Basalte Documentation CCC
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La malédiction
Ils sont plus de 8000 âmes à vivre à Diack et dans la demi douzaine des villages et autres hameaux
dans le département de Thiénaba (région de Thiès), Nioniol, Mbayène, Kamba, Diack, les deux
Mbodokhanes, où sont installées plusieurs entreprises privées qui exploitent le basalte et les au-
tres roches marneuses et calcaires fournissant la matière de base aux cimenteries et le secteur du
BTP du pays et d’ailleurs. Pour les habitants des villages de ce terroir aux noms si chargés de leur
symbolisme d’abondance et de quiétude que polarise Ngoundiane, le problème de l’implantation
des carrières, c’est une kyrielle de dégâts dont les populations n’arrêtent pas de se plaindre. Des
dégâts qui sont la source de doléances nombreuses dont certaines ont été manifestées, ces derni-
ers temps de façon récurrente. Souvent bruyamment. Et parfois un peu violemment. Le point nodal
de ces revendications restant ancré sur la question cruciale de la perte du patrimoine foncier et des
conséquences écologiques multiples qu’entraînent ces exploitations de carrières.
L’objet de cette complainte collective, c’est tout d’abord les ravages physiques sur l’écosystème
adjacent qui a pu être affecté par la contamination de l’eau par les métaux, l’extinction de la
végétation et l’érosion des sols. Mais aussi de tous ces impacts connus ou inconnus qui peuvent
être à l’origine de maladies nombreuses comme, les dermatoses, les maladies diarrhéiques et au-
tres maladies hydriques comme la bilharziose sous ses diverses formes favorisées par la présence
de nombreuses poches d’eau stagnantes souvent contaminées au départ par la pollution chimique
en provenance des carrières. Sans compter les infections respiratoires aigues dont la tuberculose
qui, de l’avis de nombreux observateurs avertis, connaît une recrudescence, pour beaucoup, liée
aux émanations de poussières vomies par les machines à concasser la pierre.
A ces impacts négatifs visibles et vécus dans leur chair par les populations locales, il faut ajouter
d’autres. Moins tangibles ceux-là…Lesquels sont d’autant plus pernicieux qu’il s’agit de dom-
mages insidieux qui sapent les valeurs socles des cultures du terroir. Et entament dangereusement
le tissu social qui doit désormais compter avec tous les travers, qu’au plan des mœurs, induisent,
de façon brutale, les bouleversements démographiques et culturels consécutifs aux implantations
industrielles et minières. Les mêmes maux qui, dans d’autres contextes sociaux plus permissifs de
point de vue des interdits moraux, prennent la forme de phénomènes comme l’accroissement de
l’alcoolisme, de la violence et de la prostitution. En somme, une intrication complexe de facteurs
dont nous tentons de dénouer l’enchevêtrement en donnant la parole aux acteurs sur le terrain et
rendant compte de ce que, de visu, notre reporter sur les lieux a pu glaner. Enquête…
ENQUETE
Pour trouver Ngalèlle, il faut scruter pendant longtemps bre de congères de Mandiaye des morts nombreux chez les
l’horizon bouché des hauteurs des dunes marneuses femmes et chez les enfants.
qui surplombent le site. Ngalèlle, hameau, situé en bas
de l’exploitation vit encore de façon de plus tragique les Les autres maladies, Ngalèlle les partage avec tous les au-
tres villages et hameaux qu’enchâssent ces carrières à ciel
émanations de poussière que crachent les broyeuses de
ouvert. Elles ont été égrenées à l’infini au cours du forum
l’attapulgite, nous a expliqué Modou Diouf qui reprend à
qu’au terme de la visite mouvementée sur les sites, les
son compte ce que nous confiait déjà l’Imam de Ngallèle et
mêmes acteurs auxquels se sont jointes l’infirmière chef
qu’à l’unisson, les populations de ce village révéleront : « Il
de poste de santé de Mbourouniaye, Madame Dramé Anta
nous arrive maintes fois de voir le village envahi, pendant
Boye et le responsable au niveau du département du serv-
l’hivernage par cette eau sale et quand il ne pleut pas par
ice des eaux et forêts ont organisé dans l’enceinte du centre
la poussière blanche provenant de la roche concassée de la
polyvalent de Ngoudiane , en présence du président de la
carrière. Les femmes qui préparent le couscous qui est notre
Communauté rurale du même nom, M. Mbaye Dione.
repas quotidien vous le confirmeront. Cette poussière, non
seulement souille la nourriture que l’on ne peut consommer Pour l’infirmière chef de poste de Diack, les affections les
que camouflé dans des moustiquaires à fortune, mais elle plus fréquentes qui font l’objet de consultation sont les der-
nous cause toutes sortes de maladies de poitrine dont nous matoses, les maladies diarrhéiques et les autres maladies hy-
sommes très nombreux à souffrir. » driques comme la bilharziose urinaire mais aussi la bilharzi-
oze intestinale. Lesquelles ont été favorisées par la présence
Sur le registre des maladies dont souffrent les gens de
de nombreuses poches d’eau stagnantes souvent contam-
Ngalèlle, il y a aussi « cette diarrhée bizarre » dont parlait
inées au départ par la pollution chimique en provenance
le vieux Mandiaye Ndiaye, un habitant du même village qui,
des carrières et les infections respiratoires aigues. Parmi
visiblement a dû beaucoup bourlinguer avant de revenir
ces affections figure en tête la tuberculose qui, de l’avis de
dans son fief où il compte parmi les leaders bien écoutés.
nombreux observateurs avertis connaît une recrudescence
Pour lui, cette diarrhée sanguinolente qui était apparue « il qu’occasionnent les émanations de poussières. Ce qui vaut
y a deux ans et avait fait des ravages ». Causant, selon nom- à l’axe Sewekhaye-Diack de battre ce triste record de taux
l’infirmier de Ngoundiane de l’époque. Avant que ne l’ait d’infections. Ce qui rend les risques de contagion sont grands
conforté dans son propos le Dr Siaka Coulibaly, alors chef du c’est que l’environnement est encore favorable à la multipli-
centre de santé de Khombole où sont suivis les malades et M. cation des germes ».
Codé Ndiaye, infirmier major chargé, à l’époque , du traite-
ment grâce au programme national de lutte contre la tuber- Ceci pour signifier la permanence du phénomène qui a sans
culose pour qui : « le plus grand nombre de tuberculeux nous doute dû prendre des proportions nouvelles, compte tenu de
vient de la communauté rurale de Ngoundiane. Des tubercu- l’accroissement du nombre des carrières et des exploitations
leux, il y en a trop là-bas. Il y a d’autres infections respiratoires qui ont crée ces problèmes propres à l’écologie bousculée
mais elle sont marginales par rapport à la tuberculeuse qui y d’un système social qui appelle à d’autres solutions que ne
est très développée » saurait régler à elle seule, la question des redevances à verser
à ces populations qui endurent dans leur chair la présence
Ces deux hommes de l’art pour qui « il ne fait aucun doute dans leur localité de ces mines.
•
TAXES, INDEMNISATIONS OU REDEVANCES ?
ENQUETE
Nous sommes à l’entrée des exploitations. cès dans ce qui restait des exploitations à visiter, ils serai-
ent huit au total à être implantés parmi lesquelles les ma-
Excès de zèle des préposés à la sécurité ou simple frivolité rabouts, des étrangers et des hommes d’affaire du Sénégal,
patronale, cette attitude de refus de laisser voir ce qui se parmi eux Bara Tall cité à côté d’autres entreprises comme
passe dans cette mine ? Tout porte à le croire, aux dires celle de Mapathé Diouck .
de l’activiste écologiste Julie Cissé qui dirige l’Ong Gips/
War qui plaidait tantôt au briefing pour une appropriation L’immobilisme des machines à chenilles et les plantes ram-
par l’ensemble des citoyens de ce pays « de cette prob- pantes qui colonisent certains engins que commencent à
lématique nationale de la question des carrière à ciel gagner la rouille qui règnent à l’intérieur de l’exploitation
ouvert de Ngoudiane ». Et pour qui « il y a pourtant dans de carrière associéeau nom de ce dernier, semblent don-
l’exploitation de Layousse et sur le site de la Cimenterie ner raison à l’informateur qui expliquait quelques minutes
du Sahel, des exemples probants de ce qu’une conces- auparavant que l’exploitation est restée longtemps sans
sion du genre peut faire dans le domaine de la relation/ activité.
régénération de l’écosystème avec sa pépinière pilote ou
Sa jachère obligée s’étant prolongée, comme l’a confirmé
sa boiserie ».
Makhtar Sarr du service régional des mines de Thiès pen-
Non loin de la concession , on continue à tergiverser dant tout le temps qu’un contentieux qui reste à être dé-
encore sur les étendues réelles et sur l’identité des pro- finitivement vidé devant les tribunaux du pays a opposé le
priétaires. patron de cette exploitation à un autre du nom de Bathie
Diop. Contentieux qui concernait un litige foncier sur le
Selon Mbaye Dione , Président de la Communauté rurale site d’exploitation des deux carrières.
de Ngoudiane dont la venue tardive va faciliter notre ac-
le calcaire constituent des Au-delà de leurs apports économiques, les carrières constituent de sérieuses
menaces pour l’environnement et la santé de ces populations riveraines. Ces
richesses inestimables, une menaces sont d’autant plus grandes que les règles d’une exploitation harmo-
dizaine de carrières y sont nieuse sont souvent reléguées au second plan au profit d’une recherche de
gains plus faciles.
implantées non sans grince-
ment de dents. Les impacts Assise au milieu de l’assistance, Anthia Boye, l’infirmière chef de poste de
Mbourouaye, un petit village jouxtant les carrières, explique : «Les infections
sanitaires et environnemen- respiratoires aiguës constituent l’une des principales causes des consulta-
taux liés à la mise en valeur tions médicales ». Et d’ajouter : « cette situation résulte principalement de
l’inhalation, par les populations locales, de poussières.» Des poussières que
de ces richesses ont pris des dégagent, en longueur de journée, les mines mais aussi les centaines de cami-
proportions inquiétantes. ons remorques dont le ballet incessant rythme le quotidien de ces villageois. A
des populations autochtones. locales. «Certaines mines ont démarré leurs activités avant
même la réalisation d’une étude d’impact. Désormais, cette
La biodiversité en prend un étude sera systématique pour les nouvelles exploitations
tandis que pour les anciennes on procédera à un audit pour
sacré coup ! mesurer leurs impacts», précise Babacar Diouf, de la direction
des mines et de la géologie. Pour lui, les dispositions relatives
Pis, les trous béants laissés sans gardes fous par les machines à l’exploitation minière doivent être respectées. C’est le cas
constituent de véritables pièges mortels pour les hommes notamment de la gestion des anciens sites de carrières. «Bien
et les animaux. «Les cas de noyades et d’accidents mortels qu’il soit impossible de remblayer totalement ces anciens
sont monnaie courante dans ces pièges à ciel ouvert», lâche sites, il est nécessaire de les sécuriser par des gardes fous. Ce
Modou Ngom, chargé de la communication de l’Association qui n’est pas toujours le cas, constituant ainsi un grand dan-
des jeunes Diack (AJD). ger pour les populations», reconnaît l’ingénieur.
En poste à la brigade forestière de Thiénaba, Abdou Khadre Pour l’heure, les efforts des mines pour prendre en compte
Dieng connaît bien les impacts de l’activité minière sur ces préoccupations, restent timides. «Certaines d’entre elles,
l’environnement. Depuis qu’il parcourt ces zones, il assiste, bien que minoritaires, commencent à prendre conscience de
impuissant, à la déforestation du milieu. Dans leur extension, leur responsabilité et s’orientent vers des procédés moins
les mines ne laissent rien derrière elles. La biodiversité en polluants. C’est le cas notamment de LAYOUSS qui vient
prend un sacré coup ! «La semaine dernière, j’ai dû verbal- d’installer un dispositif de réduction de ces émissions de
iser GICA Mines pour avoir abattu deux Kadd (Acacia albida) poussières», indique Julie Cissé. Un coup d’épée dans l’eau
en dehors de leur périmètre d’exploitation», renseigne-t-il. certes, mais qui montre la voie à suivre.
La végétation, jadis touffue, a cédé la place à des terres nues
incultes. Une déforestation qui n’épargne pas non plus les En attendant que ces initiatives fassent tache d’huile et que
forêts classées qui, de plus en plus, deviennent les cibles des les exploitants des carrières se prêtent au respect des dis-
compagnies minières malgré les textes de lois. «La dispari- positions de la loi, l’enfer continue pour les populations de
tion du couvert végétal à laquelle s’ajoutent les bruits as-
sourdissants des explosifs a occasionné la fuite des animaux
Ngoundiane. Jusqu’à quand ?
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Les «Cahiers du GREP» N° 02 / Page 10
EXPLOITATION DU BASALTE
marginalisées. Cependant, si les prix sont à la hausse, c’est aussi sans doute parce que, quelque
part, l’extractive n’a pas beaucoup augmenté, selon toujours les mêmes sourc-
800.000 tonnes produites en Il semble aussi normal de voir les populations, notamment
les jeunes de Diack, insister pour que les exploitants des
2009 carrières tiennent compte des besoins des populations lo-
cales. Et parmi ces besoins, les plus importants sont d’abord
Ibrahima Sow, l’ingénieur-mécanicien, responsable de la l’emploi. Modou Ngom, le porte-parole de l’Association des
maintenance, adjoint au chef d’exploitation sur la carrière de jeunes de Diack, s’emporte contre le fait que les entreprises
la Gecamines, indique que le site emploie 170 personnes. Ces préfèrent aller embaucher ailleurs, et laisser en plan les je-
dernières travaillent tous les jours, 24 sur 24, par rotation de unes du terroir. «Ou si ces derniers trouvent du travail, c’est le
trois équipes. Car le travail n’est pas facile. «Le basalte est tiré plus souvent, comme des journaliers, ce qui n’est pas mieux.»
jusqu’à 80 mètres et il faut du matériel performant pour le
chercher». L’or noir de Ngoundiane a, comme son cousin de pétrole,
Le basalte au Séné-
gal, n’a été décou-
déjà fait tourner les têtes.
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ACTUALITE
ACTUALITE
spéculations. L’association des jeunes du village
de Diak se mêle elle aussi à ce concert de sourde
protestation. C’est son Président Modou Ngom qui
embouche la trompette de la dénonciation. « Diak
était jadis une forêt classée et les animaux sauvag-
es faisaient partie du décor.Aujourdhui toutes les
bêtes ont fui à cause de l’exploitation non maitrisée
des carrières » analyse t-il. Même cas de figure avec
le chef de village de Samène qui informe que la
plupart du temps, le plat de riz qu’on lui sert est
recouvert de poussière, une fois ouvert. En tous les
cas il ya problème. Il y’a surtout urgence à davan-
tage huiler les rapports entre les exploitants de car-
rières qui brasseraient des milliards de francs CFA et
L’exploitation d’une dizaine de carrières de la chefferie locale. Car la complainte des habitants
basalte dans la communauté rurale pose de Ngoundiane traduit une chose : elles se sentent
spoliées et un tantinet impuissantes par rapport à la
de sérieux problèmes de représentation. toute puissance de certains exploitants de carrière
En milieu rural, on tient beaucoup à cer- qui n’hésitent même pas à se « barricader » pour
échapper à la vigilance de l’équipe du conseil rural.
taines valeurs comme l’attachement vis- Celle-ci tente difficilement de recouvrer les taxes
céral au respect du couvert végétal ou de et la patente que doivent verser les exploitants de
l’architecture originelle des habitations. Ce l’or noir. La seule éclaircie a trait au cas de certains
jeunes de Ngoundiane engagés dans les carrières
que la présence des carrières ne semble pas comme chauffeurs ou mécaniciens. Une goutte
conserver à sa juste valeur. d’eau sur un océan de lamentations.
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Les «Cahiers du GREP» N° 02 / Page 13
EXPLOITATION DES CARRIERES DE NGOUNDIANE