Amselle - Contre Le Relativisme, L'humanisme - Sur Francis Wolff, Plaidoyer Pour L'universel (2019)
Amselle - Contre Le Relativisme, L'humanisme - Sur Francis Wolff, Plaidoyer Pour L'universel (2019)
Amselle - Contre Le Relativisme, L'humanisme - Sur Francis Wolff, Plaidoyer Pour L'universel (2019)
L’universel a mauvaise presse ces temps-ci, suspecté qu’il est de n’être que le
faux nez de la domination blanche telle qu’elle s’est exercée sous la colonisation et telle
qu’elle continue de prétendre à s’exercer sur le reste du monde. De façon générale,
l’universel sous ses différentes variantes – universalité, universalisme – n’a-t-il pas
toujours consisté sous prétexte de défense des droits humains à justifier les crimes les
plus horribles tels ceux commis par Léopold II, roi des Belges, au Congo, ou à
maintenir l’hégémonie des classes dominantes sur les subalternes ?
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Cette spécificité de l’humain, voire cette supériorité, s’étend également au
domaine des machines, et notamment des robots qui ne peuvent rivaliser avec
l’homme sur le plan de la conscience réflexive ou de ce qu’il nomme le « logos de la
raison dialogique » (p. 129). Cette supériorité de l’humain s’applique logiquement à
l’anti-antispécisme, c’est-à-dire à l’hostilité à mettre sur le même pied les différents
genres — végétal, animal et humain. Ses réflexions ne concernent pas le règne végétal,
au sein duquel certains identifient des « plantes directrices » ou des arbres pensants,
et elles se concentrent uniquement sur le règne animal. Ce penseur de la corrida1 se
fait donc sans surprise le partisan de l’établissement d’une différence radicale entre
l’homme et l’animal, contrairement à la doxa actuelle qui met l’accent sur l’absence de
solution de continuité entre les deux règnes. En effet, les animaux humains ne sont pas
seulement des vivants, mais aussi des animaux conscients dotés d’un langage, langage
dont la puissance est indéfinie à la différence de celle des animaux. Les humains sont
ainsi capables de s’exprimer par la négation et l’indignation. Ce repli de la conscience
sur elle-même (cette réflexivité) permet de juger, de conceptualiser et de penser « je ».
L’homme est donc un être de vérité et de liberté, ce qu’aucun robot ni aucun animal
ne parviendra jamais à être.
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par certains laboratoires, brevetage qui a pour effet de spolier les populations locales
de leurs connaissances thérapeutiques. De la même façon, il m’apparaît que la
« philosophie occidentale » s’est construite au XIXe siècle en s’inventant une
généalogie unilinéaire à partir du « miracle grec » tout en s’appropriant certains
linéaments philosophiques d’autres systèmes de pensée. La philosophie (occidentale)
a pu ainsi devenir une marque déposée et revendiquer le monopole universel de sa
propre démarche. Il en résulte que le débat entre ladite philosophie occidentale et
d’autres revendications philosophiques (africaine, amérindienne, etc.) est devenu
inextricable puisque ces différents savoirs ont été cantonnés dans des sphères
étanches.
Philosophie et anthropologie
Si l’on peut louer F. Wolff d’avoir adopté, à contre-courant, une position anti-
relativiste et de s’être ainsi opposé à une vision insulaire des cultures qui
emprisonnerait les individus dans un carcan (« tout n’est pas culture dans une
culture », p. 50), il reste que sa réflexion laisse l’anthropologue sur sa faim. En effet, la
posture du philosophe est en quelque sorte auto-référentielle. C’est par le retour sur
les textes canoniques, la « rumination constructive », pour reprendre une expression
de Jack Goody, élaborée à partir du corpus de l’histoire de la philosophie que F. Wolff
entend fonder son point de vue universaliste. Or l’énonciation des grands principes
philosophiques intemporels, telle l’éthique humaniste et universaliste, à laquelle on ne
peut que souscrire, a pour effet de placer ces principes, comme le disait Marx, « dans
le ciel des idées » et donc d’évacuer leur rôle d’enjeux et de marqueurs dans un cadre
politique donné. Prenons l’exemple des droits humains tels qu’ils sont
instrumentalisés par exemple dans le domaine politique au Mali2. On peut a priori
défendre, selon le principe de l’universalité des droits humains, l’expression publique
de l’homosexualité, le combat contre les mariages précoces ou celui contre l’excision
et donc donner raison à la classe politique malienne qui défend officiellement ce
principe. Inversement, on peut combattre les islamistes qui accusent l’homosexualité
d’avoir été introduite par l’Occident, ou défendent des pratiques culturelles comme
l’excision ou les mariages précoces au nom de la défense de « coutumes » qu’ils
estiment de leur côté faire partie intégrante de l’identité malienne, mais que l’Occident
2J.-L. Amselle, « L’Excision et l’homosexualité, enjeux politiques au Mali », Les Temps modernes, 2018/2,
n° 698, p. 3-19.
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juge, dans la grande tradition coloniale, comme étant retardataires ou « barbares ». En
portant un jugement purement philosophique sur ce débat, on pourrait en déduire que
celui-ci concerne au premier chef un affrontement entre l’obscurité de la tradition et
les « Lumières » de la modernité. La classe dominante serait « éclairée » et les
islamistes « obscurantistes ». En réalité, ces pratiques et ces principes, que les uns et
les autres, se jettent à la face ne sont que des marqueurs permettant aux deux
adversaires en présence de se définir et de s’opposer dans le champ politique. La classe
politique n’est pas plus convaincue par les droits humains que les islamistes ne le sont
par l’obligation de maintenir la tradition. Simplement les uns, en défendant
l’expression publique de l’homosexualité et en combattant l’excision, sont soucieux de
complaire aux puissances occidentales afin d’obtenir le soutien des bailleurs de fonds.
De façon symétrique et inverse, les islamistes en se montrant conservateurs voire
rétrogrades sur le plan sociétal ont toutes les chances de s’attirer les bonnes grâces des
pays du Golfe et d’obtenir d’eux des subsides. Le combat, apparemment moral et mené
au nom des grands principes entre les deux groupes, ressortit donc davantage au
domaine politique et économique.