui commencent dans la petite enfance et des voix d’enfant (Remarque : les
patients TDI peuvent avoir peur, avoir honte ou penser qu’il est interdit de
parler des voix) ;
9. Aucun signe d’amnésie pour les activités quotidiennes neutres ou agréables ;
10. Le sujet essaie de contrôler l’entretien et de fournir des preuves de son TDI,
par exemple en rapportant avec empressement des symptômes dissociatifs
sans qu’on lui pose de questions à leur sujet ;
11. Il annonce et effectue un changement de personnalité (switch) pendant l’éva-
luation clinique, en particulier avant qu’une bonne relation avec le clinicien
et la confiance aient été établies ;
12. Il trouve des gains apparents associés au fait d’avoir un TDI : reçoit un inté-
rêt particulier de la part de la famille et des amis avec lesquels les symptômes
et les personnalités sont discutés avec empressement, dirige des groupes
de soutien, des blogs ou des chaînes vidéo pour les personnes souffrant de
troubles dissociatifs ;
13. Le sujet est contrarié ou déçu lorsque le TDI n’est pas confirmé.
Notre expérience confirme les éléments ci-dessus. En outre, il y a un autre aspect
à prendre en compte, que nous n’avons pas trouvé dans la littérature : la manière
dont les sujets structurent leurs réponses. Dans deux cas de TDI imités que nous
avons rencontrés (Piedfort-Marin, 2021), nous avons observé deux phénomènes
répétés tout au long des entretiens réalisés avec le SCID-D :
 Des réponses en double négation du type : « Oh ! je ne peux pas dire que je
n’ai pas ce symptôme ! » ;
 Des réponses positives avant réflexion et sans informations concordantes :
« Oh, sûrement ! Laissez-moi réfléchir. »
Ces types de réponses mettent l’interlocuteur dans une confusion mentale et
peuvent faire croire qu’il s’agit d’une réponse positive. Invitées à donner des
exemples, les patientes parlent longtemps sans qu’on puisse comprendre le lien
avec la question. Par ailleurs ces types de réponses floues mettent le clinicien

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Évaluation et diagnostic du trouble dissociatif de l’identité : outils et méthodes 83

dans une forme de transe, baissent son attention, et lui font perdre le fil de
l’entretien, au détriment d’une évaluation rigoureuse.
Enfin des informations floues pourraient mettre le clinicien sur une fausse piste.
Par exemple lorsqu’elle parlait spontanément des traumas de son enfance, une
de ces patientes s’exprimait par un discours indéterminé : « Les choses que ma
mère m’a faites. » En demandant des précisions sur ces « choses », on n’obtient
que des réponses qualitatives (« terrible », « horrible »), mais aucune précision
sur les comportements maternels.
Au niveau contre-transférentiel, on note des phénomènes particuliers qui sont
à prendre en compte et à comprendre dans le cadre du processus diagnostique.
Ainsi avec ces deux patientes imitant un TDI, alors que le clinicien commençait
à douter avec des pensées du type « elle me raconte des histoires, elle n’a pas de
TDI », dans la seconde suivante, la patiente pouvait dire : « Peut-être je me fais
des histoires, peut-être je n’ai pas de TDI. » Un sentiment étrange accaparait
alors le clinicien : « Se pourrait-il que la patiente le ressente quand je pense
qu’elle n’a pas de TDI ? Et si oui, veut-elle satisfaire aux attentes du thérapeute ?
Ou bien profite-t-elle d’une ouverture pour une sortie honorable d’une situation
sans issue pour elle ? » Autant de questions difficiles sans réponses entièrement
certaines.
Draijer et Boon (1999) remarquent une tendance chez les patients imitant un
TDI à prendre le contrôle dans la relation avec le clinicien. Sans doute la transe
du thérapeute, comme dans nos deux cas, est l’effet d’une prise de contrôle sur
le clinicien.
Enfin, certaines informations données de manière spontanées par ces patientes
étaient peu crédibles et le clinicien devait faire des efforts pour ne pas rire.
Dans ces deux cas, le trouble de personnalité histrionique était évident. De
manière intéressante, nous avons observé des réponses similaires (réponses en
double négation et réponses avant réflexion et sans informations concordantes)
et la même tendance à la confusion mentale du clinicien lors de la passation du
SCID-D avec des patientes traumatisées présentant un trouble de personnalité
histrionique mais ne se présentant pas comme dissociées.
Il est clair que ces patients imitant un TDI souffrent, mais pas de TDI, ni
de TDI partiel. On peut dire qu’ils souffrent de confusion identitaire et d’une
dispersion subjective de leur identité, qui n’est pas une fragmentation typique
du TDI (Draijer & Boon, 1999). On peut dire aussi qu’ils peinent à raconter leur
monde intérieur. Enfin, Draijer et Boon (p. 437) résument bien notre analyse

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84 P RISE EN COMPTE ET ÉVALUATION DU TDI

que le DSM (ou la CIM) « ne permet pas au clinicien de diagnostiquer correc-


tement les problèmes de personnalité de ces patients ». On peut par contre
les concevoir comme des personnalités fragiles « mal construites », souffrant
d’un vide intérieur angoissant, peinant à s’approprier leurs propres sentiments
et émotions, cherchant à se définir par quelque chose d’externe et de grandiose
afin d’obtenir l’attention dont elles ont manqué dans l’enfance. Certes, on note
bien des éléments narcissiques chez ces personnes, mais la perturbation de la
personnalité va au-delà.
En résumé, la formation des professionnels à la détection et au diagnostic du
TDI devrait nécessairement inclure la capacité de distinguer le TDI authentique
d’un TDI imité. Il y va de la crédibilité de ce champ scientifique et de la
nécessité de diminuer à la fois les sous- et les sur-diagnostics de TDI. Avec
le succès des réseaux sociaux en ligne et d’internet, le risque est grand que
de plus en plus de patients s’adressent à des professionnels pour confirmer un
TDI auto-diagnostiqué, et nous les encourageons à la vigilance. Par ailleurs,
dans ces cas de possible TDI imité, les cliniciens doivent être attentifs à une
satisfaction narcissique mutuelle chez le patient et le thérapeute, chacun se
sentant « spécial » (Draijer & Boon, 1999 ; Chu, 1991). La fascination pour le
TDI peut être un piège pour de nombreux cliniciens et par ricochet pour les
patients.

C ONCLUSION

Nous avons vu les différents outils de détection et d’évaluation de la dissociation


les plus courants, ainsi que deux instruments diagnostiques semi-structurés qui
devraient être sous peu à disposition des professionnels francophones. Nous
recommandons le SDQ-20 et le DIS-Q comme outils de détection, et le SCID-D
ou le TADS-I comme instrument de diagnostic semi-structuré.
Nous aimerions conclure par plusieurs points centraux dans toute évaluation
d’un trouble aussi complexe que le TDI.
Concernant l’objectivité relative des outils d’évaluation :
 Le diagnostic du TDI et l’utilisation de ces outils nécessitent, en amont, une
formation approfondie sur les troubles dissociatifs et en particulier le TDI.
 Les outils de détection, mais aussi les instruments semi-structurés tels que
le SCID-D ou le TADS-I, ont leurs limites et ne permettent pas de classifier
tous les sujets. Il reste des zones grises, zones où les cliniciens doivent faire

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“Binet_82810_BAT” (Col. : Psychothérapie 2014 17x24) — 2022/2/10 — 22:38 — page 85 — #101
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Évaluation et diagnostic du trouble dissociatif de l’identité : outils et méthodes 85

preuve de rigueur, doivent pouvoir gérer l’incertitude, et néanmoins prendre


une décision, y compris la décision de reporter le diagnostic précis à plus
tard, lorsque plus d’informations cliniques auront été collectées.
 Tout processus d’évaluation diagnostique doit rester au plus près du patient.
Concernant la sécurité du patient :
 Tout processus diagnostique d’un TDI est un processus complexe qui s’inscrit
dans une relation thérapeutique ou dans le cadre rigoureux d’une expertise ou
d’une recherche contrôlée par un organisme tel qu’une commission d’éthique.
 L’évaluation des symptômes dissociatifs et des autres symptômes comorbides
peut déstabiliser les patients TDI.
 Le clinicien devrait parfois repousser une évaluation rigoureuse à plus tard si
cela risque de mettre en péril la (relative) stabilité d’un patient ou le faire
décompenser, ou fragiliser la relation thérapeutique naissante.
 Dans de nombreux cas, le processus d’évaluation ou de diagnostic nécessite de
nombreuses séances, et parfois plusieurs mois. Ceci d’autant plus lorsque les
patients viennent en général pour régler des difficultés sans être conscients
d’avoir un TDI, diagnostic qui nécessite d’être pris en considération avant
tout traitement spécifique d’un trouble comorbide.
 Enfin un excès de prudence est un moindre mal dans l’évaluation de TDI.

R ÉSUMÉ
Des outils et méthodes de diagnostic et d’évaluation du TDI sont à disposition des cli-
niciens et chercheurs. Ils sont validés et permettent de bien différencier le TDI d’autres
troubles dissociatifs et d’autres troubles psychiatriques. Nous recommandons le SDQ-
20 et le DIS-Q comme outils de détection et d’évaluation rapide. Le SCID-D et le
TADS-I servent à un diagnostic structuré se basant sur le DSM-5 et la CIM-11 ; ils
permettent de différencier le TDI d’un TDI imité. L’évaluation et le diagnostic du TDI
sont complexes et devraient privilégier la sécurité du patient.

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“Binet_82810_BAT” (Col. : Psychothérapie 2014 17x24) — 2022/2/10 — 22:38 — page 87 — #103
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Chapitre 6

Épidémiologie du TDI

Eric Binet, PhD

E XPOSÉ DU CHAPITRE
Alors que la proportion de patients souffrant de troubles schizophréniques est assez
bien étudiée en épidémiologie, le TDI – bien qu’ayant une prévalence quasiment
identique – l’est beaucoup moins, en particulier dans les pays francophones. Pourtant
des données cliniques et sociales sont disponibles dans d’autres pays, lesquelles
confirment son universalité et sa complexité comme pathologie, l’importance de
répondre aux spécificités de ces patients et à leurs besoins selon leurs parcours. Cette
méconnaissance épidémiologique du TDI dans le champ de la santé mentale ques-
tionne quant à l’identification diagnostique de ces personnes et quant à l’efficience de
la qualité des soins qui leur sont proposés.

I NTRODUCTION

Apparue au milieu du XIXe siècle, l’épidémiologie générale est une approche


récente de la santé se basant sur des sources d’investigation objectives. Last
(2001) la définit comme une discipline scientifique qui étudie « les états de santé
et leurs déterminants dans la population humaine ». Une définition que l’on
pourrait compléter par celle de Jeniceck et Cléroux (1985) : « L’épidémiologie
est un raisonnement et une méthode propres au travail objectif en médecine et
dans d’autres sciences de la santé, appliqués à la description des phénomènes

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“Binet_82810_BAT” (Col. : Psychothérapie 2014 17x24) — 2022/2/10 — 22:38 — page 88 — #104
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88 P RISE EN COMPTE ET ÉVALUATION DU TDI

de santé, à l’explication de leur étiologie, et à la recherche des méthodes d’in-


tervention les plus efficaces. » Véritable outil au service des pays, contribuant à
mieux comprendre les besoins de santé des populations, l’épidémiologie sert à
mieux prévoir les soins et à prévenir ce qui peut avoir un coût non négligeable
humainement et économiquement. Plus précisément, l’épidémiologie clinique
œuvre à l’amélioration des prises de décisions cliniques, depuis l’observation et
la phase diagnostique jusqu’aux traitements et au pronostic de guérison. À la
fois descriptive, se recentrant sur la fréquence et la répartition de phénomènes
de santé, elle comprend aussi une facette analytique (pour mesurer un risque,
les facteurs d’exposition) et une dimension évaluative, en particulier quand il
s’agit d’apprécier l’efficacité des programmes de santé.
Depuis le début des années 1980-1990, les traumatismes psychiques, leurs
impacts et leurs coûts sont apparus comme un sujet préoccupant en santé
publique. Jusque-là la notion de traumatisme était principalement associée en
épidémiologie à celle d’accident, non sans soulever une confusion sémantique.
Or le caractère fortuit qui entoure a priori un accident ne l’est pas, ou pas de la
même manière, dans les cas des traumatismes psychiques. En réalité, les épidé-
miologistes ont surtout envisagé le traumatisme sous un angle commotionnel
en envisageant toutes les zones atteintes et pas seulement la sphère psychique.
Pour le dire autrement, l’épidémiologie en santé mentale n’est pas seulement
le reflet d’indicateurs de phénomènes pathologiques, elle illustre également
comment une société, un pays néglige (ou non) ces manifestations cliniques. La
formation de la communauté des professionnels de santé et des épidémiologistes
constitue en soi un déterminant à prendre en compte dans chaque pays. Parler
ensuite de rareté – voire l’affirmer quand on fait référence au diagnostic de
trouble dissociatif de l’identité – nécessite donc un examen des plus rigoureux
des études auxquelles on se réfère. Ainsi, il semble tout d’abord qu’un certain
retard ait été observé dans l’application de méthodologies épidémiologiques
sur les traumatismes psychiques en santé publique, en particulier en France
et spécifiquement sur le TDI (Darvez-Bornoz, 1995). Sans doute est-ce lié au
fait que cette thématique comporte des particularités, des variables subjectives
comme celle du stress (Stora, 2010) et une comorbidité particulièrement com-
plexe. Sans compter de nombreux biais comme les critères diagnostiques utilisés
et les différences conceptuelles auxquelles ils se réfèrent1 . Par exemple, on note
des écarts notables entre celles qui se basent sur les critères diagnostiques à
partir du DSM-III-R, du DSM-IV ou du DSM-5, de la CIM-10 ou la CIM-11 et

1. Nous renvoyons sur ce point les lecteurs au chapitre 3 du Dr Jan Gysi.

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Épidémiologie du TDI 89

les questionnaires associés... Autre exemple, la majorité des études n’intègrent


que rarement la prévalence des troubles de transe de possession au TDI. Ainsi,
ne serait-ce qu’en essayant de circonscrire l’importance des formes spécifiques
de TDI, certaines comparaisons d’études s’avèrent délicates avec d’importantes
disparités... Mais, au-delà de ces divergences, quel éclairage nous apporte
l’épidémiologie dans la prise en compte et l’étude du TDI ?

P RIMAUTÉ DU PTSD EN ÉPIDÉMIOLOGIE

Historiquement, les études épidémiologiques se sont davantage penchées sur


des pathologies précises comme le PTSD (Post Traumatic Stress Disorder) apparu
dans le DSM-I, plutôt que sur l’exposition des personnes à des événements poten-
tiellement traumatiques « simples » n’ayant pas développé de PTSD. L’écrasante
majorité des publications portent donc sur les PTSD et beaucoup plus rarement
sur l’exposition aux événements de vie traumatiques. Pourtant, les autres patho-
logies en lien avec un stress traumatique sont nombreuses, tant sur le plan de
leurs conséquences psychopathologiques que de leurs conséquences somatiques.
Depuis les années 1990 on estime à plus de 50 % la proportion d’adultes qui
connaîtront un événement traumatisant au cours de leur vie (Kessler, 1995).
Avec 60,7 % des hommes et 51,2 % des femmes confrontés à un événement
traumatisant, et au moins 26 % des garçons et 18 % des filles pendant leur
enfance (Perkonigg, 2000), on ne peut être qu’étonné par l’omniprésence des
événements traumatiques sur le plan de la santé. On sait aussi depuis près de
vingt ans que tous n’ont pas développé un PTSD mais qu’un nombre non négli-
geable d’entre eux présentera un trouble psychopathologique (Sareen, 2014). La
toxicomanie et la dépendance, englobant à la fois l’abus d’alcool et l’abus de
drogues (et toutes les autres formes de dépendance), constituent en effet une
comorbidité largement associée aux troubles du stress post-traumatique. On a
aussi pu mettre en évidence un lien entre des comportements suicidaires (Wilcox,
2009) et des réactions au stress traumatique sans pour autant avoir diagnostiqué
de PTSD. Ainsi une étude récente (Garnefski, 2017) soutient, sans parler de
PTSD, que les populations exposées à des événements de vie traumatiques ont
plus de plaintes somatiques et des stratégies spécifiques dysharmonieuses de
régulation des émotions. Il existe donc une relation entre les événements de vie
traumatiques et le développement ou le maintien de plaintes somatiques.
En outre, les données épidémiologiques dominantes sur les états de stress post-
traumatiques (PTSD) sont majoritairement d’origine anglo-saxonne, par exemple

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90 P RISE EN COMPTE ET ÉVALUATION DU TDI

sur la population nord-américaine. Les études publiées différencient de plus en


plus le type de population (hommes, femmes, adolescents ou enfants) comme le
type de traumatisme (catastrophe naturelle, guerre, etc.) à l’origine d’un PTSD.
Ce faisant, les dernières données sur ce qu’il est maintenant convenu d’appeler
un TSPT (trouble de stress post-traumatique), avec le DSM-5, confirment des
résultats très différents suivant que ces études portent sur les militaires, les
civils, les enfants ou les adolescents, avec une disparité d’exposition importante
entre les deux sexes. La prévalence du TSPT, c’est-à-dire le nombre de cas dans la
population à un instant t, sa chronicité, sa comorbidité varient donc en fonction
de la population étudiée et, par exemple, du type d’agression vécue (violences
sexuelles sur mineur, catastrophes naturelles ou industrielles, accident, etc.).
Lorsque l’on compare les populations observées, on s’aperçoit qu’une minorité
de personnes développe un TSPT même si ces mêmes personnes ont été confron-
tées à un ou plusieurs événements traumatiques durant leur vie. Les facteurs
dominants liés à l’apparition d’un TSPT comprennent : le sexe, l’âge, le niveau de
violence, la nature et le moment de l’exposition au traumatisme, les antécédents
d’exposition à des traumatismes, ainsi que divers autres facteurs psychosociaux
et de personnalité (Zoladz, 2013). D’autres prédicteurs sociodémographiques
montrent que l’exposition aux traumatismes n’est pas répartie au hasard ni de
façon égale dans les populations (Hatch et Dohrenwend, 2007). Par exemple, les
femmes sont beaucoup plus susceptibles d’être victimes d’agressions sexuelles
(Benjet 2016). Ce en quoi on pourrait alors se demander si les femmes seraient
alors plus nombreuses à présenter un TDI.
Maintenant, il est aussi important de rappeler que le risque de développer un
TSPT dépend aussi de la nature du traumatisme vécu, ceux d’origine interperson-
nelle ayant des risques plus élevés, mais aussi des antécédents personnels de la
prime enfance (avec tous les aléas et les biais que soulève ce type de collecte de
données). Notamment quand on sait que la composition des échantillons dans la
majorité des études porte sur des populations spécifiques (infirmières, militaires)
avec des grandeurs très variables (de quelques dizaines à plusieurs milliers).
Aussi leurs conclusions nécessitent donc d’être bien souvent relativisées quand
elles ne se contredisent pas parfois...
Un dernier point à prendre en compte, mais loin d’être négligeable sur le plan
épidémiologique, concerne les différences symptomatiques entre les adultes et
les enfants. Or, comme on peut le remarquer, les théorisations du trauma – même
simple – sont très adultocentrées et, historiquement, longtemps limitées aux
soldats.

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Épidémiologie du TDI 91

S PÉCIFICITÉ DE L’ ÉPIDÉMIOLOGIE DES TRAUMAS


COMPLEXES

L’épidémiologie des traumas complexes et des troubles dissociatifs est beau-


coup moins importante et plus tardive que celle du PTSD/TSPT, les diagnostics
associés étant plus récents et finalement moins connus des cliniciens comme
des chercheurs. Par prudence, des chercheurs éprouvent aussi des difficultés
à appréhender un sujet où la relation de cause à effet n’est pas bien encore
établie entre traumatismes, dissociation et psychopathologie (Şar, 2006). Un
problème méthodologique au-delà du diagnostic se pose aussi avec ces dif-
férentes études épidémiologiques à propos de la vérification de la réalité de
l’origine des traumas invoqués ; en sachant qu’ils interviennent précocement,
surtout en cas d’agressions sexuelles (Coons, 1994) ou, comme nous allons le
voir plus en détail, dans les cas de trouble dissociatif de l’identité (Kluft, 1995).
Les traumatismes complexes et les troubles dissociatifs participant d’un modèle
étiologique multifactoriel, la recherche épidémiologique continue de susciter de
vastes débats, l’importante comorbidité qui les entoure ne simplifiant pas les
controverses, voire même les amplifiant.
Concernant les traumas complexes, pour reprendre le distinguo établi entre les
traumas de type 1 et ceux de type 2, la méta-analyse de Flecher en 2003 a mis
en évidence que les enfants ont bien une symptomatologie différente suivant
les événements traumatiques auxquels ils ont été confrontés. Par ailleurs, en
tentant de faire entrer le trouble traumatique du développement dans le DSM-5,
van der Kolk et son équipe (2009) ont étayé leurs propositions diagnostiques en
reprenant plusieurs bases de données sur des populations enfantines et adultes
totalisant plusieurs milliers cas. Par exemple, une des études citées, menée en
2005 par le NCTSN1 sur plus de 1 699 enfants sur 25 sites affiliés aux États-Unis,
a montré que 78 % des enfants ont été exposés à des traumatismes interperson-
nels multiples et/ou prolongés. Or moins d’un quart de ces enfants répondaient
aux critères d’un PTSD à l’époque. Deux ans auparavant, un autre groupe de
travail sur les traumas complexes avait mené un sondage auprès de cliniciens
et constaté que 78 % des enfants avaient plus d’un type de traumatisme et
que le premier âge d’exposition à un traumatisme était de 5 ans. Au-delà de
la confirmation de l’ampleur du phénomène, cette étude confirmait l’étude de
Ackerman (1998) sur 364 enfants victimes de violences sexuelles présentant une

1. The National Child Traumatic Stress Network, www.nctsn.org

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92 P RISE EN COMPTE ET ÉVALUATION DU TDI

importante comorbidité : pour 58 % des troubles anxieux, 36 % des troubles


phobiques, 35 % un PTSD, 22 % un TDAH, 22 % un trouble oppositionnel.
L’épidémiologie des troubles dissociatifs, avec des premières données dans le cou-
rant des années 1990 (Ross et al., 1991 ; Tutkun et al., 1998), évalue à environ
10 % leur prévalence1 chez les patients hospitalisés en psychiatrie ambulatoire
en Amérique du Nord ou en Turquie. Ces taux ont tendance à varier en fonction
des pays, par exemple en Europe cette prévalence est évaluée entre 4,3 % et 8 %
(Frield, 2000 ; Gast et al., 2001). Si l’on s’intéresse aux patients psychiatriques
ambulatoires ou hospitalisés, les taux sont beaucoup plus élevés, une étude
finlandaise (Lipsanen et al., 2004) rapportant des taux de respectivement 14 %
et 21 %. Une des études les plus récente de Sperandéo et son équipe (2018)
sur 933 patients psychiatriques ambulatoires (sur l’échantillon total, 118 ne
présentaient pas de trouble mental et 815 ont été diagnostiqués avec un trouble
mental et/ou un trouble de la personnalité) a ainsi mis en évidence que les
phénomènes dissociatifs étaient significativement plus sévères dans le groupe
des personnes souffrant de troubles mentaux / troubles de la personnalité. Cette
étude est d’autant plus intéressante qu’elle a exclu de son échantillonnage les
patients atteints a priori de troubles dissociatifs (pas d’antécédents de trau-
matismes physiques et psychologiques, pas de PTSD chronique ou aigu, pas
de troubles somatoformes ou de TDI). Ces symptômes dissociatifs sont plutôt
apparus chez des patients souffrant de troubles affectifs, de différentes formes
d’anxiété, de pensées paranoïdes ou de troubles de la personnalité narcissique et
borderline (voire psychotiques ou présentant des troubles compulsifs obsession-
nels). L’hypothèse centrale des auteurs repose sur le constat que les phénomènes
dissociatifs naissent non seulement à la suite d’événements traumatiques, mais
aussi à cause du stress induit par certains troubles psychiques (et leurs traite-
ments inappropriés ou l’absence de traitement, serait-on tenté de rajouter...).
Malheureusement, cette étude, comme la plupart des autres, présente une lacune
importante puisqu’aucune prospection anamnestique n’a été réalisée sur la petite
enfance. Cette recherche dit combien finalement les troubles dissociatifs peuvent
passer inaperçus en raison des profils poly-symptomatiques qui y sont associés,
les caractéristiques dissociatives n’apparaissant pas forcément au premier plan.
À un autre niveau de complexité, des personnes peuvent présenter un PTSD/TSPT
et également avoir des symptômes dissociatifs, souffrir des traumas complexes.

1. Prévalence : nombre de cas présentant une maladie (ou un événement), dans une popula-
tion donnée, sans distinction entre les nouveaux et les anciens cas, dans un temps précisé
(généralement une année).

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Épidémiologie du TDI 93

L’un n’empêche pas l’autre et on pourrait le dire de toutes les formes de psycho-
pathologie connues. Ainsi la grande étude de Stein (et al., 2013) dans 16 pays a
permis de constater, sur un échantillon de 25 018 personnes avec un PTSD, que
14,4 % d’entre elles présentaient des niveaux élevés de symptômes dissociatifs.

D IVERGENCES ÉPIDÉMIOLOGIQUES ET TDI

Une première grande difficulté en étudiant l’épidémiologie du TDI consiste tout


d’abord à « dissocier » le TDI de l’engouement médiatique qui l’a entouré dans
les années 1980 quand on parlait alors de cas de « personnalités multiples ».
Une étude épidémiologique, citée par M. Borch-Jacobsen (2002), relate le déve-
loppement important depuis les années 1970 des cas de personnalités multiples
retrouvés : 76 cas sur une période de 128 ans (de la première description au
XIXe siècle à la date de l’article en 1944), 1 000 cas recensés seulement au cours
de l’année 1984... Le nombre de publications scientifiques atteindra un pic de
176 publications en 1996, pour redescendre autour de 33 publications par an
en 2003 (Pope et al., 2006). En effet, l’épidémiologie du TDI ne correspond
en rien à cette vague médiatique et repose bien plus sur les développements
conceptuels qui ont entouré l’étude de cette psychopathologie, ses classifications
diagnostiques. Heureusement, il n’y a plus à l’heure actuelle de publications sur
le trouble de personnalité multiple dans la littérature internationale. Sur le site
de référencement Pubmed, les articles sur le TPM ne sont plus référencés depuis
2016, tandis qu’on compte en moyenne 11 publications par an sur le TDI depuis
une dizaine d’années. Mais ce que l’on pourrait qualifier de désaveu par rapport à
l’utilisation du terme de « personnalité multiple » n’a pas pour autant amélioré
la reconnaissance de l’étiologie du TDI, ni provoqué un intérêt majeur, ni fait
cesser les idées fausses à son propos (Piedfort-Marin et al., 2021). Une des plus
répandues voudrait que les cas de TDI soient surdiagnostiqués. Mais comment
cela pourrait-il être envisageable, ou même possible, une fois les éléments qui
vont suivre pris en compte ?
Le contexte historique des recherches les plus anciennes suit donc la nosographie
d’alors qui ne correspond pas nécessairement à celle quelques années plus tard
et aux autres études portant sur le TDI. Cette complication sur un plan épidémio-
logique, aboutissant à une possible sous-évaluation des cas de TDI, s’explique
notamment par la grande comorbidité avec d’autres troubles psychiatriques (pour
80 % des cas de TDI (Debecker et al., 2007) qui pourrait avoir tendance à le mas-
quer. On songe en particulier à des diagnostics de schizophrénie paranoïde ou des

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94 P RISE EN COMPTE ET ÉVALUATION DU TDI

troubles bipolaires posés à tort. Effectivement, des diagnostics de schizophrénie


peuvent être attribués à des patients TDI qui se ressemblent, par exemple qui
entendent des voix, sans compter qu’une schizophrénie peut aussi être associée
à un TDI... Cette confusion est surtout aggravée en France par des outils, comme
le « Recueil d’informations médicalisé en psychiatrie » (Rim-p), qui excluent
les troubles dissociatifs des diagnostics principaux. En France, il n’y a donc pas
de surveillance épidémiologique des troubles dissociatifs, ni d’évaluation des
données d’hospitalisation, de suivis ambulatoires des personnes qui en souffrent.
Alors que le TDI fait partie des troubles psychiques les plus sévères et les plus
lourds en termes de souffrance pour les personnes qui en sont atteintes, nous
n’avons donc pas les capacités d’en évaluer les modalités de prise en charge dans
le service public et en cliniques. Méconnaissance des classifications diagnos-
tiques internationales, absence de visibilité sur la variabilité des prises en charge
du TDI confirment l’impact d’un réel retard dans l’étude épidémiologique de cette
psychopathologie et son corollaire : l’absence d’identification des personnes
souffrant du TDI. Envisager ensuite une épidémiologie des TDI dits partiels, au
sens de la CIM-11, risque de prendre encore beaucoup de temps...
Pour autant, même si une majorité de cliniciens, universitaires et chercheurs
francophones semblent l’ignorer, on sait maintenant avec certitude depuis le
début des années 2000 que le TDI se retrouve dans toutes les cultures, des
études cliniques confirment l’existence de ce trouble sur tous les continents : en
Australie, aux Philippines, au Japon, en Inde, en Chine, en Turquie, en Afrique, au
Royaume-Uni, en Allemagne, en Irlande, en Suisse, en Scandinavie, en Argentine,
à Porto-Rico, aux États-Unis, au Canada, etc. (Rhoades & Şar, 2005).

P RÉVALENCE DU TDI ET SEX- RATIO

Mesurer l’état de santé d’une population, le nombre de personnes atteintes par


une pathologie à un instant donné, est nécessaire pour comprendre l’importance
et les moyens d’y apporter des remèdes. Dans leur ouvrage de référence sur la
dissociation, Michelson & Ray (1992) estimaient la prévalence du TDI à environ
1 % dans la population nord-américaine. Plus récemment, l’American Psychiatric
Association (DSM-5, 2013) a évalué également la prévalence du TDI sur 12 mois
à 1,5 % de la population des adultes américains, les hommes étant plus atteints.
Pour étonnant que cela soit, cette prévalence rejoint celle de la schizophrénie
qui toucherait en France près de 2 % de la population adulte (HAS, 2007). Pour
rappel, la prévalence de l’autisme en France est évaluée par l’agence nationale de

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Épidémiologie du TDI 95

santé publique à 0,18 % de la population (cas identifiés en 2017)... Et pourtant,


le TDI reste en dehors des études épidémiologiques en santé mentale. En somme,
nous ne savons pas grand-chose de cette population (en fonction du sexe, de la
classe sociale, de la classe d’âge...) : ni l’espérance de vie des personnes atteintes
du TDI, ni leur niveau de précarité, leur environnement, les autres pathologies
associées et le pronostic fonctionnel, l’évolution à long terme de ce trouble, le
risque suicidaire, la prédominance et la durée de la prise en charge ambulatoire
ou le recours à l’hospitalisation (ou de prise en charge mixte), ni son coût pour
la société... Pourtant, des études internationales le confirment, il ne fait aucun
doute que le TDI est bien un motif de consultation ou d’hospitalisation (avec ou
sans consentement) en termes d’activité des établissements de santé (et sans
doute également dans les sphères sociales, judiciaires...). Les retentissements
sociaux, professionnels voire judiciaires, sont certainement loin d’être minimes,
mais là non plus aucune étude ne permet de le vérifier.
La majorité des études cliniques sur le TDI portent sur des populations adultes
ciblées américaines (Nord), en Europe et en Turquie comme le résume le tableau
récapitulatif suivant (cf. tableau 6.1). Globalement, à la lecture des résultats,
la prévalence du TDI varie entre 0,40 et 6 % suivant le type de populations
observées : en hospitalisation psychiatrique, en unité psychiatrique ambulatoire,
dans la population générale ou encore avec une population de personnes hospi-
talisées souffrant de toxicomanie. Ces données confirment bien qu’il est possible
de différencier le TDI d’autres pathologies psychiatriques, cela quasiment dans
le monde entier. Mais leur interprétation varie sensiblement suivant le contexte
clinique et culturel de leur recueil. Par exemple, on observe la prévalence la plus
élevée dans les admissions aux urgences psychiatriques à un taux de 14 % (Şar
et al., 2007), alors que ce taux va redescendre en unités ambulatoires. De même,
des différences méthodologiques entre les recherches semblent avoir aussi un
impact non négligeable suivant les contextes de ces études ou les outils utilisés,
en particulier lorsqu’il s’agit d’interpréter des symptômes. Une constante dans
les recherches européennes comparées aux études nord-américaines ou turques.
Par exemple l’emploi du SCID-D semi-structuré donne des résultats plus faibles
que si on utilise le DDIS (entièrement structuré) suggérant pour certains auteurs
un risque de faux négatifs1 . À l’appui de ses multiples recherches, Şar (2014)
considère aussi que certaines personnes seraient plus susceptibles que d’autres
de vivre des expériences dissociatives. Son étude sur 628 femmes réalisée en

1. Voir sur ce point le chapitre 5 d’Olivier Piedfort-Marin.

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96 P RISE EN COMPTE ET ÉVALUATION DU TDI

Turquie dans la population générale a ainsi mis en évidence que les troubles dis-
sociatifs non spécifiés autrement (DDNOS)1 étaient le diagnostic le plus répandu
(8,3 %), avec 1,1 % de la population qui a été diagnostiquée comme présentant
un TDI. Les violences sexuelles durant l’enfance, les négligences physiques et
la violence psychologique étaient des prédicteurs importants d’un diagnostic de
trouble dissociatif à l’âge adulte et seulement 28,7 % des femmes présentant un
trouble dissociatif avaient déjà été suivies dans une consultation psychiatrique.
De même, dans d’autres études, la prévalence du TDI augmente chez les patients
psychiatriques hospitalisés où elle monte à 3 ou 4 % (MRL, 1999). Mais ce taux
peut augmenter beaucoup plus suivant la méthodologie utilisée, par exemple
pour Ross (et al., 2002) la prévalence variait suivant l’utilisation du DDIS sur
201 personnes (7,5 %), du SCID-D sur 110 personnes (9,1 %) ou un simple ques-
tionnaire clinique avec 50 personnes (10 %) ; voire jusqu’à 20 % pour Spiegel (et
al., 2011). Malheureusement, là aussi, comparés aux études épidémiologiques sur
la schizophrénie, les échantillons de population étudiés sont vraiment minimes.
Comme nous l’avons déjà évoqué, l’American Psychiatric Association (DSM-5,
2013) considère que les hommes (1,6 %) seraient plus légèrement atteints
que les femmes (1,4 %). Cette différence ne s’observant pas cliniquement, les
hommes auraient moins tendance à effectuer des démarches de soins ou seraient
davantage incarcérés. Enfin, les hommes auraient beaucoup plus tendance à
réfuter un passé traumatique ou des symptômes traumatiques. Mais, à l’inverse, il
se dit que le TDI serait 9 fois plus fréquent chez les femmes que chez les hommes,
mais sans forcément faire le lien avec le fait que la population féminine recourt
davantage aux soins psychologiques. Cette répartition des sexes contradictoire
augmenterait par un autre biais : le nombre élevé de femmes souffrant de TDI
serait sans doute aussi lié au fait que les femmes sont souvent surreprésentées
dans les échantillons et les études cliniques.
Pourtant que ce soit l’étude de Johnson et ses collègues (2006) à New York ou
celle de Şar (2007) à Sivas en Turquie, le TDI dans une population générale
de femmes a été évalué dans une fourchette entre 1,1 et 1,4 %, soit a priori
moindre que dans les normes habituellement admises. Des désaccords persistent
donc sur ce point précis du sex-ratio.

1. Actuellement le diagnostic de DDNOS a été remplacé par celui de DDNEC (Dissociative Disorder
Not Elsewhere Classified), trouble dissociatif non classé ailleurs.

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Épidémiologie du TDI 97

Tableau 6.1. Études sur la prévalence du TDI


(d’après Bethany et al., 2016)

Études sur la prévalence du TDI

Études Pays Nombre Échelle Prévalence


de participants diagnostique du TDI

En unité d’hospitalisation psychiatrique

Ross et al. (1991) USA 484 DDIS 5,40 %

Saxe et al. (1993) USA 172 DDIS 4,00 %

Modestin et al. (1996) Suisse 207 DDIS 0,40 %

Tutkun et al. (1998) Turquie 166 DDIS 5,4 %a

Friedl & Draijer (2000) Hollande 122 SCID-D 2,00 %

Gast et al. (2001) Allemagne 115 SCID-D 0,90 %

Ginzburg et al. (2010) Israël 120 SCID-D 0,80 %

En unité psychiatrique ambulatoire

Şar et al. (2000) Turquie 150 DDIS 2,0 %a

Şar et al. (2003) Turquie 240 SCID-D 2,50 %

Şar et al. (2006) USA 82 DDIS 6,00 %

Population générale

Ross et al. (1991) Canada 454 DDIS 1,30 %

Johnson et al. (2006) USA 658 SCID-D 1,50 %

Şar et al. (2007) Turquie 648 DDIS 1,10 %

Patients hospitalisés toxicomanes

Tamar-Gürol et al. Turquie 104 SCID-D 5,80 %


(2008)
a
Diagnostic confirmé cliniquement
DDIS, Dissociative Disorders Interview Schedule ; SCID-D, Structured Clinical Interview for Dissociative Disorders

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98 P RISE EN COMPTE ET ÉVALUATION DU TDI

E XPÉRIENCES TRAUMATIQUES PASSÉES ET TDI

Plusieurs études suggèrent un nombre plus élevé de traumatismes avant l’âge


de 5 ans (Putnam, 1993) chez les personnes ayant développé un TDI. Ces trau-
matismes extrêmes pendant l’enfance ou la petite enfance correspondent à
plusieurs formes de maltraitances, mais aussi à des hospitalisations ou des soins
importants, la perte d’un parent. Nous savons aussi qu’il existe une relation
significative entre les traumatismes subis pendant l’enfance et les scores de dis-
sociation autodéclarés (Zoroglu et al., 2003), sans qu’il soit possible d’expliquer
un lien de cause à effet direct entre traumatisme et TDI. D’autres facteurs inter-
viennent donc certainement, comme la qualité des soins primaires, la nature de
l’attachement comme des traumas transgénérationnels non résolus. Pour autant,
il n’existe quasiment pas d’études épidémiologiques sur le TDI avant l’adoles-
cence alors que la majorité des conceptualisations du TDI évoque sa survenue au
début de l’enfance (Kluft et al., 2007). À noter cependant l’étude citée par Ross
(1996) sur 231 enfants (âgés entre 4 et 13 ans), une population d’enfants placés
en familles d’accueil, un groupe dont on sait les différentes formes d’adversité
ayant nécessité ces placements. Dans cette étude, 23 % présentaient un TDI et
33 % un DDNOS. Ainsi, 97 % des personnes présentant un TDI rapportent avoir
vécu des violences sexuelles durant leur enfance (Michelson et al., 1996). Cette
observation selon laquelle il y aurait un lien entre des traumas sexuels et le TDI
remonte aux années 1980, notamment avec les travaux de Bliss (1980), Wilbur
(1984), Putnam (et al., 1986), Kluft, (1987) et Coons (et al., 1988). De la même
manière, si on se réfère à des populations ayant été par exemple confrontées à un
viol avant 17 ans, (âge moyen du viol 11 ans), l’étude de Darvez-Bornoz (1995)
pointe que 14 % des victimes présentent un TDI, mais ce qui signifie aussi que
86 % d’entre elles, l’extrême majorité, n’ont pas développé ce trouble...
Si l’âge d’apparition du TDI remonte à l’enfance, entre 5 et 10 ans (Debecker
et al., 2007 ; Otnow et al., 1997 ; Goodwin, 1985), malheureusement on ne
recense quasiment aucune étude auprès de cette tranche d’âge. À l’adolescence,
en revanche, nous avons différentes recherches intéressantes comme celle de
Şar et ses collègues (2014). Cette recherche a été menée auprès de jeunes
patients d’une consultation externe en psychiatrie, 116 jeunes âgés entre 11 et
17 ans. Évalués à partir de questionnaires comme le DES-C (Childhood Trauma
Questionnaire) et du McMaster Family Assessment Device, puis avec des entretiens
avec le SCID-D, les résultats ont été obtenus par deux praticiens différents avec
des scores ayant une très bonne fiabilité. Sur les 73 participants retenus, 33
(45,2 %) avaient un trouble dissociatif, dont 12 (16,4 %) avaient un TDI et 21

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Épidémiologie du TDI 99

(28,8 %) présentaient un trouble dissociatif non spécifié (DDNOS). Ainsi, au


total, près de la moitié des adolescents hospitalisés présentaient un trouble
dissociatif selon le DSM-IV, soit des résultats similaires à ceux obtenus chez
des adultes suivis en consultations psychiatriques d’urgence à New York (Foote
et al., 2006). Mais la population adolescente pose d’autres difficultés cliniques
quand il s’agit de différencier la dissociation pathologique d’une dissociation
plus développementale à cette période charnière de la vie. D’une part, à cet
âge elle peut être transitoire, et même normale, alors que les jeunes sont en
pleine phase de construction identitaire avec toute la conflictualité que cela
suppose parfois. Sans compter également les situations ou les dissociations
pathologiques s’expliquent par l’utilisation ou l’excès de drogues. D’autre part les
outils d’évaluation du TDI sont tous actuellement conçus pour les adultes, il n’y
en a pas de spécifiques pour les adolescents ou les enfants. Toutefois, Şar et ses
collègues (2014) ont observé une excellente concordance entre les deux inter-
évaluateurs ayant utilisé le SCID-D avec des adolescents. Malheureusement, ces
outils servant d’entretiens semi-structurés sont rares et leur traduction française
est toute récente ou en cours1 .

C ONCLUSION

Un ancien aphorisme médical dit que l’on ne peut pas poser un diagnostic si
l’on ne sait pas que la maladie existe. En clair, si en amont des études épi-
démiologiques l’évaluation diagnostique du TDI fait défaut – en conséquence
d’une absence de formation ou une formation limitée sur son diagnostic –, la
fiabilité et la validité des résultats observés peuvent être peu concluantes. De
ce point de vue, un pays comme la France est sans doute l’un des pays occi-
dentaux où l’on évalue le moins précisément ce diagnostic. Au-delà du TDI, on
peut constater que l’évaluation des symptômes et des troubles dissociatifs sont
cliniquement encore à ce jour sous-diagnostiqués ou non diagnostiqués avec
toutes les conséquences que l’on observe : depuis les errances thérapeutiques
aux aggravations de la symptomatologie dissociative tout au long de la vie.
Le fait que cette population soit exposée à un risque accru de comportement
suicidaire, par exemple, est à ce jour inconnu. En fait nous ne pouvons pas
chiffrer à l’heure actuelle les coûts que représentent les traitements inappropriés,
mais ils sont certainement considérables pour ne parler que de la santé. C’est

1. Voir le chapitre 5 d’Olivier Piedfort-Marin.

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100 P RISE EN COMPTE ET ÉVALUATION DU TDI

dire une nouvelle fois si la formation des cliniciens s’avère précieuse si nous
souhaitons rattraper notre retard. En France et dans d’autres pays francophones,
la prévalence du TDI semble minime dans la population générale, pourtant cela
n’est pas le cas dans des populations plus ciblées (victimes de maltraitances,
plus spécifiquement de violences sexuelles). Or ces populations sont justement
les plus défavorisées, souvent composées de minorités. Faute de directives et de
suivis adaptés, ces populations sont donc encore plus fragilisées avec tous les
risques transgénérationnels associés, avec des coûts économiques aggravés pour
notre système de santé, pour la société dans son ensemble. Rajouter les symp-
tômes du TDI aux outils épidémiologiques actuels en santé mentale, comme en
France le « Recueil d’informations médicalisé en psychiatrie » (Rim-p), devient
crucial si nous souhaitons que ces populations soient davantage protégées.
Enfin, bien que d’autres recherches internationales confirment que des popula-
tions spécifiques (victimes de négligences graves, maltraitances physiques ou
violences sexuelles pendant l’enfance) représentent un risque accru de déve-
lopper un TDI, aucune explication ne permet à ce jour de comprendre pour-
quoi, parmi elles, des personnes développent un TDI et d’autres pas, d’au-
tant que cette psychopathologie est toujours associée à des caractéristiques
poly-symptomatiques rendant aussi complexe son évaluation clinique que sa
« recherche ». On peut cependant espérer, en particulier dans les pays franco-
phones, que l’épidémiologie – et plus largement la recherche – sur le TDI et tous
les troubles dissociatifs progresse prochainement. Pour autant que le niveau de
formation des professionnels en santé mentale se régénère lui aussi en amont...

R ÉSUMÉ

On entend parfois en santé mentale que les cas de TDI seraient surdiagnostiqués. Or,
paradoxalement, les mesures épidémiologiques dans la littérature sur le TDI (comme
sur les autres diagnostics liés à la psychopathologie dissociative) sont minimes, voire
inexistantes dans les pays francophones. La complexité de cette pathologie, qui est un
trouble à part entière, son diagnostic et son évolution demeurent de fait peu étudiés.
Les modalités de prises en charge sont également peu renseignées, donnant peu de
lisibilité sur leur variabilité, leurs modalités et le parcours des personnes souffrant de
TDI. Pourtant la prévalence du TDI, proche de celle de la schizophrénie – pathologie
beaucoup plus étudiée – mériterait que nous portions un vrai regard sur ce diagnostic
à l’heure actuelle sous-estimé, écarté de la plupart des outils épidémiologiques en
santé mentale dans les pays francophones. Des progrès doivent être envisagés dans la
formation initiale et continue des professionnels en santé mentale si nous souhaitons
que ces obstacles soient levés.

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Chapitre 7

Les multiples facettes du TDI :


tableaux cliniques
et psychopathologie de fond1

Prof. Vedat Şar2

E XPOSÉ DU CHAPITRE
La divergence entre l’expérience subjective et le tableau clinique contribue à la dissi-
mulation du trouble dissociatif de l’identité (TDI) dans les systèmes de santé mentale
et dans la communauté. La grande majorité des personnes recherchent l’assistance
d’un professionnel en raison des complications aiguës et chroniques de l’état plutôt
que des phénomènes fondamentaux de dissociation. La dépression, les symptômes
neurologiques fonctionnels, les phénomènes « borderline », les expériences de pos-
session et les types non psychotiques et psychotiques de réaction dissociative aiguë
à un événement stressant peuvent en faire partie. La présence simultanée répandue
de stress et de dissociation au début du développement chez les patients souffrant
d’autres troubles psychiatriques rend l’évaluation de ce trouble encore plus confuse.
En outre, le trouble peut rester latent et se manifester cliniquement à n’importe quel
âge, de l’enfance à l’âge adulte, avec des complications adaptées à l’âge, allant
d’un TDAH au niveau symptomatique à des problèmes dans les relations intimes.

1. Avec la traduction d’Emmanuel Faraüs.


2. Professeur de psychiatrie, directeur du département, faculté de médecine de l’Université de
Koç, Istanbul.

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102 P RISE EN COMPTE ET ÉVALUATION DU TDI

Néanmoins, la nature fragmentée des phénomènes de dissociation et des tableaux


cliniques ne devrait pas empêcher le thérapeute de considérer la globalité de l’expé-
rience de l’individu affecté qui cherche en même temps l’unité. Le maintien simultané
de ces deux perspectives, ainsi que la prise en compte des phénomènes subjectifs
et cliniquement manifestes de la dissociation, restent les leitmotivs de tout traitement
réussi du TDI.

R ECONNAÎTRE LA DISSOCIATION

En tant que symptôme post-traumatique chronique apparaissant dans l’enfance,


les troubles dissociatifs sont un élément clé du modèle biopsychosocial de mala-
die basée sur le stress développemental. Outre la possibilité de prévention par
des mesures pédagogiques et une intervention précoce, les troubles dissociatifs
peuvent être « guéris » par une psychothérapie « générique » de qualité, le
traitement complet des troubles est ainsi possible. Les troubles dissociatifs
complexes représentent une épidémie cachée dans la communauté psychiatrique
et les établissements de santé mentale ambulatoires. Ils affectent tout particu-
lièrement les adolescents et les jeunes adultes, mais ne peuvent pas encore être
couverts par des services appropriés (Şar, 2011a). Malgré ces faits, les troubles
dissociatifs restent un sujet peu étudié.
Actuellement, plusieurs problèmes interfèrent avec la possibilité de progrès
dans ce champ : premièrement, il existe des ambiguïtés sur la définition de la
dissociation, ce qui donne l’impression que la dissociation est un concept trop
large qui ne convient pas à des recherches trop spécifiques. Deuxièmement, on
considère que le traitement de ces troubles et une formation appropriée des
thérapeutes sont trop complexes et difficiles, ce qui incite les cliniciens à les
éviter. Troisièmement, les divergences entre les tableaux cliniques et la psycho-
pathologie de fond des troubles dissociatifs interfèrent avec leur reconnaissance
et leur traitement optimal (Şar, 2014b).
Ce chapitre abordera d’abord la dernière question. Suite à cela, la définition de
la dissociation sera revisitée et une position relativement nouvelle sera proposée
qui pourrait accélérer le traitement des troubles dissociatifs. En tant que type le
plus complexe et le plus répandu des troubles dissociatifs, le TDI et ses formes
secondaires seront au centre de cette discussion. Ces dernières sont classées
comme « autres troubles dissociatifs spécifiés de type 1 » (OSDD-1) dans le
DSM-5 (APA 2013) et comme « TDI partiel » dans la CIM-11 (OMS 2019).

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NLes multiples facettes du TDI : tableaux cliniques et psychopathologie de fond 103

La face cachée de la dissociation

L’un des principaux défis du diagnostic du TDI est le caractère intrinsèquement


caché de la dissociation chronique. Celle-ci trouve son origine dans l’évitement
des émotions négatives (par exemple, la honte) et des souvenirs douloureux
dans un groupe de patients qui portent une histoire personnelle de trauma-
tisme, de violences sexuelles et/ou de négligence. D’autre part, la prise de
conscience de l’impact potentiellement traumatique des événements de la vie et
des types relativement subtils de traumatisme développemental (par exemple,
l’attachement insécure et la négligence) peut différer entre les cliniciens. À ces
difficultés s’ajoutent des pressions culturelles et locales contre l’expression et
l’exposition de ces troubles (par exemple, codes culturels limitant l’expression
des conflits individuels, absence d’un système de santé mentale prêt à accepter
une telle expression). Tous ces éléments peuvent alors perturber la révélation
des difficultés développementales de certaines personnes, ce qui favorise encore
plus la dissociation et les troubles dissociatifs.
Le caractère caché des troubles dissociatifs ne se limite pas à l’expression des
antécédents traumatiques, il affecte également leur présentation clinique. Si
l’on tient compte de l’évitement mental propre à la dissociation, trois aspects de
ces troubles sont essentiels à prendre en compte pour une meilleure évaluation
des patients :
➙ l’interaction entre états aigus et états chroniques (par exemple, un trouble
dissociatif se présentant comme un trouble psychotique bref ou une réaction
aiguë à un événement stressant) ;
➙ une présentation clinique nosologiquement à l’interface (troubles dissocia-
tifs se présentant comme un trouble de la personnalité limite, un trouble
dépressif ou un trouble des symptômes neurologiques fonctionnels) qui dissi-
mule les symptômes dissociatifs fondamentaux (amnésie, dépersonnalisation,
déréalisation, confusion d’identité et altération d’identité) ;
➙ la variabilité de l’expérience de la dissociation en soi (par exemple, un trouble
dissociatif se présentant comme une expérience de possession).
Du point de vue du patient, le manque de conscience méta joue également un
rôle dans le retard de reconnaissance : la précocité du développement des phé-
nomènes dissociatifs et l’absence d’un clinicien en capacité de le voir facilitent
ce retard. Un autre facteur est la honte qui conduit à une distanciation de soi
et de l’environnement. Enfin, la peur d’un nouveau traumatisme décourage le
patient de révéler ses sentiments, c’est-à-dire qu’il cherche à se protéger par le
secret, notamment en entendant des voix qui lui interdisent de les révéler.

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104 P RISE EN COMPTE ET ÉVALUATION DU TDI

Du point de vue du clinicien, l’interférence avec ses positions théoriques, la


résistance personnelle et systémique, l’ignorance due au manque d’expertise et
la présentation clinique polymorphe (c’est-à-dire les comorbidités associées)
entravent la reconnaissance du trouble.
N

Du subjectif à l’objectivable

L’impression « extérieure » peut être différente de l’expérience subjective du


patient. En fait, les phénomènes dissociatifs sont liés à la fois à son monde
interne et à la réalité externe. Ils sont représentés à la fois comme des phé-
nomènes intrapsychiques et interpersonnels. Subjectivement, le patient fait
l’expérience d’intrusions mentales de l’intérieur : expériences d’influence passive,
être contrôlé par une entité qui est vécue comme n’étant pas moi (« symp-
tômes schneideriens ») y compris des voix qui parlent, commentent, ordonnent
à l’intérieur de sa tête (dialogues internes). Ils proviennent d’états de per-
sonnalité distincts, perçus comme des entités autonomes, qui émergent à la
suite d’une traumatisation chronique liée au développement. Néanmoins, même
ces entités « internes » sont liées à la réalité « externe » : elles représentent
des modèles internes opérants (MIO) liés à des constellations interpersonnelles
(Liotti, 2006). Le deuxième groupe d’expériences subjectives est constitué de
perturbations mentales : amnésies et actes dissociés (mises en actes). Enfin,
elles sont accompagnées d’une dépression chronique dont le début se situe dans
la petite enfance.
L’amnésie dissociative, la dépersonnalisation, la déréalisation, la confusion iden-
titaire et l’altération de l’identité sont les principaux symptômes cliniques de
la dissociation (Steinberg, 1994). Cependant, plusieurs syndromes secondaires
à la dissociation prennent une forme qu’il convient de décoder pour avoir une
vision claire du cœur de la psychopathologie dissociative. En fait, les syndromes
secondaires ne remplacent pas ou n’éliminent pas les symptômes centraux mais
existent plutôt à côté d’eux. Couvrant une gamme exceptionnellement large de la
phénoménologie psychiatrique, les syndromes secondaires aux troubles dissocia-
tifs constituent un défi diagnostique pour le clinicien en raison de leur variabilité
entre les patients. De plus, presque tous les troubles psychiatriques peuvent être
accompagnés de symptômes dissociatifs (Lyssenko et al., 2018 ; Şar et Ross,
2006a). Les patients atteints de troubles dissociatifs peuvent même ne pas être
conscients de la dimension pathologique de certaines de leurs expériences disso-
ciatives, à moins qu’elles n’aient entraîné des complications, généralement sous
la forme de symptômes secondaires de dissociation. Néanmoins, ces syndromes

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Les multiples facettes du TDI : tableaux cliniques et psychopathologie de fond 105

peuvent rester résistants au traitement par des interventions conçues pour leurs
formes primaires, car la psychopathologie dissociative sous-jacente n’aurait alors
pas été abordée.
N

De l’aigu au chronique

Les patients souffrant de TDI ou de ses formes partielles peuvent entrer dans
des épisodes de crise intermittents situés sur un large spectre : symptôme
neurologique fonctionnel émergeant soudainement, bref trouble psychotique,
réaction dissociative aiguë au stress, ou encore expérience de possession. Les
phénomènes dissociatifs aigus plus graves attirent plus facilement l’attention
clinique car ils constituent des urgences médicales et/ou psychiatriques, en
particulier lorsque prédominent des symptômes neurologiques fonctionnels ou
une perte de contrôle du comportement (par exemple, des pseudo-crises convul-
sives, une amnésie dissociative avec fugue). De tels épisodes de crise peuvent
servir de « fenêtre diagnostique » pour les troubles dissociatifs chroniques. En
effet, la nature urgente et prédominante des épisodes de crise interpelle non
seulement les systèmes médicaux et psychiatriques mais aussi le patient et sa
famille en vue d’une assistance immédiate. Une fois que le patient s’est calmé et
que l’urgence est passée, la motivation première d’aide peut diminuer malgré la
présence de symptômes dissociatifs subtils. Si des examens de suivi ne sont pas
effectués, un processus dissociatif chronique préexistant et continu peut rester
en sommeil.
N

De l’état de possession à l’état de personnalité

Contrairement au concept de la psychiatrie moderne d’état de la personna-


lité, la possession est une description avec un long passé historique et une
reconnaissance mondiale. Les syndromes de possession sont compris comme
le déplacement temporaire de l’identité dans une ou plusieurs entités prove-
nant du monde extérieur. Ces agents peuvent être typiquement un esprit, un
démon, un dieu ou une figure mythique culturellement acceptés, ou l’esprit
d’une personne connue déjà décédée ou toute entité de qualité supra-naturelle.
En fait, l’expérience d’« être possédé » est présente chez tous les patients pré-
sentant des cas « modernes » de TDI en Occident. Mais plutôt que d’avoir une
origine externe, cette influence est perçue comme une intrusion mentale de
l’intérieur, c’est-à-dire provenant d’un état de personnalité distinct. Parfois, des
cas « modernes » peuvent présenter un mélange des deux phénomènes. Une

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106 P RISE EN COMPTE ET ÉVALUATION DU TDI

expérience de possession se produit alors en même temps que le TDI classique,


c’est-à-dire que le patient décrit à la fois des états de personnalité alternatifs
et une intrusion d’entités d’origine externe. Aussi, la présence d’une expérience
de possession ne devrait pas empêcher le clinicien de poser un diagnostic de
TDI à condition que tous les critères diagnostiques du trouble soient remplis.
Enfin, pour être considérée comme faisant partie d’un trouble, une expérience
de possession doit être distinguée de phénomènes culturellement acceptés tels
que des pratiques ou des cérémonies religieuses.

P RÉSENTATIONS CLINIQUES DU TDI ET DE SES FORMES


PARTIELLES
N

Symptômes neurologiques fonctionnels

Les travaux du XIXe siècle sur la dissociation de Charcot, Janet, Freud, et d’autres,
ont considéré les présentations psychologiques et somatiques de la dissociation
sous le concept d’hystérie. La recherche contemporaine soutient l’idée qu’une
séparation complète entre les aspects somatiques (sensori-moteurs) et psycho-
logiques (cognitifs-émotionnels) de la dissociation peut être artificielle (Brown
et al., 2007). Les patients diagnostiqués sur la base d’une dissociation psycho-
logique obtiennent également des scores élevés aux mesures des symptômes
somatiques de la dissociation, y compris les crises non épileptiques. Bien que
plusieurs types de troubles liés aux symptômes somatiques soient également
prévalents chez les patients souffrant de troubles dissociatifs, le trouble de
conversion (symptôme neurologique fonctionnel) est celui qui présente la rela-
tion la plus spécifique avec la dissociation. Et il devrait être dépisté pour un
trouble dissociatif chronique, y compris le TDI.
Le modèle BASK (comportement-affect-sensation-connaissance) (Braun, 1988)
et le modèle structurel (van der Hart et al., 2006) de la dissociation sont tous
deux basés sur des systèmes d’action de survie issus de l’évolution et portés
par les parties « apparemment normales » (survie de l’espèce) et émotionnelles
(survie de l’individu) de la personnalité. Les individus « apparemment normaux »,
alexithymiques et somatisants, ne peuvent pas exprimer leurs émotions. En
fait, ils ont tendance à minimiser les adversités connues dans l’enfance (Şar
et al., 2004), ce qui se traduit en général par une négligence émotionnelle,
une attitude soumise dans les années suivantes et plus tard dans la vie, et des
aspects somatoformes de dissociation. Les patients présentant une dissociation

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Les multiples facettes du TDI : tableaux cliniques et psychopathologie de fond 107

« psycho-forme » ont cependant tendance à signaler des difficultés malgré leurs


amnésies dissociatives.
Une étude de suivi sur des patients présentant des symptômes de conversion
a documenté deux schémas concernant la dissociation simultanée « psycho-
forme ». En effet, 47,4 % des patients présentaient un trouble dissociatif au
sens du DSM-IV lors d’un entretien réalisé deux ans après le symptôme de
conversion (Şar et al., 2004). Suggérant une différence dans les profils psycho-
pathologiques, ceux qui présentaient un trouble dissociatif avaient un nombre
élevé de comorbidités psychiatriques générales (par exemple, troubles dépressifs
ou anxieux), d’antécédents de traumatismes infantiles (par exemple, abus et
négligence), et de comportements autodestructeurs (par exemple, automutila-
tion, tentatives de suicide) par rapport à ceux qui ne présentaient pas de trouble
dissociatif.
À notre connaissance, il n’y a pas encore d’étude qui s’interroge sur les différences
possibles entre les patients atteints de TDI qui présentent un symptôme de
conversion et ceux qui n’en présentent pas. Les observations cliniques suggèrent
que dans ce type de présentation, les symptômes de conversion ont tendance
à disparaître une fois que le clinicien commence à s’intéresser à la psycho-
pathologie dissociative sous-jacente. Ce phénomène souligne l’importance de la
communication intrapersonnelle et interpersonnelle ou de sa perturbation dans
le TDI.
N

La dépression dissociative

La plupart des patients atteints du TDI et de ses formes partielles souffrent d’un
état dépressif qui tend à être chronique. Sur la base d’observations cliniques,
Şar (2011b) a proposé la « dépression dissociative » qui est secondaire à un
trouble dissociatif. La dépression dissociative est qualitativement distincte d’un
trouble dépressif primaire. L’âge d’apparition des symptômes dépressifs n’est pas
clair pour la grande majorité de ces patients. Des périodes de rémission bien
définies ne peuvent pas non plus être identifiées. Malgré la présence d’une large
symptomatologie dépressive, les fluctuations fréquentes, voire quotidiennes, de
l’affectivité peuvent limiter le diagnostic à un trouble dysthymique plutôt qu’à
une dépression majeure. Néanmoins, un épisode de dépression majeure superposé
(« double dépression ») peut compliquer le tableau de façon intermittente et
peut même se transformer en une crise qui n’est plus différente d’un trouble
dépressif primaire.

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108 P RISE EN COMPTE ET ÉVALUATION DU TDI

D’un point de vue qualitatif, les patients atteints de dépression dissociative


peuvent avoir l’impression qu’on leur a « volé » leur vie et qu’on ne leur a pas
permis de réaliser leur potentiel individuel. Le sentiment intense d’être opprimé
« de l’intérieur » est généralement accompagné de pensées de mort ou d’idées
suicidaires, alors que le passage à l’acte suicidaire est relativement rare, à moins
que l’état ne se complique d’un épisode dépressif majeur plus envahissant. Ce
dernier se caractérise par la présence d’une humeur dépressive dans une grande
majorité d’états de personnalité distincts du patient, et peut être la principale
raison du recours à l’aide psychiatrique en raison de la souffrance accrue.
On retrouve souvent des dépressifs dissociatifs résistants au traitement médi-
camenteux à moins que la dépression dissociative ne soit « généralisée » à
l’ensemble des états de la personnalité et ne devienne l’état « prédominant ».
Une étude récente a documenté que les médicaments antipsychotiques sont plus
fréquemment prescrits dans les dépressions dissociatives (Fung et al., 2019).
Cela peut être dû en partie aux expériences de type « psychotique » des patients,
mais aussi à la « résistance » potentielle au traitement médicamenteux anti-
dépresseur perçue par le clinicien. Ces patients peuvent être classés dans la
catégorie des dépressions résistantes au traitement et les multiples tentatives
d’interventions thérapeutiques peuvent être épuisantes pour le clinicien et le
patient. Pour éviter une éventuelle déception, il convient d’expliquer au patient
les limites potentielles du traitement médicamenteux et de l’encourager à suivre
une psychothérapie qui doit se prolonger au-delà d’un épisode de dépression
majeure. Ceci est crucial pour prévenir la perte d’espoir, qui provoque des idées
suicidaires.
N

Le trouble de la personnalité borderline

Un trouble dissociatif chronique peut ressembler à un trouble de la personnalité


borderline (TPB). Certains auteurs considèrent la dissociation comme le méca-
nisme de base du TPB (Meares, 2012 ; Şar, 2011c). Alors que les critères DSM-5
du TPB couvrent les symptômes dissociatifs transitoires en réponse au stress, la
portée de la dissociation dépasse les limites de ce critère chez beaucoup de ces
patients. Dans une étude en consultation externe en Turquie, on retrouvait un
chevauchement chez 38,1 % de tous les participants qui avaient soit un TPB,
soit un trouble dissociatif, soit les deux (Şar et al., 2003). Dans une population
universitaire en Turquie, 8,5 % des étudiants répondaient aux critères DSM-IV
du TPB (Şar et al., 2006a), et 72,5 % présentaient un trouble dissociatif. Malgré

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Les multiples facettes du TDI : tableaux cliniques et psychopathologie de fond 109

le chevauchement, l’analyse multivariée a révélé que la négligence pendant l’en-


fance et la minimisation des traumatismes de l’enfance prédisaient un trouble
dissociatif. Tous les autres types et la sévérité globale du traumatisme infantile
prédisaient le TPB.
Une autre analyse (Şar et al., 2014e) basée sur l’analyse factorielle des symp-
tômes dissociatifs a documenté que les altérations de l’identité étaient vécues
de manière interne (c’est-à-dire des intrusions mentales de l’intérieur) et/ou
externe (c’est-à-dire avoir été perçu comme une personne différente, être hors
de contrôle ou avoir des accès de colère et/ou des amis imaginaires). Alors que
les intrusions mentales internes et la confusion identitaire évaluée clinique-
ment étaient communes aux deux diagnostics, le fait de vivre ce phénomène
« dans le monde extérieur » était un prédicteur significatif du TPB. En termes
de différence, l’altération de l’identité évaluée cliniquement n’a pas eu d’effet
principal sur le diagnostic de TPB alors qu’elle a été rapportée dans l’autoévalua-
tion. Apparemment, la pleine expression d’une altération de l’identité éloigne
le clinicien d’un diagnostic de TPB alors que l’inverse se produit si l’altération
de l’identité n’est pas identifiée dans un cadre clinique « interpersonnel ». Il
est intéressant de noter que les deux diagnostics interagissent de manière
significative sur la confusion identitaire évaluée cliniquement ; ainsi, la « lutte
interne » entre les identités se retrouve plus fréquemment dans les présentations
qui évoquent au clinicien évaluateur une comorbidité entre deux diagnostics
(Şar et al., 2017a). Dans l’ensemble, tant l’incapacité du clinicien à reconnaître
l’altération de l’identité que l’expérience externe de ces altérations par le sujet
semblent conduire plus facilement à un diagnostic de TPB. Si le premier phé-
nomène représente un type de dissimulation, le second peut correspondre à
plusieurs critères diagnostiques du DSM-5 du TPB (par exemple, crises de colère,
difficultés interpersonnelles dues à un style d’attachement insécurisant).
Il est intéressant de noter que la déréalisation, mais pas la dépersonnalisation,
a eu tendance à être un prédicteur du TPB (Şar et al., 2017b). En particulier, le
« détachement de la réalité externe » avait un effet principal significatif sur un
diagnostic de TPB (mais pas de trouble dissociatif). Le nombre de critères du TPB
est en corrélation avec la sévérité du traumatisme infantile et la dissociation
sur ce spectre. La question se pose de savoir si le TPB et les troubles dissociatifs
sont des façons différentes de faire face aux traumatismes de l’enfance ou si
la différence est plutôt une question de sévérité. En fait, ils semblent être les
deux faces d’une même pièce. Le patient TPB divise la réalité « externe » en
polarités extrêmes afin de protéger sa propre intégrité psychique. Le patient
dissociatif divise et compartimente sa « réalité » interne afin de maintenir la

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relation d’objet (paraphrase de Armstrong, 1989, communication personnelle,


Richard Loewenstein, atelier, Chicago, le 25 mars 2018).
Soulignant un phénomène sensible à la culture, une comparaison entre des
patients turcs et néerlandais atteints de TDI a démontré une grande variabilité
entre les deux groupes sur les critères du TPB. Les patients turcs ont rapporté une
colère intense et un manque de contrôle de la colère, des sentiments chroniques
de vide et d’ennui, et des efforts pour éviter fréquemment l’abandon, alors que
chez les patients néerlandais on notait plus de sautes d’humeur fréquentes, des
actes d’autodestruction physique et des comportements impulsifs et imprévi-
sibles (Şar, et al.,1996). Parmi tous les critères, seules les relations intenses mais
instables ne différaient pas entre les deux groupes représentant l’universalité de
l’attachement insécure sur ce spectre.
N

Attaque psychotique brève

Une attaque psychotique brève peut se superposer au TDI, ce qui peut conduire
à l’admission dans un établissement de santé mentale. Une telle attaque peut
servir de fenêtre diagnostique pour le TDI dans le cadre de la psychiatrie générale
classique où la psychose est habituellement une partie importante de la pratique
clinique quotidienne. En fait, en tant que réalité historique, ce phénomène
particulier a conduit à la découverte de cas de TDI en Turquie au début des
années 1990.
La psychose dissociative réactionnelle aiguë (PDRA), qui est un trouble disso-
ciatif qualitatif, est historiquement bien connue et a été appelée « psychose
hystérique ». Il s’agit d’une entité clinique négligée mais toujours vivante avec
un long passé historique. Ce phénomène a été couvert par divers titres tels
que « bouffée délirante aiguë », psychose transitoire, psychose réactive brève,
trouble psychotique bref, psychose dissociative réactive (van der Hart et al.,
1993 ; Şar, sous presse). Ces épisodes sont caractérisés par des symptômes dis-
sociatifs mixtes tels que des flash-back, des hallucinations auditives et visuelles
vives, un comportement enfantin, désorganisé ou très inhabituel/perturbé, une
fugue, une suicidalité, une altération temporaire du test de réalité, une instabi-
lité affective, une désorientation aiguë par rapport aux personnes, aux lieux et au
temps. Le processus disparaît généralement aussi soudainement et brutalement
qu’il a commencé, ne laissant pratiquement aucun résidu schizotypique. Parfois,
l’amnésie peut subsister pendant l’épisode. L’état peut cesser en quelques heures
ou jours, ou se poursuivre pendant quelques semaines, à l’exception des cas
soumis à un stress permanent et/ou souffrant de comorbidité.

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Les multiples facettes du TDI : tableaux cliniques et psychopathologie de fond 111

En fait, ces crises se distinguent d’une psychose ordinaire par leur qualité disso-
ciative. Typiquement, la dissociation de type psychotique se produit à la suite
d’une situation qui a été profondément bouleversante pour le patient. Parmi ce
qui précipite la PDRA, on a proposé un conflit interne entre les états de la per-
sonnalité, un stress externe, un environnement oppressant, une perturbation de
l’attachement et l’absence d’une possibilité de psychothérapie ambulatoire. Une
PRDA peut également être considérée comme une fuite face à un environnement
oppressant ou face à une issue « fatale » telle qu’un suicide dans une situation
insupportable. La « crise de la porte pivotante » (Putnam, 1989) et la « crise
de co-conscience » (Kluft, communication personnelle, 1995) ont été proposées
comme mécanismes de la PDRA ajoutés au TDI.
En termes de diagnostic différentiel, les cliniciens doivent être conscients que la
dissociation et la schizophrénie peuvent également coexister (Şar et al., 2010).
Il est intéressant de noter que, parmi les patients atteints de schizophrénie,
deux types de traumatismes infantiles semblaient entraîner des états dissociatifs
différents. Les patients ayant rapporté des abus émotionnels durant leur enfance
présentaient un état plutôt proche du TDI et des symptômes positifs de trouble
schizophrénique. Ceux qui ont en plus rapporté des violences sexuelles et phy-
siques durant l’enfance ont eu tendance à présenter des symptômes négatifs et
positifs de schizophrénie, ainsi qu’un niveau élevé de comorbidité psychiatrique
générale, y compris davantage de critères de TPB. De tels troubles devraient être
différenciés d’une psychose dissociative réactionnelle brève.
N

Réaction dissociative aiguë à un événement stressant

Les patients atteints d’un trouble dissociatif complexe peuvent présenter une
réaction dissociative apparemment aiguë à un événement stressant, sous forme
de crise. La condition dissociative chronique sous-jacente peut rester cachée
jusqu’à ce qu’un examen approfondi soit effectué par le clinicien. La sympto-
matologie mixte d’une telle réaction aiguë peut comprendre des tentatives de
suicide et d’automutilation, une amnésie généralisée soudaine avec ou sans
fugue, des symptômes neurologiques fonctionnels de conversion, des flash-back
et un effondrement soudain de l’amnésie dissociative d’expériences trauma-
tiques passées, ou encore un ESPT récemment déclenché, dévoilé ou ajouté (par
exemple, en raison d’un nouveau traumatisme). Elle est généralement perçue
comme un type de « dépression nerveuse » par l’entourage proche (c’est-à-dire
la famille, les amis, le partenaire) du patient. Selon le DSM-5 (APA, 2013), la
réaction dissociative aiguë à un événement stressant a une durée de moins

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112 P RISE EN COMPTE ET ÉVALUATION DU TDI

d’un mois et est caractérisée par une ou plusieurs expériences telles que la
dépersonnalisation, la déréalisation, l’anxiété, la stupeur, la transe et la pos-
session. Ces manifestations aiguës peuvent avoir une forte dimension culturelle
(Lewis-Fernandez et al., 2005). Alors que le sous-type dissociatif de l’ESPT
est également caractérisé par des expériences de dépersonnalisation et/ou de
déréalisation, des symptômes neurologiques fonctionnels et des expériences de
possession (en tant qu’équivalent culturel de la dépersonnalisation et/ou de la
déréalisation) peuvent accompagner ces troubles.
Cette forme non psychotique de réaction aiguë est l’un des troubles qui conduit
à l’apparition fréquente de patients dissociés dans les unités d’urgence des hôpi-
taux (Şar et al., 2004). Par définition, contrairement au trouble de stress aigu,
ces réactions peuvent être précédées d’un événement stressant qui n’est pas
nécessairement de nature traumatique. Une expérience effrayante, une tension
dans une relation interpersonnelle importante, un conflit interne remis en cause
par un événement, une colère intense, ou des circonstances similaires peuvent
conduire à une réaction dissociative aiguë.
Une forme non psychotique de réaction aiguë ressemble à un trouble de l’adap-
tation ou à un trouble du stress aigu. Ce type de « dépression nerveuse » peut
également constituer une percée d’un ESPT retardé. En fait, il existe un spectre
de dissociation allant de l’aigu au chronique : trouble de l’adaptation, trouble
de stress aigu, ESPT, sous-type dissociatif de l’ESPT, et ESPT complexe, TDNS et
TDI. Le traitement de la dissociation chronique passe par ce parcours à l’envers :
c’est-à-dire du TDI, au TDI partiel à l’ESPT, et enfin à l’intégration. Ainsi, un
trouble dissociatif chronique peut couvrir un ESPT qui peut rester caché en
arrière-plan jusqu’à ce que les « défenses » dissociatives diminuent. Néanmoins,
toute présentation simultanée est possible.
N

Une expérience de possession

Le DSM-5 a inclus les présentations caractérisées par la possession pathologique


dans les critères diagnostiques du TDI comme une variante culturelle de l’ex-
périence de la perturbation de l’identité. Elles se distinguent par l’expérience
d’incorporation d’une identité externe (d’où le terme « possession ») plutôt
que par la fragmentation de l’identité interne, comme cela est plus courant
en Occident. En effet, comme cela a été démontré à la fois en Turquie et en
Amérique du Nord, un sous-groupe de patients atteints de TDI a fait l’expérience,
à côté d’états de personnalité distincts, de la présence d’entités possédantes qui

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Les multiples facettes du TDI : tableaux cliniques et psychopathologie de fond 113

provoquent une altération de leur sens du soi et de leur capacité d’action (Ross
et al., 2011).
Une expérience de possession se caractérise par le fait d’être contrôlé ou impor-
tuné par une entité étrangère qui est perçue comme provenant du monde « exté-
rieur » plutôt que d’un état de personnalité éloigné situé « à l’intérieur ». À
la différence d’un état de personnalité alternatif, une entité possédante peut
quitter un individu et peut s’immiscer ou contrôler d’autres personnes égale-
ment. Ainsi, elle peut être partagée, car il s’agit d’un phénomène culturellement
accepté. Ces entités peuvent être utiles ou effrayantes, et peuvent aussi susciter
le respect. Une analyse factorielle des expériences de possession et de phéno-
mènes paranormaux a donné quatre dimensions : possession et/ou contact avec
des entités non humaines, communications extrasensorielles, possession par des
entités humaines (mortes ou vivantes) et précognition. La plupart des femmes
dissociées et traumatisées avec ces expériences de possession avaient les scores
les plus élevés pour les quatre facteurs (Şar et al., 2014a).
Les phénomènes dissociatifs et les expériences de possession sont considérés
comme non pathologiques s’ils font partie d’une pratique culturelle largement
acceptée, telle qu’une cérémonie religieuse. Néanmoins, les incidents culturelle-
ment acceptés ne sont présentés à un expert en vue d’un traitement que si la
personne affectée ou ses proches deviennent anxieuses ou craintives en raison
de l’expérience. Ces émotions peuvent affecter à la fois le patient et ses proches
car ils peuvent interpréter cette expérience indésirable comme l’indicateur d’une
faute ou d’un péché inconnu, ou encore, l’expérience de possession elle-même
peut violer ou menacer un code social ; par exemple, être invité à une relation
sexuelle ou même être « violé » par l’« entité intruse » qui peut être associée à
un « déshonneur ».
Comme il y a généralement une ambiguïté sur l’origine de ces troubles pour les
personnes affectées, un personnel médical et/ou un guérisseur paramédical ou
un conseiller quasi-religieux peuvent être approchés pour questionner si l’ex-
périence représente un trouble d’ordre médical-psychiatrique ou une influence
par une entité supranaturelle qui peut être expliquée par des conceptualisations
religieuses. Ces pratiques non autorisées, qui se concentrent généralement sur
« l’élimination de l’entité possédante » par divers moyens, peuvent être nuisibles
et abusives car elles tendent généralement à réaffirmer des normes culturelles
oppressives plutôt qu’à permettre aux patients de s’exprimer1 .

1. Voir pour de plus amples informations le chapitre 13 de Sandra Mazaira.

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114 P RISE EN COMPTE ET ÉVALUATION DU TDI

Néanmoins, dans certaines circonstances, il est raisonnable pour le thérapeute


moderne de travailler dans le cadre du système de croyances du client et des com-
posantes spécifiques à sa culture et à sa maladie, sans nécessairement approuver
la validité de ces croyances. La combinaison stratégique d’une approche spé-
cifique à la culture et d’une approche psychiatrique moderne (par exemple,
rejoindre le modèle explicatif du patient tout en ajoutant des interventions
cognitivo-comportementales ou hypnotiques) peut conduire aux meilleurs résul-
tats possible dans ce type de situations. Les tentatives d’« exorcisme » (« retrait
de l’entité possédante ») ont été rapportées comme n’étant pas utiles chez les
patients atteints de TDI et comme pouvant entraîner la création de nouveaux
états de personnalité et l’hospitalisation (Bowman, 1993).
N

Enfants et adolescents dissociés

Des études de dépistage en milieu hospitalier ont permis de découvrir que les
unités ambulatoires de psychiatrie pour adolescents sont les lieux où les troubles
dissociatifs sont le plus souvent observés (Şar, 2011b). Dans un groupe de
patients ambulatoires psychiatriques adolescents, parmi ceux qui ont reçu le
diagnostic de trouble dissociatif, 93,9 % obtiennent au moins un diagnostic
psychiatrique supplémentaire (Şar et al., 2014). Ainsi, leur état ne peut être
considéré comme un phénomène normatif. Parmi les diagnostics supplémentaires,
le trouble d’anxiété de séparation (51,5 %), le TDAH (51,5 %), la dépression
majeure (45,5 %), le trouble oppositionnel avec provocation (33,3 %) et le
trouble bipolaire de l’humeur (21,2 %) sont ceux qui présentent les prévalences
les plus élevées. En effet, les enfants dissociés peuvent être diagnostiqués à
tort comme souffrant de troubles de la régulation de l’humeur, de troubles obses-
sionnels compulsifs, de troubles des conduites et de TDAH. Il peut également
exister des variations culturelles des troubles dissociatifs de l’adolescent, comme
c’est le cas pour le syndrome « hikikomori » signalé au Japon (Hattori, 2006),
alors que leur qualité dissociative peut rester méconnue des professionnels de
la santé mentale.
Un niveau d’agressivité élevé devrait rappeler au clinicien l’ampleur du trouble
dans les cas dissociatifs, qui dépasse généralement celui attendu dans les cas de
TDAH. Ils ne répondent pas aux traitements médicamenteux sédatifs, antidépres-
seurs et stimulants. Le résultat d’un traitement psychothérapeutique approprié
est généralement positif à condition que la psychopathologie dissociative soit
prise en compte. La coopération avec les administrations scolaires, les ensei-
gnants et les psychologues scolaires est importante dans ces cas-là, de même

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Les multiples facettes du TDI : tableaux cliniques et psychopathologie de fond 115

que celle des parents, non seulement des enfants touchés mais aussi de ceux
de leurs camarades. La revictimisation et le harcèlement des enfants dissociés
dans le système scolaire (par les administrateurs, les enseignants, les pairs et
les parents des pairs) sont courants.

R EVISITER LA DÉFINITION DE LA DISSOCIATION

Pierre Janet (1889) affirmait que la santé mentale était caractérisée par une
grande capacité d’intégration, capable de réunir un large éventail de phénomènes
psychologiques au sein d’une même personnalité (van der Kolk et al., 1989).
C’est également lui qui a inventé le terme de « dissociation » (désagrégation) et
qui a insisté sur l’origine traumatique de l’« hystérie » (trouble dissociatif). Sui-
vant cette même tradition, la dissociation est actuellement définie comme une
perturbation et/ou une discontinuité de l’intégration normale de la conscience,
de la mémoire, de l’identité, de l’émotion, de la perception, de la représentation
corporelle, du contrôle moteur et du comportement (APA, 2013). Alors que cette
définition est principalement basée sur la fragmentation, la question se pose de
savoir s’il est possible de trouver une définition qui tienne également compte
du besoin d’intégration du patient et du thérapeute.
Jusqu’à présent, ces considérations ont porté sur les caractéristiques d’un
individu dissocié, isolé du monde extérieur. En cherchant à décrire l’existence
humaine à la fois comme phénomène personnel et interpersonnel, le philosophe
danois Kierkegaard (1849-1983) a abordé le problème par une série de questions
et de réponses : « Qu’est-ce que le moi ? L’être humain est un esprit. Mais
qu’est-ce que l’esprit ? L’esprit est le soi. Mais qu’est-ce que le soi ? Le soi est
une relation qui se rapporte à elle-même ou est la relation qui se rapporte à
elle-même dans la relation. » De toute évidence, il a souligné la nature relation-
nelle de l’existence humaine. Cependant, sa compréhension de la « relation »
est plus large que celle d’une relation « interpersonnelle » ; la « relation » de
l’individu avec lui-même. En fait, un soi intégré serait basé sur la relation entre
le soi « sociologique » et le soi « psychologique » (Şar & Öztürk, 2007).
En accord avec cette notion, Liotti (2006) a interprété la dissociation comme un
phénomène plutôt interpersonnel. En effet, bien que d’une manière fragmentée,
la plupart des états de personnalité alternatifs sont intéressés par établir un
contact et une relation avec le thérapeute. Erik Erikson (1950/1963), considère
la réciprocité psychosociale comme la base de la psychopathologie : « L’étran-
geté et le retrait dans le comportement de nombreux individus très malades

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cachent une tentative de retrouver une réciprocité sociale en testant les fron-
tières entre les sens et la réalité physique, et entre les mots et les significations
sociales. » Sur la base de ces notions, la dissociation peut être définie comme
une désynchronisation entre les aspects de soi et entre le monde interne et
la réalité externe (Şar, 2017c). Ainsi, l’intégration s’opère quand l’individu se
perçoit comme lui-même face à chacune des différentes réalités psychologiques,
tout en développant des liens sociopsychologiques entre chacune de ces réalités
psychologiques et les noyaux du soi.
La perturbation de l’identité de soi est le facteur central de la psychopatho-
logie dissociative. La relation du patient avec lui-même doit être entretenue
et améliorée. Les intrusions et oublis de la mémoire autobiographique liés au
traumatisme interfèrent avec la perception d’une identité de soi intégrée : les
associations du patient au cours de l’entretien thérapeutique doivent conduire
le thérapeute à combler cette lacune. Le patient doit être aidé à surmonter
sa peur de la solitude. C’est la façon de résoudre l’attachement à l’agresseur.
La relation du thérapeute avec lui-même est d’une importance stratégique en
tant que modèle : s’être accepté tel que l’on est. Ne pas pouvoir se détacher de
certains paradigmes de psychothérapie peut interférer avec l’authenticité de la
relation thérapeutique qui est la source essentielle de la confiance mutuelle.

R ÉSUMÉ
L’hétérogénéité de la présentation clinique des troubles dissociatifs nécessite la com-
pétence du clinicien pour identifier les symptômes centraux de la dissociation afin de
poser un diagnostic et un traitement précis. Alors que les symptômes de base peuvent
être relativement difficiles à articuler pour les patients, leurs conséquences et compli-
cations sont plus facilement décrites et rapportées. Le clinicien doit prendre en compte
trois modes d’états post-traumatiques : les complications aiguës, avec par exemple
l’intrusion de souvenirs traumatiques ; les phénomènes chroniques « de base » liés au
traumatisme cumulatif, avec par exemple les expériences d’influence passive, les carac-
téristiques de la personnalité borderline, la dysthymie ; et les expériences dissociatives
« centrales », avec par exemple la dépersonnalisation, la déréalisation, l’altération de
l’identité qui peuvent coexister ou prendre la prépondérance dans n’importe quelle
séquence (Şar, 2019). Une approche par phase est à privilégier dans le traitement de
tous les patients présentant un niveau élevé de dissociation en installant une certaine
forme de stabilisation.

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Chapitre 8

Comprendre l’émergence d’un TDI


au regard du développement
précoce confronté à l’adversité
et au nouveau modèle théorique
de l’attachement

Alexandra Deprez, PhD

E XPOSÉ DU CHAPITRE
Sur le continuum qui s’étend des soins adéquats à la carence et à la maltraitance, juste
avant l’infanticide, les TDI peuvent être compris comme la réponse d’adaptation aux
traumas précoces les plus graves. Dans ce chapitre nous présenterons le continuum
développemental des stratégies d’attachement selon différents environnements : des
soins adéquats au trauma extrême. Nous ferons le lien avec le retrait relationnel, la
désorganisation de l’attachement et la dissociation, et enfin nous nous appuierons
sur le Modèle dynamique et maturationnel d’attachement et d’adaptation de Patricia
Crittenden. Une fois celui-ci présenté et expliqué, nous verrons comment plusieurs stra-
tégies d’attachement développées en contextes extrêmes, associées à des dissociations
massives, peuvent conduire à la création de personnalités multiples.

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I NTRODUCTION

Une de mes premières patientes m’a raconté son histoire traumatique d’enfance,
comme ça, dès notre premier entretien. Elle était âgée de presque 50 ans et
moi 25. Son parcours était terrible : abus émotionnel, physique, sexuel, réseaux
pédophiles et prostitution. Je me souviens que je suis restée trois heures à
l’écouter. Je ne pouvais rien faire d’autre. Je suis restée là simplement. Je ne
l’ai pas prise en charge, cela aurait été présomptueux de ma part. Étonnamment,
trois mois après ce premier rendez-vous, elle m’a appelée pour me dire merci.
Merci de quoi ? Je n’avais rien fait. Elle me répondit que j’avais fait plusieurs
choses importantes : je l’avais crue, je l’avais écoutée sans essayer de modifier
ce qu’elle disait ou son émotion, sans interpréter, et j’étais restée là, je ne
m’étais pas enfuie, je n’avais pas évité, je n’avais pas eu peur. Pour elle, ça avait
fait une grosse différence. Je crois que c’est cette patiente qui m’a le plus appris
sur la notion de sécurité en consultation, d’alliance thérapeutique et d’humilité
dans ma profession. Je ne l’ai jamais revue mais je l’ai toujours gardée en tête.
Ce chapitre est la conséquence très éloignée dans le temps de cette consultation,
de cette expérience et des questions qu’elles ont soulevées en moi : comment
survit-on à de tels traumas ? Comment aider ces victimes ? Comment comprendre
leur développement ? Je ne sais pas si cette patiente souffrait de TDI, j’étais
alors bien incapable d’envisager un tel diagnostic, cependant, elle m’a lancée sur
une piste clinique que je poursuis depuis, à savoir celle de comprendre comment
l’être humain, le bébé humain survit au pire. C’est en suivant ce fil rouge du
trauma que je me suis intéressée à la théorie de l’attachement, au bébé placé,
et à la notion de retrait relationnel. Pour survivre à l’adversité, et au trauma de
l’attachement, les bébés et les enfants possèdent des mécanismes de défense
innés. Ils parviennent à adapter leur stratégie d’attachement pour obtenir les
meilleurs soins possible de leur donneur de soins et ils parviennent à survivre,
pour certains en tout cas, dans les conditions les plus extrêmes de négligence
et de maltraitance. Survie physique mais pas toujours survie psychique.

Q U ’ EST- CE QUE LA THÉORIE DE L’ ATTACHEMENT ?

La théorie de l’attachement s’intéresse à la nature des expériences précoces qui


sont faites par l’enfant, et à l’impact que ces expériences ont sur le fonction-
nement tout au long de la vie. Cette théorie offre également des modèles sur
l’émergence de troubles de la personnalité. En effet, l’expérience relationnelle

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Comprendre l’émergence d’un TDI au regard du développement précoce... 119

précoce que vont faire un bébé puis un jeune enfant pendant les premières
années de sa vie va amener à la construction de mémoires spécifiques de soi en
lien avec les autres et des autres en lien avec lui, du monde en général et de
l’aide qu’il peut recevoir en cas de détresse.
La théorie de l’attachement, développée par John Bowlby (1907-1990) postule
le besoin universel et vital chez l’humain de nouer des liens affectifs signifiants.
La relation d’attachement est un type particulier de relation sociale qui est à
la base de la construction psychique de l’enfant, de sa régulation émotionnelle,
de sa capacité à résister au stress, et de sa résilience (Sroufe, 1990). Tous les
bébés naissent avec la capacité de s’attacher. Pour ce faire, ils possèdent un
répertoire inné de signaux de communication (pleurs, sourire, etc.) qui ont
pour fonction de réduire la distance et maintenir la proximité avec la figure
d’attachement (FA) et, au final, de promouvoir leur propre survie. D’un point de
vue neuropsychologique, le bébé est en fait un statisticien et un chef d’orchestre-
né. Statisticien, car ses comportements sont rapidement adaptés en fonction
des réponses les plus fréquentes qu’il va recevoir de son environnement. Chef
d’orchestre, car il peut détecter les contingences, les patterns1 et les rythmes
des interactions dans son environnement et en faire sens. Le bébé n’organise
pas son comportement sur la base des meilleures expériences qu’il fait, mais
sur la base des expériences les plus dangereuses et/ou les plus fréquentes. Ces
expériences relationnelles précoces sont à l’origine des modèles internes opérants
(MIO). Les MIO sont des représentations mentales, agissant à la fois sur le plan
conscient (mémoire épisodique et sémantique), mais aussi inconscient (mémoire
procédurale) qui permettent au bébé d’organiser son expérience, de savoir quelle
est sa place dans le monde, ce qu’il peut attendre de l’autre. En outre, ils sont
à la base de la construction du sentiment de soi. Ces MIO se réajustent en
permanence et sont revisités au regard de l’intensité de ce qui est perçu dans
l’environnement et du degré de danger tout au long de la vie. Il existe trois
sources majeures d’information qui servent au cerveau du bébé pour l’aider à
faire une « prédiction » sur ce qui va lui arriver afin d’adapter son comportement
(Crittenden, 2017) :
➙ l’ordre temporel des informations, c’est-à-dire les contingences de type « si-
alors », « quand-alors » ;
➙ l’intensité des informations (confort/inconfort) ;
➙ les signaux somatiques corporels, l’état du corps et des besoins.
1. Structure sous-jacente des comportements établie à partir des réponses répétitivement reçues
au signaux émis par le bébé.

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120 P RISE EN COMPTE ET ÉVALUATION DU TDI

Quand tout se passe bien, la FA est sensible aux signaux du bébé, elle est dispo-
nible, mentalisante et peut interpréter les états internes du bébé, y répondre de
façon prévisible, rapide et adéquate. Le bébé peut alors intégrer les informations
temporelles (externes), leur intensité et les informations somatiques (internes)
qui y sont associées dans un tout cohérent qu’il pourra garder en mémoire. Ces
vécus lui serviront à organiser son expérience de lui-même, en lien avec le monde
et les autres, à construire son sentiment de soi. Grâce à ce type d’interactions,
le bébé apprend alors qu’il a un pouvoir sur le monde, que sa communication a
du sens, qu’il est important et que le monde est un endroit sécurisant. Ces bébés
montreront un pattern comportemental d’attachement sécure (type B) lors d’une
évaluation au moyen de la procédure dite de « la situation étrange ». La situation
étrange est une procédure standardisée conçue par Mary Ainsworth dans les
années 1970 pour observer la sécurité de l’attachement chez les enfants dans le
contexte des relations avec les donneurs de soins. Elle s’applique aux nourrissons
âgés de 9 à 18 mois. La procédure comprend une série de huit épisodes d’environ
3 minutes chacun, au cours desquels une mère, un enfant et un étranger sont
présentés, séparés et réunis. Le pattern comportemental d’attachement sécure,
si aucune adversité ne vient le désorganiser (divorce, deuil, etc.) sera maintenu
tout au long de la vie.
Dans certaines conditions, la réponse du donneur de soins n’est pas optimale.
Pour des raisons qui sont propres à l’adulte qui s’occupe de l’enfant à ce moment-
là (stress, propre histoire d’attachement, croyances éducatives, pertes, trauma...),
ce dernier n’est pas sensible ou pas suffisamment sensible aux signaux de l’en-
fant, voire il peut être rejetant, ou pire dangereusement rejetant des signaux
et besoins de l’enfant. Le bébé humain, naturellement infiniment résilient, va
s’adapter pour promouvoir les meilleurs soins possible de sa FA :
 Face à une FA prévisiblement rejetante et/ou dangereuse, le bébé va apprendre
à inhiber ses propres signaux d’attachement (ses pleurs par exemple) en pré-
sence de celle-ci. L’information sur laquelle il organise sa stratégie adaptative
d’attachement est une information extérieure à lui (le ton de la voix de sa FA,
son odeur, l’attitude physique prédictive du comportement de la FA). Le bébé
développe alors, sur la base des informations organisatrices qui viennent de
l’environnement extérieur à lui, une stratégie d’inhibition et d’hypoactivation
de son système d’attachement, protectrice, que l’on appelle l’attachement
évitant (type A). Ce sont des bébés qui pleurent peu en présence de la FA, sont
peu demandeurs, souvent performants cognitivement. Cette organisation rela-
tionnelle, « efficace, autonome », plébiscitée dans nos sociétés occidentales,
se maintient facilement tout au long de la vie.

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Comprendre l’émergence d’un TDI au regard du développement précoce... 121

 Face à une FA imprévisible et/ou dangereusement imprévisible, le bébé va là


aussi s’adapter pour survivre. La question de la prévisibilité est essentielle
car elle est à la base de l’organisation de la psyché et du soi comme un tout
cohérent. Pour augmenter ses chances d’avoir une réponse adéquate dans ce
genre d’environnement, le bébé va augmenter ses signaux d’attachement, il
va « hyperactiver » son système d’attachement. La seule information fiable et
prédictive pour lui est ce qui vient de l’intérieur de lui, ses états internes ;
il va donc les amplifier pour tenter de contrôler le comportement de la FA
et la rendre plus prévisible et consistante. C’est un bébé plus exigeant, qui
pleure plus, crie plus, se met en colère. Le processus défensif est ici celui de
l’exagération. Il s’agit de l’attachement dit résistant ou ambivalent (type C).
L’une et l’autre de ces adaptations sont fonctionnelles et permettent l’organisa-
tion d’une modalité relationnelle interpersonnelle adaptative, efficace au regard
de l’environnement, sous-optimale mais non pathologique (Crittenden, 2017).
Le bébé confronté à l’adversité est mis en difficulté car il ne dispose pas des
ressources nécessaires au niveau de son développement pour faire face à son
environnement. Il va, dans un premier temps, avoir recours à un processus défen-
sif secondaire qui a bien été identifié dans la littérature sur la carence de soins :
le retrait relationnel (Guedeney et al., 2013). Le retrait relationnel est défini
comme l’action de se tourner vers soi, c’est une position économique d’attente.
C’est le bébé qui, confronté à une trop grande adversité, un environnement qui
dépasse ses capacités d’adaptions innées, va recourir à des mécanismes extrêmes
de fuite du temps présent, pour échapper à l’ici et maintenant. Le retrait rela-
tionnel peut être compris comme une réponse adaptative du bébé toutes les fois
que le système d’attachement est mis en échec par l’environnement. Rarement
identifié comme tel, car peu connu des cliniciens, le retrait relationnel, lorsqu’il
n’est pas d’origine organique, peut être compris comme une forme précoce de
dissociation, du fait de sa similitude avec le mécanisme dissociatif : évitement
du temps présent, ralentissement de la personne et déconnexion relationnelle,
éloignement de la réalité.

A DVERSITÉ ,
RETRAIT RELATIONNEL , ATTACHEMENT
DÉSORGANISÉ ET DISSOCIATION

Au cours des deux premières années de la vie, les bébés qui montreront une
désorganisation de l’attachement à la situation étrange présentent souvent aussi
un comportement de retrait relationnel prolongé. Identifié par Main et Solomon

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122 P RISE EN COMPTE ET ÉVALUATION DU TDI

en 1990, l’attachement désorganisé se réfère à un comportement observable lors


de la situation étrange lorsque le bébé est confronté à un parent effrayé/effrayant
et qu’il ne parvient pas à organiser une stratégie d’attachement cohérente. Le
bébé manifeste alors un ensemble de comportements étranges, bizarres, ou
incohérents, des épisodes de détresse intenses, des moments de figement ou de
désorientation manifestes tournés particulièrement vers la FA. En effet, celle-ci
est à la fois la source de danger imprévisible et la source de réconfort pour l’en-
fant. Comme nous allons le voir plus en détail, ces enfants sont particulièrement
à risque du point de vue de leur développement socio-émotionnel.
L’attachement désorganisé, comme le retrait relationnel précoce, présente un
risque pour le développement à long terme. La recherche a montré notamment
que l’attachement désorganisé est en lien avec la dissociation à l’adolescence
et à l’âge adulte. Liotti (1992, 1995) et ensuite Main (1995) conçoivent l’atta-
chement désorganisé comme prédisposant un enfant à utiliser la dissociation
comme mécanisme de défense principal (Lyons-Ruth, 2003). La désorganisation
de l’attachement est associée aux négligences et à la maltraitance mais surtout
à l’adversité au sens large. Ainsi le continuum développemental serait : un bébé
mis en échec précocement dans ses compétences innées de résilience par un
environnement trop adverse entraînerait une adaptation pour survivre nécessi-
tant le recours au retrait relationnel dans un premier temps, et à un attachement
désorganisé entre 12 et 18 mois. Après 18 mois, exposé à cet environnement de
façon prolongée, il continuerait à développer des comportements de dissociation
ainsi qu’un ensemble de fonctionnements interpersonnels pathologiques et une
régulation émotionnelle problématique, source de vulnérabilité psychiatrique.
À l’âge adulte, à l’occasion de la passation de l’entretien d’attachement de
l’adulte (AAI), l’attachement désorganisé est qualifié de « non résolu » du fait
de la qualité particulièrement incohérente du narratif produit (Ainsworth & Eich-
berg, 1991 ; Fonagy, et al., 1991 ; Main & Hesse, 1990). L’AAI est un entretien
semi-directif qui sollicite graduellement le système d’attachement de l’adulte
et les mémoires qui y sont reliées (modèles internes opérants). Cet entretien
permet de créer un narratif de l’histoire développementale de la personne, en
lien avec ses figures d’attachement. Ce qui caractérise l’attachement sécure, c’est
la cohérence du narratif ; ce qui caractérise l’attachement non résolu de l’adulte,
c’est la non-cohérence, l’absence d’intégration des expériences vécues.

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Comprendre l’émergence d’un TDI au regard du développement précoce... 123

L E TDI : UN TROUBLE DE L’ ATTACHEMENT ?

Les troubles de l’attachement chez l’enfant tel que définis par le DSM-5sont rares
(entre 0,9 et 1,4 % de la population). Il s’agit principalement d’une absence
totale d’attachement avec extinction des signaux d’attachement ou du dévelop-
pement d’une sociabilité indiscriminée, c’est-à-dire des signaux d’attachement
envoyés de façon indifférenciée à tous les adultes, même inconnus. C’est un
diagnostic psychiatrique spécifique que l’on ne retrouve généralement qu’en
cas d’institutionnalisation de l’enfant, de conditions de vie marquées par une
discontinuité extrême et de négligence. Il convient d’utiliser ce terme avec
restriction et d’être bien informé et formé pour poser un tel diagnostic. Il est
courant de rencontrer, même dans la recherche, une utilisation abusive de cette
terminologie pour désigner en fait des désorganisations sévères de l’attachement,
associées à des troubles traumatiques. Mais ces enfants-là, bien qu’en souffrance,
sont en capacité de s’attacher.
La désactivation de la mentalisation, que l’on retrouve typiquement dans le
narratif des adultes dit non résolu, est une défense disponible pour l’enfant
victime de violences ou tout individu souffrant de trauma. Elle a pour fonction de
réduire l’expérience psychique de la douleur, de la terreur ou de tout autre affect
négatif débordant. Ce sont précisément ces états émotionnels qui nécessitent
l’aide d’un donneur de soins. En l’absence de donneur de soins, ou en présence
d’un donneur de soins dangereux, le bébé ou l’enfant va spontanément avoir
recours à la dissociation pour survivre. Main et Hesse (1990) remarquent que le
fait de vivre des expériences de maltraitance plonge le bébé et le jeune enfant
dans un conflit insoluble où la source de réconfort (la FA) est la source de terreur.
D’après ces auteurs, l’attachement est donc à la base du développement de
processus métacognitifs et intégratifs complexes. Les traumas répétés précoces
interrompent le développement normal de la métacognition et la construction,
puis la consolidation, d’un sens de soi unifié, tout particulièrement quand la
source de ces traumas est la FA elle-même. En revanche, l’utilisation de la
dissociation massive (pour supporter la souffrance psychique, physique, intense,
le trauma précoce extrême perpétré par la figure d’attachement), provoque la
création d’états comportementaux et émotionnels séparés contenant l’expé-
rience difficile et fournissent une forme de soulagement vis-à-vis de l’expérience
traumatique : un échappement du présent (Brand et al., 2014). En ce sens, la
dissociation est un processus adaptatif qui promeut la survie, toutes les fois
que l’attachement ne fonctionne pas ou qu’il est la source de souffrances, en
particulier quand les réponses automatiques adaptatives de combat et de fuite

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124 P RISE EN COMPTE ET ÉVALUATION DU TDI

sont inefficaces ou impossibles à mettre en œuvre. L’enfant traumatisé se retire


alors en lui-même parce qu’aucune autre échappatoire n’est possible face à des
événements débordants et à des états affectifs intolérables (Kluft & Loewenstein,
2007), ce qui se révèle encore plus vrai pour un bébé.
De ce point de vue, les personnes TDI sont celles qui ont été le plus exposées
aux formes les plus extrêmes de traumas infantiles, ce qui explique que leur
symptomatologie soit associée avec de nombreuses comorbidités en lien avec
le trauma (Brand et al., 2014). Aussi nous proposons ici que le TDI puisse être
compris comme un trouble de l’attachement de l’adulte. Les patients TDI ont été
ou sont victimes de violences physiques, émotionnelles et sexuelles importantes,
et ce dès le plus jeune âge, souvent avant 5 ans. Il s’agit bien de conditions
extrêmes de vie précoce. Les patients souffrant de TDI sont en fait des survivants.
Ils sont confrontés à une problématique d’attachement terrorisant car ils ont
reçu simultanément les soins nécessaires à leur survie (nourriture, abri, contacts
physiques) mais sous la forme la plus traumatisante possible (en association
avec des violences corporelles, sexuelles, psychologiques, etc.). La solution pour
leur survie ne peut donc s’envisager qu’à la hauteur de la complexité et de la
dangerosité de ce type d’environnement.
Pour ces victimes, la dissociation est le mécanisme défensif et adaptatif utilisé à
un niveau extrême. Il permet la survie (physique) en clivant d’un côté les soins
forcément bons à un moment donné de la FA par ailleurs perverse et abusive
(qui promeut une survie suffisante – physiquement – pour continuer la poursuite
des sévices), et simultanément supporter la douleur, la terreur, l’imprévisible.
La ou les FA étant aussi, involontairement, source de réconfort, ne serait-ce
qu’en faisant cesser les sévices ou la douleur. L’environnement de ces enfants qui
développent un TDI n’est donc pas seulement insécure, il est dangereux jusqu’à
l’indicible, imprévisible à l’extrême, incompréhensible, il ne peut permettre l’or-
ganisation de MIO cohérents, et d’une expérience de soi continue, en lien avec
l’environnement et avec l’autre. Dans les cas les plus extrêmes, pour y survivre,
l’individu ne présente pas seulement des signes de dissociation, son identité
est non intégrée. Elle n’a jamais été intégrée car le premier mécanisme à se
mettre en place précocement a probablement été le retrait relationnel. Ensuite,
à mesure que le développement l’a permis, différents ensembles d’états internes,
« alters », se sont mis en place, susceptibles de fonctionner selon la situation
présente tout en préservant le lien d’attachement avec une FA. Ce processus
serait d’autant plus nécessaire du fait de l’absence totale de tuteur de résilience,
alors que les relations d’attachement font partie des facteurs protecteurs les

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Comprendre l’émergence d’un TDI au regard du développement précoce... 125

plus importants pour promouvoir un développement sain quand un enfant est


confronté au trauma.

UN AUTRE MODÈLE THÉORIQUE POUR MIEUX


COMPRENDRE LA TRAUMATISATION COMPLEXE

À ce stade de notre réflexion, on pourrait considérer que les patients TDI ne sont
pas désorganisés mais, bien au contraire, extrêmement organisés. Le modèle
ABC+D de l’attachement (décrit plus haut) développé par Main ne permet pas,
selon nous, de conceptualiser ce type de fonctionnement.
Nous proposons donc ici de présenter le Modèle dynamique et maturationnel
d’attachement et d’adaptation de Patricia Crittenden (Crittenden, 2017 ; Landa
& Duschinsky, 2013) pour tenter de modéliser, au regard de l’attachement,
l’émergence d’un TDI et de son organisation en termes de survie. Crittenden,
comme Main, a été une des doctorantes de Ainsworth et a travaillé en étroite
collaboration avec Bowlby. Son modèle se différencie du modèle standard ABC+D
de l’attachement de trois façons spécifiques :
➙ la prise en compte du danger comme organisateur de la stratégie d’attachement ;
➙ le rejet de la notion de désorganisation de l’attachement ;
➙ la prise en compte de la maturation développementale et de la culture dans
le développement des stratégies adaptatives.

L’ ATTACHEMENT
COMME PRÉDISPOSITION
POUR MAINTENIR LA SÉCURITÉ OU FAIRE FACE
AU DANGER ?

Pour survivre, l’humain organise ses comportements autour de trois grands


objectifs qui peuvent entrer en conflit :
➙ se protéger pour rester en vie ;
➙ trouver un partenaire sexuel pour se reproduire ;
➙ protéger sa progéniture jusqu’à ce qu’elle atteigne la maturité sexuelle.
Bowlby a conceptualisé l’Environment of Evolutionary Adaptedness (EEA), notion
qui représente l’environnement de l’adaptation évolutive de notre espèce, dans
lequel on a appris à survivre et où s’origine la pertinence de l’attachement.

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126 P RISE EN COMPTE ET ÉVALUATION DU TDI

Crittenden considère que l’EEA n’était pas un environnement de sécurité. De


nombreux facteurs venaient, et viennent encore, menacer la survie : prédation,
mort, maladies, agressions et guerres, famines, désastres climatiques... (Pinker,
2011). Dans ces environnements, les parents ne sont pas toujours disponibles,
réconfortants, ni même présents. L’attachement aurait évolué comme une prédis-
position de l’enfant pour s’adapter à toutes sortes de parents afin d’en obtenir
les meilleurs soins possible. Ainsi, l’attachement insécure se conceptualise avant
tout comme une stratégie adaptative en réponse à des contextes d’adversités
multiples. Elle permet à l’enfant d’obtenir l’attention et la protection les plus
favorables dans des environnements « sous optimaux ». Le bébé ou l’enfant
va donc transformer ses signaux innés d’attachement, avoir recours ou non au
retrait relationnel, pour s’adapter à la réponse de son environnement et à ce qui
est tolérable/faisable par ses parents. Bowlby a suggéré que les comportements
d’attachement et le comportement de retrait sont des systèmes motivationnels
différents qui :
➙ ont la même fonction ;
➙ sont activés par les mêmes conditions ;
➙ sont fréquemment compatibles l’un avec l’autre mais peuvent aisément rentrer
en conflit l’un avec l’autre (Bowlby, 1973).

Le retrait relationnel massif est couramment observé dans nombre de situations


de soins précoces extrêmes (maltraitance, négligence, douleur chronique, trauma,
institutionnalisation), probablement déclenché par l’activation chronique du
système de figement (une forme de sidération hypoactivée, tel un effondrement)
et l’activation du nerf vagal dorsal comme l’a décrit la théorie polyvagale de
Porges (2011). Nous postulons que c’est l’activation de ce système de survie par
le bébé confronté à l’adversité extrême qui est à l’origine de la dissociation. La
personne souffrant de TDI, dans un processus de résilience extrême, utiliserait
en quelque sorte ce système à son maximum. Le modèle complet d’attachement
et d’adaptation de Crittenden est dimensionnel et non catégoriel. Les stratégies
d’attachement s’organisent sur la base du traitement de l’information qui va être
privilégié sous stress en vue de se prémunir contre le danger. Dans ce modèle
il n’y a pas de place pour la désorganisation : pour Crittenden, si nous nous
désorganisons, nous mourons.
Le modèle de Crittenden se présente sous la forme d’un cercle qui organise
les différentes stratégies d’attachement selon deux axes et en fonction du
développement et de la maturation (cf. figure 8.1) :

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Comprendre l’émergence d’un TDI au regard du développement précoce... 127

 Axe 1 : la nature des informations traitées préférentiellement sous stress et


qui se sont avérées prédictives pour la survie (cognitions ou émotions) ;
 Axe 2 : la nature de la distorsion de l’information nécessaire à la mise en
œuvre par l’individu de sa stratégie d’attachement.

En haut du cercle, les stratégies de type B intègrent tant l’information d’origine


cognitive (externe à l’individu, provenant de l’environnement) que l’information
d’origine émotionnelle (somatique et intense, interne à l’individu, venant du
corps) non transformées quand le système d’attachement est activé.
À gauche, les stratégies de type A développent un biais vers le traitement de
l’information cognitive, car elle est la plus prédictive du danger quand le système
d’attachement est activé. À droite, les stratégies de type C développent un biais
de traitement de l’information émotionnelle, car elle est la plus prédictive du
danger quand le système d’attachement est activé.
Le cerveau peut utiliser deux types d’informations (émotionnelle et cognitive)
pour adapter le comportement à l’environnement. L’utilisation d’une seule source
d’information est susceptible de produire des erreurs quant aux prédictions
qu’elles autorisent par rapport au danger et sont donc individuellement insuffi-
santes. L’individu biaisé dans son traitement de l’information par une stratégie
d’attachement qui privilégie soit le traitement préférentiel de l’information d’ori-
gine cognitive (type A), soit le traitement préférentiel de l’information d’origine
émotionnelle (type C), et sans intégration équilibrante, devra avoir besoin de
recourir à des transformations de l’information pour acquérir un sentiment de
cohérence. Pour Crittenden, quand l’individu sous stress, biaisé par sa stratégie
d’attachement, n’intègre pas toutes les informations disponibles dans l’environ-
nement et/ou en lui, il peut utiliser sept formes différentes de distorsions de
l’information dont la fonction est de tenter de corriger les erreurs de prédictions
quant au danger, afin d’adapter son comportement. Ces distorsions, transforma-
tions de l’information traitée en cas de stress, sont organisées selon un axe
(vertical dans le modèle) des plus anodines aux plus massives, et sont à l’origine
de la distinction entre les stratégies normatives et les stratégies à risques de
psychopathologie et trouble de l’adaptation :
1. L’information (cognitive ou affective) peut être véritablement prédictive au
regard du danger.
2. L’information peut être erronée : déclarer avoir eu une enfance chaleureuse et
ne pas pouvoir se remémorer de souvenirs à ce sujet.

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Axe de transformation de l’information 128


P RISE

Pas de distorsion de l’information

Biais de traitement de l’information en faveur des cognitions (type A) Biais de traitement de l’information en faveur des émotions (type C)
- hypo-activation des signaux d’attachement - hyper-activation des signaux d’attachement
- information externe privilégiée - information interne privilégiée
EN COMPTE ET ÉVALUATION DU

Non clinique
TDI

Axe de la nature
À risque clinique
de l’information
préférentiellement
traitée sous stress

Pathologique en milieu sécure,


Adapté en milieu dangereux

Distorsion massive de l’information

Figure 8.1. Modèle de Crittenden


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Comprendre l’émergence d’un TDI au regard du développement précoce... 129

3. L’information prise en compte dans la prédiction peut être distordue, comme


l’idéalisation de la FA dans les stratégies de type A ou encore les reproches
excessifs envers la FA pour les stratégies de type C.
4. L’information peut être omise et non prise en compte pour l’adaptation :
par exemple, les individus utilisant une stratégie de type A+ peuvent ne
pas tenir compte de leur désir propre de réconfort, alors que les individus
utilisant une stratégie de type C+ peuvent omettre la complexité des relations
causales (information cognitive) dans leur raisonnement, afin d’accentuer
leurs émotions négatives.1
5. L’information utilisée peut aussi être fausse, c’est l’exemple d’un sourire feint
qui cache la colère : dans les stratégies de type A+, ce faux sourire est utilisé
pour désarmer la colère de la FA, alors que pour les stratégies de type C+, il
s’agit plutôt d’organiser une forme de tromperie de la FA (sourire pour avoir
l’air innocent et donc faussement vulnérable).
6. L’information peut aussi être déniée : les affects négatifs pour les stratégies
de type A+ (raconter que les corrections physiques sévères étaient « pour mon
bien ») ou les cognitions relatives à la responsabilité dans les événements
dangereux pour les stratégies de type C+ (raconter un événement très dange-
reux – accident de voiture – et ne pas parler de sa responsabilité – vitesse
excessive).
7. Enfin, les informations peuvent être délirantes : par exemple, l’idéalisation
d’une figure d’attachement qui était en fait réellement abusive pour les
stratégies de type A+, ou encore des représentations délirantes de soi (toute-
puissance) ou des autres (persécuteurs) pour les stratégies de type C+.

1. Les stratégies A ou C sont plus typiquement des stratégies développées par des populations
normatives qui ont peu fait l’expérience de l’adversité et ont peu rencontré de danger sans soutien
de la part de la figure d’attachement au cours de leur développement. Les stratégies A+ et C+
sont plus typiquement développées par des individus appartenant à des populations à risque,
ayant été confrontées à différents dangers au cours de leur développement et ayant nécessité des
adaptations importantes de leurs stratégies d’attachement face à des parents peu disponibles et
potentiellement dangereux. Il en résulte, au niveau du traitement de l’information en mémoire,
que pour faire fonctionner leur stratégie d’attachement du mieux possible et obtenir les meilleurs
soins possibles dans des contextes complexes, il ont recours à des distorsions d’information
(affectives pour les A+ et cognitives pour les C+) plus importantes et massives. Cela leur permet
de fonctionner le mieux possible dans ces contextes de développement, mais les soumet aussi à un
risque de psychopathologie, notamment parce que la régulation des émotions et la compréhension
des liens de cause à effet ne sont pas optimales.

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130 P RISE EN COMPTE ET ÉVALUATION DU TDI

Ces erreurs du traitement de l’information définissent les chiffres associés aux


stratégies dans ce modèle : plus le chiffre est élevé, plus la stratégie distord
l’information, et plus le risque de conséquences psychopathologiques et/ou de
criminalité devient important.
Ces stratégies d’attachement ne sont pas toutes disponibles dès les premières
semaines, elles apparaissent progressivement au cours des premières années du
développement. Ainsi, le bébé et les jeunes enfants (jusqu’à 18-24 mois) n’ont
accès qu’aux premières stratégies basiques du haut du cercle (A2-A1-B-C1-C2)1 .
À l’âge préscolaire, les compétences du jeune enfant (langage, motricité, théorie
de l’esprit) lui permettent l’accès à des modes relationnels plus évolués, avec la
possibilité de distordre l’information de façon plus importante : c’est ainsi que
les stratégie C3/C4 émergent. Et plus tard, à l’âge scolaire, les stratégies C5-C6
apparaîtront. Remarquons que les stratégies de type C sont nécessairement des
stratégies complexes et doubles et sont caractéristiques des environnements où
la disponibilité de la FA est imprévisible tout comme sa dangerosité. Cela requiert
de l’enfant qu’il puisse contrôler un maximum son environnement, et pour ce
faire, qu’il ait recours à deux sous-stratégies changeantes et qui « switchent » en
fonction de l’environnement, lui permettant de garder un maximum de contrôle
sur le comportement du parent.
À l’adolescence, avec l’autonomie nouvelle de l’individu et le début de la sexua-
lité, on observe l’émergence de nouvelles stratégies pour résoudre la question de
l’attachement et la régulation émotionnelle. La sociabilité ou la mise à distance
compulsive et la sexualité vont, par exemple, pouvoir être recrutées dans les
stratégies A5 et A6, pour faire fonctionner l’individu.
À l’âge adulte, les stratégies reposant sur les organisations et les distorsions
de l’information les plus extrêmes mais adaptées pour la survie dans des envi-
ronnements particulièrement dangereux et traumatiques apparaissent, A7/A8,
C7/C8 et AC intégrées. Ces individus présentent des stratégies d’attachement qui
sont adaptatives à un milieu extrêmement dangereux. Alors que les stratégies
A2/A1-B-C1/C2 sont adaptatives en milieu non dangereux.
Il est à noter que dans ce modèle, il existe la possibilité de présenter plusieurs
stratégies simultanées de type A ou C (les stratégies de type C étant déjà doubles).
Cela signifie que l’individu, confronté à des environnements particulièrement
adverses, peut conserver de façon non intégrée l’utilisation de stratégies diffé-
rentes de type A ou C, ne reposant pas sur les mêmes mécanismes défensifs mais

1. Selon la classification du modèle de Crittenden en fonction des distorsions d’information qui


sont utilisées.

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Comprendre l’émergence d’un TDI au regard du développement précoce... 131

adaptées à ce moment-là, à cette relation-là (Crittenden & Landini, 2011). Ainsi,


le changement de stratégies va se faire en fonction du degré de stress, de la
personne qui est présente, d’un certain déclencheur. À ce stade de la présentation
de ce modèle, nous pensons qu’il est possible d’établir le lien entre le modèle
d’attachement et d’adaptation de Crittenden, la notion de retrait relationnel
comme source de la dissociation et le développement de TDI, pour proposer une
explication cohérente de l’émergence de dissociation de l’identité chez un individu.

L IEN ENTRE LE M ODÈLE D ’ ATTACHEMENT


ET D ’ ADAPTATION DE C RITTENDEN
ET LE DÉVELOPPEMENT DE TDI

Comme déjà mentionné, l’étiologie d’un TDI relève de conditions extrêmes de


soins précoces. Un attachement désorganisé, une absence de solution relation-
nelle sous stress en cas de danger, ne peut pas avoir permis la survie. Nous
proposons l’idée selon laquelle le retrait relationnel d’abord et la dissociation
ensuite, si aisément accessibles aux enfants, ont été dans un premier temps
le recours principal à la survie. Puis, au fur et à mesure du développement et
des possibilités associées à l’environnement, les individus développant un TDI
ont en fait simultanément développé des stratégies d’attachement multiples
et extrêmes, fondamentalement non intégrées et non intégrables en termes
de traitement de l’information ; notamment à cause de l’utilisation du retrait
relationnel comme mécanisme défensif précoce mais aussi en raison de l’absence
d’expérience relationnelle signifiante, laquelle aurait rendu possible l’intégration
des différentes sources d’information relatives au danger, profondément distor-
dues mais toutes fonctionnelles, à des moments donnés ou par rapport à des
relations spécifiques.
Chaque « alter » pourrait alors être compris comme une stratégie d’attachement
effective, protectrice à un moment donné, avec une fonction adaptative du
comportement qu’elle génère dans une interaction donnée. Elle donnerait ainsi
lieu à une régulation émotionnelle spécifique, à un traitement de l’information
en mémoire spécifique, à un comportement adaptif spécifique. L’absence d’inté-
gration, caractéristique de toutes les stratégies d’attachement insécure, serait
chez l’individu souffrant de TDI, extrême. Elle autoriserait le fonctionnement de
l’individu, sa survie, non pas en un tout cohérent comme chez les personnes
sécures mais en un tout multiple, ultra-organisé intérieurement pour faire face à
l’inimaginable.

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132 P RISE EN COMPTE ET ÉVALUATION DU TDI

En fait, la personne souffrant de TDI pourrait avoir développé plusieurs stratégies


sur ce cercle, certaines sont très adaptées en milieu sécure (A1-A2) et d’autres
adaptées à la survie en cas de danger. Il faut ainsi voir chaque section de ce
modèle (stratégie d’attachement) comme une dimension organisatrice. Il serait
possible d’imaginer que les alters des TDI sont des stratégies d’attachement
poussées à l’extrême, éloignées de l’axe organisationnel A/C, avec un biais
extrême orienté de préférence vers un traitement préférentiel de l’information,
cognitif ou affectif. Ce modèle rend alors compréhensible l’aggravation du TDI
selon le niveau d’adversité vécue. Le processus dissociatif massif garantit alors
une séparation distincte et nette entre les différents modes de distorsion de l’in-
formation propre à chaque stratégie, une forme d’étanchéité entre les stratégies.
Par exemple :
 L’alter « enfant et vulnérable » pourrait être la persévérance d’une stratégie
C2 (bébé) ou C4 (petite enfance) où la vulnérabilité est exagérée à l’extrême
en vue de désactiver l’agressivité de l’adulte donneur de soins.
 Un alter « adulte promouvant une sexualité débridée » jusqu’à la prostitution
pourrait être la mise en œuvre d’une stratégie A5 de promiscuité compul-
sive, disponible à l’adolescence, dans laquelle la sexualité est recrutée pour
répondre aux besoins d’attachement et où l’étranger est perçu comme moins
menaçant que la personne familière.
 L’alter « dominant, violent, agressif (et protecteur) » pourrait être l’expression
complète d’une stratégie C5 ou C8, paranoïaque et violente qui a pour fonction
d’effrayer et d’attaquer, pour ne pas être victime.
 L’alter « fonctionnel, poli » qui va au travail et qui vient en consultation,
pourrait être une stratégie A2 de sociabilité facile qui requiert d’inhiber ses
propres besoins au profit des autres et du bien-faire pour apaiser les autres et
se sentir compétent.

Les seules stratégies indisponibles aux personnes TDI seraient la stratégie sécure
qui requiert la levée de la dissociation et l’intégration de toute l’information
disponible. Évidemment chacune de ces stratégies, si elle « promeut » du mieux
possible la survie, ne promeut pas pour autant une régulation émotionnelle opti-
male. Quel que soit l’alter agissant, une souffrance psychique est présente, soit
par la présence de pensées intrusives, d’hallucinations, soit par la somatisation,
le corps exprimant des états qui ne sont pas reconnus par la psyché. L’individu
va alors mettre en œuvre tout ce qu’il peut pour réguler et apaiser cet inconfort,
notamment par l’abus de substance, ce qui explique les nombreuses comorbidités
associées au TDI.

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Comprendre l’émergence d’un TDI au regard du développement précoce... 133

Q UELQUES PISTES POUR COMPRENDRE POURQUOI


TOUS LES ENFANTS SOUMIS À L’ ADVERSITÉ EXTRÊME
NE DÉVELOPPENT PAS FORCÉMENT UN TDI

En effet, comment comprendre que tous les enfants soumis à des violences
extrêmes ne développent pas un TDI ? Il nous semble que deux facteurs peuvent
ici être pris en compte :
 La sensibilité génétique au retrait relationnel (Costa & Figuereido, 2012 ;
Costa, 2018, unpublished study) et, dans la même lignée, la sensibilité géné-
tique à être plus ou moins perméable à l’environnement, à se désorganiser en
termes d’attachement (Spangler et al., 2009).
 L’existence de facteurs de résilience, et notamment d’au moins une personne
qui « sait » avec l’enfant, qui peut l’entendre et lui apporter un peu de récon-
fort et de mentalisation, même s’il ne peut pas toujours changer sa situation
(enseignant, voisin, fratrie, grand-parent, etc.).

R ÉSUMÉ
Dans ce chapitre, nous avons proposé un modèle de compréhension du développe-
ment des personnes souffrant de TDI en lien avec les ressources défensives innées
du bébé humain : le retrait relationnel comme source de la dissociation, l’hypo- ou
l’hyperactivation des signaux d’attachement pour faire fonctionner la FA en fonction
du contexte et du développement, et pour finir, la distorsion du traitement de l’informa-
tion mémorisée. L’hypothèse que nous avons développée nous a conduit à considérer
qu’une personne atteinte d’un TDI utilise les systèmes défensifs au maximum de leurs
possibilités pour survivre à des relations d’attachement les plus dangereuses et trauma-
tisantes possible. Nous proposons d’expliquer leur capacité de survie et leur extrême
résilience par leur aptitude à développer de multiples stratégies d’attachement organi-
sées, mais non intégrées et dont le fonctionnement adaptatif est garanti par le retour
massif à la dissociation. Nous serions en fait confrontés chez les patients TDI à des
organisations extrêmes en l’absence d’intégration. Cette proposition théorique est
basée sur une connaissance du développement du bébé traumatisé, de la théorie
de l’attachement, de la traumatologie, complétée par l’offre théorique intégrative du
modèle d’attachement et d’adaptation de Crittenden, et par les apports de concep-
tualisation théoriques du Pr Guedeney sur le retrait relationnel comme comportement
défensif du bébé confronté à l’adversité. Mais cette hypothèse nécessite encore d’être
explorée, testée et approfondie cliniquement et surtout validée empiriquement par la
recherche.

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134 P RISE EN COMPTE ET ÉVALUATION DU TDI

Remerciements
Ce chapitre ne saurait avoir été écrit sans l’aide précieuse à la théorisation
de Clark Baim. Clark Baim est psychologue et psychothérapeute, formateur en
psychothérapie psychodramatique et fondateur de l’Institut de psychodrame de
Birmingham.

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Chapitre 9

EMDR et TDI à la lumière


de la théorie de la dissociation
structurelle de la personnalité (TDSP)

Combiner la thérapie EMDR avec la théorie


de la dissociation structurelle de la personnalité (TDSP)
pour les cas de trauma sévère

Eva Zimmermann1

E XPOSÉ DU CHAPITRE
Depuis sa découverte en 1987 par le Dr Francine Shapiro (Shapiro, 2018), la thé-
rapie EMDR a établi un réseau mondial de thérapeutes qui traitent avec succès les
troubles liés aux traumatismes. Le modèle TAI (traitement adaptatif de l’information)
en constitue la base. La théorie de la dissociation structurelle de la personnalité (TDSP)
selon van der Hart, Nijenhuis et Steele (2006) a également traversé les continents
depuis l’Europe et gagne progressivement du terrain et de la reconnaissance en
termes de théorie et de conceptualisation du traitement des séquelles de traumatismes.
La TDSP décrit un modèle qui inclut la classification et le traitement de toutes les

1. Psychologue clinicienne, Senior Trainer EMDR Europe.

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136 P RISE EN COMPTE ET ÉVALUATION DU TDI

séquelles de traumatismes. Si l’EMDR est davantage une théorie et une approche


neurophysiologiques du traumatisme et de son traitement, la TDSP est davantage une
théorie psychologique qui s’intéresse à la genèse, à la symptomatologie, aux proces-
sus psychologiques sous-jacents et qui propose des principes généraux du traitement
(Piedfort-Marin & Zimmermann, sous presse ; van der Hart, Nijenhuis & Solomon,
2010). Ce chapitre vise à présenter les principaux aspects de la TDSP et à mettre en
évidence les aspects qui doivent être spécifiquement pris en compte pour traiter les
personnes atteintes de trouble dissociatif de l’identité (TDI) ou de trouble dissociatif de
l’identité partiel (TDIp) avec la thérapie EMDR.

I NTRODUCTION : LE SPECTRE DU TRAUMATISME


ET LA THÉRAPIE DU TRAUMATISME PAR L’EMDR

L’EMDR est une thérapie qui vise à travailler sur les réseaux de mémoire stockés
de manière dysfonctionnelle, en partant du principe que les troubles associés
(souvenirs intrusifs, symptomatologie de détresse, comportements d’évitement,
etc.) seront résolus en travaillant sur les réseaux de mémoire adaptatifs et
en y établissant des liens, grâce à des stimulations bilatérales alternées qui
favorisent la connexion entre réseaux de mémoire dysfonctionnels et adaptatifs
(Shapiro, 2017). Les personnes souffrant de traumatismes complexes peuvent
également tirer profit de la thérapie EMDR, mais le traitement prend ici plus
de temps, car il y a plus de souvenirs à traiter et la stabilité des patientes
nécessite plus de préparation. Cependant, les séquelles de traumatismes qui se
développent chez les personnes victimes ayant subi les expériences de violence
les plus intenses, commençant généralement dans la petite enfance, à savoir
les troubles dissociatifs, et en particulier celles souffrant d’un TDI, sont très
difficiles à traiter avec l’EMDR et représentent un défi de taille, même pour le
clinicien expérimenté. Ces patients risquent d’être trop fortement activés par
l’EMDR et donc de décompenser, ou bien leur façon « habituelle » de se dissocier
n’aboutit que difficilement à un retraitement efficace et sûr avec l’EMDR, car les
patients n’ont pas suffisamment accès au matériel traumatique. Dans ce domaine,
la thérapie EMDR n’est pas assez explicite en termes de conception théorique.
Pour combler cette lacune, il peut être très utile de se référer à la TDSP (van der
Hart et al., 2006).

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EMDR et TDI à la lumière de la TDSP 137

LA THÉORIE DE LA DISSOCIATION STRUCTURELLE


DE LA PERSONNALITÉ

Cette théorie, basée à l’origine sur les idées de Janet et développée par van der
Hart (et al., 2006), affirme que la dissociation d’origine traumatique a pour base
une déficience intégrative de l’individu traumatisé qui conduit à une division de
la personnalité. Cette théorie psychologique a l’avantage de couvrir et d’expli-
quer l’ensemble du spectre du traumatisme, et donne en outre de nombreuses
instructions cliniques pour mettre la théorie en pratique. Cette possibilité de
mise en œuvre est le lien que la thérapie EMDR peut emprunter pour le traitement
des cas de TDI et de TDIp.
La TDSP explique, comme l’a fait déjà Janet (1889), la santé mentale comme
l’intégration de tous les événements vécus, avec tous les aspects de ce vécu,
c’est-à-dire avec les images, les pensées, les émotions, les sensations et les
comportements qui ont participé à cette expérience. Les souvenirs d’événements
potentiellement traumatisants, chez les personnes avec suffisamment de capaci-
tés intégratives, sont présents comme étant une expérience difficile, dont elles
peuvent se souvenir et qu’elles peuvent raconter en restant dans leur fenêtre de
tolérance (Siegel, 1999), en les vivant comme une expérience qui leur appartient.
Pour des personnes affectées de séquelles de traumatismes, leur symptomatologie
est considérée comme un échec d’intégration des événements aversifs. D’ailleurs,
Janet a défini l’hystérie comme « une maladie de la synthèse personnelle »
(Janet, 1907). La synthèse est nécessaire pour intégrer ce qui a été vécu dans sa
propre biographie. Dans le cas contraire, les personnes évitent alors de vivre les
événements en tant que tels et de les reconnaître comme faisant partie de leur
propre biographie. Cela se produit déjà pendant l’expérience de ces événements,
et aussi plus tard, en appréhendant qu’ils se répètent : la personne se prépare
à ce que toutes ces mauvaises expériences se reproduisent et évite donc le
vécu mentalement et sensoriellement par un état dissociatif. C’est le cas, par
exemple, lors de violences familiales, de violences sexuelles et d’autres formes
de violences psychologiques, physiques et émotionnelles pendant l’enfance qui
sont souvent synonymes de répétition. Lorsque ces événements sont terminés,
donc lorsque la personne est adulte et a pu s’éloigner de ses agresseurs ou
parents violents, la capacité de dissociation demeure et se manifeste par de
multiples symptômes. Même après ces expériences, la personne victime tend
consciemment ou inconsciemment à éviter les expériences douloureuses. Cela
se fait par l’évitement mental (distraction) ou cognitif (« Je ne veux pas y
penser », « Je ne veux pas faire de thérapie parce qu’il faut alors se souvenir

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138 P RISE EN COMPTE ET ÉVALUATION DU TDI

des mauvaises choses ») ou par l’évitement lié à l’action (regarder la télévision,


l’hyperactivité, se réfugier dans le travail, etc.) L’amnésie liée au traumatisme
est la forme la plus intense et la plus élevée d’évitement, c’est-à-dire qu’il
n’y a aucun accès conscient aux expériences traumatiques. En fin de compte,
il s’agit d’un évitement psychologique du contenu du traumatisme dans une
histoire perçue comme ego-dystonique. Cet évitement conduit cependant à une
division ou « scission » (Janet, 1889) de la personnalité en une première partie
prototypique de la personnalité, qui ne veut pas et ne peut pas intégrer les
contenus liés au traumatisme, c’est-à-dire qui entreprend de les éviter, et une
seconde partie prototypique de la personnalité, qui est fixée sur l’histoire du
traumatisme. La partie évitante a l’avantage de pouvoir mener une vie quelque
peu normale (en apparence), ce qui lui donne le nom de « partie apparemment
normale de la personnalité » (abrégé en « PAN ») selon la TDSP. Cette partie
peut vivre une vie sans trop de difficultés, de telle sorte que la survie est
possible, malgré des événements aversifs, souvent répétitifs. L’autre partie de
la personnalité, celle qui est porteuse de ces souvenirs ainsi que des émotions
et des sensations qui leur sont associées, en souffre émotionnellement par de
fortes peurs, de la culpabilité ou d’autres émotions et sensations répétitives.
C’est pourquoi ce type de personnalité est appelé « partie émotionnelle de la
personnalité » ou « PE » en abrégé. Ces deux parties prototypiques, ou sous-
systèmes dissociatifs (Nijenhuis & van der Hart, 2011), finissent par développer
un dynamique difficile d’évitement et d’intrusion, ce qui conduit finalement à
ce que les PAN présentent des phobies relativement fortes envers les PE, et
que les PE se sentent le plus souvent abandonnées et évitées par les PAN et
réagissent également de manière phobique envers les PAN négligentes ou même
envers les PE agressives. Finalement, les deux parties souffrent. La partie qui
évite souffre d’un manque de souvenirs et de sensations, et la partie qui vit et
revit souffre d’un excès de souvenirs et de sensations. La PE mène donc souvent
une vie isolée, piégée dans le « temps du traumatisme » et cachée car la PAN
l’évite. Délaissée, la PE ne se manifeste généralement que par des symptômes
intrusifs, c’est-à-dire qu’elle ne cesse de s’immiscer dans la conscience de la
PAN, qui en sait trop peu. Cela conduit donc à ces intrusions perturbantes de
matériel traumatique pour la PAN. Nous voyons ainsi l’oscillation typique entre
l’évitement et les intrusions liées à ces souvenirs, qui est déjà reflétée dans sa
forme la plus simple, le TSPT.
PAN et PE sont des parties de la personnalité prototypiques et il peut y avoir
plusieurs PAN et plusieurs PE, selon la gravité de la déstructuration de la per-
sonnalité.

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EMDR et TDI à la lumière de la TDSP 139

La TDSP met en évidence un autre aspect des PE : les PE sont les parties de
la personnalité qui vivent les événements potentiellement traumatiques alors
que la PAN est absente par dissociation. C’est ce qu’on peut entendre chez les
patients qui racontent, par exemple, que pendant les violences sexuelles, ils
n’ont pas vécu l’événement, mais ils flottaient au plafond et n’avaient aucune
sensation pendant que leur corps était maltraité. La PE qui en fait l’expérience
doit faire face seule aux émotions et aux sensations, ce qui est une entreprise
difficile. La « soumission » répétée de la PE à ce qui se passe fait que ces PE
sont décrites comme très fragiles. Nijenhuis (2015) les appelle les « PE fragiles »
ou PE-F. Mais l’expérience répétée de la violence conduit souvent à la création
d’un nouveau prototype de PE, la « PE contrôle » (PE-C). Les PE-C sont souvent
dominantes ou agressives car elles apprennent du modèle de l’agresseur à ne
pas se soumettre mais à être résistantes et puissantes. Et comme les auteurs de
ces actes sont souvent les parents ou d’autres personnes significatives – aussi
des figures relationnelles et des modèles – cette partie imite le comportement
violent ou dévalorisant de ces derniers. Cette dévalorisation et cette humiliation,
que les auteurs communiquent souvent (« Tu ne vaux rien, tu ne mérites rien de
mieux », ou encore « C’est à cause de toi que tout cela arrive, tu m’as incité à le
faire »), sont souvent reprises par les PE-C et transmises aux PE-F. Ces dernières
se sentent alors également sans valeur, honteuses, coupables, etc., ce que les
PE-C renforcent. Les patients TDI entendent souvent des voix dans leur tête (de
la part des PE-C), qui les traitent de manière dépréciative et souvent destructive.
N

La classification des séquelles de traumatismes à la lumière


de la TDSP

La principale symptomatologie du TSPT selon le DSM-5 est le comportement


d’évitement typique (critère C) et les intrusions traumatiques (critère B) (APA,
2013). Ce schéma d’évitement et de persistance difficile du contenu traumatique
se poursuit dans les troubles complexes des séquelles de traumatismes (TSPT
complexes) jusqu’aux troubles dissociatifs, et trouve sa forme la plus prononcée
dans le TDI. En conséquence, la TDSP a également défini trois catégories de
troubles dissociatifs qui se distinguent par l’intensité du traumatisme vécu et la
structure de la personnalité qui en résulte. Plus les événements potentiellement
traumatisants sont nombreux et répétés et plus ils ont été commis à un jeune
âge, plus la structure de la personnalité est complexe. Cela s’explique par le fait
qu’un enfant doit s’affairer à la construction de son modèle phénoménal du soi
(« Qui suis-je et comment suis-je ? »), de son modèle phénoménal du monde
(« Comment le monde est-il constitué ? ») et de leur combinaison (« Comment

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140 P RISE EN COMPTE ET ÉVALUATION DU TDI

suis-je dans le monde ? »). En cas d’expériences répétées potentiellement trau-


matisantes, l’enfant doit se détourner de cette tâche si importante et alors
s’abstenir de construire un modèle du soi et du monde mais se réfugier dans une
stratégie de survie. Cette stratégie de survie donne ainsi naissance à un modèle
du soi et un modèle du monde biaisés et altérés. Ainsi, la répétition d’expériences
violentes entraîne une fragmentation continue et croissante de la personnalité
en différentes parties. Il est important de noter ici que les différentes parties
dissociatives ont leur propre compréhension de soi, leurs propres sensations
corporelles et leur propre gamme d’affects et de comportements (Nijenhuis,
2015 ; van der Hart et al., 2006). Ceci est d’une importance capitale pour la
thérapie. Harmoniser ces différences en sera un thème central.
La forme la plus simple de dissociation structurelle, c’est-à-dire la dissociation
structurelle primaire, implique une PAN et une PE. La dissociation structurelle
secondaire se rapporte aux cas avec une PAN et plusieurs PE, et pour la dissocia-
tion structurelle tertiaire il y a plusieurs PAN et plusieurs PE. Cette subdivision
permet une classification utile des diagnostics et donne des indications pour
la thérapie. Ainsi, la dissociation structurelle primaire de la personnalité est
couverte par le TSPT. La dissociation structurelle secondaire de la personnalité
couvre principalement le TSPT complexe, les troubles de personnalité borderline
liés à des traumatismes, le TDI partiel et certains TDI (selon la CIM-11, OMS,
2019), et la dissociation structurelle tertiaire de la personnalité se trouve dans
le TDI.
N

La symptomatologie des parties dissociatives


et leur dynamique

Ce que ces trois catégories ont en commun, c’est la non-intégration des contenus
traumatiques avec leurs symptômes positifs et négatifs, qui s’expriment tant sur
le plan psychoforme que somatoforme (Nijenhuis, 2004) et que Janet (1889)
soulignait déjà. Les symptômes positifs sont des symptômes de « trop », c’est-à-
dire des symptômes psychoformes et somatoformes qui sont présents alors qu’ils
ne devraient pas l’être, comme certaines douleurs, les attaques de panique, les
cauchemars, les troubles de conversion, les voix, etc. Les symptômes négatifs
sont des symptômes de « pas assez » et sont des éléments qui devraient être
présents mais qui manquent, comme certains souvenirs, des sensations corpo-
relles, des sensations de douleur, des émotions, la conscience de la réalité et la
conscience de soi dans son ensemble, etc. En principe, on peut dire que la PAN
a tendance à souffrir de symptômes négatifs et que la PE a tendance à souffrir

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EMDR et TDI à la lumière de la TDSP 141

de symptômes positifs. La PAN tente de se protéger des symptômes positifs en


se détachant (souvenirs, sensations, émotions, sentiments inaccessibles), mais
elle n’y parvient que partiellement. Ces PAN et PE développent ainsi leur propre
dynamique qui leur permet de vivre dans la réclusion et l’ignorance réciproque
qui en résulte.
N

Aspects psychologiques de la dissociation de la personnalité

Il convient de noter ici encore que le fractionnement de la personnalité en parties


permet de survivre dans un environnement très hostile. La « dissimulation » de
l’insupportable permet à l’enfant de supporter son environnement insoutenable.
S’il ne le pouvait pas, il deviendrait probablement psychotique ou suicidaire.
Parce que supporter l’insupportable est chose impossible.
Si cette dissociation n’était qu’une manière positive de traiter les contenus trau-
matiques, il n’y aurait rien à changer. À court et moyen terme, cette dissociation
est certainement la solution idéale lorsque l’enfant a encore de faibles capaci-
tés d’intégration. Mais généralement il arrive que les personnes traumatisées
souffrent beaucoup de leurs symptômes à long terme et cherchent de l’aide
pour s’en débarrasser. Cela se produit dans la demande officielle de thérapie
qui est fréquente : « S’il vous plaît, éloignez ces choses (symptômes) de moi.
Je veux m’en débarrasser », ce qui est en fait un mandat donné par la PAN au
thérapeute pour qu’il enlève la ou les PE et les fasse disparaître. En effet, ces
PE sont vécues comme egodystoniques et la personne concernée pense qu’une
fois qu’elle se sera débarrassée de ces symptômes (exprimés par la ou les PE),
elle se sentira mieux ou même enfin bien. Les cliniciens essaient souvent de
procéder par symptômes. Par exemple, la patiente apprend des techniques pour
éviter les images et les symptômes, ce qui correspond en fait à un évitement
de la PE. Cela a du sens si cela aide la personne à réduire ses symptômes entre
les séances et à être capable de fonctionner dans une certaine mesure dans son
quotidien. Cependant, comme c’est souvent le cas en l’absence de connaissances
des cliniciens sur les troubles dissociatifs, le travail thérapeutique se limite à
cela et ne tente pas de travailler sur la fonction psychologique sous-jacente
associée à la symptomatologie. Or, selon la TDSP, c’est précisément l’objectif
principal du traitement : intégrer la ou les PE dans la ou les PAN. C’est souvent à
contresens du mandat de la PAN au thérapeute, mais c’est généralement la seule
voie de guérison.

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142 P RISE EN COMPTE ET ÉVALUATION DU TDI


N

Piliers thérapeutiques de la TDSP

En raison de la forte phobie de la PAN à l’égard de la ou des PE, le rapprochement


des PE par la PAN n’est pas facile et nécessite une préparation et une stabilisa-
tion intensives ainsi qu’une approche et un traitement lents et progressifs des
symptômes dissociatifs, sans quoi l’approche thérapeutique est vouée à l’échec,
car elle est contraire à l’idée de base : l’intégration des souvenirs. La TDSP
recommande une approche étape par étape selon les trois phases de la thérapie
orientée par phases des séquelles de traumatismes (van der Hart et al., 2006)
qui sont :
1. Phase de stabilisation avec une réduction initiale de certains symptômes et
l’activation des ressources ;
2. Phase de traitement du traumatisme avec une recherche et un travail en
douceur sur les souvenirs ;
3. L’intégration des expériences dans une nouvelle vie, qui est encouragée avec
et par le travail de deuil.
Le travail à travers ces phases n’est pas facile dans le cas de séquelles complexes
de traumatismes, c’est-à-dire dans les troubles dissociatifs, et ne se déroule
pas de manière linéaire, mais plutôt dans un va-et-vient entre la stabilisation,
le traitement d’éléments du traumatisme et le travail de deuil, jusqu’à ce que
l’intégration dans une nouvelle vie soit réalisée. De nombreux obstacles doivent
être franchis, comme la résolution des phobies inhérentes au système. Dans ce
qui suit, nous nous pencherons spécifiquement sur le traitement des TDI et TDIp
qui se caractérisent par le fait qu’une PAN (pour le TDIp) ou plusieurs PAN (pour
le TDI) n’ont pas de souvenirs ou seulement des fragments de souvenirs, qu’elles
essaient phobiquement d’éviter.
N

Selon la théorie de la dissociation structurelle


de la personnalité, qu’est-ce qui doit être spécifiquement
pris en compte pour le traitement du TDI partiel et du TDI ?

Si la santé mentale est l’intégration, et si la dissociation correspond à la souf-


france mentale, il s’agit d’intégrer des parties séparées de la personnalité en une
entité entière. Pour y parvenir, les deux étapes suivantes sont nécessaires (van
der Hart et al., 2006) :
1. Surmonter les phobies des parties entre elles ;

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EMDR et TDI à la lumière de la TDSP 143

2. Connaître la structure dissociative et les parties dissociatives et promouvoir


la communication et la coopération entre celles-ci.
Ces deux étapes sont donc une condition préalable à l’intégration de l’ensemble
du système. Cependant, en fonction de l’intensité de la dissociation, elles sont
plus difficiles et plus longues à réaliser. Dans ce qui suit, nous examinons
l’application de ces étapes spécifiquement pour les TDI et TDIp, c’est-à-dire pour
les troubles dissociatifs complexes.

Étape 1 : dépasser la phobie des parties entre elles

Janet (1889) a déjà remarqué que les parties de la personnalité présentent de


fortes phobies les unes des autres et des phobies des contenus traumatiques. En
raison de la phobie des PAN pour les PE, et de la barrière dissociative (amnésie
dissociative), les parties de la personnalité se connaissent généralement mal
ou pas du tout. La PAN a une conscience relative de ces PE en raison de leurs
intrusions et des symptômes qui y sont associés, mais comme décrit ci-dessus,
elle ne veut généralement rien avoir à faire avec elles et montre une peur de ce
qui pourrait apparaître. Cela se manifeste souvent déjà par la difficulté qu’ont
ces patients à entamer une thérapie. Ou alors, le patient a déjà suivi plusieurs
thérapies, a été traitée avec gentillesse et soutien, mais le résultat est que la
thérapie n’a pas apporté de soulagement des symptômes.
Parfois, le simple fait de penser aux parties internes est anxiogène, alors que la
PAN a besoin de comprendre que ses symptômes proviennent des parties inté-
rieures. Les patients TDI n’ont généralement pas de problèmes pour reconnaître
ces parties internes. Au contraire, ils ont souvent déjà nommé les parties et
savent qu’elles existent. Les patients atteints de TDIp, en revanche, n’ont souvent
pas perçu consciemment leurs parties intérieures en tant que telles, mais plutôt
comme des voix ou des symptômes dérangeants et ne veulent rien avoir à faire
avec elles. L’introduction suivante (Nijenhuis, communication personnelle) peut
aider la patiente à prendre le risque de rencontrer et d’essayer de comprendre
ces parties intérieures :

Thérapeute : Je peux vous demander quelque chose ?


Client : Oui, s’il vous plaît... !
Thérapeute : Est-ce que vous rêvez parfois ?
Client : Oui !
Thérapeute : Puis-je vous poser une question un peu étrange alors ?
Client : Oui...

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144 P RISE EN COMPTE ET ÉVALUATION DU TDI

Thérapeute : Qui fait vos rêves ?


Client : ... Moi... ??
Thérapeute : Cela signifie que vous décidez de ce que vous voulez rêver ?
Client : Non, bien sûr que non, ça arrive comme ça...
Thérapeute : Vous voulez dire qu’il y a quelque chose en vous dont vous n’êtes pas
vraiment conscient mais qui fait vos rêves ?
Client : Oui, je pense...
Thérapeute : Eh bien, exactement cette entité en vous qui fait parfois des choses en
vous, par exemple des rêves, mais peut-être aussi d’autres choses que vous m’avez
décrites, que vous faites mais que vous ne voulez pas vraiment faire, exactement avec
cette « chose » j’aimerais entrer en contact... êtes-vous d’accord avec cela ?
Client : ... Ça me semble un peu étrange... me fait un peu peur, mais si vous pensez... ?
Thérapeute : Oui, je peux comprendre. Vous savez, vous pouvez m’arrêter à tout moment
si ça devient trop pour vous ou si autre chose ne vous convient pas. Il suffit que vous me
fassiez un signe d’arrêt, comme ceci (signe de la main). Vous pensez que c’est bon ?
Client : ... Oui.
Thérapeute : Vous n’avez pas à faire quoi que ce soit ici que vous ne voulez pas faire.
Vous êtes libre de décider si vous le voulez ou non. Vous pouvez aussi toujours y penser
et me le dire plus tard.
Client : Non, c’est bon.

Afin de surmonter ses phobies des parties intérieures, il est important pour la
PAN de faire l’expérience de la thérapeute comme modèle et de voir comment la
thérapeute montre de l’intérêt et de l’appréciation pour les parties. Cela nécessite
une discussion préalable sur la volonté de changer. La PAN doit être prête à
cesser d’éviter, pour avancer doucement vers la compréhension de ce qui se passe.
Cela commence donc par un travail visant à surmonter la phobie des parties
présentes. La thérapeute est ouverte à toutes les parties et ne traite aucune
d’entre elles de manière préférentielle, pas même la PAN. Elle montre de l’intérêt
pour toutes les parties par une attitude appréciative et un désir de comprendre
chacune d’elles tout comme sa fonction. L’attitude thérapeutique de base peut
être résumée par l’affirmation suivante : « Chaque partie est importante et a une
tâche particulière dans l’ensemble du système, même si cette tâche n’est pas tou-
jours compréhensible à première vue », « Voulons-nous essayer de comprendre
ce qui se passe ? », « Voulez-vous explorer avec moi les raisons pour lesquelles
les choses sont telles qu’elles sont, afin de comprendre et éventuellement trouver
une solution encore meilleure au problème, une solution sans aspects négatifs
et acceptable pour toutes les parties ? » Bien sûr, cette déclaration ne peut pas
être dite et comprise en une seule phrase, elle nécessite plutôt beaucoup de tact

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EMDR et TDI à la lumière de la TDSP 145

et une approche lente et prudente avec des répétitions afin que la PAN se sente
respectée et que les PE puissent lentement établir une confiance et soient prêtes
à s’ouvrir à un étranger. Ce but atteint, les PE présentes peuvent simplement
être invitées à s’avancer et à oser entrer en contact avec la thérapeute. Il se
pourrait que des PE agressives perturbent cette étape. Dans ce cas, il faudrait
plus de temps de préparation pour que les agissements agressifs soient mis en
lumière comme une volonté de protection d’un danger éventuel appréhendé.
L’une ou l’autre des parties qui se lance, ce qui est presque toujours le cas,
est généralement très intéressée à communiquer sa vision de la vie intérieure,
typiquement les parties agressives qui s’expliquent volontiers, parfois de façon
agressive et dénigrante. Cette vision intérieure d’une partie peut trouver des
réponses à l’aide des questions de base : « Qui fait quoi, pourquoi et comment ? »
À ce stade, il s’agit de développer un intérêt et une prise de conscience attentive
des parties entre elles. Lorsque cette démarche est initiée par la thérapeute, les
autres parties écoutent généralement, au moins partiellement, et peuvent ainsi
gagner lentement en confiance. Ce travail est long et fastidieux. Cependant, ce
travail est important et constitue un préalable à la poursuite de la thérapie,
notamment pour pouvoir un jour pratiquer de l’EMDR sur des contenus trauma-
tiques avec différentes parties (PAN et/ou PE). Voici une brève étude de cas d’un
patient souffrant de TDI partiel qui souhaite démarrer une thérapie mais qui a
une forte peur des parties intérieures :

Patient : J’ai réfléchi et j’ai découvert que PE-C a très peur de ne pas être aimé, même
par vous, parce qu’il fait des choses qui font de lui une mauvaise entité. Et PE-F se
comporte comme un enfant en feu. Mais nous (PAN et PE-C) ne voulons rien avoir à
faire avec lui. Il nous fait peur. C’est pourquoi il est au fond d’un puits profond.
Thérapeute : Un enfant en feu... voulez-vous m’en dire plus ?
Patient : Il (PE-F) veut venir chez nous, mais PE-C ne veut absolument pas de lui et j’ai
peur de lui. Je suis conscient que l’enfant (PE-F) a vécu toutes les mauvaises choses et a
besoin de notre protection, mais je ne peux pas le faire. Je ne peux pas faire ça...
Thérapeute : Et PE-C non plus ?
Patient : Non, PE-C ne veut pas. Même si ça le rend pire.
Thérapeute : Hum... je vois... imaginez ce qui se passe quand une maison est en feu et
que tout le monde s’enfuit... ?
Patient : Oui, la maison brûle.
Thérapeute : Et qu’arrive-t-il à l’enfant ?
Patient : Oui, ça brûle aussi...
Thérapeute : C’est censé être ainsi ?
Patient : Non, mais je ne sais pas quoi faire. J’ai peur.

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146 P RISE EN COMPTE ET ÉVALUATION DU TDI

Thérapeute : Est-ce qu’il est là en ce moment, dans le puits ?


Patient : Oui, je peux descendre et lui parler. J’ai moins peur ainsi.
Thérapeute : Ok, voulez-vous faire ça maintenant ?
Patient : Oui, je vais essayer...
Thérapeute : ... Comment ça se passe ?
Patient : Il est de plus en plus calme.
Thérapeute : Hum... ça lui fait du bien que vous, [PAN], lui parliez ?
Patient : Oui... un peu.
Thérapeute : Est-ce que PE-C voudrait essayer aussi ?
Patient : Non, ça le met en colère !
Thérapeute : Je vois... il doit avoir une bonne raison pour cela, voudrait-il la partager ?
Patient : PE-F est faible !
Thérapeute : Oui... et ça le met en colère ?
Patient : Oui !
Thérapeute : Est-ce qu’il veut que ça reste comme ça ? Ça doit rester ainsi ?
Patient : Non, pas vraiment...
Thérapeute : Est-ce que PE-C peut et veut regarder dans le puits et regarder PE-F si PE-F
le veut ?
Patient : Pas aujourd’hui... !
Thérapeute : Vous n’êtes obligé à rien, mais vous pouvez y penser jusqu’à la prochaine
fois.
La fois suivante, PE-F et PE-C étaient prêts à jeter un coup d’œil. Cela a permis de
réduire la phobie. Un travail beaucoup plus poussé avec les trois parties a lentement fait
disparaître la phobie.

On observe donc généralement une forte phobie des parties internes et un fort
évitement de celles-ci, qui sont renforcées par des intrusions de ces parties
dissociatives et qui, dans le cas du TDI, sont également couplées à de fortes
amnésies. La conséquence de ces phobies : les parties ne se connaissent pas ou
à peine et ne coopèrent pas. C’est pour cela que, selon la TDSP, il est important
de développer ensuite connaissance, communication et coopération.

Étape 2 : Promouvoir la communication et la coopération

Lorsque les parties individuelles sont entrées en contact avec le thérapeute (et
entre elles), et ont ainsi une meilleure connaissance de leur système interne,
cela conduit à une réduction des phobies des parties et de la PAN (et des parties
entre elles). De cette façon, la deuxième étape, le contact entre les parties, la

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EMDR et TDI à la lumière de la TDSP 147

communication et la coopération sont favorisés. Pour cela, on peut utiliser la


table dissociative (Fraser, 2003) ou créer un espace sécure où les parties peuvent
se rencontrer. Dans cet espace, il y a une place pour chaque partie, même si
certaines parties ne veulent pas (encore) se montrer. Les parties enfants blessées
(PE-F) restent souvent cachées pendant longtemps par crainte de subir encore
des violences. D’autre part, ces parties ont également besoin de relations et de
contacts car elles sont très seules et se sentent négligées. La thérapeute veille à
verbaliser toutes ces préoccupations et aide à développer un climat de confiance,
ce qui favorise également la confiance en la thérapeute.
Une fois encore, il est important de noter que la promotion de la communication
et de la coopération entre les parties permet d’accroître la compréhension et
l’acceptation entre elles. L’apprentissage sur le modèle de la thérapeute, qui,
elle, ne craint pas les parties, aide ici les parties dissociatives à surmonter les
phobies et à favoriser la communication.
Dans le TDIp comme dans le TDI, les parties dominantes et agressives (PE-C)
peuvent rendre la tâche difficile. Néanmoins, ces parties sont généralement
prêtes à coopérer si elles sont traitées avec respect et intérêt.

A PPLICATION DE LA THÉRAPIE EMDR DANS LE TDI


PARTIEL ET LE TDI

Les deux étapes décrites ci-dessus nécessitent plus de temps et de persévérance


en fonction de la taille du système (nombre de parties). Elles sont en fait un
travail thérapeutique important de la phase 1 (stabilisation et activation des
ressources) du traitement par phases des traumatismes afin de pouvoir passer
à la phase 2 (traitement des souvenirs traumatiques) par la suite. Revenons
maintenant à la thérapie EMDR pour la prise en charge des personnes présentant
un TDIp ou un TDI. La thérapie EMDR est appliquée pour intégrer les souvenirs
dissociés.
L’EMDR est une thérapie en 8 phases. Dans la phase 1 (anamnèse, diagnostic
et planification du traitement) de la thérapie EMDR, le clinicien recherche des
souvenirs à retraiter, donc des souvenirs difficiles. Si le clinicien n’a pas tenu
compte des phobies dissociatives, la conséquence en est que les souvenirs du
traumatisme (portés par les PE) qui demanderaient à être retraités ne seront pas
accessibles à la mémoire. Les PAN en savent donc trop peu ou ne veulent/peuvent
pas savoir.

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148 P RISE EN COMPTE ET ÉVALUATION DU TDI

Les cliniciens travaillant la phase de stabilisation (phase 2 de la thérapie EMDR)


veilleront à stabiliser le système en entier et à ne pas stabiliser uniquement
les PAN. Cela nécessite donc un travail avec l’ensemble du système, donc avec
toutes les parties dans cette phase-là, raison pour laquelle il faut développer
leur connaissance mutuelle.
Ayant atteint ce but, et si ces parties s’acceptent et ont décidé de coopérer, en
montrant chacune une tolérance à l’affect suffisante et une capacité d’autoré-
gulation des émotions et des manifestations sensorielles, le thérapeute EMDR
avancé pourra alors réaliser des séances d’EMDR en phase 2 (selon Janet) avec
l’ensemble du système, ou éventuellement avec une partie du système en mettant
en lieu sécure certaines parties particulièrement fragiles.
Si ce retraitement avec la thérapie EMDR a été initié trop tôt, l’apparition des
contenus de souvenirs peut être si douloureuse que cela dépasse la capacité
d’intégration de la ou des PAN et entraîne des symptômes dissociatifs pendant
le retraitement et, dans le pire des cas, une décompensation de la patiente.
Une complication supplémentaire est à noter : souvent dans la phase de sta-
bilisation et lors du travail visant à surmonter les phobies et à promouvoir la
communication et la coopération, une PE avec du matériel traumatique peut se
mettre en avant et déstabiliser l’ensemble du système (toutes les parties, mais en
particulier la PAN). En fait, toute la symptomatologie que ressent la ou les PAN
est le signe de différentes PE qui se manifestent. Il peut être utile d’utiliser des
méthodes basées sur l’EMDR à ce stade, comme l’EMD (traitement focalisé étroit
du traumatisme) qui va retraiter certains aspects traumatiques seulement comme
les images ou les sensations corporelles, ou l’EMDRr (traitement focalisé élargi
du traumatisme, Shapiro, 2019) qui vise à rester uniquement sur l’événement
choisi à retraiter et qui demande de couper toutes les associations qui vont sortir
de cette cible choisie. Ou alors, on peut appliquer l’EMDR selon le protocole
standard (Shapiro, 2018) qui permet des associations plus larges, lorsqu’une
intrusion de souvenirs traumatiques de certaines parties se produit. Si le théra-
peute EMDR expérimenté ayant une bonne connaissance de la symptomatologie
dissociative et du système prend la décision clinique d’utiliser l’EMD, l’EMDr ou
l’EMDR (EMD/r/R), les questions suivantes doivent être posées et les précautions
nécessaires prises :
 Quelle partie possède des souvenirs et peut bénéficier de l’EMD/r/R ?
 Cette partie a-t-elle la tolérance à l’affect nécessaire ?
 Quelle est la partie qui ne peut pas (encore) tolérer l’EMD/r/R (tolérance de
l’affect trop faible) et qui doit donc être placée dans un lieu sûr ?

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EMDR et TDI à la lumière de la TDSP 149

 Quelles parties bénéficient d’être présentes lorsque l’EMD/r/R est appliqué


avec une partie ? Sont-elles préparées à cela ?
 Les parties sont-elles prêtes à être présentes et à ne pas perturber le
processus ?
 Quel est le protocole à utiliser ? (EMD, Shapiro, 2018 ; EMDr, Shapiro 2019 ;
Protocole standard EMDR, Shapiro 2018 ; Tip-of-the-Finger-Strategy, Gonzalez
& Mosquera, 2012, etc.)
Dans la phase de traitement des contenus liés au traumatisme (phase 2 dans
le modèle orienté phase) et après un travail approfondi sur les deux étapes
mentionnées ci-dessus, l’EMDR et ses protocoles peuvent être appliqués à l’en-
semble du système, car Janet (1889) décrivait déjà la thérapie de la dissociation
comme consistant à aider le patient à développer une meilleure stratégie pour
gérer sa vie quotidienne et à réaliser l’intégration (« liquidation ») de ce qui a
été vécu. C’est ce que cible précisément l’EMDR. Lors de l’utilisation de l’EMDR
avec ce groupe de patients (TDIp et TDI), il est toujours important de s’assurer
que toutes les différentes parties de la personnalité sont présentes. Toutes les
parties sont invitées à s’exprimer quand elles sont prêtes. L’EMDR aidera la ou
les PAN à se connecter aux souvenirs et à les intégrer. L’intégration signifie à la
fois synthèse, et réalisation avec personnification et présentification (van der
Hart et al., 2006/10).

P OINTS CLÉS POUR LA THÉRAPIE EMDR AVEC LE TDI


PARTIEL ET LE TDI À LA LUMIÈRE DE LA TDSP

 En phase initiale de la thérapie, une attention particulière doit être accordée


au fait de ne pas procéder à une anamnèse trop précoce et irréfléchie (phase 1
de la thérapie EMDR). La phase initiale de la thérapie EMDR doit se limiter
à un diagnostic et à une anamnèse prudente et douce, qui s’accompagne de
techniques de stabilisation de soutien (phase 1 et 2 de la thérapie EMDR).
 Les troubles dissociatifs sont également appelés « l’art de cacher » (Nijenhuis,
communication personnelle). L’objectif de « cacher » le contenu du trauma-
tisme est de permettre le fonctionnement dans la vie quotidienne. Cela ne
doit jamais être perdu de vue, même si nous savons d’après la TDSP que
l’objectif est d’intégrer ces contenus. Il ne faut donc pas s’y attaquer dès le
début. La première étape du thérapeute EMDR sera de s’éloigner du contenu
du traumatisme et de s’attaquer aux phobies.

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150 P RISE EN COMPTE ET ÉVALUATION DU TDI

 La première étape pour surmonter les phobies est d’apprendre à connaître et


à comprendre les différentes parties de la personne. Cela signifie également
qu’il est important de vérifier soigneusement si la personne sait ou soupçonne
la présence de différentes parties internes ou si elle peut au moins l’imaginer
comme une hypothèse de travail. Il est donc conseillé de délicatement initier
l’exploration du système interne de la personne.
 La psychopédagogie doit également souligner que chaque partie a sa fonction
spécifique et son « droit à l’existence ». Toutefois, il convient de faire remar-
quer au patient en tant que PAN qu’il n’est plus nécessaire de se diviser en
différentes parties, puisque l’environnement n’est plus hostile, comme c’était
le cas lorsqu’il était enfant.
 Il est également important de faire comprendre que la personne adulte peut
maintenant se réorienter. Cela se produit également dans la thérapie EMDR
par l’activation de ressources telles que l’exercice du « lieu sûr » et d’autres
exercices similaires qui ouvrent de nouvelles perspectives génériques. Il s’agit
donc plutôt d’attirer l’attention sur les différentes conditions de chaque partie,
de manière douce mais persistante, et de favoriser leur perception par des
exercices corporels.
 Étant donné que les différentes parties ont tendance à ne pas s’apprécier,
à vouloir s’exclure ou à préférer se débarrasser les unes des autres, il est
conseillé de susciter la compréhension entre les parties. En tant que théra-
peute, nous avons une tâche très importante : nous montrons une acceptation
générale envers toutes les parties et les accueillons toutes. Aucune partie
n’est favorisée ou négligée par la thérapeute. C’est pourquoi il est important
d’utiliser le « multispeak » (parler à toutes les parties) dès le début. En tant
que thérapeutes, nous avons à souligner de manière répétée la logique interne
et la nécessité de toutes les parties : « Ce n’est que parce que des parties ont
été détachées que la survie au sens propre a été possible. » Le thérapeute
EMDR doit toujours garder cela à l’esprit et le communiquer.
 Néanmoins, il s’agit d’une étape difficile : lorsque nous, en tant que théra-
peutes, commençons à nous intéresser aux différentes parties, nous pouvons
souvent observer que les parties commencent à s’émanciper et donc à émer-
ger plus souvent, ce qui entraîne une intensification des intrusions et donc
souvent une aggravation de l’état psychologique de notre patient. Il est
donc recommandé de s’y préparer soigneusement et, si nécessaire, de passer
des accords avec les parties intérieures, par exemple qu’elles pourront parta-
ger leurs préoccupations avant tout lors des séances de thérapie, que cela

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EMDR et TDI à la lumière de la TDSP 151

prendra un peu de temps, mais qu’il sera primordial de garantir à la PAN un


fonctionnement au quotidien.
 À ce stade de la thérapie, le clinicien téméraire souhaite souvent déjà faire de
l’EMDR, car les contenus traumatiques sont souvent mis en avant par les PE.
Toutefois, pour que ce contenu soit intégré par la personne dans son ensemble,
une préparation plus poussée est nécessaire. Concrètement, cela signifie que
le clinicien doit avoir une connaissance du système et que les différentes
parties avec leurs fonctions spécifiques acceptent une thérapie, même si elles
ne coopèrent pas (encore) nécessairement. Néanmoins, il est possible pour le
thérapeute EMDR expérimenté de pratiquer l’EMD, l’EMDr ou même l’EMDR à
ce stade précoce. Cela est possible si le thérapeute et le patient connaissent
le système, et ainsi la ou les parties qui veulent et peuvent participer à une
session EMD/r/R, qui sont alors invitées à le faire. Les parties qui ne veulent
pas ou ne peuvent pas (encore) le faire sont protégées (par exemple, dans un
lieu sûr).
 Il est donc essentiel de promouvoir la communication, la coopération et
la coordination par des actions thérapeutiques spécifiques afin de préparer
l’EMDR et d’obtenir l’engagement et la coopération de toutes les parties. Ce
n’est qu’à ce moment-là que l’on peut appliquer avec succès l’EMD/r/R.

R ÉSUMÉ
Le traitement des patients TDI peut bénéficier de la théorie et des données cliniques de
la TDSP et de la thérapie EMDR. Plus le système d’un patient est complexe, plus l’EMDR
doit être préparé et appliqué avec soin. Certaines étapes préparatoires (surmonter les
phobies et apprendre à connaître le système interne) sont une condition pour pouvoir
mener à bien ce projet. L’expérience et une approche douce et respectueuse de la part
du thérapeute seront des facteurs de réussite de la thérapie avec ces personnes très
éprouvées.

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PARTIE III

Prises en charge du TDI

Chap. 10 Spécificités de l’accompagnement thérapeutique


des patients présentant une dissociation tertiaire . . . . . . . . . . . . 155
Chap. 11 Trouble dissociatif de l’identité et psychoéducation . . . . . . . . . . 173
Chap. 12 Utilisation de la thérapie EMDR avec le trouble dissociatif
de l’identité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 191
Chap. 13 Psychotraumatologie et clinique transculturelle :
conceptualisation d’un trouble dissociatif de l’identité
à forme de possession . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 209

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Chapitre 10

Spécificités de l’accompagnement
thérapeutique des patients
présentant une dissociation tertiaire

Helene Dellucci, PhD1

E XPOSÉ DU CHAPITRE
Ce chapitre sur les spécificités de l’accompagnement thérapeutique des patients pré-
sentant une dissociation tertiaire retrace les étapes de la prise en charge et des défis
la jalonnant. Il propose des pistes cliniques concrètes ayant pour objectif d’aider le
clinicien à diversifier ses actions thérapeutiques en fonction des besoins du patient et
de son système intérieur. La relation thérapeutique nécessite l’activation du système de
coopération, tant chez le thérapeute que chez le patient. Les difficultés relationnelles
dues aux vulnérabilités d’attachement méritent une attention particulière, nous les
aborderons également.

1. Psychologue PhD, psychothérapeute, formatrice EMDR Europe, chargée de cours à l’université


de Lorraine.

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156 P RISES EN CHARGE DU TDI

I NTRODUCTION

La théorie de la dissociation structurelle de la personnalité1 (TDSP – van der Hart


et al., 2006) définit la dissociation tertiaire comme un manque d’intégration de
systèmes psychobiologiques contenant des sensations, des affects, des pensées,
des comportements, des comportements sociaux et des fonctions, impliquant
une vision différente de soi, du monde et de soi-dans-le-monde. Ces différents
systèmes constituant la personnalité se divisent entre systèmes appelés « appa-
remment normaux », censés gérer la vie quotidienne, et des systèmes ou parties
de la personnalité appelés « émotionnels », portant en général des expériences
traumatiques importantes, nombreuses et répétées. Lorsque la dissociation est
devenue tertiaire, en réaction à l’étendue traumatique, le système présente
plus d’une partie apparemment normale (PAN), le plus souvent adultes, et un
nombre important de parties émotionnelles (PE), qui présentent la caractéris-
tique d’être restées coincées au temps du trauma, avec une perception et des
réactions propres à l’époque où la traumatisation qu’elles portent a eu lieu ou a
commencé.
La vie quotidienne est gérée par différents réseaux de mémoire, qui ne com-
muniquent pas entre eux, ce qui explique l’amnésie dans la vie quotidienne, à
laquelle les patients souffrant d’un trouble dissociatif de l’identité (TDI) sont
confrontés. Les intrusions des PE sont en général plus fréquentes chez les
patients TDI que chez ceux ayant développé une dissociation secondaire, c’est-
à-dire avec une PAN et plusieurs PE.
La recherche montre (Reinders et al., 2014) qu’un TDI ne se distingue d’autres
troubles post-traumatiques que par le nombre et la gravité des traumatismes, leur
début précoce dans la vie, impliquant le plus souvent des figures d’attachement
et le caractère répétitif de la traumatisation. Michaela Huber (2010) précise que
les conditions pour développer un TDI, donc une dissociation tertiaire, sont des
expériences répétées de mort imminente, avant l’âge de 5 ans, et sans aucun
adulte sur qui s’appuyer. Cela implique que nous avons affaire à des survivants
au vrai sens du terme, qui portent autant de séquelles post-traumatiques que
de carences et de lacunes de développement, inscrivant ces suivis dans une
démarche longue de plusieurs années.

1. Pour plus de précisions sur la TDSP, veuillez consulter le chapitre 9 d’Eva Zimmermann.

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Spécificités de l’accompagnement thérapeutique des patients présentant... 157

F AIRE
CONNAISSANCE , ÉTABLIR UNE RELATION
THÉRAPEUTIQUE , LE PREMIER DÉFI

Les patients avec une dissociation tertiaire viennent en thérapie par différents
biais : certains arrivent pour une raison aiguë, ne sachant rien de la dissociation,
et c’est au décours de la première déstabilisation qu’émergent des symptômes
dissociatifs. D’autres patients ont déjà derrière eux un parcours du combattant
d’échecs thérapeutiques, et sont à la recherche d’un thérapeute qui pourra enfin
répondre à leurs attentes autant explicites qu’implicites.
Selon Giovanni Liotti (2004), tous les patients présentant un trouble dissociatif,
quels qu’ils soient, souffrent d’un attachement désorganisé qui se montre sous
forme de deux mouvements en conflit : l’un complètement phobique de toute
forme d’attachement ou de lien, l’autre avec un besoin désespéré d’être en lien,
avec une panique de perte du lien avec des personnes importantes.
La demande d’aide active le système d’attachement et par ce biais les blessures
de celui-ci. En général, chez les personnes ayant un système d’attachement aussi
blessé, celui-ci fait partie des mouvements internes, donc des PE. La ou les PAN
ont recours à d’autres systèmes d’action pour être en lien : le système de rang
social, ou le système de prendre soin (Solomon & George, 2011).
C’est ainsi que Sandrine est arrivée en thérapie, suite au décès d’un tout-petit
dans le cadre de son travail. En début de thérapie, Sandrine ne montre aucun
signe de dissociation. Elle fait un travail sur dix séances comprenant la stabili-
sation, la désensibilisation de l’événement, une élaboration autour de la prise
en charge des tout-petits et de la suite des événements. D’un commun accord la
thérapeute et elle mettent fin au suivi, Sandrine n’ayant pas d’autre demande.
Quelques semaines après l’arrêt des séances, Sandrine recontacte la thérapeute.
Elle est en arrêt maladie pour dépression. Lorsque la thérapeute reçoit la patiente,
elle a l’impression de se retrouver devant quelqu’un qu’elle ne reconnaît pas : une
personne ne pouvant pas parler à haute voix, ni soutenir le regard, bougeant de
manière hésitante, avec des mouvements comme si elle tombait. Sandrine rase
les murs, parle par bribes... Elle ne ressemble plus du tout à la personne posée,
réfléchie que la thérapeute avait rencontrée lors des dix premières séances.
Même si le thérapeute peut être surpris et décontenancé par cette différence,
il est important qu’il retrouve sa contenance en hiérarchisant son intervention.
Avec un patient qui a des difficultés à parler, nous ne posons pas de questions,
nous commençons par faire des exercices d’ancrage et d’orientation. Il s’agit
d’exercices impliquant le corps du patient, que le thérapeute fait en miroir, et

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158 P RISES EN CHARGE DU TDI

qui sont destinés à apporter un apaisement neurovégétatif avant tout. Une fois
que le corps est apaisé, le rôle du thérapeute sera de comprendre les symptômes
dissociatifs, ramener la part adulte dans le lieu thérapeutique pour explorer s’il
y a eu de nouveaux événements négatifs, bref, permettre au patient de s’apaiser,
tout en activant son système de coopération.
Dans le cas de Sandrine, nous faisons l’hypothèse que l’arrêt des séances avec
une thérapeute avec laquelle elle s’entendait bien, a activé le système d’at-
tachement de la patiente, provoquant une déstabilisation majeure, suscitant
de nombreux symptômes dissociatifs. Liotti (2012) soutient que la meilleure
attitude pour travailler avec les patients souffrant de trauma complexes et de
troubles dissociatifs est une relation de coopération côte à côte. Activer ainsi le
système de coopération permet de ne pas susciter les blessures d’attachement,
ce qui amènerait une déstabilisation iatrogène. En cherchant avec Sandrine quel
exercice était le plus efficace pour apaiser son corps, en la réorientant dans
le présent, la thérapeute a pu explorer ce qui s’était passé depuis la dernière
séance, et avancer par petits objectifs d’une séance à l’autre.
En termes d’anamnèse, nous apprenons l’importance de recueillir une histoire
détaillée de nos patients. Cependant, d’une part les zones d’amnésie, des sen-
timents de honte, rendent difficile et lacunaire cette étape nécessaire. D’autre
part, poser des questions sur les relations d’attachement lorsque celles-ci sont
blessées mène à une désorganisation cérébrale chez les patients présentant un
attachement désorganisé (Farina et al., 2013). Notre stratégie va être de récolter
toutes les informations que le patient peut nous confier au fil du temps, et
de les organiser dans un tout cohérent. Chez les patients TDI il n’est pas rare
que les parties émotionnelles émergentes apportent des bouts d’histoire que
les parties adultes ignorent. Dès que nous décelons des symptômes dissociatifs,
notamment ceux que l’on trouve chez les patients TDI, nous savons que ces
symptômes racontent une histoire traumatique faite de traumatismes précoces
répétés, ayant commencé à un âge préverbal, des négligences graves et étendues
dans le temps, de multiples traumatismes psychologiques, avec des mécanismes
d’autodénigrement qui se chronicisent, une traumatisation émotionnelle conti-
nue, des traumatismes physiques et sexuels répétés. Cette histoire traumatique
est posée comme une hypothèse par le thérapeute, que les contenus des patients,
lorsqu’ils pourront les partager, viendront confirmer ou infirmer. Les patients
traumatisés complexes en général et les patients avec des troubles dissociatifs
en particulier, ont appris à envisager le futur en s’attendant à ce que les traumas
continuent ou se reproduisent. Cette prédiction rend les patients dissociatifs
particulièrement sensibles et vulnérables face à la relation thérapeutique, dans

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Spécificités de l’accompagnement thérapeutique des patients présentant... 159

laquelle la plus petite incohérence agit comme un déclencheur. Parfois un mot,


un geste, peut provoquer un réflexe de fuite ou de lutte, ce qui nécessitera
autant de mesures pour apaiser le corps et réparer le lien bousculé.

LASTABILISATION DE LA VIE QUOTIDIENNE ,


UNE VASTE AFFAIRE

Pierre Janet a été le premier à proposer une structure de traitement en trois


temps en psychotraumatologie, sous la forme d’une première phase de stabi-
lisation, puis celle consistant à travailler directement sur les traumatismes,
pour finir par une phase d’intégration et d’accompagnement au changement.
Ce tryptique reste d’actualité encore aujourd’hui avec un consensus unanime
pour proposer un travail thérapeutique par phases, multimodal et orienté sur
les habiletés et compétences de la personne. L’enjeu de la stabilisation chez
les patients TDI est l’accès à la vie quotidienne et la stabilisation de celle-ci
(Boon et al., 2011). En raison des zones d’amnésie dans la vie quotidienne,
des différentes PE faisant intrusion avec leur perspective du passé, stabiliser la
vie quotidienne présente une tâche incontournable. À chaque déstabilisation,
l’attention est d’abord portée sur la restabilisation des tâches et des liens dans
la vie quotidienne, bousculée par des déclencheurs, les crises et les risques de
revictimisation.
La première tâche de stabilisation proposée par la TDSP est de dépasser la
phobie de s’attacher, et en même temps, la peur de la perte d’attachement
avec le thérapeute (van der Hart et al., 2006). Cela inscrit la stabilisation de la
relation thérapeutique au premier plan. À cela nous ajoutons la nécessité d’une
stabilisation sur le plan neurovégétatif, c’est-à-dire un apaisement du corps à
chaque fois qu’il est activé, en utilisant des exercices d’ancrage pour contrer
la dépersonnalisation et des exercices d’orientation pour faire face à la déréali-
sation. Le but est de ramener le patient dans l’ici et maintenant et d’orienter
le système entier dans le présent. Bien entendu, une fois le corps apaisé, il
sera important d’explorer l’environnement, de prendre conscience des éléments
déclencheurs, des réactions du système intérieur, de façon à pouvoir différencier
les enjeux du présent des souvenirs du passé. Cette différenciation peut se faire
avec l’installation d’un contenant, permettant de favoriser la stabilisation du
quotidien sans intrusion des traumas du passé.
Une autre tâche de stabilisation consistera à ce que le patient puisse apprendre
à s’apaiser lui-même. Cela passera par l’exploration de tout ce qui a marché dans

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160 P RISES EN CHARGE DU TDI

le passé, ainsi que les éléments qui permettent un apaisement dans le présent.
Ici la motivation du patient et sa capacité à rester connecté à ses parts adultes
seront importantes pour mettre en œuvre ces tâches dans la vie quotidienne.
Dans le recueil de l’histoire il sera essentiel que le thérapeute puisse explorer les
bons souvenirs du passé, les ressources de survie, c’est-à-dire ce qui a permis
au patient de grandir malgré ce qui s’est passé, d’aller à l’école, d’apprendre, de
créer des liens d’amitié, de fonder une famille, bref, tout ce qu’il a réussi à mettre
en œuvre malgré la multitude et la chronicité de sa condition traumatique.
Ces expériences, une fois conscientisées, peuvent faire contraste avec les expé-
riences vécues, et que les parties du système intérieur ne connaissent souvent
pas encore.

C ONNAÎTRE LE SYSTÈME INTÉRIEUR ,


MISSION IMPOSSIBLE ?

Stabiliser le corps, mettre de côté les expériences traumatiques ou les intrusions


sans explorer le système dissociatif intérieur équivaut à faire de l’évitement,
et à terme, à augmenter le conflit entre PAN mues par l’évitement de tout
mouvement intérieur, et PE qui cherchent à se faire entendre, et qui ont besoin
d’être entendues. Le rôle du thérapeute sera de conduire et d’accompagner le
patient dans cette exploration, en l’aidant à dépasser ses phobies et son hostilité
envers ce qu’il cherche à enfouir à tout prix. Cet évitement et ce conflit sont
très coûteux en énergie psychique.
Chez les patients avec une dissociation tertiaire, le fractionnement est devenu
tel, qu’il existe plusieurs PAN, généralement activées par des contextes spéci-
fiques, comme le lieu de travail pour la PAN au travail, la présence des enfants
pour la PAN parent, la PAN non spécifique, appelé hôte par certains auteurs
(Steele et al., 2017), étant celle qui subit le plus d’intrusions par les PE. À
cela s’ajoutent des PAN restées coincées dans l’enfance, généralement pour des
raisons de négligence et de solitude. Elles font partie du système intérieur. Le
fait qu’il existe plusieurs PAN pourrait être la raison de l’amnésie dans la vie
quotidienne, dans la mesure où elles entretiennent également des phobies qui
consistent à s’éviter mutuellement.
Les patients TDI ont un nombre de PE important. Certains auteurs évoquent un
nombre exact de PE qui atteint des chiffres impressionnants. Nous faisons le
choix de ne pas compter les PE et de raisonner par systèmes d’action, même
en face d’un système intérieur comptant de nombreux réseaux traumatiques,

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Spécificités de l’accompagnement thérapeutique des patients présentant... 161

généralement organisés par couches. C’est ainsi que nous, thérapeutes, pouvons
croire avoir fait le tour du système, et voir émerger, après des années de travail,
de nouvelles PE qui ne nous connaissent pas, qui portent des mémoires inconnues
jusque-là, ou qui montrent un fonctionnement nouveau. Un système intérieur
fractionné à un point tel peut donner l’impression au tandem thérapeutique qu’il
s’agit d’une histoire sans fin. Il s’agit d’une impression et non d’une réalité. La
tâche du thérapeute sera de continuer à croire qu’une intégration est possible et
d’œuvrer en ce sens. La propension au désespoir et à l’impuissance du patient
nécessite un thérapeute qui ne lâche pas, qui continue à y croire, et à chercher
des possibilités stabilisatrices et intégratives.
Certaines pratiques visent à demander au patient de dessiner la carte du système
intérieur, de représenter les parties internes sous forme de figurines, ou un dia-
logue parmi les parties internes dans un lieu de rencontre imaginaire, cherchant
ainsi une vue d’ensemble. Ces pratiques visent à permettre un dialogue intérieur,
sans toucher de trauma, dans un but intégratif et de coopération interne.
Les différentes PE nécessitent une réponse différenciée et adaptée en fonction
du système d’action qui les caractérise (agrippement, lutte, fuite, soumission).
Dans la suite du travail, une fois la vie quotidienne stabilisée, et le besoin de
dissociation moins fort, au fur et à mesure que la psychopédagogie permettra
de faire connaissance et de développer de la bienveillance envers les parties
internes, l’intégration des PAN permettra de diminuer l’étendue de l’amnésie
au quotidien et le décrochage dissociatif pour des stimuli non traumatiques.
L’intégration des mémoires traumatiques est un objectif thérapeutique, y compris
l’intégration des PE dans un soi unifié.

R ÉPARERLE LIEN , MAINTENIR LE LIEN , LE SOIN


À TRAVERS LA QUALITÉ DU LIEN RETROUVÉ

En raison d’une comorbidité importante, les patients avec une dissociation


tertiaire ont souvent reçu une panoplie de diagnostics différents. Leur réalité
faite de déstabilisations, de crises suicidaires laisse entrevoir à quel point le
lien thérapeutique peut être malmené. Ce sont les crises suicidaires qui risquent
le plus d’amener le thérapeute à oublier d’activer le système de coopération du
patient. Au-delà de l’apaisement après l’émergence d’un déclencheur ou d’une
crise suicidaire, le lien thérapeutique nécessite un temps de parole autour de ce
qui s’est passé, car la plupart des patients ne connaissent que le mode relationnel
on/off, c’est-à-dire un événement négatif qui se produit, puis la vie quotidienne

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162 P RISES EN CHARGE DU TDI

qui continue sans parole, sans élaboration, sans action réfléchie. Ce débriefing
après-crise nécessite une mise en mots de ce qui s’est passé et une réflexion
commune tout en réactivant le système de coopération. Voici nos conseils :
➙ ne cachez pas que vous êtes touché par ce qui s’est passé et veuillez expliciter
votre intérêt pour le bien-être du patient ;
➙ mettez en mots ce qui s’est passé en reliant les différentes séquences du
déroulement ;
➙ reconnaissez votre surprise ;
➙ proposez au patient de réfléchir ensemble à ce qui s’est passé, vous en tant
qu’expert en thérapie en général, lui en tant qu’expert de lui-même, de son
système intérieur et de sa vie ;
➙ identifiez ensemble les déclencheurs présents, les éléments, qui n’ont pas été
vus ou négligés, et qui auraient mérité plus d’attention ;
➙ discutez et listez les conditions nécessaires pour continuer à travailler
ensemble, jusqu’à ce que patient et thérapeute sentent que le cadre de travail
est à nouveau suffisamment sécurisé ;
➙ veuillez remercier le patient pour cette séquence d’apprentissage.
Le thérapeute peut faire des erreurs, commettre des maladresses ou des oublis,
ne pas voir quelque chose d’important. Le fait de le reconnaître et être intéressé
à réparer ce qui peut l’être permet au patient de vivre une expérience qui
contraste avec les blessures relationnelles du passé, et au tandem de s’ajuster
mutuellement.
En tant que thérapeutes travaillant avec des patients TDI, nous notons réguliè-
rement que d’une séance à l’autre, ce n’est pas toujours le patient adulte qui se
présente. Ces différences peuvent déconcerter, voire perdre le thérapeute, qui
peut être amené à douter du patient, à croire qu’il ment lorsqu’il évoque des
horreurs allant de pair avec un émoussement de l’affect. À d’autres moments
nous pouvons nous retrouver soudain en face d’un patient mutique, qui ne
peut que s’exprimer par écrit, voir qui refuse tout contact. Comprendre et faire
l’hypothèse qu’il pourrait s’agir d’une partie interne qui émerge soit parce qu’elle
a été déclenchée, soit parce qu’elle a quelque chose d’important à faire savoir,
qui devrait être pris en compte, amène le thérapeute à explorer le bien-fondé
et le sens de ce qui se passe dans le processus au présent. Nous partons du
principe que toute partie dissociative interne, quelle qu’elle soit, quel que soit
son mode d’action, sa destructivité, cherche à aider le système tout entier, avec
les expériences qu’elle connaît, la manière dont elle a appris à agir, à voir le
monde.

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Spécificités de l’accompagnement thérapeutique des patients présentant... 163

C RÉER DES LIENS INTERNES CONSTRUCTIFS

Un lien constructif est un lien qui permet le partage d’émotions, dans lequel
il existe un ajustement entre deux individus et une absence de conflits entre
les besoins de l’un et ceux de l’autre. En adoptant un regard phénoménologique
pour évaluer des liens interpersonnels (Dellucci, 2016), nous décrivons un lien
constructif par le fait que s’il arrive quelque chose de bien à une personne, cela
fait du bien à l’autre, et s’il arrive quelque chose de négatif à l’une, cela aura un
effet négatif aussi sur l’autre personne. Dans un lien non constructif, si quelque
chose de bon arrive à une personne, cela ne fait pas du bien à l’autre, quelle que
soit la raison pour cela. Si quelque chose de négatif arrive à l’un, cela aura un
effet apaisant sur l’autre personne. Le regard phénoménologique ne questionne
pas le pourquoi d’un phénomène, bien que les bonnes raisons existent, ni ne
cherche à savoir entre qui et qui cela se passe, comme l’analyserait le regard
systémique. L’avantage d’une telle description avec des mots simples est qu’elle
permet au patient de réfléchir sans le mettre en conflit de loyauté, ni le forcer à
se poser des questions pour lesquelles il ne se sent pas prêt.
Selon notre compréhension du système dissociatif, PAN et PE entretiennent un
lien non constructif. Pour que la PAN puisse bien fonctionner, être tranquille, il
faut que le système intérieur se taise et que l’évitement fonctionne, amenant un
traitement inadéquat pour des PE dont les besoins de l’époque restent toujours
d’actualité. Lorsque les PE se font entendre, cela suscite phobie et hostilité chez
la/les PAN, qui ressentent ces mouvements comme egodystoniques, c’est-à-dire
ne leur appartenant pas et suscitant une envie de les éliminer. Lorsque les PE se
manifestent et font entendre leurs besoins, la/les PAN le vivent négativement.
Il s’agit dans un premier temps de pouvoir apaiser la peur chez les parts adultes
pour qu’elles puissent accéder à la curiosité nécessaire à l’exploration du monde
extérieur.
Lorsqu’une PE émerge, celle-ci se vit comme si elle était encore dans le monde
dans lequel elle est restée coincée. La première démarche, pour créer un lien
interne constructif entre PAN et PE, est de mettre de côté le trauma que porte la
PE. Le contenant est un bon outil pour cela, permettant par la suite de construire
un lien qui permet de réorienter la PE dans le temps présent, d’explorer ses
caractéristiques et ses besoins et de permettre un partage d’informations, partant
de l’installation de ressources de l’après-trauma chez la PAN, qui sera invitée à
les partager avec la PE. La tâche de la PAN sera de pouvoir apporter une réponse
adéquate à cette partie enfant, selon les besoins de celle-ci. Cela peut passer
par des interventions imaginaires, dans lesquelles la part adulte va extraire la

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164 P RISES EN CHARGE DU TDI

PE de la situation dans laquelle elle se vit, pour l’emmener dans un lieu mieux
adapté. Comme on ne laisserait pas un enfant seul, nous ajoutons des figures
symboliques, permettant de répondre aux besoins d’attachement de cette partie
jeune.
Ce travail se fait hors trauma, car le but est de créer un lien constructif entre
l’adulte d’aujourd’hui et l’enfant de l’époque, sans être submergé par l’expérience
traumatique du passé. Ce lien permettra à l’adulte d’être touché par ce qui est
arrivé à l’enfant, ce qui ouvre une possibilité de commencer à traiter le trauma
que porte cette partie, lorsque le système intérieur donnera son accord. Ce travail
de création d’un lien constructif se fera avec chaque PE, mais au fur et à mesure
des liens créés, cette démarche se fera plus facilement.
Lorsque nous prenons position en thérapie pour dire que les PE, surtout celles
qui se montrent de la manière la plus agressive, sont des parties héroïques, car
elles portent les blessures les plus douloureuses, les patients ont en général une
réaction à la fois défensive et intriguée. Un thérapeute restant dans sa propre
fenêtre de tolérance, convaincu qu’un consensus n’est non seulement possible,
mais inévitable, s’il ne lâche pas, en continuant à inviter à l’exploration des
besoins de chaque partie, agira comme un modèle pour les PAN. Le patient adulte
apprend petit à petit que c’est moins coûteux d’écouter son monde intérieur, et
de négocier avec les différents mouvements, en partant du principe que chacun
a de bonnes raisons de réagir, de les orienter dans le présent et de faire des
exercices de stabilisation chaque fois que cela s’avère nécessaire. Une fois cette
motivation trouvée, et que le patient comprend que s’il apaise son corps, son
monde intérieur s’apaisera, la stabilisation du système s’acquiert, et avec lui
celle de la vie quotidienne.

D ÉPASSER LES LACUNES DE DÉVELOPPEMENT

Les lacunes de développement mettent en lumière toute la part de traumatisation


issue d’actes d’omission, elles sont faites de déprivations, d’invalidations émo-
tionnelles, de besoins non respectés, d’absences et de séparations, de défauts de
protection, de manque d’explications, d’apprentissages et d’expériences régula-
trices. Au-delà des expériences traumatiques, ces lacunes en savoir-faire transmis
suscitent chez les patients dissociatifs des sentiments de honte de ne pas arriver
à faire ce qu’ils voient chez les autres, avec une impuissance à faire seul quelque
chose de non encore appris. Cela active facilement des parties internes qui
utilisent l’autodisqualification et le rejet dans le but de reprendre le contrôle.

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Spécificités de l’accompagnement thérapeutique des patients présentant... 165

Cette réaction déroute les PAN, qui perdent leurs capacités d’adulte adéquat dont
elles peuvent faire preuve dans les contextes dans lesquels elles ont l’habitude
de fonctionner. Lorsqu’émergent des PE fragiles avec des besoins spécifiques, en
conflit avec des PE contrôle qui réagissent avec ce qu’elles ont appris, les PAN
se retrouvent impuissantes et inadéquates face aux lacunes de développement
des PE.
Les PE coincées au temps du trauma n’ont pas appris autre chose que l’expérience
qu’elles portent. Mais nous savons que le développement peut reprendre son
cours, si l’enfant dispose d’au moins un adulte contenant, posé et adéquat, qui
valide son expérience, qui lui explique le cours des événements, en le guidant
et en le soutenant. La plasticité cérébrale tout au long de la vie nous amène à
penser que ce qui n’a pas pu être appris dans le passé, peut l’être aujourd’hui.
Pour cela nous nous appuyons sur la notion de zones proximales de développe-
ment, une notion chère à Vygotsky. Il s’agit d’actions que l’enfant ne peut pas
faire seul, mais qu’il peut faire en lien avec un adulte, pour les apprendre et les
exercer dans un lien intersubjectif étayant, et ensuite les mettre en œuvre seul.
Le thérapeute a un rôle d’accompagnant des PAN, pour les guider dans l’apport
d’une réponse adéquate envers les PE. La PAN apprendra d’autant plus facilement,
si elle a le sentiment d’être soutenue, sans jugement, sans perdre la face :
➙ en expliquant à l’enfant intérieur comment les choses se passent normalement
lorsque cela se passe bien ;
➙ en validant l’expérience de l’enfant intérieur, en lui disant combien les adultes
d’aujourd’hui sont désolés de ce qui s’est passé ;
➙ en préservant son système de loyauté en précédant l’explicitation du com-
portement des adultes par l’introduction « personne ne sait ni pourquoi ni
comment »...
➙ en nommant sommairement ce qui s’est passé sans détails, par exemple « les
adultes ont fait des choses qu’ils n’auraient pas dû faire »...
➙ en reconnaissant le courage de l’enfant d’avoir fait tout ce qu’il a pu, le fait
que ce n’est pas de sa faute si les adultes ont transgressé ;
➙ puis en le réorientant vers le présent en décrivant qu’aujourd’hui ces événe-
ments n’ont plus lieu ;
➙ en réorientant l’enfant intérieur vers le lien avec le patient adulte, présent,
et d’éventuelles figures symboliques si nécessaire ;
➙ en lui rappelant que ce sera l’adulte qui s’occupera de ce qui s’est passé quand
ce sera possible.

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166 P RISES EN CHARGE DU TDI

En tant que thérapeutes EMDR, nous accompagnons ces mini-histoires narratives


pour les PAN-PE avec des stimulations bilatérales alternées (SBA), en demandant
au patient adulte de répéter chaque phrase que propose le thérapeute, avec
ses mots, pour les transmettre à la PE. Les PE réagissent en premier lieu avec
étonnement, puis apaisement pour ensuite se sentir en confiance avec la part
adulte du patient. Le patient adulte est en général très touché, passe par des
émotions qui montrent l’intégration d’une réponse adéquate envers l’enfant
intérieur.
Nos tentatives infructueuses dans le passé nous ont amenée à la supposition
que le patient a besoin à cet endroit d’un thérapeute proactif, proposant une
narration cohérente, sans forcément toucher le contenu traumatique, mais qui
reconnaît que quelque chose s’est passé qui aurait dû se passer différemment,
en donnant un aperçu de la normalité, ce que la majorité des patients TDI n’ont
pas pu vivre.

A PPRENDRE LA DIFFÉRENCIATION

La différenciation de soi et de l’autre est une compétence qui doit être apprise.
Elle n’est pas innée.
Murray Bowen (1978), à travers sa théorie de l’autodifférenciation, définit la
différenciation sous deux aspects : 1) L’autodifférenciation est la capacité de
séparer les sentiments et les pensées. Les personnes indifférenciées, n’arrivant
pas à séparer les sentiments et les pensées, risquent d’être inondées d’émo-
tions lorsqu’on leur demande de réfléchir. 2) En outre, l’autodifférenciation
consiste en la capacité de séparer ses propres pensées et sentiments de ceux
des autres. Les personnes indifférenciées ont tendance à se tourner vers leur
famille pour déterminer comment elles pensent aux problèmes, quels sentiments
elles éprouvent envers les autres et comment elles interprètent leurs expériences.
Une différenciation suffisante peut être décrite comme la capacité d’être en
contact émotionnel avec les autres, tout en étant autonome dans son propre
fonctionnement émotionnel.
En cas de trauma, nous savons combien il peut être difficile de différencier les
sentiments des pensées entre le passé et le présent, lorsqu’il s’agit de sécurité,
entre les autres et nous-mêmes, lorsqu’il s’agit de sentiments de culpabilité, de
honte et d’estime de soi. De manière générale, les traumas attaquent les liens
et mènent à une indifférenciation, entraînant une contamination émotionnelle,
un enchevêtrement, des somatisations et une difficulté à mettre des limites.

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“Binet_82810_BAT” (Col. : Psychothérapie 2014 17x24) — 2022/2/10 — 22:38 — page 167 — #183
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Spécificités de l’accompagnement thérapeutique des patients présentant... 167

Lorsque nous sommes dans le cas particulier de traumas relationnels répétés,


auteurs de violences et victimes restent dans un état d’indifférenciation, où ce
lien nocif est maintenu par une relation d’emprise, une relation asymétrique, qui
empêche la victime de penser, de ressentir et d’être en lien avec ses besoins. Ici
la loyauté, l’espoir, et les tentatives de stabilisation de la relation amènent la
victime à prendre sur soi les problématiques de l’autre, consolidant ainsi cette
relation non constructive.
Inspirés par Insa Sparrer (2004), nous avons été amenée à installer une ressource
de différenciation par un « rituel pour rendre ». Nous avons intégré ce rituel
dans le travail de stabilisation des patients traumatisés, l’avons décomposé en
différentes étapes et l’avons accompagné avec des SBA, afin de pouvoir maintenir
un travail intégratif. Si ce rituel est effectué trop rapidement, il peut arriver
que les personnes se séparent de leur propre expérience corporelle et exécutent
l’action prescrite, plus par soumission au thérapeute que par décision propre,
ce qui, là encore, ne contribue pas à la différenciation. Pour pouvoir apprendre
ce type de stabilisation relationnelle, il faut d’une part la compréhension et
le consentement du patient, en travaillant avec son système de coopération,
et d’autre part une approche intégrative étape par étape où le patient reste
connecté à son corps (voir Silvestre & Dellucci, 2019 pour une description
détaillée).

S ÉCURISER LE SYSTÈME D ’ ATTACHEMENT

La dissociation tertiaire implique une traumatisation depuis le début de la vie,


impliquant ainsi la période préverbale, lors de laquelle non seulement se fonde la
gestion du stress, mais où se définit également le style d’attachement. Parmi les
modèles théoriques qui expliquent la dissociation, les théories de l’attachement
proposent, comme étiologie de la dissociation, des défauts d’attachement entre
parents et jeunes enfants menant à un style d’attachement désorganisé (Liotti,
1999), ce qui constitue le socle des traumatisations du tout-petit et de ses
besoins fondamentaux négligés1 .
Au-delà du fait qu’il est utile de retraiter les peurs lorsqu’elles émergent, et
qu’une bonne tolérance à l’affect doit être construite, ces traumatisations de la
période préverbale devront être résolues au cours de la thérapie. Cependant, chez

1. Pour plus de précisions sur l’articulation des notions d’attachement, de trauma et de dissociation,
voir le chapitre 8 d’Alexandra Deprez.

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168 P RISES EN CHARGE DU TDI

les patients avec une dissociation tertiaire, le fractionnement intérieur est tel que
bien souvent ce travail n’est pas possible sans avoir préalablement installé une
ressource spécifique dans le système d’attachement, permettant de débloquer,
sans toucher de trauma dans un premier temps, tous les freins qui empêchent
un lien avec le bébé intérieur, essentiel pour dépasser la traumatisation de cet
âge préverbal. Parmi ces freins, nous comptons les mouvements phobiques et
hostiles propres à la dissociation, mais aussi les habitudes relationnelles du
donneur de soin principal à l’égard du tout-petit, la traumatisation précoce
transgénérationnelle portée par les parents qui se réveille au contact du bébé.
Encouragées par Liotti, nous avons développé un modèle de ressource d’accor-
dage fondamental, lors de laquelle :
 En activant le système de coopération du patient, nous lui expliquons avec
des mots simples les notions d’attachement et les stratégies de contrôle pour
faire face à l’impuissance du tout-petit, lui permettant de se reconnaître dans
son fonctionnement.
 Nous invitons le patient à mettre tout trauma dans le contenant. Il s’agit ici
de l’installation d’une ressource.
 Puis nous demandons au patient d’imaginer le bébé intérieur et nous le gui-
dons avec pour but de créer un lien multi-sensoriel, tout en désensibilisant
tout blocage qui émerge sur ce chemin : peur, manque d’empathie, hostilité,
maladresses... en recadrant le matériel émergeant comme une preuve que le
patient est déjà en lien avec ce réseau mnésique important.
 Nous accompagnons le patient jusqu’à ce qu’il puisse fournir au tout-petit
imaginé à l’intérieur, une réponse correspondant à un attachement sécure :
une réponse rapide, chaleureuse et adéquate, c’est-à-dire une réponse adaptée
à ses besoins. Cet accompagnement peut prendre du temps et de nombreux
tissages, le plus important étant d’avancer pas à pas, en guidant le patient
adulte, sans lâcher, jusqu’à ce que le bébé intérieur puisse recevoir une réponse
adéquate, aujourd’hui dans le présent.
 Si le patient adulte n’y arrive pas, nous convoquons une figure symbolique,
en général sous la forme d’un mammifère, qui fournira au bébé cette réponse
adéquate, plus sur un plan sensoriel que sémantique. Nous invitons le patient
adulte à observer cette interaction adéquate, lui permettant ainsi d’apprendre
par vicariance.

Pour les patients qui n’arrivent même pas à imaginer un bébé intérieur, nous
leur fournissons une image d’une interaction chaleureuse entre un adulte et un
tout-petit, et nous commençons par le travail de désensibilisation des défenses

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Spécificités de l’accompagnement thérapeutique des patients présentant... 169

émergentes hors trauma. Développer un tel lien constructif envers le bébé


intérieur fonctionne comme une ressource d’accordage fondamentale, aujour-
d’hui dans le présent, à partir de laquelle la création d’autres liens constructifs
(internes) est facilitée, quels que soient l’histoire et les manquements subis dans
le passé.

LE TRAITEMENT DES TRAUMAS

Les lignes directrices pour le traitement du TDI chez les adultes (ISSTD, 2011)
préconisent le traitement des traumatismes après une période de stabilisation
suffisante pour permettre au patient de fonctionner dans la vie quotidienne, en
l’absence de crises majeures. Il s’agit de la seconde phase de traitement, au
cours de laquelle les tâches de stabilisation continuent, entremêlées au travail
sur les expériences traumatiques, de même que le travail d’intégration, qui se
fait également tout au long de la thérapie, mais particulièrement lors du travail
de synthèse traumatique (Steele et al., 2017). Au-delà du retraitement des
expériences traumatiques, chez les patients dont l’identité a été fragmentée,
s’ensuit une crise du changement nécessitant de trouver des nouveaux repères
dans un paysage inconnu jusque-là, donc profondément anxiogène. Ce lent
processus de réappropriation d’une identité unifiée prend du temps et se fait
à travers des valeurs existentielles, qui sont le plus souvent déjà agies par le
patient. Il passe par des hauts et des bas, des déstabilisations dues entre autres
au sentiment d’illégitimité, des défis du quotidien à relever, une confiance à
construire dans la continuité du lien avec des personnes constructives, qui reste
fragile, un accompagnement à travers les phases de changements familiaux...
Bref la résolution traumatique, même si elle est importante, ne suffit pas. Il
s’agit de construire une biographie plus unifiée, permettant de se projeter dans
un futur incertain, mais qui vaut la peine d’être tenté.
Cela étant posé, le travail sur les souvenirs traumatiques chez les patients TDI
se fait avec le concours des parties émotionnelles qui les portent. Le point de
départ est souvent un déclencheur dans la vie actuelle du patient. Quelle que
soit la méthodologie choisie pour viser la résolution des expériences trauma-
tiques, il sera important, pour que le travail sur le trauma puisse se faire à visée
intégrative, d’obtenir le consensus du monde intérieur du patient, de façon à ce
que la résolution de ce trauma puisse être partagée par tous.

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170 P RISES EN CHARGE DU TDI

L’ ÉVALUATION, UNE STRATÉGIE POUR MAINTENIR


LE CAP

L’évaluation conjointe du travail thérapeutique par le patient et le thérapeute


permet non seulement de maintenir le système de coopération actif, mais favo-
rise aussi l’expression du point de vue du patient, et surtout ses désaccords, qui
pourraient taire un inconfort ou être tenté de se soumettre aux propositions
du thérapeute. Nous invitons le professionnel à poser deux questions en fin de
chaque entretien. D’abord celle qui explore ce que le patient retient d’utile du
travail qui a été effectué ce jour-là. « Ce qui a été utile, c’est que vous portez
l’espoir pour deux », «... que vous y croyez malgré moi. »
La seconde question, importante, invite au réajustement : « Y aurait-il quelque
chose que nous aurions pu faire différemment, pour que ça se passe (encore)
mieux ? » Poser la question explicitement invite le patient coéquipier à donner
son avis, ce qui en retour consolide sa posture de co-expert.
Dans les thérapies longues, comme c’est le cas pour les patients TDI, il est utile
de ponctuer le processus par des séances d’évaluation plus formalisées tous les
3-4 mois. Lors de ces séances, le travail thérapeutique est retracé ainsi que les
changements. L’évaluation permet de planifier le travail pour la suite, même si
nous faisons régulièrement l’expérience que ce qui est planifié est bousculé par
des processus émergents. Explorer comment les patients ont mis en œuvre les
changements qu’ils ont réussi à accomplir est une démarche importante, lors de
laquelle ils peuvent se réapproprier la conscience de leurs propres ressources.

R ESTER
DEBOUT EN TANT QUE THÉRAPEUTE
MARATHONIEN

Ce chapitre est trop court pour permettre de décrire à juste titre le processus
thérapeutique du côté du thérapeute. Sa tâche, à travers les mouvements trans-
férentiels et contre-transférentiels, est de rester debout, c’est-à-dire, prendre
suffisamment soin de lui pour qu’il puisse être en mesure de maintenir des actions
réfléchies ; bref, un thérapeute restant dans sa fenêtre de tolérance, capable de
penser, de prendre du recul, d’étayer sa pratique par ce qu’il a appris, tout en
restant présent dans le lien au patient. Pour cela il est important que le profes-
sionnel ne reste pas seul. Le partage avec les collègues en intervision, le travail
de supervision et la formation sont des outils indispensables. Le thérapeute va
sans doute, dans son cheminement, rencontrer des situations où il va être amené

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Spécificités de l’accompagnement thérapeutique des patients présentant... 171

à travailler sur soi, car nos patients viennent mettre à jour nos réseaux trau-
matiques les mieux défendus. Il est possible également que le thérapeute ait à
retraiter des traumas vicariants, qui seront autant d’occasions pour lui de grandir
et de transformer ces événements en des expériences d’apprentissage précieux.
Le travail thérapeutique avec les patients dissociatifs et particulièrement les
patients TDI constitue une source inépuisable d’apprentissages et d’évolution,
qui sans eux, ne se feraient pas. Qu’ils soient ici humblement remerciés.

C ONCLUSION

Pour P. Janet, la dissociation est une maladie de la synthèse personnelle. Nous


aimerions y ajouter la dimension relationnelle : pour nous la dissociation est une
maladie du lien, faite de traumatismes relationnels qui ont changé la manière
dont les personnes conjuguent le lien.
Ces survivants, au sens fort du terme, ont déjà fait l’essentiel : ils sont restés
en vie. Même s’ils présentent de nombreux symptômes invalidants, ceux-ci sont
à considérer comme le compromis le moins mauvais qu’ils ont trouvé jusque-là,
pour faire face à ce qui leur est arrivé. C’est ainsi que la dissociation, à notre
sens, préserve de la folie, avec des patients nécessitant un thérapeute qui n’a
pas peur d’emprunter à leurs côtés un long chemin ardu, pour les accompagner
jusque là où ils peuvent aboutir pour s’apaiser et retrouver une unité identitaire.
Ce cheminement nous amène à devoir dépasser l’impuissance, des surprises, des
doutes, en cherchant à adapter ce que nous avons appris à ces patients si parti-
culiers avec lesquels rien ne marche comme prévu. Cette évolution conjointe et
créative nous apprend notre métier et permettra, nous l’espérons, à nos patients
de se relever.

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“Binet_82810_BAT” (Col. : Psychothérapie 2014 17x24) — 2022/2/10 — 22:38 — page 172 — #188
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172 P RISES EN CHARGE DU TDI

R ÉSUMÉ
Les spécificités de l’accompagnement thérapeutique chez les patients TDI, depuis
Janet, comprennent une phase de stabilisation, une phase de confrontation aux trau-
mas et une phase d’accompagnement et d’intégration. La particularité des patients
TDI, avec leur symptomatologie envahissante, demande au clinicien de diversifier ses
stratégies de stabilisation, en incluant la stabilisation neurovégétative, basée sur le
corps, psychologique, basée sur l’activation des ressources et des compétences, et
une stabilisation relationnelle, particulièrement importante chez ces patients si blessés
sur le plan relationnel. Ce chapitre retrace les différentes étapes d’une stabilisation à
visée intégrative, toujours renouvelée, pour garantir un travail sécurisé sur les traumas
et la reconstitution identitaire. Loin d’être exhaustif, il décrit des pistes concrètes pour
améliorer la relation thérapeutique, créer des liens intérieurs constructifs, combler
les lacunes de développement, sécuriser le système d’attachement et apprendre la
différenciation, permettant au clinicien de faire face aux défis que présentent ces prises
en charge complexes mais riches en apprentissages.

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Chapitre 11

Trouble dissociatif de l’identité


et psychoéducation

Emmanuelle Vaux-Lacroix

E XPOSÉ DU CHAPITRE
La psychothérapie avec un patient présentant un trouble dissociatif de l’identité (TDI)
nécessite une psychoéducation approfondie qui s’appuie sur les connaissances théo-
riques du clinicien et le vécu du patient. Les cliniciens peuvent être confrontés à la
complexité d’établir un diagnostic dû à la méconnaissance de ce trouble et à la
similarité de symptômes avec d’autres troubles psychiatriques. Par ailleurs, ce trouble
entraîne souvent de la peur à la fois chez les patients, mais également chez certains
cliniciens qui ne se sentent pas en mesure de travailler avec cette population. Nous
exposerons les modèles théoriques utilisés, le diagnostic, via la symptomatologie et
notre posture thérapeutique. Enfin, nous présenterons, via trois vignettes cliniques, en
quoi la psychoéducation aide ces patients à accepter leur trouble, à l’apprivoiser, à
vivre mieux avec.

I NTRODUCTION

« Ce qui est très important dans la psychoéducation, c’est de comprendre ce


qu’il nous arrive. » Ce verbatim de Marie, la première patiente ayant un trouble
dissociatif de l’identité (TDI) que nous ayons accompagnée, résume clairement

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174 P RISES EN CHARGE DU TDI

le besoin de ces patients. La psychoéducation est axée sur la transmission d’in-


formations permettant la compréhension d’un trouble afin que le patient puisse
participer activement à sa prise en charge. Chez les patients TDI, ce processus se
fera dans les deux sens, car nous pouvons apporter nos connaissances théoriques
sur le sujet mais ils doivent également nous transmettre leur vécu car, sans cela,
nous risquons de leur appliquer une grille de lecture qui pourrait être fausse et
rigide.
La complexité à établir un diagnostic, et par conséquent le traitement, conduit
à ce que ces troubles demeurent peu connus dans le champ de la santé mentale.
Le DSM-5 (APA, 2013) ne fournit pas de directives diagnostiques précises pour
le TDI ; il est donc difficile de distinguer le « vrai » TDI, de cas simulés ou faux
positifs (Pietkiewicz et al., 2021). La difficulté à établir un diagnostic vient à la
fois d’un manque de connaissance approfondie du trouble (Antje et al., 2020) et
à la similitude de symptômes avec d’autres troubles tels que la schizophrénie,
les troubles bipolaires et le trouble de la personnalité borderline (Martinez et al.,
2020). Cette confusion est renforcée par les différents points de vue opposés
concernant l’étiologie du trouble (Antje et al., 2020). D’une part, le modèle
traumatique, qui soutient que le TDI est dû à la sévérité, la répétition, et la
nature même d’agressions vécues dès les premières années de vie et, d’autre part,
le modèle fantasmatique qui avance que ces sujets seraient particulièrement
influençables et réceptifs à de la suggestibilité de la part des cliniciens. Malgré
le fait que ce débat ait largement évolué et que les recherches étiologiques
aient été approfondies ces dernières décennies (Şar, 2017d), le « modèle du
fantasme continue de séduire les cliniciens » (Antje et al., 2020). Ce modèle
fantasmatique a également une influence négative sur les patients qui peuvent
penser qu’ils inventent ou exagèrent leurs symptômes. Les études montrent que
ces patients reçoivent, en moyenne, quatre diagnostics avant que celui de TDI
ne soit posé (Reinders & Veltam, 2020). Ces difficultés les amènent à « errer »
dans le champ de la santé mentale, avant de trouver un clinicien qui soit en
mesure de les accompagner dans leur soin.
Afin de décliner quelques exemples de verbatim, ou de situations, au fur et à
mesure de notre chapitre, nous présentons brièvement les vignettes cliniques de
patients TDI1 avec des suivis qui sont en cours2 . Notons que les trois patients
sont issus de familles de catégories socio-professionnelles favorisées.

1. Nous parlons ici de TDI et non de TDI partiel que nous avons également dans notre patientèle.
2. La présentation des personnes a été modifiée pour préserver leur anonymat.

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Trouble dissociatif de l’identité et psychoéducation 175

 Marie, 26 ans, a été victime d’inceste paternel et maternel, mise dans un réseau
pédocriminel par ses parents dans sa petite enfance et a vécu des viols en réunion,
quasi-quotidiens, lors de ses années de collégienne. À sa connaissance, le reste de
la fratrie n’a pas été victime directe des parents.
 Éric, 50 ans, a eu deux parents qui étaient physiquement et psychologiquement mal-
traitants avec lui. Il a, ainsi que son frère, été victime du syndrome de Münchhausen
par procuration de la part de sa mère. Il a également été victime d’un pédocriminel
en maternelle.
 Alexandra, 31 ans, a subi des violences corporelles et psychologiques, de la part
de son grand-père et de son oncle, qui souffraient tous deux d’un trouble de la
personnalité paranoïaque et vivaient avec elle et ses parents observateurs passifs des
faits. Sa sœur aînée a également été victime.

L ES MODÈLES THÉORIQUES EN APPUI


N

La théorie de la dissociation structurelle de la personnalité

Les grilles de lecture pour la compréhension du fonctionnement interne des


TDI sont nombreuses ; celle à laquelle nous faisons le plus souvent référence
avec les patients est la théorie de la dissociation structurelle de la personnalité
(TDSP)1 de van der Hart (et al., 2010). La TDSP considère qu’un traumatisme
sévère implique une sidération du psychisme, une division de la personnalité
s’opère alors dont découle la présence d’une ou plusieurs parties apparemment
normales (PAN) et une ou plusieurs parties émotionnelles (PE). La ou les PAN
sont attachées à la survie de l’espèce, et elles gèrent la vie quotidienne, en
évitant de différentes manières les PE ainsi que les souvenirs traumatiques qui
lui sont associés. Les PE sont liées à la survie individuelle et au système nerveux
mammalien2 de défense et sont bloquées au temps du trauma. Dans le TDI,
ces réseaux présentent de réelles caractéristiques identitaires qui peuvent avoir
des réactions, pensées, émotions, sensations corporelles et perceptions très
différentes. C’est ainsi, par exemple, que Marie ayant une escarre au pied, avait
une PAN affirmant ne ressentir aucune douleur et en parallèle une PE enfant
disant : « Bobo au pied, Emmanuelle, dis à “la grande Marie” qu’on a mal. »
Les PE manifestent des défenses psychologiques qui vont inclure en premier

1. Pour de plus amples informations sur la TDSP, se référer au chapitre 9 d’E. Zimmermann.
2. Pour de plus amples informations neurophysiologiques, se référer au chapitre 4 de Laurence
Carluer.

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176 P RISES EN CHARGE DU TDI

lieu l’identification à l’agresseur s’incarnant dans une PE et donc se comportant


comme lui, parfois dans les gestes, mais surtout dans le verbatim et l’intonation
de voix. Le clivage sera également présent et se traduira par le fait qu’une PE
considérera, par exemple, le psychothérapeute comme étant « bon » alors qu’une
autre le percevra comme « mauvais ». Le déni, lui, se manifestera par la négation
de la réalité, comme par exemple lorsqu’une PE masculine de Marie se regarde
dans le miroir et refuse de voir le corps de femme qui lui fait face.
La TDSP a établi trois types de dissociation structurelle : primaire, secondaire
et tertiaire. Chez les patients TDI, il est question de dissociation structurelle
tertiaire avec plusieurs PAN et de nombreuses PE. Ces patients présentent une
organisation en apparence déstructurée de la personnalité impliquant un sens
de soi autonome pour les parties et une perspective à la première personne (van
der Hart et al., 2010).
N

Le soi adulte

Suite à notre expérience clinique, nous ajoutons une autre grille de lecture à
la TDSP : le « soi adulte », appelé également la personnalité « d’origine » ou
la « personnalité hôte » (Putman, 1989), qui est complexe à définir mais a un
rôle important dans la thérapie, donc dans la psychoéducation. L’importance
du soi adulte nous est apparue avec Marie qui a lu le livre Le soi hanté de van
der Hart (et al., 2010). Elle est revenue en séance en disant : « Je ne suis pas
que “apparemment normale”, je suis aussi moi. » Par ailleurs, ses PAN et ses PE
nous ont expliqué, à maintes reprises, en parlant d’une partie du système qu’ils
nommaient « la grande Marie », qu’elle était différente d’eux. En explorant cela
avec Marie, nous avons identifié, avec son accord, « la grande Marie », comme
étant le soi adulte. Par ailleurs, nous avons pu observer au cours de la thérapie
que c’est au sein du soi adulte que se sont réalisées les intégrations de PAN et
de PE. C’est pour être en accord avec le vécu intérieur de notre patiente que
nous avons alors exploré cette question du soi adulte.
Nous retrouvons ce concept chez différents auteurs et notamment dans la théorie
du système familial intérieur de Schwartz (2009). « Le Self est la véritable nature
de l’individu, qui dispose de qualités de leadership telles que la compassion, le
sens de la perspective, la curiosité et la confiance en soi » (Schwartz, 2009). Pour
ce théoricien de la psychothérapie, les parties dissociatives sont là pour protéger
le soi des souvenirs traumatiques et des intrusions dans la vie quotidienne, mais
ne sont pas une partie en tant que telle. Le concept de soi adulte est également

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Trouble dissociatif de l’identité et psychoéducation 177

repris chez certains de nos collègues praticiens en EMDR1 : « Le soi adulte est
un ensemble émergent de capacités de soi, qui ne sont pas encore développées
dans une partie de la personnalité, y compris dans la PAN »2 (Gonzalez et al.,
2012). Lorsque nous travaillons avec ces patients, nous cherchons, avec eux, à
identifier ce soi adulte qui, à terme, guidera leur monde intérieur.

S YMPTOMATOLOGIE

Le TDI présente des symptômes dissociatifs psychoformes, et/ou somatoformes,


positifs, et/ou négatifs, qui peuvent être le plus souvent complexes à identifier.
Les positifs se manifestent, entre autres, par des intrusions, changements de voix
et posture corporelle. Les négatifs se révèlent par une perte d’actions mentales,
tels que les souvenirs, affects, perceptions ou difficulté à rester dans le présent
(van der Hart et al., 2010). Dans le DSM-5, les symptômes dissociatifs somato-
formes sont considérés comme des troubles de conversion et non dissociatifs.
En conséquence, les cliniciens qui ne s’appuient que sur le DSM-5 pour établir
le diagnostic peuvent passer à côté si les symptômes somatiques sont les plus
prédominants (Steele et al., 2018). Ces formes de dissociations entraînent des
amnésies du quotidien (sans prise de substances psychoactives), ce qui nous
apparaît le plus handicapant pour ces patients et souvent le premier motif de
consultation. Nous ne parlons pas ici d’oublis tels que « Je ne sais pas où j’ai
rangé mes clés », mais de situations telles que nous en a fait part Alexandra
lors de sa première consultation : « Je me suis réveillée dans les bras de cette
personne en décembre et je ne savais pas qui c’était. Ça faisait plusieurs mois
que je n’étais pas là. » Ou, par exemple, Marie qui nous appelle terrorisée en
disant : « Je suis dans une gare ; je ne sais pas où je suis, ni comment je
suis arrivée là. » Ces amnésies du quotidien leur demandent une adaptation
exacerbée, comme lorsqu’ils perdent le fil des conversations en cours ou pour
faire semblant de reconnaître une personne qui les appelle par leur prénom et
qu’ils ne reconnaissent pas. Marie nous dit que sa terreur en maternelle était de
se retrouver au tableau pour écrire la date ; elle ne savait reconnaître les saisons
que grâce aux vêtements que sa mère lui préparait. Cela peut aussi amener à des
situations cocasses comme celle qu’elle a vécue à l’adolescence lorsqu’elle s’est

1. Pour de plus amples informations sur l’EMDR, se référer au chapitre 12 de Dolores Mosquera et
Roger Solomon.
2. Traduction de l’auteur.

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178 P RISES EN CHARGE DU TDI

retrouvée avec la même dissertation écrite en cinq exemplaires différents dans


son sac.
Le traumatisme psychique implique une blessure émotionnelle qui, d’un point de
vue neurologique1 , est un réseau neuronal qui n’est pas connecté aux réseaux
ressources. Lorsque ce réseau neuronal est déclenché par quelque chose qui va
rappeler l’événement, cela va provoquer une réaction de survie chez le patient
qui agira comme s’il se retrouvait au même moment, dans la même situation.
Cela entraînera des sorties de fenêtre de tolérance (Siegel, 1999 ; Ogden &
Minton, 2000) qui se manifesteront soit par une hyperactivation, soit par une
hypoactivation. Le patient ressent alors de l’impuissance et de l’incompréhension
face à ses propres réactions (Dellucci, 2014). Le patient peut cesser de parler,
s’immobiliser, sembler absent ou dire quelque chose d’incompréhensible, et le
clinicien peut interpréter cela comme une absence ou une fatigue, et donc se
tromper de diagnostic. C’est ainsi que vont s’opérer, chez les patients TDI, des
« switch » rapides en séance, sans qu’au départ, ni le psychothérapeute, ni le
patient, ne sachent forcément les identifier, ni en expliquer la cause. C’est en
détricotant, en explorant le monde intérieur que, progressivement, les deux vont
pouvoir découvrir les sources de ces comportements. Il s’agit ici vraiment d’une
sorte de « danse » avec le patient, où chacun doit trouver les pas ajustés et le
bon tempo...
Ces patients vivent des émotions débordantes et des réactions de survie, car ils
n’ont pas appris à réguler leurs émotions, étant élevés dans un environnement
dangereux, qui les amenait à être constamment en état d’hypervigilance. En
effet, lorsque le donneur de soin est celui qui agresse, cela crée de la confusion
et de la terreur, car ces adultes se comportent aussi, par moments, de manière
bienveillante et adaptée. Cela engendre une scission dans la personnalité de
l’enfant et implique un attachement désorganisé (Ainsworth, 2015). À l’âge
adulte, ceci se manifeste par un « attachement non résolu » (Main & Hess, 1990)
qui rend la relation aux autres complexe, en particulier avec le psychothérapeute.
Il se traduit par un double mouvement intérieur : à la fois des parties plus jeunes
qui vont s’agripper (« Tu ne veux pas nous adopter ? ») et d’autres qui auront
une phobie du lien et qui, régulièrement, souhaiteront interrompre la thérapie.
Pour conclure, nous retrouvons les parties de la personnalité (PAN et PE) qui se
manifestent le plus souvent par des symptômes schneidériens et que les patients

1. Pour de plus amples informations neurophysiologiques, se référer au chapitre 4 de Laurence


Carluer.

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Trouble dissociatif de l’identité et psychoéducation 179

décrivent, souvent, comme des voix qu’ils entendent dans leur tête. Ces symp-
tômes sont associés, pour le grand public mais également pour certains confrères,
exclusivement à la schizophrénie (Martinez et al., 2020). Par conséquent, le
patient est d’autant plus phobique face à ses voix et souvenirs traumatiques. En
effet, ces événements terribles ne sont pas mémorisés sous la forme de souvenirs
autobiographiques, que le sujet peut choisir de raconter tranquillement, mais
sous forme de mémoires traumatiques et isolées des autres souvenirs. Cette
phobie renforce la dissociation et empêche de créer du lien entre les différentes
parties de la personnalité. Il est important de noter qu’un apprentissage essentiel
pour ces patients est la coprésence, à savoir que plusieurs parties peuvent être
présentes en même temps et communiquer entre elles et avec le monde extérieur.

DU DIAGNOSTIC À LA PSYCHOÉDUCATION
N

Notre posture thérapeutique

Notre travail thérapeutique s’appuie sur les travaux de Janet (1911), c’est-à-dire
un processus en trois phases : la stabilisation (qui inclut la psychoéducation),
la confrontation aux traumas et pour finir l’intégration et l’accompagnement
au changement. Avec les patients TDI, la psychoéducation se fera tout au long
du travail. Pour la stabilisation, nous développons l’orientation dans le temps
pour séparer passé, présent et futur, ainsi que la distinction entre les mondes
interne et externe, et le soin apporter à soi (Dellucci, 2016). Pour ce qui est du
traitement des traumas, nous utilisons la psychothérapie EMDR (Shapiro, 2001)1 .
Ce travail thérapeutique sera long, avec des moments de découragement de
la part du clinicien et du patient. En effet, il faut un accordage très affiné,
qui requiert une réelle implication et qualité de présence de la part du psy-
chothérapeute, pour maintenir la continuité du lien avec ces patients qui sont
en discontinuité permanente. Pour renforcer ce lien, ils ont besoin d’un ou
deux rendez-vous hebdomadaires et, autant que possible, au même horaire. Par
ailleurs, nous nous assurons d’avoir toujours deux rendez-vous fixés d’avance.
Travailler avec cette population implique des formations continues, de la supervi-
sion et parfois un travail psychothérapeutique individuel. En effet, nous pouvons
être victimes de traumatisation vicariante car les histoires que nous entendons,

1. Pour de plus amples informations sur l’EMDR, se référer au chapitre 12 de Dolores Mosquera et
Roger Solomon.

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parfois de manière détaillée, rapportées par moments par des voix et postures
d’enfants, ne peuvent nous laisser de marbre. Face à ces patients, il est essentiel
de ne pas être dans la fascination (ce qui reste complexe par moments), ni dans
une curiosité morbide. Il ne faut surtout pas aborder les traumas au départ, et
accepter que, probablement, nous ne saurons jamais tout ce que les patients ont
vécu. Nous ne pouvons, et ne devons pas, leur garantir qu’ils se souviendront
de tout, et pouvons même nous demander si cela est nécessaire. Nous énonçons
souvent cette phrase type, face à leur envie de se souvenir de leur passé : « Tu
te souviendras lorsque ton système intérieur considérera que tu es suffisamment
stabilisé pour ça, et après tu ne pourras pas oublier ce dont tu t’es souvenu1 ».
Enfin, n’oublions pas que les cliniciens sont des experts de la psychothérapie et
que les patients sont les experts de leur vie. Nous sommes responsables du cadre
et du processus thérapeutique et les patients choisissent ce qu’ils souhaitent
travailler en étant responsables des changements dans leur vie (Dellucci, 2016).
N

La psychoéducation

Dans notre expérience clinique, il est nécessaire de poser le diagnostic de TDI


rapidement et d’accompagner ceci avec la psychoéducation que cela implique. La
première chose qui peut apparaître comme une évidence pour les cliniciens, mais
ne l’est pas pour les patients, est de définir ce qu’est un traumatisme et notam-
ment ce qui est interdit par la loi. Ensuite, notre rôle est de leur permettre de
comprendre leurs réactions physiologiques face au trauma, les défenses animales
qui se mettent en place, ainsi que les mouvements corporels qui contribuent à
maintenir la dissociation (Steele et al., 2018). C’est avec l’expérience, et notam-
ment le travail effectué avec Marie, que nous avons pu améliorer notre manière
d’appréhender le TDI. C’est via un questionnement progressif et précautionneux,
tiré d’auto-questionnaires centrés sur la dissociation et le trauma2 , que nous
abordons cela avec les patients. Dans notre pratique, nous posons les questions à
l’oral plutôt qu’en auto-administration car nous avons constaté que cela pouvait
inquiéter les patients. De plus, nous pouvons ainsi demander des précisions, avec
des exemples à l’appui, et donc débuter la psychoéducation. Le questionnement
nous permet également d’identifier les cas simulés où les patients ne sont pas
capables de donner des précisions sur leur vécu. Ces questions permettent d’abor-
der les amnésies, les émotions débordantes, les voix, les réactions de survie et

1. La psychothérapeute fait le choix clinique de tutoyer ses patients.


2. Pour de plus amples informations sur les tests, se référer au chapitre 5 d’Olivier Piedfort-Marin.

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Trouble dissociatif de l’identité et psychoéducation 181

la dissociation somatoforme. Comme nous le rappelle Steele (et al., 2018), il est
essentiel de normaliser la présence des parties dissociatives de la personnalité
et également de s’adapter au vocabulaire du patient. En effet, actuellement
avec les ressources sur Internet, et les réseaux sociaux, nous accueillons dans
notre cabinet en libéral des patients, et notamment Alexandra, qui utilisent des
vocables anglophones tels que « alter », « être en front ou en back » (une partie
qui est en avant ou en arrière) et « trauma holder » (la partie qui contient le
trauma). Il est important que nous nous adaptions au verbatim de cette nouvelle
génération de patients, car chaque patient TDI est unique et perçoit son monde
intérieur différemment. Aux États-Unis, une patiente TDI ayant écrit un livre
sur son histoire et sa psychothérapie, Trujilo (2011) est membre de l’ISSTD
(International Society for the Study of Trauma and Dissociation)1 . Trujilo a un
rôle extrêmement important pour la psychoéducation en ligne, via son livre, son
blog, et ses conférences pour les patients TDI cherchant des explications à leurs
symptômes. Au sein de l’ISSTD, auquel nous appartenons également, elle peut
répondre à certaines questions de cliniciens, ou chercher des contacts pour les
personnes qui s’adressent à elle pour de l’aide.
Le clinicien doit être « patient » pour deux raisons : la première vient du fait
qu’un patient TDI n’est pas ou peu conscient de ses traumas. Il n’est donc
pas question de le brusquer en utilisant des termes comme viol, inceste ou
maltraitance trop rapidement. La seconde est que la psychoéducation sera très
répétitive au départ, puisque selon les parties présentes, les informations ne
seront pas toujours entendues. Avec le temps, nous pouvons demander au soi
adulte, ou à une PAN, voire à une PE aidante, de transmettre l’information en
interne aux autres parties. Ce mode opératoire est bien plus efficace, mais ne
peut se faire au début de la thérapie. En effet, pour que cela soit possible, ceci
implique que le patient soit capable d’être en coprésence avec ces parties, ce
qui au départ est quasi impossible. En effet, le patient TDI est dans l’évitement
face à certaines parties de sa personnalité (notamment des PE) et, lorsqu’il est
conscient de sa dissociation, a de fausses croyances à ce sujet (que ses souvenirs
sont faux, qu’il exagère ou qu’il « fait son intéressant » pour reprendre un verba-
tim d’Éric). La peur nommée par ces patients est souvent la même : « Si je parle
de ce que je vis, on va croire que je suis fou, me donner des médicaments et
m’enfermer à l’hôpital psychiatrique... » Il est important de noter que certaines
PE vont avoir des comportements auto-agressifs (automutilation, addictions,
trouble des conduites alimentaires [TCA]) pour éviter de ressentir les émotions

1. www.isst-d.org

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182 P RISES EN CHARGE DU TDI

et les sensations liées au trauma. En nommant et expliquant aux patients à quoi


servent ces comportements, et à quelle partie ils sont rattachés, nous engageons
la psychoéducation ; par ailleurs, Steele (et al., 2018) nous rappelle qu’il est
essentiel d’aborder ces sujets directement car cela peut aider à diminuer ces
comportements.
Dès les premières séances, il est également primordial d’expliquer ce que repré-
sente une fenêtre de tolérance (Siegel, 1999 ; Ogden & Minton, 2000), car les
patients ne comprennent pas et ne maîtrisent pas leurs réactions face à certains
déclencheurs. En effet, ceci va se manifester en séance, et se traduire par un
oubli, une perte de contact avec le psychothérapeute ou par un « switch » d’une
partie à l’autre. C’est en abordant ce sujet que nous pourrons développer le
sujet des amnésies du quotidien, car lorsqu’une des PAN ou une des PE prend le
contrôle exécutif du corps, le patient peut ne pas se rappeler de ce qu’il vient de
faire ou dire (soit il sera totalement absent, soit il s’observera faire sans pouvoir
contrôler ce qui est dit ou agi). Au début de la psychothérapie, nous invitons le
patient à créer un cahier de liaison qui permettra aux différentes parties d’écrire
ce qu’elles ont vécu dans la journée et ainsi de combler certaines amnésies du
quotidien. Par ailleurs, nous leur apprenons des exercices de stabilisation pour
les orienter dans le présent1 .
C’est à ce moment-là, grâce aux questions posées, à la fenêtre de tolérance et
aux amnésies explicitées, que nous pourrons aborder les parties dissociatives.
Notre rôle est d’aider le patient à comprendre le rôle de chaque partie, pour
l’aider à collaborer avec elles et apprendre à être en coprésence. Nous pouvons
utiliser des dessins (Knipe, 2019) ou des Playmobils pour les aider à établir une
cartographie de leur monde intérieur. Dans notre expérience clinique, ce sont
les PE enfants et les PE imitant les agresseurs dont ils seront le plus phobiques ;
et ce sont également ces PE qui se manifestent le plus rapidement auprès du
psychothérapeute. Les patients vont ressentir des émotions très diverses face à
ces parties : honte, peur, colère et/ou dégoût. Face à une PE enfant, un patient
peut tenir des propos tels que : « C’est un menteur. Je ne veux pas l’écouter.
Il n’est pas moi. » Ces patients ont parfois aussi peur qu’une partie qui imite
l’agresseur attaque le clinicien, comme a pu nous le dire Éric : « Non, tu ne veux
pas savoir ce qu’elle pense, elle va te dire des choses horribles et après tu ne
voudras plus travailler avec moi. »
Nos observations cliniques nous amènent à penser que chaque partie a un lien
avec au moins une autre partie. Nous retrouvons chez les patients une sorte de

1. Pour de plus amples informations sur la stabilisation, se référer au chapitre 10 d’Helene Dellucci.

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Trouble dissociatif de l’identité et psychoéducation 183

labyrinthe interne dans lequel, lorsqu’ils explorent les liens entre les différentes
parties, ils ont un moyen d’avoir accès aux informations qui leur manque. Il suffit
simplement (en réalité cela demande des mois, voire des années, de travail) de
trouver la partie qui va savoir se connecter à l’autre et ainsi de suite. C’est en
acceptant que les PE s’expriment dans notre cabinet, en les aidant à trouver des
modes de communication ou d’action efficaces que les patients pourront observer
que cela amène du soulagement et de la flexibilité dans leur fonctionnement.
Ainsi, ils s’autoriseront de plus en plus à être en contact avec elles et ils pourront
l’expérimenter dans leur vie quotidienne. Car, comme le dit Marie : « Plus j’ignore
une partie, plus elle prend de la place. » Précisons ici que nous faisons le choix
clinique de parfois nous adresser directement aux PE ou aux PAN, en absence
du soi adulte. En effet, au début de la psychothérapie les « switch » peuvent
être tellement envahissants que sans ce travail en direct, nous ne pourrions pas
avancer. Par ailleurs, il est important en tant que clinicien de se présenter à
chaque nouvelle partie qui se manifeste en séance et d’utiliser un vocabulaire
en accord avec l’âge de la PE.
Pour accompagner cette transmission de la théorie, nous leur suggérons des
livres qui leur permettront d’intégrer ce que nous partageons en séance. Des
livres tel que les bandes dessinées Le Trauma, quelle chose étrange de Haines
et Standing (2019) qui décrivent le fonctionnement physiologique du trauma,
Émotions : enquête et mode d’emploi de Art-Mella (2019) qui représente l’utilité
des émotions et plus récemment le roman Le Consentement de Vanessa Springora
(2020) qui permet de déculpabiliser les patients sur leur soi-disant responsabilité
dans leur trauma. Malgré notre très grand respect pour l’excellent manuel de Boon
(et al., 2017), nous ne suggérons plus ce livre pour les patients TDI car nous
observons, à l’usage, qu’il est trop déclencheur. Enfin, nous proposons également
aux patients qui le souhaitent un entretien avec leur proche pour expliquer le TDI.
Nous constatons que cela leur est très aidant et également pour le clinicien qui
aura ainsi accès à de nouvelles informations sur le fonctionnement du patient.
Nous présentons dans les lignes suivantes trois vignettes cliniques pour mettre
en évidence l’utilité de la psychoéducation dans la psychothérapie.

Marie – 9 ans de psychothérapie

Marie a 26 ans lorsqu’elle est orientée par une collègue suite à d’importantes
idéations suicidaires. N’ayant pas conscience de son trouble, elle nomme d’entrée
de jeu qu’elle a été victime de viols en réunion, durant son adolescence, de

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manière quasi quotidienne, avec énormément de détachement, symptôme clas-


sique de « la belle indifférence », signe d’une non-réalisation sévère (Steele et
al., 2018). Elle est expert-comptable et vit en couple. Elle est la troisième d’une
fratrie de quatre ; ses parents sont toujours mariés. Au début de la thérapie,
elle n’a que des souvenirs heureux de son enfance. Elle explique ses nombreux
symptômes par son vécu au collège. Les souvenirs traumatiques vont apparaître,
de manière fragmentée, au fur et à mesure pour dévoiler l’inceste paternel et
maternel et le réseau pédocriminel dans lequel ses parents l’ont mise. D’après
Marie, les autres enfants de la fratrie n’ont pas été des victimes directes des
parents.
Marie présentait de nombreux symptômes, en plus de son TDI. Le symptôme
le plus handicapant pour elle étant une dissociation somatoforme. En effet,
elle était en fauteuil roulant car elle souffrait d’une paralysie fonctionnelle des
jambes depuis ses 16 ans. Les autres symptômes incluaient : un trouble d’utili-
sation de substances, un trouble dépressif caractérisé avec idéations suicidaires,
de multiples phobies, comportements sexuels à risques, comportements d’au-
tomutilation, d’hyperphagie, troubles du sommeil, trouble d’énurésie nocturne
primaire et obésité.
Marie a été suivie par des psychologues et des psychiatres à partir de l’école
primaire. Hospitalisée plusieurs fois pendant son adolescence, sans qu’aucun
diagnostic adapté ne soit posé, elle a également été reçue par un juge des
enfants (mais ne sait en dire plus car cela reste un souvenir fragmenté) sans
qu’aucun dévoilement de l’histoire familiale n’ait eu lieu. Marie est la patiente
la plus dissociée avec laquelle nous avons travaillé. À terme, nous avons pu
identifier, avec elle, 5 PAN et plus de 80 PE (souvent organisées en groupe, mais
souhaitant quand même être différenciées par la psychothérapeute). Les PAN
s’identifiaient selon leur fonction, « celle qui bosse », « celle qui sait tout »,
« celle qui couche », « l’handicapée » et « l’autre ». Le soi adulte est « moi » ou
Marie, ou, si les enfants en parlaient, « la grande Marie ». Les PE portaient éga-
lement le prénom de Marie, sauf celles qui imitaient les agresseurs qui portaient
les prénoms ou les caractéristiques physiques des agresseurs (« le vieux », « le
gros », etc.).
En parallèle de la psychothérapie vont être mis en place un suivi avec un psy-
chiatre, une psychothérapie de couple, une rééducation à l’hôpital pour la marche,
un suivi avec un psychiatre addictologue et trois hospitalisations pour arrêt de
la consommation. Après 9 ans de psychothérapie ensemble, Marie n’a plus de
fauteuil roulant (après 3 ans de thérapie), n’a plus de comorbidités en dehors
de son TCA et de son obésité. Le travail sur les traumas est quasiment terminé,

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à l’exception de l’inceste maternel qui a débuté mais reste très douloureux pour
elle. Cela a permis des évolutions, fusions entre les parties, puis l’intégration de
certaines d’entre elles au sein du soi adulte. Elle présente, aujourd’hui, un soi
adulte renforcé et très orienté dans le présent, une seule PAN et une dizaine de
PE.
Témoignage de Marie :

« Il faut savoir que le TDI est très peu connu et on a vu plusieurs psychothérapeutes qui
nous ont collé différentes pathologies, sans expliquer nos bizarreries. Ce qui nous a
aidé, c’est lors de mon premier rendez-vous avec Emmanuelle, où on était d’accord
pour ne pas parler de nos bizarreries. Elle a posé des mots sur ce que je n’osais pas dire,
comme les moments d’absence, les moments où on est différentes, les voix... Elle en
est restée là le premier jour. Puis au fur et à mesure, elle a mis des mots sur le trauma,
avec une échelle du trauma pour en arriver au trauma complexe. Je me souviens de
l’amygdale et du choc et je me suis dit “C’est exactement ça”. Même si on n’aime pas
savoir que l’on a une pathologie mentale, cette fois-ci on l’accepte car elle explique
tout. Puis, elle m’a parlé d’un livre1 qui est un témoignage d’une psychothérapeute qui
accompagne une patiente TDI. J’ai dévoré ce livre, même si en même temps je dissociais
en permanence car je me suis tellement reconnue par moments... Ce qui m’a aidée,
c’est de mettre des mots et d’accepter les voix, donc les parties de moi, d’accepter que je
n’avais pas un fonctionnement comme les autres. Puis est venu le moment de la lecture
du Soi hanté, et là en un weekend j’ai dévoré ce livre. J’ai dû le relire trois fois car au fur
et à mesure j’acceptais de me reconnaître dans la dissociation la plus complexe qui soit.
Il faut apprendre à s’accepter pour être en paix avec soi-même. Et surtout apprendre à
s’écouter et comprendre les parties, c’est éviter les trous de mémoire et les situations plus
complexes... J’ai vécu la même chose avec les addictions, comprendre son adversaire,
c’est déjà le maîtriser. Apprendre à se comprendre, c’est être unie. »

Éric – 18 mois de psychothérapie

Orienté par une de ses amies psychiatre, Éric, 50 ans, vient consulter pour « un
burn-out ». Il travaille dans le monde du spectacle, est marié et a deux enfants.
Ce qui déclenche la prise de rendez-vous est une répétition où il a verbalement
agressé la troupe de théâtre, sans aucun souvenir de l’événement. Il a été
victime de maltraitance de la part de ses deux parents et, comme son frère, d’un
syndrome de Münchhausen par procuration de la part de sa mère. Par ailleurs, il a
été victime d’un pédocriminel au sein de son école primaire. Son père est décédé
pendant son adolescence. Il a coupé les ponts avec sa mère et son frère après

1. Sybil (Schreiber, 1974).

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la naissance de son premier enfant. Avec le travail thérapeutique, il décide de


reprendre contact avec son frère qui l’a accueilli très chaleureusement. Cela vient
confirmer ses souvenirs d’enfance qui émergent au fur et à mesure, notamment
en lien avec les maltraitances maternelles.
En dehors du TDI, les comorbidités que présente Éric sont un trouble d’utili-
sation de substances, du sommeil (insomnies, cauchemars, terreurs nocturnes)
et des symptômes dépressifs et anxieux. Après 18 mois de thérapie il arrive à
identifier trois PAN (avec les fonctions professionnelles, d’époux et de père) et
une dizaine de PE (de bébé à l’âge adulte) et celui qu’il appelle « moi », que
nous comprenons comme étant le soi adulte. Ses PE portent son prénom ou des
fonctions, ou des formes plus vagues telles que « le fantôme » (qui est une PE
qui permet de ne pas ressentir). Les PE se manifestent essentiellement par des
mouvements somatiques, et parfois par un vocabulaire spécifique de l’enfance.
Mais chez Éric, cela n’implique pas du tout de changement de voix, ni de sexe.
Comme Marie, nous l’orientons vers un psychiatre d’une part et chez une collègue
psychothérapeute de couple d’autre part.
Témoignage d’Éric, en parlant de son vécu intérieur :

« Depuis toujours, je vois que c’est compliqué pour moi de fonctionner comme les autres.
L’absence de fil conducteur : la vie est une mosaïque, un puzzle, une succession de plans
et pas du tout un plan séquence. Impossible d’en reconstituer l’histoire, l’impression d’un
brouillard. Et puis l’entourage doit supporter les changements brutaux qui paraissent
aléatoires, les crises clastiques. On est étiqueté comme instable, inconstant, on a des
lubies. Alors on se dit qu’on est juste une accumulation d’erreurs génétiques, qu’on
est nul, une sorte d’impasse de l’évolution. Je m’étais résigné à être une personnalité
borderline, sans que cela ne m’apporte quoi que ce soit, en dehors de désirer être
encore plus discret, m’effacer de tout. »

Puis il nous parle des effets de la psychoéducation :

« Tout d’un coup, quelqu’un me propose une explication à tout ça en me décrivant le


corpus scientifique solide sur lequel elle repose, des moyens et des références pour
aller voir moi-même. TDI. Surtout, elle me parle du fonctionnement du TDI, et tout ce
qu’elle me dit fait immédiatement écho (enfin, sauf ce qui m’amène chez elle, et dont
je n’avais qu’une notion confuse, mes traumas, mais pour lesquels j’ai compris qu’il
fallait du temps... et du travail). Mieux que cela, elle valorise ce fonctionnement, et ses
explications (et leurs bases théoriques) me permettent d’être accessible à cet aspect
positif des choses (habituellement, la valorisation m’est insupportable, une négation de
ce que je ressens être, et l’attention qu’on me porte, source d’un danger diffus, pas
là). Assez brutalement, je change de paradigme. Je passe de “je suis comme ça parce

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que je suis une erreur de la nature”, à “si je suis comme ça, ce n’est pas parce que
je suis une anomalie, c’est parce que j’ai vécu des choses anormales”. J’ai appris à
faire confiance à ce fonctionnement des “parties de soi”, à lui faire confiance, ainsi
qu’aux parties elles-mêmes, bien qu’il s’agisse tout de même de les canaliser. Ce que
j’ai compris comme “la phobie des parties” est en cours de résolution, et cela m’ouvre
au monde. Je n’ai jamais été, je crois, aussi heureux, même si cela reste très difficile au
quotidien. »

Alexandra – 6 mois de psychothérapie

Alexandra, 31 ans, trouve notre contact via un forum sur les TDI. Elle se présente
dans notre consultation avec un diagnostic initié par elle-même, puis confirmé
par son psychiatre. Elle a lu énormément d’articles scientifiques sur le sujet, ce
qui l’amène à utiliser un vocabulaire spécifique lorsqu’elle parle d’elle-même. Mal-
gré de multiples diplômes, elle n’a pas de profession définie. Elle est célibataire
et vit seule avec son chien. Elle a été victime de maltraitance de la part de son
oncle et son grand-père paternels qui souffraient de personnalité paranoïaque.
Son père est décédé, la relation avec sa mère est tendue, et elle n’a plus de
contacts avec sa sœur. Avec le travail, des levées d’amnésies fragmentées font
état d’agressions sexuelles dans l’enfance. Nous n’en savons pas plus pour le
moment. Elle présente une comorbidité de trouble d’utilisation de substances et
d’hypersexualité ainsi que des symptômes dépressifs.
Dès la deuxième séance, elle est capable d’identifier ce qu’elle appelle ses
« sept PAN », qu’elle nomme soit Alexandra, soit Alex, et qui sont féminines,
masculines ou non binaires. Elle les identifie ainsi : une « principale », une
« trauma holder », une qui travaille et d’autres qui n’ont pas de rôle spécifique
mais qui, selon elle, gèrent la vie quotidienne d’une manière ou d’une autre.
Elle leur a attribué des couleurs pour les identifier. Elle a accès à ce qu’elle
appelle les cinq « alters » qui ont des prénoms différents et vont de l’enfance à
l’âge adulte. Néanmoins, ces parties, que nous reconnaissons comme des PE, ne
sont pas les bienvenues. Actuellement, nous n’arrivons pas encore à identifier
celle qu’elle appelle « la principale », qui pourrait être le soi adulte. Cela nous
semble cohérent avec notre expérience clinique, car tant que les PAN et PE
sont très actives, le soi adulte ne peut pas émerger. Ses PE se manifestent
par des changements de posture corporelle, de voix et de langue car Alexandra
est bilingue. Quand nous la rencontrons, son organisation interne est telle que
la partie qui est « en front », donc en contrôle exécutif, est celle qui décide.
Le travail thérapeutique, qui n’en est qu’à son début, implique qu’elle puisse

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188 P RISES EN CHARGE DU TDI

mieux appréhender son fonctionnement intérieur pour diminuer les amnésies du


quotidien et ainsi reprendre le contrôle de sa vie quotidienne.
Témoignage d’Alexandra :

« Ce qui nous aide dans la thérapie avec toi, c’est que tu nous contiens et tu n’as pas peur
de nos “switch”. Tu nous donnes des clés pour revenir dans le présent. J’ai compris aussi
que je basculais d’une addiction à une autre et que tant que tout était caché, il y avait
des “switch” qui pouvaient durer 3, 6 ou 9 mois. Nous comprenons que nous devons
nous parler pour éviter qu’une seule PAN prenne en otage le système. Maintenant il
faut être d’accord. Tu as compris depuis le début que si je te pose des questions sur
les détails d’autres patients TDI, c’est parce que je suis en recherche d’autres modèles.
L’objectif, c’est d’être fonctionnelle. Avant tout le monde disait que “rouge” (la “trauma
holder”) était embêtante ; maintenant, on comprend qu’elle a un rôle. Et on cherche à
comprendre le rôle de chaque PAN. Ce qui nous a beaucoup rassurés, c’est quand tu
nous as expliqué que les parties agressives deviennent les plus aidantes, j’ai beaucoup
réfléchi à ça. Tu proposes aux parties d’aider le système d’une autre manière, de changer
de rôle. Enfin, ce qui nous aide aussi, c’est que tu te présentes à chaque nouvelle partie
qui émerge en thérapie et en utilisant un vocabulaire adapté à l’âge de la partie. »

Il nous semblerait pertinent de créer une éducation thérapeutique du patient


(ETP) propre aux TDI ; l’ETP, qui existe depuis 1922 en somatique, est rentrée
dans la loi « Hôpital, patients, santé et territoire » depuis 2009 et a largement
prouvé son efficacité dans les recherches scientifiques avec les troubles psychia-
triques tels que la bipolarité, la schizophrénie et la dépression. À la différence
de cas simulés que nous pouvons rencontrer dans notre cabinet, les patients TDI
sont d’abord accablés lorsque nous posons le diagnostic, même lorsqu’ils arrivent
déjà avec cela à l’esprit. Malgré le fait que les réseaux sociaux puissent être
néfastes, car favorisant parfois des patients simulant les symptômes de TDI, ils
permettent également à d’autres de sortir de leur isolement, et parfois trouver
des cliniciens adaptés à leur problématique. Sur les quatre patients TDI que nous
suivons, deux nous ont trouvée via Internet. Dès les premières rencontres il a
fallu rapidement poser un diagnostic, avec la psychoéducation qui l’accompagne.
En effet, ce n’est qu’en apprivoisant leurs symptômes et les différentes parties
de leur personnalité qu’il leur a été possible de reprendre la maîtrise de leur vie.
Enfin, pour ces patients et ceux à venir, il ne s’agit pas de les faire rentrer dans
des grilles toutes faites, mais au contraire d’accompagner ce processus avec leur
vision de leur trouble. Chaque patient est unique et nous ne sommes qu’au début
de la compréhension de ce trouble si complexe.

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Trouble dissociatif de l’identité et psychoéducation 189

R ÉSUMÉ
Les patients TDI se présentent en consultation avec une vie chaotique et une incompré-
hension de leurs réactions et comportements dans leurs interactions avec le monde
extérieur et interne. La psychoéducation implique de poser le diagnostic et de donner
des clés pour leur permettre d’appréhender leur trouble et ainsi améliorer leur vie
quotidienne. Il leur faut du temps pour l’accepter et pour comprendre combien cette
pathologie est une des manières, selon nous, les plus fines et complexes pour faire
face au trauma. C’est d’ailleurs ce que nous avons pu constater avec Marie, qui au
bout de quelques années, pouvait dire : « Nous sommes TDI, et fières de l’être. »

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Chapitre 12

Utilisation de la thérapie EMDR


avec le trouble dissociatif
de l’identité

Roger Solomon, PhD et Dolores Mosquera

E XPOSÉ DU CHAPITRE
La psychothérapie EMDR est une thérapie fondée sur des données probantes pour
le traitement des traumatismes. Elle considère les problématiques actuelles comme
trouvant leur source dans l’encodage mnésique dysfonctionnel d’expériences de vie
défavorables passées (et donc dans l’incapacité de s’intégrer dans le réseau plus
large de la mémoire). Autrement dit, les symptômes actuels sont considérés comme
le résultat d’informations stockées en mémoire de façon dysfonctionnelle, que le cer-
veau est incapable de traiter complètement. La thérapie EMDR utilise des procédures
standardisées pour faciliter l’intégration des souvenirs traumatiques. Elle utilise un
protocole en huit phases et trois temps : traiter les souvenirs du passé associés à des
problèmes et déclencheurs du présent (personnes, lieux, situations), les intégrer, puis
fournir un modèle de comportement adapté pour les temps futurs.
Dans le cas du trouble dissociatif de l’identité (TDI), il est important de prévoir une
phase de stabilisation prolongée afin que les patients soient prêts pour le retraite-
ment des souvenirs traumatiques. Il faut notamment tenir compte de la nécessité de
maintenir le client dans sa fenêtre de tolérance. Les stratégies de préparation, de
stabilisation, de sélection des souvenirs à traiter et de mise en œuvre du protocole
EMDR sont développées dans ce chapitre.

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“Binet_82810_BAT” (Col. : Psychothérapie 2014 17x24) — 2022/2/10 — 22:38 — page 192 — #208
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192 P RISES EN CHARGE DU TDI

I NTRODUCTION

La thérapie EMDR, Eye Movement Desensitization and Reprocessing (désensibilisa-


tion et retraitement par les mouvements oculaires), est une approche fondée sur
des preuves, développée au départ pour le traitement du TSPT (Shapiro, 1989,
2018). Elle est guidée par le modèle du traitement adaptatif de l’information
(TAI) (Shapiro, 1995, 2001) qui considère les symptômes actuels (à l’exception
de causes médicales) comme résultant d’expériences perturbantes non traitées
de manière adéquate. Selon ce modèle, ces souvenirs non résolus sont stockés de
façon inadaptée, et peuvent provoquer les symptômes d’un TSPT lorsqu’ils sont
déclenchés. Au cours de la thérapie EMDR, ces souvenirs sont retraités, associés
à des informations positives, puis reconsolidés et stockés à nouveau dans la
mémoire. Cette résolution adaptative entraîne l’élimination des symptômes. De
multiples études en imagerie cérébrale ont révélé des différences significatives
dans l’activité cérébrale avant et après un traitement EMDR1 (Pagani et al.,
2013).
Le trouble dissociatif de l’identité (TDI) est considéré comme la manifestation la
plus grave et la plus chronique de la dissociation. La théorie de la dissociation
structurelle de la personnalité (TDSP)2 (van der Hart et al., 2006) considère
qu’une ou plusieurs parties appelées parties apparemment normales (PAN) sont
engagées dans la vie quotidienne, en tenant soigneusement à distance les
souvenirs traumatiques, et d’autres parties, appelées parties émotionnelles (PE)
vivent et rejouent le « temps du trauma ». Le TDI implique plus d’une partie
engagée dans la vie quotidienne, chaque PAN ayant potentiellement ses propres
PE. Les PAN développent une phobie des autres parties de soi, des souvenirs
traumatiques et de la vie intérieure (y compris les pensées, les sentiments et les
sensations). De plus, les PE peuvent être phobiques les unes des autres. Ainsi,
le psychothérapeute doit assurer la stabilisation et l’amélioration de la capacité
d’intégration de la PAN afin de réduire la phobie liée à la découverte de son
monde intérieur. Il est nécessaire de travailler avec les parties pour tendre vers
une collaboration et coopération via le leadership adulte ; ceci est abordé dans
la phase 2 de l’EMDR. Lorsque le patient répond aux critères de préparation, les
expériences traumatiques peuvent être retraitées dans les phases 3-8 de l’EMDR.

1. Pour une approche plus complète de l’EMDR, merci de vous référer au chapitre 9 d’Eva Zimmer-
mann.
2. Pour plus d’informations sur la TDSP, merci de vous référer au chapitre 9 d’Eva Zimmermann.

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“Binet_82810_BAT” (Col. : Psychothérapie 2014 17x24) — 2022/2/10 — 22:38 — page 193 — #209
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Utilisation de la thérapie EMDR avec le trouble dissociatif de l’identité 193

Nous ne décrirons pas ici les phases 3, 4, 5, 6, 7 et 8 du protocole stan-


dard en EMDR mais observerons les ajustements possiblement nécessaires à
l’accompagnement de personnes souffrant de TDI.

P HASE 1 – R ECUEIL DE L’ HISTOIRE ET PLANIFICATION


DU TRAITEMENT

L’anamnèse et l’évaluation approfondie des capacités du patient (y compris l’éten-


due de la dissociation) sont importantes pour permettre la conceptualisation et
la planification du traitement. Cependant, les patients dissociés peuvent avoir
une forte phobie de leur vie intérieure, éviter les contenus liés au traumatisme et
ne pas être conscients des premiers souvenirs en raison d’amnésie dissociative.
Explorer les souvenirs trop tôt peut déclencher le patient, souvent en activant
des parties. Le patient sort alors de sa fenêtre de tolérance. L’anamnèse doit
donc être faite de manière progressive, accompagnée de techniques d’ancrage
et de stabilisation. Par conséquent, pour certains patients atteints de TDI, la
phase 2 (préparation et stabilisation) peut aller de pair avec l’anamnèse voire,
dans certains cas, la précéder, le thérapeute faisant des allers-retours entre les
phases 1 et 2.

P HASE 2 – P RÉPARATION ET STABILISATION

Les directives de traitement des troubles dissociatifs suggèrent de se concentrer


sur la stabilisation avant d’aborder les souvenirs traumatiques (STSS, 2011).
Pendant la phase 2, les thérapeutes se concentrent sur les outils de stabilisation
afin que les patients puissent travailler avec leurs traumatismes d’une manière
sécure et contenue. Ces dernières années, il y a eu une certaine controverse
concernant la nécessité de stabiliser ou non. Nombre de ces patients TDI ont des
difficultés à fonctionner dans leur vie quotidienne et le traitement des souvenirs
traumatiques, sans travailler avec les parties dissociatives, risque d’être difficile.
En effet, un traitement prématuré des souvenirs peut activer des parties et
déstabiliser le patient. Il est important pour le patient dans sa globalité, et
au départ pour la PAN, de connaître les stratégies permettant de réduire les
réactions physiologiques et calmer les PE. Il est essentiel d’augmenter la capacité
d’intégration du patient à tolérer les affects négatifs et l’adaptation à la vie
quotidienne. Nous décrivons ci-dessous quelques outils utiles pour la phase 2.

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“Binet_82810_BAT” (Col. : Psychothérapie 2014 17x24) — 2022/2/10 — 22:38 — page 194 — #210
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194 P RISES EN CHARGE DU TDI


N

Stabilisation et augmentation de la capacité d’intégration

Il est primordial d’apprendre aux patients à se calmer, s’apaiser. Les PAN, ainsi
que les parties qui ont une certaine capacité fonctionnelle, peuvent apprendre
à tranquilliser à la fois leurs réactions physiologiques et les « parties jeunes »
plus vulnérables. En effet, lors d’hyperactivation ou d’hypoactivation, la capacité
à rester présent, « remarquer » ce qui se passe et réfléchir, plutôt que réagir,
est très importante à développer. Le patient peut apprendre à observer quand
il ressent de l’anxiété et à utiliser des méthodes d’apaisement, plutôt que des
actions substitutives comme se scarifier ou avoir recours à des comportements
impulsifs pouvant être destructeurs pour les différentes parties. Il faut les aider à
développer leurs compétences pour mieux gérer leur vie quotidienne : la gestion
du temps, la communication, la résolution de problèmes et l’hygiène de vie sont
importantes pour améliorer la capacité d’intégration. Lorsque la vie extérieure
s’est améliorée, les parties sont plus à même de faire confiance à la PAN, et
l’exploration intérieure peut alors débuter...
N

Explorer le système intérieur – rencontrer les parties

Après une stabilisation suffisante, le psychothérapeute et le patient devront com-


prendre le système interne, sa structure, et les interactions les plus significatives,
ainsi que la priorité des interventions. Les premières interventions doivent viser
à aider le patient à être curieux des différentes parties et ainsi comprendre leurs
fonctions. L’un des obstacles fréquents lors de l’exploration du système est lié à
la phobie du monde intérieur ou des parties entre elles. Les patients peuvent
être terrifiés ou rejeter certaines parties et certaines parties peuvent mépriser la
PAN et/ou d’autres parties. Le clinicien doit modeler une approche empathique
en répondant au conflit intérieur afin que le patient et les différentes parties
puissent apprendre à fonctionner de manière respectueuse et ainsi développer
une certaine coopération et collaboration en augmentant le leadership de la PAN.
Ceci peut être favorisé par la technique de la table dissociative (Fraser, 2013)
ou « meeting place » (lieu de rencontre) (Gonzalez, Mosquera & Solomon, 2012),
salle de réunion imaginaire où les parties peuvent se rencontrer. Cependant, au
début du traitement, cette expérimentation peut être trop compliquée, en raison
des phobies du monde interne explicitées ci-dessus, notamment pour un patient
souffrant de TDI.

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“Binet_82810_BAT” (Col. : Psychothérapie 2014 17x24) — 2022/2/10 — 22:38 — page 195 — #211
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Utilisation de la thérapie EMDR avec le trouble dissociatif de l’identité 195

Vignette clinique
Organiser la technique du lieu de rencontre avec Dorothy
Une partie « homme », imitant l’agresseur, se présenta, ainsi qu’une partie petite fille,
jeune et vulnérable. La partie « petite fille » se sentait piégée dans une maison et voulait
fuir. La partie masculine interdit au psychothérapeute de parler à la petite fille. Après
une conversation avec cette partie masculine, il fut convenu que, pour le moment, la
partie « petite fille » et ses souvenirs ne seraient pas abordés. Cependant, la partie adulte
pourrait calmer la partie jeune tant que les souvenirs ne seraient pas évoqués. Ainsi, un
accord intermédiaire fut trouvé pour la stabilisation.
Cet exemple illustre une phobie entre différentes parties et la stabilisation nécessaire
avec le système intérieur.
N

Établir des relations de coopération entre les parties

Beaucoup de nos patients sont dans une lutte constante avec eux-mêmes, et leur
vécu intérieur n’est pas facile à comprendre sans une formation spécifique sur la
dissociation, en particulier la dynamique complexe du TDI. Lorsque les patients
éprouvent des pensées, sentiments, souvenirs et impulsions intolérables, leur
système intérieur a tendance à s’organiser en parties dissociées. Certaines de
ces parties vont souvent être en colère ; elles peuvent être vécues comme des
voix intérieures hostiles et critiques qui conversent entre elles, même lorsque
le soi adulte garde le contrôle exécutif du corps. Ces interactions génèrent
généralement un conflit interne si intense que la personne peut même avoir des
difficultés à tenir des conversations ordinaires et à répondre à des questions
élémentaires. C’est pourquoi il est important de travailler au renforcement de
relations sécures et coopératives entre les parties.

Vignette clinique (suite)

Avec Dorothy, la partie « homme » (une partie imitant l’agresseur) interdisait au théra-
peute de parler à la partie « petite fille ». De son côté, la PAN avait peur de « l’homme »
et d’autres parties internes pensaient même qu’il était l’agresseur. En nous adressant à
« l’homme », nous lui expliquâmes qu’il était une partie importante de la personnalité,
qu’il faisait un travail fondamental, et que nous ne voulions pas qu’il disparaisse, ce qui
de toute façon était impossible, puisqu’il faisait partie du système. Cette partie devint
alors plus à l’aise pour parler avec le psychothérapeute. Après une séance d’expli-
cations supplémentaire, l’adulte (PAN) réalisa que la partie « homme » n’était pas le
véritable agresseur. D’autres parties du système, y compris la « petite fille », comprirent
qu’il s’agissait bien d’une partie imitant l’agresseur. L’ensemble du système s’en trouva
considérablement soulagé. La partie « homme » devint beaucoup moins agitée, et un
accord fut conclu pour que la « petite fille » puisse parler, mais que « l’homme » puisse
informer le patient et le clinicien si quelque chose devenait insoutenable.

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“Binet_82810_BAT” (Col. : Psychothérapie 2014 17x24) — 2022/2/10 — 22:38 — page 196 — #212
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196 P RISES EN CHARGE DU TDI

Un moment important du travail consiste à comprendre et à respecter le fait que


chaque partie assure une fonction de survie importante. Comme nous le verrons
plus loin, le travail de cette partie sera toujours important, mais la manière de
l’accomplir pourra évoluer.
N

Comprendre le « travail » des parties

Les parties dissociatives ont été créées pour s’adapter et survivre à la situa-
tion traumatique. Ces parties sont souvent bloquées dans la répétition de ce
qu’elles devaient faire ou ont appris. Quand les patients comprennent que ces
parties sont actives lorsqu’elles sont déclenchées, ils peuvent commencer à
saisir l’idée qu’elles tentent de les aider dans le présent. En explorant pourquoi
elles s’expriment, crient ou envoient des messages menaçants ou effrayants, le
système peut commencer à intégrer que ces dysfonctionnements apparents sont
des tentatives ingénieuses d’aide. Cela permet aux patients d’identifier leurs
fonctions.
Les parties protectrices se déclenchent souvent lorsque le patient doit aborder
ou traiter quelque chose de bien particulier. Leurs réactions peuvent être une
réponse à une menace perçue, ou dues à l’impression que d’autres parties ne sont
pas à la hauteur ou incapables de gérer ce qui doit être fait. Le clinicien doit
se rappeler que les parties et les voix, bloquées au temps du trauma, réagissent
comme si la menace ou le danger existait toujours. Certaines parties peuvent
également protéger le système contre des souvenirs envahissants, en détournant
l’attention de sujets ou de détails rappelant le trauma. Souvent le patient et les
autres parties ne comprennent pas ces tentatives d’aide et les perçoivent comme
des agressions. C’est pourquoi les cliniciens doivent aider les patients à explorer
le rôle des différentes parties, y compris les parties les plus difficiles, et leur
apprendre à reconnaître la fonction adaptative des voix ainsi que leur fonction
de protection.
Les parties ont surtout des fonctions protectrices, bien que cela puisse être
difficile à déchiffrer lorsque la partie est agressive et effrayante. La plupart du
temps, les patients diront des choses comme « Je ne pense pas qu’elle essaie
d’aider, elle ne fait que me gâcher la vie ! » ou « Comment ça, aider ? Il me rend
malheureux ! ». Il est important de garder à l’esprit que la remise en question
de la fonction protectrice de la partie est une réponse logique du patient, soit
parce que la voix est vécue comme effrayante et dangereuse, soit parce que des
parties craintives le bloquent et lui font ressentir de l’impuissance. En analysant
les déclencheurs, le patient finira par comprendre que les parties ont tendance

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“Binet_82810_BAT” (Col. : Psychothérapie 2014 17x24) — 2022/2/10 — 22:38 — page 197 — #213
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Utilisation de la thérapie EMDR avec le trouble dissociatif de l’identité 197

à apparaître lorsque les choses se compliquent et/ou que la PAN, ou d’autres


parties du système, se sentent en détresse. Nous pouvons dire : « Je sais que
cette partie n’a pas l’air d’essayer d’aider parce qu’elle est très effrayante, mais
rappelez-vous qu’elle apparaît généralement lorsque les choses sont difficiles
pour vous. » Nous devons toujours valider la fonction protectrice de la voix,
même si elle est actuellement inefficace, en les aidant à réaliser comment elle a
pu être utile dans le passé.
Un guide pratique pour explorer la fonction des parties (Mosquera, 2019) :
 Avez-vous remarqué quand la partie a tendance à se manifester ?
 Est-ce qu’elle se manifeste lorsque vous vous sentez contrarié ?
 Est-ce qu’elle se manifeste lorsque vous vous sentez bien ?
 Qu’est-ce que la partie essaie d’atteindre en faisant... ?
 Quelle est la fonction de cette partie ?
Si le patient répond « Aucune » : Si elle essayait d’aider, à quoi servirait-elle ?
 Que remarquez-vous sur la façon dont la partie se sent ? Cela pourrait nous
aider à comprendre pourquoi elle réagit/répond de la façon dont elle le fait.
 La partie se sent-elle en colère, bouleversée, effrayée, triste, etc. ?
 Pouvez-vous demander à la partie comment elle se sent ?
Si la partie ne répond pas : Comment pensez-vous que cette partie peut se
sentir ?

Une fois que le thérapeute et le patient ont compris la fonction (le « job »)
des parties, il s’agit de continuer à améliorer la relation entre ces parties et
comment le « job » peut être fait de façon plus adaptée. Certaines questions
explorant différentes alternatives peuvent aider ce processus :
 Je sais que cette partie peut apprendre à communiquer d’une manière plus
fonctionnelle, mais elle a peut-être besoin de notre aide ?
 Pouvons-nous trouver une manière différente et plus adaptée de communiquer ?
 Quel type de messages venant de cette partie est plus difficile pour vous ?
 Quels types de messages ou de réponses vous aideraient plutôt ?
 Comment pouvons-nous l’aider à communiquer ce type de messages ?
 Le travail que fait cette partie est important. Explorons d’autres façons d’ac-
complir ce « job » maintenant que vous êtes adulte.

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“Binet_82810_BAT” (Col. : Psychothérapie 2014 17x24) — 2022/2/10 — 22:38 — page 198 — #214
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198 P RISES EN CHARGE DU TDI

Vignette clinique

George avait une partie jeune qui se sentait désespérée et suicidaire lorsqu’elle était
déclenchée, et commençait à se scarifier. Il avait des pensées du type « Tu devrais mou-
rir ». En explorant le système, il s’avéra que le suicide était un moyen de mettre fin à
des émotions intolérables de désespoir, dont il ne voyait aucune issue. Comprendre
cette tâche importante, consistant à faire face à l’intolérable, fut réconfortant pour cette
partie. Le travail thérapeutique consista ensuite à l’aider à réaliser que le danger de
l’enfance était passé, et qu’il y avait un adulte aujourd’hui. L’adulte, dont la capacité
d’intégration augmenta, apprit à réconforter la partie plus jeune à chaque fois qu’elle
était déclenchée.
N

Orientation temporelle

L’orientation temporelle est très pertinente dans le travail avec les TDI puisque
certaines parties et voix ont tendance à rester bloquées au temps du trauma.
Nous devons donc aider les patients à comprendre que ce qu’ils ont vécu s’est
produit dans le passé, et que cela ne se produit plus maintenant.
Les questions suivantes sont utiles pour aider les patients à réfléchir à ce
problème fondamental :
 Où êtes-vous en ce moment ?
 Quel jour/année sommes-nous ?
 Quel âge avez-vous ? Quel âge avez-vous la sensation d’avoir en ce moment ?

Vignette clinique

Lauren avait des parties qui ignoraient que le danger de l’enfance était passé et qu’il y
avait aujourd’hui une adulte avec qui collaborer. Une partie critique, une partie hypervi-
gilante et une partie enfant furent amenées à réaliser que le danger de l’enfance était
passé et qu’il y avait aujourd’hui une PAN (adulte) avec de nombreuses possibilités pour
affronter les problèmes. Ce message fut développé et répété de nombreuses fois au
cours des deux premières années de thérapie, car les parties étaient dissociées les unes
des autres. Comme l’a dit Lauren : « Je sais que c’est vrai, mais j’oublie quand une
autre partie émerge. » Avec le temps, et en comprenant de mieux en mieux son système
intérieur, Lauren put, lorsqu’une partie était déclenchée, s’orienter dans le temps (« Nous
sommes en telle année et je ne suis plus une enfant »). Ceci améliora considérablement
son fonctionnement dans la vie quotidienne.

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“Binet_82810_BAT” (Col. : Psychothérapie 2014 17x24) — 2022/2/10 — 22:38 — page 199 — #215
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N Utilisation de la thérapie EMDR avec le trouble dissociatif de l’identité 199

Compassion/Empathie

Aider la ou les PAN à avoir de la compassion et de l’empathie pour les autres


parties réduit la peur et l’évitement. Lorsqu’un patient est déclenché, le fait
de comprendre quelle partie est activée et d’être capable d’aborder cette partie
avec bienveillance peut aider à calmer le système.
Les questions suivantes sont utiles pour aider les patients à réfléchir à ce
problème fondamental :
 Que ressentiriez-vous face à un enfant qui aurait vécu ce qui vous est arrivé
(décrire les épisodes) ?
 Pouvez-vous regarder cette partie avec un « regard aimant » ? (Knipe, 2015)
 Si la PAN peut ressentir de la compassion, demandez : « Cette partie peut-elle
ressentir votre compassion ? »

Vignette clinique

Charlotte, en tant que PAN, éprouvait du dégout pour une partie enfant qu’elle percevait
comme un bébé pleurnichard et faible. C’était en fait une partie restée coincée dans les
« pleurs d’attachement », avec un énorme besoin d’être en lien. En faisant comprendre
à Charlotte les besoins d’un petit enfant, le fait que cette partie portait des mémoires
trop lourdes pour elle, ainsi que les capacités limitées d’un tout-petit qui se sent seul,
elle éprouva, en tant que PAN, de la compassion et de l’empathie pour cette partie
d’elle-même, bloquée au « temps du trauma ». Elle put alors, par l’imaginaire, se tenir
à côté d’elle, mettre son bras autour d’elle, et réconforter cette partie enfant.
N

Promouvoir la co-conscience

La co-conscience est le partage des expériences ou des tâches entre les parties.
La vie étant vécue comme fragmentée, le développement de la co-conscience est
un outil fondamental qui aide les patients de différentes manières. Premièrement,
cela les aide à réaliser qu’ils sont en sécurité maintenant. Deuxièmement, cela
leur apprend à recevoir et accepter de l’aide, ce qui est souvent difficile pour
ces patients. De façon plus générale, cela leur permet de prendre conscience
de la différence entre fonctionner avec un système intérieur conflictuel avec
des réponses propres à chaque partie, et progresser en équipe et ressentir la
puissance issue de la réunion des ressources. La PAN et les parties disposant de
ressources peuvent « partager » leurs expériences positives et leurs capacités
avec les PE. Au fur et à mesure que le travail avance, les PE peuvent partager
leurs expériences douloureuses avec la PAN et les autres parties-ressources.

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“Binet_82810_BAT” (Col. : Psychothérapie 2014 17x24) — 2022/2/10 — 22:38 — page 200 — #216
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200 P RISES EN CHARGE DU TDI

L’intégration se poursuit à mesure que les parties deviennent plus conscientes


les unes des autres et fonctionnent en collaboration.

Vignette clinique (suite)

En développant la co-présence de Charlotte et d’une partie enfant, et en axant les


séances suivantes sur des parties ressenties comme jeunes et effrayées, déclenchées à
chaque fois que Charlotte parlait avec d’autres personnes ou se rendait dans un nouvel
endroit, Charlotte et une autre PAN, dont la fonction consistait à évaluer le danger et à
s’enfuir si nécessaire, devinrent plus aptes à rester présentes, conscientes que le danger
du passé n’avait plus lieu et capables de se sentir en sécurité ici et maintenant.
N

Collaboration des parties avec le leadership de la PAN

Comme nous l’avons vu plus haut, toutes les parties sont importantes et peuvent
être une aide et une protection dans l’ici et maintenant. La collaboration n’im-
plique pas l’élimination d’une partie mais l’apprentissage d’un fonctionnement
plus coopératif pour trouver, grâce à l’aide du psychothérapeute, un accord
entre toutes les parties. Un message important à rappeler à différents moments
de cette phase de thérapie est que le « job » d’une partie peut évoluer puis-
qu’aujourd’hui, il y a un « adulte » avec plus de capacités, de connaissances
et surtout de choix que dans l’enfance. Par exemple, il peut y avoir une partie,
vécue comme un adolescent, dont la « tâche » consiste à protéger en se mettant
en colère ou en accusant les autres. Cette partie est invitée à collaborer avec
l’adulte en partageant sa force et/ou ses capacités. La psychoéducation peut
être utilisée pour expliquer qu’en cas d’attaque, il a le choix entre courir, se
défendre, appeler au secours, parler à l’agresseur... et « l’adulte » peut prendre
la meilleure décision pour survivre. Par conséquent, cette partie (et son « job »)
sera toujours importante et elle peut désormais collaborer avec l’adulte.

Vignette clinique

Ralph, un homme de 52 ans, avait un passé de négligences graves. Il avait une partie
enfant vulnérable qui avait peur des adultes, des hommes en particulier, une partie
hypervigilante toujours à l’affût du danger, et une partie critique qui lui répétait, une
fois déclenchée, qu’il était faible et inadéquat. En explorant le système, il est apparu
que la partie critique sortait lorsque la partie enfant était déclenchée et avait peur. En
évoquant les déclencheurs, nous nous sommes aperçus que la partie critique essayait de
protéger l’enfant contre la douleur. Le message « Tu es faible, sois fort » était la tentative
de cette partie d’aider la partie enfant à ne pas être blessée. Une fois que cette tâche
fut comprise, ce travail a été reconnu et donc la manière de protéger l’enfant put être

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“Binet_82810_BAT” (Col. : Psychothérapie 2014 17x24) — 2022/2/10 — 22:38 — page 201 — #217
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Utilisation de la thérapie EMDR avec le trouble dissociatif de l’identité 201

modifiée. La partie critique, qui n’était pas consciente de la détresse que cela provoquait
chez l’adulte, accepta de collaborer avec lui. Au cours d’une séance ultérieure, il fut
convenu que la PAN pouvait soutenir la partie hypervigilante lorsqu’elle était déclenchée,
notamment lorsqu’elle voyait un homme adulte. Cela permit à la partie hypervigilante
de s’apaiser, et au patient de mieux fonctionner dans sa vie quotidienne puisque les
déclencheurs étaient beaucoup plus faciles à gérer.
N

Critères de préparation

Il y a eu, et cela reste d’actualité, une controverse concernant l’utilisation de


l’EMDR dans les troubles dissociatifs (Mosquera, 2014, 2017). Les thérapeutes
rapportent souvent des difficultés lors de l’application des procédures standards
avec les troubles dissociatifs et beaucoup ont eu des expériences où le patient
sortait de sa fenêtre de tolérance. Il est important qu’il y ait un niveau suffi-
sant de coopération entre les parties et que le patient réponde aux critères de
préparation suivants :
➙ alliance thérapeutique patient-thérapeute suffisante ;
➙ capacité à diminuer l’hypervigilance et à accéder aux ressources ;
➙ environnement social stabilisé ;
➙ développement de la coopération, coprésence et collaboration entre les
parties ;
➙ informations adaptatives suffisantes pour faire face aux croyances inadaptées
du patient ;
➙ capacité d’intégration suffisante pour que la PAN puisse rester présente face
aux émotions de la PE lors du traitement du souvenir en EMDR.

P OINTSDE DÉPART POUR LE RETRAITEMENT


DES SOUVENIRS
N

Progression du traitement

La progression habituelle du traitement consiste à commencer par les souvenirs


traumatiques passés. Ainsi, l’accent initial peut être mis sur la construction et le
renforcement des ressources de la personnalité (par exemple, les compétences)
(Korn & Leeds, 2002 ; Knipe, 2015), puis sur le retraitement des souvenirs
douloureux plus récents (par exemple, les déclencheurs actuels), et enfin sur le
retraitement des traumatismes passés (Hofmann, 2010). Le retraitement peut

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“Binet_82810_BAT” (Col. : Psychothérapie 2014 17x24) — 2022/2/10 — 22:38 — page 202 — #218
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202 P RISES EN CHARGE DU TDI

aussi se faire en « titrant » l’événement, c’est-à-dire comme en « goutte à


goutte » en chimie, en se concentrant sur une partie isolée de l’expérience (par
exemple en désensibilisant seulement des images ou des émotions), plutôt que
sur l’ensemble du souvenir : travailler sous la forme d’une approche progressive
(Gonzalez & Mosquera, 2012).
N

Décider quelles parties doivent être présentes et lesquelles


ne doivent pas l’être

Sachant qu’il peut être trop difficile pour certaines parties d’être présentes lors
du retraitement d’un souvenir, il est important de décider avec le patient quelles
parties peuvent être là (notamment celles qui ont été impliquées dans l’événe-
ment) et celles qui ne doivent pas l’être. Par exemple un patient ayant subi une
agression à l’âge de 6 ans avait d’autres parties qui se vivaient comme étant
encore plus jeunes. La PAN estima que ces parties-là pourraient être submergées
et confuses par le souvenir de cette agression car elles étaient bloquées dans
d’autres expériences traumatiques. Aussi ces parties furent emmenées dans un
« lieu sûr » pendant le traitement. Cette stratégie de titrage du retraitement
permet de réduire les symptômes et augmenter la capacité à fonctionner dans le
présent. Une fois le système renforcé, conséquence des séances de retraitement
des souvenirs, les parties qui ne pouvaient pas être présentes au préalable pou-
vaient désormais progressivement être incluses dans le retraitement, soutenues
par les parties ayant déjà participé aux séances précédentes. Au final, toutes les
parties devront être incluses dans le retraitement pour parvenir à une intégration
complète du souvenir. Mais il est important d’avancer au rythme du patient.

Vignettes cliniques

 Anne a été victime d’inceste par son père et ses deux frères. Après plusieurs années de
stabilisation, elle fut prête pour le travail sur ces souvenirs. Lors du ciblage initial d’un
souvenir d’agression concernant le père, trois parties plus jeunes ne pouvaient être
présentes et restèrent dans un « placard » pendant le retraitement. Lors de séances
ultérieures, ces parties réalisèrent que cela leur était arrivé à elles aussi, et partici-
pèrent à une séance de retraitement des souvenirs.
 Bill était quotidiennement maltraité physiquement par ses parents et était également
puni par la privation de nourriture et d’eau. Lorsque Bill se sentit prêt pour le retraite-
ment des souvenirs, deux parties sentaient que ce serait trop douloureux pour elles.
Plusieurs séances furent consacrées au travail avec ces deux parties jusqu’à ce qu’elles
soient prêtes. Puis, le souvenir fut retraité avec toutes les parties présentes.

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Utilisation de la thérapie EMDR avec le trouble dissociatif de l’identité 203

 Sella était prête à retraiter un souvenir d’enfance traumatique. Cependant, c’était


impossible car les parties ne pouvaient pas être présentes ensemble. Le retraitement
du souvenir se déroula avec une partie à la fois. Sella avait six parties, et après que
chaque partie eut une séance de retraitement, l’ensemble des parties purent être
présentes pour terminer l’intégration du souvenir.
N

Considérations spéciales à propos des phases 3 à 8 (EMDR)

Les phases 3 à 8 sont les phases de retraitement des souvenirs. Les critères
de préparation énumérés ci-dessus doivent être à un niveau « suffisamment
bon » pour permettre au patient de rester dans sa fenêtre de tolérance pendant
le retraitement des souvenirs. De plus, il doit avoir des stratégies adéquates
de régulation des émotions pouvant être utilisées pour clore la session (si
nécessaire), et gérer le matériel émotionnel susceptible de survenir après la
séance.
Bien que ce ne soit pas le thème de ce chapitre d’élaborer des modifications du
protocole standard et des stratégies pour optimiser l’accompagnement thérapeu-
tique, vous trouverez ci-dessous quelques suggestions utiles avec les patients
TDI.
Phase 3 – Évaluation : chaque partie peut avoir des points de vue différents
dans la phase d’évaluation, c’est-à-dire différentes « pires images ou moments »,
différentes cognitions négatives et positives, émotions et sensations. En général,
lorsque nous arrivons au traitement du souvenir, le patient peut choisir des
composants représentatifs de chacune des parties, mais il peut y avoir des
situations où il vaut mieux verbaliser les différentes cognitions ou les pires
moments, puis se mettre d’accord sur ce qui convient.
Phase 4 – Désensibilisation : alors que certains patients tolèrent bien les séries
standards de SBA (stimulations bilatérales alternées), d’autres patients peuvent
avoir besoin d’aller plus lentement, par exemple, 10 secondes à un rythme plus
lent, et parfois pas plus de 5-6 secondes. Si le patient ou certaines parties
du corps s’activent de manière excessive, le psychothérapeute pourra être plus
interactif avec une présence calme et sécurisante en faisant des tissages cogni-
tifs. Un « tissage cognitif » intervient lorsque le psychothérapeute fournit des
informations, affirme quelque chose ou pose une question qui aide à relier des
informations adaptatives. Par exemple, une phrase telle que « Savez-vous que
vous êtes maintenant à (ville) et que vous êtes un adulte ? » peut aider un
patient à réaliser que la situation est terminée et qu’il a survécu.

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204 P RISES EN CHARGE DU TDI

Quelques exemples de tissages cognitifs :


 Nommer l’orientation temporelle (en particulier à la partie activée) ;
 Faciliter la compréhension et la compassion entre les parties ;
 Demander à la ou aux parties qui sont activées ce qui les préoccupe et traiter
directement les difficultés ;
 Demander le point de vue de chacune des parties, en particulier si une par-
tie est bloquée sur une pensée négative (par exemple, « C’est la faute de
l’enfant ») ;
 Si une partie protectrice bloque le traitement, réaffirmer que son « job » est
important et lui demander ce qui l’inquiète.
Si une partie se présente de manière inattendue, il peut être utile d’arrêter
le traitement et de demander ce qui s’est passé pour que cette partie émerge.
Les parties protectrices peuvent surgir soudainement, bloquer le traitement ou
arrêter le patient si quelque chose est trop douloureux – c’est leur « job » et
certaines parties ne savent pas dire « stop » ou « non » sans passer par un
passage à l’acte. Reconnaître leur travail, son importance, et explorer leurs
préoccupations avec empathie, peut être utile.
S’il y a trop d’éléments qui surgissent, le psychothérapeute peut aider le patient
à s’enraciner, puis prendre le temps de comprendre ce qui est apparu, et soit
continuer le retraitement, soit clore la séance, en fonction de ce qui est le
plus approprié pour le patient. Il est important de maintenir le patient dans
sa fenêtre de tolérance. La situation peut être améliorée en ralentissant et en
réduisant le nombre de séries de SBA, en augmentant les interventions entre
les sets (par exemple, dialogue thérapeutique, exploration de la partie qui a été
activée), en revenant plus souvent à la cible ou en proposant des stratégies
d’ancrage corporel.
Phase 5 – Installation : bien que l’installation de la cognition positive soit
souvent moins complexe que la phase de désensibilisation, il peut être utile
d’interroger chaque partie sur sa cognition positive. Parfois, les parties peuvent
être ensemble lors de l’installation d’une cognition positive, mais il peut être
utile que chaque partie ait son propre processus d’installation. Le clinicien peut
décider en fonction des besoins de chaque patient et de ce qui semble donner
les meilleurs résultats. Il est recommandé de rester aussi simple que possible, et
si le patient peut installer une cognition positive représentative sans difficulté,
il n’est pas nécessaire d’interroger les autres parties.
Phase 6 – Scan corporel : le clinicien doit rester prudent s’il y a une tension lors
du scanner corporel, car les sensations peuvent être liées à d’autres souvenirs

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Utilisation de la thérapie EMDR avec le trouble dissociatif de l’identité 205

ou à l’activation d’autres parties. Si la sensation est liée à l’activation de parties


ou d’autres souvenirs, en fonction du moment et de la stabilité du patient, les
choix seront soit de clore la session et de stabiliser le patient, soit de poursuivre
l’exploration de la tension en laissant suffisamment de temps pour stabiliser le
patient avant de terminer la session, soit de continuer le retraitement.
Phase 7 – Clôture : il est impératif que le patient soit stabilisé et ancré dans le
présent avant de mettre fin à la séance. De plus, il faut lui expliquer que le travail
peut se poursuivre après la séance et qu’il peut utiliser des stratégies d’ancrage
si nécessaire. Tenir un journal de ce qui est vécu après la séance, et entre les
séances, peut être une bonne stratégie d’adaptation et permet d’informer le
clinicien sur la façon dont la thérapie EMDR est tolérée.
Phase 8 – Réévaluation : il est important d’évaluer comment la thérapie EMDR
a été tolérée. Que s’est-il passé après la séance ? Les effets thérapeutiques
se sont-ils maintenus ? D’autres éléments sont-ils apparus ? Le patient a-t-il
été capable d’utiliser des stratégies d’ancrage et d’adaptation ? Consultez le
journal et évaluez comment le patient a cheminé depuis la dernière séance. Il
est assez fréquent qu’une grande partie de l’activation se soit produite pendant
la semaine. Si c’est le cas, les séances de stabilisation doivent suivre les séances
de retraitement des souvenirs.
N

Protocole en trois temps

Au fur et à mesure que le travail sur les souvenirs progresse, et que l’intégra-
tion évolue chez le patient, il est capable d’améliorer sa vie quotidienne de
manière plus adaptée et satisfaisante. À partir de là, il est important de retraiter
les déclencheurs actuels – personnes, lieux ou situations – qui déclenchent
les symptômes. Il est alors possible d’élaborer un scénario du futur, adapté,
pour faire face aux situations qui peuvent encore déclencher ; cela implique de
trouver une stratégie adaptative pour gérer le déclencheur actuel et inviter le
patient à imaginer qu’il adopte un comportement adapté. Les SBA sont utilisés
pour renforcer les scenarios positifs, les émotions et comportements qui les
accompagnent. Les blocages qui apparaissent peuvent être explorés et traités
par le biais des SBA ou de l’identification et du retraitement des souvenirs qui
les sous-tendent. Le protocole en trois volets, en particulier le retraitement
des déclencheurs actuels et des scénarios du futur pour améliorer la capacité
d’adaptation, est une partie importante de la phase de (ré)intégration de la
personnalité du traitement par phases.

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206 P RISES EN CHARGE DU TDI

Vignette clinique

Michael a toujours eu du mal à dîner seul au restaurant. Après avoir retraité ses pires
souvenirs, les déclencheurs actuels liés à cette difficulté furent traités aussi en se concen-
trant sur les expériences où il s’était senti nerveux et inadéquat. Après le traitement de
chaque déclencheur, un scénario du futur où Michael pouvait aller seul au restaurant fut
mis en place.
N

Traiter les souvenirs plusieurs fois

Il peut être utile de traiter les souvenirs traumatiques plusieurs fois afin de
favoriser la pleine réalisation de l’événement traumatique et son intégration
dans le réseau de mémoire plus large. Un souvenir peut avoir de nombreux
liens et significations pour différentes parties. À chaque fois qu’un souvenir est
retraité, différentes parties peuvent participer à la séance et différents aspects
du souvenir peuvent se dévoiler. Des associations développementales antérieures
au trauma en travail peuvent apparaître et être retraitées aussi.

Vignette clinique

Alice a retraité la pire partie d’une agression sexuelle qu’elle a subie à l’âge de six
ans. Seule la partie de six ans et l’adulte pouvaient être présentes. Le souvenir de façon
plus large a été retraité au cours des séances suivantes. Une plus grande partie de
l’événement est devenue accessible quand la patiente a pris conscience de l’impuissance
et de la détresse ressenties alors. Lors des séances suivantes, d’autres parties ont pu se
joindre au retraitement, ce qui a permis une intégration complète du souvenir.

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Utilisation de la thérapie EMDR avec le trouble dissociatif de l’identité 207

R ÉSUMÉ
La thérapie EMDR est une approche en huit phases et en trois volets (passé, pré-
sent, futur), axée sur le retraitement des souvenirs traumatiques qui sous-tendent les
symptômes et déclencheurs actuels. Il est important de fournir des scenarios du futur
pour chaque déclencheur actuel. Pour les patients souffrant de TDI, la stabilisation
appropriée consiste à augmenter la capacité d’intégration, à gérer les symptômes
et à enseigner au patient des stratégies constructives d’adaptation et de gestion des
affects. Le clinicien doit connaître le système intérieur du patient et travailler avec les
parties pour atteindre la collaboration et la coopération, avec le leadership de la PAN.
Lorsque le patient a atteint une capacité d’adaptation suffisante, le retraitement des
souvenirs peut débuter. Ce travail peut être « titré » en se concentrant sur une partie
de l’expérience, plutôt que sur la totalité, en planifiant quelles parties peuvent être
présentes et celles qui ne doivent pas l’être. Mais, au final, toutes les parties devront
retraiter le souvenir. Le psychothérapeute utilise diverses stratégies pour maintenir
le patient dans sa fenêtre de tolérance. Le traitement des déclencheurs actuels et
les scenarios du futur aident le patient à acquérir de nouvelles compétences et des
stratégies d’adaptation, tout en améliorant l’intégration globale du patient.

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Chapitre 13

Psychotraumatologie et clinique
transculturelle : conceptualisation
d’un trouble dissociatif de l’identité
à forme de possession

Sandra Mazaira1

E XPOSÉ DU CHAPITRE
Comme pour l’ensemble des troubles psychiques, la prise en compte de la dimen-
sion culturelle se révèle essentielle pour évaluer le TDI en contexte interculturel. Les
approches transculturelles en clinique invitent à concevoir la culture comme le pre-
mier contenant psychique, et à penser la psychopathologie comme construite d’une
manière immanquablement culturée, prenant racines dans les matrices culturelles
distinctes du thérapeute et du patient. Les patients migrants peuvent exprimer la souf-
france post-traumatique en rapportant des symptômes attribués à l’agissement d’enti-
tés métaphysiques sur eux, avançant des conceptions de la maladie et du soin d’au-
tant plus étrangères au thérapeute occidental. Le risque est grand alors d’une sous-
représentation du diagnostic de TDI au profit de celui de psychose. Ce chapitre pro-
pose une conceptualisation d’un trouble dissociatif de l’identité à forme de possession
articulant psychotraumatologie et approches transculturelles.

1. Psychologue, spécialisée en psychothérapie FSP.

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210 P RISES EN CHARGE DU TDI

LA CLINIQUE EN CONTEXTE INTERCULTUREL

Monsieur Ali a 50 ans, migrant exilé, dont la biographie est jonchée d’événements
adverses depuis le premier âge : maladie puis handicap, pauvreté, violences
intercommunautaires répétées dans un pays en guerre, exil aux multiples trauma-
tismes, y compris intentionnellement induits. Il évoque finalement à demi-mot
qu’il est possédé par une entité métaphysique, une « Femme Djinn », qui lui
fait perdre contact avec la réalité « terrestre » (discontinuités de la conscience,
amnésies, dépersonnalisations et pertes de l’agentivité), et le torture en lui
infligeant des douleurs somesthésiques « comme des coups depuis l’intérieur ».
Il présente alors un statut nouveau : mutisme avec larmes, symptômes neuro-
végétatifs d’anxiété, grimaces évoquant la douleur. Puis de brefs instants de
discontinuité de la conscience, avant de revenir à l’interaction, orienté mais ne
pouvant relater l’épisode. Le discours redevient cohérent et structuré, la thymie
congruente. « Une partie de moi aimerait tout vous dire, ne plus être seul avec
ça (...) mais (...) elle ne veut pas que je parle : elle me torture si je parle. »
N

Culture, traumatisme psychique et psychopathologie

L’étude de la culture en santé mentale a connu une évolution riche et plurielle


ces dernières décennies. Entre anthropologie médicale et syndromes liés à la
culture, nombreux sont les courants à avoir pensé l’articulation entre l’universa-
lité du psychisme et le particularisme culturel (Baubet & Moro, 2009). La culture
peut être définie comme l’ensemble des matériaux de signification (représen-
tations, croyances, normes et systèmes de valeurs), conscients et inconscients,
qui permettent aux individus d’un groupe de fonctionner. Ces matériaux pré-
cèdent l’individu, l’imprègnent au travers de la transmission transgénérationnelle,
coconstruisent et orientent son identité sociale puis individuelle, sa manière
d’interpréter et d’être au monde. Ici, le premier contenant psychique est culturel :
il n’y a pas d’être humain sans culture, car il n’y a pas de pensée individuelle
sans matrice de pensée transmise par la culture (Devereux, 1983). Nathan (1986)
extrapolera la notion de Moi-peau d’Anzieu (1985, cité par Nathan, 1986) pour
élaborer celle de l’enveloppe culturelle, permettant de penser la culture en termes
de contenu mais aussi de cadre contenant.
Parmi les multiples fonctions que revêt la culture, l’une est de proposer des
matériaux par lesquels donner sens aux grandes énigmes qui transcendent l’être
humain : l’Univers, la Vie, la Mort, la Maladie, la Guérison. Le besoin de ces
matériaux de signification, et celui de faire ce travail de symbolisation pour

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Psychotraumatologie et clinique transculturelle 211

donner sens à l’existence, sont universels (Laplantine, 1973). Cependant, les


matrices culturelles sont, elles, spécifiques à des groupes, à des lieux et des
époques donnés. Elles sont à l’origine, pour chaque groupe, de représentations
différentes permettant de distinguer le normal du pathologique, la santé de
la maladie, les étiologies envisageables et les soins adéquats. Ainsi, les deux
principes sur lesquels repose l’ethnopsychiatrie sont l’universalité du psychisme,
et son fonctionnement au travers du particularisme de la culture d’appartenance.
Toute pathologie individuelle se construit alors d’une manière immanquablement
culturée, un symptôme ne prenant sens que dans une culture donnée : l’intra-
psychique et le culturel co-existent également dans le cadre du soin. Prenons
l’exemple du vécu de possession : est-ce pour le patient un symptôme de patho-
logie ou l’opportunité d’un don ? l’expression d’un conflit intrapsychique ou
l’intervention d’une entité métaphysique ? une tare individuelle ou un événement
socialement institutionnalisé ? Selon la matrice culturelle du soignant, ce dernier
proposera alors neuroleptique, thérapie familiale, intervention médiumnique,
ou évaluation des troubles dissociatifs. Patient et thérapeute ont chacun leur
matrice culturelle quant à la santé.
Nombreux sont les auteurs à attirer l’attention sur le risque d’ethnocentrisme
occidental en psychiatrie (Baubet & Moro, 2009). En situation interculturelle,
certains tableaux post-traumatiques peuvent présenter, au premier plan, des
symptômes culturellement codés, interprétés de manière erronée par le théra-
peute occidental, précipitant des erreurs diagnostiques sous forme d’une sous-
représentation d’ESPT, ou d’une sur-représentation de psychose. En clinique, les
approches transculturelles invitent alors le clinicien à croiser les apports de la
psychiatrie, de l’anthropologie, de l’épidémiologie, et de la phénoménologie.
N

La clinique transculturelle

La perspective ethnopsychiatrique a contribué à fonder la psychiatrie transcul-


turelle comme discipline, s’inscrivant dans ce que Devereux (1978) nommait
thérapie métaculturelle, rejetant clairement le modèle nosologique épidémiolo-
gique, pour se concentrer sur la rencontre clinique interculturelle : thérapeute
et patient présentant des appartenances culturelles, linguistiques et sociales
différentes. Plus que des savoirs ou des contenus, elle promeut des compétences
et des méthodologies que nous nous efforcerons d’illustrer au travers de l’analyse
de cas. Kleinman (1978, 2006), psychiatre et anthropologue, développe une
grille de lecture de cette rencontre au travers des modèles explicatifs de la
maladie pouvant être différents pour le thérapeute et le patient. Moro (1992,

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212 P RISES EN CHARGE DU TDI

2017) participe largement au développement de l’approche transculturelle en


proposant une méthodologie que nous synthétiserons ainsi :
1. Développer l’autoréflexivité du thérapeute vis-à-vis de ses propres références
et croyances culturelles (décentrage) ;
2. Rechercher activement des données biographiques sur le patient a) culturelles
et b) idiosyncrasiques, sans en confondre les niveaux (complémentarisme
culture / intrapsychique) ;
3. Mettre en lumière des étiologies traditionnelles ;
4. Proposer une action thérapeutique culturellement conforme pour le patient
qui déclenche un mécanisme issu d’une thérapie traditionnelle (la culture
comme levier thérapeutique visant à atteindre l’universalité du psychisme) ;
5. Promouvoir un processus élaboratif dans l’entre-deux culturel mêlant les
représentations étiologiques et thérapeutiques du patient et du thérapeute,
afin de cocréer un sens commun métaculturel.
Ces étayages théoriques et cette méthodologie porteront le déroulé de l’analyse
de cas.
N

Évaluer l’étiologie des symptômes de présentation


psychotique en contexte interculturel

Les discontinuités de la conscience, amnésies, dépersonnalisation, hallucinations


somesthésiques et auditives rapportées par M. Ali sont-elles des manifestations
culturellement codées et admises dans la matrice culturelle d’origine ? Y sont-
elles considérées comme pathologiques ou non pathologiques ? Il est bien
complexe d’évaluer l’étiologie des troubles de présentation psychotique dans un
contexte interculturel, et les études de dénoncer une tendance à la surreprésenta-
tion des diagnostics de psychose, notamment de schizophrénie (Adeponle et al.,
2012), y compris lors du rapport ou de l’observation d’états de possession, étiolo-
gie par ailleurs fréquemment rapportée en consultation transculturelle (Baubet &
Moro, 2009). De là l’importance de donner sens à ces hallucinations au regard du
modèle explicatif du patient (Kleinman, 1978). Méthodologiquement, il s’agira de
contextualiser ces symptômes en relation avec la matrice culturelle concernant
le phénomène de possession, en s’informant sur les croyances et la phénomé-
nologie du patient lui-même (niveau idiosyncrasique), et celles collectivement
partagées (niveau culturel) en recourant à l’interprète référent culturel, à la
littérature anthropologique et ethnopsychiatrique. Les symptômes de possession
de M. Ali s’insèrent-ils dans des croyances acceptées et partagées de la matrice

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Psychotraumatologie et clinique transculturelle 213

culturelle d’origine, ayant une fonction sociale, pouvant témoigner de toutes


sortes de problématiques, psychiatriques ou autres (Boddy, 1994) ? De son côté,
la nosographie internationale invite le clinicien à questionner la psychose en se
référant aux critères de la vraisemblance, de la compréhension « pour des per-
sonnes d’une même culture » et de la conformité avec « une pratique culturelle
ou religieuse largement admise » (DSM-5). Face à notre démarche pro-active
explicitement ouverte à son modèle explicatif de la possession, M. Ali se montre
soulagé et s’exprime. La prise en compte des modèles explicatifs des patients, y
compris et surtout traditionnels et spirituels, favorise la création de l’alliance
thérapeutique et l’adhésion au traitement (Taïb et al., 2005).

M. Ali décrit une relation de longue date avec cette Femme Djinn, ponctuée de passages
dans « l’autre monde des invisibles », décrits comme des épisodes de dépersonnalisation
ou des amnésies partielles, positivement éprouvés. Mais depuis sa stabilisation en Europe
et son souhait d’aborder son passé en thérapie, cette Femme Djinn s’immisce dans son
quotidien et le « torture » de l’intérieur. Face à notre étonnement d’un éloignement par
rapport à la représentation collectivement partagée de ce type de possession, M. Ali
acquiesce : il y a une relation toute particulière entre lui et cette Femme Djinn, ce qu’il
ne s’explique pas.

Il y a donc des symptômes de présentation psychotique en delà du culturel-


lement partagé. Révèlent-ils pour autant une psychose ? Cette conclusion ne
concorde ni avec le contre-transfert de la thérapeute, ni avec les cinq domaines
d’évaluation clinique de la psychose (DSM-5) : le patient est habituellement
tout à fait orienté, calme et congruent, au discours structuré, contrairement à
ces brefs épisodes de discontinuité de la conscience. Les travaux de Moscowitz
(2017) ont amené un changement de paradigme en psychiatrie, en proposant
une recontextualisation des symptômes schneideriens dits de premier rang, reliés
historiquement à la psychose, dans le cadre de troubles dissociatifs d’origine
post-traumatique. Ses études retrouvent davantage d’hallucinations auditives
et de délires dans les groupes diagnostiqués TDI, que dans ceux diagnostiqués
schizophrénie. Il émet l’hypothèse que la constitution de certains délires serait
liée à des reviviscences dissociatives ; des intrusions de matériel traumatique
que la personne ne peut pas relier à sa mémoire en raison d’une amnésie disso-
ciative. Cette lecture transdiagnostique est d’autant plus pertinente en clinique
transculturelle que les représentations des normes peuvent largement diverger.
À partir de ces constats, nous avons élaboré plusieurs hypothèses de travail :
le vécu de possession rapporté par M. Ali n’est conforme ni à la représentation

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214 P RISES EN CHARGE DU TDI

culturelle collectivement partagée, ni à une pratique socialement institutionnali-


sée. Cependant, il ne répond pas aux critères d’un trouble psychotique. Il s’agit
d’investiguer si ce vécu de possession-ci prend sens dans un trouble dissociatif
d’origine post-traumatique.

LA POSSESSION PATHOLOGIQUE COMME


INTERPRÉTATION CULTURELLE DU TDI

La possession spirituelle peut être entendue comme un état dans lequel un


individu se comporte comme s’il était habité par une entité externe à soi, et
contenant cette expérience d’être agi par elle. Elle est largement documentée
dans la littérature anthropologique en tant qu’activité ritualisée et institution-
nalisée (Lapassade, 1997), ancrée dans une dynamique sociale et un système de
croyances au sein d’une communauté donnée (Bourguignon, 2004), pouvant être
bénéfique ou néfaste, dans le contexte d’étiologie d’une maladie ou à l’inverse à
des fins thérapeutiques (Boddy, 1994). La majorité des états de possession que
l’on peut observer dans le monde ne sont pas pathologiques et s’intègrent dans
une telle conception.
Plusieurs auteurs interrogent son pendant pathologique, vécu en delà de ces
caractéristiques culturellement codées : certains vécus de possession patholo-
gique pourraient être l’expression d’un syndrome post-traumatique, possiblement
développé des suites de mécanismes dissociatifs. Ces études offrent à la thérapie
transculturelle des assises et des hypothèses de travail précieuses et innovantes.
N

Articulation de la possession pathologique


et de la dissociation au sens janétien

La majorité des auteurs consultés étudient le lien entre possession et personna-


lité multiple au travers du concept de la dissociation à la suite des travaux de
Janet (1859-1947)1 . Sa conception de la dissociation est celle d’une division de
la personnalité en plusieurs systèmes d’idées et de fonctions, chacune pouvant
s’émanciper avec un certain degré d’autonomie (1889). Il évoquera lui-même
que la possession peut être l’une des interprétations auxquelles le patient a

1. Pour une synthèse circonstanciée du développement théorique des concepts de dissociation et


de possession dans les travaux de Janet, et leur ancrage dans les recherches internationales et
ethnographiques actuelles, nous adressons le lecteur au chapitre 2 d’Isabelle Saillot.

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Psychotraumatologie et clinique transculturelle 215

recours pour donner sens à ces intrusions de matériel traumatique anxiogène


et incompréhensible (Saillot, 2019). Dans une appréhension transculturelle,
l’hypothèse pourrait être formulée ainsi : face à l’angoisse, à l’inexpliqué et au
vécu de perte de contrôle de soi, le patient puise alors dans les matériaux de
signification offerts par sa matrice culturelle pour donner sens à l’étrange qui
l’habite. Certaines possessions pathologiques peuvent donc revêtir un statut
d’interprétation culturelle à la phénoménologie des troubles de nature disso-
ciative. D’un point de vue plus anthropologique, Lapassade (1997) expose ses
questionnements sur la préexistence d’une dissociation non seulement chez les
possédés, mais également chez les médiums : la dissociation peut alors être
symptôme (perspective évolutionniste) ou compétence élective (perspective
culturaliste). Toutes deux peuvent s’exprimer et agir au travers du cadre méta
de la possession traditionnelle (culturellement institutionnalisée), qui offre à la
personne dissociée une place et une fonction sociales impossibles autrement :
« Même si ce n’est pas toujours le cas, il y aurait à l’origine des vocations de
possédés rituels et surtout de médiums, une dissociation effective de l’identité. »
Il explicite (1998) : « Alors que les thérapeutes occidentaux (...) s’efforcent
de mettre fin à la dissociation en travaillant à la réunification de la personne,
les guérisseurs des sociétés à possession ritualisée choisissent au contraire de
maîtriser la dissociation par son institutionnalisation. »
Dans le même sens, dans sa réflexion concernant les procédures d’influence dans
le cadre du soin, Nathan (2018) propose que, relativement à l’histoire des idées
en psychiatrie, les contemporains de Janet aient tenté « de laïciser la possession
en généralisant la notion d’hystérie », effaçant l’entité mystique et sa fonction
de tiers, absente de la conception moderne du soin psychique.
N

La possession comme interprétation culturelle


de la souffrance post-traumatique et du TDI

Cette interprétation est supportée par les recherches ethnographiques actuelles


avançant le vécu de possession comme pouvant être un idiome culturel de
détresse faisant partie du modèle explicatif de la maladie selon le patient. Ainsi,
Hecker et al. (2016) proposent une brève revue de la littérature sur la possession
pathologique entendue comme de nature dissociative, en tant qu’interpréta-
tion culturelle des symptômes post-traumatiques, dans les pays connaissant
des conflits armés persistants, et dans lesquels la possession fait partie d’une
pratique culturelle largement admise. Ils citent notamment les nombreux travaux

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216 P RISES EN CHARGE DU TDI

de Van Duijl et ses collègues (2014) sur la corrélation positive entre exposition
au trauma, symptômes de dissociation et expérience de possession.
Les études épidémiologiques actuelles tendant à retrouver les caractéristiques
du TDI à travers le monde entier. Certaines d’entre elles ciblent précisément
la concordance entre possession pathologique et TDI en Amérique du Nord, au
Canada, au Brésil, en Europe, en Chine, en Turquie, en RDC, parmi d’autres (Del-
monte et al., 2016). Elles suggèrent notamment que la possession pathologique
dans le cadre d’un TDI peut être éprouvée tant négativement que positivement.
D’autres établissent ces correspondances au travers d’études plus ethnogra-
phiques en collaboration avec des soignants traditionnels (Van Duij et al., 2010)
en Ouganda. Ces considérations poussent les auteurs vers une approche plus phé-
noménologique, invitant le patient à exprimer, dans ses termes idiosyncratiques
et culturels, sa compréhension et son vécu de la division du soi et de la perte de
l’agentivité. Déjà Somer et Nave (2001) indiquaient la nécessité d’inclure dans la
recherche sur le TDI la perspective subjective du patient quant à son expérience
de dissociation, et avaient présenté des études de cas de patients d’origines
diverses diagnostiqués TDI, en mettant en exergue le rôle des croyances spi-
rituelles. Plus récemment, Pietkiewicz, van der Hart et leurs collègues (2021)
à partir d’étude de cas auprès de patientes catholiques en Mauritanie et en
Pologne, suggèrent que l’individu peut s’inspirer du cadre narratif culturel de la
possession pour donner sens à l’incompréhensible qui l’habite.
Finalement, le DSM-5 explicite que le TDI « à forme de possession » peut revêtir
des présentations culturellement codées, et liste quelques critères liés à la
culture pour différencier les états de possession culturellement admis et non
pathologiques de ceux correspondant à des troubles psychiatriques. Ainsi, la
possession pathologique peut être l’une des formes de présentation du TDI.
Cependant, elle ne lui est ni spécifique, ni suffisante, et tous les auteurs consul-
tés soulignent la nécessité de poursuivre les études en ce sens.

C ONCEPTUALISATION D ’ UN
CAS DE TDI À FORME
DE POSSESSION EN CLINIQUE TRANSCULTURELLE

Beaucoup d’écrits sur la thérapeutique de patients migrants évoquant une posses-


sion en contexte clinique occidental s’appuient sur les approches transculturelles
(Nathan, 2016). Cependant, il semble y avoir peu d’écrits la contextualisant spé-
cifiquement dans le champ de la psychotraumatologie, notamment du traitement
du TDI à forme de possession.

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N Psychotraumatologie et clinique transculturelle 217

Une conceptualisation sur la base d’une hypothèse de travail

L’articulation entre différentes théories et méthodologies nous a amenée à


conceptualiser les hallucinations et le délire de M. Ali comme des symptômes de
présentation psychotique, d’origine post-traumatique et de nature dissociative.
Ces théories et méthodologies sont :
➙ celles des approches transculturelles, avec la participation d’un interprète
référent culturel ;
➙ celles de la psychotraumatologie (nosographies et différentiels, paradigme
d’articulation des troubles psychotiques et troubles dissociatifs, littérature
articulant possession pathologique et troubles dissociatifs, lignes directrices
pour l’évaluation et le traitement du TDI).
Ainsi, notre hypothèse de travail est que cette Femme Djinn et la relation que
le patient entretient avec elle disent quelque chose, en premier lieu, du défaut
d’intégration d’événements traumatiques, à un âge précoce ayant favorisé la
création d’une structure dissociative, et dont l’expression symptomatique reflète
une possibilité qu’offre la matrice culturelle du patient de donner forme à la
division du soi et de donner sens à ce vécu interne.
L’hypothèse d’un TDI à forme de possession a été posée, moins pour en évaluer
la validité diagnostique que pour en favoriser la thérapeutique. La conceptualisa-
tion de cas est opérationnalisée à l’aide de l’une des théories les plus reconnues
dans le domaine du traitement du TDI : la théorie de la dissociation structurelle
de la personnalité (TDSP).
N

La théorie de la dissociation structurelle de la personnalité


appliquée au TDI à forme de possession

Développée par van der Hart, Nijenhuis et Steele (2010), la TDSP propose un
étayage théorique, un modèle et une méthodologie pour la clinique de l’ensemble
des troubles dissociatifs, et plus spécifiquement du TDI1 . L’expérience suggère
qu’elle est particulièrement pertinente pour la conceptualisation du TDI en
clinique transculturelle. Elle sera présentée ici directement dans son application
à la conceptualisation du TDI à forme de possession (cf. figure 13.1).

1. Pour une présentation globale de cette théorie et de ses développements récents, le lecteur
est adressé au chapitre 9 d’Eva Zimmermann, pour des questions d’allégement du texte.

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218 P RISES EN CHARGE DU TDI


N

Une cocréation métaculturelle de la définition du trouble


et de son étiologie

Après plusieurs mois d’une première phase de création de l’alliance et de stabili-


sation, M. Ali exprime clairement un vécu interne de division. La discussion se
déroule alors avec la PAN (partie apparemment normale de la personnalité) qui
assure le fonctionnement quotidien, et qui réitère sa plainte.
« Vous êtes comme ma famille (l’interprète et la thérapeute). Une partie de moi
voudrait tout vous dire (pleurs), j’aimerais vous montrer qui je suis vraiment, ne
pas rester seul avec ça, mais elle (Femme Djinn) ne veut pas et me fait mal »
(grimaces de douleur).

Après la PAN, c’est donc une PEF (partie émotionnellement fragile) qui se révèle,
portant des affects de tristesse, cherchant à relater du matériel traumatique lié
à de la maltraitance répétée, et dont la tendance à l’action est celle de chercher
du lien. L’anamnèse témoigne de la précocité et de la répétition d’événements
adverses durant l’enfance (pauvreté, négligence, séquelles physiques, guerre
civile et cible directe de maltraitances), et permet d’en déduire des manque-
ments majeurs aux besoins primaires, un possible attachement désorganisé
(Liotti, 2011), et l’hypothèse de la création d’une structure dissociative de la
personnalité.
Une PEC (partie émotionnelle contrôle) est évoquée, à première vue animée
par des affects colériques, œuvrant à ce que la PEF ne partage pas le matériel
traumatique qu’elle contient. Cette PEC intruse la PAN sous forme d’hallucinations
acoustico-verbales et de sensations somesthésiques éprouvées comme doulou-
reuses : cette phénoménologie prend sens dans une conception de relation de
possession au travers de ce que le patient nomme une Femme Djinn. Cette
PEC, selon la TDSP, peut être entendue comme le produit de l’introjection de
l’intentionnalité de l’agresseur, sous forme de reviviscences somesthésiques et
d’injonctions agressives, de tendance à l’action de substitution pour faire face
au matériel traumatique inélaboré.
Ici, la PEC apparaît comme relativement autonome par rapport au système :
➙ elle est vécue par la PAN comme une entité externe ;
➙ elle a un pouvoir d’action tel qu’elle peut maltraiter la PAN en lui provoquant
des douleurs somesthésiques et en intrusant sa conscience ;
➙ elle interagit avec l’environnement selon sa propre perspective à la première
personne (elle attaque lorsque la PAN ou la PEF parlent, mais aussi lorsque la
thérapeute la mentionne) ;

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Psychotraumatologie et clinique transculturelle 219

Figure 13.1. Schématisation selon la TDSP

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220 P RISES EN CHARGE DU TDI

➙ ultérieurement, elle s’adressera directement à la thérapeute, en prenant le


contrôle exécutif quasi-total du système ; thérapeute et interprète assisteront
à un switch sans équivoque dans lequel cette PEC se présentera sous une forme
inspirée de la représentation traditionnelle d’un Djinn Déesse Al-Charal.

Cette conceptualisation en différentes parties, dont une externe, est discutée


avec le patient : en y recontextualisant le modèle explicatif de la possession
amené par le patient, la grille de lecture de la dissociation de la thérapeute, et la
volonté de co-construction de sens. La littérature ethnographique et l’expérience
en clinique transculturelle dénotent que la majorité des personnes, de toutes
origines et de tous systèmes de croyances, portent déjà ou s’approprient aisé-
ment une conception du soi comme à parties multiples, plurielles, hétérogènes,
dissociées, que ces parties soient de la personne elle-même ou d’autres entités,
à l’intérieur d’elle ou externes et l’accompagnant, du monde terrestre ou d’autres
mondes invisibles.
Surtout, l’approche ici est transculturelle et intégrative : M. Ali s’est rapidement
approprié cette conceptualisation parce qu’elle respecte, pour l’incorporer, son
modèle explicatif de la maladie par possession (culturel) et son vécu subjectif
de division interne (phénoménologie s’éloignant des représentations collectives,
idiosyncratique). La TDSP a été le support d’une représentation intégrative et
partagée du trouble au travers d’un processus élaboratif de l’entre-deux mondes ;
celui du patient et celui du thérapeute, aboutissant à un étayage théorique
métaculturel.

Le patient souhaite se montrer « tel que je suis » (phénoménologie de la division du soi


éprouvée par la PAN), partager les traumas vécus (PEF), mais une Femme Djinn s’y
oppose (PEC) et le maltraite. Il verbalise que c’est à lui de gérer ce conflit (entre PEF/PEC),
et formule une demande d’aide : notre système métaculturel patient/thérapeute/interprète
est investi par le patient comme le plus apte à la thérapeutique de son trouble.

Ainsi, psychotraumatologie et approches transculturelles se potentialisent. Au


travers de la TDSP et de la notion de dissociation qu’elle modélise, nous pouvons
conceptualiser l’articulation entre invariants psychiques (la dissociation d’origine
post-traumatique) et particularisme culturel (qui donne figure à cette même
dissociation). L’appropriation subjective par le patient des matériaux de signi-
fication offerts par les matrices culturelles (phénomène de possession, entité
mythique Djinn Déesse Al-Charal, représentation d’une division du soi cultu-
rellement admise), offre une interprétation possible aux troubles, de laquelle

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Psychotraumatologie et clinique transculturelle 221

prennent forme et se présentent les PE (ici une Femme Djinn), ou les interactions
entre PAN et PE (ici une relation de tension entre les deux Mondes).
N

Une cocréation métaculturelle des objectifs thérapeutiques


et du traitement

La TDSP invite en premier lieu à explorer la dynamique entre les différentes


parties, afin de promouvoir leur reconnaissance mutuelle, au travers d’une métho-
dologie d’entretien multidirectionnelle dont une formule pourrait être Qui (quelle
partie) Veut et Fait Quoi (quelle intention et quelle fonction dans le système)
et Comment (quelle tendance à l’action) ? Ceci dans le but d’amener la PAN à
dépasser sa phobie et ses manœuvres d’évitement des PE. Il s’agit de favoriser
la discussion-méta entre ces parties, par le biais du thérapeute externe, dans
l’objectif de leur intégration progressive dans un système unifié : ici, d’entrer
en discussion avec cette Femme Djinn, d’interpréter son intention dans sa
manœuvre de possession, et de négocier la cessation des mauvais traitements.
La thérapeute invite la PAN à répondre à la demande de partage de la PEF, tout
en maintenant le dialogue avec la PEC Femme Djinn. La thérapeute devient ici
un tiers externe à même de favoriser un discours métacommunicationnel : pour
la première fois, la PAN n’est plus isolée face à la PEC, PAN et PEC sont invitées
à un dialogue différent orienté sur l’exploration.

La découverte de la perspective de chaque partie progresse alors par le biais de la


thérapeute-méta qui s’adresse à la PAN en tant que référent principal : « Aviez-vous
envie de venir aujourd’hui ? », « Combien la Femme Djinn a-t-elle tenté de vous blo-
quer ? », « Combien la partie qui veut parler avec nous a-t-elle envie de parler ? »,
« Comment la Femme Djinn réagit-elle à cela ? », etc.

En accord avec la méthodologie de la clinique transculturelle, nous avons pro-


posé une action culturellement conforme, faisant sens pour le patient, et qui
déclenche un mécanisme issu d’une thérapie traditionnelle, ici celle de faire appel
à un tiers pour s’adresser à un Djinn. Dans le soin traditionnel, le cheik/médium
officie entre l’invisible (qui est celui qui agit) et le possédé : il a les capacités
d’identifier l’entité, de verbaliser ses intentions et de donner les recommanda-
tions, de le chasser ou l’accueillir, de ritualiser le nouveau statut du possédé,
entre autres (Nathan, 2018). Le cadre ici se doit d’être explicite et clair pour
tous : la thérapeute n’est ni médium, ni cheik, et ne prétend ni connaître, ni
influer sur l’entité ; elle ne peut officier qu’à partir de ses rôles et fonctions de
psychothérapeute occidentale. Et de cette posture-là, uniquement, elle mobilise

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222 P RISES EN CHARGE DU TDI

le levier traditionnel de la médiation invisible / possédé. Pour déclencher un


mécanisme issu de la tradition culturelle du patient depuis la posture du thé-
rapeute occidental, M. Ali et la thérapeute acceptent dans un premier temps
d’a-culturer l’élément pourvoyeur de sens qu’est la possession, c’est-à-dire de le
sortir du sens des matrices culturelles premières de chacun des protagonistes.
Pour, dans un deuxième temps, l’en-culturer dans un nouveau sens commun
n’appartenant qu’à leur cadre thérapeutique particulier (Mazaira & Duruz, 2020).
M. Ali accepte d’a-culturer une tradition mystique dans un nouvel objet avec
une psychologue. La thérapeute accepte d’en-culturer ses références théoriques
sur la conceptualisation du soi et le phénomène de possession pour cocréer un
nouvel objet thérapeutique. Ici, le cadre thérapeutique recontextualise le vécu de
possession : le patient non seulement l’accepte, mais surtout le légitime du fait
de sa participation. Ce processus rejoint les courants systémiques promouvant
la prise en compte de la dimension spirituelle en psychothérapie, « un système
thérapeutique métaculturel résultant de la création d’un mythe commun dans
lequel se lient deux manières de donner sens » (Struyf, 2007).
N

Un système thérapeutique métaculturel propice


au traitement d’un trouble dissociatif à forme de possession

Séance après séance, nous constatons que le dialogue interne se déploie, les
parties deviennent plus perméables. Parfois M. Ali peut pleurer au récit d’événe-
ments adverses vécus et se dit soulagé du partage. Jusqu’à ce moment récurrent
lors duquel, soudainement, il présente une discontinuité de la conscience, des
symptômes neurovégétatifs d’anxiété, des mimiques de douleur subie, avant de
revenir à lui et de relater que la Femme Djinn s’oppose au dialogue et lui inflige
des coups, malgré ses tentatives de négociation. La TDSP invite à recontextualiser
cette fonction de contrôle agressive comme une stratégie initiale de faire face
au trauma, devenue dysfonctionnelle avec le temps : il s’agit d’amener la PAN à
envisager le comportement de la PEC comme une tentative d’aide dans son besoin
d’évitement, voire également de protection de la PEF en en barrant activement
l’accès. À nouveau, en concordance avec les représentations traditionnelles,
plusieurs formes de possession institutionnalisées sont positivement connotées :
l’invisible peut être bien intentionné, offrir un don, prodiguer au possédé/élu un
statut social privilégié ou protégé (Nathan, 2016). La recontextualisation posi-
tive de la tendance à l’action agressive de la PEC en tentative d’aide maladroite
est ici toujours discutée à partir de la matrice culturelle du patient.

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Psychotraumatologie et clinique transculturelle 223

M. Ali finit par partager que cette Femme Djinn et lui ont une relation d’amour de
longue date. Elle l’a protégé dans les pires moments de sa vie : « J’ai souvent été mis
à genoux..., mais je n’ai jamais supplié. » Il relate sa séquestration dans une prison
clandestine, assistant chaque jour à l’assassinat violent de codétenus. Un jour, les trois
geôliers l’ont choisi, lui. Terrifié, il « sentit » la Djinn intervenir et « la laissa faire ». Il dit
et mime : « Elle était accompagnée de sa garde royale et de 80 soldats. Elle m’a dit de
ne pas avoir peur. Je ne voyais plus rien. Elle a murmuré à mon oreille “Ne me touche
pas”, et ma bouche l’a dit au geôlier. Il m’a giflé, je suis tombé au sol en saignant du
nez. Pris de peur en me voyant (en voyant un possédé agi par un Djinn), ils nous ont
jetés dehors et on a pu se sauver. »

Le patient relate une discontinuité de la conscience, avec amnésie y compris


somesthésique (n’a pas senti la gifle), et une perte du contrôle exécutif, jusqu’au
moment où il revient à lui une fois à l’extérieur de la prison. Il décrit un épisode
de dissociation durant lequel la PEC joue un rôle déterminant de protection.
Protection psychique pour le patient (dissociation péri-traumatique), et pro-
tection socialement effective : la prise du pouvoir exécutif de la PEC, faisant
agir M. Ali sous une forme concordante à la représentation de la possession,
actualise la puissance et la dangerosité d’un Djinn craint par les mortels, offrant
au possédé un statut d’intouchable. Ici, la protection est pro-active, la PEC
prend le contrôle exécutif, ce qui a, possiblement, dissuadé les geôliers, et sauvé
la vie de M. Ali. Le patient avance une discontinuité de la conscience et une
amnésie, y compris somesthésique relativement aux coups reçus. C’est la PEC qui
semble présente lorsque M. Ali est confronté à ces violences, celle-là même à
qui le patient attribue « des coups de l’intérieur ». Il est possible d’inférer que
le matériel traumatique à l’origine de ces reviviscences somesthésiques peut être
porté soit par la PEC elle-même, soit par la PEF que la PEC tente de maintenir
dissociée soutenant la PAN dans son évitement. La PEC Femme Djinn va réagir
à ce rapprochement PAN-PEF, et PEF-thérapeute, et va intensifier sa tendance
à l’action, provoquant tant de reviviscences somesthésiques à M. Ali que ce
dernier se débat littéralement pour supporter l’entretien. En concordance avec
la TDSP, la thérapeute peut s’adresser directement aux PE lorsqu’elle évalue que
la PAN est trop instable et risque de décompenser, pour peu qu’elle donne son
accord. Ici à nouveau, le fait que le soignant s’adresse directement au Djinn
est un mécanisme culturellement conforme dans la conception de la possession
selon le patient. M. Ali donne son autorisation à ce que la thérapeute s’adresse
directement à la Femme Djinn, est visiblement très positivement ému, bien
qu’il exprime son inquiétude pour elle : « Les Djinns n’aiment pas être dérangés
par des non-élus. » Après discussion avec l’interprète et M. Ali, la thérapeute

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224 P RISES EN CHARGE DU TDI

formule des interventions sous une présentation culturellement concordante et


s’adresse directement à la Femme Djinn à plusieurs occasions.

Thérapeute : « Je m’adresse avec respect au Djinn, et vous demande de bien vouloir


ne pas punir M. Ali pour nos discussions, car il dit aussi beaucoup de bien de vous. »
Thérapeute et interprète observent un switch sans équivoque. Le différentiel quant à
l’éprouvé contre-transférentiel est clair. Cette partie les dévisage, mutique. Thérapeute :
« Bonjour. À qui je parle ? » Ce visage sourit, et, avec des traits, une voix et une discursive
qui ne sont pas ceux que la thérapeute et l’interprète connaissent de M. Ali, dit : « Je
sais que vous êtes une bonne personne, mais ne me dérangez pas. » Le visage observe,
il y a des ricanements inédits, puis : « Vous vous marieriez avec un homme qui a un
Djinn ? » Thérapeute : « Non ». Le visage s’apaise, thérapeute et interprète assistent à
un autre switch. La PAN revient telle qu’elle est connue, M. Ali est calme et orienté. Il
explicite savoir que la Femme Djinn est intervenue, mais n’avoir pu ni voir ni entendre
ce qu’elle a fait : il se soucie de savoir si la thérapeute va bien.

La PAN a perdu la plus grande partie de l’information, ne maintenant qu’une


faible coprésence (amnésie dissociative quasi totale). Surtout, M. Ali confirme
avoir perdu le sens de l’agentivité, fonction exécutive reprise alors par la Femme
Djinn, à ses dires. Le « Non » en position basse de la thérapeute est étayé par
l’hypothèse que la PEC endosse une fonction contrôle protectrice sous la forme
d’une relation d’amour avec la PAN, qu’il ne s’agit en aucun cas de contrarier, mais
de médier. Cet entretien, comportant l’unique échange direct entre la Femme
Djinn et la thérapeute, a inauguré un changement de paradigme pour M. Ali.
Dès lors, il ne décrira plus sa phénoménologie du switch comme une possession
depuis l’extérieur, mais comme une prise de place à l’intérieur de lui : « Elle prend
ma place (aux commandes de moi). » Ici, le patient glisse d’une représentation
traditionnelle de possession (un Djinn entre dans l’individu impuissant et l’agit)
à celle d’un type de cohabitation (une entité est confondue avec un individu
et peut partager les commandes). Ce glissement du modèle explicatif selon le
patient s’éloigne toujours plus de la représentation culturelle traditionnelle,
et peut être lu comme s’inscrivant dans un processus global d’intégration des
parties dissociées. La posture de M. Ali envers la Femme Djinn s’affirme : il
souhaite continuer de pouvoir être emporté par elle dans des moments difficiles,
mais uniquement à sa demande, avec cessation des intrusions par ailleurs. Ce
qui s’inscrit, à nouveau, en dehors de toute lecture culturellement admise. Le
traitement vise à soutenir la PAN dans l’instauration de cette nouvelle relation
la PEC, notamment par la reconnaissance du soutien apporté lors des événe-
ments traumatiques passés que le patient continue de relater en thérapie (PEF).

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Psychotraumatologie et clinique transculturelle 225

Progressivement, la PAN se décrit comme toujours plus gestionnaire de cette


relation. Alors que la tendance à l’action de la PEC était jusque-là vécue par
la PAN comme exclusivement extérieure au système, un processus d’intégration
progresse, témoigné par l’évolution de la construction du discours :

« J’aime m’évader avec elle dans l’Autre Monde, surtout quand je me sens triste ici. Et
parfois je ne veux pas venir vous en parler. »

L’évolution clinique est clairement favorable, avec une quasi-disparition des


symptômes intrusifs, une meilleure régulation émotionnelle, et une meilleure
gestion de la tendance à la dissociation. Le patient a présenté une capacité
croissante d’élaboration de ses traumatismes. Cette reconstruction narrative
participe et témoigne d’un processus de symbolisation tendant à l’intégration.

R ÉSUMÉ
Psychotraumatologie et approches transculturelles peuvent aisément trouver un point
d’articulation autour du concept de la dissociation traumatique. Cela peut participer
à la diminution des diagnostics erronés de psychose en situation transculturelle et
orienter sur un plan de traitement plus spécifique, notamment lorsque les symptômes
sont post-traumatiques, de présentation psychotique et de nature dissociative. Pour
la clinique du TDI en contexte interculturel, le thérapeute devra s’étayer sur un fais-
ceau de référents théoriques et méthodologiques multiples pour penser sa posture et
construire sa thérapeutique. La prise en compte de la dimension culturelle dans le
champ des troubles dissociatifs est incontournable. Elle est l’opportunité d’élaborer de
nouvelles pratiques de soin, et une chance de penser l’altérité en soi également : ainsi,
elle dépasse le cadre de la clinique interculturelle et s’invite dans toute rencontre.

Remerciements
L’auteure remercie Mme Saida Mohamed Ali, interprète communautaire et média-
trice interculturelle, pour ses apports professionnels et son investissement per-
sonnel inestimables et indispensables.
L’auteure remercie M. Ali, sans qui rien n’aurait été possible.

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“Binet_82810_BAT” (Col. : Psychothérapie 2014 17x24) — 2022/2/10 — 22:38 — page 227 — #243
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