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Les cahiers du

CARRIERES DE NGOUDIANE DIACK


La malédiction du basalte
EDITORIAL
Coordination :
Mandiaye THIOBANE
Comité de rédaction Pour une exploitation
Mame Oury THIOUBOU,
Ramatoulaye DIALLO, Bakary
COULIBALY, Ahmed DIAME,
durable des carrières
Mandiaye THIOBANE, Pape La gestion des carrières pose souvent d’énormes prob-
Samba DIOUF, Birima FALL, lèmes environnementaux et sociaux. Plusieurs événements
Mouhamed GUEYE. marquants attestent ce fait.
PHOTOS
Baboucar Mbaye Baldé et Il y’a de cela quelques années, la décision a été prise
Armelle Nyobé au sommet de l’Etat d’arrêter l’exploitation des carrières
EDITION Pape Samba Diouf, industrielles de Thiès ; ce qui d’ailleurs avait suscité un tollé
Abdoulaye FAYE Coordonnateur régional monstre surtout chez les exploitants. Il y’a aussi quelques
du WWF WAMER et années, un atelier s’est tenu à Thiès sur la sécurité dans les
BUREAU DU GREP Membre du GREP mines et carrières : réglementations sur l’utilisation des
Président : Abdoulaye
BARRY substances explosives. Plus récemment le conseil rural de
(RTS/TV) Ngoundiane s’est insurgé contre le non paiement de taxes
1er Vice-président chargé à la communauté rurale par les exploitants de carrières dans la localité. Une récente
du partenariat, du lobbying
mission de partenaires au développement a été outrée par le drame environnemental
et de la coopération :
et sanitaire que cause l’exploitation des carrières aux populations environnantes. Pour
Babacar Sène bien appréhender la situation des carrières notamment dans la région de Thiès et
(AGROPASTEUR) mener le plaidoyer pour leur gestion naturelle une trentaine de journalistes, d’experts de
 2ème Vice-président chargé du
Fundraising et du plaidoyer : l’environnement s’est rendue dans les carrières de Ngoundiane, Diack et Taiba dans la
Elizabeth Tylaure (WADR) région de Thiès.
 3ème Vice Président chargé de la La réalité sur le terrain d’un point de vue environnemental comme en témoignent les re-
formation et du renforcement de
portages, montre, si besoin en était, que derrière la richesse et les milliards que brassent
capacité :
les exploitants, se jouent un véritable drame social et écologique. Il n’est pas dans nos
Mandiaye Thiobane
prétentions ou souhaits de faire arrêter l’exploitation des carrières, loin de là. Dans un
(Nouvel Horizon)
 Secrétaire général, chargé de pays en construction, comme le nôtre, nous avons besoin de latérite, de calcaires, de ba-
l’organisation : saltes, de sables et d’autres matériaux. Mais nous avons besoin d’un mode d’exploitation
Babacar Mbaye Baldé qui respecte l’environnement et le social pour rester en phase avec le modèle de dével-
(ONG Espoir pour la Santé) oppement durable prôné par les décideurs. Ce qui se joue dans les carrières n’est rien
 Secrétaire adjoint chargé de la d’autre qu’un problème d’application des textes sur le terrain. En effet, le code minier
communication et porte parole : qui réglemente l’exploitation et la gestion des carrières fait obligation aux exploitants
Mohamed Guèye de « tenir compte des dispositions législatives et réglementaires et particulières régis-
(LE QUOTIDIEN) sant la préservation de l’environnement, les obligations relatives à l’urbanisme, les
 Trésorier : Moussa Thiam établissements classés dangereux, insalubres ou incommodes et la protection du
(Présidence de la République) patrimoine forestier ». Dans le code de l’environnement, les carrières sont citées parmi
 Trésorier adjoint : les activités qui peuvent présenter soit des dangers pour la santé, la sécurité, la salubrité
Bakary Coulibaly (PANAPRESS) publique, l’agriculture, la nature et l’environnement. Le code a tout prévu pour que de
telles activités ne nuisent pas à l’environnement. Dans le cas des carrières, le ministère
La réalisation de ce premier de l’Environnement doit donner son quitus avant la mise en service des carrières. Ainsi,
numéro du magazine les la gestion des carrières étant prise en charge par plusieurs textes, dont le code minier et
“Cahiers du GREP” qui est celui de l’environnement, montre encore une fois la préoccupation du législateur d’une
un spécial dont l’objectif prise en charge de la dimension environnementale dans les projets de développement
est de faire un plaidoyer conformément au principe 4 de l’agenda 21  qui stipule : « Pour parvenir à un dévelop-
pour le Parc National du pement durable, la protection de l’environnement doit faire partie intégrante du proces-
Niokolo Koba a été rendu sus de développement et ne peut être considéré isolément ».
possible grâce à l’appui de
l’Ambassade des Pays-Bas Au delà de l’environnement, la réalité sur le terrain des carrières nous renseigne sur le
à Dakar, de la Direction des drame social avec les nombreuses maladies dont souffrent les populations, l’insécurité,
Parcs Nationaux, du min- l’absence de politique sociale à l’endroit des travailleurs, la disparition du patrimoine
istère de l’Environnement culturel dans les localités au point qu’à Ngoundiane une association mène le combat
et du WWF Wamer. pour le respect des textes.
Si les textes sont alors clairs et nets pourquoi ne sont ils pas appliqués sur le terrain
pour qu’enfin les carrières soient gérées de manière adéquate, c’est-à-dire favorisant
le développement économique tout en respectant l’environnement et le social. C’est
l’interrogation majeure dont tous les acteurs (gouvernement, exploitants, élus locaux,
populations locales) doivent trouver la réponse. Mais toute solution durable passera par
la concertation et le dialogue. C’est notre conviction..

Les «Cahiers du GREP» N° 02 / Page 2
CARRIERES DE NGOUDIANE DIACK

La malédiction

Par Moustapha SENE


ENQUETE
du basalte

Ils sont plus de 8000 âmes à vivre à Diack et dans la demi douzaine des villages et autres hameaux
dans le département de Thiénaba (région de Thiès), Nioniol, Mbayène, Kamba, Diack, les deux
Mbodokhanes, où sont installées plusieurs entreprises privées qui exploitent le basalte et les au-
tres roches marneuses et calcaires fournissant la matière de base aux cimenteries et le secteur du
BTP du pays et d’ailleurs. Pour les habitants des villages de ce terroir aux noms si chargés de leur
symbolisme d’abondance et de quiétude que polarise Ngoundiane, le problème de l’implantation
des carrières, c’est une kyrielle de dégâts dont les populations n’arrêtent pas de se plaindre. Des
dégâts qui sont la source de doléances nombreuses dont certaines ont été manifestées, ces derni-
ers temps de façon récurrente. Souvent bruyamment. Et parfois un peu violemment. Le point nodal
de ces revendications restant ancré sur la question cruciale de la perte du patrimoine foncier et des
conséquences écologiques multiples qu’entraînent ces exploitations de carrières.
L’objet de cette complainte collective, c’est tout d’abord les ravages physiques sur l’écosystème
adjacent qui a pu être affecté par la contamination de l’eau par les métaux, l’extinction de la
végétation et l’érosion des sols. Mais aussi de tous ces impacts connus ou inconnus qui peuvent
être à l’origine de maladies nombreuses comme, les dermatoses, les maladies diarrhéiques et au-
tres maladies hydriques comme la bilharziose sous ses diverses formes favorisées par la présence
de nombreuses poches d’eau stagnantes souvent contaminées au départ par la pollution chimique
en provenance des carrières. Sans compter les infections respiratoires aigues dont la tuberculose
qui, de l’avis de nombreux observateurs avertis, connaît une recrudescence, pour beaucoup, liée
aux émanations de poussières vomies par les machines à concasser la pierre.
A ces impacts négatifs visibles et vécus dans leur chair par les populations locales, il faut ajouter
d’autres. Moins tangibles ceux-là…Lesquels sont d’autant plus pernicieux qu’il s’agit de dom-
mages insidieux qui sapent les valeurs socles des cultures du terroir. Et entament dangereusement
le tissu social qui doit désormais compter avec tous les travers, qu’au plan des mœurs, induisent,
de façon brutale, les bouleversements démographiques et culturels consécutifs aux implantations
industrielles et minières. Les mêmes maux qui, dans d’autres contextes sociaux plus permissifs de
point de vue des interdits moraux, prennent la forme de phénomènes comme l’accroissement de
l’alcoolisme, de la violence et de la prostitution. En somme, une intrication complexe de facteurs
dont nous tentons de dénouer l’enchevêtrement en donnant la parole aux acteurs sur le terrain et
rendant compte de ce que, de visu, notre reporter sur les lieux a pu glaner. Enquête…

Les «Cahiers du GREP» N° 02 / Page 3


IMPACTS SUR LA BIODIVERSITE
Requiem pour Kadd, l’arbre nourricier
ENQUETE

«  C’est à cause de la pluie qui est tombée cette nuit et ces


derniers jours que la poussière s’est tassée. En période de sa-
ison sèche et les jours où il ne pleut pas, c’est des nuages de
poussière blanchâtre qui envahissent l’espace. Ce qui nous
empêchent même de voir au-delà de cinq mètres même
sous la lumière écarlate du jour » tenait à tout prix nous pré-
ciser Modou Diouf.
Notre interlocuteur qui prolonge son propos d’un geste am-
ple des bras finit par pointer du doigt un de ces monticules
de roche blanchâtre concassée qui servaient de clôture à
ces immensités de terres retournées sur lesquelles étaient
plantées des tableaux métalliques portant enseignes dont
le message est sèchement succinct : « Explosifs : danger » et
que commençaient à coloniser quelques pousses de « paf-
tan  » du nom local donné à l’espèce végétale dénommée
Calotropis procera,. Une plante qui, de l’avis expert du biolo-
giste et ancien spécialiste en foresterie rurale qui travaille
à l’Ambassade des Pays-Bas à Dakar « est un indicateur de
sol pauvre ou appauvri ». Tout le contraire du « kadd ». De
son nom scientifique de Faidherbia albida ou encore Aca-
cia albida les spécimens de cette essence, reconnaissables à
leur feuillage dégarni et à leur cime totalement émondée en
cette période d’hivernage où la mode dans la nature est à la
verte luxuriance continuent encore à pousser sur le site. Mais
dans les strictes limites des périmètres non encore happées
par les grosses et dévoreuses canines d’acier des engins des
exploitations de basalte de gré et d’attapulgite. Minerais
usités dans l’industrie du BTP dont la présence dans cette
région remonterait à l’ère tertiaire de l’avis de MM. P. Elouard
et P. Michel. Ces auteurs du chapitre de l’Atlas du Sénégal qui
traitent de la « Géologie et gîtes des minerais » pour qui la Kadd, l’arbre nourricier qui disparaît préfigurerait-il la fin
présence dans cette zone de Ngoundiane-Diack de de cette « contiguïté active avec l’univers qui entoure » qui
fonde la conviction longtemps nourrie par le Révérend Père
« pointements de basalte du Horst de Ndiass et de la ré- Henry Gravran, ecclésiaste et anthropologue, auteur de deux
gion de Thiès qui sont contemporains » seraient le résultat  célébrissimes ouvrages « Cosaan » et « Pangol » qui, dans ses
«  d’activités volcaniques qui se sont produites au Sénégal traités sur l’imaginaire et le sentiment du sacré dans cette
occidental surtout à l’extrémité de la Presqu’île du Cap vert » culture millénaire affirmait que : « L’homme Sérère rencon-
N’existerait-il, plus désormais dans cette zone de Ngoundi- tre DIEU dans son univers humain, à travers les objets pris
ane-Diack qu’à l’état de relique, «  Kadd  »  ? Tout porte à le dans son environnement et des paroles de vie tirées de son
croire  ! Au regard du sort que l’ouverture des carrières a langage » ?
réservé à la biodiversité, on a comme l’impression que Kadd, En plus d’être le signe irréversible d’une mort program-
l’arbre tutélaire, a été tout bonnement sacrifié à l’autel de la mée de Kadd, la meurtrissure opérée sur sa biodiversité
vomissure du volcan qui, dans cette zone de Diack a pris la hier très riche et sur cet espace, du fait des déboisements
forme de ces immenses blocs de pierre noire et de cette fria- intempestifs opérés sur cette nature pour déblayer les aires
ble roche blanchâtre dont sont si gourmandes les cimenter- d’exploitation des carrières est la marque indélébile (on
ies et autres industries de BTP qui font la civilisation du bé- oserait même dire débile) d’un développement qui a fini
ton. Et oublié alors tout ce qui depuis la nuit des temps, Kadd par tuer, comme le disait Amad Faye, le culte de l’arbre. Et
a apporté aux hommes et à l’équilibre des écosystèmes en irrémédiablement réduit «  le face à face mystique entre
tant qu’élément essentiel d’un dispositif agro-sylvo-pasto- l’homme et la nature en un jour désincarné, en une altérité
ral. Avec la jachère et le mode efficace d’assolement triennal presque inerte ».
qui lui sont associés et qui ont fait la preuve de leur efficac-
ité écologique. Signe elle-même d’une alliance qui remonte Car ici, à Ngallèle comme partout ailleurs à Ngoudiane Dior,
aux temps immémoriaux entre le Sérère (l’autochtone de ce Peye, à Samel ou encore à Diack, noms de lieux chargés de
terroir) et cet arbre nourricier dans une sorte de « complicité la référence symbolique de l’abondance qui caractérisait
paradoxale » à propos de laquelle Paul Pélissier disait qu’elle les lieux avant la fatale intrusion des carrières, « la terre sup-
est l’expression  « d’une enseigne ethnique » et l’empreinte pliciée a perdu son charme  » et la plastique de son corps
séculaire d’une organisation sociale. terni ne flatte plus assez l’imagination.

Les «Cahiers du GREP» N° 02 / Page 4
FOCUS SUR…
Ngalèlle ou la complainte d’un hameau oublié

ENQUETE
Pour trouver Ngalèlle, il faut scruter pendant longtemps bre de congères de Mandiaye des morts nombreux chez les
l’horizon bouché des hauteurs des dunes marneuses femmes et chez les enfants.
qui surplombent le site. Ngalèlle, hameau, situé en bas
de l’exploitation vit encore de façon de plus tragique les Les autres maladies, Ngalèlle les partage avec tous les au-
tres villages et hameaux qu’enchâssent ces carrières à ciel
émanations de poussière que crachent les broyeuses de
ouvert. Elles ont été égrenées à l’infini au cours du forum
l’attapulgite, nous a expliqué Modou Diouf qui reprend à
qu’au terme de la visite mouvementée sur les sites, les
son compte ce que nous confiait déjà l’Imam de Ngallèle et
mêmes acteurs auxquels se sont jointes l’infirmière chef
qu’à l’unisson, les populations de ce village révéleront : « Il
de poste de santé de Mbourouniaye, Madame Dramé Anta
nous arrive maintes fois de voir le village envahi, pendant
Boye et le responsable au niveau du département du serv-
l’hivernage par cette eau sale et quand il ne pleut pas par
ice des eaux et forêts ont organisé dans l’enceinte du centre
la poussière blanche provenant de la roche concassée de la
polyvalent de Ngoudiane , en présence du président de la
carrière. Les femmes qui préparent le couscous qui est notre
Communauté rurale du même nom, M. Mbaye Dione.
repas quotidien vous le confirmeront. Cette poussière, non
seulement souille la nourriture que l’on ne peut consommer Pour l’infirmière chef de poste de Diack, les affections les
que camouflé dans des moustiquaires à fortune, mais elle plus fréquentes qui font l’objet de consultation sont les der-
nous cause toutes sortes de maladies de poitrine dont nous matoses, les maladies diarrhéiques et les autres maladies hy-
sommes très nombreux à souffrir. » driques comme la bilharziose urinaire mais aussi la bilharzi-
oze intestinale. Lesquelles ont été favorisées par la présence
Sur le registre des maladies dont souffrent les gens de
de nombreuses poches d’eau stagnantes souvent contam-
Ngalèlle, il y a aussi « cette diarrhée bizarre » dont parlait
inées au départ par la pollution chimique en provenance
le vieux Mandiaye Ndiaye, un habitant du même village qui,
des carrières et les infections respiratoires aigues. Parmi
visiblement a dû beaucoup bourlinguer avant de revenir
ces affections figure en tête la tuberculose qui, de l’avis de
dans son fief où il compte parmi les leaders bien écoutés.
nombreux observateurs avertis connaît une recrudescence
Pour lui, cette diarrhée sanguinolente qui était apparue « il qu’occasionnent les émanations de poussières. Ce qui vaut
y a deux ans et avait fait des ravages ». Causant, selon nom- à l’axe Sewekhaye-Diack de battre ce triste record de taux

Les «Cahiers du GREP» N° 02 / Page 5


le plus élevé, mais dont les spécialistes lésinent à expliquer que cette situation est favorisée par les carrières dont la mat-
la prévalence par la présence directe de carrières. Comme ière extraite est transportée à partir d’une route en mauvais
le montre l’enquête que notre confère Babacar Diop avait état » se fondant sur des données statistiques rapportées par
publié il y a une dizaine d’années déjà dans les colonnes du le journaliste qui faisaient l’état des lieux sur cette période là
journal « Le Soleil » . Et à qui Pape Niama Konaté, l’infirmier et selon lesquelles :
chef de poste médical de Ngoundiane entre 1986 et l’an 2000
« Sur un total 2134 consultations entre Juin 1999 et Juin 2000,
confiait : « La tuberculose est très répandue ici. Les infections
848 sont constituées de maladies respiratoires. Soit 16.22%.
respiratoires aiguës en général, mais surtout la tuberculose
Le reste est à affecter à l’accès palustre, aux vers intestinaux,
constituent un casse-tête. Elle règne dans les villages à prox-
aux diarrhées, aux pansements de plaies, aux infections uri-
imité de la route. Et dans nos consultations, ces maladies
naires, aux douleurs abdominales… »
viennent en deuxième position après le paludisme. Ces vil-
lages, exposés à la poussière, souffrent trop de maladies res- Le lien était à l’époque déjà établie entre la poussière
piratoires. Les enfants constituent la couche la plus touchée, soulevée et les maladies. Même si comme l’indiquait le Dr
particulièrement les enfants de 0 à 5ans. Et effectivement, il y Konaté, il faut reconnaître cependant que la poussière n’est
en a qui sont morts. Mais on ne connaît pas le nombre. Nous pas la seule cause de la tuberculose….
l’apprenons longtemps après. Ou bien on nous dit qu’un tel
est décédé alors qu’il suivait un traitement ici. D’autres ne vi- Les émanations de poussière sont immanquablement à
ennent même pas, ou c’est une fois » l’origine de la propagation phénomène car  la voie de trans-
mission est aérienne expliquait Babacar Diop à qui le Dr
Il se pose un véritable problème de santé publique dans ces Coulibaly confiait que «  la poussière a servi de véhicule au
deux villages. «  C’est un problème très sérieux  » expliquait germe qui se développe. Car plus il y a de poussière, plus il y a
ENQUETE

l’infirmier de Ngoundiane de l’époque. Avant que ne l’ait d’infections. Ce qui rend les risques de contagion sont grands
conforté dans son propos le Dr Siaka Coulibaly, alors chef du c’est que l’environnement est encore favorable à la multipli-
centre de santé de Khombole où sont suivis les malades et M. cation des germes ». 
Codé Ndiaye, infirmier major chargé, à l’époque , du traite-
ment grâce au programme national de lutte contre la tuber- Ceci pour signifier la permanence du phénomène qui a sans
culose pour qui : « le plus grand nombre de tuberculeux nous doute dû prendre des proportions nouvelles, compte tenu de
vient de la communauté rurale de Ngoundiane. Des tubercu- l’accroissement du nombre des carrières et des exploitations
leux, il y en a trop là-bas. Il y a d’autres infections respiratoires qui ont crée ces problèmes propres à l’écologie bousculée
mais elle sont marginales par rapport à la tuberculeuse qui y d’un système social qui appelle à d’autres solutions que ne
est très développée » saurait régler à elle seule, la question des redevances à verser
à ces populations qui endurent dans leur chair la présence
Ces deux hommes de l’art pour qui « il ne fait aucun doute dans leur localité de ces mines.

TAXES, INDEMNISATIONS OU REDEVANCES ?

La tellurique équation de ces


compensations qui divisent
Aux dires des uns et des autres, la question des redevances des redevances telle que formulée par mon ami et frère
et des taxes qui continuent de diviser population, élus lo- Modou Ngom de l’Ajed n’est inscrite nulle part dans les
caux et administration. Comme l’illustrent ces propos con- textes qui régissent la décentralisation. De plus, les conces-
tradictoires échangés lors du forum au centre polyvalent sions qui sont faites dépassent les prérogatives de la Com-
de Ngoundiane entre M. Modou Ngom, chargé de la com- munauté rurale. Elles relèvent des prérogatives régaliennes
munication de l’Association des jeunes de Diack (Ajed) qui de l’Etat. Moi je parle des taxes qu’il nous faut recouvrer et
plaide comme tous les membres de son association pour que seules trois parmi ces exploitations (Cogeca, Socecar
«  qu’au delà des taxes et patentes versées sans retom- et Gécamines) ont consenti à payer. Nous avons pour ce-
bées significatives à l’Etat et aux collectivités locales  l’on tte année, avec ces trois entreprises recouvré 76 millions.
paie directement des redevances aux populations vic- Si toutes les entreprises implantées ici s’acquittent de leurs
times désignées des impacts négatifs sur l’environnement droits vis à vis de la communauté rurale, Ngoudiane pourra
qui tombent malades de ce fait, qui vivent les affres de disposer de plus de 200 millions de francs. C’est largement
l’enclavement et dont les enfants deviennent sourds du suffisant pour prendre à bras le corps la question des in-
fait des mines qui explosent s’ils ne se noient dans les bas frastructures sociales dans notre communauté » explique
submergés des cratères non surveillés fonds ». M.Mbaye Dione qui se réjouit que sous son mandat, cer-
taines directions des entreprises qui exploitent les car-
Tout un chapelet de revendications en passe de devenir rières aient accepté volontairement d’appuyer Ngoudiane
sempiternels sur fond d’une analyse de la situation que dans des projets à fort impact économique et social com-
Mbaye Dione, le président de la Communauté rurale de me les pistes rurales qui sont entrain d’être faites ou qui le
Ngoudiane dit entièrement partager sauf sur sa conclu-
sion. « Moi je suis un républicain et un légaliste, la question
sont déjà.

Les «Cahiers du GREP» N° 02 / Page 6
LES COUTS SOCIAUX EXPLOITATIONS
Les rentiers de la vomissure du volcan
Un soleil de plomb sur son chemin du zénith darde ses rayons incandescents
sur un sol jonché de débris de toutes sortes et de pneus usagers. Sur le site
que bordent sont délimitées petites étendues qui ressemblent encore à des
champs où poussent quelques fébriles épis de maïs à côté d’herbes sauvages
et d’autres plantes rampantes s’agglutinant aux haies d’épines servant de
palissade.

ENQUETE
Nous sommes à l’entrée des exploitations. cès dans ce qui restait des exploitations à visiter, ils serai-
ent huit au total à être implantés parmi lesquelles les ma-
Excès de zèle des préposés à la sécurité ou simple frivolité rabouts, des étrangers et des hommes d’affaire du Sénégal,
patronale, cette attitude de refus de laisser voir ce qui se parmi eux Bara Tall cité à côté d’autres entreprises comme
passe dans cette mine  ? Tout porte à le croire, aux dires celle de Mapathé Diouck .
de l’activiste écologiste Julie Cissé qui dirige l’Ong Gips/
War qui plaidait tantôt au briefing pour une appropriation L’immobilisme des machines à chenilles et les plantes ram-
par l’ensemble des citoyens de ce pays «  de cette prob- pantes qui colonisent certains engins que commencent à
lématique nationale de la question des carrière à ciel gagner la rouille qui règnent à l’intérieur de l’exploitation
ouvert de Ngoudiane ». Et pour qui « il y a pourtant dans de carrière associéeau nom de ce dernier, semblent don-
l’exploitation de Layousse et sur le site de la Cimenterie ner raison à l’informateur qui expliquait quelques minutes
du Sahel, des exemples probants de ce qu’une conces- auparavant que l’exploitation est restée longtemps sans
sion du genre peut faire dans le domaine de la relation/ activité.
régénération de l’écosystème avec sa pépinière pilote ou
Sa jachère obligée s’étant prolongée, comme l’a confirmé
sa boiserie ».
Makhtar Sarr du service régional des mines de Thiès pen-
Non loin de la concession , on continue à tergiverser dant tout le temps qu’un contentieux qui reste à être dé-
encore sur les étendues réelles et sur l’identité des pro- finitivement vidé devant les tribunaux du pays a opposé le
priétaires. patron de cette exploitation à un autre du nom de Bathie
Diop. Contentieux qui concernait un litige foncier sur le
Selon Mbaye Dione , Président de la Communauté rurale site d’exploitation des deux carrières.
de Ngoudiane dont la venue tardive va faciliter notre ac-

Les «Cahiers du GREP» N° 02 / Page 7


A l’entrée de l’exploitation qui venait d’être dépassée, sans tion à la volée et répond du tac au tac. Comme s’il s’attendait
qui on ait pu accéder à l’intérieur deux enseignes sur des à ce qu’elle soit enfin posée. « Ils sont injustement venus oc-
tableaux portant des écritures sur un fond dont le blanc cuper nos terres. Ce qui nous a été donné comme dédom-
d’origine semble avoir subi les agressions des aléas, don- magement c’est des miettes. Pas plus de 200.000F par famille
nent une idée sur l’identité de l’exploitation l’identité tenues pour nous prendre la terre de nos ancêtres et nous priver de
apparemment par 2 sociétés. La première enseigne porte la nos champs. C’est cela la réalité tragique des habitants de
mention  :  «  Concasserie de basalte de Thiologne à Diack  ». notre terroir ». Propos en parfaite osmose de vue avec celui,
Sur l’autre, on peut lire  :  «  Nouvelle société de Concassage formulé il y a quelques années par Mor Gningue, un autre fils
de Basalte à Lamane. Rue 12 x 13 Villa 25 Bopp ». L’ambiance du terroir qui était Directeur de l’école de Diack au moment
plutôt artisanale dans ces exploitations à Diack rompt avec où il se confiait au journaliste du Soleil : « Les carrières posent
celle de Gecamines-Diack à l’autre bout de la route. trop de problèmes aux populations. L’environnement im-
médiat du gisement présente un danger pour les habitants,
Le matériel à l’intérieur de l’usine ressemble par la con- les bergers et des cultivateurs des champs proches des lieux.
figuration du dispositif technique mis en place à celui des Même chose pour le cheptel auquel on a ôté ses zones de
grandes exploitations minières modernes. D’énormes en- prédilection. Nos enfants sont souvent fauchés par les cami-
gins sur roues s’enchevêtrent dans un indescriptible fatras ons. Les petits bergers se noient dans les marigots artificiels.
métallique autour duquel s’activent des ouvriers en plus Nos constructions se fissurent du fait des explosifs. Et surtout,
grand nombre et dont certains (chose spécifique à cette im- ola santé se dégrade. Ces dernières années, la tuberculose a
plantation), portent des masques et d’autres, des casques de fait des ravages à cause de la pollution. Sans aucune retom-
protection. Sans cependant que l’usage de cette obligation bée fiscale au niveau de la communauté rurale ».
sécuritaire minimale n’ait été de rigueur.
REPORTAGE

Le matériel de l’exploitation en face paraît beaucoup plus


Une forte odeur de Gasoil exhale des pompes manuelles at- rudimentaire et le décor qui l’environne de loin plus rustique
tenant au bâtiment en dur comprenant plusieurs comparti- comparé au dispositif en place à l’intérieur du site qu’exploite
mentations au fronton desquelles il est indiqué l’usage spéci- Gécamines, la mine moderne où dans le hangar à l’entrée de
fique dédié aux divers espaces à la devanture desquels une
laquelle des dizaines de jeunes venus probablement des
petite mosquée et comprenant divers lieux qui dans cette
villages environnants s’activent. Autour d’une foultitude de
exploitation font tantôt office de bureau, tantôt d’infirmerie.
prises électriques multiples ils travaillaient à charger des bat-
La voix du technicien, chef de la production soumis au teries de téléphones portables.
feu roulant des questions des confrères est étouffée par le
Signes patents que les concessions dans ces anciennes
vrombissement des moteurs que surplombe une grande
exploitations ont été faites à leurs propriétaires depuis
grue. Parmi les questions qui fusent, une qui porte sur les
longtemps, le degré de vétusté des engins et des installa-
réponses envisagées dans les cahiers de charges concern-
tions où grouille pourtant encore un monde indéfinissable
ant l’après exploitation et une autre sur la cohabitation entre
de manœuvres dont la plupart sont originaires des hameaux
les exploitations et les terres de cultures et une autre, et une
alentours. Des agriculteurs depuis la nuit des temps qui ont
autre encore qui se succèdent sans que l’interlocuteur resté dû, la mort dans l’âme et moyennant de (modiques ?) som-
impassible à cet assaut n’ait eu chaque fois le temps de don- mes payées en compensation, quitter la terre de leurs ancê-
ner des réponses claires et audibles. tres pour ces de précaires dans ces corons  d’un type nou-
Un homme, visiblement un leader paysan, prend la ques- veau..

Les «Cahiers du GREP» / Page 8


REPORTAGE
Par Ahmed DIAME
IMPACTS SANITAIRES ET ENVIRONNEMENTAUX DES CARRIERES
L’enfer des populations
de Ngoundiane
Située à une trentaine de Après plusieurs minutes de route, le village de Ngallène apparait au bout
d’une piste cahoteuse. Bordant le chemin, des panneaux rappellent la perma-
kilomètres de Thiès, la Com- nence d’un danger avec les inscriptions : «Attention explosion !». Dans ce bled
munauté rurale de Ngoundi- perdu au cœur de la région de Thiès, l’hivernage s’est confortablement installé.
ane cristallise toutes les Quelques champs de mil et d’arachides tentent de fleurir, avec des fortunes di-
verses, au milieu du décor chaotique des carrières de basalte. Assis sous l’arbre
problématiques sanitaires à palabre du village, le vieux Abdou Tine ne cache pas son désarroi face aux
et environnementales liées effets dévastateurs de l’exploitation des carrières. «Nos champs et nos puits
sont, en permanence, envahis par les eaux polluées, pompées des carrières en-
à l’exploitation des mines à vironnantes. En période de saison sèche, nous mangeons et dormons, impuis-
ciel ouvert. Dans cette partie sants, dans la poussière», lance l’imam amer. Résultat des courses, dans cette
du Sénégal où le basalte et zone minière, les infections respiratoires aiguës (IRA) crèvent le plafond.

le calcaire constituent des Au-delà de leurs apports économiques, les carrières constituent de sérieuses
menaces pour l’environnement et la santé de ces populations riveraines. Ces
richesses inestimables, une menaces sont d’autant plus grandes que les règles d’une exploitation harmo-
dizaine de carrières y sont nieuse sont souvent reléguées au second plan au profit d’une recherche de
gains plus faciles.
implantées non sans grince-
ment de dents. Les impacts Assise au  milieu de l’assistance, Anthia Boye, l’infirmière chef de poste de
Mbourouaye, un petit village jouxtant les carrières, explique : «Les infections
sanitaires et environnemen- respiratoires aiguës constituent l’une des principales causes des consulta-
taux liés à la mise en valeur tions médicales ». Et d’ajouter  : «  cette situation résulte principalement de
l’inhalation, par les populations locales, de poussières.» Des poussières que
de ces richesses ont pris des dégagent, en longueur de journée, les mines mais aussi les centaines de cami-
proportions inquiétantes. ons remorques dont le ballet incessant rythme le quotidien de ces villageois. A

Les «Cahiers du GREP» / Page 9


côté de ces infections respiratoires, le paludisme et la bilhar- sauvages vers des cieux plus cléments», se désole le forestier.
ziose constituent deux autres problèmes de santé publique
à Ngoundiane. Ces pathologies, bien que présentes en temps
normal dans la localité, ont vu leur nombre de cas explosé à
La loi royalement ignorée
cause des carrières. «Il y a quelques années, une étude menée Pour Mbaye Dione, le président de la Communauté rurale de
dans la zone par l’organisation PLAN Sénégal concluait que Ngoundiane, force doit rester à la loi. En effet, «la loi stipule
la majorité des enfants des villages avoisinant les carrières que l’autorisation d’une exploitation minière est condition-
avait été atteinte de bilharziose», renseigne l’infirmière chef née par la présentation, de la part du promoteur, d’un plan
de poste. Il s’agit d’une maladie dont l’agent pathogène vit de gestion environnemental et social qui doit être soumis
dans des mollusques gastéropodes présents dans les eaux à une audience publique», précise t-il. Et d’ajouter que : «la
douces. « Cette situation découle principalement du fait que majorité des mines qui opèrent dans la communauté rurale
certaines carrières sont devenues des gîtes larvaires pour Ngoundiane ne l’ont pas fait  ; pis, certaines ne respectent
de nombreux vecteurs de maladies», informe l’infirmière. même pas la distance réglementaire entre les carrières et les
«Désaffectées avec aucune forme de remise en état, ces lieux habitations.» Une situation que le nouvel édile compte bien
offrent les conditions optimales au développement de para- changer pour une meilleure prise en compte des aspects
sites», martèle Julie Cissé présidente de Gips/War, une ONG environnementaux et sociaux par les exploitants des mines.
locale qui se bat pour la préservation de l’environnement Cette situation qui prévaut dans les carrières est d’ailleurs
dans les zones de carrières et pour la protection des intérêts une préoccupation majeure pour les autorités publiques
ACTUALITE

des populations autochtones. locales. «Certaines mines ont démarré leurs activités avant
même la réalisation d’une étude d’impact. Désormais, cette
La biodiversité en prend un étude sera systématique pour les nouvelles exploitations
tandis que pour les anciennes on procédera à un audit pour
sacré coup ! mesurer leurs impacts», précise Babacar Diouf, de la direction
des mines et de la géologie. Pour lui, les dispositions relatives
Pis, les trous béants laissés sans gardes fous par les machines à l’exploitation minière doivent être respectées. C’est le cas
constituent de véritables pièges mortels pour les hommes notamment de la gestion des anciens sites de carrières. «Bien
et les animaux. «Les cas de noyades et d’accidents mortels qu’il soit impossible de remblayer totalement ces anciens
sont monnaie courante dans ces pièges à ciel ouvert», lâche sites, il est nécessaire de les sécuriser par des gardes fous. Ce
Modou Ngom, chargé de la communication de l’Association qui n’est pas toujours le cas, constituant ainsi un grand dan-
des jeunes Diack (AJD). ger pour les populations», reconnaît l’ingénieur.
En poste à la brigade forestière de Thiénaba, Abdou Khadre Pour l’heure, les efforts des mines pour prendre en compte
Dieng connaît bien les impacts de l’activité minière sur ces préoccupations, restent timides. «Certaines d’entre elles,
l’environnement. Depuis qu’il parcourt ces zones, il assiste, bien que minoritaires, commencent à prendre conscience de
impuissant, à la déforestation du milieu. Dans leur extension, leur responsabilité et s’orientent vers des procédés moins
les mines ne laissent rien derrière elles. La biodiversité en polluants. C’est le cas notamment de LAYOUSS qui vient
prend un sacré coup  ! «La semaine dernière, j’ai dû verbal- d’installer un dispositif de réduction de ces émissions de
iser GICA Mines pour avoir abattu deux Kadd (Acacia albida) poussières», indique Julie Cissé. Un coup d’épée dans l’eau
en dehors de leur périmètre d’exploitation», renseigne-t-il. certes, mais qui montre la voie à suivre.
La végétation, jadis touffue, a cédé la place à des terres nues
incultes. Une déforestation qui n’épargne pas non plus les En attendant que ces initiatives fassent tache d’huile et que
forêts classées qui, de plus en plus, deviennent les cibles des les exploitants des carrières se prêtent au respect des dis-
compagnies minières malgré les textes de lois. «La dispari- positions de la loi, l’enfer continue pour les populations de
tion du couvert végétal à laquelle s’ajoutent les bruits as-
sourdissants des explosifs a occasionné la fuite des animaux
Ngoundiane. Jusqu’à quand ?

Les «Cahiers du GREP» N° 02 / Page 10
EXPLOITATION DU BASALTE

Tout le monde veut


sa part de l’or noir
Les exploitants industri- Les populations de la Communauté rurale de Ngoundiane surnomment le ba-
salte, l’or noir. On peut croire que pour les gens qui l’exploitent et en vivent, le
els se frottent les mains basalte rapporte autant que le pétrole. Hélas, la ressemblance avec cet autre
or noir ne s’arrête pas là. Comme le pétrole aussi, le basalte contribue forte-
devant l’importance de la ment à la dégradation de l’environnement et affecte la santé des populations
demande de leur produit. environnantes. Pourtant, depuis quelques années en particulier, cette matière
rapporte beaucoup d’argent.
Cela attise la convoitise
L’évolution des prix de cette matière première, ainsi que d’autres minerais du
du Conseil rural, qui veut sous-sol, a crû de façon impressionnante. Les toutes dernières données de
sa part des retombées. l’Agence nationale de la statistique et de la démographie (Ansd) montrent que
les prix du basalte et d’autres pierres qui, l’année dernière, avaient connus une
Pour le moment, les popu- certaine baisse ou avaient stagné, ont repris depuis le début de cette année,
lations seules semblent tout au moins, depuis mars 2010, de manière notable leur ascension.

marginalisées. Cependant, si les prix sont à la hausse, c’est aussi sans doute parce que, quelque
part, l’extractive n’a pas beaucoup augmenté, selon toujours les mêmes sourc-

Par Mohamed GUEYE


ACTUALITE

Les «Cahiers du GREP» N° 02 / Page 11


es. Comme on est dans un monde où seul le calcul financier demandes ces dernières années, parce qu’on n’avait pas as-
prime sur tout, on peut imaginer que c’est soit parce que les sez de produits. Et parmi nos plus gros clients, vous trouvez la
industriels ont voulu forcer une remontée des prix qu’ils ont Cse et Eiffage (entreprises de construction de routes. Ndlr). Et
bloqué la production. Ou peut-être aussi, parce qu’ils ont at- pourtant, la Cse par exemple, exploite elle-même sa propre
teint leurs limites techniques d’exploitation. carrière dans la région. Mais cela ne lui suffit pas, pour vous
donner une idée des besoins.» Néanmoins, ce technicien
Cette dernière se fait d’ailleurs dans des conditions limites
s’est déclaré incapable d’indiquer ce que peuvent rapporter
de travail, avec beaucoup de bruit provoqué par les lourds
les produits tirés de la terre de Diack et des villages environ-
engins qui sont utilisés, et les explosifs qui servent à cas-
nants. De même qu’il ne pouvait estimer l’investissement
ser la pierre. A cela, il faut ajouter les nuages de poussière
nécessaire pour lancer une exploitation comme celle de
provoqués par le concassage des pierres. Ces pierres con-
la Gecamines. Ce qu’il sait, c’est que la société a consacré
cassées sont particulièrement recherchées par les grandes
l’année dernière, un peu plus de 800 millions à la main-
entreprises de travaux publics, engagées dans la construc-
tenance de l’outil de travail. Et il sait aussi que ses patrons
tion des routes, et dans d’autres travaux d’infrastructure. Et
négocient pour obtenir une extension de leurs carrières sur
il faut croire que la volonté des dirigeants du pays d’ouvrir
une zone encore plus large.
plusieurs chantiers de construction et de création de routes,
a bien profité à ces exploitants qui se sont établis dans la ré-
gion de Thiès, et plus particulièrement dans la Communauté Et les populations ?
rurale de Ngoundiane. La carrière de la Gecamines, qui ap- Si donc les entreprises se frottent les mains face à l’importante
partient au groupe Vicat, propriétaire de la Sococim, date de demande de leurs produits, il est normal aussi que le Conseil
5 années à peine. Mais en un laps de temps assez réduit, elle rural s’attende à des retombées encore plus importantes que
a pu se hisser à la seconde position, par son importance, der- celles qu’il obtient actuellement. Notamment en termes de
rière les carrières de Layousse, propriétaire des Ciments du taxes et autres patentes, comme l’avouait le président du
Sahel, dans la même zone. Conseil rural, sans complexe, à la presse.

800.000 tonnes produites en Il semble aussi normal de voir les populations, notamment
les jeunes de Diack, insister pour que les exploitants des
2009 carrières tiennent compte des besoins des populations lo-
cales. Et parmi ces besoins, les plus importants sont d’abord
Ibrahima Sow, l’ingénieur-mécanicien, responsable de la l’emploi. Modou Ngom, le porte-parole de l’Association des
maintenance, adjoint au chef d’exploitation sur la carrière de jeunes de Diack, s’emporte contre le fait que les entreprises
la Gecamines, indique que le site emploie 170 personnes. Ces préfèrent aller embaucher ailleurs, et laisser en plan les je-
dernières travaillent tous les jours, 24 sur 24, par rotation de unes du terroir. «Ou si ces derniers trouvent du travail, c’est le
trois équipes. Car le travail n’est pas facile. «Le basalte est tiré plus souvent, comme des journaliers, ce qui n’est pas mieux.»
jusqu’à 80 mètres et il faut du matériel performant pour le
chercher». L’or noir de Ngoundiane a, comme son cousin de pétrole,

Le basalte au Séné-
gal, n’a été décou-
déjà fait tourner les têtes.

ACTUALITE

vert que dans la


zone de Diack, et il
entre dans la fabri-
cation des routes.
La production de
l’année dernière
a été de 800.000
tonnes de basalte
dans la carrière de
la Gecamines. Les
mines voisines ont
fait une production
un tout petit peu
moins importante.
Sans doute par
manque de matéri-
el, ou parce que
leur filon n’était pas
aussi riche. M. Sow
indique que toute
cette importante
production n’a pas
suffit pour satisfaire
tous les besoins : «Il
nous est arrivé de
rejeter certaines

Les «Cahiers du GREP» N° 02 / Page 12


CARRIERES DE BASALTE

Ngoundiane, un terroir conservateur


qui se sent spolié
En 1979, lorsque les premiers exploitants de
carrière(les promoteurs de l’entreprise Colas en
l’occurrence) débarquaient à Ngoundiane, ils étai-
ent à mille lieux de savoir que trente et une an-
nées après, ce terroir sérère serait méconnaissable
en plusieurs endroits. Quelque part, la chefferie lo-
cale ne se sent pas associée à cette gigantesque
entreprise d’exploitation tous azimuts de l’ or noir
sénégalais que l’on ne retrouve en réalité qu’à
Ngoundiane.Or avec la ruée vers le basalte, or-
chestrée par des mastodontes industriels comme
Gecamine,CSE,Cogeca,Entreprise Mapathé Ndiouck
,Société Bathie Diop ou les Chinois de Watif,les vil-
lages environnants comme Diak,Ngallène,Samène
ou Mbourwaye se trouvent maintenant à moins de
500 mètres des carrières. Question. Entre les villages
et les carrières, qui s’est rapproché de l’autre  ? Ce
sont les villages informe Oumar Seck le gérant de la
carrière de Bathie Diop.Faux rétorque le Président
de la communauté rurale de Ngoundiane Mbaye
Dione, un fils du terroir qui porte le combat de la
représentation au même titre que les imams, chefs
de villages ou autres leaders sociaux de la con-
trée  .Ce rapprochement n’est pas sans difficultés.
Le couvert végétal est agressé. Les eaux de ruis-
sellement déversées des carrières envahissement
les exploitations agricoles portant un rude coup

Par Mamadou Lamine DIATTA


à l’économie locale essentiellement basée sur la
culture de l’arachide, du maïs ,du mil et d’autres

ACTUALITE
spéculations. L’association des jeunes du village
de Diak se mêle elle aussi à ce concert de sourde
protestation. C’est son Président Modou Ngom qui
embouche la trompette de la dénonciation. « Diak
était jadis une forêt classée et les animaux sauvag-
es faisaient partie du décor.Aujourdhui toutes les
bêtes ont fui à cause de l’exploitation non maitrisée
des carrières » analyse t-il. Même cas de figure avec
le chef de village de Samène qui informe que la
plupart du temps, le plat de riz qu’on lui sert est
recouvert de poussière, une fois ouvert. En tous les
cas il ya problème. Il y’a surtout urgence à davan-
tage huiler les rapports entre les exploitants de car-
rières qui brasseraient des milliards de francs CFA et
L’exploitation d’une dizaine de carrières de la chefferie locale. Car la complainte des habitants
basalte dans la communauté rurale pose de Ngoundiane traduit une chose : elles se sentent
spoliées et un tantinet impuissantes par rapport à la
de sérieux problèmes de représentation. toute puissance de certains exploitants de carrière
En milieu rural, on tient beaucoup à cer- qui n’hésitent même pas à se «  barricader  » pour
échapper à la vigilance de l’équipe du conseil rural.
taines valeurs comme l’attachement vis- Celle-ci tente difficilement de recouvrer les taxes
céral au respect du couvert végétal ou de et la patente que doivent verser les exploitants de
l’architecture originelle des habitations. Ce l’or noir. La seule éclaircie a trait au cas de certains
jeunes de Ngoundiane engagés dans les carrières
que la présence des carrières ne semble pas comme chauffeurs ou mécaniciens. Une goutte
conserver à sa juste valeur. d’eau sur un océan de lamentations.

Les «Cahiers du GREP» N° 02 / Page 13
EXPLOITATION DES CARRIERES DE NGOUNDIANE

Ce qui fâche les


populations locales
La privatisation des aires protégées, en particulier les parcs animaliers,
est dans l’air du temps. Pour le Parc national du Niokolo Koba (PNNK),
elle est presque inévitable. Pourquoi ? Parce que le Pnnk se retrouve
aujourd’hui dans une situation de dégradation telle que Les relations entre
les populations de la communauté rurale de Ngoundiane et les exploitants
des concessions de carrières de la zone sont très heurtées. Le constat est fait
le 17 septembre dernier lors de la visite de presse de soixante-douze heu-
res effectuée par le Groupe de Recherche, Environnement et Presse (Grep),
en collaboration avec le Wwf, l’ambassade des Pays-Bas au Sénégal, et
le Groupe d’initiatives et de progrès social (Gips/War). la dotation de l’Etat,
un budget annuel qui tourne autour de 120 millions F CFA ne suffit plus pour
assurer son bon fonctionnement.
Le plus grand parc d’Afrique de l’Ouest, avec ses
quelque Victimes de la pollution atmosphérique issue
de cette exploitation, mais aussi de la dégradation de
leur environnement immédiat et de leurs ressources
agricoles, les populations de Ngoundiane, Mbourou-
waye, Diack, Ngalène, entre autres, pointent du doigt
les concessionnaires comme étant les principaux au-
teurs de leurs souffrances.
Après le village de Ngoundiane, la verdure liée à
l’hivernage contraste avec la poussière et la fumée qui
se dégagent des nombreux sites de concassage de ba-
saltes qui poussent comme des champignons dans la
zone. Un peu avant la nouvelle société de concassage
de basalte de Lamane, se trouve un gros cratère béant
qui recueille beaucoup d’eau. La « blessure » dans les
entrailles de la terre est tellement profonde qu’on ne
peut même pas imaginer qu’elle se refermera un jour.
Elle existe depuis vingt ans déjà sans être remblayée, à
en croire un ouvrier dans la carrière. La main destruc-
trice de l’homme est passée par là assénant beaucoup
de coups qui ont entrainé autant de frustrations, et
rendant une cohabitation obligée presque impossible.
C’est parce qu’elles se sentent laissées en rade dans
les retombées des exploitations des concessions de
ACTUALITE

carrières situées dans leur localité que les populations


Par Chérif FAYE

de Ngoundiane, Mbourouwaye, Diack et Ngalène sont


très remontées contre les propriétaires des parcelles
d’exploitation.
C’est la raison pour laquelle elles entretiennent d’ailleurs
des relations très heurtées avec ceux-ci. En plus, ces
populations riveraines des carrières d’exploitation du
basalte sont victimes d’une pollution atmosphérique
indescriptible, d’une dégradation de leur environne-

Les «Cahiers du GREP» N° 02 / Page 14


ment et de leurs espaces agricoles. que contrairement aux zones où sont exploitées les
mines, et où il y a généralement un certain niveau de
Pis encore, ces populations locales sont soumises aux ris- développement qui est décelé dans la mesure où les re-
ques et catastrophes causés par les potentiels pollueurs tombées profitent aux autochtones, les populations de
qui ne leur fournissent aucun service en contrepartie. Ngoundiane souffrent. Et pour corroborer les propos de
Dans cet environnement complètement pollué règne l’Imam et du Pcr, il a révélé que de nombreuses patholo-
une atmosphère de suspicion où les différents acteurs se gies comme la tuberculose, la toux aigue, le glaucome
regardent en chiens de faïences. Selon les populations sont relevés au sein des populations. Ce qui du reste a
locales, les carrières sont dans une large mesure respon- fait engager les jeunes de Diack dans un bras de fer con-
sables de la quasi-totalité des maux dont elles souf- tre les concessionnaires pour lutter contre le phénomène
frent. La pollution scandaleuse sur place semble être à d’exploitation des carrières. Cette vie empoussiérée et
la source de la recrudescence des affections respiratoires endangée a entrainé une situation conflictuelle perma-
observées dans la zone. nente au niveau de la zone entre les villageois et les pro-
Mbaye Dione, Président de la Communauté rurale (Pcr) priétaires des carrières.
de Ngoundiane, a bien défendu cette thèse samedi 18 Mbaye Sène relate avec regret le sort du bétail qui meurt
septembre 2010 à l’occasion de la visite de presse effec- dans les cratères béants et leurs terres cultivables qu’ils
tuée sur les lieux par le Groupe de Recherche, Environne- ne sont plus en mesure de récupérer. « Le bétail tombe
ment et Presse (Grep). « Le taux de tuberculose dans la lo- et meurt dans les grands trous creusés dans les carrières
calité comprise entre Sewe Khaye et Ngoundiane est l’un et qui ne sont pas remblayés. Et ces gens ne prennent
des plus élevés au Sénégal selon les résultats des études jamais l’engagement de rembourser les bêtes perdus. En
effectuées par l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar plus, ils nous prennent toutes nos terres cultivables sans
(Ucad) », a-t-il souligné. Pour sa part, Abdou Tine, Imam rien en contrepartie. Quand ils vous recrutent en tant
de Ngalène, village le plus vraisemblablement touché, a que propriétaire terrien, ils cherchent et trouvent toujo-
soutenu que durant la période de la saison sèche, il lui est urs un moyen de se débarrasser de vous pour amener
pratiquement impossible de distinguer ce qu’il mange leurs neveux et relations », révèle-t-il.
durant ses repas à cause de la poussière qui les assiège.
Outre ces griefs, les populations de la communauté rurale
Mbaye Sène, âgé de 40 ans, regrette quand à lui le fait de Ngoundiane ont relevé aussi la pollution sonore née
des explosions effectuées pour perforer les blocs de rocs
et le vacarme des engins. Plusieurs murs sont fissurés par
les détonations. Il y a aussi que l’eau encombrante retirée
du fond des mines est déversée vers le village de Kou-
noune où existait une marre qui servait d’abreuvoir pour
le bétail. « Il n’est plus possible aujourd’hui d’y abreuver
le bétail car elle est contaminée par le poison contenu
dans la poudre utilisée pour le minage des carrières  »,
renseigne Issa Dione, ressortissant de Mbourouwaye.
« Ils ne s’occupent pas de nos affaires. Si tu as un décès, tu
es obligé de venir travailler ou tu perds ta journée. Ils ne
gèrent que leurs propres intérêts. Des gens ont été tués
par des mines il y a de cela plusieurs années, mais ils n’ont
jamais été dédommagés. Mamadou Sène du village de
Sessène Diack a été retrouvé mort trois après être tombé
dans un cratère dans les carrières. Il avait été aveuglé par
les lumières des carrières de Layousse près de Kounoune
et de Ngalène alors qu’il revenait de Dakar. Les respon-
sables de la carrière n’ont même pas daigné présenter
leurs condoléances à la famille éplorée », gronde Modou
Sène de Kounoune. A cela s’ajoutent les cinq noyades
enregistrées dans les cavernes où s’activent des ouvri-
ers qui ont la seule ambition de remplir autant de godets
vendus à 600 FCFA pour l’équivalent d’une brouette.
En définitive, voilà la nature des relations qui existent
ACTUALITE

entre les populations autochtones de la communauté


rurale de Ngoundiane et les exploitants des concessions
de carrières qui ne respectent pas pour la plupart leurs
engagements compilés dans leurs cahiers de charge.
C’est ce qui est à la source même des relations heurtées
qui existent entre eux et ces populations. La visite du
Grep en collaboration de ses partenaires aura certaine-
ment contribué avec le plaidoyer mené à apporter des
solutions à cette source de tension sociale.

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