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ALBUM

La Conférence des oiseaux


D’après le poète soufi persan Farid Al-Din Attar

Jacques Henri Prévost


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La Conférence des oiseaux


D’après le poète soufi persan Farid Al-Din Attar

Texte condensé et reformulé par

Jacques Henri Prévost

© Jacques Henri Prévost – Cambrai – 2016


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e texte est une interprétation actualisée et personnelle


d’une œuvre du poète persan Farid Al-DinAttar. Ecrite au
12ème siècle, elle était intitulée « La conférence des
oiseaux ». C’est l'histoire d'une bande de trente mille oiseaux pèlerins partant
sous la conduite d'une huppe fasciée à la recherche du Simurgh, leur roi. Les
oiseaux doivent traverser sept vallées pour trouver Simurgh. Ce sont les étapes
par lesquelles les soufis peuvent atteindre la vraie nature de Dieu. Le texte relate
les hésitations, et les incertitudes des oiseaux. Un à un, ils refusent le voyage,
chacun offrant une excuse, incapable d’en supporter les épreuves.

I l s’agit en fait d’un très important recueil de poèmes médiévaux


en langue persane publié par le poète soufi persan Farid Al-Din Attar en 1177.
Cette allégorie masnavi d'un cheikh ou maître soufi conduisant ses élèves à
l'illumination est constituée d'environ 4 500 distiques.

A ttar expose aux lecteurs la doctrine soufi selon laquelle Dieu n'est
pas extérieur ou en dehors de l'univers, mais Il est plutôt la totalité de l'existence.
L'oiseau est ici le symbole de l’homme qui est capable de quitter la terre vers le
ciel, puis d'y revenir. Même si cette révélation est apparemment proche de la
notion occidentale du panthéisme, l'idée de Dieu transcendant est une idée
intrinsèque à la plupart des interprétations du soufisme, qui remonte aux racines
de l'islam et peut encore être retrouvé à travers le Coran.
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L’histoire du roi des oiseaux

D’après le poète soufi persan Farid Al-Din Attar

’est une histoire qui nous vient d’un pays


étrange où les oiseaux pensaient et parlaient
comme les hommes. Dans leur langage
d’oiseaux, ils évoquaient leurs problèmes d’oiseaux comme s’ils
avaient des cervelles d’hommes. Peut-on s’en étonner quand tant
d’hommes, dans leur langage d’hommes, parlent de leurs problèmes
d’hommes comme s’ils avaient des cervelles d’oiseaux. Cette histoire
d’oiseaux ressemble apparemment beaucoup à une histoire
d’hommes.
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éditons sérieusement sur le sens


véritable de cette histoire. Ces
oiseaux se plaignaient qu’ils
n’avaient pas de roi, tout comme
beaucoup d’hommes se plaignent de ce qu’ils en ont un. Les hommes
et les oiseaux se plaignent tout autant de ce qu’ils ont que de ce qu’ils
n’ont pas.

D ans cette histoire, une huppe a joué un rôle important.


Cet oiseau porte une couronne de plumes sur la tête. Des hommes
font de même, avec d’autres sortes de plumes. Notre huppe était
engagée dans le chemin de la sagesse et se sentait porteuse d’un
message d’espoir et de vérité.

E lle déclara que les oiseaux avaient un grand un roi. Il


s’appelait Simorgh et se tenait dans un lieu merveilleux mais presque
inaccessible tant son chemin est dangereux. Mais si notre désir et
notre courage sont suffisants, disait-elle, nous pouvons aller vers le
Roi.
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es oiseaux réagirent comme des hommes. Ils


eurent grand peur de partir. Leurs actes et
leurs désirs ne concordaient guère et ils
préféraient la sécurité du présent aux incertitudes d’une telle
aventure. On dit des hommes qui réagissent comme ces oiseaux,
qu’ils sont comme les crocodiles, avec grand appétit, grande bouche,
et très petits bras. Ils font grand bruit, mais peu d’action dans la
réalité. En fait, la plupart des oiseaux n’étaient pas prêts au voyage
aventureux.

A vec mille excuses, ils firent mille objections. Le


rossignol était amoureux de sa rose et la verte perruche se disait
retenue en cage. Le Paon aux mille couleurs s’estimait comblé de son
plumage. Le canard était très heureux dans l’eau, la perdrix dans le
gravier, et le humay avec lui-même. Le faucon se drapait dans sa
fierté. Le héron se plaisait au bord de l’océan, comme le hibou dans
les ruines, et la bergeronnette se sentait bien trop faible.
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ous les autres oiseaux présentèrent des


excuses variées. La huppe déclara que ceux
qui désiraient vraiment rencontrer Simorgh
devraient combattre leurs propres craintes. Celui qui n’a pas
d’énergie ne peut prétendre aux trésors du soleil. Bien des oiseaux se
sentaient indignes de paraître devant Simorgh. «Quand Simorg se
laisse voir, dit encore la huppe, sa face aussi brillante que le soleil
produit des milliers d'ombres sur la terre et tous les oiseaux du
monde ne sont que ces ombres vivantes de Simorg.»

S achons que si Simorg n'avait pas voulu se manifester et


préférait rester caché, il n'aurait pas projeté son ombre sur le monde.
Et celui qui n'a pas un œil propre à voir le Simorg, n'aura pas non
plus un cœur lisse comme un miroir pour le réfléchir. L’œil ordinaire
ne peut admirer sa beauté, ni la comprendre, car on ne peut pas
aimer Simorg comme on aime les beautés temporelles. Par excès de
bonté, Simorg a fait des miroirs, et ce sont vos cœurs. Regardez donc
dans votre cœur, et vous y verrez son image. ».
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n entendant ce discours, les oiseaux


découvrirent ce qui les reliait à Simorg, et
certains éprouvèrent le désir de faire le
voyage. Mais le discours les inquiétait et ils hésitaient à se mettre en
route. Ils dirent donc à la huppe : « Toi, notre guide ! Veux-tu que
nous abandonnions tranquillité pour chercher le chemin qui mène à
Simorg. ». La huppe répondit : « Celui qui aime d’amour vrai ne songe
pas à sa propre vie. Les amants font-ils attention à la leur ? L'amour
véritable aime la difficulté. »

L es oiseaux désignèrent la huppe comme guide et chef. On


mit une couronne sur sa tête, et plus de trente mille oiseaux
s’assemblèrent pour prendre le chemin, si nombreux qu'ils cachaient
le ciel. Pourtant, c’était bien peu pour le peuple innombrable des
oiseaux. Mais, dès qu'ils aperçurent l'entrée de la première vallée, la
terreur les saisit. C’était un lieu désert où il n'y avait ni bien ni mal
mais seulement silence et tranquillité sans augmentation, ni
diminution.
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lors la huppe décida de soulever un peu le


voile du mystère. « Nous avons, dit-elle, sept
vallées dangereuses à franchir, avant de
découvrir le palais de Simorg. Personne n'est revenu dans le monde
après avoir parcouru cette route et l’on n’en connaît pas quelle en est
l'étendue. Tous ceux qui sont entrés dans cette route s'y sont engagés
pour toujours. Je ne peux donc calmer vos inquiétudes et je vous dirai
seulement tout ce que j’en sais. ».

C ette première vallée, dit-elle, est celle de la quête ; la


suivante n’a pas de limite car c’est celle de l'amour ; la troisième est
celle de la connaissance, et la quatrième est celle de l'indépendance ;
la cinquième vallée est la vallée de la pure unité, la sixième, celle de la
terrible stupéfaction ; et la septième vallée enfin est celle de la
pauvreté, de l'anéantissement et de la mort, au-delà de laquelle nous
serons attirés sans pouvoir poursuivre la route et pour nous, une
goutte d'eau sera comme un océan.
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ès que vous serez entrés dans la vallée de la

),
recherche (talab cent choses pénibles vont
vous assaillir. Á chaque instant vous
éprouverez cent épreuves. Il vous faudra y passer plusieurs années
de pénibles efforts pour y changer d'état. Vous y abandonnerez tout
ce que vous possédiez et renoncerez à tout ; et quand vous ne
possèderez plus rien, il vous restera à détacher votre cœur de tout ce
qui existe. Lorsque qu’il sera ainsi sauvé de la perdition, vous verrez
briller la pure lumière de la majesté divine, et, lorsqu'elle se
manifestera à votre esprit, vos désirs se multiplieront à l'infini.

M û par l’amour, le voyageur s'engagera follement dans


ces vallées brûlantes comme le papillon attiré par la flamme. Dans ce
délire, il se livrera à la recherche figurée par cette vallée, et il en
oubliera les deux mondes. Il demandera à son cœur le secret de
l'éternelle beauté, et dans son désir de le connaître, il ne craindra
plus les dragons dévorants. Si la foi et l'infidélité se présentaient
alors à lui, il les recevrait également, pourvu que soit ouverte la porte
vers son but. Car, quand cette porte est ouverte, que sont la foi ou
l'infidélité, puisque de l'autre côté, il n’y a plus ni l'une ni l'autre ? »
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a vallée de l'amour (ischc) suit celle de la


recherche. Il faut s’y plonger dans le feu, et
devenir soi-même de feu pour pouvoir y
survivre. L'aimant véritable doit être pareil au feu, brûlant et
impétueux comme lui. Il doit aimer sans arrière-pensée, disposé à
brûler cent mondes, sans connaître ni la foi ni l'infidélité, ni le doute
ni la certitude. Il n'y a pas ici de différence entre le bien et le mal car
dans l'amour, ils n'existent plus. L’aimant risque sa tête pour son ami,
quand tant d’autres ne font que promettre. Celui qui s'engage dans la
voie spirituelle se consumera entièrement lui-même, pour se délivrer
de sa tristesse.

L '’amour est le feu, et quand il vient, la raison fuit, car la


folie de l’amour n'a rien à faire avec elle. Si vous avez une juste vue
de l’invisible, vous connaîtrez la source de l’amour mystérieux qui
vous est annoncé. Mais l'existence de l'amour est détruite par son
ivresse même. Les atomes du monde visible se dévoilent à la vision
spirituelle du monde invisible, mais si l’on regarde avec l'œil de
l'intelligence, on ne peut comprendre l'amour. Seul l’homme vraiment
libre peut percevoir cet amour spirituel, et sans l’être réellement, l’on
meurt. Celui qui s'engage dans cette voie d’amour a besoin de milliers
de cœurs vibrants à sacrifier par centaines à chaque instant.
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près celle de l’amour, vient la vallée de la


connaissance (ma'rifat), qui n’a ni
commencement ni fin. Nul ne sait la longueur du
chemin à y faire, et aucun n’y ressemble. Autre est le voyageur
temporel, et autre le voyageur spirituel. L'âme et le corps progressent
ou régressent en permanence, et le chemin spirituel se manifeste dans
les limites des forces personnelles, et la marche de chacun sera
relative à sa force et à son excellence actuelles. La connaissance
spirituelle a différents aspects. Certains y ont trouvé leur orientation
(mihrab), et d’autres, seulement une idole.

L a lumière de la connaissance éclaire selon le mérite, et


fixe la place dans l’approche de la vérité. Quand le mystère de l'es-
sence des êtres se dévoilera, la fournaise du monde deviendra un
jardin de fleurs. L'adepte ne se verra plus lui-même. Dans toute chose
il verra la face de l’ami, et dans chaque atome, la totalité. Beaucoup
se sont perdus dans cette recherche pour un seul qui en a découvert
les mystères ? Il faut être parfait si l'on veut franchir cette route
difficile. Toi qui n'as pas encore perçu la beauté de ton ami, lève-toi
donc, et cherche.
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ient ensuite la vallée de l’indépendance (istignā)


où il n'y a rien à découvrir. De l'âme s'y élève un
vent froid qui ravage lun espace immense. Les
sept océans n’y sont qu'une simple mare, les sept planètes, une
étincelle, les sept cieux, un cadavre, et les sept enfers, de la glace.
Mais ici, la fourmi a la force de cent éléphants, et cent caravanes y
périssent, le temps pour la corneille de remplir son jabot. Le nouveau
ou l’ancien n'y ont pas de valeur, et l’on y peut agir ou pasir. La vue
d’un monde entier brûlé par le feu, n’est que rêve face à la réalité. Les
milliers d'âmes qui tombent sans fin sur cet océan illimité n’y sont
qu'imperceptible rosée.

Q uand bien même les deux mondes seraient anéantis,


qu’on ne pourrait nier l'existence d'un seul grain de sable. Et s'il ne
restait nulle trace d'hommes ou de génies, restez attentifs au secret
de la goutte d’eau dont tout a été formé. Si tous les corps
disparaissaient de la terre, si même un seul poil des êtres vivants
n'existait plus, quelle crainte y aurait-il à avoir ? Si la partie et le tout
étaient complètement anéantis, resterait-il un fétu sur la face de la
terre ? Et si même les neuf coupoles de l'univers étaient en une fois
détruites, ne resterait-il pas une goutte des sept océans ?
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t puis vient la vallée de l'unité (tauhïd), du


dépouillement et de l’unification de toutes choses.
Tous ce qui vit dans ce désert n’est qu’unique
entité. Et si l’on croit y voir beaucoup d'individus, il n'y en a qu’un
seul en réalité. Cette multitude d’êtres ne fait qu'un seul, complet dans
son unité. Et ce qui se présente comme unité ne diffère pas de ce qui
se compte en quantité. L’être annoncé est hors de l'unité et du
compte. Il faut cesser de penser l'éternité a priori et a posteriori, et ne
plus distinguer temporellement ces deux éternités. Quand tout ce qui
est visible sera anéanti, il n’y aura plus rien dans le monde qui soit
digne d'attention.

A près l'unité vient la vallée de l'étonnement (hairat). On y


est dans la tristesse et les gémissements. Ce ne sont ici que
lamentations, douleurs, et brûlante ardeur. C’est à la fois le jour et la
nuit, et ni jour ni nuit, et chacun y est brûlé et consumé par le feu.
Dans l’étonnement, comment avancer sans être stupéfait et s’y
perdre ? Celui qui a l'unité gravée dans le cœur oublie tout, même lui-
même. On lui dit : « Es-tu ou n'es-tu pas ; as-tu ou pas le sentiment de
l'existence ; es-tu visible ou caché, périssable ou immortel, l'un et
l'autre ou ni l'un ni l'autre, et il répond : Je n'en sais rien, je l'ignore et
m'ignore moi-même. Je suis amoureux sans savoir de qui, ni fidèle ni
infidèle. J'ignore même mon amour et j'ai à la fois le cœur plein et vide
d'amour. »
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près la sixième vallée, vient celle du dénuement


(facr), et de la mort (fana), vallée qu’on ne peut
exactement décrire. Son essence est l'oubli, le
mutisme, la surdité et l'évanouissement. Sous un seul rayon du soleil
spirituel, les milliers d'ombres éternelles qui nous entourent,
disparaissent. Lorsque les vagues s’agitent sur l'océan de
l'immensité, les figures sur sa surface n’y subsistent pas. Ces figures
sont bien le monde présent et le futur, et qui le perçoit acquiert là un
grand mérite. Le cœur perdu dans cet océan est perdu pour toujours,
et y demeure en repos. Il y trouve l'anéantissement. S'il en revient un
jour, il connaîtra ce qu'est que la création et ses secrets.

L orsque les voyageurs spirituels entrent dans le


domaine de l'amour, ils s’égarent au premier pas, et nul ne fait le
second. Et puisque tous se perdent au premier pas, ils appartiennent
au règne minéral, quoiqu'ils soient des hommes. Le bois d'aloès et le
chêne mis au feu se réduisent mêmement en cendres. Sous deux
formes, ils sont une même chose sous cet aspect quoique leurs
qualités soient distinctes. L’objet immonde qui tombe dans l’océan
parfumé reste vil par ses qualités propres. Mais si une chose pure y
tombe, elle participe à ses flots, elle perd son isolement et en devient
encore plus belle. Elle y existe et n'y existe pas, et il est impossible à
l’esprit de concevoir comment cela peut être.
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uand les oiseaux entendirent ce discours, ils


en eurent le cœur absolument brisé au point
que certains en moururent à l’instant même.
Beaucoup abandonnèrent et rebroussèrent immédiatement chemin. Il
en demeura cependant trente mille qui décidèrent quand même de se
mettre en route. Ils voyagèrent alors des années entières par monts et
par vaux, et une grande partie de leur vie s'écoula durant cet
éprouvant voyage. Et ces milliers d'oiseaux disparurent presque
tous, les uns noyés dans l'Océan, d’autres séchés dans le désert et la
chaleur du soleil, ou dévorés par les tigres du chemin.

Á la fin, un bien petit nombre de cette troupe arriva au


lieu sublime auquel elle tendait. Ceux qui s'étaient mis en route
emplissaient tout le ciel, et, sur ces trente mille, il n'en restait ici que
trente, sans plumes, abattus, le cœur brisé, l'âme affaissée, et le corps
abîmé. Les trente survivants perçurent alors cette majesté à l'essence
incompréhensible, cet être qui est au-dessus de la portée de l'intelli-
gence humaine et de la science. Ils virent réunis des milliers de soleils
plus resplendissants les uns que les autres ; des milliers de lunes et
d'étoiles toutes également belles. Ils virent tout cela, en furent tout
étonnés, et ils rendirent grâce.
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un temps opportun, un noble chambellan survint


apercevant les trente oiseaux, vieillis, déplumés et
abattus, dans un état affreux, pratiquement sans
corps. « Ô oiseaux ! Que voulez vous et quel est votre nom ? ». « Nous
sommes ici, répondirent-ils, afin de reconnaître le Simorg pour notre
roi. L'amour que nous ressentons pour lui a troublé notre raison.
Nous en avons perdu l’esprit et la raison. Nous étions alors des
milliers, et voici que trente seulement d'entre nous sont arrivés ici.
Comment ce roi pourrait-il dédaigner nos efforts et toute la peine que
nous avons éprouvée ? ».

V ous avez la tête troublée ! répondit le chambellan, vous


qui vous êtes baignés dans le sang de votre cœur, sachez que vous
soyez ou que vous ne soyez pas, le roi n'en existe toujours pas moins
éternellement. Des milliers de mondes pleins de créatures sont
comme une fourmi à la porte de ce palais. Retournez donc en arrière,
car vous n’êtes qu’une vile poignée de terre ! ». Les oiseaux furent
désespérés de ce discours sévère mais ils prièrent néanmoins : « Ce
grand roi nous rejettera-t-il ignominieusement dans le chemin ? Et
notre indignité, si elle a lieu, ne se changea t-elle pas en honneur ? ».
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l y eut alors une évidente manifestation de la


faveur céleste. Le chambellan ouvrit enfin la
porte, puis il écarta cent rideaux, les uns après
les autres. Alors, un monde nouveau se présenta sans voile aux
trente oiseaux et la plus vive lumière éclaira sa manifestation. L'âme
de ces oiseaux s'anéantit de crainte et de honte, et leur corps brûlé,
tomba en poussière. Lorsqu'ils furent purifiés et dégagés de toute
chose, ils trouvèrent une nouvelle vie dans la pure lumière de Simorg.
Tout ce qu'ils avaient pu faire anciennement fut purifié et effacé de
leur cœur. Le soleil divin darda sur eux ses rayons, et leur âme en
devint resplendissante.

A lors, dans le miroir de leur propre visage, ces trente


oiseaux contemplèrent enfin la face du Simorg spirituel, et perçurent
qu’ils voyaient bien Sîmorg. Ils étaient stupéfaits, ne sachant plus s'ils
étaient restés eux-mêmes ou s'ils étaient devenus Simorg. Ils
comprirent enfin qu'ils étaient à la fois véritablement Simorg et que
Simorg était aussi réellement les trente oiseaux. Lorsqu'ils
regardaient vers Simorg, c'était bien là Simorg, et s'ils se regardaient
eux-mêmes, ils voyaient qu'eux-mêmes étaient Simorg. Enfin, s'ils
regardaient simultanément des deux côtés, ils percevaient qu'eux et
Simorg ne formaient en réalité qu'un seul être.
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et être unique était Simorg, et Simorg était cet


être. Ils voulurent réfléchir à cela sans y réussir.
Comme ils n’y comprenaient rien, ils
interrogèrent le Simorg, en lui demandèrent de leur dévoiler le grand
secret, le mystère de la pluralité et de l'unité des êtres. Et Simorg leur
fit cette réponse : « Le soleil de ma majesté, dit-il, est un miroir ; celui
qui vient s'y voit tout entier dedans, il y voit son âme et son corps.
Puisque vous êtes venus ici trente oiseaux, vous vous trouvez ces
trente oiseaux dans ce miroir. S'il venait encore quarante ou cin-
quante oiseaux, le mystérieux rideau cachant Simorg serait également
ouvert.

Q uoique vous soyez extrêmement changés, vous vous


voyez vous-mêmes comme vous étiez auparavant. Comment l'œil
d'une créature pourrait-il arriver jusqu'à moi ? Le regard de la fourmi
peut-il atteindre les étoiles ? Tout ce que vous avez su ou vu n'est ni
ce que vous avez su ni ce que vous tu avez vu, et ce que vous avez dit
ou entendu n'est pas non plus cela. Lorsque vous avez franchi les
.sept vallées du chemin spirituel, vous n'avez agi que par mon action,
et vous avez pu ainsi voir la montagne de mon essence et de mes
perfections.».
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ous qui n'êtes que trente oiseaux, vous avez pu


rester stupéfaits, impatients et ébahis ; mais moi
je vaux bien plus que trente oiseaux, car je suis
l'essence même du véritable Simorg. Anéantissez-vous donc en moi
glorieusement et délicieusement, afin de vous retrouver vous-mêmes
en moi.».

E t donc, à la fin du voyage, (et celle de mon histoire), les


trente oiseaux s'anéantirent en effet, et pour toujours, dans le Simorg
éternel ; ainsi leur ombre se perdit dans son soleil, et voilà tout. Les
oiseaux ont terminé leur voyage ; mon discours s’arrête là, et il n'y a
plus de guide, ni de voyageur.

FIN

© Jacques Prévost –Cambrai -2016


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C ette très vieille histoire d’oiseaux est une interprétation per-


sonnelle très actualisée d’une œuvre du poète persan Farid Al-
DinAttar. Ecrite au 12ème siècle, elle est connue sous l’appellation
« La conférence des oiseaux ».

Beaucoup de sentences mises ici en évidence sont empruntées


littéralement au texte originel.

Attar y expose aux lecteurs la doctrine soufi selon laquelle Dieu n'est
pas extérieur ou en dehors de l'univers, mais Il est plutôt la totalité de
l'existence.

L'oiseau est ici le symbole de l’homme qui est capable de quitter la


terre vers le ciel, puis d'y revenir.

Même si cette révélation est apparemment proche de la notion


occidentale du panthéisme, l'idée de Dieu transcendant est une idée
intrinsèque à la plupart des interprétations du soufisme, qui remonte
aux racines de l'islam et peut encore être retrouvé à travers le Coran.
42

La conférence des oiseaux

ou L’histoire du roi des oiseaux

D’après le poète soufi persan Farid Al-Din Attar

ALBUM
Par Jacques Henri Prévost

Cet ouvrage est une interprétation personnelle très actualisée d’une


œuvre du poète persan Farid Al-DinAttar. Écrite au 12ème siècle, elle était
intitulée : « La conférence des oiseaux ». C’est un très important recueil
de poèmes publié en 1177 par le poète soufi persan Farid Al-Din Attar.
Cette allégorie masnavi d'un cheikh ou maître soufi conduisant ses élèves
à l'illumination, est constituée de 4.500 vers dits distiques.

La Conférence des Oiseaux est l'histoire d'une bande de trente mille oi-
seaux pèlerins partant sous la conduite d'une huppe fasciée à la re-
cherche du Simurgh, leur roi. Les oiseaux doivent traverser sept vallées
pour trouver Simurgh. Ce sont les étapes par lesquelles les soufis
peuvent atteindre la vraie nature de Dieu.

Le texte relate les hésitations, et les incertitudes des oiseaux. Un à un, ils
refusent le voyage, chacun offrant une excuse, incapable d’en supporter
les épreuves. Beaucoup vont cependant partir et périront. Mais un seul
sur mille saura terminer le chemin et découvrira enfin l’ineffable et ul-
time secret de l’existence et de la vie.

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