L'Abyssinie Et Son Apôtre Ou Vie de MGR Justin de Jacobis, Vicaire Apostolique D'abyssinie (Ethiopie)
L'Abyssinie Et Son Apôtre Ou Vie de MGR Justin de Jacobis, Vicaire Apostolique D'abyssinie (Ethiopie)
L'Abyssinie Et Son Apôtre Ou Vie de MGR Justin de Jacobis, Vicaire Apostolique D'abyssinie (Ethiopie)
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L'ABYSSIME ET SON APOTRE
ou
VIE
DE
VQUE DE NILOPOIIS
PARIS
1866
!
L'ABYSSINIE ET SON APOTRE
or
VIE
DE
VQUE DE NILOPOLIS
PARIS
on
CHAPITRE I
(1) Historia Gui. dans laquelle, dit Ruffin : terram hanc (in qu
Frumentius prdicavit ) nullo apostolico doctrinao vomere proscis-
sam. Item Sozomen. Socrat. Metaptiraste, Senkessar, Grus et alii
passim.
(2) Dllinger, Origines du christianisme.
cifique ou Salama, nom sous lequel il est encore connu
aujourd'hui, et le renvoya en Ethiopie pour y prcher
l'Evangile. Cette mission pourrait se rapporter l'anne
330 ou environ; mais une inscription d'Axum et l'histoire
font dominer la religion chrtienne en Ethiopie, l'an 341,
sous le gouvernement d'Abraha et d'Asbah, premiers rois
catholiques qui s'assirent sur le trne de ce pays (1).
Nous ne voulons pas nier que le Christianisme ait t
connu dans l'Abyssinie troglodyte, principalement Adou-
lis, o un grand nombre de Grecs chrtiens se rendaient
pour des affaires de commerce (2). Notre intention est seu
lement de faire connatre qu'avant l'an 341, le christia
nisme n'tait pas la religion dominante en Ethiopie. Quant
la croyance que saint Matthieu, ou l'Eunuque, men
tionn aux Actes des Aptres, aurait port la connaissance
de Jsus-Christ dans ce pays, c'est pour nous une tradi
tion dnue de fondement; car il est certain que saint
Matthieu passa par l'Arabie pour se rendre aux Indes, et
que l'Eunuque fut intendant de la reine de Napata ou
Nubie, o, selon Pline et Strabon, toutes les reines s'ap
pelaient Candace (3). Mais ce qui n'est pas douteux, c'est
que Frumence, son retour, trouva un accueil favorable,
et tablit son sige piscopal dans Axum, o il ne tarda
pas baptiser le roi et son frre ; puisj second par des
miracles, il travailla avec le plus grand suecs la con
version du peuple entier. Par haine contre Athanase et
par amour pour l'arianisme, l'empereur Constance essaya
CHAPITRE II
M. de lacobis, on enfance, son entre dans
la Congrgation de la Mission
CHAPITRE III
Ses travaux et missions en Italie
CHAPITRE IV
CHAPITRE V
Voyage en Egypte
CHAPITRE VI
Voyage Rome
(1) Cette dame vient d'tre enleve par le cholra en un mme jour
avec sa fille, juin 1865.
U.
66
puiss. M. Ceruti, consul du roi de Sardaigne, offrit tout
ce qui tait ncessaire; le cardinal Franzoni, prfet de la
sacre Congrgation de la Propagande, d'un mrite au?
dessus de toule louange, auquel la mission d'Abyssinie
devait son commencement et son progrs, et qui fut pour
elle un nouvel Athanase qui lui envoya un nouveau
Frumence, ce Cardinal, dis-je, avait dj tout dispos pour
payer les frais du voyage, aprs avoir t mis au courant
par M. de Jacobis. Ainsi tous les obstacles taient levs,
et l'on s'embarqua sur le Scarnandi-e pour se diriger vers
Malte. Qui pourrait exprimer la joie du missionnaire lors
qu'il se vit hors de tous ces embarras ! Oh ! qu'il tait doux
en cette circonstance, de rpter ces paroles de confiance
et de consolation : In te Domine speravi, non confundar in
ternum. Ces paroles avaient pour lui un nouveau charme
quand la vaste tendue de la mer lui mettait sous les
yeux l'image de l'immensit de la libralit divine. Les
Abyssins revenus eux-mmes pleuraient de tendresse.
Aprs tant de scnes de chagrins et de deuil, il manquait
seulement que l'enfer vnt , par sa parodie, gayer la
socit par une farce burlesque. Sur le mme vapeur se
trouvait un ministre protestant anglais. Il se mit bonne
ment ou plutt sottement dissuader les Abyssins de leur
voyage de Rome. Ceux-ci ne firent que rire du zle hors
de propos du vieux ministre, et lui rpondirent si bien
qu'ils lui trent l'espoir de recueillir autre chose que la
confusion d'une nouvelle proposition de ce genre. Rien
n'inspire tant d'horreur aux Abyssins que le Protestan
tisme, ils mettent ses sectateurs au niveau des musul
mans. Ceci rappelle la rponse d'une dame russe qui, ne
connaissant pas le dtail des erreurs de la secte, rpondit
quelque ministre qui voulait la catchiser : Oh ! il me
semble que j'ai compris ! c'est quelque chose qui ressem
ble la religion de Mahomet! Aprs une heureuse navi
gation, les voyageurs arrivrent Malte."
Les triomphes de Rome chrtienne sont plus clbres
et plus dignes de louanges que ceux de Rome paenne.
67
Ceux-ci taient ennoblis par le courage, souvent souills
par la frocit, et par ce faux amour de la patrie qui re
gardait comme indigne de vivre quiconque ne se faisait
pas l'esclave de la violence. La gloire d'un petit nombre
entranait aprs elle les pleurs des nations entires, des
cits dtruites, des provinces dsertes, des royaumes rui
ns; et cette vaine gloire on sacrifiait le repos de plu
sieurs millions d'hommes : tanlo major famce sitis est
quamvirtutis, disait un ancien pote. Rome chrtienne, au
contraire, triomphe par la vertu. Le chant triomphal de
l'humble missionnaire annonce la paix, la flicit, et la
civilisation de gens qui, jusque-l, n'avaient plus de
l'homme que l'extrieur. S'il est ceint d'une aurole, cette
aurole n'est pas de sang, moins que ce ne soit le sang
qu'il a vers pour ses frres. C'est l qu'il conduit les
nouveaux disciples qu'il a conquis au Sauveur, afin de
leur faire reconnatre le pre et le chef de l'glise univer
selle, pour lui faire hommage de leur obissance. Et qui
peut dire quelle gloire en revient la foi de Jsus-Christ
et au sige de saint Pierre ? C'est alors que l'on reconnat
la vrit de ces paroles du pote d'Aquitaine :
CHAPITRE VII
Voyag .frttanlem
Retour en Abysslnfe
CHAPITRE IX.
Eapranc8 de la Mission,
136
qu'un petit passage bien facile garder. Nous voulmes
monter YAmba Barbari (la montagne de poivre rouge) ,
que nous avons trouve sur notre route, et qui est une des
plus remarquables du Tigr, mais des paysans qui s'en
sont aperus et qui ne nous connaissaient pas, arms de
pierres normes, nous ont intim la dfense de ne pas
nous approcher, si nous tenions notre vie. Comme nous
connaissions bien le pays, nous jugemes expdient de
revenir sur nos pas ; mais je suis sr que si, notre
place, se ft trouve l une arme de cent mille hommes,
elle n'aurait pas eu de parti plus prudent prendre.
Si je voulais, Monsieur, vous dire tout ce qui s'est
offert nous de remarquable, pendant les quatre jours
que nous sommes rests au camp d'Oubi, il me faudrait
outrepasser les bornes de cette lettre, qui dj a d vous
fatiguer par son extrme longueur. Je vous dirai seule
ment que tout le camp montre une plus grande joie de
notre prsence, que celle qu'Oubi nous tmoigna au mo
ment de notre premire entrevue, que celle mme que ce
roi a prouve au moment o il a fait la paix avec Ras-
Aly, et qu'il a recouvr sa libert. Les cadeaux que le
souverain Pontife a envoys ce prince, ceux qui lui sont
venus de la part du roi de Naples, les rcits qu'il a en
tendus de la bouche de vingt-trois Abyssins qui reve
naient de Rome, sur le caractre divin du successeur de
saint Pierre, et sur la majest vraiment chrtienne du fils
de saint Louis, le tenaient dans une espce d'extase d'ad
miration et d'amiti. Aprs la saison des pluies, il doit
nous donner tout ce qui nous est ncessaire pour nous
tablir dfinitivement dans l'Abyssinie.
Dans le moment que je vous cris, on travaille ici de
tous cts, et chacun sa manire, chasser l'Abouna
hrtique. Plaise Dieu faire russir cet vnement, et le
tourner sa plus grande gloire !
Au commencement de la belle saison, nous runirons
ensemble le plus que nous pourrons de catholiques abys
sins, pour former une chrtient. Ds lors que les bonnes
4
137
dispositions pour le catholicisme sont gnrales, nous
croyons qu'il est propos de mettre notre petit troupeau
l'abri des changements qui sont si faciles dans une na
tion mobile, comme celle de l'thiopie.
Dans notre position actuelle, nous n'avons besoin que
d'tre aids continuellement par les prires des catholiques
d'Europe, qui j'attribue tous les succs que le bon Dieu
accorde sa cause. Car nous sommes obligs de rester
dans une espce d'inactivit, afin de ne faire autre chose
que ce que Dieu veut que nous fassions. C'est pour cela,
qu'avant tout, nous supplions ceux qui ont du zle pour
la propagation de la foi, de ne pas nous priver du secours
de leurs prires, en invoquant pour notre pauvre mission,
et Jsus-Christ, et Marie conue sans pch, sous la puis
sante protection de laquelle elle se trouve heureusement
place. Plus tard, nous serons obligs de btir et d'orner
des glises, de l natront d'autres besoins ; et l'on sait ce
que demandent de pareilles entreprises.
30 Juin. A cette longue lettre je suis oblig d'ajouter
encore un mot pour une affaire qui intresse fortement la
mission. C'est pour vous remettre une lettre et une dis
sertation de M. Schimper, autrefois luthrien et aujour
d'hui fervent catholique. Ce savant distingu y expose les
raisons qui l'ont dtermin professer le catholicisme. Je
n'ai pas besoin de vous parler de l'importance d'une pice
de cette nature pour le bien de la religion.
Vous me permettrez, dans cette circonstance, de vous
faire observer tout ce que la conversion de M. Schimper
lui a cot : il a perdu, cette occasion, la confiance de
plusieurs de ses amis, de plusieurs de ses protecteurs ; la
Socit d'histoire naturelle du Wurtmberg n'aura pro
bablement plus en lui la confiance d'autrefois. Sa conver
sion a produit ici plus de bien que la mission elle-mme.
L'Abyssinie avait besoin d'un modle de mariage clbr
selon la loi naturelle, divine et ecclsiastique catholique ;
car les lois du mariage, qui sont la base de l'ordre public
et de la vritable civilisation, sont ici compltement n
8.
gliges. M. Schimper vient de donner ce bon exemple, en
se mariant une dame oatholique d'Abyssinie. Cette con
duite a t facilement suivie par les autres, et nous n'a
vons plus aujourd'hui travailler comme auparavant
pour dcider nos chrtiens se marier catholiquement.
Que j'aimerais de voir ce monsieur s'tablir dfinitive-
dans ce pays ! Je lui ai obtenu pour cela d'Oubi une con
tre. S'il pouvait travailler l'histoire naturelle pour des
catholiques, comme il l'a fait pour les protestants, il n'au
rait nulle peine s'y fixer jamais.
Massouah. Je viens de finir le voyage que j'avais
entrepris, pour tcher de trouver, dans les environs de
Massouah, un endroit propre l'tablissement d'un col
lge. Gomme je me trouve n'avoir pas encore ferm ma
lettre, que j'ai apporte mol-mme, Massouah o je suis
actuellement, je vais vous faire part de quelques notes
que j'ai prises. Aprs le bon accueil du roi Oubi, j'ai pu
enfin m'loigner de lui sans danger pour la mission ;
nous sommes la veille d'avoir un pays, comme j'ai eu
l'honneur de vous le mander, et de faire tout ce que nous
voudrons pour notre mission, en toute libert. Les notes
dont je vous parle, sont vraiment intressantes et en grand
nombre ; elles pourront servir de matriaux pour une bien
longue relation, dont je pourrai m'occuper au premier
moment de loisir. Car, comme je me trouve dans le pays
peut- tre le plus chaud du monde, et dans la saison la
plus ardente, je ne puis me livrer aucun long travail;
nous sommes dans le mois de juillet et dans le dsert du
Samhar.
Que je vous dise donc, la hte, que le bon Dieu nous
a amens dans l'endroit le plus beau de l'Abyssinie. L
nous avons trouv dans le dsert deux ermites qui avaient
la direction spirituelle de trois chrtients inconnues et
trs-vastes. Ces ermites, convertis par le bon Dieu au ca
tholicisme, nous donnent l'endroit qu'ils occupent actuel
lement, avec leurs immenses terrains presque tous d
serts, mais charmants et fertiles ; ils nous donnent en
139
outre la direction spirituelle de leurs chrtients. Ce pays
est tout fait indpendant, et le plus propre d'Abyssinie
pour y lever les jeunes gens.
Sur la route de ce magnifique endroit, qu'on appelle le
mont Sina, Mensah, on rencontre un autre pays'gale-
ment beau, dont nous pourrions facilement entrer en
pacifique possession, quand il nous plairait. Mais, toutes
ces choses mritent une relation expresse, que je m'engage,
avec l'aide de Dieu , vous envoyer le plus tt possible.
M. de Jacobis ne manqua pas d'accomplir sa promesse,
et voici ce qu'il crivait d'Adoua, le 29 avril de l'anne
suivante 1844.
J'ai vous faire part d'une grce que Dieu vient de
nous accorder; elle ne manquera pas de vous faire grand
plaisir.
Je me souviens d'avoir eu l'honneur de vous crire,
que, depuis trois ans, nous travaillions pour obtenir une
terre en Abyssinie, non pas pour les missionnaires, de
peur de compromettre les affaires politiques du pays,
mais pour quelqu'un de nos catholiques laques. J'ai, au
jourd'hui, la consolation de vous apprendre que nos
prires sont arrives jusqu'au trne de Dieu. Le prince
Oubi vient de donner un pays M. Schimper, dont j'ai
eu l'honneur de vous parler plusieurs fois, afin que les
catholiques puissent avoir un lieu pour se fixer. 11 a fait
publier en son nom, dans les marchs publics, que An-
titchio, la plus belle partie du Tigr, deviendrait l'den
des catholiques au milieu de l'Abyssinie, serait exempt de
tout impt, de tout passage de troupes, et de toute domi
nation, except de la sienne. Son tendue est d'une forte
journe de circonfrence; il y a treize villages sous sa ju
ridiction, et environ quatre mille habitants. Dans quelques
jours, notre colonie catholique se mettra en marche pour
aller s'y tablir.
Cette grande affaire une fois arrange, je me rendrai
Debra-Sxna, qui est le lieu que je vous ai dit tre le plus
propre pour la fondation d'un collge ; je m'y prsenterai
140
pour poser la premire pierre de cet tablissement. Si j'ai
tant tard de commencer cette entreprise, a t pour
obir ceux qui s'intressent notre mission ; ils m'ont
conseill de ne pas quitter Oubi, avant qu'il ne nous et
donn le pays dont je vous entretenais, il y a un instant.
La vrit demande que je vous dise aussi qu'Oubi ne
nous a pas donn d'glise. Une concession pareille aurait
infailliblement donn occasion ' ses ennemis de s'unir
l'Abouna, pour soulever toute l'Abyssinie. Cependant ce
prince, sans nous dire qu'il nous donne une glise, nous
accorde un pays, sachant trs-bien ce pourquoi nous le lui
avons demand. Non-seulement il ne tient pas lui que
le Seigneur ait un temple dans ce pays de tnbres, mais
il ne cesse de nous assurer que, s'il avait une lettre du
patriarche copte, qui est au Caire, o il lui manderait
de ne pas empcher les catholiques d'avoir des glises
dans l'Abyssinie, tout de suite et de grand cur il nous
accorderait toute libert pour cela.
Pour tout ce dont nous avons besoin ici, je me remets
entirement la Providence divine, et la charit de notre
trs-honor Pre, qui connat bien notre position.
Permettez-moi, nanmoins, de vous exposer mes be
soins particuliers : Je n'ai point d'ornements, point de
calice, point de pierre sacre pour offrir l'auguste Sacri
fice, et pour cela il faut que je m'abstienne de sacrifier,
avec la douleur dans le cur. Le plus simple des objets
sacrs, quelle que soit sa nature, sera pour moi un
trsor.
CHAPITRE X.
Les dallas.
CHAPITRE XI.
Nouvelles conversions.
I
154
La mort nous a enlev, cette anne, une de nos pre
mires et de nos plus belles conqutes, la fervente Mara-
tatchia, qui a laiss un charmant petit orphelin. Cette
femme tait une grande dame de la cour d'Oubi ; mais
aprs une longue maladie, ayant t enlin rduite men
dier son pain, elle a trouv son salut dans cet abaissement
extrme ; sa conversion a prcd de six mois sa mort ; et
pendant cet intervalle, elle tait devenue elle-mme,
auprs de sa nation, un missionnaire fort zl. Vous
verrez, me rptait-elle souvent pour m'encourager, qu'ils
finiront tous par devenir chrtiens. Atteinte de la ma
ladie qui l'a conduite au tombeau, elle a voulu tre tran
sporte chez moi, pour prendre cong, disait-elle, une
dernire fois de ses bienfaiteurs, et faire ainsi sa dernire
confession. Prs d'expirer, elle me disait encore : Main
tenant, il faut que je m'occupe exclusivement de mon
Dieu, Vous, mon pre, ayez piti du malheureux or
phelin ! Sur ces entrefaites, un homme ayant rclam
son enfant en justice, conformment aux lois abyssi
niennes en vigueur, et ayant prouv que cet enfant tait
n de lui et de la dfunte, il s'empara de cette innocente,
petite crature ; mais, aprs trois mois d'intervalle, tous
les deux ont cess de vivre, l'un pour aller sans doute re
joindre sa mre dans le ciel, l'autre! Latin si di
fiante de cette dame, qui l'on a fait, quoique bien connue
pour catholique, des funrailles trs-solennelles, et le triste
vnement racont tout--l'heure, ont accru le. courage
des Abyssins pour se dclarer ouvertement catholiques, ce
qu'ils n'avaient pas os faire d'abord par la crainte des
hrtiques; et tout aussitt, ils sont venus en foule em
brasser la foi catholique, pour mourir, disaient-ils, aussi
saintement que Maratatchia tait morte. Cette histoire
m'amne vous faire la rflexion suivante.
Les Abyssins, voyant que le catholicisme n'est entour
ici d'aucune pompe clatante, que nous n'avons pas de
belles glises, que nos crmonies sont extrmement sim
ples, sont par cela mme loigns de l'embrasser, et ils
pensent que mourir dans son sein, ce serait mourir en
quelque sorte sans bndiction, ou, en d'autres termes,
ils croiraient tre maudits.
Pour loigner cependant les tristes consquences d'une
si malheureuse prvention, je ne me lasse pas de leur r
pter que les prires que l'on fait - dans nos glises de
l'Europe pour le repos de l'me d'un catholique, ft-il
mme Ahyssin, sont entoures d'une majest cent fois
plus imposante que celles que parmi eus on ferait pour
le plus puissant de leurs rois.
; a Je laisse de ct, pour ne pas vous ennuyer, quelques
observations mtorologiques que j'ai faites dans ce d
sert de Samahr, pour vous donner quelques dtails plue
intressants sur la distribution de l'anne abyssinienne.
. L'anne abyssinienne est de treize mois, dont douze de
trente jours chacun, et le treizime appel pagmen ou
coogmen, n'a que cinq jours dans les annes ordinaires et
six dans les bissextiles, Ce mois-nain ferme l'anne comme
le mois de dcembre en Europe, avec cette diffrence qu'il
se trouve plac aux quinoxes d'automne, et non pas au
solstice d'hiver. Il est un jour distingu parmi tous les
autres dans le calendrier abyssin, c'est celui de la fte de
saint Jean-Baptiste, poque laquelle cessent les grandes
pluies et o commence la belle saison. La joie qui brille
en cette fte ressemble assez l'allgresse qui clate en
Europe aux ftes patronales, ou l'poque du premier
jour de l'an. Les amis et les parents se visitent et se font
des cadeaux les uns aux autres. Les subalternes prsen
tent leurs suprieurs des bouquets, et ceux'ti y rpon
dent par de plus grands cadeaux. Ces trennes sont ap
peles ici Anquetatache. '
Le Dejesmac ne manquera pas sans doute de me faire
quelque grand prsent. Il y a deux ans, il nous sollicitait
d'accepter, en qualit de feudataires, un village en
Abyssinie : nous lui rpondmes que ce n'tait pas le
dsir des honneurs et des richesses qui nous avait con
duits en Abyssinie, mais seulement le dsir d'tre utiles
156
nos frres; qu'une glise avec un cimetire ct,
c'tait tout ce que nous demandions sa gnreuse com
plaisance. Nous nous sommes comports de la sorte :
1* Pour dmontrer l'excellence et la puret de la foi
catholique ; 2 pour ne pas tre exposs, comme feuda-
taires, nousimmiscer dans leurs controverses politiques ;
3 enfin , pour leur donner comprendr que ce qui nous oc
cupe n'est pas la possession de leurs terres,mais leur salut.
Le naturaliste M. Schimper, fervent catholique, comme
vous savez, s'tait tellement mis avant dans les bonnes
- grces d'Oubi que, quand, par son ordre, je passai en
Egypte, il me dit S'il arrive que les rsultats de cette
mission aient un dnouement heureux, je donnerai, pour
l'amour de vous, un village M. Schimper. Mainte
nant, pour tre utiles notre ami, nous avons si bienfait,
que nous avons dcid Oubi lui donner le village qu'il
nous destinait. En effet, le bon Dieu ayant voulu que le
clbre naturaliste ft aussi un missionnaire trs-zl, le
village dont il est maintenant le possesseur, sans appar
tenir de droit la mission, lui appartient de fait. Nous
pourrons y btir des glises et y fixer la rsidence des
missionnaires, qui seront libres de donner l'essor toute
l'tendue de leur zle. Pour hter le rsultat dfinitif de
cette ngociation, nous avons d, nous aussi, prsenter
notre bouquet, selon l'usage, au Dejesmac. Je prsume
que vous tes curieux de savoir de quoi ce bouquet tait
compos, et je ne dsire pas moins satisfaire votre lgi
time curiosit. Voici la nomenclature des objets qui le
composaient : 1 onze mtres de gros de Naples au De
jesmac Oubi; 2 dix bras de velours bleu au Dejesmac
Matzenton, le premier favori d'Oubi ; 3 un sabre pour
Leg-Kassah, fils cadet d'Oubi ; 4 un autre sabre l'Afa-
Ngous (bouche du roi), gendre d'Oubi; 5 un troisime
sabre au gentilhomme de cour, charg par Oubi de traiter
auprs de lui nos affaires, et appel par cela mme, Bal-
daraba ; 6 enfin, dix bras de mousseline Wazaro-
Scheml, boulangre d'Oubi.
157
Je ne doute pas que vous ne lisiez, avec un vif intrt,
le trait bien difiant d'un de nos fervents catholiques
peine g de dix-sept ans, appel Walda-Gabriel. Ayant
un jour traverser le Mareb, rivire large de cent piedssur
cinq de profondeur dans la saison des pluies, tandis que
tout le monde se dshabillait pour tre moins gn dans le
passage, lui seul au contraire s'enveloppa davantage dans
la grande toile qui est l'habillement habituel des Abys
sins. Walda-Gabriel avait t surnomm Ascheber (ter
rible) par sa mre, qui l'idoltrait. A l'poque o il em
brassa le catholicisme, je lui dfendis de ne rpondre qu'
ceux qui l'appelleraient de son vrai nom. Mais comme
tous en l'appelant lui donnaient le nom d'Ascheber, il
prit enfin la rsolution de se cacher de tout le monde.
Ayant t atteint quelque temps aprs d'une dange
reuse maladie qui lui donna le dlire, nous comprmes
alors, par les mots' qu'il laissait chapper de temps
autre, que s'il ne s'tait pas dshabill en passant la ri
vire, il l'avait fait par modestie, et s'il marchait toujours
la tte baisse, c'tait pour ne pas tre distrait de ses
saintes mditations. Presque l'agonie et au milieu des
pleurs universels, le chaste et vertueux jeune homme fut
rappel la vie par la vertu du trs-saint Sacrement.
Les catholiques d'Ambassa, c'est--dire les habitants
du village de M. Schimper, avaient fait de ferventes
prires pour sa gurison : Nous prions sans cesse le bon
Dieu pour la gurison de notre cher malade , me mande
le directeur trs-zl de cette glise, Abba-Walda-Kiros.
Dans cette petite runion d'habitants catholiques ,
M. Schimper, avec un zle vraiment patriarcal, rend,
dans ce sjour bienheureux, le catholicisme aimable et
attrayant. J'ai respir l cet air de modestie et de paix
que l'on respirait dans les temps fortuns de la primitive
Eglise. J'y ai t accueilli' comme un pre le serait par ses
enfants.
Nous nous trouvmes runis au nombre de vingt-cinq.
Aprs la prire, il y eut le catchisme, et enfin, un petit
r
158 ,
sermon que je leur fis pour les affermir davantage dans la
sainte voie qu'ils parcouraient, termina nos prires. Nous
nous assmes ensuite au modeste repas, consistant dans
,une bouillie de lgumes, et un nantchia (vase de corne)
rempli de bire d'Abyssinie. Le lendemain, aprs la con
fession, et aprs avoir consolid parmi eux, le plus qu'il
me ft possible, les ides de religion et "de paix, je pris le
chemin de ma rsidence, en rendant de trs-humbles ac
tions de grces au Seigneur mon Dieu qui, malgr mes
pchs, a daign me faire voir cette espce de prodige que
je n'aurais jamais imagin deux ans auparavant.
Ambassa est un village soumis l'abouna ou vque
hrtique, et Dieu fait crotre sur ce terrain de son plus
grand ennemi, les premiers germes du catholicisme. Dieu
se jouera ainsi des vains projets des hommes! Abba-Walda-
Kiros m'crit que le chiffre des personnes qui ont embrass,
le catholicisme Ambassa, s'lve vingt-huit adultes,
L'ennemi de tout bien a voulu susciter un embarras et
un obstacle aux progrs de la vraie foi par le retour d'Al-
laca-Walda-Selassie, ce terrible ennemi de la Mission. ll
est rentr en Abyssinie la suite d'un plerinage en
Egypte, en Perse, et jusque dans les Indes. Il avait entre
pris ce long voyage pour se soustraire la colre d'Oubi.
Il revint imbu des maximes pernicieuses des Grecs schis-
matiques et des protestants. Pour se faire un mrite
auprs d'Oubi, et dsarmer sa colre, il lui a dit que les
Franais songeaient s'emparer de l'Abyssinie; mais
Oubi lui a impos silence, et s'il ne l'a pas puni, c'est
parce que nous nous sommes interposs en sa faveur, en
considrant, comme le dit l'vangile, que les bienfaits
sont les meilleurs moyens pour apaiser un ennemi.
Ces efforts de l'enfer semblent ne contribuer qu' nous
attirer de nouvelles grces du ciel. Le 1er octobre, jour
anniversaire de l'introduction du rosaire en langue vul
gaire dans l'Abyssinie, nous avons eu la consolation d'ad
mettre dans notre petit troupeau un hrtique avec sa
femme, qui ont renonc l'erreur.
159
i( Rebti, Deftera de la principale glise d'Adoua, s'est
fait remplacer dans sa charge pour n'tre plus tenu d'en
remplir les fonctions, et s'est tait catholique avec sa femme
et un petit garon.
Une femme, nomme Lakeschi, depuis longtemps
branle, aprs avoir appris la conversion du Deftera au
catholicisme, a fini, elle aussi, avec l'aide de Dieu, par
l'embrasser avec ses quatre fils. Hadji Johannes, hr
tique armnien, tabli depuis longtemps en Abyssinie,
m'a parl de manire me donner un grand espoir de sa
prochaine conversion : ce serait un grand bonheur pour
notre Mission, car sar conversion entranerait celle de
beaucoup d'autres.
Sahlah, femme d'un des ministres d'Oubi, vient de
me dire qu'elle doit aux prires des. catholiques la grce
que Dieu lui a faite de son heureux retour et de celui de
sa fille du Smen, et qu'elle songe depuis longtemps se
runir nous.
Confou, savant Deftra et fervent catholique, vient de
faire la paix entre l'Alac;i-Kidaiia-Mariam et le chef du
clerg de la principale glise d'Adoua. Celui-ci avait
cherch faire beaucoup de mal Confou, par le seul
motif qu'il tait catholique.
Cet exemple d'un pardon si gnreux et si conforme
l'esprit de l'vangile, a tellement accru sa rputation,
qu'aujourd'hui les Abyssins, mme parmi le clerg hr
tique, l'ont en grande vnration.
D'aprs la srie de ces heureux vnements, tous arri
vs dans le jour consacr Notre-Dame-du-Rosaire, il
semble clairement qu'elle a daign exaucer la prire que
les Abyssins catholiques lui font tous les jours, la fin /le
chaque dizaine du saint rosaire : Sainte Marie, conue
sans pch , et notre refuge , priez pour nous. Il me
parat, hors de doute, que les succs de notre Mission
sont un effet de sa protection spciale.
Il n'est pas convenable de prolonger davantage cette
lettre, je la termine, tout en vous priant de remarquer que
160
cet extrait n'est que la dixime partie de ce que contient
notre journal, et ce qui reste est infiniment plus remar
quable.
CHAPITRE XII.
CHAPITRE XIII.
172
'jourd'hui archevque de Smyrne, donne quelques dtails
sur ces peuplades. Il rcapitule au commencement les
dangers et les chagrins du voyage qu'il fut oblig de faire
pour quitter la province du Tigr et Adoua sa capitale, afin
de chercher un sjour moins expos aux perscutions de
l'Abouna Salama et aux dangers de la guerre.
Collge de l'Immacule-Conception, 20 octobre 1845.
Je viens accomplir la promesse que je vous ai faite,
de vous tenir au courant de notre bonne et mauvaise for
tune, des sujets de consolation que nous rencontrons, et
des peines que nous prouvons. Ces dernires semblent,
par un secret dessein de la Providence, s'tre accumules
depuis quelque temps sur nos ttes.
Aprs avoir termin notre retraite annuelle, nous re
mes Adoua l'abjuration de plusieurs personnes conver
ties; nous confimes au zle de M. Biancheri le soin spiri
tuel de nos premiers catholiques du Tigr, qui sont au
nombre de cent. Nous partmes ensuite avec notre cher
frre Abattini le 20 mai 1844, et nous dirigemes nos pas
, vers les frontires nord-est de l'Abyssinie, afin de chercher
une terre hospitalire qui nous mt l'abri de la perscu
tion que nous suscitait l'hrsie, et o nous pussions exer
cer en paix notre ministre. Dj je vous ai entretenu de
ce trop malheureux voyage, aussi vais-je me borner
vous raconter quelques faits postrieurs ma dernire
lettre.
A peine sortis du Tigr, pour arriver au lieu que nous
avions choisi, il nous fallut traverser, dans la province de
Gondet, la plaine du Mareb, qi & cette poque se trouve
infeste par les lions et les lphants. Aprs avoir dpass
la province belliqueuse de Saraw, nous devions aller la
frontire nord de la province de l'Amazen, o l'on ren
contre plus que- partout ailleurs des lions et des lphants
de grandeur colossale. Un passage qui pouvait tre si dan
gereux, suggra nos confrres la pense de prendre une
arm feu pour nous dfendre contre l'attaque de ces
/
173
btes froces, ou du moins pour les mettre en fuite, si
nous en faisions la rencontre. Le moyen paraissait bon ;
mais que n'ai-je persist dans mon premier refus ! Oh !
que de chagrins je me serais pargns ! La justice de Dieu
fut prompte punir cette trop grande confiance que nous
avions mise dans les secours humains. Tout en nous pu
nissant, le Seigneur voulut donner une leon ceux qui
viendraient aprs nous, et leur faire comprendre que ce
n'est qu'en Dieu seul qu'un missionnaire doit mettre sa
confiance, au milieu des dangers dont son ministre peut
tre entour. Jamais, dans les longs et difficiles voyages
que j'ai t oblig de faire, il ne m'est ariv le moindre
accident, quoique j'aie voyag toujours dsarm. J'ai con
senti cette fois, pour plus de sret, me faire accompa
gner d'un domestique arm d'une carabine, et Dieu, pour
punir mon peu de confiance, a permis que je fusse expos
au danger de prir sans ressource, pour avoir recherch
des moyens humains.
Aprs avoir travers la valle brlante du Mareb, et
avoir gravi travers des rochers escarps une imposante
montagne qui s'lve perpendiculairement quatre ou
cinq mille pieds au-dessus du niveau de la mer, nous ga
gnmes la plaine de Saraw. Nos gens, dvors par une
soif brlante et extnus de fatigue., allrent se dsaltrer
dans les eaux d'une fontaine qui jaillissait d'un rocher
voisin, lorsque des paysans voulurent leur en dfendre
l'approche. L'un d'eux brandissait son terrible gunt (1) et
leur en portait de grands coups ; un de nos prtres abys
sins, qui, il y a quelque temps, fit un voyage Rome,
Naples et Jrusalem, pouss par un esprit de zle et de
paix, se prcipite au milieu de la mle ; pendant qujil fait
tout son possible pour calmer ces hommes irrits, une forte
dtonation se fait entendre. La carabine qui avait t jete
sur le pav comme inutile, a fait feu, et a atteint notre
(1) Cette espce de massue abyssinienne, de la longueur d'une brasse ,
est termine par une tte pleine de nuds ; c'est l'arme la plus meur
trire des Abyssins.
10.
174
ami et trs-digne prtre Melchisedek ! Le coup a port sur
la jambe droite, l'artre a t coupe; malgr tous les soins
que nous avons pu lui donner, il a expir dans nos bras,
aprs deux heures d'une pnible agonie, en prononant
des paroles de pardon.
D'autres circonstances vinrent encore rendre plus
affligeante la triste situation dans laquelle nous nous trou
vions. Le dtroit o nous tions se trouvait alors divis
en deux partis formidables, dirigs et soutenus par deux
frres, ennemis irrconciliables, qui n'attendaient que le
premier signai pour en venir aux mains. A peine eurent-
ils entendu l'explosion qui venait d'avoir des suites dj si
tristes, qu'ils crurent que le signal tait donn, tt de tous
cts nous vmes des gens courir aux armes, ne respirant
que vengeance. Ils allaient en venir aux.mains, lorsque la
vue du cadavre de notre bien-aim prtre semble leur
faire oublier leur vieille haine, et les runir tous en un
seul parti. A la vue de ce cadavre, ils croient que c'est
nous qui venons les attaquer dans leur propre pays, et leur
rage se tourne contre nous. Un mme sentiment anime
tous les curs, c'est de tirer une clatante vengeance du
crime que nous sommes accuss d'avoir commis sur leur
territoire.
Je ne pourrais vous exprimer combien nous tions ac
cabls parla runion de tant de circonstances. Nous avions
craindre de nous voir appliquer la loi du talion qui est
en pleine vigueur dans ce pays, et qui allume la fureur de
la vengeance dans les curs les plus lches. Cette loi du
talion est tellement enracine dans les prjugs de ces
peuples, qu'elle touffe la voix mme de la nature. Ainsi,
on a yu une femme, dont le frre avait t tu, oubliant
la sensibilit naturelle son sexe, se rendre au heu du
supplice, arme d'un glaive bien tranchant, et l, faisant
l'office de bourreau, dtacher coups redoubls les ttes des
deux meurtriers. Nous tions tellement accabls par les
tristes vnements qui venaient de se passer, que nous ne
ressentmes aucune peine de nous voir jets dans un cachot
affreux comme autant de victimes rserves la fureur
publique. Ce ne fut que lorsque la misricorde divine
nous eut dlivrs du danger, que nous commenmes
nous laisser aller l'esprance. Permettez-moi, avant
de vous raconter la manire dont s'opra notre heureuse
dlivrance, de faire une petite digression qui servira la
lucidit de la narration, si elle ne sert pas l'ordre.
Lorsque je revins d'Europe, il y a quelques annes,
les habitants de Gouda-Falasi (le moine fort), capitale du
Saraw me conduisirent fort amicalement la petite source
du Gourd, qui, aprs un court trajet, va se jeter dans le
Mareb. Du sommet des' montagnes qui l'avoisinent, se
droule aux yeux du voyageur un vaste horizon qui, tant
brusquement coup du nord l'ouest pajr l'Amazen, s'tend
ensuite sans bornes vers la Nubie et le Sennaar. C'est
dans cette plaine immense que l'on reconnat vritable*
ment l'Afrique, avec ses sables mouvants et ses monstres
affreux.
L se trouvent les provinces chrtiennes appeles Can-
dida, au milieu du peuple Zazaga (noms des laboureurs) :
celle du bas Saraw et la province appele Sangu, (sans
mesure) dont, ce que je crois, nul gographe n'a fait men
tion : du ct de l'ouest, elle communique par la Walkat
avec les provinces chrtiennes de l'Abyssinie, et du ct du
nord-ouest, avec les tribus innombrables, partie musul
manes, partie idoltres des Chankallas : le Taccazz et le Ma->
reb forment ensemble l'le de Mrow, si renomme comme
le berceau de l'ancienne civilisation gyptienne, et partant
du monde entier. C'est l que l'on trouve le zando ou boa
de l'Afrique ; la proie dont il cherche se nourrir sur les
bords des rivires vous donnera une ide de sa grosseur.
Le zando a les yeux d'une beaut extraordinaire. Quand il
attend au guet l'agazen, il se tient la queue fortement
entortille au tronc d'un arbre, pendant que le reste de
son norme corps se confond avec le terrain, cause de
la couleur de ses cailles ou des broussailles dont il se
couvre. L'agazen, qui est une antilopt de la grosseur d'une
176
vache, vient sans crainte se dsaltrer, et dans un clin-
d'il elle se trouve dans l'immense gueule du monstre,
comme dans un antre garni de barres de fer. Le zando
met huit jours faire la digestion de ce repas, et pendant
ce temps il lui reste juste la force ncessaire pour vomir
les os de sa proie ; il serait alors facile de tuer ce monstre.
Si le zando trouve sa proie au large, aprs l'avoir touffe
dans les replis de son corps et l'avoir broye, il la dvore.
Quand nous fmes arrivs au sommet de cette espce
d'observatoire, qui domine des plaines immenses remplies
de merveilles, les habitants de Gouda-Falassi me tinrent
ce langage : Ces ruines que vous voyez sont celles d'une
ancienne abbaye~ qui appartenait ce vaste pays. Si vous
voulez la rebtir et vous tablir ici, vous serez notre ami ;
et cette immense proprit, qui vous appartiendra de plein
droit, nous vous la cderons volontiers. Refuser net et
t une folie; je ne pouvais pas non plus accepter;
comment tirer de ce terrain et de ce petit ruisseau de
quoi entretenir un collge? Je m'esquivai donc entre le
oui et le non, et leur dis : Pourquoi ne p^ense'z-vous pas
plutt rebtir votre glise qui a t brle depuis si
longtemps par Sabagadis, et qui est devenue la demeure
des btes sauvages? J'esprais ainsi leur faire comprendre
quel prix leur amiti me serait agrable, et les entretenir
dans leurs bonnes dispositions. Je ne me trompais pas. Je
contribuerais volontiers cette uvre, dis-je, mais vous
appartenez l'abouna Salama?. Rebtissons l'glise,
s'crirent-ils avec ardeur, et alors nous n'aurons d'au
tre abouna que celui qu'il vous plaira nous donner. On
mit la main l'uvre; de notre'ct, nous nous imposmes
bien des privations pour leur fournir jusqu' la somme de
quarante cus. Notre exemple excita une noble mulation
dans tout le peuple de Gouda-Falassi ; dans peu de mois
l'glise, ddie la trs-sainte Vierge, fut acheve, et nous
en fmes ouvertement dclars les fondateurs; ce qui
excita la jalousie des hrtiques.
Nous ne pouvions donc pas tre inconnus dans le vil
177
lage o nous tions prisonniers, et qui n'est loign de
Guda-Falassi que de quatre petites heures de marche.
L'humanit commenait faire place la colre dans le
cur des paysans qui nous avaient si maltraits; ils en
taient tellement peins, que je fus oblig de les assurer
avec serment que jamais je ne porterais plainte per
sonne contre eux. Pendant notre captivit, nous emes la
douce consolation de faire quelques petites instructions
aux enfants qui venaient nous visiter par curiosit, ce qui
contribuait beaucoup nous rendre moins pesantes les
chanes dont nous tions chargs. Nous pmes aussi don
ner quelques soins aux malades qui taient prs de nous ;
nous distribumes les mdailles que nos bonnes surs
nous avaient envoyes de Paris; et la gurison subite
d'une femme atteinte d'une cruelle maladie, par le
simple contact de la mdaille miraculeuse, fit du jour de
notre dlivrance un jour de triomphe. Nous tions tonns
de voir les pres et les mres nous conduisant leurs en
fants, et nous barrant le chemin pour demander la bn-
- diction des fondateurs, comme ils disaient, de l'glise de
Marie Gouda-Falassi. Ce titre glorieux, plus que tout
autre en Abyssinie, fit oublier notre prtendu crime d'ho
micide et d'agression.
Dieu soit lou ! les voil, libres et sains et saufs ! s'cria,
en nous voyant, un jeune homme qui avait t envoy
de Gouda-Falassi pour avoir de nos nouvelles. Toute la
jeunesse de notre pays prenait les armes pour venir vous
arracher par la force des mains de ces misrables. Voyez,
mon cher confrre, l'intrt que porte la bonne et tendre
Marie ceux qui travaillent tendre le royaume de son
Fils. Qu'ils soient jamais bnis ce Fils et cette Mre, si
chers nos curs !
Quand nous fmes arrivs au village de Ad-Counci
(pays des puces) dans la province de l'Amazen, nous visi
tmes la premire source du Mareb, qui, aprs avoir -
longtemps cach son cours dans les sables, va sortir plus
loin, ce qui lui a fait donner, par les anciens, le nom
178
'Astusaspe. Ce fleuve devrait compter parmi les nom
breuses sources qui concourent former le Nil.
Lorsque les RR. PP. Jsuites Pierre Paez et Jrme
Lobo, arrivrent dans le pays des Agatis du Godjam, ils
allrent visiter dans le village de Saccala les sources du
fleuve, appel par les Abyssins Abaw ; croyant que
c'tait rellement l que se trouvaient les sources du Nil,
inconnues jusqu'alors, ils crurent avoir dcouvert ce que
Ssostris, Cambyse, Alexandre, Csar, et beaucoup d'autres
rois auraient tant dsir voir. L'Anglais Bruce y arriva
aussi, et prs de ces prtendues sources, il s'rigea en
grand prtre du Nil, ayant trouv, comme il le dit lui-
mme, l'autel tout prpar ; ivre de joie, il se mit boire
la sant du roi George, de l'impratrice de toutes les
Russies, et sa bonne fortune. Ds lors la dcouverte des
sources du Nil fut regarde comme un fait acquis la
science, il ne restait plus qu' louer la navigation mo
derne, distribuer des palmes, et vanter le savoir de
notre sicle, qui avait rsolu un problme, dont l'anti
quit, avec son gnie et toutes ses ressources, n'avait pu
donner la solution. Pour mon compte, je reste tranger
ces ftes et ces ovations. Je ne dis ceci qu' vous, cher
confrre, qui avez la singulire manie de vouloir que les
nes parlent science. L'inspection gographique de l'Abys-
sinie me donne des scrupules si forts, que je ne puis me
ranger ces opinions. La position gographique et hydro
graphique de l'Abyssinie nous apprend que le Nil est
aliment par deux grandes masses d'eau, dont l'une fait
son volume ordinaire, et l'autre le volume surabondant
qui produit les inondations; la source de la premire
masse qui doit videmment tre considre comme la
principale source du Nil, on doit la chercher dans ces r
gions de l'Abyssinie qui sont les plus prs des rgions des
pluies continuelles de la ligne quinoxiale. Il faut cher
cher la source de la seconde masse d'eau qui suit la suc
cession des saisons, dans les montagnes qui couvrent la
partie orientale de l'Abyssinie. Or, presque toutes les
179
eaux qui coulent de ces montagnes vers l'Occident, sont
recueillies par trois rivires appeles le Mareb, ou, selon
les anciens, Astusaspe, par le Taccazz, appel autrefois
tantt Seris, tantt Astabaros, et enfin par YAbaw, ap
pel par les Arabes Baher-el-Azze, c'est--dire rivire,
ou mer bleu-fonc. Or, ces rivires ont leurs sources dans
es tropiques, o des saisons d'une grande scheresse
succdent des saisons trs-pluvieuses. A l'poque des
premires, ce qui arrive du mois de novembre au mois de
mars, les trois grandes rivires, le Mareb, le Taccazz, et
l'Abaw sont presque sec, tandis que dans l'autre saison,
, de mars novembre, leur volume d'eau est trs-consid-
rahle. La simple inspection du pays nous force avouer
que ces ftes et ces ovations dont je vous" parlais plus haut,
ne devraient avoir lieu qu'en faveur de celui qui, plac
sur les montagnes de l'Abyssinie, indiquerait les vraies
sources du fleuve Abied, comme disent les Arabes, ou
Nil blanc, et que personne n'a vraiment mrit le prix
dcern l'explorateur qui le premier devait les indiquer.
Tout ceci nous prouve que ce n'tait pas sans raison et
sans une grande pntration qne M. Arnaud, comme l'a
publi dernirement M. Jomard, de la Socit gogra
phique de Paris, plaait les sources du Nil au sixime
degr de latitude borale et presque sous le mridien du
Caire. On peut aussi entrevoir la clbrit que va acqu
rir l'intrpide et savant voyageur franais, M. d'Abbadie
an, qui a dernirement pntr dans le royaume de
Sydama et de Enarya, o il pourra peut-tre vrifier les
conjectures faites par M. Arnaud, directeur de l'expdition
gyptienne sur le Nil, entreprise 'par ordre du vice-roi
d'Egypte.
Les marchands abyssins qui font le commerce Mas-
souah, dans le royaume d'Enarya et de Sydama, assurent
que dans le royaume d'Enarya il y a une grande rivire,
qu'ils appellent Didisa, et M. d'Abbadie nons assure que
dans leur langage Didisa signifie le Nil. Lorsque ces
indices seront vrifis, les sciences proclameront avec
/
180
loge le nom du savant directeur de l'expdition gyp
tienne, et surtout celui de notre savant ami, M. d'Abba-
die, auxquels les autres prtendants, qui n'ont visit
qu'une des sources, l'Abaw, qui fournit au Nil une partie
des eaux surabondantes, devront cder la palme.
Avouez qu'il faut que les liens de l'amiti qui nous
unissent soient bien forts pour que je me sois laiss en
traner dans cette digression scientifique. Revenons
quelque chose d'difiant.
Un jeune diacre catholique abyssin m'entretenait, en
cheminant le long du Mareb ; il ne faut pas que j'oublie de
vous dire que nous avions plac dans l'glise du Sauveur,
Adoua, le magnifique tableau de l'Immacule Concep
tion, entour' d'un superbe cadre dor, qu'une bonne Fille
de la Charit de Paris nous avait envoy. Je n'tais pas
encore catholique, me disait ce jeune diacre, lorsque je
commenai prier avec ferveur devant cette image. J'ai
mais aller souvent me prosterner ses pieds. Un jour
que la petite-vrole m'avait tellement attaqu les yeux
que je les croyais perdus, au milieu "de mes souffrances
je me rappelai cette image sacre, et l'instant je me
rendis l'glise pour, la vnrer. Un jeune Armnien, qui
exerait Adoua le mtier de tailleur, entra avec moi,
et je vis avec indignation qu'il portait ses mains sacrilges
sur l'image de la mre de Dieu, comme s'il et voulu lui
arracher les yeux. Qu'arriva-t-il alors? Je me trouvai par
faitement guri, et ce malheureux devint aveugle. Nous
avons fait tout notre possible pour que cet infortun jeune
homme, qui ne pouvait gagner sa vie Adoua, pt re
tourner dans sa patrie, et pour que la ccit de son corps
se changet en lumire pour son esprit, comme il arriva
autrefois Paul sur le chemin de Damas.
Pendant que nous nous entretenions ainsi, nous arri
vmes au village de Wachi , situ dans les pays chrtiens
qui se trouvent au nord de l'Abyssinie ; nous prmes pos
session d'une maison basse et enfume que l'on nous y
avait donne, et dont l'odeur dsagrable annonait que
181
les htes qui nous avaient prcds taient de la famille
des boucs.
Nous entreprmes, au moyen du genivre odorifrant,
de paralyser cette dtestable odeur, et d'tablir autant de
compartiments que nous tions de personnes pour l'habi
ter, sans oublier nos mulets qui doivent loger sous le
mme toit que nous. Toutes choses ainsi disposes, nous
fmes tous nos efforts pour donner aux Abyssins qui nous
avaient suivis un genre de vie en rapport avec la vie d'un
collge : la mditation en commun, la bndiction de la
table, l'action de grces, la lecture spirituelle, la rcitation
du chapelet, tout autant de pratiques jusqu'alors incon
nues dans ces pays, et qui sont observes maintenant avec
fruit par les Abyssins. Nous employons le temps qui nous
reste expliquer les Psaumes aux Deftera et aux moines,
ainsi qu' traduire en ghez le grand catchisme qui traite
de tous les points de controverse. Ces occupations apos
toliques et littraires m'ont fait acqurir une certaine fa
cilit dans la langue sacre de l'Abyssinie, qui est indis
pensable au missionnaire dans l'Ethiopie, cause des
controverses qu'il a soutenir. N'allez-vous pas croire,
cher confrre, que je suis transform en un ancien Pre
du dsert ? Si vous en voulez savoir plus long, je vous
dirai que, comme eux, nous sommes tracasss par les in
cursions des Barbares.
Les sauvages tribus des Halhal, des Ascadiens et sur
tout des Bogos, notre arrive pleuraient encore leurs
maisons brles, leurs troupeaux enlevs, leurs pouses
outrages, leurs filles dshonores par les soldats d'Oubi.
Pousss par les horreurs de la faim, suite des dsastres
qu'ils ont essuys, et surtout par la soif dvorante du
sang chrtien, ils se tiennent perptuellement en embus
cade dans les villages et dans les campagnes, gorgent
les hommes et enlvent les troupeaux qu'ils rencontrent
dans leurs excursions. Ce qui fait que notre village,
ainsi que ceux qui l'avoisinent, ont tous les jours
pleurer sur la tombe de quelque victime de leur cruaut.
11
182
Il suffit d'entendre prononcer le nom de Bogos pour mou
rir de peur. Ne croyez pas toutefois que les ermites de
Wachi, non plus que ceux des anciennes chroniques,
soient tellement adonns au repos de la solitude, qu'ils
ngligent les besoins du prochain. Au milieu de cette
anarchie complte, et quoique les chemins soient infests
de voleurs et d'assassins, nous abandonnons le pays haut
pour aller dans le pays bas visiter la tribu de Memsa,
qui est rapproche du pays Bogos.
Les habitants de Wachi ont beau nous reprsenter la
cruaut de ces peuplades, la strilit de la route, l'impos
sibilit de se procurer de l'eau sous un soleil brlant,
mes solitaires compagnons et moi nous ne tenons aucun
compte de leurs reprsentations. Allons, me disent-ils,
combattre cet ancien homicide qui fait peser son sceptre
de fer sur ces malheureux.
Nous partons, mais dans quel accoutrement ! le croi-
rez-vous? Un habit, pour peu qu'il ft en bon tat, serait,
pour ces hommes affams, une tentation violente pour
tuer et voler. Toutes nos provisions consistent y aller
dpourvus de toutes choses. Ordinairement il ne faut pas
six chevaux pour traner les fourgons du missionnaire ;
une outre pour la farine, une gibecire pour le beurre,
une peau de vache pour son lit et son mulet, voil tout
son quipement. Ici tous ces objets sont du luxe; il faut
y renoncer. La tte et les pieds nus, un mauvais morceau
de toile sur les paules, un bton la main, nous voil
prts entrer en campagne. A minuit nous descendons
dans la plaine de Memsa, qui se trouve six mille pieds
au-dessous de nous. Nous marchions travers des pr
cipices, dont les lueurs incertaines de la lune rendaient
l'aspect plus effrayant; nos yeux, continuellement atta
chs au sol glissant sur lequel nous marchions, s'arr
taient quelquefois sur ces valles dsoles, qui, mesure
qu'elles se rapprochent de la mer, deviennent plus arides
et semblent, en dcroissant, porter d'une manire plus
sensible les empreintes de la colre cleste. Notre esprit
se reportait au jour des vengeances divines; je pensais
ce passage du cantique de Mose : Ils m'ont provoqu par
des dieux qui n'en sont pas, et ils m'ont irrit par leurs
vaines idoles. Et moi, je les provoquerai avec un peuple qui
n'est pas le mien, et je les irriterai avec un peuple insens.
Un feu est allum dans ma colre, et il brlera jusque dans
les entrailles de l'enfer; il dvorera la terre avec ses ger
mes, et il consumera le fondement des montagnes, etc. f etc. (1) .
A quelles sublimes considrations ne s'lverait pas ici
un gologue croyant ! Mais nous, presss par la peur, nous
acclrons le pas et nous arrivons bientt au terme de
notre course.
Je voudrais pouvoir vous dpeindre ici l'attitude guer
rire que prit notre suite ; le morceau de toile qui servait
couvrir le corps fut transform en ceinture; une partie,
qui tombait en forme de queue, fut releve autour des
reins; un bouclier de peau d'lphant au bras gauche
et la lance la main droite, nos gens suivaient l'un
aprs l'autre un vieil et intrpide Achillas, dont j'aurai
vous entretenir souvent. Voici le village de Memsa,
avec ses mausoles sauvages et ses rondes chaumires,
soutenues par des demi-cercles de bois, et entoures
d'arbustes arides. C'est la demeure de quatre mille pas
teurs.
Achillas et toute sa bande baissent la lance et le bou
clier, et nous entrons paisiblement dans la maison du
Cantiba, chef actuel de la tribu de Memsa, ou gouver
neur de la tribu. Ce fut au milieu de ces peuplades d
grades, et qui n'ont pas mme conserv le nom de chr
tien, que prirent naissance les lettres sacres, et l'empire
abyssin ; il ne leur reste que le titre hrditaire du
Cantiba. Le chef actuel de la tribu de Memsa, Cantiba
Dayer, est petit, mais bien fait et bien proportionn;
il a le teint rouge comme un paysan du midi de l'Italie.
Sa figure rgulire et gracieuse lui donne un air de ma-
CHAPITRE XIV.
i
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et ce gracieux dbut fut comme le premier lan de son
cur vers Jsus-Christ qui lui tendait les bras.
A droite du vestibule o eut lieu notre rception,
reposent les cendres de Sabagadis et de ses plus illustres
fils et neveux. La carrire de cet homme extraordinaire
n'a pas eu une dure proportionne sa gloire, elle s'est
brise prmaturment comme presque toute esprance ;
et lorsqu'en Europe Balbi crivait que le gnie de ce con
qurant allait enfin tirer F Abyssinie de sa nullit politique,
Sabagadis, genoux, la croix dans les mains, recevait
d'un Galla le dernier coup de lance. Les plus beaux orne
ments qui dcorent l'glise de Guendguendi sont autant
de cadeaux de ce sage et gnreux prince.
Le jour suivant, nous fmes introduits dans la biblio
thque du monastre, o se trouvent runis un grand
nombre d'ouvrages abyssins. Aprs les avoir compulss,
avec mon compagnon Abba Ghebra Mikael, nous recon
nmes que ce dpt scientifique si nglig, dont aucune
main d'homme, hors celle de l'abb ne secoue jamais la
poussire, -possdait en fait de livres Gheez tout ce qu'on
a erit jusqu' prsent dans cet idiome. Je mentionnerai,
deplus, un magnifique exemplaire de cette Somme tholo
gique si clbre en Abyssinie sous le nom de Hamanuota
Abau, parce qu'elle rend tmoignage la foi de l'Eglise
Romaine, sur un point ni aujourd'hui par l'hrsie. Ce
passage important, qui est d'un certain Burlos, traite du
Saint-Esprit comme procdant du Pre et du Fils ; mais
arriv au mot Wawuld, Filioque, le texte a t gratt par
la main d'un faussaire, de manire cependant que la trace
des caractres anciens reste encore lisible. Tels sont les
procds de l'erreur ; elle biffe un article de son symbole,
pour nous accuser ensuite d'avoir introduit ce qu'elle-
mme a effac.
IVfais un rsultat plus prcieux de notre visite est la
runion de sept moines ou lves de Guendguendi au
giron cje l'Eglise. A leur tte figure Marner Walda Ghior-
ghis, dont l'esprit naturel seconde admirablement le cou
200
rage et la foi. Vous en jugerez par cet argument ad homi-
nem qu'il ne craint pas d'adresser ses anciens coreligion
naires, pour imposer silence aux calomnies de nos ennemis,
et cela dans le camp mme de l'hrsie et en prsence du
roi Oubi. Pour combattre les catholiques avec succs,
leur a-t-il dit tout haut, vous devriez commencer par
vivre aussi chrtiennement qu'eux. Grce au divin
Sauveur, la conduite exemplaire des catholiques abyssins
justifie merveille un tel raisonnement. Pour l'abb, il ne
se borne pas de belles, mais striles paroles ; impatient
d'y joindre les faits, il sollicite sans relche la faveur
d'tre admis au nombre des fidles. Nous aurions dj
cd la vivacit de ses dsirs, si la conversion d'un
personnage si haut plac dans l'estime gnrale, par son
jene perptuel qui en fait en Abyssinie un miracle vi
vant, ne nous imposait pas des mnagements commands
par l'intrt mme de la Religion. C'est, du reste, une
conqute sre, quoique ajourne, et nos temporisations
ne font que la mrir par le jene et la prire.
Ce que j'ai dit du jene perptuel de Mamer Walda
Ghiorghis aura d vous surprendre. En voici l'explication.
Les moines de Guendguendi devraient, aux termes de
leur institut, vivre dans une perptuelle abstinence de
tout aliment gras et de toute liqueur enivrante; mais s'-
tant persuads que nulle force humaine ne pouvait por
ter le joug d'une telle austrit, ils ont arrang les choses
de manire ne compromettre ni leur sant ni la lettre
de leur rglement. En choisissant un suprieur, ils lui
font jurer, avant de l'investir de sa charge abbatiale,
d'observer dans toute sa plnitude et au nom de la com
munaut le jene rigoureux dont elle s'affranchit, et, soit
charit, soit ambition, le nouvel abb se dvoue payer
de sa personne pour tous ses religieux. Ds qu'il a accept
cette trange substitution, il est soumis une surveillance
de tous les instants, et la plus lgre infraction au devoir
de l'abstinence serait inexorablement suivie de sa dposi
tion canonique.
201
Reste encore un mol dire sur l'instruction publique
en Abyssinie, exclusivement confie aux couvents, et le
cadre que je m'tais trac dans cette lettre monacale sera
enfin rempli.
Ce qu'on appelle en Europe cole, collge, lyce, .
universit, est compris en Abyssinie sous l'unique dno
mination de Dbra. Nul Dbra n'est dirig par des lacs;
chacun de ces tablissements est contigu une glise ou
un couvent, en sorte que Dbra Damo, Dbra Metemek,
par exemple, signifient couvent de Damo et son cole,
glise de saint Jean et son universit. Les professeurs
sont le plus souvent des prtres et des moines; leur
dfaut on appelle l'enseignement de simples Deftera ou
matres laurats nomms par l'empereur. A cette source
commune, princes et sujets viennent sans distinction pui
ser la science nationale. L'instruction y est tout fait gra
tuite, et le traitement professoral reste la charge du
Dbra. Ce traitement, rduit aux proportions les plus exi
gus, consiste en vingt-quatre mesures de bl par an, du
poids de cinquante livres, et quatre Amuli, pice qui
quivaut en moyenne la moiti d'un cu.
Avec un fonds si minime on comprend la misre o
vgtent les docteurs abyssins ; mais ce qui est incroyable
ce sont les privations que subit un jeune homme pour s'
lever de degr en degr jusqu'au sanctuaire de la science.
Sans parler de cette espce de servitude qui en fait le valet
de son professeur, servitude toute filiale qui lui est ren
due bien douce par la reconnaissance, il a d quitter son
pays et sa famille, emportant sur ses paules l'humble sac
rempli de pois qui fait toute sa nourriture, et quand il en
aura vu la fin son unique ressource sera de mendier pour
vivre. Or ce rgime du jeune 'tudiant est d'une longueur
dsesprante. Son cours d'tudes embrasse sept annes
consacres apprendre le Zietna ou chant de l'Eglise,
neuf ans pour le Suasuo ou grammaire et dictionnaire
Gheez, quatre pour le Kni ou posie, dix pour les Qudu-
san-Mezahft ou livres sacrs de l'Ancien et du Nouveau
202
Testament. Le droit civil et canonique, l'astronomie et
l'histoire . forment un enseignement suprieur, qui de
mande encore beaucoup de temps, mais que peu d'lves
osent aborder. Au fond, tout ce travail donne peu de
science, l'exception toutefois de l'Ecriture Sainte, qui
fournit au cur ses nobles inspirations, l'esprit sa rgle
lumineuse, et l'ensemble des rapports sociaux sa justice,
sa dlicatesse et sa charit. A ce point de vue un simple
Deftera d'Ahyssinie est bien suprieur aux savants euro
pens...
Maintenant que je vous ai communiqu les notes
recueillies pendant mon lointain plerinage, il ne reste
plus qu' appeler sur elles votre indulgence, et me
recommander encore une fois vos ferventes prires.
CHAPITRE XV
, CHAPITRE XVI.
14
242
CHAPITRE XVII.
CHAPITRE XVIII.
CHAPITRE XIX.
283
grgation de la Propagande qui me commandait de m'ar-
rter cet effet, ajoutant que sa rsistance m'obligeait
m'arrter sans fin, sans pouvoir entrer dans ma mission
des Gallas. Ensuite, pour le presser davantage, je lui repr
sentai que l'horizon commenait s'obscurcir en Abys-
sinie, prcisment cause de moi, que dj j'tais menac
de l'exil et qu'il pouvait facilement en calculer les cons
quences. Puis, je lui commandai formellement au nom du
Pape dont je croyais pouvoir raisonnablement interprter
l'intention. Aussitt, comme frapp d'un coup de foudre,
il resta environ dix minutes immobile. Je crus que c'tait
un bon signe et je l'engageai prier Dieu et mettre sa
confiance en son secours. Mais le rsultat fut tout oppos
celui que je pensais. Il se jeta mes pieds, me demanda
pardon de la manire la plus touchante et voici la rponse
qu'il me donna et quf coupa court pour lors toutes mes
instances : Mon pre, j'espre en la misricorde de
Dieu, que ma dsobissance vos ordres ne me sera pas
impute pch, parce qu'il est tout bon et ne demande
pas l'impossible et surtout il est certain qu'il n'exige pas
une chose qui serait pour ma faiblesse une occasion de
pch, peut-tre mme de dshonneur pour l'piscopat et
de ruine pour cette Mission, c'est pourquoi il m'est im
possible d'accepter. Et quand je n'aurais pas toutes ces
raisons; j'appartiens h une Congrgation et l'piscopat
entrane une certaine mancipation du corps de la Con
grgation laquelle j'appartiens et que j'aime du fond de
mes entrailles. Vous vous fatiguez en pure perte, parce
que vous devez comprendre qu'il m'est impossible de me
rsoudre une pareille dmarche avant d'tre moralement
certain, non-seulement dela permission de mon Suprieur
gnral, mais encore de son commandement formel, puis
que c'est lui qu'appartient ma personne. L'glise est
au-dessus de mon Gnral , mais vous savez assez que
l'intention de l'glise en imposant une charge quelqu'un
n'est pas de lui en faire un commandement ; et pourquoi
voulez-vous donc m'en faire un commandement si pres
284
sant, puisque Rome ne parle pas ainsi? Du reste vous tes,
je vous le dclare, en parfaite libert et si vous le dsirez
je vais vous mettre mon refus par crit pour votre d
charge auprs des suprieurs.
Une rponse aussi absolue, aussi catgorique, tait de
nature me fermer toute voie pour de nouvelles in
stances, et j'avoue que dans le moment je fus souverai
nement mcontent, je dirais presque scandalis de son
obstination, et il n'y eut que la saintet de sa vie ou plus
encore ce talent de rsoudre toutes les questions les plus
graves par des moyens termes toujours suprieurs aux
calculs ordinaires, qui me fit alors respecter en lui la pr
pondrance des sentiments de l'humilit sur ceux de l'o
bissance. Cependant cette poque surgit la perscution
et par ordre du prince Oubi je dus sortir d'Abyssinie. Le
besoin de chercher une autre route pour me rendre dans
les pays Gallas, lieu de ma mission, me fit mme partir
de Massouah pour me rendre Aden et de l sur la cte
orientale d'Afrique, dite de Zeila ou des Somaouls, pour
tenter de pntrer par l dans le Ghoa. Me trouvant l en
octobre de l'anne suivante 1848, une lettre prive m'a
vertit que Rome avait appris avec grand dplaisir que je
me fusse loign de la cte de Massouah, avant d'avoir
consacr vque Mgr de Jacobis, et que l'on attribuait tout
ma faiblesse, tandis que je n'avais pas manqu de tenir
Rome au courant de tout ce qui se passait entre M. de Ja
cobis et moi.
a Fort mcontent de cette nouvelle, je quittai la cte de
Zeila la fin du mois d'octobre et repassant le dtroit de
Bab-el-Mandeb (porte de l'anxit), j'arrivai Massouah
au commencement de novembre. Notre saint homme s'y
trouvait alors, lui aussi avait t oblig de sortir d'Abys
sinie quelques mois aprs moi. Je lui dclarai le motif de
mon retour qui n'tait autre que de le consacrer vque,
ajoutant que je pensais que, pendant quatorze mois, il avait
eu le temps de rflchir- et de s'entendre avec ses sup
rieurs; enfin pour renforcer mon argument je lui fis voir
285
la lettre dj mentionne et je ne manquai pas de lui faire
remarquer que son refus m'avait occasionn quelques
dsagrments. Il en parut trs-afflig et mme trs-confus,
mais, comme un saint qu'il tait, il s'humilia d'une ma
nire incroyable, me demandant pardon d'avoir t pour
moi la cause de tant de peines.
Le voyant ainsi humili et repentant de toutes les his
toires passes, je crus me trouver au moment favorable
pour attaquer la question principale, celle de sa conscra
tion. Mais lui, plus habile que moi, prvint tout ce que je
me disposais lui dire sur ce sujet. Il me demanda huit
jours pour rflchir m'assurant qu'au bout de ce temps il
me donnerait son dernier mot et me satisferait autant
qu'il lui serait possible. Sa demande tait trop juste pour
prouver un refus, et comme je croyais bien achemine
l'affaire qui me pressait le plus, je crus devoir le laisser
tranquille. En consquence il se retira, lui, ses prtres et
ses clercs Emcoullo, sur la terre ferme, pendant que je
restai dans l'le de Massouah, pour laisser ce fruit mrir
spontanment sans m'exposer renouveler toutes les
scnes d'autrefois. Comme il passa tous ces huit jours
dans une parfaite solitude avec tout son clerg indigne,
en faisant une espce de retraite, et que j'avais appris
qu'il avait recommand tous de prier et envoy mme
cette recommandation ceux de ses prtres qui taient
dans des stations l'intrieur, je me confirmais de plus
en plus dans la persuasion qu'au bout de huit jours je
pourrais faire la conscration si dsire et cet effet je me
prparais pour une fonction qui tait toute nouvelle pour
moi. Seulement je n'en disais rien personne, pas mme
mon compagnon le Pre Flicissime, aujourd'hui vque
de Maroc et mon coadjuteur, parce que, vu l'tat de per
scution dans lequel nous nous trouvions, il fallait tenir
cette crmonie fort secrte.
Au bout de huit jours, au lieu de venir me trouver
M. de Jacobis m'envoya un prtre indigne avec un gros
pli qui contenait un cahier tout rempli d'criture, accom
pagn d'une petite lettre, dans laquelle il me priait de lire
cet crit avec attention, ajoutant que dans deux ou trois
jours il viendrait lui-mme pour couter mon avis. Dans
cet crit il faisait le rcit complet de toutes les contesta-
lions qu'il avait dj eues, Guala, avec moi relativement
cette affaire de l'piscopat, puis il faisait une revue plus
qu'exacte et mme exagre de toutes les confessions
sacramentelles qu'il m'avait dj faites et qu'il croyait
trs-charges, tandis que je puis dclarer maintenant qu'il
est mort, qu'elles taient entirement vides et qu'au
milieu de toutes ses craintes et de ses angoisses, ma
grande difficult moi tait de trouver une matire suffi
sante au sacrement. C'tait donc avec tous ces documents
en main qu'il voulait me faire une espce de procs et
qu'il prtendait m'effrayer par une responsabilite norme ;
il m'invitait bien rflchir toutes les dmarches que
j'avais faites pour provoquer sa nomination et il me priait
de le laisser en paix et de ne pas tant me presser de met
tre la dernire main la grande erreur que j'avais com
mise et que j'avais fait commettre l'Eglise mme,
erreur qui me coterait des remords ternels. Il allait
ensuite jusqu' me dire que, au cas o ces rflexions ne
me suffiraient pas pour arrter l'empressement que je
mettais vouloir le sacrer vque tout prix, il se voyait
oblig en conscience refuser et qu'il ne se dtermine
rait jamais y consentir qu'aprs s'tre convaincu par des
documents, de la ralit du commandement que je lui
avais fait au nom du Pape, chose qu'il ne considrait que
comme une simple ruse de ma part, employe pour le
dterminer.
Cet crit, en mettant part les faits personnels et
toujours exagrs, parce qu'ils passaient par le microscope
de son humilit, car c'tait en lui la direction de la
sagesse infinie et de la providence paternelle de Dieu qui
voulait par l tenir dans l'quilibre de la plus profonde
humilit cette me grande et par consquent d'une nature
aussi vive que dangereuse pour elle-mme, cet crit, dis
287
ie, dans tout le reste pouvait tre regard comme un
petit trait, non point tudi dans les livres, mais bien
conu dans une profonde mditation et distill dans la
contemplation, du caractre du prtre et del'vque; il
prsentait -des penses et des sentences toutes bien loi
gnes des ides communes t avec des expressions si
vives et si fortes que j'en restais frapp chaque fois que je
les lisais ; le portrait mme si humiliant qu'il faisait de
lui-mme tait pour quiconque le connaissait un enseigne
ment pratique de l'conomie simple et claire avec laquelle
Dieu sait tenir en quilibre par l'humilit chrtienne les
mes les plus leves et les plus claires; il faisait aussi
parfaitement comprendre que la science acquise ne sert
absolument de rien pourse guider soi-mme. J'avoue que
ce n'est qu'alors que j'ai commenc connatre comment
les grands saints, ceux-mmes qui taient honors par
Dieu de dons particuliers, comme celui des miracles, ou
de quelque marque extraordinaire, comme saint Franois
par les stigmates, pouvaient non-seulement^ se contenir
dans les bornes de l'humilit chrtienne, mais encore
s'appeler de grands pcheurs sans l'ombre d'affectation ni
de mensogne, ce qui est en ralit une chose trs-certaine
et trs-vraie. Je conservais cet crit comme un prcieux
trsor, je l'avais toujours prs de moi et j'avais coutume
de l'appeler ma chambre obscure, et il me servait comme
d'un petit verre ftlixir de longue vie pour secouer toutes
les indigestions morales et pour ranimer mon cur quand
il tombait dans l'engourdissement et la torpeur. Plus tard,
quand M. de Jacobis fut sacr vque, il chercha plusieurs
fois retirer de mes mains cet crit, mais je refusai tou
jours de le lui rendre, disant qu'il tait trs-bien entre
mes mains, afin que je pusse vrifier par l'vnement si
ce qu'il m'y reprochait tait vrai, et faire, en ce cas, pni
tence de mon erreur.
Je reviens mon rcit. En voyant cet crit je tombai
de mon haut et je vis bien que, sans un miracle de Dieu
ou sans un commandement direct du Pape, il n'tait plus
possible de rien esprer. J'hsitai un instant si je n'en
verrais pas Rome cet crit pour faire connatre l'tat de
la question et pour me dcharger. Mais cette pice, dans la
partie qui concernait la personne de M. de Jacobis, ne
pouvait tre bien comprise que par quelqu'un qui le con
naissait fond et j'aurais vivement regrett que la Sacre-
Congrgation et pris au srieux tous ces raisonnements.
Pendant que j'tais dans cette perplexit, Dieu commena
tresser un enchanement de circonstances qui devaient
terminer la question, en le dterminant contre toute pr
vision humaine de ma part.
Le gouvernement Turc s'est rendu matre de l'le de
Massouah en 1604,, quatre ans avant que les Portugais
entrassent en Abyssinie pour porter secours l'Empereur
contre Gragne qui s'tait dj rendu matre de plusieurs
provinces. La terre ferme appartenait au Nab, chef de la
tribu Soho, qui avait sa rsidence Dhono appel aussi
Arkico. Il tait comme un ancien tributaire del'Abyssinie
de qui il recevait son investiture. Au mois de fvrier 1847,
le gouverneur de Massouah, Ismal-Effendi, fit la guerre
au Nab et s'empara d'Arkico et de la cte, tablissant
quelques forteresses sur la terre ferme. Le Nab s'adressa
au prince Oubi, et celui-ci, au mois de dcembre 1847,
prcisment dans la circonstance dont j'ai parl, pensait
descendre sur la cte pour ]ft faire la guerre aux Turcs.
Toute la population, sujette ou protge des Turcs, dut
quitter la terre ferme pour se rfugier dans l'le, seul
point assur contre l'invasion des Abyssins. M. de Jacobis
avec toute sa maison fut lui-mme oblig de quitter
Emcoullo et de se rfugier Massouah.
Au commencement de janvier 1 848, les troupes d'Ou-
bi descendirent sur la cte et massacrrent toutes les
populations amies des Turcs, qui restaient encore sur la
terre ferme. Ce fut alors que le vice-consul de France,
lui-mme, M. Degoutin qui, en qualit d'ami du prince
Oubi, avait pens pouvoir rester Emcoullo, courut
grand danger d'tre massacr et vit brlerie drapeau qu'il
289
avait arbor sur sa maison. Toute la population arabe,
tous musulmans fanatiques, voyant le massacre que les
chrtiens d'Abyssinie avaient fait des musulmans qui
taient sur la -terre ferme , menacrent de faire des re
prsailles dans l'le de Massouah, et de se venger en
massacrant tous les chrtiens rfugis dans cette le.
Le gouverneur turc Kalil-Bey, craignant de ne pouvoir
contenir la population frmissante de cette le, pensa
sauver, au moins, les Europens, comme tant ceux
auraient pu compliquer la politique turque dans ses
relations avec les nations europennes, au cas o ils
eussent t compris dans le massaere. En consquence, il
nous avait donn l'ordre de nous retirer sur la mer sur
des barques qu'il avait lui-mme mises notre disposi
tion. Le 5 janvier se passa tout entier dans le plus grand
dsarroi ; ce jour-l, nous avions transport tous nos effets
sur les barques, et comme ma maison tait sur le bord de
la mer avec une sortie sur le rivage, tous les Europens
s'y taient runis, tout prts se mettre en mer au pre
mier moment critique. Vers le soir, quand tout fut dis
pos pour la fuite, je me trouvai runi avec M. de Jaco-
bis et quelques-uns de ses prtres indignes. Je lui parlai
alors fortement pour lui tmoigner toute ma peine, lui
disant que c'tait cause de lui que je subissais tous ces
dangers, et l'animation me fit profrer alors certaines pa
roles qui blessrent le cur de ce saint homme; je lui dis
entre autres choses : Par humilit, vous ne voulez pas
tre vque; mais, dans les Missions trangres, les v-
ques sont des victimes et non point des poux; craignez
que ce ne soit l'amour-propre qui vous fasse faire tant
d'embarras, et autres choses semblables ; ces mots suf
firent et, contre mon attente, il se jeta terre et me
demanda pardon, et me dit de faire de lui ce que Dieu
m'inspirerait.
Le voyant en cette disposition, je priai un certain Fran
ais, nomm Alexandre Vissier, d'aller chez le gouver
neur et de lui demander des soldats pour assurer ma
17
290
maison pendant la nuit, afin de pouvoir terminer quel
ques affaire; puis .je fis venir aussitt la caisse des orne
ments sacrs ; laissant de ct la chapelle o j'avais cou
tume de clbrer, parce qu'elle avait une entre /sur l'in
trieur jde l'le, j'en dressai une autre dans une chambre
qui donnait sur la mer et de laquelle, en cas d'alarme,
nous pouvions facilement sortir et descendre sur les bar
ques o nous attendaient dj tous les autres Europens.
Ainsi, un peu aprs minuit^ ayant d'un cl les soldats
qui gardaient tous les passages donnant sur notre maison
et de l?autre les Europens qui nous gardaient du ct de
la mer, assist seulement de deux prtres indignes, je
commenai la crmonie du sacre de Mgr de Jacobis, qui
se termina vers le lever du jour.
J'avais t sacr Rome, par le cardinal Franzoni, dans
l'glise de Sainl-Charles du Corso, assist de Mgr Nikols,
archevque de Corfou, et de Mgr Casolani de Malte, et
avec une solennit qui avait fait accourir toute la ville
de Rome. Mgr de Jacobis,. tout au contraire, fut sacr de
nuit, comme on prend un voleur, dans une chaumire,
avec la seule assistance de deux prtres indignes. A mon
sacre, il y avait eu des centaines de prtres et de clercs,
et une musique ravissante. Au sacre de Mgr de Jacobis,
nous devions nous-mmes remplir les fonctions de clercs
et de servants, obligs quelquefois de quitter l'autel quand
il manquait quelque chose, parce que les deux prtres in
dignes assistants, ne connaissant que le rite thiopien,
ne savaient pas le latin et ne pouvaient assister que
comme des statues. Au lieu de la musique , nous enten
dions les hurlements de la populace et les menaces de
mort qui partaient de tous les points de la ville. Nan
moins l'un et l'autre nous tions si mus que toute la
crmonie fut accompagne continuellement des larmes
d'une tendre consolation; une souveraine tranquillit
rpandait autour de nous comme un baume suave qui
nous faisait voir, dans cette crmonie pontificale accom
plie aprs tant de peines et de rsistances, un signe ma
nifeste que Dieu avait voulu attendre ce moment pour
remplir ce chaos tnbreux d'humilit par un trsor im
mense de lumires et de grces.
Je vois dans ce trait deux mystres : l'un, l'humilit
de l'homme de Dieu qui redoutait l'piscopat tant qu'il
se prsentait lui avec un appareil honorable qui et pu
lui causer un court instant de complaisance ; l'autre, l'ad
mirable sagesse de la Providence qui le voulait vque,
mais sans lui laisser un seul moment le danger d'altrer
en lui sa vertu de prdilection. L'piscopat, de sa nature,
est autre chose qu'un simple honneur, c'est un vritable
esclavage du cur de l'homme qui ressemble, en quelque
manire, celui que le Verbe divin pratique dans le mys
tre ineffable de l'Incarnation, o il s'est revtu de notre
nature uniquement pour en porter tout le poids et toutes
les misres et s'en rendre responsable devant la nature
divine; il s'est fait prtre ternel pour se sacrifier et se
faire un sacrifice continuel ; aussi, l'vque est-il l'expres
sion vivante, la continuation du sacerdoce de Jsus-
Christ sur la terre ; il se dpouille solennellement de sa
libert d'homme priv, pour se revtir de la personna
lit de l'Eglise et tre investi du caractre sublime qui le
constitue pre de son peuple, pour prendre sur lui tous
les besoins de sa famille et l'en rendre solidairement res
ponsable ; il doit continuellement s'offrir Dieu pour elle
dans un sacrifice de patience pour complter le sacrifice
ternel de la croix, en qualit de membre de Jsus-Christ.
D'un autre ct, ce caractre le fait entrer d'une manire
particulire dans l'administration du dpt sacr de la
foi, avec des devoirs qui, tout en restant subordonns au
chef de la hirarchie vanglique, n'en sont pas moinj
illimits, pour l'obliger travailler et se consumer non-
seulement pour la garde de la foi, mais encore pour sa
diffusion par toute la terre et pour l'accomplissement des
prceptes divins.
Bien que l'piscopat soit donc non pas un simple hon
neur, mais une charge effrayante pour quiconque rfl
292
chit, nanmoins, l'Eglise, dans l'ordre extrieur, repr
sente une socit qui, de sa nature, est noble et sublime ;
sa hirarchie ne laisse pas que d'tre revtue extrieure
ment de certains honneurs extrieurs qui sont capables
d'halluciner pour un instant le cur d'un ecclsiastique
moins prcautionn ou moins timor qui, dans le choix,
penche plus vers la matire et les sens que vers l'esprit.
C'est pourquoi Mgr de Jacobis. perdu dans l'abme de son
humilit, ne voyait dans l'piscopat que les deux prils
extrmes, c'est--dire celui d'tre cras sous le poids
qu'il tait intimement convaincu tre au-dessus de ses
forces, et celui d'tre pris l'amorce de cet appareil de
gloire vaine et mensongre ; motif pour lequel il s'tait d
battu en dsespr, plutt que de cder et d'accepter, bien
qu'il ft dispos et mme rsolu consumer sa vie dans
le plus rigoureux comme dans le plus sublime apostolat.
Dieu voulait aussi produire en Mgr de Jacobis un type
d'humilit jusqu'alors sans exemple dans la nation d'Abys-
sinie, qui avait perdu jusqu' l'ide de cette vertu van-
glique ; et il voulait en mme temps donner l'pisco
pat l'exemple d'un homme qui avait compris dans toute
sa profondeur le sens du caractre si sublime du souve
rain sacerdoce chrtien, bien diffrent de la gloire ext
rieure qui l'entoure. Il permit donc d'un ct toutes ces
diffrentes varits d'un refus fort et gnreux de l'pis
copat, considr comme dignit, mais ensuite, d'un autre
ct, il prpara les circonstances de telle manire, qu'il
accepta, pour ainsi dire, avec un transport de bonheur,
l'piscopat, lorsqu'il se prsenta lui nu et dpouill de
son extrieur honorifique et imposant, mais dans son
vrai sens de souverain sacerdoce, couronn d'pines avec
Jsus-Christ dans le prtoire et crucifi avec lui sur le
Calvaire.
Ce ne sont pas l de simples combinaisons d'ides, ce
ne sont pas l de pures phrases de rhtorique d'un dis
cours tudi, mais c'est un groupe de faits tous authen
tiques et rels dont j'ai t le tmoin oculaire, o j'ai t
293
acteur jusqu' un certain point et orateur assez fortun
pour pouvoir rendre justice, avant de mourir, Mgr de
Jacobis, sans avoir craindre d'offenser son humilit et
sa modestie, et je puis certifier qu'aprs deux ans de r
sistances et de combats pour refuser cette dignit la
quelle il tait lev, il ne l'a accepte que lorsque les des
seins des impies, prvalant contre lui, il se vit chasser de
l'Abyssinie comme une immondice, lorsque, arriv la
cte et dans le lieu mme de son refuge, Massouah, il
se vit environn de barques dj ballotes sur les eaux
et prtes l'emporter ; ce fut alors seulement que, saisi
comme un voleur de nuit, il fut sacr avec l'esprance de
mourir bientt en vrai pontife sur le Calvaire avec Jsus-
Christ, en s'offrant lui-mme comme une victime pour sa
chre Abyssinie. Il fut vque pendant prs de douze ans ;
mais il ne vit jamais les ornements pontificaux; il ne
voulut pas mme une seule fois avoir le plaisir de cl
brer pontificalement, et moi-mme qui cris ces mots,
pendant la crmonie de son sacre j'ai t oblig de m'-
ter la mtre de ma propre tte pour en couronner sa tte
nouvellement consacre , mon propre anneau pour le
mettre son doigt, mon bton pastoral pour inaugurer son
nouveau pouvoir, et il en fut de mme de la croix pecto
rale. La crmonie finie, il reprit ses vtements pauvres et
son genre de vie d'aptre-plerin; ainsi il vcut, ainsi
il mourut dans un dsert sous un petit arbre de Mimose,
espce de Spina ChristilQue cet homme ait t un prodige
d'humilit, il suffit d'avoir le sens chrtien pour le dire!
Pour mon compte, je dirai que M. de Jacobis a t si
humble que j'ai d tudier et seulement aux pieds de
Jsus crucifi, seul Matre de cette sublime vertu, alphabet
chrtien, pour pouvoir pntrer les calculs sublimes de
cette grande me ou pour mieux dire les voies myst
rieuses par lesquelles la divine Providence l'a guide elle-
mme, et pour ne pas interprter en mal le grand avilis
sement de lui-mme et son respect excessif pour tous,
soit indignes, soit europens, pour ne pas y voir une
294
faiblesse de sa part et pour ne pas me mettre du parti du
vulgaire qui a os le critiquer parce qu'il n'a pas su le
comprendre.
Quand Dieu veut user de misricorde avec une nation
gare et perdue, il a coutume de choisir des moyens et
des personnes qui sont plus aptes remdier aux maux
et de leur donner des lumires et des grces proportion
nes leur mission. C'est l une doctrine enseigne par
les saints Pres et consacre par l'Eglise. Mgr de Jacobis
fut l'homme choisi entre mille, et lui seul, par son admi
rable humilit, put faire ce qu'il a fait dans ce pays. L'A-
byssinie tait devenue un pays vraiment paen en subs
tance, ne conservant plus que certaines formes extrieures
du christianisme, comme le deviennent ordinairement
tous les pays htrodoxes; elle avait perdu toute la subs
tance de la doctrine chrtienne , et particulirement ,
comme je l'ai observ, elle avait tellement perdu de vue
que l'humilit vanglique est la base de tout, qu'on n'en
trouvait plus l'ide mme parmi les moines qui, dans
tout le reste, sont d'une austrit sans exemple , et qui
auraient cru scandaliser le peuple en se disant grands p
cheurs. L'Abyssinie tait et est encore une copie parfaite
du peuple juif l'poque de Notre-Seigneur : mme ob
servance extrieure, mme orgueil, mme hypocrisie des
Scribes et des Pharisiens ; elle ne voulait point reconnatre
un Christ doux et humble de cur, comme le peuple juif
le refusait aussi.
En outre, l'htrodoxie chrtienne de l'Egypte, qui
avait envelopp cette pauvre nation dans le schisme et dans
l'hrsie, avait, pendantdouze sicles, fait dans ce pays
ce qu'elle fait partout ailleurs o elle domine complte
ment, dtruit le ministre de la parole, et n'avait fait
autre chose que fermer les fentres pour empcher l'en
tre la lumire catholique, et toute l'instruction tait
rduite un petit libelle fameux, dblatrant contre le ca
tholicisme et contre toute la race europenne, qui tait
pour cette raison devenue aux yeux de tous comme im-
295
monde et infme. Mois Dieu envoya l'Abyssinie, dans
la vie de M. de Jacobis, un livre vivant, vraie copie de
l'vangile; il lui envoya un aptre vritable, image de
Jsus, doux et humble de cur, qui fit connatre ce
pauvre peuple, mieux que par tous les enseignements
possibles, la vritable ide de la vie chrtienne, et qui
enfanta par l l'glise une multitude de nouveaux
fidles dignes des premiers sicles de la foi.
CHAPITRE XX.
Gondar.
>
297 '
que nous sommes obligs de souffrir pour la religion, dans
ces pays barbares, j'ai trouv une grande consolation
dans un voyage que j'ai fait l'est de Gondar, dont le
rcit vous fera plaisir, cause du grand intrt que vous
portez notre trs-chre mission d'Abyssinie. Vous savez
que j'ai t oblig de me sparer de Mgr de Jacobis, et de
quitter l'Agamien pour me rendre Gondar, en mme
temps que notre Vicaire Apostolique avait reu ordre du
prince du Tigr de se retirer aux confins du royaume. Cette
sparation tait bien amre. Aussitt que je fus arriv
Gondar, je crus qu'il tait de mon devoir de visiter
Ras-Aly, et de faire amiti avec lui, parce qu' prsent
il occupe la place de l'empereur, et il est le vritable roi
de l'Abyssinie. Mais je ne pouvais partir le jour, cause
d'un chef rvolutionnaire qui tait prs de Gondar ; j'ai
donc attendu qu'il ft nuit; et, la faveur des tnbres,
* lorsque les habitants de la ville taient ensevelis dans le
plus profond sommeil, je sortis sans rencontrer personne,
et accompagn des cris des hynes droite et gauche :
dans peu de temps je fus hors de danger. En route, le
sommeil vint souvent fermer mes yeux, mais je ne pou
vais dormir, sans me jeter la tte dans les pines qui
abondent sur la route. Aprs deux jours de chemin, j'arri
vai un endroit qu'on appelle Ifac. C'est ici que j'ai ren
contre M. Rochet (d'Hricourt,) qui tait parti de Gondar
quelques jours avant moi, pour se rendre la rsidence
du Ras.
M. Rochet tait venu en Ethiopie pour faire des obser
vations. Il a pass l'hiver Gondar ; le prince rvolution
naire, qui tait prs de Gondar, l'a mis en prison pour
trois jours, avec le frre Filippini ; mais le frre Filippini
n'a t arrt qu'un jour; et, de plus, M. Rochet a t
dans les fers et on lui a vol beaucoup d'effets prcieux.
Nous partmes ensemble, et dans un jour et demi nous
arivmes Debra-Tabor, ville du Ras. Cette ville est sur
une montagne qui s'lve au milieu d'une plaine; je la
crois l'effet d'un volcan. Au sommet est btie la maison
17.
298
royale, et l'entour sont les maisons des soldats, qui
vont jusqu' la plaine. Nous allmes descendre, avec nos
gens et nos effets, prs de la maison du roi, et nous lui
fmes annoncer que nous tions arrivs ; aprs avoir
attendu peu de temps, un homme nous dit d'entrer;
nous entrmes dans une grande chambre ronde. A une
des extrmits tait le roi, assis par terre sur un peu de
foin. A droite taient ses chevaux, gauche un grand
nombre de boucliers, de fusils et d'autres effets. Autour
de lui taient ses gens et ses esclaves Gallas. Il nous
demanda avec un air de douceur et de bont si nous
nous portions bien, et il nous fit asseoir prs de lui. Il
tait mercredi, jour de jene en Abyssinie, il nous fit
donc donner une portion maigre, fortement saupoudre
de poivre rouge. Ensuite il nous fit servir l'hydromel et
le caf, lequel se faisait remarquer par une forte odeur de
poivre. Malgr ce ragot peu attrayant, je n'avais aucune
difficult manger ce qu'on me donnait, parce que je
suis accoutum la nourriture abyssinienne; mais
M. Rochet, qui ar rivait peine de l'Europe, ne pouvait
pas s'y faire : diable! me dit-il, il n'y a que du poivre
dans cette portion, je ne puis pas mme boire le caf. Je
ne pouvais me tenir de rire en voyant M. Rochet qui avait
la bouche enflamme. Aprs le dner, le roi nous montra
ses chevaux, se3 fusils et les cadeaux que le roi de Choa
lui avait envoys, qui consistaient dans un trs-joli bou
clier tout couvert d'or et d'argent, dont nous admirmes
le travail, une pe dont la gane tait en argent, deux
trs-jolies lances et un cheval. Je ne rapporterai pas tous
les entretiens que le roi a eus avec M. Rochet en ma pr
sence, vous pourrez lire les aventures de M. Rochet dans
le livre qu'il doit publier Paris. Mais je vous dirai
seulement ce qui s'est pass entre le roi et moi. Je me
suis prsent au Ras comme tant le frre de M. Montuori
et de M. Biancheri. Le roi m'a dit : Ces Messieurs sont
partis? Oui, ils sont alls Rome. Reviendront-ils
bientt? Ils reviendront dans le mois de juin ou d'aot.'
299
J'aime beaucoup les gens de Rome, MM. Montuori et
Biancheri sont mes amis. Je dsirerais aller moi-mme
Rome. Je lui ai dit que la route tait dangereuse. Je
ne crains pas, rpondit-il. Ensuite il me dit : Pourquoi
l'abouna Jacobis ne vient-il pas ici? Le gouverneur du
Tigr ne l'aime pas. Puis il toucha ma barbe, et comme
le soleil tait prs de disparatre de l'horizon, il nous dit :
Bonne nuit, reposez bien. Il nousfit donner une maison prs
de la sienne, o jious allmes avec nos gens et nos effets
pour prendre un pou de repos. Le lendemain, il nous fit
appeler; nous tant rendus auprs de lui, nous le trou
vmes assis sur des pierres et tenant une longue-vue
avec laquelle il observait les montagnes voisines. Nous
lui offrmes les cadeaux, que nous lui avions ports
comme signe d'amiti entre lui et nous. Il nous remercia
de tout.
Je ne dois pas passer sous silence ce que le Ras m'a
rpt dans les divers entretiens que j'ai eus avec lui. Il
m'a dit qu'il dsire que je fasse une maison Biethliem,
pays loign d'une journe de Debra-Tabor. Oui, jeb-
tirai une maison et une petite glise dans le pays de Bieth
liem, et j'apprendrai la doctrine chrtienne aux gens
du pays, aux enfants, etc. Je vous donnerai un homme
pour vous y accompagner, rpondit-il. Je l'en remer
ciai. Comment se fait -il que l'abouna-Salama se con
duit mal, me dit-il ? Je lui fis le rcit des actions de
l'abouna, je lui dis qu'il achetait des mulets pour les
vendre Massouah et des esclaves pour les envoyer en
Egypte; que la conduite de l'abouna n'est pas celle d'un
vqu, mais d'un ngociant; que si l'Ethiopie embrassait
l'Islamisme, l'abouna ne dirait pas un mot pour l'emp
cher, qu'il ne se met en colre que contre Mgr de Jacobis
qui enseigne la doctrine catholique, et fait un bon nom
bre de proslytes ; que l'abouna n'enseigne pas la religion,
qu'il n'a d'autre force ni d'autre influence sur les Ethio
piens que ses excommunications. Le Ras couta avec at
tention tous mes discours ; il connat trs-bien les mau
300
vaises dispositions de l'abouna, et il ne fera jamais la
paix avec lui. Il m'a fait quelques questions sur des points
de la Foi, et il a t content de mes rponses. Il me prit
par la main et me donna beaucoup de marques d'une vraie
amiti. Il me dit : Je donne mes biens aux pauvres, j'ai
trs-peu de chose pour moi. L'aumne, dans ces pays-
ci, est trs-bonne, lui ai-je rpondu. C'est vrai, a-t-il
dit. Il me demanda ensuite s'il fait bien de faire la
guerre aux gouverneurs du Godjam et au chef rvolution
naire qui est prs de Gondar. Je lui rpondis qu'il faisait
bien, parce qu'tant, lui, le vrai roi d'Abyssinie, il devait
gouverner tout le pays avec ses habitants; et comme le
gouverneur du Godjam et le chef de Gondar s'taient
rvolts, il n'y avait point de mal leur faire la guerre.
Aprs que je fus rest quelques jours Debra-Tabor, il
me donna un guide pour m'accompagner jusqu'au pays
dont il a donn le gouvernement un Anglais, nomm
M. Bell. C'tait le matin ; je pars et dans quatre heures
j'arrive la maison de M. Bell, qui m'a reu avec la plus
grande amiti et politesse qu'on puisse trouver dans une
maison abyssinienne. Aprs avoir sjourn quelques jours
chez M. Bell, je partis, et il voulut m'accompagner jusqu'
Biethliem. M. Bell est au service de Bas-Aly, il est g de
trente-deux ans. Il m'a dit qu'il aime beaucoup la religion
catholique, et qu'il dsire l'embrasser , il m'a fait seule
ment quelques objections sur le culte des images et sur la
rsurrection des corps, dont les mes n'entreront dans le
Ciel qu'avec le corps, me disait-il. Je lui expliquai la
doctrine catholique sur ces points, et il fut satisfait des
rponses. Il me dit seulement : Les enfants savent-ils ex
pliquer cette doctrine comme vous ? Oui, rpondis-je,
ils savent que le culte que nous rendons aux images n'est
pas une adoration, mais que c'est un respect, une affec
tion, un amour que nous avons pour les amis de Dieu, et
comme les amis d'un roi nous peuvent obtenir beaucoup
de grces, de mme nous prions les saints qui sont les
amis de Dieu, et nous nous recommandons eux, afin
301
d'obtenir ce qui nous est ncessaire. Eh bien ! Mon
sieur, je me ferai catholique avec ma femme; j'en ai
mme dj parl M. Biancheri. Vous, Monsieur Stella,
ayez la bont de m'envoyer un livre d'instruction sur la
religion catholique. Oui, je vous l'enverrai. Il m'a
donn sa maison Biethliem, pour le peu de temps que
j'ai sjourn dans ce pays, et il est parti pour son pays qui
n'est pas loign (1).
Bietlhiem est un joli pays, le climat est trs-bon, les
habitants sont gais, et il y a abondance de vivres. L'glise
a t btie par les Bomains, me disaient les habitants, au
temps de l'empereur David. C'est vraiment une jolie
glise, btie toute en pierres de forme rectangulaire trs-
bien tailles, ce n'est pas l'uvre des Abyssins. Il y a
deux cents ans environ qu'on a construit cette jolie glise.
Ma conduite dans ce pays a tonn les habitants, et
prsent je suis estim comme un homme dont l'gal n'a
pas encore t vu dans leur pays. Lorsque je sortais de la
maison, une foule d'enfants et d'autres gens venaient aprs
moi pour me voir, ils m'aiment beaucoup. Je vous
apprendrai la doctrine chrtienne, leur disais-je, et vous
serez de bons enfants. Oui, nous dsirons l'apprendre,
me rpondaient-ils. Parmi ces enfants, il y avait une pe
tite musulmane, qui tait venue pour me voir ; ces enfnts
me disaient : Monsieur, cette fille est musulmane.
Alors je lui dis : comment est-il possible que tu sois seule
musulmane parmi tous ces enfants chrtiens ? La petite
ne rpondait pas. Eh bien ! je t'apprendrai la doctrine
chrtienne, et ensuite je te donnerai le baptme. Es-tu
contente ? Oui, me rpondit alors la petite fille, je d
sire tre chrtienne. Sa mre vint me voir, et elle-mme
est contente que je donne le baptme sa fille. Alors j'ai
promis la petite de la baptiser aussitt que je serais de
(1) M. Bell, il est croire, conserva ces bonnes dispositions; mais
les missionnaires ayant t depuis chasss vers la cte de la mer Bouge,
il ne put excuter son dessein de rentrer dans le sein de l'glise ; il fut
tu dans une bataille en 1860.
302 .
retour, parce que je ne crus pas bon de la baptiser ce
moment. Les moines et les prtres m'ont pri de rester
avec eux, de btir une glise et une maison comme celle
de Rome, parce qu'ils m'aiment beaucoup, et que je suis
un homme qui aime l'glise. J'ai prouv bien des conso
lations en voyant les dispositions du pays de Biethliem pour
l'Eglise romaine, et je suis certain que dans peu de temps
ce pays sera catholique, parce qu'ils aiment notre doctrine
et qu'ils dtestent Yabouna-Salama. J'ai promis d'y re
tourner bientt, d'y btir une glise et de commencer les
instruire. Tout le pays m'est dvou, bien des consolations
se prparent pour mon cur. Je crois avoir gagn ce pays,
en me faisant tout tousi Le missionnaire, pour gagner
le cur des Abyssins, doit leur parler avec douceur, leur
montrer qu'il les aime, se faire tout tous, les recevoir
chez lui, et souffrir leur impolitesse, etCi II est vrai que la
vie du missionnaire doit tre bien pnible la nature :
manquer souvent du ncessaire, craindre pour sa vie, s'ac
commoder aux usages du pays. Il faut avoir une vocation
particulire. Cependant nous nous estimons heureux, je
suis trs-content d'tre en Ethiopie, je surabonde de joie
au milieu des tribulations, et je bnis Dieu lorsque je suis
oblig de souffrir, ne dsirant que de goter le mystre
de la croix. Aprs avoir sjourn Biethliem quelques
jours au milieu d'un peuple dispos embrasser notre re
ligion, accompagn d'une foule de gens qui m'aiment, je
les ai quitts avec regret pour revenir Debra-Tabor. Le
roi, dans cette circonstance, m'a donn plus qu'auparavant
des signes de son amiti, deux fois par jour il me faisait
appeler pour manger avec lui. H a manifest un grand
dsir de voir le frre Filippini, et comme je lui dis que je
voulais partir pour Gondar, il me donna une trs-jolie selle
pour mon mulet, c'tait la selle royale de son propre mu
let. Pour lui faire plaisir, je l'ai accepte, et ensuite je lui
ai dit que nous nous verrions Pques, et lui ayant sou
hait bonne sant, je partis pour Gondar, o, pour plus de
sret, je suis entr de nuit. A Gondar, je trouvai une lettre
303
de Mgr de Jacobis qui m'annonait qu'il ne pouvaitfpas se
rendre dans l'Agamien, et qu'il tait encore dans son exil,
que le prince Oubi attendait que le Ras lui envoyt une
lettre en sa faveur pour le faire rentrer dans l'Agamien; il
me priait de faire quelques instances auprs du Ras pour
pi obtenir de retourner Guala au collge de l'Immacule-
Conception. Comme le roi m'avait tmoign le dsir de
voir le frre Filippini j'ai envoy notre bon Frre Debra-
Tabor, pour voir ie roi, et en mme temps pour lui parler
en faveur de Mgr de Jacobis. Jusqu' prsent le frre n'est
pas encore de retour ; plus tard j'enverrai d'autres lettres
en France pour donner des nouvelles du rsultat de son voya
ge. Mgr de Jacobis peut seulement pntrer jusqu'aux con
fins du Tigr, comme il semble. Nos prtres et les enfants
du collge sont dans les pays desCbohod'Alitina, pays in
dpendant d'Oubi, et loign d'une petite journe de l'A
gamien et de quatre de Massouah. Dans peu de jours les-
troupes du roi vont arriver Gondar, pour faire a guerre
au chef rvolutionnaire dont j'ai dj parl.
Vous le voyez, Monsieur et trs-honor Pre, notre
mission, quoique perscute, offre encore bien des esp
rances; par les entretiens du roi avec moi vous pouvez
juger qu'il n'y a rien craindre pour le prsent. Notre
maison de Gondar sera termine Pques, et nous com
mencerons une maison Biethliem, pour la conversion
du pays.
Gondar, 20 fvrier 1849.
Notre trs-chre Mission d'Abyssinie, dans le Tigr,
est prsent dans l'preuve. La perscution commence de
puis longtemps dans la province de l'Agamien, et suscite
par l'impie abouna Salama, ministre du diable en Ethiopie,
triomphe pour le moment. Le vrai Pasteur que Dieu, de
puis long-temps, a donn aux Abyssins est exil aux con
fins du royaume, les Prtres qui taient Guala, dans
l'Eglise de Saint-Jean, sont alls dans la tribu de Choho,
o nous avons nos Catholiques en bon nombre, et ceux
qui sont rests dans le pays de Guala et de Biera ont beau
304
coup souffrir. Priez pour nos pauvres Catholiques, afin
que le bon Dieu leur donne beaucoup de force et de fer
met dans la Religion.
Aujourd'hui, les gouverneurs de l'Agamien sont les
amis de l'abouna, et les instruments dont il se sert pour
faire souffrir nos nophytes. Vous savez que l'abouna a dit
que le Coran de Mahomet est meilleur que la religion ro
maine; en consquence, il aime mieux voir les Abyssins
embrasser la religion musulmane que la romaine.
L'abouna a compris que si l'thiopie embrasse la reli
gion catholique, il y aura en Abyssinie d'autres vques,
et il ne sera plus considr que comme un misrable
Ministre, envoy en Abyssinie par l'cole anglaise mtho
diste du Caire, dont il il est l'ignorant lve. A prsent il
n'est pas bien avec le Prince, parce qu'Oubi ne lui a
pas donn des terres comme auparavant; mais le Prince
n'empche pas la perscution contre les Catholiques, il
permet que l'abouna agisse contre nous, de peur de
perdre son gouvernement. Nous gotons le mystre de la
Croix, et nous nous estimons heureux de souffrir quel
ques peines pour le nom de Jsus-Christ.
Un autre malheur est arriv notre vnrable Vicaire
apostolique, Mgr de Jacobis : les soldats d'Oubi tant
alls prs de Massouah pour piller et brler les maisons
des habitants d'Emcoullo, ont brl, en mme temps,
la maison et une petite chapelle que Mgr de Jacobis y avait
bties, ils ont pill la maison du consul de France ; de
cette manire Oubi s'est compromis avec l'gypte et
avec la France. Ici, dans le royaume de Ras-Aly, nous
sommes bien. A Gondar, nous sommes trois ; moi, qui
suis le gouverneur de la Maison, un jeune Prtre abyssin,
notre lve et mon compagnon, et le bon Frre Filippini.
Il y a quelques enfants auxquels nous apprenons la doc
trine catholique.
A Pques, notre maison de Gondar, de forme rectan
gulaire, sera termine, et nous en btirons une autre
Biethliem, pays dont j'ai parl dans une autre lettre.
305
m
Ras-Aly aime les Catholiques romains et dsire mme
que je fasse une maison Biethliem.
Il m'a trait comme un vritable ami. Il y a quelques
jours que j'avais envoy le Frre Filippini visiter Ras-Aly,
pour le prier d'envoyer une lettre au prince Oubi, afin
que ce dernier laisse retourner Mgr de Jacobis dans l'Aga-
mien. Le Ras a reu le Frre Filippini avec la plus grande
politesse, l'a mieux trait que s'il et t son propre frre,
et ayant connu le but pour lequel il tait arriv, c'est--
dire pour lui faire part des penses de Mgr de Jacobis, il a
donn cette rponse : Ne croyez pas aux paroles d'Oubi.
Oubi est un mauvais sujet, il dit que je lui crive une
lettre pour faire rentrer Mgr de Jacobis dans l'Agamien ;
maisje vous dis que dans ses penses il y a de la malice et
dela fiction. Lui-mme n'crit pas Mgr de Jacobis de re
tourner, pour ne pas se compromettre aux yeux du peuple
et des amis de l'abouna ; et s'il veut que je le fasse, ce
n'est que pour me mettre en discorde avec le peuple et me
perdre, en faisant voir que j'aime une religion qui n'est
pas celle d'Abyssinie. Si j'tais sr que ma lettre obtnt
son effet, je lui crirais aussitt, et si vous voulez, pour
condescendre vos dsirs, je lui crirai, mais je suis sr
que je n'obtiendrai rien. Vous voyez bien qu'il ne m'a
pas consult pour faire descendre l'abouna de la monta-
tagne, o il tait comme prisonnier ; de mme il ne m'a
pas demand avis pour renvoyer Mgr de Jacobis. Vous
pouvez donc agir de cette manire : dites d'envoyer
prier le prince Oubi de me consulter au sujet du retour
de Mgr de Jacobis, et alors je rpondrai que je dsire le re
tour de Mgr de Jacobis dans l'Agamien, et je lui enverrai
mme dix hommes, s'il est ncessaire, pour lui faire
connatre ma volont ; mais, comme Oubi ne cherche
qu' me perdre, il ne me consultera pas. Ensuite le Frre
Filippini dit au Ras qu'il tait vrai qu'Oubi avait envoy
ses soldats pour piller et brler les maisons d'Emcoullo,
qui appartient Mohamed-Aly. Le Ras, en se mettant
les mains sur le front, rpondit : Ah ! qu'il serait bou
306
que les Turcs vinssent donner au prince Oubi une leon
salutaire ! Le Frre Filippini tant prs de partir, le Ras
lui a fait prparer du raisin pour le voyage, lui a donn une
vache et toutes sortes d'autres provisions, et lui a fait voir
que vraiment il nous aime. Un cur aussi bon que celui
de Ras-Aly ne se trouve pas facilement dans les princes
thiopiens.
Enfin, Mgr de Jacobis a t sacr vque d'Ethiopie,
le 7 du mois de janvier dernier, par Mgr Massaja. Dieu
soit lou ! Les circonstances de la mission d'Abyssinie
taient; telles que Mgr de Jacobis a fait une chose trs-pru
dente, en so laissant sacrer vquer. Son expulsion de l'A-
gamien l'avait forc de se retirer aux confins du royaume
du Tigr. La conversion du chef de la trs-nombreuse
secte de K*vat$, appel Abba-l'ecla-Alfa^ avec plusieurs
de ses moines, le doute sur la validit de sa conscration
sacerdotale, doute qui tombe aussi, sur tous les prtres et
les moines qui dpendent de lui, le vif dsir d'Abba-Tecla-
Alfa et de ses moines d'avoir un vque qu'ils puissent
appeler leur vque, afin de se voir en tout et partout
spars de l'vque copte l'abouna Salama ; toutes ces
circonstances et bien d'autres ont forc notre vnrable
Visiteur de recevoir la conscration piscopale. Il y tait
fortement engag, depuis long-temps, par Mgr Massaja.
Le premier effet de sa conscration, o'est que les quatre
provinces 'Amasen, de Saraw, d'Ecullo-Kuzzai et une
autre, qui contiennent plus de 200,000 habitants, seront
un champ ouvert nos travaux apostoliques. On voit clai
rement que le bon Dieu vqutque nous commencions notre
mission par ceux qui sont aux confins du royaume, comme
sont les Kavats, et un grand nombre d'autres peuplades
sauvages. Saint Frumence, aptre d'Abyssinie, commena
sa mission par btir une glise Massouah.
Vous savez que monseigneur de Jacobis a achet une
trs-jolie maison Emcoullo. Cette [maison est btie en
pierre, elle est trs-grande et trs-propre pour y tablir
notre Sminaire, nos classes pour les enfants, pour servir
307
de rsidence notre vque, et pour y faire nos fonctions
ecclsiastiques. Elle est spare et isole de toutes les
autres habitations par une bonne muraille en pierre, au
dedans de, laquelle se trouve un joli jardin.
Il y a maintenant en Abyssinie un mouvement trs-
prononc en faveur de la religion. Une partie des habitants
est pour nous, l'autre nous est contraire. Ce mouvement
est bon, car il prouve que nos enseignements ont fait
impression sur les Abyssins, et quoiqu'un grand nombre
d'entre eux nous soit encore opposs, nous n'aurons plus
craindre une expulsion complte d'Abyssinie, cause
de la position politique du royaume thiopien, qui est
partag entre plusieurs chefs, dont' le plus puissant est
Ras-Aly. Dans peu de jours nous aurons, prs de Gondar,
la guerre entre la nombreuse troupe de Ras-Aly et la
troupe d'un gouverneur fameux, qui s'est rvolt contre
le lias. Ce gouverneur s'appelle Cassa. C'tait un simple
soldat ; ayant dsert, il s'est fait chef d'une petite troupe.
Il a fait prisonnire la mre du Ras. Le Ras, pour se faire
rendre sa mre, a lev Cassa la dignit de gouverneur,
dela province de Dembea. Celui-ci, se' voyant entour
d'un nombre considrable de soldats, s'est cru dj un
grand homme, et il ne veut plus faire que sa propre vo
lont. Dans peu de jours nous saurons quelle est l'issue
de la guerre. Si Ras-Aly est vainqueur, nous n'avons rien
craindre Gondar ; mais si Cassa triomphe, nous ne
serons pas tranquilles.
A Gondar, il y ajtrs-peu de catholiques; les meilleures
dispositions sont dans les Kavats des quatre nombreuses
provinces du Tigr. Je resterai encore cinq ou six mois
Gondar pour me perfectionner dans la langue amarique
et pour y apprendre la langue sacre; ensuite j'irai dans
le Tigr, selon les ordres de notre Vicaire apostolique, et
j'y apprendrai la langue du pays pour pouvoir y bien
travailler au salut des mes.
Le mme Missionnaire crivait encore u un de ses con
frres de Paris le 9 mai 1850 :
308
C'est le premier jour de mai que j'ai reu votre aima
ble lettre du 19 novembre ; elle a beaucoup consol mon
cur, en me prouvant que mes amis et mes confrres,
quoique trs-loigns de moi, m'aiment toujours, et se
souviennent de moi. Bni soit le bon Dieu qui, au milieu
des afflictions et des amertumes o souvent nous passons
les jours, nous mnage quelques consolations !
La perscution, aprs avoir fait bien des ravages et nous
avoir fait discerner ceux qui sont vraiment catholiques de
cur, de ceux qui ne l'taient que de nom, et qui n'taient
pas de vritables brebis de notre pauvre, mais trs-chre
glise naissante d'Ethiopie, semble un peu assoupie en ce
moment. L'Abouna avait fait arrter, par ordre du prince
Oubi, et jeter en prison trois de nos catholiques- les plus
distingus, dans l'espoir de leur faire abjurer la vraie foi
dans les tortures. Mais une lettre de notre aimable et
saint vicaire apostolique d'Abyssinie, que j'ai reue du Ti
gr, m'annonce que' nos glorieux confesseurs de la foi,
aprs deux mois et demi de pnible prison, toujours aux
fers dans la maison de l'impie vque hrtique d'Ethio
pie, ont t mis en libert. Voyez, monsieur et trs-cher
confrre, le beau triomphe qui couronne, au commence
ment de l'an 1850, notre mission, que j'aime plus que
moi-mme, et pour laquelle je donnerais tout mon sang,
pour le salut de mes frres.
c Pendant que ces choses se passaient ainsi dans le Ti
gr, la secte des Defteras, qui est la vraie secte des phari
siens et des scribes de ce pays, nous faisait une guerre
sourde, pour nous enlever la maison que j'ai fait btir
ici, Gondar. Aprs avoir tenu beaucoup de sances,
domins par l'orgueil et l'envie qu'ils nous portent, parce
qu'ils savent bien qu'ils ne peuvent pas rsister la force
de nos arguments en faveur de la religion catholique ; ils
ont enfin dcid d'crire au Ras, qui aujourd'hui se trouve
en guerre dans le Godjam, pour le prvenir et l'irriter
contre nous, sous prtexte que nous disons la messe dans
notre maison, chose qui n'est pas tolre en Abyssinie;
309
que mme nous y administrons le sacrement de l'Eucha
ristie. Je connaissais la guerre qu'on nous faisait, mais
j'tais bien persuad que nos ennemis ne remporteraient
pas la victoire. A mes amis, qui me parlaient du bruit
que la secte maudite faisait contre nous, je rcitais la fa
ble d'Esope, qui dit : Qu'une fois une montagne poussait
de grands cris ; tout le peuple s'tant rassembl pour voir
la fin, cette grande montagne, aprsavoir bien cri, enfanta
une petite souris. Cependant, je pris la rsolution, pour
plus de sret, d'en crire un mot Ras-Aly, sur l'amiti
duquel je comptais pour me protger en cette circonstance.
En effet, Ras-Aly ne m'a pas fait attendre sa rponse,
qu'il m'a expdie par un de ses soldats. Voici la teneur de
cette rponse :
Monsieur, a vous, salut.
J'ai entendu toutes les choses, mais ayez bon cou
rage, ne craignez rien. Je suis Ras-Aly; tant que je serai
dans ma position, vous n'aurez rien redouter.
Je vois que vous avez bti une trs-jolie maison, et les
envieux de Gondar voudraient vous la voler. Ils disent que
vous dites la messe dans la maison, mais ils ne m'ont pas
fourni de tmoins, et je vous assure que je ne recevrai
jamais pour tmoins les gens de Gondar, qui sont voleurs
et menteurs par excellence. Monsieur, aprs Dieu, je
suis le matre de la terre o vous tes, votre maison est
moi, vous tes mes amis, et je suis votre pre; je n'loi
gne de moi que les puces et les punaises, que je ne puis
souffrir ; mais vous, qui tes trangers, et qui, dans ce
pays, n'avez d'autre protection que la mienne, soyez tran
quilles, je vous protgerai.
Ensuite il a donn ordre aux chefs des moines de
nous protger; il a fait dire au gouverneur de Gondar :
Si vous m'aimez, ayez soin de ces hommes que je vous
donne garder comme mes amis; sivous ne le faites pas,
vous ne serez pas mon ami. Aprs toutes ces marques de
bont, j'ai cru devoir adresser Ras-Aly une lettre pour
310
le remercier de la bienveillante protection qu'il nous avait
accorde.
Ainsi, vous le voyez, monsieur et trs-cher confrre,
ceux qui s'opposent le plus la cause catholique, sont les
defteras et les moines. Avant que l'Ethiopie embrasse le
Catholicisme, nous aurons beaucoup souffrir de leur
part ; mais nous avons les os durs. Le peu de catholiques
que nous avons Gondar nous sont trs-affectionns, et
ils sont catholiques de cur. Dites notre trs-honor
Pre que le jeune homme, trs-savant dans les sciences
du pays, dont je lui ai parl dans une de mes dernires
lettres, a enfin embrass le Catholicisme, il est trs-fer
vent. Nos esprances sont principalement sur le littoral
thiopien. C'est l que nous ferons beaucoup de pros
lytes, et que l'glise naissante d'Abyssinie se multipliera
et prendra racine.
La nouvelle glise qui a t commence dans le pays
Choho, sera bientt acheve. J'ai fait crire en langue
amarique pure plusieurs catchismes, et j'ai traduit cette
mme langue pour nos prtres, le manuel des (confes
seurs, avec le Trait de la Pnitence, de l'Exlrme-Onc-
tion, et des empchements de mariage. Nous commence
rons bientt la traduction de la thologie dogmatique. Le
reste de mes occupations est l'instruction des enfants, et
l'tude de la langue ghez. Dans peu de temps je donne
rai le baptme un joli petit Galla.
Telles taient les esprances de la mission de Gondar
lorsque M. Biancheri revint d'Europe et y reprit le cours
de ses travaux. M. Stella se rendit alors sur la cte prs de
Mgr de Jacobis. Mais bientt la mission de Gondar devait
avoir sa part dans la perscution.
Ce chef rvolt, Cassa, dont il est parl dans une des
lettres prcdentes, ne tardera pas s'emparer du pouvoir,
se rendre matre unique de l'Abyssinie et servir d'ins
trument l'Abouna perscuteur des missionnaires. Aussi
les heureux commencements de la mission de Gondar nous
fourniront bientt l'occasion d'admirer des confesseurs et
des martyrs, el cette ville aura l'honneur d'tre sanctifie
par la prison de Mgr de Jacobis. Mais allons retrouver cet
homme de Dieu sur les bords de la mer Rouge o il s'est
rfugi. .
CHAPITRE XXIII.
Confesseurs de la foi.
CHAPITRE XXII.
i
331
chercher un asile, accompagn du seul frre Filippini ; il
se jeta dans les montagnes, o il erra pendant deux ou
trois jours, sans autre nourriture que quelques fruits sau
vages, avant de pouvoir parvenir au camp d'Oubi, chez
qui il allait chercher un asile. Oubi le reut bien, blma
ouvertement la conduite de l'abouna, et permit Mgr
de Jacobis de s'tablir dans l'endroit qu'il voudrait de ses'
Etats, en lui conseillant pourtant de ne pas retourner de
suite Alitina, o la rvolte Je quelques chefs avait
fourni le prtexte l'invasion prcdente, mais dont le
but principal tait l'arrestation de Mgr de Jacobis : sur ce,
Mgr de Jacobis renvoya le frre Filippini Alitina pour
prendre tous les effets de la maison, et les transporter
dans le village de Hala : c'est l qu'il devait se rendre
bientt lui-mme, ainsi que les lves du sminaire qu'il
avait tabli Alitina. C'est donc Hala que je rsolus
de me rendre dans l'espoir d'y trouver l'homme que je
cherchais, ou du moins d'en avoir des nouvelles ; en mme
temps j'informai le frre Filippini du jour de mon arrive,
afin que si Mgr de Jacobis n'tait pas encore avec lui, il
se mt de suite sa recherche et lui donnt moyen d'arri
ver le plus tt possible, conformment la recommanda
tion que Mgr de Jacobis lui en avait faite.
Hala est le premier village proprementabyssin, du ct
de la mer, sur la route d'Adoua ; il est situ sur un des
plateaux les plus levs de l'Abyssinie ; et pour y arriver
en venant de Massouah, il faut gravir une rude et haute
montagne appele lTaranta. Le plateau de Hala, qui n'est
lui-mme qu'une suite de petites plaines coupes par des
ravins profonds et des monticules assez levs, est habit
par sept huit cents paysans, qui cultivent l'orge, le
millet, les lentilles et un peu de froment. Ils nourrissent
dans les montagnes un grand nombre de vaches qui leur
fournissent le lait, le beurre et la viande ; les bufs leur
servent au labourage et au transport de leurs denres,
portant la charge sur le dos comme les Chameaux : c'est
l la bte de somme la plus ordinaire. Le buf partage
332
pourtant cet emploi avec l'homme, dont les voyageurs se
servent trs-souvent pour porter leurs effets, et les mar
chands, leurs marchandises ; en sorte que rien n'est plus
commun que de voir sur les routes des hommes qui, por
tant sur leur tte o leurs paules nues de lourds far
deaux, font des voyages de dix, quinze, vingt journes.
J'ai fait moi-mme usage de ce moyen de transport,
qui est peut-tre celui qui offre le plus de facilits ; mais
il est ais de comprendre que ces voyages ne se font
pas la vapeur : la moyenne peut tre de six lieues par
jour.
Les habitants de Hala sont chrtiens, du moins de
nom ; car pour le reste ils ne se distinguent gure des
infidles; ils sont extrmement ignorants, et on peut
dire demi sauvages, et beaucoup d'entre eux ne sont
pas mme baptiss, quelques missionnaires musulmans
leur ayant fait entendre que le baptme fait mourir les
enfants : ajoutez cela qu'il n'y avait dans le pays qu'un
vieux prtre qui ne savait pas la forme du baptme ; voil
o aboutit l'hrsie. Ils ont manifest le dsir d'tre
catholiques : la Mission ayant chez eux un commence
ment d'tablissement, on les instruit peu peu, en com
menant par les enfants ; mais il y a beaucoup faire.
Pour me, rendre Hala, commedans tous les voyages
en Abyssinie, j'avais trois ennemis craindre, les voleurs,
les animaux froces et les pines : tout cela faisait peu
d'impression sur M. Stella, qui en a l'habitude; mais il
n'en tait pas ainsi de moi. Mon imagination s'effrayait
un peu des cris sauvages des hynes, des rugissements
des lions, et du voisinage des lopards qui se jettent
brusquement sur leur proie, et l'emportent sans bruit et
sans cris. Aprs avoir chapp la dent des requins, dans
les mers de Chine, je ne me souciais pas d'tre broy
par celle de ces princes des montagnes. On m'avait racont
tant d'accidents malheureux, tant de rencontres fcheuses
de ces animaux, que j'avais rellement quelque peine
me rassurer dans la route. De derrire chaque buisson
333 -
il me semblait voir sortir un lion ou un tigre : le soir
surtout, ds qu'il tait nuit, je ne me serais pas loign
de cinquante pas de la troupe. Je m'tais arm d'un mau
vais fusil et de deux assez bons pistolets que je gardais
toujours ct de moi, et que je dchargeais de temps
en temps durant la nuit, tant pour faire peur aux btes
que pour me rassurer moi-mme. Souvent je me recom
mandais Dieu et Marie, comme n'ayant plus peut-tre
qu'un instant vivre.
Quant aux pines, je m'en mettais peu en peine, encore
qu'elles couvrent littralement la surface de la terre,
qu'elles vous barrent le passage chaque pas, et que sou
vent elles ombragent le sentier que l'on suit. Je savais
que j'en serais quitte pour quelques dchirures aux
habits, ou tout au plus pour quelques gratignures plus
ou moins profondes ; mais le pril des btes faisait oublier
ces inconvnients.
Pour ce qui est des voleurs, qui sont des Musulmans,
habitant et l dans les gorges que nous avions passer,
nous tions arms contre eux, en prenant pour guide
l'un d'entre eux, achetant ainsi le droit de passer impu
nment.
Tout tant ainsi prvu, et sans avoir oubli les vivres
ncessaires pour la route, nous montmes, M. Stella et
moi, chacun sur notre mulet, et nous partmes de trs-
bonne heure, le 15 dcembre. Nous avions avec nous cinq
ou six hommes arms, comme tous les Abyssins, d'une
massue, d'une lance, d'un coutelas et d'un bouclier.
A peine tions-nous en marche depuis une demi-heure,
par un beau clair de lune, qu'une norme hyne partit
quinze pas de nous, en poussant d'horribles cris ; mais
c'tait, ce qu'il parat, des cris de frayeur, car elle se
sauva toutes jambes. Il est heureux que cet animal,
qui est si carnassier et aussi fort, dit-on, quelelion, soit en
mme temps trs-timide : il fuit toujours devant l'homme,
et ne l'attaque jamais, cependant il y aurait du danger
s'il le trouvait endormi.
19.
334
Ce premier jour nous n'emes point d'autres'accidents.
Au lever du soleil nous tions Arkiko, petite ville o
les Turcs entretiennent une faible garnison. A neuf heures,
nous nous arrtmes pour djener et laisser reposer nos
hommes et nos mulets; et tant repartis midi, nous
marchmes tout le reste du jour au milieu des mimosas
et autres arbres pineux ; et vers le coucher du soleil,
nous allmes prendre notre logement, pour y passer la
nuit, dans les premires gorges des montagnes. Nous
avons chemin tout le jour, dans le dsert de Samhar, en
faisant partir devant nous des gazelles, des voles de
perdrix, des troupes de pintades, et quelques autruches
qui se sauvaient toutes jambes. Je crois qu'elles ne
volent pas ; mais la vitesse de leurs longues jambes est
telle, qu'elles peuvent dfier les chevaux les plus l
gers.
Arrivsau gte, on dressa la tente, et pendant que nos
gens ramassaient du bois sec, allumaient du feu et pr
paraient leur souper, nous faisions nos petites dvotions.
M. Stella veillait ensuite aux affaires du mnage, et y
mettait lui-mme la main.
En Abyssinie, dans les voyages, on ne prend pas du
pain, mais de la farine, et l'on fait son pain chaque jour,
et mme ordinairement chaque repas. Voici la manire .
de le faire ; elle est simple et expditive. On dlaye dans
de l'eau un peu de farine de froment, orge ou millet, en
la laissant l'tat de boullie; on jette cette bouillie dans
une pole frire, et on en retire une galette qu'on l'on
mange toute chaude. Quelquefois on donne la ple un
peu plus de consistance, et on en enveloppe un caillou
que l'on met sur les charbons, en le tournant et retour
nant, jusqu' ce que l'enveloppe de pte soit parvenue
un certain degr de cuisson. Du reste, la farine est tou
jours de trs-mauvaise qualit ; car on n'a pour moulin
qu'une pierre sur laquelle on crase le grain avec une
autre pierre de forme cylindrique. Dans les barques ara
bes, il y a un homme qui n'a gure d'autre occupation
m
que de moudre ainsi le grain, et de faire le pain. Il en est
de mme dans chaque maison en Abyssinie.
Le deuxime jour, aprs avoir march pendant quel
ques heures dans un terrain trs-accident et couvert de
grands arbres pineux, pour nous en garantir, nous
entrmes dans une gorge profondment encaisse entre
les montagnes; nous la suivmes toute cette journe
et la suivante, et nous ne la quittmes que pour gravir le
Taranta. Cette gorge, dans la saison des pluies, devient
un torrent terrible, qui emporte quelquefois des caravanes
entires, comme cela tait arriv quelques mois avant mon
passage. Au mois de dcembre elle n'avait qu'un faible
ruisseau, dont les eaux se perdaient par intervalle dans
les sables, pour reparatre un peu plus bas. Cette valle
est troite, laissant quelquefois, peine, le passage entre
les rochers ; mais gnralement elle a une lisire plus ou
moins large, couverte de trs-beaux et trs-grands
arbres ; quelquefois les deux montagnes s'arrondissent de
chaque ct en demi-cercle, et laissent au milieu de
belles et agrables petites plaines rondes ou ovales ; mais
quelque forme que prenne le ravin, il est si tortueux et
si profondment encaiss, qu'on se croit toujours au fond
d'un puits, sans pouvoir distinguer, cent pas derrire
soi, le passage par o l'on est entr, ni cent pas devant
soi, celui par o l'on doit sortir. La nuit, surtout, l'effet
que cela produit est magnifique, et semble tenir de la
magie. Cette valle a quelque chose de ravissant et de
sublime; la beaut des sites, le grandiose des masses de
rochers qui paraissent comme suspendus en l'air, le
ple-mle de dbris dont le ravin est encombr, les pro
fondes et robustes racines que des arbres gigantesques
poussent entre les fentes de la roche nue, tout cela parle
l'me, la remue, l'lve et fait prouver de vives mo
tions. Oh! qu'au milieu de ces grandes uvres de Dieu,
l'homme e3t petit !
Ces lieux, d'ailleurs, sont pleins de vie, et prsentent
sans cesse l'il quelque agrment nouveau. Les arbres
336
servent de demeure ordinaire une foule d'oiseaux dont
quelques-uns sont trs-jolis, entre autres le colibri, de
diffrentes couleurs. De plus, les gazelles, les chevreuils,
les perdrix, les pintades, et quantit d'autres animaux
bordent le ruisseau ; en sorte que, sans descendre de
cheval ni s'loigner de la route, on. peut, avec une adresse
ordinaire, faire une bonne chasse. C'est encore ce ruis
seau que viennent se dsaltrer les lions des montagnes
voisines, et prendre leur repos dans les fourrs qui sont
au bas des deux montagnes. C'est ce qui rend dangereuses
les nuits passes dans ces vallons. Le jour, ce passage est
trop frquent pour qu'il y ait craindre ; chaque ins
tant on rencontre de petites caravanes poussant des. trou
peaux de bufs chargs, et allant Massouah ou en
revenant. Les hommes qui les conduisent font ordinai
rement grand bruit ; et leurs cris, mls au mugissement
des bufs, sont rpts avec fracas par les chos nom
breux des montagnes. On trouve aussi, de distance en
distance, dans ces lieux sauvages, quelques habitations
de la tribu des Choho. Cette partie de tribu est musul
mane ; elle habite sous des huttes de branches d'arbres,
environnes d'une haie d'pines, ou bien dans des grottes
qu'ils dfendent de la mme manire contre l'approche
des btes froces. Ils sont pasteurs, et ont de nombreux
troupeaux de chvres et de bufs, que l'on aperoit sur
les flancs des montagnes, et dont les pas font souvent
rouler des pierres jusque dans la valle.
Nous ne vmes, ni n'entendmes sur notre route, aucun
lion, ni aucun lopard; nous apermes seulement sur le
sable quelques-unes de leurs traces ; mais nous rencon
trmes plusieurs fois des troupes nombreuses de singes de
diffrentes espces et grandeurs, allant en ordre comme
de petites armes ranges en bataille, ou bien faisant
des gambades sur les arbres qu'ils dpouillaient de leurs
fruits sauvages. Je ne parle pas des marmottes ; on les
voit par milliers, et les trous des roches en sont rem
plis; je donnai la chasse quelques beaux oiseaux.
337
uniquement pour avoir le plaisir de les voir de prs.
Le troisime jour, aprs avoir suivi la mme valle,
nous allmes coucher l'endroit o nous devions la quit
ter, pour gravir le Taranta au pied duquel nous tions. Ce
soir, comme les autres, nous fmes des feux durant toute
la nuit, ayant soin que quelqu'un des ntres veillt, tant
pour entretenir les feux, que pour donner l'alarme, au be
soin; et lorsque je m'veillais, ce qui arrivait assez sou
vent, je tirais ordinairement un coup de pistolet pour
loigner les btes qui auraient pu se trouver dans le voi
sinage. Ce coup de pistolet, au milieu des montagnes, fai
sait presque l'effet d'un-coup de canon, et il tait plusieurs
fois rpt par les chos. Cela n'accommodait nullement les
singes, dont il parat que je troublais le sommeil, car,
chaque coup de pistolet, ils rpondaient par une salve
d'aboiements et de grognements qui durait plus d'un quart
d'heure.
Le lendemain nous avions un rude coup de collier
donner ; il s'agissait d'escalader le Taranta ; et quoique,
depuis notre dpart de Emkoullo, nous nous fussions; par
une pente douce, levs une hauteur de mille mtres,
nous en avions environ deux mille autres franchir pour
parvenir au sommet de la montagne. Nos mulets nous de
venaient inutiles ; la monte est si rapide que, dans plu
sieurs endroits, il faut s'aider de ses mains pour gravir les
rochers; le sentier est trs-troit et suspendu parfois au-
dessus d'effrayants prcipices. Les pierres sont glissantes
et manquent sousjes pieds, ce qui occasionne des chutes
frquentes. Cependant c'est par ce chemin que passent
tous les jours des bufs pesamment chargs, et je ne com
prends pas que ces lourdes btes puissent ainsi franchir
ces prcipices. La route est d'ailleurs assez agrable, tant
en grande partie ombrage par des arbres qui couvrent la
montagne, au moins dans ses rgions suprieures. A me
sure que nous nous levions dans la montagne, nous
prouvions un grand changement de temprature, et j'a
perus l'ombre quelques restes de la gele blanche du
338 -
matin. C'tait la premire que je voyais depuis mon d
part de France. Le Taranta est vers le quinzime degr de
latitude.
Notre ascension avait dur quatre heures; mes jambes
de cinquante-huit ans n'y tenaient plus, et j'avais d in
terrompre cette marche par plus d'une petite halte. Arriv
au sommet, j'eus peine la force de remonter sur mon
mulet, presque aussi harass que moi, pour me transpor
ter jusqu'au village, qui n'tait plus qu' une petite lieue
de l. 'Le frre Filippini vint notre rencontre au sommet
de la montagne; il nous apprit que Mgr de Jacobis n'tait
pas Hala, qu'il lui avait expdi un courrier pour lui
donner avis de mon arrive en Abyssinie, et qu'il esprait
que nous le verrions dans deux jours ; mais il n'arriva que
dans quatre jours ; et ce temps d'attente me parut bien
long ; c'tait plus qu'il n'en fallait pour voir en dtail la
nouvelle rsidence de Mgr de Nilopolis. Ce digne confrre
tait, comme je l'ai dit, possesseur d'une maison Hala.
Repentant d'avoir dbours quelques milliers de francs pour
la maison d'Emkoullo , il avait achet celle d'Hala pour 5
thalers ; mais depuis on y avait fait deux nouvelles pices
qui avaient bien d coter chacune 1 thaler ou S fr. 25
cent. Ces agrandissements taient ncessaires pour loger
l'vque, ses prtres et son sminaire, formant en tout un
personnel d'environ vingt personnes.
Cette maison est une des plus belles du village, btie en
terre, ce qui est presque du luxe; mais elle n'a ni chemi
ne, ni fentre ; elle ne reoit le jour que par la porte ; et
comme la porte a t presque obstrue par les agrandisse
ments qui y ont t ajouts, on n'y voit presque rien en
plein midi, et l'on y est touff par la fume de la cuisine,
qui n'a, comme la lumire, d'autre passage que ladite
porte. C'est un petit inconvnient que l'architecte n'a pas
prvu. Il faut dire pourtant que, je pense, ma consid
ration, le frre Filippini avait perc la terrasse au-dessus
de l'endroit o il avait mis mon grabat, et avait ainsi per
mis au jour d'envoyer quelques rayons sur moi. Cette r
339
sidence piscopale a de plus, en avant de l'entre, une
petite cour entoure d'une haie d'pines, pour empcher
les hynes de venir, de nuit, ventrer les animaux domes
tiques. La porte cochre de cette cour est ferme par un
grand fagot d'pines qu'on abaisse le soir et qu'on relve le
matin, en guise de trappe. Quelque petite que ft la mai
son, le bon frre Filippini trouva moyen d'y disposer une
chapelle assez dcente o nous dmes nos messes de Nol,
Mgr de Jacobis, M. Stella et moi ; l notre bon Jsus dut
se retrouver dans la pauvret de Bethlem ; et comme il
fallait qne tout portt le cachet de cette pauvret, rien de
plus misrable que le pain qui servit au saint sacrifice ;
savez-vous comment nous nous y prmes pour avoir des
hosties, dfaut de fers ? Nous fmes chauffer le fond de
deux petites botes de fer-blanc, et nous coulmes entre les
deux un peu de pte, et il sortit de petites galettes dont il
fallut se contenter.
A une petite distance du village est une valle frache,
ombrage et arrose par quelques petites sources. Chass
de la maison par la fume et par l'obscurit, c'est l que
j'allais pour rciter mon brviaire et faire mes autres petits
exercices. La premire fois j'y fus fort tranquille ; la se
conde fois j'y fus suivi par quelques enfants du, village :
d'abord ils n'osaient pas m'approcher, mais peu peu ils
s'apprivoisrent et se hasardrent me demander des m
dailles. J'en donnai quelques-uns, et ds ce moment ce
fut fait de ma tranquillit ; bientt accoururent, non pas
seulement les enfants, mais de grandes personnes, hommes
et femmes. Us ne se contentaient pas d'une mdaille, ils
revenaient sans cesse, et c'taient presque toujours les
mmes qui s'attachaient moi avec une tnacit dsesp
rante. Impossible d'avoir un moment tranquille pour rci
ter mon brviaire. J'avais beau les chasser, leur dire que
je n'en avais plus, ils revenaient sans cesse, me suivant
pas pas, me prcdant, marchant quand je marchais,
s'arrtant comme moi, se tenant parfois une certaine
distance. Je dus, mon grand regret, renoncer ma pro
340
menade; il ne me fut plus possible de sortir, moins de
prendre une personne de la maison pour me dlivrer de
la tyrannie des enfants et des autres curieux.
Mgr de Jacobis arriva enfln,[et ds lors ma promenade
fut moins ncessaire. J'avais trop de choses demander
ce respectable confrre, et lui dire, pour trouver longs
le peu de jours que je devais passer avec lui. Mgr de Jaco
bis est un homme fait tout exprs, ce semble, pour vivre
avec les Abyssins : bon, doux, charitable, mortifi, patient,
il ne se distingue en rien du dernier de ses prtres ; man-
geantcomme eux, couchant comme eux, s'habillant comme
eux. Comme le dernier d'entre eux, il va toujours nu-
pieds, n'ayant pour tout vtement qu'un caleon, une
grossire chemise pour s'envelopper, et une petite coiffe de
toile pour la tte. Son lit est une peau de vache, sa mon
ture un bton long de cinq six pieds ; et si, dans ses
courses, il se fait quelquefois suivre d'un mulet, c'est
moins pour lui que pour ceux de sa suite, qu'il croit en
avoir plus besoin que lui. Cette vie simple, frugale, et
trs-dure pour un europen qui a eu d'autres habitudes,
lui a acquis l'estime gnrale. Il est regard comme un
saint ; et si Dieu a sur l'Abyssinie des desseins de sa mi
sricorde, il me semble que Mgr de Jacobis est plus propre
que tout autre en devenir l'instrument.
Les ftes de Nol taient passes, j'avais eu de Mgr de
Jacobis tous les renseignements qu'il pouvait me donner
sur sa mission ; il ne me restait qu' revenir sur mes pas
pour continuer le plus tt possible mon voyage vers l'E
gypte. Je redescendis donc le Taranta, presque aussi pni
blement que je l'avais mont ; et quatre jours aprs nous
tions de retour Emkoullo, bien portants et sans acci
dent, sinon que, le dernier jour, tant partis peu aprs mi
nuit, nous perdmes notre sentier et errmes au hasard
dans le dsert, jusqu' ce que le jour part, au milieu des
hynes qui criaient droite et gauche. Dans la route nous
prmes une grosse pintade qui nous fit faire un bon repas.
La caravane envoya quelques balles des troupes de singes
341
qui se sauvaient en nous faisant de leur ct des grimaces
affreuses. Une nuit, m'veillant en sursaut, je tirai un
coup de pistolet charg seulement poudre, sur une hyne
qui s'tait approche trois ou quatre pas de moi.
En partant de Massouah j'avais choisir entre deux
chemins, retourner Aden, ou me diriger immdiatement
vers Suez. Le premier parti paraissait le plus sr et le
moins dispendieux, puisque j'avais dj pay mon passage
jusqu' Suez, sur le bateau anglais. Mais la difficult tait,
avec une barque arabe, de passer le dtroit de Bab-el-
Mandeb, dans la saison o nous tions, et je courais risque
de passer un grand quartier d'hiver dans quelque mouil
lage de la cte arabique. D'autre part, ce n'tait pas une
petite affaire que de parcourir quatre cents lieues de ctes
au milieu des cueils, sur des barques arabes. Ce fut l,
nanmoins, le parti que je pris, pensant que c'tait le meil
leur : plus d'une fois depuis, l'ide m'est ven^e que j'a
vais mal choisi; peut-tre en aurait-il t de mme, si
j'avais pris le parti contraire. D'un ct comme de l'autre,
j'avais compter avec la mer Rouge, qui n'est pas toujours
aimable.
Mon parti pris, je nolisai pour mon compte unebarqne
pour Djedda; je ne crus pas convenable de me jeter dans
une barque commune avec des soldats, des esclaves, des
gens de toute espce, et ainsi de courir le risque, pour
attendre des occasions, d'tre un ou deux mois de plus en
voyage. Je quittai la cte d'Abyssinie le 2 janvier 1852.
Pour achever ce tableau du genre de vie de Mgr de
Jacobis, joignons ici l'ordre de journe qui s'observait
dans sa petite communaut de prtres, de moines et de
sminaristes indignes. Ce passage est extrait d'une lettre
de M. Delmonte du 2 avril 1861.
Tous se runissaient dans la chapelle de bon matin. Il
y tait toujours le premier. Il proposait le sujet de la m
ditation, le dveloppait et finissait par quelques rflexions
pratiques touchant les occupations du jour. Le plus sou
vent il faisait un petit abrg- de la vie du saint dont on
- 342 -
tlbrait la fte le jour mme, et puis il en faisait les ap
plications qu'il jugeait opportunes.
Aprs la mditation, onrcitait YAnglus suivi des Lita
nies du saint Nom de Jsus. Ensuite il clbrait la sainte
Messe ; aprs quoi chacun se retirait la cuisine, o l'on
avait prpar une grande tasse de caf pur et sans sucre.
Chacun buvait sa vtasse lentement, prenant de temps en
temps une prise de tabac et changeant quelques paroles
par manire de conversation. De la cuisine on passait la
salle commune. L chacun prenait son brviaire ou psau
tier, et ils rcitaient ensemble et haute voix un certain
nombre de psaumes en langue ghez. En quinze jours on
rcitait le psautier tout entier.
Aprs cela, Mgr de Jacobis se prsentait et fixait cha
cun les occupations de la journe. Quand il dsirait obtenir
d'eux quelque claircissement sur un doute ou une diffi
cult, c'tait le moment o il en proposait la solution la
rflexion de tous; et il aimait entendre l'avis de chacun,
mais en particulier. Il dsirait que tous fissent la sainte
- Communion le vendredi et le dimanche. Il voulait aussi
ue l'on ft le chemin de la Croix tous les vendredis. Chaque
imanche, aprs la sainte Messe, qu'il clbrait lui-mme
ou qui tait chante par quelque moine prtre, il faisait
l'explication de l'Evangile ou une espce de catchisme.
Il dsirait que, pendanttout le mois de'mai, mois con
sacr par la dvotion des fidles la Trs-Sainte Vierge,
deux moines au moins fissent chaque jour la sainte Com
munion. Vers le coucher du soleil, on faisait en commun
une lecture spirituelle sur quelque Vertu particulire de la
Trs-Sainte Vierge. Puis il en faisait le rsum en y ajou
tant quelque fait intressant tir de l'Ecriture-Sainteou des
vies de saints.
On faisait deux neuvaines par an, l'une avant l'As
somption, et l'autre avant la saint Vincent-de-Paul.
Chaque jour, aprs le coucher du soleil, on rcitait en
commun le Rosaire, et l'vque ne manquait jamais de
prsider. Aprs le Itosaire, on chantait dans la langue du
343
pays le Salve JRegina et YAve Maria. Il aimait beaucoup
unir sa voix celle des moines; mais je me suis aperu
que le chant n'tait pas une science dans laquelle il ft
fort habile ; souvent, et je puis dire toujours, il dtonnait
depuis le commencement jusqu' la fin de manire
rompre le tympan de l'oreille, et il ne paraissait pas s'en
apercevoir. Il reconnaissait cependant son faible et s'effor
ait de se mettre l'unisson des autres, mais la discor
dance n'en devenait que plus dsagrable, parce qu'il pre
nait une voix qui ne lui tait pas naturelle. J'tais trs-
altentif lui faire toutes les observations ce sujet ; il les
coutait volontiers et nous en riions ensemble.
Toutesles rgles pratiques taient fidlement observes.
Devant Mgr de Jacobis tous les moines taient gaux, et
il les aimait tous galement. Il prfrait supporter person
nellement quelque pnitence ou mortification, que d'en
tendre parler mal 'd'eux. Les moines, disait-il, sont mes
yeux et ma bouche, mes oreilles, mes mains et mes pieds.
Ils font ce que je ne puis faire et le font mieux que ce que
je fais moi-mme.
Il tait vtu trs-simplement. Il n'avait ordinairement
qu'un seul habit, et pour le laver il tait souvent oblig
d'emprunter celui du premier moine qui entrait chez lui.
Et encore cet unique habit ne lui appartenait pas, car il le
donnait celui qui venait lui demander l'hospitalit.
Il dormait terre, se contentant d'un simple tapis trs-
ordinaire, qui pouvait tout au plus le garantir de l'humi
dit qu'il redoutait beaucoup. Il aimait aussi beaucoup
dormir dans la chapelle au pied du saint autel. Il faisait
cela les veilles de ftes de Notre-Seigneur, de Notre-Dame,
des Anges gardiens et de ses saints patrons. Ces jours-l,
il clbrait la messe avec une dvotion toute particulire.
Elle durait une heure et demie ou deux heures. Oh!
comme il tait avide de s'entretenir avec Notre-Seigneur.
La partie la plus longue de sa messe tait depuis la con
scration jusqu' la fin. Son visage alors changeait de cou
leur, et souvent tout son corps tremblait.
CHAPITRE XXIII.
Nouvelles chrtients.
CHAPITRE XXIV.
CHAPITRE XXV.
.> ,
Une fte Abyssinienne.
i
Comme on l'a vu dans le chapitre prcdent les vne
ments politiques ne troublaient pas beaucoup Mgr de Ja-
cobis, et la perscution avait pour lui plus d'appts que
d'horreurs ; aussi s'occupait-il tranquillement exciter la
369
dvotion de ses chers abyssins par de pieuses ftes et
recevoir dans le sein de l'glise les nouvelles tribus qui
accouraient lui. Continuons la lettre commence dans
le chapitre prcdent.
Maintenant, veuillez me permettre, trs-honor Con
frre, de vous raconter ici et en peu de mots la cons-
ciation d'une glise que nous venons de btir Evo, dans
le Zana-Dagli, en l'honneur de la bienheureuse Assomp
tion de la sainte Vierge.
L'hrsie qui, depuis tant de sicles, domine dans cet
immense pays et principalement dans la Haute-Abyssinie,
ayant dgnr en une espce de thisme superstitieux,
on ne savait plus Evo ce que c'tait qu'une glise : c'est
nous qui dotmes le village de cette nouveaut; j'en fis
moi-mme la conscration dans les circonstances que
voici: un beau jour, aprs les travaux termins, je vois
sur le soir toute l'aristocratie rustique d'Evo, exclusivement
forme par les femmes des ptres, se retirer, oublieuse
de sa nouvelle glise, dans un bois qui est consacr de
temps immmorial la Mre de Dieu, et l faire des prires
extraordinaires afin d'obtenir de la pluie. Que faites-vous
l ? demandai-je, pourquoi venir ici? Parce que l'glise
n'est pas consacre, et qu'on n'a pas tu les taureaux pour
la fte. La rponse tait sans rplique. Eh bien ! vite,
quel jour choisissez-vous ? Felseta, Felseta, l'Assomp
tion, l'Assomption ! Je profitai du temps qu'il me restait
pour envoyer qurir Massouah une vieille cloche qu'une
extinction de voix, occasionne par une large fente, rete
nait silencieuse au grenier : pauvre invalide, qui comptait,
hlas ! plus d'une autre infirmit ! Ainsi il n'y avait point
de crochet l'intrieur o suspendre le battant, de sorte
que, pour avoir un son tel quel, il fallait qu'un bras vigou
reux, arm d'un norme bton, frappt coups redou
bls sur les flancs de la pauvre estropie. Quoi qu'il en
soit, la cloche nous arrriva bientt porte sur les paules
de quatre robustes gaillards, et fit une entre triomphale
dans le village, au milieu des applaudissements de tous
21.
- 370
les habitants, dont l'admiration tenait de l'extase. Inoue
fut, du reste, la magnificence de notre ddicace : sur le
pav de l'glise s'.tendait une superbe natte en feuilles de
palmier, recouverte de deux riches tapis, l'un de Perse,
l'autre de Turquie ; vers le milieu de la nef, derrire et
au-dessus d'un beau candlabre offert la Mission par nos
bonnes Surs de Paris, se dtachait de chaque ct de la
muraille, un riche tableau reprsentant Marie, don pieux de
M. Torti, de Rome, et de la princesse Pignatelli, deNaples;
volontiers nos bons paroissiens se seraient crus en Paradis.
En Abyssinie, la conscration des nouvelles glises con
siste uniquement y placer un tabot ou autel portatif.
Cet autel, tantt en bois, tantt en pierre, large d'un pied
environ, forme un carr ou un parralllogramme ; le plus
souvent c'est une pierre d'agate trs-polie qu'on appelle
Ebn-Bered; quand l'agate mauque, on se sert du wonza,
bois trs-dur et aussi incorruptible que le cdre. Le wonza
est un arbre dont la fleur exhale un tel parfum qu'au mois
d'octobre, poque de sa floraison, les abeilles viennent d
poser sur ses branches la cire et le miel qu'elles en ont
tirs, et l'enveloppent de bataillons si nombreux et si
serrs qu'on croirait voir un nuage bourdonnant. Or,
ce tabot se rattache une crmonie bien singulire, dont
je ne connais ni l'origine ni la signification ; elle consiste
cacher le nouveau tabot, autel, et en faire la dcou
verte. Est-ce une allusion au feu sacr cach par Jrmie
et retrouv miraculeusement pendant la conscration du
second temple ; ou bien au futur recouvrement de l'arche
de David, cache, selon une ridicule tradition des prtres
du pays, dans l'antique capitale d'Axum, par le fils de
Sadoc et par Mnlik ? Quoi qu'il en soit, la veille de la
solennit, le prtre Walda-Sillasi alla s'enfoncer dans
l'endroit le plus obscur de la fort avec le tabot ; et le
lendemain, ds l'aurore, le bruit des divers instruments,
auquel la fameuse cloche de Massouah mlait ses rauques
accords, convoquait pour la crmonie la foule curieuse et
dvote des cinq villages catholiques Zana- Dagli;
371
peine l'air a retenti de cette musique sauvage, qu'une
troupe de jeunes gens, arms de lances et de boucliers,
se prcipite hors des maisons avec la rapidit de l'clair et
vole par monts et par vaux la recherche du prtre et du
tabot. D'aprs l'usage, celui qui l'a trouv donne au prtre
ce qu'il a de meilleur, et en rcompense il devient lui-
mme le hros de la fte. Fatili, le plus pauvre de l%
bande des chercheurs, a le premier aperu le prtre ;
il court lui, son habit la main, se jette ses pieds
et crie hroquement : Prends I prends ! Je te donnerai
encore mon buf, mon seul buf. En mme temps
il entonne, d'une voix de stentor, un chant guerrier et
patriotique que rptent tous les chos d'alentour ; ses
compagnons errants reprennent sur le mme ton et vien-
nent sa rencontre. Quand ils l'ont rejoint, ils forment
tous ensemble un joyeux cercle autour du prtre, chan
tant, dansant, et battant la mesure du pied et de la lance;
ensuite ils enveloppent le tabot dans une toffe prcieuse
et l'emportent majestueusement sur leur tte.
Cette grave et solennelle procession rencontre bientt
un chur dansant de jeunes bergres, dont les voix mlo-
dieuses se confondent avec le bruit mesur de je ne sais
quel instrument ; vient ensuite la confrrie des Defteras,
docteurs, qui l'ont retentir les airs d'hymnes et de psau
mes en Esle, en Ghez, en Arara, sur tous les tons, sur
toutes les clefs ; battant des mains et frappant le sol ver
doyant de leurs longs btons ferrs ; puis apparat la
phalange sacre des acolytes et des diacres, qui suivent
les prtres, revtus de leurs ornements sacerdotaux, une
petite croix, et l'encensoir fumant la main. Tous ces
chants qu'animait encore le son nergique et entrecoup
de la trompette, rappelaient le transport de l'Arohe
sainte, sur la montagne de Sion, si ce n'est plutt, pour
calmer un peu notre enthousiasme, une bruyante rjouis
sance de sauvages. La procession va toujours grossissant,
la musique redouble, c'est l'heure des tournois ; la jeu
nesse en armes se livre d'innocents combats figurs ;
un guerrier s'avance arm d'une lance et d'un bouclier
contre un ennemi qui le menace firement. Tous deux
cherchent se surprendre : l'agresseur porte son coup le
premier, mais l'autre recule de quelques pas, tourne
autour de lui en courant, saisit tantt un bton et tantt
une pierre, comme s'il voulait se dfendre contre une
bte froce, et enfin il dcharge un terrible coup sur son
ennemi qui tombe ses pieds, s'agite, se dbat, et se
roule sur le sol pour chapper au fer sanglant que l'on
brandit sur lui, et qui va l'immoler.
Ces jeux ne ressemblent, il est vrai, ni aux luttes des
gladiateurs de l'ancienne Rome, ni aux combats de tau
reaux espagnols; mais nanmoins, ils ont aussi leur
intrt dramatique, et surtout ils portent une profonde
mlancolie dans l'me, transporte malgr elle sur un
champ de bataille, o il lui semble voir le guerrier bless
mort, seul, sans dfense, et luttant avec dsespoir con
tre la serre cruelle du vantour qui le fatigue, l'puis, et
bientt l'achve d'un coup de son aile puissante ; ou bien,
menac par le chacal accouru l'odeur du sang, et n'at
tendant que son dernier soupir pour se jeter sur lui ; ou
encore aux prises avec la hyne qui plonge dans ses
entrailles une patte meurtrire, et l'en retire toute fu
mante ; ou enfin, spectacle sans nom ! faisant un dernier
effort pour se soustraire la rage d'un ennemi, plus cruel
que les btes froces, et qui croit faire preuve de vail
lance en s'acharnant sur un cadavre.
J'tais la porte de l'glise avec tout mon clerg,
attendant, non sans une certaine impatience, la fin de ces
tristes combats, lorsque se pressrent en quelque sorte
dans mon imagination, les scnes que je viens de dcrire.
Cependant les jeux termins, la procession entire fit
trois fois le tour de l'glise, pour la crmonie de la
bndiction, aprs quoi je clbrai solennellement la
sainte messe. Tous y assistrent, et mme presque tous
reurent la sainte Communion de la main de leur vque,
et enfin une dernire bndiction termina cette pieuse
373
fte dont le souvenir vivra longtemps dans les curs.
Le catholicisme fit certainement un grand pas ce jour-
l, l'amour de l'unit orthodoxe s'accrut sensiblement
son tour, en vertu de l'enthousiasme excit par les ma
gnificences de notre culte dans ces bons Abyssins, dont
l'admiration reconnaissante portait Rome et l'glise
catholique jusqu'aux nues. C'tait de l'inspiration, ou
plutt une sorte de fureur, de dlire potique; les en
tendre, les voir, vous eussiez t tent de les croire
sous l'influence du souffle divin qui jadis excita les pro
phtes ; mais le meilleur et le plus concluant de tout cela,
fut qu'un bon nombre se convertit sincrement la vraie
foi.
Cependant l'esprit de malice frmissant de rage tramait
complot sur complot : huit brigands mahomtans p
ntrent de nuit dans l'glise et jettent tout dehors, sans
mme respecter les vases sacrs. L'enfer a triomph ; mais
il ne lui en reviendra que honte et confusion : trois sol
dats chrtiens, leur tour, se glissent adroitement dans le
village et nous remettent en possession de notre sacr trsor.
Autre histoire. Tandis qu'un grand nombre de moines
et de prtres, appartenant quatre provinces, tiennent
un conseil solennel, une sorte de petit concile, o on dli
bre trs-srieusement sur la rsolution de se runir
l'glise catholique ; en voici venir tout coup quelques
autres inattendus qui, pousss par le dmon du schisme
et de l'hrsie, s'vertuent ruiner la bonne disposition
de l'assemble, en accusant les catholiques de s'emparer
des glises et des proprits religieuses ; sur ce, ajourne
ment de la dlibration. Le lendemain de mme, pour
aboutir quoi ? Dieu seul le sait. Ces rfractaires schis-
matiques ont profit de l'anarchie qui, plus que jamais,
rgne en Abyssinie depuis les dernires guerres, pour
armer contre nous toute une croisade de laques, de Def-
teras, de moines et de prtres. J'eus vent qu'ils s'appr
taient marcher contre nous pour mettre, disaient-ils,
tout feu et sang. Je runis au plus tt en conseil les
374
principaux catholiques. Que faut-il faire ? demandai-je
l'assemble. Tenir bon, me fut-il rpondu tout d'une
voix, pas un ici qui ne soit prt rpandre jusqu' la -. ,.
dernire goutte de son sang pour Jsus-Christ. Du
conseil priv, l'affaire fut porte devant le grand conseil
du peuple : mme foi, mme hrosme. Faut-il nous
battre ? Non, non, crie la foule des futurs martyrs ; si
la divine justice demande des victimes, nous sommes
prts, qu'on frappe ; le sang hrtique est trop impur
pour plaire Dieu. 'C'est cela, c'est cela, reprennent
en chur moines, prtres, tudiants; nous sommes venus
ici non pas pour tuer, mais pour mourir. Pour moi, sans
me proccuper L'excs de ces hcatombes sublimes, je
craignais singulirement une chose, une seule, savoir
que nos ennemis ne nous demandassent une confrence
publique, pour discuter les points de doctrine qui divisent
les deux communions, attendu que la sacre Congrga
tion de propagand fide a dfendu tout Missionnaire,
quel qu'il soit, d'accepter ces sortes de dfis, sans une
autorisation spciale elle rserve. Assez grand d'ail
leurs et encore t notre embarras sans cette dfense.
A quelles sources ouvertes pour tous, pouvoir puiser ? les
livres abyssins fourmillent d'erreurs. Qui prendre pour
juge ? ce peuple est un prodige d'ignorance. Mais, grce
la souveraine bont qui protge toujours visiblement ceux
qui combattent pour sa cause, les hrtiques redoutent
tellement ces sortes de controverses, quel'abouna Salama
a os avancer publiquement qu'il ne saurait se mesurer
avec nous sur le terrain de la discussion, et que toutes ses
armes lui sont l'excommunication et la force. La croi
sade belliqueuse si fort redoute par moi aboutit enfin.
Ce fut la montagne en travail qui enfante une souris.
Nos schismatiques tant entrs Hala, la lutte s'ouvrit
aussitt, mais pacifique ; un de nos lves, que j'avais
charg de parler en mon nom, montra tant de sagesse, et
sut si bien rpondre ses adversaires, que la confusion
se mit dans le camp ennemi. J'en profitai vite pour lire
a75 -
d'une voix ferme et triomphante le passage qui suit,
extrait du Feth-Neghest, code la fois religieux et civil
de l'Abyssinie, o l'on trouve en toutes lettres cette si
tonnante profession de foi, relativement la suprmatie
du Pape : De mme que le pre a autorit et juridiction
sur son fils, le patriarche sur tous ses sujets, et le pa
i( triarche suprieur sur tous ses suflagants : de mme
aussi, le patriarche de Rome, en sa qualit de succes-
seur de saint Pierre, prince des aptres, a autorit et
juridiction souveraine sur tous les patriarches de
l'glise universelle, sur toutes les socits humaines,
tenant parmi les chrtiens, dans l'glise entire, la
place mme de Jsus-Christ. Ces quelques lignes pro
duisirent un effet magique ; la bouche parut close nos
adversaires, mais si bien close, que pas un mot, pas un
son articul ne put s'en chapper. Bref, la dconfiture
avait je ne sais quoi de si divertissant, que l'assemble
entire partit d'un clat de rire et se rangea sous nos dra
peaux. L'ennemi ainsi pouss bout, trouve dans son
dsespoir un dernier reste d'nergie : le voici qui du
mme coup, lance contre nous les terribles foudres de
l'excommunication, et en appelle en outre une solennelle
Assemble, compose des principaux personnages de qua
tre provinces, qui tenait ses sances dans la plaine de
Gherzabo. Les catholiques, est-il mand de sa part,
les catholiques foulent aux pieds Dioscore, maudissent
son fils Salama, etc., etc. Si vous ne venez pas nous
aider exterminer tous ces hrtiques de Hala, vous
u tes aussi excommunis vous-mmes. Ce foudroyant
message expdi, les thologiens vaincus se lvent et s'ap
prtent partir. Mais, dernire honte, tout--fait unique,
trois des principaux membres de l'assemble, Emnatou,
Azarias et Suquar ne s'avisent-ils pas de les rappeler pour
leur dire ; Imposteurs que vous tes, il ne suffit pas de
crier tort et travers comme vous faites ; allez con-
sulter les livres, vous verrez bien que vous tes vain-
cus, et les catholiques victorieux ; .allons, excutez
376
vous ; vite votre rtractation si vous ne voulez vous
entendre excommunier ici mme, l'instant. Ils fu
rent forcs d'en venirjusqu' cet excs d'humiliation.
Aprs une victoire aussi clatante, la troisime dj
remporte sur les hrtiques, nous avions lieu de croire
que le Seigneur avait entirement dispers et dtruit nos
ennemis; mais il parat que nous nous trompions. Ils
cherchent se rallier et recommencer les hostilits.
Pour nous, nous continuons de placer l'ordinaire toute
notre confiance en Dieu, en Dieu seul ; comptant aussi
beaucoup sur les ferventes prires des deux familles de
notre bienheureux Pre saint Vincent de Paul.
CHAPITRE XXVI.
CHAPITRE XXVII
CHAPITRE XXIX.
Un martyr.
CHAPITRE XXIX.
CHAPITRE XXX.
CHAPITRE XXXI
FIN
TABLE
Pages
CHAPITRE I"
Le Christianisme en Abyssinie 1
CHAPITEE II
M. de Jacobis, son enfance, son entre dans la Congrgation de
la Mission 23
CHAPITRE III
Ses travaux et missions en Italie 27
CHAPITRE IV
Premiers travaux en Abyssinie W
CHAPITRE V
Voyage en Egypte &9
CHAPITRE VI
Voyage Rome > 64
CHAPITRE VII
Voyage Jrusalem 74
CHAPITRE VIII
Retour en Abyssinie 92
CHAPITRE IX
Esprance de la Mission 123
CHAPITRE X
Le* Gallas uo
- 450
Pages
CHAPITRE XI
Nouvelles conversions .* 146
CHAPITRE XII
tablissement d'un collge abyssin 160
CHAPITRE XIII
Les tribus Bogos 171
CHAPITRE XIV
Les monastres d'Abyssinie 191
CHAPITRE XV
La tribu des Irob-Banaita 202
CHAPITRE XVI
tat de la Mission en 1846 236
CHAPITRE XVII
rection d'un vicariat apostolique pour les Gallas 24!
CHAPITRE XVIII
Perscution. - M. de Jacobis est sacr vque 253
CHAPITRE XIX
Humilit de Mgr de Jacobis 262
CHAPITRE XX
Gondar 295
CHAPITRE XXI
Confesseurs de la foi 311
CHAPITRE XXII
Une visite Mgr de Jacobis 37
CHAPITRE XXIII
Nouvelles chrtients. **'
CHAPITRE XXIV
Cassa s'empare du pouvoir 353
CHAPITRE XXV
Une fte abyssinienne 368
451
Pagse
CHAPITRE XXVI
Prison de Mgr de Jacobis 376
CHAPITRE XXVII
Dlivrance de Mgr de Jaeobis. L'empereur Theodoros 398
CHAPITRE XXVIII
Un martyr 43
CHAPITRE XXIX
Une glise Massouah W9
CHAPITRE XXX
Une ingrence dans la politique 122
CHAPITRE XXXI
Mort de Mgr de Jacobis 437