Autobiographie
Autobiographie
Autobiographie
« Si des gens vous disent « Je ne peux faire qu'un repas tous les deux jours » et vous leur répondez
« Je suis content que vous ayez bien mangé », d'abord la discussion va vite devenir difficile,
ensuite, forcément, parmi les affamés, il y en a qui vont se mettre en colère. ». Cette constations
montre comment les gilets jaunes pose précisément la complexité de raconter l'expérience, de la
faire vivre face au discours institutionnalisé, ici, celui de l’État. L'autobiographie, c'est-à-dire
l'élaboration d'une forme (journal intime, autofiction littéraire, film) ayant pour fin de se raconter
soi-même apparaît souvent comme la meilleure solution pour faire voir et comprendre à l'autre une
expérience personnelle. Néanmoins, l'autobiographie ne peut être indépendante de la société et des
modes d'expressions qui l'on fait naître, et ne peut donc échapper totalement aux schémas de
représentations classiques et institutionnalisés. Aussi le mode de récit autobiographique , dans le
cadre social et politique, permit-il réellement d’introduire du particulier, du personnelle dans le
collectif et le culturel ? Qu'est-il véritablement communiqué dans l'autobiographie ?
Pour mieux comprendre ce qui est en jeu dans l'autobiographie il paraît important de définir
en premier lieu ce qu'est « l'expérience réelle ». Lacan dans Les concepts fondamentaux de la
psychanalyse explique la différence essentielle qu'il existe entre réel et réalité. La psyché humaine
est composée de trois éléments : l'Imaginaire, le Réel (indicible et inaccessible) et enfin le
Symbolique qui constitue le réseau de signifiants qui lie l'individue à la norme, la culture, la société.
Aussi, ce qu'on appelle réalité ne désigne que ce réseau de signifiants qui permet au sujet de se
représenter dans le monde. Le réel, lui, reste une chose terrifiante et informe. L'autobiographie, sous
n'importe quelle forme qu'elle puise prendre, ne peut donc pas parler du réel mais seulement de la
réalité. Lacan va même plus loin et explique dans les Ecrits que c'est parce que les individus, les
« Parlêtres »1 sont inscrit dans un réseau symbolique qu'ils sont des sujets, et que donc ils ont des
expériences. Le symbolique est préexistant à l'expérience du sujet, car il ne peut avoir d'expérience
sans conscience de soi-même. L'écriture et l'art ne peuvent donc pas rendre compte du Réel, ils en
donnent seulement l'illusion. Cette impuissance peut amener à une forme de violence et de
désespoir. Dans Saute ma ville par exemple, Chantal Akermann se met en scène dans son
appartement comme jeune femme de sa génération c'est-à-dire appliquant exactement ce que le
Symbolique de sa culture applique à son âge et son sexe. Cette enfermement de son identité dans les
cadres de représentation institutionnalisé l'amène à un désir de mort : elle finit par se faire exploser
dans son appartement. La mort apparaît comme le seul accès à la réalité non déformé par la société,
la culture, le symbolique.
Néanmoins, dans l'autobiographie, le fait que l'auteur puisse lui même choisir les cadres de
sa représentation apparaît comme une particularité non négligeable. Cette qualité permet sans aucun
Aussi, l'œuvre d'art, tout comme l'autobiographie ne contient en réalité aucune information,
sauf celle d'un désir. L'acte artistique c'est donner une forme à un désir, et cela constitue un acte de
résistance en soit. Pierre Michon dans son livre Corps du Roi explique précisément comment dans
sa propre expérience la dimension politique de son écriture se trouve dans l'écriture même. Dans
son écriture exposer son désir d'auteur de faire naître, de construire du sens dans un monde qui en
est déjà surchargé. Deleuze écrit : « Il n'y a pas d’œuvre d'art qui ne fasse appel à un peuple qui
n'existe pas encore »7. L’œuvre d'art est un acte de résistance car elle s'adresse à une culture, un
réseau de symbolique qui n'est pas encore existant, et non pas la masse de signifiants déjà présents.
Elle est le pont entre le non sens, l'absurde, l'informe et la culture. Elle se trouve avant la création de
la vérité institutionnalisé. Aussi, le retournement essentielle qui se trouver dans la création
autobiographique se trouve dans le fait que en tentant de décrire le passée, elle dessine, en réalité, le
sens, l'identité d'un futur.
L''autobiographie au même titre que l'autofiction est un prétexte pour s'inventer, de se
représenter à partir de forme préexistante. L'identité est une « pratique » qui change avec les
actions, comme l'explique Judith Butler. «Le sujet n'est pas déterminé par les réglés qui le créent
parce que la signification n'est pas un acte fondateur, mais un processus régulé de répétition ». C'est
donc à partir d'un acte de création, puis de sa répétition qu'une identité fictive, fantasmé, qu'un désir
va devenir réalité, vérité. Il faut voir dans la « capacité d'agir » de l'autobiographie à l’intérieur de
ses cadres de représentation comme la possibilité d'une variation sur cette répétition.
Judith Bulter écrit à propos des répétitions parodiques du genre que c'est « un acte qui ouvre
sur des clivages, la parodie de soi, l’autocritique et des présentations hyperboliques du naturel qui,
dans leur exagération même, en révèlent le statut fondamentalement fantasmatique» de l'identité. 8
La dimension politique de l'autobiographie se trouve donc exactement dans ce qu'elle a de
fantasmatique, de poétique, de caricatural. De nombreux artistes contemporains jouent justement
sur ces répétitions à outrance des normes pour les faire implosés et en faire naît des formes plus
hybrides, drivés. Le travail de Brice Dellsperger avec Jean Luc Verna montre dans sa forme même
ce processus de détournement de ce martellement répétitif et oppressif de la norme. Les remakes
que propose les Body Double montre le corps de Jean Luc Verna comme déclinable à l'infini. Son
corps finit par accumuler en lui toutes ses possibilités à un tel point qu'il n'est plus possible de
séparer Jean Luc Verna de tous ces personnages. Les body double montre parfaitement comment le
simulacre, le remake, l'appropriation permet de libérer le corps et l'identité des questions du vrai ou
du naturel. Une libération par la répétition, la déclinaison des identités comme autant de germes qui
par identification se reproduiront pour devenir une œuvre collective. L'autobiographie apparaît
comme une énième caricature d'identité, parodie de soi-même diriger vers le désir de liberté, vers le
désir de faire passer le fantasme dans la culture, dans le fonctionnement même de la société.
7 Gilles DELEUZE, « Qu'est ce que l'acte de création ? » Deux régimes de fou, Les Editions de Minuit, 2003,p302
8 Ibid p273