These Rollet
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Henri Poincaré
Des Mathématiques à la Philosophie
Étude du parcours intellectuel, social et politique d’un
mathématicien au début du siècle
Laurent Rollet
tel-00137859, version 1 - 22 Mar 2007
Membres du Jury
Avril 1999
Archives - Centre d’Études et de Recherche Henri-Poincaré
Henri Poincaré
Des Mathématiques à la Philosophie
Étude du parcours intellectuel, social et politique d’un
mathématicien au début du siècle
tel-00137859, version 1 - 22 Mar 2007
Laurent Rollet
Avril 1999
Sommaire
Sommaire ................................................................................................................................................ 1
Remerciements....................................................................................................................................... 2
BIBLIOGRAPHIES ........................................................................................................301
Bibliographie Générale .................................................................................................................... 302
Bibliographie Sélective sur l’Affaire Dreyfus ............................................................................. 327
Bibliographie de Henri Poincaré.................................................................................................... 333
ANNEXES ........................................................................................................................355
Quelques Repères Chronologiques Sur Henri Poincaré............................................................ 356
Sur les Mesures de Parallaxes ......................................................................................................... 363
Le Voyage d’Études d’Émile Boutroux à Heidelberg Archives Nationales (F17 / 22028) ....... 366
Rapport sur les Titres de M. Jules Tannery Séance du 27 Janvier 1902 .................................. 372
La Correspondance Entre Henri Poincaré et Xavier Léon.......................................................... 376
L’Opportunisme scientifique : Documents Inédits Archives Poincaré (microfilm 4).......... 382
État des Traductions des Ouvrages de Poincaré en 1912 ........................................................... 391
Corpus de Vulgarisation Scientifique de Poincaré..................................................................... 394
Écritures et Réécritures Origines des Œuvres Philosophiques de Poincaré .......................... 399
Henri Poincaré et l’Engagement Public ........................................................................................ 411
TABLES ............................................................................................................................438
Table des Illustrations...................................................................................................................... 439
Table des Matières ............................................................................................................................ 440
Remerciements
Cette thèse est l’aboutissement d’un travail de recherche de plusieurs années qui trouve son
origine dans la création des Archives Henri Poincaré. En contribuant bien modestement au
développement des ACERHP, j’ai pu non seulement découvrir la pensée philosophique d’un
mathématicien d’exception, mais également trouver ma place au sein d’une dynamique
équipe de recherche.
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Mes remerciements vont d’abord à mon directeur de thèse, Monsieur le professeur Gerhard
Heinzmann, sans qui ce travail (et bien d’autres choses !) n’aurait pu voir le jour. Ils
s’adressent également à Philippe Nabonnand, qui a bien voulu lire et commenter de nom-
breux textes préparatoires et qui, par ses précieux conseils, a su me faire comprendre certains
aspects mathématiques de la philosophie de Poincaré.
Je remercie également toute l’équipe des ACERHP pour son assistance, sa disponibilité et sa
bonne humeur, et en particulier Céline Perez, Étienne Bolmont, Vincent Borella, Pierre
Édouard Bour, André Coret, Nicolas Justal et Manuel Rebuschi.
Je remercie encore toutes les personnes qui, à des degrés et à des moments divers,
m’apportèrent leur aide et me prodiguèrent de forts utiles conseils, notamment Messieurs
François Poincaré et Christophe Prochasson.
Merci enfin à toute ma famille ainsi qu’à Séverine, qui sait ce que le verbe ‘supporter’ veut
dire, et à qui je dédie ce travail…
Laurent Rollet
Henri Poincaré
Des Mathématiques à la Phi-
losophie
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Ceux qui aiment la science et qui ont trop de raisons de se
dre.
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Jules Tannery
Introduction
Problèmes de Méthode
Homme de toutes les sciences mathématiques, ‘cerveau vivant des sciences rationnelles’ selon
Paul Painlevé, Henri Poincaré fut longtemps désigné comme l’un des derniers génies univer-
sels. Sa carrière constitua un assez bel exemple de démarche interdisciplinaire. Délaissant les
frontières entre les différentes disciplines scientifiques, s’affranchissant des barrières entre
sciences ‘dures’ et sciences humaines, il aborda un grand nombre de domaines de connais-
sance avec un égal succès : on lui doit ainsi la découverte des fonctions fuchsiennes en ma-
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1 Doté d’aptitudes mathématiques exceptionnelles, il entra à l’École Polytechnique comme major de promotion en 1873.
Diplômé de l’École des mines de Paris en 1878, il soutint son doctorat ès sciences mathématiques l’année suivante sous la direc-
tion de Gaston Darboux. Nommé maître de conférences d’Analyse à la Faculté des Sciences de Paris en 1881, il occupa diverses
chaires au cours de sa carrière (physique expérimentale, physique mathématique et calcul des probabilités, mécanique céleste,
etc.). Élu à l’Académie des Sciences en section de géométrie le 31 janvier 1887, il fut également membre des plus prestigieuses
sociétés savantes étrangères. Pour plus de détails sur la vie de Poincaré, nous renvoyons à la chronologie placée en annexe (voir
page 356). On consultera également les deux livres suivants qui contiennent de nombreuses informations sur la vie du mathéma-
ticien : Paul Appell, Henri Poincaré [Appell 1913] ; André Bellivier, Henri Poincaré ou la vocation souveraine [Bellivier 1956]. On
pourra enfin se référer à des travaux plus courts, mais néanmoins essentiels, en particulier : Émile Boutroux, « Henri Poincaré »
[Boutroux 1913c & 1913d] ; Gaston Darboux, Éloge historique de Henri Poincaré [Darboux 1913] ; Paul Xardel, J’avais un ami... Henri
Poincaré [Xardel 1913] ; Aline, Boutroux, Vingt ans de ma vie : simple vérité [Boutroux A. 1913] ; Gerhard Heinzmann, « Henri
Poincaré » [Heinzmann 1995b].
2 Pour plus de détails sur les ouvrages de Poincaré qui furent traduits et publiés dans des pays étrangers, on consultera
l’annexe page 391.
3 La bibliographie des écrits sur Henri Poincaré que nous avions publié il y a quelques années (Écrits sur Henri Poincaré [Rollet
1994b]) recensait déjà près de 500 livres, extraits de livres et articles sur une période allant de 1878 à 1994. Une analyse sommaire
de l’évolution du nombre de ces publications permet d’ailleurs de mettre en évidence plusieurs pics de publication : de 1878 à
Henri Poincaré (1854-1912) : Des Mathématiques à la Philosophie 6
Introduction – Problèmes de Méthode
D’un point de vue strictement scientifique, les travaux de Poincaré sont bien connus. De son
vivant, ils firent l’objet d’une multitude de comptes-rendus et d’analyses dans des revues
spécialisées françaises ou étrangères ; à sa mort, l’Académie des Sciences entreprit la publica-
tion de ses Œuvres, vaste travail qui ne fut achevé que vers la fin des années cinquante.4 Enfin,
l’étude de la littérature scientifique sur Poincaré permet de constater l’existence d’objets ma-
thématiques qui témoignent de l’implantation de certaines de ses découvertes au sein de la
pratique scientifique : il existe ainsi, entre autres, un théorème de Poincaré-Birkhoff-Witt, un
groupe de Poincaré, une conjecture de Poincaré ou une bifurcation de Poincaré ; il existe également
un demi-plan, une section de Poincaré ainsi qu’un dual de Poincaré et une caractéristique de Poinca-
ré. Par ailleurs, l’importance des découvertes scientifiques de Poincaré a été grandement dé-
montrée par un grand nombre d’historiens des sciences renommés : citons les travaux
d’Arthur Miller, Élie Zahar ou Michel Paty sur la découverte de la théorie de la relativité res-
treinte5 ; citons également les recherches de Jeremy Gray sur la découverte des fonctions au-
tomorphes ou encore celles de June Barrow-Green sur le problème des trois corps.6 Grâce à ces
travaux, qui eurent parfois des échos dans la grande presse, un grand nombre de personnes
savent que Poincaré peut être considéré comme l’un des pères des théories modernes du chaos
ou qu’il fut à deux doigts de découvrir la théorie de la relativité. De même, grâce aux vastes
entreprises de publication de sa correspondance scientifique, les historiens des sciences ont à
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1912, le nombre de travaux sur Poincaré augmentera de manière constante pour atteindre un sommet en 1913, suite à son décès
(30 items). Après cette période, le nombre d’ouvrages qui lui sont consacrés baissera notablement pour osciller autour d’une
valeur moyenne de 5 items par an, ce jusqu’en 1954-1955, date de la célébration du centenaire de sa naissance (35 items). Enfin,
pour la période actuelle, on constate que depuis la fin des années soixante-dix l’actualité de la pensée poincaréienne se fait de
plus en plus présente puisque, pour certaines années, on recense près de 20 références à son sujet. Il va de soi que ces chiffres
portent sur des sources fragmentaires et qu’on ne saurait recenser la totalité des travaux consacrés à Poincaré. Néanmoins, ces
sources sont suffisamment larges pour garantir la relative justesse de ce tableau évolutif. Notons d’ailleurs que la consultation
régulière des bases de données bibliographiques permet de confirmer cette tendance récente à la hausse.
4 Les Œuvres de Poincaré comportent 11 volumes et furent publiées chez Gauthier-Villars. Remarquons qu’il ne s’agit pas des
œuvres complètes puisqu’on n’y trouve pas les textes extra-scientifiques du mathématicien (articles philosophiques, discours
officiels, etc.).
5 Voir en particulier [Miller 1973], [Miller 1975] ou [Miller 1986]. Voir également [Zahar 1986] et [Paty 1985], [Paty 1996].
Mentionnons que ces travaux ont été récemment complétés par ceux de Vincent Borella, dans sa thèse La réception en France de la
théorie de la relativité [Borella 1998].
6 Voir [Gray 1981], [Gray 1983], [Gray 1980] et [Gray / Walter 1997]. Voir également [Barrow-Green 1984].
7 Sur ce point nous renvoyons au travaux de Dugac sur la correspondance de Poincaré avec les mathématiciens (en particulier
[Dugac 1986] et [Dugac 1989a]), ainsi qu’au livre de Philippe Nabonnand, Correspondance entre Poincaré et Mittag-Leffler [Nabon-
nand 1999]. Ajoutons que la correspondance scientifique de Poincaré fait l’objet d’une vaste entreprise de publication au sein des
ACERHP puisqu’un volume concernant la correspondance de Poincaré avec les physiciens est en cours de préparation sous la
direction d’André Coret.
Henri Poincaré (1854-1912) : Des Mathématiques à la Philosophie 7
Introduction – Problèmes de Méthode
théorie des groupes, l’Analysis Situs, la théorie des ensembles, la théorie cantorienne des ordi-
naux transfinis, la pasigraphie de Peano ou la théorie cinétique des gaz constituent autant
d’éléments mis à contribution par Poincaré – explicitement ou implicitement – pour étayer ses
argumentations ; ils constituent les indices, les ‘marqueurs’ d’une épistémologie exigeante,
s’interrogeant sur la valeur objective de la connaissance scientifique.
De cette constatation peut découler une interrogation essentielle : la philosophie de Poincaré
a-t-elle bénéficié d’études aussi nombreuses et aussi approfondies que son œuvre scientifi-
que ? À cette question, il semble qu’on ne peut guère donner qu’une réponse très nuancée.
Certes, les études philosophiques sur Poincaré disponibles sur le marché des idées sont fort
nombreuses et souvent de très bonne qualité. Cependant, il est clair que du fait de son ancrage
dans la pratique scientifique, cette philosophie a principalement été étudiée soit par des scien-
tifiques de formation, soit par des historiens de sciences, soit par des philosophes bénéficiant
d’une connaissance approfondie des mathématiques (ces derniers étant le plus souvent des
scientifiques reconvertis à la philosophie).8 Grâce à ces auteurs, on dispose ainsi d’études très
approfondies sur le versant mathématique et physique de la philosophie poincaréienne ; ces étu-
des insistent fortement (et à juste titre) sur ses origines techniques, elles travaillent à montrer
son enracinement profond dans l’activité scientifique. Cependant, dans le même temps, elles
laissent souvent à penser que cette philosophie se trouve dotée d’une seule et unique dimen-
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sion technique et, au final, tout se passe comme si sa seule source et sa seule signification
étaient d’ordre scientifique.
Pourtant, tout un faisceau d’indices plaide en faveur d’un ancrage de la pensée poincaréienne
au sein de la philosophie traditionnelle, c’est-à-dire au sein d’une sphère intellectuelle qui n’a
pas forcément les théories mathématiques ou physiques pour objets d’étude. En premier lieu,
l’essentiel de la diffusion du conventionnalisme se fit non pas par le biais de revues scientifi-
ques spécialisées, mais par l’intermédiaire de revues philosophiques comme la Revue de méta-
physique et de morale ou la revue américaine The Monist. Deuxièmement, tout au long de sa
carrière, Poincaré fut amené à collaborer à divers événements philosophiques (le tricentenaire
de la naissance de Descartes, le Congrès International de Philosophie de 1900), à échanger des
lettres avec certains acteurs de la scène philosophique (Xavier Léon, François Évellin) et à
côtoyer des personnalités de la scène intellectuelle française tels Félix Ravaisson, Gabriel Mo-
nod, Gustave Le Bon ou Maurice Barrès. Troisièmement, ses ouvrages philosophiques ne ren-
voient pas uniquement à des travaux scientifiques très complexes puisqu’on peut y rencontrer
de nombreuses références à des philosophes aussi divers que Descartes, Leibnitz, Malebran-
che, Cournot, Kant ou Comte. Quatrièmement, il n’est pas inutile de préciser que le conven-
tionnalisme de Poincaré prend place au sein d’une discussion philosophique dont on peut voir
l’origine dans le dialogue traditionnel entre empirisme et rationalisme ; on pourrait ajouter par
ailleurs que la théorie générale de la connaissance qu’il défend est nettement d’inspiration
néokantienne et que, par certaines caractéristiques, elle se rattache à une forme d’idéalisme
philosophique. Enfin, et surtout, il est essentiel de mentionner que Poincaré était le beau-frère
du philosophe Émile Boutroux, qui fut l’un des penseurs les plus influents de la communauté
philosophique française du tournant du siècle.
À la lumière de ce faisceau d’indices, la situation semble donc être la suivante : on connaît
l’œuvre scientifique de Poincaré et on connaît relativement bien le versant technique de sa
philosophie ; de même, d’un point de vue externe, on est assez bien renseigné sur les relations
qu’il entretenait avec les acteurs de la communauté scientifique. En revanche, on sait très peu
de choses sur la dimension proprement philosophique de son épistémologie (son origine ou
son enracinement dans des débats philosophiques) et on sait encore moins de choses sur les
relations que Poincaré pouvait entretenir avec les acteurs de la communauté philosophique et
8 Parmi les ouvrages de référence concernant la philosophie poincaréienne, citons notamment l’ouvrage de Mooij, La philoso-
phie des mathématiques de Henri Poincaré (1966), le livre de Torretti, Philosophy of Geometry from Riemann to Poincaré (1978), le livre
de Jerzy Giedymin, Science and Convention – Essays on Henri Poincaré’s Philosophy of Science and the Conventionalist Tradition (1982)
ou bien encore celui de Gerhard Heinzmann, Entre intuition et analyse – Poincaré et le concept de prédicativité (1985).
Henri Poincaré (1854-1912) : Des Mathématiques à la Philosophie 8
Introduction – Problèmes de Méthode
intellectuelle de son temps. À l’actif des commentateurs qui se sont intéressés au convention-
nalisme géométrique, il faut reconnaître qu’ils ont souvent mentionné l’influence du kantisme
ou des idées d’Émile Boutroux sur son émergence ; cependant, force est de constater que le
plus souvent ces deux points ne sont qu’évoqués et ne font guère l’objet d’un traitement ap-
profondi ; de fait, l’état des publications sur la philosophie poincaréienne semble accuser une
sorte de déséquilibre chronique.
Ce travail a pour principale ambition de contribuer à rétablir un semblant d’équilibre en mon-
trant que les considérations mathématiques et physiques constituent des explications nécessaires
mais non suffisantes de la pensée philosophique poincaréienne. Une interprétation adéquate de
celle-ci passe non seulement par la prise en compte de son enracinement dans la pratique
scientifique et des débats internes à la communauté scientifique, mais également par la mise
en évidence des liens multiples et profonds qui unissent son auteur à la communauté philoso-
phique et intellectuelle de son temps. À travers cette thèse, on tentera d’aborder certains thè-
mes qui ont peu attiré jusqu’à maintenant l’attention des commentateurs de Poincaré ; on
s’attachera à reconstituer diverses étapes de la vie du mathématicien susceptibles d’apporter
un éclairage inédit sur la genèse et la signification de sa philosophie. Ainsi, l’étude du versant
idéaliste de la philosophie poincaréienne et des liens qui l’unissent à celle de Boutroux, le récit
de l’entrée du mathématicien au sein du champ philosophique et la mise en évidence de ses
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relations avec certains acteurs de ce champ, l’analyse de ses stratégies de publication et des
rapports qui unissent, dans son œuvre, discours philosophique, discours scientifique et dis-
cours vulgarisé, ou l’analyse de ses engagements politiques constitueront quelques-uns des
moments essentiels d’un cheminement visant à construire une biographie intellectuelle de
Poincaré et à restituer sa pensée dans son contexte historique.9
Il va de soi qu’un tel objectif ne saurait être atteint sans la mise en place de certains préceptes
méthodologiques.
Il est courant de lire dans les manuels de philosophie et dans les dictionnaires que la philoso-
phie de Poincaré se résume à une thèse générale prenant en compte le rôle important joué par
les conventions dans la genèse de disciplines scientifiques comme la géométrie ou la mécani-
que. Selon cette interprétation traditionnelle, les axiomes des géométries métriques et les lois de
la mécanique ne seraient pas des énoncés empiriques, mais des conventions ou des définitions
déguisées, ce qui les protégerait contre toute réfutation expérimentale. La pensée poinca-
réienne se trouve ainsi résumée en un seul mot qui lui confère une dimension systématique.
9 Considéré comme l’un des plus fins analystes du XIXème siècle, apprécié pour le cynisme avec lequel il se plaisait à dépeindre
les mœurs des élites artistiques et intellectuelles, Aldous Huxley mettait en scène, dans son roman Contrepoint, un personnage
nommé Illidge. Issu d’un milieu populaire, biologiste de formation, ce communiste révolutionnaire travaille sous les ordres d’un
savant appartenant à la haute bourgeoisie anglaise. Dans le passage qui suit, Huxley expose les contradictions de son personnage
qui, en tant qu’homme de science, se doit d’accepter les nouvelles théories de Poincaré, de Mach ou de Einstein mais qui, en tant
que communiste convaincu, ne peut se résigner pour autant à abandonner le matérialisme hérité du XIXème et qui, par consé-
quent, ne veut absolument pas croire au caractère conventionnel de l’espace, du temps et de la masse : « Il faut absolument croire
que les seules réalités fondamentales sont l’espace, le temps et la masse, et que tout le reste est de la fichaise, – illusion pure et
simple, et illusion bourgeoise, qui plus est… Pauvre Illidge ! Einstein et Eddington l’ennuient beaucoup. Et comme il déteste
Henri Poincaré ! Et comme il en veut au vieux Mach ! Tous ces gens là sont en train de saper sa foi si simple. Ils lui disent que les
lois de la nature sont des conventions utiles, de fabrication entièrement humaine, et que l’espace et le temps, et la masse, eux-
mêmes, tout l’univers de Newton et de ses successeurs, sont simplement notre invention à nous. […] C’est un homme de science,
mais il a des principes qui lui font combattre toute théorie scientifique datant de moins de cinquante ans. C’est délicieusement
comique » ([Huxley 1928-1988], pages 174-175). Derrière l’énoncé des contradictions du personnage, il est possible déceler une
thèse sur le statut contradictoire de la philosophie poincaréienne. En effet, de par son double statut de scientifique et de commu-
niste, Illidge ne peut que souscrire au matérialisme puisque c’est cette croyance en l’existence d’une matière extérieure et le rejet
de toute forme d’idéalisme qui fondent respectivement la pratique de la science et la mise en application du marxisme. Cepen-
dant, ce credo matérialiste se trouve sapé dans sa base même puisque Illidge découvre que les nouvelles théories scientifiques
proposées par les plus grands savants de son temps ne peuvent éviter de mettre à mal les concepts les plus fondamentaux de la
connaissance scientifique et de mettre en œuvre une forme d’idéalisme philosophique fort peu recommandable. Par les ater-
moiements de son personnage, Huxley semble ainsi mettre en évidence la dimension proprement idéaliste des conceptions
d’Einstein, Mach et Poincaré qui font des lois de la nature et des principes scientifiques des constructions de l’esprit humain. Une
telle interprétation est des plus intéressantes si on la rapproche de ce que nous écrivions précédemment à propos de la nette
domination des études techniques au sein de la littérature consacrée à Poincaré. Il nous faudra expliciter cette idée d’une tension
entre matérialisme et idéalisme, explicitation qui nous conduira à mettre en œuvre certaines notions introduites par Louis Al-
thusser pour rendre compte des philosophies de savants.
Henri Poincaré (1854-1912) : Des Mathématiques à la Philosophie 9
Introduction – Problèmes de Méthode
Une telle interprétation appelle plusieurs commentaires. D’une part, éloigné de tout esprit de
système et n’aspirant visiblement pas à fonder une école de pensée ou des disciples en conven-
tionnalisme, Poincaré ne se soucia guère de donner une dénomination à sa philosophie. Ce
n’est qu’après sa mort, et en grande partie à cause de l’influence du positivisme logique, que
son œuvre philosophique fut pragmatiquement baptisée ‘conventionnalisme’ ; ce terme
n’apparaît donc jamais sous la plume de son inventeur et on ne trouve pas non plus dans son
œuvre de plaidoyer en faveur d’un quelconque programme conventionnaliste. En fait, c’est la
postérité qui passa la pensée poincaréienne au crible pour n’en retenir qu’une ‘substantifique
moelle’. Que Poincaré ait défendu des conceptions conventionnalistes, cela ne fait aucun
doute. En revanche, que ces conceptions résument à elles seules l’ensemble de sa pensée phi-
losophique et qu’elles se réduisent à cette interprétation traditionnelle que nous venons
d’évoquer, cela est beaucoup moins sûr.
Une seconde remarque concerne la composition de l’œuvre philosophique de Poincaré.
L’essentiel de celle-ci se trouve rassemblée dans quatre livres publiés de 1902 à 1913 chez
Flammarion dans la Bibliothèque de Philosophie Scientifique : La science et l’hypothèse (1902),
La valeur de la science (1905) – probablement ses deux ouvrages les plus célèbres – Science et
méthode (1908) et un ouvrage posthume, Dernières pensées (1913). Il est important d’avoir à
l’esprit que ces ouvrages ne furent pas rédigés spécialement pour la maison Flammarion, mais
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qu’ils furent composés à partir d’articles et d’extraits d’articles publiés auparavant dans des
revues spécialisées destinées à un public d’universitaires et de chercheurs. Ainsi, bien
qu’ayant l’apparence d’un livre des plus classiques, La science et l’hypothèse est en réalité un
recueil de textes déguisé : l’ouvrage fut composé à partir d’une quinzaine d’articles publiés
dans diverses revues sur une période de dix ans et, pour autant qu’on puisse en juger, seule
l’introduction fut écrite spécialement pour la circonstance. Nous aurons l’occasion d’aborder
la question de la composition de ces ouvrages par la suite mais, à ce stade, le point essentiel
nous semble être le suivant : à l’instar de bien des scientifiques désireux de se tourner vers la
science, et à l’inverse d’un Kant ou d’un Leibnitz, Poincaré ne tenta pas d’élaborer un véritable
système philosophique ; tout au plus se contenta-t-il d’organiser ses différents travaux spécia-
lisés au sein de quelques volumes destinés à un public plus large. Ceci explique les difficultés
qui surviennent inévitablement lorsqu’on tente de dessiner une perspective globale sur sa
philosophie. Aussi brillants et aussi novateurs que soient certains de ses développements, il
est difficile d’affirmer qu’ils s’inscrivent tous au sein d’un projet philosophique global.
Enfin, il est nécessaire de faire une troisième remarque : l’interprétation traditionnelle que
nous énoncions précédemment tire sa matière principales de quelques chapitres de La science
et l’hypothèse et elle n’emprunte quasiment rien aux autres ouvrages de Poincaré. Est-ce à dire
que tout le conventionnalisme se résume à ces quelques chapitres ? Cela signifie-t-il que les
autres écrits de Poincaré ne présentent aucun intérêt philosophique intrinsèque ? Cela veut-il
dire qu’il est possible d’approcher l’ensemble de sa pensée à partir d’une source somme toute
très réduite ? On se doute bien que ces questions appellent des réponses très nuancées. On se
doute bien, également, qu’une lecture de Poincaré qui ne s'appuierait que sur des sources
fragmentaires et qui ne tiendrait pas compte de la composition particulière de ses ouvrages ne
pourrait jamais donner qu’une vision réductrice de sa pensée. Dans son article de 1992,
« Conventionalism, the Pluralist Conception of Theories and the Nature of Interpretation »,
Jerzy Giedymin ne se fit pas faute de montrer les limites des interprétations tronquées du
conventionnalisme. Il écrivait ainsi, à propos des partisans des commentateurs qui prétendent
pouvoir tirer le conventionnalisme de quelques chapitres de La science et l’hypothèse sans se
donner la peine de consulter d’autres sources ou de faire appel à des hypothèses interprétati-
ves :
Those who prefer the traditional interpretation believe – mistakenly, I think – that they are
able to read Poincaré’s conventionalist philosophy out of chapters 3, 5 and 6 of Poincaré
(1952 [1902]) without making use of any interpretative hypotheses. But why do they believe
this? Because they follow the tradition which evolved in the process of the reception of
Henri Poincaré (1854-1912) : Des Mathématiques à la Philosophie 10
Introduction – Problèmes de Méthode
Poincaré’s philosophy outside France after his death in 1912 and which associates the name
‘conventionalism’ never used by Poincaré himself, with Poincaré’s philosophy of geometry
and physics. The name ‘conventionalism’ produced the tendency to identify Poincaré’s phi-
losophy of geometry and physics with only those texts in which he used the term ‘conven-
tion’ or ‘conventional’. […]
The occurrence of those terms in some of Poincaré’s writings is taken by the proponents of
the traditional interpretation as a non-hypothetical indication – or even as a proof – that the
relevant texts contain formulations of Poincaré’s conventionalist philosophy. But careful
reading of those texts shows that the occurrence or non-occurrence of those terms is simply
a matter of style.10
Giedymin visait à construire une interprétation globale et cohérente du conventionnalisme de
Poincaré, doctrine qui ne se résumait pas, selon lui, à une simple thèse affirmant l’existence
d’éléments conventionnels en géométrie ou en mécanique, mais qui mettait en jeu un vaste
ensemble d’énoncés concernant la nature et la structure des théories scientifiques, concernant
les buts et les limites de la connaissance scientifique. Un tel objectif ne pouvait être atteint en
se contentant de repérer, au sein d’un corpus trop restreint, quelques rares occurrences des
mots ‘convention’ et ‘conventionnel’. Or, dans son optique, l’interprétation traditionnelle
entrait manifestement en contradiction avec un principe méthodologique essentiel : le Principe
d’Évidence Totale (Principle of Total Evidence) qui s’opposait à toute interprétation tirant des
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accordance with the traditional interpretation is either trivially false – if it asserts that metric geometries and Newton’s mechanics
cannot be given empirical interpretations – or it is trivially true, if it merely affirms that pure (uninterpreted) geometry and
analytical mechanics are not empirical but are implicit definitions of terms ». [Giedymin 1992], pages 425-426.
13 Voir à ce sujet [Giedymin 1992], page 437 : « Under these circumstances this unattainable goal has to be replaced with an
attainable one, for example with interaction between the text and the interpreter. The latter reads the text or a fragment of it and –
if he finds it interesting – produces a commentary of a suitable kind. Such commentaries differ in the type of routine used and the
degree of discipline imposed or freedom allowed. This would be illustrated by the following three examples: logical analysis of
the thesis of conventionalism in the traditional sense. […] Interpretations falling under the first pattern do not aim at representing
the author’s intended meaning but rather the outcome of the interaction between the interpreter and the text ».
Henri Poincaré (1854-1912) : Des Mathématiques à la Philosophie 11
Introduction – Problèmes de Méthode
À côté de cette interprétation créative, qui reconstruit le texte plus qu’elle ne l’interprète, il
existe un second modèle que Giedymin appelle classique-pur ; dans ce cas, il s’agit de détermi-
ner ce qu’a réellement voulu dire l’auteur du texte, mais en demeurant, autant que faire se
peut, à l’intérieur du texte et en s’abstenant le plus possible de faire des hypothèses interpréta-
tives. L’interprétation traditionnelle tombe sous ce second type de modèle interprétatif : elle
adopte une attitude neutre de non-intervention et insiste sur la lecture littérale du texte.14 Un
tel modèle peut s’avérer fonctionnel dans le cas où le texte considéré ne comporte aucune
ambiguïté ; cependant, on sait bien qu’il est rarement possible d’adopter une attitude complè-
tement neutre à l’égard d’une œuvre donnée.
Une troisième attitude interprétative peut consister à construire une néo-doctrine : comme dans
le premier modèle interprétatif, le but n’est pas de parvenir à formuler la vraie interprétation
de l’œuvre considérée ; au contraire, dans ce cas précis, le commentateur prend le texte comme
source d’inspiration pour élaborer une théorie plus moderne, plus en phase avec les dévelop-
pements des sciences ou avec les convictions idéologiques qu’il aspire à défendre.15 Ce troi-
sième modèle est à la fois créatif, interactif et pluraliste car une infinité de doctrines peuvent
prendre naissance à partir d’une œuvre donnée.
Enfin, un quatrième type d’interprétation peut être proposé, et c’est celui que Giedymin re-
vendique : il s’agit du modèle classique-mixte. À l’instar du modèle classique-pur, celui-ci se
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préoccupe de déterminer ce qu’a réellement voulu dire l’auteur tout en s’autorisant abon-
damment à recourir à des hypothèses interprétatives sur le texte (Text), la personnalité (Perso-
nality) de son auteur ou sa vie (Life), dans le cas où le texte considéré est fragmentaire, contra-
dictoire ou incohérent (hypothèses que Giedymin appelle hypothèses TPL).16 Ce modèle inter-
prétatif met en œuvre un pluralisme. De plus, il combine le projet classique (donner une vraie
interprétation) avec une méthode à la fois créative et interactive. Plus important encore – et
c’est le point auquel nous souhaitons arriver –, il ne peut faire l’économie d’une biographie de
l’auteur étudié :
If the text is fragmented, somewhat ambiguous and on the first reading not quite coherent,
then a true interpretation may be attained more effectively – or perhaps even exclusively –
through interaction, interference and involvement, most of which require hypotheses: deci-
sions have to be made which texts are more important and dominate other texts, contradic-
tions have to be explained away by re-interpretations, articulations has often to be im-
proved, etc. In other words, the statements P1&…&Pn under the ‘Int’ symbol form a re-
edited or corrected text which is both generated and has to be explained by the explanatory
frame of the TPL hypotheses or a detailed intellectual biography. One of the functions of the
latter [les hypothèses interprétatives] is also to provide reasons for the rejection of alterna-
tive interpretations. For although there may be one true or intended interpretation (and
even this may be doubted), there are always many equally compatible with the text. So an
interpretation of this type is pluralist in character, rather like a theory in the pluralist sense.
14 Giedymin écrit ainsi : « The aim in this case is to provide a true (or intended) interpretation but the distinctive feature of this
pattern among the classical ones resides in its programmatic abstention from making use of any non-trivial hypotheses and the
insistence on the literal reading of the text. In other words, the interpreter consciously adopts a neutral attitude of non-
interference or non-intervention into the text. This is usually intended to minimise risk and to avoid subjectivity ». [Giedymin
1992], page 437.
15 La version déformée du conventionnalisme développée par Édouard Le Roy pourrait par exemple être considérée comme
une néo-doctrine. Giedymin donne un autre exemple : « This one [ce modèle], however, takes the text as a source of inspiration
for developing a new, modernized, viable doctrine, a neo-doctrine. Poincaré’s philosophical texts, for example, may be used as a
basis for developing a neo-conventionalist philosophy which is genetically related to Poincaré’s but is designed to cope with the
problems arising from more recent developments in physics and mathematics. A procedure of this type is creative, interactive
and pluralist, just like the procedures under the first pattern, but the aim is different ». [Giedymin 1992], page 439.
16 « By an interpretation in the wider sense, on the other hand, is meant a statement of type (i) [par exemple ‘A voulait énoncer
les thèses P1&P2&…&Pn‘] together with an explanatory frame which consists of hypotheses linking the text with its author personal-
ity and life (TPL hypotheses) – (intellectual) biography for short. In the case of non-classical interpretations this would correspond
to the interpreter’s biography which, however, does not usually form part of the interpretation, although – in principle – it
could ». [Giedymin 1992], page 436.
Henri Poincaré (1854-1912) : Des Mathématiques à la Philosophie 12
Introduction – Problèmes de Méthode
proposer une lecture adéquate de l’œuvre donnée, d’éclairer certains choix philosophiques de
l’auteur ou de nuancer certaines lectures trop ‘fondamentalistes’ ou trop orientées vers une
néo-doctrine. La méthode classique-mixte qu’il préconise est bien évidemment condamnée à
rencontrer sur son chemin les problèmes de l’analyse historique (les hypothèses ou les recons-
tructions historiques ne bénéficient pas toujours d’une égale garantie de fiabilité), cependant
elle présente l’avantage d’introduire un équilibre entre l’approche interne et l’approche ex-
terne, de rapprocher deux genres habituellement traités séparément : l’interprétation philoso-
phique, d’une part, et la biographie, d’autre part.18
Comme nous l’avons remarqué, la philosophie de Poincaré a surtout suscité des commentaires
techniques. Or, en explorant le versant scientifique de cette pensée, les commentateurs se sont
surtout attachés à élaborer une histoire interne. Leur objet a le plus souvent été l’élucidation
du sens et de la portée du conventionnalisme, c’est-à-dire la détermination de son corps de
doctrine, de ses atouts théoriques et de ses limites. Le plus souvent, il a été question pour eux
d’évaluer la consistance de la philosophie poincaréienne sur le terrain de la méthodologie
scientifique et de justifier l’utilisation de certaines de ses thèses dans certains contextes. Pour
ce type de commentaires, l’insistance sur la reconstruction logique des arguments implique
17 [Giedymin 1992], pages 438-439. C’est nous qui soulignons dans la dernière phrase.
18 La typologie proposée par Giedymin doit être prise avec certaines précautions. Comme toute construction théorique, elle
présente l’intérêt de fournir un cadre de réflexion, un paradigme concernant les différentes attitudes interprétatives envisageables
vis-à-vis de l’œuvre philosophique de Poincaré. Cependant, les quatre types interprétatifs qu’il propose ne constituent pas des
types purs et éternels, utilisables de manière univoque. En fait, si l’on considère la littérature sur Poincaré, on s’aperçoit que, dans
la plupart des cas, ils juxtaposent plusieurs modèles interprétatifs. Certes, on trouve un grand nombre d’interprétations qui
revendiquent clairement un statut unique (classique pur ou interactif le plus souvent, plus rarement néo-doctrine et très rarement
classique-mixte) mais, dans la majorité des cas, une analyse détaillée permet de se rendre compte que, consciemment ou non,
leurs auteurs fondent leur approche sur plusieurs méthodologies : certains essaient de construire des néo-doctrines tout en
présentant leurs contributions comme relavant du modèle classique-pur ; d’autres élaborent des modèles interactifs qu’ils présen-
tent comme appartenant au domaine classique-pur, etc. Les possibilités sont nombreuses et leur nombre atteste non seulement du
caractère relatif de ces catégories et également de la place que peuvent occuper non-dit, mensonge par omission et mauvaise foi
manifeste dans le domaine de l’interprétation. Un travail des plus intéressants pourrait consister à identifier, dans les ouvrages
consacrés à l’œuvre philosophique de Poincaré, les méthodes interprétatives mises en place. Ceci demanderait un travail de
longue haleine et nous nous contenterons de donner un seul exemple : l’interprétation du conventionnalisme développée par
Adolf Grünbaum dans son ouvrage Philosophical Problems of Space and Time se présente sans conteste comme une interprétation
visant à expliciter la signification réelle de cette doctrine. Pourtant, de par sa propension à se concentrer sur un corpus très
restreint et à tirer à tout prix le conventionnalisme vers un empirisme modéré, cette interprétation présente toutes les caractéristi-
ques d’une néo-doctrine (pour une analyse sommaire de ce point nous renvoyons à notre article, « The Grünbaum–Giedymin
Controversy Concerning the Philosophical Interpretation of Poincaré’s Geometrical Conventionalism » [Rollet 1995]). Pour finir,
mentionnons le fait que l’appréciation de ces méthodes demeure subjective : le commentateur persuadé d’avoir trouvé
l’interprétation véritable d’une œuvre sera enclin à considérer les autres interprétations concurrentes comme des néo-doctrines
(et réciproquement). En ce domaine, il semble que tout le monde soit un peu prophète en son pays…
Henri Poincaré (1854-1912) : Des Mathématiques à la Philosophie 13
Introduction – Problèmes de Méthode
une attitude quelque peu négligente (voire assez snobe) vis-à-vis de la biographie de Poincaré.
Bien-sûr, certains commentateurs s’intéressent au problème des origines de sa philosophie,
tentent d’en définir les sources et les courants, de donner à voir les influences de certains au-
teurs sur sa pensée et de la situer par rapport aux débats de son temps ; pour ce faire, ils en
appellent parfois à la biographie de Poincaré et ils formulent parfois des hypothèses TPL.
Cependant, le plus souvent, ce recours à la biographie de Poincaré est tronqué car il se can-
tonne à une sphère scientifique : ils mettront en avant les nombreux échanges de lettres entre
Poincaré et ses collègues scientifiques français et étrangers, ils insisteront sur les relations
privilégiées qui l’unissaient à Paul Appell ou Mittag-Leffler, ils feront remarquer la tournure
particulière de son esprit qui le pousse à donner de brillants conseils à ses collègues concer-
nant le déroulement d’expériences scientifiques sans jamais s’investir lui-même dans celles-ci,
ils mentionneront enfin (éventuellement) le succès des ouvrages philosophiques de Poincaré
auprès du grand-public et son élection à l’Académie Française, mais avec une pointe
d’étonnement et sur le ton de l’anecdote (l’essentiel étant surtout pour eux l’analyse des
contenus philosophiques et scientifiques). Au final, très rares sont les commentaires qui ex-
ploitent véritablement les éléments externes et qui tentent de relier la pensée philosophique de
Poincaré avec sa biographie et son histoire personnelle.
À travers la typologie de Giedymin et ces quelques remarques, il semble possible de dresser le
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bilan suivant pour ce qui concerne la littérature existante sur Poincaré : soit on se trouve face à
des biographies relativement bien documentées, fort intéressantes (celles d’ Appell et de Belli-
vier en sont des exemples), mais qui n’échappent pas forcément aux pièges de l’hagiographie
et qui, surtout, échouent à décrire les contenus scientifiques et philosophiques de la pensée
poincaréienne ; soit on se trouve face à de brillantes reconstructions de cette pensée, mais qui
la considèrent comme une simple théorie logique, qui ne tiennent que très peu compte de son
enracinement dans un climat intellectuel extra-scientifique et qui, surtout, affichent un pro-
fond dédain pour tout ce qui n’est pas scientifique ou philosophique. En d’autres termes, il
semble que, malgré le nombre important d’études qui lui sont consacrées, la philosophie poin-
caréienne soit étudiée comme une sorte d’abstraction théorique détachée de son époque et de
son contexte d’énonciation.
Sur la base de ce constat, et en nous inspirant du modèle classique-mixte défendu par Giedy-
min, nous aimerions proposer une investigation de la philosophie poincaréienne qui prenne
en compte tous ces éléments externes habituellement dédaignés. Notre objectif sera double et
consistera en fait à rétablir des équilibres : d’une part l’équilibre entre son versant technique et
son versant philosophique à travers la mise en évidence de l’influence de Boutroux sur Poin-
caré et l’étude des relations du mathématicien avec la communauté philosophique française
de son temps ; d’autre part, l’équilibre entre analyse interne et analyse externe, à travers un
certain nombre d’histoires attestant de l’intérêt des données biographiques pour la connais-
sance de l’œuvre poincaréienne.
En intitulant cette thèse Henri Poincaré, des mathématiques à la philosophie : étude du parcours
intellectuel, social et politique d’un mathématicien au tournant du siècle, notre but est de montrer
l’enracinement profond de la philosophie poincaréienne au sein de la communauté philoso-
phique traditionnelle et, par là même, de mettre à jour l’interpénétration et l’interaction entre
sphère interne et sphère externe. Nous tenterons de replacer cette philosophie dans son
contexte de formulation et nous raconterons différentes histoires, différents épisodes suscepti-
bles de mieux faire comprendre la manière dont elle prit naissance, se diffusa au sein des
communautés scientifique et philosophique pour finalement accéder à la popularité auprès du
grand-public. Nous essaierons de décrire le parcours d’une élite incontestable de la troisième
république et de dessiner les grandes étapes de son passage du domaine confidentiel des ma-
thématiques vers le domaine philosophique, domaine ouvert dont la sphère de rayonnement
s’étend jusqu’à la communauté intellectuelle et au grand-public.
Avant d’exposer le plan suivi dans ce travail, il s’avère nécessaire d’introduire quelques re-
marques méthodologiques finales. Et pour commencer il importe de préciser ce que cette thèse
Henri Poincaré (1854-1912) : Des Mathématiques à la Philosophie 14
Introduction – Problèmes de Méthode
ne sera pas. Étant donné notre parti pris de réunir dans une même approche point de vue sys-
tématique et point de vue historico-biographique, il est clair que cette thèse se situera à la
frontière entre les deux genres : il ne s’agira de proposer une ‘énième’ interprétation définitive
de la philosophie poincaréienne, du fait de notre refus des méthodologies d’analyse basées sur
le ‘tout systématique’. Il ne s’agira pas non plus d’une thèse historique ancrée dans
l’événementiel et la chronologie pure, en raison des limites que nous avons pu déceler dans la
littérature biographique sur Poincaré. Fondé sur une solution de compromis, ce travail se
donnera à la fois un objectif plus modeste et plus ambitieux. Plus modeste puisqu’il se présen-
tera comme une contribution à l’élaboration d’une biographie intellectuelle sur Poincaré ; plus
ambitieux puisqu’il aspirera à mettre en lumière le concours mutuel que peuvent s’apporter,
dans cette perspective, approche systématique (interne) et approche historique (externe). Par
conséquent, cette thèse trouvera sa place à la confluence de plusieurs domaines disciplinaires,
certes distincts, mais entre lesquels la séparation n’est pas toujours très nette (surtout lors-
qu’on considère leurs sous-domaines) : philosophie, histoire, sociologie, épistémologie, his-
toire des sciences, histoire de la philosophie, histoire politique, histoire intellectuelle, sociolo-
gie des sciences…
Une seconde remarque concerne les unités spatiales, temporelles et thématiques que nous
nous sommes fixées. Notre unité de temps sera grosso modo la période 1870-1912, c’est-à-dire
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l’intervalle s’étendant du début des études de Poincaré à sa mort ; nous ne considérerons ce-
pendant pas ces deux bornes comme fixes et immuables puisque nous tenterons ponctuelle-
ment, à travers quelques incursions temporelles, d’éclairer certains aspects de la vie et de
l’œuvre poincaréienne (sa prime jeunesse ou la postérité éditoriale de sa philosophie vers
1920). Notre unité de lieu se limitera à la France, dans la mesure où nos investigations porte-
ront pour la plupart sur les relations entretenues par Poincaré avec la communauté intellec-
tuelle hexagonale. L’étude de ses contacts avec les milieux intellectuels étrangers (en Allema-
gne et en Angleterre principalement) ou du rayonnement de sa pensée philosophique en de-
hors de la France constituerait bien évidemment un sujet des plus intéressants mais il deman-
derait d’importantes recherches qui ne pourraient se faire que par le biais d’une collaboration
internationale ; nous nous bornerons par conséquent à donner quelques aperçus de ces ques-
tions au hasard de certains développements. Enfin, pour ce qui concerne l’unité thématique,
nous nous concentrerons essentiellement sur la philosophie des sciences de Poincaré et en
particulier sur son conventionnalisme. Ceci implique que, pour des raisons de concision et de
compétence, nous laisserons de côté les conceptions poincaréiennes concernant la philosophie
de l’arithmétique et de la logique. Un tel choix se justifie à nos yeux pour deux raisons : d’une
part, d’un point de vue interne, le conventionnalisme contient en lui-même non seulement
une thèse sur le rôle des définitions et des constructions dans les sciences, mais également une
théorie générale de la connaissance (qu’il nous faudra naturellement expliciter), ce qui fait de
lui le pilier central de toute la philosophie poincaréienne ; d’autre part, d’un point de vue
externe, c’est principalement le conventionnalisme qui se diffusa auprès du grand-public et
qui assura la renommée de Poincaré en tant que philosophe.
Une troisième remarque concerne la nature des recherches effectuées en vue de la préparation
de ce travail. Les Archives Poincaré conservent la correspondance professionnelle et privée de
Poincaré : celle-ci se présente sous la forme d’une demi-douzaine de microfilms qui furent mis
à leur disposition, au moment de leur fondation, par le petit-fils du mathématicien, Monsieur
François Poincaré.19 Bien que très fragmentaire, la partie scientifique de cette correspondance a
largement été étudiée et elle se trouve actuellement au centre d’un vaste projet éditorial (cf.
note 7 page 6). Cependant, des pans entiers de ces microfilms sont jusqu’à présent demeurés
dans l’ombre, malgré l’intérêt évident qu’ils présentent. En particulier, on trouve sur ces mi-
crofilms un grand nombre de lettres, de documents privés et de brouillons qui éclairent de
19 Ces microfilms furent réalisés par Arthur Miller dans les années 1970. Les Archives Poincaré travaillent à enrichir ce fonds en
permanence, notamment en recherchant les parties manquantes des correspondances présentes sur les microfilms.
Henri Poincaré (1854-1912) : Des Mathématiques à la Philosophie 15
Introduction – Problèmes de Méthode
façon décisive la nature de l’activité philosophique de Henri Poincaré et son évolution au sein
des cercles intellectuels et politiques de son temps. Notre parti pris a donc été d’axer l’essentiel
de nos recherches documentaires sur ce fonds imparfaitement exploité ; la mise en valeur de
documents essentiels sur l’intervention de Poincaré en faveur de la révision du procès Dreyfus
ou concernant la postérité de son œuvre philosophique témoignent, semble-t-il, de l’intérêt
d’un tel choix. Nous aimerions d’ailleurs montrer, par ce travail de recherche, que certaines
correspondances, en apparence anodines ou négligeables (par exemple les quelques trois cents
lettres échangées par Poincaré avec sa mère et sa sœur durant ses études, les lettres de félicita-
tions adressées à Poincaré au moment de son élection à l’Académie Française, les lettres
d’illuminés ou d’inventeurs en tous genres, etc.), sont susceptibles de fournir de précieuses
informations concernant le développement de la pensée poincaréienne, pour peu qu’on les
aborde selon une perspective adéquate. En ce sens, nous espérons avoir mis en évidence la nécessi-
té d’éditer l’ensemble de la correspondance de Poincaré (et notamment la correspondance privée).
Enfin, un certain nombre de recherches ont été effectuées dans diverses institutions (Archives
Départementales de la région Lorraine, Archives Départementales du Calvados, Institut Mé-
moire de l’Édition Contemporaine, Archives Nationales, Bibliothèque Nationale, Archives de
l’Académie des Sciences, etc.) pour tenter de trouver des lettres inédites de Poincaré, notam-
ment des lettres traitant de questions philosophiques ce type de correspondance étant large-
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ment sous-représenté sur les microfilms. Ces recherches extérieures nous ont permis par
exemple de découvrir une correspondance inédite de Poincaré avec l’un des fondateurs de la
Revue de métaphysique et de morale, Xavier Léon.
La démarche que nous suivrons au cours de ce travail prendra la forme d’un mouvement
général d’élargissement de perspective et d’ouverture vers des considérations de plus en plus
externes. Nous partirons ainsi d’une analyse des contenus philosophiques puis, au fur et à
mesure d’une ‘contextualisation’ de cette pensée (au sein des débats, des communautés et de
la société de son temps), nous prendrons progressivement du recul par rapport à elle. Peu à
peu, nous construirons ainsi une esquisse du développement de la pensée poincaréienne, de
sa diffusion et de son devenir au sein des milieux intellectuels français du tournant du siècle.
Dans un premier chapitre, nous exposerons la philosophie conventionnaliste de Poincaré.
Nous tenterons de mettre en valeur sa complexité extrême et son enracinement dans une pra-
tique et dans des débats internes à la communauté scientifique ; nous aurons ainsi l’occasion
de porter notre attention sur le problème classique des fondements de la géométrie, de mettre
en valeur l’influence essentielle des conceptions de Riemann et de Helmholtz sur la pensée du
mathématicien et de traiter de la question des relations entre conventionnalisme et holisme
épistémologique. À cette analyse technique répondra un second chapitre qui s’attachera à
dévoiler la nécessité, pour la construction d’une interprétation globale de la philosophie poin-
caréienne, d’une prise en compte des relations privilégiées entre Poincaré et son beau-frère
Émile Boutroux. À travers une analyse thématique de l’influence exercée par les conceptions
de Boutroux (et de son entourage), nous mettrons en évidence non seulement l’ancrage de la
philosophie de Poincaré au sein de la communauté philosophique française, mais également la
pertinence des investigations biographiques et des hypothèses TPL à son sujet. À partir de ce
résultat, nous tenterons, dans un troisième chapitre, d’élargir notre perspective en portant
notre attention sur les circonstances de l’entrée de Poincaré au sein du champ philosophique
hexagonal. Cette troisième étape nous conduira à reprendre certains récits introduits dans les
deux premiers chapitres, mais d’une manière sensiblement différente puisque ces reprises
feront largement appel à des considérations historiques et biographiques : nous nous penche-
rons ainsi de nouveau sur la genèse de la philosophie poincaréienne mais en nous interro-
geant sur la place qu’elle pouvait occuper au sein du paysage philosophique et culturel, en
insistant sur les grandes étapes de son installation au sein de la communauté philosophique et
en mettant à jour les stratégies éditoriales qui présidèrent sa diffusion. Le quatrième chapitre
portera sur les relations de Poincaré avec le genre de la vulgarisation scientifique : l’analyse
des juxtapositions de plusieurs formes de discours dans certains de ses travaux – discours
Henri Poincaré (1854-1912) : Des Mathématiques à la Philosophie 16
Introduction – Problèmes de Méthode
graphies existantes. À ces bibliographies s’ajouteront diverses annexes et un index des noms
propres. Nous espérons que ces différents outils n’alourdiront pas la présentation de ce travail
et que leur utilité se fera sentir d’elle-même.
Chapitre 1
Le Conventionnalisme Géométrique,
Entre Mathématiques et Philosophie
Ces savants qui fabriquent alors une philosophie de savants pour la science ne
sont pas seuls en lice ! Ils trouvent à leur côté tout un bataillon de philosophes,
et non des moindres, qui font chorus, reprennent leurs arguments ‘scientifi-
ques’, et leur donnent la main pour améliorer la grande œuvre commune.
Louis Althusser1
Bertrand Russell raconta cette anecdote amusante dans son livre Human Knowledge : its Scope
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and Limits : « J’ai un jour reçu une lettre d’une éminente logicienne, Mme Christine Ladd
Franklin, disant qu’elle était une solipsiste et qu’elle était surprise qu’il n’y en eût pas
d’autres ». Un tel récit met en évidence, avec beaucoup d’humour, les limites du solipsisme. Il
permet également de poser le problème de la création (artistique, littéraire, philosophique,
scientifique, etc.). En effet, aucune philosophie, aussi audacieuse, aussi originale, aussi nova-
trice soit-elle, ne naît à partir de rien. Aucun philosophe n’est un ‘commençant absolu’, une
monade sans portes ni fenêtres tirant de sa seule puissance créatrice tout un monde d’idées
nouvelles. Pour paraphraser une formule célèbre, aucun philosophe ne peut voir loin s’il ne se
juche lui-même sur les épaules d’autres philosophes. Toute œuvre est à la fois le centre et la
périphérie d’un réseau complexe de relations. Ses conditions de naissance ne tiennent pas
seulement à la personnalité de l’auteur et à sa puissance de raisonnement ; elles tiennent aussi
à ‘l’air du temps’, elles dépendent de circonstances sociologiques, économiques ou politiques.
Une fois créée, l’œuvre n’appartient plus à l’auteur, mais à ses lecteurs.
On a beaucoup insisté sur le génie créateur, sur la puissance d’invention de Poincaré. Trop
peut-être, car derrière l’hommage fait à un scientifique de talent se dissimule souvent le spec-
tre de l’hagiographie et de ses perspectives déformantes. Un exemple parmi tant d’autres tiré
du Monde illustré et datant de 1912 peut illustrer ce propos :
C’était un des plus grands esprits de ce temps qui s’anéantissait, un des plus vastes cer-
veaux qui cessait de penser.
Aussi bien au point de vue mathématique que philosophique, Henri Poincaré savait ce que
les autres savent et de plus savait seul, ou presque seul, ce que les autres ne savent pas. On
a dit, avec raison, qu’il y avait tel ou tel sujet, tels ou tels points de science, dont Poincaré ne
pouvait s’entretenir qu’avec deux ou trois savants au monde. C’est un génie qui a vécu au-
près de nous, parmi nous, on le savait, on le disait ; mais au moment où la flamme brillante
s’éteint on sent d’autant mieux quel éclat, quelle importance elle avait.2
En mettant ainsi l’accent sur le caractère exceptionnel de sa personnalité et de son esprit, les
hagiographes contribuèrent à forger de tenaces légendes. Et parmi ces légendes, une des plus
trompeuses est probablement celle concernant les lectures philosophiques de Poincaré :
n’ayant reçu qu’un bagage élémentaire en philosophie, ne lisant que très peu d’ouvrages phi-
losophiques, Poincaré aurait cependant redécouvert par lui-même, sans trop s’en rendre
compte, certaines notions et certaines distinctions essentielles de la philosophie traditionnelle.
Cette légende n’est certes pas explicite, mais semble présente en filigrane dans tout un corpus
hagiographique. Cependant, comme beaucoup de légendes, elle résiste mal à une analyse
sérieuse. S’il est vrai que l’on ne connaît pas le contenu exact de la bibliothèque de Poincaré,
s’il est également vrai que dans ses travaux, Poincaré cite très rarement ses références,3 les
indices d’une solide culture philosophique ne manquent pas. La pensée poincaréienne s’est
alimentée de l’esprit du temps et de toute une tradition culturelle et philosophique. Le pro-
blème qui se pose alors est de démêler l’écheveau et de dresser une image fidèle des diverses
influences qui s’exercèrent sur le mathématicien et qui préparèrent l’élaboration de sa philo-
sophie. C’est ce que nous proposons de faire dans cette première partie qui tentera de rétablir
la balance entre mathématiques et philosophie.
S’interrogeant en 1967 sur les rapports de la philosophie aux sciences, Louis Althusser fut
amené à formuler un certain nombre de thèses originales, thèses qui furent rassemblées quel-
ques années plus tard dans un petit livre au titre évocateur, Philosophie et philosophie spontanée
des savants (1974).4 Althusser choisit d’aborder ce problème selon une perspective héritée en
grande partie des travaux de Marx et de Lénine, ce qui conféra une tonalité fortement polémi-
que à son argumentation. Mise en évidence de la dimension idéologique de certains discours
concernant la nature et le rôle de la philosophie, critique de la notion d’interdisciplinarité,
mise en évidence des implications politiques des contenus philosophiques, etc., telles sont les
idées-forces de ce livre qui entendait avant tout soutenir l’idée que la philosophie ne saurait
exister en dehors de son rapport aux sciences.5
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L’étude de la pratique scientifique lui permit de mettre à jour l’existence d’une philosophie
spontanée des savants, qui se distingue radicalement de la pratique philosophique habituelle.
Il exprime ce fait dans la thèse 25 :
Dans leur pratique scientifique, les spécialistes des différentes disciplines reconnaissent
‘spontanément’ l’existence de la philosophie, et le rapport privilégié de la philosophie aux
sciences. Cette reconnaissance est généralement inconsciente : elle peut devenir, en certai-
nes circonstances, partiellement consciente. Mais elle reste alors enveloppée dans les formes
propres de la reconnaissance inconsciente : ces formes constituent la ‘philosophie spontanée
des scientifiques’, ou des ‘savants’.6
Cette philosophie spontanée est, par exemple, aisément observable à l’occasion des ‘crises’
théoriques qui viennent parfois frapper les sciences brutes : la découverte des irrationnels
dans les mathématiques de l’Antiquité grecque, la création des géométries non euclidiennes,
la formulation des paradoxes de la théorie des ensembles constituent autant de moments déci-
sifs au cours desquels cette philosophie spontanée des savants peut devenir particulièrement
visible.7 En effet, face à de telles crises théoriques, les réactions des scientifiques peuvent être
de trois ordres. Certains savants tentent d’aborder la crise en demeurant à l’intérieur de la science.
Pour eux, cette crise ne vient pas remettre en cause la science elle-même, elle n’est qu’une
difficulté technique supplémentaire qui ne peut être résolue qu’à l’aide des outils et des mé-
thodes scientifiques usuels. D’autres savants, à l’inverse, se trouvent à ce point désarmés par
l’ampleur de la crise qu’ils en arrivent à mettre en doute la validité même de leur propre pra-
3 C’est un défaut que lui reprochera souvent son collègue et ami, le mathématicien suédois, Gösta Mittag-Leffler.
4 [Althusser 1974]. Ce livre réunit un ensemble de cours de philosophie professés par Althusser pour un public de scientifiques.
5 Voir à ce sujet la thèse 24 de son livre : « Thèse 24 – Le rapport de la philosophie aux sciences constitue la détermination
spécifique de la philosophie. Je ne dis pas : la détermination en dernière instance, la détermination majeure, etc. La philosophie a
d’autres déterminations, qui jouent un rôle fondamental dans son existence, son fonctionnement et ses formes (ex. : son rapport
avec les conceptions du monde à travers les idéologies pratiques et théoriques). Je dis spécifique, car elle lui est propre, elle
n’appartient qu’à elle seule ». [Althusser 1974], page 65.
6 [Althusser 1974], page 67.
7 Il va de soi que l’analyse d’Althusser s’appliquerait difficilement aux savants des époques antérieures au XXème siècle : en
effet, avant cette période, il s’avère que les scientifiques étaient consciemment philosophes, et réciproquement (les exemples de
Descartes, Leibnitz, Berkeley ou Newton le prouvent). À partir du milieu du XIXème siècle, l’influence des grandes écoles et le
développement des sciences et des techniques eurent pour conséquence l’apparition d’une spécialisation de plus en plus poussée,
compromettant grandement l’émergence de penseurs versés, avec un égal bonheur, à la fois dans les sciences et dans la philoso-
phie. À ce titre, Poincaré est particulièrement représentatif de cette transition : considéré par beaucoup comme l’un des derniers
savants universels, il apparaît cependant que son ‘universalité’ ressort plutôt du domaine de la science et que sa philosophie
intervient comme une annexe de sa pensée scientifique. En d’autres termes, Poincaré n’a pas une pratique philosophique cons-
ciente comme Descartes ou Leibnitz pouvaient en avoir une ; sa philosophie est déjà une philosophie spontanée de savant.
Henri Poincaré (1854-1912) : Des Mathématiques à la Philosophie 19
Le Conventionnalisme Géométrique, Entre Mathématiques et Philosophie
tique scientifique. Devenus sceptiques vis-à-vis des méthodes scientifiques qu’ils utilisaient
jusqu’alors, ils tentent de s’attaquer à la crise du dehors de la science, et ils entrent en philoso-
phie. Ils deviennent en quelque sorte les philosophes de la crise, dont ils font pour ainsi dire
leur ‘fonds de commerce’.
Alors ces savants-là se mettent à faire de la philosophie. Elle ne ‘vole’ peut-être pas très
haut, mais c’est de la philosophie. Leur manière de ‘vivre’ la crise, c’est d’en devenir les
‘philosophes’, pour l’exploiter. Car ils ne font pas n’importe quelle philosophie. Surtout s’ils
croient l’inventer, ils ne font que reprendre, comme ils peuvent, les bribes et le refrain de la
vieille chanson philosophique spiritualiste, qui guette depuis toujours les difficultés de ‘la’
science pour exploiter ses défaites, pour la traquer et la ‘parquer’ dans ses ‘limites’ comme
autant de preuves de la vanité humaine, qui, du fond de son néant, rend à l’Esprit
l’hommage de ses défaites en leur aveu. C’est à des savants, par exemple, qu’on doit
d’avoir annoncé les Grandes Nouvelles de la ‘Crise’ de la physique moderne : ‘la matière
s’est évanouie’, ‘l’atome est libre’.8
Althusser considère cette seconde tendance d’un point de vue très critique. Selon lui, ses re-
présentants exploitent les crises scientifiques à des fins apologétiques et religieuses ; la crise
constitue pour eux un moyen de ‘sauver’ la science de ses prétentions totalitaires en la
« condamnant à son néant ou à ses limites », en rétablissant Dieu (ou l’Esprit) dans son rôle
légitime. L’idée d’un salut de la science n’est ici présente que dans un cadre idéologique, et
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Althusser n’hésite pas à rapprocher cette exploitation idéologique d’un autre type
d’exploitation, l’exploitation de l’homme par l’homme.9 On s’en doute bien, Althusser prendra
parti pour une philosophie qui n’exploite pas les sciences, mais qui aspire à les servir. Cette
dernière conception se trouve représentée par une troisième catégorie de savants adoptant une
position médiane face aux crises. Eux aussi considèrent la crise d’un point de vue philosophi-
que extérieur, mais ils ne mettent pas tant en cause la valeur de la science elle-même que la
naïveté des conceptions philosophiques qu’ils avaient acceptées jusque là : se réveillant d’un
sommeil dogmatique qui passait par l’acceptation passive de truismes philosophiques, ces
savants entreprennent de donner à la science en crise une véritable philosophie qui tienne
compte des réalités de la pratique scientifique. Il s’agit pour eux, non plus de déclarer la fail-
lite de la science, mais de construire la bonne philosophie de la science susceptible de résoudre
la crise ; une crise qui ne trouve pas sa cause dans la science elle-même, mais dans la ‘mau-
vaise’ philosophie de la science qui prévalait jusqu’alors. Comme le remarque fort justement
Althusser, ces savants se situent à la fois à l’intérieur et à l’extérieur de la science :
Je disais : ces savants sortent eux aussi de la science. Pour nous, c’est vrai. Mais pour eux,
non. Pour eux, ils restent dans la science, qu’ils ne renient pas. Mieux, ils invoquent
l’expérience de leur pratique scientifique, leur expérience de l’expérience scientifique, et c’est
du dedans de la science qu’ils prétendent parler de la science, qu’ils se mettent à fabriquer avec
des arguments philosophiques […] cette bonne philosophie de la science dont la science avait
besoin. Et qui serait mieux placé qu’un savant pour parler de la science et de sa pratique ?
Une philosophie de la science scientifique, faite par des savants. Raisonnablement, que souhaiter
de mieux ?10
Ce classement des scientifiques selon trois tendances demeure relativement abstrait et il n’est
pas certain que la pratique philosophique des savants (consciente ou non) se laisse réduire
aussi facilement à des catégories pures. Althusser ne fournit d’ailleurs guère d’exemples précis
à l’appui de sa typologie. Ainsi, si on tente de déterminer à quelle catégorie de savants Poinca-
ré pouvait appartenir, on se trouve confronté à une difficulté. Il est clair qu’il ne saurait être
rangé dans la première catégorie, mais ressort-il plutôt de la seconde ou de la troisième ? Par
certains côtés, la philosophie de Poincaré semble appartenir à la seconde catégorie puisqu’on y
trouve des réflexions sur la valeur de la science, sur la légitimité des propositions scientifiques
et sur leur prétention à se poser comme des descriptions adéquates de la réalité. Ainsi, dans
certains de ses travaux, il est question, directement ou indirectement, des limites de la science,
et des attentes légitimes que l’on peut avoir à son égard. D’un autre côté, la troisième catégorie
que nous venons de mentionner semble correspondre également à la manière dont Poincaré fit
son entrée dans le champ philosophique : il représente l’exemple typique de ces scientifiques
qui tentèrent de résoudre les crises internes à leurs disciplines en élaborant des philosophies
critiques prenant appui sur leur pratique scientifique, tirant parti d’une méthodologie ration-
nelle appliquée au quotidien. C’est bel et bien en demeurant à l’intérieur de la science et en
puisant la matière de son argumentation dans le patrimoine scientifique commun que Poinca-
ré élabora sa propre philosophie scientifique. C’est bien en scientifique qu’il développa une
philosophie critique prenant le contre-pied des conceptions courantes sur la science.
Si on accepte la typologie althussérienne, on est donc amené à constater une hésitation de la
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philosophie poincaréienne, une oscillation entre deux pôles dont il est difficile de dire s’ils
s’opposent ou se complètent : d’une part, un pôle idéologique qui tente d’interroger la valeur
et la légitimité de la science ; d’autre part, un pôle plus technique qui tente de penser les mé-
thodes et les pratiques de la science de l’intérieur et qui tente de la servir au mieux. Cette am-
bivalence de la philosophie poincaréienne n’est peut-être qu’apparente : s’il est effectivement
indéniable que le thème de la valeur de la science habite une part non négligeable de sa philo-
sophie, il n’en est pas moins vrai qu’on ne retrouve pas chez Poincaré cette volonté militante
stigmatisée par Althusser d’exploiter les crises au profit d’un retour archaïque aux formes
classiques du spiritualisme. La philosophie poincaréienne n’est certainement pas idéologique,
elle ne vise en aucune façon à assurer le salut de la science et à la ramener dans le giron d’une
tradition métaphysico-religieuse millénaire.11 En d’autres termes – et pour reprendre
l’expression d’Althusser – la philosophie poincaréienne est bel et bien une « philosophie de la
science, scientifique, faite par un savant ».
Cependant, cette réduction de l’ambivalence ne doit pas nous abuser : la classification
d’Althusser peut constituer un schème pour l’étude de la philosophie de Poincaré et – à condi-
tion de la nuancer et de l’affiner quelque peu – une analyse plus détaillée devrait permettre de
voir surgir une nouvelle tension, plus réelle cette fois-ci. La philosophie poincaréienne n’est
pas affectée d’un ‘dédoublement de la personnalité’ et n’oscille pas entre ces deux tendances
contradictoires. L’ambivalence qui l’affecte ne trouve pas son expression dans une contradic-
tion entre une philosophie aspirant à une récupération idéologique de la science et une philo-
sophie ambitionnant de servir au mieux la science ; elle s’exprime à travers une tension origi-
nelle entre des éléments techniques issus d’une pratique intensive de la science et des éléments
spiritualistes issus d’une tradition séculaire particulièrement présente au sein de la communau-
té philosophique française du tournant du siècle. Plus simplement, la philosophie poinca-
réienne semble avoir été élaborée à partir de deux sources principales : d’une part, une source
scientifique et technique prenant occasionnellement position dans le champ philosophique, et
d’autre part, une source proprement philosophique, prenant appui sur la tradition et tirant sa
matière d’une fréquentation assidue de la communauté philosophique hexagonale (en particu-
lier de l’entourage du philosophe spiritualiste Émile Boutroux).
Scientifique de formation, Poincaré entra en philosophie en transformant l’objet de sa pratique
scientifique quotidienne en objet de réflexion. Derrière l’apparente limpidité de son style se
11 Nous verrons d’ailleurs à la fin de ce travail que la philosophie poincaréienne fut l’objet de tentatives de récupération idéolo-
giques et religieuses.
Henri Poincaré (1854-1912) : Des Mathématiques à la Philosophie 21
Le Conventionnalisme Géométrique, Entre Mathématiques et Philosophie
dissimule en réalité une philosophie mettant en œuvre une multitude de concepts très techni-
ques. Qu’il aborde la question de la genèse de la notion d’espace ou le problème du rôle des
conventions en géométrie, qu’il porte un regard critique sur la philosophie kantienne ou sur
les travaux de Riemann ou Helmholtz, Poincaré s’appuie généralement – et de manière impli-
cite – sur des concepts théoriques et mathématiques complexes ; la théorie des groupes, les
géométries non euclidiennes, la topologie ou l’Analysis situs structurent de façon sous-jacente
un grand nombre de ses développements philosophiques. Ce versant technique de l’œuvre
poincaréienne a fait l’objet d’un grand nombre d’études. Grâce aux travaux de commentateurs
issus des mathématiques (Mooij, Torretti), de la physique (Giedymin, Grünbaum) ou de la
logique (Heinzmann), on parvient aujourd’hui à avoir une idée assez claire de ce que cette
philosophie doit à la pratique scientifique.
La pensée philosophique de Poincaré ne trouve pas, cependant, son seul ancrage dans
l’histoire des mathématiques et dans les conceptions philosophiques qui accompagnèrent son
développement. Dans ses ouvrages philosophiques (La science et l’hypothèse, La valeur de la
science et Science et méthode), les références à différents philosophes ne manquent pas : un re-
censement sommaire permet d’isoler les noms de Bertrand Russell, Édouard Le Roy, Taine,
Cournot, Kant, Épicure ou Émile Boutroux. De même, bien que la correspondance philosophi-
que de Poincaré soit quasiment inexistante, aux détours de certaines lettres quelques noms
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13 Nous interprétons ces deux notions dans un sens commun : nous appelons ‘matérialisme’ la doctrine qui affirme que rien
n’existe en dehors de la matière et que l’esprit est lui-même entièrement matériel. Nous appelons ‘idéalisme’ la doctrine qui
subordonne à la pensée toute existence, tout être objectif et extérieur à l’homme. À l’instar d’Althusser, le terme de matérialisme
constituera pour nous un raccourci pour désigner la méthode positive appliquée dans les sciences, méthode qui repose grande-
ment sur la croyance en l’existence d’une réalité extérieure connaissable. Le terme d’idéalisme renverra, en revanche, à la tradi-
tion philosophique occidentale qui s’est surtout préoccupée d’analyser les rapports entre le corps et l’esprit et de déterminer la
part que ce dernier pouvait avoir dans notre rapport avec une réalité extérieure dont l’existence est parfois mise en doute.
14 [Althusser 1974], page 102.
Henri Poincaré (1854-1912) : Des Mathématiques à la Philosophie 23
Le Conventionnalisme Géométrique, Entre Mathématiques et Philosophie
Les philosophies de savants, provoquées par la ‘crise’ de ‘la’ science, tombent donc de leur
plein droit dans l’histoire de la philosophie, dont elles sont, à leur insu, nourries : elles ne re-
lèvent pas d’une théorie de l’histoire des sciences mais de l’histoire de la philosophie, de ses
tendances, de ses courants et de ses conflits.16
15 [Althusser 1974], page 74. Sa remarque est d’ailleurs empreinte de connotations négatives car selon lui les philosophies de
savants ne sont jamais nouvelles mais toujours à la traîne d’une longue tradition, qu’elles revitalisent plus ou moins selon les
circonstances.
16 [Althusser 1974], page 74.
Henri Poincaré (1854-1912) : Des Mathématiques à la Philosophie 24
Le Conventionnalisme Géométrique, Entre Mathématiques et Philosophie
La condition essentielle pour qu’une unité de mesure soit acceptée et utilisée par tous est
qu’elle soit protégée contre toutes les déformations ou altérations potentielles liées aux diffé-
rences de températures ou aux déplacements. Or, aucun objet physique n’est rigoureusement
indéformable ; il n’existe pas dans la nature de corps absolument solides qui permettent de
fonder d’une manière définitive la science de la mesure. Et, du fait de cette situation, toutes les
précautions sont prises pour garantir les étalons de mesure – sur lesquels reposent en partie
les transactions économiques et le travail scientifique – contre toutes les altérations potentiel-
les : c’est pour cette raison que l’on décida de conserver les étalons du système métrique au
Bureau des Poids et Mesures de Paris, sous une cloche à l’abri de l’air et à température cons-
tante (pour prévenir toute dilatation, contraction, déformation ou oxydation).17
En géométrie, c’est par des déplacements, des superpositions et des comparaisons de figures
que l’on mesure les longueurs. Si une figure est exactement superposable sur une autre, on
dira que les deux figures sont congruentes et elles seront toutes deux considérées comme éga-
les. Ici encore, la condition principale régissant toute mesure est l’existence d’un étalon, sus-
ceptible d’être déplacé dans toutes les régions de l’espace sans que sa forme soit altérée. Or, si
toutes les mesures se réduisent aux déplacements d’un étalon rigide, il faut supposer qu’un
axiome régit ces déplacements : cet axiome, c’est l’axiome de libre-mobilité, qui stipule qu’une
figure géométrique peut être déplacée sans subir aucune déformation ou altération. À cette
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condition s’en ajoute une autre, non moins nécessaire : l’espace géométrique doit être défini
comme homogène et continu, car s’il était discontinu (c’est-à-dire, s’il contenait des points
privilégiés ou s’il était affecté d’une courbure variable), alors les figures géométriques seraient
susceptibles de subir des déformations ou des altérations en fonction des positions qu’elles
occupent dans l’espace.
Comme nous le verrons, Riemann posera que l’espace physique est primitivement amorphe,
qu’il est susceptible d’accueillir diverses définitions de la congruence et que c’est le choix
d’une définition particulière qui détermine le choix d’une géométrie ou d’une autre (eucli-
dienne ou non euclidienne). Il montrera également que la caractéristique commune aux trois
géométries (euclidienne, elliptique, hyperbolique) tient à ce qu’elles portent toutes sur des
espaces géométriques homogènes à courbure constante. Helmholtz et Poincaré développeront
par la suite ces idées en y apportant leurs propres aménagements mathématiques et philoso-
phiques, et plus précisément en essayant de déterminer le statut réel des postulats posés au
début de toute géométrie pour garantir la précision des mesures. Les questions que se pose-
ront les trois mathématiciens seront celles des fondements de la géométrie : d’où provient
l’axiome de libre-mobilité ? S’agit-il d’une proposition issue de l’expérience et de l’observation
de certains corps présents dans la nature, ou bien d’une forme a priori de l’entendement ?
Qu’est-ce qu’un corps solide ? Qu’est-ce que la forme d’un corps solide ? Qu’entend-on exac-
tement lorsqu’on dit que la forme d’un corps reste la même quel que soit le déplacement effec-
tué ? Bien que très mathématiques, les solutions proposées par Riemann, Helmholtz ou Poin-
caré trouveront un point d’ancrage plus ou moins profond dans la philosophie kantienne.
On connaît le problème classique posé par la géométrie : d’un côté, elle possède une dimen-
sion rationnelle dans la mesure où elle utilise des axiomes. D’un autre côté, elle peut être ap-
pliquée au monde réel et rendre de nombreux services dans le domaine des sciences physi-
ques. Le dilemme est donc le suivant : si la géométrie demeure enfermée dans la tour d’ivoire
des propositions mathématiques et des déductions analytiques, il est difficile de comprendre
de quelle manière elle est susceptible de dire quelque chose du monde réel sans perdre de sa
pureté ; et inversement, si l’application de la géométrie au sein du monde expérimental est
possible, alors la nécessité des déductions ainsi produites devient douteuse puisque ces dé-
ductions concernent les objets changeants imparfaitement déterminés de l’expérience. Com-
ment, dans ce cas, concilier l’exigence de rigueur de cette discipline avec l’exigence empirique
(son application au réel et la possibilité éventuelle d’une vérification expérimentale) ?
Kant semblait avoir élucidé la question de l’origine et du statut des axiomes géométriques en
proposant une alternative à ce dilemme. Selon lui, les axiomes de cette science n’étaient ni des
jugements analytiques (c’est-à-dire des jugements purement rationnels dans lesquels le prédi-
cat n’ajoute rien au concept du sujet) ni de jugements synthétiques (c’est-à-dire des jugements
empiriques ajoutant au concept du sujet un prédicat qui n’y était pas pensé) ; ceux-ci n’étaient
rien d’autre que des jugements synthétiques a priori reposant sur une intuition pure de
l’espace. De tels jugements avaient la particularité d'être à la fois indépendants de l’expérience
pour leur justification et de régir, dans le même temps, toutes les expériences possibles ; ils
bénéficiaient ainsi des caractères de généralité et de nécessité qui faisaient défaut aux juge-
ment synthétiques.18
Selon Kant, un concept exigeait une intuition non empirique à la fois singulière et universelle.
Cette intuition pure, conçue comme la condition de possibilité de toutes les intuitions appar-
tenant au même concept, s’exerçait par le biais de l’espace, qu’il considérait comme une forme
a priori de la sensibilité. Comme il devait l’écrire dans la section de la Critique de la raison pure
consacrée à l’esthétique transcendantale, l’espace constituait la forme de tous les phénomènes
des sens extérieurs, ce qui signifie qu’il était une condition subjective de la sensibilité rendant
possible toute intuition extérieure. Le problème général de la raison pure était alors de savoir
comment les jugements synthétiques a priori étaient possibles, de manière à pouvoir poser une
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18 Pour la question des rapports entre la philosophie kantienne et la philosophie poincaréienne on se référera tout particulière-
ment à [Folina 1992].
19 [Kant 1787 / 1987], introduction, III, 36 : « Les jugements mathématiques sont tous synthétiques. Cette proposition semble avoir
échappé jusqu’ici à l’observation de ceux qui ont analysé la raison humaine, et elle paraît même en opposition avec toutes leurs
conjectures. En effet, comme on trouvait que les raisonnements des mathématiciens procédaient tous suivant le principe de
contradiction […], on se persuadait que leurs principes devaient être connus aussi en vertu du principe de contradiction ; en quoi
l’on se trompait…. ».
20 [Kant 1787 / 1987], introduction, III, 37. Kant affirmait : « On est sans doute tenté de croire d’abord que cette proposition
7 + 5 = 12 est une proposition purement analytique qui résulte, suivant le principe de contradiction, du concept de la somme de 7
et de 5. Mais, quand on y regarde de plus près, on constate que le concept de la somme de 7 et de 5 ne contient rien de plus que la
réunion de deux nombres en un seul, et qu’elle ne fait nullement concevoir quel est ce nombre unique qui contient ensemble les
deux autres. Le concept de douze n’est point du tout pensé par cela seul que je pense cette réunion de cinq et de sept, et j’aurais
beau analyser mon concept d’une telle somme possible, je n’y trouverais pas le nombre douze. Il faut que je dépasse ces concepts,
en ayant recours à l’intuition qui correspond à l’un des deux, par exemple à celle des cinq doigts de la main, ou […] à celle de
cinq points, et que j’ajoute peu à peu au concept de sept les cinq unités données dans l’intuition. […] La proposition arithmétique
est donc toujours synthétique. […] Il devient alors évident que, de quelque manière que nous tournions et retournions nos
concepts, nous ne saurions jamais trouver la somme sans recourir à l’intuition et par la seule analyse des concepts ».
Kant poursuivait à propos de la géométrie (III, 37) : « Les principes de la géométrie pure ne sont pas davantage analyti-
ques ; c’est une proposition synthétique que celle-ci : entre deux points la ligne droite est la plus courte. Car mon concept du droit
ne contient rien qui se rapporte à la quantité : il n’exprime qu’une qualité. Le concept du plus court est donc complètement
ajouté, et il n’y a pas d’analyse qui puisse le faire sortir du concept de la ligne droite. Il faut donc ici encore recourir à
l’intuition : elle seule rend possible la synthèse ».
Henri Poincaré (1854-1912) : Des Mathématiques à la Philosophie 26
Le Conventionnalisme Géométrique, Entre Mathématiques et Philosophie
phie kantienne des mathématiques comme point de référence (notamment à travers la tricho-
tomie entre jugements analytiques, synthétiques et synthétiques a priori). Conformément au
courant néokantien largement prédominant au sein de la communauté philosophique fran-
çaise de la fin du XIXème siècle, la philosophie poincaréienne fera largement écho à celle de
Kant. À l’instar du philosophe germanique, Poincaré affirmera en effet la dimension synthéti-
que des mathématiques et il reprendra à son compte une grande partie de la terminologie
kantienne ; il s’accordera ainsi sur le statut synthétique a priori des théorèmes et des axiomes
de l’arithmétique. Dans le détail cependant, sa théorie du synthétique a priori différera quel-
que peu de celle de son initiateur, puisqu’il refusera deux thèses kantiennes essentielles :
d’une part l’idée que la géométrie euclidienne puisse être conçue comme synthétique a priori
et, d’autre part, l’idée que la tridimensionnalité de l’espace soit également d’origine synthéti-
que (a priori).21
Pour Kant, le synthétique a priori incluait les intuitions de l’espace et du temps, et ces intui-
tions déterminaient à leur tour le contenu des vérités géométriques et arithmétiques (qui
étaient des concepts constructibles dans l’intuition pure). Pour Poincaré, au contraire, la théo-
rie des jugements synthétiques a priori sera différente : les jugements synthétiques a priori
seront simplement des jugements qui s’imposent à nous avec une telle force « que nous ne
pourrions concevoir la proposition contraire, ni bâtir sur elle un édifice théorique ».22 Comme
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nous le verrons, Poincaré refusera de conférer aux axiomes géométriques le statut de juge-
ments synthétiques a priori, et ce afin de garantir la possibilité des géométries non euclidien-
nes. À l’instar de Helmholtz, il concevra en effet l’existence des géométries non euclidiennes
comme une réfutation de la philosophie kantienne de l’espace. Son raisonnement sera grosso modo le
suivant : puisqu’il a été prouvé qu’il est possible de concevoir de nouvelles géométries à partir
d’axiomes différents de ceux posés par Euclide, puisqu’il a été prouvé que différentes sortes
d’espaces sont envisageables, l’idée kantienne selon laquelle l’espace est synthétique a priori
ne peut plus tenir. Les arguments kantiens en faveur de l’idéalité transcendantale de l’espace
doivent par conséquent être ignorés dans la mesure où ils reposent sur une acceptation aveu-
gle de la géométrie euclidienne.23 Contre Kant, Poincaré argumentera en faveur de
l’imaginabilité des géométries non euclidiennes ; tout comme Helmholtz avant lui, il affirmera
qu’il est possible de se représenter les sensations que pourraient avoir des êtres intelligents,
dotés du même apparatus sensoriel que nous, plongés dans un univers différent du nôtre. Se
représenter une série de faits indicateurs d’une géométrie non euclidienne consistera, selon
lui, à imaginer des dispositions de corps et de rayons lumineux obéissant à des lois différentes
de celles auxquelles notre esprit est habitué. Nous aurons l’occasion de revenir sur ce pro-
blème.24
21 [Folina 1992], page 1 : « Poincaré explicitly rejects Kant’s thesis that Euclidean geometry is synthetic a priori. He even dis-
agrees with Kant’s more minimal thesis that the three-dimensionality of space is synthetic a priori. He holds that these are, rather
‘conventional’ matters. However, he follows Kant in asserting that the theorems and the acceptable axioms of pure number-
theoretic mathematics have the synthetic a priori status”.
22 [Poincaré 1902q], page 74.
23 Poincaré empruntera en partie cette conception aux travaux de Helmholtz sur les fondements de la géométrie. Cependant, il
est intéressant de noter que cette tradition d’interprétation trouve encore des partisans aujourd’hui. On en trouve en effet des
traces dans un livre récent de Paul M. Churchland, Matter and Consciousness, où il écrit : « Both Euclidean Geometry and New-
ton’s physics have since [Kant] turned out to be empirically false, which certainly undermines the specifics of Kant’s story ».
[Churchland 1988], page 84.
24 Il n’est pas certain que cette objection de Poincaré soit complètement justifiée. En effet, Kant n’affirmait pas l’impossibilité de
concevoir d’autres espaces que l’espace euclidien à trois dimensions (par exemple les espaces à deux dimensions) ; dans sa
conception, il était possible d’avoir de telles notions – de la même manière qu’il était possible de concevoir l’infini – tant que les
concepts n’étaient pas contradictoires. En revanche, Kant niait qu’il soit possible de se concevoir en train d’expérimenter un espace
non tridimensionnel, ou bien un infini actuel, car, bien que les concepts ne soient pas contradictoires, ce sont des concepts vides
(puisque aucune intuition possible ne leur correspond). Les énoncés portant, par exemple, sur des espaces à quatre dimensions ne
constituaient pas pour lui des contradictions logiques mais ils entraient en contradiction avec la trame spatiale que imposée de
manière a priori à toute expérience. En d’autres termes, il existait peut-être, au sein même de la philosophie kantienne, une
possibilité de prise en compte de l’existence des géométries non euclidiennes que Helmholtz et Poincaré n’auraient pas discernée.
Il n’est donc pas certain que la découverte des géométries non euclidiennes ait signifié la mort du kantisme. En réalité, ce n’est
pas tant la possibilité de construire des géométries autres que la géométrie euclidienne à trois dimensions qui pose problème que
Henri Poincaré (1854-1912) : Des Mathématiques à la Philosophie 27
Le Conventionnalisme Géométrique, Entre Mathématiques et Philosophie
A – Riemann et la géométrie
En 1854, Riemann prononça à l’université de Göttingen son discours d’habilitation intitulé
« Über die Hypothesen welche der Geometrie zu Grunde liegen ».25 Bien qu’étant d’essence
mathématique, ce texte contient certains développements philosophiques importants qui lui
donnent sa place au sein du débat philosophique traditionnel opposant rationalistes, empiris-
tes et kantiens. On a souvent beaucoup insisté sur l’aspect purement mathématique de ce
texte. Cependant, il est important de mentionner qu’il ne fut pas prononcé devant un public
de mathématiciens, mais devant l’ensemble des membres de l’université de Göttingen, ce qui
lui confère une dimension mixte, à la fois mathématique et philosophique.26
Cette conférence demeura inédite jusqu’en 1867 et ne circula qu’au sein d’un petit cercle
d’initiés. Elle fut traduite en français par J. Hoüel dans les Annali di matematica en 1870. À en
croire Hans Freudenthal, ce travail de Riemann ne fut guère pris en compte par la communau-
té mathématique dans la mesure où il fut en partie éclipsé par les travaux du physiologiste,
physicien et mathématicien Hermann von Helmholtz (1821–1894).27 Peut-être faudrait-il rela-
tiviser ce jugement : même si les conceptions philosophiques (épistémologiques) de Helmholtz
occultèrent effectivement les travaux de Riemann (Helmholtz était un vulgarisateur scientifi-
que particulièrement efficace), elles exercèrent tout de même une certaine influence, ne serait-
tel-00137859, version 1 - 22 Mar 2007
la possibilité d’imaginer quelles seraient nos sensations dans un espace doté d’autres caractéristiques que l’espace euclidien. Pour
plus de détails concernant ce point, on pourra consulter le livre de Janet Folina, Poincaré and the Philosophy of Mathematics [Folina
1992].
25 On ne saurait entrer ici dans le détail d’un texte mathématique très complexe. Nous porterons donc notre attention sur
quelques points saillants des conclusions philosophiques de Riemann, en tentant de faire abstraction des diverses controverses
annexes. Nous ferons ici les citations à partir du texte allemand [Riemann 1854–1990] tout en proposant en note la traduction
française.
26 Dans son article « Riemann’s Habilitationsvortrag and the Synthetic A Priori Status of Geometry » Gregory Nowak fait état
d’une hypothèse interprétative : l’hypothèse de la suppression thesis, qui fut formulée par certains commentateurs (par exemple
par Kline). Selon cette hypothèse, Riemann aurait voulu présenter des résultats mathématiques détaillés, mais il n’y parvint pas
parce que l’assistance n’était composée que de non-mathématiciens ; il se serait donc ‘autocensuré’ et il aurait ainsi adopté un
vague point de vue philosophique nuisible à la clarté de ses propos. Cependant, pour sa part, Nowak se démarque de cette
interprétation : le contenu philosophique du travail de Riemann n’est pas dû à une autocensure, il n’apparaît pas de façon
contingente mais de manière totalement délibérée. Comme il le remarque : « Such a view explains many features of the history of
the Habilitationsvortrag – the fact that it was never published as a mathematical paper, its unusual organization, which placed
most of the mathematical content in one section, and its reception, which took issue with it primarily on philosophical rather
than mathematical grounds. In the Habilitationsvortrag, Riemann is functioning as more than a mathematician ; we have a better
understanding of the paper if we see him speaking primarily as a philosopher, possessed of a rather powerful mathematical
methodology. Riemann was tactfully suggesting that new mathematical researches might have something to say to philosophy.
His attempt to criticize the Kantian view of space on mathematical grounds presented mathematics as a significant and contribut-
ing component of intellectual culture ». [Nowak 1989], page 37.
27 « Au dix-neuvième siècle les espaces de Riemann étaient au mieux acceptés comme théorie mathématique abstraite. En tant
que philosophie de l’espace, ils n’ont pas eu d’effet. En ce qui concerne les idées révolutionnaires de l’espace, Riemann a été
éclipsé par Helmholtz, du mémoire duquel le titre, Über die Tatsachen, die der Geometrie zum Grunde Liegen, marque sa critique de
Riemann : faits versus hypothèses ». Hans Freudenthal cité dans [Boi 1995], note 5, page 129. Il faudrait cependant mentionner la
reprise par Beltrami des travaux de Riemann.
Henri Poincaré (1854-1912) : Des Mathématiques à la Philosophie 28
Le Conventionnalisme Géométrique, Entre Mathématiques et Philosophie
treten. Das Verhältniss dieser Voraussetzungen bleibt dabei im Dunkeln ; man sieht weder
ein, ob und in wie weit ihre Verbindung nothwendig, noch a priori, ob sie möglich ist.28
Il se propose donc d’étudier cette question en prenant pour point d’appui une analyse du
concept général de grandeurs étendues de dimensions multiples – les multiplicités
(Mannigfaltigkeiten) – qui sont des ensembles de toutes les valeurs possibles de n variables
x1 , x 2 , ... , x n , appelées coordonnées. Ces grandeurs de dimensions multiples incluent, entre
autres, comme cas particuliers, les magnitudes spatiales ; son projet est, en quelque sorte, de
construire ces grandeurs à partir des notions générales de quantité.
Comme nous l’avons vu, en construisant des géométries niant le postulat euclidien des paral-
lèles, les fondateurs des géométries non euclidiennes posèrent les bases d’une série de boule-
versements radicaux qui touchèrent aussi bien les sciences mathématiques que les sciences
physiques. Les conceptions kantiennes d’un espace conçu comme forme a priori de la sensibili-
té se trouvèrent atteintes par cette révolution : car s’il était possible de construire d’autres
géométries que la géométrie euclidienne, comment pouvait-on être sûr que les phénomènes
apparaissaient bien dans un espace euclidien ? Face à ce nouveau problème, les inventeurs des
géométries non euclidiennes se déclarèrent favorables à une forme d’empirisme géométrique,
stipulant qu’au-delà de nos facultés à construire des géométries cohérentes et non contradic-
toires, il existe une géométrie et une seule susceptible de s’appliquer à l’espace physique. Cette
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28 [Riemann 1854–1990], page 304. Cf. Traduction : « On sait que la géométrie admet comme données préalables non seulement
le concept de l’espace, mais encore les premières idées fondamentales des constructions dans l’espace. Elle ne donne de ses
concepts que des définitions nominales, les déterminations essentielles s’introduisant sous forme d’axiomes. Les rapports mu-
tuels de ces données primitives restent enveloppés de mystère ; on n’aperçoit pas bien si elles sont nécessairement liées entre
elles, ni jusqu’à quel point elles le sont, ni même a priori si elles peuvent l’être ».
29 Voir à ce sujet [Coleman / Korté 1992-1993], page 5 : « Riemann considers physical space as a determinate instance of the
genus ‘multiply extended magnitude’ (mehrfach ausgedehnte Größe) and proposes to construct the genus from general magnitudi-
nal notions in order to establish that it does not itself involve the specifications of metric relationships. Thus the mathematical
representation of a continuous three-fold extended magnitude admits of different metrical structures, and physical space repre-
sents a specific instance of it by being endowed with a specific determinate metric relationship ».
30 [Riemann 1854–1990], pages 304-305. « Or, il s’ensuit de là nécessairement que les propositions de la Géométrie ne peuvent se
déduire des concepts généraux de grandeur, mais que les propriétés, par lesquelles l’espace se distingue de toute autre grandeur
imaginable de trois dimensions, ne peuvent être empruntées qu’à l’expérience ».
31 Cf. le livre de Luciano Boi, Le problème mathématique de l’espace – Une quête de l’intelligible [Boi 1995], pages 130-131.
32 Comme le fait remarquer Georges Lochak dans son livre La géométrisation de la physique [Lochak 1994], pages 70-71 : « Son
idée première fut de comprendre qu’on doit distinguer, en géométrie, entre ce qui est général et se rapporte à la topologie, et ce qui
particularise une géométrie et se rapporte à la métrique. Ce qui veut dire qu’on doit d’abord s’interroger sur la notion de figure,
Henri Poincaré (1854-1912) : Des Mathématiques à la Philosophie 29
Le Conventionnalisme Géométrique, Entre Mathématiques et Philosophie
métriques de l’espace ; cette tâche n’est pas des plus aisée dans la mesure où plusieurs systèmes
de faits simples sont susceptibles de caractériser les relations métriques de l’espace. L’espace primor-
dial est en effet amorphe (sans géométrie définie) et plusieurs métriques sont susceptibles de
lui être appliquées. Or, si on se fixe comme but de trouver les faits les plus simples qui permet-
tent de déterminer au mieux les relations métriques de l’espace, on se trouve confronté au
problème de la multiplicité des systèmes de faits simples susceptibles de s’appliquer à
l’espace. C’est à ce niveau que l’élément empirique intervient : le choix du système de faits
simples s’appuie sur l’expérience ; ces faits sont des hypothèses empiriques.33
Le choix du terme ‘hypothèse’ n’est pas gratuit. La détermination de la métrique de l’espace se
fait via la formulation d’hypothèses empiriques : on choisit une métrique parmi la multitude
de métriques susceptibles d’être appliquées sur une multiplicité à n dimensions. Elle a un
caractère objectif puisque la métrique qui caractérise notre espace (euclidien) peut permettre
d’interpréter l’expérience.34 En d’autres termes, pour Riemann, l’espace est un espace mathé-
matique abstrait dans la mesure où il s’agit d’une grandeur de dimension multiple
(Mannigfaltigkeit). L’espace physique est ainsi un cas particulier d’espace, susceptible
d’accueillir plusieurs rapports métriques. Il n’y a pas de géométrie liée intrinsèquement à la
notion d’espace et il est donc nécessaire de choisir une géométrie en faisant des hypothèses.
L’ancien concept d’espace euclidien se trouve donc singulièrement mis à mal.35
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Comme nous le verrons ultérieurement, le mémoire de Riemann exercera une influence cer-
taine sur Poincaré puisqu’il se permettra d’en reprendre le titre dans sont premier article phi-
losophique. À ce stade, on pourrait être tenté de voir dans la conception riemannienne une
anticipation du conventionnalisme géométrique poincaréien. Ainsi, dans son ouvrage Philoso-
phical Problems of Space and Time, Adolf Grünbaum devait affirmer que le conventionnalisme
n’est rien d’autre qu’une élaboration épistémologique des conceptions de Riemann sur le
caractère amorphe du continu spatial.36 À Riemann serait revenu le mérite d’avoir posé les
bases d’un conventionnalisme pour la métrique et d’avoir sapé le concept newtonien d’espace
absolu en critiquant implicitement la notion d’une métrique intrinsèque de l’espace. À Poinca-
ré serait revenu le mérite d’avoir utilisé les vues de Riemann dans ses travaux mathématiques
et d’en avoir développé les conséquences philosophiques à travers l’élaboration d’une théorie
générale de la connaissance. Il va de donc soi que pour Grünbaum le conventionnalisme géo-
métrique trouve sa source principale dans les travaux de Riemann et qu’il se résume à un
empirisme affirmant que la stipulation d’une métrique s’apparente à l’énoncé d’une propriété
structurale de l’espace physique. Nous n’entrerons pas dans le détail des débats concernant cette
interprétation et nous aurons d’ailleurs l’occasion de décrire, dans la suite de ce chapitre,
l’opposition évidente de Poincaré à la thèse de l’empirisme géométrique que Grünbaum sem-
ble vouloir lui faire défendre. Nous nous contenterons ici de formuler deux critiques d’ordre
méthodologique : d’une part, la thèse de Grünbaum est centrée sur les passages les plus
connus de La science et l’hypothèse (principalement les chapitres 3, 4 et 5) et elle néglige les
considérée comme un ensemble de points dont on ne considère que des propriétés générales de situation dans l’espace, les unes
par rapport aux autres, ou de proximité plus ou moins grande. Ces propriétés sont éventuellement soumises à diverses transfor-
mations, continues dans un sens large : les homéomorphismes, qui conservent les propriétés en question mais ne font pas intervenir
la notion plus précise de distance entre deux points. Celle-ci ne vient qu’au deuxième stade de la géométrie, celui de la métrique,
qui permet de préciser la forme des figures […] et de particulariser les transformations […]. Quant à savoir si telle géométrie ainsi
construite a une utilité pratique, autrement dit si une métrique est plus apte qu’une autre à décrire les phénomènes naturels, ce
n’est pas aux mathématiques d’en décider, mais à l’expérience ».
33 [Riemann 1854–1990], page 305.
34 [Boi 1995], page 131.
35 Voir cette citation du mathématicien L. Libois : « Riemann est passé de l’espace d’Euclide à ‘l’Espace’ et plus généralement
aux ‘Espaces de Riemann’ par un double processus d’abstraction et de concrétisation. Il passe de l’espace euclidien à la grandeur
triplement étendue par abstraction, par ‘démétrisation’, et ensuite, par le processus inverse – concrétisation – il ajoute à la variété
triplement étendue une métrique. L’avantage du double processus est évident : la métrique ajoutée est plus générale que la
métrique enlevée. Riemann, en concevant la possibilité de concrétisations diverses, créait, aux côtés de l’espace d’Euclide, une
gamme infinie d’espaces de types nouveaux ». Cité dans [Boi 1995], page 155.
36 [Grünbaum 1963/73], page 115 : « […] The central theme of Poincaré’s so-called conventionalism is essentially an elaboration
autres travaux de Poincaré, ce qui lui confère un tour relativement partial. D’autre part, son
interprétation est presque totalement centrée sur la question de l’origine mathématique et tech-
nique de la philosophie poincaréienne; elle ne tient pas compte de son contexte historique
global de formulation, de ses relations avec la philosophie traditionnelle ou de l’insertion de
Poincaré au sein dans un réseau philosophique dépassant le cercle restreint de la communauté
scientifique. Nous espérons pouvoir montrer que si les conceptions de Riemann et de Helm-
holtz sont essentielles pour comprendre la pensée de Poincaré, elles n’expliquent cependant
pas tout.
Si l’on s’intéresse maintenant à la dimension philosophique du travail de Riemann, on cons-
tate que faire de la géométrie revient pour lui à se donner une ou des métriques. De plus, on
s’aperçoit que la distinction philosophique classique entre forme et matière semble s’appliquer
à sa conception de l’espace. Il y a une matière qui préexiste : cette matière c’est l’espace, conçu
comme une multiplicité (Mannigfaltigkeit), c’est-à-dire une grandeur étendue à n dimensions ;
en tant que multiplicité, l’espace est amorphe, il n’a aucune caractéristique métrique (on est à
un niveau topologique). La forme de cet espace c’est la métrique : le choix d’une métrique
(puisqu’il s’agit d’un choix) va donner une forme à cet espace amorphe et engendrer un type
de géométrie bien défini.37 Suivant la métrique on aura soit une géométrie euclidienne, soit
une géométrie non euclidienne.38
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La référence à un espace physique continu est importante ici. Si on pose l’hypothèse d’un es-
pace physique discret, on admet implicitement qu’il a une métrique intrinsèque qui est déjà
contenue dans le concept même de multiplicité. Par contre, si on pose l’hypothèse d’un espace
physique continu, la métrique doit être recherchée en dehors de la multiplicité, c’est-à-dire
dans l’expérience (ce qui n’est pas sans conséquences du point de vue philosophique). Ceci
explique pourquoi Riemann insiste beaucoup sur la libre mobilité des figures et sur l’idée d’un
espace homogène, sans points privilégiés.39
Pour conclure, notons que le point nodal de la conférence de Riemann est certainement
l’importance accordée à la notion d’hypothèse. En effet, pourquoi le système de faits communs
aux trois géométries (euclidienne, elliptique et hyperbolique) se résume-t-il, en dernière ana-
lyse, à des hypothèses ? Plusieurs facteurs entrent en ligne de compte, mais le plus fondamen-
37 À l’inverse, Poincaré soutiendra que la forme existe avant la matière, que la notion de groupe est antérieure au nombre de
dimensions. Ainsi dans « Les fondements de la géométrie » [Poincaré 1898k], Poincaré écrira, page 61 : « Pour moi au contraire la
forme existe avant la matière. Les différentes manières dont un cube peut être superposé à lui-même et les différentes manières
dont les racines d’une certaine équation peuvent être échangées constituent deux groupes isomorphes. Elles ne diffèrent que par
la matière. Le mathématicien regarderait cette différence comme superficielle et il ne distinguerait pas davantage entre ces deux
groupes qu’entre un cube de verre et un cube de métal. Sous cet aspect le groupe existe antérieurement au nombre des dimen-
sions ».
38 S’il est possible d’appliquer différentes formes à l’espace, la question est alors de savoir laquelle de ces formes s’applique le
mieux à l’espace physique. Selon Riemann, la réponse à cette question ne peut être trouvée dans le concept même de multiplicité
(qui demeure purement mathématique et abstrait), mais doit être recherchée dans l’expérience. C’est elle, en effet, qui doit
permettre de décider, parmi la multitude de métriques applicables à la multiplicité amorphe, laquelle semble correspondre à la
structure métrique effective de l’espace physique. Ce recours à l’expérience se fait par le biais de la formulation d’hypothèses
dont la valeur n’est qu’approchée et qui ne sauraient être considérées comme des nécessités logiques. Voir à ce sujet [Coleman /
Korté 1992-1993], page 9 : « The geometry of continuous physical space cannot be established purely on the basis of the concep-
tual level of a general metrical manifold. Rather, the restrictive conditions, which single out the specific metrical structure of
physical space from other possible metrical structures compatible with the manifold topology, must be taken from experience. It
is at this juncture that those ‘hypotheses’ in the title of the address emerge. As we saw, Riemann points out already in the Intro-
duction that the system of facts (Tatsachen) both of Euclidean and of ordinary non-Euclidean geometries are ‘not necessary, but
only of empirical certainty, they are hypotheses…’ ».
39 [Riemann 1854–1990], pages 317-318.
Cette thèse de Riemann est définie par Coleman et Korté comme une Thèse Conceptuelle de Séparation (Conceptual Separation
Thesis), [Coleman / Korté 1992–1993], pages 5-6 :
« Riemann’s Conceptual Separation Thesis states that the concept of a continuous manifold does not by itself involve the speci-
fication or existence of a metrical structure. That is, a specific metric cannot be defined on the basis of the topology of a continu-
ous manifold.
It should be noted that Riemann takes it as given whether a manifold is continuous or discrete and addresses himself to the
question of how metrical relations are to be determined for either case. That is, Riemann does not inquire into an underlying
reason or basis of the continuity or discreteness properties of a manifold, but takes these topological characteristics as essential
and given ».
Henri Poincaré (1854-1912) : Des Mathématiques à la Philosophie 31
Le Conventionnalisme Géométrique, Entre Mathématiques et Philosophie
tal est certainement celui-ci : il pourrait parfaitement s’avérer que le système de faits qui carac-
térise l’espace physique de notre expérience (pour simplifier, le concept de mouvement libre
d’un corps rigide) soit inopérant au niveau microscopique. Derrière cette possibilité se dissi-
mule en fait l’idée que notre connaissance causale des phénomènes dépend en grande partie
de l’exactitude des connaissances que nous pouvons avoir à leur sujet dans l’infiniment petit.40
Autrement dit, à un niveau infinitésimal, les relations métriques pourraient très bien ne pas
être en accord avec les présuppositions de la géométrie ordinaire ; d’où l’utilisation du terme
d’hypothèse, qui implique la possibilité d’une révision et qui met en avant la dimension ap-
proximative des concepts qui servent de fondement à la géométrie.41
Comme le remarque Philippe Nabonnand dans son article « Helmholtz et la géométrie », Rie-
mann s’inscrit dans la perspective d’une géométrie appliquée, comprise comme théorie de
l’espace physique, qui s’appuie sur l’expérience. En effet, le principe des rapports métriques
doit être recherché en dehors de celui-ci ; les fondements de la géométrie ne sont pas intrinsè-
ques à la donnée de l’espace mais doivent, au contraire, être déterminés par l’expérience.42 La
rupture par rapport à la conception transcendantale de Kant se trouve, de ce fait, consommée.
B – Helmholtz et la géométrie
Après Riemann, Helmholtz (1821–1894) se confronta au problème des fondements de la géo-
tel-00137859, version 1 - 22 Mar 2007
métrie. Il tenta de délimiter les propriétés communes à toutes les multiplicités à courbure
constante, afin de les distinguer des autres propriétés qui caractérisent l’espace physique à
trois dimensions. Tout comme Riemann, il fonda une conception empiriste de la géométrie et
de l’espace, mais en portant beaucoup plus son attention sur l’espace tel qu’on l’appréhende
quotidiennement.43
Helmholtz publia son premier article sur les fondements de la géométrie en 1868 dans les
Verhandlugen des naturhistorisch-medicinischen Vereins zu Heidelberg : « Über die thatsächlichen
Grundlagen der Geometrie ». Cependant, ses deux travaux majeurs sur ce sujet sont, d’une
part, son article « Über die Thatsachen, die der Geometrie zu Grunde liegen » publié en 1868,
et, d’autre part, le texte d’une conférence donnée à Heidelberg en 1870 « Über den Ursprung
und die Bedeutung der geometrischen Axiome ». Nous aborderons brièvement le texte de
1868 avant de porter une plus grande attention sur celui de 1870.
1 – « Über die Thatsachen, die der Geometrie zum Grunde liegen »44
Dans ce texte, Helmholtz se propose de traiter les questions suivantes : dans quelle mesure
peut-on dire que les propositions de la géométrie sont objectivement vraies ? Dans quelle
mesure peut-on dire, au contraire, qu’elles ne sont que des définitions ou des conséquences de
définitions ? Dans quelle mesure dépendent-elles de la forme de la représentation ? Dès
l’introduction, il affirme vouloir reprendre les développements analytiques de Riemann et
livre Die Lehre von den Tonempfidungen als physiologische Grundlage fûr die Theorie der Musik en 1863), il entendait traiter le problème
des fondements de la géométrie et de l’espace en mettant l’accent sur les questions de la sensation et de la perception. Dans son
premier article consacré aux fondements de la géométrie [Helmholtz 1866], Helmholtz déclarera ainsi : « […] mes recherches sur
la manière dont s’opère la localisation dans le champ visuel m’ont conduit à réfléchir sur les faits qui serait à l’origine de la
théorie générale de l’espace ». Cité d’après [Boi 1995], page 329.
44 Pour cet article, nous donnerons la traduction anglaises des citations à partir de [Helmholtz 1868-1977].
Henri Poincaré (1854-1912) : Des Mathématiques à la Philosophie 32
Le Conventionnalisme Géométrique, Entre Mathématiques et Philosophie
faire siennes ses conclusions45, mais il introduit une nuance de taille : dans son traitement des
fondements de la géométrie, il substitue la notion de ‘fait’ à la notion d’hypothèse. Une telle
substitution révèle l’existence d’un désaccord sur sa manière de concevoir la géométrie.46
Pour Riemann, l’analyse de l’espace procédait des hypothèses abstraites vers les faits, tandis
que pour Helmholtz, elle va des faits vers les hypothèses. Pour le premier, en effet, les notions
géométriques étaient avant tout des hypothèses mathématiques abstraites et ce n’était qu’au
moment de les mettre en relation avec l’espace physique qu’elles acquéraient le statut
d’hypothèses scientifiques (à vérifier ou à infirmer). Pour Helmholtz, au contraire, les notions
géométriques seront des idéalisations de faits d’expérience, et c’est sur ces idéalisations que
l’étude de la structure métrique de l’espace se fondera.47 Riemann considérait par ailleurs
l’espace comme une grandeur n fois étendue et il supposait que chaque point d’une région
donnée de l’espace est déterminé par n grandeurs variables. Helmholtz s’accordera avec lui
sur ce point, mais il refusera de porter son attention sur autre chose que la géométrie de
l’espace réel. Enfin, ce qui, chez Riemann, était une condition – à savoir la possibilité d’une
mobilité libre des corps solides, sans déformation et dans chaque partie de l’espace – devien-
dra chez Helmholtz un point de départ et, pour ainsi dire, la base de tout son système géomé-
trique.
L’utilisation par Helmholtz du terme de ‘fait’ a souvent incité les commentateurs à insister sur
tel-00137859, version 1 - 22 Mar 2007
la dimension empirique de ses conceptions. Ainsi Luciano Boi remarque que « les postulats
[…], affirmant respectivement que les rapports métriques de l’espace ou d’une variété peuvent
être exprimés par la donnée d’une forme différentielle quadratique et que la courbure de
l’espace est constante –, sont une conséquence logique d’un ‘fait d’observation’ »48, puisque notre
expérience habituelle de l’espace réel nous enseigne que le mouvement des figures rigides est
possible et que la congruence des figures matérielles est indépendante du lieu et de la direc-
tion. Pour appuyer cette interprétation, il cite ce passage très célèbre de l’article de Helmholtz :
Mein Ausgangspunkt war, dass alle ursprüngliche Raummessung auf Beobachtung der
Congruenz beruht ; die Geradlinigkeit der Lichstrahlen ist offenbar eine physikalische
Thatsache, die sich auf besondere Erfahrungen eines anderen Gebietes stütz, und für den
Blinden, der doch auch vollständige Überzeugung von der Richtigkeit geometrischer Sätze
gewinnen kann, gar kein Gewicht hat. Von Congruenz kann man aber überhaupt nicht re-
den, wenn nicht feste Körper oder Punksysteme in unveränderlicher Form zu eiander be-
wegt werden können, und wenn Congruenz zweier Raumgrössen nicht ein unabhängig
von allen Bewegungen bestehendes Factum ist. Die Möglichkeit der Raummessung durch
Constatirung von Congruenz habe ich also von Anfang an vorausgesetzt und mir die Auf-
gabe gestellt, die allgemeinste analytische Form einer mehrfach ausgedehnten Mannigfal-
tigkeit zu suchen, in der die dabei verlangte Art der Bewegungen möglich ist.49
45 [Helmholtz 1868–1883], pages 618-619 : « Bei dieser Untersuchung hatte ich im Wesentlichen denselben Weg eingeschlagen,
dem Riemann in seiner kürzlich veröffentlichten Habilitationsschrift gefolgt ist. Die analytische Behandlung der Frage, wodurch
sich der Raum unterscheide von anderen abmessbaren, mehrfach ausgedehnten und continuirlichen Grössen, empfiehlt sich in
diesem Falle gerade durch den Umstand, dass sie der Anschaulichkeit ermangelt und deshalb den auf diesem Gebiete so schwer
zu vermeidenden Täuschungen durch die besondere Begrenztheit unserer Anschauungen nicht ausgesetzt ist ». Pour cet article
nous faisons figurer la traduction anglaise qui se trouve dans [Helmholtz 1868–1977]. « In this investigation, I had essentially
started along the same path as that followed by Riemann in his recently published inaugural dissertation. The analytic treatment
of the question, of what distinguishes space from other measurable, severally extended and continuous magnitudes, recommends
itself in this case precisely because of the circumstance that it lacks an intuitive character ». [Helmholtz 1868–1977], page 39.
46 [Boi 1995], pages 336-337 : « Les ‘Tatsachen’ contre les ‘Hypothesen’ a-t-on affirmé. Par le choix du mot ‘faits’, Helmholtz a
voulu en réalité marquer son opposition à Riemann. Selon le mathématicien de Göttingen, la géométrie doit être construite à
partir d’hypothèses très générales, mathématiquement fondées, qui peuvent cependant devenir de véritables hypothèses scienti-
fiques du moment qu’elles peuvent servir à expliquer les phénomènes naturels, et notamment physiques. Selon Helmholtz, au
contraire, la science de l’espace doit être fondée sur des faits qui, sans être forcément empiriques, doivent être toujours suscepti-
bles d’une vérification expérimentale, pour qu’il soit possible de disposer d’une géométrie physique, et non pas seulement
mathématique ».
47 Cf. [Boi 1995], page 337.
48 [Boi 1995], pages 338-339. C’est nous qui soulignons.
49 [Helmholtz 1868–1883], page 621. « My starting point was that the primary measurement of space is entirely based upon the
observation of congruence ; clearly, the rectilinearity of light rays is a physical fact supported by particular experience in another
field, and has no importance whatever for someone who is blind, though he can also attain a complete conviction of the correct-
Henri Poincaré (1854-1912) : Des Mathématiques à la Philosophie 33
Le Conventionnalisme Géométrique, Entre Mathématiques et Philosophie
Helmholtz semble justifier ainsi l’exigence de libre mobilité par le fait que la congruence est
observable dans l’espace ; il fait de cette propriété son point de départ en posant qu’elle est
empiriquement observable.
Pourtant, en analysant cette citation, on s’aperçoit que les propos de Helmholtz sont suscepti-
bles de recevoir une interprétation beaucoup plus modérée. Effectivement, Helmholtz affirme
bien que toute mesure primitive de l’espace dépend d’une observation de congruence. Cepen-
dant, il indique clairement ensuite qu’il s’est contenté de présupposer cette possibilité de mesurer
l’espace au moyen d’une constatation de congruence (cf. « Die Möglichkeit der Raummessung
durch Constatirung von Congruenz habe ich also von Anfang an vorausgesetzt… »). En
d’autres termes, l’idée qu’une constatation de la congruence est censée fonder toute mesure
n’est en fait qu’une hypothèse, conçue comme nécessaire : Helmholtz ne dit pas que la
congruence est observable dans l’espace, il se contente d’affirmer que l’observation d’une telle
congruence est une hypothèse de départ, une condition de possibilité de toute mesure spatiale. Par
conséquent, il semble raisonnable de penser que les visées empiristes des conceptions de
Helmholtz doivent se situer à un autre niveau.
Voyons la liste des axiomes susceptibles de fonder la géométrie selon Helmholtz : le premier
axiome stipule que l’espace à n dimensions est une variété n fois étendue. Le second pose que
l’existence de corps mobiles et rigides est présupposée de manière à rendre possible la compa-
tel-00137859, version 1 - 22 Mar 2007
raison entre des grandeurs spatiales par le biais d’une vérification de congruence. En introdui-
sant cet axiome, Helmholtz s’égare car sa définition de la métrique présuppose déjà une géo-
métrie ; il semble ainsi près de s’enfermer dans un cercle vicieux. Il paraît cependant relative-
ment conscient de cette difficulté et il sait que sa définition du corps rigide devra éviter la
circularité :
Da wir hier noch keine speciellen Messungsmethoden der Raumgrössen voraussetzen dür-
fen, so kann die Definition eines festen Körpers an dieser Stelle nur folgende sein : zwi-
schen den 2n Coordinaten eines jeden Puktpaares, welches einem in sich festen Körper an-
gehört, besteht eine von der Bewegung des letzteren unabhangig Gleichung, welche für alle
congruenten Punktpaare die gleiche ist.50
En d’autres termes, Helmholtz ramène la définition de la notion de corps solides à l’existence
d’un invariant entre les paires congruentes de points ; ce faisant, il réintroduit implicitement la
notion de métrique, qu’il prétendait cependant déduire de ses hypothèses. Il affirme que le
système de mesures spatiales dépend complètement de l’existence de corps naturels qui sem-
blent dotés des mêmes caractéristiques que les corps rigides.51
Il semble soutenir ici l’existence d’une correspondance entre le concept de corps rigide, tel
qu’il est défini du point de vue géométrique, et certains corps naturels ; il existerait ainsi des
corps naturels présentant les caractéristiques des corps rigides idéaux utilisés par les géomè-
tres. Cependant, il ajoute un bémol à cette conception empiriste en affirmant que la possibilité
du système de mesures spatiales dépend de l’existence de corps naturels correspondant de
manière suffisamment proche (hinreichend nahe entsprechen) au concept de corps rigide ; il semble
ici refuser de comparer directement les idéaux géométriques avec les figures du monde réel et
ness of geometrical propositions. However, one cannot at all speak of congruence unless fixed bodies or point systems can be
moved up to one another without changing form, and unless the congruence of two spatial magnitudes is a fact whose existence
is independent of all motions. So I presupposed from the outset that the measurement of space through ascertaining congruence
was possible, and set myself the task of looking for the most general analytical form of a severally extended manifold in which
motions of the kind thus demanded are possible ». [Helmholtz 1868–1977], page 42.
50 [Helmholtz 1868–1883], page 622. « As we are not yet allowed to presuppose here any special methods of measuring spatial
magnitudes, the definition of a fixed body can only be the following at this point : between the 2n coordinates of any point pair
belonging to a body fixed in itself, there exists an equation which is independent of the motion of the latter, and which for all
congruent point pairs is the same. While point pairs are congruent, if they can coincide silmutaneously or successively with the
same point pair of space ».
51 [Helmholtz 1868–1883], page 639.
Henri Poincaré (1854-1912) : Des Mathématiques à la Philosophie 34
Le Conventionnalisme Géométrique, Entre Mathématiques et Philosophie
il affirme la possibilité d’une correspondance sommaire, dans les limites d’une théorie
d’approximation.52
Dans chacun de ses articles consacrés à la géométrie, Helmholtz se trouvera confronté au pro-
blème de l’empirisme et au problème des relations entre les concepts idéaux de la géométrie et
les figures réelles. Déjà en 1868, dans sa conférence « Über die tatsächlichen Grundlagen der
Geometrie », Helmholtz avait tenté de traiter cette question, mais sans parvenir à fournir un
fondement empirique aux concepts géométriques puisqu’il se contentait d’indiquer « les con-
ditions que les corps naturels devraient posséder afin que l’on puisse donner au système de
mesure une signification factuelle ».53 Dans le même ordre d’idées, le projet de Helmholtz
échoua également dans « Über die Tatsachen, die der Geometrie zugrunde liegen » puisque,
pour opérer ce passage entre les concepts et la réalité, il se trouvait obligé de définir son empi-
risme comme une théorie d’approximation.
2 – « Über den Ursprung und die Bedeutung der geometrischen Axiome »
Publié deux ans après « Über die Thatsachen, die der Geometrie zum Grunde liegen », le texte
« Über den Ursprung und die Bedeutung der geometrischen Axiome » est radicalement diffé-
rent dans sa forme. Helmholtz y soutient toujours des conceptions empiristes, mais il les for-
mule cette fois-ci dans un style philosophique. Il tente de se démarquer de Kant et de présenter
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des arguments en faveur de ‘l’imaginabilité’ potentielle des géométries non euclidiennes. Pour
ce faire, il introduit dans la discussion tout un arsenal de paraboles et d’expériences de pensée
mettant en scène des êtres imaginaires similaires à nous, mais vivant dans des mondes impro-
bables. Ces ‘fables’ imagées et didactiques influenceront beaucoup Poincaré puisqu’on trouve-
ra de nombreuses paraboles analogues dans plusieurs de ses travaux.54
Cet article, publié initialement dans Vorträge und Reden, est en fait le texte d’une conférence
prononcée en 1869 à l’Université de Heidelberg devant une assistance composée pour une
grande part de non-mathématiciens. Il n’est d’ailleurs pas anecdotique de faire remarquer
qu’au sein de cette assistance se trouvait un philosophe d’une importance extrême pour la
suite de notre histoire : Émile Boutroux, le futur beau-frère de Poincaré, alors en mission
d’étude à Heidelberg pour le compte du Ministère de l’Instruction Publique.
Helmholtz commence par remarquer qu’on emploie en géométrie une méthode déductive et
que personne ne met en doute le fait que cette discipline trouve des applications dans le
monde réel (en architecture, en ingénierie mécanique, en physique mathématique, etc.). Bien
au contraire, l’existence de la géométrie (et de ses applications réelles) a toujours été utilisée
pour prouver que des propositions dotées d’un contenu réel sont susceptibles d’être formulées
sans recourir obligatoirement à l’expérience. Ici Helmholtz fait référence à Kant, et notamment
à cette question célèbre : comment les propositions synthétiques a priori sont-elles possibles ?
À cela il répond en arguant que c’est par leur existence même que les axiomes géométriques
prouvent la possibilité de telles propositions en général. On se rappelle que pour Kant l’espace
et le temps étaient des formes a priori de la sensibilité. Il en va tout autrement pour Helmholtz,
52 Comme le remarque Gerhard Heinzmann dans son article « Le concept de mouvement et les fondements de la géométrie », il
semble avoir eu pleinement conscience du fait que sa conception sur la détermination de la signification réelle (factuelle) des
concepts géométriques n’était pas défendable dans le cadre d’un empirisme naïf : « Dans sa conférence de 1868, Helmholtz est
bien conscient que la détermination de la signification réelle des idéaux géométriques risque de devenir vite circulaire, si l’on
était tenté de comparer ces derniers selon, un empirisme naïf, avec les figures du monde réel : le constat de rigidité de la forme
d’une telle figure présuppose une mesure géométrique dont la signification réelle était pourtant à déterminer grâce à la figure
réelle. C’est pour ces raisons que Helmholtz cherche les réponses à sa première question – lesquelles des propositions géométri-
ques expriment des vérités de signification réelle ? – dans une détermination des conditions réelles que supposent la géométrie
analytique. Mais hélas, si l’on montre que les géométries à courbures constantes sont liées à certaines propriétés de corps spatiaux,
exprimées par Helmholtz dans quatre axiomes, on ne démontre pas encore que les propriétés en question sont en réalité celles
des figures naturelles ». [Heinzmann 1997], preprint.
53 [Heinzmann 1997], preprint.
54 Il semble d’ailleurs que telles paraboles étaient fort fréquentes dans la littérature scientifique de la seconde moitié du XIXème
siècle.
Henri Poincaré (1854-1912) : Des Mathématiques à la Philosophie 35
Le Conventionnalisme Géométrique, Entre Mathématiques et Philosophie
Tant que les non-euclidiens n’auront pas prouvé, ce qu’ils n’ont certainement pas réussi à
prouver jusqu’à ce jour, que nous pouvons construire une intuition des espaces non eucli-
diens, la thèse de Kant ne peut pas être renversée par la Métagéométrie seule, et si l’on veut
le faire avec succès, il faut le faire par son côté purement philosophique.57
Dans l’optique de Russell, l’existence des géométries non euclidiennes n’impliquait nullement
la mort du kantisme ; cette philosophie était en effet très compatible avec d’autres géométries
que celle d’Euclide, à condition qu’elles ne s’accompagnent d’aucune intuition. Pour mettre à mal la
théorie kantienne de l’espace, il aurait fallu démontrer que les axiomes euclidiens ne sont pas
des conditions a priori de l’expérience, c’est-à-dire établir la possibilité de l’intuition d’un es-
pace non euclidien. Selon Russell, Helmholtz n’avait aucunement démontré un tel fait, ce qui
l’amenait à conclure au caractère apodictique des axiomes de la géométrie euclidienne. Exa-
minons de plus près l’argumentation présentée par Helmholtz dans son article.
Helmholtz rappelle le trait le plus caractéristique de la méthode euclidienne : la base de toutes
ses preuves reposent sur des démonstrations de congruence de lignes, d’angles, de figures
planes, de corps, etc. ; cette congruence est en quelque sorte intuitive car on peut parfaitement
imaginer la possibilité de déplacer et de superposer ces structures sans que leur forme ou leur
dimension soient pour autant modifiées. Selon Helmholtz, une telle intuition de la congruence
trouve son origine dans l’expérience (« That it is in fact possible, and can be carried out, is
something we all experienced from earliest youth onwards »). En effet, si on veut construire
55 [Helmholtz 1870–1987], page 113 : « Er [Kant] sheint dadurch für diese a priori gegebene Form nicht nur den Charakter eines
rein formalen und an sich inhaltsleeren Schema in Anspruch zu nehmen, in welches jeder beliebige Inhalt der Erfahrung passen
würde, sondern auch gewisse Besonderheiten des Schema mit einzuschließen, die bewirken, daß eben nur ein in gewisser Weise
gesetzmäßig beschränkter Inhalt in dasselbe eintreten und uns anschaubar werden könne ». « By that he [Kant] seems to mean
not merely that this form given a priori has the character of a purely formal scheme, in itself devoid of any content, and into
which any arbitrary content of experience would fit. Rather, he seems also to include certain details in the schema whose effect is
precisely that only a content restricted in a certain lawlike way can enter it, and become intuitable for us ». [Helmholtz 1870–
1977], pages 1-2.
56 Poincaré la reprendra d’ailleurs à son compte avec quelques aménagements.
57 [Russell 1901], page 72. Cette opinion de Russell peut être mise en relation avec celle d’un de ses principaux zélateurs fran-
çais, Louis Couturat. Il écrit dans son article « La philosophie mathématique de Kant » : « Quoi qu’il en soit, tandis que
l’Arithmétique dément la théorie kantienne, c’est dans la Géométrie que cette théorie a le plus de chances de subsister. Ce résultat
est contraire à l’opinion d’un grand nombre de mathématiciens, qui prétendent que l’invention des géométries non-euclidiennes
a réfuté la doctrine de Kant ; ces auteurs, apparemment peu familiers avec la pensée de Kant, croient que sa doctrine implique
qu’il n’y ait qu’une géométrie logiquement possible, ce qui est faux ; l’existence de plusieurs géométries possibles est bien plutôt
un argument en faveur de la thèse kantienne, que les jugements géométriques sont synthétiques et fondés sur l’intuition. M.
Russell a vu beaucoup plus juste en disant que ce qui a ruiné la philosophie kantienne des mathématiques, ce n’est pas la géomé-
trie non-euclidienne, mais la reconstitution logique de l’Analyse, ce que M. Klein a appelé l’arithmétisation des mathématiques ».
[Couturat 1904].
Henri Poincaré (1854-1912) : Des Mathématiques à la Philosophie 36
Le Conventionnalisme Géométrique, Entre Mathématiques et Philosophie
des propositions nécessaires à partir de cette affirmation – des structures spatiales fixes peu-
vent être déplacées partout dans l’espace, librement et sans altération – alors il faut supposer
que chaque preuve de congruence a pour support un fait qui ne peut dériver que de
l’expérience.
Cependant, Helmholtz décide de ne pas adopter le point de vue analytique de Riemann dans
cet article et se propose plutôt de donner une conception intuitive des résultats obtenus à
l’aide de la méthode abstraite. Et c’est à ce moment qu’intervient l’astuce didactique des fic-
tions géométriques. Helmholtz propose à son lecteur de supposer des êtres intelligents à deux
dimensions, vivant et évoluant à la surface d’un de nos corps solides. Ces êtres nous ressem-
blent par leur intelligence et par leur dispositif perceptif, mais ils vivent dans un milieu qui va
les conduire à structurer leur vision de l’espace d’une autre manière que nous. Ils sont incapa-
bles de rien percevoir en dehors de la surface de ce corps solide, mais ils ont des perceptions
similaires aux nôtres. Si ces êtres hypothétiques devaient développer une géométrie, ils
n’attribueraient certainement que deux dimensions à leur espace : ils affirmeraient ainsi qu’un
point en mouvement définit une ligne et qu’une ligne en mouvement définit un plan, ce plan
constituant la structure spatiale la plus complète selon eux. Cependant, ils ne pourraient pas
imaginer quelle nouvelle structure spatiale apparaîtrait si une figure ‘sortait’ de leur espace-
plan.58 De tels êtres seraient parfaitement capables de dessiner les droites les plus courtes dans
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leur surface spatiale, mais il ne s’agirait pas forcément de lignes droites pour nous, mais plutôt
des lignes géodésiques de la surface, dans une terminologie géométrique. Si, par ailleurs, ces
êtres vivaient sur un plan infini, ils adopteraient exactement la même géométrie planimétri-
que : ils poseraient la possibilité de ne tracer qu’une seule droite entre deux points, ils admet-
traient le postulat euclidien des parallèles et ils affirmeraient que les lignes droites peuvent
être prolongées à l’infini. Même si leurs mouvements et leurs perceptions se trouvaient limi-
tés, ils pourraient toujours imaginer intuitivement quelque chose au-delà de ces limites, tout
comme nous.
Cependant, ces êtres intelligents pourraient également vivre sur la surface d’une sphère. Pour
eux, la ligne la plus courte (ou la plus ‘droite’) entre deux points serait l’arc du grand cercle
passant par ces deux points. De plus, la notion de parallèle leur serait complètement inconnue,
puisqu’ils affirmeraient que deux lignes ‘droites’ suffisamment étendue se coupent, non pas
en un, mais en deux points. Enfin, la somme des angles d’un triangle serait toujours supé-
rieure à deux angles droits et augmenterait en fonction de l’aire du triangle. Leur espace serait
illimité, bien que fini, ou du moins, pour reprendre les termes mêmes de Helmholtz, devrait
être imaginé ainsi. L’argumentation de Helmholtz suit donc le schéma suivant : il s’agit de sup-
poser l’existence d’êtres dotés des mêmes capacités logiques que l’espèce humaine, mais pla-
cés dans un milieu différent, dans un espace différent ; de quelle manière concevront-ils leur
rapport à l’espace ? En fait, afin de s’adapter à l’espace dans lequel ils sont plongés, ces êtres
développeront axiomes géométriques totalement différents.59
Une remarque s’impose ici : en mettant en avant l’influence du milieu dans la structuration de
nos conceptions spatiales, Helmholtz ne prend pas uniquement position contre Kant et contre
le primat de l’intuition euclidienne. Il semble introduire dans sa réflexion les éléments d’une
épistémologie darwinienne ; il semble défendre une conception évolutionniste et adaptative
de la genèse des notions géométriques, qui affirme que l’ensemble des connaissances et des
conceptions dépend en partie du milieu naturel dans lequel on se trouve. Si on nous accorde
une terminologie explicitement darwinienne. En témoigne par exemple ce qu’il écrira dans le
chapitre I du livre II de Science et méthode, « La relativité de l’espace ». Après avoir montré
qu’on ne peut se représenter l’espace vide et après avoir expliqué ce qu’il entend par l’idée de
relativité de l’espace, Poincaré tente de rendre compte de la genèse de l’espace et d’opérer une
distinction entre espace restreint et espace étendu. Il remarque ainsi que si nous étions fixés au
sol, tels des polypes hydraires, nous ne pourrions jamais concevoir aucune géométrie ; ceci lui
permet ensuite de soutenir que la construction des notions spatiales trouve sa source dans les
mouvements musculaires, et, plus particulièrement, dans les parades qui permettent d’éviter
les dangers du milieu :
Ce n’est pas une, c’est mille parades que je puis opposer à un même danger. Toutes ces pa-
rades sont formées de sensations qui peuvent n’avoir rien de commun et cependant nous
les regarderons comme définissant un même point de l’espace, parce qu’elles peuvent ré-
pondre à ce même danger et qu’elles sont les unes et les autres associées à la notion de ce
danger. C’est la possibilité de parer un même coup, qui fait l’unité des ces parades diverses,
comme c’est la possibilité d’être parés de la même façon qui fait l’unité des coups de nature
si diverse, qui peuvent nous menacer d’un même point de l’espace.60
La référence aux thèses darwiniennes est ici évidente. Toute la réflexion de Poincaré semble ici
se situer dans le cadre de la thèse du struggle for life. C’est au sein du milieu naturel et par le
biais de stratégies adaptatives que les associations spatiales élémentaires prennent naissance.
L’espace géométrique des mathématiciens trouve sa source dans une expérience ancestrale de
l’espace ; il est le fruit d’un processus lent d’évolution et d’adaptation.61
Chez Helmholtz - comme chez Poincaré par la suite - le recours à ces fictions géométriques a
valeur de preuve. Il ne s’agit pas d’un simple artifice de vulgarisation scientifique destiné à
rendre compréhensible des concepts mathématiques complexes trouvant leurs fondements
dans les travaux de Riemann, Cayley ou Beltrami ; les fictions géométriques sont des expé-
riences de pensée, au même titre que les expériences sur les plans inclinés de Galilée. Leur but
est de démontrer deux idées essentielles : (i) Si des êtres dotés d’une intelligence semblable à
la nôtre se trouvaient plongés dans un monde différent du nôtre, la géométrie qu’ils met-
traient en œuvre serait fort différente de la géométrie euclidienne, mais cette géométrie (non
intuitive pour nous) serait pour eux aussi naturelle que l’est pour nous la géométrie eucli-
dienne et ils ne l’abandonneraient qu’avec une extrême réticence. (ii) Non seulement il est
possible de construire des géométries différentes de la géométrie euclidienne, mais, de plus, il
est possible d’en avoir des images.
Pour accepter ce second point, il faut cependant savoir ce que Helmholtz entend par ‘imagi-
ner’. Imaginer c’est, selon lui, se représenter complètement les impressions sensorielles qu’un objet
exciterait en nous d’après les lois connues de nos organes des sens, sous toutes les conditions
d’observation concevables. Ainsi, quand la série des impressions sensibles peut être donnée
d’une manière complète et univoque, on doit reconnaître que la chose peut être représentée
intuitivement.
Unter dem viel mißbrauchten Ausdruck ‘sich vorstellen’ oder ‘sich denken können, wie et-
was geschieht’ verstehe ich – und ich sehe nicht, wie man etwas anderes darunbter verste-
hen kann, ohne allen Sinn des Ausdrucks aufzugeben –, daß man sich die Reihe der sinnli-
chen Eindrücke ausmalen könne, die man haben würde, wenn so etwas in einem einzelnen
Falle vor sich ginge.62
Comme on le voit, Helmholtz ne se situe plus du tout dans une perspective kantienne. Il re-
fuse l’idée que l’espace euclidien soit considéré comme ‘l’espace de l’intuition’ et que les géo-
métries non euclidiennes soient considérées en retour comme des abstractions sur lesquelles le
pouvoir de l’imagination n’aurait aucune emprise. Alors que Kant fonde sa philosophie de
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l’espace sur une thèse philosophique forte (les formes a priori de l’espace et du temps servant
de cadre et de bornes à toutes les sensations susceptibles de se produire), Helmholtz fait appel
chez son lecteur au simple bon sens et place d’emblée le débat sur un terrain intuitif en propo-
sant un modèle qui tienne à la fois compte des processus de construction et du rôle de
l’imagination en géométrie. Se représenter une série de faits indiquant une géométrie non
euclidienne se résumerait alors à imaginer des dispositions de corps et de rayons lumineux
obéissant à des lois différentes de celles auxquelles on est habitué. Ceci constitue un argument
à l’encontre de l’idée kantienne de la géométrie euclidienne conçue comme cadre nécessaire
de toute perception (telle qu’elle semble apparaître dans certaines interprétations du kantisme
que nous avons mentionnées). Les fictions géométriques que Helmholtz introduit sont facile-
ment imaginables puisqu’elles concernent des espaces à deux dimensions. Comme nous vi-
vons dans un espace à trois dimensions, nous n’avons guère de difficultés pour imaginer ce
que des êtres intelligents à deux dimensions pourraient percevoir puisqu’il nous suffit de nous
imposer des bornes, de restreindre notre intuition habituelle de l’espace.63 Cependant les dé-
faillances de notre pouvoir d’imagination peuvent être compensées efficacement par le re-
cours au calcul, c’est-à-dire par l’auxiliaire précieux que constitue la géométrie analytique.
Après avoir exposé brièvement les travaux de Gauß sur les mesures de courbure, Helmholtz
donne un rapide aperçu de ceux de Beltrami et de Riemann. Helmholtz, on le sait, retrouve
certaines des conclusions de son prédécesseur de Göttingen ; cependant, à la différence de
celles de Riemann – qui se fondent sur la géométrie analytique – les conclusions helmholt-
ziennes trouvent leur source dans ses considérations sur le système des couleurs ainsi que
dans ses recherches sur les estimations visuelles des distances dans le champ visuel.64 Helm-
holtz base ses calculs sur les suppositions suivantes : (i) Pour que tout calcul soit possible, il
faut présupposer que la position de tout point peut être spécifiée par la mesure de certaines
magnitudes spatiales (lignes, angles, etc.), certaines structures spatiales étant considérées
comme fixes et inaltérables. (ii) Il faut de plus donner une définition du corps solide, ou de la
62 [Helmholtz 1870–1987], page 116. « By the much misused expression ‘to imagine’ or ‘to be able to think of how something
happens’, I understand that one could depict the series of sense impressions which one would have if such a thing happened in a
particular case. I do not see how one could understand anything else by it without abandoning the whole sense of the expres-
sion ». [Helmholtz 1870–1977], page 5.
Schlick note dans son commentaire à propos de ce passage : « The sense of the explanation given by Helmholtz in this sen-
tence can hardly be misunderstood in its simplicity. ‘Imaginable’ means everything that is intuitively reproducible in the sense of
psychology. Although a certain subjectivity or relativity is inherent in this definition, due to individual differences of imaginative
capacity, it should not affect the basic meaning of this definition of the concept ‘imaginable’ ».
63 [Helmholtz 1870–1987], page 121.
64 [Helmholtz 1870–1987], page 124.
Henri Poincaré (1854-1912) : Des Mathématiques à la Philosophie 39
Le Conventionnalisme Géométrique, Entre Mathématiques et Philosophie
Selon lui, les axiomes de la géométrie ne sont pas des propositions appartenant au seul do-
maine de la théorie de l’espace ; ils ont une dimension mécanique, dans le sens où ils affirment
quelque chose du comportement des corps dans le monde réel. Toutes les mesures spatiales, et
par conséquent tous les concepts de magnitude appliqués à l’espace, présupposent la possibi-
lité de mouvements de structures spatiales que l’on peut considérer comme fixes, quel que soit
le mouvement qui les affecte. On ne peut cependant pas décider, sur la base de critères uni-
quement géométriques, si ces corps, appliqués les uns sur les autres, ont subi des déforma-
tions ou des altérations. Seule l’intervention de considérations mécaniques et physiques peut
nous permettre de faire un tel choix. Les axiomes géométriques ont par conséquent une dou-
ble nature : ils ont une dimension mathématique puisqu’ils portent sur des magnitudes et sur
des relations spatiales quantifiables ; mais ils ont par ailleurs une dimension physique puis-
qu’ils fournissent des informations sur le comportement mécanique des corps les plus fixes
que nous connaissions lors de leurs déplacements.67
Helmholtz semble par conséquent mettre en avant la dimension physique de la géométrie. Il
défend une position empiriste, non seulement parce qu’il insiste sur l’origine factuelle (‘obser-
vationnelle’, empirique) du concept de corps solide, mais également parce que, selon lui, la
géométrie pratique (appliquée) est une science empirique. Et, puisqu’il s’agit d’une science
empirique, il se pose le problème du test empirique des axiomes géométriques. Après avoir
rappelé que la distinction entre géométries euclidienne, sphérique et pseudosphérique se
fonde sur la valeur d’une certaine constante – à savoir la mesure de la courbure de l’espace
considéré (égale à zéro dans le cas de la géométrie euclidienne) –, il fait remarquer que, si cette
constante est différente de zéro, la somme des angles d’un très grand triangle sera nécessaire-
ment différente de celle des angles d’un petit triangle. Helmholtz introduit ainsi une référence
aux expériences de mesure des parallaxes, expériences célèbres qui, comme nous le verrons
plus loin, seront fermement critiquées par Poincaré :
Alle Systeme praktisch ausgeführter geometrischer Messungen, bei denen die drei Winkel
großer geradliniger Dreiecke einzeln gemessen worden sind, also auch namentlich alle Sys-
teme astronomischer Messungen, welche die Parallax der unmeßbar weit entfernten Fix-
sterne gleich Null ergeben (im pseudosphärischen Raum müßten auch die unendlich ent-
also gar nicht über Verhältnisse des Raumes allein, sondern gleichzeitig auch über das mechanische Verhalten unserer festesten
Körper bei Bewegungen ».
Henri Poincaré (1854-1912) : Des Mathématiques à la Philosophie 40
Le Conventionnalisme Géométrique, Entre Mathématiques et Philosophie
fernten Punkte positive Parallaxe haben), bestätigen empirischen das Axiom von den Paral-
lelen, und zeigen, daß in unserem Raum und bei Anwendung unserer Messungsmethoden
das Krümmungsmaß des Raumes als von Null unterscheidbar erscheint.68
Helmholtz semble soutenir ici – en faisant référence aux expériences de Gauß – que le résultat
de la mesure des angles d’un triangle composé de trois étoiles éloignées pourrait constituer
une preuve empirique de l’axiome des parallèles et de la géométrie euclidienne, la mesure de
courbure de l’espace paraissant très voisine de zéro.
Cependant, toutes les mesures, y compris les mesures de parallaxes qui se fondent sur la tra-
jectoire des rayons lumineux, partent d’une certaine définition de la congruence. Plus exacte-
ment, les mesures géométriques se fondent sur la présupposition que les instruments que l’on
considère comme fixes sont en réalité des corps dont la forme demeure inchangée, c’est-à-dire
des corps qui ne sont affectés d’aucune distorsion. Comme le remarque Moritz Schlick,
l’expression ‘en réalité’ constitue une difficulté majeure : en effet, quelle est la signification
exacte de l’énoncé qui affirme qu’un corps est actuellement (au sens philosophique du terme)
rigide ? On se souvient que Helmholtz avait réduit la congruence à la coïncidence de paires de
points sur des corps solides avec les mêmes paires de points fixes dans l’espace. Une telle
conception présupposait que les points de l’espace pouvaient être distincts et tenus pour fixes,
et conduisait à supposer également l’existence de certaines structures spatiales susceptibles
tel-00137859, version 1 - 22 Mar 2007
d’être considérées comme fixes et immuables (cf. page 36). Dans ce cas, la fixité et
l’immuabilité de ces structures spatiales ne peuvent être spécifiées au moyen de la définition
de la congruence donnée auparavant sans que l’on fasse intervenir une argumentation circu-
laire : on ne peut définir la congruence de paires de points en présupposant déjà au départ la
notion de congruence sous une forme détournée.69
Le texte de Helmholtz eut une importance philosophique considérable ; il semble en effet
avoir structuré en grande partie les réflexions poincaréiennes sur la philosophie de la géomé-
trie. Poincaré n’adopta certes pas la même position philosophique que son prédécesseur puis-
qu’il critiqua vivement le courant de l’empirisme géométrique. Cependant, dans d’autres
contextes, et, tout en poursuivant d’autres motivations, il lui emprunta certains développe-
ments, notamment la plupart de ses fictions géométriques.
C – Bilan
Le tableau que nous avons dressé dans cette section ne visait pas épuiser la question des ori-
gines du conventionnalisme géométrique, mais simplement à donner un aperçu des débats
mathématiques et philosophiques qui préparèrent son émergence. En formulant ses concep-
tions conventionnalistes, Poincaré apporta sa voix à un débat traditionnel sur les fondements
de la géométrie et emprunta certaines idées à ses prédécesseurs. On trouve ainsi dans son
œuvre des éléments kantiens ou des développements appartenant manifestement à Riemann
et à Helmholtz. Ces emprunts doivent être cependant traités avec précaution.
Il utilisa parfois les catégories kantiennes et il emprunta certains éléments de sa théorie de la
connaissance. Doit-on en conclure pour autant le conventionnalisme a sa source dans le kan-
tisme ? Poincaré donna à son premier article introduisant le conventionnalisme un titre simi-
laire à celui de l’Habilitationsvortrag de Riemann : doit-on en conclure nécessairement que
l’influence de Riemann fut déterminante sur la pensée de Poincaré ? Enfin, de nombreux pas-
68 [Helmholtz 1870–1987], page 126. « All systems of practically executed geometrical measurements in which the three angles
of large rectilinear triangles have been measured individually, and so in particular all systems of astronomical measurements
which yield zero for the parallax of immeasurably distant fixed stars (in pseudospherical space even the infinitely distant points
must have positive parallax), confirm the axiom of parallels empirically. They show that in our space and using our methods of
measurement, the measure of curvature of space appears to be indistinguishable from zero ». [Helmholtz 1870–1977], page 18.
69 Selon Schlick, la seule solution pour sortir d’une telle aporie serait de procéder à la manière de Poincaré, à savoir, stipuler par
convention que certains corps peuvent être tenus pour rigides, et choisir ces corps de telle sorte que le choix détermine le système
le plus simple possible de description de la nature. Il écrit ainsi : « If the content of the concept ‘actually’ is to be such that it can
be empirically tested and ascertained, then there remains only the expedient […] : to declare those bodies to be ‘rigid’ which,
when used as measuring rods, lead to the simplest physics. […] Thus what has to count as ‘actually’ rigid is then not determined
by a logical necessity of thought or by intuition, but by a convention, a definition ». [Helmholtz 1870–1977], note 40.
Henri Poincaré (1854-1912) : Des Mathématiques à la Philosophie 41
Le Conventionnalisme Géométrique, Entre Mathématiques et Philosophie
sages de l’œuvre poincaréienne mirent en scène des fictions géométriques qui rappellent for-
tement celles de Helmholtz : peut-on en conclure pour autant que Poincaré épousa le point de
vue empiriste du physiologiste allemand ?
On se doute bien que le problème des origines du conventionnalisme est autrement plus com-
plexe et que les réponses à ces questions doivent être très nuancées. En effet, l’étude de la
littérature consacrée à Poincaré nous apprend que la réponse apportée à ce genre
d’interrogation est largement conditionnée par l’interprétation philosophique que l’on donne de son
conventionnalisme. Voit-on dans les écrits de Poincaré les éléments d’une philosophie empiriste
(modérée) ? On mettra alors l’accent sur l’influence de l’empirisme riemannien. Penche-t-on
plutôt pour une interprétation nominaliste (modérée) du conventionnalisme géométrique
arguant des critiques explicites que Poincaré adressa à l’empirisme géométrique ? On cherche-
ra alors d’autres sources au conventionnalisme, telles que les travaux de Sophus Lie sur les
transformations géométriques ou les réflexions de Hertz et Hamilton sur le statut des théories
scientifiques.70
Tout cela montre bien qu’on ne peut faire l’économie d’une interprétation de la philosophie de
Poincaré. Cette interprétation constituera l’objet de la suite de ce chapitre. Elle ne prétendra
pas épuiser la question des origines, surtout concernant le versant mathématique de la ques-
tion, mais elle apportera plus modestement quelques éléments de réflexion sur la nature et la
tel-00137859, version 1 - 22 Mar 2007
70 Ces thèses ont été respectivement soutenues par Grünbaum dans son livre, Philosophical Problems of Space and Time [Grün-
baum 1963/73] et par Jerzy Giedymin dans son livre Science and Convention [Giedymin 1982] ainsi que dans divers articles. Pour
un exposé partiel de ce débat autour des origines, voir [Rollet 1993] et [Rollet 1995].
71 Certains commentateurs (Bellivier, Grünbaum, Giedymin) ont fait remarquer la similitude du titre de cette étude avec celui
de l’Habilitationsvortrag de Riemann. Cette similitude n’est cependant pas aussi évidente qu’il n’y paraît au premier abord. La
conférence de Riemann était intitulée « Ueber die Hypothesen, welche der Geometrie zu Grunde liegen », titre que Hoüel tradui-
sit en français par « Sur les hypothèses qui servent de fondement à la géométrie ». Le travail de Poincaré s’intitule quant à lui « Sur
les hypothèses fondamentales de la géométrie ». Ces deux titres ne renvoient pas forcément aux mêmes problèmes : il est clair que le
titre de Riemann renvoit explicitement au problème des fondements de la géométrie ; en revanche, le titre de l’article de Poincaré
est basé sur une sorte de flottement sémantique : il peut laisser entendre qu’il va être effectivement question des fondements de la
géométrie, mais il peut également porter à croire qu’il ne s’intéresse qu’aux hypothèses les plus importantes de la géométrie.
72 [Poincaré 1887h], page 79 : « On peut discuter si l’on doit donner à ces propositions le nom d’axiomes, d’hypothèses ou de
postulats, si l’on doit les considérer comme des faits expérimentaux, ou comme des jugements analytiques, ou encore comme des
jugements synthétiques a priori ; mais leur existence même n’est pas douteuse. Nous sommes donc conduits à nous poser le
Henri Poincaré (1854-1912) : Des Mathématiques à la Philosophie 42
Le Conventionnalisme Géométrique, Entre Mathématiques et Philosophie
hypothèses implicites qui, bien qu’elles ne découlent pas forcément de la pure logique, nous
semblent néanmoins évidentes « par suite d’habitudes invétérées de nos sens et de notre es-
prit ».73 Après avoir fourni une définition des géométries quadratiques, Poincaré s’intéresse
aux applications de la théorie des groupes et fait explicitement référence aux travaux de So-
phus Lie. Il conclut par une courte section consacrée à l’énoncé des hypothèses qui sont « né-
cessaires et suffisantes pour servir de prémisses à la géométrie plane ». Nous n’entrerons pas
ici dans le détail de ces développements mathématiques, mais nous porterons plutôt notre
attention sur les « Remarques diverses » qui concluent le texte.
C’est dans cette section, en effet, que Poincaré pose les premiers éléments de sa philosophie
géométrique. Le terme de ‘convention’ n’apparaît pas encore sous sa plume mais d’autres
thèmes, destinés à devenir récurrents, apparaissent déjà. Poincaré paye d’abord son tribut à
Riemann en avouant se placer dans la lignée de sa dissertation inaugurale de 1854, mais il fait
remarquer que son analyse diverge quelque peu dans la mesure où il a pris pour point de
départ « l’existence d’un groupe de mouvements qui n’altèrent pas les distances ».74 Il se de-
mande ensuite quel est le statut des hypothèses qui servent de fondement à la géométrie :
On peut se demander maintenant ce que sont ces hypothèses. Sont-ce des faits expérimen-
taux, des jugements analytiques ou synthétiques a priori ? Nous devons répondre négati-
vement à ces trois questions. Si ces hypothèses étaient des faits expérimentaux, la Géomé-
tel-00137859, version 1 - 22 Mar 2007
trie serait soumise à une incessante révision, ce ne serait pas une science exacte ; si elles
étaient des jugements synthétiques a priori, ou à plus forte raison des jugements analyti-
ques, il serait impossible de s’y soustraire et de rien fonder sur leur négation.
On peut montrer que l’Analyse repose sur un certain nombre de jugements synthétiques a
priori ; mais il n’en est pas de même de la Géométrie.75
Comme on le voit les différentes positions philosophiques possibles vis-à-vis des axiomes
géométriques sont envisagées, puis rejetées. Ces axiomes ne peuvent être des faits expérimen-
taux (on se souvient des conceptions de Riemann ou de Helmholtz) puisque la géométrie
perdrait alors son statut de science exacte en raison de l’incertitude inhérente aux méthodes
expérimentales : Poincaré rejette ici, semble-t-il, la thèse de l’empirisme géométrique, il refuse
de placer cette discipline au même rang que les sciences expérimentales. Inversement, les
axiomes ne peuvent pas non plus être des jugements synthétiques a priori (c’est la position
kantienne qui est critiquée ici) car – et Poincaré reprend à son compte les critiques helmholt-
ziennes de l’article de 1870 – il serait alors impossible d’échapper à la nécessité de la géométrie
euclidienne ou même d’imaginer des géométries non euclidiennes.
Mais si les axiomes géométriques ne sont ni des faits expérimentaux, ni des jugements synthé-
tiques a priori, quel peut être leur statut véritable ? La géométrie est selon lui l’étude d’un
groupe de transformations. Le géomètre procède à un choix parmi tous les groupes possibles, il
décide ensuite de l’étudier et d’en examiner les conséquences. Comme telle, l’existence d’un
groupe n’est pas plus incompatible avec l’existence d’un autre groupe que la vérité de la géo-
métrie euclidienne ne l’est avec la vérité de la géométrie non euclidienne. Le géomètre choisit
un groupe particulier pour y rapporter les phénomènes physiques, et c’est ce groupe qui va
déterminer la structure du système axiomatique utilisé. Ce choix n’est pas arbitraire puisqu’il
est déterminé en partie par l’observation de certains phénomènes physiques.76 À l’inverse, ce
problème suivant, intéressant au point de vue logique : quelles sont les prémisses de la Géométrie, les propositions indémontra-
bles sur lesquelles repose cette science, en excluant, bien entendu, les propositions qui sont nécessaires pour fonder l’Analyse ? ».
Les citations sont faites d’après la version publiée dans le tome XI des Œuvres complètes de Poincaré, pages 79-91.
73 [Poincaré 1887h], page 80.
74 [Poincaré 1887h], page 90.
75 Ibidem, page 90. Quelques années plus tard, dans La science et l’hypothèse [Poincaré 1902q], Poincaré écrira de la même manière
(page 74) : « […] Quelle est la nature des axiomes géométriques ? Sont-ce des jugements synthétiques a priori, comme disait
Kant ? Ils s’imposeraient alors à nous avec une telle force, que nous ne pourrions concevoir la proposition contraire, ni bâtir sur
elle un édifice théorique. Il n’y aurait pas de géométrie non euclidienne ».
76 « Il existe dans la nature des corps remarquables qu’on appelle les solides et l’expérience nous apprend que les divers mou-
vements possibles de ces corps sont liés à fort peu près par les mêmes relations que les diverses opérations du groupe choisi ».
[Poincaré 1887h], page 91.
Henri Poincaré (1854-1912) : Des Mathématiques à la Philosophie 43
Le Conventionnalisme Géométrique, Entre Mathématiques et Philosophie
choix n’est pas uniquement motivé par des facteurs empiriques puisque d’autres considéra-
tions, de simplicité et de commodité mathématiques, entrent également en ligne de compte. Si
nous choisissons comme groupe le groupe des déplacements qui n’affectent pas la forme des
corps solides, c’est pour plusieurs raisons. D’abord parce que les observations que nous pou-
vons faire sur les phénomènes physiques semblent à peu près correspondre à ce groupe ; ensuite,
parce que ce groupe est simple sur le plan mathématique ; enfin, parce qu’il est commode, eu
égard à la manière dont nous appréhendons les phénomènes.
Nous aurions cependant pu choisir un autre groupe puisque tous les groupes se valent d’un
point de vue ontologique, le seul critère distinctif étant un critère de commodité.
[…] Le groupe choisi est seulement plus commode que les autres et l’on ne peut pas plus
dire que la géométrie euclidienne est vraie et la géométrie de Lobatchevsky fausse, qu’on
ne pourrait dire que les coordonnées cartésiennes sont vraies et les coordonnées polaires
fausses.77
Ce texte ne contient aucun terme faisant explicitement référence à un conventionnalisme : le
terme de ‘convention’ n’y apparaît jamais, ce qui tend à prouver qu’à l’époque où il rédigeait
cet article, sa conception sur le statut des propositions géométriques n’était pas encore tout à
fait assurée. Cependant, l’insistance autour de l’idée d’un choix du groupe de déplacement
n’est pas le fruit du hasard et préfigure bien une philosophie centrée autour de la notion de
tel-00137859, version 1 - 22 Mar 2007
convention. Par ailleurs, Poincaré met déjà en œuvre tout un ensemble de catégories et de
notions que l’on retrouvera dans ses écrits ultérieurs.
2 – « Les géométries non euclidiennes » (1891)
Créée en 1890, suite à une fusion avec le Bulletin de la Société philomatique de Paris, la Revue
générale des sciences pures et appliquées s’imposa au tournant du siècle comme une des principa-
les revues scientifiques généralistes. Vecteur d’une très haute vulgarisation scientifique desti-
née à un public d’intellectuels et d’universitaires, elle s’illustra par son ouverture sur tous les
domaines de la recherche scientifique (mathématiques, physique, astronomie, biologie, psy-
chologie).
En 1891, Poincaré y publie un article intitulé « Les géométries non euclidiennes », dans lequel
il revient sur la question des fondements de la géométrie. Il ne l’aborde pas ici sous son angle
mathématique, comme c’était le cas dans l’article de 1887. Bien au contraire, il semble ici
prendre le « Über den Ursprung und die Bedeutung der geometrischen Axiome » de Helm-
holtz comme modèle. L’absence de formules mathématiques, le recours constant à des images
ou des métaphores, l’utilisation de l’outil très puissant des fictions géométriques… Tout cela
dénote une volonté vulgarisatrice forte. Poincaré ne s’adresse plus ici à ses paires de la Société
Mathématique de France, mais à des non-spécialistes intéressés par les implications philoso-
phiques de la construction de géométries non euclidiennes et possédant quelques notions de
mathématiques. On peut d’ailleurs remarquer que dans une courte note, il fait référence à des
discussions philosophiques Renouvier, Lechalas et Calinon ayant pris place dans la Revue
philosophique, dans les années 1889-1890.78 C’est certainement dans cette note que l’on trouve le
premier indice de son intérêt pour les débats philosophiques contemporains.
Poincaré commence par une remarque qui rappelle celle du texte de 1887 : tous les traités de
géométrie se fondent sur des axiomes indémontrables. Or, parmi ces axiomes, il en est qui
appartiennent au domaine simple de l’Analyse et qui peuvent être considérés comme des
jugements analytiques a priori, alors qu’il en est d’autres qui relèvent de la géométrie et dont le
statut philosophique est beaucoup plus problématique. Les trois axiomes géométriques qui se
retrouvent au début de tous les traités de géométrie sont les suivants : (i) par deux points ne
peut passer qu’une seule droite ; (ii) la ligne droite est le plus court chemin d’un point à un
autre ; (iii) par un point on ne peut faire passer qu’une parallèle à une droite donnée. On re-
connaît dans le troisième axiome le postulat des parallèles d’Euclide, que des générations de
géomètres tentèrent vainement de démontrer.
D’une manière très didactique, Poincaré expose ensuite comment il est possible de construire
des géométries non contradictoires autres que la géométrie euclidienne, à partir de prémisses
différentes, notamment en supposant que l’on peut mener par un point plusieurs parallèles à
une droite donnée (géométrie de Lobatchevsky), ou bien en supposant que par un point on ne
peut mener aucune parallèle à une droite donnée (géométrie de Riemann).79 Toutes ces géomé-
tries ainsi construites ne présentent aucune contradiction dans la multitude de chaînes de
déduction qu’elles contiennent. Cependant, on pourrait toujours objecter que ces faisceaux de
chaînes s’avéreraient contradictoires si on les poussait à l’infini.
Poincaré répond à cette objection en considérant séparément géométrie de Riemann et géomé-
trie de Lobatchevsky. La première n’est pas touchée par un tel argument – si on se borne à la
géométrie à deux dimensions – puisqu’elle ne diffère pas de la géométrie sphérique, « qui
n’est qu’une branche de la géométrie ordinaire » (certaines surfaces ont, dans l’espace eucli-
dien, une courbure positive et peuvent être déformées de manière à être appliquées sur une
sphère ; « la géométrie de ces surfaces, remarque Poincaré, se réduit donc à la géométrie sphé-
rique, qui est celle de Riemann »).80 Quant à la seconde, elle échappe à cette objection grâce
aux travaux de Beltrami sur les surfaces à courbure constante (qui ont permis d’établir que la
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79 Ce didactisme prend appui sur une fiction géométrique directement empruntée à Helmholtz : « Imaginons un monde uni-
quement peuplé d’êtres dénués d’épaisseur ; et supposons que ces animaux ‘infiniment plats’ soient tous dans un même plan et
n’en puissent sortir. […] Dans ce cas, ils n’attribueront certainement à l’espace que deux dimensions. Mais supposons maintenant
que ces animaux imaginaires, tout en restant dénués d’épaisseur, aient la forme d’une figure sphérique, et non d’une figure plane
et soient tous sur une même sphère sans pouvoir s’en écarter. Quelle géométrie pourront-ils construire ? Il est clair d’abord qu’ils
n’attribueront à l’espace que deux dimensions ; ce qui jouera pour eux le rôle de la ligne droite, ce sera le plus court chemin d’un
point à un autre sur la sphère, c’est-à-dire un arc de grand cercle ; en un mot leur géométrie sera la géométrie sphérique. […] Eh
bien, la géométrie de Riemann, c’est la géométrie sphérique étendue à trois dimensions. Pour la construire, le mathématicien
allemand dû jeter par-dessus bord, non seulement le postulatum d’Euclide, mais encore le premier axiome : par deux points on ne
peut faire passer qu’une droite ». [Poincaré 1891o], page 770.
80 [Poincaré 1891o], page 771.
81 [Poincaré 1891o], page 771.
Henri Poincaré (1854-1912) : Des Mathématiques à la Philosophie 45
Le Conventionnalisme Géométrique, Entre Mathématiques et Philosophie
de la géométrie ? On peut être assuré du contraire en voyant qu’après les avoir abandonnés on laisse encore debout quelques
propositions communes aux théories d’Euclide, de Lobatchevsky et de Riemann. Ces propositions doivent reposer sur quelques
prémisses que les géomètres admettent sans les énoncer. Il est intéressant de chercher à les dégager des démonstrations classi-
ques ».
85 [Poincaré 1891o], page 772.
86 [Poincaré 1891o], page 773.
Henri Poincaré (1854-1912) : Des Mathématiques à la Philosophie 46
Le Conventionnalisme Géométrique, Entre Mathématiques et Philosophie
Comme dans l’article de 1887, mais en ajoutant quelques développements, Poincaré rejette
l’idée que les axiomes géométriques puissent être des jugements synthétiques a priori, au sens
de Kant, ou des jugements expérimentaux. Il renvoit ainsi dos à dos empiristes et kantiens
pour proposer – explicitement cette fois – une troisième voie : la voie du conventionnalisme
géométrique. Les axiomes géométriques sont donc des conventions ou des définitions déguisées.
Ils sont le résultat d’un choix guidé par l’expérience.
Les implications d’une telle conception sont nombreuses, et l’une des principales est qu’il est
inconcevable d’accorder la moindre supériorité ontologique à une géométrie, quelle qu’elle
soit. L’idée qu’une géométrie puisse être vraie ou fausse est une inconséquence logique qui ne
tient pas compte de la nature véritable des axiomes qui lui servent de fondement :
Dès lors, que doit-on penser de cette question ? La géométrie euclidienne est-elle vraie ?
Elle n’a aucun sens.
Autant demander si le système métrique est vrai et les anciennes mesures sont fausses ; si
les coordonnées cartésiennes sont vraies et les coordonnées polaires fausses. Une géométrie
ne peut pas être plus vraie qu’une autre ; elle peut seulement être plus commode.87
Par rapport au texte de 1887, l’argumentation est précisée, clarifiée et étendue. Poincaré re-
vient ainsi sur le primat de la géométrie euclidienne par rapport aux autres géométries. À cela,
il voit deux raisons ; l’une mathématique, l’autre physiologique. D’une part, la géométrie eucli-
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dienne est mathématiquement la plus simple en soi, « de même qu’un polynôme du premier
degré est plus simple qu’un polynôme du second degré ». D’autre part, la géométrie eucli-
dienne sera toujours la plus commode parce que ses axiomes correspondent bien avec les
propriétés des solides naturels, « ces corps dont se rapprochent nos membres et notre œil et
avec lesquels nous faisons nos instruments de mesure ».88
Le tableau qui semble se dessiner ici est celui d’une critique de l’empirisme géométrique. Tout
en reprenant certains des arguments de Helmholtz et de Riemann, Poincaré adopte une con-
ception philosophique de la géométrie assez différente. Les axiomes géométriques ne sont pas
des hypothèses empiriques au sens de Riemann, pas plus qu’ils ne sont des énoncés factuels
(expérimentaux) exprimant le comportement physique des solides naturels.89 Poincaré
n’accorde qu’une place limitée à l’élément empirique dans la genèse de la géométrie. Cet élé-
ment fournit l’occasion pour la formulation des axiomes, mais il ne fait pas pour autant de la
géométrie une science expérimentale. En témoigne cette longue citation, parmi les plus célè-
bres de sa philosophie (il s’agit de l’argument des parallaxes) :
On a également posé la question d’une autre manière. Si la géométrie de Lobatchevsky est
vraie, la parallaxe d’une étoile très éloignée sera finie si celle de Riemann est vraie, elle sera
négative. Ce sont là des résultats qui semblent accessibles à l’expérience et on a espéré que
les observations astronomiques pourraient permettre de décider entre les trois géométries.
Mais ce qu’on appelle ligne droite en astronomie, c’est simplement la trajectoire du rayon
lumineux. Si donc, par impossible, on venait à découvrir des parallaxes négatives, ou à dé-
montrer que toutes les parallaxes sont supérieures à une certaine limite, on aurait le choix
entre deux conclusions : nous pourrions renoncer à la géométrie euclidienne ou bien modi-
fier les lois de l’optique et admettre que la lumière ne se propage pas rigoureusement en li-
gne droite.
Inutile d’ajouter que tout le monde regarderait cette solution comme plus avantageuse.
La géométrie euclidienne n’a donc rien à craindre d’expériences nouvelles.90
holtz. Ce paragraphe n’apparaît d’ailleurs pas dans le chapitre correspondant de La science et l’hypothèse : « Je crains dans ces
dernières lignes de n’avoir pas été très clair ; je ne pourrais l’être qu’avec de nouveaux développements ; mais j’ai déjà été trop
long et ceux que ces développements pourraient intéresser ont lu Helmholtz ». [Poincaré 1891o], page 774
90 [Poincaré 1891o], page 774. Et Poincaré de poursuivre avec une fiction géométrique empruntée explicitement à Helmholtz :
« Qu’on me passe en terminant un petit paradoxe. Des êtres dont l’esprit serait fait comme le nôtre et qui auraient les mêmes sens
que nous, mais qui n’auraient reçu aucune éducation préalable, pourraient recevoir d’un monde extérieur convenablement choisi
des impressions telles qu’ils seraient amenés à construire une géométrie autre que celle d’Euclide et à localiser les phénomènes de
ce monde extérieur dans un espace non euclidien ou même dans un espace à quatre dimensions. Pour nous, dont l’éducation a
Henri Poincaré (1854-1912) : Des Mathématiques à la Philosophie 47
Le Conventionnalisme Géométrique, Entre Mathématiques et Philosophie
Cette longue citation fait référence aux expériences de mesures de parallaxes menées ou re-
commandées par certains mathématiciens favorables à une forme d’empirisme géométrique
stipulant que, malgré notre aptitude à concevoir une multitude de géométries cohérentes et
non contradictoires, il n’existe qu’une seule géométrie susceptible de s’appliquer adéquate-
ment à la réalité physique. Selon eux, cette géométrie devait pouvoir être découverte expéri-
mentalement grâce à des triangulations et des mesures de parallaxes stellaires.91 Helmholtz,
comme on l’a vu, se référait à de telles expériences.
C’est contre ce type d’expérience visant à tester la validité des géométries que cet argument
des parallaxes sera dirigé. Poincaré niera toute valeur démonstrative à ce genre
d’experimentum crucis : des mesures astronomiques de triangles stellaires ne sont jamais que
des expériences utilisant les propriétés des rayons lumineux. Ce sont ces rayons lumineux qui
vont servir de géodésiques et c’est à partir d’eux que seront évaluées distances et congruences.
Si, par conséquent, des expériences nous amenaient à mesurer des parallaxes négatives, nous
ne serions pas forcément tenus d’abandonner la géométrie euclidienne et de proclamer la
nature non euclidienne de l’espace ; nous pourrions toujours modifier les lois de l’optique, en
supposant, par exemple, que nos géodésiques lumineux ne suivent pas une trajectoire complè-
tement rectiligne, et conserver la géométrie euclidienne en l’état.
Formulons plus précisément l’argumentation poincaréienne. Elle se situe dans le contexte
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d’un système combinant une géométrie et une théorie physique. La géométrie n’étant pas en
elle-même une science expérimentale, pour la soumettre à un test expérimental, il faut lui
adjoindre des composantes de physique expérimentale (en l’occurrence les lois de l’optique).
Dans ce système G + P (Géométrie+Physique), on est en droit de s’attendre à un certain résul-
tat R, correspondant à l’idée préconçue que l’on se fait de la nature de l’espace physique (si on
est persuadé du caractère euclidien on s’attendra à une parallaxe finie). Si c’est le résultat R’
(parallaxe négative) qui survient, on aura le choix entre deux possibilités : soit accepter la
géométrie riemannienne et les lois actuelles de l’optique (G’ + P), soit conserver la géométrie
euclidienne et adapter les lois de l’optique (G + P’).
Poincaré semble affirmer que, d’un point de vue explicatif, ces deux possibilités rendent éga-
lement compte des résultats des mesures (c’est ce que nous pourrions appeler un pluralisme
théorique92). Cependant, d’un point de vue épistémologique, ces deux options ne sont pas éga-
les : garder la géométrie euclidienne serait en effet plus avantageux que de changer les lois de
l’optique, et ce pour les raisons citées précédemment : la géométrie euclidienne est la plus
avantageuse parce qu’elle est la plus simple et parce qu’elle s’accorde avec les propriétés géné-
rales des solides naturels.93
C’est dans cet article de 1891 que l’on trouve la première formulation explicite du convention-
nalisme géométrique. Par la suite, Poincaré enrichira son argumentation mais il conservera
cette trame principale. Les chapitres de La science et l’hypothèse consacrés au conventionnalisme
géométrique seront d’ailleurs composés en grande partie à partir de cet article (principalement
les chapitres III et V, voir Tableau 5 page 226).
Cet article suscita, au moment de sa publication, un grand nombre de réactions, non seule-
ment au sein du cercle fermé des mathématiciens et des philosophes des sciences, mais égale-
ment au sein d’un public d’intellectuels. Ainsi, Paul Valéry, admirateur inconditionnel de
Poincaré, écrivit-il la remarque suivante à propos de ce texte dans un de ses Cahiers (cahier
« Tabulae Meae Tentationum – Codex Quartus ») :
été faite par notre monde actuel, si nous étions brusquement transportés dans ce monde nouveau, nous n’aurions pas de diffi-
cultés à en rapporter les phénomènes à notre espace euclidien. Quelqu’un qui y consacrerait son existence pourrait peut-être
arriver à se représenter la quatrième dimension ».
91 Pour plus de détails sur l’aspect technique de ces mesures de parallaxes, voir l’annexe qui se trouve à la page 363.
92 Par l’expression de pluralisme théorique nous désignons ici la possibilité, posée par Poincaré, de construire différentes théories
Tel est l’aveu que je veux retenir, parce qu’il entraîne tout le reste et qu’il conduit droit à
l’empirisme géométrique. En effet, suivant que notre choix, qui est libre, se porte ou non sur
les faits d’expérience, nous construisons ou la vieille et bonne géométrie de nos pères, ou la
brillante, mais factice géométrie de Lobatchevsky et de Riemann, l’une fondée sur des don-
nées de la nature, l’autre sur des données construites arbitrairement par l’esprit.95
Poincaré semblait pourtant condamner énergiquement toute forme d’empirisme géométrique.
Comment Mouret parvient-il à justifier cette lecture surprenante de l’article de 1891 ?
Selon lui, la thèse de Poincaré signifie simplement qu’il y a une séparation très nette entre la
‘bonne vieille géométrie’ et la géométrie non euclidienne : l’une est vraie car elle se fonde sur
des faits d’expérience, l’autre est factice car elle repose sur des constructions et des représenta-
tions fictives. Ainsi, tout en acceptant la thèse du conventionnalisme qui refuse de conférer
une quelconque valeur de vérité aux différentes géométries, Mouret tente de réintroduire
l’ancienne séparation entre une vraie géométrie (la géométrie euclidienne) et des géométries,
certes utiles mais fausses (les géométries non euclidiennes).
La position de Mouret concernant les géométries non euclidiennes est sans ambiguïté : il
s’oppose farouchement à l’idée que l’on puisse accorder un quelconque fondement empirique
aux géométries non euclidiennes. Celles-ci ne sont pour lui que des jeux bizarres, aux règles
compliquées, auxquels s’adonnent les mathématiciens désireux d’occuper leurs loisirs à cons-
truire des ‘poésies géométriques’.
La géométrie non Euclidienne n’est donc pas autre chose, si ses bases sont en partie conven-
tionnelles, ce que M. Poincaré affirme et ce dont on ne saurait douter, qu’un art, qu’une
sorte de poésie géométrique ou de jeu intellectuel. […] Il ne faut, par conséquent, attribuer
aux essais de géométrie non Euclidienne d’autre intérêt que celui qui s’attache à toute ac-
tion susceptible de devenir une source de distraction et de plaisirs, et en particulier à tout
moyen d’exercer à peu près innocemment, et très agréablement pour certains, un surcroît
d’activité intellectuelle. En dehors de ce domaine purement esthétique, il n’y a qu’une
science géométrique : c’est la géométrie d’Euclide, parce que seule elle repose sur des don-
nées objectives réelles, et qu’elle reste ainsi subordonnée aux progrès de nos connaissances
expérimentales.96
94 [Valéry 1987 / 1990], volume II, page 65. Paul Valéry a non seulement lu cet article sur « Les géométries non euclidiennes »
mais il a également lu les Œuvres mathématiques de Riemann (traduites par Laugel en 1898) et les Études géométriques sur la théorie
des parallèles de Lobatchevsky (traduites par Hoüel en 1900). Toutes ces lectures l’ont profondément marqué.
95 [Mouret 1892], pages 39-40.
96 Cf. [Mouret 1892], page 40. Les propos de Mouret rappellent fortement ceux du mathématicien Louis François Joseph Ber-
trand, farouche opposant des géométries non euclidiennes, en 1870 : « De tels exercices de logique sont fort intéressants, ils
mettent en jeu de très brillantes facultés intellectuelles, mais la science de l’étendue doit-elle s’en préoccuper ? Dans cette affecta-
tion de pure logique, n’y a-t-il pas même une contradiction choquante ? On admet que d’un point à un autre on ne peut mener
Henri Poincaré (1854-1912) : Des Mathématiques à la Philosophie 49
Le Conventionnalisme Géométrique, Entre Mathématiques et Philosophie
Selon Mouret, la géométrie euclidienne est empirique parce qu’elle porte sur des faits
d’expérience, alors que les géométries non euclidiennes – dans la mesure où elles sont des jeux
de l’esprit – sont conventionnelles. La géométrie euclidienne, par conséquent ne comporterait
pas de conventions. Une telle conception n’est pas surprenante quand on sait avec quelles
résistances les géométries non euclidiennes furent accueillies en France.
Cette interprétation laisse manifestement à désirer, et ce pour plusieurs raisons. D’une part,
Poincaré ne partage pas cette méfiance à l’égard des géométries non euclidiennes, dans la
mesure où ses travaux mathématiques sur les fonctions fuchsiennes en font un usage intensif
et créatif. D’autre part, rien dans son article ne laisse sous-entendre que la géométrie eucli-
dienne soit uniquement basée sur des faits d’expérience. Bien au contraire, Poincaré affirme
que les axiomes géométriques sont des conventions, sans préciser de quelle géométrie il est ques-
tion ; cela s’explique par le fait qu’il englobe toutes les géométries dans cette affirmation, y
compris la géométrie euclidienne. De plus, le fait que la géométrie euclidienne soit plus com-
mode que la géométrie non euclidienne n’implique pas pour autant qu’elle ne contient aucun
élément conventionnel : son accord avec les propriétés des solides naturels n’est qu’approché,
et c’est bel et bien par une convention que l’on va choisir une unité de mesure, des règles de
congruence. Pour Poincaré, la géométrie n’est pas un ensemble de lois expérimentales tirées
de l’observation des corps solides ; cette observation est certes nécessaire, mais elle ne consti-
tel-00137859, version 1 - 22 Mar 2007
qu’une seule ligne droite ; cela ne se démontre ni ne peut se démontrer, cela est évident (il faut bien se résigner à le dire), mais
cela cesse de l’être dès que l’on admet les lignes droites contournées qu’exige la géométrie imaginaire ». « Nouveau moyen de
lever la difficulté des parallèles », Comptes rendus de l’Académie des Sciences 69 (1870), page 44.
97 [Poincaré 1892k], page 74. Notons que cette lettre sera en partie reprise dans les chapitres II et III de La science et l’hypothèse.
Henri Poincaré (1854-1912) : Des Mathématiques à la Philosophie 50
Le Conventionnalisme Géométrique, Entre Mathématiques et Philosophie
qui est : A < B <C. Cette différence est importante puisqu’elle prouve que le continu mathéma-
tique contient quelque chose que l’expérience ne peut lui fournir : l’expérience est utile dans la
formulation de la continuité mathématique mais elle n’occupe le rôle central que voudrait lui
attribuer Mouret ; elle sert simplement à justifier empiriquement notre conception de l’égalité
mathématique. Poincaré terminera sa réponse par une référence aux travaux de Helmholtz.
J’ai pris beaucoup d’intérêt à la lecture de ses arguments, dont j’ai admiré la variété, mais je
ne puis m’empêcher de rappeler que les plus caractéristiques sont déjà dans Zählen und
Messen de Helmholtz ; les conclusions seules diffèrent. J’avoue que je ne puis me décider à
croire que cette proposition : deux quantités égales à une même troisième sont égales entre
elles, soit un fait expérimental que des expériences plus précises infirmeront peut-être un
jour. J’aime mieux conclure avec Helmholtz que nous donnons le nom d’égalité à tout ce
qui dans le monde extérieur est conforme à l’idée préconçue que nous avons de l’égalité
mathématique.98
La réaction de Mouret constitue un exemple typique de lecture orientée du conventionnalisme
géométrique. Manifestement réticent à l’égard des géométries non euclidiennes, Mouret cher-
chait à sauver la géométrie euclidienne à tout prix. D’où cette volonté d’orienter le conven-
tionnalisme géométrique vers un empirisme que son promoteur semblait pourtant vouloir
éviter.
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que l’espace représentatif, qui sert de cadre tout préparé à nos sensations et à nos représenta-
tions, est identique à l’espace des géomètres, dont il possède toutes les propriétés.99 Poincaré
commençait donc par expliquer en quoi l’espace géométrique diffère du cadre dans lequel
nous représentons nos sensations (l’espace représentatif, sous sa triple forme visuelle, tactile et
motrice).
L’espace géométrique est continu, infini, homogène (tous ses points sont identiques entre eux),
isotrope (toutes les droites passant par un même point sont identiques entre elles) et se trouve
doté de trois dimensions. Une image visuelle ne possède, quant à elle, que deux dimensions,
elle est enfermée dans un cadre limité et elle n’est absolument pas homogène puisque les
points de la rétine ne jouent pas tous le même rôle.100 Manifestement, l’espace représentatif
diffère donc de l’espace géométrique et, au terme d’une analyse très helmholtzienne de la
notion de sensation, Poincaré en conclut que l’espace représentatif n’est ni homogène, ni iso-
trope, et qu’il possède par ailleurs, non pas deux ou trois dimensions, mais autant que le corps
possède de nerfs susceptibles de le renseigner sur la position des objets extérieurs.101
Les sensations que nous pouvons éprouver à propos des objets extérieurs n’ont, en soi, aucun
caractère spatial. L’espace géométrique n’est pas l’espace représentatif. Cela signifie que la
genèse de l’espace n’est pas un phénomène purement empirique, lié uniquement à la manière
dont nous appréhendons, par nos sensations, les objets extérieurs. Ces sensations, en elles-
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mêmes, ne suffisent pas à fonder la notion d’espace, bien qu’elles soient nécessaires ; la notion
d’espace n’émerge qu’au terme d’une activité constructive de l’esprit, qui tente de formuler les
lois suivant lesquelles ces sensations se succèdent.102
Les conclusions de Poincaré nous transportent en terrain connu : l’expérience joue, certes, un
rôle fondamental dans la genèse de la géométrie, mais il ne faudrait pas en conclure pour
autant que la géométrie est une science expérimentale, « même en partie ». La géométrie n’est
pas l’étude des mouvements des corps solides ; elles ne s’occupe pas des solides naturels que
nous appréhendons par nos sensations, mais elle raisonne plutôt sur des solides idéaux, abso-
lument invariables (par rapport à des déformations éventuelles), qui n’en sont qu’une image
« simplifiée et bien lointaine ». C’est l’esprit, guidé par l’expérience, qui crée ces solides
idéaux :
La notion de ces corps idéaux est tirée de toutes pièces de notre esprit et l’expérience n’est
qu’une occasion qui nous engage à l’en faire sortir.
Ce qui est l’objet de la géométrie, c’est l’étude d’un ‘groupe’ particulier ; mais le concept
général de groupe préexiste dans notre esprit, au moins en puissance. Il s’impose à nous,
non comme une forme de notre sensibilité, mais comme forme de notre entendement.
Seulement, parmi tous les groupes possibles, il faut choisir celui qui sera pour ainsi dire
l’étalon auquel nous rapporterons les phénomènes naturels.
L’expérience nous guide dans ce choix qu’elle ne nous impose pas ; elle nous fait reconnaî-
tre non quelle est la géométrie la plus vraie, mais quelle est la plus commode.
Ce qui semble nouveau ici, c’est cette idée du groupe conçu comme forme de l’entendement.
On se souvient que Kant concevait l’espace comme une forme a priori de la sensibilité. Poinca-
ré introduit l’hypothèse d’une faculté transcendantale qui va donner une forme à la matière
brute fournie par les sensations. C’est l’action fécondatrice de l’expérience sur ce concept gé-
99 [Poincaré 1895o], page 631. Notons que Poincaré reproduira presque intégralement cet article dans le chapitre IV de La science
et l’hypothèse.
100 Une analyse similaire peut être faite pour l’espace tactile ou pour l’espace moteur.
101 [Poincaré 1895o], page 635 : « L’espace représentatif n’est qu’une image de l’espace géométrique, image déformée par une
sorte de perspective, et nous ne pouvons nous représenter les objets qu’en les pliant aux lois de cette perspective. Nous ne nous
représentons donc pas les corps extérieurs dans l’espace géométrique ; mais nous raisonnons sur ces corps, comme s’ils étaient
situés dans l’espace géométrique. Quand on dit d’autre part que nous ‘localisons’ tel objet en tel point de l’espace, qu’est-ce que
cela veut dire ? Cela signifie simplement que nous nous représentons les mouvements qu’il faut faire pour atteindre cet objet ».
102 [Poincaré 1895o], page 636 : « Mais, dira-t-on, si l’idée de l’espace géométrique ne s’impose pas à notre esprit, si d’autre part
aucune de nos sensations ne peut nous la fournir, comment a-t-elle pu prendre naissance ? […] Aucune de nos sensations, isolée,
n’aurait pu nous conduire à l’idée de l’espace ; nous y sommes amenés seulement en étudiant les lois suivant lesquelles ces sensations se
succèdent ».
Henri Poincaré (1854-1912) : Des Mathématiques à la Philosophie 52
Le Conventionnalisme Géométrique, Entre Mathématiques et Philosophie
néral de groupe qui va déterminer le choix d’un groupe particulier, ou, pour être plus précis,
le choix d’une géométrie particulière capable de rendre compte des phénomènes naturels.
De ces développements découlent deux conclusions : la première est que l’espace géométrique
ne peut être réduit, ni à l’espace physique ni à l’espace physiologique, puisque ces deux types
d’espace ne possèdent aucune des propriétés essentielles de l’espace géométrique ; la seconde
sera que l’espace géométrique est le fruit d’une construction mathématique et que la géomé-
trie participe d’une théorie des entités géométriques. Ces deux points constituent la preuve
que les processus de conceptualisation jouent, dans la philosophie de Poincaré, un rôle plus
important que les éléments empiriques (qui n’interviennent qu’à titre d’occasions).
2 – « On the Foundations of Geometry » (1898)
Avec le texte de 1895 s’amorce chez Poincaré une réflexion sur la genèse de la notion d’espace,
réflexion qui trouvera son plein achèvement en 1898 dans un long article intitulé « On the
Foundations of Geometry ».103 Rédigé dans un style faussement limpide, ce texte fourmille en
réalité de présupposés techniques et mathématiques, et il fait un usage particulièrement inten-
sif de la théorie des groupes.
Dans ce texte, Poincaré se fixe comme principal objectif d’expliquer ce qu’il entend exactement
lorsqu’il affirme que la géométrie n’est rien d’autre que l’étude d’un groupe ; pour ce faire il
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tente de reconstruire la genèse de la notion de groupe continu d’une façon qui ne présuppose
pas déjà la géométrie. L’enjeu est de taille puisqu’il s’agit d’échapper au cercle vicieux qui
semblait affecter les conceptions de Helmholtz.104 Poincaré se fait un devoir de rendre compte
de la genèse de l’espace et de la géométrie sans présupposer aucune notion géométrique. Au
terme d’une longue analyse des notions d’espace sensible et d’espace géométrique, Poincaré
en arrive à considérer l’espace sensible comme une catégorie de notre entendement et à le
réduire à une faculté de comparaison permettant de classer, de différencier et d’organiser les
sensations brutes.105 Par ailleurs, il affirma qu’on ne construira jamais un espace infini, homo-
gène et isotrope, quelle que soit la manière dont on caractérise l’espace sensible, et il précise
qu’une telle construction ne pourrait acquérir ces propriétés qu’en « cessant d’être accessible à
nos sens ».106
L’espace géométrique est donc pour lui une construction abstraite, en partie déconnectée de
l’univers des sensations. De là découle l’idée selon laquelle nos représentations de l’espace
n’atteignent jamais l’espace géométrique.107 Poincaré poursuit ensuite sa réflexion en étudiant
les notions de déplacements et de changements d’état, en introduisant la notion de groupe et
en étudiant ses propriétés. Il serait trop long d’exposer l’ensemble des idées contenues dans ce
texte très riche ; nous nous contenterons donc de mentionner ses conclusions les plus mar-
quantes. Poincaré avoue sa dette envers Helmholtz et Lie, mais sur le fond il précise la spécifi-
cité de sa position.
Comme je l’ai expliqué plus haut, nous devons distinguer dans un groupe la forme et la
matière. Pour Helmholtz et Lie la matière du groupe existait avant la forme et en géométrie
103 [Poincaré 1898k]. Ce texte fut publié en anglais dans la revue philosophique The Monist. Il fut traduit en anglais à partir du
manuscrit de Poincaré par T. J. M. McCormack. Il fut retraduit en français en vue de sa publication par Louis Rougier comme
volume inaugural de la Bibliothèque de Synthèse Scientifique (chez Chiron). Les citations sont faites d’après la traduction fran-
çaise.
104 [Poincaré 1898k], page 61 : « Nous échappons ainsi à cette objection qui a souvent été faite à Helmholtz et à Lie : ‘Mais votre
groupe, objecte-t-on, présuppose l’espace ; pour le construire vous êtes obligés d’admettre un continu à trois dimensions. Vous
procédez comme si vous saviez déjà la géométrie analytique’ ».
105 [Poincaré 1898k], pages 7-8 en particulier.
106 [Poincaré 1898k], page 11 : « Il serait peut-être possible d’épurer la catégorie que j’ai considérée au début de cet article et de
construire quelque chose qui ressemblât davantage à l’espace géométrique. Mais, quoi que nous fassions, l’espace ainsi construit
ne sera jamais ni infini, ni homogène, ni isotrope ; il ne pourrait le devenir qu’en cessant d’être accessible à nos sens ».
107 « Nos représentations ne sont que la reproduction de nos sensations ; nous ne pouvons donc pas figurer l’espace géométri-
que. Nous ne pouvons pas nous représenter les objets dans l’espace géométrique, mais seulement raisonner sur eux comme s’ils
existaient dans cet espace ». [Poincaré 1898k], page 11.
Henri Poincaré (1854-1912) : Des Mathématiques à la Philosophie 53
Le Conventionnalisme Géométrique, Entre Mathématiques et Philosophie
la matière est une Zahlenmannigfaltigkeit à trois dimensions. Le nombre des dimensions est donc
posé antérieurement au groupe. Pour moi au contraire la forme existe avant la matière.108
Ainsi contrairement à Helmholtz, qui affirmait le primat de la matière en mettant en avant le
rôle de l’expérience des corps solides dans la genèse des axiomes géométriques, Poincaré af-
firme celui de la forme et insiste sur la préexistence de la notion de groupe dans notre esprit.
Une telle notion ne naît pas de rien ; pour être construite, elle a besoin d’une matière. Notre
expérience sensorielle nous fournit quelque chose qui peut tenir lieu de matière, mais il s’agit
d’une matière grossière, en raison de la sous-détermination de l’expérience sensible.
L’expérience des corps solides n’a été qu’une ‘béquille’ pour nous aider à prendre conscience
de l’existence pure de la notion de groupe en nous.109
En conséquence, la géométrie n’est pas une science expérimentale. L’expérience est l’occasion
nécessaire de la genèse de la géométrie et de la notion d’espace. L’espace n’est pas une forme
de notre sensibilité ; ce n’est pas un instrument de représentation mais un instrument de raison-
nement. C’est une forme de notre entendement. L’idée fondamentale de ce texte, qui n’était
qu’esquissée dans les textes antérieurs, est celle d’une géométrie conçue comme l’étude des
propriétés formelles d’un certain groupe continu. Dans notre esprit préexistent les notions
d’une multitude de groupes continus. Plusieurs géométries sont ainsi envisageables et il de-
vient donc nécessaire de procéder à un choix (qui prendra appui sur le guide que fournit
tel-00137859, version 1 - 22 Mar 2007
l’expérience) :
Parmi les groupes mathématiques continus que notre esprit peut construire, nous choisis-
sons celui qui s’écarte le moins de ce groupe brut, analogue au continu physique, que
l’expérience nous a fait connaître comme groupe des déplacements.
Notre choix ne nous est donc pas imposé par l’expérience. Il est simplement guidé par
l’expérience. Mais il reste libre : nous choisissons cette géométrie-ci plutôt que celle-là, non
parce qu’elle est plus vraie, mais parce qu’elle est plus commode.110
Ainsi nos expériences sont aussi bien compatibles avec la géométrie d’Euclide qu’avec celle de
Lobatchevsky. Nous choisissons la géométrie euclidienne parce qu’elle est la plus simple et la
plus commode et c’est donc notre esprit qui fournit une catégorie à la nature. Pour reprendre
une expression très parlante, « nous offrons à la nature un choix de lits parmi lesquels nous
choisissons la couche qui va le mieux à sa taille ».111
3 – La controverse Poincaré- Russell (1898-1900)
En 1897, le philosophe Bertrand Russell publie un livre intitulé An Essay on the Foundations of
Geometry.112 Correspondant régulier de Louis Couturat, Russell est parfaitement au courant des
débats qui animent la communauté philosophique et mathématique française autour de cette
question et il se propose d’y apporter une contribution. Dès sa parution, ce livre suscitera de
nombreuses réactions en France et donnera naissance à une controverse célèbre entre son
auteur et Poincaré. Ce sont différents articles publiés dans la Revue de métaphysique et de morale
entre 1898 et 1900 qui constitueront les principales étapes de cette controverse :
1898 : publication d’un compte-rendu du livre de Russell par Couturat, « Études criti-
ques : Essai sur les fondements de la géométrie par Bertrand Russell ».
1898 : publication d’un article de Russell, « Les axiomes propres à Euclide sont-ils empi-
riques ? » et début de la controverse ;
108 [Poincaré 1898k], page 60. Voir également la note 37 page 30.
109 [Poincaré 1898k], page 62 : Le groupe des déplacements tel qu’il nous est donné directement par l’expérience est quelque
chose d’une nature plus grossière ; il est, pouvons-nous dire, aux groupes continus à proprement parler ce que le continu physi-
que est au continu mathématique. Nous étudions d’abord sa forme conformément à la formule du continu physique et comme il
y a quelque chose qui répugne à notre raison dans cette formule, nous la rejetons et nous y substituons celle du groupe continu
qui en puissance préexiste en nous, mais que nous ne connaissons initialement que par sa forme. La matière grossière qui nous
est fournie par nos sensations n’a été qu’une béquille pour notre infirmité et n’a servi qu’à nous forcer à fixer notre attention sur
l’idée pure que nous portions auparavant en nous ».
110 [Poincaré 1898k], page 63.
111 [Poincaré 1898k], page 63.
112 Ce livre sera traduit en français par Albert Cadenat et publié chez Gauthier-Villars en 1901, dans une édition revue et annotée
dirigée, on s’en doute bien, contre les théories de Helmholtz sur l’imaginabilité des géométries
non euclidiennes. Les fictions géométriques de Helmholtz (et de Poincaré) ne prouvent rien,
selon lui, pas plus que l’idée d’une intertraductibilité des différents systèmes de symboles :
On prend les symboles qui représentent les grandeurs dans l’espace pseudo-sphérique (hy-
perbolique), et on leur donne un nouveau sens euclidien ; toutes les propositions symboli-
ques deviennent ainsi capables de deux interprétations, l’une pour l’espace pseudo-
sphérique et l’autre pour le volume contenu dans une sphère. Mais il est trop manifeste que
cette manière de procéder, tout en permettant de décrire notre nouvel espace, ne nous rend
pas capables de l’imaginer, c’est-à-dire d’évoquer les images de la manière dont nous ver-
rions les choses. Nous ne retirons pas en réalité de cette analogie une connaissance plus
grande qu’un aveugle-né n’en retirerait à l’égard de la lumière d’une analogie avec la cha-
leur. L’aphorisme Nihil est in intellectu quod non prius fuerit in sensus serait incontestablement
vrai, si l’on substituait imagination à entendement ; si donc notre espace actuel est euclidien, il
est vain d’espérer avoir la faculté d’imaginer un espace non-euclidien.114
Sur ce point important Poincaré répondra précisément en mettant en évidence l’inanité de
l’exemple de l’aveugle de naissance. Un aveugle de naissance ne peut se représenter les cou-
leurs, même en recourant à une analogie avec la chaleur. En revanche, quelqu’un qui recon-
naîtrait les couleurs mais en ayant l’habitude de les voir se succéder dans un certain ordre
(rouge, jaune, vert par exemple) pourrait parfaitement se représenter un monde où ces cou-
leurs se succéderaient selon un ordre différent (vert, rouge, jaune par exemple). C’est donc bel
et bien sur les notions d’ordre et de succession que l’imaginabilité des géométries non eucli-
diennes trouve son fondement. En effet, dans un monde non euclidien, nos sensations seraient
composées des mêmes éléments que dans le monde actuel ; seulement, les éléments se succé-
deraient suivant des lois différentes. Les descriptions de mondes non euclidiens sont donc
possibles et elles ne mettent pas forcément en œuvre des termes conceptuels, des constructions
purement logiques : elles composent plutôt un tableau nouveau à partir d’éléments déjà con-
nus.115
113 [Russell 1897 / 1901], page 72 (voir la citation page 35). Notons ce que qu’écrit Couturat dans son article « Études critiques :
Essai sur les fondements de la géométrie par Bertrand Russell » [Couturat 1898] : « Les géomètres qui ont allégué la possibilité logique
d’une Géométrie non-euclidienne ont méconnu la question : car ce qu’il leur faudrait établir, c’est la possibilité de l’intuition d’un
espace non-euclidien. On ne peut réfuter Kant qu’en critiquant sa distinction des jugements synthétiques et analytiques, qui en
effet n’a plus de valeur absolue pour les logiciens modernes, mais qui laisse subsister la distinction des jugements empiriques et a
priori ; ou bien en ruinant la déduction métaphysique de l’espace ».
114 [Russell 1897 / 1901], page 93.
115 [Poincaré 1899m], pages 275-276.
Henri Poincaré (1854-1912) : Des Mathématiques à la Philosophie 55
Le Conventionnalisme Géométrique, Entre Mathématiques et Philosophie
Cette critique de Poincaré est de toute première importance dans la mesure où elle vise, non
seulement à défendre la position de Helmholtz, mais également à porter atteinte à l’empirisme
de Russell. En effet, en attribuant au cinquième postulat d’Euclide une dimension empirique,
ce dernier affirme la possibilité d’un experimentum crucis permettant de décider quelle est la
vraie géométrie de l’espace. Or cette croyance en une expérience cruciale semble complète-
ment incompatible avec les critiques dirigées contre Helmholtz, dans la mesure où ce type
d’expérience consiste justement à se représenter les différents résultats envisageables :
Quand on fait un experimentum crucis, on sait d’avance que cette expérience peut donner
deux résultats différents ; on se les représente d’avance, de façon à pouvoir se dire : si c’est
telle représentation qui se réalise, j’en tirerai telle conclusion ; si c’est l’autre, j’en tirerai la
conclusion opposée. Si au contraire il est impossible d’imaginer un des termes de
l’alternative, on doit le regarder d’avance comme absurde et l’expérience devient inutile.116
Une telle inconséquence logique ne fait que renforcer la méfiance de Poincaré vis-à-vis des
conceptions de Russell. Il consacre ainsi, dans son article de 1899, toute une section sur
l’empirisme et la géométrie ; il y stigmatise les énoncés vagues, le brouillard et les illusions
présents chez Russell et il y répète une fois de plus qu’on ne saurait trouver à l’empirisme
géométrique un sens raisonnable.
J’estime que c’est à tort que M. Russell attribue le caractère empirique à d’autres axiomes,
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conserver une constante ‘mesure de courbure’. […] À l’exception de détails, je ne pense pas
qu’il y ait rien de valable dans ce livre.119
C – Bilan
La plupart des articles que nous avons considérés servirent, à des degrés divers, de matériaux
pour la composition des différents chapitres des ouvrages de la Bibliothèque de Philosophie
Scientifique. Parfois la reprise des articles d’origine est totale (c’est le cas de « L’espace et la
géométrie » qui est repris presque intégralement dans le chapitre IV de La science et
l’hypothèse) ; d’autres fois, elle est partielle et segmentée (des paragraphes de l’article de 1891
apparaissent dans différents chapitres de La science et l’hypothèse) ; enfin, d’autres fois, elle est
tellement imbriquée dans le texte qu’elle en devient indiscernable.120 Tous ces cas de figure
montrent, nous semble-t-il, la nécessité de revenir aux textes d’origine pour comprendre
l’évolution de la pensée poincaréienne et les origines de sa philosophie conventionnaliste.
Or, que nous apprend le rapide survol historique que nous venons d’effectuer ? Il nous permet
de constater le passage d’une philosophie faisant largement écho à une tradition mathémati-
que (références aux travaux de Riemann et de Helmholtz, recours aux géométries non eucli-
diennes, publications dans des revues spécialisées, etc…) vers une philosophie plus tradition-
nelle, qui non seulement tente d’ancrer des positions et de poser des repères (par rapport à des
tel-00137859, version 1 - 22 Mar 2007
figures emblématiques comme celle de Kant), mais qui trouve également sa voie d’expression
dans des revues spécifiquement philosophiques (la Revue de métaphysique et de morale ou The
Monist).
Certes Poincaré n’abandonne pas la discussion des problèmes mathématiques (étant donné
son sujet, il ne le pourrait d’ailleurs pas) puisqu’il se permet, par exemple, d’introduire des
développements très techniques sur la théorie des groupes dans son article du Monist ; cepen-
dant, on assiste entre 1887 et 1900 à une évolution notable au niveau de la forme dont
s’exprime sa pensée. En même temps que la thèse du conventionnalisme géométrique se déve-
loppe et s’enrichit, elle perd progressivement de sa forme mathématique pour trouver une
formulation de plus en plus littéraire. Le point culminant de cette évolution se trouve bien-sûr
dans La science et l’hypothèse et dans La valeur de la science, deux ouvrages qui donneront un
exposé synthétique du conventionnalisme géométrique sans quasiment recourir au forma-
lisme mathématique.
A – Le conventionnalisme généralisé
Les éléments d’un conventionnalisme généralisé se trouvent présentés dans deux conférences
rédigées vers la même époque : d’une part, dans une conférence intitulée « Sur les principes de
la mécanique » prononcée à Paris en 1900 à l’occasion du premier Congrès International de
Philosophie ; d’autre part, dans une allocution intitulée « Les relations entre la physique expé-
rimentale et la physique mathématique », prononcée la même année devant le Congrès Inter-
national de Physique de Paris.121 Ces deux textes furent repris sans grands changements dans
différents chapitres de La science et l’hypothèse : les chapitres VI et VII pour le premier, et les
chapitres IX et X pour le second (voir à ce sujet le Tableau 5 page 226).122
Les chapitres VI et VII tentent de répondre à des questions qui rappellent inévitablement le
problème des fondements de la géométrie : quel est le statut des principes de la mécanique
classique ? Doit-on les considérer comme totalement a priori, ou bien s’agit-il d’énoncés empi-
riques ? Prenons par exemple le principe d’inertie : celui-ci affirme qu’un corps qui n’est sou-
mis à aucune force ne peut se déplacer qu’en suivant un mouvement rectiligne uniforme. Si
cet énoncé avait la forme d’un jugement a priori, il serait impossible de comprendre pourquoi
il fallut attendre les travaux de Galilée pour en trouver une formulation correcte ; les Grecs de
l’Antiquité auraient pu le découvrir bien avant ; ils n’auraient ainsi pas soutenu que les corps
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ont une tendance naturelle au repos et que le plus noble des mouvements est le mouvement
circulaire. Peut-on dire par conséquent que le principe d’inertie a une origine expérimentale ?
Certainement pas, loin s’en faut :
Le principe d’inertie, qui n’est pas une vérité a priori, est-il donc un fait expérimental ? Mais
a-t-on jamais expérimenté sur des corps soustraits à l’action de toute force, et si on l’a fait,
comment a-t-on su que ces corps n’étaient soumis à aucune force ?123
La situation semble déboucher sur une impasse. Cependant, même si le principe d’inertie n’est
pas vérifiable expérimentalement, il est possible de vérifier les conséquences d’un principe
plus général qui l’englobe. Ce principe général stipule que l’accélération d’un corps ne dépend
que de la position de ce corps, de celle de ses voisins et de leurs vitesses. Mais cette loi
d’inertie généralisée n’est pas, elle non plus, complètement vérifiable expérimentalement.124 Le
principe d’inertie se trouve donc placé au-delà de la juridiction de l’expérience. Ce type
d’analyse rappelle singulièrement l’argument des parallaxes : le principe d’inertie trouve bien
son origine dans l’expérience, mais, en tant que généralisation d’une expérience, il est égale-
ment doté d’un caractère a priori qui fait de lui une convention.125
Poincaré examine ensuite la loi de l’accélération et le principe du mouvement relatif ; dans les
deux cas, il affirmera leur caractère conventionnel. En réalité, tout se passe comme si, en mé-
canique, le scientifique se trouvait dans la même position que le géomètre. Il dispose de plu-
sieurs principes possibles pour appréhender les phénomènes ; ceux-ci se valent tous et ne
diffèrent que par leur degré de simplicité et de commodité.126 Les principes de la mécanique
sont des définitions posées librement par le physicien et destinées à rendre les théories plus
simples et plus commodes. On pourrait par exemple adopter un autre principe d’inertie que
celui proposé par Galilée ; les théories qui l’utiliseraient ne seraient pas forcément fausses
mais leur complexité les rendrait vraisemblablement incommodes.
étendue sans crainte aux cas les plus généraux parce que nous savons que dans ces cas généraux l’expérience ne peut plus ni la
confirmer, ni la contredire ».
126 [Poincaré 1902q], page 145 : « Mais toute proposition peut-être généralisée d’une infinité de manières. Parmi toutes les
généralisations possibles, il faut bien que nous choisissions et nous ne pouvons choisir que la plus simple. Nous sommes donc
conduits à agir comme si une loi simple était, toutes choses égales d’ailleurs, plus probable qu’une loi compliquée ».
Henri Poincaré (1854-1912) : Des Mathématiques à la Philosophie 58
Le Conventionnalisme Géométrique, Entre Mathématiques et Philosophie
Les principes sont des conventions et des définitions déguisées. Ils sont cependant tirés des
lois expérimentales, ces lois ont été pour ainsi dire érigées en principes auxquels notre es-
prit attribue une valeur absolue.127
Les principes de la mécanique se présentent par conséquent sous un aspect ambivalent : d’une
part, ce sont des vérités fondées sur l’expérience dont la validité ne peut être qu’approchée,
puisqu’une vérification, quand elle possible, demeure toujours imparfaite ; d’autre part, ce
sont des postulats susceptibles de s’appliquer à l’ensemble de l’univers et, donc, d’être consi-
dérés comme rigoureusement vrais. Poincaré développe de ce fait des idées qui rappellent ses
conceptions conventionnalistes pour la géométrie.128
Qu’on n’aille cependant pas croire que géométrie et physique se confondent. En effet, en géo-
métrie, les expériences qui font adopter certaines conventions fondamentales ne portent pas
sur des objets que le géomètre étudie ; c’est en grande partie la perception du corps et de ses
relations avec la réalité qui nous fournit les axiomes géométriques les plus commodes. Il est
question dans ce cas de physiologie et de biologie, pas de géométrie.129 En physique, au
contraire, « les conventions fondamentales de la mécanique et les expériences qui nous dé-
montrent qu’elles sont commodes portent bien sur les mêmes objets ou sur des objets analo-
gues ».130 Il serait par conséquent abusif de mettre exactement sur le même plan la géométrie et
la physique ; bien que ces deux disciplines se caractérisent par leur dimension convention-
tel-00137859, version 1 - 22 Mar 2007
nelle, il en est une qui trouve son fondement dans les phénomènes physiologiques propres à
une expérience primordiale de la réalité, et il en est une autre qui se résume à une généralisa-
tion de résultats expérimentaux.
Le conventionnalisme généralisé de Poincaré implique que les différentes théories scientifi-
ques sont intertraductibles entre elles : il n’existe pas une seule théorie adéquate pour rendre
compte d’un phénomène observé, le physicien peut parfaitement proposer diverses explica-
tions théoriques d’un même fait expérimental. Toutes ces explications ne se différencieront
que par leur structure mathématique. On sait par exemple que Fresnel expliquait le phéno-
mène de la lumière en invoquant des mouvements de l’éther. Cependant, on lui préféra la
théorie de Maxwell. Cela ne veut pas dire pour autant que l’œuvre de Fresnel était vaine. Au
contraire, bien qu’elle ne rende plus compte de la nature des phénomènes optiques, sa théorie
permettait toujours de prévoir ces phénomènes.131 Cela veut-il dire que la théorie de Fresnel se
réduisait à son contenu empirique, et que son attirail théorique n’était rien d’autre qu’une
fiction commode ou un instrument ? Certainement pas, et Poincaré entend montrer que les
équations de cette théorie expriment des rapports et que si les « équations restent vraies, c’est
que ces rapports conservent leur réalité ».132
Le dictionnaire géométrique de Poincaré n’est pas loin. La théorie de Fresnel ne décrivait pas
uniquement les effets observables (empiriques) de la lumière mais également les rapports
véritables entre les objets réels. Selon lui, il ne fait aucun doute que cette théorie permettait de
différentes parties de notre corps, notre œil, nos membres, jouissent précisément des propriétés des corps solides. À ce compte,
nos expériences fondamentales sont avant tout des expériences de physiologie, qui portent, non sur l’espace qui est l’objet que
doit étudier le géomètre, mais sur son corps, c’est–à–dire sur l’instrument dont il doit se servir pour cette étude ».
130 [Poincaré 1902q], page 152.
131 [Poincaré 1902q], page 173.
132 [Poincaré 1902q], page 174. Et il poursuit d’ailleurs par ces mots : « Elles nous apprennent, après comme avant, qu’il y a tel
rapport entre quelque chose et quelque autre chose ; seulement, ce quelque chose nous l’appelions autrefois mouvement, nous
l’appelons maintenant courant électrique. Mais ces appellations n’étaient que des images substituées aux objets réels que la
nature nous cachera éternellement. Les rapports véritables entre ces objets réels sont la seule réalité que nous puissions attein-
dre ».
Henri Poincaré (1854-1912) : Des Mathématiques à la Philosophie 59
Le Conventionnalisme Géométrique, Entre Mathématiques et Philosophie
connaître la structure de la lumière, mais les équations qu’elle produisait étaient beaucoup
moins simples que celles générées par la théorie de Maxwell.
En ce qui concerne la physique, Poincaré ne semble pas être instrumentaliste. Il adopte plutôt
une position proche d’un réalisme structurel : les concepts théoriques ne sont pas de simples
instruments de calcul ; leur caractère abstrait ne les empêche pas de s’appliquer au monde
extérieur et d’en donner une description adéquate. Cependant, il n’existe pas de séparation
nette entre, d’une part, l’ensemble des énoncés empiriques d’une théorie et, d’autre part,
l’ensemble de ses énoncés théoriques. Au contraire, le contenu empirique d’une théorie physi-
que est co-déterminé par l’ensemble de ses lois empiriques et la structure mathématique de
tous ses énoncés. Les concepts théoriques ont donc un rôle à jouer au niveau empirique dans
le sens où ils peuvent contribuer à la découverte de nouveaux résultats expérimentaux.
Cette idée ne peut se comprendre que si on considère le progrès scientifique comme cumulatif
et continu (ce que fait Poincaré). Selon lui, la théorie de Fresnel n’a pas été réfutée par celle de
Maxwell ; toutes deux prédisent des résultats observables et rendent compte de la structure de
la lumière : leur différence essentielle réside dans leur structure mathématique. Poincaré écrira
d’ailleurs à propos des théories de la physique moderne :
J’oserai dire que ces théories sont toutes vraies à la fois, non seulement parce qu’elles nous
font prévoir les mêmes phénomènes, mais parce qu’elles mettent en évidence un rapport
tel-00137859, version 1 - 22 Mar 2007
vrai, celui de l’absorption et de la dispersion anormale. Dans les prémisses de ces théories,
ce qu’il y a de vrai, c’est ce qui est commun à tous les auteurs ; c’est l’affirmation de tel ou
tel rapport entre certaines choses que les uns appellent d’un nom et les autres d’un autre.133
Par conséquent, que l’on explique le déplacement de la lumière selon le modèle de l’éther ou
selon celui du courant électrique n’a pas d’importance : l’important, c’est que les différentes
théories puissent apprendre quelque chose sur la structure de la lumière en tant que telle.
Nous avons là une thèse épistémologique sur le processus de la connaissance scientifique.
Cette thèse affirme que la réalité ne peut pas être entièrement connue au moyen d’un seul et
unique système théorique. On ne progresse dans cette connaissance que grâce à la conjonction
de diverses théories divergentes par leur structure mathématique (chacune apportant un éclai-
rage nouveau sur un aspect du phénomène). Louis De Broglie ne se trompait d’ailleurs pas à
ce sujet puisqu’il écrivait en 1951 :
[…] Il [Poincaré] avait une attitude un peu sceptique vis-à-vis des théories physiques,
considérant qu’il existe en général une infinité de points de vue différents, d’images va-
riées, qui sont logiquement équivalentes et entre lesquels le savant ne choisit que pour des
raisons de commodité.134
B – Le holisme épistémologique
On voit donc de quelle manière le conventionnalisme géométrique trouva un aboutissement
dans un conventionnalisme généralisé, ainsi que dans une conception pluraliste des théories
physiques. Ce pluralisme se trouve doté d’une particularité marquante : il présente de fortes
similitudes avec la thèse du holisme épistémologique formulée par Duhem dans les années
1890. Un tel parallélisme mérite qu’on s’y attarde quelque peu.
Poincaré prononça, comme on l’a vu, une condamnation sans appel de l’empirisme géométri-
que et affirma la dimension conventionnelle des propositions servant de fondement à la géo-
métrie. Le point nodal de cette condamnation se trouve probablement dans l’argument des
parallaxes qui postule qu’aucune géométrie ne saurait jamais être testée empiriquement (voit
citation page 46). Traditionnellement, l’empirisme géométrique repose sur la croyance en la
possibilité d’accéder, d’une manière ou d’une autre, à la connaissance de la nature réelle de
l’espace physique et de sa géométrie véritable. Dans la conception poincaréienne, l’idée d’une
pareille expérience cruciale pour la géométrie et l’espace physique est tout simplement in-
concevable puisque les résultats pourraient toujours être annulés grâce à des ajustements
théoriques ad hoc. Certes, il parle bien de la notion d’espace – espace représentatif, espace
géométrique – mais jamais il ne semble vouloir traiter de l’espace physique. N’écrit-il pas, par
exemple qu’aucune expérience ne saurait porter sur l’espace lui-même mais seulement sur les
relations entre les corps ?135 À diverses occasions il aborde bien le problème de l’espace, mais il
n’est que rarement question de l’espace physique en tant que tel, si ce n’est sous la forme d’un
énoncé négatif, dans le style de la proposition précédente.136 On se souvient d’ailleurs que
dans Les fondements de la géométrie Poincaré n’allait pas au-delà de la notion d’espace géomé-
trique et qu’il le définissait comme une construction de l’esprit humain guidée par l’expérience.
Par ailleurs, en ce qui concerne le nombre de dimensions de l’espace, il écrivait de manière
très explicite dans La valeur de la science :
En résumé, l’expérience ne nous prouve pas que l’espace a trois dimensions ; elle nous
prouve qu’il est commode de lui en attribuer trois, parce que c’est ainsi que le nombre de
coups de pouce est réduit au minimum
Ajouterai-je que l’expérience ne nous ferait jamais toucher que l’espace représentatif qui est
un continu physique, et non l’espace géométrique qui est un continu mathématique. Tout
au plus pourrait-il nous apprendre qu’il est commode de donner à l’espace géométrique
trois dimensions pour qu’il en ait autant que l’espace représentatif.137
Ces divers éléments constituent autant d’arguments pour affirmer que Poincaré considérait
l’espace physique comme une entité théorique et que l’espace était pour lui un concept physi-
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135 [Poincaré 1902q], page 101 : « Les expériences ne nous font connaître que les rapports des corps entre eux ; aucune d’elles ne
porte, ni ne peut porter, sur les rapports des corps avec l’espace ou sur les rapports mutuels des diverses parties de l’espace ».
136 Dans La science et l’hypothèse, Poincaré utilise le terme d’espace à plus de 130 reprises. Cependant, à aucun moment, il ne
l’espace, celle d’avoir trois dimensions, n’est qu’une propriété de notre tableau de distribution, une propriété de l’intelligence
humaine pour ainsi dire ». À tout cela s’ajoute l’apparente réticence de Poincaré à faire une distinction entre géométrie pure et
géométrie (physiquement) interprétée, une distinction fondamentale lorsqu’on essaye de soutenir une position empiriste ; voir à
ce sujet [Black 1942], page 338 : « In criticizing the conventionalist view of geometry, serious confusion will arise unless constant
attention is paid to the distinction between ‘pure’ geometry (also referred to on occasion as ‘mathematical’, ‘abstract’, or ‘unin-
terpreted’ geometry) and ‘physical’ geometry (also known as ‘applied’, ‘empirical’, or ‘interpreted’ geometry) ». Black ajoute
dans une note (note 11) : « Poincaré himself makes no explicit use of the distinction, whose importance has become clearer since
his own work. Its use would have clarified many of his points, notably in the discussions on ‘Space and Geometry’ and ‘Experi-
ence and Geometry’ ».
138 Sur ce point nous partageons les conceptions de Jerzy Giedymin, qui écrivait dans son livre Science and Convention :
« […]Poincaré used the concept of space as a physically uninterpreted one. It is, therefore, uncertain if he would see the justifica-
tion of geometric conventionalism in a statement about the structural properties of physical space ». [Giedymin 1982], page 13.
Voir [Rollet 1993].
139 « Voulez-vous obtenir, d’un groupe de phénomènes, une explication théorique certaine et incontestable ? Énumérez toutes les
hypothèses qu’on peut faire pour rendre compte de ce groupe de phénomènes ; puis, par la contradiction expérimentale, élimi-
nez-les toutes, sauf une ; cette dernière cessera d’être une hypothèse pour devenir une certitude ». [Duhem 1914 / 1981], page
286.
Henri Poincaré (1854-1912) : Des Mathématiques à la Philosophie 61
Le Conventionnalisme Géométrique, Entre Mathématiques et Philosophie
140 [Duhem 1914 / 1981], pages 288-289 : « La contradiction expérimentale n’a pas, comme la réduction à l’absurde employée par
les géomètres, le pouvoir de transformer une hypothèse physique en vérité incontestable ; pour le lui conférer, il faudrait énumé-
rer complètement les diverses hypothèses auxquelles un groupe déterminé de phénomènes peut donner lieu ; or, le physicien
n’est jamais sûr d’avoir épuisé toutes les suppositions imaginables ; la vérité d’une théorie scientifique ne se décide pas à croix ou
pile ».
141 [Duhem 1914 / 1981], page 286.
Henri Poincaré (1854-1912) : Des Mathématiques à la Philosophie 62
Le Conventionnalisme Géométrique, Entre Mathématiques et Philosophie
tesse de la lumière dans l’air. Cette expérience fut interprétée par ses contemporains comme
une expérience cruciale (notamment par Arago), c’est-à-dire comme une réfutation de la théo-
rie corpusculaire. Cependant, Duhem montre dans son livre que, pour dériver de la théorie
corpusculaire que la vitesse de la lumière dans l’eau est plus grande que sa vitesse dans l’air,
l’hypothèse d’une lumière composée de corpuscules ne suffit pas et doit être complétée par
d’autres hypothèses auxiliaires. La théorie corpusculaire aurait donc pu être sauvée en altérant
une ou plusieurs de ces hypothèses auxiliaires. En effet, comme l’écrit Duhem, ce n’est pas
entre deux hypothèses que l’expérience de Foucault tranche ; elle décide plutôt entre deux
ensembles théoriques devant chacun être pris comme un tout : l’optique de Newton d’une
part, et l’optique de Huygens d’autre part. Par conséquent, l’expérience de Foucault n’est pas
une expérience cruciale dans un sens strictement logique. Le seul sens, dans lequel elle pour-
rait être admise comme cruciale, serait celui où la communauté scientifique déciderait de la
considérer comme cruciale en mettant en avant son bon-sens.
La thèse de Duhem est désignée sous le terme de holisme épistémologique. L’idée principale est
qu’une expérience de physique ne peut jamais condamner une hypothèse isolée, mais seulement le
groupe théorique dans son ensemble. Le physicien ne peut jamais isoler une hypothèse d’une
théorie et la soumettre à un test expérimental. La seule chose qu’il puisse faire c’est tester un
ensemble d’hypothèses. Et quand l’expérience est en désaccord avec ses prédictions, la seule
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déduction qu’il puisse faire c’est qu’au moins une de ses hypothèses constituant l’ensemble est
inacceptable et devrait être modifiée ; mais l’expérience ne précise pas laquelle des hypothèses
devrait être changée.
Chercher à séparer chacune des hypothèses de la physique théorique des autres supposi-
tions sur lesquelles repose cette science, afin de la soumettre isolément au contrôle de
l’observation, c’est poursuivre une chimère ; car la réalisation et l’interprétation de
n’importe quelle expérience de physique impliquent l’adhésion à tout un ensemble de pro-
positions théoriques.
Le seul contrôle expérimental de la théorie physique qui ne soit pas illogique consiste à
comparer le SYSTÈME ENTIER DE LA THÉORIE PHYSIQUE À TOUT L’ENSEMBLE DES LOIS
EXPÉRIMENTALES, et à juger si celui-ci est représenté par celui-là d’une manière satisfai-
sante.142
La thèse de Duhem est en quelque sorte une remise en question de la séparation entre langage
théorique et langage observationnel. Il n’est donc pas étonnant que Quine l’ait reprise à son
compte dans son article « Les deux dogmes de l’empirisme », dans le contexte de la distinction
entre jugements analytiques et jugements synthétiques. Ces deux dogmes – celui de la fron-
tière entre langage observationnel et langage théorique, et celui de la possibilité d’une réduc-
tion de la signification empirique à l’expérience – seront rejetés par Quine, au nom même de la
thèse de Duhem, revue et corrigée, affirmant qu’aucune expérience cruciale ne saurait déterminer
la signification des termes observationnels (thèse de Duhem- Quine).143
2 – Poincaré et la notion d’expérience cruciale en géométrie
En 1891, dans son article sur les géométries non euclidiennes, Poincaré exposait son argument
des parallaxes pour critiquer la thèse de l’empirisme géométrique. Cet argument présente des
similitudes frappantes avec le holisme de Duhem. Voyons de quoi il retourne précisément.
La thèse de Duhem concerne uniquement la physique, alors que l’argument des parallaxes
porte, pour sa part, sur un système de géométrie associé à des hypothèses physiques. Cette
différence de points de vue est importante, mais elle n’efface pas pour autant le parallélisme,
surtout lorsqu’on prend en compte l’existence, chez Poincaré, d’un conventionnalisme généra-
lisé. Soit la conjonction d’une géométrie G et d’une théorie optique T. Supposons qu’un parti-
san de l’empirisme géométrique veuille prouver qu’il existe une géométrie décrivant de ma-
nière adéquate le monde physique au moyen de mesures de parallaxes stellaires. Si on consi-
dère la conjonction d’une géométrie euclidienne G E avec une théorie optique T, selon laquelle
la lumière se propage en ligne droite, on devrait s’attendre alors à ce que la somme angulaire
d’un triangle stellaire soit égale à 180° (S). Cela nous donnerait donc :
(G E ∧ T) → S
Mais, comme l’écrit Poincaré, si on découvrait une somme différente de 180° (S’), on aurait le
choix entre deux solutions. Premièrement, on pourrait expliquer S’ en adoptant une géométrie
non euclidienne G ¬E . Cela donnerait la possibilité (a) :
(( G E ∧ T ) → S ∧ S’)
(a) ∃ G ¬E (( G ¬E )
∧ T ) → S’ .
Deuxièmement, on pourrait préférer conserver la géométrie euclidienne en remplaçant T par
T’ (affirmant que la lumière ne se propage pas en ligne droite), ce qui donnerait la solution (b).
Poincaré affirme que cette solution serait considérée comme plus commode, plus simple :
(( G E ∧ T ) → S ) ∧ S ’
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(
(b) ∃ T’ (G E ∧ T’) → S’ . )
La proposition (b) semble relativement similaire à l’énoncé de la thèse de Duhem, qui propo-
sait de rendre compte d’un phénomène physique inattendu, non pas en modifiant la théorie
physique, mais en procédant à des modifications dans l’ensemble de ses hypothèses auxiliai-
res. Poincaré propose ici de conserver la géométrie euclidienne en apportant des modifications
ad hoc à l’ensemble des hypothèses optiques.
Ces deux thèses (T1 ∧ A’) → ¬O (thèse de Duhem) et (G E ∧ T’) → S’ (thèse de Poincaré) sem-
blent par conséquent identiques d’un point de vue formel. Leurs formulations logiques sem-
blent correspondre terme à terme, elles paraissent isomorphes. Toutes deux mettent en doute
la légitimité d’une expérience cruciale qui viserait à falsifier une hypothèse empirique isolée,
et ce au nom d’une conception qui postule l’interdépendance presque totale des différentes
parties d’un système théorique. Cette similitude de structures est d’autant plus frappante que
Poincaré formula son argument des parallaxes en 1891 (dans l’article « Sur les géométries non
euclidiennes »), soit 15 ans avant la première édition de La théorie physique. De là à voir en
Poincaré le véritable inventeur du holisme épistémologique il n’y a qu’un pas…
Cependant, c’est un pas qu’on ne peut franchir qu’avec la plus extrême prudence. Comme
dans tout procès, en effet, il y a des preuves à charge et des preuves à décharge, et cette simili-
tude structurelle, en particulier, ne doit pas nous abuser.
Historiquement, les conceptions philosophiques de Poincaré et de Duhem furent souvent
rapprochées. Toutes deux rattachées au même courant de pensée – le positivisme nouveau ou
la critique philosophique des sciences – elles exercèrent une influence décisive sur les fonda-
teurs du Cercle de Vienne.144 Qu’il y ait des liens profonds entre les conceptions philosophi-
ques des deux scientifiques est indubitable. Poincaré et Duhem, à des degrés divers et avec
des nuances spécifiques, ont bien mis en évidence le rôle joué par les hypothèses, les défini-
tions et les conventions dans la pratique scientifique. Cependant la logique va parfois à
l’encontre de l’histoire. En effet, si la logique semble indiquer qu’une thèse holiste est à
l’œuvre au sein du conventionnalisme de Poincaré, l’histoire indique au contraire que Duhem
144 En témoigne, cette déclaration de Philipp Franck : « Nous avons essayé de compléter les idées de Mach à l’aide de celles de la
philosophie française des sciences d’Henri Poincaré et de Pierre Duhem ». Cité d’après [Brenner 1996], page 389. Brenner déclare
par ailleurs, page 389 : « Aux deux auteurs français, les disciples de Mach empruntèrent l’affirmation selon laquelle les lois
scientifiques sont de libres créations de l’esprit. Ainsi, Poincaré et Duhem font figure d’interlocuteurs privilégiés du Cercle de
Vienne ; ils ont exercé sur le positivisme logique une influence commune ».
Henri Poincaré (1854-1912) : Des Mathématiques à la Philosophie 64
Le Conventionnalisme Géométrique, Entre Mathématiques et Philosophie
n’était guère partisan des conceptions de Poincaré. En témoigne, la controverse informelle qui
opposa les deux scientifiques pendant des années et dont on trouve des traces dans quelques
sections de La théorie physique. Les questions qui se posent sont par conséquent fort nombreu-
ses ; elles portent aussi bien sur des problèmes historiques que sur des problèmes techniques
d’interprétation philosophique.
Pour le volet historique, le problème est celui de l’antériorité logique de la découverte : Poinca-
ré peut-il être considéré comme l’inventeur du holisme ? Était-il en relation avec Duhem ? Est-
il possible qu’il se soit entretenu de ces questions avec lui à l’époque où il rédigeait son article
sur les géométries non euclidiennes ? Peut-on parler de découverte simultanée dans ce cas
précis ? Les réponses à toutes ces questions, on s’en doute bien, ne pourront être que partielles
dans la mesure où les documents historiques permettant d’y répondre sont fort peu nom-
breux.
D’un point de vue philosophique, les questions sont les suivantes : l’analogie structurelle (ou
formelle) existant entre la thèse de Duhem et l’argument des parallaxes est-elle également
légitime à un niveau fonctionnel ? En d’autres termes, ces deux thèses remplissent-elles la
même fonction au sein de la philosophie générale de leurs créateurs ? Est-il possible que Poin-
caré ait formulé une conception holiste sans en percevoir clairement les conséquences et sans
la développer plus avant ?
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C – Poincaré et Duhem
145 [Poincaré 1892s], page XXX. Notons que Poincaré avait fait partie du jury de la seconde thèse de Duhem ; il était de sept ans
son aîné et il enseignait à la Sorbonne alors même que Duhem était encore étudiant.
146 Voir à ce sujet [Brouzeng 1981], page I. Cette retraite dorée, est vraisemblablement le résultat de la controverse violente qui
l’opposa à Marcelin Berthelot, un des plus grands représentants de la science française, de 1886 à 1897. Duhem n’hésitera pas, en
effet à combattre le principe du travail maximum de Berthelot, notamment à cause de son manque de généralité ; il proposera en
remplacement un nouveau concept, fondé sur les développements récents de la thermodynamique, le potentiel thermodynamique
interne, concept qu’il mettra par exemple en œuvre en 1893, dans son Introduction à la mécanique chimique. Ces critiques, parfois
intransigeantes, ne furent pas sans conséquences, comme le note Paul Brouzeng, page VIII : « La position officielle de Berthelot ne
fut certainement pas sans effet sur la carrière de Pierre Duhem, condamné à la fois à ce qu’il appelait lui-même la ‘sépulture
honorifique’ de Bordeaux et à un oubli savamment programmé. Ajoutons à cela que Berthelot était libre-penseur tandis que
Duhem était un ardent catholique, que celui-ci était monarchiste et celui-là républicain […]. Un tel environnement favorisait les
attitudes d’intolérance de part et d’autre ».
147 Une lettre de Poincaré à Duhem datée du 10 décembre 1887 et conservée dans le fonds Duhem de l’Académie des sciences ;
une lettre de Duhem à Poincaré datée du 19 février 1884, conservée au sein des Archives – Centre d’Études et de Recherche Henri
Poincaré. Ces deux lettres portent sur des questions scientifiques.
Henri Poincaré (1854-1912) : Des Mathématiques à la Philosophie 65
Le Conventionnalisme Géométrique, Entre Mathématiques et Philosophie
Poincaré formule son argument des parallaxes en 1891 dans son article sur les géométries non
euclidiennes, et il semble que, de son côté, Duhem n’entre en possession de sa thèse holiste
qu’autour de 1894 : on trouve, en effet, la première formulation explicite de celle-ci dans un
article publié dans la Revue des questions scientifiques (puis réutilisé dans La théorie physique),
« Quelques réflexions au sujet de la physique expérimentale » ; Duhem écrit ainsi qu’« une
expérience de physique ne peut jamais condamner une hypothèse isolée, mais seulement tout
un ensemble théorique ».148 À première vue, donc, le holisme de Duhem serait postérieur de
trois ans à l’argument des parallaxes de Poincaré. Certes, l’argument poincaréien ne concerne
à cette époque que la géométrie et il n’a pas encore été généralisé à la physique. Cependant,
dans la préface de la Théorie mathématique de la lumière en 1889, Poincaré avait déjà défendu des
arguments pluralistes qui préfiguraient le conventionnalisme généralisé revendiqué plus tard
dans La science et l’hypothèse ; dans cette préface, il affirmait que les théories mathématiques
n’ont pas pour objet de dévoiler la véritable nature des choses mais de coordonner les lois
physiques découvertes par l’expérience ; il déclarait également que « les théories proposées
pour expliquer les phénomènes optiques par les vibrations d’un milieu élastique sont très
nombreuses et également plausibles ».149 Ainsi, dès 1891, Poincaré semblait vouloir défendre
l’idée qu’il existe une multitude de théories susceptibles de rendre compte des phénomènes
observés et il semblait s’orienter vers une position sceptique vis-à-vis de l’empirisme en affir-
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148 [Duhem 1894], page 187. Également dans [Duhem 1914 / 1981], page 278.
149 Cité d’après [Duhem 1892], page 165. C’est nous qui soulignons.
150 [Duhem 1892]. Il s’agissait en fait de la transcription des leçons d’ouverture de son cours de physique mathématique et
commence à imposer son emprise même à la Physique Mathématique : cette tendance consiste à regarder comme équivalentes les
différentes théories que l’on peut donner d’un même ensemble de lois, et à les étudier toutes sans accorder de préférence à
aucune d’entre elles. Nous voudrions, en quelques mots, marquer en quoi l’application de cette méthode à la Physique Théorique
est illégitime et comment il est possible d’en éviter l’emploi » [Duhem 1892], pages 165-166.
152 [Duhem 1892], pages 149-150.
153 [Duhem 1892], page 167 : « La comparaison des résultats de la théorie avec les faits est une opération qui n’est pas exclusive-
ment soumise aux lois du raisonnement déductif ; l’appréciation du degré d’approximation qui peut être regardé comme suffi-
sant a quelque chose d’arbitraire ; mais si, dans le domaine auquel la théorie prétend s’appliquer, nous rencontrons une loi
expérimentale qui soit en contradiction avec les conséquences de la théorie, la théorie doit être rejetée, ou, tout au moins, on doit
restreindre l’étendue de la classe de lois qu’elle prétendait embrasser. Maintenir une théorie que les faits démentent, c’est faire
preuve d’une obstination puérile ».
Henri Poincaré (1854-1912) : Des Mathématiques à la Philosophie 66
Le Conventionnalisme Géométrique, Entre Mathématiques et Philosophie
ment, les conceptions philosophiques des deux scientifiques vis-à-vis du rôle de l’expérience
en physique diffèrent largement et que, par conséquent, le holisme de Poincaré ne correspond
pas tout à fait au holisme de Duhem (sans quoi il n’y aurait pas eu controverse entre eux). Il
n’est donc pas aisé de déterminer qui, des deux plus éminents épistémologues français du
tournant du siècle, fut véritablement le père du holisme épistémologique. Dans ce procès en
paternité, il est plus que probable qu’il n’y eut pas, à proprement parler, de père. La thèse
holiste était très certainement dans l’air au sein de la communauté des épistémologues au
tournant du siècle. Le succès des idées de Boutroux sur la contingence des lois naturelles, les
travaux critiques sur la valeur de la science et l’émergence d’une pensée conventionnaliste
constituent autant de facteurs susceptibles d’en avoir préparé la naissance.
2 – Point de vue philosophique
Pas de liens directs donc entre les deux auteurs, mais uniquement quelques indices. Or ces
indices dévoilent clairement l’existence d’un conflit larvé. Duhem s’attaquait-il à Poincaré
parce qu’il voyait en lui l’un des plus puissants représentants de la Science Officielle, de cette
science responsable de son ‘exil’ à Bordeaux ? C’est une hypothèse probable, mais insuffisante.
Il y a dans l’œuvre de Duhem le désir profond de se démarquer de la philosophie de Poincaré.
Quelques exemples permettent de s’en rendre compte aisément.
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Dans le chapitre IV de La théorie physique (« L’expérience de physique »), Duhem cite les idées
développées par Poincaré dans son article « Sur la valeur objective de la science », et notam-
ment celles qui concernent le rôle de l’interprétation théorique dans l’énoncé d’un fait
d’expérience ; aux conceptions de Le Roy, Poincaré oppose l’idée selon laquelle la théorie
physique est un simple vocabulaire permettant de traduire les faits concrets en une langue
conventionnelle simple et commode : « le fait scientifique n’est que le fait brut énoncé dans un
langage commode ».154 Duhem s’oppose à cette conception et il fait la remarque suivante :
Il n’y a d’ailleurs pas lieu de s’étonner si l’on observe que la doctrine précédente [celle que
critique justement Poincaré] a été publiée par nous, en des termes presque identiques, dès
1894, tandis que l’article de M. Poincaré a paru en 1902 ; en comparant nos deux articles, on
pourra se convaincre que dans ce passage, M. H. Poincaré combat notre manière de voir
tout autant que celle de M. Le Roy.155
Autrement dit, selon lui, les critiques de Poincaré à l’encontre des théories de Le Roy visent,
indirectement, mais néanmoins de manière très explicite, ses propres théories. D’où la nécessi-
té de riposter.
Et la riposte visera précisément le conventionnalisme de Poincaré selon lequel « certaines
hypothèses fondamentales de la physique ne sauraient être contredites par aucune expérience,
parce qu’elles constituent en réalité des définitions, et que certaines expressions, usitées du
physicien, ne prennent leur sens que par elles ».156 Duhem met ici en cause les idées poinca-
réiennes sur la mécanique, notamment celle qui postule qu’aucune expérience ne pourra ja-
mais nous faire abandonner les principes de la mécanique newtonienne. À la différence de
Poincaré, Duhem affirmera que certaines hypothèses physiques, lorsqu’elles sont considérées
isolément, peuvent échapper à toute réfutation expérimentale ; cependant, ces hypothèses ne
sont pas à l’abri de tout test expérimental, elles sont susceptibles d’être testées indirectement si
elles appartiennent à un système d’hypothèses qui est comparé avec l’expérience et
l’observation. En d’autres termes, la grande erreur de Poincaré, selon Duhem, est de considé-
rer les principes de la mécanique isolément : considérés de la sorte, il est vrai qu’ils ne peuvent
être ni confirmés ni réfutés par l’expérience ; cependant, en leur adjoignant certaines autres
hypothèses, on obtient un groupe d’hypothèses qui peut, quant à lui, être soumis à
l’expérience. Il remarque ainsi :
154 [Poincaré 1902s], page 272. Cet article est reproduit dans La valeur de la science, chapitres X et XI.
155 [Duhem 1914 / 1981], page 227, note 1.
156 [Duhem 1914 / 1981], page 317.
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Le Conventionnalisme Géométrique, Entre Mathématiques et Philosophie
Prises isolément, ces diverses hypothèses n’ont aucun sens expérimental ; il ne peut être
question ni de les confirmer ni de les contredire par l’expérience. Mais ces hypothèses en-
trent comme fondements essentiels dans la construction de certaines théories, de la Méca-
nique rationnelle, de la théorie chimique, de la Cristallographie ; l’objet de ces théories est
de représenter des lois expérimentales ; ce sont des schémas essentiellement destinés à être
comparés aux faits.
Or, cette comparaison pourrait fort bien, quelque jour, faire reconnaître qu’une de nos re-
présentations s’ajuste mal aux réalités qu’elle doit figurer ; […] que la théorie, longtemps
admise sans conteste, doit être rejetée ; qu’une théorie toute différente doit être construite
sur des hypothèses entièrement nouvelles. Ce jour là, quelqu’une de nos hypothèses qui,
prise isolément, défiait le démenti direct de l’expérience, s’écroulera, avec le système qu’elle
portait, sous le poids des contradictions infligées par la réalité aux conséquences de ce sys-
tème pris dans son ensemble.157
Cette citation permet de faire la lumière sur une distinction essentielle entre le holisme de
Duhem et la position philosophique de Poincaré. La thèse de Duhem s’accompagne d’une
forme de réalisme empirique ; elle ne nie pas le rôle crucial de l’expérience en physique mais
elle met en doute la légitimité d’expériences ne portant que sur des hypothèses isolées. Poin-
caré au contraire affiche plutôt un point de vue constructiviste158 ; son refus d’une expérience
cruciale est beaucoup plus radical puisqu’il se fait au nom de la sous-détermination de toute
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C’est pourquoi les hypothèses que l’on pourrait faire au sujet de ces inconnues ne sont ni vraies ni
fausses.160
À la thèse de Duhem, Poincaré semble par conséquent opposer l’indétermination de
l’expérience. Il affirme clairement que certaines hypothèses ne sont pas testables expérimenta-
lement, qu’elles ne sont ni vraies ni fausses.
On a souvent opposé le conservatisme de Poincaré en physique à la pénétration des vues de
Duhem. En effet, en affirmant qu’il ne serait jamais nécessaire de modifier les principes de la
mécanique newtonienne, Poincaré adoptait une position philosophique que les expériences de
Kaufmann devaient contredire deux ans plus tard (en 1904). À l’inverse, la conception duhé-
mienne semblait plus avancée et laissait ouverte l’éventualité d’une telle modification. Cepen-
dant, historiquement, le conservateur Poincaré devint un moderne et Duhem s’embourba dans
un conservatisme empreint d’arrière-pensées idéologiques. En effet, loin d’accueillir avec
bienveillance la théorie einsteinienne de la relativité restreinte en 1905, Duhem la dénonça
comme une aberration de l’esprit germanique.161 Poincaré, au contraire devait contribuer, à
partir de 1904, à poser les jalons de la mécanique nouvelle et préparer en partie les théories
einsteiniennes (même s’il manifesta la plus grande réserve vis-à-vis d’Einstein).162
En d’autres termes, Duhem fut progressiste en philosophie des sciences, mais réactionnaire
dans sa pratique scientifique. Poincaré, à l’inverse, fut conservateur en philosophie des scien-
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ces, mais révolutionnaire dans sa pratique scientifique.163 Comme nous le verrons, cette diffé-
rence entre les deux auteurs est essentielle.
160 Cité d’après le compte-rendu qui se trouve dans la Revue de métaphysique et de morale XXVIII (1900), pages 559-560. C’est nous
qui soulignons.
161 Duhem devait rédiger vers la fin de sa vie un violent pamphlet anti-germanique, La science allemande.
162 [Poincaré 1905l], page 147 : « Peut-être aussi devrons-nous construire toute une mécanique nouvelle que nous ne faisons
qu’entrevoir, où, l’inertie croissant avec la vitesse, la vitesse de la lumière deviendrait une limite infranchissable. La mécanique
vulgaire, plus simple, resterait une première approximation puisqu’elle serait vraie pour les vitesses qui ne seraient pas très
grandes, de sorte qu’on retrouverait encore l’ancienne dynamique sous la nouvelle ».
163 Voir à ce sujet, ce qu’écrit Gillies dans son [Gillies 1993], page 105 : « […] We find Duhem and Poincaré in contradiction
between their philosophical views and their scientific practice. Duhem was led by philosophical considerations to the conclusion
that Newtonian mechanics is provisional and may be altered in future ; yet he repudiated the new Einsteinian mechanics. Con-
versely, Poincaré suggested in his philosophical writings of 1902 that the principles of Newtonian mechanics were conventions so
simple that they would never be given up ; yet, only two years later, in 1904, he decided that Newtonian mechanics needed to be
changed, and started work on the development of a new mechanics ».
Henri Poincaré (1854-1912) : Des Mathématiques à la Philosophie 69
Le Conventionnalisme Géométrique, Entre Mathématiques et Philosophie
philosophique. En effet, il est possible de déceler dans la philosophie de Poincaré les traces
d’un idéalisme qui n’entretient guère de relations avec la méthode scientifique. Cet idéalisme
se conjugue sous la forme d’un positivisme spiritualiste mettant en évidence le rôle central de
l’esprit dans le travail scientifique. Que l’on considère par exemple les dernières lignes de La
valeur de la science :
Tout ce qui n’est pas pensée est le pur néant ; puisque nous ne pouvons penser que la pen-
sée et que tous les mots dont nous disposons pour parler des choses ne peuvent exprimer
que des pensées ; dire qu’il y a autre chose que la pensée, c’est une affirmation qui ne peut
avoir de sens.164
À première vue, de tels propos sembleraient plus à leur place sous la plume d’un philosophe
idéaliste (Ravaisson ou Lachelier, par exemple) et il est assez étrange de les voir apparaître
sous la plume d’un scientifique créatif et reconnu par ses contemporains. L’idéalisme est une
position philosophique qui s’accorde mal avec le réalisme généralement affiché par les scienti-
fiques : comment peut-on concilier une pratique scientifique, centrée sur la découverte et la
connaissance de la réalité extérieure, avec une conception idéaliste postulant qu’aucune réalité
extérieure n’existe en dehors de la pensée que nous en avons ? Comment mettre en accord le
réalisme scientifique et l’idéalisme philosophique ? C’est bien là la question que pose claire-
ment l’œuvre de Poincaré et qui nous ramène à cette contradiction qu’Althusser entrevoyait
au sein des philosophies spontanées de savants (cf. page 21).
Les éléments idéalistes sont nombreux dans la pensée poincaréienne ; ils ne forment pas un
système philosophique cohérent, mais ils se surajoutent au conventionnalisme et lui confèrent
une tonalité particulière, bien éloignée du positivisme triomphant à l’œuvre chez les disciples
de Comte. Poincaré insiste par exemple beaucoup sur le rôle de l’esprit dans la genèse et dans
le fonctionnement des sciences ; cette insistance est certes toujours balancée par un rappel sur
l’importance de l’expérience, mais l’activité rationnelle l’emporte toujours : les axiomes géo-
métriques sont des conventions posées par l’esprit et guidées par l’expérience, les lois et les
principes de la mécanique sont des généralisations abstraites tirées de l’expérience, l’espace
géométrique est une forme a priori de notre entendement mais il tire néanmoins sa source
d’une expérience primordiale de l’espace sensible.
Invariablement, la pensée poincaréienne choisit de se situer à l’intersection de deux pôles
opposés : d’une part l’expérience, source unique de vérité et arbitre final des théories scientifi-
ques ; d’autre part la raison qui, à partir de l’expérience, produit des concepts généraux et
l’entendement, d’une construction) ; d’où cet argument des parallaxes qui refuse de soumettre
les constructions rationnelles que sont les conventions géométriques à la législation de
l’expérience, sur la base d’une explication holiste des relations entre géométrie et physique ;
d’où cette conception pluraliste des théories physiques qui postule l’existence d’une multitude
de descriptions possibles des phénomènes et qui affirme que le seul critère de différenciation
est un critère pragmatique de simplicité et de commodité.
L’idéalisme de Poincaré apparaît très clairement à travers la critique implicite qu’il adresse à
la notion de déterminisme. Au XIXème siècle, nombreux sont les scientifiques qui pensent que
le monde est désormais sans mystères et que la science est à même de prévoir l’ensemble des
phénomènes à venir. Dans sa thèse de doctorat, Boutroux définira le déterminisme de son
époque à partir de deux idées : d’une part, l’idée que les mathématiques sont parfaitement
intelligibles et expriment un déterminisme absolu ; d’autre part, l’idée que les mathématiques
s’appliquent exactement à la réalité au moins en droit et ce jusque dans le fond des choses.
Pour sa part, Poincaré rejettera l’une et l’autre de ces deux thèses. À la première, il répondra
que le mathématicien, loin de voir les vérités mathématiques s’imposer à lui comme des illu-
minations divines, se trouve amené à faire des choix, à sélectionner des hypothèses et à adap-
ter ses décisions à la nature des problèmes qu’il se propose de traiter ; son pouvoir de décision
et de création est donc important, ce qui atténue le déterminisme attaché habituellement à sa
discipline. À la seconde thèse, il opposera un scepticisme fort concernant les chances de pou-
voir atteindre, d’une manière ou d’une autre, le fond des choses. Il rejettera en effet l’idée de
l’existence d’une réalité extérieure, indépendante de la pensée, sur laquelle le scientifique
exercerait son acuité pour en découvrir les propriétés. Poincaré s’exprimera d’ailleurs sans
ambiguïté dans l’introduction de La valeur de la science :
Cette harmonie que l’intelligence humaine croit découvrir dans la nature, existe-t-elle en
dehors de cette intelligence [humaine] ? Non, sans doute, une réalité complètement indé-
pendante de l’esprit qui la conçoit, la voit, ou la sent, c’est une impossibilité. Un monde si
extérieur que cela, si même il existait, nous serait à jamais inaccessible.166
Sur ce point précis, Poincaré adoptera une position assez proche de celle Kant puisqu’il refu-
sera l’idée que les expériences puissent jamais nous faire découvrir les propriétés d’une réalité
indépendante. La réalité que le scientifique explore et qu’il tente d’expliquer n’existe que par
rapport à un sujet ; le monde est toujours appréhendé à travers le filtre de la pensée et du
langage, l’espace est toujours appréhendé à travers le filtre des concepts mathématiques. Il
n’est donc pas question de croire que la science puisse nous faire connaître la réalité en soi ; les
connaissances qu’elle produit sont des connaissances pour nous car elles dépendent nécessai-
rement des catégories à travers lesquelles nous percevons le monde.167
Poincaré n’était pas un physicien expérimentateur et l’essentiel de ses travaux en physique
portaient sur les sciences rationnelles (mathématiques, mécanique céleste et physique mathé-
matique). Il construisit de nombreuses théories mais il n’accomplit personnellement aucune
expérience, ce qui ne l’empêcha pas pour autant de prodiguer abondamment des conseils à ses
collègues expérimentateurs (comme le montre sa correspondance scientifique). Le caractère
éminemment théorique de ses travaux scientifiques explique en grande partie ce refus du
réalisme qu’il afficha à diverses occasions. Le témoignage que Camille Flammarion apporta
sur ce sujet après la mort de Poincaré est fort précieux. Dans un article intitulé « Henri Poinca-
ré et sa pensée philosophique », il fit en effet le récit de ses nombreuses discussions philoso-
phiques avec son ami mathématicien, et ses souvenirs indiquent que Poincaré défendait expli-
citement une position idéaliste. Flammarion se souvient :
On ne peut contester qu’il ne se privait pas de sourire élégamment de la mentalité des ‘ré-
alistes’. Il se déclare nettement ‘idéaliste’. Pour les premiers, dit-il, la Nature est une réalité
indépendante du physicien qui pourrait être tenté de l’étudier, opinion qu’il déclare inad-
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missible. Les idéalistes, ajoute-t-il, ‘considèrent qu’un objet n’existe que quand il est pensé
et qu’on ne saurait concevoir un objet pensé indépendamment d’un sujet pensant’. Voilà
qui est clair et sans ambages. Et pour qu’on ne s’y méprenne pas, le philosophe ajoute en-
core : ‘On peut faire une remarque assez curieuse. Les réalistes se placent d’ordinaire du
point de vue physique ; ce sont les objets matériels, ou les âmes individuelles, ou ce qu’ils
appellent les substances, dont ils affirment l’existence indépendante. Le monde, pour eux,
existait avant la création de l’homme, avant même celle des êtres vivants ; il existerait en-
core même s’il n’y avait pas de Dieu ni aucun sujet pensant. Cela c’est le point de vue du
sens commun, et ce n’est que par la réflexion qu’on peut être amené à l’abandonner’.168
Toujours dans ses souvenirs Camille Flammarion rapprochait Poincaré des grands philoso-
phes de la tradition occidentale, comme Descartes, Malebranche, Leibnitz, Kant, Fichte et il
affirmait qu’il était réellement « un philosophe de l’école idéaliste, absolument sceptique,
n’affirmant rien, ne niant rien, pensant que tout est dans notre esprit, qu’il n’y a, même dans
les sciences les plus positives, que des hypothèses non démontrées, et que l’univers n’existe
pas en dehors de nous ».169
L’idéalisme diffus de Poincaré ne peut être mis en doute et le problème qui se pose alors est
celui de sa provenance. Par quel jeu d’influences Poincaré fut-il conduit à abandonner le dog-
matisme scientifique des positivistes pour défendre une position philosophique proche du
spiritualisme ? Ces éléments philosophiques traditionnels ne proviennent manifestement pas
des œuvres de Riemann ou de Helmholtz (si ce n’est peut-être dans des proportions infimes)
et il n’avait qu’une connaissance assez partielle de la philosophie kantienne (il est probable
qu’il l’aborda de manière indirecte par le biais de commentaires). En revanche, ce positivisme
spiritualiste, cette volonté de combattre le déterminisme absolu et d’imposer des limites à la
167 Voir à ce sujet ce qu’écrivait Émile Boutroux dans son article d’hommage à Poincaré, [Boutroux 1913c], pages 693 : « Qu’est-
ce à dire, sinon que dans nos théories scientifiques se réunissent deux éléments : un symbole, qui vient de nous, et quelque chose
de la réalité même, qui est enveloppé dans ce symbole. […] La doctrine à laquelle aboutit ici Henri Poincaré rappelle l’attitude de
Kant à l’égard de l’idéalisme. Kant définissait sa doctrine un idéalisme transcendental, fondant un réalisme empirique. Il voulait
dire par-là que, si l’être, tel qu’il est en soi, nous demeure inaccessible, en sorte que nos prétendues connaissances, à son sujet, ne
sont que de pures idées ; en revanche, nous atteignons lui-même quant aux rapports qu’il contient, c’est-à-dire les lois véritables
de la nature. Et Kant concevait ces deux thèses comme solidaires l’une de l’autre.
D’une manière analogue, H. Poincaré, du même coup, justifie notre science comme connaissance des réalités, en tant qu’elle vise
à connaître les rapports des choses, et la frappe d’incapacité, pour ce qui est de la connaissance des réalités absolues. Et volontiers
il dirait, lui aussi : il faut cultiver notre jardin. À quoi bon nous fatiguer à poursuivre un absolu qui, à tout jamais se dérobe à
nous ? La connaissance nous en serait-elle profitable ? Nous ne savons. Mais le champ du relatif, des rapports, des lois naturelles,
où nous sommes chez nous, est si vaste, si riche et si fécond, qu’il suffit amplement à occuper notre activité ».
168 Voir [Flammarion 1912b]. Cité d’après [Mawhin 1995], pages 8-9.
169 Ibidem. Cité d’après [Mawhin 1995], page 8.
Henri Poincaré (1854-1912) : Des Mathématiques à la Philosophie 72
Le Conventionnalisme Géométrique, Entre Mathématiques et Philosophie
nelles’) qui pouvaient exister entre eux. Pourtant, l’entrée de Poincaré en philosophie se fit par
l’intermédiaire d’une petite note publiée à la fin de l’édition de La monadologie de Leibnitz,
publiée et commenté par Boutroux.170 Et, de même, il est certain que c’est Boutroux qui usa de
son influence auprès de Poincaré afin qu’il accepte de collaborer à la Revue de métaphysique et
de morale créée par Élie Halévy et Xavier Léon en 1893.
Né neuf ans avant Poincaré, Boutroux semble avoir préparé le cheminement de beaucoup de
ses idées philosophiques. Le but des chapitres qui vont suivre est de délimiter les frontières
d’un pays. Ce pays, qui ne porte pas de nom précis, abrite plusieurs penseurs (Émile Bou-
troux, Louis Liard, Jules Tannery), tous issus de la même école. Nous tenterons de montrer
que Poincaré visita effectivement ce pays, qu’il y rencontra les membres de ce cercle informel
et qu’il puisa chez eux certaines de ses premières idées philosophiques. Il fut un temps où,
pour un jeune artiste, le voyage en Italie représentait une étape quasiment obligatoire ; la
contemplation de certaines œuvres immortelles constituait une sorte de rituel qui devait pré-
parer l’entrée de l’artiste au sein de la communauté artistique et affermir son style. De la
même manière, nous soutiendrons que le voyage de Poincaré dans ce pays eut une valeur
initiatique. C’est par la fréquentation des membres du ‘Cercle de Boutroux’ que Poincaré
s’initia à la philosophie et s’appropria certaines problématiques philosophiques qu’il renouve-
la par la suite de manière féconde. C’est au sein de cette communauté intellectuelle informelle
qu’il trouvera la matière de ses réflexions sur le caractère relatif des vérités scientifiques et sur
la valeur ‘objective’ de la science.
Le veston et le pantalon
Tu avoues toi-même C. Q. F. D., en [prononçant ou énonçant ?] une seule
phrase où l’influence du veston et celle du pantalon se font sentir à la fois ; on
jugerait aussi faux en jugeant le tout (l’Univers) par la partie qu’en s’en faisant
une idée tout à fait abstraite. Au commencement le veston ouvre les yeux sur
les inconvénients d’une induction trop hâtive ; mais à la fin l’influence du pan-
talon reprend le dessus.
Lettre de Poincaré à sa sœur Aline, 1876.
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Dans un article de 1879 intitulé « The Boutroux Circle and Poincaré’s Conventionalism », Ma-
ry Jo Nye tentait de rattacher l’émergence du conventionnalisme de Poincaré à l’influence
exercée par un petit groupe d’intellectuels, dont la figure de proue était le philosophe Émile
Boutroux. Elle y montrait que la philosophie poincaréienne trouve sa source, non seulement
dans une tradition de travaux mathématiques, mais également dans certaines conceptions
philosophiques qui circulaient dans l’entourage direct du beau-frère de Poincaré dans les
années 1870-1880. Nye affirmait ainsi dans cet article :
Yet, one may ask, how did this conventionalist philosophy of science arise from those mid-
nineteenth-century years of little distinction in French philosophy and science ?
In exploring Poincaré’s intellectual growth and maturation, one discovers his position in a
group of scientific and educational leaders linked not only by filiation of ideas, but also by
ties of family and friendship. At the center of this group was Émile Boutroux (1845-1921),
the Sorbonne philosopher who married Poincaré’s bright and capable younger sister Aline.1
Selon Mary Jo Nye, le ‘Cercle de Boutroux’ comprenait principalement le mathématicien Jules
Tannery (1848-1910), son frère Paul Tannery (1843-1904), administrateur des manufactures de
tabac et historien des sciences, ainsi que l’astronome et futur directeur de l’Observatoire de
Paris, Benjamin Baillaud (1848-1934). Ces personnages, qui avaient tous à peu près le même
âge, s’étaient rencontrés lors de leurs études à l’École Normale Supérieure (sauf pour Paul
Tannery qui, comme Poincaré, était polytechnicien) ; ils avaient ainsi tissé de profonds liens
d’amitié, une amitié qui s’appuyait en partie sur des affinités intellectuelles et philosophiques
puisqu’ils avaient tous suivi les cours de philosophie et de psychologie de Jules Lachelier,
représentant de l’école spiritualiste. En épousant la sœur de Poincaré, Boutroux devait faire
1 [Nye 1979], pages 107-108. Cette parenté familiale et intellectuelle entre l’un des mathématiciens les plus réputés de la troi-
sième République et le philosophe français le plus en vue de la fin du XIXème siècle avait déjà été signalée à plusieurs reprises
mais sans jamais faire l’objet d’une étude approfondie. Le plus souvent les commentateurs de Poincaré abordèrent la question
des relations Poincaré-Boutroux en un paragraphe. Voici ce qu’écrivait par exemple Benrubi en 1933 dans son ouvrage Les sources
et les courants de la philosophie contemporaine en France : « L’historien ne saurait négliger par exemple les relations personnelles et
intimes de M. Émile Boutroux et d’Henri Poincaré, d’abord collègues à l’Université de Nancy [sic ! Benrubi confond ici Poincaré
avec son père, professeur à la Faculté de Médecine de Nancy], puis unis par des liens étroits de parenté, et il y pressent un
échange d’influences, une longue et continuelle action et réaction réciproque ; de même l’influence du mathématicien Jules
Tannery ne fut pas négligeable à cet égard. Par-là s’explique que les problèmes posés par la critique philosophique correspondent
à une crise intérieure de la science même, et le reflètent en somme assez exactement ». [Benrubi 1933], page 202. Dans un autre
style, en 1911, C. Coignet considérait cette parenté comme le signe évident d’une réconciliation de la religion et de la science.
Voir à ce sujet son livre De Kant à Bergson : réconciliation de la religion et de la science dans un spiritualisme nouveau. [Coignet 1911],
chapitre II.
Henri Poincaré (1854-1912) : Des Mathématiques à la Philosophie 74
Retour aux Origines : Émile Boutroux et son Cercle
entrer le jeune mathématicien (de neuf ans son cadet) au sein de son cercle amical et exercer
ainsi une influence déterminante sur le développement de sa pensée philosophique :
In the tradition of Jules Tannery, Poincaré criticised classical mechanical treatises for their
failure to distinguish clearly between what is experiment, what is mathematical reasoning,
what is convention and what is hypothesis. Like Paul Tannery he marked “… the ephem-
eral nature of scientific theories … abandoned one after others … ruins piled upon ruins…”,
but recognised a rational enchaînement in their history. Like Boutroux, Poincaré argued that
experimental laws are only approximate, and if some appear exact to us, it is because we
have transformed them artificially into principles.2
Le terme de cercle contenu dans le titre de l’article de Nye pourrait prêter à confusion. S’il y
eut effectivement un cercle autour du personnage de Boutroux, ce ne fut certainement pas au
sens institutionnel du terme : il ne s’agissait pas d’un club d’intellectuels fondé d’une manière
officielle et publiant régulièrement manifestes et comptes-rendus ; il ne s’agissait pas non plus
d’une école de pensée visant à former des disciples. Le terme de ‘cercle’ renvoit plutôt ici à un
groupe informel d’intellectuels réunis pour des motifs à la fois scientifiques (travaux mathéma-
tiques portant sur un même sujet commun, responsabilités scientifiques et académiques com-
mune, pour Poincaré et Jules Tannery), philosophiques (conceptions similaires concernant
l’étendue et la valeur de la connaissance scientifique), amicaux (l’amitié des trois normaliens,
Boutroux, Tannery et Baillaud) ou familiaux (la parenté Boutroux-Poincaré ou la parenté de
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lorsqu’il n’obtient qu’un 18/20 en colle ; le potache, qui raconte les coups d’éclats et les frondes
de ses camarades de promotion ; le jeune homme du monde qui entre peu à peu dans les cercles
de sociabilité parisiens, qui apprécie le whist à quatre5 et le cotillon, qui s’intéresse au théâtre,
à la musique ainsi qu’aux questions de politique intérieure ; l’observateur critique de ce même
monde parisien, qui n’hésite pas à se moquer de la bêtise de certains membres de son entou-
rage6 et qui donne des notes (très sévères) aux acteurs des spectacles auxquels il assiste ; enfin,
l’humoriste, amateur de charades et de rébus, qui rédige ses lettres en anglais en allemand ou
en alexandrins, qui raconte sa vie sous forme de petites pièces de théâtre et qui agrémente le
tout de réflexions (parfois très misogynes) sur la psychologie féminine ou sur la graphologie.
Loin des clichés hagiographiques, qui font souvent de Poincaré une sorte de machine intellec-
tuelle, cette correspondance privée dévoile un personnage très humain, doté d’un sens de
l’humour raffiné, attentif à son entourage, pouvant à la fois faire preuve du plus grand sérieux
et d’un sens communicatif du délire et de l’absurde (comme dans cette gazette, le Bergener
Dagbladet, dans laquelle il racontera à sa famille ses tribulations en Suède et en Norvège).7
Le 20 août 1876, Boutroux est nommé professeur de philosophie à la Faculté des lettres de
Nancy. Cette ville constitue la dernière étape d’un parcours obligé en province pour ce jeune
philosophe prometteur que Paris appelle de ses vœux (sa thèse de doctorat sur la contingence
des lois naturelles avait fait grande impression sur la communauté philosophique parisienne
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et faisait de lui une étoile montante dans sa discipline). C’est durant cette année 1876-1877 que
Boutroux se lie d’amitié avec la famille Poincaré (le père de Henri est professeur à la Faculté
de médecine) et qu’il rencontre Aline, sa future épouse. Au même moment, Henri poursuit de
brillantes études à l’École des Mines de Paris et, bien qu’il soit en correspondance régulière
avec sa famille, il ne connaît pas encore son futur beau-frère. Il apprendra pourtant assez vite
son existence puisque, au détour d’une lettre adressée à sa sœur, il posera cette question di-
recte : « What is M. Bontron ? ». Voyons ce qu’écrit Bellivier, dans sa biographie de Poincaré, à
propos de cet épisode :
Elle [Aline] continuait à écrire à son frère qui venait les voir souvent : elle lui cachait son
trouble et son cœur. […] Pour la première fois dans la correspondance, on lit : ‘What is M.
Bontron ?’ Henri ne met pas l’x, ignorant l’exacte orthographe du nom. Mais il écrit volon-
tairement deux fois n pour u : il veut se moquer de sa sœur qui écrit ses lettres de la même
manière.8
Cet épisode eut probablement lieu vers la fin de l’année 1876 ; il est cependant très difficile
d’inscrire un vaste ensemble de fragments épars dans une chronologie précise. Toujours est-il,
en revanche, qu’après cette première interrogation, le nom de Boutroux apparaîtra de façon
répétée sous la plume de Poincaré.
Les deux hommes se lient rapidement d’amitié et ils ont l’occasion de se côtoyer régulièrement
à Paris à partir de septembre 1877, car à cette date Boutroux revient à Paris pour occuper une
5 Il y joue le mercredi. Voir [Document ACERHP microfilm 3], un poème intitulé « Le whist à quatre » datant probablement de
1877 :
« Autour du tapis vert on voyait mercredi L’un d’eux, vous savez qui, véritable cratère
Quatre joueurs de whist ; on s’était réuni Passe en quelques instants de la joie au chagrin
Chez Madame Olléris, ainsi qu’à l’ordinaire Du carreau, quel malheur ; perdu, j’en suis certain […] ».
6 Voir, par exemple, cette lettre, datant probablement de 1877 [Document ACERHP microfilm 3] : « Le soir nous avons été chez
Me Guichard où nous avons vu une dame dont les connaissances littéraires sont très profondes (gr dédain pour tout ce qui n’est
pas classiq) et les connaissances scientif. nulles. À propos du téléph. elle a dit : on dit qu’il y a le même nombre de vibrations aux
deux extrémités de la ligne ; mais il y a pourtant des mots qui ont le même nombre de syllabes et qui sont tout à fait différents ».
7 Il est intéressant de noter que cette correspondance familiale de Poincaré ne présente pas une uniformité de ton : les lettres
envoyées durant la période de scolarité à l’École Polytechnique ne présentent guère de développements fantaisistes : Poincaré les
adresse principalement à sa mère, elles sont la plupart du temps purement informatives et elles ne dévoilent guère que la figure
d’un étudiant brillant. En revanche, après 1875, il adoptera une plus grande liberté de ton, comme s’il se sentait libéré d’un
carcan, et c’est surtout à partir de cette période que l’on peut découvrir d’autres facettes de sa personnalité.
8 [Bellivier 1956], page 178. Nous n’avons pu retrouver, sur les microfilms de la correspondance, la lettre que cite Bellivier.
Henri Poincaré (1854-1912) : Des Mathématiques à la Philosophie 77
Retour aux Origines : Émile Boutroux et son Cercle
À ce jeu Boutroux semble exceller puisqu’il parvient le plus souvent à identifier les scripteurs
de différents billets qu’on lui soumet, au grand étonnement de Poincaré qui ne croit à cette
discipline que « jusqu’à une certaine limite ». Ce scepticisme ne l’empêche pas, cependant, de
pratiquer lui-même quelques analyses sur l’écriture de sa sœur, analyses peu sérieuses qui le
conduisent à déceler l’existence d’une influence occulte sur elle :
Si au contraire la plume s’est bientôt lassée des entraves qu’on lui imposait et imitant la
mienne s’est livrée à des ascensions et à des descentes par trop libres, ce sera bientôt plutôt
la qualification de Bienaimétacé qui lui conviendra. […] Mais dans le 3e vers quel change-
ment ne voit-on pas déjà ! Les courbes arrondies ont fait la place à des angles vifs et il m’est
plus difficile que jamais, trahi par ma mémoire, d’opter entre les quatre hypothèses suivan-
tes relatives au nom du grand graphologue ; Bontron ? Boutron ? Bontrou ? ou Boutrou ?
Puis bientôt la ligne se brise, grimpe au ciel et redescend à la cave (origine de l’assertion
[de] Boutron à l’égard des tes prompts enthousiasmes et de tes brusques découragements, à
moins qu’on ne veuille voir une trace de cette particularité de ton caractère dans la manière
dont tu lances tes boucles à droite ou à gauche comme si rien ne devait t’arrêter.13
C’est par l’intermédiaire de Boutroux que Poincaré se liera d’amitié avec le mathématicien
Jules Tannery. Celui-ci avait été étudiant à l’École Normale Supérieure en même temps que
Boutroux ; tous deux étaient des amis très proches et ils partageaient les mêmes conceptions
9 Nye affirme dans son article que Boutroux enseigna à la Faculté de Nancy de 1876 à 1879 (voir page 117). D’après nos recher-
ches il semble que sa carrière à Nancy ne dura en fait qu’un an : voir en particulier la thèse de Mathieu Schyns, La philosophie
d’Émile Boutroux [Schyns 1923], page 3. Voir également l’ouvrage sur le Cinquantenaire de la Faculté des Lettres de Nancy, page 65.
10 [Document ACERHP, microfilm 3]. Nous respectons l’orthographe particulière de la lettre. On ne connaît guère l’état des
relations de Poincaré avec Ravaisson ; il est assuré cependant qu’il le fréquenta au moins épisodiquement. D’après le témoignage
de Paul Valéry, on sait que le mathématicien assista aux obsèques du philosophe en 1900 ; voir les Cahiers de Valéry, volume III,
[Valéry 1987 / 1990], page 337 : « Ce matin 20 mai à l’enterrement de Ravaisson-Mollien, regardé longtemps la tête de Poincaré ».
11 Poincaré écrit : « De là chez Mme Vallet qui va mieux ; j’y ai vu Mme Lefort, M. Paul de Géry (D.M.P.) R. Poincaré avec lequel
je fus chez M. Boutroux » [Document ACERHP microfilm 3]. Raymond Poincaré était à cette époque étudiant en droit et les deux
cousins occupaient deux chambres voisines dans le même immeuble.
12 [Document ACERHP microfilm 3]. Pasteur avait à cette époque la mainmise sur l’École Normale Supérieure.
13 [Document ACERHP microfilm 3]. Le grand jeu d’Aline et de Poincaré était manifestement de mettre en échec les talents de
graphologue de Boutroux. Poincaré était ainsi très fier d’avoir obtenu un autographe de Mystère qu’il comptait lui soumettre. Il
écrit ainsi, peu de temps avant de partir pour un voyage d’études en Suède et Norvège en 1878 [Document ACERHP microfilm
3] :
« Mon autographe de Mystère Avec mes notes de voyage,
Me cause de l’enchantement. Je garde précieusement
Et Boutroux pourra, je l’espère Ces deux lignes, fidèle image
Débiter tout son boniment De l’intéressant caractère
Sans se tromper aucunement. De l’impénétrable Mystère ».
Henri Poincaré (1854-1912) : Des Mathématiques à la Philosophie 78
Retour aux Origines : Émile Boutroux et son Cercle
philosophiques concernant l’incapacité de la science à faire découvrir le fond des choses. Atti-
ré par la philosophie dans sa jeunesse, Tannery avait finalement choisi de s’orienter vers une
carrière mathématique et il occupait en 1878 un poste d’agrégé-préparateur de mathématiques
à l’École Normale Supérieure. Il avait soutenu en 1874 une thèse inspirée par les travaux du
mathématicien allemand Lazare Fuchs intitulée Propriétés des intégrales des équations différentiel-
les linaires à coefficients variables. Poincaré devait également porter son attention sur les travaux
de Fuchs et acquérir une grande renommée en découvrant les fonctions fuchsiennes.
L’influence de Tannery fut-elle déterminante sur ce point ? Il est difficile de répondre. Il est en
revanche certain que Poincaré rencontra plusieurs fois Tannery pour lui demander conseil sur
des questions mathématiques vers 1878 (il préparait alors une thèse de doctorat en mathéma-
tiques, parallèlement à ses études d’ingénieur des mines).14 Poincaré fait d’ailleurs un récit
amusant d’une de ces entrevues :
Je sonne ; un long-haired and long-barbed gentleman vient m’ouvrir. Je lui dis que je viens de la
part de M. Boutroux (à propos je me suis procuré un autographe de Mystère ; j’en avais dé-
jà un mais peu satisfaisant ; il aurait induit la graphologie en erreur ; le nouveau est au
contraire un excellent spécimen). Sa figure s’illumine, mais l’étonnement qui s’y était mani-
festé dès mon entrée ne se dissipe pas. Alors je reconnais à ce caractère qu’il n’avait rien re-
çu, en fait de lettre ; je me raccroche à une autre branche ; j’étais déjà venu chez vous, Mon,
tel-00137859, version 1 - 22 Mar 2007
avec M. Elliot pour / vous demander un renseignement dont j’avais besoin ; oh ! Si vous
avez encore besoin du même renseig, je serai heur de pouvoir vous le donner ; oh ! Je vous
remercie beaucoup, Mon, mais j’ai suivi les cours de M. Z… qui m’ont complt renseigné à
cet égard – Ah ! C’était sur les éq. Du Ier ordre ; mais débarrassez-vous donc de votre cha-
peau ; je me suis occupé de celles du 2d ordre ; ah ! Celles du 2d ordre ; une bien jolie ques-
tion ; mais alors vous ne faites pas une visite de cérémonie ; ôtez donc votre pardessus ; je
ne poussai pas jusqu’au 3e ordre de crainte d’une déshabille complète. Le 2d ordre avait
d’ailleurs été suffisant pour rompre la glace. En somme, j’ai rarement vu un si gentil gar-
çon.15
Tout au long de leur vie, les deux mathématiciens devaient demeurer très proches et entretenir
de multiples relations amicales, professionnelles et intellectuelles. Nous y reviendrons.
Tous ces extraits de lettres attestent donc de l’existence de relations suivies entre Poincaré et
Boutroux autour des années 1877-1878. Tous deux s’apprécient mutuellement et prennent
visiblement plaisir à se côtoyer lorsque l’occasion se présente.16 Cependant, il y a plus que ces
relations amicales ; lors de leurs discussions, il leur arrive parfois d’aborder des questions
philosophiques, notamment celles du réalisme et du déterminisme scientifiques. Chacun y
trouve probablement son compte : Poincaré acquiert des éléments de connaissance philoso-
phique, une connaissance fortement teintée de ce néo-kantisme et de ce spiritualisme en vogue
dans les années 1870 ; de son côté, Boutroux a l’occasion de faire vérifier ses thèses philoso-
phiques par un jeune scientifique plein d’avenir. À ce dialogue s’ajoutent vraisemblablement
les voix de la sœur de Poincaré, de Jules Tannery (qui manifeste un intérêt certain pour les
réflexions sur la valeur de la science), celle de son frère Paul et, très probablement, celle de
Benjamin Baillaud, futur beau-frère de Jules Tannery.
Dans l’extrait suivant, Poincaré revient visiblement sur une discussion philosophique récente.
Il répond à une affirmation de sa sœur concernant la connaissance que l’on peut espérer avoir
de l’univers. Pour une raison indéterminée, il utilise un code pour désigner les différents ac-
teurs du débat : Boutroux est ‘Pantalon’, Poincaré est ‘Veston’. Cette discussion, qui semble
assez obscure en raison de l’absence de documents annexes, concerne les mérites et les in-
convénients respectifs de l’induction, de l’abstraction métaphysique et de l’observation pour
14 Cette thèse s’intitulait, Sur les propriétés des fonctions définies par les équations aux différences partielles [Poincaré 1879c]. Poincaré
en Suède et en Norvège. Il répond à sa mère : « En arrivant ici j’ai trouvé une correspondance énorme ; d’abord les excellentes
nouvelles contenues dans vos dernières lettres (Je n’ai pas besoin d’insister, car vous devez savoir tous combien j’estime et j’aime
my future brother in law) ». [Document ACERHP microfilm 3], C-342. Le mariage eut lieu au mois d’octobre 1878.
Henri Poincaré (1854-1912) : Des Mathématiques à la Philosophie 79
Retour aux Origines : Émile Boutroux et son Cercle
tournant du siècle et qui devait, entre autres, donner naissance aux philosophies de Poincaré
ou de Bergson.20
Pour étudier l’impact que put avoir ce courant sur le développement de la pensée de Poincaré
nous adopterons la démarche suivante : plutôt que d’essayer d’embrasser – sans espérer y
parvenir – l’ensemble des thématiques propres au cercle de Boutroux, nous porterons exclusi-
vement notre attention sur la vie et les travaux de ses membres les plus représentatifs (c’est-à-
dire, dans la perspective qui est la nôtre, ceux qui exercèrent l’influence la plus déterminante
sur Poincaré). Pour chacun d’entre eux, nous adopterons un plan similaire : une première
partie explorera la biographie du personnage considéré afin de déterminer quelles étaient ses
relations réelles avec Poincaré ; sachant que les membres du cercle de Boutroux étaient tous
plus âgés que Poincaré, une seconde partie s’attachera à identifier les éléments de leurs travaux
qui auraient pu préparer la naissance d’une pensée conventionnaliste chez le mathématicien ;
enfin, une troisième partie se chargera de faire voir les relations philosophiques et intellectuel-
les entre ces différents acteurs tout au long de leur vie (ce qui nous permettra parfois de déce-
ler l’existence de systèmes d’influence réciproque). Cette démarche reposera, on s’en doute
bien, sur une perspective à la fois interne et externe. À l’analyse des contenus philosophiques
se superposeront divers développements biographiques ou historiques qui viseront à rendre
compte de l’insertion progressive de Poincaré dans des réseaux de pensée et dans la commu-
nauté philosophique française. Ce chapitre constituera le premier moment d’un élargissement
de perspective qui trouvera en dernier ressort son aboutissement dans une étude proprement
externe des engagements sociaux et politiques du mathématicien.
Les personnages qui apparaîtront dans les prochaines pages seront Jules Tannery, Émile Bou-
troux et… Louis Liard. Le choix des deux premiers est plus que compréhensible au regard de
la correspondance de jeunesse évoquée précédemment, mais qu’en est-il de Liard, dont le nom
n’apparaît à aucun moment dans l’article de Nye ? Ce personnage nous semble important à
plus d’un titre. Certes, les preuves directes de relations intimes entre les membres du cercle de
Boutroux et lui sont relativement minces ; cependant, il était un camarade de promotion de
Boutroux et de Jules Tannery à l’École Normale Supérieure ; tout comme eux, il avait suivi les
cours de Jules Lachelier et, tout comme Boutroux, il devait s’orienter vers une carrière de pro-
fesseur de philosophie. Par ailleurs, Liard devait soutenir en 1873 une thèse de philosophie
consacrée au problème des définitions en géométrie, travail qui annonçait, par certains côtés,
celui de Poincaré sur le même sujet. Enfin, en sa qualité de recteur puis de Directeur de
l’Enseignement Supérieur, il fut conduit à de multiples reprises à entretenir des relations avec
le mathématicien nancéien. Toutes ces raisons expliquent que nous nous concentrerons en
priorité sur ses travaux plutôt que sur ceux de Paul Tannery ou de Benjamin Baillaud, qui ne
semblent pas avoir exercé un impact aussi important sur l’œuvre de Poincaré.
Avant d’entrer dans le vif du sujet, une remarque méthodologique s’impose. Il va de soi que
certains des parallèles que nous serons amenés à tracer entre ces auteurs et Poincaré ne consti-
tueront que des hypothèses interprétatives. En effet, la notion d’influence n’est pas sans pré-
senter certaines difficultés : face à des œuvres ayant des auteurs différents, il est parfois possi-
ble de constater des isomorphismes, des liens directs ou des reprises pures et simples d’idées
ou de développements ; en présence de tels phénomènes, le commentateur peut être tenté de
conclure à l’existence d’une relation forte entre les deux auteurs et il peut également être con-
duit à poser l’existence d’un ascendant intellectuel de l’un sur l’autre. Pour étayer ce type de
conclusion, il se doit tout naturellement d’avancer des preuves et, dans ce cas précis, l’analyse
des correspondances des auteurs, de leur biographie, voire de leurs déclarations d’intention
(entretien, testament intellectuel, etc.) constituent de précieux auxiliaires. Cependant, un pro-
blème se pose lorsque ces correspondances ne sont pas disponibles ou lorsque les auteurs
considérés sont particulièrement avares de références bibliographiques ou de déclarations
tel-00137859, version 1 - 22 Mar 2007
publiques : comment être certain que le parallélisme constaté n’est pas fortuit et qu’il n’est pas
le fruit de ‘l’air du temps’ et qu’il ne s’agit pas d’une de ces idées qui circulent librement à
certaines époques chez une multitude d’auteurs ? En ce domaine, la certitude absolue n’existe
pas et elle ne peut guère qu’être approchée (au moyen d’études indirectes). L’exemple de
Poincaré est à ce titre significatif : sa correspondance avec Boutroux, Tannery ou Liard semble
avoir été très réduite et, bien que divers arguments indirects viennent attester de l’existence de
relations suivies entre ces personnages, la plus extrême prudence est nécessaire quant aux
conclusions susceptibles d’être tirées de ces parallélismes.
A – Petite biographie
Louis Liard (1846-1917) exerça une influence déterminante sur la communauté universitaire et
scientifique de son époque en orientant durant plusieurs décennies le développement des
universités françaises. Né à Falaise, dans le Calvados, il fit ses études dans le collège de sa ville
(1854-1864) ainsi qu’au lycée Charlemagne à Paris. En 1866, il entra à l’École Normale Supé-
rieure pour y poursuivre des études de philosophie ; il y suivit les cours de Jules Lachelier, en
compagnie de Jules Tannery et d’Émile Boutroux, cours qui exercèrent une profonde influence
sur lui. Élève de Ravaisson, Lachelier avait affiché des convictions philosophiques proches de
celles de Maine De Biran avant d’opérer un retour vers Kant et de devenir ainsi le principal
vecteur de diffusion d’une philosophie néokantienne en France. Liard dédia sa thèse à Jules
Lachelier et y développa, suivant la voie tracée par son maître, une conception néokantienne
de la philosophie.
Reçu premier à l’agrégation de philosophie en 1869, il commence une carrière de professeur de
philosophie et de morale qui le mènera dans divers lycées de province (Mont-de-Marsan puis
Poitiers en 1871). En 1873, il passe une licence ès sciences naturelles et il soutient son doctorat
ès lettres avec une thèse latine consacrée à Démocrite, De Democrito philosopho, et une thèse en
français intitulée Des définitions empiriques et des définitions géométriques. L’année suivante, il est
nommé chargé de cours de philosophie à la Faculté des Lettres de Bordeaux, où son ensei-
gnement rencontre un vif succès (il devient titulaire en 1876).
Dans cette ville naîtra son intérêt pour la politique et pour l’organisation administrative de
l’enseignement : conseiller municipal et adjoint au maire de la ville, il est chargé, en tant que
délégué à l’instruction publique et aux Beaux-Arts (1877-1880) d’organiser la Faculté de Méde-
Henri Poincaré (1854-1912) : Des Mathématiques à la Philosophie 82
Retour aux Origines : Émile Boutroux et son Cercle
cine de Bordeaux et de présider à la construction des Facultés des Sciences et des Lettres. Ses
aptitudes dans cette entreprise lui vaudront d'être nommé, le 27 novembre 1880, recteur de
l’Académie de Caen. C’est à cette époque, le 21 mars 1881, qu’il adressera une lettre de félicita-
tions à un jeune chargé de cours d’Analyse mathématique de la Faculté des sciences de Caen,
qui vient d’obtenir une mention ‘Très honorable’ au Grand Prix des Sciences Mathématiques
organisé par l’Académie des Sciences. Il s’agit bien-sûr de Poincaré :
Monsieur,
J’apprends en rentrant à Caen la haute récompense que l’Académie des sciences vient
d’accorder à vos travaux. Permettez-moi, et comme chef de l’Académie de Caen, et en mon
nom personnel, de vous adresser mes plus vives félicitations. J’espère que les palmes
d’officier d’Académie vous seront données à la prochaine réunion des Sociétés Savantes à
la Sorbonne.
Veuillez agréer, Monsieur, l’assurance de ma considération la plus distinguée.
Le recteur.
L. Liard21
En 1884, Liard est nommé Directeur de l’Enseignement Supérieur au Ministère de l’Instruction
Publique, en remplacement d’Albert Dumont ; il retourne donc à Paris pour travailler sous la
direction de Jules Ferry. Il occupera ce poste important jusqu’en 1902, année où il sera nommé
vice-recteur de l’Académie de Paris.
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cien brillant, il disposera de connaissances étendues sur les nouvelles théories mathématiques
qui lui permettront de donner une teinture beaucoup plus technique à ses idées.
Pourtant, malgré ces différences, nous allons voir que certains points de contact existent entre
ces deux auteurs, en particulier pour ce qui concerne l’importance accordée aux processus de
construction en géométrie. Nous nous proposons donc de suivre l’argumentation de Louis
Liard concernant le statut des définitions géométriques puis de montrer dans quelle mesure
certains de ses résultats peuvent être conçus comme des préfigurations de ceux de Poincaré.
B – Des définitions empiriques et des définitions géométriques
Liard commence sa thèse en constatant l’existence d’un conflit entre les partisans de
l’empirisme et les défenseurs du rationalisme en ce qui concerne l’origine des notions géomé-
triques. L’école empiriste, dominée par la figure du philosophe John Stuart Mill (auteur d’un
Système de logique) définit la géométrie comme la science des formes vides, c’est-à-dire « vidées par
l’abstraction de la matière qu’elles contiennent réellement ».25 En d’autres termes, les notions géo-
métriques dérivent de l’expérience : le géomètre ne crée pas les figures à l’aide des seules res-
sources de son esprit ; l’existence de l’étendue ou des trois dimensions ne pourrait être posée
par un être qui ne serait que pure conscience de soi. Par conséquent, par un processus d'abs-
traction, le géomètre considère la forme des corps qui se présentent à lui dans l’expérience et
tel-00137859, version 1 - 22 Mar 2007
ne tient plus aucun compte des autres propriétés sensibles qui les accompagnent. Sa démarche
consiste donc à ne conserver que le moule des objets : d’un triangle grossier dessiné sur le
sable on ne conserve que la forme (sa propriété géométrique essentielle) et on laisse de côté
toutes ses autres caractéristiques (sa couleur par exemple). Ce triangle abstrait, à la différence
de la figure primitive appréhendée empiriquement, sera constitué de segments rigoureuse-
ment rectilignes et la somme de ses angles sera invariablement égale à 180 degrés.
Même si Liard ne nie pas le rôle joué par l’expérience dans la genèse de la géométrie, il cons-
tate que la théorie de Mill semble déboucher sur une contradiction : si on affirme que
l’abstraction, en détachant la forme des propriétés chimiques et physiques des corps, en cor-
rige les contours, on suppose alors l’existence de modèles idéaux qui permettent, par compa-
raison avec les figures primitives, de supprimer les imperfections. Dans ce cas, cela revient à
supposer également que les notions de figures parfaites (le triangle ou le cercle parfaits) sont
antérieures à la perception des figures réelles. Par ailleurs, le processus d’abstraction ne crée
rien ; il ne peut fournir qu’autant que fournit l’expérience. Ceci induit un nouveau problème :
les formes géométriques réalisées par les corps sont très restreintes alors que le nombre de
figures géométriques possibles est infini. Comment expliquer une telle contradiction ? Il est
évident que l’abstraction ne suffit pas pour former toutes les figures et notions géométriques.
Il en appelle à Descartes :
Si donc l’abstraction est la source unique des notions géométriques, pour découvrir une
forme nouvelle il me faut attendre une révélation de l’expérience. Mais je sens en moi un
pouvoir créateur sans limites, dont les œuvres devancent et dépassent les résultats de
l’observation. Les sens ne m’ont pas encore montré un polygone régulier aux dix-mille cô-
tés, et pourtant je ne laisse pas de concevoir cette figure avec une clarté parfaite. Il faut donc
ou bien restreindre la géométrie à l’étude des seules formes réelles, ce que les géomètres ne
souffriront pas, ou bien reconnaître aux notions géométriques une autre origine que
l’expérience.26
L’autre position possible vis-à-vis des notions géométriques est radicalement opposée à la
théorie empiriste. La théorie rationaliste ne verra l’origine des notions géométriques que dans
l’action de la pure pensée et affichera un perpétuel dédain envers l’espace. Dans une telle pers-
pective, la géométrie se réduira à une activité purement rationnelle dans laquelle la pensée se
contente d’explorer ses propres déterminations, ses propres ramifications. Cette théorie ne
satisfait pas Liard car elle fait de la géométrie une forme rationnelle vide. La capacité de
l’esprit humain à créer ses propres concepts est évidente et efficace dans une certaine mesure,
puisque l’unité de la conscience peut nous autoriser à construire l’unité numérique. Pourtant,
ce parallélisme ne saurait être prolongé car si la pensée n’était pas alimentée par une matière
multiple, on ne pourrait concevoir la possibilité de doubler ou de diviser l’unité ; on ne pour-
rait construire un autre chiffre que 1. Une telle situation serait à la limite tolérable en arithmé-
tique car la pluralité peut y être engendrée d’une manière pure, sans que l’esprit sorte de lui-
même, dans le cas où une pluralité d’états de conscience lui serait donnée. En revanche, pour
la géométrie, la situation est toute autre ; les figures sont bel et bien générées par un acte intel-
lectuel, mais elles sont dans le même temps des déterminations d’un espace extérieur à la
conscience :
Mais toute notion géométrique, si élémentaire qu’on la suppose, implique une représenta-
tion objective. Que la génération des figures soit le résultat d’un acte intellectuel, c’est ce
que nous constaterons bientôt ; mais cette figure, engendrée par mon esprit, est quelque
chose hors de moi ; c’est une détermination d’un espace qui m’est extérieur. Réduits à la
pure action de penser, en supposant même donnée à la conscience une succession d’états
intérieurs, nous pourrions, à la rigueur, créer l’arithmétique et l’algèbre, en un mot la
science de la quantité discrète, mais jamais nous n’engendrerions la science de la quantité
continue, c’est-à-dire la géométrie. L’espace est aussi indispensable au géomètre que le
marbre au statuaire.27
tel-00137859, version 1 - 22 Mar 2007
Liard est parfaitement informé des derniers développements de la géométrie et il trouve dans
l’existence des géométries non euclidiennes une justification de son argumentation : selon lui,
tant qu’on se contentait d’utiliser une géométrie euclidienne à trois dimensions, on était en
droit de croire à la nécessité d’une intuition spatiale extérieure pour donner naissance aux
notions géométriques (parce que cette intuition portait sur un espace euclidien à trois dimen-
sions). En revanche, avec les géométries non euclidiennes – qui raisonnent sur des espaces à 4,
5 ou n dimensions ou qui affirment que la somme des angles d’un triangle peut dépasser les
180 degrés – la situation est toute autre : leur existence ne prouve-t-elle pas que l’intuition de
l’espace est superflue pour créer la géométrie ? Pour reprendre les termes de Liard, « n’est-ce
pas une preuve que c’est seulement par occasion, et non par suite d’une nécessité invincible,
que l’esprit, en créant la géométrie, s’attache à l’intuition de l’espace ? ».28 Liard va montrer
qu’il n’en est pas ainsi et que les géométries non euclidiennes ne sauraient se passer d’une
intuition de l’espace à trois dimensions. Pour ce faire, il imagine deux fictions théoriques dans
le plus pur style de Helmholtz.
Soit un être linéaire astreint à se mouvoir sans se déformer sur une ligne, c’est-à-dire situé
dans un espace à une dimension. Cet être ne pourrait construire que deux notions, celle de
l’avant et celle de l’arrière. Il pourrait se déplacer sur toutes les lignes à courbure constante
mais il ne pourrait jamais construire la science des espaces à une dimension car celle-ci ne peut
être construite qu’en se plaçant dans le cadre d’un espace à deux dimensions. Soit maintenant
un être superficiel obligé de se mouvoir sans se déformer sur une surface, c’est-à-dire sur un
espace à deux dimensions. Cet être ne pourrait concevoir que les notions de l’avant, de
l’arrière, du gauche et du droit. Il existe diverses surfaces sur lesquelles il pourrait se déplacer
sans se déformer (par exemple les surfaces à courbure constante ou les surfaces pseudo-
sphériques), cependant, même s’il le voulait, il ne pourrait jamais concevoir la géométrie de
ces surfaces car il lui faudrait, pour ce faire, se situer dans un espace à trois dimensions.
Par ces deux fictions, Liard entend montrer que l’hyperespace des géométries non euclidien-
nes repose sur un raisonnement inductif qu’il serait impossible de mener sans une intuition de
l’espace. L’homme se trouve en effet dans une situation similaire à celle de l’être superficiel.
Placé dans un espace dont il ne perçoit que trois dimensions, il ne sait si sa perception traduit
l’essence profonde de la réalité ou si elle est simplement liée aux limitations de sa propre na-
ture : il ne peut percevoir que trois dimensions mais, comme il connaît la géométrie, il a la pos-
sibilité de concevoir un hyperespace contenant l’espace perçu. Par une sorte de processus
d’induction, il lui est possible de concevoir des espaces à 4, 5 ou n dimensions :
Ne peut-on pas concevoir un hyperespace dans lequel serait notre espace, comme les lignes
sont dans la surface, et les surfaces dans l’espace à trois dimensions ? De plus, de même
qu’il existe plusieurs lignes et plusieurs surfaces sur lesquelles l’être linéaire et l’être super-
ficiel peuvent se mouvoir sans déformation, ne peut-on pas, en se plaçant au point de vue
d’un espace à quatre dimensions, concevoir et étudier plusieurs espaces à trois dimensions,
jouissant de propriétés communes, que l’on appellerait par analogie, espaces de courbure
constante, et parmi lesquels l’espace physique dont nous faisons la géométrie, et qui est dé-
fini par l’axiome de la ligne droite et par le Postulatum d’Euclide, serait analogue au plan
dans les surfaces de courbure constante ? – On le voit, c’est par une généralisation progres-
sive de la géométrie à une, à deux, à trois dimensions, qui suppose l’intuition de l’espace,
que l’on s’élève à la conception d’une géométrie plus générale, qui se refuse à toute repré-
sentation objective.29
À travers cette citation, on s’aperçoit que Liard adopte un point de vue relativement moderne
vis-à-vis des géométries non euclidiennes. Tout en demeurant dans le cadre d’une défense de
la géométrie euclidienne comme seule réalisée autour de nous, Liard n’affirme pas pour au-
tant que les nouvelles constructions géométriques sont de pures constructions logiques puis-
qu’il soutient qu’elles reposent toutes sur une intuition primordiale de l’espace. La lecture du
tel-00137859, version 1 - 22 Mar 2007
premier chapitre de son livre permet de se rendre compte qu’il connaît les travaux de Lobat-
chevsky, Riemann ou Beltrami, ce qui lui permet d’éviter les stéréotypes philosophiques qui
ont cours à l’époque où il publie sa thèse.30 Une telle connaissance technique était en effet
assez rare au sein de la communauté philosophique française, sachant que les travaux de Rie-
mann et d’autres géomètres non-euclidiens ne circulaient que depuis quelques années.
D’ailleurs, comme nous aurons l’occasion de le voir, la grande force du courant spiritualiste
représenté par Boutroux, Tannery et Liard fut de combattre les prétentions de la science à
régenter tous les aspects de l’existence humaine depuis l’intérieur de la science elle-même : tous
les auteurs participant au courant du positivisme spiritualiste possédaient une connaissance
approfondie des méthodes et des théories scientifiques qu’ils abordaient ; leurs attaques n’en
avaient que plus de poids et devaient donner de meilleurs résultats que celles portées par
l’ancienne génération de philosophes spiritualistes qui avaient tenté, sans grand succès,
d’ébranler la prétention de la science à partir d’un point de vue purement philosophique.
La manière dont Liard renvoie dos à dos empiristes et rationalistes est donc la suivante : si
l’empirisme est incapable de fonder la validité des notions géométriques, et si les promoteurs
des géométries imaginaires ne peuvent construire les théories les plus pures sans recourir à
une intuition spatiale, il faut alors supposer une solution médiane au problème de l’origine
des notions géométriques. Cette solution intermédiaire consiste à affirmer que toute création
géométrique présuppose une intuition de l’espace. Liard écrit ainsi que « l’esprit, pour créer la
29 [Liard 1874], pages 33-34. Liard emprunte visiblement cette fiction à Helmholtz. Poincaré, de son côté, en introduira une
variante, dont on ne sait guère si elle provient du scientifique allemand ou du philosophe français. La similitude avec Liard est
toutefois frappante. Poincaré écrit en effet dans La science et l’hypothèse, [Poincaré 1902q], pages 65-66 : « Pendant que nous som-
mes en train de faire des hypothèses, il ne nous en coûte pas plus de douer ces êtres de raisonnement et de les croire capables de
faire de la géométrie. Dans ce cas, ils n’attribueront certainement à l’espace que deux dimensions. Mais supposons maintenant
que ces animaux imaginaires, tout en restant dénués d’épaisseur, aient la forme d’une figure sphérique, et non d’une figure plane
et soient tous sur une même sphère sans pouvoir s’en écarter. Quelle géométrie pourront ils construire ? Il est clair d’abord qu’ils
n’attribueront à l’espace que deux dimensions ; ce qui jouera pour eux le rôle de la ligne droite, ce sera le plus court chemin d’un
point à un autre sur la sphère, c’est-à-dire un arc de grand cercle, en un mot leur géométrie sera la géométrie sphérique. Ce qu’ils
appelleront l’espace, ce sera cette sphère d’où ils ne peuvent sortir et sur laquelle se passent tous les phénomènes dont ils peuvent
avoir connaissance. Leur espace sera donc sans limites puisqu’on peut sur une sphère aller toujours devant soi sans jamais être
arrêté, et cependant il sera fini ; on n’en trouvera jamais le bout, mais on pourra en faire le tour ».
30 Voir par exemple [Liard 1874], pages 34-35 : « En fait la géométrie euclidienne est réalisée autour de nous ; mais le contraire
du postulat sur lequel elle repose est géométriquement possible ; si dans notre espace physique, deux droites perpendiculaires à
une troisième ne se rencontrent pas, on peut concevoir qu’elle se rencontrent, et que, par suite, la somme des trois angles d’un
triangle ne soit pas égale à deux angles droits. Mais les récents travaux d’un profond géomètre italien [Beltrami] ont répandu la
lumière sur cette obscure question, et autorisent à voir dans la géométrie non euclidienne, géométriquement interprétée, une
extension de la géométrie euclidienne ».
Henri Poincaré (1854-1912) : Des Mathématiques à la Philosophie 86
Retour aux Origines : Émile Boutroux et son Cercle
géométrie, a besoin d’une matière, et que cette matière c’est l’espace ».31 Cette position mé-
diane qui fait de l’intuition de l’espace la matière sur laquelle le géomètre doit imposer sa
forme pourrait faire penser à ce qu’écrira plus tard Poincaré à propos de l’expérience comme
occasion, comme guide pour la création des conventions géométriques :
Les axiomes géométriques ne sont donc ni des jugements synthétiques a priori ni des faits expérimen-
taux. Ces sont des conventions ; notre choix, parmi toutes les conventions possibles, est guidé
par des faits expérimentaux ; mais il reste libre et n’est limité que par la nécessité d’éviter
toute contradiction.32
Un tel rapprochement ne s’impose pourtant pas avec une grande force car les deux auteurs ne
posent pas le problème philosophique de la géométrie dans les mêmes termes : la conception
de Liard concernant l’intuition d’une matière spatiale est présentée comme une solution in-
termédiaire entre rationalisme classique et empirisme traditionnel, et elle est largement inspi-
rée par le kantisme. Liard est très ambigu sur le statut qu’il confère à cette matière spatiale :
certes, l’intuition de cette matière est extérieure à la pensée mais, dans le même temps, elle ne
peut être objet de sensation (mais seulement d’intuition). Tout se passe comme si celle-ci était
une forme a priori de la sensibilité mais l’ensemble de sa position à l’égard de la notion
d’espace demeure entourée d’un certain flou qui la rend difficilement lisible. En revanche,
l’alternative poincaréienne se présente comme une solution intermédiaire entre la position
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tiplicité, ce sera le mouvement. Toute notion géométrique implique à la fois unité, pluralité et
continuité et, de la même manière, le mouvement impliquera ces trois choses :
Il [le mouvement] est un par sa racine, qui est l’âme ; il est multiple, par ses points
d’application, qui sont dans l’espace ; mais en même temps il est continu, précisément parce
qu’il est une synthèse de l’unité et de la multiplicité ; il n’est donc pas étonnant qu’il soit le
moyen terme grâce auquel l’unité spirituelle déterminera la pluralité virtuelle de l’espace.34
Descartes disait ‘Donnez-moi la matière et le mouvement et je créerai le monde’. De son côté,
Liard affirmera ‘Donnez-moi l’espace et le mouvement et je créerai la géométrie’. L’espace
multiple en puissance, l’esprit un et le mouvement, à la fois un et multiple, constituent donc
les principes indispensables de toute construction géométrique. Cette insistance autour de la
notion de mouvement est importante car il s’agit là d’une idée qui se retrouvera également
chez Poincaré. Dans son article de 1898, « On the Foundations of Geometry », Poincaré
s’intéressera au caractère fondateur de la notion de mouvement : certes, il refusera de cons-
truire la géométrie en présupposant déjà la notion d’espace (ce que semble faire Liard de son
côté) mais il insistera néanmoins sur l’importance fondamentale du mouvement dans une
section célèbre consacrée à la distinction entre changements internes et changements externes.
Le parallélisme entre les deux auteurs est particulièrement frappant. Liard écrit par exemple :
Supposons-nous absolument immobiles en présence d’un plan. Nous n’en percevons avec
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netteté que le seul point dont l’image se forme au centre de la tache jaune de notre rétine.
[…] Ce point, vu en pleine lumière, est entouré d’une pénombre dont l’éclat va décroissant
du centre à la circonférence, et cette dégradation insensible des rayons lumineux ne nous
permet pas de percevoir des contours nettement dessinés. Aussi, en nous supposant abso-
lument immobiles en face de ce plan, ne le percevons-nous pas. Que faut-il pour en avoir
une représentation distincte ? Amener chaque élément de sa surface et de son périmètre au
point le plus distinct de la vision. La chose peut se faire de deux manières : ou bien en dé-
plaçant le plan, ou bien déplaçant l’œil ; mais, dans un cas comme dans l’autre, un mouve-
ment est nécessaire. La perception de l’étendue suppose donc une synthèse successive et
continue d’éléments juxtaposés.35
Liard poursuit son étude en montrant que toutes les mesures envisageables en géométrie (me-
sures d’étendue, de volumes, de surfaces ou de lignes) peuvent se réduire à de simples com-
paraisons de lignes droites. Il pose ainsi la proposition de base suivante : la géométrie des
lignes est indispensable à la géométrie des surfaces, et la géométrie des surfaces à celle des
volumes. Une telle proposition équivaut à diviser dans l’espace trois ‘provinces’, trois notions
différentes : intuitivement, l’espace est donné avec trois dimensions (notion de volume) ; si on
élimine l’épaisseur on obtient la notion de surface ; si on élimine la largeur on obtient la notion
de la ligne. Ce démembrement progressif de l’espace est un processus abstrait et idéal car dans
la nature, nous n’avons accès qu’à des solides. Surfaces, lignes et points sont donc des limites
vers lesquelles tendent les solides. En d’autres termes, Liard affirme que la matière de la géométrie
(l’espace brut amorphe à trois dimensions) est préparée par un processus d’abstraction qui la divise en
lignes, surfaces et volumes. L’esprit ne se contente donc pas de recevoir de l’extérieur la matière de la
géométrie, il crée lui-même les déterminations de l’espace.36
L’espace est une matière indéterminée par elle-même, mais susceptible de recevoir toutes les déterminations ; la pensée est
essentiellement l’unité formelle qui se réalisera de mille façons diverses dans la pluralité de l’espace, selon les lois posées par
l’esprit lui-même ».
Henri Poincaré (1854-1912) : Des Mathématiques à la Philosophie 88
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L’influence des conceptions de Riemann est ici manifeste. Selon Liard, du fait de son caractère
passif et amorphe, l’espace est impuissant à se déterminer lui-même. Il faut donc
l’intervention active et féconde de l’esprit pour que l’espace soit doté de déterminations parti-
culières (cette idée se retrouvera également, sous une forme plus claire, chez Poincaré). Ainsi,
le débat entre empiristes et rationalistes trouve sa solution dans une position intermédiaire qui
concilie la puissance de l’esprit humain à créer ses propres concepts et l’existence d’une ma-
tière extérieure à la conscience : l’espace multiple et passif. Pour créer la géométrie, l’esprit a
besoin d’une matière, et cette matière ne peut être que l’espace. L’esprit a de son côté un pou-
voir illimité, indépendant de l’espace, mais s’il ne s’applique pas sur cette matière spatiale, ce
pouvoir demeurera virtuel et ne pourra donner naissance à la géométrie :
Il est incontestable que l’esprit possède un pouvoir illimité, indépendant de l’espace ; mais
sans une matière où seront réalisés les possibles qui sortent successivement de la source
toujours féconde, ce pouvoir est virtuel. Alors même que la pure action de penser suffirait à
créer les mathématiques abstraites, cette fécondité toute intérieure de la pensée par elle-
même ne saurait donner naissance à la géométrie ; un nombre n’est pas une ligne : il faut
l’espace au géomètre. Mais l’esprit, immobile devant l’espace, serait comme un statuaire
devant un marbre informe ; il lui faut agir. Il prépare d’abord cette matière, en faisant abs-
traction de toutes les qualités sensibles des corps, et en établissant dans l’espace les trois ré-
gions distinctes des volumes, des surfaces et des lignes ; puis, dans chacune de ces régions,
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qu’il les découvrait, a réunies les unes aux autres ; c’est une forme imposée par l’esprit à l’espace. […] Les propriétés des figures
géométriques ne sont pas des éléments, mais des conséquences, loin de constituer la notion, elles en dérivent. Par suite, les
définitions géométriques ne sont pas sujettes aux mêmes vicissitudes que les définitions empiriques : elles sont absolues, immua-
bles et inflexibles ».
40 [Liard 1874], page 78.
41 [Liard 1874], page 78.
Henri Poincaré (1854-1912) : Des Mathématiques à la Philosophie 89
Retour aux Origines : Émile Boutroux et son Cercle
de mots, mais des définitions a priori ou par génération. Ce faisant, il utilise des arguments qui
préfigurent largement certaines idées très connues de Poincaré. Certes, Liard n’adopte pas une
perspective explicitement conventionnaliste mais il semble parfaitement conscient de la nature
conventionnelle des langages mathématiques et géométriques. Aussi le voit-on développer un
argument qui semble annoncer le dictionnaire de Poincaré (voir citation page 44) :
Quand j’ai dépouillé un mot de toute signification, quand de signe je l’ai fait son, je puis le
faire servir à désigner telle ou telle chose ; le mot cercle peut devenir ainsi le signe d’un
plan terminé par trois droites qui se coupent, le mot triangle, le signe d’un plan limité par
une courbe dont tous les points sont également distincts d’un point fixe. D’une façon plus
générale, il m’est licite, en combinant à ma guise les voyelles et les consonnes de l’alphabet,
de créer des sons nouveaux. Qui m’empêche d’en faire les signes de mes idées ? Qui me
contestera l’usage de cette langue créée par moi ? L’imposition des noms aux choses, voilà
ce qui est arbitraire et ce qui ne saurait être contesté.42
Le dictionnaire de Poincaré fonctionne à un autre niveau que celui énoncé par Liard. Liard
entend simplement montrer qu’il est possible de créer un langage arbitraire, différent du lan-
gage habituel et doté de ses règles propres de fonctionnement. Ainsi, en géométrie, on pour-
rait parfaitement désigner la notion de cercle par le terme de triangle et la notion de triangle
par le mot ‘cercle’. Une telle pratique est envisageable parce que le rapport entre un mot et la
notion qu’il désigne est d’ordre conventionnel. Ce conventionnalisme linguistique est relati-
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compte de leur dimension linguistique et conventionnelle ; tous deux, enfin, insistent sur
l’activité centrale de l’esprit en géométrie. Certes, par son style et par son ancrage dans la
pratique mathématique, le conventionnalisme de Poincaré présentera de nombreuses différen-
ces avec la philosophie de Liard (il refusera notamment les jugements synthétiques a priori
pour la géométrie). Pourtant, malgré ces différences, on est en droit d’affirmer que certaines
idées poincaréiennes trouvent leur origine partielle dans cette tentative d’analyse philosophi-
que de la géométrie.
Les Archives Poincaré ne conservent que deux lettres de Liard à Poincaré, documents au con-
tenu administratif qui ne reflètent vraisemblablement pas l’état des relations entre les deux
personnages.45 Comme nous avons essayé de le montrer, les deux hommes se connaissaient et
avaient en commun certaines conceptions philosophiques. Outre sa thèse, l’œuvre philosophi-
que majeure de Liard est probablement son livre de 1879, La science positive et la métaphysique,
dans lequel il dresse une critique de la science.46 Devant l’incapacité de celle-ci à trancher les
questions ultimes et à se développer dans une métaphysique, il en conclut à la légitimité d’une
foi extra-scientifique susceptible de soutenir les problèmes moraux qui se posent à l’homme.
Selon lui, la science ne s’intéresse qu’aux conditions des phénomènes, non à leur raison der-
nière, et elle est incapable de fournir la moindre réponse à ce sujet. Dans la lignée du néokan-
tisme de Lachelier47, Liard s’efforce donc de faire ressortir les limites de la science positive et il
justifie ainsi le recours à l’analyse métaphysique. Voici ainsi le programme qu’il propose à ses
lecteurs dans l’avant-propos de son ouvrage :
À l’origine, la métaphysique fut tout le savoir. – Plus tard, quand les sciences particulières
s’en détachèrent, elle en resta l’âme, par les principes qu’elle leur fournit. – Aujourd’hui, les
sciences ont rompu tout commerce avec elle, et revendiquent le monopole de la certitude,
non pas qu’elles prétendent à la connaissance totale des choses, mais elles soutiennent
qu’au-delà du champ qu’elles explorent, la certitude fait place aux rêves et aux chimères.
Cependant les problèmes qu’elle laisse en suspens ne peuvent être négligés sans défaillance
45 Nous en avons cité une au début de ce chapitre (cf. page 82). La seconde lettre, datée du 8 juillet 1886, concerne une demande
de cumul de fonctions présentée par Poincaré, qui désirait conserver à la fois son poste de professeur titulaire à la Faculté des
sciences et son poste d’ingénieur des mines. Les papiers du Ministère de l’Instruction Publique conservés dans le fonds F17 des
Archives Nationales contiennent vraisemblablement d’autres lettres mais le temps nous a manqué pour y mener des recherches
appropriées.
46 Mentionnons également son traité de logique, Les logiciens anglais contemporains [Liard 1878], qui exerça une influence consi-
tion de toute pensée, règlent aussi l’ordre de la nature, est celui que Kant a proposé ».
Henri Poincaré (1854-1912) : Des Mathématiques à la Philosophie 91
Retour aux Origines : Émile Boutroux et son Cercle
de l’esprit et sans outrage à la vérité inconnue. – Après les phénomènes, nous voulons
connaître l’absolu ; après les conditions, nous demandons la raison de l’existence. La méta-
physique serait la détermination de cet absolu, la découverte de cette raison. Est-elle scienti-
fiquement possible ? Et si les voies de la science lui sont fermées, d’autres chemins ne lui
sont-ils pas ouverts ? Telles sont les questions que nous avons essayé de résoudre, non pas
avec toute l’information, mais du moins avec la sincérité qu’elles comportent. Toutes les
idées que nous exprimons ne sont pas nôtres. Nous devons beaucoup à M. Lachelier, dont
nous avons reçu l’enseignement fécond à l’École Normale, à M. Renouvier, à M. Secretan.
En le déclarant, nous remplissons un double devoir de justice et de reconnaissance.48
Un tel programme se rapproche beaucoup de celui de Boutroux : affirmer les limites de la
science, mettre en avant son incapacité à englober toute la sphère du savoir, promouvoir
l’analyse métaphysique pour atteindre d’autres domaines de connaissance (l’absolu pour
Liard, la liberté ou la morale pour Boutroux). Dans un registre plus restreint, ce programme
concorde partiellement avec celui de Poincaré : malgré son peu d’attirance pour la métaphysi-
que, le mathématicien tentera bel et bien d’imposer des limites à la connaissance scientifique
et il ira même jusqu’à affirmer, peu de temps avant sa mort, l’impossibilité de fonder la morale
sur la science.
En dehors de la sphère philosophique, les deux hommes partageaient des conceptions péda-
gogiques similaires. Nous avons vu que Poincaré répugnait à citer ses sources. Pourtant, dans
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une allocution prononcée en 1904 lors des Conférences du Musée Pédagogique, « Les défini-
tions générales en mathématiques »49, il devait faire référence à la thèse de Liard. Dans sa
conférence, Poincaré se demande pourquoi un si grand nombre de jeunes esprits ne parvien-
nent pas à comprendre les mathématiques ; pour lui, cette situation tient au fait que
l’enseignement des sciences est souvent emprisonné dans une gangue de formalisme stérile
qui ne peut faire naître aucune intuition dans l’imagination des étudiants. Une pédagogie
viable consisterait donc à sortir les définitions mathématiques de ce carcan trop abstrait et
d’appuyer l’enseignement sur les facultés d’intuition et d’imagination des élèves. La thèse de
Liard lui sert d’appui pour son raisonnement, dans la mesure où elle a démontré, selon lui, le
caractère a priori des définitions mathématiques.50
À plusieurs reprises, Poincaré classera les mathématiciens dans deux catégories différentes :
les analystes, d’une part, qui sont capables de comprendre un concept mathématique par un
processus d’analyse complètement abstrait ; les intuitifs, d’autre part, qui ne peuvent com-
prendre un concept sans en construire une représentation mentale. Cette distinction jouera un
rôle multiforme dans sa pensée puisqu’elle interviendra simultanément dans sa critique du
logicisme, dans sa théorie de l’invention mathématique et dans sa conception de
l’enseignement des mathématiques. Dans son intervention au Musée Pédagogique, Poincaré
plaidera ainsi en faveur d’un enseignement des sciences ouvert sur l’expérience, sur l’intuition
et l’imagination, contre un formalisme aveugle totalement déconnecté des applications de la
science :
Le but principal de l’enseignement mathématique est de développer certaines facultés de
l’esprit et parmi elles l’intuition n’est pas la moins précieuse. C’est par elle que le monde
mathématique reste en contact avec le monde réel et quand les mathématiques pures pour-
raient s’en passer, il faudrait toujours y avoir recours pour combler l’abîme qui sépare le
symbole de la réalité. Le praticien en aura toujours besoin et pour un géomètre pur il doit y
avoir cent praticiens.
imposer comme une convention arbitraire. Ils n’auront de repos que quand vous aurez répondu à de nombreuses questions. Le
plus souvent les définitions mathématiques, comme l’a montré M. Liard, sont de véritables constructions édifiées de toutes pièces
avec des notions plus simples ». Cité d’après Science et méthode, [Poincaré 1908l], pages 139-140.
Henri Poincaré (1854-1912) : Des Mathématiques à la Philosophie 92
Retour aux Origines : Émile Boutroux et son Cercle
L’ingénieur doit recevoir une éducation mathématique complète, mais à quoi doit-elle lui
servir ? À voir les divers aspects des choses et à les voir vite ; il n’a pas le temps de chercher
la petite bête. Il faut que dans les objets physiques complexes qui s’offrent à lui, il recon-
naisse promptement le point où pourront avoir prise les outils mathématiques que nous lui
avons mis en main. Comment le ferait-il si nous laissions entre les uns et les autres cet
abîme profond creusé par les logiciens.51
En sa qualité de vice-recteur de l’Académie de Paris, Liard devait présider ces conférences du
Musée Pédagogique, auxquelles assistaient de nombreux scientifiques : Lucien Poincaré (le
frère de Raymond, qui était alors Inspecteur Général de l’Enseignement Secondaire), Gabriel
Lippmann, Paul Langevin ou Émile Borel. Tous entendaient formuler des propositions concrè-
tes pour moderniser et améliorer l’enseignement des sciences dans le secondaire, dans l’esprit
de la réforme Georges Leygues de 1902.
Dans son allocution d’ouverture, Liard défendra une conception de l’enseignement scientifi-
que similaire à celle de Poincaré. D’emblée, il rappelle qu’il n’est plus question, comme aupa-
ravant, d’opposer les humanités à la science car, dans l’enseignement secondaire les études
scientifiques contribuent, à part égale avec les lettres, à la formation du futur citoyen. Elles
sont, elles aussi, des humanités, mais il s’agit d’humanités scientifiques. Tout le problème sera
alors, selon lui, de savoir comment les enseigner et, sur ce point, Liard se prononcera contre
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une tradition d’enseignement axée sur une pédagogie abstraite et symbolique ; la meilleure
méthode d’enseignement des sciences est celle qui accordera la plus large place à
l’imagination et à l’intuition, qui situe les théories scientifiques par rapport à leur utilité prati-
que :
Est-il bon de leur enseigner une science parallèle à la mécanique, en leur disant qu’elle pa-
raît identique à la mécanique, et de ne pas leur montrer, ne fût-ce que sur une bicyclette, les
organes d’une machine réelle et la transmission de mouvements réels ? Est-il bon de ne pas
leur montrer les astres dans le ciel, et de s’en tenir à des ‘ronds’ au tableau, si bien que pour
eux, comme me le disait d’une façon pittoresque un de vos collègues, il y a, non le soleil et
la lune réels, mais le ‘soleil et la lune de la classe’ ?
N’en résulte-t-il pas que beaucoup d’entre eux, déconcertés dès le premier jour, et
n’apercevant aucune liaison entre les mathématiques et la réalité, s’imaginent qu’elles sont
un monde impénétrable, accessible seulement à quelques intelligences spécialement cons-
truites, et ne font aucun effort pour y pénétrer ? Que ceux-mêmes qui ont pu y pénétrer, à
force de se mouvoir dans l’abstrait, sans rappels assez fréquents aux réalités, en viennent
vite à considérer les mathématiques comme une convention, une logique et un jeu ? Si l’on
n’y prend garde, ce serait à brève échéance, le formalisme, c’est-à-dire ce qu’il y a de moins
éducateur au monde.52
Toute l’œuvre pédagogique de Poincaré tendra vers un enseignement moins déconnecté du
réel, plus concret. Vers la fin de sa vie, le mathématicien tentera même de mettre ses préceptes
en application en acceptant de rédiger plusieurs articles pour un ouvrage de leçons de choses
destiné aux élèves du primaire, Ce que disent les choses. Nous nous intéresserons plus tard à
cette collaboration originale.
quant à lui un historien des sciences fort renommé. Voir [Boutroux 1912e], page 14.
Henri Poincaré (1854-1912) : Des Mathématiques à la Philosophie 93
Retour aux Origines : Émile Boutroux et son Cercle
teville près de Caen. Jules fera donc ses études au lycée de Caen. Cette époque sera pour lui
celle de l’initiation aux mathématiques et à la philosophie : son frère, qui avait suivi, dans ce
même lycée, les cours de Lachelier, et qui en avait conservé un émerveillement pour la philo-
sophie grecque, le formera aux mathématiques et à la philosophie, et c’est en compagnie de sa
sœur qu’il découvrira la philosophie de Platon. Élève très doué, il se fera remarquer très tôt
pour ses aptitudes hors du commun : en quittant le lycée de Caen il remportera à la fois le prix
d’honneur de la classe de philosophie et le prix d’honneur de la classe de mathématiques
spéciales au Concours Général.54
En 1866 il est reçu premier au concours de l’École Normale Supérieure (section science) et il
obtient un très bon rang à celui de l’École Polytechnique. Il choisit finalement de faire ses
études rue d’Ulm ; ses camarades de promotion sont Benjamin Baillaud, Bichat, Bouty, Piéron
et Elliot55. À l’École Normale, Tannery rejoindra les rangs des étudiants hostiles à l’Empire et il
affichera des convictions républicaines radicales.
En 1869, il se classe premier à l’agrégation et il est aussitôt envoyé au lycée de Rennes pour y
occuper la chaire de mathématiques élémentaires. Il est nommé l’année suivante à la chaire de
mathématiques spéciales, dans le même lycée. En 1871, il est nommé à Caen, où il rejoint son
grand ami Boutroux. L’année qu’ils passeront ensemble restera dans leur mémoire et c’est
avec émotion que Boutroux se remémorera ces événements après la mort de Tannery :
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Je fus de mon côté, en octobre 1871, nommé au lycée de Caen. Je ne m’y savais aucun cama-
rade. Charmante fut ma surprise, lorsque, à la sortie de ma première classe, je me vis abor-
der par Jules Tannery, qui me dit simplement : ‘Moi aussi je suis nommé à Caen. Nous voici
avec une bonne année devant les mains’. J’avais connu Tannery à l’École, où il s’était inté-
ressé, avec son ouverture d’esprit, à mes efforts pour entendre quelque chose aux raison-
nements scientifiques. Pénétrer dans son âme, mêler mes idées aux siennes fut l’une des
joies les plus profondes qu’il m’ait été donné de goûter.56
Au milieu des remous de la défaite de 1870 et de la chute de l’Empire, Tannery ne se laisse pas
complètement absorber par ses activités d’enseignement. À cette époque, il noircit des cahiers
entiers de notes personnelles, fragments de pensées sur la philosophie, l’art, la morale, la poli-
tique ou les sciences. Après sa mort, ses amis réuniront ces Pensées de jeunesse en un volume
d’hommage ; ce livre permet de découvrir un esprit à la fois ouvert sur le monde et sceptique
(voire cynique) dans ses opinions. Ainsi, peu de temps après avoir traversé une crise religieuse
qui lui a fait perdre la foi57, il décrit dans une note le scepticisme que lui inspirent les systèmes
philosophiques :
Rien peut-être ne prouve mieux le vide des problèmes métaphysiques que le retour perpé-
tuel des mêmes systèmes. C’est un cercle. À mesure que l’homme avance en âge, il en
connaît mieux les coins et les recoins, mais il n’en sort pas. Pour moi, je penche vers le mys-
ticisme. Je n’y trouve pas d’aliment pour ma raison : j’en trouve pour mon cœur.58
Nous aurons l’occasion de revenir sur ces écrits de jeunesse qui annoncent certaines idées
ultérieures de Poincaré.
En 1872, Tannery est de retour à Paris : il vient d’obtenir un poste d’agrégé-préparateur de
mathématiques à l’École Normale Supérieure. Commence alors pour lui, sous la direction de
Hermite (qui devait être un des maîtres de Poincaré), la préparation d’une thèse de mathéma-
tiques inspirée par les travaux de Fuchs et intitulée Propriétés des intégrales des équations diffé-
54 Émile Picard insiste sur l’influence de Marie et Paul Tannery sur le développement intellectuel de Jules Tannery : « Nous
retrouvons encore ici l’influence de Paul Tannery qui, quelques années auparavant, avait au même lycée suivi l’enseignement de
Lachelier et avait fait partager à son frère l’impression produite sur lui par ce profond philosophe. C’est dans ses conversations
avec son frère que l’âme poétique de Jules Tannery se prit d’enthousiasme pour les admirables constructions d’une si belle pureté
de ligne de la métaphysique platonicienne ». [Picard 1931]. À ce propos, cf. l’article de Sarton, « Paul, Jules and Marie Tannery »
[Sarton 1947].
55 Elliot deviendra en 1872 professeur de mathématiques spéciales au lycée de Nancy et, impressionné par les résultats de
Poincaré, il dira à son ami Liard « J’ai dans ma classe un monstre de mathématiques ». Voir [Bellivier 1956], page 110.
56 [Boutroux 1912e], page 18.
57 Son frère Paul ne traversera pas une telle crise et affichera des convictions religieuses profondes qui le rapprocheront, sur ce
rentielles linéaires à coefficients variables. Il termine cette thèse en moins de deux ans puisqu’il la
soutient la même année que Boutroux, en 1874. L’année suivante, il est nommé délégué dans
une chaire de mathématiques spéciales au lycée Saint-Louis, puis suppléant de Bouquet, à la
Sorbonne, sur la chaire de mécanique physique et expérimentale (il le restera jusqu’en 1880).
En 1881 il est nommé maître de conférences à l’École Normale Supérieure, et trois ans plus
tard, il devient sous-directeur des études scientifiques de l’École, fonction qu’il conservera
toute sa vie
En 1904, des changements dans l’administration de l’École Normale Supérieure l’obligent à
changer de titres et il devient alors professeur de calcul différentiel et intégral à la Faculté des
Sciences de Paris, délégué à l’École Normale et sous-directeur de l’École Normale Supérieure
de l’Université de Paris. Malgré ces changements, Tannery occupera toujours une double
fonction de professeur et d’administrateur, ce qui se traduira par une réflexion approfondie
sur la pédagogie de l'enseignement des sciences.
Parallèlement à toutes ces activités, Tannery exercera diverses responsabilités professorales et
académiques : il sera ainsi membre du jury d’agrégation des sciences mathématiques de 1877 à
1881 et maître de conférences à l’École Normale Supérieure d’Enseignement Secondaire des
Jeunes Filles de Sèvres à partir de 1882. Membre de la Société Mathématique de France, il
deviendra, à partir de 1876, un précieux collaborateur du Bulletin des sciences mathématiques ; sa
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plume élégante y côtoiera celles de Hoüel, Darboux et Picard, et c’est en son sein que seront
publiés ses travaux les plus notoires (y compris ses études philosophiques).
Le 11 mars 1907, il est élu membre libre de l’Académie des Sciences au fauteuil de Brouardel.
Sa candidature ne faisait probablement pas l’unanimité parmi les académiciens car ses travaux
mathématiques ne comportaient guère de méthodes nouvelles ou de théorèmes inédits, mais
consistaient plutôt en des manuels d’enseignement. Il devra en partie son élection à Poincaré,
qui rédigera un rapport très favorable sur ses titres.59 Conscient des ‘lacunes’ de Tannery en
matière d’invention mathématique, Poincaré défendra sa candidature en insistant sur
l’importance de ses conceptions philosophiques et pédagogiques, non seulement pour la cul-
ture en général mais également pour la science mathématique elle-même :
[…] Par ses études, par son enseignement, par ses travaux mêmes, M. Tannery est un ma-
thématicien. Mais il n’a jamais aspiré à entrer dans la section de géométrie et personne ne
s’étonne qu’il n’y ait songé, encore que, par la profondeur et la finesse de son esprit, par les
services qu’il a rendus, par l’influence qu’il a exercée, il ait sa place marquée parmi nous.
C’est qu’il y a deux manières de contribuer aux progrès des sciences mathématiques. Les
uns marchent en avant, créent des méthodes, découvrent des théorèmes nouveaux. C’est à
ces inventeurs que la section de géométrie doit être réservée. Mais d’autre réfléchissent sur
les principes, critiquent les méthodes et discutent de la portée philosophique. Ils éclaircis-
sent le chemin que d’autres ont frayé et par là le rendent aisément accessibles à de nouvel-
les générations qui doivent le parcourir rapidement pour marcher à leur tour à d’autres
conquêtes. Que dis-je, ils aident souvent les inventeurs eux-mêmes à se rendre compte de la
portée de leurs propres inventions.60
Tannery meurt le 11 novembre 1910, laissant derrière lui une œuvre écrite certes peu abon-
dante, mais dont la minceur est compensée par le nombre de jeunes scientifiques qu’il a
contribué à former par son enseignement à l’École Normale Supérieure ou à la Faculté des
Sciences (entre autres, Jules Drach, Paul Painlevé ou Émile Borel).61
59 Ce rapport est conservé aux Archives de l’Académie des Sciences, avec les papiers de Jules Tannery. Nous le reproduisons
intégralement en annexe page 372. Tannery avait été candidat une première fois en 1902, sans succès, malgré le rapport de
Poincaré. Pour sa candidature de 1907, Poincaré présenta ce même rapport mais en y ajoutant quelques lignes sur ses travaux les
plus récents.
60 [Archives de l’Académie des Sciences], « Rapport sur les titres de M. Jules Tannery. Séance du 27 janvier 1902 », dossier Jules
Tannery.
61 Poincaré écrit d’ailleurs dans son rapport : « À côté du savant et du philosophe, j’aurai donc à vous parler du pédagogue ;
mais ce dernier ne nous laisse pas seulement des écrits ; ses œuvres véritables ce sont les savants qu’il a formés, et parmi les
jeunes gens dont les noms ont été dernièrement inscrits sur la liste des candidats présentés par la section de géométrie, plus d’un
vous dirait quelle part revient à M. Tannery dans la genèse de son talent ». [Archives de l’Académie des Sciences], « Rapport sur
les titres de M. Jules Tannery. Séance du 27 janvier 1902 », dossier Jules Tannery.
Henri Poincaré (1854-1912) : Des Mathématiques à la Philosophie 95
Retour aux Origines : Émile Boutroux et son Cercle
maintenant à tenter de découvrir, dans leurs œuvres respectives, ce qui les rapproche d’un
point de vue philosophique. Pour ce faire, nous porterons d’abord notre attention sur les écrits
de jeunesse de Tannery, pour nous intéresser ensuite aux thèmes que son œuvre semble par-
tager avec l’œuvre du mathématicien nancéien.
B – Les écrits de jeunesse
Outres divers articles et notes (publiés dans le Bulletin des sciences mathématiques ou dans les
Comptes-rendus de l’Académie des Sciences), Tannery est l’auteur de plusieurs ouvrages mathé-
matiques importants, principalement des manuels : Introduction à la théorie des fonctions d’une
variable (1886), Éléments de la théorie des fonctions elliptiques (quatre volumes publiés de 1893 à
1902, en collaboration avec Jules Molk), Leçons d’arithmétique théorique et pratique (1894), No-
tions de mathématiques (1903) ou Leçons d’algèbre et d’analyse à l’usage des classes de mathématiques
spéciales (1906). Certains de ces livres exerceront une profonde influence sur la jeune généra-
tion de mathématiciens se réclamant de son enseignement. Cependant, l’essentiel de son œu-
vre concernera la philosophie des sciences et la pédagogie de l’enseignement scientifique,
deux domaines qu’il explorera dans plusieurs articles publiés dans le Bulletin des sciences ma-
thématiques (notamment à l’occasion de comptes-rendus de livres parus) ou dans d’autres
revues plus littéraires, comme la Revue du mois, la Revue de Paris ou la Revue de métaphysique et
de morale. On lui doit ainsi des articles importants sur « Le rôle du nombre dans les sciences »
(1895), sur « Les mathématiques dans l’enseignement secondaire » (1900), sur la loi de Fechner
(1906) ou sur « La méthode mathématique » (1908).
Peu de temps avant sa mort, Tannery travaillait à rassembler ces travaux philosophiques en
un volume pour l’éditeur Félix Alcan, dans l’esprit de ce qu’avait fait Poincaré avec La science
et l’hypothèse pour Flammarion. C’est finalement son élève Émile Borel qui devait achever la
publication de ce recueil intitulé Science et philosophie ; la même année il devait faire publier
dans la Revue du mois (qu’il avait créée), les pensées de jeunesse de son maître, pensées qui
constituèrent la matière principale d’un ouvrage dédié à sa mémoire, En mémoire de Jules Tan-
nery – Pensées (ouvrage contenant un article d’Ernest Lavisse, ainsi qu’un article de Bou-
troux).63 Ces pensées constituent un document important pour l’étude du développement de la
62 [Poincaré 1902l], page 47 : « Qu’est-ce au juste que ce continu sur lequel les mathématiciens raisonnent ? Beaucoup d’entre
eux, qui savent réfléchir sur leur art, l’ont fait déjà ; M. Tannery, par exemple, dans son Introduction à la théorie des fonctions d’une
variable ».
63 Pour plus d’informations sur la vie et l’œuvre de Jules Tannery, on pourra consulter quatre sources principales : d’une part, la
notice de Borel parue dans un numéro de la Revue du mois en 1911 [Borel 1911], et publiée en introduction à Science et philosophie
Henri Poincaré (1854-1912) : Des Mathématiques à la Philosophie 96
Retour aux Origines : Émile Boutroux et son Cercle
pensée de Tannery car on peut y lire les traces d’une interaction forte de ses idées avec celles
de Boutroux.
Dans son article d’hommage à Tannery, Boutroux s’attarde longuement sur la jeunesse du
mathématicien et sur leur parcours commun en tant que professeurs au lycée de Caen en 1871-
1872. C’est vers cette époque que Boutroux commence à préparer une thèse de philosophie
dont l’objet essentiel est de discerner dans quelle mesure le monde de la science coïncide avec
le monde de la vie. Les longues causeries amicales avec Jules Tannery et son frère devaient, à
l’en croire, bénéficier grandement à ce travail. Boutroux se souvient ainsi que Tannery parta-
geait certaines de ses idées philosophiques. Il devait les traduire un jour dans un sonnet qu’il
lui offrit :
Il faut en revenir aux doctrines antiques
Que le divin Lucrèce a dites dans ses vers,
Lui qui chassa les dieux, qui vida les enfers,
Et qui nous délivra de nos peurs fantastiques
Non ! Tout n’obéit pas aux lois mathématiques,
Et le nombre n’est pas le roi de l’univers :
Un jour, la liberté saura briser ses fers ;
Un jour, elle vaincra les forces mécaniques
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[Tannery J. 1911] ; d’autre part, la notice de Boutroux sur son ami, publiée dans En souvenir de Jules Tannery – Pensées [Tannery J.
1912] ; le discours prononcé par Lavisse aux obsèques de Tannery et reproduit dans le même ouvrage ; et enfin, l’éloge prononcé
par Émile Picard à l’Académie des Sciences le 14 décembre 1925 et reproduit dans son livre Éloges et discours académiques [Picard
1931]. À ces textes s’ajoutent diverses notices moins ambitieuses, publiées à la mort du mathématicien : en particulier [Boutroux
1911i], [Chatelet 1911], [Hovelaque 1911] et [Painlevé / Picard 1911].
64 Cité dans [Boutroux 1912f].
65 Voir par exemple ce fragment 93, [Tannery J. 1912], page 87 : « Si simples que soient les systèmes, ils ne seront jamais aussi
simples que la seule réalité est compliquée ». On pourrait d’ailleurs rapprocher cette pensée du fragment 117, pages 97-98 : « Il ne
faut jamais parler des fondements de nos connaissances : elles se lient entre elles d’une façon plus ou moins étroite et le tout se
tient dans le vide ».
66 Voir [Boutroux 1912f], pages 19-20 : « Il voyait des difficultés dans une foule de raisonnements qui nous paraissent l’évidence
même parce que nous y sommes habitués. Ce n’était pas subtilité ou sophistique juvénile. La numération arithmétique lui appa-
raissait très véritablement pleine de postulats et d’intuitions sensibles qui nuisaient à sa rigueur scientifique. Il avait un discer-
nement d’une finesse et d’une précision extrême touchant ce que l’on comprend véritablement et ce que l’on croit comprendre
parce qu’on le voit en imagination, ou qu’on croit le voir, et parce que les mots qui le disent se plaisent à marcher ensemble ».
67 [Tannery J. 1912], page 84.
Henri Poincaré (1854-1912) : Des Mathématiques à la Philosophie 97
Retour aux Origines : Émile Boutroux et son Cercle
Les pensées de jeunesse de Tannery obéissent aux lois du genre : aphorismes faciles (« pour-
quoi s’effraye-t-on donc plus de mourir que de vivre ? ») côtoient préceptes moraux et formu-
les d’inspiration socratique (« Il faut savoir quelque chose pour s’avouer qu’on est igno-
rant. ») ; tous ces fragments constituent un ensemble hétérogène au contenu relativement
convenu, ensemble que Tannery ne désirait d’ailleurs pas voir publié de son vivant. Pourtant,
pour le sujet qui nous intéresse, quelques fragments sortent du lot et dépassent le cadre du
simple exercice de style. Ainsi, dans le fragment 106, Tannery évoque le caractère formel du
langage scientifique, qui repose sur des signes et des symboles plutôt que sur des idées, et il
évoque le travail du savant qui arrange les signes dans un ordre qui lui plaît, qui tente de
« faire une belle phrase dont les membres sont bien joints ». Aucune perspective convention-
naliste dans ce passage, mais un avertissement sur le rôle du langage dans la science :
Ce qui donne à nos sciences cette clarté apparente qui nous éblouit parfois, ce semblant de
rigueur, de solidité, où nous nous reposons et dont nous sommes si fiers, c’est que nous rai-
sonnons sur des signes, sur des symboles, bien plus que sur des idées : nous arrangeons les
mots dans un ordre qui nous plaît ; ils se suivent, se lient les uns aux autres ; nous ressem-
blons à un auteur qui se réjouit d’avoir fait une belle phrase dont les membres sont bien
joints et qui est harmonieuse à l’oreille ; s’il nous prend fantaisie de vouloir aller au fond
des choses, de sonder les idées que l’on croit cachées sous les mots, de remonter aux princi-
pes, tout devient obscur.68
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Dans un autre fragment, Tannery paiera son tribut au spiritualisme en quelques courtes for-
mules qui seront reprises presque textuellement par Poincaré à la fin de La valeur de la science
(cf. citation page 69) : Tannery écrira ainsi que « nous ne sommes rien en dehors de la pensée »
(fragment 120) et il ajoutera que « nous ne pouvons pas sortir de nous-mêmes ; nous ne pen-
sons pas les choses, nous ne les sentons pas ; nous ne sentons que nos sensations, nous ne
pensons que nos pensées ».69
Toute sa vie, Tannery demeurera un proche parent, sur le plan intellectuel, de Boutroux. Il
continuera à mettre en avant le rôle de l’esprit dans la construction des notions géométriques,
il insistera sur la nature parfois arbitraire des symboles qu’utilise le savant dans ses théories ;
il affirmera également que l’idée d’un accord entre la théorie et l’expérience révélant la néces-
sité qui se trouve au fond des choses n’est qu’une croyance, qui peut certes être acceptée, mais
qui ne peut être scientifiquement justifiée ; enfin, à la manière de Poincaré, il soutiendra que
nous ne pouvons connaître des objets extérieurs que leurs rapports. En un mot, son œuvre
philosophique consistera surtout en une investigation sur les aspects constructivistes de la
création mathématique, en une exploration des limites de la connaissance scientifique ainsi
qu’en une critique du déterminisme mécanique, ce que Boutroux résumera en ces termes :
Il s’était convaincu que la merveilleuse rigueur dont sont susceptibles les mathématiques
s’obtient en dépouillant de tout élément concret les concepts sur lesquels elles opèrent. Que
fallait-il penser, dès lors, du rapport de notre science à une réalité, dont, apparemment, il ne
suffit pas de faire abstraction dans nos raisonnements pour qu’en elle-même elle cesse
d’exister ? De plus en plus Tannery se persuada que le déterminisme mécanique postulé
par notre science ne préjuge pas de la nature même de l’être, dont celle-ci, traduit à sa ma-
nière, les rapports humainement observables ; mais que, en même temps et par cela même
qu’elle s’adapte de son mieux aux choses, notre pensée est, elle-même, un être, possédant
ses aspirations, sa puissance, sa volonté de se réaliser suivant sa nature propre.70
68 [Tannery J. 1912], pages 92-93. Ce fragment serait à rapprocher d’un extrait de lettre de Jules Tannery à son frère Paul, datée
du 3 septembre 1874, dans laquelle il insiste sur l’importance du symbolisme mathématique et où il en appelle à la prudence :
« Certainement les symboles mathématiques présentent quelques avantages ; mais il est utile, si l’on ne veut pas arriver à des
conclusions absolument étonnantes, de se rappeler de temps en temps ce qu’ils veulent dire et de ne pas les employer générale-
ment dans des sens différents. Cette boutade est motivée par le mal que j’ai dû me donner pour voir clair dans des choses que
j’avais apprises jadis sans les approfondir et où ceux qui les enseignent s’amusent à escamoter toutes les difficultés. […] Toute-
fois, j’ai reçu une lettre de Boutroux où il me fait espérer qu’il sera mon collègue à Toulouse. Puissent les Dieux exaucer nos
souhaits communs ! Il y a effectivement une chaire de philosophie vacante ; mais elle est vivement ambitionnée par plusieurs et je
ne sais s’il pourra la pincer ». [Tannery P. 1912 / 1950], pages 430-431.
69 [Tannery J. 1912], fragment 121, page 99.
70 [Boutroux 1912f], page 32.
Henri Poincaré (1854-1912) : Des Mathématiques à la Philosophie 98
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C – Le dialogue Tannery-Poincaré
Lecteur infatigable, Tannery recensera pour le Bulletin des sciences mathématiques un nombre
incalculable d’ouvrages et il réservera l’essentiel de sa production philosophique à des revues
littéraires. C’est principalement dans ces comptes-rendus et dans ces articles que se dévoile-
ront ses conceptions philosophiques. Les rapprochements entre ces articles et certaines études
rédigées par Poincaré vers la même époque ne manquent pas et nous allons voir que la rela-
tion Tannery- Poincaré se situe moins dans un rapport de filiation intellectuelle que dans un
dialogue permanent.
Comme nous l’avons mentionné, l’œuvre philosophique de Jules Tannery se réduit à plusieurs
articles publiés dans diverses revues scientifiques ou littéraires. Un grand nombre de ces arti-
cles furent rassemblés en 1911 dans la compilation effectuée par Borel, Science et philosophie.
Cet ouvrage présente l’inconvénient de ne donner aucune information sur les dates ou sur les
lieux de publication des textes originaux ; ceci ne facilite guère les recherches et rend difficile
la prise en compte de l’évolution de la pensée du mathématicien. Cette situation se trouve
renforcée par le fait qu’il n’existe pas, du moins à notre connaissance, de bibliographie exhaus-
tive des travaux de Tannery. Dans ces conditions, nous n’exposerons que quelques moments
bien précis de son œuvre et nous tenterons de donner un bref aperçu, forcément sommaire, de
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son orientation philosophique par rapport aux travaux de Poincaré. Il va de soi que la pensée
de Tannery mériterait un traitement plus détaillé, mais tel n’est pas l’objet principal de notre
étude.
D’une manière générale, Tannery défendra des conceptions proches du conventionnalisme et
il acceptera la conception poincaréienne sur les fondements de la géométrie. À l’instar de
Poincaré, il appréciera la valeur des théories physiques à l’aune de leur simplicité et de leur
commodité. À l’instar de Poincaré, il insistera également sur le rôle et l’importance des symbo-
les dans la pratique scientifique et il mettra en évidence la dimension éminemment langagière
des théories. À l’instar d’Émile Boutroux, il s’opposera par ailleurs au déterminisme aveugle
ainsi qu’aux tentatives de réduction de la réalité à des formules mathématiques rigides. À
l’instar d’Émile Boutroux, enfin, il s’opposera à la psychophysique, à ses tentatives de réduc-
tion des phénomènes psychiques aux phénomènes physiques. Certains de ces thèmes se re-
trouvent, mêlés à d’autres, dans un article publié en 1895 dans la Revue de Paris, « Le rôle du
nombre dans les sciences ».71
1 – Le rôle du nombre dans les sciences
Il s’agit là d’un des textes philosophiques les plus importants de Tannery. L’auteur s’appuie
ici sur les travaux de Duhem et de Poincaré pour évaluer l’importance des mathématiques (du
‘nombre’) dans la pratique scientifique et pour fonder une conception pluraliste des théories
scientifiques. Il commence tout d’abord par porter son attention sur le problème de la corres-
pondance entre les objets extérieurs et les états de conscience, une correspondance qui fonde la
possibilité d’une connaissance du monde extérieur.
Lorsqu’on dit d’un objet qu’il est rouge, on veut bien-sûr dire que la sensation ‘rouge’ est en
nous. Mais on veut également signifier que quelque chose existe dans le monde indépendam-
ment de la pensée que nous en avons, et que ce quelque chose est rouge. Pourtant, il est diffi-
cile de justifier l’équivalence logique de nos états de conscience et des états du monde ‘objec-
tif’. Supposons par exemple deux univers, l’un qui sera l’univers réel, l’autre un univers ima-
ginaire, mais tel que « chaque phénomène qui s’y passe réponde exactement à un phénomène
du monde réel et réciproquement ». Dans ce cas, précis, rien ne pourra nous pousser à croire
qu’un de ces mondes possède une supériorité ontologique par rapport à l’autre. Au contraire :
Je n’ai, je ne puis avoir aucune raison de croire à l’existence du premier plutôt qu’à celle du
second ; je ne connais pas l’un plutôt que l’autre ; ils sont équivalents pour moi comme
deux livres écrits dans deux langues, mais dont l’un est la traduction exacte de l’autre. Bien
71 Nous utilisons ici la version publiée dans Science et philosophie, [Tannery J. 1911], pages 11-39.
Henri Poincaré (1854-1912) : Des Mathématiques à la Philosophie 99
Retour aux Origines : Émile Boutroux et son Cercle
comprendre cette équivalence, c’est comprendre en quoi notre connaissance du monde ex-
térieur est relative à nous, et comment elle est nécessairement relative, si parfaite qu’on la
suppose. On voit assez, sans que j’y insiste, que de ce point de vue, le débat sur la préfé-
rence qu’il convient d’accorder à une hypothèse scientifique sur une autre perd souvent
toute signification ; deux conceptions qui semblent très différentes s’équivaudront entière-
ment si l’on peut faire correspondre chaque élément de l’une à chaque élément de l’autre ;
elles s’exprimeront exactement par le même langage, si l’on convient de noter par les mê-
mes mots deux éléments correspondants des deux conceptions.72
L’influence de Duhem est ici manifeste et prend tout son sens lorsqu’on sait que quelques
pages plus loin Tannery reprend à son compte l’argument des parallaxes de Poincaré.73 À cette
influence s’ajoute d’ailleurs une forte tonalité kantienne, probablement héritée de Lachelier et
d’Émile Boutroux. Tannery semble prendre position pour une forme d’idéalisme spiritualiste
affirmant que le fond des choses est inaccessible, il n’y a de connaissance que par et pour
l’homme. En dehors de la pensée qu’on en a, le monde n’est rien ; les théories scientifiques ne
donnent accès qu’aux structures relationnelles du monde extérieur, son essence véritable de-
meurant inaccessible.
Tannery poursuit son étude en s’intéressant à la correspondance entre les objets mathémati-
ques et le monde extérieur. L’explication du monde est essentiellement une entreprise de ma-
thématisation : les théories scientifiques sont ainsi le plus souvent construites en substituant
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des nombres aux choses, c’est-à-dire en introduisant des mesures et des valeurs numériques.
Ce faisant, la science entend transférer sur la réalité extérieure des attributs propres aux objets
mathématiques : rigueur, univocité, nécessité, etc. À y regarder de près, la légitimité d’un tel
transfert ne paraît pas forcément évidente et on peut s’étonner que la correspondance entre les
mathématiques et le monde « ne nous jette pas dans d’inextricables complications où notre
intelligence ne puisse se débrouiller ».
Selon Tannery, cette correspondance ne peut se faire qu’au prix de nombreuses simplifica-
tions. Les explications possibles de la réalité sont nombreuses et cette multiplicité théorique
permet au moins de se rendre compte qu’une science du monde est possible. Cette science se
fonde sur la simplicité ; elle repose sur l’appréhension de correspondances qui se manifestent
par des formules simples, aisément saisissables par l’esprit humain :
La science du monde extérieur ne sera possible que si elle se résume en formules suffisam-
ment simples pour que notre esprit puisse les saisir ; l’œuvre essentielle du génie scientifi-
que sera donc, parmi les modes de correspondance entre les nombres et les objets exté-
rieurs, de choisir ceux qui conduisent à des lois simples. Que cela soit possible, au moins
dans une certaine mesure et entre certaines limites d’approximation, c’est un fait puisque la
science existe.74
Ainsi, bien avant les premiers textes canoniques de Poincaré sur la théorie de la science, Tan-
nery met en avant cette condition de simplicité. Une théorie scientifique doit exprimer de
manière simple des rapports réels complexes : cette simplicité n’est pas dans la nature ; c’est
l’esprit humain qui la crée en usant de symboles mathématiques et de schèmes de raisonne-
ment. La réalité est infiniment complexe et, à la limite, incompréhensible sans ces simplifica-
tions.
Passant ensuite en revue les sciences particulières, Tannery porte son attention sur la géomé-
trie et rend compte d’un des premiers travaux philosophiques de Poincaré : son article « Sur
les géométries non euclidiennes » publié dans la Revue générale des sciences pures et appliquées
en décembre 1891. Les conceptions pluralistes de Poincaré dans cet article s’accordent à mer-
veille avec ce que Tannery dit des théories scientifiques :
En d’autres termes, on peut concevoir diverses géométries, dont la géométrie dite eucli-
dienne, celle à laquelle nous sommes habitués et qui conserve la théorie ordinaire des paral-
lèles, n’est qu’un cas particulier. Ici encore, comme on l’a montré, la question de savoir si
l’une est plus vraie que l’autre ne se pose pas : elles sont équivalentes en ce sens qu’on peut
passer de l’une à l’autre, traduire l’une dans l’autre, et il n’y aurait lieu, pour l’étude du
monde extérieur, de rejeter la géométrie euclidienne, que s’il devait en résulter quelque im-
portante simplification.75
On peut ainsi constater que dès 1895, Tannery se faisait l’écho des recherches philosophiques
de Poincaré sur la géométrie. Il fut probablement l’un des premiers à rendre compte de ses
conceptions conventionnalistes et à les intégrer à ses réflexions sur la science (réflexions
d’ailleurs fortement favorables au conventionnalisme comme on a pu le voir à travers ses
écrits de jeunesse).
Cependant, la simplicité n’étend pas uniquement son empire sur les sciences les plus mathé-
matiques : sa juridiction s’applique également sur les sciences expérimentales : la cinématique,
la mécanique rationnelle, la théorie de l’électricité, la théorie de la lumière, la thermodynami-
que. À chaque fois, la finalité est évidente : parvenir à des définitions purement mathémati-
ques que l’on substitue aux choses et qui en donnent une représentation suffisamment simple.
Les phénomènes sont ainsi débarrassés de tout ce qui n’est pas mesurable par un processus
d’épuration et d’abstraction. Les principes des sciences sont donc des vérités issues de
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l’expérience, mais elles trouvent leur justification logique dans ce processus d’abstraction qui
met en avant la nécessaire simplicité des concepts scientifiques. Par exemple, la loi de conser-
vation de la masse ne trouve pas une correspondance exacte dans les phénomènes naturels ;
elle est une hypothèse, et elle vraie parce qu’elle est l’hypothèse la plus simple.
Des expériences grossières, faites avec des appareils imparfaits, ont donné d’abord l’idée de
l’invariabilité de la masse : elles permettaient seulement d’affirmer que la masse variait très
peu, mais comme il n’y a pas de loi mathématique plus simple que celle de la constance
d’un nombre, c’est à celle là qu’on s’est arrêté, et quand elle s’est trouvée en défaut, au lieu
d’admettre la variation de la masse, au lieu d’admettre en particulier qu’elle dépend de la
température ou de la pression atmosphérique, on s’est ingénié à réaliser des conditions
d’expériences où la constance de la masse fût conservée : regarder la masse comme cons-
tante est la meilleure hypothèse, parce qu’elle nous permet la représentation la plus simple
de l’univers : mais, logiquement, d’autres hypothèses, qui ne feraient que compliquer les
calculs, seraient tout aussi légitimes. Et, pour en finir avec ce sujet, que dire de ceux qui
prétendent justifier a priori le principe de conservation de l’énergie ? Il suffit de penser à la
complication des équations par lesquelles ce principe s’exprime pour sourire à l’idée d’une
justification métaphysique.76
La marche de la science est donc gouvernée par la recherche de la simplicité et de la commodi-
té. Dans les sciences expérimentales, les mathématiques jouent un rôle relativement modeste :
ce sont elles qui permettent de formuler des lois empiriques traduisant une correspondance
entre des tableaux de nombres obtenus par des mesures expérimentales.77 Les mathématiques
permettent en quelque sorte d’introduire la continuité au sein des phénomènes, elles fournis-
sent la possibilité de mesurer les phénomènes, de les quantifier, malgré les erreurs introduites
par les instruments de mesure.
supposition qui se retrouve expressément dans presque toutes les parties des sciences physiques. Quoique l’habitude de cette
continuité l’ait fait ériger en principe a priori, rien n’oblige à croire qu’elle soit essentiellement au fond des choses ; il nous est
simplement plus commode de la supposer, et il n’y a à cela nul inconvénient, si les discontinuités sont trop petites pour que nous
les observions ». [Tannery J. 1924], page 32.
Henri Poincaré (1854-1912) : Des Mathématiques à la Philosophie 101
Retour aux Origines : Émile Boutroux et son Cercle
On le voit donc bien, Tannery entreprend de souligner le rôle joué par le symbolisme dans les
sciences. Se situant explicitement dans le sillage de la pensée d’Émile Boutroux, il souligne la
dimension relative de la nécessité introduite par la science dans les relations entre les phéno-
mènes. Il anticipe également les développements de Poincaré sur la dimension linguistique
(‘langagière’) des théories scientifiques. Formuler une théorie ce n’est rien d’autre que se don-
ner un langage pour parler d’un phénomène naturel : ce langage n’est pas le seul possible ; il
existe un grand nombre de langages susceptibles de décrire le même état du monde et le choix
d’un système parmi d’autres est dicté par des considérations de simplicité et de commodité.
Qu’il s’agisse donc de la géométrie, de la mécanique, de l’astronomie, de la physique ma-
thématique, c’est toujours un chapitre spécial de la science des nombres qui porte le nom
d’un chapitre de la science du réel. Mieux une science est constituée, plus il apparaît nette-
ment qu’elle est une science de signes : ses définitions une fois admises, elle n’est plus
qu’une suite de déductions logiques, entièrement nécessaires ; mais il ne faut pas oublier
que cette nécessité logique qui y règne en maîtresse ne concerne que les signes ; rien
n’autorise à les transporter dans les choses, en lui conservant le même caractère. Le rôle que
jouent les mathématiques dans ces sciences ne doit pas faire illusion : sans doute, les déduc-
tions mathématiques sont d’une entière rigueur, mais à condition que l’on reste dans les
mathématiques ; tant que l’on y reste, on ne peut contester les conclusions, à moins de con-
tester la raison elle-même.78
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La thèse qui veut que les lois naturelles correspondent exactement à ce qui se produit au sein
des phénomènes relève donc plus de l’acte de foi que d’une proposition universellement va-
lide. L’accord de la théorie avec l’expérience est une illusion, une illusion qui perdure et que
l’on entretient parce qu’elle est commode.79
2 – Collaborations et hommages respectifs
À travers cet article il est possible de constater la profondeur des relations philosophiques
entre Poincaré et Tannery. Cette relation ne s'affaiblira d'ailleurs jamais puisque dans des
articles rédigés dans les dernières années de sa vie Tannery continuera de défendre une posi-
tion conventionnaliste similaire à celle de Poincaré. La lecture des comptes-rendus d’ouvrages
parus, rédigés par Tannery pour le Bulletin des sciences mathématiques constitue d’ailleurs un
assez bon indicateur de l’état des relations entre les deux hommes : d’une part, parce que les
références aux travaux de Poincaré y sont très fréquentes (et toujours élogieuses) ; d’autre part,
parce qu’une proportion non négligeable des ouvrages recensés favorablement par Tannery
font partie de la bibliothèque personnelle de Poincaré, cette bibliothèque que l’on peut recons-
truire indirectement en étudiant les jeux de références bibliographiques et les multiples ren-
vois qui animent son œuvre. Un rapide pointage dans Science et philosophie permet en effet de
constater l’existence de plusieurs parallélismes et de mettre à jour une sorte de réseau intellec-
tuel lié à ce tissu de références croisées.
En 1885, Tannery recense l’Étude critique sur la mécanique de Calinon ; nous verrons plus tard
que Poincaré et Calinon se rencontrèrent à plusieurs reprises et échangèrent même une cor-
respondance centrée autour des fondements de la mécanique. Vers 1896, Tannery rend compte
de l’Étude sur l’espace et le temps de Lechalas ; or, non seulement Poincaré connaissait les an-
78 [Tannery J. 1924], page 34. Tannery ne variera guère sur ce point puisque treize ans plus tard, en 1908, dans un article intitulé
« La méthode en mathématiques », il continuera de défendre une conception conventionnaliste proche de celle de Poincaré. Voir
ainsi [Tannery J. 1908a], page 9 : « Les objets réels que nous appelons points, droites…, ne sont pas les êtres abstraits que consi-
dère la géométrie ; ils s’en approchent assez pour que les erreurs soient négligeables pour nous. La géométrie que l’on applique
ainsi à la réalité concrète est la géométrie euclidienne, dont les axiomes ont un caractère si intuitif qu’on peut bien les regarder
comme faisant partie de notre conception du monde extérieur. Quant à la question de savoir si les autres géométries sont suscep-
tibles d’applications à la réalité, on me permettra de ne pas l’aborder. [suit une référence aux chapitres sur l’espace de La science et
l’hypothèse] ».
79 [Tannery J. 1924], page 35 : « Que l’on dise, si l’on veut, que cet accord nous révèle la nécessité qui est au fond des choses, et
qui en règle le cours, c’est une croyance comme une autre, et personne assurément ne cherchera dans les sciences des raisons
pour l’infirmer ; mais personne non plus n’a le droit de vouloir l’imposer au nom de la science : il faut s’entendre sur cet accord,
admirable à coup sûr, entre les résultats de la théorie et ceux de l’expérience : encore une fois, il n’est qu’approché, et il ne peut
être qu’approché, puisqu’une mesure ne peut être qu’approchée ; pour le physicien, il est parfait lorsque la différence entre les
résultats de la théorie et de l’expérience n’est pas plus grande que les erreurs que comporte l’expérience ».
Henri Poincaré (1854-1912) : Des Mathématiques à la Philosophie 102
Retour aux Origines : Émile Boutroux et son Cercle
ciens travaux sur Lechalas sur la géométrie générale publiés dans la Revue philosophique et
dans La critique philosophique en 1889-1890 (puisqu’il les citait dans son article de 1891 sur les
géométries non euclidiennes), mais il devait également être amené à dialoguer avec lui, en
prenant position dans la longue controverse autour des fondements de la géométrie qui anima
la Revue de métaphysique et de morale dans les années 1893-1900. Dans le même esprit, Tannery
commentera élogieusement les Leçons de mécanique physique d’Andrade, leçons qui, quelque
temps plus tard, feront l’objet d’un commentaire non moins favorable de Poincaré dans sa
conférence sur « Les principes de la mécanique », prononcée en 1900 au Congrès International
de Philosophie. Enfin, Tannery rendra compte de deux ouvrages de Freycinet, Sur les principes
de la mécanique rationnelle (1902) et De l’expérience en géométrie (1903) ; or, comme on peut
l’apprendre dans une correspondance inédite entre Poincaré et Xavier Léon (cf. page 165, ainsi
que la Lettre 8 page 378), c’est à ce même Freycinet que Poincaré désirera faire l’hommage des
tirés-à-part de ses articles publiés dans la Revue de métaphysique et de morale.80
Cette liste de parallèles n’est pas exhaustive et pourrait être prolongée. Elle montre, nous sem-
ble-t-il, que Poincaré, membre de la Société mathématique de France et lecteur régulier du
Bulletin des sciences mathématiques, devait souvent trouver dans les comptes-rendus de Tannery
la matière de ses propres réflexions. Le dialogue entre les deux hommes ne se réduira
d’ailleurs pas à ce subtil jeu de références bibliographiques. En 1902, Poincaré rédigera en effet
tel-00137859, version 1 - 22 Mar 2007
son rapport sur les titres de Tannery afin de justifier sa candidature à l’Académie des Scien-
ces.81 En quelques pages, Poincaré exposera les thèmes principaux de l’œuvre de Tannery en
mettant en avant leur importance pour le monde de la culture et de la science. Le style de ce
rapport est très impersonnel et Poincaré n’y livre aucune information sur la nature de ses
relations personnelles et intellectuelles avec Tannery. Cependant, on peut remarquer que
certains des commentaires qu’il fait à propos des travaux de Tannery pourraient tout aussi
bien s’appliquer aux siens propres. En témoigne par exemple ce qu’il écrit à propos de l’article
sur le rôle du nombre dans les sciences :
D’après lui nous ne pouvons connaître des objets extérieurs que leurs rapports, de sorte que
deux univers où ces objets seraient différents mais liés par les mêmes rapports nous appa-
raîtraient comme identiques. Il n’y a donc de science que des rapports, et le nombre est évi-
demment pour notre esprit l’expression de ces rapports. C’est pour cela que plus une
science se développe, plus on y voit grandir le rôle du nombre. Mais la science du nombre
est impuissante à nous renseigner sur la réalité de ces rapports que l’expérience seule peut
nous révéler ; la certitude de nos prévisions n’est donc pas fondée sur la rigueur inhérente à
la Mathématique mais sur notre croyance instinctive à l’ordre universel. D’autre part, notre
science, fut-elle parfaite ne serait encore qu’un symbole de la réalité ; elle ne nous ferait pas
connaître cette réalité en soi ; elle est incapable de l’expliquer et même d’expliquer pour-
quoi ce système de nombres qui constitue la science représente le système de sensations que
le moi éprouve plutôt que tout autre.82
De son côté, Tannery rédigera pour le Bulletin des sciences mathématiques, à l’occasion de la
publication de La valeur de la science, un article sur la philosophie de Poincaré. Dans ce court
article, il donnera un aperçu très élégant de la pensée poincaréienne83 et il fera ressortir les
relations qui l’unissent avec ses propres travaux. Ainsi, il insistera beaucoup sur la recherche
de la simplicité et de la commodité qui caractérise la marche de la science, et il tiendra à mon-
trer la dimension anthropomorphique de toute connaissance scientifique.
80 Il ne nous a pas été possible d’étudier les relations entre Poincaré et Freycinet, mais il semble qu’il y ait là une piste de recher-
che intéressante. Sur Freycinet, on consultera la bibliographie partielle page 313.
81 Voir page 94 ; voir également l’annexe page 372.
82 [Archives de l’Académie des Sciences], « Rapport sur les titres de M. Jules Tannery. Séance du 27 janvier 1902 », dossier Jules
Tannery.
83 [Tannery J. 1911], page 68 : « On s’est parfois effrayé de son scepticisme ; il secoue toutes les conventions, bouscule ceux qui
dormaient dessus dans une pose solennelle ; il cogne joyeusement sur les principes, pour entendre s’ils sonnent creux ; il n’a
aucun respect pour les coffres-forts, avant d’avoir regardé dedans et examiné curieusement les titres qu’ils contiennent ; peut-être
s’est-il amusé parfois de la mine effarée des gens qu’il a éblouis en jetant une lumière trop vive sur la relativité de nos connais-
sances ».
Henri Poincaré (1854-1912) : Des Mathématiques à la Philosophie 103
Retour aux Origines : Émile Boutroux et son Cercle
Ainsi, c’est, au fond, notre propre commodité, la facilité pour notre intelligence de cons-
truire son schéma de l’univers, qui décide de la valeur des principes de la Science.
L’homme reste, suivant la parole du sophiste grec, la mesure de toutes choses. Je crois bien
qu’il ne faut pas s’effrayer de cette sorte de conclusion ; elle n’implique nullement la ruine
du réalisme, si l’homme n’est pas séparé des choses, si c’est en lui qu’elles prennent cons-
cience, qu’elles deviennent intelligibles.84
Il n’est donc de science que par et pour l’homme. Toute connaissance est relative à la manière
dont l’homme s’ancre dans le monde ; elle dépend de la phylogenèse de l’espèce. Poincaré
s’est beaucoup inspiré des idées évolutionnistes, notamment dans ses considérations sur la
genèse psycho-physiologique de la notion de groupe et du concept d’espace. Tannery ne
l’ignore pas et appuie même ses conceptions.
Le rôle accordé par Poincaré à la convention est-il exagéré ? Ce rôle doit-il s’interpréter comme
le règne de l’arbitraire le plus radical au sein des sciences ? Selon Tannery, il n’est pas faux de
dire que la science est un discours, un jeu de définition. Cependant, il ne faut pas croire que
cet arbitraire gouverne toute la science et la transforme en une discipline purement a priori qui
n’a plus aucun lien avec le contrôle expérimental. Cet arbitraire ne se confond pas avec le
caprice d’un individu particulier, mais concerne, au contraire, l’ensemble des acteurs scientifi-
ques d’une communauté disciplinaire. De plus, la vérification empirique est toujours possible
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(et nécessaire) puisque l’élément conventionnel n’intervient que dans les définitions données
au commencement d’une théorie.
[…] Quand la Science s’organise sous une forme logique, il faut bien mettre les définitions
au commencement ; à celui qui débute, ces définitions peuvent sembler arbitraires, et c’est,
très souvent, l’ensemble même des déductions, l’accord des conclusions avec la réalité ex-
périmentale, qui justifient ces définitions au moins d’une façon provisoire. Sans rien retirer
de ce qu’il avait dit auparavant, M. Poincaré montre clairement que, si la Science est rela-
tive à l’homme, elle n’est pas relative à un individu, ni à un savant particulier, au vouloir
propre de ce savant, qu’elle n’est pas une œuvre artificielle mais bien le produit naturel
d’une entente.85
Cette référence à une entente mutuelle entre scientifiques concernant l’utilisation des conven-
tions est essentielle. Si on ne prend pas en compte le rôle normatif joué par la communauté
scientifique on déforme la pensée poincaréienne. Une convention n’a aucune valeur si elle ne
concerne qu’un seul individu ; toute convention doit avoir une valeur intersubjective, elle doit
pouvoir être communiquée et acceptée par l’ensemble d’une communauté scientifique. Il ne
s’agit donc pas d’un caprice individuel.
(1874) et, d’autre part, véritable prolongement de sa thèse, son livre De l’idée de loi naturelle
dans la science et la philosophie contemporaines (1894). Avant d’analyser ces deux ouvrages, il est
nécessaire de dire quelques mots sur la vie de Boutroux.
A – À propos d’Émile Boutroux
1 – Petite biographie
Émile Boutroux naît à Montrouge (Seine) le 28 juillet 1845. Fils d’un fonctionnaire de l’octroi,
petit-fils d’avocat, il est l’aîné d’une famille de trois frères. Il fait ses études au lycée Henri IV à
Paris ; il y est plusieurs fois lauréat du Concours Général (il obtient le premier prix de philo-
sophie et le premier prix de dissertation française). Il reçoit une éducation religieuse (catholi-
que) fortement teintée de jansénisme à l’église Saint-Étienne du Mont ; ceci explique peut-être
son intérêt pour la pensée de Pascal, à laquelle il consacrera un de ses ouvrages. À la diffé-
rence de Jules Tannery, il conservera la foi toute sa vie.86
Il intègre l’École Normale Supérieure en 1866 (avec un très bon rang puisqu’il est quatrième)
où il suit les cours Jules Lachelier, qui deviendra par la suite son maître et son confident. C’est
à l’École Normale qui fait la connaissance de Louis Liard et de Jules Tannery. En 1868, il est
reçu quatrième à l’agrégation de philosophie et il est aussitôt nommé répétiteur à l’École Pra-
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tique des Hautes Études. L’année suivante, il est chargé par le Ministre de l’Instruction Publi-
que Victor Duruy – et manifestement à l’instigation de Félix Ravaisson – d’un voyage d’étude
en Allemagne pour y observer l’organisation du travail universitaire. Il part donc à Heidelberg
en 1869 mais, chassé par la guerre, il se verra contraint de rentrer en France en 1870.
Le 30 septembre 1870, il est nommé professeur de philosophie au lycée de Caen, en remplace-
ment du philosophe François Évellin (qui échangera lui-même une correspondance avec Poin-
caré : voir page 149) : il y retrouve son ami Tannery et c’est à lui qu’il soumettra les premiers
brouillons de sa thèse. De santé fragile, Boutroux alternera toute sa vie périodes
d’enseignement et de congés (il sera ainsi en un congé d’inactivité en 1872-1873).87 Le 14 dé-
cembre 1874, il est nommé chargé de cours à la Faculté des Lettres de Montpellier ; il y donne-
ra un cours sur la philosophie stoïcienne et, surtout, un cours sur la philosophie allemande qui
marquera son retour vers Kant, dans le sillage de Lachelier. Le 20 août 1876, il est nommé
professeur à la Faculté des Lettres de Nancy et, de même, son cours porte sur l’histoire de la
philosophie en Allemagne, en Angleterre et en France. C’est dans cette ville qu’il rencontrera
86 Sur la vie d’Émile Boutroux, on consultera la thèse de Mathieu Schyns, La philosophie d’Émile Boutroux [Schyns 1923], dont la
partie biographique est fort bien documentée. On pourra également lire la notice qui lui est consacrée dans le Dictionnaire de
biographie française, dans le Dictionnaire du XIXème siècle ainsi que dans le livre de Christophe Charle, Les professeurs de la Faculté des
Lettres de Paris : dictionnaire biographique 1809-1908, volume 1, pages 35-36 [Charle 1985a]. Ces lectures peuvent être complétées
par les diverses notices rédigées à la mort du philosophe, notamment [Chazel 1921], [Doumergue 1921], [Essertier 1922], [Lenoir
1922], [Millioud 1922], [Monnier 1922], [Roure 1922] et [Werner 1921]. Mentionnons enfin la côte 22028 du Fonds F17 (Archives
Nationales), qui contient le détail de la carrière de Boutroux, ainsi que sa déclaration de succession conservée à Paris, aux Archi-
ves de l’Enregistrement.
Concernant la pensée de Boutroux, la thèse de Schyns s’impose également, tout comme celle de Claude Teisseire, Le thème du
dynamisme et de l’esprit chez Ravaisson, Lachelier et Boutroux [Teisseire 1977]. On consultera également les travaux de Paul Archam-
bault (Émile Boutroux – choix de textes avec une étude sur l’œuvre [Archambault 1920]), Crawford (The Philosophy of Émile Boutroux as
Representative of French Idealism in the Nineteenth Century [Crawford 1924]), A. P. La Fontaine (La philosophie d’Émile Boutroux [La
Fontaine 1920]), ainsi que ceux de Paul Gaultier, notamment son chapitre sur le philosophe dans le livre Les maîtres de la pensée
française [Gaultier 1920]. Notons enfin que l’œuvre de Boutroux semble susciter un regain d’activité depuis quelques années ; en
témoignent les récents articles de Pascal Engel « Plenitude and Contingency : Modal Concepts in Nineteenth Century Philoso-
phy » [Engel 1988] et de Fabien Capeillères, « Généalogie d’un néokantisme français : à propos d’Émile Boutroux » [Capeillères
1998].
87 Lachelier donnera de nombreux conseils « d’hygiène de vie et de travail » à son élève. Ainsi, dans une lettre du 7 décembre
1871 : « Ensuite, il y a une considération qui doit dominer toutes les autres, c’est celle de votre santé : votre carrière même en
dépend ; si vous continuez à vous fatiguer comme vous le faites et à ne pas dormir, vous serez obligé de vous arrêter avant la fin
de l’année, et l’on craindra, à la rentrée prochaine, de vous confier une classe un peu importante. Voici en conséquence mon
conseil ou plutôt ma consultation : il faut absolument renoncer au travail, non seulement de la nuit, mais du soir, et vous inter-
dire de penser depuis 6 heures du soir jusqu’à 6 heures du matin ; autrement, quand même vous vous coucheriez à 10 ou 11
heures, votre sommeil serait toujours compromis par l’excitation cérébrale du travail qui l’aurait précédé ». [Lachelier 1933], page
78.
Henri Poincaré (1854-1912) : Des Mathématiques à la Philosophie 105
Retour aux Origines : Émile Boutroux et son Cercle
ainsi en 1880 une édition commentée et annotée de la Monadologie de Leibnitz, édition accom-
pagnée d’une note terminale de Poincaré sur la mécanique cartésienne et leibnitienne (il
s’intéressera d’ailleurs à nouveau à Leibnitz en 1886 en proposant une édition de l’avant-
propos et du livre premier de ses Nouveaux essais sur l’entendement humain). Pour la Grande
Encyclopédie, il écrira également deux articles importants sur Aristote (1886) et sur Kant (1895)
et, suite à un voyage d’études en Écosse, il publiera un grand article sur « L’influence de la
philosophie écossaise sur la philosophie française ». Enfin son livre sur Pascal, publié en 1900,
deviendra un classique.
Collaborateur de la première heure de la Revue de métaphysique et de morale, habitué des colon-
nes de la Revue des cours et conférences et de la Revue politique et littéraire, Boutroux occupera
une place centrale dans la vie intellectuelle française et certains de ses articles exerceront une
influence dépassant largement le cercle restreint de la communauté philosophique : ce sera
par exemple le cas de son « Rapport sur la philosophie en France depuis 1867 »89, dans lequel il
paiera non seulement son tribut à Ravaisson (auteur en 1867 d’un célèbre « Rapport sur la
philosophie en France ») mais où il prendra acte de la naissance de nouveaux courants issus
de la philosophie et en voie d’autonomisation (psychologie, sociologie, etc.). Boutroux s'inté-
ressera également à la pédagogie de l’enseignement philosophique et moral (il sera d’ailleurs
président du jury d’agrégation de philosophie durant de nombreuses années) et ses conféren-
ces sur ce sujet seront rassemblées dans un volume intitulé Questions de morale et d’éducation
(1895).
Philosophe reconnu et très productif (en pourra en juger d’après la bibliographie non exhaus-
tive reproduite à la fin de ce travail), Boutroux participera à de nombreux congrès philosophi-
ques internationaux, à commencer par le premier Congrès International de Philosophie de
Paris en 1900, où il traitera de l’objet et de la méthode de l’histoire de la philosophie. Profon-
dément croyant90, ami de Pierre Duhem et de Gustave Le Bon, il collaborera à plusieurs repri-
ses aux conférences Foi et vie organisées par Paul Doumergue, côtoyant ainsi occasionnelle-
ment Bergson ou Poincaré. Son livre Science et religion dans la philosophie contemporaine, dans
lequel il tentera de prolonger ses analyses sur les rapports entre le monde de la science et celui
88 Celle-ci devait acquérir une certaine notoriété en traduisant en français plusieurs ouvrages publiés aux États-Unis, notam-
ment : Les Français au cœur de l’Amérique (1916), avec une préface de Gabriel Hanotaux, et le livre de J. H. David, La crise de la
démocratie aux États-Unis (1918).
89 [Boutroux 1908a].
90 Au point que le Dictionnaire biographique des universitaires aux XIXème et XXème siècles le définit comme un ‘chrétien antique’.
de la vie morale et spirituelle, remportera un certain succès et on verra même son auteur pré-
sider le quatrième Congrès du Progrès Religieux à Paris en 1913.
Malgré ses ennuis de santé, Boutroux consacrera une grande partie de son temps à voyager à
l’étranger : en 1904, il retourne en Écosse, où il donne deux séries de leçons sur « La nature et
l’esprit », ainsi qu’une conférence sur « Le positivisme d’Auguste Comte ». En 1908, on le
retrouve à Londres, au Congrès d’Éducation Morale ; en 1909, il est à Genève et en 1910 à
Harvard où il fait un cours sur le thème « Contingence et liberté ». En 1913, il retourne aux
États-Unis pour assister à l’inauguration du Graduate College de l’Université de Princeton.
Preuve de cette renommée internationale, ses ouvrages seront traduits et publiés à l’étranger :
son livre sur Pascal sera traduit en russe en 1902 ; sa thèse sera traduite en allemand en 1907,
tout comme son livre De l’idée de loi naturelle dans la science et dans la philosophie contemporaines.
L’épisode de la candidature de Poincaré à l’Académie Française est particulièrement éclairant
sur la nature de ses relations avec Poincaré. À la mort de Marcelin Berthelot en 1907, le ma-
thématicien se porte candidat sur son fauteuil. Redoutant une éventuelle future candidature
de leur ennemi politique Raymond Poincaré, une partie des académiciens de droite, menée
par le Comte d’Haussonville, se ralliera massivement à la candidature du mathématicien,
persuadé que la coupole ne pourrait jamais abriter deux membres de la même famille. Henri
Poincaré sera donc élu le 5 mars 1908, mais les calculs de ses électeurs se révéleront erronés
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puisque son cousin fera finalement son entrée dans l’institution en mars 1910. Dans ce
contexte très politique, la candidature simultanée d’Émile Boutroux sur le fauteuil du poète
Sully Prudhomme ajoutera encore un peu à l’effervescence ambiante. Le 16 novembre 1907,
Aline Boutroux écrira ainsi à son frère concernant cette candidature de son mari :
Mon cher Henri.
En reparlant avec Émile de notre conversation d’hier, je juge que je me suis trouvée, en vou-
lant atténuer une de ses paroles, l’accentuer au contraire au point de dépasser sa pensée.
Il avait dit : ‘Je n’ai rien fait et je ne ferai rien’. Cela voulait dire : ‘Je n’irai pas au devant. Je
resterai dans mon coin. Mais si on venait m’y chercher, qu’on me dise que ma candidature
au fauteuil de Sully Prudhomme a des chances sérieuses de succès, et qu’on m’assure
d’ailleurs qu’elle ne nuirait en rien à la tienne au fauteuil Berthelot, alors je ne dis pas…’
Moi, bêtement, j’ai ajouté : ‘Cela veut dire qu’Émile ne sera pas candidat si les deux élec-
tions ont lieu le même jour, mais cela ne veut pas dire qu’il ne se présentera pas si la tienne
a déjà eu lieu’. Tu vois que ce n’est pas tout à fait la même chose. Il est certain que si
l’Académie jugeait qu’il n’y a pas d’inconvénient à ce que vous soyez simultanément can-
didats à des fauteuils différents, il n’y aurait pas lieu d’être plus royaliste qu’elle-même.
Si cela arrivait et que vous soyez élus tous les deux, ce serait un des 3 ou 4 plus beaux jours
de ma vie. Mais cela n’arrivera sans doute pas. Si tu es élu ce sera déjà un très beau jour
pour nous et nous oublierons ces pénibles coïncidences.
Je vous embrasse tous tendrement.
Aline.91
Poincaré devra finalement son élection aux conseils avisés du Comte d’Haussonville
l’enjoignant à reporter sa candidature sur le fauteuil de Sully Prudhomme. Non seulement,
Boutroux ne sera pas élu cette année là mais c’est lui qui sera chargé par ses amis académi-
ciens de communiquer à Poincaré le mot d’ordre lui permettant de remporter l’élection. Il le
fera dans une lettre datée du 30 novembre 1907, la seule lettre connue entre les deux hommes :
30 mai 07
Mon cher Henri,
Haussonville me charge de t’engager de sa part à te reporter sur le fauteuil de S. P. [Sully
Prudhomme] et sera très heureux de te voir si tu peux aller lui faire visite.
Nous vous embrassons.92
Raymond Poincaré sera élu à l’Académie Française en 1912 et Boutroux fera finalement son
entrée sous la coupole le 22 janvier 1914.
Très modéré dans ses opinions politiques, Boutroux ne prendra guère position dans les grands
débats idéologiques sonnant la fin du XIXème siècle. Durant l’affaire Dreyfus il s’engagera en
faveur d’une position légaliste et neutraliste, en signant, le 24 janvier 1899, aux côtés de Henri
Poincaré et de Raymond Poincaré, l’Appel à l’Union d’Ernest Lavisse demandant aux parti-
sans du droit et de la justice d’accepter l’arrêt de la Cour de Cassation, quel qu’il soit.93 Durant
la guerre de 14-18, il affichera de profondes convictions patriotiques en s’engageant contre la
‘barbarie savante’ des Allemands.94
2 – Le voyage à Heidelberg
Suivant les conseils de Duruy, de Ravaisson (alors Inspecteur Général de l’Enseignement Su-
périeur) et de Paul Janet (professeur de philosophie à la Sorbonne), Boutroux part en Allema-
gne afin d’y mener une étude sur l’organisation de l’enseignement supérieur. Ce séjour effec-
tué de 1868 à 1870 s’avérera déterminant pour la formation de son esprit. À Heidelberg, il
suivra les enseignements de l’historien Heinrich Treitschke (1834-1896), de l’historien de la
philosophie Édouard Zeller (1814–1908) et du scientifique Hermann von Helmholtz.
Durant tout son séjour, Boutroux restera en relation avec son maître Lachelier. Les lettres
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qu’ils s’enverront tourneront autour de l’enseignement dans les universités allemandes, des
projets de traduction ou de l’état de santé du jeune normalien. Lachelier prodiguera de nom-
breux conseils à son élève, agrémentant parfois ses propos de commentaires religieux. Jules
Lachelier est catholique et avec Boutroux il partage une conception du catholicisme qui est
fortement incompatible avec l’esprit du protestantisme libéral qui règne en Allemagne. Lache-
lier ne manque pas de faire connaître son opinion à son jeune élève.95 Catholique pratiquant et
engagé (ses collaborations nombreuses avec la revue Foi et vie en sont une preuve), Boutroux
tentera durant toute sa vie de concilier le questionnement philosophique, empreint de doute,
avec la nécessité métaphysique de la croyance en Dieu.
Pendant son séjour en Allemagne, Boutroux enverra plusieurs rapports au Ministre de
l’Instruction Publique Victor Duruy.96 Ils constituent une source précieuse d’information : non
seulement ils permettent de comprendre le processus de maturation intellectuelle du jeune
philosophe, mais certains passages offrent également des ‘instantanés’ des relations universi-
taires entre la France et l’Allemagne dans un contexte pour le moins troublé. Ainsi apprend-
on, par exemple, que Boutroux entretient de fort bonnes relations les professeurs de
transfert. Il a même dit : ‘il nous met dans le plus terrible embarras : hier Mézières était furieux’ – Mais je croyais que M. Mézières
lui-même lui avait dit qu’il pouvait attendre. – Non, il ne faut pas attendre. Je vous charge de lui dire qu’il faut qu’il envoie sa
lettre avant jeudi, au plus tard’. Voilà. Je m'acquitte fidèlement de la commission et je vous embrasse tous ». [Document ACERHP
microfilm 3]. Lettre d’Aline Boutroux à Henri Poincaré.
93 Voir [Rollet 1998a]. Il sera question de cet Appel à l’Union dans le dernier chapitre de ce travail (cf. page 259).
94 Voir [Charle 1985a], page 36. Notons que Boutroux était ami avec Duhem et que celui-ci écrivit en 1916 un violent pamphlet
charge pas de les défendre. D’ailleurs tout ce que vous me dites de leur esprit, et en particulier, de leur esprit religieux, m’en ôte
toute envie. J’ai le plus profond respect pour le protestantisme orthodoxe, qui, quelles que puissent être ses erreurs de doctrine,
n’est, en définitive, qu’un catholicisme plus réfléchi et plus personnel ; mais le protestantisme libéral me paraît tout simplement
une forme de l’esprit révolutionnaire, c’est-à-dire de l’esprit de négation et de destruction universelle. Les sophismes à l’aide
desquels nos jurisconsultes justifient la spoliation des Écoles catholiques, sont peut-être au fond aussi coupables que la rhétorique
de ruisseau des rédacteurs de la Marseillaise ; cependant, je ne puis m’empêcher de trouver qu’ils appartiennent à des mœurs
politiques un peu plus élevées, et qu’ils sont, au moins, dans le présent, moins dangereux pour l’ordre social […] ». Lettre datée
du 13 septembre 1870, citée dans [Lachelier 1933], page 69.
96 Il est difficile de déterminer combien de rapports furent envoyés par Boutroux au ministère. Il est cependant possible d’en
consulter deux aux Archives Nationales. Ces rapports sont conservés dans le fonds F17 (le fonds du Ministère de l’Instruction
Publique) sous la côte 22028. Ce dossier administratif sur Boutroux contient la plupart des documents concernant sa carrière.
Nous donnons le texte intégral de deux rapports mentionnés en annexe (voir page 366). Il est à noter que Boutroux publiera deux
articles sur son voyage en Allemagne : « Une conférence littéraire à Heidelberg », Revue politique et littéraire (21 mai 1870), page
399 [Boutroux 1870] et « La vie universitaire en Allemagne », Revue politique et littéraire (2 décembre 1871), page 542 [Boutroux
1871].
Henri Poincaré (1854-1912) : Des Mathématiques à la Philosophie 108
Retour aux Origines : Émile Boutroux et son Cercle
tement probable, surtout lorsqu’on sait que Boutroux devait assister à une des conférences de
Helmholtz sur la géométrie, « Über den Ursprung und die Bedeuntung der geometrischen
Axiome » (voir à ce sujet la note 99 du présent chapitre).
Dans ses rapports, Boutroux constate que l’enseignement supérieur en Allemagne est d’un
niveau inférieur à celui qui se pratique dans les universités françaises, en partie parce qu’il n’y
a pas de séparation très nette entre l’enseignement secondaire et l’enseignement supérieur. Les
cours d’université, du moins au début du cursus, ressemblent beaucoup aux cours des lycées.
Cependant, cette faiblesse est compensée par une meilleure organisation des études et par une
plus grande synergie entre les différentes disciplines enseignées :
Lundi prochain les professeurs que je connais déjà vont me présenter à leurs collègues, et je
pourrai alors assister chaque semaine à la réunion scientifique qui a lieu entre les profes-
seurs. Je profiterai ainsi d’une institution qui est excellente, et que nous devons, ce me sem-
ble, beaucoup envier aux Allemands. Par suite des relations continuelles qui existent entre
les professeurs des différentes branches, chacun s’habitue à apprécier même les objets
d’étude dont il ne s’occupe pas spécialement, à comprendre la Solidarité de toutes les par-
ties de la Science, et, tout en concentrant ses recherches sur une question particulière, à em-
prunter aux Sciences voisines tout ce qui peut répandre quelque lumière sur cette ques-
tion.99
Cette mise en valeur de la collaboration interdisciplinaire est accompagnée d’une critique
assez virulente à l’encontre du système français. Boutroux affirme en effet qu’il ne voit pas
d’échange d’idées, à l’École Normale, entre les Littéraires et les Scientifiques, et que cette sépa-
ration, qui existe déjà à l’École, devient, dans la suite, plus profonde encore. Il conclut sur cette
part du rapport du 3 mars de la même année : « Une Université, disent les Allemands, ce n’est pas seulement un établissement où
les représentants des différentes sciences sont à côté les uns des autres (Zusammensein) ; il faut de plus que tous ces chercheurs
unissent leurs efforts, travaillent de concert (Zusammenwirkung) à découvrir la vérité, qui est essentiellement une. Aussi voit-on ici
les professeurs s’intéresser aux choses en apparence les plus étrangères à leurs études. M. Helmholtz a fait dernièrement devant
les professeurs une conférence sur les principes de la géométrie : un théologien, un philologue ont demandé des éclaircissements.
M. Zeller a fait avant hier une conférence sur les sophistes : des théologiens, des juristes et M. Helmholtz lui-même ont pris part à
la discussion qui suit toujours la conférence ». La conférence de Helmholtz dont il est fait mention est certainement « Über den
Ursprung und die Bedeutung der geometrischen Axiome », publiée dans le volume 2 de Vorträge und Reden, cinquième édition.
(Braunschweig : Friedrich Vieweg und Sohn), 1902. Nous avons longuement parlé de cette conférence dans le premier chapitre de
cette thèse (voir en particulier page 34).
Henri Poincaré (1854-1912) : Des Mathématiques à la Philosophie 109
Retour aux Origines : Émile Boutroux et son Cercle
question, traitée par l’un des métaphysiciens les plus éminents de l’Allemagne, m’a paru
présenter un vif intérêt.102
Le voyage d’étude de Boutroux en Allemagne ne constitue pas un épiphénomène au sein de la
communauté philosophique française.103 Déjà en 1833, à la suite d’un voyage de six semaines,
Victor Cousin avait rédigé un Rapport sur l’instruction publique dans quelques pays de l’Allemagne
et particulièrement en Prusse. Constatant l’absence institutionnelle d’universités dans la France
de l’après Restauration, Cousin défendait dans ce texte une conception renouvelée de
l’institution universitaire fondée sur le modèle allemand :
Il est inouï de voir, en France, les diverses Facultés dont se compose une Université alle-
mande séparées les unes des autres, et comme perdues dans l’isolement. En vérité, si l’on se
proposait de donner à l’esprit une culture exclusive et fausse, si l’on voulait faire des lettrés
frivoles, des savants sans lumières générales, des procureurs et des avocats au lieu de juris-
consultes, je ne pourrais indiquer un meilleur moyen, pour arriver à ce résultat, que la dis-
sémination des Facultés. Hélas ! Nous avons une vingtaine de misérables facultés éparpil-
lées sur la surface de la France, sans aucun vrai foyer de lumière. Hâtons-nous de substi-
tuer à ces pauvres facultés de province, partout languissantes et mourantes de grands cen-
tres scientifiques rares et bien placés, quelques Universités, comme en Allemagne, avec des
facultés complètes, se prêtant l’une à l’autre un mutuel appui, de mutuelles lumières, un
mutuel mouvement.104
Cet extrait du rapport de Cousin préfigure en grande partie l’admiration pour le modèle uni-
versitaire allemand qui se mettra en place dans les années 1870.
100 En 1848 Ernest Renan critiquait déjà le système d’instruction publique français et insistait sur la supériorité du système mis
en place dans les universités allemandes : « Il n’entre pas dans mon plan de rechercher jusqu’à quel point le système d’instruction
publique adopté en France est responsable du dépérissement de l’esprit scientifique. Il semble pourtant que le peu d’importance
que l’on attache parmi nous à l’enseignement supérieur, le manque total de quelque institution qui corresponde à ce que sont les
universités allemandes en soit une des principales causes ». [Renan 1848 / 1925], pages 110-111.
101 Dans une lettre à Ravaisson, le Ministère écrira ainsi : « Tout en invitant M. Boutroux à continuer ses envois et en l’assurant
de l’intérêt que je prends à ses travaux, vous ne jugerez sans doute pas hors de propos [illisible] de mettre le jeune savant en
garde contre certaines appréciations empruntées au journalisme étranger et qu’il prend la peine d’analyser dans son mémoire ».
Lettre conservée dans le fonds F17, côte 22028.
102 [Archives Nationales], F17, 22028, rapport du 28 janvier 1869.
103 Sur cette question, on pourra se reporter au livre de Hélène Barbay-Savy, Le voyage de France en Allemagne de 1871 à 1914
[Barbay-Savy 1994].
104 Cité d’après l’article d’Alain Renaut, « Une philosophie française de l’Université allemande, le cas de Louis Liard », publié en
1995 dans la revue Romantisme [Renaut 1995], page 86. Les lignes qui suivent tirent en grande partie leur contenu de cet article.
Concernant la question du modèle allemand pour l’organisation de l’enseignement universitaire en France, on consultera le livre
de C. Digeon, La crise allemande de la pensée française [Digeon 1959].
Henri Poincaré (1854-1912) : Des Mathématiques à la Philosophie 110
Retour aux Origines : Émile Boutroux et son Cercle
Aussi étrange que cela puisse paraître la défaite française durant la guerre de 1870 et la perte
de l’Alsace-Lorraine contribueront fortement à faire naître ce mouvement d’intérêt pour
l’institution universitaire allemande. En effet, beaucoup imputeront la défaite à une défail-
lance intellectuelle et spirituelle liée, au moins en partie, à l’absence d’authentiques structures
universitaires en France et verront dans la refonte du système éducatif et universitaire, « le
sursaut capable de régénérer une culture nationale et de dynamiser un peuple défait ».105
Boutroux sera peut-être parmi les premiers, après Cousin, à redonner vie à l’opposition entre
les deux modèles universitaires français et allemands. À la suite de ses rapports, de nombreu-
ses monographies seront consacrées à ces questions. En 1878, le premier volume de la Revue
internationale de l’enseignement (édité par la Société pour l’Étude des Questions d’Enseignement
Supérieur) contiendra une série de rapports sur les universités européennes ; ceux consacrés
aux universités allemandes y seront rédigés par Célestin Bouglé (sur l’université de Göttingen)
et par Dreyfus-Brisach (sur l’université de Bonn). Cette initiative sera suivie d’autres contribu-
tions, notamment celles de Fustel de Coulanges (1879), Lachelier (1881) et Seignobos (1881).
Les aspirations des zélateurs de l’université allemande trouveront finalement leur aboutisse-
ment dans l’œuvre administrative de celui qui, par sa fonction, était le plus à même de les
concrétiser : Louis Liard, le camarade de Boutroux. En 1890, il publiera en effet un livre intitu-
lé Universités et facultés dans lequel il posera la question de la résurrection de la notion
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d’université ; il reprendra à son compte le constat de Cousin sur l’absence de réelles institu-
tions universitaires depuis 1793 et, tout comme lui, il mettra en avant la référence allemande
(« Il sera bon d’avoir des universités comme l’Allemagne en a »106, écrira-t-il ainsi).
En tant que Directeur de l’Enseignement Supérieur, Liard tentera d’instituer une réforme de
l’enseignement supérieur ; elle aboutira finalement en 1896 à la création des universités en
France. Déjà en 1870, une commission désignée par le Ministère de l’Instruction avait eu pour
charge de présenter des propositions d’amélioration de l’enseignement public. Composée de
libéraux (Guizot et Laboulave par exemple) et d’intellectuels (Ravaisson), elle avait stigmatisé
la multiplicité et la dispersion des facultés et avait proposé de concentrer toutes ces facultés
dans des grandes villes pour en faire des centres de développement intellectuel et scientifique.
Dix ans plus tard, Liard reprendra ce projet en faisant remarquer que de tels centres sont dési-
gnés, dans les autres pays, comme des universités. La loi du 10 juillet 1896 marquera finale-
ment la réapparition du terme d’université dans le langage administratif français. Très vite
Nancy deviendra un site expérimental d’enseignement organisé selon le principe allemand de
liberté académique.
Derrière cette expérience – suivie par d’autres ailleurs en France – se dessine une théorie répu-
blicaine de l’université, pour reprendre les termes d’Alain Renaut. En effet, Liard se posera la
question – encore plus essentielle aujourd’hui qu’hier ! – de savoir si la destination des univer-
sités est de former des savants, des scientifiques de haut niveau ou des avocats, des magis-
trats, des médecins ou des pharmaciens. Il a parfaitement à l’esprit le conflit existant entre la
science pure – qui vise la vérité – et la science appliquée – qui a pour fin la pratique sociale.
Dans sa théorie, pourtant, la solution est relativement simple : la création des universités ne
signifie pas pour autant la substitution du principe de l’enseignement savant au principe de
l’enseignement professionnel. Bien au contraire, il entend « placer la science au centre même
de l’enseignement professionnel », à travers deux objectifs principaux : d’une part, donner à
tous les clartés scientifiques sans lesquelles la profession choisie par les étudiants serait obs-
cure et empirique (et par ‘empirique’, Liard entend ‘le fait brut, sans la raison du fait’). D’autre
part, au sein des masses, « assurer la sélection de l’élite, et pour cette élite organiser le travail
scientifique » ; ce qui revient à sélectionner, dans la communauté étudiante, qui le plus sou-
vent n’aspire qu’à l’apprentissage d’une profession, ceux qui pourront consacrer leur vie à la
105 [Renaut 1995], page 87. Déjà avant 1870, cette idée était assez répandue parmi les intellectuels. Ainsi Renan dira que ce n’est
pas l’instituteur primaire, mais la science germanique, pratiquée et enseignée dans les universités, qui « a vaincu à Sadowa ».
106 [Liard 1890], page V.
Henri Poincaré (1854-1912) : Des Mathématiques à la Philosophie 111
Retour aux Origines : Émile Boutroux et son Cercle
der une large place au voisin d’outre-Rhin), à travers la réalisation d’un Répertoire Bibliogra-
phique des Sciences Mathématiques.
B – De la contingence des lois de la nature (1874)
La réflexion de Boutroux sur les sciences est axée autour des questions suivantes : la science a-
t-elle une cohérence interne ? Est-elle applicable aux choses ? Dans quelle mesure et dans quel
sens ses lois sont-elles intelligibles ? Dans quelle mesure sont-elles objectives ? À ce vaste
ensemble de questions, le philosophe répondra en deux temps, chacun correspondant à un
moment de sa pensée : en 1874, dans sa thèse, il abordera le problème d’un point de vue onto-
logique, en se plaçant dans le cadre d’une réflexion sur la hiérarchie des êtres ; l’influence de
Kant se fera beaucoup sentir, mêlée à celle de son maître Ravaisson, auquel il empruntera le
principe philosophique essentiel servant de base à son travail :
Tout changement implique addition d’être, tout phénomène est, par rapport aux phénomè-
nes antérieurs, une véritable création.108
Le second moment de la pensée de Boutroux sur la science sera constitué par son livre De l’idée
de loi naturelle dans la science et la philosophie contemporaines, dans lequel il répondra à ce pro-
blème en se situant dans le cadre d’une théorie de la connaissance, en adoptant un point de
vue épistémologique. Intéressons-nous d’abord à sa première réponse et voyons en quoi elle
peut être rapprochée de certaines conceptions de Poincaré.
Le travail de Boutroux vise en premier lieu à porter un coup décisif au scientisme positiviste et
au déterminisme mécanique revendiqué, dans la seconde moitié du XIXème siècle, autant par
les disciples philosophiques de Comte que par les défenseurs les plus zélés de l’idée d’un
progrès humain par et pour la science. Il n’est pas question pour lui de rejeter en bloc la mé-
thode scientifique et les connaissances scientifiques qu’elle produit, mais plutôt de mettre en
doute les prétentions de cette science à régir tous les domaines de la connaissance et de
l’activité humaine. Alors que bien des philosophes se réclamant de l’éclectisme de Victor Cou-
sin avaient tenté de combattre ce scientisme en omettant de proposer une méthode permettant
de compenser le primat de la science sur la philosophie, Boutroux affirmera pour sa part qu’il
existe d’autres sciences que les sciences positives, des sciences fondées sur d’autres lois et sur
d’autres méthodes, mais néanmoins capables de délivrer des énoncés d’une quasi-certitude
scientifique.
Comme on s’en doute, Boutroux tentera de redonner ses lettres de noblesse à l’analyse méta-
physique. Son argumentation consistera à montrer qu’à tous les niveaux de l’être intervient
une contingence que la science n’explique pas. Cela l’autorisera à préconiser l’imposition de
limites au déterminisme absolu afin de garantir le plein exercice de la liberté humaine. De tels
arguments devaient profondément embarrasser les membres du jury, formés à l’école de Vic-
tor Cousin, lors de la soutenance de cette thèse très remarquée.109 Paul Bourget devait
d’ailleurs se souvenir de cette soutenance, à laquelle il assistait en compagnie de Jules Tanne-
ry, dans son discours prononcé pour la réception de Boutroux à l’Académie Française.
[…] C’était, à cette époque, une bien audacieuse hérésie ! Vous avez dû reculer d’abord de-
vant elle, hésiter, en éprouver, en essayer la valeur sur l’intelligence du savant qu’un heu-
reux hasard vous donnait pour collègue [Jules Tannery] et qui devait assister, comme audi-
teur, à la soutenance de votre thèse. J’y étais encore avec lui. Je vois encore la petite salle où
nous nous pressions. Je vois M. Caro, M. Janet, ces maîtres issus de M. Cousin, que
l’originalité de cette philosophie déconcertait. En vous attaquant au Scientisme, vous af-
frontiez une doctrine qu’ils combattaient depuis des années, sans avoir trouvé le défaut de
la cuirasse. Vous l’aviez trouvé, vous, et vous enfonciez le fer avec une tranquille hardiesse,
qui les épouvantait.110
Boutroux fondera une philosophie de la contingence : il démontrera que le déterminisme à
l’œuvre dans les sciences échoue à donner une image totalement adéquate du réel ; il révisera
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ainsi en quelque sorte les titres de la nécessité à gouverner le monde en affirmant que le carac-
tère nécessaire des lois scientifiques n’est pas l’ordre de la nécessité logique pure et en mon-
trant que ces lois ne sont déterministes que d’une manière affaiblie (puisqu’elles décrivent
seulement ce qui est susceptible de se produire dans certaines conditions bien précises). Poin-
caré ne dira pas autre chose, dans une autre style…
Boutroux commence sa thèse en constatant l’existence de deux éléments qui cohabitent au sein
des sensations : le sentiment de soi-même, et la représentation des objets étrangers. L’esprit
éprouve le besoin de sortir de lui-même pour appréhender ce qui lui est extérieur, et c’est ce
besoin qui crée la première étape de la science. La science ainsi conçue est basée entièrement
sur le témoignage des sens et se borne à une description de faits se succédant au hasard. Dans
une seconde phase, cependant, l’esprit finit par découvrir l’existence de liaisons constantes
entre certains phénomènes ; la science descriptive ne suffit plus, il faut lui adjoindre la
connaissance explicative. Boutroux introduit donc une distinction essentielle entre deux fa-
cultés de l’esprit humain : la sensibilité d’une part, qui n’atteint que les « liaisons données par
les choses elles-mêmes » ; l’entendement, d’autre part, qui fournit une conception des objets
dans ce qu’ils ont de plus général.111
Aux sens incombe l’observation des faits, à l’entendement la formulation des lois. Mais alors,
une question essentielle se pose : « la science que peut créer l’entendement opérant sur les
données des sens, est-elle susceptible de coïncider complètement avec l’objet à connaître ? »112
En d’autres termes, en affirmant que telle cause explique tel phénomène, en posant l’existence
de rapports immuables entre diverses séries de phénomènes, la science atteint-elle les objets
eux-mêmes ? Pour Boutroux, l’idée qui fait de l’entendement le point de vue suprême de la
connaissance doit être mise en question car elle n’insiste pas suffisamment sur le rôle fonda-
teur de l’observation dans les sciences positives et également parce qu’elle néglige la sponta-
néité du réel. Boutroux se prononcera donc contre cette idée et il justifiera sa position par le
fait qu’une mathématisation à outrance du réel ne donne pas forcément une explication adé-
quate des phénomènes. Face à la spontanéité des phénomènes qui se présentent à la sensibili-
té, face à leur apparente contingence, deux alternatives se présentent : soit la contingence n’est
qu’une illusion due à une connaissance imparfaite des causes déterminant les phénomènes (et
alors l’autonomie de l’entendement, et du déterminisme qu’il fonde, est légitime) ; soit le
monde manifeste un degré de contingence irréductible, et dans ce cas :
Il y aurait lieu de penser que les lois de la nature ne se suffisent pas à elles-mêmes, et ont
leur raison dans des causes qui les dominent : en sorte que le point de vue de l’entendement
ne serait pas le point de vue définitif de la connaissance des choses.113
À quel signe reconnaît-on l’existence d’un rapport nécessaire entre deux objets ? Boutroux
opère une distinction entre nécessité absolue et nécessité relative et il tente de montrer que la
nécessité absolue entre deux choses ne peut être garantie que si l’on sa cantonne au domaine
de l’analyse pure. Selon lui, une nécessité absolue doit exclure tout rapport de subordination
d’une chose à une autre. Ce type de nécessité fonctionne à un niveau totalement abstrait ; elle
ne tient pas compte de la multiplicité synthétique, elle ne fait aucunement référence à
l’existence de choses (d’objets extérieurs) ou de lois. La nécessité absolue correspond visible-
ment à ce que Kant désigne par le terme de jugement analytique et pourrait trouver sa forme
la plus pure dans la formule de l’identité A=A. Cette nécessité n’intéresse pas vraiment Bou-
troux car elle ne fonctionne qu’au niveau de la logique pure : elle ne régit pas des objets. En
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revanche, la nécessité relative pose l’existence d’un rapport nécessaire entre deux choses ; en
tant que telle cette nécessité n’est pas purement analytique, elle contient un élément synthéti-
que. C’est surtout ce second type de nécessité qui intéressera le philosophe. Le syllogisme
semble fournir le type le plus parfait du rapport de nécessité en faisant résulter une proposi-
tion particulière d’une proposition générale et en posant un rapport analytique entre le genre
et l’espèce, entre le tout et la partie. Là où il y a rapport analytique, il y a enchaînement néces-
saire. Cependant, un tel enchaînement demeure purement formel. En effet, si on considère une
proposition générale contingente (par exemple « Tous les hommes sont des bipèdes sans
plume »), les propositions particulières qui en seront déduites par le biais du syllogisme seront
également contingentes. Le seul moyen de parvenir à démontrer par le syllogisme une nécessi-
té réelle est de rattacher toutes les conclusions à une majeure nécessaire en soi. Or, selon Bou-
troux, le seul type de majeure nécessaire en soi est du type A=A.114 En d’autres termes, tant
que l’on se cantonne au domaine pur de la tautologie, l’existence d’un rapport nécessaire en
soi est démontrable. Par contre, pour peu que l’on s’écarte du domaine de l’analyse pure, ce
type de nécessité n’est plus assuré. Si on déduit une proposition B de la proposition A, si on
affirme A=B, on introduit un élément extérieur à la majeure qui va corrompre la pureté de la
déduction analytique. Ceci explique selon lui la nécessité de ne s’intéresser qu’à la nécessité
susceptible d’intervenir au sein des sciences expérimentales, la nécessité relative.
« Le monde donné dans l’expérience porte-t-il, dans les diverses phases de son développe-
ment, les marques distinctives de la nécessité ? ». C’est par cette question que débute le second
chapitre de son travail. Il pose ainsi les bases d’une hiérarchie des êtres, hiérarchie qu’il va
ensuite s’appliquer à parcourir méthodiquement pour en dévoiler les aspects contingents. Au
plus bas de cette échelle se situe l’être, conçu comme le fait pur et simple, encore indéterminé.115
S’il doit y avoir une nécessité de l’être, celle-ci ne peut résider que dans le lien avec ce qui lui
est immédiatement antérieur, à savoir le possible ; Boutroux place ainsi le débat sur un terrain
déjà largement arpenté par la tradition philosophique, tout en s’écartant quelque peu de celle-
ci. Il ne définit pas en effet le possible comme une puissance ou comme une potentialité, car ce
type de possible n’entretient pas de relations avec les sciences positives116 ; le possible n’est ici
qu’une « manière d’être susceptible d’être donnée dans l’expérience et non encore donnée ».117
Dans le même esprit, l’acte n’est rien d’autre que la concrétisation du fait (de la multiplicité
des possibles) dans l’expérience. À ce premier degré de l’échelle des êtres, Boutroux se pose
donc les questions suivantes : l’existence d’une possibilité doit-elle avoir pour conséquence
incontournable la réalisation de l’être ? L’être est-il au possible ce que la conclusion d’un syl-
logisme est à ses prémisses ? Boutroux répondra par la négative à ces deux interrogations ; il
estimera que c’est la liberté, et non la nécessité absolue, qui se trouve à la racine de l’être. Au
sein de la nature n’existe que la spontanéité, qui se concrétise par des degrés de liberté.
L’existence du possible n’implique donc pas fatalement la réalisation de l’être ; le réel est plus
riche que le possible. De façon systématique, Boutroux va tenter d’appliquer le principe d’une
addition d’être (emprunté, comme nous l’avons vu, à Ravaisson) à l’ensemble des maillons de
son échelle et il va montrer que le passage d’un maillon vers un autre (par exemple le passage
du possible au réel) ne se produit pas analytiquement, mais par l’introduction d’un élément
nouveau qui n’a rien de nécessaire. En adoptant une telle position, Boutroux prend parti pour
une conception dont les racines se déploient au sein de la philosophie kantienne : la science ne
permet pour lui d’accéder qu’aux relations entre les phénomènes, elle ne peut fournir une
connaissance de l’être en soi, celui-ci lui étant par définition inaccessible. Ainsi, l’idée scienti-
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fique d’une cause naturelle, loin d’être un principe a priori régissant les modes de l’être, n’est
en fait qu’une forme abstraite du rapport qui existe entre ces modes, forme dont l’origine se
trouve dans l’expérience. Il est donc impossible d’affirmer que la nature des choses dérive de
la loi de causalité.118 Dans un style moins métaphysique et plus ancré dans la pratique scienti-
fique, Poincaré affichera un scepticisme similaire vis-à-vis du rapport de la science au réel.119
La démarche qu’adopte Boutroux dans sa thèse se résume finalement à ce syllogisme, qui a
valeur de programme : l’être est contingent dans son existence et dans sa loi, or toutes les choses
données dans l’expérience reposent sur l’être, donc tout est radicalement contingent. Pour démontrer
l’existence et l’importance de cette contingence au sein du monde réel, il introduit donc l’idée
d’une division de l’univers en plusieurs mondes superposés et hiérarchisés : principalement
les mondes de la matière, de la vie et de la pensée. Prenant place dans chacun d’eux, il cherche
à déterminer s’ils sont bel et bien habités par la nécessité et, sans grand étonnement, il n’y
découvre que la contingence. La hiérarchie des mondes est telle que chacun d’eux semble
dépendre étroitement des mondes inférieurs et tenir d’eux son existence et ses lois. On peut
ainsi voir à l’œuvre dans les sciences une sorte de fatalité interne régissant les phénomènes
spécifiques de chaque monde. Il n’existe d’ailleurs pas de changement absolu, tout nouvel état
se rattachant à un état antérieur duquel il est sorti.
Si l’expérience montre bien l’existence d’une coexistence entre la forme inférieure et la forme
supérieure, ce lien demeure relativement lâche car chaque monde possède sa propre part de
spontanéité et d’indépendance par rapport aux autres. Bien qu’elles existent, ces lois de cor-
respondance ne sont donc pas forcément nécessaires. Tout d’abord parce qu’on ne peut pas les
116 Cf. [Boutroux 1874a], page 18 : « Il est important de remarquer qu’il s’agit ici, non de l’être en soi, mais de l’être tel que le
considèrent les sciences positives, c’est-à-dire des faits donnés dans l’expérience. La synthèse du possible et de l’acte doit donc
être prise dans l’acception selon laquelle elle peut s’appliquer aux objets donnés ».
117 [Boutroux 1874a], page 19. Voir également, page 18 : « La synthèse du possible et de l’acte doit donc être prise dans
l’acception selon laquelle elle peut s’appliquer aux objets donnés. Ce serait prouver autre chose que ce qui est en question que
d’établir l’origine a priori de ce principe, en lui attribuant une signification qui le ferait sortir du domaine de la science ».
118 [Boutroux 1874a], page 26 : « Cette loi n’est pour nous que l’expression la plus générale des rapports qui dérivent de la nature
observable des choses données. Supposons que les choses, pouvant changer, ne changent cependant pas : les rapports seront
invariables, sans que la nécessité règne en réalité. Ainsi la science a pour objet une forme purement abstraite et extérieure, qui ne préjuge
pas de la nature intime de l’être ». C’est nous qui soulignons.
119 Notons que ce scepticisme fortement teinté de kantisme était déjà soutenu par Claude Bernard en 1865 dans son Introduction à
l’étude de la médecine expérimentale. Il y écrivait en effet « que l’essence des choses doit rester toujours ignorée, que nous ne pou-
vons connaître que les relations de ces choses, non les choses elles-mêmes, et que les phénomènes sont, non pas la manifestation
de cette essence cachée, mais seulement les résultats des relations des choses entre elles ». Cité d’après [Caro 1868 / 1876], page
12.
Henri Poincaré (1854-1912) : Des Mathématiques à la Philosophie 115
Retour aux Origines : Émile Boutroux et son Cercle
déduire analytiquement de l’essence même des choses auxquelles elles s’appliquent (elles ne
se rapportent qu’à la quantité alors que l’essence a en vue la qualité). D’autre part, parce
qu’elles ne sont pas posées a priori par l’esprit.120 Enfin, parce qu’elles ne sont pas toujours
vérifiées par l’expérience. Si la stabilité règne dans les choses, elle doit partager son royaume
avec un principe de création et de changement qui préfigure l’élan créateur de Bergson.
Considérons rapidement les différents degrés d’être examinés par Boutroux. Au niveau de la
matière il semble impossible d’établir de façon a priori, tant analytiquement que synthétique-
ment, que ses éléments constitutifs (la figure et le mouvement) sont des propriétés essentielles
et nécessaires de son être, car seule l’expérience peut nous faire connaître figure et mouve-
ment. À ce titre, donc, la loi de conservation de la force ne se déduit pas analytiquement de la
figure et du mouvement, elle est un résumé de l’expérience :
Tout ce qui est possède des qualités et participe, à ce titre même, de l’indétermination et de
la variabilité radicales qui sont de l’essence de la qualité. Ainsi, le principe de la perma-
nence absolue de la quantité ne s’applique pas exactement aux choses réelles : celles-ci ont
un fonds de vie et de changement qui ne s’épuise jamais. La certitude singulière que pré-
sentent les mathématiques comme science abstraite ne nous autorise pas à regarder les abs-
tractions mathématiques elles-mêmes sous leur forme rigide et monotone comme l’image
exacte de la réalité. […] L’indétermination qui subsiste invinciblement dans les moyennes
relatives aux ensembles mécaniques les plus considérables a vraisemblablement sa source
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120 [Benrubi 1933], page 702 : « Les formules qui requièrent une origine rationnelle, portent sur des choses en soi ou sur des
rapports invérifiables ne s’appliquant pas à des choses données ou à la connaissance des choses données ; et les formules qui
comportent un usage expérimental ne contiennent aucun terme qui ne trouve son explication dans l’expérience elle-même ».
121 [Boutroux 1874a], page 68.
122 [Boutroux 1874a], page 90 : « Par une action continuelle, il se crée une individualité et engendre des êtres capables eux-
mêmes d’individualité ».
123 [Boutroux 1874a], page 97 : « Les éléments, la matière de la vie, sont, il est vrai, exclusivement des formes physiques et
chimiques ; mais ces matériaux ne restent pas bruts ; ils sont ordonnés, harmonisés, disciplinés en quelque sorte par une interven-
tion supérieure. La vie est, en ce sens, une véritable création ».
124 [Boutroux 1874a]. Cité d’après [Benrubi 133], pages 709-710. En 1889, Paul Tannery devait émettre des doutes sur la validité
bles, mais irréductibles dans leur essence. Cette philosophie de la contingence n’est pas conçue
pour nuire à la science : elle se contente d’attaquer les prétentions de celle-ci à se passer de
l’expérience et à réduire l’histoire naturelle à une pure déduction. Boutroux entend montrer de
la sorte qu’il existe d’autres modes possibles d’appréhension et d’explication du réel (comme
la métaphysique ou l’esthétique) et il retrouve au final une philosophie de la liberté et du
libre-arbitre. Son travail se conclut sur ces mots :
À mesure que les êtres cessent ainsi de vivre uniquement pour eux-mêmes et que devient
plus spontanée et plus complète la subordination des êtres inférieurs aux êtres supérieurs,
l’adaptation interne des conditions au conditionné, de la matière à la forme : à mesure aussi
diminue, dans le monde, l’uniformité, l’homogénéité, l’égalité, c’est-à-dire l’empire de la fa-
talité physique. Le triomphe complet du bien et du beau ferait disparaître les lois de la na-
ture et les remplacerait par le libre essor des volontés vers la perfection, par la libre hiérar-
chie des âmes.125
Comme nous avons pu le constater dans l’introduction de ce chapitre, Poincaré connaissait la
thèse de Boutroux et il en discutait les conceptions avec sa sœur dans les années 1876-1878.
Malgré ce lien évident et précoce entre le deux hommes, il est néanmoins difficile de caractéri-
ser de manière systématique l’influence que put exercer Boutroux sur son jeune beau-frère car,
à la différence de Jules Tannery, Poincaré ne citera pratiquement jamais les travaux de Bou-
troux et n’avouera jamais aucune dette à son égard.126 Cependant, à la lumière de cet exposé
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rapide de la thèse de Boutroux, il est au moins possible d’affirmer que Poincaré y trouva la
matière principale de sa théorie de la connaissance et de sa réflexion critique sur la valeur de
la science. Bien plus, on peut formuler l’hypothèse que les éléments néokantiens qui sont à
l’œuvre dans la philosophie poincaréienne sont issus de la lecture de cette thèse et des discus-
sions qu’il put avoir avec son auteur à maintes reprises. Certes, Poincaré ne développa pas une
métaphysique, il n’adopta jamais le point de vue ontologique de Boutroux et il ne tenta pas de
concilier le kantisme avec la philosophie de Ravaisson. Cependant, c’est vraisemblablement
par le biais de Boutroux qu’il fut éveillé aux problèmes philosophiques, qu’il fut conduit vers
une théorie de la connaissance empreinte de kantisme et de « renoncement à pénétrer vérita-
blement le fond des choses ».
C – Le dialogue Boutroux-Poincaré
Boutroux publia sa thèse dix-neuf ans avant que Poincaré n’entame véritablement sa carrière
philosophique en acceptant de collaborer à la fondation de la Revue de métaphysique et de mo-
rale. Dans ces conditions, bien que les deux hommes aient eu de nombreux contacts personnels
et philosophiques, ils ne commencèrent à dialoguer sur la scène philosophique qu’à partir de
cette date tardive. Nous tenterons de donner un bref aperçu de ce dialogue après avoir étudié
le pendant épistémologique de la thèse de 1874.
1 – De l’idée de loi naturelle dans la science et la philosophie contemporaines (1894)
Dans cet ouvrage, Boutroux reprendra sa réflexion sur les lois naturelles en l’enrichissant de
développements nouveaux et en lui conférant une orientation moins métaphysique. Il aban-
donnera le point de vue ontologique austère qu’il avait choisi en 1874 et sa division hiérarchi-
que des êtres laissera alors la place à une division des sciences beaucoup moins artificielle.
De l’idée de loi naturelle est en fait une version révisée d’un cours professé à la Sorbonne dans
les années 1892-1893. Peut-être parce que le réseau de relations qu’il a tissé depuis sa thèse
englobe un grand nombre de scientifiques (Duhem, Tannery, Poincaré, etc.), Boutroux entre
dans le détail des concepts scientifiques qu’il utilise et, chose plus importante encore, il cite ses
sources de manière exhaustive. Partant des sciences les plus abstraites et se dirigeant vers les
plus concrètes, il suit un nouveau cheminement qui va le conduire une fois de plus à interro-
ger leur nature, leur objectivité et leur signification.
Il nous faudra donc, pour étudier l’idée de loi naturelle, prendre notre point d’appui dans
les sciences, tout en demandant à la philosophie des indications sur la manière d’en inter-
préter les principes et les résultats. Nous prendrons les lois telles que les sciences nous les
présentent, réparties en groupes distincts.127
Dans quel sens et dans quel mesure les lois naturelles sont-elles intelligibles ? Ces lois font-
elles percevoir la substance des choses ou bien se contentent-elles de décrire le mode
d’apparition des phénomènes ? Sont-elles des éléments ou seulement des symboles de la réali-
té ? Le déterminisme est-il réellement présent dans la nature ou bien n’est-il que le reflet de la
manière dont l’homme structure les phénomènes pour les appréhender ? Telles sont les ques-
tions que se pose Boutroux, avec la finalité ultime et ambitieuse de répondre à une question
qui hante la philosophie depuis ses origines :
On essaiera par là de résoudre, au point de vue actuel, l’antique question qui consiste à sa-
voir s’il y a des choses qui dépendent de nous, si nous sommes réellement capables d’agir,
ou si l’action est une pure illusion.128
Pour Boutroux, l’incitation à philosopher ne peut venir que de la science, même si philosophie
et science ne peuvent être confondues en raison de leurs différences de nature. La science
formule et utilise des idées et des notions générales pour diviser et appréhender la réalité ; en
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un sens elle prépare le terrain à la philosophie, qui constitue une méthode plus adéquate pour
penser la réalité. Dans une telle perspective, philosophie et science se trouvent donc séparées,
non seulement parce que la science est impuissante à fonder une morale (une idée que re-
prendra Poincaré), mais également parce que, dans l’hypothèse d’un conflit entre les deux
disciplines, on aurait toujours tendance à imputer l’ensemble des torts à la philosophie.
Le travail de 1894 débute d’une manière analogue au travail de 1874 en considérant tout
d’abord le problème de la nécessité logique. Le livre s’ouvre ainsi sur une distinction entre les
lois logiques pures et les lois du syllogisme (ou lois logiques concrètes) : les lois pures, comme
le principe d’identité ou le principe de contradiction, constituent le type le plus parfait de
l’intelligible. Cependant, pour s’adapter au réel, la logique doit devenir concrète, ce qui
l’oblige à introduire des éléments externes qui n’ont plus rien à voir avec l’intelligibilité. Si le
syllogisme ne constitue pas une simple tautologie, il faut alors savoir quel type de rapport il
fonde entre les idées. Pour Boutroux, la syllogistique ne possède pas la complète évidence de
la logique pure mais elle participe néanmoins de cette pureté : elle est un mélange d’a priori et
d’a posteriori. L’esprit humain porte en lui les principes de la logique pure mais la matière sur
laquelle il exerce ses facultés de raisonnement ne se plie pas complètement à ces principes ; il
essaie donc d’adapter la logique pure à l’expérience, de manière à rendre son environnement
intelligible.129 Il n’y a donc pas de nécessité absolue au sein des lois logiques, et d’ailleurs,
même si elles possèdent un haut degré d’intelligibilité, il est difficile de voir en elles les lois du
réel car les classifications naturelles ne sont pas aussi pures que les classifications logiques.
Le déterminisme moderne que Boutroux tente de récuser consiste selon lui en deux thèses
principales : d’une part, l’idée selon laquelle les mathématiques sont parfaitement intelligibles
et constituent l’expression d’un déterminisme absolu ; d’autre part, la thèse selon laquelle les
mathématiques s’appliquent exactement à la réalité, au moins en droit et dans le fond des
choses.130 La première de ces thèses revient en fait à considérer les mathématiques comme une
promotion particulière et immédiate de la logique générale. À l’instar de Kant, Boutroux af-
firme que les mathématiques sont essentiellement synthétiques. La logique se contente de se
donner des concepts et les analyser ; les mathématiques, quant à elles, vont plus loin car, en
symboles par lesquels l’esprit se met en mesure de penser les choses, un moule dans lequel il fera entrer la réalité pour la rendre
intelligible. C’est en ce sens que nous répondrions à la question de la nature et du degré d’intelligibilité des lois logiques ».
130 [Boutroux 1894a], page 137.
Henri Poincaré (1854-1912) : Des Mathématiques à la Philosophie 118
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plus d’analyser les concepts, elles étudient les relations qu’ils entretiennent les uns avec les
autres. De plus, elles ne se cantonnent pas à un domaine d’objets préalablement donné mais
sont capables de construire de nouveaux objets. La dimension créatrice des mathématiques
s’oppose ainsi au caractère statique de la logique. Au sein des liaisons mathématiques se
trouve un élément qui n’apparaît pas dans les liaisons logiques : l’intuition.
La logique, si l’on y prend garde, suppose un tout donné, un concept dont elle se propose
l’analyse ; elle admet, dans ce concept, des éléments juxtaposés, et ne détermine pas le lien
qui les unit les uns aux autres. Les mathématiques, au contraire, font une œuvre essentiel-
lement synthétique ; elles posent les rapports que la logique suppose ; elles créent un lien
entre les parties d’une multiplicité ; elles marchent du simple au composé ; elles engendrent
elles-mêmes le composé, au lieu de le prendre comme donné.131
Par ailleurs, les définitions principales des mathématiques ne constituent pas de simples pro-
positions. En une seule définition peut se trouver condensée une infinité de définitions,
comme dans le cas de la définition de la numération : définir la numération c’est d’abord se
donner comme point de départ l’unité, puis à partir du concept de l’unité, former les défini-
tions suivantes :
2 = 1+1 ; 3 = 2+1 ; 4 = 3+1
Cependant, cela n’est pas suffisant et, pour rendre le processus plus clair, on ajoute ces défini-
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qu’un jour on inventera pour les exprimer un langage assez simple pour qu’elles apparais-
sent ainsi immédiatement à une intelligence ordinaire.
Si l’on se refuse à admettre ces conséquences, il faut bien concéder que le raisonnement ma-
thématique a par lui-même une sorte de vertu créatrice et par conséquent qu’il se distingue
du syllogisme.135
Se rangeant derrière Boutroux, Poincaré porte ensuite son attention sur la démonstration leib-
nitienne de 2 + 2 = 4 . Selon lui, le raisonnement de Leibnitz est bel et bien analytique mais il
ne constitue pas une véritable démonstration. Il s’agit d’une vérification et cette vérification est
analytique parce que la conclusion n’est que la traduction des prémisses dans un autre lan-
gage. Au contraire, la démonstration véritable est féconde parce que la conclusion y est plus
générale que les prémisses. Par conséquent, les mathématiques ne peuvent être réduites à une
suite de vérifications. La référence à Leibnitz renvoit une fois de plus à Boutroux, et ce pour
deux raisons essentielles : d’une part, parce que Boutroux prend lui-même Leibnitz pour cible
dans De l’idée de loi naturelle, et d’autre part, parce que la philosophie de Leibnitz avait consti-
tué le premier point de rencontre officiel entre les deux hommes, à travers leur collaboration
pour l’édition de la Monadologie en 1880.
Poincaré poursuit son article en analysant la manière dont on démontre les théorèmes les plus
élémentaires de l’arithmétique (comme l’associativité ou la distributivité de l’addition). Bien
que plus détaillée, son argumentation suit les grandes lignes tracées par Boutroux et en re-
trouve les conclusions principales. Le procédé de raisonnement utilisé en mathématiques pour
démontrer les théorèmes est celui de la démonstration par récurrence, qui permet de passer
d’un cas particulier aux cas les plus généraux : ce raisonnement consiste d’abord à établir un
théorème pour n = 1 ; on montre ensuite que s’il est vrai de n − 1 , alors il est vrai de n, ce qui
permet de conclure qu’il est vrai de tous les nombres entiers. Tout comme Boutroux, Poincaré
affirme que le raisonnement par récurrence condense en une formule unique une infinité de
syllogismes. C’est d’ailleurs cela qui garantit la possibilité de passer du particulier au général :
Si au lieu de montrer que notre théorème est vrai de tous les nombres, nous voulons seule-
ment faire voir qu’il est vrai du nombre 6 par exemple, il nous suffira d’établir les 5 pre-
miers syllogismes de notre cascade ; il nous en faudrait 9 si nous voulions démontrer le
théorème pour le nombre 10 ; il nous en faudrait davantage encore pour un nombre plus
grand ; mais quelque grand que soit ce nombre nous finirions toujours par l’atteindre, et la
vérification analytique serait possible.
134 Notons que Poincaré comme Boutroux empruntent probablement cette idée à un inspirateur commun, auteur en 1871 d’une
thèse intitulée Du fondement de l’induction : Jules Lachelier.
135 [Poincaré 1894p], cité d’après La science et l’hypothèse, [Poincaré 1902q], page 32.
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Et cependant, quelque loin que nous allions ainsi, nous ne nous élèverions jamais jusqu’au
théorème général, applicable à tous les nombres, qui seul peut être objet de science. Pour y
arriver, il faudrait une infinité de syllogismes, il faudrait franchir un abîme que la patience
de l’analyste, réduit aux seules ressources de la logique formelle, ne parviendra jamais à
combler.136
Qu’on ne s’y trompe pas : Poincaré ne se contentera pas d’emprunter les conceptions de Bou-
troux sans rien leur ajouter137 ; il s’appuiera plutôt sur elles pour fonder les éléments de base
de sa propre pensée. Il n’y aura jamais d’isomorphisme total entre les philosophies des deux
hommes. Cependant, en lisant cette longue citation du mathématicien, on ne peut s’empêcher
d’y voir une variation sur un thème familier (cf. la citation de Boutroux page 118).
Il est d’ailleurs frappant de constater que Boutroux adopte, vis-à-vis de la nature des mathé-
matiques, une perspective constructiviste qui semble anticiper le conventionnalisme du ma-
thématicien. Selon lui, en effet, les mathématiques ne sont pas a priori, car elles impliquent des
éléments qui dépassent la pensée et que l’on admet sans pouvoir les justifier logiquement.
Elles ne constituent pas non plus une connaissance a posteriori puisqu’elles ne portent que sur
des limites, c’est-à-dire sur des termes idéaux vers lesquels une quantité peut croître ou dé-
croître indéfiniment.
Elles [les mathématiques] ne sont connues exclusivement ni a priori ni a posteriori ; elles sont
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une création de l’esprit ; et cette création n’est pas arbitraire, mais a lieu, grâce aux ressour-
ces de l’esprit, à propos et en vue de l’expérience. Tantôt l’esprit part d’intuitions qu’il crée
librement, tantôt, procédant par élimination, il recueille les axiomes qui lui ont paru les plus
propres à engendrer un développement harmonieux, à la fois simple et fécond. Les mathé-
matiques sont ainsi une adaptation volontaire et intelligente de la pensée aux choses ; elles
représentent les formes qui permettront de surmonter la diversité qualitative, les moules
dans lesquels la réalité devra entrer pour devenir aussi intelligible que possible.138
Contrairement à Descartes, Boutroux ne croit pas que les mathématiques soient effectivement
réalisées au sein du monde sensible. Il reprend en cela les idées d’Auguste Comte, pour qui le
supérieur ne peut se ramener à l’inférieur car, à mesure que l’on s’élève, il faut introduire de
nouvelles lois dotées d’une spécificité qui les rend irréductibles aux précédentes. Ces idées
vont très loin puisqu’elles conduisent le philosophe à formuler une position explicitement
conventionnaliste.
Pour que nous puissions voir dans les mathématiques l’objectivation de la pensée elle-
même, il faudrait que les lois en fussent parfaitement intelligibles ; or l’esprit n’arrive pas à
se les assimiler sans se faire quelque violence. D’ailleurs, nos mathématiques représentent
une forme particulière de la mathématique ; d’autres sont possibles, et, si nous tenons à cel-
les-ci, c’est uniquement parce qu’elles sont plus simples, plus commodes, pour comprendre
les phénomènes extérieurs.139
Boutroux emploie quelques lignes plus bas le terme de ‘convention’ : après avoir adopté une
attitude antiplatoniste, en niant que les mathématiques sont effectivement réalisées dans le
monde (sous forme de substances ou d’idées), il en arrive à examiner leur dimension conven-
tionnelle. Il met en garde le lecteur de ne pas tomber dans l’excès inverse en considérant les
mathématiques comme un « pur jeu de l’esprit ». Dans la mesure où elles s’appliquent à la
réalité, elles ne peuvent être de pures constructions intellectuelles et elles doivent trouver leur
source dans l’expérience. Cette idée préfigure déjà ce qu’écrira par la suite Poincaré sur la
notion de ‘guidé par l’expérience’ : il existe une expérience empirique primordiale qui nous
permet de construire notre notion d’espace et toutes les notions apparentées ; certains
concepts mathématiques sont donc construits avec l’expérience comme guide ; ils possèdent
136 [Poincaré 1894p], cité d’après La science et l’hypothèse, [Poincaré 1902q], pages 39-40.
137 On peut d’ailleurs supposer que les conceptions de Boutroux trouvèrent, dans les années 1880-1890, une partie de leur
matière dans des discussions avec Poincaré. La notion d’influence semble pouvoir être prise dans un double sens. Nous examine-
rons ce point à la fin de ce chapitre.
138 [Boutroux 1894a], pages 24-25.
139 [Boutroux 1894a], page 26.
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avec ce passage de La science et l’hypothèse dans lequel il écrit [Poincaré 1902q], page 114 : « Le principe d’inertie, qui n’est pas une
vérité a priori, est-il donc un fait expérimental ? Mais a-t-on jamais expérimenté sur des corps soustraits à l’action de toute force,
et si on l’a fait, comment a-t-on su que ces corps n’étaient soumis à aucune force ? On cite ordinairement l’exemple d’une bille
roulant un temps très long sur une table de marbre ; mais pourquoi disons-nous qu’elle n’est soumise à aucune force ? Est-ce
parce qu’elle est trop éloignée de tous les autres corps pour pouvoir en éprouver aucune action sensible ? Elle n’est pas cependant
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En réalité, le processus d’induction ne suffit pas pour garantir les caractéristiques de généralité
et d’universalité des lois mécaniques. Le scientifique n’observe que des moments séparés les
uns des autres et il n’a accès qu’à la discontinuité des phénomènes ; pourtant, les lois qu’il
formule font intervenir continuité, fixité et universalité. Or cette fixité ne peut provenir de
l’expérience puisque celle-ci donne plutôt à voir un mouvement incessant de changement et
de spontanéité. Les caractères de fixité et d’immuabilité des lois naturelles ne peuvent donc
être que des caractères ajoutés à l’expérience par le savant et non des propriétés susceptibles
d’être découvertes par l’observation.143 Ce faisant, Boutroux plaide une nouvelle fois pour une
conception constructiviste concernant la nature des principes de la mécanique : c’est l’esprit
qui formule les lois mécaniques, en s’aidant de l’expérience et en la généralisant :
Toutefois, si les lois mécaniques ne sont connues sous leur forme propre, ni a priori ni a pos-
teriori, il ne s’ensuit pas qu’elles soient fictives. Le concept de loi est le produit de l’effort
que nous faisons pour adapter les choses à notre esprit. La loi représente le caractère qu’il
nous faut attribuer aux choses pour que celles-ci puissent être exprimées par les symboles
dont nous disposons, la matière que la physique doit offrir aux mathématiques pour que les
mathématiques puissent s’unir à elle. […] Elles [les lois mécaniques] résultent de la collabo-
ration de l’esprit et des choses ; elles sont des produits de l’activité de l’esprit, s’appliquant
à une matière étrangère ; elles représentent l’effort qu’il fait pour établir une coïncidence
entre les choses et lui.144
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Boutroux poursuit ainsi son analyse des lois en passant en revue leurs particularités dans
toutes les sciences : chimie, biologie, psychologie et sociologie. Sa conclusion générale est que
la science échoue à réaliser complètement les deux fins vers lesquelles elle tend, à savoir
l’intelligibilité et l’objectivité. Il n’y a donc pas un primat de lois naturelles dans
l’appréhension du réel ; les sciences ont une valeur mais elles ne peuvent épuiser la question
du réel car elles n’atteignent que la surface des choses et sont incapables d’exprimer son es-
sence profonde. Le monde n’est pas aussi rigide et mécanique que la science veut bien nous le
laisser croire ; le réel est changeant, vivant et c’est cette spontanéité qu’entend défendre Bou-
troux, dans la mesure où elle est le fondement même de la liberté humaine.
À travers l’analyse de l’ouvrage de Poincaré se dessine un parallélisme très frappant avec les
premiers travaux philosophiques de Poincaré. Ce livre contient des idées qui renvoient expli-
citement à la thématique conventionnaliste telle qu’elle sera développée plus tard par le ma-
thématicien ; de plus, bien qu’ils ne fassent pas explicitement référence aux travaux de Bou-
troux, les premiers articles philosophiques de Poincaré pour la Revue de métaphysique et de
morale semblent emprunter une part non négligeable de leur contenu cet ouvrage de Boutroux.
L’hypothèse d’une ascendance forte de la pensée de Boutroux sur celle de Poincaré, tout
comme l’hypothèse d’une préfiguration du conventionnalisme au sein de la philosophie de la
contingence, semblent ainsi être confirmées, tout particulièrement à la lumière des concep-
tions défendues par Poincaré dans son texte de 1894 « Sur la nature du raisonnement mathé-
matique » (développements quasiment identiques à ceux de Boutroux concernant la démons-
tration de ‘2+2=4’ par Leibnitz ou concernant le raisonnement par récurrence en mathémati-
ques). Toutefois, quelques nuances doivent être apportées à ces conclusions. L’ascendance de
Boutroux ne semble certes pas devoir être remise en question : malgré son caractère fragmen-
taire, la correspondance de jeunesse de Poincaré atteste du lien profond qui l’unissait à son
beau-frère, et nous avons pu déceler quelques indices de l’attirance du mathématicien pour les
idées philosophiques de Boutroux (voir la citation page 79). En revanche, le délai de temps
très court écoulé entre les parutions du livre sur l’idée de loi naturelle et de l’article sur le
raisonnement mathématique permet de s’interroger sur l’orientation exacte de la relation
plus loin de la terre que si on la lançait librement dans l’air ; et chacun sait que dans ce cas elle subirait l’influence de la pesanteur
due à l’attraction de la terre ».
143 Boutroux se demandera d’ailleurs, [Boutroux 1894a], page 38 : « Pourquoi les lois, ces types de relations entre phénomènes,
ne seraient-elles pas, elles aussi, sujettes au changement ? ». Question à laquelle Poincaré répondra par la négative, dans une
petite controverse informelle que nous aborderons plus loin.
144 [Boutroux 1894a], pages 38-39.
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Retour aux Origines : Émile Boutroux et son Cercle
d’influence entre les deux auteurs. À première vue, Poincaré reprend des éléments qui se
trouvent dans le livre de Boutroux. Cependant, on peut se demander, si au cours de ses
contacts réguliers avec Boutroux, Poincaré n’a pas influencé le développement de ses idées sur
les sciences (qui sont nettement plus précises que dans sa thèse, comme nous l’avons vu) au
point de lui inspirer les conceptions sur le raisonnement par récurrence. Ne peut-on supposer
que Poincaré soit à l’origine de ces idées et que, malgré cela, ce soit Boutroux qui ait eu
l’occasion de les exprimer publiquement en premier ? Cette question pose, on s’en doute bien,
le problème de l’existence éventuelle d’une influence réciproque (à double sens) entre les deux
auteurs.
Quelques considérations sur les dates de parution de ces deux ouvrages permettent de clarifier
ce problème. L’article de Poincaré fut publié dans la Revue de métaphysique et de morale en 1894,
probablement au début du printemps, et une lettre envoyée à Xavier Léon permet
d’apprendre que l’article fut effectivement envoyé à la revue en 1894 (voir la Lettre 1 page
376). Le cours de Boutroux sur l’idée de loi naturelle fut professé à la Sorbonne durant l’année
1892-1893 et il fut reproduit en intégralité dans la Revue des cours et conférences fondée en 1892
(c’est d’ailleurs ce cours qui inaugura la première livraison de la revue en décembre 1892). La
partie du cours concernant la nécessité des notions mathématiques, c’est-à-dire la leçon conte-
nant les développements sur Leibnitz et sur le raisonnement par récurrence, fut publiée, quant
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à elle, dans le numéro du 12 janvier 1893 (soit un an avant que Poincaré n’envoie son article) et
on peut raisonnablement supposer qu’il avait été professé vers le mois de décembre 1892. Ce
cours fut finalement réuni en un volume unique par les éditeurs Lecène et Oudin en 1894,
probablement pour répondre à une demande grandissante du public philosophique, mais sans
subir aucune modification de la part de Boutroux. L’antériorité du cours de Boutroux par
rapport à l’article de Poincaré semble donc établie.
Face à cette situation incontestable, plusieurs hypothèses sont envisageables : premièrement,
on peut supposer que c’est bel et bien Boutroux qui fut à l’origine de ces idées et que Poincaré
les reprit à son compte après avoir lu ses travaux. Deuxièmement, on peut supposer que c’est
Poincaré qui suggéra ces idées à Boutroux et que ce dernier les utilisa avant lui dans une pu-
blication. Troisièmement, on peut supposer que ces idées faisaient partie de ‘l’air du temps’ et
que les deux hommes se contentèrent de les saisir au vol.145 Toutes ces hypothèses semblent
également acceptables et, en l’absence de témoignages directs ou indirects, il difficile de se
prononcer de manière définitive sur ce point. Tout au plus peut-on envisager qu’elles sont
toutes les trois acceptables, étant donné que les deux premières se résument, somme toute, à
l’idée d’une influence réciproque entre les deux auteurs et que la troisième n’entre aucune-
ment en contradiction avec elles. Cette dernière explication semble la plus probable car il bien
évident que les relations d’influence ne se produisent pas hors d’un contexte intellectuel com-
plexe, parcouru d’idéologies plus ou moins dominantes.
2 – Accords et désaccords
La seconde moitié du XIXème siècle marque, pour la communauté philosophique française, la
naissance d’un courant de remise en cause du positivisme et du déterminisme. Comme le
remarque Claude Teisseire dans sa thèse, Le thème du dynamisme de l’esprit chez Ravaisson, La-
chelier et Boutroux, la nouvelle métaphysique qui prend peu à peu naissance aspire à rétablir
l’esprit et la liberté humaine à leur place légitime :
Pour certains philosophes de cette seconde moitié du XIXème siècle, la matière était chose se-
condaire ; l’esprit devait prédominer. Elle était l’objet passif avec lequel l’homme, cet être
privilégié, manifestait sa présence dans l’univers. Son ‘mécanisme’ que la science se conten-
tait d’étudier pouvait être considéré comme les habitudes, devenues automatismes, de la
145 Une piste intéressante concernant cette dernière hypothèse pourrait éventuellement être celle des travaux de Frege. Son livre
de 1885, Grundlagen der Arithmmetik contient en effet des développements sur la démonstration leibnitienne de l’addition et on
pourrait supposer que c’est à cette source que les deux auteurs purent s’alimenter. Cependant, il n’est pas certain que Frege ait
été beaucoup lu en France avant son article sur le nombre entier publié dans la Revue de métaphysique et de morale en 1895.
D’ailleurs, il existait en France d’éminents spécialistes de Leibnitz, dont Boutroux.
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Retour aux Origines : Émile Boutroux et son Cercle
pensée même de Dieu. En revanche, l’esprit était avant tout activité et il ne pouvait se
concevoir sans le mouvement de vie, qui animait la nature ; sans les forces qui
s’exprimaient à tout instant, en ce monde ; d’une manière inévitable, esprit et dynamisme
devaient être identifiés ; de leur fusion même allait naître une notion nouvelle et celle-ci ne
serait plus un cas particulier d’une vaste autant que vague qualité de notre univers ; elle se
présenterait comme l’idée essentielle caractérisant la création, jaillissement spontané, libre
et continu de l’Acte suprême.146
Ce spiritualisme positiviste, cet idéalisme critique et épistémologique trouvera une de ses
expressions les plus marquantes dans les deux œuvres de Boutroux que nous venons
d’exposer. Le but profond de la philosophie de la contingence sera de montrer que le monde
de la matière n’est pas épuisé par la science et que l’esprit humain dispose d’un degré de liber-
té et de spontanéité que le réductionnisme scientifique est incapable d’expliquer. Pour Bou-
troux, les rapports réels des choses seront, non des rapports de causalité, mais des rapports de
finalité. Les vrais principes d’explication seront d’ordres esthétique et moral, le déterminisme
constituant en quelque sorte une défaillance de la liberté. Alors que le déterminisme scientifi-
que prétend à une connaissance de l’univers, la philosophie de la contingence contribuera à
recentrer toute connaissance possible sur le sujet qui se trouve à sa source ; elle se résumera
ainsi en une philosophie anthropocentrique que Boutroux énoncera en des termes nettement
kantiens :
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499-504.
149 Voir à ce sujet l’article de Fabien Capeillères, « Généalogie d’un néokantisme français : à propos d’Émile Boutroux », [Capeil-
la communauté philosophique et, malgré l’antériorité manifeste de son intérêt pour Kant, la reconnaissance universitaire de ses
travaux n’aura pas lieu avant 1876 (voir [Capeillères 1998], page 414). Il semble par conséquent peu probable qu’il ait eu une
grande influence sur Lachelier ou sur Boutroux. Notons cependant que parmi ses élèves on trouve François Évellin ou Hamelin.
151 [Capeillères 1998], page 423.
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Retour aux Origines : Émile Boutroux et son Cercle
titre, le voyage d’étude de Boutroux en Allemagne n’a rien d’étonnant, en particulier lors-
qu’on sait que le Ministre de l’Instruction Publique qui le commanditait entretenait
d’excellents rapports d’amitié et de complicité intellectuelle avec Ravaisson.
À partir de 1890, la problématique kantienne entre dans tous les secteurs du champ philoso-
phique. Ainsi, dès 1891, les sujets proposés à l’agrégation de philosophie sont nettement
d’inspiration kantienne, au point que Paul Janet, le président du jury, aura à déplorer le con-
formisme de candidats qui ne jugent que par Kant.152 En 1894, Kant entre officiellement dans la
liste des auteurs du programme de révision et trois ans plus tard, alors qu’au sein de la Revue
de métaphysique et de morale Poincaré et Couturat s’opposent sur l’interprétation philosophique
de la notion d’espace, un des sujets du concours demande aux candidats de comparer les doc-
trines de Leibnitz et de Kant sur l’espace et le temps.153 Les programmes d’enseignement sont à
l’unisson durant cette période : en 1893, Boutroux fait son cours sur l’idée de loi naturelle,
dont nous avons pu voir qu’il véhicule une théorie de la connaissance explicitement kan-
tienne. De 1893 à 1897, puis de 1900 à 1901, il donne un cours sur la philosophie kantienne154 ;
en 1898, il s’intéresse au problème de l’induction (il donne une fois encore une orientation
kantienne à son enseignement) et en 1900, c’est à Montpellier qu’il fait un cours sur « La mo-
rale de Kant ». Ses collègues ne sont d’ailleurs pas en reste puisqu’en 1893, le cours d’Hamelin
à Bordeaux porte sur « Wolff et Kant » ; celui d’Hannequin à Lyon a pour titre « Kant et la
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philosophie de la nature », tandis que celui de Séailles à Besançon porte sur « La volonté et le
problème de la liberté ».155
Ce mouvement vers l’idéalisme kantien trouve sa source dans la collaboration active entre
Duruy, Ministre de l’Instruction Publique de 1863 à 1869, et de Félix Ravaisson, Inspecteur
Général de l’Enseignement Supérieur. C’est vraisemblablement sur les conseils de Ravaisson
que Duruy rétablira l’agrégation de philosophie et qu’il supprimera la bifurcation dans
l’enseignement secondaire. Défenseur d’une conception humaniste et universaliste du savoir,
Duruy s’intéressera beaucoup à l’organisation universitaire allemande et il diligentera un
grand nombre d’enquêtes en Allemagne (notamment celle de Boutroux). Cet appui institu-
tionnel aurait pu s’arrêter après le Ministère Duruy, mais il n’en sera rien car, une décennie
plus tard, un jeune philosophe formé à l’école de Lachelier et de Kant, deviendra Directeur de
l’Enseignement Supérieur et contribuera largement à pérenniser l’œuvre de Duruy en mettant
en place des méthodes similaires (bilans, enquêtes à l’étranger, etc.) : il s’agit bien-sûr de Louis
Liard.
Ce bref aperçu est forcément sommaire mais il permet de constater que le retour à Kant ne
s’inscrit pas uniquement dans une logique conceptuelle spécifiquement interne. Certes, ce
mouvement affecte bien le contenu des productions du champ philosophique ; cependant, il
prend également corps à travers un véritable réseau constitué de relations interpersonnelles,
académiques, universitaires et institutionnelles. Par ailleurs, le fait que Boutroux en soit un
acteur essentiel permet de mieux comprendre la nature de ses rapports avec Poincaré.
Comme nous l’avons remarqué à plusieurs reprises, la correspondance de Poincaré ne permet
guère de reconstruire le contenu de sa bibliothèque ou de déterminer exactement quelles pou-
vaient être ses lectures. Pour la période adulte de Poincaré il est encore possible d’élaborer une
‘bibliographie virtuelle’ en recensant les références bibliographiques qui apparaissent dans ses
travaux. Pour la période de jeunesse, en revanche, les possibilités de reconstruction sont beau-
coup plus limitées. Dans sa biographie du mathématicien, Bellivier explore la nature probable
de ses lectures lorsqu’il est étudiant à l’École Polytechnique et à l’École des Mines et son re-
censement ne contient que des ouvrages et des revues de mathématiques : le Cours d’Analyse
de Hermite, ou son ouvrage sur la Théorie des équations modulaires, le Journal de Liouville, le
Journal de l’École Polytechnique, les Mathematische Annalen et – il ne s’agit là que d’une hypo-
accepte en arithmétique) ; d’autre part, par le biais d’une théorie de la connaissance centrée
sur l’homme et refusant l’idée d’une réalité en soi. Il est peu probable que Poincaré ait jamais
procédé à une lecture intégrale de l’œuvre de Kant ; les éléments qu’il emprunte au philoso-
phe germanique sont très restreints et leur utilisation n’implique pas une connaissance pro-
fonde de l’architectonique de son œuvre. En revanche, il est clair que le kantisme de Poincaré
s’inscrit dans le sillage du néokantisme qui s’introduit peu à peu en France au tournant du
siècle, grâce aux travaux et aux enseignements de philosophes comme Lachelier ou de Bou-
troux. On peut par conséquent supposer que c’est par l’intermédiaire de Boutroux que Poinca-
ré s’initia peu à peu à la philosophie.
L’étude des ouvrages de 1874 et de 1894 permet de formuler l’hypothèse d’une évolution en
trois temps dans les relations intellectuelles entre les deux hommes (sans qu’il soit malheureu-
sement possible de dater avec exactitude ces différents moments). Dans un premier temps, Bou-
troux jouera vis-à-vis de Poincaré un rôle d’initiateur en lui faisant découvrir, par sa thèse et
par ses autres travaux, non seulement les philosophies de Kant et de Leibnitz (voir son édition
de la Monadologie en 1880) mais également un point de vue novateur concernant la place du
déterminisme dans la pratique de la science. Peu de temps après leur rencontre, on peut sup-
poser que Boutroux procédera à l’éducation philosophique du jeune mathématicien et qu’il
l’introduira progressivement dans la communauté philosophique (en l’emmenant chez Tanne-
ry ou chez Ravaisson, par exemple). Est-ce lui qui le poussera vers la lecture de la Revue philo-
sophique et de La critique philosophique (la revue de Renouvier) ? On peut le supposer. Dans un
second temps, les relations des deux hommes évolueront vers un rapport d’influence réciproque
(ou d’interdépendance). Certes, les premiers articles philosophiques de Poincaré attestent bien
d’une emprise forte des conceptions épistémologiques de Boutroux ; cependant, la lecture du
livre de 1894 sur l’idée de loi naturelle permet de découvrir un Boutroux beaucoup plus au fait
de l’actualité scientifique et qui place d’entrée le débat sur le déterminisme au sein de la prati-
que même de la science ; sur ce point, on peut émettre l’hypothèse que la rédaction de cet
ouvrage (ou plutôt la préparation de ce cours) profitera largement des discussions entre les
deux hommes et que les idées de Poincaré y interviennent de manière anonyme à plusieurs
reprises. Enfin, dans un troisième moment, tout en conservant un ancrage dans la philosophie de
Boutroux, la pensée poincaréienne acquerra son autonomie et fera valoir ses prétentions à
l’indépendance. Durant cette période – très prolifique puisqu’elle correspond à sa pleine pé-
riode d’activité philosophique – Poincaré cultivera les fruits de son conventionnalisme et sui-
vra sa propre voie. Une voie qui le conduira parfois à critiquer certains aspects de la philoso-
phie de la contingence. Ainsi en 1911, dans un article intitulé « L’évolution des lois », il
s’attaquera à l’idée de Boutroux selon laquelle les lois intrinsèques de la nature pourraient
évoluer dans le temps.157 Il commencera par exposer le problème en ces termes :
M. Boutroux, dans ses travaux sur la contingence des lois de la nature, s’est demandé si les
lois naturelles ne sont pas susceptibles de changer, si alors que le monde évolue continuel-
lement, les lois elles-mêmes, c’est-à-dire les règles suivant lesquelles se fait cette évolution,
seront seules exemptes de toute variation. Une pareille conception n’a aucune chance d’être
jamais adoptée par les savants ; au sens où ils l’entendraient, ils ne sauraient y adhérer sans
nier la légitimité et possibilité même de la Science. Mais le philosophe conserve le droit de
se poser la question, d’envisager les diverses solutions qu’elle comporte, d’en examiner les
conséquences, et de chercher à le concilier avec les légitimes exigences des savants.158
S’intéressant d’abord à la dimension mathématique de la question, Poincaré remarque qu’elle
repose sur une sorte de cercle vicieux. Si on soutient en effet que les lois naturelles évoluent
dans le temps, il faut supposer alors que, dans le passé, elles étaient différentes d’aujourd’hui.
Cependant, un tel fait est impossible à vérifier puisqu’on ne peut savoir quelque chose du
passé que si on postule que les lois n’ont pas changé. En d’autres termes, si on admet ce postu-
lat, la question de l’évolution des lois ne se pose pas et si on ne l’admet pas elle devient tout
simplement insoluble.
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Cependant, on pourrait toujours se demander si certaines de nos lois ne pourraient pas un jour
déboucher sur une contradiction. En effet, « puisque l’hypothèse de l’immutabilité des lois,
posée au début de tous nos raisonnements, conduirait à une conséquence absurde, nous au-
rions démontré per absurdum qu’elles ont évolué, tout en étant à jamais impuissants à savoir
dans quel sens ».159 Cependant, une fois encore, une telle hypothèse peut être écartée car, par-
mi les lois que l’expérience suggère au savant, il est toujours possible de choisir celles qui
n’aboutissent à aucune contradiction.
Poincaré poursuit son argumentation en examinant toutes les possibilités qui semblent conte-
nues dans l’idée d’une évolution des lois et il conclut son article en les invalidant toutes. Cer-
tes, il est impossible de prouver avec une certitude parfaite qu’une loi a toujours été vraie dans
le passé. Cependant, cela n’enlève rien à l’immutabilité des lois naturelles car le progrès de la
science fait que les lois qui s’avèrent imparfaites sont immédiatement remplacées, sans aucune
période transitoire, par des lois plus compréhensives et plus générales. Poincaré termine son
article par un développement typiquement kantien dans lequel il affirme que le monde des
choses en soi demeurera à jamais inaccessible à l’homme et qu’il ne fait par conséquent aucun
sens de se demander si les lois, considérées indépendamment de l’esprit qui les crée, pour-
raient évoluer.
Jusqu’ici nous n’avons pas semblé nous inquiéter de savoir si les lois varient réellement,
mais seulement si les hommes peuvent les croire variables. Les lois considérées comme
existant en dehors de l’esprit qui les crée ou qui les observe sont-elles immuables en soi ? À
quoi bon se demander si dans le monde des choses en soi les lois peuvent varier avec le
temps, alors que dans un pareil monde, le mot de temps est peut-être vide de sens ? De ce
que ce monde est, nous ne pouvons rien dire, ni rien penser, mais seulement de ce qu’il
pourrait paraître à des intelligences qui ne différeraient pas trop de la nôtre160
À notre connaissance, Boutroux ne répondra pas à cet article, si ce n’est dans un court para-
graphe de son texte en hommage à Poincaré, dans lequel il déclarera que le désaccord entre
eux était purement d’ordre disciplinaire (ce que Poincaré avait d’ailleurs bien remarqué dans
l’introduction de son texte). Alors qu’il concevait la question d’une évolution des lois de la
157 Voir [Poincaré 1911m]. Nous utilisons la version oubliée dans Dernières pensées [Poincaré 1913a], chapitre I. Notons que dans
son article « Sur la valeur objective de la science », publié en 1902 dans la Revue de métaphysique et de morale [Poincaré 1902s], il
s’était déjà attaqué à cette idée mais en dirigeant ses critiques contre le nominalisme de Le Roy, un élève de Boutroux.
158 [Poincaré 1913a], page 5.
159 [Poincaré 1913a], pages 10-11.
160 [Poincaré 1913a], pages 29-30.
Henri Poincaré (1854-1912) : Des Mathématiques à la Philosophie 128
Retour aux Origines : Émile Boutroux et son Cercle
nature dans une perspective métaphysique, Poincaré l’analysait d’un point de vue strictement
logique et scientifique. Tout accord était par conséquent impossible, pour la simple raison
qu’il était « aussi paradoxal de demander à la science si elle peut voir les choses d’un point de
vue opposé au point de vue scientifique, que de demander à l’œil humain s’il peut voir des
êtres dépourvus de forme et de couleur ».161
D – Bilan
Dans son livre sur la philosophie spontanée des savants, Althusser remarquait que les philo-
sophies de savants provoquées par la ‘crise’ de la science ne relèvent pas d’une théorie de
l’histoire des sciences, mais d’une théorie de l’histoire de la philosophie, de ses tendances, de
ses courants et de ses conflits. À travers l’étude du cercle de Boutroux nous avons pu en quel-
que sorte confirmer cette appréciation et montrer que, tout en plongeant ses racines dans le
champ mathématique et scientifique, la pensée poincaréienne trouve un ancrage particulière-
ment solide dans le champ philosophique traditionnel. Les éléments kantiens, idéalistes et
spiritualistes qui apparaissent ponctuellement au sein de la philosophie du mathématicien ont
donc leur origine dans l’influence prégnante de penseurs comme Liard, Tannery ou Boutroux.
En s’essayant à dresser le bilan de l’œuvre philosophique de Poincaré, Boutroux devait large-
ment insister sur sa dimension idéaliste, laissant de côté son versant proprement technique :
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mes, des problématiques ou des thématiques communes entre ses conceptions et celles de
Liard, Tannery ou Boutroux ne suffit pas, car bien des rapprochements peuvent s’expliquer
par l’existence d’un contexte intellectuel favorable à l’émergence d’idées similaires, indépen-
damment de l’influence d’un penseur ou d’un autre. Il était donc nécessaire de corroborer ces
rapprochements par une analyse externe qui tienne compte de l’existence de relations person-
nelles, amicales, familiales et professionnelles entre Poincaré et les différents protagonistes du
groupe de Boutroux.
[…] Quel tapage auraient soulevé les disciples de Mach, si un matérialiste avait dit cela !
Que de traits obtus n’aurait-on pas décochés au ‘matérialisme éthéré’, etc. Mais le fondateur
de l’empiriosymbolisme moderne vaticine à cinq pages de là : ‘Tout ce qui n’est pas pensée
est le pur néant ; puisque nous ne pouvons penser que la pensée’. Vous vous trompez, M.
Poincaré. Vos œuvres prouvent que certaines gens ne peuvent penser que le non-sens.165
La critique de Lénine est sévère et elle porte sur le mélange, tendancieux selon lui, opéré par
Poincaré entre éléments matérialistes, issus d’une réflexion sur la pratique scientifique, et
éléments idéalistes, issus de l’influence de la philosophie traditionnelle et du ‘retour à Kant’.
Poincaré représente selon lui le type même du philosophe idéaliste bourgeois et, comme telle,
sa philosophie se doit d’être combattue avec la dernière énergie.
Le point de vue de Lénine nous semble particulièrement important parce qu’il souligne un fait
essentiel (sur lequel Althusser, dans son sillage, insistera avec une grande acuité), à savoir
l’existence d’un rapport fort entre les débats philosophiques et les luttes politiques. En effet, le débat
entre Poincaré et Le Roy dépasse le cadre strict de la philosophie et se trouve doté de fortes
connotations idéologiques et politiques. À une époque farouchement anticléricale (interdiction
des congrégations religieuses en 1901, séparation de l’Église et de l’État en 1905), Le Roy, en
disciple de Boutroux et en catholique militant, entendait défendre son idéal social et religieux ;
les conceptions philosophiques poincaréiennes convenaient parfaitement à ce projet, car en
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insistant sur les limites de la connaissance scientifique, elles ouvraient ainsi la voie vers
d’autres modes possibles d’appréhension du réel, dont la religion. De son côté, bien
qu’influencé par la philosophie de la contingence de Boutroux, Poincaré affichait des convic-
tions républicaines modérées et ne partageait pas la ferveur religieuse de son beau-frère puis-
qu’il semble qu’il était plutôt agnostique. L’exacerbation de son conventionnalisme par Le Roy
ne pouvait donc le satisfaire, ce qui explique ses diverses tentatives de clarification sur la na-
ture et la portée exactes de sa critique de la science.
Il va de soi que le débat entre Poincaré et Le Roy, tel qu’il s’exprima dans les articles de la
Revue de métaphysique et de morale ou dans La valeur de la science, demeura toujours sur le terrain
philosophique, ce qui rend possible une étude spécifiquement interne de son contenu. Cepen-
dant, une telle étude présente le risque d’être particulièrement fade si elle ne prend pas en
compte la dimension idéologique du débat et son inscription dans un contexte social et politi-
que. L’analyse externe est donc requise si on veut connaître les enjeux réels des discussions, si
on veut faire la lumière sur les réseaux intellectuels qu’elles sollicitent et, surtout, si on
n’entend pas se contenter d’une image désincarnée, déshumanisée, voire ‘dépolitisée’ (donc
fausse) de ses acteurs.
À travers la critique très orientée de Lénine, ce qui se met à jour c’est l’idée qu’aucune position
philosophique n’est politiquement neutre : à un degré ou un autre, il est toujours possible de
lire les choix philosophiques comme des choix idéologiques forts, véhiculant une certaine idée
de l’homme et de sa place dans la société. Le retour vers Kant et vers l’idéalisme effectué par
la communauté philosophique française au tournant du siècle a bien évidemment une origine
et une justification dans la pratique philosophique ; cependant, il n’est pleinement compré-
hensible que si on le situe dans un cadre plus large qui prend en compte, non seulement sa
dimension philosophique (ce que nous avons tenté de faire dans le chapitre précédent) mais
également sa dimension sociale, idéologique et politique. Or, à ce niveau, le retour à Kant tel
qu’il s’articule dans la philosophie de Boutroux acquiert une résonance religieuse et politique
profonde qui dépasse le cadre proprement interne de la circulation des idées philosophiques.
Il en va de même pour la reprise des conceptions de Poincaré par certains penseurs à des fins
apologétiques ou politiques.
Les chapitres qui vont suivre seront en grande partie consacrés à l’étude de ce dernier point,
mais, avant toute chose, il importe de préciser le parcours que nous aurons à suivre. Notre
objectif, rappelons-le, est de juxtaposer à l’étude habituelle du contenu philosophique des
travaux de Poincaré, une analyse des conditions externes de leur formulation ; nous tentons de
compléter la logique des contenus philosophiques par une logique des réseaux qui prenne en compte
les données diverses que peuvent fournir des études biographiques, sociologiques ou politi-
ques. Dans cette perspective, nous avons tenté de mettre en place une grille de lecture évolu-
tive : après nous être intéressés aux origines techniques du conventionnalisme puis au contenu
même de la philosophie de Poincaré (chapitre 1), nous avons élargi notre approche en analy-
sant l’influence du cercle de Boutroux sur la genèse de cette philosophie. Cette première partie
nous a fait passer d’un point de vue strictement interne à un point de vue plus large mêlant à
la fois analyse des contenus et prise en compte des circonstances externes de leur formulation.
Avec cette seconde partie, nous nous proposons d’élargir encore la perspective externe en
portant maintenant notre attention sur les relations de Poincaré avec la société de son temps.
D’une certaine manière, la perspective que nous adoptons dans l’ensemble de ce travail peut
être exposée simplement à l’aide d’une métaphore photographique : notre démarche a pour
ambition de passer d’une vision ‘macro’ à une vision ‘grand-angle’ de la philosophie poinca-
réienne. Dans un premier temps nous avons abordé l’œuvre de Poincaré à l’aide d’un objectif
à fort grossissement mais doté d’un champ très restreint : d’abord cantonnée à un niveau ‘ma-
cro’ (chapitre 1 et 2), cette analyse s’est ensuite peu à peu élargie pour finalement prendre acte
de l’existence de l’influence importante de la philosophie de Boutroux. Cette étude rapprochée
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troisième chapitre, nous porterons notre attention sur les engagements politiques de Poincaré
et nous verrons que, malgré son intervention décisive en faveur de la révision du procès
Dreyfus, il n’appartint jamais vraiment à la mouvance dreyfusarde et demeura toujours ex-
trêmement mesuré dans ses engagements publics.
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Chapitre 3
Le Champ Philosophique
Tout au long de sa carrière, Paul Valéry entretint de multiples rapports avec la communauté
artistique et littéraire : ami d’artistes comme Degas, Ravel, Rodin ou Honegger, proche de
Mallarmé, influencé par Huysmans, on le vit souvent évoluer dans l’entourage d’André Bre-
ton, Rainer Maria Rilke ou Stefan Zweig. Intéressé par ailleurs par l’épistémologie, la psycho-
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logie et la philosophie du langage, il fut en relation avec des scientifiques reconnus : Paul
Langevin, Jean Perrin, Louis De Broglie ou Émile Borel. Bien plus que ses textes publiés, ses
Cahiers, longtemps tenus secrets, témoignent de la diversité de ses thèmes de prédilection :
psychologie, langage et création poétique, temps, destin des civilisations, histoire de l’art,
calcul, géométrie, techniques, etc.
Par conséquent, il n’est pas étonnant de voir apparaître le nom de Poincaré dans la citation
introduisant ce chapitre. L’opposition que construit Valéry entre deux cercles pose le pro-
blème des relations entre l’être et le paraître, un problème universel qui ponctue l’ensemble
des relations interpersonnelles, et auquel tout historien se trouve inévitablement confronté.
Autant que faire se peut, la démarche historique consiste à aborder les personnages et les
événements du passé de la manière la plus objective possible. De fait, confronté à des sources
variées, nombreuses, souvent contradictoires et dont la valeur de vérité est parfois difficile à
apprécier, l’historien se trouve dans l’obligation d’aborder son objet d’étude avec la plus
grande circonspection, à formuler des hypothèses et à opérer des reconstructions plus ou
moins ambitieuses.2 Bien que l’objectivité totale n’existe pas dans le domaine historique, sa
visée constitue une sorte d’idéal régulateur qui rythme le travail de reconstruction. Les pièges
à éviter sont nombreux : lecture partielle (volontaire ou involontaire), malhonnêteté intellec-
tuelle, discours idéologique ou hagiographie, révisionnisme, tous ces mots désignent plus ou
moins directement une pratique de l’histoire qui mélange apparence et réalité.
1 Voir le volume III des Cahiers de Paul Valéry, publiés chez Gallimard (NRF) [Valéry 1987 / 1990], page 604. Valéry était
véritablement fasciné par le personnage de Poincaré, allant même jusqu’à déclarer : « Les hommes vivants et notoires que
j’admire personnellement sont MM. H. Poincaré, Lord Kelvin, S. Mallarmé, J.-K. Huysmans et Degas et peut-être M. Cecil Rho-
des. Cela fait 6 noms ». Dans une lettre à André Gide, il écrira également : « Le portrait est un genre que j’ai voulu aborder.
J’avais dans la tête pour La Nouvelle Revue, une suite avec des noms assez drôles (Degas, Poincaré, etc.). Mais il y a des difficultés.
Je sais que Mauclair va écrire sur Degas, et de plus, que cela ennuie Degas. Poincaré est difficile à faire sans le connaître. Il
m’intéresse beaucoup car il ne fait guère plus que des articles de psychologie en mathématicien. C’est de mon goût tout à fait. J’ai
toujours eu ça en tête depuis mon nouveau Testament. (L’Évangile nous y mène, dit Euclide !) Seulement, Lui, fait cela en grand
bonhomme qu’il est, avec le génie logique le plus séduisant, et il traite des points particuliers. Et moi, pauvre infirme et ignare, j’y
ai au contraire le b-a ba mathématique et voudrais m’attacher à la réalité de la pensée. J’ai souvent pensé que le connaître me
serait précieux, qu’une conversation mensuelle avec lui me ferait faire de grands progrès – et peut-être ne lui serait pas tout à fait
inutile – mais serait-elle libre ? Et puis nous n’avons rien de commun. Et je n’oserais jamais lui faire d’objections. Alors ? ». Lettre
de Valéry à Gide datée du 11 janvier 1896 [Gide / Valéry 1955], page 256. Pour plus de détails sur les relations entre Poincaré et
Valéry, voir l’article quelque peu obscur d’André Bellivier « Henri Poincaré et Paul Valéry autour de 1895 » [Bellivier 1957].
2 Vaste gageure qui laissait l’humoriste Ambrose Bierce sceptique puisqu’il écrivait dans son Dictionnaire du diable que
l’histoire n’est que le « compte rendu hautement douteux d’événements historique hautement futiles, causés par des chefs d’une
haute scélératesse et des soldats particulièrement stupides ». Dans le texte original : « An account mostly false, of events mostly
unimportant, which are brought about by rulers mostly knaves, and soldiers mostly fools ».
Henri Poincaré (1854-1912) : Des Mathématiques à la Philosophie 134
Le Champ Philosophique
En interprétant les propos de Valéry, on peut arriver au résultat suivant : le cercle restreint
dans lequel Poincaré se meut, celui de sa famille, de ses amis et de ses collègues, est le cercle
où son être, sa personnalité, sa vérité, se dévoilent sans artifices. À l’inverse, le cercle plus
large au sein duquel Poincaré est un personnage illustre est celui des apparences et il peut
donner une fausse image de son être véritable. La gloire, le succès auprès du grand public,
constituent une sorte de miroir déformant ; la connaissance d’un auteur par la fréquentation
de ses œuvres ne saurait jamais remplacer une connaissance directe.
Élu très jeune (à 33 ans) à l’Académie des Sciences, lauréat (le 20 janvier 1889) du Grand Prix
du roi de Suède (pour sa contribution importante à l’étude du problème des trois corps), sa
carrière ne fut qu’une suite incessante de succès qui lui valurent la reconnaissance de ses pai-
res, tant en France qu’à l’étranger. Cependant, contrairement à bien des scientifiques, Poincaré
fut de ces savants qui réussirent un doublé peu évident : voir ses travaux acceptés et ovation-
nés par l’ensemble de la communauté scientifique tout en suscitant l’enthousiasme du grand
public… Un tel succès tient peut-être à la multiplication de ses centres d’intérêt. Scientifiques
et « gens du monde » n’acclamaient pas forcément le même Poincaré. Pour les premiers, il
était le découvreur des fonctions fuchsiennes, l’auteur d’un traité essentiel Les méthodes nouvel-
les de la Mécanique céleste, l’auteur de la « Dynamique de l’électron ». Pour les seconds, Poinca-
ré était non seulement un mathématicien de renom, mais également un philosophe pénétrant
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dont les réflexions originales lui avaient permis, à l’instar de Marcelin Berthelot, d’entrer dans
le cercle très fermé de l’Académie française (le 5 mars 1908).
Si la renommée de Poincaré-scientifique est aisément compréhensible, celle de Poincaré-
philosophe ne laisse pas de surprendre. De 1902 à sa mort, au sein de la Bibliothèque de Philo-
sophie Scientifique de la Librairie Flammarion, Poincaré publia en effet trois livres qui contri-
buèrent à assurer sa renommée auprès du grand public : La science et l’hypothèse (1902), La
valeur de la science (1905) et Science et méthode (1908). En 1913, ses héritiers devaient finalement
composer, à partir d’articles divers, un dernier volume posthume intitulé Dernières pensées. Le
succès de ces ouvrages fut retentissant (et durable), les tirages atteignirent des chiffres énor-
mes : en 1925, son livre La science et l’hypothèse avait déjà été tiré à 40000 exemplaires, La valeur
de la science en était à son 32ème mille, Science et méthode à son 22ème mille et Dernières pensées à
son 16ème mille.3 Dès 1912, les trois premiers ouvrages avaient fait l’objet de traductions dans la
plupart des langues européennes et bénéficiaient ainsi d’une large diffusion dans le monde
entier ; ainsi, en 1910, La science et l’hypothèse était déjà traduit en allemand, anglais, espagnol,
hongrois, japonais et suédois, et La valeur de la science en allemand, anglais et espagnol.4
Comment expliquer un tel parcours ? Comment rendre compte de cette période de quinze ans
(globalement de 1887 à 1902) au cours de laquelle le personnage de Poincaré prit une impor-
tance publique considérable, au point de devenir un acteur à part entière de la scène philoso-
phique, un intellectuel patenté et (parfois) engagé sur le plan politique ? Par quelle savante
alchimie ce personnage passa-t-il de la sphère privée de la recherche scientifique vers la
sphère publique, philosophique et littéraire ? Comment écrire l’équation de ses relations avec
l’être et le paraître ?
Pour répondre à ces questions il nous semble essentiel, en premier lieu, de suivre presque pas
à pas ce cheminement qui part du Bulletin des sciences mathématiques pour aboutir, via la Revue
générale des sciences pures et appliquées et la Revue de métaphysique et de morale, à la publication de
La science et l’hypothèse en 1902. Nous avons tenté de montrer dans les chapitres précédents que
la philosophie de Poincaré ne se laisse pas réduire à son contenu mathématique et scientifique
3 Les chiffres proviennent d’un placard publicitaire inséré sur la couverture de l’édition 1925 de La valeur de la science. Dans un
article de 1908, Gustave Le Bon écrivait : « Je crois qu’on aurait étonné bien des gens et M. Poincaré lui-même en leur disant que
la vente de chacun de ces livres dépasserait en trois ou quatre ans 15000 exemplaires », [Le Bon 1908e], page 13. Notons que La
science et l’hypothèse et La valeur de la science sont encore publiés aujourd’hui, dans la collection Champs – Flammarion (les éditions
datent respectivement de 1968 et 1970). Dernières pensées fut réédité par la Librairie Hermann en 1963. Science et méthode vient
d’être réédité par les Archives Poincaré, dans un numéro spécial de Philosophia scientiæ.
4 Pour plus de détails sur les traductions des ouvrages de Poincaré, on consultera l’annexe intitulée « État des traductions des
ouvrages de Poincaré en 1912 », page 391.
Henri Poincaré (1854-1912) : Des Mathématiques à la Philosophie 135
Le Champ Philosophique
(même si celui-ci est de première importance), qu’elle met en œuvre les concepts traditionnels
de la philosophie et qu’elle semble s’être constituée en partie autour des conceptions qui circu-
laient au sein du cercle de Boutroux. Analyser l’ascension de Poincaré au sein du gotha philo-
sophique de la troisième république devrait permettre de ‘rééquilibrer la balance’, face à un
discours qui, trop souvent, laisse de côté l’aspect philosophique et culturel de son œuvre, pour
ne s’intéresser qu’à sa dimension technique : l’étude de ses relations avec ses contemporains
(philosophes, écrivains ou hommes politiques) sont bien évidemment susceptibles d’apporter
de précieux renseignements biographiques. Mais, ces informations, en retour, permettent de
comprendre par quel processus complexe la philosophie de Poincaré fut amené à se diffuser
dans tous les milieux et à s’imposer comme un moment de la pensée française (voir Paul Valé-
ry, Maurice Barrès ou Marie Bonaparte s’intéresser à ses écrits a une signification qui dépasse
le cadre de la simple anecdote) ; elles contribuent à une meilleure connaissance des contenus
philosophiques, comme on le verra dans la section consacrée aux relations entre Poincaré et
Gustave Le Bon. Au-delà de ce rééquilibrage nécessaire entre l’aspect technique et l’aspect
proprement philosophique de l’œuvre de Poincaré, c’est la nature même de son activité philo-
sophique (son style, ses relations avec les philosophes et avec le projet éternitaire de la philo-
sophie, ses pratiques éditoriales) qu’il s’agira de définir.
L’entrée de Poincaré en philosophie se produit à un moment où la communauté philosophi-
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5 Gustave Le Bon, Psychologie des foules, Paris, Flammarion, 1895. Cité d’après [Prochasson 1991], page 67.
Henri Poincaré (1854-1912) : Des Mathématiques à la Philosophie 136
Le Champ Philosophique
Penseur très marqué à droite (ses idées sociales influencèrent certains théoriciens de l’extrême
droite et du nazisme), Le Bon ne pouvait que déplorer l’existence de ce conflit entre valeurs du
passé et valeurs nouvelles. Si le terme d’anarchie est peut-être excessif, son constat n’en est pas
moins proche de la réalité. L’exemple de la philosophie peut en fournir une illustration.
A – Professeurs et philosophes
On a souvent mis l’accent sur le caractère peu novateur de la philosophie française du XIXème
siècle : les errances éclectiques d’un Victor Cousin, le spiritualisme universitaire d’un Janet ou
d’un Caro, le néokantisme d’un Renouvier ou d’un Boutroux constituent les indices d’une
sorte de sclérose de l’activité philosophique durant cette période. Louis Althusser, parmi
d’autres, évoqua ainsi « la pitoyable histoire de la philosophie française dans les cent trente
années qui suivirent la Révolution de 1789, son entêtement spiritualiste non seulement conser-
vateur mais réactionnaire, son incroyable inculture et ignorance ».6 Malgré leur violence, les
propos d’Althusser font mouche : alors que des penseurs comme Hegel, Husserl ou Heidegger
(les trois H, comme on les appelle souvent) ont fait école et continuent d’exercer une influence
philosophique déterminante, bien des philosophes français du XIXème siècle sont aujourd’hui
oubliés. Qui étudie encore, en effet, les œuvres de Victor Cousin, Laromiguière ou Royer-
Collard ? Qui se réclame encore des travaux d’un Fustel de Coulanges, d’un Lachelier ou d’un
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6 Louis Althusser, Pour Marx, Paris, Maspero, 1965, page 16. Cité d’après [Fabiani 1988], page 7.
7 Jean-Louis Fabiani remarque ainsi dans l’introduction de son livre, Les philosophes de la République : « Dans la ‘suite des nobles
esprits, les héros de la raison pensante’, dont Hegel parlait pour définir l’objet de l’histoire de la philosophie, les universitaires
français du tournant du siècle semblent occuper une place fort modeste. […] On pourrait dire, dans cette perspective, que les
philosophes français de la troisième République ne sont au mieux que de petits maîtres, plus proches de régents de collège que
de héros de la raison : imaginerait-on une génération des trois B (Boutroux, Bergson, Blondel) ? ». [Fabiani 1988], page 7.
8 Témoin de ce regain d’intérêt, la thèse d’André Canivez, Jules Lagneau, professeur et philosophe – Essai sur la condition de profes-
seur de philosophie jusqu’à la fin du XIXème siècle [Canivez 1965], ou le numéro spécial de la Revue de métaphysique et de morale en 1993
commémorant le centenaire de son existence, qui contient de nombreux articles sur Élie Halévy et Xavier Léon.
9 Et cette revendication est d’autant plus dans l’air du temps que la troisième République se construit autour de l’idée d’une
libéralisation idéologique.
10 Voir [Fabiani 1988], page 8.
Henri Poincaré (1854-1912) : Des Mathématiques à la Philosophie 137
Le Champ Philosophique
l’activité philosophique : d’un côté, le pédagogue, qui applique les programmes officiels, de
l’autre, le créateur.
La philosophie est le couronnement des études secondaires. Derrière cette revendication
toujours réaffirmée il y a beaucoup plus qu’un lieu commun pour discours de distribution
de prix : on y décèle l’inscription d’une hiérarchie ontologique dans une configuration sco-
laire. L’ordre pédagogique reproduit l’ordre, à travers un dispositif onto-encyclopédique,
l’ordre du savoir. Créateur et professeur : plus tout à fait répétiteur, mais pas encore vérita-
ble auteur, le philosophe universitaire du tournant du siècle exprime les tensions et les am-
biguïtés d’une redéfinition sociale en train de s’opérer.12
Ce malaise évident qui touche la philosophie vers la fin du siècle proviendrait par conséquent
d’un bouleversement radical des conditions mêmes de l’exercice de l’activité philosophique.
Les multiples réformes républicaines en matière d’éducation (la réforme de Ferry en 1881-
1882, la réforme de l’université dans les années 1890, celle de l’enseignement secondaire en
1902) rendent nécessaire la création d’un vaste corps professoral chargé de propager la philo-
sophie et les humanités. Dans le même temps, l’augmentation du nombre de bacheliers et
d’étudiants induit une modification profonde des attributions sociales de la communauté
universitaire.13 Autrefois érudits de cabinet, isolés dans des salons confidentiels, les universi-
taires voient brusquement leur audience s’accroître, leur public d’élargir (en partie grâce aux
revues) ; la naissance d’un nouvel idéal scientifique – auquel ils adhèrent le plus souvent –
leur confère un nouveau prestige et les investit d’une mission vis-à-vis de la société. Leur
enseignement est parfois pris en compte par les artistes, des écrivains s’inspirent de leurs
théories, ils deviennent des références pour le public. En un mot, les universitaires prennent
place au sein de la communauté intellectuelle naissante et acquièrent une légitimité sociale
qu’ils ne possédaient pas auparavant (l’affaire Dreyfus jouera d’ailleurs un rôle primordial
dans cette ‘naissance des intellectuels’, comme nous le verrons plus tard).
nombre d’enseignants passa de 756 à 950 et que le nombre d’étudiants passa de 12414 à 17606. [Lavisse 1918], page 53. La source
de ces chiffres étant assez vague, on préférera les estimations que fait Antoine Prost dans son Histoire de l’enseignement en France
1800-1967 : entre 1870-1875 et 1901-1905, le nombre de licences de Lettres passe de 133 à 475 (de 96 à 398 pour les sciences, et de
1136 à 1461 en Droit) ; sur la période plus courte qui va de 1881-1885 à 1901-1905, le nombre d’étudiants en Lettres passe de 1021
à 4133 ( pour les sciences, entre 1891-1895 et 1901-1905, le nombre d’étudiants passe de 1335 à 4477). Si on considère le nombre
total d’étudiants, on constate qu’ils sont 9522 en 1866-1870 et qu’ils sont au nombre de 41382 à la veille de la première guerre
mondiale. Voir en particulier [Prost 1968], page 243.
Henri Poincaré (1854-1912) : Des Mathématiques à la Philosophie 138
Le Champ Philosophique
On estime ainsi que l’augmentation du nombre d’universitaires semble avoir dépassé dans la
première partie de la troisième République l’élargissement, pourtant considérable des cadres
de la plupart des professions libérales et intellectuelles.14 Signe parmi d’autres de cette montée
en puissance de la communauté universitaire : le recrutement des réformateurs de
l’Instruction Publique. Ferdinand Buisson, directeur de l’enseignement primaire de 1879 à
1896, est philosophe de formation ; Élie Rabier, directeur de l’enseignement secondaire de
1889 à 1907, est philosophe de formation ; de même pour Louis Liard, directeur de
l’enseignement supérieur de 1884 à 1902. L’idée d’un philosophe à la tête de la cité se trouve
en partie concrétisée sous la troisième République, augmentant ainsi le prestige attaché à la
formation de philosophe.
On voit se constituer une sorte de complexe philosophico-administratif : les philosophes oc-
cupent une bonne partie des postes depuis lesquels on peut contrôler les décisions dans le
domaine de l’éducation, au nom de leur compétence pédagogique, elle-même fondée sur la
légitimité philosophique. La figure du philosophe-administrateur est caractéristique de la
troisième République.15
Cette recomposition, cette augmentation du nombre d’universitaires et de leur audience, cette
naissance d’une nouvelle manière de penser et de gérer l’activité philosophique concourent à
donner une réalité au malaise que nous évoquions précédemment.
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Les années 1890 voient le déclin de l’édition littéraire : la naissance de nouveaux loisirs (le
sport en particulier), la concurrence de la presse (et des feuilletons qui constituent des pro-
duits d’appel pour les lecteurs) portent un coup très sévère aux éditeurs de romans, qui
connaissaient jusque là une situation très enviable (voir par exemple les succès d’un Flaubert
ou d’un Zola). Le lectorat populaire se désintéresse de la littérature et devient demandeur de
livres à vocation pratique (manuels de savoir-vivre, guides touristiques, manuels d’hygiène,
ouvrages de vulgarisation scientifique). Cette crise a pour conséquence l’apparition de nouvel-
les pratiques éditoriales : développement de collections populaires, de la publicité, augmenta-
tion du nombre de publications à compte d’auteur (peu risquées pour les éditeurs), signature
de contrats désastreux (droits d’auteurs très faibles, souvent payés en retard, etc.). On assiste
aux débuts du capitalisme d’édition.18
Paradoxalement, le monde de l’édition philosophique ne semble pas affecté par cette crise.
Bien au contraire, alors que la production de romans, de livres de poésie et de théâtre accuse
une baisse de 10,8 % sur la période 1886-1890 à cause d’un désintérêt général du public, la
production d’ouvrages philosophiques enregistre une progression continue.19 Ainsi, si on
inclut dans la catégorie « philosophie » toutes les rééditions et toutes les traductions
d’ouvrages, on constate qu’entre la période 1876-1880 et la période 1906-1910 la progression
du nombre d’ouvrages publiés est de l’ordre de + 200 % (711 ouvrages contre 237 durant la
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18 Voir [Prochasson 1991], page 65 : « Le passage de l’éditeur à la maison d’édition, que provoque la crise des années 1890, se
traduisit non seulement par une diversification des activités et des investissements mais aussi par une spécialisation des tâches à
l’intérieur de chaque entreprise. Même si les maisons d’édition conservaient une taille modeste comparée à celle qu’atteignaient
parfois les plus grosses concentrations industrielles, celles-ci subissaient les lois de la division du travail. Elles devaient songer à
la direction littéraire, au suivi de la fabrication, à la commercialisation, voire à la publicité ».
19 Les chiffres que nous donnons dans ce paragraphe proviennent du comptage effectué par Fabiani sur la période 1876-1910, à
partir du Catalogue général de la librairie d’Otto Lorenz. Voir [Fabiani 1988], pages 23 à 26.
Henri Poincaré (1854-1912) : Des Mathématiques à la Philosophie 140
Le Champ Philosophique
Une des figures les plus marquantes du secteur philosophique du XIXème siècle est certaine-
ment celle de Félix Alcan (1841-1925). Né à Metz, ce fils de libraire intègre la section scientifi-
que de l’École Normale Supérieure (tout en entretenant de très bonnes relations avec certains
élèves des sections littéraires, notamment Théodule Ribot et Gabriel Monod). C’est au cours de
son séjour à l’école qu’il projette, semble-t-il, de créer une grande librairie ouverte à l’ensemble
des conceptions intellectuelles, philosophiques et scientifiques. Il réalisera d’abord ce projet en
s’associant à l’éditeur Germer-Baillière, avec le titre de directeur scientifique (en 1874) puis en
reprenant sa maison d’édition en 1883. Très rapidement, la maison Alcan deviendra une réfé-
rence culturelle incontournable : reprenant et développant les anciennes Bibliothèques de
Philosophie et d’Histoire Contemporaines (créées respectivement en 1863 et 1866) pour fina-
lement leur conférer une autorité scientifique incontestable (c’est par exemple dans la Biblio-
thèque de Philosophie Contemporaine que l’œuvre de Bergson sera publiée), Alcan sera éga-
lement l’initiateur et l’éditeur de revues prestigieuses comme la Revue philosophique (fondée en
1866 par son ami Ribot), la Revue historique (fondée en 1866 par Monod), L’Année sociologique
(fondée par Durkheim), L’Année psychologique ou le Journal de psychologie normale et pathologi-
que.
La création de la Revue philosophique constitue une date importante dans l’histoire de la philo-
sophie française. Avant son apparition, les moyens spécifiques de communication et de dis-
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20 La relative pauvreté du panorama des revues philosophiques ne doit cependant pas nous tromper : sous la troisième Répu-
blique, une multitude de revues de toutes sortes apparaissent et se développent. La revue est une vitrine ; c’est dans les revues
que les succès littéraires et intellectuels se construisent et il n’est pas question d’imposer une nouvelle tendance, de nouvelles
idées ou conceptions sans fonder une revue ; de plus, c’est dans les revues qu’intellectuels, universitaires et savants donnent le
plus souvent la primeur de leurs découvertes, de leurs créations (beaucoup plus que dans les livres) car la revue est un instru-
ment de communication qui permet de propulser très rapidement les idées dans la sphère publique auprès d’un nombre impor-
tant de lecteurs. Comme le remarque Prochasson dans son livre Les années électriques : « En tout domaine de la vie intellectuelle, il
est donc fait une consommation effrénée de pages de revues. La période 1880-1910 voit leur nombre croître d’une façon considé-
rable. Il n’est pas d’intellectuel qui ne rêve d’avoir sa propre revue ou, tout au moins d’y tenir sa plume. L’attention qui y est
portée prouve souvent le poids qu’elles ont acquis. Elles sont chargées de dire le vrai ou le beau. Lieux de vie, elles sont aussi des
lieux d’élaboration. À mi-chemin entre le secret du cabinet, où l’on rédige l’article qui fera mouche, et le salon mondain où celui-
ci est disséqué ». [Prochasson 1991], page 193.
21 Dans l’article qui ouvre le premier numéro de la revue, Ribot écrit ainsi : « La Revue n’exclura que les articles en dehors du
mouvement philosophique, c’est-à-dire qui, étant consacrés à des doctrines déjà connues, rajeunies seulement par un talent
d’exposition littéraire, n’auraient rien à apprendre aux lecteurs ». Cité d’après [Fabiani 1988], page 35.
Henri Poincaré (1854-1912) : Des Mathématiques à la Philosophie 141
Le Champ Philosophique
nu interne de la philosophie ‘fin de siècle’, c’est-à-dire à l’objet même de son activité, on cons-
tate une non moins grande effervescence. Jacques Bouveresse a énoncé, à propos de la prati-
que philosophique, un jugement qui s’applique parfaitement à la période que nous étudions :
Contrairement à une idée reçue, je ne considère pas comme évident qu’un philosophe doive
nécessairement avoir une idée plus adéquate de sa pratique philosophique qu’un savant de
sa pratique scientifique.22
L’idée que semble défendre Bouveresse dans cette citation est celle d’une contradiction entre
la pratique d’une discipline donnée (en l’occurrence la science ou la philosophie) et la théorie
qui fonde cette pratique (le point de vue réflexif sur la pratique elle-même). Bouveresse entend
probablement montrer le caractère fondamentalement ambigu et réducteur des étiquettes que
l’on peut coller à certaines pratiques ; en effet, s’il est relativement aisé d’attribuer le label
‘philosophie’ à certaines pratiques, s’il est relativement facile d’identifier sa propre pratique
comme appartenant au champ général de la philosophie, plus complexe est la tâche qui con-
siste à construire la théorie de cette pratique et à définir exactement la portée et les enjeux du
champ disciplinaire auquel on se rattache intuitivement, presque sans y penser. En d’autres
termes, et pour prendre des exemples caricaturaux, il est plus facile de dire ‘x est un philoso-
phe’, ou ‘je suis philosophe’, que de s’interroger sur la signification de ce ‘je suis philosophe’.
L’exemple de la science est à ce titre assez éclairant : le scientifique produit des théories, ac-
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complit des mesures, évalue des résultats, la plupart du temps sans s’interroger réellement sur
les fondements de cette science à laquelle il contribue et qu’il est en train de construire. Si on
lui demande en quoi consiste sa pratique de scientifique, si on l’interroge sur ce qu’est la
science, il répondra certainement qu’elle consiste en une exploration du réel, mais rarement il
se posera la question de la nature ou de l’accessibilité de ce réel. Fait symptomatique, ce sont
souvent les philosophes, ou les scientifiques reconvertis à la philosophie, qui se chargent
d’interroger ces pratiques scientifiques, de démêler leurs méthodes, leurs présupposés, de
déterminer leur portée véritable (les travaux de Boutroux, ou ceux, plus modernes, de Thomas
Kuhn sur la structure des révolutions scientifiques en sont des exemples).23 Toutefois, dans le
cas de la philosophie, la situation est quelque peu différente. Souvent, tout en construisant
leurs systèmes, les philosophes sont conduits à s’interroger sur ce qui fonde leur propre dis-
cours ; la pratique philosophique s’accompagne alors d’une réflexion normative sur ce qu’est
la philosophie et sur le rôle qu’elle peut jouer dans les processus d’acquisition de la connais-
sance. C’est par exemple le cas de Heidegger qui intitule un de ses ouvrages Qu’est-ce que la
philosophie ?, de Kant ou de Comte, soucieux tous deux de définir et d’instituer la légitimité du
discours philosophique.
Un problème se pose alors, et c’est celui de la multitude de conceptions possibles de la prati-
que philosophique. Chaque philosophe apporte sa propre définition, chaque courant véhicule
sa propre conception, ce qui fait qu’en définitive, la philosophie devient une discipline éclatée,
multiple et, à la limite, incohérente (et cette impression se trouve renforcée parce que la philo-
sophie elle-même n’a pas d’objet propre, parce qu’elle est susceptible de s’infiltrer au sein de
tout domaine d’activité ou de réflexion). En ce sens, la citation de Bouveresse semble plutôt
avoir la résonance d’une revendication politique : Bouveresse revendique le droit de produire
un discours philosophique tout en refusant de s’impliquer dans le débat normatif séculaire sur
la nature et le rôle de la philosophie. Cette position présente, pour ainsi dire, les avantages de
ses inconvénients : son inconvénient majeur est bien évidemment qu’elle n’explique guère
quelle peut être la spécificité du discours philosophique par rapport à d’autres formes de dis-
cours. Elle présente cependant l’avantage d’autoriser (et d’expliquer) l’intervention de ‘non-
philosophes’ au sein de discussions et de débats philosophiques (celle de Poincaré par exem-
ple). Enfin, elle a le mérite d’expliquer la situation que vit la communauté philosophique fran-
çaise à la fin du XIXème siècle.
22 Jacques Bouveresse, « Pourquoi pas des philosophes », Critique 368 (1978), page 104. Cité d’après [Fabiani 1988], page 15.
23 Bien évidemment, il ne faudrait pas oublier les approches pertinentes de la science menées par les psychologues ou les
sociologues.
Henri Poincaré (1854-1912) : Des Mathématiques à la Philosophie 142
Le Champ Philosophique
En 1867, dans son célèbre Rapport sur la philosophie en France au XIXème siècle, Félix Ravaisson
remarque l’existence d’un conflit philosophique majeur entre deux tendances dominantes : le
positivisme d’une part (et toutes ses variantes qui se conjuguent sous les termes de matéria-
lisme scientifique, déterminisme, nécessitarisme, etc…) et l’idéalisme d’autre part. À en croire
Ravaisson, le conflit aurait tourné bien des fois à l’avantage du courant spiritualiste et idéa-
liste. En tant que représentant du spiritualisme français, Ravaisson ne pouvait guère tenir un
autre discours ; cependant, force est de constater que la domination du spiritualisme universi-
taire vers la fin du XIXème siècle ne se fait qu’au prix d’une adaptation à certains schèmes du
courant positiviste (on parle d’ailleurs souvent d’un positivisme spiritualiste, dont Boutroux
serait un des représentants). Plutôt que de dresser un tableau des victoires et des défaites de
cette lutte qui imprime sa marque dans le siècle, nous nous contenterons de donner ici un bref
aperçu des débats et de leurs enjeux.
Le projet positiviste d’Auguste Comte trouvait son fondement dans une critique de la méta-
physique. Selon lui, l’humanité venait de rentrer dans une nouvelle ère, l’ère positiviste, et la
science était destinée à devenir le paradigme de toutes les activités humaines. Il écrivait ainsi
en 1826 :
C’est surtout la formation plus ou moins prompte de cette nouvelle classe de savants qui
déterminera naturellement la rapidité de ces travaux complémentaires, destinés à investir
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enfin le système positif de la suprématie spirituelle que la marche invariable du genre hu-
main lui assigne dans l’avenir.
Quand ces divers travaux seront assez avancés pour avoir pris un caractère irrévocable, on
verra l’éducation sociale tomber d’elle-même pour toujours entre les mains des savants. Dé-
jà, tout est préparé pour cette révolution. Les connaissances naturelles sont enfin devenues,
à tous les yeux, et deviendront de plus en plus l’objet principal de l’enseignement.24
Cette conception positiviste prend bien évidemment sa source dans les progrès considérables
des sciences et des techniques au cours du XIXème siècle : la révolution industrielle laisse entre-
voir le rêve d’une humanité délivrée des servitudes grâce à la science. Ce rêve est bien évi-
demment relayé au fil des ans par des générations de scientifiques et d’intellectuels : c’est
Laplace qui déclare pouvoir se passer de l’hypothèse d’un dieu créateur et qui affirme égale-
ment être en mesure de déterminer l’avenir de l’univers par le calcul. C’est Marcelin Berthelot
qui déclare que le monde est aujourd’hui sans mystères, le seul rôle dévolu à la science étant
alors d’affiner la précision décimale de ses découvertes. C’est Ernest Renan, grand promoteur
du scientisme, qui affirme, dans L’avenir de la science, que le dernier mot de la science moderne
sera « d’organiser scientifiquement l’humanité ».25
Cette philosophie trouvera également ses racines au sein de la communauté scientifique ger-
manique des années 1830-1840. À cette époque, en effet, des scientifiques (le plus souvent des
biologistes) commenceront à remettre en cause les connaissances susceptibles d’être fournies
par la philosophie traditionnelle. À la méthode philosophique d’acquisition des connaissan-
ces, ils substitueront le schème de la méthode scientifique. Parmi ces penseurs, fondateurs du
matérialisme scientifique, les représentants les plus éminents semblent être Ludwig Feuer-
bach, Moses Hess, Karl Vogt, Jacob Moleschott ou Ludwig Büchner.26 Rendre la philosophie
superflue, tel est le maître-mot du courant positiviste dans ses excès. Le modèle empirico-
déductif semble être appelé à faire tomber la méthode philosophique de son piédestal. C’en
est fini des vieilles lunes philosophiques, la place doit maintenant être libre pour
notion that official philosophy could be replaced with natural science was part of the materialistic mentality. Moses Hess wrote
to an unidentified acquaintance that experience must be merged with philosophy and philosophy with experience. ‘An empiri-
cism of science (Wissenschaft)’, he continued, ‘which is carried out fundamentally and consistently from our standpoint, makes
philosophy superfluous’ ». [Gregory 1977], page 146.
Henri Poincaré (1854-1912) : Des Mathématiques à la Philosophie 143
Le Champ Philosophique
l’argumentation raisonnée (et raisonnable) sur des faits. Plus que jamais, le XIXème siècle sem-
ble être celui des sciences de la nature.27
On a souvent dit que le XIXème siècle fut dominé par un positivisme et un scientisme triom-
phants. Cette caractérisation, bien que correcte, pourrait cependant être largement nuancée
dans la mesure où elle tend à négliger tous les courants de pensée qui tentèrent, durant cette
période, de lutter contre les velléités dominatrices du positivisme et de concilier progrès scien-
tifique et respect de la liberté de philosopher. Bien avant Comte, on critiquait déjà les débor-
dements scientifiques, sources potentielles de dégénérescence de la pensée philosophique et
religieuse. C’était par exemple le cas de Joseph de Maistre qui écrivait en 1810 :
Si l’on n’en vient pas aux anciennes maximes, si l’éducation n’est pas rendue aux prêtres et
si la science n’est pas mise partout à la seconde place, les maux qui nous attendent sont in-
calculables ; nous serons abrutis par la science, et c’est le dernier degré de l’abrutissement.28
De même, lorsque dans la préface de la première édition de son livre Le matérialisme et la
science, E. Caro remarque le profond malaise touchant la philosophie française de son siècle,
c’est Auguste Comte qu’il vise. Il entend démontrer « que les sciences positives, quels que
soient d’ailleurs leurs étonnants progrès et leurs ambitions plus grandes encore, ne sont ni en
droit de supprimer la métaphysique, ni en mesure de la remplacer ».29 Il pose explicitement la
question qui préoccupera bon nombre de philosophes de la fin du XIXème siècle :
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Est-il exact de dire que le divorce est irrévocablement accompli entre l’esprit philosophique
et l’esprit scientifique ? Nous ne le croyons pas. En dehors des positivistes, qui suppriment
le problème métaphysique, et des matérialistes qui prétendent le résoudre à leur manière,
j’aperçois un groupe nombreux et de jour en jour croissant, de savants qui reconnaissent
hautement les droits de la philosophie, pourvu qu’elle observe ses propres limites et
n’empiète pas dans le domaine des autres sciences.30
D’une manière générale, durant la seconde moitié du XIXème siècle, prend naissance en France
un courant spiritualiste qui tente de réconcilier la nécessité des lois naturelles (le déterminisme
inhérent à la science) avec la pensée créative de l’homme sur la nature et la doctrine du libre-
arbitre. L’acte de foi principal de ce courant est le suivant : si les découvertes de la science sont
importantes et doivent être prises en compte, il ne faut pas pour autant en conclure qu’elles
constituent le seul horizon de l’homme. On souligne d’une part l’incapacité de la science à
expliquer certains aspects de l’activité humaine (le réductionnisme scientifique n’élucide
qu’imparfaitement les questions de la morale, de la psychologie ou du libre-arbitre). D’autre
part, on tente de montrer que la contingence règne au sein des sciences les plus assurées. Ce
retour de l’idéalisme est fortement lié à un regain d’intérêt en faveur de la philosophie kan-
tienne. La grande question kantienne – « Que pouvons-nous connaître ? » – revient sur le de-
vant de la scène dans une formulation plus moderne : la science est-elle capable d’expliquer
tout le réel ? Ou, pour reprendre les termes d’Émile Boutroux, « la science que peut créer
l’entendement opérant sur les données des sens, est-elle susceptible de coïncider complète-
ment avec l’objet à connaître ? ».31 En un mot, quelle est la valeur de la science ?
La foi en la science et en ses applications commence donc à être mise en doute, et l’attitude
générale à son égard s’inverse radicalement, passant de l’optimisme au scepticisme.32 Peu à
27 [Freuler 1995], page 2 : « Partout, on encense les progrès de ces sciences, partout on publie des revues grand public censées
diffuser leurs découvertes, partout on admire leurs retombées techniques […]. En collaboration avec la technique et la médecine
dira Rudolph Virchow, en 1873, la science de la nature ‘a conquis les meilleurs des esprits et n’a pour ennemis que des rêveurs ou
des crapules. Elle a pénétré tous les domaines, elle transforme toutes les autres sciences, elle domine toute notre vie familiale et
politique. Elle ne règne pas seulement dans l’usine, dans l’atelier et la cuisine, mais également dans la conduite de la guerre et la
diplomatie, dans l’art et dans le commerce : – elle domine partout.’ Mais partout, on compare aussi les succès éclatants de cette
science de la nature avec les résultats dérisoires de la philosophie, et on est tenté de conclure que cette dernière a peut-être fait
son temps, qu’elle devrait disparaître ou alors se conformer désormais aux conditions de la recherche scientifique authentique, à
celles qui ont porté les sciences de la nature au fronton de la civilisation ».
28 Joseph de Maistre, Essai sur les principes générateurs, 1810.
29 [Caro 1868 / 1876], page III.
30 [Caro 1868 / 1876], page V.
31 [Boutroux 1874a], page 4.
32 Voir à ce sujet [Paul 1968].
Henri Poincaré (1854-1912) : Des Mathématiques à la Philosophie 144
Le Champ Philosophique
peu, certains scientifiques, engagés dans la recherche active, publient des travaux critiques sur
des énoncés scientifiques qu’ils analysent précisément, interrogeant ainsi la valeur réelle de la
science et contribuant à fonder une sorte d’épistémologie interne à la communauté scientifi-
que. Le matérialisme allemand demeure toujours un paradigme fort ; cependant, la nécessité
impérative d’importer dans tous les domaines de la connaissance le modèle de la méthode
scientifique se voit tempéré par une réflexion sur ce que l’on peut raisonnablement espérer
connaître grâce à la science.
En 1865, Claude Bernard publie ainsi son Introduction à l’étude de la médecine expérimentale. En
1872, le physiologiste allemand Emil Du Bois-Reymond publie son livre Über die Grenzen des
Naturkennens. Puis viendront les œuvres de philosophes ou de scientifiques, tels Émile Bou-
troux, Ernst Mach, Édouard Le Roy ou Pierre Duhem. La fin du XIXème siècle voit apparaître
une nouvelle génération de ‘philosophes’ (la génération des savants-épistémologues pour re-
prendre l’expression de Jean-Claude Pont).33 En effet, les découvertes scientifiques majeures de
la seconde moitié de ce siècle – la radioactivité, les rayons X, l’électromagnétisme – contri-
buent à mettre à mal l’idée d’une science capable d’expliquer tous les phénomènes naturels
d’une manière univoque. Avec ces nouvelles avancées, l’image scientifique du monde gagne
une plus grande complexité, obligeant ainsi bon nombre de savants à s’interroger sur les fon-
dements de leurs disciplines.34 De praticiens de la science, ces savants deviendront philoso-
tel-00137859, version 1 - 22 Mar 2007
phes des sciences, épistémologues, et exerceront une influence décisive sur les philosophes de
leur époque ; influence qui donnera naissance à une philosophie scientifique trouvant son
expression la plus pure dans les œuvres de Poincaré et de Duhem.35
Cette tension entre la science et la philosophie, ce mouvement vers une conception de la philo-
sophie qui autorise la prise en compte des enseignements des sciences positives, sont particu-
lièrement bien exprimés par Émile Boutroux dans son allocution du 1er août 1900, à l’occasion
de la séance d’ouverture du premier Congrès International de Philosophie à Paris :
Il y avait d’un côté une philosophie qui, défiante des sciences physiques et naturelles, es-
sayait de se constituer un domaine à part, en se donnant pour tâche d’interroger et
d’approfondir la conscience. D’autre part, la science s’appliquait à éliminer de ses principes
et de ses méthodes toute espèce d’élément philosophique, et se persuadait volontiers qu’elle
s’en passait effectivement. Si quelque philosophie était possible, estimait-on de ce côté, ce
ne pouvait être que l’étude des généralités des différentes sciences, conçues comme soumi-
ses à une méthode unique et comme formant les différentes parties d’un plan général de re-
cherches. […]
Mais, dans la seconde moitié du siècle, la condition de la philosophie s’est de plus en plus
modifiée. Un double besoin a été clairement ressenti : d’une part, rapprocher la philosophie
des sciences, qui, de plus en plus, portent dans l’étude du réel, de la vie, de l’âme même la
rigueur et la certitude qu’elles n’atteignaient jadis que dans l’ordre des abstractions et des
possibilités ; d’autre part, maintenir l’originalité et l’autonomie relative de la philosophie ;
33 [Pont 1995].
34 Émile Bréhier écrira ainsi : « C’est alors que commence le mouvement critique des sciences, qui restera sans doute
l’expression caractéristique des années qui ont précédé et suivi la fin du siècle : on recherche le sens et la valeur des concepts
fondamentaux dont se servent les sciences. Ce mouvement a deux caractères distinctifs : en premier lieu, il est d’ordre technique
[…] ; en second lieu, il est de nature toute positive, puisqu’il examine les principes des sciences non pas en eux-mêmes et dans
l’absolu, ou en se référant à des principes très généraux tels que ceux de contradiction ou de raison suffisante, mais bien dans le
rôle effectif et indispensable qu’ils ont dans la connaissance scientifique […] ». [Bréhier 1926 / 1932], volume 3, page 822. Dès
1887, dans la préface qu’il intègre à sa traduction du livre de Paul Du Bois-Reymond, Théorie générale des fonctions,
l’épistémologue Gaston Milhaud écrit : « Ils [ceux qui ont reçu en mathématiques une éducation ordinaire] sont restés longtemps
sans comprendre qu’il puisse y avoir, à propos de ces sciences, des questions capables de diviser les penseurs, et toute discussion
philosophique sur les notions essentielles des mathématiques est souvent mal accueillie pour la simple raison qu’on en sent
difficilement la nécessité […]. Il met en question des problèmes philosophiques du plus haut intérêt touchant ainsi à ce que les
mathématiciens considèrent trop d’ordinaire comme une arche sainte […] ». [Milhaud 1887], page 7.
35 Dans son « Rapport sur la philosophie en France depuis 1867 » [Boutroux 1908a], Boutroux reprendra l’œuvre de Félix
Ravaisson là où elle avait été laissée et il constatera une amplification de ce mouvement vers une synthèse entre philosophie et
science. Il écrira ainsi, page 934 : « Depuis lors [la fin des années 1870] en particulier, le divorce qui existait entre savants et
philosophes s’est de plus en plus atténué. Les sciences elles-mêmes sont devenues, non seulement pour des esprits nourris de
philosophie classique, mais pour nombre de savants de profession, le point de départ de réflexions philosophiques ; et un nouvel
et considérable enrichissement de la philosophie s’est produit grâce à leurs travaux ».
Henri Poincaré (1854-1912) : Des Mathématiques à la Philosophie 145
Le Champ Philosophique
et, au lieu de voir en elle, soit une science comme les autres, soit même la forme générale
commune à toutes sciences, lui assigner une tâche qui, résultant de la réflexion originale de
l’esprit sur les connaissances scientifiques, dépasse véritablement la portée et les méthodes
des sciences particulières.36
Cependant, cette apparition des savants-épistémologues ne laisse pas de poser des problèmes
aux philosophes qui en sont les témoins, car ces scientifiques qui se tournent vers la philoso-
phie portent, sans le savoir, atteinte au rêve unitaire et universaliste de la philosophie : à une
époque où des disciplines comme la psychologie ou la sociologie – issues de la philosophie –
prennent leur essor et acquièrent leur autonomie, l’apparition de ces épistémologues accentue
le désordre d’une situation déjà complexe ; il n’existe plus alors une philosophie une et univer-
selle mais des philosophies particulières développées ponctuellement sur des sujets divers. Les
prétentions de la philosophie à l’unité, à l’universalité et à l’éternité de son discours prennent
fin à cette époque ; les philosophes se voient contraints d’accepter l’idée que leur discipline
puisse ne pas avoir d’objet propre.
Chaque nouvelle branche de la philosophie apparaît alors facilement à ses adeptes comme un
tout, comme l’essence vraie et totale de la philosophie, de sorte qu’il devient finalement diffi-
cile de savoir ce qu’est précisément la philosophie. Boutroux évoque ainsi une situation
d’anarchie qui rappelle fortement celle décrite par Gustave Le Bon en 1898 (cf. page 135).37
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du premier Congrès International de Philosophie [Boutroux 1900a]. Ce texte (celui de 1908) donne un aperçu des différents
courants philosophiques au tournant du siècle : pour plus de détails sur ce sujet on peut consulter également le livre de Domini-
que Parodi, La philosophie contemporaine en France [Parodi 1919] ou celui de J. Benrubi Les sources et les courants de la philosophie
contemporaine en France [Benrubi 1933].
Henri Poincaré (1854-1912) : Des Mathématiques à la Philosophie 146
Le Champ Philosophique
‘épistémique’ en même temps que bâtard social, il navigue difficultueusement entre ces
deux figures.39
Cette expression est très parlante ; elle décrit parfaitement le flottement épistémique qui
s’attache à l’intervention des nouveaux savants-épistémologues sur la scène philosophique. À
ce niveau, en effet, les cloisonnements disciplinaires ne semblent plus capables de caractériser
leurs interventions multiples et variées dans la presse quotidienne, dans les revues mondaines
et littéraires, dans les revues philosophiques ou dans les journaux de vulgarisation scientifi-
que. Les scientifiques qui, comme Poincaré, multiplient les publications dans ces revues affec-
tent l’unité des disciplines sur lesquelles ils portent leur attention ; ils évoluent au sein d’un
vaste territoire, vaguement délimité, qui comprend à la fois la science, la philosophie et la
vulgarisation scientifique : plus tout à fait hommes de science, ce ne sont pas non plus des
philosophes à part entière dans la mesure où leur discours prend souvent l’apparence de la
vulgarisation scientifique. Cette confusion disciplinaire, ce mélange des genres propre aux
savants-épistémologues rend difficile l’appréciation de leurs travaux. Dans le cas de Poincaré,
nous verrons que le qualificatif de ‘bâtard épistémique’ est parfaitement adapté : nous consta-
terons ainsi l’existence d’un flottement entre trois types de discours (philosophique, scientifi-
que et vulgarisateur), un flottement qui explique en partie le succès remporté par ses ouvrages
de ‘philosophie scientifique’.
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définition ne vaut que si on considère qu’il existe un corpus plus ou moins fixe de philoso-
phes ; il y aurait des auteurs et des problèmes philosophiques et tout discours portant sur ce
corpus serait ‘philosophique’. Si on choisit ce type de définition, une date s’impose pour
l’entrée de Poincaré en philosophie : l’année 1880. À cette date, en effet, Boutroux fait paraître
chez l’éditeur Delagrave une nouvelle édition de la Monadologie de Leibnitz, édition considé-
rablement annotée et précédée d’une longue « Exposition du système de Leibnitz ».41 Or, pour
cet ouvrage, Boutroux demande à son beau-frère – alors chargé de cours à la Faculté des scien-
ces de Caen – de rédiger une « Note sur les principes de la mécanique dans Descartes et dans
Leibnitz ».42 Dans ce texte très technique, Poincaré compare les conceptions des deux philoso-
phes concernant la mécanique et il montre clairement les conséquences de ces conceptions sur
leurs systèmes respectifs. Œuvre de commande, cette note ne laisse guère transparaître de
positions conceptuelles originales, mais elle est le signe d’une bonne connaissance des œuvres
philosophiques traditionnelles et d’un attrait pour la réflexion philosophique.
Une autre manière d’aborder la philosophie serait de la considérer comme un processus de
conceptualisation qui s’écarte des lieux-communs et qui tente de prendre une certaine distance
par rapport aux problèmes abordés. En mettant ainsi l’accent sur l’analyse et la clarification
des concepts, on met en avant la dimension créative et individuelle de l’activité philosophi-
que. Dans cette perspective, la première conceptualisation philosophique de notions menée
par Poincaré semble être celle qui se trouve dans son article de 1887, « Sur les hypothèses
fondamentales de la géométrie ». Dans cette réponse à l’Habilitationsvortrag de Riemann, très
mathématique dans sa forme, Poincaré aborde des problèmes qui ont une grande importance
philosophique. Il formule deux thèses importantes, qui ont un lien direct avec la tradition du
problème de Riemann-Helmholtz : il affirme d’une part que les hypothèses fondamentales de
la géométrie ne sont pas des faits expérimentaux, bien que leur formulation soit guidée par
l’expérience. D’autre part, il affirme que la géométrie n’est rien d’autre que l’étude d’un
groupe, choisi non seulement pour des raisons de simplicité et de commodité, mais également
parce que l’expérience révèle que les divers mouvements possibles de ces corps sont liés, à fort
peu près, par les mêmes relations que les diverses opérations de ce groupe.43 Poincaré affirme,
à la fin de son article que les vérités qu’il énonce commencent à devenir banales (il écrit : « […]
41 [Boutroux 1880]. Cette édition fait encore référence ; elle est toujours publiée aujourd’hui.
42 [Poincaré 1880e]. Il dresse ainsi la conclusion suivante, page 231 : « C’est ce qui explique pourquoi Leibnitz a dit, au paragra-
phe 80 de la Monadologie, que si Descartes avait connu les véritables lois de la mécanique, il serait tombé dans le système de
l’harmonie préétablie ».
43 [Poincaré 1887h], page 91. C’est nous qui soulignons.
Henri Poincaré (1854-1912) : Des Mathématiques à la Philosophie 148
Le Champ Philosophique
le but de ce travail n’est pas le développement de ces vérités qui commencent à devenir bana-
les ») ; il tente de se situer par rapport à une certaine tradition philosophique mais il ne donne
guère de détails à ce sujet. Si on se borne au contenu explicite de l’article, il est clair qu’il a en
tête toute la tradition mathématique d’interprétation des géométries non euclidiennes et qu’il
se réfère, entre autres, aux travaux de Riemann et Helmholtz sur les fondements de la géomé-
trie. Cependant, il n’est pas impossible que cette dernière phrase fasse également référence
aux travaux de Boutroux et de Liard sur le statut philosophique des énoncés scientifiques et
des lois naturelles, voire, plus généralement, aux débats concernant les géométries non eucli-
diennes qui opposent, autour de 1887, l’école de Renouvier aux défenseurs de la géométrie
générale, comme Lechalas ou Calinon.44 Une dernière remarque s’impose : cet article n’était
pas conçu pour un public philosophique puisqu’il fut publié dans le Bulletin des sciences ma-
thématiques. Il exerça une influence mineure, comparé à l’article de 1891 sur les géométries non
euclidiennes.
Enfin, une dernière définition possible de la philosophie serait celle qui mettrait l’accent sur la
notion de communauté, c’est-à-dire sur la dimension sociale de l’activité philosophique : serait
philosophique ce qui est accepté comme tel par la communauté philosophique, ce qui a droit
de cité dans les revues philosophiques. Une telle définition prend en quelque sorte le contre-
pied des deux définitions précédentes dans la mesure où elle insiste sur l’aspect externe de
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cette activité. À la limite, pourrait-on dire, les contenus importent peu pourvu que la commu-
nauté philosophique s’entende pour lui accorder le label ‘philosophie’. Si on adopte une telle
définition, dater l’entrée de Poincaré en philosophie consiste alors à déterminer le moment à
partir duquel ses idées s’exprimèrent publiquement, se matérialisèrent socialement dans des
débats, des controverses et des revues. Dans cette perspective, la date qui s’impose semble être
celle de la fondation de la Revue de métaphysique et de morale. En effet, avec le premier numéro
de cette revue en 1893, s’amorça une collaboration de près de 20 ans. Jusqu’à sa mort, Poincaré
donna la primeur de ses réflexions philosophiques à la revue d’Élie Halévy et Xavier Léon et
participa aux grandes entreprises qu’ils initièrent, comme le Congrès International de Philo-
sophie durant l’exposition universelle de 1900. Dès 1893, Poincaré donnera ainsi, pour le pre-
mier numéro de la Revue de métaphysique et de morale, un article intitulé « Le continu mathéma-
tique ».45 Au fil des ans, la Revue de métaphysique et de morale deviendra pour lui le vecteur
principal de diffusion et de discussion de ses idées (de 1893 à sa mort en 1912, il y publiera
une vingtaine d’articles très importants, au rythme moyen d’un article par an). C’est dans la
Revue de métaphysique et de morale qu’éclatera la controverse avec Bertrand Russell et Louis
Couturat autour des fondements de la géométrie ; c’est dans la Revue que Poincaré rendra
compte de ses conceptions originales sur la valeur de la science, engageant du même coup une
polémique avec Édouard Le Roy ; c’est dans la Revue enfin qu’il critiquera fermement les ef-
forts des partisans du logicisme et qu’il mettra au clair ses conceptions sur les relations entre
les mathématiques et la logique.
Il est bien évident qu’aucune de ces définitions de l’activité philosophique n’est véritablement
pure et que l’activité philosophique ne se laisse pas réduire à une seule des caractéristiques
que nous avons évoquées. Ainsi, pour retracer le parcours de Poincaré de la sphère mathéma-
tique vers la sphère philosophique, nous privilégierons la dimension sociale de l’activité phi-
losophique, mais nous tenterons également de tenir compte des contenus. Notre attention
portera ici sur les relations de Poincaré avec les représentants de la communauté philosophi-
que française46 ; nous tenterons de déceler, au sein de certaines correspondances inédites, les
traces d’un intérêt croissant du mathématicien pour la réflexion philosophique ; nous tente-
rons de déterminer – souvent de manière indirecte car les documents manquent – par quels
jeux de contacts et d’influences Poincaré fut conduit à devenir un des collaborateurs les plus
leurs entrées au sein de la communauté philosophique, notamment par le biais des revues.
Henri Poincaré (1854-1912) : Des Mathématiques à la Philosophie 149
Le Champ Philosophique
Couets près de Nantes, il se destine d’abord à la prêtrise. Il reçoit la tonsure et il entre à l’école
des hautes études des Carmes à Paris. En 1857, il obtient sa licence de Lettres et il renonce à la
carrière religieuse. En 1860, il entre à l’École Normale Supérieure (il est dispensé de la pre-
mière année en raison de son âge) ; il obtient l’agrégation de philosophie en 1865 et il com-
mence sa carrière d’enseignant à Épinal comme régent de logique et d’histoire. Il enseignera la
philosophie dans divers établissements de province (Toulouse, Bourg-en-Bresse, Nice, Lille,
Caen47, Bordeaux) avant d’être nommé à Paris (en 1879 au lycée Saint-Louis, en 1880, au lycée
Charlemagne).
En 1882 il renonce à l’enseignement et il commence une carrière administrative : au mois de
janvier de cette année, il est nommé Inspecteur d’Académie hors cadre (il est délégué dans les
fonctions de chef du premier bureau de la direction de l’enseignement secondaire). L’année
suivante, il devient Inspecteur de l’Académie de Paris. Il le demeure jusqu’en décembre 1900,
date à laquelle il est nommé Inspecteur général honoraire de l’enseignement secondaire (il
prend sa retraite un mois plus tard). En 1908, il est élu membre de l’Académie des Sciences
Morales et Politiques (il avait par ailleurs été nommé chevalier de la légion d’honneur en
1889). Il meurt à Paris le 21 avril 1910, laissant derrière lui une œuvre philosophique peu
abondante : quelques articles dans la Revue philosophique et dans la Revue de métaphysique et de
morale, une thèse de doctorat ès Lettres sur le concept d’infini dans la philosophie et dans les
sciences, Infini et quantité, un Rapport sur l’enseignement de la morale dans les écoles primaires de
l’Académie de Paris (1898), et une étude sur la philosophie kantienne, La raison pure et les anti-
nomies, essai critique sur la philosophie kantienne (1907).48
Infini et quantité suscitera de nombreuses discussions philosophiques au moment de sa publi-
cation en 1880 ; élève de Renouvier, Évellin y étudie, bien avant Bergson, certaines notions
immédiates de la conscience, il y critique l’idée d’un infini actuel et se prononce en faveur
d’une discontinuité inscrite au sein même du réel. Selon lui, la plupart des spéculations scien-
tifiques dans lesquelles figure la notion d’infini ne sont que des illusions de l’imagination et il
entend prouver que dans la nature seul le fini est possible. Il écrit ainsi à la fin de son travail :
Et d’abord l’infini, étant incompatible avec la réalité, n’a, selon nous, aucune place dans les
sciences de la nature, ou plus généralement dans les sciences concrètes, qu’elles se rappor-
tent à la matière ou à l’esprit ; il n’a et ne peut avoir accès que dans cet ordre de spécula-
tions où le possible se substitue au réel, l’idée au fait, encore, pour que son emploi y de-
47 Évellin occupe ce poste durant l’année scolaire 1869 ; c’est Boutroux qui le remplace le 30 septembre 1869.
48 Les informations biographiques sur Évellin proviennent en partie du livre suivant : Les inspecteurs généraux de l’instruction
publique, dictionnaire biographique [Caplat 1986].
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Le Champ Philosophique
vienne légitime, doit-il se résoudre dans la seule notion légitime qui lui corresponde, celle
de l’indéterminé et de l’indéfini. L’infini hors de nous, l’infini considéré objectivement est
impossible ; ce n’est que dans la pensée qu’il existe et d’une existence purement virtuelle,
parce qu’il y représente l’excès du pouvoir sur l’acte, de la faculté qui ne s’épuise pas sur
les opérations de la faculté qui s’épuisent seules.49
Dans ce travail, Évellin s’appuie sur les découvertes récentes des sciences positives (de la chi-
mie notamment) et il n’hésite pas à entrer dans le détail de certaines des théories qu’il discute :
les références à certains articles de la Revue scientifique ou à des travaux de l’abbé Moigno
(directeur de la revue catholique de vulgarisation scientifique L’Univers) sont nombreuses et le
formalisme mathématique apparaît à certains endroits. Cependant, tout comme Boutroux
avant lui, il conclut sa thèse en affirmant que la connaissance la plus exacte de l’être ne saurait
être fournie par la science elle-même, mais par la métaphysique.
Ce travail ne laissera vraisemblablement pas Poincaré indifférent puisqu’on trouve dans sa
correspondance les traces d’échanges épistolaires avec Évellin entre les mois de mars et de
juin 1880. À cette époque, Poincaré est chargé d’un cours d’Analyse mathématique à la Faculté
des Sciences de Caen. Dans quelles circonstances est-il amené à correspondre avec Évellin ?
Par quel intermédiaire (s’agit-il de Boutroux ?) entre-t-il en contact avec lui ? Qui fait le pre-
mier pas vers l’autre ? Cette correspondance se prolonge-t-elle par la suite ? Autant de ques-
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tions qui restent sans réponse tant la correspondance est fragmentaire. Les lettres de Poincaré
sont en effet perdues et nous ne disposons que des réponses d’Évellin. Cependant, ces cinq
lettres ont leur importance pour la question qui nous intéresse : en effet, elles attestent d’un
intérêt de Poincaré pour les questions de philosophie et d’épistémologie et elles révèlent qu’il
était relativement bien au courant de l’actualité philosophique. Par ailleurs, elles fournissent
un éclairage inédit sur les préoccupations personnelles de Poincaré pour la question de l’infini
en mathématiques.50 Face à ce manque d’informations sur les relations entre Poincaré et Ével-
lin, nous nous contenterons de présenter les pièces à conviction constituées par ces cinq let-
tres.51
Le 3 mars 1881, Évellin écrit au mathématicien en réponse à une lettre qu’il lui a envoyée.
Vraisemblablement, Poincaré lui avait fait parvenir une note sur les travaux du mathématicien
Georg Cantor autour de l’infini en mathématiques.52 Évellin ne connaissait probablement pas
ces travaux puisqu’il n’est à aucun moment question de Cantor dans sa thèse. Évellin se mon-
tre très intéressé, bien qu’il avoue ne pas maîtriser parfaitement l’allemand :
Croyez, cher Monsieur, que je suis plus sensible que je ne pourrais dire à votre amicale
proposition. Me voilà revenu à la métaphysique, à mes premières amours. Je sens toute ma
faiblesse, toute mon insuffisance mais décidément je ne puis me dérober à l’attrait de cer-
taines études, et la pensée de pouvoir profiter de vos lumières comme de celles de
q[uel]q[ues] amis aussi obligeants / que vous, n’a pas peu contribué à m’encourager dans
la via dolorosa et dolosa où je serais certainement arrêté si j’étais tout seul.
Je tarde d’entendre les bonnes raisons que ne doit pas manquer d’alléguer Cantor mais si ce
n’est pas abuser de votre parfaite et si courtoise obligeance, j’aimerais mieux les entendre
en français qu’en allemand. Je ne suis point comme le philosophe de la comédie qui a deux
oreilles, l’une pour les langues étrangères, l’autre pour la maternelle. Du moins l’oreille des
langues étrangères est très paresseuse.
Veuillez agréer, cher Monsieur, tous mes remerciements, toute ma cordiale reconnaissance.
Pendent opera interrupta. / Seriez-vous assez bon pour me permettre de les [étudier ?] avec
vous ?
[… ] En repassant sur le travail du temps jadis, j’ai trouvé des notes de vous. Désirez-vous
que je les porte. Je serais bien aise d’avoir votre adresse.53
Un mois plus tard, le 3 avril 1881, Évellin reprend contact avec le mathématicien ; des problè-
mes de famille (la mort imminente de son frère) l’empêchent de consacrer beaucoup de temps
à la discussion des notes envoyées par Poincaré.
Je vous envoie néanmoins, bien cher Monsieur, une première série de notes sur l’élément
générateur [illisible] et même sur Cavalleri. Je m’étais occupé de la question de l’isotropie
[ ?] qui, en un certain sens, me paraît vraisemblable même dans l’absolu et je me proposais
d’établir que Cavalleri était non un métaphysicien mais un géomètre, mais un géomètre ne
prenant de l’absolu que ce qui pouvait lui être utile / Il y a là-dessus beaucoup à dire. Ex-
cusez-moi cher Monsieur, il me faut d’ici une quinzaine renoncer à tous [travaux ?]. Mes
préoccupations, hélas, sont ailleurs.54
Quelques jours plus tard, le 9 avril, une nouvelle lettre parvient à Poincaré. Évellin vient de
perdre son frère, mais il ressent toutefois la nécessité de reprendre son échange épistolaire
avec le mathématicien. Fait marquant, Évellin semble apprécier les qualités philosophiques de
son correspondant puisqu’il le qualifie de ‘mathématicien et philosophe’.
Cher et honoré Monsieur, je vais reprendre mon travail. Je me permettrai, si vous le jugez à
propos, de vous confirmer mes confidences. Mathématicien et philosophe, vous êtes dans le
cas un excellent d’un excellent directeur de conscience auquel on peut soumettre en toute
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mal », Poincaré devait exposer les théories d’Évellin en les mettant en rapport avec celles de Bertrand et de Boussinesq.
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Le Champ Philosophique
M. Boussinesq, c’est à mon sens la plus chimérique qu’on puisse concevoir. Je n’ai jamais pu
comprendre qu’on cherchât à régler un absolu q[uel]conque sur le suprême relatif, les états
de pure indifférence qui / répondent aux solutions en question n’ont de raison d’être que
d[an]s l’esprit qui a, comme de juste, fait abstraction de tous les accidents.
Au fait, je serais on ne peut plus curieux de rechercher comment et d[an]s quelle mesure,
MM. Bertrand et Boussinesq laissent pénétrer la continuité dans leurs spéculations sur
l’espace supposé discontinu.58
Vous trouverez bien cher et honoré Monsieur une critique de mes idées dans la revue de
MM. Renouvier et Pillon, M. Renouvier m’a promis 4 articles et passera en revue toutes mes
affirmations sur les incommensurables, les infiniment petits. Je crois savoir que son point de
vue est le vôtre, celui du relatif et de l’infini purement virtuels. Je me félicite de toutes mes
forces de l’attention qu’un esprit aussi pénétrant et aussi fort que M. Renouvier a bien vou-
lu porter à mon travail ; je pense d’autre part qu’il me sera permis, ici ou là de présenter la
défense d’une doctrine qui de plus en plus me paraît la seule légitime (métaphysique)
c[‘est]-à-d[ire] au point de vue de l’ensemble des [phénomènes ?].59
Bien que fragmentaire, cette courte correspondance révèle bien l’intérêt précoce de Poincaré
pour les questions de philosophie scientifique, un intérêt qui se consolidera au fil du temps,
comme nous allons le voir. Vraisemblablement, à cette date, les deux personnages ne se sont
jamais rencontrés, Poincaré étant en poste à Caen et Évellin à Paris. Quelques mois après cette
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dernière lettre, Poincaré devait finalement s’installer dans la capitale suite à sa nomination à la
Faculté des sciences. Son itinéraire croisa bien souvent celui d’Évellin, notamment au sein de
la Revue de métaphysique et de morale, durant les séances du Congrès International de Philoso-
phie de 1900 ou à l’occasion des réunions de la Société Française de Philosophie.
B – La correspondance Poincaré-Calinon : la géométrie générale
La suite de notre histoire nous entraîne maintenant vers l’année 1886. Au mois d’août de cette
année, Poincaré échange en effet quelques lettres avec Auguste Calinon, un ancien élève de
l’École Polytechnique, qui occupe alors le poste de chef de correspondance aux Forges de
Pompey (Meurthe-et-Moselle). Né en 1850, Calinon est de quatre ans l’aîné de Poincaré, et,
bien qu’aucun élément ne permette de l’affirmer, on peut imaginer que leurs itinéraires se sont
croisés lors de leurs études. Dans cette courte correspondance (qui se résume à deux lettres de
Calinon, celles de Poincaré étant perdues), on apprend que les deux hommes se rencontrent le
8 août 1886 dans la région de Nancy, où Poincaré a sa famille. Celui-ci, on s’en souvient, s’était
intéressé aux principes de la mécanique à l’occasion d’une courte note pour l’édition Boutroux
de la Monadologie. Sans doute désireux de voir son mérite reconnu par un membre influent de
la communauté scientifique, Calinon lui fait parvenir, le lendemain de cette rencontre, son
Étude critique sur la Mécanique dans laquelle il affirme qu’il existe une mécanique rationnelle
rigoureuse, une géométrie simple du mouvement qui subsisterait, même si l’univers cessait
subitement d’exister (cette étude avait été publiée en 1885 dans le Bulletin de la Société des
Sciences de Nancy).60
58 Voici ce qu’écrit Poincaré en 1905 dans son article sur Cournot [Poincaré 1905m], page 297 : « Ainsi le monde donné est un
continu physique, et les savants supposent que le monde réel est un continu mathématique, mais quelques métaphysiciens ont
préféré admettre que le monde est discontinu. Telle est, par exemple, la pensée de M. Évellin ; le temps réel serait formé
d’instants discrets ; l’état du monde serait encore susceptible d’être défini par les valeurs attribuées à certaines variables ; mais
ces variables ne peuvent parcourir l’échelle continue de la grandeur mathématique, elles ne peuvent prendre que des valeurs
entières, elles passent de l’une à l’autre par sauts brusques. La loi lie alors l’état actuel du monde à son état à l’instant immédia-
tement ultérieur, mais le sens de ce mot n’est plus le même que tout à l’heure, ce n’est plus l’instant t + dt qui diffère de l’instant
antérieur t d’une quantité dt aussi petite que l’on veut. C’est dans les instants discrets dont est formé le temps réel, celui qui vient
immédiatement après l’instant t et qu’il faudrait noter t + 1. M. J. Bertrand lui-même, dans une discussion avec M. Boussinesq,
avait paru admettre une idée du même genre ». Sur les travaux de Boussinesq, on pourra se reporter à [Nye 1976], principalement
pages 280-281.
59 [Document ACERHP microfilm 1].
60 Les informations sur Auguste Calinon sont très fragmentaires. Il serait né en 1850 (à en juger d’après la notice du dictionnaire
biographique de Poggendorf) et mort à Paris en 1900. Une seule certitude : il est élu membre de la Société des Sciences de Nancy
le 1er mai 1885. Nos recherches pour retrouver les descendants de Calinon (et par voie de conséquence la suite éventuelle de sa
correspondance avec Poincaré) n’ont rien donné à ce jour. Un personnage nommé Calinon joua un rôle non négligeable dans la
Henri Poincaré (1854-1912) : Des Mathématiques à la Philosophie 153
Le Champ Philosophique
Le 9 août 1886, Calinon contacte donc Poincaré. Sa lettre fait référence à des personnages que
nous avons déjà rencontrés et avec lesquels Poincaré est en contact depuis de nombreuses
années.
Pompey 9 août 1886
Monsieur et Cher Camarade,
Comme suite à notre rencontre d’hier je vous adresse par ce courrier mon Étude Critique sur
la Mécanique. Je crois que cette petite brochure vous intéressera, car vous avez un peu tou-
ché le même sujet dans la note que vous avez ajoutée à la Monadologie de Leibnitz publiée
par M[onsieur]. Boutroux.
Aussi serais-je très heureux d’avoir votre appréciation sur ma manière d’exposer la Méca-
nique.
Un petit compte rendu de / mon travail a déjà paru dans un feuilleton scientifique du
Temps, à la fin de décembre. M[onsieur]. J[ules]. Tannery (Sous-Directeur de l’École Nor-
male) a fait aussi un compte rendu qui doit être inséré ce mois-ci dans le Bulletin [des scien-
ces mathématiques] de M[onsieur]. Darboux : l’épreuve vient de m’être envoyée par
l’auteur.61
Enfin j’avais envoyé à M[onsieur]. P[aul]. Tannery (Ingénieur des Tabacs) que vous con-
naissez sans doute de nom, un article dans lequel j’ai essayé d’exposer les mêmes idées que
dans mon livre mais à un point de vue spécialement philosophique et sans formules. /
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M[onsieur]. P[aul]. Tannery vient de m’annoncer que cet article serait inséré dans la Revue
Philosophique de M[onsieur]. Ribot probablement au mois de janvier prochain.
Dans l’attente de votre réponse, je vous prie de croire, Monsieur et cher camarade à mes
meilleurs sentiments.
A[uguste]. Calinon
Monsieur H[enri]. Poincaré
Ingénieur des Mines62
Six jours plus tard, Poincaré a parcouru l’étude de Calinon et lui a déjà fait parvenir ses obser-
vations et ses critiques. Ce dernier lui répond dans une longue lettre datée du 15 août 1886.
Pompey 15 août 1886
Mon cher camarade,
J’ai bien reçu votre lettre dont le contenu m’a beaucoup intéressé.
Les objections que vous me faites ne portent que sur des points qui me paraissent secondai-
res ; je vais cependant y répondre pour bien préciser ces points qui ne sont peut-être pas as-
sez développés dans cette brochure.
1° Sur la notion de [‘]à la fois[‘] j’accepte votre restriction qui était bien dans ma pensée :
comme je le dis (n°5) ce sont nos sensations seulement que nous jugeons simultanées ou
région de Dijon vers la même époque mais rien ne permet pour l’instant d’affirmer qu’il s’agit d’Auguste Calinon (nous remer-
cions Monsieur Camille Calinon pour son aide précieuse à ce sujet).
61 Voici le compte-rendu de Jules Tannery tel qu’il apparaît dans [Tannery 1924], pp. 121-123. « Après avoir lu cette petite
brochure [Calinon, Étude critique sur la mécanique], on s’imagine volontiers que l’auteur est un homme qui pense dans la solitude,
mais non sans vigueur : tout ce qu’il dit, sans doute, n’est pas nouveau ; mais quelques idées fondamentales ressortent avec une
netteté à laquelle on n’est pas habitué. Son travail a un caractère à la fois philosophique et pédagogique : pour ma part, je suis
disposé à en adopter les conclusions. Je demande pardon au lecteur de parler ainsi ; mais il s’agit ici de matières où il est plus
modeste de dire : je suis de cet avis, que de dire : cela est vrai. M. Calinon insiste sur la convenance qu’il y a à séparer de
l’enseignement de la Mécanique proprement dite l’enseignement de la Géométrie des segments de droites et de la Cinématique ;
là-dessus, non plus que sur le rôle que joue la notion de temps en Cinématique, il ne trouvera guère de contradicteur. On peut
regarder la notion qu’il indique comme fondée depuis les travaux de Möbius et il est désirable qu’elle passe tout à fait dans les
habitudes de l’enseignement. Quant au changement de notations que propose M. Calinon, je le crois à peu près inutile. Il me
paraît, comme à M. Calinon, impossible de définir deux temps égaux ; le temps est ce que marque une pendule déterminée. Sans
doute, ni le théorème relatif à la composition des accélérations, ni les formules relatives aux changements de la variable indépen-
dante dans les dérivées première et seconde ne sont des nouveautés ; mais il importe à coup sûr de mettre en évidence le rôle que
jouent ces notions purement mathématiques dans l’interprétation des principes de la Mécanique : si, par exemple, le principe de
l’action et de la réaction est vrai quand on rapporte les corps à un système d’axes particulier et qu’on mesure le temps sur une
pendule particulière, ce principe ne peut être vrai si l’on rapporte les corps à un système d’axes mobile par rapport au premier
système, ou qu’on mesure le temps sur une pendule qui n’a pas la même marche que la pendule primitive. Le caractère expéri-
mental et par suite contingent des principes que l’on vient de citer ressort ainsi avec une entière clarté. Cette critique du choix des
axes et de la variable que l’on désigne sous le nom de temps, et des conséquences qu’on en peut tirer pour l’exposition de la
Dynamique, me paraît la partie la plus importante et la plus neuve du travail de M. Calinon ».
62 [Document ACERHP microfilm 1]. Le fait que les noms d’Émile Boutroux, de Gaston Darboux, de Jules et de Paul Tannery
successives : mais entre le phénomène extérieur et la sensation par laquelle il arrive à notre
conscience, il y a presque toujours un délai.
2° Je ne saisis pas bien votre objection sur ma manière de définir la position d’un point ;
vous me dites que je définis un point par ses distances à d’autres points supposés fixes ;
mais non, je ne suppose pas de points fixes, je suppose seulement (n°2) des points consti-
tuant une figure de forme invariable et c’est à cette figure que je rapporte mon point mo-
bile. La notion des figures égales est antérieure à toute mesure des grandeurs qui entrent
dans ces figures : or à quoi revient cette notion ? à dire que nous concevons qu’une figure
peut changer de place sans changer de forme ; sans ce principe il nous est impossible de
faire de la / géométrie et de démontrer part exemple le cas d’égalité des triangles. Mainte-
nant je ne nie pas que ce principe n’intéresse, dans une certaine mesure, la Mécanique.
3° Pour l’angle de la rotation de la Terre, je suis bien de votre avis, il faut tenir compte de
certaines corrections infinitésimales connues actuellement ou que nous connaîtrons plus
tard.
4° J’ai admis en effet comme exact le principe des actions mutuelles dirigées selon la droite
qui joint les points en présence, parce que, quand j’ai écrit ma brochure, je croyais réelle-
ment ce principe vérifié ; depuis, j’ai su qu’il y avait des exceptions, celle que vous
m’indiquez d’abord, d’autres ensuite, comme dans le cas des actions exercées dans les cou-
rants électriques ou magnétiques ; il y a là des petits termes de correction à ajouter aux for-
mules. Mais je vous ferai remarquer que, sans connaître ces corrections, je les avais prévues
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lorsque je disais (n°138) : Cette loi générale (la loi mg = m0g0) peut toujours être considérée
comme une série à termes indéfiniment décroissants ; nous connaissons aujourd’hui le
premier terme de la série… Voilà qui va même bien au-delà de la réserve que vous formu-
lez. Tout ce passage (n°138) répond également à ce que vous me dites de la masse :
j’ajouterai que la masse n’est nullement liée d’une façon indissoluble à la loi mg = m0g0.
Cette loi peut n’être pas vérifiée et cependant la masse garder encore la définition que je lui
ai donnée (n°22) : Les masses sont des coefficients numériques fixes attachés aux points et
dont dépend le mouvement de ces points, pour des repères et une variable principale quel-
conque. Au fond, cette constance d’un nombre pour chaque point matériel n’est pas autre
chose que / le principe de la conservation de la matière : ce principe comporte d’ailleurs les
mêmes réserves philosophiques que tous les principes observés lesquels ne sont vrais que
dans la mesure de précision de nos méthodes et de nos instruments. Mais, comme j’ai
commencé par vous le dire, ces points sont un peu secondaires pour moi : en somme les
deux idées fondamentales de mon travail sont les suivantes :
1° la transposition en Géométrie pure de toutes les notions premières de la Mécanique (me-
sure du temps, vitesse, accélération, force, masse), notions qu’on avait cru jusqu’ici insépa-
rables de la matière, (la force notamment).
2° le choix raisonné de la variable t qui sert à mesurer le temps et la distinction des théories
où le choix est arbitraire de celles où il s’impose pour la simplification des formules.
Je vois que, sur ces deux idées fondamentales, vous acceptez ma manière de voir et j’en suis
très heureux. J’ignore si les idées de Duhamel sont plus ou moins adoptées en France, mais
ce que je sais, c’est que, à côté des adhésions que je reçois relativement à mes idées sur le
Temps et la Force, je rencontre de la part de quelques professeurs, mêmes distingués, des
résistances obstinées ; il y a là quelques esprits qui se refusent absolument de réviser les
idées acquises et qui répugnent à soumettre à un examen philosophique des notions qu’ils
ont toujours considérées comme évidentes.
J’espère donc que vous voudrez bien m’aider, dans la mesure où cela dépend de vous, à /
propager des idées que vous trouvez justes.
Votre dévoué camarade,
A[uguste]. Calinon.63
Une fois encore cette correspondance est très fragmentaire et il est regrettable de ne pas dispo-
ser des réponses de Poincaré. Cependant, ce court échange épistolaire n’est pas sans impor-
tance pour le problème qui nous occupe ; il est important, en effet, dans la mesure où, trois ans
63 [Document ACERHP microfilm 1]. Nous n’entrerons pas dans le détail de la discussion entre Poincaré et Calinon sur les
principes de la mécanique ; concernant cette question, nous renvoyons au livre d’Arthur Miller, Imagery in Scientific Thought
[Miller 1984], pages 26-27.
Henri Poincaré (1854-1912) : Des Mathématiques à la Philosophie 155
Le Champ Philosophique
plus tard, Calinon sera appelé à devenir, avec Georges Lechalas, le promoteur de la géométrie
générale, une conception philosophique qui tentera d’étudier la place de l’élément empirique
en géométrie et à prendre en compte les nouvelles géométries non euclidiennes (qui étaient le
plus souvent considérées comme sans valeur par la communauté philosophique). Cette géo-
métrie générale suscitera un large débat au sein des revues de Renouvier (Critique philosophi-
que) et de Ribot (Revue philosophique), dans les années 1889-1890, débat qui se prolongera jus-
qu’en 1896 (au moins) au sein de la Revue de métaphysique et de morale.
Les relations de Poincaré avec Calinon ne s’arrêtent pas subitement en août 1886, loin s’en
faut. Malgré l’absence de toute correspondance ultérieure entre les deux personnages, on voit
se tisser, au sein de leurs publications respectives, un subtil réseau de références, d’emprunts
et d’influences mutuels. Poincaré ne prendra pas directement part au débat sur la géométrie
générale, mais il est permis de supposer que c’est autour de celui-ci que sa réflexion atteindra
sa pleine maturité philosophique.
Voici quelques-uns des jalons qui rythment le débat sur une petite dizaine d’années. En 1887,
Poincaré publie son article « Sur les hypothèses fondamentales de la géométrie » au sein du
Bulletin de la Société Mathématique de France. Deux ans plus tard, Calinon publie dans la Revue
philosophique un texte intitulé « Les espaces géométriques » dans lequel il tente d’exposer d’un
point de vue philosophique, les conséquences de la géométrie non euclidienne sur notre
tel-00137859, version 1 - 22 Mar 2007
conception de l’espace (et dans lequel il semble adopter une conception proche de celle de
Riemann). Au mois de septembre de la même année, Georges Lechalas, ami et disciple de
Calinon, publie dans la Critique philosophique un article intitulé « La géométrie générale », et le
premier paragraphe de ce texte comporte à la fois une mise au point sur le prétendu statut
empirique de la géométrie non euclidienne et une référence aux travaux de Poincaré et de
Liard. Lechalas écrit en effet :
La géométrie non euclidienne, dont l’importance et la fécondité sont suffisamment démon-
trées par toute une suite de travaux essentiellement scientifiques, parmi lesquelles nous ne
rappellerons que l’un des plus récents, dû à M. Poincaré, a beaucoup souffert des consé-
quences métaphysiques que partisans et adversaires ont cru en voir découler, s’accordant
assez généralement à la regarder comme favorable aux doctrines empiristes. Certains phi-
losophes rationalistes tels que M. Liard, ont eu assez de clairvoyance pour comprendre le
danger qu’il y aurait à combattre une science sans la réfuter ; mais ils ne nous semblent pas
avoir bien mis en lumière la portée philosophique de la nouvelle géométrie. Or une circons-
tance singulièrement favorable, l’amitié qui nous lie à M. Calinon, nous a permis de nous
former une idée assez nette de cette science si contestée, d’en apprécier la valeur intrinsè-
que et de conclure à des conséquences métaphysiques singulièrement différentes de celles
qu’on en tire généralement.64
Le 30 novembre 1889, c’est au tour de Renouvier lui-même d’intervenir contre la géométrie
générale, avec un article intitulé « La philosophie de la règle et du compas ou des jugements
synthétiques a priori dans la géométrie élémentaire » ; il y oppose la géométrie générale à la
géométrie euclidienne et il demande à Calinon et Lechalas laquelle est la vraie, puisque
l’ancienne n’entraînait pas plus de contradictions que la nouvelle. Lechalas répondra à cette
étude l’année suivante par un article publié dans la Revue philosophique sous le titre « La géo-
métrie générale et les jugements synthétiques a priori », dans lequel il tentera, entre autres, de
défendre la légitimité des géométries non euclidiennes dans l’optique de la philosophie kan-
tienne.
L’année suivante, dans son article sur « Les géométries non euclidiennes » (publié dans la
Revue générale des sciences pures et appliquées) Poincaré apportera sa propre contribution à
l’interprétation philosophique des nouvelles géométries. Son intervention demeurera cepen-
dant relativement timide dans sa forme : il aurait pu reprendre le débat là où Lechalas, Cali-
64 [Lechalas 1889], page 217. Notons la prudence avec laquelle les dirigeants de la revue accueillent cet article. François Pillon
écrit en effet dans l’avertissement, page 217 : « Nous accueillons volontiers ce travail d’un esprit sincère, pénétrant et profond. Il
nous paraît avoir le grand mérite de poser clairement et dans toute sa généralité une question importante que la Critique philoso-
phique n’a point encore abordée. Mais nous devons faire d’expresses réserves sur les vues qui y sont développées ».
Henri Poincaré (1854-1912) : Des Mathématiques à la Philosophie 156
Le Champ Philosophique
non et Renouvier l’avaient laissé ; il aurait pu insérer son article dans la Revue philosophique ou
dans la Critique philosophique ; il aurait pu, enfin, adopter un ton polémique. Plus modeste-
ment, il se contentera dans ce texte d’exposer ses propres conceptions et de généraliser certai-
nes conclusions de son article de 1887. Tout au plus fera-t-il rapidement allusion au débat de
1889-1890 dans une courte note bibliographique.65 Deux ans plus tard, Calinon publiera dans
la Revue philosophique une « Étude sur l’indétermination géométrique de l’univers » dans la-
quelle l’influence des conceptions poincaréiennes sera particulièrement frappante.
En 1896, le débat se déplace de la Revue philosophique vers la Revue de métaphysique et de morale
puisque Lechalas et Couturat y publient deux articles respectivement intitulés « La courbure et
la distance en géométrie générale » [Lechalas 1896b] et « Études sur l’espace et le temps de M.
M. Lechalas, Poincaré, Delbœuf, Bergson, L. Weber et Évellin » [Couturat 1896] ; Poincaré
répondra aux critiques de ces deux auteurs l’année suivante dans un texte intitulé « Réponse à
quelques critiques ». Enfin, en 1898, dans son article sur « La mesure du temps » (publié dans
la Revue de métaphysique et de morale), Poincaré citera l’Étude critique sur la mécanique de Calinon
et recommandera la lecture de son livre Étude sur les diverses grandeurs en mathématiques
(1897).66
Les conceptions de Lechalas et l’ensemble des discussions philosophiques autour de la géomé-
trie dans les années 1880-1900 constituent des sujets d’études intéressants mais ils demande-
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raient à eux seuls de nombreuses recherches qui n’entrent pas dans le cadre de ce travail (en
particulier, il serait essentiel de prendre en compte, en plus des interventions de Renouvier,
Calinon ou Lechalas, celles d’un Delbœuf, d’un De La Rive ou d’un Couturat). Nous choisis-
sons délibérément de négliger cette question, de nous cantonner à une chronologie limitée et
de présenter les éléments les plus marquants de l’intérêt de Poincaré, pour l’actualité philoso-
phique. Dans cette perspective, le fait que l’article de 1891 s’inscrive, même marginalement,
dans la controverse Lechalas-Renouvier, et qu’il devienne deux ans plus tard une référence
pour Calinon, constitue l’indice d’une présence grandissante du mathématicien au sein de la
communauté philosophique. Explorons cette piste dans le détail et voyons d’abord brièvement
en quoi consiste la géométrie générale.
Auteur, comme on l’a vu, de diverses études sur la mécanique et la géométrie, maître et inspi-
rateur de Lechalas67, Calinon tenta de fonder une mathématique philosophique, c’est-à-dire
une discipline dans laquelle les méthodes et les appareillages classiques des théories mathé-
matiques sont mises au service d’une problématique philosophique portant « sur les condi-
tions de possibilité d’une théorie générale des déterminations de l’espace ».68 Il conçut ainsi
une géométrie générale comprenant toutes les géométries possibles (en tant que cas particuliers)
et établie grâce à des considérations purement a priori. Une telle géométrie devait permettre,
selon lui, de mettre fin à l’idée d’un primat nécessaire de la géométrie euclidienne tout en
laissant ouverte la possibilité de rechercher empiriquement la géométrie réelle de l’espace.
Calinon écrit ainsi en 1889 dans son article sur « Les espaces géométriques » que « la géomé-
trie générale […] est la géométrie synthétique d’un nombre infini d’espaces géométriques
absolument distincts et [que] la géométrie euclidienne est la géométrie d’un seul de ces espa-
ces ».69 Mais il précise ensuite quelle est la relation entre cette géométrie générale et
l’expérience :
65 [Poincaré 1891o], note 1, page 772 : « Voir MM. Renouvier, Lechalas, Calinon, Revue philosophique, juin, 1889. Critique philoso-
phique, 30 septembre et 30 novembre 1889. Revue philosophique, 1890, page 158, voir en particulier la discussion sur le postulat de
perpendicularité ». Bien que cet article soit en partie repris dans La science et l’hypothèse, cette note n’y apparaît pas.
66 Voir [Poincaré 1898j], page 5.
67 Dans son article « La géométrie générale et les jugements synthétiques a priori » [Lechalas 1890a], Lechalas affirmera avoir été
instruit par Calinon dans les principes de la géométrie générale. La section bibliographique de ce travail recense quelques-uns
uns des travaux de Lechalas.
68 [Panza 1995], page 54. On trouvera dans cet article, intitulé « L’intuition et l’évidence. La philosophie kantienne et les géomé-
tries non euclidiennes : relecture d’une discussion », de nombreuses indications sur les conceptions de Calinon, notamment des
pages 53 à 58.
69 [Calinon 1889], page 593.
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70 [Calinon 1889], page 594. Il poursuit en ces termes : « Plusieurs géomètres […] ont admis qu’avant toute connaissance géomé-
trique, et même avant toute expérience, nous avions sur notre espace un certain nombre de vues a priori, que notamment la
relativité des dimensions des corps, c’est-à-dire l’homogénéité de l’espace, était chez nous une sorte de notion intuitive liée à la
forme même de notre esprit : c’est là un point sur lequel nous reviendrons tout à l’heure ; mais, quoi qu’il en soit de cette notion,
il est beaucoup plus conforme à la rigueur scientifique d’établir d’abord, comme nous l’avons indiqué, en dehors de son fait
expérimental et de toute idée préconçue, la géométrie générale des divers espaces et de rechercher ensuite, par l’observation, la
géométrie particulière de notre espace ».
71 [Lechalas 1896b], page 196.
72 [Panza 1995], pages 56-57.
73 [Calinon 1893], page 596. On trouvera dans la bibliographie de ce travail les références d’une partie des œuvres de Calinon,
personnage mal connu qui semblait entretenir des relations assez étroites avec Henri Poincaré.
74 [Calinon 1893], page 597, note 2 : « Nous rappelons au sujet de cette hypothèse du rayon lumineux, ligne droite ou ligne
courbe, les très intéressants articles de M. H. Poincaré sur les Géométries non euclidiennes publiés dans la Revue générale des scien-
ces ».
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Le Champ Philosophique
portée semblent obéir à une géométrie qui ne diffère guère de la géométrie euclidienne.
D’autre part, afin d’établir la forme des rayons lumineux, on se borne à examiner les portions
qui sont à notre portée, portions qui, autant que l’on puisse en juger, correspondent à une
portion de ligne droite. Ces deux faits expliquent pourquoi les astronomes localisent l’univers
dans un espace euclidien : ils ont étendu à l’univers tout entier les propriétés euclidiennes
constatées « dans la limite des dimensions des étendues tactiles », extension légitime puis-
qu’elle n’est en contradiction avec aucun fait observable.75 Sur ce point, Poincaré est d’autant
plus d’accord avec Calinon qu’il affirmait, dans son article de 1891, que la géométrie eucli-
dienne ne pourrait jamais être contredite par aucune expérience.
À partir de ce constat, Calinon expose ensuite le problème qu’il se propose d’étudier. Il entend
déterminer si cette représentation euclidienne qui prévaut en astronomie est réellement une
hypothèse nécessaire ou bien s’il ne s’agit que d’une représentation particulière parmi beau-
coup d’autres possibles :
Mais il reste un point à décider : cette géométrie euclidienne est-elle seule compatible avec
les faits physiques et astronomiques ou bien n’est-elle pas une représentation particulière,
parmi beaucoup d’autres possibles, des faits géométriques de notre Univers ? Telle est la
question à résoudre. En réalité on a bien démontré que l’hypothèse d’un espace euclidien
n’est démentie par aucun fait ; mais on n’a jamais démontré que réciproquement les faits
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observés entraînaient la nécessité de cette hypothèse. La figure de la Terre et des corps que
nous pouvons mesurer est une figure très sensiblement euclidienne : voilà tout ce que
l’observation nous apprend ; nous en concluons, ou bien que cette figure est réellement eu-
clidienne, ou bien qu’elle est une partie infiniment petite d’un espace non euclidien ; puis-
que ces deux hypothèses sont admissibles, l’hypothèse euclidienne ne peut pas être néces-
saire.76
Une objection pourrait être avancée à cette idée d’une équivalence entre l’hypothèse eucli-
dienne et l’hypothèse non euclidienne : les seules mesures que l’on puisse prendre directe-
ment sont celles de grandeurs appartenant à la Terre, par exemple la distance de deux points
situés à la surface de la Terre, de deux lignes ou de deux rayons lumineux. Toutes les autres
données géométriques (dimensions et distances respectives des corps célestes) sont obtenues
par des calculs basés eux-mêmes sur l’hypothèse d’un espace euclidien. La représentation
euclidienne de l’univers semble donc devoir dominer. Calinon répond à cette objection en
faisant intervenir un premier degré d’indétermination, lié aux limites mêmes des connaissan-
ces humaines :
Mais il est évident que l’ensemble des données fournies directement par l’expérience est
chose essentiellement variable et dépend des progrès mêmes de la science. Autrefois on ne
connaissait qu’une partie de la Terre et par conséquent que les grandeurs mesurables sur
cette partie ; aujourd’hui, toute la surface de la Terre est à notre disposition pour effectuer
de telles mesures. Admettons qu’un jour nous puissions communiquer avec une planète,
comme Mars, nous pourrions alors obtenir de celle-ci de nouvelles données expérimentales,
par exemple l’angle sous lequel on voit de Mars le rayon de l’orbite terrestre, lequel angle
est aujourd’hui obtenu par le calcul.
Nous conclurons donc en disant que l’indétermination géométrique de notre espace com-
porte plusieurs degrés, suivant l’état même de nos connaissances.77
Ainsi, Calinon semble-t-il penser que toutes les représentations que nous pouvons construire
concernant l’espace de l’univers sont essentiellement indéterminées, dans la mesure où nos
connaissances et nos outils de mesure sont limités. Selon lui, l’espace en soi, l’espace physique
objectif nous est inaccessible, du fait même des limitations de notre connaissance ; cela ne fait
par conséquent aucun sens de dire que l’espace présente telle ou telle caractéristique. Tout ce
qu’il est possible de faire c’est de proposer diverses représentations possibles de cet espace,
puis de choisir celle qui convient le mieux. Avec Kant, Calinon semble partager l’idée que
cruciale semble irréalisable ; la figure de la Terre et des corps physiques, comme on l’a vu,
n’est que très sensiblement euclidienne, ce qui laisserait toujours le choix entre deux hypothè-
ses ; on pourrait soit supposer que l’espace est euclidien, soit supposer que la portion mesurée
est une partie infiniment petite d’une espace non euclidien. Cette dernière opinion semble
également en accord avec la conception qu’exposait Poincaré dans son article de 1891 : il y
affirmait, on s’en souvient, qu’aucune expérience ne viendrait jamais contredire la géométrie
euclidienne, qu’une géométrie ne peut pas être plus vraie qu’une autre, qu’elle peut seulement
être plus commode.
Les idées de Calinon vont très loin. Il affirme ainsi que nous sommes absolument libres
d’exprimer les lois physiques au moyen d’autres représentations que les représentations eu-
clidiennes de l’univers (il écrit, dans une veine poincaréienne, que « c’est une simple transpo-
sition à faire, quelque chose comme une traduction d’une langue dans une autre »).79 Il va
même plus loin encore. De son point de vue, cette indétermination géométrique de l’Univers
représente une richesse dans la mesure où elle autorise le physicien à aborder chaque pro-
blème « avec la représentation géométrique la plus apte à […] fournir la solution la plus sim-
ple ». Calinon expose ici un point de vue très novateur qui semble anticiper certains dévelop-
pements ultérieurs de la philosophie des sciences. Il donne ainsi l’exemple suivant : la loi de
Newton – qui semble vérifiée dans certaines limites de distances – paraît devenir différente
lorsqu’on considère de très grandes distances. D’où cette supposition, qu’Einstein ne renierait
pas :
On peut donc très bien concevoir qu’à ces grandes distances la loi de l’attraction, devenue
différente, trouverait sa forme la plus simple dans une autre représentation géométrique de
l’Univers que la représentation euclidienne.80
Il imagine également l’éventualité de connaissances futures nous suggérant une représenta-
tion non euclidienne plus commode de l’univers.
Poincaré et Calinon semblent adopter des positions similaires sur bien des points. 81 Tous deux
mettent en avant le rôle central des notions de simplicité et de commodité dans les sciences.
qu’une des seules références explicites du mathématicien à la géométrie générale de Calinon et Lechalas se révèle être d’ordre
critique. Poincaré écrira en effet dans son article sur les Grundlagen der Geometrie de Hilbert : « Mais pourquoi, parmi tous les
axiomes de la géométrie, le postulatum serait-il le seul que l’on pût nier sans dommage pour la logique ? D’où tiendrait-il ce
privilège ? On ne le voit pas très bien, et, à ce compte, bien d’autres conceptions sont possibles. Cependant beaucoup de géomè-
tres contemporains ne semblent pas penser ainsi. En accordant le droit de cité aux deux géométries nouvelles, ils croient sans
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Le Champ Philosophique
Calinon, ne parle certes pas de conventions mais la conclusion de l’article ne trompe guère sur
le sens de ses propos :
[…] Il peut être intéressant de ne pas réduire nécessairement notre Univers à une géométrie
euclidienne ; sachons donc que, dans le domaine des faits physiques et astronomiques ac-
tuellement observés, cette géométrie particulière a l’avantage d’une grande simplicité ; mais
sachons aussi que nous avons le droit de chercher dans d’autres géométries la loi qui ex-
primerait, par exemple, de la façon la plus simple les attractions à grandes distances entre
le soleil et les étoiles fixes.82
Cependant, malgré les parallélismes entre les thèses de Calinon et de Poincaré, il importe de
mentionner un point de désaccord essentiel. Dans son article de 1891, Poincaré portait uni-
quement son attention sur le problème des fondements de la géométrie. Son projet n’était pas
de traiter des relations de la géométrie et de la physique et, effectivement, lorsqu’il se deman-
dait si la géométrie euclidienne était vraie, c’était aussitôt pour affirmer que la question ne
pouvait avoir aucun sens. D’une manière générale, Poincaré affichera une hostilité manifeste
vis-à-vis d’un empirisme géométrique qui aurait eu à cœur de déterminer les relations géomé-
triques réalisées dans le monde physique et il se contentera de souligner l’équivalence des
différentes géométries. Il ne niera pas pour autant le rôle de l’expérience dans la genèse de la
géométrie, la géométrie euclidienne étant la plus commode, non seulement parce qu’elle est la
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plus simple, mais également parce qu’elle s’accorde relativement bien avec les propriétés des
corps naturels.
À la différence de Poincaré, Calinon se propose de traiter la question des relations de la géo-
métrie avec l’Univers physique. Ce faisant, il va beaucoup plus loin. En effet, il n’affirme pas
qu’une expérience cruciale n’a aucun sens en géométrie, mais simplement que les résultats
d’une telle expérience seraient trop peu précis pour qu’on soit autorisé à condamner une géo-
métrie ou une autre. Poincaré et Calinon s’accordent vraisemblablement pour affirmer que la
géométrie euclidienne n’a rien à craindre d’expériences nouvelles, mais leurs opinions diffè-
rent quant à l’importance à accorder à l’expérience : pour le premier, tester empiriquement
une géométrie ne peut avoir aucune valeur conclusive ; pour le second, le test a une valeur,
mais les conclusions qu’on en tire sont trop vagues pour être véritablement décisives.83
Calinon n’affirme nullement qu’il est possible de situer arbitrairement l’Univers dans
n’importe quel espace envisageable et que toutes les descriptions géométriques sont égale-
ment légitimes. Il critique à mots couverts la position de Poincaré en la qualifiant de méprise
partagée par « divers géomètres ». De son point de vue, sur le terrain de l’expérience, toutes
les descriptions ne se valent pas :
Prenons, en effet, un triangle formé par les trois rayons lumineux qui joignent deux à deux
trois étoiles particulières ; ce triangle sera représenté dans nos trois espaces, euclidien, Rie-
mann, et Lobatchevsky, par trois triangles présentant nécessairement des angles différents
d’un triangle à l’autre, puisque la somme des angles d’un triangle varie d’un de ces espaces
à un autre, égale à deux droits dans l’espace euclidien, plus grande dans l’espace de Rie-
mann et plus petite dans l’espace Lobatchevsky. Donc, si l’un de ces espaces reproduit les
doute avoir été jusqu’au bout des concessions possibles. C’est pourquoi ils ont imaginé ce qu’ils appellent ‘la géométrie générale’,
qui comprend comme cas particuliers les trois systèmes d’Euclide, de Lobatchevsky et de Riemann, et qui n’en comprend pas
d’autres. Et cette épithète de ‘générale’ signifie évidemment, dans leur esprit, qu’aucune autre géométrie n’est concevable ».
[Poincaré 1902f], page 252. Poincaré désigne-t-il la même chose que Calinon lorsqu’il utilise le terme de ‘géométrie générale’ ? On
peut se le demander lorsqu’on compare cette citation avec la page 157.
82 [Calinon 1893], pages 606-607.
83 Dans son article de 1889 sur « Les espaces géométriques », Calinon soutenait déjà une thèse similaire : « Il ne faudrait pas du
reste considérer ces divers espaces géométriques comme étant absolument exclus de l’Univers ; la forme euclidienne de notre
espace ne résulte, en effet, que d’observations d’une précision limitée ; tout ce qu’on peut légitimement en conclure, c’est que les
différences qui peuvent exister entre la géométrie euclidienne et celle que réalise l’Univers tombent au-dessous des erreurs
d’observation ; il reste donc là un doute qu’il est impossible d’éviter et, dans les limites de ce doute, on peut faire sur notre espace
les diverses hypothèses suivantes que nous nous bornerons à énoncer : 1° Notre espace est et reste rigoureusement euclidien ; 2°
Notre espace réalise un espace géométrique très peu différent de l’espace euclidien, mais toujours le même ; 3° Notre espace
réalise successivement dans le temps divers espaces géométriques ; autrement dit, notre paramètre spatial varie avec le temps,
soit en s’écartant plus ou moins du paramètre euclidien, soit oscillant autour d’un paramètre déterminé très voisin du paramètre
euclidien ». [Calinon 1889], page 595.
Henri Poincaré (1854-1912) : Des Mathématiques à la Philosophie 161
Le Champ Philosophique
angles vrais du réseau lumineux, les autres modifient au contraire ces mêmes angles et par
conséquent ces diverses solutions ne peuvent être placées sur le même pied.84
En d’autres termes, parmi toutes les descriptions géométriques possibles de l’univers, il en est
une – la description censée correspondre véritablement à la réalité physique – qui se trouve
dotée d’un statut à part. À l’inverse, Poincaré affichera dans l’ensemble de son œuvre une
certaine réticence vis-à-vis de la notion d’espace physique, à un point tel qu’il est possible de
se demander si, dans sa conception, cette notion a le moindre sens.
Tous les parallélismes que nous avons mentionnés sont révélateurs de l’influence du texte de
Poincaré sur les géométries non euclidiennes lors de sa publication. Le ‘dialogue’ Poincaré-
Calinon s’insère dans un dialogue plus large, qui concerne l’assimilation des géométries non
euclidiennes par la communauté philosophique française. Le ralliement de Calinon à Poincaré
atteste d’un début d’implantation des conceptions poincaréiennes au sein du débat philoso-
phique, implantation qui trouvera son aboutissement dans sa collaboration soutenue avec la
Revue de métaphysique et de morale.
C – La fondation de la Revue de métaphysique et de morale
La Revue de métaphysique et de morale trouve son origine dans le projet de jeunesse de quelques
étudiants en philosophie, tous anciens élèves du philosophe Alphonse Darlu au lycée Condor-
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cet : principalement Xavier Léon, Élie Halévy et, dans une moindre mesure, Léon Brunschvicg
et Louis Couturat. Jeune homme ambitieux, issu de la grande bourgeoisie intellectuelle juive,
Léon fut l’initiateur de ce projet dès 1891, comme l’atteste sa correspondance avec Halévy.85
Lui, qui ne fut ni normalien ni agrégé, qui n’occupa aucune chaire universitaire, devint en
quelques années l’éminence grise de la communauté philosophique française.86
On a souvent présenté la Revue de métaphysique et de morale à son début comme une arme de
guerre idéaliste et spiritualiste dirigée contre le scientisme et le matérialisme de la déjà vieille
(17 ans) Revue philosophique de Théodule Ribot. Et en effet, tel qu’il se construit dans les années
1891-1892, le projet oscille souvent entre un rejet de l’excès de religiosité propre à l’époque et
une condamnation de la méthode positiviste (l’héritage de Comte et de Ribot). En témoigne
par exemple ce qu’écrit Élie Halévy à Xavier Léon le 30 août 1891 :
Et puis, je suis très impatient de voir paraître ta Revue rationaliste et morale. Il est néces-
saire d’agir contre le misérable positivisme dont nous sortons, et l’agaçante religiosité où
nous risquons de nous embourber, – de fonder une philosophie de l’action et de la ré-
flexion, – d’être rationalistes avec rage. […] Nous essaierons d’être vraiment criticistes, et
vraiment dogmatiques, au sens large du mot, non pas de ce dogmatisme étroit dont Renou-
vier est mort ; mais d’un dogmatisme métaphysique. Toute réflexion faite, je retire mes ob-
jections au mot : métaphysique, si tu entends par là une science séparée, discutant isolé-
ment un nombre déterminé de problèmes spéciaux, mais une méthode, opposée à la mé-
thode positiviste d’observation.87
Comme le remarque cependant Dominique Merllié dans son article « Les rapports entre la
Revue de métaphysique et de morale et la Revue philosophique », cette représentation conflictuelle
laisse beaucoup à désirer : le clivage entre une Revue philosophique positiviste et une Revue de
métaphysique et de morale spiritualiste apparaît surtout au sein de déclarations d’intentions ou
philosophie des trente dernières années vous doit beaucoup : vous l’avez aidée à prendre conscience d’elle-même, et aussi à se
manifester dans toute sa force aux yeux de l’étranger ». Voir Bergson, Trentenaire de la Revue de métaphysique et de morale.
Hommage à Xavier Léon, Paris, PUF, 1924, page 7. Cité d’après [Prochasson 1993], page 109.
87 Citée dans [Simon-Nahum 1993], page 13. Charléty écrira pour sa part dans son livre Élie Halévy (1938), page 6 : « Il s’agissait
de résister aux empiétements de la physiologie et des méthodes de la psychologie appelée expérimentale, alors en honneur à la
Revue philosophique que dirigeait Théodule Ribot ; de se consacrer uniquement au problème éternel de la connaissance et de
l’action ». Pour tout ce qui concerne la création de la Revue de métaphysique et de morale, on se reportera au numéro spécial du
centenaire, Revue de métaphysique et de morale 98 (janvier-juin 1993), notamment aux articles de Christophe Prochasson [Prochas-
son 1893] et Dominique Merllié [Merllié 1993].
Henri Poincaré (1854-1912) : Des Mathématiques à la Philosophie 162
Le Champ Philosophique
de manifestes ; dans les faits, au contraire, force est de constater l’ouverture de la Revue philo-
sophique aux questions générales de la philosophie ainsi que la place très importante occupée,
dès le premier numéro de la Revue de métaphysique et de morale, par les sciences (surtout les
mathématiques) et l’épistémologie générale.88 Malgré la concurrence sévère qui les oppose, les
deux revues deviendront finalement deux entités complémentaires.
Concernant l’importance à consacrer aux sciences au sein de la toute nouvelle revue, les deux
jeunes instigateurs du projet ne semblent pas vouloir pleinement s’accorder. Malgré sa volonté
d’épouser en partie les conceptions du courant spiritualiste, malgré le titre volontairement
provocateur de la future revue (Revue de métaphysique et de morale), Xavier Léon est largement
favorable à l’intervention de scientifiques. Il décrit clairement l’orientation que devraient avoir
ces contributions dans une lettre à Halévy datée du mois d’octobre 1892 :
Mon programme se définit pour le moment ainsi : rapprocher la philosophie des sciences
sur un autre terrain que celui des faits, sur le terrain des idées. Rapprocher la morale de la
philosophie, sur un autre terrain que celui du cœur ou de la foi ; sur le terrain de la Rai-
son.89
En revanche, Halévy est beaucoup plus circonspect et il rappelle à son ami qu’il existe d’autres
domaines d’activité intellectuelle que les mathématiques, par exemple la psychologie. Il écrit
ainsi : en novembre 1892 :
tel-00137859, version 1 - 22 Mar 2007
Ensuite, défie-toi des mathématiciens. Poincaré, un, – Milhaud, deux, – Couturat, trois, –
Évellin, quatre, – Noël (même avec son argument de Zénon D’Élée), cinq. Je ne croyais pas
moi-même qu’il y en eût autant. Je respecte les mathématiques ; mais les mathématiques ne
sont pas tout. Il est de plus en plus nécessaire d’obtenir la collaboration d’un psychologue,
comme Egger, – ou d’un métaphysicien, comme Delbos….90
Cependant, malgré cette situation conflictuelle, les mathématiques et l’épistémologie générale
trouveront une tribune assez large au sein de la Revue de métaphysique et de morale, en partie
grâce aux interventions de Frédéric Rauh et de Louis Couturat. Ce dernier, auteur d’une thèse
sur l’infini en mathématiques, et philosophe bien introduit dans les cercles scientifiques en
raison de sa formation de mathématicien, jouera un rôle important en établissant de fructueux
contacts entre scientifiques et philosophes et en animant de nombreuses discussions dont
l’écho ne s’est pas encore tu (voir par exemple la célèbre controverse entre Poincaré et Russell
sur les fondements de la géométrie qui suscite aujourd’hui encore cours et publications di-
vers).91
Frédéric Rauh, quant à lui, conseillera à ses amis Léon et Halévy d’élargir à la fois le comité de
rédaction et le nombre de disciplines abordées dans la revue.92 Sur le plan stratégique il leur
recommandera de solliciter des collaborateurs prestigieux afin de donner une assise institu-
tionnelle solide à leur revue. Il n’est donc pas étonnant de voir apparaître au fil de la corres-
pondance Léon-Halévy les noms de personnalités appelées à devenir des collaborateurs occa-
sionnels ou réguliers : Ravaisson (qui rédigera l’article manifeste de la première livraison),
Bergson, Boutroux, Poincaré… Ainsi cette lettre d’Halévy à Léon, datée du mois d’octobre
1892 :
88 Cette place de la science ira, comme nous le verrons, en s’accroissant, à un point tel qu’Alain proposera, non sans humour, de
une lettre à Xavier Léon de 1902, il écrit : « Couturat est insupportable : il y a en lui un fond d’infatuation que seul son idéalisme
candide empêche d’être parfaitement exécrable ». Voir [Prochasson 1993], page 112.
92 Rauh écrira ainsi à Léon : « Il faut que le premier numéro de la revue marque bien le caractère large et conciliant de la Revue.
[…] Il faut les [ceux qui se méfient] rassurer doublement contre votre jeunesse d’abord, contre le soupçon de tendance trop
exclusivement moralisante ou métaphysique . […] Il faut dans l’intérêt même des croyances que je partage avec vous que nous
sachions parler la langue de nos adversaires, c’est-à-dire le langage d’une science spéciale. Si vous saviez comme je souffre de
n’avoir pas fait soit de mathématiques (si on veut faire de la métaphysique, je crois bien que le renouvellement est là) soit de la
physiologie ». Voir [Simon-Nahum 1993], page 20.
Henri Poincaré (1854-1912) : Des Mathématiques à la Philosophie 163
Le Champ Philosophique
un rôle d’intermédiaire) pour s’assurer sa collaboration et, d’un point de vue plus politique, il
lui recommandera également de s’allier les services de la librairie Hachette, alliance éphémère
puisque à la suite d’un conflit les fondateurs de la revue s’attacheront à l’éditeur Armand
Colin.
Succès complet. En théorie il [Boutroux] est complètement avec nous. En pratique […] il n’a
pas d’objection à faire. Cependant il ne faudra pas se poser avec impertinence avec la Revue
philosophique. Il faudra faire tout au monde pour éviter le reproche de cléricalisme. Je lui ai
répondu que ces misérables reproches ne pourraient partir que d’intelligences médiocres, et
que celles-ci seraient peut-être rassurées par le très grand (trop grand) nombre de collabo-
rateurs israélites. […] Il faudra […] faire une large place à l’histoire de la philosophie. J’ai
fait toutes sortes de réserves […] il faudra que la revue ne soit pas inspirée par un esprit
trop étroit et que les sciences y aient une place.94
Et les sciences y auront effectivement leur place. De 1893 à sa mort en 1912, Poincaré sera un
collaborateur régulier de la revue puisqu’il y publiera une vingtaine d’articles ; ces textes, le
plus souvent de premier ordre, constitueront l’essentiel de sa production philosophique et ce
sont eux qui serviront de matériau privilégié pour la composition de ses ouvrages de la Biblio-
thèque de Philosophie Scientifique de Gustave Le Bon (de La science et l’hypothèse à Dernières
pensées). Le Graphique 1 ci-après donne un état annuel de la production poincaréienne pour
cette revue.
La correspondance inédite de Poincaré avec Xavier Léon conservée au sein de la Bibliothèque
Victor Cousin témoigne de la fidélité du mathématicien à la Revue de métaphysique et de mo-
rale.95 Bien que le contenu de cette correspondance ne soit pas à proprement parler philosophi-
que (elle traite presque exclusivement de problèmes éditoriaux : promesses d’articles, envoi de
manuscrits, demandes de tirés-à-part), elle contient de précieux renseignements sur les rela-
tions de Poincaré avec la communauté philosophique. Au fil des ans, la correspondance de-
vient plus intime et, chose assez rare, Poincaré se laisse aller à des confidences d’ordre fami-
une période qui va de 1893 à 1909. Les réponses de Xavier Léon sont malheureusement perdues ; on n’en trouve aucune trace
dans la correspondance de Poincaré conservée aux Archives Poincaré. Nous reproduisons l’intégralité de cette correspondance
dans l’annexe de ce travail.
Henri Poincaré (1854-1912) : Des Mathématiques à la Philosophie 164
Le Champ Philosophique
lial. C’est là le signe d’une relation personnelle suivie qui dépasse le cadre strictement profes-
sionnel.
2
Nombre
d'articles
1
0
1893
1895
1897
1899
1901
1903
1905
1907
1909
1911
Année
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On ne connaît pas de correspondance entre les deux hommes antérieure à 1894 ; il est cepen-
dant probable qu’il eurent quelques contacts, ne serait-ce que pour régler la question du pre-
mier article de Poincaré qui devait ouvrir le premier numéro (« Le continu mathématique »).
Toutefois, en 1894, Poincaré annonce à Léon l’envoi d’un article (il s’agit de son article intitulé
« Sur la nature du raisonnement mathématique », [Poincaré 1894p]).96 Le ton de cette lettre
demeure très formel :
J’ai l’honneur de vous adresser le manuscrit de mon article. Peut-être trouverez-vous qu’il
est trop long ou que la partie purement mathématique tient plus de place que la clarté ne
l’exige. Dans ce cas, je ferai les corrections nécessaires.
La même année, Xavier Léon participe activement, semble-t-il, aux préparatifs des célébrations
du centenaire de la naissance de Descartes (un numéro spécial de la Revue de métaphysique et de
morale sera consacré au philosophe en 1896). Il demande à Poincaré de bien vouloir faire partie
du comité d’organisation du monument de Descartes (ce qu’il accepte volontiers) et de lui
donner quelques conseils quant à la composition scientifique de ce comité. Poincaré lui ré-
pond une première fois :
[1894]
Monsieur,
Voulez-vous m’accorder quelques jours encore pour répondre à votre demande. Je vou-
drais y réfléchir et puis avant de vous proposer des noms de savants étrangers je voudrais
savoir jusqu’où on peut s’étendre ; quel est le nombre d’étrangers qu’il vous paraîtrait
convenable / d’introduire dans ce comité ; dans quelle proportion les diverses sciences aux-
quelles Descartes a ouvert la voie vous semblent y devoir être représentées. Et puis aussi les
fonctions des membres du comité seront-elles purement honorifiques, ou bien devront-ils
se livrer à une propagande active auquel cas il conviendrait de choisir des hommes plus
jeunes ?
Estimez-vous que les divers grands pays doivent tous être représentés ?
Pardonnez-moi toutes ces questions et veuillez croire à mes meilleurs sentiments,
Poincaré.
Quelque temps plus tard, Poincaré lui proposera une liste de savants de renommée internatio-
nale : Kelvin, Cayley, Sylvester, Helmholtz, Weierstraß, Tchebicheff, Brioschi, Cremona, Lie,
Mittag-Leffler, Bierens de Haan, Newcomb, Rowland et Cantor. Poincaré tiendra compte des
96 Pour plus de détails sur l’identification de cet article, cf. note 2 page 376.
Henri Poincaré (1854-1912) : Des Mathématiques à la Philosophie 165
Le Champ Philosophique
problèmes relationnels en mentionnant les éventuelles sources de tension entre ces différents
scientifiques (il écrira ainsi à propos de Brioschi et Cremona : « Rivalité. Il y aurait peut-être
inconvénient à prendre l’un ou l’autre »).
Il écrit aussi parfois à Léon pour lui demander de procéder à des envois de ses articles à des
personnalités qu’il souhaite honorer : dans une lettre non datée, il demande ainsi d’ajouter à la
liste Freycinet97, Kelvin, Cantor, Lie. Une lettre du mois d’octobre 1896 nous apprend que les
familles Poincaré et Léon entretenaient des relations amicales puisqu’il est question d’un sé-
jour commun à Houlgate.98 Léon semble s’inquiéter des suites d’une épidémie et Poincaré lui
demande de transmettre ses amitiés à sa femme.
Je vous remercie beaucoup de vos photographies qui nous ont rappelé notre vie commune
à Houlgate. Nous sommes revenus à Lozère99 après une fin de saison très pluvieuse mais en
bonne santé. L’épidémie n’a eu aucune suite. M Chauveau d’abord assez inquiétant nous a
rassuré, / dès le lendemain, tous les cas avaient eu une issue favorable ; même celui qui
avait été signalé comme particulièrement suspect. Je regrette que vous vous soyez donné
tant de peine inutilement et je vous remercie de l’intérêt que vous avez pris à nos inquiétu-
des.
En décembre 1896, Poincaré informe Léon qu’il compte écrire pour la Revue de métaphysique et
de morale une réponse aux articles de Lechalas et Couturat dans lesquels certaines de ses con-
ceptions philosophiques sur la géométrie sont critiquées (son article s’intitulera « Réponse à
tel-00137859, version 1 - 22 Mar 2007
quelques critiques »).100 En 1900, Xavier Léon prépare activement le premier Congrès Interna-
tional de Philosophie qui doit se tenir à Paris au moment de l’Exposition Universelle ; il de-
mande à Poincaré de préparer une intervention pour la section scientifique du congrès. Celui-
ci lui envoie donc sa contribution quelque temps plus tard :
[1900]
Cher Monsieur,
Je vous fais parvenir ci-joint l’article destiné au Congrès de Philosophie.101 Je crains qu’il ne
soit trop long et je vous prie de me dire franchement votre sentiment à ce sujet.
Si M. Couturat a l’occasion de le lire, je serais heureux qu’il voulût bien me dire s’il a trouvé
certains passages obscurs et s’il est nécessaire de donner quelques éclaircissements.
Je vous demanderais quand vous m’enverrez / les placards, de les envoyer en double
exemplaire.
Votre tout dévoué,
Poincaré.
Poincaré présidera finalement la séance de l’après-midi du jeudi 2 août consacrée à la logique
et à l’histoire des sciences. Sa communication sur les principes de la mécanique, prononcée
devant une assistance composée de Jules et Paul Tannery, Gaston Milhaud, Jacques Hada-
mard, Maurice Cantor, Paul Painlevé et Bertrand Russell, fera date et viendra largement ali-
menter les conceptions d’Édouard Le Roy.102
97 Il s’agit probablement de Charles Louis de Saulses Freycinet (1828-1923), ingénieur et homme politique, auteur d’un impor-
tant programme de travaux publics. Il fut Président du Conseil de 1879 à 1880, en 1882, 1886 et de 1890 à 1892. Il fut élu à
l’Académie française en 1891.
98 Commune de Normandie située à l’ouest de Deauville. Il s’agissait d’une station balnéaire très prisée au début du siècle.
Poincaré semblait être un familier de cette station ; il écrira en effet plusieurs lettres depuis cet endroit.
99 Où habitait la mère de Poincaré.
100 Concernant Lechalas, Poincaré répond certainement soit à son Étude sur l’espace et le temps [Lechalas 1896a] soit à son article,
publié dans la Revue de métaphysique et de morale, « La courbure et la distance en géométrie générale » [Lechalas 1896b]. Concer-
nant Couturat, Poincaré a certainement en tête l’article de 1896 « Études sur l’espace et le temps de M. M. Lechalas, Poincaré,
Delbœuf, Bergson, L. Weber et Évellin » [Couturat 1896]. La réponse de Poincaré fut publiée en 1897 [Poincaré 1897u].
101 Poincaré prononcera au Congrès International de Philosophie de 1900 une conférence intitulée « Sur les principes de la
suivante (il s’agit du compte-rendu de la discussion) : « Il [Poincaré] reconnaît que la science a toujours procédé et procédera
toujours par approximations successives mais il a tenu à faire remarquer par quelle série d’artifices plus ou moins conscients les
fondateurs de la mécanique sont parvenus à transformer les premières approximations, non en vérité provisoire et susceptible de
correction, mais en vérité définitive et rigoureuse ; et cela, au grand bénéfice de la clarté des énoncés et par conséquent de la
science elle-même ».
Henri Poincaré (1854-1912) : Des Mathématiques à la Philosophie 166
Le Champ Philosophique
Enfin, dernier fait marquant dans cette correspondance, Poincaré écrit à Léon pour lui propo-
ser un article de réponse à Édouard Le Roy. Ce dernier, très influencé par les développements
du mathématicien sur la place des conventions dans les sciences avait publié dans la Revue de
métaphysique et de morale une série d’articles (notamment « Science et philosophie » en 1899,
« La science positive et les philosophies de la liberté » et un article-programme intitulé « Un
positivisme nouveau » en 1901) dans lesquels il mettait en avant le caractère profondément
arbitraire des théories scientifiques. Poincaré tentera de mettre un bémol à cette dérive qu’il
qualifiera de ‘nominaliste’.
[1901 ?]
Cher Monsieur
Je serai très heureux de vous envoyer l’année prochaine un article, par exemple sur la va-
leur objective de la Science (à propos du Royalisme). Le voulez-vous pour le N° de Mai ?103
De la neige, il y en avait par terre mais il n’en est presque pas tombé nous avons eu en
somme un temps superbe quoique très froid.
Veuillez croire à ma sincère amitié et / transmettre à Madame Léon mes respectueux
hommages,
Poincaré.
Cette correspondance constitue la partie visible d’une réalité complexe qu’il est bien difficile
de reconstituer. À la question « Quelles étaient les relations de Poincaré avec la communauté
tel-00137859, version 1 - 22 Mar 2007
103 Le 28 février 1901, lors d’une séance de la toute jeune Société Française de Philosophie, Le Roy avait en effet exposé ses
théories devant un public de scientifiques (Hadamard, Painlevé, les frères Tannery) et de philosophes (Bergson, Couturat, Lache-
lier, Brunschivcg). Les discussions de cette séance, à laquelle assistait également Poincaré, ne sont malheureusement pas repro-
duites dans le Bulletin de la Société Française de Philosophie. Seule la séance suivante (28 mars 1901), consacrée également à la
discussion des thèses de Le Roy, est reproduite (volume 1, pages 5-32) mais Poincaré n’y assistait pas. C’est vraisemblablement
suite au succès de ces thèses que Poincaré se sentit obligé de s’en démarquer publiquement dans un article intitulé « Sur la valeur
objective de la science » [Poincaré 1902s].
104 Pour plus de détails sur son œuvre, on consultera la thèse de R. Drouelle, Léon Poincaré (1828-1892) : sa vie, son œuvre en
raine [Bellivier 1956]. Dans ce livre, l’auteur décrit parfaitement la vie du futur mathématicien au sein de sa famille : les réunions
mondaines étaient nombreuses et variées ; les enfants donnaient des représentations théâtrales, et on se réunissait également pour
écouter ou pour jouer de la musique. On consultera également le manuscrit de la sœur de Poincaré, Aline Boutroux, Vingt ans de
ma vie : simple vérité [Boutroux A. 1913], dont Bellivier fait un usage intensif.
Henri Poincaré (1854-1912) : Des Mathématiques à la Philosophie 167
Le Champ Philosophique
nages centraux de la scène philosophique française, et il n’est pas impossible qu’il ait égale-
ment fréquenté le salon d’Élie Halévy. Tout cela laisse au moins présager qu’il était parfaite-
ment bien introduit au sein de la communauté philosophique et qu’il entretenait des relations
régulières avec certains de ses représentants les plus importants.
L’épisode important de sa collaboration à la Bibliothèque de Philosophie Scientifique de Gus-
tave Le Bon, polygraphe de génie, homme d’affaire avisé et publiciste pragmatique, devrait en
donner une nouvelle illustration. Nous allons maintenant voir en effet par quel processus la
philosophie conventionnaliste – qui aurait pu demeurer extrêmement confidentielle – passa
pour ainsi dire dans le domaine public grâce à ses conceptions novatrices en matière d’édition.
Nous allons tenter d’expliquer ce succès des ouvrages philosophiques de Poincaré auquel
nous faisions allusion au début de ce chapitre (cf. page 134).
106 Cette partie met amplement à profit les informations contenues dans la thèse d’Élisabeth Parinet, La Librairie Flammarion
1875 – 1914 [Parinet 1989].
107 Voir [Parinet 1989], page 170. Parinet remarque d’ailleurs à propos de la collaboration des deux frères, page 171 : « Ernest
Flammarion a donc largement ouvert sa maison à son frère et il en est récompensé car l’astronome est un auteur rentable. Ce
succès autorise Ernest à rémunérer son frère de façon généreuse : 80 centimes par exemplaire vendu 3 F 50. Ces conditions sont
assez exceptionnelles et généralement consenties pour les réimpressions au-dessus de 50000 exemplaires ». Pour plus
d’informations sur la personnalité de Camille Flammarion, on se reportera au livre de Ph. De la Cotardière et P. Fuentes, Camille
Flammarion [De la Cotardière / Fuentes 1994].
108 Seules deux maisons d’édition échappent à cette spécialisation : la Librairie Masson a un catalogue qui va de la philosophie
aux sciences économiques ; la Librairie Alcan, quant à elle, dispose d’un catalogue étendu couvrant l’histoire, la philosophie, la
médecine et même le secteur scolaire.
Henri Poincaré (1854-1912) : Des Mathématiques à la Philosophie 168
Le Champ Philosophique
rie de lecteurs était en train de naître. Cette évolution devait avoir plusieurs conséquences
pour le monde de l’édition : d’une part le développement du marché des publications scienti-
fiques (qui profite directement aux éditeurs spécialisés) ; d’autre part, l’élargissement d’un
public cultivé, « désireux d’étendre à d’autres domaines que celui de sa spécialité, sa réflexion
scientifique ».109 Le succès de L’avenir de la science de Renan à la fin du siècle prouve d’ailleurs,
s’il en est besoin, que les livres mêlant philosophie et science suscitaient un intérêt certain.110
Afin de toucher ce public en pleine expansion, Ernest Flammarion fonda en 1902 la Bibliothè-
que de Philosophie Scientifique et la plaça sous la direction de Gustave Le Bon un auteur qu’il
connaissait de longue date et qui entretenait des relations importantes avec la communauté
universitaire parisienne, deux atouts essentiels.111
B – Gustave Le Bon et la Bibliothèque de Philosophie Scientifique
Les informations sur les circonstances exactes de la fondation de la Bibliothèque manquent.
Gustave Le Bon avait publié plusieurs de ses ouvrages chez Alcan, au sein de la Bibliothèque
de Philosophie Contemporaine, collection prestigieuse qui avait grandement contribué à mo-
deler le paysage de l’édition philosophique française au tournant du siècle. Le Bon en était
cependant arrivé à penser qu’une telle collection avait des limites trop étroites et s’adressait
uniquement à un public disposant d’une solide culture philosophique ; d’où l’idée de fonder
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une nouvelle collection orientée vers un public plus large, idée qu’il proposa d’abord à la
maison Alcan.112 La Librairie Alcan refusa cette proposition – qui était manifestement en
contradiction avec sa politique éditoriale (orientée comme on l’a vu vers la production haut de
gamme) – et Le Bon s’adressa finalement à Ernest Flammarion.
L’objectif affiché n’était pas de fonder une collection de vulgarisation scientifique comparable
à la Bibliothèque Scientifique Internationale de la Librairie Alcan (qui existait depuis 1879),
mais de proposer à la population cultivée, aux « gens du monde », un point de vue général sur
les sciences qui ne serve pas seulement à accumuler des connaissances précises sur un do-
maine spécialisé, mais qui leur permette également de construire leur propre philosophie du
monde. Cette volonté était clairement mise en exergue dans la publicité destinée à promouvoir
la collection :
Les faits scientifiques se multiplient tellement qu’il devient impossible d’en connaître
l’ensemble. Les savants sont confinés dans des spécialités très circonscrites […]. Pour se te-
nir au courant des connaissances scientifiques, philosophiques et sociales actuelles, il faut
s’attacher surtout à connaître les principes qui sont l’âme de ces connaissances et consti-
tuent en même temps leur meilleur résumé. C’est dans le but de présenter clairement la
synthèse philosophique des diverses sciences, l’évolution des principes qui la dirigent, les
problèmes généraux qu’elle soulève, que la Bibliothèque de Philosophie Scientifique a été
fondée. S’adressant à tous les hommes instruits, elle est destinée à prendre place dans tou-
tes les bibliothèques.113
Dans cette publicité, le terme de vulgarisation n’apparaît à aucun moment ; il est cependant
présent en filigrane dans tout l’argumentaire. Il s’agit en effet de résumer les principes de base
des différents domaines de connaissance (donc d’énoncer des faits, d’exposer le contenu des
un volume pour sa Bibliothèque Scientifique Populaire, Les premières civilisations. Camille Flammarion et Le Bon partageaient par
ailleurs le même intérêt pour le spiritisme.
112 « Le Bon, à la différence des universitaires, vivait de sa plume et souhaitait ne pas se limiter aux profits symboliques offerts
par la collection alcanienne ; il souhaitait donc prendre la direction d’une collection destinée au grand public. Le fait que celle-ci
fût publiée chez Alcan lui aurait permis de combiner le haut rendement symbolique attaché à ce nom avec l’assurance d’un
marché relativement vaste ». [Fabiani 1988], pages 109-110.
113 Quatrième de couverture, cité d’après [Parinet 1989], page 181.
Henri Poincaré (1854-1912) : Des Mathématiques à la Philosophie 169
Le Champ Philosophique
disciplines abordées), de manière à construire une synthèse philosophique accessible à tous les
hommes instruits et susceptible de trouver sa place dans toutes les bibliothèques.114
L’ambiguïté de cette formulation était certainement voulue par Le Bon ; elle permettait
d’abord de donner une allure respectable à son projet en le plaçant sous la tutelle de la philo-
sophie, une discipline honorable vieille de plusieurs siècles ; elle présentait également
l’avantage de pouvoir rencontrer un écho favorable auprès d’un public très large : le public
philosophique, d’une part (celui de la Bibliothèque de Philosophie Contemporaine par exem-
ple) ; le public scientifique, d’autre part, désireux de sortir de sa spécialité et de s’ouvrir à
d’autres domaines de connaissance ; le public habituellement demandeur d’ouvrages de vul-
garisation scientifique, enfin, qui pouvait espérer satisfaire en toute bonne conscience sa légi-
time curiosité scientifique (sans transiger avec ses prétentions à l’élévation spirituelle et philo-
sophique). Présentée de cette manière, la nouvelle collection était susceptible de trouver un
écho favorable auprès d’un maximum de personnes ; et ce fut effectivement le cas puisque la
Bibliothèque de Philosophie Scientifique remporta un succès sans précédent. Selon Parinet,
l’essentiel du catalogue de la collection (environ 250 titres) était constitué d’ouvrages de com-
mande dans lesquels les auteurs reprenaient sous une forme différente le contenu d’ouvrages
antérieurs dans une logique de vulgarisation.115
L’embauche de Le Bon au titre de directeur de la Bibliothèque de Philosophie Scientifique ne
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fit l’objet d’aucun contrat. Un paragraphe fut simplement ajouté au contrat signé pour la pu-
blication de son ouvrage Psychologie de l’éducation, un paragraphe stipulant que ce volume était
appelé à devenir le premier d’une collection qui paraîtrait sous le titre de Bibliothèque de
Philosophie Scientifique.
Dans une lettre envoyée à Ernest Flammarion vers avril 1902, Le Bon définit les objectifs de la
collection d’une manière très précise. La collection devait être à la portée de tous, elle devait
être constituée d’ouvrages de consommation courante : le prix fixé était par conséquent relati-
vement abordable (3,50 Francs) pour un volume in-18° de 300 pages maximum. Afin d’assurer
une unité à la collection et lui donner sa ‘marque de fabrique’, on adopta le principe d’une
couverture brochée rouge brique. Le Bon prévoyait de publier quatre volumes par an, pendant
trois ans, chacun d’entre eux étant tiré initialement à 1500 exemplaires, un tirage tout juste
équivalent à ceux pratiqués dans l’édition spécialisée.116 La prudence semblait de mise au
début.117 Le Bon proposait une rémunération de 500 Francs pour l’auteur, de 250 Francs pour
le directeur de collection et de 150 Francs pour le secrétaire de publication. Ses prétentions
étaient élevées, et il en était parfaitement conscient ; il écrivait ainsi à Flammarion :
Si vous désirez répartir autrement ces chiffres, je m’en rapporte absolument à vous. Le seul
point sur lequel je serai rigide, c’est qu’aucun volume ne puisse être publié dans cette col-
lection sans mon assentiment. C’est d’ailleurs dans votre intérêt car vous êtes si aimable
que par bonté, vous accepteriez des choses de qualité secondaire.118
114 En 1908, Le Bon devait d’ailleurs préciser quel était l’objet de la Bibliothèque de Philosophie Scientifique au moment de sa
création. Dans un article sur Poincaré, publié au moment de son élection à l’Académie Française, Le Bon écrivait ainsi que son
projet avait été de se démarquer de la vulgarisation élémentaire pour construire une vulgarisation de haut niveau qui ‘flirte’ à la
fois avec le discours philosophique et le discours scientifique : « Un tel succès, sans précédent pour des ouvrages d’une aussi
grande porté a des causes évidemment diverses. L’intérêt croissant du public pour les questions scientifiques élevées ne suffit pas
à l’expliquer entièrement. On peut le considérer cependant comme l’indice d’une transformation profonde dans les exigences
actuelles des lecteurs. Les anciens ouvrages de vulgarisation élémentaire ne se vendent plus. Les synthèses scientifiques supérieu-
res ne peuvent être écrites que par des savants ayant longuement étudié les faits d’où dérivent ces synthèses. Les généralisations
n’ayant pas des documents précis pour bases sont justement considérées comme étant sans valeur. Ainsi que le disait Fustel de
Coulanges, il faut donner dix ans à l’analyse avant de consacrer une heure à la synthèse ». [Le Bon 1908e], page 13.
115 Ce n’est pourtant pas le cas de tous les ouvrages. Bien qu’ils contiennent parfois tous les traits distinctifs d’un discours de
vulgarisation scientifique, les ouvrages de Poincaré publiés dans cette collection présupposent des connaissances très techniques
et la clarté du style y est souvent très trompeuse. Pour une analyse de ce problème, cf. [Rollet 1996]. Nous reviendrons sur cet
important problème, qui pose la question de la distinction entre vulgarisation scientifique et philosophie des sciences, dans le
chapitre suivant.
116 Poincaré publie par exemple, en 1891, chez Gauthier-Villars, le premier tome des Méthodes nouvelles de la Mécanique céleste
Effectivement, Ernest Flammarion obligea Le Bon à réviser à la baisse ses prétentions.119 Ce-
pendant, sur le fond, ce dernier obtint finalement ce qu’il souhaitait : une liberté totale pour le
recrutement des auteurs de la collection. Sur ce point, il savait que Flammarion, étranger à la
communauté académique et universitaire parisienne, ne pouvait faire autrement.
En 1902, Le Bon avait déjà plus de soixante ans et sa réputation n’était plus à faire. Ce médecin
de formation, né en 1841 à Nogent-le-Rotrou, qui avait dirigé en 1871 une des divisions des
ambulances militaires volantes de Paris, était l’auteur d’un certain nombre de traités médi-
caux : Physiologie de la génération de l’homme et des principaux êtres vivants (1868), Traité pratique
des maladies des organes génito-urinaires (1869), Traité de physiologie humaine (1873), etc. Grand
voyageur, il avait conduit en 1884 une mission d’exploration archéologique en Inde et au Né-
pal, mission qui lui avait fourni la matière de plusieurs ouvrages à succès, Les civilisations de
l’Inde (1887), Les premières civilisations (1889) ou Les monuments de l’Inde (1893). Auteur, en 1895
chez Alcan, du célèbre ouvrage La psychologie des foules (un grand succès éditorial), il avait été
l’un des premiers collaborateurs de la Revue philosophique de Théodule Ribot.120
Preuve de la diversité de ces centres d’intérêt, Le Bon mena un certain nombre de recherches
scientifiques dans son laboratoire privé à partir de 1896. Dans les années 1897-1898, il
s’intéresse aux infrarouges : il communique ainsi les résultats de ses expériences à Poincaré,
qui semble leur prêter un certain intérêt (deux lettres de Gustave Le Bon à Poincaré, ainsi
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qu’une réponse du mathématicien, sont présentes aux Archives Henri Poincaré à Nancy).
D’une manière générale, cependant, il semble que ses recherches furent mal accueillies par la
communauté scientifique de l’époque. Le fonds des manuscrits de la Bibliothèque Nationale
conserve une correspondance entre Gustave Le Bon et Einstein échangée durant les mois de
juin et juillet 1922 (Don 87-18). Cette correspondance – une lettre Le Bon à Einstein et quatre
lettres de Einstein à Le Bon – concerne la priorité de la découverte de l’équivalence entre la
masse et l’énergie (le fameux m = E / c2), Le Bon ayant revendiqué, en 1905 dans son livre
L’évolution de la matière, la formulation de ce résultat (tout en avouant d’ailleurs ne pas l’avoir
démontré).
Il était l’un des rares intellectuels français à vivre exclusivement de sa plume, ce qui le margi-
nalisait quelque peu vis-à-vis de la communauté académique et universitaire.121 Cependant,
son réseau de connaissances était des plus fournis et il se faisait un devoir de l’entretenir cons-
tamment, notamment en organisant repas et banquets. Ainsi tenait-il, tous les derniers ven-
dredi du mois, son célèbre « dîner des XX », où l’on rencontrait régulièrement des membres du
gouvernement, le prince Roland Bonaparte, le prince d’Orléans, Raymond ou Henri Poinca-
ré.122 Dans le même esprit, il réunissait également chaque semaine une quinzaine d’invités
autour d’un déjeuner : Aristide Briand, le Général Mangin, le compositeur Camille Saint-
Saëns, la princesse Marie Bonaparte ou Gabriel Hanotaux faisaient partie des habitués.123 Ces
119 Le 5 avril 1902, Flammarion proposera à Le Bon un tout autre arrangement : les droits d’auteur ne seront pas diminués, mais
les droits du directeur de collection et du secrétaire de publication seront réduits tous deux à 125 Francs. Le Bon donnera son
accord tout en tentant de faire en sorte que le rythme de publication passe à six volumes par an. Finalement, il ne sortira pas
perdant de cet arrangement : en effet, en 1903, suite à la démission du secrétaire de publication, Le Bon se verra contraint
d’occuper cette nouvelle fonction en plus de l’ancienne… et de toucher les honoraires correspondants à la charge : sa rémunéra-
tion passera ainsi à 250 Francs.
120 Le nombre de livres publiés par Gustave Le Bon (et la diversité de leurs thèmes) est plus qu’impressionnant. Nous nous
contenterons dans ce travail de donner une bibliographie sommaire à partir du catalogue de la Bibliothèque Nationale de France
(bibliographie qui ne prétend aucunement à l’exhaustivité puisqu’elle ne tient pas compte des articles publiés dans divers pério-
diques). Pour plus de détails sur la personnalité particulière de Le Bon et sur son œuvre, on consultera l’excellent livre de Robert
A. Nye, The Origins of Crowd Psychology, Gustave Le Bon and the Crisis of Mass Democracy in the Third Republic [Nye R. 1975].
121 Christophe Prochasson remarque ainsi dans son livre Les années électriques : « Le Bon […] ne put néanmoins accéder à la
reconnaissance académique. Les portes de l’Université et de l’Académie restèrent closes à ce polygraphe dont les recherches le
conduisaient de la physique à l’anthropologie et de la biologie à la psychologie. Esprit original, Le Bon élaborait des synthèses
percutantes, en phase avec son temps, mais en marge des systèmes intellectuels admis ». [Prochasson 1991], page 67.
122 Le Bon fonde le dîner des XX en 1892, conjointement avec son ami Théodule Ribot. Robert Nye écrit : « He [Le Bon] had
formed a monthly banquet association with Théodule Ribot in 1892 which attracted some eminent figures, including Raymond
and Henri Poincaré, Gabriel Hanotaux and Roland Bonaparte ». Cf. [Nye R. 1975], page 84.
123 « Il attirait les esprits curieux. Nombreux furent les hommes d’État, les écrivains ou les scientifiques à venir rendre visite à cet
homme reclus, entouré de livres et rongé par le désir d’écrire. Théodule Ribot, Gabriel Tarde, Henri et Raymond Poincaré, Henri
Henri Poincaré (1854-1912) : Des Mathématiques à la Philosophie 171
Le Champ Philosophique
repas n’étaient pas organisés sans arrière-pensées : il s’agissait de rencontrer des gens impor-
tants, de se faire connaître d’eux et de tirer avantage des relations ainsi établies.124
En tant que directeur de collection, Le Bon disposait – nous l’avons vu – d’une liberté d’action
importante : la responsabilité du recrutement des auteurs lui incombait à lui seul (son contrat
de 1907 stipulait ainsi qu’« aucune œuvre ne peut paraître [dans la collection] sans son assen-
timent ») ; par ailleurs, c’est lui qui se chargeait du suivi de la rédaction des ouvrages et des
détails de leur publication125 ; enfin, il mettait à profit son réseau de relations pour assurer la
promotion de la collection, si besoin est auprès des plus hautes instances de l’État. Ainsi, dans
une lettre inédite à Ernest Flammarion il écrivait par exemple : « Je déjeune demain avec le
Président à l’Élysée. Envoyez-moi dès aujourd’hui, s.v.p., notre première série complète pour
que je la lui remette ».126
Le Bon se fit donc fort de ne recruter que des auteurs de tout premier plan, au moins au début,
afin d’assurer crédibilité et respectabilité à la collection ; il décrivit même ses intentions à Er-
nest Flammarion en des termes empreints d’un certain cynisme : « Plus tard je baisserai la
qualité mais pour les premiers volumes, je ne peux prendre que des ouvrages de toute pre-
mière marque ce qui est, je pense, aussi votre avis ».127 De fait, il s’assura la collaboration d’un
grand nombre de scientifiques reconnus, mettant ainsi à contribution la Sorbonne, l’Institut et
le Collège de France. En 1914, sur les 85 auteurs présents dans le catalogue de la Bibliothèque
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Bergson, Aristide Briand, Louis Barthou, Paul Valéry, bien d’autres encore, allèrent l’écouter chez lui. En 1914, Théodore Roose-
velt souhaita lui-même faire la connaissance du sociologue dont le monde entier parlait ». [Prochasson 1991], page 67.
124 Comme le remarque Élizabeth Parinet : « Ces repas ont parfois les honneurs de la presse et plus d’un se sent flatté d’y être
invité occasionnellement. Ils permettent de lier d’utiles amitiés. Le Bon possède donc toutes les qualités que l’on demandera par
la suite à un directeur de collection : une curiosité et des connaissances scientifiques étendues, des relations mondaines et univer-
sitaires ». [Parinet 1989], page 184.
125 Le Bon entendait contrôler tous les aspects de la ‘fabrication’ des volumes : « […] Les titres publiés dans la Bibliothèque de
Philosophie Scientifique étaient souvent des ouvrages de commande […]. Dans la mesure où l’idée du livre ne venait pas d’eux,
les auteurs étaient d’autant plus incités à se soumettre aux injonctions du directeur […], qui exerçait sur sa collection un contrôle
sans partage, faisant modifier à son gré les phrases ou les chapitres qui ne concordaient pas avec sa vision de la science et de la
politique. À la légitimité universitaire respectée par Alcan – et à la dépolitisation qui semble en être le corollaire – s’oppose le
souci d’efficacité commerciale et idéologique : une autre figure de l’intellectuel directeur de collection s’impose, à la fois manager
idéologique et impresario ». [Fabiani 1988], page 111. Nye remarque également : « It was Le Bon’s practice to frequently remind
prospective authors of the advisability of adding a few words which might make their works more relevant to his view of current
politics. Even men with well-established academic reputations occasionally received crude suggestions on political content from
the editor ; and frequently, when the author held firm on content, Le Bon persuaded him to make a few concessions in the title
and chapter headings which gave the appearance that the book was a ‘scientific’ deflation of Le Bon’s latest bête noire ». [Nye R.
1975], page 163.
126 Lettre inédite non datée, citée d’après [Parinet 1989], page 188.
127 Lettre du 13 septembre 1902, citée d’après [Parinet 1989], page 190.
128 Selon Élizabeth Parinet, on recense ainsi 15 professeurs à la Sorbonne, 12 membres de l’Institut, 4 académiciens, 2 professeurs
au Collège de France et un nombre important de docteurs ès science. Cf. [Parinet 1989], page 191.
129 Élisabeth Parinet estime à 168000 Francs la somme gagnée par Le Bon en tant que directeur de collection, 12 ans après la
En comparaison, les auteurs étaient plus mal payés ; cependant, venant pour la plupart de
disciplines très pointues, ils ne connaissaient que les conditions nettement moins avantageu-
ses pratiquées par les éditeurs spécialisés (publications à compte d’auteur, tirages faibles,
maigres rémunérations). La Bibliothèque de Philosophie Scientifique leur offrait une tribune
beaucoup plus large, ce qui leur permettait d’espérer des tirages supérieurs à 5000 exemplai-
res : un chiffre rarement atteint dans l’édition spécialisée.130
Malgré un début des plus prometteurs, Le Bon eut du mal à trouver des auteurs pour sa col-
lection, à tel point qu’il se demanda s’il serait à même d’atteindre l’objectif fixé de quatre li-
vres par an. Il écrivait ainsi à Flammarion en 1903 :
Les bons livres se vendent toujours mais j’arrive bien près du bout de mon rouleau. J’aurais
bien voulu 4 volumes par an mais je m’estimerai heureux si j’en puis avoir 2.131
Cette stagnation ne fut que temporaire. Si pendant les quatre premières années, le rythme de
publication n’était que de trois volumes par an, à partir de 1906 la tendance s’inversa : le
rythme passa alors à 6 volumes par an, pour finalement plafonner à 18 titres pour l’année
1910. En 1912, la collection comptait 112 titres, et 650000 livres avaient été vendus. Face à
l’extension de la collection, Le Bon avait dû diviser la Bibliothèque de Philosophie Scientifique
en trois sections : Sciences Physiques et Naturelles, Psychologie et Philosophie, et Histoire.132
Sa politique avait porté ses fruits, elle avait assuré le succès d’une collection de qualité et elle
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avait donné à la Librairie Flammarion une réputation de sérieux, tout en lui évitant de s’égarer
dans l’impasse de la spécialisation à outrance. Comme le remarque Élizabeth Parinet :
Cette politique est remarquable car elle permet de constituer la première collection scienti-
fique méthodique et homogène. De plus, cette collection témoigne de la clairvoyance de
Gustave Le Bon qui profite du prestige grandissant des universitaires.
Contrairement à ce qu’il avait craint au lancement de la collection, Gustave Le Bon n’a pas
eu à engager d’auteurs médiocres. Au prix d’une ouverture vers des disciplines comme la
psychologie et l’histoire, il a réussi à constituer une collection de haut niveau.133
130 Voir [Parinet 1989], page 189 : « Plus encore que Flammarion dont le bénéfice croît avec le tirage, ce sont donc les auteurs qui
sont les plus mal rétribués et contribuent ainsi à payer le directeur de collection. S’agissant d’hommes de science célèbres, cela
peut sembler étonnant ; sans doute ont-ils accepté de telles conditions en se référant non pas à celles en vigueur dans l’édition
générale, mais à celles en pratique chez les éditeurs spécialisés ».
131 Lettre inédite de Gustave Le Bon à Ernest Flammarion, 11 novembre 1903 ; citée d’après [Parinet 1989], page 192.
132 Cette section Histoire est subdivisée en 1925 en deux sous-sections : Histoire Générale et Histoire des Démocraties.
133 [Parinet 1989], page 194.
134 Marie Bonaparte était la fille de Roland Bonaparte (1858-1924), descendant de la famille de Napoléon premier, auteur de
nombreux travaux géographiques, ethnographiques et botaniques. Il fut membre libre de l’Académie des Sciences à partir de
1907. Président de la Société de Géographie et de l’Institut International d’Anthropologie, il fit de nombreux dons à de multiples
fondations scientifiques. Marie Bonaparte joua un rôle dans la genèse des théories psychanalytiques (elle était l’amie de Freud) et
se maria en 1907 avec Georges, Prince de Grèce. Les Archives Poincaré conservent quelques lettres de Marie Bonaparte à Poinca-
ré, dont ce billet de remerciement (daté du 22 novembre 1910) qui nous apprend qu’il lui conseilla la lecture des ouvrages de
Bergson et de William James : « Vous m'avez rendue bien heureuse, Monsieur, en voulant bien venir parmi nous – et j’ai gardé de
cette soirée un profond souvenir. Mieux vaut vous approcher quelques heures que lire les livres des Docteurs Toulouse !! C’est
alors, à vous écouter, qu’éclate la différence du ‘temps physiologique’ et du ‘temps paramètre’ ! Et je m’enhardis à vous deman-
der si vous voudriez bien revenir dîner avec nous mardi prochain 29 novembre ? Vous me feriez une bien grande joie. J’ai suivi
vos conseils de lecture et Bergson et James sont sur ma table. Mais d’abord c’est vous que je continue de lire. Et je vous prie,
Monsieur, de me laisser vous dire mon dévoué souvenir ». Pour plus de détails sur sa vie, on consultera le livre de C. Bertin, La
dernière Bonaparte [Bertin 1982].
135 Concernant les salons mondains et littéraires, nous avons consulté l’ouvrage de Victor Méric, À travers la jungle politique et
littéraire [Méric 1930], ainsi que l’ouvrage de Laure Rièse, Les salons littéraires parisiens du second Empire à nos jours [Rièse 1962]. Le
Henri Poincaré (1854-1912) : Des Mathématiques à la Philosophie 173
Le Champ Philosophique
Le Bon possédait un petit laboratoire privé dans lequel il menait des expériences sur la lu-
mière et sur la polarisation. Éloigné des institutions académiques, il aspirait à bénéficier d’une
véritable reconnaissance scientifique pour ces recherches. En 1896, pensant avoir découvert un
nouveau type de rayonnement (qu’il appelle ‘lumière noire’), il presse les scientifiques de sa
connaissance – des habitués de ses banquets – pour qu’ils présentent ses travaux devant
l’Académie des Sciences. Poincaré fait l’objet de ces pressions et, à en juger par sa correspon-
dance, il s’intéresse beaucoup, aux expériences de Le Bon.136 En 1897, Becquerel devait finale-
ment démontrer à ses collègues académiciens (Lippmann et Poincaré) que les résultats de Le
Bon étaient dus au rayonnement infrarouge.137
Poincaré et Le Bon semblaient se connaître relativement bien. Le Bon envoyait, semble-t-il, des
exemplaires de ses nouveaux livres au mathématicien. En 1898, il lui fait ainsi parvenir son
ouvrage Psychologie du socialisme. En 1902, il lui envoie un autre ouvrage, Psychologie de
l’éducation ; la réponse que lui fait Poincaré est celle d’un lecteur attentif et critique :
J’ai reçu votre volume sur l’Éducation ; je vous en remercie beaucoup, je l’ai lu avec autant
de plaisir que d’intérêt. Votre tableau n’est pas faux mais il est dépourvu de nuances ; vous
avez voulu faire du Taine, mais le procédé de Taine, qui consiste à juxtaposer des découpu-
res d’auteurs divers peut conduire et a conduit Taine lui-même à des résultats bien extra-
ordinaires. Le mal que vous signalez est réel et bien plus profond en France qu’en Allema-
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gne et pourtant il serait aisé de composer avec des découpures d’auteurs allemands un ta-
bleau des / établissements d’instruction allemands tout pareil à celui que vous tracez des
nôtres ; ce tableau serait moins exact que le vôtre, mais il serait facile de le justifier par des
citations qui sembleraient tout aussi probantes. Et avec des découpures de journaux anglais
pendant la dernière guerre, on pourrait, en les choisissant avec art, donner une [illisible] de
l’Angleterre. Tout cela n’empêche pas que le mal ne soit réel, je ne vous reproche que de la
proclamer sans remède.138
De son côté, Le Bon manifestait un intérêt certain pour les articles philosophiques de Poincaré
et il était persuadé qu’à travers le conventionnalisme une révolution intellectuelle était en
train de se produire. Vers 1900, ces travaux demeuraient cependant réservés à un public res-
treint d’universitaires et d’intellectuels, et Poincaré n’imaginait probablement pas qu’ils pour-
raient exercer un quelconque attrait auprès d’un public plus large. À en croire les souvenirs de
Gustave Le Bon, c’est donc avec certaine réticence qu’il devait accueillir la proposition de
composer un livre à partir de ces articles :
Lorsqu’il y a douze ans, je fondai la Bibliothèque de Philosophie Scientifique, Henri Poinca-
ré fut le premier des auteurs auxquels je songeai à m’adresser.
Cet illustre mathématicien était alors un peu ignoré comme philosophe. Ses productions
philosophiques se bornaient d’ailleurs à quelques articles disséminés dans des préfaces de
livres ou des revues spéciales.
nom de Poincaré n’apparaît pas dans ces ouvrages mais on peut par contre y découvrir les noms de personnages proches de lui,
ce qui permet d’étayer les hypothèses que nous formulons.
136 La collection Carnot renferme une demi-douzaine de lettres de Poincaré à Le Bon. Cette collection est conservée par la Société
des Amis de Gustave Le Bon, dirigée actuellement par Gregory Prost. Les ACERHP disposent d’une copie de ces lettres, qui
concernent pour l’essentiel des questions scientifiques. Pour plus de détails à ce sujet, on se référera à l’article de Mary Jo Nye,
« Gustave Le Bon’s Black Light : A Study in Physics and Philosophy in France at the Turn of the Century », [Nye 1974], pages
176-177, notes 65 et 66.
137 Becquerel exposera ses arguments en 1897 dans une note « Explications de quelques expériences de M. G. Le Bon », Comptes-
rendus de l’Académie des Sciences 124 (1897), pages 984-988. Voir également [Nye 1974], page 175. Dans les années 1897-1898,
Poincaré échangera encore quelques lettres avec Le Bon à propos de ces expériences (deux lettres de Gustave Le Bon à Poincaré,
ainsi qu’une réponse du mathématicien, sont conservées aux Archives Henri Poincaré à Nancy).
138 Lettre manuscrite non datée, conservée au sein du fonds des manuscrits de la Bibliothèque Nationale (Don 87-18, carton 1).
La tonalité des lettres de Poincaré à Le Bon semble indiquer que le mathématicien tentait de maintenir une certaine distance entre
eux : les courtes lettres de Poincaré conservées par la Société des Amis de Gustave Le Bon sont très souvent des lettres d’excuses
pour les banquets. De plus, Poincaré ne répondait pas toujours aux lettres de Le Bon : « Je vois que vous êtes piqué que je ne vous
aie pas accusé réception de votre dernier livre. Cela prouve que vous ne me connaissez pas encore et que vous ne savez pas
combien je suis paresseux pour écrire. Cela ne veut pas dire que je ne lis pas vos livres, ni que je ne les apprécie pas ». [Société des
Amis de Gustave Le Bon].
Henri Poincaré (1854-1912) : Des Mathématiques à la Philosophie 174
Le Champ Philosophique
Elles dévoilaient cependant la profondeur des vues de leur auteur. Je le décidai, non sans
peine, à les prendre comme point de départ d’un volume ayant le titre : La science et
l’hypothèse.
Bien que ce livre ne constituât nullement une œuvre de vulgarisation, son succès fut im-
mense. Bien peu d’ouvrages de philosophie ont aussi profondément influencé la pensée
moderne.139
Les circonstances exactes dans lesquelles Poincaré se décida à collaborer à la Bibliothèque de
Philosophie Scientifique ne sont pas connues. Il est fort probable que les relations profession-
nelles et amicales régulièrement entretenues par Poincaré avec Camille Flammarion au sein de
la Société Astronomique de France pesèrent pour beaucoup dans sa décision.140
Quoi qu’il en soit, courant 1902, suite vraisemblablement aux négociations de Gustave Le Bon,
Ernest Flammarion écrivait à Poincaré pour le remercier de sa future collaboration :
Monsieur,
Le Dr Gustave Le Bon, avec le concours duquel je fonde la Bibliothèque de Philosophie
scientifique, me dit que vous voulez bien me donner un volume de 250 à 300 pages dont le
titre – modifiable à votre volonté – serait : La science et l’hypothèse.
Je vous adresse tous mes remerciements pour votre précieuse collaboration et vous serais
fort reconnaissant de me donner ce volume le plus tôt possible.
Comme vous le savez déjà, l’auteur reçoit cinq cents Francs pour le volume à sa publica-
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tion.
Veuillez agréer, Monsieur, l’expression de mes sentiments les plus distingués.141
Poincaré bénéficia d’un contrat de publication standard, conforme aux conditions initialement
fixées par Flammarion et Gustave Le Bon : le livre fut tiré à 1500 exemplaires, Poincaré tou-
chant 33 centimes par volume, soit 500 francs.142
Une lettre de Le Bon à Flammarion datée de septembre 1902 nous apprend qu’à cette époque
le volume de Poincaré était pratiquement prêt et qu’il ne lui manquait qu’une conclusion.
Le succès du livre de Dastre143 m’a l’air certain vu le titre. J’espère avoir la fin dans quel-
ques jours. Envoyez moi les épreuves de couverture des nouveaux tirages pour que
j’annonce les nouveaux livres de la collection. J’espère obtenir de Poincaré qu’il ajoute à la
fin une conclusion qui manque à son livre ce qui lui permettra de mettre [2 mots illisibles]
augmenter.144
Une autre lettre, écrite à la même époque, permet de se rendre compte de la méthode adoptée
pour composer l’ouvrage proprement dit. Poincaré refusa visiblement d’insérer ses articles
philosophiques dans la Bibliothèque de Philosophie Scientifique sans les avoir relus, corrigés
et actualisés. Il demanda donc une copie de travail de ses articles :
Monsieur,
J’ai l’honneur de vous faire remettre ci-joint deux numéros de la Revue de métaphysique et de
morale.
Il faudrait (en vue de l’ouvrage projeté pour la Bibliothèque de Philosophie Scientifique)
faire recopier dans ces deux numéros les deux articles intitulés : le Raisonnement mathéma-
tique et le Continu mathématique.
La copie devrait être faite d’un seul côté et avec une marge suffisante pour les corrections.
À moins que vous ne préfériez faire acheter deux exemplaires de chacun de ces deux nu-
méros, exemplaires que l’on pourrait découper.
139 Gustave Le Bon écrit ces mots dans la préface de l’édition de luxe de La science et l’hypothèse, ouvrage publié en 1916 avec
auteur, éditeur et directeur de collection touchent des droits) et 150 exemplaires partagés entre l’auteur et l’éditeur destinés à
promouvoir l’ouvrage. À noter que le premier ouvrage de la Bibliothèque de Philosophie Scientifique – Psychologie de l’éducation
de Le Bon – bénéficiera d’un tirage supérieur (2000 exemplaires).
143 La vie et la mort.
144 Lettre inédite de Poincaré à Ernest Flammarion, 13 septembre 1902 [Institut Mémoire de l’Édition Contemporaine].
Henri Poincaré (1854-1912) : Des Mathématiques à la Philosophie 175
Le Champ Philosophique
En tout cas la copie une fois faite ne devrait pas être envoyée directement à l’impression ;
elle devrait être retournée 63 rue Claude Bernard pour les corrections.
Veuillez agréer, Monsieur, l’assurance de ma considération la plus distinguée.145
Poincaré composa par conséquent un ouvrage qui dépassait le simple recueil d’articles : il
rédigea une introduction, organisa les chapitres suivant un plan structuré, les découpa en
sections, mit à jour certaines de ses conceptions formulées longtemps auparavant, etc… Ce-
pendant, ses corrections ne furent pas si nombreuses : si on excepte la deuxième partie (qui se
compose de trois chapitres)146, la plupart des chapitres ne comportent le plus souvent que des
modifications mineures (simplification du formalisme mathématique, ajout ou retrait de quel-
ques paragraphes, ajout de références à des travaux récents, etc.).147 Cette technique de compo-
sition fut reprise systématiquement pour les deux autres ouvrages publiés du vivant de Poin-
caré dans la Bibliothèque de Philosophie Scientifique – La valeur de la science et Science et mé-
thode – et elle donna des résultats similaires. Au final, le résultat est trompeur : La science et
l’hypothèse donne l’impression d’un ouvrage rédigé ad hoc, fruit d’un travail de plusieurs mois,
alors même qu’il rassemble des articles déjà anciens (dont le plus ancien date de 1891).148
À ce niveau deux questions se posent : d’une part, pourquoi avoir choisi une telle technique
de composition ? D’autre part, s’agissait-il là d’un choix personnel de Poincaré guidé par des
impératifs de commodité et de rapidité, ou bien faut-il voir derrière ce non-dit savamment
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entretenu pendant dix ans une stratégie commerciale forgée de toutes pièces par Flammarion
et Le Bon ? Scientifique reconnu et sollicité de toutes parts, Poincaré n’avait certainement
guère de temps à consacrer à la rédaction d’un livre entièrement nouveau ; de son point de
vue, donc, des raisons d’emploi du temps pourraient expliquer le choix d’une telle formule
éditoriale (d’autant plus qu’une telle pratique de composition était relativement courante à
l’époque). Du côté des deux éditeurs, le problème se posait en des termes différents : un re-
cueil d’articles déjà anciens présentait indéniablement un potentiel commercial moindre par
rapport à un livre au sens classique du terme ; de plus, lancer une nouvelle collection avec un
tel recueil était susceptible de ternir l’image de créativité et d’inventivité que Flammarion et
Le Bon désiraient conférer à la Bibliothèque de Philosophie Scientifique. Par conséquent, de
leur point de vue, la meilleure stratégie commerciale était de garder le silence sur la composi-
tion exacte de cet ouvrage. Poincaré se trouva-t-il gêné par cette pratique de rationalisme mer-
cantile ? Rien n’est moins sûr, puisqu’il utilisa les mêmes méthodes de composition pour ses
deux autres ouvrages, La valeur de la science et Science et méthode (les modifications y sont en-
core plus négligeables que dans La science et l’hypothèse et Poincaré garde le silence sur les
origines exactes des différents chapitres).149
La science et l’hypothèse parut en décembre 1902 ; les ventes furent si encourageantes que Le
Bon fut obligé de lancer une réimpression en septembre 1903.150 Et, dès la parution des pre-
miers exemplaires, c’est un Poincaré soucieux d’assurer la publicité de son ouvrage qui écrit à
Flammarion :
[Décembre ?] 1902
Monsieur,
D’après ce que m’écrit M. Le Dr Le Bon, vous devez m’envoyer 22 exemplaires de mon livre
La science et l’hypothèse, outre les 3 que j’ai déjà reçus. Peut-être voudrez-vous bien vous
145 Lettre inédite de Poincaré à Ernest Flammarion, sans date [Institut Mémoire de l’Édition Contemporaine].
146 Dans cette deuxième partie – intitulée « L’espace » – les chapitres sont construits à partir d’un vaste ensemble d’articles
consacrés à la géométrie. Le chapitre V, par exemple, contient des paragraphes provenant d’au moins quatre articles dont le plus
ancien est de 1891 et le plus récent de 1900.
147 Dans le prochain chapitre nous porterons notre attention sur la nature précise de ces corrections.
148 Dans son introduction, Poincaré ne mentionne d’ailleurs pas l’origine réelle des chapitres ; la même ambiguïté perdurera
dans les ouvrages suivants. Tout au plus indique-t-il dans une note que le chapitre XII est la reproduction partielle des préfaces
de Théorie mathématique de la lumière (1899) et de Électricité et optique (1901). .
149 Seule exception, parmi ses ouvrages publiés chez Flammarion : Savants et écrivains dans la préface duquel Poincaré avoue
bien d’autres choses à vendre. La science et l’hypothèse, d’Henri Poincaré, atteint 5000 exemplaires en six mois ».
Henri Poincaré (1854-1912) : Des Mathématiques à la Philosophie 176
Le Champ Philosophique
charger d’en faire la distribution aux personnes à qui je voudrais les envoyer, en même
temps que vous feriez celle des exemplaires destinés aux revues et publications.
Dans ce cas je vous prierais de vouloir bien les conserver chez vous provisoirement, jusqu’à
ce que je vous adresse la liste des envois que je désire faire tant aux personnes à qui je veux
faire hommage du livre, qu’aux journaux et Revues auxquels il conviendrait d’en envoyer
pour la publicité.
Veuillez agréer, Monsieur, l’assurance de ma considération la plus distinguée.151
Devant l’ampleur du succès obtenu, Le Bon et Flammarion décidèrent d’un commun accord
d’augmenter le tirage initial des volumes de la Bibliothèque à 3000 exemplaires (tout en con-
servant le même principe de rémunération). Poincaré bénéficia de ces nouvelles conditions
pour La valeur de la science et pour Science et méthode. Il bénéficia également de ces mêmes con-
ditions en 1910 lorsqu’il publia Savants et écrivains, un recueil d’éloges académiques et histori-
ques qui n’entrait pas dans le cadre de la Bibliothèque de Philosophie Scientifique.152 Ce livre
ne remporta pas le succès des autres volumes de la collection de Le Bon et ne fut finalement
pas réimprimé.
Ces conditions avantageaient, comme on l’a vu, principalement l’éditeur et le directeur de
collection, les auteurs trouvant appréciable de se voir libérés des contraintes de l’édition spé-
cialisée. Ce constat est vrai pour la plupart d’entre eux, mais il doit être nuancé dans le cas de
Poincaré. En effet, un examen attentif des contrats de publication de ses ouvrages strictement
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scientifiques révèle qu’il bénéficiait de conditions plutôt avantageuses. Ainsi, le 3 mai 1890,
Poincaré signait avec l’éditeur Gauthier-Villars un contrat pour la publication du livre Les
méthodes nouvelles de la Mécanique céleste : le tirage du premier tome était fixé à 1700 exemplai-
res, il était prévu que Poincaré touche « 10 % du prix fort porté au catalogue » et qu’il reçoive
quarante exemplaires gratuits pour hommage de l’auteur.153 De telles conditions semblaient se
rapprocher de celles de la Librairie Flammarion, à la différence près que le livre publié chez
Gauthier-Villars se vendait à un prix largement supérieur à 3,50 Francs, ce qui garantissait une
somme confortable en cas de succès. Dans le même ordre d’idée, les conditions consenties par
l’éditeur Georges Carré pour des ouvrages spécialisés comme Théorie mathématique de la lu-
mière, Thermodynamique et électricité ou Théorie mathématique de la chaleur semblent relativement
avantageuses. L’éditeur prenait à sa charge tous les frais nécessités par la publication (limitée
à 1000 exemplaires) et il était prévu que l’auteur touche 33 % sur le produit de la vente, « dé-
duction faite des frais d’établissement de l’ouvrage ».154 Bien que les frais de composition de
l’ouvrage soient à la charge de l’auteur dans ce type de contrat, la marge appréciable de 33 %
laissait également espérer un gain substantiel.
Dans le monde éditorial de l’époque, les auteurs pouvaient se voir imposer deux types de
contrats différents : prix de vente élevé et fort pourcentage, mais tirage faible, semblaient être
les conditions consenties dans le milieu de l’édition spécialisée. À l’inverse, un éditeur généra-
liste comme Flammarion se basait sur une autre équation : prix de vente modique, pourcen-
tage modeste (10 % maximum), mais tirage (potentiellement) fort. S’il est vrai que les contrats
de la Bibliothèque de Philosophie Scientifique avantageaient surtout le directeur de collection,
les subsides versés aux auteurs lorsque leurs ouvrages rencontraient du succès pouvaient être
importants. Ainsi, pour La science et l’hypothèse, une estimation sommaire nous apprend qu’en
1912, 16000 exemplaires avaient été vendus, ce qui représentait pour Poincaré :
– 5000 exemplaires à 33 centimes = 1650 Francs ;
– 11000 exemplaires à 35 centimes = 3850 Francs .
151 Lettre inédite de Poincaré à Ernest Flammarion, décembre (?) 1902 [Institut Mémoire de l’Édition Contemporaine].
152 Le contrat signé le 14 février 1910 contient des clauses identiques aux contrats signés dans le cadre de la Bibliothèque de
Philosophie Scientifique : 3000 exemplaires, 33 centimes par volume, 25 exemplaires remis à l’auteur. [Archives Henri Poincaré].
153 [Document ACERHP].
154 Ces conditions se retrouvent sur tous les contrats provenant de l’éditeur Carré [Archives Henri Poincaré].
Henri Poincaré (1854-1912) : Des Mathématiques à la Philosophie 177
Le Champ Philosophique
Poincaré avait donc touché à cette époque, pour ce seul livre, un minimum de 5500 Francs,
somme à laquelle il faut ajouter les droits d’auteurs pour La valeur de la science et de Science et
méthode (dont nous ne connaissons pas les tirages à cette date) et les droits de traduction.155
La Bibliothèque de Philosophie Scientifique ne fit peut-être pas la fortune de Poincaré, mais
elle lui permit tout de même de se constituer un avoir relativement confortable. Poincaré mou-
rut subitement le 27 juillet 1912. Il eut droit aux honneurs de la presse toute entière et à des
funérailles nationales… Ce qui ne fut pas sans conséquences sur les ventes de ses ouvrages.
Pour cette raison, dès 1913, un volume posthume vit le jour au sein de la Bibliothèque de Phi-
losophie Scientifique : il s’agit de Dernières pensées, ouvrage composé par les héritiers de Poin-
caré à partir d’un ensemble de travaux postérieurs à 1908 (c’est-à-dire postérieurs à Science et
méthode).156 Dernières pensées bénéficia d’un contrat standard : 3000 exemplaires pour le premier
tirage, 1000 francs pour la famille, 33 centimes par volume, 35 centimes au-delà de 5000 exem-
plaires. Certes, ce livre ne remporta pas le même succès que La science et l’hypothèse mais, avec
16000 exemplaires vendus en 1925, il prit néanmoins une place centrale dans le catalogue de la
collection de Gustave Le Bon.
En 1914, alors même que l’Académie des Sciences commençait à préparer la publication des
œuvres complètes de Poincaré, Ernest Flammarion conclut un accord avec Louise Poincaré, sa
veuve, en vue de la publication d’une collection intitulé Œuvres philosophiques de Henri Poinca-
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ré. Signé le 14 janvier, le contrat prévoyait la publication dans une édition de luxe des quatre
ouvrages philosophiques de Poincaré :
Madame Henri Poincaré cède à Messieurs Flammarion & Fils, qui l’acceptent, le droit ex-
clusif de publier dans une édition de luxe à 6 Frs le volume, sous le titre (Œuvres philosophi-
ques de Henri Poincaré) formant les 4 volumes suivants de la Bibliothèque de Philosophie
Scientifique, à 3,50 le volume : La science et l’hypothèse. La valeur de la science. Science et mé-
thode. Dernières pensées ; les droits d’auteurs pour chaque ouvrage sont ainsi fixés. Pour un
premier tirage à deux mille exemplaires soit 2200 / 2000, cinquante centimes par volume,
soit mille Frs. payables à la mise en vente. Les réimpressions, s’il y a lieu, se feront dans les
mêmes conditions.157
Les conditions consenties à la famille de l’auteur étaient relativement basses et avantageaient
la Librairie Flammarion : en effet, il était prévu que la famille ne touche que 8 % du prix de
vente de chaque volume, contre un pourcentage compris entre 9,5 et 10 % pour les précédents
contrats de la Bibliothèque de Philosophie Scientifique.158 La science et l’hypothèse, La valeur de la
science et Science et méthode furent effectivement publiés dans cette édition de luxe, avec une
couverture portant la mention ‘édition définitive’ (il s’agissait vraisemblablement d’une astuce
commerciale). Comme on le sait maintenant, l’histoire des relations entre Poincaré (ou plutôt
ses descendants) et la Librairie Flammarion ne s’arrête pas là : plus tard, vers 1919, Louis Rou-
gier proposait de publier le volume V des œuvres philosophiques de Poincaré, projet qui ne
devait pas voir le jour de son vivant. Cette histoire trouvera sa place dans le chapitre sui-
vant…
IV – Conclusion
Ce chapitre ne porte que sur la scène philosophique française et néglige le problème des rela-
tions de Poincaré avec la communauté philosophique internationale. L’histoire de la diffusion
155 Sur la même base de calcul, il est possible d’évaluer le gain de Gustave Le Bon à la même époque, pour ce seul livre, à 3440
Francs. Notons, que Le Bon se vantait souvent d’être « l’homme qui faisait gagner le plus d’argent à Flammarion », une affirma-
tion qui semble très probable…
156 Il était initialement prévu, à en croire les souvenirs de Le Bon, que Poincaré s’occupe de la composition de ce volume mais sa
1912, la plupart des revues spécialisées se faisaient un devoir de publier hommages, éloges historiques et notices sur le défunt
mathématicien. Le nom de Poincaré ne laissait personne indifférent, ne serait-ce que parce qu’un autre Poincaré (son cousin
germain Raymond) était à la tête de l’État depuis le 18 février 1913.
Henri Poincaré (1854-1912) : Des Mathématiques à la Philosophie 178
Le Champ Philosophique
des ses idées philosophiques à l’étranger (France, Allemagne et États-Unis, entre autres) reste
à faire. Une telle étude apporterait probablement une mine de renseignements inédits et per-
mettrait de compléter l’arbre généalogique de certains courants philosophiques contempo-
rains comme celui de la philosophie analytique. Elle demanderait cependant la mise en œuvre
d’un vaste programme international de recherche qui dépasserait le cadre de cette étude. Pour
la question qui nous concerne, il est certain que la popularité philosophique grandissante de
Poincaré eut des répercussions à l’étranger ; ainsi, dès 1890, Poincaré fut élu membre de Socié-
té Philosophique de Cambridge (vraisemblablement suite à ses succès dans le domaine de la
philosophie naturelle) ; deux ans plus tard il devint membre de la Société de Littérature et de
Philosophie de Manchester ; en 1899 il fut élu également au sein de la Société Philosophique
Américaine (la publication de son article « On the Foundations of Geometry » dans The Monist
y est sans doute pour beaucoup).159 Ces distinctions honorifiques témoignent du succès de ses
conceptions philosophiques de Poincaré à l’étranger, mais en l’absence d’informations sur les
tirages des traduction de ses livres (par exemple) la mesure de l’ampleur du phénomène
s’avère difficile.
Partie de Leibnitz et de Descartes (sous l’influence de Boutroux), la pensée poincaréienne
s’alimenta à diverses sources (Riemann, Calinon, Lechalas, etc.) puis acquit son autonomie
dialectique ; Poincaré s’orienta vers la discussion philosophique et suivit ce mouvement géné-
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ral qui conduisait un grand nombre de scientifiques de son époque hors de leurs frontières
disciplinaires ; d’abord réservées au public de la Revue de métaphysique et de morale et d’autres
revues spécialisées, ses conceptions devinrent progressivement incontournables par le biais de
la Bibliothèque de Philosophie Scientifique et atteignirent leur consécration en 1908 quand
Poincaré accéda à l’Académie française. Une première remarque s’impose à propos d’un tel
parcours, qui s’apparente grandement à une ‘voie royale’. D’une manière générale, pour ce
qui concerne ses collaborations à diverses entreprises académiques ou scientifiques, Poincaré
fit rarement preuve d’un grand esprit d’initiative et se contenta très souvent de suivre les
mouvements amorcés initialement par d’autres. Il fut moins un leader qu’un suiveur. Que ce
trait de caractère transparaisse au moment de la fondation de la Revue de métaphysique et de
morale n’a rien de choquant car on ne peut demander à un scientifique d’être présent sur tous
les fronts, surtout sur celui de la philosophie. Cependant, la plupart des entreprises auxquelles
il s’associa pleinement ne furent jamais initiées par lui : de 1889 à sa mort, Poincaré fut prési-
dent de la Commission Permanente Internationale du Répertoire Bibliographique des Sciences
Mathématiques et mena à bien cette vaste entreprise de compilation bibliographique ; mais ce
projet émanait de la Société Mathématique de France.160 De même, la décision de publier chez
Flammarion ses ouvrages de philosophie scientifique fut largement influencée par les sollicita-
tions multiples de Gustave Le Bon qui entendait trouver une caution scientifique incontestable
pour sa naissante Bibliothèque de Philosophie Scientifique. Enfin, les interventions en 1899
puis en 1904 en faveur du capitaine Dreyfus trouvent certainement leurs origines moins dans
les convictions politiques et sociales de Poincaré que dans les sollicitations de certains de ses
collègues scientifiques, très ‘marqués à gauche’ et passionnés par l’action syndicale, comme
Gaston Darboux, Paul Painlevé ou Jacques Hadamard (Poincaré avait vraisemblablement des
convictions républicaines modérées – teintées d’un certain opportunisme – mais il affichait en
permanence un neutralisme politique très marqué). Ce tempérament effacé, cette absence
d’initiatives ne remettent pas en question la valeur de ses travaux scientifiques et philosophi-
ques, mais elles doivent être étudiées précisément si on entend cerner au plus près les convic-
tions et les engagements socio-politiques de Poincaré. Tout cela fera ultérieurement l’objet de
développements spécifiques.
159 Ajoutons qu’il fut élu Docteur Honoraire en Philosophie de l’Université de Kolosvar (Hongrie) en 1903 et Docteur Honoris
Causa en Philosophie de l’Université de Stockholm en 1909. Pour plus de détails sur l’ensemble des distinctions honorifiques de
Poincaré, on consultera la chronologie page 356.
160 Société dont il était membre et qu’il présida en 1886.
Henri Poincaré (1854-1912) : Des Mathématiques à la Philosophie 179
Le Champ Philosophique
Bien évidemment le récit que nous proposons présente deux inconvénients majeurs. Le pre-
mier inconvénient est inhérent à toute approche qui se veut historique : à suivre ainsi le che-
minement de Poincaré vers la consécration de ses travaux philosophiques on voit à l’œuvre
une sorte de fatalité historique qui pousse pour ainsi dire le mathématicien à dérouler indéfi-
niment sa monade en direction d’un but bien précis ; il va sans dire que cette finalité n’est
qu’artificielle et qu’elle ne vaut que dans le contexte dans lequel nous avons choisi de nous
fixer. Il est certain que, consciemment, Poincaré ne visait pas forcément l’accession à
l’Académie française dès le début de son parcours et qu’il eut dans bien des circonstances
l’occasion d’exercer son pouvoir de décision ; le finalisme n’est donc pas dans le parcours de Poin-
caré lui-même mais dans le récit que nous en faisons. Cette nécessaire mise au point nous conduit
au second inconvénient, que l’on pourrait exprimer de la manière suivante : cette espèce de
finalité exprimée par le récit historique n’est-elle pas faussée dans la mesure où certains as-
pects de l’activité philosophique de Poincaré ne sont pas pris en compte ? En effet, comme
nous l’avons vu, nous avons laissé de côté certaines controverses philosophiques essentielles
(par exemple la discussion avec Lechalas et Couturat et son prolongement dans la controverse
avec Russell, la controverse Poincaré-Le Roy ou la controverse autour du programme logi-
ciste) pour ne prendre en compte que certaines étapes, parfois mineures sur le plan philoso-
phique. À cela deux raisons essentielles : la première raison est que l’histoire de ces conflits
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philosophiques est relativement bien connue des spécialistes et que cette contribution n’aurait
été vraisemblablement qu’une redite. La seconde raison est plus profonde et elle tient au parti
pris d’externalité pour lequel nous avions opté : le récit que nous avons tenté de construire est
celui de l’entrée progressive de Poincaré au sein d’un réseau disciplinaire qui lui est étranger ;
le contenu philosophique des travaux ne nous a donc servi que comme ‘marqueur sociologi-
que’ d’une ouverture nouvelle vers une autre sphère de recherche, comme indice d’une pro-
gression continue.
Chapitre 4
La Vulgarisation Scientifique
Aucun ‘vulgarisateur de poche’ n’a, à notre connaissance, jamais été mis en service nulle part.
Il ne fait aucun doute, cependant, qu’à une certaine époque il aurait pu rendre de précieux
services !
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Le dialogue surréaliste que Poincaré relate à ses proches dans les années 1875-1878 est particu-
lièrement représentatif de la situation d’épanouissement que connaît alors la littérature de
vulgarisation scientifique. Comme nous l’avons vu précédemment, la fin du XIXème siècle
semble marquer l’apogée d’un discours universaliste – hérité en partie du positivisme comtien
et de ses succédanées scientistes – faisant de la science le paradigme de toute connaissance
rationnelle et lui assignant la tâche essentielle de réformer profondément l’ensemble de la
société conformément à ce modèle. Le discours scientifique est considéré comme universel,
c’est-à-dire comme le paradigme d’un discours communicable et assimilable par tous. Au
vulgarisateur incombe alors la tâche de diffuser et d’expliquer les méthodes et les enseigne-
ments de la science de manière à renforcer la cohésion sociale autour d’un but commun, de
façon à impliquer toutes les couches de la société dans ce mouvement général. Plus que tout
autre siècle, le XIXème est celui de la vulgarisation triomphante, et la place centrale de ce genre
littéraire à part entière se trouve parfaitement résumée dans cette formule de Georges Can-
guilhem : « Dans l’Antiquité et au Moyen-Âge, on divulgue ; aux XVIIème et XVIIIème, on pro-
page ; au XIXème siècle, on vulgarise ».1
Puisque la science domine de plus en plus l’ensemble des activités humaines, il apparaît clai-
rement que le devoir des scientifiques, des ‘gens qui savent’, et des journalistes est de dispen-
ser leur savoir auprès de ceux qui ne savent pas, de faciliter leur adaptation à cette nouvelle
donne socio-économique. « Les savants découvrent des horizons nouveaux et les vulgarisa-
teurs les montrent à la foule émerveillée » écrira par exemple L. A. Bertillon dans La presse
scientifique des deux mondes en 1862.2 De son côté, un scientifique reconnu comme Georges
Pouchet affirmera, en 1865, dans la préface de L’Univers, que le savant a des responsabilités
vis-à-vis du grand-public, qu’il doit être jugé à l’aune des efforts qu’il accomplit pour vulgari-
ser ses découvertes :
Quiconque aspire au titre de savant a aujourd’hui une double mission : découvrir et vulga-
riser. D’une main il doit travailler au progrès de la science, et de l’autre à sa diffusion.3
Cet idéal de diffusion des sciences auprès du plus grand nombre trouve bien évidemment ses
racines dans le contexte politique du tournant du siècle : si la date de naissance de la vulgari-
sation scientifique au sens moderne du terme est antérieure à celle de la Troisième Républi-
que, il est clair en revanche que le régime républicain, mis en place aux lendemains de la dé-
faite et de la Commune de Paris, trouvera dans la science et dans son pendant vulgarisateur
un idéal régulateur capable d’assurer la cohésion sociale du pays. Dans la vaste entreprise de
laïcisation instaurée dès 1881 par Jules Ferry, et visant à réduire la mainmise de l’Église catho-
lique sur la société française, la Science jouera en quelque sorte un rôle moteur : nouvel idéal,
elle entendra occuper la place autrefois réservée à la religion. La Troisième République
s’inventera donc une nouvelle religion et se dotera de son propre cortège de saints : ils
s’appelleront Claude Bernard, Louis Pasteur ou Marcelin Berthelot et ils seront les objets d’un
véritable culte. L’hagiographie des grands hommes de science fonctionnera d’autant mieux
que leurs réussites symboliseront la réussite internationale de la France, face à une science
allemande triomphante et efficace. Ce culte de la science deviendra en quelque sorte un outil
politique : ce sera le fil directeur qui orientera les réformes républicaines en matière
d’enseignement, ce sera le cheval de bataille des personnalités marquantes de la vie politique :
Littré, Larousse, Renan, Paul Bert, Berthelot, Ferry, Jean Macé ou Ferdinand Buisson.
Dans un tel contexte politique, il n’est donc pas étonnant que les scientifiques se soient sentis
investis d’une mission vulgarisatrice vis-à-vis des ‘masses’ : les membres les plus éminents de
l’Institut consacrent une partie de leur temps à ce nouveau genre littéraire, en prononçant des
conférences publiques, en collaborant aux grandes revues de vulgarisation (La nature ou
L’Univers) ou en composant des ouvrages pour des collections populaires (la Bibliothèque
Scientifique Populaire de Camille Flammarion). Dans le contexte de cette vague
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4 Nous utilisons ici le dossier de presse établi par le mathématicien Mittag-Leffler au moment de la mort de Poincaré. Ce
dossier rassemble une trentaine d’articles, dont la majorité provient de la presse française et principalement parisienne. Il est
conservé à l’Institut Mittag-Leffler à Stockholm.
5 Le Matin, 18 juillet 1912.
Henri Poincaré (1854-1912) : Des Mathématiques à la Philosophie 182
La Vulgarisation Scientifique
qu’un capitaine de vaisseau est chargé de présenter à la famille les condoléances du Président
de la République Armand Fallières, et on y trouve également une longue liste des personnali-
tés scientifiques, littéraires et politiques assistant à la cérémonie. La classe politique est large-
ment représentée : le Président du Sénat André Dubost, le Ministre des Finances L.-L. Klotz et
le Ministre des Colonies Albert Lebrun côtoient les représentants du Président de la Chambre
et des parlementaires comme Steeg, Aristide Briand ou Jean Dupuy. La délégation de
l’Académie française rassemble Jules Clarétie, son directeur, Henry Roujon, son chancelier, et
Thureau-Dangin, son secrétaire perpétuel, le Marquis de Ségur et Frédéric Masson. S’ajoutent
à cette délégation Monseigneur Duchesne, directeur de l’École française de Rome, Paul Her-
vieu, Henri De Régnier ou Joseph Reinach. Les représentants des institutions scientifiques sont
plus nombreux encore : on recense, parmi une multitude de noms, ceux de Gaston Darboux,
Émile Picard, Gabriel Lippmann, Goursat, Élie Cartan, Louis Liard, Benjamin Baillaud, Lar-
mor (représentant la Société Royale de Londres), le Prince Roland Bonaparte ou le Prince de
Monaco. Le bey6 de Tunis a même chargé deux de ses fils de le représenter aux funérailles.
Ce consensus national autour de l’œuvre de Poincaré n’a rien d’étonnant étant donnée
l’ampleur de son œuvre. Certains journalistes, dans le feu de l’événement, lui attribuent géné-
reusement plus de 1300 ouvrages (L’illustration du 20 juillet 1912), voire 2000.7 Scientifiques et
journalistes s’accordent sur la complexité phénoménale des ses travaux et sur la profondeur de
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ses idées philosophiques. Dans ce même article de L’illustration, l’auteur écrit ainsi :
Dans le monde de la science pure, M. Poincaré était considéré comme un esprit d’une au-
dace spéculative exceptionnelle et d’une envergure déconcertante. Les mathématiciens de
la génération précédente s’avouaient incapables de le comprendre ; parmi ses contempo-
rains, cinq ou six à peine pouvaient le suivre. […] Esprit supérieur, ouvert à toutes les idées,
aussi profond philosophe que brillant écrivain, il traitait avec une assurance superbe les
problèmes les plus mystérieux de la physique générale.
En revanche, dans ces articles où l’hommage convenu et officiel voisine souvent avec
l’hagiographie la plus débridée, à aucun moment il n’est question des contributions de Poin-
caré à la diffusion des connaissances scientifiques. Pas un journaliste ne semble vouloir
s’intéresser à ses tentatives pour exposer et diffuser les enseignements de la science auprès du
grand-public. Seul le Journal des débats du 18 juillet 1912 remarque que le grand-public ne pou-
vait guère avoir qu’une connaissance imparfaite des théories de Poincaré en raison même des
difficultés qu’il y a vulgariser les sciences mathématiques :
Après Pierre Curie, Henri Poincaré disparaît subitement, encore dans toute la force de
l’âge. Ses découvertes mathématiques, par leur caractère même, échappent tellement à
l’appréciation du public qu’un mathématicien ne saurait avoir parmi ses compatriotes la
même renommée qu’un Pasteur. Tout le monde savait cependant qu’Henri Poincaré était
universellement considéré comme un des plus grands savants du monde, et la France était
fière de pouvoir citer son nom.
Cela signifie-t-il que Poincaré ne s’est pas intéressé à la vulgarisation ? Cela veut-il dire que
durant toute sa carrière il vécut enfermé dans la tour d’ivoire de ses découvertes scientifiques
sans jamais daigner porter un regard sur le grand-public ? Certes non. À diverses occasions,
Poincaré se lança dans des entreprises de vulgarisation : en collaborant par exemple avec
l’Association Française pour l’Avancement des Sciences, en donnant des conférences publi-
ques sur les progrès de l’astronomie au sein de la Société Astronomique de France (fondée par
Camille Flammarion), en écrivant des leçons de choses pour les élèves de l’enseignement pri-
maire ou en portant son attention sur la didactique des mathématiques ou sur les jeux de ha-
6 Titre porté par de hauts dignitaires dans l’Empire ottoman, par des souverains locaux ou par des dignitaires exerçant en fait
un pouvoir royal sous la suzeraineté nominale du sultan. Le bey de Tunis était l’un des derniers représentants d’une dynastie
d’origine ottomane qui régna sur la Tunisie de 1705 à 1957.
7 Dans Le Journal du 18 juillet 1912, Ernest La Jeunesse écrit ainsi : « Henri Poincaré, qui meurt en pleine force, en pleine jeu-
nesse, à cinquante-huit ans représentait, avec sa face abrupte et presque hirsute, avec ses bons yeux brûlés de lecture et
d’investigations, avec son front massif, avec son corps oublié, un Titan modeste et perdu dans ses palmes vertes, ses cravates et
ses palmes d’ordres mises au hasard, une puissance de divination et d’absolu. […] Il avait fait le tour de tout. Près de deux-mille
ouvrages personnels donneront la mesure de cet infatigable et incomparable cerveau ».
Henri Poincaré (1854-1912) : Des Mathématiques à la Philosophie 183
La Vulgarisation Scientifique
sard. Tous ces travaux constituent autant de passerelles entre l’activité scientifique pure et le
grand-public : ils contiennent une dimension politique, au sens étendu du terme, dans la me-
sure où ils témoignent d’une volonté d’engagement du mathématicien dans la vie de la cité.
Cependant, si l’œuvre de vulgarisation de Poincaré existe bel et bien, elle demeure relative-
ment peu connue de ses commentateurs, et cette méconnaissance est particulièrement intéres-
sante à étudier. La plupart des biographes de Poincaré s’accordent pour affirmer qu’il avait le
souci permanent de diffuser les sciences, mais jamais ils ne citent le moindre ouvrage apparte-
nant à cette catégorie de la vulgarisation. Dans son livre Les grands mathématiciens, E. T. Bell se
contente par exemple de remarquer qu’autour de 1905 Poincaré était reconnu comme un
grand vulgarisateur scientifique. Dans le même ordre d’idée, Roger Apéry se contentait en
1954, lors de la célébration du centenaire de la naissance de Poincaré, de citer en exemple Ce
que disent les choses, ouvrage de leçons de choses assez atypique dans son œuvre de vulgarisa-
tion.8 On en arrive ainsi à une situation paradoxale où l’intérêt de Poincaré pour la diffusion
des sciences est souligné sans jamais faire l’objet d’aucune étude. Toute une dimension de son
activité scientifique est donc à découvrir, une dimension qui entretient de nombreuses rela-
tions avec la sphère politique.
Les causes susceptibles d’expliquer ce manque d’intérêt sont multiples et complexes. Conten-
tons-nous de les mentionner, sans chercher à les approfondir pour l’instant. D’une part, au-
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cune des bibliographies recensant les travaux de Poincaré n’a jamais tenté de rattacher certains
d’entre eux au genre de la vulgarisation scientifique proprement dit : la bibliographie la plus
complète que l’on connaisse, celle compilée par F. E. Browder dans le tome 2 de son ouvrage
The Mathematical Heritage of Henri Poincaré, comporte 547 entrées classées en cinq grandes
subdivisions : (I) Mathematics, (II) Mechanics, (III) Theoretical and Mathematical Physics,
(IV) General Problems of Science, (V) Diverse Topics.9 Une telle division est utile aux scientifi-
ques car elle permet de faire une distinction entre les travaux proprement scientifiques et les
autres travaux, rangés dans les sections (IV) et (V). Ces deux dernières sections rassemblent un
amalgame hétérogène d’articles et de livres philosophiques, de discours divers, de notices
nécrologiques et de textes de vulgarisation scientifique. Cependant une analyse minutieuse
permet de se rendre compte que les sections (I) à (III) recensent également des ouvrages ap-
partenant au genre de la vulgarisation. On ne peut que regretter cette absence de prise en
compte d’une dimension non négligeable de l’œuvre de Poincaré.10
D’autre part, le problème de la reconstruction historique se pose : par quel biais est-il possible
de reconstituer les intentions d’un auteur vis-à-vis de son public ou de son lectorat ? Au mo-
ment où il rédige son travail (conférence, article, livre), il a en tête la visée d’un certain public :
ce peut être celui de ses collègues de l’Académie des Sciences, celui d’une revue spécialisée en
philosophie comme la Revue de métaphysique et de morale ; il peut également s’agir d’un public
d’étudiants du primaire ou du secondaire. Or, les intentions de l’auteur ne transparaissent pas
toujours dans l’œuvre considérée. Un moyen indirect pour les reconstruire pourrait consister à
porter son attention, dans le cas où il s’agit d’un article de périodique, sur les caractéristiques
de la revue dans laquelle le texte fut publié : s’agissait-il d’une revue scientifique primaire ?
S’agissait-il d’une revue secondaire ? S’agissait-il d’une revue de vulgarisation ? Quel était son
tirage ? Touchait-elle un grand nombre de lecteurs potentiels ? Dans le cas de Poincaré se pose
cependant le problème des multipublications : certains de ses textes firent l’objet de publica-
tions multiples dans des revues aux publics hétérogènes sans subir aucune modification dans
le style ou dans la forme ; ceci complique singulièrement toutes les analyses que l’on peut
faire. Par ailleurs, il n’est pas évident que Poincaré se soit considéré lui-même comme un au-
8 [Apéry 1955], page 150 : « Père de quatre enfants, il suivit de près leur éducation et cinq articles intitulés Ce que disent les
choses montrent qu’il savait oublier ses propres connaissances pour se mettre au service des jeunes cerveaux ».
9 Voir [Browder 1983].
10 Cette négligence peut s’expliquer par les réticences qu’affichent souvent les scientifiques vis-à-vis de la vulgarisation. Parler
de la vulgarisation poincaréienne relève peut-être pour certains du crime de lèse-majesté contre la pureté des mathématiques.
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La Vulgarisation Scientifique
teur de vulgarisation, et qu’il ait partagé les conceptions universalistes des grands vulgarisa-
teurs de son époque (nous aurons l’occasion de nous intéresser à cette question).
Enfin, s’ajoute à cela tout un ensemble de raisons théoriques qui concernent directement la
définition des champs disciplinaires. La notion de vulgarisation scientifique renvoit à une
multitude de pratiques de diffusion de la science et se laisse difficilement enfermer dans une
définition univoque. La question principale, dans notre étude tout au moins, est celle de sa
différenciation par rapport à d’autres disciplines qui pourraient apparaître comme connexes :
qu’est-ce qui distingue en effet la vulgarisation scientifique de l’épistémologie (prise au sens
de philosophie des sciences) ou même de l’histoire des sciences ? Où se situe la frontière entre
ces différentes disciplines, entre ces différents types de discours ? Cette frontière existe-t-elle
réellement ou bien faut-il plutôt considérer ces différentes disciplines comme des réalités hété-
ronomes s’interpénétrant mutuellement ? Plus précisément, quelles relations le genre de la
vulgarisation scientifique entretient-il avec l’œuvre philosophique de Poincaré ? La philoso-
phie poincaréienne est essentiellement scientifique et il convient de se demander dans quelle
mesure elle est susceptible de partager les caractéristiques et les buts d’un discours vulgarisé
sur la science. Répondre à cette question est important si on veut élucider le sens de cette dé-
nomination de bâtard épistémique utilisée dans le chapitre précédent à propos de Poincaré (voir
page 146). Répondre à cette question est également essentiel si l’on veut éclairer les causes de
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son, elles donnent à l’imagination un spectacle qui lui plaît autant que s’il était fait exprès
pour elle.11
Malgré son caractère novateur, cette œuvre ne correspondait pas pleinement à ce qu’on dési-
gnerait aujourd’hui par le terme de vulgarisation : destinée d’une part au public restreint des
salons mondains, elle n’avait pas pour prétention d’être diffusée auprès du grand-public (quel
que soit le sens que l’on attache à cette notion) ; achevée d’autre part durant la période ‘pré-
scientifique’ du XVIIIème siècle, elle mélangeait amplement spéculations métaphysiques et
discours scientifique. En fait, à l’époque où écrivait Fontenelle, les conditions pour que la
vulgarisation scientifique prenne son véritable essor n’étaient pas encore réunies. Comme le
remarque Bruno Beguet, un tel essor ne pouvait avoir lieu que dans un contexte de profes-
sionnalisation et d’institutionnalisation de la recherche scientifique.
Cette médiation qu’est la vulgarisation présuppose […] la disposition d’un large public à
recevoir les rudiments de la connaissance scientifique. Le public, qui sera après 1855 celui
des Expositions Universelles, des musées techniques, des livres et des revues ou des confé-
rences scientifiques, n’existe pas au XVIIIème. La vulgarisation suppose en outre l’existence
de conceptions scientifiques clairement affirmées, et d’une société scientifique incarnée
dans des institutions fortes et des individus incontestés, dont elle prétend opérer la ‘repré-
sentation’ dans l’ensemble de la société. Ajoutons à ces deux conditions une troisième cons-
tatation, décisive : pour que naisse la vulgarisation, il fallut que s’affirme la conviction de
son utilité sociale.12
La naissance de la vulgarisation scientifique moderne était subordonnée à l’existence d’un
public prêt à la recevoir et à la présence d’institutions scientifiques constituées, deux condi-
tions qui ne se rencontrèrent pas avant la seconde moitié du XIXème siècle. Avant cette période,
le verbe ‘vulgariser’ semble n’avoir été employé que très rarement et le dictionnaire Littré de
1881 le considérait encore comme un néologisme. Parmi les grandes étapes de la constitution
de ce nouveau champ disciplinaire, les dates suivantes sont particulièrement importantes. En
1825, dans le journal Le Globe, futur organe de propagation du saint-simonisme, apparut pour
la première fois une rubrique rédigée par Alexandre Bertrand et intitulée « Compte-rendu des
travaux de l’Académie des Sciences ». Ce type de rubrique, très vite copié par d’autres jour-
naux, devait connaître un succès important et les journalistes prirent peu à peu l’habitude
d’accompagner leurs comptes-rendus des séances académiques de spéculations sur les réper-
populaires comme la Bibliothèque Utile (1859), la Bibliothèque des Merveilles (Hachette, 1864) ou
la Bibliothèque Scientifique Populaire (Flammarion) sont créées. Une littérature scientifique pour
la jeunesse se développe simultanément. Les grandes figures de l’époque sont nombreuses et
leurs noms ne sont pas tous inconnus du lecteur moderne : Louis Figuier, l’abbé Moigno, Hen-
ri de Parville, Amédée Guillemin, Victor Meunier, W. de Fonvielle, Gaston Tissandier, Camille
Flammarion, Henri de Graffigny (dépeint par Céline dans son roman Mort à crédit, sous les
traits du personnage de Courtial des Pereires), etc. Connaissant une croissance parallèle à
celle – exceptionnelle – de la presse quotidienne, la vulgarisation profita également d’une
multitude d’initiatives individuelles : la Bibliothèque des Amis de l’Instruction, la Société
Franklin pour la propagation des bibliothèques populaires (vers 1861), la Ligue de
l’Enseignement créée par Jean Macé en 1866, l’Association Polytechnique de Perdonnet,
l’Association Française pour l’Avancement des Sciences constituèrent autant de relais de dif-
fusion des savoirs scientifiques et de foyers de propagation des idéaux sociaux et politiques
propres au discours de vulgarisation. Par ailleurs, alors que la science française se trouvait
distancée par la science germanique, les promoteurs de la vulgarisation concevaient leur dis-
cipline comme la base de la régénération du pays. Cette conception devait trouver un écho
favorable parmi les classes dirigeantes de la Troisième République, à en juger par le rôle que
Jules Ferry fit jouer au physiologiste (et vulgarisateur convaincu) Paul Bert dans la préparation
des lois scolaires de 1881 (notamment la loi du 16 juin instituant la gratuité de l’enseignement
primaire). L’apprentissage des sciences se répandit alors dans l’enseignement classique et
dans l’enseignement primaire et, pour reprendre les termes de Bruno Beguet, « dans cette
école désormais sécularisée, ouverte à tous les enfants de France, la lecture instructive enten-
dait supplanter la lecture moralisée, la méthode expérimentale et l’observation l’emporter sur
la mémoire et le thème latin ».14
15 F. Colin recense ainsi 73 revues de vulgarisation scientifique pour la période 1850-1914 dans son [Colin 1990], pages 94-95.
Seul un petit nombre de ces périodiques parviendra à survivre après les années 1890. Voir également [Beguet 1990a], page 14.
16 Cité dans [Beguet 1990] pages 12-13. En 1873, dans La nature, une des revues de vulgarisation les plus populaires de l’époque,
Tissandier déplorait « qu’un grand nombre de savants professent une regrettable indifférence pour les ouvrages de science
vulgarisée : ils les traitent volontiers d’inutiles ou de futiles ». (Ibidem, page 13).
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Cependant, au fil des ans, le ton devait changer quelque peu. Comprenant que leur réputation
scientifique n’était pas forcément en jeu, de nombreux scientifiques de renom se mirent à
écrire pour le grand-public. Certains voyaient dans cette nouvelle activité un moyen pour
imposer des théories contestées (c’est le cas des contributions de Pouchet dans La nature, des-
tinées à défendre la théorie de la génération spontanée contre Pasteur), d’autres la considé-
raient comme une pure détente. Enfin certains envisageaient cette discipline comme une acti-
vité visant à promouvoir l’éducation scientifique parmi le plus grand nombre, et en particulier
auprès des enfants (c’est par exemple le cas de Poincaré pour ce qui concerne sa collaboration
au livre Ce que disent les choses).
Ainsi, le monde scientifique parvint peu à peu à faire abstraction de ses réticences vis-à-vis de
la vulgarisation des sciences, sans toujours aboutir à des résultats exceptionnels. Beaucoup de
scientifiques se limitèrent en effet à des contributions purement livresques, dans le cadre de
collections de haut niveau créées par des éditeurs scientifiques, restreignant ainsi le cercle des
personnes susceptibles de les lire. Poincaré affirma ainsi explicitement sa préférence pour une
vulgarisation mondaine, destinée au ‘gens du monde’ et aux universitaires. Nous verrons que
ses contributions au genre de la vulgarisation semblent s’être cantonnées à des revues relati-
vement spécialisées, telle la Revue générale des sciences pures et appliquées, c’est-à-dire à des pé-
riodiques touchant un public cultivé et possédant déjà des connaissances scientifiques de base.
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Son plaidoyer en faveur d’une haute vulgarisation, sur lequel nous aurons à nous pencher
(voir page 218), est révélateur des ambiguïtés propres à ce genre littéraire qui se laisse diffici-
lement enfermer dans une définition univoque.
B – Théorie(s) de la vulgarisation scientifique
Loin de renvoyer à une pratique univoque, le terme de vulgarisation fait référence à une nébu-
leuse complexe de discours et d’activités que seules quelques considérations théoriques per-
mettent d’appréhender. Les vingt dernières années ont vu considérablement augmenter le
nombre d’études consacrées à la vulgarisation scientifique : analyses formelles, études lexica-
les, interrogations sur ses présuppositions sociales, pédagogiques, politiques ou philosophi-
ques, évaluation de son efficacité réelle comme outil de propagation des connaissances scienti-
fiques, constituent les différents angles d’approche d’un domaine de recherche interdiscipli-
naire qui met à contribution linguistes, philosophes, sociologues, psychologues et historiens.
Diverses théories sont désormais disponibles sur le marché des idées. Cette courte section ne
se propose pas de formuler une nouvelle théorie de la vulgarisation. Plus modestement, elle se
contentera d’exposer certains problèmes théoriques susceptibles de venir éclairer la pratique
poincaréienne dans ce domaine.
1 – Une notion ambiguë
Dans le bref aperçu historique précédent, la notion de vulgarisation scientifique était prise
dans un sens très large ; elle était implicitement définie comme un projet de diffusion de la
science auprès du grand-public, comme la volonté d’un partage généralisé du savoir. La plu-
part des travaux récents portant sur ce domaine tentent de différencier la vulgarisation scienti-
fique à la fois des procédures de diffusion des connaissances scientifiques et des actions édu-
catives institutionnalisées.17 Ainsi, pour Baudouin Jurdant, la vulgarisation scientifique « est
une sorte d’éducation scientifique universelle, diffusée principalement par les mass-média et
n’ayant pas pour but de former des spécialistes mais plutôt d’assurer à la science une présence
dans la culture générale des gens, afin qu’ils puissent mieux comprendre leur univers quoti-
dien ».18 La vulgarisation constitue donc une entreprise de communication destinée à réduire
le fossé pouvant exister entre le cercle très restreint des scientifiques et le reste de la société.
Elle a ainsi une vocation universaliste forte : son présupposé de base est non seulement que la
17 Voir le chapitre 2 du livre de Jacobi, Diffusion et vulgarisation, itinéraires d’un texte scientifique [Jacobi 1986].
18 Voir l’article de Jurdant, « La vulgarisation scientifique », [Jurdant 1975], page 147.
Henri Poincaré (1854-1912) : Des Mathématiques à la Philosophie 189
La Vulgarisation Scientifique
science a une valeur universelle, mais qu’elle est également transmissible à toute personne
douée de raison. La plupart des vulgarisateurs de la fin du XIXème partageaient, semble-t-il,
cette conception de la vulgarisation : ils considéraient leur discipline comme une sorte de
système éducatif parallèle, fonctionnant en dehors de toute institution officielle.
Une telle définition a le mérite d’être claire et univoque. Pourtant, il ne s’agit que d’une appa-
rence. Bien au contraire, le terme de vulgarisation scientifique renvoie à un ensemble de prati-
ques et de discours qui se laissent très difficilement circonscrire par une définition fixe. Il
n’existe pas une vulgarisation mais des vulgarisations. Comme le remarque Daniel Jacobi, à
propos de la distinction entre diffusion scientifique, éducation institutionnelle et vulgarisation
scientifique :
En réalité, il est extrêmement difficile d’enfermer la vulgarisation scientifique dans une dé-
finition stable et bien délimitée. Il nous semble qu’elle oscille entre deux pôles opposés :
d’une part, les entreprises d’éducation formelle dont elle ne ferait pas partie et d’autre part
l’information au sens large, faite par les média, mais à l’évidence son projet est plus ambi-
tieux.19
Le statut de la vulgarisation scientifique est incertain, « il se situe au sein d’une nébuleuse où
se distinguent malgré tout trois pôles : l’information, l’éducation non formelle et le champ
scientifique ».20
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Diversité des scripteurs, pluralité des moyens mis en œuvre, dispersion des intentions didac-
tiques semblent en effet constituer ses caractéristiques essentielles. Diversité des scripteurs,
d’une part, car le discours de vulgarisation n’est pas le domaine réservé des vulgarisateurs de
métier ; scientifiques de formation (comme Poincaré), autodidactes, journalistes ou amateurs
éclairés peuvent parfaitement trouver leurs marques dans ce vaste projet universaliste de
propagation des savoirs. Bien plus, il est possible de supposer qu’il y a virtuellement « autant
d’entreprises de vulgarisation qu’il y a de sujets et de publics ».21 Pluralité des moyens mis en
œuvre, dans la mesure où la vulgarisation utilise différents moyens d’expression (articles dans
la presse spécialisée ou généraliste, livres, conférences, expositions, films, etc.). Dispersion des
intentions didactiques, enfin, car les auteurs de vulgarisation ne partagent pas forcément les
mêmes buts : certains destinent leurs productions à un public d’enfants et d’adolescents et
tentent de compléter l’initiation scientifique dispensée dans les écoles ; d’autres visent un
public mondain, les ‘gens du monde’, les intellectuels, les savants issus d’une multitude de
domaines disciplinaires et désireux d’être informés des nouvelles théories scientifiques (c’est
probablement ce type de public qui constitua la cible privilégiée de la vulgarisation poinca-
réienne) ; enfin, d’autres adoptent un point de vue plus idéaliste et pensent pouvoir inculquer
à un public très large (et parfois inculte) des rudiments de connaissances scientifiques et tech-
niques.
Comme on le voit, le caractère pluriel de la vulgarisation scientifique rend son étude des plus
difficiles. Le terme même renvoit à un amalgame complexe de discours et de pratiques hétéro-
gènes : premièrement, la vulgarisation endémique qui circule de manière sous-jacente au sein
du champ social ; deuxièmement, la vulgarisation pour le grand-public – souvent considérée
comme ridicule, caricaturale et inefficace – qui tente de traduire le langage scientifique dans le
langage courant, compréhensible par tous ; en troisième lieu, une vulgarisation plus soucieuse
d’elle-même et de sa dimension linguistique, qui adopte un point de vue réflexif sur ses mé-
thodes et qui tente d’adapter son discours au type de public visé ; enfin, une vulgarisation
pour professionnels de la science, favorisant une pratique concurrentielle de la recherche (c’est
ce type de vulgarisation qui était pratiqué, par exemple, dans une revue comme la Revue géné-
rale des sciences pures et appliquées, ou, plus récemment, dans Pour la science ou dans La recher-
che). D’autres difficultés viennent se greffer à ce problème de définition : d’une part, il est
difficile de cerner le public concerné par les ouvrages de vulgarisation car il s’agit souvent
destinataires.23
Le principal moteur de la vulgarisation est d’abord une logique d’appropriation. Tout projet
vulgarisateur semble renvoyer à une philosophie sous-jacente d’un humain capable de donner
un sens à son milieu par la création et l’usage de symboles.
Un autre trait commun à tous les discours de vulgarisation réside peut-être dans leur vocation
à renforcer la cohésion et l’unité des groupes sociaux. Considérons en effet un schéma classi-
que de vulgarisation, désigné généralement par le terme de ‘troisième homme’ : si on consi-
dère la vulgarisation scientifique comme la traduction de la langue savante dans la langue
vulgaire, alors la place du vulgarisateur est entre le spécialiste et le non-spécialiste ; il est le
troisième homme ; « virtuose des deux registres, pour reprendre les termes de Jacobi, il inter-
prète le discours de la science en usant du seul registre commun à la pluralité des destinatai-
res : la langue moyenne ».24 En occupant ce rôle de médiation, le vulgarisateur entend contri-
buer à la cohésion sociale : d’une part, il s’agit pour lui de diminuer le fossé entre les ‘gens qui
savent’ et ‘ceux qui ne savent pas’ ; d’autre part, il s’agit de construire un imaginaire social,
dans la mesure où la vulgarisation scientifique peut donner au grand-public l’impression de
circuler au sein des sphères qui détiennent le pouvoir, d’être au même niveau que l’élite scien-
tifique et technique.
Enfin, le dernier point commun entre les différentes formes de vulgarisation réside probable-
ment dans le fait qu’il s’agit toujours de discours seconds, dont la production, le fonctionne-
ment et la légitimité renvoient à des discours primaires ou ésotériques, c’est-à-dire aux publi-
cations dans lesquelles les spécialistes communiquent avec leurs paires. La vulgarisation
scientifique est un discours second non seulement parce qu’il s’agit d’une traduction du lan-
gage scientifique dans le langage commun (du moins en théorie), mais également parce qu’elle
trouve son moyen d’expression privilégié dans une littérature généraliste spécifique (que l’on
pourrait appeler littérature grise, par opposition à la littérature proprement scientifique : re-
vues de vulgarisation, grande presse, collections populaires, livres de synthèses). Nous analy-
serons en détail ce caractère second de la vulgarisation scientifique lors de notre tentative de
constitution d’un corpus au sein de l’œuvre de Poincaré.
22 Voir l’article de Marie Françoise Mortureux, « La vulgarisation scientifique, parole médiane ou dédoublée », [Mortureux
1988], pages 118-119.
23 Voir l’article de Jean-Marie Albertini et Claire Bélisle, « Les fonctions de la vulgarisation scientifique et technique », in [Jaco-
muns à la place de la terminologie scientifique : par exemple ‘ver à soie’ au lieu de Bombix
Mori).26 Toutes ces formes stylistiques vont dans le sens d’un affaiblissement de la dimension
ésotérique de la parole scientifique ; elles concernent la mise en place d’une procédure de
traduction dans la langue commune. Cependant, il est une forme qui semble aller dans le sens
inverse de ce mouvement : le redoublement des termes scientifiques par le biais de la para-
phrase ou de parasynonymes. En effet, dans beaucoup de textes de vulgarisation, les termes
scientifiques interviennent en co-occurrence avec leur définition, leur reformulation ou leur
paraphrase (par exemple, dans un texte de biologie, des expressions comme : « la mitose, la
division cellulaire », « l’adipsie (ou absence de soif) »).27 Il existe donc au sein de la vulgarisa-
tion une tension entre vocabulaire savant et non-savant, une hésitation entre discours et méta-
discours ; cette volonté d’exhiber les termes scientifiques, de les insérer à tout prix dans le
discours vulgarisé pour ‘faire scientifique’ et acquérir une certaine légitimité est l’indice d’un
problème d’ordre non plus linguistique mais sociologique. Le vulgarisateur est un être en
quête de légitimité : le recours à ces co-occurrences lui permet de ‘faire scientifique’ et de satis-
faire à la fois le public (qui recherche un exposé sérieux des connaissances scientifiques) et la
communauté scientifique (puisqu’il utilise les termes propres au domaine qu’il vulgarise). À
travers l’analyse des formes linguistiques de la vulgarisation se profile une critique de sa fonc-
tion sociale et de son utilité pédagogique. Comme le remarque Mortureux :
Pour résumer l’apport d’une approche linguistique à la vulgarisation scientifique, on pour-
rait dire que celle-ci révèle avec une particulière précision les propriétés qui nourrissent
l’embarras de bien des commentateurs à son égard, et la polémique dont elle fait l’objet : les
énoncés analysés portent, à travers leur diversité, les stigmates de la tension entre un méta-
discours, qui fournirait à la vulgarisation scientifique l’image d’une légitimation ‘externe’
fondée sur la demande sociale, et la paraphrase, qui en constitue la légitimation ‘interne’,
déterminée par l’objectif.28
Un grand nombre de spécialistes contestent fortement l’efficacité de la vulgarisation scientifi-
que et affirment que ses effets sont souvent opposés aux buts qu’elle prétend atteindre. En
particulier, ils mettent en doute le prétendu universalisme affiché par les vulgarisateurs. Ainsi,
du strict point de vue de la communication de l’information scientifique et de l’assimilation
des traits culturels plusieurs problèmes se posent. D’une part, à partir du moment où il y a
mes objectifs : dans l’absolu, le premier vise le plus souvent une connaissance objective et
prend ses réserves vis-à-vis des interprétations ontologiques des connaissances qu’il dispense ;
le second, de son côté, attend de la science qu’elle donne un sens au monde dans lequel il vit ;
il est donc intéressé par la portée ontologique de la vulgarisation. Obstacle socio-politique, en-
fin, car, pour protéger leur pouvoir et leur place au sommet de la pyramide sociale, les scienti-
fiques organisent parfois une rétention généralisée du savoir. En d’autres termes, selon Ro-
queplo, la vulgarisation scientifique n’a guère qu’un effet de vitrine : on regarde les friandises
depuis l’extérieur mais on n’entre pas chez le confiseur, faute de moyens.
Les critiques formulées par Boltanski et Maldidier dans plusieurs de leurs travaux sont égale-
ment très sévères vis-à-vis de la vulgarisation scientifique. Selon eux, le terme de vulgarisation
désigne son objet négativement, c’est-à-dire par rapport à une culture supérieure dont il ne
serait qu’une forme dégradée ; le langage moyen de la vulgarisation, la culture moyenne,
permet de satisfaire les prétentions d’accès à la culture savante de chacun en proposant des
produits culturels qui n’exigent aucune compétence particulière : de tels produits sont équi-
voques et participent à un phénomène de fausse reconnaissance culturelle.31 La vulgarisation
est destinée aux classes moyennes de la société : elles croient accéder à la culture savante sans
passer par les détours fastidieux de l’enseignement scolaire et des institutions. Le produit de
vulgarisation scientifique n’est pas seulement équivoque, il est également non-classant : en
effet, il n’exige aucune qualification, aucune qualité particulière du lecteur, puisque, par défi-
nition, il est fait pour n’exclure aucun lecteur. Enfin, selon les deux auteurs, les attentes et les
intérêts du public se modulent le plus souvent sur ceux du producteur de connaissances :
l’intérêt du public pour la science, et donc pour la vulgarisation scientifique, est un intérêt
complice car il dérive d’une culture et d’une formation scolaire préalable, non d’un besoin de
connaître. De nombreuses études montrent en effet que les lecteurs de vulgarisation scientifi-
que se recrutent majoritairement chez ceux qui ont une formation technique ou scientifique de
base : « l’augmentation de savoir qui peut résulter de la lecture d’articles de vulgarisation
scientifique est proportionnelle à la situation sociale du lecteur dans une hiérarchie fondée sur
le degré d’instruction » (c’est l’hypothèse de l’increasing knowledge gap, formulée suite à plu-
29 Concernant ces critiques, notamment celles formulées par Bourdieu, voir [Jacobi / Schiele 1988], pages 21-24.
30 [Roqueplo 1974].
31 Cf. [Boltanski 1969] et [Boltanski / Maldidier 1969]. Les deux auteurs sont par ailleurs à l’origine d’une vaste enquête sur le
lectorat de la revue de vulgarisation scientifique Science et vie (voir [Boltanski / Maldidier 1977]). Cette enquête a largement
confirmé leur thèse sur une vulgarisation scientifique destinée aux classes moyennes.
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La Vulgarisation Scientifique
32 Voir à ce sujet l’article de Baudouin Jurdant, « La vulgarisation scientifique » [Jurdant 1975], page 151. Mentionnons à ce sujet
les critiques formulées par Jurdant : à partir d’une analyse sémiologique de son discours, Jurdant met en évidence sa prédilection
pour les paradoxismes, l’exagération ou les hyperboles : ces procédés artificiels n’auraient pour seul but que de mettre en scène le
mythe propre de la scientificité. La vulgarisation scientifique aurait finalement un effet inverse de celui qu’elle entend produire ;
l’intervention du vulgarisateur ne contribuerait donc pas à réduire le fossé entre spécialistes et non-spécialistes, mais à le creuser
encore plus. « Dès lors, la vulgarisation peut-elle prétendre être autre chose qu’une opération de socialisation de la science
conduisant entre autres à la création d’une hiérarchie sociale du savoir, au renforcement de l’ordre social existant, à l’élitisme
technocratique et à une différenciation de plus en plus accusée entre ceux savent et ceux qui ne savent pas ? », [Jurdant 1975],
page 155. Voir également, la thèse de Jurdant, Les problèmes théoriques de la vulgarisation scientifique [Jurdant 1973].
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d’écrits dont on peut dire qu’ils sont des hybrides atypiques. On se trouve, nous semble-t-il,
en un lieu de charnière : le lieu où s’élaborent les premières reformulations entre le discours
ésotérique et le discours propre à être decontextualisé.33
Cette remarque s’applique parfaitement à la vulgarisation scientifique poincaréienne : il s’agit
en effet, comme nous le verrons, d’une vulgarisation de très haut niveau qui, quelques excep-
tions mises à part, s’adresse à un public cultivé disposant d’un solide bagage scientifique.
Homme de l’art, membre à part entière de la communauté scientifique, Poincaré ne vulgarisa
pas les sciences à la manière des journalistes scientifiques ; sa production dans ce domaine
n’apparut dans aucune des grandes revues populaires de vulgarisation de son époque (Cos-
mos, La science pour tous, Le vulgarisateur scientifique, etc.) mais plutôt dans des revues spéciali-
sées à la diffusion restreinte (La lumière électrique, Revue scientifique, etc.).
Cet élitisme affiché par Poincaré en matière de vulgarisation scientifique a pour corollaire
dans son œuvre un flottement entre trois types de discours : discours scientifique, discours
philosophique et discours vulgarisé. Certes, il est indéniable que les deux bornes de cette
triade sont aisément identifiables et différenciables : il est clair par exemple que la conférence
sur les comètes prononcée en 1910 devant la Société Industrielle de Mulhouse34 relève de la
vulgarisation au sens large du terme, alors qu’un article comme « Fonctions modulaires et
fonctions fuchsiennes »35 relève du discours primaire et ésotérique ; il est clair également que
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le texte précédent sur les comètes ne met pas en œuvre le même type et le même degré de
vulgarisation qu’un texte « Sur la théorie de la commutation » publié dans La lumière électrique
(une revue destinée aux ingénieurs et aux électriciens).36
Par contre, la différenciation devient beaucoup moins évidente lorsqu’on s’intéresse à des
travaux communément considérés comme philosophiques. Considérons par exemple l’article
publié en 1898 dans The Monist, « On the Foundations of Geometry ». Ce texte traite bien de
l’interprétation philosophique de la géométrie, de la notion d’espace et il propose même une
alternative à la conception kantienne des jugements synthétiques a priori. Dans le même
temps, cependant, il met en œuvre tout un ensemble de concepts issus de théories mathémati-
ques très techniques (théorie des groupes, géométries non euclidiennes, axiomes de Lie, géo-
métrie de Staudt, etc.). Ces concepts sont exposés d’une manière presque ‘littéraire’, sans re-
courir à aucune formule mathématique ; ils sont vulgarisés. Au final, ce texte – qui constitue
peut-être l’œuvre philosophique majeure de Poincaré –marie discours vulgarisé sur les scien-
ces et réflexion philosophique.
Considérons un autre exemple : les chapitres IX et X de La science et l’hypothèse portent respec-
tivement sur le rôle des hypothèses en physique et sur les théories de la physique moderne.37
Poincaré y traite de certaines théories scientifiques récentes (la théorie de Lorentz ou la théorie
de Maxwell) et un lecteur peu scrupuleux pourrait presque se croire confronté à un exposé
vulgarisé des nouvelles théories physiques et de leurs résultats expérimentaux. Cependant,
une lecture attentive permet de voir que le but poursuivi par Poincaré n’est pas simplement
d’exposer des résultats scientifiques, mais plutôt de mettre en lumière l’importance de la no-
tion d’hypothèse en physique ; sa visée est épistémologique et les connaissances scientifiques
n’interviennent qu’à titre d’exemples, pour étayer une argumentation philosophique sur la
place des conventions au sein des théories physiques. Ici encore vulgarisation scientifique et
discours philosophique se trouvent juxtaposés ; le premier est au service du second. Le modèle
du troisième homme semble ne pas devoir s’appliquer dans ce cas précis.
Une telle analyse pourrait être conduite sur un grand nombre de travaux philosophiques de
Poincaré, et notamment sur la plupart de ceux qui furent publiés dans les volumes de la Bi-
bliothèque de Philosophie Scientifique. Deux raisons viennent expliquer une telle situation :
d’une part, le fait que, dès sa fondation, la bibliothèque de Le Bon adopta une position très
flottante sur le problème de la distinction entre vulgarisation scientifique et philosophie des
sciences (voir page 168) ; d’autre part, le fait que la philosophie des sciences semble, par sa
nature même, devoir entretenir des relations très étroites avec la vulgarisation scientifique.
La philosophie, en effet, ne possède pas, contrairement aux autres sciences, un domaine
d’objets qui lui est propre (comme les quarks ou les électrons en physique des particules) : elle
ne se définit pas comme un « savoir de », c’est-à-dire un savoir factuel exprimable par une
somme d’énoncés singuliers sur des faits particuliers, mais plutôt comme un « savoir pour-
quoi », un savoir des raisons s’exprimant sous la forme d’énoncés généraux.38 C’est ce qui
explique que l’on puisse faire aussi bien la philosophie de la morale que la philosophie du
beau ou la philosophie des sciences. Il n’est pas question pour elle de construire des doubles
des discours étudiés mais plutôt d’élucider leur sens et leur légitimité à la lumière de ses pro-
pres méthodes et schèmes de raisonnement. Dès lors, en se portant sur la science, la philoso-
phie n’a pas pour intention première d’opérer un transfert d’informations scientifiques vers le
grand-public, elle n’entend pas faire découvrir les derniers perfectionnements de la science et
de l’industrie ; elle s’intéresse avant tout aux fondements de la méthode scientifique et elle
recherche les présupposés philosophiques des théories scientifiques qu’elle étudie. Une telle
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38 Louis Althusser exprima cette idée en deux thèses dans son livre Philosophie et philosophie spontanée des savants : « Thèse 3. La
philosophie n’a pas pour objets les objets réels, ou un objet réel, au sens où la science a un objet réel. Thèse 4. La philosophie n’a
pas d’objet, au sens où une science a un objet ». [Althusser 1974].
Henri Poincaré (1854-1912) : Des Mathématiques à la Philosophie 196
La Vulgarisation Scientifique
sophie des sciences travaille, quant à elle, à un niveau dialectique supérieur, en utilisant les
résultats scientifiques dans le cadre d’une élucidation philosophique de concepts.
Néanmoins, malgré ces différences, les deux disciplines ne s’opposent pas radicalement. Au
contraire, elles se complètent. En effet, bien que sa finalité diverge de celle de la vulgarisation
scientifique, la philosophie des sciences est souvent obligée d’utiliser les recettes de cette pre-
mière, en particulier lorsqu’elle s’adresse à un public littéraire ou philosophique qui, au pre-
mier abord, ne maîtrise pas toutes les subtilités du langage ésotérique. Ainsi, les articles sur la
logique que Poincaré publia dans la Revue de métaphysique et de morale sont véritablement des
textes polémiques et contiennent des développements philosophiques complexes. Dans la
mesure où les progrès récents de la logique étaient peu connus du public de cette revue, les
concepts utilisés se trouvent vulgarisés, traduits, simplifiés et explicités afin de rendre ces
développements philosophiques accessibles.39 On peut dire qu’idéalement, vulgarisation
scientifique et philosophie des sciences ont chacune leur finalité propre. L’exemple de Poinca-
ré montre cependant que la frontière entre les deux disciplines est relativement ambiguë.
Toute méthode explicative, toute méthode pédagogique repose sur la mise en œuvre de pro-
cédés de vulgarisation.40 La philosophie des sciences n’échappe pas à cette nécessité et puisque
son intérêt se porte sur les implications conceptuelles des contenus scientifiques, il n’est guère
étonnant de constater qu’elle entretient des liens étroits avec la vulgarisation. Une question se
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pose alors : formuler l’idée d’une imbrication des deux disciplines ne constitue-t-il pas une
atteinte à la pureté supposée de l’analyse philosophique ? N’est-il pas abusif de rapprocher ces
deux types de discours ? Il nous semble que non. Lever le voile sur les compromissions néces-
saires de la philosophie des sciences avec la vulgarisation scientifique ne constitue pas un
‘crime de lèse-majesté’. Au contraire, cela permet de mettre en évidence la responsabilité pé-
dagogique du philosophe des sciences vis-à-vis de son public ; cela nous autorise de plus à
poser l’hypothèse d’une continuité entre le discours scientifique et la vulgarisation scientifi-
que.
Revenons pour conclure sur la théorie du troisième homme : celle-ci oppose un objet idéal (le
discours scientifique) à ses reflets pâles et illégitimes (vulgarisation, information scientifique,
etc.) et elle échoue, comme on l’a vu à rendre compte de la pluralité et de la richesse des prati-
ques de vulgarisation. Face à cet échec, l’idée d’une continuité entre les différents discours
semble devoir s’imposer. Vulgarisation scientifique, épistémologie et science ne s’opposent
pas de manière essentielle ; loin de constituer des domaines incommensurables ou incompatibles, ils
appartiennent à une sphère commune, celle du langage scientifique. Il est ainsi possible de cons-
truire, au sein du langage scientifique, une échelle graduelle des discours : au sommet se
trouve le discours ésotérique, le discours source, fondé sur l’observation et l’argumentation
logique, producteur de nouvelles connaissances mais gouverné par un scepticisme méthodo-
logique et ontologique. À un niveau intermédiaire se trouve l’épistémologie, une discipline-
frontière qui ne produit pas de connaissances scientifiques nouvelles mais qui porte un regard
critique sur la science et ses productions (elle fixe les règles que toute bonne théorie scientifi-
que doit respecter) : avec le discours source, elle partage le goût pour l’argumentation logique,
le scepticisme méthodologique et la réticence vis-à-vis des entités ontologiques superflues (elle
applique le rasoir d’Ockham) ; avec la vulgarisation scientifique, elle partage le souci pédago-
gique d’une exposition claire des concepts et l’utilisation de certaines ‘recettes langagières’.
Enfin, au niveau inférieur se trouve la vulgarisation scientifique proprement dite, guidée par
un idéal universaliste et soucieuse de traduire simplement les concepts scientifiques dans sa
39 Voir [Poincaré 1905n], [Poincaré 1906m] et [Poincaré 1906n]. Il s’agit là d’un exemple parmi d’autres : les textes sur le conven-
tionnalisme géométrique ou sur la discussion de la valeur de la science soutiendraient également une telle analyse.
40 Jean-Claude Beaune remarque par exemple : « […] La vulgarisation de toute connaissance apparaît coextensive de toute
démarche qui, de la part de l’orateur ou de l’écrivain, suppose un travail au second degré, une conception fortement didactique
du propos (même et surtout si ce didactisme semble l’ennemi suprême), une utilisation particulière du langage, un jeu inquiétant
de miroir entre la langue et la parole […] ». [Beaune 1988], page 51.
Henri Poincaré (1854-1912) : Des Mathématiques à la Philosophie 197
La Vulgarisation Scientifique
langue commune ; férue d’ontologie, elle dispense ses contenus sur un mode catégorique (et
non dialectique).
La vulgarisation scientifique n’est donc pas un discours extérieur à la science.41
L’épistémologie n’est donc pas un méta-discours sur la science. Il est possible de replacer ces
deux disciplines dans l’ensemble des discours scientifiques : selon la perspective que l’on
adopte, l’épistémologie peut être considérée soit comme un mode mineur de la science, soit comme
un mode majeur de la vulgarisation scientifique. Discipline intermédiaire entre la science et la
vulgarisation, la philosophie des sciences est un organe interne de la science ; c’est ce qui ex-
plique qu’elle est majoritairement pratiquée par les scientifiques eux-mêmes ; c’est ce qui ex-
plique que, sous certaines modalités, elle se confonde avec une vulgarisation scientifique éli-
tiste (vulgarisation de haut niveau). Comme le remarque fort justement Jean-Claude Beaune,
l’épistémologie « ne désigne que l’un des ‘niveaux’ de cette vulgarisation qui parcourt le lan-
gage de la science, depuis les formulations les plus rigoureuses et abstruses jusqu’aux images
infantiles en lesquelles la science est devenue la publicité de sa propre absence ».42
Le schéma suivant (Figure 1) illustre de manière adéquate cette idée d’une continuité au sein
du discours scientifique. Entre la vulgarisation classique et le discours scientifique s’intercale
une zone-frontière dans laquelle cohabitent vulgarisation spécialisée et épistémologie, deux
disciplines qui, comme on l’a vu, entretiennent d’étroites relations. Cette zone-frontière ne
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correspond pas à une démarcation nette entre les deux maillons extrêmes du continuum scien-
tifique : elle constitue en fait un vaste espace de discours au sein duquel se met en place une
interface complexe entre vulgarisation et philosophie.
Discours scientifique
Esotérisme
Vulgarisation scientifique
Universalisme
41 Cf. [Jacobi 1986], page 23 : « Pour nous donc le discours de vulgarisation scientifique peut se replacer dans l’ensemble des
discours scientifiques (dont il dépend et dérive quand il n’en est pas une variante), discours qui sont caractérisés par une exacer-
bation de la dimension dialogique ».
42 [Beaune 1988], page 52. Nous choisissons délibérément d’employer de manière indifférenciée les termes de philosophie des
sciences et d’épistémologie. Il va de soi que ces deux expressions ne renvoient pas tout à fait aux même domaines : la philosophie
des sciences a pour but essentiel d’analyser les présupposés philosophiques des théories et des méthodes scientifiques, alors que
l’épistémologie peut, dans certaines acceptations, renvoyer aussi bien à l’histoire des sciences qu’à la philosophie des sciences. En
se basant sur cette distinction, on pourrait en quelque sorte ‘raffiner’ notre thèse et affirmer que l’épistémologie constitue, à la
différence de la philosophie des sciences, un méta-discours sur la science, en raison de sa dimension historique. Cependant,
Poincaré ne semble pas faire une telle distinction entre ces deux domaines, ce qui justifie notre choix de ne pas les différencier
formellement. Ajoutons d’ailleurs que, par certains aspects l’histoire des sciences, peut s’apparenter à une vulgarisation de haut
niveau.
Henri Poincaré (1854-1912) : Des Mathématiques à la Philosophie 198
La Vulgarisation Scientifique
tiennent en propre à une vulgarisation pour grand-public, Poincaré défendit plutôt une con-
ception élitiste de la vulgarisation. C’est cette conception que nous allons maintenant aborder
grâce à la mise en évidence d’un corpus de vulgarisation.
A – Problèmes méthodologiques
Les présupposés théoriques que l’on adopte déterminent très souvent la nature des résultats
que l’on peut obtenir : veut-on partir du présupposé, partagé par la majorité des vulgarisa-
teurs contemporains de Poincaré, que la vulgarisation a pour objectif de toucher le maximum
de gens ? On peut alors en conclure que Poincaré ne partageait pas cette conception et qu’il ne
tenta que rarement de se mettre à la portée d’un public de non-spécialistes. Veut-on partir
d’une définition de la vulgarisation comme « simple exposé non technique de résultats scienti-
fiques » ? On conclut dans ce cas précis que ce type de production représente une part réelle-
ment négligeable dans l’ensemble de l’œuvre poincaréienne. Adopte-t-on alors une définition
ouverte de la vulgarisation, qui permette d’inclure tout ce qui contribue à la constitution d’une
culture scientifique générale (et qui laisse donc une place au domaine particulier de la philo-
sophie des sciences) ? On se retrouve alors face à un volume important de textes de ‘vulgarisa-
tion’ et on peut en déduire que l’activité poincaréienne de diffusion des sciences était plus
large qu’il n’y paraît.
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Face à une telle situation, la question qui se pose est la suivante : quelle méthodologie adopter
pour établir une description correcte de l’activité poincaréienne dans le domaine de la vulgari-
sation ? Il semble qu’il n’existe pas de méthode idéale. La structure même de l’œuvre de Poin-
caré est complexe. Quel statut conférer par exemple aux articles qui furent utilisés dans les
quatre livres de la Bibliothèque de Philosophie Scientifique ? D’un côté leur présence dans des
revues au lectorat limité peut nous conduire à penser que Poincaré ne les entendait pas
comme des textes de vulgarisation ; mais d’un autre côté, le fait qu’il ait choisi quelques an-
nées plus tard de les offrir à un plus large public pourrait nous conduire à penser le contraire.
L’idéal serait bien-sûr de pouvoir analyser le contenu de chacun des travaux de Poincaré, puis
de les ranger dans une de ces trois grandes catégories : sciences, épistémologie, vulgarisation
scientifique. Une telle approche n’est malheureusement pas envisageable car cela reviendrait
non seulement à consulter plus de 500 notes, articles, mémoires ou livres, mais également
parce que les frontières entre ces différentes catégories, comme nous l’avons constaté précé-
demment, ne sont pas aussi tranchées qu’elles n’y paraissent. L’analyse exclusive des titres de
chacun de ces textes s’avère tentante et semble simplifier le problème ; cependant, cette mé-
thode présente l’inconvénient de produire un ‘bruit de fond’ important : en effet, certains
titres sont suffisamment ambigus pour permettre toutes les interprétations possibles, même les
plus fausses ; ainsi en éliminant le livre sur La thermodynamique, parce qu’il s’agit d’un ouvrage
scientifique, on risquerait de négliger sa préface qui, elle, a été présentée à un large public par
le biais de La science et l’hypothèse.43 Ces deux méthodes sont donc peu satisfaisantes.
Les questions qui nous occupent sont relativement simples : quelle est la part de vulgarisation
contenue dans l’œuvre de Poincaré ? Quelle est la nature de cette vulgarisation ? Quel accueil
a-t-elle reçu ? Pourtant, elles posent de sérieux problèmes méthodologiques. Comment, d’une
part, se faire une idée précise du nombre de personnes ayant pu avoir accès à un texte ? On
pourrait croire que le titre de la (ou des) revue(s) dans lequel il a été publié en donne une indi-
cation relativement précise, mais la situation n’est pas aussi simple. Un grand nombre de
textes publiés dans ces revues sont des transcriptions de conférences ou de discours prononcés
à diverses occasions. Par exemple, la bibliographie de Poincaré comporte environ une tren-
taine d’article ou de notices qui furent vraisemblablement écrits à l’occasion de la mort de
savants – scientifiques ou hommes de lettres – ou à l’occasion de jubilés scientifiques. Il serait
faux de croire que ces textes furent rédigés pour le public particulier des revues dans lesquelles
43 La préface de La thermodynamique [Poincaré 1892s] est reproduite dans le chapitre VIII de La science et l’hypothèse [Poincaré
1902q].
Henri Poincaré (1854-1912) : Des Mathématiques à la Philosophie 199
La Vulgarisation Scientifique
ils apparurent car ils furent le plus souvent composés dans la perspective d’une prise de pa-
role face à un public de non-spécialistes (éloges funèbres, discours honorifiques, etc.). Tout le
problème est donc de déterminer dans quelles circonstances et pour quel public ces articles
étaient originellement écrits, une tâche qui s’avère fréquemment impossible à accomplir.
D’autre part, où se situe la frontière entre une revue spécialisée (revue technique, périodique
universitaire ou publication académique) et une revue ‘grand-public’ relevant de la grande
presse ? On serait tenté de dire que la différence tient au nombre d’exemplaires imprimés.
Cette information, il est vrai, a son importance. On estime ainsi que dans les années 1880-1890,
l’édition scientifique érudite se situait entre 1000 et 2000 exemplaires44 ; un chiffre supérieur
pourrait donc constituer un indice pour rattacher une revue à la sphère de la vulgarisation
scientifique (au sens classique du terme). Malheureusement, ces tirages sont la plupart du
temps inconnus et rares sont les indices qui permettent d’en faire une estimation correcte. De
plus, lorsqu’ils sont connus, ils sont susceptibles d’induire en erreur : en effet, cette volonté
des vulgarisateurs de montrer que la science est une langue universelle communicable à tous,
cet universalisme militant qui fait de la science la propriété de l’ensemble de l’humanité ne se
concrétisa pas forcément par des revues aux tirages énormes ; au contraire, cet universalisme
s’afficha bien souvent d’une manière très locale dans des publications aux chiffres souvent
modestes (surtout pour les revues de haute vulgarisation, dont les tirages n’excédaient guère
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les 1000 exemplaires). Il peut donc être risqué d’associer systématiquement les velléités uni-
versalistes des vulgarisateurs et la notion d’un public très large (bien que ces deux notions
soient liées en principe).
L’analyse des contenus est donc requise en dernière instance. Elle est relativement fiable pour
certains périodiques. Ainsi, on peut objectivement affirmer que les Acta mathematica consti-
tuent une revue spécialisée, réservée à un public de mathématiciens et d’universitaires travail-
lant dans le domaine des sciences exactes.45 À l’inverse, l’analyse des contenus peut parfois
mettre en jeu une part appréciable de subjectivité : il est par exemple difficile de définir avec
précision le statut de périodiques comme la Revue générale des sciences pures et appliquées ou la
Revue scientifique (Revue rose), car cela implique de tenir compte du niveau moyen
d’instruction de la population à une époque donnée, tache délicate s’il en est. En outre,
l’interprétation peut s’avérer très difficile dans certains cas. Comment expliquer, par exemple,
la présence, dans des revues qui possèdent tous les attributs de revues scientifiques spéciali-
sées, de textes de Poincaré possédant, quant à eux, tous les traits caractéristiques de la vulgari-
sation (absence de formalisme, vocabulaire simple, présentation directe de résultats scientifi-
ques) ? Des revues comme L’éclairage électrique ou La lumière électrique étaient des revues de
haute vulgarisation réservées à un public doté de sérieuses connaissances en électricité théori-
que et pratique. Dans le sommaire de La lumière électrique du 26 janvier 1889, on peut lire des
articles aux titres évocateurs : « Système de couplage des conducteurs des signaux électriques
dans les trains de chemin de fer », « Recherches expérimentales sur l’induction magnétique du
fer », « De l’influence du choc sur l’aimantation permanente du nickel » ou « Mesure des résis-
tances à l’aide de l’inducteur différentiel » ; et tous ces articles, écrits par des scientifiques,
abondent de formules mathématiques, de dessins techniques ou de descriptions de protocoles
expérimentaux. Pourtant, dans cette revue, Poincaré publia un article de vulgarisation sur
« Lord Kelvin ».46 Dans le même ordre d’idée, tous les textes de Poincaré qui furent publiés
dans le Bulletin de la Société Astronomique de France sont des textes de vulgarisation, alors même
que cette revue d’astronomie pouvait ouvrir ses pages à des discussions extrêmement techni-
ques. Ce paradoxe s’explique par le fait que certains textes de Poincaré, bien que publiés dans
Cornu », l’autre sur « A. Potier ». Ces textes servirent d’ailleurs vraisemblablement à constituer les chapitres correspondants de
Savants et écrivains.
Henri Poincaré (1854-1912) : Des Mathématiques à la Philosophie 200
La Vulgarisation Scientifique
des revues très spécialisées, étaient en réalité des transcriptions de conférences publiques ; cela
peut nous conduire à sous-estimer le nombre de personnes ayant pu en avoir connaissance. Le
problème est donc d’adopter une méthodologie d’analyse qui permette d’isoler de l’ensemble
des travaux de Poincaré un corpus de vulgarisation scientifique. Cette tâche est d’autant plus
difficile à réaliser que son œuvre est importante.
La bibliographie établie par Browder dans son ouvrage The Mathematical Heritage of Henri
Poincaré peut nous y aider. Elle se décompose ainsi :
(I) Mathématiques (III) Physique théorique et mathématique
(1) Équations différentielles (1) Livres
(2) Théorie des fonctions (2) Équations différentielles de la physique ma-
(3) Algèbre et mathématiques thématique
(4) Géométrie (3) Théorie physique
(5) Topologie (4) Théorie électromagnétique
(II) Mécanique (5) Critiques et extensions de théories physiques
(1) Mécanique analytique et mécanique des flui- (IV) Problèmes scientifiques généraux
des (V) Sujets divers
(2) Mécanique céleste, astronomie, géodésie (1) Discours à des congrès internationaux
(3) Préfaces et rapports (2) Analyses de travaux mathématiques
(3) Pédagogie
Cette classification offre la possibilité de mesurer assez précisément l’étendue de la production
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poincaréienne dans chaque domaine.47 Nous avons donc saisi les 547 items que recense la
bibliographie de Browder dans une base de données informatique en respectant ce classement
thématique.48
De l’ensemble des données susceptibles d’être extraites de cette base, voici ce qui nous semble
le plus significatif. Le Graphique 2 ci-dessous donne la répartition du nombre de publications
de Poincaré dans les différents domaines disciplinaires considérés par Browder. On y apprend
ainsi que son œuvre s’organise de la manière suivante : 165 articles ou ouvrages consacrés aux
mathématiques (soit 30%), 121 ouvrages de physique théorique et mathématique (22%), 110
ouvrages de mécanique (20%), 100 ouvrages sur des sujets divers (18%) et 53 travaux portant
sur des problèmes scientifiques généraux (10%).
Mathématiques 165
Physique théorique et
mathématique 121
Mécanique 110
47 Cette classification n’est bien évidemment pas parfaite et certains choix peuvent susciter quelques critiques : les sections
considérées en mécanique (II.1 et II.2) pourraient ainsi être rattachées aux mathématiques, tout comme la section III.2 (équations
différentielles de la physique mathématique). Il va de soi que notre but n’est pas de proposer une nouvelle classification mais de
rendre compte de l’absence de prise en compte de l’activité vulgarisatrice de Poincaré.
48 Il s’agit d’une base Microsoft Access. Elle rassemble l’ensemble de la bibliographie de Poincaré classée suivant cet ordre
thématique. L’isolement de certains champs (date, lieu de publication, etc.) permet de procéder à des statistiques globales.
Notons que notre base de données ne comporte que 545 entrées, deux items ayant été supprimés en raison de leur caractère
erroné. La bibliographie de Poincaré que nous donnons à la fin de ce travail est inspirée de celle établie par Browder, avec les
différences suivantes : d’une part, certaines erreurs ont été corrigées ; d’autre part, nous avons tenté de mentionner – quand
c’était possible – si certains articles ont été utilisés pour constituer les chapitres de certains ouvrages (notamment ceux de la
Bibliothèque de Philosophie Scientifique) ; enfin, dans un souci d’harmonisation des renvois bibliographiques, nous avons choisi
de la présenter suivant un ordre chronologique (et donc d’occulter le classement thématique).
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Nombre de
publications
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Années
On constate très nettement, entre 1879 et 1887, un premier pic de publication (voir symbole
) ; à cette période, en effet, Poincaré commence sa carrière de mathématicien, il travaille
beaucoup sur les fonctions fuchsiennes et, pour s’imposer auprès de ses paires, il multiplie les
publications, principalement sous la forme de notes, dans les Comptes-rendus de l’Académie des
Sciences. Sa production à cette époque se limite donc au domaine des mathématiques ; elle
accuse une baisse importante entre 1887 et 1891, cette baisse s’explique peut-être par l’élection
de Poincaré à l’Académie des Sciences en 1887 (ayant fait les preuves de son excellence ma-
thématique, il n’avait plus besoin de multiplier les publications dans ce domaine).
D’une manière générale, après cette date, le nombre de publications mathématiques
n’atteindra plus jamais ces sommets mais se stabilisera, bon an mal an, autour d’un seuil de 5
publications annuelles. C’est ce qu’indique le Graphique 4 ci-dessous. L’augmentation de la
production mathématique vers le début des années 1880 y présente les mêmes caractéristiques
que l’augmentation générale constatée sur le Graphique 3.
49 La courbe ne s’arrête pas à la mort de Poincaré car Browder recense également quelques textes qui furent publiés de manière
posthume (par exemple Dernières pensées ou quelques articles des Acta mathematica).
50 Les symboles , , et indiquent les quatre grandes périodes de l’activité éditoriale de Poincaré durant toute sa carrière.
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1905
1907
1909
1911
À partir de 1897, on constate une stagnation relative de l’activité poincaréienne dans ce do-
maine ; son intérêt semble se déplacer vers une nouvelle discipline scientifique. Une troisième
étape importante est en effet centrée sur la mécanique entre 1896 et 1900 (voir les deux pics
désignés par le symbole sur le Graphique 3). Certes, les premières contributions de Poincaré
à la mécanique sont largement antérieures à cette période puisqu’en 1885 on ne recense pas
moins de 8 publications dans ce domaine (voir Graphique 6 ci-dessous) ; cependant, un point
culminant est atteint en 1897 avec un total de 11 ouvrages, point culminant qui est probable-
ment imputable à ses travaux sur la mécanique céleste.
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La Vulgarisation Scientifique
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1908
1910
1921
Graphique 6 Progression des publications en mécanique
laquelle Poincaré consacra la part la plus importante de ses publications à des sujets généralis-
tes (vulgarisation, philosophie, etc.). Contrairement à celles des autres domaines disciplinai-
res, la courbe des publications ‘généralistes’ suit une progression constante jusqu’à la fin de la
vie du mathématicien, comme si son intérêt pour un domaine d’activité plus orienté vers le
grand-public n’avait fait que croître. Cette configuration n’a rien d’étonnant puisque nous
savons que la popularité de Poincaré auprès d’un large public ne commença véritablement
qu’avec la publication de La science et l’hypothèse et atteignit son apogée au moment de son
élection à l’Académie Française.
14
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1904
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1912
1921
Pour résumer, un même schéma semble guider le travail de recherche de Poincaré dans tous
les domaines considérés. En effet, dans chaque cas (sauf celui des publications généralistes) sa
production atteint un chiffre important puis régresse subitement pour rester dans une
moyenne relativement constante. On remarque par ailleurs qu’une discipline chasse l’autre :
l’augmentation de la production en physique théorique coïncide par exemple avec une baisse
de la production en mathématiques.
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La Vulgarisation Scientifique
Mathématiques (I)
Mécanique (III)
Physique théorique et mathématique (II)
Sujets divers + Problèmes scientifiques généraux (IV et V)
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1886
1888
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1892
1894
1896
1898
1900
1902
1904
1906
1908
1910
1912
1921
Graphique 8 Passages d’une discipline à l’autre
L’activité globale de Poincaré semble marquée par des transferts d’intérêt d’un domaine à
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l’autre. Le Graphique 8 ci-dessus résume en quelque sorte la situation que nous avons décrite ;
il met en effet en évidence les différentes étapes de l’activité de recherche poincaréienne, les
pics et les baisses d’activités, les passages d’une discipline à l’autre. Ces étapes ne sont pas
dans une relation d’opposition : elles marquent plutôt, selon nous, l’évolution d’une pensée
scrupuleuse et soucieuse d’investir l’essentiel des champs de la pensée mathématique (ma-
thématiques, physique, mécanique, philosophie).
B – Présentation du corpus de vulgarisation scientifique
La bibliographie compilée par Browder est loin d’être parfaite. Outre ses lacunes, elle présente
l’inconvénient de proposer dans certains cas des catégories équivoques. En effet, s’il semble
relativement aisé de construire une classification univoque des travaux scientifiques de Poin-
caré, il s’avère cependant beaucoup plus difficile d’atteindre un tel objectif lorsqu’on aborde sa
production ‘généraliste’. La classification de Browder ne comporte ni rubrique ‘philosophie’,
ni rubrique ‘vulgarisation scientifique’ : à quelques rares exceptions près, ces deux domaines
se trouvent principalement recensés dans les thèmes (IV) et (V) – « Problèmes scientifiques
généraux » et « Sujets divers » – deux catégories qui rassemblent dans le plus grand désordre
ouvrages philosophiques, textes de vulgarisation, rapports de prix scientifiques, notices nécro-
logiques, réflexions pédagogiques ou rapports institutionnels. Visiblement, certains travaux de
Poincaré se laissent difficilement enfermer dans des catégories toutes faites, d’où les formula-
tions vagues et ambivalentes des titres de certaines sections.
Cette insuffisance n’est pas totalement le fait de Browder lui-même ; celui-ci a en fait élaboré
sa bibliographie à partir d’un certain nombre de bibliographies particulières sur Poincaré51 ; il
a ensuite classé l’ensemble des items selon le plan général de présentation des onze volumes
des Œuvres de Henri Poincaré (tout en prenant quelques libertés).52 Malgré leur ampleur, les
51 Les sources de cette bibliographie sont diverses. On y trouve la Notice sur Henri Poincaré de Lebon [Lebon 1913], une « Ana-
lyse des travaux scientifiques de Poincaré, faite par lui-même » publiée en 1921 dans les Acta mathematica (voir [Poincaré 1884p],
[Poincaré 1886p] et [Poincaré 1921b]. On y trouve également l’ensemble des travaux publiés dans les Œuvres de Henri Poincaré,
ainsi que la bibliographie compilée par Mooij dans son livre La philosophie des mathématiques de Henri Poincaré [Mooij 1966]. Enfin,
sont recensés les items présentés dans le Catalogue of Scientific Papers (1896 et 1921), dans le Biographisch-Literarisches
Handwörterbuch der exacten Naturwissenschaften de J. C. Poggendorf (1904 et 1925) et dans le livre édité en russe par N. Bogoliubov
et V. I. Arnold, Selected Works of Henri Poincaré, trois volumes, Moscou, 1972.
52 Browder déclare en tête de sa bibliographie : « Arranged by broad topics following the general form of the eleven volume
collected works » [Browder 1983], page 447. En fait, il ne garde de la classification des Œuvres que les grandes subdivisions et il
simplifie grandement les sous-sections (aucune section particulière n’est ainsi réservée à l’analyse pure, alors qu’elle couvrait les
deux premiers volumes des Œuvres)
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La Vulgarisation Scientifique
périodique de son époque et, par conséquent, les quatre ouvrages de la Bibliothèque de Philo-
sophie Scientifique ont été mis de côté dans la mesure où leur ambivalence nécessite une ana-
lyse complémentaire (qui sera menée à la fin de ce chapitre). Cependant, pour peu qu’ils ap-
partiennent au genre de la vulgarisation scientifique, certains des articles ayant servi à compo-
ser ces livres apparaîtront dans ce corpus. Seule exception à cette volonté de décrire les colla-
borations de Poincaré avec la presse de vulgarisation, la prise en compte du livre Savants et
écrivains qui constitue indéniablement un ouvrage de vulgarisation (et qui n’appartient pas,
d’ailleurs, à la Bibliothèque de Philosophie Scientifique).
Comme nous l’avons vu précédemment, quel que soit son degré, le discours de vulgarisation
consiste en une reformulation d’un discours scientifique ésotérique. Ce discours ésotérique
trouve généralement sa place dans les revues dites ‘primaires’ destinées aux spécialistes de
disciplines scientifiques instituées ; éditées par des scientifiques, ces publications ne sortent
pas, en principe, de la communauté scientifique (puisque leur lectorat est composé de scienti-
fiques) et ne mettent normalement en œuvre aucun procédé de vulgarisation. Le critère princi-
pal que nous avons retenu est donc celui du caractère second de toute entreprise de vulgarisation. Le
terme ‘second’ renvoit à des publications dont le projet est de diffuser des connaissances
scientifiques en dehors d’un cercle de spécialistes. Nous n’avons donc pas tenu compte de
revues comme les Comptes-rendus de l’Académie des Sciences, le Bulletin de la Société Mathémati-
que de France, le Journal de mathématiques pures et appliquées ou comme les Proceedings of the
Royal Society of London. De la même manière nous n’avons pas tenu compte de revues comme
la Revue de métaphysique et de morale ou L’année psychologique car elles s’apparentent grande-
ment à des publications primaires dans leurs domaines de compétence.
Cette mise en perspective du caractère second de la vulgarisation nous a donc conduit à rete-
nir des titres tels que la Revue générale des sciences pures et appliquées ou la Revue scientifique,
c’est-à-dire des périodiques n’affichant pas de spécialisation particulière et semblant ouverts à
toutes les sciences. Nous avons également sélectionné des titres comme le Bulletin de la Société
Astronomique de France ou les Comptes-rendus de l’Association Française pour l’Avancement des
Sciences dans la mesure où ils sont les émanations de sociétés savantes ayant fait de la diffu-
sion des connaissances scientifiques leur principal credo. Enfin, afin de tenir compte de la pré-
dilection du discours de vulgarisation pour les sciences appliquées nous avons isolé les publi-
cations appartenant à ce vaste domaine (L’éclairage électrique, La lumière électrique ou le Bulletin
de la Société industrielle de Mulhouse). Ainsi sur un total de 82 titres de revues, seuls 25 ont été
retenus.
Henri Poincaré (1854-1912) : Des Mathématiques à la Philosophie 206
La Vulgarisation Scientifique
Suivant le critère que nous avons choisi, il est possible d’isoler au sein de l’œuvre poinca-
réienne un total de 97 travaux susceptibles de relever du genre de la vulgarisation scientifique
(soit environ 15% de l’ensemble considéré). Pour autant, un tel chiffre comporte une large part
d’incertitude : en effet, le critère que nous avons choisi est un critère externe dans le sens où
aucune considération sur le contenu réel des travaux concernés n’est prise en compte. De plus,
ce critère ne doit pas être pris dans un sens absolu car la distinction entre littérature primaire
et littérature secondaire fait parfois appel à des analyses hautement subjectives. Pour ces deux
raisons, il est possible que certains travaux de vulgarisation aient échappé au filtre que nous
avons tenté de construire (ce pourrait être le cas pour certaines notices biographiques publiées
dans les Comptes-rendus de l’Académie des Sciences et réutilisées pour composer Savants et écri-
vains). Néanmoins, malgré cet inconvénient, le mode de tri adopté recueille l’essentiel des
publications dans le domaine qui nous intéresse. Les 25 titres sélectionnés n’appartiennent pas
tous aux mêmes sphères disciplinaires et constituent un ensemble très hétérogène. Un tri
s’impose donc et à ce niveau la prise en compte des contenus a son importance. D’une manière
générale, on peut recenser quatre grandes catégories de publications : la presse quotidienne,
les livres et les préfaces de livres, les revues culturelles et littéraires et les revues scientifiques
générales.53 Décomposons notre corpus suivant cette classification et tentons de déterminer
dans quelle mesure les périodiques de ce corpus entretiennent des relations avec les genre de
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la vulgarisation scientifique.
1 – Presse quotidienne
Les publications appartenant à la presse quotidienne, régionale (L’Est Républicain) ou nationale
(Le Matin, L’Opinion, Le Temps) sont relativement peu nombreuses puisqu’on ne recense que 8
entrées (soit environ 8% du total, comme le montre le Tableau 1 ci-dessous). Cependant, elle
semble entretenir quelques relations avec le genre de la vulgarisation scientifique car les trois
articles publiés dans Le Matin portent explicitement sur la science : en mars 1907, suite à la
mort de Berthelot, Poincaré publie un article sur son œuvre54 ; il s’agit là d’un travail dicté par
les événements et les détails scientifiques sont volontairement réduits de manière à en rendre
la lecture accessible de tous. L’année suivante, Poincaré livrera à ce même journal deux impor-
tants articles, l’un sur la démarche scientifique en novembre et un autre sur le rôle de
l’inconscient dans l’invention mathématique.55 Journal à fort tirage, Le Matin touchait un large
lectorat et constituait un organe inespéré pour qui voulait diffuser ses idées. Poincaré était
dans une telle situation : ses idées novatrices sur le travail de l’inconscient dans le processus
de création mathématique devaient lui assurer une très grande renommée, non seulement
auprès des mathématiciens mais également auprès des acteurs d’une discipline en plein essor,
la psychologie.
Les autres textes recensés dans cette catégorie n’ont pas la même importance. Dans L’Opinion,
Poincaré publiera un texte sur la prépondérance politique du Midi dans lequel il donnera son
avis sur le découpage électoral du pays (dans ce même journal il donnera, par ailleurs, la pri-
meur de son texte sur « Les sciences et les humanités ») ; dans Le Temps, il jouera les reporters
en envoyant un rapport circonstancié sur les travaux du IVème congrès international de ma-
thématiques de Rome (avril 1908) et l’année suivante les colonnes de ce journal accueilleront
son discours prononcé lors de l’inauguration du monument dédié à l’écrivain Octave Gréard.
53 Cette décomposition correspond à une réalité mais pour certains travaux elle présente un caractère arbitraire : en effet,
certains ouvrages furent publiés à la fois dans des revues culturelles et littéraires et dans des revus scientifiques générales ; face à
ces multipublications (qui représentent environ 15% de notre corpus), nous avons tenté de déterminer quelle était la publication
originelle. La somme des différents tableaux proposés dans les quatre sections suivantes dépasse le nombre de 97. Ceci s’explique
par le fait que nous avons compté deux fois certains travaux de Poincaré qui furent publiés dans plusieurs catégories à la fois
(c’est-à-dire les multipublications).
54 [Poincaré 1907i]. Ce texte sera repris dans Savants et écrivains sans modifications majeures.
55 Respectivement, « Comment se fait la science ? » [Poincaré 1908r] et « Comment on invente ; le travail de l’inconscient »
[Poincaré 1908s].
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La Vulgarisation Scientifique
Enfin, L’Est Républicain reproduira un discours prononcé le 15 juin 1909 lors du Banquet de la
Société Amicale des Lorrains de Meurthe et Moselle.
Source Nombre d’items par revue
L’Opinion 2
L’Est Républicain 1
Le Temps 2
Le Matin 3
Total 8
Tableau 1 Presse quotidienne (nationale et régionale)
L’ensemble de ces contributions traduit une volonté manifeste d’exposer de manière accessi-
ble les problèmes scientifiques et de s’impliquer, en tant que scientifique, dans les grands
débats nationaux (en donnant par exemple son avis éclairé sur le découpage électoral). Ces 7
articles présentent la caractéristique frappante de se concentrer sur un intervalle de temps très
resserré, de 1907 à 1909. Une hypothèse peut expliquer cette soudaine volonté de visibilité
publique de la part d’un mathématicien habituellement peu attiré par les feux de la rampe :
désireux d’être élu à l’Académie Française, Poincaré avait probablement besoin de faire
connaître ses travaux en dehors de la sphère strictement scientifique ; la mort de Berthelot
libérait un fauteuil au sein de cette institution (la tradition voulant qu’un fauteuil soit toujours
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réservé à des scientifiques) et en rédigeant une notice sur ses travaux, Poincaré pouvait se
poser comme le candidat idéal à sa succession (le titre de l’article est d’ailleurs très parlant,
même s’il n’est probablement pas de Poincaré lui-même : « Le plus grand nom de la science
d’hier jugé par le plus grand nom de la science d’aujourd’hui »). Il postula donc sur le fauteuil
de Berthelot, jusqu’à que ses amis lui conseillent de reporter sa candidature sur le siège de
Sully-Prudhomme, également vacant suite à son décès. Un an après son article dans Le Matin,
le 5 mars 1908, Poincaré était élu à l’Académie Française au fauteuil de Sully-Prudhomme.
2 – Livres et préfaces
Cette catégorie représente 9 entrées, soit 9% de l’ensemble considéré (voir le Tableau 2 ci-
dessous). Une fois de plus, ces publications se concentrent sur une période tardive qui va de
1903 à 1912. Cette catégorie ne regroupe que deux véritables livres, à savoir Savants et écrivains
et Ce que disent les choses ; les autres items identifiés par Browder comme des livres constituent
en réalité de très courtes brochures publiées à l’occasion de cérémonies académiques ou insti-
tutionnelles : une conférence « Sur la part des polytechniciens dans l’œuvre scientifique du
XIXème siècle » prononcée en 1903 à la séance générale de l’Association des Anciens Élèves de
l’École Polytechnique, une autre sur « Le libre examen en matière scientifique » prononcée en
1910 à Bruxelles, pour les fêtes jubilaires de l’Université de Bruxelles, ou un discours de récep-
tion destiné au membres de l’expédition en Antarctique dirigée par le docteur J. Charcot en
1910.56 Ces discours officiels exaltent les valeurs positives véhiculées par la science et
s’apparentent d’une manière ou d’une autre au genre de la vulgarisation scientifique, même si
les auditeurs concernés disposaient souvent d’un solide bagage scientifique. En effet, ces con-
férences furent prononcées respectivement devant un parterre de polytechniciens, devant une
assemblée d’universitaires et devant une assemblée de personnalités académiques et politi-
ques (Émile Picard, Édmond Perrier et le Ministre de l’Instruction Publique Maurice Faure).
Savants et écrivains et Ce que disent les choses constituent deux exemples beaucoup plus purs du
large spectre parcouru par la vulgarisation poincaréienne, nous aurons à y revenir.
Cependant, plus encore que tous ces textes, les préfaces que Poincaré rédigea pour certains
auteurs attestent d’un désir évident de communication avec le grand-public et de mise en
œuvre d’une approche sociale et didactique de la science. En 1908, Poincaré rédige une préface
pour le livre de Devaux-Charbonnel, L’état actuel de la science électrique, un ouvrage de sciences
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57 [Poincaré 1908o].
58 Voir [Vessillier 1909], page V.
59 Un gage qui se trouve d’ailleurs doublé puisque la caution d’Émile Borel s’ajoute à celle de Poincaré : « Je viens de parcourir
les épreuves que vous m’avez communiquées, et j’ai été intéressé par vos ingénieux calculs. Mais ce que je pourrais dire à leur
égard serait trop technique pour vos lecteurs, et il ne m’est pas possible d’écrire une Préface, où je ne pourrais que répéter ce que
j’ai déjà écrit bien des fois, après bien d’autres mathématiciens, en particulier après mes maîtres Bertrand et Poincaré : la ruine
des joueurs est fatale ; certaines manières de jouer peuvent peut-être la hâter : aucune ne peut l’empêcher ». [Vessillier 1909], page
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La Vulgarisation Scientifique
Foi et vie 2
Revue du mois 3
Mémoires de l’Institut 7
Total 18
Tableau 3 Revues littéraires et culturelles
Deux remarques s’imposent à propos de cette catégorie : d’une part, Poincaré ne semble pas
avoir été un collaborateur régulier de ces revues ; comme le montre le Tableau 3 ci-dessus, les
travaux recensés ici sont le plus souvent des collaborations exceptionnelles et seules trois re-
vues semblent sortir du lot : la revue catholique Foi et vie (car Boutroux en était un collabora-
teur régulier)60, la Revue du Mois (car elle était dirigée par son disciple et ami Émile Borel) et les
Mémoires de l’Institut, Académie des Sciences et Académie Française obligent. D’autre part,
l’ensemble des travaux recensés ici est relativement hétéroclite puisqu’on y trouve pêle-mêle
des discours de remise de prix (« Sur la nécessité de la culture scientifique » prononcé devant
les élèves du Lycée Henri IV en 1909), des textes de vulgarisation élémentaire (la conférence
sur « La télégraphie sans fil » prononcée en février 1909 dans une école de jeunes filles), des
travaux sur l’élévation morale (la conférence « Sur la vérité scientifique et sur la vérité mo-
rale » prononcée en 1903 devant l’Association des étudiants de Paris, ou la conférence Foi et vie
de 1910 intitulée « La morale et la science »), des rapports institutionnels (les quatre rapports
sur la Fondation Jean Debrousse), des notices biographiques (par exemple les notices sur A.
Cornu ou Hyppolyte Langlois), ainsi que des textes de très haute vulgarisation (« Les fonde-
ments de la géométrie »). Tout l’éventail de la production poincaréienne semble par consé-
quent représenté ici.
4 – Revues scientifiques générales
Enfin, une dernière catégorie, intitulée « Revues scientifiques générales » comprend à elle
seule 63 entrées (soit 66% de l’ensemble du corpus). Jusqu’à présent, les titres que nous avons
analysés (hormis les livres et les préfaces) n’entretenaient que peu de rapports avec la science :
ils accueillirent effectivement des travaux de Poincaré, certains rédigés dans une perspective
de vulgarisation scientifique, mais le plus souvent à titre exceptionnel car les chroniques scien-
tifiques ne constituaient pas leurs domaines de prédilection. Avec cette quatrième catégorie,
VII. Cet ouvrage n’a pas été pris en compte dans notre corpus car il fait état d’une correspondance et non d’un article proprement
dit.
60 Concernant l’histoire de la revue Foi et vie on pourra se reporter à l’article d’André Encrevé, « Paul Doumergue et la fonda-
tion de La foi et la vie » publié dans le numéro du centenaire de Foi et vie [Encrevé 1998].
Henri Poincaré (1854-1912) : Des Mathématiques à la Philosophie 210
La Vulgarisation Scientifique
en revanche, nous avons des revues spécifiquement consacrées à la diffusion des connaissan-
ces scientifiques, soit auprès du grand-public, soit auprès d’une communauté scientifique et
technique plus restreinte. La logique voudrait donc que ces revues contiennent l’essentiel de la
production poincaréienne dans le domaine de la vulgarisation. Voyons ce qu’il en est dans le
détail.
Source Nombre d’items par revue
Bulletin de la Société Industrielle de Mulhouse 1
Electrician 1
Revue des questions scientifiques 1
Comptes-rendus des sessions de l’Association Française pour 4
l’Avancement des Sciences
Revue scientifique 4
Bulletin de la Société Astronomique de France 6
La lumière électrique 8
Revue générale des sciences pures et appliquées 16
L’éclairage électrique 22
Total 63
Tableau 4 Revues scientifiques générales
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Le Tableau 4 ci-dessus donne le détail des revues concernées. Les quatre premiers titres ren-
voient à des collaborations occasionnelles qui ne sont pas forcément en relation avec la vulga-
risation : certes, dans le Bulletin de la Société Industrielle de Mulhouse Poincaré fit publier le texte
d’une conférence de vulgarisation sur les comètes (prononcée à Mulhouse en 1910) et, dans le
même esprit, les Comptes-rendus des sessions de l’Association française pour l’Avancement des
Sciences accueillirent en 1909 un texte exposant assez simplement les dernières avancées de la
mécanique (il s’agit du fameux texte sur « La mécanique nouvelle »). Cependant, les trois
autres textes publiés dans cette même revue constituent des travaux scientifiques primaires et
le texte publié dans la revue Electrician est tout sauf un texte de vulgarisation scientifique.
À ces collaborations ponctuelles viennent s’ajouter des collaborations régulières plus ou moins
longues avec des revues relativement célèbres : la Revue scientifique, le Bulletin de la Société
Astronomique de France, La lumière électrique, la Revue générale des sciences pures et appliquées et
L’éclairage électrique (56 entrées). Aucune de ces revues n’appartient au domaine de la vulgari-
sation générale pour le grand-public et seule la Revue scientifique se trouve référencée comme
revue de vulgarisation dans le livre dirigé par Bruno Beguet, La science pour tous : sur la vulgari-
sation scientifique en France de 1850 à 1914 (voir la note 15 page 187). Cependant, avec la Revue
générale des sciences pures et appliquées elle partage la caractéristique d’être une revue de haute
vulgarisation destinée principalement à un public de savants et de scientifiques : comme nous
le verrons plus tard, la ligne éditoriale de ces deux journaux est largement orientée vers la
satisfaction des désirs intellectuels des ‘gens du monde’ et, de manière symptomatique, c’est
en faveur d’un tel modèle de diffusion scientifique que Poincaré se prononcera en 1911. Dans
le même ordre d’idée, le Bulletin de la Société Astronomique de France s’avère également être une
publication élitiste : malgré le militantisme de son fondateur, Camille Flammarion la Société
Astronomique de France demeura un cercle relativement fermé et son bulletin – souvent très
technique – n’atteignit jamais de très forts tirages.
Pour en terminer avec cette catégorie, mentionnons le caractère particulier de la collaboration
de Poincaré avec les deux revues de sciences appliquées, La lumière électrique et L’éclairage
électrique. En effet, de 1895 à 1911, Poincaré ne publia pas moins de trente articles dans ces
deux périodiques destinés en priorité à des ingénieurs en électricité ainsi qu’à des électrotech-
niciens. L’histoire de ces deux revues serait à faire et fournirait sans doute de nombreuses
informations sur les relations entre science, technique et industrie au tournant du siècle. Tout
au plus nous est-il possible d’affirmer pour l’instant que ces deux revues émanaient d’une
même institution, l’Union des Syndicats de l’Électricité et que Poincaré était membre du Comi-
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La Vulgarisation Scientifique
té de Direction Scientifique des deux revues61 : il y côtoyait des collègues scientifiques recon-
nus comme Gabriel Lippmann (professeur à la Sorbonne), A. Cornu (professeur à l’École Poly-
technique), ou A. Potier (professeur à l’École des Mines). Il est également assuré qu’à partir de
1902 il devint professeur d’électricité théorique à l’École Professionnelle Supérieure des Postes
et des Télégraphes, à Paris. L’éclairage électrique se présente comme la ‘revue hebdomadaire des
transformations électriques – mécaniques – thermiques de l’énergie’ et La lumière électrique
comme la ‘revue hebdomadaire des applications de l’électricité’ ; dans l’une comme dans
l’autre, les articles sont le plus souvent très théoriques et mettent en œuvre un formalisme au
moins aussi important que dans des revues scientifiques primaires ; à ce titre, les contributions
de Poincaré sont particulièrement représentatives puisqu’il s’agit principalement de retrans-
criptions de ses cours d’électricité théorique (la plupart de ces articles sont d’ailleurs repro-
duits dans les Œuvres). Par conséquent, il semble justifié d’écarter ces publications de notre
corpus.
C – Élitisme et vulgarisation chez Poincaré
La constitution de ce corpus nous a permis d’isoler, au sein de l’ensemble des travaux de Poin-
caré, un sous-ensemble de publications secondaires qui ne visent pas spécifiquement la com-
munication de résultats scientifiques à l’intérieur de la communauté des praticiens de la
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science. Nous avons vu que le choix de certains critères en apparence évidents peut conduire à
des impasses : ainsi, en vertu de la prédilection de la vulgarisation scientifique pour les scien-
ces appliquées, il était naturel de retenir l’ensemble des titres de revues appartenant à ce do-
maine, ce qui nous a conduit à l’impasse de L’éclairage électrique et de La lumière électrique.
Néanmoins, il permet déjà de mettre en évidence les aspects les plus essentiels de la commu-
nication de Poincaré avec le grand-public : son intérêt pour la vulgarisation semble s’être
éveillé assez tardivement ; avant 1900, en effet, rares sont les textes publiés dans des revues
secondaires (si ce n’est ceux insérés dans la Revue générale des sciences pures et appliquées dès
1893) et ce n’est qu’après cette date que la courbe de progression accuse une très nette hausse
(voir le Graphique 9). Les pics importants qui surviennent dans les dix dernières années de la
vie de Poincaré attestent d’une popularité de plus en plus grande auprès du public et nous
avons émis l’hypothèse de l’existence d’une relation parfois utilitariste entre le mathématicien
et la presse (sans visibilité dans la presse nationale – et surtout parisienne – point d’entrée à
l’Académie Française !).
Cependant, au-delà de ce pragmatisme obligé (et somme toute limité) nous avons pu mettre à
jour les indices d’une politique stratifiée en matière de diffusion des sciences : à une vulgarisa-
tion scientifique basique (Ce que disent les choses) vient se juxtaposer une vulgarisation plus
soucieuse d’elle-même et plus exigeante quant à son public (les articles dans Le Matin ou dans
la Revue du mois, par exemple) ; et à ce second type de vulgarisation s’en ajoute un autre, en-
core plus élitiste et qui trouve son moyen d’expression dans des revues scientifiques générales
entretenant des rapports très restreints avec le grand-public (Revue générale des sciences pures et
appliquées, Revue scientifique). Ces trois strates n’ont pas la même importance.
61 À en juger d’après les informations recueillies sur la base de données Myriade, l’histoire de ces deux revues est relativement
complexe : en 1879 prit naissance une revue appelée Lumière électrique, qui en 1894 changea de nom pour s’appeler L’éclairage
électrique. Cette seconde revue perdura jusqu’en 1907, date à laquelle elle changea à nouveau de nom pour devenir La lumière
électrique (journal qui devait disparaître en 1916). Une précision s’impose : alors que L’éclairage électrique fut pendant longtemps
publié par l’éditeur scientifique Naud, La lumière électrique acquit, semble-t-il, une certaine indépendance car en 1911 ce périodi-
que était doté d’une infrastructure administrative et employait un rédacteur en chef (R. Chasseriaud, ancien élève de l’École
Polytechnique et de l’École Supérieure d’Électricité).
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La Vulgarisation Scientifique
10
que deux travaux dans ce domaine : d’une part, une conférence sur la télégraphie sans fil pro-
noncée devant les élèves d’une école de jeunes filles en 1909. D’autre part, un livre d’initiation
scientifique destiné aux élèves du primaire, rédigé en collaboration avec d’autres auteurs en
1912, et intitulé Ce que disent les choses. Ce dernier ouvrage est souvent cité en exemple par les
commentateurs comme le paradigme de la vulgarisation scientifique poincaréienne ; c’est
vraisemblablement une erreur de jugement dans la mesure où il constitue une entité à part
dans la vulgarisation poincaréienne. Une analyse de détail s’impose pour ces deux textes.
Le premier février 1909, Poincaré prononce une conférence sur la télégraphie sans fil devant
une assemblée de jeunes étudiantes. Cette conférence est organisée par l’Université des Anna-
les, qui était probablement une institution informelle se consacrant à l’éducation des jeunes
filles (rappelons que l’enseignement féminin ne devait être assimilé à l’enseignement masculin
qu’à la suite du décret Léon Bérard du 25 mars 1924).63 Dans sa conférence, Poincaré tente
d’exposer le plus clairement possible les derniers progrès de la télégraphie sans fil ; c’est un
domaine des sciences appliquées qui se trouve doté d’un fort pouvoir d’évocation, dans la
mesure où il bouleverse les habitudes sociales. Pour expliquer la transmission des ondes hert-
ziennes dans l’air, il construit une analogie avec la lumière et il tente ensuite d’anticiper des
objections possibles : si les signaux hertziens sont de la lumière pourquoi ne les voyons-nous
pas ? Cette question lui permet d’introduire la notion de longueur d’onde (qu’il compare à la
notion d’octave en musique). Si les signaux hertziens sont de la lumière, ils devraient être
arrêtés comme la lumière par les obstacles ? Cette question lui permet d’expliquer que la tra-
jectoire des rayons lumineux n’est qu’approximativement rectiligne et que la notion d’obstacle
doit nécessairement être relativisée. Tout au long de son allocution, Poincaré multipliera de la
sorte analogies et métaphores de manière à faciliter l’assimilation des concepts qui fondent la
télégraphie sans fil. Ainsi, pour expliquer que l’électricité ne peut traverser l’air et que malgré
cela des courants peuvent y naître, il emploie une comparaison quelque peu grossière :
62 Ce graphique ne tient pas compte des articles publiés dans L’Éclairage électrique et dans La lumière électrique.
63 Nous manquons d’informations sur l’Université des Annales. Cette université organisait, semble-t-il, très peu de conférences
à caractère scientifique, et elle consacrait l’essentiel de son enseignement à la littérature : la plupart des intervenants réguliers
étaient des hommes de Lettres ou occupaient des fauteuils à l’Académie Française (Jean Richepin, Maurice Barrès, Jules Lemaître,
Jules Clarétie). Seule la lecture de son journal permet d’avoir un aperçu de ses activités. Manifestement, cette université organisait
des cycles de conférences mondaines ainsi que des cours ; ces enseignements étaient uniquement destinés à un public de jeunes
filles et les programmes correspondaient à l’idée que l’on se faisait de la culture obligatoire d’une dame : poésie, histoire de la
musique, histoire de la littérature, édification morale, couture, etc. étaient au programme de cette université parallèle qui suivait
un calendrier scolaire et qui chaque année délivrait des diplômes d’honneur. Placé sous le patronage de Jules Richepin, le Journal
de l’Université des Annales paraissait deux fois par mois et publiait les divers cours et conférences, ainsi que les informations
relatives à l’organisation des enseignements.
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Supposez une chèvre attachée par une corde à un piquet, dans un pâturage ; cette chèvre ne
pourra pas voir beaucoup de pays, mais elle pourra se donner beaucoup de mouvement.
L’électricité dans l’air est tout à fait dans la situation de cette chèvre.64
Une fois ces considérations théoriques énoncées, Poincaré se lance alors dans une démonstra-
tion grandeur nature de télégraphie. Dans la salle de conférence, M. Carpentier (membre de
l’Institut) et le Commandant Ferrié65 ont installé un appareil complet de télégraphie sans fil et
les expériences consistent à transmettre des messages d’une bout de la pièce à l’autre. Sa
conférence se termine par des considérations sur les avantages et les inconvénients de cette
nouvelle méthode de communication : la télégraphie a bien-sûr une utilité dans le domaine
militaire (Poincaré cite en exemple la récente campagne de Casablanca) et dans le domaine
maritime (sauvetage des naufragés en mer). Cependant, ses faiblesses sont encore nombreuses
et appellent de nombreux perfectionnements (amélioration des antennes, passage à la télé-
phonie sans fil, etc.).
Il est important de remarquer que cette conférence était accompagnée de projections lumineu-
ses (elles sont reproduites dans le Journal de l’université des Annales) : les auditrices pouvaient
ainsi découvrir le poste de télégraphie au sommet de la Tour Eiffel, un poste militaire au Ma-
roc, un portrait du Commandant Ferrié ou les signaux de l’alphabet Morse. Ce recours à
l’image est exceptionnel chez Poincaré et atteste de sa volonté d’illustrer la science qui se fait,
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intuitive à ses propos : ainsi, pour expliquer l’immensité du monde, il imagine un géant telle-
ment grand que la Terre ne lui apparaisse pas plus grande qu’un petit pois ; pour lui, le Soleil
ne sera qu’une immense citrouille et la Lune « sera comme un petit grain de riz qui décrira
autour de la Terre un petit cercle deux fois comme la main ».68 Dans la même veine, pour ex-
pliquer les lois de la pesanteur et les théories de Newton, Poincaré met en scène un dialogue
entre un instituteur et deux de ses élèves, Pierre et Jacques ; très habilement, ce dialogue ima-
ginaire passe de la constatation de phénomènes communs (la chute des objets vers le bas) à
des considérations plus élevées sur les mouvements des planètes et sur l’attraction universelle.
Le maître.– Mais je vous demande bien pardon ; si vous regardiez dans le Ciel, vous y ver-
riez une grosse pomme, une pomme énorme qui fait le tour de la Terre, c’est la Lune.
Jacques.– Alors c’est parce qu’elle est lancée très vite qu’elle ne tombe pas sur la Terre.
Le maître.– Précisément, tout à fait comme la pomme dont nous parlions tout à l’heure.
Pierre.– Mais est-ce qu’elle va assez vite pour cela ? Vous nous avez dit qu’il faudrait que la
pomme fut lancée assez fort pour faire le tour en une heure et demie, tandis que la Lune
met près d’un mois.
Le maître.– […] La Lune étant plus loin du centre de la Terre que notre pomme sera moins
attirée, elle aura moins tendance à tomber ; il suffira donc, pour qu’elle ne tombe pas,
qu’elle ait une vitesse moins grande.69
Les contributions de Poincaré témoignent d’un sens pédagogique certain ; il semble vouloir
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appliquer les recettes qu’il avait tenté de formaliser dans ses articles sur la pédagogie des
sciences : faire voir les choses à l’aide d’exemples simples, partir du concret pour introduire
progressivement les notions abstraites. De fait, la vulgarisation poincaréienne entretient des
liens étroits avec la pédagogie et elle s’insère au sein d’un vaste débat autour des réformes du
mode d’enseignement des sciences (nous aborderons ces sujets dans le prochain chapitre).
Revue d’ouverture sur le monde, Au seuil de la vie a également pour projet d’ouvrir les jeunes
citoyens à la perception de leurs responsabilités futures. Ainsi, dans Ce que demande la cité
Raymond Poincaré exalte les valeurs de la République libérale, preuve indirecte que derrière
les projets de vulgarisation se cachent souvent des projets d’édification morale ou politique :
Que de préjugés n’y-a-t-il pas à dissiper. Les Français sont presque toujours tentés de re-
garder l’État comme une sorte de providence qui détiendrait les remèdes pour tous les
maux. Un État distributeur de secours, de subventions, de primes, voilà l’idéal qui hante
l’esprit d’une multitude de nos compatriotes. Regrettable disposition qui déprime les carac-
tères et énerve les volontés. Aidez-vous d’abord, mes amis, l’État, qui n’est pas le ciel, vous
aidera ensuite, s’il le peut.70
Ces deux contributions de Poincaré constituent des exceptions au sein de l’œuvre poinca-
réienne : l’effort de reformulation des concepts, le travail du style, le choix des métaphores et
la place accordée aux illustrations concourent à rapprocher ces deux travaux du paradigme
classique défini par les grands vulgarisateurs.
2 – La vulgarisation pour adultes : une tension entre simplicité et élitisme
L’essentiel de l’œuvre de popularisation poincaréienne s’adresse avant tout à un public
d’adultes. Dans les dix dernières années de sa vie, Poincaré prononça en effet un grand nom-
bre de conférences pour des publics hétérogènes. Ces conférences de vulgarisation occupent
une large place dans son œuvre mais elles présentent une particularité marquante : en aucun
cas il ne s’agit d’une vulgarisation pour public ignorant, en aucun cas il n’est question de com-
bler les lacunes d’un auditoire populaire. Au contraire, ces conférences s’adressent toujours à
écrira pour Ce que disent les choses un très étrange article sur « La division du travail entre les deux sexes dans la nature », et
Poincaré n’hésitera pas à utiliser des métaphores militaires assez lourdes dans « En regardant tomber une pomme » : « Je suppose
que l’ennemi soit en AB (fig. 3) et que vous le croyiez plus loin en A’B’ ; vous visez donc le point B’ ; si vous vous servez d’un
vieux fusil Gras, votre balle suivra la trajectoire CMB’ et passera au-dessus de la tête de l’ennemi en A. Si vous tirez avec un fusil
Lebel, dont la trajectoire est moins courbée, plus tendue, votre balle suivra la courbe CNB et frappera l’ennemi en pleine poitrine.
Pourquoi ? Parce que les nouvelles poudres lancent les balles plus vite que les anciennes ». [Poincaré 1912e], page 8
Henri Poincaré (1854-1912) : Des Mathématiques à la Philosophie 215
La Vulgarisation Scientifique
était ouverte à toute personne s’intéressant à l’astronomie et elle organisait régulièrement des
conférences publiques. Les articles de Poincaré sur « La grandeur de l’astronomie » ou sur
« Les progrès de l’astronomie en 1901 », publiés dans le Bulletin de la Société Astronomique de
France, sont en fait les transcriptions de conférences données lors des assemblées générales
annuelles dans la grande salle de l’Hôtel des Sociétés Savantes. De telles assemblées attiraient
un important public comme en témoigne ce compte rendu de l’Assemblée de 1903 :
La dix-septième Assemblée générale annuelle de la Société astronomique de France a eu
lieu, au milieu d’une affluence d’auditeurs, le mercredi 6 mai dernier, dans la grande salle
de l’Hôtel des Sociétés savantes, sous la présidence de M. H. Poincaré, membre de l’Institut,
président de la Société, assisté de M. M. Janssen, membre de l’Institut, directeur de
l’Observatoire de Meudon, ancien président de la Société, nommé président d’honneur en
cette séance. [...] La grande salle des Sociétés Savantes s’est montrée de nouveau beaucoup
trop étroite pour contenir la foule des auditeurs, dont un grand nombre n’avait pu trouver
de place. On s’y pressait pour entendre M. H. Poincaré sur la grandeur de l’Astronomie et
M. C. Flammarion sur la Terre et l’Homme dans l’Univers. Ce discours et cette conférence,
73
souvent applaudis et très appréciés….
Les conférences de Poincaré devant la Société sont des conférences d’initiation, elles tentent de
faire le point sur l’état des connaissances dans des domaines astronomiques bien circonscrits :
les formules mathématiques en sont quasiment absentes et les développements sont accompa-
gnés de projections lumineuses (images de la voie lactée dans l’hémisphère boréal, photogra-
phies de la grande Nébuleuse d’Andromède ou de la Nébuleuse en spirale des Chiens de
Chasse, etc.). En revanche, Poincaré n’emploie pas de métaphores ou d’analogies, il ne met pas
en scène son discours en inventant personnages et situations ; simplement il tente de dépouil-
ler les théories qu’il expose de leur couverture formelle. C’est donc une vulgarisation plus
soucieuse d’elle-même qu’il met en œuvre.
Cependant, malgré l’affluence occasionnée par ces conférences, le public concerné s’avère en
réalité relativement restreint ; en effet, Poincaré s’adresse principalement aux sociétaires de la
Société Astronomique de France et aux lecteurs du Bulletin de la Société Astronomique de France.
Or, d’après un compte-rendu annuel d’activité daté du 31 décembre 1903, la Société revendi-
71 Il s’agit de l’article 1 des statuts de la Société astronomique de France, Bulletin de la Société astronomique de France, (janvier
1903), page 1.
72 Nous n’avons pu retrouver aucune trace de correspondance entre Poincaré et Flammarion. Les papiers de Flammarion sont
conservés par la Société Astronomique de France dans son observatoire de Juvisy, mais aucun classement n’a pour l’heure été
effectué ; il ne fait aucun doute que l’exploration de ces archives donnerait des résultats intéressants.
73 Bulletin de la Société Astronomique de France, (1903), page 249.
Henri Poincaré (1854-1912) : Des Mathématiques à la Philosophie 216
La Vulgarisation Scientifique
que un effectif total de 2910 membres. Dans le meilleur des cas, cette revue devait avoir un
tirage qui n’excédait pas les 3000 exemplaires, son lectorat étant majoritairement constitué des
sociétaires puisqu’ils étaient automatiquement abonnés au Bulletin (on comptait de plus 418
personnes abonnées au Bulletin sans être sociétaires).74 De plus, ces 3000 sociétaires occupaient
des positions sociales élevées : les membres étaient avant tout fonctionnaires, commerçants,
notables ou universitaires et ils bénéficiaient pour la plupart d’un bagage scientifique mini-
mal. Enfin, le Bulletin lui-même ne se présentait pas comme une simple revue de vulgarisa-
tion : les articles qu’il publiait étaient souvent très complexes puisqu’ils étaient destinés à des
astronomes amateurs possédant un bagage conséquent en astronomie.
La Revue du mois constitue un exemple encore plus général de cette tension entre la simplicité
du discours et l’élitisme qui prévaut à sa diffusion. Il s’agit en fait d’une revue générale por-
tant sur l’actualité politique, littéraire et scientifique. Malgré son caractère généraliste, le lecto-
rat visé explicitement était celui de la petite bourgeoisie cultivée et des universitaires. Ainsi,
on peut lire sur la couverture de son premier numéro (10 janvier 1906) que « la Revue du Mois
est une revue de libre discussion. La rédaction laisse aux auteurs toute liberté et accueille tou-
tes les opinions ayant une base scientifique ».75 Par ailleurs, sur un prospectus publicitaire daté
de 1911, on peut également lire :
La Revue du Mois, qui est entrée en janvier 1911 dans sa sixième année, suit avec attention
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dans toutes les parties du savoir le mouvement des idées. Rédigée par des spécialistes émi-
nents, elle a pour objet de tenir sérieusement au courant tous les esprits cultivés. Dans les ar-
ticles de fond aussi nombreux que variés, elle dégage les résultats les plus généraux et les
plus intéressants de chaque ordre de recherches, ceux qu’on ne peut ni ne doit ignorer.
Dans des notes plus courtes, elle fait place aux discussions ; elle signale et critique les arti-
cles de Revues, les livres qui méritent intérêt.76
Ces quelques lignes montrent que cette revue s’adressait essentiellement à une communauté
de gens cultivé : universitaires, avocats, hommes politiques. Certes on ne peut nier sa volonté
de promouvoir les découvertes scientifiques les plus récentes et de contribuer à la constitution
d’une culture scientifique générale, mais elle ne confère pas une dimension universaliste à ce
projet, puisqu’elle préfère s’adresser à un public cultivé.
3 – Le modèle d’une vulgarisation scientifique de haut niveau
Si on recherche la forme la plus essentielle de la vulgarisation poincaréienne, c’est probable-
ment à la Revue scientifique et à la Revue générale des sciences pures et appliquées qu’il faut
s’intéresser. C’est en effet dans la vingtaine de collaborations qu’il apporta à ces deux périodi-
ques que se dévoile sa conception élitiste de la diffusion des sciences. Comme nous l’avons vu,
il est patent que Poincaré ne fit que de très rares incursions dans la presse destinée au grand-
public et qu’il se cantonna le plus souvent à des revues au tirage limité, dont le lectorat était
principalement constitué par ses paires... La vulgarisation poincaréienne dans la presse, de
quelque nature qu’elle soit, ne fut donc pas un phénomène de masse : un examen attentif de la
longue liste que nous avons pu dresser nous révèle ainsi qu’elle contient très peu de titres
ayant eu une chance de toucher un large public. Les noms de revues aussi populaires que, par
exemple, La revue des deux mondes ou La nature n’y apparaissent pas. Les titres de journaux
quotidiens y sont également rares puisqu’on ne trouve que L’Opinion, Le Temps, Le Matin et
L’Est Républicain.
pouvait trouver, en 1911, des personnalités reconnues du monde universitaire et scientifique comme Paul Langevin ou Jean
Perrin.
Henri Poincaré (1854-1912) : Des Mathématiques à la Philosophie 217
La Vulgarisation Scientifique
La Revue scientifique est une revue de haute vulgarisation scientifique, destinée à un public
possédant une culture scientifique considérable. La Revue générale des sciences pures et appli-
quées présente approximativement les mêmes caractéristiques. En 1896, Poincaré publie dans
cette dernière un article consacré aux rayons X et intitulé « Les rayons cathodiques et les
rayons de Röntgen77 ; ce texte, abondamment illustré de reproductions de radiographies, a
pour objectif de présenter d’une manière claire et agréable les expériences effectuées sur cette
nouvelle espèce de rayonnement. Il ne fait aucun doute qu’il s’agit d’un texte de vulgarisation.
Certes, mais pour quel public ? Probablement celui d’une revue affichant la volonté de per-
mettre aux scientifiques venant de différents domaines de communiquer entre eux. Le but
poursuivi par cette revue est bel et bien la diffusion des sciences, mais uniquement auprès
d’un public de scientifiques désireux de connaître les progrès réalisés dans les autres discipli-
nes scientifiques. En effet, aux traditionnels comptes rendus des séances de l’Académie des
Sciences viennent s’ajouter des échos sur les séances des académies scientifiques étrangères et
des comptes rendus de livres, pour la plupart publiés dans les grandes maisons d’édition
scientifiques (Gauthier-Villars, Carré et Naud, la Société d’éditions scientifiques, etc.).
Fondées en 1863 par l’éditeur Baillière, sur l’initiative d’Odysse Barrot, la Revue des cours litté-
raires de la France et de l’étranger et la Revue des cours scientifiques étaient initialement destinées à
un public relativement restreint et se proposaient de publier certains cours du Collège de
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France et de la Sorbonne, ou des conférences savantes.78 En 1871, Eugène Yung et Émile Al-
gave prirent la direction de ces revues, leur donnèrent leurs titres définitifs (Revue politique et
littéraire ou Revue bleue et Revue scientifique ou Revue rose) et tracèrent une ligne éditoriale plus
générale. Au fil des ans, la Revue bleue devint un journal littéraire et politique d’inspiration
libérale destinée à un public cultivé composé de fonctionnaires et de professeurs ; elle
s’entoura de collaborateurs réputés comme Paul Bourget, Maupassant ou Tourgueniev, et elle
fit très souvent de l’ombre à sa concurrente directe, la très mondaine Revue des deux mondes.79
Moins touchée par la concurrence, la Revue scientifique était quasiment seule dans sa catégorie
(avec la Revue générale des sciences pures et appliquées). Elle fut dirigée pendant de nombreuses
années (probablement de 1884 à 1902) par le physiologiste Charles Richet, eugéniste convain-
cu et fervent vulgarisateur. Par la suite, cependant, la ligne éditoriale de la revue s’orienta
plutôt vers une forme d’élitisme. Sur la page de garde d’un numéro de la Revue bleue de 1904,
on pouvait ainsi découvrir cette nouvelle ligne éditoriale :
Le docteur Toulouse80, Médecin en chef de l’Asile de Villejuif, Directeur à l’École des Hau-
tes études, a pris la direction de la Rédaction de la Revue scientifique (Revue rose). Il compte
donner une plus grande place aux recherches expérimentales de toutes les Sciences, y com-
pris les Sciences Psychologiques et Sociologiques, dans la mesure où elles se rapprochent
des autres par des méthodes plus rigoureuses. L’exposé de ces recherches expérimentales,
ainsi que les articles de conceptions générales faits par des personnalités marquantes, des
revues scientifiques ou de grande information scientifique sur des questions d’actualité et
des mémoires originaux, constitueront les principales rubriques hebdomadaires.
Outre le fait que Toulouse entendait tenir compte de la constitution récente de nouvelles scien-
ces, ce qui frappe, c’est la volonté élitiste qu’il semblait afficher. Alors que la plupart des re-
vues de vulgarisation de l’époque affirmaient sans-cesse leur volonté d’être lues par le plus
grand nombre, la Revue rose revendiquait une plus grande spécialisation ; cette revendication
77 [Poincaré 1896s].
78 Pour plus de détails sur l’histoire de ces deux revues, voir à ce sujet l’article d’Anne Rasmussen sur la Revue bleue dans le
Dictionnaire des intellectuels français publié en 1996 sous la direction de Jacques Julliard et Michel Winock [Rasmussen 1996].
79 « L’orientation universitaire de la Revue bleue se confirma dans les années 1890, après la mort de Yung, sous la direction de
l’historien et temporaire ministre de l'instruction publique Alfred Rambaud, un proche de Lavisse, puis sous la conduite d’Henri
Ferrari. La Revue bleue était solidement établie dans ses positions académiques et faisait figure de revue sérieuse, donnant ‘au-
dience aux compétences’. Ainsi, par exemple, dans le domaine philosophique, elle était la revue non spécialisée qui jouait le plus
grand rôle pour informer le public de l’actualité philosophique, à laquelle l’écrivain Paul Gaultier consacra une rubrique à partir
de 1909. Bergson fit d’ailleurs durablement partie des proches ». [Rasmussen 1996], page 968.
80 Toulouse fut l’auteur d’une Enquête médico-psychologique sur la supériorité intellectuelle : Henri Poincaré [Toulouse 1910]. Bien
que publié en 1910, ce livre se base sur une enquête menée vers la fin des années 1890.
Henri Poincaré (1854-1912) : Des Mathématiques à la Philosophie 218
La Vulgarisation Scientifique
mais plutôt de rendre certains concepts nouveaux accessibles à un public déjà largement em-
preint de connaissances scientifiques.
Dans ce contexte, l’éloge fait par Poincaré à la Revue scientifique est particulièrement significa-
tif. En 1911, il rédigea en effet une préface pour le livre de J. Lux, Histoire de deux revues françai-
ses, un ouvrage retraçant le parcours des deux revues-sœurs, la Revue rose et la Revue bleue. Ce
livre était probablement destiné à préparer la célébration du cinquantième anniversaire des
deux périodiques (qui devait avoir lieu en 1912).82 Poincaré fait d’abord remarquer que
l’apport principal des deux revues fut principalement de chercher à effacer le fossé entre les
Lettres et les Sciences :
Quand les deux revues firent leur apparition il y a une quarantaine d’années, elles appor-
taient une idée nouvelle. Un fossé profond séparait, à cette époque, les hommes que les let-
tres charmaient et ceux que passionnait la recherche de la vérité scientifique. Les chefs de
l’Université, en instituant la bifurcation semblaient l’avoir rendue plus infranchissable en-
core. Cet isolement était une faiblesse et un danger ; les deux Revues allaient chercher à le
faire cesser ; et, sous leurs deux drapeaux alliés, le bleu et le rose, elles allaient combattre
côte à côte pour la même cause.83
Paradoxalement, ce fossé doit son existence à l’accroissement des découvertes dans les diffé-
rents domaines de recherche intellectuelle : l’étendue des connaissances humaines est telle
qu’il est désormais impossible aux savants de tout embrasser. Poincaré utilise la métaphore du
voyage pour décrire cette situation et il décrit les différentes disciplines intellectuelles comme
autant de villes-frontières vivant en autarcie.84 La division du travail a certainement contribué
au progrès industriel et scientifique mais elle présente l’effet pervers d’isoler les différents
acteurs de la recherche. Dans cette préface Poincaré saisit l’occasion de répéter sa conviction
81 Elle contient des comptes rendus de livres qui semblent pour la plupart être particulièrement spécialisés : Nineteenth Annual
Report of the Bureau of Animal Industry, The Physiology of Plants (numéro du 13 février 1904) ; A Treatise upon the Metabolism and
Sources of Energy in Plants (numéro du 6 février 1904).
82 En 1912, un grand banquet réunira un grand nombre de personnalités pour fêter le cinquantenaire des deux revues : Barrès,
Richepin, Régnier, Picard, Perrier, Appell, Boutroux, Bergson, Bourgeois, Painlevé, etc. La date exacte de ce banquet nous est
inconnue ; il est cependant probable qu’il eut lieu après la mort de Poincaré (soit après le mois de juillet 1912) car il ne figure pas
parmi les convives.
83 [Poincaré 1911k], page 5.
84 « C’est l’étendue même de nos conquêtes qui créait cet isolement ; tout embrasser dépassait les forces d’un homme, et force
était à chacun de nous de se cantonner chez lui ; les voyages étaient trop difficiles, parce qu’on avait trop de pays à traverser.
Aujourd’hui ce serait bien autre chose ; nous n’aurions plus seulement deux contrées étrangères l’une à l’autre et séparées par
une sévère ligne de douanes ; dans chacune des deux contrées, il y aurait une quantité de petites villes dont les habitants ne
pourraient pas sortir, parce qu’ils auraient trop à faire chez eux et qui seraient les unes pour les autres d’éternelles inconnues ».
[Poincaré 1911k], page 5.
Henri Poincaré (1854-1912) : Des Mathématiques à la Philosophie 219
La Vulgarisation Scientifique
profonde de la nécessité d’un dialogue entre la science et la culture littéraire car « celui qui
voudrait cultiver exclusivement l’une d’elles serait un esprit incomplet et bientôt un esprit
faux ». Un tel dialogue est rendu possible par des revues comme la Revue bleue ou la Revue
rose, qui jouent pour le savant le rôle du chemin de fer pour le voyageur : les chemins de fer
permettent de se rendre rapidement d’un endroit à l’autre, et les revues autorisent une acqui-
sition rapide et aisée de connaissances nouvelles. Grâce à elles, le savant (Poincaré ne parle
pas du grand-public) n’est plus isolé dans sa tour d’ivoire, il peut comprendre et participer à
la vie des autres disciplines.
Ces Chemins de Fer, ce sont les Revues. Le savant a travaillé toute la journée, et pour cela il
a bien fallu qu’il reste dans sa petite ville ; mais le soir est venu, il s’assoit au coin de son
feu, il coupe sa Revue Bleue ou sa Revue Rose et voilà son esprit qui voyage ; en quelques
heures il va de l’Histoire à la Littérature, de celle-ci à la Physique, à l’Histoire Naturelle ou
à la Médecine. Sans doute ces voyages sont un peu rapides, il ne voit que l’essentiel des
choses ; mais comme il a de bons guides, il en voit l’essentiel. Les voyages que l’on fait en
chemin de fer ne sont peut-être pas aussi instructifs que ceux qu’on faisait autrefois en
chaise de poste, parce que les paysages défilent trop vite devant les portières. Et cependant
nos contemporains connaissent sans doute mieux le monde que leurs devanciers, qui en
avaient bien vu un petit coin. L’agence Cook a ses défauts, mais il n’en faut pas trop mé-
dire. Les connaissances acquises à la hâte dans une Revue ne sont pas non plus inutiles ; el-
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les nous apportent l’air du dehors ; elles nous rafraîchissent et nous rendent plus dispos et
plus forts pour la tâche de demain.85
4 – Bilan
L’analyse de notre corpus confirme la difficulté qu’il y a à appréhender précisément la vulga-
risation poincaréienne : bien que difficilement distinguable de l’ensemble de son œuvre, la
vulgarisation poincaréienne existe. Cependant, hormis quelques exceptions, cette vulgarisa-
tion prend une forme distinguée et élevée. Elle est celle d’un scientifique de haut niveau, placé
face à des responsabilités académiques ou officielles : ses textes de vulgarisation sont très
rarement des textes rédigés ad hoc pour des revues, ce sont plutôt des transcriptions de confé-
rences prononcées à l’occasion de célébrations officielles et publiques. La volonté de vulgarisa-
tion préside bien à leur rédaction, mais cette nécessaire adaptation du style et du propos se
trouve atténuée par l’origine mondaine de l’auditoire de ces conférences. Poincaré vulgarise
pour les représentants du gouvernement, pour les personnalités officielles, pour ses collègues
de la communauté universitaire et pour les ‘gens du monde’ ; visiblement, il ne sort que très
rarement de la sphère sociale et intellectuelle dans laquelle il évolue habituellement et il
s’adresse le plus souvent à ses collègues.86
La manière dont Poincaré aborde la diffusion des sciences vient finalement confirmer les criti-
ques de la vulgarisation que nous énoncions précédemment (voir la section page 191), no-
tamment l’idée que la vulgarisation ne tend pas à atténuer le fossé entre les scientifiques et le
grand-public, dans la mesure où elle s’adresse principalement à un auditoire possédant déjà
des connaissances scientifiques. Cependant, cette pratique élitiste de la vulgarisation n’est pas
occultée chez Poincaré par une profession de foi universaliste et encyclopédiste ; bien au
contraire, elle est explicitement revendiquée. Sur ce point là, du moins, la position poinca-
réienne ne présente aucune ambiguïté. D’ailleurs, en matière de publication, il semble plutôt
que, dépassé par le nombre de ses obligations, il s’intéressait peu au devenir de ses textes une
fois qu’ils étaient rédigés. La citation suivante d’Émile Borel fournit ainsi un indice sur les
pratiques éditoriales de Poincaré :
Le souci d’économiser son temps se manifestait dans les plus petits détails. C’est ainsi
qu’un jour où je lui demandais un tirage à part d’un de ses Mémoires, il me dit : ‘Je ne fais
plus faire de tirages à part, car c’était ma femme qui les envoyait et, depuis que nous avons
des enfants, elle n’en a plus le loisir’. En me remettant les épreuves d’un article qu’il avait
bien voulu écrire pour la Revue du mois, il me dit : ‘Bien entendu, je n’ai corrigé que les fau-
tes qui trahissaient ma pensée : c’est l’affaire des imprimeurs et des secrétaires de rédaction
de découvrir les fautes typographiques ; je ne perds jamais mon temps à les corriger même
si je les aperçois’.87
Il est patent que Poincaré fit peu d’incursions en dehors du cercle de cette presse spécialisée, et
toutes les hypothèses concernant les motivations de ce choix sont donc permises : s’agissait-il
d’un choix véritable ou bien se laissait-il guider par ses relations au sein des comités de rédac-
tion ? Sur ce point, il est difficile de conclure. On sait par exemple qu’il entretenait des rela-
tions très étroites avec Borel, et il est probable ce sont certainement ces relations, plus qu’une
quelconque éthique de la diffusion des sciences, qui déterminèrent sa collaboration à la Revue
du Mois. De même, Poincaré entretenait un si grand nombre de relations avec le monde de la
recherche scientifique et universitaire qu’il lui était vraisemblablement plus aisé de publier
dans la presse spécialisée que dans la presse généraliste.
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Une question se pose à présent : quels domaines de la science Poincaré vulgarise-t-il principa-
lement ? La biologie, la physique ou l’astronomie se prêtent bien à la vulgarisation car ce sont
des disciplines qui renvoient à des interrogations fondamentales que chacun se pose à un
moment ou un autre : qu’est-ce que la vie et la mort ? Qu’est-ce que la matière ? Sommes-nous
seuls dans l’univers ? Les sciences appliquées et l’industrie se prêtent également bien à être
vulgarisées car les découvertes de ces deux domaines entraînent très souvent des modifica-
tions au sein de la société. À l’inverse, les sciences ‘pures’ comme les mathématiques ou la
logique se prêtent difficilement à un discours vulgarisation car elles ne disposent pas d’un
capital suffisant dans l’imaginaire collectif. Comme la plupart des vulgarisateurs, Poincaré
choisit le plus souvent des sujets dotés d’une certaine charge imaginaire ou susceptibles
d’éveiller des questionnements dans l’esprit du public. Ainsi, dans une conférence prononcée
au sein de la Société Industrielle de Mulhouse, Poincaré prend le prétexte du retour de la co-
mète de Halley pour tordre le cou aux superstitions de toutes sortes qui s’attachent à ce phé-
nomène astronomique.88 Dans le même esprit, il publie en 1911 dans la Revue du mois un article
sur les hypothèses cosmogoniques, dans lequel il tente de faire le point des connaissances sur
l’origine des corps célestes.89 Mentionnons pour finir l’ensemble des allocutions prononcées à
la Société Astronomique de France qui contiennent de nombreuses envolées lyriques et méta-
physiques ; ainsi, cet exemple tiré de « Grandeur de l’astronomie » :
Les astres sont des laboratoires grandioses, des creusets gigantesques, comme aucun chi-
miste ne pourrait en rêver. […] Leur seul défaut, c’est d’être un peu loin : mais le télescope
va les rapprocher de nous, et alors nous verrons comment la matière s’y comporte. Quelle
bonne fortune pour le physicien et le chimiste ! […] Peut-être même les astres nous appren-
dront-ils un jour quelque chose sur la vie ; cela semble un rêve insensé, et je ne vois pas du
tout comment il pourrait se réaliser ; mais, il y a cent ans, la chimie des astres n’aurait-elle
pas paru un rêve insensé ?90
En revanche, notre corpus de vulgarisation ne recense pas de travaux consacrés aux mathéma-
tiques ou à la logique. Nous reviendrons sur ce point.
Pour conclure, une dernière question doit être posée : le ralliement de Poincaré à une concep-
tion élitiste de la vulgarisation scientifique signifie-t-il qu’il n’entretenait aucune relation avec
la communauté des vulgarisateurs ? Quelques éléments de réponse ont déjà été avancés.
D’une part, il est avéré que Poincaré entretenait des relations avec l’Abbé Moreux, directeur
de l’observatoire de Bourges et grande figure de la vulgarisation de l’entre-deux-guerres.91
D’autre part, tout comme son père, Poincaré était membre de l’Association Française pour
l’Avancement des Sciences (il y avait adhéré en 1881) mais ne participait guère à ses activités
puisque son nom n’apparaît pas dans les listes des participants aux congrès annuels, sauf dans
celles des congrès de Nancy (1886) et de Paris (1889, à l’occasion de l’exposition universelle).92
Comme nous l’avons mentionné, par ailleurs, le mathématicien était en très bons termes avec
Camille Flammarion. En sa qualité de vice-président, puis de président, de la Société Astro-
nomique de France, Poincaré apporta sa collaboration à de multiples manifestations : le 8
janvier 1902, lors d’une séance de la Société, le vulgarisateur Wilfrid de Fonvielle proposait de
réitérer l’expérience du pendule de Foucault au Panthéon. Les premiers essais eurent lieu le 30
juin de la même année et c’est finalement Poincaré devait inaugurer cette manifestation le 22
octobre en accueillant officiellement le Ministre de l’Instruction Publique. Cette expérience,
ouverte au public les jeudis et les dimanches rencontrera un vif succès et il est probable que
c’est à sa suite que prit naissance une controverse nationale sur la rotation de la Terre.93 Deux
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ans plus tard, le 21 juin 1904, on retrouve Poincaré au sommet de la Tour Eiffel parmi les con-
vives d’une très mondaine fête du Soleil organisée par la Société Astronomique de France, sur
l’initiative de Wilfrid de Fonvielle : Gustave Eiffel avait accepté de mettre le dernier étage de
la Tour à la disposition du public et bien des scientifiques s’étaient donné rendez-vous pour
célébrer le solstice d’été (Gabriel Lippmann, Roland Bonaparte, Lœwy, Bischoffsheim, De-
slandres, Secretan, etc.).94
Poincaré et Flammarion se rencontraient régulièrement et débattaient ensemble de philoso-
phie. Dans un hommage rédigé en 1912, Flammarion devait faire par exemple le récit de quel-
ques-unes de leurs discussions.95 Il semble que Poincaré ne participa jamais au multiples séan-
91 Fondateur de la collection Pour comprendre, Moreux raconte, dans son livre Pour comprendre Einstein (Paris : Douin, 1922), ses
souvenirs de discussion avec Poincaré autour du principe de relativité. Moreux écrit ainsi : « Henri Poincaré m’en avait parlé
plusieurs fois [du principe de relativité] lorsque nous arpentions, certains soirs, la rue de Médicis qui longe le jardin du Luxem-
bourg. Plus tard, bien plus tard, il lui consacra des pages dans sa Valeur de la science ; il faut les relire et se pénétrer aussi de ses
idées sur les notions de simultanéité, sur le mouvement relatif et le mouvement absolu, dans La science et l’hypothèse, avant
d’aborder les théories actuelles de la Relativité ». Cité d’après [Mawhin 1995], page 9.
92 Fondée juste après la défaite de 1870 et reconnue d’utilité publique en 1885 par le Ministre de l’Instruction Publique, cette
association se proposait de participer au relèvement de la France en fédérant autour d’elle une communauté scientifique élargie.
Les articles I et II de ses statuts énonçaient très clairement la tâche de diffusion scientifique à laquelle elle s’astreignait : « Article
premier.– L’Association se propose exclusivement de favoriser, par tous les moyens en son pouvoir, le progrès et la diffusion des
sciences, au double point de vue du perfectionnement de la théorie pure et du développement des applications scientifiques. À
cet effet, elle exerce son action par des réunions, des conférences, des publications, des dons en instruments ou en argent aux
personnes travaillant à des recherches ou entreprises scientifiques qu’elle aurait provoquées ou approuvées. Article second.– Elle
fait appel au concours de tous ceux qui considèrent la culture des sciences comme nécessaire à la grandeur et à la prospérité du
pays ». (« Statuts et règlements », Comptes-rendus de l’Association Française pour l’Avancement des Sciences 36 (1907), page III).
Remarquons, qu’il ne s’agissait pas à proprement parler d’une association dévolue à la vulgarisation scientifique pour le grand-
public : les membres de l’Association Française pour l’Avancement des Sciences (ils étaient entre 3000 et 4500) provenaient des
couches supérieures de la société puisqu’on trouvait majoritairement dans ses rangs des universitaires, des membres de l’Institut,
des professeurs et des membres des professions libérales (la liste des membres était publiée chaque année dans les Comptes-rendus
de l’association). La lecture des comptes-rendus vient confirmer cette idée : en effet, si l’idéal libérateur de la science se trouvait
bel et bien affirmé sur la page de couverture (la revue avait pour devise « Par la science, pour la patrie ») l’exploration des tables
des matières et du contenu des articles montre clairement qu’ils n’étaient que très rarement destinés au grand-public ; pour s’en
rendre compte, il suffit de consulter les quatre articles publiés par Poincaré entre 1881 et 1910 : trois d’entre eux portent sur des
questions complexes de mathématiques (les formes quadratiques ou l’équation de Fredholm ou les invariants arithmétiques).
L’Association Française pour l’Avancement des Sciences était plutôt une société savante destinée à fédérer les représentants des
diverses disciplines scientifiques.
93 Pour plus de détails sur cet épisode, [De La Cotardière / Fuentes 1994], voir 290-297.
94 Pour plus de détails sur cet événement, voir [De La Cotardière / Fuentes 1994], pages 297-303.
95 « Lors d’une longue déambulation improvisée en une rencontre un beau jour d’été, de l’Odéon à la rue Claude Bernard, de
cette rue à l’Odéon et de nouveau de l’Odéon à son domicile, conversation d’une heure et demie environ qui s’arrêta sans
qu’aucun de nous ait pu sentir sa conviction modifiée […] ». [Flammarion 1912b], cité d’après [Mawhin 1995], page 5.
Henri Poincaré (1854-1912) : Des Mathématiques à la Philosophie 222
La Vulgarisation Scientifique
ces spirites de Flammarion, mais il n’en demeure pas moins qu’il formula une opinion favora-
ble à l’étude scientifique de ce type de phénomène dans sa conférence sur « Le libre examen
en matière scientifique ».96 Enfin, peu de temps avant sa mort, à l’occasion du jubilé scientifi-
que de Flammarion, Poincaré devait prononcer un bel éloge de son œuvre de vulgarisation.
Devant une assistance composée de personnalités diverses, il célébra le poète des étoiles et il
loua une pratique de la vulgarisation fort éloignée de la sienne :
Il est venu un poète qui a su décrire les paysages des cieux, les faire aimer de ceux qui ne
les connaissent pas ou de ceux qui ne savaient pas bien les regarder ; ce poète, c’est Camille
Flammarion. Il chante, et les solitudes célestes s’animent ; les astres ne sont plus des points
mathématiques obéissant passivement aux équations différentielles, ce sont des mondes,
parés de magnifiques couleurs, où l’on s’agite, où l’on vit et où l’on aime. L’immensité sans
bornes de l’espace n’est plus une grandiose uniformité, c’est une variété riche et imprévue
où chaque pas nous réserve quelque surprise nouvelle. […]
Les profanes eux-mêmes se passionnent ; les femmes du monde se croient revenues au
temps de Fontenelle, l’enthousiasme est contagieux ; la chaleur des banquets n’est pas seule
communicative ; la flamme qu’allume l’amour du beau, l’amour du vrai, l’éloquence d’un
orateur convaincu, ne réchauffe pas moins les âmes et ne se propage pas moins vite. Aussi
les adeptes affluent, tous veulent lire, tous veulent l’entendre, et après l’avoir entendu, tous
veulent voyager avec lui vers les régions dont il a fait entrevoir la splendeur.97
tel-00137859, version 1 - 22 Mar 2007
96 [Poincaré 1910t].
97 [Poincaré 1912q]. Assistaient à cette cérémonie, Henri Deslandres, directeur de l’observatoire de Meudon, Benjamin Baillaud
et Puiseux de l’observatoire de Paris, Roland Bonaparte, Albert Gauthier-Villars, Gaston Calmette (directeur du Figaro), Raymond
Poincaré, Gabriel Lippmann, Charles Richet, Adolphe Brisson, Camille Saint-Saëns, et d’autres… Pour plus de détails sur cette
cérémonie, cf. [De La Cotardière / Fuentes 1994], pages 309-313.
98 [Appell 1925], pages 76-77.
Henri Poincaré (1854-1912) : Des Mathématiques à la Philosophie 223
La Vulgarisation Scientifique
sait, comme on l’a vu, de nombreux contacts au sein de la communauté scientifique et philo-
sophique. Cependant, ceux-ci ne permettaient certainement d’accroître son capital de prestige
qu’auprès des représentants d’un cercle restreint d’intellectuels et de penseurs. Avec Le Bon et
sa conception novatrice de l’édition, une perspective de diffusion plus large devait s’ouvrir et
lui permettre de toucher un lectorat plus ‘populaire’. Comme le remarque Jean-Louis Fabiani :
Il introduisit dans l’édition philosophique un style nouveau, fondé sur le succès rapide, ce
qui impliquait certains critères spécifiques : lecture aisée, thèmes attrayants, généralités,
vastes fresques, constitution d’événements intellectuels. Le Bon fut notamment un des
grands artisans de l’idée selon laquelle une ‘révolution intellectuelle’ avait eu lieu au tour-
nant du siècle autour du conventionnalisme. Il constituait donc les éléments d’une espèce
de sensationnalisme philosophique propre à susciter l’intérêt d’un large public.99
Directeur d’une collection populaire, Le Bon se devait d’atteindre la rentabilité. Il institua ainsi
une sorte de sensationnalisme philosophique afin de dynamiser les ventes et de renvoyer vers
le public de la Bibliothèque de Philosophie Scientifique l’image d’une collection ouverte sur
les nouvelles théories et sur l’avenir. De fait, même s’il est relativement difficile d’apprécier
l’impact réel de son intervention, il reprit lui-même dans divers articles (publiés notamment
dans L’Opinion et dans la Revue scientifique) les thèmes du conventionnalisme, de la valeur de
la science ou du pragmatisme, apportant ainsi (volontairement) de l’eau au moulin de Poinca-
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ré.100 Le mathématicien ne pouvait qu’en être satisfait puisqu’il voyait ses conceptions
s’imposer ; Le Bon et Flammarion, de leur côté, ne pouvaient pas se plaindre puisque la répu-
tation et l’équilibre financier de leur collection se trouvaient du même coup assurés. Enfin,
d’un point de vue plus politique (voire idéologique) une personnalité aussi marquée à droite
que Le Bon pouvait retrouver dans les thèses conventionnalistes certains thèmes conformes à
l’idéologie qu’il prônait…
Sans l’intervention de Le Bon et sans son savoir-faire commercial et éditorial, la diffusion des
thèses philosophiques de Poincaré aurait été probablement limitée à une sphère restreinte de
spécialistes, composée des lecteurs de la Revue de métaphysique et de morale, du Bulletin de la
Société Mathématique de France ou de la Revue générale des sciences pures et appliquées. D’ailleurs,
au moment de l’élection de Poincaré à l’Académie Française en 1908, Le Bon devait revenir sur
les circonstances de la composition des ouvrages du mathématicien en des termes sans équi-
voques :
Henri Poincaré est le plus éminent et le plus illustre des savants français actuels, il est aussi
le plus profond des philosophes. Il y a quelques années à peine, le public qui le connaissait
uniquement comme célèbre mathématicien, l’admirait de confiance sans avoir jamais lu une
seule ligne de lui. De ses idées philosophiques on ne savait rien car elles étaient disséminées
dans de grands ouvrages de mathématiques pures n’ayant pour lecteurs que des spécialis-
99 [Fabiani 1988], page 110. Voir également [Nye R. 1975], page 97 : « Le Bon himself played a role in the elaboration of the
central concepts of conventionalism. It was at Lebon’s suggestion and encouragement that his friend Henri Poincaré published
his La science et l’hypothèse in Lebon’s collection at Flammarion. Impressed with Poincaré’s new theories, Le Bon devoted two
articles to an elaboration of the new revisionist theories in the philosophy of science, including the contributions of the Germans
Heinrich Hertz and Hermann von Helmholtz, and the Austrian Ernst Mach. He concluded that science could only function as a
series of conventions which provisionally explains aggregates of facts. He underscored the purely utilitarian nature of hypothesis
in shedding light on other areas of scientific endeavour and especially emphasized the role of theory-makers whose syntheses
achieved a provisional basis for further speculation and experiment ».
100 On consultera par exemple les articles suivants de Le Bon : « L’édification scientifique de la connaissance », [Le Bon 1908d],
« Les vérités encore inaccessibles et les formes ignorées de la connaissance », [Le Bon 1914b], « Les mystères de la vie » [Le Bon
1914c], ainsi que « Brelan d’académiciens : Henri Poincaré », [Le Bon 1908e]. Dans ce dernier article, Le Bon fera part de son
enthousiasme pour la pensée de Poincaré en des termes sans équivoques et il ‘thématisera’ assez précisément ce qui, plus tard,
deviendra le conventionnalisme : « Ce sont évidemment les idées philosophiques de Poincaré qui déterminèrent en grande partie le
succès de ses livres. Mais ce qui semble avoir frappé davantage le public, c’est de voir un aussi illustre géomètre démontrer que
les mathématiques considérées généralement comme des vérités absolues n’avaient qu’une valeur de convention choisie uni-
quement pour sa commodité. Notre géométrie usuelle est la plus commode de celles qu’on pouvait choisir, mais on pouvait en
choisir une infinité d’autres tout à fait différentes et parfois même contraires. Ce principe de la commodité, Poincaré l’applique à
toutes les sciences et surtout à l’explication des phénomènes. Après avoir formulé, dit-il, une interprétation d’un phénomène, on
pourrait en trouver beaucoup d’autres. évidemment, il n’y en a peut-être qu’une de complète, mais elle nous est inconnue parce
que nous pouvons atteindre seulement des relations établies artificiellement entre les choses et n’avons pu découvrir encore la
raison première d’un seul phénomène, fût-il aussi simple que la chute d’une pierre ». [Le Bon, 1908e], page 13.
Henri Poincaré (1854-1912) : Des Mathématiques à la Philosophie 224
La Vulgarisation Scientifique
tes. Je fus assez heureux pour le décider à formuler l’ensemble de ses doctrines dans deux
petits volumes de la bibliothèque de Philosophie Scientifique que je dirige. Le premier de ces
ouvrages, La science et l’hypothèse, eut un succès immense, succès un peu imprévu, car cet
ouvrage de haute science n’est pas d’une lecture toujours facile. Ce premier volume fut
bientôt suivi d’un second, La valeur de la science, dont le succès ne fut pas moins considéra-
ble.101
Sans la publication de ces ouvrages, les idées poincaréiennes n’auraient vraisemblablement
pas été plébiscitées par le grand public et l’on n’aurait pas assisté à des situations comme celle
décrite par E. T. Bell dans son livre Les grands mathématiciens.102
Au premier abord, le succès remporté par les livres philosophiques de Poincaré ne paraît pas
poser de difficulté : on peut en effet supposer que grâce à ses compétences littéraires, le ma-
thématicien parvint à rendre accessibles au plus grand nombre les concepts philosophiques les
plus abscons. Ses trois ouvrages publiés dans la Bibliothèque de Philosophie Scientifique
pourraient ainsi être considérés comme les pièces maîtresses de son œuvre de vulgarisation
dans la mesure où les forts tirages coïncident avec un plébiscite clair du public. Une telle ex-
plication présente le mérite de ‘sauver les phénomènes’ mais s’avère beaucoup trop simpliste.
En premier lieu parce que nous espérons avoir montré dans la partie philosophique de ce
travail et dans notre analyse de la notion de vulgarisation que ces ouvrages se laissent diffici-
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lement enfermer dans une catégorie aussi ambivalente. En second lieu, parce que des chiffres
de vente énormes ne garantissent pas que les livres sont compris ou même lus : pour employer
une image ensembliste, il est clair que la classe des lecteurs de la Critique de la raison pure est
largement inférieure à celle des possesseurs de l’ouvrage (et nous ne parlons même pas de la
classe de ceux qui la comprennent) ; d’ailleurs, dans la perspective d’un capitalisme d’édition,
l’essentiel est que les livres se vendent, non qu’ils soient lus (sauf peut-être par les critiques).
L’air du temps, les phénomènes de mode peuvent conditionner le destin des productions
culturelles, tout comme les sautes d’humeur irrationnelles du public. Enfin et surtout, cette
explication est par trop réductrice pour la simple raison que Poincaré ne semble guère s’être
préoccupé d’adapter le contenu de ses ouvrages pour le grand public. En effet, comme nous
l’indiquions succinctement dans le chapitre précédent, le mathématicien rassembla en recueil
diverses publications – dont un grand nombre provenaient de périodiques scientifiques ‘pri-
maires’ – sans faire de grands efforts pour adapter la forme et le fond à un lecteur-moyen
potentiel. En d’autres termes, si Poincaré ne s’est guère soucié de vulgariser ses conceptions
auprès du grand public, le succès de ses livres trouve son origine dans un plus large faisceau
de raisons.
Au final, la situation est relativement paradoxale : comment expliquer l’attirance du public
pour les ouvrages de Poincaré ? Est-elle liée à un intérêt profond et objectif pour les questions
qui y sont abordées ou bien s’agit-il d’un simple phénomène de mode, conformément à ce que
laissait entendre la citation de Bell ? Le succès public des ouvrages philosophiques de Poincaré
ne repose-t-il pas sur un quiproquo fondamental autour de l’idée de vulgarisation ? De quelle
manière les conceptions philosophiques du mathématicien furent-elles comprises ? Peut-on
101 [Le Bon 1908e], page 13. Accueillant Poincaré à L’Académie Française, Frédéric Masson formula également ce constat : « Ces
deux volumes [La science et l’hypothèse et La valeur de la science] où vous avez réuni certaines préfaces de vos livres scientifiques et
divers articles publiés dans des revues, ont attiré un public peu sollicité d’ordinaire par de tels ouvrages : alors qu’ils ne sem-
blaient accessibles qu’à des hommes ayant reçu une instruction spéciale et ayant, par un exercice journalier, contracté des habitu-
des d’esprit auxquelles se dérobaient les générations autrement cultivées, et ils ont remporté un succès qu’on eût cru réservé aux
romans scandaleux ». Cité dans [Kantor 1987/88], page 118.
102 [Bell 1950], pages 562-563 : « Les côtés philosophiques de la science et des mathématiques l’ont sans doute profondément
intéressé de tous temps, mais c’est seulement en 1902, alors que sa supériorité de mathématicien technique était établie sans
conteste, qu’il s’est attaché accessoirement à ce qu’on peut nommer l’appel des mathématiques pour le grand public et qu’il a mis
un véritable enthousiasme à faire partager aux non professionnels le sens et l’importance humaine de son sujet. Là sa préférence
pour le général aux dépens du particulier l’a aidé à faire connaître aux profanes intelligents (sic), sans fatiguer son auditoire, ce
qui, en mathématiques, a plus qu’une importance technique. Il y a vingt ou trente ans, on pouvait voir à Paris, dans les jardins
publics, dans les cafés, des ouvriers et des midinettes, lire avidement telle ou telle œuvre maîtresse de Poincaré dans des brochu-
res populaires bon marché aux couvertures aisées ; on trouvait également les mêmes œuvres, sous des reliures plus riches, mais
dont les pages avaient été sans conteste souvent feuilletées, sur les tables des gens cultivés ».
Henri Poincaré (1854-1912) : Des Mathématiques à la Philosophie 225
La Vulgarisation Scientifique
envisager l’idée d’un malentendu entre Poincaré et son public ? Cette dernière section tentera
d’apporter des éléments de réponse à ces questions. Elle devrait nous permettre de compren-
dre ce jugement de Paul Appell :
Ces ouvrages ont été traduits dans toutes les langues. En France, ils ont été lus avec avidité
dans tous les milieux sociaux, même et cela est particulièrement à signaler, dans les milieux
mondains, qui cependant ne pouvaient pas y comprendre grand-chose ; pour s’intéresser à
la géométrie non-euclidienne, il faut savoir au moins la géométrie euclidienne…103
Pour parvenir à cette fin nous suivrons trois étapes : dans un premier temps nous nous inté-
resserons à la provenance exacte des différents chapitres de La science et l’hypothèse, La valeur de
la science, Science et méthode et Dernières pensées. Dans un second temps, nous porterons notre
attention sur quelques controverses qui accompagnèrent la réception de ces différents ouvra-
ges ; enfin nous conclurons ce chapitre en étudiant l’histoire de la publication avortée du vo-
lume V des œuvres philosophiques de Poincaré.
A – Écritures et réécritures
Comme nous l’avons mentionné à plusieurs reprises, les quatre volumes de la Bibliothèque de
Philosophie Scientifique ne furent pas rédigés ad hoc mais constituent des recueils d’articles. À
cela rien d’étonnant : à l’époque de Poincaré cette pratique consistant à rassembler divers
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travaux dans un même volume était relativement courante. Ce qui est plus étonnant en revan-
che c’est que les livres de Poincaré sont en réalité des recueils de textes ‘déguisés’. Que l’on
considère par exemple l’introduction de La science et l’hypothèse. Ce texte de quelques pages
annonce le plan général de l’ouvrage, mais à aucun moment Poincaré n’aborde la question de
l’origine des différents chapitres. Il fera de même dans La valeur de la science. En revanche,
dans Science et méthode, Poincaré précisera tout de même que son livre réunit « diverses études
qui se rapportent plus ou moins directement à des questions de méthodologie scientifique ».104
Dernières pensées constitue un cas à part : composé en 1913 par les héritiers du mathématicien,
l’ouvrage comporte un avertissement explicite de Le Bon :
Sous ce titre Dernières pensées, nous réunissons ici divers articles et conférences que M. Hen-
ri Poincaré destinait lui-même à former le quatrième volume de ses ouvrages de philoso-
phie scientifique. Tous les précédents avaient déjà parus dans cette collection.105
Le Bon précise d’ailleurs que si Poincaré avait lui-même supervisé ce quatrième volume, il
aurait « modifié certains détails, fait disparaître quelques répétitions » ; il laisse ainsi entendre
que les précédents volumes ont bénéficiés d’un travail de relecture et de réécriture. C’est ce
travail que nous allons maintenant tenter de caractériser.
1 – Origines des ouvrages de la Bibliothèque de Philosophie Scientifique
La typologie des périodiques établie précédemment peut nous nous fournir un premier angle
d’approche pour les ouvrages de la Bibliothèque de Philosophie Scientifique. Une distinction
simple peut donner une idée de la nature et de la complexité des textes ayant servi de maté-
riaux pour les différents chapitres : dans les tableaux suivants nous distinguerons en effet les
revues primaires des revues secondaires : le terme de ‘primaire’ renvoie à des publications
scientifiques destinées à une minorité de spécialistes ; nous y incluons les revues philosophi-
ques comme la Revue de métaphysique et de morale ou The Monist dans la mesure où leur public
privilégié est essentiellement composé d’universitaires. Le terme ‘secondaire’ fait référence à
un large spectre de publications qui va de littérature grise (haute vulgarisation) aux revues
littéraires et mondaines.
La science et l’hypothèse reprend au total une quinzaine d’articles publiés dans un intervalle
d’une douzaine d’années, de 1889 à 1901 (voir Tableau 5 ci-dessous). Les origines des articles
sont diverses puisqu’on trouve aussi bien des préfaces d’ouvrages scientifiques que des arti-
cles tirés de la Revue de métaphysique et de morale. Le travail d’adaptation effectué par Poincaré
semble assez inégal : si les chapitres IX et X reprennent, sans vraiment le modifier, le contenu
d’un seul et même article, d’autres chapitres, comme le chapitre V, ont été constitués à partir
de plusieurs sources ce qui rend extrêmement difficile l’analyse des modifications.
Chapitres Articles utilisés
Première partie – Le nombre et la grandeur
Chapitre I « Sur la nature du raisonnement mathématique », Revue de métaphysique et de
morale [1894p].
Chapitre II « Le continu mathématique », Revue de métaphysique et de morale [1893g].
« Correspondance sur les géométries non euclidiennes », Revue générale des
sciences pures et appliquées [1892k].
Deuxième partie – L’espace
Chapitre III « Les géométries non euclidiennes », Revue générale des sciences pures et appliquées
[1891o].
Chapitre IV « L’espace et la géométrie », Revue de métaphysique et de morale [1895o].
Chapitre V « Les géométries non euclidiennes », Revue générale des sciences pures et appliquées
[1891o] ;
« Des fondements de la géométrie, à propos d’un livre de M. Russell », Revue de
métaphysique et de morale [1899m] ;
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Si on analyse maintenant la provenance des articles utilisés pour composer les chapitres du
livre, on s’aperçoit que la majorité d’entre eux fut publiée dans des revues dites ‘primaires’. Le
partage entre publications ‘primaires’ et ‘littérature grise’ se fait en effet dans un rapport de
treize contre cinq (voir Tableau 6 ci-dessous). Ce premier opus tire sa matière d’un ensemble
de textes originairement publiés dans une presse très spécialisée (Revue de métaphysique et de
morale, ouvrages scientifiques généraux, revues étrangères) ; n’apparaissent ainsi que deux
106 Ce tableau, ainsi que le suivant, tire ses informations de l’annexe intitulée « Sources des œuvres philosophiques de Poinca-
ré ». Cette annexe se propose, dans la mesure du possible, de retrouver la trace de tous les chapitres des ouvrages philosophiques
de Poincaré. Elle reprend et corrige les informations données par Jules Vuillemin dans les préfaces de La science et l’hypothèse
(1968) et de La valeur de la science (1970). On pourra la consulter page 399.
Henri Poincaré (1854-1912) : Des Mathématiques à la Philosophie 227
La Vulgarisation Scientifique
périodiques de (haute) vulgarisation (la Revue générale des sciences pures et appliquées et la Revue
scientifique) pour un total de cinq entrées.107
Revues primaires Revues secondaires
Revue de métaphysique et de morale 5 Revue générale des sciences pures et 4
appliquées
Théorie mathématique de la lumière 1 Revue scientifique 1
(préface)
Électricité et optique (préface) 1
Thermodynamique (préface) 1
Rapports du Congrès International de 1
Physique
Bibliothèque du Congrès International 1
de Philosophie
The Monist 2
Atheneum 1
Total 13 Total 5
Nombre d’articles concernés 18
107 Le total des revues (18) est supérieur au nombre d’articles effectivement utilisés pour composer les chapitres (15) car nous
avons tenu compte des multipublications : ainsi l’article de 1900 « Les relations entre la physique expérimentale et la physique
mathématique » [Poincaré 1900l] apparaît trois fois puisqu’il fut successivement publié dans les Rapports du Congrès international
de physique, dans la Revue générale des sciences pures et appliquées et dans la Revue scientifique. Ce phénomène se répète dans les
tableaux suivants. Ce mode de calcul nous semble le plus apte à rendre compte des pratiques éditoriales de Poincaré.
Henri Poincaré (1854-1912) : Des Mathématiques à la Philosophie 228
La Vulgarisation Scientifique
En revanche, le constat reste le même quant à la nature des articles utilisés (Tableau 8) : ils
proviennent majoritairement de revues spécialisées comme la Revue de métaphysique et de mo-
rale, The Monist ou le Bulletin des sciences mathématiques et deux d’entre eux sont même issus
d’actes de congrès mathématiques internationaux (les congrès de Zurich et de Paris en 1897 et
1900). Seules deux entrées, sur un total de dix, concernent la catégorie des publications se-
condaires.
Revues primaires Revues secondaires
Revue de métaphysique et de morale 3 Revue générale des sciences pures et 1
appliquées
Compte-rendu du deuxième Congrès 1 Bulletin de la Société Astronomique de 1
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Enfin, d’après les informations que nous avons pu recueillir, Science et méthode semble tirer la
matière de ses quatorze chapitres d’une douzaine d’articles différents. L’article « La dynami-
que de l’électron » vient à lui seul combler l’ensemble du troisième livre, les autres livres étant
constitués d’une façon plus conventionnelle à partir de publications individuelles. Notons
cependant que le chapitre IV trouve son origine dans deux articles consacrés aux relations
entre les mathématiques et la logique. Nous reviendrons sur ce point.
Chapitres Articles utilisés
Livre I – Le savant et la science
Chapitre I The Choice of Facts », The Monist [1909o].108
Chapitre II « L’avenir des mathématiques », Atti IV Congr. Internaz. Matematici, Roma, 11
Aprile 1908 [1908m].
Chapitre III « L’invention mathématique », L’enseignement mathématique [1908t].
Chapitre IV « Le hasard », Revue du mois [1907h].
Livre II – Le raisonnement mathématique
Chapitre I « La relativité de l’espace », Année psychologique [1907g].
Chapitre II « Les définitions générales en mathématiques », L’enseignement mathématique
[1904j].
Chapitre III « Les mathématiques et la logique », Revue de métaphysique et de morale [1905n].
Chapitre IV « Les mathématiques et la logique », Revue de métaphysique et de morale [1905n] ;
« Les mathématiques et la logique », Revue de métaphysique et de morale [1906m].
Chapitre V « Les mathématiques et la logique », Revue de métaphysique et de morale [1906n].
108 Pour plus d’informations sur cette date postérieure de un an à la publication de Science et méthode nous renvoyons à
Science et méthode marque une évolution notable par rapport aux ouvrages précédents dans la
mesure où le rapport entre origines primaires et secondaires s’équilibre autour d’un rapport
de onze à sept (Tableau 10) ; cette situation s’explique en partie par la popularité du mathéma-
ticien autour de 1908, popularité qui se traduit par une forte demande des revues et, donc, par
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De cette simple analyse, il ressort que 70% des articles insérés dans les trois ouvrages de la
Bibliothèque de Philosophie Scientifique avaient été initialement publiés dans des revues
spécialisées. Si on y ajoute les résultats de l’analyse de Dernières pensées, le rapport passe à
66% ; enfin, si on ajoute encore les résultats obtenus pour Savants et écrivains, on obtient un
pourcentage final de 67%.109 Ce chiffre est l’indice manifeste d’une volonté d’ouverture de
Poincaré vers le grand public ; on peut penser, en effet, qu’en composant ses trois ouvrages, il
décida de présenter en priorité au public certains aspects peu connus de son travail. On re-
trouve là l’explication la plus répandue de la collaboration de Poincaré à une collection desti-
née au grand-public. Cependant la mise à disposition publique de travaux souvent complexes
semble avoir pour corollaire nécessaire la mise en place de procédures d’adaptation en vue de
leur assimilation. Or à ce niveau, un problème se pose. Certes, Poincaré tenta parfois d’adapter
certains de ses articles pour les rendre plus lisibles, cependant la proportion de ‘réécritures’ est
relativement faible en regard du nombre de textes considérés et bien souvent les articles origi-
109 Nous n’entrerons pas ici dans le détail de la composition de Savants et écrivains et de Dernières pensées : pour le premier
ouvrage parce qu’il ne fut pas publié dans la Bibliothèque de Philosophie Scientifique, pour le second parce qu’il ne fut pas
composé par Poincaré lui-même. On trouvera cependant en annexe une analyse détaillée des sources de ces deux ouvrages (voir
en particulier Tableau 11, Tableau 12, Tableau 13 et Tableau 14 de l’annexe page 399).
Henri Poincaré (1854-1912) : Des Mathématiques à la Philosophie 230
La Vulgarisation Scientifique
naux furent insérés sans recevoir aucune modification. Voyons ce qu’il en est exactement à
partir de quelques exemples.
2 – Les différents types d’adaptation
Raymond Pinchard, sénateur, maire de Nancy affirmait péremptoirement en 1954 que Poinca-
ré « avait l’art, par des comparaisons prises aux choses de la vie quotidienne, de faire toucher
du doigt en quelque sorte, de faire voir ‘avec les yeux’ les plus abstruses vérités ».110 Cette
définition du style de Poincaré semble parfaitement conforme à la réalité. Ses textes, souvent
très beaux, sont écrits dans un langage clair qui n’utilise que peu de vocabulaire technique.
Veut-il employer une expression technique ou faire référence à quelque formule mathémati-
que ? Il s’en excuse aussitôt :
Je vous demande pardon, je vais employer quelques expressions techniques ; mais elles ne
doivent pas vous effrayer, vous n’avez aucun besoin de les comprendre. Je dirai par exem-
ple : J’ai trouvé la démonstration de tel théorème dans telles circonstances ; ce théorème au-
ra un nom barbare, que beaucoup d’entre vous ne connaîtront pas, mais cela n’a aucune
importance ; ce qui est intéressant pour le psychologue, ce n’est pas le théorème, ce sont les
circonstances.111
Dans une correspondance inédite sur laquelle nous aurons à revenir, Léon Daum nous ap-
prend que son beau-père « évitait soigneusement les accumulations de formules dans les vo-
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lumes destinés au grand public ». Ce fait est indéniable : une comparaison détaillée des arti-
cles d’origine et des chapitres composés à partir d’eux permet de mettre en évidence un allé-
gement significatif du formalisme, voire sa disparition dans de nombreux cas. En voici quel-
ques exemples parmi d’autres.112 Le chapitre VIII de La science et l’hypothèse contient une re-
production partielle de la préface de La thermodynamique. Poincaré adapta ce texte très techni-
que pour le grand public en supprimant la plupart des formules qu’il contenait et en ajoutant
quelques phrases de transitions pour les paragraphes modifiés. Le texte original de la préface
était :
On admet alors que p de nos n paramètres varie d’une manière indépendante, de sorte que
nous avons seulement n − p relations, généralement linéaires, entre nos n paramètres et
leurs dérivées. Je les écrirai : Yi = X i.1 d x2 + X i.2 d x2 +...+ X i.n d xn = 0 ( i = 1, 2 ,... , n − p) . Suppo-
sons pour simplifier l’énoncé [...]113
Le texte ‘philosophique’ deviendra :
On admet alors que p de nos n paramètres varie d’une manière indépendante, de sorte que
nous avons seulement n − p relations, généralement linéaires, entre nos n paramètres et
leurs dérivées. Supposons pour simplifier l’énoncé [...].114
Il en est de même pour le chapitre XI de La science et l’hypothèse, qui reprend un article de la
Revue générale des sciences pures et appliquées sur le calcul des probabilités. La plupart des para-
graphes contenant des formules mathématiques dans l’article original se trouvent profondé-
ment simplifiés, de telle sorte que dans le livre de la Bibliothèque de Philosophie Scientifique,
seules quelques rares formules subsistent encore. Ainsi, alors que Poincaré écrivait initiale-
ment :
110 [Pinchard 1955], page 156. On pourrait ajouter, dans la même veine, ce jugement de Maurice Lemaire, ministre de la recons-
truction et du logement en 1954 : « Le style chez Henri Poincaré est simplement l’expression raisonnable d’une connaissance ; si
bien que le lecteur, même non compétent, s’il ne le comprend pas c’est qu’il ne fait pas l’effort élémentaire que requiert un
minimum d’attention en vue de comprendre n’importe qui. Renan affirmait que les ‘vrais savants écrivaient d’instinct un langage
châtié’. Combien les textes de Henri Poincaré lui donnent raison ! Ces textes où les mots sont autant de traits déliés, autant
d’évocations précises dont l’ensemble constitue, en définitive, un chef-d’œuvre d’harmonie ». [Lemaire 1955], pages 163-164.
111 Science et méthode, chapitre III, livre I [Poincaré 1908l]. De même, dans le chapitre III, livre II du même ouvrage, introduisant
une section consacrée à la pasigraphie, Poincaré écrit : « Que le lecteur se rassure, pour comprendre les considérations qui vont
suivre, il n’a pas besoin de savoir ce que c’est qu’un nombre ordinal transfini ».
112 Tous ces exemples proviennent de l’annexe « Source des œuvres philosophiques de Poincaré », page 399.
113 [Poincaré 1892s], page X.
114 [Poincaré 1902q], page 147.
Henri Poincaré (1854-1912) : Des Mathématiques à la Philosophie 231
La Vulgarisation Scientifique
me
connu qu’un, celui qu’a traité M de Kowalevski dans son célèbre mémoire.118
Enfin, notons que Poincaré fit de nombreuses coupes dans les trois articles homonymes « Les
mathématiques et la logique » afin de les insérer dans Science et méthode.119
Néanmoins, il ne s’agit pas là des seules modifications apportées. D’une manière plus géné-
rale, il est possible de dresser une typologie indicative de l’ensemble de ces modifications. La
plupart d’entre elles visent à simplifier l’exposé, mais il en est qui trouvent une justification
proprement philosophique dans la mesure où c’est l’enchaînement même des idées et le con-
tenu des thèses qui se trouvent changés. Voici donc les différents types de changements que
nous avons pu relever. Elles peuvent être rangées dans six grandes catégories qui, loin de
s’opposer, se complètent mutuellement120 :
(i) retrait du formalisme mathématique : voir les paragraphes précédents ;
(ii) retrait des développements techniques : certains passages techniques des articles origi-
naux sont parfois supprimés ou simplement résumés en quelques phrases ; c’est
par exemple le cas du chapitre I de La science et l’hypothèse : toute la section III de
l’article original, consacrée à la définition de l’addition et de la multiplication, se
trouve profondément allégée ; de même, le chapitre II du livre I de Science et mé-
thode : constitué à partir de l’article « L’avenir des mathématiques », il ne reprend
pas l’ensemble de son contenu ; à la fin de son article, Poincaré dresse un tableau
des progrès attendus en mathématiques branches par branches et il consacre ainsi
de courtes sections aux grandes subdivisions des sciences mathématiques. Plu-
sieurs de ces sections n’apparaissent pas dans le chapitre correspondant de Science
et méthode (c’est le cas de celles consacrées aux équations différentielles, aux équa-
tions aux dérivées partielles, aux fonctions abéliennes, à la théorie des fonctions et
à la théorie des groupes), les autres subissant d’importantes coupes (les sections
consacrées à l’arithmétique perdent respectivement 6 et 3 paragraphes) ; les sup-
pressions de formules mathématiques appartiennent bien entendu à cette catégo-
rie ;
la discussion sur les fondements des mathématiques : des antinomies à la prédicativité [Heinzmann 1986].
120 Pour le détail des exemples qui vont suivre, on consultera l’annexe page 399.
Henri Poincaré (1854-1912) : Des Mathématiques à la Philosophie 232
La Vulgarisation Scientifique
(iii) découpages d’articles : comme nous l’avons vu précédemment, certains articles furent
découpés pour être utilisés dans plusieurs chapitres ; à cette pratique aisément
identifiable s’en ajoute une autre, beaucoup plus difficile à repérer : dans certains
cas, certains paragraphes ou certaines sections d’articles n’apparaissent pas dans
les chapitres qui auraient normalement dû les accueillir mais sont insérés dans
d’autres chapitres de manière indépendante. c’est par exemple le cas pour le chapi-
tre III de La science et l’hypothèse : la moitié de la section « La géométrie et
l’astronomie » de l’article original n’est pas reprise dans ce chapitre mais se trouve
déplacée vers le chapitre V du livre. De même, quatre paragraphes de la fin du
même article sont également déplacés et insérés au début du chapitre IV ; enfin,
mentionnons le chapitre V de La science et l’hypothèse qui se trouve entièrement
constitué à partir du découpage d’au moins quatre articles ;
(iv) actualisation des références : c’est probablement le type de changement le plus signifi-
catif et le plus important en volume. Bien souvent, les textes d’origine ne reçoivent
que des modifications mineures : les références à certains travaux anciens sont ac-
tualisées de manière à tenir compte des progrès récents (dans le chapitre II de La
science et l’hypothèse, Poincaré ajoute ainsi de courts paragraphes sur Kronecker et
Hilbert qui n’apparaissaient pas dans l’article d’origine) ; de même, les références
tel-00137859, version 1 - 22 Mar 2007
bibliographiques sont mises à jour pour tenir compte des travaux les plus récents
et les renvois ne se font plus d’articles à articles mais de chapitres à chapitres121 ;
enfin, lorsque les auteurs cités sont décédés, les phrases sont mises au passé ;
(v) ajouts de paragraphes, de sections ou d’explications : les modifications de ce type sont re-
lativement peu nombreuses ; tout au plus peut-on repérer parfois quelques ajouts :
dans le chapitre II de La science et l’hypothèse, la section intitulée « La grandeur me-
surable » semble être un ajout, tout comme les sections I et II du chapitre V ;
(vi) disparition des figures et illustrations : à la différence de certains articles originaux, les
ouvrages de la Bibliothèque de Philosophie Scientifique ne contiennent aucune il-
lustration ; on comprend d’autant moins cette disparition que généralement les il-
lustrations donnent à voir et à comprendre. Il est probable que cette disparition
trouve sa motivation dans des considérations économiques : se définissant comme
une collection populaire, la Bibliothèque de Philosophie Scientifique ne pouvait se
permettre de multiplier les illustrations car celles-ci auraient immédiatement fait
augmenter le prix de vente de ses ouvrages.
Telles sont donc les grandes catégories de modifications que Poincaré apporta à ses textes
spécialisés avant de les insérer dans les ouvrages de la Bibliothèque de Philosophie Scientifi-
que. Bien qu’une telle typologie fournisse de précieux renseignements sur la nature des modi-
fications faites par Poincaré elle ne permet malheureusement pas de statuer sur leur étendue,
sur leur importance réelle. Reprenons par conséquent ces catégories et tentons de procéder à
une quantification sommaire.
Premièrement, comme nous l’avons vu à travers quelques exemples, l’allégement du forma-
lisme mathématique semble avoir été une des grandes priorités de Poincaré au moment de la
composition de ses trois ouvrages et au final les formules mathématiques y sont peu abondan-
tes. Un important travail de simplification a donc été mené à bien dans ce domaine, bien que
Poincaré se soit parfois réservé le droit d’insérer de nouvelles formules là où il n’y en avait pas
auparavant.122 En second lieu, les retraits de développements techniques semblent également
avoir fait partie des mesures d’adaptation : un nombre important de paragraphes ou de sec-
tions des ouvrages philosophiques bénéficient de modifications qui les rendent plus simples
121 Ainsi dans le chapitre X de La science et l’hypothèse (page 177), au lieu de faire référence à son livre sur la thermodynamique,
Poincaré renvoit le lecteur au chapitre VII qui constitue une reprise de la préface de son livre.
122 C’est par exemple le cas dans le chapitre VI de La science et l’hypothèse consacré à la mécanique classique (chapitre qui reprend
un article sur la mesure du temps) : au milieu de ce chapitre, déjà relativement complexe, Poincaré ajoute quelques pages relati-
vement formelles sur les travaux de Kirchhoff afin d’exposer l’hypothèse des forces centrales (voir pages 118 à 124).
Henri Poincaré (1854-1912) : Des Mathématiques à la Philosophie 233
La Vulgarisation Scientifique
mis en œuvre par les vulgarisateurs dans leurs travaux. On est par conséquent en droit de
poser deux questions, qui sont complémentaires entre elles : d’une part, ces modifications
constituent-elles un procédé de vulgarisation à proprement parler ? D’autre part, les ouvrages
de Poincaré dans la Bibliothèque de Philosophie Scientifique constituent-ils des ouvrages de
vulgarisation scientifique ?
Répondons d’abord à la première question : indéniablement, ces reformulations, ces traduc-
tions, ces suppressions constituent un procédé général de vulgarisation. Ils témoignent d’une
volonté d’ouverture vers un public élargi et d’un souci de rendre ses travaux plus accessibles.
Cependant, une fois encore, il est bien clair qu’il ne s’agit pas là d’une vulgarisation au sens
habituel du terme car on ne trouve pas dans ces ouvrages les recettes stylistiques qui avaient
été identifiées dans Ce que disent les choses (mise en scène du récit, dialogisme, etc.). En réalité,
le style général des différents chapitres ne change guère par rapport à leurs versions origina-
les ; certaines sections sont allégées, certains paragraphes supprimés ou mis à jour mais le
style de Poincaré reste le même : précis, clair, concis et sans fioritures. Poincaré ne cherche pas
à atteindre ces entités idéales que constituent le ‘lecteur-moyen’ ou le ‘grand-public’, mais il
s’adresse à un public cultivé et doté d’une culture scientifique solide ; comme il l’écrit lui-
même dans l’introduction de La science et l’hypothèse, son livre vise essentiellement les lycéens
et les gens du monde ; il se donne pour tâche de mettre fin à certains préjugés sur la démarche
scientifique, une mission qui ne peut être accomplie que si le lecteur dispose déjà de quelques
notions (même inexactes) sur cette démarche scientifique :
Pour un observateur superficiel, la vérité scientifique est hors des atteintes du doute ; la lo-
gique de la science est infaillible et, si les savants se trompent quelquefois, c’est pour en
avoir méconnu les règles. Les vérités mathématiques dérivent d’un petit nombre de propo-
sitions évidentes par une chaîne de raisonnements impeccables ; elles s’imposent non seu-
lement à nous, mais à la nature elle-même. Elles enchaînent pour ainsi dire le Créateur et
lui permettent seulement de choisir entre quelques solutions relativement peu nombreuses.
[…] Voilà quelle est pour bien des gens du monde, pour les lycéens qui reçoivent les premières no-
tions de physique l’origine de la certitude scientifique. Voilà comment ils comprennent le rôle de
l’expérimentation et des mathématiques. C’est ainsi également que le comprenaient, il y a
cent ans, beaucoup de savants qui rêvaient de construire le monde en empruntant à
l’expérience aussi peu de matériaux que possible.124
123 Dans la plupart des cas les découpages opérés par Poincaré appartiennent à la catégorie des reprises (même s’ils peuvent
parfois connaître quelques arrangements).
124 [Poincaré 1902q], page 23. C’est nous qui soulignons.
Henri Poincaré (1854-1912) : Des Mathématiques à la Philosophie 234
La Vulgarisation Scientifique
S’adressant à ce public cultivé, Poincaré pouvait ainsi faire l’économie de bien des adapta-
tions. À la différence des vulgarisateurs qui dirigent leurs travaux vers le grand-public et qui
sont souvent contraints d’exposer les principes scientifiques de base avant de pouvoir entrer
dans le vif du sujet, Poincaré disposait d’une plus grande latitude d’expression et pouvait se
permettre d’aborder des points relativement complexes. C’est d’ailleurs la complexité des
sujets abordés dans ces ouvrages qui pose problème par rapport à notre seconde question.
Les ouvrages de la Bibliothèque de Philosophie Scientifique constituent-ils des ouvrages de
vulgarisation scientifique ? Malgré l’ampleur du travail de reformulation, on ne peut que
constater le caractère ardu des livres de Poincaré. L’élagage du formalisme mathématique ne
fait pas disparaître pour autant deux difficultés réelles : d’une part le fait que les chapitres de
ces ouvrages renvoient très souvent à des problèmes mathématiques ou physiques souvent
très complexes, comme la théorie des groupes, le paradoxe de Russell, la dynamique de
l’électron ou les problèmes de mesures de parallaxes en astronomie. D’autre part, le fait que
les parties spécifiquement philosophiques de ces ouvrages sont extrêmement pointues, bien
qu’elles ne fassent guère appel à un vocabulaire technique : la controverse avec Le Roy à pro-
pos de la distinction entre fait brut et fait scientifique en est un exemple ; la discussion autour
du rôle de l’expérience dans la genèse des axiomes géométriques en un autre (pour ces deux
points nous renvoyons au chapitre 2). Par ailleurs si on s’intéresse aux buts poursuivis par
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Poincaré dans ces volumes, on constate que la finalité première n’est pas d’informer le public
sur les nouvelles découvertes scientifiques ; on contemple plutôt les efforts d’une pensée ten-
tant d’élucider la signification des concepts scientifiques, tentant d’en dépasser le simple
contenu factuel et de conduire le lecteur vers une réflexion sur les fondements mêmes de la
méthode scientifique. Poincaré refuse le plus souvent de considérer les applications techni-
ques potentielles des théories scientifiques qu’il expose. Cela vient en partie du fait qu’il
aborde souvent des disciplines dont les domaines d’application sont très restreints (certaines
branches des mathématiques et de la logique). Mais cela est également dû au fait qu’il privilé-
gie l’idéal d’une recherche pure. C’est en effet le dogme ‘la science pour la science’ qui déter-
mine une partie de ses réflexions scientifiques et philosophiques (voir par exemple le beau
plaidoyer en faveur d’une recherche fondamentale dans Les sciences et les humanités). Qui lit
encore aujourd’hui les livres de Louis Figuier, de l’abbé Moigno ou de Henri de Parville ? Ces
ouvrages présentaient un intérêt pour leurs contemporains car ils donnaient un tableau des
avancées scientifiques et techniques de l’époque. Mais ils ont sombré dans l’oubli car les théo-
ries scientifiques et les inventions qu’ils exposaient ont depuis longtemps été remplacées par
d’autres. Pour leur part, les livres philosophiques de Poincaré ne sont pas prisonniers de
l’actualité scientifique comme peuvent l’être les ouvrages de vulgarisation, et ils n’ont pas été
victimes du vieillissement prématuré qui touche tout ouvrage de ce type au bout d’une décen-
nie. Les textes de Poincaré ont une dimension intemporelle. Ils échappent à l’emprise de la
mode car, au-delà de l’exposition de théories scientifiques, il contient une réflexion épistémo-
logique sur les conditions du progrès scientifique, sur le statut des théories physiques et sur le
sens de la découverte scientifique.
De tout cela il découle que les réécritures multiples de Poincaré présentent un statut ambiva-
lent : de par leur nature même, elles participent d’une entreprise de vulgarisation puisqu’elles
tendent à faire disparaître certaines difficultés techniques ; cependant, de par le rôle qu’elles
jouent dans l’économie générale des ouvrages elles participent d’un projet philosophique
beaucoup plus ambitieux. Les ouvrages de la Bibliothèque de Philosophie Scientifique appar-
tiennent par conséquent au genre de la vulgarisation scientifique dans la mesure où ils sont
constitués à partir de réécritures visant à en simplifier les contenus ; cependant, il s’écartent de
ce genre dans l’exacte mesure où ces réécritures ne sont pas mises au service d’un projet de
vulgarisation mais sous-tendent au contraire une volonté d’élucidation philosophique.
La boucle est en quelque sorte bouclée : l’analyse des rapports entretenus par les livres philo-
sophiques de Poincaré avec le genre de la vulgarisation nous conduit donc à formuler une
interprétation qui les conforte dans leur rôle philosophique tout en prenant acte de la mise en
Henri Poincaré (1854-1912) : Des Mathématiques à la Philosophie 235
La Vulgarisation Scientifique
tifique comme des ouvrages permettant à la fois d’acquérir des rudiments d’une culture scien-
tifique générale et de s’interroger sur les fondements philosophiques de cette culture. Cepen-
dant c’est peut-être à cause de cette double dimension que l’œuvre philosophique de Poincaré
fut parfois mal comprise de ses contemporains, une situation que le mathématicien Gösta
Mittag-Leffler résuma par cette remarque assassine à propos des membres du Comité Nobel
de l’époque « qui ne comprennent rien à la théorie et qui sont tous incapables de comprendre
la moindre phrase même dans les écrits populaires de Poincaré ».125 Évaluer l’accueil reçu par les
œuvres philosophiques de Poincaré auprès du grand public n’est pas une tâche aisée : seuls
les comptes rendus parus dans la presse ou les témoignages de personnes ayant connu le ma-
thématicien peuvent nous en donner un aperçu. Ce travail reste à en grande partie à faire : il
ne peut passer que par un dépouillement exhaustif des principaux journaux de l’époque.126
Heureusement, plusieurs anecdotes concernant la réception de ses idées sont connues et per-
mettent d’apprendre que Poincaré fut parfois mal compris de la grande presse et qu’il consa-
cra beaucoup de son temps à tenter de lever certains malentendus. Ces anecdotes sont
d’ailleurs souvent amusantes.
Lors de la célébration du centenaire de la naissance de Poincaré en 1954, M. J. Levy raconta
cette anecdote :
Sa notoriété, et l’attrait que les choses du ciel exercent sur les foules, lui attirait continuel-
lement les journalistes à court de copie. C’est ainsi qu’en 1910 l’année avait été exception-
nellement pluvieuse. On ne pouvait pas encore incriminer les explosions nucléaires. On ne
pouvait plus, comme à la fin du XVIIIème siècle, s’en prendre aux déboisements intensifs,
aussi la presse invoqua les comètes de l’année. Après, mais après seulement, on s’inquiéta
auprès de lui de l’exactitude de cette hypothèse. Poincaré dut la combattre à diverses repri-
ses, employant des arguments à la portée du public, comme celui d’après lequel la tradition
rattache l’apparition des comètes à l’abondance du bon vin plutôt que celle de l’eau.127
Est-ce pour cette raison qu’il fit cette très rassurante conférence sur les comètes la même an-
née, laquelle se terminait par ces mots :
125 C’est nous qui soulignons. Cette citation provient d’une lettre de Mittag-Leffler et se trouve cité par Crawford, E., dans son
article « Le prix Nobel manqué de Henri Poincaré : définitions du champ de la physique au début du siècle » [Crawford 1984a],
page 21. Poincaré fut à plusieurs reprises pressenti pour le prix Nobel mais ne l’obtint jamais, le comité Nobel jugeant ses travaux
trop théoriques.
126 Nous aurions aimé mener à bien un tel travail mais l’éloignement des sources bibliographiques l’a rendu impossible : en
effet, la plupart de ces journaux ne peuvent être directement consultés qu’à la Bibliothèque Nationale de France. Les fonds
conservés en province demeurent parcellaires et s’avèrent difficilement accessibles.
127 « Poincaré et la Mécanique céleste » [Lévy 1955], page 28.
Henri Poincaré (1854-1912) : Des Mathématiques à la Philosophie 236
La Vulgarisation Scientifique
Vous voyez que les comètes ne sont pas si terribles qu’on le dit, elles restent, à bien des
égards, des astres mystérieux ; leur origine, leur nature, celle de la lumière qu’elles nous
envoient, leur destinée, sont encore mal connues ; je vous ai dit ce qu’on en savait et vous
avez vu qu’on n’en sait pas grand chose.128
Un autre épisode très connu fut celui occasionné par la controverse sur la différence entre
mouvement relatif et mouvement absolu. En 1900, Poincaré prononce une conférence sur les
principes de la mécanique devant le Congrès International de Philosophie. Voulant montrer
les limites de la conception newtonienne d’un espace absolu et ses conséquences sur la percep-
tion du mouvement en physique, il affirme :
Cela n’empêche pas que l’espace absolu, c’est-à-dire le repère auquel il faudrait rapporter
la terre pour savoir si réellement elle tourne, n’a aucune existence objective. Dès lors, cette
affirmation : ‘La Terre tourne’, n’a aucun sens, puisqu’aucune expérience ne permettra de la
vérifier ; puisqu’une telle expérience non seulement ne pourrait être ni réalisée, ni rêvée par
le Jules Verne le plus hardi, mais ne peut être conçue sans contradiction ; ou plutôt ces deux
propositions : ‘La Terre tourne’, et : ‘Il est plus commode de supposer que la Terre tourne’,
ont un seul et même sens ; il n’y a rien de plus dans l’une que dans l’autre.129
Hasard ou coïncidence ? C’est Poincaré lui-même qui inaugurera officiellement en 1902 la
répétition par la Société Astronomique de France de l’expérience de Foucault. Néanmoins, ces
quelques phrases furent fort mal comprises, un grand nombre de journalistes y voyant une
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justification des accusations portées contre Galilée et un retour à Ptolémée.130 Pour se défendre,
Poincaré multipliera les démentis et les rectifications. Une première fois dans le Bulletin de la
Société astronomique de France, sous la forme d’une lettre ouverte à son ami Camille Flamma-
rion.
Mon cher collègue,
Je commence à être un peu agacé de tout le bruit qu’une partie de la presse fait autour de
quelques phrases tirées d’un de mes ouvrages - et des opinions ridicules qu’elle me prête.
Les articles auxquels ces phrases sont empruntées ont paru dans une Revue de métaphysi-
que ; j’y parlais un langage qui était bien compris des lecteurs de cette Revue.
La plus souvent citée a été écrite au cours d’une polémique avec M. Le Roy, dont le princi-
pal incident a été une discussion à la Société Philosophique de France. M. Le Roy avait dit :
‘Le fait scientifique est créé par le savant’. Et on lui avait demandé : – Précisez,
qu’entendez-vous par un fait ? – Un fait avait-il répondu, c’est par exemple la rotation de la
Terre. Et, c’est alors qu’était venue la réplique : – Non, un fait par définition, c’est ce qui
peut être constaté par une expérience directe, c’est le résultat brut de cette expérience. À ce
compte, la rotation de la Terre n’est pas un fait.
En disant : ‘Ces deux phrases, la Terre tourne, et il est commode de supposer que la Terre
tourne, n’ont qu’un seul et même sens’, je parlais le langage de la métaphysique moderne.
Dans le même langage, on dit couramment ‘Les deux phrases, le monde extérieur existe et
il est commode de supposer que le monde extérieur existe, n’ont qu’un seul et même sens’.
La rotation de la Terre est donc certaine précisément dans la même mesure que l’existence
des objets extérieurs.
Je pense qu’il y a là de quoi rassurer ceux qui auraient pu être effrayés par un langage inac-
coutumé. Quant aux conséquences qu’on a voulu en tirer, il est inutile de montrer combien
elles sont absurdes. Ce que j’ai dit ne saurait justifier les persécutions exercées contre Gali-
lée, d’abord parce qu’on ne doit jamais persécuter même l’erreur, ensuite parce que même
au point de vue métaphysique, il n’est pas faux que la Terre tourne, de sorte que Galilée n’a
pu commettre d’erreur.
à fait certains de la rotation de la Terre ; d’autres s’emparèrent des théories de Poincaré pour les détourner de leur vrai but ; je n’y
insiste pas. Des journalistes allèrent même trouver le Maître pour lui demander s’il était bien vrai que la Terre ne tournait pas, et
que, tout compte fait, Galilée se serait trompé ! ». Cité d’après l’article de Jean Mawhin consacré à cette controverse sur la rotation
de la Terre, [Mawhin 1995], page 3.
Henri Poincaré (1854-1912) : Des Mathématiques à la Philosophie 237
La Vulgarisation Scientifique
Cela ne voudrait pas dire non plus qu’on peut enseigner impunément que la Terre ne
tourne pas, quand cela ne serait que parce que la croyance à cette rotation est un instrument
aussi indispensable à celui qui veut penser savamment, que l’est le chemin de fer, par
exemple, à celui qui veut voyager vite.
Quant aux preuves de cette rotation, elles sont trop connues pour que j’insiste. Si la Terre ne
tournait pas sur elle-même, il faudrait admettre que les étoiles décrivent en 24 heures une
circonférence immense que la lumière mettrait des siècles à parcourir.
Maintenant, ceux qui regardent la métaphysique comme démodée depuis Auguste Comte,
me diront qu’il ne peut y avoir de métaphysique moderne. Mais la négation de toute méta-
physique, c’est encore une métaphysique, et c’est précisément là ce que j’appelle la méta-
physique moderne.
Pardon de ce bavardage, et tout à vous.
Poincaré131
Cette réponse ne fut vraisemblablement pas suffisante puisque l’année suivante il inséra deux
pages sur la rotation de la Terre à la fin de La valeur de la science. Rappelant les interprétations
fausses causées par une mauvaise lecture de La science et l’hypothèse, il écrivait ainsi :
Ceux qui avaient lu attentivement le volume tout entier ne pouvaient cependant s’y trom-
per. Cette vérité, la Terre tourne, se trouvait mise sur le même pied que le postulatum
d’Euclide par exemple ; était-ce là la rejeter. Mais il y a mieux ; dans le même langage on
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dira très bien : ces deux propositions, le monde extérieur existe, ou, il est plus commode de
supposer qu’il existe, ont un seul et même sens. Ainsi l’hypothèse de la rotation de la Terre
conserverait le même degré de certitude que l’existence même des objets extérieurs.132
Malheureusement, les préjugés ont la vie longue. Dans un contexte de lutte ouverte entre les
valeurs cléricales et les valeurs laïques, moyennant une candeur parfois feinte, les idées de
Poincaré pouvaient devenir une formidable arme idéologique. Ainsi, dans Le Matin du 20
février 1908, un théologien, Monseigneur Bolo, n’hésitera pas à proclamer : « Poincaré, qui est
le plus grand mathématicien du siècle, donne tort à l’obstination de Galilée ».133 Fort de ses
amitiés républicaines et de ses convictions laïques (tolérantes), Poincaré ne pouvait accepter
une telle récupération. Le 5 avril 1908, il accordait donc une interview au journaliste Jean
Sourdon pour la Revue illustrée dans laquelle il insista sur les preuves objectives de cette rota-
tion.134 Et l’année suivante, dans son article « La mécanique nouvelle » il apportait une nou-
velle fois ces précisions :
Ces considérations, bien familières aux philosophes, j’ai eu quelquefois l’occasion de les ex-
primer ; j’en ai même recueilli une publicité dont je me serais volontiers passé ; tous les
journaux réactionnaires français m’ont fait démontrer que le soleil tourne autour de la
terre ; dans le fameux procès entre l’Inquisition et Galilée, Galilée aurait eu tous les torts. Il
est à peine nécessaire de dire ici que je n’ai jamais eu une telle pensée ; c’est bien pour la vé-
rité que Galilée combattait, puisque, sans lui, l’Astronomie et la Mécanique céleste
n’auraient pu se développer.135
Ces quelques citations permettent de voir où se situait le malentendu dans ce cas bien précis
(en faisant abstraction des tentatives de récupération idéologiques, sur lesquelles nous aurons
à revenir) : alors que Poincaré désirait poser une thèse sur le degré de réalisme que l’on est en
131 Lettre à Camille Flammarion, Bulletin de la Société Astronomique de France (1904), pages 216-217. Cette lettre était introduite par
ce court éditorial : « Un certain nombre de journaux de France et de l’étranger ayant continué à publier des articles sous ce titre
[« La Terre tourne-t-elle ?"], et à prétendre que M. Poincaré doute du mouvement de rotation de notre planète, malgré l’article
publié ici même par M. Flammarion, et à en prendre acte pour mettre en suspicion les vérités les mieux démontrées de
l’astronomie moderne, l’éminent professeur de la Faculté des Sciences a pensé qu’il aiderait à détruire la légende que l’on cherche
à créer en écrivant la lettre suivante à M. Flammarion. Comme nous l’avons dit (Bulletin de mars, p. 118), c’est étrangement
outrepasser sa discussion métaphysique sur « le mouvement relatif et le mouvement absolu » que de faire supposer au public que
notre grand mathématicien doute – et puisse douter un seul instant – des mouvements de la Terre, car il est de ceux dont les
travaux ont le mieux prouvé ces mouvements ».
132 Poincaré, H., La valeur de la science, Paris, Flammarion, 1970, page 184.
133 Cité dans [Mawhin 1995], page 4.
134 Jean Sourdon écrit : « Vous pouvez, fait-il, d’un ton pince-sans-rire (qui me rappellerait Alphonse Allais s’il n’y avait trop
d’irrévérence), vous pouvez vous risquer à le répéter sans danger : ‘Elle tourne ! Galilée eut raison ! E pur si muove !’ ». Cité
d’après [Mawhin 1995], page 4.
135 [Poincaré 1909m], page 10.
Henri Poincaré (1854-1912) : Des Mathématiques à la Philosophie 238
La Vulgarisation Scientifique
droit d’accorder à certains énoncés scientifiques généralement tenus pour acquis, le public
voulut y voir la mise en doute pure et simple d’une réalité évidente, à savoir la rotation de la
Terre. En mettant en rapport la rotation de la Terre avec le postulatum d’Euclide, Poincaré
désirait montrer que le choix du langage scientifique est en grande partie conventionnel et que
l’on pourrait parfaitement construire une physique valide (mais plus complexe) à partir de
l’hypothèse contraire. Les journalistes qui montèrent cette affaire en épingle ne perçurent donc
pas la thèse philosophique sous-jacente, préférant prendre les propos du mathématicien pour
le simple énoncé d’une réalité factuelle. Furent-ils abusés par ce style trop clair ? Il est difficile
de donner une réponse définitive à cette question mais il est tout de même permis de penser
que bien des lecteurs furent trompés par l’apparente simplicité de ses travaux philosophiques
(renforcée par ce travail de reformulation que nous avons tenté de caractériser)et qu’ils cher-
chèrent vraisemblablement dans cette œuvre quelque chose qu’elle ne contenait pas : voulant
y voir une œuvre de vulgarisation, ils ne s’aperçurent pas que le discours vulgarisé n’était là
que pour soutenir et étayer des thèses philosophiques. Cette situation est particulièrement
visible lorsqu’on consulte les articles sur le mathématicien dans la presse quotidienne. Que
voulait vraiment dire l’auteur de cet article lorsqu’il saluait la publication La science et
l’hypothèse ? Que retenait-il de sa lecture et que tentait-t-il de partager avec ses lecteurs ?
Un livre d’Henri Poincaré… Rendons hommage à Henri Poincaré qui vient dans La science
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136 Ce texte est reproduit dans La chronique du XXème siècle, Paris, Larousse, 1985, page 45 (sans aucune indication sur son auteur
qu’à l’éthique, de façon ordinairement brève et catégorique et ses conclusions étaient des
verdicts pour la majorité.137
Besançon, Alger, Caen, ainsi qu’au Caire et à la New School for Social Research (de 1941 à 1943), introducteur des idées du Cercle
de Vienne en France, il obtin le prix de l’Académie des Sciences Morales et Politiques en 1968 et le Prix de l’Académie Française
en 1971.
Henri Poincaré (1854-1912) : Des Mathématiques à la Philosophie 240
La Vulgarisation Scientifique
Ce projet semblait artificiel à la veuve de Poincaré, Louise Poincaré, et elle ne se fit pas faute
d’émettre de sérieuses réserves à son encontre. « L’époque est bien mal choisie pour jeter sur
le tapis une idée semblable » écrivit-elle à sa fille Jeanne.140 Ce manque d’enthousiasme envers
un projet censé honorer la mémoire de son mari tenait à deux facteurs principaux : d’une part,
elle pensait qu’Émile Boutroux s’était prononcé beaucoup trop rapidement, sans vraiment
savoir de quoi il était question.141 D’autre part, elle craignait que le nom de Poincaré ne soit
devenu, au fil des années, prétexte à de subtiles manœuvres éditoriales visant plus la rentabili-
té que le devoir de mémoire.
D’une manière plus générale je me demande si, aller rechercher tous ces articles sans liens
entre eux et dont plusieurs anciens ont été peut-être dépassés par de plus récents, n’est pas
surtout une entreprise commerciale.
Ils se mettent tous à vouloir exploiter cette chère grande figure. Les artistes, les auteurs,
chacun tire à soi ; trop heureux serons-nous, si on ne nous le défigure pas.142
C’est par conséquent avec le souci d’éviter toute récupération commerciale que Louise Poinca-
ré demanda à sa fille Louise et à son gendre Léon Daum d’examiner le projet avec toute la
minutie nécessaire, afin de pouvoir donner une réponse à Gustave Le Bon.
Daum s’attela à cette tâche. Il examina le projet dans le détail et tenta d’en déterminer la légi-
timité scientifique. Chaque article de la table des matières fut soumis à une analyse rigoureuse
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afin de décider de la pertinence de son insertion au sein d’un nouveau volume. Cette étude le
conduisit à rédiger une longue note de plus de quinze pages concluant à l’inopportunité scienti-
fique du projet.
Dans une lettre accompagnant l’envoi de cette note, Daum expliqua pourquoi, selon lui, ce
volume ne lui semblait pas du tout adapté à une collection philosophique telle que la Bibliothè-
que de Philosophie Scientifique :
Les Dernières pensées ont rassemblé les articles ou conférences postérieurs à Science et
Methode, que Henri Poincaré aurait sans doute publié lui-même par la suite – Le volume
que vous projetez aurait un caractère bien different en reproduisant des articles
généralement anciens, dont l’intérêt n’est pas aussi actuel et philosophique que le public de
la collection pourrait espérer.143
Les articles en question ne contenaient pas, à en croire Léon Daum, ces idées novatrices, ces
conceptions nouvelles qui avaient fait le succès des autres livres philosophiques de Poincaré,
mais uniquement de petites précisions ou des variations d’expression sans grand intérêt phi-
losophique. Enfin, la publication des Œuvres de Poincaré par l’Académie des Sciences, qui
était justement destinée à rendre accessible aux chercheurs la totalité des travaux de Poincaré,
rendait la publication de l’ouvrage nettement moins pressante.
Les descendants de Poincaré possédant les droits sur son œuvre, Le Bon et Rougier se trouvè-
rent bloqués et le projet avorta. Rougier répondit bien à la note de Daum par une longue ar-
gumentation contradictoire, mais visiblement sans conserver aucun espoir de le faire revenir
sur sa décision. Tout au plus se contenta-t-il d’indiquer que, dans sa conception, toutes les
parcelles de l’œuvre de Poincaré, toutes les variations d’expression, toutes les répétitions pré-
sentaient un grand intérêt dans la mesure où elles participaient d’une interprétation globale.
La pensée de H[enri]. Poincaré est trop importante pour que nous en perdions une parcelle.
Lisez les ouvrages populaires d’Helmholtz : on y voit reproduits des conférences ou articles
sur les fondements de la géométrie qui se répètent parfois littéralement. Plusieurs fois ceci
est un culte d’une pensée irrécusable qui s’est éteinte. On a droit de sacrifier l’eurythmie
d’une œuvre à son intégralité parfaite.144
140 Brouillon d’une lettre de Louise Poincaré à Jeanne et Léon Daum, 1919 [Archives Poincaré] (cf. page 382). Née en 1887, Jeanne
était la fille aîné de Poincaré. Elle épousa en 1913, Léon Daum, ingénieur au corps des mines. C’est ce dernier qui devait finale-
ment avoir le dernier mot dans la controverse avec Louis Rougier.
141 Voir page 383 : « En tous cas Émile n’a pas d’opinion réfléchie ; même s’il a dit un mot favorable c’est sans bien savoir au
Le dernier recours de Rougier fut finalement de mettre en avant la dimension purement com-
merciale du projet : l’expérience ayant prouvé que, quel que soit son contenu, les livres de
Poincaré constituaient une affaire rentable, les réticences de la famille n’avaient plus lieu
d’être. Le contenu de l’ouvrage était de peu d’importance en comparaison du nom figurant
sur la couverture rouge brique de la Bibliothèque de Philosophie Scientifique…
Est-il besoin d’ajouter qu’au point de vue purement de l’éditeur un ouvrage signé de Poin-
caré se vendra toujours. Sur les 24000 exemplaires de Science et Hypothèse y-a-t-il plus de
mille acheteurs capables de le comprendre ?
En voyant toutes les difficultés de la publication d’un nouvel ouvrage de Poincaré, je sou-
haite que dans une nouvelle édition des Dernières pensées : vous ajoutiez les trois et quatre
articles signalés.145
Par conséquent, plutôt que de composer un nouveau volume qui n’aurait eu qu’une vague
justification scientifique, Daum proposa d’ajouter à une édition ultérieure de Dernières pensées
quelques uns des articles proposés par Rougier.
Daum évalua principalement la pertinence du projet de Rougier d’un point de vue psycholo-
gique, en tentant d’imaginer ce que Poincaré aurait fait dans son cas, en se mettant pour ainsi
dire dans la peau du personnage. D’où la présence dans sa note de tournures ‘psychologisan-
tes’ comme « Poincaré évitait soigneusement les accumulations de formules… » ou « Henri
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Poincaré ne voyait certainement pas une portée philosophique… ». Il lui fallait se mettre à la
place de Poincaré, voir de quelle manières il composait ses ouvrages, percer les raisons qui le
poussaient à choisir un article plutôt qu’un autre. Chargé par sa famille de respecter la mé-
moire du mathématicien, Daum porta son attention sur le projet en tentant de déterminer – à
partir d’une analyse très pertinente de ses méthodes de travail – de quelle manière Poincaré
aurait agi s’il avait dû prendre une décision vis-à-vis de ce projet. C’est une logique philoso-
phique qui semblait guider son analyse et il refusa ainsi que des textes de vulgarisation scien-
tifique soient insérés dans un ouvrage de philosophie scientifique. Il écrivit ainsi à propos de
la conférence sur les comètes :
Conférence de vulgarisation scientifique où H[enri]. P[oincaré]. ne voyait certainement pas
une portée philosophique justifiant l’insertion dans un volume de Philosophie scientifi-
que.146
Pour sa part, Rougier était animé par une conception plus large. Ne faisant pas partie du cercle
familial, il n’avait pas d’idées préconçues sur ce que devait être un ouvrage philosophique de
Poincaré ; il était donc d’autant plus enclin à considérer son œuvre non comme la propriété de
ses descendants, mais comme la propriété d’une communauté de lecteurs. Ces variations
d’expression, ces répétitions, ces reformulations – si gênantes du point de vue de Daum –
avaient pour Rougier une importance extrême dans la mesure où elles fournissaient des élé-
ments susceptibles de faire comprendre l’évolution de la pensée poincaréienne. La logique qui
le guidait est à la fois encyclopédique et commerciale : encyclopédique car la mise en évidence
de l’étendue et de la grandeur des travaux du mathématicien ne pouvait passer selon lui que
par une publication exhaustive de ceux-ci ; logique commerciale, car en dernière analyse
145 Lettre inédite de Louis Rougier à Léon Daum, 9 septembre 1919 [Archives Poincaré], cf. page 389. Une nouvelle édition de
Dernières pensées, augmentée de ces quelques articles, fut finalement publiée en 1963 par la Librairie Hermann… Dans
l’avertissement au lecteur de l’édition Hermann de 1963, on apprend dans quelles circonstances certains articles du projet avorté
de L’opportunisme scientifique furent finalement ajoutés : « […] la première édition ne comprenait que neuf textes composés entre
1909 et 1912. En 1926 déjà, pour répondre à diverses demandes, quelques autres textes plus anciens, que Henri Poincaré aurait eu
la possibilité de faire figurer dans ses précédents volumes de la collection de G. Lebon (sic), ont été insérés dans une seconde
édition. Toutefois, la famille du grand savant a demandé que ces nouveaux textes, qui n’ont plus le même caractère, soient
nettement séparés de ceux qui constituent véritablement les ‘dernières pensées’ de Henri Poincaré, et soient réunis en un appen-
dice en fin de volume ». Les textes ajoutés dans cet appendice sont « Les fondements de la géométrie » (Journal des savants 1902),
« Cournot et les principes du calcul infinitésimal » (Revue de métaphysique et de morale 1905), « Le libre examen en matière scienti-
fique » (Revue de l’Université de Bruxelles 1909) et « Le démon d’Arrhénius » (Hommage à Louis Ollivier 1911).
146 Note inédite de Léon Daum à Louis Rougier, 1919 [Archives Poincaré], page . Même constat un peu plus loin pour la confé-
rence sur la télégraphie sans fil : « La télégraphie sans fil – impossible à publier à la suite de Science et Hypothèse etc. ; c’est une
conférence faite pour des petites filles ignorantes – Le discours de la distribution de prix d’Henri IV que Mr Rougier proposait
pour remplacer la conférence des Annales est aussi, dans un autre genre, une allocution de circonstance, bien difficile à introduire
dans un volume ».
Henri Poincaré (1854-1912) : Des Mathématiques à la Philosophie 242
La Vulgarisation Scientifique
l’expérience avait prouvé que, compris ou non, philosophiques ou non, les ouvrages de Poin-
caré se vendraient toujours…
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Chapitre 5
L’Engagement Public
Il est clair que les savants, comme tous les citoyens, doivent s’intéresser aux af-
faires de leur pays. Dès qu’ils ont lieu de penser que leur intervention peut
servir utilement les intérêts de la nation, il faut qu’ils sacrifient tout à ce de-
voir. Ont-ils à cet égard des obligations spéciales qui n’incomberaient pas aux
autres citoyens ? Doivent-ils plus que les autres à la Chose Publique ? Oui, s’ils
peuvent lui être plus utiles ; et ils peuvent lui être plus utiles si leur voix a plus
de chance d’être écoutée. Mais y a-t-il des raisons pour qu’elle le soit ? Le lan-
gage de la passion est le seul que la foule comprenne et ce langage n’est pas le
leur.
Henri Poincaré, 1904.1
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Baigné dès sa jeunesse dans une atmosphère culturelle privilégiée, Poincaré fut conduit à
côtoyer les personnages les plus influents de la société française.2 L’épisode de son mariage et
de sa nomination à Paris comme maître de conférences permet de s’apercevoir aisément que
son début de carrière fut marqué du sceau de la politique.
Poincaré commença sa carrière universitaire en 1879, en tant que chargé de cours d’analyse
mathématique à la Faculté des Sciences de Caen, et c’est probablement vers cette époque qu’il
rencontra sa future épouse, Louise Poulain d’Andecy, arrière-petite-fille du naturaliste Étienne
Geoffroy Saint-Hilaire (1772-1844). Dès le 15 février 1881, le père de Louise, Henri Poulain
d’Andecy écrivait à une cousine pour lui annoncer le futur mariage des jeunes gens ; dans sa
lettre, on apprend qu’il estimait beaucoup son futur gendre et qu’il espère bien le voir pour-
suivre rapidement sa carrière à Paris :
Notre futur gendre n’a pas encore accompli sa 27ème année et est, depuis 15 mois, chargé de
cours en mathématiques supérieures à la faculté des sciences de Caen, avec l’espoir
d’arriver à Paris dans un temps peu éloigné. Notre fille accepte avec une entière confiance,
et une entière satisfaction réfléchie, l’avenir qui lui est offert et nous sommes heureux de
l’unir à un homme non moins distingué par ses qualités intimes que par sa valeur scientifi-
que. Nous trouvons en effet en M. Henri Poincaré une grande simplicité de manières, une
modestie naturelle et un caractère doux et enjoué. Il est originaire de Nancy, où son père,
médecin honoré par tous, est lui-même professeur à la faculté de médecine de cette ville. Il
n’a qu’une sœur qui est mariée depuis deux ans à M. Boutroux, maître de conférence de
philosophie à l’École Normale Supérieure de Paris et l’union la plus grande règne dans
cette famille.3
Le mariage fut célébré à Paris le 20 avril 1881 ; il unissait le représentant d’une influente fa-
mille lorraine à une jeune fille dont l’entourage disposait de nombreuses entrées dans la socié-
té parisienne et dans les cabinets ministériels… dont celui de l’Instruction Publique. Soucieuse
d’accélérer la nomination de son gendre dans la capitale, la famille Poulain d’Andecy sollicita
ainsi les faveurs de Madame Kestner en souvenir d’une grand-mère.4 Cependant, l’analyse des
arbres généalogiques des deux familles ne permet pas de déceler de noms communs, et elle
n’autorise pas non plus l’identification précise de cette Madame Kestner.5 Ce qui est certain,
en revanche, c’est que la famille Kestner entretenait des liens familiaux avec le ministre de
l’Instruction Publique de l’époque, Jules Ferry. Voici ce qu’écrit Pauline Poulain d’Andecy :
Madame et vénérée amie,
Nous avions appris par des amis communs vos grandes inquiétudes si rapidement justi-
fiées par un cruel dénouement, et nous aurions voulu vous exprimer de vive voix notre
douloureuse sympathie. Deux fois, sans succès, nous avons tenté d’arriver jusqu’à vous,
mais nous conservons l’espoir d’être plus heureux dans une nouvelle démarche.
Malgré votre douleur j’ose vous parler de nos préoccupations pour notre jeune ménage et
recommander à la sollicitude maternelle que vous voulez bien nous témoigner en souvenir
de notre grand-mère, une note destinée à appeler l’attention et la bienveillance du ministre
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3 Cette lettre nous a gracieusement été communiquée par M. François Poincaré. Par ailleurs, sur une lettre envoyée par Hal-
phen, Poincaré recopia la lettre dans laquelle Henri Poulain d’Andecy lui annonçait son accord quant à son mariage. Ce frag-
ment, daté du 23 février 1881, était probablement destiné à être envoyé à sa famille : « Mon cher Henri, j’ai reçu ce matin la
demande de la main de ma fille que M. votre père m’adresse en votre nom. Je lui réponds avec empressement – et à vous en
même temps – que nous sommes heureux et fiers de vous voir entrer dans notre famille. Ma fille accepte avec une entière
confiance et avec la satisfaction la moins dissimulée l’avenir que vous lui offrez, et j’aime à croire que de votre côté vous appré-
cierez de plus en plus les qualités sérieuses de celle que vous choisissez pour compagne ». [Document ACERHP microfilm 1].
4 On peut supposer que cette Madame Kestner était une amie très proche de la grand-mère de Pauline Poulain d’Andecy.
5 Ces arbres généalogiques ont été aimablement mis à notre disposition par Monsieur François Poincaré.
6 [Document ACERHP microfilm 2]. Voici le texte de la note pour le ministre qui était censée accompagner cette lettre : « Des
nominations de maîtres de conférences à l’École Normale Supérieure et de suppléants à la Faculté des Sciences de Paris, pour le
haut enseignement mathématique, doivent avoir lieu au mois d’octobre 1881. Mr Henri Poincaré, ingénieur des mines, docteur es
sciences, chargé du cours de calcul différentiel et intégral à la Faculté des Sciences de Caen est un des candidats. Une mention
très honorable lui a été décernée en séance publique le 14 mars 1881, dans le concours pour le grand prix des sciences mathéma-
tiques et ses importants travaux, justement appréciés en France et à l’étranger lui ont valu l’honneur d’une présentation par la
section de géométrie de l’Académie des Sciences, lors de l’élection récente pour le remplacement de Mr Chasles. Mr Henri Poinca-
ré a épousé au mois d’avril 1881 mademoiselle d’Andecy, petite fille d’Isidore Geoffroy St Hilaire ». [Document ACERHP micro-
film 2].
Henri Poincaré (1854-1912) : Des Mathématiques à la Philosophie 245
L’Engagement Public
l’obligèrent à retourner à la vie privée. Il avait épousé en 1827, Marie Jeanne Rigau, fille d’un
baron de l’Empire, qui transforma très vite son salon en foyer anti-bonapartiste.
De cette union devaient naître cinq filles, qui toutes épousèrent des hommes politiques
d’envergure nationale. Hortense Kestner (1840- ?) se maria ainsi avec Charles Floquet, avocat
et président du Conseil en 1888 ; Fanny Kestner (1831-1850) avec Victor Chauffour, professeur
de droit à Strasbourg, conseiller d’État et représentant du Haut-Rhin à l’Assemblée Nationale ;
Mathilde Kestner (1832-1916) épousa quant à elle le colonel Charras, sous-secrétaire d’État au
ministère de la Guerre en 1848, et chef d’État-Major du général Cavaignac ; Céline Kestner
(1838-1894) se maria avec Auguste Scheurer, président du Sénat qui devait faire éclater au
grand jour l’innocence du capitaine Dreyfus7 ; enfin, Eugénie Kestner (1828-1862) se maria
avec l’industriel Charles Risler qui devint maire du septième arrondissement de Paris ; leur
fille, Mathilde Eugénie Risler (1850-1920) devait épouser Jules Ferry…8
À la lumière de ce court tableau, qui illustre l’importance de la famille Kestner sur la scène
politique française, on peut supposer que la famille Poulain d’Andecy destinait sa lettre, soit à
la veuve de Charles Kestner, soit à l’une de ses filles encore en vie en 1881.9 Quoi qu’il en soit,
la réponse à cette requête ne se fit pas attendre et il est possible d’en trouver une copie parmi
les papiers de Poincaré. Elle s’adressait à Pauline Poulain d’Andecy.
Chère Madame et amie,
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Votre lettre m’est arrivée à Rueil, où je suis venue pour me remettre au milieu des soins et
de l’affection de mes enfants, de la terrible secousse qui m’a enlevé l’un d’eux. J’ai bien
souffert mais c’est dans l’oubli de soi-même que réside la meilleure consolation ; et en
voyant le bonheur des autres, on souffre moins de sentir sa part diminuée.
Je viens d’écrire à M. Ferry en lui envoyant la note que vous avez jointe à votre lettre. Je ne
fais aucun doute / que les titres de M. Poincaré justifient assez sa demande pour qu’il
doive, à eux seuls, la réussite que j’espère. Je vous remercie, chère Madame et amie, d’avoir
assez compté sur ma vieille amitié pour m’employer à vous rendre ce léger service (en ce
qui me concerne du moins) et je me féliciterai avec vous du but atteint quand je saurai votre
chère fille rapprochée de vous.
Je suis ici jusqu’à la fin du mois et quitterai d’ici pour me rendre en Alsace. Croyez à tout le
plaisir que nous aurions, ma fille et moi, si la visite que vous et Mr d’Andecy me promettez
pouvait s’étendre / jusqu’à Rueil 31 rue de Versailles.
J’aurai soin de vous adresser la réponse de M. Ferry à moins qu’elle ne vous arrive par voie
administrative, avant celle que je pourrai vous donner. En attendant et, quoi qu’il arrive,
croyez-moi toujours votre dévouée et maternelle amie
Kestner
Un souvenir particulièrement aimable à M. d’Andecy et à notre frère.10
Le 19 octobre 1881, Poincaré était finalement nommé maître de conférences à la Faculté des
Sciences de Paris. Cette intervention auprès de la famille Kestner ne fit probablement
qu’accélérer une situation inéluctable : l’exceptionnel talent mathématique de Poincaré aurait
de toute manière fini par lui valoir une poste à Paris ; cependant, on peut gager que sans elle
son parcours aurait suivi la voie normale des nominations dans de petites facultés de province
(comme ce fut le cas pour Boutroux par exemple).
Un tel épisode illustre bien le fait que durant toute sa vie, Poincaré fit partie d’une sphère
d’influence qui comptait les grands acteurs de la société française. On pourrait par conséquent
s’attendre à découvrir dans son œuvre ou dans sa vie un grand intérêt pour la Chose publi-
que, pour les luttes politiques, idéologiques ou syndicales. Il n’en est rien… On sait qu’il évo-
7 Comme le voulait une tradition protestante en vigueur à l’époque, il accola le nom de sa femme au sien et se fit ainsi appeler
Auguste Scheurer-Kestner.
8 Pour plus de détails sur famille Kestner, on consultera la notice d’André Roumieux dans Mémoires d’un sénateur dreyfusard
[Roumieux 1988]. On se reportera également au Dictionnaire de biographie française, tome XVIII.
9 Nous ne connaissons malheureusement pas les dates d’existence de l’épouse de Charles Kestner, ce qui nous amène à privi-
légier la seconde hypothèse. Bien qu’il n’existe aucune trace connue de relations entre Poincaré et Auguste Scheurer-Kestner,
l’intervention décisive de Poincaré durant l’affaire Dreyfus nous incite à supposer que la demande de Poulain d’Andecy fut
adressée à son épouse, Céline Kestner.
10 [Document ACERHP microfilm 2].
Henri Poincaré (1854-1912) : Des Mathématiques à la Philosophie 246
L’Engagement Public
luait dans l’entourage de Marie Bonaparte, qu’il fréquentait les déjeuners de Le Bon, qu’il était
ponctuellement invité dans les salons littéraires et mondains, et on peut de plus imaginer que
ses liens familiaux avec Raymond Poincaré l’amenèrent à rencontrer un grand nombre
d’acteurs de l’échiquier politique de la Troisième République. Pourtant, sa correspondance ne
contient guère de traces de contacts avec des personnalités politiques et ne livre que très peu
d’informations sur les convictions idéologiques ou politiques qu’il pouvait éventuellement
défendre.11
L’analyse des rares documents dans lesquels il est question de politique révèle l’image d’un
Poincaré proche des républicains modérés mais manifestement très détaché par rapport aux
grands événements politiques de son temps. Loin de tout militantisme syndical ou politique,
loin des passions idéologiques, Poincaré affichait, semble-t-il, un certain scepticisme quant à
l’efficacité de l’engagement public. En témoigne, par exemple, le plaidoyer en faveur de
l’engagement des savants dans la démocratie, tout en demi-teintes, qui ouvre ce chapitre.
Répondant, en juin 1904, à une enquête de la Revue bleue sur « L’élite intellectuelle et la démo-
cratie », Poincaré affirmait que l’accomplissement des devoirs des savants vis-à-vis de la chose
publique se heurte très souvent à l’incompréhension d’un public enclin à céder aux sirènes de
l’irrationalisme. Sur ce point, il savait bien de quoi il parlait puisque, au moment où il répon-
dait à cette enquête, il menait une expertise scientifique dans le cadre de l’affaire Dreyfus,
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événement judiciaire qui exacerbait le langage des passions depuis plusieurs années déjà. En
des termes qui semblent anticiper les idées de Max Weber sur la séparation entre le savant et
le politique, il exprimait ainsi ses doutes sur la valeur pratique de l’engagement public :
[…] La politique est aujourd’hui un métier qui absorbe l’homme tout entier ; un savant qui
voudra s’y consacrer devra sacrifier sa vocation ; s’il veut être réellement utile au pays, il
faut qu’il donne la moitié de son temps aux affaires de la République ; s’il veut garder son
siège, il faut qu’il donne l’autre moitié aux affaires de ses électeurs ; il ne lui restera plus
rien pour la Science. […] Il serait donc fâcheux que tous les savants aspirassent au Parle-
ment, parce qu’alors il n’y aurait plus de savants. Que nous sacrifiions de temps en temps
quelqu’un d’entre nous, plus apte à se faire comprendre des foules ou des assemblées, on
peut s’y résigner ou même s’en réjouir, non seulement pour le pays, mais pour la science
elle-même, car il faut bien après tout qu’elle ait quelqu’un pour défendre ses intérêts. Mais
la plupart devront se borner aux articles de journaux et de revue. Je doute que leur voix soit
entendue, au milieu du fracas des luttes quotidiennes.12
Malgré son caractère artificiel et quelque peu convenu, le scepticisme politique de cette cita-
tion exprime relativement bien la nature de l’engagement poincaréien. Scientifique politique-
ment réservé, Poincaré fut effectivement conduit à prendre part aux grands débats de société
du tournant du siècle : membre d’un Comité Républicain pour la promotion de la représenta-
tion proportionnelle, président d’honneur de la Ligue Française d’Éducation Morale de Gus-
tave Belot, il prit position contre l’inégalité Nord-Sud dans la représentation électorale et il
intervint surtout de manière décisive en faveur de la révision du procès Dreyfus en 1904. Ce-
pendant, tous ces engagements, sans exception, se caractérisent par leur dimension apolitique.
C’est en effet toujours en qualité de spécialiste éminent des mathématiques et des probabilités,
en tant que membre prestigieux de l’Académie des Sciences qu’il fut conduit à prendre publi-
quement position. Qu’il critique les pièges des jeux de hasard ou qu’il se prononce pour le
scrutin proportionnel, Poincaré interviendra d’abord et avant tout en scientifique, visiblement
11 On ne dénombre ainsi que deux lettres de Raymond Poincaré dans la correspondance Poincaré et il ne s’agit que de corres-
pondances de jeunesse.
12 [Poincaré 1904l], page 708. Lors de cette même enquête, Boutroux devait proposer une réponse très modérée et très ‘dialecti-
que’… : « Je ne vois pas clairement que les écrivains et les savants aient le devoir d’exercer une action politique, mais il me paraît
évident qu’ils en ont le droit. Ils constituent une portion très importante de la nation, dont les intérêts doivent être défendus avec
compétence et autorité. De plus, leurs occupations habituelles les rendent capables d’une élévation d’esprit, d’une connaissance
foncière des choses, d’une objectivité, que des occupations purement pratiques ne favorisent pas toujours au même degré, et qui
ont leur rôle utile à côté de la préoccupation des intérêts immédiats. Mais il est à souhaiter qu’en se mêlant aux affaires publi-
ques, les écrivains et les savants conservent leur caractère, et qu’ils mettent dans la politique quelque chose de leur esprit de
chercheurs désintéressés, plutôt que de transporter les mœurs des politiciens dans leur vie littéraire ou scientifique ». [Boutroux
1904e], page 707.
Henri Poincaré (1854-1912) : Des Mathématiques à la Philosophie 247
L’Engagement Public
avec la conviction que le respect de la rigueur rationnelle peut être socialement utile. Ainsi,
malgré la forte charge passionnelle et la forte résonance idéologique de l’affaire Dreyfus, Poin-
caré se cantonnera dans son rôle d’expert scientifique, se gardant bien d’entrer dans
l’engrenage des luttes entre dreyfusisme et antidreyfusisme ; aucun communiqué officiel,
aucun article dans la presse, mais une modération clairement revendiquée dans un seul et
unique acte : la signature de l’Appel à l’Union d’Ernest Lavisse, enjoignant à la réconciliation
nationale et à l’acceptation du jugement de la Cour d’Appel, quel qu’il soit. Alors que pour
bon nombre d’intellectuels, l’Affaire constituera le point de départ de leur engagement mili-
tant, et malgré sa prise de position en faveur de Dreyfus, Poincaré ne sera jamais à proprement
parler un dreyfusard et demeurera toujours à l’écart des grands mouvements contribuant à
remodeler le paysage politique français : non seulement il n’adhérera pas à la Ligue des Droits
de l’Homme mais, de plus, vers la fin de sa vie, il affichera des affinités très claires avec les
milieux conservateurs, représentés par d’anciens membres de l’élite antidreyfusarde : Barrès,
le Comte d'Haussonville, etc.
D’une manière générale, l’exploration de la correspondance permet de distinguer trois grands
moments dans l’évolution de ses relations avec l’engagement public, moments qui s’articulent
autour du pivot de l’affaire Dreyfus. À l’instar de bien des intellectuels de son temps, il y aura
dans la vie de Poincaré un avant et un après l’Affaire : un avant qui se caractérise par une ab-
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sence d’engagements et un après qui se singularise par des engagements ponctuels qui sem-
blent, cependant, obéir beaucoup plus à une logique du succès médiatique qu’à une logique
politique héritée de l’affaire elle-même.
Jusqu’en 1899, Poincaré semblera beaucoup plus préoccupé par ses recherches scientifiques et
philosophiques que par les événements politiques et sa correspondance ne contiendra guère
que quelques passages laconiques attestant d’un intérêt détaché à leur égard. On peut en don-
ner rapidement quelques illustrations. Dans sa biographie, Bellivier nous apprend que Poinca-
ré accompagna son père dans ses visites aux soldats blessés en 1870 durant le siège de Nancy.
Contrainte, par ailleurs, d’héberger chez elle un allemand nommé Kleeman (secrétaire du
commissaire civil de Nancy), la famille Poincaré se lança dans une résistance passive, refusant
d’échanger le moindre propos avec cet étranger ; seul Poincaré, voyant dans ces circonstances
l’occasion de perfectionner son allemand et de mieux connaître son ennemi, tentait de discuter
avec celui-ci. Soucieuse d’obtenir des informations récentes sur l’état d’avancement du conflit,
mais privée de journaux français, la mère de Poincaré s’arrangeait pour dérober le journal du
Kleeman pendant une petite heure : elle cherchait les mots dans le dictionnaire, Henri tradui-
sait et sa sœur recopiait sous la dictée.13 De cette période troublée, Poincaré devait conserver
un patriotisme profond, certes, mais ouvert (puisqu’il entretint une correspondance régulière
avec les grands noms de la science germanique), un patriotisme dont on peut sentir les traces
dans son goût prononcé pour les métaphores militaires.
Les lettres que Poincaré envoya à sa mère durant ses études à l’École Polytechnique et à
l’École des Mines ne contiennent que très peu de commentaires politiques : le choc de
l’évasion de Bazaine en 1873 (il avait été condamné à mort pour avoir ouvert les portes de
Metz aux soldats allemands) est bien-sûr mentionné, tout comme les risques de nouvelles
prétentions allemandes sur le territoire français, auxquels Poincaré ne croit guère.14 Partant en
voyage d’étude en Autriche-Hongrie en 1877, c’est d’ailleurs un Poincaré triomphant et pince-
sans-rire qui vante les mérites de son expédition, dans un de ces poèmes dont il a le secret :
Pour nous la Hongrie et l’Autriche Bon gré mal gré l’on se partage
Nous attire invinciblement. En quelques petits régiments.
Nous serons dix assurément Sans quoi l’industrie allemande,
Pour voir cette terre si riche Devant pareille invasion,
Et ses importants gisements. Repousserait notre demande,
Il faudra que pour ce voyage Et point d’autorisation !15
Après la période des études viendra celle de la recherche scientifique, et les multiples échan-
ges de lettres qui l’accompagnent. Pourtant, malgré la complicité ou l’amitié qui unissent
Poincaré avec certains de ses correspondants (Paul Appell ou Mittag-Leffler par exemple), il
n’y est quasiment jamais question d’événements politiques : les lois de Jules Ferry sur la gra-
tuité de l’enseignement primaire (1881), la mort de Gambetta (1882), la démission de Jules
Grévy après le scandale des décorations (1887), la loi militaire des trois ans (1889) ou le scan-
dale de Panama ne suscitent aucun commentaires de la part de Poincaré et ce court poème sur
le général Boulanger paraît bien isolé dans un corpus politiquement neutre :
Cette barbe superbe a pour nom Boulan- Alors l’affront sanglant qu’il aura su venger
ger ; Fera tonner son nom de Pékin à Tanger.
Grâce à lui le Français ne craint plus le Combien de filles vont pour lui se déranger
danger ; Qui sans cela seraient dignes de l’oranger.
À son nom, les Prussiens, qu’il jura de Tout cède au grand vainqueur… Mais
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dans la bibliographie spéciale page 327. L’ensemble de cette section exploite les documents inédits sur l’affaire Dreyfus qui se
trouvent sur le microfilm 4 de la correspondance de Poincaré. On trouvera donc également dans cette bibliographie spéciale un
descriptif complet des documents concernant ce sujet qui se trouvent sur le microfilm 4 des ACERHP. Par ailleurs, les documents
importants du microfilm qui ne sont pas intégralement cités dans cette section sont reproduits dans l’annexe page 411.
Henri Poincaré (1854-1912) : Des Mathématiques à la Philosophie 249
L’Engagement Public
Personnages multiples campés par de solides acteurs : Alfred et Mathieu Dreyfus, Émile Zola,
Henry, Maurice Barrès, Mercier du Paty de Clam, Walsin Esterhazy, Painlevé, Picquart, Ha-
damard, Scheurer-Kestner, etc…
Rebondissements nombreux : faux documents, docteurs secrets non communiqués à la dé-
fense, faux en écriture, faux témoignages, personnages mystérieux, duels, agressions…
Tous les ingrédients étaient réunis pour faire de cet événement une sorte de psychodrame
dans le plus pur style ‘fin de siècle’.
Comme l’a bien montré Christophe Charle, l’affaire Dreyfus vit l’apparition des ‘intellectuels’,
comme groupe, « comme schème de perception du monde social et comme catégorie politi-
que ».18 C’est en grande partie à travers diverses pétitions, souscriptions, ligues et rassemble-
ments suscités par l’Affaire que la communauté intellectuelle française acquit son autonomie
et se divisa en deux grands courants : celui du droit, d’une part, représenté par la Ligue fran-
çaise pour la défense des droits de l’homme et du citoyen et par les pétitions en faveur de la
révision du procès Dreyfus19 ; celui de l’armée et de la patrie, d’autre part, symbolisé par la
souscription en faveur du monument Henry et par la Ligue de la Patrie Française.
Une certaine historiographie associe souvent l’antidreyfusisme à l’antisémitisme et insiste
beaucoup sur les délires réactionnaires des Barrès, Maurras et consorts. Vraisemblablement à
tort puisqu’on sait que l’antidreyfusisme majoritaire était de tendance républicaine modérée.20
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On pouvait être antidreyfusard, non par antisémitisme mais par amour de l’armée ou de la
patrie, ce qui n’empêchait pas les dreyfusards de proclamer également haut et fort cet amour
des valeurs traditionnelles. On pouvait également être dreyfusard et afficher des convictions
antisémites (ce fut le cas de Georges Sorel), ou bien antidreyfusard tout en se déclarant socia-
liste et favorable à la révolution sociale (ce fut par exemple le cas d’Alfred Giard). Dans
l’Affaire rien n’est vraiment simple. Les Carnets de Dreyfus récemment publiés par Philippe
Oriol le montrent bien21 ; Tout comme l’épisode de l’engagement de Poincaré.
Beaucoup de choses ont été dites ou écrites sur l’Affaire Dreyfus ; la littérature autour de cet
événement ne manque donc pas. Certains tentèrent de défendre la thèse antidreyfusarde,
vaste gageure étant données les multiples irrégularités de procédure. D’autres écrivirent, avec
plus ou moins de bonne foi, les histoires de l’Affaire : Armand Charpentier, par exemple, avec
son livre Les côtés mystérieux de l’affaire Dreyfus… Fac-similés de sept documents secrets, ou Mau-
rice Baumont dans son ouvrage, Aux sources de l’Affaire : l’affaire Dreyfus d’après les archives
diplomatiques.22 Cependant, rares sont les textes qui, à notre connaissance traitent du rôle joué
par la communauté scientifique dans cette affaire23 et, à ce titre, l’intervention de Poincaré est
relativement peu connue. À plusieurs reprises, à partir de 1899, il disséqua la pseudo-science
qui servait de base à certains accusateurs de Dreyfus, pour finalement la vider de toute subs-
tance dans un rapport d’enquête rédigé en 1904, en collaboration avec Gaston Darboux et Paul
Appell, « Examen critique des divers systèmes ou études graphologiques auxquels a donné
lieu le bordereau ».24
La seule ‘preuve’ tangible de la culpabilité de Dreyfus étant un bordereau retrouvé à
l’ambassade d’Allemagne, l’accusation et la défense n’eurent de cesse de faire désigner des
experts en écriture afin de déterminer si, oui ou non, l’écriture du bordereau était identique à
celle des lettres saisies au domicile de Dreyfus. S’ensuivit une bataille d’experts sur fond
d’antisémitisme (relativement minoritaire) et de manipulations gouvernementales. Cette que-
relle d’experts est intéressante dans la mesure où les théoriciens des différents systèmes
d’analyse se placèrent le plus souvent sous la tutelle protectrice de la Science, en se réclamant
par exemple du calcul des probabilités, ou en mettant en avant la forme purement logique,
donc désintéressée, de leurs allégations.25 Elle pose le problème général de l’expertise scientifi-
que : le critère de scientificité est-il le seul à être pris en compte dans le cadre d’une expertise,
ou bien faut-il admettre que des facteurs plus personnels – institutionnels, psychologiques ou
sociologiques – entrent en action ? Dans quelle mesure des stratégies de communication peu-
vent-elles être mises en œuvre et déterminer la ‘victoire’ d’une expertise sur l’autre ?
Ces questions ont leur importance et nous verrons qu’elles sont pertinentes dans le cadre de la
petite histoire que nous exposons ici. Le système le plus significatif, et aussi le plus criminel
par ses conséquences, fut celui forgé par Alphonse Bertillon. Notre histoire tournera donc
autour d’une forme nouvelle de ‘bertillonage’ : l’autoforgerie.
A – De l’affaire Dreyfus à l’autoforgerie
1 – Chronologie de l’Affaire
Fin septembre 1894, le Service de Renseignement français, par l’intermédiaire d’une femme de
ménage travaillant à l’ambassade d’Allemagne, entre en possession d’une lettre déchirée en
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six morceaux, sans date ni signature, destinée à un attaché militaire allemand, le colonel
Maximilien von Schwarzkoppen. Cette lettre, qui sera par la suite désignée comme le ‘borde-
reau’, annonce l’envoi de plusieurs notes confidentielles concernant l’armement et
l’organisation de l’armée française.26 La lettre est remise à l’un des officiers du Service de Ren-
seignement, le lieutenant-colonel Joseph Henry. À cause de la similitude supposée de son
écriture avec celle du bordereau, et parce qu’un stage au Ministère de la Guerre l’avait mis en
contact avec les documents secrets qu’il mentionnait, le capitaine Alfred Dreyfus, polytechni-
cien et officier juif d’origine alsacienne, est arrêté, soumis à une dictée puis écroué à la prison
du Cherche-Midi le 15 octobre 1894. C’est le commandant Armand Mercier du Paty de Clam
qui est chargé de l’enquête par le ministre de la Guerre, le général Auguste Mercier.
L’appareil judiciaire se met rapidement en place. Trois des cinq experts commis par les autori-
tés attribuent le bordereau à Dreyfus. Du 19 au 22 décembre 1894, le procès Dreyfus a lieu à
huis-clos devant le Conseil de Guerre de Paris. Le général Mercier, qui fait de cette Affaire une
affaire personnelle et qui entend peser de tout son poids sur le verdict du Conseil communi-
que aux juges, à l’insu de Dreyfus et de son avocat, un soi-disant dossier secret contenant des
preuves accablantes préparées par le Service de Renseignements (dossier dont deux docu-
ments sont des faux). À l’unanimité, Dreyfus est reconnu coupable de haute trahison et est
immédiatement condamné à la déportation à vie sur l’Île du Diable, une enceinte fortifiée de
Guyane. L’injustice fondamentale est commise : en négation du droit français, Dreyfus est
condamné sur la base de documents auxquels il n’a pu avoir accès.
La dégradation militaire de Dreyfus a lieu dans la Cour de l’École Militaire, place Fontenoy, le
5 janvier 1895. Par l’entremise de la presse, qui se voit obligée de choisir son camp, cet événe-
25 De 1894 à 1906, pas moins de quarante experts furent officiellement désignés par la justice et il s’agit là d’un chiffre très en
dessous de la réalité, car non seulement certains experts intervinrent à plusieurs reprises, mais également parce qu’il y eut un très
grand nombre d’expertises non officielles diffusées par voie de presse ou de brochure. Comme le remarque Bertrand Joly dans
son article « La bataille des experts en écriture » : « On peut donc distinguer six groupes d’experts : les experts officiels, c’est-à-
dire agréés par la justice ; les chartistes ; les militaires ; les mathématiciens ; les étrangers ; les amateurs ». [Joly 1994], page 37.
26 Voici le texte du bordereau : « Sans nouvelles m’indiquant que vous désirez me voir, je vous adresse cependant, Monsieur,
quelques renseignements intéressants : 1) une note sur le frein hydraulique du 120 et la manière dont s’est conduite la pièce ; 2)
une note sur les troupes de couverture (quelques modifications seront apportées par le nouveau plan) ; 3) une note sur une
modification aux formations de l’artillerie ; 4) une note relative à Madagascar ; 5) le projet de manuel de tir de l’artillerie de
campagne (14 mars 1894). Ce dernier document est extrêmement difficile à se procurer et je ne puis l’avoir à ma disposition que
très peu de jours. Le ministère de la Guerre en a envoyé un nombre fixe dans les corps, et ces corps en sont responsables. Chaque
officier détenteur doit remettre le sien après les manœuvres. Si donc vous voulez y prendre ce qui vous intéresse et le tenir à ma
disposition après, je le prendrai. A moins que vous ne vouliez que je vous le fasse copier in extenso et ne vous en adresse la copie.
Je vais partir en manœuvres ».
Henri Poincaré (1854-1912) : Des Mathématiques à la Philosophie 251
L’Engagement Public
ment prend des allures d’événement national. Léon Daudet, qui conservera toujours ses
convictions antidreyfusardes, écrira ainsi une chronique particulièrement cinglante dans Le
Figaro :
Que peut-on faire de plus à ce petit automate, complètement noir et dépouillé de tout, à
cette bête hideuse de trahison qui demeure debout sur ses jambes roides, survivant à sa ca-
tastrophe, épouvantail pour les faibles et désolation pour les forts. […] Il n’a plus de nom. Il
n’a plus de teint. Il est couleur traître.27
À cette époque, une grande majorité de l’opinion publique est persuadée de la culpabilité de
Dreyfus. Il faudra attendre la publication à Bruxelles, le 6 novembre 1896, d’une brochure de
Bernard Lazare Une erreur judiciaire – la vérité sur l’affaire Dreyfus pour que l’on voie apparaître
un clivage entre dreyfusards et antidreyfusards.28
Le 1er juillet de la même année, le lieutenant-colonel Georges Picquart succède au lieutenant
Jean Sandherr à la tête du Service de Renseignement. L’étude des dossiers d’instruction et la
constatation de multiples irrégularités de procédure le conduiront progressivement à la con-
viction de l’innocence de Dreyfus. Début mars 1896, l’épouse de Dreyfus, Lucie, adresse à la
Chambre des députés une pétition demandant la révision du procès de son mari. Cependant,
les démarches de Picquart pour faire éclater la vérité deviennent de plus en plus en plus gê-
nantes pour l’État-Major militaire qui, visiblement, tente de couvrir le véritable coupable et
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trouve en Dreyfus un accusé parfait ; en octobre 1896, Picquart est donc envoyé en mission
dans l’Est de la France puis en Tunisie.
Progressivement, les événements prennent une tournure très obscure : ainsi, le 2 novembre
1896, le Commandant Henry confie au Général Gonse un document apparemment accablant
pour Dreyfus… On découvrira plus tard que ce document est un faux. La publication de la
brochure de Bernard Lazare fait grand bruit et a pour conséquence une formidable campagne
de presse, principalement au sein des journaux L’Éclair, Le Soir et Le Matin. Ce dernier journal
publie le 10 novembre 1896 le fac-similé du bordereau, non sans présenter également un fac-
similé de l’écriture de Dreyfus afin de mettre en évidence les ‘similitudes’ des deux écritures :
Quiconque a pu comparer le document avec les vingt-neuf autres pièces du dossier affirme
en son âme et conscience que c’est la même main qui a tracé et la lettre preuve de la trahi-
son et les pièces que Dreyfus reconnaît avoir écrites. Ainsi la culpabilité de Dreyfus éclate
indiscutablement…29
En juin 1897, Picquart s’entretient avec son ami, l’avocat Louis Leblois. Il lui fait part de sa
brouille avec Henry et de ce qu’il sait à propos de l’affaire. Il lui demande de garder le secret.
Un mois plus tard, le 13 juillet, Leblois relate, sous le sceau du secret, les confidences de Pic-
quart à son ami Auguste Scheurer-Kestner (1833 – 1899). En sa qualité de vice-président du
Sénat, ce dernier jouera un rôle prépondérant dans l’entreprise de réhabilitation de Dreyfus.30
Le 15 novembre 1897, le frère de Dreyfus, Mathieu Dreyfus, dénonce publiquement Ferdinand
Walsin Esterhazy comme l’auteur du bordereau. Le gouvernement ordonne alors une enquête
sur ce commandant, joueur impénitent, coureur de jupons criblé de dettes et récemment mis à
doutes sur la culpabilité de Dreyfus. Je peux vous donner des éclaircissements très précis sur cette affaire ; mais c’est une confi-
dence que je désire vous faire et si vous ne me donnez pas votre parole d’honneur que vous ne ferez pas usage des renseigne-
ments que je vais vous donner qu’après y avoir été autorisé par moi, il me sera impossible de vous dire ce que je sais. Je donnais
ma parole d’honneur et voici le récit que me fit Leblois : – Au moment de la condamnation de Dreyfus, tout le monde, juges
militaires et fonctionnaires du Ministère de la Guerre, était convaincu de sa culpabilité. Aujourd’hui, il n’en est plus de même.
Des doutes sont nés chez quelques-uns uns et d’autres savent très bien à quoi s’en tenir car ils n’ignorent pas qu’il y a eu une
erreur et que le malheureux déporté de l’Île du Diable est innocent. Mais on étouffe l’affaire et, pour répondre à certaines préoc-
cupations, on a inventé l’histoire d’une complice ; le vrai coupable on le ferait passer pour un complice ! Ce vrai coupable
s’appelle Walsin Esterhazy ». [Scheurer-Kestner 1988] page 81.
Henri Poincaré (1854-1912) : Des Mathématiques à la Philosophie 252
L’Engagement Public
la retraite forcée. Le 9 janvier 1898, Esterhazy se constitue prisonnier ; il est incarcéré à la pri-
son du Cherche-Midi et, à la suite d’un procès d’opérette (les 10 et 11 janvier), il est acquitté à
l’unanimité par le premier Conseil de Guerre de Paris.
C’en est trop pour Zola qui publie le 13 janvier dans L’Aurore une fameuse lettre ouverte au
président de la République, « J’accuse ». Dans ce texte au vitriol, Zola livre un parfait conden-
sé des thèses dreyfusardes. Il met de plus les autorités militaires et le gouvernement face à
leurs responsabilités en les accusant devant le tribunal de la presse :
J’accuse enfin le premier Conseil de Guerre d’avoir violé le droit, en condamnant un accusé
sur une pièce restée secrète, et j’accuse le second Conseil de Guerre d’avoir couvert cette il-
légalité par ordre, en commettant à son tour le crime juridique d’acquitter sciemment un
coupable.
En portant ces accusations, je n’ignore pas que je tombe sous le coup des articles 30 et 31 de
la loi sur la presse du 29 juillet 1881, qui punit les délits des diffamations. Et c’est volontai-
rement que je m’expose.31
Zola conclut son pamphlet d’un courageux « J’attends… » ; il n’attendra pas longtemps puis-
que le Général Billot déposera une plainte en diffamation contre lui, ainsi que contre le gérant
de L’Aurore le 18 janvier 1898. C’est le début de l’affaire Zola. Le 7 février 1898, le procès Zola
s’ouvre devant les Assises de la Seine ; le 23 février, Zola est condamné à un an de prison et à
3000 francs d’amende. Le 26, il signe son pourvoi en cassation. Le 2 avril , la Cour de Cassa-
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tion annule l’arrêt de la Cour d’Assises et, le 11 février, Zola reçoit une nouvelle assignation à
comparaître. Le 23 mai à Versailles s’ouvre le second procès de Zola devant la Cour d’Assises.
Le 18 juillet, il est condamné par défaut à 3000 francs d’amende et à un an de prison. Zola se
réfugie à Londres pour échapper à cette sanction.
Les événements se précipitent alors. Déjà le 26 février, Picquart avait été mis en réforme par
ses supérieurs hiérarchiques. Le 12 juillet 1898, Esterhazy est de nouveau arrêté, tout comme
Picquart le lendemain. Le 13 août, on découvre finalement que les documents accusant Drey-
fus et confiés par Henry au Général Gonse sont des faux forgés par Henry lui-même. Le 31
août, Henry est retrouvé mort la gorge tranchée dans sa cellule. L’affaire prend alors un tour
tel que la révision du procès Dreyfus n’est plus, aux yeux de ses partisans, qu’une question de
temps.
Le 3 septembre 1898, l’épouse de Dreyfus demande officiellement cette révision. Cependant, il
faudra attendre le mois de juin 1899 pour que la situation évolue de manière positive. Le 1er
juin, Paty de Clam est arrêté ; le 5 est prononcée la cassation du jugement de 1894 et Zola peut
enfin rentrer en France. Le 30 juin, Dreyfus arrive en France et le 7 août débute à Rennes un
nouveau procès, riche en événements.
Un de ces événements, que nous détaillerons dans la suite de ce texte, est la lecture d’une
lettre de Poincaré devant le Conseil de Guerre de Rennes le 4 septembre 1899. Dans cette let-
tre, Poincaré critique les méthodes pseudo-scientifiques utilisées pour analyser le bordereau.
Cette lettre n’aura que peu de poids face à l’accusation puisque le 9 septembre 1899, après
deux heures de délibération, Dreyfus est reconnu, par cinq voix contre deux, coupable
d’intelligence avec l’ennemi avec circonstances atténuantes. Il est condamné à dix ans de dé-
tention.
Le 19 septembre 1899, Émile Loubet gracie Dreyfus (et le même jour meurt Scheurer-Kestner).
Le 14 décembre 1900, une loi d’amnistie est votée pour tous les faits relatifs à l’affaire Dreyfus
(notamment les affaires Zola et Picquart). Le 26 novembre 1903, Dreyfus dépose une requête
en révision. Le 18 avril 1904, la Chambre du Conseil de la Chambre Criminelle demande à
Henri Poincaré, Gaston Darboux et Paul Appell de procéder à une étude scientifique du bor-
dereau accusant Dreyfus, afin de préparer la révision du procès. Cette étude est remise à la
Chambre le 2 août 1904. Le 12 juillet 1906, un arrêt de la Cour de Cassation casse sans renvoi le
jugement du Conseil de Guerre de Rennes. Le lendemain, Dreyfus et Picquart sont réintégrés
au sein de l’armée avec les grades auxquels leur ancienneté leur donne droit. Le 20 juillet,
Dreyfus est fait chevalier de la Légion d’honneur. Le 4 juin 1908, les cendres de Zola, mort le
30 septembre 1902, sont transférées au Panthéon. Le 11 février 1908, un monument à la mé-
moire de Scheurer-Kestner est inauguré dans le jardin du Luxembourg. Picquart meurt en
1914 ; il a droit à des funérailles nationales.
2 – Les querelles d’experts : Alphonse Bertillon et l’autoforgerie
Alphonse Bertillon (1853-1914) est considéré comme l’un des pères des méthodes modernes en
criminologie. En tant que chef du service de l’identité judiciaire à la préfecture de police de
Paris, il contribua à la mise au point d’une discipline nouvelle – l’anthropologie métrique –
qui, dès 1882, dans le prolongement des travaux de B. A. Morel, servit à recenser les caractéris-
tiques physiques (empreintes digitales, taille du crâne, etc.) des personnes emprisonnées afin
de les répertorier. Antisémite notoire, Bertillon s’illustra vers la fin d’une façon beaucoup
moins glorieuse en étayant la thèse de la culpabilité de Dreyfus au moyen d’arguments farfe-
lus.
Le 13 octobre 1894 vers neuf heures du matin, alors que la presse ignore encore tout de ce qui
va bientôt devenir l’Affaire, Bertillon reçoit du préfet Louis Lépine (1846-1933) l’ordre de
comparer l’écriture du bordereau avec celle de Dreyfus. Il a dix heures pour rendre son rap-
port. Dans la soirée, il présente ses conclusions :
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Si l’on écarte l’hypothèse d’un document forgé avec le plus grand soin, il appert manifes-
tement pour nous que c’est la même personne qui a écrit les pièces communiquées et le do-
cument incriminé.32
Un autre expert, Alfred Gobert, avait déjà été consulté sur les conseils du Garde des Sceaux ;
dans son rapport, remis le même jour que Bertillon, il concluait que, malgré leur aspect gra-
phique similaire, les deux écritures présentaient des dissimilitudes nombreuses et importan-
tes. Ce rapport n’eut guère d’impact dans la mesure où Gobert, expert de la Banque de France,
fut immédiatement soupçonné d’avoir des relations nombreuses avec la finance internationale
(juive évidemment) et de connaître personnellement la famille Dreyfus. Dans son rapport,
Bertillon remarquait que le texte du bordereau présentait des traces de retouches, traces qui
pouvaient être perçues comme les indices d’un calquage (la pièce du bordereau était une
feuille de papier pelure très fine, presque transparente qui aurait pu théoriquement servir de
calque). À partir de cette présomption, Bertillon corrigera par la suite ses conclusions et for-
mulera la thèse d’un document forgé par un inconnu pour compromettre un ennemi. Il amé-
nagera cette thèse pour faire en sorte qu’elle ‘prouve’ la culpabilité de Dreyfus.33
Le 20 octobre 1894, Bertillon présente ainsi un nouveau rapport dans lequel il expose sa thèse
de l’autoforgerie, thèse qu’il ne cessera de modifier et de perfectionner durant toute l’affaire.
L’auteur du bordereau serait bel et bien Dreyfus qui, d’une manière machiavélique, aurait
contrefait sa propre écriture selon un procédé savant ; il aurait sciemment introduit dans son
écriture des éléments parasites, empruntés aux écritures de sa femme et de son frère, afin de
pouvoir se disculper en cas d’accusation. Toute la mythologie du roman d’espionnage est
donc rassemblée. Dreyfus est un espion à la solde de la Prusse soucieux de mettre toutes les
chances de son côté. Il peut « selon les circonstances, soit prétendre que la pièce avait été fa-
briquée, soit dénier toute ressemblance avec son écriture ».34 Ce rapport sera célébré plus tard
par l’État-Major militaire comme un des chefs-d’œuvre de la science moderne.
32 Cité d’après la déposition de Bertillon devant le Conseil de Guerre de Rennes le 25 août 1899 [Sources officielles de l’affaire
Dreyfus 1900], tome III, page 322. Bertillon ajoutera cette remarque pour bien montrer quel était son état d’esprit en 1894 : « Au
point de vue logique, cet avis signifiait simplement que je trouvais que les deux groupes de formes graphiques, représentés par
les deux sortes de documents, étaient trop semblables pour pouvoir être attribués au hasard. »
33 Notons que durant toute l’affaire, Bertillon n’interviendra qu’en tant qu’expert de l’État-Major militaire. Il ne sera jamais
Bertillon avait eu l’occasion d’exposer sa thèse au président de la République Casimir Périer. Ce dernier devait par la suite
qualifier Bertillon d’« aliéné raisonnant ». Le 12 août 1899, lors du procès de Rennes, Casimir Périer relate cet épisode en ces
termes : « Le 14 et le 15 décembre [1894], j’ai reçu M. Bertillon sur les instances du Ministre de la Guerre qui jugeait très curieuse
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L’Engagement Public
Le 21 octobre 1894, devant le caractère peu convaincant du rapport de Bertillon, le Garde des
Sceaux désigne trois nouveaux experts. Eugène Pelletier dépose un rapport le 25 octobre, dans
lequel il innocente Dreyfus.35 Pierre Teyssonières, conclut quant à lui dans le sens de Bertillon
en affirmant que l’écriture du bordereau a toutes les apparences d’un déguisement. Enfin, le
dernier expert, Étienne Charavay, abonde également, à la surprise générale, dans le sens de
Bertillon en concluant que le bordereau est écrit de la même main que les pièces de comparai-
son.36
Le 21 décembre 1894, Bertillon expose, diagrammes à l’appui, son système devant le Conseil
de Guerre. Son exposé fait grande impression par son caractère incompréhensible et amuse
beaucoup l’assistance. Il désigne Dreyfus comme le ‘coupable’ et il affirme qu’il s’est servi
d’au moins trois écritures pour écrire le bordereau. Le manque de sérieux de la thèse de
l’autoforgerie ne semble pas vouloir convaincre le tribunal, mais Dreyfus a un mot malheu-
reux. Se moquant des arguments de Bertillon, il dit : « Que le témoin veuille bien jurer qu’il
m’a vu écrire le bordereau ». Ce mot d’esprit ambigu sonnera pour beaucoup comme un aveu
implicite.37 Dreyfus est finalement condamné, mais certainement beaucoup plus à cause du
dossier secret présenté par l’accusation, qu’à cause des expertises. En août 1896, Picquart – qui
est alors chef de la Section de Statistiques (un euphémisme pour désigner le Service de Ren-
seignement) – mène sa propre enquête sur Dreyfus. Il fait venir Bertillon et lui montre des
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sa démonstration, très intéressantes et très concluantes ses comparaisons d’écriture ; je dois avouer que je les ai jugées différem-
ment. (Nouveaux sourires) ». [Sources officielles sur l’affaire Dreyfus 1900], tome I, page 65.
35 « Le document incriminé a toutes les apparences d’une pièce écrite franchement d’une écriture normale. Il présente le gra-
phisme usuel de son auteur. » Cité d’après [Bredin 1983], page 100.
36 Archiviste et expert très réputé, il semble que Charavay fut l’objet d’une manipulation. Des gens se présentant comme des
parents de Dreyfus lui auraient fait une fausse proposition de corruption ce qui aurait orienté son jugement dans la direction de
Bertillon.
37 Voir [Bredin 1983], page 125. Voir également la déposition de Bertillon lors de l’enquête de la Cour de Cassation, le 18
janvier, et les 2, 4 et 6 février 1899 [Sources officielles sur l’affaire Dreyfus 1899a], tome I, pages 482-500. Voir également la dépo-
sition de Bertillon durant le procès de Rennes, les 25 et 26 août 1899 [Sources officielles sur l’affaire Dreyfus 1900], tome II, pages
318-386.
38 Ainsi, lors du procès de Rennes, pour annoncer une pause avant la suite de la déposition de Bertillon, le président de la cour
s’autorise cette formule ambivalente : « Vous avez terminé votre première partie ; c’est le moment de nous accorder quelques
moments de repos ».
39 Cité d’après [Bredin 1983], page 330.
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L’Engagement Public
nier, professeur à l’École des Chartes40, Arthur Giry, professeur à l’École des Chartes ainsi qu’à
l’École des Hautes Études. Ces témoignages n’auront guère de conséquences. Zola sera con-
damné et, l’année suivante, la peine de Dreyfus sera confirmée par le Conseil de Guerre de
Rennes. Le procès de Rennes donne deux nouvelles opportunités à Bertillon pour s’exprimer :
d’une part durant l’enquête de la Cour de Cassation, le 18 janvier, et les 2, 4 et 6 février.41
D’autre part, durant le procès proprement dit, avec une déposition fleuve de plus de dix heu-
res prononcée les 25 et 26 août 1899.42 À ces deux occasions, Bertillon a toute liberté pour expo-
ser sa théorie sur l’identité du bordereau.
La thèse de l’autoforgerie est d’une rare complexité. Cependant, celle-ci ne constitua pas un
obstacle à sa propagation car elle eut un certain nombre de disciples : à commencer par
l’auteur de la fameuse ‘brochure verte’ qui parapha courageusement son œuvre de cette signa-
ture anonyme ‘un ancien élève de l’École Polytechnique’.43 À signaler également, la brochure
signée – phénomène de mode sans doute – ‘un polytechnicien’, La théorie de M. Bertillon – Ré-
ponses à MM. Bernard, Molinier et Painlevé (1904).
Ces deux brochures présentent le système Bertillon d’une manière synthétique. Exposer un tel
système en tenant compte des subtilités introduites par les différents disciples relèverait de
l’exploit ; nous nous contenterons donc seulement de présenter un tableau général des princi-
paux arguments sans entrer dans les détails de fond.
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On se rappelle que le bordereau était constitué de six morceaux déchirés retrouvés dans une
corbeille à papier. Les six morceaux avaient bien évidemment été reconstitués par les person-
nes chargées de l’enquête, mais il n’était pas question qu’un expert travaille sur une pièce à
conviction aussi fragile. Au prix d’un grand nombre d’efforts, Bertillon parvint à faire une
reproduction photographique du bordereau conforme au modèle pour ce qui est des dimen-
sions, reproduction sur laquelle il superposa un quadrillage de quatre millimètres sur quatre
millimètres, afin de pouvoir mesurer l’alignement des différents mots. Cette reproduction
respectait, selon lui, les règles les plus pures de la méthode géométrique.44
L’examen de certains mots repérés plusieurs fois dans le texte du bordereau le conduisirent
alors à une constatation frappante : ces mots redoublés semblaient s’aligner d’une manière
équivalente par rapport à certains axes du quadrillage de quatre millimètres ; il en était ainsi
des mots copie, manœuvres ou modifications. Ayant fait cette constatation, Bertillon pose la ques-
tion de la probabilité de telles ‘coïncidences’ : « De quel nombre de pièces manuscrites écrites
naturellement au courant de la plume faudrait-il disposer pour avoir quelque chance de ren-
contrer une missive semblablement disposée ? »45 Selon lui, il en aurait fallu dix-mille, chiffre
suffisamment élevé pour conclure que ces alignements ne sont pas dus au hasard et que le
bordereau est un document forgé de toutes pièces.
Concernant la manière dont étaient tracés ces mots, une autre constatation lui semblait frap-
pante : les treize mots redoublés que contenait le bordereau semblaient tous obéir à une loi.
Toujours le premier mot se met sur le second avec un recul de 1mm,25 ou de deux fois
1mm,25. Voilà un phénomène qui n’est pas naturel et qui, à lui seul, dénote la confection ar-
tificielle du bordereau.46
Bertillon précisait bien qu’il se contentait de formuler des hypothèses. Cependant, son but
était bel et bien de prouver la culpabilité de Dreyfus. Le bordereau lui donnait l’impression
40 Il est l’auteur, avec Paul Painlevé, d’une brochure mettant vivement en cause les thèses de Bertillon. Voir [Molinier / Painle-
vé 1904].
41 [Sources officielles sur l’affaire Dreyfus 1899a], tome I, pages 482-500.
42 [Sources officielles sur l’affaire Dreyfus 1900], tome II, pages 318-386.
43 [Un ancien élève de l’École Polytechnique 1904]. Cette brochure est censée discuter les systèmes de Bertillon et du Capitaine
Valério (qui témoigne au procès de Rennes le 26 août 1899). À notre connaissance, Valério ne publiera aucune brochure.
44 [Sources officielles sur l’affaire Dreyfus 1900], tome II, page 325 : « Pour donner la certitude à l’opération, […] je mettais
contre mon cliché une gradation millimétrique sur verre, qui était agrandie conjointement avec le cliché, de sorte que j’avais là un
texte continuel, constant de l’opération, puis j’ai recoupé carrés par carrés, et j’ai recollé les morceaux sur une grande planche à
dessin où j’avais tracé, au préalable, avec la plus grande exactitude, des carrés de quatre centimètres de côté ».
45 [Sources officielles sur l’affaire Dreyfus 1900], tome II, page 326.
46 [Sources officielles sur l’affaire Dreyfus 1900], tome II, page 328.
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d’avoir été calqué sur des documents du Ministère de la guerre rédigés par Dreyfus. Ceci ne
constituait certes pas une preuve contre lui. On aurait pu, en effet, toujours affirmer que
Dreyfus était la victime d’une machination ; quelqu’un aurait pu imiter son écriture pour le
perdre. Bertillon envisagea bien une telle hypothèse mais pour la rejeter aussitôt : s’il s’était
agi d’un complot, les différences d’écriture entre les pièces du Ministère et le bordereau
n’auraient pas été aussi flagrantes ; l’écriture n’aurait pas été déguisée d’une manière aussi
patente.47
Autre coïncidence : étant confronté durant l’enquête à une lettre du frère de Dreyfus, Bertillon
avait été frappé par les similitudes que présentaient certains caractères (l’s long par exemple
ou la forme particulière des o). Il se procura donc des lettres écrites par les membres de la
famille Dreyfus. Sur l’une d’entre elles (celle qu’on appellera la lettre du buvard), rédigée par
Mathieu Dreyfus, il s’aperçut qu’il était possible de superposer certains mots sur des mots du
bordereau. Le recul de 1mm,25 était également présent sur cette lettre, ce qui semblait prouver
que Dreyfus avait emprunté certains traits de l’écriture de son frère. La conviction de Bertillon
était donc claire : le bordereau avait été confectionné par Dreyfus à l’aide d’un artifice géomé-
trique ingénieux. Cette pièce avait été composée au moyen de mots calqués répartis sur un
quadrillage de quatre millimètres, puis recalqués avec un décalage de 1mm,25. Les preuves
étaient nombreuses et évidentes : d’une part, la superposition de certains mots du bordereau
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sur des documents rédigés par Dreyfus lors d’un stage au Ministère de la guerre ; d’autre part,
une superposition analogue de certains mots du bordereau sur la lettre du buvard ; enfin, la
présence, dans l’écriture des membres de la famille, de caractéristiques graphiques similaires à
celles qui apparaissaient sur le bordereau.
Il restait alors à déterminer par quel procédé ingénieux certains mots redoublés du bordereau
parvenaient à se superposer avec une précision millimétrique. Bertillon pensait pouvoir affir-
mer que la clé de cette énigme tournait autour du mot intérêt. Dreyfus avait constitué une
‘chaîne’ à partir du mot intérêt répété tout le long d’un calque de manière à créer un guide
pour l’écriture du faux (‘intérêtintérêtintérêtintérêt’).
Quand on met le mot intérêt bout à bout de façon que l’i vienne juxtaposer contre le bord in-
terne du t final, il occupe de cette façon une longueur exacte de 12mm,5. Il en résulte que
les mots sont coupés alternativement de deux en deux de même façon par le réticulage
demi-centimétrique. Ainsi, le premier intérêt est touché par le réticule inférieurement, ici
supérieurement, ici inférieurement, ici supérieurement, ici inférieurement, etc. ; autrement
dit il y a par rapport à l’emplacement occupé par les mots intérêt sur le réticule, une diffé-
rence de deux fois 1,25.48
Ceci permettait également d’expliquer pourquoi certains mots non redoublés pouvaient se
superposer sur le quadrillage millimétrique. Si, par exemple, les mots manœuvres et manuel se
superposaient c’est parce qu’ils avaient été tracés sur des intérêts de même alternance touchés
de la même façon par le quadrillage. Le nombre d’or pour Bertillon était donc 1,25… Nombre
fatidique qu’il retrouve toujours et partout.
Connaissant la méthode de confection du bordereau, Bertillon se faisait fort ensuite de le re-
produire devant le tribunal en quarante minutes… et ce uniquement avec une pièce de cinq
centimes et un crayon !
Les relations qui existent entre le chiffre 12,5, le chiffre 1,25 et la largeur des pièces de 5 cen-
times sont des relations bien connues qui sont vulgarisées chaque année sur la couverture
de l’almanach Hachette ; il en résulte cette conclusion bien simple qu’avec une pièce de cinq
centimes et un crayon nous avons tous les éléments qu’il faut pour reconstituer le mot ‘inté-
47 [Sources officielles sur l’affaire Dreyfus 1900], tome II, pages 334-335 : « […] On peut concilier l’utilité théorique pour un
espion de combiner le déguisement avec la simulation d’un document forgé. En effet, le flagrant délit est l’éventualité qui est la
plus redoutable pour un traître ; en pareille éventualité, il ne s’agit plus de nier, il faut prouver qu’on est victime d’une machina-
tion, et en pareil cas le bordereau machiné, comme nous venons de l’indiquer, aurait été du plus grand secours pour établir les
preuves résultant d’autres circonstances ».
48 [Sources officielles sur l’affaire Dreyfus 1900], tome II, page 344.
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L’Engagement Public
rêt’. (Rires) […] Ainsi avec un sou et un crayon le mot clef peut être constitué et la chaîne
peut être faite.49
Ainsi, en calant une pièce de cinq centimes sur une règle et en la faisant tourner en prenant
pour repère la devise ‘égalité’ de son pourtour, il était possible d’établir le quadrillage ayant
servi à la fabrication du bordereau (cf. Figure 2 ci-dessous).50 Les planches de la brochure verte
écrite par un ancien élève de l’École Polytechnique présentaient même un dessin donnant un
« repérage de l’épure de la pièce de 5 centimes sous la lettre des obligations au moment du
décalque du mot intérêt ». Il s’agissait, selon l’auteur, d’une « détermination géométrique de la
pente de 1/9 de façon que l’extrémité inférieure du final soit à exactement 1 kutsch en dessous
de la réglure qui passe par l’extrémité de la pointe inférieure de l’n » (le kutsch était une unité
de mesure de l’époque équivalant à 1mm¼).51
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Figure 2
Le rôle d’une pièce de cinq centimes
dans le système de Bertillon52
Pour Bertillon, il n’y avait donc pas seulement des similitudes graphiques entre les différentes
pièces de comparaison et le bordereau mais également des relations mathématiques. Il plaçait
ainsi le débat au sein de l’arène scientifique. Sa certitude sur la culpabilité de Dreyfus était
donc complète puisqu’elle se fondait sur des raisonnements scientifiques impersonnels. Il
concluait ainsi sa déposition :
Dans l’ensemble des observations et des concordances qui forment ma démonstration, il n’y
a de place pour aucun doute ; et c’est fort d’une certitude non seulement théorique mais
matérielle, qu’avec le sentiment de la responsabilité qu’entraîne une conviction aussi abso-
lue, en mon âme et conscience j’affirme, aujourd’hui comme en 1894, sous la foi du serment,
que le bordereau est l’œuvre de l’accusé. (Nouvelles rumeurs). J’ai fini.
Face à ce tissu d’affabulations, la communauté scientifique française réagira. Dès la fin de
l’année 1897, certains de ses membres commencent à douter de la culpabilité de Dreyfus. Paul
Painlevé est de ceux là. Il est ami avec Jacques Hadamard, son camarade de classe au Lycée
Louis-Le-Grand et à l’École Normale Supérieure. Or Hadamard est un petit cousin par alliance
de Dreyfus. Au printemps 1897, Hadamard rencontre Painlevé ; la discussion tourne autour
des chances pour Hadamard d’obtenir un poste de répétiteur à l’École Polytechnique. Painle-
vé entend le dissuader de présenter sa candidature à un tel poste, à cause de sa parenté avec
Dreyfus. Hadamard en est indigné et, tout en soulignant la faiblesse du lien familial qui l’unit
49 [Sources officielles sur l’affaire Dreyfus 1900], tome II, page 363.
50 Dessin présent sur la planche 4 de [Un ancien élève de l’École Polytechnique 1904]. Malgré la mauvaise qualité de la repro-
duction, il est possible de lire le mot intérêt en travers du quadrillage.
51 Planche 4 de [Un ancien élève de l’École Polytechnique 1904].
52 Cette illustration provient de la brochure verte.
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cupent au dernier point et qui ne prend pas une bonne tournure. Sans doute vous aurez su
que nos deux étoiles mathématiques de première grandeur, Painlevé et Hadamard, ont pa-
ru à la Cour de Cassation, chose bien étrange, et que la déposition de Painlevé n’a pas été
sans porter préjudice au général Gonse. Nous sommes vraiment malheureux, une incontes-
table atteinte a été portée au respect des chefs de l’armée, au prestige du commandement,
et des marques d’indiscipline se sont produites chez des soldats qui avaient lu les déposi-
tions publiées par Le Figaro ; Picard qui fait partie du comité de la ligue de la patrie fran-
çaise, où il se trouve en rapport avec des personnages politiques, comme Cavaignac, est ex-
trêmement inquiet, il me dit que le ministère peut être renversé à la rentrée prochaine des
chambres.54
Cependant, le ralliement des scientifiques à l’antidreyfusisme sera relativement minoritaire et
on peut estimer qu’une part importante de la communauté scientifique se rangera du côté
dreyfusiste. Bien des savants s’engageront publiquement : le biologiste Émile Duclaux, le
chimiste Édouard Grimaux (qui sera révoqué de sa chaire de l’École Polytechnique pour avoir
pris position durant le procès Zola), Poincaré, Darboux ou Appell en constituent les exemples
emblématiques.55 Pour ces savants, le plus souvent, l’enjeu sera moins d’ordre juridique ou
moral que d’ordre scientifique : la pauvreté des arguments ‘scientifiques’ à la base de
l’accusation rendra, à leur yeux, suspect l’ensemble de l’affaire ; cette affaire révélera au grand
jour l’existence d’un lien entre la pratique scientifique et la conscience citoyenne : en interve-
nant, ils auront la possibilité de montrer les vertus d’un bon usage des savoirs dans la forma-
53 Voir à ce sujet [Aubey-Berthelot 1996], page 35 : « L’affaire Dreyfus fit du quai de Conti un véritable bastion antidreyfusiste :
présidée par deux académiciens, Jules Lemaître et François Coppée, la Ligue de la Patrie Française ne rallia pas moins de vingt-
six immortels et Maurice Barrès, le contempteur des ‘intellectuels’ dreyfusards, fit son entrée sous la coupole dès 1906 ».
54 Le 1er septembre 1898 déjà, Hermite s’inquiétait du problème posé en France par l’affaire Dreyfus et demandait à Mittag-
Leffler de lui donner son opinion sur la question : « Soyez assez bon, mon cher ami, pour me dire ce que vous pensez de la
proposition de désarmement du tsar, qui cause une émotion générale, et aussi de cette affaire Dreyfus, qui revient avec une
nouvelle gravité ; est-il vrai qu’à l’étranger on soit disposé à le croire injustement condamné ? C’est ce que pense Mr Lipschitz,
qui m’en a écrit et Mr Lindelöf qui en a écrit à Picard, et bien d’autres ». Dans sa réponse datée du 9 septembre 1898, Mittag-
Leffler lui exposera l’opinion dominante à l’étranger : « Vous demandez ce qu’on pense à l’étranger sur cette malheureuse affaire
de Dreyfus. J’inclus une coupure du journal de Genève qui exprime l’opinion que je sais être unanime partout en dehors de la
France. J’ai eu l’occasion de parler pendant le courant de cette année avec un souverain et un prince héritier du trône – de deux
pays différents – sur l’affaire Dreyfus. Tous les deux disaient très formellement que tous les cabinets de tous les pays savent
parfaitement que Dreyfus est innocent du crime pour lequel il a été condamné ».
55 Mais il faudrait également mentionner les noms de Charles Friedel, Gabriel Lippmann, Gaston Bonnier, Joseph Bertrand, ou
Maurice Lévy. À ceux-ci, il faudrait encore ajouter les noms des scientifiques qui n’étaient pas encore académiciens et qui jouè-
rent un rôle essentiel dans l’Affaire : Émile Roux, Charles Richet, Louis Lapique, Painlevé, Jules Tannery, Hadamard, Borel, Aimé
Cotton, Marcel Brillouin, Jean Perrin, Paul Langevin ou Maurice Caullery. Pour plus de détails on se reportera à l’article de
Vincent Duclert sur l’Académie des Sciences dans le Dictionnaire des intellectuels français [Duclert 1996], ainsi qu’à sa thèse.
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tion d’une société démocratique et de dénoncer la dérive technique des connaissances scienti-
fiques, telle qu’elle pouvait apparaître, par exemple, dans le système Bertillon.56
B – De l’Appel à l’Union au procès de Rennes
pourra se reporter au dossier le concernant, conservé sous la côte Yh/14 au sein du Service Historique des Armées.
60 Sur la Ligue de la Patrie Française, on consultera l’ouvrage de Pierre Rioux, Nationalisme et conservatisme : la Ligue de la Patrie
Les soussignés, émus de voir se prolonger et s’aggraver la plus funeste des agitations ; per-
suadés qu’elle ne saurait durer davantage sans compromettre mortellement les intérêts vi-
taux de la Patrie française, et notamment ceux dont le glorieux dépôt est aux mains de
l’Armée nationale ; persuadés aussi qu’en le disant ils expriment l’opinion de la France,
Ont résolu :
De travailler, dans les limites de leur devoir professionnel, à maintenir, en les conciliant
avec le progrès des idées et des mœurs, les traditions de la Patrie française ; de s’unir et de
se grouper, en dehors de tout esprit de secte, pour agir utilement dans ce sens par la parole,
par les écrits et par l’exemple ; et de fortifier l’esprit de solidarité qui doit relier entre elles, à
travers le temps, toutes les générations d’un grand peuple.61
À sa suite apparaissaient les signatures des personnalités acceptant de cautionner le pro-
gramme de la ligue : membres de l’Institut, sénateurs, députés, médecins, etc. Une part non
négligeable de l’intelligentsia nationaliste et antidreyfusarde accepta de signer l’appel de Le-
maître : Gyp, Léon Daudet, François Coppée, le comte d’Haussonville, Maurice Barrès, etc. Le
programme ne mentionnait pas le nom de Dreyfus ; cependant, c’est bien autour de l’affaire
que se constitua cette ligue.
La Ligue de la Patrie Française était conçue comme une réponse de l’élite nationaliste à la
toute récente Ligue des Droits de l’Homme qui se proposait d’unir tous les défenseurs du
droit convaincus de l’innocence de Dreyfus (elle avait été fondée au début de l’hiver 1898). Les
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motivations et les convictions des adhérents étaient cependant multiples et n’allaient pas for-
cément dans le sens d’un nationalisme et d’un antisémitisme extrêmes. Pour s’en rendre
compte, il suffit de consulter les témoignages recueillis par les journalistes du Temps. Tous les
signataires s’accordaient autour de la nécessaire défense de l’armée, mais les positions défen-
dues à l’égard de l’affaire étaient souvent très modérées. Professeur à la Sorbonne, Marcel
Dubois regrettait par exemple l’amalgame produit par le terme d’intellectuel et s’empressait
de préciser qu’on n’est pas nécessairement clérical, réactionnaire ou antisémite « parce qu’on
respecte l’armée et parce qu’on refuse de croire à l’innocence de Dreyfus tant que l’arrêt du
conseil de guerre reste debout ».62 De son côté, tout en mentionnant ses convictions socialistes
et en se déclarant l’ennemi des institutions bourgeoises, Alfred Giard justifiait son engage-
ment dans la ligue en affirmant que l’affaire compromettait les intérêts de la France et mettait
en danger l’Armée Nationale, survivance barbare du passé, mais néanmoins mal nécessaire :
L’armée, au siècle où nous sommes, est une monstrueuse survivance des âges de barbarie ;
c’est, pour employer le langage des biologistes, un organe témoin, mais un organe malheu-
reusement indispensable à l’intégrité du corps social et j’ajouterai un organe non perfectible
dans le sens des institutions démocratiques. […] Il nous est interdit d’y toucher et de
l’affaiblir tant que nous serons entourés de peuples chez lesquels le militarisme est presque
une religion.63
La création de la Ligue de la Patrie Française suscita de nombreuses polémiques dans les jour-
naux, surtout du côté des représentants de la Ligue des Droits de l’Homme, accusés par les
nationalistes de ne pas suffisamment défendre les valeurs et les traditions françaises.64 Pen-
dant plusieurs semaines, les journaux parisiens, comme Le Temps ou Le Matin, fourmillèrent
littéralement de lettres ouvertes, de communiqués, d’interpellations de toutes sortes rédigés
cette accusation dans une lettre ouverte au Temps du 6 janvier 1899 : « L’armée, qui la respecte plus que nous ? Mais c’est préci-
sément parce que nous la respectons et l’honorons, parce qu’elle représente pour nous la patrie elle-même, c’est pour cela que
nous la voulons pure et sans tache. […] Ceux qui insultent aujourd’hui cette armée, ce sont ceux qui solidarisent sa cause avec
celle de quelques personnages. Or, ces personnages et leurs panégyristes, la ligue nouvelle, craignant de faire éclater dans ses
propres rangs des divergences, n’a même pas le courage de les désavouer ».
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par les représentants des deux camps et contribuant ainsi à créer une ‘guerre des ligues’. Face
à une telle cacophonie, un sénateur, Jules Fabre devait proposer alors avec une certaine clair-
voyance, le 17 janvier 1899, un diagnostic du problème opposant les deux courants ainsi
qu’une solution possible reposant sur un compromis. Son diagnostic ? Deux ligues avaient été
fondées ; la première se réclamant du droit et la seconde de la patrie ; la première reprochant à
la seconde d’aller à l’encontre de la justice et du droit, et la seconde accusant la première de
porter atteinte à l’armée et aux intérêts supérieurs de la patrie. Entre ces deux positions extrê-
mes, se trouvait enfin la masse des citoyens français pour qui patrie et droit, armée et justice
étaient inséparables. Sa solution ? Plutôt que de créer une nouvelle ligue, il préconisait
l’organisation d’une manifestation pour l’apaisement rassemblant les signataires autour de
trois points : (i) clore une ère de discorde en acceptant le jugement de la Cour de cassation,
quel qu’il soit ; (ii) répudier « soit les fauteurs de coup d’État et de guerre de race ou de reli-
gion, soit les insulteurs de l’autorité militaire ou de la magistrature » ; (iii) unir et enseigner
dans un commun respect « l’armée, qui est la force au service du pays et de la loi, et la justice à
qui doit rester le dernier mot ».65 Et cet appel à l’apaisement, au neutralisme et au respect de la
légalité ne pouvant être lancé par un homme politique, c’est à des personnalités publiques
incontestées et estimées de tous les partis qu’il incombait selon Fabre.
Quelques jours plus tard, le 24 janvier, le Temps publiait un Appel à l’Union proposant à ses
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prise de position neutraliste : « Il semble qu’il y ait une antinomie entre nos deux aspirations les plus chères ; nous voulons être
sincères et servir la vérité ; nous voulons être forts et capables d’agir. J’espère que cette antinomie n’est qu’apparente et qu’elle
n’est pas insoluble. Mais il y a des moments où le conflit devient aigu et où l’on désespère de trouver une solution.
De là les violences des passions soulevées par une affaire récente. Des deux côtés, la plupart étaient animés de nobles intentions ;
des deux côtés on défendait un idéal digne de respect et on avait des raisons sérieuses de le croire menacé. Mais c’est justement
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pour cela que chacun jugeait ses adversaires criminels ; aussi que de haines et que d’injures. Si jamais devait éclater un nouveau
conflit du même genre, souhaitons que nous soyons plus justes les uns pour les autres ». [Poincaré 1903l] page 61.
69 Sur la question des probabilités, il aurait été difficile de trouver meilleur spécialiste en France. Poincaré avait en effet succédé
à Gabriel Lippmann sur la Chaire de physique mathématique et calcul de probabilités à la Faculté des Sciences de l'Université de
Paris, en août 1886. En 1896, il avait publié un traité de près de 300 pages, Calcul des probabilités aux éditions Carré & Naud
(ouvrage réédité en 1912). Poincaré devait d’ailleurs diriger la thèse d’Émile Borel, le père de l’école probabiliste française.
70 Il avait déposé juste après Bertillon, le samedi 26 août 1899. Cf. [Sources officielles sur l’affaire Dreyfus 1900], tome II, pages
387-399.
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Ces coïncidences, quoique fortuites, peuvent néanmoins, une fois constatées, servir de
moyen mnémonique. Quoi d’étonnant à ce que, après cinq ans d’apprentissage, elles puis-
sent permettre de reconstituer le bordereau ? Un peintre peut faire de mémoire le portrait
d’un homme sans que cet homme soit truqué.
Sur la photographie composite que vous m’envoyez, voici ce que je remarque :
A première vue, je dois distinguer ce qui se rapporte à l’emplacement des lettres et ce qui se
rapporte à leur forme :
En ce qui concerne l’emplacement, on doit s’attendre à trouver, sur les photographies 2 et 3,
des pâtés équidistants, puisque le triage des mots de la chaîne rouge et de ceux de la chaîne
verte a été fait justement de façon à se rapprocher le plus possible de cette équidistance.
Si ces pâtés étaient nets, on devrait conclure à la régularité d’espacement, qui serait facile à
expliquer comme nous l’avons vu. Mais, comme ils sont très vaguement indiqués, cela veut
dire simplement que cette régularité n’existe pas.
Ce qui concerne la forme serait plus intéressant.
À ce point de vue, sur la photographie 3, je ne vois absolument rien ; sur la photographie 2,
je n’ai d’abord rien vu non plus. Après, j’ai cru lire ère ; j’ai cru voir ensuite intérêt, par au-
tosuggestion probablement, parce que je ne le retrouve pas du tout.
Finalement, voici les parties que je vois ressortir en noir.
[Suivent cinq hiéroglyphes]
D’ailleurs, ces cinq hiéroglyphes paraissent dus – les deux premiers qui n’ont aucune forme
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71 Auteur en 1904 d’une brochure critiquant le système Bertillon. Voir [Bernard 1904].
72 [Sources officielles sur l’affaire Dreyfus 1900], tome III, pages 329-331.
73 Et encore ! Poincaré n’avait aucun électorat à ménager, contrairement à Raymond Poincaré. Ce dernier, en politicien oppor-
tuniste et avisé, ne prit position que très tardivement dans l’affaire afin d’éviter tout risque politique (ce qui l’obligea tout de
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Il est difficile de déterminer précisément l’impact que put avoir la lecture cette lettre lors du
procès. Bien-sûr, Dreyfus fut à nouveau condamné à l’issue du procès de Rennes. Cependant,
l’avis d’un des représentants les plus éminents de la science française ne pouvait être négligé.
En 1899, même s’il n’avait pas encore publié d’ouvrages pour le grand public, Poincaré était
déjà connu d’un large public cultivé. Il s’était rendu célèbre en 1889 en remportant le Grand
Prix du roi de Suède pour sa contribution importante au problème des trois corps, prix qui lui
avait valu d’être nommé chevalier de la Légion d’Honneur le 4 mars de la même année. Élu
membre étranger de la Société Royale de Londres le 26 avril 1894, il était, depuis 1895, membre
correspondant de l’Académie Impériale des Sciences de Saint-Petersbourg et en 1897 il avait
été membre du Comité d’Admission à l’exposition universelle internationale de 1900 pour la
classe 3 (enseignement supérieur). La respectabilité et la légitimité scientifiques du personnage
n’étaient donc pas douteuses. La puissance institutionnelle de sa position plaidait également
pour lui et donnait à son intervention une force que la déposition de Bertillon ne possédait
pas. Maître Edgar Demange, le défenseur de Dreyfus à Rennes, devait d’ailleurs faire remar-
quer dans sa plaidoirie :
J’ai en présence, deux hommes : l’un auquel j’ai rendu tous les hommages, mais qui n’a pas
fait de mathématiques spéciales ; l’autre, ingénieur des mines, ancien élève de l’École poly-
technique comme vous, messieurs, et qui est un mathématicien distingué.
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M. Bertillon, vous disent MM. Bernard et Poincaré, s’est trompé dans ses calculs, et il ré-
sulte pour nous, au contraire, de l’application du calcul des probabilités, que c’est une écri-
ture naturelle, que ce n’est pas une écriture forgée.
C’est vous qui apprécierez. Quant à moi je ne le peux pas. Je m’incline. Je pense que ceux
qui ont fait des travaux spéciaux doivent certainement avoir plus de chances d’être dans le
vrai que M. Bertillon.74
Après le procès de Rennes, Poincaré se cantonna dans une certaine réserve jusqu’au moment
où, sollicité par certains membres de la communauté intellectuelle, il fut amené à se prononcer
une nouvelle fois sur le système de Bertillon.
C – Poincaré et l’Affaire en 1903-1904
même à expliquer comment, alors qu’il faisait partie du gouvernement en 1894, il avait pu ignorer les manœuvres du Ministère
de la Guerre pour accabler Dreyfus). Voir à ce sujet l’opinion de Bredin dans son [Bredin 1983], page 298 : « Dans le monde
parlementaire il faut aussi compter, au-delà des opinions et des convictions, avec les calculs de l’ambition. Les plus habiles des
politiques, tels Barthou, Poincaré ou Caillaux, ceux qui dans quelques années domineront la scène politique, s’efforceront, le plus
longtemps possible, de ne pas se déclarer, ne devenant ‘dreyfusards’ que quand ils seront assurés d’y trouver avantage ».
Raymond Poincaré ne s’engagea publiquement qu’en 1899, c’est-à-dire après avoir été réélu lors des élections législatives de 1898
(alors que la plupart des politiciens affichant des convictions dreyfusistes, tel Reinach, avaient été battus). Sur le comportement
très ambigu de Poincaré à cette occasion, on consultera le livre que Pierre Miquel lui consacra [Miquel 1968], pages 160 et suivan-
tes.
74 Le 9 septembre 1899 [Sources officielles sur l’affaire Dreyfus 1900], tome III, page 724.
75 Pour plus de détails, voir [Baal 1994].
Henri Poincaré (1854-1912) : Des Mathématiques à la Philosophie 265
L’Engagement Public
Lazare).76 Un grand nombre de biographes ont insisté sur la monotonie de la vie de Poincaré,
consacrée presque exclusivement, d’après eux, à ses recherches, à son enseignement et à sa
famille. Il est vrai qu’il fallut une ‘hygiène de vie’ irréprochable à Poincaré pour produire une
œuvre aussi considérable que la sienne. Cependant, intellectuel bien installé dans la société
parisienne, Poincaré avait ses entrées dans de nombreux salons, tel celui de Marie Bonaparte
(voir la correspondance citée dans la note 134 page 172), et il devait avoir de nombreux
contacts avec différents protagonistes de l’affaire.77 Il n’est donc guère étonnant de découvrir
dans sa correspondance deux lettres de Monod.
Monod lui écrivit ainsi le 23 décembre 1903 pour lui demander son avis sur le système
d’analyse du bordereau exposé par le commandant Corps dans une brochure intitulée Étude
sur le bordereau.78 À l’instar du système de Bertillon, cette théorie accréditait la thèse de
l’autoforgerie mais en utilisant des arguments différents. Corps était, semble-t-il, persuadé que
son argumentation, dont Poincaré avait eu vent, avait réussi à le convaincre et qu’il pouvait
ainsi compter sur un appui public de sa part. Bien qu’anecdotique, l’épisode dont il est ques-
tion dans cette correspondance révèle particulièrement bien l’importance accordée par les
acteurs de l’affaire à l’opinion des scientifiques (en l’occurrence de Poincaré) sur la validité
des études faites sur le bordereau.
Versailles, le 23 décembre 1903.
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76 Pour plus de détails, voir la déposition de Monod le 14 janvier 1899, lors de l’enquête de la Cour de Cassation, notamment
[Sources officielles sur l’affaire Dreyfus 1899a], tome 1, pages 457-458 : « J’étudiai attentivement la première brochure de Bernard
Lazare qui me fut envoyée, et je lui demandai de me procurer des lettres autographes de Dreyfus ou des fac-similés. L’étude de
ces documents m’amena à la conviction que Dreyfus ne pouvait pas être l’auteur du bordereau, et que, par conséquent, l’erreur
commise par certains experts de 1894 sur la seule pièce qui eût motivé officiellement la condamnation rendait la révision néces-
saire ».
77 Poincaré eut-il l’occasion de rencontrer Dreyfus ? Rien ne permet de l’affirmer. D’ailleurs, dans ses Carnets, Dreyfus ne fait
état d’aucune rencontre avec le mathématicien et se contente de mentionner l’importance de l’enquête qu’il mena avec Darboux
et Appell en 1904. Voir [Dreyfus 1998], pages 184, 216 et 241.
78 Les informations sur le commandant Corps sont fort peu nombreuses et il n’est que rarement mentionné dans les ouvrages
traitant de l’affaire Dreyfus. Poincaré et Corps se connaissaient probablement car ils étaient entrés la même année à l’École
Polytechnique, Poincaré avec le rang de major, et Corps avec le quatrième rang. Corps était en 1903 chef de bataillon du génie à
l’État-Major de Paris.
79 [Document ACERHP microfilm 4]. Il s’agit du document n° 12, d’après la liste reproduite à la page 327.
Henri Poincaré (1854-1912) : Des Mathématiques à la Philosophie 266
L’Engagement Public
J’apprends de très bonne source que Dreyfus et ses conseillers se préoccupent énormément
de mes recherches sur le bordereau et des moyens de les combattre ; et j’ai lieu de croire
qu’on cherchera à obtenir ton concours à cet effet.
Je te demande instamment de ne pas te prononcer avant de m’avoir permis de t’exposer
mes dernières études, beaucoup plus complètes, et des documents beaucoup plus exacts
que ceux que tu as vus, et que j’avais établis précédemment pour le procès de 1899.
Je me tiendrai à ta disposition, et me rendrai près de toi au jour et à l’heure que tu
m’indiqueras.
Bien cordialement à toi.
C. Corps
Chef du Génie à Versailles.80
Les Archives Poincaré ne disposent malheureusement pas des réponses envoyées par Poincaré
à ces deux lettres. Cependant, la seconde lettre de Monod, ci-dessous, permet d’imaginer la
tonalité négative de la réponse qu’il fit à la demande de Corps.
Versailles, le 27 décembre 1903.
Mon cher confrère,
Je vous remercie vivement de votre lettre et vous prie de m’excuser si je viens encore vous
ennuyer à propos du commandant Corps avec qui j’ai conféré deux heures ce matin, en
compagnie d’Hadamard. Mais cela a son importance, car je suis effrayé en voyant comment
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raisonne cet honnête militaire, de la manière dont peuvent raisonner d’autres militaires, [4
mots illisibles]. C’est le raisonnement du parapluie. Ce parapluie pourrait être à moi, il est à
moi. Dreyfus / pourrait être coupable, il doit l’être, il l’est. Nous devons à tout prix en
trouver les raisons.
Je vous ai raconté que mardi dernier quand Corps m’a dit vous avoir convaincu. Je lui ai
dit : ‘En êtes vous sûr ?’ Si je ne l’ai pas convaincu, je l’ai du moins très fortement ébranlé. Je
crois l’avoir convaincu.
Ce matin je lui ai – non pas montré votre lettre qui m’a paru trop vive pour être montrée,
mais dit que je vous avais questionné et que vous m’aviez répondu que son système supé-
rieur en simplicité à celui de Bertillon, n’était ni plus raisonnable ni plus [mot illisible].
Alors avec cette admirable mauvaise foi inconsciente des gens à idée fixe il me répond : ‘En
effet il ne m’a pas dit qu’il trouvait juste mon raisonnement sur le bordereau, / mais il m’a
dit qu’il était très frappé de mes observations sur les lettres d’Esterhazy et sur l’écriture
d’Esterhazy rapprochée du bordereau’. Or vous vous rappelez que d’après lui si Dreyfus se
trouve avoir fabriqué une écriture falsifiée qui est semblable à celle d’Esterhazy, c’est que
les prétendues lettres d’Esterhazy sont des faux fabriqués par [une bande de copieurs ?] qui
voulaient – à l’insu de Dreyfus – [le sauver pour faire chanter ensuite ?], ou des lettres écri-
tes par Esterhazy lui-même moyennant finance – en imitant le fac-similé du Matin. Il a réus-
si à retrouver dans ces lettres un certain ensemble de mots qui – d’après lui – ressemblent
plus au fac-similé [3 mots illisibles (un peu défectueux ?)] du Matin qu’au bordereau origi-
nal. D ’après / lui Esterhazy dès 1897 a fait ce qu’il a pu pour se faire reconnaître pour
l’auteur du bordereau !!! On voit très bien comment toute la théorie de Corps est unique-
ment une série d’hypothèses fondées sur des indices imaginaires ou puérils et destinées à
répondre à toutes les preuves de la culpabilité d’Esterhazy et de l’innocence de Dreyfus.
Je suis convaincu que vous n’avez pas été plus ébranlé par les démonstrations et les raison-
nements de Corps sur les lettres d’Esterhazy que par ceux sur la fabrication du bordereau.
Je vous serai très reconnaissant de m’autoriser à le lui dire.
Votre tout dévoué.
G. Monod81
Poincaré répondra finalement à Corps, ce dernier le remerciant pour sa lettre. Du contenu de
la réponse, Corps donne un bref aperçu dans une lettre, datée également 27 décembre 1903.
Versailles, 27 décembre [1903].
Mon cher camarade,
Je te remercie de ta lettre, et suis heureux qu’elle me permette de rectifier un malentendu. Je
n’ai jamais dit que je t’avais convaincu, mais j’ai rapporté notre entretien à diverses person-
nes, et j’ai dit que ta conclusion avait été la suivante : ‘Je ne pourrai jamais admettre la théo-
rie de Bertillon mais la tienne ne me paraît pas à priori impossible. Ce qui m’a le plus frap-
pé, ce sont tes observations sur les lettres d’Esterhazy’.
Et il me semble, si mes souvenirs sont exacts, que c’était bien là le sens de ta réponse.
Quoiqu’il en soit, je te demande encore de ne pas porter un jugement définitif d’après ce
que j’ai pu te montrer en 1899 et je crois être aujourd’hui en mesure de te donner entière sa-
tisfaction en ce qui concerne le motif de l’emploi du procédé.
Je me tiens à ta disposition le cas échéant et serait d’ailleurs heureux de cette occasion de te
revoir.
En attendant je te prie de croire à mes sentiments les plus dévoués.
C. Corps82
Nous n’avons trouvé aucune trace de la suite de cette correspondance. Monod devait publier
en 1904 un Mémoire en réponse au système du commandant Corps (sans mention d’éditeur). Mal-
gré toutes ses tentatives, Corps ne témoigna jamais devant aucun tribunal. Au début du mois
de juin 1899, Corps informait le Ministre de la guerre, M. C. Krantz, qu’il avait procédé à une
analyse du bordereau et qu’il aurait aimé être mis en contact avec le directeur du service de
l’identité judiciaire afin de lui soumettre ses conclusions. Le 10 juin, le Ministre autorisa Corps
à se mettre en rapport avec le Général Chamoin afin de fixer les modalités de sa coopération.
Corps envoya alors au cabinet des ministres deux mémoires contenant les résultats de ses
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résumant tout son système : « comme le moule de plâtre est trouvé au domicile du faux-
monnayeur, nous trouvons chez Dreyfus, dans son buvard, toujours à portée de sa main, le
mot clef composé artificiellement ». D’après l’auteur anonyme de cette brochure, si on devait
en juger d’après les similitudes graphiques et géométriques, seul Dreyfus pouvait être consi-
déré comme le coupable.84
Le 2 mars 1904, Paul Painlevé achevait la rédaction d’une brochure dans laquelle il mettait en
cause, non seulement les conclusions de Bertillon, mais également celles de l’auteur de la bro-
chure verte. C’est vraisemblablement suite à la parution de cette brochure que, le 30 mars
1904, l’avocat de Dreyfus, Maître Henry Mornard, Docteur en Droit, avocat au Conseil d’État
et à la Cour de Cassation, écrivit la lettre suivante à Poincaré.
Paris (2°), le 30 mars 1904.
Monsieur,
Je vous prie d’excuser une démarche indiscrète, que je fais près de vous dans l’intérêt de la
justice et de la vérité.
M. Bertillon a fait du bordereau, base de l’accusation dirigée contre le Capitaine Dreyfus,
une étude qui m’apparaît comme l’œuvre d’un insensé. Cette étude a été magistralement
réfutée à Rennes, où une lettre de vous a été produite à cet effet.
Aujourd’hui l’œuvre de Bertillon est reprise dans une brochure, signée courageusement ‘un
ancien élève de l’École polytechnique’.
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Les planches qui accompagnent cette étude sont, d’après les vérifications que j’ai pu faire,
dressées pour tromper la justice : tout y est erroné ou à peu près.
Mais je n’ai ni compétence, ni autorité pour redresser des raisonnements qui prétendent se
couvrir de l’égide de la science.
Je viens donc en toute humilité faire appel à votre haute autorité, et à votre esprit de justice.
Pourriez-vous m’écrire une lettre dont vous m’autoriseriez à faire usage en justice, lettre
qui montrerait l’inanité des raisonnements scientifiques contenus dans cette élucubration ?
Pardonnez-moi de vous demander de dérober à vos travaux des moments précieux. Mais
ce ne serait pas faire œuvre inutile que de démolir, d’une façon complète, cette étude ‘d’un
ancien élève de l’École polytechnique’, qui n’est pas seulement à mes yeux une mauvaise
étude, mais même, je le crains, une mauvaise action.
Veuillez agréer, Monsieur, l’assurance de mes sentiments les plus distingués.
Henry Mornard.85
Une fois encore, il était question de s’attirer les services d’un scientifique reconnu. Le person-
nage de Poincaré représentant la Science française, il lui incombait, moralement et sociale-
ment, de mettre fin aux raisonnements pseudo-scientifiques qui nuisaient à l’éclatement de la
vérité au grand jour. Moins d’une semaine plus tard, Paul Painlevé écrivait à Poincaré pour lui
présenter la même requête : faire connaître publiquement son opinion sur la brochure verte.
Le public des salons connaissait la position des mathématiciens et des membres de l’Académie
des Sciences, comme Poincaré ou Appell, sur cette question ; cependant, il était essentiel que la
Cour de cassation connaisse en détail une telle position afin d’en tenir compte dans son juge-
ment. Painlevé écrivait ainsi la lettre suivante :
Mercredi 6 avril [1904]
Monsieur et cher maître,
Maître Mornard me demande d’insister auprès de vous sur l’importance qu’il attache au
fait que vous fassiez connaître à la Cour votre opinion sur le système Bertillon.
Ses raisons sont les suivantes :
D’abord, il espère éviter le renvoi devant un Conseil de Guerre ; en tout cas, le [mot illisi-
ble] qu’il pense obtenir, c’est que la Cour déclare formellement (comme le voulait déjà Bal-
lot-Beaupré) que le bordereau est d’Esterhazy.
84 [Un ancien élève de l’École Polytechnique 1904], page 48 : « Telle est la conclusion qui s’impose à nous avec la dernière
évidence. Ceux qui ne partageraient pas notre conviction ne pourraient se contenter de nous opposer de simples dénégations. Ils
devraient nous expliquer la présence indéniable, dans un document à la confection duquel Dreyfus serait resté étranger, de tous
ses éléments graphiques et géométriques qui se retrouvent dans la lettre du buvard. Nous attendons nos contradicteurs sur ce
terrain ».
85 [Document ACERHP microfilm 4], document n° 10.
Henri Poincaré (1854-1912) : Des Mathématiques à la Philosophie 269
L’Engagement Public
Or tous les [mot illisible] militaires ont basé essentiellement leur raisonnement sur la bro-
chure verte (ultime exposé du système Bertillon-Valério) : dans cette brochure, l’auteur a
prétendu répondre à vos objections de Rennes. Il importe que les magistrats puissent
s’appuyer sur des autorités scientifiques pour refuser tout crédit au système Bertillon revu
et corrigé ; et [mot illisible] sur votre opinion, formellement maintenue malgré les auda-
cieuses affirmations de la brochure verte.
En un mot, Me Mornard que votre intervention au Conseil de Guerre [n’avait ?] pas à se
produire, au lieu qu’elle peut être des plus efficaces devant la Cour.
La forme de cette intervention serait d’ailleurs celle qui vous conviendrait le mieux : soit
une lettre à Me Mornard qui ne serait pas publiée mais seulement communiquée à la Cour,
et qui paraîtrait seulement dans le corps de l’enquête ; – soit un témoignage direct devant la
Cour.
Cette dernière forme serait peut-être la meilleure. Verriez-vous un inconvénient à vous lais-
ser citer comme témoin pour affirmer formellement devant la Cour votre opinion de Ren-
nes ?
Je vous prie, Monsieur et cher Maître, de présenter mes respectueux souvenirs à Madame
Poincaré et de me croire votre tout dévoué
Paul Painlevé.86
Poincaré répondit favorablement à cette demande. On ne connaît malheureusement pas le
contenu de la réponse qu’il envoya à Maître Mornard au début du mois d’avril 1904. Ce der-
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ront, d’une part, se mettre en rapport avec les auteurs, – (sus désignés et autres s’il y échoit), – des systèmes ou études précitées,
afin de provoquer de leur part toute précision et explication ; – [Ils] sont admis d’autre part à faire appel aux concours techniques
qui leur paraîtraient utiles, tels que celui, s’il y a lieu, du Bureau des Longitudes, et à mettre en œuvre, en un mot, tous moyens
d’ordre scientifique pouvant contribuer à la manifestation pleine et entière de la vérité ». Voir l’annexe page 411. Ce document se
trouve reproduit dans [Sources officielles sur l’affaire Dreyfus 1908], tome III, pages 499-500. C’est visiblement la Cour de Cassa-
tion qui contacta l’Académie des Sciences afin que celle-ci lui donne les noms de scientifiques qualifiés pour juger de la validité
des élucubrations de Bertillon. On ne trouve aucune trace de cette prise de contact dans les Comptes-rendus de l’Académie des
Sciences.
Henri Poincaré (1854-1912) : Des Mathématiques à la Philosophie 270
L’Engagement Public
mais également le Commandant Corps.90 Les papiers personnels de Poincaré conservés aux
Archives Poincaré ne contiennent aucun document concernant l’interrogatoire du Comman-
dant Corps. En revanche, on trouve quelques documents concernant l’interrogatoire de Bertil-
lon ; ils fournissent de précieux renseignements sur la procédure d’enquête des experts.
Le premier document est un questionnaire de trois pages rédigé par Poincaré. Il est divisé en
dix-sept sections numérotées, constituées chacune d’une ou de plusieurs questions concernant
l’analyse du bordereau. Il s’agit du brouillon du questionnaire qui fut finalement envoyé à
Bertillon : en effet, la version définitive de ce questionnaire (3 pages manuscrites), vraisembla-
blement rédigée par un copiste, se trouve également parmi les papiers de Poincaré ; les diffé-
rentes sections y apparaissent cette fois-ci dans l’ordre chronologique. Voici la première page
de ce document :
Questionnaire
I- Le compte rendu sténographique des débats de Rennes publié chez Stock est-il exact en
ce qui vous concerne ?
II- La ‘brochure verte’ (par un ancien élève de l’École Polytechnique) expose-t-elle exacte-
ment votre système ? (2)
III- Les planches de cette brochure sont-elle exactes ? (3)
IV- Comment a été obtenue la reconstitution du bordereau ?
Vous avez commencé par agrandir 10 fois ?
De quel appareil d’agrandissement vous-êtes vous servi ?
Quelle était la distance focale du système optique et la position de ses points nodaux ?
Quelles précautions avez-vous prises pour que l’axe optique du système soit bien perpen-
diculaire au tableau de projection ?
Avez-vous obtenu l’épreuve en une seule pose, ou y-a-t-il eu une série de poses pour les
diverses parties du bordereau ?
Les épreuves ainsi obtenues existent-elles encore ?
Y voit-on les traces de la graduation millimétrique que vous aviez appliquée contre le cli-
ché ?
89 D’origine alsacienne, la famille d’Appell s’était déplacée vers Nancy au moment de la guerre de 1870. Un des frères d’Appell,
Charles Appell, devait être impliqué en 1895 dans une affaire d’espionnage à Leipzig : il avait manifestement collaboré avec un
couple de Leipzig, les époux Dietz, pour faire passer des documents militaires allemands entre les mains de l’armée française. À
la suite d’un procès qui fit grand bruit en juillet 1895, toutes trois furent condamnés à des peines de travaux forcés.
90 « MM. Darboux, Appel (sic) et Poincaré ont déposé leur rapport le 2 août 1904, après avoir entendu M. Bertillon et le Com-
mandant Corps dans leurs explications et usé de tous les moyens d’instruction qui leur étaient offerts ». [Sources officielles sur
l’affaire Dreyfus 1906], tome I, « Rapport de M. Le Conseiller Moras », page 242. Dans leur rapport, les experts affirment avoir
entendu le Commandant Corps à deux reprises. On apprend par exemple que les pièces relatives au système de Corps sont
contenues dans la chemise 9 du dossier annexe remis avec leur rapport [Poincaré / Darboux / Appell 1908], page 586.
Henri Poincaré (1854-1912) : Des Mathématiques à la Philosophie 271
L’Engagement Public
Si ces carrés étaient découpés et espacés, comment se fait-il que les lignes et les traits de
l’écriture se raccordent ?91
Les questions – on le voit sur cet exemple – étaient d’une grande précision et concernaient tous
les aspects du travail de Bertillon : la reconstitution matérielle du bordereau par le biais de
photographies composites, les techniques photographiques mises en œuvre pour cette recons-
titution, les présupposés géométriques de son système, etc. Les experts commencèrent par
poser des questions de principe : les comptes-rendus publiés du système de Bertillon et Valé-
rio étaient-ils exacts ? Les planches de ces brochures étaient-elles exactes ? Il s’agissait de poser
les bases d’une discussion sans équivoque : si les planches étaient exactes, les experts pou-
vaient travailler dessus et contrôler directement les mesures et les calculs de Bertillon. Par
contre, si Bertillon avait récusé et les comptes-rendus et les planches, le travail des experts
aurait été rendu extrêmement difficile.92 Certaines questions concernaient plus spécifiquement
les présupposés géométriques des méthodes employées pour reconstituer le bordereau ; bien
qu’élémentaires, elles n’étaient d’ailleurs pas anodines dans la mesure où une mauvaise re-
constitution ne pouvait fournir que des calculs erronés (ce qui fut le cas pour le système de
Bertillon). Ainsi, les questions V ou XII, par exemple, présupposent implicitement des notions
géométriques élémentaires, notions que nous avons tenté de formuler dans la colonne de
droite :
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V- Avez-vous admis que les bords du ⇒ Qu’est-ce qui distingue le rectangle idéal
papier étaient rigoureusement rectan- du rectangle formé par le bordereau ?
gulaires ?
XII- Que voulez-vous dire quand vous ⇒ Comment définissez-vous la notion de
dites qu’un mot du bordereau est congruence ? A partir de quel moment
superposable à un mot de la lettre du une figure (ou un mot) est-elle superpo-
buvard réticule sur réticule ? sable à une autre ?
Il est intéressant de noter que le style de ce questionnaire rappelle fortement le style d’une
grande partie de la correspondance scientifique de Poincaré : même s’il n’était pas un homme
de laboratoire, Poincaré accordait une grande importance aux protocoles expérimentaux de
ses correspondants et parvenait souvent à les guider utilement dans leurs recherches par le
biais de questions très pointues, souvent d’ordre méthodologique.
Un autre document est un rapport de douze pages intitulé « Réponses au questionnaire I de la
Cour de Cassation ».93 Il s’agit des réponses de Bertillon au questionnaire précédent. Elles sont
inégales en longueur et en pertinence. Bertillon insiste par exemple beaucoup sur les diver-
gences, relativement peu nombreuses, existant entre sa théorie et celle de Valério ou celle de
l’auteur de la brochure verte. Il tient à préciser que ces deux auteurs affichent une préférence
beaucoup plus marquée que lui pour l’argumentation mathématique, comme s’il tenait à se
protéger d’avance des conclusions défavorables que les trois experts ne manqueront pas de
prononcer à cet égard. Bertillon est très clair. Quand les experts lui demandent comment, dans
le repérage des lignes, est déterminée l’inclinaison des lignes (section XV du questionnaire), il
leur demande de se référer à la déposition du capitaine Valério :
Se reporter à la déposition du capitaine Valério à Rennes pour tout ce qui est relatif au re-
pérage des lignes, ainsi qu’aux questions qui se rattachent soit au calcul, soit à la géomé-
trie.94
Enfin, un dernier document concernant l’interrogatoire de Bertillon, est un manuscrit typo-
graphié de neuf pages intitulé « Réponses au questionnaire II de la Cour de Cassation ».
91 [Document ACERHP microfilm 4], document n°23. Voir également [Document ACERHP microfilm 4], document n° 9. On
de précision sur le bordereau car les mesures proprement dites ne commencèrent qu’un mois après le début de l’enquête.
93 En l’état actuel de nos recherches, il est difficile de savoir si les trois experts ont participé à l’interrogatoire ou bien s’ils se
sont contentés de formuler les questions : il n’est pas impossible que Bertillon ait répondu à ce questionnaire depuis son domicile
par retour du courrier. On peut également supposer que les trois experts donnèrent leur questionnaire à la Cour de Cassation qui
se chargea elle-même d’interroger Bertillon.
94 [Document ACERHP microfilm 4], document n° 21, page 11.
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L’Engagement Public
Comme nous ne possédons malheureusement pas la liste des questions, il faut les reconstituer
d’après le contenu des réponses. Le questionnaire II contenait dix sections ; elles semblaient
majoritairement concerner les techniques employées pour reconstituer et mesurer le borde-
reau. Bertillon ne semblait pas vouloir revenir sur ses déclarations précédentes. La section IX
de ce document semblait de loin la plus importante. Bertillon tentait de justifier son choix de
n’étudier dans ses analyses que les mots de plus de trois lettres (qu’il appelle polysyllabiques).
Selon lui, un faussaire pouvait facilement intercaler des mots monosyllabiques (un, une, de,
du, etc.) sans nuire à l’alignement des lignes ; en revanche, les mots de quatre à cinq syllabes
étaient beaucoup plus difficiles à intercaler et c’est pour cette raison que l’expert en écriture
devait les examiner avec une attention particulière. Bertillon élevait ainsi l’étude des mots
polysyllabiques au rang de méthodologie :
On peut dire, en résumé, que l’expert, en présence d’une pièce soupçonnée d’avoir pu être
composée au moyen de mots rapportés bout à bout, devra s’attacher tout d’abord à
l’examen des mots les plus importants, c’est-à-dire les plus longs et les moins fréquents.
C’est en promenant les calques de ces mots, soit sur le document lui-même, soit sur les piè-
ces de comparaison, qu’il cherchera à rencontrer la matrice originale du mot soupçonné
d’avoir été calqué.95
Vers 1880, les astronomes se rendirent compte du rôle que pouvait jouer la photographie en
astronomie. Ainsi en 1884, Paul et Prosper Henry obtinrent à l’Observatoire de Paris, une
plaque photographique représentant plus de 500 étoiles de l’amas de Perseus. Ils n’utilisaient
pourtant qu’un télescope médiocre, un coudé équatorial de 16 cm. En 1885, on installa à
l’Observatoire de Paris un coudé équatorial de 7 m de longueur focale. Quatre ans plus tard,
un grand coudé équatorial de 18 m de longueur focale faisait son entrée. Il fut utilisé par Mau-
rice Lœwy (1833-1907) et Puiseux (1855-1928) pour constituer leur Atlas géographique de la Lune
entre 1894 et 1907. De tels appareils permettaient d’obtenir des plaques photographiques re-
présentant des centaines, voire des milliers, d’étoiles. Mais pour analyser ces plaques, il fallait
disposer d’appareils de mesure d’une très grande précision. En 1886, le premier macro-
micromètre entra donc en service à l’Observatoire de Paris.
Bertillon et ses disciples affirmant voir dans le bordereau une écriture géométrique, il était
nécessaire de trancher définitivement la question. Sur la proposition de Poincaré, les experts
s’adjoignirent les services de Lœwy, directeur de l’Observatoire de Paris (qui avait signé
l’Appel à l’Union avec Poincaré, le 26 janvier 1899), et de ses deux assistants, Pierre Puiseux et
Le Morvan. Des mesures d’une très grande précision furent ainsi effectuées sur le bordereau à
l’aide d’un appareil ordinairement utilisé pour l’étude des photographies de la carte du ciel :
le macro-micromètre.
De 1891 à 1913, Lœwy, Puiseux et Le Morvan notèrent minutieusement toutes les observations
astronomiques faites à l’aide du grand coudé équatorial. Ces observations couvrent quarante
cinq cahiers. Parmi ces cahiers, trois contiennent des notes sur des mesures faites à l’aide du
macro-micromètre sur le bordereau.97
Les mesures furent vraisemblablement menées entre le 17 mai et le 26 juin 1904. Le travail fut
accompli avec une grande rigueur : les diverses zones de bordereau (bords inférieurs et supé-
rieurs, frontières entre les parties recollées lors de la reconstitution, etc.) furent mesurées, tout
comme le repérage des lignes et des mots sur le réticulage. Sur ordre du Ministère de la
guerre, le bordereau fut porté à l’Observatoire le 24 juin pour y être mesuré et les chiffres ob-
tenus furent comparés avec les résultats des mesures effectuées sur les photographies compo-
sites faites par Bertillon à partir du bordereau (le 26 juin). Le cahier 26 contenait ainsi ce genre
d’annotations :
1° Distance du filigrane à la lettre m du mot manœuvre de : (je vais partir en manœuvres)
129.17mm – 128.75mm = 0.42mm.
2° Distance du filigrane à la lettre m de : doit remettre le sien après les manœuvres
128.55mm – 128.12mm = 0.43mm.98
Il s’agissait de déterminer si l’écriture du bordereau s’alignait bien d’une manière géométrique
sur un quadrillage. Il s’agissait également de déterminer si les lignes du quadrillage des pho-
tographies composites étaient effectivement toujours parallèles entre elles et si les carrés fai-
saient bel et bien tous 4 millimètres de côté. Un intérêt tout particulier fut accordé au mot
‘intérêt’ car c’est lui qui constituait la clé de voûte de la thèse de l’autoforgerie ; l’intervalle
entre chaque lettre, la hauteur de chaque lettre, l’inclinaison des mots les uns par rapport aux
autres… Tout cela fit l’objet de mesures méticuleuses au millième de millimètre ! Les résultats
des mesures contribuèrent à prouver l’inanité des conclusions de Bertillon et montrèrent que
tout son édifice s’appuyait sur du vide, la plupart des calculs reposant sur une reconstitution
fausse du bordereau.
3 – Le rapport d’enquête
Le rapport fut remis à la Cour de cassation le 2 août 1904. Pendant toute la durée de
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98 [Débarbat 1996], page 50. Cf. Également [Document ACERHP microfilm 4], document n° 16.
99 En plus du rapport, les trois experts livrèrent plusieurs chemises contenant les résultats de leurs mesures et de leurs calculs.
Elles ne furent pas publiées avec le rapport dans le volume des rapports d’enquête de la Cour de cassation. Ces chemises sont
probablement conservées au sein des Archives Nationales.
100 [Poincaré / Darboux / Appell 1908], page 502.
Henri Poincaré (1854-1912) : Des Mathématiques à la Philosophie 274
L’Engagement Public
donnée, la probabilité d’une cause, deux conditions sont requises : d’une part, savoir quelle
était a priori, avant l’événement, la probabilité de cette cause ; d’autre part, savoir quelle serait
pour chacune des causes possibles, la probabilité de l’événement constaté.
Or cette probabilité a priori, dans des questions comme celle qui nous occupe, est unique-
ment formée d’éléments moraux qui échappent absolument au calcul, et si, comme nous ne
pouvons rien calculer sans la connaître, tout calcul devient impossible.
Aussi Auguste Comte a-t-il dit avec juste raison que l’application du calcul des probabilités
aux sciences morales était le scandale des mathématiques.
Vouloir éliminer les éléments moraux et y substituer des chiffres, cela est aussi dangereux
que vain.
En un mot, le calcul des probabilités n’est pas, comme on paraît le croire, une science mer-
veilleuse qui dispense le savant d’avoir du bon sens.
C’est pourquoi il faudrait s’abstenir absolument d’appliquer le calcul aux choses morales ; si nous
le faisons ici, c’est que nous y sommes contraints.101
Pour résoudre ce problème de probabilité, il aurait donc fallu procéder à une énumération de
toutes les causes possibles de coïncidences sur le bordereau, ce qui revenait à examiner tous
les procédés utilisables pour truquer un document. Une telle énumération était bien évidem-
ment impossible et en quelques pages de haute vulgarisation, Poincaré s’efforçait de le dé-
montrer. Le rapport aurait pu se clore sur ce point, la base pseudo-scientifique du système de
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Bertillon étant réduite à néant.102 Mais les experts s’accordèrent cependant le luxe de poursui-
vre leur enquête en admettant toujours, dans leurs calculs, l’hypothèse la plus favorable à
Bertillon, notamment en ce qui concerne le procédé de reconstitution du bordereau par le biais
de photographies composites.
On se rappelle que Bertillon n’avait jamais été autorisé à travailler directement sur l’original
du bordereau. Toutes ses mesures avaient donc été effectuées sur un bordereau reconstitué à
l’aide d’agrandissements photographiques, de découpages et de collages. Bertillon avait
d’abord fait procéder à des agrandissements du bordereau, clichés sur lesquels on voyait ap-
paraître les filigranes du papier sous la forme de traits de quatre à cinq millimètres
d’épaisseur. Sur une planche à dessin avait ensuite été tracée une série de droites découpant la
surface en carrés de quatre centimètres de côté. Tout le travail de Bertillon et de ses assistants
avait consisté à tenter de superposer les carrés du filigrane sur les carrés de la planche à des-
sin, tâche extrêmement difficile. Le document ainsi obtenu lui paraissant peu lisible, il avait
ensuite essayé – par le biais d’agrandissements, de calquages et même de gouachages –
d’obtenir une copie correcte du bordereau qu’il réduisit de 2,5. A quelles conditions pouvait-
on espérer obtenir une copie exacte du bordereau à partir de telles méthodes ? Il aurait fallu
que les filigranes du papier soient rectilignes ; il aurait fallu de plus qu’ils soient rigoureuse-
ment parallèles, perpendiculaires et équidistants entre eux ; il aurait fallu que l’équidistance
soit d’exactement quatre millimètres ? En d’autres termes, il aurait fallu que le bordereau pré-
sente toutes les caractéristiques d’une figure géométrique idéale.
Conclusion des experts : tout se passait comme si Bertillon avait pris comme instrument de
mesure, non pas un mètre, mais tout simplement le filigrane du papier. Pouvait-on se fier à un
tel instrument ? C’est là que les mesures effectuées à l’Observatoire de Paris entraient en jeu.
Les experts confièrent aux astronomes un morceau détaché du bordereau ne comportant au-
cune altération (déchirure ou pli). Les résultats des mesures étaient édifiants : sur une même
rangée du filigrane, la dimension des carrés variait de 3,783 à 3,938 ou de 3,811 à 3,916, ou de
3,875 à 4,103, ou de 3,991 à 4,269, variations suffisamment énormes pour rendre suspecte la
reconstitution du bordereau. Le bordereau reconstitué par Bertillon était donc un faux som-
maire et toutes les mesures ou les calculs effectués à partir de cette reconstitution ne pouvaient
qu’être faux.103
Une fois encore, les experts auraient pu clore leur enquête sur cette conclusion. Ils poursuivi-
rent cependant leurs investigations, examinant successivement les bords du bordereau, le
double réticulage, le repérage des polysyllabes, le rôle du mot intérêt, l’emplacement des jam-
bages, l’espacement moyen des lettres, la localisation des initiales, le procédé d’écriture du
mot intérêt au moyen d’une pièce de cinq sous, les superpositions signalées dans le bordereau,
ou les encoches présentes sur le bordereau. Leurs conclusions seront sans pitié. À ce titre, le
problème des encoches est des plus intéressants car il révèle bien l’illusion tenace sur laquelle
reposait le système de Bertillon. Le recto du bordereau présentait une encoche. Dans le sys-
tème de Bertillon cette encoche jouait un rôle essentiel puisque, selon lui, on retrouvait une
encoche semblable sur une lettre de Mathieu Dreyfus versée parmi les pièces à conviction du
procès (il s’agissait de la lettre du buvard). L’encoche faisait donc partie du procédé complexe
mis en place par Dreyfus pour truquer son écriture et pour opérer certaines superpositions.
Les trois experts prouvèrent finalement l’inanité de cette conception en montrant que cette
encoche ne se retrouvait pas sur le bordereau original et qu’elle avait été faite après sa recons-
titution photographique. Ils montrèrent également que l’encoche que l’on trouvait sur la lettre
du buvard était due au fait que cette pièce avait été conservée dans un dossier dont les docu-
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ments étaient maintenus à l’aide d’une ficelle passant dans une encoche. D’où cette conclu-
sion, particulièrement cinglante :
En résumé, les encoches du bordereau et de la lettre des obligations ont été faites toutes
deux après la saisie de ces pièces ; les théories développées à ce sujet par M. Bertillon et ses
disciples non seulement n’ont aucun fondement, mais elles montrent, sur un exemple qui
peut être compris de tout le monde, le parti pris, le manque absolu de critique et d’esprit
scientifique, le goût de l’absurde que nous avons constatés dans toutes les parties du sys-
tème soumis à notre examen.104
Les affabulations d’un Bertillon auraient presque été acceptables, comparées à une autre théo-
rie qui fut effectivement formulée et que Poincaré commenta dans son rapport : il y aurait eu
sur le mot intérêt deux points quasiment invisibles dont la distance verticale représentait pré-
1
cisément, à l’échelle , l’équidistance normale des courbes de niveau d’une carte d’État-
80000
Major. Poincaré commente cette affabulation en ces termes :
Ainsi ce misérable, sur le point de trahir son pays, n’avait qu’une pensée : reproduire, en
imitant l’écriture de son frère, l’équidistance exacte des courbes de niveau !
Mais à un certain moment, des hommes habiles comprirent quel parti on pouvait tirer de
cette mine précieuse et inépuisable d’équivoques. Ils savaient que les rieurs se lassent et
que les croyants ne se lassent pas ; ils savaient que le public ne fait pas attention à la valeur
des arguments mais au ton des argumentateurs ; et ils commencèrent à soutenir M. Bertil-
lon de leurs affirmations tranchantes et réitérées.105
Cette citation montre que les trois experts avaient parfaitement conscience de la portée idéolo-
gique de l’enquête qu’ils menaient. Ils agissaient au sein d’une lutte de pouvoir dans laquelle
la vérité ou la fausseté des arguments de Bertillon importait peu. L’essentiel était d’exposer ces
arguments comme des arguments d’autorité ne pouvant être, dans leur essence, mis en doute.
Le système de Bertillon possédait d’ailleurs deux caractéristiques qui le rendaient susceptible
de s’imposer sans essuyer les feux de la critique : il était presque totalement incompréhensible
et il variait constamment au fil des dépositions et des articles. D’ailleurs, comme le remarquait
Poincaré en concluant son rapport, les conclusions de Corps et de Bertillon étaient fausses
parce qu’ils avaient mal raisonné sur des documents faux, et il ajoutait :
103 [Poincaré / Darboux / Appell 1908], page 509 : « Ainsi M. Bertillon a pris toutes ses mesures avec un mètre faux, parce que les
divisions étaient trop petites, parce qu’elles étaient irrégulières, parce qu’elles étaient mal définies par suite de l’épaisseur des traits de divi-
sion ».
104 [Poincaré / Darboux / Appell 1908], page 585.
105 [Poincaré / Darboux / Appell 1908], page 597.
Henri Poincaré (1854-1912) : Des Mathématiques à la Philosophie 276
L’Engagement Public
Il n’y a pas d’inventeur de la quadrature du cercle qui ne soit prêt à prolonger la résistance
indéfiniment, du moment qu’on accepte de discuter avec lui. La mission dont nous étions
chargés nous obligeait à examiner le système comme s’il était sérieux.
[…] Ce que nous venons de dire suffit pour faire comprendre l’esprit de la ‘méthode’ de M.
Bertillon. Il l’a lui-même résumée d’un mot : ‘Quand on cherche, on trouve toujours’.106
Bien que relativement méconnue, l’intervention de Poincaré, Darboux et Appell joua un rôle
important dans la réhabilitation de Dreyfus. Il va de soi que leur intervention, tout comme les
gesticulations des partisans de Bertillon, reposaient grandement sur un argument d’autorité. Il
n’est pas certain que les juges de la Cour de Cassation aient compris tout le détail scientifique
du rapport et, d’ailleurs, l’essentiel n’était peut-être pas à ce niveau. Ce qui importait c’est que
le système de Bertillon soit soumis à l’examen de personnages faisant autorité sur le plan scien-
tifique. À ce titre le rapport mettait en évidence le fait que, très souvent, une théorie n’est re-
connue comme scientifique que lorsqu’elle s’incarne dans des institutions représentatives de
la communauté des savants. La reconnaissance des paires, la renommée internationale,
l’appartenance à des sociétés savantes, … tous ces facteurs – qui pourraient sembler hors de
propos dans une enquête judiciaire – concoururent certainement autant à réhabiliter Dreyfus
que le rapport lui-même qui, à la limite, n’intervint que comme signe extérieur de scientificité.
Pour preuve, ce que devait déclarer le procureur général Baudouin dans son réquisitoire en
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1906 :
On prétendait transporter la lutte sur le terrain scientifique mathématique. Que les maîtres
en cette science soient donc appelés à nous dire ce qu’ils pensent de la science de M. M. Ber-
tillon et consorts, de leurs calculs, de leurs déductions ! Elle a chargé de cet examen trois
principaux membres de l’Institut. […] Elle a remis à ces savants, devant qui tous s’inclinent
dans le monde entier, et qui sont l’honneur de notre pays, tous les documents, leur a permis de
s’entourer de tous les renseignements, d’entendre tous témoins, de procéder à toutes vérifi-
cations.
C’est leur travail, Messieurs, que nous vous apportons, que nous vous soumettons. Qui donc
osera encore élever le moindre doute ?107
106 [Poincaré / Darboux / Appell 1908], page 600. Cette conclusion serait d’ailleurs à rapprocher de ce qu’écrivit E. Locard à
propos de Bertillon dans son livre, L’enquête criminelle et les méthodes scientifiques, Paris, Flammarion, 1920 : « Ce grand esprit,
ailleurs si judicieux, croyait fermement à la culpabilité de Dreyfus. Il y croyait a priori. Il ne cherchait pas la solution du pro-
blème ; il l’avait en lui, puisqu’il avait la foi. Il cherchait seulement les arguments propres à rendre sensibles aux juges les dogmes
qu’il avait charge de défendre. État de conscience le plus redoutable qui puisse obnubiler un homme en quête de vérité ». Cité
d’après [Heilmann 1994].
107 [Sources officielles 1906], tome I, page 495.
Henri Poincaré (1854-1912) : Des Mathématiques à la Philosophie 277
L’Engagement Public
y regarder de plus près, cette fièvre de la célébration n’est pas nouvelle : elle ne constitue que
la version moderne (et technologique) du culte des grands hommes institué durant la Révolu-
tion Française, porté à son paroxysme au tournant du siècle sous la Troisième République et
représenté par le prestigieux monument du Panthéon. Vers 1900, dans un climat fortement
anticlérical, ce culte des grands hommes (Pasteur, Zola, Berthelot, …) s’apparentait grande-
ment à une religion laïque d’État et permettait de rassembler la population autour de la figure
d’un grand personnage symbolisant la puissance et le rayonnement des valeurs de la France
(républicaine) dans le monde. Gestes politiques particulièrement forts, les transferts des dé-
pouilles mortelles des grands hommes au Panthéon étaient censés rassembler l’ensemble de la
nation autour de la perception de sa propre force et de son unité, dans un vaste élan patrioti-
que. Il va sans dire que de telles cérémonies représentaient de formidables outils de propa-
gande.
À la mort de Poincaré, l’hommage fut unanime, parfois grandiloquent, et certains journalistes
devaient même remarquer que si les Chambres n’avaient pas été en vacances (Poincaré était
mort en juillet), « elles eussent sans doute remarqué que la place de Henri Poincaré mort était
marquée à côté de celle de Berthelot – au Panthéon » (cf. citation page 181). En d’autres ter-
mes, à deux mois près, Poincaré aurait eu droit aux honneurs républicains suprêmes ! Malgré
cela, il eut droit à des funérailles nationales et l’analyse des différentes brochures concernant
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sa vie ou son œuvre permettent de se rendre compte qu’il fut lui aussi l’objet d’un culte forte-
ment chargé de résonances patriotiques et militaires : ainsi, en 1925, alors ministre de la Ma-
rine, Émile Borel décida de faire baptiser un des sous-marins français en chantier du nom de
Henri Poincaré ; de même, à l’occasion de la célébration, en 1954, du centenaire de la naissance
du mathématicien, Gaston Julia devait inaugurer à l’École Polytechnique un médaillon à son
effigie en mettant en avant valeurs patriotiques et militaires. :
Ce n’est pas par hasard que ce médaillon fait face à celui qui perpétue dans notre École le
souvenir d’un des plus grands hommes de guerre qu’elle ait jamais formés. Nous avons
pensé, en effet, que, dans ce hall du Joffre, face à l’effigie du vieux maréchal, calme comme
un roc à l’heure du pressant danger, si intrépide qu’il put demander à des troupes écrasées
de fatigue cet immortel demi-tour qui sauva notre pays, il convenait de dresser l’effigie du
savant illustre dont la pensée lucide, « comme un éclair dans une longue nuit », fait reculer
les limites de l’inconnu, afin qu’en un saisissant raccourci, ces deux effigies présentent à nos
élèves une illustration complète de la devise de l’École : « Pour la patrie, les sciences et la
gloire ».108
Que le nom de Poincaré fut associé à un bâtiment de guerre ou que sa mémoire soit rattachée à
celle du maréchal Joffre a de quoi surprendre quand on connaît l’exceptionnelle modération
dont le mathématicien fit toujours preuve (et ce d’autant plus que son intervention en faveur
de Dreyfus aurait dû le disqualifier aux yeux d’une partie de l’armée). Cependant, en tant
qu’ancien élève de l’École Polytechnique, et en tant que mathématicien reconnu internationa-
lement, Poincaré pouvait servir la cause du pays et contribuer au rayonnement de la France
dans le monde.
Il y a, dans ce jeu des célébrations, quelque chose qui s’apparente à de la ‘ventriloquie funè-
bre’ : pour gérer les incertitudes du futur, il est souvent tentant de chercher des réponses dans
le passé et les hommes politiques aiment à faire ‘parler les morts’, quitte à leur attribuer une
parole publique qui, en réalité, ne peut venir que d’eux-mêmes. On sait que Poincaré était un
patriote et qu’il affectionnait les valeurs militaires au point de ponctuer certains de ses écrits
de métaphores guerrières. Pourtant, il est également clair que le mathématicien ne prit jamais
la peine d’exprimer publiquement ses convictions politiques. Dans ces conditions, les homma-
ges militaristes de Borel ou de Julia peuvent être perçus, dans une certaine mesure, comme des
tentatives de récupération politique ; elles présentent, de plus, l’inconvénient de donner une
image caricaturale de Poincaré, dans la mesure où leurs hommages historiques s’appuient sur
108Allocution prononcée lors de l’inauguration du médaillon Poincaré à l’École Polytechnique en 1954, [Document ACERHP
document B40].
Henri Poincaré (1854-1912) : Des Mathématiques à la Philosophie 278
L’Engagement Public
un discours hagiographique forcément orienté et partial ; enfin, il n’est pas certain que Poinca-
ré lui-même aurait apprécié les pompes de célébrations beaucoup plus politiques que scienti-
fiques, fussent-elles en son honneur, car la plupart de ses engagements publics trouvaient leur
motivation essentielle dans une pratique de la science (et non dans une pratique politique
militante).
C’est justement de récupération politique et religieuse qu’il sera question dans cette seconde
partie puisque nous nous attacherons à explorer la nature des engagements de Poincaré après
l’affaire Dreyfus.
A – Après l’affaire Dreyfus : les engagements politiques
fique à partir de 1902 eurent pour conséquence de placer Poincaré sur le devant de la scène
intellectuelle française et d’accroître le nombre de sollicitations de toutes sortes dont il pouvait
être l’objet : membre de l’Académie Française à partir de 1908, Poincaré devint une sorte
d’oracle scientifique pour les journalistes, qui lui demandaient souvent de donner son opinion
sur des sujets aussi variés que les dangers de comètes, le processus d’invention en mathémati-
ques, le travail de l’inconscient ou la participation des savants à la vie démocratique (voir à ce
sujet la citation d’E. T. Bell page 238). Parmi toutes ces prises de parole publiques, certaines
ont déjà attiré notre attention ; nous ne nous intéresserons ici qu’à celles qui se trouvent dotées
d’une forte résonance politique, à savoir ses interventions, quasiment simultanées, à propos de
la prépondérance politique du Midi et de la représentation proportionnelle.
Le 18 mars 1911, Maurice Colrat publie dans le journal L’Opinion un article consacré à la pré-
pondérance politique du Midi.109 S’intéressant aux origines géographiques des 76 ministres qui
se sont succédés au gouvernement durant les cinq dernières années (de 1905 à 1910), Colrat
tente de déterminer quel peut être le centre politique de la France, c’est-à-dire le point géogra-
phique à partir duquel les origines des ministres s’équilibrent dans un rapport de 38 sur 38. Or
selon, lui, ce centre politique se situe à Souillac, une petite ville du Lot qui manifestement ne
se trouve pas au centre géographique de la France (d’où le titre de cet article : « Sur la prépondé-
rance politique du Midi : Souillac capitale de la France ») ; en effet, d’après ses calculs, on
trouve 38 ministres au nord de Souillac et 38 Ministres au sud, ce qui se manifeste par une
disproportion importante de la représentation politique en faveur du Midi.110 Chiffres et cartes
à l’appui, Colrat remarque ainsi que la région du sud ainsi délimitée ne contient guère que 6
millions d’habitants et ne prélève que 245 millions d’impôts directs alors que la partie de la
France située au nord de Souillac représente plus des deux tiers du pays, soit 33 millions
d’habitants pour plus de 1,5 milliards d’impôts (voir Figure 3 ci-dessous).
109 Maurice Colrat publiait régulièrement des articles dans ce journal. Il était par ailleurs avocat à la Cour d’Appel. Il avait signé
viennent de l’Algérie (deux Thomson et un Étienne). Restent soixante-seize. J’en trouve trente-huit au nord de Souillac et trente
huit au sud, dont une moitié au sud-est et l’autre moitié au sud-ouest. La résultante de nos forces politiques passe donc par
Souillac ».
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Selon lui, la France est donc gouvernée par le Midi et elle l’est de plus en plus. À la fin de son
article, Colrat invitera les lecteurs du journal, qu’ils soient du Nord ou du Midi, à donner leur
opinion sur cette question de dynamique politique et un certains nombre de personnalités
publique – comme Paul Deschanel, Maurice Barrès, Gustave Le Bon111 ou Poincaré –
s’exprimeront à ce propos. Dans sa réponse, Poincaré appuiera la thèse de Colrat et affirmera
que la prépondérance politique du Midi n’a rien de bénéfique. Dans un style très dégagé, qui
mêle métaphores audacieuses et références littéraires (Tartarin de Tarascon), le mathématicien
dévoilera, en un condensé amusant, son scepticisme et son réalisme politiques, ainsi que cer-
tains de ses préjugés ; il expliquera la prépondérance du Midi à partir d’une typologie des
caractères : le méridional est beau-parleur, « il ne fait pas le dégoûté et il patauge avec bonne
humeur dans les mares stagnantes », alors que l’homme du Nord est souvent médiocre en
politique (et, d’ailleurs, quand il ne l’est pas c’est parce qu’il tend à être une sorte de méridio-
nal de médiocre qualité). Par ailleurs, le méridional parvient au pouvoir parce qu’il l’aime et
parce qu’il sait de quelle manière il faut l’aimer :
Enfin le méridional arrive au pouvoir parce qu’il l’aime, je ne veux pas dire que les gens du
Nord le dédaignent, mais il y a diverses façons d’aimer qui ne réussissent pas auprès de
toutes les femmes. Il y a des femmes qui ne se donnent qu’à ceux qui ont paru les dédai-
gner ; il y en a qui aiment que l’on ait longtemps soupiré ; il y en a qui se laissent enlever à
la hussarde. C’est à ces dernières que ressemble la Politique. Le méridional le comprend ; il
est né pour le pouvoir comme pour les bonnes formules faciles. L’homme du Nord
s’aperçoit qu’il n’aura jamais du pouvoir que l’apparence et il se dégoûte promptement.
111L’avis de Le Bon, présenté comme le philosophe des foules, est d’ailleurs assez lapidaire : « Nous sommes à l’âge des foules,
donc des meneurs. Pour être un bon meneur, il faut bien parler et peu penser. Les politiciens méridionaux possédant à un haut
degré cette double qualité gouverneront de plus en plus jusqu’au jour de la débâcle ». L’Opinion 12 (25 mars 1911), page 355.
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L’Engagement Public
Pour le méridional, l’apparence a encore sa saveur ; rouler derrière un cocher à cocarde tri-
colore, c’est une divine volupté. Le titre d’ancien ministre fait encore bien en province sur
une carte de visite. C’est bien mieux qu’un ruban violet ou rouge. Et à propos la statistique
prouverait peut-être que les départements du Midi demandent plus de palmes que ceux du
Nord. Tartarin était fier d’être l’État de choses, bien que son île lui donnât peu de satisfac-
tions solides. Ainsi le personnage investi par la confiance du chef de l’État de la mission de
former un cabinet nouveau, peut compter absolument sur [?] ; ce n’est pas lui qui perdra
son temps à réfléchir ; et Tartarin sera assis sur le fauteuil ministériel avant que les autres
aient fini leurs réflexions. Quant à un remède, je n’en ai aucun à proposer.112
Pour bien comprendre la raison d’être de ce comité, il n’est pas inutile d’opérer un rapide
retour en arrière.114
En 1911, le débat autour de la représentation proportionnelle était déjà ancien puisqu’il re-
montait aux débuts de la Troisième République. Le scrutin d’arrondissement avait été mis en
place par la loi électorale de 1875 ; il était fondé sur le principe majoritaire et il présentait la
caractéristique de donner une prime (en voix) à la majorité élue. Outre le fait qu’il favorisait la
corruption électorale et qu’il asservissait le député à ses électeurs, le bénéfice de la prime allait
principalement aux radicaux et aux républicains de gouvernement, ce qui ne satisfaisait guère
les socialistes ou les représentants de la droite.115 Ceci explique l’émergence d’un débat autour
des modes de scrutin et la naissance d’une mobilisation en faveur de la représentation propor-
tionnelle au tournant du siècle. Cette forme nouvelle de scrutin – dont on pouvait voir des
applications en Suisse et en Belgique – présentait quelques avantages non négligeables : elle
simplifiait la procédure électorale en supprimant le second tour et les élections partielles, elle
rendait le découpage des circonscriptions beaucoup plus simple et, surtout, elle donnait à
chacun son dû. Pourtant, malgré ces qualités indéniables et une vaste campagne de promo-
tion, le scrutin proportionnel ne s’imposa pas en France.
Longtemps considérée par ses partisans français (les erpéistes) comme utopique, la cause de la
représentation proportionnelle marqua des points à partir de 1899 suite à la mise en place du
proportionnalisme en Belgique. Ainsi, le 13 décembre 1901 était créée une Ligue pour la Re-
présentation Proportionnelle, une ligue qui se composait exclusivement de républicains et
dont l’un des vice-présidents est Adolphe Carnot. D’abord peu représentée dans les milieux
parlementaires, la ligue acquit peu à peu une légitimité politique, au point de pouvoir déposer
112 [Poincaré 1911s], page 354. On trouvera une reproduction intégrale de la réponse de Poincaré dans l’annexe page 426. Notons
que Poincaré aimait à dépeindre les caractères régionaux de cette manière. En témoigne le tableau élogieux qu’il devait faire de la
‘race lorraine’ dans un discours prononcé en 1909 au Banquet de la Société amical des lorrains de Meurthe-et-Moselle : « Si les
choses sont périssables, l’âme lorraine ne meurt pas ; les hommes disparaissent, mais ils se succèdent ; et ils se ressemblent, ils
conservent la marque de la race ; cette race lorraine, je me félicite qu’il y ait dans Paris un petit coin où périodiquement on puisse
la retrouver […]. Cette âme, les étrangers, la plupart des Français même ne la comprennent pas du premier coup. Le Lorrain est
sobre de protestations, il est de ceux qui se donnent difficilement, mais qui ne se reprennent pas. Il ne fait pas parade de ses
qualités et il faut se donner la peine de les deviner. Mais entre nous qui sommes faits de la même étoffe, nous nous devinons
aisément ». [Poincaré 1909s], cité d’après le brouillon de son discours [Document ACERHP].
113 Sur la composition de ce Comité en 1911, on consultera l’annexe page 428 ; elle reprend l’organigramme publié dans [Lacha-
pelle 1911].
114 Sur l’histoire de la représentation proportionnelle en France, on consultera l’article de Raymond Huard, « Arithmétique et
un projet à la Chambre le 8 juin 1903 (le projet Louis Mill).116 En devenant une force parlemen-
taire, les partisans de la représentation proportionnelle obligèrent l’ensemble des partis à se
prononcer sur ce problème : les socialistes se déclarèrent favorables au proportionnalisme dès
1906, voyant dans cette forme de scrutin, non seulement un avantage pour leur mouvement,
mais également un outil permettant un meilleur fonctionnement des institutions. Du côté des
radicaux, en revanche, l’unanimité ne se fit pas : si la franc-maçonnerie affirmait, par
l’intermédiaire de Ferdinand Buisson, son soutien à la réforme, le reste du parti radical affi-
chait des convictions farouchement anti-erpéistes et défendait envers et contre tous le scrutin
d’arrondissement.117 La cacophonie régnait également à droite, parmi les héritiers des oppor-
tunistes : Adolphe Carnot, membre de l’Alliance Républicaine Démocratique, était bien un
erpéiste de la première heure, mais il ne parvint pas à obtenir l’appui unanime de son parti.118
Malgré les réticences de certains groupes parlementaires, vers 1910, une large coalition sou-
tiendra l’idée d’une représentation proportionnelle. Cette coalition se donnera pour objectif de
faire de ce scrutin l’un des enjeux principaux des élections législatives de 1910. Alors que les
débats parlementaires de 1906 n’avaient abouti qu’à un succès moral de l’erpéisme (281 voix
en sa faveur, 235 voix contre), ces élections devaient en principe trancher définitivement le
débat. Par conséquent, c’est dans un climat politique très perturbé que se tiendront dans toute
la France, à partir de 1907, des dizaines de réunions et de manifestations destinées à créer un
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116 [Huard 1988], page 13. Quelques mois plus tard, en décembre 1903, un Comité parlementaire de la Représentation Propor-
tionnelle, rassemblant 62 députés, se formera à la Chambre.
117 [Huard 1988], pages 14-15.
118 [Huard 1988], page 15.
119 Voir les souvenirs de C. Benoist cités dans [Huard 1988], pages 17-18 : « On vit passer sur toutes les routes de France ce que
quelques-uns appelèrent ‘le chariot de la R. P.’, semant derrière lui plusieurs millions d’exemplaires d’un supplément du Petit
temps pour permettre aux auditoires de plus en plus considérables et qui se comptèrent par centaines de milliers de suivre la
démonstration aux tableaux roulés que le rapporteur développait… ».
120 Voir [Huard 1988], page 18. À propos du Comité républicain de la représentation proportionnelle, on pourra consulter
l’ouvrage collectif, Discours de Charles Benoist, Ferdinand Buisson, Jean Jaurès en faveur de la représentation proportionnelle : le pro-
gramme du Comité Républicain de la représentation proportionnelle [Collectif 1910].
121 Cf. [Huard 1988], page 19 : « 4442000 suffrages s’étaient portés sur des erpéistes. Leurs adversaires pouvaient comptabiliser
1652000 partisans du système majoritaire et à la rigueur 1162000 suffrages souhaitant une réforme non précisée qui n’était vrai-
semblablement pas la RP. Les candidats n’ayant pris aucune décision avaient recueilli 1529000 voix ».
122 Voir [Huard 1988], page 19. Remarquons tout de même qu’avant les élections de 1910, Raymond Poincaré s’était prononcé
dans la Revue de Paris (le 15 avril) comme farouchement opposé au scrutin d’arrondissement, responsable selon lui du désordre
parlementaire et de l’instabilité gouvernementale. La représentation proportionnelle devait ramener « après l’ordre dans le
Parlement, après l’ordre dans les administrations, l’ordre dans la Justice ; après la restauration du pouvoir législatif, le raffermis-
sement de l’exécutif, la reconstitution du judiciaire ». [Miquel 1960], page 241.
Henri Poincaré (1854-1912) : Des Mathématiques à la Philosophie 282
L’Engagement Public
Le ralliement de Poincaré à un tel combat n’était pas neutre, loin s’en faut. En adhérant au
Comité Républicain de la Représentation Proportionnelle, le mathématicien prenait position
pour un projet progressiste visant à réformer les coutumes électorales françaises. Il y a quelque
ironie à le voir soutenir une réforme qui avait l’assentiment du parti socialiste car en 1898,
dans une lettre à Gustave Le Bon, il devait déclarer tout le mal qu’il pensait des chefs socialis-
tes :
Si tous les chefs socialistes étaient des apôtres, nous serions perdus ; la plupart heureuse-
ment sont plutôt des fumistes avisés. Souhaitons-le et tout à vous.123
Cette citation prouve, si besoin est, que Poincaré ne se sentait guère d’affinités avec des pen-
seurs comme Jaurès ou Sorel. Néanmoins, n’étant pas sectaire, il n’avait guère de scrupules à
défendre le scrutin proportionnel car, d’un point de vue strictement scientifique, ce système
lui semblait à la fois plus représentatif et plus juste que les autres. C’est d’ailleurs en se plaçant
une fois de plus sur le terrain mathématique et rationnel qu’il devait donner son avis sur ce
problème en 1911, dans une courte préface au livre de Georges Lachapelle, La représentation
proportionnelle en France et Belgique. Cette préface s’ouvrait par un ralliement inconditionnel au
proportionnalisme, en raison de sa dimension rationnelle.124 Elle se poursuivait par un plai-
doyer en faveur de l’avènement de mœurs politiques saines basées sur un échange rationnel
plutôt que sur des manipulations de toutes sortes. Poincaré exprimait ces aspirations élevées
tel-00137859, version 1 - 22 Mar 2007
en des termes montrant clairement qu’il ne se faisait guère d’illusions sur le monde politique
français :
Actuellement, tout député est l’élu d’une coalition ; il se trouve à tout moment entre les
opinions et les intérêts de ses électeurs du premier tour, et ceux de ses électeurs du second
tour. Après avoir quelque temps balancé, il se sent naturellement porté à sacrifier ceux du
premier tour qui pensent comme lui, mais dont il est sûr, à ceux du second tout, dont il ré-
prouve les idées, mais qui pourraient lui échapper.
Il faut que les députés comprennent qu’ils ne représentent pas un département, mais la
France ; il faut que les électeurs comprennent qu’ils ne votent pas pour des personnes, mais
pour des idées. […]
Aujourd’hui l’électeur est éclairé ou tout au moins croit l’être ; et l’homme qu’il choisit est
celui qui lui paraît devoir être le plus docile ; c’est quelquefois celui qui lui donne le plus, je
ne dis pas de son argent, nos consciences se révolteraient contre une semblable conception,
mais de l’argent de l’État. […]
Ce que nous venons de dire nous indique quelle est l’idée, le but final à atteindre.125
Suivaient quelques pages démontrant le bien fondé du scrutin proportionnel d’un point de
vue mathématique. Cette préface constitue sans conteste le signe le plus visible de
l’engagement de Poincaré sur le terrain politique. Jamais, au cours de sa vie, il ne devait aller
au-delà. Est-ce à dire que malgré son soutien apporté à la cause du dreyfusisme, le mathémati-
cien était doté d’une piètre conscience politique ? Cela n’est pas certain : les témoignages des
proches de Poincaré (Paul Appell par exemple) nous apprennent qu’il s’intéressait beaucoup
aux débats sociaux et politiques de son temps et qu’il avait souvent des opinions très arrêtées
à leur sujet. Seulement, n’étant membre d’aucun parti, n’étant pas doté d’une fibre militante, il
ne les exprimait pas publiquement. Dans ces conditions, il va sans dire que les prises de posi-
tion que nous avons étudiées lui tenaient particulièrement à cœur.
Lorsqu’on analyse dans le détail certaines de ses allocutions portant sur des questions de so-
ciété ou de morale, on s’aperçoit qu’un thème revient fréquemment sous sa plume. Ce thème
123 Cet extrait provient d’une lettre de remerciement suite à l’envoi du livre Psychologie du socialisme, ouvrage publié par Gustave
pour peu qu’ils ne soient pas aveuglés par l’intérêt ou la passion. On s’étonnera plus tard que le système majoritaire ait pu
conserver des défenseurs. Ses défauts sont tels que la majorité elle-même peut en être atteinte. Un parti peut avoir la majorité
dans le pays et être en minorité dans la Chambre, s’il a une forte majorité dans un petit nombre de ces circonscriptions, et si ses
adversaires ont au contraire une majorité très faible dans des circonscriptions très nombreuses. Cela n’est pas là une simple
hypothèse de mathématicien, cela est arrivé plusieurs fois en Belgique, avant l’institution du système électoral de d’Hondt ».
125 [Poincaré 1911p], pages IV, V, et VI.
Henri Poincaré (1854-1912) : Des Mathématiques à la Philosophie 283
L’Engagement Public
geant et même on le servira mieux en le jugeant. Hélas ! à quelque parti que vous apparte-
niez, vous ne serez que trop souvent obligés de le juger sévèrement. […]
Si vous ne devez jamais soumettre votre pensée, vous devez soumettre vos actions à la dis-
cipline. […] On prétend que quelques-uns d’entre vous commencent à trouver trop lourd le
devoir militaire, non parce qu’ils reculent devant la peine ou la fatigue, mais parce que leur
volonté est rebelle à toute contrainte. J’espère qu’il n’en est rien. […] Le jour où la France
n’aura plus de soldats mais seulement des raisonneurs, Guillaume II sera le maître de
l’Europe.127
126 Concept qui joue également un rôle important dans sa pensée philosophique et scientifique.
127 [Poincaré 1903l], page 63.
128 [Document ACERHP microfilm 1].
Henri Poincaré (1854-1912) : Des Mathématiques à la Philosophie 284
L’Engagement Public
besoin de toutes nos forces pour avoir le droit d’en négliger aucune ; aussi, nous ne repous-
sons personne, nous ne proscrivons que la haine. […]
Si, à l’intérieur, les partis oublient les grandes idées qui faisaient leur honneur et leur raison
d’être pour ne se rappeler que leur haine, si l’un dit : je suis anti-ceci, et que l’autre ré-
ponde : Moi, je suis anti-cela, immédiatement l’horizon se rétrécit, comme si des nuages
s’étaient abattus et avaient voilé les sommets. Les moyens excessifs sont employés, on ne
recule ni devant la calomnie, ni devant la délation et ceux qui s’en étonnent deviennent des
suspects. On voit surgir des gens qui semblent n’avoir plus d’intelligence que pour haïr.
129 La création de cette ligue semble avoir été l’œuvre du Parthénon, revue bimensuelle, politique, littéraire et indépendante,
fondée et dirigée par la baronne L. Brault. Le comité d’honneur comptait plusieurs membres de l’Académie Française (Émile
Faguet, Jean Aicard, Henri de Régnier, Pierre Loti), ainsi que quelques personnalités du monde politique et universitaire : Gaston
Doumergue, Félix Le Dantec ou Jean Izoulet. Guillaume Apollinaire faisait, quant à lui, partie du comité de direction de la revue.
Henri Poincaré (1854-1912) : Des Mathématiques à la Philosophie 285
L’Engagement Public
les plus conservatrices de France : collèges et lycées sont avant tout destinés à la formation
d’une élite (à peine 3% d’une classe d’âge) issue majoritairement du monde des notables ; ils
forment les élèves aux carrières administratives d’État, aux métiers de la magistrature et aux
carrières libérales. Milieux populaires et bourgeoisie commerçante en sont, sinon exclus, du
moins notoirement sous-représentés. Pour reprendre l’expression de Bruno Belhoste,
l’enseignement secondaire est d’abord et surtout « l’école des héritiers ».131
Les programmes d’enseignement répondent à des aspirations fortement élitistes :
l’enseignement secondaire, qu’il soit classique ou moderne, dispense une formation très géné-
rale et ne cherche pas à diffuser des connaissances de détail, pratiques et directement assimi-
lables (ce sont les facultés et les grandes écoles qui doivent se charger de cet enseignement de
détail) ; institutions privées et publiques s’accordent d’ailleurs sur la nature désintéressée et
universelle de l’enseignement secondaire ; les élèves sont mis au contact d’idéaux élevés afin
de leur donner le sens du devoir, outil indispensable pour occuper une place élevée dans la
société. Face à une telle situation, beaucoup d’intellectuels dénonceront vers 1890 « la dis-
convenance croissante entre l’éducation et la vie », pour reprendre la formule de Taine. Citons
Marcelin Berthelot, Paul Bourget, que l’on retrouvera pourtant en 1911 au sein de la Ligue
pour la Culture Française, Ernest Lavisse ou Jules Lemaître. Ces protestations aboutiront à
quelques réformes. En 1880, on introduira l’explication de texte et la composition française
dans l’enseignement. En 1891, parallèlement à l’enseignement classique – qui privilégiait les
langues anciennes et affichait une indifférence totale au monde réel – sera créé un enseigne-
ment secondaire moderne, sans langues anciennes, mais avec des langues vivantes et plus de
sciences. Une telle création ne fera qu’aggraver le problème : certes, à la fin du siècle ce nouvel
enseignement attirera un grand nombre d’élèves (environ 40000), mais il souffrira toujours
d’un complexe d’infériorité par rapport à l’enseignement classique, qui demeurera la voie
royale. Le baccalauréat moderne sera un bac de second ordre puisqu’il ne donnera pas accès
aux facultés de droit et de médecine, pas plus qu’à l’École Polytechnique.
En ce qui concerne la part des sciences dans l’enseignement secondaire on peut considérer
qu’elle est relativement faible à la fin du XIXème siècle : 15 % des heures de cours sont consa-
crées aux sciences avant la terminale (chiffre en baisse dès 1880) et 38 % durant la terminale
De plus, cet enseignement scientifique semble faire la part belle au dogmatisme, il ne laisse
130 Sur cette question nous nous inspirons largement de l’article de Bruno Belhoste, « L’enseignement secondaire français et les
sciences au début du XXème siècle. La réforme de 1902 des plans d’études et des programmes » [Belhoste 1990]. On pourra égale-
ment se reporter à [Prost 1968], notamment à partir de la page 250.
131 [Belhoste 1990], page 374.
Henri Poincaré (1854-1912) : Des Mathématiques à la Philosophie 286
L’Engagement Public
guère de place aux sciences expérimentales et affiche un mépris profond pour les applications
pratiques. Par ailleurs, les progrès scientifiques récents sont le plus souvent ignorés ; en géo-
métrie, par exemple, la référence reste Euclide, revu et corrigé par Legendre et le raisonnement
more geometrico est le seul type de raisonnement scientifique rigoureux proposé aux élèves.100 ;
l’arithmétique, l’algèbre et la trigonométrie sont quant à elles enseignées comme au temps de
Lacroix, sans méthode. Dans les sciences physiques et naturelles, on enseigne encore des théo-
ries et des procédés dépassés et certains protocoles expérimentaux décrivent des appareils
totalement obsolètes. Ainsi, dans une conférence faite au Musée pédagogique en 1904, Lucien
Poincaré, cousin de Henri et frère de Raymond, déclarait :
À chaque fait que l’on citait, à chaque loi que l’on énonçait, on joignait la description détail-
lée d’un instrument particulier, on se complaisait dans cette description, on y insistait, et
petit à petit, dans l’esprit de l’élève, l’appareil prenait des proportions énormes ; il était
utile, il devenait nécessaire ; il servait à vérifier une loi, il se substituait, en quelque sorte, à
la loi elle-même.101
De fil en aiguille, le débat sur l’avenir de l’enseignement secondaire, d’abord limité au cercle
des professionnels (et relayés par des revues comme L’enseignement mathématique de H. Fehr et
C. A. Laisant) finira par devenir national vers la fin du XIXème siècle. En 1898, la chambre des
députés crée ainsi une commission d’enquête parlementaire (présidée par Alexandre Ribot)
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Leygues, le 14 février 1901, d’une commission de révision des programmes des sciences.
Composée de 18 membres et présidée par Gaston Darboux, cette commission comprendra 3
sous-commissions : la sous-commission des mathématiques réunissant Paul Appell, Émile
Adolphe Bichat, Amédée Combe, Gaston Darboux, Gabriel Koenigs, Paul Mathieu Jules Pru-
vost et Jules Tannery ; la sous-commission des sciences physiques, composée de Henri Abra-
ham, Albin Haller, Paul Janet, Gabriel Joubert, Édouard Péchard, Jean Perrin, Lucien Poincaré
et Jules Violle ; enfin, la sous-commission des sciences naturelles, qui ne comprend que trois
membres, Frédéric Houssay, Louis Mangin et Édmond Perrier.133 Il s’agit là d’une commission
exclusivement parisienne largement dominée par les représentants de l’enseignement supé-
rieur : 7 professeurs de Faculté (dont 6 de la Sorbonne) et 6 maîtres de conférences de l’École
Normale Supérieure contre 3 représentants de l’enseignement secondaire (Combe, Mathieu,
Mangin) et 3 représentants de l’Inspection Générale (Pruvost, Joubert, Poincaré).
Œuvre d’universitaires et de savants, la rénovation des programmes scientifiques marquera la
reconnaissance du rôle joué par le raisonnement inductif dans les mathématiques. Les mem-
bres de la commission insisteront par exemple beaucoup sur la nécessité de tirer les notions
scientifiques de base de l’expérience vécue des élèves et de recourir le plus possible à leurs
facultés d’intuition et d’imagination. Ils entendront faire partir l’enseignement scientifique de
la réalité, soit à partir d’expériences concrètes pour les plus jeunes, soit à l’aide de la méthode
tel-00137859, version 1 - 22 Mar 2007
expérimentale pour les plus âgés. Ainsi, pour l’enseignement de la géométrie, les instructions
officielles seront particulièrement claires :
L’enseignement de la géométrie doit être essentiellement concret : il a pour but de classer et
de préciser les notions acquises par l’expérience journalière, d’en déduire d’autres plus ca-
chées et de montrer leurs applications aux problèmes qui se posent dans la pratique. Toute
définition purement verbale étant exclue, on ne devra parler d’un élément nouveau qu’en
donnant sa représentation concrète et en indiquant sa construction. […] Au point de vue de
l’explication des faits, le professeur devra faire appel à l’expérience et admettre résolument
comme vérité expérimentale tout ce qui semble évident aux enfants.134
Outre cette volonté affichée d’en finir avec une approche trop abstraite des sciences et de pri-
vilégier une pédagogie concrète, les travaux de la commission aboutiront à une augmentation
globale du nombre d’heures consacrées à l’enseignement des sciences dans l’ensemble des
sections.
Poincaré ne participa pas personnellement aux débats sur la révision des programmes scienti-
fiques mais il entretenait de nombreuses relations avec ses principaux acteurs et il devait ap-
porter son soutien à l’idée d’un enseignement scientifique centré sur une approche concrète.
2 – Poincaré et la réforme Leygues
Parmi les noms cités précédemment, on a pu rencontrer celui de Lucien Poincaré, frère de
Raymond et cousin de Henri. En sa qualité d’Inspecteur Général de l’Instruction Publique,
c’est lui qui fut chargé de faire mettre en application les décisions de la commission de révi-
sion des programmes de science. Ainsi, en 1904, les deux cousins se retrouvèrent côte à côte,
chacun prononçant une conférence au Musée Pédagogique, l’un sur « Les méthodes
d’enseignement des sciences expérimentales », l’autre sur « Les définitions générales en ma-
thématiques ». Parrainées par Louis Liard, ces conférences étaient conçues comme des illustra-
tions de l’esprit de la réforme pour l’enseignement des sciences (nous avons déjà eu l’occasion
d’évoquer l’intervention de Liard au Musée Pédagogique, cf. paragraphe page 91). Collègues
et amis de Poincaré, Darboux, Appell et Tannery ne sont plus à présenter. Albin Haller, quant
à lui, était une relation familiale de Poincaré puisque l’épouse de Haller était une cousine
germaine du mathématicien nancéien (les familles Haller et Poincaré passaient même parfois
des vacances communes à Longuyon en Lorraine). À la périphérie de la réforme, H. Fehr et C.
A. Laisant, qui diffusaient au sein de leur revue L’enseignement mathématique les nouvelles
133 Sur les différents titres des membres des membres de ces sous-commission voir [Belhoste 1990], page 400.
134 Arrêté du 27 juillet 1905, cité d’après [Belhoste 1990], pages 395-396.
Henri Poincaré (1854-1912) : Des Mathématiques à la Philosophie 288
L’Engagement Public
idées pédagogiques, étaient doublement liés à Poincaré puisque celui-ci, outre les articles qu’il
rédigeait de temps à autre pour la revue, faisait partie de son comité de patronage.135
Au-delà de ces relations interpersonnelles, les liens de Poincaré avec la réforme de 1902 appa-
raissent très clairement à la lecture de ses textes pédagogiques, et notamment à la lecture de sa
conférence de 1904 au Musée Pédagogique (reproduite dans Science et méthode sous le titre
« Les définitions mathématiques et l’enseignement »). Dans ce texte, Poincaré fournissait une
sorte de manuel pédagogique pour l’enseignement des sciences mathématiques dans le se-
condaire. Se demandant pourquoi certains élèves ne parviennent pas à comprendre les défini-
tions mathématiques, il avançait l’idée que ceux-ci n’écoutent pas le raisonnement mais
s’efforcent de construire une image sensible de la définition :
D’autres se demanderont toujours à quoi cela sert ; ils n’auront pas compris s’ils ne trou-
vent autour d’eux, dans la pratique ou dans la nature, la raison d’être de telle ou telle no-
tion mathématique. Sous chaque mot, ils veulent mettre une image sensible ; il faut que la
définition évoque cette image, qu’à chaque stade de la démonstration ils la voient transfor-
mer et évoluer. À cette condition seulement, ils comprendront et ils retiendront. Ceux-là
souvent se font illusion à eux-mêmes ; ils n’écoutent pas les raisonnements, ils regardent les
figures ; ils s’imaginent avoir compris et ils n’ont fait que voir.136
Cette citation illustre bien-sûr la célèbre distinction poincaréienne entre les analystes et les
intuitifs. Dans l’esprit de la réforme Leygues, ce texte préconisait l’introduction d’éléments
tel-00137859, version 1 - 22 Mar 2007
intuitifs dans l’enseignement scientifique ainsi que son adaptation aux nécessités de la vie
moderne (voir la citation page 92). En effet, passant en revue les différentes disciplines ma-
thématiques, Poincaré proposait des solutions pédagogiques privilégiant clairement
l’approche concrète. En arithmétique, à propos de la définition de l’addition, il suggérait de
s’appuyer sur des exemples concrets et de dire à l’élève : « l’opération que nous venons
d’effectuer s’appelle addition ».137 En géométrie, pour définir, la ligne droite, il proposait de
partir tout simplement de la règle en bois, le cercle pouvant, quant à lui, être expliqué à l’aide
du compas. On pourrait croire qu’il s’agissait là de solutions triviales, mais Poincaré
s’empressait de préciser qu’un tel choix, en plus de sa valeur pédagogique, a un fondement
philosophique (il ne fait d’ailleurs aucun doute que son approche pédagogique mettait en jeu
une part non négligeable de sa philosophie, et notamment sa dimension constructiviste).
Peut-être vous étonnerez-vous de cet incessant emploi d’instruments mobiles ; ce n’est pas
là un grossier artifice, et c’est beaucoup plus philosophique qu’on ne le croit d’abord.
Qu’est-ce que la géométrie pour le philosophe ? C’est l’étude d’un groupe, et quel groupe ?
De celui des mouvements des corps solides. Comment alors définir ce groupe sans faire
mouvoir quelques corps solides ?138
L’analyse de cet article montre par conséquent que Poincaré, en tant que pédagogue et profes-
seur, partageait les présupposés théoriques de la réforme de 1902 en matière d’enseignement
scientifique. Agissait-il en vertu d’une sorte de fidélité familiale, amicale et professionnelle ?
C’est fort probable à en juger d’après la profondeur des liens qui l’unissaient aux membres de
la commission Darboux. Certes, il n’eut aucune responsabilité directe dans la mise en place de
la réforme ; cependant, en rapide retour en 1899 permet de découvrir que dès cette époque il
défendait déjà une conception de l’enseignement scientifique proche de celle qui allait prési-
der à la réforme Leygues. Ainsi, dans son article « La logique et l’intuition dans la science
135 Laisant était d’ailleurs très actif sur la scène mathématique et mériterait à lui seul qu’on lui consacre une recherche. Collabo-
rateur régulier des travaux du Répertoire Bibliographique des Sciences Mathématiques, il avait fondé, en 1894, L’intermédiaire des
mathématiciens, revue qui se proposait, à l’instar du célèbre Intermédiaire des chercheurs et des curieux, de « fournir aux personnes
qui cultivent habituellement les mathématiques, ou qui s’y intéressent, des renseignements sur des sujets se rapportant à leurs
études (des solutions à des questions posées, ou des indications bibliographiques) » (préface du premier numéro de la revue).
136 [Poincaré 1904j], cité d’après Science et méthode, [Poincaré 1908l], pages 125-126.
137 [Poincaré 1904j], cité d’après Science et méthode, [Poincaré 1908l], page 142.
138 [Poincaré 1904j], cité d’après Science et méthode, [Poincaré 1908l], page 144. Bruno Belhoste cite par ailleurs un commentaire de
Jacques Hadamard prononcé suite à la conférence de Poincaré, lors des discussions : « En traitant la géométrie comme une
science physique – ce qu’elle est véritablement –, on fera disparaître ce que son enseignement a présenté jusqu’ici d’artificiel et de
rebutant ». [Belhoste 1990], page 393.
Henri Poincaré (1854-1912) : Des Mathématiques à la Philosophie 289
L’Engagement Public
mathématique », certaines idées semblent largement anticiper celles soutenues en 1904 dans
son texte sur les définitions générales en mathématiques :
Le but principal de l’enseignement mathématique est de développer certaines facultés de
l’esprit, et parmi elles l’intuition de l’espace n’est pas la moins précieuse. C’est par elle que
le monde mathématique reste en contact avec le monde réel ; et quand même les mathéma-
tiques pures pourraient s’en passer il faudrait toujours y avoir recours pour combler
l’abîme qui sépare le symbole de la réalité. Le praticien en aura donc toujours besoin, et
pour un géomètre pur il doit y avoir cent praticiens.139
Le parallélisme entre le texte de 1904 et celui-ci n’est pas fortuit car la conférence de Poincaré
au Musée Pédagogique empruntera de nombreux passages au texte de 1899. Un tel fait
prouve, semble-t-il, que dès 1899 Poincaré était à la pointe de la modernité dans le domaine de
la didactique des mathématiques ; il prouve également qu’il ne se contenta pas d’accompagner
la réforme Leygues et que, à l’instar de bien des scientifiques de son temps, il contribua à la
faire naître. On peut ajouter que le soutien apporté par Poincaré à cette réforme ne fut pas un
soutien de circonstance puisqu’en 1912 il devait mettre en application ses préceptes pédagogi-
ques en collaborant à la rédaction de Ce que disent les choses, un manuel de leçons de choses
destiné aux élèves de l’enseignement primaire (cf. page 213).
3 – La Ligue Pour la Culture Française
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nous rendra par là aptes à nous en servir dans les raisonnements. Je rappellerai, à ce propos, que M. Hermite, le célèbre géomètre,
ne manquait pas, dès qu’il en trouvait l’occasion de vanter l’importance du thème, exercice qui nous plie de bonne heure à la
discipline, en nous assujettissant à appliquer une règle. Or le savant, comme tout autre homme, et plus que tout autre, est à
chaque instant dans la nécessité d’appliquer une règle ». [Poincaré 1911r], pages 15-16.
Henri Poincaré (1854-1912) : Des Mathématiques à la Philosophie 290
L’Engagement Public
Il faut monter plus haut, et toujours plus haut, pour voir toujours plus loin et sans trop
s’attarder en route. […] Il faut que le savant ait le pied montagnard, et surtout qu’il ait le
cœur montagnard. Voilà quel est l’esprit qui doit l’animer. Cet esprit, c’est celui qui souf-
flait autrefois sur la Grèce et qui y faisait naître les poètes et les penseurs. Il reste dans notre
enseignement classique un je ne sais quoi de la vieille âme grecque qui nous fait toujours
regarder plus haut.
Et maintenant les statistiques nous apprennent que les élèves des sections A, B, C décro-
chent plus de succès à l’École Polytechnique que ceux de la section D ou bien est-ce
l’inverse. J’avoue que je n’en sais rien et que cela m’importe peu. D’abord, ce qu’il faudrait
savoir, c’est si, dans toute la maturité de leur talent, les savants issus des trois premières
sections rendent plus ou moins de véritables de services que ceux que nous fournit la qua-
trième ; et pour cela il faudrait peser et non compter, ce que les statisticiens ne savent pas
faire. Et puis si le résultat n’était pas celui que j’attends, cela prouverait simplement que
l’enseignement des sections A, B, C n’est pas ce qu’il devrait être et doit être réformé.142
Comme on s’en doute, la contradiction entre le soutien de Poincaré à la réforme Leygues et sa
critique de l’organisation de l’enseignement moderne n’est qu’une contradiction apparente.
En effet, l’accord de Poincaré se faisait sur la nécessité d’une refonte des programmes et des
méthodes de l’enseignement des sciences dans le secondaire et il reposait grandement sur des
conceptions philosophiques accordant un large rôle à l’intuition. En revanche, tout en soute-
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L’initiative de la création de cette ligue revint probablement à Jean Richepin, qui en était le
président et son comité d’honneur était composé exclusivement de membres de l’Institut : 33
membres de l’Académie Française, 20 membres de l’Académie des Inscriptions et Belles Let-
tres, 31 membres de l’Académie des Sciences, 26 membres de l’Académie des Sciences Morales
et Politiques et 26 membres de l’Académie des Beaux-Arts ; en son sein se côtoyaient donc
Émile Ollivier, Maurice Barrès, le Marquis de Ségur, Alfred Mézières, Pierre Loti, le Comte
d’Haussonville, Jules Lemaître, Émile Picard, Albin Haller, Alfred Fouillée, Jules Lachelier ou
Camille Saint-Saëns.
Que Poincaré se soit engagé ainsi en faveur des humanités grecques et latines et de l’ancien
enseignement classique ne constitue pas en soi une contradiction : tout en soutenant la ré-
forme de l’enseignement scientifique mise en place par la commission Darboux, Poincaré
pouvait parfaitement être hostile à certaines conséquences de la réforme Leygues, notamment
la mise à parité des enseignements modernes et classiques et la disparition de l’étude des
langues mortes dans certaines sections. À ce niveau, la seule question qui se pose vraiment est
de savoir si cette hostilité prit naissance dès 1902 ou si elle émergea quelques années plus tard,
suite à des contacts de plus en plus fréquents avec la communauté littéraire (en particulier les
membres de l’Académie Française). Nous ne proposerons pas de réponse précise à cette ques-
tion. Peut-être Poincaré fut-il sollicité par le Ministère de l’Instruction Publique pour faire
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caractéristiques de l’engagement énoncées par Prost. Cependant, il serait pour le moins exces-
sif d’affirmer que l’engagement fut la caractéristique essentielle de son activité intellectuelle.
Ce que nous avons décrit, ce sont principalement des engagements publics ponctuels, répon-
dant manifestement à des sollicitations extérieures ; ce sont des tentatives pour introduire un
semblant de rationalité scientifique au sein de débats dotés d’une forte charge idéologique et
passionnelle ; ce sont des tentatives pour ‘gommer’ la dimension politique et idéologique de la
prise de parole publique. En somme, on pourrait se demander si la position poincaréienne
concernant l’engagement public ne s’apparente pas à une forme de non-engagement dans
l’engagement. Sur ce point, nous nous rallierons à la thèse soutenue par Christophe Prochasson
dans son article « Jalons pour une histoire du non-engagement » :
En dépit de ces injonctions qui assignent, certes, quelques limites à l’engagement des sa-
vants mais le prescrivent, les représentations sans doute les plus répandues de la science lui
ont longtemps interdit de se mêler de tout ce qui n’était pas elle. Cette idéologie de la
science, forgée au moment même où certains scientifiques entraient en politique ou prô-
naient la prise en compte de responsabilités civiques chez les savants, au moins dans les
moments de crise, peut aisément s’articuler à une forme de refus d’engagement.146
parent
Poincaré et Maurice Barrès se côtoyèrent au sein de la Ligue Pour la Culture Française. On sait
cependant peu de choses sur les relations qu’ils pouvaient entretenir tous deux (seule une
lettre permet d’apprendre que le mathématicien lui fit sa traditionnelle visite au moment de sa
candidature à l’Académie Française, et qu’il obtint l’assurance de son soutien).147 Malgré
l’absence de correspondance suivie entre les deux hommes, il est néanmoins possible
d’affirmer que Barrès appréciait les conceptions philosophiques de Poincaré : ainsi, dans ses
Cahiers, l’homme de lettres s’attarda à plusieurs reprises sur la philosophie poincaréienne et –
de façon très symptomatique – il interpréta celle-ci comme une défense de la religion catholi-
que face aux multiples attaques de la science :
Je sais qu’il est de mode, au nom de la science, de mépriser la religion. Mais il n’y a pas la
science. Il y a les sciences. Chacune d’elles a sa méthode. La méthode qui mène à la décou-
verte n’est pas celle qui nous donne la vie morale. Que les savants ne viennent pas nous
dire : – cette science de notre destinée, cette réponse à notre curiosité de la destinée
n’empruntent rien à l’expérience ; ce sont de véritables créations de notre esprit. Elles n’ont
pas de valeur. Pures créations de notre esprit, eh ! N’est-ce pas de ce terme même qu’un
Poincaré définit les vérités mathématiques ? […] Mais les autres sciences reposent toutes, el-
les aussi, sur des principes invérifiables. Que nul savant ne méprise, au nom de ses certitu-
des et en les comparant à ses doctrines scientifiques, les doctrines de l’église : les savants
d’aujourd’hui disent qu’ils ne peuvent connaître que les rapports des choses ; dans aucun
ordre d’idées, en aucune manière, nous ne pouvons atteindre l’absolu. ‘Une réalité complè-
tement indépendante de l’esprit qui la conçoit, la voit ou la sent (dit Poincaré) est une im-
possibilité. Un monde si extérieur que cela, si même il existait, nous serait à jamais inacces-
sible…’ La seule véritable réalité objective est l’harmonie interne du monde exprimée par
ses lois (Poincaré, par Bosler, p. 14). Et la joie de contempler cette harmonie du monde, la
paix que l’on en ressent, c’est ce que le plus simple esprit reçoit, poursuit dans l’église.148
la valeur des églises. De même pour les laboratoires. Sur l’utilité des laboratoires dans l’industrie, l’agriculture, le commerce, au
point de vue de la prospérité nationale, on est d’accord. C’est un point de vue à dépasser. Il y a la valeur économique et, en outre,
la valeur esthétique et éthique du savant. Séparons la beauté de la science de son utilité. Un homme comme Laplace représente
autant la France qu’un homme comme Corneille. Son œuvre importe autant à la France. Dans le livre de Poincaré, La valeur de la
science, c’est dit, et c’est dit par un homme qui, là, se confesse. Il importe de maintenir dans un pays un si beau type humain.
Favorisons et multiplions l’éclosion de ce grand type humain ».
Henri Poincaré (1854-1912) : Des Mathématiques à la Philosophie 293
L’Engagement Public
À travers cette longue citation, on s’aperçoit que Barrès tirait de la philosophie scientifique de
Poincaré un argument en faveur de la religion : le fait qu’il existe dans les sciences des vérités
invérifiables constituait, selon lui, la preuve que la religion ne pouvait être condamnée par le
progrès scientifique (l’analogie forte entre les doctrines de l’Église et les doctrines scientifiques
rendait les premières aussi acceptables que les secondes).
Il y a, dans ces propos de Barrès, des éléments qui rappellent fortement la philosophie de
Boutroux. Celle-ci, on s’en souvient, était conçue comme une mise en cause du déterminisme
scientifique et, par voie de conséquence, comme une défense des croyances religieuses. Dans
sa conception, puisque le monde n’était pas régi par une absolue nécessité, puisque la science
admettait, au moins partiellement, la contingence, puisque certaines certitudes scientifiques
reposaient pour une large part sur des constructions de l’esprit, il n’y avait aucune raison de
rejeter les dogmes religieux.
Postérieure à la mort de Poincaré, cette tentative de Barrès pour placer sa philosophie du côté
de la religion ne constitue cependant pas un cas isolé. De son vivant, dès le début du siècle, le
mathématicien avait eu à se défendre contre les velléités de ‘récupération’ de ses idées à des
fins apologétiques. Nous avons mentionné (voir en particulier les pages 130 et 166) le cas
d’Édouard Le Roy qui, dans plusieurs articles publiés vers 1900 dans la Revue de métaphysique
et de morale, proposait une lecture radicale du conventionnalisme : se servant de la thèse de
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Boutroux sur la spontanéité du monde inorganique comme d’un auxiliaire, il mettait l’accent
sur l’idée que les théories scientifiques ne sont ni vraies ni fausses mais utiles, ainsi que sur
l’idée d’une construction des faits par le savant lui-même.149 Poincaré devait lui répondre en
1902, dans son article « Sur la valeur objective de la science », et critiquer sa position nomina-
liste et anti-intellectualiste. Nous avons également mentionné la controverse suscitée par Mon-
seigneur Bolo à partir d’une remarque philosophique faite à Le Roy sur la rotation de la Terre
(cf. page 237). À cette occasion, une fois encore, Poincaré se trouva dans l’obligation de préci-
ser qu’il n’entendait pas justifier la condamnation de Galilée ou cautionner les conceptions
intégristes de certains esprits religieux. Comment expliquer cette forte attirance de certains
milieux catholiques pour la philosophie poincaréienne ? Pour quelles raisons fut-elle l’objet de
tant de convoitises ? Ce sont là deux questions importantes, non seulement car elles concer-
nent la réception et la postérité des idées poincaréiennes, mais également parce qu’elles té-
moignent de la dimension sociale et politique de toute pensée, de toute philosophie. Nous ne
répondrons pas directement à ces questions – qui demanderaient de nombreuses recherches –
mais nous tenterons plus modestement de leur apporter un semblant d’éclairage à travers le
récit d’un épisode peu connu de l’élection de Poincaré à l’Académie Française.
La première question que l’on peut se poser est celle de savoir si Poincaré entendait sa philo-
sophie scientifique comme une défense de la religion et de la foi. Sur ce point, il n’est guère
possible d’avoir le moindre doute : Poincaré était, sinon athée, du moins agnostique et il
n’affichait, semble-t-il, aucune sympathie particulière à l’égard des milieux religieux.150 Cela ne
signifie d’ailleurs pas qu’il était anticlérical : bien que n’ayant pas été touché par la foi et mal-
gré sa formation scientifique, il semble avoir toujours affiché une certaine tolérance à l’égard
de la religion, au point de prendre position pour une conception relativement ouverte des
rapports entre science et religion. Ainsi, citera-t-il en exemple, dans une conférence célèbre
prononcée en 1909 (« Le libre examen en matière scientifique ») le cas de Louis Pasteur, qui
était à la fois un authentique savant et un fervent catholique. Dans ce texte, Poincaré montrera
que science et religion ne sont pas incompatibles, pour peu que l’on se garde de sombrer dans
des débordements passionnels. Tant que ces deux disciplines sont cultivées sans excès idéolo-
149 Voir à ce sujet l’article de Mary Jo Nye, « The Moral Freedom of Man and the Determinism of Nature : the Catholic Synthesis
of Science and History in the Revue des questions scientifiques » [Nye 1976], qui analyse dans le détail les multiples tentatives de
savants catholiques (Pierre Duhem, Paul Tannery, Édouard Le Roy) pour construire une science et une philosophie des sciences
sauvant les principes de la religion. Voir notamment les pages 284-285.
150 On ne recense dans son œuvre que trois articles publiés des revues ouvertement religieuses : deux articles dans Foi et vie en
giques, tant qu’elles peuvent s’épanouir sans contraintes et dans le respect de la vérité, elles ne
peuvent entrer en conflit.
Mais, sans adhérer à aucune église, sommes-nous bien certains d’avoir toujours conservé
l’impartialité qui convient au savant, de ne pas nous être écriés en face d’une découverte
particulièrement embarrassante pour les croyants : « Ah ! je voudrais bien savoir quelle tête
vont faire les cléricaux ! ». Ce n’est pas la sérénité avec laquelle doit être accueillie une
conquête scientifique ; l’admiration qu’elle inspire doit être désintéressée, elle doit
s’adresser à la beauté pure, sans aucun souci de l’avantage qu’en peut tirer tel ou tel parti.
Il n’y a pas d’ailleurs que les catholiques qui se croient obligés par un devoir étroit à com-
battre certaines propositions et à ne pas écouter les raisons de ceux qui les défendent ; il y a
ceux qui invoquent l’intérêt social. Y-a-t-il des doctrines dangereuses pour la société ? […]
Non, il n’y a pas de mensonge salutaire ; le mensonge n’est pas un remède, il ne peut
qu’éloigner momentanément le danger, en l’aggravant. Il est impuissant à le conjurer.151
Ce qui ressort de cette conférence sur le libre examen dans les sciences c’est une condamnation
sans appel de l’intégrisme religieux, politique ou moral, ainsi qu’un plaidoyer en faveur des
valeurs de liberté, de modération et d’honnêteté intellectuelle. Aucune hostilité de principe à
l’égard de la religion n’y apparaît mais, en revanche, Poincaré se prononce pour le maintien
d’une sorte de statu quo : « préservons l’indépendance du scientifique dans son laboratoire,
préservons le droit de chacun à avoir des convictions religieuses dans un respect mutuel », tel
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semble être le précepte qui se dégage de ses propos. On est par conséquent assez loin des
tentatives barrésiennes pour sauver les églises et préserver coûte que coûte les croyances reli-
gieuses.
Poincaré reviendra sur ce problème l’année suivante, à l’occasion d’une conférence organisée
par la revue catholique Foi et vie (dont Boutroux était un collaborateur régulier).152
S’interrogeant sur les rapports de la morale et de la science et sur la possibilité de fonder scien-
tifiquement une morale, il en appellera une fois de plus à une conception modérée des rela-
tions entre science et religion. Traditionnellement, on considère la religion comme le fonde-
ment de la morale ; cependant, lorsqu’on n’est pas croyant, un tel fondement peut sembler
assez fragile, surtout si on le compare aux découvertes de la science. Est-il possible, dans ce
cas, de fonder une morale sur la rationalité scientifique ? Peut-on formuler une loi morale
comme on formule le théorème des trois perpendiculaires ou la loi de gravitation ? D’aucuns
répondront affirmativement, notamment les tenants d’un positivisme radical, mais d’autres
feront remarquer qu’il y a, dans la science, un grand nombre de notions, de principes ou de
méthodes qui ne s’accordent pas avec la morale : la place importante qu’elle accorde à la ma-
tière (parce qu’on ne respecte bien que les choses qu’on ne peut pas regarder), sa propension à
dévoiler les ‘trucs du Créateur’ et à regarder dans les coulisses du monde. Pour cette seconde
catégorie de personnes, si on laissait faire les savants, non seulement il n’y aurait plus de mo-
rale, mais, de plus, les enfants finiraient par douter de ‘l’existence du Croquemitaine’ (c’est-à-
dire de Dieu). Face à ces deux extrêmes, Poincaré optera pour une position intermédiaire :
Que devons-nous penser des espérances des uns et des craintes des autres ? Je n’hésite pas
à répondre : elles sont aussi vaines les unes que les autres. Il ne peut y avoir de morale
scientifique ; mais il ne peut pas y avoir non plus de science immorale. Et la raison en est
simple ; c’est une raison, comment dirai-je, purement grammaticale.
Si les prémisses d’un syllogisme sont toutes les deux à l’indicatif, la conclusion sera égale-
ment à l’indicatif. Pour que la conclusion pût être mise à l’impératif, il faudrait que l’une
des prémisses au moins fût elle-même à l’impératif. Or les principes de la science, les postu-
lats de la géométrie sont et ne peuvent être qu’à l’indicatif ; c’est encore à ce même mode
que sont les vérités expérimentales, et à la base des sciences, il n’y a, il ne peut y avoir rien
autre chose.153
On ne trouve pas dans les écrits de Poincaré de développements en faveur d’un positivisme
outrancier confinant au mépris des croyances religieuses et, à en croire certains témoignages, il
était manifestement agnostique.154 Ce fait s’explique selon nous par plusieurs raisons. D’une
part, d’un point de vue philosophique, en déclarant que les principes de la science et de la
géométrie ne peuvent être qu’à l’indicatif, Poincaré fermait la porte aux partisans de l’idée
d’une science achevée et censée s’imposer comme le seul paradigme valide de la connaissance.
D’autre part, d’un point de vue plus personnel, son refus clairement affiché de se laisser en-
traîner dans des débordements passionnels s’appliquait non seulement à l’extrémisme reli-
gieux mais également au positivisme radical qui, par certains aspects, s’apparente à un
dogme. Enfin, on pourrait éventuellement voir dans cette situation le signe de son amitié pour
Boutroux et de sa volonté de ‘ménager’ en quelque sorte ses relations familiales.
Loin d’être anticroyant, il semble en fait que Poincaré entretint des relations suivies (et fruc-
tueuses) avec les milieux catholiques et conservateurs. Élu président de l’Académie des Scien-
ces en 1906, il décida l’année suivante de poser sa candidature pour le poste de secrétaire per-
pétuel de la section des sciences physiques de l’Académie. Cette candidature suscita une vive
opposition de la part de certains physiciens, qui n’acceptaient guère qu’un membre de la sec-
tion des sciences mathématiques brigue une telle fonction ; et qui avaient tendance à considé-
rer ses travaux de physique théorique comme relevant des mathématiques.155 Face à l’adversité
tel-00137859, version 1 - 22 Mar 2007
154 Le 5 juin 1919, l’abbé Antonin Eymieu envoyait une lettre à la veuve de Poincaré dans laquelle il lui exposait son projet de
consacrer quelques pages à son mari dans un livre intitulé La part des croyants dans le progrès de la science. Regrettant de n’avoir pu
inscrire parmi ces savants le nom d’Henri Poincaré, il demandait à Louise Poincaré s’il avait bien fait de consacrer quelques
lignes à son sujet et de décrire ses ‘sentiments religieux’ comme proches de l’agnosticisme. Louise Poincaré devait lui répondre
par ces mots : « Bien que j’aie pris pour règle la plus complète réserve au sujet des points si délicats que vous abordez dans les
lignes que vous consacrez à H. P. Je tiens à vous remercier [pour votre ?] communication et je puis vous dire qu’elles me parais-
sent rendre une note assez juste ». [Document ACERHP]. Eymieu accompagnait sa lettre d’un brouillon des pages consacrées à
Poincaré ; il y écrivait notamment : « Ce très puissant et très noble esprit a cru à la noblesse de la pensée plus qu’à la puissance de
la raison ; et il semble bien qu’il ait gardé jusqu’au bout une philosophie teintée d’agnosticisme. Il ‘se déclarait arrêté au seuil du
mystère de l’origine du monde’. Mais ce qui est sûr, c’est qu’il n’a pas été un négateur béat et orgueilleux : nul ne ressemble
moins à [illisible]. Et il n’a pas cru que la science pouvait remplacer la religion : nul n’a plus contribué à délivrer notre génération
de ce fétichisme mis à la mode par Taine et Renan. Non croyant, c’est possible ou probable ; mais anticroyant, sûrement pas ».
[Document ACERHP].
155 Le physicien Grandidier devait d’ailleurs écrire à Poincaré, le 6 mai 1910 : « Je regrette que mon absence de Paris, motivée par
mon triste état de santé, m’ait empêché de vous voir lorsque vous avez pris la peine de passer chez moi au sujet de votre candida-
ture. Je vous eusse dit ce que certainement tous nos confrères ont dû vous dire que, s’il s’était agi de la place de Secrétaire perpé-
tuel pour la Section des Sciences Mathématiques, je n’eusse pas hésité à voter pour vous, car nul dans cette section n’est mieux
qualifié pour remplir cette haute fonction, mais il s’agit de remplacer le Secrétaire perpétuel de la Section des Sciences Physiques,
et le règlement, malgré quelques rares précédents que je vous avoue ne pouvoir / approuver, ou en tout cas la logique veulent, à
mon sens du moins, que ce soit un membre de cette section qui représente au Bureau les sciences chimiques, naturelles et médica-
les. Il y a là pour moi une question de principe qui m’amène à voter pour M. de Lapparent ». Poincaré, rappelons-le, n’était pas
un physicien expérimentateur, ce qui explique vraisemblablement pourquoi il n’obtint jamais le prix Nobel (voir la note 125 page
235).
156 La Société Scientifique de Bruxelles avait été créée en 1875 sous l’impulsion du prêtre R. P. Carbonnelle et, en 1890, P. Man-
sion devait exprimer explicitement ses objectifs : « Pour les catholiques, c’est un devoir de prouver qu’ils sont savants ; pour les
savants, c’est un devoir d’oser montrer qu’ils sont catholiques ! ». Pour plus de détails sur l’histoire de cette société et de la Revue
des questions scientifiques, nous renvoyons à l’article de Mary Jo Nye, « The Moral Freedom of Man and the Determinism of Na-
ture : the Catholic Synthesis of Science and History in the Revue des questions scientifiques » [Nye 1976].
Henri Poincaré (1854-1912) : Des Mathématiques à la Philosophie 296
L’Engagement Public
littéralement le siège des membres des Quarante pour imposer la candidature du mathémati-
cien. Ainsi, le 22 mai 1907, il lui écrivait :
Je n’ai pas attendu votre appel pour me mettre en campagne, surtout depuis que j’ai connu
la malencontreuse candidature suscitée par Paul Bourget.
La semaine dernière, tant au Correspondant qu’à la sortie de la masse ( ?) de l’Institut,
j’avais fortement endoctriné le Marquis de Vogüe, M. Lamy et M. Thureau-Dangin. Avant
hier j’écrivais à ce sujet au cardinal Mathieu, et hier j’en ai entretenu M. Vandal.
Demain j’aurai soin d’être à l’Institut au moment de l’arrivée du Quarante, pour entrepren-
dre MM. Bazin, d’Haussonville et Masson, M. De Mun et M. Costa de Beauregard. Enfin,
comme je dois dîner samedi chez Thureau-Dangin, j’y ferai un nouvel effort de manière à
n’avoir rien négligé avant mon départ pour Vienne (je partirai seulement samedi soir à
7 h 20).
[…] J’aime à croire que vos relations de Lorraine devraient vous assurer les [voix ?] de
MM. Mézières et Gebhart. Quant à Sully Prudhomme, que j’ai trouvé si lamentablement
impotent quand hier il a traversé notre salle, comme il a été mon condisciple en spéciales, je
vais lui écrire ce matin.157
À en juger d’après cette lettre, De Lapparent désirait ardemment voir Poincaré entrer à
l’Académie Française et ne ménageait pas sa peine. Traditionnellement à droite, l’Académie
comptait un grand nombre de catholiques et, sans nul doute, De Lapparent était fort bien
tel-00137859, version 1 - 22 Mar 2007
placé pour recommander la candidature de Poincaré auprès de ses amis politiques. Toutefois,
comment s’explique cette soudaine mobilisation du géologue pour le mathématicien ? La
troisième lettre envoyée par De Lapparent permet, semble-t-il, de répondre à cette question
puisqu’il écrit à Poincaré :
Désireux de vous donner satisfaction le plus tôt possible, non seulement j’ai écrit au-
jourd’hui bien des lettres pressantes à Sully Prudhomme et à M. de Mun ; mais après le
Conseil rectoral de mon Université, j’ai passé à la Société d’Agriculture, où je savais trouver
le M[arqu]is de Vogüe. Il a paru très impressionné par mes raisons et je crois que vous
pourrez compter sur lui. Ensuite j’ai passé au Correspondants où M. Lamy s’est montré
tout aussi favorablement impressionné.
En dehors des raisons de personne et de principe que je fais valoir, je ne manque pas de rappeler à
mes amis que si mon élection a pu produire ce bon effet d’harmonie et d’approbation presque una-
nime qu’elle a rencontré, c’est à cause de votre désistement, et que ceux qui me portent intérêt doi-
vent vous en savoir grand gré.158
En mettant en avant l’idée d’harmonie entre les deux camps, De Lapparent fait-il allusion à
l’existence d’un accord avec Poincaré. Doit-on comprendre que, pour satisfaire aux pressions
des groupes catholiques désireux de s’imposer dans les hautes sphères scientifiques, Poincaré
se désista au profit de De Lapparent ? Doit-on comprendre qu’en échange de ce service, le
géologue lui promit de peser de tout son poids auprès de ses amis de l’Académie Française
pour garantir son élection ? C’est une interprétation plausible, bien qu’elle doive être prise
avec certaines précautions en raison de l’absence de documents annexes. Plusieurs indices
permettent cependant d’étayer cette hypothèse interprétative. D’une part, le fait qu’à partir de
son élection à l’Académie Française Poincaré reçut plusieurs lettres concernant des problèmes
religieux et dans lesquelles on perçoit clairement que son élection au fauteuil de Sully Prud-
homme était ressentie comme une victoire de la religion. En témoigne par exemple cette lettre,
dans laquelle l’abbé Lubac, directeur d’une institution d’éducation catholique mise à mal par
la concurrence de l’école laïque, félicitait Poincaré et s’empressait de lui demander de faire un
157 [Document ACERHP microfilm 3]. Le 23 mai 1907, De Lapparent rendait compte de la suite de ses démarches : « Le Secré-
taire perpétuel de l’Académie emploie ce papier antique et vénérable pour mieux montrer à son cher confrère qu’il a rempli sa
promesse en assiégeant aujourd’hui, de deux à trois heures sans désemparer, les électeurs de M. Barboux. Sully Prudhomme, M.
Costa de Beauregard, M. Vandal, M. Masson, M. Bazin, ont été tour à tour l’objet de mes chaleureuses démonstrations. Je ne cite
pas M. d’Haussonville, parce qu’hélas sa qualité de membre du Comité de rédaction de la Revue des deux Mondes l’inféode à une
autre caisse. En revanche, Sully Prudhomme vous est tout acquis ». [Document ACERHP microfilm 3].
158 [Document ACERHP microfilm 3]. Les italiques sont de nous.
Henri Poincaré (1854-1912) : Des Mathématiques à la Philosophie 297
L’Engagement Public
don en vue de payer le salaire des sœurs s’occupant de l’école.159 D’autre part, l’existence de
commentaires relativement acerbes de la part de ses contemporains, à propos de son élection.
Ainsi, le 29 janvier 1909, le mathématicien Lebesgue écrivait à Borel, à propos de la réponse de
Masson au discours de réception du mathématicien, qu’il trouvait « très moral que
l’imbécillité de Poincaré allant offrir sa supériorité à l’Académie Française soit récompensée
ainsi ».160 Il ajoutait, à propos de cette réponse :
Pour celui-ci [Masson] on a reçu Poincaré parce qu’il faut quelqu’un pour expliquer dans le
dictionnaire les mots scientifiques. Quant à l’ensemble des travaux de Poincaré, c’est de la
culture primaire ; pour le scepticisme scientifique, c’est la preuve de la faillite de la science
et du triomphe prochain de la foi. Bravo !161
À travers la correspondance de De Lapparent se dessinent les grands traits d’une histoire qui
reste à faire : cette histoire, c’est celle des relations entre Poincaré et les milieux conservateurs
du début du siècle ; c’est celle de ses compromissions et de ses négociations éventuelles avec
ces milieux ; c’est également celle de ses réticences face aux velléités de dénaturer sa pensée au
point d’en faire une arme de guerre en faveur de la religion (et l’exemple de Le Roy s’impose
une fois encore). Cet épisode donne à voir la dimension politique et idéologique de la pensée
de Poincaré ; il apporte une certaine lumière sur la popularité et sur la postérité de son œuvre.
Il ouvre sur la perspective de nouvelles recherches qui porteraient plus spécifiquement sur la
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manière dont la pensée de Poincaré fut accueillie et comprise par ses contemporains, recher-
ches qui pourraient avoir pour titre : Henri Poincaré : ceux qui l’ont lu, ce qu’ils en ont compris…
159 [Document ACERHP]. Lubac écrit ainsi : « Dans mon journal « L’Univers » j’ai lu avec la plus grande satisfaction le remar-
quable discours que vous avez prononcé à l’Académie française le jour de votre réception comme nouvel académicien. J’ai lu
aussi le discours remarquable de Mr Frédéric Masson, directeur de l’Académie française et qui a répondu au votre. Ces deux
discours sont à conserver, et je les conserverai précieusement. Dans le cas, Monsieur, où vous n’auriez pas pris connaissance de
l’article, intitulé « À l’Académie » qu’Eugène Tavernier a publié dans L’Univers, je suis tout heureux de vous adresser ce no, avec
ces quelques lignes pour vous adresser, à la suite de tant d’autres, mes compliments et mes félicitations. Que Dieu soit loué et
béni !!! Permettez-moi, Monsieur, de profiter de cette heureuse circonstance pour adresser humblement à Madame Henri Poinca-
ré, votre bonne et digne Épouse, née Poulain d’Andecy, une prière en faveur, si faire se peut, de notre école libre des jeunes
filles. / École qui après l’injuste fermeture de notre bon couvent, est tenue par deux excellentes religieuses… sécularisées. […] J’ai
promis, Monsieur, de donner à nos deux bonnes Religieuses… sécularisées la somme au moins de 300 fr., à chacune. Mais pour
ce faire, j’ai besoin (je donne 100 fr.) j’ai besoin de frapper à la porte des âmes charitables, des cœurs généreux que j’ai l’honneur
de connaître personnellement ou de réputation ».
160 Cité d’après [Dugac 1989b], page 81.
161 Cité d’après [Dugac 1989b], page 81.
Pour Conclure
Nombreux sont les auteurs qui insistèrent sur l’exceptionnel génie de Poincaré et sur la puis-
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sance de sa pensée. Nombreux sont ceux qui, tel Pierre Boutroux, mirent en avant son inces-
sante activité mentale et soulignèrent l’uniformité routinière de son existence.1 Trop peut-
être… Il est certain que la biographie de Poincaré ne contient que peu d’événements trépi-
dants et que sa vie ne saurait être comparée à celle d’un héros romanesque. Le fait que son
existence ait été rythmée par les nécessités d’une profonde recherche intellectuelle constitue
bien évidemment un facteur d’uniformité ; cependant, considérée sous un autre angle, cette
intense activité intellectuelle peut constituer une forme d’aventure à part entière, et devenir
ainsi digne d’intérêt. Dans cette aventure, les victoires et les conquêtes se traduisent par la
naissance d’idées et de théories nouvelles, les combats se concrétisent en de sévères controver-
ses, les trahisons se manifestent à travers des ‘récupérations’ idéologiques. C’est le récit de
quelques épisodes de cette aventure que nous entendions proposer à travers cette thèse.
Notre but principal était de contribuer à l’élaboration d’une biographie intellectuelle de Poin-
caré en exposant sa pensée philosophique d’une manière qui tienne compte de son contexte
socio-historique de formulation. À travers une démarche mixte, mêlant analyses internes et
externes, nous avons tenté de mettre à jour différentes facettes de la personnalité du mathéma-
ticien : le philosophe aspirant à rendre compte des processus de construction dans les sciences ;
le pédagogue désireux d’améliorer les méthodes d’enseignement scientifique ; le vulgarisateur se
souciant surtout de diffuser les découvertes scientifiques auprès de ses paires ; le citoyen, pré-
occupé de justice et d’équité, mais s’engageant toujours au nom des valeurs rationnelles de la
science.
Notre parcours nous a conduit à raconter plusieurs ‘histoires’ et, parfois même, à raconter les
mêmes ‘histoires’ à partir de différentes perspectives. L’assemblage de tous ces récits permet,
au final, non seulement de découvrir certains aspects peu connus de la vie de ce savant
d’exception, mais également de révéler la richesse et la profondeur d’une pensée exigeante,
mais non exempte de contradictions et d’ambiguïtés. Dans l’avant-propos de sa biographie de
Poincaré, André Bellivier écrivait : « L’existence d’Henri Poincaré appartient à son époque, et
cette époque n’est plus la nôtre ».2 C’est justement parce que cette époque n’est plus la nôtre
qu’un effort de réappropriation nous semblait devoir être accompli.
De par la nature des sujet qui y sont abordés, cette thèse repose essentiellement sur des consi-
dérations génétiques. La question des origines de la pensée philosophique poincaréienne et du
conventionnalisme occupe ainsi une large de place, au même titre que l’étude de l’entrée de
1 [Boutroux P. 1913b] : « On ne pourrait imaginer une existence plus simple, plus exempte d’événement, plus uniforme en
apparence que celle de Henri Poincaré… L’activité de sa pensée lui suffisait et se suffisait ».
2 [Bellivier 1954], page 10.
Henri Poincaré (1854-1912) : Des Mathématiques à la Philosophie 299
Pour Conclure
Poincaré au sein du champ philosophique et intellectuel ou l’analyse des sources de son enga-
gement public. Au travers des thèmes divers que nous avons abordé, nous avons tenté de
dessiner à grands traits les procédures et les processus par lesquels la philosophie poinca-
réienne prit son essor et parvint à s’implanter peu à peu au sein des cercles intellectuels, puis
auprès du grand public de l’époque. L’esquisse ainsi tracée est donc celle de la diffusion et de
la circulation des idées poincaréiennes au tournant du siècle.
Il semble que la suite logique de ce travail devrait se fixer pour objet l’étude de la réception de
la philosophie poincaréienne et de sa postérité. Une telle étude aurait à cœur de répondre aux
questions suivantes : comment cette philosophie fut-elle accueillie dans les différents milieux
intellectuels ? De quelle façon scientifiques, philosophes, écrivains artistes ou représentants de
cette communauté fluctuante qu’est le ‘grand-public’ s’approprièrent-ils cette pensée ? Com-
ment l’interprétèrent-ils ? Comment l’utilisèrent-ils ? Quelles déformations et aménagements
lui firent-ils subir ? En un mot, quelle fut la postérité de l’œuvre poincaréienne et qu’en reste-t-
il aujourd’hui ?
Évaluer la manière dont un auteur fut compris de ses contemporains ou déterminer la postéri-
té de ses idées ne constitue pas une tache très aisée et demanderait d’immenses prouesses
méthodologiques. Certes, les données bibliométriques permettent toujours de mesurer avec
une relative précision le nombre d’ouvrages consacrés à la vie ou à l’œuvre de Poincaré (voir
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3 Voir par exemple ce qu’il écrit le 4 mars 1910 : « Rosny, qui traite Victor Hugo de crétin de génie, de monumental imbécile,
tâche de m’expliquer ce que c’est qu’un penseur, la valeur d’un jeu de pensée : Kant, Bergson et Poincaré. Mais je persiste à lui
dire que, dans un beau vers de Victor Hugo, il y a plus de pensée que dans tel livre de métaphysique ».
4 Le côté de Guermantes, 1920, page 116 : « J’en reviens à notre livre de philosophie, c’est comme les principes rationnels, ou les
lois scientifiques, la réalité se conforme à cela, à peu près, mais rappelle toi le grand mathématicien Henri Poincaré, il n’est pas
sûr que les mathématiques soient rigoureusement exactes ».
Henri Poincaré (1854-1912) : Des Mathématiques à la Philosophie 300
Pour Conclure
mule mathématique ainsi que tous les joueurs savent qui ont tenté fortune sur le tapis vert
en tablant sur cette formule que l’on trouve dans les Œuvres Complètes de l’éminent mathé-
maticien. La chance, cela ne s’enseigne pas. Mais c’est un fait. Une conjoncture.5
Dans le domaine des arts graphiques, certains aspects des travaux mathématiques de Poincaré
inspirèrent largement l’œuvre d’un artiste très souvent attiré par les univers impossibles, le
graveur M. C. Escher. Ayant pendant longtemps tenté de représenter l’infini, Escher s’était
beaucoup intéressé aux mathématiques, notamment à la géométrie hyperbolique et aux tra-
vaux de Riemann et de Poincaré. Dans son livre, Le miroir magique de M. C. Escher, Bruno Ernst
raconte que l’artiste avait été très frappé par un modèle de Poincaré dans lequel la surface
plane infinie était représentée à l’intérieur d’un cercle fini donné.6 Ayant trouvé une représen-
tation de ce modèle dans un ouvrage du mathématicien H. S. M. Coxeter, Escher eut à cœur
d’en faire usage dans un grand nombre de ses œuvres, telle sa xylogravure Limite circulaire 1
(cf. illustrations ci-dessous).7
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Enfin, dans le domaine de la psychologie appliquée, les travaux de Poincaré sur l’invention
mathématique et sur la pédagogie de l’enseignement des sciences eurent des conséquences peu
connues. Vers la fin des années 70, le pédagogue Pierre Mialet poursuivit des recherches sur les
moyens de développer le raisonnement logico-mathématique parmi le personnel des secteurs
industriels et tertiaires. Il s’agissait de leur permettre de s’adapter aux évolutions des métiers
engendrés par les nouvelles technologies exigeant une formation en physique, en électronique,
en automatisme ou en informatique, etc. S’inspirant des recherches de Jean Piaget sur la théorie
du développement opératoire et de l’hypothèse poincaréienne sur l’existence d’un inconscient
logico-mathématique, Mialet mit finalement au point une méthode d’apprentissage qui porte
maintenant son nom : la technique des ‘cubes de Mialet’, technique permettant de donner une
approche concrète de l’abstraction mathématique et autorisant un apprentissage rapide.8
Loin d’être anecdotiques, ces quelques exemples attestent d’un riche héritage de la pensée
poincaréienne. Ils indiquent la voie de nouvelles recherches et ouvrent des perspectives pro-
metteuses. Ils démontrent qu’une conclusion dissimule toujours une introduction…
5 L’homme foudroyé (Paris : Éditions Denoël), 1945, page 60. Dans une note (page 65), Cendrars ajoutera d’ailleurs : « C’est
intentionnellement que je n’indique ni le tome, ni la page où se trouve la mirobolante formule de la Chance dans les Œuvres
Complètes de Henri Poincaré. On peut se procurer cette formule mathématique dans tous les kiosques à journaux de la Principau-
té de Monaco, sous enveloppe fermée. Prix : 375 francs (en 1924) ». Ce livre étant en grande partie autobiographique, on peut
supposer que l’anecdote relatée par Cendrars est véridique. Mentionnons enfin que les conceptions géométriques de Poincaré
semblent avoir exercé une influence sur James Joyce. Pour plus de détails sur ce point, on consultera l’étude de S. S. Brown, The
Geometry of James Joyce’s Ulysses : From Pythagoras to Poincaré, Joyce’s Use of Geometry for Structure, Metaphor and Theme [Brown
1987].
6 Voir [Ernst 1986], page 108.
7 Ajoutons que le conventionnalisme inspira également l’œuvre graphique de Marcel Duchamp. Voir à ce sujet [Adcok 1984]
ainsi que la thèse de L. Verner, Qu’est-ce que penser en art ? Du conventionnalisme de Marcel Duchamp et la construction des notes de la
boîte verte [Verner 1991].
8 Pour plus de détails, voir le livre Outils de développement cognitif : théories, méthodes, pratiques [Delpirou / Deret / Popieul 1991],
pages 66-71.
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tel-00137859, version 1 - 22 Mar 2007
Bibliographie Sélective sur l’Affaire Dreyfus
I – Sources spéciales
Les documents sur l’affaire Dreyfus sont nombreux et ne sauraient être tous cités. Nous fai-
sons ici précéder notre bibliographie de la liste des sources officielles, composées des comptes-
rendus des enquêtes menées durant les diverses instructions judiciaires et des procès-verbaux
des différents procès.
Nous donnons également une liste de tous les documents se trouvant sur le microfilm 4 des
papiers personnels de Poincaré (qui contient le dossier sur l’affaire Dreyfus utilisé dans le
chapitre 6). Chaque document est présenté dans son ordre d’apparition sur le film et fait
l’objet d’une présentation aussi claire que possible (dans la mesure où il a pu être identifié
précisément).
tel-00137859, version 1 - 22 Mar 2007
26) Document portant comme en-tête les termes : « Épreuve d’après cliché obtenu par reproduction.
Une échelle en millimètres graduée sur verre à la machine à diviser a été placée avant la pose, direc-
tement sur le document original, au dessous du mot ‘intérêt’ ». Ce document est suivi d’un agran-
dissement du mot intérêt placé au dessus d’une règle graduée. Chaque lettre et chaque partie de let-
tre a été repérée au moyen de coordonnées x, y, z. 1904. 2 pages.
27) Brochure de Molinier et Painlevé, Examens critiques d’un mémoire intitulé : ‘Le Bordereau, étude des
dispositions de M. Bertillon et du Capitaine Valério au Conseil de Guerre de Rennes, par un ancien élève de
l’École Polytechnique’. (Paris : Imprimerie Kadar). 1904. 48 pages, planches comprises.
28) Brochure de Maurice Bernard, Le Bordereau – Explication et réfutation du système de M. A. Bertillon et de
ses commentateurs. (Paris : Journal Le Siècle). Elle porte la dédicace ‘À Monsieur Henri Poincaré, très
respectueux hommage’. 1904. 44 pages.
29) Brochure rédigée par ‘un polytechnicien’, La théorie de M. Bertillon – Réponses à MM. Bernard, Molinier
et Painlevé. (Paris : Action Française). 1904. 30 pages.
30) Brochure rédigée par ‘un ancien élève de l’École Polytechnique’ (brochure verte), Le Bordereau de M.
Bertillon et du Capitaine Valério. (Paris : Imprimerie Hardy et Bernard). 1904. 63 pages + 20 planches.
Un brouillon de calculs rédigé par Poincaré est présent sur la troisième de couverture.
31) Brouillons divers de Poincaré contenant des calculs sur des mots du bordereau. 1904. 4 pages.
1906 Affaire Dreyfus - La révision du procès de Rennes - Débats de la Cour de Cassation, Chambres
réunies (15 juin 1906 - 12 juillet), 2 tomes. (Paris : Ligue française des Droits de l’Homme et
du Citoyen). Dans le tome I : Rapport de M. Le Conseiller Moras, Réquisitoire de M. Le
Procureur général Baudouin. Dans le tome II : Réquisitoire de M. Le Procureur général
Baudouin, Plaidoirie de Me Henry Mornard, L’arrêt, Annexes.
1907a Mémoire de Me Henry Mornard 1905. (Paris : Ligue française des Droits de l’Homme).
1907b Réquisitoire écrit de M. Le Procureur Général Baudouin 1905. (Paris : Ligue française des Droits
de l’Homme).
1908 – 1909 Affaire Dreyfus – La révision du procès de Rennes – Enquête de la Chambre Criminelle (5 mars 1904
- 19 novembre 1904), trois tomes. (Paris : Ligue française des Droits de l’Homme et du Ci-
toyen).
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1896 – 1898 Une erreur judiciaire – la vérité sur l’affaire Dreyfus. (Bruxelles). Seconde édition augmentée,
1896 (Paris : Stock) ; troisième édition, 1898 (Paris : Stock).
1897 Une erreur judiciaire, l’affaire Dreyfus (deuxième mémoire avec des expertises d’écritures). (Paris :
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1898 Comment on condamne un innocent. (Paris : Stock).
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1901 – 1911 Histoire de l’affaire Dreyfus, 7 tomes. (Paris : Éditions de la Revue blanche). I Le procès de
1894 ; II Esterhazy ; III La crise ; IV Cavaignac et Félix Faure ; V Rennes ; VI La révision
(1908) ; VII Index général, additions et corrections.
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tel-00137859, version 1 - 22 Mar 2007
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1988 « Les déchirements d’un républicain alsacien », in [Scheurer-Kestner 1988], pages 13-50.
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1988 Mémoires d’un sénateur dreyfusard. (Strasbourg : Bueb & Reumaux).
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1982 Nationalisme, antisémitisme et fascisme en France. (Paris : Seuil).
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1898 « J’accuse », L’aurore, 13 janvier. Cité d’après [Boussel 1960], pages 165-166.
Bibliographie de Henri Poincaré
Cette bibliographie recense l’ensemble des travaux de Henri Poincaré. Elle s’inspire des bi-
bliographies élaborées par Ernest Lebon dans sa Notice sur Henri Poincaré et par F. E. Browder
dans le volume 2 de son ouvrage The Mathematical Heritage of Henri Poincaré. Nous avons opté
pour une présentation chronologique afin de rendre compte au mieux de l’évolution des tra-
vaux de Poincaré. Nous avons tenté de préciser certaines références et de corriger certaines
erreurs (notamment celles commises par Jules Vuillemin dans ses présentations de La science et
l’hypothèse et La valeur de la science). Nous avons par ailleurs pris soin d’indiquer les dates des
différentes traductions des ouvrages de Poincaré ainsi que l’utilisation éventuelle de certains
de ses travaux pour composer les livres de la Bibliothèque de Philosophie Scientifique. Enfin,
afin de faciliter la recherche d’un ouvrage nous avons fait en sorte que l’index nominum de la
thèse porte également sur les entrées de cette bibliographie.
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1874
« Démonstration nouvelle des propriétés de l’indicatrice d’une surface », Nouvelles annales mathématiques
13, 2ème série, pp. 449-456.
1875
« Note sur les propriétés des fonctions définies par les équations différentielles », Journal de l’École Poly-
technique 45ème cahier, pp. 13-26 ; Œuvres, tome I, pp. XXXVI-XLVIII.
1879
a) « Sur quelques propriétés des formes quadratiques », Comptes-rendus de l’Académie des Sciences 89, pp.
344-346. Œuvres, tome V, pp. 189-191.
b) « Sur les formes quadratiques », Comptes-rendus de l’Académie des Sciences 89, pp. 87-89. Œuvres, tome
V, pp. 192-194.
c) « Sur les propriétés des fonctions définies par les équations aux différences partielles », Thèses présen-
tées à la Faculté des sciences de Paris, 1er août 1879, Paris, Gauthier-Villars, 93 pages. Œuvres, tome I,
pp. XLIX-CXXXI.
1880
a) « Sur les courbes définies par une équation différentielle », Comptes-rendus de l’Académie des Sciences
90, pp. 673-675. Œuvres, tome I, pp. 1-2.
b) « Sur les formes cubiques ternaires », Comptes-rendus de l’Académie des Sciences 90, pp. 1336-1339. Œu-
vres, tome V, pp. 291-292.
c) « Sur la réduction simultanée d’une forme quadratique et d’une forme linéaire », Comptes-rendus de
l’Académie des Sciences 91, pp. 844-846. Œuvres, tome V, pp. 337-339.
d) « Sur un mode nouveau de représentation géométrique des formes quadratiques définies ou indéfi-
nies », Journal de l’École Polytechnique cahier 47, pp. 177-245. Œuvres, tome V, pp. 117-180.
e) « Note sur les principes de la mécanique dans Descartes et dans Leibnitz, par Henri Poincaré, ingé-
nieur des mines, chargé de cours à la Faculté des sciences de Caen », in Boutroux, É. (éd.), La mona-
dologie – Édition annotée et précédée d’une exposition du système de Leibnitz, Paris, Delagrave, pp. 225-
231.
1881
a) « Sur les fonctions fuchsiennes », Comptes-rendus de l’Académie des Sciences 92, pp. 333-335. Œuvres,
tome II, pp. 1-4.
b) « Sur les fonctions fuchsiennes », Comptes-rendus de l’Académie des Sciences 92, pp. 395-398. Œuvres,
tome II, pp. 5-7.
c) « Sur les équations différentielles linéaires à intégrales algébriques », Comptes-rendus de l’Académie des
Sciences 92, pp. 698-701. Œuvres, tome III, pp. 95-97.
Henri Poincaré (1854-1912) : Des Mathématiques à la Philosophie 334
Bibliographie de Henri Poincaré
d) « Sur les représentations des nombres par les formes », Comptes-rendus de l’Académie des Sciences 92,
pp. 777-779. Œuvres, tome V, pp. 397-399.
e) « Sur une nouvelle application et quelques applications importantes des fonctions fuchsiennes »,
Comptes-rendus de l’Académie des Sciences 92, pp. 859-861. Œuvres, tome II, pp. 8-10.
f) « Sur l’intégration des équations linéaires par les moyens des fonctions abéliennes », Comptes-rendus de
l’Académie des Sciences 92, pp. 913-915. Œuvres, tome III, pp. 98-100.
g) « Sur les fonctions fuchsiennes », Comptes-rendus de l’Académie des Sciences 92, p. 957. Œuvres, tome II,
p. 11.
h) « Sur les fonctions abéliennes », Comptes-rendus de l’Académie des Sciences 92, pp. 958-959. Œuvres, tome
IV, pp. 299-301.
i) « Sur les fonctions fuchsiennes », Comptes-rendus de l’Académie des Sciences 92, pp. 1198-1200. Œuvres,
tome II, pp. 12-15.
j) « Sur les fonctions fuchsiennes », Comptes-rendus de l’Académie des Sciences 92, pp. 1274-1276. Œuvres,
tome II, pp. 16-18.
k) « Sur une propriété des fonctions uniformes », Comptes-rendus de l’Académie des Sciences 92, pp. 1335-
1336. Œuvres, tome IV, pp. 9-10.
l) « Sur les fonctions fuchsiennes », Comptes-rendus de l’Académie des Sciences 92, pp. 1484-1487. Œuvres,
tome II, pp. 19-22.
m) « Sur les groupes kleinéens », Comptes-rendus de l’Académie des Sciences 93, pp. 44-46. Œuvres, tome II,
pp. 23-25.
tel-00137859, version 1 - 22 Mar 2007
n) « Sur une fonction analogue aux fonctions modulaires », Comptes-rendus de l’Académie des Sciences 93,
pp. 138-140. Œuvres, tome II, pp. 26-28.
o) « Sur les fonctions fuchsiennes », Comptes-rendus de l’Académie des Sciences 93, pp. 301-303. Œuvres,
tome II, pp. 29-31.
p) « Sur les fonctions fuchsiennes », Comptes-rendus de l’Académie des Sciences 93, pp. 581-582. Œuvres,
tome II, pp. 32-34.
q) « Sur les courbes définies par les équations différentielles », Comptes-rendus de l’Académie des Sciences
93, pp. 951-952. Œuvres, tome I, pp. 85-86.
r) « Sur les applications de la géométrie non-euclidienne à la théorie des formes quadratiques », Comptes-
rendus des Sessions de l’Association Française pour l’Avancement des Sciences, 10ème Session (Alger 1881),
Paris, Gauthier-Villars, 1882, pp. 132-138. Œuvres, tome V, pp. 267-274.
s) « Sur les formes cubiques ternaires et quaternaires (1ère partie) », Journal de l’École Polytechnique cahier
50, pp. 199-253. Œuvres, tome V, pp. 28-72.
t) « Mémoire sur les courbes définies par une équation différentielle (2nde partie) », Journal de mathémati-
ques pures et appliquées 7, 3ème série, pp. 375-422. Œuvres, tome I, pp. 3-44.
1882
a) « Sur les invariants arithmétiques », Comptes-rendus de des Sessions de l’Association Française pour
l’Avancement des Sciences, 10ème session (Alger 1881), Paris, Gauthier-Villars, 1882, pp. 109-117. Œu-
vres, tome V, pp. 195-202.
b) « Sur les formes cubiques ternaires et quaternaires (2nde partie) », Journal de l’École Polytechnique cahier
51, pp. 45-91. Œuvres, tome V, pp. 293-334.
c) « Sur une extension de la notion arithmétique de genre », Comptes-rendus de l’Académie des Sciences 94,
pp. 67-71. Œuvres, tome V, pp. 435-437.
d) « Sur une extension de la notion arithmétique de genre », Comptes-rendus de l’Académie des Sciences 94,
pp. 124-127. Œuvres, tome V, pp. 438-440.
e) « Sur les fonctions fuchsiennes », Comptes-rendus de l’Académie des Sciences 94, pp. 163-166. Œuvres,
tome II, pp. 35-37.
f) « Sur les points singuliers des équations différentielles », Comptes-rendus de l’Académie des Sciences 94,
pp. 416-418 Œuvres, tome XI, pp. 3-5.
g) « Sur l’intégration des équations différentielles par les séries », Comptes-rendus de l’Académie des Scien-
ces 94, pp. 577-578. Œuvres, tome I, pp. 162-163.
h) « Sur les groupes discontinus », Comptes-rendus de l’Académie des Sciences 94, pp. 840-843. Œuvres, tome
II, pp. 38-40.
i) « Sur les fonctions fuchsiennes », Comptes-rendus de l’Académie des Sciences 94, pp. 1038-1040. Œuvres,
tome II, pp. 41-43.
Henri Poincaré (1854-1912) : Des Mathématiques à la Philosophie 335
Bibliographie de Henri Poincaré
j) « Sur les fonctions fuchsiennes », Comptes-rendus de l’Académie des Sciences 94, pp. 1166-1167. Œuvres,
tome II, pp. 44-46.
k) « Sur une classe d’invariants relatifs aux équations linéaires », Comptes-rendus de l’Académie des Sciences
94, pp. 1402-1405. Œuvres, tome II, pp. 47-49.
l) « Sur les transcendantes entières », Comptes-rendus de l’Académie des Sciences 95, pp. 23-26. Œuvres,
tome IV, pp. 14-16.
m) « Sur les fonctions fuchsiennes », Comptes-rendus de l’Académie des Sciences 95, pp. 626-628. Œuvres,
tome II, pp. 50-52.
n) « Sur les séries trigonométriques », Comptes-rendus de l’Académie des Sciences 95, pp. 766-768. Œuvres,
tome IV, pp. 585-587.
o) « Théorie des groupes fuchsiens », Acta Mathematica 1, pp. 1-62. Œuvres, tome II, pp. 108-168.
p) « Sur les fonctions fuchsiennes », Acta Mathematica 1, pp. 193-294. Œuvres, tome II, pp. 169-257.
q) « Mémoire sur les courbes définies par une équation différentielle (2nde partie) », Journal de mathémati-
ques pures et appliquées 8, 3ème série, pp. 251-296. Œuvres, tome I, pp. 44-84.
r) « Sur les fonctions uniformes qui se reproduisent par des substitutions linéaires », Math. Ann. 19, pp.
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s) « Sur les fonctions uniformes qui se reproduisent par des substitutions linéaires (extrait d’une lettre
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Lettres de Caen, pp. 3-29. Œuvres, tome II, pp. 75-91.
tel-00137859, version 1 - 22 Mar 2007
1883
a) « Sur les fonctions de deux variables », Comptes-rendus de l’Académie des Sciences 96, pp. 238-240. Œu-
vres, tome IV, pp. 144-146.
b) « Sur les séries de polynômes », Comptes-rendus de l’Académie des Sciences 96, pp. 637-639. Œuvres, tome
I, pp. 223-225.
c) « Sur les groupes des équations linéaires », Comptes-rendus de l’Académie des Sciences 96, pp. 691-694.
Œuvres, tome II, pp. 53-55.
d) « Sur les fonctions à espaces lacunaires », Comptes-rendus de l’Académie des Sciences 96, pp. 1134-1136.
Œuvres, tome IV, pp. 25-27.
e) « Sur les groupes des équations abéliennes », Comptes-rendus de l’Académie des Sciences 96, pp. 1302-
1304. Œuvres, tome II, pp. 56-58.
f) « Sur les fonctions fuchsiennes », Comptes-rendus de l’Académie des Sciences 96, pp. 1485-1487. Œuvres,
tome II, pp. 59-61.
g) « Sur certaines solutions particulières du problème des trois corps », Comptes-rendus de l’Académie des
Sciences 97, pp. 251-252. Œuvres, tome VII, pp. 251-252.
h) « Sur la reproduction des formes », Comptes-rendus de l’Académie des Sciences 97, pp. 949-951. Œuvres,
tome V, pp. 73-75.
i) « Sur l’intégration algébrique des équations linéaires », Comptes-rendus de l’Académie des Sciences 97, pp.
984-985. Œuvres, tome III, pp. 101-102.
j) « Sur l’intégration algébrique des équations linéaires », Comptes-rendus de l’Académie des Sciences 97, pp.
1189-1191. Œuvres, tome III, pp. 103-105.
k) « Sur un théorème de Riemann relatif aux fonctions de n variables indépendantes admettant 2n sys-
tèmes de périodes (en collaboration avec É. Picard) », Comptes-rendus de l’Académie des Sciences 97,
pp. 1284-1287. Œuvres, tome IV, pp. 307-310.
l) « Sur les équations algébriques », Comptes-rendus de l’Académie des Sciences 97, pp. 1418-1419. Œuvres,
tome V, pp. 81-82.
m) « Sur les séries trigonométriques », Comptes-rendus de l’Académie des Sciences 97, pp. 1471-1473. Œu-
vres, tome IV, pp. 588-590.
n) « Sur les fonctions de deux variables », Acta Mathematica 2, pp. 97-113. Œuvres, tome IV, pp. 147-161.
o) « Mémoire sur les groupes kleinéens », Acta Mathematica 3, pp. 49-92. Œuvres, tome II, pp. 258-299.
p) « Sur les fonctions à espaces lacunaires », Acta Societatis scientiarum Fennicae 12, pp. 343-350. Œuvres,
tome IV, pp. 28-35.
q) « Sur un théorème de la théorie générale des fonctions », Bulletin de la Société mathématique de France
11, pp. 112-125. Œuvres, tome IV, pp. 57-69.
r) « Sur les Θ fonctions », Bulletin de la Société mathématique de France 11, pp. 129-134. Œuvres, tome IV,
pp. 302-306.
Henri Poincaré (1854-1912) : Des Mathématiques à la Philosophie 336
Bibliographie de Henri Poincaré
s) « Sur les fonctions entières », Bulletin de la Société mathématique de France 11, pp. 136-144. Œuvres, tome
IV, pp. 17-24.
1884
a) « Sur les courbes définies par les équations différentielles », Comptes-rendus de l’Académie des Sciences
98, pp. 287-289. Œuvres, tome I, pp. 87-89.
b) « Sur les substitutions linéaires », Comptes-rendus de l’Académie des Sciences 98, pp. 349-352. Œuvres,
tome IV, pp. 531-533.
c) « Sur les groupes hyperfuchsiens », Comptes-rendus de l’Académie des Sciences 98, pp. 503-504. Œuvres,
tome II, pp. 62-63.
d) « Sur une équation différentielle », Comptes-rendus de l’Académie des Sciences 98, pp. 793-795. Œuvres,
tome VII, pp. 543-545.
e) « Sur un théorème de M. Fuchs », Comptes-rendus de l’Académie des Sciences 99, pp. 75-77. Œuvres, tome
III, pp. 1-3.
f) « Sur les nombres complexes », Comptes-rendus de l’Académie des Sciences 99, pp. 740-742. Œuvres, tome
V, pp. 77-79.
g) « Sur la réduction des intégrales abéliennes », Comptes-rendus de l’Académie des Sciences 99, pp. 853-855.
Œuvres, tome III, pp. 352-354.
h) « Sur une généralisation des fractions continues », Comptes-rendus de l’Académie des Sciences 99, pp.
1014-1016. Œuvres, tome V, pp. 185-187.
tel-00137859, version 1 - 22 Mar 2007
i) « Sur les intégrales de différentielles totales », Comptes-rendus de l’Académie des Sciences 99, pp. 1145-
1147. Œuvres, tome III, pp. 355-356.
j) « Sur la réduction des intégrales abéliennes », Bulletin de la Société mathématique de France 12, pp. 124-
143. Œuvres, tome III, pp. 333-351.
k) « Remarques sur l’emploi d’une méthode proposée par M. P. Appell intitulée Méthode élémentaire pour
obtenir le développement en série trigonométrique des fonctions elliptiques », Bulletin de la Société mathéma-
tique de France 13, pp. 19-27. Œuvres, tome V, pp. 85-94.
l) « Sur les groupes des équations linéaires », Acta Mathematica 4, pp. 201-311. Œuvres, tome II, pp. 300-
401.
m) « Mémoire sur les fonctions zétafuchsiennes », Acta Mathematica 5, pp. 209-278. Œuvres, tome II, pp.
402-462.
n) « Sur certaines solutions particulières du problème des trois corps », Bulletin astronomique 1, pp. 65-74.
Œuvres, tome VII, pp. 253-261.
o) « Sur la convergence des séries trigonométriques », Bulletin astronomique 1, pp. 319-327. Œuvres, tome
IV, pp. 591-598.
p) Notice sur les travaux scientifiques de M. Poincaré (rédigée par lui-même), Paris, Gauthier-Villars, 51 pages.
1885
a) « Sur une généralisation du théorème d’Abel », Comptes-rendus de l’Académie des Sciences 100, pp. 40-
42. Œuvres, tome III, pp. 357-359.
b) « Sur l’équilibre d’une masse fluide animée d’un mouvement de rotation », Comptes-rendus de
l’Académie des Sciences 100, pp. 346-348. Œuvres, tome VII, pp. 14-16.
c) « Sur les fonctions abéliennes », Comptes-rendus de l’Académie des Sciences 100, pp. 785-787. Œuvres,
tome IV, pp. 311-313.
d) « Sur l’équilibre d’une masse fluide animée d’un mouvement de rotation », Comptes-rendus de
l’Académie des Sciences 100, pp. 1068-1070. Œuvres, tome VII, pp. 34-36.
e) « Sur l’équilibre d’une masse fluide animée d’un mouvement de rotation », Comptes-rendus de
l’Académie des Sciences 101, pp. 307-309. Œuvres, tome VII, pp. 37-39.
f) « Sur les intégrales irrégulières des équations linéaires », Comptes-rendus de l’Académie des Sciences 101,
pp. 939-941. Œuvres, tome IV, pp. 611-613.
g) « Sur les intégrales irrégulières des équations différentielles », Comptes-rendus de l’Académie des Sciences
101, pp. 990-991. Œuvres, tome IV, pp. 614-615.
h) « Sur les séries trigonométriques », Comptes-rendus de l’Académie des Sciences 101, pp. 1131-1134. Œu-
vres, tome I, pp. 164-166.
i) « Sur un théorème de M. Fuchs », Acta Mathematica 7, pp. 1-32. Œuvres, tome III, pp. 4-31.
j) « Sur l’équilibre d’une masse fluide animée d’un mouvement de rotation », Acta Mathematica 7, pp.
259-380. Œuvres, tome VII, pp. 40-140.
Henri Poincaré (1854-1912) : Des Mathématiques à la Philosophie 337
Bibliographie de Henri Poincaré
k) « Sur les courbes définies par les équations différentielles (3ème partie) », Journal de mathématiques pures
et appliquées 4ème série, pp. 167-244. Œuvres, tome I, pp. 90-161.
l) « Sur l’équilibre d’une masse fluide animée d’un mouvement de rotation », Bulletin astronomique 2, pp.
109-118. Œuvres, tome VII, pp. 17-25.
m) « Sur l’équilibre d’une masse fluide animée d’un mouvement de rotation », Bulletin astronomique 2,
pp. 405-413. Œuvres, tome VII, pp. 26-33.
n) « Note sur la stabilité de l’anneau de Saturne », Bulletin astronomique 2, pp. 507-508. Œuvres, tome
VIII, pp. 457-458.
o) « Sur les équations linéaires aux différentielles ordinaires et aux différences finies », American Journal
of Mathematics 7, n° 3, pp. 1-56. Œuvres, tome I, pp. 226-289.
p) « Sur la représentation des nombres par les formes », Bulletin de la Société mathématique de France 13,
pp. 162-194. Œuvres, tome V, pp. 400-432.
1886
a) « Sur la transformation des fonctions fuchsiennes et la réduction des intégrales abéliennes », Comptes-
rendus de l’Académie des Sciences 102, pp. 41-44. Œuvres, tome IV, pp. 314-317.
b) « Sur les résidus des intégrales doubles », Comptes-rendus de l’Académie des Sciences 102, pp. 202-204.
Œuvres, tome III, pp. 437-439.
c) « Sur les fonctions fuchsiennes et les formes quadratiques ternaires indéfinies », Comptes-rendus de
l’Académie des Sciences 102, pp. 735-737. Œuvres, tome II, pp. 64-66. Œuvres, tome V, pp. 275-277.
tel-00137859, version 1 - 22 Mar 2007
d) « Sur la réduction des intégrales abéliennes », Comptes-rendus de l’Académie des Sciences 102, pp. 915-
916. Œuvres, tome III, pp. 360-361.
e) « Sur l’équilibre d’une masse fluide en rotation », Comptes-rendus de l’Académie des Sciences 102, pp.
970-972. Œuvres, tome VII, pp. 141-142.
f) « Sur les transformations des surfaces en elles-mêmes », Comptes-rendus de l’Académie des Sciences 103,
pp. 732-734. Œuvres, tome VI, pp. 1-5.
g) « Sur une classe étendue de transcendantes uniformes », Comptes-rendus de l’Académie des Sciences 103,
pp. 862-864. Œuvres, tome IV, pp. 534-536.
h) « Sur les déterminants d’ordre infini », Bulletin de la Société mathématique de France 14, pp. 77-90. Œu-
vres, tome V, pp. 95-107.
i) « Réduction d’une forme quadratique et d’une forme linéaire », Journal de l’École Polytechnique cahier
56, pp. 79-142. Œuvres, tome V, pp. 340-393.
j) « Sur les intégrales irrégulières des équations linéaires », Acta Mathematica 8, pp. 295-344. Œuvres, tome
I, pp. 290-332.
k) « Sur les courbes définies par les équations différentielles (4ème partie) », Journal de mathématiques pures
et appliquées 4ème série, pp. 151-217. Œuvres, tome I, pp. 167-222.
l) « Sur les fonctions abéliennes », American Journal of Mathematics 8, pp. 289-342. Œuvres, tome IV, pp.
318-378.
m) « Sur une méthode de M. Lindstedt », Bulletin astronomique 3, pp. 57-61. Œuvres, tome VII, pp. 546-
550.
n) « Sur un moyen d’augmenter la convergence des séries trigonométriques », Bulletin astronomique 3,
pp. 521-528. Œuvres, tome IV, pp. 599-606.
o) Cinématique pure – Mécanismes. II. Potentiel et mécanique des fluides, Paris, autographié, I –140 pp., II –
140 pages.
p) Notice sur les travaux scientifiques de M. Poincaré, 2nde édition, Paris, Gauthier-Villars, 75 pages.
1887
a) « Sur le problème de la distribution électrique », Comptes-rendus de l’Académie des Sciences 104, pp. 44-
46. Œuvres, tome IX, pp. 15-17.
b) « Sur un théorème de M. Liapounoff relatif à l’équilibre d’une masse fluide en rotation », Comptes-
rendus de l’Académie des Sciences 104, pp. 622-625. Œuvres, tome VII, pp. 143-146.
c) Notice sur Laguerre, Paris, Gauthier-Villars, 14 pages. Publiée initialement dans les Comptes-rendus de
l’Académie des Sciences 104, pp. 1643-1650 ; préface des Œuvres de Laguerre, tome 1, Paris, 1898, pp.
V-XV. Reproduite également dans Savants et écrivains, chapitre IV.
d) « Sur la théorie analytique de la chaleur », Comptes-rendus de l’Académie des Sciences 104, pp. 1753-1759.
Œuvres, tome IX, pp. 18-23.
Henri Poincaré (1854-1912) : Des Mathématiques à la Philosophie 338
Bibliographie de Henri Poincaré
e) « Sur les résidus des intégrales doubles », Acta Mathematica 9, pp. 321-380. Œuvres, tome III, pp. 440-
489.
f) « Remarques sur les intégrales irrégulières des équations linéaires (réponse à M. Thomé) », Acta Ma-
thematica 10, pp. 310-312. Œuvres, tome I, pp. 333-335.
g) « Les fonctions fuchsiennes et l’arithmétique », Journal de mathématiques pures et appliquées 4ème série,
pp. 405-464. Œuvres, tome II, pp. 463-511.
h) « Sur les hypothèses fondamentales de la géométrie », Bulletin de la Société mathématique de France 15,
pp. 203-216 ; Œuvres, tome XI, pp. 79-91. Traduction en russe par D. Sintsoff, Bulletin de la Société
physico-mathématique de Kasan 3, n°4 (1893), pp. 109-121.
1888
a) « Sur l’équilibre d’une masse hétérogène en rotation », Comptes-rendus de l’Académie des Sciences 106,
pp. 1571-1574. Œuvres, tome VII, pp. 147-150.
b) « Sur la figure de la Terre », Comptes-rendus de l’Académie des Sciences 107, pp. 67-71. Œuvres, tome
VIII, pp. 120-124.
c) « Sur les satellites de Mars », Comptes-rendus de l’Académie des Sciences 107, pp. 890-892. Œuvres, tome
VIII, pp. 459-460.
d) « Sur la théorie analytique de la chaleur », Comptes-rendus de l’Académie des Sciences 107, pp. 967-971.
Œuvres, tome IX, pp. 24-27.
e) « Sur une propriété des fonctions analytiques », Rendiconti del Circolo matematico di Palermo 2, pp. 197-
tel-00137859, version 1 - 22 Mar 2007
1889
a) « Sur les séries de M. Lindstedt », Comptes-rendus de l’Académie des Sciences 108, pp. 21-24. Œuvres,
tome VII, pp. 551-554.
b) « Sur les tentatives d’explication mécanique des principes de la thermodynamique », Comptes-rendus
de l’Académie des Sciences 108, pp. 550-553. Œuvres, tome X, pp. 231-233.
c) « Sur la figure de la Terre », Bulletin astronomique 6, pp. 5-11. Œuvres, tome VIII, pp. 125-131.
d) « Sur la figure de la Terre », Bulletin astronomique 6, pp. 49-60. Œuvres, tome VIII, pp. 132-142.
e) Théorie mathématique de la lumière, tome 1, Paris, G. Carré & C. Naud, IV + 408 pages. Traduction en
allemand par E. Gumlich et W. Jäger, (Berlin : Julius Springer), 1894. La préface de ce texte est par-
tiellement reprise dans le chapitre XII de La science et l’hypothèse. Contrairement à ce qu’écrit Jules
Vuillemin, ce texte date bel et bien de 1889 et non pas de 1899.
1890
a) « Sur la loi électrodynamique de Weber », Comptes-rendus de l’Académie des Sciences 110, pp. 825-829.
Œuvres, tome X, pp. 292-296 ».
b) « Rapport sur un mémoire de M. Cellerier intitulé : Sur les variations des excentricités et des inclinai-
sons », Comptes-rendus de l’Académie des Sciences 110, pp. 942-944.
c) « Contribution à la théorie des expériences de M. Hertz », Comptes-rendus de l’Académie des Sciences
111, pp. 322-326. Œuvres, tome X, pp. 1-5.
d) « Sur une classe nouvelle de transcendantes uniformes », Journal de mathématiques pures et appliquées 6,
4ème série, pp. 313-365. Œuvres, tome IV, pp. 537-582.
e) « Sur les équations aux dérivées partielles de la physique mathématique », American Journal of Mathe-
matics 12, pp. 211-294. Œuvres, tome IX, pp. 28-113.
f) « Contribution à la théorie des expériences de Hertz », Archives des sciences physiques et naturelles 24,
Genève, 3ème période, pp. 285-290.
g) « Notice sur Halphen », Journal de l’École Polytechnique cahier 60, pp. 137-161. Reproduit vraisembla-
blement dans Savants et écrivains, chapitre VII.
h) « Sur le problème des trois corps et les équations de la Dynamique », Acta Mathematica 13, pp. 1-270.
Œuvres, tome VII, pp. 262-479.
i) Électricité et optique, tome 1 – Les théories de Maxwell et la théorie électromagnétique de la lumière, Paris, G.
Carré & C. Naud, XIX + 314 pages. Traduction en allemand des tomes 1 et 2 par W. Jäger et E. Gu-
mlich, (Berlin : Julius Springer), 1891. La préface est reproduite partiellement dans le chapitre XII de
La science et l’hypothèse.
j) « Préface », In : Tisserand, F., Leçons sur la détermination des orbites, Paris, Gauthier-Villars, pp. V-XIV.
Bulletin des sciences mathématiques 23, 2ème série, pp. 107-117.
Henri Poincaré (1854-1912) : Des Mathématiques à la Philosophie 339
Bibliographie de Henri Poincaré
1891
a) « Sur le développement approché de la fonction perturbatrice », Comptes-rendus de l’Académie des
Sciences 112, pp. 269-273. Œuvres, tome VIII, pp. 5-9.
b) « Sur l’expérience de M. Wiener », Comptes-rendus de l’Académie des Sciences 112, pp. 325-329. Œuvres,
tome X, pp. 271-277.
c) « Sur la réflexion métallique », Comptes-rendus de l’Académie des Sciences 112, pp. 456-459. Œuvres, tome
X, pp. 278-286.
d) « Sur l’équilibre des diélectriques fluides dans un champ électrique », Comptes-rendus de l’Académie des
Sciences 112, pp. 555-557. Œuvres, tome X, pp. 297-298.
e) « Sur l’intégration algébrique des équations différentielles », Comptes-rendus de l’Académie des Sciences
112, pp. 761-764. Œuvres, tome III, pp. 32-34.
f) « Sur la théorie de l’élasticité », Comptes-rendus de l’Académie des Sciences 112, pp. 914-915. Œuvres, tome
X, pp. 221-227.
g) « Sur la théorie des oscillations hertziennes », Comptes-rendus de l’Académie des Sciences 113, pp. 515-
519. Œuvres, tome X, pp. 33-37.
h) « Sur la distribution des nombres premiers », Comptes-rendus de l’Académie des Sciences 113, p. 819.
Œuvres, tome V, p. 441.
i) « Extension aux nombres premiers complexes des théorèmes de M. Tchebicheff », Journal de mathémati-
ques pures et appliquées 8, 4ème série, pp. 25-68. Œuvres, tome V, pp. 442-479.
j) « Sur le calcul de la période des excitateurs horizions », Archives des sciences physiques et naturelles,
tel-00137859, version 1 - 22 Mar 2007
Genève, 3ème période, 25, pp. 5-25. Œuvres, tome X, pp. 6-19.
k) « Sur la résonance multiple des oscillations hertziennes », Archives des sciences physiques et naturelles,
Genève, 3ème période, 25, pp. 609-627. Œuvres, tome X, pp. 20-32.
l) « Sur l’intégration algébrique des équations différentielles du premier ordre et du premier degré »,
Rendiconti del Circolo matematico di Palermo 5, pp. 161-191. Œuvres, tome III, pp. 35-58.
m) « Sur le problème des trois corps », Bulletin astronomique 8, pp. 12-24. Œuvres, tome VII, pp. 480-490.
n) « Le problème des trois corps », Revue générale des sciences pures et appliquées 2, pp. 1-5. Œuvres, tome
VIII, pp. 529-537.
o) « Les géométries non euclidiennes », Revue générale des sciences pures et appliquées 2, pp. 769-774. Publié
également dans La science et l’hypothèse, chapitre III. Traduction en anglais par W. J. C., Nature 45 (25
février 1892), pp. 404-407.
p) Électricité et optique, tome 2 – Les théories de Helmholtz et les expériences de Hertz, Paris, G. Carré & C.
Naud, XI + 262 pages. Traduction en allemand des tomes 1 et 2 par W. Jäger et E. Gumlich, (Berlin :
Julius Springer), 1891. La préface est reproduite partiellement dans le chapitre XII de La science et
l’hypothèse.
1892
a) « Sur un mode anormal de propagation des ondes », Comptes-rendus de l’Académie des Sciences 114, pp.
16-18. Œuvres, tome X, pp. 38-40.
b) « Sur la théorie de l’élasticité », Comptes-rendus de l’Académie des Sciences 114, pp. 385-389. Œuvres,
tome X, pp. 228-230.
c) « Rapport sur un mémoire présenté par M. Blondlot et relatif à la propagation des ondes hertzien-
nes », Comptes-rendus de l’Académie des Sciences 114, pp. 645-648.
d) « Sur la propagation des ondes hertziennes », Comptes-rendus de l’Académie des Sciences 114, pp. 1046-
1048. Œuvres, tome X, pp. 41-43.
e) « Sur la propagation des oscillations électriques », Comptes-rendus de l’Académie des Sciences 114, pp.
1229-1233. Œuvres, tome X, pp. 44-47.
f) « Sur l’application de la méthode de M. Lindstedt au problème des trois corps », Comptes-rendus de
l’Académie des Sciences 114, pp. 1305-1309. Œuvres, tome VII, pp. 491-495.
g) « Sur l’Analysis Situs », Comptes-rendus de l’Académie des Sciences 115, pp. 633-636. Œuvres, tome VI,
pp. 189-192.
h) « Note accompagnant la présentation d’un ouvrage relatif aux Méthodes nouvelles de la Mécanique
céleste », Comptes-rendus de l’Académie des Sciences 115, pp. 905-907.
i) « Rapport sur le concours du prix Bordin », Comptes-rendus de l’Académie des Sciences 115, pp. 1126-
1127.
j) « Sur les fonctions à espaces lacunaires », American Journal of Mathematics 14, pp. 201-221. Œuvres, tome
IV, pp. 36-35.
Henri Poincaré (1854-1912) : Des Mathématiques à la Philosophie 340
Bibliographie de Henri Poincaré
k) « Correspondance sur les géométries non euclidiennes (lettre à M. Mouret) », Revue générale des scien-
ces pures et appliquées 3, pp. 74-75. Publié également dans La science et l’hypothèse, chapitre II.
l) « Les formes d’équilibre d’une masse fluide en rotation », Revue générale des sciences pures et appliquées
3, pp. 809-815. Œuvres, tome VII, pp. 203-217.
m) « Réponse à P. G. Tait », Nature 45, p. 485. Œuvres, tome X, pp. 236-237.
n) « Réponse à l’article de P. G. Tait : ‘Poincaré’s Thermodynamics’ », Nature 45, pp. 414-415. Œuvres,
tome X, pp. 234-235.
o) « Réponse à P. G. Tait », Nature 46, p. 76. Œuvres, tome X, pp. 238-239.
p) Les méthodes nouvelles de la Mécanique céleste, tome 1, Paris, Gauthier-Villars, 385 pages.
q) Leçons sur la théorie de l’élasticité, Paris, G. Carré & C. Naud, 210 pages.
r) Théorie mathématique de la lumière, tome 2 – Nouvelles études sur le diffraction. Théorie de la dispersion de
Helmholtz, Paris, G. Carré & C. Naud, VI + 310 pages.
s) Thermodynamique, Paris, G. Carré & C. Naud, XIX + 432 pages. Une partie de la préface est reproduite,
les formules en moins, dans le chapitre VIII de La science et l’hypothèse. Traduction en allemand par
W. Jäger et E. Gumlich, (Berlin : Julius Springer), 1893.
1892 / 1893
« Sur la polarisation par diffraction – 1ère partie », Acta Mathematica 16, pp. 297-339. Œuvres, tome IX, pp.
293-330.
tel-00137859, version 1 - 22 Mar 2007
1893
a) « Sur une objection à la théorie cinétique des gaz », Comptes-rendus de l’Académie des Sciences 116, pp.
1017-1021. Œuvres, tome X, pp. 240-243.
b) « Sur la théorie cinétique des gaz », Comptes-rendus de l’Académie des Sciences 116, pp. 1165-1166.
c) « Sur les transformations birationnelles des courbes algébriques », Comptes-rendus de l’Académie des
Sciences 117, pp. 18-23. Œuvres, tome VI, pp. 6-11.
d) « Observations sur la Communication précédente de MM. Birkeland et Sarasin », Comptes-rendus de
l’Académie des Sciences 117, pp. 622-624. Œuvres, tome X, pp. 48-52.
e) « Sur la généralisation d’un théorème d’Euler relatif aux polyèdres », Comptes-rendus de l’Académie des
Sciences 117, pp. 144-145. Œuvres, tome XI, pp. 6-7.
f) « Sur la propagation de l’électricité », Comptes-rendus de l’Académie des Sciences 117, pp. 1027-1032.
Œuvres, tome IX, pp. 278-283.
g) « Le continu mathématique », Revue de métaphysique et de morale 1, pp. 26-34. Publié également dans La
science et l’hypothèse, chapitre II.
h) « Mécanisme et expérience », Revue de métaphysique et de morale 1, pp. 534-537.
i) « Au jubilé de M. Charles Hermite », in : Jubilé de M. Charles Hermite, Paris, Gauthier-Villars, pp. 6-8 ;
Revue des questions scientifiques, 2 série, 3, pp. 244-246. Reproduit également dans Savants et écrivains,
chapitre V.
j) Les méthodes nouvelles de la Mécanique céleste, tome 2, Paris, Gauthier-Villars, VIII + 479 pages.
k) Théorie des tourbillons, Paris, G. Carré & C. Naud, 212 pp.
1894
a) « Sur certains développements en séries que l’on rencontre dans la théorie de la propagation de la
chaleur », Comptes-rendus de l’Académie des Sciences 118, pp. 383-387. Œuvres, tome IX, pp. 114-118.
b) « Sur la série de Laplace », Comptes-rendus de l’Académie des Sciences 118, pp. 497-501. Œuvres, tome IV,
pp. 607-610.
c) « Sur l’équation des vibrations d’une membrane », Comptes-rendus de l’Académie des Sciences 118, pp.
447-451. Œuvres, tome IX, pp. 119-122.
d) « Rapport verbal (concernant une démonstration du théorème de Fermat adressée par M. G. Kor-
neck) », Comptes-rendus de l’Académie des Sciences 118, p. 841.
e) « Sur l’équilibre des mers », Comptes-rendus de l’Académie des Sciences 118, pp. 948-952. Œuvres, tome
VIII, pp. 193-197.
f) « Rapport sur un mémoire de M. Stieltjes intitulé : ‘Recherches sur les fractions continues’ », Comptes-
rendus de l’Académie des Sciences 119, pp. 630-632.
g) « Rapport sur le concours du prix Bordin (en commun avec MM. Picard et Appell) », Comptes-rendus
de l’Académie des Sciences 119, pp. 1051-1056
Henri Poincaré (1854-1912) : Des Mathématiques à la Philosophie 341
Bibliographie de Henri Poincaré
h) « Sur le faisceau de cubiques passant par huit points d’un plan (Question proposée) », Intermédiaire des
mathématiciens 1, p. 2.
i) « Sur le réseau de quadriques passant par sept points donnés dans l’espace (Question proposée) »,
Intermédiaire des mathématiciens 1, p. 3.
j) « Sur le problème de la rotation d’un corps solide autour d’un point fixe (Réponse à une question
proposée par M. Appell) », Intermédiaire des mathématiciens 1, pp. 41-42.
k) « Sur les courbes gauches particulières (Question proposée en commun avec M. Léon Autonne) »,
Intermédiaire des mathématiciens 1, p. 90.
l) « Sur le théorème de Golbach relatif aux nombres premiers (Question proposée en commun avec E.
Catalan) », Intermédiaire des mathématiciens 1, p. 91.
m) « Sur une propriété d’une fonction algébrique d’un arc (réponse à une question posée par M. H.
Dellac) », Intermédiaire des mathématiciens 1, pp. 141-144.
n) « Sur certaines familles de courbes algébriques (Question proposée) », Intermédiaire des mathématiciens
1, p. 145.
o) « Mécanisme et expérience (réponse à M. Lechalas) », Revue de métaphysique et de morale 2, pp. 197-198.
p) « Sur la nature du raisonnement mathématique », Revue de métaphysique et de morale 2, pp. 371-384.
Traduction en russe par S. Choubine, Bulletin de la Société physico-mathématique de Kasan 8 (1898), pp.
74-88. Publié également dans La science et l’hypothèse, chapitre I.
q) « La lumière et l’électricité d’après Maxwell et Hertz », Annuaire du Bureau des longitudes, pp. A.1-
A.22. Revue scientifique, 4ème série, 1, pp. 106-111. Œuvres, tome X, pp. 557-569. Traduction en an-
tel-00137859, version 1 - 22 Mar 2007
glais, Nature 50 (3 mai 1894), pp. 8-11. Traduit également en anglais dans l’Annual Report of the Board
of Regents of the Smithsonian Institution, 1896, pp. 129-139.
r) « Sur la théorie cinétique des gaz », Revue générale des sciences pures et appliquées 5, pp. 513-521. Œuvres,
tome X, pp. 246-263.
s) « Sur les équations de la physique mathématique », Rendiconti del Circolo matematico di Palermo 8, pp.
57-155. Œuvres, tome IX, pp. 123-196.
t) Les oscillations électriques, Paris, G. Carré & C. Naud, 343 pages.
u) « Au cinquantenaire de l’entrée de M. Joseph Bertrand dans l’enseignement », Revue scientifique 1, 4ème
série, pp. 685-686 ; Annuaire de l’École Polytechnique, 1895, pp. 107-108. Reproduit vraisemblablement
dans Savants et écrivains, chapitre IX.
1895
a) « Sur un procédé de vérification applicable au calcul des séries de la Mécanique céleste », Comptes-
rendus de l’Académie des Sciences 120, pp. 57-59. Œuvres, tome VII, pp. 555-557.
b) « Sur les fonctions abéliennes », Comptes-rendus de l’Académie des Sciences 120, pp. 239-243. Œuvres,
tome IV, pp. 379-383.
c) « Observations au sujet de la communication de M. Delandres (intitulée ‘Recherches spectrales sur la
rotation et les mouvements des planètes’) », Comptes-rendus de l’Académie des Sciences 120, pp. 420-
421.
d) « Sur le spectre cannelé », Comptes-rendus de l’Académie des Sciences 120, pp. 757-762. Œuvres, tome X,
pp. 287-291.
e) « Sur la méthode de Neumann et le problème de Dirichlet », Comptes-rendus de l’Académie des Sciences
120, pp. 347-352. Œuvres, tome IX, pp. 197-201.
f) « Remarque sur un mémoire de M. Jaumann intitulé Longitudinales Licht », Comptes-rendus de
l’Académie des Sciences 121, pp. 792-793. Œuvres, tome X, pp. 299-306.
g) « À propos de la théorie de M. Larmor », Éclairage électrique 3, pp. 5-13. Œuvres, tome IX, pp. 369-382.
h) « À propos de la théorie de M. Larmor », Éclairage électrique 3, pp. 289-295. Œuvres, tome IX, pp. 383-
394.
i) « À propos de la théorie de M. Larmor », Éclairage électrique 5, pp. 5-14. Œuvres, tome IX, pp. 395-413.
j) « À propos de la théorie de M. Larmor », Éclairage électrique 5, pp. 385-392. Œuvres, tome IX, pp. 414-
426.
k) « Remarques diverses sur les fonctions abéliennes », Journal de mathématiques pures et appliquées, 5ème
série, 1, pp. 219-314. Œuvres, tome IV, pp. 384-468.
l) « Analysis Situs », Journal de l’École Polytechnique cahier 1, 2nde série, pp. 1-121. Œuvres, tome VI, pp.
193-288.
m) « Rapport sur la proposition d’unification des jours astronomique et civil », Annuaire du Bureau des
longitudes, pp. E.1-E.10. Œuvres, tome VIII, pp. 642-647.
Henri Poincaré (1854-1912) : Des Mathématiques à la Philosophie 342
Bibliographie de Henri Poincaré
n) « La méthode de Neumann et le problème de Dirichlet », Acta Mathematica 20, pp. 59-142. Œuvres,
tome IX, pp. 202-272.
o) « L’espace et la géométrie », Revue de métaphysique et de morale 3, pp. 631-646. Cet article est repris dans
le chapitre IV de La science et l’hypothèse, avec quelques modifications.
p) Théorie analytique de la propagation de la chaleur, Paris, G. Carré & C. Naud, 316 pages.
q) Capillarité, Paris, G. Carré & C. Naud, 1895, 189 pages.
1896
a) « Observation au sujet de la communication précédente (de M. G. Jaumann) », Comptes-rendus de
l’Académie des Sciences 122, p. 76.
b) « Sur l’équilibre d’un corps élastique », Comptes-rendus de l’Académie des Sciences 122, pp. 154-159.
Œuvres, tome IX, pp. 273-277.
c) « Observations au sujet de la Communication de M. J. Perrin ‘Quelques propriétés des rayons de
Röntgen’ », Comptes-rendus de l’Académie des Sciences 122, p. 188. Œuvres, tome X, p. 307.
d) « Observation au sujet de la communication précédente (de M. G. Jaumann) », Comptes-rendus de
l’Académie des Sciences 122, p. 520.
e) « Sur la divergence des séries de la Mécanique céleste », Comptes-rendus de l’Académie des Sciences 122,
pp. 497-499. Œuvres, tome VII, pp. 558-560.
f) « Sur la divergence des séries trigonométriques », Comptes-rendus de l’Académie des Sciences 122, pp.
557-559. Œuvres, tome VII, pp. 561-563.
tel-00137859, version 1 - 22 Mar 2007
1897
a) « Sur les périodes des intégrales doubles et les développements de la fonction perturbatrice », Comp-
tes-rendus de l’Académie des Sciences 124, pp. 199-200. Œuvres, tome VIII, pp. 48-49.
b) « Sur les solutions périodiques et le principe de moindre action », Comptes-rendus de l’Académie des
Sciences 124, pp. 713-716. Œuvres, tome VII, pp. 227-230.
c) « Sur les fonctions abéliennes », Comptes-rendus de l’Académie des Sciences 124, pp. 1407-1411. Œuvres,
tome IV, pp. 469-472.
d) « Rapport sur un mémoire de M. Hadamard (Lignes géodésiques sur les surfaces à courbures opposées) »,
Comptes-rendus de l’Académie des Sciences 125, pp. 589-591.
e) « Rapport sur un mémoire de M. Le Roy (Sur l’intégration des équations de la chaleur) », Comptes-
rendus de l’Académie des Sciences 125, pp. 847-849.
f) « Sur les périodes des intégrales doubles », Comptes-rendus de l’Académie des Sciences 125, pp. 995-997.
Œuvres, tome III, pp. 490-492.
g) « Sur une forme nouvelle des équations du problème des trois corps », Bulletin astronomique 14, pp. 53-
67. Œuvres, tome VII, pp. 500-511.
h) « Sur l’intégration des équations du problème des trois corps », Bulletin astronomique 14, pp. 241-270.
Œuvres, tome VII, pp. 517-542.
i) « Sur les périodes des intégrales doubles et le développement de la fonction perturbatrice », Bulletin
astronomique 14, pp. 353-354. Œuvres, tome VIII, pp. 110-111.
j) « Sur le développement de la fonction perturbatrice », Bulletin astronomique 14, pp. 449-466. Œuvres,
tel-00137859, version 1 - 22 Mar 2007
1898
a) « Sur le développement approché de la fonction perturbatrice », Comptes-rendus de l’Académie des
Sciences 126, pp. 370-373. Œuvres, tome VIII, pp. 27-30.
b) « Les fonctions fuchsiennes et l’équation ∆u = e u », Comptes-rendus de l’Académie des Sciences 126, pp.
627-630. Œuvres, tome II, pp. 67-70.
c) « Les fonctions fuchsiennes et l’équation ∆u = e u », Journal de mathématiques pures et appliquées 4, 5ème
série, pp. 137-230 ; Œuvres, tome II, pp. 512-591.
d) « L’œuvre mathématique de Weierstraß », Acta Mathematica 22, pp. 1-18. Reproduit également dans
Savants et écrivains, chapitre XIII.
Henri Poincaré (1854-1912) : Des Mathématiques à la Philosophie 344
Bibliographie de Henri Poincaré
e) « Sur les propriétés du potentiel et sur les fonctions abéliennes », Acta Mathematica 22, pp. 89-178.
Œuvres, tome IV, pp. 162-243.
f) « Développement de la fonction perturbatrice », Bulletin astronomique 15, pp. 70-71. Œuvres, tome VIII,
pp. 31-32.
g) « Sur la façon de grouper les termes des séries trigonométriques qu’on rencontre en Mécanique cé-
leste », Bulletin astronomique 15, pp. 289-310. Œuvres, tome VII, pp. 564-582.
h) « Développement de la fonction perturbatrice », Bulletin astronomique 15, pp. 449-464. Œuvres, tome
VIII, pp. 33-47.
i) « Sur la stabilité du système solaire », Annuaire du Bureau des Longitudes (1898) ; Revue scientifique 9, 4ème
série, pp. 609-613. Œuvres, tome VIII, pp. 538-547.
j) « La mesure du temps », Revue de métaphysique et de morale 6, pp. 1-13. D’après Vuillemin, cet article est
reproduit dans le chapitre VI de La science et l’hypothèse, mais il semble le confondre avec l’article
« Sur les principes de la mécanique » [Poincaré 1901o]. « La mesure du temps » est en fait reproduit
partiellement dans le chapitre II de La valeur de la xscience.
k) « On the Foundations of Geometry », The Monist 9, pp. 1-43. Traduction à partir du manuscrit de
Poincaré par T. J. McCormack. Retraduction française, Des fondements de la géométrie, Paris, Chiron.
Ce texte est en partie repris dans le chapitre V de La science et l’hypothèse.
l) « Grand Prix des Sciences mathématiques (en commun avec M. Picard) », Comptes-rendus de l’Académie
des Sciences 127, pp. 1061-1065.
tel-00137859, version 1 - 22 Mar 2007
1899
a) « Le phénomène de Hall et la théorie de Lorentz », Comptes-rendus de l’Académie des Sciences 128, pp.
339-341. Œuvres, tome IX, pp. 461-463.
b) « Sur les nombres de Betti », Comptes-rendus de l’Académie des Sciences 128, pp. 629-630. Œuvres, tome
VI, p. 289.
c) « Sur les groupes continus », Comptes-rendus de l’Académie des Sciences 128, pp. 1065-1069. Œuvres,
tome III, pp. 169-172.
d) « Analyse d’un ouvrage de Ch. André (intitulé Traité d’astronomie stellaire) », Bulletin astronomique 16,
pp. 124-127.
e) « Sur l’équilibre d’un fluide en rotation », Bulletin astronomique 16, pp. 161-169. Œuvres, tome VII, pp.
151-158.
f) « Sur les quadratures mécaniques », Bulletin astronomique 16, pp. 382-387. Œuvres, tome VIII, pp. 461-
466.
g) « La théorie de Lorentz et le phénomène de Zeeman », Éclairage électrique 19, pp. 5-15. Œuvres, tome
IX, pp. 442-460.
h) « Sur l’induction unipolaire », Éclairage électrique 19, pp. 41-53. Œuvres, tome X, pp. 3355-371.
i) « L’énergie magnétique d’après Maxwell et Hertz », Éclairage électrique 19, pp. 361-367. Œuvres, tome
X, pp. 341-351.
j) « Sur les groupes continus », Cambridge Philosophical Transactions 18, pp. 220-225. Œuvres, tome III, pp.
173-212.
k) « Complément à l’Analysis Situs », Rendiconti del Circolo matematico di Palermo 13, pp. 285-343. Œuvres,
tome VI, pp. 290-337.
l) « Fourier’s Series (Lettre à A. A. Michelson) », Nature 60, p. 52.
m) « Des fondements de la géométrie, à propos d’un livre de M. Russell », Revue de métaphysique et de
morale 7, pp. 251-279. Ce texte est réutilisé en partie dans le chapitre V de La science et l’hypothèse.
n) « Réflexions sur le calcul des probabilités », Revue générale des sciences pures et appliquées 10, pp. 262-
269. Publié également dans La science et l’hypothèse, chapitre XI.
o) « La logique et l’intuition dans la science mathématique et dans l’enseignement », L’enseignement
mathématique 1, pp. 157-162 ; Œuvres, tome XI, pp. 129-133. Certaines parties de ce texte furent re-
prises et développées dans le texte de 1904 « Les définitions générales en mathématiques ».
p) « La notation différentielle et l’enseignement », L’enseignement mathématique 1, pp. 106-110 ; Œuvres,
tome XI, pp. 125-128.
q) Cinématique et mécanismes. Potentiel et dynamique des fluides, 2nde édition, Paris, G. Carré et C. Naud, 385
pages.
r) La théorie de Maxwell et les oscillations hertziennes. La télégraphie sans fil, Paris, G. Carré & C. Naud, 80
pages. Traduction en anglais par F. K. Vreeland, London, New-York, 1904, 1905. Traduction en al-
lemand par Max Iklé, (Leipzig : Johann Ambrosius Barth), 1909.
Henri Poincaré (1854-1912) : Des Mathématiques à la Philosophie 345
Bibliographie de Henri Poincaré
1900
a) « Rapport sur le projet de révision de l’arc méridien de Quito », Comptes-rendus de l’Académie des Scien-
ces 131, pp. 215-236. Œuvres, tome VIII, pp. 571-592.
b) « Sur le mouvement de périgée de la Lune », Bulletin astronomique 17, pp. 87-104. Œuvres, tome VIII,
pp. 367-382.
c) « Sur le déterminant de Hill », Bulletin astronomique 17, pp. 134-143. Œuvres, tome V, pp. 108-116.
Œuvres, tome VIII, pp. 383-391.
d) « Sur les équations du mouvement de la Lune », Bulletin astronomique 17, pp. 167-204. Œuvres, tome
VIII, pp. 297-331.
e) « La géodésie française (discours prononcé à la séance des cinq Académies le 25 octobre 1900) », Mé-
moires de l’Institut, 20, pp. 13-25 ; publié sous le titre « La mesure de la Terre et la géodésie fran-
çaise » dans le Bulletin de la Société astronomique de France 14, pp. 513-521. Publié également dans
Science et méthode, livre IV, chapitre II.
f) « Sur les principes de la géométrie. Réponse à M. Russell », Revue de métaphysique et de morale 8, pp. 73-
86. Ce texte est en partie repris dans le chapitre V de La science et l’hypothèse.
g) « Comptes rendus des Séances du Congrès de philosophie, discussion », Revue de métaphysique et de
morale 8, pp. 556-561.
tel-00137859, version 1 - 22 Mar 2007
h) « Sur certaines familles de courbes algébriques », Intermédiaire des mathématiciens 7, pp. 114-115.
i) « Second complément à l’Analysis Situs », Proceedings of the London Mathematical Society 32, pp. 277-
308. Œuvres, tome VI, pp. 3387-370.
j) « La théorie de Lorentz et le principe de réaction », Archives néerlandaises des sciences exactes et naturelles,
2ème série, 5, pp. 252-278. Œuvres, tome IX, pp. 464-488.
k) « Du rôle de l’intuition et de la logique en mathématiques », Compte-rendu du deuxième Congrès interna-
tional des mathématiciens tenu à Paris du 6 au 12 août 1900, Paris, pp. 115-130. Publié également dans
La valeur de la science, chapitre I.
l) « Les relations entre la physique expérimentale et la physique mathématique », Rapports du Congrès
international de physique, tome I, Paris, 1900, pp. 1-29 ; Revue générale des sciences pures et appliquées 11,
pp. 1163-1175 ; Revue scientifique 14, 4ème série, pp. 705-715. Traduction en allemand, Physikalische
Zeitschrift 2 (1900-1901), pp. 166, 182, 196. Traduction en anglais par Georges K. Burgess, The Monist
12 (1901-1902), pp. 516-543. Publié également dans La science et l’hypothèse, chapitres IX et X ; Vuil-
lemin se trompe sur la date de l’article et affirme qu’il date de 1901. Publié également en anglais
dans The Monist 12 (1902), pp. 516-543.
m) « Appréciation d’un ouvrage de M. V. Bjerknes (intitulé Vorlesungen über hydrodynamische Fern-
kräfte) », Comptes-rendus de l’Académie des Sciences 130, p. 25.
n) « Les géométries non euclidiennes », in : Rouché, E. / de Comberousse, Ch., Traité de géométrie, Paris,
Gauthier-Villars, 1900, pp. 581-593.
o) « Inauguration de la statue de F. Tisserand », Annuaire du Bureau des longitudes, pp. E. 4-E. 12.
p) « Sur l’application du calcul des probabilités (lettre à M. P. Painlevé) », in : Le procès Dreyfus devant le
Conseil de guerre de Rennes, 7 août-9 septembre 1899, tome 3, Paris, P. V. Stock, pp. 329-331.
1901
a) « Sur la théorie de la précession », Comptes-rendus de l’Académie des Sciences 132, pp. 50-55. Œuvres,
tome VIII, pp. 113-117.
b) « Sur une forme nouvelle des équations de la mécanique », Comptes-rendus de l’Académie des Sciences
132, pp. 369-371. Œuvres, tome VII, pp. 218-219. Traduction en russe par A. V. Vassilief, Bulletin de
la Société physico-mathématique de Kasan 10 (1905), pp. 57-59.
c) « Sur l’Analysis Situs », Comptes-rendus de l’Académie des Sciences 133, pp. 707-709. Œuvres, tome VI,
pp. 371-372.
d) « Rapport sur les papiers laissés par Halphen », Comptes-rendus de l’Académie des Sciences 133, pp. 722-
724.
e) « Sur la connexion des surfaces algébriques », Comptes-rendus de l’Académie des Sciences 133, pp. 969-
973. Œuvres, tome VI, pp. 393-396.
f) « Les mesures de la gravité et la Géodésie », Bulletin astronomique 18, pp. 5-39. Œuvres, tome VIII, pp.
143-174.
Henri Poincaré (1854-1912) : Des Mathématiques à la Philosophie 346
Bibliographie de Henri Poincaré
g) « Sur les déviations de la verticale en Géodésie », Bulletin astronomique 18, pp. 257-276. Œuvres, tome
VIII, pp. 175-192.
h) « Observations au sujet de l’article de F. H. Seares (intitulé ‘Sur les quadratures mécaniques’) », Bulle-
tin astronomique 18, pp. 406-420. Œuvres, tome VIII, pp. 467-479.
i) « Sur les propriétés arithmétiques des courbes algébriques », Journal de mathématiques pures et appliquées
7, 5ème série, pp. 161-233. Œuvres, tome V, pp. 483-548.
j) « Quelques remarques sur les groupes continus », Rendiconti del Circolo matematico di Palermo 15, pp.
321-368. Œuvres, tome III, pp. 213-260.
k) « Sur les surfaces de translation et les fonctions abéliennes », Bulletin de la Société mathématique de
France 29, pp. 61-86. Œuvres, tome VI, pp. 13-36.
l) « Sur la stabilité de l’équilibre des figures piriformes affectées par une masse fluide en rotation (Résu-
mé) », Proceedings of the Royal Society of London 69, pp. 148-149. Œuvres, tome VII, pp. 159-160.
m) « Sur les excitateurs et résonateurs hertziens (à propos d’un article de M. Johnson) », Éclairage électri-
que 29, pp. 305-307. Œuvres, tome X, pp. 352-354.
n) « À propos des expériences de M. Crémieu », Revue générale des sciences pures et appliquées 12, pp. 994-
1007. Œuvres, tome X, pp. 391-420. Reproduit dans La science et l’hypothèse, chapitre XIII.
o) « Sur les principes de la mécanique », Bibliothèque du Congrès international de philosophie, tome III, Paris,
pp. 457-494. Reproduit dans La science et l’hypothèse, chapitres VI et VII.
q) Électricité et optique – Leçons professées en 1888, 1890 et 1899, 2nde édition, Paris, Gauthier-Villars, 632
pages. La préface est reproduite partiellement dans le chapitre XII de La science et l’hypothèse.
tel-00137859, version 1 - 22 Mar 2007
1902
a) « Rapport présenté au nom de la Commission chargée du contrôle scientifique des opérations géodé-
siques de l’Équateur », Comptes-rendus de l’Académie des Sciences 134, pp. 965-972. Œuvres, tome VIII,
pp. 593-601.
b) « Les solutions périodiques et les planètes du type d’Hécube », Bulletin astronomique 19, pp. 177-198.
Œuvres, tome VIII, pp. 417-436.
c) « Sur les planètes du type d’Hécube », Bulletin astronomique 19, pp. 289-310. Œuvres, tome VIII, pp.
437-456.
d) « Les progrès de l’astronomie en 1901 », Bulletin de la Société astronomique de France 16, pp. 214-223.
e) « Sur la vie et les travaux de M. Faye », Bulletin de la Société astronomique de France 16, pp. 496-501.
Reproduit également dans Savants et écrivains, chapitre XI.
f) « Les fondements de la géométrie – Grundlagen der Geometrie par M. Hilbert, professeur à l’Université
de Göttingen », Bulletin des sciences mathématiques 26, 2nde série, pp. 249-272 ; Journal des savants, pp.
252-271 ; Œuvres, tome XI, pp. 92-113.
g) « Analyse d’un mémoire de M. Zaremba », Bulletin des sciences mathématiques 26, pp. 337-350.
h) « Sur les fonctions abéliennes », Acta Mathematica 26, pp. 43-98. Œuvres, tome IV, pp. 473-« Sur les
propriétés des anneaux à collecteurs », Éclairage électrique 30, pp. 77-81. Œuvres, tome X, pp. 372-
377.
i) « Sur les propriétés des anneaux à collecteurs », Éclairage électrique 30, pp. 301-310. Œuvres, tome X, pp.
378-390.
j) « A. Cornu », Éclairage électrique 31, pp. 81-82.
k) « Sur les expériences de M. Crémieu et une objection de M. Wilson », Éclairage électrique 31, pp. 83-93.
Œuvres, tome X, pp. 421-437.
l) « Sur certaines surfaces algébriques ; troisième complément à l’Analysis Situs », Bulletin de la Société
mathématique de France 30, pp. 49-70. Œuvres, tome VI, pp. 373-392.
m) « Sur les cycles des surfaces algébriques ; quatrième complément à l’Analysis Situs », Journal de ma-
thématiques pures et appliquées 8, 5ème série, pp. 169-214. Œuvres, tome VI, pp. 397-434.
n) Figures d’équilibre d’une masse fluide – leçon professée en 1900, rédigée par L. Dreyfus, ancien élève de l’École
Normale Supérieure, Paris, G. et Carré C. Naud, 211 pages.
p) « Sur la stabilité de l’équilibre des figures piriformes affectées par une masse fluide en rotation »,
Philosophical Transactions, série A, 198, pp. 333-373. Œuvres, tome VII, pp. 161-202.
q) La science et l’hypothèse, Paris, Flammarion, 284 pages. Traduction en allemand par F. et L. Lindemann,
(Leipzig : Teubner), 1904 et 1906. Traduction en anglais avec une préface de Larmor, (Londres :
Walter Scott), 1905 et New-York 1907. Traduction en anglais par G. B. Halsted, (New-York), 1905.
Traduction en espagnol par Gonzáles Quijano, (Madrid : José Ruiz), 1907. Traduction en Hongrois
Henri Poincaré (1854-1912) : Des Mathématiques à la Philosophie 347
Bibliographie de Henri Poincaré
par Szilárd Béla, (Budapest), 1908. Traduction en japonais par Tsuruiche Hayashi, (Tokyo), 1909.
Traduction en suédois par Mlle Anna Sundqvist, (Stockholm : Albert Bonnier), 1910.
r) « Notice sur la télégraphie sans fil », Annuaire du Bureau des longitudes, pp. A.1-A.34. Revue scientifique
17, 4ème série, pp. 65-73. Œuvres, tome X, pp. 604-622.
s) « Sur la valeur objective de la science », Revue de métaphysique et de morale 10, pp. 263-293. Publié éga-
lement dans La valeur de la science, chapitres X et XI.
t) « Sur M. A. Cornu (lettre à M. C. M. Gariel, avril 1902) », Bulletin de la Société française de physique, pp.
32-33.
u) « Discours prononcé aux funérailles de M. A. Cornu (16/04/1902) », Mémoires de l’Institut, pp. 15-18 ;
Bulletin de la Société française de physique, pp. 186-188 ; Annuaire du Bureau des longitudes (1903), pp. D.
7-D. 11. Reproduit vraisemblablement dans Savants et écrivains, chapitre VI.
1903
a) « Rapport présenté au nom de la Commission chargée du contrôle scientifique des opérations géodé-
siques de l’Équateur », Comptes-rendus de l’Académie des Sciences 136, pp. 861-871.
b) « L’espace et ses trois dimensions », Revue de métaphysique et de morale 11, pp. 281-301. Repris égale-
ment dans La valeur de la science, chapitres III et IV.
c) « L’espace et ses trois dimensions », Revue de métaphysique et de morale 11, pp. 407-429. Publié égale-
ment dans La valeur de la science, chapitre IV.
d) « Sur l’intégration algébrique des équations linéaires et les périodes des intégrales abéliennes », Jour-
tel-00137859, version 1 - 22 Mar 2007
nal de mathématiques pures et appliquées 9, 5ème série, pp. 139-212. Œuvres, tome III, pp. 106-166.
e) « Sur un théorème général relatif aux marées », Bulletin astronomique 20, pp. 215-229. Œuvres, tome
VIII, pp. 275-288.
f) « Entropy », Electrician, 50, pp. 688-689. Œuvres, tome X, pp. 264-270.
g) « Sur la diffraction des ondes électriques, à propos d’un article de M. Mc Donald », Proceedings of the
Royal Society of London 72, pp. 42-52. Œuvres, tome X, pp. 53-64.
h) « Grandeur de l’astronomie », Bulletin de la Société astronomique de France 17, pp. 253-259.
i) « Sur les travaux de la Société française de physique », Bulletin de la Société française de physique, pp. 5-8.
j) « Les fondements de la géométrie », Bulletin des sciences mathématiques 27, 2nde série, p. 115.
k) Sur la part des polytechniciens dans l’œuvre scientifique du XIXème siècle, Compte-rendu, Paris, Gauthier-
Villars, pp. 11-17. Ce texte est reproduit, semble-t-il, dans Savants et écrivains, chapitre XVI.
l) « Sur la vérité scientifique et sur la vérité morale », L’université de Paris 18 (1903), pp. 59-64.
m) « Rapport relatif à la Fondation Jean Debrousse (1er avril 1903) », Mémoires de l’Institut ; Fondation Jean
Debrousse, (1900-1905), rapports, pp. 45-67.
1904
a) « Théorie de la balance azimutale quadrifilaire », Comptes-rendus de l’Académie des Sciences 138, pp.
869-874. Œuvres, tome X, pp. 438-444.
b) « Sur la méthode horistique de Gyldén », Comptes-rendus de l’Académie des Sciences 138, pp. 933-936.
Œuvres, tome VII, pp. 583-586.
c) « Rapport présenté au nom de la Commission chargée du contrôle scientifique des opérations géodé-
siques de l’Équateur », Comptes-rendus de l’Académie des Sciences 138, pp. 1013-1019.
d) « Rapport sur le Concours du Prix Leconte », Comptes-rendus de l’Académie des Sciences 139, pp. 1120-
1122.
e) « Cinquième complément à l’Analysis Situs », Rendiconti del Circolo matematico di Palermo 18, pp. 45-
110. Œuvres, tome VI, pp. 435-498.
f) « Sur la méthode horistique. Observations sur l’article de M. Backlund », Bulletin astronomique 21, pp.
292-295. Œuvres, tome VII, pp. 619-621.
g) « La Terre tourne-t-elle ? », Bulletin de la Société astronomique de France 18, pp. 216-217.
h) « Étude de la propagation du courant en période variable sur une ligne munie d’un récepteur », Éclai-
rage électrique 40, pp. 121-128, 161-167, 201-212, 241-250. Œuvres, tome X, pp. 445-486.
i) « Rapport sur les travaux de M. Hilbert », Proc. Phys-Mat. Soc. Kazan 14, pp. 10-48. Ce texte concerne le
travail de Hilbert, Grundlagen der Geometrie, 1899, présenté au 3ème concours Lobatchevsky.
j) « Les définitions générales en mathématiques », in Conférences du Musée pédagogique, L’enseignement
des sciences mathématiques et des sciences physiques. (Paris : Imprimerie Nationale) pp. 1-28 ;
L’enseignement mathématique 6, pp. 257-283. Traduction en italien par Giulio Lazzeri, Periodico di
matematica per l’insegnamento secondario 20 (1905), pp. 193-202. Traduction en espagnol par Angel
Henri Poincaré (1854-1912) : Des Mathématiques à la Philosophie 348
Bibliographie de Henri Poincaré
Bozal Obejero, Gazeta de matemáticas, Madrid, 3 (1905), pp. 121-132, 164-177. Ce texte fut également
publié dans Science et méthode sous le titre « Les définitions mathématiques et l’enseignement », livre
II, chapitre II. Poincaré y fit alors quelques changements puisqu’il y supprima les sections consa-
crées aux calculs différentiel et intégral.
k) « Rapport relatif à la Fondation Jean Debrousse (23 mars 1904) », Mémoires de l’Institut ; Fondation Jean
Debrousse, (1900-1905), rapports, pp. 69-86.
l) « Sur la participation des savants à la politique », Revue politique et littéraire (Revue bleue) 1, 5ème série, p.
708.
m) « L’état actuel et l’avenir de la physique mathématique », Bulletin des sciences mathématiques 28, 2ème
série, pp. 302-324 ; La revue des idées, 1ère année, (15 novembre 1904), pp. 801-814 ; publié en extrait
sous le titre « Une image de l’univers » dans le Bulletin de la Société Astronomique de France 19 (1905),
pp. 30-31. Traduction en anglais par G. B. Halsted, The Monist 15 (1905), pp. 1-24. Traduction en ja-
ponais par Yoshio Mikami, Tokyobateu ri gakkozaschi 165 (1905), pp. 1-13, 1-14. Traduction en anglais
par J. W. Young, Bulletin of the American Mathematical Society 12 (1905-1906), pp. 240-260. Publié éga-
lement dans La valeur de la science, chapitres VII, VIII et IX, contrairement à ce qu’écrit Vuillemin (il
ne cite que les chapitres VIII et IX).
n) « Notice sur la vie et les Œuvres d’Alfred Cornu », in : Alfred Cornu, Rennes, Francis Simon, 1904, pp.
9-21 ; Journal de l’École Polytechnique cahier 10, 2ème série (1905), pp. 143-176.
o) La théorie des Maxwell et les oscillations hertziennes, 2nde édition, Paris, G. Carré & C. Naud, 80 pages.
3ème édition, Gauthier-Villars, 1907, 97 pages.
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1905
a) « Sur la généralisation d’un théorème élémentaire de géométrie », Comptes-rendus de l’Académie des
Sciences 140, pp. 113-117. Œuvres, tome XI, pp. 8-12.
b) « Rapport présenté au nom de la Commission chargée du contrôle scientifique des opérations géodé-
siques de l’Équateur », Comptes-rendus de l’Académie des Sciences 140, pp. 998-1006.
c) « Sur la dynamique de l’électron », Comptes-rendus de l’Académie des Sciences 140, pp. 1504-1508. Œu-
vres, tome IX, pp. 489-493.
d) « Rapport sur un mémoire de M. Bachelier (intitulé Les probabilités continues) », Comptes-rendus de
l’Académie des Sciences 141, pp. 647-648.
e) « Prix Damoiseau », Comptes-rendus de l’Académie des Sciences 141, pp. 1076-1077.
f) « Sur les invariants arithmétiques », J. reine und angew. Mathematik 129, pp. 89-150. Œuvres, tome V, pp.
203-265.
g) « Sur les lignes géodésiques des surfaces convexes », Transactions of the American Mathematical Society
6, pp. 237-274. Œuvres, tome VI, pp. 38-84.
h) « Sur la méthode horistique de Gyldén », Acta Mathematica 29, pp. 235-271. Œuvres, tome VII, pp. 587-
618.
i) Leçons de Mécanique céleste, tome 1, Paris, Gauthier-Villars, VI + 367 pages.
j) « Rapport sur les opérations géodésiques de l’Équateur », Comptes rendus des Séances de la 14ème Confé-
rence générale de l’Association géodésique internationale (4-13 août 1903), pp. 113-127. Œuvres, tome
VIII, pp. 602-620.
k) « Une image de l’univers », Bulletin de la Société astronomique de France 19, pp. 30-31. Cet article est en
fait un extrait de la conférence intitulée « L’état actuel et l’avenir de la physique mathématique »
[1904m].
l) La valeur de la science, Paris, Flammarion, 278 pages. Traduction en allemand par E. Weber, (Leipzig :
Teubner), 1906. Traduction en espagnol par Emilio González Llana, (Madrid : José Ruiz), 1906. Tra-
duction en anglais par G. B. Halsted, (New-York), 1907.
m) « Cournot et les principes du calcul infinitésimal », Revue de métaphysique et de morale 13, pp. 293-306.
n) « Les mathématiques et la logique », Revue de métaphysique et de morale 13, pp. 815-835. Ce texte est
reproduit également dans le chapitre III et au début du chapitre IV de Science et méthode (livre II).
o) « Préface », in : Hill, G. W., Collected Mathematical Works, volume 1, Washington, pp. V-XVIII.
p) « Rapport relatif à la Fondation Jean Debrousse (15 mars 1905) », Mémoires de l’Institut ; Fondation Jean
Debrousse, (1900-1905), rapports, pp. 87-101.
q) « A. Potier », Éclairage électrique 43, pp. 281-282 ; in : Potier, A., Mémoires sur l’électricité et l’optique,
Paris, Gauthier-Villars, 1912, pp. V-X. Reproduit également dans Savants et écrivains, chapitre XII.
Henri Poincaré (1854-1912) : Des Mathématiques à la Philosophie 349
Bibliographie de Henri Poincaré
1906
a) « Sur M. Langley, correspondant de l’Académie », Comptes-rendus de l’Académie des Sciences 142, p. 925.
b) « Sur M. Curie, membre de l’Académie », Comptes-rendus de l’Académie des Sciences 142, pp. 939-941.
Reproduit vraisemblablement dans Savants et écrivains, chapitre III.
c) « Sur M. Bischoffsheim », Comptes-rendus de l’Académie des Sciences 142, p. 1119. Reproduit vraisembla-
blement dans Savants et écrivains.
d) « Sur des membres de l’Académie des Sciences et sur des membres de la Mission géodésique à
l’Équateur », Comptes-rendus de l’Académie des Sciences 143, pp. 989-998 ; Mémoires de l’Institut 23, pp.
5-16.
e) « Sur les périodes des intégrales doubles », Journal de mathématiques pures et appliquées 2, 6ème série, pp.
135-189. Œuvres, tome III, pp. 493-539.
f) « Sur la détermination des orbites par la méthode de Laplace », Bulletin astronomique 23, pp. 161-187.
Œuvres, tome VIII, pp. 393-416.
g) « Réflexions sur la théorie cinétique des gaz », Journal de physique théorique et appliquée 5, 4ème série, pp.
369-403. Bulletin de la Société française de physique, pp. 150-184. Œuvres, tome IX, pp. 587-619.
h) « Sur la dynamique de l’électron », Rendiconti del Circolo matematico di Palermo 21, pp. 129-176. Œuvres,
tome IX, pp. 494-550.
i) « La fin de la matière », Atheneum 4086 (17 février 1906), pp. 201-202. Cet article se trouve depuis 1907
intégré au chapitre XIV de La science et l’hypothèse.
j) « La voie lactée et la théorie des gaz », Bulletin de la Société astronomique de France 20, pp. 153-165. Tra-
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duction en tchèque, Ziva (1907), pp. 65-70. Publié également dans Science et méthode, livre IV, chapi-
tre I.
k) La science et l’hypothèse, seconde édition, revue et corrigée, Paris, Flammarion, 281 pages.
l) « Lettre à M. G. F. Stout », Mind 15, pp. 141-143.
m) « Les mathématiques et la logique », Revue de métaphysique et de morale 14, pp. 17-34. Cet article se
trouve reproduit dans le chapitre IV de Science et méthode (livre II), avec d’importantes modifica-
tions.
n) « Les mathématiques et la logique », Revue de métaphysique et de morale 14, pp. 294-317. Publié égale-
ment dans Science et méthode, livre II, chapitre V, avec quelques coupes.
o) « À propos de la logistique », Revue de métaphysique et de morale 14, pp. 866-868.
p) « Sur la culture scientifique en Hongrie », Magyar Szo (Budapest) 303, pp. 1-2.
q) « Rapport relatif à la Fondation Jean Debrousse », Mémoires de l’Institut, pp. 65-75.
1907
a) « Rapport présenté au nom de la Commission chargée du contrôle scientifique des opérations géodé-
siques de l’Équateur », Comptes-rendus de l’Académie des Sciences 145, pp. 366-370.
b) « Prix Vaillant. Rapport sur le mémoire de M. Boggio et le mémoire n°7 portant pour épigraphe «Bar-
ré de Saint-Venant» », Comptes-rendus de l’Académie des Sciences 145, pp. 988-991.
c) « Les fonctions analytiques de deux variables et la représentation conforme », Rendiconti del Circolo
matematico di Palermo 23, pp. 185-220. Œuvres, tome IV, pp. 244-289.
d) Leçons de Mécanique céleste – partie I, tome 2, Paris, Gauthier-Villars, IV + 167 pages.
e) « Étude du récepteur téléphonique », Éclairage électrique 50, pp. 221-234, 257-262, 329-338, 365-372,
401-404. Œuvres, tome X, pp. 487-539.
f) « Sur quelques théorèmes généraux relatifs à l’électrotechnique », Éclairage électrique 50, pp. 293-301.
Œuvres, tome X, pp. 540-5510.
g) « La relativité de l’espace », Année psychologique 13, pp. 1-17. Publié également dans Science et méthode,
livre II, chapitre I.
h) « Le hasard », Revue du mois 3, pp. 257-276. Publié également dans Science et méthode, livre I, chapitre
IV.
i) « Sur l’œuvre de Marcelin Berthelot », Le Matin, 25 mars, p. 1. Reproduit également dans Savants et
écrivains, chapitre X.
1908
a) « Prix Monthyon », Comptes-rendus de l’Académie des Sciences 147, p. 1199.
b) « Remarques sur l’équation de Fredholm », Comptes-rendus de l’Académie des Sciences 147, pp. 1367-
1371. Œuvres, tome III, pp. 540-544.
Henri Poincaré (1854-1912) : Des Mathématiques à la Philosophie 350
Bibliographie de Henri Poincaré
c) « Nouvelles remarques sur les groupes continus », Rendiconti del Circolo matematico di Palermo 25, pp.
81-130. Œuvres, tome III, pp. 261-321.
d) « Sur l’uniformisation des fonctions analytiques », Acta Mathematica 31, pp. 1-63. Œuvres, tome IV, pp.
70-139.
e) « Sur les petits diviseurs dans la théorie de la Lune », Bulletin astronomique 25, pp. 321-360. Œuvres,
tome VIII, pp. 332-366.
f) « Rapports sur les opérations géodésiques de l’Équateur en 1903, 1904 et 1905, présentés à l’Académie
des sciences au nom de la Commission chargée du contrôle scientifique des opérations géodésiques
de l’Équateur », Comptes rendus des Séances de la 15ème Conférence générale de l’Association géodésique in-
ternationale (20-28 avril 1906), pp. 289-304. Œuvres, tome VIII, pp. 621-641.
g) « Lord Kelvin », La lumière électrique 1, 2ème série, pp. 139-147. Reproduit également dans Savants et
écrivains, chapitre XIV.
h) « Sur la théorie de la commutation », La lumière électrique 2, 2ème série, pp. 295-2297. Œuvres, tome X,
pp. 552-556.
i) « Sur la télégraphie sans fil », La lumière électrique 4, 2ème série, pp. 259-266, 291-297, 323-327, 355-359,
387-393. Conférences sur la télégraphie sans fil, Paris, 1909, 86 pages. Traduction en allemand par W.
Jäger, Deutsche-Mechaniker-Zeitung, 1902, pages 63-73, 114, 144, 237.
j) Thermodynamique, 2nde édition, Paris, Gauthier-Villars, XIX + 458 pages.
k) « La dynamique de l’électron », Revue générale des sciences pures et appliquées 19, pp. 386-402. Œuvres,
tome IX, pp. 551-586. Reproduit, avec quelques coupes, dans Science et méthode, chapitres I, II et III
tel-00137859, version 1 - 22 Mar 2007
du livre III.
l) Science et méthode, Paris, Flammarion, 314 pages. Traduction en allemand par Mme Lindemann, (Leip-
zig : Teubner), 1909. Traduction en espagnol par Eduardo Cazorla, (Madrid : José Ruiz), 1909. Tra-
duction en anglais par G. B. Halsted, uniquement le chapitre intitulé « Les logiques nouvelles », The
Monist 22 (1912), pp. 243-256.
m) « L’avenir des mathématiques », Atti IV Congr. Internaz. Matematici, Roma, 11 Aprile 1908, pp. 167-
182 ; Bulletin des sciences mathématiques, 2ème série, 32, pp. 168-190 ; Rendiconti del Circolo matematico di
Palermo 16, pp. 162-168 ; Revue générale des sciences pures et appliquées 19, pp. 930-939 ; Scientia (Rivista
di Scienza) 2, pp. 1-23. Publié également dans Science et méthode, livre I, chapitre II.
n) « Sur M. Maurice Lœwy », Annuaire du Bureau des longitudes, pp. D. 1-D. 18. Reproduit également
dans Savants et écrivains, chapitre XV.
o) « Préface », in : Devaux-Charbonnel, L’état actuel de la science électrique, Paris, Dunod et E. Pinat, 1908,
pp. V-X.
p) « Examen critique des divers systèmes ou études graphologiques auxquels a donné lieu le borde-
reau », in : Affaire Dreyfus. La révision du procès de Rennes. Enquête de la Chambre criminelle de la Cour
de cassation, 5 mars-19 novembre 1904, tome 3, Paris, Ligue des droits de l’homme, pp. 500-600 (avec
Darboux et Appell).
q) « Compte rendu d’ensemble des travaux du IVème Congrès des mathématiciens tenu à Rome en
1908 », Le Temps, 21 avril, pp. 2-3.
r) « Comment se fait la science ? » Le Matin, 25 novembre.
s) « Comment on invente. Le travail de l’inconscient », Le Matin, 24 décembre.
t) « L’invention mathématique », L’enseignement mathématique 10, pp. 357-371 ; Bulletin de l’Institut général
de psychologie 8, pp. 175-187 ; Revue du mois 6, pp. 9-21 ; Revue générale des sciences pures et appliquées
19, pp. 521-526. Publié également dans Science et méthode, livre I, chapitre III. Par ailleurs, ce texte
fut publié dans le livre de Fehr, H., Enquête de L’enseignement mathématique sur la méthode de travail
des mathématiciens, Paris / Genève, Gauthier-Villars / Georg & Cie, seconde édition, 1912, pp. 123-
137.
1909
a) « Sur quelques applications de la méthode de M. Fredholm », Comptes-rendus de l’Académie des Sciences
148, pp. 125-126. Œuvres, tome III, pp. 545-546.
b) « Les ondes hertziennes et l’équation de Fredholm », Comptes-rendus de l’Académie des Sciences 148, pp.
449-453. Œuvres, tome X, pp. 65-69.
c) « Sur la diffraction des ondes hertziennes », Comptes-rendus de l’Académie des Sciences 148, 812-817.
Œuvres, tome X, pp. 70-75. Traduction en allemand par G. Eichhorn, Jahrbuch der drahtlosen
Telegraphie und Telephonie, Zurich, 3 (1910), pp. 445-487.
Henri Poincaré (1854-1912) : Des Mathématiques à la Philosophie 351
Bibliographie de Henri Poincaré
d) « Sur la diffraction des ondes hertziennes », Comptes-rendus de l’Académie des Sciences 148, pp. 966-968.
Œuvres, tome X, pp. 76-77. Traduction en allemand par G. Eichhorn, Jahrbuch der drahtlosen
Telegraphie und Telephonie, Zurich, 3 (1910), pp. 445-487.
e) « Les ondes hertziennes et l’équation de Fredholm », Comptes-rendus de l’Académie des Sciences 148, pp.
1488-1490. Œuvres, tome X, pp. 89-91.
f) « Sur la diffraction des ondes hertziennes », Comptes-rendus de l’Académie des Sciences 149, pp. 621-622.
Œuvres, tome X, pp. 92-93. Traduction en allemand par G. Eichhorn, Jahrbuch der drahtlosen
Telegraphie und Telephonie, Zurich, 3 (1910), pp. 445-487.
g) « Sur les courbes tracées sur les surfaces algébriques », Comptes-rendus de l’Académie des Sciences 149,
pp. 1026-1027. Œuvres, tome VI, pp. 86-87.
h) « Sur une généralisation de la méthode de Jacobi », Comptes-rendus de l’Académie des Sciences 149, pp.
1105-1108. Œuvres, tome VII, pp. 220-223.
i) « Sur la réduction des intégrales abéliennes et des fonctions fuchsiennes », Rendiconti del Circolo
matematico di Palermo 27, pp. 281-236. Œuvres, tome III, pp. 362-428.
j) Leçons de Mécanique céleste – partie II, tome 2, Paris, Gauthier-Villars, IV + 137 pages.
k) « La télégraphie sans fil », Journal de l’Université des annales 1, pp. 541-552. Il s’agit d’une sténographie
d’une conférence de vulgarisation scientifique donnée par Poincaré. Le texte est accompagné de
nombreuses illustrations didactiques.
l) « Réflexions sur deux notes de M. A. S. Schönflies et de M. E. Zermelo », Acta Mathematica 32, pp. 195-
200 ; Œuvres, tome XI, pp. 119-144.
tel-00137859, version 1 - 22 Mar 2007
m) « La mécanique nouvelle », Comptes rendus des sessions de l’Association Française pour l’Avancement des
Sciences, Paris, pp. 38-48 ; Revue scientifique 47, pp. 170-177. Publié également en brochure extraite de
la Revue scientifique, (Paris : Éditions de la Revue politique et littéraire (Revue bleue) et de la Revue scien-
tifique).
n) « La logique de l’infini », Revue de métaphysique et de morale 17, pp. 461-482. Publié également dans
Dernières pensées, chapitre IV.
o) « The Choice of Facts », The Monist 19, pp. 231-239. Ce texte fut initialement rédigé pour servir de
préface à l’édition américaine de La valeur de la science : « The Choice of Facts », traduit du français
par G. B. Halsted, The Value of Science, New-York, 1907. Publié également dans Science et méthode, li-
vre I, chapitre I.
p) « Discours aux funérailles de M. Hyppolyte Langlois », Mémoires de l’Institut, 5 pages.
q) « Sur la vie et l’œuvre poétique et philosophique de Sully Prudhomme », Mémoires de l’Institut, pp. 3-
37. Une partie est reproduite sous le titre « Poésie scientifique et philosophique », Le mois littéraire et
pittoresque 165, pp. 280-281. Reproduit également dans Savants et écrivains, chapitre I.
r) « Sully Prudhomme mathématicien », Revue générale des sciences pures et appliquées 20, pp. 657-662.
s) « Discours au Banquet de la Société amicale des lorrains de Meurthe et Moselle (15/06/1909) », Est
républicain 8057, p. 2.
t) « Discours à l’inauguration du monument élevé à la mémoire d’Octave Gréard (11/07/1909) », Mé-
moires de l’Institut, pp. 3-8 ; Le Temps, 12 juillet, page 3 (il s’agit du compte-rendu des différents dis-
cours donnés à cette occasion). Seuls de courts extraits du discours de Poincaré sont reproduits
dans Le Temps.
u) « Sur la nécessité de la culture scientifique », Palmarès du Lycée Henri IV, Paris, 1909-1910, pp. 31-36 ;
Revue internationale de l’enseignement 58, pp. 342-345.
1910
a) « Présentation du tome III des Leçons de Mécanique Céleste professées à la Sorbonne », Comptes-rendus de
l’Académie des Sciences 150, p. 667.
b) « Sur les signaux horaires destinés aux marins », Comptes-rendus de l’Académie des Sciences 150, pp.
1471-1472.
c) « Sur l’envoi de l’heure par la télégraphie sans fil », Comptes-rendus de l’Académie des Sciences 151, p.
911.
d) Sechs Vorträge über ausgewählte Gegenstände aus der reinen Mathematik und mathematischen Physik
(Göttingen, 22-28 IV 1909), Leipzig et Berlin, 60 pages.
e) « Über die Fredholmschen Gleichungen », in : Sechs Vorträge über ausgewählte Gegenstände aus der reinen
Mathematik und mathematischen Physik von H. Poincaré, Leipzig & Berlin, pp. 1-10. Œuvres, tome III,
pp. 547-554.
Henri Poincaré (1854-1912) : Des Mathématiques à la Philosophie 352
Bibliographie de Henri Poincaré
f) « Anwendung der Theorie der Integralgleichungen auf die Flutbewegung des Meeres », Sechs Vorträge
über ausgewählte Gegenstände aus der reinen Mathematik und matematischen Physik von H. Poincaré,
Leipzig & Berlin, pp. 12-19. Œuvres, tome VIII, pp. 289-296.
g) « Anwendung der Integralgleichungen auf Hertzsche Wellen », Sechs Vorträge über ausgewählte
Gegenstände aus der reinen Mathematik und mathematischen Physik (Göttingen, 22-28 IV 1909), Leipzig
et Berlin, pp. 21-31. Œuvres, tome X, pp. 78-88.
h) « Über die Reduction des abelschen Integrale und die Theorie der Fuchsschen Funktionen », in : Sechs
Vorträge über ausgewählte Gegenstände aus der reinen Mathematik und mathematischen Physik von H.
Poincaré, Leipzig & Berlin, pp. 33-41. Œuvres, tome III, pp. 429-436.
i) « Über transfinite Zahlen », in : Sechs Vorträge über ausgewählte Gegenstände aus der reinen Mathematik
und mathematischen Physik, Leipzig u. Berlin, pp. 43-48 ; Œuvres, tome XI, pp. 120-124.
j) « La mécanique nouvelle », in : Sechs Vorträge über ausgewählte Gegenstände aus der reinen Mathematik
und mathematischen Physik, Leipzig u. Berlin, pp. 49-58.
k) « Sur les courbes tracées sur les surfaces algébriques », Annales scientifiques de l’École Normale Supé-
rieure, 3ème série, 27, pp. 55-108. Œuvres, tome VI, pp. 88-139.
l) « Remarques diverses sur l’équation de Fredholm », Comptes rendus de des sessions de l’Association Fran-
çaise pour l’Avancement des Sciences, 38ème session (Lille 1909), Paris, Gauthier-Villars, pp. 1-28 ; Acta
Mathematica 33, pp. 57-86. Œuvres, tome III, pp. 555-582.
m) « Sur la précession des corps déformables », Bulletin astronomique 27, pp. 321-356. Œuvres, tome VIII,
pp. 481-514.
tel-00137859, version 1 - 22 Mar 2007
1911
a) « Présentation des Leçons sur les hypothèses cosmogoniques », Comptes-rendus de l’Académie des Sciences
153, p. 795.
b) « Présentation de la 2nde édition de l’ouvrage Calcul des probabilités », Comptes-rendus de l’Académie des
Sciences 153, p. 795.
c) « Sur la théorie des quanta », Comptes-rendus de l’Académie des Sciences 153, pp. 1103-1108. Œuvres,
tome IX, pp. 620-625.
d) « Sur diverses questions relatives à la télégraphie sans fil », La lumière électrique 13, 2ème série, pp. 7-12.
e) « Sur diverses questions relatives à la télégraphie sans fil », La lumière électrique 13, 2ème série, pp. 35-
40.
f) « Sur diverses questions relatives à la télégraphie sans fil », La lumière électrique 13, 2ème série, pp. 67-72.
g) « Sur diverses questions relatives à la télégraphie sans fil », La lumière électrique 13, 2ème série, pp. 99-
104.
h) « Sur les courbes tracées sur une surface algébrique », Sitzungsberichte der Berliner Mathematiscen
Gesellschaft 10, pp. 28-55. Complété in : Arch. Math. 18. Œuvres, tome VI, pp. 140-178.
i) « Le démon d’Arrhénius », Hommage à Louis Olivier, Paris, pp. 281-287. Œuvres, tome VIII, pp. 564-569.
Henri Poincaré (1854-1912) : Des Mathématiques à la Philosophie 353
Bibliographie de Henri Poincaré
j) « Note sur la 16ème Conférence de l’Association géodésique internationale », Annuaire du Bureau des
longitudes, pp. A.1-A.29. Œuvres, tome VIII, pp. 548-563.
k) « Remarque sur l’hypothèse de Laplace », Bulletin astronomique 28, pp. 251-266. Œuvres, tome VIII, pp.
515-528.
l) « Les hypothèses cosmogoniques », Revue du mois 12, pp. 385-403.
m) « L’évolution des lois », Scientia (Rivista di Scienza) 9, pp. 275-292. Publié également dans Dernières
pensées, chapitre I.
n) « Notice nécrologique sur M. Bouquet de la Grye », Annuaire du Bureau des longitudes, pp. C. 1-C. 13.
o) « Discours prononcé aux funérailles de M. Paul Gautier », Annuaire du Bureau des longitudes, pp. D. 1-
D. 11.
p) « Préface », in : Lachapelle, G., La représentation proportionnelle en France et en Belgique, Paris, Félix
Alcan, pp. III-XII. Également publié dans Le Temps (2 février 1911), pp. 1-2.
q) « Préface », in : Lux, J., Histoire de deux revues françaises, Paris, pp. 5-8.
r) « Les sciences et les humanités », L’Opinion 46 (18 novembre), pp. 641-644. Publié également sous la
forme de brochure, la même année, Les sciences et les humanités, Paris, A. Fayard, 32 pages.
s) « Lettre ‘Sur la prépondérance politique du Midi’ », L’Opinion 12 (25 mars 1911), pp. 353-354. Il s’agit
d’une réponse à l’article de Maurice Colrat, « La prépondérance politique du Midi : Souillac (Lot)
capitale de la France », L’Opinion 11 (18 mars 1911), pp. 322-323.
t) « Rapport sur le prix Bolyai, 18/10/1910 », Bulletin des sciences mathématiques 31, pp. 67-100 ; Acta
Mathematica 35, pp. 1-28 ; Rendiconti del Circolo matematico di Palermo 31, pp. 109-132.
tel-00137859, version 1 - 22 Mar 2007
u) « Discours prononcé aux funérailles de M. Rodolphe Radau (29/12/1911) », Mémoires de l’Institut, pp.
13-15 ; Bulletin astronomique 29, pp. 88-89.
v) Leçons sur les hypothèses cosmogoniques, Paris, Hermann et Fils, XV + 294 pages. Seconde édition, 1913,
XV + 294 pages. Traduction en roumain par V. Arrestin du chapitre IX, Orion, Bucuresti, Avruil 5,
janvier 1912, pp. 87-60.
1912
a) « Sur la diffraction des ondes hertziennes », Comptes-rendus de l’Académie des Sciences 154, pp. 795-797.
Œuvres, tome X, pp. 214-215.
b) « Sur la théorie des quanta », Journal de physique théorique et appliquée 2, 5ème série, pp. 5-34. Œuvres,
tome IX, pp. 626-653.
c) « Les rapports de la matière et de l’éther », Journal de physique théorique et appliquée 2, 5ème série, pp.
347-360. Œuvres, tome IX, pp. 669-682. Publié également dans Dernières pensées, chapitre VII.
d) « Les astres », in : Poincaré, H. / Perrier, E. / Painlevé, P., Ce que disent les choses, Paris, Hachette, pp.
1-5.
e) « En regardant tomber une pomme », in : Poincaré, H. / Perrier, E. / Painlevé, P., Ce que disent les
choses, Paris, Hachette, pp. 7-10.
f) « La chaleur et l’énergie », in : Poincaré, H. / Perrier, E. / Painlevé, P., Ce que disent les choses, Paris,
Hachette, pp. 11-14.
g) « Les mines », in : Poincaré, H. / Perrier, E. / Painlevé, P., Ce que disent les choses, Paris, Hachette, pp.
69-74.
h) « L’industrie électrique », in : Poincaré, H. / Perrier, E. / Painlevé, P., Ce que disent les choses, Paris,
Hachette, pp. 75-80.
i) « Fonctions modulaires et fonctions fuchsiennes », Annales de la Faculté des sciences de Toulouse, 3ème
série, 3, pp. 125-149. Œuvres, tome II, pp. 592-618.
j) « Sur un théorème de géométrie », Rendiconti del Circolo matematico di Palermo 33, pp. 375-407. Œuvres,
tome VI, pp. 499-538.
k) Calcul des probabilités, 2ème édition, revue et augmentée, Paris, Gauthier-Villars, IV + 335 pages.
l) La théorie du rayonnement, Conférence faite à l’Université de Londres le 11 mai 1912.
m) « L’hypothèse des quanta », Revue scientifique 17, 4ème série, pp. 225-232. Œuvres, tome IX, pp. 654-
668. Publié également dans Dernières pensées, chapitre VI.
n) « Pourquoi l’espace a trois dimensions », Revue de métaphysique et de morale 20, pp. 483-504. Publié
également dans Dernières pensées, chapitre III.
o) « La logique de l’infini », Scientia (Rivista di Scienza) 12, pp. 1-11. Publié également dans Dernières
pensées (152), chapitre IV.
p) « L’espace et le temps », Scientia (Rivista di Scienza) 12, pp. 159-171. Publié également dans Dernières
pensées, chapitre II.
Henri Poincaré (1854-1912) : Des Mathématiques à la Philosophie 354
Bibliographie de Henri Poincaré
q) « Discours au jubilé de M. Camille Flammarion », Bulletin de la Société astronomique de France 26, pp.
101-103. Il y a une lacune dans la bibliographie de Browder car ce texte fut également publié dans la
Revue scientifique du 20 avril 1912, pp. 496-497.
r) « Discours au jubilé de M. Gaston Darboux (21/1/1912) », Revue internationale de l’enseignement 59, pp.
99-102.
s) Sur les invariants arithmétiques, Conférence faite à l’Université de Londres le 10 mai.
t) « L’union pour l’éducation morale », Le Parthénon, Revue bimensuelle politique, littéraire et indépendante
12 (5 juillet), pp. 545-549. Publié également dans Dernières pensées, chapitre IX.
u) « Les conceptions nouvelles de la matière », Foi et vie (Paris) 15, pp. 185-191 ; in : Le matérialisme actuel,
Paris, Flammarion, 1916, pp. 49-67.
1913
a) Dernières pensées, Paris, Flammarion, 258 pages.
b) « Préface à la traduction anglaise de La science et l’hypothèse », in : Poincaré, H., The Foundation of
Science, Lancaster, Science Press, pp. 3-7.
1921
a) « Lettres à L. Fuchs (1880, 1881) », Acta Mathematica 38, pp. 175-184. Œuvres, tome XI, pp. 13-25.
b) « Analyse des travaux scientifiques de Henri Poincaré faite par lui-même », Acta Mathematica 38, pp.
36-135. Reproduit également dans Browder F. E. (éd.), The Mathematical Heritage of Henri Poincaré,
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tome II, Providence, (Proceedings of Symposia in Pure Mathematics 39), 1983, pp. 257-357.
c) « Rapport sur les travaux de M. Cartan (fait à la Faculté des sciences de l’Université de Paris) », Acta
Mathematica 38, pp. 137-145.
d) « Lettres à M. Mittag-Leffler (1 juin 1881, 29 juin 1881, 26 juillet 1881) », Acta Mathematica 38, pp. 147-
160.
e) « Lettres à M. Mittag-Leffler concernant le Mémoire couronné du prix de S. M. le roi Oscar II (18 avril
1883, 16 juillet 1887, 5 février 1889, 1er mars 1889, 5 mars 1889) », Acta Mathematica 38, pp. 161-173.
Œuvres, tome XI, pp. 66-78.
1923
a) « Sur les fonctions fuchsiennes (extrait d’un mémoire inédit de Henri Poincaré) », Acta Mathematica 39,
pp. 59-93. Œuvres, tome I, pp. 336-373.
b) « Correspondance d’Henri Poincaré et de Felix Klein (1881, 1882) », Acta Mathematica 39, pp. 94-132.
Œuvres, tome, pp. 26-65.
c) Perfectionner en quelque point important la théorie des équations différentielles linéaires à une seule variable
indépendante, mémoire écrit pour le concours de 1880, pour le Grand Prix des sciences mathémati-
ques. Seule la seconde partie fut publiée dans : « Sur les fonctions fuchsiennes (extrait d’un mé-
moire inédit de Henri Poincaré) », Acta Mathematica 39, pp. 59-93. Œuvres, tome I, pp. 336-373.
SANS DATE
Cours d’astronomie générale, avec un supplément intitulé ‘Mécanique céleste’, École Polytechnique,
autographié, 208 pages.
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Annexes
Quelques Repères Chronologiques
Sur Henri Poincaré
1854
29 avril Naissance de Jules Henri Poincaré à l’Hôtel Martigny, 2 rue de Guise, Nancy. Son
père Léon Poincaré est professeur de médecine à l’Université de Nancy.
1856
Naissance de la sœur de Henri Poincaré, Aline.
1859
Poincaré attrape la diphtérie et manque de succomber. Il a les jambes et le larynx
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1860
Naissance de Raymond Poincaré, cousin d’Henri et futur président de la Républi-
que.
1862
Octobre Entrée au Lycée Impérial de Nancy (rebaptisé Lycée Henri Poincaré en son honneur
en 1913). Il y restera jusqu’en août 1873.
La famille Poincaré quitte l’Hôtel Martigny et s’installe au 6 de la rue Lafayette, à
Nancy.
1866
La famille Poincaré visite Francfort et Aix-la-Chapelle.
1867
La famille Poincaré visite l’Exposition Universelle de Paris.
1868
La famille Poincaré monte à la Scheideck en face de la Jungfrau.
1869
La famille Poincaré visite Londres.
1871
5 août Baccalauréat ès Lettres, mention Bien
7 novembre Baccalauréat ès Sciences, mention Assez Bien (Poincaré obtient un 0 en Mathémati-
ques).
La famille Poincaré visite le Lac Majeur.
1872
12 août Prix d’honneur au Concours général en Mathématiques Élémentaires.
Poincaré est premier de sa classe, premier du Concours Académique. Second au
concours de l’École Forestière, il démissionne.
La famille Poincaré visite Chamonix.
Henri Poincaré (1854-1912) : Des Mathématiques à la Philosophie 357
Annexe 1 : Quelques Repères Chronologiques sur Henri Poincaré
1873
14 août Prix d’honneur au Concours Général en Mathématiques Spéciales.
2 novembre Entrée à l’École Polytechnique comme major de promotion.
1874
Octobre Première publication (il a 20 ans) : « Démonstration nouvelle des propriétés de
l’indicatrice d’une surface » dans les Annales de Mathématiques.
La famille Poincaré déménage et s’installe au 9, rue de Serre, à Nancy.
1875
Sortie de l’École Polytechnique (second rang).
19 octobre Entrée à l’École des Mines.
1876
2 août Licence ès sciences.
1877
Voyage d’études en Autriche-Hongrie.
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1878
Voyage d’études en Suède et en Norvège. Rédaction d’un roman.
Sortie de l’École des Mines (3ème rang).
1879
28 mars Nommé ingénieur des mines à Vesoul.
1er août Doctorat ès Sciences mathématiques. Soutenance de sa thèse devant un jury compo-
sé d’Ossian Bonnet, son directeur d’Étude à l’École Polytechnique, de Bouquet et de
Gaston Darboux, de l’École Normale.
1er décembre Nommé chargé de cours d’Analyse mathématique à la Faculté des Sciences de Caen.
1880
15 mars Poincaré dépose à l’Académie un pli cacheté Mémoire sur la théorie générale des formes.
22 mars Sur les courbes définies par une équation différentielle.
28 mai Candidature pour le Grand Prix des Sciences Mathématiques de l’Académie des
sciences. Son mémoire porte la devise Non inultus premor, la devise de Nancy.
7 juin Sur les formes cubiques ternaires.
28 juin 1er supplément sur les fonctions fuchsiennes.
6 septembre 2ème supplément sur les fonctions fuchsiennes.
9 octobre Mention Très Honorable au Grand Prix des Sciences Mathématiques de l’Académie
des Sciences.
22 novembre Dépôt d’un pli cacheté à l’Académie des Sciences (Comptes rendus de l’Académie des
sciences, 100). « Sur la réduction simultanée d’une forme quadratique et d’une forme li-
néaire ».
20 décembre 3ème supplément sur les fonctions fuchsiennes.
Découverte des groupes algébriques de Klein-Poincaré.
Découverte des fonctions automorphes (elles prennent la même valeur par une
substitution homographique appartenant à un certain groupe).
Première candidature à l’Académie des Sciences.
1881
14 mars Mention « Très honorable » pour le Grand Prix des Sciences Mathématiques.
20 avril Mariage avec Louise Poulain d’Andecy, de la famille des Geoffroy Saint-Hilaire.
23 avril Nommé Officier d’Académie.
Henri Poincaré (1854-1912) : Des Mathématiques à la Philosophie 358
Annexe 1 : Quelques Repères Chronologiques sur Henri Poincaré
24 juin Nommé membre correspondant de l’Académie des Sciences, des Arts et Belles
Lettres de Caen.
19 octobre Nommé Maître de conférences d’Analyse à la Faculté des Sciences de Paris.
Il est présenté par la section de géométrie de l’Académie des Sciences en 5ème ligne.
Henri Poincaré devient membre de l’Association Française pour l’Avancement des
Sciences.
1882
24 mars Attaché au Service du Contrôle de l’Exploitation des Chemins de Fer du Nord (jus-
qu’au 17 novembre 1884).
1883
6 novembre Nommé répétiteur d’Analyse à l’École Polytechnique. Il démissionnera le 1er mars
1897.
Poincaré assiste au congrès de Rouen de l’Association Française pour l’Avancement
des Sciences
1884
3 mai Élu membre correspondant de la Société Royale des Sciences de Göttingen.
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1885
16 mars Nommé à la chaire de Mécanique physique et expérimentale de la Faculté des
Sciences de Paris.
27 mai Élu membre étranger ordinaire de la Société Royale des Sciences d’Upsala.
21 décembre Lauréat de l’Institut (Prix Poncelet) pour l’ensemble de ses travaux mathématiques.
Poincaré est présenté par la section de géométrie de l’Académie des Sciences, en
troisième ligne.
Étude d’une masse fluide en rotation dans un champ de force (théorie des marées, hypo-
thèse de la création de la lune à partir de la terre).
1886
Août Poincaré succède à Lippmann à la chaire de physique mathématique et calcul de
probabilités à la Faculté des sciences de l’Université de Paris.
Direction de la thèse d’Émile Borel, père de l’école probabiliste contemporaine
française.
Poincaré est présenté par la section de géométrie de l’Académie des Sciences, en
seconde ligne.
Élu président de la Société Mathématique de France.
Poincaré, père et fils, assistent au congrès de Nancy de l’Association pour
l’Avancement des Sciences.
1887
31 janvier Élu membre de l’Académie des Sciences en section de géométrie (il a 32 ans).
3 juin Naissance de Jeanne Poincaré.
1888
7 septembre Élu membre étranger de l’Académie Royale des Lincei, à Rome.
30 octobre La première thèse de Duhem a été refusée par un jury de physiciens ; il soutient
donc une thèse face à un jury de mathématiciens : Darboux, Bouty et Poincaré.
Henri Poincaré (1854-1912) : Des Mathématiques à la Philosophie 359
Annexe 1 : Quelques Repères Chronologiques sur Henri Poincaré
1889
20 janvier Lauréat du Grand Prix du Roi de Suède pour sa contribution importante au pro-
blème des trois corps (mécanique céleste). Appell est second. Le mémoire de Poin-
caré porte la devise Nunquam praescriptos transibunt sidera fines.
4 mars Nommé Chevalier de la Légion d’Honneur.
Juillet Phragmen trouve une erreur dans le mémoire de Poincaré pour le Grand Prix du
Roi de Suède de 1889. Poincaré paiera 3585 couronnes pour en publier une version
corrigée en mai 1890.
13 juillet Nommé comme Officier de l’instruction publique.
16 juillet Élu président du Congrès international de bibliographie.
19 juillet Élu comme président de la Commission Permanente Internationale du Répertoire
Bibliographique des Sciences Mathématiques.
9 novembre Élu membre du Comité d’Organisation du Congrès International de Bibliographie
des Sciences Mathématiques, par le Ministre du Commerce et de l’Industrie. Nais-
tel-00137859, version 1 - 22 Mar 2007
1890
24 novembre Élu membre honoraire de la Société Philosophique de Cambridge.
21 décembre Élu membre correspondant de l’Académie Royale des Sciences de l’Institut de Bolo-
gne.
1891
18 janvier Élu membre du Conseil Directeur du Cercle mathématique de Palerme.
Naissance d’Henriette Poincaré.
1892
14 avril Élu membre honoraire de la Société Mathématique de Londres.
26 avril Élu membre honoraire de la Société de Littérature et de Philosophie de Manchester.
21 mai Élu membre étranger de la Société Hollandaise des Sciences de Harlem.
15 septembre Décès du père de Henri Poincaré.
26 novembre Élu membre étranger de la Société royale des Sciences de Göttingen.
Publication du premier tome des Méthodes nouvelles de la mécanique céleste.
1893
17 février Élu membre associé lorrain de l’Académie de Stanislas de Nancy. Son rapporteur
est le physicien nancéien Blondlot.
1er juin Naissance de Léon Poincaré (il entre à l’École Polytechnique en 1912).
22 juillet Nommé ingénieur en chef des mines.
4 janvier Élu membre du Bureau des Longitudes.
Publication du second volume des Méthodes nouvelles de la Mécanique céleste.
1894
26 avril Élu membre étranger de la Société royale de Londres.
16 mai Promu Officier de la Légion d’Honneur.
9 novembre Élu membre associé de la Société Royale Astronomique de Londres.
Henri Poincaré (1854-1912) : Des Mathématiques à la Philosophie 360
Annexe 1 : Quelques Repères Chronologiques sur Henri Poincaré
1895
6 mai Élu membre honoraire étranger de la Société royale d’Édimbourg.
29 décembre Élu membre correspondant de l’Académie Impériale des Sciences de Saint Peters-
bourg.
1896
5 novembre Poincaré prend la place de Tisserand à la chaire d’Astronomie mathématique et de
Mécanique céleste de la Faculté des sciences de Paris.
21 décembre Prix Jean Reynaud de l’Académie des Sciences de Paris.
30 janvier Élu membre correspondant de l’Académie royale des Sciences de Prusse, à Berlin.
1897
4 janvier Nommé président du Comité de rédaction du Bulletin astronomique, publié par
l’Observatoire de Paris.
11 mai Élu membre correspondant de l’Académie royale des Sciences d’Amsterdam.
15 juillet Décès de la mère de Poincaré.
7 octobre Nommé membre du Comité d’Admission à l’Exposition Universelle Internationale
de 1900, pour la classe 3 (enseignement supérieur), par le Ministre du Commerce et
de l’Industrie.
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20 novembre Élu membre étranger de l’Académie Royale des Sciences Physiques et Mathémati-
ques de Naples.
9 décembre Nommé membre de la Commission de Patronage de l’École Pratique des Hautes
Études.
1898
27 février Élu membre correspondant de l’Institut Royal Vénitien des Sciences, Lettres et Arts
de Venise.
22 avril Élu membre associé étranger de l’Académie Nationale des Sciences de Washington.
1899
5 avril Élu vice-président de la Société Astronomique de France.
21 avril Élu membre étranger de la Société Royale des Sciences du Danemark.
19 mai Élu membre de la Société Philosophique Américaine.
4 septembre Lecture d’une lettre de Poincaré au procès Dreyfus devant le Conseil de guerre de
Rennes critiquant les méthodes d’analyse du bordereau accusant le capitaine Drey-
fus.
Publication du troisième volume des Méthodes nouvelles de la mécanique céleste.
Élu président du Bureau des Longitudes.
1900
2 janvier Élu membre étranger de la Société Italienne des Sciences (dite des Quarante), à
Rome.
9 février Médaille d’or de la Société Royale Astronomique de Londres.
4 avril Reconduit à son poste de vice-président de la Société Astronomique de France.
6 juin Élu membre étranger de l’Académie Royale des Sciences de Suède, à Stockholm.
12 juin Docteur honoraire de l’Université de Cambridge.
12 juin Élu membre du Conseil international pour la publication de l’International Catalogue
of Scientific Literature.
18 juillet Élu membre correspondant de l’Académie Royale des Sciences de Bavière, à Mu-
nich.
6 - 12 août Président du Congrès des Mathématiciens (Paris).
6 - 12 août Élu vice-président du Bureau et Secrétaire Général du Congrès de Physique (Paris).
8 novembre Élu membre du Conseil de l’Observatoire National de Paris.
12 décembre Élu membre du Comité exécutif pour la publication de l’International Catalogue of
Scientific Literature.
Élu président de la Société Mathématique de France.
Henri Poincaré (1854-1912) : Des Mathématiques à la Philosophie 361
Annexe 1 : Quelques Repères Chronologiques sur Henri Poincaré
1901
3 avril Élu président de la Société Astronomique de France.
14 octobre Nommé membre du Conseil de Perfectionnement de l’École Polytechnique.
30 novembre Médaille Sylvester de la Société Royale Astronomique de Londres.
1902
9 avril Reconduit à son poste de président de la Société Astronomique de France.
5 mai Nommé membre du Conseil de Perfectionnement de l’École Supérieure des Postes
et des Télégraphes.
4 juillet Nommé professeur d’électricité théorique à l’École Professionnelle Supérieure des
Postes et des Télégraphes, à Paris.
6 septembre Nommé docteur honoris causa ès Mathématiques de l’Université Royale Frédéri-
cienne de Christiana.
15 décembre Élu membre associé de l’Académie Royale des Sciences, des Lettres et des Beaux-
Arts de Belgique, à Bruxelles.
Publication de La science et l’hypothèse, ouvrage de philosophie scientifique traduit
dans plus de 23 langues (plus de 16000 exemplaires vendus en France en 10 ans).
Élu président de la Société Française de Physique.
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1903
15 avril Élu membre honoraire de la Société des Sciences de Finlande (Societatis Scientiarum
Fennici), à Helsingfors.
14 juin Élu membre étranger de l’Académie Royale des Sciences de Turin.
24 juin Élu docteur honoraire en Sciences de l’Université d’Oxford.
3 août Élu membre correspondant de l’Académie Royale des Sciences de Vienne.
12 octobre Élu membre honoraire de la Société Mathématique de Kharkow.
8 janvier Élu docteur honoraire en Philosophie de l’Université de Kolosvar (Hongrie).
14 janvier Commandeur de la Légion d’Honneur.
25 janvier Élu président de la 36ème Assemblée Générale de la Société Amicale de Secours des
Anciens Élèves de l’École Polytechnique.
1904
14 février Rapporteur de la Commission du 3ème Concours du Prix Lobatchewsky. Il est élu
membre honoraire de la Société Physico-Mathématique de Kazan et obtient la Mé-
daille d’or Lobatchewsky de cette société.
18 avril La chambre du conseil de la Chambre criminelle demande à Poincaré Darboux et
Appell de procéder à une étude du bordereau accusant le capitaine Dreyfus, en vue
de la révision du procès.
24 septembre « L’état actuel et l’avenir de la physique mathématique » au congrès d’Art et de
Science de Saint-Louis (États-Unis).
1er octobre Nommé professeur honoraire d’astronomie générale à l’École Polytechnique. Cette
chaire étant menacée de suppression, Poincaré se propose de l’occuper sans salaire.
1905
18 avril Prix Bolyai de l’Académie Hongroise des Sciences.
15 juin Commandeur de 1ère classe de l’Étoile Polaire de Suède.
Publication de La valeur de la science, second ouvrage philosophique de Poincaré.
Sur la dynamique de l’électron », un des textes fondateurs de la théorie de la relati-
vité restreinte.
Élu vice-président de l’Académie des Sciences.
1906
23 mars Élu membre étranger de l’Académie Royale des Sciences de Hongrie, à Budapest.
Henri Poincaré (1854-1912) : Des Mathématiques à la Philosophie 362
Annexe 1 : Quelques Repères Chronologiques sur Henri Poincaré
1907
2 mars Nommé membre du Conseil de l’Observatoire National d’Astronomie Physique de
Meudon.
16 mars Élu membre honoraire de l’Académie Royale d’Irlande, à Dublin.
23 avril Docteur honoraire en Loi de l’Université de Glasgow.
Poincaré renonce à se porter candidat au poste de secrétaire perpétuel de
l’Académie des Sciences.
1908
5 mars Élu à l’Académie française, sur le fauteuil de Sully Prudhomme.
27 mars Élu vice-président du Conseil de l’Observatoire National de Paris.
3 avril Nommé professeur honoraire à l’École Polytechnique.
27 juin Élu membre honoraire de la Société des Sciences Physiques et Médicales
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d’Erlangen.
7 août Élu membre honoraire de l’Académie royale des Sciences de Vienne.
Membre de la Commission de la Médaille Guccia.
Édition du livre Science et méthode.
1909
22-28 avril Sur la demande des Curateurs de la Fondation Wolfskehl, Poincaré consent à faire
six conférences sur diverses questions mathématiques en Allemagne.
2 août Médaille d’or de l’Association Française pour l’Avancement des Sciences.
19 novembre Docteur honoris causa de l’Université Libre de Bruxelles.
7 décembre Docteur honoris causa en philosophie de l’Université de Stockholm.
Élu président du Bureau des Longitudes.
1910
Mars Raymond Poincaré est élu à l’Académie française.
12 novembre Docteur honoris causa en médecine et chirurgie de l’Université de Berlin.
Élu président du Bureau des Longitudes.
1911
27 mai Nommé membre du Comité d’Exploitation Technique des Chemins de fer.
3 juin Élu membre du Comité d’Honneur de la Ligue pour la Culture Française fondée par
Jean Richepin.
11 juillet Nommé membre de la Commission Supérieure d’Enseignement Technique et Pro-
fessionnel des Postes et Télégraphes.
1912
janvier-avril Élu directeur de l’Académie française.
17 juillet Décès de Henri Poincaré.
1913
12 juin Mariage de Jeanne Poincaré avec Léon Daum (ingénieur du Corps des Mines).
Édition de Dernières pensées, ouvrage posthume composé par sa famille.
Sur les Mesures de Parallaxes
Lorsqu’un observateur regarde le ciel nocturne à plusieurs époques de l’année, il peut consta-
ter que les étoiles n’occupent pas toujours la même position relative dans le ciel. C’est ce que
les astronomes appellent l’effet parallactique, effet qui peut se définir comme suit : un observa-
teur terrestre T qui se déplace au cours de l’année autour du Soleil S voit un astre immobile
proche E dans une direction qui varie avec la position de l’observateur (cf. Figure 7).
E
T3
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S
T1
T2
Figure 7
L’effet parallactique
Ainsi, selon la position de la Terre par rapport au Soleil (T1, T2, T3, …, Tn), une étoile E
n’apparaîtra pas à la même position dans le ciel pour l’observateur. Cet effet est un phéno-
mène subjectif.
Comment mesure-t-on les distances qui séparent la Terre des autres planètes, de la Lune ou
des étoiles ? On sait que l’astronomie a fait de tels progrès que diverses méthodes très perfec-
tionnées sont utilisées. Il en est cependant une, relativement simple, qui existe depuis des
siècles et qui a rendu bien des services pour la mesure de la distance des étoiles les plus pro-
ches : la méthode parallactique.
C ] Elément à déterminer
( B
A )
Base
Figure 8
Détermination de la distance d’un point inaccessible
Le problème qui se pose dans le cas des étoiles est celui de la détermination de la distance
d’un point inaccessible. Dans son essence c’est un problème géométrique. Si on se donne deux
postes de mesure A et B dont l’écartement AB (la base) est connu, on pourra mesurer les angles
ABC et BAC (cf. Figure 8 ci-dessus).
Henri Poincaré (1854-1912) : Des Mathématiques à la Philosophie 364
Annexe 2 : Sur les Mesures de Parallaxes
Connaissant ainsi, dans le triangle ABC, la longueur d’un côté AB et la valeur des trois angles,
on peut déduire facilement la longueur des autres côtés AC et BC. L’angle au sommet ABC est
appelé parallaxe de C.
Facilement utilisable dans le domaine de l’arpentage, la mesure de parallaxe se complique
considérablement quand elle concerne des objets célestes. En effet, en arpentage on a toujours
la possibilité de choisir une base très large par rapport au triangle à considérer, de manière à
avoir des angles suffisamment ouverts et donc faciles à mesurer. En astronomie, par contre, du
fait de l’éloignement énorme des corps dont on veut évaluer la parallaxe, il est très difficile de
définir une base suffisamment large et on se retrouve le plus souvent avec des triangles très
étirés dont les angles ne se mesurent pas facilement.
La plus grande base dont peuvent disposer les astronomes est la longueur du diamètre de la
Terre. Elle suffit à mesurer la distance qui sépare de la Terre de la Lune puisque l’effet paral-
lactique dépasse le degré d’angle. Cependant, le diamètre terrestre est bien peu comparé à la
distance qui nous sépare du Soleil ; l’effet parallactique est insuffisant pour déterminer cette
distance, le triangle à considérer étant beaucoup trop étiré pour que l’on puisse procéder à une
mesure précise de ses angles. Il en est de même lorsqu’on tente de rapporter la distance des
étoiles à la longueur du diamètre de la Terre.
Cependant, la Terre décrit une orbite autour du Soleil sur un rayon de 150 millions de kilomè-
tel-00137859, version 1 - 22 Mar 2007
tres de rayon. Donc, entre les deux positions limites de son orbite, l’observateur se trouve
déplacé de quelques 300 millions de kilomètres. Bien qu’impressionnante, cette distance est à
peine suffisante pour calculer les distances des étoiles les plus proches. En effet, cette distance
de 300 millions de kilomètres (le diamètre de l’orbite terrestre), vue depuis l’étoile la plus
proche, ne sous-tend qu’un angle de moins de deux secondes d’arc, ce qui correspond à peu
près à l’angle sous lequel on voit 1 millimètre à 203 mètres (le triangle représenté sur la Figure
9 serait bien sûr beaucoup plus étiré dans la réalité).
E
T1
S T2
BASE
300 Millions de kilomètres
Figure 9
La parallaxe stellaire (i)
Les parallaxes stellaires connues actuellement sont toujours inférieures à 1 seconde d’arc. Une
seconde d’arc correspondant à un éloignement égal à 206265 fois la longueur du rayon terres-
tre. Cette distance, le parsec (parallaxe égale à une seconde), a été adoptée comme unité de
mesure pour les distances stellaires.1
La procédure pour mesurer la distance séparant la Terre d’une étoile proche est donc la sui-
vante (cf. Figure 10) : puisque la révolution de la Terre est de un an, cette planète doit se trou-
ver, à tout moment, à l’opposé de la position qu’elle occupait six mois auparavant. Par consé-
quent, la distance d’un point quelconque de l’orbite terrestre au point où passe l’orbite terres-
tre à six mois d’intervalle est égale au diamètre de cette orbite, soit 300 millions de kilomètres.
Connaissant la base T1ST2 et, en principe, l’angle T1ET2, on peut déduire par le calcul la dis-
tance T2E ou SE. En fait, les astronomes se contentent de déterminer la valeur moyenne de
l’angle T1ET2, c’est-à-dire l’angle SET2 (p) qui correspond au rayon de l’orbite terrestre (c’est
d’ailleurs cet angle qui est appelé la parallaxe de l’étoile).
T1
E
S
Soleil Fond du ciel
parallaxe ( (p)
Etoile proche
T2
Figure 10
La parallaxe stellaire (ii)
Comme on peut en juger d’après la largeur de la base, les parallaxes sont très petites. Ainsi la
parallaxe de l’étoile a du Centaure, l’une des étoiles les plus proches de la Terre, est de 0,76’’.
La première parallaxe mesurée en utilisant cette méthode trigonométrique a été celle de l’étoile
tel-00137859, version 1 - 22 Mar 2007
61 du Cygne. Cette parallaxe fut obtenue en 1838 par l’astronome allemand Bessel. Il mesura
une parallaxe de 0,37’’ (9 années lumière) alors que l’on sait maintenant qu’elle est d’environ
0,30’’ (11 années lumière).
La méthode trigonométrique n’est valable que jusqu’à une distance limite d’une centaine de
parsecs environ (soit 300 années lumière). Au-delà, il faut utiliser d’autres méthodes de me-
sure des parallaxes. On en connaît plusieurs, à commencer par la méthode des parallaxes hypo-
thétiques qui fait appel aux mouvements des étoiles et du Soleil (sur une période relativement
longue, dix, vingt, ou cinquante ans). Une autre méthode est celle des parallaxes dynamiques qui
ne s’applique qu’aux étoiles doubles. Enfin, la méthode la plus utilisée de nos jours est celle
des parallaxes spectroscopiques qui repose sur la comparaison des éclats apparents observés des
étoiles avec leurs éclats absolus, déduits de l’étude de certains détails de leurs spectres (dans
ce cas, il suffit de mesurer l’éclat apparent d’un astre pour en déduire, par comparaison, sa
distance).
Le Voyage d’Études
d’Émile Boutroux à Heidelberg
Archives Nationales (F17 / 22028)
apporter à la composition, à la forme et au débit de leurs leçons le même soin que les profes-
seurs français. Ils parlent en général très vite, sans presque jamais s’interrompre, et en prenant
à peine le temps de respirer. Le seul professeur que je comprenne à peu près est M. Zeller,
professeur de philosophie, qui dicte un cours écrit à l’avance, en donnant de temps en temps
des explications et des exemples. J’essayerai de porter un jugement sur les professeurs alle-
mands quand je les comprendrai bien, et quand j’aurai suivi leurs cours pendant quelque
temps ; mais je puis dire qu’à première vue, ils ne rappellent en rien la manière française. Je ne
sais s’ils ont plus que nous le désir d’instruire ; mais à coup sûr ils s’occupent beaucoup moins
de plaire.
Ils ont d’ailleurs, en ce moment, pour captiver l’attention, d’autres ressources que les agré-
ments de la forme. Les Allemands ont les yeux fixés sur la France et sur son gouvernement. Je
crois qu’ils parlent à peu près de nous comme Démosthène parlait de Philippe. Ils sont per-
suadés que la France convoite une partie de leur pays. Aussi les questions politiques sont-elles
le thème habituel des professeurs allemands ; et M. Treitschke, professeur d’histoire, qui paraît
être hostile à la France, a un très grand nombre d’auditeurs. Il s’anime quand il parle des vic-
toires de Frédéric II sur les Français, et les auditeurs manifestent leur approbation en battant
des pieds sur le plancher. Je vois, à la fin des leçons, se dérouler de longues phrases, dans
lesquelles les mots Einheit und Freiheit, unité et liberté, reviennent continuellement. Je crois que
les cours d’histoire en particulier ont, en ce moment à Heidelberg, un caractère plus politique
que scientifique ; et les passions politiques sont assez vives pour que le professeur qui les met
de son côté n’ait pas besoin de faire des frais d’éloquence.
Si les professeurs me paraissent mal disposés envers la France considérée comme nation, ils
font au contraire bon accueil aux individus. Muni de la lettre par laquelle vous me confiez une
mission en Allemagne, Monsieur le Ministre, je n’ai eu qu’à me présenter pour être bien reçu.
Lundi prochain les professeurs que je connais déjà vont me présenter à leurs collègues, et je
pourrai alors assister chaque semaine à la réunion scientifique qui a lieu entre les professeurs.
Je profiterai ainsi d’une institution qui est excellente, et que nous devons, ce me semble, beau-
coup envier aux Allemands. Par suite des relations continuelles qui existent entre les profes-
seurs des différentes branches, chacun s’habitue à apprécier même les objets d’étude dont il ne
s’occupe pas spécialement, à comprendre la Solidarité de toutes les parties de la Science, et,
tout en concentrant ses recherches sur une question particulière, à emprunter aux Sciences
voisines tout ce qui peut répandre quelque lumière sur cette question. C’est, je crois, dans cette
pensée, Monsieur le Ministre, que vous avez supprimé la bifurcation. Vous ne comprenez pas
ce que peut être un lettré qui n’a aucune connaissance scientifique, une forme qui ne
Henri Poincaré (1854-1912) : Des Mathématiques à la Philosophie 367
Annexe 3 : Le Voyage d’Études d’Émile Boutroux à Heidelberg
s’applique à aucune matière. Malheureusement la bifurcation existe encore en fait parmi les
professeurs. Je ne vois guère qu’il y ait échange d’idées, à l’École Normale, entre les Littéraires
et les Scientifiques, et cette séparation, qui existe déjà à l’École, devient, dans la suite, plus
profonde encore. Le développement intellectuel de nos savants et de nos lettrés n’en souffre-t-
il pas ?
J’ai dit que les Allemands n’ont pas, pour chaque français en particulier, l’antipathie qu’ils
semblent avoir pour la nation française. Il y a une opposition analogue dans le jugement qu’ils
portent sur nous au point de vue scientifique. Ils considèrent le Français en général comme
léger, frivole, bon tout au plus à défrayer le monde de modes nouvelles et de vaudevilles, mais
ils veulent bien faire une exception pour chaque Français en particulier. Je causai avant-hier
avec M. Oncken, professeur d’histoire, qui s’occupe, il est vrai, plus que ses collègues de ce qui
se publie en France. Il me parla de plusieurs écrivains français qu’il considérait comme très
savants et qui lui avaient beaucoup appris. Il me montra en particulier votre Histoire de
France dont il fait, me dit-il, le plus grand cas. Je le crus sans peine, car le livre paraissait avoir
été beaucoup lu. M. Oncken convient que les Allemands ont beaucoup à gagner en lisant nos
livres, mais il demande aussi que nous nous mettions au courant de ce qui se fait en Allema-
gne. Il a une grande estime pour vous, Monsieur le Ministre, parce que vous partagez cette
opinion et qu’en ce moment même vous prenez l’initiative d’une mesure qui établirait des
tel-00137859, version 1 - 22 Mar 2007
relations étroites entre les Savants des deux pays. M. Oncken doit faire un voyage à Paris ; et,
apprenant que j’étais votre ancien élève, il m’a demandé si je ne pourrais pas vous prier de le
recevoir. Je lui ai dit que je vous en parlerai, et que, si vous aviez quelques instants à lui don-
ner, il trouverait certainement auprès de vous un accueil bienveillant.
Je n’ose pour cette fois, Monsieur le Ministre, vous donner sur l’organisation de
l’enseignement supérieur en Allemagne les détails que me demandent MM. Ravaisson et Janet
dans leurs instructions. Mes observations sont encore trop superficielles. Je n’ai pas pu non
plus me faire encore une opinion sur quelques sujets importants que m’a indiqués M. Chéruel,
lorsque, sur votre conseil, j’ai été le voir à Strasbourg. Je dirai seulement un mot du mode
d’enseignement que j’ai vu appliquer à Strasbourg et qui est très répandu en Allemagne : je
veux parler des conférences où les étudiants sont admis à demander des explications et soute-
nir leurs propres idées. À Strasbourg, M. Maurial en particulier, sans nommer les autres,
donne chaque semaine une ou deux séances, dans lesquelles les jeunes gens font des exposi-
tions sur des sujets indiqués ou approuvés par lui, à peu près comme on fait en 3° année à
l’École Normale. À Heidelberg, je vois M. Oncken, dont je vous parlais tout à l’heure, réunir
chez lui plusieurs auditeurs et leur faire étudier tous les documents originaux relatifs à la
Révolution française. C’est dans les conférences de ce genre que le savant est professeur et non
plus seulement orateur. C’est alors qu’il peut étudier à fond une question, au lieu d’en faire
seulement l’occasion d’un brillant discours ; et, s’il est naturellement éloquent, cette nécessité
d’entrer dans les détails donne du corps à son éloquence. C’est ainsi que j’ai entendu à Stras-
bourg, M. Fustel de Coulanges exprimer dans un langage d’une élégance parfaite des idées
très précises et rigoureusement prouvées par des faits sur la politique des rois de France pen-
dant les guerres de Religion. Les conférences dont je parle, n’existent pas, ce me semble, dans
les Facultés de Paris. Il est vrai que le grand nombre des auditeurs est peut-être un obstacle.
De plus, les professeurs sont déjà sans doute assez occupés. Que diraient nos professeurs de
Faculté s’il leur fallait faire quatre, cinq et six leçons par semaine, comme font les professeurs
allemands ?
Je n’ai pas encore fait le choix d’un ouvrage philosophique à traduire, pour soumettre ce
choix, Monsieur le Ministre, à votre approbation. Je désire en causer avec les professeurs de
Heidelberg. Mais pour employer mon temps et répondre de mon mieux à votre désir j’ai en-
trepris la traduction d’un discours prononcé par M. Zeller au mois de novembre dernier, dans
une réunion de tous les professeurs de l’Université et qui traite de la position de la philoso-
phie en face des autres Sciences. Il me semble que telle est bien la question à l’ordre du jour,
relativement à la philosophie. On se demande si elle a encore raison d’être, après les découver-
Henri Poincaré (1854-1912) : Des Mathématiques à la Philosophie 368
Annexe 3 : Le Voyage d’Études d’Émile Boutroux à Heidelberg
tes innombrables dues à l’emploi exclusif de la méthode expérimentale. Des deux procédés de
recherche, dont l’un n’a abouti qu’à des résultats contradictoires, dont l’autre a établi des véri-
tés universellement admises, le premier ne doit-il pas être sacrifié au second ? Cette question,
traitée par l’un des métaphysiciens les plus éminents de l’Allemagne, m’a paru présenter un
vif intérêt. À défaut d’autres documents, le discours de M. Zeller suffirait presque à nous faire
connaître la place que la philosophie occupe en ce moment en Allemagne.
Je vous enverrai prochainement, Monsieur le Ministre, la traduction de ce discours, et je vous
indiquerai en même temps le titre d’un ouvrage de longue haleine que je traduirai pendant le
semestre d’été, si vous voulez bien approuver mon choix.
Agréez, je vous prie, Monsieur le Ministre, l’assurance des sentiments très respectueux de
votre ancien élève.
Heidelberg le 28 janvier 1869
Lauerstrasse, n°=1
Heidelberg, Grand duché de Bade.
À son excellence, Monsieur le Ministre de l’Instruction Publique ».
ces deux résultats. Aussi ai-je rarement vu les conférences de la Sorbonne (je parle surtout des
conférences scientifiques) satisfaire également tout l’auditoire. Ce qui est accessible au public,
et ce qu’il écoute avec intérêt, ce sont les résultats précis et clairement démontrés. Ce que de-
mandent les savants ce sont les hypothèses, les vues encore téméraires et paradoxales d’où
peut jaillir le progrès. Tantôt l’orateur parle dans le premier sens, et il ennuie les savants ;
tantôt il parle dans le second, et il n’est pas compris de la foule. Trouver le milieu est fort diffi-
cile, et c’est peut-être le moyen de n’être apprécié ni des savants, ni de la foule. S’il existait des
réunions composées uniquement de savants de toutes les branches, on pourrait, dans ces ré-
unions, traiter les questions au point de vue analytique qui est celui de la recherche, tandis
que dans les réunions analogues aux Soirées de la Sorbonne, on se placerait surtout au point
de vue synthétique, qui est celui de l’enseignement.
Peut-être vous sera-t-il agréable, Monsieur le Ministre, d’avoir quelques chiffres sur les cours
qui auront lieu à Heidelberg pendant le semestre d’été. Voici ceux que je lis dans le catalogue.
Faculté de philosophie (c’est-à-dire : 1° philosophie proprement dite, 2° philologie et archéo-
logie, 3° branches historiques, 4° sciences mathématiques, 5° sciences naturelles, 6° sciences
sociales, 7° esthétique) : vingt professeurs ordinaires ; onze professeurs extraordinaires ; 21
Privat-Docenten. 12 cours pour la philosophie proprement dite ; 41 cours de philologie et
d’archéologie ; 17 cours d’histoire ; 19 cours de mathématiques ; 39 cours de sciences naturel-
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les ; 7 cours de sciences sociales ; 2 cours d’esthétique. Ce que je remarque d’abord dans ces
chiffres, c’est le grand nombre de cours de philologie. Les Allemands font bien peu de cas de
la Science française pour cette branche en particulier. J’espère que la création de l’École des
Hautes Études leur montrera que les Français sont capables d’érudition aussi bien que
d’éloquence. Sur le chapitre de l’érudition, les Allemands ne ménagent pas leur admiration
aux Français du XVIème siècle. Mais depuis lors, disent-ils, les Français n’ont rien produit. Ils
me questionnent sur l’organisation de l’École Normale, sont fort étonnés que l’on ne s’y oc-
cupe pas davantage de recherches d’érudition et ne comprennent absolument pas comment il
se fait que la section de grammaire se recrute ordinairement parmi les élèves les moins distin-
gués. C’est pourtant, sauf un petit nombre d’exceptions, ce que j’ai vu pendant les trois ans
que j’ai passés à l’École ; et, malgré le soin que j’apporte à ne rien dire qui puisse rabaisser la
France dans l’esprit des Allemands, je devais à la vérité de confesser cette tradition établie à
l’École Normale. Ceci est très sévèrement jugé par les Allemands. Ils y voient la marque de la
préférence toujours vivace des Français pour le beau style, pour la forme vide de l’Éloquence.
L’École des Hautes Études leur donnera tort, et ceux qui me succéderont ici pourront, j’espère,
dire hautement qu’on n’a pas besoin de former des philologues à l’École Normale, parce que
la philologie ne peut entrer dans l’enseignement élémentaire des lycées et parce que les études
philologiques sont fortement constituées dans une école voisine.
Ce qui étonne encore un Français dans les chiffres que je viens de transcrire, c’est la multitude
de cours comparée au nombre de professeurs. Chaque professeur a 6, 8 et 10 heures de cours
par semaine. Ceci s’explique par plusieurs raisons : d’abord, sans établir de comparaison avec
nos professeurs, je dois dire que les professeurs allemands sont extrêmement laborieux. Au
point de vue matériel, la masse de leur ouvrage est considérable. De plus, les professeurs ne
font souvent que lire ou réciter un cours tout fait depuis plusieurs années ; pour ce genre de
cours, le travail de préparation est à peu près nul. Enfin, les professeurs ont intérêt à faire
beaucoup de cours puisqu’ils sont payés par leurs auditeurs. À ce propos, l’on se fait souvent
des illusions en France lorsqu’on envie la situation des professeurs allemands. Je me garde
bien de dire que la rétribution des professeurs en France ne laisse rien à désirer car il est bien
difficile pour un professeur français qui n’a que son traitement de tenir dans le monde la place
qui lui convient. Mais enfin les débuts du professorat sont incontestablement plus faciles en
France qu’en Allemagne. Les auditeurs payent en général 2 florins par leçon hebdomadaire
pour un semestre. Un professeur qui donne 10 heures de leçons par semaine reçoit 20 florins
par auditeur pour un semestre. S’il a 20 auditeurs (ce qui est rare à cause du grand nombre de
professeurs), il reçoit 400 florins par semestre, soit 800 florins par an, c’est-à-dire environ 1700
Henri Poincaré (1854-1912) : Des Mathématiques à la Philosophie 370
Annexe 3 : Le Voyage d’Études d’Émile Boutroux à Heidelberg
francs ; et s’il n’est que Privat-Docent ou professeur extraordinaire, il ne reçoit rien de l’État.
On dit souvent qu’on vit à meilleur marché en Allemagne qu’en France. Jusqu’ici je ne m’en
aperçois pas. À Heidelberg, sauf les logements, tout est aussi cher qu’à Paris. Donc, la position
d’un professeur qui débute, est ici, au point de vue matériel, plus modeste qu’en France. Les
Privat-Docent n’ont souvent que 3 ou 4 auditeurs. M. Oncken, professeur d’esthétique très
distingué, d’après ce que j’entends dire, n’avait qu’un auditeur, le jour où j’ai été assister à son
cours. Grâce à moi, il a pu dire : Meine Herrn, au pluriel. D’où vient alors la considération dont
sont entourés les professeurs en Allemagne ? Car tout le monde sait qu’elle est bien plus
grande qu’en France. Il y a très peu de commerce et d’industrie, point de garnison :
l’Université est toute la ville. Nul doute qu’à Paris les professeurs ne jouissent également
d’une haute considération, si Paris se composait exclusivement de professeurs et d’étudiants.
Je crois qu’il n’y a pas en Allemagne une séparation aussi grande qu’en France entre
l’enseignement secondaire et l’enseignement supérieur. On s’en aperçoit déjà en entrant dans
les salles de cours. Elles sont semblables aux classes de nos lycées : il y a pour les auditeurs,
non seulement des bancs, mais encore des tables. Le professeur est debout dans sa chaire. De
plus, il y a des professeurs qui dictent très lentement, afin que les étudiants puissent prendre
par écrit le cours entier. Les étudiants n’applaudissent jamais : aux leçons d’histoire seulement
ils manifestent parfois leur approbation en frappant des pieds, par exemple lorsque M. Treits-
tel-00137859, version 1 - 22 Mar 2007
chke fait entre Napoléon et Frédéric II un parallèle tout à l’avantage du dernier, ou encore
lorsqu’il dit que l’histoire moderne compte cinq grandes campagnes, dont la dernière est Sa-
dowa. Mais d’ordinaire, les auditeurs ont l’attitude soumise et respectueuse qui convient aux
élèves en face du maître. On ne peut pas, comme en France, entrer et sortir au milieu du cours.
Si l’on arrive en retard, les étudiants frottent les pieds contre le plancher. Ces différences
s’expliquent en partie par la nature de l’enseignement supérieur des universités allemandes,
J’ai suivi assidûment jusqu’ici le cours de M. Zeller qui est pour la philosophie le professeur le
plus distingué de Heidelberg. Ce cours, si excellent qu’il soit, ne répond pas à l’idée que nous
nous faisons de l’enseignement supérieur. C’est un résumé très clair, très net et très impartial
de l’histoire de la philosophie, tel que nous devons le faire dans les lycées. Le professeur
s’adresse à des commençants, et ne peut évidemment pas entrer bien profondément dans
l’examen des questions métaphysiques. J’entends aussi quelquefois M. Helmholtz qui fait un
cours tel que j’aurais été bien heureux d’en trouver un à l’École Normale. Il parle sur les résul-
tats généraux des Sciences, et convie à ce cours les étudiants de toutes les Facultés.
J’ai traduit une brochure de M. Zeller sur les rapports de la philosophie avec les autres scien-
ces. J’avais ensuite commencé la traduction d’un discours de M. Helmholtz sur les rapports
des sciences naturelles avec les autres sciences, mais j’ai appris que ce discours avait déjà été
traduit en français, et je l’ai laissé de côté. Je traduis maintenant un discours de M. Zeller inti-
tulé : « Du rôle et de l’importance de la théorie de la connaissance ». M Zeller revoit en ce
moment la traduction que j’ai faite de sa brochure. Je dois également lui soumettre le travail
qui m’occupe en ce moment. Je compte ensuite traduire un ouvrage de longue haleine. J’ai
écrit à ce sujet à MM. Ravaisson et Janet, en leur indiquant plusieurs titres. Je n’ai pas encore
reçu de réponse. On me recommande beaucoup ici une histoire de la philosophie de Schwe-
gler qui n’est pas très longue (un volume seulement) et qui paraît très claire : deux qualités
rares dans les livres allemands. Cet ouvrage de Schwegler est ici le manuel des étudiants en
philosophie. Peut-être pourrait-il être utile aux élèves de nos lycées, et même aux élèves de
l’École Normale.
J’ai l’intention, pendant le second semestre, de ne pas me borner à traduire un livre, mais de
faire en outre l’analyse de plusieurs ouvrages remarquables. La plupart des ouvrages alle-
mands sont très longs. Et d’après ce que j’ai entendu dire en France, assez diffus. Les traduire
en entier est un travail considérable et souvent ingrat. Je souhaiterais que ces missions à
l’étranger soient organisées sur une grande échelle, et que les personnes envoyées en mission
fissent connaître en France, par des analyses entremêlées de traductions, tout ce qui se publie
d’important en Allemagne dans tourtes les branches. Je tâcherai de faire ce travail pendant
Henri Poincaré (1854-1912) : Des Mathématiques à la Philosophie 371
Annexe 3 : Le Voyage d’Études d’Émile Boutroux à Heidelberg
mon séjour en Allemagne pour ce qui est de la philosophie. Peut-être trouverai-je quelque
recueil qui consentira à publier mes analyses. Si personne ne veut s’en charger, je les écrirai en
un volume. Mais le mieux serait certainement qu’il se fondât un recueil périodique ayant pour
objet de faire connaître en France, par des analyses impartiales et impersonnelles, non par de
brillants articles de critique, les publications importantes qui ont lieu à l’étranger.
Le premier semestre se termine le 15 de ce mois, et le semestre d’été commence le 15 du mois
prochain. Mes parents désirent que je passe quelques jours auprès d’eux pour prendre part à
plusieurs affaires de familles. Je me propose donc, Monsieur le Ministre, si vous n’y voyez pas
d’inconvénient, de faire un voyage à Paris pendant les congés. J’aurai l’honneur d’aller vous
voir au Ministère, si vous voulez bien me le permettre.
Agréez, je vous prie, Monsieur le Ministre, l’assurance des sentiments très respectueux de
votre ancien élève.
Heidelberg le 28 janvier 1869
Lauerstrasse, n°=1
Heidelberg, Grand duché de Bade.
À son excellence, Monsieur le Ministre de l’Instruction Publique.
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Rapport sur les Titres de M. Jules Tannery
1
C’est souvent une tâche embarrassante que de soutenir un candidat à une place d’Académie
libre et de rendre compte de ses titres. Il faut à la fois démontrer qu’il n’a pas moins de mérite
que la plupart des aspirants aux sections et pourtant que ce mérite, sans être moins grand, est
de nature différente et ne saurait lui ouvrir les portes d’une section.
Cet embarras, je ne l’éprouve pas aujourd’hui. Certes, par ses études, par son enseignement,
par ses travaux mêmes, M. Tannery est un mathématicien. Mais il n’a jamais aspiré à entrer
dans la section de géométrie et personne ne s’étonne qu’il n’y ait songé, encore que, par la
profondeur et la finesse de son esprit, par les services qu’il a rendus, par l’influence qu’il a
exercée, il ait sa place marquée parmi nous.
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C’est qu’il y a deux manières de contribuer aux progrès des sciences mathématiques. Les uns
marchent en avant, créent des méthodes, découvrent des théorèmes nouveaux. C’est à ces
inventeurs que la section de géométrie doit être réservée. Mais d’autre réfléchissent sur les
principes, critiquent les méthodes et discutent de la portée philosophique. Ils éclaircissent le
chemin que d’autres ont frayé et par là le rendent aisément accessible à de nouvelles généra-
tions qui doivent le parcourir rapidement pour marcher à leur tour à d’autres conquêtes. Que
dis-je, ils aident souvent les inventeurs eux-mêmes à se rendre compte de la portée de leurs
propres inventions.
Croit-on que l’œuvre de ces travailleurs soit moins utile, et l’influence de leur pensée, pour
être moins immédiate, en est-elle moins profonde et moins durable ?
De tout temps les principes des mathématiques et en particulier ceux du calcul infinitésimal
ont soulevé les problèmes philosophiques les plus délicats. Notre Académie n’en a jamais
méconnu l’importance, et elle a toujours réservé une place, en dehors des sections, aux pen-
seurs qui se sont efforcés de résoudre ces questions. J’en pourrais citer, parmi nos confrères
actuellement vivants, un exemple illustre.
M. Tannery a réfléchi toute sa vie à ces problèmes, et je dirai plus loin quelles solutions il en a
proposé, mais la nature même de ses fonctions l’a conduit à les envisager sous un biais tout
particulier. Sous-directeur des études à l’École Normale Supérieure, il avait à former les futurs
maîtres de nos lycées. / Il ne lui suffisait donc pas de pénétrer la nature de la pensée mathé-
matique dans sa pureté finale et telle qu’elle est quand elle a pris conscience d’elle-même. Il lui
fallait étudier la lente élaboration dans le cerveau de l’enfant, puis de l’étudiant. La formation
historique des concepts mathématiques a suivi un ordre qui s’est beaucoup écarté de leur
enchaînement logique, et c’est de cet ordre historique plutôt que de l’ordre logique que le
pédagogue doit s’inspirer. M. Tannery devait à la fois montrer à ses auditeurs comment se
présente à nos yeux la vérité mathématique quand tous les voiles sont enlevés et avec quelles
précautions ces voiles doivent être retirés un à un en présence des débutants.
À côté du savant et du philosophe, j’aurai donc à vous parler du pédagogue ; mais ce dernier
ne nous laisse pas seulement des écrits ; ses œuvres véritables ce sont les savants qu’il a for-
més, et parmi les jeunes gens dont les noms ont été dernièrement inscrits sur la liste des can-
didats présentés par la section de géométrie, plus d’un vous dirait quelle part revient à M.
Tannery dans la genèse de son talent.
Je commencerai donc par les travaux dont la tendance est avant tout philosophique. Il y a un
demi-siècle, on parlait encore des mystères du calcul infinitésimal et on répétait le mot de
d’Alembert : Allez, allez toujours et la foi vous viendra. Aujourd’hui il n’y a plus de mystère,
tout s’enchaîne logiquement prenant le nombre entier comme élément, on peut construire des
édifices de plus en plus compliqués, tels que le nombre rationnel, le nombre incommensura-
ble, le nombre complexe, les infiniment petits, les dérivées, etc. Ces édifices, maintenant qu’on
en a pénétré la structure, n’ont plus rien d’obscur et leur solidité logique est la même que celle
du nombre entier qui a servi à les construire.
Ce sont les idées que M. Tannery a exprimées avec une parfaite clarté dans une petite bro-
chure intitulée Introduction à la théorie des fonctions d’une variable ; il est permis de dire que cette
brochure a dissipé les derniers brouillards.
L’auteur est revenu sur ces questions dans un article de la Revue des sciences intitulé sur l’Infini
Mathématique. On sait que grâce aux travaux de M. Cantor, on a vu naître, pour ainsi dire un
nouveau calcul infinitésimal ; où l’on n’a plus affaire à ces infiniment petits de Leibnitz qui,
décroissant sans cesse sans jamais s’annuler, sont dans un perpétuel devenir ; mais à des suites
qui sont à la fois déterminées et infinies, ou comme dit Cantor, transfinies.
Depuis nous nous sommes accoutumés à entendre les combinaisons de mots que nos pères
avaient jugées vides de sens ; mais ne nous étonnons plus par exemple quand on nous parle
de l’infini plus un, de l’infini multiplié par deux ou quand on nous dit qu’il n’y a pas / plus de
points dans l’espace que sur une droite. Mais il fallu quelque temps, et bien longtemps ces
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sièreté des résultats expérimentaux que l’on peut espérer obtenir dans un pareil sujet. D’autre
part cet énoncé suppose que l’on sait mesurer la sensation et l’excitation ; ce n’est donc que
par une convention spéciale qu’il peut acquérir un sens. En ce qui concerne la sensation, cette
convention n’a pas été explicitement formulée, mais il est aisé de suppléer au silence de
l’auteur ; la différence des sensations A et B sera réputée égale à celle des sensations C et D si
les sensations A et B sont aussi faciles à distinguer l’une de l’autre que les sensations C et D.
En ce qui concerne l’excitation, il faut une convention nouvelle pour chaque espèce
d’excitation. On ne doit donc pas s’attendre à ce que la loi ait le caractère général qu’on avait
d’abord voulu lui attribuer. C’est ce que M. Tannery a montré avec évidence et en effet des
expériences ultérieures ont montré que les excitations visuelles par exemple suivent des lois
toutes différentes.
Les œuvres pédagogiques de M. Tannery se répartissent naturellement en deux catégories, les
ouvrages d’enseignement et les écrits où il expose ses idées pédagogiques.
Parmi les premiers, je citerai un traité d’arithmétique élémentaire et deux remarquables leçons
de cinématique où la théorie des vecteurs est présentée sous une forme claire et simple.
Dois-je célébrer à côté de ces ouvrages, le Traité des fonctions elliptiques qui est bien un livre
d’enseignement, mais qui n’est pas seulement cela, car on y rencontre à tout moment une idée
originale. Parmi les écrits où sont exposées ses idées pédagogiques, la notice de M. Tannery
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n’en cite qu’un seul, un article de la Revue de Paris, où il demande dans l’enseignement se-
condaire pour les sciences expérimentales une place plus en rapport avec leur importance.
Mais qu’on me permette d’ajouter que les revues spéciales sont pleines d’articles semblables
qui ont exercé beaucoup d’action et que dans les préfaces des ouvrages philosophiques dont
j’ai parlé plus haut, l’auteur ne perd pas une occasion de revenir sur ses vues pédagogiques. /
M. Tannery dirige depuis de longues années, en collaboration avec M. Darboux le Bulletin des
sciences mathématiques. Le recueil publie des analyses de tous les mémoires mathématiques
récemment parus. Beaucoup de ces analyses sont signées par M. Tannery, mais sa signature
était inutile, le tour particulier de son esprit et de son style, la finesse de sa critique auraient
suffi pour le faire reconnaître. Nos confrères ont d’ailleurs pu en juger par les citations qui se
trouvent dans la Notice. Je ne sais si c’est avec intention que l’auteur a, dans ces citations,
rapproché ce qu’il a écrit de M. Klein et de M. Méray, c’est-à-dire de deux esprits mathémati-
ques qui sont pour ainsi dire l’antipode l’un de l’autre. Il a là deux ingénieux aperçus de psy-
chologie mathématique que le contraste fait encore mieux ressortir. De pareilles analyses ne
sont pas seulement une besogne utile, propre à alléger la tâche matérielle du travailleur ; par le
biais nouveau sous lequel elles montrent les choses, elles contribuent directement au progrès.
C’est encore presque un ouvrage d’enseignement que la thèse de M. Tannery sur les équations
linéaires. M. Fuchs avait découvert de nombreux théorèmes qui remplissaient de gros volu-
mes, et voilà que tout ce qui était dans ces gros volumes tient maintenant dans une brochure
de quelques feuilles et que cependant l’exposition a gagné en clarté ce qu’elle perdait en éten-
due. Tâche modeste en apparence : « Ceux qui aiment la science, disait M. Tannery dans son
introduction, et qui ont trop de raisons de se défier de leurs facultés d’invention, ont encore un
rôle utile à jouer, celui d’élucider les recherches des autres et de les répandre ». Il est arrivé
pourtant qu’aujourd’hui les Allemands eux-mêmes aiment mieux étudier cette théorie dans le
commentaire français que dans l’original allemand. M. Tannery a depuis trouvé beaucoup
d’imitateurs qui ont pris de volumineux traités et ont cherché à en tirer le suc et à se procurer
ainsi une thèse à bon marché. Mais ils n’ont pas tardé à s’apercevoir que cela n’était pas si
facile.
Cette théorie peut servir de transition pour arriver aux travaux mathématiques proprement
dits. L’application des théorèmes de M. Fuchs à l’équation linéaire qui définit les périodes
d’une fonction elliptique, a fourni à M. Tannery le sujet de deux mémoires et lui a donné des
résultats qu’il a utilisés ensuite dans son Traité des fonctions elliptiques.
Mais la théorie des fonctions, si étroitement liée aux principes philosophiques de l’Analyse, ne
pouvait manquer d’attirer l’attention de M. Tannery. / C’est ainsi qu’il fut conduit à signaler
Henri Poincaré (1854-1912) : Des Mathématiques à la Philosophie 375
Annexe 4 : Rapport sur les Titres de M. Jules Tannery
dans une lettre à Weierstraß un exemple simple de série de fractions rationnelles susceptible
de représenter deux fonctions analytiques différentes. De pareils exemples étaient de nature à
modifier les idées alors courantes sur la continuité des fonctions.
En Analyse M. Tannery a donné un nouveau développement de la fonction eulérienne ; en
Algèbre, il a suivi la voie ouverte par M. Hermite en étudiant les transformations semblables
des formes quadratiques, les invariants des formes cubiques, les fonctions symétriques. En
géométrie ses recherches ont porté sur le plan osculateur des cubiques gauches et sur une
surface du 4e degré dont les lignes géodésiques sont algébriques. Il a également étudié une
suite infinie que l’on rencontre dans le calcul de π par la méthode des isopérimètres.
Je m’arrête, car je crois avoir donné une idée suffisante des titres de M. Tannery, autant qu’on
peut le faire quand son mérité consiste surtout dans une influence continue, mise constam-
ment au service de la Science, et qui s’est plus exercée par sa parole que par ses écrits. Nous
croyons que c’est surtout en vue des mérites de ce genre que les places d’Académiciens libres
ont été instituées.
Poincaré
Dans ces derniers temps, M. Tannery a d’ailleurs continué ses travaux dans la même direc-
tion ; les pouvoirs publics se sont préoccupés de réformer notre enseignement. En ce qui con-
cerne les sciences mathématiques en particulier, on a cherché à rendre cet enseignement moins
formel et plus philosophique. M. Tannery a, grâce à son influence dans l’Université, puis-
samment contribué à cette réforme. Mais il ne s’est pas borné à exposer des vues générales et à
poser pour ainsi dire un problème aux maîtres de notre enseignement secondaire sans leur
offrir une solution. Il a écrit un petit livre à l’usage des classes de philosophie où il passe en
revue toutes les matières du nouveau programme ; pour l’usage des élèves de ces classes, il
s’est efforcé d’extraire des différentes théories mathématiques le suc généreux qui peut nourrir
les esprits. Grâce à lui, les jeunes gens, adonnés aux études littéraires, s’étonnent de ne plus
trouver dans les sciences exactes, cette sécheresse qui leur inspire parfois tant d’aversion. Ce
petit livre de classe est en même temps un livre de philosophie, que les philosophes et les
savants eux-mêmes peuvent lire avec plaisir et avec profit.
Poincaré
La Correspondance Entre
1
Les lettres de cette correspondance inédite entre Poincaré et Xavier Léon proviennent de la
Bibliothèque Victor Cousin (Mss 365 et 3882). L’ensemble est incomplet puisqu’on ne trouve
pas trace des réponses envoyées par Léon à Poincaré dans la correspondance du mathémati-
cien. La plupart des lettres ne sont pas datées, ce qui rend leur classement très aléatoire. En
nous aidant du contenu de certaines d’entre elles, nous avons tenté de les présenter dans un
ordre chronologique, sans pour autant y parvenir complètement. Les dates mises entre cro-
chets sont des approximations personnelles.
I – Lettre 1
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[1894]
Cher Monsieur,
J’ai l’honneur de vous adresser le manuscrit de mon article.2 Peut-être trouverez-vous qu’il est
trop long ou que la partie purement mathématique tient plus de place que la clarté ne l’exige.
Dans ce cas, je ferai les corrections nécessaires.
Votre bien dévoué,
Poincaré.
II – Lettre 2
[1894 ?]
Cher Monsieur,
J’accepte très volontiers de faire partie du Comité d’Organisation du monument de Descartes.
Votre bien sincèrement dévoué.
Poincaré.
III – Lettre 3
[1894 ?]
Monsieur,
Voulez-vous m’accorder quelques jours encore pour répondre à votre demande. Je voudrais y
réfléchir et puis avant de vous proposer des noms de savants étrangers je voudrais savoir
jusqu’où on peut s’étendre ; quel est le nombre d’étrangers qu’il vous paraîtrait convenable /
d’introduire dans ce comité ; dans quelle proportion les diverses sciences auxquelles Descartes
a ouvert la voie vous semblent y devoir être représentées. Et puis aussi les fonctions des mem-
bres du comité seront-elles purement honorifiques, ou bien devront-ils se livrer à une propa-
gande active auquel cas il conviendrait de choisir des hommes plus jeunes ?
Estimez-vous que les divers grands pays doivent tous être représentés ?
Pardonnez-moi toutes ces questions et veuillez croire à mes meilleurs sentiments,
Poincaré.
IV – Lettre 4
Monsieur,
Voici quelques noms qui me viennent à l’esprit ; je vous les cite dans l’ordre de leur impor-
tance dans chaque pays.
Angleterre
Lord Kelvin Glasgow
Université
Cayley Cambridge
Sylvester Oxford
Allemagne
von Helmholtz Berlin
Weierstrass
Russie /
Tchebicheff Aca. des Sc. St Pétersbou.
Italie
Rivalité. Il y aurait peut-être
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Scandinavie
Lie Leipzig Univ.
Mittag-Leffler Stockholm ____
V – Lettre 5
[octobre 1894 ?]
Cher Monsieur,
Quelque intérêt que présente la note de M. Lechalas3, je n’ai pas l’intention d’y répondre ou
plutôt je désire différer ma réponse.
3 Il peut s’agir ici de deux articles de Lechalas parus dans la Revue de métaphysique et de morale autour de 1894 : « Note sur la
géométrie non euclidienne et le principe de similitude », Revue de métaphysique et de morale 1 (1893), pp. 199-201, ou bien une
« Note sur la réversibilité du monde matériel », Revue de métaphysique et de morale 2 (1894), pp. 191-197.
Henri Poincaré (1854-1912) : Des Mathématiques à la Philosophie 378
Annexe 5 : La Correspondance Entre Henri Poincaré et Xavier Léon
Le désaccord ne porte pas en effet sur le point essentiel qui est l’impossibilité de ramener le
raisonnement mathématique, même le plus débarrassé de tout élément étranger au principe
de / contradiction et au syllogisme.
Inutile d’ajouter que je reste toujours à votre disposition.
Veuillez agréer l’assurance de ma considération la plus distinguée,
Poincaré.
VI – Lettre 6
[1895 ?]
Cher Monsieur,
J’ai bien une idée, mais ce sera peut-être un peu plus long que ce que je vous ai donné jus-
qu’ici ; il s’agirait encore des hypothèses fondamentales de la géométrie et de la façon de con-
cevoir l’espace.4
Mais je désirerais savoir à quel moment vous voudriez recevoir l’article.
Votre bien sincèrement dévoué,
Poincaré.
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VII – Lettre 7
[1895 ou 1896 ?]
Cher Monsieur,
Je ne puis à mon grand regret me charger d’un article sur Descartes.
Je vous prie de vouloir bien m’excuser et d’agréer l’assurance de ma considération la plus
distinguée,
Poincaré.
VIII – Lettre 8
[Janvier ?]
Cher Monsieur,
Excusez-moi, je vous prie, d’avoir tant tardé à vous écrire.
Avez-vous conservé la liste des envois que je vous avais demandé de faire pour mes articles
précédents. Dans ce cas il y aurait lieu de faire les mêmes envois, (sauf les morts bien enten-
du).
Les plus importants seraient
M de Freycinet, lord Kelvin, G Cantor à Halle, S. Lie à Leipzig. /
Je présume que les autres personnes que cela pourrait intéresser, M Lechalas, par exemple,
sont abonnés à la Revue.
Tout à vous
Poincaré.
IX – Lettre 9
[26 octobre ?] 1896
Cher Monsieur,
Je vous remercie beaucoup de vos photographies qui nous ont rappelé notre vie commune à
Houlgate.5
Nous sommes revenus à Lozère après une fin de saison très pluvieuse mais en bonne santé.
L’épidémie n’a eu aucune suite. M Chauveau d’abord assez inquiétant nous a rassuré, / dès le
4 Il s’agit peut-être de « L’espace et la géométrie », Revue de métaphysique et de morale 3 (1895), pp. 631-646 [Poincaré 1895o].
5 Commune de Normandie située à l’ouest de Dauville.
Henri Poincaré (1854-1912) : Des Mathématiques à la Philosophie 379
Annexe 5 : La Correspondance Entre Henri Poincaré et Xavier Léon
lendemain, tous les cas avaient eu une issue favorable ; même celui qui avait été signalé
comme particulièrement suspect.
Je regrette que vous vous soyez donné tant de peine inutilement et je vous remercie de
l’intérêt que vous avez pris à nos inquiétudes.
Je pourrai vous envoyer un article pour la Revue, mais seulement dans deux ou trois mois ; je
voudrais d’abord y réfléchir un peu et choisir entre plusieurs sujets qui me semblent présenter
quelque intérêt.
Veuillez agréer, cher Monsieur, l’assurance de mon sincère dévouement et présenter à / Ma-
dame Léon les compliments de ma femme et mes respectueux hommages.
Poincaré.
X – Lettre 10
[Décembre 1896]
En attendant l’article dont je vous ai parlé et que je vous enverrai dans quelques mois, j’ai
l’honneur de vous adresser sous pli recommandé une réponse aux articles de M Lechalas et de
M. Couturat.6
Veuillez, je vous prie, agréer l’assurance / de mes sentiments affectueux et dévoués et vous
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XI – Lettre 11
Houlgate 15 Août [1898]
Cher Monsieur,
Je pense que je pourrai faire un article pour la Revue, mais pas avant le mois de juillet.
Je vous serre cordialement la main,
Poincaré.
XII – Lettre 12
[1899]
Cher Monsieur,
Je vous donne mon approbation très volontiers et je ne doute pas du succès de vos démarches
en vue de la réunion d’un Congrès.
Votre bien dévoué,
Poincaré.
XIII – Lettre 13
[1900]
Cher Monsieur,
Je vous fais parvenir ci-joint l’article destiné au Congrès de Philosophie.7 Je crains qu’il ne soit
trop long et je vous prie de me dire franchement votre sentiment à ce sujet.
6 Concernant Lechalas, Poincaré fait certainement référence à son Étude sur l’espace et le temps [Lechalas 1896a] ou à son article,
publié dans la Revue de métaphysique et de morale, « La courbure et la distance en géométrie générale » [Lechalas 1896b]. Concer-
nant Couturat, Poincaré a certainement en tête l’article de 1896, publié également dans la Revue de métaphysique et de morale,
« Études sur l’espace et le temps de M. M. Lechalas, Poincaré, Delbœuf, Bergson, L. Wéber et Évellin » [Couturat 1896]. L’article
auquel Poincaré fait référence est sa « Réponse à quelques critiques » [Poincaré 1897u].
7 Poincaré prononcera au Congrès International de Philosophie de 1900 une conférence intitulée « Sur les principes de la
mécanique ». Voir [Poincaré 1901o]
Henri Poincaré (1854-1912) : Des Mathématiques à la Philosophie 380
Annexe 5 : La Correspondance Entre Henri Poincaré et Xavier Léon
Si M. Couturat a l’occasion de le lire, je serais heureux qu’il voulût bien me dire s’il a trouvé
certains passages obscurs et s’il est nécessaire de donner quelques éclaircissements.
Je vous demanderais quand vous m’enverrez / les placards, de les envoyer en double exem-
plaire.
Votre tout dévoué,
Poincaré.
XIV – Lettre 14
[1901 ?]
Cher Monsieur
Je serai très heureux de vous envoyer l’année prochaine un article, par exemple sur la valeur
objective de la Science (à propos du « Royalisme »). Le voulez-vous pour le N° de Mai ?8
De la neige, il y en avait par terre mais il n’en est presque pas tombé nous avons eu en somme
un temps superbe quoique très froid.
Veuillez croire à ma sincère amitié et / transmettre à Madame Léon mes respectueux homma-
ges,
Poincaré.
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XV – Lettre 15
[15 Septembre 1902 ?]
Cher Monsieur,
Je puis vous promettre un article par exemple pour le N° de Mai. J’accepte volontiers votre
offre pour les tirages à part, mais je n’ai pas besoin de plus de 25.
Votre bien dévoué,
Poincaré.
XVI – Lettre 16
[Septembre 1904 ?]
Cher Monsieur,
Vous pouvez compter sur moi mais je ne puis vous en dire davantage pour le moment ; je pars
le 6 pour l’Amérique et je reviendrai en Octobre.9
Les Boutroux sont encore à Paris.
Votre tout dévoué,
Poincaré.
XVII – Lettre 17
[1909]
Cher Monsieur,
Merci pour les photographies.
J’écrirai un article pour le numéro de juillet ; je vous l’enverrai au mois de mai. Il sera intitulé
je pense, la logique de l’infini10 et aura pour objet la question de savoir s’il est possible
d’appliquer aux ensembles infinis, les règles ordinaires de la logique.
Votre bien dévoué,
Poincaré.
8 Il s’agit de son article intitulé « Sur la valeur objective de la science » [Poincaré 1902s].
9 Il s’agit de son voyage à Saint-Louis.
10 Voir [Poincaré 1909n].
Henri Poincaré (1854-1912) : Des Mathématiques à la Philosophie 381
Annexe 5 : La Correspondance Entre Henri Poincaré et Xavier Léon
XVIII – Lettre 18
[Sans date]
Cher Monsieur,
Je considère mon article comme terminé, bien que la question bien entendu, ne soit pas épui-
sée et ne doive pas l’être de longtemps. J’y reviendrai peut-être plus tard mais pour le moment
je n’ai rien à ajouter.
Veuillez je vous prie, présenter à / Madame Léon mes respectueux hommages et croire à ma
sincère amitié,
Poincaré
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L’Opportunisme scientifique :
Documents Inédits
Archives Poincaré (microfilm 4)
Les documents que nous présentons ici proviennent du microfilm 4 conservé au sein des Ar-
chives Henri Poincaré. Il s’agit d’un ensemble de textes fragmentaires, de brouillons et de
copies de lettres représentant environ une trentaine de feuillets. Tous les feuillets ayant été
microfilmés dans le désordre, un important travail de reconstitution a été nécessaire pour
mettre au point cette transcription ; plus de 90% des documents originaux sont utilisés et resti-
tués dans un ordre qui se voudrait chronologique, de manière à donner une image aussi pré-
cise que possible du dialogue qui s’instaura entre Gustave Le Bon, Louis Rougier et la famille
Poincaré (les documents non datés sont repérés par [s. d.]).
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L’orthographe, le style et les abréviations d’origine ont été respectés scrupuleusement ; les
passages mis entre [] sont des ajouts destinés à faciliter la lecture et la compréhension de cer-
taines abréviations utilisées par les auteurs (par exemple, « H. P ». sera noté « H[enri].
P[oincaré] ».).
Les notes ajoutées par les auteurs des documents originaux sont désignées par des astérisques
*. Les notes désignées par des numéros renvoient à des commentaires spécifiques sur les do-
cuments eux-mêmes.
Certains passages raturés du texte d’origine susceptibles de présenter un intérêt (reformula-
tions, variations d’expression, etc.) ont été inclus dans les transcriptions. Ils sont présentés
entre {}.
3 Le Problème des Trois Corps (Revue générale des sciences [pures et appliquées] 15 janvier
1895).1
4 Conférence sur les Comètes (Bulletin de la Société Industrielle de Mulhouse 1910).
5 Le démon d’Arrhénius – Hommage à Louis Ollivier, Paris, 26 7bre 1911 p. 281-287.
Livre III
Problèmes scientifiques actuels
ou Questions scientifiques ou Miscellanées
1 Cournot et les Principes du Calcul Infinitésimal (Revue de Métaphysique et de Morale 1905
2 La Lumière et l’Électricité d’après Maxwell et Hertz (Annuaire Bureau Longitudes, 1894,
Revue Scientifique 27 janvier 1894).
3 La télégraphie sans fil – Journal de l’Université, des Annales. Paris 25 avril 1909.
4 Le libre examen en Matière Scientifique (Bruxelles m Weissenbach 1910).
(350 pages environ)
Copie de la lettre de G[ustave]. Le Bon.
Madame, M. Émile Boutroux et M. P[ierre]. Boutroux m’ont envoyé un jeune professeur M.
Rougier qui me signale un nombre assez important d’articles divers de M. Henri Poincaré
dont ci-joint la liste. D’après l’avis de M. M. Boutroux qui est aussi le mien, ces articles
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pourraient faire un nouveau volume. Je viens vous demander si vous n’y voyez pas
d’inconvénient.
Le plus important de ces articles est celui que j’ai mis en tête de la liste. Il est
malheureusement en anglais et si vous n’avez pas le manuscrit original je serai obligé de le
faire retraduire en français. Je vous demanderai également si vous possédez 1° le n° de mai
1902 du Journal des Savants contenant l’analyse du Mémoire de D[avid]. Hilbert sous le titre
de Fondements de la Géométrie. 2° le n° des Acta Mathematica de 1912 contenant le rapport
de H[enri]. Poincaré sur le prix Lobatchevsky attribué à M. David Hilbert. 3° l’opuscule
intitulé Le Démon d’Arrhénius.
Nous tâcherions si vous n’avez pas ces diverses publications de les faire recopier dans une
bibliothèque. Mais je ne publierai ce volume, qui ne peut qu’ajouter à la Gloire de votre
illustre mari seulement dans le cas où vous m’y autoriseriez. Il serait nécessaire que le
volume ne parût pas trop tard et nous n’aurions pas trop de deux ou trois mois pour faire
les recherches nécessaires. Certains journaux : The Monist ont paru à Chicago.
Signé G[ustave]. Le Bon
Ma chérie, mon cher Léon. L’époque est bien mal choisie pour jeter sur le tapis une idée
semblable. Je ne sais pas bien de loin ce que nous avons ou non des publications que
demande Le Bon*, mais je suppose que ce qu’il veut en ce moment c’est l’autorisation en
principe de publier un nouveau volume.
Qu’en pensez-vous ? Est-ce vrai que c’est l’avis des Boutroux ? En tous cas Émile
[Boutroux] n’a pas d’opinion réfléchie ; même s’il a dit un mot favorable c’est sans bien
savoir au juste de quoi il s’agissait.
Tu vois Jeanne que la Conférence de Bruxelles reparaît. Pourrait-on lui supprimer
q.[uel]q.[ues] phrases du début qui sont toutes de circonstances et empruntent au milieu un
ton qui n’était pas habituel à ton cher papa. Pour les autres propositions je me demande
surtout si Hermann verra d’un bon œil publier ailleurs la préface des Hypothèses
[Cosmogoniques] et d’une manière plus générale je me demande si, aller rechercher tous ces
articles sans liens entre eux et dont plusieurs anciens ont été peut-être dépassés par de plus
récents, n’est pas surtout une entreprise commerciale.
1 Il s’agit là d’une erreur. Cet article fut publié dans la Revue générale des sciences pures et appliquées, non pas le 15 janvier 1895
mais le 15 janvier 1891.
* En note dans la marge : « Que te rappelles-tu à son sujet ? ».
Henri Poincaré (1854-1912) : Des Mathématiques à la Philosophie 384
Annexe 6 : L’opportunisme Scientifique, Documents Inédits
Ils se mettent tous à vouloir exploiter cette chère grande figure. Les artistes, les auteurs
chacun tire à soi ; trop heureux serons nous, si on ne nous le défigure pas.
Guccia m’annonce l’envoi de la brochure consacrée à ton papa. 1 exemplaire séparé pour
moi – 100 brochures à distribuer. Malheureusement ces envois ont dû arriver avant le
départ de [illisible] Brangaine et avoir été remontés à l’appartement.** Les concierges du 63
ont bien nos clefs de l’escalier de service, mais sous enveloppe comme nous faisons
maintenant et je recule à leur demander de pénétrer chez nous pour m’envoyer la brochure
qui m’est destinée. J’attendrai donc le retour, mais si vous allez à Paris avant ce moment
vous pourrez voir pour vous si elle est intéressante et même me l’envoyer après l’avoir lue,
si cela en vaut encore la peine. La saison sera dure ici peut-être avant la fin du mois ; tout
dépend du temps.
Examinez ce que vous pouvez pour G[ustave]. Le Bon*** et donne moi votre avis ma chère
Jeanne avant que je lui réponde. Il a dû aller à la maison avant de m’écrire ; l’adresse à La
[illisible] est de sa main sans rature ; à moins que ce ne soit les Boutroux qui la lui aient
donnée. Je vous embrasse de cœur.
L[ouise] H[enri]. P[oincaré].
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** En note dans la marge : « (J’écris sous la lampe électrique qui m’aveugle. Je croyais d’abord faire tenir les copies sur une seule
feuille et écrire ma lettre sur un papier ordinaire. Je m’excuse) ».
*** En note dans la marge : « J’écris à Pierre B[outroux] ». Pierre Boutroux était mathématicien ; il était le fils d’Émile Boutroux.
Henri Poincaré (1854-1912) : Des Mathématiques à la Philosophie 385
Annexe 6 : L’opportunisme Scientifique, Documents Inédits
cette lettre s’ajoutait une longue note donnant en détail les motivations de ce refus (cette note
est présentée page 385). Nous avons tenté ici de reconstituer un texte lisible à partir du docu-
ment original, non seulement très raturé mais qui utilise, de plus, un grand nombre
d’abréviations. Ponctuation et accentuation originales sont respectées.
[Léon Daum à Louis Rougier]
[sans date]
Monsieur,
Madame H[enri]. P[oincaré]., ma belle mer[e], nous a fait part à ma femme et à moi du
projet que vous avez soumis à M[onsieur]. G[ustave]. L[e] B[on] au sujet de la publica[tion]
d’un nouveau volume d’Henri Poincaré.
Nous avons examiné avec soin les divers articles que vous avez signalé et vous trouverez
avec cette lettre une note resumant nos observations ; cette étude n’a fait que confirmer
l’idée a priori que nous avions à savoir qu’après les « Dernières pensées » il n’etait pas
possible de publier un nouveau volume dans la même collection. Les Dernières pensees ont
rassemblé les articles ou conférences postérieurs à Science et Methode, que Henri Poincaré
aurait sans doute publié lui-même par la suite – Le volume que vous projetez aurait un
caractère bien different {en reproduisant des articles généralement anciens, dont l’intérêt
tel-00137859, version 1 - 22 Mar 2007
n’est pas aussi actuel et philosophique que le public de la collection pourrait espérer}.
Sur la question de fond elle même vous reconnaitrez sans doute, Monsieur que ces articles
apportent, non pas les vues d’H[enri] P[oincaré] sur des questions nouvelles, mais certaines
précisions de détail, des variations d’expression de théories developpées déjà [illisible] ;
ceux qui connaissent l’œuvre d’H[enri] P[oincaré] avec assez de compétence pour tirer parti
de ce que cette publication ajouterait sont trop peu nombreux pour faire flechir les raisons
que je vous disais tout à l’heu[re].
Certains articles qui ne se trouvent pas aisement dans les bibliothèques [illisible] seront
sans doute publies dans l’edition intégrale que l’Académ[ie] des Sciences a entreprise –
c’est là que les chercheurs pourront les retrouver.
Enfin, il sera probab[lement] possible d’ajouter à une edition nouv[elle] des Dern[ières]
Pens[ées] {les Fondements de la géométrie, le rapport sur les Grundlagen der Geometrie, le libre
examen}.
Je souhaite mon[sieur] que vous ne voyiez d[an]s cette lettre que l’interet que nous avons
pris à la proposition que vous avez faite, et notre reconnaissance grande pour le souci que
vous avez d’une mémoire chère.
Je vous prie de croire mon[sieur] à mes sentiments les plus dév[oués].
contraire à le suivre ; et de même nous n’avons pas cherché à les éviter dans Dernières
Pensées parce que nous n’y avons publié que des articles ou des Conférences postérieurs à la
publication2 de Science et Méthode – Mais il n’en est plus de même dans le volume projeté
par Mr Le Bon ; ici nous revenons en arrière – et au lieu de redites voulues par H[enri].
P[oincaré]. nous en aurons qu’il avait volontairement laissées de côté q[uan]d il a rédigé ses
3 volumes de philosophie scientifique.
L’édition de Science et Hypothèse que nous avons entre les mains est la première édition ; il y
a été apporté depuis quelques modifications qui peuvent peut-être changer d’une page ou
deux les références que nous donnons.
2° Fondements de la Géométrie – Je pense qu’il n’est pas question de publier intégralement le
rapport de 1912 ; les paragraphes sur les invariants, l’arithmétique, les équations intégrales
etc. {n’étant certainement pas à la portée des l} étant purement mathématiques – La partie
du rapport qui a trait aux « fondements de la géométrie » reproduit presque textuellement
celui de 1902 qui contient en outre des explications qui en augmentent l’intérêt et la clarté –
Ce serait donc le mémoire de 1902 qui serait à publier – Cependant, on retrouve presque
textuellement d[an]s Science et Méthode p[ages]. 156-157 les premières pages du mémoire de
1902 {et qui a trait aux « axiomes projectifs »} – La question est envisagée à un tout autre
tel-00137859, version 1 - 22 Mar 2007
point de vue ; mais le fait qu’H[enri]. P[oincaré]. a pris dans son mémoire deux pages qu’il
a insérées d[an]s Science et Méthode semble prouver {qu’il n’aurait jamais publié} que le
mémoire intégral ne devait pas être publié d[an]s la Bibliothèque de M[onsieur]. Le Bon –
3° Note de la 7ème édition du Traité de Géométrie de Rouché et Comberousse – H[enri].
P[oincaré]. évitait soigneusement les accumulations de formules d[an]s les volumes
destinés au grand public – Cette note est beaucoup trop technique et purement
mathématique pour pouvoir être insérée dans ce volume –
4° Préface des Hypothèses Cosmogoniques – {Ce serait en effet tout à fait dans le style
ordinaire des volumes publiés par H[enri]. P[oincaré]. mais} Cela entrerait bien en effet
dans le cadre habituel des autres volumes Science et Hypothèse etc – Mais les Hypothèses
Cosmogoniques sont très répandues et cela nous semble peu délicat vis à vis de l’éditeur de
publier cette préface en dehors de son volume –
5° Stabilité du Système Solaire également publié dans l’An[nuaire] du B[ureau des]
L[ongitudes] 1898 et Problème des trois Corps – Ces deux articles pourraient être insérés
2 On trouve parmi les documents un autre formulation de cette même page. La voici :
Il nous parait difficile de publier un nouveau volume de philosophie scientifique après Dernières Pensées ; ce titre même
semble indiquer que ce volume est le dernier – {(et le public s’étonnerait à bon droit d’en voir surgir encore un)}. Pour justifier
cela il faudrait que la publication des articles proposés s’imposât et nous ne croyons pas que ce soit le cas.
Il est certainement désirable que tous ces articles puissent être consultés ; mais la Bibliothèque de philosophie scientifique
s’adresse à un public trop étendu {qui [illisible] ne s’intéresserait pas à des articles dont plusieurs datent d’une vingtaine d’années
et que les redites fatigueraient.} [illisible] à qui les redites paraîtraient trop nombreuses eu égard aux quelques idées nouvelles
que ce volume apporterait.
{Je n’ignore pas qu’il y a dans Dernières Pensées q[uel]q[ues] répétitions inévitables, si on lit par ex[emple]. Sc[ience] et
Méth[ode]. Chap I du Livre III et Matière et éther d[an]s D[ernières].P[ensées]. comparaison système solaire électron atome mais
c’étaient en q[uel]q[ue] sorte des répétitions voulues par lui puisque ces conférences et articles sont tous postérieurs à la publica-
tion de Science et Méthode.}
– D[an]s Valeur de la Science p. 206 nous trouvons pour la première fois cette comparaison. Un physicien japonais etc. ;
n[ou]s la retrouvons d[an]s Sc[ience] et Méthode Chap[itre] I du Livre III p. 226.
– même comparaison d[an]s Dernières Pensées p. 200.
– C’est un exemple pris au hasard, mais nous pourrions en trouver d’autres – Ces répétitions sont sans inconvénient ;
elles nous donnent q[uel]q[ue] chose de l’évolution de sa pensée – Mais publier un article sur Maxwell écrit en 1894, c’est re-
venir en arrière {et dans un domaine qui a singulièrement évolué pendant ces vingt ans}. Il étudie Maxwell d[an]s Sc[ience]. et
Hyp[othèse] Ce n’est sûrement pas par oubli qu’il a laissé de côté cet article quand il a écrit le chap[itre] XII de Sc[ience] et
Hyp[othèse]. « L’optique et l’Électricité ».
Pour les savants ce sera un exposé de théories qu’ils connaissent et aux gens du monde cela fera un peu l’effet d’un traité de
physique.
Les idées avaient peut-être déjà évolué entre 1894 et 1902 – en 1894 et 1912 a fortiori – en 1912 il discutait la théorie de Planck
et non plus celle de Maxwell.
Henri Poincaré (1854-1912) : Des Mathématiques à la Philosophie 387
Annexe 6 : L’opportunisme Scientifique, Documents Inédits
d[an]s le volume en question si on le publiait, mais ils ne s’imposent en aucune façon ; sans
doute ils seraient {à la portée des lecteurs ; mais H[enri]. P[oincaré]. n’y voyait n’aurait
jamais songé à faire à ces notions scientifiques le rôle} compris par la plupart des lecteurs ;
mais H[enri]. P[oincaré]. n’y {voyait pas de portée philosophique ; c’étaient à ses yeux de
simples notices scientifiques} traite pas ces questions à un point de vue philosophique – et
comme exposé purement scientifique, ces notices, déjà anciennes, doivent avoir un peu
vieilli.
6° Conférences sur les Comètes – Conférence de vulgarisation scientifique où H[enri].
P[oincaré]. ne voyait certainement pas une portée philosophique justifiant l’insertion dans
un volume de Philosophie scientifique.
7° Le Démon d’Arrhénius – que nous n’avons pas en ce moment sous la main resterait à
étudier –
8° Cournot – serait très intéressant à publier – on pourrait peut-être l’ajouter à une nouvelle
édition de Dernières Pensées.
9° La lumière et l’Électricité d’après Maxwell et Hertz également publié [illisible] – Les
objections formulées plus haut 5° nous paraissent ici prendre plus d’importance encore ;
H[enri]. P[oincaré]. étudie Maxwell dans Science et Hypothèse et ce n’est sûrement pas par
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oubli qu’il a laissé de côté cet article quand il a écrit le chap[itre] XII de Science et Hypothèse
« l’Optique et l’Électricité ». Les savants ne verront dans cet article si ancien qu’un exposé
de théories qu’ils connaissent depuis longtemps et les {profanes} autres n’y trouveront
qu’une sorte de traité de physique sans conclusions philosophiques. D’autre part publier un
article sur Maxwell écrit en 1894 c’est revenir en arrière et d[an]s un domaine qui a
singulièrement évolué pendant ces vingt ans – En 1912 H[enri]. P[oincaré]. discutait la
théorie de Planck et non plus celle de Maxwell.
10° La télégraphie sans fil – impossible à publier à la suite de Science et Hypothèse etc ; c’est
une conférence faite pour des petites filles ignorantes – Le discours de la distribution de
prix d’Henri IV que Mr Rougier proposait pour remplacer la conférence des Annales est
aussi, dans un autre genre, une allocution de circonstance, bien difficile à introduire dans
un volume.
11° Le libre examen en Matière scientifique – pourrait être publié dans une nouvelle édition de
Dernières Pensées.
Valeur de la Science. Q[uan]d il écrivait ces lignes en 1902, H[enri]. P[oincaré]. voulait
désigner les articles de la R[evue de]. M[étaphysique et de]. M[orale] et l’article du Monist qui
nous occupe en ce moment} –
J’ai sous les yeux un exemplaire de la première édition de Science et Hypothèse (1902) sur
lequel il a ajouté de sa main cette note (qui a été insérée, je pense, dans les éditions
suivantes) : « Voir en particulier la Revue de M[étaphysique] et de M[orale], Mai et Juillet
1903 – » Ces deux articles de la Revue de M[étaphysique et de] M[orale] semblent être une
refonte et un développement de l’article du Monist ; avec quelques suppressions
évidemment faites à dessein – ; ils ont été en 1905 textuellement reproduits dans la Valeur de
la Science, chap[itres]. III et IV –
On peut faire à propos de l’article du Monist les rapprochements suivants :
p. 3 et 4 – the feeling of direction - on trouve une sorte de résumé de cette partie dans
Sc[ience]. et Hyp[othèse]. p[ages]. 73-74 « We mean simply that the various sensations which
correspond to the same direction etc » cf. Sc[ience]. et Hyp[othèse]. p[age]. 76 : « Ce que je
vois, c’est que les sensations qui correspondent à des mouvements de même direction –
etc ».
{Representation} of space – dernières lignes p[age]. 6. Cf. Valeur de la Science p[age]. 67.
tel-00137859, version 1 - 22 Mar 2007
spécifiquement double emploi avec les autres écrits, les unes ont reçu plus tard une
expression différente, les autres sont d’importance secondaire.3
crois en aucun cas que cette notion de groupe en devint moins fondamentale et
prépondérante chez lui. Le démontrer serait un peu long et je m’excuse ; mais à mon avis il
n’y a pas là changement d’opinions mais modification d’exposé ce qui est bien différent. En
m’indiquant en notes les réserves que vous soulevez, il me semble que l’article pourrait être
réimprimé : la pensée de H[enri]. Poincaré est trop importante pour que nous en perdions
une parcelle. Lisez les ouvrages populaires d’Helmholtz : on y voit reproduits des
conférences ou articles sur les fondements de la géométrie qui se répètent parfois
littéralement. Plusieurs fois ceci est un culte d’une pensée irrécusable qui s’est éteinte. On a
droit de sacrifier l’eurythmie d’une œuvre à son intégralité parfaite. C’est pourquoi, sur cet
article, je ne saurais me rallier à vos très remarquables conclusions.
2° L’utilisation de cet article dans Sc[ience]. et Méth[ode]., qui se borne à deux paragraphes,
est insignifiant. Cet article complète les vues de Poincaré sur la géométrie. Dans tous ses
autres ouvrages il semble s’être en effet borné aux géométries d’Euclide, de Lobatchevsky
et de Riemann et à l’Analysis situs. Il s’agit cette fois d’une œuvre qui a fait faire à la
philosophie des mathématiques un progrès considérable, comparable à ceux que l’on devait
à Lobatchevsky, à Riemann, à Helmholtz et à Lie. Remarquer l’insistance avec laquelle
H[enri]. Poincaré reproduit son analyse en la modifiant plus ou moins :
1 Journal des savants mai 1902
2 Bulletin des sciences math[ématiques]. sept. 1902
3 Ibid. mars 1911
4 acta mathematica juin 1911
5 Rendiconti del Circolo nov. 1910
matematico di Palermo
M Pierre Boutroux, lors de ma conversation avec lui, était pour la publication de cet article
r
3 Sur une page à part, on trouve le paragraphe suivant, écrit vraisemblablement par Léon Daum, puis rayé : {9° Presque tous les
articles ou Conférences proposés pour composer un nouveau volume sont antérieurs à la publication de Science et Méthode –
H[enri] P[oincaré] a donc pu y puiser ce qu’il entendait publier dans la Bibliothèque de philosophie scientifique – s’il ne les a pas
insérés d[an]s un de ses 3 volumes, c’est certainement volontairement et non par oubli ; la preuve c’est que nous retrouvons
d[an]s les 3 volumes des phrases entières empruntées à ces articles}.
Henri Poincaré (1854-1912) : Des Mathématiques à la Philosophie 390
Annexe 6 : L’opportunisme Scientifique, Documents Inédits
5° (Stabilité du système solaire et problème des trois corps). Ces questions ne sont pas
traitées au point de vue philosophique sans doute – sinon qu’elles montrent les
approximations successives de la pensée et des méthodes scientifiques. Mais il en est
absolument de même de plusieurs parties des autres volumes. Que trouvez-vous de
philosophique dans les livres III et IV de Science et méthode ? De plus ces articles résument
des travaux essentiels de Poincaré. Comme vous le dites vous-même, ils pourraient être
insérés dans le volume en question.
6° (Conférence sur les comètes) même reflexion que ci-dessus. Pas plus philosophique que
« la voie lactée et la théorie des gaz » ou la « géodésie française » que Poincaré a pourtant
publiés en volume.
7° Le Démon d’Arrhénius : même réflexion. Le sujet est du reste très hautement intéressant.
8° Cournot. Nous sommes d’accord.
9° et 10° (lumière suivant Maxwell, conférence sur la telegraphie sans fil). Vous avez
certainement raison.
11° Le libre examen. Nous sommes d’accord.
________________________________________
Si vous décidez seulement à faire une nouvelle édition augmentée des Dernières Pensées, ce
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dont Mr Le Bon avait très bien admis, et même avec enthousiasme, la possibilité, je crois
qu’il faudrait conserver comme articles :
1° Cournot.
2° Le libre examen.
3° L’article sur D[avid]. Hilbert (celui du Journal des savants de 1902).
4° Si possible la préface des Hypothèses cosmogoniques.
Sinon un nouveau volume, en abandonnant les articles 9° et 10° et peut-être [illisible], serait
encore publiable avec des avertissements de l’éditeur. Est-il besoin d’ajouter qu’au point de
vue purement de l’éditeur un ouvrage signé de Poincaré se vendra toujours. Sur les 24000
exemplaires de Science et Hypothèse y-a-t-il plus de mille acheteurs capables de le
comprendre.
En voyant toutes les difficultés de la publication d’un nouvel ouvrage de Poincaré, je
souhaite que dans une nouvelle edition des « Dernières Pensées » vous ajoutiez les trois ou
quatre articles signalés.
Votre très reconnaissant et dévoué.
L[ouis] Rougier
État des Traductions des Ouvrages
de Poincaré en 1912
L’essentiel des informations de cette annexe provient de l’ouvrage d’Ernest Lebon, Henri Poin-
caré, biographie, bibliographie analytique des écrits. Seconde édition (Paris : Gauthier-Villars),
1912.
VI – Thermodynamique [1892s]
Traduction en allemand par W. Jäger et E. Gumlich, (Berlin : Julius Springer), 1893.
Traduction en anglais par C. J. Keyser, Bulletin of the American Mathematical Society 4 (1897-
1898), pp. 247-255.
Traduction en anglais par G. B. Halsted, uniquement le chapitre intitulé « Les logiques nouvel-
les », The Monist 22 (1912), pp. 243-256.
pages 153-165. Publié également dans Science et méthode, livre IV, chapitre I.
« Discours au jubilé de M. Camille Flammarion », Bulletin de la Société astronomique de France,
26 (1912), pages 101-103.
« Lord Kelvin », La lumière électrique, 2 (1908), pages 139-147. Reproduit également dans Sa-
vants et écrivains.
« Sur la théorie de la commutation », La lumière électrique, 2ème série, 2 (1908), pages 295-2297.
Œuvres, tome X, pages 552-556.
« Sur la télégraphie sans fil », La lumière électrique, 2ème série, 4 (1908), pages 259-266, 291-297,
323-327, 355-359, 387-393. Conférences sur la télégraphie sans fil, Paris, 1909, 86 pages.
« Sur la diffraction des ondes hertziennes », La lumière électrique, 2ème série, 10 (1910), pages
355-362, 387-394. 11(1910), pages 7-12.
« Sur diverses questions relatives à la télégraphie sans fil », La lumière électrique, 2ème série, 13
(1911), pages 67-72.
« Sur diverses questions relatives à la télégraphie sans fil », La lumière électrique, 2ème série, 13
(1911), pages 35-40.
« Sur diverses questions relatives à la télégraphie sans fil », La lumière électrique, 2ème série, 13
(1911), pages 99-104.
« Sur diverses questions relatives à la télégraphie sans fil », La lumière électrique, 2ème série, 13
(1911), pages 7-12.
« Le problème des trois corps », Revue générale des sciences pures et appliquées, 2 (1891), pages 1-
5. Œuvres, tome VIII, pages 529-537.
« Les géométries non euclidiennes », Revue générale des sciences pures et appliquées, 2 (1891),
pages 769-774. Publié également dans La science et l’hypothèse.
« Les formes d’équilibre d’une masse fluide en rotation », Revue générale des sciences pures et
appliquées, 3 (1892), pages 809-815. Œuvres, tome VII, pages 203-217.
« Lettre à M. Mouret sur les géométries non euclidiennes », Revue générale des sciences pures et
appliquées, 3 (1892), pages 74-75. Publié également dans La science et l’hypothèse.
« Sur la théorie cinétique des gaz », Revue générale des sciences pures et appliquées, 5 (1894), pages
513-521. Œuvres, tome X, pages 246-263.
« Les rayons cathodiques et les rayons de Röntgen », Revue générale des sciences pures et appli-
quées, 7 (1896), pages 52-59. Œuvres, tome X, pages 570-583.
« Sur la vie et les travaux de F. Tisserand », Revue générale des sciences pures et appliquées, 7
(1896), pages 1230-1233.
Henri Poincaré (1854-1912) : Des Mathématiques à la Philosophie 397
Annexe 8 : Corpus de Vulgarisation Scientifique de Poincaré
« Les idées de Hertz sur la Mécanique », Revue générale des sciences pures et appliquées, 8 (1897),
pages 734-743. Œuvres, tome VII, pages 1231-250.
« Sur les rapports de l’analyse pure et de la physique mathématique », Acta Mathematica, 21
(1897) pages 331-341 ; Revue générale des sciences pures et appliquées, 8 (1897), pages 857-861 ;
Verhandlungen der ersten internationalen Mathematiker-Kongresses in Zürich vom 9. bis 11.
August 1897, Leipzig, 1898, pages 81-90. Publié également dans La valeur de la science
« Réflexions sur le calcul des probabilités », Revue générale des sciences pures et appliquées, 10
(1899), pages 262-269. Publié également dans La science et l’hypothèse.
« Les relations entre la physique expérimentale et la physique mathématique », Rapport du
Congrès international de physique, tome I, Paris, 1900, pp. 1-29 ; Revue générale des sciences pures
et appliquées 11, pp. 1163-1175 ; Revue scientifique, 4 série, 14, pp. 705-715. Publié également
dans La science et l’hypothèse. Publié également en anglais dans The Monist 12 (1902), pp.
516-543.
« À propos des expériences de M. Crémieu », Revue générale des sciences pures et appliquées, 12
(1901), pages 994-1007. Œuvres, tome X, pages 391-420.
« L’avenir des mathématiques », Atti IV Congr. Internaz. Matematici, Roma, 11 Aprile 1908,
pages 167-182 ; Bulletin des sciences mathématiques, 2ème série, 32 (1908), pages 168-190 ;
Rendiconti del Circolo matematico di Palermo, 16 (1908), pages 162-168 ; Revue générale des
tel-00137859, version 1 - 22 Mar 2007
sciences pures et appliquées, 19 (1908), pages 930-939 ; Scientia (Rivista di Scienza), 2 (1908), pa-
ges 1-23. Publié également dans Science et méthode.
« La dynamique de l’électron », Revue générale des sciences pures et appliquées, 19 (1908), pages
386-402. Œuvres, tome IX, pages 551-586. Reproduit dans Science et méthode.
« L’invention mathématique », Revue du mois, 6 (1908), pages 9-21 ; L’enseignement mathémati-
que, 10 (1908), pages 357-371 ; Bulletin de l’Institut général de psychologie, 8 (1908), pages 175-
187 ; Revue générale des sciences pures et appliquées, 19 (1908), pages 521-526. Publié également
dans Science et méthode. Par ailleurs, ce texte fut publié dans le livre de Fehr, H., Enquête de
L’enseignement mathématique sur la méthode de travail des mathématiciens, Paris / Genève, Gau-
thier-Villars / Georg & Cie, seconde édition, 1912, pages 123-137.
« Sully Prudhomme mathématicien », Revue générale des sciences pures et appliquées, 20 (1909),
pages 657-662.
« À propos de la théorie de M. Larmor », Éclairage électrique, 5 (1895), pages 385-392. Œuvres,
tome IX, pages 414-426.
« À propos de la théorie de M. Larmor », Éclairage électrique, 3 (1895), pages 289-295. Œuvres,
tome IX, pages 383-394.
« À propos de la théorie de M. Larmor », Éclairage électrique, 5 (1895), pages 5-14. Œuvres, tome
IX, pages 395-413.
« À propos de la théorie de M. Larmor », Éclairage électrique, 3 (1895), pages 5-13. Œuvres, tome
IX, pages 369-382.
« Les rayons cathodiques et la théorie de Jaumann », Éclairage électrique, 9 (1896), pages 289-
293. Œuvres, tome X, pages 333-340.
« Les rayons cathodiques et la théorie de Jaumann », Éclairage électrique, 9 (1896), pages 241-
251. Œuvres, tome X, pages 314-332.
« Observations au sujet de la note de M. J. J. Thomson (intitulée On the Cathode Rays) », Éclai-
rage électrique, 12 (1897), page 186.
« À propos de la décimalisation de l’heure », Éclairage électrique, 12 (1897), page 40.
« La théorie de Lorentz et les expériences de Zeeman », Éclairage électrique, 11 (1897), pages
481-489. Œuvres, tome IX, pages 427-441.
« La décimalisation de l’heure et de la circonférence », Éclairage électrique, 11 (1897), pages 529-
531. Œuvres, tome VIII, pages 676-679.
« La théorie de Lorentz et le phénomène de Zeeman », Éclairage électrique, 19 (1899), pages 5-
15. Œuvres, tome IX, pages 442-460.
Henri Poincaré (1854-1912) : Des Mathématiques à la Philosophie 398
Annexe 8 : Corpus de Vulgarisation Scientifique de Poincaré
« Sur l’induction unipolaire », Éclairage électrique, 19 (1899), pages 41-53. Œuvres, tome X, pa-
ges 3355-371.
« L’énergie magnétique d’après Maxwell et Hertz », Éclairage électrique, 19 (1899), pages 361-
367. Œuvres, tome X, pages 341-351.
« Sur les excitateurs et résonateurs hertziens (à propos d’un article de M. Johnson) », Éclairage
électrique, 29 (1901), pages 305-307. Œuvres, tome X, pages 352-354.
« Sur les expériences de M. Crémieu et une objection de M. Wilson », Éclairage électrique, 31
(1902), pages 83-93. Œuvres, tome X, pages 421-437.
« À. Cornu », Éclairage électrique, 31 (1902), pages 81-82.
« Sur les propriétés des anneaux à collecteurs », Éclairage électrique, 30 (1902), pages 301-310.
Œuvres, tome X, pages 378-390.
« Sur les propriétés des anneaux à collecteurs », Éclairage électrique, 30 (1902), pages 77-81.
Œuvres, tome X, pages 372-377.
« Étude de la propagation du courant en période variable sur une ligne munie d’un récep-
teur », Éclairage électrique, 40 (1904), pages 121-128, 161-167, 201-212, 241-250. Œuvres, tome
X, pages 445-486.
« Étude du récepteur téléphonique », Éclairage électrique, 50 (1907), pages 221-234, 257-262, 329-
338, 365-372, 401-404. Œuvres, tome X, pages 487-539.
tel-00137859, version 1 - 22 Mar 2007
Le but de cette annexe est de fournir une grille d’analyse des cinq ouvrages de philosophie
publiés par Poincaré. Ce dernier constitua principalement les chapitres de ces ouvrages à par-
tir d’articles divers publiés dans des revues philosophiques ou scientifiques. Il nous a semblé
utile et nécessaire de déterminer à partir de quel matériel chacun de ces chapitres fut réelle-
ment composé, de manière à constituer une image plus exacte des stratégies de publication du
mathématicien en matière de philosophie.
Nous avons utilisé, pour La science et l’hypothèse et La valeur de la science, les préfaces rédigées
par Jules Vuillemin à l’occasion des rééditions de 1968 et 1970. Utilisation qui requiert une
certaine prudence car un grand nombre des indications de provenance qu’on peut y trouver
tel-00137859, version 1 - 22 Mar 2007
sont soit fausses, soit inexactes. Pour ce qui est de Science et méthode, Dernières pensées, ou Sa-
vants et écrivains le seul outil à notre disposition était l’étude minutieuse de la bibliographie de
Poincaré ainsi que la comparaison des différents textes.
Pour chaque chapitre, nous indiquons la provenance supposée, à partir de la bibliographie qui
se trouve à la fin de ce travail. Si l’article en question a été publié dans plusieurs revues nous
indiquons quelle version est utilisée pour l’analyse comparative. Nous utilisons les éditions
suivantes des ouvrages de Poincaré :
La science et l’hypothèse : édition Flammarion de 1968.
La valeur de la science : édition Flammarion de 1970.
Science et méthode : édition Flammarion de 1922.
Savants et écrivains : édition Flammarion de 1910.
Dernières pensées : édition Flammarion de 1913.
Cette analyse comparative vise à indiquer les principales modifications apportées par Poincaré
à ses articles au moment de la composition du chapitre correspondant. Cette analyse se pré-
sente sous la forme d’un tableau à deux colonnes : la première colonne (‘Texte d’origine’)
localise un certain passage de l’article, tandis que la seconde (‘Modification apportée’) décrit
brièvement les modifications subies par ce passage avant son intégration au sein du chapitre
étudié.
A – Chapitre I
Ce chapitre reprend l’article « Sur la nature du raisonnement mathématique » ; Revue de méta-
physique et de morale 2, pp. 371-384 [1894p].
Texte d’origine Modification apportée
Section I Retrait d’une référence au syllogisme hypothétique et à la différence entre la copule ‘=’
et la copule ‘est’.
Section I Retrait de la note 1 présente dans l’article (où Poincaré définit le syllogisme hypothéti-
que).
Section II Identique.
Section III Il manque tout ce passage : « Qu’on me permette, pour mieux faire comprendre cette
nécessité de rappeler une phrase d’un article de M. Ballue dans le dernier numéro de la
revue (p. 321) : ‘Cette propriété que 4%6=6%4 ne peut se démontrer à notre connais-
sance que par l’intervention des pluralités (c’est-à-dire d’après M. Ballue, par un appel
à l’expérience). Qu’on se rappelle la figure ci-jointe (formée de 6 lignes de 4 points
chacune) qui se trouve dans tous les traités d’arithmétique’. Il y a une démonstration
plus satisfaisante mais peu connue, et c’est pourquoi je crois devoir reproduire ici, au
risque d’être fastidieux, les démonstrations rigoureuses des propriétés fondamentales
Henri Poincaré (1854-1912) : Des Mathématiques à la Philosophie 400
Annexe 9 : Écritures et Réécritures, Origines des Œuvres Philosophiques de Poincaré
B – Chapitre II
Ce chapitre reprend l’article « Le continu mathématique », Revue de métaphysique et de morale 1,
pp. 26-34 [1893g].
Texte d’origine Modification apportée
Page 32 Un paragraphe de cette page disparaît et se trouve remplacé par trois paragraphes
consacrés à Kronecker.
Poincaré introduit une section intitulée « La grandeur mesurable » qui ne se trouvait
originellement pas dans l’article.
Section « Remarques Considérablement modifiée dans La science et l’hypothèse. Poincaré retire tout un déve-
diverses » loppement sur la notion de convention ainsi qu’une référence importante à Helmholtz
et Zeller.
La section qui ferme le chapitre, « Le continu physique à plusieurs dimensions », semble
s’inspirer de l’article « Correspondance sur les géométries non euclidiennes », Revue générale
tel-00137859, version 1 - 22 Mar 2007
D – Chapitre IV
Ce chapitre reprend l’article « L’espace et la géométrie », Revue de métaphysique et de morale 3,
pp. 631-646 [1895o].
Texte d’origine Modification apportée
Les quatre premiers paragraphes du chapitre proviennent de la fin de l’article « Les
géométries non euclidiennes » [1891o]
Page 635, deux pre- Ils sont résumés en une seule phrase dans le chapitre (page 81) : « Il n’est ni homogène,
miers paragraphes ni isotrope ; on ne peut même pas dire qu’il ait trois dimensions ».
Page 636, paragraphe Il est complété par cette phrase dans le chapitre (page 83) : « Comment donc avons-
commençant par nous pu être amenés à les distinguer ? Il est facile de s’en rendre compte ».
« Mais s’il y a eu
seulement changement
de position… »
Section « Conditions de Elle est considérablement modifiée.
la compensation »
(pages 637-638)
Henri Poincaré (1854-1912) : Des Mathématiques à la Philosophie 401
Annexe 9 : Écritures et Réécritures, Origines des Œuvres Philosophiques de Poincaré
E – Chapitre V
Ce chapitre emprunte des passages des articles suivants : « Sur les géométries non euclidien-
nes », Revue générale des sciences pures et appliquées [1891o], « Des fondements de la géométrie, à
propos d’un livre de M. Russell », Revue de métaphysique et de morale 7 [1899m], « Sur les prin-
cipes de la géométrie, réponse à M. Russell », Revue de métaphysique et de morale 8 [1900f] et Des
fondements de la géométrie [1898k].
Texte d’origine Modification apportée
Les sections I et II du chapitre semblent avoir été ajoutée par Poincaré au moment de la
composition du livre.
La section III reprend une partie de l’article sur « Les géométries non euclidiennes »
Revue générale des sciences pures et appliquées [1891o]. Il s’agit de la moitié de la section
« La géométrie et l’astronomie », page 774 de l’article.
La section IV du chapitre reprend des passages de l’article « Des fondements de la
géométrie, à propos d’un livre de M. Russell », à partir du § 12.
tel-00137859, version 1 - 22 Mar 2007
F – Chapitre VI
Vuillemin dit que ce chapitre reproduit « La mesure du temps » Revue de métaphysique et de
morale [1898j]. En fait, il reprend l’article « Sur les principes de la mécanique », Bibliothèque du
Congrès international de philosophie, tome III, Paris, pp. 457-494 [1901o].
Texte d’origine Modification apportée
Page 112, premier paragraphe : Poincaré ajoute une note qui fait référence à son article
« La mesure du temps » publié dans la Revue de métaphysique et de morale. C’est de là
que provient l’erreur de Vuillemin.
Section « La loi Poincaré reprend les trois premiers paragraphes de cette section dans le chapitre. Tous
d’accélération » (page les autres paragraphes (de la page 118 à la page 124) semblent avoir été ajoutées au
466) moment de la composition du livre. Fait important, Poincaré ajoute des développe-
ments très techniques sur Kirchhoff et fait usage de formules mathématiques.
Section « L’école du Le chapitre VI s’arrête à la fin de cette section. Le reste de l’article est repris dans le
fil » (page 472) chapitre suivant.
G – Chapitre VII
Ce chapitre reproduit la fin de l’article « Sur les principes de la mécanique », Bibliothèque du
Congrès international de philosophie, tome III, Paris, pp. 457-494 [1901o], (à partir de la page 477).
Texte d’origine Modification apportée
Section ‘Le principe de Cette section n’apparaît pas dans le chapitre.
réaction »
Section « le principe du Le chapitre reprend le texte de l’article à partir de cette section.
mouvement relatif »
(page 477)
Henri Poincaré (1854-1912) : Des Mathématiques à la Philosophie 402
Annexe 9 : Écritures et Réécritures, Origines des Œuvres Philosophiques de Poincaré
H – Chapitre VIII
Ce chapitre reprend la préface du livre La thermodynamique [1892s]. Cette reprise n’est pas
complète.
Texte d’origine Modification apportée
Tout le début du chapitre ne provient pas de cette préface et contient quelques déve-
loppements mathématiques. Tout le début du chapitre semble être une refonte de la
section « La conservation de l’énergie » de l’article « Sur les principes de la mécani-
que » [1901o]. Poincaré ne reprend pas les paragraphes mais le contenu semble simi-
laire.
La préface n’est utilisée qu’à partir de la page 144. C’est Poincaré qui l’indique lui-
même par une note.
Page ix La formule suivante n’apparaît pas dans le chapitre VIII :
dx i
= ϕ i ( x 1 , x 2 , . . . , xn ) (i = 1, 2 , . . . , n) .
dt
Page x La formule suivante disparaît également :
( 1) Yi = X i . 1 dx 1 + X i . 2 dx 2 +. . . + X i .n dx n = 0
(i = 1, 2, . . . , n − p)
tel-00137859, version 1 - 22 Mar 2007
de x 1 , . . . , x n telle que
Z 1 Y1 + Z 2 Y2 + . .. + Z n − p Yn − p
Le chapitre ne reprend pas tout le texte de la préface puisque la reprise s’arrête à la
page XIV, juste avant le paragraphe qui commence par « Pour expliquer par quelle
raison tous les physiciens, etc. ».
()
quées (par exemple ∫ 02 x ϕ u sin nu du ) disparaissent. Seule subsiste cette formule :
tel-00137859, version 1 - 22 Mar 2007
2 πM
k
.
k
n
Section III « La proba- Cette section est considérablement allégée. Les formules mathématiques de la page 266
bilité dans les sciences de l’article (1ère colonne) disparaissent, notamment :
physiques » 1 dϕ 1 d ϕ
2
∫∫ ( )
cos at + b dadb , −
2
∫∫ 2 ( )
sin at + b dadb , . . .
t du t da
( )
1
Poincaré conserve cependant la formule suivante : ∑ sin at + b .
n
Section IV « Rouge et Demeure inchangée dans le chapitre XI.
noir »
Section V « La probabi- Demeure inchangée dans le chapitre XI.
lité des causes »
Fin de l’article Elle est reprise in extenso dans le chapitre, sans aucune modification apparente.
M – Chapitre XII
Ce chapitre reprend des passages des préfaces des livres Théorie mathématique de la lumière
[1889e] et Électricité et optique [1901].
Texte d’origine Modification apportée
La première section « La théorie de Fresnel semble provenir de Théorie mathématique de
la lumière.
La préface d’Électricité et optique apparaît à partir de la section « La théorie de Max-
well », page 216 du chapitre XII. Le premier paragraphe de cette section semble être un
ajout (il est absent de la préface).
Jusqu’à la page ix La section qui porte le titre « La théorie de Maxwell » dans le chapitre XII ne contient
aucune modification notable. Elle reprend le texte de la préface jusqu’à la page ix.
Page 219 : Poincaré ajoute le titre « De l’explication mécanique des phénomènes ». Il
continue en fait de suivre le texte de la préface mais en retirant tous les paragraphes
qui contiennent des formules mathématiques.
Pages xii et xiii Ces pages remplies de formules mathématiques sont remplacées dans le chapitre (pp.
222-223) par un autre développement beaucoup moins mathématique.
Fin de la préface (de la Elle n’est pas reprise dans le chapitre.
page xvi à la fin du
texte, § « C’est en
électrostatique… »)
N – Chapitre XIII
Son origine est indéterminée.
Henri Poincaré (1854-1912) : Des Mathématiques à la Philosophie 404
Annexe 9 : Écritures et Réécritures, Origines des Œuvres Philosophiques de Poincaré
O – Chapitre XIV
Ce chapitre reprend vraisemblablement l’article « La fin de la matière », Atheneum 4086 (17
février 1906), pp. 201-202 [1906i]. Vuillemin affirme faussement que cet article fut intégré dans
le chapitre X de La science et l’hypothèse en 1907.
A – Chapitre I
Ce chapitre reprend l’article « Du rôle de l’intuition et de la logique en mathématiques »,
Compte-rendu du deuxième Congrès international des mathématiciens tenu à Paris du 6 au 12 août
1900, Paris, pp. 115-130 [1900k].
Texte d’origine Modification apportée
Pages 116-117 Deux lignes de l’article disparaissent et sont aménagées dans le chapitre parce que les
personnes que cite Poincaré sont mortes.
Page 119 Une figure disparaît.
Page 124 Les lignes suivantes disparaissent dans le chapitre : « Dans l’Enseignement mathémati-
que, cette Revue créée par M. Laisant et qui commence à être bien connue du monde
savant ».
tel-00137859, version 1 - 22 Mar 2007
Page 125 Les lignes suivantes disparaissent dans le chapitre : « Dans ces édifices compliqués
élevés par les maîtres de la Science mathématique, il ne suffit pas de constater la
solidité de chaque partie et d’admirer l’œuvre du maçon, il faut comprendre le plan de
l’architecte. Or, pour comprendre un plan, il faut en apercevoir à la fois toutes les
parties, et le moyen de tout embrasser dans un coup d’œil d’ensemble, c’est l’intuition
seule qui peut nous le donner ».
Page 127 Poincaré supprime une référence à la Revue de métaphysique et de morale pour la
remplacer par une référence à La science et l’hypothèse.
Dernier paragraphe de Il n’apparaît pas dans le chapitre de La valeur de la science : « Je ne puis que soumettre ce
l’article nouveau sujet à vos méditations ; car l’heure nous presse, et cette conférence est déjà
trop longue ».
B – Chapitre II
Ce chapitre reprend l’article « La mesure du temps », Revue de métaphysique et de morale 6, pp.
1-13 [1898j]. Il le reproduit à l’identique.
C – Chapitre III
Ce chapitre reprend la première partie de l’article « L’espace et ses trois dimensions », Revue de
métaphysique et de morale 11, pp. 281-301 [1903b].
Texte d’origine Modification apportée
Page 282 Des références à des articles précédents sont remplacées dans le chapitre (page 56) à
des passages de La science et l’hypothèse.
Page 283 Même procédé (page 57).
Page 286 Même procédé (page 61).
Page 293 Même procédé (page 66).
D – Chapitre IV
Ce chapitre reprend la suite de l’article « L’espace et ses trois dimensions », Revue de métaphy-
sique et de morale 11, pp. 407-429 [1903c]. Le chapitre semble complètement identique à l’article
original.
E – Chapitre V
Reprend l’article « Sur les rapports de l’analyse pure et de la physique mathématique »[1897o].
Nous utilisons ici la version publiée dans les Verhandlungen der ersten internationalen
Mathematiker-Kongresses in Zürich vom 9. bis 11. August 1897, Leipzig, 1898, pp. 81-90.
Le seul changement notable est l’allégement, dans le chapitre (page 111) de la partie consacrée
à Kowaleski (les formules de la page 88 de l’article original n’apparaissent pas).
Henri Poincaré (1854-1912) : Des Mathématiques à la Philosophie 405
Annexe 9 : Écritures et Réécritures, Origines des Œuvres Philosophiques de Poincaré
F – Chapitre VI
Ce chapitre reprend l’article « Grandeur de l’astronomie », Bulletin de la Société astronomique de
France 17, pp. 253-259 [1903h].
Texte d’origine Modification apportée
Quatre premiers Ces paragraphes n’apparaissent pas dans le chapitre VI de La valeur de la science.
paragraphes
Dernier paragraphe de Il disparaît et il est remplacé par le paragraphe suivant : « En résumé, on ne saurait
l’article croire combien la croyance à l’astrologie à été utile à l’humanité. Si Kepler et Tycho
Brahé ont pu vivre, c’est parce qu’ils vendaient à des rois naïfs des prédictions fondées
sur les conjonctions des astres. Si ces princes n’avaient pas été si crédules nous conti-
nuerions peut-être à croire que la Nature obéit au caprice, et nous croupirions encore
dans l’ignorance ».
Le reste de la conférence est repris sans aucun changement dans le chapitre.
G – Chapitre VII
Ce chapitre reprend le début de l’article « L’état actuel et l’avenir de la physique mathémati-
que » [1904m]. Nous utilisons ici la version publiée dans le Bulletin des sciences mathématiques
28 (1904), pages 302-324.
Le chapitre reproduit l’article d’origine sans changement jusqu’à la page 307.
tel-00137859, version 1 - 22 Mar 2007
H – Chapitre VIII
Ce chapitre reprend la suite de l’article « L’état actuel et l’avenir de la physique mathémati-
que » [1904m], de la page 307 à la page 318. Nous utilisons ici la version publiée dans le Bulle-
tin des sciences mathématiques 28 (1904), pages 302-324.
Texte d’origine Modification apportée
Page 135 du chapitre, Poincaré ajoute cette phrase : « J’ai déjà montré plus haut que les
nouvelles théories faisaient bon marché de ce principe ».
Page 318 La reprise s’arrête à cette page, pour reprendre dans le chapitre suivant (chapitre IX).
I – Chapitre IX
Ce chapitre reprend la fin de l’article « L’état actuel et l’avenir de la physique mathématique »
[1904m], à partir de la page 318. Nous utilisons ici la version publiée dans le Bulletin des scien-
ces mathématiques 28 (1904), pages 302-324.
Texte d’origine Modification apportée
Page 319 Trois paragraphes de cette page n’apparaissent pas dans le chapitre.
Page 321 Un paragraphe de cette page n’apparaît pas.
Page 322 La référence à Lindemann est remplacée dans le chapitre par une référence aux travaux
(vraisemblablement plus récents) de Nagaéoka.
J – Chapitre X
Ce chapitre reprend le début de l’article « Sur la valeur objective de la science », Revue de méta-
physique et de morale 10, pp. 263-293 [1902s].
Texte d’origine Modification apportée
Pages 151-152 : il s’agit d’un passage qui ne se trouve pas dans l’article original.
Page 269 Une phrase de cette page n’apparaît pas.
Page 280 (en bas) Fin de la reprise. La suite de l’article est reprise au chapitre suivant.
K – Chapitre XI
Reprend la fin de l’article « Sur la valeur objective de la science », Revue de métaphysique et de
morale 10, pp. 263-293 [1902s], à partir de la page 281.
Texte d’origine Modification apportée
Jusqu’à la fin de la La reprise continue sans aucun changement.
section VI
Pages 184-187 du chapitre : Poincaré ajoute une section VII « La rotation de la Terre » ;
cette section semble avoir été écrite ad hoc.
Henri Poincaré (1854-1912) : Des Mathématiques à la Philosophie 406
Annexe 9 : Écritures et Réécritures, Origines des Œuvres Philosophiques de Poincaré
A – Livre I Chapitre I
Ce chapitre reprend la préface de l’édition américaine de La valeur de la science : « The Choice
of Facts”, The Value of Science, texte traduit en anglais par G. B. Halsted, New-York, 1907. Cette
préface fut publiée également en 1909 dans la revue philosophique américaine The Monist :
“The Choice of Facts”, The Monist 19 (avril 1909), pp. 231-239 [1909o]. Il ne semble pas y avoir
de différences notables entre les deux textes.
B – Livre I Chapitre II
Ce chapitre reprend l’article « L’avenir des mathématiques » [1908m]. Nous utilisons ici la
version publiée dans les Atti IV Congr. Internaz. Matematici, Roma, 11 Aprile 1908, pages 167-
182.
Texte d’origine Modification apportée
Page 171 Une phrase de cette page disparaît dans le chapitre II de Science et méthode.
Section Les six derniers paragraphes de cette section n’apparaissent pas dans le chapitre II (ils
« L’arithmétique » font référence à des théories mathématiques complexes).
(page 174)
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F – Livre II Chapitre II
Ce chapitre reproduit l’article « Les définitions générales en mathématiques », L’enseignement
mathématique 6, pages 257-283 [1904j]. Il porte le titre « Les définitions mathématiques et
l’enseignement ».
Texte d’origine Modification apportée
Page 270 Un paragraphe de cette page n’apparaît pas dans le chapitre de Science et méthode.
Pages 271-272 Quatre paragraphes de ces pages n’apparaissent pas (ils sont consacrés à des problèmes
arithmétiques très techniques).
Pages 274-275 Quatre paragraphes de cette page n’apparaissent pas (ils sont consacrés à la géométrie).
que ».
Pour une analyse exhaustive du contenu de ce chapitre nous renvoyons au livre de Gerhard
Heinzmann, Poincaré, Russell, Zermelo et Peano, textes de la discussion (1906-1912) sur les fonde-
ments des mathématiques : des antinomies à la prédicativité. (Paris : Blanchard), pp. 11-53 [Heinz-
mann 1986].
Texte d’origine Modification apportée
Toute la section d’introduction du chapitre (pages 152 à 155) est un ajout par rapport à
l’article original. Avec la section I du chapitre débute la reprise de l’article original.
Deuxième et troisième Ils disparaissent dans le chapitre correspondant de Science et méthode.
paragraphe de l’article
Section I Quelques modifications.
Section II Elle est reprise dans son intégralité et sans changements.
Section III Elle est enrichie de deux paragraphes dans Science et méthode. Au début de la section (p.
159) Poincaré ajoute un paragraphe qui fait référence à la question de l’induction
complète telle qu’elle avait été traitée dans La science et l’hypothèse. À la fin de la section,
Poincaré ajoute également un petit paragraphe, toujours à propos de la notion
d’induction complète.
Section IV « Définitions Pas de changement important par rapport à l’article original.
et axiomes »
Section V Elle est reprise dans son intégralité et sans changements.
Section VI Elle est reprise dans son intégralité et sans changements.
Section VII « La pasi- Cette section connaît quelques changements dans le chapitre. Le paragraphe en haut de
graphie » la page 168 de Science et méthode est un ajout : « Que le lecteur se rassure, pour com-
prendre les considérations qui vont suivre, il n’a pas besoin de savoir ce que c’est
qu’un nombre ordinal transfini ». Par contre les diverses formules de cette section ne
disparaissent pas.
Section VIII Elle est reprise dans son intégralité et sans changements.
Section IX Cette section n’est pas reprise dans le chapitre. Elle disparaît tout simplement.
Le chapitre s’arrête donc à la section VIII. La suite de l’article (à partir de la section X) est re-
prise dans le chapitre suivant de Science et méthode.
H – Livre II Chapitre IV
Ce chapitre, intitulé « Les logiques nouvelles », reproduit la fin de l’article « Les mathémati-
ques et la logique » [1905n], Revue de métaphysique et de morale 13, pages 815-835. Il reprend
également le second article « Les mathématiques et la logique » [1906m], Revue de métaphysique
1 Poincaré écrivit de 1905 à 1906 trois articles aux titres identiques « Les mathématiques et la logique ». Nous donnons les
références de ces différents textes ainsi que l’utilisation qui en fut faite. Pour éviter toute confusion nous renvoyons à la biblio-
graphie complète de Poincaré qui se trouve à la page 333.
Henri Poincaré (1854-1912) : Des Mathématiques à la Philosophie 408
Annexe 9 : Écritures et Réécritures, Origines des Œuvres Philosophiques de Poincaré
et de morale 14, pages 17-34. La reprise de cet article intervient à partir de la page 179 du chapi-
tre, section VI, « La logique de Hilbert ».
Les modifications sont trop nombreuses et trop complexes pour être mentionnées ici. Nous
renvoyons donc au livre de Gerhard Heinzmann, Poincaré, Russell, Zermelo et Peano, textes de la
discussion (1906-1912) sur les fondements des mathématiques : des antinomies à la prédicativité. (Pa-
ris : Blanchard), pp. 11-53 [Heinzmann 1986]. Les différentes variantes des textes y sont identi-
fiées clairement.
I – Livre II Chapitre V
Ce chapitre, intitulé « Les derniers efforts des logisticiens », reprend le troisième article « Les
mathématiques et la logique », Revue de métaphysique et de morale 14 (1906), pp. 294-317 [1906n].
Les modifications sont trop nombreuses et trop complexes pour être mentionnées ici. Nous
renvoyons donc au livre de Gerhard Heinzmann, Poincaré, Russell, Zermelo et Peano, textes de la
discussion (1906-1912) sur les fondements des mathématiques : des antinomies à la prédicativité. (Pa-
ris : Blanchard), pp. 11-53 [Heinzmann 1986]. Les différentes variantes des textes y sont identi-
fiées clairement.
J – Livre III Chapitre I
tel-00137859, version 1 - 22 Mar 2007
la version publiée dans le Bulletin de la Société astronomique de France 14, pp. 513-521, sous le
titre « La mesure de la Terre et la géodésie française ».
Le chapitre reprend l’article du Bulletin sans changement notable si ce n’est quelques aména-
gements de style (l’article étant à l’origine une conférence faite à la Séance publique annuelle
de la Société Astronomique de France). Néanmoins, deux illustrations disparaissent : une carte
représentant la mesure d’un arc du méridien faite en 1739 par Cassini et une gravure tirée
d’un livre sur la mesure de la Terre.
O – Conclusions générales
Elles ont vraisemblablement été rédigées ad hoc.
Annuaire du Bureau des Longitudes 3 Revue générale des sciences pures et appli- 1
quées
Acta mathematica 1 Revue des questions scientifiques 1
Bulletin de la Société Française de Physique 1 Revue scientifique 1
Journal de l’École Polytechnique 1 Le Matin 1
Annuaire de l’École Polytechnique 1 Bulletin de la Société Astronomique de France 1
Éclairage électrique 1
Livre (brochure) 1
Lumière électrique 1
Bulletin astronomique 1
Total 17 Total 7
Tableau 11 Nature des sources pour Savants et écrivains
A – 24 janvier 1899
Jean Aicard, homme de Lettres ; E. Beaumont, ancien chef d’institution ; A. Bellaigue, ancien
président de l’ordre des avocats au Conseil d’État et à la Cour de Cassation ; Bertin, photo-
graveur ; Émile Boutroux, de l’Académie des Sciences Morales et Politiques.
Adolphe Carnot, de l’Académie des sciences ; Chabaud, constructeur d’instruments de préci-
sion ; Étienne Charavay, archiviste-paléographe ; Jules Clarétie, de l’Académie française ; J.
Cornély, publiciste ; Alfred Croiset, de l’Académie des inscriptions, arts et Belles Lettres.
Gaston Darboux, de l’Académie des Sciences ; Gaston Deschamps, homme de lettres ; Ducré-
tet, constructeur d’instruments de physique ; Henry Ferrari, directeur de la Revue bleue ; Paul
Janet, de l’Académie des Sciences Morales et Politiques ; Raymond Kœchlin, publiciste ; Th.
Kuss, receveur de l’enregistrement à Paris.
G. Larroumet, de l’Académie des Beaux-Arts ; J.-P. Laurens, de l’Académie des Beaux-Arts ;
Ernest Lavisse, de l’Académie Française ; Charles de Layens ; H. Lemonnier, chargé de cours à
la Sorbonne ; Lequeux, ingénieur des arts et manufactures ; Anatole Leroy-Beaulieu, de
l’Académie des Sciences Morales et Politiques.
F. Mercadier, directeur des études à l’École Polytechnique ; Pierre Mille, publiciste ; Gaston
Paris, de l’Académie Française ; F. de Rodays, directeur du Figaro.
Victorien Sardou, de l’Académie Française ; Sully Prudhomme, de l’Académie Française.
Gustave Babin, publiciste.
B – 26 janvier 1899
MM. H. Poincaré, de l’Académie des Sciences ; van Tieghem, de l’Académie des Sciences ;
Général Sebert, de l’Académie des Sciences ; Maurice Lœwy, de l’Académie des Sciences.
MM. Léopold Thézard, sénateur de la Vienne, doyen honoraire de la Faculté des Lettres de
Poitiers ; Volland, sénateur de Meurthe-et-Moselle, ancien bâtonnier de l’ordre des avocats à la
Cour de Nancy ; Théodore Girard, sénateur des Deux-Sèvres ; Francisque Raymond, sénateur
de la Loire, directeur honoraire de l’École Centrale ; docteur Ouvrier, sénateur de l’Aveyron ;
E. Nyegard, pasteur, président du consistoire de Nancy ; Charles Vallat, botaniste ; docteur
Pierre Vallat ; E. Sorel, docteur Rigabert, Mortimer Sommervogel, André Barrier, avocat à la
Cour D’appel, docteur en droit ; docteur Coste, sénateur de l’Yonne, président du Conseil
Général de l’Yonne.
MM. Monis, sénateur de la Gironde ; Chaumié, sénateur de Lot-et-Garonne, maire d’Agen ;
Gustave Denis, sénateur de la Mayenne, président du Conseil général ; Maxime Lecomte,
Henri Poincaré (1854-1912) : Des Mathématiques à la Philosophie 412
Annexe 10 : Henri Poincaré et l’Engagement Public
de l’Université ; J. Leroy fils, opticien, Louis Lignières, publiciste ; Isidore Lang, licencié ès
sciences mathématiques ; Théodore Lefebvre ; Alphonse Falco, ancien président de section au
tribunal de commerce de la Seine ; Georges Duvernoy, élève des sciences politiques ; docteur
Henri Martin ; Marie de Saint-Georges, ancien receveur central des finances ; Frédéric Mous-
say, maître de conférences à l’École Normale Supérieure ; Albert Louvet, manufacturier ; Ro-
ger Meyer, avocat à la Cour d’appel ; Émile Meyer, manufacturier.
MM. Jules Herbette, ambassadeur de la République française ; Adolphe Lacan, docteur en
droit ; docteur Émile Neumann ; Mme Edgar Quinet ; Henri Boursier, employé de faculté ;
Darlu, professeur agrégé de philosophie ; Marcel Dourgnon, architecte du nouveau musée des
antiquités égyptiennes ; Lefort, conseiller municipal de Rouen ; Roche, agrégé de lettres ; Gus-
tave Gasser, journaliste.
MM. Docteur Frantz Glénard, correspondant de l’Académie des Sciences ; Albert Le Roy,
avocat, docteur ès lettres, conseiller général de l’Ardèche ; Jules Chauvin, licencié ès lettres ; A.
Charles, proviseur honoraire ; Léon Moulin, licencié ès lettres ; Georges Mouret, examinateur à
l’École Polytechnique ; Gustave Popelin, artiste peintre ; Victor Nicaise, interne des hôpitaux ;
René de Pont-Jest ; Gustave Jourdan.
MM. H. Léauté, membre de l’Institut, professeur à l’École Polytechnique ; docteur Béclère,
médecin à Saint-Antoine ; Émilien Giraud, avocat à la Cour ; J. Cator, professeur à Janson-de-
Sailly ; Émile de Bellomayre, ancien magistrat ; Théodore Cahu, homme de lettres ; Mermeix,
publiciste ; Michel Bréal, membre de l’Institut ; Henri Bréal, avocat à la Cour d’appel ; Jean
Bernard, président du syndicat des journaux de langue française paraissant à l’étranger ; E.-S.
Auscher, ingénieur des arts et manufactures ; René Huette, publiciste ; E. Mossot, professeur
agrégé de l’Université ; Maurice Roger, agrégé de l’Université ; A. Huillard, industriel à Su-
resne.
MM. Raymond Poincaré, député ; Levallois, négociant ; docteur Chandebois, trésorier hono-
raire de l’Association générale des étudiants ; Pellat, élève de l’École des sciences politiques ;
Gastambide, Delfau, Pelvet, de l’École nationale supérieure des mines ; Maret, docteur en
médecine ; G. Lamouroux, bibliothécaire à Sainte-Geneviève ; G. Meyer ; Maurice Flamand,
étudiant en droit ; Maurice Ditte, étudiant en droit ; Henry Juissard, étudiant en médecine ; A.
Fauquet ; Albert Wahl, ingénieur de la marine ; Gustave Vapereau, homme de lettres, inspec-
teur général de l’instruction publique ; G. Gutesmann, licencié ès sciences ; Édouard Sarrasin ;
G. Leven, interne à l’hôpital Cochin.
Ce matin, à midi, le comité avait reçu les nouvelles adhésions suivantes :
Henri Poincaré (1854-1912) : Des Mathématiques à la Philosophie 413
Annexe 10 : Henri Poincaré et l’Engagement Public
MM. Abel Hermant, homme de lettres ; Max Leclerc ; Le Corbellier, éditeur, ancien maire de
Meudon ; Paul Carpentier, avocat à Lille ; L. Baudoin ; A. Basquin, avocat à Lille ; A. Magnien,
ouvrier mécanicien ; R. Jalliflet, professeur agrégé de l’Université ; Lazare Weiller, ingénieur
officier de la Légion d’honneur ; Paul Lejeune ; Paul Jalaguier, agent général du consistoire de
l’église réformée ; Ernest Guingand, marchand de bois, conseiller municipal à Briare-Loiret ;
Gabriel Debort ; Jacques Lemonnier, docteur en droit ; Achille Acis, professeur de rhétorique
au lycée Louis-Le-Grand.
MM. Alexis Noël ; Marcel Drouin, agrégé de philosophie ; Albert Wahl, professeur à
l’Université de Lille ; Georges Leser, chimiste ; André Lemonnier, licencié ès lettres ; L. Roy,
proviseur du lycée de Chartes ; Paul Cazeneuve, professeur à la Faculté de médecine, vice-
président du conseil général du Rhône ; Henri Schirmer, maître de conférences à la Faculté des
lettres de Paris ; Pierre Mortjé, étudiant ; Léon Forzinetti ; Ferdinand Scheurer ; Albert Petot,
professeur à la faculté des sciences de Lille.
MM. Julien Genet, chevalier du Mérite agricole ; B. Saint-Chaffray, ministre plénipotentiaire
en retraite ; Octave Aubert, rédacteur en chef de l’Indépendant de Pau, avocat ; Ch. Perotte-
Deslandes ; Kellerman, directeur honoraire des douanes ; Édouard Tacquard ; J. Rollet ; Victor
Nicaise, interne des hôpitaux ; Joseph Texte, professeur à la Faculté des lettres de Lyon ; A.
Sabatier, doyen de la Faculté de théologie ; F. Chaniac, agrégé de l’Université, professeur au
tel-00137859, version 1 - 22 Mar 2007
MM. Hector Degeorge, architecte expert près le tribunal ; baron Maxime Trigant de la Tour,
membre du Conseil héraldique de France ; contre-amiral Reveillère ; Fernand Bazire, ancien
procureur de la République ; E. Leprêtre, ingénieur civil ; docteur Jules Puig ; Jules Lucas,
ancien bâtonnier de l’ordre des avocats ; Léon Nunès, directeur du théâtre des Folies-
Dramatiques ; Charles Bruston, doyen de la faculté de théologie de Toulouse ; René Grosdi-
dier, membre du Conseil général, maire de Commercy ; Victor Favier, comptable ; H. Boudoin,
employé de commerce ; F. Massy ; Léon Bérard ; E. Braud ; Dumont, comptable.
MM. F. Sapet ; N. Barraud, comptable ; Georges Chappelet, employé de commerce ; Marcel
Proust ; Georges Paraf, publiciste ; N.-G. Amson ; Louis Corbin, instituteur à Cherbourg ;
Joseph Kügelmann, imprimeur ; Valentin Smith, licencié en droit ; Austin de Croze, homme de
lettres ; Jules Koch ; Georges Brégand, rédacteur au Matin ; Gilbert Esmelin, directeur politique
de l’Indépendant auxerrois ; J. B. Etaix, secrétaire de la rédaction de l’Indépendant auxerrois ; Hen-
ri Sausset, avocat.
D – 28 janvier 1899
MM. Arthur Cléry, architecte voyer honoraire de la ville ; Flurer, professeur à la faculté de
droit de Lyon ; Camille Oudinot, homme de lettres ; Fernand Gavardy, ministre plénipoten-
tiaire ; Charles Bémont, directeur adjoint à l’École des hautes études ; Victor Moinaux, Aima-
tel-00137859, version 1 - 22 Mar 2007
ble Cochin, littérateur ; Bonn, colonel de cavalerie en retraite ; Louis Villette, principal clerc de
notaire ; Émile Weill, agrégé de l’Université ; Marcel Noyer, receveur de l’enregistrement ;
Paul Calmann-Lévy, éditeur.
MM. Worms de Romilly, avocat à la Cour d’appel ; Boissonnade, professeur à l’Université de
Poitiers ; Georges Lespagnol, agrégé de l’Université ; M. Hirsch-Pasteur, Eugène Mouvier,
étudiant en médecine ; A. Bourdon, ingénieur ; Dollfus, ingénieur civil ; L. Cochet, ingénieur
des arts et manufactures ; L.-J. Bertrand, rentier ; Mlle Alice Bertrand, directrice d’institution ;
L. Lingrand, pharmacien de première classe.
MM. Baur, professeur au lycée de Limoges ; Maurice Colrat, avocat à la Cour d’appel ; Labou-
riau, Georges Picard, Vaurs, Michel Peter, Claude Debussy, Adolphe Sykucki, Auguste Salles,
professeur à Janson-de-Sailly ; Émile Paz, Léon Santupéry, ancien chef de cabinet au ministère
de la justice ; E. Lamarre, vicomte et vicomtesse de Dax, André Marchand, Eugène Blot, fon-
deur-éditeur ; van Gelder, céramiste ; D. Huguenin.
MM. François Benoit, docteur ès lettres, professeur d’histoire au lycée d’Amiens ; Albert Wad-
dington, professeur à la faculté de lettres ; P. De Rouville, doyen honoraire de la faculté des
sciences de Montpellier ; Combeau, industriel ; Amand Brette, publiciste ; A. Jacquin, docteur
Gilbert Ballet, médecin de l’hôpital Saint Antoine, professeur agrégé à la faculté de médecine
de Paris ; docteur Albert Mathieu, médecin des hôpitaux ; A. Prunet, professeur à l’université
de Toulouse ; Émile Brylinski, ingénieur ; Gustave Favier, conseiller à la Cour d’appel de
Montpellier ; A. Baquin, avocat à Lille.
MM. Émile Cotte, professeur de philosophie au collège de Romans ; Paul Tintellin, conducteur
des ponts et chaussées à Romans, Théodore Jays, propriétaire à Romans ; Théodore Debard,
greffier à Romans ; Élie Bouët, professeur de physique au collège de Romans ; Georges Rimet,
clerc d’avoué, professeur à l’Association Polytechnique, à Romans ; Hector Genouy, profes-
seur d’anglais au collège de Romans ; François Couvert, professeur à l’école pratique de Ro-
mans ; Paul Housselot, inspecteur honoraire d’Académie ; Paul Saillard, Lucien Proust, Al-
phonse Drapé, docteur en droit ; docteur Luc, ancien interne des hôpitaux ; Jules Martha, pro-
fesseur à la Sorbonne.
MM. H. Schrader, Camille Marcou, E. Marty, agrégé de l’Université ; Gaston Isambert, avocat
à la Cour d’appel, lauréat de l’école libre des sciences politiques ; Henri Amie, homme de
lettres ; Maurice Jambut, Alphonse Ledru, avocat à Versailles, ancien bâtonnier ; P. Brocadet,
étudiant en pharmacie ; E. Vallé, sénateur de la Marne, Étienne Siry.
MM. Emmanuel Daubrée ; Jean Thorel, homme de lettres ; J. Crémieux, ancien volontaire du
24ème de ligne, armée du Nord ; Porchon, professeur au lycée Hoche ; Léon Estivaut ; G. Millet,
Henri Poincaré (1854-1912) : Des Mathématiques à la Philosophie 417
Annexe 10 : Henri Poincaré et l’Engagement Public
Charles Mantoux, interne des hôpitaux ; Julien Wahl, Walery, photographe ; Gustave Fabre
(Nîmes) ; Mme Gustave Fabre.
MM. Monard ; E. Salamagnon ; Félix Pietrement, Neuilly ; Louis Legendre, auteur dramati-
que ; A. Moutier, directeur d’école normale primaire ; docteur Maurice Casaud, Vibraye (Sar-
the) ; Fourcomble de Medennier, architecte ; Louis Tahlheimer, architecte expert ; Édouard
Covelet ; docteur Louis Monod ; J. Hirsch, professeur au Conservatoire des arts et métiers ;
Henry Kapferer, ingénieur civil.
1
F – 29 janvier 1899
MM. Marcel Daninos, étudiant en droit ; Henri Maistre, publiciste ; J. Cazajeux, publiciste ; Ch.
Limousin, Édmond Sée, Maurice Zablet, publiciste ; Cahen-Strauss, ingénieur des arts et ma-
nufactures ; docteur Millard, médecin honoraire des hôpitaux ; Girard, ancien officier ; Jules
Guieysse, étudiant en droit ; Devèze, homme de lettres ; Léon Bonnet, commis en librairie ;
Charles Dujarier, interne des hôpitaux ; docteur Féron.
MM. François Ehrmann, artiste peintre ; comte F. d’Aiguy, Léopold Schulhof, astronome ; L.
Anglas, artiste peintre ; Georges Diéterle, maire de Criquebeuf-en-Caux, conseiller
d’arrondissement ; Henri Pothier, professeur au lycée Montaigne ; Mme Renée Lafont, licen-
ciée ès lettres.
tel-00137859, version 1 - 22 Mar 2007
MM. Louis Baize, agrégé de l’Université ; Louis Dolet, Fesles, orfèvre ; Pestres, professeur à
Étampes, H.-L. Pialer, Louis Constant, Eugène Mantin, Henri Etlicher, inspecteur des postes et
télégraphes en retraite ; A. Samuel.
MM. Poirrier, sénateur de la Seine ; Girault, sénateur du Cher ; René Legendre, avocat à la
Cour d’appel ; Hervé de Saisy, sénateur ; René Goblet, ancien président du Conseil ; Paul
Strauss ; Eugène Barban, rentier ; Édmond Stapfer, professeur à l’Université de Paris ; Julet,
avocat, ancien expert à la Cour d’appel de Paris ; docteur Béclère père.
MM. Georges Benoist, licencié ès lettres ; Charles Wagner, industriel ; Paul Camberlin, publi-
ciste ; Guillemet, député de la Vendée ; docteur Michaux, Georges Chaudey, ancien député ;
Sciama, membre de la Chambre de Commerce de Paris ; Aries, ancien maire de Bry-sur-
Marne ; A. Bouillon, professeur honoraire au lycée Condorcet ; Détroyat, inspecteur ingénieur
des télégraphes, en retraite ; Ch. Toussaint, artiste peintre.
MM. le baron Félix Oppenheim ; Paul Pélicier, archiviste-paléographe ; Xavier Koenig, pas-
teur ; Le Bouteux ; Uhry, ancien conseiller général et juge consulaire à Constantine ; Paul Cor-
riez, Ernest Schlumberger, Henri Cordier, R. Douen, rentier ; Charles Saint-James.
MM. Schreiber, représentant de fabrique ; Warnet, Henri Gallais, ancien lieutenant de réserve ;
L. Meyer, S. Bloch, professeur au lycée Janson-de-Sailly ; F. Signard, chef de division au minis-
tère de l’agriculture en retraite ; André Delfau, externe des hôpitaux ; Émile Saussine, élève à
l’école coloniale ; Ed. Picard, licencié en droit ; L. Guichard.
MM. A. Picheral, étudiant en droit ; J. Daroussin, étudiant en droit et élève à l’école coloniale ;
J. Niel, étudiant en pharmacie ; Philippe Cleiss, étudiant en lettres ; A. Bertrand, étudiant en
lettres ; Draussin, étudiant en théologie ; Armand Sabatier, membre correspondant de
l’Institut.
MM. Frédéric, Euzière, député ; S. Wolff inspecteur général des ponts et chaussées en retraite ;
Paul Tridon, interne provisoire des hôpitaux ; D. Baumal, libraire à Lorient ; Maurice Muret,
conseiller général de Seine-et-Oise, maire de Margeney ; Victor Mortet, bibliothécaire de
l’Université ; Charles Mortet, conservateur à la bibliothèque Sainte-Geneviève ; Émile Gallet,
maître-verrier, Nancy ; Albert Kaempfen, directeur des Musées nationaux ; Albert Wadding-
ton, professeur à la faculté des lettres à Lyon.
MM. Barat, rédacteur en chef du Progrès de l’est, Nancy ; de Schaecken, secrétaire de la rédac-
tion du Progrès de l’est, Nancy ; Max Gérard, au Progrès de l’est ; Flurer, professeur à la faculté
de droit de Lyon ; Jules Drach, maître de conférences, faculté des sciences, Clermont-Ferrand ;
docteur en droit.
G – 30 janvier 1899
MM. docteur A. Langlois, docteur Wallez, H. Géminard, pasteur, président du Consistoire de
Florac ; C. Broussais, propriétaire à Coulombes ; docteur Alfred Goguel, H. Santis, agrégé de
l’Université de Grenoble ; P. de Felice, pasteur à Enghien.
MM. A. Lamotte, Vincennes ; Louis Château ; Georges Serpin ; Fernand Bernheim, interne des
hôpitaux ; docteur H. Cuvillier, ex-interne des hôpitaux ; docteur Dieterle ; Lucien Ferrand,
licencié ès sciences physiques.
MM. Armand, pasteur, Montélimar ; G. Quesnel, directeur de l’école supérieure de commerce,
Montpellier ; docteur Fernand Merlin, Saint-Étienne ; E. Fallot, pasteur, Sainte-Croix (Drôme) ;
G. Darboux, agrégé de l’Université, Montpellier ; docteur Debled ; A. Serpin, ancien magistrat.
MM. H. Lanta ; Jules Maldidier, agrégé de philosophie ; A. Baset-Bonnefons, ancien indus-
triel ; Paul Sirvin, agrégé de lettres ; André Cohen, étudiant en lettres ; Ulysse Aubry.
MM. Jules Joulin, receveur des postes en retraite ; André Lalande, professeur de philosophie ;
Géo Blott ; Alfred Joulin, employé de commerce ; Odysse Barot.
MM. Julien Dupré, artiste peintre ; Ch. Benezech, avocat ; Recolin, publiciste à Pau ; docteur A.
Hamon, S. Strowski, professeur de philosophie à Pontivy.
MM. E. Fontanès, président honoraire du Consistoire du Havre ; Jules Griset ; comte Georges
de Vissec ; Léon Zoude, ingénieur des arts et manufactures ; Édmond Bickard-Sée ; Émile
Javet, chimiste ; Eugène Caen, ancien adjoint du 3ème arrondissement.
MM. Armand Colin ; René Lemesle, étudiant en médecine ; B. Grawitz, pasteur ; Henry Raby,
professeur honoraire, conseiller municipal à Moulins ; F. Kenelon, propriétaire, ancien volon-
taire de Crimée, membre fondateur de la Société des anciens militaires ariégeois.
MM. Chassagny, professeur à Janson-de-Sailly ; J. Lainé, étudiant ; Adolphe Puget, industriel ;
E. Berton, pasteur, président du Consistoire de Sauve ; Armand Baze, secrétaire général de la
crèche laïque ; A. Jorlot, professeur au collège de Lunéville.
MM. Gustave Charpentier, compositeur de musique ; C. Jonnart, député ; Paul Chambard,
Mulhouse ; J. Berr de Turique ; A. Kapferer ; M. Avril, Rambouillet ; A. Fontaine, professeur au
lycée d’Alger ; Mme veuve Marie Caron, à Néauphle-le-Château.
MM. Henry Carnoy, directeur de la Tradition ; Édmond Guérin ; Depreux, sénateur ; Ernest
Jaubert, homme de lettres ; E. Barillon, professeur à l’Université (Beauvais) ; Jean Fourcade,
soldat pendant quinze ans, Oloron-Sainte-Marie ; Alfred Engel ; Ernest Verdier ; E. Staubach ;
Henri Poincaré (1854-1912) : Des Mathématiques à la Philosophie 420
Annexe 10 : Henri Poincaré et l’Engagement Public
Mme Robert ; Mlle Robert, ex-directrice d’école normale ; M. Perseil, instituteur ; Mme Perseil,
professeur d’école normale.
MM. Delabrousse, instituteur ; Gras, instituteur ; Mme Gras ; Mme Leclerc, institutrice ; For-
get, pasteur, Angers ; Léon Boucher, professeur à la faculté des lettres, Besançon ; Paul Marin,
manufacturier à Buhl (Alsace) ; Garapin, notaire honoraire, Orléans ; L. Matruchot, maître de
conférences à la faculté des sciences, Paris ; H. Draussin, pasteur et publiciste, Pontarlier ; A.
Chocarne, industriel ; Henri Aboulier, externe des hôpitaux ; docteur Raymond Stora, Georges
Stora, licencié en droit ; Joseph Roberge, Honfleur ; Pierre Hoguet, licencié en droit ; Léon
Chailley ; Mme Léon Chailley.
MM. Lucien Louvel, Rouen ; docteur Jacob, à Guerchy (Yonne) ; Charles Dijols, avocat ; René
Emond ; Munier, ancien principal du collège d’Auxerre ; A. Lacoin, maire de Saint-Cyr-du-
Gault ; docteur Paul Balt, (Garches) ; Æschismann, professeur au lycée Victor Hugo ; C. Gilar-
doni, manufacturier à Pargny ; Paul Pozzi-Escot ; docteur L. Hernette, Saint-Martin-de-Ré.
2
J – 7 février 1899
Depuis la dernière liste que nous avons publiée, le comité de l’Appel à l’Union a encore reçu
de nombreuses adhésions. Nous relevons parmi celles-ci les noms suivants :
MM. Delpech, sénateur ; Léon Grenier, inspecteur général honoraire ; Thierry de la Noue,
député ; Georges Manœuvrier, directeur adjoint à l’École des hautes études ; le comité de
l’Union pour l’action morale ; Maurice Bouchor, homme de lettres ; Ferdinand Buisson, direc-
teur honoraire de l’instruction primaire.
MM. G. Deherm, directeur de la Coopération des idées ; Paul Desjardins, professeur à Miche-
let ; E. Devenat, directeur à l’école normale d’instituteurs ; Arthur Fontaine, sous-directeur à
l’office du travail ; Charles Jacquard, Léon Letellier, professeur ; Henri Provin, professeur ; F.
Schrader, professeur à l’école d’anthropologie.
MM. Gabriel Séailles, professeur à la Sorbonne ; Émile Morel, professeur à Lakanal ; J. Lecoq,
agrégé de l’Université ; L. Eydeen Schenk, agrégé de l’Université ; Auguste Petit, docteur ès
sciences ; C. Wagner, pasteur ; docteur H. Hoël, médecin à l’Hôtel-Dieu ; Édmond Lambert,
ancien élève de l’École Polytechnique ; André Paisant, avocat à la Cour d’appel ; Alfred Etié-
vant ; M. Decrespe ; Édouard Parly, conseiller d’arrondissement à Troyes ; Leclerc, caissier à la
caisse d’épargne à Troyes ; Denizot, conseiller général de l’Aube ; Cazals, agrégé de
tel-00137859, version 1 - 22 Mar 2007
2 La liste des nouveaux signataires est précédée d’un communiqué des membres du comité :
« Les membres du comité remercient leurs adhérents de l’appui moral qu’ils lui ont apporté dans la crise présente. Ils étaient mus
par le respect de la magistrature et le respect de l’armée ; plus que jamais ils estiment que ces deux sentiments doivent rester
étroitement unis.
Ils redouteraient de voir le régime des lois de circonstances se substituer à celui de la légalité. Ils voient la campagne dirigée
contre une partie de la Cour suprême s’étendre dès maintenant à cette cour toute entière.
Ils adjurent tous les bons citoyens d’envisager la gravité d’une crise nouvelle qui risquerait de détruire jusqu’à la notion de la loi.
Ils maintiennent plus que jamais leurs principes d’union dans la légalité. Ils engagent leurs amis à les défendre dans l’intérêt de la
patrie.
Pour le comité :
Jean Aicard, homme de lettres ; Gustave Babin, publiciste ; E. Beaumont, ancien chef d’institution ; Adolphe Carnot, de
l’Académie des Sciences ; J. Cornely, publiciste ; Alfred Croiset, de l’Académie des inscriptions et belles lettres ; Gaston Darboux,
de l’Académie des Sciences ; Gaston Deschamps, homme de lettres ; Joseph Fabre, sénateur ; Henry Ferrari, directeur de la Revue
bleue ; Paul Janet, de l’Académie des sciences morales et politiques ; Raymond Kœchlin, publiciste ; Larroumet, de l’Académie des
beaux-arts ; Ernest Lavisse, de l’Académie Française ; Charles de Layens ; H. Lemonnier, chargé de cours de la Sorbonne ; Ana-
tole Leroy-Beaulieu, de l’Académie des sciences morales et politiques ; E. Mercadier, directeur des études à l’École Polytechni-
que ; Pierre Mille, publiciste ; Gaston Paris, de l’Académie Française ; F. de Rodays, directeur du Figaro ; Victorien Sardou, de
l’Académie Française ; Sully Prudhomme, de l’Académie Française ».
Henri Poincaré (1854-1912) : Des Mathématiques à la Philosophie 423
Annexe 10 : Henri Poincaré et l’Engagement Public
Attendu qu’il importe de procéder à l’examen critique de divers systèmes ou études grapho-
logiques auxquels a donné lieu la pièce dit ‘bordereau’ - de ceux notamment qui ont été pré-
sentés soit officiellement soit officieusement par MM. Bertillon, Valério, Corps, et par un an-
cien élève de l’École Polytechnique (imprimerie Hardy et Bernard, 80 Rue de Bondy, 1904).
Ordonne qu’il soit fait par MM. Poincarré (sic), Darboux et Appell, serment préalablement
prêté, conformément à l’article 44 du code d’Instruction Criminelle, devant le Président de
cette chambre, de faire leur rapport et de donner leur avis en leur honneur et conscience ;
Dit en conséquence que, pour l’accomplissement de leur mission, MM. les Experts pourront,
d’une part, se mettre en rapport avec les auteurs, – (sus désignés et autres s’il y échoit), – des
systèmes ou études précitées, afin de provoquer de leur part toute précision et explication ; –
Qu’ils sont admis d’autre part à faire appel aux concours techniques qui leur paraîtraient uti-
les, tels que celui, s’il y a lieu, du Bureau des Longitudes, et à mettre en œuvre, en un mot,
tous moyens d’ordre scientifique pouvant contribuer à la manifestation pleine et entière de la
vérité ;
Dit, en outre, qu’il lui en sera référé au cas où des saisies de pièces ou toutes autres mesures
d’information seraient nécessaires aux fins de la présente ordonnance ;
Ordonne que la pièce dite : Bordereau, les diverses reproductions qui en ont été faites originai-
rement et depuis à différentes époques, – les lettres signées Esterhazy, datées l’une de Cour-
tel-00137859, version 1 - 22 Mar 2007
bevoie 17 avril 1892, saisies chez le sieur Schmidt, et l’autre de Rouen, 17 août 1894, saisie chez
le sieur Callé, – la lettre dite du buvard et celles, ensemble, avec lesquelles cette lettre a été
saisie, – ainsi que toutes autres pièces de comparaison comprises dans les procédures, et toutes
celles qui seraient ultérieurement placées sous la main de la Justice, seront mises, au Greffe de
la Chambre criminelle, à la disposition de MM. les Experts, qui, après avoir procédé à
l’exécution de leur mission, déposeront un rapport dans le plus bref délai possible au dit
greffe.
Ainsi délibéré et fait en la Chambre du Conseil de la Chambre Criminelle, le dix-huit avril mil
neuf cent quatre.
Pour expédition conforme.
[illisible]
B – La Cour de Cassation à Henri Poincaré
Cour Paris, le 18 avril 1904
de Cassation
PARQUET
Du
Procureur Général
Monsieur,
Par arrêt de ce jour, la Chambre Criminelle de la Cour de Cassation vous a désigné comme
expert dans l’enquête qu’elle a ordonnée au sujet de la demande de révision concernant
l’affaire Dreyfus.
J’ai l’honneur de vous adresser ci-joint une [illisible] de cet arrêt qui indique la mission qui
vous est confiée ainsi qu’à MM. Darboux et Appell.
J’ai l’honneur de vous prier de vous présenter mercredi prochain 20 avril 1904 à une heure
dans le cabinet de M. Le Président de la Chambre Criminelle au Palais de Justice pour y prêter
serment [illisible] et y recevoir les diverses pièces nécessaires à l’accomplissement de votre
mission.
Veuillez agréer, Monsieur, l’assurance de ma considération la plus distinguée.
Le procureur général.
M. Poincaré, membre de l’Institut.
Henri Poincaré (1854-1912) : Des Mathématiques à la Philosophie 425
Annexe 10 : Henri Poincaré et l’Engagement Public
Monsieur,
J’ai l’honneur de vous envoyer les 2 clichés faits au Ministère de la Guerre à l’arrivée du bor-
dereau - Ainsi que je vous l’ai dit l’autre jour, j’ai retrouvé ces clichés accompagnés d’un bor-
dereau sur lequel le colonel Henry avait écrit la date du 12 octobre 1894.
Veuillez agréer, Monsieur, l’assurance de ma considération très distinguée.
[illisible]
D – Le Ministère de la Guerre à Henri Poincaré
Ministère République Française
de la Guerre
Cabinet Paris, le 23 avril 1904
tel-00137859, version 1 - 22 Mar 2007
du Ministre
Monsieur,
Suivant votre désir, le bordereau sera porté vendredi, 8h ½ du soir, à l’observatoire.
Veuillez agréer l’assurance de mon respectueux dévouement.
Signature illisible
E – Questionnaire de l’interrogatoire de Bertillon
I– Le compte rendu sténographique des débats de Rennes publié chez Stock est-il exact en ce
qui vous concerne ?
II– La « brochure verte » (par un ancien élève de l’École Polytechnique) expose-t-elle exacte-
ment votre système ? (2)
III– Les planches de cette brochure sont-elles exactes ? (3)
IV– Comment a été obtenue la reconstitution du bordereau ?
Vous avez commencé par agrandir 10 fois ?
De quel appareil d’agrandissement vous êtes vous servi ?
Quelle était la distance focale du système optique et la position de ses points nodaux ?
Quelles précautions avez-vous prises pour que l’axe optique du système soit bien perpendicu-
laire au tableau de projection ?
Avez-vous obtenu l’épreuve en une seule pose, ou y-a-t-il eu une série de poses pour les di-
verses parties du bordereau ?
Les épreuves ainsi obtenues existent-elles encore ?
Y voit-on les traces de la graduation millimétrique que vous aviez appliqué contre le cliché ?
Si ces carrés étaient découpés et espacés, comment se fait-il que les lignes et les traits de
l’écriture se raccordent ?
/
V– Comment déterminez-vous le bord libre du bordereau, le papier portant une série de dé-
chirures et n’étant pas rectiligne, même quand on fait abstraction de ces déchirures. En
d’autres termes, en quels points avez-vous mesuré la distance du filigrane au bord libre, tant
au bord vertical qu’au bord horizontal ?
Avez-vous admis que les deux bords du papier étaient rigoureusement rectangulaires ?
Quelle était l’inclinaison de la chaîne des réticules sur les filigranes ?
VI– Page 329, vous avez dit que les maculatures n’étaient pas symétriques ; quelles sont celles
où vous avez constaté cette dissymétrie ?
Henri Poincaré (1854-1912) : Des Mathématiques à la Philosophie 426
Annexe 10 : Henri Poincaré et l’Engagement Public
VII– Que signifient les lignes 21, 22, 23 de la page 330 : « Nous verrons plus loin… » ?
VIII– Quels sont les points de chaque lettre initiale que vous comparez au réticule ?
IX– Explications sur les déplacements du gabarit page 348 ; pourquoi 11 déplacements ?
Quelle est la grandeur de ces déplacements ?
X– Dans le tableau I de la Brochure verte, quels sont les mots entre lesquels il y a coïncidence ?
Est-ce entre les mots commençant par la même initiale, ou seulement entre les mots identi-
ques ?
/
XI– Le réticulage est-il fait d’après les mêmes lois sur le recto et sur le verso ? Les réticules du
verso coïncident-ils avec ceux du recto ?
XII– Que voulez-vous dire quand vous dites qu’un mot du bordereau est superposable à un
mot de la lettre du buvard réticule sur réticule ? La lettre du buvard a-t-elle été réticulée, et
d’après quelle loi ?
XIII– Comment expliquez-vous les coïncidences entre certains mots de la lettre du buvard,
autres que le mot « intérêt », et certains mots du bordereau ?
La lettre du buvard a-t-elle été forgée, elle aussi ? Par quel procédé ?
Ou bien s’est-on servi, pour la confection du bordereau, non seulement du mot « intérêt »,
mais aussi d’autres mots de la lettre du buvard ?
tel-00137859, version 1 - 22 Mar 2007
XIV– Comment, dans le repérage des lignes, est déterminée l’inclinaison des lignes ?
XV– Le repérage des lignes s’applique-t-il à la chaîne supérieure ou à la chaîne inférieure ?
XVI– Pourquoi ne sont-ce pas les mêmes lettres qui se localisent sur les mêmes lettres du bor-
dereau, selon qu’il s’agit d’initiales (Bertillon) ou de non initiales (Valério) ?
/
XVII– Quand dira-t-on qu’une lettre est localisée ?
De combien devra-t-elle s’écarter de la lettre correspondante du gabarit ?
XVII– Comment avez-vous dit, à la fin de votre déposition à Rennes, que votre gabarit
s’applique à l’écriture d’Esterhazy ?
Et puis je crains que les gens du Midi n’aient pas des intérêts extérieurs de la France le même
souci que ceux du Nord. Loin de moi la pensée de suspecter leur patriotisme, je sais qu’ils se
feraient tuer aussi bravement que les autres. Mais le vrai patriotisme n’est pas seulement un
généreux enthousiasme d’une heure ; il est avant tout une longue patience. Quelle différence
alors entre ceux qui ont vu l’invasion et ceux qui en ont seulement entendu parler ; entre ceux
qui pensent au péril allemand une fois par an au milieu d’un discours et ceux dont la vigilance
ne peut s’endormir parce qu’une sentinelle doit toujours rester éveillée, ceux qui voient les
Vosges quand le temps est à la pluie et qui savent ce qu’il y a derrière, ceux qui ont vu les
choses qui ne s’oublient pas et qui n’ont que quelques pas à faire pour les revoir encore. Entre
ceux pour qui l’Alsace-Lorraine n’est qu’une tache noire sur les cartes et ceux qui y ont des
parents et des amis dont ils entendent la plainte. Par delà la Garonne, on voit la plaie cicatrisée
parce qu’elle est loin ou bien on ne la ressent que comme une blessure d’amour propre. [rayé]
Ce serait sans doute une folie que de continuer à espérer, penser souvent à ce que nous avons
perdu n’en demeure pas moins une chose saine.
D’où provient la prépondérance du Midi ? Le méridional est beau parleur ; il est prompt à la
promesse et quand il promet, il le fait avec tant de chaleur qu’on a l’illusion qu’il veut tenir et
qu’il finit peut-être par le croire lui-même. Il est familier et semble toujours se livrer tout en-
tier ; il ne fait pas le dégoûté et il patauge avec bonne humeur dans les mares stagnantes. Ce
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sont là des qualités électorales incomparables. Utiles pour devenir député, elles ne le sont pas
moins pour devenir ministre. Les députés sont des hommes comme les électeurs et c’est par
les mêmes moyens qu’on capte leurs bonnes grâces.
D’ailleurs ces qualités réussissent aussi dans le Nord. Parmi les représentants du Nord, les
médiocres, c’est-à-dire les plus nombreux seront choisis dans tout ce que le département a
enfanté de plus semblable au méridional. Ils ne seront jamais toutefois que des méridionaux
de pacotille ; en fait de méridionaux, le Nord ne produira jamais que de la seconde qualité.
C’est dire qu’ils ne pourront aspirer au premier rôle. Mais leurs sympathies les entraîne vers
leurs grands frères du Midi qui sont ce qu’ils ont rêvé d’être, et c’est à eux qu’ils donnent leurs
suffrages.
Enfin le méridional arrive au pouvoir parce qu’il l’aime, je ne veux pas dire que les gens du
Nord le dédaignent, mais il y a diverses façons d’aimer qui ne réussissent pas auprès de toutes
les femmes. Il y a des femmes qui ne se donnent qu’à ceux qui ont paru les dédaigner ; il y en
a qui aiment que l’on ait longtemps soupiré ; il y en a qui se laissent enlever à la hussarde.
C’est à ces dernières que ressemble la Politique. Le méridional le comprend ; il est né pour le
pouvoir comme pour les bonnes formules faciles.
L’homme du Nord s’aperçoit qu’il n’aura jamais du pouvoir que l’apparence et il se dégoûte
promptement. Pour le méridional, l’apparence a encore sa saveur ; rouler derrière un cocher à
cocarde tricolore, c’est une divine volupté. Le titre d’ancien ministre fait encore bien en pro-
vince sur une carte de visite. C’est bien mieux qu’un ruban violet ou rouge. Et à propos la
statistique prouverait peut-être que les départements du Midi demandent plus de palmes que
ceux du Nord.4
Tartarin était fier d’être l’État de choses, bien que son île lui donnât peu de satisfactions soli-
des. Ainsi le personnage investi par la confiance du chef de l’État de la mission de former un
cabinet nouveau, peut compter absolument sur [ ?] ; ce n’est pas lui qui perdra son temps à
réfléchir ; et Tartarin sera assis sur le fauteuil ministériel avant que les autres aient fini leurs
réflexions.
4 Colrat ajoute une note à cet endroit : « Nous n’avons pas eu assez de courage pour décompter les officiers d’Académie de la
dernière promotion. Mais nous pouvons indiquer à M. Henri Poincaré que les six millions de méridionaux qui ont fourni 38
ministres dans les cinq dernières années ont obtenu 186 rosettes d’officiers de l’Instruction Publique. Les sept millions de septen-
trionaux n’en n’ont eu que 113 ».
Henri Poincaré (1854-1912) : Des Mathématiques à la Philosophie 428
Annexe 10 : Henri Poincaré et l’Engagement Public
Georges Lecomte, homme de lettres ; Louis Mill, avocat à la cour d’appel ; Mornard, avocat au
Conseil d’État et à la cour de cassation ; Léon Philippe, directeur honoraire au ministère de
l’agriculture ; Georges Renard, professeur au Collège de France ; Maurice Vernes, directeur de
l’école pratique des hautes études ; Émmanuel Vidal ; André Weiss, professeur à la faculté de
droit.
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Index Nominum
Index Nominum
Bellivier, André : 5, 13, 41, 76, 125, 133, 166, 181, 247, 298
Belot, Gustave :......................................... 105, 246, 283, 284
A Beltrami, Eugenio :........................................... 27, 37, 38, 85
Abel, Niels :....................................................................... 336 Benoist, Charles :.............................................................. 281
Abraham, Henri : ............................................................. 287 Benrubi, J. :.......................................................... 73, 124, 145
Ackermann, Madame : ...................................................... 79 Bérard, Léon : ................................................................... 212
Agathon :........................................................................... 291 Bergson, Henri :21, 73, 80, 105, 115, 136, 140, 149, 156,
Aicard, Jean :..................................................................... 284 161, 162, 163, 165, 166, 171, 172, 217, 218, 281, 299, 379
Ajalbert, Jean : .................................................................. 251 Berkeley, George : .............................................................. 18
Alain (Émile Chartier) : ............................... 5, 102, 136, 162 Bernard, Claude : ............................. 114, 144, 145, 175, 181
Albertini, Jean-Marie : ..................................................... 190 Bernard, Maurice : ................................... 146, 263, 264, 328
Alcan, Félix : ............................................................... 95, 140 Bert, Paul : ......................................................... 181, 186, 187
Alcan, Librairie :....... 135, 139, 140, 167, 168, 170, 171, 216 Berthelot, Marcelin :106, 134, 142, 181, 186, 187, 206, 207,
Algave, Émile : ................................................................. 217 277, 285, 349, 410
Allais, Alphonse :............................................................. 237 Bertillon, Alphonse :180, 250, 253, 254, 255, 256, 257, 258,
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Alphen : ............................................................................. 244 259, 262, 263, 264, 265, 266, 267, 268, 269, 270, 271, 272,
Althusser, Louis :8, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 68, 69, 128, 130, 273, 274, 275, 276, 327, 328, 424, 425, 426
136, 195 Bertin, C. :.......................................................................... 172
Andrade : .......................................................................... 102 Bertrand, Alexandre : ...................................................... 185
André, Charles : ............................................................... 344 Bertrand, Joseph : ..................... 151, 152, 259, 261, 341, 410
Apéry, Roger :................................................................... 183 Bertrand, Joseph Louis François : .......................... 151, 152
Apollinaire, Guillaume : ................................................. 284 Bessel, F. W. : .................................................................... 365
Appell, Charles :............................................................... 270 Betti :.................................................................................. 344
Appell, Paul Émile :5, 13, 181, 208, 218, 222, 225, 248, 250, Bichat, Émile Adolphe :................................................... 287
253, 258, 259, 265, 267, 269, 270, 273, 276, 280, 283, 287, Bichat, Ernest : .................................................................... 93
288, 336, 340, 341, 350, 359, 361, 424, 428 Bierce, Ambrose : ............................................................. 133
Arago, François : ................................................ 62, 186, 187 Bierens de Haan : ..................................................... 164, 377
Archambault, Paul : ......................................................... 104 Bigourdan : ....................................................................... 181
Arconati-Visconti, marquise :......................................... 265 Billot, Jean-Baptiste :........................................................ 252
Aristote : .................................................................... 105, 145 Binet, Alfred :.................................................................... 172
Arnold, V. I. : .................................................................... 204 Biran, Maine De :........................................................ 81, 138
Arrestin, V. :...................................................................... 353 Birkeland :................................................................. 340, 342
Arrhénius, Svante : .................................. 352, 383, 387, 390 Bischoffsheim : ................................................. 221, 349, 409
Autonne, Léon :................................................................ 341 Bjerknes, V. : ..................................................................... 345
Black, Max :......................................................................... 60
Blondel, Maurice : .................................................... 105, 136
B Blondlot, René : ........................................................ 339, 359
Bogdanov : ........................................................................ 129
Bachelier :.......................................................................... 348 Boggio :.............................................................................. 349
Backlund : ......................................................................... 347 Bogoliubov, N. : ............................................................... 204
Baillaud, Benjamin :..... 73, 74, 75, 78, 81, 93, 109, 182, 222 Boi, Luciano : ................................................................ 28, 32
Baillière, Librairie :........................................................... 167 Bolmont, Étienne :................................................................ 2
Ballot-Beaupré, Alexis : ................................................... 269 Bolo (Monseigneur) : ............................................... 237, 293
Barbey-Savy 1994 : ........................................................... 109 Boltanski, L. : ............................................................ 192, 193
Barboux : ........................................................................... 296 Bolyai (Prix) : .................................................................... 353
Barrès, Maurice :7, 135, 212, 218, 247, 249, 258, 260, 279, Bolyai, János : ............................................................... 23, 25
291, 292, 293, 299 Bonaparte, Marie :...................... 21, 135, 170, 172, 246, 265
Barrot, Odysse : ................................................................ 217 Bonaparte, Roland : ......................... 170, 172, 182, 221, 222
Barrow-Green, June : ........................................................... 6 Bonnefoy : ........................................................................... 75
Barthou, Louis : ........................................................ 171, 264 Bonnet, Ossian :........................................................ 270, 357
Baudouin, Manuel : ......................................................... 276 Bonnier, Gaston :.............................................................. 259
Baumont, Maurice :.......................................................... 249 Bordin (Prix) : ................................................... 339, 340, 342
Bazaine, Achille :.............................................................. 247 Borel, Émile :92, 94, 95, 98, 133, 208, 209, 216, 220, 259,
Bazin : ................................................................................ 296 262, 277, 278, 297, 358, 373, 428
Beaune, Jean-Claude :.............................................. 196, 197 Borella, Vincent : .............................................................. 2, 6
Becquerel, Henri :............................................................. 173 Bosler, Jean :...................................................................... 293
Beguet, Bruno : ................................................. 185, 186, 210 Bouglé, Célestin :.............................................................. 110
Béla, Szilárd : .................................................................... 347 Boulanger, Georges :........................................................ 248
Belhomme, Édmé : ........................................................... 254 Bouquet : ............................................................................. 94
Belhoste, Bruno : ...................................................... 285, 288 Bouquet de la Grye : ........................................................ 353
Bélisle, Claire : .................................................................. 190 Bour, Pierre Édouard :......................................................... 2
Bell, E. T. :.......................................................... 183, 224, 278 Bourdieu, Pierre : ............................................................. 192
Henri Poincaré (1854-1912) : Des Mathématiques à la Philosophie 431
Index Nominum
E G
Eddington, A. S. : ................................................................. 8 Galilée :........................................ 37, 236, 237, 238, 293, 298
Egger, Victor : ................................................................... 162 Gallifet, Gaston de : ......................................................... 267
Eichhorn, G. : .................................................... 350, 351, 352 Gallimard, Librairie : ....................................................... 133
Eiffel, Gustave : ................................................................ 221 Gambetta, Léon : .............................................................. 248
Einstein, Albert :......................................... 5, 8, 68, 159, 170 Gariel, C. M. :.................................................................... 347
Elliot :............................................................................. 78, 93
Henri Poincaré (1854-1912) : Des Mathématiques à la Philosophie 433
Index Nominum
Kronecker, A. :.......................................................... 232, 400 Leygues, Georges :92, 95, 284, 285, 286, 287, 288, 289, 290,
Kuhn, Thomas S. : ............................................................ 141 291
Liapounoff : ...................................................................... 337
Liard, Louis :64, 68, 72, 80, 81, 82, 83, 84, 85, 86, 87, 88, 89,
L 90, 91, 92, 93, 103, 109, 110, 111, 125, 128, 129, 137, 138,
La Chesnais, P. G. : .......................................................... 428 148, 155, 182, 288
La Fontaine, A. P. :........................................................... 104 Lichtenberger, Henri : ..................................................... 172
La Jeunesse, Ernest :......................................................... 182 Lie, Sophus :.... 41, 42, 52, 164, 165, 194, 377, 378, 388, 389
Labori, Fernand : .............................................. 255, 280, 428 Lindelöf : ........................................................................... 258
Laboulave :........................................................................ 110 Lindemann, L. : ........................................................ 346, 350
Lachapelle, Georges :....................... 208, 280, 282, 284, 353 Lindstedt, Anders : .......................................... 337, 338, 339
Lachelier, Jules :69, 73, 80, 81, 90, 91, 93, 99, 104, 107, 110, Lippmann, Gabriel :92, 173, 182, 184, 211, 221, 222, 259,
119, 123, 124, 125, 126, 136, 146, 166, 291 262, 358
Lacroix :............................................................................. 286 Lipschitz :.......................................................................... 258
Ladd Franklin, Christine :................................................. 17 Littré, Dictionnaire :......................................................... 185
Lagneau, Jules :................................................................. 136 Littré, Émile : ............................................................ 181, 186
Laguerre, Édmond : ......................................... 243, 337, 409 Llana, Emilio González : ................................................. 348
Laisant, C. A. : .......................................................... 286, 288 Lobatchevsky, Nikolaï Ivanovitch :23, 25, 43, 44, 45, 46,
Lalande, André :............................................................... 105 48, 53, 85, 157, 160, 383, 389, 401
Lamy, Étienne :................................................................. 296 Locard, E. : ........................................................................ 276
Langevin, Paul :.......................................... 92, 133, 216, 259 Lochak, Georges :............................................................... 28
Langley, A. :...................................................................... 349 Lœwy, Maurice : .............................. 221, 272, 273, 350, 410
Langlois, Hyppolyte : .............................................. 209, 351 Lorentz, Hendrik Antoon : ..................... 194, 343, 344, 345
Lanson, Gustave :............................................................. 291 Lorenz, Otto :.................................................................... 139
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120, 121, 122, 123, 125, 126, 127, 128, 129, 130, 131, 132,
133, 134, 135, 144, 145, 146, 147, 148, 149, 150, 151, 152,
N 153, 154, 155, 156, 157, 158, 159, 160, 161, 162, 163, 164,
Nabonnand, Philippe : .............................................. 2, 6, 31 165, 166, 167, 169, 170, 172, 173, 174, 175, 176, 177, 178,
Naud, Librairie :....................................................... 167, 211 179, 180, 181, 182, 183, 184, 187, 188, 189, 190, 191, 193,
Neumann : ................................................................ 341, 342 194, 195, 196, 197, 198, 199, 200, 201, 202, 203, 204, 205,
Newcomb, Simon :................................................... 164, 377 206, 207, 208, 209, 210, 211, 212, 213, 214, 215, 216, 217,
Newton, sir Isaac :.............. 8, 10, 18, 26, 100, 159, 214, 373 218, 219, 220, 221, 222, 223, 224, 225, 226, 227, 229, 230,
Noël : ................................................................................. 162 231, 232, 233, 234, 235, 236, 237, 238, 239, 240, 241, 242,
Nowak, Gregory :............................................................... 27 243, 244, 245, 246, 247, 248, 249, 252, 253, 258, 259, 261,
Nye, Mary Jo :..................... 22, 73, 74, 75, 80, 173, 293, 296 262, 263, 264, 265, 266, 267, 268, 269, 270, 271, 272, 273,
Nye, Robert A. :................................................................ 170 274, 275, 276, 277, 278, 279, 280, 281, 282, 283, 284, 285,
287, 288, 289, 290, 291, 292, 293, 294, 295, 296, 297, 298,
299, 300, 317, 327, 328, 333, 336, 340, 348, 351, 353, 354,
O 356, 357, 358, 359, 360, 361, 362, 375, 376, 377, 378, 379,
380, 381, 382, 383, 384, 385, 386, 387, 388, 389, 390, 399,
Obejero, Angel Bozal : ..................................................... 348 400, 401, 402, 403, 404, 405, 406, 407, 408, 409, 411, 424,
Olivier, Louis : .................................................................. 352 425, 427, 428
Ollé-Laprune :................................................................... 105 Poincaré, Léon : ................................................ 243, 356, 359
Olléris, Madame :............................................................... 76 Poincaré, Louise :177, 239, 240, 269, 295, 297, 382, 384,
Ollivier, Émile : ................................................................ 291 385
Ollivier, Louis :................................................................. 241 Poincaré, Lucien :............................... 92, 172, 243, 286, 287
Oncken : .................................................................... 367, 370 Poincaré, Raymond :77, 106, 107, 146, 166, 170, 177, 213,
Oriol, Philippe : ................................................................ 249 214, 222, 246, 261, 264, 281, 282, 286, 287, 356
Orléans, Prince d’ :........................................................... 170 Poincaré, Yvonne : ........................................................... 359
Pont, Jean-Claude : .......................................................... 144
P Potier, A. : ......................................................... 211, 348, 410
Pouchet, Georges :.................................................... 180, 188
Painlevé, Paul :5, 94, 165, 166, 178, 181, 187, 213, 218, 249, Poulain d’Andecy, famille : .................................... 244, 245
255, 258, 259, 262, 263, 268, 269, 281, 327, 328, 345, 353 Poulain d’Andecy, Henri : ...................................... 244, 245
Parinet, Élisabeth : ........................... 167, 168, 169, 171, 172 Poulain d’Andecy, Louise :..................... 151, 166, 243, 357
Paris, Gaston :................................................................... 261 Poulain d’Andecy, Pauline : ................................... 244, 245
Parodi, Dominique :................................................. 124, 145 Prochasson, Christophe :2, 140, 145, 161, 170, 171, 249,
Parville, Henri de : ................................................... 186, 234 292
Pascal, Blaise :..................................................... 19, 105, 106 Prost, Antoine :........................................... 82, 137, 291, 292
Pasteur, Louis : ........................... 77, 181, 187, 188, 277, 294 Prost, Gregory : ................................................................ 173
Paty, Michel : ........................................................................ 6 Proust, Marcel :................................................................. 299
Payelle, Georges : ............................................................. 146 Pruvost, Jules : .................................................................. 287
Peano, Giuseppe :................................................................. 7 Ptolémée, Claude : ........................................................... 236
Péchard, Édouard : .......................................................... 287 Puiseux, Pierre :................................................ 222, 272, 273
Pelletier, Eugène :............................................................. 254 Pythagore : ................................................................ 298, 300
Perdonnet, A. :.................................................................. 186
Perez, Céline : ....................................................................... 2
Périer, Casimir :................................................................ 254
Q
Perrier, Édmond : ..................... 207, 213, 214, 218, 287, 353 Quijano, Gonzáles :.......................................................... 346
Perrin, Jean :.............................. 133, 187, 216, 259, 287, 342 Quine, Willard van Orman :....................................... 60, 62
Henri Poincaré (1854-1912) : Des Mathématiques à la Philosophie 436
Index Nominum
W
Wagner, Charles :............................................................. 284
Walsin Esterhazy, Marie Charles Ferdinand :249, 252,
254, 265, 266, 267, 269, 327, 424, 426
Weber, E. : ......................................................................... 348
Weber, Louis :................................................... 156, 165, 379
Weber, Wilhelm Eduard : ............................................... 338
Weierstraß, Karl : ............................. 164, 343, 358, 377, 410
Weiss, André :................................................................... 428
Wiener : ............................................................................. 339
Wilson :.............................................................................. 346
Winock, Michel : .............................................................. 249
Wolff, Christian baron von : ........................................... 125
X
tel-00137859, version 1 - 22 Mar 2007
Y
Young, J. W. : .................................................................... 348
Yung, Eugène :.................................................................. 217
Z
Zahar, Élie :........................................................................... 6
Zaremba : .......................................................................... 346
Zeeman, Pieter :........................................................ 343, 344
Zeller, Édouard :105, 107, 108, 109, 111, 366, 367, 368, 370
Zénon :............................................................................... 162
Zermelo, Ernst : ........................................................ 111, 351
Zola, Émile :139, 249, 252, 253, 254, 255, 258, 259, 263,
264, 277, 327
Zweig, Stefan : .................................................................. 133
tel-00137859, version 1 - 22 Mar 2007
Tables
Table des Illustrations
I – Figures
Figure 1 La continuité du discours scientifique.............................................................................. 197
Figure 2 Le rôle d’une pièce de cinq centimes dans le système de Bertillon............................. 257
Figure 3 La prépondérance politique du Midi................................................................................ 279
Figure 4 Image de l’ouvrage de Poincaré ........................................................................................ 300
Figure 5 Image de l’ouvrage de Coxeter .......................................................................................... 300
Figure 6 Limite circulaire 1 (1958)..................................................................................................... 300
Figure 7 L’effet parallactique............................................................................................................. 363
Figure 8 Détermination de la distance d’un point inaccessible.................................................... 363
Figure 9 La parallaxe stellaire (i)....................................................................................................... 364
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II – Graphiques
Graphique 1 Répartition annuelle des articles dans la Revue de métaphysique et de morale ....... 164
Graphique 2 Répartition des publications dans chaque domaine ............................................... 200
Graphique 3 Progression de l’ensemble des publications de Poincaré....................................... 201
Graphique 4 Progression des publications en mathématiques .................................................... 202
Graphique 5 Progression des publications en physique théorique et mathématique ............. 202
Graphique 6 Progression des publications en mécanique ............................................................ 203
Graphique 7 Publications généralistes (sujets divers + problèmes scientifiques généraux).... 203
Graphique 8 Passages d’une discipline à l’autre ............................................................................ 204
Graphique 9 Évolution des publications au sein du corpus ......................................................... 212
III – Tableaux
Tableau 1 Presse quotidienne (nationale et régionale) .................................................................. 207
Tableau 2 Livres et préfaces............................................................................................................... 208
Tableau 3 Revues littéraires et culturelles ....................................................................................... 209
Tableau 4 Revues scientifiques générales ........................................................................................ 210
Tableau 5 Origines des chapitres de La science et l’hypothèse......................................................... 226
Tableau 6 Nature des sources pour La science et l’hypothèse .......................................................... 227
Tableau 7 Origines des chapitres de La valeur de la science ............................................................ 228
Tableau 8 Nature des sources pour La valeur de la science ............................................................. 228
Tableau 9 Origines des chapitres de Science et méthode .................................................................. 229
Tableau 10 Nature des sources pour Science et méthode ................................................................. 229
Tableau 11 Nature des sources pour Savants et écrivains ............................................................... 409
Tableau 12 Origines des chapitres de Savants et écrivains ............................................................. 410
Tableau 13 Nature des sources pour Dernières pensées .................................................................. 410
Tableau 14 Origines des chapitres de Dernières pensées ................................................................. 410
Table des Matières
Sommaire ................................................................................................................................................ 1
Remerciements....................................................................................................................................... 2
C – Bilan ......................................................................................................................................................40
II – Vers une philosophie de la géométrie ................................................................................... 41
A – Les textes fondateurs ..........................................................................................................................41
1 – « Sur les hypothèses fondamentales de la géométrie » (1887) .................................................41
2 – « Les géométries non euclidiennes » (1891) ...............................................................................43
B – Variations sur le même thème ...........................................................................................................50
1 – « L’espace et la géométrie » (1895) ..............................................................................................50
2 – « On the Foundations of Geometry » (1898)...............................................................................52
3 – La controverse Poincaré- Russell (1898-1900) ............................................................................53
C – Bilan ......................................................................................................................................................56
III – Conventionnalisme géométrique et holisme épistémologique ......................................... 56
A – Le conventionnalisme généralisé......................................................................................................57
B – Le holisme épistémologique...............................................................................................................59
1 – L’expérience cruciale selon Duhem.............................................................................................60
2 – Poincaré et la notion d’expérience cruciale en géométrie ........................................................62
C – Poincaré et Duhem ..............................................................................................................................64
1 – Point de vue historique .................................................................................................................64
2 – Point de vue philosophique..........................................................................................................66
IV – Conclusion : de Riemann à Boutroux................................................................................... 68
Chapitre 2 Retour aux Origines : Émile Boutroux et son Cercle................................................. 73
I – La philosophie de Louis Liard ................................................................................................. 81
A – Petite biographie .................................................................................................................................81
B – Des définitions empiriques et des définitions géométriques.........................................................83
C – Le dialogue Liard-Poincaré................................................................................................................90
II – Henri Poincaré et Jules Tannery............................................................................................. 92
A – Biographie de Jules Tannery .............................................................................................................92
B – Les écrits de jeunesse...........................................................................................................................95
C – Le dialogue Tannery-Poincaré...........................................................................................................98
1 – Le rôle du nombre dans les sciences ...........................................................................................98
2 – Collaborations et hommages respectifs ....................................................................................101
III – Émile Boutroux et Henri Poincaré ...................................................................................... 103
A – À propos d’Émile Boutroux.............................................................................................................104
1 – Petite biographie ..........................................................................................................................104
2 – Le voyage à Heidelberg ..............................................................................................................107
B – De la contingence des lois de la nature (1874) .....................................................................................111
C – Le dialogue Boutroux-Poincaré.......................................................................................................116
1 – De l’idée de loi naturelle dans la science et la philosophie contemporaines (1894).........................116
2 – Accords et désaccords .................................................................................................................123
D – Bilan ....................................................................................................................................................128
IV – Vers un élargissement de perspective................................................................................ 129
Henri Poincaré (1854-1912) : Des Mathématiques à la Philosophie 441
Table des Matières
BIBLIOGRAPHIES ........................................................................................................301
Bibliographie Générale .................................................................................................................... 302
Bibliographie Sélective sur l’Affaire Dreyfus ............................................................................. 327
I – Sources spéciales...................................................................................................................... 327
A – Documents présents sur le microfilm 4 conservé aux ACERHP ................................................327
B – Sources officielles sur l’affaire Dreyfus ..........................................................................................328
II – Sources diverses ..................................................................................................................... 329
Bibliographie de Henri Poincaré.................................................................................................... 333
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ANNEXES ........................................................................................................................355
Quelques Repères Chronologiques Sur Henri Poincaré............................................................ 356
Sur les Mesures de Parallaxes ......................................................................................................... 363
Le Voyage d’Études d’Émile Boutroux à Heidelberg Archives Nationales (F17 / 22028) ....... 366
I – Rapport du 28 janvier 1869..................................................................................................... 366
II – Rapport du 3 mars 1869......................................................................................................... 368
Rapport sur les Titres de M. Jules Tannery Séance du 27 Janvier 1902 .................................. 372
La Correspondance Entre Henri Poincaré et Xavier Léon.......................................................... 376
I – Lettre 1 ...................................................................................................................................... 376
II – Lettre 2 ..................................................................................................................................... 376
III – Lettre 3.................................................................................................................................... 376
IV – Lettre 4.................................................................................................................................... 377
V – Lettre 5 ..................................................................................................................................... 377
VI – Lettre 6.................................................................................................................................... 378
VII – Lettre 7 .................................................................................................................................. 378
VIII – Lettre 8 ................................................................................................................................. 378
IX – Lettre 9.................................................................................................................................... 378
X – Lettre 10 ................................................................................................................................... 379
XI – Lettre 11.................................................................................................................................. 379
XII – Lettre 12 ................................................................................................................................ 379
XIII – Lettre 13 ............................................................................................................................... 379
XIV – Lettre 14 ............................................................................................................................... 380
XV – Lettre 15 ................................................................................................................................ 380
XVI – Lettre 16 ............................................................................................................................... 380
XVII – Lettre 17.............................................................................................................................. 380
XVIII – Lettre 18 ............................................................................................................................ 381
L’Opportunisme scientifique : Documents Inédits Archives Poincaré (microfilm 4).......... 382
I – Louise Poincaré à Jeanne et Léon Daum .............................................................................. 382
II – Louis Rougier à Louise Poincaré.......................................................................................... 384
III – Léon Daum à Louis Rougier................................................................................................ 384
IV – Note de Léon Daum pour Louis Rougier .......................................................................... 385
V – Suite de la note précédente ................................................................................................... 387
VI – Lettre de Louis Rougier à Léon Daum............................................................................... 389
Henri Poincaré (1854-1912) : Des Mathématiques à la Philosophie 443
Table des Matières
K – Chapitre XI .........................................................................................................................................405
III – Science et méthode (1908) .................................................................................................... 406
A – Livre I Chapitre I ...............................................................................................................................406
B – Livre I Chapitre II ..............................................................................................................................406
C – Livre I Chapitre III.............................................................................................................................406
D – Livre I Chapitre IV ............................................................................................................................406
E – Livre II Chapitre I ..............................................................................................................................406
F – Livre II Chapitre II .............................................................................................................................407
G – Livre II Chapitre III ...........................................................................................................................407
H – Livre II Chapitre IV...........................................................................................................................407
I – Livre II Chapitre V..............................................................................................................................408
J – Livre III Chapitre I ..............................................................................................................................408
K – Livre III Chapitre II ...........................................................................................................................408
L – Livre III Chapitre III ..........................................................................................................................408
M – Livre IV Chapitre I ...........................................................................................................................408
N – Livre IV Chapitre II...........................................................................................................................408
O – Conclusions générales ......................................................................................................................409
IV – Savants et écrivains (1910)................................................................................................... 409
V – Dernières pensées (1913) ....................................................................................................... 410
Henri Poincaré et l’Engagement Public ........................................................................................ 411
I – Liste des Signataires de l’Appel à l’Union ........................................................................... 411
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TABLES ............................................................................................................................438
Table des Illustrations...................................................................................................................... 439
I – Figures....................................................................................................................................... 439
II – Graphiques .............................................................................................................................. 439
III – Tableaux ................................................................................................................................. 439
Table des Matières ............................................................................................................................ 440
Résumé
H omme de toutes les sciences mathématiques, ‘cerveau vivant des sciences rationnelles’ selon Paul Painlevé, Henri
Poincaré (1854-1912) fut longtemps désigné comme l’un des derniers génies universels. Délaissant les
frontières entre les différentes disciplines scientifiques, s’affranchissant des barrières entre sciences
‘dures’ et sciences humaines, il aborda un grand nombre de domaines de connaissance avec un égal succès : on lui
doit ainsi la découverte des fonctions fuchsiennes en mathématiques et une contribution essentielle à la résolution
du problème des trois corps en mécanique céleste (pour laquelle il obtint le Grand Prix du roi de Suède en 1889).
Ses recherches théoriques sur la mécanique nouvelle après 1900 préparèrent et accompagnèrent les travaux
d’Einstein sur la théorie de la relativité restreinte. Il fut également très actif dans le domaine de la philosophie des
sciences en tant que collaborateur régulier de la Revue de métaphysique et de morale. Ses ouvrages de philosophie scien-
tifique, notamment La science et l’hypothèse, rencontrèrent un vif succès auprès du grand public (plus de 16000 exem-
plaires vendus en 10 ans pour ce seul ouvrage) et ils contribuèrent à assurer sa renommée au sein de la commu-
tel-00137859, version 1 - 22 Mar 2007
nauté philosophique.
Dès sa mort, l’œuvre de Poincaré suscita un grand nombre d’études de toutes sortes. Grâce à ces travaux, on
connaît l’œuvre scientifique de Poincaré et on connaît relativement bien le versant technique de sa philosophie ; de
la même manière, d’un point de vue externe, on est assez bien renseigné sur les relations qu’il entretenait avec les
acteurs de la communauté scientifique. En revanche, on sait très peu de choses sur la dimension proprement
philosophique de son épistémologie (son origine ou son enracinement dans des débats philosophiques) et on sait
encore moins de choses sur les relations que Poincaré pouvait entretenir avec les acteurs de la communauté philo-
sophique et intellectuelle de son temps. De fait, l’état des publications sur la philosophie poincaréienne semble
accuser une sorte de déséquilibre chronique.
Cette thèse a pour principale ambition de contribuer à rétablir un semblant d’équilibre en montrant que les consi-
dérations mathématiques et physiques constituent des explications nécessaires mais non suffisantes de la pensée philoso-
phique poincaréienne ; elle entend montrer qu’une interprétation adéquate de celle-ci passe non seulement par la
prise en compte de son enracinement dans la pratique scientifique et des débats internes à la communauté scienti-
fique, mais également par la mise en évidence des liens multiples et profonds qui unissent son auteur à la commu-
nauté philosophique et intellectuelle de son temps. À travers ce travail, on tentera d’aborder certains thèmes qui
ont peu attiré jusqu’à maintenant l’attention des commentateurs de Poincaré ; on s’attachera à reconstituer diverses
étapes de la vie du mathématicien susceptibles d’apporter un éclairage inédit sur la genèse et la signification de sa
philosophie. Ainsi, l’étude du versant idéaliste de la philosophie poincaréienne et des liens qui l’unissent à celle de
Boutroux, le récit de l’entrée du mathématicien au sein du champ philosophique et la mise en évidence de ses
relations avec certains acteurs de ce champ, l’analyse de ses stratégies de publication et des rapports qui unissent,
dans son œuvre, discours philosophique, discours scientifique et discours vulgarisé, ou l’analyse de ses engage-
ments politiques (notamment au moment de l’affaire Dreyfus) constitueront quelques-uns des moments essentiels
d’un cheminement visant à construire une biographie intellectuelle de Poincaré et à restituer sa pensée dans son
contexte historique.