Purgatoire Emery
Purgatoire Emery
et pastoral. La doctrine de la foi catholique, en son noyau proclamé dans l’enseignement des
conciles, est cependant extrêmement simple et claire et se présente comme une doctrine
d’espérance. Le purgatoire n’est pas un camp de concentration pour les âmes. Le purgatoire
offre aux défunts qui en ont besoin la grâce d’une ultime purification, en vertu de la
miséricorde de Dieu, pour l’union définitive à Dieu dans le Christ ressuscité (la vision faciale
de Dieu Trinité). La foi ne nous propose ni le récit d’un voyage de l’âme dans l’au-delà, ni un
veine, ont parfois insisté autrefois sur ces aspects, mais il faut tout d’abord considérer ce que
croit l’Église catholique. On n’abordera donc pas davantage ici le purgatoire par le biais
1. Le purgatoire en question
Le purgatoire a été autrefois (fin du moyen âge et temps modernes) un thème de choix
1 Voir les travaux de J. LE GOFF, La naissance du purgatoire, Paris, 1981 ; P. BROWN, « Vers la
naissance du purgatoire », Annales 52 (1997), p. 1247-1261. Pour un aperçu de l’histoire du dogme :
F. LADARIA, « Fin de l’homme et fin des temps », dans L’homme et son salut, “Histoire des
dogmes 2”, Paris, 1995, p. 415-481.
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traditionnelle du purgatoire est largement remise en question, pour des raisons diverses qu’il
vaut la peine d’avoir présentes à l’esprit. Cet aperçu des problèmes fait contraste avec la
sobriété des documents conciliaires que nous allons considérer plus bas, et permettra de
Le premier problème, celui qui est sans doute le plus présent à l’esprit de chacun, est
âge jusqu’au début du XXe siècle. C’est moins ici l’enseignement dogmatique proprement dit
que la conception vulgarisée par des écrivains religieux et des prédicateurs qui est en cause.
Le purgatoire a pu y apparaître comme une sorte d’« enfer provisoire » dont on s’est parfois
purgatoire comme une menace terrifiante pour les hommes, mise au service de ce que Jean
Delumeau a appelé une « pastorale de la peur »2 dans l’Occident du XIIIe au XVIIIe siècle.
Nous n’avons pas à examiner ici les motifs de ce déséquilibre qui a peu à peu marqué une
certaine prédication des fins dernières, mais cette insistance sur les supplices joue
certainement un rôle important dans le rejet du purgatoire par beaucoup. À ce problème des
représentations populaires on peut associer celui que posent les tentatives de dresser une sorte
de géographie de l’au-delà, avec des lieux aux contours précis (paradis, enfer, purgatoire).
Une telle vue des choses qui associe théologie et cosmologie fait évidemment difficulté, car
elle court le risque de penser le purgatoire sur le modèle de nos représentations spatiales. La
réflexion sur l’au-delà s’est parfois concentrée sur les choses d’une manière physiciste (que
l’on pense aux propriétés du « feu »), en perdant de vue le statut analogique de notre langage
2 Jean DELUMEAU, Le péché et la peur, La culpabilisation en Occident, XIIIe - XVIIIe siècles, Paris,
1983, p. 427-446 : “Le purgatoire, enfer temporaire”.
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sur l’au-delà, et en négligeant parfois l’essentiel qui est la relation personnelle de chaque
personne et de toute l’Église avec Dieu le Père dans le Christ ressuscité et son Esprit.
purgatoire, telle que l’Église l’a développée. On trouve certes chez les Pères de l’Église, dès
le IIIe siècle au moins, la doctrine d’un « feu purificateur » qui prépare à l’union définitive
avec Dieu ; cela s’observe tant en Orient (Clément d’Alexandrie, Origène, Cyrille de
(comme nom substantif) mais d’un feu purificateur (adjectif purgativus), d’une
transformation purificatrice qui rend capable de participer à la sainteté de Dieu. Il n’est pas
nécessairement question d’un « lieu » et la question du temps n’est pas encore clairement
précisée (à la résurrection finale, ou tout de suite après la mort ?). Saint Augustin semble être
l’un des premiers auteurs admettant clairement l’existence d’un feu purificateur pour l’âme
suivante : qu’advient-il aux fidèles qui meurent sans avoir été totalement mauvais (pas de
péchés qui coupent irrémédiablement la communion avec Dieu) ni totalement bons ? Pour
3 L’expression « feu purificateur » évoque en particulier I Co 3, 10-15, qui constitue l’un des passages
bibliques majeurs qu’exploitera la tradition augustinienne et médiévale.
4 En particulier : De civitate Dei XXI, 26, 4 (BA 37, p. 498-501).
5 Voir J. NTEDIKA, L’évolution de la doctrine du purgatoire chez saint Augustin, Paris, 1966.
Augustin discute l’hypothèse qui pose une ultime « chance » pour les fidèles après la mort. Augustin
ne limite pas le feu purificateur aux péchés véniels. Cf. aussi J. NTEDIKA, L’évocation de l’au-delà
dans la prière pour les morts, Études de patristique et de liturgie latines (IVe-VIIIe s.), Louvain-Paris,
1971, p. 88-103.
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Grégoire le Grand, au tournant du VIIe siècle, qui lui donne ses traits définitifs. Grégoire parle
encore de feu purificateur ; il en limite les effets à l’expiation des péchés véniels et à
particulier le lien entre les suffrages pour les défunts (prière de l’Église) et ce feu purificateur
avant la résurrection : la prière de l’Église pour les morts concourt à la pleine rémission de
leurs péchés et à leur délivrance des peines6. Une dernière étape sera franchie au XIIe siècle
les âmes qui en ont besoin. Le mot « purgatoire » (purgatorium) semble n’être entré de façon
significative dans le vocabulaire officiel de l’Église qu’en 1254, lorsque le pape Innocent IV
sanctionna ce terme pour désigner le « lieu de la purification » (locus purgationis) des fautes
vénielles et pour la purification des pénitences n’ayant pas été achevées durant la vie terrestre
(pénitences pour les fautes pardonnées durant la vie terrestre)8. Malgré les antécédents
patristiques certains, la synthèse, dans sa forme achevée, est médiévale et latine. Cela nous
qui mérite notre examen est celle des orthodoxes byzantins, dès le XIIIe siècle9. Les tentatives
6 GRÉGOIRE LE GRAND, Dialogues, livre IV, 39-58 ; voir en particulier IV, 41 (SC 265, p. 146-151).
Cf. J. NTEDIKA, L’évocation de l’au-delà, p. 105-110.
7 J. LE GOFF, La naissance du purgatoire, p. 489-493.
8 Denzinger n° 838.
9 Pour un aperçu de ces premiers débats au XIIIe siècle, voir THOMAS D’AQUIN, Traités : Les raisons
de la foi, Les articles de la foi et les sacrements de l’Église, Introduction, traduction et notes par
G. Emery, Paris, 1999, p. 49-54.
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d’union au moyen âge ont cherché à faire accepter aux Orientaux la doctrine latine du
purgatoire (conciles de Lyon II, Florence), mais avec peu de résultats. Les orthodoxes
pratiquaient bien sûr la prière et la célébration de l’eucharistie pour les défunts. Ils pouvaient
guérison progressive pour les âmes après la mort, attestée dans la tradition patristique. Ils
peuvent donc accepter l’existence d’un état intermédiaire de purification entre la mort et la
Dieu par les justes et le châtiment des méchants dans l’enfer, pour le jour du jugement dernier
à la résurrection générale. Autrement dit, bien qu’enseignant que les justes défunts jouissent
l’affirmation catholique de la vision de Dieu, pour les âmes purifiées, immédiatement après la
mort, avant la résurrection finale (Benoît XII, Constitution Benedictus Deus, en 1336)12. Cette
pleine vision face à face n’aura lieu qu’à la parousie du Christ. De ce fait, l’effet spécifique du
purgatoire selon la doctrine catholique (à savoir de permettre aux âmes saintes qui doivent
encore être purifiées d’avoir accès à la vision bienheureuse de Dieu dès qu’elles en sont
dignes) se trouve écarté par le délai que posent les orthodoxes. Il y a ici une divergence entre
la mort, puis jugement général et rétribution avec le corps lors de la résurrection) chez les
catholiques, et une eschatologie plus entièrement concentrée sur la Parousie chez les
« juridique » (satisfaction, peines) dans la doctrine catholique. Or le purgatoire est lié à l’idée
d’un accomplissement des peines dues au péché pour rétablir la pleine communion avec Dieu
(le péché étant pardonné, la pleine restauration de l’amitié exige une réparation du bien
sotériologie n’a pas connu les développements latins qui pensent le salut non seulement en
réparation pour les peines dues au péché. Sur ce point, on peut estimer que la divergence entre
la fin de l’âge patristique), bien que les principes fondamentaux soient semblables.
Ce débat fut en réalité déjà inauguré au XIIe et XIIIe siècles lorsque le purgatoire fut rejeté par
certains mouvements qui s’écartèrent de l’Église catholique, notamment par les Vaudois qui
préfigurent sur ce point l’attitude qu’adoptera la Réforme protestante : pour les Vaudois, il
n’y a pas d’autre purgatoire que les pénitences de cette vie présente ; après la mort, le sort des
13 Les âmes « mûrissent » (saint Irénée) : P. EVDOKIMOV, L’Orthodoxie, p. 328 ; pour le reste,
Evdokimov préconise le silence sur l’entre-deux (p. 329).
14 Sur cette notion des peines temporelles dues au péché, voir notamment la Constitution apostolique
Indulgentiarum doctrina de PAUL VI, en 1967, au n° I, 3 (La Documentation Catholique 64 [1967],
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défunts consiste soit en l’enfer, soit dans le paradis, et les prières et suffrages de l’Église pour
les morts ne servent à rien15. La Réforme, de manière plus profonde et argumentée, adoptera
une réaction comparable16. Le rejet du purgatoire y est motivé par trois principes. 1°) Le
manque de fondements scripturaires (2 M 12, 38-45, source biblique pour la prière en faveur
des défunts et l’aide que les vivants leur apporte, est mis de côté comme apocryphe ou
coopération que l’homme apporte au salut ; c’est un problème général de sotériologie sur
lequel le catholicisme suit une voie différente en valorisant la collaboration de l’homme dans
l’appropriation active du salut, de l’intérieur même de l’homme, qui ne diminue pas la grâce
du Christ mais qui en constitue le fruit. 3°) Le rejet de certaines pratiques (indulgences,
messes, prières pour les défunts) que la Réforme écarte dans son exclusion des œuvres
pas se limiter au seul point du purgatoire : elle engage en effet l’ensemble de la théologie.
p. 200-201). Pour une vision d’ensemble : Ch. JOURNET, Le Purgatoire, “Études religieuses 301-
302 ”, Liège-Paris, 1932.
15 J. LE GOFF, La naissance du purgatoire, p. 374-375.
16 Pour CALVIN, le purgatoire est une fiction pernicieuse suggérée par Satan, et qui porte atteinte à la
satisfaction procurée par le Christ (L’institution chrétienne III, 5 ; Genève, t. 3, 1957, p. 141).
17 Y. CONGAR, « Le purgatoire », dans ID., Le mystère de la mort et sa célébration, Paris, 1951,
p. 279-336, ici p. 280-293. Luther, au début de son oeuvre, acceptait encore le purgatoire
(cf. Ch. MOREROD, Cajetan et Luther en 1518, t. 1, Fribourg, 1994, p. 107 sq.) ; il le rejettera ensuite,
avec l’ensemble de la Réforme de manière générale. Il récusera alors l’existence du purgatoire
considéré comme une invention de l’Église romaine ; cf. B.A.R. FELMBERG, Die Ablasstheologie
Kardinal Cajetans (1469-1534), Leiden, 1998, p. 228-248.
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théologique
des âmes séparées du corps, après la mort, en attente de la résurrection. La doctrine catholique
du purgatoire présuppose en effet la subsistence de l’âme après la mort, sans le corps, mais
avec ses facultés spirituelles, capable de recevoir la rétribution selon le jugement de Dieu,
capable de s’unir à Dieu dans la vision et d’y connaître le bonheur. Or cette doctrine de
« l’âme séparée » apparaît problématique à bien de nos contemporains, pour des raisons
comprendre que l’âme puisse subsister sans le corps ? Cette subsistence de l’âme à l’état
séparé ne constitue-t-elle pas un reste nocif de platonisme dans le christianisme ? Chez les
en attendant une recréation finale par Dieu ; ou alors un « sommeil » dans lequel l’âme reste
simplement en attente jusqu’au jour de la résurrection. Du côté catholique, pour écarter cette
mort (« Auferstehung im Tode »)18, ce qui, du même coup, supprime la pertinence d’un
discours sur l’état intermédiaire de l’âme et sur le purgatoire. On doit cependant se demander
puisqu’elle obscurcit la solidarité des défunts avec les vivants dont l’histoire se poursuit sur la
théologie a besoin d’une notion d’âme qui permette à la fois d’en affirmer la subsistence après
la séparation du corps, et qui tienne fermement l’unité de l’homme, corps et âme. Elle a
besoin en effet d’en affirmer la subsistence après la séparation du corps (après la mort) : c’est
l’identité et la continuité de la personne qui sont en jeu, sinon il n’y a plus rien qui reçoive la
résurrection, le projet créateur de Dieu se trouve anéanti, et les affirmations sur l’état
intermédiaire n’ont plus de sens20. La théologie a cependant besoin d’un concept d’âme qui
l’homme à son âme à la manière d’une anthropologie spiritualiste. C’est le grand mérite d’une
anthropologie recueillant l’héritage de Thomas d’Aquin de nous aider à tenir ces deux aspects
après la mort car par création elle est un principe immatériel qui n’a pas en soi de principe de
connaissance et l’amour demeurent, et cela est décisif pour rendre compte du rapport à Dieu,
du processus de purification, de la prière des saints du ciel, de l’intercession que nous leur
demandons, de notre prière pour les défunts, bref de l’ensemble des rapports entre vivants et
défunts dans la communion des saints. 2°) Âme forme du corps : l’âme n’est pas une
substance complète, une chose complète en soi : la substance, c’est l’homme, corps et âme.
L’âme subsiste, mais comme forme (l’âme est une « forme subsistante ») qui reste ordonnée
au corps, car elle est par nature vouée à donner vie au corps et à agir par un corps et en
interaction avec lui : l’âme sans corps se trouve dans un état « contre nature », à tel point que
résurrection21. La doctrine de l’âme dans l’Église, et celle que développe une saine
anthropologie théologique, n’est pas simplement une doctrine philosophique mais elle répond
dont l’Église et la théologie ont eu besoin — et dont elles ont toujours besoin — pour dire la
de l’époque postérieure. On pourra se tenir ici aux conciles, puisque quatre d’entre eux ont
catholique.
concile de Lyon, en 1274, dans la confession de foi demandée aux Grecs, sur l’eschatologie :
Si, vraiment pénitents, ils [les baptisés qui sont tombés dans le péché] sont
morts dans la charité, avant d’avoir satisfait, par de dignes fruits de
pénitence, pour ce qu’ils ont commis ou omis, leurs âmes sont purifiées
après la mort par des peines purgatoires ou purifiantes (poenis purgatoriis
seu catharteriis) […]. Pour adoucir ces peines, les intercessions des fidèles
vivants leur sont utiles, à savoir le sacrifice de la messe, les prières, les
aumônes et les autres œuvres de piété que les fidèles ont coutume de faire
pour d’autres fidèles selon les institutions de l’Église. Pour les âmes de ceux
21 THOMAS D’AQUIN, Somme contre les Gentils, livre IV, ch. 79 (n° 4135).
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qui, après avoir reçu le saint baptême, n’ont contracté absolument aucune
souillure du péché (nulla macula peccati), pour celles aussi qui, après avoir
contracté la souillure du péché ont été purifiées, soit lorsqu’elles
demeuraient encore dans leur corps, soit après s’en être dépouillées, comme
on l’a dit plus haut, elles sont immédiatement reçues dans le ciel22.
nécessité d’une purification (après la mort) y est associée à la pénitence et à la satisfaction (en
cette vie). Le concile évite prudemment de mentionner le feu, et ne fait pas non plus état d’un
lieu. Le mot même de « purgatoire » est évité, pour s’en tenir à une stricte expression : peines
1°) Après la mort, les âmes justes (les âmes de ceux qui sont morts « dans la charité ») mais
non encore entièrement purifiées devront passer par des peines purificatrices afin d’achever le
processus de pénitence (on peut ajouter : pour les péchés déjà pardonnés ou pour les péchés
véniels qui n’ont pas rompu la communion avec Dieu). Cette purification est affirmée à la
purgatoire est une disposition à la communion bienheureuse avec Dieu pour ceux qui en ont
besoin. Saint Thomas d’Aquin, qui avait un sens extrêmement vif du désir de la vision
bienheureuse de Dieu, pensait de son côté que ce « retard » de la vision est l’aspect le plus
douloureux du purgatoire, tant son eschatologie est centrée sur la vision de Dieu. Le
purgatoire consiste donc en une préparation, dans la charité, à l’union plénière avec Dieu23.
Le concile reprend une expression technique : la souillure du péché, macula peccati. Par cette
métaphore, la théologie médiévale a désigné une conséquence du péché, que saint Thomas
(Ia-IIae, q. 86) expliquait comme une perte d’éclat de l’âme, c’est-à-dire comme la trace de
l’attachement désordonné au mal, qui est une perte de la vigueur que l’âme tient de son
exigent un retour volontaire, par grâce, à Dieu, et que ce retour de la volonté par la pénitence
fait partie du pardon : le pardon est la restauration d’une amitié, il appelle donc un
mouvement intérieur et des actes d’amitié envers Dieu et le prochain. C’est cela que signifie
la doctrine d’une peine à accomplir lorsque le péché à déjà été pardonné, et c’est cela la
pénitence : la charité (amour d’amitié) à l’œuvre pour restaurer la communion, en écartant les
conséquences du péché qui a rompu cette communion24. S’il y a purification après la mort,
2°) Le second point de la foi de l’Église explicité à Lyon II est le suivant : l’accomplissement
de la purification est aidé par les suffrages des vivants (messes, prières, œuvres de
miséricorde). C’est une pratique ancienne, dans laquelle l’Église catholique se sait en
communion avec les Églises orthodoxes. Cette aide, comme l’atteste la théologie de
l’Antiquité25, est fondée sur le rôle médiateur de Jésus-Christ, et elle est spécialement liée au
sacrifice de l’Eucharistie. Rien n’est dit sur la durée de cette purification par le concile de
Lyon II qui n’envisage pas non plus la question du lieu. L’Église se tient à cet enseignement
général, bien éloigné des spéculations ou des égarements d’une curiosité mal éclairée. Le
purgatoire, il faut y insister, n’est pas une troisième issue à côté de la vision (paradis) et du
châtiment de ceux qui se sont irrémédiablement privés de la communion avec Dieu (enfer) ; il
est un état transitoire, et non ultime. Il n’y a qu’une double issue possible, et le purgatoire
prépare la vision.
Ce document reprend presque littéralement celui de Lyon II, en lui ajoutant une
précision : les âmes justes, une fois entièrement purifiées, sont immédiatement reçues dans la
vision de Dieu face à face (« voient clairement Dieu trine et un lui-même, tel qu’il est »),
26 Les Conciles œcuméniques, t. II-1, Les décrets, De Nicée à Latran V, Sous la direction de
G. Alberigo, Paris, 1994, p. 1080-1083.
14
c’est-à-dire dans la plus haute communion avec Dieu. Ce point avait été préalablement défini
au XIVe siècle par Benoît XII. L’Église catholique a ainsi précisé une eschatologie en deux
phases, si l’on peut dire : (1) le jugement particulier avec la rétribution de l’âme, qui comporte
Réforme. Ce concile souligne en particulier que la justification n’exclut pas les actes de
pénitence dus pour le péché (ni la purification après la mort), et que la célébration de la messe
Les points de doctrine retenus par Trente étaient déjà enseignés par Lyon II et Florence.
Seul parmi les conciles, Trente emploie cependant le nom purgatoire lorsqu’il s’agit d’en
affirmer l’existence comme objet de foi. Il ajoute deux précisions à la doctrine maintenant
n’apporte aucun texte biblique précis pour le purgatoire ; prudemment, le texte dit que
l’Écriture est à la source de la foi de l’Église catholique (« à partir de la sainte Écriture »), en
laissant aux théologiens le soin de préciser. Plus qu’un passage biblique précis, cependant, il
faut évoquer tout un corps d’enseignement biblique : la prière pour les défunts (2 M 12,
38-45 : une liturgie de supplication fut tenue en faveur de ceux qui avaient combattu pour la
foi juive mais qui avaient cédé à des pratiques idolâtres, pour demander que leur péché soit
vocation chrétienne, la purification des péchés, la communion des saints. Trente indique
aussi, avec l’Écriture, la « tradition ancienne des Pères » (on peut penser ici à la pratique
antique aussi bien qu’à la doctrine patristique). On pourrait gloser ainsi l’affirmation
tridentine : l’Écriture lue avec la tradition. 2°) Trente prescrit une stricte pratique pastorale,
dégagée de ses abus : spéculations inappropriées à la prédication au peuple chrétien (on peut
penser à la question du lieu, des propriétés du feu, de la durée, de l’intensité des peines etc.,
sans préjudice pour la discussion de ces questions dans les écoles de théologie) et abus qui
lient le purgatoire à des avantages financiers, au scandale des fidèles. La doctrine tridentine,
même au plus fort de l’affirmation du purgatoire, se caractérise ainsi par une grande sobriété
27 Concile de Trente, Session XXV (1563), Décret sur le purgatoire, dans Les Conciles œcuméniques,
t. II-2, Les décrets, Trente à Vatican II, Sous la direction de G. Alberigo, Paris, 1994, p. 1572-1573.
16
précédents, avec une note ecclésiologique plus marquée. Sa mention de la purification prend
place, de manière significative, dans la constitution dogmatique Lumen Gentium sur l’Église,
28 Lumen Gentium n° 50-51 ; Les Conciles œcuméniques, t. II-2, p. 1806-1811. Voir aussi Lumen
Gentium n° 49 : « d’autres qui ont achevé leur vie sont en voie de purification » (p. 1805) ; Lumen
Gentium n° 49 précise en outre que les saints du ciel, les justes de l’Église sur terre et ceux qui sont
« en voie de purification » communient, à des degrés divers, « dans la même charité envers Dieu et le
prochain » (p. 1807). Il ne faut en aucun cas comprendre l’état de purification (le purgatoire) de
manière semblable aux peines de l’enfer. La purification après la mort est « tout à fait différente du
châtiment des damnés » : cette purification est centrée sur la charité ; elle n’est rien d’autre qu’« une
purification préalable à la vision de Dieu » (Congrégation pour la Doctrine de la Foi, Lettre
Recentiores episcoporum Synodi, n° 7 ; La Documentation catholique 76 [1979], p. 709).
17
Le purgatoire est ici envisagé dans le contexte de la communion des saints, plus
précisément dans la communion de l’Église sur la terre avec l’Église en ses membres défunts.
Il convient de noter la sobriété de l’expression, tout à fait dans la ligne des conciles
médiévaux : « ceux qui, après leur mort, sont encore en voie de purification ». Nous y
retrouvons, une fois encore, les deux points centraux de la foi catholique : une purification
avant (et en vue de) l’union plénière et définitive avec Dieu, et l’aide que les fidèles sur la
terre procurent aux défunts, appuyée ici par le second livre des Maccabées. Le souci pastoral
d’éviter les abus, déjà formulé au concile de Trente, est repris en finale.
mort d’une personne humaine et la parousie du Christ (en affirmant cependant bien que les
justes défunts sont en communion avec le Christ). L’Église catholique a opéré ici un
la lumière des documents bibliques et de la tradition. Les Églises d’Orient n’ont pas suivi le
même chemin : elles se sont tenues à l’idée d’un état intermédiaire d’attente (sans apporter
l’eucharistie pour les défunts qui ont en besoin. Le purgatoire apparaît cependant à la
besoin d’être accompagnée d’une espérance sur le sort actuel des défunts et sur notre rapport
avec eux. La première racine du purgatoire se trouve dans le judaïsme, avec la prière pour les
défunts attestée dans le deuxième livre des Maccabées, et cela à la lumière de la résurrection.
Cette tradition de prières pour les défunts est attestée dans l’Église, depuis le deuxième siècle
d’une purification des âmes comme préparation au salut plénier et définitif. Nous sommes ici
dans une question où la tradition joue un rôle central29. Durant l’Antiquité puis le moyen âge,
la doctrine de la pénitence, exigeant des actes concrets pour restaurer l’ordre que le péché a
blessé, se développe ; la doctrine des peines dues au péché lui est liée ; le processus de
purification pour les péchés pardonnés et pour les péchés véniels, s’il n’est pas accompli
pendant la vie sur terre, le sera après la mort, pour tous ceux et celles qui sont dans l’amour de
Dieu. La doctrine des « peines purificatrices » doit être comprise à la lumière de la vision
bienheureuse de Dieu face à face. Le purgatoire est un processus qui achève la transformation
intérieure de l’homme pour qu’il devienne capable de s’unir à Dieu dans la vision. Son
pour se préparer à voir Dieu dans la communion des saints : c’est là l’essentiel de
l’enseignement de l’Église et de ce que peut proposer une saine théologie, et c’est une
doctrine d’espérance.
29 Sous cet aspect, on peut comparer la doctrine du purgatoire avec celle de la vénération des icônes
qui nécessita la réunion et la décision d’un concile œcuménique (Nicée II) et qui s’appuya
explicitement sur la tradition d’une pratique dans l’Église.