Non Detection Des Fraudes Par Les Commissaires Aux Comptes - Histoire de Quatre Societes
Non Detection Des Fraudes Par Les Commissaires Aux Comptes - Histoire de Quatre Societes
Non Detection Des Fraudes Par Les Commissaires Aux Comptes - Histoire de Quatre Societes
Olivia LAFFONT
Doctorante en sciences de gestion
CRG - IAE - Université de Toulouse 1
2 rue Albert Lautman - 31000 Toulouse
Tél : 05 61 21 55 18
[email protected]
NON DETECTION DES FRAUDES
PAR LES COMMISSAIRES AUX
COMPTES
-
HISTOIRE DE QUATRE SOCIETES
Résumé :
Malgré l'existence de normes professionnelles décrivant les diligences à effectuer afin de prendre en
considération le risque d'anomalies significatives résultant de fraudes, les commissaires aux comptes ne
parviennent pas à détecter les fraudes et peuvent voir leur responsabilité engagée pour cette non détection. Cette
communication s'interroge sur cette lacune de l'audit légal. Dans un premier temps, nous rappelons les
évolutions des normes relatives à la fraude et deux explications à la non détection des fraudes par les
commissaires aux comptes. Dans un second temps, nous retraçons l'histoire de quatre fraudes. La genèse et les
conséquences de la fraude sont examinées. Certaines des fraudes analysées pouvaient ne pas être nécessairement
détectées par un commissaire aux comptes normalement diligent. Cependant, l'exercice d'un esprit critique aurait
dû au moins conduire le commissaire aux comptes à évaluer correctement le risque et à adapter son approche
d'audit. La meilleure mesure de prévention est l'esprit critique.
Mots clés : commissaire aux comptes, fraude, diligences, responsabilité, esprit critique
1
PricewaterhouseCoopers réalise depuis 2001 tous les deux ans une étude sur les caractéristiques de la fraude en
France et dans le monde. Plus de 3.000 entretiens sont menés auprès de dirigeants d'entreprises ou de personnes
en charge de la détection et/ou de la prévention des fraudes dans 50 pays. En France, 156 entreprises ont été
interrogées en 2003 et 150 en 2005.
2
Une étude menée en 2003 à l'échelle internationale par le cabinet Ernst &Young (2003) confirment ce
pourcentage d'une entreprise sur deux touchée par la fraude.
3
La loi "Breton" n°2005-842 du 26 juillet 2005 pour la confiance et la modernisation de l’économie a restreint
le champ des sociétés devant établir le rapport sur le contrôle interne aux seules sociétés anonymes (SA) faisant
appel public à l'épargne.
lacunes en matière de contrôle interne, qui si elles ne sont pas
systématiquement révélatrices de fraudes, y contribuent.
Depuis 2003, le référentiel de la Compagnie Nationale des Commissaires
aux Comptes contient une norme professionnelle décrivant les diligences
à mettre en œuvre afin de prendre en considération la possibilité de
fraudes et d'erreurs lors de l'audit des comptes. Or en France, seulement
4% des fraudes sont détectées par l'audit externe (PwC, 2005). Ce faible
pourcentage peut traduire une mauvaise adéquation des diligences
normatives avec les caractéristiques des fraudes ou une application
défaillante de la norme. La question est de savoir si les commissaires aux
comptes ne parviennent pas à détecter les fraudes commises dans les
sociétés qu'ils auditent parce que cela leur est impossible compte tenu de
la nature des diligences qu'ils doivent mener ou parce que les diligences
qu'ils choisissent de mener ne sont pas pertinentes ou mal mises en
oeuvre. Les diligences menées sont-elles défaillantes ? ou existe-t-il une
faille dans les diligences d'audit ?
Cette communication a pour objectif d'expliquer, au travers de l'histoire
de quatre sociétés, comment une fraude peut se perpétuer pendant
plusieurs années dans une société sans que le commissaire aux comptes
ne la détecte. Le second objectif de cette communication est de retracer
les conséquences de ces fraudes sur la société et sur le commissaire aux
comptes, ainsi que la façon dont la société a géré la fraude. Dans un
premier temps, les évolutions normatives des diligences d'audit relatives à
la fraude sont rappelées. Dans un second temps, l'histoire de quatre
sociétés confrontées à des cas de fraude est retracée au travers de la
genèse de la fraude, puis les conséquences financières et judiciaires de la
non détection de cette fraude sont abordées. Les quatre sociétés choisies
sont des PME qui, suite à la découverte d'une fraude, ont mis en cause la
responsabilité de leur commissaire aux comptes. Nous utilisons les arrêts
rendus par les Cours d'appel qui ont jugés de ces affaires pour collecter
des informations sur ces sociétés et leur commissaire aux comptes.
L’échantillon sélectionné a été obtenu à partir d’une analyse des arrêts
rendus entre 1986 et 2006 par les Cours d’appel. La fraude est un
phénomène qui s'inscrit dans la durée car elle est généralement perpétrée
pendant plusieurs années. En outre, la découverte de la fraude ne marque
que la fin des détournements. Les conséquences d'une fraude et de sa
découverte peuvent s'étaler sur plus de 10 ans. Aussi, les conséquences
financières des fraudes seront-elles analysées sur une période de 7 ans en
utilisant la base de données Diane, dont 5 années postérieures à la
découverte de la fraude.
Avant 2003, les normes des commissaires aux comptes ne décrivaient pas
les diligences à mener en matière de prévention et de détection des
fraudes. La norme 2-105 - « Prise en considération de la possibilité de
fraudes et d'erreurs lors de l'audit des comptes » a, en effet, été inscrite
dans le référentiel des normes de la Compagnie Nationale des
Commissaires aux Comptes en 2003 et est devenue obligatoire pour les
comptes ouverts à copter du 1er janvier 2003.
Cependant, cette norme est une transposition de la norme internationale
ISA 240 - « The Auditor's Responsability to Detetect Fraud and Error in
Financial Statements », qui a été publiée en mars 2001 par l'IFAC. Aussi,
les professionnels qui souhaitaient inclure dans leur démarche d'audit des
diligences relatives à la fraude pouvaient s'appuyer dès 2001 sur les
normes de l'IFAC. Il leur était également possible de se référer à la norme
américaine relative aux fraudes publiée en 1997 4.
4
L'American Institute of certified Public Accountants (AICPA) a publié en 1997 la norme
SAS 82, -«Consideration of fraud in a financial statement audit».
En mai 2007, la NEP 240 - « Prise en considération de la possibilité de
fraudes lors de l'audit des comptes », a remplacé la norme 2-105. La NEP
240 a pour objet de définir les procédures d'audit spécifiques relatives:
La NEP 240 est une norme plus restreinte que la norme CNCC 2-105. Elle
aborde uniquement l'évaluation du risque de fraude. Ainsi, le risque
d'anomalie significative résultant de fraudes et celui résultant d'erreurs
ont été dissociés dans la nouvelle norme homologuée en 2007.
La norme 2-105 insistait sur le fait que le commissaire aux comptes ne
pouvait être tenu pour responsable de la prévention des fraudes et des
erreurs. Elle consacrait plusieurs paragraphes aux limites inhérentes à
l'audit et au risque de non détection de la fraude, en particulier quand
celle-ci est commise par la direction de la société. Cette norme rappelait
dans son paragraphe treize que la « découverte ultérieure dans les
comptes d'anomalies significatives dues à des fraudes ou à des erreurs ne
constitue pas en soi :
- un échec dans l'obtention d'une assurance raisonnable,
- une inadéquation de la planification, de la mise en œuvre de la
mission, ou du jugement exercé,
- une inadéquation de compétence et de diligence, ou
- une mauvaise application des normes d'audit ».
Ces limites inhérentes à l'audit ne sont plus mentionnées dans la NEP 240.
Il en est de même de la responsabilité des dirigeants et du gouvernement
d'entreprise vis-à-vis de la prévention et de la détection des fraudes.
Dans la NEP 240, seul le fait que la « direction est responsable du contrôle
interne mis en place dans l'entité » est rappelé dans le paragraphe 13. En
revanche, dans la norme CNCC
2-105, il était précisé que « la responsabilité de la prévention et de la
détection des erreurs et des fraudes dans l’entité incombe à ses dirigeants
et aux personnes constituant le gouvernement d’entreprise »5. La mise en
place de contrôles internes permet de réduire le risque de fraude.
Cependant, il existe toujours. La norme CNCC 2-105 était très claire sur la
responsabilité relative à ce risque résiduel et stipulait qu'il appartenait «
aux dirigeants d’assumer la responsabilité du risque résiduel »6. Ces
limitations de la responsabilité des commissaires aux comptes en cas de
non détection des fraudes ne sont plus présentes dans la NEP 240.
5
Norme CNCC 2-105, paragraphe 8.
6
Norme CNCC 2-105, paragraphe 10.
comptes de ne pas avoir découvert une fraude et leur responsabilité est
engagée à ce titre. Ainsi, entre 2001 et 2006, 20% des mises en cause de
la responsabilité civile des commissaires aux comptes ont eu pour origine
un détournement dans l'entité contrôlée (AON, 2007).
Il faut rappeler que la fraude se distingue de l'erreur par son caractère
intentionnel. Elle est généralement accompagnée de procédés destinés à
dissimuler les faits. En cas de collusion entre une ou plusieurs personnes,
en cas d'utilisation de documents falsifiés, la fraude peut être
particulièrement difficile, voire impossible à détecter, même pour un
auditeur normalement diligent.
Les études empiriques sur les diligences accomplies par les commissaires aux comptes
montrent que les commissaires aux comptes connaissent et mettent en œuvre les diligences
préconisées par les normes professionnelles en matière de fraudes (Carassus et Cormier,
2003). Le faible pourcentage de détection des fraudes par les commissaires
aux comptes, par rapport à d'autres acteurs comme les salariés, peut
alors traduire une mauvaise adéquation des diligences normatives avec
les caractéristiques des fraudes ou une application défaillante de la
norme.
En faveur de la première hypothèse, relative à une inadéquation de la
norme avec les caractéristiques des fraudes, il faut mentionner les limites
liées à la méthode des sondages qui étaient préalablement mentionnées
dans la norme CNCC 2-105. L'utilisation de seuils de signification peut
également expliquer la non détection par les commissaires aux comptes
de certaines fraudes.
A l'appui de la seconde hypothèse, un rapport du Public Company
Accounting Oversignt Board a récemment pointé les mauvaises pratiques
professionnelles qui pouvaient expliquer la difficulté des auditeurs à
détecter les fraudes commises dans les sociétés. Ces défaillances
concernent l'application systématique de programmes de travail
standardisés, l'absence de réunion des équipes d'audit sur le thème du
risque d'anomalies significatives résultant de fraudes dans les états
financiers de l'entité auditée, l'insuffisante des entretiens menés avec la
direction et le comité d'audit sur les fraudes et les risques de fraude
(Whitley, 2007).
Cependant, malgré ces défaillances, l'audit externe est en voie de
progression dans la détection des fraudes. Une étude menée par le
National Bureau of Economic Research sur 230 fraudes commises dans
des grandes sociétés américaines entre 1996 et 2006 constate que sur la
période le pourcentage de détection des fraudes par les auditeurs
externes est passé de 7% à 29%. Cette étude publiée sous le titre de Who
Blows the Whistle on Corporate Fraud? montre qu'un tournant s'est opéré
dans la détection des fraudes. Salariés, analystes financiers, actionnaires
et média ont cédé la première place aux cabinets d'audit et aux
organismes de régulation dans la détection des fraudes. Sur la période
postérieure à la loi Sarbanes Oxley, le groupe des auditeurs a détecté
ainsi plus de 50% des fraudes recensées dans le cadre de l'étude
(Alvarado, 2007).
La non détection des fraudes ne semble pas due à une non connaissance des normes par les
professionnels. Pour déterminer si la non détection des fraudes résulte d'une mauvaise
application des diligences ou d'une inadéquation des diligences avec les caractéristiques des
fraudes, nous proposons de mener une étude de cas de fraudes commises dans des sociétés
auditées par des commissaires aux comptes.
Les études sur les mises en cause des commissaires aux comptes abordent le sujet de la
fraude, mais elle ne s'intéressent en général qu'aux grandes sociétés et aux grands cabinets
d'audit (Palmrose, 1987, 1988 et 1999; Bedingfield, 1974). Certaines études analysent les
jurisprudences en matière de responsabilité des auditeurs (St Pierre et Anderson, 1984;
Schultz et Pany, 1984), d'autres l'évolution historique des procès contre des commissaires aux
comptes (Saboly, 2004) mais elles ne retracent pas l'histoire des sociétés qui ont mis en cause
la responsabilité de leur auditeur.
L'étude conduite dans la suite de cette communication propose de retranscrire l'histoire de
quatre sociétés de taille moyenne ayant été confrontées à une fraude. Cette étude est menée à
partir des arrêts de Cour d'appel ayant été rendus sur la responsabilité des commissaires aux
comptes de ces sociétés. Leur responsabilité avait été engagée en raison de l'absence de
détection de la fraude.
2. Histoire de quatre sociétés confrontées à
la fraude
Nous avons choisi d’analyser les arrêts de Cour d’appel rendus dans des
cas d’engagement de la responsabilité de commissaires aux comptes pour
des détournements commis dans une société auditée. La structure d’un
arrêt permet en effet de retracer la genèse de la fraude dans l’exposé des
motifs. Nous souhaitions également conduire une analyse des
conséquences de la fraude sur la société pendant une période de 5
années postérieures à la découverte de la fraude. La sélection de
l’échantillon repose sur cette double contrainte :
- arrêt de Cour d’appel suffisamment explicite sur la genèse de la
fraude : mécanisme, raisons de la non-détection de la fraude par le
commissaire aux comptes, nature des diligences d’audit incriminées,
comparaison possible à des exigences normatives (seuil de
signification, sondage et piste d’audit),
- disponibilité d’informations financières sur une période
relativement longue.
Nous avons utilisé les bases de données Diane et Lexis Nexis 7 afin de
sélectionner un échantillon de sociétés répondant aux critères précédents.
Parmi les plus fortes demandes de dommages et intérêts et les plus fortes
condamnations, nous avons retenu quatre affaires répondant aux critères
de sélection. Ces affaires permettent d’assurer la parité entre les
détournements de salariés et les détournements de dirigeants, d’une part,
et entre les condamnations et les non condamnations, d’autre part. Parmi
les plus fortes demandes de dommages et intérêts, nous avons dû écarter
deux arrêts ne permettant pas d’obtenir suffisamment d’information sur la
genèse de la fraude pour effectuer une analyse comparative ou pour
lesquelles les informations financières n’étaient pas disponibles.
7
Nous avons recensé 42 arrêts de Cour d’appel rendus en matière de responsabilité des commissaires aux
comptes entre 1986 et 2006, dont 22 rendus par la Cour d’appel de Paris. Sur ces 42 arrêts, 24 concernaient des
détournements, dont 6 condamnant les commissaires aux comptes.
Seulement 4 affaires sont analysées afin de mieux comparer les sociétés
entre elles.
Si la base de données Diane propose des données objectives, il convient
de s’interroger sur la subjectivité des informations tirées des arrêts de
Cour d’appel. Quatre types de discours s’y mêlent, celui du demandeur,
du défendeur, de l’expert judiciaire (tous trois étant des discours
rapportés) et celui du juge. Deux acteurs se doivent d’être indépendants
(le juge et l’expert judiciaire) et leur discours peut être considéré comme
objectif. En revanche, les discours des parties sont de nature subjective et
doivent être pris comme tels. Dans l’analyse qui suit, les citations portant
un jugement seront accompagnées de leur émetteur afin de renseigner
sur le degré d’objectivité de la citation.
2.2.1 Autotrol
2.2.2 Buron
La société Buron est une société anonyme qui a pour objet la distribution
d'appareils destinés
au traitement des eaux potables et industrielles. Une salariée présente
dans la société depuis sa création, en 1964, a commis des détournements
de fonds pour un montant total de 5.603.092,60 Francs entre avril 1990 et
février 1993. Cette salariée, embauchée en tant que réceptionniste, était
alors attachée de direction. La société emploie 5 salariés. Le président du
Conseil d'administration de la société occupe ses fonctions depuis 1972.
2.2.3 Taufour
2.2.4 Translab
Les sociétés Buron et Autotrol ont été victimes de fraudes commises par
leurs employés visant à détourner les actifs de la société. La fraude
commise par le président du conseil d'administration de la société Taufour
visait à dissimuler aux autres actionnaires les pertes de la société afin
d'échapper à une clause de garantie de passif. La fraude commise dans la
société Translab est également commise par le président du conseil
d'administration mais elle concerne des détournements d'actifs au profit
d'une société dans laquelle il était également gérant.
La genèse de la fraude est analysée dans cette partie. Les faits qui ont
concouru à la perpétration de la fraude tiennent au mécanisme de la
fraude, à la non détection par le commissaire aux comptes de la fraude,
aux diligences mises en œuvres. Ces diligences peuvent être soit
défaillantes, soit inadaptées à la découverte de la fraude.
10
CA Paris du 21/03/2001, 1ère chambre, section A, RG n° 2000/01942.
11
CA Paris du 21/03/2001, 1ère chambre, section A, RG n° 2000/01942.
12
CA Paris du 2/06/2003, 1ère chambre, section A, RG n° 2001/17616.
Dans la société Taufour, des factures clients fictives étaient émises afin de
masquer les pertes financières de la société en gonflant artificiellement le
chiffre d'affaires.
« factures fictives […] pour les sommes de 1,994 MF, 2,870 MF et 2,297 MF ; que
ces factures fictives ont amélioré les comptes d’actif et offert une vision fausse de
la situation financière de la société ; qu’elles étaient émises peu avant la fin de
l’exercice comptable annuel et annulées au début de l’exercice comptable suivant
par des avoirs correspondants afin que la relation entre les deux opérations ne soit
pas faite dans l’immédiat par l’expert-comptable ou le commissaire aux
comptes. »13
Les mécanismes de fraudes présentés dans cette étude sont classiques et
assez simples. Ils portent sur des opérations peu complexes qui peuvent
être facilement appréhendées par un auditeur, même si celui-ci n'a pas
une grande expérience de l'audit. Les contrôles de compte étant
généralement effectués par des auditeurs n'ayant pas le diplôme de
commissaire aux comptes, il était important de s'interroger sur le degré de
complexité de la fraude et sa possible détection par un auditeur non
expérimenté.
13
CA Douai du 16/03/2006, chambre 2, section 2, RG n° 04/00102 et 05/01798.
14
CA Paris du 14/05/2003, 5è chambre, section A, RG n° 1997/27504.
Des soldes comptables de sens anormaux peuvent également alerter les
dirigeants de la société et ses conseils. Dans le cas de la société Buron,
l'expert-comptable avait attiré l'attention de la société sur le solde
anormalement débiteur du fournisseur sur lequel était opérée la fraude.
Des pertes financières anormales ont été constatées par les actionnaires
de la société Taufour quatre mois avant la date de clôture. Une assemblée
des actionnaires a été convoquée afin d'analyser la situation comptable.
Un contrôle de comptabilité a été décidé et mis en place par l'actionnaire
majoritaire qui a permis de déceler les écritures fictives.
Dans l'ensemble des cas analysés, le commissaire aux comptes n'est pas
parvenu à détecter la fraude. La découverte de la fraude du salarié
d'Autotrol a été découverte par hasard parce que le fraudeur a pris la
fuite. Dans la société Buron, les circonstances précises de la découverte
de la fraude ne sont pas relatées. En cas de fraude de la direction, la
fraude a été découverte par les actionnaires qui s'interrogeaient sur les
comptes de la société qui leur étaient présentés (Taufour, Translab).
Dans trois cas sur quatre, un expert judiciaire est intervenu pour déterminer si les diligences
menées par le commissaire aux comptes étaient fautives. Les conclusions de l'expert sont
négatives dans deux cas (Autotrol et Translab).
« […] ainsi que l’observe l’expert dans son rapport, le problème posé n’est pas de
savoir si X [NDLA : le commissaire aux comptes] aurait pu voir les détournements
réalisés […] ; il est bien évident qu’un détournement de cette taille était décelable.
Le problème est de savoir si, dans le cadre de son obligation de moyens, X [NDLA :
le commissaire aux comptes] aurait dû voir ces détournements, soit parce qu’elle
aurait dû avoir un programme de contrôle différent, soit que le détournement ait
été évident pour un professionnel. »15
« considérant qu’il résulte des pièces mises aux débats, spécialement des
constatations de l’expert judiciaire […] que M. X [NDLA : le commissaire aux
comptes] n’a procédé , entre la date de sa propre nomination et celle de la
révocation du dirigeant social […] à aucune diligence, tendant au contrôle physique
des immobilisations, fût-ce par voie de sondages. »16
15
CA Paris du 14/05/2003, 5è chambre, section A, RG n° 1997/27504.
16
CA Paris du 2/06/2003, 1ère chambre, section A, RG n° 2001/17616.
Autotrol Buron Taufour Translab
Rapport expert Oui n.p. Oui Oui
Conclusion de l'expert sur les Négative n.p. Positive Négative
diligences du CAC
n.p. : non précisé
Tableau 3 – Rapport des experts judiciaires sur les diligences des commissaires
aux comptes
17
CA Paris du 14/05/2003, 5è chambre, section A, RG n° 1997/27504.
18
CA Paris du 14/05/2003, 5è chambre, section A, RG n° 1997/27504.
cas de la société Taufour, il est reproché au commissaire aux comptes par
les demandeurs :
« […] de s’être appuyé sur les travaux d’un expert comptable qui déclare ne pas
avoir de mission de contrôle, de ne pas avoir vérifié le compte clients, d’avoir émis
des documents de contrôle laconiques. »19
L'adoption d'une approche par les risques ne permet pas une évaluation
correcte des risques de fraudes, si l'évaluation des risques est
inappropriée. Le commissaire aux comptes de la société Taufour avait
adopté une approche par les risques et orienté ses travaux sur les
créances douteuses, passant à coté des factures et des avoirs fictifs
comptabilisés par le président du conseil d'administration de la société.
La confiance que l'employeur place dans son salarié peut être un élément
d'analyse du commissaire aux comptes. Le salarié peut en effet profiter de
la confiance excessive que le dirigeant place en lui pour commettre la
fraude. L'ancienneté des fraudeurs dans la société peut favoriser cette
confiance. Dans le cas de Buron, la salariée avait été embauchée à la
création de la société en 1964 et avait ainsi près de 30 ans d'ancienneté.
« lors de son audition par les services de police, le 16 novembre 1993, M. X [NDLA :
le président du conseil d’administration] a indiqué qu’en ce qui le concernait, il
avait toute confiance en cette dernière [NDLA : salariée] et qu’il admirait sa
compétence. »20
Le directeur administratif et financier d'Autotrol était salarié de la société
depuis 12 ans lorsque les détournements ont été découverts. Cependant,
cette confiance peut être placée à tort. Ainsi, le commissaire aux comptes
de la société Buron aurait fait preuve de scepticisme professionnel s'il
avait tenu avec circonspection le fait que le dirigeant avait convaincu sa
salariée de rester dans la société après la découverte d'un premier
détournement et s'il avait adapté en conséquence ses diligences d'audit.
« Considérant que ces relations de confiance se sont maintenues en dépit de la
découverte par M. X [NDLA : le président du conseil d’administration] que Melle Y
avait détourné à son profit […] une somme totale de 988.592,20 francs [ … NDLA :
et que le président du conseil d’administration] avait obtenu de la faire revenir sur
sa décision [NDLA : de démission] […] et qu’elle lui avait donné l’assurance qu’elle
19
CA Douai du 16/03/2006, chambre 2, section 2, RG n° 04/00102 et 05/01798.
20
CA Paris du 21/03/2001, 1ère chambre, section A, RG n° 2000/01942.
travaillerait dans la rigueur et l’honnêteté sans laquelle aucune collaboration n’est
possible. »21
Dans le cas de la société Taufour, les actionnaires reprochent au
commissaire aux comptes d'avoir placé une confiance excessive dans le
dirigeant de la société.
« Que la vigilance du commissaire aux comptes semble avoir été trompée par la
confiance qu’il accordait au chef d’entreprise. »22
Le scepticisme du commissaire aux comptes peut également s'exercer par
rapport aux opérations réalisées par la société. Dans le cas de la société
Autotrol, le juge relève que :
« […] d’innombrables commandes ayant été enregistrées au nom de fournisseurs
fictifs sans aucune fausse facture pour les justifier, et ce alors que sa [NDLA : la
société] caractéristique était de n’avoir quasiment d’autre fournisseur que sa
maison-mère. »23
La position des comptes de TVA était incohérente compte tenu du fait que
les achats de la société étaient effectués quasi exclusivement auprès de
sa société mère aux USA, et en étaient exonérés. Le commissaire aux
comptes peut également faire preuve d'esprit critique par rapport à une
organisation comptable aberrante (Autotrol, Taufour).
Dans les cas étudiés, des anomalies de contrôle interne ont été relevées
(Buron, Autotrol, Taufour). Mis à part l'incohérence entre la situation des
comptes de TVA de la société Autotrol et son activité d'exportation, nous
n'avons pas identifiés dans les cas analysés des fraudes qui auraient pu
être détectées par une analyse des principes sous-tendant les opérations
réalisées dans la société. L'exercice d'un esprit critique vis-à-vis des
comptes d'Autotrol, de l'organisation des sociétés Autotrol et Taufour, de
la confiance excessive placée dans sa salariée par le dirigeant de Buron
auraient pu permettre de détecter les fraudes. Les commissaires aux
comptes auraient pu, tout au moins, tenir compte de ces spécificités dans
leur programme de contrôle des comptes, justifier qu'un risque avait été
identifié et des diligences mises en œuvres pour évaluer l'impact de ces
facteurs de risque.
21
CA Paris du 21/03/2001, 1ère chambre, section A, RG n° 2000/01942.
22
CA Douai du 16/03/2006, chambre 2, section 2, RG n° 04/00102 et 05/01798.
23
CA Paris du 14/05/2003, 5è chambre, section A, RG n° 1997/27504.
Le rapport d'expert judiciaire formulant une conclusion positive sur les
diligences menées par le commissaire aux comptes concerne une société
où il existait des anomalies de contrôle interne. L'expert justifie cette
conclusion en raison des limites inhérentes à un audit. L'expert rappelle,
en effet, que la méthode des sondages ne permet pas une détection
systématique des fraudes.
« […] que seul un rapprochement des factures et des avoirs pouvait permettre de
déceler des anomalies, le procédé par sondages n’en permettant pas une
découverte certaine. »24
Les limites des diligences normatives face à la détection des fraudes sont
analysées dans la partie suivante.
Les quatre cas de fraudes sont analysés en fonction de la notion de seuil de signification, de
sondage et de piste d'audit.
Dans le cas de la société Buron, un seul compte fournisseur était concerné
par les détournements effectués par la salariée. Dans la société Taufour, si
les factures fictives étaient d'un montant unitaire élevé, elles ne
représentaient qu'une faible proportion du nombre de factures émises. En
revanche, l'expert mandaté par le tribunal note que :
« […] le nombre et l'importance des avoirs pouvait constituer une anomalie de
nature à orienter une recherche qui aurait pu, si elle avait dépassée les taux usuels
des sondages, conduire à une éventuelle découverte de la fraude. » 25
24
CA Douai du 16/03/2006, chambre 2, section 2, RG n° 04/00102 et 05/01798.
25
CA Douai du 16/03/2006, chambre 2, section 2, RG n° 04/00102 et 05/01798.
26
CA Douai du 16/03/2006, chambre 2, section 2, RG n° 04/00102 et 05/01798.
En revanche, dans la société Autotrol, le directeur financier établissait des
commandes fictives « grossièrement maquillées »27 sans établir de
fausses factures pour permettre de les justifier et « les brouillards de
banque ne correspondaient pas aux relevés bancaires »28.
Dans le cas de la société Buron, le changement du nom du fournisseur
n'avait pas été effectué sur les fausses factures. Mais ce changement ne
portait que sur une seule lettre dans le nom et le graphisme n'avait pas
été changé. Aussi pouvait-il échapper à un auditeur qui aurait effectué un
contrôle sur pièces.
Certaines des fraudes analysées dans cette étude n'auraient pu être
détectées par le commissaire aux comptes car la piste d'audit n'était pas
brisée, le nombre de lignes impactées était faible et la méthode des
sondages ne permet pas une détection systématique des fraudes.
L'ensemble des faits qui ont concouru à la perpétration de la fraude est
synthétisé dans le tableau suivant.
Autotrol Buron Taufour Translab
Détection fraude par CAC NON NON NON NON
Mécanisme de fraude Simple Simple Simple Simple
Principes comptables Anormaux n.p. n.p. n.p.
Contrôle interne Aberrants Insuffisance Aberrants N.A.
Esprit critique Non exercé Non exercé Non exercé n.p.
Significativité Non Non Oui / Non Oui / Non
Piste d'audit Brisée Non brisée n.p. n.p.
N.A. : Non Applicable n.p. : non précisé
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CA Paris du 14/05/2003, 5è chambre, section A, RG n° 1997/27504.
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CA Paris du 14/05/2003, 5è chambre, section A, RG n° 1997/27504.
dans son évaluation du risque de fraude, tout comme un meilleur exercice
de son esprit critique.
Dans le cas de la société Autotrol, les juges ont estimé que le commissaire
aux comptes engageait sa responsabilité envers la société en omettant de
l'alerter sur les risques attachés à l'absence de séparation des fonctions
dans le service comptable de l'entreprise et d'adapter leur programme de
contrôle à cette situation particulière.
« qu’ils auraient dû […] alerter l’appelante [la société] sur les risques attachés à la
non séparation des fonctions comptables et à la concentration des pouvoirs
conférés à ce dernier [NDLA : le fraudeur], ce qu’ils n’ont pas fait, la mention faible
pour qualifier la probabilité d’erreur significative sur les comptes finance comptes
concernés banque et caisse dans leur rapport établi en 1988 pour 1989 – sept ans
plus tard – étant à l’évidence insuffisante. »29
Les juges estiment que ces fautes ont concouru pour 50% au préjudice
subi par la société. Les juges de l'affaire Translab ont ainsi condamné le
commissaire aux comptes à indemniser 100% du préjudice. Mis à part la
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CA Paris du 14/05/2003, 5è chambre, section A, RG n° 1997/27504.
société Autotrol, où le fraudeur a pris la fuite, les sociétés ont intentées
une action au préalable contre le fraudeur.
Quant aux conséquences professionnelles de la non détection de la fraude
par le commissaire aux comptes, nous avons constaté que la
condamnation des commissaires aux comptes ne présumait en rien de la
fin de son activité professionnelle. Ainsi, les commissaires aux comptes
personnes physiques mis en cause dans l’affaire Autotrol sont encore en
activité.
Conclusion
Cette communication apporte quelques éléments concrets de réflexion sur les raisons pour
lesquelles les fraudes s'inscrivent dans la durée et ne sont pas détectées par les commissaires
aux comptes. Le mécanisme de la fraude peut être relativement courant et les diligences
menées défaillantes mais la nature des diligences devant être menées n'aurait pu conduire
dans certains cas à découvrir la fraude. Cependant, l'exercice d'un esprit critique vis-à-vis des
comptes d'Autotrol, de l'organisation des sociétés Autotrol et Taufour, de la confiance
excessive placée dans sa salariée par le dirigeant de Buron auraient pu permettre de détecter
les fraudes, ou du moins d'évaluer correctement le risque de fraudes.
Les fraudes ont des conséquences financières significatives qui se traduisent dans les comptes
au niveau des produits d'exploitation et du RCAI. Les dirigeants peuvent effectuer des choix
dans la gestion des conséquences de la fraude, en utilisant notamment les comptes
d'opérations exceptionnelles. Ils peuvent également choisir de mettre en cause la
responsabilité des commissaires aux comptes.
L'opposition entre faille des diligences normatives et diligences menées défaillantes peut être
lue au travers de la notion d'esprit critique. Cette notion est d'ailleurs reprise dans les normes
des commissaires aux comptes. Si les normes professionnelles relatives à la fraude sont des
guides sur lesquels les commissaires aux comptes peuvent s'appuyer, seule l'adoption en toute
circonstance d'un esprit critique sur les activités, l'organisation et les comptes de la société,
d'une part, et sur les diligences menées, d'autre part, semble permettre aux commissaires aux
comptes de choisir de mettre en place les diligences professionnelles qui sont adaptées à la
société et de les appliquer correctement.
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