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r.

COLLECTION HERMÉTIQUE

Série. - ENCYCLOPÉDIE ALCHIMIQUE

HISTOIRE DE_L'ALCHIMIE
XIV"" SIÈCLE

NICOLAS FLAMEL
VIE—
SA FONDATIONS —
SESŒUVRES SES
Suivi

DE LA RÉIMPRESSION DU LIVRE DES FIGURES HIEROGLYPHIQUES


ET DE LA LETTRE DE DOM PERNETY A l'aBBÉ VILLAIN

l'AR

ALBERT POISSON

pOST l^ABOREM. «CIENTIAM.

BIBLIOTHÈQUE CHACORNAC
//, Quai Sainl-Michcl, Paris
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NICOLAS FLAMEL
I
NICOLAS FLAMEL
COLLECTION HERMÉTIQUE
2"" Série. — ENCYCLOPÉDIE ALCHIMIQUE

HISTOIRE DE L'ALCHIMIE
XIV"" SIÈCLE

NICOLAS

FLAMEL
FONDATIONS —
SA VIE SES SES ŒUVRES
Suivi

DE LA RÉIMPRESSION DU LIVRE DES FIGURES HIEROGLYPHIQUES


ET DE LA LETTRE DE DOM PERNETY A l'aBBÉ VILLAIN

PAR

ALBERT POISSON

BIBLIOTHÈQUE CHACORNAC
//, Quai Sainl-Michel, Paris
1893
DE LA MÊME COLLECTION

L'Or et la transmutation des métaux, par Tiffereau, Talchi-


raiste du xix^ siècle. Précédé de : Paracelse et l'alchimie an
xvi° siècle, par M. Franck, de l'Institut, i vol. in-8. Reliure
ancienne 5 fr.

A Brûler : conte astral par Jules Lermina, préface de Papus,


directeur de V Initiation, i vol. in-8. Rel. ancienne. . 3 fr.

DU MÊME AUTEUR :

Cinq traités d'alchimie des plus grands philosophes (Para-


celse, Albert le Grand, Roger Bacon, Raymond Lulle,
Arnauld de Villeneuve). Traduits du latin en français par
Albert Poisson, i vol. in-8. Relié, figures. : 5 fr.

Théories et Symboles des alchimistes. Le Grand Œuvre»


suivi d'un essai sur la bibliographie alchimique du xix^ siècle'

ouvrage orné de 15 planches représentant 42 figures, par


Albert Poisson, i vol. in-8, broché 5 fr.

Roger Bacon : Lettre sur les prodiges de la nature et d»


l'art. Traduite et commentée par A. Poisson. Brochure in-i2
de 72 pages. Portrait 0.75
Marcus Grœcus : Le Livre des feux. Traduction et commen-
taire. Brochure in-8. (Extrait de la Revue scientifique).. 0.60
Jean Rèy : Etude sur les Essais de J. Rcy. Par MM. Hallopeau
et Poisson. Revue scientifique. Épuisé.
Plan de rEncycbpédie £lchimique de M. A. Poisson

A. - THÉORIE ET PRATIQUE
Théories et Symboles des Alchimistes, i volume. . . 5 fr,
La Médecine occulte.
La Symbolique alchimique.
Expériences de laboratoire d'après l'alchimie.
Le Laboratoire de l'alchimiste.
Dictionnaire d'alchiràie.

B. — HISTOIRE
Origines. Egypte. Grèce.
Les .Alchimistes Arabes.
Le Moyen-Age.
Monographie de Nicolas Flamel, i vol 5 fr.

La Renaissance et le seizième siècle.

Paracelse et son école.


Le Dix-septième siècle.

Les Rose-Croix.
Dix-huitième siècle.

Dix-neuvième siècle.

C. — BIBLIOGRAPHIE. CHRONOLOGIE
Les Manuscrits alchimiques.
Bibliographie générale de l'alchimie.
Chronologie de l'Alchimie.

D. — TEXTES
Cinq traités d'alchimie, traduits du latin, i vol 5 fr.

Recueil des traités les plus rares et les plus curieux. En


préparation.
PRÉFACE

Lorsque après plusieurs années de reche>xhes laborieu-


ses, nous étions enfin parvenu à retrouver la clef de l'Al-
chimie, à pouvoir expliquer les obscurs traités dès Lulle et

des Bacon, à jeter quelque lumière sur cette science


aujourd'hui discréditée parce que mal comprise, l'idée se

présenta de suite à notre esprit d'exposer l' Alchimie, ses


principes, son histoire, en une série cyclique d'ouvrages,
traitant chacun de la philosophie hermétique selon quel-
qu'un de ses différents aspects. Un premier volume : Cinq
traités d'alchimie, simple traduction, avait été lancé pour
ainsi dire comme essai, le résultat obtenu nous a engagé A
continuer la série commencée. Les cinq traités, traductions
de quelques ouvrages de Roger Bacon, Arnauld de Vil-
leneuve, Albert-le-Grand, Raymond Lulle et Paracelse,
ne s' adressaient qu'aux initiés, capables de lire avec intérêt
un traité d'alchimie dans le texte ; pas de notes ni de com-
mentaires qui pussent éclairer le profane, mais un glos-
saire de quelques pages, mémento plutôt que diclionnaire.
Ensuite parut le second volume : Théories et Symboles
des alchimistes. C'était une exposition méthodique des
théories hermétiques, depuis les Grecs jusqu'à nos jours,

J5'
VIII PRÉFACE

une explication raisonnée des Symboles alchimiques dont


on trouve l'origine en Egypte, et qui prirent une grande
extension lorsque V alchimie s' acheminait vers son apogée,

c'est-à-dire vers la fin du quin:{ième siècle.

De ces deux ouvrages, l'un est l'énigme proposée aux


chercheurs, aux occultistes, le second en est la solution.

En attendant les autres traités sur la théorie alchimique,

ce dernier volume suffisait pour donner l'intelligence de


la plupart des hermétiques du moyen-âge et des temps
modernes. D''autre part il nous a paru inutile de publier

les divers traités de l'encyclopédie alchimique dans leur

ordre absolu, nous avons préféré suirre les hasards de nos


études.-

Dans l'histoire de l'Alchimie, deux philosophes nous

ont paru mériter les honneurs d'une monographie, ce sont


Paracelse et Nicolas Flamel, le premier à cause de l'im-
portance de son œuvre, le second à cause du grand noni-
bre de détails que nous avons sur sa vie. Enfin ce sont,

avec peut-être Albert-le-Grand, les plus connus de tous

les alchimistes. Et pour ne parler que de Nicolas Flamel,


sa célébrité est tellement grande en France, qu'il n'y a
peut-être pas un intellectuel qui ne connaisse sa légende.
Sa maison, qui existait encore en notre siècle, a occupé plus

d'une fois les archéologues ; les romantiques, amou-


reux du moyen-âge, se sont plus d'une fois servi du nom
de Flamel;. mais tout cec'u n'est rien en comparaison de la
I> R ÉFA CE IX.

renommée de Villuslre adepte aux siècles passés ei siirbul

aux XVI et XV IIP siècles. Sa mciscn el ses diverses

fondations étaient alors des-buts de pèlerinage alchimiijue.


Aucun disciple d'Hermès, français ou étranger, ne serait
passé par Paris sans aller visiter la maison de la rue des
Ecrivains et les deux arcades, couvertes de symboles, du
cimetière des Innocents. C'est un fait, que Flamel fut
après sa mort, considéré surtout en France comme un des
plus grands maîtres de l'alchimie ; ses ouvrages furent
plus tard fort recherchés, surtout ceux qui n'existaient
qu'à l'état de manuscrit ; les copies en furent multipliées
surtout aux XV II" XV IIP siècles,
et preuve éclatante d.e

la vogue dont Flamel jouissait auprès des hermétisles.


Bien plus, cet adepte n'est-il pas !e type du véritable alchi-
miste, travaillant sans cesse, jamais lassé, jamais rebuté,
partageant son temps entré la prière, l'étude et le labora-
toire, ne désirant la science que pour elle-même, puis par-

venu au but, employant la richesse acquise en de bonnes


œuvres, continuant pour lui-même à vivre sobrement. Quel
autre alchimiste pouvait nous offrir une vie aussi bien rem-
plie. D'autres, Selhon, Kelley, Bacon, nous offrent une
existence plus mou])ementée, plus dramatique, mais moins

riche en documents psychologiques.


Enfin ce n'étaient pas là les seules raisons qui nous
ont déterminé à écrire la monographie de Flamel tan-
;
dis que les notices biographiques ont été multipliées
X PRÉFACE

pour Alberl-le-Grànd, Paracelse, Van HeJniont, Ray-


mond Lulle, Arnauld de Villeneuve, on n avait sur Fla-
mel que r histoire de l'abbé Villain, riche en documents,

mais mauvaise en ce sens qu'elle est terriblement partiale


et que l'auteur s'efforce de démontrer une thèse préconçue:
Flamel n'a jamais été alchimiste. Pour nous, aii contraire,
ii s'est occupé d'alchimie ; mais nous ne prétendons pas
imposer notre opinion, nous donnerons nos raisons, et le

lecteur jugera en dernier ressort. Tout fait si minime qu'il

soit sera pesé et discuté avec la plus grande impartialité ;

nous auronsà combattre plusieurs objections, soit de l'abbé


Villain soit d'écrivains postérieurs, nous le ferons en trai-
tant autant que possible au propre point de vue de l'adver-
saire.

Qu'il nous soit enfin permis de répondre à une objec-


tion qui pourrait se présenter : A quoi bon passer son
temps à des études inutiles ) Et d'abord nous répondrons
qu'il n'y a pas d'études inutiles, d'un livre si mauvais qu'il

soit, disait Lucien, il y a toujours quelque profit à tirer.


De même une étude quelconque profile toujours et d'autre

part nous ne vo/ons pas en quoi l'élude de l'alchimie est

inutile. MM. Berthelot et Ruelle ont produit des travaux


intéressants sur les origines de l'alchimie, et on les éton-

nerait peut-être en leur apprenant qu'ils ont perdu leur


temps en des recherches inutiles.

Quant à ceux qui pontifient : « L'alchimie ) slupide !


PRÉFACE

produit des siècles d'ignorance, à reléguer avec les autres


vieilleries intilulées : Sciences -occultes ! » A ceux-là nous
- conseillerons de se tenir un peu au courant du mouvement
scientifique actuel. Aux autres nous avions répondu par
deux noms Bertheloi et Ruelle, à ceux-là nous en oppo -

serons une brillante pléiade, Crookes, Aksakoff, Richet,


Papus, de Rochas, Barlet, nous en passons, la liste en
serait trop longue. A ceux-là qui nous servent de vieilles

objections et qui croient avoir anéanti quelqu'un en l'accu-

sant d'occultisme, nous dirons: l'occulte n'existe pas, le


miracle est impossible, mais ce qui existe, c'est notre igno-
rance actuelle de certaines lois, de certaines forces, igno-
rance qui nous laisse muets devant nombre de faits ; tout
phénomène est digne d'étude, tout fait historique bien
avéré est digne de foi, reste si nous ne pouvons l'expliquer,
à étudier pour lui trouver une solution, et si notre science
est forcée de laisser plus d'un fait sans explication, le

doute seul nous est permis et non ta négation. Il est pres-


que banal de répondre encore que ce qui nous étonne sem-
blera naturel à nos successeurs, que le plionograplie eut
stupéfié Pascal ou l'abbé Mollet, alors que son fonction-
nement nous paraît très simple et que sa théorie nous est
familière. La banalité facile de celle réponse ne démontrc-
l-elle pas que, ceux-là font des objections vieillotes, aux-
quels il faut opposer pareilles raisons.
Qu'il nous soit permis de remercier notre public spécial
xn PRÉFACE

el les savants de leur accueil favorable. Nous serons trop

heureux si l'alchimie mieux comprise intéresse les cher-


cheurs, et surtout si le préjugé s'évanouit, qui faisait
regarder les alchimistes comme des inutiles ou comme de
brillants charlatans. Il n'est pas trop tôt pour rendre jus-
tice à ces obscurs et tenaces laborieux auxquels on doit la
Chimie, la plus belle, la plus noble de toutes les Sciences.

Enfin nous remercions au nom de tous nos lecteurs,


notre ami, M. Taile, d'avoir, à l'aide des documents que
nous lui avons fournis, reconstitué la véritable physiono-

mie deiillusire alchimiste.

A. Poisson.
HISTOIRE ET LÉGENDE

DE NICOLAS FLAMEL
ET DE PERNELLE

PREMIÈRE PARTIE

CHAPITRE PREMIER

Naissance de Flamel à Pontoise. — Ses parents. —


Il vient s'établira Paris.— Son mariage avec Per-
nelle. — Condition de Flamel. — La petite école.
— La corporation des Ecrivains se transporte aux
environs de l'Eglise Saint-Jacques. — Vie privée
des deux époux. - Iconographie de Flamel.

Les Historiens de l'alchimie ne sont d'accord ni sur


le lieu, ni sur la date de la naissance de Flamel ; il ne
nous reste aucun document permettant de fixer la chose,
NICOLAS !•" I. A M K I.

on en est réduit à conjecturer à dix années près pour sa


naissance : « Cépendant, dît M. Figuier, en rappro-
chant quelques dates plus faciles à réunir, on trouverait
sans doute que l'époque de sa naissance ne doit pas s'é-

loigner beaucoup de l'année 1330. » Nous donnons sim-


plement cette date comme une approximation.
Quant à sa ville natale, Moreri, ainsi que La Croix du
Maine, donnent Pontoise, d'autres Paris, l'abbé Villain
lui ne se prononce pas. Or, Flamel habita toute si vie à
Paris, et comme de son temps on ne voyageait guère,
comme d'autre part son industrie d'écrivain ne nécessi-

tait aucune espèce de déplacement, nous sommes en


droit de penser, si nous voyons Flamel avoir affaire dans
une ville autre que Paris, qu'il avait des parents en ce

lieu, qu'il y était demeuré dans son enfance et que peut-


être il y était né. Paris étant mis à part, nous ne voyons

que trois villes où Flamel ait eu affaire en sa vie : Com-


postelle, Boulogne et Pontoise. Pour Compostelle nous
avons son propre témoignage, il y a été en pèlerinage
implorer pour ses travaux l'assistance de Saint-Jacques.
Boulogne les Menuls, était célèbre par son église, sorte

de succursale du sanctuaire vénéré de Boulogne-sur-Mer,


mais c'est plutôt Pernelle, l'épouse de Flamel, qui y eut
affaire, et Flamel, étant très pieux, a doté cette église par
NICOLAS FLAMEL

dévotion^ simplement en souvenir de sa femme. Reste


Pontoise; d'après l'abbé Villain, vers 1432, signification
fut faite à un bourgeois de cette ville au sujet de la suc-
cession de Flamelj donc ce dernier avait des parents à

Pontoise ;
d'autre part en son testament Flamel laisse

un legs à l'église Notre-Dame de Pontoise, située dans


un des faubourgs de cette ville ;
or, cette église ne pré-
sente rien de particulier, elle ne possède pas de reliques

célèbres qui la désignent d'une façon spéciale à l'atten-

tion des fidèles. Flamel avait donc des raisons particuliè-


res de la doter et quelle plus plausible, sinon que ce fut
sa paroisse natale > D'autre part, nous avons écarté Pa-
ris pour une raison négative. En effet, si Flamel était né
à Paris, les écrivains qui se sont occupés de lui (en par-
ticulier l'abbé Villain) et qui ont compulsé les archives
de Saint-Jacques-la-Boucherie, paroisse de Flamel,
n'auraient pas manqué de nous donner copie de son acte
de baptême, puisque à cette époque les actes de nais-
sance, de mariage et de décès se faisaient à l'église
paroissiale où ils étaient conservés, ils ne l'ont pas fait^

donc Flamel n'est pas né à Paris. Enfin quand on est


placé entre plusieurs hypothèses on doit choisir celle qui

présente le plus de preuves, pour toutes ces raisons nous

admettons que Flamel est natif de Pontoise.


4 NlCOI./^S l-LAMEL

Si le doute a longtemps plané sur la ville natale de

Flamel, il nous serait encore plus difficile de donner

des détails précis sur son enfance et sa jeunesse, ce

n"est guère qu'à partir de son mariage avec Pernelle


que les témoignages abondent. Cependant nous pouvons
affirmer que ses parents jouissaient tout au plus d"une
modique aisance, ainsi qu'il nous l'apprend lui-même.
<( Encore, dis- je, que je n'aye appris qu'un peu de

latin pour le peu de moyens de mes parens, qui néan-


moins estoient par mes envieux mesmes, estimez gens
de bien » (Le livre des figures). Flamel savait donc le

latin, il en donne lui-même d'autres preuves, dans le

même ouvrage on lit à propDS du manuscrit d'Abraham

juif: « Tant y a que ]î ne les sçavois pas lire, et que

je sçai bien qu'elles n'estoyent point notes ny lettres

Latines ou Gauloises. Car nous y entendons un peu »

(Le livre des figures). Mais Flamel est bien modeste,

car un peu plus loin il se représente causant en latin avec

maîtres Canches !

gnagj
Depuis, nou5 avons enfin mis la main sur un témo
I.

afiirmalif des pljs prédeux,, car il émane de


Flamel lui-même.
dont
En dans le Psautier chimique (voir chapitre Vlll)
effet,

Pcrnety nous a conservé des fragments, Flamel se qualifie


NICOLAS FLAMEL 5

Quant à la famille de Flamel, nous n'avons guère de


renseignements sur elle, tout au plus savons-nous qu'il

existait de son temps un autre écrivain de ce nom, Fla-


mel le jeune, de son prénom Jean, mais ce n'était
certainement pas son frère, car Flamel l'aurait men-
tionné dans son testament, soit pour un legs, soit pour

des messes. C'est Guillebert de Metz qui nous parle

de ce Jean Flamel, à l'endroit où il cite les écrivains


du temps passé : « Gobert le souverain escripvain qui
composa l'art d'escripre et de taillier plumes, et ses
disciples qui par leur bien escripre furent retenus des
princes, comme le jeune Flamel, du duc de Berry ;

Sicart, du roy d'Angleterre ;


Guillemin, du grand mi-
nistre de Rodes ;
Crespy, du duc d'Orléans ;
Perrin,
de l'Empereur Sigemundus de Romme ». Plus loin
il cite Nicolas Flamel: « Item Flamel l'aisné, escripvain
qui faisoit tant d'aumosnes et d'hospitalitez et fit plu-
sieurs maisons où gens de mestiez demouroient en bas
et du loyer qu'ils paioient, estoient soutenus povres labou-
reurs en haut. »

Il est probable que Flamel passa ses premières années

lui-même de « ruril de Ponloise », c'est-à-dire natif. Désor-


mais la question nous paraît tranchée.

2
6' NICOLAS FLAMEL

à Pontoise, sa ville natale, puis qu'il vint à Paris, où il

entra en apprentissage chez un écrivain libraire (peut-

être Gobert) pour y apprendre l'art de mouler de belles

lettres gothiques et d'enluminer les manuscrits ; dès qu'il

sut bien son métier, il travailla pour son compte et put

s'ét^BTir libraire juré à Paris. Il est à croire qu'à cette

époque ses parents étaient morts, et que c'est avec leur

modeste héritage qu'il acheta la charge de libraire juré.


Quoiqu'il en soit, il vivait à peu près de son métier,
quand il fut amené à faire un mariage, qui le mit de

suite à l'aise. Son caractère égal, sa piété, son ardeur

au travail Pavaient fait remarquer d'une nommée Per-

nelle; cette « belle et honeste dame » déjà veure de

deux maris, Raoul Lethas et Jehan Hanigues, suppor-

tait avec difficulté la solitude et les tristesses du veu-

vage (i) ; amenée par quelqu'acte à copier, à entrer en

relations avec Flamel^ elle lui laissa entendre qu'elle

prendrait volontiers mari ;


quoiqu'elle fut plus âgée que

lui, Flamel n'hésita pas et le mariage eut lieu environ

r. Pernelle avait une sœur nommée Isabelle, mariée en secon-

des noces à Jehan Perrier, tavernier. Elle n'avait pas eu d'en-

fants de ce mariage, mais elle en possédait trois du premier lit-

Guillaume, OuJin et Collin. Son mari avait nom Guillaume


Lucas.
NICOLAS FLAMEL 7

l'année 1355. De nombreux avantages en résultaient


pour lui; n'ayant plus à se soucier de son intérieur il

pouvait se réserver tout à. son travail, la dot de Pernelle


lui permettait d'étendre le cercle de ses opérations, enfin

il trouvait en Pernelle une compagne fidèle, pleine de


bonnes qualités et dont le dévouement ne lui fit jamais
défaut. Aussi pendant quelques années Flamel fut-il pro-

saïquement heureux. Son métier d'écrivain tel qu'on le

comprenait alors, lui rapportait suffisamment pour vivre


même quand il ne se fût pas adonné à la confection des
manuscrits de grand prix comme son confrère Jean Fla-
mel, même s'il se fût contenté de faire les manuscrits
courants et les copies d'actes. Nicolas Flamel achetait de

plus des manuscrits pour les recopier ou les revendre,


il

correspondait donc à l'imprimeur, à l'éditeur et au


libraire de nos jours. Enfin il tenait chez lui une sorte
d'école élémentaire, appelée petite école ou école fran-
çaise ;
c'était l'enseignement du temps; on y
primaire
apprenait à lire, à écrire, à compter, ainsi que les pre-
miers éléments de la grammaire française.
Des gens de la cour, de nobles seigneurs envoyaient
leurs enfants chez Flamel et souvent eux-mêmes y
venaient apprendre à signer leur nom.

Flamel avait d'abord une échoppe au charnier de?


8 NICOLAS FLAMEL

Innocents, mais il était établi depuis peu de temps, lors-

que la corporation des Écrivains (i) se transporta en

masse aux alentours de l'Église Saint- Jacques. C'était la

coutume que chaque corporation se confinât dans un

quartier, dans une rue; Guillebert de Metz, en dénom-


brant les rues de Paris, indique en même temps les

corps de métiers qui les habitaient. Ainsi autour de

l'Église Saint-Jacques nous voyons la rue de Marivaus

« où demeurent les clouctiers et vendeurs de fil », les

rues de « la vieille Monnoye, la Haumerie, où l'on fait

armeures. » La rue qui longeait l'Église Saint-Jacques

n'avait pas de nom, elle prit celui de la corporation qui

venait de s'y établir, car auparavant on l'appelait simple-

ment : « Rue de l'Église Saint-Jacques. » Flamel suivit

ses confrères, il acheta une échoppe adossée aux murs

de l'Église, et d'autre part un terrain, au coin de la rue

de Marivaus et de la rue des Écrivains, sur lequel il fit

élever une maison.

Son échoppe, au dire de Sauvai, avait deux pieds


et demi de long sur deux pieds de large, ce qui semble

I. Le nom de quelques-uns d'entre eux nous est parvenu :

Ansel Chardon, écrivain et marguillier de Saint-Jacques, Jean


Harengier, qui avait sa maison en face celle de Flamel, à l'au-
tre coin de la rue de Marivaus, etc.
NICOLAS FLAMEL 9

fort étroit, mais il faut savoir que l'échoppe servait uni-


quement à exposer "les manuscrits, les spécimens du
savoir-faire de l'écrivain. C'était encore dans cette
échoppe que l'écrivain se tenait habituellement, c'est là

qu'il attendait les clients et débattait les prix d'achat

ou de vente. Quant aux élèves et aux ouvriers de Fla-


mel, ils étaient à sa maison de la rue des Écrivains.

Cette maison était à l'enseigne de la fleur de Lys. Fia- *

mel y tenait l'école française; dans une pièce séparée


ses calligraphes et apprentis se livraient à la confection

des psautiers et des livres d'heures, qui formaient alors


le fonds de la librairie. Un ou deux calligraphes et

quelques apprentis pour les menues besognes suffisaient

largement à Flamel pour faire face aux demandes de sa


clientèle. Le nom d'un seul des ouvriers de Flamel
nous est parvenu, c'était un clerc nommé Maugin, qui
servait en même temps de valet à Pernelle, cette der-

nière ne l'a pas oublié dans son testament.


Flamel et sa femme vivaient retirés, menant une vie
très simple, vêtus d'étoffes communes, mangeant dans
de la vaisselle de terre des mets grossiers, remplissant
avec assiduité leurs devoirs de chrétiens. Jamais, même
au moment de leur plus grande prospérité ils ne se dépar-
tirent de cette simplicité ; ceci ne concorde guère avec
10 NICOLAS FLAMEL

1-es affirmations de l'abbé Villain qui nous représente les

deux époux comme très vaniteux! Deux servantes, Mar-


guerite la Quesnel et sa fille Colette aidaient Pernelle
dans le ménage, cela n'était pas trop de deux domesti-
ques car, en outre des deux époux, il y avait les ouvriers

à nourrir.

D'après les sculpteurs dont les reproductions nous


sont parvenues, Flamel était d'une taille un peu au-des-
sus de la moyenne, le corps est robuste, les mains fines,

la tête plutôt petite, le front haut et découvert indique


l'intelligence, les yeux grands et enfoncés dans leurs
orbites, le nez droit, signe de volonté et de persévé-

rance, le menton est rond, la bouche avenante, plus pro-


pre au sourire qu'au rire, un peu d'amertume se décèle
dans deux plis partant des ailes du nez et encadrant la

bouche. L'ensemble révèle la bonté et la finesse. Tel


est du moins le portrait que l'on peut tracer de Flamel,
d'après la gravure que l'on trouve en tête de l'histoire

critique de l'abbé Villain et qui était elle-même une


reproduction de la statue de Flamel qui décorait le por-

tail de Sainte Geneviève des Ardents. Cependant il doit

èxister d'autres portraits de Flamel, gravés ou peints,


si nous en croyons les deux passages suivants : « Du
temps de Borel, on voyait son portrait peint (celui de
NICOLAS FLAMEL II

Flamel) chez M. des Ardres, médecin, représenté en

pèlerin. Son bonnet était de trois couleurs, noir, blanc,

rouge » [Diclionnaire de Moreri). Et : « Il existe un por-


trait de Nicolas Flamel, alchimiste, gravé en Allemagne
et copié depuis par Montcornet... M. Brunet de Pres-
les possède une série de gouaches in-folio, peintes vers
la fin du règne de Louis XIV, on y remarque divers por-
traits de Flamel et une reproduction de ses hiérogly-
phes » (Article Flamel, par V. de Viriville, dans le Dic-
tionnaire biographique d'Hœffer).

Quant à Pernelle, représentée dans les figures du


charnier des Innocents, elle était un peu plus petite que

son mari, assez élancée, elle avait des traits fins et régu-
liers, le visage ovale. Tels étaient ces deux époux, dont
les vertus devaient être récompensées par la découverte
du prestigieux secret des Philosophes.
NICOLAS FLAMEL

CHAPITRE II

Songe de Flamel. — Achat du livre d'Abraham Juif.


— Description de ce livre. — Flamel commence à
s'occuper d'alchimie. — Les conseils de maître
Anseaulme. — Flamel se décide à faire le pèleri-
nage de Saint-Jacques de Compostelle.

Flamel vivait fort tranquillement, partageant égale-


ment son temps pour la prospérité de ses affaires et

pour le salut de son âme, lorsqu'une nuit il eut une


Tision.

Un ange lui apparut dans un nimbe éclatant, il tenait

à la main un manuscrit dont la couverture présentait des


caractères étranges : « Flamel, dit-il, regarde bien ce
livre, tu n'y comprends rien, ni toi, ni beaucoup d'au-
tres, mais tu y verras un jour ce que nul n'y saurait

voir. » Flamel tendait la main quand il disparut.

Flamel ne songeait plus à la vision qui l'avait tant

frappé, quand un jour de l'année 1357 il acheta d'un


inconnu en quête d'argent, un vieux manuscrit orné de
NICOLAS FLAMEL

figures bizarres, il le paya deux florins (i). « Celuy


qui m'avoit vendu ce livre ne sçavoit pas ce qu'il valloit,

aussi peu que moy quand je Tacheptay. Je croy qu'il

avoit esté desrobé aux misérables Juifs, ou trouvé quel-


que part caché dans l'ancien lieu de leur demeure ».

L'ayant examiné, il reconnut le livre de sa vision.

C'était un manuscrit « doré, fort vieux et beaucoup


large, il n'estoit point en papier ou parchemin comme
sont les autres, mais seulement il étoit fait de déliées
escorces (comme il me sembloit) de tendres arbrisseaux.

Sa couverture étoit de cuivre bien délié, toute gravée

de lettres ou figures estranges, et quant à moy, je croy


qu'elles pouvoient bien estre des caractères grecs ou
d'autre semblable langue ancienne. Tant y a que je ne
les sçavois pas lire et que jesçay bien qu'elles n'estoient
point notes ny ou gauloises, car nous y
lettres latines

entendons un peu. Quant au dedans ses feuilles d'écor-


ce estoient gravées et d'une très grande industrie, écrites
avec une pointe de fer, en belles et très nettes lettres

latines colorées. » -

Ce livre n'avait point de titre, du moins Flamei n'en

I. Les citations qui suivent sont tirées du Livre des figures


hiéroglyphiques.
NICOLAS I' 1. A M i: L

parle pas, mais ; « Au premier des feuillets, il y avoit


escrit en lettres grosses capitales dorées, Abraham le

Juif, prince, prestre, lévite, astrologue et philosophe, à


la gent des Juifs, par l'ire de Dieu dispersée aux Gaules,
salut D. I. Après cela il estoit remply de grandes exé-
crations et malédictions avec ce mot Maranatha, qui
estoit souvent répété contre une personne qui jetteroit

les yeux sur iceluy, s'il n'étoit sacrificateur ou scribe. »

Ce livre était l'œuvre du rabi Abraham, cabaliste sur

lequel nous avons peu de détails. A part cet ouvrage sur


l'alchimie (connu vulgairement sous le nom de Livre
d'Abraham Juif et dont le nom réel serait : Asch Meza-
reh selon Eliphas Levi), il nous reste de lui un autre
ouvrage intitulé : La sagesse divine par Abraham le Juif,

dédié à son fils Lamech. L'original semble perdu, mais


il en existe une copie manuscrite du xviii'' siècle dans la

magnifique bibliothèque de M. Stanislas de Guaïta.

Flamel n'osait passer outre devant les terribles impré-


cations de la première page, il était surtout intimidé par
le mot de Maranatha, qui signifie : anathème, malédic-
tion universelle. Cependant c'était assez l'habitude des

alchimistes de placer ainsi l'anathème sur le seuil de


leur œuvre pour arrêter les profanes. Roger Bacon
n'écrit-il pas dans sa Première Lettre à Jean de Paris :
NICOLAS FLAMEL

« Maudit soit celui qui posséderait à la fois ces trois

secrets (i) ». Cependant Flamel réfléchit qu'il était

scribe ou écrivain et que par conséquent il lui était per-


mis de passer outre, ce qu'il fit. « Dans ce livre au

second feuillet, il consoloit sa nation, la conseillant de

fuir les vices et surtout l'idolâtrie, attendant le Messie à

venir avec douce patience, lequel vaincroit tous les rois

de la terre et règneroit avec sa gent en gloire éternelle-

ment. » Devant ces promesses, fleurant l'hérésie, Fla-

mel n'a pas d'indignation, il ajoute simplement : « Sans


doute, sçavoir esté un homme fort sçavant. »

. Mais ce n'était là que l'introduction du livre d'Abra-


ham Juif, le reste de l'ouvrage, traitant d'alchimie, était

divisé en sept chapitres, comprenant vingt-et-un feuil-

lets (soit quarante-deux pages); il y avait en outre sept


figures, quatre réparties dans le texte et trois en dehors,
chacune à la fin d'un septénaire ;
c'est-à-dire, après les

pages 7, 14 et 21, elles n'étaient pas comptées dans la


pagination. Mais laissons la parole à Flamel. (( Au
troisième feuillet et en tous les autres suivants écrits,
pour ayder sa captive nation à payer les tributs aux

T. Les trois secrets dont il s'agit sont: l'œuvre, la mixtion et


la proportion.
16 NICOLAS FLAMEL

empereurs romains et pour faire autre chose que je ne


diray pas (i), il leur enseignoit la transmutation métal-

lique en paroles communes, peignoit les vaisseaux au


C05té et advertissoit des couleurs et de tout le reste,

sauf du premier agent dont il n'en disait mot, mais bien


(comme il disoit au quatrième et cinquième feuillets
entiers), il le peignoit et figuroit par très grand artifice.
Car encore qu'il fut bien intelligiblement figuré et peint,
toutefois aucun ne l'eût sceu comprendre sans estre fort
avancé en leur cabale traditive et sans avoir étudié les

livres. » L'ouvrage contenait sept figures hiéroglyphi-


ques, une à la fin de chaque septénaire et quatre répar-
ties dans la seconde partie de l'ouvrage. Flamel les

décrit soigneusement. Au premier septénaire, y dit-il, il

avoit peint une Verge et des Serpens s'engloutissans,


au second septième une Croix où un serpent estoil
crucifié, au dernier septième, estoient peints des déserts,
au milieu desquels coulaient plusieurs belles fontaines,
dont sortoient plusieurs serpens qui couroient par cy et
par là. )> Quant aux autres figures il en parle ainsi :

j. Peut-être la reconstruction du Temple de Jérusalem ; en


tout cas remarquons ici combien Flamel se montre tolérant pour
son époque en respectant le secret des Juifs.
NICOLAS FLAMEL >7

« Donc le quatriesme et cinquiesme feuillet estoit sans

escriture, tout remply de belles figures enluminées, ou


comme cela (i), car cest ouvrage estoit fort exquis. Pre-

mièrement, il peignoit un jeune homme avec des aisles

aux talons, ayant une Verge caducée en main, entortillée


de deux serpens, de laquelle il frapoit une salade (2) qui

lui couvroit la teste. Il sembloit à mon petit advis le Dieu


Mercure des payens; contre iceluy venoit courant et

volant à aisles ouverts un grand vieillard, lequel sur sa

teste avoit un horloge attaché, et en ses mains une faux


comme la mort, de laquelle terrible et furieux, il vou-
loit trancher les pieds à Mercure. A l'autre face du
feuillet quatrième, il peignoit une belle fleur en la som-
mité d'une montagne très haute, que l'aquilon esbranloit
fort rudement, elle avait le pied bleu, les fleurs blanches
et rouges, les feuilles reluisantes comme l'or fin, à l'en-

tour de laquelle les Dragons et Griffons Aquiloniens


faisoient leur nid et demeurance. Au cinquiesme feuillet

y avoit un beau rosier fleury au milieu d'un beau jardin,


eschelant contre un chesne creux, au pied desquels

1. Ces mots n'ont aucun sens pour nous, mais dans le manus-
crit du Livre des figures hiéroglyphiques, Flamel avait repro-
duit les figures d'Abraham Juif.

2. Casque.
NICOLAS FLAMEL

bouillonnoit une fontaine d'eau très blanche, qui s'alloit

précipiter dans les abysmes, passant néantmoins pre-


mièrement, entre les mains d'infinis peuples qui fouil-
loient en terre, la cherchant, mais parce qu'ils estoient

aveugles, nul ne la connoissoit fors quelqu'un, considé-


rant le poids. Au dernier revers du cinquiesme, il
y
avoit un Roy avec un grand coutelas, qui foisoit tuer

en sa présence par des soldats, grande multitude de


petits enfans, les mères desquels pleuroient aux pieds
des impitoyables gendarmes, le sang desquels petits
enfans, estoit puis après recueilly par d'autres soldats,

et mis dans un grand vaisseau, dans lequel le Soleil et la

Lune du ciel venoient se baigner. »

Nous reviendrons plus loin sur ces figures d'Abraham


Juif, nous en donnerons une description plus complète
et nous les expliquerons méthodiquement. Flamel ayant
décrit tout au long les figures de son précieux manus-
crit, se défend d'en livrer le texte au public : « Je ne
représenteray point, dit-il, ce qui estoit escrit en beau
et très intelligible latin en tous les autres feuillets escrits,

car Dieu me puniroit, d'autant que je connetrois plus de


méchanceté que celuy (comme on dit) qui disoit que
tous les hommes du monde n'eussent qu'une teste et
qu'il la peut coupper d'un seul coup . » Flamel comprit de
NICOLAS FLAMEL

suite l'immense valeur du manuscrit que la Providence


avait fait tomber entre ses mains, et il rendit tout d'a-

bord grâces à Dieu.


Le livre d'Abraham Juif enseignait la manière de faire

de l'or ;
malheureusement le premier agent n'était pas
désigné, et si plusieurs opérations étaient décrites fort

clairement, quelques autres, notamment la préparation

de la matière première, les degrés du feu, les proportions

étaient simplement indiquées par les sept hiéroglyphes.

Flamel malgré tout se mit à réfléchir, à relire son trésor,


à le commenter, mais en vain, l'obscurité l'enveloppait de
toute part. Il promenait partout un front soucieux, son
humeur devenait fantasque, mais quoiqu'il fit pour
céler son souci, Pernelle s'en aperçut dès les premiers

jours, discrète elle n'en dit d'abord rien, enfin n'y pou-
vant plus tenir, par tendresse ou par curiosité, elle inter-

rogea son mari. Flamel résista, puis le secret lui pesant,


il se soulagea par la confidence, il apprit tout à Pernelle,
l'achat du manuscrit, son contenu, les trésors promis à
celui qui le comprendrait : « Je ne peus jamais tenir ma
langue que je ne luy dise tout, et luy montrasse ce beau
livre, duquel à mesme instant qu'elle l'eust veu, elle en
fust autant amoureuse que moi mesme, prenant un
extrême plaisir de contempler ces belles couvertures.
20 NICOLAS FLAMEL

gravures, images et pourtraicts, auxquelles figures elle

entendoit aussi peu que moy. Toutefois ce m'estoit une

grande consolation d'en parler avec elle et de m'entrete-

nir, qu'est-ce qu'il faudroit faire pour avoir l'interpréta-

tion d'icelles. » Flamel était absolument novice en alchi-

mie, il avait certainement auparavant vu quelques manus-


crits hermétiques, mais il n'avait jamais eu la curiosité

de les parcourir. Et voici que tout d'un coup il se prend

d'une belle passion pour l'alchimie. Son amour des beaux


livres y est certainement pour quelque chose, le manus-

crit d'Abraham Juif l'a conquis dès l'abord par sa richesse,

sa vénérable antiquité, ses délicates enluminures, un

livre aussi riche ne peut contenir que de bonnes choses.

Et puis n'est-il pas écrit de la main d'un Juif: au moyen-

âge, le Juif est en dehors de la société, il est même sou-

vent hors de la loi, et cependant ce paria règne d'une


manière occulte, il se fait petit dans la rae où sa livrée

le désigne aux injures de la populace, il s'humilie même


devant le seigneur qui vient lui emprunter, il souffre

tout, car il a l'intuition que lui aussi sera tôt ou tard le

premier, grâce aux deux puissants leviers d'Israël : la

ténacité et l'argent. Le Juif exécré est cependant

redouté, le peuple l'accuse d'être familier avec Satan,

tous les sacrilèges commis dont les auteurs ne peuvent


NICOLAS FLAMEL 21

être retrouvés, tous les crimes sont mis au dossier du


Juif. Aussi une sorte de terreur superstitieuse s'attache à
lui. Le chrétien ira de préférence acheter chez le Juif,

sachant d'avance qu'il sera volé, c'est l'attirance de la

mouche par l'araignée ; les papes et les rois ont à leur

service des médecins ou des astrologues juifs, il leur


semble que la science d'un juif doit être supérieure
justement à cause de son origine illicite.

Le livre d'Abraham Juif parut donc à Flamel à cause


même de sa provenance beaucoup plus précieux qu'un
traité d'Hermès ou de Geber. Au reste, il était rempli de
caractères hébraïques et de chiffres dont on ne pouvait

comprendrele sens qu'en étant versé dans la Kabbale, un


livre plus facile à comprendre aurait été peut-être dédai-

gné, celui-ci irrita la curiosité de Flamel qui se promit


de déchiffrer tous ces arcanes, et il tint sa promesse !

Nous n'avons pas fait entrer en ligne l'appât des riches-

ses, c'est que Flamel n'a jamais désiré l'or pour lui-
même, peu lui importait d'être riche ou pauvre, il donna
tout aux pauvres et aux églises, et quand il mourut il n'é-
tait guère plus riche qu'avant d'avoir opéré la transmu-
tation, du reste il ne fit cette opération que trois fois
dans sa vie ! Est-ce là le caractère d'un homme avide
d'or ? Si nous insistons tant sur ce point, c'est que
dès
22 NICOLAS FLAMEL

à présent il faut bien comprendre que Flamel n'étudia


l'alchimie que par curiosité, par amour de la science et
non dans un but de lucre, ce qu'il voit à la fin de ses
travaux, c'est de pouvoir enfin lire couramment son mys-
térieux livre d'Abraham Juif, de pouvoir déchiffrer les

hiéroglyphes dont le sens lui échappe, il n'a qu'un désir,

parfaire le grand œuvre, et contempler les merveilles de


la pierre des philosophes ! Voilà les seules raisons qui

poussent Flamel, les obstacles, les déceptions ne feront

que rirriter sans le décourager.

La résistance soutient les forts, car seuls ils sont capa-

ble de puiser de nouvelles forces dans la lutte.

Flamel était donc songeant nuit et jour à son manus-

crit, mais nous avons vu qu'il était absolument novice en

la science d'Hermès, et circonstance aggravante, le livre

d'Abraham est l'un des plus obscurs et des plus symbo-

liques de toute la bibliographie alchimique.

Flamel ne pouvait entreprendre seul l'étude de l'her-

métisme, il lui fallait un maître pour le diriger. Il s'abou-

cha donc avec quelques-uns des nombreux alchimistes de


Paris. Mais à quel titre leur demander des renseigne-
ments, fallait-ii avouer qu'il s'occupait d'alchimie ? Non,
cela eût fait tort à son commerce et à sa considération,

puis quelque souffleur n'aurait pas manqué de s'insinuer


NICOLAS FLAMEL. 2}

dans sa confiance, puis de venir s'installer chez lui, Fia-


mel aimait la tranquillité et il ne tenait pas du tout alors
à passer pour alchimiste, le métier était assez dangereux
et le malheureux qui attirait l'attention sur lui avait le
choix entre : travailler pour le Roy dans une tour bien
gardée, ou aller bénir les passants avec les pieds du
haut d'un gibet doré^ en cas de refus. Pour résoudre
cette difficulté, Flamel fit copier sous ses yeux par un
habile enlumineur les sept figures et il les montrait à
ceux de ses clients et connaissances qu'il savait avoir fait

quelqu'étude de l'alchimie. Il leur demandait simplement

ce que ces figures pouvaient bien signifier ; à ceux, dont


Ja discrétion lui était assurée, il avouait que c'étaient des
hiéroglyphes alchimiques tirés d'un manuscrit sur la
pierre philosophais Mais laissons Flamel raconter lui-
même ses tribulations : « Enfin je fis peindre le plus au
naturel que je peux, dans mon logis, toutes ces figures et
pourtraicts du quatriesme et cinquiesme feuillet, que ja
monstray à Paris à plusieurs grands clers qui n'y enten-
dire jamais plus que moy. Je les advertissois mesmes
que
cela avoit esté trouvé dans un livre qui enseignoit la

pierre philosophale, mais la plus part d'iceux se moquè-


rent de moy, et de la bénite pierre, fors un appellé Mais-
tre Anseaulme, qui estoit licencié en médecine, lequel
24 NICOLAS FLAMEL

estudipit fort en.ceste science. Iceluy avoit


grande envie

n'y eust chose qu'il ne pour le


de voir mon livre et fit

ne l'avois point,
voir, mais tousiours je l'asseuray que je

bien luy fis-je une grande description de sa


méthode ».

Pour comprendre l'empressement de maître An-


seaulme, il faut savoir qu'à cette époque l'alchimie com-
mençait à s'étendre. Raymond LuUe était mort dans les

premières années du xiv' siècle, mais Jean de Meung,


Cremer, Richard l'anglais, Odomar, Jean de Rupes-
Ortholain avaient suivi ses traces, l'alchimie
cissa,

craanait peu à peu, pas de famille où il n'y eût un her-

métiste. La science commençait à se répandre hors dès

monastères où elle avait été d'abord à peu près exclusi-

vement renfermée. L'école alchimique occidentale


com-

mence à se constituer avec Roger Bacon et Albert


le

Grand, Raymond Lulle et Arnauld de Villeneuve. Ce


barbare toute la
sont eux qui répandent dans l'occident
science antique recueillie et accrue
par les Arabes l'al- ;

partie de ces connaissances, ainsi qu Hœfler


chimie fait

l'avait démontré (Thèse reprise par M. Berthelot).


diverses cou-
L'alchimie pénétrait donc peu à peu les
mais les manuscrits étaient rares
ches de la société;

coûtaient fort cher, on se les prêtait comme


encore, ils

les auteurs eux-mêmes étaient peu


de précieux trésors ;
NICOLAS FLAMEL

nombreux, quelques arabes : Geber, Avicenne, Kalid,


Morien, quelques gréco-égyptiens, Hermès, Synésius,
Démocrite, plus les oeuvres des premiers maîtres occi-

dentaux, tels étaient les manuscrits que l'on étudiait le

plus communément. Aussi quand un alchimiste entendait

parler d'un nouveau manuscrit encore inconnu, faisait-il

tout son possible pour le posséder ou tout au moins le

copier, le lire ! Peut-être enfin la matière serait-elle

désignée dans ce manuscrit, peut-être serait-ce là le

manuscrit introuvable où le grand oeuvre est décrit sans


mystères? C'était là certainement la pensée de maître
Anseaulme, mais devant les dénégations systématiques
de FJamel, il se résigna à lui expliquer les figures d'Abra-

ham sans plus chercher à voir l'original, voici cette

explication de soufiîeur, que Flamel nous a conservée.


« Il disoit que le premier portraict représentoit le temps
qui dévoroit tout ce qu'il fallolt l'espace de six ans selon
les six feuillets escrits, pour parfaire la pierre, soutenoit
qu'alors il fallait tourner l'horloge et ne cuire plus. Et
quand je lui disois que cela n'estoit peint que pour
démontrer et enseigner le premier agent (comme estoit
dit dans le livre), il respondoit que ceste coction de six
ans estoit comme un second agent. Que véritablement le
premier agent y estoit peint, qui estoit l'eau blanche et
20 NICOLAS FLAMEL
'

pesante, qui sans doute estoit le vif-argent, que l'on ne

pouvoit fixer ny à iceluy couper les pieds, c'est-à-dire

ester sa volatilité, que par ceste longue décoction dans

un sang très pur de jeunes enfans, que dans iceluy, ce

vif-argent se conjoignant avec l'or et l'argent se conver-

tissoit premièrement avec eux en une herbe semblable à


celle qui estoit peinte, puis après par corruption en ser-

pens, lesquels estans après entièrement asséchez et cuiz

par le feu, se réduiroient en poudre d'or oui sero't la

pierre. » Si les autres explications de maître Anseaulme


étaient de cette force, Flamel non seulement n'en
savait pas plus qu'avant, mais encore.il s'engageait dans

un labyrinthe sans issue; maître Anseaulme n'était en

somme qu'un vulgaire souffleur, il prenait à la lettre les

paraboles des philosophes et s'il travaillait de la même


façon, ses œuvres devaient avoir deux termes: l'imbécil-

lité et le sacrilège. On trouvera plus loin l'explication

des figures d'Abraham selon les principes exposés dans

notre précédent ouvrage : Théories el S/mboles des

alchimistes, et l'on verra combien elles diffèrent de celle

de maître Anseaulme, le médecin alchimiste! Flamel


ayant bien médité le livre d'Abraham Juif, crut devoir

néanmoins passer à la pratique; il travaillait en secret et

nul autre que Pernelle ne sut jamais qu'il s'occupait

1
NICOLAS FLAMEL 27

d'alchimie ; il avait fini par ne plus demander de con-

seils, inutiles toujours, nuisibles souvent ; mais pour tra-

vailler selon sa propre inspiration, il n'en faisait pas pour

cela de meilleur ouvrage. Les jours se succédaient, les

mois suivaient les mois, les années s'ajoutaient aux


années, et pas le moindre succès ne venait l'encoura-
ger ; il n'en persévérait pas moins, ne quittant l'athanor
que pour aller à l'Église Saint-Jacques, il partageait son

temps entre la prière et la méditation des anciens philo-


sophes, car Flamel s'était monté une bibliothèque her-
métique et il possédait plusieurs manuscrits. Il existe à

la Bibliothèque nationale un manuscrit coté 19.978, sup-


plément français, fonds Saint-Germain-des-Prés, qui
porte à la fin le nom de Flamel, c'est le Livre des lavû-
res, copié de la propre main de l'écrivain, nous en repar-
lerons ; de plus nous trouvons ceci dans le Dictionnaire
de Moreri. « Il existe un manuscrit de chymie d'Alma-
satus au roi de Carmasan, qui porte le titre de propriété
de Nicolas Flamel. » Ainsi donc Flamel, malgré toutes
les petites raisons de l'abbé Villain, s'occupait d'alchimie

et sérieusement même.
Néanmoins malgré tous les conseils des clercs en her-
métique, malgré ses propres travaux, malgré les lumiè-
res qu'il pouvait tirer de ses manuscrits ou même à
28 NICOLAS FLAMEL

cause de tout cela, il ne faisait rien qui vaille, les avis

étonnants de maître Anseaulme y étaient bien pour


quelque chose, aussi nous dit-il : « Cela fut cause que
durant le long espace de vingt-et-un ans je fis mille

brouilleries, non toutefois avec lê sang, ce qui est

méchant et vilain. Car je trouvois dans mon livre que les

Philosophes appelaient sang, l'esprit minéral qui est

dans les métaux, principalement dans le Soleil, la Lune


et Mercure, à l'assemblage desquels jetendois toujours,
aussi ces interprétations pour la plus part.estoient plus

subtiles que véritables. Ne voyant donc jamais en mon


opération les signes ou temps escrit dans mon livre, j'es-

tois tousiours à recommencer. » Flamel n'a pas une


parole amère pour ceux dont les pernicieux conseils lui

ont fait dépenser tant de temps et tant d'argent, il n'a

pas un regret pour les années écoulées, pas un seul ins-


tant de défaillance. Cependant comme il en était à peu

près au même point qu'en commençant, il réfléchit qu'il

ferait bien de voyager, il connaissait déjà quelques souf-

fleurs à Paris, mais aucun n'était assez avancé pour lui

être utile. Au reste il lui fallait trouver non seulement


un philosophe, mais encore un kabbaliste pour lui expli-

quer certains passages écrits en hébreu. Il irait donc en


Espagne où les Juifs étaient alors fort nombreux; long-
NICOLAS F LAME I. 20

temps en relation avec les Maures, ils avaient profité du

contact et ils avaient produit nombre d'excellents méde-


cins recherchés des cours d'Europe. Le but de son
voyage était Saint-Jacques de Compostelle en GaMcie

(ea. espagnol Santiago ou Compostella) but célèbre de


pèlerinage, que Flamel avait fait vœu de visiter en

l'honneur de Saint-Jacques, patron de sa paroisse.

CHAPITRE III

Pèlerinage de Flamel à Saint-Jacqu^*^ de Compos-


telle. — Légende de Saint-Jacques. — Flamel fait
la connaissance de maître Canches. — Retour en
France. — Mort de Canches à Orléans. — Tra-
vaux de Flamel. — Première et seconde trans-
mutation. — Prière de Flamel.
Ayant donc fait vœu « à Dieu et à Monsieur Saint-
Jacques de Gallice, pour demander l'interprétation d'i-

celles (les figures), à quelque sacerdot juif, en quelque


synagogue d'Hespaigne » et Pernelle ayant consenti au
voyage, Flamel partit avec l'habit de pèlerin orné de
30 NICOLAS FLAMEL

coquilles et le bourdon à la main. Il emportait avec lui

copie des figures d'Abraham et un extrait des passages


qui lui avaient paru plus importants. « Donc en cette
mesme façon je me mis en chemin et tant fis que j'arri-

vais à Montjoye et puis à Sainct-Jicques ou avec une


grande dévotion j'accomplis mon vœu ». Nous n'avons
aucun renseignement sur le chemin suivi par Flamel
pour aller en Espagne, mais on peut supposer qu'il y
alla par le chemin que le roi Bermude avait fait tracer

à travers la Navarre, la Rioja et le territoire de Burgos,


spécialement pour les pèlerins venant de France.
Arrivé sur le mont de l'Humilladoiro, d'où l'on dé-
couvre la cathédrale de Saint-Jacques, Flamel se pros-

terna et pria quelques instants selon la coutume, peut-


être avait-il l'intuition que son vœu serait exaucé.
Quelques mots sur Saint Jacques de Corapostelle,
que nous appellerons désormais de son nom espagnol,
Santiago (San lago, Saint Jacques). En 835, Théodo-
mir, évêque d'Iria, fut informé par unmontagnard que sur

une colline boisée à quelque distance à l'ouest du mont


Pedroso, on apercevait la nuit une lumière douce légè-
rement bleuâtre, et quand le ciel était sans nuages, on
voyait une étoile d'un merveilleux éclat au-dessus de ce

même lieu. Théodomir se rendit avec tout son clergé


NICOLAS FLAMEL

sur la colline, on fît des fouilles à l'endroit indiqué, et

on trouva dans un cercueil de marbre un corps parfai-


tement conservé que des indices certains révélèrent être
celui de l'apôtre saint Jacques. On construisit natu-

rellement une chapelle, les pèlerins affluèrent, des mai-

sons se construisirent autour de la chapelle, bientôt

l'agglomération put s'appeler ville, la chapelle fut trans-

formée en cathédrale. L'évêque d'Iria transporta son


siège dans la nouvelle ville qui reçut le nom de San-
tiago (S. Jacques) ou encore de Compostelle (campus
stellœ, champ de l'étoile). Flamel, ayant en compagnie

des autres pèlerins été admis à baiser le manteau de


Saint-Jacques, après avoir distribué des aumônes et

ardemment prié, se remit en route. Il revenait par le

même chemin, lorsqu'à Léon, il rencontra un marchand

français originaire de Boulogne, il fut mis par lui en


relation avec un médecin juif nommé maître Can-
ches, qui demeurait alors à Léon. C'était un juif con-
verti au christianisme, et « fort sçavant en sciences su-
blimes » c'est-à-dire Kabbaliste très instruit. Lors de
leur première entrevue, le marchand de Boulogne, qui
servait d'intermédiaire, expliqua à maître Canches
que Flamel avait à lui demander son avis au sujet de
certaines figures mystérieuses copiées dans un livre très
NICOLAS FLAMEL

ancien. Flamel ayant donc exhibé ses copies, maître


Canches change subitement de visage, il rayonne, il

sxulte, c'est que ces figures sont tirées de l'Asch Meza-


reph du rabi Abraham, livre que les cabalistes croyaient
à jamais perdu. Dans sa joie il cherche à communiquer
directement avec Flamel, il lui demande en latin s'il a
quelque nouvelle du manuscrit original, et Flamel lui

répond dans la même langue qu'il a « espérance d'en


avoir de bonnes nouvelles si quelqu'un lui déchiffrait ces
énigmes. Tout à l'instant transporté de grande ardeur
et joye, il commença de m'en déchiffrer le commence-
ment ». "Voilà maître Canches et Flamel grands amis,
l'un a trouvé un manuscrit que l'on croyait perdu, l'au-

tre tient enfin l'explication de ces figures qui l'embar-


rassaient tant. Quand Flamel eût révélé qu'il possédait

l'original, mais qu'il ne le montrerait qu'à la condition

qu'on lui expliqua tout, maître Canches n'hésita pas à

faire le voyage pour voir le précieux manuscrit. Ayant

à peine pris le temps de mettre ordre à ses affaires, il

partit avec Flamel. Les deux compagnons se rendirent


à Oviédo et de là à Sanson où ils prirent la mer pour
revenir plus rapidement « Nostre voyage avoit esté
assez heureux et désia depuis que nous estions entrés

en ce royaume, il m'avait très véritablement interprété


NICOLA.S FLAMEL 33

la plus part de nos figures, où jusques mesmes aux


points, il trouvoit de grands mistères (ce que je trou-

vois fort merveilleux), quand arrivans à Orléans, ce


docte homme tomba extrêmement malade, affligé de très

grands vomissemens qui luy estoient restez de ceux qu'il

avoit souffert sur la mer. Il craignoit tellement que je le

quittasse, qu'il ne se peut rien imaginer de semblable.


Et bien que je fusse tousiours à ses costez,si m'appelloit-

il incessamment, enfin il mourut sur la fin .du septième


jour de sa maladie dont je feus fort affligé ; au mieux
que je peus, je le fis enterrer en l'Église Sainte-Croix à

Orléans, où il repose encore. Dieu aye son âme. Car il

mourut en bon chrestien. Et certes, si je ne suis em-


pesché par la mort, je donneray à ceste Église quel-
ques rentes pour faire dire pour son âme tous les jours

quelques messes ». Pauvre Canches ! Flamel, attristé


par la mort de son compagnon, se remit en chemin pour
Paris.

Son voyage avait pleinement réussi, il connaissait

maintenant le premier agent, la matière, le fourneau;


quelques détails lui étaient encore inconnus, mais avec

ce qu'il savait il pouvait dès lors opérer sans crainte


d'errer misérablement. Aussi quelle fut la joie de Per-

nelle quand elle vit revenir son époux, bruni par le soleil
34 NICOLAS FLAMEL

d'Espagne, quelle joie surtout quand elle connut le

résultat du voyage. « Qui voudra voir Testât de mon


arrivée, dit Flamel, et la joye de Pernelle, qu'il nous
contemple tous deux en cette ville de Paris sur la porte

de la chapelle Saint Jacques de la Boucherie, du costé

et tout auprès de ma maison, où nous sommes peints,


moy rendant grâces aux pieds de M. Sainct Jacques de
Gallice et Pernelle à ceux de M. Sainct Jean, qu'elle
avait si souvent invoqué. » Flamel se remit courageuse-
ment au travail, il était maintenant certain de trouver.

Mais la matière première étant assez longue à préparer

il dut passer encore de longs mois avant de voir sa per-


sévérance récompensée. Il ne lui fallut pas moins de
trois ans pour parvenir enfin au but tant désiré, ce qui

ajouté aux vingt et un ans dépensés en recherches avant

son pèlerinage, représente vingt quatre années d'un tra-

vail incessant.

Il nous a résumé lui-même sa manière de travailler et

comment il parvint enfin à préparer la Matière, « Tant

y a que par la grâce de Dieu et intercession de la bien-

heureuse et sainte Vierge et benoists sainct Jacques et

Jean, je sçeuS ce que je désirois, c'est-à-dire les pre-

miers principes, non toutesfois leur première prépara-

tion qui est une chose très difficile sur toutes celles du
NICO LAS FLAM EL 3^

monde. Mais je l'eus encore à la fin après les longues

erreurs de trois ans ou environ, durant lequel temps je

ne fis qu'estudier et travailler, ainsi qu'on me peut voir


hors de cette Arche, où j'ay mis des processions contre
les deux piliers d'icelle, sous les pieds de Sainct Jacques

et Sainct Jean, priant toujours Dieu le chappelet en


main, lisant très attentivement dans un livre et pesant les
mots des Philosophes, et essayant puis après les diverses

opérations que je m'imaginois par leurs seuls mots.


Finalement je trouvay ce que je désirois, ce que je recon-
nus aussitost par la senteur forte » . La matière prépa-
rée, le reste du Grand-Œuvre est selon les philosophes

un travail de femmes et un jeu d'enfants. Il n'y avait plus


qu'à chauffer la matière dans un matras de verre ou
œuf philosophique, renfermé dans un fourneau spécial
nommé Athanor; la matière passait alors par une série
de couleurs et de modifications dont la succession en un
certain ordre prévu indiquait à l'alchimiste qu'il était

dans la bonne voie (i). C'est ainsi que Flamel vit sa


matière devenir grise, puis noire. Cette couleur noire
était appelée parles philosophes : tête de corbeau. C'est
la clef du grand-oeuvre et la première des couleurs prin-

I. y o\r •.Théories et Symboles des alchimistes. Le grand œui>re.


NICOLAS FLAMEL

cipales. Puis un cercle blanc entoura la noirceur comme


une auréole.
Du cercle rayonnèrent vers le centre des filaments

blancs qui envahirent la masse jusqu'à ce que toute trace

de noir eut disparu. Dàns cet état de blancheur parfaite,

la matière porte le nom de petite pierre ou élixir blanc,

elle change les métaux en argent. En voyant apparaître


cette couleur, Flamel n'alla pas plus loin pour cette fois,

dans son impatience il ouvrit l'œuf philosophique pour


essayer son élixir.

« Donc, nous dit-il, la première fois que je fis la projec-

tion, ce fust sur du Mercure, do nt j'en convertis demy


livre ou environ en pur argent, meilleur que celuy de la

minière, comme j'ay essayé et faict essayer plusieurs

fois. Ce fut le 17 janvier, un lundy environ midy, en ma


maison, présente Pernelle seule, l'an de la restitution de
l'humain lignage mil trois cens quatre-vingt-deux ans. »

Sûr dès. lors d'être dans la bonne voie, il reprit ce qui lui

restait d'élixir blanc et le remit dans l'œuf philosophique

pour le parfaire et obtenir la grande pierre ou élixir

rouge, la véritable pierre philosophale, celle qui trans-


mue les métaux en or. La matière passe par les cou-

leurs de l'iris on de l'arc-en-ciel, puis par le jaune orangé,

l'orangé et enfin la couleur pourpre. Flamel prit alors la


NICOLAS FLAMEL 37

matière au rouge, et en ayant enveloppé un fragment


dans de la cire, il projeta le tout sur du mercure chauffé
dans un creuset, mais laissons-le décrire lui-même cette
fameuse projection. « Et puis après en suivant toujours
mot à mot mon livre, je la fis avec la pierre rouge sur
semblable quantité de mercure, en présence encore de
Pernelle seule, en la mesme maison, le vingt-cinquiesme
jour d'avril de la mesme année, sur les cinq heures du
soir, que je transmuay véritablement en quasi autant de
pur or, meilleur très certainement que l'or commun^
plus doux et plus ployable. Je le peux dire avec vérité. »
Voilà donc Flamel parvenu au but de ses désirs, il

peut lire couramment le manuscrit d'Abraham Juif, il

sait maintenant quelles opérations indiquent les mysté-


rieuses figures, comment il faut s'y prendre pour par-
faire le grand œuvre et cela lui suffit. Un autre aurait
produit des monceaux d'or pour se livrer sans frein
à
toutes les extravagances d'une imagination en
délire, un
autre aurait étonné le monde par son faste, faisant l'au-
mône aux rois, mettant par la puissance de l'or l'univers

à ses pieds, lui au contraire continue à vivre modestement.


Il méprise l'or, il a la scienca, c'est elle seule qu'il
recherchait. Il se contente de savoir qu'il peut, mais il ne
veut pas, la richesse lui est tellement indifférente
qu'il ne

4
33 NICOLAS FLAMEL

fit que trois fois la projection dans sa vie (outre les deux
premières) ainsi qu'il nous l'affirme lui-même, et Femelle
qui s'y entendait aussi bien que lui, ne le poussa jamais
à recommencer. Tous deux ne songent plus qu'à leur

salut, avec le produit de trois projections Flamel fait des


dons aux églises et aux couvents; il dote les hôpitaux,

il secoure les pauvres. Cet homme d'élite comprend si

bien que ce n'est pas la richesse qui fait le bonheur,


.qu'il ne lègue aucun bien à celui de ses neveux qu'il a

distingué pour sa bonne conduite, il lui lègue simple-

ment la science, un manuscrit de sa propre main où il lui

enseigne l'art divin de transmuer les métaux.

Ce qu'il faut retenir de tout ceci, c'est que Flamel


n'a jamais souhaité la richesse et que devenu adepte, il

n'a usé de la Pierre qu'avec discrétion. Encore n'em-


ploya-t-il cet argent qu'à des fondations pieuses. La
prière le prévint des tentations, car c'était un homme
pieux, voici sa prière ordinaire qui se trouve en tête du

Livre des figures hiéroglyphiques : « Loué soit éternel-

lement le Seigneur mon Dieu, qui eslève l'humble de la

basse pouldrière, et faict esjouyr le cœur de ceux qui

espèrent en luy, qui ouvre aux croyans avec grâce les

sources de sa bénignité et met sous leurs pieds les cer-

cles mondains de toutes les félicités terriennes. En luy


NICOLAS FL A M E L

soit tousiours nostre espérance, en sa crainte nostre


félicité, en sa miséricorde la gloire de la réparation de
nostre nature et en la prière nostre seureté inesbran-

lable. Et toy, ô Dieu tout-puissant, comme ta bénignité

a daigné ouvrir en la terre devant moy, ton indigne serf,

tous les trésors des richesses du monde, qu'il plaise à ta

grande clémence, lorsque je ne seray plus au nombre


desvivans, de m'ouvrir encor les trésors des Cieux, et
me laisser contempler ton divin visage, dont la Majesté
est un délice inesnarrable, et dont le ravissement n'est
jamais monté en cœur d'homme vivant. Je te le demande
par le Seigneur Jésus-Christ ton fils bien aymé qui en
l'unité du Saint-Esprit vit avec toy au siècle des siècles.
Ainsi soit-il, » Combien différente cette prière de celle
que l'abbé Villain a copiée dans d'Hydrolitus Sophicus
{Muséum hermeticum) et qui est une prière d'un alchi-
miste quelconque, l'abbé Villain n'affirme pourtant pas

que cette prière soit de notre adepte : « Flamel dit sans


doute... » dit-il. Mais après lui Collin dz Plancy affirme
gravement que cette prière est de Flamel, et Figuier

après lui sans se donner la peine de vérifier, seulement


Figuier enjolive la chose, la prière de l'Hydrolitus serait

celle que Flamel faisait chaque jour pour obtenir du ciel

l'interprétation des figures d'Abraham Juif. Et a'nsi l'on

écrit l'histoire.
40 NICOLAS KLAMEL

CHAPITRE IV

Flamel s'est-il occupé d'alchimie. — Les raisons de


l'abbé Villain. — Celles de Salmon. — Nos rai-
sons. — Le livre d'Abraham Juif. — Flamel a été
un alchimiste.

Ayant montré Flamel alchimiste et adepte, nous


allons examiner une grosse question: Flamel s'est-il

réellement occupé d'alchimie? C'est que la chose a été


discutée, d'autre part il n'est pas trop tard pour en par-
ler, il valait mieux exposer d'abord les faits, quitte à les

examiner ensuite.
Donc Vallet de Viriville regarde toute cette partie de

l'histoire de Flamel comme une légende, il ne va cepen-

dant pas aussi loin que l'abbé Villain qui n'y voit qu'un
roman fabriqué au xvu" siècle par Arnauld de la Cheva-
lerie. Figuier plus prudent ne se prononce pas.

Les raisons de Vallet de Viriville étant renouvelées

de l'abbé Villain, nous n'examinerons que celles de ce

dernier.

L'abbé prétend que le livre des figures hiéroglyphi-


NICOLAS FLAMEL 41

ques n'est pas l'œuvre de Flamel, mais bien d'Arnauld


de la Chevalerie (gentilhomme poictevin qui le fit impri-
mer pour la première fois en le traduisant du latin), et

cela parce que, dit-il: 1° On n'a jamais vu l'original


latin. Remarquez que : on, c'est lui, l'abbé. Mais, répon-
'
dons-nous, a-t-on jamais vu l'original grec de l'Iliade ou
l'original latin de l'Enéide, et sans aller si loin, combien
de chefs-d'oeuvre imprimés au xvm« et au xix'= siècle et

dont les manuscrits originaux n'existent plus. En posant


comme loi le principe de Villain, combien d'ouvrages
seraient apocryphes ! Passons I
2° Chose grave selon
lui, la première projection est datée du 17 janvier 1382,
la seconde du 25 avril « de la même année » dit Flamel.
Or, l'année commençant à Pâques, on était depuis le 6
avril dans l'année 1383. La fête de Pâques étant mobile,
pour éviter la confusion, on indiquait dans les actes pas-
sés du 22 mars au 25 avril, s'ils avaient été rédigés ayant
ou après Pâques. Constatons que ce système prêtait
par conséquent à confusion et que Flamel aura pu se
tromper. 3° Enfin, dit-il, le 17 de janvier 1382 était un
vendredi et Flamel dit un lundi, et surce l'abbé triomphe.
M ais Flamel travailla à deux reprises au livre des figures
hiéroglyphiques, en 1399 et en 141 3. Mettons qu'il ait
rédigé cette première partie en la première projec-
1399,
42 NICOLAS I--LAMEL

tion était donc éloignée de dix-sept ans! Ma fci, nous


trouvons que Flamel pouvait fort bien ne pas se rappeler
au juste quel jour de la semaine elle avait eu lieu et

nous ne le chicanerons pas pour cela. Telles sont les

raisons de l'abbé Villain, nous y avons répondu, le lec-

teur jugera. Au reste, l'abbé avait une thèse préconçue et

les petites raisons s'entassent sous sa plume à perte de


vue. Il ne réussit qu'à être ennuyeux. Cependant nous
prétendons ne pas abandonner la discussion sur ce point
avant d'avoir démontré péremptoirement que Flamel
s'est occupé d'alchimie. Nous prouverons d'abord l'au-

thenticité du livre des figures hiéroglyphiques. Le méde-


cin Salmon qui a fait la préface de la Bibliothèque des

philosophes chymiques (à Paris, Laurent d'Houry, 1683)

s'est occupé de cette question, aussi ne ferons-nous que


le résumer. Premièrement le nom de Flamel est plu-

sieurs fois cité dans le livre des figures hiéroglyphiques

et chaque fois à la première personne du singulier: je ou


moy Flamel. Lorsqu'il y est dit qu'il fit la projection en

1382, en présence de Pernelle, celle-ci était encore

vivante et lorsqu'il y est dit que ce livre a été achevé en

141 3
après la mort de Pernelle, elle était alors décédée,

comme il appert de nombreux actes des archives de


Saint-Jacques-la-Boucherie. De plus, quel autre que
NICOLAS FLAMEL

Flamel eut pû donner une explication des figures du


Charnier des Innocents, aussi claire au point de vue
théologique, aussi bien adaptée au sens alchimique.
Enfin nul acte, nul fait, rien, absolument rien ne vient
contredire ce qui est narré dans la première partie du
livre des figures hiéroglyphiques. Ajoutons pour ne rien
laisser derrière nous, que l'abbé Villain trouve étrange
que Flamel quitte sa femme et son commercepouraller en
Espagne, et encore, dit-il, si cela eut été fait par dévo-
tion. Mais Flamel pouvait s'absenter fort bien, disons-

nous, il laissait derrière lui l'intelligente Pernelle et son

premier clerc. Flamel ne travaillait-il pas depuis vingt


et un ans à la recherche du grand-œuvre, pour quelques
mois de plus que lui dépensait le pèlerinage, il pouvait
être négligent jusqu'au bout. Combien d'adeptes, Ber-
nard Trévisan, Denys Zachaire, Cyliani n'ont réussi
que lorsqu'ils touchaient déjà à la ruine. Mais non, il

n'y avait même pas de négligence de sa part, ses clercs


faisaient tout l'ouvrage ; de même dans une fabrique ce
n'est pas le patron qui fait le travail, mais bien les ouvriers,

le patron n'est que la tête, et il est plus facile de trouver


un contre-maître que de remplacer à la fois tous les
ouvriers. Le patron prend deux ou trois mois de vacan-
ces et la fabrique va tout aussi bien. Pernelle ne pouvait-
44 NICOLAS FLAMEL

elle suppléer Flamel quelque temps, insister serait

oiseux. Enfin pour ce qui est du but même du voyage,


nous avons vu combien Flamel était dévot, nous le cons-
taterons encore mieux plus loin, et il avait deux raisons
au lieu d'une pour faire son pèlerinage, d'abord par
dévotion, ensuite pour s'aboucher avec quelque rabbin
cabaliste.

Tout ceci étant élucidé, nous afnrmons que Flamel


s'est occupé d'alchimie. Nous ne reparlerons pas ici du
livre des figures hiéroglyphiques, la question est jugée,

mais il existe et il a existé des manuscrits d'alchimie por-

tant le titre de propriété de Flamel, l'un deux est même


écrit entièrement de sa main, ainsi qu'il appert par ces
mots qui le terminent : le présent livre est et appartient
à Nicolas Flamel, de la paroisse Saint-Jacques de la

Boucherie, lequel il l'a escript et relié de sa propre


main. » C'est le livre des Laveures, catalogué 19978 (sup-
plément français) à la Bibliothèque nationale (voir pour

plus de détails le dernier chapitre 9 page 121). C'est le

seul manuscrit d'alchimie ayant appartenu à Flamel que

nous connaissions actuellement. Divers auteurs du xvi,


xvir et xviii' siècle parlent d'autres manuscrits qui ne

nous sont point parvenus, détruits ou simplement égarés.


Ainsi Moreri affirme que de son temps il existait un
NICOLAS FLAMEL 4^

manuscrit d'alchimie d'Almasatus au roi de Carmasan,


qui portait le titre de propriété de Flamel. De m Per-
nety, auteur des Fables grecques et égyptiennes, a eu
entre les mains un manuscrit autographe de Flamel. Il

nous en a laissé la description. C'était un traité d'alchi-

mie écrit dans les marges assez larges d'un Bréviaire, il

est adressé à un des neveux de Flamel et commence


ainsi : « Je, Nicolas Flamel, escripvain de Paris, ceste
présente année, MCCCCXIII, du règne de nostre
prince bénin Charles V J lequel Dieu vueille bénir, etc . . »

Enfin au xvii^ siècle on voyait dans la bibliothèque de


M, de la Richardière un manuscrit de Flamel commen-
çant ainsi : « Je te veux premièrement montrer la nature
de tous métaux.... » Et à la même époque François de
Gerzan, sieur du Soucy, qui possédait alors le livre des
lavûres, avait encore un autre manuscrit de Flamel.
Il y a un point sur lequel l'abbé Villain a glissé, c'est

sur la question du Livre d'Abraham Juif. Redoutant de


trouver la vérité et de détruire ainsi sa propre thèse, il

ne s'est livré de ce côté à aucune investigation. Eh bien !

nous allons prouver que ce livre a existé. Dans Borel


nous lisons ceci à propos du manuscrit d'Abraham.
« Mais j'ay pourtant ouï assurer à un gentilhomme de
Rouergue, appelé De Cabrières, se tenant en son châ-
NICOLAS FLAMEL

teau de Cabrières, près de Millau, où je fus exprès


pour

voir ce manuscrit (i), qu'il avait vu l'original de


ce livre,

que feu M. le cardinal de Richelieu avait recouvré peu

de temps avant sa mort, et qu'un grand seigneur de


papiers,
Rouergue, familier avec ceux qui manièrent ses
»
l'avait emporté de son cabinet.
Nous voici donc renseignés, du temps de Louis XI II,
encore; est probable
le manuscrit d'Abraham existait il

pas
qu'il fut copié plusieurs fois et nous ne désespérons

de trouver un jour ou l'autre une de ces copies.


Flamel, dans \e Diclion-
M. Delaulnaye, à l'article

biographique de MM. Michaud, dit en parlant du


naire
L'auteur de cet article possède
livre d'Abraham : «

du couvercle, faite
une copie très précieuse des figures

par Flamel lui-même. Elle présente deux carrés par-

faits.

hiéroglyphes égyptiens qui ont


y remarque des
On
la table Isiaque, l'em-
quelque rapport avec ceux de
celui
blème des trois mains réunies dont une est noire;
une croix,
du bœuf et de deux anges prosternés devant
éthiopiens, ara-
et beaucoup de caractères hébraïques,
parfaitement exécutés ». Nous
bes, grecs, cabalistiques

Une copie du livre d'Abraham Juif.


I.
NICOLAS FLAMEL 47

arrêterons ici ce chapitre, ce qu'il nous fallait pour la

suite c'était une base solide et inébranlable, car à partir

de maintenant les preuves vont s'accumuler tellement


qu'il faudrait y mettre de la mauvaise volonté pour ne
pas voir la vérité. Nous n'avons discuté si longuement
que parce que cela était indispensable, aussi maintenant

pouvons-nous continuer, nous avons établi trois points

importants : Le livre d'Abraham Juif a existé, Flamel


s'est occupé d'alchimie, Flamel a écrit des traités her-
métiques, notamment le livre des figures.

CHAPITRE V

Flamel reconstitue sa fortune. — Don mutuel. —


Edification d une arcade au Charnier des Inno-
cents. — Le petit portail de S. Jacques de la Bou-
cherie. — La Croix d'or hermétique. — Mort et
testament de Pernelle. — Son mausolée.

Flamel étant parvenu à préparer la Pierre philoso-


phale, n'avait plus rien à désirer. Nous avons vu qu'il
NICOLAS FLAMEL

ne cherchait que la science, maintenant il la possède,

peu lui importe le reste. Sa passion pour l'alchimie est

tellement modérée par sa piété qu'il ne fit que trois fois

la transmutation dans sa vie, outre les deux premières

qui n'étaient que de simples essais, et encore, l'or


obtenu

sera employé en fondations pieuses, à peine si Flamel

placera des rentes sur quelques maisons pour


pouvoir

vivre à son aise le restant de ses jours sans être obligé


de recourir à de nouvelles transmutations. Car sa for-

tune avait été fortement ébranlée par ses recherches

hermétiques, les produits nécessaires s' extrayant de l'or

et de l'argent (voir : Théories ei Symboles des Alchi-

mistes) comme d'autre part on perdait toujours en

essayant de régénérer les métaux employés dans les

manipulations, si nous ajoutons à ces dépenses fonda-


mentales l'achat des manuscrits, des appareils de
verre,

du combustible, des fourneaux, etc., on comprendra que

dépenses, continuées pendant vingt-quatre


de telles

ans, avaient dû endommager la fortune de Flamel. Aussi

régime dotal et sa fortune person-


s'étant marié sous le

nelle étant près d'être épuisée, il s'était adressé à Per-

par amour pour lui, confiante dans le


nelle, et celle-ci
ses biens
succès de ses recherches, voulut bien mettre
dont Flamel
en commun avec ceux de son mari, mesure
NICOLAS FLAMEL 49

seul profitait. Cet acte est daté du 7 avril 1572 avc.nt


Pâques. Il est rapporté tout au long dans VHisloire de
l'abbé Villain, accompagné de beaucoup d'autres dont
le texte nous intéresse généralement fort peu. Il nous
suffit de savoir que l'acte a eu lieu, et le lecteur reste
froid devant cette kyrielle d'actes par devant notaire,
écrits en quelle langue ! L'abbé n'en a pas moins cru
devoir en remplir cent pages de petit texte. C'est en
vérité fort réjouissant.

Ce don mutuel fut renouvelé le 10 septembre 1386.


Une clause de ce renouvellement nous intéresse, en ce
qu'elle montre combien était grande la piété des deux
époux : « Et oultre ce, vouldrent, ordenerent et accor-
dèrent les dicts mariés, l'un à l'autre, que le dict
seurvi-
vant dernier morant(i), puisse donner,
aumosner et dis-
^ tribuer, sain ou enferme (2), par son testament ou autre-
ment en son vivant comme il lui plaira, toute la partie et
portion dudit premier morant, de tous les
dis biens meu-
bles et conquès immeubles à telles personnes, Religieux,
Eglises, povres et misérables personnes,
conjointement ou
en à part, ou convertir à faire célébrer messes, ou autres

1. Mourant.
2. Malade, du latin infirmus.

aumosnes piteables comme bon semblera au dit seurvi-

vant et en sa conscience seulement ». Cet acte fut de

nouveau recommencé en 1388 à peu près dans les mêmes


termes. Dansées deux derniers actes, c'est Pernellequi
mari et
bénéficie à son tour de la nouvelle fortune de son

ce n'était que justice.


Nous avons dit plus haut l'emploi que notre alchimiste

fit de l'or philosophai. Un certain nombre de ces fonda-


les autres non
tions peut s'étiqueter de dates certaines, ;

nous nous occuperons d'abord des premières.


Donc en 1389 Flamel fit élever une arcade au Char
arcade se dressait sur
nier des Saints Innocents. Cette
rue de la Lingerie,
la façade du Charnier, voisine de la

de l'F, initiales que nous


elle était marquée de l'N et
fondations. Flamel
retrouverons dans toutes les autres
un
un homme tout noir étendant
y avait fait peindre (i)
qu'il édifier plus tard et
bras vers une seconde arcade
fit

charger d'hiéroglyphes. _ _

De l'autre main il tenait un rouleau sur lequel on lisait

de faire peindre ou sculp-


I Ce devait être alors .'habitude
GuiUebert de Metz en parlant
ter les arcades du Charnier, car
. lUec sont peintures
notables
d.t
du charnier des Innocents,
:

pour esmou-
autres, avec escriptures
de la danse ma:abre et
voir les gens à la dévotion.
»
NICOLAS FLAMEL

« je VOIS merveille dont moult je m'esbahis. » De plus

sur la mêTie arcade en face de l'homme noir, était une


plaque dorée sur laquelle on voyait une éclipse du Soleil
et de la Lune et une autre planète caractérisée par le

signe de Vénus ou. plutôt de Mercure. Il y avait d'autres

plaques au-dessous de celle-là, une entre autres repré-


sentant un écusson partagé en quatre par une croix,
celle-ci porte au milieu une couronne d'épines' renfer-
mant en son centre un cœur saignant d'où s'élève un
roseau. Dans un des quartiers on voit lEVE en carac-
tères hébraïques âu milieu d'une foule de rayons lumi-
neux au-dessous d'un nuage noir dans ; le second quartier
une nuée sur laquelle on voit une trompette, une lance,
une palme et une couronne dans; le troisième la terre est

chargée d'une ample moisson et le quatrième est occupé


par des globes de feu. On trouve cet écusson figuré à la

fin de l'Harmonie chimique ds Lagneau.


Flamel semble avoir imité cet écusson d'un autre attri-

bué à Saint-Thomas d'Aquin. Quant aux autres plaques


nous ne savons ce qui s'y trouvait représenté; les alchi-
mistes qui visitaient les différents endroits illustrés par
Flamel faisaient un peu comme les anglais de nos jours,
chacun emportait un morceau, un souvenir conservé
précieus2ment comme une relique, jusqu'à ce qu'un plus
NICOLAS F LAME L

hardi vînt qui enlevât le reste. C'est ainsi que du temps

de Borel il existait à cette arcade quatre plaques, trois du

temps de Gohorry et plus du tout au xvui° siècle. Nous


retrouverons ces mutilations, signes d'un culte excessif,
dans toutes les autres fondations de Flamel.

Du temps de l'abbé Villain on ne voyait plus sur cette


IT et ces vers mutilés ou effacés par
arcade que l'N et
le temps.

« Hélas mourir convient


Sans remède iiomme et femme.
nous en souvienne
Hélas mourir convient
Le corps ...

Demain peut-être dampnés.

A faute ...

Mourir convient
Sans remède homme et femme. »

Après ces vers on pouvait encore lire ce fragment


d'inscription «... donné pour l'amour de
Dieu, l'an
en disant Pater
1389. Vueillez prier pour les trespassés
fut reconstruite en
noster. Ave. «. En 1761 cette arcade
disparurent.
partie et ces différentes inscriptions

Cette même année 1 389 Flamel fit élever à ses frais

Boucherie qui était


k petit portail de Saint Jacques la
NICOLAS FLAMEL

vis-à-vis la rue de Marivaux en face sa propre maison.


Il était représenté au-dessus de cette porte avec Per-
nelle. La Sainte Vierge est entre eux deux, l'apôtre
Saint-Jacques est figuré à côté de Flamel et Saint-Jean
Baptiste à côté de Pernelle. D'un côté se' trouvait cette
inscription : « Ave maria soit dit à l'entrée » et de l'au-
tre côté ; « la Vierge Marie soitcy saluée ».

« Au jambage occidental du portail, dit l'abbé Villain


dans son Essai d'une histoire de la paroisse Saint-Jac-
ques la Boucherie, on voit un petit ange en sculpture
qui tient en ses mains un cercle de pierre, Flamel y
avait fait enclaver un rond de marbre noir, avec un filet
d'or fin en forme de croix, que les personnes pieuses
baisoient en entrant dans l'église». «Je tiens ce petit
fait, ajoute-t-il en note, d'un ecclésiastique mort fort
âgé
né sur la paroisse, qui avoit baisé cette croix étant tout
jeune ». Ce fut donc dans seconde moitié du dix-
la

septième siècle qu'un larron ou plus probablement


un
alchimiste enleva le marbre et le filet d'or, on voyait dis-
tinctement la trace des coups de ciseau du temps de
l'abbé Villain. Au-dessous de l'ange subsistaient ces
mots : « Mémento preliosœ crucis Domini nos tri ».
A propos du portail de l'église Saint-Jacques, il faut
remarquer que Flamel, dans le Livre des figures hiéro-

5
74 NICOLAS FLAMEI.

glyphiques, dit y être figuré en pèlerin, tous les autres


auteurs, Gohorry, Borel, Sauvai, Pernety, qui ont vu le

monument, confirment la chose, seul l'abbé Villain pré-

tend que Flamel n'a jamais été nulle part représenté en


pèlerin, mais ce pauvre abbé n'a vraiment pas de chance
dans ses affirmations intéressées, en tète de son ouvrage,
page I, s'étale resplendissante une reproduction delà

partie supérieure du petit portail de Saint-Jacques la

Boucherie, et s'il est assez difficile de dire d'après cette

gravure si Flamel est ou n'est pas vêtu en pèlerin, en

revanche il est facile devoir de chaque côté de la Vierge

qui occupe le milieu de la figure, une coquille de Saint-

Jacques, de plus l'apôtre Saint-Jacques qui est à côté


de Flamel tient en mains le bâton de pèlerin orné du
bourdon.
Entre cette année 1389 et la mort de Pernelle, notre

alchimiste fit encore travailler aux égUses Saint-Cosme

et Saint- Martin des Champs; mais nous n'avons que


des détails assez vagues sur ces fondations. Nous savons

seulement d'après Borel que selon son habitude Flamel


s'y était fait représenter en pèlerin.

Mais pour en revenir à Saint-Jacques la Boucherie,

outre le portail de la rue de Marivaux qu'il avait fait élever

à ses frais, Flamel fit d'autres dons à cette église de son


ÉGLISE SAINT-JACQUES-LA-DOUCIIEniE.
I
NICOLAS FLAMEL 57

vivant. Dana les comptes de la fabrique on trouve men-


tionné «..., un tableau d'imagerie d'une piété de N.-S,
que l'on met aux festes sur le grand autel, que donna
Nicolas Flamel ». Plus loin il est parlé d'un dyptique.
« Item un tableau ployans à une passion d'un costé, et

à une résurrection d'autre costé, et l'a donné de nouvel


Nicolas Flamel, et estoit sur le grant autel » {Inventai-
res des objets précieux de V Eglise, de 14043 141 2).
La chapelle de Saint-Clément, une des latérales de
Saint-Jacques, fut particulièrement favorisée. Faut-il en

chercher la raison dans ce que les échoppes de Flamel


étaient adossées aux murs de cette chapelle. Il y avait
fait d'assez fortes dépenses, il l'avait fait orner de boise-
ries, de sculptures ; tous les accessoires étaient dus à
ses libéralités, aussi cette chapelle était considérée
comme fondation de Flamel, ainsi qu'il appert des comp-
tes de la fabrique de Saint-Jacques (1436-1432). « Au
coffre de la chapelle Saint-Clyment à Nicolas Flamel
on trouve un calixte avec la patène d'argent doré, etc..
Item un vestement de drap de soye noire doublé d'azur
où est écrit N. F. en la chasuble, etc. » Cette chapelle,
avec tous les accessoires du culte qui l'accompagnaient,
doit être mise entièrement au compte de Flamel ; une
autre preuve c'est qi^e les desservants de l'église finis-
58 NICOLAS FLAMEI.

saient par regarder cette chapelle comme celle de N.


Flamel, ainsi on lit au même compte : « A Jehan Fran-
çois la somme de 8 sols qui due lui était pour avoir fait

refaire un quartier du couvelesque qui couvre la table de


la chapelle de feu Nicolas Flamel. »

Notre écrivain vivait assez tranquille avec sa femme,


répandant des bienfaits autour de lui; adepte, il possé-
dait la science dans son intégrité, n'ayant plus rien à
désirer de ce côté, il ne pensait qu'à son salui, il soula-
geait les pauvres et enrich'ssait les églises; austère pra-

tiquant, il s'était fait recevoir dans plusieurs confréries


(neuf en tout) dont les noms se retrouvent dans son tes-
tament.
Nous avons vu plus haut que par un acte de 1388 un

don mutuel mettait en commun les biens des deux époux,


le dernier survivant profiterait de la fortune totale. Cet
acte fut ratifié le samedi 5 août 1396, ce qui indigna fort
Isabelle la sœur de Pernelle et ses fils; si Flamel suc-
combait le premier, il n'y aurait eu que demi-mal, mais

malheureusement Pernelle plus âgée que Flamel (elle

devait avoir alors près de soixante-quinze ans) semblait


devoir trépasser la première. Aussi sœur, beau-frère et
neveux firent-ils tout ce qu'ils purent pour circonvenir
Pernelle. Ils y réussirent car elle fit un testament le 25
Nicolas flamel ^9

du mois d'août 1397 où elle les avantage. Cependant il

avait fallu que l'obsession fût forte pour l'amener là,

aussi ses parents désormais tranquilles s'étant éloignés,


Pernelle fit aussitôt un retour sur elle-même, elle eut
honte de sa faiblesse et par un nouvel acte du 4 septem-
bre 1397 elle fit par devant notaire et dans les formes
requises un codicille où elle institue Flamel au nombre
de ses exécuteurs testamentaires, ne donne à sa sœur
Isabelle que 300 livres tournois une fois payées et remet
le reste comme il est mentionné dans l'acte de 1396.
Pernelle avait réellement senti sa fin prochaine, car
elle mourut sept jours après, le 1 1 septembre 1397- Fla-
mel la fit enterrer aux Innocents, sur sa tombe il éleva
plus tard (en 1407) une pyramide où se lisaient les vers
suivants.

Lès povres âmes trépassées


Qui de leurs oirs sont oubliées

Requièrent des passans par cy


Qu'ils prient Dieu que mercy
Veuille avoir d'elles et leur fasse
Pardon et à vous doint sa grâce

L'église et les lieux de céans

Sont à Paris bien moult séans


6o NICOLAS FLAMEL

Car toute povre créature


Y est reçeue à sépulture

Et qui bien y sera, soit mis


En Paradis, et ses amis.

Qui céins vient dévotement


Tous les lundis ou autrement
Et de son pouvoir y fait dons
Indulgences et pardons
Ecrits céans en plusieurs tables

Moult nécessaires et profitables.

Nul ne sçîit que tels pardons vaillent


Qui durent quand d'autres bons faillent.

Démon paradis pour mes bons amis


Descendu jadis pour estre en croix mis.

Dans le testament de Pernelle que nous a conservé


l'abbé Villain, il y a des choses bien intéressantes que
nous donnerons à titre de curiosité. Elle règle elle-même
les détails de la cérémonie funéraire : Item elle voult et

ordena son luminaire estre fait le jour de son obsèque


de trente deux livres de cire. Item : elle voult et ordena

quatre livres seize sols paris's estre donnés et convertis


au prouffit du disner qui sera fait le jour de son obsè-
que.... Item : elle voult et ordena le jour de son très-
NICOLAS FLAMEL 6l

passement la somme de huit livres tournois estre donnée

et aumosnée pour Dieu à plusieurs povres gens par les

dis exécuteurs. » Ayant distribué par son testament cer-

taines sommes aux églises, confréries et pauvres, elle

passe à ses parents, amis et connaissances. Nous y trou-

vons une feue Pernelle Dehanigues avec son mari feu

Clément Dehanigues (les parents de son premier mari)

pour lesquels elle ordonne de dire douze messes de


requiem. Nous y voyons aussi un Guillaume de Laigny
son cousin et feu Raoul Lethas, son second mari.
Voici encore une clause curieuse : Item voult et
ordena un voyage estre fait une fois par un homme, pèle-

rin de pié, à Nostre-Dame de Boulogne-sur-la-mer;


auquel pèlerin pour ce faire, elle voult quatre livres tour-

nois estre baillées et payées par les dicts exécuteurs,

lequel pèlerin fera chanter et dire en l'église Nostre-

Dame au dict lieu deux messes, c'est assavoir, l'une du


Saint-Esperit,^ et l'autre de Nostre-Dame, et offrira un
cierge de cire pesant douze livres et si payera pour cha-
cune messe deux sols parisis. »

Elle passe ensuite aux commensaux des églises qu'elle

fréquentait. « Item. A Martin qui a accoustumé de don-


ner l'eaue benoiste en l'église Saint-Jacques, cinq sols

tournois. » Aux cinq pauvres qui demandent l'aumône


62 NICOLAS FLAMEL

au portail de Saint-Jacques, elle laisse à chacun deux


sols, six deniers tournois ;
puis elle distribue sa garde-

robe et ce n'est pas la partie la moins intéressante. Ainsi


elle laisse à Jehannette la Paquote : « Une cote ver-

meille de marbre et un chapperon, que elle mestoit chas-

cun jour... Item. Cinq siens coursés fourrés de blanc à


cinq povres personnes... Item à Jehannette Lalarge, son
meilleur chapperon... Item à Jehannette la Flaminge,
chandellière de cire, vendent à Saint-Jacques, son autre

chapperon de violet... A Mengin jeune clerc, son varlet,


elle donne une livre, cinq sols tournois, et à Gautier son

autre varlet une livre tournois. » Son codicille change


peu de chose au testament, elle y donne 300 livres à sa

sœur Isabelle, le reste à Flamel, sauf les quelques dépen-

ses mentionnées dans son testament, soit 4 livres, 80

sols parisis, et 351 livres, 297 sols, 98 deniers tournois.


NICOLAS FLAMEL 63

CHAPITRE VI

Différents de Flamel avec la famille de sa femme. —


Visite de Cramoisi. — Édification du portail de

Sainte Geneviève des ardents. — Achats de diver-


ses maisons. — La maison hospitalière de la rue
Montmorency. — Édification d'une seconde arche
aux Innocents. — Explication de ses sculptures.
— La chapelle Saint Gervais. — travaille à ses
Il

traités. — Mort de Flamel.

La môrt de Pernelle avait profondément touché Fla-


mel, avoir espéré, souffert, prié ensemble, toujours par-

faitement unis pendant près d'un demi-siècle. La douleur


était d'autant plus poignante que les deux époux s'ai-

maient plutôt cérébralement. Flamel avait passé vingt-


quatre ans de sa vie dans des recherches continuelles,
lisant, déchiffrant, commentant, l'esprit toujours en mou-
vement, n'ayant qu'un sujet de pensée, absorbé inces-
samment par ses calculs ou ses hypothèses, puis quand
il croyait avoir trouvé quelque chose, il essayait et

c'étaient alors les nuits et les jours passés dans des


64 NICOLAS I- LA M EL

manipulations souvent dangereuses, demandant un con-


trôle incessant, quand la fatigue l'abattait sa femme pre-
nait sa place. Dans de pareilles conditions, il
y avait
peu de place pour Eros, les hommes d'étude font géné-
ralement de médiocres mâles. Aussi l'amour des deux
époux était-il d'autant plus épuré et tendait vers l'union

parfaite de Platon.

Il esta croire que Flamel aurait suivi de près Perneile,


si de nombreuses affaires ne l'avaient empêché de se
livrer tout entier à son chagrin. Perrier et Isabelle, son

beau-frère et sa belle-sœur qui ne soupçonnaient point


l'existence du codicille, furent fort étonnés d'apprendre

que le testament était annulé spécialement à leur endroit

par le dit codicille et qu'ils devraient se contenter d'une

somme de trois cents livres une fois payée. Aussitôt leur


mécontentement éclata, il n'y eut misères qu'ils n'essayè-

rent de susciter, grâce à eux il fut impossible de se recon-

naître dans l'inventaire des biens de la défunte, ils firent

même, avant la fin du dit inventaire, saisir la succession

par un huissier du parlement. Dignes parents ! il y avait

à peine huit jours que Perneile était morte ! Si l'on juge

de leur caractère par ce dernier trait, on comprend par-


faitement que Flamel, malgré la douceur de son carac-
tère, ait été entraîné à tout une série de procès. Les exé-
NICOLAS FLAMEL

cuteurs testamentaires et Flamel portèrent le différent

au Parlement, au Châtelet, aux Requêtes du palais.


L'abbé ViÙain donne de grands détails sur cette affaire,

on pourra s'y reporter. Le procès intenté par Perrier à

son beau-frère n'était pas pour les rapprocher, aussi


malgré que le curé de Saint-Jacques, Hervey Roussel
les ait réconciliés, les bonnes paroles prononcées de part
et d'autre furent plus sur les lèvres que dans le cœur.
Isabelle et Perrier délaissèrent leur beau-frère, et il n'est

plus question d'eux dans le reste de cette histoire. Un


seul de leurs trois fils fut distingué par Flamel qui lui

laissa un manuscrit d'alchimie de sa propre main, don


précieux entre tous.
Quoiqu'il en soit, ces procès, ces chicanes avaient

opéré une heureuse révulsion, en ce sens que Flamel fut


détourné de son chagrin. L'angoisse des premiers mo-
ments se changea en un souvenir vivace, mélange de
regrets et d'espérance. Ce qu'il dit de la chère défunte
dans le livre des figures lui sera comme éloge funèbre
« .... mais la bonté du très grand Dieu ne m'avoit pas
comblé de cette seule bénédiction que de me donner une
femme chaste et sage, elle estoit d'abondant non seule-
ment capable de raison, mais aussi de parfaire ce qui
estoit raisonnable, et plus discrette et secrette que le
66 NICOLAS FLAMEL

commun des autres femmes. Surtout elle estoit fort dévo-


tieuse.... »

Resté seul, Flamel ne va plus avoir que deux mobiles,


assurer son salut par de bonnes œuvres, faire passer sa
mémoire à la postérité par des monuments ou des ouvra-
ges symboliques pouvant en même temps guider les

alchimistes ses frères dans leurs recherches. Dès l'année

1399 nous le voyons, ainsi qu'il ledit expressément, tra-

vailler à son livre des figures hiéroglyphiques ;


il était

alors tranquille, les affaires relatives à la succession de

Pernelle étaient terminées ; mais en cette année 1399, il

n'écrivit que la" première partie de ce traité, ce qui sem-

ble peu, mais il faut remarquer que les huit-pages in-

quarto d'imprimerie du livre des figures qui correspon-

dent à cette première partie et qui demanderaient à peine


quelques heures pour être copiées en écriture cursive,
demandaient plusieurs semaines, plusieurs mois même
alors qu'on écrivait en gothique. Si nous prenons pour

exemple le livre des Lavures, écrit de la propre main de

Flamel, on verra que toutes les lettres sont à peu près

d'égale dimension, de plus de nombreuses lettres ornées

se trouvent au commencement des chapitres, un manus-

crit de ce temps représentait une somme énorme de tra-

vail, quand il était écrit en lettres moulées. Enfin c'était


NICOLAS FLAMEL 67

là un ouvrage original et non une copie. Aussi Flamel


peut fort bien n'avoir écrit que cette première partie en
l'an 1399. II fut forcé d'abandonner son travail momen-
tanément, par suite de diverses circonstances qui nous
sont inconnues.

Peu de temps après la mort de Pernelle, le Roy de


France ayant besoin d'argent, leva un impôt extraordi-
naire, tous les bourgeois de Paris furent taxés selon
leur
importance. Flamel, qui passait déjà pour fort riche, fut
déclaré taillable pour la somme de cent francs, ce
qui est
considérable pour l'époque. Néanmoins il s'exécuta de
bonne grâce. Deux ou trois ans après, les finances étant
de nouveau très bas, on eut recours au même système et
Flamel fut taxé de 30 francs. Mais cette fois-ci il com-
memça à s'inquiéter et tout porte à croire qu'il réclama,
ayant tout intérêt à se donner pour
plus pauvre qu'il
était réellement. Il se réclama de sa fonction de libraire
juré de l'Université, prétendant qu'en cette qualité il

n'était pas taillable. Ce débat dut faire quelque bruit,


car le roi Charles VI voulant
savoir à quoi s'en tenir à
propos de ces bruits qui couraient sur Flamel,
chargea
Cramoisi, maître des requêtes, de
s'enquérir à ce sujet.
L'écrivain après avoir bien pesé
Cramoisi, l'ayant trouvé
discret, lui avoua qu'il possédait le secret de la pierre
63 NICOLAS FLAMEL

philosophale, et pour acheter son silence, il lui donna


un matras plein de poudre de projection... Cramoisi fit

sans doute un rapport favorable, car depuis, Flamel ne


fut jamais inquiété. On conserva longtemps le matras

comme une relique dans la famille du maître des requêtes,


rapporte Borel, de qui nous tenons cette histoire. Cette
visite eut lieu environ Tan 1400.

Certain d'être désormais tranquille Flamel put se livrer


tout entier à ses bonnes œuvres et surtout à son amour

des constructions pieuses. En 1402, comme on recons-

truisait le portail de Sainte Geneviève des Ardents, Fla-


mel voulut y contribuer pour une large part. Ce portail,

dit l'abbé Villain, fut construit des aumônes de plusieurs

ainsi qu'on le voit par une inscription placée au-dessus ;

c'est très-bien, seulement nous ferons observer que pour


avoir obtenu la permission d'y faire sculpter son image

et diverses inscriptions de sa façon, il fallait que notre al-

chimiste eut fait plus que les autres donateurs. Le por-


trait de Flamel qui est placé en tête de l'ouvrage est

fait d'après de celui qui se trouve dans l'histoire criti-

que de Nicolas Flamel et de Pernelle sa femme, et qui

avait été gravé justement d'après la statue de Flamel

placée dans une niche à côté du portail de Sainte Gene-


viève des Ardents. Il y est représenté vêtu d'une robe
NICOLAS FLAMEL 69

longue à capuchon, au côté pendent les insignes de son


art. Quant aux inscriptions, nous laisserons sur ce point
la parole à l'abbé Villain : « Nous avons vu, dit-il dans

son Essai sur Saini- Jacques la Boucherie, au portail de


Sainte Geneviève des Ardents, une croix gravée sur une

pierre auprès de laquelle on lisoit ces paroles qu'il pa-


raît que Flamel y avait fait écrire.

n De Dieu nostre Sauveur


Et de sa digne croix
Soit mémoire au péciieur
Chacun jour plusieurs fois ».

Nous n'avons pas de documents précis permettant


d'établir ce que fit Flamel dans les années qui suivi-

rent ; en 1406 seulement nous le voyons acheter une


maison rue de Montmorency, plus deux écuries et un
terrain vague qui séparait ces acquisitions d'une maison
sise au coin de la rue. Ce quartier faisait alors partie
des faubourgs de Paris et venait d'être compris dans la
nouvelle enceinte. Comme il voulait faire bâtir sur ce

terrain, il dut s'entendre avec les moines de Saint-Mar-

tin, seigneurs de cette partie du faubourg, ceux-ci ne

firent au reste aucune difficulté, Flamel leur ayant


assuré qu'il voulait bâtir une sorte d'asile pour de pau-
.6
70 NICOLAS FLAMEL

vres ménages. Ils spécifièrent seulement dans l'acte

qu'on ne bâtirait ni église ni chapelle, les bons moines


redoutaient la concurrence pour leur église Saint Mar-
tin des Champs, Flamel, en reconnaissance de leurs
bons procédés, fait à leur prieuré une rente perpétuelle

de 10 sols parisis, plus une somme de lo autres sols à

percevoir chaque fois qu'il y aurait un changement de


prieur. Libre alors, notre alchimiste fit construire une
maison qui fut appelée la maison du Grand Pignon.
Elle avait deux étages et un grenier, et portait au fron-

ton du rez-de-chaussée une série de sculptures figurant


onze personnages. On
y voyait de plus le portrait de
Flamel gravé au-dessus du linteau de l'une des portes.
Cette maison existait encore en 1852, c'était la troi-

sième à droite en entrant par


. la rue Saint Martin.
M. Auguste Bernard nous en laisse la description ; elle

occupait le 5 1 de la rue de Montmorency, le pignon


détruit au xvui° siècle avait été remplacé par un troi-

sième étage. Au-dessous des figures dont nous parlions


tout-à-l'heure, M. Bernard a relevé l'inscription sui-

vante, en caractères gothiques de 6 centimètres de haut,

et 10 pour les majuscules : Nous hommes et femmes


laboureurs demourans au porche de ceste maison qui
fut faite en l'an de grâce mil quatre cens et sept, som-
NICOLAS FLAMEL

mes tenus chascun en droit, soy dire tous les jours une

pate nostre et un ave maria, en priant Dieu que sa


grâce face pardon aus povres pécheurs trespassez.

Amen.
La maison de la rue de Montmorency commencée en
1406 avait été achevée en 1407. Un petit fait mentionné

par l'abbé Villain montrera combien Flamel savait se


faire aimer de tous ceux qui l'approchaient. Ses ouvriers
avaient bâti un des murs de telle sorte qu'il avait perdu
sur la plus grande longueur de sa maison plus d'un demi-

pied de large. Il s'en aperçut trop tard, néanmoins il en

fit part à son voisin, un nommé Pasquier, gendre d'un


certain Barthélémy Crocquemeure, qui avait déjà eu

affaire avec Flamel et s'en était bien trouvé ; donc le

dit Pasquier abonda dans son sens, et lui fit don d'une
cour attenante aux terrains de Flamel: « Pour la bonne
amour et affection qu'il avait au dit Nicolas, en recom-
pensation de ce qu'en faisant par le dit Nicolas ses édifi-

ces, il a perdu par simplesse plus d'un demi pied de sa

terre en aucune partie du long de sadite cour. » Et il

laisse à Flamel le loisir de faire un mur « tel et fait en

tel temps qu'il le jugera à propos » ;


de plus il lui laisse

je pouvoir d'ouvrir des fenêtres pour avoir vue chez lui

Pasquier, si bon lui semble.


NICOLAS FI.AMEL

Cependant Flamel, qui avait acheté une maison et en

avait fait construire une autre, voulut encore s'étendre de


acheta donc celle qui faisait le coin de la rue
ce côté. Il

de Montmorency et de la rue Saint-Martin, et qui s'ap-

pelait la maison de la belle Image. Il n'y eut pas de dif-

ficultés, car il offrait le double de ce que tout autre eut


elle lui fut donc adjugée au prix
donné raisonnablement,
de 155 livres tournons. Il dut de plus acquitter les droits

seigneuriaux, soit 4 livres, 1 1 sols et 6 deniers, et à rache-

pour le prix
ter les rentes qui existaient sur la maison,
quelques deniers, plus pour la vente
de 50 écus dor et

des rentes 56 sols parisis.


La maison qui suivait celle-ci, dans la rue Saint-Mar-

maison de la Herse, et qui était fort petite, lui


tin, dite

fut donnée en pur don par Margot la Quesnel sa servante

qui en était propriétaire. Flamel ne s'arrêta pas


en si beau
qui tom-
chemin et il acheta encore la maison du Puits,

bait en ruines, sise dans la rue de Montmorency en face


l'.eutpour environ40 livres et une
la maison du Pigeon, il

transposition de rente. Pour se faire une idée juste sur

ces acquisitions et sur la valeur de l'argent à cette épo-

que, on considérera que sa maison


du coin de la rue
et la maison de la Herse ayant été
recons-
Saint-Martin
en coûta 23.200 francs à la
truites au xvi" siècle, il
NICOLAS l'LAMEL

fabrique de Saint-Jacques, ce qui correspondrait de nos

jours à plus de cent mille francs et encore ne s'agit-il ici

que de la moitié à peine des terrains qu'il possédait rue

de Montmorency et rue Saint- Martin.

Flamel fit relever la maison du Puits et ces différents

locaux furent attribués par lui à des bonnes œuvres de


la manière suivante. Le rez-de-chaussée et le premier
étage de ces maisons étaient loués et l'argent de ces
loyers servait à subvenir aux besoins de ménages pauvres
logés gratuitement au deuxième étage et dans les galetas.

Ces œuvres de charité ne détournaient point Flamel


de ses constructions pieuses. En cette même année
1407 nous le voyons faire travailler au charnier des Inno-
cents et à Saint-Nicolas des Champs. Il avait déjà fait

construire une arcade aux Saints-Innocents en 1 389, celle


qu'il fit construire en 1407 est de beaucoup la plus inté-
ressante des deux, car elle contenait ces fameuses figu-
res hiéroglyphiques au double sens théologique et her-
métique.
Nous allons en donner la description en l'accompa-
gnant du sens hermétique selon le Livre des figures
hiéroglyphiques; comme nous ne pouvons entrer ici dans
de grands détails explicatifs, nous prions le lecteur de se
reporter pour de plus amples renseignements à notre
74
NICOLAS rLA M E I.

ouvrage : Théories et symboles des Alchimistes, Sur le

écrltoire enfermée
côté de l'arche on voyait d'abord une
dans une petite niche, c'est le symbole de l'œuf philoso-
figures sont
phique enfermé dans TAthanor. Les autres
vêtu d'une
groupées, on remarque à gauche Saint-Paul,
nu à la main
robe citrine brodée d'or, tenant un glaive ;

ses pieds est un homme à genoux


(Flamel lui-même),
à
vêtu d'une robe orangée, blanche et noire.
la matière
C'est l'indication des couleurs que prend
blanc. A
philosophique quand elle passe du noir au
côté, c'est-à-dire au milieu de l'arche sur champ vert
deux hommes et une femme entière-
trois ressuscitants,

deux anges au-dessus d'eux, et dominant


ment blancs,

les anges du Sauveur venant juger le monde,


la figure

blanche. Le champ vert


vêtu d'une robe citrine et
couleur noire et la blanche,
indique qu'entre la

verdeur. Les trois ressuscités


paraît quelque temps la

l'esprit et l'âme de la Pierre au blanc. Le


sont le corps,
Seigneur c'est la pierre blanche ou petit élixir.

A droite, faisant pendant à saint Paul, on voit saint


rouge, ayant une clef dans
la
Pierre vêtu d'une robe
dextre, à ses pieds, une
femme (Pernelle) vêtue d'une
qui
trait à la couleur rouge,
robe orangée. Tout ceci a
apparaît à la fin du grand-œuvre.
NICOLAS FLAMEL

On trouve donc indiquées en procédant de gauche à

droite, les trois couleurs principales de l'œuvre : noir,

blanc^ rouge. Quant aux figures de la rangée inférieure,


les deux dragons, l'un ailé, l'autre sans ailes, de couleur
jaune, bleu et noir, représentent les deux principes de la

Pierre, le fixe et le volatil, le soufre et le mercure.


Michel M aïer parlant de Flamel dans son ouvrage : S/m-
bola aurece mensœ, regarde comme symboles particuliers
à Flamel la sphère surmontée de la croix et les deux
serpents ou dragons enlacés, l'un ailé, l'autre sans ailes;
on retrouve en effet ces deux symboles dans la plupart de

ses hiéroglyphes.

Ici se- place une explication réjouissante de ce bon


abbé Villain, naturellement il nie que ces figures aient
un sens hermétique quelconque, et il y voit les quatre
animaux symboliques des évangélistes, les deux figures
de droite sont l'ange et le lion et les deux à gauche :

l'aigle et le taureau. Que le lion ait des ailes et que l'ange


n'en ait pas, passe encore, mais avouons qu'un taureau
sans cornes et qu'un aigle pourvu d'oreilles, de pieds
fourchus et d'une queue de serpent, sont des animaux
bien curieux. Que l'abbé Villain leur refuse un sens her-

métique, c'est son droit ; de notre côté nous refusons


énergiquement de voir un taureau et un aigle là où il n'y
a que deux dragons.
NICOLA«; FLAMEL

A côté des dragons on voit un hornme et une femme


.vêtus d'une robe orange sur champ d'azur (Flamel et

Pernelle en leur vieillesse), c'est la conjonction du fixe

et du volatil. Viennent ensuite les trois ressuscités que


nous avons déjà expliqués. A droite de ceux-ci. deux
anges de couleur orangée sur fond violet, c'est l'indica-

tion des couleurs qui apparaissent avec la couleur finale,

le Rouge. Enfin àl'extrémité sur champ violet, un homme


écarlate terrassé par un lion ailé rouge, couleurs finales.

Quant aux trois cartouches situées au-dessous, c'est le

massacre des Innocents, symbole de la préparation delà

matière du grand-œuvre.

Flamel fit en même temps élever au cimetière des

Innocents en face de cette arcade un mausolée pour


Pernelle ; nous avons donné quelques détails sur ce tom-

beau en un précédent chapitre.


D'après Salomon, Flamel fit en cette année 1407 com-

mencer certains travaux dans la rue du cimetière de

Saint-Nicolas des Champs près de la rue Saint-Martin.

On en pierre de taille, celui de


y voyait deux bâtiments
gauche était resté inachevé « H y a, dit Salomon, quantité
:

de figures gravées dans les pierres avec un N et une F


gothiques de chaque costés. » Ces bâtiments étaient,

comme ceux de la rue de Montmorency, destinés à servir


^'ICOLAS FLAMEL 79

de maisons hospitalièrees. Sur l'un des bâtiments il


y
avait : fait en 1407, et sur l'autre fait en 1410. Ils étaient

situés face à face de part et d'autre de la rue.

En l'année 141 1, la chapelle de l'hôpital Saint-Ger-

vais qui tombait en ruines fut entièrement reconstruite


surtout arrâce aux libéralités de Flamel. La façade et le

portail de la nouvelle chapelle étaient couverts de figures

et de légendes à la manière ordinaire de Flamel, il s'y

était fait représenter lui-même à genoux, comme au por-


tail de Sainte-Geneviève des Ardents. Cette chapelle,
située rue de la Tixeranderie, fut comme toutes les autres

fondations de Flamel, un lieu de pèlerinage pour les al-

chimistes jusques vers le milieu du xvni» siècle où elle fut

convertie en maison et les ornements de la façade détruits.

Pour en finir avec les propriétés de Flamel disons


encore qu'il paraît avoir possédé, outre les immeubles
précités, deux autres maisons : la maison à l'image Nos-
tre-Dame rue au Maire, et la maison à l'image Sainte-
Catherine, rue du Temple. Enfin Sauvai prétend que de
son temps on voyait encore quatre gros chenets ou bar-
reaux de fer dressés proche le portail de l'hôpital Saint-

Gervais et rue de la Fèronnerie= Les alchimistes préten-


daient qu'ils avaient été mis là par Flamel et ils
y voyaient
de grands mystères.
8o NICOLAS TLAMEL

A partir de 141 1, il semble que Flamel se soit reposé;

tous ces bâtiments qu'il élevait lui causaient trop de

soucis, lui prenaient trop de temps, visiter les chantiers,

établir des devis, surveiller les travaux, c'était beaucoup


de fatigues pour un vieillard ; car Flamel était très âgé,

en le supposant né en 1330, il avait alors quatre vingt un

ans. Il est représenté deux fois dans les figures de la

seconde arche qu'il avait fait bâtir aux Innocents. Dans


la partie supérieure il est avec Femelle représenté en sa

jeunesse et au-dessous il est figuré tel qu'il était en 140-.

C'était alors un vieillard cassé par l'âge. Détail particu-

lier, Flamel dans sa vieillesse portait la barbe. Sentant

chaque jour ses forces s'épuiser, il se renferme chez lui,

vieillard songeur, aimant à revivre le passé, l'arrivée^à

Paris, l'apprentissage chez un écrivain, le mariage avec la

sage et douce Pernelle, puis la découverte du livre d'A-

braham, les recherches laborieuses, les travaux dans la

cave transformée en laboratoire, le pèlerinage à Saint-

Jacques de Compostelle, Maître Canches, la première

transmutation, le pieux emploi des nouvelles richesses.

Ou bien encore il relisait les écrits des vieux philosophes,

demêlantla vérité sous leurs énigmes. Tranquille, n'ayant


plus d'occupations absorbantes, il se mit à écrire quel-

en 1413 termine lè Livre des


ques traités d'alchimie, il
NICOLAS l'LAMEL

figures hiéroglyphiques qu'il avait commencé en 1399, et


l'année suivante il adresse à son neveu le Psautier chi-

mique. Quant aux autres ouvrages qui lui sont attribués,

ils ne nous ont pas semblé assez authentiques pour nous


en occuper ici, nous en reparlerons au chapitre IX.
Flamel sentait avec joie sa fin approcher, ce n'était

pour lui qu'une délivrance, il allait renaître sur un plan


plus élevé à une vie meilleure, aussi avait-il fait non
seulement son testament, mais encore on avait préparé
sous ses yeux sa pierre tumulaire qu'il conservait dans

sa maison; il recommandait par une clause expresse de


son testament de mettre cette pierre au-dessus du lieu
où il serait enterré dans l'église de sa paroisse. Son tes-
tament est daté du dimanche 22 novembre 141 6. Ayant
terminé ses préparatifs pour le grand voyage, Flamel
attendit dans la prière, la volonté de Dieu. Il mourut
enfin le 22 mars avant Pâques 141 7. Il avait alors plus
de quatre vingts ans. Il fut enterré dans l'église Saint-Jac-
ques de la Boucherie, vers l'extrémité de la nef ; la pierre
qu'il avait fait préparer fut scellée au pilier le plus pro-
che du caveau où il reposait.

Flamel mort, son histoire n'est pas terminée et l'on

peut dire qu'elle s'étend jusqu'à nos jours.


L'analyse de son testament, les aventures de ses des-
82 NICOLAS FLAMEL

cendants, les fouilles faites dans sa maison, l'histoire da

ses ouvrages, les opinions contradictoires des


littérateurs

et des savants qui se sont occupés de lui, tout cela ne

forme-t-il pas comme l'âme même de l'histoire de Flamel ;

aussi nous étendrons-nous longuement sur ces diverses


questions.

CHAPITRE VII

Pierre tumulaire de Flamel. — Analyse du testa-

ment de Flamel. — Opinions de divers auteurs

sur la fortune de Flamel. —


L'abbé Villain et

Pernety. —
Naudé. —
La Croix du Maine. Hœî- —
fer. — Le roman de l'abbé de Villars. — Figuier,

Chevreul. — J. B. Dumas. — Notre opinion.

et qui fut
L'épitaphe, que Flâmel avait faite d'avance
encore au xvui« siècle.
placée sur son tombeau, s'y voyait
démoli, cette pierre
En 1797, quand Saint-Jacques fut
on ne sait par qui, et
tumulaire fut vendue ou enlevée,
NICOLAS KLA M [•: L

pendant quelques années on perd sa trace. Elle finit par


venir s'échouer chez un fruitier-herboriste de la rue des

Arcis qui s'en servait au recto pour les infîmes usages de

son métier : on y hachait les herbes cuites. M. Guérard,


marchand d'histoire naturelle la tira de cette basse offi-

cine, espérant la vendre un bon prix ; ne trouvant


pas d'amateur, il finit par la céder à M. Signol, mar-
chand de curiosités : celui-ci après six ans d'attente, fut

à son tour bien heureux de la repasser enfin pour,


1 20 francs au musée de Cluny où elle est encore
actuellement. Ces diverses pérégrinations sont racon-
tées par M. de Lavillegille, qui fit à son sujet une com-
munication à la Société des Antiquaires de France.
Cette pierre a 58 centimètres de hauteur,
45 de lar-
geur et 4 d'épaisseur. Elle est divisée en trois compar-
timents horizontaux. A la partie supérieure sur fond noir
se détachent différentes figures. Au milieu le Seigneur
faisant le geste de bénir de la main droite, dans la gau-
che il porte la globe surmonté de la croix. A sa droite
Saint-Pierre tenant une clef et un livre fermé entre
; le
Seigneur et le Saint on voit le Soleil. A la gauche de Jé-.
sus est saint Paul avec l'épée et entre eux deux la lu-
ne. Le compartiment médian est tout entier occupé par
l'inscription suivante :« Feu Nicolas Flamel, jadis escri-
«4 NICOLAS Fl, AMEI.

•vain, a laissié par son testament à l'œuvre de ceste Eglise

certaines rentes et maisons qu'il avoit acquestéeset ache-

tées à son vivant, pour faire certain service divin et dis-

tribucions d'argent chacun an par aumosne touchant les

quinze vins, l'ostel Dieu et aultres églises et hospitaux

de Paris. Soit prié pour les trespassés ». Enfin dans le

compartiment inférieur on voit un cadavre à demi-rongé


par les vers, au-dessus une banderolle portant ces mots :

« Domine Deus, in tua misericordia sperâvi». Enfin au

dessous du cadavre : « De terre suis venus et en terre


retourne. L'âme rens à toi J. H. V. qui les péchiez par-

donne ». Dans ce J. H. V. il faut voir paraît-il une


abbréviation pour Jésus Hominum Ullor (Jésus rédemp-

teur des hommes), cependant nous avions d'abord cru

y retrouver ri. E. V. hébraïque.

Nous avons maintenant à examiner le testament de

Flamel. Cette pièce historique est conservée à la Biblio-

thèque nationale (manuscrits, fonds latin) sous la cote

9, 164. Le testament comprend quatre feuilles de parche-

min de 60 centimètres environ de longueur sur 40 cen-


timètres de large, et couvertes d'un seul côté d'une écri-

ture cursive serrée. La première feuille est noircie,

tachée d'humidité, par endroits l'écriture a disparu. Or,


-voici d'après l'abbé Villain qui reproduit le testament
NICOLAS FLAMEL 8^

in extenso dans son Essai sur Sainl-Jacques la Boucherie


voici le commencement de cette pièce curieuse à tous

points de vue. « A tous ceux qui ces lettres verront,

Tanneguy du Chastel, chevalier, conseiller, chambellan


du roy nostre sire, garde de la prévosté de Paris. Salut.

Sçavoir faisons que par devant Hugues de la Barre et


Jehan de la Noë, clercs notaires du roy nostre sire, de
par luy establis en son Chastelet de Paris., fust person-
nellement establi, Nicolas Flamel, escrivain, sain de
corps et pensée, bien parlant et de bon et vray enten-
dement, si comme il disoitet comme de prime face appa-
roist, attendant et sagement considérant qu'il n'est chose

plus certaine que la mort, ne chose moins certaine que


l'heure d'icelle et pour ce que en la fin de ses jours, il

ne feist et soit trouvés importunités surce, non voulant


de ce siècle, trespasser en l'autre, intestat, pensant aux
choses célestes, et pendant que sens et raison gouver-
nent sa pensée, désirant pourvoir au salut et remède de
son âme, fit, ordonna et avisa son testament ou ordon-
nance de dernière voulenté au nom de la glorieuse Trinité
du Père, du Fils et du Saint-Esprit, etc. ». Après ces
préliminaires commencent les clauses. Il ordonne d'a-
bord que son corps soit enterré à Saint-Jacques la Bou-
cherie, devant le Crucifix et Notre-Dame et pour ce il

,7
86 NICOLAS FLAMEL

acquitte un droit de quatorze francs. Il laisse quarante


livres parisis pour payer ceux de ses fournisseurs qu'il

n'aurait pas eu le temps de voir avant sa mort.


S'ensuivent les articles qui ont trait à son enterrement
ils n'ont rien d'intéressant, les plus remarquables sont
ceux où il fait des aumônes aux pauvres, aux écholiers,
aux moines mendiants ou des donations aux églises et

aux chapelles. Ainsi « Item laisse en aùmosne et pour


prier Dieu pour lui, à ses hostes qui demeureront lors

en ses maisons outre la porte Saint-Martin et devant


l'église Saint-Jacques, à chacun vingt sols parisis à leur

rabattre sous leurs louages». Dans l'article suivant il

ordonne à ses exécuteurs d'acheter 300 aulnes de bon


drap brun, au prix de douze sols l'aulne, et d'en distri-

buer à cent ménages pauvres, chacun trois aulnes. « Du


dit drap, ils seront tenus de faire chacun en droit sôy,
cotte, chapperon et chausses pour les porter tant comme
ils pourront durer sans les vendre ni convertir ailleurs

sur peine de restituer la valeur du drap. »


Poursuivant ses dons en nature, Flamel ordonne un
peu plus loin d'acheter deux cents aulnes de drap bleu
brun du prix et valeur de 24 sols parisis l'aulne, à dis-

tribuer à raison de quatre aulnes par tête aux personnes

dont l'énumération suit : seize religieux de différents


NICOLAS FLAMEL

ordres, dix-sept pauvres prêtres et dix-sept « pauvres

escholiers, maistres ès arts et aultres, prins et choisis en

collèges et en dehors. » Le tout se fera sous le contrôle


du prieur des Mathurins lequel recevra pour sa peine un
marc d'argent.
Il laisse à neuf confréries dont il était membre : con-
frérie de Sainte-Anne, Saint-Jacques, Saint-Christophe,
Sainte-Catherine du Val des Escoliers, Notre-Dame de
Boulogne-sur-Mer, Notre-Dame la Septembreche,
Notre-Dame de Mézoche, Saint-Michel de la Cha-
pelle du Palais et Saint-Jean l'Evangéliste ; ainsi
qu'aux Eglises suivantes : Saint-Jacques de la Bou-
cherie, Saint-Jacques du Haut-Pas, Notre-Dame de
Pontoise, Sainte-Geneviève, Notx-e-Dame d'Haubervil-

liers, aux églises paroissiales de Nanterre, Rueil, la Vil-

lette, Issy, à toutes sus-nommées Eglises ou Confréries,


à chacune un calice marqué de l'N et de F, avec cou-
vercle, le tout en fin argent doré, dans un couvercle de
cuir de i6 liards pansis, plus une torche de 20 sols pa-
risis.

Margot la Quesnel et sa fille Colette ne sont pas ou-


bliées, elles ont d'abord à choisir des objets à leur con-
venance pour la somme de 20 livres parisis, de plus Fla-
mel leur laisse, leur vie durant, une rente annuelle de
NICOLAS l'LAMEL

40 livres parisis, plus la moitié du vin, des rentes et

arrérages qui lui resteront dûs après sa mort à Nanterre

plus le prix de la location de sa maison du Puits en la

rue de Montmorency et divers autres dons.

Il laisse 40 livres parisis en argent pour ceux de ses

parents qui se présenteraient pour hériter.

Il laisse une forte somme pour payer des messes basses


de requiem quotidiennes pendant sept ans et quarante

jours, pour le repos de son âme. Le vendredi de chaque

semaine la messe basse sera remplacée par une grand


messe chantée, officiée par le curé, diacre, sous-diacre,

quatre chapelains et deux clercs.


Il institue de même douze messes par an à perpétuité

pour le repos de ses père et mère.


Enfin il remet la moitié de leurs dettes à ses débiteurs

de Nanterre, Rueil, Issy, la Villette, Saint-Ladre,

Il lègue 10 sols parisis de rente perpétuelle à l'Hôtel-

Dieu, Hôpital du Saint-Esprit, Hôpital Saint-Gervais,


aux Quinze-Vingts, aux Eglises Saint-Julien, Sainte-Ca-
therine, du Sépulcre, Saint-Jacques de l'Hôpital, Eglise

de la Trinité en la rue Saint-Denis, Sainte-Geneviève

des Ardents, Saint-Cosme et Saint-Damien, Eglise des


Mathorins, Saint-Nicolas-des-Champs et enfin Saint-

Merry.
NICOLAS FLAMEL

Tous ces différents legs exécutés, Saint-Jacques de

la Boucherie hérite de ce qui restera de l'argent comp-


tant, des maisons de Flamel et de ses rentes sur diverses
maisons à Paris ou aux environs.
Tel est résumé, ce fameux testament dont les uns
comme Salomon ou Borel ont vanté la magnificence à
l'excès, tandis que d'autres comme l'abbé Villain n'ont

voulu y voir que l'expression d'une très médiocre for-


tune. En faisant grosso modo le calcul, nous avons
trouvé que les divers legs du testament représentaient
une valeur de 2,200 livres parisis, ce qui correspondrait

aujourd'hui à environ 120,000 francs, et encore nous ne

comptons les rentes perpétuelles ou viagères que pour


une année, enfin ces 120,000 francs représentent sim-
plement les dons particuliers, car on l'a vu tout le reste

de la fortune de Flamel revenait à Saint-Jacques de la

Boucherie, soit une dizaine de maisons dans Paris et de


nombreuses propriétés ou rentes dans les villages men-
tionnés dans son testament. Pour ce qui est du revenu
de Flamel, il possédait en 1410, 450 livres de revenu
perpétuel et 200 livres de revenu viager, ce qui corres-

pondrait aujourd'hui à environ 50,000 francs de rente


viagère.

De plus, outre ce qu'il laissait à sa mort, il avait dé-


90 NICOLAS LA M EL

pensé pas mal pendant sa vie, il avait élevé deux arca-


des et un mausolée au cimetière des Innocents, deux
maisons rue du Cimetière Saint-Nicolas, deux maisons
rue de Montmorency, il avait contribué à la reconstruc-

tion de la chapelle de l'hôpital Saint-Gervais, à ses frais


encore avait été élevé le portail Sainte-Geneviève des
Ardents, celui de Saint-Jacques la Boucherie et la cha-
pelle Saint-Clément dans cette même église, enfin citons

encore Saint-Côme et Saint- Martin au nombre de ses


fondations ou dépenses avant sa mort, et encore noug
ne connaissons pas tout.
Non ! quoique l'on fasse, les chiffres sont là, les faits

sont éloquents, on ne peut nier que Flamel ait été fort

riche pour son temps. Qjant à rechercher l'origine de


sa fortune c'est une toute autre question. Pour les alchi-

mistes, Pernety en tête, l'ardent adversaire de l'abbé

Villain. il n'y a qu'une hypothèse possible, c'est que


Flamel a été un adepte, il a possédé le secret de la

pierre philosophale, et ils accumulent preuves sur preu-


ves : Flamel vit dans une position médiocre, quand
après 1382, date de sa réussite, nous le voyons faire

construire des maisons, des chapelles, répandre de lar-

ges aumônes autour de lui, se conduire enfin comme un


riche bourgeois. Flamel s'est occupé d'alchimie, disent-
NICOLAS FLAMEL 91

ils, né pauvre il est mort nchz, donc il a trouvé le secret

de la pierre philosophale, au reste lui-même l'affi-me.

Et dans leur enthousiasme, les alchimistes grossissent

les dons et les richesses de Flamel, Gohorry, la Croix


du Maine parlent des immenses et superbes bâtiments
qu'il a fait élever, Borel affirme qu'à sa mort il possé-

dait plus d'un million. A ce discours l'abbé Villain bon-

dit, lui l'homme méticuleu:; par excellence, qui ne ferait

pas grâce au lecteur d'un denier, ni d'un liard parisis,

lui qui nous force à prendre connaissance d'actes plus


solennels et plus ennuyeux les uns que les autres, il bon-
dit! D'abord Flamel, pour l'abbé, n'est pas si riche

qu'on l'a dit, il y avait bien d'autres bourgeois de son


temps qui pouvaient marcher de pair avec lui, et la for-

tune de Flamel pouvait fort bien s'acquérir par le sim-

ple travail assidu, surtout dans le commerce des manus-


crits alors très prisés. Il récuse toute raison hermétique,
intransigeant il proclame que Flamel ne s'est jamais
occupé d'alchimie, qu'il n'a jamais lu, à plus forte ra'son

jamais écrit un livre hermétique, que ses symboles et


hiéroglyphes n'ont aùcun sens caché, par conséquent
que tout ce au'on lui attribue dans ce sens est faux ou

supposé, tout, tout! On pense combien il devait s'accor-


der avec Pernety tout aussi intransigeant que lui, mais
QZ NICOLAS FLAM El.

présentant l'excès contraire ; ils avaient raison tous deux,


il aurait suffi de s'entendre et de prendre une opinion
mixte, mais leur querelle ne fit que s'envenimer et ils

moururent tous deux dans l'impénitence finale, chacun


soutenant mordicus qu'il avait raison en tout et sur tout.
Cependant il faut avouer en toute sincérité que la rai-

son était plutôt du côté de Pernety.


Quelques mots sur cette querelle. L'abbé Villain

venait de faire paraître son Essai sur Saini- Jacques de


la Boucherie, il
y parlait de Flamel comme d'un simple
écrivain, refusant de voir en lui un alchimiste.
La chose déplut probablement à Pernety qui fit paraî-

tre dans l'année littéraire de Fréron (1758, tome VII),


une lettre où il rétablit les faits. L'abbé Villain qui pré-
parait une histoire critique de Nicolas Flamel, ne tint

aucun compte de la lettre de Pernety, dans ce nouvel


ouvrage il ne laisse passer aucune occasion de dauber
sur les alchimistes et en particulier sur Pernety qu'il

affecte de désigner sous le nom de : critique de l'année

littéraire. Aussi quand cet ouvrage parut, il souleva com-


bien de colères ! Pernety, visé plus directement répon-
dit dans l'année littéraire (1762, tome III), par une lon-

gue lettre où les preuves historiques en faveur de Fla-


mel s'allient agréablement à des épigrammes finement
HISTOIRE DE NICOLAS FLAMEI.

ironiques. L'abbé Villain crut devoir répondre à son

tour par une lettre lourde et pâteuse d'une lecture indi-

geste. Pernety dédaigna ce trait sans force et la que-

relle en resta-là. Nous reproduisons m extenso la deuxiè-

me lettre de Pernety à la fin de cet ouvrage, mais par


pitié pour le lecteur nous ne ferons qu'analyser briève-
ment la lettre de l'abbé Villain.
Pernety regardait donc Fiamel comme un adepte et

Villain le considérait coiTime un bourgeois parvenu à l'ai-

sance par des moyens honnêtes. Une troisième version,

celle de J. Hornius et de Naudé, d'après ceux-ci Fia-


mel se serait enrichi aux dépens des juifs qui au

et au xv° siècle ont été plusieurs fois proscrits, mais

Naudé a une opinion peu grave, surtout quand on le voit

faire vivre Fiamel en 1223 1 La Croix du Maine professe

la même opinion : « La source de sa richesse est telle,

dit-il, quand les juifs furent chassés, lui qui avait leurs

papiers, loin de réclamer à leurs créanciers ou de les


dénoncer au roi, partageait avec eux pour leur donner

acquit ». HœflFer a suivi la Croix du Maine, il a seule-

ment enjolivé la chose et c'est gravement qu'il nous affir-

.me que : « ... la véritable source des richesses de Fia-


mel s'explique par les rapports fréquents et intimes qu'.en-

Iretenait cet alchimiste avec les juifs si persécutés au


V4 NICOLAS !• I. A M i : L

moyen-âge et qui étaient tour-à-tour exilés et rappelés

selon le bon plaisir des rois. Dépositaire de la fortune de

ces malheureux dont la plupart mouraient dans l'exil,

l'écrivain de Saint-Jacques la Boucherie n'avait pas


besoin de souffler le feu du grand-oèuvre pour s'enrichir.

L'histoire du livre d'or du juif Abraham pourrait bien

n'être autre chose qu'une allégorie par laquelle Nicolas

Flamel rappelle lui-même l'origine de sa fortune. » Cette


assertion qui résume élégamment Hornius, Naudé et

Lacroix du Maine, cette assertion ne tient pas une mi-


nute devant la critique ; d'abord Hœffer ne donne aucune
preuve positive de ce qu'il avance.
Dans toute l'histoire de Flamel au contraire nous ne

trouvons qu'un Juif, maître Canches, de plus l'abbé


ViUain, à l'affût de tout ce qui pourrait détruire la

renommée hermétique de Flamel, n'eût pas manqué de

s'emparer de cette raison, il n'eût pas manqué de révéler

Je moindre fait de ce genre. Bien au contraire Villain


repousse avec indignation les insinuations de Naudé,
contre Flamel, affirmant qu'il n'eût jamais été capable

de la moindre escroquerie même envers des Juifs ; ce que

nous connaissons du caractère de Flamel étant parfaite-

ment concordant, nous nous rangeons du côté de l'abbé


Villain. Mais ce ne sont là que des preuves morales,
NICOLAS FLAMEL 9)

voici des preuves matérielles, en consultant l'histoire on


trouve que durant la vie de Flamel les Juifs furent chas-
sés trois fois de France, une première fois en 1346, notre

héros était encore un adolescent, la deuxième en 1354,1!


venait à peine de s'établir et nous ne voyons pas qu'il

fasse fortune à cette époque. Enfin la troisième fois, en

1 393, mais alors Flamel était déjà riche, il avait com-


mencé ses fondations et n'avait que faire de l'argent juif.

Du reste, l'ordonnance d'exil de 1393 enjoignait expres-


sément aux créanciers des juifs de payer leurs dettes.
Flamel fut-il leur banquier ? C'est là une pure hypo-
thèse qui n'a rien, absolument rien pour l'appuyer, aussi

devons-nous l'abandonner. Quelques autres ont eu sur


Flamel une opinion éclectique, ainsi que le rapporte
Borel. «Quelques attribuaient, dit-il, la richesse de Fla-
mel aux juifs, aux Anglais, aux Hôpitaux, aux Tem-
pliers. » Le vague ici démontre amplement le vide de
l'accusation.

Une quatrième opinion sur l'origine de la fortune de


Flamel est celle de l'abbé de Moiitfaucon de Villars
(voir Le comte de Gabalis ou Entretiens sur les sciences
secrètes). Elle ne peut être prise au sérieux, nous la
donnons seulement à cause de sa singularité. L'abbé de
Villars bâtit un véritable roman sur Flamel, d'abord
c/) NICOLAS F LAM EL

notre écrivain devient pour lui un petit frater en chirur-


gie, il voyage en France, en Italie, et c'est à Rome qu'il

achète le livre d'Abraham juif. Il n'y comprend rien,

naturellement, mais un rabbin nommé Nazar lui révèle

que les Juifs proscrits de France plusieurs fois, et sachant


qu'ils rentreraient tôt ou tard, avaient chaque fois enfoui

-leurs richesses dans les caves de diverses maisons, à


Paris, à Lyon, etc. Or, toutes les. maisons à cette époque
avaient des enseignes, ainsi nous avons vu en la posses-
sion de Flamel les maisons du Lys, de la Kerse, du
.Puits.

Les Juifs pour retrouver leurs richesses avaient fait un


livre où se trouvaient représentées les enseignes des mai-

sons qui contenaient leurs trésors. Flamel n'eut donc


qu'à acheter les maisons dont les enseignes se trouvaient
reproduites dans son livre, ce qui lui permit de devenir

riche en peu de temps.

Tout le reste de la narration de l'abbé de Villars est

de cette force, il est impossible d'y trouver un seul détail

authentique, tout est inventé. Nous ne nous attarderons

pas à combattre ce système, nous ferons simplement


remarquer que les édits qui expulsaient les juifs ne les

dépossédaient pas, ils pouvaient emporter'leurs marchan-

dises, leur mobilier, et que dans ces conditions la pre-


NICOLAS FLAMEL

mière chose qu'ils emballaient, c'étaient leurs espèces


monnayées.
La cinquième opinion est celle d'auteurs du siècle, ils

sont en général fort circonspects, et on ne sait trop ce

qu'ils pensent réellement. Ainsi M. Figuier dit à la fin

des quelques pages qu'il consacre à Flamel : « Tout cela

prouve que si Nicolas Flamel ne s'est pas occupé d'al-


chimie, il a cependant fait tout son possible pour le lais-

ser croire au vulgaire. »

Comme cela tout le monde est content, vous croyez à


Talchimie ? c'est parfait, Flamel était un adepte, vous n'y
croyez pas ? je suis encore de votre avis Flamel fut un
farceur. De cette façon M, Figuier ne se compromet
jamais, c'est encore lui qui fait cette déclaration ni chair
ni poisson. « En résumé, si on ne peut admettre que
Nicolas Flamôl ait été alchimiste, au moins faut-il avouer

qu'aucun autre personnage de son temps n'a rassemblé


un plus grand nombre de preuves pour faire croire à la
réalité de ce fait et pour implanter cette opinion dans les
crédules esprits de ses contemporains. »

M. Chevreul s'est aussi mêlé de juger Flamel « Ni-


colas Flamel a réellement existé, comme le prouvent des
monuments qu'il a élevés, ainsi que des donations ou des
fondations qu'il a faites et dont la réalité est
attestée par
NICOLAS FI.AMEL

des pièces authentiques qui se trouvaient encore au


xviiio siècle dans les archives de Saint-Jacques de Bou-
cherie. Eh bien, lorsqu'on lit les deux volumes publiés
par l'abbé Villain sur cette église et sur la vie de Nicolas
Flamel, il n'est guère possible à notre avis de ne pas
admettre que ce personnage n'a jamais eu les grandes
richesses qu'on lui a attribuées, qu'il ne s'est point occupé

d'alchimie, que les sculptures et les vitraux qu'il a fait

exécuter n'ont aucun sens hermétique, qu'en consé-


quence les écrits qui portent son nom ont été écrits long-

temps après sa mort. » Il est malheureux pour Chevreul


qu'il se soit borné à la lecture de l'abbé Villain, il s'est

par suite trouvé dans la situation d'un libre penseur qui


jugerait le catholicisme à travers les libelles d'un protes-

tant ou réciproquement. Nous n'insisterons pas.


Une autre opinion, réellement étonnante par sa par-

tialité est celle du chimiste Dumas. 'Voici la chose. « On


trouve ensuite Nicolas Flamel, qui s'est acquis une cer-
taine célébrité. ,On prétend qu'il trouva la pierre philo-

sophai, en s'aidant des recherches d'un juif dont il au-

rait eu le bonheur de posséder les manuscrits. Plusieurs

foisil aurait mis en pratique ses procédés alchimiques,

il aurait acquis ainsi une fortune colossale qu'il aurait

employée à bâtir une quantité de maisons et même


NrCOLAS FLAMKL

d'églises. Enfia on ne sait trop pourquoi il aurait fait sem-


blant de mourir ainsi que sa femme et ils se seraient réfu-

giés en pays lointains, devenus immortels et possesseurs

d'inépuisables trésors. Un livre ex-professo a été consa-

cré à l'examen de ces faits et l'on y voit que Nicolas


Flamel est mort dans un état de fortune très-médiocre,
sans avoir jamais joui de l'éclat qui lui a été attribué.

C'était simplement un écrivain public assez vaniteux, qui

prêtait à la petité semaine, de manière que dans son


quartier il avait des intérêts sur un nombre infini de peti-

tes maisons, et d'après l'histoire de sa vie on voit qu'il

n"a jamais été chimiste (J. B, Dumas : Leçons sur la phi-

losophie chimique, 1834). »

Il est difficile d'entasser autant d'inexactitudes en si

peu de mots ;
il est évident que Dumas s'est contenté
d'aperçus très vagues sur Flamel et qu'il n'a jamais étu-
dié sérieusement l'histoire de notre alchimiste, il en est

résulté l'étonnant jugement que l'on vient de lire. Du-


mas était de ces chimistes, dont la race n'est pas perdue,
qui jugent de haut l'alchimie sans en connaître le pre-
mier mot. Heureusement' que leurs jugements ne sont
pas sans appel !

Quant à notre opinion personnelle la voici : Flamel


s'est occupé d'alchimie une grande partie de sa vie et
NICOLAS I-LAMEI.

il y a trouvé la source de sa fortune, qu'il ait été souf-

fleur ou adepte. Supposons le premier cas : dans les

« Théories et Symboles, nous avons exposé que le grand-


œuvre des alchimistes vulgaires se faisait avec un mé-
lange de sels d'or et d'argent. Or, qu'arrivait-il par la

projection de cette prétendue pierre philosophale sur un

métal fondu, par exemple d3 l'étain. Les sels d'or et

d'argent facilement réductibles donnaient de l'or et de

l'argent métalliques qui s'alliaient à l'étain fondu. On


pouvait obtenir dans ces conditions up alliage ayant l'as-

pect, l'éclat, Ja couleur, le poids et le son de l'or. Or, à


cette époque, les procédés analytiques étaient assez pri-

mitifs, un pareil alliage pouvait passer pour de l'or aux

yeux des orfèvres. Bernard le Trévisàn rapporte l'his-

toire d'un alchimiste qui vendait le produit de son tra-

vail aux orfèvres et le Trévisan nous affirme que ce n'é-

tait là qu'un produit sophistique. Alors, dira-t-on, Fla-

mel est assimilable dans ces conditions à un faux mon-


nayeur? Non, car Flamel était de bonne foi, il croyait
réellement faire de l'or, hs orfèvres qui lui achetaient,

prenaient son métal pour de l'or, il n'y avait pas de trom-

perie de sa part, et il persévérait dans son erreur par

suite de l'ignorance même des orfèvres. On peut ainsi

expliquer toute l'histoire de Flamel, mais nous avouons


NICOLAS FLAMEL lOI

nous-mê:Tie que cette explication est répréhensible en


plus d'un point ; et comme la transmutation des métaux

n'a rien d'impossible, que les dernières découvertes de

la chimie semblent plutôt en établir la possibilité, pour


toutes ses raisons nous préférons regarder Flamel
comme ayant été sinon adepte, au moins philosophe

hermétique.

CHAPITRE VIII

La légende de Flamel. — Histoire de Paul Lucas. —


Flamel n'est — Ses apparitions au
pas mort.
XVIIP et au — Histoire de Dubois,
XIX'^ siècle. le

dernier descendant de Flamel. — Disparition des


diverses fondations de Flamel. — Destruction de
Saint Jacques la Boucherie. — Les fouilles dans
la maison de la rue des Ecrivains. — Le père Paci-

fique.

Flamel mort, l'imagination populaire fit peu à peu


passer son histoire à l'état de légende, on le représenta

comme immensément riche, il aurait bâti entièrement


102 NICOLAS FLAMEL

huit églises et quatorze hôpitaux, il aurait été seigneur

de sept paroisses des environs de Paris, en mourant il

aurait laissé 4.000' écus d'or comime argent comptant,

enfin ses biens immeubles, ses donations, ses construc-

tions auraient représenté plusieurs millions de livres. Les

faits furent tellement défigurés et sa légende prit de telles

proportions, qu'au commencement du XVI I" siè-

cle, quand Paul Lucas revenant d'Orient affirma que


Flamel vivait encore, il y eut nombre d'enthousiastes qui
le crurent. Le récit de Paul Lucas est trop savoureux

pour ne pas être rapporté. Lucas était à Brousse lors-

qu'il fit la connaissance d'un derviche fort savant : « A


le voir, dit-il, on ne lui aurait pas donné plus de trente

ans; mais à ses discours, il paraissoit avoir déjà vécu

plus d'un siècle. On se le seroit même encore plus per-

suadé parle récit qu'il faisoit de plusieurs longs voyages

qu'il disoit avoir faits. Il me conta qu'ils étoient sept

amis qui couroient ainsi le monde, tous sept dans l'inten-

parfaits qu'.en se quittant, ils se


tion de devenir plus ;

ville pour vingt


donnoient rendez-vous dans quelque
et que les premiers arrivés ne
manquoient
ans après 5

pas d'y attendre les autres.


Cela me fit croire que cette

(i) avait été choisi pour le rendez-vous de


fois Berusse

L. Brousse.
NICOLAS FLAMEL

ces sept savans. Ils y étaient déjà quatre, et si unis

entre eux, qu'on voyoitbien que ce n'étoit pas le hasard,

mais une longue connoissance qui les y avait rassemblés.


Dans un long entretien avec un homme d'esprit, on a
occasion de parler de plusieurs curiosités ; la religion

et la nature furent tour à tour le sujet de nos discours.


Nous tombâmes enfin sur la chymie, l'alchymie et la

Cabale, et je lui dis que tout cela et surtout les idées


sur la pierre philosophale, passaient dans l'esprit de
bien des gens pour des sciences fort chimériques. »

S'ensuit un discours du derviche sur la beauté de la

science et le bonheur du sage : « Je l'arrêtai en cet


endroit : avec toutes ces belles maximes, lui dis-je, le

Sage meurt comme les autres hommes.


Que m'importe donc d'avoir été sage ou fou toute
ma vie, si la sagesse n'a aucun privilège au-dessus de la

folie et que l'un n'empêche pas de mourir plutôt que


l'autre ? Ah, reprit-il, je vois bien que vous n'avez con-
nu aucun Philosophe, tel que je vous le peins meurt à
la vérité (car la mort est une chose attachée à la nature
et dont il n'est pas de l'ordre de s'exempter), mais qu'il

sait aller au terme, c'est-à-dire, jusqu'au tems qui a été


marqué par le créateur. L'on a observé que ce temps est

de mille ans et que c'est seulement jusque-là que vit le


104 NICOLAS 1- LA M E I.

Sage ». Nous passons une longue tirade pour arriver à

à ce qui nous intéresse plus directement : « Je lui

parlai enfin, dit Lucas, du célèbre Flamel, et lui

dis que malgré la Pierre philosophale il étoit mort


dans toutes les formes. A ce propos il se mit à
rire de ma simplicité et comme j'avois déjà commencé
presque à le croire sur tout le reste, j'étois fort étonné
de le voir douter de ce que je venois d'avancer. S'étant
bientôt apperceu de ma surprise, il me demanda de nou-
veau, sur le même ton, si j'étois assez bon pour croire
que Flamel fut en effet mort ? et sur ce que je tardois à

répondre : non, non, reprit-il, vous vous trompez, Fla-


mel et sa femme ne savent pas encore ce que c'est que
la mort. Il n'y a pas trois ans que je les ai laissés l'un

et l'autre aux Indes, et c'est un de mes plus fidèles amis.

Il alloit même me marquer le tems où ils avoient fait

connoissance, mais il se retint, en me disant qu'il alloit

m'apprendre son histoire que sans doute on ne savoit

pas dans mon pays. Nos sages, continua-t-il, quoique

rares dans le monde, se rencontrent également dans

toutes les Sectes et -elles ont en cela peu de supériorité

les unes sur les autres. Du temps de Flamel en France,

il y en avoit un de la religion juive, qui pendant les pre-

miers tems de sa vie s'étoit attaché à ne point perdre de


NICOLAS FLAMEL 10^

vue les descendants de ses frères. Et sachant que la plu-

part s'étoient réfugiés en France, le désir de les voir,

l'obligea à nous quitter pour en faire le voyage. Nous


fîmes tout ce que nous pûmes pour l'en détourner, mais

son envie extrême le fit partir, avec promesse cependant


de nous rejoindre le plutôt qu'il seroit possible. Arrivé à

Paris, il trouva que les descendans de son père y étoient

morts chez les juifs en grande estime. Il vit entr'autres

un rabin de sa race qui paroissoit vouloir devenir sa-

vant, c'est-à-dire, qui cherchoit la véritable philosophie

et travailloit au grand œuvre. Notre ami ne dédaignant


point de se faire connaître à ses petits neveux, lia avec
lui une amitié étroite et lui donna beaucoup d'éclaircis-

sement. Mais comme la matière est longue à faire, il se

contenta de mettre par écrit toute la Science de l'œu-


vre, et pour lui prouver qu'il ne lui avoit point écrit de
faussetés, il fit en sa présence une projection de trente
ocques (une ocque pèse trois livres) de métal, qu'il con-
vertit en or le plus pur. Sur quoi le rabin, plein d'ad-

miration pour notre frère, fit tous ses efforts pour le

retenir auprès de lui. Ce fut en vain ; il ne voulut pas


nous manquer de parole. Enfin le Juif, ne pouvant rien
obtenir, changea tout-à-coup son amitié en une haine
mortelle ;
et l'avarice lui fit prendre le dessein d'éteindre
io6 NICOLAS FLAMEL

une des lumières de l'univers. Mais voulant dissimuler,


il pria ce Sage de vouloir bien rester encore quelques
jours chez lui ; et pendant ce temps là, par une trahison
aussi noire qu'inouïe, il le tua et lui prit tous ses papiers.

Mais les actions atroces ne peuvent rester longtemps


impunies : le juif découvert et arrêté, tant pour ce crime
que pour d'autres dont on le convainquit, fut brûlé tout
vif ; la persécution des Juifs commença peu de temps
après et vous savez qu'ils furent chassés du Royaume.
Flamel plus raisonnable que la pluspart des autres pari-

siens, n'avoit pas fait difficulté de s'allier avec quelques


autres Juifs, il passoitmême chez eux pour une personne
d'une honnêteté et d'une probité reconnue. Cela fut

cause qu'un marchand juif prit le dessein de lui confier


^
ses registres et tous ses papiers, persuadé qu'il n'en use-

roit point mal et qu'il voudroit bien les sauver de l'incen-

die commun. Parmi ces papiers se trouvoient ceux du

rabbin qui avait été brûlé et les livres de notre sage. Le


marchand, sans doute occupé de son commerce, n'y
avoit pas encore fait attention ; mais Flamel qui les exa-
mina de plus près y remarquant des figures de fournaux,

d'alambics et d'autres vases semblables, et jugeant avec

raison que ce pouvoit être le secret du grand Œuvre,


crut devoir pas s'en tenir là. Comme ces livres étaient
NICOLAS FLAMEL

hébreux, il s'en fit traduire le premier feuillet ; et cela

seul l'ayant confirmé dans sa pensée, pour user de

prudence et n'être pas découvert, voici la façon dont il

s'y prit. Il se rendit en Espagne, et comme il s'y trouvait

des juifs presque partout dans chaque endroit où il pas-

sait, il en prioit quelqu'un de lui traduire une page de

son livre, et après l'avoir traduit tout entier par ce moyen


il reprit le chemin de Paris. En revenant en France, il

s'étoit fait un ami fidèle qu'il y menoit avec lui, pour


travailler à l'œuvre, et à qui il avoit dessein de décou-

vrir son dessein dans la suite, mais une maladie le lui

enleva. Ainsi Flamel de retour chez lui, résolut de tra-

vailler avec sa femme, ils réussirent, et s'étant acquis des

richesses immenses, ils firent bâtir plusieurs édifices pu-


blics et enrichirent nombre de personnes. La renommée
est souvent une chose fort incommode, mais un sage sait

par sa prudence se tirer de tous les embarras. Flamel vit

bien qu'on finirait par l'arrêter, dès qu'il seroit soupçonné


d'avoir la pierre philosophale, et il avait peu d'apparence
qu'on fût encore longtemps sans lui attribuer cette science,

après l'éclat qu'avoient produit ses largesses. Ainsi en

véritable philosophe, qui se soucie très peu de vivre dans


l'esprit du genre humain, il trouva le moyen de fuir la per-
sécution en faisant publier sa mort et celle de sa femme.
NICOLAS FLAMEL

Par ses conseils, elle feignit une maladie qui eut son
cours, et lorsqu'on l'a dit morte, elle étoit dans la Suisse
où elle avoit eu l'ordre de l'attendre. On enterra en sa
place un morceau de bois et des habits, et pour ne point

manquer au cérémonial ce fut dans l'une des églises


qu'elle avoit fait bâtir. Ensuite il eut recours au même
stratagème, et comme tout se fait pour de l'argent, on
sent qu'il n'eut point de peine à gagner les médecins et

les gens d'église. Il laissa un testament dans lequel il

recommanda qu'on l'enterrât avec sa femme et qu'on éle-


vât une pyramide sur leur sépulture ; et pendant qne ce
vrai sage était en chemin pour aller rejoindre sa femme
un second morceau de bois fut enterré en sa place. De-
puis ce temps, l'un et l'autre ont mené une vie très phi-

losophique, tantôt dans un pays, tantôt dans l'autre.

Telle est la véritable histoire de Nicolas Flamel et non


pas ce que vous en croyez, ni ce que l'on en pense sotte-

ment à Paris où très peu de gens ont connaissance de


la vraie sagesse. » Telle est cette fameuse histoire rap-

portée par Lucas, beaucoup d'auteurs en parlent et peu


la donnent, c'est pourquoi nous l'avions copiée presque
entièrement à titre de curiosité. Cette narration merveil-
leuse qui contredit l'histoire en plusieurs points, doit être

rangée à côté de la légende fantastique que nous donne


NICOLAS FLAMEL 109

^'abbé de Villars. Il est cependant peu probable que Paul

inventée de toutes pièces à la suite de son


Lucas l'ait ;

avait raconté tant de mer-


premier voyage en Orient, il

veilles qu'on l'avait accusé de posséder une somme ex-

indignation de Paul
traordinaire de naïve crédulité, d'où
récit se trouve dans la relation de son
Lucas; or ce
ne l'y eut pas inséré s'il n'avait été cer-
second voyage, il

de trouver des croyants, l'histoire n'en est pas moins


tain

bizarre. Lucas en esquisse la critique : « Cette histoire,

dit-il, est on ne sauroit plus singulière et me surprit d'au-

un turc que croyois


tant plus, qu'elle m'étoit faite par je

n'avoir jamais mis le pied en France, et je passe même


qu'il me
plusieurs autres choses encore moins croyables,

raconte du ton le plus affirmatif. » Le derviche était-il

lui-même de bonne foi ou bien a-t-il voulu se moquer de

Lucas > et dans ce dernier cas pourquoi ? et comment


connaissait-il quelques traits de l'histoire de Flamel ? Le

récit de Lucas souleva bien des railleries, mais d'autre

part il trouva des fanatiques ; la pierre philosophale dis-

soute dans du vin blanc ne constitue-t-elle pas un puis-


sant elixir de vie, une véritable panacée universelle, quoi

d'étonnant alors que Flamel et Pernelle aient vécu plu-

sieurs siècles! Cette association des sept philosophes

dont parle le derviche, qu'est-ce sinon un collège de


I 10 NICOLAS FLAMF.L

Rose-Croix, cette mystérieuse société hermétique.


Cohausen dans son « Hermippus redivivus » joignit le
récit de Lucas m extenso aux différentes preuves qu'il
donne de l'existence de la médecine universelle ou elixir
de longue vie. Ce qu'il y a de plus curieux dans cette
légende de la longévité philosophale de Flamel c'est que
l'abbé Villain lui-même, rapporte, à titre de légende c'est

vrai, le fait suivant Flamel


: « il y a un nombre '^d'années
fut rendre visite à M. Desalleurs, alors ambassadeur
de France à la Porte. Et ce qui doit plus intéresser
puisque le fait est presque présent, l'année dernière 1761
Flamel, Pernelle et un fils qu'ils ont eu dans les Indes,
ont paru à Paris à l'Opéra. Un seigneur, instruit du jour
où ces hommes merveilleux devaient se montrer, fut au
spectacle, accompagné d'un peintre qui devait dessiner
les trois prodiges». Cette légende s'est perpétuée en
plein xix« siècle. Au mois de mai 1819 un inconnu louait
une boutique à Paris, rue de Cléry, numéro 22. Bientôt
des affiches apprirent au public que Nicolas Flamel était

encore vivant, dans des expériences quotidiennes l'adepte


multipliait les lingots d'or; bientôt il allait ouvrir un cours
de philosophie hermétique; pour avoir le droit d'y assister

il suffisait de prendre une simple inscription de 300,000


francs. Aucun disciple n'ayant répondu à l'appel, l'adepte
.

NICOLAS FLAMEL

disparut de la circulation et depuis oncques


n'a-t-on en-

Avec ce dernier épisode finit réelle-


tendu parler de lui.

ment la légende personnelle de Flamel, il nous reste à

dire quelques mots de ses descendants et de ses fonda-

tions.

Flamel avait un frère (peut-être un cousin) nommé


Jean Flamel, et qui était libraire écrivain du duc de

Bourgogne, c'est Flamel le jeune dont parle Guillebert

mourut avant son aîné. Flamel n'avait pas


de Metz, il

denfants, ses uniques descendants étaient ses neveux,


les trois fils d'Isabelle Perrier, la sœur de Pernelle. Il

en avait distingué un parmi eux, nous ne savons au juste


lequel, et avait écrit à son intention un traité hermétique.

Borel dit que c'était Nicolas ou Colin Perrier. A la

mort de Flamel, ce Perrier, sachant que son oncle

soufflait s'empara de ses papiers et de quelques matras

renfermant de la poudre de projection. Il en usa discrè-

tement ou même n'osa jamais s'en servir, car on n'en-

tendit jamais parler de lui. Papiers et poudre passèrent

à ses descendants jusqu'à un nommé Du Parrin, méde-


de môrt en -
cin à Coulommiers, lequel à son lit fit ca

deau à son neveu ou filleul Dubois. Celui-ci ne fut pas si

prudent que ses aïeux ;


possédant une certaine provision

de pierre philosophale, il n'aspira qu'à étonner ses con-


I I 2 NICOLAS FLAMEL

temporains. Par ses prouesses, il attira l'attention de la

Cour Royale, et dut travailler devantle roi LouisXIII.


Le biographe de J. B. Morin nous a conservé inci-

demment la suite de cette histoire: « L'autre personne


avec laquelle il (Morin) a souvent pris plaisir de s'entre-
tenir est M. de Chavigny, qui avoit esté présent à l'es-

preuve que du Bois fit de sa poudre de projection, à la

veiie et soubs la main du Roy, et qui fut chargé de cet


or nouvellement fabriqué pour en faire faire l'examen
par l'essayeur de la monnoye, qui après la dernière
espreuve, le déclara plus fin que celui dont on se sert
ordinairement, et ce qui le surprit, quoy qu'il soit aisé

d'en donner la raison, fut qu'il le trouva plus pesant


après l'opération qu'il ne l'estoit auparavant. Or, comme
cette histoire, l'une des plus curieuses sans doute de
celles qui ont entretenu le siècle présent, a eu des faces
bien différentes, j'ay creu qu'il ne seroit pas tout à faict

hors de propos de luy donner icy son véritable jour et


de dire à l'honneur de la chymie et pur amour de la

vérité qu'il n'y eut aucune fourbe à l'espreuve que du

Bois fit de sa poudre ; le Creuset fut pris sans aff"ecta-

tion chez un marchand, M. de Chavigny ramassa dans


les bandoùillères des gardes des balles de plomb qui
furent fondues et sa Majesté mit elle-même la poudre
NICOLAS FL AMEL

qui luy fut donnée 6n très petite quantité dans un peu de

cire, après l'avoir entortillée dans du papier pour la

tenir plus facilement; mais d'où vient donc le traitement

que l'on fit à Dubois, c'est un ressort caché de la Provi-

dence, ce que j'en ay apris, est que l'on voulut tirer son
secret et soit qu'il s'oppiniastra à ne point le donner, ou

qu'il ne fut pas l'autheur de la poudre, comme il


y en a
bien de l'apparence, on se lassa de ses remises, on le fit

arrester à Ruel, où il alloit souvent conférer avec son

Eminence et sous prétexte de la seureté de sa per-

sonne, on luy donna le bois de Vicennes (i) pour loge-


ment et des gardes du corps pour luy tenir compagnie.
Le régal luy sembla bien fascheux et lui parut d'autant

plus rude qu'il n'avoit point cherché, au contraire qu'il

avoit fuy autant qu'il avait peu, de se faire cognoistre à

la Cour. La nécessité seule et fatale de conserver la

liberté qu'il s'estoit procurée par la sortie de son cou-


vent, luy ayant fait consentir de se déclarer au père

Joseph, qui après un examen fort exac^^ et chez les reli-

gieuses du Calvaire, le déféra à son Eminence, ainsi donc


au lieu de profiter de ce traictement, il en devint moins
traictable, et enfin s'échappa par ses paroles en de si

I. Le donjon de Vincennes situé au milieu du bois.


NICOLAS FLAMEL

grandes extrémités qu'on ne vit plus rien à faire que de

luy donner des commissaires; comme sa vie n'avoit pas

esté régulière, quoy qu'il eust faict profession dans un

ordre très régulier et très sainct, il ne leur fut pas diffi-

cile de trouver des sujets d'exercer la rigueur de la jus-

tice souveraine, dont ils estoient dépositaires. DuBois


futcondamméà mort pour divers crimes et la souffrit

par les mains du bourreau. Mais tant s'en faut que l'on

ait faict le procès à son secret, que le cardinal de Riche-

lieu, qui n'estoit point une duppe, l'a depuis faict recher-

cher dans un laboratoire, qu'il fît construire à ce des-

sein dans le château de Ruel, et dans lequel on a tra-

vaillé plusieurs années sur les papiers qui furent saisis à

Paris, dans le temps que l'on arrêta ce malheureux à

Ruel » {La vie de maisire Jean-Baptiste Morin, docteur

en médecine et professeur royal aux mathématiques à

Paris 1660, in-r8% pages 41-44)- ^ est bien évident

que le malheureux fut .pendu non pour s'être défroqué,

mais pour n'avoir pas voulu livrer son secret au cupide


cardinal. Ainsi finit la postérité de Flamel.

Les diverses fondations de Flamel disparurent à leur


tour l'une après l'autre. Du temps de l'abbé Villain les

sculptures de Saint-Côme et de Saint-Damien


n'exis-

figures hiéroglyphiques
taient plus depuis longtemps, les
NICOLAS FI. AMEL

du Charnier des Innocents venaient d'être recouvertes


par une nouvelle construction, puis en 1789 plusieurs
des églises dotées par lui furent désaffectées ou détruites-
En 1790 Saint-Jacques la Boucherie fut déclarée monu-
ment national et « Plus tard, l'église Saint-Jacques fut

louée à un industriel moyennant une somme de 10.600

francs en numéraire, puis sa mise en vente ayant été

décidée, elle fut criée aux enchères publiques le 1 1 ther-

midor, an V de la république (29 juillet 1797) et adjugée


le même jour à un entrepreneur de bâtiments au prix de

41 1.200 francs... La démolition s'en fit quelque temps


après, mais les conditions insérées dans l'acte de vente

n'imposant nullement à l'acquéreur l'obligation d'abattre


la Tour, celle-ci fut conservée par son nouveau proprié-
taire sans qu'on ait jamais pu savoir quel fut le mobile

qui le fit agir en cette circonstance, en tout cas que sa

mémoire en soit ici glorifiée. » Jules Briois : La Tour


Saint- Jacques, tome II, page 368. La Tour servit ensuite

à un fabricant de grenaille de plomb, enfin en 1836


M. de Rambuteau, préfet de la Seine, l'acheta pour le

compte de la ville de Paris aux héritiers Dubois, le

27 août, et la paya 250.100 francs.


C'est au zèle de MM. François Arago, Justin et Pon-
tonnier, que l'on doit la conservation de ce magnifique
NICOLAS l
-
1. A M h: L

monument. Enfin en 1852, la Tour fut restaurée et en-

tourée d'un square, ces travaux coûtèrent 2,000,000 de


francs, mais c'est là de l'argent bien employé. L'architecte

chargé de la restauration était M. Théodore Balu, ancien

grand prix de Rome. Les personnes qui désireraient de


plus amples détails n'ont qu'à se rapporter à l'ouvrage de

M. Jules Briois, à l'appendice du tome second.


Une autre des fondations de Flamel, la maison de la

rue de Montmorency existait encore vers le milieu de

notre siècle. Aujourd'hui, des hiéroglyphes de Flamel, il

ne reste que sa pierre tombale au musée de Cluny ! Une


chose nous étonne, c'est que devant l'empressement que
mettaient les alchimistes à visiter les lieux illustrés par

Flamel, quelque riche seigneur disciple d'Hermès ne les


ait pas achetés pour les préserver de la ruine. Aux xvii=

et xviii" siècles, l'affiuence était grande aux fondations de

l'adepte, et surtout au Charnier des Innocents, à Saint-

Jacques de la Boucherie et à sa maison de la rue des

Ecrivains. C'étaient là des lieux de pèlerinage pour les

hermétistes et l'on en voyait toujours quelqu'un les yeux


fixés sur les hiéroglyphes, méditant profondément, cher-

chant le rapport qu'il pouvait y avoir entre saint Pierre

avec sa clef et le roi vêtu de pourpre des symboles de

Basile Valentin.
NICOLAS FLAMEL

Plus d'un certainement adressa de ferventes prières à


Flatnel qu'il considérait comme un saint parmi les alchi-

mistes illustres.

Une légende courait parmi des souffleurs, Flamel,

disaient-ils, aurait caché delà poudre de projection dans


un mur désigné par des symboles spéciaux. Le résultat
immédiat de cette légende, fut la destruction ou la muti-
lation d'un grand nombre des constructions de Flamel,
mais celle qui eut le plus à souffrir fut sa maison de la

rue des Ecrivains. A sa mort, elle avait été partagée,

l'une fut mise à l'enseigne du Lys l'autre à l'image saint

Nicolas. Si la poudre de projection était cachée quelque

part ce ne pouvait être que dans son laboratoire, aussi,

grande était l'affluence des souffleurs à la maison de la

rue des Ecrivains. Sauvai lui consacre une page intéres-

sante : « Ces souffleurs au reste après avoir évaporé et

réduit en fumée leurs biens et celui de leurs amis, pour


dernier recours, ont tant de fois remué, fouillé et tra-

cassé dans cetti maison qu'il n'y reste plus que deux
caves, assez bien bâties et les jambes étrières toutes bar-

bouillées de hiéroglyphes capricieux, de gravures mal


faites, de mauvais vers et d'inscriptions gothiques que les
hermétiques subtilisant à leur ordinaire et quintessen-
cient.

<)
NICOLAS FLAMEL

Que si on a la curiosité de descendre avec eux dans


ces caYes-là, aussitôt ils montrent le lieu ou Flamels'en-
terroit pour faire de l'or, et voudront faire croire que ce
petit morceau de terre produit et renferme de meilleur
or et en plus grande quantité que toutes les Indes orien-
tales et occidentales. Ils ajoutent qu'en 1624 le père
Pacifique, capucin, grand chimiste, ayant criblé une
partie de cette terre, ensuite fouillant plus avant il trouva
des urnes et des vases de grès, remplis d'une matière
minérale calcinée, grosse comme des dés et des noisettes ;

qu'au reste quoiqu'il pût faire, pour en tirer de l'or,

toute sa science et son art échouèrent contre ce petit


banc de grès et de sable. Bien plus, disent-ils, un sei-
gneur allemand ayant creusé à un autre endroit ne fut

pas moins heureux que le père Pacifique ; mais une


femme par malheur qui logeoit dans la maison, ayant
découvert à un coin plusieurs fioles de grès, couchées
sur des matras de charbon, et pleines de poudre de
projection, s'en étant saisie, ignorante qu'elle étoit,

tout ce grand trésor périt entre ses mains; et quoique

ensuite ayant reconnu sa faute, elle ait aifecté de demeu-


rer dans tous les autres logis qui avaient appartenu à

Flamel, elle a eu beau fouiller et vouloir pénétrer jus-

q^u'à la première pierre des fondements, jamais elle n'a


NICOLAS FLAMEL IIO

pu recouvrer sa perte » (tome II, livre VII, page 238)


Mais avant le père Pacifique, la maison avait déjà été
fouillée. En 1576, raconte l'abbé Villain, un individu

pourvu d'un beau nom et de qualités, imaginaires sans

doute, se présenta à la Fabrique de Saint-Jacques de la

Boucherie, il déclarait devoir accomplir le vœu d'un


ami défunt, pieux alchimiste, qui à son lit de mort lui

avait remis une somme d'argent pour réparer la maison


de Flamel. Le chapitre accepta. L'inconnu fit fouiller

les caves sous prétexte de raffermir les fondations ;

partout où il voyait un hiéroglyphe, il trouvait quelque

raison pour faire démolir la muraille à cet endroit, enfin

déçu, il disparut en oubliant de payer les ouvriers. Ces


différentes aventures n'ébranlèrent en rien la foi des
souffleurs. En 1560 le procureur du Châtelet avait fait
saisir au nom du roi les différentes maisons ayant appar-
tenu à Flamel pour les faire fouiller. La fabrique de
SVint-Jacques réclama et eut gain de cause. La maison
de Flamel n'avait pas été sans souffrir de cet excès d'en-
thousiasme, de toutes les sculptures qui l'ornaient, il

n'en restait plus du temps de l'abbé Villain que sur un


seul des piliers de la porte. L'adepte y est figuré à
genoux avec deux jeunes gens derrière lui. Au-dessus
la Sainte Vierge et saint Jean avec cette légende :
I 20 NICOLAS FLAMEL

« Mes amis, qui passez la voie, regardez s'il est dou-

leur pareille à la mienne. « Au bas du pilier est une

image de Saint Christophe. Parmi les autres inscriptions

de la façade on lisait ces deux vers :

« Chacun soit content de ses biens


a Qui n'a souffisance, 1 n'a rien. »

Nous ne nous sommes étendu si longuement sur ces


différents épisodes que pour bien montrer com.bien fut

grande la renommée de cet homme qui compta des fer-


vents et des fanatiques après sa mort. De nos jours oîi

l'alchimie semble une science morte, le nom de Flamel


évoque encore l'idée d'adepte prestigieux et de richesses

immenses.
NICOLAS FLAMEL

CHAPITRE IX

Le livre
— Explication de ses figu-
d'Abraham Juif .

res. — Le livre des lavûres.


— Description, cita-
tions. — Le Livre des figures
hiéroglyphiques. —

Son authenticité. — Le Sommaire


philosophi-

que. — Le désir désiré. — Le Psautier


chimi-

que. — Traités apocryphes.

nous allons examiner les ouvrages


Dans ce chapitre,

que ceux qui lui sont attri-


hermétiques de Flamel ainsi
d'Abra-
bués, mais auparavant nous parlerons du livre
ham juif. Nous avons vu que ce précieux ouvrage se

trouvait dans la bibliothèque du cardinal de Richelieu, il

est plus que probable qu'il avait été trouvé dans les papiers

A mort de Richelieu ce
du malheureux Dubois. la

manuscrit fut enlevé de sa bibliothèque par un gentil-

homme de sa maison. Mais il en fut fait plusieurs copies,

puisque Borel fit exprès le voyage de Paris à Millau

pour en voir une copie appartenant au seigneur de


Cabrières. Eliphas Lévi prétend que le livrj d'Abraham
juif n'est autre que l'Asch Mezareph, mais cette opi-

\
1 21 NICOLAS FLAMEL

nion avait déjà été émise dans le: Li\re rouge, Paris,
1842, sorte de petite encyclopédie des sciences occultes.
L'auteur qui se cache sous le pseudonyme d'Horten-
sius Flamel y donnait le texte de l'Asch Mezareph.
Hortensius Flamel et Eliphas Lévi sont-ils un seul et
même auteur se cachant sous deux noms différents
ou bien Lévi a-t-il copié Hortensius, peu importe.
Eliphas Lévi reproduit l'Asch Mezareph dans sa : Clef
des grands mystères ; en voici un fragment qui donne
bien la note de ce livre cabalistico-hermétique ; " La C
correspond à Chesed à cause de sa blancheur et de ses
usages. Le cf est le microprosope des métaux, c'est le
Seir Anpin de la Kabbale métallique. Il correspond à
Tiphereth ; à cause de son éclat et de sa vigueur et de
ses triomphes, il est fort, il est beau comme Mars. C'est
de lui que parle le psalmiste, psaume XI, verset der-
nier, etc. »

Cependant, nous ne connaissons pas de manuscrit re-


produisant le texte du livre d'Abraham juif, par contre
les figures ayant été décrites tout au long dans le Livre
des figures hiéroglyphiques, ont été souventes fois repro-

duites soit en manuscrit, soit par l'imprimerie.

Elles accompagnent les figures de Flamel, du char-


nier des Innocents, dans une planche hors texte page 48
NICOLAS FLAMEL 12]

du premier volume de la Bibliothèque des philosophes

chimiques, par Salomon, Paris, 1683. Cette planche fut

reproduite dans une seconde édition, c'est d'après cette

dernière que nous donnons les figures d'Abraham juif et

de Flamel.
Il existe à la Bibliothèque de l'Arsenal, sous ce titre

« Figures alchimiques de Nicolas Flamel, d'après Abra-


ham Juif (n° 3,047) », une reproduction de ces figures.
C'est un petit in-folio du xvn= siècle. Les figures sont

assez bien exécutées, à la suite on a collé quatre gravu-

res pouvant avec beaucoup de bonne volonté recevoir


une interprétation hermétique. A la fin se trouve dessiné

à la sanguine un Athanor ou fourneau pour le grand-œu-


vre accompagné des initiales N. F. Ce manuscrit appar-
tenait à M. de Paulmy. Celui qui a fait les dessins s'est

contenté de reproduire au bas des pages la description

des figures, d'après laquelle il les a reconstituées.

Un autre manuscrit présentant les figures d'Abraham,

nous a été gracieusement prêté par M. Vigot auquel il

appartenait. C'est un petit in-4°, 200 pages d'une bonne


écriture de ce siècle. En tête une figure représentant les

trois espèces d'or hermétique d'après le Triomphe her-


métique, puis le titre : « Abraham Juif, prince, prêtre^

lévite, astrologue et philosophe ». C'est un essai de re-


1^4 NICOLAS TLA M EL

constitution du livre d'Abraham d'après la description


que nous en a laissée Flamel. Mais celui qui a perpétré

ce manuscrit, après une préface pleine de malédictions


contre ceux qui profaneraient ce livre, a compris l'inanité

de son travail et il s'est contenté de donner la descrip-


tion des figures et leur explication. Les figures consti-

tuent la seule partie intéressante de ce manuscrit, elles

ont été en effet gravées au trait, puis coloriées à la main

avec beaucoup de soin. Il ne fut tiré, paraîMl, que dix


exemplaires de chaque gravure, La gravure du massacre
des Innocents, qui avait été perdue probablement, a été
remplacée par un dessin fait à la main.

Un autre manuscrit sous le nom d'Abraham Juif et

qui n'est aussi qu'une reconstitution, appartient â

M. Stanislas de Guaïta qui a eu l'obligeance de nous en

envoyer la description, nous en extrayons les passages

suivants, d'abord le titre: « Abraham Juif, prince, prê-

tre, lévite, astrologue et philosophe, à la nation des Juifs

répandue dans toute la Gaule par la colère de Dieu, salut

en notre Seigneur Jésus-Christ. Lwre des figures hiéro-


glyphiques^ avec l'explication des fables des poètes, des

mystères du christianisme, de l'alchimie et de la phar-


macie., Suivant les nombres. » Ce titre seul suffit .à

démontrer que ce manuscrit est apocryphe de même que


NICOLAS r L A M EL

le précédent. « C'est un volume in-4'' d'une écriture

serrée environ 28 à 32 lignes à la page. Manuscrit du

commencement du siècle portant l'ex-libris de M. de

Querelles, puis celui de M. Lotz... »

La partie la plus curieuse de ce manuscrit n'est pas

l'essai de reconstitution du livre d'Abraham Juif, mais

une sorte d'interprétation alchimique de l'apocalypse de


Saint-Jean, accompagnée aussi de figures fort intéres-

santes.

Enfin nous possédons un manuscrit du xviii^ siècle où

^se trouvent vingt-deux pages de commentaires sur le

livre d'Abraham Juif. Mais ces commentaires ne pré-


•sentent rien de particulier au point de vue qui nous
occupe.
Ces manuscrits sont les seuls que nous connaissions

actuellement, où les figures d'Abraham soient repro-

duites et coloriées d'après la description que nous en a

laissée Flamel. Nous avons donné la description de ces

figures, ainsi que leur reproduction d'après la planche de.

la Bibliothèque des philosophes chimiques, nous allons en

donner l'explication.

« La première figure d'Abraham le Juif, représentant

Mercure poursuivi par Saturne, a trait à la purification

de l'argent par le plomb. En efîet, l'argent vulgaire cou-


126 NICOLAS FLAMEL

pellé perd de son poids, à cause des métaux étrangers


qu'il contenait, métaux dont les oxydes sont absorbés
par les parois de la coupelle. Les alchimistes voyant
que dans cette opération l'argent avait perdu de son
poids primitif, admettaient que ses parties volatiles s'é-
taient évaporées. Saturne ou le plomb poursuit Mercure
ou l'argent philosophai et lui coupe les jambes, c'est-à-
dire le rend immobile, le fixe, en un mot le rend inalté-
rable » (A. Poisson : Théories el s/mboles des alchimis-
les, page 87).
La seconde figure représentant une montagne couver-
te de dragons, avec un rosier à fleurs rouges et blanches
à son sommet, a trait à la sublimation des natures mé-
talliques, des deux spermes sulfureux et mercuriels, qui
entrent dans la composition de la matière philoso-

phique.
La troisième figure représentant un jardin avec un

chêne creux et des gens qui cherchent la source, symbo-

lise la réduction du sperme mercuriel en une eau claire

et pesante qui est la source de la pierre. Beaucoup l'ont

cherchée et peu l'ont trouvée.

La quatrième figure, le massacre des innocents, c'est

l'extraction du sein des métaux ordinaires des deux na-


tures principiées, le soufre actif et le mercure passif
NICOLAS FLAM EL

avec lesquels on animera l'or et l'argent du vulgairé quj

sont des métaux morts.

La cinquième figure, le caducée, signifie que la matière

doit contenir des quantités équivalentes de soufre et de

mercure. Elle indique de plus que l'alchimiste ne devient


adepte que lorsqu'il connaît les lois, Mères de la Nature,

et qu'il doit se rendre maître des Forces en les oppo-

sant les unes aux autres. Elle a une troisième significa-^

tion, morale celle-là, c'est que seul est vraiment libre,

celui qui n'étant l'esclave d'aucune habitude, peut éga-

lement et par sa volonté pure, faire le bien et le mal, et

sait se tenir en équilibre entre les deux.

La sixième figure, c'est le serpent crucifié, c'est la fixa-

tion du volatil.

La septième figure, le désert peuplé de serpents, re-

présente la synthèse de l'œuvre, les trois sources des


métaux. Soufre et Mercure unis par le Sel, et la Multi-

plication.

Ces explications sommaires sont celles qu'aurait don-

nées tout alchimiste instruit dans la Symbolique Hermé-


tique. Nous aurions pu les étendre beaucoup plus, mais

cela nous mènerait trop loin, il est temps de parler des


œuvres de Flamel. Celles dont nous nous occuperons
surtout sont : 1° le livre des lavûres, 2° le livre des figu-
12!] NICOLAS FL A. M E L

res hiéroglyphiques ;
3° le sommaire ;
4° le désir dé-
siré; 5° Le Psautier chimique.
Le livre des Lavûres n'a jamais été imprimé, il existe

à la Bibliothèque Nationale sous la cote 19 978, supplé-

ment français, il est catalogué : le livre des laveures de

Nicolas Flamel. Comme c'est le seul manuscrit auto-

graphe qui nous reste de l'adepte, nous en parlerons lon-


guement. C'est un volume de onze centimètres et demi
de large et quinze et demi de long, il est relié en vélin,

mais cette reliure est postérieure au manuscrit lui-même,


ce n'est donc pas celle que Flamel y avait mise. Quand
le volume a été relié de nouveau, il a été rogné, aussi la

pagination et certains sous-titres qui se trouvent en marge

sont souvent coupés en deux. Les plats portent les

restes de quatre lacets qui servaient à fermer le livre.

Sur les plats, mais très effacé, on voit l'hiérogramme du


Christ. Le dos présente trois nervures. Le manuscrit est

en vélin, le texte en petite gothique, avec les titres de

chapitres en rouge, et les lettres capitales commençant


les chapitres en rouge ou en bleu. Page 36, il manque
un feuillet qui a été remplacé par deux feuillets repro-

duisant le texte en écriture du xvme siècle; le feuillet

36 a été simplement transposé, on le retrouve entre les


feuillets 102-103. Il y a en tout 126 feuillets ou 2^2 pa-
NICOLAS l'LAMEL 1

surajoutées et deux feuillets de


ges, plus les quatre pages

crarde un au commencement, l'autre à la fin.

Le manuscrit commence ainsi : Cy commence la

vraye pratique de la noble science d'alkimie. Le désir

que nul ne peut prisé, de tous les philo-


désiré et le prix

sophes composé et des livres de tous les anciens pris et

tyré,cyen somme avons abrégé, afin qu'à toy, chier

amy, apère estre très-certain l'argument de vérité de


la plus excellente partie de philosophie,
laquelle nous

appelions la pratique d'alkimie, etc. ». Le volume se

termine par ces mots : « Le présent livre est et appar-

tient à Nicolas Flamel, de la paroisse Saint- Jacques de

la Boucherie, lequel il l'a escript et relié de sa propre

main ».

Dans un premier article, M. Valletde Viriville admet


l'authenticité de ce manuscrit après mûr examen, mais
dans un second, il ne voit là que l'œuvre d'un faussaire
du XV 111° siècle.

Néanmoins malgré ces contradictions, nous avons


pris en considération l'opinion de Viriville et il nous

a paru bon d'éclaircir la chose. M. Vallet assure que le

nom du copiste ou de l'auteur a été gratté parle faussaire,

qui a ensuite écrit le nom de Flamel. Or, voici ce qu'à

notre tour, nous affirmons: toute l'écriture de la der-


NICOLAS FLAMEL

nière page est un peu passée ; les dernières lignes


étaient presque effacées, quand le possesseur du manus-
crit a repassé sur les anciennes lettres et il l'a fait assez

maladroitement. Quant au mot Flamel il est presque


effacé et l'e est remplacé par un trou, suite du grattage
opéré à cette place ;
est-ce là le fait d'un faussaire vou-
lant attribuer lé manuscrit à Flamel, le nom qui se lit le

plus mal est justement celui qu'il aurait eu intérêt à


mettre le plus en évidence. En tout cas, gratter un nom
est une ruse grossière, il existait même à ceite époque
suffisamment de moyens de faire habilement disparaître

l'encre sans recourir au grattage et jamais un faussaire

n'aurait eu recours à ce dernier moyen.


Pour nous c'est le propriétaire du volume qui a voulu
rétablir le texte un peu passé de la dernière page, et il

l'a fait assez hâtivement sans se soucier de calligraphier.

Le livre des Lavûres était au xvii° siècle entre les

mains de François de Gerzan, auteur de quelques traités

d'alchimie. Borel qui nous rapporte ce fait dit. «... l'on

estime que ce manuscrit a été écrit de la propre main de


Flamel. » Or, Borel écrivait ceci en 1653, puisque sa .*

Bibliotheca chimica, a paru en 1654. Que devient alors

le faussaire du xyiii^ siècle de M. Vallet ?

Au xvui° siècle ce manuscrit se trouvait dans la biblio-


NICOLAS Fl.AMEL 131

thèque de Saint-Germain des Prés et c'est de là qu'il est

passé à la bibliothèque nationale.


En lui-même le livre des Lavûres est peu intéressant,

c'est un des premiers traités hermétiques produits par

les occidentaux, il semble avoir été écrit vers le milieu

du xvi^ siècle; car nous regardons le livre des Lavûres

comme une simple copie de la main de Flamel, copie

d'un manuscrit plus ancien. Nous avons en effet lu et

copié ce manuscrit 19978 entièrement et nous n'y avons


absolument rien trouvé qui pût le faire regarder comme
l'œuvre de Flamel; pas un fait, pas un nom dans ces cent

vingt-six pages qui justifie cette étonnante affirmation de

M. Louis Figuier. « Ainsi Nicolas Flamel explique dans

ce manuscrit à l'adresse des alchimistes ce qu'à la même


époque il leur donne à déchiffrer dans les figures hiéro-

glyphiques du Charnier des Innocents et du portail de


Saint- Jacques la Boucherie. »

Nous plaçons l'original du Livre des Lavûres vers le

milieu du quatorzième siècle, parce qu'on y cite le Rosier

.des philosophes. C'est le Rosarium philosophorum d'Ar-

nauld de Villeneuve mort en 131 1. Les ouvrages et

auteurs cités dans le livre des Lavûres sont : Hermès,


Geber, Fledus, le livre de la secrète compaignie, Aris-

tote, Pitagoras, Platon, Avicenne, le Rosier des philo-


NICOLAS l'LAMEI,

sophes, le livre de Veillier et de Dormir. Dans le corps


de l'ouvrage il est fait mention de figures d'appareils qui
devront se trouver dessinées à la fin. Ces figures n'exis-
tent plus, et celles que l'on trouve sur le feuillet de garde

sont peut-être une reproduction des figures primitives,

mais elles ont été dessinées au dix-septième siècle.


Le livre des laveures, s'il n'a jamais été imprimé, a été

copié nombre de fois ; à la seule Bibliothèque nationale

il en existe trois copies ;


Pierret, le dernier des alchi-
mistes parisiens, en possédait aussi une qu'il a cédée au

marquis de Villeplaine. Nous dirons rapidement quel-


ques mots des trois copies de la Nationale.
1° — Le mns 19.963, fonds français, in 4°, écrit sur

papier ;
on y trouve au commencement ce quatrain :

(i De par celui qui vous aime mieux


Que nul qui soit soubz les cieux
De par celuy qui tant vous ayme
Qu'à vous servir mettroit sa peine. »

N. Flamel.

Il est identique au 19,978, sauf qu'à la fin, il porte :

Icy finit le livre de Nicolas Flamel, escrivain qui fut ja-

dis de la Paroisse de Saint-Jacques la Boucherie, à


NICOLAS FLAMEL

Paris ». Et avant cet alinéa, il y a écrit : signé Flamel.

Ce manuscrit appartenait d'abord à Séguier, puis il passa

à la bibliothèque d'Henri du Cambout, duc de Coislin,

qui le donna au monastère de Saint-Germain-des-Prés


en 1732.
2° Le manuscrit 14,799 (supplément français). Quoi-
qu'il soit intitulé : le livre des Régimes, il est identique

avec le 19,978. Il a été copié sur ce dernier en 1745.


C'est une assez bonne copie de 230 pages in-4''. Deux
copistes y ont travaillé, le second, peu scrupuleux,

passe des mots et même à la fin abrège considérablement

jusqu'à représenter des pages entières de l'original par

quelques simples lambeaux de phrase. A la fin, après ces


mots : « lequel il l'a écrit et relié de sa propre main... »

on lit : et l'a donné à son neveu pour héritage.


5° Le manuscrit 19962, in-4'' de 52 feuillets sur papier,

écriture du xvi® siècle. Ne porte pas mention du nom


de Flamel, même histoire que le numéro 19,963.
Nous terminerons par quelques extraits du livre des
lavûres (copiés sur le 19 978). Voici la définition de l'al-

chimie. « Alkimie est une partie réelle de philosophie


naturelle, la plus nécessaire, de laquelle est constitué un
art, lequel est non pareil à tous autres, lequel art ensei-

gne de miier toutes pierres précieuses non parfaites à

1.0
NICOLAS FLAMEL

vraye perfection et tout corps humain malade à parfaite


et noble santé, et transmuer tous les corps des métaux
en vray Soleil et vraye Lune, par un corps médicinal
universel auquel toutes les particularités de médecine
sont réduites, lequel est accomply et fait par un secret
régime révélé aux enfants de vérité, etc., etc. » La défi-

nition se déroule ainsi le long de plusieurs pages. Ensuite


vient le chapitre de la théorique ; l'auteur y distingue la

théorie de la pratique. La pratique ou « première inten-


tion, si est, que vous devès acquérir engin naturel par
lequel le mercure naturellement se puisse endurcir. » La
théorie, c'est la seconde intention. « Si est de sçavoir et

congnoistre la raison et l'effet par lequel se endurcit et

se congelle en succession intellectuelle selon la nature

de la altéracion successive qui se fait en la matière de


nature, etc. » Il nous semble entendre Rabelais deman-
der : Uirum chimera bombinans in vacuo possit comedere

secundas intenliones. » La suite est plus compréhensible,

on y trouve l'application du principe d'homologie ou d'a-

nalogie, qui est la base de l'alchimie et des sciences

occultes en général : « Nul temps l'argent vif ne peut

rien muer, se premier n'est mué et par art transformé de

une nature en autre, et ainsy comme il est transmué,

tout ainsy après il transmue. Car quand il est dissout,


NICOLAS FLAMEL

après il dissout et quand il est endurcy et congelé, après

ii endurcit et congèle. » Plus loin on lit que l'eau par

elle-même est de nature froide et inapte à être assimilée

par le corps humain, mais que l'on vienne à y faire bouil-


lir de la viande ou chair, l'eau prendra la nature de la

viande,' et elle constituera dès lors une nourriture forti-

fiante, assimilable : « Et pour ce l'eau de la chair après

sa décoction, n'est pas itelle comme elle estoit devant,

mes est son essence du tout convertible en nature de


chair. » Poursuivant ses idées théoriques l'auteur com-
pare la production de la pierre aux différents actes de la

o-énération animale : « Reste que selon le droit de nature,

il n'y a rien à conjoindre pour faire génération sinon les

deux spermes qui sont principes de nature et toute voies

ces deux spermes nous n'avons pas actuellement, si pre-

mier ne les tirons du Soleil et de la Lune par dissolution

de leurs corps et subtiliacion,

Ainsy comme ne de l'homme, ne de la femme ne se

peuvent adjoster leurs spermes en cohit se premier ne

sont tirées des rongnons par délectation dissolutive, faite

par l'amour de nature libidineuse. Et ainsy comme il

suffit à l'homme et à la femme leurs spermes, ainsy suf-

fit-il à l'or et à l'argent leurs spermes. » Cette agréable

comparaison se continue par l'assimilation de la matrice


NICOLAS FLAMEL

de la femme au matras dans lesquels les alchimistes ren-

ferment la matière. A la suite de ce chapitre préliminaire


commence la pratique. Les opérations se divisent en

quatre régimes subdivisés en huit lavûres. Chaque lavûre

comprend un nombre variable de : disposicions. L'exa-

men de la pratique nous conduirait trop loin, d'autant

qu'il nous reste à examiner divers ouvrages dont Flamel


est l'auteur; il ne faut pas oublier que pour ce Livre des
lavûres ce n'est qu'une copie d'un traité antérieur à

Flamel.
Un autre traité : Le livre des figures hiéroglyphiques,

a également soulevé de longues discussions.


L'abbé Villain qui en a fait la critique refuse naturel-

lement d'y voir un ouvrage de Flamel. Nous ne ferons

que résumer ici les raisons que nous avons de considé-

rer cet ouvrage comme authentique. i° Le nom de Fla-


mel s'y trouve plusieurs fois, et il s'y trouve comme
nom d'auteur. 2° On y raconte divers épisodes de la vie

de Flamel, et ni les épisodes, ni les dates qui les accom-


pagnent ne sont en contradiction avec ce que nous
savons de la vie de Flamel par les actes officiels conser-

vés, soit aux Archives, soit à la Bibliothèque nationale.

30 On y trouve mentionné et décrit \e Livre d'Abraham et

ce livre existait encore du temps de Richelieu dans sa


NICOLAS FLAMEL

bibliothèque. 4° Ce livre donne une explication des

Figures du charnier des innocents telle que Flamel seul


pouvait la donner. 5° Par contre il n'y a aucune raison

sérieuse d'en refuser la paternité à Flamel.

Vallet de Viriville lui, prétend {1) que \e Livre des

figures est apocryphe parce que Flamel, dit-il, n'a jamais

été alchimiste, et que sa légende a été établie en 1561

par Jacques Gohorry, qu'avant ce dernier on n'avait


jamais ouï parler de Flamel alchimiste. Malheureuse-
ment pour Vallet, nous avons un témoignage plus ancien
que celui de Gohorry, c'est celui de Vicot, l'ami de
Grosparmy et de Valois, un trio d'alchimistes fort inté-

ressants et pourtant peu connus. Vicot mourut dans la

première moitié du xv'= siècle, car Grosparmy écri-

vait en 1449 et mourut peu à près, or Vicot écrivit un


traité hermétique pour le fils de Valois, ce dernier ayant
suivi son ami dans la tombe ; mettons au plus tard 1460.
Dans ses cinq livres, P. Vicot cite Flamel. « Ce Soufre
et ce Mercure sont les deux dragons de Flamel et ils

sont notre or et notre Lune qui sont vivants et les vul-


gaires sont morts. » Ainsi voilà Flamel cité comme alchi-'

miste par un auteur qui écrivait au plus une quarantaine

I. Dans son second article.


NICOLAS FLAMEL

d'années après sa mort! Ce simple fait réduit à néant

la brillante hypothèse de M. Vallet de Viriville.

Pour en revenir a.i Livre des figures hiéroglyphiques,

cet ouvrage fut édité pour la première fois en 1612 par

Arnauld de la Chevalerie, voici le titre du volume :

« Philosophie naturelle de trois anciens philosophes renoni-

me\^ Arlephius, Flamel el Synésius traitant de l'Art occulte


et de Ja transmutation métalUque/m-6, Paris, 1612, U
fut réimprimé dans le même format en 1659 et en 1682,

nous avons sous les yeux un magnifique exemplaire de


cette dernière édition aussi rare et plus complète que les

deux précédentes. Le livre des figures hiéroglyphiques

se trouve aussi dans la Bibliothèque des philosophes chy-

miques de Salomon, 2 vol in-12, Paris 1672-1678 et

1683. Page 49 du premier volume et dans la Bibliothèque

des philosophes chimiques. Nouvelle édition par J. M.


D. R. 4 vol. in-12, Paris, 1741, dans le tome H. Cette
édition complète en 4 volumes est rare, quant au supplé-

ment, formant un cinquième volume, il est rarissime.

Toutes ces éditions du Livre des figures hiéroglyphiques

doivent être accompagnées de la planche hors texte

reproduisant les sculptures du Charnier des Innocents.

Tous les renseignements qui précèdent ont surtout trait

aux collections dans lesquelles on troûve l'ouvrage qu


NICOLAS FLAMEL

nous occupe, passons à l'ouvrage lui-même. Il fut tra-

duit du latin en français par le sieur P. Arnauld de la

Chevalerie, gentilhomme poitevin. Le traité qui précède

le livre des figures dans les éditions de 1Ô12-165 3-1682,


est d'Artéphius et comporte le texte latin en face du texte

français. Le Livre des figures ayant été originelle.nent

écrit en latin, l'éditeur fut sur le point de donner les deux

textes, mais outre la grande planche il y a dans le texte

d'assez nombreuses figures qui reproduisent des frag-

ments agrandis de la planche et l'éditeur explique fort

bien que « à cause des diverses figures qu'il faut sou-

vent représenter, je n'ay peu te les bailler qu'en une


langue. Car il cust été grossier de mettre les figures en

tous les deux textes latin et françois ou de n'en mettre

qu'en un. Et n'en mettant qu'en un, les figures occupant


l'espace eussent empesché que le latin et françois ne se

fussent pas bien rencontrés en feuillets, j'ay donc esté


contraint de te les bailler en cette-cy seulement. Or, j'ay.

choisi la françoise.., etc. » Le Livre des figures hiérogly-

phiques se divise en trois parties, un avant-propos, où

Flamel raconte comment il devient adepte, nous en avons

largement usé dans le second chapitre da cet ouvrage ;

ensuite vient un chapitre : Des interprétations théologi-

ques qu'on peut donner à ces hiéroglyphes selon le sens

V
NICOLAS PL A M EL

de moy Autheur. C'est d'après la troisième partie : le;


interprétations philosophiques selon le magistère d'Her-
mès, que nous avons expliqué les figures de la seconde
arcade construite aux innocents. Les ouvrages et auteurs

cités dans le Livre des figures hiéroglyphiques sont : le

livre du roy Hercules, le Rosaire, les œuvres de Calid,


Pythagoras, Morienus, Hermès, Rosinus, Diomèdes,
Rhasès, Artephius, Haly, Avicenne, Démocrite, Lambs-
princk. Tous ces alchimistes sont antérieurs à Flamel,
ce qui est une preuve de plus d'authenticité pour Lambs-
;

princk seul il pourrait y avoir doute, quelques auteurs

comme Schmieder ayant placé cet alchimiste allemand au


xvi' siècle, mais ils le font par approximation, sans don-

ner de raisons ni de preuves. En réalité Lambsprinck a


vécu au commencement du xiv" siècle, et nous aurons
au moins une raison pour lui assigner cette époque : la

citation de Flamel.
La réimpression du livre des figures hiéroglyphiques a
été faite sur l'édition de 1682.

Vient ensuite un ouvrage en vers intitulé : Le Som-


maire philosophique de Nicolas Flamel.
Il a été imprimé pour la première fois en 1 561 dans un

petit recueil intitulé : La transformation métallique, et qui


contient les poèmes alchimiques de Jehan de la Fontai-
NICOLAS FLAMEL

ne {la Fonlaine des amoureux de science), Jehan, de


Meung [La remontrance de nature à l'alchimiste errant},
et Nicolas Flamel (Le sommaire philosophique). Ce der-
nier ouvrage fut réimprimé : i" en latin, dans le Muséum
hermeticum reformatum et amplifcatum, in-4, Franco-
furti 1677 et 1678; 20 en français, dans le troisième volu-

me du Roman de la Rose, in-12, Paris 1755, 3 volumes ;

3° dans le second volume de la Bibliothèque des philoso-

phes alch/miques ou hermétiques, nouvelle édition, Paris,

1756, 4 vol. Dans celte dernière édition il occupe 16 pa-


ges de texte ; Flamel s'en donne comme l'auteur dans le

Livre des Figures, où il cite le Sommaire, c'est une sorte


de résumé de la théorie et de la pratique du grand-œu-
vre. Le commencement rappelle les premiers chapitres

du Livre des Lavûres. Flamel aimait assez la poésie à ce


qu'il semble, si l'on en juge par les nombreuses inscrip-
tions en vers dont il a orné ses maisons et fondations. Il

est fort possible que sur le déclin de sa vie, il ait mis en


vers quelque ouvrage hermétique qui lui aurait beaucoup
servi.

Nous nous arrêterons encore moins longtemps sur- le

Désir désiré. Il a été imprimé en 1629 avec le Traité du

Soufre du Cosmopolite et l'Œuvre de Charles VI, sous

le titre suivant : le Trésor de philosophie ou le Désir


"42 NICOLAS F I . AMEL

désiré de Nicolas Flamel. Cet ouvrage connu aussi

sous le nom de Livre des six paroles, se trouve à la

suite du précédent dans la Bibliothèque des philosophes


alchimiques, tome II, page 285. Vailet de Viriville con-
fond le Désir désiré avec le livre des Laveures. Il

regarde le premier comme une paraphrase assez large


du second, son erreur vient d'abord de ce qu'il n'a lu

ni l'un ni l'autre, ensuite de ce que le livre des Lavûres


porte dans les manuscrits plusieurs titres secondaires,

ainsi nous l'avons trouvé sous les noms de : Livre des

régimes, le Désir désiré, la Fleur de Sapience, etc.

Mais en réalité le Désir désiré imprimé n'a aucun point


de ressemblance avec le Désir désiré manuscrit qui
n'est autre que le Livre des Lavûres. Rien dans l'ou-
vrage qui nous occupé, ne pouvant le faire attribuer à

Flamel, nous inclinons à le considérer comme apo-

cryphe.

Nous allons dire quelques mots d'un manuscrit origi-


nal de Flamel qui semble perdu et qui n'a pas de titre;

nous l'appellerons pour plus de commodité, le Psautier

chimique. Dom Pernety nous en a laissé la description

dans deux lettres insérées dans Y Année lilléraire de

Fréron en 1758 et en 1762. Ce traité était, paraît-il,

écrit dans les marges d'un psautier. En voici le début :


NICOLAS FLAMEL '43

« Le commencement de la sagesse est la crainte du Sei-

gneur. Je, Nicolas Flamel, écrivain de Paris, cette

présente année mil quatre cens quatorze, du règne de

notre prince bénin Charles VI, lequel Dieu veuille bénir,

et après la mort de ma fidèle compagne Perenelle, i me


pren fantaisie et liesse, en me recordant d'icelle, écrire

en grâce de toy, chier nepveu toute la maîtrise du secret

de la poudre de projection ou teincture philosophale,


que Dieu a pris vouloir de départir à son moult chétif

serviteur, et que ay répéré (i) et comme repéreras, en

ouvrant (2) comme te diray... Adonc ay escrit ce dit

livre (3) de ma propre main et que avois destiné à l'é-

glise Saint-Jacques, estant de laditte paroisse. Mais


après que j'eu recouvré le livre du Juif Abraham, ne me
prit plus vouloir de le vendre pour argent, et j'ai iceluy

gardé moult avec cure, pour en lui escrire le secret d'al-

chemie en lettres et caractères lantasiés dont te baille la

clef et n'oublie mie d'avoir de moy souvenance, quand


seroy dans le sudaire (4) ; et remémores adonc que j'ay

1. Repéré: trouvé. — repéreras: trouveras.

2. Ouvrant : travaillant.

j. Le psautier dans les marges duquel il écrit le traité d'alchi-

mie.

4. Sudaire: suaire.
'44 NICOLAS TLA M El.

fait tels documens, c'est-à-scavoir afin que te fassî;

grand maistre en Aichemie... En avant de dire mot sur


la pratique d'ouvrer, j'ai vouloir de te conduire par théo-
rique à connoistre ce qu'est l'Alchemie, c'est à scavoir

science muante corps métalliques en perfection d'or et


d'argent, produisant santé aux corps métalliques en per-

fection d'or et d'argent, produisant santé aux corps


humains et muant viles pierres et cailloux en fines sin-
cères et précieuses, etc. ». Le Psautier chimique finissait

ainsi : « Adonc as le trésor de toute la félicité mondaine,


que moi, pauvre ruril de Pontoise ay faict et maistrisé

par trois reprinses à Paris en ma maison rue des Ecri-


vains tout proche de la chapelle Saint-Jacques de la

Boucherie et que moi Nicolas Flamel, te baille, pour


l'amour qu'ay toi en l'honneur de Dieu... Avises donc
chier nepveu de faire comme ay fait ; c'est à scavoir de
soulager les povres nos frères en Dieu, à décorer le

Temple de notre Rédempteur, faire issir des prisons


mains captifs détenus pour argent et par le bon et loyal

usage qu'en feras, te conduiras au chemin de gloire et

de salut éternel, que je, Nicolas Flamel, te souhaite au


nom du père Éternel, fils Rédempteur et Saint-Esprit

illuminateur, saincte, sacrée et adorable Trmité et

Unité. Amen ».
NICOLAS FLAMEL

Nous avons cité ces deux précieux fragments in ex-

tenso, parce que ce sont malheureusement les seuls que


Pernety nous ait conservés et que le manuscrit origi-

nal semble perdu.


D'autres ouvrages ont été mis sous le nom de Flamel
par quelques bibliographes soucieux d'enfler leurs cata-
logues. Les annotations de Flamel sur Denys Zachaire,
imprimées dans le Thealrum chimicum, tome I et dans la

Bibliolhecachemica Man^eii, tome II, sont apocryphes,

puisque Flamel vivait un siècle avant Zachaire. De mê-


me : Le grand Eclaircissement de la Pierre philoso-

phale, mis sous son nom, n'est pas de lui, mais d'un

disciple de R. Lulle. Borel attribue encore à Flamel un


manuscrit intitulé : la Musique chimique, sur lequel nous
n'avons aucune espèce de renseignement.

En résumé les seuls ouvrages qui puissent être attri-


bués à Flamel sont : Le Livre des Figures hiérogl/phi-
que,le Psautier Chimique et le Sommaire.— Le livre des
Lavûres est une simple copie de sa main. — Tous les

autres sont apocryphes.


CHRONOLOGIE DE LA VIE DE FLAMEL

1330. (?) Naissance de Flamel,

1355. Mariage avec Pernelle.


(?)

1357. Flamel achète le livre d'Abraham Juif.

1358. Il commence à travailler d'après ce manuscrit.

1372, Premier don mutuel.

1379. Pèlerinage à Saint-Jacques de Compostelle.


1382. Première transmutation.

1383. Deuxième transmutation.

1386. Renouvellement du don mutuel.

1388. Deuxième renouvellement du don mutuel.


1389. Edification d'une première arcade au charnier
des Innocents. Portail de Saint-Jacques de la

Boucherie.

1395. Il écrit : le Sommaire philosophique.


1 396. Ratification du don mutuel.
1397. Testament codicille et mort de Pernelle.

1399. Flamel commence le Livre des figures hiérogly-

phiques.

1400. "Visite de Cramoisy.


NICOLAS FLAMEL

1402. Edification du portail de Sainte-Geneviève des


Ardents.

1406. Flamel achète des maisons rue de Montmorency.


1407. Achat de maisons rue Saint-Martin. Il fait travail-

ler à Saint-Nicolas-des-Champs. Il élève une

seconde arcade aux Innocents et un mausolée


pour Pernelle.
1410. Il achète une maison rue du cimetière Saint-Nico-

las, ainsi que diverses rentes.


141 1. La chapelle de l'hôpital Saint-Gsrvais est recons-

truite à ses frais.

141 3. Il termine le livre des figures hiéroglyphiques.

1414. Il écrit le psautier chimique.

1417. Mort de Flamel.


INDEX DES SOURCES BIBLIOGRAPHIQUES

QUATORZIÈME ET QUINZIEME SIECLE.

. I. — La plupart des actes conservés à Saint- Jacques


la Boucherie et qui ont passé aux Archives.
2. a) — Le Testament de N. Flamel ;
— b) Quittance

d'Aubry le Musnier. — c) Un grand titre sur parchemin


par lequel les différentes églises et hôpitaux tentés par
Flamel cèdent leurs droits à Saint-Jacques de la Bou-
cherie, moyennant 200 livres tournois, à condition d'ac-

quitter tous les legs du testateur (B. Nationale. Mss.


9164, fonds latin).

3. — Le Livre des Laveures (Mss. 19.978. Supplé-

ment français. Bib. Nationale).

4. — Guillebert de Metz : Description de Paris au

xv" siècle. Cet ouvrage écrit en 1407 a été réimprimé en

185 par M. Le Roux de Lihcy sur le manuscrit unique


5

conservé à la Bibliothèque nationale. L. 7 K. 6350.


NICOLAS FLAMEL '49

). — Deux feuillets d'une Bible écrite par Jean Fla-

mel, ayant appartenu à Jean, duc de Bourgogne (Mss.

3431. Bib. Nationale).


6. — Les cinq livres de Pierre Vicot, prestre (environ
1460).

7. — Inventaire des objets précieux de l'Eglise Saint-

Jacques (1404 à 141 2).

SEIZIÈME SIÈCLE.

. S. — Delà transformation métallique. Paris, 1 561 (Trai-


tés de Jean de Meung, Jean de la Fontaine, Nicolas
Flamel). (B. Nationale. R. 26, 193).

9. — Le livre des Laveures (Mss. 19.962. Saint-Ger-


main français, in-4'', Bibl. Nationale).

10. — Gohorry : Le Livre de la fontaine périlleuse.


Paris, 1572.

11. — Roch le Baillif : Le Demosterion. Sommaire


véritable de la médecine paracelsique. Petit in-4°,

Rennes, i578(B, Nationale. Te 17-131).

II
150 NICOLAS FLAMEI.

DIX-SEPTIÈME SIÈCLE.

12. — Philosophie naturelle de trois anciens philoso-

phes (Artephius, Flamel, Synésius) in-4°, Paris, 1612-


1659-1682).
13. — Salomon : Bibliothèque des philosophes chy-

miques. 2 vol. in-12. (Paris, 1672-1678-1683).

14. — Le Cosmopolite : Traité du soulphre. Paris in-

12, 1618.

15. — Michel Maïer : Symbola aureœ mensœ. Fran-


cofurli, 1617 (Bibl. Nat. R. 7.946).
16. — Les figures d'Abraham le Juif (Mss. in-f".

Bibl. de l'Arsenal, 3.047).

17. — Le livre des Lavûres (B. Nationale. Mss.

19963. Fonds français, in 4°).

r8. — Pierre Borel : Bibliotheca chimica seu catalo-

gus liborum philosophorum hermeticorum in-12. Paris.

1654 et Heidelberg 1656.


19, — Muséum hermeticum reformatum et amplifi-

eatum, continens tractatus chimicos XXI, prœstantissi-

mos. in-60. Francofurti, 1677-1678.


.

NICOLAS FLAMEL

20. — Theatrum chimicum. 6 vol. in-8o, Argentorati


i6i 3-1661.

21. — Borel : Trésor de recherches et antiquités gau-


loises. in-40, 165 5

22. — Villars de Montfâucon : Le comte de Gabalis


ou entretien sur les Sciences secrètes, m-i8. Amster-
dam, .1700.

23. - Nicolai Flamelli, chymische Wercke als das


gûldene Kleinod der hierogliphischen Figuren. Das
Kleinod der Philosophie. Summarium philosophicum,
etc. Hambourg 1680-1681. Réédité à Vienne, 1751.
24- — Biichlein zwey auserlene chymische : 1° Das
Buch der hieroglyphischen Figuren Nicolai Flamelli,
d.s Schreibsrs, wie dieselben stehen aûf dem kirchofe
der Unschiilden Kinder Zû Paris ;
2° Das wahraffte
Bûch des gelehrten Griech Abts Synesïï. Hamburg,
1681.

25. — La Vie de Jean-Baptiste Morin, docteur en


médecine et professeur royal aux mathématiques à Pa-
ris, 1660, in-i8.
1^2 NICOLAS FLAMEL

DIX-HUITIÈME SIÈCLE.

26. — Bibliothèque française de la Croix du Maine

et Duverdier, 5 vol. in-4'' Paris, 1772.

27. _ Paul Lucas, Voyage du sieur Paul Lucas fait

par ordre du roy dans la Grèce, l'Asie mineure, la Ma-


cédoine et l'Afrique, 2 vol. in-12. Paris, 1712 (Bib.

nat. o''54. B.).

28. Henri Sauvai : Histoire et recherche des anti-

quités delà Ville de Paris. 3 vol. in-P 1724.

29. — Abbé Villain : Histoire critique de Nicolas

Flamel et de Pernelle sa femme. Recueillie d'actes an-


ciens qui justifient l'origine et la médiocrité de leur for-

tune, contre les imputations des Alchimistes. in-i2° Pa-

ris, 1761.

30. — Dom Pernety : Lettre sur une histoire de

Nicolas Flamel. Année Littéraire 1762, tome IIL

3 1 . — Dom Pernety : Lettre sur l'Essai sur Saint-

Jacques la Boucherie. Année littéraire 1758, tome

VII.
32. — Le livre des Lavûres ou livre des Régimes,

in-4°(Mss 14.799. Supplément Français. Bib. Natio-

nale).
NICOLAS FLAMEL

33. — Cohansen: Hermippus redivivus ou le triom-


phe du Sage sur la vieillesse et le tombeau. Traduit par
M. De La Place, 2 vol. in-S". Bruxelles, 1789.

34. — Abbé Villain : Essai d'une histoire de Saint-

Jacques de la Boucherie. Paris, in- 12°. 1768.

35. — Lenglet Dufresnoy: Histoire de la philosophie


hermétique, j vol. in-i2V Paris, 1742.
36. — J. M. D. R. Bibliothèque des philosophes
chimiques, 5 vol. in- 12° (avec le supplément). Paris,

1741.

37. — Bibliotheca chemica curiosa Mangeti, seu


rerum ad alchimiam pertinentium thésaurus instructissi-

mus, 2 vol. in-f ,


1702. Colonise allobrogum.

38. — Abbé Villain: Lettre à M... sur celle que


Pernety a fait insérer dans l'année littéraire 1762 (com-
muniqué par M. de Guaïta).
39. — Le romande la Ross, 3
vol., in-12''. Paris,

173).

DIX-NEUVIÈME SIECLE.

40* — Chevreul : Journal des savants. Décembre


1 85 1 . Article à propos de Cambriel.
NICOLAS FLA.MEL

^i. — Valet de Viriville: Quelques recherches sur


Nicolas Flamel (Revue française et étrangère, 1837,

tome III).

42. — Auguste Bernard : La maison de Nicolas Fla-


mel, rue de Montmorency, 51, à Paris (Mémoires de la

Société des antiquaires de France, 1852. f série,

tome I").

43 . — Valet de Viriville : Des ouvrages alchimiques

attribués à Flamel (Mémoires de la Société des anti-

quaires de France. 3'' série, tome III, 1857).

44. — De Lavillegille . Description de la pierre tumu-

laire de Flamel (Mémoires de la Société des antiquaires

de France. Tome XV).


45. — HœfFer: Nouvelle biographie générale. Article

Nicolas Flamel par Valet de Viriville. Tome XVII.


Paris, 1858.

46. — Michaud : Biographie universelle. Article Fla-

mel par Delaulnaye (Tome XIV. Paris, 1856).


47. — HœfFer : Histoire de la chimie, 2 vol. in-8°.

Paris, 1842.

48. — Schmieder: Geschichte der alchemie, i vol.

m-8°. Halle, 1832.


49. — Le livre d'Abraham Juif. Mss petit in-4° prêté

par M. Vigot.
NICOLAS FLAMEL

50. — A. Poisson; Théories et symboles des alchi-


mistes, in-8°. Paris, 1891.

51. — L. Figuier: L'alchimie et les alchimistes..

Paris, 1860, in -12°.

52. — Eliphas Lévi: La clef des grands mystères,


in-8°, Paris, 186 1.

53. — Légendes populaires: Nicolas Flamel. Bro-


chure, in-4°, S. D. Paris.

54. — Hortensius Flamel : Le livre rouge. Résumé


du magisme, des sciences occultes et de la philosophie
hermétique. Paris, 1842, in- 18".

55. — Bibliophile Jacob: Curiosités des sciences


occultes. Paris, 1885, in-12.

56. — J.-B. Dumas: Leçons sur la philosophie chi-


mique. Paris, in-8», 1837.

57. — J. Briois: La tour Saint-Jacques. 2^ édition,


2 vol. in-12''. Paris, 1886 (La première édition est en
3 vol. in-8'»).

58- — Philophotes: Les monuments alchimiques de


Paris (Initiation, février 1893).

19- — Philophotes: Sommaire de l'histoire alchimi-

que de Paris (Initiation, février 1892).

60.— Le livre d'Abraham Juif. Mss in-4'' appartenant


à M. de Guaïta.
1^6 NICOLAS FLAMEL

61, — Clémence Robert ; La tour Saint Jacques


in-i8. Paris, 1858.

62. — Eliphas Lévi ; Histoire de la Magie. in-8\


Paris, 1860.
DEUXIÈME PARTIE

LE LIVRE DES FIGURES

Hiéroglifiques de Nicolas Flamel, escrivain, ainsi

qu'elles sont en la quatrième Arche du cymetière des

Innocens à Paris, entrant par la porte, rue Saint-Denis,

devers la main droitte avec l'explication d'icelles par le

dit Flamel, traittant de la transmutation métallique, non

jamais imprimé.

Traduit de lal'.n en français.

Par p. Arnauld, sieur de la Chevalerie,


gentilhomme Poictevin.

Paris, chei Laurent d'Houry, mdclxxxii.

Au LECTEUR SALUT

Je l'eusse (amy lecteur) donné ces commentaires aussi


bien latins françois, que j'ay fait Artephius, mais à cause
NICOLAS FLAMEL

des diverses figures qu'il faut souvent représenter je n'ay


peu te les bailler qu'en une langue. Car il eust été gros-
sier dp mettre les figures en tous les deux textes latins
ou françois, ou de n'en mettre qu'en un. Et n'en mettant
qu'en un, les figures occupans l'espace, eussent empes-
ché que le latin et françois ne se fussent bien rencontrez
aux feuillets, j'ay donc esté contraint de te les bailler en

cette cy seulement. Or, j'ay choisi la françoise, afin que


premièrement tous bons françois les puissent entendre
librement, et par ainsi se retirer de leurs erreurs et des-

pences, l'autre, afin que ce Livre ne coure point aux


nations estrangeres qui en sont très curieuses, à compa-
raison de la françoise. Que si je voy que tu y prenne
plaisir, je te les donneray aussi en latin avec l'Histoire
du jardin des Hespérides, composée par Lorthulain, très

grave et très docte autheur, laquelle avec ceux-ci j'ay


par grandes sommes de deniers, recouvrée de mains très
curieuses et qui les ont jusqu'à présent conservées aussi

chères que la pierre mesme, aussi ces autheurs cy, sur

tous les autres ne sont point envieux. Adieu,

Loiié soit éternellement le Seigneur mon Dieu, qui


esleve l'humble de la basse pouldrière et fait esjouyr le
LE LIVRE DES FIGURES

cœur de ceux qui espèrent enluy, qui ouvre aux croyans

avec grâce les sources de sa bénignité, et met sous leurs

pieds les cercles mondains de toutes les félicitéz terrien-

nes. En luy soit tousjours nostre espérance en sa crainte

nostre félicité, en sa miséricorde la gloire de la répara-

tion de nostre nature et en la prière nostre sûreté ines-

branlable. Et toy, ô Dieu tout puissant, comme ta béni-

gnité a daigné s'ouvrir en la terre devant moy (ton indi-

gne serf) tous les trésors des richesses du monde, qu'il

plaise à ta grande clémence, lorsque je ne seray plus au


nombre des vivans, de m'ouvrir encore les trésors des

Cieux, et me laisser contempler ton divin visage, dont la

Majesté est un délice inesnarrable, et dont le ravissement

n'est jamais monté au cœur d'homme vivant. Je te le de-

mande, par le Seigneur Jésus-Christ ton fils bien aymé,

qui en l'unité du Saint-Esprit vit avec toy au siècle des

siècles. Ainsi soit-il.


L'Explication des figures hiérogliphiques mises par
moy Nicolas Flamel, escrivain, dans le cime-
tière des Innocens en la quatriesme arche, en-
trant par la grande porte rue Sainct-Denis, et
prenant la main droite.

Avant-Propos.

Encore que moy Nicolas Flamel, escrivain et habitant

de Paris, 'en cette année mil trois cens quatre-vingts et


dix-neuf, et demeurant en ma maison en la riie des Es-
crivains, près la Chapelle Saint-Jacques de la Boucherie
encor, dis-je, que je n'aye appris qu'un peu de Latin,
pour le peu de moyens de mes parens, qui néantmoins
estoient par mes envieux, mesmes estimez gens de bien.

Si est-ce que (par la grande grâce de Dieu et interces-

sion des benoists Saincts et Sainctes de Paradis, princi-

palement de Monsieur Saint-Jacques de Galice) je n'ay

pas laissé d'entendre au long les livres des Philosophes,


NICOLAS FLAMEL

et d'apprendre en iceux leurs tant occultes secrets. C'est


pourquoy il ne sera jamais moment en ma vie, me souve-

nant de ce haut bien, qu'à genoux, si le lieu le permet,

ou bien dans mon cœur, de toute mon affection, je n'en

rende grâces à ce Dieu très-benin, qui ne délaisse ja-

mais l'enfant du juste mendier par les portes, et qui ne

defîraude point ceux qui espèrent entièrement en sa bé-

nédiction. Donc moy, Nicolas Flamel escrivain, ainsi

qu'après le deceds de mes parens je gagno's ma vie en

nostre Art d'Ecriture, faisant des Inventaires, dressant

des comptes et arrestant les despenses des tuteurs et

.mineurs, il me tomba ente les mains pour la somme de


deux florins un livre doré fort vieux et beaucoup large,

il n'estoit point en papier ou parchemin, comme sont les

autres, mais seulement il estoit fait de déliées escorces,


(comme il me sembloit) de tendres arbrisseaux. Sa cou-

verture estoit de cuivre bien délié, toute gravée de let-

tres ou figures estranges, quant à moy, je croy qu'elles


pouvoient bien estre des caractères grecs ou d'autre
sembable langue ancienne. Tant y a que je ne les sçavois

pas lire, et que je sçay bien qu'elles n'estoient point no-


tes, ny lettres Latines ou Gauloises, car nous y enten-
dons un peu. Quant au dedans, ses feuilles d'écorce
estoient gravées, et d'une très grande industrie, écrites
1^)2 LE LIVRE DES FIGURES

avec une pointe de fer, en belles et très nettes lettres


Latines colorées. Il contenoit trois fois sept feuillets,
car iceux estoient ainsi contez au haut du feuillet, le

septiesme desquels estoit tousjours sans escrituré,au lieu


de laquelle il
y avoit peint une verge et des Serpens
s'engloutissans, au second septième, une Croix ou un
Serpens estoit crucifié, au dernier septième, estoient
peints des déserts, au milieu desquels couloient plusieurs

belles fontaines, dont sortoient plusieurs Serpens qui


couroient par cy et par là. Au premier des fueillets, il
y
avoit escrit en lettres grosses capitales dorées : Abra-
ham le Juif, prince, prestre lévite, astrologue, et philo-

sophe, à la gent des Juifs par l'ire de Dieu, dispersée


aux Gaules. Salut. D. I. Après cela il estoit remply de
grandes exécrations et malédictions (avec ce mot Ma-
ranatha, qui y estoit souvent répété) contre toute per-

sonne qui jetteroit les yeux sur iceluy, s'il n'estoit Sa-
crificateur ou Scribe.
Celuy qui m'avoit vendu ce livre ne scivoit pas ce
qu'il valloit, aussi peu que moy quand je l'acheptay. Je
croy qu'il avoit esté desrobé aux misérables Juifs, ou
trouvé quelque part caché dans l'ancien lieu de leur

demeure. Dans ce livre au second fueillet, il consoloit sa

nation, la conseillant de fuyr les vices et sur tout l'ido-


NICOLAS FLAMEL

lâtrie, attendant le Messie advenir avec douce patience^


lequel vaincroit tous les rois de la terre, et régneroit

avec sa gent en gloire éternellement. Sans doute, scavoir


esté un homme fort scavant. Au Lroisiesme, et en tous
les autres suivants escrits, pour aider sa captive nation
à payer les tributs aux Empereurs Romains et pour faire

autre chose, que je ne diray pas, il leur enseignoit la

transmutation métallique en parolles communes, pei-


gnoit les vaisseaux au costé, et advertissoit des cou-
leurs et de tout le reste, sauf du premier agent duquel
il n'en disoit mot, mais bien (comme il disoit aux qua-
triesme et cinquiesme fueillets entiers) il le peignoit et

figuroit par très-grand artifice. Car encor qu'il fust bien

intelligiblement figuré et peint ; toutesfois aucun ne


l'eust sceu comprendre sans être fort avancé en leur
Cabale traditive, et sans avoir bien estudié les livres.
Donc le quatriesme et cinquiesme fueillet estoit sans
escriture, tout remply de belles figures enluminées, ou
comme cela, car cest ouvrage estoit fort esquis. Premiè-
rement, il peignoit un jeune homme avec des aisles aux
talons, avant une Verge Caducée en main, entortillée
de deux serpens, de laquelle il frapoit une salade qui
luy couvroit la teste, il sembloit, à mon petit advis, le

Dieu Mercure des Payens, contre iceluy venoit courant


1. 1-: LIVRE DES 1-lGURES

et volant à aisles ouverts, un grand Vieillard, lequel sur

sa teste avoit un horloge attaché, et en ses mains une


faux comme la mort, de laquelle terrible et furieux il

vouloit trancher les pieds à Mercure.

A l'autre face du fueillet quatriesme, il peignoit une

belle Fleur en la sommité d'une montagne très-haute, que


l'Aquilon esbranloit fort rudement, elle avoit le pied

bleu, les fleurs blanches et rouges, les fueilles reluisan-

tes comme l'or fin, à l'entour de laquelle les Dragons


et Griffons Aquiloniens faisoient leur nid et demeurance.
Au cinquiesme fueillet y avoit un beau Rosier fleury

au milieu d'un beau jardin, eschelant contre un chesne


creux, au pied desquels bouillonnoit une Fontaine d'eau

très-blanche, qui s'alloit précipiter dans les abysmes,

passant néantmoins premièrement entre les mains d'in-

finis peup'es qui fouilloient en terre, la cherchant ;


mais

parce qu'ils estoient aveugles, nul ne la connoissoit,

fors quelqu'un considérant le poids.

Au dernier revers du cinquiesme, il y avoit un Roy


avec un grand coutelas, qui faisoit tuer en sa présence

par des soldats, grande multitude de petits enfants, les


mères desquels pleuroient aux pieds des impitoyables
gendarmes, le sang desquels petits enfans, estoit puis

après recueiUy par d'autres soldats, et mis dans un grand


12
NICOLAS FLAMEL

vaisseau, dans lequel le Soleil et la Lune du Ciel


se venoient baigner. Et parce que ceste histoire repre-
sentoitla plus part de celle des Innocents, occis par Hé-
rode, et qu'en ce livre cy j'ai appris la plus part de
l'art, ça esté une des causes que j'ay mis en leur cyme-
tière ces symbôles hiérogliphiques de cette secrette
science. Voilà ce qu'il yavoit en ces cinq premiers
feuil-
lets.

Je ne représenteray point ce qui estoit escrit en beau


et très intelligible latin en tous les autres feuillets escrits

car Dieu me puniroit, d'autant que je commettrois plus


de méchanceté que celuy (comme on dit) qui désiroit que
tous les hommes du monde n'eussent qu'une teste, et
qu'il la peut couper d'un seul coup.

Donc ayant chez moy ce beau livre, je nefaisoitnuict -

et jour qu'y estudier, entendant très bien toutes les


opérations qu'il démontroit, mais ne sachant point avec
quelle matière il falloit commencer, ce qui me causoit
une grande tristesse, me tenoit solitaire et faisoit soupi-

rer à tout moment. Ma femme Perenelle que j'aymois


autant que moy-mesme, laquelle j'avois espousée depuis
peu, estoit toute estonnée de celà, me consolant et de-
mandant de tout son courage, si elleme pourroit délivrer
de fascherie. Je ne peus jamais tenir ma langue, que ne
i68 LE LIVRE DES FIGURES

luy disse tout, et ne luy montrasse ce beau livre, duquel

à mesme instant qu'elle l'eust veu, elle fust autant

amoureuse que moy-mesme, prenant un extrême plaisir

de contempler ces belles couvertures, graveures d'ima-


ges et portraits, ausquelles figures elle entendoit aussi

peu que moy.


Toutesfois ce m'étoit une grande consolation d'en

parler avec elle, et de m'entretenir qu'est-ce qu'il

faudrait faire pour avoir l'interprétation d'icelles. Enfin

je fis peindre le plus au naturel que je peus, dans mon


logis toutes ces figures et portraicts du quatriesme et

cinquiesme feuillet que je monstray à Paris à plusieurs

grands clers qui n'y entendirent jamais plus que moy. Je


les advertissois mesmes que celà avoit esté trouvé dans

un livre qui enseignoit la pierre philosophale, mais la plus

part d'iceux se moquèrent de moy et de la bénite pierre,

fors un appellé Maistre Anseaulme, qui estoit licencié en

médecine, lequel estudioit fort en cette science. Iceluy

avoit grande envie de voir mon livre, et n'y eust chose

qu'il ne fist pour le voir, mais tousiours je l'asseuray que

je ne l'avois point, bien luy fis-je une grande description

de sa méthode. Il disoit que le premier portraict repre-

sentoit le temps qui dévoroit tout, et qu'il falloit l'espace

de six ans, selon les six feuillets escrits


pour parfaire la
N CO LA s
1 FL A M E L I (^9

pierre, soutenoit qu'alors il falloit tourner l'horloge, et ne

cuire plus. Et quand je luy disois que cela n'estoit peint

que pour démonstrer, et enseigner le premier agent,

comme estoit dit dans le livre, il respondoit que cette

coction de six ans, estoit comme un second agent. Que


Véritablement le premier agent y estoit peint, qui estoit

l'eau blanche et pesante, qui sans doute estoit le vif ar-

gent, que l'on ne pouvoit fixer, ny à iceluy couper les

pieds, c'est-à-dire, oster sa volatilité, que par cette lon-


gue décoction dans un sang très pur de jeunes enfans,
que dans iceluy, ce vif argent se conjoignant avec l'or et

l'argent, se convertissoit premièrement avec eux en une


herbe semblable à celle qui estoit peinte, puis après par

corruption en serpens, lesquels estans après entièrement


asséchez et cuiz par le feu, se réduiroient en poudre d'or

qui seroit la pierre.

Cela fust cause que durant le long espace de vingt-et-

un ans je fis mille brouilleries, non toutes fois avec le

sang, ce qui est meschant et vilain. Car je trouvois dans


mon livre, que les philosophes appelloient sang, l'esprit

minéral qui est dans les métaux, principalement dans le

soleil, la lune et mercure, à l'assemblage desquels je


tendois tousiours, aussi ces interprétations, pour la plus

part estoient plus subtiles que véritables. Ne voyant donc


170 LE LIVRE DES TIGURES

jamais en mon opération les signes au temps escript dans


mon livre, j'estois tousiours à recommencer. Enfin ayant
perdu espérance de jamais comprendre ces figures, pour
le dernier je fis un voeu à Dieu et à Monsieur Saint-Jac-
ques de Gallice pour demander l'interprétation d'icelles à

quelque Sacerdot Juif, en quelque synagogue d'Hespai-


gne, Doncavec le consentement de Perrenelle, portant sur
moy l'extraict d'icelles, ayant pris l'habit et le bourdon, en
lamesme façon qu'on me peut voir au dehors de cette
mesme arche, en laquelle je mets ces figures hiérogly-
phiques, par dedans le cymetière, où j'ay aussi mis contre
la muraille d'un et d'autre costé, une procession en
laquelle sont représentées par ordre toutes les couleurs

de la pierre, ainsi qu'elles viennent et finissent, avec


cette écriture françoise

Moult plaist à Dieu procession


S'elle est faite en dévotion.

(Ce qui est quasi le commencement du livre du Roy


Hercules, traictant des couleurs de la pierre, intitulé,

VIris, en ces termes : « Operis processus mullum naturœ


placeif etc. Que j'ay mis la tout exprès pour les grands
clercs qui entendront l'allusion). Donc en cette mesme
façon, je me mis en chemin, et tant fis que j'arrivay à
NICOLAS FLAMEL

Montjoye, et puis à Sainct Jacques où avec une grande


dévotion j'accomplis mon vœu. Cela fait, dans Léon au
retour je rencontray un marchand de Boulogne qui me
fît connoistre à un médecin juif de nation, et alors chres-

tien, demeurant audit Léon, lequel estoit fort sçavant en


sciences sublimes, appelé maistre Canches. Quand je

luy eus monstré les figures de mon extraict, ravi de


grand estonnement et joye, il me demanda incontinent
si je sçavois nouvelle du livre, duquel elles estoient

tirées. Je luy respondis en latin, comme il m'avoit inter-


rogé, que j'avois espérance d'en avoir de bonnes nou-

velles, si quelqu'un me déchifîroit ces énigmes Tout à


l'instant emporté de grande ardeur et joye, il commença
de m'en deschiffrer le commencement. Or, pour n'e§tre
long, luy très content d'apprendre des nouvelles ou
estoit ce livre, et moy de l'en ouyr parler. (Et certes ij

en avoit ouy discourir bien au long, mais comme d'une


chose qu'on croyoit entièrement perdùe,comme il disoit),

nous résolûmes nostre voyage, et de Léon passâmes à


Oviedo, et de là à Sanson où nous nous mismes sur mer
pour venir en France. Nostre voyage avoit esté assez
heureux, et desja depuis que nous estions entrés en ce
royaume, il m'avoit très véritablement interprété la plus
part de mes figures, où jusques mesmes aux points, il
LE LIVRE DES FIGURES

trouvoit de grands mystères (ce que je trouvois fort

merveilleux), quand arrivans à Orléans, ce docte homme


tomba extrêmement malade, affligé de très grands vo-

missements qui luy estoient restez de ceux qu'il avoit

souffert sur la mer, il craignoit tellement que je le quit-

tasse, qu'il ne se peut imaginer rien de semblable. Et

bien que je fusse tousjours à sescostez, si m'appelloit-il

incessament, enfin il mourut sur la fin du septième jour


de sa maladie, dont je feus fort affligé, au mieux que je

peus je le fis enterrer en l'église Sainte-Croix à Orléans^

où il repose encore. Dieu aye son âme. Car il mourut

bon chrestien. Et certes si je ne suis empesché par la

mort, je donneray à cette église quelques rentes pour

faire dire pour son âme tous les jours quelques messes.
Qui voudra voir l'estat de mon arrivée et la joye de Per-
ville de
renelle, qu'il nous contemple tous deux en cette

Paris sur la porte de la chapelle Saint-Jacques de


la

Boucherie, du costé et tout auprès de ma maison, où


pieds de
nous sommes peints, moy rendant grâces aux
Monsieur Saint-Jacques de Gallice,et Perrenelle à ceuxde
Monsieur Sainct Jean, qu'elle avoit si souvent invoqué.

Tant y a que par la grâce de Dieu et intercession de la

et Saincte Vierge, et benoists Saincis


Jac-
bienheureuse

ques et Jean, je sçeus ce que jedésirois, c'bst-à-dire, les


NICOLAS KLAMEL 17?

premiers principes, non toutesfois leur


première prépa-

ration, qui est une chose très difficile sur toutes celles

encore à la fin après les lon-


du monde. Mais je l'eus

<Tues erreurs de trois ans ou environ, durant lequel temps,


et travailler, ainsi qu'on me
peut
je ne fis qu'estudier

voir, hors de cette arche, où j'ay mis 'des processions


pieds de sainct
contre les deux piliers d'icelle, sous les
main, lisant
Jean, priant tousjours Dieu, le chapellet en
très attentivement dans un livre, et
pesant les mots des

philosophes, et essayant puis après les diverses


opéra-

tions que je m'imaginois par leurs seuls mots.

Finalement je trouvoy ce que je désirois, ce que je

reconnus aussi tostpar la senteur forte. Ayant cela j'ac-

complis aisément le magistère : aussi scachant la prépa-

agents, suivant en après à la lettre


ration des premiers

n'eusse peu encore que je l'eusse


mon livre, je faillir

voulu. Donc la première fois que je fis la projection, ce

fust sur du mercure, dont j'en convertis demy-livre ou

environ, en pur argent, meilleur que celuy de la minière,

comme j'ay essayé et faict essayer par plusieurs fois. Ce


fust le 17 de janvier un lundy environ midy, en ma mai-
son présente Perrenelle seule, l'an de la restitution de

l'humain lignage mil trois cens quatre-vingt-deux. Et

puis après, en suivant tousjours de mot à, mot mon livre-.


174 LE LIVRE DES FIGURES

je la fis avec la pierre rouge sur semblable qualité de


mercure, en présence encore de Perrenelle seule en la

mesme maison, le vingt cinquiesme jour d'avril suivant

de la mesme année, sur les cinq heures du soir, que je

transmuay véritablement en quasi autant de pur or, meil-

leur très-certainement que l'or commun, plus doux et

plus ployable. Je le peux dire avec vérité. Je l'ay par-

faicte trois fois avec l'ayde de Perrenelle, qui Tenten-


doit aussi bien que moy, pour m'avoir aydé aux opéra-
tions, et sans doute si elle eust voulu entreprendre de la

parfaire seule, elle en seroit venue à bout. J'en avois


bien assez la parfaisant une seule fois, mais j'avois très-
grande délectation de voir et contempler dans les vais-
seaux les œuvres admirables de la nature. Pour le signi-

fier comme je l'ay parfaicte trois fois, tu verras en cette


arche si tu le sçais connoistre trois fourneaux semblables

à ceux qui servent à nos opérations. J'eus crainte un


long-temps que Perrenelle ne peut cacher la joye de sa
félicité extrême, que je mesurois par la mienne, et qu'elle
ne laschast quelque paroUe à ses parens, des grands
trésors que nous possédions ; car l'extrême joye oste le
sens, aussi bien que la grande tristesse, mais la bonté du
très-grand Dieu, ne m'avoit pas comblé de cette seule
'bénédiction, que de me donner une femme chaste et
NICOLAS FLAMEL 17)

sage, elle estoit d'abondant non seulement capable de


raison, mais aussi de parfaire ce qui estoit raisonnable,

et plus discrette et secrette que le commun des autres


femmes. Sur tout elle estoit fort dévotieuse, voila pour-
quoy se voyant sans espérance d'enfans, et desja bien

avant sur l'aage, elle commença tout de mesme que moy


à penser en Dieu et à vaquer aux œuvres de miséri-
corde. Lors que j'escrivois ces commentaires en l'an mille

quatre cens treize sur la fin de l'an, après le trespas de

ma fidelle compagne, que je regreteray tous les jours de


ma vie, elle et moy avons desja fondé et renté quatorze

hospitaux en cette ville de Paris, basti tout de neuf trois

chapelles, décoré de grands dons et bonnes rentes sept


églfses, avec plusieurs réparations en leurs cymetières,
outre ce que nous avions faict à Boloigne qui n'est
guieres moins que ce que nous avons fait icy. Je ne par-
leray point du bien que nous avons ensemble fait aux
pauvres particuliers, principalement aux veufves et pau-
vres orphelins, si je disois leur nom et comment je faisois

cela, outre que le salaire m'en seroit donné en ce monde,


je pourrois faire desplaisir à ces bonnes personnes (que
Dieu veuille bénir) ce que je ne voudrois faire pour rien
du monde. Bastissant donc ces églises, cimetières et
hospitaux en cette ville, je me résolus de faire peindre
LE LIVRE DES l'IGURES

en la quatrième arche du cymetière des Innocens en-


trant par la grande porte de la riie Saint-Denys, et pre-

nant la main droicte, les plus vrayes et essentielles mar-


ques de l'art, souz néantmoins des voiles et couvertures
hiéroglifiques à l'imitation de celles du livre doré du
Juif Abraham, pouvant représenter deux choses selon la

capacité, à sçavoir, des contemplans, premièrement les

mystères de nostre résurrection future et indubitable, au


jour du jugement, et advenement du bon Jésus (auquel
plaise nous faire miséricorde), histoire qui convient bien

à un cymetière, et puis après encore, pouvant signifier à

ceux qui sont entendus en la Philosophie naturelle, tou-

tes les principales, et nécessaires opérations du magis-

tère. Ces figures hiéroglifiques serviront comme de deux


chemins pour mener à la vie céleste, le premier sens
-plus ouvert, enseignant les sacrés mystères de nostre
salut (ainsy que je le démontreray cy après), l'autre
enseignant à tout homme pour peu entendu qu'il soit

en la pierre, la voye linéaire de l'œuvre, laquelle estant


parfaite par quelqu'un, le change de mauvais en bon,
luy oste la racine de tout péché (qui est l'avarice) le

faisant libéral, doux, pie, religieux, et craignant Dieu

quelque mauvais qu'il feust auparavant, car d'oresnavant

il demeure toujours ravy de la grande grâce et miséri-


NICOLAS FLAMEL

corde qu'il a obtenue de Dieu, et de h profondité de

ses œuvres divines et admirables. Ce sont les causes

qui m'ont meu à mettre ces formes en cette façon et en

ce lieu qui est un cymetiere, afin, que si aucun obtient


riche Toison,
ce bien inestimable que de conquérir cette
il pense comme moy de ne tenir point de talent de Dieu

enfoui en la terre, acheptant terres, et possessions qui

sont les vanitez de ce monde, mais plustost d'ouvrer

charitablement envers ses frères, se souvenant avoir

apris ce secret parmy les ossements des morts, avec

lesquels il se doit bientost trouver, et qu'après cette vie

transitoire, il faudra rendre compte devant un juste et

redoutable juge qui censurera jusqu'à la parolle oiseuse

et vaine, que donques cekiy qui ayant bien pesé mes


mots, et bien conneu et entendu mes figures (scachant

d'ailleurs les premiers principes et agents, car certaine-

ment il n'en treuvera aucun vestige ou enseignement en

ces figures, et commentaires) parface à la gloire de

Dieu le magistère d'Hermès, se souvenant de l'Eglise

Catholique, Apostolique et Romaine et de toutes les

autres églises, cymetieres et hospitaux et surtout de

l'église des Innocens de ceste ville au cymetiere de

laquelle il aura contemplé ces véritables démonstrations,

ouvrant très largement sa bourse aux pauvres secrets,


7o LE LIVRE DES I-IGURES

gens de bien désolez, infirmes, femmes vefves,


et délais-
sez orphelins. Ainsi soit-il.

CHAPITRE PREMIER
Des Interprétations Théologiques, qu'on peut don-
ner à ces Hiéroglifiques selon le sens de moy au-
theur.

J'ay donné à ce cymetière un Charnier qui est vis-à-


vis de ceste quatriesme arche, le Cymetière au milieu, et
contre un des piliers de ce Charnier,, je
y ay faict char-
bonner et peindre grossièrement un homme tout noir
qui regarde droitement ces Hiéroglifiques, à l'entour
duquel y a escript en François : Je voy merveille dont
moult je m'esbahi, Cela est encore trois plaques de fer
et cuivre doré, à l'Orient, l'Occident et midy de l'Arche
où sont ces hiéroglifiques, le cymetière au milieu, repre-
sentans la saincte Passion et Résurrection du fils de
Dieu ; cela ne doit point estre autrement interprété que

selon le sens commun Théologique, sauf que cet homme


noir peut aussi bien crier merveille de voir les œuvres
NICOLAS FLAM EL

admirables de Dieu en la transmutation des métaux qui

sont figurées en ces Hiéroglifiques, qu'il regarde si at-

tentivement, que de voir enterrer tant de corps morts qui

s'eslèveront hors de leur tombeau au jour redoutable du


jugement. D'autre part, je ne pense point qu'il faille in-

terpréter en sens théologique ce vaisseau de terre à la


main droicte de ces figures, dans lequel il y a uneescrip-
toire,ou plutost un vaisseau de Philosophie, si tu en ostes
les liens et joins le canon au cornet, ny les deux autres
semblables qui sont aux costez des figures de saint-
Pierre et saint-Paul, dans lequel y a un N. qui veut
dire Nicolas, et une F. qui veut dire Flamel.

Car ces vaisseaux ne signifient sinon que dans des


semblables j'ay parfaict par trois fois le magistère. Qui
voudra aussi croire que j'ay mis ces vaisseaux en forme
d'armoires, pour y faire représenter cette escritoire, et

les lettres capitales de mon nom, qu'il le croye s'il veut,


parce que toutes ces deux interprétations sont vérita-
bles.

Il ne faut point aussi interpréter en sens Théologique


ceste escriture qui suit en ces termes, Nicolas Flamel el

Perrenelle sa femme, d'autant qu'elle ne représente,


sinon que moy et ma femme avons donné cette Ar-
che.
LE LIVRE DES FIGURES

Quant auxtroisiesme,quatriesmeet cinquiesme tableau


suivans, au long desquels y a escrit : Comment les inno-

çens furent occis par le commandement du Roy Hero-


des. Le sens Théologique s'y entend aussi assez par

cette escriture, il faut seulement parler du reste qui est

au-dessus.

Les deux dragons unis, l'un dans l'autre de couleur

noire et bleue, en champ de sable, dont l'an a des ais-

les dorées et l'autre nen a point, sont les péchez qui

naturellement sont entrecalhenez, car l'un a sa nais-

sance de l'autre : d'iceux aucuns peuvent estre chassez

aysément, .comme ils viennent aysément. Car ils volent

à toute heure vers nous. Et ceux qui n'ont point des

ne peuvent estre chassez, ainsi qu'est le péché


aisles

Sainct Esprit. Cest or des aisles signifie que


contre le

de ces péchez viennent de la sacrée faim de


la plupart
qui leur
qui rend tant de personnes attentives et
l'or,

faictsi attentivement escouter d'où


ils en pourront avoir.

Et la couleur noire et bleue démonstre que ce.son-t des

désirs qui sortent du ténébreux puits d'enfer, lesquels


peu_
nous devons entièrement fuyr. Ces deux dragons
vent encore représenter moralement, les légions des
malins esprits qui sont tousjours à l'entour de nous, et
qui nous accuseront devant le juste juge au jour redou-
NICOLAS FLAMEL l8l

table du jugement, lesquels ne demandent qu'à nous


cribler.

L'homme et la femme qui viennent après de couleur

orangée sur un champ azuré et bleu, signifient que

l'homme et la femme ne doivent pas avoir leur espoir en

ce monde, car l'orangé marque désespoir, ou laisser

l'espoir comme icy et la couleur azyrée et bleue sur

laquelle ils sont peints, représentent qu'il faut penser

aux choses célestes futures, et dire comme le rouleau

de l'homme : « Homo veniet ad judicium Dei » ou


comme celuy de la femme : « Vere illa dies terribilis

eut » afin que nous gardans des dragons, qui sont les

péchez. Dieu nous face miséricorde,


Ensuitte de cela, en champ de Synople, c'est-à-dire

vert, sont peints deux hommes et une femme résusci-


tans, desquels l'un sort d'un sépulcre, les autres deux
de la terre, tous trois de couleur très blanche et pure,
levant les mains devant leurs yeux, et iceux devers le

Ciel en haut sur lesquels trois corps, y a deux anges


sonnans des instrumens musicaux, comme s'ils avoient

appellé ces morts au jour du jugement. Car sur iceux


deux anges est la figure de Nostre Seigneur Jesus-
Christ, tenant le monde en sa main, sur 4a teste du-

quel un ange met une couronne, assisté de deux autres


l82 LE LIVRE DES FIGURES

qui disent en leurs rouleaux : O PaUr omnipolens, o

Jesu bone. Au costé droict d'iceluy Sauveur est peint


sainct Paul, vestu de blanc citrin, avec une espée, aux
pieds duquel est un homme vestu d'une robbe orangée,
en laquelle apparoissoient des plis noirs et blancs, qui me
ressemble au vif, lequel demande pardon de ses péchez^

tenant les mains jointes, desquelles sortent ces paroles


escrites en un rouleau : Dele mala quœ feci. De l'au-

tre costé à la main gauche est sainct Pierre avec la

clef, vestu de rouge citrin, tenant la main sur une


femme vestue d'une robbe orangée, qui est à ses

genoux, représentant au vif Perrenelle, laquelle tient

les mains jointes, ayant, un rouleau, ou est escrit :

Chrisle precor eslo plus. Derrière laquelle y a un


ange à genoux avec un rouleau, qui dit : Salve, Domine
Angelofum. Il y a aussi un autre ange à genoux der-
rière mon image du costé de sainct Paul, qui tient

aussi un rouleau, disant : O Rex sempiterne. Tout cela

est très clair, selon l'explication de la résurrection et

futurjugement qu'on y peut aisément adopter : aussi il


semble que ceste Arche n'aye esté peinte que pour
représenter cela, c'est pourquoi il ne s'y faut point

arrester da^ntage, puisque les moindres, et les plus

ignorans luy sçauront bien bailler ceste interprétation.


NICOLAS FLAMEL

Après les trois resuscitans, viennent deux anges de


couleur orangée encore, sur un champ bleu, disans en

leurs rouleaux : Surgiie mortui, venite ad judicium Do-


mini mei. Cela encor sert à l'interprétation de la résur-

rection. Tout de mesme que les figures suivantes et

dernières, qui sont sur un champ violet de l'homme


rouge vermillon aussi, qui a des aisles, ouvrant la

gueule comme pour dévorer. Car on peut dire que


celui-là figure le malheureux pécheur, qui dormant
léihargiquement dans la corruption des vices, meurt
sans repentance et confession, lequel sans doute, en ce

jour terrible sera livré au diable, ici peint en forme de

lyon rouge rugissant qui l'engloutira et emportera.

CHAPITRE II

Les Interprétations philosophiques selon le Magis-


tère d'Hermès.

Je désire de tout mon coeur, que celuy qui cherche ce


secret des Sages, ayant repassé en son esprit ces idées

de la vie et résurrection future, face premièrement son


r84 I. E 1 1 VR F. DES F I G L' R ES

profit d'icelles. Qu'en second lieu il soit plus advisé

qu'auparavant ;
qu'il sonde et profonde mes figures, cou-
leurs et rouleaux : notamment mes rouleaux, parce qu'en
cest art on ne parle point vulgairement. Qu'il demande
après en soy-mesme, pourquoy la figure de sainct Paul
est à la main droite, au lieu où on a coustume de peindre
saint Pierre, et celle de saint Pierre au lieu de celle de
saint Paul ? Pourquoy la figure de saint Paul est ves-
tûe de couleur blanche citrine, et celle de saint Pierre

de citrine rouge ? Pourquoy aussi l'homme et la femme


qui sont aux pieds de ces deux saincts priant Dieu
comme s'ils estoient au jour du jugement, sont habillez

de couleurs diverses et ne sont nuds en ossements comme


ressuscitans ? Pourquoy en -ce jour du Jugement on a
peint cest homme et ceste femme aux pieds des saincts.

Car ils doivent estre plus bas en terre, non au' Ciel ?

Pourquoy aussi les deux anges orangés qui disent en


leurs rouleaux : Surgile mortui, penile ad judicium
Domini mei, sont vestus de cette couleur, et hors de leur

place, car elle doit estre en haut au Ciel, avec les deux
autres qui sonnent des instrumens ? Pourquoy ils ont un
champ violet et bleu ? mais principalement pourquoy

leur rouleau qui parle aux morts, finit en la gueule ouverte

du Lion rouge et volant ? Je voudrois donc qu'après ces


NICOLAS FLAMEL 185

questions et plusieurs autres qu'on peut justement faire,


ouvrant entièrement les yeux de l'esprit, il vint à con-

clure que cela n'ayant point esté faict sans cause. On


doit avoir représenté sous leur escorce quelques grands

secrets qu'il doit prier Dieu luy descouvrir. Ayant ainsi

conduit sa créance par degrez, je souhaite encore qu'il

croye, que ces figures et explications ne sont point faic-

tes pour ceux-là qui n'ont jamais veu les livres des phi-

losophes, et qui ignorans les principes métalliques, ne


peuvent estre nommez enfans de la science. Car s'ils

veulent entièrement ces figures ignorans le premier agent,

ils se tromperont sans doute, et n'y entendront jamais

rien pour tout. Qu'aucun donc ne me blasme, s'il ne

m'entend aisément, car il sera plus b'.asmable que moy.,

en tant que n'estant point initié e:i ces sacrées et secret-

tes interprétations du prem'er agent (qui est la clef

ouvrant les portes de toutes sciences) néantmoins il veut

entendre les conceptions plus subtiles des philosophes très


envieux, qui ne sont escrites que pour ceux qui sçavent

desja ces principes, lesquels ne se trouvent jamais en

aucun livre, parce qu'ils les laissent à D'.eu, qui les révèle

à qui luy plaist, où bien les faict enseigner de vive voix

par un maistre par tradition cabalistique, ce qui arrive

très rarement.
i86 LE LIVRE DES FIGURES

Or, mon fils, je te peux ainsi appeler, car je suis

desja venu à grande vieillesse, et d'ailleurs, peut-estre,


tu es fils de science. Dieu te laisse apprendre, et puis
ouvrer à sa gloire, escoute-moy donc attentivement,
mais ne passe plus avant, si tu ignores les principes
susdits.

Ce vaisseau de terre en cette forme, est appelé par les

philosophes le triple vaisseau, car dans iceluy y a au


milieu un estage, et sur iceluy une escuelle pleine de
cendres tièdes, dans lesquelles est assis l'œuf philosophie,
qui est un matras de verre, plein de confections de
l'art (comme de l'escume de la mer rouge, et de la

graisse du vent Mercurial) que tu voids peint en forme


d'escritoire. Or ce vaisseau de terre s'ouvre par dessus,
pour y mettre au dedans l'escuelle et le matras, sous

lesquels par cette porte ouverte se met le feu philoso-

phique comme tu sçais. Ainsi tu as trois vaisseaux, et le

vaisseau triple, lès envieux l'ont appelé Athanor, Crible,

Fumier, Bain-marie, Fournaise, Sphère, Lyon vert,

Prison, Sépulcre, Urinai, Phiole, Cucurbite, moy-mesme


en mon Sommaire philosophie que j'ay composé il y a
quatre ans deux mois, je le nomme sur la fin d'iceluy, la

maison et habitacle du Poulet, et les cendres de l'es-

cuelle la paille du Poulet ; son commun nom est le four-


NICOLAS FLAMEL 187

jamais trouvé, si Abraham le Juif ne


nel, que je n'eusse

l'eust peint avec son feu proportionné, auquel consiste

partie du grand Secret. Car il est comme le ventre et la

matrice contenant la vraye chaleur naturelle pour animer

nostre jeune Roy. Si ce feu n'est mesuré Clibanique-

ment, dit Calid, Perse, fils de lasiche. S'il est allumé

avec l'espée, dit Pythagoras ;


si tu ignées (i) ton vais-

seau, dit Morienus, et luy fais sentir l'ardeur du feu,

il te baillera un soufflet, et bruslera ses fleurs avant

qu'elles soient montées du profond de ses mouelles, sor-


tans rouges plustost que blanches, et lors ton opération

sera destruicte, tout de mesme que si tu fais trop peu

de feu, car alors aussi tu n'en verras jamais la fin, à

cause du morfondement des natures, qui n'auront point


eu des mouvements assez puissans pour se digérer

ensemble.
La chaleur donc de ton feu en ce vaisseau sera,

comme dit Hermès et Rosinus, selon l'Hyver, ou bien

ainsi que dit Diomedes, selon la chaleur de l'Oyseau qui

commence à voler si doucement depuis le signe d'Aries

jusques à celuy du Cancer. Car scache que l'enfant du


commencement est plein de flegme froid, et de laict, et

I. Brûles.
i88 LE LIVRE DES FIGURES

que la chaleur trop véhémente est ennemie de la frigidité,

et humidité de nostre embrion, et que les deux ennemis,


c'est-à-dire nos Elémens de froid et de chaud, ne s'em-
brasseront jamais parfaitement que peu à peu ,
ayans
premièrement faict une longue demeure ensemble, au
milieu de la tempérée chaleur de leur bain, et s'estans

changez par longue décoction en soulphre incombus-


tible. Régis donc doucement, avec esgaiité et propor-

tion les natures hautaines, de peur que si tu en favorises


plus les unes que les autres, elles qui sont naturellement

ennemies, ne se despitent contre toy par jalousie et

cholère seiche et ne le facent longtemps souspirer.


Outre cela il te les faut entretenir perpétuellement en
chaleur tempérée, c'est-à-dire nuict et jour, jusques à

ce que l'hyver, c'est-à-dire le temps de l'humidité des


matières soit passé, parce qu'elles font leur paix, et se
donnent la main en se chauffant ensemble, et que si elles

se trouvoient seulement une demie-heure sans feu, ces

natures seroient jamais irréconciliables. Voila pour-


quoy il est dit, au livre des Septantes Préceptes : fay

que leur feu dure indéfatigablement sans cesse, et

qu'aucun de leurs jours ne soient point oubliez. Et

Rasis : l'hastiveté qui mène avec soy trop de feu, est

tousjours suivie du diable et de l'erreur. Quant l'Oyseau


NICOLAS FLAMEL 189.

doré, dit Diomedes, sera parvenu jusqu'en Cancer, et

que de là il courra devers les Balancés, alors il te fau-

dra augmenter un peu de feu. Et tout de mesme, encore


quand ce bel Oyseau s'envolera de Libra devers le

Capricorne, qui est le désiré Automne, le temps des.

moissons et des fruicts desja meurs !

CHAPITRE III

Les deux dragons de couleur flavastre, bleue et


noire comme le champ.

Contemple bien ces deux dragons, car ce sont les

vrais principes de la philosopi^iie que les sages n'ont pas


osé monstrer à leurs enfans propres. Celuy qui est des-
sous sans aisles, c'est le fixe où le masle, et celuy qul
est au-dessus, c'est le volatil ou bien la femelle noire et
obscure, qui va prendre la domination par plusieurs mois..
Le premier est appelé soulfre ou bien calidité et siccité,

et le dernier agent vif ou frigidité et humidité. Ce sont


le Soleil et la Lune de source Mercurielle, et origine
190 LE LIVRE DES FIGURES

sulphureuse, qui par le feu continuel s'ornent d'habille-


ments roïaux, pour vaincre estans unis, et puis changez
en quintessence, toute chose métallique, solide, dure et
forte. Ce sont ces serpens et dragons que les anciens

Egyptiens ont peint en un rond, la teste mordant la

queue, pour dire qu'ils estoient sortis d'une mesme chose


et qu'elle seule se suffisoit, et qu'en son contour et cir-

culation elle se parfaisoit. Ce sont ces dragons que les


anciens poètes ont mis à garder sans dormir, les dorées

pommes des jardins des vierges Hespérides. Ce sont

ceux-là sur lesquels Jason en l'adventure de la Toison


d'or versa le jus préparé par la belle Médée, des discours
desquels les livres des Philosophes sont tant remplis,
qu'aucun philosophe n'a jamais esté qu'il n'en aye escrit

depuis le véridique Hermès Trismégiste, Orphée, Pytha-

goras, Artephius, Morienus et les autres suivans jusques

moy. Ce sont ces deux serpens envoyez et donnés par


Junon qui est la nature ^fîétallique, que le fort Hercules,

c'est-à-dire le sage, doit estrangler en son berceau,

c'est-à-dire vaincre et tuer, pour les faire pourrir, cor-

rompre et engendrer, au commencement de son oeuvre.


Ce sont les deux serpents attachez à l'entour du Cadu-
cée, et Verge de Mercure avec lesquels il exerce sa

grande puissance et se transfigure comme il veut. Celuy


NICOLAS FLAMEL 191

dit Haly, qui en tuera l'un, il tuera aussi l'autre, parce

que l'un ne peut mourir qu'avec son frère, ceux-cy


(qu'Avicenne appelle Chienne de Corassène et chien

d'Arménie), ces deux-cy estans.donc unis ensemble dans


le vaisseau du Sépulchre, ils se mordent tous deux, cruel-
lement, et par leur grande poison, et rage furieuse ne

se laissent jamais depuis le moment qu'ils se sont entre-

saisis (si le froid ne les empesche) que tous deux de leur


bavant venin et mortelles blessures, ne se soient ensan-
glantez par toutes les parties de leurs corps, et finale-

ment s'entretuans, ne se soient estouffez dans leur venin

propre, qui les change après leur mort en eau vive et


permanente, avant quoy, ils perdent avec la corruption
et putréfaction, leurs premières formes naturelles, pour
en reprendre après une seule nouvelle plus noble et meil-
leure. Ce sont ces deux Spermes masculin et fœminin,

descripts au commencement de mon Sommaire Philoso-


phique, qui sont engendrés," (dit Rasis, Avicenne et

Abraham le juif) dans les reins, entrailles, et des opéra-


tions des quatre elemens. Ce sont l'humide des métaux,
Soulphre et Argent vif, non les vulgaires, et qui se ven-
dent par les marchans et apoticaires, mais ceux-là que
nous donnent ces deux beaux et chers corps, que nous
aymons tant. Ces deux spermes disoit Démocrite, ne se
192 LE LIVRE DES FIGURES

treuvent point sur la terre des vivans. Le.mesme dit

Avicenne, mais adjoute-il, on les recueille de la fiente,

ordure et pourriture. du Soleil et delà Lune.


O que bienheureux sont ceux-là qui les sçavent re-

cueillir : car d'iceux puis après ils en font une thériaque


qui a puissance sur toute douleur, tristesse maladie, infir-

mité et débilité, qui combat puissamment contre la mort


allongeant la vie selon la permission de Dieu, jusques au
temps déterminé en triomphant des misères de ce monde
et comblant l'homme de ses richesses. De ces deux dra-
gons ou principes métalliques, j'ay dit au sommaire sus-
allégué, que l'ennemy enflammeroit par son ardeur le feu

de son ennemy, et qu'alors y prenoit garde, on


si l'on

verroit par l'air une fumée venimeuse et mal odorante,


trop pire en flamme et en poison, que n'est la teste en-
venimée d'un serpent et dragon Babylonien. La cause
que je t'ay peint ces deux spermes en forme de dragons»
est parce que leur puanteur est très grande, semblable à

la leur, et les exhalaisons qui montent dans le matras

sont obscures^ noires, bleues et flavastres, ainsi que sont


ces deux dragons peints, la force desquels et des corps

dissous, est si venimeux, que véritablement il n'y a point

au monde un plus grand venin. Car il est capable par sa

force et puanteur de mortifier et tuer toute chose vivante


NICOLAS FLAMEL

Le Philosophe ne sent jamais ceste puanteur, s'il ne casse


ses vaisseaux, mais seulement la juge estre telle par la

veue et changement de couleurs procédentes de la

pourriture de ses confections.

Ces couleurs donc signifient la putréfaction et généra-


tion qui nous est donnée, par la morsure et dissolution

de nos corps parfaicts, laquelle dissolution procède de la

chaleur externe aydante, et de l'igneitépontique, et ver-

tu aigre admirable, du poison de nostre mercure, qui


met et résout en pure poussière, voire en poudre impal-
pable, ce qu'il trouve lui résister. Ainsi la chaleur agis-

sant sur et contre l'humidité radicale métallique, visqueu-

se ou oléagineuse, engendra sur le subject la noirceur.


Car au mesme temps la matière se dissout, se corrompt,
noircit, et conçoit, pour engendrer: parce que toute
corruption est génération, laquelle noirceur doit estre
toujours désirée. Elle est aussi, ce voile noir avec
lequel le navire de Thesens revint victorieux de Crète,
qui fust cause de la mort de son père, aussi faut-il que le

père meure, afin que des cendres de ce Phœnix un autre


en renaisse, et que le fils soit Roy. Certes qui ne voit
cette noirceur, au commencement de ses opérations, du-
rant les jours de la Pierre, quelle autre couleur qu'il
voye, il manque entièrement au magistère èt ne le peut
194 LE LIVRE DES FIGURES

plus avec ce c^hos parfaire. Car il ne travaille pas bien,


ne putrifiant point, d'autant que si l'on ne putrifîe ;

on ne corrompt point, ni engendre, et par conséquent la

Pierre ne peut prendre vie végétative pour croistre et


multiplier. Et véritablement je te dis derechef, que quand
mesme tu travaillerois sur les vrayes matières, si au com-
mencement après avoir mis les confections dans l'œuf

Philosophie, c'est-à-dire, quelque temps après que le

feu les a irritées, tu ne voids cette teste du Corbeau,


noire du Noir très-noir, il te faut recommencer. Car
cette faute est irréparable et incorrigible. Notamment
on doit craindre une couleur orangée, ou demi-rouge,
parce que si en ce commencement tu la vois dans ton

œuf, sans doute tu brusle et a bruslé la verdeur et viva-

cité de la pierre.

Cette couleur qu'il te faut avoir, doit estre entièrement

parfaicte en noirceur semblable à celle de ces Dragons

en l'espace de quarante jours. Que donc ceux qui n'au-

ront point ces marques essentielles, se retirent de bonne


heure des opérations, afin qu'ils se rediment d'asseurée

perte. Sçache aussi et notte bien, que ce n'est rien en

cette art d'avoir la noirceur il n'y a rien de plus aisé à

avoir. Car quasi de toutes les choses du monde meslées


avec l'humidité, tu en auras la noirceur par le feu. Il te
NICOLAS FLAMEL IÇ)

faut avoir une noirceur qui provienne des parfaicts corps


métalliques, qui dure un long espace de temps, et ne se

perde qu'en cinq mois, après laquelle succède la désirée

blancheur. Si tu as cela, tu as beaucoup, mais non tout.


Quant à la couleur bluastre et flavastre, elle signifie que
la solution et putréfaction n'est point encore achevée, et

que les couleurs de nostre Mercure ne sont point encore


bien meslées et pourries avec le restant. Donc cette

noirceur et couleur, enseignent clairement qu'en ce


commencement la matière et composé commence à se
pourrir et dissoudre en poudre plus menue que les Ato-
mes du Soleil, lesquels se changent après en eau perma-
nente. Et cette dissolution est appelée par les philoso-

phes envieux, Mort, Destruction et Perdition, parce que


les natures changent de forme, de là sont sorties tant
d'allégories sur les morts, tombes et sépulchres. Les au-
tres l'ont nommé Calcination, Denudation, Séparation,
Trituration, Assation, parce que les confections sont
changés et réduites en très-menues pièces et parties. Les
autres Réductions en première matière, Mollification,
Extraction, Commixtion, Liquéfaction, Conversion
d'Elemens, Subtiliation, Division, Humation, Impasta-
tion et Distillation, parce que les confections sont liqué-

fiées, réduites en semence, amollies et se circulent dans


LE LIVRE DES FIGURES

le matras. Les autres Xir, Putréfaction, Corruption,


Ombres Cymmérienes, Goufre, Enfer, Dragons, Géné-

ration, Ingression, Submersion, Coraplexion, Conjunc-


tion et Imprégnation, parce que la matière est noire et
aqueuse et que les natures se meslent parfaictement et
retiennent les unes des autres. Car quand la chaleur du

Soleil agit sur icelles elles se changent premièrement eri

poudre ou eau grasse et glutineuse qui sentant la chaleur

s'enfuit en haut en la teste du Poulet avec la fumée, c'est-

à-dire, avec le vent et l'air; de là cette eaue lirée et fon-

due des confections, elle s'en reva en bas, et en descen-

dant réduict et résout tant qu'elle peut le reste des con-

fections aromatiques, faisant toujours ainsi jusqu'à ce que

tout soit comme un broûet noir un peu gras. Voilà pour-

quoy on appelle cela Sublimation et Volatilisation, car

il vole en haut, et Ascension et Descension parce qu'il

monte et descend dans la cucurbite. Quelque temps après


l'eau commence à s'en grossir et coaguler davantage ve-

nant comme de la poix très-noire et finalement vient


corps et terre, que les envieux ont appelée Terre fœtide

et puante. Car alors à cause de la parfaicte putréfaction

qui est naturelle comme toute autre, cette terre est

puante et donne une odeur semblable au relent des sé-

pulchres remplis de pourriture et d'ossemens encore char-


NICOLAS FLAMEL

gés de naturelle humeur. Cette terre a esté appellée par


Hermès, la terre des fueilles, néantmoins son plus pro-
pre et vray nom est le Leton qu'on doit puis après blan-
chir. Les anciens sages Cabalistes l'ont descrite dans les

Métamorphoses soubs l'histoire du Serpent de Mars, qui


avoit dévoré les compagnons de Cadmus, lequel l'occit

le perçant de sa lancç contre un chesne creux. Note ce


chesne.

CHAPITRE IV

Dè l'homme et femme vestus de robbe orangée, sur


un champ azuré et bleu, et de leurs rouleaux.

L'homme dépeint me ressemble tout exprès


icy bien
au naturel, tout de mesme que la femme figure très naï-
vement Perrenelle. La cause pourquoy nous sommes
peints au vif n'est pas particulière. Car il ne falloit repré-
senter que le masle et la femelle, à quoy faire nostre

particulière ressemblance n'y estoit pas nécessairement

requise. Mais il a pieu au sculpteur de nous mettre-là,

14
198 LE LIVRE DES FIGURES

tout ainsi qu'il a faict aussi en cette mesme arche plus

haut aux pieds de la figure de'sainct Paul et sainct


Pierre, selon que nous estions en notre adolescence, et

encore ailleurs en plusieurs lieux, comme sur la porte de


la chapelle Sainct Jacques de la Boucherie, auprès de ma
maison (encore qu'en cette dernière y a une cause parti-

culière) comme aussi sur la porte de Sainte Geneviève

des Ardans où tu me pourras voir. Donc je te peints icy

des corps, un de masle et l'autre de femelle, pour t'en-

seigner qu'en cette seconde opération tu as véritable-

ment, mais non encore parfaictement, deux natures


conjoinctes et mariées, la masculine et féminine, ou

plustost les quatre elemens, et que les ennemis naturels,

le chaud et le froid,- le sec et l'humide, commencent de


s'approcher amiablement les uns des autres, et par le

moyen des entremetteurs de paix, déposent peu à peu

l'ancienne inimitié du vieil chaos. Tu sçais assez qui sont

ces entremetteurs entre le chaud et le froid, c'est l'hu-

mide car il est parent et allié des deux, du chaud par sa

calidité, du froid par son humidité, voilà pourquoy pour

commencer de faire cette paix, lu as desja en l'opéra-

tion précédente converti toutes les confections en eau

par la dissolution. Et puis après tu as faict coaguler

l'eau nécessaire, qui est convertie en celte terre noiredu


NICOLAS FLAMEL

noir très noir, pour accomplir l'entière paix: Car la terre

qui est seiche et humide se trouvant aussi parente et


alliée avec le sec et humide qui sont ennemis les appai-

sera et accordera du tout. Ne considéres-tu pas un mes-


iange très parfaict de tous ces quatre. elemens, les ayant
-premièrement convertis en eau, et maintenant en terre ?

Je t'enseigneray encore cy-après les autres conversions


-en air, quand tout sera blanc, et en feu quand tout sera
purpurin parfaict. Donc tu as icy deux natures mariées,
dont l'une à conceu de l'autre, et par cette conception,
s'est convertie en corps de masleetle masle en celuy de
femelle, c'est-à-dire se sont faictes un seul corps,
qui est
l'androgine des anciens, qu'autrement on appelle
encore
teste du corbeau, et élémens convertis. En
cette façon
je te peints icy, que tu as deux natures réconciliées, qui
(si elles sont conduites et régies sagement) peuvent for-
mer un embryon en la matrice du vaisseau, et'puis t'en-
fanter un roy très puissant, invincible et incorruptible,
parce qu'il fera uns quintessence admirable. Voilà la
principale fin de cette représentation et la plus nécessaire.
'La seconde qui est aussi très notable, sera qu'il
me falloit
dépeindre deux corps, parce qu'il faut qu'en cette opéra-
tion tu divises ce qui a esté coagulé pour en donner puis
après une nourriture, un laict de vie, au petit enfant nais-
200 LE LIVRE DES FIGURF.9

sant, qui est doué (par le Dieu vivant) d'une âme végé-
tative.

Ce qui est un secret très admirable et très occulte qui


tous ceux qui l'ont
a fait rafollir, faute de le comprendre,

cerché sans le treuver, et qui a rendu sage toute per-

sonne qui la contemple des yeux du corps ou de l'esprit.

donc faire deux parts et portions de ce corps


Il te faut
et
coagulé, l'une desquelles servira d'Azoth pour laver
mondifier l'autre, qui s'appelle Leton, qu'il faut blan-

chir. Celuy qui est lavé est le serpent Python, qui

ayant pris son estre de corruption du limon


de la terre

eaux du déluge, quand toutes les con-


assemblé par les

et vaincu par les


fections estoient eau, doit estre occis

flesches du Dieu Apollon, par le blond Soleil, c'est-à-

dire par nostre feu esgal à celui du Soleil.

Celuy qui lave,ou plustost ces lavemens,qu'il faut con-

tinuer avec moitié, ce sont les dents


de ce serpent que le

le vaillant Theseus sèmera en la mesme


sage opérateur,
terre dont naistront des gendarmes qui se desconfiront

enfin eux-mesme, se laissans par opposition résoudre en la

nature de la terre, laissons emporter les


conques-
mesme
tes méritée. C'est surcecy
que les Philosophes ontescript
répété se dissout soy-mesme,
si souvent et tant de fois : il

blanchist, se tue soy mesme, et


se congèle, se noircit, se
NICOLAS FLAMEL 201

vivifie. J'ay faict peindre leur champ azuré et bleu, pour

monstrer que je ne fais que commencer à sortir de la

très noire noirceur. Car l'azuré et bleu, est une des


première couleurs que nous laisse voir l'obscure femme,
c'est-à-dire l'humidité cédante un peu à la chaleur et

siccité. L'homme et la femme sont la pluspart ©rangez.

Cela signifie que nos corps (ou nostre corps que les

sages appellent icy Rebis) n'a point encore assez de di-

gestion, et que l'humidité dont vient le noir,bleu et azuré,

n'est qu'à demy- vaincue par la siccité.

Car la siccité dominant, tout sera blanc et la com-


battant ou estant esgalle à l'humidité, tout est en partie

selon ces présentes couleurs, les envieux ont appelé en-

core ces confections en cette opération, ATumus, Elhelia,


Arena, Boriiis, Corsufte, Cambar, Albor œris,Dueneck,
Randeric, Kukul, Thabitris, Ebisemelh, Ixir, etc., ce

qu'ils ont commandé de blanchir.

La femelle a un cercle blanc en forme de rouleau à.

l'entour de son corps, pour te monstrer que Rebis com-


mencera de se blanchir de cette mesme façon, blanchis-
sant premièrement aux extremitez tout à l'entour de ce

cercle blanc. L'eschelle des philosophes dit : Le signe


de la première parfaicte blancheur est la manifestation
d'un certain petit cercle capillaire, c'est-à-dire, passant
202 LE LIVRE DES FIGURES

sur la teste, qui apparoistra à l'entour de la matière ès


Gostez du vaisseau en couleur subcitrine.

Il y a en leurs rouleaux : Homo véniel ad judicium Dei.


Vere (dit la femme) illa dies terribilis eril. Ce ne sont
point des passages de la saincte Escriture, mais, seule-

ment des dictons parlans selon le sens théologique de la


résurrection future. Je les ay mis ainsi; Car ils me ser-

vent envers celuy qui contemple seulement l'artifice

grossier, et plus naturel, prenant l'interprétation de la

résurrection. Et tout de mesme servent à ceux-là, qui


vonlans recueillir les paraboles de la science, prennent

des yeux de Lyncée, pour pénétrer au-delà des objets

visibles. Il y a donc, l'homme viendra au jugement de


Dieu, certes ce jour sera terrible. C'est comme si je

disois, il faut que cecy vienne au colorement de la per-

fection, pour estre jugé et nettoyé de la noirceur et

ordure, et estre spiritualisé et blanchy. Certes ce jour

sera terrible, ouy vrayement, aussi vous trouverez en

l'allégorie d'Aristeus: « L'horreur nous tint en la prison

par octante jours dans les ténèbres des ondes, dans l'ex-

trême chaleur de l'esté, et troubLs da la mer. Toutes


lesquelles choses doivent premièrement passer avant

que nostre Roy puisse estre blanchi, venant de mort à


vie, pour vaincre puis après tous ses ennemis. ^Pour
NICOLAS FLAMEL 203

t'enseigner encore mieux cette albification, qui est plus

difficile que tout le reste, jusques auquel temps tu peux

errer à tout pas, et après non, où tu casserois tes vais-

seaux, je t'ay faict encore ce tableau suivant.

CHAPITRE V

La figure d'un homme semblable à celle de saint

Paul, vestu d'une robbe blanche citrine bordée


d'or, tenant un glaive nud, ayant à ses pieds un
homme à genoux, vestu d'une robbe orangée,
blanche noire, tenant un rouleau.

Advise bien cest homme en la forme d'un S. Paul,


vestu d'une robbe entièrement citrine blanche. Si tu le

considères bien, il tourne le corps en posture qui dé-


monstre qu'il veut prendre le glaive nud, ou pourtrancher
la teste, ou pour faire quelque autre chose sur cet homme
qui est à ses pieds à genoux, vestu d'une robbe orangée,

blanche et noire, lequel dit en son rouleau: Dele mala


quce feci, comme disant : « Oste moy ma noirceur, ter-
204 LE LIVRE DES FIGURES

me de l'art, car, malum, signifie par allégorie la noirceur,

ainsi en la Tourbe on trouve souvent: Puis jusques à la

noirceur, qu'on estimera estre mal. » Mais veux-tu sça-


voir qu'enseigne cet homme qui prend l'espée, il signifie

<ju'il faut couper la teste au corbeau, c'est-à-dire, à cet


homme vestu de diverses couleurs qui est à genoux. J'ay

pris ce traict et figure d'Hermès Trismégiste en son


livre de l'art secret, où il dit : Oste la teste à cet homme
noir, coupe la teste au corbeau, c'est-à-dire blanchis
nostre sable. Lambspringk, noble germain l'avoit aussi

desja usurpéau commentairede ses hiéroglifiques, disant :

En ce bois il y a une beste, qui est toute couverte de

noirceur, si quelqu'un luy coupe la teste, alors elle per-

dra sa noirceur, et vestira la couleur très blanche. Vou-


lez-vous entendre ce que c'est ? la noirceur s'appelle la

teste du corbeau, laquelle ostée à l'instant vient la cou-

leur blanche, alors, c'est-à-dire quand la nuée n'appa-


roit plus, ce corps est appelé sans teste. Ce sont ses

propres mots. En mesme sens les sages ont aussi dit

ailleurs. Prens la vipère appellée de Rexa, coupe-luy la

teste, etc., c'est-à-dire, oste luy la noirceur. Ils ont encor

usé de cette périphrase, quand pour signifier la multipli-

cation de la pierre, ils ont feint un serpent Hydra,

auquel si on couppit une teste il luy en renaissoit dix.


NICOLAS FLAMEL 205

Car la pierre augmente de dix à chaque fois qu'on luy


coupe cette teste de corbeau, qu'on la noircit, et blan
chit, c'est-à-dire, dissout de nouveau, et après recoa-
gule.

Regarde que le glaive nud, est entortillé d'une cein-


ture noire, et que les bouts d'icelle ne l'entourent point

du tout. Ce glaive nud resplendissant est la pierre au


blanc, si souvent descripte dans les philosophes, sous
cette forme. Pour donc parvenir à cette parfaite blan-

cheur estincellante, il te faut entendre les entortillemens


de celte ceinture noire, et ensuivre ce qu'ils enseignent,

qui est la quantité des imbibitions. Les deux bouts qui


ne l'entortillent pas du tout représentent le commence-
ment et la fin. Pour le commencement, il enseigne qu'il

faut imbiber en ce premier temps doucement et eschar-


cement, donnant alors à la pierre peu de laict comme à
un petit enfant naissant, afin que l'Isir (disent les

autheurs) ne se submerge. Le mesme faut-il faire à la

fin, quand nous voyons que nostre Roy est saoul, et


n'en veut plus. Le milieu de ces opérations est peint par
les cinq entortillemens entiers de la ceinture noire,
auquel temps (parce que nostre Salamendre vit du feu,
et au milieu du feu, voire est un feu, et un argent vif,

courant au milieu du feu, ne craignant rien) il le luy en


2o6 LE LIVRE DES FIGURES

faut donner abondamment de telle façon que le laict

Virginal entoure toute la matière;

J'ay faict peindre noirs ces entouremens de la cein-

ture, parce que ce sont des imbibitions, et par consé-


quent des noirceurs. Car le feu avec l'humide (comme
il est tant de fois dict) cause la noirceur. Et comme ces
cinq entouremens entiers démonstrent qu'il faut faire

cela cinq fois entièrement tout de mesme ils font con-

noistre qu'il faut faire cela cinq mois entiers, un mois à

chaque imbibition : Voilà pourquoy Hali Abenragel a


dict : La cuisson des choses se parfaict en trois fois cin-

quante jours. Il est vray que situ veux compter ces


petites imbibitions du commencement et fin, il y en a

sept. Sur quoy un des plus envieux a dict : Nostre


teste du Corbeau est l'épreuve : voilà pourquoy qui la

voudra nettoyer, il la doit faire descendre sept fois au

ileuve de régénération au Jourdain, ainsi que commanda


le Prophète au lépreux Naaman, Syrien. Comprenant
en cela le commencement qui n"est, que de quelques
jours, le milieu et la fin, qui esc aussi fort -courte. Je

t'ay donc donné ce tableau pour te dire, qu'il te faut

blanchir mon corps qui est à genoux, lequel ne de-


mande autre chose. Car la nature tend tousjours à per-

fection. Ce que tu accompliras par l'apposition du laict


NICOLAS FLAMEL 207

Virginal, et par la décoction que tu feras des matières


avec ce laict, qui se séchant sur C3 corps se tiendra en

mesme blanc citrin, qu'est vestu celuy qui prend le

glaive, en laquelle couleur il te faut faire venir ton Cor-


sufle. Les vesteniens de la figure de S. Paul sont bro-
dez largement de couleur aurée et rouge citrine. O mon
fils, loue Dieu, si tu vois jamais cela. Car desjà du

Ciel tu as obtenu miséricorde. Imbibe donc et teints,

jusques à ce que le petit enfant soit fort et robuste pour


combattre contre l'eau et le feu. Accomplissant cela, tu
feras ce que Demagoras, Senior et Hali ont appelé,
mettre la mère au ventre à l'enfant qu'elle avoit desjà
enfanté. Car ils appellent Mère, le Mercure des philo-
sophes, duquel ils- font les imbibitions et fermentations,

et l'enfant, le corps a. teindre, duquel est sorty ce Mer-'


cure. Je t'ay donné donc ces deux figures pour signifier

l'albifÎGation ; aussi c'est en ce lieu que tu avois' besoin

de grand ayde. Car tout le monde y achoppe.


Cette opération est vrayement un Labyrinthe, parce
qu'icy se présentent mille voyes à mssme instant, outre
qu'il faut aller à la fin d'icelle, justement tout au rebours
du commencement, en coagulant ce qu'auparavant tu dis-

solvois et faisant terre, ce qu'auparavant tu faisois eau.

Quand tu auras blanchy, tu as vaincu les Taureaux en-


208 LE LIVRE DES FIGURES

chantez, qui jettoient feu et fumée par les narines. Her-


cules a nettoyé l'estable pleine d'ordure, de pourriture <2t

de noirceur. Jason a versé le jus sur les Dragons de Col-


chos, et tu as en ta puissance la corne d'Amalthée, qui

(encore que soit blanche) te peut combler tout le reste de


ta vie, de gloire, honneur et richesse. Pour l'avoir il t'a

fallu combattre vaillamment, et en guyse d'un Hercules :

car c'est Acheloùs, ce fleuve humide qui est la noirceur,


est doué d'une force très puissante, outre qu'il se trans-

figure souvent de forme en autre : aussi as-tu parachevé,

d'autant que le reste est sans difficulté. Ces transfigura-

tions sont descrites particulièrem.ent au livre des Sept


Sceaux Egyptiens, où il est dit (comme aussi pour tous

les autheurs) : qu'avant que quitter entièrement la noir-


ceur et se blanchir en la façon d'un marbre très reluisant,
et d'un glaive nud flamboyant, la Pierre se vestira de
toutes les couleurs que tu sçauras imaginer, souvent elle

se liquéfiera elle-mesme, et souvent se coagulera encor,

et parmy ces diverses et contraires opérations (que l'âme

végétative qui est en elle luy fait parfaire en un mesme


temps) elle citrinisera, verdira, rougira, non d'un vray
rouge, jaunira, viendra bleue et orangée, jusques à ce
qu'estant entièrement vaincue par la siccité et calidité,

toutes ces infinies couleurs finissent en cette blancheur


NICOLAS FLAMEL 209,

citrine admirable, du vestement de sainct Paul, laquelle

en peu de temps viendra comme celle du glaive nud ;

puis par plus forte et longue décoction prendra enfin le

rouge citrin et puis le parfaict rouge de Laque, où elle se

reposera désormais. Je ne veux pas oublier en passant,


de t'advertir que le laict de la Lune n'est pas comme le

laict virginal du Soleil, pense donc que les imbibitions

de la blancheur requièrent un laict plus blanc que celles

de la rougeur et aureité. Car en ce pas j'ay cuidé faillir,

et l'eusse faict sans Abraham le Juif, pour cette raison je

t'ay faict peindre la figure qui prend le glaive nud, en la


couleur qui t'est nécessaire, aussi c'est cette figure qui

blanchit.

CHAPITRE VI

Sur un champ vert, trois ressuscitans, deux hom-


mes et une femme entièrement blancs, deux
Anges au dessus, et sur les Anges la figure du
Sauveur venant juger le monde, vestu d'une
robbe parfaictement citrine blanche.

Je t'ay fait prendre ainsi un champ vert, parce qu'en


cette décoction les confections se font vertes, et gar-
210 LE LIVRE DES FIGURES

dent plus longuement cette couleur que toute autre


après la noire. Cette verdeur demonstre particulière-
ment que nostre Pierre a une âme végétante, et qu'elle
s'est convertie par l'industrie de l'art, en vray et pur
germe, pour germer abondamment, et produire puis
après des rainceaux infinis. O bienheureuse verdeur,
dit le Rosaire, qui produis toutes choses, sans toy rièn

ne peut croistre, végéter ny multiplier,


. Les trois resuscitans vestus de blanc étincelant,
représentent le corps, l'âme et l'esprit de nostre Pierre

blanche. Les philosophes trivialement usent de ces ter-

mes de l'art pour cacher le secret aux malins. Ils appel-


lent corps, la terre noire, obscure et ténébreuse que nous
blanchissons.

Ils appellent âme l'autre moitié divisée du corps, qui

par la volonté de Dieu et puissance de la nature donne


au corps par ses imbibitions et fermentations, âme végé-
tative, c'est-à-dire puissance et vertu de pulluler, crois-
tre, multiplier, et se rendre blanc comme un glaive nud
reluisant. Ils appellent esprit la teincture et siccité, qui

comme un esprit a vertu de pénétrer toutes choses mé-


talliques. Je serois trop long de te monstrer icy par
combien de raisons ils ont dit partout : Nostre Pierre a
comme l'homme, corps, âme et esprit. Je veux seule-
NICOLAS FLAMKL 21 l

ment que tu nottes bien, que comme 1 homme doué de


corps, âme et esprit, n'est toutesfois qu'un, qu'aussi

tu n'as maintenant qu'une seule confection blan-


che, en laquelle toutesfois sont le corps, l'âme et ' l'es-

prit qui sont unis inséparablement'.. Jé te pourrois

bien bailler de très claires comparaisons et explications

de ce corps, âme et esprit, mais pour les expliquer il'

me faudroit dire des choses que Dieu se réserve de


révéler à ceux qui le craignent et qui l'aiment, qui par

conséquent ne se doivent escrire. Je t'ay donc fait icy


peindre un corps^ une. âme, et un esprit tous blancs,
comme s'ils. résuscitoient pour te montrer'^ue le Soleil^

la Lune et Mercure, sont resuscitez en cette opération^


c'est-à-dire, sont faicts Elémens de l'air et blanchis :

car nous avons desja appelé la Noirceur, mort ; conti-


nuant la métaphore, nous pouvons donc appeler la blan-
cheur, une vie qui ne revient qu'avec et par la résur-
rection. Le Corps pour te le monstrer plus clairement,
je l'ay faict peindre levant la pierre de son tombeau dans
lequel il estoit enterré. L'âme parce qu'elle -ne peut
estrè mise en terre elle ne sort point d'un- tombeau,,
mais seulement je la fais peindre parmy les tombeaux,,
cerchant son corps en forme de femme ayant les che-
veux espars. L'esprit qui ne peut est-re' aussi mis en:
2Î2 LE LIVRE DES FIGURES

sépulture, je l'ay faict peindre en homme sortant de


terre, non de la tombe. Ils sont tous blancs, aussi la

noirceur, la mort est vaincue et eux estant blanchis sont

désormais incorruptibles. Lève maintenant les yeux en


haut, et voys venir nôtre Roy couroné et résuscité, qui
a vaincu la mort, les obscuritez, et humiditez, le voila

en la forme que viendra le Sauveur, lequel unira à soy


éternellement toutes les âmes pures et nettes, et chas-
sera tout l'impur et immunde comme estant indigne de

s'unir à son divin corps. Ainsi par comparaison (deman-


dant toutesfois permission de parler ainsi, à l'Eglise

Catholique, Apostolique et Romaine et priant toute

âme débonnaire de me le permettre par similitude)


voici nostre Elixir blanc qui doresnavant unira à soy

inséparablement toute nature pure métallique, la trans-

muant en sa nature argentée, et très fine, rejettant l'im-

pure estrangère et hétérogène. Loué soit Dieu qui nous


faict la grâce par sa grande bonté, de pouvoir considé-
rer ce blanc estincellant, plus parfaict et reluisant qu'au-

cune nature composée et plus noble après l'âme immor-

telle qu'aucune autre substance animée ou inanimée,

aussi est-elle une quintessence, un argent très pur,

passé par la coupelle et affiné sept fois dict le Royal

Prophète David.
NICOLAS FLAMEL 213

Il n'est pas besoin d'interpréter que signifient les


deux Anges joCians des Instrumens sur la teste des res-
suscitez, ce sont plustost des esprits divins, chantans
les merveilles de Dieu en cette opération miraculeuse,
qu'Anges nous appellans au jugement. Tout exprès pour
en faire différence, j'ay donné un luth à l'un et à l'autre
une buccine, non des .trompettes qu'on leur donne tous-
jours pour appeler au jugement, le mesme faut-il dire

des trois Anges qui sont sur la teste de nostre Sauveur


dont l'un le couronne, et les autres deux disent en leurs
rouleaux en luy assistant. « O pater omnipoiens, ô Jesu
bûne », en luy rendant des grâces éternelles.

CHAPITRE VII

Sur un Champ violet et bleu, deux Anges de couleur


orangé et leurs rouleaux.

Ce champ violet et bleu monstre que voulant passer


de la Pierre blanche à la Rouge, tu l'as imbibée d'un
peu de laict Virginal Solaire, et que ces couleurs sont
sorties de l'humidité mercurielle que tu as seiché sur la

15
214 LE LIVRE DES FIGURES

Pierre. En cette opération du rubifiement, encore que


tu imbibes, tu n'auras guières de noir, mais bien du vio-
let, bleu, et de la couleur de la queue du Paon: car
nostre pierre est si triomphante en siccité, qu'inconti-

nent que ton Mercure la touche, la nature s'esjouissant

de sa nature, s'adjoint à icelle, et la boit avidement, et


partant le noir qui vient de l'humidité ne se peut mon-
trer qu'un peu, sous ces couleurs violettes et bleues,

d'autant que la siccité (comme dit est) gouverne main-


tenant absolument. Je t'ay fait peindre ces deux Anges

avec des aisles, pour' te représenter que les deux subs-


tances de tes confections, la Mercurielle et Sul-

fureuse, la fixe aussi bien que la volatile, estans fixées

ensemble parfaitement, volent aussi ensemble dans


ton vaisseau. Car en cette opération suavement le

corps fixe montera au Ciel tout spirituel, et de là il des-

cendra en la Terre et là où tu voudras, suivant partout

l'esprit qui se meurt tousjours sur le feu. D'autant

qu'ils sont faicts une mesme nature, et le composé est

tout spirituel et le spirituel tout corporel, tant il a esté

substilié sur nostre marbre par les opérations précé-

dentes. Les natures donc sont icy transmusées en Ange,

c'est-à-dire, sont faictes spirituelles et très-subtiles,

aussi sont-elles maintenant des vrayes teintures. Or sou-


NICOLAS FLAMEL 21^

viens toy de commencer la rubification par l'apposition

du Mercure citrin rouge, mais il n'en faut verser guières,

el seulement une ou deux fois selon que tu verras. Car


cette opération se doit parfaire par feu sec, sublimation

et calcination seiche: et vrayement je te dis icy un


secret que tu trouveras bien rarement escript, aussi je ne

suis point envieux, et pleust à Dieu que chacun- sçeut


faire de l'or à sa volonté, afin que l'on vescut menant

paistre ses gras troupeaux, sans usure et procez à l'imi-

tation desSaincts Patriarches, usans seulement, comme


les premiers pères de permutation de chose à chose,
pour laquelle avoir il faudroit travailler aussi bien que

maintenant. De peur toutesfois d'offencer Dieu et d'es-

tre l'instrument d'un tel changement, qui peut estre

seroit mauvais, je n'ay garde de représenter ou escrire,


où est-ce que nous cachons les clefs qui peuvent ouvrir

toutes les portes des secrets de la Nature, et renverser

la terre sens dessus dessous, me contentant ds monstrer

des choses qui l'enseigneront à toute personne à qui


Dieu aura permis de connoistre quelle propriété a le

signe des Balances quand il est illustré du Soleil, et de


Mercure au mois d'Octobre. Ces Anges sont peints de

couleur orangée afin de te faire sçavoir que tes con-

fections blanches ont esté un peu plus cuites, et que le


2l6 LE LIVRE DES FIGURES

noir du violet et bleu, a esté desja chassé par le feu.

Car cette couleur orangée est composée de ce beau

citrin rouge doré (que tu attends il y a si longtemps) et

d'un reste de ce violet et bleu que tu as desja en partie


Cest orangé démonstre encore que les natures
de faict.

se digèrent et peu à peu se parfont par la grâce de

Dieu. Quant à leur rouleau qui dit : Surgile mortui,

venile ad judicium Domini mei. Levez-vous morts, venez


au jugement de Dieu mon Seigneur. Je l'ay plustost

faict mettre pour le seul sens Théologique que pour

l'autre. Il finit dans la gueule d'un Lyon tout rouge, cela

est pour enseigner, qu'il ne faut point discontinuer


purpu-
cette opération que l'on ne voye de vray rouge

semblable du tout au Pavot de l'Hermitage et à


la
rin

laque du Lyon peint, sauf pour multiplier.


NICOLAS FLAMEL 217

CHAPITRE VIII

La figure d'un homme semblable à Sainct Pierre,


vestu d'une robbe, citrine rouge tenant une cleif

en la main droite et mettant la gauche sur une


femme vestue d'une robbe orangée, qui est à ses
pieds, à genoux, tenant un rouleau.

Regarde cette femme vestue de robbe orangée qui

ressemble si au naturel à Perrenelle, selon qu'elle estoit


en son adolescence, elle est peinte en façon de supliante
à genoux, les mains jointes, aux pieds d'un homme qui a
une clef en sa main droite, qui l'escoute gracieusement,
et puis estend la gauche sur elle. Veux-tu sçavoir que re-
présente cela } C'est la pierre qui demande en ceste opé-
ration deux choses au Mercure Solaire des Philosophes
(dépeint sous la forme de l'homme) c'est à sçavoir la mul-
tiplication et plus riche parure. Ce qu'elle doit obtenir en
ce temps ici. Aussi l'homme lui mettant ainsi la main sur
l'épaule « Je luy accorde ». Mais pourquoy as-tu faict

peindre une femme? Je pouvois aussi bien faire peindre un


2l8 LE LIVRE DES FIGURES

homme qu'une femme, ou un ange, (car les nalures sont


maintenant toutes spirituelles et corporelles, masculines
et féminines), mais j'ay mieux aymé te faire peindre une
femme, afin que tu juges, qu'elle demande plus tôt cecy,
que toute autre chose, parce que ce sont les plus natu-
rels et plus propres désirs d'une femme. Pour te mon-
trer encor plus, qu'elle demande la multiplication, j'ay
faict peindre l'homme auquel elle fait sa prière, en la for-

me d'un Saint Pierre, tenant une clef, ayant puissance


d'ouvrir et fermer, de lier et deslier : d'autant que les
philosophes envieux n'ont jamais parlé de multiplication
que sous ces communs termes de l'art: Ouvre, ferme, lie

deslie. Ils ont appelé ouvrir et deslier, faire le corps (qui

est toujours dur et fixe) mol, fluide, et coulant comme


l'eau et fermer ou lier, le coaguler par après par décoc-
tion plus forte, en le remettant encore une autre fois en
la forme de corps.
Il me falloit donc représenter un homme avec une clef,

pour l'enseigner qu'il te faut maintenant ouvrir et fer-


mer, c'est-à-dire multiplier les natures germantes et

croissantes. Car tout autant de fois que tu dissoudras et

fixeras, autant de fois ces natures multiplieront en quan-


tité, qualité et vertu selon la multiplication de dix, de ce

nombre venant à cent, de cent à mille, de mille à dix


NICOLAS FLAMEL 219

mille, de dix mille à cent mille, de cent mille à un mil-


lion, et de là par mesme opération jusques à l'infini, ainsi

que j'ai faict trois fois. Loué soit Dieu. Et quand ton
élixir est ainsi conduit à l'infini, un grain d'iceluy tombant
sur une quantité métallique fondue, aussi profonde et
vaste que l'Océan, il le teindra et convertira en très par-
faict métal, c'est-à-dire, en argent ou en or, selon qu'il
aura esté imbibé et fermenté, chassant et laissant loin de
soy toute la matière impure et estrangère qui s'estoit jointe
en la première coagulation. Par mesme raison que j'ai

faict peindre une clef à l'homme qui est soubs la forme


d'un sainct Pierre, pour signifier que la Pierre deman-
doit d'estre ouverte et fermée pour multiplier : par mesme
raison aussi, pour te monstrer avec quel Mercure tu dois
faire cela, et quand j'ay donné à l'homme un vestement
citrin rouge et à la femme un orangé. Cela suffise pour
ne sortir du silence de Pythagoras et pour t'enseigner
que la femme, c'est-à-dire, nostre Pierre, demande
d'avoir la riche parure et couleur de saint Pierre. Elle a
escrit en son rouleau : Christe precor^ esio pi us. Jésus-
Christ soyez moy doux. Comme
si elle disait Seigneur :

sois-moy doux, et ne permets point que celuy qui


sera
parvenu jusqu'icy, gastetout par trop de feu. Il est bien
véritable que doresnavant je ne craindray plus les enne-
1

220 LE LIVRE DES FIGURES

mis, et que tout feu me sera esgal, toutefois le vaisseau


qui me contient est toujours frangile.
Car si l'on hausse le feu par trop, il crèvera et s'escla-
tant, m'emportera et me sèmera malheureusement parmy
Prens donc garde à ton feu en ce pas, régis-
les cendres.

sant doucement en patience cette quintessence admira-

ble, car il luy faut augmenter son feu, mais non par
trop. Et prie la souveraine bonté qu'elle ne permette
point que les malins esprits qui gardent les mines et les
trésors, destruisent ton opération, ou fascinent ta veue
quand tu considères ces incompréhensibles mouvemens
de cette quintessence dans ton vaisseau.

CHAPITRE IX

Sur un champ violet obscur, un homme rouge pur-


purin, tenant le pied d'un Lyon rouge de Laque,
qui a des aisles, et semble ravir et emporter
l'homme.

Ce champ violet et obscur représente que la pierre a

obtenu par l'entière décoction, les beaux vestemens


NICOLAS FLAMEL 22 I

entièrement citrins et rouges, qu'elle demandoit à

S. Pierre qui en estoit vestu, et que sa complette et par-

faite digestion (signifiée par l'entière citrinité) luy a fait

laisser sa vieille robbe orangée. La couleur rouge de


laque de ce volant Lyon, semblable à ce pur et clair

escarlatin du grain de la vrayement rouge grenade, de-


montre qu'elle est maintenant accomplie en toute droic-
ture et esgalité. Qu'elle est comme un Lyon, dévorant
tout une nature pure métallique, et la changeant en sa
vraye substance, en vray et pur or, plus fin que celuy
des meilleures minières. Aussi elle emporte maintenant
l'homme hors de cette vallée de misères, c'est-à-dire
hors des incommoditez de la pauvreté et infirmité, et

avec ses aisles le souslève glorieusement hors des crou-


pissantes eaux d'Egypte (qui sont les pensées ordinaires

des mortels) et luy faisant mespriser la vie et richesses


présentes, le faict nuit et jour méditer en Dieu, et ses

saints, habiter dans le ciel empirée, et boire les douces


sources des fontaines de l'espérance éternelle. Loué soit

Dieu éternellement, qui nous a fait la grâce de voir cette


belle, et toute parfaicte couleur purpurine, cette belle

couleur du pavot sylvestré du rocher, cette couleur ty-


rienne estincellante et flamboyante, qui est incapable de.

changement et d'altération, sur laquelle le ciel mestne.


222 LETTRE DE DOM PERNETY

et son Zodiaque ne peut plus avoir domination ny puis-


sance, dont l'esclat rayonnant et esbiouy semble
comme
quasi communiquer à l'homme quelque chose de surcé-
leste, le faisant (quand il la contemple et connoist)
estonner, trembler et frémir en mesme temps. O Sei-
gneur, fays nous la grâce que nous en puissions bien
user, à l'augmentation de la foy, au profit de nostre ame;
et accroissement de la gloire de ce noble royaume.
Amen.

Fin

2"^' DOCUMENT

Lettre de Dom Pernety sur une Histoire


critique de Nicolas Flamel,

Il a paru chez Desprez, imprimeur Libraire rue


S. Jacques, un gros volume in- 12 sous ce titre His-
toire critique de Nicolas Flamel, etc., par M. L. V***. —
Dom Pernety, religieux bénédictin de la congrégation
LETTRE DE DOM PERNETY

de saint Maur, a bien voulu m'épargner la peine de lire

cet écrit fort ennuyeux. La lettre qu'il vient de m'adres-


ser vous mettra au fait de l'ouvrage en question.
Monsieur,
Après l'analyse que vous fîtes dans votre année litté-

raire au mois de novembre 1758 de V Essai Historique


sur saini Jacques de la Boucherie, par M. l'abbé
V***, j'aurais cru que cet auteur se serait condamné au
silence. Mais vos remarques au sujet de la digression
sur Nie. Flamel, et l'envie de justifier une opinion ha-
zardée qu'il a pris le parti de ne pas abandonner, ne lui
ont pas permis de se taire. De plus, des personnes
avantageusement connues dans République des Let-
la

tres et pour qui toute vérité est précieuse, lui ont mar-
qué un désir ardent de connaître à fond un homme aussi
renommé que Flamel. Il a été excité encore par la com-
munication d'un article qui le regarde, dans une nou-
velle édition que l'on prépare d'une description de
Paris, où l'on adopte et l'on donne comme vraisembla-
ble votre opinion qui est aussi la mienne ; tous ces mo-
tifs détaillés dans un Avant-propos lui ont fait entre-
prendre une Histoire critique de Flamel, et il se flatte
d'avoir porté jusqu'à la démonstration tout ce qu'il a
annoncé.
224 LETTRE DE DOM PERNETY

Un écrivain très versé dans cette matière va publier

incessamment une réfutation du nouveau livre de


M. l'abbé V***, parce que, dit-il, toute vérité lui est

précieuse et qu'il ne peut voir de sang-froid que M. l'abbé

•V*** se flatte d'avoir de meilleurs yeux que tous les

•gens avantageusement connus dans la République des


lettres depuis près de trois siècles.
Je laisse à cette personne le soin de désabuser
M. l'abbé V*** et je me contente de lui proposer
quelques problèmes à résoudre et de lui présenter quel-

ques réflexions que ses ouvrages ont fait naître.

Quand on avoue qu'on ignore absolument une science,


doit-on s'ingérer d'en raisonner, déjuger de ce qui peut

y avoir quelque rapport, et de contredire ceux qui sont


unanimement regardés comme maîtres en ce genre ?

M, l'abbé V*** sçait-il ce que c'est qu'un philosophe

hermétique, la conduite qu'il doit tenir pour sa tranquil-


lité, la manière dont il se comporte dans la distribution

•de ses bienfaits, etc. ?

Ignore-t-il l'essence et le caractère distinctif des em-


blèmes, qui consistent à cacher sous l'apparence d'ob-
jets connus, des choses qui ne sont apperçues que par
des yeux plus clairvoyans que ceux du commun r

N'y a-t-il pas au moins de la témérité à traiter de.-


.

LETTRE DE DOM PERNETY 225

fable pure ce que des Scavans dans tous les genres, des

gens très sensés, ont cru pouvoir regarder comme des

réalités ?

Peut-on raisonnablement s'imaginer qu'un philosophe


liermétique doive s'afficher tel? et M. l'abbé V*** a-t-il

pensé trouver Flamel philosophe dans les contrats de

rentes, les quittances, etc., de Flamel homme privé ?

Fallait-il employer plus de 400 pages pour nous acca-


bler du détail minutieux de ces rentes, de ces quittances,
etc., de Flamel se conduisant comme bourgeois bon

chrétien ? M . l'abbé V*** pour se convaincre que Fla-^

mel mérite le nom de Philosophe voudroit-il que dans


les contrats qu'il a faits, dans les quittances qu'il a re-

çues ou données, il eût signé, Nicolas Flamel, Philoso-

phe Hermétique ?

A-t-il cru de bonne foi qu'en secouant la poussière

dont il s'est couvert, en feuilletant les ^vieux parchemins


des archives de saint Jacques de la Boucherie, il per-
suaderait aux sçavans qu'ils sont aveugles ;
qu'ils doi-

vent le prendre pour guide, que Flamel n'a jamais su le

secret de la science hermétique, ni même travaillé à s'en

instruire, ni écrit sur cette science, parce qu'il n'a

trouvé dans son coffre de six pieds de long, ni poudre


de projection, ni lingots d'or, ni les ouvrages manus-
220 LETTRE DE DOM PERNETY

crits de Flamel ? Pense-t-il que sur de telles preuves sa


décision sera sans appel ;
que Flamel sera dépouillé
pour toujours du titre de philosophe et dégradé de la

classe dés sçavans dans ce genre ?

Il ne me reste que quelques réflexions à présenter à


M. l'abbé V... sur la manière dont il s'exprime au sujet
du manuscrit de Flamel que vous avez cité dans votre
lettre du mois de novembre 1758. « On trouve, dit-il,
« ce langage presque paternel dans un autre traité de
« l'œuvre hermétique, que dom Pernety, bénédictin,
« prétend avoir été écrit en 1414. Ce révérend père
« qui a fourni quelques mémoires littéraires à l'occasion

« de ce que j'ai dit de Flamel dans l'essai, assure avoir


« vu ce traité manuscrit^ qui est, dit-il, de l'écriture du
« temps. Cela peut être. Il dit encore que le manuscrit
« est écrit de la propre main de Flamel, comme ajoute-

(( t-il, le manuscrit le porte. Cela peut être encore. Un


« écrivain copioit alors des livres, c'étoit sa profession;

« il pouvoit y mettre son nom pour se faire connoître.

« Flamel, écrivain et libraire juré de l'Université peut

« par cette raison, avoir mis son nom au manuscrit qui

« est un psautier ;
mais qu'il ait composé le traité allé-

« gorique que dom Pernety, dit être sur les marges,

« c'est ce me semble ce qu'on ne peut admettre. » Voici


LETTRE DE DOM PERNETY 22/

la preuve qu'en apporte notre sçavant critique : « Je


« trouve qu'en 1414 Flamel crier et subhaster
fît une
« maison rue du cimetière ^aint-Nicolas... II
acheta
« encore plusieurs rentes qu'il serait trop long de détail-
C 1er. La seule année 1414 nous fournit de
sa p)art huit
« actes, reste de beaucoup d'autres qui ne sont point
« parvenus jusqu'à nous. » Donc il n'a pas composé ce
traité. Autre preuve, ce traité est allégorique, donc il

n'est pas de Flamel. Troisième preuve: « J'observerai


« encore que. dans le peu que contient l'extrait donné
« par l'auteur de V Aïiné& littéraire, on ne trouve pas
à
« la vérité, des preuves de: fausseté aussi évidentes
que
« dans l'explication des figures du charnier,
mais il est
« aisé d'y
remarquer que ces deux auteurs sont
égale-
« ment peu au fait de la véritable histoire
de Flamel.
« rapportent sérieusement l'un et l'autre
Ils
ces expres-
« sions de notre écrivain Après la mort de ma :
fidèle
« compagne Perenelle, y me prend fantaisie et liesse,
« en me recordant d'icelle, escrire en grâce de toy. Il
y
« avoit au moins 17 ans que Perenelle étoit morte.
« Après une si longue viduité on ne s'exprime pas
« comme on fait parler ici notre écrivain. » Flamel n'a-
voit pas oublié une femme qu'il avoit tendrement aimée,
au souvenir qu'il en avoit, son cœur tressailloit encore
228 LETTRE DE DOM PERN ET

du sentiment affectueux qu'il avoit pour elle. M. l'abbé


V... ne trouve pas les mêmes dispositions dans le sien,

donc Flamel n'est par l'auteur du manuscrit ! Peut-on


se refuser à la solidité de ces preuves? et ne faudroit-il
pas être de bien mauvoise humeur pour vouloir enlever

à notre historien critique la douce satisfaction de pou-


voir se flater qu'il a poussé jusqu'à la démonstration
tout ce qu'il a avancé sur le compte de Flamel ?

Je ne démentirai pas M. l'abbé V*** quand il dit que


j'assûre avoir vu le Manuscrit, qu'il est de l'écriture du
temps et je ne veux pas lui chercher chicane sur ses
deux façons de s'exprimer : cela peut être. Tout me
prouve qu'il n'y a pas entendu malice. S'il se connoit aux
écritures de ce temps là, pourquoi n'a-t-il pas fait la

moindre démarche pour s'éclaircir du fait ? Il lui eut été

•si aisé de s'en convaincre ! Mais il avoit apparemment


ses raisons. L'idée flateuse d'un livre qu'on se propose

de mettre au jour est un attrait bien puissant. Un tel

éclaircissement l'auroit fait renoncer à son travail, et

M. l'abbé V*** vouloit étaler aux yeux du public cette

fine logique, ces raisonnemens conséquens dont nous


venons de présenter une esquisse.
Le Manuscrit est écrit de la propre main de Flamel^

comme le même manuscrit le porte. Cela peut être


L'ETIRE DE DOM PERNETY

encore, ajoute M. l'abbé V***, vous serez surpris, Mon-


sieur, de la vivacité de son imagination, de la subtilité de
son génie, de la solidité de ses raisons dans la tournure
de sa critique. « Un écrivain copioit alors des livres.,

dit-il, c'étoit sa profession, il pouvoit y mettre son nom


pour se faire connoître. M. l'abbé V*** pour s'épargner

un si pitoyable raisonnement n'avoit qu'à faire la plus

petite attention à l'extrait du Manuscrit que vous avez


inséré dans vos Feuilles, le lecteur pourra en juger, le

voici.

« Je, Nicolas Flamel, écrivain de Paris, cette présente


année MCCCCXIIII, du règne de notre Prince bénin
Charles VI, lequel Dieu veuille bénir, et après la mort
de ma fidèle compagne Perenelle, i me pren fantasie et
liesse, en me recordant d'icelle, écrire en grâce de toy,
chier nepveu, toute la maistrise du secret de la poudre
de projection ou teincture philosophale, que Dieu a pris
vouloir de départir à son moult chétif serviteur, et que ay
répéré et comme repéreras, en ouvrant comme te diray....

Adonc ay escrit cedit livre de ma propre main, et que


avois destiné à l'Eglise Saint-Jacques, estant de la ditte

Paroisse. Mais après que j'eu recouvré le livre du Juif


Abraham, ne me prit plus vouloir de le vendre pour
art^ent, et j'ai icelui gardé moult avec cure, pour en luy

16
230 LETTRE DE DOM PERNETY

escrire le secret d'Alchemie en lettres et caractères fan-

tasiés, dont te baille la clef, et n'oublie mie d'avoir de

moy souvenance quand seroy dans le sudaire ; et remé-


mores adonc que t'ay faict tels documens, c'est-à-sçavoir
afin que te fasse grand maistre en Aichemie... En avant
dédire un mot sur la pratique d'ouvrer, j'ai vouloir de te

conduire par théorique à connoistre ce qu'est à sçavoir,


science muante corps métalliques en perfection d'or et
d'argent, produisant santé aux corps humains, et muant

viles pierres et cailloux en fines, sincères et précieuses,

etc. »

A la fin du Manuscrit on lit ceci « Adonc as le trésor

de toute la félicité mondaine que moy, pauvre ruril de


Pontoise, ay faict et maistrisé par trois reprinses à Paris

en ma maison rue des Escrivains, tout proche de la Cha-


pelle Saint- Jacques la Boucherie et que moi, Nicolas

Flamel, te baille pour l'amour qu'ay toi en l'honneur de

Dieu... Avises donc chier nepveu, de faire comme ay

fait ;
c'est-à-scavoir de souslager les pauvres nos frères

en Dieu, à décorer le Temple de nostre rédempteur,

faire issir des prisons mains captifs détenus pour argent

et par le bon et loyal usage qu'en feras, te conduiras au

chemin de gloire et de salut éternel, que je Nicolas Fla-

mel, te souhaite au nom du Père éternel, Fils Rédemp-


LETTRE DE DOM PERNETY

tear et Sainct-Esprit illuminateur, saincte, sacrée et


adorable Trinité et Unité. Amen. » Je laisse au lecteur
à juger M. l'abbé V*** a eu raison de ne regarder
si

Flamel que comme copiste de ce manuscrit dans lequel


il parle toujours comme auteur.

Quant à la glose de M. l'abbé V*** sur le présent que


Flamel fait de ce Manuscrit à son neveu, elle ne mérite
pas d'être relevée. Il lui présente, dit notre historien,
un ouvrage scellé dont il garde la clef, etc. Cette faus-
seté se manifeste par l'extrait ci-dessus. Et si ce traité
est allégorique, il est dans le goût de tous les autres
composés sur cette science, sage précaution de la part
de leurs auteurs, pour voiler aux yeux du public et des
avares surtout un secret dont la publicité troubleroit
l'harmonie de la société. Flamel avoit levé ce voile de
dessus les yeux de son neveu, puisqu'il dit dans le

même manuscrit : fais et opère comme tu m'as vu


faire.

J'abandonne le reste de'Vouvrage de M. l'abbé V***


à la personne qui se propose de le relever méthodique-
ment et qui a eu la patience de le lire en entier.

J'ai rhonneur d'être, etc.

DoM Pernety.
LETTRE DE l'aBBÉ VILLAIN

Lettre à M"* sur celle que Pernety, R. Béné-


dictin de la congrégation de S. Maur, a
fait insérer dans une des feuilles de
M. Fréron de année 1^62, contre
cette
Vhistoire critique de N. Flamel et de
Femelle sa femme.

Cette lettre de l'abbé Villain, écrite en réponse à la

précédente, est très rare ;


M. Stanislas de Guaïta, qui
en possède un exemplaire a bien voulu nous la commu-
niquer pour en faire l'analyse. Nous ne l'avons pas

donnée en entier, parce qu'elle est longue et ennuyeuse


au possible, nous nous contenterons d'en examiner les

passages saillants.

"Villain trouve d'abord que le ton de la lettre de Per-


nety n'est pas convenable pour un disciple de saint Be-
noît. Il prétend ensuite, à tort, que l'extrait du psautier
LETTRE DE l'aBBÉ VIL LA IN

chimique donné dans la lettre de Pernety est différent


de celui donné dans la lettre critique à propos de l'Es-

sai sur saint Jacques la Boucherie,


Villain insinue que le psautier chimique n'existe pas,

bien que Pernety l'aie tenu à sa disposition pour le con-


sulter. Et à ce propos il s'efforce de conclure que Per-
nety a tort parce qu'il le prend de haut. Voici cet
axiome de Villain « Il fait trop de bruit pour un homme
assuré du fait. Quand on a pour soi la vérité on se
défend modestement... » C'est superbe !

Et même en supposant que le Psautier existe, il affir-

me a priori que C2 traité doit être de la main d'un faus-


saire. Des preuves, il n'en donne pas, naturellement.
Il doute fort que Flamel n'ait fait l'œuvre que trois fois,

il émet des pensées de cette force. « D'un autre côté


cet écrivain auroit-il réussi dans l'opération chymi-
que, par laquelle des personnes sensées et très au fait

prétendent qu'on pourroit parvenir à faire de Vor> Eh !

loin de s'enrichir, l'or que Flamel aurait retiré de cette


opération, lui eut été a charge, il lui serait revenu à un
prix excessif. » C'est drôle et pas français.

Le bon Villain est navré des pointes que Flamel a


lancées contre lui, il se sent ridicule, il l'avoue naïve-
ment : « Mais pour parler sérieusement et abréger.»
234 LETTRE j)E L'abbé villain

rien de plus déplacé que cette piquante ironie, et avec


de telles armes quand il en prendra le goût au révérend
Père, il pourra rendre la risée du public, tel écrivain
qu'il voudra. »

Après quelques pages de verbiage creux, l'abbé Vil-


lain nous glisse dans le tuyau de l'oreille que l'Hermétis-

me est peut-être bien une science diabolique et qu'en


tout cas le démon s'en sert pour perdre les hommes.
Attrape, pauvre Pernety! Le procédé est assez jésuiti-

que et nul doute que si l'abbé Villain avait pu, il aurait


envoyé Pernety au bûcher. S'ensuit une histoire renou-
velée du père Kircher, dans laquelle un jeune homme a
été trompé par un diable déguisé en philosophe hermé-
tique.

Ceci est plus grave, est-ce que Pernety ne serait pas


un diable déguisé Sur ce, le bon Villain fait de l'esprit,

s'il avait un ami de l'ordre de Saint-Benoît qui s'occu-


pât d'alchimie, voici la recette qu'il lui donnerait pour se
guérir de ce travers : « Recipe, une petite dose bien
infusée des épines dans lesquelles s'est roulé le Saint-

Patriarche ». Quand le bon abbé se mêle de faire de


l'esprit il est terrible en vérité.

Puis il fait en peu de mots l'histoire hermétique de


Flamel telle que la désirait Pernety, puis il refait cette
LETTRE DE l'aBBÉ VILLAIN 235

histoire en regardant Flamel comme simple bourgeois-


Le reste ne vaut pas la peine d'être lu, ce sont de peti-
tes et mesquines raisons et ce serait vraiment n'avoir au-
cune pitié du lecteur que de les reprendre une à une
pour les combattre.
La lettre de Villain est datée du 27 août 1762.
TABLE DES MATIÈRES

Préface ^

PREMIÈRE PARTI E. Illstoîre de ]!VicoIas Flaniel.

Chapitre — Naissance de Flamel à Pontoise. — Ses


I.

parents. — vient s'établir à Paris. — Son mariage avec


11

Pernelle. — Condition de Flamel. — La petite école, —

La corporation des écrivains se transporte aux environs


de Saint-Jacques. — Vie privée des deux époux. — icono-
graphie de Flamel
Chapitre II. — Songe de Flamel. — Achat du livre d'Abra-
ham Juif. — Description de ce livre. — Flamel com-
mence à s'occuper d'alchimie. — Les conseils de maître
Anseaulme. — Flamel se décide à faire le pèlerinage de
Saint-Jacques de Compostelie
Chapitre III. — Pèlerinage de Flamel à Saint-Jacques de
Compostelie. — Légende de Saint-Jacques. — Flamel

fait la connaissance de maître Canches. — Retour en

France. — Mort de Canches à Orléans. — Travaux de

Flamel» — Première et seconde transmutation. — Prière

de Flamel
C/iap/7re /V. — Flamel s'est-il occupé d'alchimie. — Les
raisons de l'abbé Villain. — Celles de Salmon. — Nos
raisons. — Le livre d'Abraham juif. — Flamel a été un

alchimiste
Chapitre V. — Flamel reconstitue sa fortune. — Don
mutuel. — Edification d'une arcade au charnier des Inno-
TAB L E DES M AT 1 îi R. ES 2}J

cents. — Le petit portiil de Saint-Jacques de la Bouche


rie. — La Croix d'or hermétique. — Mort et testament

de Pernelle. — Son mausolée 4?


Chapitre VI. — Différends de Flamel avej la famille de sa
femme. — Visite de Cramoisy. .
— Edification du portail

de Sainte-Gsnevicve d:s Ardents. — Achat de diverses


maisons. .— La maison hospitalière de la rue de Mont-
morency. — Edification d'une seconde arche aux Inno-
cents. — Explications de ses sculptures. — La chapelle

Saint-Gervais, — 11 travaille à ses traités hermétiques.


— Mort de Flamel 6j

Chapitre VIL — Pierre tumulaire de Flamel. — Analyse du


testament de Flamel. — Opinions de divers auteurs, sur
la fortune de Flamel. — L'abbé Villain et Pernety. —
Naudé. — La Croix du Maine. — Hœffer — Le roman
de l'abbé de Villars. — Figuier. — Chevreul. — J. B.

Dumas. — Notre opinion 82

Chapitre VIII. — La légende de Flamel. — Histoire de


Paul Lucas. — Flamel n'est pas mort. — Ses apparitions
au xviii* et au xix» siècle. — Histoire de Dubois, le der-
nier descendant de Flamel. — Disparition des diverses
fondations de Flamel. — Destruction de Saint-Jacques
la Boucherie. — Les fouilles dans la maison de la rue
des Ecrivains. — Le père Pacifique loi
Chapitre IX. — Le livre d'Abraham juif. — Explication de
ses figures. — Le livre des Lavûres. — Description,
citations. — Le livre des figures hiéroglyphiques. -- Son
authenticité. — Le sommaire philosophique. — Le Désir
j

230 TABLE DES MATIKRKS

désiré. —Le Psautier chimique. — Traités apocryphes. 121


Chronologie de la Vie de Flamel 146
Index des sources bibliographiques
148

DEUXIÈME PARTIE. — Textè».

Le livre des figures hiéroglifiques de Nicolas Flamel 157


Avant-propos 160
Chapitre I. — Des interprétations théologiques, qu'on peut
donner à ces hiéroglifiques selon le sens de moy autheur. 178
Chapitre II. — Les interprétations philosophiques selon le

Magistère d'Hermès i8j


Chapitre III. — Les deux dragons de couleur flavastre,
bleue et noire comme le champ 189
Chapitre IV. — De l'homme et femme vestus de robbe
orangée, sur un champ azuré et bleu, et de leurs rou-
leaux 197
Chapitre V. — La figure d'un homme semblable à celle de
Saint-Paul, vestu d'une robbe blanche cilrine bordée
d'or, tenant un glaive nud, ayant à ses pieds un homme à
genoux, vestu d'une robbe orangée, blanche noire, tenant
un rouleau r. 20

Chapitre VI. — Sur un champ vert, trois ressuscitans, deux


hommes et une femme entièrement blancs, deux anges
au-dessus, et sur las anges la figure du Sauveur venant
juger le monde, vestu d'une robbe parfaitement citrine
blanche , , J09

Chapitre VII, — Sur un champ violet et bleu, deux anges


de couleur orangé et leurs rouleaux 212
TABLK DES MATIERES 23 v;^

Chapitre VIII. — La figure d'un homme semblable à Saint-


Pierre, vestu d'une robbe citrine rouge tenant une clef

en la main droite et mettant la gauche sur une femme


vestue d'une robbe orangée, qui est à ses pieds, à
genoux, tenant un rouleau 217
Chapitre IX. — Sur un champ violet obscur, un homme
rouge purpurin, tenant le pied d'un Lyon rouge de La-
que, qui a des aisles, et semble ravir et emporter
l'homme 220
Lettre de Dom Pernety sur une histoire critique de Nico-
las Flamel ,. , . . 222
Lettre de l'abbé Villain en réponse à la précédente 232
Achevé d'imprimer, le 17 juin i8ç^,^à Pari$~

Chez Henri JOUVE, 15, rue Racine

MDCCCXCIII

«
COLLECTION mWÛ RELATIFS AUX SCIEEES IlEBMÉTIOCES

L'Or et la transmutation des métaux, par Th. Tiffereau,


l'Alchimiste du xix" siècle précédé de Paracelse et l'Alchi-
mie au xvi' siècle, par M. Franck, de l'Institut, vol. i

in-8. Reliure ancienne. Franco 5 fr.

Ouvrage très curieux dans lequel M. TifferÉau raconte comment il


est parvenu après de nombreux travaux à produire artificiellement de
l'or, et il expose les procédés dont il s'est servi.

A. Brûler. Conte Astral, par Jules Lermina, préface de


Papus, directeur de VIniliaiion. vol. in-u. Reliure ancienne.
i

Franco. , ^ fr.

Il rêg^.e plus qu'un pétil^'noQibre d'exemplaires de cet ouvrage.

Cinq traités d'Alchimie des plus grands philosophes,


Paracelse, Albert le Grand, Roger Bacon, Raymond Lulle,
Arnaud de Villeneuve, traduits du latin en français, par
Albert Poisson. Reproductions de gravures hermétiques"
rares, i vol. in-8. Papier de luxe. Relié. Franco. . 5 fr.

Quatre de ces tn-îiiés sont traduits pour la première fois en français.


Ecrits par les grands maîires de l'Art, ils renferment ce que l'Alchimie
offre de plus précieux au point de vue de la théorie et de la pratique.
Le Chemin du Chemin d'Arnaul^ de Villeneuve et le Composé deè
Composés d'.A.lbert le Grand traitent du grand œuvre en ge.iéral. La
Claviculé^ de Raymond LuUe roule surtout sur la préparation de la
Matièi-e,.fe Trésor des Trésors de Paracelse sur ia Pierre eUe-mênie,
enfin le Miroir d'Alchimie' de Roger Bacon e?t important pour la
Théorie.

Albert Poisson : Tueriessymboles des Alchimistes.


' et
Le Grand Œuvre. Ouvrage orné de -i^ planches représen-
tant 42 gravures hermétiques, i vol. in-8. Broché. Franco, s fr.

Avec ce volume, on pourra désormais, sans être spécialement versé


dans l'Alchimie, entreprendre la lecture des traités les plus obscurs.
Les énigmes, les allégories, les symboles, les signes hermétiques, y
sont magistralement expliqués. Cet cuivrage a sa place désignée dans
les bibliothèques (^e tous les Occultistes et Hermétisies.

Hem?i Jouve, Imprimeur-Éditeur, 15, rue Racine, Paris


V
f

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