Oeuvres Complètes de Lucien de (... ) Lucien de bpt6k80046x

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Oeuvres complètes de Lucien

de Samosate. Tome 2 /
traduction nouvelle avec une
introduction et des notes,
par Eugène [...]

Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France


Lucien de Samosate (0125?-0192?). Auteur du texte. Oeuvres
complètes de Lucien de Samosate. Tome 2 / traduction nouvelle
avec une introduction et des notes, par Eugène Talbot,.... 1912.

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CHEFS-D'ŒUVBEDES LITTERATURES ANC

ŒUVRES COMPLÈTES
DM LUCII
[ï DE.ïSAMOSATE
TRADUCTION NOUVELLE
AVÈTC ILlLE- INTRODUCTION ET DES

PAR EUGÈNE TALBOT


5" Docteur 6s lettres
Madjoint de rhétorique
Professeur au lycée Louis-lo-i

TOME SECOND

SIXIÈME ÉDITION

PARIS
LIBRAIRIE HACHETTE ET C

79, BOULEVARD SAINT-GERMAIN, 19

2 vol. 7 fr.
ŒUVRES COMPLÈTES

$Es LUCIEN
Y.
.,Ie~(^.Isamosate;
COULOMMIERS
Imprimerie PAUL BRODARD.
~L
&1 LUCIEN
ŒUVRES COMPLÈTES
U~F

;<
DE SAMOSATE
TRADUCTION NOUVELLE

AVEC UNE INTRODUCTION ET DES NOTES

1
PAR EUGÈNE TALBOT
Docteur es lettres
Professeur adjoint de rhétorique au lycée Louis-le-Grand.

TOME SECOND

SIXIÈME ÉDITION

PARIS
LIBRAIRIE HACHETTE ET G"
79, "BOULEVARD SAINT-GERMAIN,79
9

1912
Tous.droits réservés,
î; (EUVEES COMPLÈTES

DE LUCIEN.

XXXIX

LES PORTRAITS
'0

i LYCINUS ET POLYSTRATE.

I Lycinus. Oui, mon cher Polystrata, ce qu'on éprouvait jadis


L
voyant une belle Peu
à la vue de l'a Gorgone, je viens de l'éprouver tout à l'heure en
s'en faut que je n'aie été pétrifié,
comme dans la'FaNe; j'en suis encore tout immobile d'admi-
ration.
il
Polystratë. Par Hercule fallait que fût une beauté
divine et d'un aspect bien saisissant, puisque,ceétant femme, elle
a pu frapper à ce point Lycinus. Qu'un jeune garçon eût produit
cette impression sur toi, c'est assez ton habitude. On parvien-
drait phttôt à déplacer le mont Sipyle* qu'à te distraire de la
compagnie des jeunes gens aimables; on te voit toujours auprès
d'eux, la bouche ouverte, les yeux en larmes parfois; comme la

(. Ce dKik.jmeest, suivant Dusoul, l'éloge d'une certaine Panthéa de


Smyme, maîtresse de, Lucius Vérus, et, selon Wieland, le portrait physiquee
et moral de I uOilz, lomnie de Marc Anréle. Quelqnes éditeurs croient qi^e cet
opuscule .1 <-»i ?-«• de i.utien; les meilleurs critiques ne doutent point de son
aulhenticiie.
i. Montage» ilu Ljiti..or'•: sonunet de laquelle on Jisait qu'étaitNiobé,
changée en rocher
fille de Tantale'. Pendant appfends-moi quelle est cette Mé-
duse qui pétrifie les gens. D'où est-elle ? Il faut aussi que je la
voie. Tu ne m'envieras pas, j'espère, ce spectacle, et tu ne seras
pas jaloux si je veux, comme toi, m'en approcher, au risque de
devenir immobile.
LYCINUS. Il faut que tu saches, mon ami, qu'il te suffirait de
la voir d'un point élevé pour demeurer béant et passer à l'état
de statue. Le mal, toutefois, qu'elle te ferait, serait peut-être
encore assez doux, et sa vue ne te causerait pas une blessure
mortelle; mais si elle jetait un regard sur toi, le moyen de t'en
échapper? Elle t'attacherait et t'entraînerait à so,n gré, comme
la pierre d'Héraclée attire le fer'.
2. POLYSTRATE. Cesse, Lycinus, de me décrire je né sais
`
quelle beautéprodigieusequi n'existe que dans ton imagination,
est ceite femme.
ou, du meins, apprends-moi quelle
Lycinoi. Tu crois que j'exagère? Et moi je crains, quand tu
l'auras vue, de passer pour un faible panégyriste, tant tu la
trouveras au-dessus de mes éloges. Cependant je ne -puis te dire
qui elle est. Elle était suivie d'une foule d'esclaves,d'uu brillant
et nombreux cortége d'eunuques et de femmes, appareil qui
donne à croire que sa condition est plus relevée que celle d'une
simple particulière.
POLYSTRATE. Tu ne t'es pas informé de son nom? tu ne sais
pas comment on rappelle 1 •
LYCINUS. Je n'ai pu l'apprendre. Tout ce que j'ai su, c'est
qu'elle est d'Ionie. Un homme, qui la regardait de près sur son
passage, s'est écrié «Voilà pourtant les beautés de Smyrne
Il n'est pas étonnant que la plus belle des villes d'Ionie ait pro-
duit la plus belle des femmes. » Il m'a semblé, que celui qui te-
nait ce langage était lui-même de Smyrne, et qu'il était fier
d!être*le concitoyen de cette belle personne.
3. Polystrate. En vérité, tu t'es comporté .comme une vraie
statue, en, ne la suivant pas et en ne. demandant pas à l'homme
de Smyrne quelle était cette femme. Çep,endant fais-moi de
ton mieux la description de sa beauté; peut-être la reconnaî-
trai-je.
Lycinus. As-fu songé à Ja difficulté de ta demande? Il n'est

J.Niobé..
.pas au pouvoir de la parole, .ou tout au moins de la mienne, de

2. Cf. Platon, Ion, chap. v, édition Stalbaum. On trouvera un curieux


article sur le.moMù/ifinf, dans Ménage, Origines de t# iauçue française,jr. \§
çt 40( éditionde iatu),
peindre cette admirable image le pinceau d'Apelle, de Zeuxis
ou de Parrhasius, y serait impuissant, ainsi que le ciseau de
Phidias ou d'Alcamène. Je déshonorerais donc mon modèle par 'a
faiblesse de mon talent,
Polystratb. Mais seulement, Lycinus, quels sont ses traits?1
Cen'est point une entreprise téméraire que d'en tracer à ton
ami une légère esquisse.
Lycinus. Le parti le plus sûr, selon moi, est d'appeler à mon
aide les plus fameux artistes de l'antiquité, et de les charger du
portrait de cette femme.
POLYSTRATE. Que veux-tu dire, et comment feras-tu venir ici
des gens morts depuis tant de siècles?
Lycjnus. C'est facile, pour peu que tu veuille? répondre à mes
questions.
POLYSTRATE. Tu peux m'interroger.
4. Lycinus. As-tu jamais été à Cnide, Polystrate?
Polystrate. Sans doute.
Lycinds. Et tu as bien examine la Ténus de ce pays?
POLYSTRATE. Oui, par Jupiter! C'est le chef-d'œuvre de Pra-
xitèle.
Lycinus. Tu sais aussi l'histoire qu'on y raconte au sujet de
cette statue, qu'un jeune homme en devint amoureux, se cacha
dans le temple et satisfit, comme il put, sa passion'? Mais nous
te parlerons de cela une autre fois. Puisque tu as vu, dis-tu,
cette Vénus, réponds-moi maintenant si tu as aussi vu celle
d'Alcamène, qui est à Athènes, dans les Jardins'.
Polystrate. Ahi 1 Lycinus, j'aurais été le plus insensible des
hommes, si je n'avais été admirer un des plus beaux ouvrages
de ce sculpteur.
Lycinus. Je ne te demanderai pas, Polystrate, si tu es monté
souvent à l'Acropole pour voir la Sosandra de Calamis s.
POLYSTRATE, Oui, je l'ai'souvent considérée.
Lycinus. Gela me suffit. Quel est celui des ouvrages de Phi-
dias que tu estimes le plus?
4. Vey. les Amours, 4 et suivants. – Clément d'Alexandrie raconte la
même profanation, et dit que Praxitèle avait fait cette statue sur le modèle
de Gratina, ou de Phryné, sa maîtresse. Cf. Valère Maxime, VIII, iv, édition
d'A. Thysius, Leyde, 1650.
2. Cf. le vn* Dialogue des courtisanes.
8. Fameux statuaire qui (lotissait an peu après Phidias. Il excellait surlou
dans l'art de représenterles chevaux. On ne sait rien de positif sur la statue
que Lucien appelle /<? Sosandra. Wieland croit que c'était une prêtresse de
jjjinerve( et Belip $v Pallii une (cerçaine. L,é.épat m$Hress>> d'^rjslogilon,,
Polystrate. Quel autre, sinon sa Lemnienne sur laquelle
Phidias n'a pas dédaigné de graver son nom, et, par Jupiter!
son Amazone, qui s'appuie sur une lance.
5. Lycinos. Toutes ces statues, mon ami, sont des ch'Gfs-d'œu-
vre, et nous n'avons plus besoin d'autres artistes. A présent,
de toutes ces statues nous allons essayer de composer-une seule
image, en prenant à chacune d'elles ce qu'elle a de plus parfait.
POLYSTRATE. Comment faire?
LYCINUS. Ce n'est pas difficile, Polystrate. Confions ces statues
à l'éloquence chargeons-la de transporter ces beautés, de les
disposer, de les fondre dans.les proportions les plus exactes, en
observant à la fois et l'ensemble et la variété.
POLYSTRATE. Tu'as raison. A l'éloquence de mettre la main à
l'œuvre et de montrer son talent. Je suis curieux de savoir
l'emploi qu'elle fera de toutes ces perfections, et comment d'une
foule de beautés elle en composera une seule dont toutes les
parties seront d'accord.
6. LYCINUS. Eh bien, voici comment nous allons te faire voir
cette image façonnée par nos mains. De la Vénus arrivée de
Cnide, elle ne prend que la tête nous n'avons pas besoin du reste
du corps, puisqu'il est nu. Quant aux cheveux, au front et aux
sourcils, qui semblent dessinés au pinceau, nous les garderons
tels que Praxitèle les a faits. Nous conserverons aussi la grâce
humide de ces yeux brillants; sans rien changer à l'idée de
Praxitèle. Les joues et les saillies du visage, nous les em-
prunterons à Alcamène et à la Vénus des Jardins, qui nous
donne; en outre, l'extrémité des mains, l'heureuse proportiondu
corps, les doigts ronds et effilés. Voilà ce que nous prenons à la
Vénus des Jardins. Le contour entier du visage, la délicatesse des
joues, le beau dessin du nez, nous seront fournis par ia Lem-
nienne de Phidias, dont l'Amazone nous offre l'ouverture gra-
cieuse de la bouche et la rondeur du cou. Calamis embellira
notre statue de la pudeur ravissante, du sourire fin de sa
Sosandra; elle en aura le vêtement noble et décent, sauf la
tête qui demeurera découverte. Pour la taille nous la mesu-
rerons sur celle de la Vénus dé Cnide, et Praxitèle nous en
fournira les proportions. Que te semble de notre statue, Po-
lystrate?Y
7. POLYSTRATE. Elle sera fort belle, surtout quand elle sera
complètementachevée. En effet, mon cher, tuas oublié un genre
4; Statue de Minerve, dédiée par les habitants de r.emnos. et consacrée par
Péiidè». •
•lllllîitiiiu'oûrïïesaurait trouver dans une statue, bien que tu
'|iè|Jt&îni' toutes les autres.
Lequel?
&Gnras.
n'est pas le moins intéressant, mon doux ami,
>POLYSTRATE. Cecoloris
à moins que le propre à chaque partie ne te paraisse
contribuer en rien à la beauté, et qu'il soit inutile de peindre en
noir ce qui doit être noir, en blanc ce qui doit etre blanc, d'an.-
mer certains tons par l'incarnat, et ainsi du reste. Notre oc
vrage court grand risque de pécher par le point essentiel.
LYCINUS. Comment nous le procurer, si ce n'est en invoquant
le secours des peintres qui se sont le plus distingués par le
mélange habile des couleurs et par leur emploi judicieux?
Appelons donc ici Polygnote, Euphranor, Apelle, Aétion ils se
partageront la besogne; Eupbranor peindra la chevelure comme
celle qu'il a donnée à sa Junon; Polygnote nous dessinera des
sourcils gracieux et colorera les joues de la nuance qui anime
celles de sa Cassandre, qu'on voit à Delphes dans la Lesché il
lui donnera ce vêtement fin et léger, dont une partie se relève
zéphyrs. Le
avec grâce, tandis que l'autre flotte au gré des
corps demande le pinceau d'Apelle, dans sa Pacaté2; la blan-
cheur éclatante en sera relevée par une teinte chaude et vivante
les lèvres seront celles de la Roxane d'Aétion Il.
8. Mais faisons mieux prenons le plus habile des peintres,
Homère, qui ne le cède ni à Euphranor ni à Apelle, et deman-
dons-lui le coloris qu'il a répandu sur les cuisses de Ménélas
quand il les a comparées à un ivoire légèrement teint de pour-
pre* il colorera ainsi tout notre tableau; c'est encore lui qui
peindra les yeux de notre belle et les fera à fleur de tête ». Le
poëte de Thèbès6, mettant aussi la main à l'œuvre, lui donnera
des: paupières couleur de violette'; puis Homère représentera
son doux sourire, ses bras blancs et ses doigts de rosé8; en un

t. Lieu public, ou l'on s'assemblait pour converser, du mot Uaxi, causerie


2. a MaiU-esse d'Alexandre. Élien l'appelle Panaute.Wst. div., XH.xxxiv
Pline rappelle Campaspe, XXXV, p.. 629. Apelle, en la peignant, en devine
amoureux, et Alexandre eut la générosité de la lui céder. » Beuh de Baiao.
3. Voy. Hérodote ou Aétion, 4 et 5.
4. Iliade, IV, V. UO.
5. BgOttiî, à l'ail de bœuf, épilhète homérique de Junon.
6. Pindare.
7. 'Io$\ë?apov, Olymp., VI, v. 51. Plusieurs éditeurs de Pindare, notam-
ment M. Boissonade, impriment !o6»'«t|0u;jo».
8. *t}o/t/«i<r*fs, quiaime à sourire; XouaiXrnt, aux bras blancs; fia8oti.-
»nXo aux doigts de rose, se rencontrent fréquemment dans Homère.
mot, il la rendra semblable à sa Vénus d'or avec plus de jus-
tesse encore que la fille de Brisés".
9. Voilà ce que peuvent faire les enfants de la sculpture, de la
peinture et de la poésie Mais ce qui fleurit surtout parmi tant
d'attraits, je veux dire la grâce, ou plutôt toutes les Grâces réu-
nies au chœur des Amours, qui pourrait se flatter de l'exprimer?
POLYSTRATE. Ah! Lycinus, c'est vraiment un miracle de beauté
dont tu nous parles; c'est quelque être divin descendu du ciel.
Que faisait-elle quand tu l'as vue?
Lycinus. Elle avait entre les mains un livre à moitié roulé,
dont elle paraissait avoir lu une partie et s'occuper à lire l'autre.
Tout en marchant elle s'entretenaitde je ne sais quel sujet avec
une personne de sa suite; je n'ai pu entendre ce qu'elle disait,
mais elle souriait, Polystrate, et m'a laissé voir ses dents. Com-
ment te dire leur blancheur, leur régularité, leur disposition
admirable? As-tu jamais vu un beau collier de perles brillantes
et d'une égale grosseur? Ainsi ses dents étaient rangées. Ses
lèvres de corail en faisaient'encore ressortir la blancheur. On
pourrait les comparer à cet ivoire poli^ dont parle Homère4;
aucune n'était plus large que les autres, ni plus saillante ou plus
écartée; elles avaient une égalité et une couleur parfaites, une
grandeur unique et une continuité irréprochable. En un mot,
c'est une vue merveilleuse, qni laisse loin derrière elle toute
espèce de beauté mortelle.
10. POLYSTRATE. Arrête. Je ,iais maintenant, sans nul doute,
quelle est la femme dont tu veux parler je la reconnais à ses.
traits et à sa patrie. Ne mWtu pas dit qu'elle était suivie de
quelques eunuques?q
Lycinus.' Oui, et d'un certain nombre de soldats.
POLYSTRATE. C'est la maîtresse de l'empereur, mon cher, cette
beauté ravissante.
Lycinus. Quel est son nom?
POLYSTRATE. Un nom charmant, Lycinus, un nom tout ai-

(. Iliade, XIX, V. 282..


•2; Hippodainié plus connue sous le nom de Briséis.
3. Nous avons déjà vu cette locution de Lucien, pour dire les sculpteu
les peintres et lus poëtes elle rappelle la forme d'Horace dans ces vers
yEque tellus
Pauperi reduditur

.t. Odyssée, XVH1,


Rtgamque pueris.

v, <»6.
Lir.' II, ode xvib, v. 32 et suivants.
niable. C'est c«lui que portait la belle épouse d'Abiradate1. Tu as
souvent lu, dans Xénophon, les éloges qu'il accorde à cette
femme aussi sage que belle?
je
Lycinus. Oui, par Jupiter et je crois toujours lavoir, tant
suis ravi quand j'arrive à la lecture de ce passage. Peu s'en
faut que je n'entende le discours que lui prête l'historien,
lorsqu'elle arme son mari et l'envoie au combat.
fois,
11. POLYSTRATE. Ah mon ami, tu n'as vu celle-ci qu'une
elle a passé devant tes yeux avec la rapidité d'un éclair; tu ne
peux donc louer en elle que des
perfections ordinaires, je veux
dire le corps et la beauté, mais tu n'as pu voir les perfections de
beauté divine surpasseen
son âme. Tu ne sais pas combien cette
elle les attraits extérieurs. Moi qui suis son compatriote et son
ami, et qui ai souvent échangé des paroles avec elle, je connais
de plus la douceur de son caractère, son affabilité, l'élévation de
esprit, et je mets tout
son âme, la sagesse et la culture de son
cela bien au-dessus de sa beauté. Ces charmes, en effet, sont
bien préférables à ceux du corps, et il serait absurde et ridicule
de faire plus de cas du vêtement que de la personne. A mon
sens, la beauté parfaite consiste dans la réunion des vertus de
l'âme et des perfections physiques. Or, combien de femmes je
pourrais te montrer, qui sont belles, mais qui déshonorentleur
beauté! elles parlent, la fleur de leurs attraits se flétrit et se
fane, et la gaucherie même de leurs gestes trahit l'union ma'
assortie de leur corps avec l'âme qui en est maîtresse. De pa.
reilles femmes ressemblent aux édifices sacrés des Égyptiens; If
temple est grand et riche, orné de pierres précieuses, brillant d6
peintures et d'or; mais si vous cherchez le dieu du sanctuaire
c'est un singe, un ibis, un bouq, un chat. Ainsi sont faites boE
nombre de femmes. Ce n'est donc point assez de la beauté, si
elle n'est relevée par de véritables ornements. Je n'entends pas
par ce mot des vêtements de pourpre et des colliers, mais,
comme je l'ai dit plus haut, la vertu, la sagesse, la douceur,,
l'aménité, toutes les qualités enfin dont notre belle offre le ma-
dèle.
12. LVCINUS. Eh bien, Polystrate, récit pour récit, et paye-
moi, comme on dit, de la même mesure ou même d'une plus
forte tu le peux. Trace-moi le tableau des vertus de son âme
afin que je ne l'admire pas à demi. •
POLYSTRATE. L'épreuve que tu m'imppses, mon ami, n'est pas
facile. Il est bien différent de louer ce qui frappe tous les yeux

4. Panlliéa. Voj. XC-noplion, Cyrop., VI, iv.


et^'de décrire ce qu'on ne saurait voir. J'aurai besoin d'appeler à"
mon secours pour exécuter ce portrait, non plus des peintres et
des statuaires, mais des philosophes, qui m'aident à le tracer
d'après les règles qu'ils ont eux-mêmes établies et d'après lés
fôimesantiques.
13. Cependant mettons-nous à l'œuvre. Et d'abord, elle est
éloquente et persuasive; et ces mots « Une parole plus douce
que le miel coulait de sa langue, » ont été dits par Homère plu-
tôt pour elle que pour le vieillard de Pylos Le son de sa voix,
d'une parfaite douceur, n'est ni grave, ce qui ne convient
qu'aux hommes, ni tout à fait grêle, ce qui deviendrait efféminé
et sentant la mollesse; mais il approche plutôt de celui d'un
garçon voisin de la puberté c'est un organe agréable, flatteur,
qui pénètre avec suavité dans l'oreille, si bien que quand elle a.
cessé de parler, la musique de ses mots semble y établir son
séjour, en y formant un murmure semblable aux soupirs pro-
longés de l'écho, et en laissant dans l'âme une impressiondouce
comme le miel, et que la. persuasion accompagne. Vient-elle à
chanter, surtout aux accords de la cithare, alors, mon cher,alors
les alcyons, les cigales et les cygnes n'ont plus qu'à garder le
silence ils ignorent la musique auprès ^d'elle. La fille même de
Pandion paraîtrait ignorante et sans talent, quand elle dé-
ploierait la riche variété de ses accents.
14. Orphée et Amphion, qui se sont emparés de l'âme de leurs
auditeurs au point d'attirer les être inanimés par leurs accords,
auraient à leur tour, je crois, déposé leurs cithares aux pieds
de cette belle, s'ils l'avaient entendue,etdèbout, en silence, au-
raient prêté l'oreille à ses accents. Conserver, en effet, une har-
monie parfaite, ne jamais manquer la mesure, mais régler exac-
tement son chant d'après le levé et le frappé; s'accompagnerde
la cithare, accorderen même temps le luth et la voix, observer
un doigté juste, se plier à toutes les inflexions de la mélodie
cet art fut-il jamais connu du chantre de Thrace et du berger
du Cithérop,qui jouait de la lyre.en conduisant son troupeau *'?
Si jamais, Lycinus, tu entends chanter cette femme, au lieu
d'éprouver seulementle sort de ceux qui voyaient les Gorgones
et d'être pétrifié, tu sauras encore quel était le pouvoir des
Sirènes. Tu te sentiras ravir, et je ne sais quel charme te fera
oublier ta patrie et te& foyers. Vainement tu te fermeras les
oreilles avec de la cire, t son chant pénétrera au travers de cet

I Ilimle, J, v. 249. – 1. Philomèle. – 3. Cf. Horace, Art poétique, v, 394


et suivants.
obstacle tu croiras entendre Terpsichorë, Melpomène ou Cal-
liope elle-même, dont elle a reçu les leçons et dont elle réunit
en elle'toutes les séductions et toutes les grâces. Pour le dire en
un mot, imagine qu'il sort de sa bouche une voix telle qu'on
doit l'attendre et de ses lèvres et de ses dents. Tu l'as vue, cette
femme dont je parle; figure-toi donc l'avoir entendue.
15. Son langage n'est pas moins exquis: c'est l'ionien pur, et
il n'est point extraordinaire qu'elle le parle à ravir, et en y ré-
pandant toutes les grâces attiques, puisque c'est sa langue
maternelle, celle de ses aïeux, et qu'il lui était impossible de ne
point avoir l'idiome d'une personne née dans une colonie d'Athè-
nes. Il ne faut pas s'étonner non plus de son goût pour la poé-
sie, étant concitoyenne d'Homère. Voilà, Lycinus, une image de
la beauté de sa voix et de son chant, telle que l'a pu esquisser
l'inexpérience de mon crayon. Mais voyons le reste. Mon des-
sein n'est pas de renfermer, comme toi, tant de charmes dans
un seul portrait. Cette oeuvre, fût-elle exécutée par un peintre
habile, ne pourrait suffire à représenter la variété multiple de
ces beautés qui semblent rivaliser entre elles au contraire,
chacune des vertus de son âme doit être exprimée séparément
dans uri tableau formé sur ce bel original.
Lycinus. C'est une fête, c'est un gala splendide que tu nous
promets Polystrate tu vas si je ne me trompe me payer
au centuple. Comble donc la mesure, et sois convaincu que
tu ne saurais, quoi que tu fasses, me causer un plus sensible
plaisir.
16. POLYSTRATE. De toutes les connaissancesélevées, celles qui
s'acquièrent par 'la méditation et par l'étude sont, sans contre-
dit, les plus belles formons-en un groupe, aussi agréable par la
diversité que par l'él'égance des contours, afin de ne pas rester
au-dessous de toi dans l'art plastique. Réunissons en elle tous
les trésors de î'Hélicon, toutes les sciences que professent Clio,
Polymnie, Calliope et les autres Muses, celles auxquelles prési-
dent Mercure et Apollon. Les beautés que les,poëtes ont ornées
du charme de leurs vers, les récits des historiens, les leçons des
philosophes, serviront à décorer notre tableau, non pas d'uue
teinte légère et superficielle, mais de manière qu'il soit im-
bu et pénétré à fond par une couleur indélébile. Et si, malgré
nos efforts, cette peinture ne rend qu'imparfaitement l'original,
il faut nous le pardonner; car jamais on n'a cité, même chez les
anciens, de modèle aussi accompli. Néanmoins, si tu le veux,
nous exposerons notre tableau; moi, je n'y vois rien à re-
prendre
Lycinus. Il est Wès-beau, Polystrate, et toutes les lignes en
sont parfaites.
17. Polystrate. Dessinons maintenant "et sa sagesse et son in-
telligence. C'est ici surtout que nous aurons besoin d'un grand
nombre de modèles antiques, et particulièrementde celui d'Ionie.
Nos dessinateurs, nos artistes seront Eschine, l'ami de Socrate
et Socrate lui-même*: ce sont, de tous les peintres, ceux qui
saisissent le mieux la ressemblance,d'autant plus qu'ils ont tra-
vaillé sous les inspirations de l'amour. La fameuse Aspasie de
Milet, la maîtresse de l'illustre orateur olympien nous offrira
un modèle qui n'est point à dédaigner pour la pénétration de
l'esprit, l'expérience des affaires, la profondeur du coup d'œil
en politique, la vivacité, la finesse: transportons-les dans notre
tableau avec toute l'exactitude dé l'équerre, sauf cette différence
que, d'un côté, nous avons une miniature, et, de l'autre, 'un
colosse sous les yeux.
LYCINUS, Comment cela? 't
POLYSTRATE. Parce que, Lycinus, ces deux portraits, quoique
ressemblants, sont d'une grandeur complétement différente. En
effet, la républiquedes Athéniensétait loin d'égaler la puissance
actuelle de Rome,; et si notre Aspasie ressemble à l'autre, elle
l'emporte sur elle par la grandeur, étant représentée sur une
plus vaste toile.
18. Le second et le troisième modèle nous seront fournis par
Théano et la muse de Lesbos s, auxquelles, nous ajouterons
Diotime6. La première nous donnera son élévation d'âme à
transporter dans notre tableau; Sappho nous prêtera l'élégance
de son génie, et Diotime, outre les qualités que Socrate a louées
en elle, son esprit et sa rare prudence. Voilà, Lycinus, encore
un portrait à exposer.
19. LYCINUS. Par Jupiter, Polystrate, il est vraiment admira-
ble mais passons à un autre.
POLYSTRATE. Pour sa bonté, mon cher, pour cette affabilité
qui est l'indice d'un caractère affectueux, pour sa bienveillance
'enfin à l'égard de ceux qui implorent son appui, il faut lui don-
4 Sur Eschine le Socratique, voy. Cicéron, De l'invention, I, xxxi. Diogène
de Laërte et Athénée disent qu'il avait écrit un livre sur Aspasie, la maîtresse
de Pcriclès.
2. Cf. Plularque, Pie de Périclès, xxiv, xxl:
3. Cf. NigiinUs, 1.
4. Fille et, suivant Diogène de Laërte, femme de Pylliagora.
lé. Sappho.
8. Voy. le Banquet de Platon.
ner lés traits de l'autre Jhéano, épouse d'Anténor1, ceux d'A-
rété de sa fille Nausioaa, et de toutes les femmes qui, dans une
haute fortune, se sont distinguées par leur modération!
20. Après ce tableau, nous ferons celui de sa vertu et de son
amour pour le héros dont elle partage la couche telle était
la fille d'Icarius*, cette femme prudente et sage, dont Homère a
tracé le portrait; car c'est ainsi qu'il a peint Pénélope. Mais
plutôt,, par Jupiter! représentons-la comme l'épouse d'Abradate,
dont elle porte le nom et de laquelle nous avons parlé tout à
l'heure.
Xycinus. Ah! Polystrate, ce dernier coup de pinceau achève
ta peinture; mais tes portraits doivent être bientôt finis, car tu
as détaillé son âme tout entière, en en louant successivement
les parties.
21. POLYSTRATE.Non pas tout entière je n'ai point encore
parlé de ce qui mérite nos plus grands éloges; je n'ai pas dit
quelle elle se montre au milieu de sa condition splendide; point
d'orgueil dans la prospérité qui l'environne, nulle confiance
dans la fortune qui l'a placée si haut au-dessus des hommes `
elle sait demeurer au même niveau; jamais un mot incivil, une
pensée insolente; populaire à ceux qui l'abordent, elle descend
avec eux sur le. terrain de l'égalité, se montre toujours affable
dans les témoignages d'amitié et de politesse, et charme ainsi
d'autant plus ceux qui les reçoivent, qu'ils partent d'une per-
sonne élevée, sans avoir rien de théâtral. C'est ainsi que ceux
qui font tourner leur pouvoir, non vers le dédain, mais vers la
bienveillance,paraissent vraiment dignes des biens que le sort
leur départis. Seuls, ils échappent justement à l'envie; per-
sonne ne jalousant une puissance qui se montre modérée dans
le succès, et qui ne va pas, semblable à l'Até d'Homère fouler
aux pieds les têtes des hommes et écraser ceux qui sont au-
dessous d'elle. Voici, d'ailleurs, ce qui arrive aux gens d'un
esprit étroit et rendus insolents par la fortune. Lorsque cette
déesse, au moment où ils s'y attendent le moins, les fait monter
sur son char aux ailes rapides, peu satisfaits de leur sort, ils
ne regardent plus la terre et ils aspirent à s'élever davantage;
mais bientôt, nouveaux Icares, leur cire se fond, leurs ailes
se dispersent au vent, et ils font rire, en tombant sur la tête au
i.lliadt,V.ip.
2. Femme d'Aleinoüs, roi des Phéaciens. Voy. Odyssée, VIII, v. 66.
3. Pénéiope.
i. Iliade, X, v. 500. Cf. le Dict. de Jacobi.
milieu de la. mer et des flots. Ceux, au contraire, qui usent de
leurs ailes, comme Dédale, sans s'élever trop haut et sans ou-
blier qu'elles sont faites de cire, ménagent leur vol propor-
tionné à la nature humaine, et, contents de raser les flots, où
ils mouille- de temps en temps leurs ailes qu'ils n'exposent
point toute l'ardeur du soleil, ils arrivent sûrement et sage-
ment à leur but. Voilà ce qu'on doit louer avant tout dans notre
héroïne; aussi mérite-t-elle que chacunlui souhaite, en. retour
de sa bonté, de conserver toujours ses ailes, et de voir affluer
sans cesse de nouveaux biens.
22. LVCINUS. Que tes vœux s'accomplissent, Polystrate! Elle
en est digne. Ses attraits.ne se bornent pas, comme ceux d'Hé-
lène, à la seule beauté du corps; ils recèlent une àme mille fois
plus belle et plus aimable. Il convenait qu'un prince, grand, bon
et pacifique, joignît à tant d'autres avantages celui de voir naî-
tre sous son empire une femme si accomplie, et fût assez heu-
reux pour obtenir sa tendresse. Ce n'est pas une médiocre
félicité que d'être aimé' d'une femme qui peut, comme le dit
Homère,, disputer à la Vénus d'or le prix de la beauté et s'égaler
à Minerve pour manier l'aiguille'. Il n'est point, en effet, de
mortelle qu'on puisse comparer à celle-ci pour'le corps, ainsi
que parle Homère*, pour les charmes extérieurs, l'esprit et le
travail des mains.
23. POLYSTRATE. Tu dis vrai, Lycinus; et, si tu veux m'en
croire, nous réunirons tous nos portraits, et ceux que tu as faits
de ses attraits physiques et ceux que j'ai tracés des beautés de
son âme: nous en formerons une seule image, et nous la dépo-
serons dans un livre, pour être l'objet de l'admiration commune
du siècle présent et des siècles à venir. Tableau plus durable
que ceux d'Apelle, de Parrhasius et.de' Polygnote, puisque, in-
il
dépendamment des beautés qui ïe composent, a le privilège
de n'être fait ni de bois, ni de cire, ni de couleurs, mais inspiré
dé la pensée même des Muses, et de donner ainsi une image
fidèle, qui représente à la fois et les charmes du corps et lés
vertus de l'âme.
• Iliade, X, v. 38». – 2. Ilide I, 1 4 < S.
XL

POUR LES PORTRAITS.

POLYSTRATE ET LYCINUS.

1, POLYSTRATE. t J'ai vu, Lycinus, m'a dit la dame, j'ai vu,


avant tout, dans votre ouvrage votre zèle et votre affection
pour moi. On ne fait pas un éloge aussi pompeux, s'il n'est
dicté par la bienveillance.Mais il est bon que je vous fasse sa-
voir, à mon tour, quelle je suis. Je n'aime point les flatteurs de
profession ces gens-là ne sont à mes yeux que des hypocrites,
d'un caractère bas et servile. Dans les éloges surtout, quand on
m'en adresse d'impertinents et d'exagérés, je rougis, je suis
prête à me boucher les oreilles, et je prends la chose plutôt
comme une dérision que comme une louange.
• 2, « La louange, en effet, n'est supportable qu'autantque
celui
qu'on Joue reconnaît en lui chacun des avantages qu'on a célé-
brés passé cela, c'est autre chose, une pure flatterie. J'en sais
beaucoup pourtant, a-t-elle ajouté, qui aiment à s'entendre attri-
buer dans un éloge les mérites qu'ils n'ont pas. Ainsi un vieil-
lard aime à être flatté sur sa vigueur un homme qui n'est
pas beau, veut qu'on lui donne.la beauté de Nirée ou de.Phaon.
Ils s'imaginent l'un que ces louanges changeront sa figure;
l'autre, qu'elles lui rendront sa première jeunesse, erreur renou-
velée de Pélias.
3. Mais il n'en va point ainsi. Quel serait, en effet, le prix
de la louange, si ells pouvait nous donner réellement ce qu'elle
nous prête? Ceux qui se laissent louer ressemblent, selon moi,
à un homme qui, pour cacher sa laideur, se couvrirait d'un
beau masque et ferait vanité de cette beauté empruntée que
chacun peut lui ôter, et qu'un rien peut briser; d'autant plus
ridicule qu'une fois démasqué, il montrerait quelle figure
cachaient ces beaux dehors. Tel serait aussi, par Jupiter! un
hommgide petite taille, qui, chaussé-d'un cothurne, voudrait
disputer de grandeur avec ceux dont la taille dépasse son niveau
de toute une coudée. s
4. A ce propos, elle me citait un exemple. Une femme illustre
par sa naissance belle du reste et bien faite, mais petite et
louée
d'une taille tout à fait au-dessous de la moyenne, était
dans les vers d'un poète sur ses autres' avantages et particulière-
ment sur sa beauté et sur sa taille on comparait à celle d'un
peuplier sa stature* droite et élancée. Charmée de cet éloge,
elle allait
comme si elle grandissait à chaque mesure de vers
jusqu'à battre des mains. Le poëte, voyant le plaisir qu'elle
prenait à sa louange, recommençaitsouvent le même passage,
lorsqu'un des auditeurs se penchant vers son oreille a Finis,
mon cher, dit-il, tu vas faire lever cette dame. »
5. Par une faiblesse semblable et plus ridicule encore, Stra-
tonice, femme de Séleucus, proposa aux poëtes un prix de deux
talents pour celui qui ferait le plus bel éloge de sa chevelure
quoiqu'elle fût chauve et qu'il ne lui restât plus que fort peu
de cheveux: personne n'ignorait l'état de sa tête et la perte
qu'elle avait faite à la suite d'une longue maladie. Elle entendit
cependantde misérables poëtes lui dire que ses cheveux res-
semblaient à des hyacinthes, en rouler les boucles en longs
anneaux et les comparer à de l'ache, quoiqu'elle n'en eût pas
unseul.
6. C'est ainsi que notre héroïne se moquait de tous ceux qui
ajoutait-elle, ne
se livrent en proie aux flatteurs. « La plupart,
sont pas seulement'sensiblesaux éloges ils veulent encore être
flattés et trompés dans leurs portraits. Parmi.les peintres, ils
choisiront de préférence. celui qui leur donnera dans un tableau
la figure la plus agréable. Il en est même qui ordonnent à
l'artiste de retrancher quelque chose de leur nez, de donner à
leurs yeux une teinte plus noire, enfin de leur prêter les traits
qu'ils voudraient réellement avoir. Ils ne s'aperçoivent pas
qu'ils vont ainsi couronnant l'image d'un autre, qui n'a au-
cune ressemblanceavec eux. z>
7, Tels ont été ses discours avec d'autres encore. Elle a donné
d'ailleurs des éloges à la plus grande partie de ton ouvrage
.aais ce qu'elle n'a pu souffrir, c'est que tu l'aies assimilée à
des déesses, à Junon et à Vénus, Une semblable comparaison,
a-t-elle dit, est au-dessus de moi et de toutes les mortelles. Je
n'aurais pas même voulu qu'il m'eût mise en parallèle avec des
héroïnes telles que Pénélope, Arété, Théano, bien loin d'être
comparée aux premières des déesses. J'ai pour elles trop de res-
pe.ç| et de religion, J§ crajnd^aisd/être d'un orgueil comparable,
nature.
à celui de Cassiopée, si j'acceptais une louange de cetterévérait
cependant elle ne se compara qu'aux Néréides elle
Junon et Vénus. »
8 Enfin, Lycinus, elle te prie de vouloir bien modifier ton
oeuvre ou bien elle prend Tu les divinités à témoin que c'est contre
dois savoir que ton livre lui ferait
son gré que tu l'as écrite. reli-
de la peine s'il entrait en circulation tel qu'il est sans
elle-même
gion et sans piété envers les dieux. Elle s'accuserait
d'impiétéet se croirait coupable, en se laissant comparer à la
Vénus de Cnide ou à celle des Jardins. Elle te remet en mémoire
à savoir que le faste
ce que tu dis d'elle à la fin de ton ouvrage,
et l'orgueil ne sont point dans son caractère, que, loin de vou-
elle se contente
loir s'élever au-dessus de la conditionhumaine, dis, puis tu
d'effleurer la terre de son vol voilà ce que tudéesses.et -xan
vas la porter jusqu'aux cieux et l'égaler à des
moins sensée qu Alexan-
9 Elle te conjure de ne pas la croire
dre. 'Un architecte promettait à ce roi de changer tout le mont
Athos en sa statue et d'y tailler son image,
tenant une ville
dans chaquemain le monarque, regardantentreprise
cette promessecomme
cette téméraire comme trop
une imposture et jugeant à sculpter des
au-dessus de lui, fit taire un homme si leste
le mont Athos, sans
colosses, et lui ordonna de laisser en place jusqu'à
aller rapetisser une si grande montagne applaudissaitbeau-une ressem-
blance marquée avec le corps humain. Elle
d'Alexandre, qui, par ce refus, s'était
coup à la grandeur d'âme mont Athos dans
élevé disait-elle, une statue plus haute que leprince
la mémoire de ceux qui garderaient de ce un éternel
souvenir :car41 n'appartient qu'à une grande âme de mépriser
un honneur si extraordinaire.. composition de tes
10. Elle a beaucoup admiré ton idée et la Elle ne
portraits, mais elle ne les trouve pas ressemblants. reconnaît bien
croit point mériter semblable honneur, elle s'en
femme. Elle te renvoie
loin, ainsi que n'importe quelle autre modèles. Loue ses ver-
donc tes éloges et s'incline devant tes
tus humaines; mais, suivant ses propres expressions <r Pas de
chaussure plus grande que mon pied, demarcher peur qu'elle ne me
fasse faire un faux pas, quand je voudrai
•»n
11. Voici encore une chose qu'elle
m'a recommandé de te

ajoute que ce
Voy. Comment il faut écrire l'histoire, M. Plutarque
de l'autre verser un
colosse devait tenir une ville dans l'une de ses main» et
fleuve considérable dans la mer.
9. Cf. Horace, Ijyrc
(, Êp Vi » I3 e* w<
dire J'ai lu dans plusieurs auteurs, vous autres hommes sayefc
<t
si cela est vrai qu'on ne permet pas à Olympie d'élever aux
vainqueurs des statues plus grandes que nature. Les Hellano-
dices veillent à,ce que personne ne s'écarte de la vérité, et l'on
soumet les statues à un examen encore plus rigoureux que
les athlètes. Prenez donc garde, Lycînus/,qu'on ne puisse nous
accuser d'avoir surfait pour la mesure, et qu'ensuite les Hel-
lanodices ne renversentnotre statue. »
12. Voilà ce qu'elle m'a dit. Vois maintenant, Lycinus, com-
ment tu pourras modifier ton livre, en retranchanttous les traits
qui peuvent offenser les dieux. Ils ont paru singulièrement lui
déplaire elle a frémi en les entendant lire, et elle a supplié les
déesses de lui être favorables faiblesse bien excusable chez une
femme. A vrai dire, du reste, il m'a semblé qu'elle n'avait pas
tout à fait tort. Je n'avais d'abord trouvé rien de répréhensible
dans ton écrit, quand tu m'en as fait lecture. Mais depuis qu'elle
m'a fait rjmarquer ces différents endroits, je commence à être
de son avis. Il m'est arrivé quelque chose d'analogueà certains
effets d'optique. Quand on regarde les objets de trop près, qu'on
se les met sous les jeux, on n'aperçoit rien distinctement;
mais
en s'éloignant à une juste distance, on voit parfaitement et ce
qui est bien et ce qui ne l'est pas.
13. Comparer une mortelle à Vénus et à Junon, qu'est-ce
autre chose que de dégrader ces déesses? Dans ces sortes de
parallèles, ce n'est point le petit objet qu'on augmente, c'est le
grand qu'on diminue. Que deux hommes marchent côteà côte,
l'un d'une taille gigantesque l'autre à peine élevé au-dessus
de terre, si l'on veut les rendre égaux, de manière à ce que l'un
ne passe pas l'autre, ce ne sera pas en ordonnant au nain de
se hausser, même en s'élevant le plus possible sur
la pointe
des pieds; mais, pour que tous les deux paraissent de taille
égale, il faudra que le géant se courbe et se fasse plus petit.
De même, dans les comparaisons du genre des tiennes, ce n'est
pas l'homme qu'on élève en l'assimilant à la divinité, c'est la
divinité, qu'on abaisse en la ravalant à un être inférieur à elle.
Je conviens que le manque d'objets terrestres peut nous auto-
riser à élever nos expressions jusqu'aux cieux, sans paraître
coupables d'impiété; mais toi, qui avais le choix de tant de
beautés, tu as eu l'audace, sans qu'il en fût besoin, de com-
parer ton héroïne à Vénus et à Junon.
14. Retranche-moi Lycinus, cette exagération blâmable. Ce
défaut n'est pas dans ton caractère. Tu n'es pas habituellement
porté à donner des éloges, tu en es même avare; maia aujour-
d'hui, tu as subi, je ne sais comment, une métamorphosecom-
plète tu t'es mis en dépense, et ton économie s'est changée
en prodigalité louangeuse. Ne rougis point, du reste, de re-
mettre sur le métier une œuvre déjà livrée au public. Phidias
en fit autant, dit-on lorsqu'il eut achevé son Jupiter, qu'on
voit à Élée. Debout derrière les portes, après avoir fait enlever
les voiles qui couvraient sa statue il écouta les critiques et les
éloges. L'un trouvait le nez trop gros, l'autre le visage trop
long, un troisième blâmait autre chose. Quand les spectateurs
se furent retirés, Phidias se renferma de nouveau corrigeant
et.rectifiant sa statue d'après l'avis de la majorité; car il ne
croyait pas qu'il y eût un meilleur jugement que celui d'une si
grande foule, attendu que plusieurs personnes doivent mieux
voir qu'un seul, fût-ce un Phidias. Telle est la commission que
j'avais à te faire de la part de notre belle, et tels sont les con-
seils que me dicte ma bienveillanteamitié.
15. LycinuS. Ah! Polystrate, quel orateur inconnu je trouve
en toi Tu viens de prononcer contre mon ouvrage un discours
si long, une accusation si grave, qu'il ne me reste aucun
espoir de défense. Cependant vous n'avez guère observé les
formes juridiques, toi surtout, qui as condamné mon livre par
défaut, en l'absence de son avocat. Il est trop facile, je crois,
comme dit le proverbe, de gagner le prix quand on court tout
seul. Je ne suis donc pas surpris de voir ma cause perdue,puis-
qu'on n'a pas fait couler d'eau pour moi et qu'on n'a pas entendu
ma justification. Ce que je trouve de plus étrange dans cette
affaire c'est que vous êtes tous les deux accusateurs et juges.
Veux-tu donc que je m'en tienne à votre décision et que je
garde le silence? Ou bien dois-j&, à l'exemple du poëte d'Hi-
mère chanter la palinodie ? Enfin me donnerez-vous le droit
d'appel ?
POLYSTRATE. Oui, par Jupiter si tu as quelque bonne raison
à faire valoir. Ce n'est pas contre des adversaires, comme tu dis,
c'est devant des amis que tu as à te justifier; et je suis prêt,
pour ma part, à comparaître avec toi.
16. LYCINUS. Une chose me contrarie, Polystrate, c'est que
notre héroïne ne soit pas présente à mon discours cela vau-
drait beaucoup mieux. Me voilà réduit à me justifier par com-
mission. Cependant, si tu veux être mon interprète auprès d'elle
avec la même fidélité que tu as été le sien auprès de moi, je ne
craindrai pas de jeter le dé.
i SLésichore. Nous en avons déjà parlé.
POLYSTRATE. Sois tranquille- à cet égard, Lycinus;, je m'ac-
quitterai parfaitement de mon rôle apologétique seulement
tâche d'être bref,ipour que je retienne mieux.
LYCINUS. J'aurais pourtant besoin de parler longtemps, afin
de réfuter une accusation si terrible. Mais je veux bien, à cause
de toi, abréger cette apologie. Va donc lui dire de ma part.
POLYSTRATE. Pas du tout, Lycinus: parle-lui, comme si elle
était elle-même présente; je t'imiterai auprès d'elle.
LYCINUS. Eh bien, puisque tu le veux, Polystrate, elle est
ici, et c'est elle qui m'a dit tout ce que tu m'as fait savoir de
sa part. Je n'ai plus qu'à commencer ma réponse. Mais, mon
ami, car je n'hésite pas à t'avouer ce qui m'arrive, tu m'as ren-
du, je ne sais comment, ma justification bien redoutable. Tu
le vois, je sue, j'ai peur; il me semble que je l'aperçoiselle-
même, et cette vue me jette dans le plus grand trouble. Je com-
mence toutefois il n'y a plus à différer, elle est là.
POLYSTRATE. Oui par Jupiter 1 La plus grande bonté brille
sur son visage elle est, tu le vois, sereine et affable. Parle
Jonc en toute assurance.
17. Lycinus. Je vous ai donné, 6 la plus parfaite des fem-
mes, des louanges dont l'étendue vous paraît, dites-vous, exagé-
rée je ne vois cependant, pas que je vous aie louée autant que
vous le faites vous-même par votre excessive piété envers les
dieux. Ce trait surpasse tout ce que j'ai pu dire de vous par-
donnez si je ne l'ai point ajouté à votre portrait; je l'ignorais, il
m'à échappé sans cela je l'eusse dessiné avant tous les autres.
Loin donc que mes éloges soient/outrés, je sens combien je suis
resté au-dessous de mon sujet. Voyez quel coup de pinceau j'ai
négligé, qui eût mis dans tout son jour l'excellence de votre
caractère et la justesse de votre raison, puisque la.piété envers
les dieux est le garant de la vertu envers les hommes. Par
suite,, si je dois retoucher mon oeuvre et corriger votre portrait,
je n'aurai pas la témérité d'y rien retrancher^ mais j'y ajouterai
ce trait, qui doit achever et couronner tout l'ouvrage. Je vous
ai donc à cet égard, je l'avoue, ta plus grande obligation. Et
quand j'ai vanté la modération de votre caractère, ennemi du
faste et de l'orgueil au milieu des splendeurs de votre fortune,
en vous plaignant de mon éloge, vous en confirmez la vérité.
En effet, ne pas s'approprier avidement de pareilles louanges,
mais les refuser par scrupule, prétendre qu'elles sont bien au-
dessus de son mérite, c'est la marque certaine d'une âme mo-
deste et populaire. Seulement, plus vous montrez cette disposi-
tion au sujet des éloges, plus vous faites connaître que vous
êtes digne d'être exaltée. On peut, à ce propos, vous appliquer
un mot de Diogène. On lui demandait comment on peut mériter
la gloire t En la méprisant, » répondit-il. Si l'on me demandait
quels sont ceux qui méritent le plus d'être loués, je di rais c Ceux
qui ne veulent pas l'être, »
18. Mais ces réflexions paraîtront peut-être étrangères à la
cause et s'éloigner de la question. Le point sur lequel je dois
me justifier, est d'avoir comparé votre beauté à celle de la Vénus
de Cnide et de la Vénus des Jardins, à celle de Junon et de Mi-
nerve. Cet éloge vous semble excessif; c'est une chaussure trop
grande pour le pied. Examinons donc ce grief. Il y a un vie"ux
proverbe qui dit que les peintres et les poëtes ne sont pas
responsables de leurs fictions; à plus forte raison, seion
moi, ceux qui font des éloges, quoiqu'ils écrivent, comme nous,
en humble prose et ne s'élèvent pas sur. les ailes du mètre.
L'éloge est libre; son étendue ni sa brièveté ne sont soumises à
aucune loi; l'unique objet qu'on s'y propose est d'exciter la plus
vive admiration pour la personne louée et de la présenter
comme un modèle Mais je n'emploierai pas ce moyen de dé-
fense, afin que vous ne croyiez pas que j'en suis réduit à prendre
cette voie.
19. Je vous dirai plutôt que notre manière de composer un éloge
consiste à nous servir de comparaisonset d'images, dont le prin-
cipal mérite est la justesse. Pour y atteindre, ce n'est pas assez
que l'objet de la comparaison soit parfaitement égal à celui de
la louange ou ne lui soit inférieur en aucun point; mais il faut
autant que possible, élever l'être qu'on loue jusqu'à un objet qui
l'emporte de beaucoup sur lui. Par exemple, si, pour faire l'éloge
d'un chien, un disait qu'il est plus gros qu'un renard ou qu'un
chat, sera-ce, à votre avis, le louer d'une manière convenable?
« Non, dir iez-vous et, quand on compareraitce chien à un loup,
l'éloge ne serait pas encore fort grand. Comment donc l'amener
à sa perfectionnaturelle? En disant «Ce chien, par lataille et la
force, ressemble à un lion. » Ainsi un poëte pour faire l'éloge
du chien d'Orion, l'appelle dompleur de lions. Voilà l'éloge par-
fait d'un chien. De même, si l'on veut louer un fameux athlète
Milon de Crotone, Glaucus de Caryste ou Polydamas 5, et qu'on
dise de lui qu'il est plus robuste qu'une femme, ne croirez-vous

<. Cf.Lettres de Cicéron, Adfamiliares, VI, vu.


2. Poëte inconnu.
3. Voy. Hérodote ou Aétion, 8, Comment il faut écrire t'hist., 35, et
V Assemblée des i
dieux,2
héros en
pas que l'auteur d'un si sot éloge a voulu tourner son
ridicule? Eût-il exalté sa force au-dessus de celle d'un homme,
il serait encore loin d'avoir fait un éloge véritable. Écoutez comme
utfipoëte célèbre fait l'éloge de Glaucus
Ni le frère bouillant d'Hélène,
Ni le robuste fils d'Alcmène,
N'eût tendu contre lui ses bras musclés de fer.
Vous voyez comme il compare son héros à des dieux, ou plutôt
comme il l'élève au-dessus des immortels. Cependant Glaucus
ne»s'est pas fâché d'avoir été mis en parallèle avec les dieux qui
président à la lutte, et jamais ceux-ci n'ont songé à tirer ven-
geance de Glaucus ou de son poëte, à cause de l'impiété de cet
éloge. L'un et l'autre, au contraire, ont joui de l'estime et de
l'admiration de toute la Grèce Glaucus, à cause de sa force; le
poëte, pour ses autres cbants et notamment à cause de celui-ci.
Ne soyez donc pas étonnée si, voulant faire une comparaison
nécessaire à tout éloge, je me suis servi d'un exemple outré en
apparence le bon sens me l'indiquait.
20. Vous avez parlé de flatterie; vous avez déclaré que vous
détestiez les flatteur3 je vous en loue, et je ne puis faire autre-
ment. Seulement, ne confondez pas, le vous prie, maisdistinguez
bien l'oeuvre de la louange et l'exagération delà flatterie*. Le
flatteur ne loue qu'en vue de son intérêt; il n'a aucun souci de
la vérité; il croit devoir, en toute occasion, .pousser son hyper-
bole à l'excès il ment; il emprunte à son imagination presque
tout ce qu'il dit; il n'hésite pas à dire que Thersite est beaucoup..
plus beau qu'Achille, que Nestor est le plus jeune des guerriers
qui sont devant Troie; il jurera que le fils de Crésus a l'ouïe
plus délicate que Mélampe, que Phinée a la vue plus perçante
que Lyncée du moment qu'il espère profiter de ses mensonges.
Au contraire, celui qui loue ne ment jamais jamais il ne prête
à son sujet des qualités qui n'existent point seulement il peint
les avantages naturels, même peu développés, de l'objet loué,
puis il les amplifie et leur donne un air de grandeur. Il osera

1. Pindare; mais ce morceau manque dans ce qui nous reste de ce poëte.


2. Cf. le traité de Plutarque: Moyens de discerner Kn ~Me~rd'avec un ami,
traduction d'A. Pierron, édition Charpentier, t. I, p. < Théophmte, Caract.,
chap. h, spécialement dans l'édition d'Asl.
3 Voy. pour ces noms le Dict. de Jacobi. Quant au fils de Crésus, Hérodote,
livre I, dit qu'il était sourd et muet. On sait comment ce jeune prince recou-
vra ta voix; au moment où un soldat allait tuer son père, il s'écria a Soldat,
lie tue pas CrésuB !» Voy. Aulu-Gelle, V, ix Valère, Maxime, V, iv.
dire d'un cheval, qui, de tous les animaux que nous connais-
sons, est, de sa nature, le plus léger et le plus vite
Il n'eût pas fait courber la tête des épis
Et ailleurs
Le galop des chevaux prompts comme la tempête
S'il veut louer une belle maison, il dira
Tel est de Jupiter le céleste palais ».

Un flatteur appliquerait ce vers à la cabane d'un gardeur de


pourceaux, s'il espérait en tirer quelque chose. C'est ainsi que
Cynéthus, flatteur de Démétrius Poliorcète, après avoir épuisé
toutes les ressources de la flatterie, louait Démétrius,'tourmenté
de la toux, de ce qu'il crachait avec grâce.
21. Le caractère qui distingue le flatteur du panégyriste ne
consiste pas seulement en ce que l'un ne fait aucune difficulté
d'employer le mensonge pour faire plaisir à ceux qu'il loue,
tandis que l'autre essaye d'outrer des qualités qui existent;
mais ils diffèrent essentiellement en ceci, que le flatteur use
des hyperboles les plus violentes qu'il puisse inventer, tan-
dis que le panégyriste évite prudemment cet excès ,et se tient
dans de justes bornes. Telles sont, entre mille, les différences
qui séparent la flatterie de la louange sincère elles vous appren-
dront à ne pas soupçonner tous ceux qui vous louent, mais
à les distinguer et à mesurer chacun d'eux à la règle qui lui
convient.
22. Maintenant,rapprochez, si vous voulez bien, mon ouvrage
•ie chacune de ces deux règles, et vous verrez s'il s'applique à
celle-ci ou à celle-là. Si j'avais comparé une femme laide à la
Vénus de Cnide, je passerais à bon droit pour un flagorneur
plus impudent que Cynéthus; mais lorsque c'est une femme
comme vous, et que tout le monde connaît, la distance n'est pas
assez grande pour qu'on blâme ma témérité.
23. Peut-être me direz-vous, ou plutôt vous me l'avez déjà
dit « Je vous permets de louer ma beauté; mais il fallait faire
un éloge à l'abri de tout reproche, et non pas assimiler uu
1. Homère, Iliade, XX, v. 227. Cf. Oppien, De la chasse, I, v. 231. e
Virgile, En., VII, ». 808.
2. Ce vers n'est pas dans Homère on trouve dans l'hymne à Vénus, allri-
bucà ce poëte, le vers 218, qui a de l'analogie avec celui que cite Lucien..
3. Odyssée, IV, y. 74.
mortelle à des déesses. » Je réponds à cela, puisque la vérité
n'y force, que je ne vous ai point comparée à des déesses, ô
femme accomplie, mais aux chefs-d'œuvre de nos meilleursartis-
tes, à des ouvrages de pierre, d'airain ou d'ivoire. Il n'y a pas
d'impiété, je pense, à comparer l'homme aux œuvres sorties de
sa main à moins que vous ne confondiez Minerve avec la statue
faite par Phidias, et la Vénus Uranie avec le marbre que Praxi-
tèle a sculpté à Cnide quelques années après Prenez garde
qu'une telle opinion ne blesse les dieux, dont il me semble que
la véritable image ne saurait être représentée par la main des
mortels.
24. Si d'ailleurs je vous ai comparée à des déesses, je n'ai
rien fait en cela qui me soit particulier; je ne suis pas le pre-
mier qui ait frayé cette route un grand nombre de poëtes esti-
mables l'avaient ouverte avant moi, et à leur tête, Homère, votre
compatriote, que je vais citer à cette barre pour ma défense.
Il n'est pas possible que l'on me condamne sans le condam-
ner aussi. Je l'interrogerai donc, ou plutôt je vous interro-
gerai pour lui, car vous conservez dans votre mémoire, et vous
faites bien, les passages les plus charmants de ses rhapsodies.'
Que pensez-vous de lui, lorsqu'il dit de Briséis captive* que,
semblable à Vénus d'or, elle pleure la mort de Patrocle? Et
comme si ce n'était pas assez de ressemblerà Vénus toute seule,
il ajoute
Ainsi pleure la femme aux déesses semblable.

Ce langage vous le fait-il haïr? jetez-vous son livre, ou lui ac-


cordez-vous la liberté d'un pareil éloge? Quand vouslla lui refu-
seriez, tant de siècles la lui ont donnée! Il n'est personne qui
lui en ait fait un crime, ni celui qui eut l'audace de fouetter son
image ni celui qui marqua d'un obèle les vers qu'il prétendait
supposés Eh quoi il lui sera permis de comparer à Vénus d'or
une femme barbare, dont les yeux sont baignés de larmes; et
moi, sans faire de votre beauté un éloge que vous ne voulez pas
entendre, je ne pourrai comparer aux statues des déesses une

4. Les commentateurs et les traducteurs ont généralement mal compris ce


passage. Nous avons suivi les judicieuses remarques de Lehmann, t. VI, p. 448
et449.
2. Iliade, XIX, V. 286.
3. Zoïle, surnommé 'O/«î(>0/*k»t£?, c'est-à-dire, fouet d'Homère.
4. Zénodole d'Èphèse. Voy". Dugas-Monlbel Hist. dm poésies homériques,
dans le t. II des Observations sur l'Iliade, édition F. Didot.
femme dont le charmant visage s'éclaire de ce sourire qui rend
l'homme semblable aux dieux
25. Lorsque Homère veut peindre Agamemnon, voyez s'il
ménage les dieux; il en distribue les traits avec une parfaite
régularité « Il avait, dit-il, les yeux et la tête de Jupiter, la
ceinture de Mars, la poitrine de Neptune » détaillant chacune
des parties du corps humain pour leur affecter une ressem-
blance avec les dieux. Ailleurs il compare à l'homicide Mars
tantôt un guerrier, tantôt un autre il fait égal aux dieux le
Phrygien, fils de Priam; il appelle semblable à un dieu le 51s
de Pélée. Mais je reviens à des.exemples de femmes. Écoutez le
poëte vous dire
C'est Diane ou Vénus à la ceinture d'or ».
Ou bien
Ainsi Diane court à travers les mpntagnes*.
J.

26. Non content d'assimiler des mortels aux dieux, il com-


pare aux Grâces la chevelure d'Euphorbe, quoique souillée de
sang'. Enfin les exemples de ce genre sont si nombreux dans
Homère, qu'il n'y a presque aucun endroit de ses poésies qui ne
soit embelli par ces images de déesses. Ainsi, effacez-les chez
ce poëte, ou permettez-nous semblable audace. Il y a plus, ces
comparaisons et ces images lui paraissent si autorisées, qu'il il
n'hésite pas à employer des termes de rapport inférieurs à ces
divinités. Il compare les yeux de Junon à ceux d'un bœuf un
autre poëte dit que Vénus a les paupières de violette •; et qui
est-ce qui ne connaît pas l'Aurore aux doigts de rose, pourvu
qu'il soit familiarisé avec les poésies d'Homère?
27. Cependant, c'est peu de chose encore que de comparer la
beauté des hommes à celle des dieux on va jusqu'à usurper
leurs noms. Combien de gens s'appellentDionysius, Héphestion,
Zenon, Posidonius, Hermias '? Une reine de Cypre, épouse
d'Évagoras, se nommait Latone, et la déesse, qui pouvait la
changer en pierre, comme Niobé, ne s'en est pas fâchée. Je ne

1. Iliade, II, V. 478. 2. Odyssée. XIX, v. 64. 3. Ibid., VI, y, 4OS-


t. Iliade, XVII, V. 51.
1.
5. Allusion à l'épHliètefinSntis, si fréquente dans Homère.
6. Voy. les Portraits, 8 et la note.
7. Dionysius, de Aiô»uao«, Bacchus (voy. t. 1, p. 76); Héphestion, de
"BfAiaTOç, Vulcain Zénon, de Zrçfôç, g«n. deZïîv, pour Zeûi, Jupiter; Posi-
ionius, de Ïlo7siôuvt Neptune; Hcnnias, de 'Ep/r^ç, Mercure*
parle pas des Égyptiens quoique les plus superstitieux des
hommes, ils emploient les noms des dieux jusqu'à satiété. Pres-
que tout chez eux porte un nom tiré du ciel.
28.. Bannissez donc toute crainte au sujet de ces louanges ce
n'est point votre affaire. Si, dans mon ouvrage., j'ai commis
quelque faute envers la divinité, vous n'en êtes pas responsable,
à moins qu'il n'y ait des crimes de lecture. Les dieux s'en ven-
geront sur moi, s'il est vrai qu'ils se soient vengés autrefois
d'Homère et des autres poëtes. En tout cas, ils ne se sont jamais
fâchés contre le prince des philosophes', qui a dit que l'homme
est l'image de la divinité. J'aurais encore beaucoup de choses à
dire, mais je me tairai par égard pour notre ami Polystrate, afin
qu'il puisse retenir tout ce que j'ai dit.
29. POLYSTRATE. Je ne sais trop, Lycinus, si cela me sera
possible; tu as parlé bien longtemps et plus que ne te le permet-
tait l'eau versée. J'essayerai cependant de conserver ton dis-
cours dans ma mémoire, et, comme tu vois, je cours de ce pas
le rendre à notre belle, en me bouchant les oreilles, de peur
qu'aucun bruit étranger ne vienne en confondrel'ordre, et que
je ne me fasse siffler des spectateurs.
Lycinus. C'est ton affaire, Polystrate, de bien jouer ton rôle.
Pour moi, qui t'ai confié ma pièce, je me retire en ce moment;
lorsqu'on annoncera l'instant où les juges vont porter leurs suf-
frages, alors je me présenterai pour savoir quelle sera l'issue de
ce procès.

< Platon, suivant Dusout; Épicure, suivant Wieland et Lehmann.


XLI

TOXARIS OU L'AMITIE.

MNÉSIPPE ET TOXARIS.

1. MNÉSIPPE. Que dis-tu, Toxaris ? Vous sacrifiez à Oreste


et à Pylade, vous autres Scythes? vous les regardez comme des
dieux?2
Toxaris. Oui, Mnésippe, nous leur sacrifions, sans cependant
les regarder comme des dieux, mais comme des hommes de
bien.
MNÉSIPPE. Est-ce donc chez vous un usage de sacrifier aux
gens de bien, après leur mort, comme à des dieux?
TOXARIS. Certainement, et de plus nous les honorons dans
nos fêtes et dans nos réunions solennelles.
MNÉSIPPE. Et quel est votre but? Ce n'est pas, sans doute,
pour vous les rendre favorables que vous leur sacrifiez, puis-
qu'ils sont morts.
Toxaris. C'est toujours un avantage de se rendre les morts
favorables; mais nous croyons, en outre, faire une chose très-
utile aux vivants, en leur rappelant le souvenir des grands
hommes et en les honorant quand ils ne sont plus. Nous espérons
qu'un grand nombre de nos concitoyensvoudront les imiter.
2. MNÉSIPPE. C'est une pensée fort judicieuse.Toutefois, d'où
vient pour Oreste et Pylade une admiration qui vous a fait
mettre au rang des dieux non-sèulf-ment des étrangers, mais,
qui plus est, des ennemis? Jetés sur vos côtes par un nau-
frage, ils furent pris par les Scythes de ce temps-là, et emme-
nés pour être immolés à Diane mais eux, rompant.leurs fers,
renversèrent la garde du roi et le tuèrent, puis, saisissant la
prêtresse et arrachant Diane elle-même de son sanctuaire, ils

t Ce Toiaris est un personnageimaginaire qui n'a de commun i|ie le nom


avec le véritable Toxaris dont il a été question dans le Scythe.
s'enfuirent sur leur vaisseau, en se moquant de la nation des
Scythes. Si c'est pour cela que vous les honorez, vous ne man-
querez pas de gens qui feront comme eux; et voyez mainte-
nant, d'après ces anciens traits d'histoire, s'il vous est avanta-
geux que beaucoup d'Orestes et de Pylades abordent en Scythie.
Il me semble que vouz ne tarderez pas à n'avoir, ni religion ni
dieux, si ceux qui vous restent sont enlevés de la même ma-
nière. Il est vrai qu'à la place de tous vos dieux vous honorerez
leurs ravisseurs, et que vous offrirez des sacrifices divins à ces
sacriléges.
3. Mais si ce n'est pas pour de pareilles actions que vous
honorez Oreste et Pylade, dis-moi, Toxaris, quel autre bien vous
ont-ils donc fait pour que, sans les avoir d'abord regardés comme
des dieux, vous leur sacrifiiez maintenant, en les mettant au
rang de vos divinités, et en immolant des victimesà des hommes
qui ont manqué eux-mêmes d'en servir? Cela paraît ridicule et
contraire à vos anciens usages.
TOXARIS. Tout ce que tu viens de nous raconter de ces deux
hommes n'est-il donc pas, Mnésippe, le fait de coeurs généreux?
Ils n'étaient que deux, et ils ont osé l'entreprise la plus hardie.
Quittant leur patrie pour naviguer jusqu'au Pont-Euxin, voyage
qu'aucun Grec n'avait entrepris depuis l'expédition des Argo-
nautes en Colchide, ils ne furent effrayés ni des récits qui cir-
culaient au sujet de cette mer, ni du surnom d'inhospitalière
qu'elle a reçu, sans doute à cause des peuples barbares répandus
sur ses rivages. Une fois prisonniers, ils se conduisirent
ils
avec
tant de bravoure, qu'après avoir brisé leurs fers crurent que
c'était peu de s'échapper aussi vengèrent-ils leur outrage sur
le roi et s'emparèrent-ils de Diane, avant de remettre à la voile.
Comment ne, pas admirer de semblables exploits? Comment ne
recevraient-ils pas les honneurs divins de la part de tous ceux
qui respectent la vertu ? Et cependant ce. n'est pas là ce que
nous considérons dans Oreste et dans Pylade, ni ce qui nous les
fait regarder comme des héros.
4. MNÉSIPPE. Dis-moi donc'ce qu'ils ont fait de si grand et de
si divin. Si c'est leur navigation et leur voyage que tu admires,
je pourrais te montrer des marchands qui mériteraient mieux
vos autels; les Phéniciens, entre autres, qui ne naviguent pas
seulement sur l'Euxin, jusqu'aux Méotides et au Bosphore,
mais qui parcourent toutes les mers grecques et barbares, visi-
tent, durant l'été, tout rivage, toute plage, pour ainsi dire, et n
retournent chez eux que vers la fin de l'automne. A ton compte
il faut aussi les regarder comme des dieux, et ce ne sont ton
bonnement pour la plupart que des trafiquants et des
marchands
de poisson salé.
traités
5. Toxaris. Apprends, mon cher, que les Scythes, xplus haute
m par
de bien une
vous de barbares, ont conçu des hommes
idée que les Grecs. On ne pourrait pas trouver dans Argos ou à
Mycènes un tombeau remarquable d'Oreste et de Pylade, et chez
nous ils-ont un temple consacré à tous les deux à la fois, en leur
qualité d'amis. Nous leur offrons des victimes, nous leur ren-
dons toutes sortes d'honneurs et rien n'empêche, parce qu'ils
sont étrangers, et non pas Scythes, que nous les estimions
hommes de bien. Nous ne nous informonspas de quel pays sont
les gens vertueux, et nous ne sommes pas jaloux, fussent-ils
faites. En louant leur
nos ennemis, des belles actions qu'ils ont
conduite, nous leur accordons pour leurs œuvres le droit de cité.
Mais ce que nous estimons surtout dans ces hommes éminents,
c'est qu'ils sont, à nos yeux, les plus parfaits de tous les amis'
des législateurs qui leur
on peut les proposer aux autres comme
apprennent comment il faut partager la bonne et la mauvaise
fortune, et mériter ainsi le respect des Scythes les plus vertueux.
6. L'histoire de ce qu'ils ont souffert ensemble, ou l'un pour
l'autre, a été gravée par nos ancêtres sur une colonne d'airaiu,
placée dans le temple d'Oreste, et il a été ordonné par une loi que
l'inscription de cette colonne servirait au premier enseignement,
à l'éducation élémentairedes enfants, tenus d'apprendre par coeur
le récit qui s'y trouve gravé. Aussi un enfant oublierait plutôt
le nom de son père, qu'il n'ignorerait les actions d'Oreste et de
Pylade. Outre cela, tout ce qui est inscrit sur la colonne est re-
présenté sur le pourtour du temple dans des peintures qu'ont
fait faire nos aïeux. On y voit Oreste naviguant avec son ami
bientôt leur vaisseau est brisé contre les écueils Oreste est
pris il est tout prêt à être immolé, déjà même Iphigénie va
frapper les victimes. Vis-à-vis, sur le mur parallèle, Oreste est
figuré délivré de ses chaînes et tuant Thoas avec une foule d'au-
tres Scythes. Enfin les deux amis se rembarquent, emmenant
avec eux Iphigénie et la déesse. Les Scythes veulent en vain ar-
rêter le vaisseau, qui fend déjà les vagues; ils se suspendent
au gouvernail, ils essayent de monter mais leurs efforts sont
inutiles les uns blessés, les autres craignant de l'être, rega-
gnent en nageant le rivage. C'est ici surtout qu'on voit éclater
la tendresse des deux amis l:un pour l'autre dans ce combat
contre ies Scythes. Le peintre les a représentés tous deux, nc-
i
t. Cf. Cicéron, DeJ'uùbus, livre V.
gligeant le soin de leur propre vie pour repousser les ennemis
qui attaquent l'autre. Chacun essaye de s'avancer au-devant des
flèches dirigées contre son ami il compte la mort pour rien, s'il
le sauve, et lui dérobfrles coups en le couvrant de son corps.
7. C'est cette amitié, cette communauté de périls; cette foi,
cette confiance, cette sincérité, cette solidité de tendresse réci-
proque, que nousavons regardées comme n'étantpas de l'homme,
mais d'une intelligence supérieure à celle de l'humanité. La
plupart des hommes, en effet, tant que souffle une brise favo-
rable, se fâchent contre leurs amis s'ils ne partagent pas avec
eux tous leurs plaisirs. Mais si le vent
devient contraire, ils
fuient et les laissent seuls au milieu du danger Apprends donc
des
par là qu'il n'y a rien de plus grand que l'amitié aux yeux les
Scythes qu'un Scythe n'estime rien tant que de partager
travaux et les périls d'un ami, et qu'il n'y a pas chez nous de
plus grande honte que de se montrer traître à l'amitié. Voilà
pourquoi nous honorons Oreste et Pylade, qui ont surpassé tous
les autres dans les vertus pratiquées par les Scythes, et qui se
sont distingués dans l'amitié, le premier objet de notre admira-
tion voilà pourvoi nous leur avons donné le nom de Coraques,
qui signifie dans notre langue génies tutélaires de l'amitié.
8. MNÉSIPPE. Ainsi, Toxaris, les Scythes ne sont pas seulement
un peuple habile à lancer des flèches et plus belliqueux que les
autres, mais ils excellent encore à parler le langage de la per-
suasion. Pour moi, qui, jusqu'ici, avais une tout autre opinion,
je commence à croire que vous n'avez pas eu tort de diviniser
Oreste et Pylade. Je ne savais pas non plus, mon cher, que tu
fusses un si bon peintre. Il m'a semblé, pendant ton récit, que
je voyais les tableaux du temple d'Oreste, et le combat, et les
blessures des guerriers. En outre, j'ignorais que les Scythes
professaient un pareil culte pour l'amitié. Je les croyais inhos-
pitaliers, sauvages, toujours en hostilités, irascibles et colères,
sans affection même pour leurs proches, les jugeant ainsi et sur
les récits que j'avais entendu faire et sur le bruit qu'ils ont de,
manger leurs pères après leur mort.
9. Toxaris. Valons-nous mieux que les Grecs sous les autres
rapports, sommes-nous plus justes, plus respectueux qu'ils
prétends entrer en
ne le sont envers nos parents ? je ne Toujourspas est-il
contestation avec toi sur cette question. que les
Scythes sont, plus que les Grecs, amis tendres et fidèles, et que
Cicéron, De l'amitié; Valère Maxime, livre IV, eliap. vu; Mme de
4. Cf.
Lambert: OEuvres morales; Traie de l'amitié.
l'amitié est chez nous plus honorée que chez vous ce serait un
point facile à démontrer. Mais, au nom des dieux de la Grèce,
observé pendant
ne te fâche pas, si tu m'entends dire ce que j'ai
le long séjour que j'ai fait chez vous. Vous me paraissez capa-
bles de faire sur l'amitié les plus beaux discours du monde
mais, loin que vos actions répondent à vos paroles, vous vous
contentez de la louer et de montrer quel grand bien elle est
pour les hommes; puis, au moment d'agir, traîtres à votre lan-
gage, vous fuyez, je ne sais comment, devant la pratique de vos
théories. Lorsque vos poëtes tragiques exposent sur la scène
des exemples d'une amitié parfaite, vous les louez, vous applau-
dissez, vous partagez les dangers des héros, presque tous vous
versez des larmes. Cependant vous n'avez pas le courage de faire
pour vos amis des actions dignes de louanges, et, si quelqu'un
d'eux a besoin de votre aide, aussitôt, comme un songe, tous ces
beaux sentiments de tragédie s'envolent à tire-d'aile, et vous lais-
sent semblables à ces masques vides et muets, dont'la bouche,
prodigieusementouverte, ne profère pas une seule parole. Nous,
au contraire, autant nous vous sommes inférieurs en discours
sur l'amitié, autant nous l'emportons sur vous dans la conduite.
10. Si tu le veux bien, faisons une chose laissons reposer les
anciennes amitiés de votre pays et du nôtre, dont nous pour-
rions dresser l'inventaire. Vous auriez trop d'avantage à citer,
comme des témoins dignes de foi, les nombreux poëtes qui, dans
leurs beaux vers et leurs harmonieuses rhapsodies ont chanté
l'amitié d'Achille et de Patrocle, de Thésée et de Pirithoüs et de
tant d'autres. Prenons seulement un petit nombre de faits ar-
rivés de notre temps, et racontons, moi les actions des amis
scythes, toi, celles des amis grecs. Celui qui l'emportera en pro-
duisant les exemples les plus généreux, sera réputé vainqueur
et proclamera le triomphe de son- pays dans ce bel et glorieux
combat. Pour moi, j'aimerais mieux, si j'essuyais une défaite
dans ce duel, avoir la main droite coupée, ce qui est une peine in
famante chez nous, que ,d'être jugé inférieur à > autre en ami-
tié, et cela, quand cet autre est un Grec et que je suis un Scythe.
11. Mnésippe. Ce n'est pas une petite affaire, Toxaris, que
d'oser se battre en duel avec un guerrier armé, comme toi,
d'arguments bien aiguisés et toujours sûrs de leur coup. Cepen-
dant je ne trahirai pas si lâchement et si vite les intérêts de la
Grèce entière, en reculant devant toi. Il serait honteux que deux
hommes aient pu jadis mettre en déroute un si grand' nombre
de Scythes, suivant la tradition et les antiques peintures dont
tu m'as fait tout à l'heure la description dramatique, et que tous
fussent
les Grecs, nations si nombreuses, villes si considérables, faudrait
vaincus par toi en faisant défaut. Si cela arrivait, il
Toutefois il est juste,
me couper non la main, mais la langue. d'amitié,à moins
avant tout, de fixer le nombre de nos exemples
rapportera, plus on sera
que tu ne sois d'avis que plus on en
en droit d'obtenir la victoire. exemples ne sera pas
TOXARIS. Pas du tout la valeur de nos
déterminée par la quantité, mais par l'excellence des traits, et
les miens,
tu seras vainqueur, si les tiens percent mieux que
quoique égaux en nombre car alors ils me feront des blessures
plus profondes et je tomberai plus vite sous leurs coups.
sufn
MNÉSIPPE. C'est bien dit. Fixons pourtant un nombre
sant je crois que ce sera assez de cinq pour chacun de nous.
TOXARIS. J'y consens. Parle le premier; mais commence par
jurer de ne rien dire que de vrai. Autrement, il ne serait pas
difficile de forger quelque histoire de ce genre, dont la preuve
serait impossible. Si tu jures, il ne me serapas permis de douter
MNÉSIPPE. Nous jurerons donc, si tu crois qu'il faut un ser-
ment. Mais lequel de nos dieux ?. Veux-tu de Jupiter, protec-
teur des amis?.
Toxaris. Oui; et moi je jurerai par un dieu de mon pays,
lorsque ce sera mon tour de parler. soit témoin
12. MNÉSIPPE. Que Jupiter, protecteur des amis,
je ne sache moi-
que je ne te dirai rien que de vrai, rien que n'ajouterai
même, ou d'après des récits authentiques, et que je
je vais te raconter
aucun détail digne du théâtre. Et d'abord l'amitié est célèbre
l'histoire d'Agathocle et de Dinias, dont
dans- toute Tlonie: Cet Agathocle était de Samos
il n'y a pas
l'amitié dont il a
longtemps qu'il existait encore, illustre par des
donné la preuve, mais n'ayant rien de supérieur au reste
Samiens, sous le rapport de la naissance ou de la fortune.
Dmias
Dinias, fils de Lysion, d'Éphèse, était son ami d'enfance.
était immensémentriche. Comme il arrive à ceux qui commen-
cent à jouir de leur fortune, il fut entouré d'une foule de jeunes
et à se faire les compagnons de
gens, tout prêts à boire avec lui éloignés,
ses plaisirs, mais d'autant plus par cela même, d'être
société, conversant
ses amis. D'abord Agathocle vécut dans cette Dinias
et buvant avec eux, mais sans y trouver de grands charmes. A la
n'avait pas pour lui plus d'estime que pour ses flatteurs.
fin Agathocle lui devint insupportable, à cause de ses remon-
trances fréquentes;,il ne put tolérer qu'il lui rappelât sansl'héri-
cesse
lé souvenir de ses aïeux, ni qu'il l'avertit conserver
de
Uge que lui avait laissé son
père, après l'avoir amassé par
tant de travaux 1 en sorte que Dinias cessa de l'inviter à ses par-
ties de plaisir, et s'amusa seul avec ses amis, en essayant de se
cacher d'Agathocle.
13. Ces indignes flatteurs persuadent alors au malheureux
jeune homme qu'une certaine Chariclée, femme de Démonax,
homme de distinction et l'un des premiers magistrats d'Éphèse,
est amoureusede lui. D'abord les billets commencent à lui arri-
ver de la part de Chariclée puis viennent les couronnes à demi
flétries, les pommes mordues, et toutes les séductions que les
prostituées dressent contre les jeunes gens qu'elles veulent
engager dans une passion et qu'elles enflamment en leur fai-
sant croire qu'ils sont leur premier amour.-Rien, en effet, n'est
plus attrayant, surtout pour ceux qui se croient beaux garçons,
et qui finissent par tomber, sans s'en apercevoir, dans les filets
de ces coquettes. Chariclée était une jolie femme mais, en courti-
sane éhontée, elle se livrait, au premier venu, si peu qu'il la
payât. Dès qu'on la regardait, elle faisait un signe de tète, et
il n'y avait pas à craindre qu'elle dît jamais non. Femme rusée
d'ailleurs, et la plus habile des courtisanes à s'emparer d'un
amant, à fixer son irrésolution, à le subjuguer complétement;
puis, une fois qu'elle le tenait, sachant développer et entretenir
ses feux, tantôt par le dépit, tantôt par des caresses ou bien
par le dédain et la feinte d'un autre amour. Enfin c'était dans
,son genre une femme accomplie, et qui faisait jouer mille res-
sorts pour ruiner ses amants.
14. Tel fut l'instrument dont les flatteurs de Dinias se ser-
virent pour le perdre, et ils jouèrent à merveille le second rôle
de la pièce, en le poussant dans une passion violente pour Cha-
riclée. Cette femme, qui avait déjà mis à sec plusieurs jeunes
gens joué mille amours et renversé des maisons opulentes
avait acquis une habitude de tromper fortifiée par un long
exercice. Quand elle se vit entre les mains un garçon dont la
simplicité n'avait aucune expérience de tous ses manéges, elle
se garda bien de le lâcher, mais elle le serra tout entier dans
ses griffes le perça d'outre en outre, se rendit absolumentmaî-
tresse de lui, jusqu'à ce qu'elle se fût. perdue avec sa proie et
qu'elle eût précipité l'infortuné Dinias dans un abîme de mal-
heurs. Elle commençà, comme je l'ai dit, par lui jeter en
amorce des billets doux, et par lui envoyer tous les jours une
suivante chargée de dire et les pleurs et les insomnies de sa
maîtresse, et sa résolution de se pendre, l'infortunée par un
I Cf. Sur le deuil, 2i Hésodole, î,. ccxvi III, xxxviiz.
désespoir d'amour, de sorte que l'heureux Dinias se crut un
beau jeune homme, recherché par toutes les femmes d'Éphèse.
Après s'être bien fait prier, il se rend aux vœux de Chariclée.
15. Depuis ce moment, il devint, comme on peut croire, très.
facile à. ruiner par une femme qui joignait à la beauté la
science des plaisirs, le don de pleurer à propos, d'entrecouper
ses discours de soupirs, de retenir son amant entre ses bras à
son départ, d'accourir à son arrivée, de se parer pour lui
plairedavantage, de chanter au besoin et de jouer de la cithare,
toutes ruses employées pour égarer Dinias. Quand elle s'aper-
çoit qu'il en tient profondément et que l'ivresse de l'amour
en a fait une cire molle, elle imagine un nouveau moyen de le
perdre elle lui dit qu'elle est enceinte de ses oeuvres. Rien
n'est plus capable d'enflammer un amoureux aveuglé par la pas-
sion. En même temps, Chariclée ne vient plus le voir, sous
prétexte qu'elle est épiée par son mari, qui a découvert leur
intrigue. Dinias ne peut résister à cette nouvelle; il est incapable
de supporter l'absence de sa maîtresse il pleure, il envoie ses
flatteurs chez elle, il appelle à grands cris sa Chariclée il em-
brasse avec transport la statue de marbre blanc qu'il en a fait
faire enfin il se jette par terre, se roule sur le plancher et
son désespoir devient une véritable rage. Les présents qu'il
avait faits à Ghariclée n'étaient pas précisément des fruits et
des guirlandes; c'étaient des maisons entières, des champs, des
esclaves, des étoffes brodées, de l'or tant qu'elle en avait voulu.
Que dirai-je plus? en un instant la maison de Lysion, autrefois
la plus illustre de Tlônie, était épuisée, ruinée.
16. Chariclée, voyant son amant à sec, le laisse là, se met
à la chasse d'un jeune Crétois, d'une famille riche, et va vivre
avec lui, tout éprise de sa nouvelle conquête du moins celui-ci
le croyait-il. Dinias abandonné, non-seulement de Chariclée,
mais de ses flatteurs, qui étaient passés du côté de l'amant cré-
tois, va trouver Agathocle, qui savait depuis longtempsl'état
de ses affaires. Après un peu d'hésitation produite par la honte,
Dinias raconte tout à son ami, sa passion, son dénûment, le
dédain de sa maîtresse, la rivalité du Crétois et il termine en
disant qu'il ne peut plus, vivre séparé de Chariclée. Agathocle,
pensant que ce n'était pas le moment de rappeler à Dinias que
de tous ses amis il était le seul cru'il eût éloigné de lui pour
lui préférer des flatteurs, vendit sa maison paternelle de Samos,
la seule qu'il possédât, et lui en donna le prix qui était de trois
talents. Dinias les reçoit et va se montrer à Chariclée, qui le
trouve plus beau que jamais la servante et les billets doux re-
paraissent, avec le reproche d'avoir été si longtemps à venir;
les flatteurs accourent aussi et cherchent à glaner chez Dinias,
qui leur semble de nouveau fort mangeable.
17. Un jour, il avait promis à Ghariclée d'aller chez elle: il
s'y rend donc au moment du premier sommeil. Il' venait d'en-
trer, lorsque Démonax, époux de Chariclée, soit par soupçon,
soit d'intelligence avec sa femme, car les deux versions circu-
lent, sort tout à coup comme d'une embuscade, ordonne de
fermer la porte de la cour et de s'emparer de Dinias, qu'il me-
nace de coups de fouet et du feu, et il tire contre lui son épée
faisant mine de tuer un adultère. Dinias, voyant le péril, saisit
une grosse bûche qui se trouve sous sa main en frappe Démo-
nax à la tempe et le tue. Se jetant ensuite sur Chariclée, il l'as-
somme à coups redoublés de la même bûche et lui passe au
travers du corps l'épée de Démonax. Les esclaves, témoins
muets de cette scène imprévue, restent d'abord immobiles d'ef-
froi, puis ils essayent d'arrêter Dinias, mais il les écarte avec
son épée, et ceux-ci prennent la fuite. Dinias sort, après ce
double meurtre, et demeure jusqu'au matin chez Agathocle,
songeant tous deux à ce qui s'était passé et examinant ce qui
pouvait en résulter. A la pointe du jour, des magistrats arrivent
prévenus par la rumeur publique, arrêtent Dinias, et, comme il
avouait son crime, on le conduit au gouverneur d'Asie. Celui-ci
le renvoie devantl'empereur, qui le fait transporter à l'île Gyare,
une des Cyclades, pour y subir la peine de l'exil à perpétuité.
18. Agathocle, après avoir suivi partout Dinias, s'embar-
qua avec lui pour l'Italie, etseul de tous ses amis, l'accompa-
gna au tribunal. Quand Dinias partit pour l'exil, il ne l'abandonna
pas davantage, mais s'y condamnant lui-même il vint demeu-
rer à Gyare et partager le sort de son ami. Ils en vinrent bien-
tôt à manquer du nécessaire Agathocle, se louant à des pêcheurs
de pourpre plongeait avec eux, et du salaire qu'il en retirait,
nourrissait Dinias. Ce dernier fit une longue maladie Aga-
thocle lui prodigua ses soins, et quand il fut mort, loin de
vouloir se séparer de ,lui il demeura dans l'île, considérant
comme une honte d'abandonner le tombeau de son ami. Telle
est, mon cher, la conduite d'un ami grec; le fait s'est passé
depuis peu, car je ne crois pas qu'il se soit écoulé plus de cinq
ans, depuis qu'Agathocleest mort à Gyare
TOXARIS. Je voudrais bien, Mnésippe, que tu n'eusses pas

t. Petite Ile de la mer Egée, une des Cyclades à 1E. de Céos. Elle servait
aux Romains de lieu de déportation. Aujourd'huiJoura.
fait de serment avant de me conter cette aventure j'aurais pu
me dispenser d'y croire, tant cet Agathocle ressemble à un ami
scythe, et je crains que tu ne puisses m'en citer un autre qui
lui ressemble.
19. MNÉSIPPE. Ecoute maintenant, Toxaris, l'histoire d'un
certain Euthydicus de Chalcis. Je tiens ce fait de Simylus, pilote
de Mégare qui m'a juré en avoir été le témoin oculaire. Il fai-
sait voile, m'a-t-il dit, d'Italie à Athènes, vers l'époque du cou-
cher des Pléiades portant sur son vaisseau un certain nombre
de passagers, parmi lesquels se trouvaient Euthydicus et Da-
mon, son ami, qui était, comme lui, de Chalcis. Ils étaient de
même âge seulement Euthydicus,avait l'air fort et robuste;
Damon au contraire, faible et pâle semblait sortir d'une lon-
gue maladie. Au dire de Simylus, le trajet fut assez heureux
jusqu'en Sicile. Mais quand ils eurent traversé le détroit et
pénétré dans là mer Ionienne ils furent assaillis par une tem-
pête des plus violentes. Je ne te peindrai pas les vagues soule-
vées, les tourbillons, la grêle et tout le sinistre accompagne-
ment d'une tempête. Ils étaient arrivés àla hauteur de Zacynthe',
voguant toutes voiles carguées, et traînant des prolonges dans
leur sillage, pour briser l'impétuosité des eaux, lorsque, vers
minuit, Damon, incommodé par le-roulis du navire, sepenche
sur le bord afin de vomir. En ce moment le vaisseau, frappé
sans doute avec violence par une lame, donne la bande du côté
où Damon était incliné, et, le flot aidant, le malheureuxtombe
la tête la première au milieu de la mer oîi ses-habits l'empê-
chent de nager aisément il se met crier, presque suffoqué et
se soutenant à grand'peine sur les flots.
20. Euthydicus qui était nu dans son lit, ne l'a pas plus iôt
entendu, qu'il se précipite dans la mer et saisit Damon déjà
presque au bout de ses forces. On put apercevoir longtemps,
à la clarté de la lune Euthydicus nageant à côté de Damon et
le soulevant sur les vagues. Les passagers, touchés du malheur
de ces deux jeunes gens, auraientbien voulu'eur porter secours,
mais ils ne le pouvaient, entraînés par un vent violent. Tout
ce qu'on put faire, ce fut de leur jeter des morceaux de liége et
quelques perches, pour qu'ils s'en aidassent à nager, s'ils
avaient le bonheur de les rencontrer on leur envoya enfin
l'échelle du navire, qui était d'une grande dimension. Demande-
toi, au nom des dieux, s'il est possible de donner une plus
1 Fin de novembre.
2. Ile de la mer Ionienne, aujourd'hui 7anu.
grande preuve de tendresse à un ami, tombé la nuit au milieu
d'une mer si furieuse, que de vouloir mourir avec lui. Mets-
toi sous les yeux le soulèvementdes flots, le bruit de l'onde qui
se brise, l'écume qui bouillonne, la nuit, le désespoir; puis
Damon à demi noyé, pouvant à peine lever la tête et tendant
les bras à son ami; vois Euthydicus s'élançant aussitôt à la mer,
nageant auprès de son ami, et craignant que Damon ne périsse
avant qu'il meure, et tu comprendras que je ne t'offre pas en
lui un ami commun et ordinaire.
21. TOXARIS. Ont-ils péri, Mnésippe, ces braves jeunes gens,
ou leur est-il arrivé quelque secours inattendu ? Je tremble sur
reur sort.
MNÉSIPPE. Sois tranquille, Toxaris ils ont été sauvés et ils
sont maintenant à Athènes, s'occupant tous deux de philosophie.
Simylus n'a pu me dire que ce qu'il avait vu durant cette nuit,
l'un tombant, l'autre se jetant après son ami, et tous les deux
se sauvant à la nage mais c'est tout ce qu'il était possible
d'apercevoir dans l'obscurité. SeulementEuthydicus lui-même
m'a raconté le reste. D'abord ils rencontrèrentquelques mor-
ceaux de liége s'en emparèrent et s'en aidèrent pour nager
tant bien que mal puis, à la pointe du jour, ayant aperçu l'é-
chelle du vaisseau,.ils s'avancèrent vers elle, montèrent dessus,
et franchirent ainsi aisément la distance qui les séparait du
rivage de Zacynthe où ils abordèrent.
22. Après ces deux amis, qui ne sont pas à dédaigner, selon
moi, écoute l'histoire d'un troisième qui ne leur est pas infé-
rieur. Eudamidas de Corinthe avait pour amis Arétée de Corinthe
etCharixène de Sicyone. Ces deux derniers étaient riches, tan-
dis qu'Eudamidasétait fort pauvre. En mourant, il fit un testa-
ment, qui peut paraître ridicule à bien des gens, mais qui,
je n'en doute pas, aura l'approbation d'un homme de bien, hono-
rant, comme toi, l'amitié et combattant maintenant pour en ob-
tenir le prix. Ce testament était conçu en ces termes « Je lègue
à Arétée ma mère à nourrir et à soigner dans sa vieillesse; à
Charixène, ma fille à établir avec une dot aussi belle que le lui
permettra sa fortune. »Or, la mère d'Eudamidas était déjà
vieille et sa fille en âge d'être mariée. « Si l'un des deux vient
à mourir, ajoutait-il, que l'autre prenne la place du défunt. »
Quand on fit lecture de ce testament, tous ceux qui connaissaient
la pauvreté d'Eudamidas, mais qui ignoraient l'amitié qui le
liait à ces deux hommes, s'amusèrent de cette affaire, et s'en
allèrent en riant. On disait t Quel bonheur pour Arétée et
cour Charixène de recevoir un si bel héritage et de faire hon-
neur au legs d'EudamidasVivants, ils ont un mort pour héri-
tier. »
23. Mais à peine nos légataires ont-ils connu ce qui leur a
été laissé, qu'ils accourent, et demandent la délivrance de leur
part de succession. CependantCharixène meurt cinq jours après:
alors Arétée, se montrant le plus généreux des héritiers prend
la part léguée à Charixène. Il nourrit la mère d'Eudàmidas, et
quelque temps après marie sa fille. De cinq talents qu'il possé-
dait, il en donna deux à celle-ci et deux à sa propre fille, et
voulut que leur mariage fût célébré le même jour. Que dis-tu,
Toxaris de cet Arétée? A-t-il donné un faible exemple de son
amitié, en acceptant un pareil legs, et en ne trahissant pas les
dispositionstestamentaires de son ami? Ou bien le mettons-nous
au rang de ces suffragesparfaits, dont on trouve un sur cinq' ?1
Toxaris. J'avoue qu'il s'est bien conduit, mais j'admire bien
plus encore la confiance d'Eudamidas en ses amis. Elle prouve
qu'il aurait fait pour eux ce qu'ils firent pour lui, quand même
il n'en aurait pas été prié par testament, et qu'il se serait pré-
senté avant tous les autres pour réclamer un pareil héritage,
sans en avoir été nommé légataire.
24. Mnésippe. Tu as raison. Ma quatrième histoire est celle
de Zénothémis, de Massalie fils de Charmolée. On me l'a
montré, il y a quelque temps, en Italie, où j'étais envoyé en
députation par mes concitoyens. C'était un bel homme, d'une
grande taille, et qui semblait riche. A côté de lui était assise
sur son char, une femme affreusement laide: la moitié droite
de son corps était desséchée elle avait un œil éraillé; en un
mot, c'était un monstre horriblement traité par la nature, un
spectre effrayant. Je m'étonnais de ce qu'un si bel homme eût à
ses côtés une pareille femme; mais celui qui m'avait montré Zé-
nothémis m'apprit la nécessité où il avait été de contracter ce
mariage il connaissait parfaitement toute cette histoire, étant
lui-même de Massalie. <r Zénothémis, me dit-il, avait pour ami
Ménécrate, père de cette femme si laide c'était un homme riche,
honoré, et d'un rang égal à celui de Zénothémis. Plus tard
Ménécrate se vit privé de son bien par une condamnationdu
conseil des Six-Cents,: pour avoir proposé un décret contraire aux
lois. C'est ainsi que nous autres Massaliotes, ajouta-t-il, nous
punissons ceux qui font des propositions illégales. Ménécrate fut

t. C'est-à-dire au rang des choses rares. Un suffrage farfuti eslsans doute


un suffrage unanime*
2. Marseille.
sensible à une condamnation qui, en si peu de temps de riche
le faisait pauvre, et nul de considérable qu'il était. Mais ce qui
surtout le chagrinait, c'était de ne plus pouvoir marier sa fille,
déjà nubile, âgée de dix-huit ans dont personne, fût-ce le
dernier des roturiers et des pauvres n'aurait voulu avec tout le
bien que possédait son père, avant sa condamnation, vu sa lai-
deur si repoussante. On disait de plus qu'elle tombait du haut
mal au croissant de la lune.
25. « Ménécrate se plaignait un jour à Zénothémis de ses
malheurs. <r Console-toi, cher Ménécrate, lui dit ce dernier, tu
« ne manqueras
jamais du nécessaire, et ta fille trouvera un époux
« digne
de sa naissance. » En disant cela, il le prit par la main et
le conduisitdans sa maison, où il lui fit présent d'une partie de
son immense fortune. Ensuite il fit préparer un repas auquel il
invita plusieurs de ses amis avec Ménécrate, comme s'il avait
déterminé quelqu'un de sa connaissance à épouser la fille de
celui-ci. A la fin du repas, après les libations faites aux dieux,
il remplit sa coupe, et la présentant à Ménécrate «Reçois, »
dit-il, « cette coupe de la main de ton gendre; j'épouse aujour-
« d'hui ta fille
Cydimaque, et il y a longtemps que j'ai reçu sa
« dot, qui est de vingt-cinq talents.
Fi donc s s'écrie Méné-
crate. i Ni toi, Zénothémis, ni moi-même je ne serai assez fou
« pour vouloir qu'un homme jeune et beau épouse une fille laide
« et contrefaite.Il parlait encore, que Zénothémis emmène la
fiancée dans la chambre nuptiale et ne sort qu'après avoir con-
sommé le mariage. Depuis ce moment il ne la quitte pas, l'aime
avec tendresse, et, comme'tu vois, la conduit partout avec lui.
26. « Non-seulement il ne rougit pas de l'avoir épousée, il
s'en fait même honneur, montrant'parlà qu'il n'a souci ni de la
beauté, ni de la laideur, ni des richesses, ni de l'opinion, mais
qu'il songe avant tout à son ami, à Ménécrate, qu'il ne croit pas
devoir moins aimer à cause de la condamnation dont il a été
frappé par les Six-CeSs. Du reste, la fortune l'a déjà récom-
pensé de ses sentiments généreux, et de cette femme si laide il a
eu un petit enfant charmant. n n'y a pas longtemps, son père l'a
conduit au sénat, couronné d'olivier et revêtu d'une robe noire.
afin d'inspirer plus de pitié pour son aïeul l'enfant sourit aux
sénateurs et frappa dans ses mains. Le sénat, attendri par ce
spectacle, fit remise à Ménécrate de sa condamnationet le réin-
tégra dans ses premiers honneurs, grâce au nouvel avocat qu'il il
avait trouvé devant le tribunal. » Voilà ce que le Massaliote me
raconta de la générosité de Zénothémis envers son ami. Tu le
vois, c'est une belle action, et il n'y a pas beaucoup de Scytlies
qui l'eussent faite, car on dit qu'ils ont grand soin de se choisir
de jolies maîtresses.
27. Reste ma cinquième histoire et je ne vois pas quelle autre
je pourrais te raconter, si j'oubliais celle de Démétrius de Su-
nium Démétrius se rendait par mer en Egypte avec Antiphile
d'Alopèce 11; ils étaient amis d'enfance, du même âge, vivant et
élevés ensemble. Démétrius avait étudié la philosophie cynique
sous le sophiste de Rhodes Antiphile s'appliquait à la méde-
cine. Le désir de voir les Pyramides et la statue de Memnon
attirait Démétrius en Egypte. Il avait entendu dire que les Py-
ramides, malgré leur élévation, ne projetaient pas d'ombre*, et
que la statue de Memnon rendait un son au lever du soleil Il.
Démétrius, voulant donc voir les Pyramides et entendre Mem-
non, remontait le Nil depuis six mois, après avoir laissé en route
Antiphile fatigué du voyage et de la chaleur.
28. Ce fut alors qu'Antiphile éprouva un malheur qui exigeait
le secours d'un! ami généreux. Un esclave d'Antiphile, nommé
Syrus, parce qu'il était Syrien d'origine, s'étant associé avec des
voleurs, se glissa avec eux dans le temple d'Anubis. Là, ces
scélérats enlèvent le dieu, deux vases d'or, un caducée de
même métal, des Cynocéphales d'argent et autres objets sacrés,
et déposent le tout chez Syrus. Quelques-unsd'entre eux sont
pris au moment où ils vendaient une partie des effets volés;
torturés sur la roue, ils font des aveux complets. On les mène
aussitôt à la demeure d'Antiphile, où ils découvrent les vases
qu'ils avaient dérobés, cachés sous un lit, dans un endroit
obscur. On s'empare à l'instant de Syrus et d'Antiphile. Celui-ci
était alors chez son maître, à écouter la leçon on l'en arrache;
personne ne lui vient en aide; ceux qui avaient été jusque-là
ses compagnons s'éloignent de lui comme d'un sacrilége qui a
violé le temple d'Anubis ils se croiraient souillés s'ils man-
geaient ou buvaient avec lui. Le reste de ses esclaves, ils étaient

4 Promontoire de l'Attique avec un beau temple de Kinem aujourd'hui


cap Colonie
t. Bourg de l'AUique.
3. Peut-être Agathobule, dont il est question dans Dèmonax, 3, et dans
Pérégrinus, il. 1

i. Ce n'est point à cause de leur élévation que ces pyramides ne don-


«
naient pas d'ombre, mais parce que le soleil frappait dessus d'aplomb. Ce qui
ne pouvait être, vu la position de l'Egypte, qui n'est pas sous la ligne, que dans
l'été à un certain jour et à une certaine heure, vraisemblablement à midi. »
Beun DE Baixu.
5. Voy. Pausanias, Auiques, p. 40; Strabon, XV11, p. 816,
deux, pillent tout ce qu'il possède dans sa maison et prennent la
fuite.
29. Le malheureux Antiphileétait depuis longtemps enchaîné;
on le regardait comme le plus criminel de tous les malfaiteurs
qui étaient dans la prison, et le geôlier égyptien, homme super-
stitieux, pensait venger son dieu et mériter ses faveurs en tour-
mentant son prisonnier. S'il voulait dire quelques mots de
justification, on le traitait d'impudent, et il s'attirait une haine
plus grande encore. Bientôt il tomba malade; il n'était guère
possible qu'il ne le fût pas, gisant à terre et n'ayant pas la
faculté d'étendre, même la nuit, ses jambes prises dans un cep;
le jour il suffisait d'un carcan et de l'une de ses mains garrot-
tées, la nuit on l'enchaînait tout entier. De plus, la puanteur du
cachot, la chaleur étouffante produite par le nombre des prison-
niers qu'on y avait entassés et qui pouvaient y respirer à peine,
le bruit des fers, l'absence de sommeil, tout cela était affreux,
insupportable à un homme qui n'était ni familiarisé avec ces
horreurs, ni accoutumé à un genre de vie aussi rude.
30. Déjà il perdait courage et ne voulait plus prendre de
nourriture, lorsque Démétrius arrive il ignorait tout ce qui
s'était passé. Dès qu'il en est instruit, il court à la prison, mais
il ne peut entrer c'était le soir, et le geôlier, après avoir fermé
les portes, s'était allé coucher, en recommandantà ses esclaves
de faire bonne garde. Au point du jour, Démétrius entre à force
d'instances. Il cherchelongtempsAntiphile, que ses souffrances
avaient rendu méconnaissable; il examine tous les prisonniers
l'un après l'autre, comme on recherche sur un champ de bataille
les morts déjà défigurés; et s'il n'avait appelé à haute voix
«Antiphile, fils de Dinomène! » il n'aurait jamais été capable de
le reconnaître, tant ses malheurs l'avaient changé. A cette voix
connue, Antiphile jette un cri. Démétrius s'approche de son ami
qui, séparant et écartant de son visage sa chevelure sale et hé-
rissée, se fait voir tel qu'il est à Démétrius. Ils tombent tous
deux évanouis à cette vue inattendue. Peu à peu Démétrius,
reprenant ses sens, fait à son tour revenir Antiphile; et, après
avoir appris de lui le détail exact de ses infortunes, l'invite à
prendre courage; puis déchirant en deux son manteau, il n'en
garde que la moitié, donne l'autre à Antiphile, et arrache les
haillons hideux et pourris dont il est couvert.
31. Depuis cet instant il demeure auprès de lui tout le temps
qu'on lui permet, le soignant et lui rendant tous les offices pos-
sibles. Pour cela, il se loue sur le port à des marchands depuis
le matin jusqu'à midi, et gagne un assez gros salaire à porter
des fardeaux puis, revenu de son travail, il donne au geôlier
une partie de son argent afin de le rendre doux et traitable, et
emploie le reste à soigner tendrement son ami. Le jour, il reste
avec Antiphile pour le consoler; quand la nuit arrive, il va se
coucher, près de la porte de la prison, sur un lit de feuilles qu'il
s'est préparé. Quelque temps s'écoule de la sprte, Démétrius
pénétrant sans difficulté auprès d'Antiphile, Antiphile suppor-
tant plus facilement son malheur.
32. Peu après, un des voleurs qui étaient enfermés dans la
prison étant venu à mourir, on crut que c'était à l'aide du poi-
son la garde devint plus sévère et on ne laissa plus entrer
aucun de ceux qui le demandaient. Démétrius ne sachant plus
que faire, tout pénétré de douleur et n'ayant nul autre moyen
de voir son ami, va trouver le proconsul et se dénonce à lui
comme complice du vol fait dans le temple d'Anubis. Aussitôt
on le conduit en prison et on l'enferme dans le même cachot
qu'Antiphile. Il avait eu grand'peine, après beaucoup d'in-
stances, à obtenir du geôlier d'être placé à côté d'Antiphile et
attaché au même carcan. C'est alors surtout qu'il fit éclater la
tendresse qu'il avait pour lui, en ne s'occupant point de ses
propres maux. Il était malade, mais il employait tous ses soins
pour procurer à son ami un sommeil tranquille et quelque
relâche à ses souffrances. Réunis, ils supportaient tous deux
plus aisément leurs douleurs.
33. Enfin un événement imprévu vint mettre un terme à leur
'infortune. Un prisonnier étant parvenu, je ne sais comment, à
se procurer une lime, associe à son projet la plupart de ses
compagnons, rompt la chaîne qui retenait les autres aux car-
cans, et les délivre tous. Ils tuent alors sans difficulté les gar-
diens qui étaient peu nombreux, et s'échappent en foule. Dans
le premier moment, ils se dispersent où ils peuvent, mais le len-
demain on en reprend le plus grand nombre. Démétrius et
Antiphile étaient restés à leur place, et même ils avaient empê-
ché Syrus de s'échapper. Dès que le jour parut, le gouverneur
de l'Egypte,informé de ce qui était arrivé,envoieà la poursuite
des autres voleurs, et faisant venir Démétrius et Antiphile,
ordonne de briser leurs fers et les félicite d'être les seuls qui ne
se fussent point enfuis. Mais ceux-ci ne se contentent pas d'être
renvoyés de la sorte. Démétrius, d'une voix ferme, se plaint
vivement de l'injustice criante qu'on leur fait, en les regardant
comme des malfaiteurs qu'on ne renvoie que par pitié ou pour
les récbmpenser de n'avoir pas pris la fuite; enfin ils obligent
le jugé à examinersoigneusementleur affaire. Celui-ci, recon-
naissant leur innocence, les comble d'éloges, et, admirant sur-
tout Démétrius, il leur rend la liberté et les console de l'injuste
punition qu'ils ont subie, en leur faisant à chacun un présent de
ses propres deniers, dix mille drachmes à Antiphile, et deux
fois autant à Démétrius.
34. Antiphile est encore aujourd'hui en Égypte. Démétrius
lui a laissé ses vingt mille pièces et s'en est allé dans les Indes.
auprès des Brachmanes. priant son ami de l'excuser s'il le quit-
tait, et l'assurant qu'il n'avait nul besoin de cet argent tant
qu'il serait dans le même état, c'est-à-dire sachant se contenter
de peu; que désormais Antiphile n'avait plus besoin de son ami,
puisque ses affaires avaient pris une face heureuse. Voilà,
Toxaris, les amis grecs. Situ ne nous avais pas reprochél'amour
des grands mots, je t'aurais rapporté les beaux et nobles discours
prononcés par Démétrius devant le tribunal; tu l'aurais vu,
négligeant sa justification, pleurer et supplier pour Antiphile
en prenant tout sur son compte, jusqu'au moment où Syrus,
mis à la question, attesta leur innocence.
35. Sur un grand nombre d'amis, je t'ai raconté les aventures
de quelques-uns seulement, les premières que m'ait suggérées
ma mémoire ce sont des exemples de tendresse et de constance.
Il ne me reste plus qu'à descendre de la tribune et à te céder
la parole. Tu dois t'efforcer de nous montrer que les Scythes,
loin d'être inférieurs en amitié, sont de beaueoup supérieurs à
ceux que j'ai dits, si tu as quelque souci de ta main droite, et si
tu ne veux pas qu'elle soit coupée. Il serait ridicule qu'ayant fait
d'Oreste et de Pylade un éloge digne d'un sophiste, tu ne fusses
qu'un mauvais orateur en plaidant pour la Scythie.
Toxaris. Tu as raison, Mnésippe, de m'engager à bien parler,
comme si tu t'inquiétais peu d'avoir la langue coupée après ta
défaite. Toutefois je vais commencer, non pas en tenant, comme
toi, de beaux discours, ce n'est pas le fait des Scythes, surtout
lorsque les actions parlent plus haut que les paroles. Ne t'attends
pas non plus à des traits d'amitié semblables à ceux que tu nous
as racontés avec éloge, un homme épousant sans dot une femme
très-laide, un autre mariant la fille de son ami avec deux talents,
ni, ma foi, quelque Démétrius se faisant mettre en prison avec
la certitude d'être délivré quelques instants après. Tout cela est
fort aisé, et je n'y vois rien de grand et de viril.
36. Moi, je te raconterai des massacresnombreux, des guerres,
des morts affrontéespour des amis, et tu verras que vos preuves
d'amitié ne sont que des jeux d'enfants au prix de celles des
Scythes. Du reste, vous avez raison d'agir ainsi, et il est conve.
nable que vous accordiez des éloges à ces traits, malgré leur
faiblesse. Vous n'avez pas, vous ne pouvez pas avoir les occa-v
sions solennelles de signaler votre amitié; vous vivez dans une
paix profonde, et ce n'est pas dans le calme qu'on peut juger de
l'habileté d'un pilote il faut une tempête pour en faire l'é-
preuve. Chez nous, au contraire, ce ne sont que guerres conti-
nuelles nous faisons une invasion, nous repoussons une
attaque ou nous nous élançons au combat pour un pâturage ou
pour une capture. C'est là surtout qu'on a besoin de braves
amis, et voilà pourquoi nous contractons des amitiés solides;
nous les regardons comme une arme invincible et que la guerre
ne peut briser.
37. Mais je veux d'abord t'apprendre de quelle manière nous
faisons dés amis. Ce n'est pas, comme vous, dans les parties de'e
plaisir; ce n'est pas un jeune homme de notre âge, un voisin.
Quand nous voyons un homme de cœur, prêt à Jaire de grands
exploits, nous nous empressons autour de lui et ce que vous
faites pour obtenir la main d'une jeulle fille, nous croyons juste
de le faire pour gagner son amitié c'est une véritable cour où
nous mettons tout en œuvre pour ne pas manquernotre conquête
et ne pas paraître éconduits. Lorsque quelqu'un a obtenu la
préférence,-il se forme entre les deux amis une alliance appuyée
d'un serment redoutable de vivre ensemble et de mourir, s'il
le faut, l'un pour l'autre. Voici comment cela a lieu nous nous
pratiquons une incision aux doigts et nous.en faisons couler le
sang dans un vase; chacun y trempe la pointe de son épée, et
après que les amis. en ont bu, rien ne peut plus les séparer1. 1.
Il n'est pas permis d'être plus de trois à former cette alliance.
Quiconque aurait un plus grand nombred'amis nous ferait l'effet
d'une femme publique ou adultère. Nous pensons, en effet, que
l'amitié perd de sa force à être divisée.
38. Je commencerai par l'histoire toute récente de Dandamis.
Ce Dandamis, un jour que, dans un combat avec les Sauromates,
Amizoque, son ami, avait été fait prisonnier. Mais il faut,
auparavant, que je fasse le serment dont nous sommes convenus
entre nous dans le principe. J'en jure par le Vent et par le
Cimeterre, non, je ne mentirai pas d'un mot, Mnésippe, dans
mes récits sur les amis scythes..
Mnésippe. Je t'aurais volontiers dispensé du serment cepen-
dant tu as bien fait de ne jurer par aucun dieu.
Toxaris. Que dis-tu ? Crois-tu donc que le Vent et le Cime-
i Cf. Hérodote, IV, rocx Tacite, Annales, XII, xtvu.
terre ne soient pas des dieux ? Ne sais-tu pas qu'il n'y a rien de
plus puissant chez les hommes que la vie et que la mort? Eh
bien lorsque nous jurons par le Vent et par le Cimeterre, nous
jurons par l'un, comme cause de la vie, et par l'autre, comme
celle de la mort.
Mnésippe. Cela étant, vous avez bien d'autres dieux de la
même espèce que le cimeterre, la flèche la lance, la ciguë, la
corde et le reste car la mort est un dieu multiple et il y a
une infinité de routes qui y conduisent.
Toxaris. Vois combien tu es pointilleux et chicaneur, comme
tu interromps et troubles mon récit. Moi, j'ai gardé le silence
pendant que tu parlais.
Mnêbippe. Cela ne m'arrivera plus, Toxaris; tu as eu rai-
si je
son de me reprendre. Parle en toute assurance, comme
n'étais pas là pour t'écouter; je garderai le plus religieux silence.
39. Toxaris. Il y avait quatre jours que Dandamis et Amizo-
que s'étaient promis amitié, après avoir bu le sang
l'un de
l'autre; lorsque les Sauromatesfondent sur nos campagnes, au
nombre, disait-on, de dix mille cavaliers et de trente mille
hommes de pied. Comme nous n'avions pas prévu cette inva-
sion, les ennemis renversent tout ce qui se trouve sur leur pas-
sage, tuent la plupart de ceux qui résistent, ou les emmènent
vivants, excepté ceux qui avaient été assez prompts pour pas-
ser à la nage de l'autre côté du fleuve, où se
trouvaient la moi-
tié de notre armée et une partie de nos chariots. En effet, nos
chefs de hordes nous avaient fait camper, je ne sais pourquoi
les ennemis emmè-
sur les deux rives du Tanaïs. Cependant prisonniers,
nent leur butin chassent devant eux les pillent
les tentes, s'emparent de presque-tous les chariots avec leurs
conducteurs, et outragent sous nos yeux nos concubines et
nos femmes. Nous étions au désespoir.
40. Amizoque., entraîné captif par des ennemis qui le maltrai-
tent, appelle son ami par son nom et lui rappelle le souvenir
du sang. Dandamis, en l'entendant, ne perd pas une minute;
les
sous les yeux de tous, il gagne à la nage le bord où sont
ennemis les Sauromates, levant leurs armes, fondent sur lui
pour le percer. Il s'écrie alors « Ziris » Celui qui prononce ce
mot a la vie.sauve, on le reçoit comme venant traiter d'une
rançon. Dandamis, amené devant le chef des Sauromates,
lui
demande la liberté de son ami. L'autre réclame une rançon et
dit qu'il ne rendra pas Amizoque, s'il ne reçoit une somme con-
sidérable. Alors Dandamis m Vous avez pillé, dit-il tout ce
que je possédais; mais si, tout dépouillé que je suis, je puis
encore vous payer quelque chose, je suis prêt à vous obéir
Commande ce qu'il te plaira; si tu veux, prends-moi à la place
de celui-ci, et traite-moi comme bon te semblera. Non, lui
dit le Sauromate je ne te veux pas garder tout entier puisque
tu es venu en criant « Ziris 1 » Laisse-nous donc une partie de
ce que tu as et emmène ton ami. Que veux -tu? reprit Dan-
damis. » L'autre lui demande les yeux il les donne aussitôt à
crever on les lui crève. Les Sauromates, maîtres de la rançon,
lui rendent Amizoque, sur lequel.il s'appuie pour revenir ils
traversent ensemble le fleuve, et nous arrivent tous deux sains
et saufs.
41. Ce trait ranime les Scythes ils ne se croient pas tout à
fait'vaincus, en voyant que les ennemis n'ont pas enlevé le
plus grand des biens, puisqu'il nous reste de si nobles senti-
ments, une fidélité constante dans l'amitié. Les Sauromates, au
contraire, sont frappés de terreur ils songent à quels hommes
ils auront affaire quand ils seront prêts au combat, puisqu'ils
se montrent si courageux dans une surprise: aussi, à la nuit
tombante, ils laissent une bonne partie du bétail, mettent le
feu aux chariots et prennent la fuite. Cependant Amizoque ne
peut supporter de voir clair, lorsque Dandamis est aveugle il
s'aveugle volontairement, et tous les deux restent assis nour-
ris avec honneur aux dépens de la république des Scythes.
42. Quel exemple comparable à celui-là, Mnésippe, auriez-
vous à me citer, quand, au lieu de cinq histoires, on vous en
donnerait quinze, et que, dégagé de ton serment, tu pourrais,
à ton gré, y ajouter des détails romanesques? Moi, je t'ai rap-
porté le fait tout nu; toi, si tu m'en avais raconté un pareil,
combien n'aurais-tu pas, j'en suis sûr ajouté d'ornements à ta
narration 1 Quelles supplicationstouchantes eût employées Dan-
damis que de détails sur la manière dont il s'est aveuglé, sur
ses paroles en cette circonstance, sur son retour, sur les applau-
dissements qui l'accueillent chez les Scythes, et toutes ces ma-
chines inventées par vous pour charmer votre auditoire
43. Écoute maintenant un fait tout aussi honorable le héros
est Bélittas cousin d'Amizoque. Il voit Basthès son ami, ren-
versé de cheval par un lion, un jour qu'ils étaient ensemble à
la chasse l'animal le tenait embrassé, le serrait à la gorge et
le déchirait avec ses ongles. Basthès saute à terre, s'élance sur
la bête, la tire en arrière, cherche à l'irriter contre lui, pour
lui faire lâcher prise, fourre les doigts entre ses dents afin de
soustraire son ami, autant qu'il le pouvait, à la morsure du
lion, jusqu'à ce que celui-ci, quittant Basthès à demi mort-
t.
s'élance sur Bélittas, le saisit et le tue. Mais Bélittas en mou-
rant, a encore le temps de frapper le lion et de lui passer
son cimeterre à travers la poitrine tous les trois expirent en
même temps et nous nous leur rendons les honneurs de la
sépulture, en creusant deux tombeaux contigus, l'un renfermant
les deux amis, et l'autre le lion.
44. Ma troisième histoire, Mnésippe, sera celle de l'amitié
de Macentès, Lonchatès et Arsacomas. Arsacomas était épris
de Mazéa fille de Leucanor, roi du Bosphore auprès duquel il
avait été envoyé pour réclamer le tribut que les habitants de
ce pays ont coutume de nous payer, et dont ils avaient
laissé
passer le terme depuis trois mois. Ce fut dans un festin qu'il
aperçut Mazéa, grande et belle fille et il en devint éperdument
amoureux. L'affaire du tribut était terminée le roi lui avait fait
un repas d'adieu. Il est
sa réponse; mais il voulut lui donner
d'usage au Bosphore qu'au milieu du repas, les prétendants
fassent la demande de la jeune fille qu'ils veulent épouser, en
disant quels ils sont et sur quoi ils fondent leurs titres. Or, il
y avait à ce festin un grand nombre de soupirants, tous rois ou
fils de rois Tigrapatès, souverain des Laziens, Adyrmaque,
prince da la Machlyène, et plusieurs autres. L'usage veut aussi
que chacun des prétendants, après avoir déclaré qu'il vient
pour adresser sa demande, s'asseye avec les autres et soupe
en silence. A la fin du repas, il demande une coupe, verse
une libation sur la table, et se déclare aspirant la main de
la jeune fille, en exaltant sa naissance, sa richesse et son pou-
voir.
45. Plusieurs, suivant la coutume, ayant fait la libation et
leur demande, accompagnée du dénombrement de leurs royau-
mes et de leur opulence, Arsacomas, le dernier, demande la
coupe, et, sans faire de libation car il n'est pas dans nos habi-
tudes de répandre de vin, nous croirions insulter au dieu, il
boit d'un seul trait, et alors Donne-moi, dit-il, ô roi, ta
fille Mazéa pour épouse je lui conviens mieux que tous ceux
qui sont ici, en raison de mes biens et de mes richesses. » Leu-
canor,.qui savait qu'Arsacomas était pauvre et dans une condi-
tion modeste parmi les Scythes, fut étonné de ce discours, et
lui dit « Combien a? -tu de troupeaux et de chars, Arsacomas?
car ce sont là vos richesses. Je n'ai ni chars ni troupeaux,
répondit-il, mais j'ai deux amis vertueux tels que nul Scythe
n'en possède. » En entendant ces mots. chacun se mit à rire;
on regarde Arsacomas avec mépris et on le croit ivre. Le lende'
main matin, Adyrmaque, qui avait été préféré à tous ses rivaux,
se dispose à emmener sa nouvelle épouse aux Méotides, chez
les Machlyens.
46. Arsacomas retourne dans sa patrie il raconte à ses amis
l'insulte qu'il a reçue du roi, les rires qu'il à essuyés pendant
le repas, parce qu'il a passé pour pauvre « Et cependant, dit-
il, je lui ai vanté l'immense fortune que je possède, en ayant
votre affection Lonchatès et Macentès, trésor plus précieux et
plus solide que toutes les richesses du Bosphore. A peine ai-je
prononcé ces paroles, qu'il se met à rire et à me traiter avec
mépris il donne sa fille à Adyrmaque le Machlyen parce qu'il
prétend avoir dix vases d'or quatre-vingts chariots à lits, et
de nombreux troupeaux de moutons et de bœufs. Ainsi il préfère
à des hommes vertueux de nombreux troupeaux, des vases
inutiles, des chariots pesants. Moi, mes amis, j'éprouve un
,double chagrin. Je suis amoureux de Mazéa, et je suis vive-
ment touché de l'injure faite à deux braves comme vous. Je
chacun
pense, en effet, que vous êtes insultés autant que moi:
de nous a un tiers dans cet affront, puisque, du moment où
nous avons formé notre union, nous ne sommes plus qu'un
seul homme, partageant les peines et les plaisirs. Que dis-
tu ? reprit Lonchatès. Chacun de nous est outragé tout entier,
lorsqu'on te fait injure.
47. -Que ferons-nous donc dans cette occurrence ? dit Macen-
tès. Partageons-nous l'ouvrage, dit Lonchatès. Moi, je pro-
mets Arsacomas de lui apporter la tête de Leucanor, et toi,
à
tu lui amèneras celle qu'il aime. Soit répond celui-ci.-
Pour toi, Arsacomas, reprend Lonchatès comme il est croyable
qu'il nous faudra une armée et que nous aurons la guerre après
un pareil- coup attends-nous ici, rassemble et prépare des
armes, des' chevaux et le plus de troupes possible. Tu en enga-
geras facilement un grand nombre, car tu es un brave guer-
rier, et nous avons beaucoup de parents. D'ailleurs il faudra
t'asseoir sur la peau de bœuf, n Ce fut chose résolue. Lonchatès
part en toute hâte, comme il était, pour le Bosphore, et Ma-
centès pour la Machlyène tous les deux à cheval. Arsacomas,
resté dans son pays s'adresse aux jeunes gens de son âge
recrute une troupe armée de ses parents, et finit par s'asseoir
sur la -peau de bœuf.
48. Voici en quoi consiste chez nous cet usage. Lorsqu'un
homme qui a .reçu une insulte veut se venger, et qu'il ne se
sent pas assez fort pour lutter seul, il sacrifie un boeuf, en fait
cuire la chair coupée en morceaux, étend la peau par terre et
s'assieddessus, les mains au dos, comme si ses bras étaient atta-
chés par les coudes. C'est notre manière de supplier lâ plus
sacrée. Quand les morceaux de chair sont servis ceux de sa
famille, et les étrangers qui le veulent, s'approchent, prennent
un morceau de cette chair, et, mettant le pied droit sur la peau,
ils promettent, chacun selon leur pouvoir, de fournir, tout
défrayés de nourriture et de salaire, l'un cinq cavaliers, un
autre dix, celui-ci davantage: un autre promet des fantassins,
ou, s'il est trop pauvre, il se promet lui-même. On rassembla
donc ainsi sur la peau des,.fore.sconsidérables, et une pareille
armée est solide à maintenir ses rangs en même temps qu'in-
vincible à l'ennemi, vu le serment qui la lie; car c'est un ser-
ment que de mettre le- pied sur la peau. Arsacomas était donc
occupé à lever des troupes et il réunit environ cinq mille cava-
liers et vingt mille hoplites ou fantassins.
49. Cependant Lonchatès arrive inconnu au Bosphore, va
trouver le roi, qui était occupé des affaires de l'État, et s'an-
nonce comme envoyé par la république des Scythes pour des
affaires confidentielles et importantes. Leucanor lui ayant or-
donné de parler « Les Scythes, dit-il demandent, dans un
intérêt commun et journalier, que vos pasteurs ne passent plus
dans nos plaines et qu'ils restent en deçà du Trachon. Quant
aux voleurs, dont vous nous reprochez les incursions sur votre
territoire, nous affirmons qu'ils ne sont pas envoyés par notre
volonté commune, mais qu'ils pillent chacun pour leur compte
et leur gain particulier; si tu en prends quelqu'un, tu es le
maître de le punir. Voilà ce que les Scythes m'ont chargé de
t'annoncer.
50. « Moi, je te dis, en outre, qu'une grande expédition est
préparée contre vous par Arsacomas, fils de Mariante, qui est
venu récemment chez vous en députation il est irrité du refus
que tu lui as fait de ta fille; il y a sept jours qu'il est assis sur
la peaa de boeuf, et il a déjà réuni une nombreuse armée. Je
savais, répond Leucanor, qu'on assemblait une armée sur Ja
peau; seulement j'ignorais qu'elle dût marcher contre moi, et
qu'Arsacomas en fût le chef. C'est bien contre toi, reprend
Lonchatès, qu'ont lieuses préparatifs. Mais Arsasomas est mon
ennemi; il me déteste parce que les anciens m'estiment plus
que lui et que je passe pour être plus brave. Si tu veux me pro-
mettre ta seconde fille Barcétris, à moi qui suis un gendre digne
de votre alliance, je reviendrai dans peu t'apporter la tête d'Ar-
sacomas. Je te la promets, dit le roi tout tremblant de
crainte. Il n'ignorait pas combien son refus avait irrité Arsa-
comas, et d'ailleurs il redoutait toujours tes Scythes. Alors
Louchâtes « Jure-moi, dit-il de garder nos conventions et de
ne pas te dédire.» Le roi allait jurer, et il étendait déjà la main
vers le ciel « Ce n'est pas ici, dit Lonchatès, qu'il faut pro-
noncer le serment, de peur d'éveiller les soupçons de ceux qui
nous voient allons au" temple de Mars; nous en fermerons les
portes, et nous jurerons sans que personne nous 'entende. Si
Arsacomas était instruit de tout ceci, je craindrais qu'il ne me
tuât avant la guerre, entouré qu'il est d'une armée nombreuse.
Entrons, dit le roi et vous retirez-vous que personne
n'approchedu temple, à moins que je ne l'appelle. Ils entrent,
les gardes s'éloignent Lonchatès tire son cimeterre d'une
main applique l'autre sur la bouche du roi, pour étouffer ses
cris, le frappe au cœur lui tranche la tête, la cache sous son
manteau, et sort en ayant l'air de parler avec lui, et en disant
qu'il va bientôt revenir, comme si Leucanorl'avait chargé d'un
ordre. Parvenu à l'endroit où il avait laissé son cheval attaché,
il saute dessus et retourne au grand galop en Scythie. Personne
ne le poursuivit, attendu que les habitants du Bosphore ne s'a-
perçurent pas aussitôt de la mort du roi, et que, quand ils en
furent instruits, ils se divisèrent en factions pour en élire un
autre.
51. Voilà ce que fit Lonchatès; il tint sa promesse, en appor-
tant la tête de Leucanor. De son côté, Macéntès, ayant appris
en route ce qui s'était passé au Bosphore, arrive à Machlyes
et, annonçant la mort du roi « L'État, dit-il à Adyrmaque,
t'appelle la royauté comme
à gendre de celui 'qui n'est plus ne
perds donc pas un instant empare-toidu pouvoir, et montre-
toi pendant le trouble des affaires surtout que ton épouse te
suive dans un char. Les habitants du Bosphore se rallieront
promptement à toi, dès qu'ils verront la fille de Leucanor.Pour
moi, ajouta-t-il, je suis Alain et parent maternel de Mazéa
Leucanor ayant épousé Mastira, qui était de ma famille; et
aujourd'hui ce sont les frères de Mastira qui m'envoient ici
t'engager à partir le plus tôt possible pour le Bosphore, afin
d'empêcher que la royauté ne soit donnée à Eubiote, frère
bâtard de Leucanor, ami déclaré des Scythes et ennemi des
Alains. » Ainsi dit Macentès, vêtu comme les Alains et parlant
leur langage Alains et Scythes, d'ailleurs, se ressemblent,
excepté que les Scythes portent de plus longs cheveux mais
Macentès, pour ressembler davantage aux premiers, s'était fait
couper les cheveux au point qui établit une différence entre les
Alains et les Scythes. Adyrmaque, trompé par là, le crut pa-
rent de Mastira et de Mazéa.
52. Et maintenant, dit-il, Adyrmaque, je suis prêt à partir
avec toi pour le Bosphore, si tu le veux, ou, si cela est néces-
saire, à rester pour accompagner la princesse. Je préfère
ce dernier parti, répond Adyrmaque; il convient que tu conduises
Mazéa, étant de sa famille. Si tu venais avec moi au Bosphore,
je n'aurais qu'un cavalier de plus; mais si tu conduis ma femme,
tu me tiendras lieu de plusieurs guerriers. » Ainsi dit, ainsi
fait. Adyrmaque part en remettant à Macentès Mazéa, qui était
encore vierge. Celui-ci durant le jour la place sur un chariot;
mais, à la nuit, il la fait monter sur son cheval, que menait un
autre cavalier, dont il avait eu soin de se faire suivre, y saute
lui-même, se détourne du chemin des Méotides et gagne à tra-
vers champs, en laissant à droite les montagnes des Mitréens,
ne s'arrête que le temps nécessaire pour faire reposer la jeune
fille, et arrive en trois jours de la Machlyène en Scythie. Son
cheval, après avoir fourni cette course, reste quelque temps
debout et meurt.
53. Cependant Macentès, remettant Mazéa aux mains d'Arsa-
comas « Reçois, dit-il, l'effet de ma promesse. Arsacomas,
frappé d'étonnement à cette vue inattendue, veut remercier son
ami t Cesse, lui dit Macentès, de me traiter
comme un autre
que toi-même. Me remercier de ce que j'ai fait pour toi, c'est
comme si la main gauche savait gré à la droite de la guérison et
des services qu'elle en aurait reçus, étant blessée et.ne pouvant
agir. li serait donc ridicule qu'étant confondus l'un avec l'autre
et ne faisant qu'un depuis longtemps, nous regardassions comme
un service important ce qu'une partie de nous-mêmes aurait
fait d'utile au reste du corps. En effet, elle travaillait
pour
elle-même, puisqu'elle est une partie du tout qu'elle a obligé.
»
C'est ainsi que Macentès répondit 'aux remercîments d'Arsa-
comas.
54. Sitôt qu'Adyrmaque eut reconnu le piège, il quitta lo
chemin du Bosphore. Déjà Eubiote avait été proclamé roi, ap-
pelé de chez les Sauromates, au milieu desquels il séjournait.
De retour dans sa patrie, Adyrmaque lève une grande armée et
marche droit contre les Scythes, en traversant les montagnes.
Eubiote ne tarde guère à se joindre à lui, à la tête d'une foule
de Grecs, d'Alains et de Sauromates auxiliaires, au nombre de
vingt mille. Les forces réunies d'Eubiote et d'Adyrmaque s'éle-
vaient au total de quatre-vingt-dix mille hommes, dont un tiers
d'archers à cheval. Pour nous, car j'étais de cette expédition, et
j'avais donné sur la peau de bœuf à ces amis cent cavaliers qui
faisaient la guerre à mes frais, nous soutenons l'attaque avec
x- T
un peu mains de trente mille hommes, y compris les cavaliers.
Arsacomas nous commandait. Lorsquenous voyons l'ennemis'ap-
procher, nous détachons la cavalerie, pour commencer le com-
bat mais l'action s'étant vivement échauffée nos gens plient,
notre phalange est rompue, et l'armée scythe est séparée en deux
corps, dont l'un lâche pied peu à peu, sans cependant être réel-
lement vaincu c'était plutôt une retraite qu'une fuite, et les
Alains n'osaient pas le poursuivre bien loin. Mais les Machlyens
et les Alains, ayant enveloppé l'autre corps, qui était le plus faible,
taillent tout en pièces, font pleuvoir une grêle de flèches et de
traits, en sorte que nos guerriers ne savent plus que devenir au
milieu du cercle qui les entoure, et qu'un grand nombre jettent
déjà leurs armes.
55. Par hasard. Lonchatès et Macentès se trouvaient dans
cette mêlée tous deux blessés pour s'être exposés les premiers
au péril Lonchatèsavait la cuisse brûlée, et Macentès un coup
de hache à la tête et un coup de javelot à l'épaule. Arsacomas,
qui était dans l'autre corps d'armée, s'en aperçoit, regarde
comme une honte d'abandonner ses amis, pique des deux, et,
jetant un grand cri, s'élance au milieu des ennemis en brandis-
sant son cimeterre. Les Machlyens, ne pouvant résister à sa
fougue valeureuse,se séparent et lui ouvrent le passage. Il rallie
aussitôt ses amis, ranime le reste des troupes, fond sur Adyr-
maque, lui assène son cimeterre sur lsptête et le fend jusqu'à
la ceinture. Le chef ennemi tombe, les Machlyens se dispersent,
puis les Alains, puis enfin les Grecs. Rfedevenus maîtres du
terrain, nous les aurions poursuivis et massacrés, si la nuit
n'était survenue. Le lendemain, des envoyés viennent nous sup-
plier de la part des ennemisde consentir à la pair les habitants
du Bosphore promettent de nous payer un double tribut, les
Machlyens s'engagent à nous livrer des otages, et les Alains,
pour nous dédommagerde cette invasion, s'offrent à réduire à
notre obéissance les Sindians, depuis longtemps révoltés contre
nous. Nous acceptons, après avoir pris d'abord l'avis d'Arsaco-
mas et de Lonchatès la paix se fait, et ce sont eux qui en
règlent les diverses conditions. Voilà, Mnésippe, ce que les
Scythes osent entreprendre pour leurs amis.
C°-- MNÉsippE. C'est vraiment tragique Tpxaris on dirait
dVae ^s.ble,sauf le respect dû au Cimeterre et au Vent par les-
queiMuas juré. On pourrait donc se dispenser d'y croire, sans
être bien coupable.
Toxaris. Prends garde que ton incrédulité ne soit l'effet de ta
jalousie. Toutefois cette incrédulité ne m'empêchera pas de te
rapporter les autres traits du même genre, que je sais avoir eu
lieu chez les Scythes.
Mnésippe. Abrége tes discours, mon cher ne t'arrête pas à
chaque circonstance, comme tu viens de le faire tout à l'heure,
nous promenant en Scythie et en Machlyène, allant et revenant
sans cesse à travers le Bosphore. Tu as un peu abusé de mon
silence.
TOXARIS. Il faut obéir à la loi que tu m'imposes. Je vais par-
ler en 'peu de mots, de peur que tes oreilles ne soient fatiguées
de me suivre dans mes digressions.
57. Écoute cependant avec patience ce qu'a fait pour moi un
de mes amis, nommé Sisinnès. J'avais quitté ma patrie pour me
rendre à Athènes, afin de m'instruire dans les arts de la Grèce,
et j'étais abordé à Amastris, ville du Pont, située juste en face
des navigateurs qui arrivent de Scythie, et à peu de distance de
Carambe Sisinnès, mon ami d'enfance, voyageait avec moi.
Après avoir choisi une hôtellerie sur le port, et y avoir fait
transporter notre bagage, nous allons nous promener sur la
place publique, sans nous attendre à rien de fâcheux. Pendant
notre absence, des voleurs forcent notre serrure, nous enlèvent
tout et ne nous laissent pas même de quoi vivre ce jour-là.
Rentrés à la maison, nous apprenons notre malheur; mais nous
n'osons pas citer en justice nos voisins, qui étaient fort nom-
breux, ni même notre hôte, pourne pas paraître des sycophantes,
si nous disions qu'on nous avait volé quatre cents dariques
une grande quantité d'étoffes, de riches tapis, tous les objets
enfin que nous^vions.
58. Nous délibérions sur le parti à prendre en cette conjonc-
ture, privés de tout dans un pays' étranger. Pour moi, j'étais
résolu à me plonger mon cimeterre dans le flanc et à sortir de
la vie, plutôt que de m'abaisser à quelque chose de vil sous
l'empire de la faim et de la soif. Mais Sisinnès relève mon cou-
rage, me supplie de n'en rien faire, et m'assure qu'il trouvera
bientôt un moyen de subsister. En effet, il va sur le port, s'offre
à porter du bois, et revient en nous rapportant des vivres,
échangés contre le prix de son travail. Le lendemain, au point
du jour, il voit, suivant son propre récit, en se promenant sur
la place publique, une troupe de jeunes gens braves et bien
faits. On les avait enrôlés, moyennant un salaire, pour com-
battre dans des jeux qui devaient avoir lieu le troisième jour.

Promontoire d'Asie.
2. Chaque darique valait près de 25 francs. Voy. le lPuvire, 18.
Sisinnès, instruit par eux de tout ce qui devait se passer, vient
à moi <c Ne dis plus que tu es pauvre, Toxaris, me dit-il; dans
trois jours je te ferai riche.s
59. Il me parle ainsi, et, durant cet intervalle, nous vivons
assez misérablement. Le jour du spectacle arrivé, nous nous y
rendons comme tout le monde. Sisinnès veut absolument que
j'y assiste comme à un divertissementcurieux et extraordinaire
des Grecs. Il me conduit au théâtre. Lorsque nous sommes assis,
nous voyons d'abord des bêtes sauvagespiquées avec des traits,
• poursuivies par des chiens et lancées sur des hommes enchainés,
qui étaient sans doute des criminels. Ensuite ceux qui devaient
combattre seul à seul s'étant avancés, un héraut qui conduisait
au milieu de la lice un jeune homme de haute taille i Si quel-
qu'un veut combattre avec ce jeune homme, dit-il, qu'il se pré-
sente, il recevra dix mille drachmes', pour prix du combat. »
A ces mots, Sisinnès se lève, saute d'un bond dans l'arène,,
s'offre pour combattre, et demande des armes; puis il prend les
dix mille drachmes de salaire, les apporte, et, me les mettant
dans les mains

Si je suis vainqueur, Toxaris, me dit-il, nous
aurons quoi continuer notre voyage si je succombe, rends-
moi les honneurs de la sépulture et retourne en Scythifl. » En
l'entendant,je ne puis retenir mes pleurs.
60. Mais lui, prenant ses armes, s'en revêt; et, dédaignant
de se couvrir d'un casque, il s'avance au combat la tête nue.
D'abordil est blessé; un coup de cimeterre lui entame le genou;
le sang coule avec abondance, et je me sens glacé de frayeur,
Mais Sisinnès, observant son ennemiqui s'élançait avec trop de
confianoe, le frappe en pleine poitrine et le renverse mort à ses
pieds bientôt, affaibli par sa blessure, il s'assied sur celui qu'il
venait de tuer, et peu s'en faut qu'il n'expire lui-même. J'ac-
cours, je le relève, je le console, et, quand il, a été déclaré vain-
queur, je le prends et le porte à notre logis. U se rétablit peu&
peu, grâce à mes soins, et il est- maintenant en Scythie, où il a
épousé ma sœur, mais il est demeuré boiteux de sa blessure.
Ceci, Mnésippe, ne s'est point passé chez les Machlyens ni chez
les Alains, et l'oâne peut refuser de le croire, sous prétexte
qu'il n'y avait pas de témoins; mais tout Amastris y était, et sE
souvient encore du combat de Sisinnès.
_61. Quand je t'aurai raconté pour le cinquième exemple l'ac-
tion d'Abauchas,j'aurai fini. Ahauchas était venu dans une vijle
des Borysthénites, conduisant avec lui sa femme qu'il chéri §-

». Environ toooo franc»,


sait tendrement, et deux enfants, l'un petit garçon à la mamelle,
l'autre petite fille de sept ans. Il avait pour compagnon de voyage
Gyndanès, son ami, malade encore d'une blessure reçue en les
défendant contre des voleurs qui les avaient attaqués sur la
route. Dans le combat qu'il avait soutenu pour eux, il avait été
frappé si violemment à la cuisse, que la douleur l'empêchait de
se tenir debout. La nuit, pendant leur sommeil, le feu prend à
la maison, dont ils occupaient, par hasard, l'étage supérieur.
L'incendie les gagne ferme les issues, et la flamme environne
la maison de toutes parts. Abauchas se réveille, et, laissant ses
enfants qui criaient, repoussant même sa femme, qui s'attachait
à lui et à laquelle il crie de se sauver, il court à son ami, l'em-
porte dans ses bras, descend et s'élance hors de la maison par
un endroit que la flamme n'avait pas encore tout à fait envahi.
Sa femme le suivait portant son enfant, et accompagnée de sa
fille,'qu'elle entraînait avec elle. Mais, à demi brûlée, elle laisse
tomber son enfant de ses bras, et c'est à peine si elle peut échap-
per au feu, et sa fille à sa suite, après avoir été en grand danger
de périr. Quelque temps après, comme on reprochait à Abauchas
d'avoir abandonne sa femme et ses enfants pour sauver Gynda-
nès « Il me sera aisé, répondit-il, d'avoir d'autres enfants, et
je ne sais s'ils seront vertueux mais je ne pourrais de long-
temps retrouver d'autre ami, tel que Gyndanès, et qui m'ait
donné autant de preuves de son attachement. i,
62. Ma tâche est remplie, Mnésippe voilà cinq histoires sur
un grand nombre que je pourrais citer. Il est temps, à présent,
que l'on prononce lequel de nous deux a mérité de perdre la
langue ou la main. Qui décidera?
MNÉSIPPE. Personne car nous n'avons pas établi de juge de
nos discours. Mais sais-tu ce qu'il faut faire? Puisque nous
avons lancé nos traits en l'air, nous choisirons, une autre fois,
un arbitre, devant qui nous rapporterons d'autres exemples
d'amitié; et alors celui qui perdra son procès, perdra, moi la
langue, et toi la main. Mais`non, ce serait un procédé sauvage.
Puisque tu as une si haute opinion de l'amitié, et que, moi, je
la regarde comme le bien le plus précieuï et le plus beau que
possèdent les hommes, qui nous empêche de nous unir par un
pacte solennel, d'être amis de ce moment même et de nous faire
un devoir de l'être pour toujours? Nous sommes vainqueurs
tous les deux, et nous remportons un grand prix de notre vic-
toire car, au lieu d'une langue et d'une main droite, chacun en
aura deux, et, qui plus est, quatre yeux et quatre pieds, tout en
double. Deux ou trois amis qui s'unissent deviennent quelque
chose comme Géryon, que les peintres représentent avec trois
têtes et six bras. C'est, à mon avis, l'emblème de trois amis
qui agissent toujours de 'Concert, comme le doivent ceux qui
s'aiment.
TOXARIS. Tu as raison agissons ainsi.
63. MNÉSIPPE. Mais pas de sang, Toxaris, pas de cimeterre;
nous n'en avons pas besoin pour affermir notre amitié. L'eatre-
tien que nous venons d'avoir et la conformité de nos sentiments
seront des garants plus certains de notre constance que la
coupe où vous buvez car en ceci, c'est, selon moi, la volonté,
non la nécessité qui fait tout.
ToxARis. Je t'approuve soyons donc amis, soyons hôtes tu
seras le mien en Grèce, et moi le tien, si jamais tu viens en
Scythie.
Mnésippe. Sois-en certain je ne balancerais pas à aller plus
loin encore, si je devais y trouver des amis tels que tes'dis-
cours, Toxaris, t'ont fait voir mes yeux.

XLII

LUCIUS OU L'ANE1.

1. J'allais un jour en Thessalie y régler, pour mon


j'avais à
père, une affaire d'argent avec un homme du pays. Un cheval
me portait, moi et mon bagage; j'étais accompagné d'un valet.
Nous suivionsla route ordinaire, lorsque je rencontrai quelques

4 Quelques éditeurs doutent que cette piquante histoiresoit dé Lucien. Le


fond, sans doute, ne lui appartient pas c'est une de ces fables milésiennes,
dont la liberté s'égayait parfois jusqu'à la licence; mais les détails et le style
ne sont pas indignes de notre spirituel écrivain et d'excellents critiques n'hé-
ritent point, pour cee motifs, lui en attribuer, sinon l'invention originale,
au moins la rédactionvive et amusante. Voy., pour plus de détails, la préface
de la traduction de P. L. Courier; A. Pierron, Hist. de la lut. gr.; Belin de
Ballu, traductionde Lucien, t. 111, p. 475. Cf. Apulée,Màtamnr/hnscs, traduction
gens qui allaient à Hypate, ville de Thessalie, de laquelle ils
étaient. Nous marchons de compagnie, mettant nos vivres en
commun, et, trompant ainsi l'ennui du voyage, nous approchons
de la ville. Là je m'enquiers auprès de mes Thessaliens s'ils ne
connaissent pas un. habitant d'Hypate, nommé Hipparque, pour
qui j'avais une lettre et chez lequel je comptais loger. Ils me
disent qu'ils connaissent cet Hipparque, m'indiquent l'endroit
de la ville où est sa maison, et ajoutent qu'il avait de l'aisance,
quoiqu'il ne nourrit qu'une servante pour lui et pour sa femme,
étant horriblement avare. Quand nous sommes tout à fait près
de la ville, nous avisons un jardin et une maisonnette assez
propre. C'était la demeure d'Hipparque.
2. Mes compagnons me quittent en me faisant leurs adieux.
Je m'approche de la porte, je frappe; après bien de la peine, une
femme m'entend et s'avance enfin. Je lui demande si Hipparque
est chez lui « Il y est, dit-elle; mais qui êtes-vous? Que vou-
lez-vous lui demander? J'ai, lui dis-je, une lettre à lui
remettre de la part de Décrianus le sophiste, de Patras.
Attendez ici, » me dit-elle; et, fermant la porte, elle renti1'
dans l'intérieur. Un instant après, elle revient et nous fait en-
trer. Introduit près d'Hipparque, je le salue et lui présente ma
lettre. Il venait de se mettre à table; il était couché sur un lit
fort étroit, sa femme auprès de lui, et devant eux une table non
servie. A peine a-t-il jeté les yeux sur la lettre t Ah 1 quel ami,
dit-il, que Décrianus! C'est bien le meilleur des Grecs de m'en-
voyer ainsi, en toute confiance, un de ses intimes! Ma maison
est petite, vous le voyez, Lucius, mais elle est raisonnable pour
celui qui l'habite, et vous la rendrez grande, si vous voulez être
indulgent pour mon hospitalité. » Appelant alors la jeune ser-
vante « Palestra, donne à notre hôte une chambre, places-y son
petit bagage, puis conduis-le au bain, car il a fait une longue
route. »
3. Quand il a fini, la servante Palestra me mène à une jolie
petite chambre « Vous, me dit-elle, voici le lit où vous couche-
rez, et j'arrangerai un matelas pour votre valet, avec un oreil-
ler. » Après qu'elle a dit ces mots, nous sortons pour aller nous
baigner, lui donnant de quoi acheter de l'orge à mon cheval.
Pendant ce tempa-là, elle portetoutes nos affaires dans l'intérieur
et les met en place. Au retour du bain, nous entrons dans la salle.
Hipparque, me prenant par la main, me fait asseoir à côté de lui.
La chère était honnête, le vin agréable et vieux. Après le repas,
on se met à boire et à deviser, comme il est d'usage quand on
traite un hôte; enfin, la soirée passée à boire, nous allons ncus
coucher. Le lendemain, Hipparque me demaii' e où j'avais
desseind'aller et combien de jours je devais rester chez lui. c Je
vais, lui dis-je, à Larisse, et je compte partir d'ici dans quatre ou
cinq jours. »
4. Mais c'était une feinte je désirais vivement y rester afin
de trouver quelque magicienne savante dans l'art des prodiges,
qui me fît voir quelque chose d'étrange, comme un homme
volant ou changé en pierre. L'esprit plein du désir de voir ce
spectacle, j'allais par la ville sans .savoir trop comment m'y
prendre, mais j'allais, quand j'aperçois devant moi une femme
jeune encore et riche, à en juger par son train atours fleuris,
nombreux esclaves, de l'or partout. Arrivés en face l'un de
l'autre, elle me salue, je lui rends son salut, et elle me dit Je
suis Abréa, une des meilleures amies de ta mère, ainsi que tu le
sais sans doute, et qui vous aime tons, vous ses enfants, comme
si vous étiez lés miens. Que ne viens-tu, mon fils, demeurer
chez moi? – Grand merci, lui dis-je, c'est trop de grâce;
mais je craindrais, n'ayant nul reproche à lui faire, de quitter
la maison de l'ami qui m'a reçu. Seulement, de volonté je de-
meure à vous; ma chère. Où loges-tu donc? me dit-elle.
Chez Hipparque. Quoi! chez cet avare? Ahl mère,
n'en parlez pas ainsi. Il a été somptueux -magnifique'envers
et"
moi, et je n'ai à me plaindre que de sa bonne chère, » Mais
elle, avec un sourire et me prenant la main pour me tirer
à l'écart « Défie-toi, par tout moyen, de la .femme d'Hippàrque
c'est une terrible magicienne, une libertine qui jette un œil de
convoitise sur tous les jeunes gens. Ceux qui ne font pas à sa
guise, elle s'en venge par son art; elle en a changé, plusieurs en
bêtes, et en a fait périr beaucoup d'autres. Tu es jeune, mon
enfant, ayant, une tournure faite pour lui plaire, et, de plus,
étranger, chose dont on peut s'amuser sans risque. »
5. Comprenantque ce que je cherchais depuis longtemps était
à la maison, je ne l'écoute pas davantage et sitôt que je puis
la quitter, je retourne au logis, me disant en route Or çà, tu
disais que tu voulais' voir de l'extraordinaireéveille-toi donc
et trouve quelque bonne inventionpour arriver à tes fins.. Fais
ta cour à la servante Palestra car la femme de ton hôte et ami,
tu dois la respecter. En caressant la servante, en t'exerçant avec
elle, en l'étreignant, tu sauras facilement ce que tu veuxsavoir.
Les esclaves connaissent toujours le bonet le mauvais de leurs
maîtres, » En me parlant ainsi, j'arrive à la maison. Je n'y
trouve ni Hipparque,ni sa femme. Palestra seule était auprès du
feu, occupée à nous préparer le souper.
6. Aussitôt lui adressant la parole « Avec quelle grâce, ma
jolie Palestra, tu remues et tournes à la fois le derrière et la
poêle! Mes reins aussi se remuent à voir pareille sauce; heureux
qui pourrait y tremper le doigt! t Mais elle, fillette espiègle et
gentille Fuyez, jeune homme, dit-elle, si vous êtes sage et si
Rien
vous voulez vivre; tout ici est plein de fumée et de feu.
qu'en me touchant, vous vous brûleriez et resteriez cloué là,
moi qui
sans que dieu ou médecin pût vous guérir, excepté
vous aurais brûlé. Et, ce qu'il y a de plus étonnant, c'est que
je
vous ferais souffrir de plus en plus, et j'augmenterais votre
douleur en voulant la soulager. Cependant vous tiendriez bon
et l'on vous chasserait à coups de pierres, que vous ne pourriez
fuir un mal si doux. Pourquoi rire? Vous avez devant vous une
terrible cuisinière d'hommes; je ne me borne pas à fricasser
des mets communs et vulgaires; mais quand je trouve quelque
grand et beau gaillard, je l'égorgé, je lui enlève la peau et le
coupe en morceaux, m'attaquant surtout aux entrailles etsois au
ceeur. Je te crois, lui répondis-je car, quoique je me
toujours tenu loin de toi, tu ne m'as pas seulement brûlé, par
Jupiter! tu m'as mis le corps tout en feu; ta flamme, m'entrant
par les yeux, me pénètre jusqu'à la
moelle; tu me rôtis, moi qui
ne t'ai rien fait. Au nom des dieux,
guéris-moi avec ces r°mèdes
aigres-doux dont tu me parlais; prends-moi, coupe-nuLle cou
et écorche-moi, comme tu voudras. Palestra fait alors un
grand éclat de rire et m'appartient de ce moment. Nous conve-
nons que le soir même, quand elle aurait mis ses
maîtres au lit,
elle viendrait me trouver et coucherait avec moi.
7. Un instant après, Hipparque rentre nous allons au bain,
Alors,
nous dînons, nous buvons rasade et causons gaiement.
faisant semblant d'avoir sommeil, je me lève et me rends à ma
chambre. Tout était en bel ordre le lit de mon valet dehors;
près du mien, une table avec un gobelet, le vin tout prêt, eau
froide et chaude. Palestra avait songé à tout; sur mon lit,
nombre de roses éparses ou entières, ou effeuillées, ou tressées
en couronnes. Trouvant ainsi le festin
préparé, je n'attendais
plus que le convive. Elle, après avoir couché sa maîtresse,
arrive aussitôt.
8. Ce fut un grand régal de vin et de baisers. Quand le boire
jeune homme,
nous eut bien armés pour la nuit « Songe bien,
me dit Palestra, que te voilà à la palestre; il
faut montrer si tu
d'exercice.
es un garçon vigoureux ét si tu sais plus d'un genre
Tu ne me verras pas, lui dis-je, reculer', devant ton défi;
déshabille-toi et entrons en lutte. Allons, dit-elle, comme
je te le demande, fais tes preuves; je suis ton maître de gym-
nase, je vais te prescrire les différents genres de luttes que je
trouverai et te dirai. Sois prêt à obéir et à faire ce que je com-
manderai. Ordonne, lui dis-je, et tu vas voir mon adresse,
ma souplesse, ma vigueur à l'action. »
9. A l'instant elle se déshabille, et, se tenant droite et nue,
elle commence à me donner ses ordres « Jeune homme, me
dit-elle, habits bas; frotte-toi de cette huile parfumée et em-
brasse ton adversaire; renverse-le d'un croc-en-jambe,tiens-le
sous toi, glisse; un écart; qu'on se fende, serre bien; prépare
ton arme, en avant frappe, blesse, pénètre jusqu'à ce que tu
sois las. De la force dans les reins 1 Allonge maintenant ton
arme, pousse-la par en bas; de la vigueur; vise au mur,
frappe dès que tu sens mollir, vite un dégagement et une
étreinte; tiens ferme; pas tant de précipitation; un temps d'ar-
rêt allons au but! te voilà quitte. »
10. J'eus bientôt exécuté tous ces mouvements, et quand
notre exercice eut pris fin, je dis en riant Palestra Eh
bien 1 mon maître, tu vois que je ne manque, à la lutte, ni
d'adresse ni de bonne volonté; "mais fais-y attention, mets de
l'ordre dans tes commandements, ne les donne pas ainsi coup
sur coup. » Mais elle, m'appliquant un léger soufflet « 0 le
mauvais écolier! dit-elle. Prends garde de. recevoirbien d'autres
corrections, si tu ne fais pas les mouvements prescrits, Cela
dit, elle se lève, et, se rajustant « C'est à' présent qu'il faut
nous faire voir, dit-elle, si tu es un jeune et vigoureux jouteur,
habile à la lutte et sachant combattre à genoux.Cela dit, elle
tombe sur les genoux au milieu du lit « Çà, beau lutteur,
dit-elle, te voilà au milieu Tiens ce trait acéré, pousse et en-
fonce vois ton adversaire nu, ne l'épargne pas et d'abord il est
à propos dé le serrer comme un nœud; penche-le ensuite, fonds
dessus, saisis-le de près et ne laisse aucun intervalle entre vous.
S'il commence à lâcher prise, ne perds pas un instant, enlève-
le, tiens-le en l'air, frappe-le en-dessous et prends garde de
reculer sans en avoir reçu l'ordre; fais-le coucher, contiens-le,
donne-lui de nouveau un croc-en-jambe, afin qu'il ne t'échappe
pas; tiens-le bien et presse ton mouvement; lâche-le, il est ter-
rassé, le voilà tout en nage. s> Je pars alors d'un grand éclat de
rire, puis je reprends « Je veux aussi, mon maître, te prescrire
à mon-tour un petit exercice. Obéis-moi relève-toi, demeure
assise, avance une main officieuse, caresse-moi doucement,
promène-la sur moi, enlace-moibien, par Hercule et fais-moi
dormir. »
11. Tels étaient les plaisirs, ébats et luttes nocturnes où se
couronnait notre valeur, et nous y trouvions mille charmes.
J'oubliai complétement d'aller à Larisse, mais je ne perdis pas
de vue la causepour laquelleje faisais des armes avec Palestra.
« Montre-moi, ma chère, lui dis-je un jour, montre-moi ta
maîtresse dans ses tours de magie ou de métamorphose. Il y a
bien longtemps que je désire voir ce spectacle singulier. Ou
plutôt, si tu connais quelque secret, fais toi-même de la magie
et transforme-toi à mes yeux. Je crois que tu ne manques pas
d'habileté dans cet art, et je ne le sais pas par ouï-dire, mais par
ma propre expérience. Mon âme était de fer, disaient les femmes
jamais je n'avais jeté sur elles un regard passionné mais ta
science m'a fait prisonnier, et tu t'es rendue maîtresse de moi
dans notre guerre amoureuse. Cesse, me répondit Palestra,
de te moquer de moi. Quel charme pourrait fasciner l'amour, lui
qui est passé maître en fait d'enchantements? Je ne sais rien de
tout cela, mon cher ami j'en jure par ta tête, par ce bienheureux
lit, témoin de nos plaisirs; je n'ai pas même appris à lire, et
ma maîtresse est fort jalouse de sa science. Si pourtant l'occasion
se présente de te la montrer dans ses métamorphoses,j'y essaye-
rai. » Cela dit, nous nous endormons.
12. Quelques jours après, Palestra vient m'annoncer que sa
maîtresse va se changer en oiseau, pour aller trouver son amant.
« Voilà, lui dis-je, Palestra, une belle occasion de me rendre le
service demandé et de satisfaire la longue curiosité de ton ser-
viteur. Sois tranquille, » me dit-elle. Et, le soir venu, elle
me mène à la porte de la chambre où couchaientses maîtres, et
me dit de regarder par une fente ce qui se passait à l'intérieur.
Je vois une femme qui se déshabillait. Lorsqu'elle est nue, elle
s'approche d'une lampe, y met deux grains d'encens, et, se
tenant debout, murmure quelquesparoles adressées à la flamme
ensuite elle ouvre un petit coffre dans lequel étaient plusieurs
boîtes, et en prend une où se trouvait quelque chose de liquide.
Je ne sais pas au juste ce que c'était, mais il me sembla que
c'était de l'huile. Elle en prend, s'en frotte tout le corps en com
mençant par le bout des ongles; aussitôt il lui pousse des ailes,-
son nez devient de corne et crochu; enfin elle a tout ce qui ca-
ractérise un oiseau, un hibou parfait. Quand elle se voit bien
emplumée, elle fait entendre un croassement terrible, à la ma-
nière des corbeaux, s'élance vers la fenêtre et prend son vol.
13. Je crus que tout ceci n'était qu'un songe; je me frottai
les paupières avec les doigts, me refusant à en croire mes yeux
et me demandant s'ils avaient bien vu, si j'étais éveillé. A toute
force enfin, convaincu que je ne dormais pas, je priai Palestra
de me faire pousser des ailes en me frottant de cet onguent, et
de me donner la volée. Je voulais éprouver si, étant changé en
oiseau, la métamorphose s'étendrait jusqu'à l'âme. Elle ouvre
doucement la chambre et m'apporte une boîte. Je me hâte de me
déshabiller, je me frotte des pieds à la tête; mais, malheureux
aue je suis! ce n'est pas en oiseau que je me change une
rueue me vient au derrière, mes doigts s'en vont, mes ongles se
réduisent à quatre et ne sont plus que sabots mes pieds et mes
mains deviennent pattes d'animal avec longues oreilles et large
face; enfin, en me regardant de tous points, je vois que je suis
un â ne, n'ayantpas même voix d'homme pour faire des reproches
à Palestra. J'allonge ma lèvre inférieure; et mon attitude même,
mes regards en dessous, à la manière d'un âne. l'accusent de
m'avoir ainsi métamorphosé, au lieu de me changer en oiseau.
14. Mais elle, se frappant le visage de ses deux mains «Mal-
heureuse, s'écrie-t-elle, quelle étourderie j'ai commise! En
allant trop vite, j'ai été trompée par la ressemblancedes bottes
j'en ai pris une autre que celle qui fait pousser des ailes. Pour-
tant console-toi, mon cher le remède n'est pas difficile tu
n'as qu'à manger des roses, la bête disparaîtra et tu me ren-
dras mon amant. Reste cette nuit seulement sous cette peau
d'âne demain dès la pointe du jour, j'accourrai t'apporter des
roses tu en mangeras et seras guéri. » Ce disant, elle me pas-
sait la main sur les oreilles et sur le reste du corps.
15. J'avais donc bien toute l'encolure d'un âne; mais, quant
à l'esprit, j'étais encore homme, le même Lucius, à la voix près.
Cependant,tout en faisant au dedans de moi mille reproches à
Palestra sur son étourderie, et me mordant les lèvres, je m'en
vais à l'endroit où je savais qu'était mon cheval et un autre
âne véritable, appartenant à Hipparque. Dès qu'ils me voient
entrer ils craignent que je ne vienne partager leur foin et,
baissant les oreilles, ils s'apprêtent à défendre, à coups de
pieds, la cause de leur estomac. 'Je m'en aperçois, et je me
retire dans un coin de l'écurie, riant de bon cœur mais mon
rire était un vrai braire. Alors je me dis à part moi « 0 fatale
curiosité Que ferais-je, s'il survenait un loup ou quelque autre,
bête carnassière.? Je cours le risque, innocent que je suis, d'être
mis en pièces.» Telles étaient mes réflexions; et je ne prévoyais
pas, malheureux, le sort dont j'étais menacé.
16. La nuit était avancée; partout régnait un profond silence,
partout lé doux sommeil quand tout à coup la muraille retentit
au dehors comme si l'on eût youiu la percer; et de fait on la
perçait. Déjà il y avait un trou assez large pour un homme un
homme y passe, puis un autre, et plusieurs enfin, tous armés
d'uni- jpée. Ils pénètrent dans les chambres, mettent aux fers,
Hipparque, Palestra et mon valet, vident à leur aise toute la
maison, emportant1 argent, hardes, vaisselle; puis, quand il ne
reste plus rien, ils me prennent moi, l'autre âne et le cheval
nous mettent une bâtière, y chargent tout leur butin, et nous
le sanglent sur le dos. Quand nous ployons sous le faix, ils
nous chassent devant eux à coups de bâton vers la montagne, et
s'échappent par des chemins impraticables. Je ne saurais dire
ce que souffrirent les autres bêtes de somme; mais moi, qui
n'avais pas l'habitude d'aller ainsi pieds nus, de marcber sur
ces pierres pointues et de porter un si lourd bagage, je me
mourais:je bronchais à chaque pas, et je n'avais pas la liberté
de tomber, car sur-le-champ un des voleurs me frappait de son
bâton la croupe et les cuisses. Souvent je voulus m'écrier « 0
César 1 » mais je ne faisais que braire il sortait bien de ma
bouche un «c 0 » grand et sonore, mais <r César » ne suivait
pas ce qui m'attirait chaque fois de nouveauxcoups, parce que
mon braire les trahissait. Comprenant enfin que mes cris étaient
inutiles, je me mets à marcher en silence et je gagne au moins
de n'être pas battu.
17. Déjà le jour commençait à poindre; nous avions franchi
plusieurs montagnes, et, comme on avait eu soin de nous lier la
bouche, pour nous garder de perdre du temps en broutant par
la route, je continuai de rester âne ce jour-là. Vers midi, nous
faisons halte àune petite métairie habitée parun ami des voleurs,
comme il parut à leur rencontre on s'embrassa de part et d'au-
tre les maîtres de la maison prièrent nos gens de se repo-
ser et de dîner, et l'on nous donna de l'orge à nous autres
bêtes. Mes deux compagnons se mettent à manger, et moije
jeûne piteusement: je n'avais jamais fait un repas d'orge crue.
Aussi je cherchais partout de quoi apaiser ma faim lorsque
j'avise derrière la cour un jardin plein de beaux et bons lé-
gumes, ,et plus loin, je découvre des roses. Alors sans être vu
de personne du dedans, tous étant occupés à dîner, je me dirige
du côté du jardin pour me remplir de légumes crus et pour
manger des roses. J'espérais bien, ces fleurs mangées redeve-.
nir Lucius. Me voilà donc dans le jardin, me remplissant de lai-
tues, de raves, de persils, tous légumes que les hommes man-
gent sans les faire cuire; mais, pour les roses ce n'en étaient
point de véritables elles étaient produites par un laurier sau-
vage qu'on appelle laurieïvrQse mauvaise pâture pour les ânes
et pour les chevaux, puisqu'on prétend que, s'ils en mangent,
ils meurent aussitôt.
18. Sur ces entrefaites, le jardinier m'apercevant saisit .un
bâton, entre dans le jardin, reconnait l'ennemi et le ravage àe
ses légumes alors, comme un prévôt impitoyable qui surprenc
un maraudeur, il m'accable de coups, n'épargnantni les flancs,
ni les cuisses me brisant même les oreilles, et me fracassant
la figure. Je perds patience, et lui détachant une ruade je le
jette à la renverse sur ses légumes et me sauve du côté de la
montagne. Pour lui, me voyant fuir au galop, il crie de toutes
ses forces qu'on lâche les chiens après moi. C'étaient des dogues
vigoureux en grand nombre et de force à se battre contre des
ours. Je vois que, si une fois ils m'attaquent, ils vont me mettre
en pièces; je fais donc un léger détour, et jugeant suivant le
proverbe, qu'il vaut mieux courir en arrière que courir à son
dam, je reviens sur mes pas et rentre à l'écurie. Ceux qui
avaient lâché les chiens pour me poursuivre les reprennent,
les rattachent, et ne cessent de me battre que quand la dou-
leur m'a fait rendre par en bas tcus mes légumes.
19. Mais il était temps de se remettre en route on me charge
de la plus grande partie des objets les plus lourds qu'on avait
volés, et nous partons. Le cœur venant à me manquer sous les
coups et lefardeau,-et mes sabots étant tout écorchés de la
route, je me décide à m'abattre et à ne plus me relever, dus-
sé-je périr sous le bâton. J'attendais un grand bien de cette
résolution. J'espérais que les voleurs, rebutés de mon entête-
ment, partageraient ma charge entre le cheval et l'autre âne,
et me laisseraient là pour les loups. Mais quelque démon jaloux,
devinant mes projets, fait tourner autrement la chose. L'autre
âne ayant sans doute les mêmes idées que moi, s'abat au mi-
lieu du chemin. Nos gens d'abord, à coups de bâton, contrai-
il
gnent le malheureuxà se relever; mais y demeure insensible:
ils le prennent alors qui par les oreilles, qui par la queue, et
s'efforcent de le mettre sur pied. N'avançant pas davantage, et
le voyant couché par-terre comme une pierre, accablé et sans
espoir, ils conviennent de ne pas perdre leur peine et le temps
de leur fuite auprès d'un âne qui crève,. partagent entre moi
et le cheval tous les bagagesqu'il portait, saisissent mon mal-
heureux compagnon de captivité "et de transport, lui coupent les
jarrets avec leurs coutelas, et le jettent tout palpitant dans un
préeipice il yroule, et danse ainsi sa dernière danse.
20. Quand je vois, par le sort de mon compagnon, quelle
eût été l'issue dé mes projets, je me décide à supporter patiem-
ment mon sort actuel et à marcher avec courage, espérant que
bientôt je rencontrerais des roses et que par là je reviendrais
à mon premier état. J'avais entendu dire aux voleurs qu'il ne
restait plus beaucoup de chemin, et qu'ils allaient bientôt déli-
vrer leurs bêtes, en arrivant à leur habitation. Nous hâtons
donc le pas avec nos fardeaux et nous arrivons le soir au logis.
Une vieille femme les attendait assise près d'un bon feu. Ils dé-
posent dans l'intérieur tout le bagage que nous avions apporté;
puis ils disent à la vieille « Pourquoi restes-tu assise là, et ne
nous prépares-tu pas le dîner? Tout est prêt, dit la vieille;
j'ai beaucoup de pain, des tonneaux de vin vieux et de la chair
de venaisonqui vous attendent. » Ils font compliment à la vieille,
mettent habits bas, se parfument auprès du feu, puisent de
l'eau tiède dans une chaudière, se la versent sur le corps et
prennent un bain à la hâte.
21. Un instant après, plusieurs jeunes gens. arrivent, portant
des vases presque tous d'or ou d'argent, des habits, des orne-
ments nombreux d'homme ou de femme. Ils se joignent aux
autres, déposent leurs bagages dans l'intérieur, et prennent'
leur bain comme les autres. On leur sert ensuite un abondant
repas, et la conversation de ces brigands n'en finit plus. Cepen-
dant la vieille apporte de l'orge pour moi et pour mon cheval.
Celui-ci se met à manger au plus vite, craignant sans doute
que je ne prenne sur son dîner. Mais moi, voyant la vieille
sortie, je me jette sur les pains de la maison. Le lendemain,
laissant un seul jeune homme avec la vieille nos voleurs s'en
vont à leur besogne. J'étais désespéré de cette garde vigilante.
Je n'avais pas peur de la vieille, et je trouvais facile de me dé-
rober à ses regards mais le jeune homme était vigoureux, avait
l'œil terrible, toujours l'épée en main, et tenant sans cesse la
porte close.
22. Au bout de trois jours, vers minuit, les voleurs reviennent
ne rapportant ni or, ni argent, mais amenant une jeune fille à
la fleur de l'âge, d'une grande beauté, tout en larmes, se déchi-
rant les-habits et la chevelure. Ils la font asseoir sur un tapis,
la rassurent, et ordonnent à la vieille de rester auprès d'elle et
de la prendre sous sa garde. La pauvre enfant ne veut ni boire
ni manger elle ne fait que pleurer et s'arracher les cheveux, si
bien que moi, qui étais près d'elle, à mon râtelier, je ne pou-
vais m'empêcher de sangloter avec cette jolie fille. Cependant
les voleurs se mettent à table dans le vestibule. Au point du
jour, un de leurs espions vient leur annoncer qu'un étranger,
chargé d'argent, devait passer par le chemin. Ils se lèvent,
sans tarder plus, prennent leurs armes, me sanglent moi et
mon cheval, et nous emmènent avec eux. Pauvre infortuné, qui
sentais qu'on nous conduisait au combat et à la guerre, je ne
marchais pas vite; aussi leur bâton faisait son office, et ils me
hâtaient d'aller. Arrivés au chemin par où devait passer l'étran-
ger, les voleurstombent tout à coup sur ses chariots, le tuent
avec ses valets, prennent tout ce qu'ils trouvent de précieux,
le chargent sur le cheval et sur moi, et cachent-le reste dans
la forêt. Comme ils nous ramènent au logis, pressé par le bâton
qui me harcelait, je me heurte si fort le pied contre une pierre
aiguë, que je me fais une blessure très-douloureuse je marche
donc tout boitant le reste de la route. Alors ils se disent les uns
aux autres « A quoi nous sert de nourrir cet âne qui choppe à
chaque pas? Jetons dans un précipice cette malencontreuse
bourrique! Oui, reprennent-ils, jetons-le; ce sera la victime
expiatoire de la troupe. » Déjà ils se groupent contre moi; mais
moi, qui entendais tout, je me mets à trotter ce qui reste de
chemin, comme si ma blessure eut été à un autre, la crainte
de la mort m'ayant enlevé le sentiment de la douleur.
23. Arrivés à notre demeure, les voleurs enlèvent les far-
deaux de dessus nos épaules, les placent en lieu sûr, et s'as-
seyent à table. La nuit venue, ils se disposent à partir, pour
aller chercher le reste du butin. « A quoi bon, dit l'un d'eux,
emmener ce maudit âne, estropié comme il est? Nous porterons
une partie de la charge, et le cheval le reste. j> Ils partent donc,
n'emmenant que le cheval. La nuit était tout éclairée par la lune.
Alors je me dis à moi-même « Infortuné pourquoi rester ici
davantage? Les vautours et leur famille vont souper de toi.
N'as-tu pas entendu les desseins qu'on médite à ton sujet? Veux-
tu rouler dans un précipice? Il fait nuit la lune est dans son
plein, les voleurs sont sortis dérobe-toi par la fuite à tes maî-
tres homicides! » En faisant ces réflexions,je m'aperçois que je
ne suis point attaché, et que la courroie dont on me condui-
sait est suspendue à la muraille cette vue me donne du cceur
à la fuite. Je m'élance au galop et je pars; mais la vieille, me
voyant prêt à m'échapper, me saisit par la queue, et m'empoi-
gne j'aurais cru mériter mille fois d'être jeté dans un précipice,
si la vieille m'avait retenu; je l'entraîne; elle crie et appelle à
son aide la belle prisonnière. Celle-ci accourt, et voyantla vieille,
nouvelle Dircé suspendue à la queue d'un âne, ose une réso-
lution héroïque et digne d'une jeunesse au désespoir: elle

1. Voy. le mot AmfhUn dans le Pictmvmep ie Jucobj,


saute sur mon dos, s'y assied et me talonne alors, pressé tout
à la fois par mon désir de fuite et par l'empressement de la
jeune fille, je pars au grand galop d'un cheval, laissant bien
loin la vieille derrière nous. Pour la belle, elle suppliait les dieux
de la sauver « Si tu me ramènes chez mon père, mon bel âne,
me disait-elle, je te donnerai la liberté, tu seras exempt tout
de
travail j et l'on te donnera par jour un médimne d'orge à ton
dîner. » De mon côté-, fuyant mes propres bourreaux, et espérant
aide et assistance du salut de la belle, je cours sans plus songer
à ma blessure.
24. Arrivés à un endroit où le chemin se partageait en trois,
nous rencontrons nos mortels ennemis, qui revenaient chez
eux, et qui de loin, à la clarté de la lune, reconnaissent leurs
infortunés prisonniers. Ils accourent, nous arrêtent et disent
<c Ohé la belle et sage fillette, où allez-vous donc, malheureuse,
à cette heure de nuit? N'avez-vous pas peur des spectres?
Allons, venez avec' nous nous vous rendrons à vos parents. »
Ils accompagnentleurs paroles d'un rire sardonique, et, me fai-
sant rebrousser'chemin, me tirent de leur côté. Je me souviens
alors de mon pied et de ma blessure, et je me mets à boiter.
Mais eux «Ah! te voilà boiteux à présent, disent-ils, parce
qu'on t'a pris à fuir; mais, quand il s'agit de t'échapper, tu
cours plus vite qu'un cheval, tu as des ailes. » Le bâton suit
ces mots, et ces avis me valent une large blessure à la cuisse.
Nous rentrons au logis, et nous trouvons la vieille pendue à
un rocher avec une corde. Elle avait craint, sans doute la fu-
reur de ses maîtres, en voyant fuir la jeune fille et elle s'était
étranglée. Nos voleurs, admirant le grand cœur de la vieille,
la détachent et la jettent dans un précipice la corde au cou.
Après quoi, ils enchaînent la jeune fille dans l'intérieur de leur
ogis, se mettent à souper et boivent copieusement.
25. Cependant ils discutent sur le parti qu'ils prendront au
sujet de leur prisonnière. « Que ferons-nous dit l'un d'eux, de
la fugitive? Ma foi, dit un autre, envoyons-la rejoindre la
vieille dans le précipice pour la punir de nous avoir emporté
tout ce qu'elle a pu et trahi notre retraite. Car sachez bien
mes amis, que, si elle fût retournée chez elle, pas un de nous
ne fût resté vivant nous aurions tous été pris par nos ennemis
se ruant sur nous de dessein prémédité. Vengeons-nous donc
de cette ennemie mais que sa mort ne soit pas si prompte en
tombant au milieu des rochers inventons pour elle une fin
longue et douloureuse qu'elle ne meure qu'après avoir subi
quelques heures d'affreux tourments. » Ils cherchent alors k
ŒUVRUS COMPLÈTES DE LUCIEN. – Il 5
genre de mort. t Pour moi, dit l'un d'eux, je sais un expédient
qui vous agréera. Il faut tuer notre âne, qui, par paresse, feint
de boiter, et qui s'est fait le complice et l'aide de la fugitive.
Nous le tuerons donc demain matin, nous l'éventrerons, nous
viderons toutes ses entrailles, et nous logerons dedans cette
charmante enfant, de manière que sa tête en sorte, afin qu'elle
ne soit pas trop tôt étouffée mais elle aura le reste du corps
parfaitement enfermé. Alors, quand nous l'aurons cousue avec
grand soin, nous les jetterons tous les deux dehors pour en
faire aux vautours un plat de nouvelle espèce. Remarquez,
mes amis, l'horreur d'un pareil supplice premièrement, loger
au cadavre d'un âne; ensuite, être cuite, dans l'intérieur même
de la bête, par l'ardeur du soleil, au cœur de l'été; mourir d'une
faim dévorante, sans pouvoir se donner la mort je ne parle
pas de ce qu'elle souffrira par l'infection de cette charogne, ni
des vers qui viendront la manger enfin les vautours, péné-
trant jusqu'à elle à travers l'âne, la dévoreront avec lui, et
peut-être encore toute vivante. »
26. De grands cris accueillent, comme la plus belle idée du
monde, cette abominable invention. Mais, moi, quel était mon
chagrin J'allais être égorgé, sans avoir la consolation, après
ma mort, de reposer tranquillement dans un tombeau, mais
forcé de recevoir cette malheureuse fille et de servir de sépul-
ture à une jeune innocente. Le jour paraissait à peine, quand
tout à coup il se présente une troupe de soldats envoyés contre
les brigands on les jette aussitôt dans les fers et on les con-
duit au gouverneur du pays. Avec eux était venu le prétendu de
la jeune fille c'était lui qui avait indiqué la retraite des vo-
leurs. Il reprend sa maîtresse, la fait asseoir sur mon dos, et la
reconduit chez elle. Du plus loin que les paysans nous aperçoi-
vent, ils devinentle succès de l'entreprise à .mon braire, qui leur
apporte une bonne nouvelle on accourt au-devant de nous, on
nous salue, on nous mène au logis.
27. La jeune fille a pour moi tous les égards qui m'étaient
dus elle n'oublie pas le compagnon de sa captivité, l'auxiliaire
de sa fuite, celui qui avait couru le danger de mourir avec elle.
Mes nouveaux maîtres me servent pour mon dtner un médimne
d'orge, du foin de quoi nourrir un chameau. Mais ce'fut alors
surtout que je maudis Palestra de m'avoir, par son art, changéen
âne plutôt qu'en chien, voyant ces animaux se glisser dans la
cuisine et se régaler de toutes les bonnes choses qui se servent
dans une noce de riches fiancés. Quelques jours après la noce,
ma jeune maîtresse ayant représenté à son père toutes les obli-
gations qu'elle m'avait et voulant me payer d'un juste retour,
celui-ci ordonne qu'on me laisse libre en plein air, et paissant
avec les juments poulinières « Étant libre, dit-il, il vivra con-
tent et saillira les juments à son gré. » La récompense était par-
faitement équitable, et un âne n'aurait pas mieux jugé. Il appelle
donc un palefrenier auquel il me recommande, à ma grande
joie de n'avoir plus de fardeauxà porter. Arrivés à la campagne,
le palefrenier me lâche avec les juments et nous conduit au pâ-
turage.
28. Mais il était écrit qu'il m'arriveraitaussi là quelque chose,
comme à Candaule'. En effet, notre intendant du haras me
laisse à l'intérieur aux soins de Mégapoîe, son épouse, laquelle
m'attache à une meule et me fait moudre du froment et de l'orge.
C'était encore un petit malheur pour un âne reconnaissant que
de moudre pour ses maîtres. Mais cette excellente femme, se
faisant payer en farine par les autres habitants de la campagne,
qui n'étaient pas en petit nombre, trafique de mon pauvre cou
puis faisant griller l'orge qu'on lui donne pour mes repas, et me
forçant à la moudre, elle en fabrique des gâteaux qu'elle dévore
tout entiers, et ne me laisse à manger que le son. Si quelquefois
le palefrenier me menait paître avec les juments, les mâles
m'abîmaient de coups et de morsures. Ils me soupçonnaienttou-
jours de»quelque intrigue adultère avec les cavales leurs épou-
ses, et ine poursuivaient de leurs ruades, en sorte que je ne sa-
vais comment échapper à cette jalousie chevaline. Cela fit que
je devins maigre et fort laid en peu de temps, n'ayant pas beau-
coup, dans la maison, à me réjouir de la meule, et ne trouvant,
en plein air, que désagrément à paître avec mes commensaux.
29. Souvent aussi l'on m'envoyait au haut d'une montagne,
afin de rapporter du bois.sur mes épaules. C'était là le comble
de mes maux. D'abord, il fallait gravir une roche à pic, par une
route affreusement roide; et puis il fallait marcher pieds nus
sur la pointe des cailloux. De plus, on envoyait avec moi, pour
m3 conduire, un scélératd'enfant, qui s'ingéniait à me torturer.
Il commençait par me battre, même quand je courais au galop,
non pas avec un simple bâton, mais avec un gourdin couvert de
ïiœuds pointus; et c'était sans cesse sur le même endroit de la
cuisse, en sorte que ses coups m'y ouvrirent une blessure, sur
laquelle il continuait toujours de frapper. Ensuite, il me mettait
sur le dos une charge à écraser un éléphant. La descente de la
<. Allusion à t'histoire bien connue de ce roi Voy. Hérodote, 1; Jus-
tin, 1, vu.
montagne était fort rapide il ne me battait pas moins. S'il
voyait le fardeau chanceler ou se porter trop d'un côté, au ïieu
d'enlever quelques morceaux de bois pour les placer du côté le
moins lourd, afin de rétablir l'équilibre, il se gardait bien d'agir
ainsi, il prenait d'énormes pierres et les plaçait où le poids était
le plus faible. Je descendais donc, malheureux, portant de sur-
croît, avec mon bois, des pierres inutiles. Le chemin était tra-
versé par un ruisseau toujours plein d'eau. Mon conducteur,
pour épargner sa chaussure, sautant en croupe, derrière le bois,
passait ainsi le gué.
30. Si parfois, "de lassitude et pliant sous le faix, je venais à
tomber, alors, hélas 1 mon mal devenait insupportable. Lui qui
aurait dû descendre, me prêter la main, m'aider à me relever,
et, au besoin, diminuer mon fardeau, au lieu de mettre pied à
terre ou de me soutenir avec la main, me frappait, à commencer
par la tête et les oreilles, et m'accablait de coups de bâton jus-
qu'à ce que je fusse debout. Un jour il fit sur moi l'essai d'un
autre jeu bien méchant et bien cruel. Il prend un paquet d'épines
très-pointues, l'attache et me le pend à l'échine et à la queue. A
chaque pas que je fais, comme on se l'imagine, ces pointes
m'entrent dans la chair et me piquent sans relâche la par-
tie postérieure. Impossible de me garantir les dards, qui me
blessent, me poursuivent suspendus à moi-même. Si j'avance
lentement, pour éviter la piqûre des épines, je suis roué de
bâton, je hâte le pas, je suis déchiré par
coups si, pour éviter le
le mal qui me suit. On peut dire que mon conducteurmettait
tout en œuvre pour me faire périr.
31. Une fois cependant, impatienté d'endurer tout cela, je lui
lance une bonne ruade, mais il eut toujours ce coup de pied
dans la méiaoire. On lui ordonne, vers ce même temps, de trans-
porter de l'étoupe d'un village à un autre il me prend, me met
sur le dos une lourde charge d'étoupe, et attache fortement le
fardeau sur moi, machinant le dessein le plus épouvantable.
Quand il fallut partir, il dérobe au foyer un charbon ardent, et,
à quelque distance de la maison, il l'enfonce dans l'étoupe
celle-ci, comme de juste, prend feu, et bientôt, au lieu de ma
charge, je ne porte plus qu'un immensebrasier. Je me voyais déjà
grillé en route, lorsque, rencontrant une mare profonde, je me
jette à l'endroit où il y a le plus d'eau, et à force de m'y rouler
avec l'étoupe, de me plonger, de me retourner, j'éteins dans la
vase mon fardeau enflammé et cuisant par ce moyen je fais le
reste de la route sans danger, et le drôle ne peut parvenir à
rallumer l'étoupe remplie d'une boue humide. Seulement,à nôtre
arrivée, il a l'impudence de m'accuser de m'être frotté en pas-
sant au foyer mais au moins j'avais échappé au danger de
l'étoupe contre toute espérance.
32. Une autre fois, l'infâme vaurien imagina contre moi quel-
que chose de pire encore. Il me conduit sur la montagne, me
charge d'une énorme quantité de bois qu'il vend à un paysan
du voisinage, puis, me ramenant à la maison à vide et sans bois,
il m'accuse faussement auprès de son maître d'un forfait abomi-
nable. « Maître, dit-il, je ne sais pas pourquoi nous nourrissons
cet âne il n'y a pas d'animal plus paresseux et plus lent; et
cependant il rêve à une bien autre besogne à présent quand il
aperçoit une femme, une belle et jolie fille, et même un garçon,
il se met à ruer et à s'élancer dessus, et, comme un homme pris
d'amour, il court après l'objet de sa passion, le mord en guise
de baiser, et s'efforce d'en venir au fait. Par là il vous attirera
des procès et de méchantes affaires; il insulte tout le monde, il
renverse tous les passants. Il n'y a qu'un moment, il portait
une charge de bois, il aperçoit-unefemme qui allait aux champs;
aussitôt il jette son bois par terre, eh se démenant, court à la
femme, ïa. renverse au milieu de la route, et veut l'épouser
séance tenante, si, en accourant de côté et d'autre, nous n'eus-
sions pas sauvé la malheureuseet empêché qu'elle ne fût déchi-
rée par ce bel amoureux. »
33. En entendant ce récit « Eh bien, dit le maître, s'il ne
veut pas marcher ni porter des fardeaux, et s'il lui faut des
amours humaines, qui le font se ruer comme un fou sur les gar-
çons et sur les filles, égorgez-le, jetez ses entrailles aux chiens,
et gardez sa chair pour les ouvriers. Si on demande comment il
est mort, vous direz qu'un loup l'a dévoré. » Le scélérat d'en-
fant, qui me conduisait, tout plein de joie, à ces paroles, voulait
déjà m'égorger; mais par bonheur un paysan du voisinage, qui
se trouvait là, me sauva de la mort, tout en faisant une propo-
sition terrible: « Ne tuez pas cet âne, dit-il, qui est encore bon
pour tourner la meule et pour porter des fardeaux. Je ne vois
pas en tout cela grande affaire. Vous dites que l'amour le rend
furieux, jusqu'à s'élancer sur les hommes ilfautle prendre et le
couper dès qu'il aura perdu cette galante humeur, il deviendra
sur-le-champ docile et gras, et portera de lourds fardeaux sans
la moindre peine. Si vous ne savez pas faire vous-même cette
opération, je repasse par ici1 dans trois ou quatre jours, et je
vous le rends, en un tour de main, plus doux qu'un agneau. »
Tous les gens de la maison approuvent le donneur d'avis et di-
sent qu'il a bien parlé. Pour moi, je me désole d'être sur le
point de perdre ce que j'avais de viril sous ma forme d'âne, et
j'étais résolu à cesser de vivre plutôt que de devenir eunuque.
Je formai le projet de me laisser mourir de faim ou de me pré-
cipiter du haut de la montagne et, quoique ce fût une mort dé.
pjorable, du moins je mourrais complet et entier.
34. Vers le milieu de la nuit, un messager du village voisin
vient annoncer aux gens de la maison de campagne et de la me.
tairie que la nouvelle mariée, celle qui avait été la captive des
voleurs, et son jeune époux, se promenanttous deux une après-
dînée, sur le rivage, avaient été engloutis par les flots qui
s'étaient soulevés tout à coup, et qu'ils n'avaient plus reparu,
nn commune de leurs malheurs et de leurs amours. Nos gens,
voyantla maisonprivée de ses jeunes maîtres, sont décidés à ne
plus rester en esclavage ils pillent tout ce qu'ils trouvent à
l'intérieur et prennent la fuite. L'intendant du haras, s'étant em-
paré de moi et de tout ce qui lui tombe sous la main, partage
ses fardeaux entre les juments et moi. De mon côté, quoique
ennuyé de porter la charge d'un âne véritable, j'étais content
de cette équipée qui m'avait empêché d'être coupé. Nous voya-
geons toute la nuit par un chemin difficile, et, après trois jours
de marche, nous arrivons à Béroé, ville de Macédoine, grande
et populeuse.
35. Là, nos conducteurs trouvent bon de s'arrêter pour nous
faire prendre à tous du repos. Quelques jours après, on nous met
en vente un crieur, à la voix sonore, debout au milieu du mar-
ché, nous propose au plus offrant. On s'approche, on nous exa-
mine, on nous ouvre la bouche, et l'on juge de notre âge à nos
dents. Mes compagnons sont achetés par l'un et par l'autre et
personne n'ayant voulu de moi, le crieur ordonne qu'on me re-
conduise à la maison « Vous voyez, dit-il, c'est le seul qui
n'ait pas trouvé de maître. » Mais la cruelle Némésis, qui se
plaisait à me faire tourner dans un cercle étourdissant d'aven-
tures, prend soin de me donner pour maître celui que j'eusse le
moins souhaité. C'était un vieux paillard, de l'espèce de ceux

maître.
qui promènent de bourg en ville la déesse syrienne, et for-
cent la mère des dieux à mendier. On me vend à lui, pour un
beau prix, ma foi, trente drachmes Toutgémissant, je suis mon
nouveau
36. Lorsque je suis arrivé à la demeure de Philébus (c'était
le nom de mon acquéreur), de la porte il s'écrie tant qu'il peut
t Holà 1 fillettes, je vous ai acheté un beau et solide serviteur, un
Cappadocien 1 » Or, ces fillettes étaient une troupe de mignons,
compagnons de Philébus, lesquels, à ce cri, se mettent à applau-
dir,croyant qu'il avait réellementacheté un homme. Mais voyant
que ce serviteur n'était qu'un âne, ils se raillent de Philébus
« Ce
n'est pas un esclave, disent-ils, c'est votre fiancé que vous
amenez, mignonne. Où l'avez-vous pris ? Bonne chance à ce beau
mariage faites-nous avant peu de jolis ânons. » Ainsi parlaient-
:ls en riant.
37. Le lendemain ils se mettent, comme ils disaient, à leur
besogne, me placent sur le dos leur déesse toute parée; puis
2s sortent de la ville et s'en vont par le pays. Toutes les fois
que ncus arrivions à un bo.urg, je m'arrêtais avec la déesse
alors, pendant que la troupe des flûteurs fait entendre une mu-
sique enragée, nos gens, jetant leurs mitres à terre, la tête ren-
versée, le cou tordu, se tailladent les bras avec des épées, al-
longent la langue et se la mordent avec les dents, si bien que
tout en un instant se couvre d'un sang qui ruisselle. A cette
vue, je commence à trembler, craignant que la déesse n'ait aussi
besoin du sang d'un âne; mais quand ils se sont suffisamment
charcutés, ils font la quête et recueillent des spectateurs des
oboles et des drachmes. Quelques-unsmême donnent des figues,
du fromage, un baril de vin, un médimne de froment et d'orge
pour l'âne. Tout cela servait à leur nourriture et au culte de la
déesse que je portais sur mon dos.
38. Un jour que nous étions arrêtés dans un de leurs villages,
ils prennent un jeune rustre, le conduisent à leur logis, et se
font faire par lui ce qui plaisait le plus, vu l'habitude, à ces in-
fâmes mignons. Désolé plus que jamais de ma métamorphose,
de me voir réduit à cet excès de maux, je veux m'écrier « 0
.trop patient Jupiter » mais ma voix s'étrangle dans mon go-
sier il n'en sort que le cri d'un âne, un braire prolongé. Ce-
pendantquelques paysans, qui, par hasard, avaient perdu leur
âne, et qui le cherchaient, ayant entendu ce grand cri, entrent
sans rien dire, pensant que j'étais leur bête, et surprennent nos
mignons en train de faire ce qu'on ne peut dire. Ce spectacle les
fait rire à gorge déployée ils courent répandre dans tout le
village l'impudence de ces prêtres. Ceux-ci, couverts de honte
et craignant 'fort les suites de cette découverte,détalent à la
tombée de la nuit. Arrivés dans un endroit écarté de la route,
ils pestent contre moi et me maudissent d'avoir révélé leurs
mystères. Jusque-là c'était un mal toléràble que d'entendre
leurs injures mais ce qui suivit ne le fut plus. Ils enlèvent la
déesse de dessus mon'dos, la mettent à terre, retirent le tapis
dont j'étais, couvert, m'attachent tout nu à un arbre, me frappent
avec un de leùrs fouetsgarnis d'osselets, à me faire mourir soua
les coups, et me recommandentd'être par la suite un porteur de
déesse plus discret. Il est probable qu'ils avaient l'intention de
m'égorger après les coups, pour les avoir fait honnir et chasser
du bourg avant la quête maisils craignirent de me mettre à mort
par respect pour la déesse, qui gisait à terre, et n'aurait plus
eu personne pour la porter.
39. Après la flagellation, je me remets donc en route, ma
souveraine sur le dos. Sur le soir, nous arrivons à la maison
de campagne d'un riche particulier. Il se trouva chez lui, et
reçut la déesse avec beaucoup de respect, et lui offritdes sacri-
fices. Mais je n'oublierai jamais le grand danger que je courus
dans ce logis. Un ami de ce propriétaire campagnardlui avait
envoyé en présent un cuissot d'âne sauvage le cuisinier, l'ayant
pris pour l'accommoder, le perdit faute de soin, plusieurs
chiens s'étant glissés dans i maison. Notre homme craignant
force coups, la questio. même, pour avoir perdu ce cuissot,
voulait se pendre; mes sa femme, malheur funeste pour moi
Non, tu ne mourras pas, dit-elle, mon pauvre ami; ne te
laisse point aller à ce désespoir. Fais ce que je te dis, et tout
ira bien. Prends-moi l'âne de ces mignons, conduis-le dans un
endroit écarté égorge-le coupe-luila partie qu'il te faut, la
cuisse, et l'apporte ici; fais-la cuire et sers-la au maître; pour
le reste de l'âne, jette-le dans quelque précipice on croira qu'il
s'est enfui et qu'il a disparu. Tu vois comme il est bien en chair,
et de tout point meilleur que l'âne sauvage. Le cuisinier, goû-
tant fort le conseil de sa femme « Bien dit, femme, répond-
il c'est le seul moyen d'échapper aux coups, et je vais de
ce
pas me mettre à l'oeuvre. » C'est ainsi que, tout près de moi,
l'infâme cuisinier délibérait avec sa femme.
40. Moi, devinant leur intention, et jugeant essentiel de me
dérober à son coutelas,je brise la longe qui servait à me con-
duire je m'élance en bondissant et j'entre au galop dans la
salle où les mignons soupaient avec le riche campagnard là,
me mettant à courir, je renverse tout, dans ma fougue, et la
lampe et les tables.' Je croyais avoir trouvé un expédient admi-
rable pour me sauver que le maître, voyant un âne si fou-
gueux, meferait enfermer et soigneusement garder mais ce bel
expédientme mit dans en péril extrême. On crut que j'étais
en-
ragé déjà l'on armait contre moi les épées,- les lances, les
grands bâtons, et l'on se préparait à me tuen Quand je vis la
grandeur du danger, je m'élance au pas de course à l'endroit où
mes maîtres devaient passer la nuit. Dès qu'ils m'y voient en-
tré. ils' en ferment promptementles portes.
41. Le lendemain, au point du jour, je reprends la déesse sur
mon dos je pars avec les mendiants, et nous arrivons dans
une bourgadeconsidérableet assez peuplée, où, par un nouveau
tour de passe-passe, ils persuadent aux habitants de ne pas
loger la déesse dans la maison d'un simple particulier, niais de
la placer dans le temple de la divinité qu'ils avaient le plus en
honneur. Ces braves gens font un fort bon accueil à la déesse
étrangère et la conduisent à la demeure de leur propre déesse.
Pour nous, on nous donne un logis dans une pauvre maison.
Après un assez long séjour, mes maîtres, voulant se rendre à
la ville voisine, redemandentleur déesse aux habitants, et, en-
trant eux-mêmes dans le temple la sortent, me la placent sur
le dos et se mettent en route. Mais ces impies, en entrant dans
le temple, avaient volé une fiole d'or, déposéelà comme offrande,
et l'emportaient cachée sous les habits de la déesse. Les paysans
s'en aperçoivent, se jettent à leur poursuite, les joignent, sau-
tent de leurs chevaux, arrêtent les voleurs au milieu de la
route, les appellent impies et sacriléges, redemandent la fiole
dérobée, fouillent partout, et la trouvent dans le sein de la
déesse. On attache mes mignons, on leur fait rebrousser che-
min, et on les jette en prison puis, prenant la déesse que j'a-
vais sur le dos, on la place dans un autre temple, et l'on rend
le vase d'or à la divinité du pays. s
42. Le jour suivant, on résolut de me vendre avec les autres
effets, et l'on me céda à un habitant d'un village voisin, lequel
était boulanger de son métier. Il m'emmène, me charge de dix
médimnes de froment, dont il venait de faire emplette, et me
pousse chez lui par un chemin raboteux. Arrivés, il me conduit
au moulin. Là, je vois une foule de pauvres bêtes, compagnons
de mon esclavage, et des meules à n'en plus finir, et toutes ces
meules mises en mouvement par les bêtes et tout cela poudré
de farine. Ce jour-là, comme nouvel esclave, qui venait de por-
ter un très-lourd fardeau et de faire un chemin difficile, on me
permet de me reposer mais, le lendemain, on me bande les
yeux, on m'attache au timon d'une meule, et l'on me met en
piste. Je savais parfaitement comment il faut moudre, l'ayant
déjà trop bien appris ailleurs; mais je fis semblant de l'ignorer.
J'avais mal calculé une troupe de gens de la maison, s'armant
de gourdins; m'entourent, et comme je ne m'attendais à rien,
ne voyant pas clair, ils me frappent à tour de bras, si bien
que les coups me font soudain tourner comme une toupie. D'où
je reconnus par expérience que l'esclave ne doit pas, pour faire
son service, attendre la main du maître.
43. A ce régime, je devins en peu de temps si maigre et si
chétif que mon maître résolut de se défaire de moi et me ven-
dit à un homme, jardinier de son état, qui avait loué un jardin
pour le cultiver. Voici quelle était notre besogne. Dès le matin,
mon maître me chargeait de légumes et les portait au' marché,
puis, quand il les avait livrés aux chalands, il me ramenait au
jardin. Là il bêchait, plantait, arrosait ses plants et je restais
tout ce temps sans rien faire. Cependant cette vie m'était singu-
lièrement pénible. D'abord l'hiver se faisait sentir, et mon maî-
tre, n'ayant pas de quoi s'acheter de couverture, y songeait
encore moins pour moi; ensuite, j'étais forcé de marcher pieds
nus sur une boue tantôt humide, tantôt dure et aiguë: quant à
notre nourriture, c'étaient des laitues amères et coriaces.
44. Un jour que nous sortions pour aller au jardin un grand
gaillard, en uniforme de soldat, et parlant la langue italienne,
demande à mon jardinier où il conduisait son âne. Mon maître,
qui, je pense, n'entendait pas l'italien, ne souffle mot. L'autre,
en colère, se croyant insulté, donne un coup de fouet au jardi-
nier. Celui-ci prend son homme à bras-le-corps, l'étend d'un
erocvén- jambe sur la-route, et, quand il esta terre, le meurtrit
des poings., des pieds,, et de pierres ramassées sur le chemin.
Le soldat se défend d'abord, et le menace, s'il se relève, de le
tuiér de son épée; mais mon maître, instruit ainsi du parti le
plus sûr, arrache l'épée de son adversaire, la jette au loin et
frappe de plus belle. Le battu, se vayant perdu sans ressource,
fait semblant d'être mort sous les coups. Le jardinier, craignant
de l'avoir tué, le laisse par terre, dans la position où il se
trouve, ramasse ,pée, me saute sur le dos et gagne la ville.
45. Quand nous y sommes arrivés, il confie la culture du jar-
din à un de ses camarades, et,.redoutant les suites de l'affaire
du chemin, il se cache avec moi chez un de ses amis de la ville.
Le lendemain, après s'être consultés, voici ce qu'ils font. Ils
cachent mon maître dans un coffre, et moi, me suspendant par
les pieds, ils. me hissent au moyen d'une échelle dans un gre-
nier, où ils m'enferment. Cependant le soldat, comme ils le
disaient, s'étant relevé à grand'peine de dessus la rcUte, la tête
tout étourdie par les coups, revient la ville où, rencontrant
ses camarades il leur raconte l'action désespérée du jardinier.
Cnux-oi prennent fait et cause pour leur camarade découvrent
l'endroit où nous étions.cachés, et amènent avec eux les magis-
trats du lieu, qui envoient leurs prévôts dans la maison avec
pfdre d'en faire sortir tous ceux qui y demeurent, Tout le monde'
sort, et point de jardinier. Les soldats soutiennent que le, jar-
dinier est dans la maison, et moi son âne avec lui. On leur
répond qu'il n'y a plus personne, ni homme, ni âne. Grandbruit
alors dans la rue étroite, grands cris de part et d'autre. Alors
moi, bon compagnon, plein surtout de curiosité, voulant savoir
ce qu'il en est, et quels sont ces
braillards, j'avance le nez pour
regarder en bas par la fenêtre. On m'aperçoit, ce sont des voci-
férations nouvelles les gens du logis sont pris en flagrant délit
de mensonge: les magistrats entrent dans la maison, fouillent
tous les coins, trouvent mon maître caché dans le coffre, le
prennent, et l'envoient en prison pour y rendre raison de ses
méfaits. Quant à moi, on me descend de mon grenier et l'on
me donne aux soldats. Cependant un rire
inextinguible s'était
emparé de tout le monde quand on m'avait vu paraître de mon
grenier en dénonciateur qui trahit son maître et c'est de là
qu'est venu le dicton qui a couru parmi les hommes « Guigne
baudet à la fenêtre »
46. Je ne sais pas ce qu'il advint du jardinier mon maître,
mais le lendemain le soldat résolut de me vendre et me céda au
prix de vingt drachmes attiques. Mon acquéreur était l'esclave
d'un homme fort riche de Thessalonique, l'une des plus grandes
villes de Macédoine. Son métier était de préparer les mets de
son maître et il avait un frère, esclave comme
lui, dont le
talent était de pétrir le pain et de faire des gâteaux de miel.
Ces deux frères habitaient ensemble, reposaient dans la même
chambre, et avaient toat mis en commun, jusqu'aux usten-
siles de leur métier. Ils me logent dans l'endroit même où
ils couchaient. Après le souper de leur maître, ils apportent
tous deux les restes du repas l'un, de la viande et du pois-
son l'autre, du pain et des gâte.aux.
Ils m'enferment ensuite
avec ces provisions, qu'à ma grande joie ils laissent sous ma
garde, et s'en vont au bain. Alors moi, disant volontiers adieu
à l'orge qu'ils m'avaient servie, je fais honneur aux talents et
aux profits de mes maîtres, et je me rassasie, après une longue
abstinence, de ces mets vraiment humains. De retour à leur
chambre, ils ne s'aperço;vent point de ma régalade, vu la quan-
tité des plats et la discrétion, mêlée de crainte, que j'avais mise
à voler mon dîner. Plus tard, m'assurant sur leur peu de soin,
je choisis les meilleurs morceaux et je mange de tout sans scru-
pule. Ils s'aperçoivent alors du tort qui leur est fait. et com-

1. Ce n'est pas la traduction rigoureuse du grec; mais ce vieux proverbe,


si bien enchâssé par Courier dans sa traduction archaïque, nom a paru de
soi;»* pris*.
mencent par concevoir des soupçons l'un de l'autre; puis ils
s'accusent mutuellement de larcin, se traitent de voleurs impu-
dents de la communauté, exercent dorénavant une surveillance
réciproque, et comptent les morceaux.
47. Cependant je vivais en liesse et faisais si bonne chère,
que mon corps, remis à sa première, nourriture,
reprenait sa
beauté, et que mon cuir se fleurissait d'un poil luisant. Ces
braves gens me voyant gros et gras, sans que je fisse con-
sommationde mon orge qui en était toujours à la même mesure,
entrent en soupçon de mon sans-gêne. Ils sortent comme pour
aller au bain, font mine de partir ferment la porte, puis appli-
quant leur œil à une fente, ils guettent ce qui se passe au de-
dans. Moi, qui ne me doutais pas de la ruse, je m'avance pour
prendre mon repas. D'abord, ils éclatent de rire en voyant ce
souper incroyable; ensuite ils appellent leurs camarades pour
en être témoins; les rires redoublent; le maître, qui
entend et
ces éclats et le bruit du dehors, demande pourquoi l'on rit si
fort à l'extérieur. On le lui dit alors il se lève,de table, regarde
lui-même à travers la fente, et me voyant dévorer un morceau
de sanglier, il rit aussi à gorge déployée et entre précipitam-
ment. Je suis d'abord tout honteux de me voir pris par le maître
en flagrant délit de vol et de gourmandise. Mais il ne fait que
s'en divertir de plus belle, ordonne que l'on me conduise à
l'appartement ou il soupe, fait dresser une table et commande
que l'on y serve tout ce dont un autre âne n'eût pu manger
viandes, huîtres, sauces, poissons à la saumure ou à l'huile
et d'autres à la moutarde. Moi qui vois que la fortune com-
jeu peut
mence à me sourire agréablement, et qui espère que ce
mu tirer de peine, je mange debout
devant là table, quoique
déjà bien repu la salle cependant retentissait de rires sans fin.
Quelqu'un se met à dire c II boira du vin, cet âne, si on lui
je
en verse un verre. » Le maître commande de m'en verser, et
l'avale tout d'un trait.
48. Le patron, jugeant alors avec raison que j'étais un ani-
mal extraordinaire, ordonne à l'un de ses intendants de payer
à celui qui m'avait acheté deux fois ce que je lui coûtais, me
donne pour gouverneur nn de ses jeunes affranchis, et lui dit de
m'enseigner tout ce que je pourrai apprendre pour le mieux
divertir. Tout cela fut fort aisé. J'Obéissais aussi vite que la pa-
role. 11 m'apprend d'abord à me tenir sur un lit de table, comme
un homme appuyé sur le coude, ç£s'ùite à lutter avec lui, à
danser, à me tenir droit sur les pieds dé derrière à dire oui ou
non suivant les questions, enfin tout ce que j'aurais pu faire
sans qu'il me l'eût montré. Dès lors il n'est bruit partout que
de
l'âne de mon maître, buvant du vin, luttant, dansant. Ce qui les
étonne le plus, c'est que je réponds à propos oui ou non suivant
les questions, et que, si je veux bc're, j'en demande en faisant
un signe de l'œil à l'échanson. Nos geftu admirent tout cela comme
autant de prodiges, ne se doutant pas qu'il y a un homme dans
l'âne; et moi, je profite de mon mieux de cette erreur. J'apprenais
aussi les différentes allures, à porter mon maître, à galopersi dou-
cement que le cavalier le sentait à peine. Mon harnais était
magnifique on me jetait sur le dos une housse de pourpre on
m'avait mis un frein damasquiné d'or et d'argent et l'on m'a-
vait attaché des sonnettes qui faisaient entendre la plus char-
mante musique.
49. Or, ainsi' que je l'ai dit, Ménéclès, notre patron, était
venu de Thessaloniqueà la ville où nous étions, pour la raison
que voici. Il avait promis à ses concitoyens de leur donner un
spectacle d'hommes armés, se combattant seul à seul. Déjà ces
hommes étaient prêts pour la lutte, et le moment du départ
approchait nous partons'le lendemain. Je portai mon maître
aux endroits difficiles et dans lesquels il n'eût pu voyager en
char. Arrivés à Thessalonique, il n'y eut personne qui n'accou-
rût au spectacle et aussi pour me voir car ma renommée s'y
était répandue depuis longtemps on savait comme j'excellaisà
jouer toutes sortes de personnages, à danser et à lutter tout
aussi bien qu'un homme. Mon maître me fit voir à table et bu-
vant aux plus notables de ses concitoyens, et leur donna,durant
le dîner, la représentation de toutes mes prodigieuses gentil-
lesses.
50. Mais mon gouverneur tira de moi un revenu de drachmes
à foison. Il m'avait enfermé dans" une chambre, et à qui voulait
me voir et mes tours curieux, il ouvrait la porte moyennant une
somme. Chacun, à l'envi, m'apportait quelque chose à manger,
notamment ce qu'on croyait être mauvais pour l'estomac d'un
âne je le mangeais. En peu de jours, dînant ainsi avec mon
maître, et ses compatriotes,je devins gros et gras. C'est alors
qu'une femme étrangère, très-riche et assez jolie, étant entrée
dans mon appartement et m'ayant vu dîner, tomba chaudement
amoureuse de ma personne. Ma beauté d'âne, jointe à la mer-
veille de mes talents, lui donna le désir d'avoir un tête-à-tête
avec moi. Elle s'abouche avec mon gouverneur et lui promet
une grosse somme, s'il consent à me laisser coucher une nuit
avec elle. Lui, sans se souc^r si elle pourrait ou non faire de
moi quelque chose, commence par prendre l'argent.
51. Lorsque le soir est venu et que le maître nous a renvoyés
du festin, nous revenons à notre logis, où nous trouvons la dame
qui, depuis longtemps, était arrivée au rendez-vous. On avait
apporté de moelleux coussins et des tapis, dont on nous fait un
lit par terre; après quoi, les esclaves de la dame se retirent et
se couchentdevant la porte de la chambre. Alors elle allume une
grande lampe qui jette une vive clarté, se déshabille, et se te-
nant toute nue à la lumière, elle verse du parfum d'un vase
d'albâtre, s'en frotte, m'en frotte aussi, et m'en remplit particu-
lièrement les narines. Ensuite elle me couvre de baisers, me
parle comme elle eût fait à son amant, et, me prenant par le
licou, m'attire sur le lit. Je n'avais pas besoin d'y être engagé
par un tiers le vin vieux dont j'avais bu rasade, l'odeur du
parfum qui me stimule, et la vue de cette femme belle de tout
point, me font me pencher sur elle. Mais j'étais fort embarrassé
de savoir comment la satisfaire car, depuis que j'étais âne, je
n'avais point fait l'amour comme mes pareils, ni caressé aucune
ânesse. Ma plus grande crainte était surtout de déchirer cette
femme, vu la disproportion qui existait entre nous deux, et
d'avoir ensuite un beau procès pour homicida. J'ignorais com-
bien j'avais tort de le craindre. Cette femme, après m'avoir en
gagé par mille baisers amoureux, voyant que je ne répondais
pas à ses désirs, se couche sous moi comme sous un homme,
m'enlace, et, se soulevant, me reçoit tout entier. Moi pauvre, je
craignais encore et je me retirais tout doucement, mais elle
s'attacha si fortementà mes reins, poursuivant toujours le fugi-
tif, qu'il ne me fut plus possible de me soustraire. Quand je fus
sûr qu'il manquait encore quelque chose à ses plaisirs et à sa
joie, je travaillai sans crainte à la contenter, tout en songeant
que je valais bien l'amant de Pasiphaé. Cette femme, du reste,
avait de telles dispositions aux plaisirs de Véàus, et était si
insatiable de voluptés, qu'elle employa là nuit entière à mes dé-
pens.
52. Le jour venu, elle se lève et s'en va, après être convenue
avec mon gouverneur du prix d'une nouvelle nuit aux mêmes
conditions. Lui, qui s'enrichissait par mon travail et qui voulait
en même temps découvrir k mon maître mes nouveaux talents,
m'enferme encore avec cette femme, qui abuse étrangement de
moi. Cependant mon gouverneur va .prévenir le patron de ce
que je fais, et qu'il prétend m'avoir appris, l'amène le soir,%
mon insu, devant la porte de l'endroit où nous couchons, et, par
une fente, me fait voir aux bras de ma belle. Ce spectacle le
Divertit beaucoupet lui fait naître l'idée de me moiitrérau public
dans cette attitude. Il défend, en même temps, d'en rien dire
a Afin, dit-il, que le jour du spectacle on le conduise sur le
théâtre avec quelqu'une de ces femmes condamnées à mort,
et qu'il la caresse aux yeux de tout le monde. » Peu après, on
m'amène une femme qui avait été condamnée aux bêtes; on
lui ordonne de s'approcher de moi et de me caresser.
53. Enfin le jour était arrivé, qui devait procurer tant de gloire
à mon maître. On avait décidé de me produire en plein théâtre,
et voici commentj'y fis mon entrée. Il y avait un grand lit, fait
d'écaille de tortue de l'Inde, et orné de clous d'or :.on m'y dépose
et l'on y fait coucher une femme près de moi. Quand nous som-
mes bien arrangés sur cette machine, on nous transporte au
théâtre et l'on nous dépose au milieu. De grands cris s'élèvent,
des applaudissements m'accueillent de toutes parts on nous
avait dressé une table, où l'on avait servi tous les plats dont les
gourmets se régalent dans les festins; des esclaves nous entou-
raient de beaux échansons nous versaient le vin dans des coupes
d'or. Debout à mes côtés, mon gouverneur m'ordonne de man-
ger. Mais, d'une part, j'étais tout honteux d'être ainsi couché
dans un théâtre, et, de l'autre, je craignais de voir un ours ou un
lion s'élancer sur moi.
5k. Dans ce moment, un homme qui portait des fleurs vint à
passer; parmi ces fleurs, j'aperçois des feuilles de roses fraîche-
ment cueillies; aussitôt, sans balancer un instant,je saute à bas
du lit on s'imagine que je me lève pour danser; mais, parcou-
rant promptement les bouquets, je choisis les roses au milieu des
autres fleurs et je les dévore. Alors, au grand étonnement des
spectateurs,la figure de l'animal tombe et s'évanouit, l'âne dis-
paraît; et il ne reste plus que Lucius, debout et complétement
nu. Tout le monde est frappé de èette métamorphoseétonnante
et inattendue; on fait un bruit affreux, et le théâtre se divise en
deux partis les uns, me regardant comme un homme versé dans
la science des maléfices, comme un monstre changeant de forme
à son gré, voulaientqu'on me brûlât immédiatement les autres
disaient qu'il fallait commencer par m'entendre, et me juger
ensuite. Pour moi, je cours au gouverneur de la province, qui
assistait ce spectacle, et d'en bas je lui dis qu'une femme de
Thessalie, esclave d'une Thessalienne, m'ayant frotté d'un on-
guent magique, m'avait changé en âne je le supplie même de
me faire mettre en prison, jusqu'à ce que je puisse le convaincre
que je n'en imposaispoint.
55. Alors le gouverneur « Dites-nous votre nom, celui de
vos parents ou alliés, si vous tenez à quelqu'un par les liens du
sang, et votre ville natale. » Alors moi «t Mon père, lui dis-je,
s'appelle Lucius; j'ai un frère du prénom de Caïus; quant au
nom de famille, nous nous appelons tous de même; je suis au-
teur d'histoires et de plusieurs autres ouvrages mon frère est
poëte élégiaque et bon devin; notre ville natale est Patras en
Achaïe. » Le magistrat, en entendant ces mots « Vous êtes,
dit-il, le fils de gens qui sont mes amis et mes hôtes; ils m'ont
reçu chez eux et m'ont honoré de leurs présents; et je suis con-
vaincu que vous ne mentez pas en vous disant leur fils. » A
ces mots, il descend de son siège, m'embrasse, me fait mille
amitiés et me'conduit chez lui. Sur ces entrefaites, mon frère
était arrivé, m'apportant de l'argent et tout ce dont je pouvais
avoir besoin. Le gouverneur m'ayant déclaré libre au nom du
peupleet en présence de tous, nous descendons à la mer, nous y
trouvons un navire et nous y déposons notre bagage.
56. Cependant je crus qu'il était de mon devoir de rendre
une visite à la dame qui avait été amoureuse de moi, quand
j'étais âne je pensais que je lui paraîtrais bien plus beau sous
ma forme humaine. En effet, elle me reçoit, ravie en apparence
de ma singulière aventure; elle m'invite même à souper et à
passer la nuit avec elle. J'accepte, considérant comme inconve-
nant si, après avoir été aimé sous ma peau d'âne, je faisais le
dédaigneux, redevenu homme, et méprisais mon ancienne maî-
tresse. Je soupe donc avec elle, parfumé d'essences et couronné
de ces roses bien-aimées, auxquelles je devais ma réintégration
parmi les hommes. La nuit étant déjà avancée, et le temps de se
mettre au lit venu, je me lève, et croyant faire un bel exploit,
je me déshabilleet me mets tout nu, estimant que je lui plairais
davantage par la comparaisonavec l'âne. Mais elle, voyant que
je n'étais réellement qu'un homme, jette sur moi un regard de
mépris, et en même temps i Ta te morfondre loin de moi et
de ma maison, s'écrie-t-ejîe, va te coucher où tu voudras!
Quel crime ai-je donc commis? lui dis-je à mon tour.
–Par
Jupiter, dit-elle, ce n'est pas de toi, c'est de L'âne que j'étais
amoureuse; c'est avec lui, et non avec toi que j'ai couché je
pensais que tu avais conservé le bel et grand échantillon qui
distinguait mon âne. Mais je vois bien qu'au lieu. de ce char-
mant et utile animal, tu n'es plus, depuis ta métamorphose,
qu'un singe ridicule! j » Elle appelle aussitôt ses esclaves, et leur
ordonne de me prendre sur leurs épaules et de me déposer à la
porte. Me voilà donc emporté hors de la maison, tout nu, dans
un magnifique appareil, couronné, parfumé, forcé d'embrasser.
la terre nue et de reposer sur son sein. Au point du jour, sans
avoir pu reprendre mes vêtements, je cours au vaisseau et je
raconte en riant mon infortune à mon frère. Une brise favorable
étant venue à souffler, nous quittons la ville, nous mettons à la
voile, et en quelques jours j'arrive dans ma patrie. Là je fais un
sacrifice aux dieux sauveurs, et je leur consacre une offrande
pour être sorti non pas, ma foi, du derrière du
chien, comme dit
le proverbe, mais de la peau de l'âne, où m'avait enfermé si long-
temps ma curiosité, et pour m'avoir enfin ramené sain et sauf
dans mes foyers.

XLIII

JUPITER CONFONDU.

CYNISCUS ET JUPITER.

1. Cymscos. Moi, je ne viens pas ici, Jupiter, t'importuner


de mes voeux, te demander richesses, trésors, puissance, tout ce
que souhaite le commun des hommes, et qu'il n'est pas très-fa-
cile de leur accorder car je te vois souvent faire semblant de
ne pas les entendre mais je ne désire de toi qu'unejseulechose,
et on ne peut plus aisée.
JUPITER. Qu'est-ce donc, Cynisous ? Tu seras exaucé, surtout
si ta demande est aussimodeste que tu le dis.
CyNiscus. Réponds-moi donc, je te prie, à une question tout
à fait simple.
JUPITER. Vraiment, tes vœux sont modérés et faciles à satis-
faire. Fais-moi toutes les questions qu'il te plaira.
CYNiscus. Voici ce dont il s'agit, Jupiter. Tu as lu probable-
ment les poèmes d'Homère et ceux d'Hésiode; dis-moi si l'or
doit regarder comme vrai ce qu'ils chantent dans leurs rhapso
dies au sujet de la Destinée et des Parques, qu'il est impossible
d'éviter le sort qu'elles ont filé à chacun au moment de sa.
naissance*
CV Homère Iliade, XX, V. 1 38.
JUPITER. C'est très-vrai.Il n'est rien qui ne soit ordonné par
les Parques tout ce qui arrive est l'œuvre de leur fuseau., et
l'événement est toujours tel qu'elles l'ont filé dès l'origine il
n'est pas possible qu'il en soit autrement.
2. Cyniscus. Ainsi, lorsque Homère dit dans une autre partie
de son poème

Afin que, résistant aux lois fixes du sort,


Tu ne descendes pas au séjour de la mort,

et le reste, nous pouvons affirmer que c'est un radotage tout


pur.
JUPITER. Certainement. Rien de pareil ne peut arriver sans
l'ordre des Parques et contrairement à leur fil. Tout ce que
les poètes chantent sous l'inspiration des Muses est conforme
à la vérité. Mais quand ces déesses les abandonnent, et qu'ils
n'écrivent que de leur propre fonds,. alors ils se trompent et dé-
bitent le contraire de ce qu'ils ont dit auparavant. Il faut d'ail-
leurs les excuser; ils sont hommes, et la vérité leur échappe,
dès qu'ils n'ont plus ce souffle divin, qui inspirait leurs rhap-
sodies.
CYNISGUS. Eh bien; supposons qu'il en soit ainsi. Réponds en-
core à cette question. Les Parques ne sont-elles pas au nombre
de trois, Clotho, Lachésis, je crois, et Atropos?9
Jupiter. Sans doute.
3. Ctniscus. Qu'est-se donc que là Destinée et la Fortune, dont
on parle tant? Quelle est la puissance de chacune d'elles? Est-
elle égale ou supérieure à celle des Parques? J'entends dire à
tous les hommes que rien n'est plus puissant que la Fortune et
la Destinée.
JUPITER.Il ne t'est pas permis de tout savoir, Cyniscus. Mais
pourquoi me fais-tu cette question à propos des Parques ?2
4. Ctniscus. Je te le dirai, quand tu auras répondu à ceci
ces trois sœurs vous commandent-ellesaussi, Jupiter, et êtes-
vous contraints d'être suspendus à leur fuseau?
Jupiter. Nous y sommes contraints, Cyniscus.Qu'as-tu donc
à rire t
Ctniscus. C'est que je me rappelle certains vers d'Homère,
où le poëte te représente haranguant dans l'assemblée des dieux,
pt les menaçant de suspendre l'univers à une chaîne d'or. Tu
dis que tu jetteras du ciel une chaîne, à laquelle tous les dieux

4. Iliade. JS.,1. fit..


attachés s'efforceraient en vain, s'ils le voulaient, de t'entrainer
en bas, mais que toi, tu pourrais, à ton gré,
les enlever tous,
Avec la terre entière et l'abîme des mers

Tu me parus alors d'une force étonnante je frissonnais au seul


récit de ces vers maintenant, au contraire, je te vois avec ta
chaîne et tes menaces suspendu, suivant ton aveu, à un léger
fil. Il me semble que Clotho a plus raison que toi d'être fière de
son pouvoir, puisqu'elle t'enlève et te suspend à son fuseau,
comme les pêcheurs enlèvent les petits poissons avec leur
ligne.
5. Jupiter. Je ne sais pas où tu veux en venir avec tes ques-
tions.
Cïniscos. Le voici, Jupiter; et je te supplie, au nom des Par-
ques et de la Destinée, de m'entendre, sans humeur et sans co-
lère, te dire franchement la vérité. Si les choses sont comme
nous l'avons dit, si les Parques sont tellement nos souveraines,
que l'on ne puisse rien changer à ce qu'elles ont une
fois ré-
solu, pourquoi donc, nous autres hommes, vous offrons-nous
des sacrifices, pourquoi vous immolons-nous des hécatombes,
vous demandant en échange toutes sortes de biens ? Je ne
vois
pas quel profit nous pouvons retirer de ce culte, si nos
prières
ne peuvent obtenir l'éloignement des maux, ni aucune des
fa-
veurs que les dieux dispensent.
6. Jufiter. Je sais où tu vas chercher toutes ces questions
c'est à l'école de ces maudits philosophes, qui nient notre pro-
vidence sur les hommes. C'est leur impiété qui leur inspire de
pareilles demandes, et ils cherchent à détourner les autres de
nous adresser des sacrifices et des prières, tout cela étant fort
inutile, vu que nous ne prenons nul' soin de ce qui se passe
chez vous, et que nous n'avons aucune influence sur les affaires
terrestres. Mais ils ne se réjouiront pas toujours de leurs dé-
monstrations.
Croisera. Non, Jupiter, j'en jure par le fuseau de Clotho, ce
ne sont pas eux qui m'ont inspiré ces questions; c'est notre
propos même, sans que nous nous en doutions, qui nous amène
au point de dire que les sacrifices sont inutiles. Or, si tu veux le
permettre, je t'adresserai encore quelques petites demandes;
réponds-y sans hésiter, et avec le plus de fermeté possible.
JUPITER. Interroge, puisque tu as du temps à perdre à ces
niaiseries.

«. ttiaie% VIII, v. M..


7. Cyniscus. Tu dis que tout arrive par ordre des Parques?
JUPITER. Oui.
CYNiscus. Qu'il ne vous est pas possible de rien changer à
leurs décrets et de dérouler leur fuseau ?1
JUPITER. Nous n'y pouvons rien.
Cyniscus. Veux-tu que je te tire de là une conséquence, ou
te paraît-elle assez évidente pour que je n'aie pas besoin de la
dire?`?
JUPITER. Elleest évidente. Ceux qui sacrifient ne le font pas
car besoin, payant ce qu'ils ont reçu de nous et nous achetant
jn quelque sorte les biens, mais seulement pour honorer la su-
périorite de notre nature.
Cyniscus. Cela suffit; tu avoues toi-même que les sacrifices
n'ont aucun but utile, et que c'est par bonté d'âme que les
hommes honorent la supériorité da votre nature. Cependant, si
quelqu'un de nos sophistes était ici, et qu'il te demandât sur
quoi tu prétends que les dieux sont d'une nature supérieure,
étant d'ailleurs soumis au même esclavage que les hommes
et aux mêmes maîtresses, qui sont les Parques, il ne suffi-
rait pas d'alléguer que les dieux sont immortels pour prouver
l'excellence de leur être; car c'est en cela même que consiste
leur infériorité, attendu que la mort, au défaut de tout autre
moyen, nous rend libres, tandis que votre malheur dure à l'in-
fini, et que votre esclavageéternel est dévidé par un fil qui ne
s'arrête jamais.
8. Jupiter. Cependant, Cyniscus, cette éternité, cet infini,
c'est là notre bonheur, et nous y vivons sans cesse au sein des
plaisirs.
Cyniscus. Pas tous, Jupiter; mais chez vous lès affaires des uns
ne sont pas celles des autres, et il y a là une grande confusion.
Toi, tu es heureux, tu es le roi, tu peux enlever la térre et la mer,
comme au bout d'une corde à puits mais Vulcain est boiteux,
artisan et forgeron de son métier. Prométhée a jadis été mis en
croix. Que dirai-je de ton père, qui est encore enchaîné dans le
Tartare? On dit que vous pouvez être amoureux, sujets à rece-
voir des blessures, réduits parfois à l'esclavage chez les hommes,
comme ton frère chez Laomédon, comme Apollon chez Admète.
Tout cela ne me paraît pas du bonheur. Quelques-unsd'entre
vpus me paraissent heureux et bien partagés, mais pour les au-
tres c'est tout le contraire. Je ne parle pas des voleurs qui vous
attaquent aussi bien que nous, des sacriléges qui vous dépouil-
lent, et qui, de riches, vous réduisent, en un clin d'oeil, à la der-
nière pauvreté. Ajoutons que plusieurs d'entre vous sont passés
U'état de' lingot, pour avoir été d'or ou d'argent, parce que
j'était un décret de la Destinée.
9. JUPITER. Prends garde, Cyniscus, tes discours deviennent
nsolents, et tu pourrais bien t'en repentir.
Cyniscus. Trêve de menaces, Jupiter; tu sais qu'il ne peut
m'arriver que ce que les Parques auront décidé avant toi et
puis je vois que les sacriléges mêmes, loin d'être punis, vous
échappent presque tous. La Destinée, je pense, ne veut pas qu'ils
soient pris.
JUPITER. 'Ne disais-je pas que tu es un de ces impies, qui,
par leurs raisonnements, cherchent à détruire la Providence T
CYNISCUS. Tu en as terriblement peur, Jupiter, et je ne vois
pas trop pourquoi. Ainsi, tu t'imagines que tout ce que je te dis
émane de leurs doctrines?
10. Pour ma part (car de quel autre que de toi-même puis-je
apprendre la vérité?) je te ferai volontiers encore cette question:
qu'est-ce que votre Providence? Est-ce une Parque, ou bien
une divinité supérieure, qui ait sur elles quelque autorité?
JUPITER. Je t'ai déjà dit, Cyniscus, qu'il ne t'est pas permis
de tout savoir. Dans le principe, tu prétendais n'avoir qu'une
chose à me demander, et tu ne cesses de me poursuivre d'une
foule d'arguties. Je vois que le but principal de ton entretien est
de prouver que notre providence ne règle pas les affaires hu-
maines.
CYNISCUS. Ce n'est pas moi qui l'ai dit, c'est toi qui as avoué
tout à l'heure que les Parques sont les souverains arbitres de
l'univers, à moins que tu ne te repentes de cet aveu, et que tu
ne veuilles te rétracter ou peut-être vous disputez-vousce soin,
et cherchez-vous à en écarter la Destinée.
11. JUPITER. Pas du tout. Seulement, p'est par nous que la
Parque accomplit ses décrets.
Cyniscus. J'entends. Vous êtes les serviteurs et les ministres
îles Parques, vous l'avouez. Mais alors ce seraient elles qui exer-
ceraient la providence; vous ne seriez que leurs instruments et
leurs outils.
JUPITER. Que dis-tu?
Cyniscus. Le voici de même que la hache et la tarière ser-
vent au charpentier, mais ne doivent pas être confondues avec
cet artisan, et qu'un navire n'est pas l'œuvre de la hache et de
la tarière, mais celle du charpentier, ainsi le grand charpentier
de l'univers c'est la Destinée, et vous, vous n'êtes que les ta-
rières et les haches des Parques. Il me semble, d'après cela, que
les hommes doivent offrir leurs sacrifices à la Destinée et lui
demander les biens, tandis qu'ils s'adressent a vous et vous ho-
norent par des processions et des victimes. Et cependant ils
honoreraient la Destinée, qu'ils ne seraient pas encore tenus de
le faire, puisqu'il est impossible, je crois, aux Parques mêmes
de changer ou de modifier en rien ce qu'elles ont ordonné de
chacun, dès l'origine. Par exemple, Atropos ne souffrirait pas
que l'on voulût tourner son fuseau en sens inverse, et détruire
l'ouvrage de Clotho.
12. JUPITER. Tu prétends donc, Cyniscus, que les Parques
n'ont aucun droit aux honneurs des hommes, et tu as l'air de
brouiller tout dans une confusiongénérale. Mais nous n'aurions
pas d'autres titres à ces honneurs, qu'il nous resterait encore
celui de prédire l'avenir et de révéler tout ce qui a été décidé
par les Parques.
Cyniscus. En somme, Jupiter, il est inutile de prévoir ce qui
doit être, quand il est impossible de l'éviter, à moins que tu ne
veuilles dire par là que celui qui sait d'avancequ'il mourra par
le fer d'une lance peut se soustraire à la mort, en s'enfermant
dans une prison. Mais cela même est impossible. La Destinée
l'en fera sortir pour aller à la chasse et le livrera au fer meur-
trier. Adraste, en lançant son javelot contre un sanglier, man-
quera l'animal, et tuera le fils de Crésus; car l'arrêt inévitable
des Parques dirige le fer contre le jeune homme
13. Et cet oracle donné à Laïus n'est-il pas bien risible
Garde-toi d'engendrer, malgré l'ordre des dieux;
Tes jours seraient tranchés par un fils odieux.

Ce n'était pas la peine, je pensé, de donner'cet avis, puisque


l'événement devait, de toute nécessité, s'accomplir. En effet,
malgré cet oracle, il engendra, et son fils le tua. Je ne vois donc
pas à quel titre vous réclamez le salaire de vos prédictions.
14. Je pourrais ajouter que vous avez l'habitude de faire au
vulgaire des réponses ambiguës, qu'ainsi vous n'expliquez pas
nettement si celui qui passera l'Haîys détruira son propre em-
pire ou celui de Cyrus. L'oracle a ces deux sens.
JUPITER. Apollon, Cyniscus avait un motif d'être en colère

4. Voy. cette histoire dans Hérodote, I, chap. xxxiv, xi.v. cr. Valère
Maxime,VII, iv.
2. Euripide, Phéniciennes, v. 48 8et 49.
5. Fleuve célèbre de l'Asie Mineure, amuent du Pont-Euiin, aujourd'hui
Kityl-Ermak- Voy., pour la réponse de l'oracle, Hérodote, I; Cicéron, De la
divination, H, vn. Cf. Jupiter tragique, 20.
contre le roi de Lydie, qui l'avait éprouvé en faisant cuire dans
un même vase de la chair de mouton et de tortue.
Cyniscus. Un dieu ne devait pas se fâcher. Je crois plutôt qu'il
était écrit que le Lydien serait trompé par un oracle, et qu'en ou-
tre la Destinée lui avait filé la chance de n'en pas comprendre
le sens d'où je conclus que votre divinationappartient encore à
la Destinée.
15. JUPITER. Mais tu ne nous laisses rien. Nous ne sommes
donc plus des dieux que pour rire, si notre providencen'a aucun
pouvoir sur les affaires humaines, et si nous ne méritons pas
plus de sacrifices que des tarières ou des haches? Je crois, ma
foi, que tu te moques de moi, en me voyant, moi qui suis prêt
à lancer la foudre, supporter patiemment de tels propos.
Cyniscus. Frappe, Jupiter; s'il est écrit que je dois être frappé
de la foudre, je ne t'accuserai pas du coup, mais Clotho qui
m'aura blessé par ton bras; car je ne pourrais pas m'en pren-
dre à la foudre même de ma blessure. Cependant, il faut que
je vous demande à toi et à la Destinée, pour laquelle je te
prie de me répondre, une chose dont tes menaces me font sou-
venir.
16. Pourquoi, laissant en paix les sacriléges et les brigands,
tant d'hommes effrontés, violents et parjures, foudroyez-vous
la plupart du temps un chêne, une pierre, le mât d'un navire
qui n'en peut mais, quelquefois même un vertueux et honnête
voyageur? Pourquoi ne réponds-tu pas, Jupiter? Est-ce qu'il ne
m'est pas permis de savoir cela?
JUPITER. Non, Cyniscus; tu es trop curieux, et je ne sais pas
où tu as pris tout ce que tu viens entasser contre moi.
Cyniscus. Alors je ne vous demanderai pas, ni à toi, ni à la
Providence, ni à la Destinée, pourquoi le vertueux Phocion est
mort dans une si grande pauvreté, dans une disette absolue du
nécessaire, et Aristide avant lui, tandis que Callias et Alcibiade,
jeunes libertins, furent comblés de richesses, ainsi que l'inso-
lent Midias et Charops d'Ëginète infâme débauché qui fit
mourir de faim sa propre mère. Je ne vous demanderai pas non
plus pourquoi Socrate fut livré aux Onze, et non pas Mélitus;
pourquoi l'efféminé Sardanapale fut roi, tandis que tant de
braves Perses furent mis en croix par ses ordres pour n'avoir
pas approuvé tous ses actes'.
17. Enfin je n'entre pas dans le détail de ce qui se passe ici-
bas, où nous voyons prospérer les méchants et les cupides, tan-

i. Cf. Un fragment de Sotadès, dans Stobée, FluriUgium,zen.


dis que les honnêtes gens sont en proie à la pauvreté, accablés
par les maladies et par des maux sans nombre
JUPITER. Tu ne sais donc pas, Cyniscus. quelles punitions
attendent les scélérats après leur vie, et de quelle félicité joui-
ront les justes?
Cyniscts. Tu veux parler des Enfers, des Tityus des Tanta-
les s'il y a quelquechose comme cela, j'en saurai la vérité quand
te serai mort. Pour le moment je voudrais, quel que soit le peu
le temps que'j'ai à vivre, le passer agréablement,au risque d'a-
voir, après ma mort, le foie déchiré par seize vautours; mais
je ne voudrais pas, de mon vivant, avoir soif comme Tantale,
dussé-je boire un jour tant qu'il me plaira, couché avec les héros
dans les Iles des bienheureux, au milieu des prairies de l'Elysée.
18. JUPITER. Que dis-tu là? Tu doutes peut-être qu'il existe
des supplices et des récompenses, un tribunal où l'on examine
là vie de chacun ?
Cyniscus. J'ai entendu parler d'un certain Minosde Crète, qui
exerce là-bas les fonctions de juge. Tu peux m'en dire des nou-
velles, puisqu'on prétend qu'il est ton Sis.
JUPITER. Que veux-tu savoir sur son compte, Cyniscus?

vertu.
Gyniscus. Quels sont ceux qu'il punit, surtout?
JUPITER. Les méchants, tels que les homicides, les sacriléges.
Cyniscus. Et quels sont ceux qu'il envoie chez les héros?
JUPITÉR. Les bons, les saints, ceux qui ont toute leur vie pra-
tiqué la
Cyniscus. Et pourquoi cela, Jupiter?
JUPITER. Parce que les uns ont mérité une récompense et les
autres un châtiment.
Gyniscus. Et si quelqu'un a commis un crime involontaire,
est-il juste de le punir ?
JUPITER. Non.
CYNISCUS. Et si, sans le vouloir, on a fait une bonne action,
mérite-t-on d'être récompensé?
JUPITER. Pas davantage.
CYNISCUS. Par conséquent, Jupiter, Minos ne doit punir ni
récompenserpersonne.
JUPITER. Comment, personne?
Gysiscus. Parce que nous autres hommes, nous ne faisons
rien par notre volonté'; nous sommes soumis aux ordres d'une
nécessité inévitable, si du moins le principe établi précédem-
ment est vrai, à savoir que la Parque est la cause souveraine.

4. Voy. plus loin, page 91, note 2.


Si quelqu'un commet un meurtre, c'est elle qui le commet; si
l'on est sacrilège, on ne fait que ce qu'elle a décidé d'où il suit
que si Minos veut juger avec équité, il doit punir la Destinée au
lieu de Sisyphe, et la Parque au lieu de Tantale. Quel mal, en
effet, ont-ils commis? Ils ont obéi à des ordres.
19. JUPITER. Tu ne vaux pas la peine que je réponde àde pareil-
les questions; tu n'es qu'un impertinent et un sophiste; je te
laisse et je m'en vais.
Cyniscus. J'avais pourtant encore quelque chose à te deman-
der où habitent les Parques? comment peuvent-elles suffire à
tant de soins minutieux, n'étant que trois? Ce doit être une vis
bien occupée, un lot peu agréable que d'avoir tant de choses à
faire, et elles ne sont pas nées sous un destin propice. Pour moi,
si j'avais à choisir, je ne changerais pas ma vie pour la leur;
j'aimerais mieux être encore plus pauvre que je ne suis, que de
vivre assis, occupé à tourner un fuseau, chargé de choses si
compliquées, et l'oeil sans cesse à tout. Si tu ne trouves pas
facile de répondre à tout cela, Jupiter, je me contenterai de ce
que tu m'as déjà répondu: cela me suffit pour éclaircir la ques-
tion de la Destinée et de la Providence, et il était écrit proba-
blement que je n'en dois pas savoir davantage.

XLIV

JUPITER TRAGIQUE.

MERCURE, MINERVE JUPITER, JUNON, NEPTUNE, VENUS,


LE COLOSSE DE RHODES, MOMUS, APOLLON, HERCULE,
HERMAGORAS, timoclès DAMIS.

1. MERCURE.
Jupiter, d'où te vient cet air rêveur et triste '?
Tu parles seul, marchantpâle comme un sophiste;

4. Parodie d'une tragédie inconnue.


Fais-moi donc confidentde ce sombre chagrin,
Et ne dédaigne pas ton serviteur badin.
Minerve.
Puissantfils de Cronos, roi du ciel, ô mon père1,
J'embrasse tes genoux, moi, ta fille si chère,
Ta Pallas aux yeux gris, qui veux savoir errSn j
Quelle amère douleur te dévore !e sein.
Pourquoi ces longs soupirs, cette pâleur terrible?
JUPITER.
Non, il n'est pas, je crois, de désespoir horribles,
De malheureffrayant, de tragique douleur.
Qui des dieux immortels ne déchire le coeur.
MINERVE.
Apollon, quel début 1 quelle en sera la suite?
JUPITER.
0 terrestres'enfants, race impie et maudite,
Et toi, fils de Japet, quels maux tu m'as causés!
MINERVE.
Qu'est-ce donc? parle au chœur assis à tes côtés.
JtJPITER.
0 roulements bruyants de mon puissant tonnerre,
De quoi me servez-vous?Vous ne savéz rien faire 1.
Minerve. Calme ce courroux; nous ne pouvons pas nous met-
tre à jouer la comédie, comme ceux qui en font profession, et
d'ailleurs nous n'avons pas avalé tout Euripide pour te donner
la réplique.
2. Junon. Crois-tu que nous ne sachions pas la cause de ton
chagrin?
JUPITER.
Tu l'ignores, sans quoi tu ferais de beaux cris
Junon. Je sais la grande affaire qui te tourmente c'est l'a-
mour. Je ne crie pas, vu l'habitude que j'ai de semblables outra-
ges. Il est probable que tu as découvert quelque Danaé, une
1

T. 303; III, v. 36.


Parodie de plusieurs passages d'Homère

Il. Euripide, Oreste, v. « et suivants.


Odyssée, I, t. 45 Iliade, 1,
Sémélé ou une Europe, qui te tient au cœur; tu te demandessi
tu te transformeras en taureau, en Satyre ou en or, pour te lais-
ser couler par le toit dans le sein de ta maîtresse. Ces soupirs,
ceslarmes, cette pâleur, sont des symptômes d'une passion amou-
"teuse.
JUPITER. Tu es bien heureuse d'aller t'imaginer que toutes
mes
lités I
affaires ne roulent que sur l'amour et semblables frivo-

Junon. Et quelle autre chose peut te troubler, toi, Jupiter?


3. JUPITER. Les affaires des Dieux, Junon, sont dans un état
désespéré; il y a, comme on dit, sur le tranchant d'un rasoit
l'alternative de savoir si nous recevrons encore des honneurs et
des offrandes sur la terre, ou bien si nous serons désormaisné-
gligés par tout le monde et regardés comme rien.
JUNON. Est-ce que la terre a enfanté de nouveaux Géants, ou
les Titans, brisant leurs chaînes et renversant leurs gardes, ont-
ils pris de nouveau les armes contre nous? 'l

JUPITER.
Rassure-toi, les Dieux n'ont pas peur des Enfers!
Junon. Et quel autre malheur est-il donc arrivé? Je ne vois
pas pourquoi, n'ayant rien de pareil à craindre, tu viens ici
nous jouer les rôles de Polus ou d'Aristodème', au lieu d'être
Jupiter.
Hier, Junon, le stoïcien Timoclès et l'épicurien
4. JUPITER.
Damis ont eu, je ne sais à quel propos, une dispute sur la Pro-
vidence, et cela devant une assemblée nombreuse et distinguée.
ce qui m'afflige encore plus. Damis prétendait qu'il n'y a point
de dieux, qu'ils ne surveillent ni. ne dirigent en aucune façon
les choses humaines Timoclès, en galant homme, s'est efforcé
de plaider notre cause. Bientôt la foule est accourue ç'e tous
côtés; mais la dispute n'a pas eu de fin: on s'est quitté, après
être convenu, toutefois, de la reprendre et de l'achever. Mainte-
nant tous les esprits sont en suspens; on se demande quel sera
levainqueur et celui qui paraîtra le mieux avoir dit la vérité.
Vous vpyez le danger et à quelles extrémités nous sommes ré-
acteurs. Sur Polu» voy. Àulu-Gelle, Nuits attiques, Vil, v.
1. Fameux
Aristodème vivait do temps de Démoslhène il fut député vers Philippe, par
les Athéniens, en qualité d'ambassadeur, à cause de son habileté et de sa
grâce persuasive.
2. Cf. les beaux vers de Claudien, dans ses Iwectittt contre Bufm «Sœpe
• mihi dubiam Iraiit senlenlia montem, » etc.
duits; tout dépend d'un seul homme. De deux choses l'une: ou
notre pouvoir sera méprisé et nous ne serons plus que de vains
noms, ou nous serons honorés comme par le passée, si Timoclès
a le dessus dans la discussion.
5. Junon. Tout cela est fort grave, Jupiter, et tu avais raison
de prendre le ton tragique.
JUPITER. Et cependant tu croyais que ce grand trouble venait
de quelque Danaé ou d'une Antiope. Que devons-nous faire,
Mercure, Junon'et Minerve? Cherchez aussi de votre côté.
MERCURE. Je pense qu'il faut convoquer l'assemblée, afin
d'examiner l'affaire en conseil.
JUNON. Je suis de l'avis du préopinant.
Minerve. Et moi, mon père, je suis d'un avis' complètement
opposé; il ne faut ni jeter l'alarme dans le ciel, ni te montrer
si fort troublé de' cette affaire. Arrange tout plutôt de manière
que Timoclès ait le dessus, et que Damis sorte bafoué de la dis-
cussion.
MERCURE. Mais cela se saura, Jupiter, puisque la dispute de
ces philosophesdoit avoir lieu au grand jour, et l'on t'accusera
d'usurper un pouvoir- tyrannique, .en ne communiquant pas
à tous une affaire aussi importanteet d'un intérêt commun.
6. JUPITER. Eh bien! convoque l'assemblée, et que tous y
soient présents tu as raison.
MERCURE. Holà! venez vite à l'assemblée, les dieux) Qu'on se
dépêche! 1 Venez tous, accourez! Nous nous réunissons pour une
affaire de conséquence.
JUPITER. Quelle trivialité, Mercure, quelle bassesse, quel pro-
saïsme dans ta proclamation, et cela quand tu convoques pour
une chose des plus importantes1
MERCURE. Et comment veux-tu donc que je fasse, Jupiter ?
JUPITER. Comment je veux? Il me semble qu'il faudrait re-
hausser ta proclamation par quelques vers, quelques grands
mots poétiques qui feraient accourir plus vite.
MERCURE. Oui. Jupiter; mais c'est l'affaire des poëtes épiques
et des rhapsodes, et moi je n'y entends rien. Je gâterais la pro-
clamation en composant des vers trop longs ou trop courts, et
l'on se moquerait de mon ignorance en fait de poésie. Je vois
déjà qu'on rit parfois d'Apollon et de ses oracles, malgré l'ob-
scurité dont il les enveloppe, afin que ceux qui les écoutent
.n'aient pas le loisir d'en examinerla versification.
JUPITER. Tu peux au moins, Mercure, mêler à ta'proclama-
tion plusieurs vers d'Homère, ceux qu'il emploie pour nous
convoquer. Tu dois t'en souvenir.
MERCURE.Pas très-nettement, je ne les ai pas tous sous la
main; je vais essayer pourtant

Qu'aucune déité, soit mâle, soit femelle,


Fleuve, Nymphe, Fontaine, enfant de l'Océan,
Ne s'absente aujourd'hui. Que la troupe immortelle
Autour de Jupiter se rassemble à l'instant!
Venez, accourez tous, vous qui de cent génisses
Aspirez au complet le savoureux honneur,
Dieux d'en bas, et vous dieux de moyenne grandeur,
Enfin, dieux innommés, qui dans les sacrifices,
Assis près des autels, n'avez droit qu'à l'odeur,

7. JUPITER. Très-bien, Mercure, voilà une excellente procla-


mation Tout le monde accourt. Reçois-les et fais-les asseoir,
chacun selon son mérite, c'est-à-dire d'après la matière ou l'art
dont ils sont faits. Place au premier rang ceux qui sont d'or;
au second, ceux qui sont d'argent; mets ensuite les dieux d'i-
voire, et enfin ceux d'airain ou de marbre; seulement, parmi
ces derniers, donne la préférence aux œuvres de Phidias, d'Al-
camène, de Myron, d'Euphranor et autres grands artistes. Quant
à la plèbe des dieux taillés sans art, entasse-les pêle-mêle dans
un coin, pour qu'ils fassent nombre dans l'assemblée.
MERCURE. J'obéis; ils vont s'asseoir suivant l'ordre qui leur
convient. Mais il n'est pas facile de savoir si un dieu d'or, qui
pèse plusieurs talents, mais qui n'a aucune valeur de main-
d'œuvre, et qui n'est enfin qu'un dieu du commun, sans nulle
proportion, doit s'asseoir devant les dieux d'airain de Myron et
de Polyclète, ou ceux de marbre de Phidias et d'Alcamène;
faut-il préférer l'art à la matière?
JUPITER. Cela vaudrait mieux, mais l'or cependant est préfé-
rable.
MERCURE. J'entends tu veux que je les place selon leur ri-
chesse, et non pas selon leur supériorité et leur mérite. Venez
donc, vous, les dieux d'or, vous asseoir au premier rang.
8. Il me semble, Jupiter, que les barbares vont occuper seuls
les bancs de devant car les Grecs que tu vois ici, beaux, agréa-
bles, bien faits, sont tous de marbre ou d'airain; les plus ma-
gnifiques sont d'ivoire relevé d'un peu d'or, qui leur donne de
l'éclat et de la couleur; mais à l'intérieur ils sont de bois et
recèlent de nombreux troupeaux de rats, qui y ont établi leur

1 Parodie de différents endroits d'Homère, Iliade VIII, V. 7 XX, V. 7


IX, V. 228; XIII, V 827.
république 1. Au contraire, cette Bendis, cet Anubis, qui ont à
leur côté Attis, Mithrès et Men*, sont d'or massif, et d'un prix
vraiment considérable.
9. NEPTUNE. Est-il donc juste, Mercure, que cet Égyptien à
visage de chien soit placé devant moi, Neptune?
MERCURE. C'est comme cela, dieu qui ébraitîes la terre! Ly-,
sippe, en te faisant d'airain, t'a fait pauvre; les Corinthiens, à
cette époque, n'avaient point d'or, tandis que celui-ci est plus
riche que des mines entières. Tu n'as donc rien à dire; il faut
céder la place et ne pas te fâcher de ce qu'on te préfère un dieu
qui a un si riche museau.
10. Vénus. Alors, place-moidonc aussi sur les premiers bancs,
car je suis d'or.
MERCURE. Non pas, Vénus, autant du moins que je puis voir.
Si je ne suis pas tout à fait myope, tu es taillée, je crois, dans
un bloc de marbre blanc du Pentélique dont il a plu à Praxi-
tèle de faire Vénus, et tu as été livrée comme telle aux Cnidiens.
Vénus. Mais je produirai, comme un témoin digne de foi,
Homère, qui dans mille phrases de ses poëmes m'appelle Vénus
d'or.
MERCURE. Cela n'a rien d'étonnant; il donne aussi à Apollon
le nom d'abondant en or et de riche; tu peux cependant le voir
aujourd'hui assis parmi les zeugites', dépouillé de sa couronne
par les voleurs, dont les mains sacrilége3 lui ont dérobé jus-
qu'aux chevilles de sa lyre; contente-toi'donc de ne pas voter
dans l'assemblée avec la classe des mercenaires.
11. LE COLOSSE DE RHODES. Et qui oserait me disputer le pre-
mier rang, à moi qui suis le Soleil et dont la taille' est si gigan-
tesque ? Si les Rhodiens n'eussent pas voulu me donner une
grandeur énorme et prodigieuse, ils se seraient fait faire seize
dieux d'or pour le même prix; je puis donc, avec quelque rai-
son, passer pour le plus riche d'ailleurs, l'art et la perfection
de l'ouvrage s'unissent en moi à une pareille grosseur
MERCURE. Que dois-je faire, Jupiter? La chose est difficile à
juger. Si je considère la matière, il n'est que d'airain; mais si
4 Cf. le Songe au le Coq, 24.
2. Tous ces mots sont expliquésdans le Dict. de Jacobi sauf Anubis. Pour
ce nom voy. Virgile, Enéide, VIII, v. 098, et la note de Heyne.
3. Montagne de l'Attique, fameuse par ses marbres.
4. Troisième classe des citoyens. Ce nom leur venait de ce que (Vax citoyens
de cette classe étaient forcés de s'unir, Çst>yvutsOou, pour entretenir un che-
val. Voy. "Plularque,,fierf«.Sa/on, et Guillaume Postet, De magistratilms
Atheniendum,ehap. i.
je calcule combien de talents il a coûté à fabriquer, il aura le
pas sur ceux qui ont cinq cents médimnes de revenu.
JUPITER. Qu'avait-il besoin de venir, celui-là, pour faire res-
sortir la petitesse des autres et déranger toute l'assemblée'
Dis-moi donc, excellent Rhodien, en supposant que tu l'emportes
de beaucoup sur les dieux d'or, comment ferais-tu pour t'as-
seoir au premier rang, à moins d'obliger tous les autres à se
lever, et det'y laisser seul? Une seule de tes fesses occuperait
le Pnyx tout entier. Tu ferais bien mieux de te tenir debout, au
milieu de l'assistance, la tête penchée du côté où siège le
sénat.
12. MERCURE. Allons! voici autre chose qui n'est pas moins
embarrassant. Ces deux dieux sont d'airain, faits avec le même
art, tous deux œuvre de Lysippe, et, qui plus est, égaux en no-
blesse ce sont deux fils de Jupiter, Bacchus et Hercule. Lequel
aura la préséance?Tu vois qu'ils se la disputent.
JUPITER. Nous perdons notre temps, Mercure; il y a long-
temps que l'assemblée devrait être assise. Qu'on s'asseye donc
pêle-mêle, où chacun voudra. Une autre fois, on réglera les
rangs, et je saurai alors quel ordre je dois établir entre eux.
13. MERCURE. Par Hercule quel tapage! Ils crient, comme le
peuple fait chaque jour: <t Distributions!distributions Où est le
nectar? Il n'y a plus d'ambroisie! Où sont les hécatombes? Des
victimes pour tout le monde j»»
JUPITER. Impose-leur silence, Mercure, afin qu'ils sachent,
sans s'amuser à ces bagatelles, pour quel sujet ils sont réunis.
MERCURE. Mais, Jupiter, ils n'entendent pas tous le grec, et
moi je ne suis pas assez polyglotte pour faire une proclamation
intelligible aux Scythes, aux Perses, aux Thraces et aux Celtes.
Il vaut mieux, je crois, leur faire signe avec la main de gardér
!e silence.
JUPITER. Fais-le donc.
14. MERCURE. A la bonne heure Les voilà devenus plus
muets que des sophistes. Voici le moment de commencer ta ha-
rangue tu le vois, ils ont depuis longtemps les yeux sur toi, et
ils attendent ce que tu vas leur dire.
JUPITER. Ma foi, Mercure, je n'hésiterai pas à te dire ce que
j'éprouve, à toi, mon fils. Tu connais mon aplomb et mon élo-
quence dans les assemblées.
MERCURE. Oui, et je tremblais parfois en t'écoutant parler,
surtout le jour où tu menaças d'enlever de leurs fondements la
terre et la mer avec tous les dieux, en laissant tomber d'en haut
une chaîne d'or.
JUPITER. Eh bien! aujourd'hui; mon fils,»je ne sais si c'est à
cause de la gravité des périls qui nous menacent ou de la foule
ici présente, car c'est, tu le vois, une réunion de dieux au grand
complet; mais je sens que mon esprit est troublé, je ne suis pas
dans mon assiette ordinaire, ma langue semble, être liée, et, ce
qu'il y a de plus étrange, j'ai complétement oublié l'exorde
à
que j'avais préparé pour donner un début imposant ce que je
dois leur dire.
MERCURE. Tout est perdu, Jupiter 1 Ton silence commenceà
devenir suspect;'on s'attend à la nouvelle des plus grands mal.
heurs, en voyant ton hésitation.
JUPITER. Veux-tu, Mercure, que je prenne pour exorde ce
vers d'une rhapsodie homérique?.
MERCURE. Lequel?
JUPITER.,
Écoutez-moi grands dieux: écoutez-moi, déesjss'l
MERCURE. Fi donc Nous sommes las de te l'entendre chanter.
Laisse ilà/si tu m'en crois, cette ennuyeuse poésie; et arrange
à ton usage, avec quelques changements, celle que tu voudras
des harangues de Démosthène contre Philippe. La plupart de
nos orateurs n'en font jamais d'autres.
JUPITER. Tu as raison c'est un moyen expéditif de se donner
un air éloquent, et il est d un emploi commode pour les gens
embarrassés.
MERCURE. Allons! commence enfin!
15. JUPITER. Vous donneriez, j'en suis sûr, citoyens dieux
de grandes richesses, afin de savoir au juste pour quel sujet
vous êtes assemblésaujourd'hui. Si telles sont vos dispositions,
vous devez prêter une oreille favorable à mon discours. La cir-
constance actuelle, ô dieux, semble élever la voix et nous dire
que nous devons veiller sérieusement aux affaires présentes; et
cependant nous paraissons les traiter avec une extrême négli-
gence. Or, je veux, puisque Démosthène me fait défaut, vous
mettre nettement sous les yeux l'objet de mes alarmes et les
motifs de votre convocation. Hier, vous le savez, un patron de
vaisseau, Mnésithée, offrait un sacrifice pour le salut de son
navire, qui avait failli sombrer près de Capharde Il y avait
t. Uiade,ym,y.&.
2. Cet exorde est une reproduction presque littérale de la i" Oljmthienne
de Démostliène au commencement.
3. Nom d'un promontoire de l'Eubée, aujourd'hui Négrepont ou Negribo.
C'est près de ce cap que la flotte grecque fut dispersée à son retour de Troie.
donc au Pirée grand régal de tous ceux d'entre nous que Mnési-
thée avait invités à son sacrifice. Bientôt, après les libations,
chacun s'en alla où il voulut. Moi, comme il n'était pas trop
tard, je montai à la ville, dans le dessein de me promener, l'a-
près-dînée, dans le Céramique, et je me mis à réfléchir à la mes-
quinerie de Mnésithée, qui, pour régaler seize dieux, leur avait
sacrifié un vieux coq pituiteux, et quatre grains d'encens si
moisi, qu'il ne put s'enflammer sur les charbons ni produire la
moindre fumée pour le bout de notre nez et cela, quand il avait
promis des hécatombes entières, au moment où son vaisseau,
entraîné contre un rocher, allait s'abîmer sur les récifs.
16. Tout entier à ces réflexions, j'arrive au Pœcilé; j'y vois
une foule très-compacte, quelques hommes sous le portique
même, un plus grand nombre en plein air, certains autres enfin
criant et vociférant des sièges où ils étaient assis. Je me doute,
ce qui était vrai, que c'est une discussionphilosophique je veux
m'approcher pour entendre ce qu'ils disent; j'avais eu la pré-
caution de m'envelopperd'une nuée des plus épaisses je com-
pose mon extérieur sur celui de ces philosophes; habits,' longue
barbe; c'était à s'y méprendrè; j'écarte la foule avec mes cou-
des, et j'entre sans que personne sache qui je suis. Là je trouve
l'épicurien Damis, un franc vaurien, et le stoïcien Timoclès, la
perle des hommes, discutant avec chaleur., Timoclès suait à
grosses gouttes; sa voix était enrouée à force de crier, tandis
queDamis, avec un rire sardonique, piquait de plus en plus son
adversaire.
17. Il s'agissait de nous dans leur discussion. L'exécrable
Damis prétendait que notre providence ne gouverne point les
hommes et que nous n'avons pas les yeux ouverts sur leurs
actions; et s;,n discours ne tendait â rien moins qu'à nier abso-
lument notre existence il y avait même des gens qui l'applau-
dissaient. L'autre philosophe, Timoclès, qui tenait pour nous,
'luttait de toutes ses forces, s'emportait, et mettait tout en oeuvre
pour notre défense, exaltant notre providence et montrant avec
quelle sagesse et quel ordre convenable nous conduisons et ré-
glons l'univers. Il avait aussi des partisans, mais il était essouf-
flé, la voix lui faisait défaut, et la foule tournait les yeux
vers
Damis. Comprenantla grandeur du péril, j'ordonne à la nuit
d'étendre ses voiles et de mettre fin à la dispute. On se sépare,
mais on convient de vider le dijÏBpeiMWg lendemain. Pour moi,
je suis la foule, et, recueiHapne^rbpos "des gens qui s'en re-
tournent chez eux, je voie qjae Ton se fijg^ du côté de Damis
et qu'il aura bientôt la ntajprité. Bon yioïïjbre, cependant, ^a
voulaient pas préjuger la question, mais ils attendaient ce que
Tiïnoclès dirait le lendemain.
18. Voilà pourquoi je vous ai convoqués. Vous voyez, dieux,
que ce n'est pas une petite affaire, si vous réfléchissez que nos
honneurs, notre gloire, nos revenus, ce sont les hommes. Si on
leur persuade, qu'il n'y a point de dieux, ou que, s'ils existent,
ils ne se mêlent pas des affaires humaines, nous ne recevrons
plus de' la terre ni victimes, ni présents, ni honneurs; nous
resterons assis sottement dans le ciel, condamnés à mourir de
faim, privés des fêtes, des grandes assemblées, des jeux, des
sacrifices, des cérémonies nocturnes, des pompes solennelles.
Je dis que, dans une conjonctureaussi grave, nous devons tous
chercher un moyen d'échapper à l'imminencedu danger, et voir
comment Timoclès pourra triompher, en paraissant dire la vé-
rité, tandis que Damis sera la risée des auditeurs; car, je l'a-
voue, je n'ai pas assez de confiance en Timoclès, pour croire
qu'il puisse vaincre par lui-même, sans que nous lui venions
en aide. Allons, Mercure, fais la proclamationd'usage, afin qne
chacun se lève et donne son avis.
Mercure. Écoute; silence; paix là! Qui est-ce qui veut parler
parmi les dieux qui ont l'âge requis? Comment? Personne ne se
lève; vous restez coi, tout étourdis de la grandeur des périls
dont on vous parle 1
19. Momus.'
Puissiez-vous n'être tous que vapeur et poussière1!
Pour moi, si l'on me permettait de parler avec franchise, j'aurais,
Jupiter, bien des choses à dire.
Jupiter. Parle, Momus; ne crains, rien. Il est évident que ta
franchisen'a en vue que l'intérêt commun.
Momus. Écoutez-moidonc, vous tous dieux; je vais vous par-
ler, comme on dit, à cœur ouvert. Il y a longtemps que je m'at-
tendais à la situation critique où se trouvent aujourd'hui nos
affaires je prévoyais qu'un tas de sophistes de cette espèce
s'élèveraient contre nous, autorisant leur insolence de notre
conduite: et, en vérité, j'en jure par Thémis, ce n'est pas à
Épicure qu'il faut en vouloir, ni à ses disciples, ni aux héritiers
de sa doctrine, si l'on pense tout cela de nous. En effet, quelle
doit être l'opinion des hommes, quand ils voient l'immense dés-
ordre des choses humaines, les gens vertueux méprisés, acca-
blés par la pauvreté, les maladies, l'esclavage; les scélérats, au

t. Iliade, VU, V. «».


contraire, et les fripons, portés au faîte des honneurs, regor-
geant de richesses, et faisant la loi à ceux qui valent mieux
qu'eux; les sacriléges. impunis et se dérobant aux recherches,
tandis qu'on met en croix et qu'on assomme des innocents? Il
est tout naturel qu'à cette vue ils s'imaginent que nous n'exis-
tons pas.
20. C'est bien pis, quand ils entendent nos oracles disant
Qui peut franchir l'Halys renverse un grand empire

sans déterminer si c'est l'empire de celui qui consulte ou l'em-


pire de ses ennemis. Et cet autre
Salamine perdra les fils de bien des femmes'.
11 me semble que les Perses et les Grecs étaient également les
fils des femmes. Lorsque les hommes entendent dire aux poëtes
que nous sommes amoureux, que nous recevons des blessures,
que nous sommes esclaves, qu'on nous met dans les fers, que
nous nous disputons, que nous sommes soumis à mille désagré-
ments, et cela, quand nous avons la prétention d'être bienheu-
reux et immortels, n'ont-ils pas raison de se moquer de nous et
de n'en tenir aucun compte? Cependant nous nous mettons en
colère de ce que quelques-uns de ces hommes, qui ne sont pas
tout à fait des imbéciles, font ressortir ces contradictions et re-
jettent bien loin notre providence; nous devrions nous estimer
heureux d'en voir encore un certain nombre nous offrir des sa-
crifices, après tant de sottises.
21. Je vais plus loin, Jupiter, puisque nous sommes entre
nous et qu'il n'y a pas d'hommes à cette assemblée, sauf Her-
cule, Bacchus, Ganymède et Esculape admis au rang des dieux;
réponds-moi franchement t'es-tu jamais inquiété de ce qui se
faisait sur la terre, au point d'examiner quels sont les bons et
quels sont les méchants? Tu ne saurais le dire. Et si Thésée, en
allant de Trézène à Athènes, ne se fût occupé, comme passe-
temps de voyage, à châtier les malfaiteurs, comme il apparte-
nait à ta providence de le faire, rien n'eût empêché Sciron,
Pityocampte, Cercyon et autres bandits, de vivre tranquilles et
de s'amuser à égorger les voyageurs. Si Eurysthée, cet homme
du vieux temps, plein de prévoyance et de philanthropie, in-
struit de ce qui se passait dans chaque contrée, n'eût envoyé ce
gaillard, son esclave, son homme de peine, et taillé pour les tra-

1. Voy. Hérodote, I, un. – 2. Id., VII, T. cçu.


l'hydre de Lerne,
vaux tu te serais fort peu soucié, Jupiter, de
des oiseaux du lac Stymphale, des chevaux de Thrace et de l'in-
solente ivrognerie des Centaures..
22. Mais, à parler franchement, nous vivons ici dans une
oisiveté parfaite, n'ayant d'autre soin que de nous informer si
l'on nous offre des sacrifices et si l'on fait fumer nos autels. Le
reste suit son cours et s'en va comme il plaît au hasard. Ce qui
nous arrive aujourd'hui ne doit donc pas nous étonner, et nous
en verrons bien d'autres, lorsque les hommes, levant peu peu
à
les yeux vers le ciel, s'apercevront qu'ils ne retirent aucun pro-
fit de leurs sacrifices et de leurs pompes. Tu verras avant peu
les Épicure, les Métrodore et les Damis nous rire au nez, et
serait donc de
nos défenseurs vaincus et réduits au silence. Il
notre intérêt de mettre un terme, de trouver un remède à ces
abus, puisque c'est vous qui avez amené les choses à ce point.
Quant à Momus, il ne court pas grand risque de perdre ses
honneurs, car il n'y a pas longtemps qu'on l'honore, tandis
que vous avez la pleine jouissance du bonheur et des victi-
mes.
23. JUPITER. Laissons, ô dieux, laissons l'orateur débiter tou-

comme l'a- fort bien dit l'admirable


il
tes ses folies il est d'humeur piquante et satirique; mais,
Démosthène est aisé
d'accuser, de reprendre, de censurer; le peut qui veut; au lieu
qu'indiquer le moyen de faire prendre une meilleure tournure
aux affaires, c'est réellement l'office
d'un sage conseiller. Or,
c'est là, j'en suis sûr, ce que vous autres allez faire, maintenant
que l'orateur se tait.
24. NEPTUNE. Pour moi, qui suis plongé dans l'onde, comme
vous savez, et qui habite au fond des mers, je ne fais guère
que sauver, autant que je le puis, les
navigateurs, diriger la
marche des vaisseaux et calmer les vents. Cependant, comme je
prends quelque intérêt à ce qui se passe ici, je dis qu'il faut se
défaire de ce Damis, avant la discussion, soit par, un coup de
foudre, soit par tout autre moyen, afin qu'il n'ait pas le dessus;
car tu nous as dit, Jupiter, que c'est un habile orateur. Nous mon-
trerons ainsi que notre vengeance poursuit ceux qui tiennent
cbntre nous de semblables propos.
25. JUPITER. Tu plaisantes, Neptune, ou bien tu as compléte-
ment oublié que rien de pareil n'est en notre pouvoir; mais les

I Hercule.
2 Méirodore, philosophe pyrrhonien né à Chio, ami d'Épicure.
3. Vojj in Olynthienne, Ti.
doit trancher la foudre
Parques tissent à chacun un fil que chose m'était
l'épée la fièvre ou la peste. Autrement, si la
permise, penses-tu que j'eusse laissé sortir de Pise, sans les
coupé
avoir foudroyés, les sacriléges qui, iernièrement, m'ont
deux boucles de cheveux pesant
chacune six mines'? Toi-
d'Orée s,
même, aurais-tu laissé faire à Géreste* ce pêcheur
qui t'a dérobé ton trident? D'ailleurs, nous aurions
l'air de
nous fâcher, d'être
chagrinés de l'affaire, de craindre les
débarrassés
discours de Damis, et de nous être, pour cela,
de cet homme sans avoir
attendu qu'il entrât en lice avec
Timoclès. Nous passerions toujours pour avoir gagné notre
cause par défaut.
NEPTUNE.. Je croyais avoir
trouvé un moyen expéditif de rem-
porter la victoire.
JUPITER. Fi donc, Neptune c'est une idée qui sent le thon,
.u et
antagoniste avant le
tout à fait grossière, que d'exterminer un
combat, afin qu'il meure invaincu, laissant la
discussion indé-
cise et pendante.
NEPTUNE. Alors, inventez un meilleur expédient, puisque vous
dites què le mien sent le thon.
adoles-
26' APOLLON. Si la loi nous permet, à nous autres
cents encore jeunes et sans barbe, de parler en
public, peut-
être pourrai-je dire quelques mots utiles à la délibération.
de nos plus
Momus. Dans cette délibération, Apollon, il y va
chers intérêts; si bien que la parole est accordée, non pas
à
l'âge mais à tous. Il serait plaisant qu'exposés aux derniers
dangers, nous vinssions chicaner sur la liberté concédée par les
lois. Tu es un orateur parfaitementlégal, sorti depuis longtemps
de la classe des adolescents, inscrit sur le registre
des Douze»,

La mine ordinaire valait e drachmes; mais la mine attique en valait


1.
valeur; avant ce législateur, elle
100. Ce fut Solon qui la porta à cette car
n'était estimée que 75 drachmes. <0O drachmes attiques valent 60 livres de
notre monnaie. Ainsi le vol fait à Jupiter montait, à peu près à 300 livres.u
Bllin DE Baixo.
2 Ville d'Eubée. Neptune y avait un temple
3. Ville de la même lie. Démosthène en
fait souvent mention dans ses
Philippiques,
parole dans les délibérations
4. A Athènes, on ne pouvait pas prendre la
publiques, avant trente ans.
5. Pour constater l'état des citoyens, on
tenait, à Athènes, deux registres.
Dans l'un on inscrivait toutes les naissances; l'autre contenait les noms de
ceux qui avaient atteint la majorité légale. Le
registre des Douze est donc celui
lur lequel sont inscrits les Douze grands dieux.
et presque du conseil de Saturne. Ne fais donc pas le jeune
homme avec nous; expose hardiment ton opinion, ne sois pas
honteux de parler en public, sans avoir de barbe, puisque tu as
dans Esculape un fils dont le menton en est abondamment
pourvu. D'ailleurs ii est dE ta gloire de déployer en ce moment
ta science, et de nous montrer que ce n'est pas pour rien que tu
es assis sur l'Hélicon, philosophant avec les Muses.
APOLLON. Ce n'est pas à toi, Momus, c'est à Jupiter de m'ac-
corder cette permission. S'il m'ordonne de parler, peut-être
tiendrai-je un langage digne des Muses et de mes occupations
sur l'Hélicon.
JUPITER. Parle, mon fils; tu as la parole.
27. APOLLON. Ce Timoclès m'a toujours paru un excellent
homme il est pieux, et il connaît parfaitement la doctrine des
Stoïciens. Par là, il attire autour de lui nombre de jeunes gens
auxquels il montre la philosophie, et dont il reçoit, à ce sitre,
de gros honoraires, étant d'ailleurs fort convaincant, lorsqu'il
dispute en particulier avec ses élèves. Mais en public, il perd
toute sa hardiesse il a la parole mal assurée, à demi barbare,
et il fait rire tout le monde dans les discussions en bredouillant,
balbutiant, se troublant; surtout lorsque, malgré sa timidité, il
veut faire montre de beau langage. Il a, en effet, la conception
extrêmement vive, l'esprit très-subtil, au dire de ceux qui
savent à fond la dialectique des Stoïciens. Mais; lorsqu'il parle
et démontre, sa faiblesse gâte et confond,t-out il n'expose plus
clairement ce qu'il veut dire, il avance des propositions qui sont
autant d'énigmes, et répond avec plus d'obscurité encore aux
questions qu'on lui adresse, de sorte que ceux qui ne le com-
prennent pas se moquent de lui. Or, il faut, je crois,parler clai-
rement et apporter, avant tout, une grande attention à se rendre
intelligible à ceux qui écoutent.
28. Momus. Tu as bien raison, Apollon, de louer ceux qui
parlent clairement; seulement tu, ne le fais guère dans tes ora-
cles, qui sont toujours entortillés comme des logogriphes et
dans lesquels tu jettes, comme sur un champ de bataille où tu
ne risques rien, des choses si incertaines, que ceux
qui les en-
tendent ont besoin d'un autre Apollon Pythién pour se les
faire expliquer. Mais enfin, quel conseil nous donnes-tu?
Quel remède peut-on apporter à l'insuffisance oratoire de Timo-
clèsîg
29. APOLLON. Si nous pouvions, Momus, lui adjoindre comme
avocat quelqu'un de ces véhéments orateurs, qui traduirait en
beau langage les idées suggérées par Timoclès
Momus. Tu parles bien là comme un garçon sans barbe, qui
a encore
besoin d'un pédagogue! Faire intervenir un avocat
dans une discussion philosophique, expliquant aux assistants
les pensées de Timoclès I Damis parlerait pour lui-même et en
propre personne, et l'autre, usant d'une doublure, lui'soufflerait
à l'oreille ses idées; puis l'acteur donnerait un tour oratoire,
sans l'avoir même bien compris, à tout ce qu'il aurait entendu.
Comment cela ne ferait-il pas rire tout le monde? Cherchons un
autre expédient.
30. Mais toi, dieu admirable, car tu te donnes pour un devin
habile, et tu as amassé, en cette qualité, des sommes considéra-
bles, jusqu'à recevoir une fois des briques d'or', que ne nous
fais-tu voir, dans cette circonstance, la puissance de ton art,
en nous prédisant lequel de ces deux sophistes remportera la
victoire? Tu sais probablementl'issue de la dispute, puisque tu
es devin?
APOLLON. Comment, Momus, cela pourrait-il se faire? Nous
n'avons ici ni trépied, ni parfums, ni source prophétiquecomme
celle de Castalie.
Momus. Prends garde tu éludes la questionquand tu te sens
serré de près.
JUPITER. Malgré cela, parle, mon fils, et ne donne pas à ce
sycophante l'occasion de calomnier et de railler ton art, comme
s'il dépendait du trépied, de l'eau ou de l'encens, et que, ne les
ayant pas, tu te visses réduit à l'impuissance.
APOLLON. Il vaudrait beaucoup mieux, mon père, que cela se
passât à Delphes ou à Colophon'. J'y ai tout ce qui m'est néces-
saire et approprié à mon usage. Cependant, quoique dénué de
tout, et sans préparation, je vais essayer de prédire lequel des
deux aura le dessus. Vous excuserez, si la mesure des vers n'est
pas bien rigoureuse.
Momus. Parle, mais dis-nous, Apollon, des choses claires, qui
n'aient besoin ni d'avocat, ni d'interprète. Il ne s'agit pas ici de
chair de mouton et de tortue qu'on fait cuire en Lydie. Tu con-
nais l'objet de la délibération.
JUPITER. Eh bien, que dis-tu, mon fils? Mais voici déjà les
terribles avant-coureurs de l'oracle changement de couleur,
oeil hagard, cheveux dressés sur la tête, mouvements de Cory-
bante, tous les signes de la possession, effrayants, mysti-
ques 1

1. Voy. Charon ou les Contemplateurs,1 1.


5. Apollon avait un temple fameux dans chacune de ces deux villes.
31. APOLLON.
Écoutez d'Apollon un oracle infaillible'1
Sur cette dispute terrible,
Qu'un couple philosophe, armé jusques aux dents
De vains et subtils arguments,
Soutient de sa voix aigre et de ses cris perçants.
J'entends des deux côtés un fracas effroyable,
Un croassement de corbeaux,
Comme on entend aux champs que la tempête ace ble,
Bruire et les vents et les eaux.
Mais quand l'autour aura saisi la sauterelle
Entre ses deux ongles tranchants,
De la pluie à venir le messager fidèle
Redoublera ses tristes chants,
Les mulets gagneront, l'âne d'un front rebelle
Heurtera ses légers enfants.
JUPITER. Pourquoi donc éclater de rire, Momus?Tout cela
n'a rien de bien risible. Finis donc, malheureux tu vas étouf-
fer de rire.
Momus. Le moyen de se retenir, Jupiter, en entendant un
oracle aussi clair et aussi évident?
JUPITER. Tu pourrais donc nous expliquer ce qu'il veut dire?
Momus. Très-facilement nous n'avons pas besoin pour cela
d'un Thémistocle'. Cet oracle dit en termes précis qu'Apollon
est un charlatan, vous des ânes bâtés, ma foi, et, des mulets,
de croire ce qu'il nous dit, et que nous n'avons pas plus de bon
sens que les sauterelles.
32. HERCULE. Pour moi, mon père, quoique je ne sois qu'un
métèque, je n'hésiterai pas cependant à dire mon avis. Lorsque
nos deux philosophes seront aux prises, si Timoclès a l'avantage,
nous laisserons continuer la dispute qui tournera en notre -fa-
veur mais si les choses vont autrement, je me mettrai, vous
si
le trouvez bon, à ébranler, le portique, je le ferai tomber sur
Damis, et ce scélérat, ne nous outragera plus.
Momus. Hercule 1 ah Hercule! voilà qui est brutal et terri-
blementbéotien. Faut-il, pour un scélérat, détruire tant de monde
et, en outre, le Portique avec Marathon, Miltiade et Cynégire?
Et si tout cela n'existait plus, comment' les rhéteurs feraient-ils
de la rhétorique, eux qui tirent de là leurs plus grands effets
de discours"? D'ailleurs, lorsque tu étais vivant, tu pouvais

i. Ces yen amphigouriques sont une plaisante parodie des oracles.


2. Allusion à la manière dont il interprétal'oracle de Salamine;
t. Cf. Le maître de rhétorique, 18.
peut-être faire un exploit comme celui-là; mais depuis que tu
es devenu
dieu, tu as appris, je pense, que les Parques seules ont
nous-mêmes nous ne l'avons pas.
une pareille puissanceet que c'étaient
HERCULE. Ainsi, lorsque je tuais le lion ou l'hydre,
les Parques qui exécutaient cela avec mon
bras?
JUPITER. Oui, vraiment.
HERCULE. Et maintenant si quelqu'un m'insulte
pille mon
temple, ou renverse ma statue, je ne pourrai pas l'écraser sans
l'autorisation des Parques?
JUPITER. En aucune façon.
HERCULE. Alors, Jupiter laisse-moi te parler avec franchise •
car moi, comme dit le comique
je suis un rustaud, qui ap-
pelle barque une barque. Si vous en êtes là, j'envoie promener
les honneurs dont on jouit ici le fumet et le sang des victimes,
et je descends aux enfers, où les ombres des monstres que j'ai
tués me craindront nu et armé de mon arc.
33. JUPITER. A merveille, voilà, comme on dit, un témoin
domestique! Tu épargnes à Damis la peine de dire tout cela;
tu le lui suggères. Mais qui donc s'avance avec tant d'empres-
sement ? Quel.est ce dieu d'airain, si bien dessiné, aux con-
tours si.harmonieux, et dont les cheveux sont relevés à l'anti-
que ? Eh! Mercure, c'est ton frère de l'Agora, près du Pœcilé. Il
est rempli de poix, car les statuaires en font tous les jours une
empreinte. Pourquoi. mon fils viens-tu vers nous avec tant de
hâte? Nous apportes-tu des nouvelles de la terre?
HERMAGORAS Une grande nouvelle, Jupiter, et qui demande
la plus complète attention.
JUPITER. Parle; quelque révolte se serait-elle déclarée à notre
insu?
HERMAGORAS.

le me trouvais couvert d'un enduit de résine 3


Qu'on m'avait appliquée au dos, à la poitrine,
Cuirasse ridicule, exprimant mes contours
Aux apprentis sculpteurs, dont la main, tous les jours,
Vrai singe, de mes trafts imitateur fidèle,
Vient copier mon corps qui leur sert de modèle;
Quand je vois accourir tout le peuple au milieu

Aristophane mais ces mots ne se retrouvent plus dans ce qui nous reste
de lui. Cf. Comment il faut écrire l'histoire, 41
•i. C'est-à-dire Mercure de l'Agora, statue de Mercure dressée sur
la plaoe
publique d'Athènes.
9. Parodie d'Euripide, Oreste v. 854 et suivants.
Deux hommes qui criaient. pâles et l'œil en feu',
Hérissés d'arguments et bardés de sophismes;
C'est Damis et.
JUPITER. Trêve, mon cher Hermagoràs, à tes ïambes Je con-
nais les hommes dont tu veux parler. Mais, dis-moi, y a-t-il
longtemps que le combat est engagé?
HERMAGORAS. Non, ils n'en sont encore qu'aux escarmouches;
ils se battent à coups de fronde et se lancent de loin des in-
jures.
JUPITER. Qu'avons-nous de mieux à faire dieux, que de les
écouter en penchant la tête de leur côté ? Que les Heures ôtent
donc la barre des cieux, et qu'elles en ouvrent les portes en
écartant les nuages.
34. Par Hercule Quelle foule est accouruepour les entendre
Je n'aime pas beaucoup ce,Timoclès quitrembleet qui setrouble.
Ilva tout gâter aujourd'hui on voit bien qu'il ne pourra jamais
lutter contre Damis. Mais du moins faisons en faveur de Timoclès
tout ce qui nous est possible; prions pour lui,
Mais si bas que Damis ne puisse nous entendre'.
35. Timoclès. Que dis-tu, sacrilége Damis ? Qu'il n'y a point
de dieux et que leur providencene veillepoint sur les hommes?
Damis. Non, il n'y en a point. Mais d'abord, réponds toi-même
quelle raison te porte à croire qu'ils existent?
Timoclès. Pas du tout; c'est à toi, scélérat, de répondre.
Damis. Nullement, c'est à toi.
JUPITER. Jusqu'ici le nôtre fait merveille il crie le plus fort.
Courage, Timoclès; couvre-le d'injures; c'est là ta force dacs
tout le reste il te rendra muet comme un poisson.
Timoclès. Non, par Minerve! je ne répondrai pas le premier.
Damis. Eh bien! alors, Timoclès, interroge-moi Tu as vaincu
en faisant ce serment mais pas d'injures, je te prie.
36. Timoclès. Tu as raison. Dis-moi donc, coquin, orois-tii
que les dieux exercent une providence?
DAMIS. Non.
Timoclès. Que dis-tu? Rien n'est conduit par leur sagesse?
Damis. Rien.
TIMOCLÈS. Aucun dieu n'a le soin de régler l'univers
q
Damis. Aucun.
Timoclès. Tout est emporté au hasard par une force aveugle?
Damis. Oui.

4. Parodie d'Homêro, /#«</«, VII, v. 496.


TiMoctès. Eh quoi citoyens, vous entendez cela de sang-
froid ? Vous ne lapidez pas cet impie?
DAMIS. Pourquoi, Timoclès, ameutes-tu le peuple contre moi? '?
Et qui donc es-tu pour te fâcher si fort en faveur des dieux
lorsqu'ils ne se fâchent pas eux-mêmes? Ils ne m'ont fait encore
aucun mal, quoique depuis longtemps ils m'aient entendu s'il
est vrai qu'ils m'entendent.
TIMOCLÈS. Ils t'entendent, Damis, ils t'entendent et ne tarde-
ront pas à te punir.
37. Damis. Et quand en auraient-ils le temps, ayant, comme
tu dis, un si grand nombre d'affaires sur les bras et occupés à
régler celles du monde, qui sont infinies? C'est pour cela qu'ils
ne t'ont pas encore puni de tes parjures continuels et de tant
d'autres crimes; mais je n'en dirai rien, de peur d'être forcé à
tedire des injures, malgré notre convention. Cependant je ne
vois pas que tes dieux puissent donner une meilleure preuve de
leur providence que d'écraser et mettre à mal un mauvais homme
comme toi. On s'aperçoit bien qu'ils sont en voyage par delà
l'Océan, probablement chez les Éthiopiens irréprochables c'est
assez leur habitude d'aller fréquemment se régaler chez ce peu-
ple, et parfois ils s'y invitent eux-mêmes.
38. Timoclès. Que puis-je répondre, Damis, à une telle impu-
dence y?
Damis. Une chose, Timoclès que je désire depuis longtemps
entendre de ta bouche, c'est à savoir qui a pu t'engagerà croire
à la providence des dieux.
Timoclès. L'ordre de l'univers voilà ce qui m'a convaincu
le soleil suivant toujours la même route, la lune obéissant à la
même loi, le retour périodiquedes saisons, le développement des
plantes, la reproduction des animaux, leur organisation si par-
faite qu'ils se nourrissent, se meuvent, pensent, marchent, sont
architectes et cordonniers, toutes ces merveilles et autres sem-
blables ne te paraissent-ellespas être les effets d'une providence'?
Damis. C'est là, comme on dit, Timoclès, une pétition de prin-
cipe. Il n'est pas du tout évident que ces merveilles soient
l'oeuvre d'une providence. J'avoue que les faits sont tels que tu
dis, mais rien ne peut me forcer à croire qu'une providence

1. Voy. Homère, Iliade, I, T. 428.


CL Théon, Vrogymnasmata chap. xn,§:il et suivants, où ces arguments
sont développés avec une certaine force. Voy., en outre, Cicéron, De la
nature des dieux; Fénelon Traité de l'existence de Dieu; Boasuet, De la
connaissancede Dieu et de soi-même, etc.
en soit l'auteur..Il se peut que, produits d'abord par le hasard,
ces phénomènes demeurent les mêmes et obéissent à des lois
constantes; mais-toi tu appelles cet ordre une nécessité, et tu te
fâches ensuite contre ceux qui ne sont pas de ton avis, quand
tu fais l'énumérationet Moge de toutes ces merveilles, et que
tu t'imagines prouver ainsi la direction de l'univers par une
volonté providentielle. On peut te dire, comme dans la comédie
Cela n'a pas bon goût, servez-nous-en d'un
autre'.
39. TIMOCLÈS. Je ne crois pas qu'il soit besoin d'une autre
démonstration. Cependant je vais t'interroger. Réponds-moi
Homère te semble-t-il un excellent poëte?
Damis. Certainement.
Tnioci.Ès. Eh bien c'est lui qui m'a convaincu et qui m'a
prouvé la providence des dieux.
Damis. Homme étonnant! Tout le monde t'accordera qu'Ho-
mère est un excellent poëte mais comme autorité respectable
sur ces matières, ni lui, ni aucun autre poëte ne sera accepté par
personne. Ils ont moins à cœur, je pense de dire la vérité que
de ravir les auditeurs; et voilà pourquoi ils chantent en vers,
revêtent leurs légendes de sons harmonieux et s'ingénient de
tous les moyens de plaire.
40. Toutefois, je serais charmé de savoir par quels vers Ho-
mère a pu te persuader. Est-ce par ceux^où il dit, en parlant
de Jupiter, que la fille, le frère et la femme de ce dieu conspirè-
rent un jour de l' enchaîner s que, si TMétis par pitié pour
lui, n'eût appelé Briarée, le bon Jupiter eût été perdu pour nous
et jeté en prison, et que pour reconnaître le service de Thétis,
il trompa Agamemnon et lui envoya un songe trompeur afin
de faire périr beaucoup de Grecs? Fais bien attention Il lui
était sans doute impossible de lancer son tonnerre et de réduire
en poudre Agamemnon tout seul, sans s'exposer à passer pour
un imposteur. Ta croyance aurait-elle été déterminée par les
vers où tu as lu que Diomède blesse Vénus et ensuite Mars, à
l'instigation de Minerve 4 ? Ou bien lorsqu'il dit que les dieux
se jettent à T envi dans la mêlée, tous ensemble, mâles et femel-
îes que Minerve met hors de combat Mars encore souffrant.
sans doute, de la blessure qu'il avait reçue de Diomède, et que
Mercure, excellent dieu, marche contre Latone5?

1. Vers d'un poëte inconnu. 2. Voy. Homère, Iliade, 1, v. 399.


3. Iliade, 11, au commencement. – t. Iliade, V, Y. 336 et 885. – 5. Iliade,
XX, T. 72.
As-tu regardé comme très-croyable ce qu'il raconte au sujet de
Diane, qu'elle se fâcha de n'avoir pas été invitée au festin d'OE-
née, et que, pour s'en venger, elle envoya dans le pays de ce
roi un sanglier énorme à la grosseur et à la force duquel rien
ne pouvait résister ? Est-ce avec de pareils récits qu'Homère
t'a convaincu ?2
41. JUPITER. Ciel! Quels cris, grands dieux, retentissent
parmi la foule en l'honneur de Damis! Notre champion a l'air
désespéré il a peur il tremble, on dirait qu'il va jeter son
bouclier, et déjà il regarde autour de lui par où il pourra s'é-
chapper et prendre la fuite.
Timoclès. Est-ce qu'Euripide ne te semble point parler un
langage sensé, lorsqu'il fait monter les dieux sur la scène, et
qu'il nous les montre occupés à sauver les héros vertueux, et à
punir les méchants, dont l'impiété est égale à là tienne ?q
DAMIS. Ah! Timoclès, mon brave philosophe, si c'est en agis-
sant ainsi que les poëtes tragiques t'ont convaincu, il faut, de
deux choses l'une, ou que Polus, Aristodème et Satyrus te pa-
raissent des dieux, ou que ce soient leurs masques, leurs co-
thurnes, leurs robes traînantes, leurs casques, leurs gants, leurs
ventres factices, leurs cuirasses, et le reste de l'accoutrement,
2ont ils rehaussent leur personne tragique. Or, je ne vois rien
de plus ridicule.D'ailleurs, lorsqu'Euripideparle, non pas selon
les besoins du drame, mais en son propre nom, écoute comme il
s'exprime avec franchise
Tu vois l'immense éther, qui s'étend dans les cieux,
Dont les humides bras enveloppent l'espace
C'est là Jupiter même, il n'est pas d'autres dieux.
Et ailleurs 5
Jupiterl s'il est vrai que Jupiter existe,
Car je ne te connais encore que de nom.
Et le reste à l'avenant.
42. Timoclès. Tous les hommes, tous les peuples sont donc
dans l'erreur, quand ils reconnaissent des dieux et célèbrent des
fêtes?
Damis. Tu as raison, Timoclès, de me rappeler les usages des
différents peuples rien n'est plus propre à faire comprendre

4. Iliade, IX, v. 529, – '2. Fragment incertain. 3. Fragment de Méfa.


Vff.
tout ce qu'il y a d'incertitudes dans ce'que l'on dit des dieux.
Ce n'est que confusion les uns s'.en font une idée, les autres
une autre. Les Scythes offrent des- sacrifices au Cimeterre les
Thraces à Zamolxis esclave de Samos qui s'est enfui chez eux;
les Phrygiens adorent Men; les Éthiopiens, le Jour; les Cyllé-
niens, Phalès; les Assyriens, une colombe; les Perses, le Feu, et
les Égyptiens, l'Eau. Quand je dis l'Eau, c'est la divinité com-
mune aux Égyptiens, mais en particulier Memphis reconnaît un
bœuf pour dieu; Péluse, l'oignon; d'autres cités, l'ibis ou le cro-
codile chez d'autres, c'est un cynocéphale, un chat, un singe.
Dans les villages, les uns regardent l'épaule droite comme un
dieu, tandis que leurs voisins d'en face adorent l'épaule gauche.
Ceux-ci révèrent la moitié de la tête, ceux-là un pot de terre ou
un plat. Comment ne pas trouver tout cela ridicule, beau Timo-
clès ?
MoMUS. Ne disais-je pas, ô dieux, que tout cela se découvrirait
un jour et qu'on en ferait un examen sévère?
JUPITER. Tu l'as dit, Momus, et tu as eu raison de nous le re-
procher aussi j'essayerai d'y mettre bon ordre, si nous échap-
pons au danger actuel.
43. Timoclès. Du moins, ennemi des dieux, de qui peux-tu
dire que les prédictions et les oracles soient l'ouvrage, si ce n'est
des dieux et de leur providence?
DAMis. Ne dis pas un mot des oracles, mon cher ami 1 car je
te demanderai alors duquel tu veux spécialement parler. Est-ce
de celui qu'Apollon Pythien donna au roi de Lydie, oracle es-
sentiellementambigu, à double visage, comme ces Hermès, qui
se ressemblentexactementdes deux côtés, en quelquesens qu'on
se tourne? En effet, si Crésus traverse l'Halys, quel empire dé-
truira-t-il, le^ien ou celui de Cyrus? Et pourtant l'infortuné roi
de Sardes avait acheté plusieurs talents cet oracle menteur.
Mgmus. 0, dieux voilà notre homme qui entre dans les dé-
tails C'est ce que je craignais le plus. Où est à présent notre
beau joueur de cithare? Qu'il descende pour se justifier de l'ac-
cusation.
JUPITER. Tu nous assassines, Momus, avec tes reprocheshors
de saison.
44. Timoclès. Vois ce que tu fais scélérat de Damis peu
s'en faut que tes discours ne renversent les temples des dieux
ainsi que leurs autels.
Damis. Pas tous, Timoclès. En effet, quel mal cela nous fait-il
qu'ils soient pleins de parfums et de douces senteurs ? Mais je
verrais volontiers renverser de fond en comble ceux de Diane en
Tauride sur lesquels cette vierge se plaît aux régals que tu
sais.
Jupiter. D'où nous vient encore ce coup difficile à parer ? Cet
insolent n'épargne aucun des dieux; il parle avec autant de li-
cence que s'il était monté sur un tombereau, et
Déchire également le coupable et le juste

MoMUS. Ma foi! on n'en trouverait guère parmi nous qui fus-


sent tout à fait innocents. Vous allez voir qu'en continuant,
notre homme va toucher à quelqu'un de nos grands personna-
ges. 45.
Timoclès. • Quoi donc 1 Ennemidéclaré des dieux, n'entends-
tu pas tonner Jupiter?
Damis. Eh comment n'entendrais-jepas le bruit du tonnerre,
Timoclès? Mais est-ce bien Jupiter qui tonne? c'est ce que tu
peux savoir mieux que nous, toi qui arrives du séjour des dieux.
Seulement ceux qui viennent de Crète nous racontent tout au-
tre chose on leur a montré là certain tombeau, surmonté d'une
colonne laquelle apprend aux passants que Jupiter ne tonnera
plus, étant mort depuislongtemps.
Momus. Voilà justement ce que j'étais sûr qu'allait dire cet
homme I Pourquoi Jupiter, pâlis-tu? Pourquoi tes dents cla-
quent-elles de peur? Il faut avoir du cœur et mépriser ces mé-
chants bouts d'hommes.
JUPITER. Les mépriser, Momus? Ne vois-tupas quelle affluence
est là pour l'écouter j combien il fait de prosélytes qui se dé-
clarent contre nous; comme il tient leurs oreilles captives, ce
Damis ?i
Momus. Oui, mais quand tu voudras, Jupiter, tu laisseras
pendre du ciel une chaîne d'or et tu les saisiras tous,
Les tenant suspendus avec la terre et l'onde'.
46. Timoclès. Dis-moi, homme abominable, as-tu quelquefois
navigué f?
Damis. Souvent, Timoclès.
Timoclès. Eh bien! n'était-ce pas le vent qui vous faisait
avancer, en frappant et en enflant les voiles, ou bien alors les
rameurs? Un pilote, debout près du gouvernail, ne dirigeait-il
pas le navire R?
Dàmis. C'est vrai.

4. Iliade, XV, v. 137 – 2. Iliade, VIH, v 24.


Timoclès. Eh quoi! Un vaisseau ne pourrait voguer s'il n'est
conduit par un pilote, et tu penses que l'univers est emporté
sans pilote ni conducteur?
Jupiter. Très-bien, Timoclès; la pensée est ingénieuse et la
comparaisonsolide.
V7. DAmis. Mais au moins, zélé partisan des dieux, tu as pu
emarquer que ce pilote songeait toujours à ce qui pouvait être
utile à son vaisseau, qu'il se tenait prêt pour le moment favo-
rable, donnant des ordres aux matelots, afin que le navire na
portât rien d'inutile ou d'étranger, rien qui ne fût d'un avantage
ou d'une nécessité absolue pour la navigation. Ton pilote, aï
contraire, que tu t'imagines veiller à la conduite de cet im-
mense navire ainsi que les matelots qui sont avec lui, ne fai;
rien à propos, rien de raisonnable. Quand le câble du mât est
par hasard attaché à la poupe les deux boulines le sont à la
proue. Quelquefois les ancres sont d'or, et le chénisque de
plomb. La partie qui plonge dans la mer est ornée de peintures
et celle qui surnage, difforme.
48. Parmi les matelots, tu verras le paresseux, l'ignorant, le
poltron, avoir deux ou trois commandements, tandis que le bon
nageur, leste à grimper aux vergues et connaissant toutes les
finesses du métier, est préposé à la sentine. Il en est de même
des passagers celui qui est digne du fouet est assis au premier
rang, près du pilote; on lui fait la cour. Un mignon, un parri-
cide, un sacrilége, sont comblés d'honneurs et occupent le haut
bout du navire, tandis qu'une foule d'honnêtes gens, entassés
dans un coin humide de la cale, sont écrasés par ceux qui ne
les valent pas. Songe à la manière dont Socrate Aristide et
Phocion, ont fait leur traversée ils n'avaient pas leur ration
complète de farine; ils ne pouvaient pas étendre leurs pieds sur
des planches nues près de la sentine mais dans quelles délices
nageaient les Caillas i, les Midas, les Sardanapale1 Comme ils
crachaient sur les gens placés au-dessous d'eux
49. Voilà ce qui se passe dans ton vaisseau sage Timoclès
aussi les naufrages y sjont-ils fréquents. S'il y avait un pilote
qui eût l'oeil à tout, qui réglât tout ce qui s'y fait, il connaîtrait
d'abord quels sont, parmi les passagers, les bons et les mé-
chants ensuite, il assignerait à chacun, suivant son mérite, le
poste qui lui reviendrait, donnant à côté de lui les meilleures
places à ceux qui ont les meilleures qualités et celles d'en bas
aux moins bons, et réservant aux gens vertueux l'honneur d'être
I Athénien perdu de débauche.
ses convives et ses conseil rs. Quant aux matelots, celui qui
aurait du coeur à son ouvrage serait chargé de veiller à la proue,
aux flancs du navire, et commanderaità tous les autres le pa-
resseux et le négligent recevraient des coups de corde sur la tête
cinq fois par jour. Ainsi, homme étonnant, ta comparaison avec
un vaisseau court risque de sombrer, ayant un si mauvais pi-
lote.
50. Momus. Le courant favorise Damis, et il vogue à pleines
voiles vers la victoire.
JUPITER. Tu n'as que trop raison, Momus. Ce Timoclès n'ima-
gine rien de solide. Ses arguments sont communs; il ne fait
qu'entasser des preuves rebattues chaque jour et qu'un souffle
renverse.
51. TmocLÈs. Eh bien puisque ma comparaison ne te paraît
pas concluante, écoute voici comme on dit, l'ancre sacrée; tu
ne trouveras aucun moyen de la rompre.
JUPITER. Que va-t-il dire?
Timoclès. Vois si mon syllogisme est en bonne forme, et si
tu peux, en aucune façon, le réfuter s'il y a des autels il y a
des dieux; or, il y a des autels, donc il y a des dieux'. Qu'as-tu
à répondre à cela ?
Damis. Laisse-moi rire d'abord mon aise, 'et puis je te ré-
pondrai.
TIMOCLÈS. Mais il me semble que iu n'en finis pas de rire
Que trouves-tu donc dé si risible à cet argument?
Damis. C'est que tu ne t'aperçois pas à quel fil chétif tu as
suspenduton ancre, et ton ancre sacrée. Tu fais dépendre l'exis-
tence des dieux de celle des autels, et tu crois avoir trouvé là un
câble solide. Si tu n'as pas quelque.chose de plus
sacré à nous
dire, séparons-nous.
52. Timoclès. Tu t'avoues donc vaincu, puisque tu te re-
tires.
Damis. Oui, Timoclès; car, à l'exemple de ceux qui se voient
maltraités, tu te réfugiesprès des autels. Aussi, je veux, de parton
ancre sacrée, faire avec toi le pacte, devant ces mêmes autels, de
ne plus disputer ensemble sur ces matières.
TIMOCLÈS. Tu veux te moquer de moi, déterreur de morts, in-
fâme, abominable, pendard bon à fouetter, tas d'ordures Est-ce
qu'on ne sait pas ce qu'était ton père, que ta mère a fait la vie,
que tu as tordu le cou à ton frère, adultère que tu es, débau-
cheur de garçons, goulu, monstre d'impudence ? Ne t'en va pas,

Argumentde Chryaippe. Cf. Cicéron, De la nature des dieux. H, iv.


afin que je te roue de coups; je vais te casser la tête, canaille,
avec cette coquille d'huître.
53. JUPITER. 0 dieux l'un se retire en riant, et l'autre le suit
en l'accablant d'injures outré des railleries de Damis, et il fait
mine de vouloir lui casser la tête avec unetuile. Et nous, qu'est-
3e que nous faisons après cela?
MERCURE. Je trouve plein de justesse le vers d'un poëte co-
mique c

On ne reçoit d'affront que celui qu'on avoue.

Est-ce donc un si grand malheur que quelques hommes s'en


aillent convaincus par Damis? Il y en aura toujours assez d'au-
tres qui penseront le contraire, la plupart des Grecs, la vile
multitude et tous les barbares.
JUPITER. C'est vrai, Mercure, mais j'aime bien le mot de Da-
rius à propos de Zopyre. J'aimerais mieux avoir un seul cham-
pion comme Damis, que d'être le maître de dix mille Ba-
bylones.

XLV

LE SONGE OU LE COQ».

MICYLLE, LE COQ, SIMON.

1. Micylle. Mais, maudit coq', que Jupiter t'écrase, cruel


ennemi de mon sommeil, toi qui viens m'éveiller par tes cris
aigus et perçants, tandis que, charmé du songe le plus agréable,
je jouissais, au sein de l'opulence, de la félicité la plus parfaite.

4 Ménandre. Toy. Stobée, Florilegium, titre cvui, et le Ménamhe de


Meineke,p. 337.
2. Nous avons eu sous les yetu et nous avons suivi de près l'élégante Ira-
duction que M. E. Geruzez a faite de ce dialogue, Paris, J. Delalain.
3. Cf. Alciphron, 111, Ep. x. Celte épttte du romancier grec a de nom.
breux points de ressemblance avec le dialogue de Lueien.
Quoi donc 1 ne puis-je, même pendant la nuit, éviter la pau-
vreté, mille fois plus détestable que toi? Cependant le profond
silence qui règne partout, ce froid piquant du matin, sûr avant-
coureur de l'arrivée du jour, que je ne sens pas encore, m'an
noncent qu'il n'est pas minuit. Ce malheureux coq, qui ne
dort pas plus que s'il gardait la fameuse toison d'or, se met à
crier dès le soir. Mais, sur ma foi, tu t'en repentiras; que le
jour paraisse, je m'en venge en t'assommant à coups de bâton.
Dans ce momenttu me donnerais trop à faire en sautillant dans
les ténèbres.
LE CoQ. Micylle, mon cher maître, je croyais, en t'éveillant
le plus matin possible, t'obliger et te donner les moyens de faire
plus d'ouvrage quand tu n'aurais raccommodé qu'une savate
avant le lever du soleil, ce serait autant de gagné pour avoir
du pain. Si tu aimes mieux dormir, je te laisserai en repos, et
je deviendrai plus muet que les poissons. Mais prends garde de
n'être riche qu'en songe et d'avoir faim à ton réveil.
2. MICYLLE. 0 Jupiter, qui détournes les prodiges, et toi,
Hercule, destructeur des monstres, quelle étrange nouveauté
Mon coq a parlé comme un homme 1
LE Coq. Eh quoi 1 tu cries au prodige, parce que je parle
comme vous
Micylle. Comment n'en serait-ce pas un ? Encore une fois,
grands dieux, écartez de moi tout malheur
LE CoQ. Tu as l'air bien ignorant, Micylle tu n'as donc ja-
mais lu les poëmes d'Homère, où Xanthus, cheval d'Achille, dit
un long adieu au hennissement, et s'arrête au milieu du com-
bat pour dialoguer comme un vrai rhapsode, et non pas en
prose, comme je le fais ? Bien plus, il prédisait l'avenir, et l'an-
nonçait par des oracles cependant cela ne parut pas étrange,
et celui qui l'entendait ne s'avisa pas, comme toi, d'implorer le
dieu destruc! eur des monstres, pour détourner un sinistre pré-
sage. Et qu'a irais-tu donc fait, si le navire Argo t'eût parlé1,
ainsi qu'autrefois ce fameux chêne de la forêt de Dodone qui
rendait des oracles? ou si tu avais vu des peaux d'animaux tout
frais écorchés se traîner par terre, et entendu mugir des mor-
ceaux de viande de bœuf à demi grillés, bouillis et embrochés4.
Pour moi, qui suis l'iKterprète de Mercure, le plus grand parleur

( Homère, Iliade, V, v. 408.


2. Apolloninsde Rhodes Argo/iautiq(te$,IV.
3. Homère, Odyssée, XIV, 'v. 328
4. Odyssée,XII, v. 396.
et le plus éloquent de tous les dieux, qui d'ailleurs vis et loge
journellementavec vous, j'aidû apprendre sans peine le langage
des hommes au reste, si tu me promets un secret inviolable,
je te donnerai la véritable raison de la conformité de mon lan-
gage avec le vôtre, et t'expliquerai d'où me vient ce don de la
parole.
3. MICYLLE. Un coq tenir conversation avec moi Ne serait-ce
pas encore un songe? Je t'en conjure par Mercure, dis-moi,
mon coq, cette autre cause du prodige que je vois. Quant au si-
lence que tu me demandes, ne crains rien qui me croirait,
si je faisais le récit de ma conversation avec un coq `?'
LE COQ. Écoute, Micylle, je vais te dire une chose qui te pa-
raîtra sans doute bien étrange tu me vois à présent sous la fi-
gure d'un coq; eh bien 1 j'étais homme, il n'y a pas longtemps.
MICYLLE. On m'a conté autrefois une histoire qui paraît avoir
du rapport avec ce que tu dis là. Un jeune homme, nommé
Alectryon, était l'ami de Mars, son compagnon de table et
d'ivresse, le confident de ses amours. Toutes les fois que Mars
allait voir Vénus, sa maîtresse, il emmenait avec lui Alectryon,
et comme il craignait surtout d'être aperçu par le Soleil, qui
n'aurait pas manqué d'avertirVulcain, il laissait le jeune homme
en sentinelle à la porte, pour lui annoncer quand paraîtrait le
Soleil. Un jour Alectryon s'endort et trahit son mandat sans le
vouloir. Le Soleil, en tapinois, surprend Vénus et Mars, qui re-
posent sans inquiétude, se fiant à la vigilance d'Alectryon s'il
survenait quelqu'un; puis il va prévenir Vulcain, qui enveloppe
les deux amants dans les filets'qu'il avait depuis longtemps pré-
parés. Aussitôt après sa délivrance, Mars se met en colère contre
Alectryon, et, pour le punir, le change tout armé en un oiseau
qui porte encore sur la tête l'aigrette de son casque. Depuis ce
temps, pour vous justifier auprès de Mars, quoique cela soit
inutile, vous chantez longtempsavant le lever du Soleil, et vous
annoncez qu'il va paraître •

4. LE CoQ. On rapporte cette histoire, Micylle; mais la


mienne est bien différente, et c'est tout récemment que je suis
devenu coq.
Mictlle. Comment cela ? Voilà qui pique fort ma curiosité.
LE CoQ. Il n'est pas que tu n'aies entendu parler de Pytha-
gore ?
MICYLLE. De cet orgueilleux sophiste, qui défend de goûter de

4 Voy., sur cette historiette, Eustathe, commentaire sur le huitième livre Je


'Iliade, et of, Aristophane, les Qiseaux, p. 286 de la traduction de M. Ans"1)'
la chair des animaux, de manger des fèves, qui sont à mon goût
le n;lleur de tous les mets et le plus facile à assaisonner, et
qui, en outre, condamne ses disciples à cinq ans entiers de si-
lence ?
LE COQ. Il faut que tu,saches aussi que ce philosophe, avant
d'ètre Pythagore, était Euphorbe'.
Micylle. Il passe pour un imposteur, pour un homme à pres-
tiges.
LE COQ. C'est moi qui suis ce Pythagore dont il est question;
ainsi, mon bel ami, cesse de m'injurier, d'autant plus que tu
ignores quel était mon caractère.
Micylle. Quoi un coq philosophe voilà qui est encore plus
merveilleux. Dis-moi donc cependant, fils de Mnésarque, com-
ment d'homme tu es deveno. oiseau, et Tanagréen de
citoyen
de Samos. Cela est bien inconcevable et bien difficile à croire
d'ailleurs, j'ai, si je ne me trompe, remarqué en toi deux choses
tout à fait contraires aux principes de Pythagore.
LE Coq. Quelles sont-elles?
Micylle. D'abord, que tu es un grand bavard et que tu fais
bien du bruit, au lieu que Pythagore exhortait, je crois, ses
disciples à garder le silence cinq ans entiers. Tu as ensuite
transgressé ses lois car hier, en rentrant chez moi, s'il t'en sou-
vient, je t'ai jeté des fèves, n'ayant rien autre chose à te don-
ner, et tu en as parfaitement fait ton profit. Ainsi, ou tu n'es
qu'un imposteur, sous un nom qui ne t'appartient pas, ou, si tu
es effet Pythagore, tu as violé tes lois, et commis en avalant
des fèves une impiété aussi grande que si tu avais mangé la
cervelle de ton père.
5. LE CoQ. Tu ne connais donc, Micylle, ni les motifs de ma
conduite, ni les devoirs relatifs à chaque condition. Quand j'étais
Pythagore je ne mangeais pas de fèves, parce que j'étais Pytha-
gore mais aujourd'hui, j'use de cette nourriture qui convient à
la volaille et qui ne nous est pas interdite. Cependant, apprends,
si tu veux, comment de Pythagore je suis à présent ce que tu
vois, et quels avantages j'ai retirés de mes métamorphoses.
MICYLLE. Parle, mon coq; car le récit de tes aventures me
p)aira au point que, si on me laissait le choix ou d'entendre ton
histoire, ou de retomber dans ce bienheureux songe qui me
donnait tant de plaisir tout à l'heure, je ne sais auquel je me

4, Fils de Pantlioùs, lue par Ménélas au siège de Troie. Voy. Horace,


Hv; I ode xxvn.
2. Tanagre, ville de Béntie, était renommée pour ses volaille».
déterminerais, tant cette conversation et ce songe délicieux ont
un air de famille, tant je prise également ta personne et la r-ion
qui a charmé mes sens.
LE CoQ. Quoi tu reviens encore sur ce songe suranné Tu
conserves encore un vain fantôme, et ton imagination court
après un bonheur chimérique qui, pour te parler comme les
poëtes, se dissipe en fumée I
6. MICYLLE. Oui, coq, mets-toi bien dans la tête que jamais
je n'oublierai mon songe. A la vérité, il s'est évanoui; mais il a
laissé sur mes yeux un baume si agréable, que j'ai peine à ou-
vrir mes paupièresqui se referment d'elles-mêmes au sommeil.
Imagine le chatouillementque l'on ressent à tourner une plume
dans l'oreille, et tu auras l'idée de la sensation que m'a fait
éprouver mon songe.
LE CoQ. Voilà un attachement bien étrange pour un songe;
car les poëtes nous représentent les songes avec des ailes, et le
sommeil est le terme de leur vol, au lieu que le tien s'est élancé
au delà de ses limites et s'est reposé sur des yeux éveillés, plein
de douceuret si près de la réalité Assurément,je veux entendre
le détail d'un songe qui te plaît si fort.
MICYLLE. Tu seras obéi, car rien ne m'amuse tant que de me
le rappeler et d'en raconter les circonstances et toi, Pythagore
quand me parleras-tude tes métamorphoses? y
LE Coq. Ce sera, Micylle, quand tu ne rêveras plus, et que tu
auras essuyé le miel versé sur tes paupières en attendant, parle
le premier, afin que j'apprenne si ton songe est sorti par la
porte d'ivoire ou celle de corne.
MICYLLE. Ni par l'une, ni par l'autre, Pythagore.
LE Coq. Cependant Homère ne parle que de celles-là
MICYLLE. Laisse là ton radoteur de poëte tout à fait ignorant
en matière de songes. Les songes qui ne représentent que la
pauvreté et la misère, il est possible qu'ils sortent par ces portes-
là des songes tels que les voyait Homère, pas trop clairement
encore, aveugle qu'il était. Quant au songe délicieux que j'ai eu,
il est sorti par des portes d'or, il était lui-même tout d'or, en-
vironné d'or, et m'apportait beaucoup d'or.
LE Coq. Cesse, mon cher Midas, de parler d'or; car ton songe
provient sûrement de la passion qui tourmenta Midas on dirait
que tu es devenu maître de mines d'or tout entières.
7. MICYLLE. Ah Pythagore, j'ai vu beaucoup d'or, oui, beau-
coup ù'or. Peux-tu t'imaginer combien il était beau, de quel
i.Odjrstée, *£& t»3.
éclat il brillait! Sais-tu ce que dit Pindare en parlant de l'or?
Rappelle-moice passage, où, après avoir dit que l'eau est le plus
excellent des éléments, il passe à l'or, dont il place adroitement
i l'éloge au commencement de la plus belle de ses odes
LE Coq. N'est-ce pas ceci que tu demandes ? y

L'eau sur les éléments a droit à la victoire;


Mais, tel qu'on voit au sein des cieux
Scintiller dans la nuit un astre lumineux,
L'or, vainqueur des métaux, en efface la gloire.
Micyixe. Par Jupiter, c'est cela même. Pindare fait l'éloge de
l'or, comme s'il avait vu mon songe. Mais pour ne te plus faire
languir, écoute, ô très-savant coq. Tu sais qu'hier je ne man-
geai pas à la maison le riche Eucrate, m'ayant rencontré sur la
place publique, me dit de venir souper chez lui au sortir du
bain.
8. LE Coq. Je ne le sais que trop bien; car je jeûnai tout le
jour tu ne revins le soir que fort tard, la tête échauffée par le
vin, et tu me jetas ces malheureuses fèves que je vois encore,
repas bien mesquin pour un coq autrefois athlète et qui s'est
distingué dans les yeux olympiques.
Micylle. A mon retour de ce souper, je ne t'eus pas plus tôt
jeté ces fèves que je m'endormis; et pendant une nuit d'ambroi-
sie, selon l'expressiond'Homère2, un songe véritablementdivin
m'étant survenu.
LE CoQ. Raconte-moi d'abord ce qui t'arriva chez Eucrate,
quelle chère tu fis à souper, et en général tout ce qui s'y passa:
rien ne t'empêche de souperune seconde fois en songe, en t'ima-
ginant manger encore des mets qu'o.n y a servis.
9. MICYLLE. Je pensais que ce récit ne serait bon qu'à t'en-
nuyer mais, puisque tu le désires, je commence. Mon cher Py-
thagore, je n'avais, de ma vie, soupé chez un riche, lorsque le
plus heureux hasard me fait rencontrer Eucrate. Après lui avoir.
dit à mon ordinaire i Bonjour, maître,» je m'en allais de peur de
lui faire honte avec mes haillons. t Micylle, me dit-.il, c'est au-
jourd'hui l'anniversaire de la naissance de ma fille, et je régale
mes amis; comme l'un d'eux est indisposé et hors d'état, à ce
qu'on dit, de souper avec nous, viens à sa place au sortir du
bain, à moins toutefois qu'il ne me fasse avertir qu'il vien-
dra, car il est encore indécis. » Sur cette invitation, je lu'

4. Pindare, il, Olympique. voy. la traduction de M. C. Poyard


t. Iliade, II, V. 66.
fais une profonde révérence, et me retire en conjurant les dieux
d'envoyer une bonne fièvre chaude, où une pleurésie, ou la
goutte, à ce valétudinaire que je devais doubler à table, et dont
l'absence me valait un bon repas. Le temps qui s'écoula jusqu'à
celui du bain me parut un siècle entier je ne détournais pas
les yeux du cadran pour voir quelle heure il marquait, et à
quel moment il serait possible de se baigner. L'heure arrive en-
fin, je pars précipitamment, vêtu le mieux possible, ayant tourné
mon manteau à l'envers, afin de ne montrer que le côté le plus
propre.
10. J'étais à la porte d'Eucrate, et, parmi les conviés, je vois,
devines-tu? celui-là même que je devais remplacer. On le disait
malade, et, à dire vrai, tout l'annonçait assez. On le portait à
quatre; il respirait avec peine, toussait, crachait avec les plus
grands efforts, d'une pâleur extrême, le corps enflé, avec cela
soixante ans environ on disait que c'était un de ces philoso-
phes qui content des sornettes aux garçons aussi sa barbe
était sale, et certes avait besoin de passer par la main du bar-
bier Le médecin Archibius le querella d'être venu en cet état
« Il ne sied à personne, répondit-il et encore moins à un phi..
losophe de manquer à ses engagements, fût-il assiégé de dix
mille maladies. Eucrate croirait qu'on le méprise. – Point du
tout, lui dis-je, il vous aurait su meilleur gré de mourir chez
vous, que de venir à sa table cracher l'âme avec les poumons. »
L'orgueil de notre philosophe ne lui permit pas de faire atten-
tion à ma plaisanterie. Peu de temps après arrive Eucrate qui
sortait du bain. Dès qu'il aperçut Thesmopolis, c'était le nom
du philosophe <r Docteur, lui dit-il, que vous êtes charmant de
venir nous voir 1 Vous n'auriez pourtant rien perdu à rester
chez vous, car je vous aurais envoyé de tous les plats. 2 Tout
en disant cela, il entre et prend par la main notre homme déjà
soutenu de, ses esclaves.
11. Pour moi, je me disposais à m'en aller. Eucrate, se tour-
nant de mon côté, réfléchit un moment, et me voyant un air
triste c Entre aussi Micylle, tu souperas avec nous; pour te
trouver place, j'enverrai mon fils souper avec sa mère dans le
gynécée1, s J'entrai donc comme un loup qui a presquemanqué
sa proie, un peu confus de ce que je paraissais avoir banni du
festin le fils de la maison. Enfin arrive le moment de se mettre
à table. D'abord, cinq valets, oui, sur ma foi, cinq robustes va-
lets enlèvent notre Thesmopolis, le placent sur son lit, ce qui

t Appartementdes femmes.
n'était pas uni entreprise fort aisée je te jure, et le remparent
de quantité d'oreillers, afin qu'il pût rester quelque temps dans
la même position ensuite personne ne s'empressant de l'avoir
seul sur
pour voisin, je fus mis à ses côtés, afin qu'il ne fût pas
son lit. Nous soupons donc, mon cher
Pythagore; le repas était
splendide et somptueux; vaisselle d'or et d'argent, coupes d'or,
maîtres d'hôtel très-élégants, musiciens, plaisants de toute es-
pèce, rien ne manquait à la fête. Cependant une chose m'im-
portunait fort, c'est que Thesmopolis me faisait de très-longues
dissertations sur je ne sais quelle vertu, m'apprenait qutf deux
négations valent une affirmation, que, quand il fait jour, il ne
fait pas nuit; il me prouvait aussi que j'avais des cornes et
mille autres plaisanteries philosophiquesdont je me serais fort
bien passé. Il m'arrachait ainsi au plaisir d'entendre les instru-
ments et les voix; voilà, coq, voilà mon souper.
LE Coq. Il n'était pas très-divertissant, Micylle, surtout à
cause du voisinage de ce vieux radoteur.
12. MICYLLE. Écoute à présent mon songe. Je rêvais qu'Eu-
crate lui-même était, je ne sais comment, sur le point de mourir
sans enfants; que ce même Eucrate m'ayant fait venir, m'avait,
moi qui parle, institué par testament son légataire universel
que, peu de temps après, il était venu à mourir. Je croyais en-
trer en possession de tous ses biens, et puiser dans de grands
vases de l'or et de l'argent, qui tombaient avec fracas et coulaient
à grands flots. Robes, tables, coupes, valets, tout m'appartenait,
comme de raison: un char attelé de chevaux blancs me prome-
nait dans tous les quartiers de la ville couché nonchalamment,
objet de curiosité et d'envie pour tous les spectateurs. J'avais
quantité de courriers, beaucoup de cavaliers à mes côtés, un
plus grand nombre encore à ma suite. J'étais revêtu de la robe
d'Eucrate, et ses bagues, chargées de seize gros diamants, bril-
laient à mes doigts. On avait préparé, selon mes ordres, un
magnifique repas pour la réception de mes amis, et, comme il en
doit être dans un songe, ils étaient déjà arrivés, déjà la table
était servie, et l'on se mettait à trinquer. J'en étais là, je com-
mençais à porter des sautés dans ma coupe d'or, on apportait
le dessert, lorsque, tes cris tenant fort mal à propos se faire
entendre, la fête a été troublée, les tables renversées, mes ri-
chesses dissipées et perdues dans les airs. De bonne foi, n'avais-
je pas bien raison d'être furieux contre toi, moi qui aurais vu
très-volontiers ce songe pendant trois nuits entières?

4 Allusion aux sophismes des Stoiciene.


13. LE Coq. Quelle passion pour l'or et pour les richesses!
Quoi! tu ne connais rien au monde de plus admirable1 selon toi
le souverain'bonheur consisterait à posséder beaucoup d'or?
Micyllb. Je ne suis pas seul de cet avis, Pythagore; toi.
même, quand tu étais Euphorbe, et que tu marchais au- combat
contre les Grecs, ne nouais-tu pas les boucies de tes cheveux
avec des fils d'or ou d'argent ? A la guerre, où le fer est un meu-
ble plus utile que l'or, tu ne croyais pas pouvoir affronter les
dangers, si l'or n'eût brillé sur tes cheveux tressés avec
art. Homère', selon moi, ne compare ta chevelure à celle des
Grâces que parce que l'or et l'argent en relevaient la beauté
car assurément elle paraissait bien plus belle et bien plus bril-
lante, entrelacée de ce précieux métal et resplendissant de son
éclat. Mais après tout, il t'était bien permis à toi, qui n'étais que
le fils de Panthoûs, de tant priser l'or. En effet, le père des dieux
et des hommes, le fils de Saturne et de Rhéa, étant amoureux
d'une jeune fille d'Argos, et ne sachant en quoi se transformer
pour lui plaire, ni comment séduire les gardes d'Acrise, se change
en or, et se coule à .travers le toit pour jouir de son amante.
Que te dirairje de plus? Vois combien sont grands les avantages
de l'or 1 Te dirai-je qu'il élève au comble des honneurs et de la
gloire, qu'il rend beaux, sages et puissants ceux qui le possè-
dent, qu'il change tout à coup des hommes vils et obscurs en
des personnages importants et célèbres*?
14. Il n'est pas que tu ne connaisses mon voisin et confrère
Simon, qui, aux dernières Saturnales, soûpa chez moi avec un
plat de purée flanquée de deux morceaux de lard.
XiE CoQ. Si je le connais, ce petit bout d'homme, ce camus
qui nous a pris notre écuelle de terre, la seule qui nous restait,
et qui disparut après souper, la cachant sous son bras I Je l'ai
vu de mes yeux, Micylle.
Micylle. Quoi! c'est ce maraud qui nous a volés et qui osait
encore prendre tous les dieux à témoin de son innocence? Mais
puisque tu le voyais nous dépouiller ainsi, pourquoi ne m'as-tu
pas averti en criant?
LE CoQ. Je criais comme un coq, et c'est tout ce que je pou-
vais faire alors. Mais que t'a donc fait ce Simon? Tu avais, je
crois, quelque historiette sur son compte.
MICYLLE. Ce Simon avait un cousin extrêmementriche, nommé
Drimyle, qui, de son vivant, ne lui eût pas donne une seule
4. Iliade. XVll, V. SI.
2. Ct. Boileau, Sai. vin, V. 484 et suivants, Êyitre y, v. 85 et suivants.
s.
obole; et comment l'eût-il fait? lui-même ne touchait pas à son
argent. Il vient de mourir enfin, ce cousin, et Simon, autrefois
couvert de vieux haillons, trop heureux de lécher son écuelle
se trouve, en vertu des lois, son seul héritier. Il étale toute son
opulence d'un air satisfait, il a des habits de pourpre, des
esclaves, des équipages, des vases d'or, des tables à pieds d'i-
voire enfin, adoré de tout le monde, il ne daigne plus me regar-
der. Dernièrement je le vis passer: « Eh! bonjour, Simon.
Allez dire à ce gueux de ne pas estropier mon nom, je ne m'ap-
pelle pas Simon, mais Simonide. a Ce qu'il y a de plus fort,
c'est qu'il est la coqueluche de toutes les femmes, et qu'il les
regarde avec dédain, du haut de sa grandeur il en est parfois
dont il consent à être aimé; d'autres, qu'il néglige, ne parlent JUL
JU. rien/moins que de se pendre. Tu vois par là tout ce que peut
l'or; puisque, semblable à cette ceinture si vantée dans la poésie,
il transforme les plus laids en des hommes beaux et aimables
aussi entend-on des poëtes s'écrier
0 bienheureux métal en miracles fertile
Et encore 2v
L'or règne en souverain sur le cœur des mortels.
Mais qu'avais-tu donc à rire, mon coq, pendant que je te par-
lais ?
15. LE CoQ. C'est, Micylle, de te voir partager l'erreur com-
mune sur le compte des riches. Va, sois persuadé que leur vie
est plus malheureuse que la tienne tu peux m'en croire, puis-
que j'ai été pauvre, j'ai été riche, qu'enfin j'ai essayé de tout.
Tu en seras bientôt convaincupar toi-même.
MICYLLE. Il est temps, en vérité, que tu m'instruises de tes
métamorphoses et des réflexions que tu as faites dans chacune
de tes conditions.
LE CoQ. Écoute mais sache auparavant une grande vérité,
c'est que je n'ai jamais vu de mortel plus heureux que toi.
MICYLLE. Que moi, mon coq! Veuillent les dieux t'envoyer
une pareille félicité, car tu me provoques à te souhaiter mal-
nâur! Quoi qu'il en soit, dis-moi comment d'Euphorbe tu as été
transformé en Pythagore, puis ce que tu as été, jusqu'à ce que
tu sois devenu coq.
18. LE Coq. Je ne finirais pas si je voulais te raconter com-

t. Euripide, fragment de BelUrophon. – a Id., ibid.


ment mon âme descendue d'Apollon, vint ici-bas pour y être
revêtue d'un corps mortel, et y expier quelque crime. D'ailleurs
il n'est permis ni à moi de révéler ces mystères ni à toi de
les entendre. Lors donc que j'étais Euphorbe.
MICYLLE. Arrête là, mon coq, et dis-moi si j'étais quelque
chose avant d'être Micylle.
'LE CoQ. N'en doute pas.
MICYLLE. Dis-le-moi, si tu en as connaissance, car je suis
impatient de le savoir.
LE Coq. Tu étais une de ces fourmis indiennes qui déterrent
l'or1.
1.
MICYLLE. Hélas! après m'être nourri d'or, je n'ai pas pensé à
m'en réserver quelques parcelles. Comme tu sais probablement
ce que je deviendrai ensuite, dis-le-moi car, si quelque bonne
fortune m'attend, je vais incontinent me pendre au bâton sur
lequel tu te perches.
17. LE CoQ. Il n'y a pas moyen de le savoir. Mais pour en
revenir à mon récit, quand j'étais Euphorbe, je combattis à
Troie, ou je fus tué par Ménélas. Plus tard, je devins Pytha-
gore. Alors mon âme fut sans demeure fixe jusqu'à ce que Mné-
sarque m'en procurât une.
MICYLLE. Se peut-il, mon ami, que tu aies vécu sans boire
ni manger?
LE CoQ. Assurément, car il n'y a que le corps qui éprouve ces
besoins.
Micylle. Raconte-moi d'abord ce qui est arrivé au siége de
Troie. Les choses se sont-elles passées comme le dit Homère? 9
LE CoQ. Comment l'aurait-il su, lui qui pendant ce temps
était chameau dans la Bactriane ? Je vais te dire une ohose bien
surprenante c'est qu'Àjax n'était pas si grand, ni Hélène elle-
même si belle qu'on le croit. Je la vois encore avec sa figure
pâle, emmanchée d'un long cou, ce qui faisait dire qu'elle était
fille d'un' cygne. Du reste, elle était vieille et de même âge
qu'Hécube à peu près; elle fut d'abord enlevée par Thésée, con-
temporain d'Hercule or celui-ci avait déjà pris Troie du temps
de nos pères, qui existaient précisémentà cette époque. Je tiens
ces faits de Panthoüs, qui me disait que dans son enfance il
avait vu Hercule.
MICYLLE. Achille était-il un héros accompli ou faut-il aussi
regarder, comme une fable ce qu'on en dit de merveilleux p?

4. Voy. Hérodote, Tkalie, eu. Cf. Pomponius Mêla, III, vu; Arrien, Bist.
de l'Inde, xv; Strabon,XV.
LE Coq.Je ne me suis jamais mesuré avec lui, Micylle; d'ail-
leurs j'aurais de la peine à faire un récit exact de ce qui s'est
passé chez les Grecs, et comment le pourrais-je, moi qui étais
leur ennemi? Mais pour Patrocle, son ami, je le tuai sans
peine en le perçant de ma lance
MICYLLE. Ménélas te le rendit ensuite avec moins de peine
encore'. Mais brisons là, et revenons à l'histoire de Pythagore.
18. LE COQ. En somme, Micylle, je n'étais qu'un vrai sophiste
car il faut, je crois, te parler de bonne foi; du,reste, assez
instruit et versé dans les hautes sciences. Je voyageai en
ïîgypte pour avoir des entretiens particuliers avec les sages
de ce pays, je pénétrai jusque dans leur sanctuaire, et j'étudiai
à fond la doctrine contenue dans les livres d'Orus et d'Isis3. Je
fis une seconde fois voile pour l'Italie, où je disposai si bien en
ma faveur les Grecs de ce pays-là, qu'ils me regardèrent comme
un dieu.
MICYLLE.Je sais tout cela aussi bien que la merveille de ta
résurrection, ainsi que la cuisse d'or que tu leur as montrée.
Mais dis-moi, qui t'a mis dans la tête d'interdire à tes disci-
ples l'usage de la viande et des fèves?
LE COQ. Trêve de pareilles questions, Micylle.
MICYLLE. Et pourquoi donc mon coq?
LE COQ. C'est qu'il m'en coûterait trop de te dire la vérité sur
cet article.
MICYLLE. Cependanttu devrais parler sans crainte à unhomme
qui est ton compagnon, ton ami; car désormais je n'oserai plus
dire ton maître.
LE COQ. Eh bien! cette défense ne portait sur rien de sensé et
de plausible; mais je voyais qu'en suivant la route vulgaire et
déjà frayée, je ne réussirais pas à me faire admirer, et qu'au
contraire, on me regarderait comme un personnage d'autant
plus extraordinaire que ma doctrine serait plus bizarre. En
conséquence, j'ai pris le parti de donner dans la nouveauté, et
d'imposer par un air de mystère, qui partageât les esprits
dans leurs conjectures et ne les réunît que pour m'admirer
comme les oracles qu'on n'entend pas.
Micylle. Ah! je vois que tu te moques de moi comme des habi-
tants de Crotone, de Métaponte, de Tarente, des autres muets qui
marchaient sous ta bannière et adoraient humblement tes pas.

« Iliade, XVI, v. 807.


2. Iliade, XVII, V. 60.
t. Voy. les mots 4>oȏr' et Isis dans Dictionnaire(Je Jacobj,
19. Mais après avoir été Pythagore, sous quelle forme nou-
velle as-tu existé?
LE Coq. Sous la forme d'Aspasie, cette fameuse courtisane de
Milet.
Micylle. Que dis-tu là ? Tu as aussi été femme, Pythagore
Comment, maître coq, il a donc été un temps où tu pondais?2
Et tu as couché avec Périclès quand tu étais Aspasie tu as été
enceinte de ses œuvres tu as filé de la laine tenu la navette
et fait le métier de courtisane 1
LE CoQ. Je ne suis pas le seul qui ait fait tout cela: Tirésias
avant moi, et Cénéus, fils d'Élatus ont été'femmes, si bien
qu'en te moquant de moi tu te moques d'eux.
Micylle. Sous lequel des deux sexes as-tu goûté le plus de
plaisir ? Ëtait-ce quand tu étais homme ou bien quand Périclès
te caressait?9
LE Coq. Fais attention à ce que tu me demandes pareille
question a été funeste à Tirésias Il.
Micylle. Eh bien I si tu ne veux pas me répondre, je m'en
tiendrai à ce que dit Euripide', qu'il aimerait mieux aller trois
fois, bouclier en main, la guerre, que d'accoucher une seule.
LECoQ. Un jour viendra, Micylle, où tu accoucherasà ton
tour tu seras femme aussi, après une langue révolution de
siècles.
MICYLLE. Tu ne t'étrangleras pas, maudit coq! Prends-tu tout
le monde pour des Milésiens ou des Samiens? On dit qu'étant
Pythagore, tu étais assez joli garçon dans ta jeunesse, et que
tu servis plus d'une fois d'Aspasie au tyran de Samos.
20..Et après Aspasie, as-tu été homme ou femme?
LE Coq. Cratès le cynique.
MICYLLE. ODioscuresl quelle étrange métamorphose!de cour-
tisane, philosophe.
LE Coq. Ensuite roi, puis pauvre, peu de temps après sa-
trape, puis cheval, geai, grenouille. puis bien d'autres choses
qu'il serait long de raconter en détail. J'ai fini par être coq, je
l'ai été plusieurs fois, car j'aimais beaucoup ce genre de vie. Je
me suis trouvé au service de beaucoup de personnes, de rois, de
pauvres et de riches; enfin me voici maintenant avec toi, riant
de te voir te lamenter tous les jours sur ta pauvreté, t'extasier
sur le bonheur des riches, faute de connaître les maux qui les

t. Voy. Cunéus dans le Dictionnairede Jacobi.


S. Voy. Ovide, Métam., III, v. 324. Cf. le xxviu* Dialogue du morts.
3. Euripide, Médée, v. 260,
assiégent. Oui, si tu voyais combien de soucis les rongent, tu
rirais tout le premier d'avoir cru que les riches sont les plus
heureux des mortels.
Micylle. Ainsi, Pythagore, ou tout autre nom qu'il te plaira,
de ton récit en t'ap-
car je ne veux pas t'interrompre au milieu
pelant tantôt d'uce façon, tantôt d'une autre.
LE COQ. Appelle-moi Euphorbe, Pythagore, Aspasie, Cratès,
peu m'importe, puisque je suis tout cela.
Cependant tu feras
mieux de m'appeler coq comme je le suis à présent, ne fût-ce
que par respect pour un animal
qui n'a de bas que les appa-
rences, et qui réunit en lui tant d'âmes différentes.
21. Micylle. Or çà, mon coq, puisque tu as essayé de pres-
que toutes les conditions et que tu as tout vu, fais-moi un
tableau fidèle de la vie des riches et de celle des pauvres, afin
je suis
que je sache si tu ne m'abuses pas en me disant que
plus heureux que les riches.
LE COQ. Ecoute bien, Micylle. N'est-il pas vrai que quand on
te dit «L'ennemiapproche, » cette nouvelle ne t'inquiète pas ?Tu
ne crains pas qu'il ravage tes terres, qu'il gâte tes vignes, qu'il 9
foule aux pieds tes jardins; au premier son de la trompette, si
même tu l'entends, tu regardes autour de toi, cherchant un
sentier qui te dérobe au péril et te mette en sûreté. Outre que
les riches ont à craindre comme toi pour leur propre vie, ils
ont encore la douleur de voir dujpaut des murs saccager et em-
porter tout ce qu'ils possèdent dans les champs. A-t-on besoin
d'impôts, on s'adresse à eux seuls; faut-il se mettre en campa-
gne, le danger n'est que pour les riches, qui commandentl'in-
fanterie ou la cavalerie; tandis que toi, avec ton bouclier d'osier
et ton équipage,leste pour la fuite, tu es prêt à partager la table
du vainqueur, s'il donne des fêtes pour célébrer sa victoire.
22. En temps de paix, tu viens en qualité de citoyen dans les
assemblées. Là tu règnes sur les riches qui tremblent devant
toi, redoutent ton courroux et te nattent par des largesses. Ils se
donnent mille peines pour te procurer le plaisir des bains, des
jeux, des spectacles; toi, pendant ce temps-là, tu joues le rôle
de juge, d'inspecteur, de maître sévère, quelquefois sans autre
raison que ton bon plaisir. Quand il te plaît, tu fais pleuvoir
sur eux une grêle de pierres, et tu confisques leurs biens. Tu
ne crains ni la bassesse d'un délateur, ni l'adresse d'un voleur
qui voudrait faire un trou à tes murs, ou escalader ta maison
pour enlever ton or. Tu n'as l'embarras ni de rendre des comp-
tes, ni d'en exiger, ni de batailler avec de maudits intendants.
Libre de tous soins quand tu as raccommodé ta savate et reçu
tes sept oboles, tu quittes l'ouvrage; et le soir, s'il t'en prend
envie, tu vas au bain. Tu achètes des anchois, des goujons et
des têtes d'oignons tu te régales, chantant de tout ton coeur et
philosophant avec l'heureuse pauvreté 1.
23. Ainsi, tu te portes à merveille; tu es robuste et impé-
nétrable au froid le travail, qui te tient en baleine, tts met en
état de résister avec vigueur à ce que d'autres croient au-dessus
de leurs forces, de manière que tu ne ressens jamais l'atteinte
des maladies dangereuses. S'il te survient un léger accès de
fièvre, tu lui cèdes quelques instants, bientôt tu la secoues et
t'en débarrasses par la diète. La fièvre s'enfuit épouvÉntée à la
vue d'un malade qui se gorge d'eau froide et envoie promener
les médecins avec tout leur régime. Les riches, au contraire,vic-
times de leur intempérance, que de maux ne souffrent-ils pas?
Goutte, phthisie, pulmonie, hydropisie car voilà les enfants de
leurs magnifiques repas. Aussi ceux d'entre eux qui, semblables
à Icare, ont pris un essor trop élevé, sans voir que leurs ailes
n'étaient attachées qu'avec de la cire, sont tombés avec fracas
^dans la mer. Ceux au contraire qui, à l'exemple de Dédale, moins
hardis dans leur vol, rasent la surface des eaux afin de tenir la
cire de leurs ailes dans une humidité convenable, ceux-là se
voient à l'abri de tout danger.
MICYLLE. Ah! voilà des gens sages et raisonnables.
LE Coq. Tu peux encore, Mgcille, t'instruire d'après les hon-
teux naufrages de plusieurs autres. Ici, c'est Crésus dépouillé de
ses ailes, montant sur le bûcher, et prêtant à rire à ses vain-
queurs. Là, c'est Denys détrôné qui montre à lire dans Corinthe,
et qui, après avoir régné sur de puissants États, la férule e.n
main, fait épeler de petits enfants.
24. MICYLLE. Dis-moi, mon coq, et toi, lorsque tu 'étais roi,
car tu me dis l'avoir été, comment te trouvais-tu de ce genre
de vie? Sans doute que, possédant le plus grand de tous les
biens, tu étais au comble de la félicité?
LE Coq. Ne me le rappelle pas, Micylle, tant j'étais malheureux
alors! Il est vrai qu'au dehors rien ne semblait manquer à
mon bonheur, mais au dedans j'étais rongé de soucis.
Micylle. Gomment voilà une chose bien étrange et bien
difficile à croire'.
LE Coq. Je régnais, Micylle, sur un vaste pays fertile en pro-
ductions de toute espèce, célèbre par la multitude de ses habi-
tants, par la beauté de ses villes, arrosé de fleuves navigables,
V>», Le savetier et UJimncievde La Fontaine,
environné d'une mer munie de bons por^s. J'avais infanterie
considérable, cavalerie bien disciplinée, garde nombreuse,galè-
res, richesses immenses, quantité de vaisselle d'or, enfin tout ce
que la pompe royale a de plus imposant et de plus majestueux.
Aussi, dès que je paraissais en public, mes peuples se proster-
naient devant moi, croyant voir une divinité. Les uns accou-
raient en foule et se poussaient pour me voir; les autres, mon-
tés sur les toits, regardaient comme un grand honneur d'avoir
vu mon attelage, mon manteau royal, mon diadème, mon avant
et mon arrière-garde. Et moi, qui connaissais tous mes chagrins
et mes tourments, j'excusais leur ignorance en plaignant ma
misère. Je me comparais à vos statues colossales, chefs-d'œuvre
de Phidias, de Myron ou de Praxitèle. Au dehors, c'est Neptune,
le trident en main, c'est Jupiter, tout brillant d'or et d'ivoire,
orné de foudres et d'éclairs: Mais regarde au dedans des leviers,
des coins; des barres de fer, des clous qui traversent la pachiné
de part'en part, des chevilles, de la poix, de la poussière, et
d'autres choses aussi choquantes à la vue, voilà ce que tu y
trouveras, sans parler encore d'une infinité de. mouches et de
musaraignes, qui y établissent leur république. Telle est à peu
près la royauté.
25. MICYLLE. Mais cela ne me dit pas encore ce que tu en-
tends par ces clous, ces leviers, ce vil amas de poussière et
d'ordure, que tu prétends voir dans la royauté; car enfin, pa-
raître en public, attirer tous les regards, être adoré comme un
dieu, tout cela ressemble assez à l'extérieur du colosse, et offre
même quelque chose de divin. Dis-moi donc à présent quel est
l'intérieur de ce colosse.
LE Coq. Par où commencer? Te .peindrai-je, Micylle, les rois
en proie aux alarmes, aux remords, aux soupçons, à la haine et
aux embûches de ceux qui les approchent? De là un sommeil
court et encore superficiel, des rêves pleins de troubles, des pen-
sées qui se combattent, des attentes toujours fâcheuses. Te
dirai-je que tout leur temps ils le donnent à des audiences pu-
bliques ou particulières, à des expéditions, des ordres, des trai-
tés, des calculs? De là nul plaisir, pas même en songe; ils sont
réduits veiller seuls pour leurs sujets et à porter seuls le far-
deau des affaires.
Le puissant fils d'Atrée
Veille, et de soins divers son âme est déchirée,
tandis que tous les Grecs ronflent à ses côtés Ici c'est le roi de
4 Iliade, II, Y. < el suivants.
Lydie qu'afflige le mutisme ae son ms1, la te roi de Perse inquiet
des levées de troupes étrangères que Cléarque fait pour Cyrus 2.
Dion parlant à l'oreille de quelques Syracusains, afflige celui-ci
les éloges dont on comble Parménion mortifientcelui-là'; Ptolé.
inée inquiète Perdiccas, Séleucus inquiète Ptolémée L'amour
remplit le cœur d'un autre de chagrin. Sa maîtresse lui est infi-
dèle, ou ne lui accorde ses faveurs qu'avec répugnance. Ce n'est
pas tout apprennent-ils que quelques-uns de leurs sujets médi-
tent une révolte, voient-ilsdeux ou trois de leurs gardes se
ler tout bas, voilà encore un sujet d'affliction. Mais ce qu'il y par-
a de
plus terrible pour eux, c'est d'avoir à se défier surtout de leurs
plus chers favoris et de s'attendre toujours à quelque chose de
fâcheux de leur part. En effet, l'un meurt empoisonné
par son
fils, l'autre par l'objet de sa passion, un troisième périt d'une
mort à peu près pareille.
26. Micylle. Bons dieux! tu me dis là des choses effrayantes,
mon coq. Je suis donc bien plus en sûreté, courbé sur mon ou-
vrage et coupant mon cuir, que si je buvais dans une coupe
d'or de l'aconit et de la ciguë, présentés des mains de l'amitié;
car pour moi, tout le risque que je cours, si mon alène vient à
glisser de travers, c'est de me piquer légèrement le doigt et de
saigner. Les grands coeurs, tu dis, trouvent au contraire la
mort au milieu des festins qu'ils célèbrent, quoique investis de
"Bille maux. Sont-ils déchus de leur grandeur, ils ressemblent
m ne peut mieux à des personnages de théâtre. Tant que ceux-
!i représentent Cécrops, Sisyphe ou Télèphe, ils portent
un
liadème, une épée à garde d'ivoire, une chevelure flottante et
un manteau tissu d'or; mais ont-ils le malheur, ce qui n'est pas
rare, de faire un faux pas et,de tomber au milieu du théâtre, ils
deviennent la risée des spectateurs, le masque et le diadème
sont brisés, la véritable tête du- comédien ensanglantée, ses
cuisses à nu en grande partie; on ne voit plus que ses miséra-
bles haillons et son cothurne tout difforme et nullement
pro-
portionné à ses pieds. Vois-tu, mon coq, comme tu m'as aussi
appris à faire des comparaisons ? Telle est à peu près l'idée que
tu t'es formée de la royauté. Mais lorsque tu étais cheval, chien,

<. Crésus. Woy. Xénophon, Cyropêdie, livre VIII.


2. Arlaieriès. Allusion à la guerre des deux frères, qui se termina par la
bataille de Cunaxa (401 avant Jésus-Christ), et la retraite des dix mille.
3. Denys le tyran.
4. Alexandre. Voy. Quinte Cnrce VII, il,
fr. Voy. Justin, XXVII, ii.
t/f
poisson ou grenouille, commènt te trouvais-tu de ces différents
genres.de vie?
27. LE COQ. Tu entames la une matière aussi longue qu'étran-
gère à la circonstanceprésente. Cependant, en général, de toutes
les conditions, celle de l'homme m'a paru le moins tranquille.
Tous les autres animaux, en effet, se renfermentdans les désirs
et les besoins de la nature. Tu ne trouveras parmi eux ni un
cheval financier, ni une grenouille sycophante, ni un geai so-
phiste, ni une mouche cuisinière, ni aucune des autres misères
des l'espèce humaine.
28. Mictlle. Tu as peut-être raison, mon coq; cependantje
ne rougirai pas de te découvrir mon faible. Je ne puis aujour-
d'hui même me défaire de l'envie de devenir riche, envie qui
date de mon enfance. Le beau songe qui m'étalait tant d'or, je
l'ai .encore sous les yeux, et surtout j'enrage de la position de
ce maraud de Simon, qui vit dans les délices, comblé de tant de
biens.
LE CoQ. Je vais te guérir, Micylle, et, puisqu'il est encore
nuit, lève-toi et me suis; je te conduirai chez ce même Simon
et chez d'autres riches pour te rendre témoin de ce qui s'y
passe.
Micylle. Comment cela, puisque les portes sont fermées?
Faudra-t-il percer le mur?
LE CoQ. Point du tout. Mercure, à qui je suis consacré, m'a
accordé un privilége précieux. Avec la plus longue plume de ma
queue, qui par sa souplesse se replie sur elle-même.
Micylle. Mais tu en as deux pareilles.
LE CoQ. Eh bien! avec cette plume droite. Celui pour qui je
l'arracherai, et à qui je la donnerai, peut, avec mon consente-
ment, ouvrir toutes les portes et voir tout sans être vu.
Micylle. Je ne te savais pas sorcier; si une bonne fois tu me
donnes ton talisman, tu me verras bientôt transporter ici les
trésors de Simon. Je ne sortirai pas de chez lui sans avoir fait
ce bon coup, et je le réduirai de nouveau à ronger son cuir en
le tirant avec les dents.
LE CoQ. Cela ne peut pas être. Mercure m'a ordonné de faire
du bruit pour découvrir celui qui ferait servir cette plume à un
artifice aussi criminel.
Micylle. Il n'est pas croyable que Mercure, qui est lui même
un voleur, soit ennemi de ses pareils. Mais avançons, je ne tou-
cherai pas à son or, si je puis.
LE CoQ. Commence, Micylle, par arracher la plume. Quoi! tu
les arraches toutes deux?
MICYLLE. Pour plus de sûreté, mon coq; ta queue en sera
moins difforme, et gardera mieux l'équilibre.
29. LE Coq. Soitl Allons-nous d'abord au logis de Simon, ou
chez quelque autre riche?
MICYLLE. N'allons que chez Simon qui, depuis qu'il a fait for-
tune, a jugé à propos d'allonger son nom de deux syllabes.
Mais nous voici à sa porte, que faire à présent?
LE Coq. Mets ta plume dans la serrure.
MICYLLE. Par Hercule la porte s'ouvre comme avec une
clef.
LE CoQ. Avance; vois-tu comme il compte ses écus?
Micyi.le. Par Jupiter! je le vois auprès d'une petite lampu
obscure et sans huile. Quelle pâleur, quelle maigreurl Ceci m'é-
tonne il faut croire qu'il est rongé de soucis, car on ne lui
connaît pas d'autre maladie.
LE CoQ. Écoute ce qu'il dit, et tu sauras la cause de son
mal.
SIMON. Voilà soixante-dixtalents, mis en lieu de sûreté. Je les
ai cachés en terre sous mon lit, sans que personne m'ait aperçu.
Mais les seize talents que j'ai déposés sous la mangeoire de l'é-
curie, Sosyle, mon palefrenier, les aura vus. Aussi est-il conti-
nuellement autour de ses chevaux, lui qui d'ailleurs n'est ni
soigneux, ni laborieux de son naturel. Il m'en aura vraisembla-
blement escroqué bien d'autres. Sans cela comment Tibius lui
aurait-il fait ces fortes provisions de viandes salées? On assure
aussi qu'il vient d'acheter pour sa femme un collier de cinq
drachmes. Je suis perdu, ces coquins-là me ruineront tout à
fait. A propos, ma vaisselle n'est pas bien cachée, et ce n'est
pas une vaisselle ordinaire. On pourrait percer les murs et me
l'enlever. J'ai tant d'envieux, tant de gens qui me dressent des
pièges,-à commencer par mon voisin Micylle t
Micylle. Oui, je te ressemble, n'est-ce pas, et j'emporte
comme toi des plats sous mon bras?
LE GoQ. Paix, Micylle 1 ne trahis pas notre présence.
SmoN. C'est le plus sûr parti de se trouver sur ses gardes.
Faisons la ronde dans toute la maison. Qui va là? Par Jupiter,
je te vois, scélérat qui perces les murailles. Les dieux soient
loués, ce n'est qu'une colonne. Comptons une seconde fois
l'argent que j'ai enfoui dernièrement; peut-être me serai-je
trompé dans mon calcul. J'entends encore du bruit! On m'as-
siége, on me dresse de tous côtés des embûches 1 Où est
mon épée? Si j'attrape quelqu'un Enterrons de nouveau mou
trésor.
30. LECoQ. Voilà, Micylle, la vie de Simon! 1 Allons voir
aussi chez quelque autre riche puisque la nuit n'est pas
finie.
MICYLLE. Le misérable! quelle vie est la sienne! Je souhaite
de pareils trésors à mes ennemis. Avant de partir, je veux lui
appliquer un bon coup de poing sur la mâchoire.
SIMON. Au meurtre! an voleur!
MICYLLE. Lamente-toi, veille, deviens aussi jaune que cet or
que tu couves sans cesse de tes yeux. Pour nous, allons, s'il te
plaît, chez l'usurier Gniphon; sa demeure n'est pas éloignée.
Voilà la porte qui s'ouvre d'elle-même.
31. LE Coq. Le vois-tu veillant, en proie à mille soucis,
comptant une fois, deux fois, le gain de ses usures avec ses
doigts crochus? 11 lui faudra bientôt quitter tout pour devenir
cloporte, cousin ou moucheron.
Mtcylle. L'insensé qu'il est, il ne vit pas plus heureux que
ces insectes. Comme il est tout desséché à force de calculs!
Voyons-en un autre.
12. LE CoQ. Ton Eucrate, si tu veux; vofïà ses portes ouver-
tes d'elles-mêmes.
Micylle. Tout cela était à moi tout à l'heure.
LE COQ. Quoi tu rêves encore à toutes ces richesses? Tiens!
regarde Eucrate couché avec son valet, lui, un vieillard!
MICYLLE. Ah! par Jupiter, je vois là de jolies choses! Un pédé-
raste, un complaisant infâme, une impudeur plus qu'humaine.
Et la femme d'Eucrate, qui, de son côté, couche avec son cui-
sinier 1
33. LE CoQ. Voudrais-tumaintenant être l'héritier d'Eucrate
et posséder tous ses biens?
MICYLLE. Point du tout, mon coq; plutôt mourir de faim que
I'
d'éprouver un tel sort Adieu festins et richesses. Il vaut, en
vérité, mieux n'avoir que deux oboles pour tout bien que de
vivre chez soi dans des transes continuelles.
LE Coq. Mais le jour va bientôt paraître. Retournons au. logis,
Micylle; tu verras le reste une autre fois.
XLVI

ICAROMÊNIPPE OU LE VOYAGE AU-DESSUS


DES NUAGES.

MÉNIPPE, UN AMI.

1. Ménippe. Oui, il y avait bien trois mille stades' de la


terre à la lune, où j'ai fait ma première halte de là au soleil,
on monte à peu près cinq 'cents parasanges*, et du soleil jus-
qu'au ciel même, et à la citadelle escarpée de Jupiter, il peut y
avoir une bonne journée pour un aigle au vol rapide.
L'AMI. De grâce, Ménippe que veut dire ce calcul astrono-
mique ? Que mesures-tu là tout bas ? Il y a déjà quelque temps
que je te suis, et je t'entends parler de soleils et de lunes, et
prononcer les mots bizarres de haltes et de parasanges.
Ménippe. Ne sois pas étonné, mon cher, si je te parais t'en-
tretenir d'objets sublimes et célestes; je calculais, en moi-même,
le chemin que j'ai fait dans mon dernier voyage
L'ami. Alors, mon ami, suivant l'exemple des Phéniciens tu
réglais ta route d'après les astres?
MÉNIPPE. Non, par Jupiter c'est dans les astres mêmes que
j'ai voyagé.
L'ami. Par Herculel tu nous parles là de quelque songe in-
terminable, si, sans t'en apercevoir, tu as dormi des parasanges
entières.
2. Mémppe. Oui, j'ai l'air, mon ami, de te raconter un songe,
et cependant j'arrive à l'instant de chez Jupiter.
L'AMI. Que dis-tu? Ménippe envoyé de Jupiter nous arrive
du haut des cieux?
MÉNIPPE. Oui, moi qui te parle, je descends aujourd'hui même
de chez le grand Jupiter, où j'ai vu et entendu des choses mer-

4. Le stade équivalait à un peu plus de 185 mètres.


5. La parasange, mesure itinérairedes Perses, équivalait à 30 stades.
veilleuses; et si tu refuses d'y croire, je serai enchanté, puisque
j'aurai joui d'un bonheurincroyable.
L'ami. Et comment oserais-je, divin et olympien Ménippe
faible et triste mortel que je suis, refuser de croire un homme
élevé au-dessus des nuages, et qui, pour parler avec Homère,
est l'un des Uraniens' ? Cependant je te prie de me dire par quel
moyen tu as pu monter dans les airs. Où as-tu trouvé une
échelle assez haute ? Car, pour ce qui est de la figure, tu ne res-
sembles pas beaucoup au berger phrygien', en sorte que nous
ne pouvons supposer que tu aies été enlevé par un aigle pour
remplir au ciel le ministère d'échanson.
MÉNIPPE. Je vois bien que tu veux te moquer de moi, et je ne
suis pas surpris qu'un récit aussi extraordinaire te paraisse res-
sembler à une fable. Mais sache que, pour m'élever dans les
cieux, je n'ai eu besoin ni de me servir d'échelle, ni d'être le
mignon d'un aigle. J'ai volé de mes propres ailes.
L'ami. Voilà qui est infiniment plus fort que Dédale, et je ne
savais pas qu'en outre tu avais été métamorphoséen vautour
ou en geai.
MÉNIPPE. Bien visé, mon ami; tu as presque atteint le but. A
l'exemple de Dédale, je me suis aussi fabriqué une paire d'ailes.
3. L'AMI. Comment, téméraire, tu n'as pas eu peur de tomber
dans quelque mer qu'on eût appelée Ménippéenne, comme nous
avons déjà la mer Icarienne?
Ménippe. Non, sans doute. Icare attacha ses ailes avec de la
cire, qui se fondit bientôt à la chaleur du soleil; les plumes se
détachèrent, et il dut nécessairement tomber, au lieu que mes
ailes n'avaient pas de cire.
L'ami. Explique-toi. Déjà, sans m'en rendre compte je me
sens amené à croire que ce que tu dis est vrai.
MÉNIPPE. Voici le fait. J'ai pris un aigle et un vautour de la
plus grosse espèce je leur ai coupé les ailes avec les épaules
mêmes, et. Mais si tu as le temps de m'entendre, il vaut mieux
que je remonte au point de départ de cette invention.
L'AMI. Très-volontiers; tes discours me mettent tout en l'air,
et je demeure la bouche béante pour en entendre la fin. Ainsi,
au nom du dieu des amis, ne me laisse pas au haut de ta narra-
tion, quand tu m'y auras suspendu par les oreilles.
4. Ménippe. Écoute donc: car je sais qu'il n'est pas de bon ton
delaisser son ami la bouche ouverte, surtout quand il est, comme

Voy. Homère, Iliade, 1, v. &70, et autres passages.


2. Ganymède.
tu dis, suspendu par les oreilles. Les premiers regards que je
jetai sur la vie humaine m'ayant fait voir que tout ici-bas est
ridicule, misérable, sans consistance, je veux dire les richesses,
les dignités, le pouvoir, le mépris que m'inspirèrent ces objets,
dont je considéraisla recherche comme un obstacle à l'étude de
ceux qui sont vraiment dignes de nos soins, me fit diriger les
yeux vers la contemplationde l'univers. Mais d'abord, je tombai
dans un grand embarras, quand je considérai ce que les philo-
sophes appellent le monde je ne pouvais découvrir commentil
avait été formé, quel en était l'ouvrier, le principe, la fin. Puis,
en l'examinant en détail mon doute ne faisait que redoubler.
Lorsque je voyais les astres semés au hasard dans le ciel, et le
soleil lui-même, je désirais vivement savoir à quoi m'en tenir
sur leur nature. Les phénomènes que présente la lune me pa-
raissaient encore plus singuliers et tout à fait étranges; la di.
versité de ses phases me paraissait provenird'une cause inexpli-
cable. Enfin, la rapidité de l'éclair sillonnant la nue, le roulement
du tonnerre, la chute de la pluie, de la neige, de la grêle, tout
cela me semblait inaccessible à la conjecture et à la démon-
stration.
5. Dans cette dispositiond'esprit, je crus que le meilleur parti
était de m'adresser aux philosophes, pour éclaircir tous mes
doutes. Je m'imaginais qu'ils pourraient me dire à cet égard
toute la vérité. Je choisis donc ceux qui me parurent les plus
instruits, à en croire l'austérité de leur physionomie, leur teint
pâle, la largeur de leur barbe. Certainsd'entre eux, en effet, me
parurent immédiatementhauts parleurs, et versés dans les se-
crets du ciel. Une fois entre leurs mains, moyennant une grosse
somme, moitié comptant, moitié à payer quand je serais arrivé
au faîte de la sagesse, jevleur demandai qu'ils m'apprissent à
devenir spéculateur en l'air, et à connaître l'organisation du
monde. Mais, bien loin de dissiper mon ancienne ignorance, iis
me jetèrent dans des perplexitésplus grandes encore ne m'en-
tretenant que de principes, de fins, d'atomes de vides, de ma-
tières, d'idées, et de mille autres choses, dont ils me rebattaient
chaque jour les oreilles. Et le plus embarrassant pour moi, c'est
que, la doctrine de l'un n'ayant aucun rapport, avec celle de
l'autre, et leurs opinions étant contraires et diamétralement op-
posées, ils voulaient cependant tous me convaincre, et chacun
d'eux essayait de m'attirer à son sentiment particulier.
L'ami. Ce que tu dis là m'étonne. Comment des gens qui se
piquent de sagesse peuvent-ils se disputer à propos de ce qui
est, et ne pas avoir la même opinion sur les mêmes choses?
6. MÉNIPPE. Oh mon cher ami, tu rirais bien, si tu connais-
sais leur forfanterie et le charlatanisme de leurs discours. Ils
ont toujours vécu sur la terre; ils ne sont pas plus élevés que
nous qui rampons sur le sol', leur vue n'est pa,'s plus perçante
que celle de leur voisin; la plupart même n'y voient goutte
soit vieillesse, soit infirmité, et cependant ils assurent qu'ils
aperçoivent distinctement les bornes des cieux; ils mesurent le
soleil, marchent dans les espaces qui sont au-dessus de la lune,
et, comme s'ils arrivaient des étoiles, ils en décrivent la gran-
deur et la forme. Souvent, si on le leur demandait, ils ne pour-
raient pas dire au juste combien il y a de stades de Mégare à
Athènes mais ils savent positivement de combien de coudées
est l'espace qui sépare la lune du soleil ils mesurent la hauteur
de l'air, les profondeurs de l'Océan, les circonférences de la
terre, tracent des cercles, dessinent des triangles sur des car-
rés, avec je ne sais combien de sphères, et mesurent, ma foi, le
ciel lui-même.
7. Mais où je vois éclater leur ignorance et leur sotte vanité,
c'est qu'au lieu de ne parler que par conjecturede ces phénomènes
difficiles à comprendre ils soutiennentleur avis avec emporte-
ment, et ne laissent personne es'sayer de faire prévaloir le sien.
Peu s'en faut qu'ils ne jurent que le soleil est une boule de fer
rouge', qu'il y a des habitants dans la lune, que les étoiles s'a-
breuvent de vapeurs tirées de la mer par le soleil comme par
une corde à puits, et distribuées également à chacune d'elles.
8. D'ailleurs, il est aisé de voir combien ils diffèrent d'opi-
nions, et je te prie, par Jupiter, de remarquer si leurs doctrines
se rapprochent, ou ne sont pas plutôt essentiellement opposées.
D'abord ils ne s'accordent pas au sujet du monde les uns disent
qu'il est incréé et indestructible les autres parlent, sans hésiter,
et de l'ouvrier, et de l'organisation de son œuvre. Mais ceux que
je trouve les plus étonnants, ce sont les gens qui nous entre..
tiennent d'un certain dieu, fabricateur de toutes choses, et qui
ne peuvent dire d'où il venait, ni où il était, quand il fabriquait
tout cela; et cependant, avant l'existence de l'univers, il est
impossible d'imaginer ni temps ni espace.
L'Ami. Voilà, Ménippe, des hommes bien hardis, et de fameux
jongleurs!
Ménippe. Et que serait-ce, mon cher, si tu entendais tout ce
qu'ils débitent sur les idées et les êtres incorporels, avec leurs

4. Voy. Homèrn, Iliade, IV, v. 444.


2. Doctrine d'Anaxagoras.
dissertation^ sur le fini et l'infini? Car souvent il s'élève entre
eux de violentes disputes les uns enveloppant tout dans un
terme fini, les autres affirmant que l'infini seul existe. Ce n'est
pas tout quelques-uns d'entre eux soutiennent qu'il y a plu-
sieurs mondes, et condamnent ceux qui enseignent qu'il n'y en
a qu'un'. Un autre, d'humeur peu pacifique,, est d'avis que la
guerre est la mère de toutes choses*.
9. Quant à leurs sentiments sur les dieux, qu'en pourrais-je
dire? Les uns veulent que la divinité soit un nombre 5; il y en
a qui jurent par les chiens, les oies et les platanes'; ceux-ci,
chassant tous les autres dieux, donnent à un seul l'empire de
l'univers, si bien qu'en les entendant, je fus désolé de voir cette
disette de dieux. Mais quelques-uns, moins avares assurent
qu'il y en a plusieurs. Ils les divisent en plusieurs classes, ap-
pellent l'un le premier dieu, et assignent aux autres le second et
le troisième rang de la divinité. Quelques-unscroient encore que
la nature divine est incorporelle, et n'a ni sens ni figure; d'au-
tres ne la conçqivent qu'avec un corps; Tous ne pensent pas
également que les dieux se mêlent de nos affaires. Il en est qui,
les délivrant de tout soin, comme nous avons coutume de dis-
penser lés vieillards des charges publiques les introduisent
dans le monde comme des comparses dans une pièce de comé-
die. D'autres, enfin, surpassant toutes ces opinions, pensent
qu'il n'y a jamais eu de dieux, et laissent le monde aller son
train sans maître et sans guide.
10. En écoutant tout cela, je ne me'sentais pas le cœur de
refuser ma croyance à des hommes dont la voix était si bruyante
et le menton si respectable et d'un autre côté je ne savais
comment faire pour ne rien trouver de répréhensible et de
contradictoire dans leurs enseignements. J'éprouvais donc ce
que dit Homère souvent je me sentais pris d'un bel élan de
confiance pour l'un d'eux
Mais un autre désir triomphait de mon coeur'.
A bout de moyens, et ne sachant de qui apprendre ici-bas la
vérité sur ces matières j'étais réduit au désespoir, lorsque je
m'avisai que la seule issue offerte à mes doutes, c'était de m'at-
tacher des ailes et de voler moi-même au ciel. Le désir que j'en
avais me fit espérer de réussir. Le fabuliste Ésope8 nous montre
t. Jl raille ici Démocrile. – 2. Doctrine physique d'Empédocle. – 3. Py-
thagore. 4. Socrate. 6. Odyssée, IX, Y. 302.
6. Voy. Aristophane, la Paix, première scène, avec les notes de M. Artaud.
Cf. La Fontaine, l'Aigle et l'Escarbot.
bien le ciel praticable à des aigles, à des escarbots voire même
àdescbameaux! Mais comme il me paraissait de toute impossibi-
lité qu'il me poussât jamais des ailes je crus qu'en m'ajustant
celles d'un vautour ou d'un aigle, les seules proportionnées à la
grosseurdu corps humain, je pourrais peut-être mener à bien mon
entreprise. Je prends donc ces deux oiseaux, je coupe avec le plus
grand soin l'aile droite de l'aigle et l'aile gauche du vautour, je
les attache à mes épaules avec de fortes courroies,puis ajoutant à
leurs extrémités deux espèces de poignées pour les tenir dans mes
mains, je m'essaye à. voler1. D'abord je ne fais que sauter en m'ai-
dant des mains, et, comme les oies, je vole terre à terre, en mar-
chantsurla pointe des pieds et eu étendant lés ailes; puis, voyant
que la chose me réussissait, je tente une épreuve plus hardie, je
monte surla citadelle, je me jette en bas et vole jusqu'au théâtre.
11. Comme j'avais fait ce trajet sans danger, je résolus d'éle-
ver mon vol dans les hautes régions du ciel. Je m'élance du
Parnèthe* ou de l'Hymettejusqu'au Géranée', de là je plane jus-
qu'à la citadelle de Corinthe; et, passant par-dessus les monts
de Pholoé et l'Erymanthe, j'arrive au Taygète4. L'exercice
augmentant ma hardiesse, je devins bientôt passé maître en
fait de vol, et je résolus de m'élancer plus haut que les simples
oiseaux. Je monte sur l'Olympe, et, après avoir pris une pro-
vision de vivres la plus légère possibie, je m'élance droit au
ciel. L'abîme me donna d'abord le vertige; mais bientôt tout
alla pour le mieux. Arrivé à la lune, après avoir traversé un
grand nombre de nuages, j'éprouvai un peu de fatigue, surtout
dans l'aile gauche, celle du vautour; je fis donc un temps d'ar-
rêt à cet astre, et, m'y asseyant pour prendre quelque repos, je
jetai d'en haut mes regards sur la terre, comme le Jupiter homé-
rique", promenant mes yeux tantôt sur les Thraces dompteurs
de coursiers, tantôt sur les Mysiens, puis, regardant à mon gré
la Grèce, la Perse et l'Inde; or, cette vue me remplissait d'un
plaisir indicible.
L'AMI. Tu vas m'en dire la cause, Ménippe, afin que nous

1. Cf. le Roman d1 Alexandre page 202, édition de H. Michelant, Stutt-


gard 1846; et notre Essai sur la légende a" Alexandre Grand, pages "i 62 et
suivantes.
2 Chaine de montagnes entre l'Attique et la Béolie.
3. C'est-à-direMontagne des grues, à l'entrée de l'isthme de Corinthe.
4. Le Pholoé est une montagne d'Arcadie; l'Érymanlhe est un fleuve du
même pays; le Taygèle, montagne située au fond du Péloponèse, sert de
limite à la Messénieet à la Laçonie.
6. Iliade, XIII, au commencement.
n'omettions aucune circonstance de ton voyage, et que tu me
mettes au fait des moindres incidents.Je m'attends à apprendre
du nouveau sur la forme de la terre et sur tous les objets qu'elle
renferme, tels qu'ils se sont offerts à ton observation.
MÉNIPPE. Tu as raison, mon ami; et, pour me bien compren-
dre, monte dans la lune, voyage en idée, et examine avec moi
la disposition des choses qui sont sur la terre.
12. D'abord, figure-toi voir une terre extrêmement petite,
mais beaucoup plus petite que la lune. Aussi, au premier coup
d'oeil, je fus fort embarrassé pour découvrir la place de nos
énormes montagnes, et cette mer qui nous paraît immense. Si
je n'eusse aperçu le Colosse de Rhodes et la tour de Pharos, sois
bien sûr que la terre eût totalement échappé à mes regards.
Mais la hauteur de ces deux monuments qui s'élèvent jus-
qu'aux nues et les feux du soleil brillant sur la masse
tranquille de l'Océan, me firent connaître que le point que j'a-
percevais était effectivement la terre. Une fois que j'y eus at-
tentivement fixé les yeux, je découvris bientôt tous les mouve-
ments de la vie humaine, et non-seulement les nations et les
villes, mais j'eus les hommes parfaitement en vue, les uns na-
viguant, d'autres faisant la guerre ceux-ci labourant-, ceux-là
plaidant, puis les femmes, les animaux, enfin tout ce que nour-
rit le sein fertile dd la terre.
L'Ami. Tu me dis là des choses incroyables et tout à fait con-
tradictoires. Il n'y a qu'un instant,' Ménippe tu cherchais où
était la terre; l'éloignementla réduisait une extrême petitesse,
et, si le Colosse n'eût guidé tes yeux, peut-être aurais-tu cru
voir autre chose. Comment se fait-il que, devenu tout à coup
plus clairvoyant que Lyncée, tu distingues tout sur la terre, les
hommes, les animaux, et peu s'en faut les nids de moucherons?
13. MÉNIPPE. Tu fais bien de me le rappeler. J'ai omis, je
ne sais comment, de te dire une chose essentielle. Lorsque
j'eus reconnu que c'était la terre que je voyais, mais qu'il i1
m'était impossible de rien distinguer, à cause de la distance
qui gênait la portée de ma vue, j'éprouvai un vif chagrin et un
grand embarras. J'étais désolé et j'allais pleurer, lorsquele phi-
losophe Empédocle, noir comme un charbonnier, couvert de fu-
mée, et tout rôti, se présente derrière moi. En le voyant, je l'a-
voue, je fus saisi de frayeur, et je le pris pour quelque démon
de la lune. Mais lui <r Rassure-toi, Ménippe, me dit-il
Point pe suis dieu pourquoi me croire un immortel'?

t Parodie d'Homère, Odyssée, XVI, T. i 98.


je suis'le physicien Empédocle. Après que je me fus précipité
dans le cratère, la fumée m'a rejeté hors de l'Etna, et m'a
lancé
jusqu'ici; et maintenant j'habite la lune, je marche dans les airs,
je me nourris de la rosée. Je viens donc pour te tirer
d'embar-
ras. Tu es désolé, je le
vois, tu es désespéré de ne pas voir ce
qui se passe sur la terre?– Ali!généreux Empédocle, m'écriai-
je, quel service tu me rends Une fois de retour en Grèce,
je ne
manquerai pas de te faire des libations dans ma cheminée, et de
t'invoquer aux Néoménies, en ouvrant bien fort la bouche.
-Par Endymion, répliqua-t-il, je ne suis pas venu ici pour unsi
• salaire; j'ai été touché jusqu'au fond de l'âme en te voyant
chagrin. Sais-tu ce que tu as à faire pour te rendre la vue per-
çante ?
Ik. -Non; par Jupiter lui dis-je, à moins que tu ne dissipes
toi-même le voile étendu sur mes yeux; car ils me semblent, en
ce moment, chassieux au dernier point. Et cependant, dit-il,
tu n'auras pas du tout besoin de moi; tu as apporté de dessus
terre avec toi de quoi te procurer une vue excellente. Quoi
donc ? lui demandai-je; je ne sais pas ce que c'est. Tu ne sais
pas, continua-t-il, que tu as attaché à ton épaule
droite l'aile
d'un aigle? Oui mais qu'y a-t-il de commun entre cette aile
et mes yeux? – y y ceci, que de tous les oiseaux, l'aigle est
celui qui a la vue la plus perçante seul, il peut regarder le so-
leil' en face, et c'est pour cela qu'il est roi; on le reconnaît pour
un véritable aigle, quand il soutient, sans baisser la paupière,
l'éclat des rayons. On le dit, repris-je, et déjà je me repens de
ne m'être pas arraché les yeux avant de monter ici, pour mettre
à leur place ceux d'un aigle. Je suis venu un peu au dépourvu
et sans avoir tout l'équipement royal; je suis dans les aiglons
bâtards et déshérités. Eh bien! me dit Empédocle, il ne dé-
pend que de toi d'avoir un de tes deux yeux complétement
royal4. Si tu veux te lever un instant, tenir en repos l'aile de
vautour, et agiter seulement l'autre, ton oeil droit, en rapport
avec l'ailed'aigle, deviendra perçant, tandis que l'autre, qui cor-
respond à une partie moins favorisée, ne peut, en aucune façon,
voir d'une manière plus nette. Il me suffty, lui répondis-je,
d'avoir l'œil droit aquilin; il me semble que je n'en verrai pas

1. Voy. 1. 1, page 234, note.


2. Jeu de mots pKaihxdi veut dire à la fois royal et basilic. Or, on sait
que cet animal passait pour avoir le regard perçant et pénétrotif, comme di-
sent nos vieilles légendes. Voy. Berger de Xivrey, Traditions tératologiques,
enchanté au mot Basilic.
p. Mu et suivantes; Ferdinand Denis le Monde
plus mal; car j'ai souvent vu, si je ne me trompe, les charpen-
tiers ne se servir que d'un oeil pour mettre leurs pièces de bois
au niveau. » A ces mots, je fis ce qu'Empédocle m'avait recom-
mandé, et lui, de son côté, s'éloignent peu à peu, finit par s'é-
vanouir en fumée.
15. A peine eus-je battu de l'aile, qu'une grande lueur m'en.
vironna, et que tous les objets cachés jusque-là se découvrirent.
C'est alors que, regardant vers la terre, j'aperçus parfaitement
les villes, les hommes, et ce qu'ils faisaient. Non-seulement je
vis ce qui se passait en plein air, mais aussi tout ce qui se pra-
tiquait dans les maisons, où chacun se croyait bien caché Pto- `
lémée couchant avec sa soeur le fils de Lysimaquetendant des
embûches à son père"; Antiochus1, fils de Séleucus, faisant des
signes d'intelligence à Stratonice, sa belle-mère; le Thessalien
Alexandre*, tué par sa femme; Antigone ayant une intrigue
avec la femme de son fils; Attale empoisonné par le sien. D'un
autre côté, j'aperçusArsace poignardant une femme, et l'eu-
nuque Arbacès tirant son épée contre Arsace le Mède Spartinus
traîné par les pieds hors de la salle du festin par ses grands,
qui l'avaient frappé à la tempe avec une coupe,d'or". Semblables
scènes se passaient dans lès palais en Libye, chez les Scythes
et chez les Thraces; ce n'étaient qu'adultères meurtres em-
bûches, brigandages, parjures, terreurs, trahisons entre pa-
rents.
16. Voilà le spectacle récréatif que m'offrirent les rois; mais
la conduite des particuliers était, bien plus risible. En les regar-
dant à leur tour, je vis l'épicurien Hermodore se parjurant pour
mille drachmes; le stoïcien Agathocle plaidant contre un de
ses élèves pour le prix de ses leçons; le rhéteur Clinias volant
une coupe dans le temple d'Esculape, et le cynique Hérophile
dormant dans un mauvais lieu. Que te dirai-je des autres, per-
çant les murs, plaidant, prêtant à usure, exigeant leur dû? Am-
ple comédie à cent actes, ayant pour scène l'univers 1
L'ami. Tu serais bien aimable, Ménippe, de'm'en faire le dé-
tail car il paraît t'avoir procuré un plaisir peu commun.
1. Ptoléraée Philadelphe épousa Stratônice sa propre, soeur, dont il était
amoureux. Plutarque donne à cette soeur le nom A'Xrsinoé, et Théocrité celui
de Bérénice.

fils, accusé d'avoir voulu l'assassiner.


3 Voy. De la déesse syrienne, 47.
·
2. Lysimaque, l'un des successeurs d'Alexandre, fit mourirAgathocle, son

4 Alexandrede Phéres, tué par sa femme Théhé


5. Non; n'avons rien (ronyé de-p'écis sur ces djflcrcnts personnages..
MÉNIPPE. Te dire tout par le menu, mon doux ami, me serait
chose impossible; c'était déjà toute une affaire de le voir. Mais
les principales actions ressemblaientà celles qu'Homère suppose
représentées sur le bouclier'. Ici, c'étaient des festins et des
noces; là, des tribunaux et des assemblées; de ce côté, l'on of-
frait un sacrifice; de cet autre, on se livrait à la douleur. Chaque
fois que je jetais les yeux sur les Gètes, je voyais les Gètes fai-
sant la guerre si je passais chez les Scythes, je les apercevais
errant avec leurs chariots en détournant un peu la vue vers
une autre contrée,je voyais les Égyptiens labourer leurs champs;
le Phénicien poursuivait ses voyages, le Cilicien exerçait la pi-
raterie, le Lacédémonien se fouettait, et l'Athénien plaidait.
17. Comme tout cela se faisait en même temps, tu juges de la
confusion 1 Suppose qu'on réunisse plusieurs choristes, ou plu-
tôt plusieurs choeurs, et qu'on ordonne aux chanteurs de laisser
les parties concertantes, et de chanter chacun un air à part, en
s'évertuant de son mieux et en poussant sa mélodie, de manière
à couvrir de toute sa voix celle de son voisin, te figures-tu, par
Jupiter, quel concert on aurait là ?
L'ami. Quelque chose, Ménippe, d'affreusementridicule et dis-
cordant.
Ménippe. Eh bien, mon cher, tous les habitants de la terre
sont des choristes de cette espèce, et c'est d'une pareille caco-
phonie que se compose la vie humaine; non-seulement leurs
voix ne sont pas d'accord, mais ils diffèrent d'habits et de figure,
se meuvent en sens contraires, n'ont pas les mêmes idées, jus-
qu'à ce que le chorég3 les mette chacun à leur tour hors de la
scène, en leur disant qu'il n'a plus besoin d'eux. A partir de ce
moment ils sont tous semblables, gardent le silence, et cessent
de chanter leur air discordant et confus. En attendant, sur le
théâtre divers' et multiple que j'avais sous les yeux, tout ce qui
se passait était vraiment risible.
18. Mais ce qui me faisait rire plus que le reste, c'était de voir
ceux qui se querellent pour les limites d'un pays, qui regar-
dent comme une belle prouesse de labourer la plaine de Sicyone,
de s'emparer de celle de Marathon,dans la partie voisine d'OEnoé,
ou de posséder mille arpents dans l'Acharnie. Toute la Grèce, en
effet, ne me parut pas alors avoir en largeur plus de quatre
doigts, et l'Attique n'était plus, en proportion, qu'un point im-
perceptible. Cela me fit réfléchir au peu de terrain qui restait
aux riches, pour se donner de grands airs. En effet, celui d'entre
Ufliade, XVIH, v. *»< `
eux qui possède le plus d'argent ne me paraissait pas avoir à
labourer plus de terrain qu'un des atomes d'Épicure. De là, je-
tant les yeux sur le Péloponèse et considérantla Cynosurie je
me rappelai pour quel pauvre petitcoin de ce pays, pas plus large
qu'une lentille d'Égypte, tant d'Argiens et de Lacédémoniens
avaient péri en un seul jour. Enfin, quand je voyais quelque
homme fier de son or, parce qu'il possédait huit anneaux et
quatre coupes, j'en riais de bon cœur; car le Pangée8 tout
entier, avec ses mines, n'était pas plus gros qu'un grain de
millet.
19. L'ami. Heureux Ménippe! Quel merveilleux coup d'œil!
Mais, au nom de Jupiter, les villes et les hommes, que te sem-
blaient-ils de cette hauteur?
Ménippe. Je pense que tu as vu quelquefois une agora de
fourmis les unes décrivent uji cercle, les autres sortent, d'au-
tres rentrent à la ville; celle-ci emporte un brin de fumier,
celle-là court en tirant une cosse de fève ou un grain de blé. On
peut dire qu'il y a chez elles, proportion gardée, des architectes,
des démagogues, des prytanes, des, artistes et des philosophes.
Eh bien, les villes habitées par les hommes» me parurent res-
sembler complètementà des fourmilières. Si cette comparaison
des hommes avec la république des fourmis te paraît trop basse,
songe aux anciennes légendes des Thessaliens, et tu verras que
les Myrmidons, cette nation belliqueuse, doit son origine à des
fourmis changées en hommes 3. Cependant, après avoir suffi-
samment considéré tous ces objets, et ri de bon coeur, je battis
des ailes et je pris mon vol
Vers le séjour des dieux, du maître de l'égide

20. Je n'avais pas encore volé la hauteur d'un stade, quand la


Lune, d'une voix féminine, m'adressant la parole « Ménippe,
me dit-elle, bon voyage! Rends-moi donc service, auprès de Ju-
piter – Volontiers,lui dis-je; cela ne sera pas lourd. s'il n'y a
rien à porter. La commission, reprit-elle, n'est pas difficile;
c'est une simple requête à présenter à Jupiter de ma part. Je
suis excédée; Ménippe, de toutes les extravagancesque j'entends

t. Champ limitrophe des Argiens et des Lacédémoniens, que ces deux peu-
ples se disputèrent avec acharnement. Voy. Thucydide livre V.
2. Chatnede montagnes de la Thracé et de la Macédoine, embranchement
du mont Rhodope aujourd'huiPoimhardagh.
3. Voy. Ovide, Mélam., VII, v. 63S et suivants.
4. Iliade, I, v. 222
I >c philosophes débiter sur mon compte. Ils n'ont d'autre occu-
pation que de se mêler de mes affaires, quelle je suis, quelle est
ma grandeur, pourquoi je suis tantôt coupée en deux et tan-
tôt à demi pleine. Les uns prétendent que je suis habitée, les
autres que, semblable à un miroir, je suis suspendue au-dessus
de la mer. Ceux-ci m'attribuent tout ce qui leur passe par la
tête. Ceux-là vont jusqu'à dire que ma lumière est voilée et bâ-
tarde, qu'elle me vient par en haut du soleil, et ils ne cessent
pas de me mettre en désunion avec lui, qui est mon frère, et
d'essayer à nous brouiller. Ce n'était pas assez pour eux de par-
ler du soleil comme ils le font, en disant que c'est une pierre,
une boule de fer rouge.
21. « F.» pourtant est-ce que je ne sais pas aussi bien qu'eux
à quelles actions honteuses et infâmes ils se livrent durant la
nuit, ces hommes qui prennent, le jour, un visage sévère, dont
le regard est si imposant, la démarche si grave, et qui atti-
rent sur eux les regards de la foule? Je les vois et je me tais,
car je ne crois pas décent de découvrir et d'éclairer leurs passe-
temps nocturnes et la comédie de leur conduite.Au contraire, si
je vois quelqu'und'entre eux commettant un adultère, un vol, ou
bien osant l'un de ces crimes qui ont besoin de l'épaisseur des
ténèbres, aussitôt j'appelle un nuage et je me voile, pour ne pas
montrer à tous des vieillards déshonorant leur large barbe et la
vertu. Malgré cela, ils continuent de me déchirer dans leurs
propos et de m'accabler de toutes sortes d'outrages. C'est au
point que j'ai souvent délibéré, la nuit m'en est témoin, d'émi-
grer le plus loin d'eux possible, afin d'échapper à leur langue
indiscrète. N'oublie pas de rapporter tout cela à Jupiter, et
ajoute que je ne saurais demeurer plus longtemps dans cette
région, s'il n'écrase tous les physiciens, s'il ne ferme la bouche
aux dialecticiens, s'il ne renverse îe Portique, s'il ne foudroie
l'Académie, et s'il ne met fin aux discussions des Péripatéti-
ciens ce n'est qu'ainsi que je pourrai avoir la paix, sans qu'ils
me mesurent tous les jours.
22.– Tous serez satisfaite, » lui répondis-je; et en même
temps, je m'élevai droit vers le ciel par une route
Où n'existe nul pas des hommes ni des boeufs 1

En effet, la lune commençait à me paraître toute petite et me


cachait déjà la terre. Laissant alors le soleil à droite, je volai à
travers les étoiles, et au bout de trbis jours j'arrivai près du
1. Parodie d'Homère, Odyssée, X, v. 98.
ciel. Je crus d'abord que j'allais entrer de plein
y
sais qu'étant aigle à moitié, je passerais vol: je pen
être reconnu t je
savais que depuis longtemps l'aigle est sans familier
un de Jupiter:
mais je fis ensuite réflexion que je tarderais
ne à
pas être trahi
par mon autre aile, celle du vautour. Je crus donc très-raison.
nable de ne pas m'exposer à ce danger, et j'allai frapper
à la
porte. Mercure entend, me demande mon et se hâte d'aller
avertir Jupiter. Quelques instants après, nom,m'introduit:
on
tout tremblant de peur, et je vois les dieux j'entre,
assis tous en
et n'étant pas eux. nêmes sans inquiétude. Mon arrivée em
impré-
vue les avait un peu troublés, et ils s'attendaient
tous les hommes allaient arriver chez que bientôt
les miennes. eux avec des ailes
comme
23. Alors Jupiter, jetant moi un regard affreusement ter-
rible et titanesque, me dit sur
Qui donc es-tu? Ton nom? Ton pays? Tes
parents'?T
En entendant ces mots, je pense mourir de frayeur;
bouche béante et comme foudroyé je reste la
par la tempête de sa voix. A
la longue pourtant je me remets, je lui dis franchement
qu'il en est depuis le commencement-, tout ce
mon désir de connaît:*
les choses d'en haut, mes visites philosophes, les propos
aux
contradictoires que j'avais entendus,
mon désespoir en me sen-
tant tiré dans tous les sens par leurs discours,
eé la conséquence, mes ailes et le reste jusqu'àl'idée qui en avait
arrivée
ciel. J'ajoute à tout cela la commission dont mon au
m'avait chargé la
Lune. Jupiter alors se mettant à sourire et défronçant
les sourcils « Que dire maintenant, s'écrie-t-il, un peu
d'Otus et d'É-
phialteB, puisque Ménjppe a eu l'audace de
monter au ciel? Mais
enfin nous te donnons aujourd'hui l'hospitalité;
ajouta-t-il, après t'avoir fait connaître et demain,
ce que tu viens savoir,
nous te laisserons partir. » En même temps il se lève, et di-
rige vers l'endroit du ciel le mieux disposé se
pour entendre;
~nare.cane
car le
moment était venu d'écouter les prières.
24. Chemin faisant, il me fit plusieurs
faires de ce monde. D'abord, il me demandaquestions sur les af-
combien le blé valait
en Grèce; si le dernier hiveravait été bien rude; si les légumes
avaient besoin d'une pluie abondante; ensuite s'il
qu'un L n^M */»"*«*; restait quel-
pourquoi les Athéniensavaient
néglige les Diasies pendant un si grand nombre d'années;
s'ils
t. Allusion à VOdyssie, I, v. 471.
9. Voy ce» noms dans le Dictionnaire de Jacobi.
étaient toujours dans l'intention d'achever le temple Olympien;
si l'on avait pris ceux qui ont dernièrement pillé le temple de
Dodone. Après que je lui eus répondu à toutes ces questions
«
Dis-moi, Ménippe, ajouta-t il, quelle opinion les hommes ont-
ils de moi? -L'opinion qu'ils ont de vous, maître? mais une
opinion très-pieuse; ils pensent que vous êtes le roi des dieux.
Tu plaisantes, me dit-il. Je connais parfaitement leur incon-
stance, quoique tu n'en dises rien. Il fut un temps où je leur
semblais être prophète, médecin, où j'étais tout en un mot:
Rue, agora, partout l'on voyait Jupiter'1

Alors Dodone et Pise étaient brillantes et célèbres; la fumée des


sacrifices m'obstruait la vue. Mais depuis qu'Apollon a établi
à Delphes un bureau de prophéties, qu'Esculapetient à Pergame
une boutique de médecin, que la Thrace a élevé un Bendidéon,
l'Égypte un Anubidéon2, et Éphèse un Artémiséon tout le
monde court à ces dieux nouveaux on convoque des assemblées
solennelles; on décrète des hécatombes quant moi, dieu dé-
crépit, on s'imagine m'avoir suffisamment honoré, en m'offrant,
tous les cinq ans, un sacrifice à Olympie, et mes autels sont deve-
nus plus froids que .les lois de Platon ou les syllogismes de
Chrysippe. »
25. En devisant ainsi, nous arrivons à l'endroit où Jupiter de-
vait s'asseoir pour entendre les prières. Il y avait à la suite l'une
de l'autre plusieurs trappes semblablesà des orifices de puits et
fermées avec un couvercle devant chacune d'elles était placé un
trône d'or. Jupiter s'assied à côté de la première, lève le cou-
vercle et se met à écouter les voix qui le supplient. Or, elles lui
arrivaient des différents points de la terre, avec une merveil-
leuse variété. Je me penchai moi-même du côté de la trappe et
j'entendis tous ces voeux. Voici quelle en était à peu près la forme:
« 0 Jupiter, fais-moi parvenir à la royauté
oignons ciboules 0
0
Jupiter,
Jupiter, fais pous-
fais
ser mes et mes que mon père
meure bientôt » Ailleurs un autre disait: » Si je pouvaishériter
de ma femme 1 » Ou bien « Puissé-je ne pas être surpris tendant
des piéges à mon frère i Ou bien encore: e Si je pouvais ga-
gner mon procès! Si j'étais couronné à Olympie! Les naviga-
teurs demandaient, les uns le souffle de Borée, les autres celui

Allusion aux premiers vers des Phénomènes d'Aratue.


2. Voy* Jupiter tragique, 8.
3. Le fameux temple d'Éphèse, consacré à Diane, "Apn/u;, et brûlé par
Éroatrate.
de Notus. Le laboureur voulait de la pluie, et le foalon du soleil.
Le père des dieux écoutait, examinait attentivement chaque
prière, mais ne les exauçait pas toutes.
Il accordait à l'un et refusait à l'autre
Quand il trouvait les prières équitables,il les laissait monter
jusqu'à lui par l'ouverture de la trappe, les plaçant à sa droite;
mais les demandes injustes, il les renvoyait sans effet et souf-
flait dessus pour les empêcher d'approcher du ciel. Cependant
le vis fort embarrassé à propos d'une certaine prière. Deux
j
hommes demandaient absolument le contraire et promettaient
mêmes sacrifices. Il ne sut auquel accorder la demande, en sorte
qu'il éprouva l'incertitude des Académiciens; il ne se prononça
ni pour ni contre, et prit, comme Pyrrhon. le parti de s'abstenir
et d'examiner.
26. Quand il eut suffisamment vaqué à l'audition des prières,
il passa sur le trône qui venait ensuite, près de la seconde trappe,
et prêtant l'oreille, il écouta les serments et ceux qui les fai-
saient. Après les avoir entendus, il foudroyal'épicurien Hermo-
dore, et passa sur le trône suivant, où il s'occupa des présages,
des oracles et des augures. De là il se rendit à la trappe des sa-
crifices, par laquelle la fumée, en montant, apportait avec elle le
nom de celui qui sacrifiait. Après s'être acquitté de ces soins, il
donna des ordres aux Vents et aux Saisons. <t Aujourd'hui, de la
pluie chez les Scythes; du tonnerre chez les Libyens; de la neige
chez les Grecs Borée, souffle en Lydie, et toi, Notus, demeure
en repos. Que le Zéphyre soulève les flots de l'Adriatique; qu'en-
viron mille médimnes de grêlesoient répandus sur la Cappadoce.»
27. Lorsqu'il eut à peu près tout réglé de la sorte, nous
nous rendîmes à la salle du festin. C'était l'heure du souper.
Mercure me prit par la main, et me fit asseoir à côté de Pan,
des Corybantes,d'Attis, de Sabazius,, des divinités étrangères
et des demi-dieux. Cérès nous fournit le pain, Bacchus le vin,
Hercule la viande, Vénus le myrte et Neptune les anchois. Je
goûtai en cachette à Kambroisie et au nectar. L'excellent Gany-
mède, toujours philanthrope, voyait-il Jupiter regarder d'un
autre côté, m'en versait aussitôt une ou deux cotyles. Aucun
des dieux, comme Homère le dit quelque part
m'en suis assuré par moi-même *•
et
comme je

Ne mange le froment et ne boit le vin brun.

4 Iliade, XVI, v. 250, 9. Iliade, V, v. 342.


Mais ils se régalent d'ambroisie et s'enivrent de nectar. lis pré-
fèrent cependant, pour leur nourriture, la fumée des sacrifices,
/odeur de rôti qui monte avec elle, et le sang des victimes dont
les sacrificateurs arrosent Us autels. Pendant le repas, Apollon
joua de la cithare, Silène dansa le Cordax, et les Muses, debout,
nous chantèrent une partie de la Théogonie d'Hésiode et la pre-
mière ode. des Hymnes de Pindare. Enfin, quand on fut las
d'être à table, chacun alla se coucher en bon état, suffisamment
abreuvé.
Les autres dieux dormaient durant la nuit entière
Ainsi que les guerriers à panache ondoyant;
Mais le- sommeil si doux avait fui ma paupière.

Et je faisais mille et mille réflexions, me demandant comment,


depuis tant d'années, la barbe n'était pas encore poussée à Apol-
Ion, et comment il faisait nuit dans le ciel, le soleil y étant tou-
jours et prenant part au festin. Cependant je finis par m'endormir
an peu. Dès la pointe du jour, Jupiter fit convoquerl'assemblée.
29. Quand tout le monde fut réuni, il commença ainsi son
discours « Le motif qui m'engage à vous convoquer est l'arri-
vée de l'étranger que nous avons reçu hier. Je voulais toutefois,
depuis longtemps, conférer avec vous au sujet de certains phi-
losophes mais les plaintes de la Lune m'ont plus vite encore
déterminé à ne pas différer davantage l'examen de cette affaire.
Il existe une espèce d'hommesqui, depuis quelque temps, monte
à la surface de la société, engeance paresseuse, querelleuse, va-
niteuse, irascible, gourmande, extravagante, enflée d'orgueil,
gonflée d'insolence, et, pour parler avec Homère,
.De la terre inutile fardeau'.
Ces hommes se sont formés en différents groupes, ont inventé je ne
sais combien de labyrinthes de paroles, et s'appellent Stoïciens,
Académiciens, Épicuriens, Péripatéticiens, et autres dénomina-
tions encore plus ridicules. Alors, se drapant dans le manteau
respectable de la vertu, le sourcil relevé, la barbe longue, ils
s'en vont, déguisant l'infamie de leurs mœurs sous un extérieur
composé, semblables à ces comparses de tragédie dont le mas-
que et la robe dorée, une fois enlevés, laissent à nu un être mi-
sérable, un avorton chétif, qu'on loue sept drachmes pour la re-
présentation.

< Parodie du commencement du livre II de V Iliade,


2 Iliade, XVIII, V. <04.
30. « Cependant, tels qu'ils sont, ils méprisent tous les hommes,
débitent mille sornettes sur les dieux, s'antourent de jeunes
gens faciles à duper, déclament, d'un ton tragique, des lieux
communssur la vertu, et enseignent l'art des raisonnements
sans issue. En présence de leurs disciples, ils élèvent jusqu'aux
cieux la tempérance et le courage ravalent la richesse et le
plaisir mais, dès qu'ils sont seuls et livrés à eux-mêmes, qui
pourrait dire leur gourmandise, leur lubricité, leur avidité à
lécher la crasse des oboles? Ce qu'il y a de plus révoltant, c'est
que, ne contribuant en rien au bien public ou particulier, inu-
tiles et superflus,
Nuls au milieu des camps et nuls dans les conseils1,
ils osent, malgré cela, blâmer la conduite des autres, entassent
je ne sais quels discours amers, ne songent qu'à rédiger
des insolences, censurent et invectivent contre tout ce qui est
autour d'eux. Chez eux, la parole est accordée au plus braillard,
au plus impudent, au plus éhonté dans ses outrages.
31. «Et pourtant, si l'on demandaità ce déclamateur, qui crie
si fort en accusant les autres « Et toi, quelle est ton occupa-
tion ? En quoi peut-on dire, au nom du ciel. que tu contribuesà
l'utilité publique? » il répondrait, s'il voulait être juste et sin-
cère « La navigation, l'agriculture, le service militaire, ou
toute autre profession me semble superflue;,maisje crie, je suis
sale, je me lave à l'eau froide, je marche pieds nus en hiver, et,
comme Momus, je médis de tout ce qui se fait. Si quelque
riche dépense beaucoup pour sa table, s'il entretient une maî-
tresse, je me mêle de l'affaire et j'éclate contre lui; mais qu'un
de mes amis ou de mes camarades tombe malade et qu'il ait be-
soin de secours et de soins, je ne le connais pas. Voilà, dieux,
quelles sont ces bêtes brutes!
32. a Quant à ceux d'entre eux qui se nomment Epicuriens, ce
sont les plus insolents de tous; ils nous attaquent sans ména-
gemènt et soutiennent que les dieux ne prennent aucun soin des
affaires humaines et ne s'en occupent nullement. Voici donc le
moment d'y réfléchir avec attention, attendu que, s'ils parvien-
nent une fois à convaincreles hommes, vous serez réduits à une
extrême disette. Qui voudrait, en effet, nous offrir des sacri-
fices, n'ayant plus rien à attendre de nous? A l'égard des griefs
de la Lune, vous les avez tous entendus hier de la bouche de cet

4. Iliade, II, T. 246.


étranger. D'après cela, prenez le parti qui vous paraîtra le plus
avantageux pour les hommes et le plus sûr pour vous-mêmes. »
33. Dès que Jupiter eut fini, l'assemblée fit entendre un bruit
confus, et tous les dieux s'écrièrent à la fois « Foudroie, em-
brase, écrase! Au barathrum Au Tartare comme les Géants! »n
Mais Jupiter ayant de nouveau commandé le silence « Il sera
fait comme vous. le voulez, dit-il, et tous seront écrasés avec leur
dialectique. Cependant il ne m'est pas permis de punir aujour-
d'hui nous sommes, vous le savez, dans la hiéroménie des
quatre mois, et j'ai déjà publié la trêve. Mais l'année prochaine,
au printemps, ces
misérables périront misérablementfrappés de
la foudre terrible. »

Il dit, et remua. ses sourcils d'un bleu sombre'.


J.

34. c Pour ce qui est de Ménippe, ajouta-t-il, je suis d'avis


qu'on lui ôte ses ailes, de peur qu'il ne revienne ici, et que Mer-
cure le descende aujourd'hui même sur la terre. » Cela dit, il
congédia l'assemblée et le dieu de Cyllène, m'ayant pris par l'o-
reille droite, me déposa hier, vers le soir, dans le Céramique.
Voilà, mon cher, tout, absolument tout ce que je rapporte du
ciel. Je vais de ce pas au Poecilé, pour annoncer aux philosopher
qui s'y promènent cette excellente nouvelle.

XLVII

LA DOUBLE ACCUSATION OU LES JUGEMENTS.

JUHTER, MERCURE, LA JUSTICE, PAN, PLUSIEURS ATHÉ-


NIENS, L'ACADÉMIE, LE PORTIQUE, épicure, LA VERTU,
LA MOLLESSE, LA RHÉTORIQUE, UN SYRIEN, LE DIALOGUE.

1. Jupiter. Mais on n'écrasera donc pas tous ces philosophes


qui prétendent qu'il n'y a de bonheur que pour les dieux? S'ils

t. Parodie de l'Iliade, 1, v. 628


savaient tous nos ennuis à propos des hommes, ils ne nous croi.
raient pas si heureux avec notre nectar et notre ambroisie; ils
ne s'en rapporteraient pas à Homère, vieillard aveugle, espèce
d'enchanteur qui nous appelle bienheureux, raconte tout ce qui
se passe dans le ciel, et ne voyait rien de ce qui a lieu sur la
terre. Cependant le Soleil n'a pas plus tôt attelé son char, qu'il
est occupé toute la journée à faire le tour Au ciel revêtu de
feux, il lance continuellementses rayons, et n'a pas le temps,
comme on dit, de se gratter l'oreille. Si, en effet, dans un mo-
ment d'oubli, il se relâchait de sa vigilance, ses chevaux, em-
portés H jetés hors de la voie, mettraient le feu partout. La
Lune, qui ne dort jamais, entre à son tour dans la carrière pour
éclairer ceux qui se livrent à la débauche ou qui reviennent de
souper à une heure indue. D'un autre côté, Apollon, grâce à la
profession compliquée qu'il a choisie, a les oreilles presque
rompues par tous les importuns qui viennent lui demander des
oracles. Tantôt il faut qu'il se trouve à Delphes; un instant après
il court à Colophon'; de là il passe à Xanthe, puis il galope à
Claros, à Délos ou chez les Branchides partout, en un mot, où
la'prêtresse, après avoir bu l'eau sacrée et mâché le laurier, s'a-
gite sur le trépied et ordonne au dieu de paraître, il doit arriver
sans se faire attendre et mettre bout à bout ses oracles, sous
peine de compromettretout le crédit de son métier. Je ne parle
pas de toutes les embûches qu'on lui tend pour éprouver son
talent divinatoire; des chairs de mouton qu'on fait cuire avec
des tortues, de sorte que, s'il n'avait eu le nez fin, le Lydien s'en
allait en se moquant de luiEsculape, assourdiparlesmalades,
ne voit, ne touche qu'objets rebutants et désagréables l'intérêt
qu'il prend aux maux d'autrui ne lui produit que des chagrins
personnels5. Que dirai-je des Vents, occupés à faire pousser les
plantes, à faire avancer les navires, à souffler pour aider les
vanneurs? Parlerai-je du Sommeil, qui vole vers tous les
hommes du Songe qui,' chaque nuit, accompagne le Sommeil
et lui fournit un présage? Tels sont, pourtant, tous les travaux
que les dieux endurent par philanthropie et pour faciliter la vie
terrestre, à chacun des hommes.
1 2. Mais ces occupations ne sont rien, comparées aux miennes.
Souverain et père de l'univers, que de désagréments n'ai-je pas

t. Voy. Tacite, Annales, H, liv.


2. Voy. Hérodote, I, XLVII. Cf. Jupiter confondu, i 4, etJupiter tragique, 30.
3. Cette phrase est en dialecte ionien. On la regarde comme une parodie
d'Hippocrate flapi zucôlv, I, vi.
à supporter Que d'affaires sur les bras.! Que de soucis m'acca.
blent D'abord, il est nécessaire que je veille sur la besogne des
autres dieux qui gouvernent avec moi quelque partie de mots
empire, afin qu'ils ne négligent pas leurs devoirs puis viennent
mille affaires que je dois faire par moi-même, et que leur mi-
nutie rend presque impossibles. En effet, quand j'ai vaqué aux
soins de la haute administration, dispensé et réglé les pluies, les
grêles, les vents, les éclairs, je ne suis point encore tranquille
ni délivré des occupationsqui m'incombent il faut encore que
je m'y astreigne, que je jette les yeux de tous les côtés à la fois,
que j'examine tout, comme le berger de Némée1, les voleurs, les
parjures, les sacrificateurs, si l'on fait une libation, d'où vient
l'odeur de la graisse, par où monte la fumée, qui m'appelle, un
malade ou un matelot? Mais le plus fatigant, c'est, dans le
même moment, d'assister à une hécatombe à Olympie, de,regar-
der des combattants à Babylone, de grêler chez les Gètes et de
banqueter chez les Éthiopiens. Encore n'est-il pas aisé de se dé-
rober par là aux reproches.

Les dieux peuvent dormir durant la nuit entière3,


Ainsi que les guerriers au panache ondoyant;
Mais, moi, le doux sommeil fuit loin de ma paupière,
Et Jupiter ne peut reposei un instant.
malheur de clore l'œil une seule minute, le vé-
Car si j'avais le
ridique Épicure ne manquerait pas de démontrer que notre pro-
vidence ne règle pas les choses de la terre. Or, ce n'est pas un
petit danger, si les hommes viennent à le croire nos
temples
cessent d'être couronnés de fleurs; les rues ne sentent plus la
graisse les coupes ne versent plus de libations les autels sont
froids; plus de victimes, plus d'offrandes; famine complète!
C'estipour éviter ce malheur qu'en bon pilote je suis assis seul
debout, à la poupe, le gouvernail en main. Les autres passagers
s'enivrent, s'il leur plaît, ou dorment tranquilles; moi, l'œil tou-
jours ouvert et le ventre vide,
J'ai l'esprit et le cœur en proie aux noirs soucis3;
le tout pour paraître honoré comme un maître.
3. Je demanderaisdonc volontiers à ces philosophes,qui prê-
tent aux dieux un bonheur imaginaire, s'ils pensent que nous

Probablement Argus. 2. Homère, Ilinde, II, au commence:nent.


3. Iliade, l.c..
avons le temps de nous amuser au nectar et à l'ambroisie, avec
ces milliers d'occupations. Aussi, le peu de loisir qui me reste
est cause que j'ai là en réserve un tas de vieux procès, tout
moisis et abîmés de toiles d'araignées. La plupart, et ce sont les
plus anciens, ont été intentés par les arts et les sciences contre
quelques mortels. Cependant on crie après moi de toutes parts;
on se fâche, on demande justice, on m'accuse de lenteur, et l'on
ne sait pas que, si le jugement a été différé, ce n'est point à mr
paresse qu'il faut l'imputer, mais à la félicité qu'on nous re-
proche, car c'est ainsi qu'on appelle nos occupations.
4. MERCURE. J'ai souvent entendu de semblablesplaintes, Ju-
piter je n'osais t'en parler. Mais puisque tes discours roulent
sur ces matières, je t'en dirai quelques mots. Les hommes, mon
père, sont tout à fait indignés, ils se plaignent amèrement, et,
quoique leur langage n'ose se produire ouvertement, ils mur-
murent en baissant la tête, et accusent tes longs retards. « Il
fallait, disent-ils, nous faire connaître tout de suite notre sort,
et chacun de nous aurait accepté la chose jugée. »
JUPITER. Eh bien 1 que t'en semble, Mercure ? leur indique-
rons-nous une session judiciaire, ou les renverrons-nous à l'an-
née prochaine?
MERCURE. Pas de remise indiquons-lasur-le-champ.
JUPITER. C'est celai Descends, et annonce la session en ces
mots « Que tous ceux qui ont déposé des accusations se ren-
dent aujourd'hui à l'Aréopage. La justice en personne y tirera
des juges au sort, parmi tous les Athéniens, au prorata des
amendes encourues. Si quelqu'un croit avoir été condamné in-
justement, il lui sera permis d'en appeler moi, pour être jugé
de nouveau, comme s'il ne l'avait point encore été. Quant à
toi, ma fille, va t'asseoir auprès des respectables déesses tire
les procès au sort, et aie l'œil sur les juges.
5. LA JUSTICE. Que je retourne sur la terre? Pour me voir
une seconde fois chassée par les hommes, et accablée des insul-
tes intolérables de l'injustice I
JUPITER. Tu dois espérer mieux. Les philosophesont enfin per-
suadé aux hommes qu'ils doivent te préférer à l'Injustice, sur-
tout le fils de Sophronisque, qui a fait le plus grand éloge du
juste et l'a déclaré le souverain bien.
LA Justice. Oui., les discours qu'il a tenus en ma faveur lui
ont été fort utiles. On l'a livré aux Onze et jeté en prison, où le
malheureux a bu la ciguë, sans avoir le temps d'immoler un
< Les Euménides. Voy. la pièce d'Eschyle, traduction d'A. Pierron.
coq à Esculape Ses ennemis philosophaienten faveur de l'In-
;ustice et ils ont été les plus forts.
6. Jupiter. La philosophie, à cette époque, était encore
étrangère à la plupart des hommes elle c'avait qu'un petit
nombre de prosélytes, de telle sorte qu'Anytus et Mélitus ont
pu entraîner le tribunal. Mais aujourd'hui ne vois-tu pas que de
manteaux, de bâtons et de besaces? On ne rencontre partout
que longues barbes, livres sous le bras gauche, philosophes
qui ne parlent que de toi. Les promenadessont remplies de gens
qui marchent par escadrons et par phalanges et viennent à la
rencontre les uns des autres, et il n'y en a pas un qui ne tienne
à passer pour un nourrisson de la vertu. Beaucoup donc, renon-
çant au métier qu'ils avaient exercé jusque-là, se jettent sur
une besace, sur un manteau, et, se rendant au soleil le corps
noir comme des Éthiopiens, ils deviennent, de maçons et de
cordonniers, des philosophes qui célèbrent ta puissance et celle
de la vertu. C'est au point qu'il serait plus aisé de tomber dans
un vaisseau sans y rencontrer du bois, que de jeter ici les yeux
sans rencontrer un philosophe.
7. LA JUSTICE. Il est vrai, Jupiter; mais ces philosophes
m'effrayentpar leurs disputes continuelles, et par leur ignorance
qu'ils font paraître quand ils parlent de moi. On m'a dit même
que la plupart d'entre eux me recherchent seulement en pa-
roles, tandis qu'en réalité, loin de vouloir me recevoir chez eux,
ils sont tout prêts à me fermer au nez la porte de leur maison,
où depuis longtemps ils donnent l'hospitalité à l'Injustice.
JUPITER. Tous ne sont pas corrompus, ma fille il suffit que
tu puisses en rencontrer quelques-uns de bons. Partez donc
il est temps, afin qu'il y ait du moins plusieurs causes jugées
aujourd'hui.
8. MERCURE. Allons, Justice, marchons tout droit vers Su-
nium, un peu au-dessous de l'Hymette, à gauche du Parnèthe,
où sont ces deux monticules. On dirait que tu as oublié depuis
longtemps le chemin. Mais pourquoi ces pleurs, cette désola-
tion ? Ne crains rien. Tous les siècles ne se ressemblent pas.
Les Scirons, les Pityocamptes, les Busiris et les Phalaris, que
tu redoutais jadis, n'existent plus. C'est aujourd'hui la Sagesse,
l'Académie et le Portique qui occupent tout on te cherche de
tous côtés, on ne s'entretient que de toi, et l'on attend la bbu-
che ouverte de quel endroit du ciel tu vas diriger ton vol sur la
terre

i Voy le Phédonel le Criton de Platon.


LA Justice. Toi seul. Mercure, peux me dire la vérité tu
es souvent avec les hommes; tu passes chez eux presque tout
ton temps, soit dans les gymnases, soit dans l'agora, car tu es
agoréen et tu fais les proclamationsdans les assemblées dis-
moi donc ce que sont aujourd'hui les habitants de la terre et si
je puis y séjourner.
MERCURE. Par Jupiter! je serais bien injuste, si je ne te par-
lais franchement comme à une sœur. Plusieurs ont retiré de la
philosophie de grands avantages, et si ce n'est par aucun autre
motif, du moins par respect pour leur habit, ils commettent
des fautes plus excusables. Tu trouveras pourtant parmi eux,
à ne te rien celer, un certain nombre d'hommes vicieux, et
beaucoup de demi-sages, de gens à moitié pervertis. Cela tient
à ce que la philosophie les a soumis à une lessive. Or, ceux qui
ont été lavés à fond par ce bain sont devenus parfaitement
bons sans mélange de couleur ceux-là, je les crois tout à fait
disposés à te faire bon accueil; ceux, au contraire, qu'une crasse
invétérée a empêchés de se pénétrer profondémentde ce qu'a
de mordant la substance détersive, quoique de meilleure qualité
peut-être que les autres, mais imparfaitementnettoyés, ne sont
qu'à moitie blancs, et demeurentmouchetés comme des léopards.
Il en est d'autres qui, pour avoir touché du bout du doigt l'exté-
rieur du vase, et s'être barbouillés de suie, s'imaginent y avoir
été suffisamment plongés. Tu vois toutefois que tu pourras être
reçue chez des gens vertueux.
9. Mais tout en parlant, nous approchons de l'Attique. Lais-
sons Suniutn vers la droite, et tournons vers l'Acropole. Puisque
nous y voilà descendus tu n'as qu'à t'asseoir ici, quelque part
sur cette collifle et regarder du côté du Pnyx, en attendant
que j'aie proclamé les ordres de Jupiter. Moi, je vais monter à
l'Acropole, pour convoquer le peuple d'un lieu d'où il puisse
facilement m' entendre.
LA Justice. Ne t'en va pas, Mercure, avant de m'avoir dit
quel est ce personnage qui vient au-devant de nous; il est
cornu, porte une syrinx et a les deux jambes velues.
MERCURE. Comment ? Tu ne reconnais pas Pan, le plus bachi-
que des serviteurs de Bacchus 1II habitait autrefois les hauteurs
du mont Parthénius. Mais lors de l'expédition de Datis et de la
descente des barbares à Marathon, il vint au secours des Athé-

< Nous demandons la permission d'user de ce mot le seul qui puisse faire
ressortir le rapprochement entre 4gora et le surnom &'à.yopaXt>$, donné à
Mercure.
niens, sans qu'on l'eût appelé Depuis cette époque, il a reçu
pour demeure la grotte située sous l'Acropole,
il réside tout près
du Pélasgique, et on l'a admis parmi les métèques Mainte-
nant je crois qu'il nous a vus et qu'il vient nous saluer, en bon
voisin.
10. PAN. Salut. Mercure et Justice.
LA JUSTICE. Salut, Pan, le plus habile des Satyres quand
il
s'agit de chanter et de danser, et en même temps le plus brave
d'Athènes, quand il est question de combattre.
PAN. Quelle affaire pressante ,• Mercure vous amène en ces
lieux?
MERCURE. La Justice te racontera tout cela. Moi, je cours à
l'Acropole et à ma proclamation.
LA JUSTICE. C'est Jupiter, Pan, qui m'envoie ici pour tirer les
procès au sort. Mais toi, comment te trouves-tu de ton séjour à
Athènes? :?
PAN. Pour tout dire, on ne me traite pas selon mon mérite,
et je suis obligé de rabattre beaucoup de mes espérances. Cepen-
dant j'ai réprimé un fameux désordre, lors de l'invasion des
barbares. Il est vrai que deux ou trois fois par an on monte ici,
et l'on m'immol,e un bouc entier, sentant fortement le gousset;
les assistants font de sa chair un régal, dont je suis le témoin
inactif, et m'honorent de quelques froids applaudissements.
Toutefoisje me divertis un peu de leurs rires et de leurs bouf-
fonneries.
11. LA JUSTICE. Mais autrement, Pan, ont-ils été rendus plus
vertueux par les philosophes?
PAN. Qu'est-ce que c'est que les philosophes? Veux-tu parler
de cesgens qui vont tête basse, marchant par troupes, qui me
ressemblent par le menton, des bavards?
LA JUSTICE. C'est cela même.
PAN. Je ne sais pas au juste ce qu'ils disent, et je n'entends
rien à leur sagesse; je suis un montagnard, et je n'ai point
appris, ô Justice, leur jargon élégant et étudié. Comment de-
viendrait-on en Arcadie sophiste ou philosophe? Ma sagesse à
moi ne va pas au delà de ma flûte traversière et de ma syrinx
bon chevrier, d'ailleurs, bon danseur, et, au besoin, bon soldat.

1. Sur l'apparition de Pan, dieu des terreurs paniques, voy. Pausanias,


Attiqne, I, xxvin.
S. Étrangers domiciliés à Athènes. On trouvera d'excellents détails sur Ie3
différentes classes des habitants d'Athènes citoyens, isotèleset métèques,dans
l'édition de la Leptiniennede Démostliène donnée par F. A. Wolf.
Seulement j'entends les philosophes s'eritretenirà grand bruit
de quelque chose qu'ils appellent la vertu, d'idées, de nature
d'êtres incorporels, tous noms qui me sont inconnus et étran-
gers. D'abord ils commencent leurs entretiens sur un ton paci-
fique mais, à mesure que la conversations'engage, ils élèvent
leurs voix jusqu'aux notes les plus aiguës si bien que la vio-
lence de leurs efforts et leur désir de parler leur fait rougir la
face gonfler le cou et saillir les veines, comme ces joueurs de
flûte qui s'évertuent à souffler dans un instrument trop étroit.
La confusion se met dans leurs discours ils perdent de vue
l'objet de la discussion, et se séparent en se disant, réciproque-
ment des injures et en essuyant du creux de la main la sueur
dont leur front ruisselle cependant celui-là passe pour vain-
queur qui a crié le plus fort, s'est montré le plus insolent ou
s'en est allé après tous les autres. De son côté, le peuple, en
foule, les écoute avec admiration, surtout les gens qui n'ont
rien de plus pressé à faire, et l'on se réunit autour d'eux, attiré
parleurs clameurs et leur impudence. Pour moi, je les ai tou-
jours regardés à cause de tout cela comme des charlatans, et
j'étais fâché de leur voir une barbe semblable à la mienne. En
somme ces criailleries produisent-ellesquelque chose d'utile
pour le peuple, et résulte-t-il pour eux-mêmes quelque bien de
ce flux de paroles? c'est ce que> je ne saurais dire. Mais à te
parler sans aucun détour, je te dirai que, demeurant, comme
tu vois, sur une élévation, j'en ai souvent aperçu plusieurs,
qui, le soir venu.
12. LA JUSTICE. Arrête, Panl Ne te semble-t-il pas que Mer-
cure fait la proclamation?
Pan. Oui vraiment.
MERCURE. Peuple, écoutez. Nous ouvrons cejourd'hui, sep-
tième jour du mois Élaphébolion commençant, une session ju-
diciaire, à laquelle nous souhaitons bonne chance. Que tous ceux
qui ont donné des assignations se rendent à l'Aréopage:la Jus-
tice y tirera les juges au sort et les présidera. L*j juges seront
tous pris parmi les Athéniens et seront payés quatre oboles par
cause leur nombre sera proportionnéà la gravité du délit. Les
individus morts avant d'avoir obtenu' le jugement du procès
qu'ils ont intenté seront renvoyés ici par Éaque. Si quelqu'un
croit avoir été condamné injustement, il peut en appeler, et
l'appel sera fait par-devant Jupiter.
PAN. Bons dieux quel tumulte, quels cris Vois donc, Jus-

« Février- •
tlce, comme ils accourent Comme ils s'entraînent les uns les
autres sur la pente rapide de l'Aréopage 1 Mais voici Mercure qui
arrive aussi. Allez donc tous les deux vous occuper de ces pro-
cès, tirez les juges au sort et prononcez suivant la loi. Moi, je
me retire dans ma grotte, où je vais jouer quelque chanson
amoureuse, dont j'ai coutume de fatiguer Écho. Je n'ai que trop
entendu tous ces discours de plaideurs dont l'Aréopage retentit
chaque jour.
13. MERCURE. Allons, Justice, faisons l'appel.
LA JUSTICE. Tu as raison. La foule accourt, comme tu vois,
avec grand bruit; on dirait un essaim de guêpes bourdonnant
autour de l'Acropole.
UN ATHÉNIEN. Je te tiens, scélérat.
UN AUTRE. Tu es un sycophante.
UNAUTRE. Tu seras enfin puni.
UNAUTRE. Je prouverai que tu as fait des infamies.
UNAUTRE. Tire au sort pour moi le premier.
UN AUTRE. Suis-moi au tribunal, coquin
UN AUTRE. Ne me tords pas le cou
LA JUSTICE. Sais-tu ce qu'il faut dire, Mercure? Renvoyons à
demain les autres causes; ne tirons aujourd'hui que les actions
intentées contre quelques hommes par les arts, les professions
et les sciences. Donne-moi les assignations de cette espèce.
MERCURE. L'Ivresse contre l'Académie, au sujet de Polémon,
esclave fugitif
LA JUSTICE. Tire au sort sept juges.
MERCURE. Le Portique contre la Volupté, pour l'enlèvement
de Dionysius, son amant.
LA JUSTICE. C'est assez de cinq juges.
MERCURE. La Volupté contre la Vertu, au sujet d'Aristippe.
LA JUSTICE. Cinq juges encore pour cette affaire..
MERCURE. La Banque contre Diogène, pour banqueroute frau-
duleuse.
LA JUSTICE. Trois juges.
MERCURE. La Peinture contre Pyrrhon, pour cause de désertion'.
t. Polémon, fils de Philostrate, jeune débauché, entra un jour, hre et
couronné de fleurs, dans l'Académie où professait alors Xénocrale de Chai-
cédoine. Cclai-ci sans faire attention à l'impudence du jeune homme, se mil
à parier sur la tempérance avec tant de force persuasive, que Polémon
se cor-
rigea et devint disciple, puis successeur de Xénocrate. Voy. Valère Maxime,
VI, îx, et plus loin, xvn.
2 11 parait que le chef des Sceptiques avait commencé par exercer la pein-
ture.
LA JUSTICE. Neuf juges.
14. MERCURE. Veux-tu, Justice, que nous appelions aussi les
deux procès intentés dernièrement contre le rhéteur?
LA JUSTICE. Vidons d'abord les anciens; demain on jugera
les autres.
MERCURE. Mais ces causes sont semblables, et l'accusation,
quoique nouvelle, a beaucoup de rapport avec celles que nous
avons déjà appelées il est donc juste que cette affaire soit ju-
gée en même temps.
LA JUSTICE. Il me semble, Mercure, que tu veux faire quel-
que passe-droit. Allons puisque tu le veux tirons encore ces
deux causes, mais ce seront. les seules nous en avons assez.
Donne-moi les assignations.
MERCURE. La Rhétorique contre le Syrien pour
traitements. Le Dialogue contre le même, pour injures.
mauvais
LA JUSTICE. Quel est cet homme ? Son nom n'est point écrit.
MERCURE. Tire toujours pour le rhéteur de Syrie. Le défaut de
nom ne fait rien à l'affaire.
LA JUSTICE. Comment! Nous jugerons à Athènes, dans l'Aréo-
page, des causes ultramontaines, qui auraient dû être jugées
au delà de l'Euphrate Tire pourtant onze juges pour chacune
des deux affaires.
MERCURE. Très-bien, Justice; tu es économe, afin de
multiplier les frais de procédure. ne pas
15. LA Justice. En séance d'abord ceux qui doivent juger l'I-
vresse et l'Académie. Toi, verse l'eau. Ivresse; parle la première.
Pourquoi ne dit-elle rien et penche-t-ellela tête? Va donc, Mer-
cure, savoir ce qu'elle a.
MERCURE. Je ne puis pas, dit-elle, plaider ma cause. Ma
langue est enchaînée par le vin pur que j'ai bu. Je ne veux pas
vois. »
LA JUSTICE.

prêter à rire au tribunal. Je me soutiens à peine, comme tu

Eh bien! qu'elle prenne un avocat parmi les forts


parleurs. Il n'en manque pas qui sont tout prêts à se crever pour
un triobole.
MERCURE. Il est vrai; mais personne ne voudra parler
ouver-
tement pour l'Ivresse, Et cependantsa demande ne paraît pas mal
fondée.
LA JUSTICE. Qu'est-ce donc?
MERCURE. L'Académie «sst toujours prête à parler pour et
contre. Elle s'exerce à soutenir également deux sentiments op-

t Lucien lai-même.
posés. « Alors, dit l'Ivresse, qu'elle parle d'abord pour moi, et
ensuite elle parlera pour elle. »
LA JUSTICE. C'est du neuf 1 N'importe parle Académie, et
plaide les deux causes puisque c'est une chose qui t'est si fa-
cile
16. L'ACADÉMIE. Écoutez juges, en premier lieu, ce que j'ai
à vous dire en faveur de l'Ivresse; c'est pour elle que l'eau
coule
en ce moment. La
malheureuse a éprouvé de ma part, moi,
Académie, un grave préjudice, en se voyant privée de son
unique, de son fidèle, de son dévoué serviteur, ce Polémon que
vous savez, et,qui l'aimait au point de ne pas
regarder comme
honteuses les actions qu'elle faisait. Chaque jour on le voyait
étaler sa débauche en pleine agora suivi de joueuses de flûte,
et chantant du matin au soir, toujours ivre,
toujours alourdi
par le vin la tête couronnée de fleurs. J'en prends à témoin
tous les Athéniens jamais personne n'a vu Polémon à
jeun. Un
jour que l'infortuné se divertissait à la porte de l'Académie,
comme il le idisait à celle de tout le monde,
l'Académie vient
le prendre de force l'arrache des mains de l'Ivresse, en fait
son esclave, le force à boire de l'eau, lui apprend à se passer
de vin, lui enlève ses couronnes, et, au lieu de lui montrer
à
s'enivrer, couché sur un lit, elle lui enseigne un jargon tor-
tueux, pénible, hérissé de difficultés inextricables. Aussi notre
jeune homme, qui, naguère encore, avait le teint fleuri du plus
vif incarnat, devient tout pâle le corps du malheureux se nde,
il oublie toutes ses chansons; parfois mourant de faim et de
soif, il n'a plus dans l'esprit, jusqu'aux heures avancées du
soir, que les farces dont moi, Académie, je farcis la tête de mes
disciples. Mais ce qu'il y a dé plus grave, c.'est qu'excité par
moi contre l'Ivresse, il en dit maintenant mille horreurs. Voilà
ce que j'avais à dire pour l'Ivresse
je vais à présent plaider
ma cause que de ce moment l'eau
coule pour moi.
LA JUSTICE. Que va-t-elle répondre ? C'est égal Mercure
verse-lui la même quantité d'eau.
17. L'Académie. Il n'y a rien que de raisonnable, juges, dans
les arguments que l'avocat de l'Ivresse a fait valoir pour sa
cliente. Si cependant vous voulez m'écouter avec bienveillance,
vous verrez que je ne lui ai causé aucun préjudice. Ce
Polémon,
qu'elle revendique pour son esclave, n'était ni mal né, ni fait
pour l'ivresse. Il était un de mes familiers et me
ressemblait

) Piquante parodie de la secle académique bésilanl sans «esse entre le


pour et le contre.
– 1
d'humeur. L'Ivresse s'est emparée de lui, tout jeune encore, à
l'aide de la Volupté, sa complice ordinaire; elle a corrompu le
malheureux, en le livrant corps et âme aux débauches et aux
courtisanes si bien qu'il ne resta plus en lui trace de pudeur.
Le portrait qu'elle vous en faisait tout à l'heure, dans son inté-
rêt présumé tournez-le tout entier à mon avantage. Oui, cet
infortuné jeune homme, dès la pointe du jour parcourait la
ville, couronné de fleurs, promenant son orgie en pleine agora,
traînant des flûtes à sa suite toujours pris de boisson, fes-
toyant avec tous, honte de ses parents et de la ville entière,
objet de risée pour les étrangers. Il vient un jottr devant ma
porte elle était ouverte comme c'est mon habitude je disser.
tais en présence de quelques amis sur la vertu et la tempérance.
Polémon entre avec ses flûtes et ses couronnes, commence par
crier et par essayer de troubler l'assemblée en l'assourdissant
dé ses clameurs. Nous ne faisons aucune attention à lui, et peu
à peu, comme l'Ivresse ne s'était pas complétemént emparée
de ses sens, mes paroles le ramènent la sobriété il arrache sa
couronne, fait taire la joueuse de flûte, rougit de sa robe de
pourpre, et, comme réveillé d'un profond sommeil, jette les
yeux sur sa situation et condamne ses débauches passées. L'in-
carnat dont l'avait coloré l'Ivresse se flétrit, disparaît et fait
place à la rougeur que lui cause la honte de sa première con-
duite enfin, sans hésiter, il se jette entre mes bras, comme un
transfuge sans que je l'appelle sans que je lui fasse violence,
comme la demanderesse le prétend, mais de lui-même et en-
traîné par la conviction que c'était le meilleur parti. Et main
tenant, faites-le-moi comparaître en personne, pour voir ce
qu'il est, devenu grâce moi. Quand je l'ai reçu, juges, il était
ridicule, ne pouvant ni parler, ni se soutenir, tout absorbé
dans le vin je 1'ai complètement changé je l'ai ramené à des
habitudes sobres; d'esclave qu'il était, j'en ai fait un citoyen
honnête et sage, digne de l'estime des Grecs. Lui-même, au-
jourd'hui, me sait gré, ainsi que ses parents, du service que je
lui ai rendu. J'ai dit. A vous de décider maintenant avec laquelle
de nous il valait mieux pour lui de vivre.
:8. MERCURE. Voyons; faites vite allez aux voix; levez-vous.
Nous en avons d'autres à juger.
La JUSTICE. L'Académie a l'unanimité, sauf une voix.
Mercure, li n'est pas étonnant qu'il y ait quelqu'un qui vote
même pour l'Ivresse.
19. En séance, ceux que le sort a désignés pour juger la cause
du Portique contre la Volupté au sujet de son amant. L'Pau est
rersée. Allons toi qui es peint de toutes les couleurs parle.
20. LE PORTIQUE. Je n'ignore pas, juges, combien est jolie
ma partie adverse. J'en vois même plusieurs d'entre vous qui la
regardent et lui adressent des sourires, tandis qu'ils méprisent
ma tête rasée jusqu'à la peau, mon regard viril, ma figure re-
frognée. Cependant, si vous voulez m'écouter, je suis convaincu
que ma cause vous paraîtra plus juste que la sienne. Voici
quelle est l'accusation que je formule contre elle je dis qu'à
t'aide de sa parure de courtisane et de ses traits charmants,
elle a séduit un homme qui m'aimait, Dionysius, jadis modeste
et sage, et l'a pris dans ses filets. Les juges qui, avant vous,
ont prononcé sur la cause de l'Académie et de l'Ivresse ont dé-
cidé celle-ci. Ces deux causes sont sœurs. Il s'agit, en effet,
d'examiner si l'on doit, comme des pourceaux sans cesse cour-
bés vers la terre ne vivre que de volupté, sans aucune pensée
élevée, ou si préférant l'honnête à l'agréable on doit libres,
philosopherlibrement, apprendre à ne plus redouter la douleur
comme un mal invincible, à ne plus subir en esclave le joug
du plaisir, à ne pas placer le souverain bonheur dans le miel
et dans les figues. C'est en présentant ces amorces aux insensés,
en leur faisant un épouvantail de la fatigue que ma rivale at-
tire à elle la plupart des hommes parmi lesquels elle a su en-
gager l'inf«rtuné dont nous parlons à secouer notre frein, après
avoir épié le moment où il était malade. Car jamais, en bonne
santé il n'aurait écouté ses propositions. Mais pourquoi m'em-
porter ici contre une femme qui n'épargne pas les dieux, et qui
calomnie leur providence? Il est de votre sagesse de lui faire
porter la peine de son impiété. Eh quoi l'on me dit que, n'étant
pas préparée à prononcer un plaidoyer, elle doit amener Épicure
pour
lui servir d'avocat. Quelle mollesse insultante pour votre
tribunal) Mais demandez-lui donc ce que fussent devenus, à
son avis, Hercule et notre Thésée, si, dociles à la voix du
plaisir ils eussent fui les travaux ? Rien n'aurait préservé la
terre d'être couverte d'injustices, s'ils eussent reculé devant la
fatigue. J'en ai dit assez, n'aimant pas beaucoup les longs dis-
cours. Si ma partie adverse veut répondresommairementà mes
questions, vous la verrez bientôt réduite à néant. En attendant,
souvenez-vous de ""votre serment; votez avez intégrité et ne
croyez pas Épicure, quand il dit que les dieu; n'ont pas Je»
yeux ouverts sur nos actions.
f Le nom grec du portique dit Pœcne )toi* ty «igniQe bariolé, /teint de
diverses couleurs.
MERCURE. Retire-toi. La parole est à Épicure pour la Volupté.
21. ÉPICURE. Je serai court, citoyensjuges. Je n'ai pas besoin
d'un long plaidoyer. En effet, si c'était par des enchantements
et par des philtres que la Volupté eût forcé l'inclination de
Dionysius, que le Portique appelle son amant, si elle l'en avait
éloigné de sorte qu'il n'eût plus d'yeux que pour elle, on se-
rait fondé à la regarder comme une magicienne, et à l'accuser
de préjudice, comme ayant ensorcelé les amants des autres.
Mais le citoyen d'une ville libre témoigne, sans offenser ses
lois; le dégoût qu'il éprouve pour la partie adverse; il traite
de billevesée le prétendu bonheur dont elle fait le couronne-
ment des travaux; pour échapper à des discours tortueux
comme des labyrinthes, il s'enfuit de lui-même vers la Volupté,
et ii brise ainsi qu'une chaîne tous ces filets de langage, parce
qu'il se sent un homme, et non pas un lâche et, parce qu'il re-
garde le travail comme un mal ce qui est en effet, et le plaisir
comme le souverain bien, faut-il lui fermer tout asile? Faut-il,
au moment où, échappé du naufrage, il nage vers le port et aspire
au calme, le rejeter dans le travail la tête la première, et livrer
le malheureux à des embarras désespérants, lorsque, semblable
à un suppliant qui embrassél'autel de la Compassion, il se ré-
fugie auprès de la Volupté ? Et pourquoi? Pour voir enfin sur le
haut de la montagne escarpée, gravie au prix de tant de sueur,
cette Vertu tant vantée, et, après une vie passée dans les fatigues,
arriver au bonheur en même temps-qu'à la mort'. Du reste, quel
juge est plus propre à trancher la question que Dionysius lui-
même, qui versé, autant qu'on peut l'être, dans les dogmes du
Portique, et convaincujusqu'ici que le bon seul est beau, a re-
connu enfin que la douleur est un mal et a choisi, après exa-
men, la doctrine qu'il a crue la meilleure? Il voyait, je pense,
ceux qui font de longues dissertations sur la patienceet le courage
à supporter les peines, servir en secret la Volupté, ne se montrer
énergiques que de la langue et ne vivre chez eux que suivant
les lois du plaisir, honteux, il est vrai, qu'on les vit se relâcher
de leur rigueur et trahir leurs doctrines, mais tristement ré-
duits au supplice de Tantale, et, partout où ils espèrent tromper
les regards et manquer en sûreté à leurs principes, s'en don-
nant à coeur joie de tout ce qui flatte les sens. Qu'on leur fasse
pr-ésent de l'anneau de Gygès ou du casque de Pluton' dont la
possessionrend invisible, et bientôt, disant un long adieu aux

i. Voy.
4 el suivants.
ôermotimru,48âS:et·suiVA0l6.
009. Hernwtimas,
2. Voy. Homère], Iliade, Y, v. 846.
travaux, ils se précipiteront vers la Volupté, et suivront en
tout l'exemple de Dionysius qui, jusqu'à sa maladie, espérait
tirer de grands avantages de ces discours sur la patience; mais
lorsque souffrant et malade il sentit que le mal le tenait réel-
lement, quand il vit son corps philosopher à l'inverse du Por-
tique et lui enseigner une doctrine tout opposée, il le crut plu-
tôt que ses maîtres il reconnut qu'il était homme et qu'il avait
un corps humain. Il cessa donc de traiter ce corps comme une
statue, et demeura convaincu que celui-là parle autrement qu'il
ne pense, .qui blâme la Volupté.
Ses discours sont joyeux, mais son âme attristée1.
A vous d'aller aux
J'ai dit. voix.
22. LE PORTIQUE. Attendez permettez-moi de lui adresser
quelques questions.
Épicure.Questionne, je répondrai.
LE PORTIQUE. Crois-tu que la douleur soit un mal ?
Q
ÉPICURE. Oui.
LE PORTIQUE. Et le plaisir un bien ?
ÉPICURE. Certainement.
LE Portique. Eh bien sais-tu ce que c'est que le différent et
l'indifférent le proposé et '.e rejeté ?
ÉPICURE. Très-bien.
MERCURE. Les juges disent qu'ils n'entendent rien à ces ques-
tions dissyllabiques. Taisez-vous donc; on va voter.
LE PORTIQUE. Je serais sûr de gagner, si je lui posais une
question dans la troisième figure des indémontrables.
LA JUSTICE. Qui a gagné?
Mercure. La Volup'-é, à l'unanimité des voix.
LE PORTIQUE. J'en appelle à Jupiter.
LA JUSTICE. Bonne chance Toi, Mercure, appelle une autre
cause.
23. MERCURE. La Vertu et la Mollesse au sujet d'Aristippe.
Qu'Aristippecomparaisse en personne.
LA VERTU. C'est à moi, Vertu, de parler la première Aris-
tippe m'appartient, comme le prouvent ses discours et ses
écrits.
LA MOLLESSE. Pas du tout, il est à moi, Mollesse cet homme
est mien, ainsi que l'attestent sa couronne, sa pourpre et ses
parfums. >
LÀ JUSTICE. Pas .de dispute. La cause est ajournée jusqu'à ce

I. Euripide, Phéniciennes, v. 363.


que Jupiter ait statué sur celle de Dionysius. Tout porte à croire
que ce sera bientôt. Si la Volupté gagne, la Mollesse auraAris-
tippe si c'est le Portique, Aristippe appartiendra à la Vertu.
Qu'on eu introduise d'autres. Holà qu'on ne paye pas d'hono-
raires aux juges, la cause n'a pas été jugée.
MERCURE. Les vieillards seront donc montés ici gratis? La côte
est rude pour leur âge.
LA Justice. C'est assez de leur payer le tiers. Allez-vous-en,
et ne murmurez pas, vous jugerez une autre fois.
24. MERCURE. Diogène de Sinope, c'est à toi de comparaître
et toi, Banque, tu as la parole.
Diogène. Si elle ne cesse de me tarabuster, Justice, ce n'est
pas de banqueroute qu'elle m'accusera, mais de nombreuses et
profondes blessures; car je vais tout à l'heure la rosser avec
mon bâton.
LA JUSTICE. Qu'est-ce donc? La Banque prend la fuite il la
poursuit le bâton levé. La malheureuse va recevoir probablement
quelque bon coup. Appelle Pyrrhon.
25. MERCURE. La Peinture seule se présente, Justice: Pyrrhon
ne s'est pas rendu à la sommation il était probable qu'il agirait
ainsi
LA JUSTICE. Pourquoi, Mercure? $
Mercure. Parce qu'il n'admet aucune certitude dans les juge-
ments.
LA JUSTICE. Cela étant, je le condamne par défaut. Appelle à
présent le prosateur syrien. Il est vrai que les accusations dé-
posées- contre lui n'ont été remises que depuis hier, et rien ne
pressait encore le jugement mais enfin, puisque c'est une chose
décidée, appelle d'abord la cause'de la Rhétorique. Grand dieu!
quelle affluence. d'auditeurs!1'
MERCURE. C'est tout naturel, Justice. Nous n'avons pas là
une affaire ressassée, mais neuveet singulière, et, comme tu dis,
toute fraîche d'hier. L'espérance d'entendre la Rhétorique et le
Dialogue, se portant successivementcomme accusateurs, et le
Syrien défendant sacause contre ses deux adversaires, attire la
foule au tribunal. Allons, Rhétorique, commence ton plaidoyer.
26. LA Rhétorique. En commençant ce discours, Athé-
niens je prierai tous les dieux et toutes les déesse» de faire
que la bienveillance constante, dont je n'ai cessé de donner la
preuve envers la république et envers vous tous, me soit accor-
dée par vous-mêmes durant le cours de ce débat. Ensuite je
s
4 Commencement du Ùiseours pimr la couronna de Démosthèns.
Supplierai les dieux de vous inspirer ce qu'il y a de plus con-
forme à la justice, c'est-à-dire d'imposer silence à mon adver-
saire, et de me laisser à mon aise développer mon accusation,
telle que je l'ai conçue et préparée. J'ai peine à concilier mes
idées1, quand je considère, d'une part, le traitement que j'é-
prouve, et de l'autre les discours que j'entends. Ceux que; vous
tiendra mon adversaire ressembleront aux miens; mais vous
verrez que les faits sont de telle sorte, que je dois
prendre les
plus grandes précautions pour l'empêcherd'en user encore plus
mal à mon égard. Afin, toutefois, de ne pas faire un trop long
exorde, et comme l'eau coule depuis longtemps pour rien, je vais
droit à l'accusation.
27. Citoyens juges, cet homme était encore dans la première
jeunesse », barbare de langage, et revêtu, pour ainsi dire, de la
robe perse, à la mode des Assyriens, lorsque je le trouvai en
Ioaie, errant, incertain du parti qu'il devait prendre je le
recueillis et me chargeaide l'instruire. Quand il me parut savoir
quelque chose, et que je vis ses regards fixés sur moi, il me craignait
alors, il avait pour moi de la déférence, une admiration exclusive
je congédiai tous mes autres prétendants, riches, beaux, d'une
illustré naissance, et j'accordai ma main à cet amant pauvre
obscur, presque enfant, lui apportant une dot précieuse de
nombreux et admirables discours. Bientôt j'amenai mon nouvel
époux à ma tribu, je l'y fis enregistreret déclarer citoyen. Tous
ceux qui avaient manqué leur mariage avec moi
crevaient de
dépit. Il eut l'idée de voyager pour faire montre des richesses
que lui avait procurées mon alliance; je ne l'abandonnaipoint:
je le suivis partout; je me laissai conduire par monts et par
vaux; j'eus soin de lui attirer sans cesse l'estime et le respect
parure. Ce que j'ai fait pour lui
en veillant à son extérieur et sa
en Grèce et en Ionie n'est rien encore;
II voulut passer en Ita-
lie je traversai avec lui la mer Ionienne enfin je l'accompagnai
jusque dans les Gaules, où je l'aidai à faire fortune. Jusque-là il
se montrait docile à tous mes conseils, demeurant sans cesse
avec moi et ne découchant pas même une seule nuit.
28. Mais quand il eut suffisamment pourvu à ses besoins,
quand il crut sa réputation assez bien établie, il releva les sour-
cils, prit de grands airs, me négligea ou plutôt me planta là
complètement.Cet homme barbu, ce Dialogue, qui abuse de son

< Phrase tirée du commencement de la 111" Olynthiennr.


2. Tous ces détails sont précieux pour la biographie littéraire de Lucien
Rapprochez-les du Songe et du Zèuxis.
extérieur pour se faire appeler fils de la Philosophie, il s'est
épris pour lui d'un fol amour, et il ne sort pas des bras de cet
amant plus âgé que lui. Ce n'est pas tout, il ne rougit pas de
restreindre la liberté de mes discours et d'abréger leur étendue,
pour se renfermer dans des questions brèves et hachées; au lieu
de dire tout ce que bon lui semble et de le dire à pleine voix, il
fait un tissu de petites phrases écourtées.et se contente d'assem-
bler des syllabes. Aussi n'a-t-il obtenu en retour ni des louanges
redoublées ni des applaudissementsprolongés, mais seulement
quelques sourires des auditeurs; ou bien encore on bat des mains
avec réserve, on fait un léger signe de tête, et l'on gémit de ce
que l'on entend voilà ce qui plaît au galant, c'est pour cela
qu'il me méprise. On dit même qu'il ne vit pas en bonne intelli-
gence avec le nouvel objet de sa tendresse il lui aura fait, sans
doute, aussi quelque outrage.
29. Comment, après cela, ne pas l'accuser d'ingratitude, com-
ment ne pas le poursuivre, au nom des lois répressives des mau-
vais traitements, pour avoir indignement abandonné sa femme
légitime, dont il a tout reçu, qui l'a rendu illustre, et cela pour
courir à de nouvelles amours? Or, quel momentchoisit-il? Celui
où l'on n'admireque moi, où chacun me prend pour sa patronne.
Moi, pourtant, je me refuse aux sollicitations de tous ces préten-
dants en vain frappent-ils à ma porte, en vain m'appellent-ils l
à grands cris, je ne veux point leur ouvrir. Car je vois bien
qu'ils ne m'apportent que des criailleries. Celui-ci, au contraire,
loin de revenir à moi, n'a de regards que pour son nouvel
amour. Mais, je vous le demande, grands dieux, quelle utilité
peut-il attendre d'un être qui n'a qu'un manteau? J'ai dit. Si,
pour se justifier, citoyens juges, mon adversaire veut user du
même genre de discours que moi, ne le permettez pas. Il serait
absurde d'aiguiser mon propre glaive contre moi. Qu'il emploie
le procédé de son bon ami le Dialogue, pour se défendre, s'il le
peut.
MERCURE. C'est inadmissible il ne peut pas se, faire, Rhéto-
rique, qu'un homme seul plaide dans la forme du Dialogue. Il
emploiera le discours soutenu.
30. LE SYRIEN. Puisque ma partie adverse, citoyens juges, se
fâche à l'idée de m'entendre prononcer de longs discours, vu
que je tiens d'elle ce talent de la parole, je ne vous dirai que
quelques mots; et, me bornant à détruire les principaux chefs
de l'accusation, j'abandonneraile reste à votre examen. Tout ce
qu'elle a dit de moi est l'exactevérité. Elle s'est chargée de mon
éducation elle m'a accompagné dans mes voyages; elle m'a
(ait inscrire au rang des Grecs, et, à ces titres, je lui sais gré de
Quelles sont donc les raisons pour lesquelles je l'ai
son hymen. Écoutez-
quittée, afin de m'attacher au Dialogue ici présent?
les, citoyens juges, et ne croyez point que je mente dans mon
intérêt.
M'étant aperçu qu'elle avait perdu son ancienne réserve,
31.
qu'elle ne conservait plus ce maintien noble et décent, qui
faisait toute sa beauté quand elle épousa jadis l'orateur de
Péanée', mais qu'elle se parait avec art, se coiffait comme une
courtisane se fardait le visage, se peignait le dessous des
yeux je conçus des soupçons sur sa
conduite, et j'observai ses
regards. Laissons le reste de côté. Chaque nuit, notre rue était
remplie d'une foule de soupirants ivres, venant banqueter avec
elle, frappant à la porte, quelques-uns même poussant l'au-
dace jusqu'à vouloir entrer de force et sans rien ménager.
Elle, de son côté, ne faisait que rire et se divertir de ce tapage.
Souvent, du haut du toit, elle avançait la tête pour les entendre
chanter, d'une voix enrouée, leurs chansons libertines, ou bien,
entr'ouvrant la porte, et s'imaginant que je ne la voyais pas,
elle dépouillait toute honte et se livrait à leurs caresses adul-
tères. Je ne pus souffrir ce beau manège mais ne jugeant pas
à propos de déposer contre elle une plainte en forme je réso-
lus d'aller trouver le Dialogue, qui demeurait dans notre voisi-
nage, et je le priai de me recevoir.
32. Voilà quels sont les grands outrages que j'ai faits à la
Rhétorique. Et quand elle n'aurait pas agi de la sorte, il m'était
bien permis, à près de quarante ans, de renoncer au tumulte
des affaires et du barreau, de laisser reposer les juges, de re-
noncer aux accusationsdes tyrans, aux éloges des grands hom-
mes d'aller à l'Académie et au
Lycée' me promener avec cet ex-
cellent Dialogue, et de dialoguer mon aise avec lui. J'aurais
encore bien d'autres choses à vous dire; mais je m'arrête. A
vous de déposer un vote conforme à votre serment.
LA JUSTICE. Qui est-ce qui gagne? q
MERCURE. Le Syrien, à l'unanimité, sauf une voix.
LA JUSTICE. C'est probablement quelque rhéteur qui a voté
contre.
33. Dialogue, parle devant les mêmes juges. Vous, restez as-
sis on vous payera double pour les deux causes.
LE Dialogue. Mon intention, citoyens juges, n'est pas de
m'étendre ici en de longs discours je ne dirai que peu de

i Démoslhène.
mots, suivant mon habitude. Néanmoins, je formulerai mon ao^
cusation suivant le mode usité dans les tribunaux, malgré mon
ignoranceet le peu d'habitude que j'ai de ces matières. Que cela
me serve d'exorde auprès de vous. Pour ce qui concerne les
torts et les outrages que je reproche à l'accusé, les voici. Jus-
qu'ici j'étais plein de gravité, toujours en contemplation devant
les dieux, la nature et les révolutions de l'univers; marchant
en l'air au milieu des régions qui avoisinent les nuages, à l'en-
droit où roule dans les cieux le char ailé du grand Jupiter,
je touchais à la voûte céleste, je m'élançais au-dessus même du
ciel', lorsque ce Syrien, me tirant par la jambe et me brisant
les ailes, me réduisit à la condition commune. Il m'arracha mon
masque tragique et majestueux, et m'en appliqua un autre, co-
mique, satyrique et presque ridicule. Bientôt il réunit et ren-
ferma chez moi la plaisanterie mordante l'ïambe, le cynisme,
Eupolis et Aristophane, gens experts dans l'art de railler ce
que chacun respecte, de bafouer ce qu'il y a dé plus honnête.
Enfin il a été déterrer je ne sais quel Ménippe', un cynique du
temps passé, un aboyeur, armé de dents acérées s'il en fut, et
il a lâché à travers moi ce véritable chien, animal redoutable,
qui mord sans en avoir l'air, et d'autant mieux qu'il mord en
riant. Comment ne me croirais-je pas indignement outragé,
quand on m'enlève mon ancien et véritable costume, pour me
forcer à jouer des comédies, des parades, des farces étranges?
Oui, ce qui me révolte le plus, c'est le singulier mélange dont je
suis composé je ne suis ni prose ni vers, mais, semblable à un
hippocentaure, j'ai l'air aux yeux de ceux qui m'écoutent d'un
monstre bizarre, d'un spectre de l'autre monde**
34. MERctnuu Qu'as-tu à répondre à cela, Syrien?
LE SYRIEN. Je ne m'attendais pas juges, à soutenir devant
"vous ce débat, et j'espérais entendre le Dialogue.vous dire de
moi tout autre chose. Quand je. l'ai pris jadis, il paraissait à la
plupart des gens maussade et desséché par de fréquentes inter-
rogations elles lui donnaient, je le veux bien, une physionomie
vénérable, mais peu gracieuse et tout à fait désagréable au pu-
blic J'ai commencé à lui apprendre à marcher par terre à la
façon des hommes; j'ai lavé la crasse dont il était couvert, et, en
le forçant à sourire, je l'ai rendu plus agréable aux spectateurs.
Mais, surtout, je l'ai associé à la Comédie, et, par ce' té alliance,
je lui ai concilié la bienveillance des auditeurs qui jusque-là
craignaient les épines dont il était armé et n'osaient pas pius

J Critique de Platon; 2. Voy. Zeuxïs..


y toucher qu'à un hérisson. Je sais bien ce qui le contrarie
énormément; c'est que je ne m'assieds pas auprès de lui pour
discuter en détail ces subtilités pleines de finesse si l'âme est
immortelle; combien Dieu, en faisant le monde, a versé de co-
tyles de la substance sans mélange et toujours identique dans le
creuset où s'élaborait l'univers; si la rhétorique est l'image
d'une portion de la politique, dont la flatterie compose le quart
En effet, il aime à disserter sur ces minuties, comme ceux qui
ont la gale se plaisent à se gratter; ces méditations le charment.
et il est tout fier quand on dit qu'il n'appartient pas à tout le
monde de voir ce qu'il aperçoitdistinctement au sujet des idées*.
Voilà ce qu'il réclame de moi; il cherche partout ses ailes, et
regarde en l'air, tandis qu'il ne voit pas ce qui est à ses pieds.
Je ne crois pas, pour le reste, qu'il ait à se plaindre de moi; par
exemple, qu'en lui ôtant son habit grec je lui en aie mis
un barbare) quoique je paraisse barbare moi-même1 j'aurais été
injuste, en effet, si j'avais ainsi violé les lois qui le protègent,
et si je l'avais dépouillé de son vêtement national. Je' me suis
justifiéde mon mieux; portez, je vous prie, un suffrage sem-
blable au précédent.
35. MERCURE. Ma foi! tu as encore la majorité de dix voix.
Notre même juge de tout à l'heure n'a pas encore été de l'avis
des autres.Il a probablementl'habitude, dans toutes les affaires
de déposer un caillou percé afin de ne pas cesser de se mor-
trer jaloux des gens de bien. Pour vous, allez-vous-en, et
bonne chance; demain nous jugerons les autres procès.

) Critique du Phédon, du Timée et du Gorgiasde Platon.


ï. Critique du Parmènide.
3. C'est-à-direqu'il a. conservé au dialogue l'élégance et t'atticisme des mal-
tres du genre.
4. Le scoliaste fait observer qu'on se servait, dans les
tribunaux d Aihènes
de deux cailloûx différents, les uns pleins, pour donner gain de cause, et les
autres percés, pour condamner. Comme les séances de l'Aréopageavaient lieu
la nuit, le» juges s'assuraientau toucher de là nature des suflrages.
XLvm

LE PARASITE OU QUE LE MÉTIER DE PARASITE


EST UN ART'.
1.

TYCHIADE ET LE PARASITE.

1. TYCHIADE. Eh quoi, Simon, tous les hommes, libres ou es-


claves, n'ont-ils pas appris un art, dont l'exercice les rend utiles
à eux-mêmeset à leurs concitoyens? Toi à ce qu'il parait, tu
n'exerces aucun métier pour ta propre utilité ou celle des
autres.
LE PARASITE. Que signifie cette question, Tychiade? Je ne la
comprends pas. Tâche de parler plus clairement.
Tychiade. Y a-t-il un art que tu connaisses par exemple la
musique?9
LE PARASITE. Non, par Jupiter
TYCHIADE. C'est donc la médecine ?
®

LE PARASITE. Pas davantage.


TYCHIADE. La géométrie?
LE PARASITE. En aucune façon.
TYCHIADE. Eh bien, est-ce la rhétorique? car, pour la philo-
sophie, tu en es aussi loin que la nullité même.
LE PARASITE. Encore plus, s'il est possible. Ne crois pas me
faire injure en me reprochant une chose que je n
sache pas;
je conviens, en effet, que je ne vaux rien, ej; même moins encore
TYCHIADE. A la bonne heure. Mais peut-être n'as-tu appris au-
cune de ces sciences, à cause du temps qu'elles exigent et de
leur difficulté. Tu sais du moins quelqu'un des métiers ordi-
naires, maçon ou cordonnier? car ta fortune ne te permet pas
de vivre sans exercer une de ces professions.

I. Cf. Lilianius, Déclamations,VII et XII; Alhénée, livre VI, vi; Juvénal,


Sat. v; Gh." Dezobry, Rome au siècle d'Auguste, lettre xxviu, t. II, p. 47 et
«uivantes. Ce dialogue est un des plus ingénieux persillager de Lucien.
LE PARASITE. C'est vrai, Tychiade; et cependant je ne sais au-
cun de ces métiers.
Tychiade. Quelle est donc ta profession?
LE PARASITE. Ma profession Une des plus belles à mon avis.
Si tu la connaissais, tu la louerais, j'en suis sûr. Je puis même
me vanter d'en avoir perfectionné la pratique; car, pour la
théorie, je n'en saurais que dire.
Tychiade. Quelle est-elle donc?
LE PARASITE. Je ne crois pas y avoir assez réfléchi pour en
parler. Contente-toi de savoir que j'en exerce une, et que par
conséquent, tu n'as pas le droit de m'en vouloir; seulement,
quelle est-elle? c'est ce que tu sauras une autre fois.
Tychiade. Je ne puis attendre davantage.
LE PARASITE. Cette profession te paraîtra peut-être bien
étrange, quand tu la connaîtras.
Tychiade. Et c'est pour cela même que je brûle de la con-
naître.
LE PARASITE. Une autre fois, Tychiade.
Tychiade. Non, non; parle tout de suite, à moins que la honte
ne te retienne.
LE PARASITE. C'est l'art du parasite.
2. TYCHIADE. Eh quoi à à moins d'être fou, peut-on appeler
cela un art?
LE PARASITE. Moi,je l'appelle ainsi. Si je te parais fou, c'està
la folie elle-même qu'il faut t'en prendre de ce que je ne sais.pas
d'autre métier tu n'as aucun reproche à me faire. On dit que cette
déesse* qui, d'ailleurs, traite assez mal ses sujets, les innocente
des fautes qu'elle leur fait commettre, et que, comme un maître
ou un pédagogue, elle prend tout sur son compte.
TYCHIADE. Ainsi donc, Simon, le métier de parasite est un art?P
LE PARASITE. Certainement, et j'en suis l'inventeur.
TYCHIADE. Tues donc parasite?
LE PARASITE. Ce reproche m'honore, Tychiade.
TYCHIADE. Et tu ne rougis pas de te donner à toi-même le nom
de parasite?
LE PARASITE. Je rougirais plutôt de ne pas me le donner.
Tychiade. Par Jupiter lorsque nous voudrons te désigner à
quelqu'un qui ne te connaîtra pas et qui désirera te connaître,
nous dirons « C'est le parasite! »»
LE Parasite. Vous me ferez beaucoup plus d'honneur en
m'appelantainsi, qu'on n'en faisait à Phidias en disant de lui
« C'est le statua:ire » Car je ne suis pas moins fier de mon ta-
lent que Phidias ne l'était de son Jupiter.
Tychiade. Bon! en songeant à cela, il me vient une idée
bouffonne.
LE PARASITE. Laquelle?
Tychiade. Si en t'écrivant nous mettions, selon l'usage
au
haut de la lettre i A Simon le parasite. »
LE PARASITE. Tu me ferais bien plus de plaisir qu'en écrivant
e A Dion le philosophe. »
3. Appelle-toi, du reste, comme tu voudras, je ne m'en soucie
guère; mais je veux examiner avec toi quelques autres particu-
larités.
LE PARASITE. Qu'est-ce donc?
Tychiade. Devrons-nous ranger ta profession parmi les
au-
tres arts, et, lorsqu'on me demandera Quel est cet art?
faudra-t-il répondre <t La profession de parasite est un art»
comme la grammaire et la médecine? »
LE PARASITE. Moi, Tychiade, je dirais que mon art mérite
mieux ce nom que n'importe quel autre. Et, si tu veux bien
m'entendre, je te ferai connaître mon opinion à cet égard, quoi-
que je n'y sois nullement préparé, ainsi que je te l'ai déjà dit.
Tychiade. Peu importe que tu parles peu, pourvu que tu dises
la vérité.
LE PARASITE. Eh bien, commençons par examiner, si tu veux
bien, ce que c'est qu'un art en général. De là nous descendrons
aux espèces, et nous verrons à laquelle le nôtre appartient.
TYCHIADE. Qu'est-ce donc qu'un art? Tu le sais, sans doute?
LE PARASITE. Certainement.
Tychiade. N'hésite donc pas à le dire, puisque tu le sais.
4. LE PARASITE. Un art, comme je me souviens de l'avoir en-
tendu définir à un savant, est un ensemble de notions positives.
réalisées par la pratique, dans un but utile à la société.
TYCHIADE. Il a parfaitement dit, et tu as parfaitement retenu.
LE PARASITE. Si la profession de parasite convient à tous les
points de cette définition, qu'est-elle,sinon un art?
Tychiade. C'est un art, du moment qu'elle y convient.
LE PARASITE. Eh bien, rapprochons la profession de parasite
de toutes les parties qui constituent un art, et voyons si elle
cadre justement avec la définition donnée, ou si, comme les vases
de mauvaise argile, quand on les frappe elle ne rend pas
un
,son fêlé. Notre art, de même que tous les autres, doit être un
ensemble de notions positives, et la premiers, pour un parasite
est d'éprouver et de discerner qui est le plus en état de le nour-
rir, celui à la table duquel il peut s'asseoie, sans avoir lieu de
s'en repentir un jour. Ne disona-nous pas qu'un homme est un
habile essayeur de métaux, quand il sait distinguer la fausse
monnaie de la bonne? Celui-là est-il donc inhabile qui sait
reconnaître les hommes de bon et de mauvais aloi, et cela,
quand la fraude, chez l'homme, est moins facile à découvrir
que dans la monnaie? C'est ce dont se plaint le sage Euripide,
quand il dit'
Eh! ne devrait-on pas à des signes certains
Reconnaître le coeur des perfides humains?

L'art du parasite est, pour cette raison même, d'autant plus im-
portant, qu'il connaît et découvrebeaucoup mieux que la divi-
nation les choses secrètes et cachées.
5. En outre, savoir dire et faire tout ce qui est de nature à
nous concilier la familiarité et la bienveillance de celui qui est
chargé de notre nourriture, cela n'exige-t-il pas, selon toi, de
l'intelligence et des principes solidement raisonnés?
Tychiade. J'en conviens.
LE PARASITE. De plus, savoir s'arranger, dans les repas, de
manièreà s'en aller le plus satisfait, paraître un aimable convive
à ceux qui ne possèdent pas le même talent; crois-tu que cela
puisse se faire sans raison et sans sagesse?
Tychiade. Non, sans doute.
LE PARASITE. Et maintenant, la finesse de goût nécessaire pour
distinguer les qualités ou les défauts des plats et des mets te
semble-t-elled'un homme sans valeur, après que le divin Pla-
ton a dit* « Si celui qui doit prendre sa part d'un festin n'est
pas versé dans l'art culinaire, il ne pourra pas bien juger l'ap-
prêt des morceaux? »
6. Qu'ainsi l'art du parasite soit un ensemble de notions posi-
tives, réalisées par la pratique, c'est'ce qu'il t'est facile de com-
prendre. En effet, dans les autres arts, les notions se conservent
des jours, des mois, des années entières, sans avoir besoin
d'exercice, et elles ne sont point perdues pour celui qui les pos-
sède, tandis que si les notions du parasite ne sont pas mises en
pratique chaque jour, c'en est fait non-seulement de l'art, mais
de l'artiste lui-même.
7. Quant à l'utilité, n'y aurait-il pas folie à élever un doute?
Pour ma part, je ne vois rien dans la vie qui soit plus utile que
de boire et de manger, et il est impossible de vivre sans cela.

1. Médee, v. 5)6. Racine a traduit ces vers dans Phèdre, act. IV, se. VII
Nous les lui avons empruntés.
î. Théétètt,t. I, p. 233, édition Stalbaiim
Tychiade. Assurément.
8. LE PARASITE. Il n'en, est pas de l'art du parasite comme de
la beauté et de la vigueur, n'est-ce pas? on ne peut pas dire que
ce ne soit pas un talent, mais un don naturel.
TYCHIADE. Tu as raison.
LE PARASITE. Et ce n'est pas non plus un métier à ne rien
faire la fainéantise ne procure jamais rien de bon à celui qui h
cultive. Voyons si tu te mêles de conduire un vaisseau sur la
mer et dans la tempête, sans savoir gouverner, auras-tu ,quelqu(
chance de salut?
TYCHIADE. Aucun.
LE PARASITE. Pourquoi? N'est-ce point parce que tu ue con-
nais pas l'art de te sauver ?
TYCHIADE. Justement.
LE PARASITE. Eh bien, le parasite, dans sa profession, ne
trouverait pas, en cultivant la fainéantise la moindre chance
de salut. °
TYCHIADE. C'est vrai.
LE PARASITE. Ainsi, c'est l'art qui sauve, et non la fainéan-
tise ?
TYCHIADE. D'accord.
LE PARASITE. Le métier de parasite est donc un art?
TYCHIADE. C'est un art, je le crois.
LE PARASITE. J'ai connu plus d'un pilote habile, plus d'un
conducteur de char, qui ont été précipités de leur siège les uns
se sont blessés grièvement, d'autres se sont tués; mais on ne
peut pas dire qu'un parasite ait jamais fait pareil naufrage. Il
suit de tout cela que, si la profession de parasite exige de l'acti-
vité, si ce n'est pas un don naturel, mais un ensemble de
notions réalisées par la pratique, il est bien établi entre nous que
c'est un art.
9. TYCHIADE. Cela pourrait bien être. Cependant, il te reste
encore à nous en donner une bonne définition.
LE PARASITE. C'est. vrai; et je ne crois pas qu'on en pjisse
donner une meilleure-que celle-ci La profession de parasite
est l'art de boire et de manger, de dire ce qu'il faut pour obtenir
ces deux avantages; son but est l'agréable.
Tychiade. Admirable I voilà une excellente définition de ton
art, mais prends garde que quelques philosophesne te cherchent
noiseà propos du but.
LE PARASITE. Il me suffit que ce but soit tout à la fois celui du
bonheur et de ma profession.
10. Ce qui le prouve, c'est le témoignagedu sage Homère en
admiration devant ta vie du parasite, qui lui paraît pleine de féli-
cité et la seule digne d'envie.

Il n'est point, à mon gré, de plus charmant destin',


Que de voir tout un peuple assis en un festin;
Les pains avec les chairs abondent sur la table;
La coupe, à tout moment, puise un vin délectab!"
Que porte l'échanson et qu'il verse à plein bord.

Ensuite, comme s'il n'avait pas assez témoigné son admiration, il


rend sa pensée encore plus claire en disant

Je ne crois pas qu'au monde il soit rien de plus beau.


Ces vers ne veulent pas dire autre chose que le bonheur est
dans
la vie du parasite. Or, ce n'est pas dans la bouche du
premier
mais il le prête plus
venu que le poëte met ce langage, au sage
des Grecs. Cependant, si Ulysse eût voulu faire l'éloge ,de la fin
que se proposent les
Stoïciens, il aurait pu parler ainsi, quand il
ramène Philoctète de Lemnos dévaste Ilion, retient les Grecs
en fuite, et
qu'il entre dans Troie, après s'être flagellé lui-même,
et vêtu de haillons déchirés et stoïques. Mais
il ne choisit pas
ce moment pour
parler de charmantdestin. y a plus lorsqu'il
Il il
passait son temps en épicuriendans l'île de Calypso, vivant en
repos et en liesse, caressant la fille d'Atlas et se livrant aux plus
doux mouvements de la volupté, il ne parle pas encore de ce des-
tin charmant il réserve cela pour la vie du parasite car les
parasites, à cette époque, se nommaient conviés. Que dit-il? Je
vais répéter ses vers on n'en comprend bien le sens qu'en les
récitant à plusieurs reprises

Alentour sont assis de nombreux conviés


Les pains avec les chairs abondent sur la table.

11. Épioure, je le sais, n'a pas honte de s'approprier ce bon-


heur, qui est la fin même où tend le parasite mais c'est un
vol; l'agréable n'a rien de commun avec Épicure; il est tout au
parasite, et je le prouve. L'agréable, selon moi, consiste à avoir
le corps exempt de douleur, l'âme libre de trouble et d'inquié-
tude le parasite jouit de ces deux privilèges, l'épicurien n'a ni.
l'un ni l'autre. En effet, celui qui cherche à connaître la figure
de la terre, l'infinité des mondes, la grandeur du soleil, les
distances célestes et les premiers éléments, qui veut savoir s'tf

1. `Odyssée,IX, v. 5 et suivants.
». Voy. le Philoctètede Sophocle, traduction de W Artaud et de Th. Guiard.
11ft
existe ou non des dieux, qui dispute sur la véritable fin dij
l'homme, et qui est toujours en discussion, est sans cesse pré-
occupé non-seulement des affaires humaines, mais de celles de
l'univers entier. Au contraire, le parasite, qui croit que tout est
bien et ne peut pas être mieux, plein d'un calme et d'une sécu-
rité que ne trouble aucune de ces idées, mange et dort couché
sur le dos, les pieds et,les bras étendus, comme Ulysse navi-
guant sur son radeau vers sa patrie 1.
12. Mais ce n'est pas seulement sous ce rapport que l'agréable
n'a rien de commun avec Épicure; voici encore ce qui les
sépare. Cet Épicure, -un sage, je le veux bien, a de quoi manger
ou non. S'il n'a rien, il ne peut vivre heureux, il ne vivra même
pas s'il a de quoi, cela lui vient de lui ou d'un autre. Si cela
lui vient d'un autre, il est parasite, et non plus ce qu'il prétend:
si c'est de lui, il ne vit pas heureux.
Ttcbiade. Et pourquoi pas i
LE PARASITE. Si c'est par lui-même qu'il a de quoi manger, ce
genre de vie, Tychiade, entraîne une foule d'embarras.Considères-
en le nombre. Ne faut-il pas que celui qui veut vivre agréablement
satisfassetous ses désirs? Qu'en dis-tu?
Tychiade. Je le crois.
LE PARASITE. Peut-être y parviendra-t-il, s'il possède de
grands biens; mais s'il a peu de chose, s'il n'a rien, c'est impos-
sible il sera un mendiant et non un philosophe, et ne pourra
plus arriver à son but; je veux dire à l'agréable. Mais je le sup-
'pose riche, en état de dépenser largement pour contenter «er
désirs, il ne parviendra pas davantageà son but. Pourquoi cela!
Parce que, de toute nécessité, celui qui dépense son bien est
en proie à mille tracasseries. Tantôt, il lui faut bataille,
avec son cuisinier pour un ragoût mal accommodé, ou, s'il ne ]
bataille pas, il sera' forcé de manger un mauvais plat et de se i
tantôt il a maille à partir avec son intendant
passer de plaisir; gestion du ménage. N'est-ce pas cela?
pour la mauvaise
Tvchiadé. Par Jupiter! c'est bien cela!1
Le Parasite. Si toutes ces contrariétés arrivent à Ëpicure, et
c'est tout naturel, il ne parviendra jamais à son but. Le parasite
n'a pas de cuisinier contre lequel il s'emporte, pas de champs, i
pas d'intendant, pas d'Éirgentsrie dont la perte lui cause un vif',
chagrin, mais il a tout ce qu'il lui faut pour manger et pour
h;pire, et seul il n'est jamais exposé aux ennuis qui viennent né-
cessairementassaillir les autres.
<.<M~<'e,XMt,Y.7e.79..
13, La profession de parasite est un art, voilà qui est ample-
ment démontré par ces raisons et par les autres il me reste à
faire voir que c'est l'art par excellence, et je ne dis pas cela sim-
plement, mais je le prouve en établissant sa supériorité, d'abord
sur les autres arts en général, et ensuite sur chacun d'eux en par-
ticulier. Voici comment il surpasse tous les arts en général. Un
art, quel qu'il soit, ne peut s'apprendre sans des travaux, des
craintes, des coups qui le font maudire de ceux qui l'étudient.
L'art du parasite, on le voit bien, est le seul qui puisse s'ap-
prendre sans travail. Qui est-ce qui sort, en effet, d'un repas en
pleurant, comme vous voyez chaque jour des élèves sortant de
chez leurs maitres? Qui est-ce qui, se rendant à un festin, a la
figure triste, comme ceux qui vont aux écoles? En outre, c'est
toujours de son plein gré que le parasite va s'asseoir à une
table pour y faire preuve de son talent ceux qui étudient les
autres arts les prennent en dégoût au point que certains les
abandonnent sans retour. Que dis-je? N'as-tu jamais remarqué
que, pour récompenser les progrès de leurs enfants, les pères et
les mères leur promettent ce qu'a chaque jour le parasite? « Par
lupiterl disent-ils, mon fils a bien écrit, donnez-lui à manger!
Il a mal écrit, ne lui en donnez pas Ainsi, mon art sert tout à
la fois de récompense et de punition.
14. Dans les autres arts, on n'arrive que longtempsaprès les
avoir étudiés à en recueillir le prix

Le chemin est glissant et pénibleà tenir'.


L'art du parasite, seul eatre tous, vous procure cette jouissance,
dans le temps même de l'apprentissage le commencement et la
perfection, s'y donnent la main. Les autres arts ont tous été
inventés pour fournir à notre subsistance; celui du parasite la
lui assure aussitôt qu'il commence à l'exercer. Ne vois-tu pas
que si le laboureur laboure, il ne laboure pas pour lui; que, si
le maçon maçonne, il ne maçonne pas pour lui, tandis que le
parasite ne poursuit.pas un but distinct de son travail, l'un et
l'autre se confondent?
15. Il n'est personne, assurément, qui ne sache que ceux qui
exercent les autres arts, ont à passer des moments fort durs à
peine dans un mois ont-ils deux ou trois jours de fête les
villes célèbrent dés solennités qui se prolongent dés mois, des
années entières, et elles prennent alors, comme on dit, du bon

< Parodied'Hésiode, Travaux et Jours, v. «30.


temps le parasite a trente jours de fête par mois il n'y en a
pas un seul qui ne lui paraisse consacré aux dieux.
16. Veut-on réussir dans les autres arts, il faut avoir soin de
boire et de manger peu, comme les malades; boire et manger
beaucoup disposant mal à l'étude. t
17. Les autres arts ne peuvent être exercés sans instrument
par celui qui les possède on ne peut flûter saiss flûte, toucher
du luth sans luth, monter à cheval sans cheval. L'art du parasite
est si parfait, si commode pour celui qui l'exerce, qu'il peut le
mettre en pratique sans aucun outil.
18. Quand nous apprenons les autres arts, comme de juste,
nous payons; ici nous recevons.
19. Pour les autres, il faut des maîtres pour celui de parasite
il n'en faut point; ainsi que la poésie, selon Sôcratô, cet art est
un bienfait des dieux
20. Enfin, considèreque les autres arts ne peuvent s'exercer en
voyage ou sur mer celui-ci se pratique partout, en route et sur
un vaisseau.
Tychiade. Rien n'est plus vrai.
21. LE PARASITE. Allons plus loin, Tychiade tous les autres
arts ont besoin du mien le mien se passe de tous les autres.
Tychiade. D'accord; mais ceux qui prennent le bien d'autrui
ne te semblent-ils pas coupables d'injustice?
LE PARASITE. Certainement. f
Ttchiade. Et le parasite qui prend le bien d'autrui, sera*t-il |
le seul qui n'en soit pas coupable? |
22. LE PARASITE. Je ne sais trop que dire. Cependant l'origine 1
des autres arts est vile et obscure; celle de l'art du parasite est a
tout à fait glorieuse. L'amitié, dont le nom est si vanté, n'est-ce I
pas elle, quand on y réfléchit, qui a donné naissance à la pro-
|
fession de parasite? 1
J
Ttghiadë. Comment cela?
LE PARASITE. Personne, ce me semble, n'invite à dîner un |
ennemi, un inconnu", ni même un homme avec lequel on n'est 1
pas très.-lié; il faut être amis depuis quelque temps pour être 11
initiés aux mêmes libations.à la même table, et aux mystères de
mon art. J'ai souvent entendu dire «
Comment un tel se pré- i
tend-il mon ami? il n'a jamais bu ni mange avec nous. » Ce qui 1
prouve qu'il faut avoir bu et mangé avec quelqu'un, pour le con- 1
sidérer comme un ami fidèle. I
23. Apprends maintenant comment ma profession est la plus
I
1. Voy. Platon, M- 1
royale de toutes tu vas le comprendre aisément. Pour exercer
les autres arts, c'est peu de peiner et de suer, il faut, par Jupi-
ter rester assis ou debout, véritable esclave de son talent. Le
parasite fait son ouvrage, couché comme un roi.
24. Qu'est-il besoin de parler de son bonheur? N'est-ce pas
Homère'
pour lui que se réalisent ces vers du sage
Ses mains n'ont pas besoin de semer, de planter,
Mais il récolte tout sans labour ni seinailles.

25. Un rhéteur, un géomètre, un forgeron peut être un misé-


rable ou un imbécile, cela ne l'empêcherapas d'exercer son mé-
tier mais on ne peut être parasite, si l'on est un imbécile ou un
misérable.
Tychiade. Grands dieux 1 quelle belle chose que l'art du para-
site I C'est au point que je me sens des velléités de me faire para-
site, au lieu de rester ce que je suis.
26. LE Parasite. J'ai prouvé, je crois, que mon art l'emporte
sur'les autres en général. Voyons maintenant comment il l'em-
porte sur chacun d'eux en particulier. Le comparer aux gros
métiers, ce serait absurde, et vouloir le ravaler. Mais il s'agit
de prouver combien il est au-dessus des arts les plus beaux et
les plus estimés. De l'aveu de tout le monde, le premier rang
appartient à la rhétorique et à la philosophie, que la noblesse
de leur objet fait placer par certains au nombre des sciences. Or,
si je prouve que l'art du parasite leur est supérieur de beaucoup,
il est évident qu'il paraîtra l'emporter,sur tous les autres arts,
autant que Nausicaa sur ses suivantes
27. Absolument parlant, l'art du parasite diffère essentielle-
ment de la rhétorique et de la philosophie par le fond même. Il
a un fond solide, mais celles-ci, non.
Nous ne sommes pas tous
d'avis que la rhétorique soit une seule et même chose les uns
l'appellent un ar t les autres un défaut d'art d'autres un mau-
vais art, autant d'hommes, autant de définitions. Il en est de
même de la philosophie; les avis sont également partagés. Épi-
cure voit les choses d'un autre œil que les philosophes du Por-
tique, qui ne pensent pas comme les Académiciens, lesquels ne
sont pas d'accord avec les Péripate'ticiens en un mot, il y a,
pour chacun de ces gens-là, philosophie et philosophie. Jusque
présent ils ne sont pas du mêms avis et l'art qu'ils exercent
n'est pas le même. On voit aisém 2Ut les conséquences qui déri-

1. Odyssée,IX, v. 408 et suivant».


2. Odyssée, VI, V. 4<H.
vent de ces prémisses Je ne puis pas reconnattre pour un art
ce qui n'a pas un fond sérieux; Qu'est-ce à dire? l'arithmétique
est une et identique deux fois deux font quatre aussi bien chez
nous que chez les Perses c'est un point sur lequel sont d'ac-
cord les Grecs et les barbares au lieu que nous voyons une
foule de philosophies différentes, qui ne s'accordent entre elles
ni sur les principes, ni sur la fin.
TYCHIADE. C'est la vérité. On dit qu'il n'y a qu'une seule phi-
losophie, et l'on en crée une multitude.
28. LE PARASITE. Pour en revenir aux autres arts, si, malgré
le peu d'unité que nous y rencontrons, quelqu'un venait deman-
der grâce pour eux, en se fondant sur ce qu'ils sont d'une
nature indéterminée, et que les notions dont ils se composent
sont sujettes à l'erreur, je croirais sa réclamation admissible,
mais la philosophie, science nécessaire, comment souffrir qu'elle
ne soit pas unique, ni plus d'accord avec elle-même que les
divers instruments d'un concert? Or, la philosophie n'est pas
unique, puisque j'en vois une infinité, laquelle pourtant ne
saurait subsister, puisqu'il ne doit y avoir qu'une philosophie.
29. On en peut dire autant de la rhétorique et du fond sur
lequel elle repose les diverses manières dont on la définit, et
les contradictionsengagées sur cet objet sont la preuve la plus
manifeste qu'elle n'existe pas, vu l'absence de notions positives.
Car les recherches que l'on fait pour savoir où est la meilleure
définition de la rhétorique, et le défaut d'accord qu'il y a sur son
unité, prouvent contre son existence même.
30. Il n'en est point ainsi de l'art du parasite il est unique
chez les Grecs et chez les barbares; il conserve partout son
identité absolue. On ne peut pas dire c Il y a parasites et para-
sites. On ne voit point parmi nous des sectes différentes, Stoï-
ciens ou Épicuriens professant des dogmes opposés nous te-
nons tous le même langage, nous sommes tous d'accord sur les
actes et sur le but et il me semble à cet égard du moins, que
l'art du parasite pourrait bien être la vraie sagesse.
31. TYCHIADE. Tout ce que tu viens de dire me paraît fort
juste. Mais comment nous feras-tu voir que, dans le reste, la
philosophie est inférieure à ton art?
LE PARASITE. D'abord on est obligé de convenir que jamais
parasite n'est' devenu amoureux delà philosophie,et l'on cite
nombre de philosophesqui se sont épris du métier de parasite,
et de nos jours cet attachement dure encore.
Tychle.de. Pourrais-tu me nommer quelques-uns de ces phi-
losophes si passionnés pour l'art du parasite P? ·
LE PARASITE. Ces philosophes, Tychiade, tu les connais bien;
tu feins de croire que je les ignore, comme si cette
profession
avait quelque chose de honteux, loin d'être honorable.
Tychiade. Non pas, Simon; j'en attesteJupiter, ce n'est point
une feinte, et je ne puis
devinerqui tu peux nommer.
LE PARASITE. Tu n'as donc jamais lu, mon cher, les biogra-
phies de ces philosophes autrement,tu reconnaîtrais sans peine
ceux dont je veux parler.
Tychiade. Si fait; mais, par Hercule, je désire vivement sa-
voir leurs noms.
LE Parasite. Je vais te les dire, et te dresser une liste de per-
sonnagesqui ne sont pas à dédaigner ce sont, à mon avis, de
très-grandsnoms, auxquels tu es fort loiu de t'attendre.
32. Le premier est Eschine 1, disciple de Socrate, qui a com-
posé de longs et spirituels dialogues. Il les porta un jour en Si-
cile, afin de se faire connaître par ses écrits à Denys le Tyran
lui lut le Miltiade*, et le succès qu'il obtint l'engagea à devenir
le parasite du Sicilien Denys, et à dire un long adieu aux études
socratiques.
33. Que dis-tu d'Aristippe de Cyrène? N'est-ce pas, selon toi,
un des philosophes .les plus distingués? op

Tychiade. Assurément.
LE PARASITE. Eh bien, vers.la même époque, il vint demeurer
à Syracuse et se fit le parasite de Denys. De tous ceux qui s'as-
seyaient à la table du tyran, Aristippe fut celui qu'il considéra
le plus, à cause de sa supériorité dans cet art, où il surpassait
tellement les autres, que Denys lui envoyait chaque jour ses
cuisiniers, pour prendre de lui des leçons. Aussi me paraît-il
avoir élevé notre art à la hauteur qu'il mérite.
34. Votre Platon ce grand génie vint aussi en Sicile dans
le même dessein il fut pendant quelques jours le parasite du
tyran, mais son peu de disposition l'empêcha de réussir; il
retourna donc à Athènes, travailla sérieusement, se prépara
avec grand soin, et revint, par un second trajet en Sicile', s'as-

t. Voy. sa vie dans Diogènede Laèrlo.


2. Nom de l'un des sept dialogues d'Eschine. Les six autres avaient pour
titres Callias, Axiochus, Aspasie, Alcibiade, Télangès, Rhinon.
3. Le grec joue sur les mots èvjTtpa areUai, second trajet, qui rappellent
Stihspof ir;.oOs, mot proverbial et comique, employé par Ménandre. On l'ex-
plique au propre, par seconde navigation, navigation à la rame, si la voile ne
réussit pas, et au figuré par le sens de nouvel expédient ncuveau moyen de te
•tourner, quand le premier n'a pas rémsi.
seoir quelques jours encore à la table de Denys; mais décidément
son ignorance le fit échouer. Cet échec de Platon en Sicile res-
semble beaucoup selon moi à la défaite de Nicias
Tychiade. Qui donc, Simon, donne tous ces détails?'1
35. LE PARASITE. Un grand nombre d'auteurs, entre autres
Aristoxène le musicien», homme digne de foi et qui fut lui-
même le parasite de Nélée Tu sais bien certainement qu'Eu-
ripide fut jusqu'à la mort celui d'Archélaùs et Anaxarquecelui
d'Alexandre
36. Aristote n'eut qu'une légère teinture de l'art du parasite,
comme de beaucoup d'autres, d'ailleurs.
37. Je t'ai montré, ce qui était vrai les philosophes se li-
vrant à la vie de parasite mais on ne saurait citer un seul pa-
rasite qui ait embrasséla philosophie.
38. J'ajouterai que si c'est un bonheur de n'éprouver ni la
faim ni la soif ni le froid, il n'y a que, le parasite qui jouisse
de cet avantage. On rencontre tous les jours des philosophes
transis de froiji ou mourants de faim; un parasite, jamais: ce
ne serait plus un parasite alors mais un malheureux, un men-
diant, semblable à un philosophe.
39. Tychiade. En voilà assez. Comment me prouveras-tu '`
maintenant que ton art est, en mille occurrences, préférable à
ta rhétorique et à la philosophie?
LE PARASITE. Il y a, mon cher, deux circonstances bien dis-
tinctes dans la vie humaine, la paix n'est-ce pas? et la guerre,
L'une et l'autre obligent les talents à se produire et forcent cha- `

cun à montrer ce qu'il vaut. Examinons d'abordl'état de guerre,


et voyons quels sont alors ceux qui servent le mieux eux-mêmes i
et leur patrie.
Tïchiade. Quel beau parallèle tu m'annonces là, et comme je f

4 Voy. Thucydide, iivre VII, et Plutarque, rie de Nicias.


2. a Aristoxène,file de Spintharus, était de Tarenle il rat forme â la musi
que par son père et par Lampricus Erythraus,dont il prit les leçons à Mantinée.
dans le Péloponôse. D'un très-grand nombre d'ouvrages qu'il avait composé»
sur la musique, il ne nous reste que ses Éléments d'harmonie, publiés par
Meursius, et depuis par Marc Meibomius, dans la collection des musiciens
grecs. Au commencementdé cette année (1789), M. l'abbé Morelli, bibliothé-
caire de Venise, a publié le second livre des RhythmiqUes, qu'il a trouvé dam
un manuscrit de ta bibliothèque de Saint-Marc de Venise. » Belim de Bmxc.
3. Voy. Athénée, I, p. 4 de l'édition Taucbnite.
4. Voy. Aulu-Gelle, Nuits attiques, XV, xx. Cf. Libanius, Apologue
DemM~ëne.
5. Voy. Diogène de Laè'rta,
me sens disposé à rire en 'voyant la
comparaison du parasite et
du philosophe
40. LE PARASITE. Afin de diminuer ton étonnement, et pour
que la chose te paraisse moins
risible, supposons qu'à l'instant
même on annonce que les ennemis ont fait invasion dans le
pays, qu'il faut marcher à leur
rencontre et ne pas les laisser
ravager impunément la campagne. Le général ordonne à tous
ceux qui sont en âge de porter les armes
de venir s'enrôler.
Ils accourent, et, parmi eux je vois des philosophes, des rhé-
teurs et des parasites. Commençons par les mettre à nu car il
faut absolument se déshabiller pour endosser une armure. Vois..
moi tous ces hommes, mon cher, les uns après les autres, et
inspecte leur corps. Les uns, exténués par le besoin, sont pâles,
maigres; ils donnent le frisson. On les prendrait pour des bles-
sés abandonnés sur le champ de bataille. Mêlée combat de pied
ferme, choc, poussière blessures, ne serait-il pas plaisant de
prétendre que ces gens sont capables de supporter tout cela,
eux qui ont besoin de quelque
bon restaurant?
41. Passe maintenant du côté du parasite regarde-moi cette
prestance! Ce corps n'est-il pas bien en chair, et d'un teint ré-
jouissant ? Il n'est ni brun, ni blanc couleurs dont l'une est
d'une femme, l'autre d'un esclave vois ensuite cet air martial,
cet œil terrible comme le mien, ce regard farouche et sangui-
naire il ferait beau voir de porter à la guerre un œil timide et
efféminé. Un soldat de ce calibre est superbe sous les armes, et
superbe encore après un superbetrépas.
42. Mais,qu'attendredes autres, après l'échantillon qu'ils ont
montré? Un mot résume tout de tous les rhéteurs et de tous
les philosophes qui ont été à la guerre, aucun n'a jamais osé
s'avancer hors des murs ou, s'il s'est vu forcé de s'aligner en
bataille, je soutiens qu'il a abandonné son poste et tourné le
dos,
TYCHtADE. Tout cela m'étonne, et tu nous en promets de belles ·
continue pourtant.
LE PARASITE. Parmi les rhéteurs, Isocrate, loin d'aller à la
guerre, ne monta jamais au tribunal. Sa timidité, je pense, lui
faisait perdre la voix Te
faut-il d'autres exemples ? Démade
Eschine, Philoçrate, glacés d'effroi par la déclaration de guerre
de Philippe, ne livrèrent-ils pas entre ses mains la république
et leur propre personne? Ne les vit-on pas demeurer à Athènes,

< Cf. Plutarque, rie des orateurs attiques, et Cicéron, Brulus chap. vm,
32; spécialementdans l'édition de Henri Meyer, Halle, 4838.
pour gouverner l'État au gré du roi de Macédoine, au point que
tout Athénien qui se déclarait le champion de Philippe, deve-
nait leur ami? Que dirai-je d'Hypéride, de Démosthène, de Ly.
curgue, qui passaient pour être plus braves? Ils tonnaient dans
les assemblées et se répandaient en invectives contre Philippe
mais quel acte de bravoure firent-ils dans la guerre contre es
roi? Hypéride et Lycurgue ne se mirent pas en campagne ils
n'osèrent pas même allonger la tête hors des murs; renfermés
dans les remparts, assis chez eux, et déjà serrés de près par
l'ennemi, ils rédigeaient de jolis décrets et des sénatus-con-
sultes Et le prince des orateurs*, qui ne cessait de répéter
dans les assemblées t Philippe le fléau de,la Macédoine, ce
pays d'où personne ne voudrait acheter un esclave', s, il osa
s'avancer jusqu'en Béotie; mais avant le choc des armées, avant
que l'on en vint aux mains, il jeta son bouclier et prit la fuite
Est-ce que tu n'avais pas entendu parler dé ce beau trait ? Il est
pourtant bien connu, je ne dis pas seulement des Athéniens,
mais des Thraces et des Scythes, de qui ce lâche tirait son ori-
gine".
43. TVCHIADE. Je le connaissais. Mais ces gens-là étaient des
orateurs, ayant la langue exercée, et le courage, point du tout.
Que peux-tu dire des philosophes? Tu n'auras certainement pas
le même reproche à leur faire?
LE Parasite; Les philosophes, Tychiade 1 Ils nous parlent
tous les jours de valeur; ils usent, si je puis dire, le nom même
dé la vertu, et ils se montrent encore plus lâches et plus effémi-
nés que les orateurs. Fais attention à ceci. D'abord il est im-
possible de citer un philosophe qui soit mort à la guerre car,
ou bien ils n'ont jamais servi, ou s'ils ont servi ils ont tous
pris la fuite. Antisthène, Diogène, Cratès, Zénon, Platon,
Eschiné,, Àristote, et leur tourbe tout entière, n'ont jamais vu
un front de bataille. Seul parmi tous, le sage Socrate eut le cou-
rage dé sortir de Potidée pour marcher au combat, mais il
se sauva bien vite du Parnèthe dans la palestre de Tauréas'. H
t. Poar ces Orateurset ceux dont les noms précèdent, voy. Plutarque, l. c.
a. Démostliènc,
Philippique.
3. Voy, la IV'
4. A la bataille de Chéronée(338 avant Jésus-Christ).Cf. Plutarque, Vie de
Démosthène.
6. Voy. Eschine contre Clésiphon,p. 3&6 de t'édition de Wolf.
6. Nous lisons arec Paulmier de Grcntemcsnil I\ortiaief au lieu de noki,
et nous traduisons en conséquence.
7. Voy. Platon, Charmide, su commencement.
trouvait bien plus aimable de deviser joyeusement, assis avec
de jolis garçons, et de proposer des arguties à ceux qu'il ren-
contrait, que de tenir tête à un guerrier spartiate.
Tychiade. Mon cher ami, j'ai entendu citer ce fait par des
gens qui ne voulaient, ma foi, ni railler, ni
insulter lés philo-
sophes, je vois donc que tu ne les calomnies pas dans l'intérêt
de ta profession.
44. Mais, si tu le veux bien, il est temps de nous faire voir
comment le parasite se comporte à la guerre, et si chez les an-
ciens il y a eu des parasites.
LE PARASITE. Assurément, mon doux ami, il n'y a personne
qui, connaissant Homère, fut-il l'homme le plus ignorant du
mondé ne sache que ses héros les plus illustres étaient des pa-
rasites. Lé fameux Nestor, de la langue duquel la parole coulait
comme le miel; était le parasite du
roi des rois Ni Achille,
qui passait pour le plus valeureux et le plus juste ni Diomède,
ni Ajax, n'obtient d'Agamemnon autant d'admiration et d'éloges
que Nestor. Ce'n'est pas
dix Ajax qu'il souhaite d'avoir avec lui,
ni dix Achilles, mais il dit que depuis longtemps Troie serait
prise, s'il avait dix soldats semblables à ce parasite qui cepen-
dant était vieux Homère appelle également Idoménée, un fils
de Jupiter, parasite d'Agamemnon.
45. Tyghiade. Je connais ces passages du poëte; mais je ne
crois pas avoir compris qu'il fit de ces deux guerriers deux pa-
rasites d'Agamemnon.
LE PARASITE. Rappelle-toi; mon cher, les vers où Agamemnon
s'adresse à Idoménée.
Tychiade. Lesquels?
LE Parasite.
Comme à moi votre coupe est sans cesse remplie';
Vous pouvez la vider au gré de votre envie.

Ces mots, votre coupe est~sans cesse rempiie, ne signifient pas


qu'une coupe pleine de vin est toujours près d'Idoménée, qu'il com-
batte ou qu'il dorme, mais qu'il aseulleprivilégede venir, sa vie
iurant, s'asseoir à la table du roi, à la différence des autres
guerriers; qui n'étaient invités que certains jours. Lorsqu'Ajax
s'est couvert de gloire dans son combat singulier avec Hector,
on le conduit, dit le poëte au divin Agamemnon, afin qu'il
ait l'honneur de souper ce soir-là avec le roi. Mais Idoménée et
r
1. Iliude, I, v. 249. 2. Iliade, H, v. 379. S. Iliade, IV, V. 262.
4. Iliade, VII, v 4SI et 312.
Nestor y soupaient tous lés jours; c'est le poëte qui le dit. Je
crois même que, de tous les parasites des rois, Nestor a été l'ar
tiste le plus habile; car ce n'est pas auprès d'Agamemnon qu'
fit son apprentissage; longtemps 'auparavant il s'était form
chez Cénéus et chez Exadius 1 et, selon toute apparence, il n
cessa d'exercer qu'à la mort d'Agamemnon.
Tychiade. Voilà un noble parasite 1 Si tu en connais quelques
autres, tâche de me le dire.
46. LE PARASITE. Eh quoi, Tychiade Patfocle n'est-il pas le
parasite d'Achille, lui qui n'était inférieuf à aucun autre des
Grecs, ni pour le corps, ni pour l'esprit, et un jeune homme en-
core ? Il me semble même qu'il n'était pas moins brave qu'Achille,
à en juger par les exploits. Hector avait rompu les portes", il
combattait près des vaisseaux, Patrocle 1# repousse et éteint le
feu qui commençait à brûler le vaisseau ie Protésilas; et cepen-
dant ce n'étaient pas d'obscurs guerrier* qui le montaient, mais
les deux fils de Telamon, Ajax et Teùfcer, l'un hoplite, l'autre
archer. Ce même parasite d'Achille fait tomber sous ses coups un
grand nombre de barbares, entre auttts Sarpédon s, fils de Ju-
piter et, lorsqu'il expire lui-même, te n'est point d'un trépas
vulgaire. Achille suffit pour tuer Hector Paris tue seul Achille;
niais, pour immoler notre parasite,il faut un dieu et deux hom-
mes En mourant,: il ne fait pas entendre des paroles sembla-
bles à celles du brave Hector, qui, se roulant aux genoux
d'Achille, le supplie de rendre son êorpsà à ses parents8; tout ce
que dit Patroolesst digne d'un parasite.
Tychiade. Que dit-il?
LE PARASITE.
Quand vingt guerriers pareils se seraient présentés',
La, force de mon bras les aurait tous domptés.

47. Tychiade. Fort bien. Mais comment Patrocle était-il plu-


tôt'le'parasite que l'ami d'Aéhille? Tâche de le dire.
Le Parasite. Je neVen produirai pas d'autre témoin, Tycm'ade,
que Patrocle lui-même, qui en fait l'aveu.
Tychiade. Tu m'etonnes.

IUaile.l, v. 264.
2.i Iliade,XVI,
XVI, r. 284 et suivants.
v. 480.
3. tliaii, Cf. Virgile, Enéide, 1, v. )OO, et X, v. 270
4. Apollon, Euphorbe el Hector. Voy. Iliade. XVI, v. 788 el 819.
5 rliade, XXII, V. 387.
6. Iliade. XVI v. 847.
I
LE PARASITE. Écoute donc ces vers
[ Dans le même tombeau que la mort nous rassemble,
Puisqu'un même palais nous a nourris ensemble.
Et un peu plus loin'
Pélée auprès de lui me donnant un asile,
Me nourrit, me nomma !e serviteur d'Achille,

c'est-à-direme reçut comme parasite. Si Pélée avait voulu ap-


peler Patrocle l'ami d'Achille, il ne l'aurait pas nommé son ser-
viteur. Patrocle était de conditionlibre. Or, qu'appelle-t-on ser-
viteurs ? Ce ne sont ni les esclaves ni les amis. Il est clair que
ce sont les parasites.
C'est dans le même sens qu'Homère appelle
Mérion le serviteur d'Idoménée. Tel était alors, je pense, le nom
des parasites. Remarque, en outre, que le -poète ne croit pas pou-
voir appliquer à Idoménée, fils de Jupiter, l'épithète d'égal à
Mars' il la réserve à Mérion, son parasite.
48. Que te dirai-je ? Aristogiton, plébéien et pauvre, comme le
dit Thucydide n'était-il pas le. parasite d'Harmodius? Il y a
mieux n'était-il pas son amant? Il est bien juste, en effet, que
les parasites soient les amants de ceux qui les nourrissent. C'est
pourtant ce parasite qui a rendu la liberté à la ville d'Athènes
opprimée par la tyrannie; et maintenant il est debout en airain
sur l'agora avec son cher ami. Ainsi tous ces gens de cœur
étaient en même temps des parasites.
49. Et maintenantquelle est l'attitude du parasite la
Comment te le figures-tu? D'abord il ne sort pas, pour aller
guerre?
prendre son rang, avant d'avoir bien dîné, suivant le précepte du
sage Ulysse Il veut, en effet, que celui qu'on envoie au com-
bat soit bien régalé, dût-il prendre les armes au lever de l'au-
rore. Le temps que les autres soldats, saisis de crainte, passent
à bien ajuster leur casque, à endosserleur cuirasse, ou à trem-
bler d'avance' à l'idée des mauvaises chances de la guerre, le
parasite l'emploie à faire un bon repas, la figure épanouie, et,
quand on se met en marche, il combat au premier rang. Celui
qui le nourrit se place derrière le, parasite, et le parasite lui fait
un rempart de son corps, commeAjax couvraitTeucer de son bou-
clier" quand les traits pleuvent,il s'y expose à découvert, et
en
garantitson hôte, dont il veut sauver les jours plutôt que les siens.

(. Iliade, -XXIII, v. 83. – 2. Iliade, XXIII, v. 90.


– 3. Iliade, XIII,
r.285,etVH,y. 160.- 4. Livre VI, ny, i.Iliade, XX, T. 180,-0. flto'k,
VIII, V. 272,,
50. Si le parasite tombe sur le champ de bataille, il n'y a ni
chef ni soldat qui rougisse de lui son grand corps est couché'
mollement comme dans un festin et il faut voir à côté le cada-
vre d'un philosophe tout décharné, sale, avec une grande vilaine
barbe, mort avant le combat, le pauvre homme! Qui ne mépri-
serait une ville, en voyant ces chétifs défenseurs? Qui ne croi-
rait, en apercevant ces avortons pâles et chevelus. que la ville,
à défaut d'alliés, a tiré du fond des prisons des malfaiteurs pour
les jeter au combat? Vqilà quels sont, en temps de guerre, les
philosophes et les orateurs au prix des parasites.
51. En temps de paix, l'art du parasite diffère autant de la
philosophie que la paix elle-même de la guerre. Et d'abord, si tu
veux bien, jetons un coup d'œil sur les endroits fréquentés pen-
dant la paix.
Tyçhiade. Je ne comprends pas trop où tu veux en venir;
voyons toutefois.
Le Parasite. L'agora, les tribunaux, les palestres, les gymna-
ses, les chasses, les banquets, ne sont-ce pas là les points de
réunion des citoyens?
Tychiade. En effet.
LE PARASITE. Le parasite ne se rencontre jamais sur l'agora ni
aux tribunaux; tous ces endroits-là, j'imagine, conviennent plu-
tôt aux sycophantes la sagesse et la modération y sont incon-
nues. Quant aux palestres, aux gymnases et aux festins, il les
fréquente et en fait l'ornement. Or, voyez dans une palestre un
philosophe ou un orateur dépouillé de ses vêtements; mérite-tril
d'être comparé à un parasite pour la beauté du corps? Est-il un
d'eux qui, paraissant dans un gymnase,ne soit pas la honte du
lieu? Jamais philosophe, dans une garenne, n'osera tenir tête à
une bête sauvage qui vient à sa rencontre; le parasite les attend
toutes de pied ferme, il les reçoit sans crainte; il est accoutumé
à les- braver dans les festins. Un cerf, un sanglier qui hérisse
ses soies, ne lui fait pas peur. Si le sanglier aiguise ses dents
contre le parasite, le parasite aiguise les siennes contre le san-
glier Il n'est pas de chien qui sache mieux poursuivre un
lièvre. Enfin, dans jin banquet, qui peut lui disputer la palme
pour le badinage ou pour l'appétit? Qui sait le mieux égayer les
convives?Est-ce l'hqmtqe qui chante et sème les traits d'esprit,
ou bien Cet autre qui ne rit jamais, et qui, enveloppé dans son
manteau, les yeux à terre, semble plutôt assister à un enterre-
ment qu'à un repas? Un philosophe dans un banquet me fait
l'effet d'un chien dans un bain.
52. Mais laissons ce tableau passons à la vie privée du para-
site, puis voyons celle du philosophe, et comparons. D'abord on
voit qu'en toute occasion le parasite se rit de l'opinion et se
soucie fort peu de ce que pensent les hommes. Les orateurs, au
contraire, et les philosophes, sont, je ne dis pas quelques-uns,
mais tous, dévorés d'orgueil et de vanité, et non pas seulement
de vanité, mais, ce qui est encore pis, de la soif de l'argent. Le
parasite témoigne pour l'argent autant d'indifférence qu'on en a
pour les cailloux du rivage, et il ne veut pas que l'or soit préfé-
rable au feu. Mais les orateurs, et, chose encore plus révoltante,
les soi-disant philosophes, ont pour ce métal un penchant si
malheureux, que, parmi les plus illustres de nos jours, ne par-
lons pas des orateurs, l'un, juge inique, est convaincu de s'être
laissé corrompre par des présents; un autre exige de ses disci-
ples le salaire de quelques misérables sophismes; celui-ci
demande à l'empereur le prix d'une conversation il ne rougit
pas, vieillard déjà cassé par l'âge, d'entreprendre un voyage
pour se faire solder, ni de se vendre comme un prisonnier indien
ou scythe, et la honte de ce nom lui paraît compensée par î.'ar-
gent qu'il reçoit.
53. Cette passion n'est pas la seule que tu trouveras en eux
ils en ont bien d'autres tristesses, colères, jalousies, désirs de
toute espèce. Le parasite est exempt de tous ces maux. Jamais
il ne se fâche; sa patience lui fait tout endurer il n'a personne
contre qui il puisse se mettre en colère. Si quelquefois il s'em-
porte, son courroux ne l'entraîne à rien de terrible ni de farou-
che, il ne produit que le rire et la gaieté des convives. De tous
les hommes, c'est celui qui a le moins de chagrin; son art lui
procure l'agrément et l'avantage de n'avoir jamais aucun sujet
de tristesse. En effet, il n'a ni biens, ni esclaves, ni femme, ni
enfants, dont la perte est nécessairementdouloureuseà celui qui
lés possède, bien qu'il faille les, perdre un jour. Il ne désire ni
gloire, ni richesses, ni mignons.
54. TYCHIADE.Mais Simon, il est vraisemblableque le manque
de nourriture doit lui causer de la peine.
LE PARASITE. Tu oublies, Tychiade, que celui-là cesse d'être
.parasite, qui manque de nourriture. Sans le courage, il n'y a pas
'd'homme courageux, ni d'homme prudent sans la prudence;
sans le manger il n'y a plus de parasite. Nous nous occupons
d'un parasite et non d'un homme qui ne l'est pas. Or, s'il n'est
d'homme courageux que par le courage, et d'homme prudent que

Allusionà Apollonius d'Allièncs, que Marc Aurèle fit venir auprès de lui,
pour s'instruire par sa conversation.
par la prudence, il n'y a de parasite que par le manger cette
condition cessant, nous nous occupons de tout autre que d'un
parasite.
Tychiade. Par conséquent le parasite ne manque jamais de
nourriture?
LE PARASITE. Naturellement; si bien que cette préoccupation,
pas plus qu'une autre, ne peut lui causer.de chagrin.
55. Tous les philosophes. sans exception, aussi bien que les
orateurs, sont assiégés par la crainte. On les voit, pour la plu-
part, marcher un bâtoriià la main; ils ne s'armeraient pas ainsi,
s'ils n'avaient pas peur ils ne fermeraient' pas non plus si bien
leurs portes, s'ils ne craignaient pas qu'on vint les attaquer
la nuit. Le parasite se contente de pousser sa porte, de peur
seulement que le vent ne l'ouvre. S'il entend du bruit la nuit.
il ne s'en inquiète pas plus que si de rien n'était. S'il traverse
un lieu désert, il voyage sans épée, attendu qu'il ne redoute
rien; tandis que j'ai souvent vu des philosophess'armer d'un
arc, sans qu'il y eût le moindre danger; en effet, ils ne quittent
jamais leurs bâtons pour aller au bain ou à un dtner.
56. On ne peut accuser le parasite d'adultère, de violence, de
rapt ou de n'importe quel autre crime. Il cesserait d'être parasite
et se ferait ainsi tort à lui-même; car en commettant, par
exemple un adultère, il prendrait de son acte même le nom que
cet acte sert à désigner. De même qu'un méchant ne peut être
appelé bon, de même le parasite, s'il se rend coupable, perd la
qualité qu'il avait et reçoit celle qui correspond à sa mauvaise
action. Combien, au contraire, de philosophes et d'orateurs, se
sont rendus coupables de ces méfaits! Non- seulement, ceux
que nous savons de nos jours, mais tout ce que nous trouvons
mentionné sur leur compte dans les livres et dansjes mémoires.
Il existe des apologies de Socrate, d'Eschine, d'Hypéride de
Démosthène et de presque tous les rhéteurs et les philoso-
phes mais il n'y a pas d'apologie de parasite, et l'on ne pour-
rait citer une seule accusationintentée à l'un d'eux.
57. Tïchiade. Mais, par Jupiter, si la vie du parasite est
meilleure que celle des orateurs et des philosophes, sa mort est
bien plus triste.
LE PARASITE. C'est tout le contraire; elle est beaucoup plus

i reste trois apologiesde Socrate, l'une de Platon et les deux autres de


II
Xénophon et de Libanius. Ce dernier loue Hypéridedans sa XVe déclamation.
Quanta l'apologie et à l'éloge de Démoslhène, nous en parlerons plus loi»,
t progos du traité (Je tuçien qui porte ce nom,
heureuse. Nous savons que tous les philosophes, ou du moins
la plupart, ont eu, misérables, une misérable fin. Les uns,
condamnés en justice ont péri par le poison d'autres ont eu
le corps tout brûle ceux-ci sont morts d'une rétention d'urine,
ceux-là dans l'exil. On ne saurait dire que jamais parasite soit
mort ainsi; ils finissent tous de la manière la plus heureuse,
mangeant et le verre en main. Si quelques-uns semblent avoir
péri d'une mort violente, c'est qu'ils sont morts d'indigestion.
58. Tychiade. Tu as parfaitement soutenu le débat en faveur
du parasite contre les philosophes. Il te reste à me démontrer
maintenant que ton art est honnête et utile à celui qui le fait
subsister. Il me semble que c'est par une libéralité, par une
grâce particulière, que les riches vous nourrissent, et que c'est
une manière de vivre honteuse pour celui qui est nourri.
LE PARASITE. Que tu es simple, Tychiade, de ne pas com-
prendre qu'un riche, eût-il tout l'or de Gygès, s'il mange, de-
vient pauvre, et que s'il sort sans parasite, on le prend pour un
mendiant Comme on estime moins un soldat sans armes, un
vêtement sans pourpre, un cheval sans harnais de même un
riche sans parasite paraît mesquin et sans valeur. Je vais plus
:oin le riche se trouve relevé par le parasite, et le parasite
n'est point relevé par le riche.
59. Il s'en faut donc bien qu'il y ait, comme tu le prétends,
de la honte à se faire le parasite d'un homme au-dessous duquel
on a l'air par là de se placer, puisqu'il est, au contraire, utile
au riche de nourrir un parasite qui, en lui servant d'ornement,
garantit sa sûreté, en étant son satellite fidèle. Personne, en
effet, ne songe à venir attaquer le. riche, quand on le voit si
bien gardé. Jamais un riche n'est mort empoisonné dans un re-
pas, quand il a eu un parasite. Qui oserait attenter à ses jours,
quand son parasite boit et mange de tout avant lui ? Le riche
n'est donc pas seulement honoré d'avoir un parasite à sa table
il lui doit d'échapper aux plus grands dangers. Il n'en est pas
qu'il n'affronte par attachement à celui qui le fait vivre, et con-
tent de ne pas céder au riche l'honneur de bien manger, il est
tout prêt à mourir en mangeant avec lui.
60. Tychiade. Il me semble, Simon, que tu as parcouru toutes
les branches de ton art,
sans en négliger aucune, et cela non
pas en homme qui n'est point préparé, ainsi que tu le disais,
mais comme quelqu'un qui s'est exercé de longue main. Il ne me
reste qu'une chose à savoir, c'est si le mot même de parasite
n'a pas quelque chose de honteux.
Lt Parasite. Écoute ma réponse, et vois si elle te satisfait.
Seulement, essaye de répondre aux questions que je t'adresse.
Voyons, qu'est-ce que les anciens appellent oîids?2
Ttchiàde. De la nourriture.
LE PARASITE. SiTefaôàij être nourri, n'est-ce pas la même chose
que manger ?
TYCHIADE.Oui.
LE PARASITE. Par conséquentnaporoiTerv ne veut pas dire autre
chose.
Tychiade. C'est là précisément ce que l'on trouvé honteux.
61. LE Parasité. Eh bien! réponds-moi maintenant à une
autre question. Quelle différence trouves-tu, et que choisirais-
tu, si l'on te proposait l'un et l'autre, entre naviguer et navi-
guer à côté de quelqu'un ?
Tychiade. J'aimerais mieux- naviguer avec quelqu'un.
Le PARASITE. Courir simplement, ou courir avec quelqu'un?
Tychiadej Gourir avec quelqu'un.
LE PARASITE. Aller à cheval, seul ou aveo un autre ?
Tychiade. Avec un autre.
LE Parasite^ Lancer seul un javelot ou avec un autre?
Tyghude. Avec un autre.
LE PARASITE. S'il en est ainsi, tu aimeras mieux manger avec
un autre que manger seul.
lYCHiADEi Je suis forcé d'en convenir. Aussi dorénavant, je
veux comme les écoliers t'aller voir le matin et l'après-dînée,
afin d'apprendre ton art. Il est juste que tu ne te fasses pas
scrupule de me l'enseigner, moi, ton premier élève. On dit
que les mères ont un faible pour leurs premiers enfants.
4< C'est-à dire manger avec quelqu'un.
XLIX

ANACHARSIS OU LES GYMNASES1.

ANARCHARSIS ET SOLON.

1, ANACHARSIS.Pourquoi, Selon, vos jeunes gens agissent-ils


delà sorte? Les uns, étroitement embrassés, se donnent
cfoo-en-jambe; d'autres se serrent avec force et se ploient
un
comme
dé l'osier; d'autres enfin se roulent dans la boue et s'y vautrent
comme des pourceaux. D'abord, ils ont commencé sous
mes
yeux à quitter leurs vêtements, à s'oindre d'huile, et à se frot-
ter réciproquement d'un air fort calme; mais bientôt pris de je
ne sais quelle idée, ils se sont rués les uns sur les autres, tête
baissée et en se frappant le front comme des béliers. Voici que
l'un enlève son adversaire par les jambes, le jette à terre,
précipite sur lui l'empêche de se relever et le se
pousse dans la
boue, lui presse le ventre avec ses jambes, lui applique le coude
sur le gosier, et étouffe déjà le malheureux qui, lui frappant
sur l'épaule, le prie avec instance, je crois, de ne pas l'étran-
gler tout à fait. Comme l'huile dont ils
se sont frottés ne les
pêche pas de se salir, et qu'ils ont bientôt fait disparaître em-
cette
sorte d'enduit pour se couvrir de boue et ruisseler de ils
sueur,
me font bien rire, quand je les vois glisser des mains
des anguilles.
comme
2. D'autres, dans la partie découverte de la cour, livrent
se
au même exercice seulement, ceux-ci ne se plongent
pas dans
< Cf. Dissertationde Burette sur la gymnastique, dans iea premiers volu-
mes des Mémoires Je l' Académie des inscriptionset belles-lettres;Barthélémy,
royuge d'Anacharsis, chap.
xxvi; Ch. Deiobry, Rome au tiède d'Auguste,
lettre xxyu; EncyclopédieMuvelle do F. Didot,
articles Gymnase et Gym-
mittque. De Pauw s'élève contre la violence des exercices
du gymnase dans
ses Recherches philosophiques les Grecs partie 1, section h, § 4. 11 est
sur
d'accord avec J. J. Rousseau, qui dit dans Emile,
livre |V « Çn vioieql
IWcice étwjBe les senlialèns tendres.
»
la bons, ils ont une fosse remplie de sable, qu'ils se répandent
à pleines mains les uns sur les autres, en grattant la
pous-
sière comme des coqs, sans doute afin de pouvoir échapper
moins facilement quand ils se serrent, parce que le sable
empêche le corps de glisser et offre à sec une prise plus
as-
suiée.
3. Quelques-uns debout, tout poudreux, se jettent les uns sur
les autres et se frappent à coups de poing et à coups de pied.
En voici un qui semble être sur le point de cracher ses dents, le
malheureux tant sa bouche est pleine de sang et de sable il
a reçu, tu vois, un coup sur la mâchoire l'archonte je sup-
pose que c'est un archonte, à cause de sa robe de pourpre, loin
de les séparer, ne met pas fin au combat.
4. Au contraire il les excite et donne des éloges à celui qui
a frappé. Ailleurs, j'en vois d'autres qui s'agitent avec vio-
lence ils sautent comme s'ils couraient, et restent cependant à
la même place ils s'élancent et donnent des coups de pied en
l'air.
5. Je voudrais savoir quel bien résulte de tout cela il me
semble qu'une telle conduite tient un peu de la folie, et l'on
me persuadera difficilement que ceux qui agissent ainsi ne sont
pas extravagants.
6. SOLON. Je ne suis pas surpris, Anacharsis, que ce que tu
vois faire ici te paraisse bizarre c'est pour toi une coutume
étrangère et bien éloignée des mœurs de la Scythie. Votre édu-
cation et vos exercices paraîtraient de même fort extraordinaires
à nous autres Grecs, si l'un de nous en était témoin, comme
tu l'es aujourd'hui des nôtres. Rassure-toi cependant, mon cher
ami ce n'est ni par folie, ni pour se venger d'une injure que
nos jeunes gens se frappent, se roulent dans la boue ou s'as-
pergent de poussière cet exercice présente une utilité qui n'ex-
clut pas le plaisir et procure au corps une vigueur singulière.
Si tu séjournes quelque temps en Grèce, comme je l'espère,
tu ne tarderas, pas à* être toi-même un de ceux qu'on jette
dans la boue ou dans le sable la chose te semblera tout à la
fois agreable et utile,
ANACHARSIS. Fi donc, Solon 1 gardez pour vous cette utilité
et cet agrément. Si quelqu'un de vous me faisait une chose pa-
reille, il sentirait que ce n'est pas pour rieu que nous sommes
armés »d'un cimeterre. Cependant, dis-moi quel nom vous don-
nez à ce qui se fait ici; comment appellerons-nous les mouve-
ments de ces jeunes gens?
7. SOLON. Ce lieu même, Anacharsis, nous le nommons nu
gymnase, il est consacré à Apollon Lycien'. Tu vois la statue
de ce dieu, appuyé sur une colonne et tenant un arc dans sa
main gauche son bras droit est replié sur sa tête comme
pour montrer qu'il se repose d'une longue fatigue.
8. Quant aux différents exercices, celui pour lequel on s'enduit
de boue,' se nomme la lutte* cependant ceux qui se couvrent de
poussière se nomment aussi lutteurs. Nous nommons pancrace
Je combat où l'on se tient debout en se frappant l'un l'autre.
Nous avons encore d'autres exercices du même genre, le pugilat,
le disque le saut. Il y a des concours pour tous ces exercices,
le vainqueur est considéré comme au-dessus de tous ses conci-
toyens, et remporte des prix.
ANACHARSIS. Et quels sont ces prix?
9..SOLON. A Olympie, c'est une couronne d'olivier sauvage
à l'Isthme, une couronne de pin elle est faite d'ache à Némée
à Pytho on donne des fruits cueillis aux arbres consacrés à
Apollon, et chez nous, aux Panathénées, des olives provenant
des oliviers de Minerve. Pourquoi ris-tu, Anacharsis? Est-ce
que ces prix te paraissent de peu de valeur?
AnacharsIs. Non pas, Solon; je les trouve magnifiques tu
m'as fait l'énumération de récompenses qui prouvent une lutte
de libéralité entre les fondateurs, et dont la conquête mérite les
efforts surhumains des athlètes. Il est tout naturel que, pour des
fruits et de l'ache, ils se donnent toute cette peine et courent
le risque de se faire étrangler ou estropier les uns par les au-
tres. Comme s'il n'était pas facile de se procurer du fruit, quand
bon leur semble, et de se couronner d'ache et de pin sans se
barbouiller la figure et sans se faire donner des coups de pied
dans le ventre par leurs adversaires
10. SOLON. Mais, mon cher, ce ne sont pas ces faibles présents
que nous considérons ils ne sont que les indices, les signes
extérieurs de la victoire la gloire qui en est la conséquence
est d'un prix inestimable pour les vainqueurs c'est pour ell

H « II y avait dans Athènes trois gymnases, l'Académie le Cynosarge et le


Lycée. Le premier était dédié au héros Acauémus, duquel il tirait son nom;
le second à Hercule, qui y avait un temple; et le troisième, dont il est ici
question, à Apollon Lycien. Voy. Suidas, au mot Tu/jlvû<hk Démosthène,
Contre Timocrnte, p. 791, édition de Wolf; et la Scolie d'Ulpien, p. 820. La
raison pour laquelle les Athéniens avaient dédié ce gymnase à Apollon, est
exposée par Plutarque, au livre Yll de ses Questions de table, problème iv,
p. 889 édition de ReisSe. » Bcus de Bau.it.
2. Jeu de mots entre ttïïAo'ç on tcgùo's, boue9 et 7CeUi99 iutte*
3 Nom grec de Delphes.
qu'on trouve beau même de recevoir des coups de pied, quand
on poursuit par ses travaux une bonne renommée car on ne
peut l'obtenir sans peine. Il faut que celui qui la désire endure,
dès le commencement, des fatigues sans nombre, afin de voir
ses travaux couronnéspar une fin tout à la fow utile et agréable.
ANACHARSIS.Par cette fin utile et agréable, tu veux dire, Solon,
que tout le monde doit couronner, et que chaque s'empresse de
.ouer ceux dont on avait pitié quelques instants auparavant,
à cause des coups qu'ils recevaient. Les voilà bien heureux
d'avoir, en échange de leur mal des fruits et de Tache
Solon. Tu ne connais pas encore nos usages, te dis-je mais,
avant peu, tu changeras de manière de voir, quand tu auras as-
sisté à nos assemblées solennelles, quand tu auras vu un peuple
immense accourir de toutes parts pour être témoin de ces jeux,
les amphithéâtres pleins de milliers de spectateurs, les jouteurs
comblés d'éloges et le vainqueur honoré à l'égal des dieux.
11. ANACHARSIS. Et voilà justement, Solon, ce qu'ily a de plus
déplorable ce n'est plus sous les yeux de quelques témoins
qu'ils endurent ces traitements; c'est à la vue d'une foule de
spectateurs qui assistent à leurs outrages, et qui doivent les es-
timer bien heureux quand ils les voient tout dégouttants de
sang ou étouffés par leurs adversaires car c'est tout le bonheur
de leur victoire. Chez nous autres Scythes, Solon, si quelqu'un
frappait uri citoyen, on le jetterait par terre en s'élançant sur
lui s'il lui déchirait ses vêtements, les vieillardslui infligeraient
un châtiment des plus rigoureux, sa violence n'eût-elle éclaté
que devant un ,petit nombre de témoins loin de se produire
au milieu d'une affluence du genre de ctlles que tu nous mon-
tres à l'Isthme ou à Olympie. Quoi qu'il en soit, je ne puis
m'empêcher de plaindre les lutteurs, lorsque je vois ce qu'ils
ont à souffrir. Quant aux spectateurs, qui, dis-tu, accourent des
meilleurs rangs de la société pour-assister à ces spectacles, je
m'étonne fort qu'ils abandonnent des affaires importantes pour
venir s'y divertir, et je ne puis nullementcomprendre quel plai-
sir ils trouvent à voir des hommes se battre, se rouer de coups,
se jeter contre terre et se meurtrir les uns les autres.
12 Solon. Si nous étions, Anacharsis, à l'époque des jeux
olympiques, des jeux isthmiques ou des Panathénées, tu appren-
drais, en voyant ce qui s'y passe, que nous n'avons pas tort de
montrer tant d'ardeur pour ces spectacles. Je ne puis, en effet,
par la parole, te donner une iàé» du plaisir que tu aurais, assis
au milieu des Spectateurs voir la bravoure des athlètes la
beauté de leur corps, leurs poses admirables, leur souplesse
merveilleuse, leur force infatigable, leur audace, leur émulatior
leur courage invincible, leurs efforts incessants pour la victoire?
Je suis bien persuadé que tu ne cesserais de les combler de
louanges, de te récrier, d'applaudir.
13. ANACHARSIS. Non pas, ma foi, Solon, mais d'en rire, et,
qui plus est, de m'en moquer. En effet, tout
ce que tu viensd'é-
numérer, cette bravoure, ces poses, cette beauté, cette audace,
sont, je le vois bien, perdues pour vous, qui les employez à
peu
de chose, sans que la patrie soit en danger
ou le pays ravagé,
que vos amis ou vos parents aient reçu quelque insulte. Ces
jeunes gens ne sont-ils pas d'autant plus ridicules, si,
avec les
qualités éminentes que tu leur prêtes, ils souffrent tant de
maux
en pure perte et déshonorent leur beauté et leur force en les
couvrant de poussière et de meurtrissures, le tout pour se voir
maîtres d'un fruit ou d'une branche d'olivieraprès leur victoire,
car j'aime à me rappeler sans cesse des prix aussi splendides.
Mais, dis-moi, tous les combattants les remportent-ils?
SOLON. Non, vraiment; il n'y en
a qu'un seul entre tous, le
vainqueur.
ANACHARSIS. Comment, Solon, c'est pour une victoire incer-
taine et douteuse, qu'un si grand nombre d'hommes
se donnent
tant de peines, et cela, quand ils savent qu'il n'y aura définitive-
ment qu'un seul vainqueur, avec une foule de vaincus qui
au-
ront reçu pour rien, les malheureux, les coups et les bles-
sures ?
14. SOLON. Il semble, Anacharsis, que tu n'aies jamais réflé-
chi sur les moyens de bien
gouverner un État; sans quoi tu ne
blâmerais pas un de nos plus beaux usages. Si tu
es curieux de
savoir un jour ce qui peut donner à État la constitution
un
plus parfaite et rendre les citoyens aussi bons
la
que possible, tu
approuveras alors ces exercices et l'ardeur avec laquelle
les cultivons; tu reconnaîtras l'utilité mêlée à nous
ces laborieuses
épreuves, qui te paraissent aujourd'hui tout à fait stériles.
ANACHARSIS. Eh mais! Solon, je
ne suis pas venu de la Scy-
thie chez vous, je n'ai
pas traversé tant de contrées, passé
lEuxm si vaste et -si orageux,
pour un autre dessein que d'ap-
prendre les lois de la Grèce, observer
vos usages, et étudier la
meilleure forme de gouvernement. C'est
tant d'Athéniens, je t'ai choisi
pour cela que, parmi
pour mon ami et pour mon hôte,
surle bruit que tu avais établi certaines lois, introduit
lents usages, fondé d'utiles institutions,
d'excel-
organisé, enfin, un bon
gouvernement, Instruisnnoi donc dis à présent, prends-moi
pour ek've, et désormais, assis tels côtés, je
me passerai volon.
tiers de manger et de boire, tant que, de ton côté', tu pourras
parler, et que moi, la bouche béante, je t'entendrai discourir sur
le gouvernementet sur les lois.
15. SOLON. Il n'est pas facile, mon ami, de parcourir tous ces
objets en si peu de temps. Si tu veux connaître chacun d'eux en
particulier, je t'instruirai de nos dispositions relatives aux
dieux, aux parents, aux mariages et à tout le reste. Quant à
notre façon, de penser au sujet des jeunes gens et à l'éducation
que nous leur imposons aussitôt qu'ils sont en âge de distinguer
le bien du mal, de donner à leur corps une trempe virile et de
supporter les travaux, je vais te l'exposer, afin que tu saches
dans quel dessein nous avons institué ces exercices et soumis
de bonne heure leur corps à la fatigue, non-seulement en vue
des jeux publics et des prix qu'ils y peuvent recevoir, puisqu'un
très-petit nombrey arrivent mais afin de te fairevoir le bien qui
en résulte pour la cité tout entière et pour eux-mêmes. Il est, en
effet, un autre combat proposé à tous les citoyens vertueux la
couronne n'en est pas de pin, d'ache ou d'olivier sauvage mais
elle renferme en elle-même la félicité publique c'est la liberté
de. chaque citoyen en particulier et de la patrie en général la
richesse, la gloire, la célébration paisible des solennités établies
par nos ancêtres, la conservation de nos biens, en un mot, les
-faveursles plus brillantes que l'on puisse souhaiter des dieux
tous ces biens sont tressés dans la couronne dont je parle, et
ne peuvent s'acquérir que par le combat auquel ces exercices
préparent.
16. ANACHARSIS. Comment donc, homme étonnant que tu es,
tu avais à me parler de récompenses aussi considérables,et tu
ne me citais que des fruits, de l'ache, une branche d'olivier sau-
vage ou de pin?
Solon. Sans doute, Anacharsis, ces prix ne te paraissent plus
aussi mesquins, depuis que tu en connais l'objet. Tu vois qu'ils
sont le fruit d'un même esprit de sagesse, qu'ils font partie in-
tégrante de ce grand'combat, de cette couronne de félicité dont
je parlais tout à l'heure. Notre entretien, je ne sais comment.
avait quitté la ligne que je voulais lui faire suivre, et je t'ai cité
d'abord ce qui se fait à l'Isthme, à Olympie, à Némée. Mais,
puisque nous sommes de loisir et que tu témoignes le désir
d'être au courant de tous nos exercices, nous pouvons facilement
remonter à leur origine et à ce combat commun, auquel je
prétends que ceux-ci ne sont qu'une préparation.
Anacharsis. Cela vaudra mieux, Solon. Eu suivant cette voie,
notre entretien précédera plus sûrement, et j'arriverai peut-être
plus vite à la conviction que je ne dois pas rire quand je vois
l'importance qu'on attache à une couronne d'ache ou d'olivier.
Cependant, si tu le veux bien, allons nous asseoir sur les siéges
abrités par cet ombrage nous y serons moins interrompus par
les acclamations dont on encourage les lutteurs. D'ailleurs, il
faut en convenir, je ne supporte pas facilement le soleil, qui
tombe vif et brûlant sur ma tête nue; car j'ai quitté mon bonnet
national', pour ne pas paraître seul au milieu des Grecs, avec un
costume étranger. Nous sommes dans la saison de l'année où
domine l'astre le plus ardent, celui que vous appelez le Chien
il met tout en feu il dessèche et embrase l'air. Le soleil, à son
midi, frappe d'aplomb sur nos têtes, et produit une chaleur in-
supportable au corps. Je suis même étonné qu'un homme déjà
avancé en âge comme toi ne sue pas ainsi que moi sous cette
chaleur accablante. Tu n'en parais nullement incommodé tu ne
cherches pas un ombrage où tu t'abrites et supportes mieux les
rayons du soleil.
SOLON. Ce sont, Anacharsis, ces travaux que tu dis inutiles,
ces culbutes fréquentes dans la boue, ces fatigues en plein air et
dans lasalle qui nous servent de rempart contre les traits du so-
leil voilà pourquoinousn'avons pas besoin d'un bonnet
pour les
empêcherde se darder sur nos têtes. Mais allons nous asseoir.
17. Avant tout, garde-toi d'écouter tout ce que je vais te dire
avec le respect dû aux lois n'aie point dans mes discours une
foi sans bornes au contraire, si mes principes ne te paraissent
pas justes, contredis-les aussitôt et soumets-les à une critique
sévère. Par là, nous ne pouvons manquer d'obtenir deux avan-
tages ou tu seras plus fortement convaincu quand tu auras
donné un libre cours à tes objections, ou tu redresseras la faus-
seté des idées que j'avais sur ces objets, et, dans
ce cas, Athènes
entière te témoignera la plus vive reconnaissance
car, plus tu
m'instruiras et plus tu réformeras mes opinions, plus tu rendras
service à notre cité. Loin de le cacher, je serai le premier à
pu-
blier ce bienfait. Je me rendrai aussitôt dans le Pnyx, et je dirai
au peuple assemblé Citoyens d'Athènes, c'est moi qui vous
ai donné les lois que j'ai crues les plus conformes à l'utilité
de la république. Cet étranger
que vous voyez (et je te mon-
trerai, Anacharsis) est un Scythe, mais c'est un sage il
a
modifié mes opinions il m'a enseigné à connaître des principes
et des institutions bien préférables. Inscrivez-le donc
au rang
) Anacharsis était de la classe noble que les Scythesnommaient piltyihores.,
c'esl-à-dire oarlc-ioiuier. VOy. le Scythe, 1,
Ae vos bienfaiteurs, et élevez-lui une statue d'airain à coté des
fondateurs de cette ville et de Minerve même. » Sois sûr, Ana-
charsis, qu'Athènes ne rougirait pas d'apprendre d'un étranger,
d'un barbare, ce qui peut servir ses intérêts.
18: Anacharsis. Voilà bien ce qu'on m'avait dit de vous au-
tres Athéniens, que toujours, dans vos discours, perçait unee
pointe d'ironie. Comment pourrait-il se faire que moi, un pâtre,
un nomade, qui n'ai jamais vécu que sur un chariot, toujours
errant de contrée en contrée, qui n'ai jamais habité de ville, qui
n'en ai pas vu d'autre avant celle-ci, je vinsse raisonner sur le
gouvernement, donner des leçons à un peuple autochthone, qui
vit depuis longues années dans une des cités les plus anciennes
et sous l'empire des meilleureslois? Qu'aurais-je surtout à ap-
prendre à toi, Solon, qui possèdes, dit-on, depuis ton enfance,
ce grand art de bien gouverner un État et de lui donner des lois
qui assurent sa prospérité? Quoi que tu dises, il faut absolument
que j'aie en toi la confiance due à un législateur. Néanmoins,
je te proposerai mes objections quand tes discours ne me paraî-
tront pas justes, afin de m'instruire plus solidement. Mais nous
voici à l'abri du soleil, sous un ombrage épais, et nous avons de
quoi nous asseoir agréablement et à notre aise sur cette pierre
pleine de fraîcheur. Reprends donc ton discours du plus haut
que tu pourras dis-moi pourquoi vous exercez les jeunes gens
aux travaux dès l'enfance comment, en se roulant dans la boue,
ils deviendront d'excellents citoyens, et en quoi la poussière et
les culbutes les conduisent à la vertu. Voilà ce que, pour le mo-
ment, je serais curieux d'apprendre. Pour le reste, tu m'en in-
struiras ensuite, au fur et à mesure que chaque objet se présen-
tera. Seulement, en me parlant, Selon, n'oublie pas que tu
t'adresses à un barbare. Je te dis cela pour que tu ne sois ni
compliqué ni long dans tes discours. Je craindrais que les pre-
miers ne m'eussent échappé quand tu passerais aux seconds.
19. SOLON. C'est à toi, Anacharsis, de régler notre conversa-
tion. Dès qu'elle ne teparaîtra pas bien nette ou que tu la verras
s'égarer dans les digressions, tu me couperas la parole où tu
voudras, en me faisant une question qui en abrégera l'étendue.
SI cependant ces digressious ne sont pas étrangères à notre pro.
pos, si elles-ne s'écartent pas de notre but, rien n'empêchera, je
crois, de leur donner quelque développement. Telle est, de temps
immémorial, la coutume observée chez nous dans le conseil
O.e l'Aréopage quand on y juge une affaire criminelle'. Lors-

t. Voy., sur l'Aréopage, la dissertation ç|P. Vvkbi Canaje, dans le t. Vli «':f
qu'il vient s'asseoir sur la colline pour prononcer sur un meur-
tre, des blessures faites avec préméditation, on un
incendie, la
parole est accordée à chacune des deux parties qui comparaissent.
Le demandeur et le défendeur parlent chacun à leur tour, soit
par eux-mêmes, soit par
ministère d'avocats qui prennent la pa-
role à leur place. Tant que les orateurs se renferment dans la
cause, le conseil les écoute avec patience et
tranquillité; mais
s'ils veulent faire précéder leur discours d'un exorde, afin de se
concilier la bienveillance des juges s'ils cherchent à exciter la
pitié ou l'indignation par des moyens étrangers à l'affaire, par
quelqu'une de ces machinesoratoires que nous voyons employer
pour séduire les magistrats, un héraut s'avance
aussitôt, leur
impose silence et ne les laisse pas divaguer devant le conseil ni
recouvrir l'affaire d'une couche de mots; il faut que l'Aréopage
voie les faits dans toute leur nudité. Eh bien 1 Anacharsis, je te
fais en ce moment sénateur de l'Aréopage écoute-moi comme
le conseil écoute les orateurs impose-moi silence, si tu me vois
faire de la rhétorique; mais tant que je resterai dans les bornes
du sujet, permets-moi les développements. Nous ne serons plus
au soleil, position désagréable quand la conversation devient
trop longue ici, l'ombre est épaisse, et nous sommes de loisir.
ANACHARSIS. Tu as raison, Solon et déjà je te sais un gré in-
fiai de m'avoir appris, en passant, ce qui se pratique à l'Aréo-
page. C'est une chose vraiment admirable et digne des hommes
qui y siégent on est sûr que la vérité seule dicte leurs suf-
frages. Parle donc à présent suivant ces conditions; et moi,
nouvel aréopagiste, car tu viens de m'élever à cette dignité, je
t'écoute à la manière de ce conseil.
20. SOLON. Il faut, avant tout, que je t'expose, en quelques
mots, l'idée que nous nous faisons d'une ville et de ses citoyens.
Une ville n'est pas à nos yeux un assemblage d'édifices, tels
que des murs, des temples, des arsenaux; toutes ces construc-
tions forment, il est vrai, un corps solide, qui offre aux habi-
tants une demeure sûre et permanente; mais pour nous l'élément
essentiel de la cité ce sont les citoyens En effet, ils la peuplent,
la régissent, en dirigent les affaires, veillent à sa sûreté et sont
pour elle ce qu'est l'âme pour chacun de nous. Par suite de cette

Minicires de l'Académiedes inscriptions et belles-lettres. Cf. Arislote Rhéto-


"?«, 1; Pollux, Onomastican VIII, chap. s, aegm. 418; Quinlilien, Édu-
atioaiie l'orateur, VI, I, 7.
'• r.ompapei Tacite, Ifist., I, lxxxiv, t. II, p. 77 de la traduction d»
Charles i.imimtifp, et Corneille, Serlarius, act. 1(1,
se. n.
manière de voir, nous prenons le soin, comme tu le vois, d'em.
bellir le corps même de la ville et de le rendre le plus beau
possible, soit en l'ornant d'édifices à l'intérieur, soit en l'entou-
rant au dehors de remparts qui inspirent la plus grande sécu-
rité. Mais notre principale attention est de veiller à ce que les
citoyens aient une âme bien placée, avec un corps plein de
vigueur, convaincus que de pareils habitants feront fleurir la
cité pendant la paix, la défendront pendant la guerre, et la
maintiendront heureuse et libre. La première éducation des en-
fants est confiée aux mères, aux nourrices, aux pédagogues,
qui les nourrissent et les conduisent par des voies libérales.Dès
qu'ils sont en âge de comprendre ce qui est bien, quand la pu-
deur, le respect, la crainte, le désir des belles actions se sont
développés dans leur coeur, dès que leurs corps plus formés et
plus robustes nous ,paraissent propret, aux travaux, nous les
prenons, et, après leur avoir enseigné les sciences et les exer-
cices de l'âme, nous commençons, par une autre méthode, aies
accoutumer à la fatigue. Nous ne croyons pas, en effet, qu'il
suffise à l'homme de demeurer, soit pour le corps, soit pour
l'âme, tel qu'il est sorti des mains de la nature; mais nous
avons besoin du secours de l'éducation qui peut seule améliorer
les dispositions naturelles, ou transformer en bonnes qualités
les ir^'uations vicieuses. Nous prenons un exemple des agri-
culteurs tant que la plante est délicate et sort à peine de terre,
ils l'entourent et l'enveloppent pour la garantir du vent; mais
dès que le scion est vigoureux, ils en élaguent les branches su-
perflues et le livrent à l'agitation et aux secousses de l'air, pour
le rendre plus fertile.
21. Nous enflammons d'abord l'âme des jeunes gens par la
musique et l'arithmétique, puis nous leur apprenons à écrire et
à lire distinctement. Quand ils sont plus avancés en âge, on
leur récite les maximes des anciens philosophes, les faits il-
lustres de l'antiquité, les discours utiles, que nous ornons de la
forme poétique, pour* les mieux graver dans la mémoire. Au récit
d'un exploit héroïque, d'une action d'éclat, leur enthousiasme
s'allume; ils désirent imiter les faits qu'ils entendent, pour être
chantés à leur tour et pour devenir un objet d'admiration dans
la postérité. Tel est l'effet que produisent chez nous les poésies
d'Hésiode et d'Homère Enfin, lorsqu'ils sont près de com-

t. Voy., sur l'éducation des jeunes Athéniens, Barthélémy, f'«s'


d*Aiiachwsis, chap. xxvi. Cf Aristophane, Nuées, p* 435 de lit iraducliou
de M, Artaud Xénophon,Mémoires sur Sociale, Uvre Hî, chai*, xi.
prendre la politique et de prendre part aux affaires. Mais
peut-être tout ceci est-il étranger à la cause je ne me proposais
pas de parler des
exercices de l'âme; je ne voulais que t'ex-
pliquer pourquoi nous exerçons le corps de nos jeunes gens.
Je m'impose donc silence à moi-même, sans attendre l'ordre
du héraut ou le tien, aréopagite, qui, par égard probable-
ment pour moi, me laisses divaguer depuis longtemps hors du
sujet.
[ Anach,.rsis. Dis-moi, je te prie, Solon, quand on ne dit pas à
[ l'Aréopage ce qui est absolument nécessaire, et qu'on le passe
sous silence, y a-t-il quelque peine fixée?
SOLON. Pourquoi me fais-tu cette question? Je n'en saisis pas
bien le sens.
I ANACHARSIS. Parce que tu passes ce
qu'il y a de plus intéres-
sant, ce que j'écoutais avec le plus de plaisir, l'éducation de
l'âme, pour me parler de gymnases et d'exercices fatigants,
assurément moins nécessaires.
SOLON. Je me rappelle, mon cher, les conditions établies au
début de cet entretien, et je ne veux pas me permettre de digres-
sion, de peur de brouiller les faits dans ta mémoire. Cependant
je vais te parler de ce sujet aussi brièvement que possible
l'examen approfondi de cette question fera l'objet d'un autre
entretien.
22. Nous formons donc l'âme de la jeunesse par l'étude des
lois publiques, qui soi.t- exposées à la vue ne tout le peuple,
écrites en gros caractères et qui enseignent ce que l'on doit
faire et ce dont on doit s'abstenir; puis par le commerce de
ces hommes vertueux, qui leur apprennent leurs devoirs, la pra-
tique de la justice, l'égalité civile, l'éloignement du mal, le
désir du bien, la faite de toute violence. Ces hommes se
nomment chez nous sophistes et philosophes. En outre, nous
avons des théâtres publics où nous conduisons la jeunessepour
l'instruire au moyen des comédies et des tragédies, et, en voyant
les vertus et les vices des hommes du temps passé, à éviter les
uns et à imiter les autres. Nous permettons aux comédiens de
railler et de bafouer les citoyens dont ils connaissent les mœurs
dépravées et les actions honteuses pour la république, dans
l'espoir que ces traits mordants rendront meilleurs ces hommes
pervers, et que les autres se garderont bien d'encourir sem-
blables reproches.
23. ANACHARSIS. J'ai vu, Solon, ces tragédiens et ces comé-
diens que tu dis ce sont bien eux, je pense. Ils ont des chaus-
sures lourdes et élevées, des vêtements à franges d'or, la tête
couverte d'un casque ridicule', qui ouvre une bouche énorme,
au travers de laquelle ils poussent de grands cris, et je ne sais
pas comment ils font pour marcher si vivement avec leurs
chaussures. La ville, je crois, célébrait alors une fête en
l'honneur de Baochus. Les comédiens étaient moins hantsj; ils
marchaient à terre et ressemblaient plus à des hommes; ils
criaient aussi moins fort, mais leur casque était beaucoup plus
risible, et tout le théâtre éclatait de rire en les voyant, tandis
qu'on écoutait d'un air triste nos hommes à taille gigantesque;
on les plaignait, je pense, de les voir traîner des entraves si
gênantes.
SOLON. Non, mon cher, ce n'étaient pas eux qu'on plaignait;
mais le poëte exposait sans doute aux spectateurs quelque his-
toire malheureuse de l'antiquité; il récitait sur le théâtre des
vers dont l'expression tragique arrachait des larmes aux audi- •
teurs. Il est probable que tu as aussi vu des joueurs de flûte et
d'autres personnes qui chantaient ensemble et se tenaient en
cercle. Ces chants, Àriacharsis, et ces instruments ne sont pas
inutiles. Tout cet appareil, tous ces accessoires sont autant
d'aiguillons pour les âmes et poussent notre jeunesse au bien.
.24. Quant aux corps, ce que tu désires plus particulièremeat
savoir, voici comment nous les exerçons. Nous les faisons mettre
à nu, comme je te l'ai dit, lorsqu'ils cessent d'être faibles et
sans consistance; notre intention est de les accoutumer à l'air,
de les familiariser avec toutes les saisons, de manière à n'être
ni incommodés par la chaleur ni sensibles aux atteintes du
froid. Nous les frottons d'huile et nous les frictionnons, afin de
mieux tendre les muscles. Il serait, en effet, absurde de croire
que des peaux amollies par l'huile deviennent plus difficiles à
rompre et capables de résister plus longtemps, quoique déjà
mortes, et qu'un corps, où circule la vie, ne retirera pas encore
plus d'avantage de la même onction. Ensuite nous avons imagi-
né différents exercices pour chacun desquels sont établis des
maîtres. A l'un ils enseignent le pugilat, à l'autre le pancrace,
afin que tous s'habituent à supporter le travail, à affronter les
coups d'un adversaire, à ne pas se détourner par crainte des
blessures^Cette habitude produit en eux deux effets qui sont
pour nous de la plus grande utilité elle nous les rend plus in-
trépides dans les périls, plus prodigues de leur personne, et,
d'autre part, plus vigoureux et plus patients; Ces jeunes gens

(~lnsf..
t. C'est le masque théâtral, doijl il élé question dans le Intfié De il
qui luttenttête baissée apprennent à tomber sans danger, à se
relever avec facilité, à pousser rudement un adversaire, à l'en-
lacer, à lb faire ployer, à le serrer à la gorge, à l'enlever de
terre exercice éminemment utile, puisqu'il leur fait acquérir la
première et la plus précieuse des qualités. qui est d'avoir un
corps endurci la fatigue et presque insensible à la douleur. Un
moins important, c'est qu'ils beau-
autre avantage, non auront
coup d'expérience à la guerre, s'ils se trouvent
dans la nécessité
Il
de faire usage de leur science. est évident qu'un homme exercé
de la sorte, se trouvant aux prises avec un ennemi, l'aura bien-
tôt renversé par un croc-en-jambe,et que, s'il tombe, il saura
se relever bien
plus vite. Dans tout cela, en effet, Anacharsis,
nous avons en vue le combat à main armée, et nous croyons que
des soldats formés par ces exercices servent plus utilement leur
patrie, lorsqu'après avoir assoupli et rompu leurs corps mis à
robusteslen
nu, nous les avons rendus plus vigoureux et plus musculaire,
même temps que légers, capables d'une forte tension
et redoutables, par cela même, aux ennemis.
25. Tu devines, je crois, quels doivent être sous les armes des
guerriers qui, tout nus, peuvent inspirer la terreur à ceux qui
les combattent ils n'ont ni cet embonpoint pesant, ni ce teint
blafard, ni cette pâle maigreur, ordinaire aux femmes, dont le
corps se flétrit à l'ombre, frissonne ou ruisselle de sueur en un
instant et ne saurait respirer sous le casque, surtout lorsque le
soleil à son midi, comme en ce moment, embrase tout le ciel.
Que faire avec des soldats dévorés par la soif, incapables de ré-
sister à la poussière, saisis d'effroi à la vue du sang, à demi
morts avant d'arriver à la portée du trait et d'en venir aux
mains? Nos jeunes gens colorés et brunis par le soleil ont un air
mâle et plein de vie, qui annonce l'ardeur et le courage, fruits
d'une santé florissante aucun d'eux n'est ridé, ni maigre; aucun
n'est chargé d'embonpoint; ils ont tous les proportions d'un
corps bien dessiné; le superflu; l'excès des chairs s'est fondu par
les sueurs; ce qui entretient la vigueur et l'énergie des muscles
leur demeure sans mélange d'aucune humeur vicieuse. Ce que
le vanneur fait au blé, nos exercices le font au corps des jeunes
gens ils jettent au vent la paille et les barbes, dont ils sé-
parent le froment pur qu'ils gardent en dépôt.
26. Cette manière de vivre leur conserve nécessairement la
santé et les met en état de braver les plus longues fatigues. Ils ne
commenceront à suer qu'après avoir longtemps supporté le tra-
vail, et rarement on les verra malades. Si, par exemple, on met
le feu un monceau de blé entouré de S» paille e} 4 l'état d'épi,
pour en revenir à mon vanneur, la paille, je crois, brûlera en
un instant; le blé, loin de jeter une grande flamme et de prendre
tout d'un coup, s'allumera peu à peu et finira par se consumer
lentement. De même il n'est point de maladie, il n'est point de
fatigue qui, s'attaquant à des corps ainsi exercés, puisse en
trouver l'endroit faible et en venir aisément à bout. L'intérieur
est bien préparé, et l'extérieur est fortement muni contre de tels
assauts il ne laisse pénétrer ni le soleil ni le froid qui nuiraient
au corps. Quant à l'épuisement que peuvent causer les fatigues,
la chaleur intérieure, préparée de longue main et tenue comme
eh réserve pour les cas nécessaires, se répand à flots dans le
corps, y distribue une vigueur nouvelle et les rend pour long-
temps infatigables; ainsi les exercices continus, la fatigue réité-
rée, loin d'épuiser leurs forces, ne servent qu'à les augmenter:
c'est comme un souffle vivifiant qui les répare.
27. Nous les exerçons, en outre, à bien courir, soit en les
accoutumant à fournir une longue carrière, soit en les rendant
très-légers et très-lestes dans un espace restreint. La course n'a '·
pas lieu sur un terrain ferme et résistant, mais dans un sable
profond, où l'on ne peut marcher ni se tenir sans que le pied
enfonce dans un sol qui cède. En même temps on leur apprend
à franchir, au besoin, un fossé ou tout autre obstacle, et ils j
s'exercent à cela en tenant une' masse de plomb dans chaque
main. Ensuite ils se disputent l'honneur de lancer au loin un
javelot. Tu as vu aussi dans le gymnase une autre masse d'ai-
rain circulaire, semblable à un petit bouclier sans poignée et
sans courroies. Tu as essayé de le soulever de la place où il est
posé il t'a paru pesant et difficile à saisir, à cause de son grand >
poli. Nos jeunes gens, cependant, le lancent dans l'air soit en I
haut, soit en long, et luttent à qui l'enverra plus loin que les {
autres. Cet exercice leur fortifie les épaules et donne de la ?
vigueur à leurs extrémités.
28. La boue et la poussière, qui t'ont paru d'abord si ridi-
cules, apprends, mon cher, pour quelle raison tu les vois ici
répandues. C'est, en premier lieu, afin de rendre la chute des
lutteurs moins violente et pour qu'ils tombent sans danger sur
un terrain mou. Ensuite il est nécessaire que leur corps de-
vienne plus glissant, quand la sueur s'y mêle à la boue, ce qui
t'a fait les comparer à des anguilles. Or,'ce fait n'a rien d'inu-
tile ni de ridicule, mais il contribue singulièrement à leur force
et à leur vigueur, attendu qu'ils sont forcés, dans cet état, à
saisir fortement leur adversaire pour l'empêcher de s'échapper;
ne crois pas, en effet, que ce soit chose facile de soulever quel-
qu'un tout humide, d'huile et de bous, ou qui fait effort pour
glisser et se dérober. Ainsi que je te le disais, tous ces exercices
sont utiles pour la guerre, quand il faut emporter du combat un
ami blessé, o.u faire perdre terre à un ennemi. Si donc nous les
exerçons jusqu'à les fatiguer, en leur imposant une tâche pé-
nible, ils exécutent ensuite bien plus facilement des choses
moins difficiles.
29. La poussière nous sert à un tout autre usage elle em-
pêche les combattants de s'échapper, lorsqu'ils se serrent mu-
tuellement dans leurs bras. Après qu'ils se sont exercés, enduits
de boue, à retenir un corps glissant qui fuit de leurs mains, ils
s'accoutument à se soustraire à leur tour à ceux qui les ont
saisis, même quand ils sont tenus de manière à ne pouvoir se
sauver qu'avec peine. De plus, la poussière répandue sur leur
corps en arrête la sueur trop abondante et fait durer plus long-
temps les forces, en les garantissant de l'impression de l'air, fort
dangereuse dans un moment où'tous les pores sont ouverts et
détendus; en outre, elle nettoie la crasse et rend la peau plus
luisante. J'aimerais à mettre à côté l'un de l'autre quelqu'un de
ces jeunes gens au teint pâle qui sont élevés à l'ombre, et tel
qu'il te plairait de ceux qui sont exercés dans le Lycée, et à qui
je ferais laver Sa poussière et sa boue; je te demanderais
en-
suite auquel des deux tu voudrais ressembler. Je suis sûr qu'au
premier coup d'œil, sans avoir éprouvé la force d'aucun d'eux,
tu préférerais une constitution robuste, une complexion forte, à
un tempéramentdélicat et relâché, à un teint blafard causé par
la pauvreté du sang réfugié vers les parties intérieures.
30. Tels sont, Anacharsis, les exercices auxquels nous
sou-
mettons les jeunes gens, convaincus qu'ils deviendrontainsi
d'excellents défenseurs de notre cité, et que, par eux,
nous vi-
vrons indépendants, vainqueurs de. nos ennemis, s'ils nous at-
taquent, redoutables à nos voisins, dont la plupart, soumis
la crainte, nous payeront tribut. Pendant la paix, ils
par
se mon-
trent plus vertueux encore sans émulation pour les vices, éloi-
gnés de l'insolence qu'enfantel'oisiveté, ils
ne songentqu'à leurs
exercices et y consacrent leurs loisirs. Ce bien commun, cette
suprême félicité d'un État, on peut dire qu'elle existe, quand la
jeunesse, soit à la
guerre, soit durant la paix, ne marque que
des dispositions honnêtes et n'a de goût
que pour ce qui nous
semble le plus beau.
31. ANACHARSIS. Eh quoi! Solon, lorsque les ennemis mar-
chent contre .vous, allez-.vous à
leur rencontre. frottés d'huile
et couverts dépoussière? Les attaquez-vous à
coups de poing?
ŒUVBES COMPLÈTES LUCIEN. – U
DE 14
Apparemment ils ont peur de vous et prennent la fuite, pour
que vous ne leur jetiez pas du sable dans la bouche; ils crai-
gnent que, sautant sur eux par derrière, vous ne leur entouriez
le ventre de vos jambes, et que vous ne leur serriez la gorge en
leur mettant le coude sous le casque. Mais alors, par Jupiter
ils vous décocheront des flèches ils vous lanceront des traits.
J'accorde donc que vous soyez des statues, dont ces traits ne
peuventpénëtrer l'enveloppe colorée par le soleil et bien appro-
visionnée de sang; vous n'êtes pas, en effet, de la barbe de blé,
ni de la paille, pour céder si promptementaux coups mais vous
finissez pourtant à la longue, par recevoir de profondes bles-
sures, et il ne vous reste bientôt plus qu'un peu de beau sang,
Voilà ce que tu dis, si j'ai bien saisi le sens de tes paroles.
32. Peut-être aussi vous armez-vous, en pareil cas, de la pa-
noplie des comédiens et des tragédiens. Lorsque vous entrez en
campagne, vous vous affublez de ces casques à bouche béante,
afin de paraître plus redoutables aux ennemis, et de les effrayer
par vos airs de fantômes vous vous mettez aux pieds ces énor-
mes chaussures légères pour vous, si vous êtes contraints de
prendre la fuite, et qui, si vous poursuivezl'ennemi, empêchent
qu'il ne vous échappe, grâce à vos grandes enjambées. Prends
garde que ces exercices, qui vous paraissent si beaux, ne soient
que des amusements, des jeux d'enfants, des passe-temps faits
pour occuper les loisirs d'une jeunesse désœuvrée. Si vous vou-
lez réellementêtre libres et heureux, il vous faut établir d'au-
tres gymnases, où l'on s'exerce vraiment au métier des armes.
Ce n'est point les uns contre les autres que vous devez lutter en
iouant, mais allez contre les ennemis, et trempez votre valeur
au milieu des dangers. Laissez là, croyez-moi, l'huile et la pous-
sière enseignez à vos jeunes gens à tirer l'arc, à lancer le jave-
lot ne leur donnez pas des traits légers, que le vent puisse em-
porter avec lui, mais une lance pesante, qui siffle quand on
l'agite; qu'ils aient à la main une pierre qui la remplisse une
dague à deux tranchants, un bouclier carré au bras gauche, une
cuirasse, un casque.
33. Il me semble que, dans l'état où vous êtes, vous ne devez
votre salut qu'à la bonté des dieux, de n'être pas tombés sous les
coups d'une troupe de soldats armés à la légère. Je n'ai, par
exemple, qu'à tirer cette courte épée que je porte à ma ceinture,
Tt fondre seul sur tous vos jeunes gens; au premier cri, je suis
maître du gymnase; chacun prend la fuite, sans oser regarder
le fer qui brille; réfugiés autour des statues, cachés derrière les
colonnes, ils me font rire la plupart avec leurs larmes et leur
frayeur. Tu ne verras plus ces corps au teint vermeil, que tu as
maintenant sous les yeux, mais des figures devenues toutes pâ-
les et décomposées par la crainte. La paix profonde dont vous
jouissezvous a réduits au point de ne pouvoiraisément soutenir
la vue de l'aigrette d'un casque ennemi'. 1.
34. SOLON. Ce n'est pas là, cependant,Anacharsis,ce qu'ont dit
les Thraces, qui, sous la conduite d'Eumolpe4, entreprirent de
nous faire la guerre, ni les femmes de votre pays', qui, guidées
par Hippolyte, marchèrent contre notre cité, ni tous ceux enfin
qui essayèrent de se mesurer contre nous. Crois-tu donc, mon
cher ami, parce que nous exerçons le corps de nos jeunes gens
nus, qu'on les envoie sans armes affronter les dangers? Mais
aussitôt qu'ils ont acquis des forces par ces travaux, ils s'exer-
cent ensuite les armes à la main, et ils s'en servent bien mieux
après cette préparation.
ANACHARSIS. Où donc est le gymnase dans lequel ils combat-
tent avec des armes? Je n'en ai pas encore aperçu, quoique j'aie
parcouru la ville tout entière et dans tous les sens.
Solon. Tu pourras en voir, Anacharsis, si tu restes quelque
temps avec nous. Chacun de nous possède un grand nombre
d'armes, dont nous faisons usage, quand il en est besoin, pa-
naches, harnais, chevaux, cavaliers qui forment à peu près le
quart des citoyens. Nous croyons, il est vrai, que c'est chose
inutile d'être toujours armés, d'avoir sans cesse, en pleine paix,
un cimeterre à la ceinture il y a même des peines décernées
contre celui qui porterait les armes dans la ville, sans besoin
qu'il en fût, ou qui les porterait en public; tandis que vous êtes
excusables de vivre toujours les armes à la main. Quand on
habite un lieu qui n'est pas fortifié, on est continuellementex-
posé aux embûches. Les guerres chez vous sont fréquentes;
vous n'êtes jamais sûrs qu'un ennemi ne viendra pas tout à
coup vous arracher du chariot où vous dormez, pour vous met-
tre à mort. La défiance mutuelle qui règne entre vous, votre in-
dépendancecomplète, l'absence de lois et de communauté civile,
vous rendent le fer nécessaire à chaque instant, pour avoir sous
la main une défense en cas d'attaque.
35. ANACHARSIS. Ainsi, Solon, vous croyez qu'il est inutile de

I. Cf. Homère, Iliade, XVI, v. 70.


2. Celle guerre enblieu sous Érechlhce fils de Pandion suième roi d'A-
Iliènes. Cf. Isocrale, Panégyrique t. 1,
p. 58 de l'édition T.iuchnilz.
S. Les Amazones. Voy. Lysias, Oraisons Junèbres,
p. H de Pédilion Taucli-
nitz; Isocrate, Panégyrique, l. c.
porter des armes sans' nécessité; vous les ménagez de peur
qu'elles ne s'usent dans vos mains, et vous les gardez soigneu-
sement en dépôt, pour vous en servir à l'occasion? Cependant,
saus être passés par aucun danger, vous soumettez au travail et
aux coups le corps de vos jeunes gens; vous épuisez leurs forces
par des sueurs inutiles, au lieu de les réserver pour le moment
nécessaire, vous les répandezmal à propos dans le sable et dans
la boue.
SOLON. Tu m'as l'air, Anacharsis, de té' faire des forces du
corps l'idée qu'on a du vin, de l'eau ou de tout autre liquide. Tu
crains qu'elles ne s'écoulentinaperçuesdans les travaux, comme
une liqueur qui s'échappe d'un vase d'argile, et qu'ensuite
elles ne laissent le corps vide et desséché, sans que rien puisse
intérieurement réparer les pertes. Mais il n'en est pas ainsi de
la vigueur; plus on l'épuisé par les travaux, plus elle coule avec
abondance; c'est l'histoire de l'hydre, dont tu as sans doute en-
tende parler pour une tête qu'on lui qoupait, il lui en repous-
sait deux. Si on ne s'exerce pas de longue main, si on ne se
donne pas de ressort, et -si l'on ne fait pas une ample provision
de substance, on est affaibli, épuisé, par la fatigue. C'est ce qui
a Heu pour le feu et pour une lampe du même souffle le feu
s'allume, grandit en quelques instants, et semble excité par le
1 vent, tandis que la lampe s'éteint parce qu'elle ne fournit pas à
la flamme assez de matière pour résister à la force de l'air elle
n'a pas une mèche assez solide.
36. ANACHARSIS. Je ne comprends pas bien tout cela, Solon;
tes idées sont pour moi trop subtiles slles demandent une vive
intelligence, Une pénétrationprofonde. Dis-moi nettementla rai-
son pour laquelle,auxjeux olympiques, à l'Isthme, àPytho, ainsi
qu'aux autres lieux, où, comme tu l'as dit, on accourt de toutes
parts pour voir combattre les jeunes gens, vous n'avez pas in-
stitué de combats en armes, tandis'que vous les faites paraître
nus, que vous les montrez se donnant des coups de pied et des
coups de poing, et que vous donnez au vainqueur des fruits ou
de l'olivier sauvage. Je tiens beaucoup à savoir pourquoi vous
agissez de la sorte.
Solon. Nous, pensons, Anacharsis, qu'ils auront plus de goût
pour ces exercices, quand ils verrou.. --eux qui s'y distinguent
honorés et proclaméspar le héraut en présence de tous les Grecs.
Forcés de parattre sans vêtementsdevant une gi nombreuse as-
sistance, ils auront soin de prendre'de belles attitudes, afin de
n'avoir pas à rougir de cette nudité, et de se rendre en tout di-
gnes de la victoire. Les prix, ainsi que je te l'ai déjà dit, ne
sont pas méprisables, puisqu'ils consistentà recevoir les louan-
ges de tous les spectateurs, à être considérés, montrés du doigt,
à passer pour le plus brave de tous les contemporains. Parmi
les spectateurs, un grand nombre, encore en âge de se livrer à
ces exercices, s'en retournent épris d'amour pour la gloire et
pour les travaux qui la procurent. Ah cher Anacharsis, si l'on
bannissait de la vie l'amour de la gloire, quel bien nous reste-
rait-il ? Qui voudrait entreprendre une action éclatante? Main-
tenant tu peux juger, d'après ces jeux, quels seront en face de
l'ennemi, les armes à la main, pour défendre leur patrie, leurs
enfants et leurs femmes, ceux qui pour une branche d'olivier
ou pour des fruits montrent tout nus tant d'ardeur pour la vic-
toire.
37. Mais que dirais-tu donc, si tu voyais chez nous des com-
bats de caillés et de coqs et l'empressement qu'on y témoigne ?2
Tu rirais, j'en suis certain, surtout si tu savais que c'est en
vertu d'une loi que nous agissons ainsi, et qu'il est ordonné à
tous les jeunes gens d'assister à ces combats et de voir ces oi-
seaux lutter jusqu'au dernier soupir. Il n'y a pourtant rien ici
de ridicule. Il se glisse insensiblement dans les coeurs un vif
désir de braver les dangers; on rougirait de se montrer plus
lâches, moins hardis que des coqs, et de se laisser abattre, avant
autres difficultés '.Quant
eux, pour les blessures, la fatigue et les
à faire combattre nos jeunes gens avec des armes et à les mon-
trer couverts de blessures, fi donc 1 Ce serait un spectacle sau-
vage, une cruauté révoltante, et de plus inutile, que de faire
égorger dé braves guerriers, qui pourraient un jour nous servir
avecplus d'avantagecontre les ennemis!
38. Puisque ton dessein, Anacharsis, est de parcourir toute
Ja Grèce, souviens-toi, lorsque tu seras à Sparte, de ne pas te

moquer des Lacédémoniens, et ne va pas croire qu'ils s'épuisent


en travaux inutiles, lorsqu'ils se précipitent en foule dans un
amphithéâtre, pour s'élancer après une balle et se frapper les uns
les autres, ou lorsque, rassemblés dans un lieu entouré d'eau,
séparés en phalanges, nus comme nos athlètes, ils s'attaquent
en ennemis et se battent jusqu'à ce que l'un des deux partis 2
ait chassé l'autre de cette enceinte, que la faction d'Hercule, par
exemple, ait obligé celle de Lycurgue à se jeter dans l'eau. De
ce moment la paix renaît entre eux, et personne ne porte un seul

< Voy. Élien, Hist. diverses,II, xx.vni.


2. Sur l'éducation des Lacédémoniens, voy. dePauw, Recherches philoso-
phiques, etc., partie IV, section x, § 2.
coup. Mais que diras-tu, quand tu verras ces mêmes Lacédémo-
niens battus de verges près de l'autel, tout ruisselants de sang,
tandis que les pères et mères, présents à ce spectacle, loin de
s'effrayer des souffrances de leurs enfants, les menacent de leur
colère s'ils ne résistent aux coups, ou les supplient de supporter
la'douleur le plus longtemps possible, de s'armer de patience
contre les tourments. On en a vu beaucoup mourir dans ces
épreuves, ne voulant pas, tant qu'ils respiraient, demander
grâce sous les yeux de leurs parents, et céder à la nature. Tu
verras les statues que Sparte leur a élevées honorées d'un culte
public. Or, quand tu seras témoin de ces exercices, ne va pas
t'imaginer que les Lacédémoniens sont insensés ne dis pas
qu'ils se rendent eux-mêmes malheureux sans nécessité, sans
qu'un tyran les y,contraigne, ou que des ennemis leur en im-
posent la loi; car Lycurgue, leur législateur, t'alléguerait, pour
les justifier, un grand nombre de raisons satisfaisantes il te
dirait dans quel dessein il châtie son peuple, sans haine et sans
colère, sans vouloir consumer inutilement la jeunesse de la cité,
mais il veut avoir des citoyens d'une patience à toute épreuve,
supérieurs à tous les maux,et capables ainsi de sauver la patrie.
Et quand Lycurgue ne te le dirait pas, tu comprends bien toi-
même, je crois, qu'un pareil citoyen, s'il est pris à la guerre, ne
révélera jamais le secret de Sparte, quelque tourment que lui
fassent subir les ennemis il s'en rira, et, s'offrant à leurs coups,
il défiera l'opiniâtreté du bourreau.
39. ANACHARSIS. Lyburgue, ami Solon se faisait-il aussi
fouetter dans sa jeunesse, ou bien avait-il passé l'âge de cet
exercice, pour s'amuser en toute sûreté à de pareilles espiè-
gleries?
SOLON. Il était déjà vieux lorsqu'il écrivit ses lois; il revenait `
alors de Crète, où il avait voyagé, parce qu'il avait appris
que les Crétois étaient le peuple le mieux gouverné, grâce aux
lois de Mtnos, fils de Jupiter et leur législateur.
ANACHARSIS. Et toi; Solon, pourquoi n'imites-tu pas Lycurgue
en faisant fouetter les jeunes gens ? C'est un fort bel usage et
qui n'est pas indigne des vôtres.
SOLON. Il nous suffit, Anacharsis, de nos gymnases, institu-
tion toute nationale; nous ne nous soucions pas beaucoup d'i-
miter les coutumes étrangères.. 1
Anacharsis. Tu ne veux pas; alors tu comprends, je crois, ce 1

que c'est que d'être fouetté, tout nu, les bras en l'air, sans qu'il
en résulte rien d'utile pour eux ou pour la cité. Quant à moi, si
jamais je voyage à Sparte, à l'époque où cela se pratique, je
smî> convaincu que je me ferai lapider par eux en
public, vu que
je ne pourrai m'empêcherde rire, en les voyant flageller comme
des voleurs, des filotis et autres gens de cette espèce. En vérité,
la villeentière aurait besoin, à mon avis de quelques grains
d'ellébore, puisqu'elle se traite elle-même d'une manière aùssi
folle.
40. SOLON. Ne t'imagine pas, mon' cher, que tu gagneras ta
cause par défaut, que tu ne trouveras personne qui te réponde
et que tu seras seul à parler. Tu rencontreras à Sparte plu.
d'un citoyen qui défendra ses institutions par des raisons judi-
cieuses mais puisque je t'ai fait connaître nos coutumes, dont
tu n'es pas très-satisfait, j'ai le droit, ce me semble, d'exiger
de toi que tu m'instruises à ton tour de celles de ton pays
comment vous autres Scythes vous formez vos jeunes gens, à
quels exercices vous les soumettez, par quels moyens vous en
faites des hommes d'une trempe solide.
ANACHARSIS. Rien n'est plus juste, Solon, et je te ferai le détaii
des usages de la Scythie. Ils ne sont pas très-relevés et ne res-
semblent en rien aux vôtres; nous n'oserioiis pas recevoir même
un soufflet nous sommes timides n'importe, je te les ferai
connaître tels qu'ils sont. Mais remettons, si tu le veux bien,
notre conversation à demain; j'aurai plus de temps à réfléchir à
ce que tu m'as dit, et de rappelerà ma mémoire ce que j'ai à te
dire; à présent, il faut nous en aller sur cet entretien' voici la
nuit
L

SUR LE DEUIL'.

1. Il est assez curieux d'examiner ce que font et ce que disent


la plupart des hommes dans les cérémonies funèbres, les dis-
cours qu'on leur tient pour les consoler, les lamentations qu'ils
font entendre, l'idée où ils sont que c'est un malheur intolérable
pour eux-mêmes et pour ceux dont ils déplorent la perte. Par
Pluton et Proserpine1 ils ne savent pas au juste si tout cela est
un mal qui mérite tant de larmes, ou, au contraire, un bien
pour celui à qui l'événementarrive; n'importe, c'est l'habitude
et l'usage de s'abandonner à la douleur dès qu'un homme a
cessé de vivre, il faut agir ainsi. Mais je veux commencer par
dire un mot des idées qu'ils se font de la mort; c'est le moyen
de faire comprendre" le but qu'ils se proposent avec toutes ces
pratiques inutiles.
2. Cette foule nombreuse,que les doctes appellent le vulgaire,
pleine d'une confiance aveugle dans Homère, Hésiode et les au-
tres conteurs de fables, regarde leurs inventions poétiques
comme autant de lois, et s'imagine qu'il existe sous la terre un
lieu profond, vaste, immense, nommé l'Enfer, séjour ténébreux,
où le soleil ne pénètre jamais, en sorte que je ne sais à l'aide de
quelle lumière ils découvrent tout ce qu'ils y voient. Dans ce
gouffre règne un frère de Jupiter, appelé Pluton, nom qui, d'a-
près ce que m'a dit un homme versé dans ces mystères, lui est
4 Le philosopheCrantor de Soli, l'un des coryphées de l'ancienne Académie,
3' était exercé avant Lucien, sur le même sujet. Cicéron dans ses Académi-
q ues, I1,xmv, exalte son traité Deluctu, et dit que c'est un livre d'or, auréolas.
P luturque en a fait passer une partie dans sa Consolation à sa femme. Vov. les
Traités de morale de Plutarque, traduction d'A. Pierron, t. 11, p. 202. Cf.
Diogénc de Laërte, Vie de Crantor. On peut encore rapprocher du traité de
Lucien la première Tusculane de Cicéron; Panégyrique de la mort ou discours
prononcé en présence du parlement d'Angleterre, le jour des Cendres, (705
(Bibliothèquede la Sorbonne, ms. L.-F.O., – 25; recueil d'oraisons fum'lires
Discours sur la mort, par Fr. de Neuchâteau, Mémoiresde l'Institut; J. B.
Chassignet, Le mespris de la vie et consolation contre la mort, poëme, à£M,etc.
donné, parce que les morts sont sa richesse Ce Plutcm a or-
ganisé un gouvernement et établi des lois sous lesquelles vivent
les trépassés; il a hérité de cet empire, où ses sujets, une fois
reçus, sont retenus dans des liens auxquels rien ne peut les
soustraire; personne ne peut revenir sur ses pas, et, depuis
l'origine du monde, on n'a vu que très-peu d'exceptions et pour
de très-graves motifs.
3. Le pays est environné de fleuves immenses, dont le nom
seul fait frémir ce sont des Cocytes, des Pyriphlégéthons et
autres dénominations semblables. Ce qu'il y a de plus effrayant,
c'est le lac de l'Achéron, le premier que rencontrent les arri-
vants, qu'il est impossible de passer ni de traverser sans le se-
cours d'un batelier; il est trop profond pour qu'on le franchisse
à gué, et trop long pour qu'on le passe à la nage; c'est au point
que les ombres mêmes des oiseaux ne peuvent voler au delà2.
4. A l'entrée même, et près de la porte, qui est de diamant,
se tient Éa.qlte, neveu du roi, commis à la garde du lieu, ayant
à ses côtés un chien à trois têtes, à la gueule terrible, qui re-
garde les nouveaux venus d'un oeil doux et pacifique, mais qui
aboie et montre ses rangées de dents à ceux qui essayent de
s'échapper.
5. Quand on a traversé le lac, on entre dans une immense
prairie plantée d'asphodèle, et arrosée par un fleuve dont l'eau
fait perdre la mémoire, d'où son nom de Léthé, fleuve d'oubli.
Il est probable que les gens du temps passé ont appris ces dé-
tails de ceux qui en sont revenus, tels qu'Alceste et Protésilas,
de Thessalie, Thésée fils d'Egée, l'Ulysse d'Homère, personna-
ges graves et dignes de foi, qui n'avaient pas bu de cette eau,
sans quoi ils auraient oublié tout cela.
6. Pluton, d'après leurs récits, est le souverain de cet empire
avec Proserpine; tout est soumis à leur autorité; ils ont pour
serviteurs et pour ministres une foule nombreuse qui gouverne
avec eux: ce sont les Furies, les Peines, les Craintes, et Mer-
csre mais ce dernier n'habite pas toujours dans l'Enfer.
7. Gouverneurs, satrapes et juges, on y voit siéger Minos et
Rhadamanthe, tous deux Crétois et fils de Jupiter. Quand les
hommes vertueux et justes, qui ont vécu suivant les principes
du bien, se trouvent réunis en grand nombre, ils les envoient
en colonie dans les champs Élysées pour y mener une vie bien-
heureuse.

1. Rapprochement entre les mots ïlloûroiv, Plut(m, et ttAoOtoç,richesse.


2. Voy. Virgile, Étiéidè, VI. Cf. la fin du Cordai de Platon.
8. Tous les méchants qui leur tombent sous la main, ils
les livrent aux Furies, qui les conduisent au séjour des im-
pies pour y être châtiés à proportion de leurs méfaits. Là que
de tourments n'éprouvent-ils pas? Ils sont mis à la torture,
brûlés, dévorés par des vautours, emportés sur une roue, oc-
cupés à rouler d'énormes pierres. Tantale, toujours à sec au
bord du lac, court toujours risque, le malheureux, de mourir de
soif.
9. Quant à ceux qui ont vécu entre la vertu et le vice, foule
innombrable, ils errent sans corps dans la prairie, ombres vai-
nes, qui se dissipent comme une fumée quand on veut les tou-
cher. Ils se nourrissent des libations et des offrandes que nous
faisons sur leurs tombeaux; en sorte qu'un mort qui n'a laissé
sur la terre ni ami ni parent est réduit à ne point manger, et
condamné à une faim perpétuelle.
10. Cstte conviction est si fortement établie parmi le com-
mun des hommes que, dès qu'un parent a rendu le dernier sou-
pir, on lui met une obole dans la bouche pour payer son pas-
sage au batelier. Ces gens ne s'informent pas auparavantsi si
cette monnaie passe et a cours dans les Enfers, si c'est l'obole
attique, macédonienne ou celle d'Êgine qu'on y reçoit; ils ne
réfléchissent pas non plus qu'il serait bien plus avantageux
aux morts de n'avoir pas de quoi payer, puisque le batelier
ne voudrait pas les recevoir et les renverrait au séjour des
vivants.
11. Ensuite on lave le défunt, comme si le lac infernal ne
suffisait pas pour baigner ceux qui descendent d'en haut sur
ses rives; on frotte de parfums exquis ce corps déjà infecté par
la mauvaise odeur, on le couronne des fleurs que produit la
saison, puis on l'expose paré de vêtements splendides, proba-
blement afin qu'il n'ait pas froid en route et que Cerbère ne le
voie pas tout nu.
12. Cependant tout retentit des gémissementset des lamenta-
tions des femmes ce" ne sont que larmes, poitrines frappées,
cheveux épars, joues mises en sang quelquefois on se déchire
les vêtements, on se répand de la poussière sur la tête, et les
vivants sont plus à plaindre que le mort. Car souvent ils se
roulent par terre et se frappent la tête contre le plancher, tan-
dis que l'autre, dans une belle attitude, chargé de couronnes,
posé en l'air sur une estrade, est paré comme pour une pompe
triomphale.
13. Bientôt la mère, et le père aussi, ma foi, s'avau^nt du
milieu des parents, vont embrasser le défunt (supposons que
c'est un jeune homme, le drame n'en sera que plus pathétique)
et se répandent en discours ridicules, insensés, auxquels le
mort saurait bien que répondre, s'il recouvrait la parole. Le père
vient donc, et, d'une voix lugubre, en accentuant longuement
chacun de ses mots « Mon fils bien-aimé, dit-il, tu es perdu
pour moi; tu es mort, tu as été ravi avant l'âge; tu me laisses
tout seul, infortuné que je suis, avant d'avoir goûté les dou-
ceurs du mariage, sans laisser de postérité, sans avoir porté les
armes ni cultivé nos champs, sans être arrivé à la vieillesse.
Hélas mon fils, tu ne feras plus la débauche ni l'amour, tu ne
t'enivreras plus dans un festin avec les jeunes gens de ton
âge. »
14. Tels sont les discours de ce père, qui s'imagine que son
fils a encore besoin de tout cela, et qu'il éprouvera après sa
mort des délices qu'il ne pourra satisfaire. Mais que dis-je?
Combien n'ont pas été jusqu'à immoler sur des tombeaux des
chevaux, des concubines, des échansonsl.Que de vêtements et
de parures n'a-t-on pas brûlés ou enterrés avec les morts, comme
s'ils devaient en user et en jouir dans le séjour infernal
15. Or, ne croyez pas que ce vieillard se lamente ainsi et
tienne ce discours, avec beaucoup d'autres, pour ce fils en l'hon-
neur duquel il joue cette tragédie. sait bien que le défunt ne
l'entend pas, quand il crierait d'une voix de stentor. Ce n'est
pas non plus pour lui-même; on peut éprouver cette douleur,
être pénétré de ces sentiments, sans avoir besoin de crier de la
sorte; personne ne s'amuse jamais à crier pour son plaisir. C'est
donc pour les assistants qu'il débite ses inepties, sans com-
prendre ni ce qui est arrivé à son fils, ni où il est allé, ou
plutôt sans avoir songé à ce qu'était cette vie qu'il a quittée:
autrement il ne se plaindrait pas de ce changement comme du
plus grand des malheurs.
16. Si ce Sis pouvait parler, après avoir obtenu d'Eaque et de
Pluton la permission de passer un moment la tête par la porte
des Enfers et de faire cesser les plaintes ridicules de son père
» Pauvre homme, dirait-il, pourquoi cries-tu si fort? pourquoi
viens-tu me déranger? Finis donc de t'arracher les cheveux et
de te déchirer l'épiderme. A quoi bon m'insulter en m'appelant
malheureux, enfant né sous de mauvais auspices, quand je suis
bien plus heureux que toi, et que mon sort est de beaucoup
préférable Quel malheur crois-tu donc qui me soit arrivé?
Est-ce parce que je ne suis pas devenu, comme toi, un vieillard
à la tête chauve, à la face ridée, au corps plié en deux, aux ge-
noux tremblants, écrasé sous le poids des années, qui a vécu
je ne sais combien de lunaisons et d'olympiades, et qui vient à
la fin faire toutes ces folies devant un si grand nombre de té-
moins ? Insensé! quels sont les biens que cette vie procure et
dont tu crois que je ne jouirai pas? Les parties de plaisir, les
festins, le luxe des vêtements, les amours! Tu crains apparem-
ment que la privation de tout cela ne me rende misérable. Eh!
ne sais-tu pas qu'il vaut mieux ne point avoir soif que de boire,
ne point avoir faim que de manger, ne point avoir froid que de
posséder une grandequantité de vêtements?
17. <t Allons, puisque tu ne sais pas, à ce qu'il paraît, com-
ment pleurer les morts, je vais t'apprendre la vraie manière. Re-
commence et crie de nouveau « Mon pauvre enfant, tu n'auras
«plus soif, tu n'auras plus faim, tu n'auras plus froid; tu es
i perdu, perdu pour moi, infortuné tu as échappé aux maladies,
<r tu n'as plus peur de la fièvre, des
ennemis, des tyrans. L'amour
« ne te causera plus de chagrins, et le commerce des femmes ne
« t'épuisera plus, et tu ne te livreras plus à la débauche deux ou
trois fois par jour: le grand malheur! Enfin tu ne deviendras
« pas un vieillard que chacun méprise et dont la présence est
« insupportable aux jeunes gens. »
18. En tenant ce langage, mon père, ne crois-tu pas qu'il
serait beaucoup plus vrai et plus viril? Mais peut-être ce qui
t'afflige, c'est de penser à la nuit, aux ténèbres' qui m'environ-
nent, et tu crains que je n'étouffe enfermé dans mon tombeau
Songe, pour te consoler, que bientôt mes yeux, vont être dé-
truits par la pourriture ou par le feu, ma foi, si vous avez ré-
solu de me brûler, et que, par conséquent, je ne verrai plus ni
ténèbres ni lumière. Je n'y trouve pas grand inconvénient.
19. « De quoi me servent alors ces gémissements et ces poi-
trines frappées au son de la flûte, et ces àj dations intermina-
bles des femmes? Pourquoi cette pierre couronnée sur mon
tombeau? A quoi bon ce vin pur répandu autour de ma sépul-
ture ? Vous figuréz-vous qu'il filtre jusqu'à moi, et que cette
liqueur pénétrera jusqu'à l'empire dé Pluton? Quant à vos sacri-
fices funèbres. vous voyez, n'est-ce pas? aussi bien que moi,
que la partie la plus succulente monte avec la fumée vers le
ciel et qu'il ne nous en arrive pas en bas la moindre parcelle.
Il n'en reste qu'une cendre inutile, et vous ne croyez pas que
les morts vivent de cendres. L'empire de Pluton a aussi ses
fleurs et ses fruits, et l'asphodèle ne nous fait pas défaut au
point que nous allions prendre chez vous notre nourriture.
AvouonsTej par Tisiphonel il y a longtemps que vos paroles et
vos actions m'auraient fait pousser un immense éclat de rire
sans le linge et les bandelettes de laine dont vous m'avez tout
embéguiné les mâchoires, »
II dit, et le trépas le couvrit de ses ailes

20. Par Jupiter! si le mort, tournant la tète et s'appuyant


sur le coudé, se mettait à parler ainsi, ne penseriez-vous pas
qu'il a parfaitement raison? Cependant les hommes insensés
continuent leurs clameurs; ils envoient chercher un poëte sa-
vant dans l'art de composer des thrène3', en
y rassemblant
tous les malheurs de l'antiquité, et, à l'aide de cet acteur qui
sert de chorége à leurs folies, ils commencent leurs chants fu-
nèbres, aussitôt qu'il en donne le s'gnal.
21. L'usage de ces lamentations ridicules est assez général
chez tous les peuples, mais ce qui vient après, c'est-à-dire la
sépulture, varie suivant les nations; le Grec brûle, le Perse
enterre, l'Indien vernit, le Scythe mange, l'Égyptien sale ses
morts; ce dernier même, j'en suis témoin oculaire, les fait sé-
cher. les invite à sa table et en fait des convives Souvent
aussi, quand un Égyptien a besoin d'argent, un mort le tire
d'embarras, et un père ou un frère se trouve là fort à propos
pour lui servir de caution.
22. Pour ce qui est des tombeaux, des pyramides, des colon-
nes, des inscriptions, leur peu de durée ne les rend-il pas inu-
tiles et semblables à des jouets d'enfants?
23. Cependant quelques peuples ont institué des jeux funè-
bres, dans lesquels on prononce l'éloge des défunts sur leur
tombeau. Il semble qu'on veuille les défendre et rendre témoi-
gnage de leurs vertus auprès des juges infernaux h.
24. Pour couronner la cérémonie, vient enfin le festin des
funérailles. Les parents y assistent, pour consoler le père et la
mère de celui qui n'est plus. Ils les engagent à manger un peu,
et ils n'ont pas grand mal. ma foi, à les y contraindre fatigués
de leur jeûne de, trois jours, ils ne pourraient pas, souffrir la
faim davantage. « Jusques à quand, mon ami, leur dit-on,

Iliade, XVI, V. 602.


2. C'est-à-dire complaintes. Horace caractérise ces sortes de chants dans
l'Ode u du livre IV. Pindare y avait excellé. Voy. la traduction de C. Poyard,
p. 245.
3. Vuy. Ch. Dezobry, Rome au siècle d' Auguste, lettre XIII, t. I, p. 344.
4. Voy. Thomas, Essai sur les éloges. Cf. notre tlrèse latine Pe ludicris
apud ieteres laudationibus, p. 20 et suivantes. On trouvera aussi des détails
sur les cérémonies funèbres des anciens dans le t. XII des Antiquité) romai-r
nes de Gravius p. < 405.
vous abandonnerez-vous aux larmes? Laissez reposer en paix
les mânes de votre bienheureux fils. Si vous avez résolu de le
pleurer sans cesse, c'est une raison de plus pour prendre de la
nourriture, afin d'avoir les forces nécessaires pour soutenir la
violence de votre affliction. i Alors tous les convives entonnent,
comme un chant de rhapsodes, les deux vers d'Homère
La belle Niobé prit quelque nourriture
et:
Le ventre chez les Grecs ne pleuré pas les morts'.

Les parents, touchent donc aux mets, quoique avec un peu de


réserve, et en craignant de paraître soumis aux nécessités de la
vie humaine après la perte de ceux qui leur étaient si chers.
Voilà, avec quelques autres plus ridicules encore, les coutumes
de deuil qui frapperont l'oeil de l'observateur, et qui viennent
toutes de ce que le vulgaire regarde la mort comme le plus
grand des maux.

LI

LE MAITRE DE RHÉTORIQUE*

1. Tu me demandes, jeune homme, comment tu peux devenir


rhéteur et acquérir le nom de sophiste, ce nom respectable et

t. Iliade, XXIV,v. 602. 2. Iliade, XIX, v. 226.


8. 11 y a discussion entre les savants sur le but que s'est proposé Lucien
ians cet opuscule. Quelques-uns, d'après le scoliaste et Marcile, pensent
qu'il a voulu immoler à sa haine particulière Julius Pollux, auteur de l'Ono-
masticon, son compétiteur à la place de précepteur du jenne Commode. D'au-
tres, avec Hcmsterliuis Gesner clWicland, rejettent bien loin cette sup-
position comme' une imputation calomnieuse. Nous croyons bien difficilt
de prendre un parti, les raisons de côté et d'autre nous paraissant con-
cluantes. Ce qu'il y a de certain, c'est que Lucien dans ce traité, se moque,
ampoulé
avec son bon sens ordinaire, de la fausse éloquence et du style
des déclamateurs. Voy., dans le chapitre vu de la thèse latine d'H. Rigault-
une appréciation de ce irailé et un rapprochement entre Lucien et Quin-
tilien.
populaire'? Tu dis que tu ne saurais vivre, si tu ne sais donner
à tes discours une force assez puissante pour
te rendre invin-
l'objet de l'admi-
cible et faire de toi la terreur de tes rivaux,
ration et des regards de tout le monde, l'orateur
favori des
qui conduisent
Grecs: tu veux connaître les routes, s'il en est,
à ce but. Je ne t'envierai pas une réponse, mon
enfant, surtout
lorsqu'un jeune homme comme toi, doué de généreux penchants,
et ne sachant de quel côté se tourner, vient
demander, comme
tu le fais aujourd'hui, un conseil, chose vraiment
sacrée. Écoute
donc ce que je puis te dire, et sois sûr qu'en peu de temps tu
vas devenir un habile homme, sous
le rapport de l'invention et
de l'élocution pourvu toutefois que tu veuilles
t'attacher à mes
préceptes, travailler sérieusement à les mettre en pratique, et
achever la route avec courage, jusqu'à ce que tu sois arrivé au
terme.
2. L'objet que tu poursuis n'est pas d'une médiocre impor-
tance, et n'exige pas de faibles soins. Il demande, au
contraire,
des travaux, des veilles, tout ce qui peut exercer la patience.
Vois aussi que de gens, qui jusque-là n'étaient rien, sont deve-
nus illustres, riches et nobles, ma
foi, grâce au talent de la
parole
3. Cependant ne t'effraye pas, ne va pas renoncer à la gran-
deur de tes espérances, à cause des difficultés sans nombredont
tu crois avoir à triompher. Nous ne prétendons pas te conduire
par un chemin rude et pénible, qui bientôt te mettrait tout en
sueur, et te fatiguerait au point de te faire retourner sur tes
pas. S'il en était ainsi, nous n'aurions aucun avantage sur
les
autres maîtres, qui mènent leurs élèves par la route ordinaire,
route longue escarpée laborieuse désespérante. Mais ce qu'il1
y a d'excellent dans ma méthode c'est que la route à suivre est
à la fois la plus agréable et la plus courte vaste à y chevau-
cher, d'une pente douce, semée d'agréments et de plaisirs. Tu
n'auras qu'à cheminer à travers les prairies émaillées de fleurs,
sous d'épais ombrages, marchant pas à pas, à ton aise, sans
sueur et sans fatigue jusqu'au sommet, où tu saisiras facilement
ta proie; et là, par Jupiter 1 tu n'auras plus qu'à festoyer, tran-
quillement assis, tandis que tu apercevras du haut de la mon-
tagne, tous ceux qui ont suivi l'autre route gravissant avec
peine, au bas de la montée, un sentier impraticable, glissant,
hérissé de précipices, rampant péniblement, roulant parfois la

i. Ce nom n'avait pas d'abord le sens défavorable qu'il a pris par la suite
Voy. L. Cresol, Theatrum rhetorum etc.
tête en bas et recevant mille blessures contre la pointe des
rochers toi, au contraire, depuis longtempsà la cime, la tête
couronnée, le plus heureux des mortels tu auras reçu en
un instant, des mains de la Rhétorique, tous les biens qu'elle
peut donner, et qui te seront venus presque en dormant.
4. Voilà la promesse elle est magnifique. Mais ne va pas,
par Jupiter dieu des amis, te refuser à y croire quand nous te
parlons de moyens on ne peut plus faciles et agréables tout en-
semble. Si, pour avoir cueilli quelquesfeuilles sur l'Hélicon', Hé-
siode de berger est tout à coup devenu poëte et s'est mis à
chanter la naissance des dieux et des héros sous l'inspiration
des Muses, crois-tu qu'il soit impossible de devenir en peu de
temps rhéteur, profession bien éloignée de l'emphase poétique,
du moment où l'on vous enseigne la route la plus prompte?
5. Eh bien je veux, à ce propos, te raconter l'heureuse dé-
couverte d'un marchand de Sidon, et comment l'incrédulité de
celui auquelil la communiqua en fit échouer l'exécution et la
rendit inutile. Alexandre était devenu roi des Perses après la
bataille d'Arbèles et la défaite de Darius. Il fallait que ses cour-
riers parcourussent tous les pays soumis à son obéissance, pour
y porter ses ordres. De la Perse à l'Égypte la route était fort
longue. Il fallait tourner plusieurs montagnes, traverser la Ba-
bylonie, entrer en Arabie, puis franchir un immense désert, et
arriver en Egypte après une route de plus de vingt stations pour
un homme des plus agiles. Cet état de choses fâchait beaucoup
Alexandre, qui, sur la nouvelle de quelque soulèvement en
Égypte, ne pouvait pas envoyer assez vite ses instructions à
ses satrapes. Sur ces entrefaites un marchand de Sidon « Moi,
je vous promets, dit-il au roi, de vous enseigner un chemin
bien plus court pour aller de Perse en Egypte. On n'a qu'à pas-
ser ces montagnes que vous voyez or, on peut les passer en
trois jours, et l'on est tout de suite en Egypte. » C'était vrai.
Cependant Alexandren'en voulut rien croire; il regarda ce mar-
çh and comme un imposteur, et, parce que cette promesse était
contraire à l'opinion commune, elle n'obtint aucune créance de
personne.
6. Ne prends donc pas de la mienne une semblable idée. Tu
sauras bientôt par expérience que rien ne t'empêchera d'être
rhéteur en moins d'un jour, et de franchir les montagnes qui
séparent la Perse de l'Egypte. Je veux d'abord, à l'exemple du
fameux Cébès te tracer un tableau en paroles et te représenter

t Voy. Hésiode Théogonie, v. 30.


chacune des deux routes qui conduisent à cette rhétorique pour
laquelle je te vois brûler d'un si beau feu. Sur le sommet d'une
montagne est une femme d'une beauté parfaite, d'une figure
charmante, tenant dans sa main droitela corne d'Amalthée, d'où
l'on voit sortir une abondance de fruits de toute espèce. A sa
gauche, figure-toi voir Plutus debout, tout d'or et tout radieux:
la Gloire et la Puissance sont à ses côtés, et les Eloges, répandus
autour d'elle, semblables à de petits Amours voltigententre-
lacés au-dessus de sa tête. Tu as sans doute vu quelque tableau
représentant le Nil la plupart des peintres le montrent assis
sur un crocodile ou sur un hippopotame; de petits enfants, que
les Égyptiens appellent coudées, folâtrent autour de lui: tels
sont les Éloges voltigeant autour de la Rhétorique. Approche,
amoureux, hâte-toi d'arriver au sommet qu'elle habite, afin de
l'épouser en arrivant, et de posséder tous ces biens, Richesse,
Gloire, Éloges ils appartiennent de droit à son époux.
7. Mais, lorsque tu arriveras auprès de la montagne, tu com-
menceras par désespérerd'y atteindre. Elle te fera le même effet
que la roche Aornos aux Macédoniens,qui, la voyant escar-
pée de toutes parts et infranchissable même aux oiseaux, crurent
qu'il fallait être, pour la gravir, un Bacchus ou un Hercule.
C'est ainsi que tu en jugeras au premier coup d'oeil. Mais bien-
tôt après tu aperçois deux routes l'uca est étroite hérisséed'é-
pines, escarpée, faisant pressentir et la soif At la sueur. Hé-
siode avant moi, l'a trop bien représentée, pour que j'aie besoin
de la décrire; l'autre est plate, fleurie, arrosée de ruisseaux,
telle enfin que je te l'ai dit à l'instant aussi je ne veux pas en
te répétant souvent la même chose, te retenir plus longtemps;
car tu pourrais déjà même être rhéteur.
8. Je crois pourtant essentiel d'ajouter que cette route rude
et escarpée ne porte les traces que d'un très-petit nombre de
voyageurs. Si l'on en voit quelques-unes, elles sont bien vieilles.
Et moi aussi, malheureux, j'ai essayé de la gravir, j'ai pris
cette peine, peine inutile! C'est alors que je découvris l'autre
chemin; il me parut de loin, tel qu'il est, uni et sans détour.
Cependant je ne le suivis point. J'étais jeune dans ce temps-là,
et je ne connaissais pas encore ce qu'il valait mieux faire. Je
croyais que notre poëte de tout à l'heure était dans le vrai,
quand il dit':
C'est du sein des travaux que naissent tous les biens.

<• Voy. u I, p. U4, – 2. Travaux « Jours, V. 200. 3. Id., T. 308.


Mais il n'en va point ainsi. Je vois une foule de gens qui sont
arrivés, sans se donner de mal, à une position excellente, grâce
à l'heureux choix du genre oratoire et de la route qu'ils ont
adoptée. Lors donc que tu seras arrivé à l'entrée de ces deux
chemins, tu seras fort embarrasse, je le sais bien, et tu l'es
même en ce moment, pour savoir lequel suivre. Que feras-tu
donc pour arriver aisément au sommet de la montagne, devenir
le plus heureux Ses hommes, épouser la Rhétorique et paraître
à tous un homme admirable Le voici. C'est assez que j'aie été
trompé moi-même et que je me sois donné beaucoup de mal. Je
culture, comme
veux que pour toi tout pousse sans semence ni
au temps de Saturne.
9. D'abord tu verras venir à toi un homme robuste, vigou-
reux sa 'démarche est virile son corps
fcrûlé par le soleil, son
coup'd'œil sévère; il a l'air éveillé c'est le guide de la route
escarpée ce bonhomme, après t'avoir débité je ne sais quelles
.omettes, t'engagera à le suivre, te montrera les traces de
Démosthène, de Platon et de quelques autres elles sont gran.
des, il est vrai, et plus profondes que celles de nos orateurs du
temps, mais elles sont à peine visibles, et l'âge les a presque
entièrementeffacées. Il te dira que tu parviendras au bonheur et
que tu épouseras la Rhétorique, si tu suis ces traces avec
la
précision d'un danseur de corde car, pour peu que tu poses le
pied à côté, que tu inclines à droite ou à gauche, que tu ne
suives pas la direction, te voilà hors de la ligne droite qui mène
au mariage. Ensuite il t'ordonnera de te formervieillis,
sur les an-
ciens, il te proposera pour modèles des discours diffi-

ciles à imiter, semblables aux statues sorties de l'antique ate-


lier d'Ilégias, de Critius, et de Nestoclès', œuvres précises,
nerveuses, un peu roides, d'un dessin correct et sévère, « Tra-
vaillez, dira-t-il, veillez, buvez de l'eau, ne prenez aucun
relâche cela vous est nécessaire indispensable sinon voup
ne pourrez achever yotre route. » Mais ce qu'il y a de plus
déso-
lant c'est que ce guide vous fera dépenserà ce voyage un temps
considérable, des années entières. Il ne sait compter ni par
jours, ni par lunaisons il ne procède que par olympiades. Ce
calcul vous fatigue d'avance; on n'en peut plus on dit un long
adieu à ce bonheur qui n'existe qu'à l'état d'espoir. Ce n'est pas
tout il exigera un salaire exorbitant, pour le payer de tous les
maux qu'il t'aura fait souffrir il ne ts fera pas faire un pas
qu'il n'ait'd'abord reçu une sofn'me énorme.
rapprochementqu'il
1. Passage controversé. Nous avons suivi Dusoul, et le
avec
fait le teste de Pline rAnniun Hist, nat., XXJHV, xoc.
10. Voilà ce quete dira ce hâbleur, ce vieux du temps de Sa-
turne, qui te donne pour modèles des morts décrépits, qui veut
que tu exhumes des discours enterrés depuis longtemps, qui
t'ordonne, comme la chose du monde la plus utile, d'imiter le
fils d'un fabricant d'épées1, ou celui de je ne sais quel Atromête,
greffier de son état1, et cela en pleine paix quand Philippe ne
menace plus d'envahir la Grèce, et qu'Alexandre n'en est plus le
maître, temps auquel leur talent pouvait avoir son utilité. Cet
homme ignore sans doute qu'on a trouvé aujourd'hui une route
bien plus commode qui vite et sans travail, vous conduit
immédiatement à la Rhétorique. Garde-toi donc bien de croire
ce guide suranné ne l'écoute pas il te ferait rompre le cou ou
finirait par te rendre vieux avant l'âge avec tous ses travaux.
Si tu aimes la Rhétorique et si tu désires la posséder le plus tôt
possible, quand tu es à la fleur de l'âge, si tu veux même qu'elle
vienne à toi, plante là ce pédant hérissé, qui abuse de ses
grands airs virils laisse-le gravir son sentier tout seul ou en
compagniede ceux qu'il pourra prendre pour dupes, et que tu
verras de loin haletants et ruisselants de sueur.
11. Quant à toi, en arrivant à l'autre chemin, tu y trouveras
une foule de guides différents; mais, parmi eux, il en est un
qui est toute science et toute beauté sa démarche est molle-
ment balancée, son cou légèrement incliné, son regard féminin,
sa voix mielleuse; il exhale une suave odeur; il se gratte la
tête du bout du doigt le peu de cheveux qui lui restent sont
bien frisés en grappes d'hyacinthe; on dirait le délicat Sarda-
napale, ou Cinyre ou Agathon4 lui-même, cet aimable poëte
tragique. Tels sont les signes qui te le feront reconnaître. Mais
il n'est pas possible que ce divin personnage, cher à Vénus et
aux Grâces, échappe à tes regards. Que dis-je? Tu aurais les
yeux fermés, et il s'approcherait de toi ouvrant cette bouche
qui distille le miel de l'Hymette faisant entendre cette voix fa-
milière, que tu serais sur aussitôt de n'avoir pas devant toi
un
des mortels qui mangent les. fruits de la terre aiais quelque
être surhumain, nourri de rosée et d'ambroisie. Va donc le
trouver, mets-toi entre ses mains et tu deviendras, aussitôt et
sans peine, un rhéteur parfait, fixant tous les regards, ou,
comme il le dit lui-même, un roi de l'éloquence monté sur 1 e

< Démosthène, Cf. le Songe, 7. 2. Eschine. 3. Voy. ce mot dans le


Dict, de Jacobi.
4. Vuv. Aristophane, Thesmojihories, p. 364 de la traduction de M. Artaad.
"i. A. Pierron, Hist. de la litt. gr., p. 288,
i™ éd.
char triomphant de la parole. Une fois avec lui, voici d'abord
ce qu'il t'enseignera.
12. Mais laissons-le te parler lui-même il serait ridicule que
je prisse la parole pour un tel orateur. Je ne serais que la mau-
vaise doublure d'un grand talent, et je craindrais, en tombant,
d'entraîner avec moi le héros dont je jouerais le rôle. Voici
comment il s'exprimera, apfès avoir passé légèrement la main
dans les cheveux qui lui restent, souri de ce sourire fin et gra-
cieux qui n'est qu'à lui; et faisant entendre une voix douce et
flatteuse qu'on dirait empruntée à la Thaïs de la comédie, à
Malthacé ou à Glycère • car un ton mâle et brusque ne con-
viendrait pas à un orateur si délicat et si aimable.
13. IJ te dira donc, en parlant de lui avec une extrême mo-
destie « Est-ce que c'est, mon cher ami, Apollon Pythien qui
vous envoie vers moi qu'il a déclaré le meilleur des rhéteurs,
comme il répondit jadis à Ghéréphon quel était le plus sage
des hommes de son temps? Si ce n'est point cela, si le seul
bruit de mon nom vous amène, pour avoir entendu dire que
chacun se sentait frappé de la plus vive admiration en présence
de mon talent, qu'on chantait mes louanges qu'on était saisi
d'étonnement, qu'on me rendait les armes, vous allez savoir
dans un instant à quel divin mortel vous vous êtes adressé. Ne
vous attendez pas à rien voir qui puisse être comparé à tel ou
tel de nos orateurs vous savez les Tityus, les Oius, les
Éphia;tess, on vous montrera quelque chose d'autrement sur-
naturel et prodigieux. Vous trouverez que ma voix couvre au- j
tant celle de mes rivaux qu'une trompette couvre les flûtes,
la cigale les abeilles les choeurs ceux qui leur donnent
le ton.
14-. «Puisque vous vouiez aussi devenirrhéteur, et qu'il ne vous
serait pas facile d'apprendre mieux cet art avec un autre, suivez
seulement, cher objet des soins de Glitius*, suivez mes conseils,
imitez en tout mon exemple et observez religieusement les lois
que je vais vous prescrire. Mais avancez n'hésitez pas, n'ayez
pas peur de ce que vous n'êtes pas encore initié à ces mystères
de la rhétorique, auxquels une autre méthode préliminaire, en-
seignée par des hommes vains et qui n'ont pas le sens commun,

1. Vojr., sur ces courtisanes, devenuesdes héroïnes de la comédie grecque,


Athénée, livre XIII.
2. Voy. Platon, Apologie de Socrate, chap. v.
3. Voy. le Dieu de Jacobi.
4. C'était, suivant Gravius, un rhéteur du temps.
veut qu'on arrive après de longs travaux. Il n'en est aucun be-
soin. Marchez donc, comme dit un proverbe, sans vous être
lavé les pieds. Vous ne sauriez pas écrire, ce que personne n'i-
gnore, que vous n'en réussiriez pas moins. Le rhéteur est au-
dessus de tout cela.
15. « Je vais commencer par vous dire quelles sont les provi-
sions qu'il vous faut apporter de la maison et dont vous avez
besoin de vous prémunir pour votre voyage, afin de le terminer
plus vite; ensuite, chemin faisant, je vous exposerai certains
principes je vous donnerai certains avis au moyen desquels
avant le coucher du soleil, vous serez un rhéteur accompli, su-
périeur à tous vos rivaux, tel enfin que je suis moi-même, occu-
pant la première, la moyenne et la dernière place entre tous ceux
qui se mêlent de parler. Apportez avec vous, c'est un point es-
sentiel, un grand fonds d'ignorance, mais aussi de l'aplomb
de l'audace, dé l'impudence; laissez au logis la réserve, la dis-
crétion, la modestie, la timide rougeur elles seraient inutiless
et nuisiblesà vos succès. Mais ayez de la voix, une voix sonore,
un débit insolent, une démarche comme la mienne voilà qui
est indispensable et qui peut suffire. Que vos vêtements soient
d'une étoffe fleurie, blanche sortant des ateliers de Tarente, et
laissant apercevoir le corps au travers du tissu. Prenez une
chaussure attique, semblable à celle des femmes, ouverte en plu-
sieurs endroits, ou un brodequinde Sicyone', décoré de franges
blanches faites-vous suivre de nombreuxvalets, tenez toujours
des tablettes à la main. Voilà les provisions que vous devez ap-
porter.
16. « Pour les autres objets, nous allons voir tout cela en route;
écoutez. Je vais vous apprendre les signes auxquels la Rhéto-
rique vous reconnaîtra, vous admettra comme sien loin de se
détourner et de vous envoyer aux corbeaux, comme un profane,
un espion qui vient surprendre ses mystères. Soignez bien,
avant tout, votre extérieur; soyez élégammentvêtu; choisissez
ensuite une quinzaine, une vingtaine au plus de mots attiques;
exercez-vous à les prononcer nettement; ayez toujours sur le
bout de la langue fca, y.Sxa, p&v, iiL-r^éicrt Xtôorê*, et autres
expressions analogues, ,et saupoudrez-en tous vos discours,
comme d'un assaisonnement. Négligez les autres mots qui ne
ressemblent pas à ceux-ci, qui ne sont pas de la même famille
et qui font une fausse note dans le concert. Il faut toujours
que
< Voy. le xiv Dialogue des courtisanes, 2.
2. Cf. l.exiphane,H.
la frange de pourpre soit belle'et d'une couleur éclatante, lors
même que le reste du vêtement se compose d'une grossière peau
de chèvre.
17. « Faites-vous, en outre, un recueil de mots étrangers, pro-
scrits par l'usage, et qu'on ne trouve employés que chez les au-
teurs anciens; ayez-les tout prêts en dépôt pour les décocher
sur ceux qui conversent avec vojus. C'est par laque vous attire-
rez sur vous les yeux du populaire, et l'on vous croira un homme
d'une érudition admirable et sans pareille, quand on vous en-
tendra lancer un àxo(r:\f(yfoaaQai au lieu d'ijcoÇisaaem (essuyer
en frottant) un el>7]6epEîb8«i,pour ijKla GipsoBat (se chauffer au so-
leil); dire îfôa&iNu en place de npovdjiiov (les arrhes, au lieu du
prix payé d'avance), et appeler &xp<meyéç ce que nous appelons
Ïp6pov (le point du jour)' Inventez quelquefois des mots nou-
veaux et singuliers forgez sSXeÇiv pour dire ura homme qui s'é-
nonce avec grâce ooç^vouv pour désigner un homme intelligent;
appelez un danseur x.eipâ'Mxpov8. Si vous faites un solécisme ou
un barbarisme, remédiez-y à force d'impudence. Soyez toujours
prêt à citer le nom d'un auteur qui n'existe pas ou qui n'a ja-
mais existé, soit poëte, soit prosateur affirmez qu'il approuve
cette manière de s'exprimer, étant d'ailleurs un homme savant,
et versé dans la connaissanceapprofondie"de la langue. Ne lisez
pas les ouvrages des anciens, Isocrate un bavard, Démosthène
un orateur sans grâce, Platon froid écrivain prenez-moi les
discours composés récemment, et ce qu'on appelle déclamations;
nourrissez-vous-en, afin d'en user au besoin et d'y puiser
comme dans un grenier d'abondance.
18. « Quand il faudraparler, et que les auditeurs vous propose-
ront un s'ijet, une matière à discours, ne vous laissez pas dé-
courager, si vous la trouvez difficile; prenez hardiment la parole,
et affecfez de dédaigner le sujet, comme si l'on vous avaitchoisi
un texte digne d'un enfant. N'hésitez donc pas dites tout ce
que vous suggère une langue déréglée ne vous embarrassezpas
de traiter en premier lieu ce qui doit être traité le premier, de
parler de chaque objet au rang qui lui convient, d'amener le
second après le premier, et le troisième après le second; mais
dites d'abord ce qui se présente d'abordà votre esprit, et, si le
hasard le veut, mettez la bottine au front et le casque à la jambe.

t. Quelques-une; de ces expressions se trouvent dans VOnomastim ùe


PoUux.
2. Lucien s'est servi de ce mot dans le traité De la danse, CD, et dans te
Ijexiphane, 4ft.
Pressez votre débit, parlez sans discontinuer, et ne vous gardez
que du silence. Si vous parlez d'un rapt, d'un adultère commis
à Athènes, citez les coutumes de l'Inde et d'Ecbatane. Mais il
vous faut avant tout du Marathon et du Cynégire, sans lesquels
rien ne saurait aller. Traversez à la voile le mont Athos, passez
à pied l'Hellespont; que le soleil soit obscurci par les flèches
des Perses, que Xerxès prenne la fuite, que Léonidas se dessine
dans sa gloire, qu'on lise les caractères sanglants d'Othryade
faites-moi sonner Salamine, Artémisium, Platée'; frappez, re-
doublez Parsemez le tout de ces petits mots qui montent à la
surface de votre discours, et qui le fleurissent; ne manquez pas
de dire souvent dxca, S^ouOev2, n'en fût-il pas besoin ces mots
sont fort jolis, même dits à contre-sens.
19. « Lorsque vous croirez venu le moment de chanter, que tout
alors soit chant et mélodie; et, si votre sujet n'a rien de musi-
cal, prononcez en cadence l'£vopEs Si/.aar«( et soyez sûr que
l'harmonie sera parfaite. Répétez souvent Oîuoi tSw z«-av (grands
dieux, quels malheurs!); frappez-vous la cuisse, parlez de la
gorge, crachez en parlant, et promenez-vous en tortillant des
reins. Si l'on ne vous applaudit pas, mettez-vous en colère,
insultez les auditeurs; si, par un reste d'égard, ils demeurent
debout tout prêts à sortir, ordonnez-leur de s'asseoir en un
mot, régnez sur eux en tyran.
20. t Mais, pour que la foule surtout vous admire, remontez au
siége de Troie, et même aux noces de Deucalion et de Pyrrha,
ponr redescendre, si bon vous semble, aux événements contem-
porains. Les gens habiles s'il y en a un tout petit nombre, se
tairont par bonté d'âme s'ils disent quelque chose, ils paraî-
tront le faire par jalousie. La multitude ne se lassera pas d'ad-
mirer votre extérieur, votre voix, votre démarche, votre prome-
nade, votre chant, votre chaussure et votre éternel Sttoc; puis,
en voyant votre sueur, votre respirationhaletante, elle ne pourra
se refuser à croire que vous êtes un formidable jouteur dans
l'art oratoire. D'ailleurs, le procédé d'improvisation est très-
propre à faire excuser les fautes et à enlever la foule. Songez
donc à ne jamais écrire; parlez toujours sans préparation se
préparer, c'est s'exposer à se faire prendre.
21. « Ayez des àmis qui trépignent sans cesse, et vous payent
ainsi le prix de vos dîners. S'ils s'aperçoivent que vous allez
faillir, ils doivent alors vous tendre la main et vous ménager,

Vpy. notre thèse latine, De ludict-is, etc., p. 23 et suivantes.


2. Cf. Lexiphane^1^.
en applaudissant, le temps de retrouver ce que vous voulez
dire. Un de vos premiers soins, en effet, est de vous former un
chœur dévoué et qui chante avec ensemble. Voilà ce qu'ils fe-
ront quand vous parlerez en marchant, ils vous serviront de
satellites, bataillon qui vous couvrira de son corps, et s'entre-
tiendra avec vous de ce que vous aurez dit. Si vous rencontrez
quelqu'un, parlez de vous en'termes magnifiques, répandez-vous
en éloges de vous-même, jusqu'à l'en assourdir. « Qu'était votre
orateur de Péanée1 auprès de moi? Faudra-t-il donc que je
batte un à un tous les anciens? » et autres phrases semblables.
22. « J'allais oublier le point capital et le plus nécessaire pour
acquérir de la réputation moquez-vous de tous les autres ora-
teurs. Si l'un d'eux a quelque talent, faites semblant de croire
que ce qu'il dit n'est pas de lui qu'il se pare des dépouilles
étrangères s'il est médiocre, trouvez-le détestable. Il faut aussi
arriver après tout le monde dans .les auditoires cela vous fait
remarquer..Quand tout le monde se tait, lancez un éloge en
termes singuliers, afin de distraire et de choquer les auditeurs:
vos hyperboles choquantes leur feront mal au cœur, et ils se
boucheront les oreilles. N'applaudissez que rarement de la main,
c'est trop commun. Ne vous levez pas non plus si ce n'est une
ou deux fois au plus souriez dédaigneusementpresque toujours,
et ne paraissez jamais content de ce qu'on dit. Il y a mille occa-
sions de critiquer, et les oreilles sont ouvertes sans cesse aux
calomniateurs.Pour le reste, n'en soyez point en peine -.l'au-
dace, l'impudenre, le mensonge sont toujours à portée; ne
manquez pas d'avoir un serment tout prêt sur les lèvres; soyez
jaloux de tout le monde; répandez la haine, la calomnie, les faux
rapports teints de couleurs spécieuses avec cela vous devien-
drez bientôt célèbre, et vous attirerez tous les yeux. Telle est la
conduite à tenir en publie.
23. t Quant à votre particulier, faites-vous une loi de vous li-
vrer à tous vos vices.: soyez joueur, ivrogne, débauché, adul-
tère, ou du moins vantez-vous de l'être si vous ne l'êtes pas;
dites-le partout, et montrez en confidence les billets doux que
vous recevez des femmes. Tenez à paraître beau, et qu'on vous
croie un galant recherché par le sexe aimable. Le vulgaire attri-
buera vos conquêtes à la Rhétorique et votre réputation pas-
sera ainsi jusque dans les gynécées. Je vais plus loin n'ayez
pas honte de paraître aimé des hommes, pour un autre moti
que je ne dis pas, et cela, malgré votre belle barbe, ma foi, et
4. Démosthène. Péanée était une bourgade de l'Auiqne.
votre frontdégarni de cheveux. Soyez toujours, au contraire,
entouré d'amis de cette espèce. Si vous n'en avez pas, c'est assez
de vos valets. Tout cela est infiniment utile à la Rhétorique; on
n'en acquiert que plus d'effronterie et d'impudence. Voyez les
femmes. Ne sont-elles pas plus bavardes que les hommes ? N'ont-
elles pas plus vite l'insulte à la bouche? Faites comme elles, et
vous vous assurerez une grande supériorité sur les autres. Il
faut donc que vous soyez épilé partout, ou du moins aux en-
droits nécessaires. Votre bouche doit être prête à s'ouvrir en
toute occasion, et votre langue vous servir non-seulement à
parler, mais à toute espèce de choses. Elle ne doit pas seulement
faire des soléoismes et des barbarismes, débiter des niaiseries,
jurer, invectiver,calomnier,mentir, elle peut avoir la nuit d'au-
tres emplois, surtout si vous ne pouvez suffire à vos nombreuses
amours. Qu'elle soit apte à tous ces différents services, pleine
de souplesse, et n'ayant de dégoût pour rien.
24. « Si vous retenez bien tous ces préceptes, mon enfant, et
vous le pouvez sans peine, ils n'ont rien de bien difficile j'ose
vous promettre qu'avant peu vous serez un rhéteur parfait, en
tout point semblable à moi. Je n'ai pas besoin de vous énumé-
rer tous les avantages que va vous procurer la Rhétorique.
Voyez-moi je suis fils d'un père inconnu, qui n'était pas encore
franchement libre, après avoir subi un esclavage plus dur que
celui des Xoïs et des Thmouis': ma mère était une ravaudeuse
fort aimable". Moi-même, qui n'étais pas entièrement dépourvu
de gentillesse, je commençai par gagner ma vie, en me plaçant,
pour ma nourriture, chez un libertin avare, qui eut mes pre-
mières faveurs. Voyant que ce métier m'ouvrait une voie rapide
vers la fortune, et qu'en continuant j'allais arriver au sommet,
car j'avais pour cela, qu'Àdrastée me le pardonne1 toutes les
provisions de voyage dont je vous parlais tout à l'heure
aplomb, ignorance, effronterie je cessai de me faire appeler
Pothinus, et me voilà me donnant le nom du fils de Jupiter et
de Léda*. Je vécus ensuite avec une vieille, qui m'entretint
grassement, vu le soin que je prenais de paraître amoureux de
cette beauté septuagénaire, à laquelle il ne restait plus que qua-
tre dents; encore étaient-elles attachées avec un fil d'or. Mais

f. Noms d'esclaves égyptiens. Ceux qui croient que Lucien a voulu satiriser
Pollux voient là un trait personnel, Pollux étant de Naucratis, ville d'Egypte.
2. Je lis avec Grévius èicctfp'oiirmjtivo's, que je traduis par fort aimable,
au lieu de kit* &.[j.<f>o8iov tivoç, qui signifie tlans
un carrefour.
3. Il semble qu'il y ait là une allusion évidente au nom de Pollux.
la pauvreté me fit supporter ce rude travail et la faim me ren-
dit suaves ces froids baisers cueillis sur un cercueil. Enfin, peu
s'en fallut que la vieille ne me fît son légataire universel, si un
scélérat d'esclave ne lui eût révélé que je venais d'acheter du
poison pour elle.
25. t On me pousse à la porte la tête la première; mais je n'ai
manqué, malgré cela, d'aucune des choses nécessaires à la vie.
Je me donne pour rhéteur; je me fais voir dans les tribunaux.
trahissant, en toute occasion, la cause de la justice, et promet-
tant la faveur des juges à ceux qui sont assez insensés pour me
croire. Je perds presque toujours n'importe, l'entrée de ma
maison n'en est pas moins décorée d'une palme verte, tressée en
couronne. C'est une amorce pour les pauvres clients. Je suis
l'objet de la haine et du mépris général; j'ai une réputation dé-
testable pour mes mœurs et plus encore pour nies discours; on
me montre au doigt, et l'on dit que je suis passé maître en toute
espèce de méchancetés; eh bien! tout cela n'est pas d'un médio-
cre avantage. Tels sont, par la Vénus publique, les conseils que
j'ai à vous donner; je me les suis, depuis longtemps donnés à
moi-même, et je me sais un gré infini de les avoir suivis. »
26. Mais en voilà assez le galant t'en dira davantage. Si tu
te conformes à ses avis, sois sûr d'arriver au but que tu désires
atteindre; rien ne t'empêchera, guidé par ses préceptes de ré-
gner dans les tribunaux, de'briller aux yeux de la multitude,
d'être aimé de tous, et d'épouser, non pas, comme ton législateur
et ton maître, une vieille de comédie,mais une très-be'le femme,
la Rhétorique; a!ors tu t'appliqueras avec plus de justes-eàà
toi-même, que Platon' ne l'a fait à Jupiter, le mot i voler sur
un char aux ailes rapides. » Quant à moi timide et sans cou-
rage, je cède la route à vous autres, et je renonce à m'élever
jusqu'à la Rhétorique je ne puis lui payer le même tribut que
vous. Désormais j'ai fini. Faites-vous proclamer vainqueurs,
sans vous être couverts de poussière; offrez-vous à l'admiration
générale; seulement n'oubliez pas que, si vous.remportez la vic-
toire, vous la devez moins à votre vitesse qui vous a fait gagner
le prix de la course, qu'aux chances d'une route très-facile et
toute en pente.

4, Dans le Phèdre. Lucien s'en est déjà moqué dans la Double accusation,33.
LU

LE MENTEUR D'INCLINATION OU L'INCRÉDULE

TYCHIADE ET PHILOCLÈS.

1. Tychiade. Pourrais-tu me dire, Philoclès, quel est cet


attrait qui porte la plupart des hommes à aimer le mensonge?
Ils s'y complaisent au point de dire des choses qui n'ont pas le
sens commun, et d'écouter ceux qui en débitent de semblables.
PHILOCLÈS.Il y a beaucoupde raisons, Tychiade, capables d'en-
gager àmentir certains hommes, qui n'ont en vue que leurintérét.
TYCHIADE. Ce n'est pas là la question, comme on dit, et je ne
te parle pas de ceux qui mentent en vue de leur utilité ils sont
excusables; quelques-uns même sont dignes de louanges, lors-
qu'ils ont trompé des ennemis, ou que, dans un moment criti-
que, ils ont employé ce remède comme un moyen de salut c'est
ainsi qu'a souvent agi Ulysse pour ménager sa vie et le retour
de ses compagnons Maisje parle, mon cher, des gens qui, sans
besoin qu'il en soit, préfèrent de beaucoup le mensonge à la
vérité, s'y plaisent et s'en font une occupation sans aucun motif
plausible. Je voudraissavoir pourquoi ils agissent de la sorte.
2. Philoclès. Est-ce que tu as connu des gens de cette espèce,
qui avaient un penchant inné pour le mensonge?
TYCHIADE. Certainement, et beaucoup.
Philoclès. Quelle autre raison en donner qu'une aberration
d'esprit, qui leur fait haïr la vérité et préférer ce qui est pire à
ce qui est excellent?
Tychiade. Ce n'est pas cela; car je pourrais te citer un grand
nombre d'hommes, d'ailleurs très-sensés, et qu'on admire pour
leur jugement, qui sont néanmoins, je ne sais pourquoi, les
esclaves de ce vice; ils aiment à mentir et il me fâche de voir
des personnages, éminants du reste, s'amuser à
se tromper eux-
t.Voy. Homère, Odyssée, I, v. 6. Cf. le Piitoçtète de Sophocle.
mêmes et à tromper ceux qui conversent avec eux. Tu sais assu-
rément mieux que moi que les anciens, Hérodote, Ctésias de
Cnide, et avant eux les poëtes, Homère en tête, gens d'ailleurs
fort respectables, ont employé le mensonge écrit, si bien que
non-seulement ils ont trompé ceux qui les écoutaient de leur
temps, mais que leurs mensonges sont parvenus jusqu'à nous
comme une succession gardée en dépôt dans leurs vers admira-
bles. Souvent, je l'avoue, il m'arrive de rougir pour eux, lors-
qu'ils racontent la mutilation d'Uranus, l'enchaînement de
Prométhée, la révolte des Géants et toute la tragédie des Enfers;
lorsqu'ils nous disent que, par amour, Jupiter est devenu
cygne ou taureau, qu'une femme a été métamorphosée en
oiseau ou en ours ajoutez les Pégases, les Chimères, les Gor-
gones, les Cyclopes, et toutes les légendes de même espèce, fables
étranges, récits absurdes, faits pour amuser les enfants qui ont
encore peur de Mormo et de Lamia
3. Cependant ces fictions poétiques se tolèrent encore. Mais le
moyen de ne pas rire en voyant des villes et des peuples
entiers se livrer à des mensonges publics? Les Crétois ne
rougissent pas de montrer le tombeau de Jupiter; les Athéniens
font sortir Érichthon du sein de la terre, et pousser les premiers
hommes du sol de l'Attique, absolument comme des légumes
origine d'ailleurs plus respectable que celle des Thébains qui
racontent que des dents semées d'un serpent il germa des hom-
mes. Cependant, celui qui ne tiendrait pas pour vrais ces contes
ridicules et qui, les soumettant à un examen sérieux, croirait
qu'il n'appartient qu'à un Corèbe ou à un Margitès 5, de se
figurer que Triptolème a traversé les airs sur un char attelé de
dragons ailés que Pan est venu, du fond de l'Arcadie, au
secours des Athéniens à Marathon qu'Orithyie a été enlevée
par Borée °, celui-là, dis-je, passerait pour un impie, un insensé,
de refuser Sa créance à des faits si authentiques et si avérés.
Telle est la puissance du mensonge.

4. Voy. ces mots dans le Dict. de Jacobi. Cr. Théocrite, Idylle, XV, V 40,
et Horace, Art poétique, y. 340.
2. « Fou qui s'étant marié, ne voulut pas coucher avec sa femme, parlala
crainte d'offenser sa belle-mère.. Sa femme lui fit accroire qu'elle avait un
mal qui ne pouvait se guérir que par l'approche d'un homme, et parvint à lui
faire consommer son mariage, « Scolie grecque.
3'. Cf. Hermoti>nas\ il.
4. Voy. le Songe, <5.
5. Voy. ces mots dans le Dict. de Jacobi.
0, Cf. Dialogues des dieux, XXII, et la Double accusation, 9.
4. PHILOCLÈS. Mais pourtant, Tychiade, les poëtes et les villes
sont excusables. Les premiers mêlent à leurs écrits le charme
attrayant de la fable, dont ils ont grand besoin pour captiver
leurs auditeurs. Les Athéniens, les Thébains, et les autres peu-
ples, s'il en est, rendent leur patrie plus vénérable an moyen de
ces fictions. Si l'on ôtait de la Grèce toutes les curiosités fabu-
leuses, rien n'empêcherait ceux qui les montrent de mourir de
faim, car les étrangers ne voudraient pas entendre la vérité,
même gratis. Seulement, les hommes qui, sans avoir de pareils
motifs, se plaisent dans le mensonge, passeront, à juste titre,
pour des êtres dignes d'être bafoués par tous.
5. TYCHIADE. Tu as raison, et je sors à l'instant de chez
Eucrate, où j'ai entendu tant de récits fabuleux et incroyables,
que, ne pouvant plus supporter l'excès de ses mensonges, je
suis sorti tout courant, et j'ai pris la fuite, comme si les Furies
étaient à mes trousses, le laissant débiter une foule de prodiges
absurdes.
Philoclès. Cependant, Tycmaae, Eucrate est un homme digne
de foi; personne n'est mieux fait pour inspirer la confiance que
lui, avec sa longue barbe ses soixante ans et son goût pro-
noncé pour la philosophie. Il ne souffrirait pas qu'on dît en sa
présence la moindre fausseté, loin de l'oser lui-même.
Tychiade. C'est que tu ne sais pas, mon cher, tout ce qu'il
nous a raconté, en nous recommandantd'y croire; il fallait le
voir affirmer les faits par serment, en jurer même sur la tête de
ses enfants, de sorte qu'en le regardant, il me venait mille pen-
sées à l'esprit ou bien je le croyais fou, hors de son état
naturel, ou je le regardais comme un charlatan, un singe ridi-
cule caché depuis longtemps, à mon insu, sous la peau d'un
lion, tant ses récits étaient absurdes.
Philoclès. Et que disait-il? par Vesta, mon cher Tychiade,
je suis curieux de savoir combien il dissimule de hâblerie sous
une aussi belle barbe.
6. TYCHIADE. C'était mon habitude, Philoclès, d'aller chez
Eucrate en d'autres occasions, lorsque je n'avais absolument
rien à faire. Aujourd'hui que j'avais besoin de parler à Léonti-
chus, un de mes amis intimes, tu sais, j'appris de son valet
qu'il était allé, dès le matin, faire visite à Eucrate, un peu

I. L'idée de cette longue barbe, selon Paulmier, est prise d'Aristophane,


qui, dans lesHarangueuses, raille sur sa barbe un certain Eucrate, orateur
démagogue. (Voy. Aristophane, traduction de M. Artaud, p. 469.) Cependant
les textes d'Aristophaneportent généralement Épia aie.
malade. Le double motif et de rencontrer Léontichus, et de
visiter Eucrate, dont j'ignorais l'indisposition, me conduisit
chez ce dernier. Je ne trouve plus Léontichus il venait de sor-
tir, me dit-on, depuis un instant; mais je vis une. nombreuse
compagnie au milieu de laquelle j'aperçus Cléodème le péripa-
téticien, Dinomaque le stoïcien et Ion Tu connais cet homme
qui veut qu'on l'admire, quand U parle des écrits de Platon,
comme étant le seul capable de pénétrer intimement les pensées
du philosophe et de les expliquer aux autres tu vois de quels
personnages je te parle, tout confits en sagesse et en vertu, la
fleur de chaque secte, tous infiniment respectables et d'une
physionomie presque effrayante.Il y avait aussi là le médecin
Antigonus, appelé, je crois, pour la maladie Eucrate paraissait
se porter mieux; sa maladie était de celles qu'on nourrit avec
soi l'humeur était de nouveau descendue dans les pieds. Il
m'invita à m'asseoir auprès de lui, sur son lit, en donnant à sa
voix une intonation de malade, aussitôt qu'il m'aperçut; mais,
en entrant, je l'avais entendu crier et discuter d'un ton sonore.
J'eus grand soin de ne pas lui toucher les pieds; puis, m'excu-
sant, comme il est d'usage en pareil cas, d'avoir ignoré son in-
disposition, et ajoutant que j'étais accouru pour le voir dès que
je l'avais apprise, je pris place à ses côtés.
7. Avant mon arrivée, on avait déjà beaucoup disserté sur la
maladie d'Eucrate, on en parlait encore, et chacun indiquait un
remède. Alors Cléodème « Si donc on enlève de terre avec la
main gauche la dent d'une belette tuée de la manière que je
vous ai dite, si on la lie dans une peau de lion nouvellement
écorché, et qu'ensuite on l'attache autour de la jambe, la dou-
leur s'apaise tout à coup. Pas dans une peau de lion, reprit
Dinomaque, mais dans une peau^de biche vierge et qui n'ait
point encore été saillie. La chose est bien plus croyable de cette
manière la biche est un animal léger dont toute la force est
dans les pieds. Le lionr, il est vrai,.est vigoureux; sa graisse, sa
patte droite de devant, et les poils roides de sa crinière ont une
grande vertu, quand on sait s'en servir avec les enchantements
propres à chaque partie; mais elles ne guérissent pas du tout les
pieds. Je croyais aussi comme vous, répondit Cléodème, que
c'était de là peau de biche qu'il fallait se servir; mais dernière-
ment un homme de Libye, savant dans ces secrets, m'a fait
changer de façon de penser en me disant que les lions étaient
plus vites que les biches, puisque évidemment ils les prennent
1. Nous retrouverons ces personnages dans le Banquet.
à la chasse. » Tout le monde approuva le Libyen comme ayant
parlé avec justesse
8. Je pris alors la parole. s Eh quoi! leur dis-je, vous croyez
que des douleurs dont la cause est interne peuvent s'apaiser
par des enchantements ou par des remèdes appliqués à
l'exté-
rieur? A ce discours, ils se moquèrentde'moi; il était évident
qu'ils m'accusaient tous d'ignorance, de ne pas savoir des
choses aussi manifestes, et que nul homme sensé ne saurait
contredire. Cependant le médecin Antigonusparut bien aise que
j'eusse fait cette question. Depuis longtemps, je crois, on lui
battait un peu froid, parce qu'il persistait à traiter Eucrate avec
les secours de son art, lui ordonnant de ne plus boire de vin,
de se nourrir de légumes, en un mot, de se détendre les fibres.
Cléodème se mettant donc à sourire « Que dites-vous, Tychiade?
s'écria-t-il. Vous paraît-il incroyable qu'on puisse tirer quelque
utilité de ces sortes de remèdes dans les maladies? Cela me
paraît incroyable, lui répondis-je autrement je n'aurais pas le
nez bien .fin, si je me mettais dans la tète que des remèdes exter-
nes, sans communicationimmédiate avec les causes intérieures
des maladies, peuvent agir au moyen de quelques paroles,
comme vous dites, ou de certains enchantements, et qu'en at-
tachant ces remèdes au malade, ils lui rendront la santé. Jamais
cela n'aura lieu, quand vous lieriez seize belettes entières dans
la peau du lion de Némée. Pour ma part, j'ai souvent vu le lion
lui-mème boiter de douleur dans sa peau tout entière.
9. Vous êtes bien simple, reprit Dinomaque, d'avoir
négligé d'apprendre ces sortes de remèdes, et comment il faut
les appliquer pour en tirer quelque utilité contre les maladies.
Vous me semblez ne pas admettre non plus les faits si générale-
ment connus, les guérisons de fièvres périodiques et de tumeurs
inguinales, les enchantementsde reptiles et les autres merveilles
que les vieilles opèrent tous les jours. Si tout cela se fait, pour-
quoi ne pas croire que celles dont nous parlons ont lieu par des
moyenssemblables? Votre conclusion, Dinomaque, lui répon-
dis-je, n'est pas tout à fait juste, et, comme on dit, vous chassez
un clou avec l'autre. En effet, il n'est pas prouvé que les merveilles
en question soient opérées par une pareille puissance. Si donc
vous ne commencezpas par me convaincre que ces faits sont
dans l'ordre de la nature, que la fièvre ou la tumeur a peur d'un
nom divin, d'un mot barbare et s'enfuit de l'aine, ce que vous
dites n'est pour moi que des contes de bonnes femmes.

i. Cf. Aulu-Gelle, liv.IX, ch. iV; ëtHv. X, ch. ni.


10. Je juge à votre discoure, répondit Dinomaque, que
vous ne croyez pas à l'existence des dieux, puisque vous ne
pensez pas qu'il soit possible d'opérer des guérisons avec des
mots sacrés. Ne dites pas cela, mon cher, repartis-je; rien
n'empêche que les dieux existent et que ces prodiges ne soient
faux. Quant à moi, je respecte les dieux, je vois les guérisons
qu'ils opèrent, le bien qu'ils font aux malades et comment il les
rétablissent à l'aide des remèdes et de la médecine. En effet,
Esculape lui-même et ses enfants guérissaient les malades en
leur appliquant des drogues bénignes, et non pas en leur atta-
chant des lions et des belettes
11. Laissez là ce discours, dit alors Ion, je vais vous ra-
conter un fait prodigieux. J'étais encore jeune garçon, à l'âge
d'environquatorze ans. On vint dire à mon père que Midas, son
vigneron, valet robuste du reste et bon travailleur, avait été
mordu par une vipère, à l'heure où la place publique est pleine
de monde'. Il était couché, disait-on, et la gangrène se mettait
dans la jambe. Pendant qu'il attachait la vigne aux échalas, la
vipère s'était glissée, lui avait mordu l'orteil et s'était aussitôt
replongée dans son trou le malheureux jetait les hauts cris et
se mourait de douleur. Voilà ce qu'on nous annonce nous
allons voir Midas que ses camaradesportaient sur une civière;
il était-tout enflé et livide, paraissait déjà décomposé et respi-
rait à peine. Mon père était désolé. Un'de ses amis, qui se
trouvait là m Soyez tranquille, lui dit-il, je vais querir à l'in-
stant un Babylonien, de ceux qu'on appelle Ghaldéens, et il va
vous guérir cet homme tout de suite. En effet, pour
abréger,
le Babylonienarrive et rétablit Midas, en chassant au moyen d'un
enchantementle poison répandudans son corps, et en suspendant
au pied du malade une pierre prise à la colonne funéraire d'une
jeune fille. C'est peu de chose, pensez-vous cependant Midas,
prenant sur son dos la civière sur laquelle on l'avait apporté,
s'en retourne aux champs. Voilà quelle fut la puissance d'un
enchantement et-d'urie pierre sépulcrale.
12. i Le Babylonienfit, en outre. d'autres prodiges vraiment
divins; s'étant rendu dès le matin dans la campagne, il pro-
nonça sept mots sacramentelstirés d'un vieux livre, purifia
le
lieu avec du soufre et un flambeau, en en faisant trois fois le
tour, et chassa ainsi tous les reptiles qui étaient dans le pays.
On vit alors arriver, attirés par la force du charme, serpents,
aspics, vipères, cérastes, acontias, crapauds mâles et femelles
2. Vers midi.
«. Voy. Homère, Odyssée, IV, V.. 228.
Un vieux dragon manquait à l'appel il n'avait pu, je crois, vu
son grand âge, ramper
hors de son trou et obéir à l'ordre du
magicien., Celui-ci dit que tous les reptiles n'étaient pas
là; et,
dépêchant un jeune serpent, il l'envoya comme
ambassadeur
auprès du vieux dragon, qui se décida bientôt
à venir. Quand
ils furent rassemblés, le
Babylonien souffla dessus, et tous
furent à l'instant même consumés par ce souffle.
Nous étions
dans l'admiration.
13 –Dites-moi, jeune serpent, depêcne
Ion, repris-je, le
comme ambassadeur,
donnait-il la main à ce dragon accablé,
s'appuyait-il bâ-
dites-vous par l'âge, ou bien celui-ci sur un
ton ? Vous plaisantez, dit Cléodème moi aussi, j'ai été autre-
fois plus incrédule que vous sur ces sortes de
prodiges; je ne
pensais pas, en effet, qu'on pût, en aucune manière, y
ajouter
foi, Cependant, en voyant voler en l'air un barbare des pays
l/yperboréens, c'est le nom qu'il se donnait lui-même, j'ai cru,
et, après une longue résistance, j'ai été forcé de me
rendre.
Que fallait-il faire, quand je le voyais, en
plein jour, se soute-
nir en l'air, marcher sur l'eau, passer à travers le feu, tranquil-
lement et pas à pas? Vous avez vu cela, lui dis-je, un
Hyperboréen qui volait et marchait sur l'eau ? Certainement,
me répondit-il et même il
portait une chaussure de peau, sui-
vant l'usage de ces peuples. Mais ce n'est rien. Comment vous
dire tout ce qu'il nous a fait voir de prodiges, inspirant
des
des morts en putré-
amours, évoquant des démons, ressuscitant
faction, faisant venir Hécate elle-même sous une forme visible
et forçant la.lune à descendre sur la terre?
14. 11 Je vais vous raconter ce que j'ai vu faire chez
Glaucias,
fils d'Alexiclès. Glaucias venait d'hériter de son père, mort de-
puis peu, lorsqu'il devint amoureux de Chrysis, fille de Démé-
nète. J'étais alors son maître de philosophie et, si l'amour ne
lui eût fait perdre son temps, il saurait maintenant toute la
doctrine du péripatétisme. A dix-huit ans, il savait déjà user
de l'analyse, et avait suivi un cours complet de physique. Ne
sachant plus que devenir avec sa passion il vint me conter sa
peine; moi je crus, étant son maître, devoir mener chez lui no-
tre mage hyperboréen, auquel il donna tout de suite quatre
mines (il fallait bien quelques avances pour les sacrifices), en lui
en promettant seize autres, s'il le faisait jouir de
Chrysis. Le
mage attend la pleine lune, épqque où ces sortes de charmes ont
le plus d'effet, creuse une fosse dans la cour de la maison, et,
au milieu de la nuit, commence par évoquer, nous présents,
Alexïclès, pèieie Glaucias mort depuis plus de sept mois. Le
vieillard, irrité de la passion de son fils, commence par entrer
dans une grande colère, mais il finit par consentir à cette incli-
nation. Le mage fait alors venir Hécate, suivie de \vbère, puis
il force la lune à descendre spectacle aux mille < rmes,aui
figures les plus variées, qui nous représente d'abord une femme,
ensuite un boeuf magnifique, et enfin un chien de chasse. En
lernier lieu l'Hyperboréën ayant façonné un petit Amour avec
de la boue « Pars, lui dit-il et amène-nousChrysis! » Le mor-
ceau de boue s'envole; un instant après la jeune fille frappe à
la porte, entre, se jette au cou de Glaucias comme une amou-
reuse folle et couche avec lui jusqu'au chant du coq. Alors la
lune remonte au ciel, Hécate redescend sous terre, tous les fan-
tômes disparaissent, et nous reconduisons Chrysis chez elle, au
point du jour.
15. « Si vous aviez vu tout cela, Tychiade, vous ne douteriez
pas que les enchantements ne puissent être fort utiles. Vous
avez raison, lui répondis-je, je croirais tout cela, si je l'avais
vu. Mais, pour le moment, excusez-moi de n'être pas aussi clair-
voyant que vous. Je connais, d'ailleurs,la susdite Chrysis; c'est
une femme galante et facile. Je ne vois pas pourquoi vous avez
eu besoin d'employer avec elle un messager de boue, un mage
hyperboréenet la lune en personne, puisque, pour vingt drach.
mes, vous la mèneriez chez les Hyperboréens mêmes c'est une
femme à ne pas résister à un enchantement de cette nature,
et elle fait tout le contraire des.fantômes. Ceux-ci prennent la
fuite, dès qu'ils entendent le son de»l'airain ou du fer, c'est du
moins ce que vous dites mais lorsque Chrysis entend le son
de l'argent, elle arrive au bruit du métal. J'admire aussi beau-
coup votre mage, qui, pouvant se faire aimer des plus belles
femmes, et en recevoir des talents entiers, consent, pour quatre
à
mines, l'avare! rendre une Chrysisaimable. – Vous vous ren-
dez ridicule, me dit Ion, en refusant de croire à tous ces faits.
• 16. t Je vous demanderais volontiers alors ce que vous pen-
sez de ceux qui délivrent les démoniaques de leurs terreurs, et
qui conjurent publiquementles fantômes. Je n'ai pas besoin d'en
citer des exemples tout le monde connaît le Syrien de Pales-
tine, si expert en ces sortes de cures, qui, rencontrant sur son
passage, à certaines époques de la lune, des gens qui tombent
en épilepsie, roulent des yeux égarés, et ont la bouche pleine
d'écume, les relève, et les renvoie, moyennant un satire consi-
dérable,,délivrés de leur infirmité. Lorsqu'il est aupre? des ma-
lades, il leur demande comment le démon leur est entré dans le
corps le patient garde le silence, mais, le démon répond, en
grec ou en barbare, et dit quel il est, d'où il vient, et comment
il est entré dans le corps de cet homme c'est le moment qu'il
choisit pour l'adjurer de sortir; s'il résiste, il le menace et finit
par le chasser. J'en ai vu moi-même sortir un tout noir et à la
peau enfumée. – Il n'est pas extraordinaire, Ion, lui dis-je, que
vous ayez vu cela vous qui découvrez les idées dont Platon,
votre père, vous enseigne que la perception est très-obscure, à
cause de la faiblesse de nos yeux.
17. – Ion dit alors Eucrate. est-il le seul qui ait vu de pa-
reilles scènes? Une foule de personnes n'ont-elles pas rencontré
des démons, les unes pendant la nuit, les autres en plein jour?
Pour moi, j'en ai vu, non pas une fois, mais dix mille. J'ai com-
mencé par en être fort effrayé: maintenant, j'y suis tellement
accoutumé, qu'il ne me semble plus voir rien d'extraordinaire,
surtout depuis qu'un Arabe m'a fait présent d'un anneau fabri-
qué avec du fer pris à des croix
tement composé de beaucoup
et
m'a enseigné un enchan-
de mots; mais peut-être ne me
croirez-vous pas, Tychiade ? Comment, lui réporidis-je, ne
pas croire Eucrate, fils de Dinon, qui a le renom de sage, et qui,
chez lui, dit avec une liberté et une autorité complètes tout ce
que bon lui semble ?
18. Eh bien reprit Eucrate, vous pourrez apprendre, non
pas de moi seul, mais de tous les miens, l'histoire de la statue
qui se fait voir, chaque nuit, à tous les gens de la maison, en-
fants, jeunes gens, vieillards. De quelle statue voulez-vous
donc parler? lui dis-je. N'avez-vous pas vu, reprit-il, dans
la cour, en entrant, cette belle statue, ouvrage du sculpteur
Démétrius ? N'est-ce pas cet homme qui tient un disque, et
qu'on voit courbé dans l'attitude de le lancer"? Il a le visage
tourné du côté de la main qui porte le disque, et, ployant dou-
cement le genou, il semble prêt à se relever dès qu'il l'aura jeté.
Ce n'est pas celui-là le discobole dont vous voulez parler
est une œuvre de Myron Ce n'eat pas non plus le beau garçon
qui est auprès, et dont la tête est ceinte d'une bandelette il
est de Polyclète. Laissez toutes les statues qui sont à droite,
quand vous entrez et parmi lesquelles se trouvent aussi les
Tyrannicides de Critias et de Nestoclès*. Avez-vous remarqué,

H. Pour toutes ces sortes de pratiques, voy. le livre curieux de J. B. Thiers:


Des superstitions.
2. On peut voir une statue de ce genre dans le jardin du Luxembourg.
3. Voy. Quiutilien, Il, xm.
Voy. Le maître de rhétorique, 9.
près du jet d'eau un personnage qui a le ventre saillant et la
tête chauve? Il est à moitié nu; le vent semble agiter quelques
poils de sa barbe, il a les veines fortement accusées; on dirait
d'un homme, tant la ressemblance est parfaite c'est de lui que
je parle, et je crois aue c'est Pélichus général des Corin-
thiens.
19. Par Jupiter! repris-je, j'ai effectivement remarqué cette
statue, à la droite de Saturne elle avait des bandelettes, des
couronnes sèches, et la poitrine couverte de feuilles d'or. -C'est
moi, répondit Eucrate, qui la lui ai dorée ainsi, pour m'avoir
guéri en trois jours. d'une fièvre lente qui me minait. Eh
quoi! le brave Pélichus est-il donc aussi médecin? Certai-
nement, et ne raillez pas, ou bien il ne tardera pas à se venger
de vous. Je sais, par expérience, tout ce que peut cette statue
dont vous vous moquez. Ne croyez-vous pas que, s'il est ca-
pable de guérir la fièvre il puisse aussi l'envoyer à qui bon
lui semble? Que cette statue, dis-je alors, qui ressembletant
à un homme, nous soit donc bienveillante et propice! Mais
quelle est donc cette chose que vous lui voyez faire, vous et
tous les gens de votre maison ? Aussitôt, me dit Eucrate, que
la nuit arrive, il descend de la base sur laquelle-il est debout,
et fait sa ronde dans le logis. Tout le monde le rencontre par-
fois en train de chanter; mais il n'a jamais fait de mal à per-
sonne il faut seulement se détourner de sa route, et il passe,
sans gêner ceux qui le regardent. Souventmême, il se baigne
et folâtre toute la nuit, au point qu'on peut entendre le bruit de
l'eau. Prenez garde, repris-je cette statue n'est sans doute
pas celle de Pélichus; c'est plutôt Talus le Crétois, fils de Minos,
homme d'airain qui faisait le tour de la Crète et quoique le
Vôtre, Eucrate, ne soit pas d'airain mais de bois, rien n'empê-
che que ce ne soit pas l'œuvre de Démétrius, mais une invention
de Dédale d'autant plus qu'il s'enfuit aussi, dites-vous, de
dessus sa base.
20. Craignez, Tychiàde, me répondit-il d'avoir à vous re-
pentir, par la suite, de votre plaisanterie. Je "sais ce qu'a souf-
fert celui qui lui avait volé les oboles que nous lui offrons à
chaque néoménie. Le châtiment a dû être bien terrible, re-
prit Ion car c'était un sacrilège: Comment la statue s'est-elk
donc vengée, Eucrate? Je voudrais bien le savoir, malgré l'in-
crédulité probable de Tychiàde. Il y avait,, aux pieds de cette
statue, continua Eucrate, une grande quantité d'oboles, plu-
sieurs autres pièces d'argent' collées à sa cuisse avec de la cire.
çt quelques feuilles du même métal offrandes payées par ceux
lue son pouvoir avait délivrés de la fièvre. Nous avions en ce
noment un esclave libyen, mauvais sujet, qui soignait les che-
vaux. Il entreprit de dérober, pendant la nuit, les dons faits à la
statue, et, pour exécuter son vol, il attendit le moment où elle
était descendue de sa base. A son retour, Pélichus s'aperçut
qu'on l'avait volé, et voyez comme il se vengea et fit prendre
le Libyen en flagrant délit. Le malheureux se mit à errer le reste
de la nuit par toute la cour, comme enfermé dans un labyrinthe;
le jour parut, et il fut pris, ayant encore sur lui les pièces qu'il
avait prises. Convaincu de vol, il reçut une rude bastonnade, et,
après avoir vécu quelque temps encore, le misérable périt misé-
rablement, fustigé, disait-il, toutes les nuits, et si vigoureu-
sement, que le lendemain on voyait son corps couvert de meur-
trissures. Après cela, Tychiade, moquez-vous de Pélichus et de
moi-même, comme d'un vieillard du temps de Minos, qui com-
mence à radoter. Ma foi, Eucrate, lui répondis-je, ce qui est
d'airain est d'airain, et cette statue reste l'œuvre de Démétrius
d'Alopèce, faiseur d'hommes et non pas de dieux je n'aurai
donc pas peur de votre statue de Pélichus, dont je n'aurais pas
beaucoup, de son vivant, redouté les menaces. »
21. Après cette histoire, le médecin Antigonus prit la parole
i J'avais aussi, dit-il à Eucrate, un Hippocrate d'airain, haut
environ d'une coudée. Dès que la mèche de la lampe était
éteinte, il parcourait toute la maison avec grand bruit, .renver-
sant les bottes, bouleversant les drogues, poussant les portes,
surtout si nous différions de lui offrir le sacrifice que nous lui
faisons chaque année. -Ainsi, repris-je, le médecin Hippocrate
exige qu'on lui fasse un sacrifice, et il se fâche, si au temps
prescrit on ne le régale pas de victimes accomplies Il me sem-
ble qu'il devrait être content de quelque cérémonie funèbre,
d'une libation de lait et de miel, ou d'une couronne posée sur
sa tête.
22.– Écoutez, dit Eucrate, une chose, que j'ai vue, il y a cinq
ans, et que jegarantis sur témoins. On était dans la saison des
vendanges vers le milieu du jour, je laisse mes vendangeurs
dans ma vigne et m'en vais seul, méditant et réfléchissant, md
promener dans un bois. Arrivé à un endroit touffu j'entends
aboyer des chiens. Je pense d'abord que, suivant son habitude,
Mnason, mon fils, pour se divertir à la chasse, s'est enfoncé
dans le fourré avec ses compagnons. Mais
ce n'était pas cela du
tout quelques instants après, la terre tremble, une voix de
tonnerre se fait entendre, et je vois une femme d'un aspect
effrayant s'avancer vers moi. Sa taille était haute de près d'un
demi-stade elle tenait un flambeau de la main gauche, et de la
droite une épée, longue d'environ vingt coudées. Par le bas, elle
avait les pieds faits en serpents, et par en haut elle ressemblait
à une Gorgone, c'est-à-dire qu'elle avait un regard terrible, à
faire frémir; qu'au lieu de cheveux des dragons pendaient en
grappes ou se roulaient en spirales sur son cou et sur ses épaules.
Voyez, mes amis, ajouta-t-il, comme, au seul récit, j'en frissonne
de frayeur. » Et, en disant ces mots, Eucrate montrait à toute
"assemblée les poils de son bras hérissés par la terreur.
23. Cependant Ion, Dinomaque et Cléodème l'écoutaient, la
bouche ouverte et l'œil fixe ces vieillards, qu'Eucrate menait
par le nez, semblaientprêts à adorer ce colosse incroyable, cette
femme d'un demi-stade, cette espèce d'épouvantail gigantesque.
Je me dis alors en moi-même que ces hommes, qui enseignent
la sagesse aux jeunes gens et qu'admire tant la multitude, ne
diffèrent des enfants au maillot que par leur barbe et leurs che-
veux gris plus faciles d'ailleurs à se laisser prendre aux men-
songes.
24. Dinomaque, prenant alors la parole « Dites-moi donc,
Eucrate, de quelle taille étaient les chiens de cette déesse. Ils
étaient, dit Eucrate,plus hauts que des éléphants indiens, noirs
comme eux, velus, couverts d'un poil sale et dégoûtant. Dès que
j'aperçus ce fantôme, je m'arrêtai, et tournai en dedans le cha-
*in de la bague dont l'oracle m'avait fait présent. Alors Hécate,
rappant la terre de son pied de serpent, produisit une ouver-
aure énorme, aussi large que le Tartare, se plongea aussitôt
dans ce gouffre et disparut. Ramis de ma frayeur, je me penchai en
me tenant à un arbre, de peur que, pris de vertige, je ne vinsse
à tomber la tête la première. Je vis alors tout ce qu'il y a dans
les Enfers, le Pyriphlégéthon,le lac, Cerbère, les morts, au point
même d'en reconnaître quelques-uns.Ainsi, je distinguai par-
faitementmon père, encore couvert des mêmes vêtements dans
lesquels nous l'avions enseveli. -Et que faisaient les âmes? dit
alors Ion. –
Que voulez-vous qu'elles fissent? Rangées par
tribus et par phratries', elles passent leur temps, couchées sur
les prés d'asphodèleavec leurs amis et leurs parents. Que les
Épicuriens, reprit Ion, viennent donc à présent contredire le
divin Platon et sa doctrine sur les âmes. Mais avez-vous vu
Socrate et Platon parmi les morts ? Y – J'ai vu Socrate, répondit
Eucrate, mais pas très-nettement j'ai seulement jugé que
c'était 'lui, à son gros ventre et à sa tête chauve. Quant à Pla-

I Cf. Homère, Iliade, Il, T. 3«9.


ton, je ne l'ai pas reconnu car il ne faut pas mentir avec les
amis. Lorsque j'eus considéré tout avec attention, le gouffre se
ferma. Quelques-uns de mes esclaves, qui me cherchaient, et
parmi eux Pyrrhias que voici, arrivèrent avant qu'il fût tota-
lement fermé. Pyrrhias) est-ce bien la vérité ? Oh
–oui, par
Jupiter; j'ai même entendu des aboiements sortir du gouffre, et
il m'a semblé voir la lueur d'un flambeau, Je
ne pus m'em-
pêcher de rire, en entendant ce témoin ajouter la lueur du
flambeau et les aboiements.
25. Ce fut le tour de Cléodème « Ce que vous avez vu, 'Eu-
crate, dit-il, n'est pas nouveau, et d'autres, comme vous, l'ont pu
voir, puisque moi-même, étant malade, j'eus, il y a peu de temps,
un spectacle pareil. Antigonus, que voici, me faisait visite et me
soignait. Le septième jour, la fièvre était devenue plus chaude
qu'un incendie. On m'avait laissé seul; la porte de ma chambre
était fermée, et mes domestiques attendaient dehors. Vous l'aviez
ainsi prescrit, Antigonus, pour qu'il me fût possible de dormir.
Alors un jeune homme; d'une rare beauté, vêtu de blanc, se pré-
sente à mes yeux bien éveillés; il m'ordonne de me lever, et me
conduit dans les Enfers à travers un gouffre profond. A peine
entré, je reconnais Tantale, Tityus et Sisyphe. Que vous dirai-
je ? J'arrivai au tribunal là se tenaient Éaque, Charon, les Par-
ques et les Furies une espèce de roi, Pluton apparemment,
était assis sur un trône il prononça les noms de ceux qui de-
vaient bientôt mourir et qui étaient restés dans le monde au
delà du terme prescrit. Le jeune homme, me prenant aussitôt la
main, me présente à Pluton, qui, se fâchant contre mon conduc-
teur «Son fil n'est pas encore complétement employé,» s'écrie-
t-il t qu'il s'en aille maisamène-moile forgeron Démyle il vit
« plus que ne le comporte son fuseau. » Je m'enfuis à l'instant,
plein de joie; la fièvre m'avait quitté. J'annonçai à tout le monde
que Démyle était sur le point de mourir. Il demeurait dans notre
voisinage. On me dit qu'il était malade, et quelque temps après
nous entendîmes les lamentationsde ceux qui le pleuraient.
26. Qu'y a-t-il d'étonnant à cela? dit alors Antigonus. Je
cannais bien un homme qui est ressuscité vingt jours après
qu'on l'eut enterré. Je l'ai soigné avant sa mort, et depuis qu'il
est revenu à la vie. Et comment, lui dis-je, son corps n'a-t-il
pas pourri pendant ces vingt jours, et n'est-il pas mort de faim,
à moins que
vous n'ayez soigné là un autre- Epiménide1? su
<• Celait une tradition qu'il avait dormi cinquante ans. Cf. Th'ion,
loy. la x" Dissertation de Maxime de Tyr.
' et
27. Sur ces entrefaites, les fils d'Eucrate rentrèrent de la pa-
lestre l'un était déjà un grand jeune homme, l'autre avait à
peu prés quinze ans. Après nous avoir salués, ils s'assirent su,
le lit auprès de leur père, et l'on m'apporta un siège. Alors
Eucrate, comme si la vue de ses fils lui eût rappelé quelque sou-
venir « Puissé-je, dit-il en étendant la main sur eux, être
aussi heureux par ces enfants que ce que js vais vous dire,
Tychiade, est véritable Personne n'ignore combien je chérissais
leur mère, ma femme, d'heureuse mémoire. J'en ai donné des
preuves par tout ce que j'ai fait pour elle de son vivant et de-
puis qu'elle n'est plus. A sa mort, je brûlai sur son bûcher toutes
les parures, tous les vêtementsqu'elle se plaisait a porter durant
sa vie. Sept jours après son décès, j'étais couché sur ce lit,
comme aujourd'hui, cherchant quelque consolation à ma dou-
leur, et lisant silencieusementle Traité de Platon sur l'immorta-
lité de l'âme. Tout à coup Déménète elle-même entre et vient
s'asseoir auprès de moi, dans l'attitude où vous voyez à présent
Eucratide. » II montrait en même temps le plus jeune de ses fils,
qui se mit à frissonner comme un enfant et devint tout pâle àce
récit, « Pour moi, reprit Eucrate, dès que je la vois, je la serre
entre mes bras et je fonds en larmes. Mais elle, interrompant mes
plaintes, m'adresse des reproches de ce que lui ayant fait une
offrande de tout ce qui lui avait appartenu, je n'avais pas jeté
dans le feu l'une de ses deux pantoufles, qui étaient d'étoffe d'or.
Elle me dit que cette pantoufle était tombée derrière un coffre;
et, en effet, comme nous ne l'avionspas trouvée, nous nous étions
contentés de brûler l'autre. Nous parlions encore, lorsqu'une
misérablepetite chienne de Mélite1, qui était sous le lit, se mit
à aboyer, et ma femme disparut. Cependant la pantoufle fut
trouvée sous le coffre, et on la brûla le lendemain.
28. a Croyez-vous encore, Tychiade, que l'on doive refuser
sa créance à des visions aussi claires, et qui se reproduisent
tous les jours? – Non, par Jupiter, lui répondis-jé; ceux qui ne
voudraient pas y croire, et qui s'armeraient d'une telle impu-
dence contre la vérité, mériteraient bien, comme les enfants, de
recevoir des coups de pantoufle dorée sur les fesses. »
29. En ce moment arrive Arignotusle Pythagoricien,aux longs
cheveux, à l'air respectable. Tu le connais; c'est un personnage
renommé par sa sagesse et qu'on a surnommé le divin. En le
voyant, je respirai; je pensais, en effet, qu'il venait comme une
hache pour saper tant de mensonges. iCe sage, me disais-je en

1. Voy. Sur ceux qui sont aux gages des grands, 84,
moi-même, va clore la bouche à tous ces conteurs de prodiges;
il me fait l'effet d'un dieu qui roule ici, comme on dit, sur sa
machine c'est la fortune qui l'envoie.
lui fait place il demande d'abord des
Il s'assied, et Cléodème
nouvelles du malade, et,
apprenant d'Eucrate même qu'il se sentait mieux « De quoi
donc, dit-il, vous entreteniez-vous tout à l'heure? En entrant,
je vous ai entendu parler, et il m'a semblé que la conversation
était parfaitement établie. – Que faire autre chose, reprit Eucrate,
que de persuader à cet homme de diamant (il me montrait) qu'il
y a des démons, des fantômes, des âmes des morts qui revien-
nent sur la terre, et se montrent à ceux qui le veulent? m Ce
discours me fit rougir, et je baissai la tète par déférence pour
Arignotus. « Prenez garde, Eucrate, reprit-il, Tychiade. veut
peut-être dire qu'on voit seulement errer les âmes de ceux qui
sont morts d'une manière violente par exemple, si un homme
s'est pendu, s'il a eu la tête tranchée, s'il a été empalé, ou qu'il
soit mort par tout autre moyen pareil mais qu'à l'égard des
âmes de ceux qui sont morts naturellement, il n'en, est point
ainsi. Si c'est là ce qu'il dit, on ne doit pas tout à fait le rejeter.
-Par Jupiter 1 s'écrie Dinomaque, ce n'est pas cela du tout il
nie complétement ces faits et soutient que rien de tel ne s'est
jamais vu.
30. Que dites-vous? reprit Arignotus en me regardant de
travers. Vous prétendez que rien de cela n'est possible, quand
tout le monde, pour ainsi dire, atteste l'avoir vu ?
dez ici ma cause, répondis-je;
– Vous plai-
si je ne crois pas, c'est que, seul
entre tous, je n'ai pas vu; si je voyais, je croirais comme vous.
Eh bien, reprit-il, si jamais vous allez à Corinthe, demandez
où est la maison d'Eubatide, et, quand on vous l'aura montrée,
près du Cranium, entrez-y, et dites au portier Tibius que vous
.voulez voir l'endroit d'où le philosophe pythagoricien Arignotus
a chassé un démon, en faisant creuser une fosse, et savoir com-
ment il a rendu la maison pour toujours habitable

31. Qu'était-cedonc, Arignotusdemanda Eucrate. Cette
maison, continua-t-il, était abandonnée depuis longtemps, à
cause des frayeurs qu'elle inspirait. Si l'on venait s'y installer,
on était frappé de coups, et forcé de s'enfuir, poursuivi par un
fantôme effrayant et épouvantable.Elle tombait donc en ruine;
le toit était défoncé, et il ne se trouvait absolument personne
qui eût le courage d'y demeurer. Aussitôt que j'en eus entendu
parler, je prends quelques livres (j'en ai un grand nombre d'é-

!• Voy. une histoire semblabledans Pline le Jeune livre VII, Ép. xxvn.
gyptiens, composés sur ces matières), et je me rends à cette mai.
son, vers l'heure du premier sommeil, malgré les instances de
mon hôte, qui, ayant appris mon dessein, s'efforçait de m'en dé-
tourner et me retenait presque par mes habits pour m'empêcher
de courir à une perte qu'il croyait certaine. Pour moi, je me
saisis d'une lampe, j'entre seul, je pose ma lumière dans la plus
grande chambre, et je me mets tranquillement à lire, assis par
terre. Bientôt le démon arrive, me prenant sans doute pour un
homme comme un autre, et se flattant de m'effrayer aussi il
était sale, avec de longs cheveux, et plus noir que les ténèbres.
Il se place devant moi, cherché de tous côtés à m'assaillir,
afin de me vaincre, et se change successivementen chien, en
taureau et en lion. J'emploie de,mon côté le plus terrible de mes
enchantements, je lui parle égyptien; et, par li force de mon
art, je le repousse dans le, coin le plus obscur de la chambre;
puis, après avoir remarqué l'endroit où il avait disparu, je me
repose le reste de la nuit. Le lendemainmatin, lorsque tout le
monde, désespéré, s'attendait à me trouver mort, ainsi que tous
les autres, on fut on ne peut plus surpris en me voyant sortir.
J'allai chez Eubatide lui annoncer la bonne nouvelle, qu'il pour-
rait désormais habiter sans crainte sa maison purifiée. Je le pris
ensuite avec moi, et, suivi d'une foule de personnes attirées par
cette aventure extraordinaire, je le menai à l'endroit même où
j'avais vu le spectre s'abîmer. Je l'engageai à faire prendre à ses
gens des bêches et des hoyaux, et à se mettre à fouiller. On le
fit, et l'on découvrità une brasse de profondeur un cadavre déjà
ancien et qui n'avait plus que les os. Nous lui donnâmes la sé-
pulture, et, depuis lors, la maison cessa d'être infestée par des
fantômes. »
32. Lorsque Arignotus, cet homme d'une sagesse divine, ce
philosophe que tout le monde révère, eut raconté cette histoire,
il n'y eut plus personne dans la compagnie qui ne m'accusât de
la démence la plus complète, de ne vouloir pas croire à de pa-
reils phénomènes, attestés par un Arignotus.Pour moi, sans re-
douter sa chevelur-e ni l'opinioi} qu'on'avait de lui « Eh quoi!
lui dis-je, Arignotus, êtes-vous donc aussi de ces hommes qui
n'offrent que la seule espérancede lavérité, et qui sont pleins de
fumée et de visions fantastiques? Vous vérifiez ce proverbe:
«Notre trésor n'est pas du charbon. » – Eh bien, reprit-il, puis-
que vous ne croyez ni à mes discours ni à ceux de Dinomaque,
de Cléodème et d'Eucrate, citez-nous donc un homme plus digne
de foi sur cette matière et quinous contredise complétement.
Par Jupiter, lui répondis.je,'je vous citerai l'illustre citoyen
d'Abdère, le fameux Démocrite il était si fortement convaincu
qu'il ne peut exister rien de semblable, que, s'étant enfermé
dans un tombeau situé hors des portes de la ville, il y restait
nuit et jour, travaillant à composer et à écrire ses ouvrages.
Alors des jeunes gens, qui voulaient l'effrayer et rire à ses dé-
pens, s'affublèrent de vêtements noirs, comme des morts, se
mirent sur la figure des masques qui ressemblaient à des crânes,
et vinrent danser en rond autour de lui, en faisant mille gam-
bades-. Mais le philosophe, sans se laisser intimider par leur dé-
guisement, sans même lever les yeux sur eux, et continuant
toujours d'écrire « Trêve à vos plaisanteries, » leur dit-il, tant
il était fermement persuadé que nos âmes ne sont plus rien
quand elles sont hors de nos corps. Ce que vous dites là, re-
prit Eucrate, prouve que Démocrite était un homme sans juge-
ment, s'il a pensé de cette manière.
33. -Moi, je vais vous raconter un fait qui m'est arrivé, et
que je ne tiens pas d'un autre. Peut-être, en l'entendant,
Tychiade, serez-vous forcé de rendre hommage à la vérité de
mon récit. Lorsque, dans ma jeunesse, je vivais en Egypte, où
mon père m'avait envoyé pour m'instruire dans les sciences, il
me prit envie de remonter le Nil jusqu'à Coptos et d'aller de là
voir la statue de Memnon', afin d'entendre ce son merveilleux
qu'elle rend aux premiers rayons du soleil levant. Je l'entendis,
non pas, comme le commun des hommes, rendre un son inarti-
culé Memnonlui-même ouvrit la bouche pour moi et me rendit
un oracle en sept vers, qu'il serait inutile de vous réciter.
34. <t En remontant le fleuve, il se trouva parmi nous un ci-
toyen de Memphis, l'un des scribes sacrés, homme admirable par
son savoir et versé dans toute la doctrine des Égyptiens. On me
dit même qu'il était resté pendant vingt-trois ans dans les sanc-
tuaires souterrains, où Isis l'avait initié aux mystères de la ma-
gie. Vous voulez parler de Pancratès, mon maître, dit Ari-
gnotus, un homme divin, rasé, vêtu de lin, toujours en méditation,
parlant très-purement le grec, fort grand, camus les lèvres
épaisses, et les jambes grêles? C'est bien lui, reprit Eucrate,
c'est Pancratès! D'abord j'ignorais quel il pouvait être mais,
en le voyant, toutes les fois que le navire relâchait, faire une
infinité de prodiges, monter à cheval sur les crocodiles, nager
au milieu des bêtes farouches, qui s'inclinaient devant lui et le
caressaient de leur queue, je reconnus que c'était un mortel

1. Ville d'Egypte, aujourd'hui Ke/t. Voy. Isis et Osiris, dans le Dict. de


Jacobi.
– 2. Voy. ce nom dans le mime Dictionnaire.
sacré, je cherchai à me faire bien venir auprès de lui, et je par-
vins à m'insinuer dans son amitié au point qu'il me communi-
qua tous ses secrets.A la fin, il m'engage à laisser mes esclaves
à Memphis et à le suivre seul, me disant que nous ne manque-
rions pas de serviteurs. En effet, voici ce que nous faisions.
35. s Lorsque nous arrivions dans une hôtellerie, mon homme,
saisissant la barre de la porte, un balai ou un -pilon, lui mettait
un habit, et, prononçant sur lui une formule magique, le faisait
marcher et prendre par tout le monde pour un homme. Ge do-
mestique allait nous puiser de l'eau, faisait la cuisine, rangeait
les meubles et se montrait en tout serviteur intelligent et actif.
Lorsque ensuite Pancratès n'avait plus besoin de ses services,
par un second enchantement, il le rendait de nouveau balai, s'il
avait été balai; pilon, s'il avait été pilon. Quelque désir que
j'eusse d'apprendre ce secret, je ne pus l'obtenir de l'Egyptien.
Il s'en montrait fort jaloux, quoique, dans. tout le reste, il en
usât avec moi sans réserve. Un jour, cependant, caché dans un
coin obscur, j'entendis, à son insu, la formule magique. C'était
un mot composé de trois syllabes. Pancratès sortit pour se ren-
dre à la place publique, après avoir commandé au pilon ce qu'il
avait à faire.
36. « Le lendemain, pendant que mou égyptien était ocrupé
sur la place publique, je prends le pilon, je l'habille, je prononce
les trois syllabes magiques. et je lui ordonne d'aller puiser de
l'eau. Il m'en apporteune amphore toute pleine, e En voilà assez, »
lui dis-je, s n'apporte plus d'eau, redeviens pilon.» Mais le voilà
qui refuse de m' obéir il continue d'apporter de l'eau et en rem-
plit toute la maison. Je ne savais que faire je craignais que
Pancratès ne se fâchât à son retour, ce qui arriva, en effet. Je
saisis donc une hache, et je coupe le pilon en deux. Aussitôt
chaque morceau de bois prend une amphore et va puiser de l'eau.
Au lieu d'un domestique, j'en avais deux. Sur ces entrefaites
,Pancratèsrevient, devine aisément ce qui s'est passé, et change
en bois mes porteurs d'eau, comme ils étaient avant l'enchan-
tement. Seulement, quelques jours après, il me laisse là. sans
que je m'en aperçoive et'sans que j'aie pu savoir ce qu'il était
devenu. -r-Et maintenant encore,s'écria Dinomaque, vous sa-
vez donc encore faire un homme d'un pilon? Oui, vraiment,
par Jupiter, dikEucrate, ou du moins à moitié, car je ne pour-
rais pas le rappeler à la- première forme, et, si j'en faisais un
porteur d'eau, je courrais risque de voir ma maison inond e.
37. – Ne cesserez-vouspas, dis-je alors, de raconter des absur-
dités pareilles, vous, des vieillards? Si vous y tenez, remettez
m moins à un autre temps, par égard pour les jeunes genbPre-
que
voici, le récit de vos histoires incroyables ou effrayantes.
nez garde de leur remplir la tête, sans
le vouloir, de frayeurs et
de fables étranges. Ménagez la jeunesse, et ne l'accoutumezpas
à de semblables aventures, dont l'impression troublerait, pour
tout le reste de la vie, la tranquillité de son âme et la rendrait
pusillanimeet superstitieuse.
38. propos de superstition, dit Eucrate, vous me rappelez
tout à point un trait singulier. Mais que vous semble, Tychiade,
des oracles, des prophéties, de ces vers que récitent à grands
cris des hommes inspirés par un dieu, de ceux que l'on entend
sortir du fond du sanctuaire, ou que prononce la prêtresse pour
révéler l'avenir? Il est probable que vous n'y croyez pas davan-
tage ? Eh bien, moi, je possède un anneau sacré, dont la pierre
gravée représente un Apollon, et cet Apollon me parle; mais je
ne vous dirai pas cela, pour ne pas
avoir l'air de me vanter de
choses incroyables. Je me contente de vous raconter ce que j'ai
entendu et vu dans le temple d'Amphiloque, à Malle, où la sta-
tue de ce héros a réellement conversé avec moi et m'a donné des
conseils sur mes affaires puis, je. vous rapporterai ce que j'ai vu
à Pergame et entendu à Patare. Lorsque je revenais d'Égypte
dans ma patrie, on me dit que l'oracle de Malle était le plus
célèbre et le plus véridique, qu'il répondait clairement, mot pour
mot, à ce.qu'on écrivait sur des tablettes remises entre les mains
du prophète; je crus donc n'avoir rien de mieux à faire que
d'éprouver l'oracle et de consulter le dieu de l'avenir. »
39. Eucrate en était là, lorsque, voyant où il allait en arriver,
et que ce n'était pas pour rien qu'il avait fait un si long prologue
de tragédie sur les oracles, ne voulant pas d'ailleurs jouer le
personnaged'un éternelcontradicteur, je le laissainaviguant en-
core d'Égypte à Malle. Je sentais, du reste, que la présence
d'un adversaire, qui réfutait tous leurs mensonges, ne leur était
point agréable « Je sors, leur dis-je, pour aller retrouver Léon-
tichus, auquel j'ai quelque chose de pressant à communiquer.
Pour vous, que les choses humaines ne peuvent satisfaire, priez
les dieux de vous aider à raconter vos prodiges. a Cela dit, jr
sortis. Je né doute pas que, profitant de la liberté que leur lais
sait mon départ, ils ne se soient remis à leur régal et ne s'e!
scient donné à cœur joie de leurs mensonges. Voilà, mon che
Philoclès, ce que je viens d'entendre chez Eucrate. Par Jupiter,
je suis comme les gens qui ont bu trop de vin doux; j'ai l'esto-
mac chargé, et j'ai besoin de vomir. Je payerais volontiersfort
cher un médicament qui eût la vertu de me faire oublier tous ces
récits je crains que ce_ souvenir, en séjournant dans ma mé-
moire, ne me joue quelque mauvais tour. Déjà je ne vois plus
que fantômes, spectres, démons, Hécates.
40. Philoclès. C'est aussi, Tychiade, l'effet que m'a pLut-uitta
narration. Ceux qui sont mordus par des chiens enragés ne sont
pas, dit-on, les seuls qui enragent et deviennent hydrophobes;
si celui qui a été mordu mord quelqu'un à son tour, cette mor-
sure a le même effet que celle du chien et cause également
l'hydrophobie. Tu as été mordu chez Eucrate par une foule de
mensonges, et tu m'as communiqué ta morsure tu m'as rempli
l'âme de démons.
TYCHIADE. Rassurons-nous, mon doux ami; nous avons un
puissant antidote contre cette maladie; c'est la vérité et la droite
raison. Usons-en, et nous ne serons troublés par aucun de ces
vains et ridicules mensonges.

LUI

HIPPIAS OU LE BAIN'.

1. Parmi les habiles, je crois qu'il faut surtout accorder des


éloges à ceux qui ne se bornent pas à discourir avec esprit sur
tous les sujets, mais qui ont su réaliser par leurs oeuvres les
promesses de leurs discours. C'est ainsi qu'un homme de bon
sens n'envoie pas chercher parmi les médecins ceux qui dis-
sertent le mieux de leur art, mais ceux qui se sont par
la pratique préparés à bien agir. Je regarde comme meil-
leur musicien non pas celui qui sait juger des rhythmes et de
l'harmonie, mais le plus habile à toucher le luth ou la lyre.
Que dirai-je des chefs d'armée? Ceux qu'on regarde avec raison
comme les plus illustres excellaient-ilsseulement à bien ranger
des troupes en bataille? Ne combattaient-ils pas eux-mêmes au

1 «11 ne faut pas confondre cet Hippias avec le sophiste de ce nom,


contemporain de Platon. Celui-ci vivait sous le règne de Marc Aurèle, rt du
temps de Lucien. C'était un habile architecte, qui construisit un bain magni-
fique, dont Lucien bit ici la description, » Iter.iN DE Ballu.
premier rang, et ne prouvaient-ils pas la valeur de leurs bras?
Tels furent, nous le savons, chez les anciens Agamemnon et
Achille, chez les modernes Alexandre et Pyrrhus.
2. Où veux-je en venir? Ce n'est pas pour faire montre de
mes connaissances historiques que j'ai cité ces noms. Mon but
est de prouver que les constructeurs de machines qui méritent
le plus notre admiration sont ceux qui, distingués par leur
science théorique, ont laissé en outre à la postérité des monu-
ments de leur art et des œuvres de leur génie, tandis que les
hommes, qui se sont seulement exercés dans la parole méritent
plutôt le nom de sophistes que celui de savants. C'est sur la
liste traditionnelle de ces artistes que nous voyons figurer Ar-
chimède et Socrate de Cnide, qui inventèrent, l'un les moyens
de soumettre à Ptolémée la ville de Memphis, sans recourir à un
siège, mais en détournant et en divisant le cours du Nil; l'au-
tre, ceux d'incendier les galères des ennemis. Avant eux, Thalès
de Milet, ayant promis à Crésus de faire passer à pied sec à son
armée les eaux du fleuve Halys, imagina de ies détourner en
une seule nuit derrière le camp; et pourtant ce n'était pas un
mécanicien de profession, mais un sage d'un esprit inventif et à
l'intelligenceduquel on pouvaits'en rapporter. Je ne parle point,
comme trop ancien, du stratagème d'Ëpéus, qui, non-seulement,
inventa pour les Grecs le cheval de Troie, mais qui lui-mêmey
descendit, à ce qu'on rapporte, avec les autres guerriers.
3. C'est parmi ces inventeurs qu'il faut mentionner notre
contemporain Hippias, homme comparable à n'importe quel an-
cien pour l'étendue de ses connaissanceslittéraires, la vivacité de
son intelligence, la netteté de son élocution, mais surtout pour
la supériorité de ses oeuvres et la perfection de son art, je ne dis
pas seulement dans les sujets que d'autres avaient exécutés avec
succès avant lui, mais parce qu'il est capable de former, comme
on dit en géométrie, un triangle parfait sur une ligne droite
donnée'. Lorsqu'un autre artiste réussit dans une des branches
de l'art qu'il embrasse, cela suffit pour le faire considérer
comme un homme de valeur; Hippias a su se placer à la tète
des mécaniciens, des géomètres, des harmonistes et des musi-
ciens, et dans chacune de cer branches il s'est montré parfait,
au point de faire croire qu'il en avait la connaissance exclusive.
Louer la science qu'il a des rayons, des réfractions, des miroirs
et des astres, et dans laquelle il a fait voir que tous ses devan-

< Voy., s;r -:• passage, la note intéressante de Belin de Ballu, t. IV,
sa traduction.
p. 21:2 de
ciers n'étaient que des enfants, cela me demanderait un temps
beaucoup trop long.
4. Mais je ne veux pas manquer de faire la description d'un
de ses chefs-d'œuvre, que j'ai vu dernièrement et qui m'a frappé
d'admiration. Le sujet en est commun il est emprunté à l'un
des usages fréquents de notre société actuelle, je veux dire la
construction d'un bain; mais la conception et l'intelligence de
cette idée commune sont vraiment admirables. Le terrain était
inégal, d'une pente roide et droite; Hippias a su en élever la
partie basse et l'égaler à l'autre par un fort soubassement
dont il a assuré la solidité au moyen de fondations profondes
et de contre-forts qui le soutiennent de toutes parts et le ren-
dent inébranlable. L'édifice qui s'élève au-dessus répond, par
sa grandeur, à l'étendue de sa base, et à l'objet auquel il est
destiné, par l'élégance de ses proportions et l'intelligence avec
laquellela lumière y est distribuée.
5. La porte en est haute, avec de larges degrés, dont la pente
insensible favorise ceux qui veulent y monter. On entre ensuite
dans un grand vestibule commun à tout le bâtiment, et destiné
à recevoir les valets et les esclaves qu'on peut mener à sa suite;
il est situé à la gauche des appartements de luxe et de plaisir.
Ceux-ci conviennent bien à un' édifice de cette nature ils sont
élégants et éclairés par un beau jour. La partie qui les ren-
ferme n'est pas rigoureusement indispensableà un bain, mais
elle est nécessaire à un lieu où l'on reçoit les heureux du jour.
Après ces appartements,,on trouve des deux côtés une rangée de
chambres où l'on dépose ses vêtements,et au milieu une salle
immense, très-haute et vivement éclairée, dans laquelle sont
trois bassins d'eau froide, le tout orné de pierre lacédémonienne.
On y voit deux statues de marbre blanc, sculptures antiques,
dont l'une représente Hygie et l'autre Esculape.
6. On entre ensuite dans une pièce où règne une douce tié-
deur, une chaleur modérée; elle est de forme ovale; puis, on
passe dans une autre pièce bien éclairée, où l'on trouve tout ce
qui est nécessaire aux frictions. De chaque côté sont des portes
en marbre phrygien poli; c'est par là qu'on entre en sortant de
la palestre. A la suite de cette salle on en rencontre une autre,
la plus belle dé toutes. Elle est parfaitement disposée pour se
tenir debout ou s'asseoir; on peut y séjourner sans être incom-
modé et s'y rouler à son aise; le marbre de Phrygie y brille en-
core depuis le bas jusqu'en haut. De là, on traverse un couloir
Ghaud, plaqué en marbre de Numidie; la pièce intérieure est ma-
gnifique, bien éclairée, et ses murs ont Je vif éclat de la pourpre.
7. On y trouve trois baignoires d'eau chaude. Après le bain
on peut sortir sans être obligé de passer par les mêmes apparte-
ments on suit un chemin abrégé qui conduit promptementaux
bains froids, à travers une pièce doucement chauffée dont la
lumière pénètre et éclaire vivement l'intérieur. Toutes les di-
mensions, hauteur et largeur, sont partout admirablementpro-
portionnées les Grâces et Vénus y 'brillent de toutes parts. C'est
la réalisation de l'idée de Pindare'
Quand on commence une oeuvre, il faut avoir le soin
Que la face rayonne et resplendisse au loin.
Or, ce rayonnement est surtout ménagé par les fenêtres qui
en font la splendeur et l'éclat. Hippias, en architecte consommé,
n'a pas manqué de tourner vers le septentrion la pièce des eaux
froides, de manière cependant qu'elle ne soit pas tout à fait pri-
vée de l'influence du midi, et il a placé celles qui ont besoin de
la plus grande chaleur à l'expositiondu Notus, de l'Eurus et du
Zéphyre
8. Qu'est-il besoin, après cela, de vous parler des palestres et
des garde-robes disposées à recevoir les vêtements de
ceux qui
s'exercent, des passages commodes et abrégés qui conduisent
au bain, et qui sont tout à la fois utiles et salutaires? Ne vous
figurez pas que ce soit un monument ordinaire, que celui dont
j'entreprends l'éloge dans ce discours. Inventer pour un sujet
commun des beautés peu communes indique, à mon avis, un
talent qui n'est pas méprisable. Et tel est justementle mérite de
l'édifice construit par l'admirable Hippias, qu'il réunit toutes les
perfectionsdont un bain est susceptible utilité, à-propos, clarté,
proportions élégantes, conformité avec la nature du terrain, réu-
nion sûre de tout ce qui est nécessaire. Il est, en outre, orné de
tous les agréments que l'art peut imaginer: deux privés
les besoins naturels, et de nombreuses ouvertures de portes. On
pour
y trouve encore deux horloges, l'une marquant les heures au
moyen de l'eau et d'un mugissement, l'autre avec un. cadran
solaire. Comment,à la vue de tous ces objets,
der la louange qu'ils méritent ? Il faudrait, à
ne pas leur accor-
mon sens, être non-
seulement fou, mais encore ingrat ou plutôt dévoré d'envie. J'ai
donc voulu,
pour ma part, témoigner, autant qu'il m'était possi-
ble, mon admiration pour ce chef-d'œuvre, et
ma reconnais-
sance pour l'artiste qui l'a construit. Si un dieu vous accorde la
faveur de
vous y baigner, j'en sais dès lors beaucoup d'autres
qui confondrontleurs louanges avec les miennes.
OlympiqueVI, v.
LIV

PRÉFACE OU BACCHUS.

1. Lorsque Bacchus conduisit son armée contre les Indiens


(car rien ne m'empêche, je crois, de vous raconter une légende
bachique), on dit que les peuples du pays le méprisèrent d'a-
bord au point de rire de son expédition; il y a mieux, ils eurent
pitié de sa témérité, convaincus que, s'il osait leur présenter
la bataille, il serait aussitôt écrasé sous les pieds de leurs élé-
phants. Ils avaient probablementappris par leurs espions d'é-
tranges nouvelles de cette troupe. La phalange et les bataillons
sont, leur disait-on, composés de femmes insensées et furieu-
ses, couronnées de lierre, ceintes de peaux de faons, ornées de
petites piques de bois sans fer et entourées de lierres aussi,
avec de légers boucliers qui rendent un son éclatant quand on
les touche on voit qu'ils avaient pris les tambours pour des
boucliers; on voit dans les rangs quelques jeunes rustres, nus,
dansant le cordax, ornés de queues et de cornes comme des
chevreaux nouveau-nés.
2. Le chef de cette bande est porté sur un char attelé de pan-
thères il n'a pas du tout de barbe, pas le moindre duvet, mais
il est cornu et couronné de raisins, avec les cheveux retenus
par une bandelette; ses habits sont de pourpre, ses chaussures
d'or; près du général marchent deux lieutenants, l'un court,
vieux, dodu, ventru, 'camus, à longues oreilles droites, chance-
lant, s'étayant d'un bâton, le plus Souventà cheval sur un âne,
revêtu d'un crocote digne pendant du général en chef; l'autre
est un être monstrueux, à figure humaine, bouc dans sa partie
inférieure, ayant les jambes velues, cornu, barbu, rageur et vio-
lent, tenant dans la main gauche une syrinx, dans la droite une
baguette recourbée; '1 parcourt, en bondisssant, toute l'armée

1 La robe, appelée xpoxairàf, h cause de sa couleur jaune comme du safran,


xjsrfxe;, était un vêlement léger réservé aux personnes voluptueuses am
femmes et aux hommes efféminés
les femmes ont peur de lui, elles s'enfuient laissant aller leurs
cheveux au vent dès qu'il approche, et se mettent à crier:
« Évohé s Les espions s'imaginèrent que c'était le nom qu'elles
donnaient à leur souverain. Ils rapportèrent, en outre, qu'elles
ravageaient' les troupeaux, déchiraient de leurs mains les ani-
maux tout vivants, et que quelques-unes même se nourris-
saient de chair crue.
3. A ce récit, les Indiens et leur roi se mettent naturellement
à rire et croient inutile de faire une sortie et de ranger leur
armée en bataille. Tout au plus enverront-ils leurs femmes
contre ces ennemis, s'ils approchent; pour eux, ils rougiraient
de remporter une pareille victoire et d'égorger des femmes fol-
les, un gériéral efféminé, couronné d'une bandelette comme une
fille, un petit vieillard courtaud, à peu près ivre, l'autre une
moitié de soldat', puis des danseurs nus, tous parfaitement
ridicules. Cependant, à la nouvelle que le dieu dévastait le pays,
brûlait les villes et les habitants, embrasait les forêts, qu'en un
mot il remplissait de feu l'Inde tout entière (le feu est, en effet,
l'arme de Bacchus; il la tient de son père, il l'a ravie à la fou-
dre), voilà les Indiens qui courent aux armes, équipentleurs
éléphants, leur mettent un frein à la bouche, les chargent de
tours, marchentà la rencontre de l'ennemi, tout en le mépri-
sant, mais transportés de colère et résolus d'écraser avec son
armée ce général imberbe.
4. Quand les deux partis se sont rapprochés et mis en pré-
sence, les Indiens placent les éléphants sur leur front de ban-
dière, et les appuient de la phalange. Bacchus, de
son côté, se
place au centre de ses troupes, tandis que Silène commande
l'aile droite et Pan l'aile gauche; les Satyres remplissent les
fonctions de lochages et de taxiarques 9. Le cri de guerre gé-
néral est <t Ëvohé » Tout à coup le tambour résonne, les cym-
bales font entendre
un bruit guerrier; un des Satyres, prenant
une corne, sonne le nome orthien'; l'âne de Silène se met à
braire d'un ton martial; les Ménades, ceintes de serpents, bon-
dissent en hurlant, et mettent à
nu le fer de leurs thyrses. Les
Indiens et leurs éléphants ploient bientôt et prennent la fuite

<• Pan, à moitié boue


2. Le hchas était une compagnie de dij doute et quelquefois seize tom-
u de file; la taxis comprenait huit locltos.
3. Air qui servait à sonner la charge. Voy. les
remarquesde Burette sur
le Traite Je la musique de Plutarque, ,1léawires
Mémoires de l'Acadé",ie
l'Académiedes
das i"¡,,l'ip/iD'"
inscriptions
"leltes-letlres,t. X.
en désordre, sans oser s'avancer à la portée du trait; enfin, ils
sont complétement vaincus et emmenés prisonniers par ceux
mêmes dont ils se moquaient tout à l'heure, apprenant par cette
issue qu'il ne faut jamais mépriser, sur le bruit de la renom-
mée, des troupes que l'on ne connaît pas.
5. Mais que fait à Bacchus ce conte bachique? dira-t-on. Le
voici, et ne me croyez pas, au nom des Grâces, agité de la folie
des Corybantes ou plongé dans l'ivresse, si je compare mes
œuvres à celles des dieux Il me semble que la plupart des au-
diteurs auxquels on annonce quelques nouvelles compositions,
les miennes par exemple, font absolument comme les Indiens.
Ils s'imaginent que je débite des pièces satyriques, plaisantes,
vraiment comiques, croient ce qu'on leur dit sans examen, et se
font de moi je ne sais quelle opinion; les uns s'abstiennentde
venir à mes séances, et, dédaignant de prêter l'oreille à des
folies de Bacchantes, à des danses de Satyres, ne descendent
pas de leurs éléphants; d'autres^ attirés par ces objets mêmes,
sont tout étonnés de trouver à la place du pampre une pointe
Je fer, et, troublés de cette découverte inattendue, n'osent plus
revenir. Moi, je leur annonce en toute confiance que, s'ils veu-
lent encore aujourd'hui être initiés comme autrefois à nos
mystères, si mes anciens convives se rappellent la gaieté qui
régnait dans nos festins, et si, sans mépriser les Satyres et les
Silènes, ils veulent boire dans cette coupe jusqu'à l'ivresse,
remplis à leur tour de l'esprit de Bacchus, ils s'écrieront sou-
vent avec moi i Ëvohé! »
6. Ils en feront, du reste, tout ce qui leur plaira; l'audition
est libre. Mais, puisque nous sommes dans les Indes, je veux
encore vous raconter une des merveilles du pays. Elle n'est pas
étrangère à Bacchus et rentre parfaitement dans notre sujet.
Chez les Indiens Maohlées, qui occupent la rive gauche du fleuve
Indus, si vous considérez la direction dej son cours, et qui des-
cendent jusqu'à l'Océan, il est un bois sacré renfermé dans une
enceinte; son étendue n'est pas considérable, mais il est touffu,
le lierre et la vigne y forment un épais ombrage. Dans ce bois
sont trois sources d'une eau fort belle et fort,limpide, l'une
consacrée aux Satyres, l'autre à Pan, la troisième à Silène. Tous I
les ans, les Indiens se rendent dans-ce bois, afin d'y célébrer la j
fête de Bacohus, et ils boivent à ces fontaines, non pas indis- I
tinctement, mais chacun suivant son âge, les jeunes gens à la j
fontaine des Satyres, les hommes faits à celle de Pan, et les I
vieillards de mon âge à celle de Silène. I
7. Ce qui arrive aux enfants, après qu'ils ont bu à leur I
source, ou quelle est l'audace des hommes qui ont puisé à celle
de Pan, serait chose trop longue à vous dire. Mais il n'est pas
inutile de vous raconter ce que font les vieillards, quand ils se
sont enivrés à leur fontaine. A peine un vieillard a-t-il bu, qu'il
est tout à coup pénétré de l'esprit de Silène il demeure quelque
temps sans voix, sa tête est lourde; il ressemble à un homme
complétement plongé dans l'ivresse, puis soudain il recouvre la
parole; sa voix devient pleine et sonore, son accent mélodieux;
de muet qu'il était il se fait bavard. En vain vous essayeriez de
lui fermer la bouche pour l'empêcher de parler et mettre un
terme à ses longs discours. Cependant tout ce qu'il dit est rem-
pli de sens et d'agrément. Comme l'orateur d'Homère, ses pa-
roles sont aussi pressées que les flocons de neige qui tombent
en hiver'. Il ne conviendrait pas de le comparer aux cygnes, à
cause de son âge; mais son éloquence ressemble plutôt aux
chants rapides et précipités de la cigale, qui se prolongentjus-
I qu'à une heure avancée du soit. A ce moment, l'ivresse se dis-
sipe, le vieillard se tait, et il rentre dans son premier état. Je
ne vous ai pourtant pas dit encore ce qu'il y a de plus merveil-
leux c'est que, si le vieillard, forcé par le coucher du soleil
d'interrompre son discours, le laisse inachevé, l'année suivante,
en buvant à la même source, il le reprend à l'endroit même où
l'ivresse qui l'inspirait l'avait abandonné.
8. Qu'à l'exemple de Momus, cette raillerie soit dirigée contre
moi-même! Et je ne crois pas, par Jupiter! qu'il soit besoin de
montrer où ma fable veut en venir. Vous voyez bien en quoi
elle peut m'être appliquée. Si je suis dans le delire, l'ivresse
en
est la cause; mais si mes discours vous semblent raisonnables,
c'est que Silène m'a été propice.

LV
PRÉFACE OU HERCULE.

1. Hercule, chez les Gaulois, se nomme Ogmios dans la ]an-


gue nationale. La forme sous laquelle ils représentent ce dieu
'• .Voy. Homère,
Iliade, III, v. 242.
a quelque chose de tout à fait étrange. C'est pour eux un vieil-
lard, d'un âge fort avancé, qui n'a de cheveux que sur le som-
met de la tête et ceux qui lui restent tout à fait blancs; sa peau
est ridée et brûlée par le soleil jusqu'à paraître noire comme
celle des vieux marins. On le prendrait pour un Charon, un
Japet sorti du fond du Tartare, pour tout enfin plutôt que pour
Hercule. Cependant tel qu'il est, il a tous les attributs de ce
dieu. Il est revêtu de la peau du lion, tient une massue dans la
main droite, porte un carquois suspendu ses
épaules, et pré-
sente de la main gauche un arc tendu; c'est Hercule tout entier.
2. Je crus donc que les Gaulois voulaient se moquer des
dieux de la Grèce, en donnant cette forme à Hercule, ou se ven-
ger de lui parce qu'il avait jadis fait invasion dans leur pays et
prélevé sur eux un riche butin, lorsque, cherchant les bœufs
de Géryon1, il parcourut la plus grande partie des régions oc-
cidentales..
3. Cependantje ne vous ai point encore dit ce que sa figure
a de plus singulier. Cet Hercule vieillard attire à lui une multi-
tude considérable, qu'il tient attachée par les oreilles. Les liens
dont il se sert sont de petites chaînes d'or et d'ambre, d'un
travail délicat, et semblables à de beaux colliers. Malgré la fai-
blesse de leurs chaînes, ces captifs ne cherchent point à prendre
la fuite, quoiqu'ils le puissent aisément; et loin de résister,
de roidir les pieds, de se renverser en arrière, ils suivent avec
joie celui qui les guide, le comblent d'éloges, s'empressent de
l'atteindre, et voudraient même le devancer, mouvement qui
leur fait relâcher la chaîne et donne à croire qu'ils seraient dé-
solés d'en être détachés. Mais .ce qui me parut le plus bizarre,
c'est ce que je veux vous dire sans délai. L'artiste ne sachant où
attacher le bout des chaînes, vu que la main droite du héros
tient une massue et la gauche un arc, a imaginé de percer l'ex-
crémité de la langue du dieu et de faire attirer par elle tous les
hommes qui.le suivent lui-même se retourne de leur côté avec
un sourire.
4. Je demeurai longtemps devant cette image, la regardant
avec une admiration mêlée d'embarras et d,e colère. Un
Gaulois
qui se trouvait alors près de moi homme instruit dans notre
littérature, à en juger par la pureté avec laquelle il parlait grec,
et de plus versé, je crois, dans une connaissance profonde des
arts de son. pays «
étranger, me dit-il je vais vous expliquer
l'énigme de cette image qui semble si fort vous troubler. Nous
I.Voy ce mot dans le Bict. de Jacobi.
autres Gaulois, nous ne pensons pas comme vous Grecs, que
Mercure soit le dieu de l'éloquence nous l'attribuons à Her-
cule, qui l'emporte sur Mercure par la supériorité de ses for-
ces. Si nous le représentons sous la forme d'un vieillard n'en
soyez pas surpris ce n'est que dans un âge avancé quele
talent de la parole se montre avec le plus d'éclat et de maturité,
si toutefois vos poëtes disent vrai

La jeunesse, en sa fougue, est toujours incertaine


Le vieillard est plus froid, plus sage en ses discours'.

La même raison vous fait dire de Nestor que le miel coulait de


ses lèvres et que les orateurs de Troie faisaient entendre une
voix de lis, pour dire fleur car si je ne me trompe, chez vous
lis signifie une espèce de fleur.
5. « Ne soyez pas surpris non plus de ce qu'Hercule, emblème
de l'éloquence, conduit avec sa langue des hommes enchaînés
par les oreilles vous savez la parenté qui existe entre les
oreilles et la langue. Ce n'est pas pour insulter au dieu qu'on
les lui a percées. Je me rappelle, en effet, qu'un de vos poëtes
comiques a dit dans ses ïambes
Le bavard a toujours la, langue au bout percée».
6.Enfin nous croyons que c'est par la force de son élo-
«
quence qu'Hercule a accompli ses exploits c'était un sage qui
faisait violence par la. puissance de sa parole. Les traits
que
vous lui voyez sont ses discours, qui pénètrent, volent droit
au but, et blessent les âmes. Ne dites-vous pas vous-mêmes
t des paroles ailées? » Telle fut l'explication du Gaulois.
7. Pour moi, lorsque je voulus me présenter devant vous, je
me demandai à moi-même s'il me convenait, à l'âge que j'a-
vais et après avoir depuis longtemps renoncé aux séances litté-
raires de m'exposer à subir de nouveau la décision de tant de
uges éclairés, et je me rappelai fort à propos cette image d'Her-
cule. Jusque-là j'avais craint de vous paraître agir
en jeune
nomme et prendre des airs qui ne sont
pas de mon âge. Quel-
ques-uns de vos jeunes gens m'auraient adressé comme dans
Homère ces reproches mérités 4

Ta force cède au poids dont l'accablent les ans,


Tes serviteurs sont lourds et tes chevaux sont lents.

Homère, Iliade, M, v. 108. 2. Euripide, Phéniciennes, v. 633.


9. Poète inconnu. 4. Iliade, VIII, v 103.
Voilà les traits qu'on me lancerait aux jambes. Mais quand je
me représente cet Hercule vieillard, il m'encourage à tout en-
treprendre et je ne rougis point de faire, à son âge, ce qu'il
faisait lui-même.
8. Que la force, la vitesse, la beauté et tous les agréments
du corps m'aient abandonné pour jamais, que ton Amour, ô
poëte de Téos en voyant ma barbe grise, s'envole, s'il veut,
avec ses ailes dorées, et s'enfuie aussi rapide qu'un aigle, Hip-
poclide ne s'en préoccupera point'. Mais puissé-je aujourd'hui
par mon éloquence rajeunir, fleurir, revenir au printemps de
ma vie, attirer à moi la foule, l'entraîner par les oreilles et
lancer des traits nombreuxsans crainte d'épuiser mon carquois!
Voilà comment je me consolerais de mon âge;et de la vieillesse
qui m'a gagné. C'est aussi pour cela que j'ai osé fréter comme
il convient et remettre en mer mon vaisseau depuis longtemps
à sec. Dieux, faites souffler un vent favorable J'ai besoin d'une
brise caressante, amie, et qui remplisse mes voiles, afin qu'on
dise de moi, si j'en suis digne, cette parole d'Homère s>
Quel jarret ce vieillard cachait sous ses haillons 1

LVI
V
DE L'AMBRE ET DES CYGNES.

1. L'ambre, si vous en croyez la Fable, provient des larmes


versées par les peupliers des bords de l'Ëridan, qui sont les
sœurs de Phaéthon, changées en arbres, à force de pleurer le
malheureux jeune homme, et distil.ant des pleurs qui forment
l'ambre Convaincu de la vérité de ce récit des poëtes j'espé-
rais que, si un jour je me trouvais près de l'Ëridan, irais ten-
4. Anacréon. Les paroles que cite Lucien n'existent pas dans ce qui nous
reste de ce poëte.
2. Proverbe déjà cité.
S. Odyssée, XVIII, v. 73.
4. Voy. Ovide, Met., Il. Cf. Euripide Hippolyte, y. 738 et suivants de
l'édition Tauchnitz.
dre le pan de ma robe sous l'un de ces peupliers et que je re-
cueillerais quelques-unes de ces larmes ambrées.
2. Il n'y a donc pas longtemps, qu'obligé d'aller dans ce pays
pour un tout autre objet je me mis à remonter l'Éridan; mais
je n'aperçus ni peupliers, ni ambre, quoique attentif à bien
regarder autour de moi. Les habitants du pays ne connaissaient
pas même le nom de Phaéthon. Je m'informe, je demande quand
est-ce que nous allons arriver aux peupliers qui distillent de
l'ambre. Les bateliers se mettent à rire et me prient de leur
expliquer nettement ce que je veux. Je leur raconte alors la
fable de Phaéthon e C'était un fils du Soleil; devenu grand, il
demande à son père la permission de conduire son char lumi-
neux, comme il le faisait lui-même chaque jour le père y con-
sent, mais le jeune homme sans expérience tombe de son siège
et périt. Ses sœurs lui donnent la sépulture quelque part par là
où je vous disais, à l'endroit sans doute où il est tombé près
de l'Éridan puis elles sont changées en peupliers, et pleurent
de l'ambre sur sa tombe.
3. Quel est donc le menteur, me disent-ils, quel est
l'imposteur qui vous a raconté cela? Nous n'avons jamais vu
de cocher tomber ici de son siège, et nous n'avons pas les peu-
pliers que vous dites. Croyez-vous, si cela était, que nous nous
fatiguerionsà ramer pour deux oboles et à remonter les ba-
teaux contre le courant du fleuve tandis qu'il ne tiendrait qu'à
nous de nous enrichir en recueillant les larmes de ces peu-
pliers ? » Ce discours me piqua au vif et je gardai le silence,
honteux d'avoir été, comme un enfant, la dupe de ma crédu-
lité, en ajoutant foi aux mensonges des poëtes qui ne se plai-
sent qu'à inventer des faits impossibles et extravagants. Je n'é-
tais pas moins fâché de perdre ainsi une de mes plus chères
espérances; il'me semblait qu'on m'eût arraché l'ambre des
mains, moi qui déjà rêvais à combien de choses j'allais l'em-
ployer.
4. Je croyais du moins trouver en ce pays plus de véritédans
ce qu'on nous dit des cygnes, qui se rassemblent en grand nom-
bre et chantent sur les rives du fleuve J'interrogeai donc de
nouveau mes bateliers, pendant que nous remontions encore
j Mais en quel temps, leur dis-je, les cygnes placés sur l'une
et l'autre rive de ce fleuve vous font-ils entendre leur chant
mélodieux ? On dit, en effet, que ces favoris d'Apollon étaient
jadis des hommes habiles dans l'art de chanter qu'ils ont été

1. Voy. Platon, Phèdre, Cieèron, Tusculmes, 1 xxx. Cf. BulTon, le Cygne.


transformés en oiseaux et qu'ils chantent encore à présent, pour
montrer qu'ils n'ont pas oublié la musique. »
5. Mes bateliers éclatant de rire « Ne cesserez-vous donc
pas', excellent homme, me dirent-ils,. de calomnier par vos
mensonges notre pays et notre fleuve? Nous qui le suivons
sans cesse, et qui, depuis notre enfance, travaillons surl'Éri-
dan, nous voyons bien quelquefois, il est vrai, des cygnes s'a-
battre dans les marais mais ils font entendre un croassement
si discordant et si confus, que les corbeaux et les geais sont des
Sirènes au prix. Quant à ces chanteurs agréables, dont vous
parlez, nous ne les avons jamais entendus, pas même en songe,
et nous nous demandons avec étonnementd'où vous sont venus
tous ces contes sur notre pays. »
6. Rien n'est plus facile que d'être dupe en mille circon-
stances, quand on croit au récit de ceux qui se plaisent à tout
exagérer. J'ai donc pour moi semblable crainte; j'ai peur qu'en
venant ici m'entendre pour la première fois, vous n'espériez
trouver de l'ambre et des cygnes et qu'en sortant vous ne vous
moquiez de promessesindiscrètes,qui vous ont assuré que vous
trouveriez ainsi de rares trésors dans mes discours. Mais, je
vous l'atteste, ni vous, ni personne ne m'a entendu parler de
moi en termes si magnifiques, et personne ne m'entendra ja-
mais. Vous rencontrerez assez d'autres Eridansdont les discours
ne distillent pas seulement de l'ambre, mais de l'or, et dont la
.voix est plus mélodieuse que celle des cygnes de la Fable. Mais
moi, vous voyez quelle est la simplicité de mes paroles,
nues, sans ornements littéraires, sans aucun chant qui les
accompagne. Prenez donc garde, en concevant de moi de trop
grandes espérances de ressembler aux gens qui, voyant un
objet plongé dans l'eau, s'imaginent qu'il est en effet tel qu'il
leur paraît d'en haut, parce que l'image se trouve grossie par
la lumière ils le retirent et, le trouvant beaucoup plus petit
ils en éprouvent du,chagrin. Je vous en avertis, versez l'eau
où je plonge, considérez-moi à découvert, et ne vous attendez
pas à retirer là quelque chose d'important; autrement, ne vous
en prenez qu'à vous de votre déception,
LVII

ÉLOGE DE LA MOUCHE'.

1. La mouche n'est pas le plus petit des êtres ailés, si onla


compare aux moucherons aux cousins, et à de plus légers in-
sectes mais elle les surpasse en grosseur autant qu'elle le cède
elle-même à l'abeille. Elle n'a pas, comme les autres habitants
de l'air, le corps couvert de plumes, dont les plus longues ser-
vent à voler; mais ses ailes, semblables à celles des sauterelles,
des cigales et des abeilles, sont formées d'une membrane dont
la délicatesse surpasse autant celles des autres insectes qu'une
étoffe des Indes est plus légère et plus moelleuse qu'une étoffe de
la Grèce. Elle est fleurie de nuances comme les paons, quand. on
la regarde avec attention, au momentoù, se déployantau soleil,
elle va prendre l'essor.
2. Son vol n'est pas, comme celui de la chauve-souris un
battement d'ailes continu, ni un bond comme celui de la saute-
relle elle ne fait pointentendre un son strident comme la guêpe,
mais elle plane avec grâce dans la région de l'air à laquelle elle
peut s'élever. Elle a encore cet avantage, qu'elle ne reste pas
dans le silence, mais qu'elle chante en volant, sans produire
toutefois le bruit insupportable des moucherons et des mousti-
ques, ni le bourdonnementde l'abeille, ni le frémissement ter-
rible et menaçant de la guêpe elle l'emporte sur eux en dou-
ceur autant que la flûte a des accents plus mélodieux que la
trompette et les cymbales.
3. En ce qui regarde son corps, sa tête est jointe au cou par
une attache extrêmementténue elle se meut en tous sens avec

1. Il est curieux de rapprocher ce joli badinagedes observationsde Réaumur,


Mèm. pour l'histoire des insectes, t. 1, vi" mémoire, p. 239 et suivantes. Cf.,
dans l' Xmphithcalrum de Dornaw, l'opuscule d,e Scribanius, intitulé Muscm
principatns, hoc est muécm ex continua citrn principe comparutionsencomium.
Voy. du reste» notre thèse latine De ludicrii, etc., p. 73 et suivantes,où
nous avons fait les rapprochements et donné les indications bibliographiques
relativesau sujet.
facilité et ne demeure pas fixe comme dans la sauterelle ses
yeux sont saillants, solides, et ressemblent beaucoup à de la
corne; sa poitrine est bien emboîtée et les pieds y adhèrent,
sans y rester collés comme dans les guêpes. Son ventre est for-
temenf plastronné, et ressemble à une cuirasse avec ses larges
bandes et ses écailles. Elle se défend contre son ennemi, non
vec sop derrière, comme la guêpe et l'abeille, mais avec la
bouche et la trompe dont elle est armée comme les éléphants,
et avec laquelle elle prend sa nourriture, saisit les objets et s'y
attache, au moyen d'un cotylédon placé à l'extrémité. Il en sort
une dent avec laquelle elle pique et boit le sang. Elle boit aussi
du lait, mais elle préfère le sang, et sa piqûre n'est pas très-
douloureuse. Elle a six pattes, mais elle ne marche que sur
quatre; les deux de devant lui servent de mains. On la voit donc
marcher sur quatre pieds, tenant dans ses mains quelque nour-
riture qu'elle élève en l'air d'une façon tout humaine, absolu-
ment comme nous.
4. Elle ne naît pas telle que nous la voyons c'est d'abord un
ver éclos du cadavre,d'un homme ou d'un animal; bientôt il lui
vient dès pieds il lui pousse des ailes, de reptile elle devient
oiseau; puis, féconde à son tour, elle produit un ver destiné
à être plus tard une mouche. Nourrie avec les hommes, leur
commensale et leur convive, elle goûte à tous les aliments ex-
cepté l'huile en boire, pour elle c'est la mort. Quelque rapide
que soit sa destinée, car sa vie est limitée à un court inter-
valle, elle se plaît à la lumière et vaque à ses affaires eu plein
jour. La nuit, elle demeure en paix elle ne vole ni ne chante,
mais elle reste blottie et sans mouvement.
5. Pour prouver que son intelligence est loin d'être bornée,
il me suffit de dire qu'elle sait éviter les piéges que lui tend l'a-
raignée, sa plus cruelle ennemie. Celle-ci se place en embus-
cade, mais la mouche la voit, l'observe, et détourne son essor
pour ne pas être prisedans les filets et ne pas tomber entre les
pattes de cette bête cruelle. A l'égard de sa force et de son cou-
rage, ce n'est point à moi qu'il appartient d'en parler, c'est au
plus sublime des poëtes, à Homère. Ce poëte, voulant faire l'é-
loge d'un de ses^plus grands héros au lieu de le comparer à un
lion, à une panthère, ou à un sanglier, met son intrépidité et
la constance de ses efforts en parallèleavec l'audace de lamou-
che, et il ne dit pas qu'elle a de la jactance, mais de la vaillance'.
C'est en vain, ajoute-t-il qu'on la repousse elle n'abandonne

t. iK<wfe,XVI,v. 57b.
pas sa proie, mais elle revient à sa morsure. Il aime tant la
mouche, il se plaît si fort à la louer, qu'il n'en parle pas seule-
ment une fois ni en quelques mots, mais qu'il en rehausse sou-
vent la beauté de ses vers. Tantôt il en représente un essaim
qui vole autour d'un vase plein de lait' ailleurs, lorsqu'il nous
peint Minerve détournant la flèche qui allait frapper Ménélas à
un endroit mortel comme une mère qui veille sur son enfant
endormi il il a soin de faire entrer la mouche dans cette compa-
raison. Enfin, il décore les mouches de l'épithète la plus honora-
ble, il les appelle serrées en bataillons et donne1 le nom de na-
tions à leurs essaims.
6. La mouche est tellement forte que tout ce qu'elle mord,
elle le blesse. Sa morsure ne pénètre pas seulementla peau de
l'homme, mais celle du cheval et du bœuf. Elle tourmente l'élé-
phant, en s'insinuantdans ses rides, et le blesse avec sa trompe
autant que sa grosseur le lui permet. Dans ses amours et son
hymen, elle jouit de la plus- entière liberté le mâle, comme le
coq, ne descend pas aussitôt qu'il est monté mais il demeure
longtemps à cheval sur sa femelle. qui porte son époux sur son
dos et vole avec lui, sans que rien trouble leur union aérienne
Quand on lui coupe la tête, le reste de son corps vit et respire
longtemps encore.
7. Mais le don le plus précieux que lui ait fait la nature, c'est
celui dont je vais parler et il me semble que Platon a observé
ce fait dans son livre sur l'immortalité de l'âme. Lorsque la
mouche est morte, si on jette sur elle un peu de cendre, elle
ressuscite à l'instant, reçoit une nouvelle naissance et recom-
mence une seconde vie Aussi tout le monde doit -il être
convaincu que l'âme des mouches est immortelle, et que, si elle
s'éloigne de son corps pour quelques instants, elle y revient
bientôt après, le reconnaît, le ranime et lui fait prendre
sa vo-
lée. Enfin elle rend vraisemblablela fable d'Hermotimas de Cla-
zomène, qui disait que souvent son âme le quittait, et voyageait
seule, qu'ensuite elle revenait, rentrait dans son corps, et
suscitait Hermotimus Il.
res-
8. La mouche, cependant, est paresseuse; elle recueille le
fruit du travail des autres et trouve partout
dante. C'est pour elle qu'on trait les chèvres;
une table abon-
que l'abeille, aussi
oien que pour les hommes déploie son industrie; quel es cui-

1. !liade, II, y. 460 et suivanls.


– 2. Iliade, IV, v. 130. S. Iliade, II
v. 469. – 4. Voy. Élien, Z>« am*w*< 11. «*«. B. Cf. Pline, Hist.
VII, m. nat.
siniers assaisonnent leurs mets, dont elle goûte avant les rois
sur la table desquels elle se promène, vivant comme eux et par-
tageant tous leurs plaisirs'.
9. Elle ne place point son nid et sa ponte dans un lieu parti-
cu'ier. mais, errante en son vol, à l'exemple des Scythes', par-
tout où la nuit la surprend, elle établit sa demeure et son gîte.
Elle n'agit point, comme je l'ai déjà dit, pendant les ténèbres
elle ne veut pas dérober la vue de ses actions et ne croit pas
devoir faire alors ce qu'elle rougirait de faire en plein jour.
40. La Fable nous apprend que la mouche était autrefois une
femme d'une beauté ravissante, mais un peu bavarde, d'ailleurs
musicienne et amateur de chanta. Elle devint rivale de la Lune
dans ses amours avec Endymion. Comme elle se plaisait à ré-
veiller ce beau dormeur, en chantant sans cesse à ses oreilles
et lui contant mille sornettes, Endymion se fâcha, et la Lune
irritée la métamorphosaen mouche. De là vient qu'elle ne veut
laisser dormir personne, et le souvenir de son Endymion lui fait
rechercher de préférence les jolis garçons, qui ont la peau ten-
dre: Sa morsure, le goût qu'elle a pour le sang, ne sont donc pas
une marque de cruauté, c'est un signe d'amour et de philan-
thropie elle jouit comme elle peut et cueille une fleur de beauté.
11. Il y eut chez les anciens une femme qui portait le nom de
Mouche elle excellait dans la poésie, aussi belle que sage. Une
autre Mouche fut une des plus illustres courtisanes d'Athènes.
C'est d'elle que le poëte comique a dit':
La Mouche l'a piqué jusques au fond du cœur.
Ainsi la muse de la comédie n'a pas dédaigné d'employer ce
nom et de le produire sur la scène; nos pères ne se sont point
fait un scrupule d'appeler ainsi leurs filles. Mais la tragédie elle-
même parle de la mouche avec le plus grand éloge, quand elle
dit»;
Quoilla mouche peut bien, d'un courage invincible
Fondre sur les mortels, pour s'enivrer de sang,
Et des soldats ont peur du fer étincelantl
J'aurais encore beaucoup de choses à dire de la Mouche, fille
de Pythagore, si son histoire n'était connue de tout le monde.

4 Voy. la fable de La Fontaine la Mouche et la Fourmi.


2. Cf. Horace, Ode xxiv du livre III.
3. Elle s'appelait, en effet, Myia,c'est-à-dire la mouche.
4. On suppose que c'est Aristo-phane.
Dusoul est disposé à attribuer ces vers à Euripide.
12. Il y a une espèce particulière de grandes mouches, qu'on
appellecomnranément mouches militaires ou chiens: elles font en-
tendre un bourdonnementtrès-prononcé; leur vol est rapide;
elles jouissent d'une très-longue vie et passent l'hiver sans pren-
dre de nourriture, cachées surtout dans les lambris. Ce qu'il y
a de plus extraordinaire chez elles, c'est qu'elles
remplissent à
tour de rôle les fonctions demâles et de femelles, couvrant après
avoir été couvertes et réunissant, comme le fils de Mercure et
d'Aphrodite, un double sexe et une double beauté. Je pourrais
ajouter encore bien des traits à cet éloge; mais je m'arrête, de
peur de paraître vouloir, comme dit le proverbe, faire d'une
mouche un éléphant.

LVIII

CONTRE UN IGNORANT BIBLIOMANE'.

1. Certes, tu te proposes le contraire de ce que tu fais. Tu


t'imagines paraître quelque chose dans la science en t'empres-
sant d'acheter lea plus beaux livres; mais l'affaire tourne autre-
ment et ne fait que mieux ressortir ton ignorance.D'autant plus
que tu n'achètes pas les meilleurs livres, mais que, t'en rappor-
tant à ceux qui en font l'éloge au hasard, tu deviens un don de
Mercure pour les bouquinistes hâbleurs, un trésor assuré aux
brocanteurs de cette espèce. Eh comment pourrais-tudistin-
guer les livres anciens, qui ont de la valeur, de ceux qui sont
méprisables et moisis, si tu n'en juge que parce qu'ils sont
rongés et percés, et si tu ne consultes que les teignes pour faire
tes achats? Quelle connaissance exacte, quelle sûreté, quel dis
cftrnement espères-tu trouver en elles?
2. Quand je t'accorderais de pouvoir distinguer les belles
copies de Callinus et celles que le célèbre Âtticus 5 a exécutées

1 Cf.La Bruyère, De la mode, p. 354 de l'édition Charpentier.


2. On ne sait rien de précis sur cet habile copiste.
3. Quelquescommentateurs pensent qu'il s'agit d'Hérode Atticns,le sophiste;
mais rien ne justifie cette conjecture.
avec tant de soin, à quoi te servirait, homme étonnant, de les
avoir en ta possession? Tu ne saurais juger de leur beauté, et
tu ne peux en faire plus d'usage qu'un aveugle ne jouit des char-
mes visibles de ses amours. Les yeux tout grands ouverts, j'en
conviens, tu regardes tes livres, et, par Jupiter, tu t'en assou-
vis la vue, tu en lis même des morceauxau pas de course, l'œil
devançant les lèvres. Mais cela ne suffit pas, si d'ailleurs tu ne
sais pas ce qui constitue les beautés et les défauts d'un ouvrage,
quel est le sens de tous les mots, leur construction, si l'auteur
s'est astreint aux règles prescrites, quels sont les termes de bon
ou de mauvais aloi, les tournures falsifiées.
3. Eh quoi! te figures-tu donc que tu nous sais cela sans
l'avoir appris? D'où te viendrait cette connaissance? A moins
qu'à l'exemple de certain berger tu n'aies reçu une branche de
laurier de la main des Muses. Mais tu n'as jamais entendu
parler, je pense, de l'Hélicon, où ces divinités font, dit-on, leur
séjour; jamais, dans ta jeunesse, tu n'as fait d'études comme
les nôtres. Il ne t'est même pas permis de songer aux Muses.
En effet, elles n'hésitèrent point à se montrer à un berger rude,
velu dont le corps était fortement colorç par le soleil; mais
un homme comme toi (par la déesse du Liban', permets-moi,
pour le moment, de ne pas être plus explicite), je suis bien sûr
qu'elles n'auraient jamais consenti à venir à ta rencontre. Au
lieu de te faire présent d'un rameau de laurier, elles t'auraient
fouetté avec du myrte ou des feuilles de mauve: elles t'auraient
chassé de leur domaine, de peur que tu ne vinsses souiller les
eaux de l'Olméus et de l'Hippocrènes, où se désaltèrent les trou-
peaux et les bergers dont la bouche est pure. Non, quelles que
soient ta hardiesse et ton impudence, tu n'oserais jamais dire
que tu aies reçu la moindreinstruction. Quand donc as-tu songé
à entretenir avec les livres le plus léger commerce? quel est
tonymaître?quels sont tes condisciples?
4. Et cependant tu espères aujourd'hui que tout cela va pous-
ser de soi-même, si tu possèdes une bibliothèquebien fournie
Eh bien rassemble chez toi tous les ouvrages de Démosthène,
qu'il a écrits de sa propre main, tous ceux de Thucydide,. que le
même Démosthène a copiés jusqu'à huit fois de sa belle écri-
ture achète, si tu veux, tous les livres que Sylla a fait trans-

t. Hésiode. Vol. Théogonie, y. 30.


2. Ténus qui avait sur cette montagne un temple où on l'honorait par le
culte le plus infâme.
voï- Hésiode, Théogonie, v. 6 et a.
3.
} porter d'Athènes à Rome quel fruit en retireras-tu pour ton
instruction? En vain tu les étendrais pour te coucher dessus,
en vain tu les collerais sur toi et tu t'en habillerais comme d'un
vêtement. Le singe, dit un proverbe, est toujours singe, eût-il
des ornements d'or. Tu as sans cesse un livre à la main et tu lis
,continuellement, mais tu ne comprends rien à ce que tu lis tu
es un âne secouant l'oreille en entendant jouer de la lyre. Si la
possession des livres suffisait pour rendre savant celui qui lès
a, elle serait d'tfn prix inestimable; et si le savoir se vendait au
marché, il serait à vous seuls qui êtes riches, et vous nous
écraseriez, nous les pauvres. Et puis, qui pourrait le disputer
en érudition aux marchands, aux bouquinistes, qui en possè-
dent et en vendent en si grand nombre? Cependant, si tu veux
y regarder de près, tu verras que ces gens-là ne sont pas beau-
coup plus savants que toi; leur langage est barbare comme le
tien, leur intelligence bornée, comme celle des hommes qui
n'ont jamais réfléchi sur ce qui est honnête et ce qui est hon-
teux. Pourtant, tu manies peut-être deux ou trois volumes que
tu leur achètes, tandis qu'ils ont jour et nuit des livres entre
les mains.
5. Mais de quoi te sert-il de les acheter, à moins que tu ne
t'imagines que les rayons de ta bibliothèque sont aussi fort
savants, parce qu'ils contiennent une foule de vieux auteurs?
Réponds-moi,si tu le veux; ou plutôt, comme cela te serait impos-
sible, réponds oui ou non de la tête à mes questions. Supposons
qu'un homme, qui ne saurait pas jouer de la flûte, possédât
celles de Timothée ou celles d'Isménias, qu'Isménias acheta
sept talents à Corinthe, serait-ce assez pour qu'il pût jouer de
cet instrument, ou plutôt cette possession ne lui serait-elle pas
absolumentinutile, puisqu'il ne pourrait s'en servir suivant le
règles de l'art? fort bien, tu as parfaitement fait signe que non.
En effet, eùt-il à sa disposition les flûtes de Marsyas
ou
d'Olympe », il est impossible qu'il en joue sans avoir appris.
D'autre part, si l'on possédaitl'arc d'Hercule, sans être en même
temps Philoctète, seul capable de le bander et de viser air but,
que serait-on, selon lui? Un homme qui peut passer pour un
bon archer? Tu fais un signe négatif. Par une conséquence
nécessaire, prenons deux hommes dont l'un ne sache
pas gou-
verner un navire, ni l'autre conduire un cheval; confions au pre-

I Voy. Plutarque, PU de Sylla, xxvi.


2. Timothéeet les deux Isménias, célèbres joueurs deflule.
3. Voy. ces mots dans le Dict. de Jacobi.
mier un vaisseau magnifique, auquel rien ne manque de ce qui
fait l'éléganceet la solidité, et que l'autre achète un coursier de
Médie, un centauride, ou un cheval marqué du coppa'; chacun
des deux ne sera-t-il pas bientôt convaincu de ne pas savoir
diriger l'un le cheval, l'autre le navire? Tu en conviens, n'est-
ce pas? Eh bienl crois-moi, conviens encore de ceci. Quand un
homme ignorant comme toi achète un grand nombre de livres,
il provoque lui-même les brocards contre son ignorance. Pour-
quoi hésites-tu à dire oui? La preuve en est,' je crois, assez
évidente, et tous ceux qui te voient répètent à l'envi le pro-
verbe si connu « Qu'y a-t-il de commun entre un chien et un
bain?»
6. Il n'y a pas longtemps qu'il existait en Asie un homme
riche,.qui avait eu les deux pieds coupés par un funeste acci-
dent ils avaient été, je pense, gelés dans un voyage où cet
homme s'était trouvé dans la nécessité de traverser des neiges.
Sa condition était déplorable.Pour remédier à son infortune, il
s'était fait faire des pieds de bois, qu'il s'ajoutait et à l'aide des-
quels il marchait, appuyé sur ses esclaves. Cet homme avait une
singulière manie c'était d'acheter continuellement des chaus-
sures neuves et magnifiques; il y mettait la plus grande re-
cherche, et voulait toujours voir parés de brodequins élégants
les morceaux de bois qu'il appelait ses pieds! N'est-ce pas là ce
que tu fais? N'as-tu pas l'esprit boiteux et dur comme du figuier,
quand tu achètes des cothurnes d'or, avec lesquels l'homme le
plus leste aurait peine à marcher?
7. Tu as sans doute parmi tes livres plusieurs exemplaires
d'Homère?Tu l'as acheté plus d'une fois? Eh bien, fais-toi lire
la seconde rhapsodie de l'Iliade; et, sans examiner le reste, qui
ne te regarde pas, vois-y le portrait d'un personnage ridicule,
orateur impertinent, à la taille contournée, au corps mutilé.
C'est Thersite. Supposons qu'avec cet air il prenne la panoplie
d'Achille, crois-tu que cela seul lui fît acquérir en un instant et
vigueur et beauté? Franchirait-il le Scamandre?en rougirait-il
les eaux du sang des Phrygiens Tuerait-il Hector, et, avant lui,
Lycaon et Astéropée? Non; il pourrait à peine porter sur ses

1. Les chevaux de Médie élaient ceux de Nisée ville de cette contrée. On


croit que les centaurides étaient les chevaux de la Ttiessalie ou de la Ti.raee.
Quant aux coppaphores voici ce qu'en dit M. Artaud, traduction d'Aristo-
phane, note sur un passage des Nuées « Les chevaux étaient marqués de
différentes lettres qui, dit-on, désignaientleur prix; le coppa était un de ces
signes; sa valeur munériqueétaitde9O.»Cf. Comment ilfautécrircïhistoire,39.
épaules la lance de frêne n'est-ce pas?Mais comme il ferait
rire à ses dépens, quand on le verrait boiter sous le bouclier, ou
tomber sur la face, entraîné par le poids, écrasé par ce casque;
lorsqu'en levant la tête, il montrerait ses yeux louches, lorsque
son dos voûté ferait bomberla cuirasse, lorsqu'il relèverait ses
bottines, déshonorantainsi et le fabricateur et le possesseur de
ces armes 1 Nevois-tu pas que c'est là ton image quand tu tiens
dans tes mains un beau livre, habillé de pourpre, garni d'un
ombilic d'or 4, et que tu le lis d'une façon barbare, en l'écor-
chant et le travestissant de manière à provoquer le rire des
habiles, tandis que les flatteurs qui t'environnentet te prodi-
guent leurs éloges, se tournent de temps en temps l'un vera
l'autre pour en faire aussi gorge chaude?
8. Je veux maintenant te raconter une anecdote arrivée à
Pytho ». Un Tarentin, nommé Évangélus 4, homme assez consi-
déré dans sa patrie, forma le projet de remporter le prix aux
jeux pythiques. Il ne tarde pas à reconnaître qu'il lui serait
impossible de disputer celui des exercices gymniques, n'ayant
reçu de la nature ni la force ni la légèreté nécessaires; mais il
s'imagine qu'il peut aisément obtenir la palme du chant et de la
cithare, sur la foi de ces hommes exécrables qui lui faisaient
cortége, le comblaient d'éloges, et se récriaient au moindre son
qu'il tirait de ses cordes. Le voilà venu à Delphes dans un
brillant costume, revêtu d'une robe brochée d'or, la tête ceinte
d'une couronne de laurier également d'or, et qui, au lieu de
baies,porte des émeraudesd'une grosseur égale à celle du fruit.
Sa cithare, d'une richesse et d'une beauté exquises, est tout
entière de l'or le plus pur, ornée de bagues et de pierres fines
de toute espèce, sur lesquelles on voit sculptées les Muses
avec Apollon et Qrphée grande merveille pour les spectateurs
9. Le jour du combat venu trois rivaux se présentent. Le
second rang échoit à Ëvangéîus, après Thespis de Thèbes, qui
ne chante pas mal. Ëvangélus s'avance tout éblouissant d'or,
d'émeraudes, de béryls et d'hyacinthes; la pourpre de son vê-
tement brille à travers la broderie d'or qui la relève. A cettE;
vue, le théâtre est frappé d'admiration; les spectateurs sont
remplis de surprise et d'attente; mais, au moment où il faut
Iliiiile, V, v. 65. Les héros de nos Chansons de geste portent des armes
<.
du même bois.
2. Voy., pour ces détails, les Curiosités bibliographiquesde LudovicLalanne-
De la formedes livres et des lettres dans l'antiquité.
3. Delphes.
i. Cf. Cicéron, ad Herennium. IV, ilvd.
chanter et jouer de là cithare, l'artiste commence par faire en-
tendre je ne sais quels sons aigres et discords; il rompt trois
cordes à la fois par la violence avec laquelle il les attaque
puis, quand il se met chanter, sa voix grêle et fausse ex-
cite parmi les auditeurs un rire universel. Les Agonothètes,
indignés de son audace, le font fouetter et chasser du théâtre.
Ce fut un spectacle vraiment récréatif, de voir tout pleurant
Ëvangélus aux habits .d'or, déchiré sous le fouet des Mastigo-
phores, au milieu de la scène, les jambes ensanglantées par les
lanières, et ramassant par terre les pierreries de sa cithare,
qui étaient tombées pendant qu'on la fouettait en même temps
que lui.
10. Quelques instants après, ^arrive un certain Eumélus d'Ëlée
il tient en main une vieille lyre, montée avec des chevilles de
bois; son habit avec sa couronne vaut à peine dix drachmes:
mais le talent avec lequel il chante, les sons qu'il tire de son
instrument d'après les règles de l'art, lui donnent la victoire
on le proclame vainqueur, et l'on prétend que, pour se moquer
d'Ëvangélus, qui avait fait pour rien un si pompeux étalage de
sa cithare et de ses pierreries, il lui dit « Ëvangélus, ton front
est ceint d'une couronne de laurier d'or, parce que tu es riche;
moi qui suis pauvre, je suis couronné du laurier delphien. Tout
le fruit que tu retires de ce bel appareil, c'est que personne ne
s'apitoiesur ta défaite mais on te hait encore davantageà caus;
de ton ignorance et de ton luxe inutile.. » L'exemple de cet
Évangélus semble' fait exprès pour ton pied, sauf que tu ne t'in-
quiètes guère si tu fais rire les spectateurs.
11. Il ne sera pas non plus hors de propos de te raconter
une autre histoire, arrivée jadis à Lesbos. Après que les femmes
de Thrar.e eurent déchiré le malheureux Orphée, sa tête, dit-on,
jetée dans l'Hèbre avec sa lyre, descendit dans le golfe Mélane;
elle flottait portée sur l'instrument, et, par un chant doulou-
reux, déplorait le triste sort d'Orphée; les cordes de la lyre,
frappées par les vents, répondaient à ses plaintes l'une et
l'autre, avec ce triste concert, arrivèrent, à Lesbos. Les habi-
tants recueillirent la tête et lui donnèrent la sépulture à l'endroit
où est aujourd'hui le temple de Bacchus; la lyre fut consacrée à
Apollon et suspendue dans son temple, où elle s'est longtemps
conservée.
12. Dans la suite, Néanthe, fils du tyranPittacus,ayant appris
que cette lyre séduisait jadis les animaux sauvages, les arbres,
les rochers même, et que, depuis la mort d'Orphée, elle rendait
encore des sons harmonieux, désira vivement la posséder II
corrompt à force d'argent le prêtre qui la gardait, l'engage à
substituer une autre lyre tout à fait semblable et à lui livrer
celle d'Orphée. Il la prend, mais, craignant qu'il ne fût pas sùr
pour lui d'en faire usage dans la ville durant le jour, il se rend
la nuit, dans un des faubourgs, emportant la lyre cachée sou6
ses vêtements. Arrivé là, il saisit l'instrument entre ses mains,
et se met à frapper et à tourmenter les cordes, jeune ignorant,
inhabile en musique, qui se flattait que la lyre allait rendre sous
ses doigts des sons divins, faits pour entraîner et séduire tous
les êtres, et qu'il serait, lui, le plus heureux des hommes, en
devenant l'héritier des talents musicaux d'Orphée! Mais voilà
des chiens qui arrivent au bruit, il y en avait une foule, et
qui le mettent en pièces; seule conformité de son sort avec celui
d'Orphée et la lyre maniée par lui ne sut attirer que des chiens.
Cet événement prouva d'une manière positive que ce n'était pas
l'instrument qui charmait les auditeurs, mais l'art et le talent
du chanteur, qu'Orphée avait reçus de sa mère dans un degré
suprême; sa lyre n'avait, par elle-même, rien qui la mît au-
dessus des autres instruments.
13. Mais pourquoi te parler d'Orphée et de Néanthe, lorsque
de nos jours, il s'est trouvé un homme (il vit encore, je crois)
qui acheta trois mille drachmes la lampe d'argile du stoï-
cien Épictète? Il espérait, sans doute, qu'en lisant la nuit à la
lueur de cette lampe, la sagesse d'Êpictète lui viendrait tout de
suite en dormant, et qu'il ressemblerait à cet admirable vieil-
lard
Tout dernièrement un autre fou acheta un talent le bâton
14.
que portait Protée le cynique et
qu'il jeta pour s'élancer dans
le feu; il conserve ce précieux gage èt le fait voir comme les
Tégéates montrent les dépouilles du sanglier de Calydon, les
Thébains les ossements de Géryon et les habitants de Mem
phis les cheveux frisés d'Isis. Le maître de cette merveilleuse
relique te surpasse encore en ignorance et en sottise. Vois à quel
triste état tu es réduit; il te faudrait vraiment quelques coups
de bâton sur la tête.
15. On dit que Denys le Tyran composait des tragédies si froi-
des et si ridicules, qu'elles firent souvent descendre Philoxène
aux carrières, parce que ce poëte ne pouvait s'empêcher d'en
rire. Denys, informé qu'on se moquait de lui, acheta le stylet
avec lequel Eschyle avait coutume d'écrire, persuadé qu'il lui.
inspirerait un enthousiasmepoétique. Mais il écrivit des choses

<. Voy. plus loin Mort tic Vc'régrinut.


plus ridicules encore, ainsi qu'on en peut juger par ces platitu.
des doriques:
L'épouse de Denys a vu son dernierjour.
Et ensuite °

J'ai perdu là, grands dieux, une épouse commode1


Et enfin cette maxime, sortie du même stylet:
L'imbécile ici-bas se fait illusion.
Cette sentence, du moins, on dirait que Denys l'a composée
exprès pour toi et l'on devrait, rien que pour cela, dorer le
stylet ^jui l'a produite.
16. Quel est donc ton espoir, lorsque, tu es sans cesse occupé
à rouler tes livres, à les coller, à les ébarber à les frotter de
safran et de cèdre, à les habiller de peaux, à les garnir d'ombi-
lics ? Quel fruit te flattes-tu d'en recueillir? Leur acquisition
t'a-t-elle rendu plus vertueux? Tu ne dis rien? Te voilà plus
muet qu'un poisson! Mais ta vie est connue, et l'on n'a rien de
beau à en dire. Une haine sauvage, comme on dit, environne
de toutes parts tes mœurs éhontées. Ah! si les livres pro-
duisent de-pareils effets, il faut les fuir d'une fuite éternelle.
17. Il y a deux avantages qu'on peut retirer du commerce
avec les anciens l'un est de s'exprimer avec élégance, l'autre
d'apprendreà faire le bien par l'imitation des meilleursmodèles,
et à éviter le mal. Mais celui qui, dans sa conduite et dans ses
paroles,montre qu'il n'a retiré aucune utilité des livres, que fait-
il autre chose que de tailler, en les achetant, de la besogne aux
rats, des demeures aux vers et des coups aux esclaves sous pré-
texte'de négligence ?
Ï8. Quelle ne doit pas être ta honte, lorsque quelqu'un, te
voyant un livre à la main, et tu en as toujours, te demande de
qui il est, orateur, historien, poëte? Comme tu en as lu le titre, tu
as peut-être de quoi répondre. Mais si la conversations'engage,
comme il est tout naturel que cela arrive dans un commerce
amical, et que ton interlocuteur blâme ou approuve certains
passages, te voilà tout perplexe; tu n'as pas un mot à dire. N'es-
tu pas près de souhaiter que la terre s'entr'ouvre, nouveau Bel-
lérophon qui fournis un livre contre toi ?
19. Démétrius le cynique voyait un jour à Corinthe un igno-
rant qui lisait un livre splendidementorné; c'étaient, je crois,
4. Voy. Homère,Iliade, VI, y. 460.
les Bacchantes d'Euripide'. Le lecteur en était à la scène qùle
messager vient annoncer la mort de Penthée et la fureur d'A-
gavé. Alors Démétrius, lui arrachant le livre et le mettant en
pièces « Mieux vaut, dit-il, pour Penthée d'être une bonne fois
déchiré par mes mains que mille par ta bouche » J'ai beau
chercher en moi-même, je n'ai pas encore pu trouver le motif
qui te pousse à courir ainsi après les livres, pour les acheter.
Que ce soit pour ton utilité et ton besoin, c'est ce que ne pour-
ront jamais se figurer même ceux qui ne te connaissent que de
vue. On croira plutôt qu'un chauve achète un peigne; un aveu-
gle, un miroir; un sourd, une flûte une femme galante, un eu-
nuque un habitant de l'intérieur des terres, une rame un
pilote, une charrue. Mais peut-être ta grande affaire est-elle de
faire étalage de tes richesses, de montrer à tout le monde que
tes immenses dépenses s'étendent jusqu'à l'achat d'objets par-
faitement inutiles? C'est possible mais, autant que j'ai pu le
savoir en ma qualité de Syrien, si tu ne t'étais pas frauduleuse-
ment inscrit sur le testament d'un certain vieillard, tu mourrais
de faim, et tu aurais mis en ventetous tes livres.
20. Reste ceci, que les éloges de tes flatteurs t'ayant mis en
tête que tu es non-seulementaimable et beau, mais encore sa-
vant, orateur, historien, comme on n'en a jamais vu, tu dois
nécessairement acheter des livres pour justifier leurs louanges.
On dit donc que souvent, après le repas, tu leur lis quelque
chose de ta façon, et que ces gens altérés se mettent à crier
comme des grenouilles à sec, et n'ont à boire que quand ils se
sont rompu les poumons. Mais je ne puis concevoir comment tu
es assez niais pour te laisser ainsi mener par le nez, comment»
tu peux croire à tout ce qu'ils te dise-nt, au point de te laisser
persuader que tu ressembles à un souverain comme le faux
Alexandre, le faux Philippe, qui était fils d'un dégraisseur, le
faux Néron qui a paru du temps de nos pères, comme tous ceux
enfin dont le nom est marqué au coin du mensonge.
21. Est*il étonnant, d'ailleurï, qu'un fou et un ignorant comme
toi soit infatué de cette manie, et doit-on être surpris de te
voir marcher la tête haute,copiant la démarche, le maintien, les
regards de celui auquel tu te flattes de ressembler, quand on
voit Pyrrhus, roi d'Épire, prince remarquable, du reste, se
laisser gâter par ses courtisans, sous prétexte de ressemblance,
au point de croire qu'il était tout le portrait d'Alexandre?Cepen-
dant, pour parler avec les musiciens, il y avait entre eux la

t. Voy. la traduction de M. Artaud.


distance de plus de deux octaves, comme je m'en suis convaincu
envoyant un portraitde Pyrrhus; et, malgré cela, il s'imaginait
que chacun de ses traits rappelait ceux du roi de Macédoine.
Mais j'y songe, c'est faire injure à Pyrrhus que de te comparer
à lui. En revanche, voici qui te convient à merveille. Telle était
l'erreur de Pyrrhus, telle l'opinion qu'il avait de lui et il n'y
avait personne qui ne la partageât, personne qui ne fût atteint
de la même maladie, jusqu'à ce qu'un jour à Larisse', une
bonne femme étrangère, en lui disant la vérité, le guérît de
cette pituite. Pyrrhus, lui ayant montré les portraits de Phi-
lippe, de Perdiccas, d'Alexandre, de Cassandre et d'autres rois,
lui demanda auquel il ressemblait, convaincu qu'elle allait dé-
signer Alexandre; mais elle, après quelques moments d'hésita-
tion « A Batrachion, dit-elle, le cuisinier! » Il y avait, en effet,
à Larisse un cuisinier nommé Batrachion qui ressemblait à
Pyrrhus.
22. Quant à toi je ne saurais dire auquel des complaisants
infâmes de nos danseurs tu ressemblesdavantage; mais ce que
je vois clairement, c'est que tu parais à tout le monde atteint
d'une manie arrivée à son plus haut période, quand il s'agit de
cette ressemblance imaginaire. Il n'est donc pas extraordinaire
qu'étant si mauvais peintre, tu veuilles te donner des airs d'é-
rudit, et que tu croies aveuglément les flatteurs qui te saluent
de ce titre. Mais à quoi vais-je m'amuser? Chacun voit la raison
pour laquelle tu t'empresses tant d'acheter des livres, et, si je ne
m'en suis pas aperçu plus tôt, c'est faute d'intelligence. Rien de
plus ingénieux, selon toi du moins, que ton expédient, et tu te
flattes des plus belles espérances,si le bruit de ton savoir arrive
jusqu'à l'empereur,qui est savant lui-même et qui tient la science
en grande estime. S'il entend dire de toi que tu achètes des li-
vres et que tu en fais une belle collection, tu espères avant peu
tout obtenir de lui.
23. Eh quoil monstre d'impureté, crois-tu donc que l'empe-
reur soit tellement enivré de suc de mandragore, qu'il puisse ap-
prendre .une partie de -tes actions sans être instruit du reste,
sans connaître la vie que tu mènes le jour, tes excès de table et
tes débauches, nocturnes? Ne sais-tu pas que les yeux et les
oreilles du prince sont partout? Tes faits et gestes sont si pu-
blics, que les aveugles et les sourds n'y sont pas étrangers. Tu
n'as qu'à dire un mot, tu n'as qu'à te déshabiller dans un
bain, ou plutôt, sans te déshabiller, faire seulement mettre
1. Capitale de la Thessalie. 1
à nu tes esclaves. Qu'en dis-tu? Les secrets de tes nuits ne se
produiront-ils pas au grand jour? Réponds-moi si Bassus', 1,
votre sophiste, si Battalus le joueur de flûte, si le mignon
Hémithéon de Sybaris', qui vous a rédigé un si beau code,
ou
l'on apprend à s'adoucir la peau, à s'épiler, à jouer toute espèce
de rôle, actif ou passif; si, dis-je, on voyait s'avancer
un per-
sonnage de cette espèce, revêtu d'une peau de lion, armé d'une
massue, pour qui les spectateurs le prendraient-ils? Pour Her-
cule ? Non, certes; à moins d'avoir aux yeux plein
une marmite
de chassie. Mille témoignagesdéposeraientcontre
ce mensonge
la démarche, le regard, le son de la voix le cou penché, la cé-
ruse, le mastic et le fard dont vous faites usage; en somme,
comme dit le proverbe « Il est plus facile de cacher cinq élé
phants sous son aisselle qu'un seul mignon. Eh bien!
» un pa-
reil homme ne peut pas se déguiser sous une peau de lion, et
tu t'imagines être caché sous un livre? C'est impossible tout
te trahira; tous vos signes caractéristiques te feront décou-
vrir.
24. En général, tu me parais ignorer que ce n'est pas chez les
brocanteurs de livres qu'on doit chercher l'estime publique:
chacun la provoquepar soi-même et par sa vie de tous les jours.
Crois-tu donc que Callinus et Atticus,
ces élégants copistes, par-
leront pour ta défense et te couvriront de leur témoignage?
Non; mais des gens impitoyables t'écraseront bientôt, s'il plaît
aux dieux, et te réduiront à la dernière pauvreté. Tu devrais, si
tu avais encore un peu de sens commun, vendre dès ce moment
tes livres à quelqu'un de nos savants, et, avec tes livres, cett,
maison nouvellement construite, afin de payer à tes marchand
d'esclaves une partie des sommes énormes que tu leur dois.
25. Jusqu'ici, en effet, deux objets ont partagé tes soins ac
quérir des livres précieux, acheter des gaillards jeunes et déjà
mûrs c'est la double affaire que tu poursuis et pourchasse
avec ardeur. Il est cependant impossible, quand on est pauvre
de suffire à ces deux dépenses. Écoute donc bien, car c'est chose
sacrée qu'un bon conseil. Défais-toi de ce qui ne te convientpas.
pour soigner ton autre maladie. Achète des esclaves complai-
sants, de peur qu'à défaut des gens de ta maison, tu ne te replies

j. II y eut plusieurs sophistes de ce nom celui-ci est sans doute Bassus do


Corinthe, méchant homme, soupçonné d'avoir tué son père.
'i. Joueur de flûte efféminé, ou, selon d'autres, poëte licencieux.
J. Auteur présumé du livre infâme indiqué par Ovi.le Tristes, livre H,
Ép I, v. 417.
sur ceux de condition libre, qui ne manqueront pas, s'ils ne
sont bien payés, de divulguer, en s'en allant, tout ce que vous
faites après boire comme l'a fait dernièrement ce débauché qui,
sortant de chez toi, a révélé tes turpitudes et étalé tes morsures'.
Je pourrais te faire attester par ceux qui étaient présents que je
me suis emporté et que j'ai été sur le point de battre cet indis-
cret, dont les aveux me révoltaient pour toi, surtout quand il
s'est mis à prendre à témoin deux ou trois jeunes gs js, qui ont
confirmé de point en point son récit. Crois-moi donc, excellent
homme, épargne ton argent; garde-le pour pouvoir chez toi
faire et souffriren toute sûreté ce que bon'te semble; car comment
te dissuader d'agir de la sorte? La chienne ne quitte pas facile-
ment le cuir qu'on lui a appris à ronger.
26. Mon second conseil est facile à suivre': n'achète plus de
livres; tu es assez savant, assez érudit; tu as bientôt toute
l'antiquité sur le bord des lèvres tu sais toute l'histoire, tous
les secrets du langage, beautés et défauts, emploi des termes at-
tiques. Tu es devenu un miracle de sagesse et de science, grâce
,à ton déluge de livres rira n'empêche, en effet, que je ne m'a-
muse un peu avec toi, puisque tu aimes si fort qu'on t'en im-
pose.
27. J'apprendrai pourtant volontiers quels sont, parmi tes
livres, ceux que tu lis le plus souvent. Sont-ce les écrits de
Platon ou ceux d'Antisthène? les vers d'Archiloque ou ceux
d'Hipponax? Ou bien, dédaignant ces ouvrages, prends-tu de
préférence les orateurs? Lis-tu quelquefois le discours d'Es-
chine contre Timarque ? Mais tu connais tout cela, n'est-ce pas.
Il n'en est rien qui ne te soit familier? Tu as lu quelque scène
d'Eupolis ou d'Aristophane?Tu as lu toute la comédie des Bap
tes*? Chacun des traits qui s'y trouvent ne t'a-t-il pas frappé
N'as-tu pas rougi en t'y reconnaissant? Ce qui doit, sans doute
étonner davantage, c'est qu'avec une âme comme la tienne tu
oses toucher aux livres, et avec quelles mains ? Quand lis-tu
donc? Le jour? Jamais personne ne té l'a vu faire. La nuit?
Est-ce possible, quand tu es tendu ailleurs? Est-ce avant qu'on
allume les flambeaux', quand vient le soir? Tu n'oserais plus
alors rien faire de semblable.
28. Laisse-moi donc les livres, et vaque à ce que tu sais
bien. Et pourtant il vaudrait mieux t'en abstenir et respecter la

1 Ce paaaige est fort corrompu. J'ai suivi les corrections de Geaner.


2. Comédie d'Eupolis nne des plus licencieuses de ce poëte.
a. Je Us Xiix" avec Seager.
Phèdre d'Euripide, qui s'écrie, dans son courroux contre les
femmes'
Elles ne craignent point les ténèbres complices,
Ni des murs indignés les voix accusatrices.

Si cependant tu es décidé à ne pas te guérir de cette maladie


w' suis ta route achète des livres enferme-les à clef dans ta mai-
son et mets ta gloire à les posséder. Cela te suffit. Mais n'y
touche pas, ne lis jamais, n'applique point ta langue aux dis-
cours, aux poëmes des grands hommes de l'antiquité, qui ne
t'ont fait aucun mal. Je sais bien que mes avis sont en pure
perte, et, comme dit le proverbe, j'entreprends de blanchir un
Éthiopien.Tu continueras d'acheter des livres, tu ne t'en ser-
viras pas, et tu seras la risée des hommes instruits qui n'esti-
ment pas seulement un livre pour sa beauté extérieure et sa ma-«
gnificence, mais en raison du style et du sens de l'ouvrage.
29. Tu crois, sans doute, remédier à ton ignorance, la dé-
guiser sous l'apparence de l'érudition, nous imposer par le
nombre de tes livres; mais tu ne sais pas que les médecins les
plus ignorants usent du même expédient que toi. Ils se font
faire des boîtes d'ivoire, des cucurbites d'argent, des lancettes
historiées d'or puis quand il faut s'en servir, ils ne savent
pas comment les manier, tandis que le premier praticien venu,
avec une lancette bien affilée quoique couverte de rouille, dé-
livre le malade de ses souffrances. Faisons une comparaison
plus plaisante encore; regarde-moi les barbiers tu vois que les
habiles ont un rasoir, quelques petits couteaux et un miroir à
l'avenant les ignorants, au contraire, font un grand étalage de
couteaux et de miroirs énormes. Malgré cela leur maladresse
n'est un secret pour personne, et es qu'il y a d'amusant, ma
foi, on va se faire raser chez leurs voisins puis on revient se
mirer dans leurs miroirs et y arranger sa coiffure.
30. Ainsi tu peux prêter des livres à d'autres, mais tu n'en
saurais faire usage. Et cependanttu n'en as jamais prêté à qui
que ce soit: tu es comme le chien qui, couché dans l'écurie, et
ne pouvant manger d'orge, ne permet pas aucheval d'en pren-
dre, lui qui peut en manger. Voilà, pour l'instant, ce que j'a-
vais à te dire franchement au sujet de tes livres quant au reste,
à tes actes bas et méprisables, je t'en parlerai plus d'une fois
encore.
». Phèdre, y. 447.
LIX

QU'IL NE FAUT PAS CROIRE LÉGÈREMENT


A LA DÉLATION'.

1. C'est un terrible fléau que l'ignorance; c'est la source de


mille maux pour l'humanité. Elle répand comme un voile épais
sur nos actions, obscurcit la vérité et couvre d'ombre la vie de
'chacun de nous. Nous ressemblons alors à des gens errant
dans les ténèbres ou plutôt, tels que des aveugles, nous nous
heurtons follement aux objets, allant trop loin, sans qu'il soit
nécessaire, ne voyant pas ce qui est à nos pieds, et redoutant
comme une chose menaçante ce qui est à une distance éloignée
en un mot, peu s'en faut que nous ne trébuchions à chaque
pas'. Et cependant l'ignorance a déjà fourni aux poëtes une
foule de sujets dramatiques, les Labdacides, les Pélopides et le
reste4; car presque tous les malheurs qui sont promenés sur
le théâtre sont produits par l'ignorance, comme par une sorte
de génie qui préside à la scène tragique. Mais en disant ceci,
j'ai d'autres objets en vue, et particnlièrement ces. délations
calomnieuses, que des parents font contre leurs parents, des
amis contre leurs amis, et par lesquelles on a vu souvent des
familles détruites des villes ruinées de fond en comble, des
4. « On t".nd ordinairement le mot iuxSoXrj, par calomnie; mais cette
interprétation est fausse. Le titre même de ce traité le prouve. Lucien n'au-
rait pas dit qu'il ne faut pas croire légèrementà la calomnie; mais qu'il n'y
faut jamais croire,- car la calomnie est une accusation fausse. àia&oH signifie
proprement la médisance, les bruits vrais ou faux que l'on répand contre un
ennemi dans le dessein de lui nuire. » Bei.ui de Bat.lu. Malgré la justesse de
cette observation suggérée à Belin de Ballu par une judicieuse remarque de
Gesner, il faut noter que, dans plusieurs passages de ce traité; le mot calom-
nie peut être substitué à celui de délation, et que la nuance qui les sépare est
fort légère. – Voy. dans Rome au siècle d'Augustede Dezobry la lettre cxvn,
qui traite desdélateurs.
2. Cf. Lucrèce, De la nature, Il, v.
3. Et., ibid., VI, v. 34 et suivants.
et suivants.

4..Illusion aux légendes si connues d'OEdipe, d'Atrée et Thyesle, etc.


pères rendus furieux contre leurs enfants des frères contre
leurs frères, des amants contre l'objet de leur tendresse. On avu
mille amitiés brisées, mille maisons renversées par ces déla-
tions colorées d'apparence.
2. Afin de nous garder d'y tomber, je veux, dans ce discours,
retracer, comme dans un tableau ce que c'est que la délation,
avec sa cause et ses effets. Longtemps avant moi, Apelle d'É-
phèse a dessiné cette image il s'est vu lui-même calomnié au-
près de Ptolémée2, comme complice de la conjuration tramée à
Tyr par Théodotas3. Apelle n'avait jamais vu Tyr; il ignorait
absolument quel était ce Théodotas; il avait seulemententendu
dire que c'était un lieutenant de Ptolémée, auquel ce princeavait
confié le gouvernement de la Phénicie. Cependant un de ses
rivaux, nommé Antiphile', jaloux de sa'faveur auprès du roi et
envieux de son talent, le dénonça à Ptolémée comme ayant
trempé dans le complot, prétendant qu'on avait vu Apelle en
Phénicie à table avec Théodotas, et lui parlant à l'oreille durant
tout le repas. Enfin il affirma que la révolte de Tyr et la prise de
Péluses étaientle fruit des conseils d'Apelle.
3. Ptolémée, homme d'une pénétration peu clairvoyante, mais
nourri dans la flatterie des cours, se laisse emporter et troubler
par cette calomnie absurde et, sans réfléchir à son invraisem-
blance, sans faire attention que l'accusateur est un rival, qu'un
peintre est trop peu de chose pour entrer dans une pareille tra-
hison, surtout un peintre comblé de ses bienfaits, honoré par
lui plus que tous ses confrères sans s'informer enfin si jamais
Apelle a fait voile pour Tyr, Ptolémée, dis-je, s'abandonne à sa
fureur, remplit son palais de ses cris, et traite Apelle d'ingrat,
de conspirateur, de traître. Peut-être même, si l'un des conju-
rés, arrêtés pour cette révolte, indigné de l'impudence d'Anti-
phile et touché de compassion pour le malheureux Apelle, n'eût
déclaré que celui-ci n'avait pris aucune part à leur complot,
peut-être ce grand peintre aurait-il eu la tête tranchée, victime
des maux arrivés à Tyr et qui ne lui étaient point imputables.
4. Ptolémée reconnut son erreur, et il en éprouva, dit-on,

4 Il ne faut pas confondre cet Apelle avec le grand peintre, né à Cos, qu


vécut sous Alexandre et sous Ptolémée fils de Lagus. Celui dont il s'agit ici
était de Colophon, et, par adoption,citoyen d'Éphése.
2. PtoléméeIV, Philopator fils d'Évergète.
3. Voy. Polybe livre V.
4. Peintre d'un certain renom. Voy. Pline, Bist. mit., XXV, x.
5. Cette ville était regardée comme la clef de l'Égypte. Polybe ne parle
point de la prise de Péluse, mais de celle dc'Plolémals.
de si vifs regrets, qu'il donna cent talents à Apelle et lui limaa
Antiphile pour qu'il en fît son esclave. Apelle, l'imagination
pleine du danger qu'il avait couru, se vengea de la délation
par le tableau que je vais décrire.
5. Sur la droite est assis un homme qui porte de longues
oreilles, dans le genre de celles de Midas il tend de loin la
main à la Délation qui s'avance. Près de lui sont deux femmes,
l'Ignorance sans doute et la Suspicion. De l'autre côté on voit
la Délation approcher sous la forme d'une femme divinement
belle, mais la figure enflammée émue, et comme transportée
de colère et de fureur. De la gauche elle tient une torche ar-
dente de l'autre elle traîne par les cheveux un jeune homme
qui lève les mains vers le ciel et semble prendre les dieux à té-
moin. Il est conduit par un homme pâle, hideux, au regard
pénétrant; on dirait d'un homme amaigri par une longue mala-
die. C'est l'Envieux personnifié. Deux autres femmes accompa-
gnent la Délation, l'encouragent, arrangent ses vêtements et
prennent soin de sa parure. L'interprète qui m'a initié aux allé-
gories de cette peinture m'a dit que l'une est la Fourberie et
l'autre la Perfidie. Derrière elles marche une femme à l'extérieur
désolé, vêtue d'une robe noire et déchirée c'est la Repentance;
elle détourne la tête, verse des larmes, et regarde avec une
confusion extrêmela Vérité qui vient à sa rencontre. C'est ainsi
qu'à l'aide de son pinceau Apelle représenta le danger auquel il
avait échappé.
6. A notre tour, essayons, s'il vous plaît à l'exemple du
peintre d'Êphèse, de décrire la Délation, avec tous ses attri-
buts, et commençons par la définir, c'est le moyen de rendre
son image encore plus ressemblante. La délation est une accu-
sation faite en l'absenceet à l'insu de l'accusé, et à laquelle
croit un tiers, sans contradicteur. C'est là le fond de notre su-
jet. Nous avons ainsi trois personnages, comme dans les comé-
dies, le calomniateur le calomnié, et celui auquel s'adresse la
calomnie. Considérons-les tour à tour et voyons-les agir suivant-
la vraisemblance.
7. D'abord, si vous le voulez bien, introduisons sur la scène
le protagoniste du drame, je veux dire l'auteur de la délation.
Ce n'est certainement pas un honnête homme tjut le monde le
voit aisément, je crois. Car il n'y a pas d'honnête homme qui
cherche à faire du tort à son semblable. C'est, au contraire, le

4 L'aclenr chargé des premiers rôles, celui que nous appelon»chef d'tm-
ploi.
propre des gens de bien de se faire connaître par les bienfaits
dont ils comblent leurs amis, de ne point formuler d'accusations
injustes, de ne pas attirerla haine sur les autres, et de mériter
ainsi l'estime de tous.
8. Il suit de là que le délateur est un homme injuste, ennemi
des lois, impie, dangereux pour ceux qui le fréquentent. Il est
aisé de s'en convaincre. Comment, en effet, ne pas convenir que
le caractère de la justice est une parfaite égalité en toute
chose et l'absence de tout excès, tandis que l'inégalité et l'em-
piétement sont le propre de l'injustice ? Comment alors celw
qui emploie contre les absents l'arme clandestine de la délation
ne serait-il pas comme un empiéteur, lui qui accapare son
à
profit l'auditeur, dont il s'approprie les oreilles, pour les bou-
cher, les rendre inaccessibles à d'autres discours et les emplir
d'avance de ses calomnies? Une pareille conduite est le comble
de l'injustice au témoignage des plus grands législateurs, So-
lon et Dracon, qui ont ordonné que les juges s'engageassent
par serment à écouter les deux parties avec la même impartia-
lité, à accorder une égale bienveillance à tous ceux qui sont
soumis à leur jugement, jusqu'à ce que le discours de l'un,
mis en parallèle avec celui de l'autre, parût ou plus faible, ou
meilleur. Ils ont donc regardé comme une impiété, comme une
injustice révoltante, de prononcer entre les parties, avant d'a-
voir comparé la défense à l'accusation. Et ne dirions-nous pas
que ce serait faire un outrage aux dieux, si nous
permettions à
l'accusateur de dire librement tout ce qu'il lui plaît, tandis que
nous fermerions nos oreilles à la défense de l'accusé, en lui im-
posant silence et en votant sous l'influence du premier discours?
Ainsi les délations, on doit en convenir,violentla justice, la loi,
et le serment qui enchaîne les juges. Mais si ce n'est pas assez
de l'autorité des législateurs, quand ils ordonnent de juger sui-
vant la justice et sans partialité, je vais y joindre celle d'un
excellent poëte. Il nous dicte à ce sujet une belle maxime, ou
plutôt il porte cette loi
Ne prononce d'arrêt qu'après les deux discours.

Ce poëte savait sans doute que, de toutes les injustices qui se


commettent parmi les hommes, il n'en est point de plus criante,
de plus contraire à l'équité, que de condamner sans jugement

l Le scoliaste attribue ce vers à Phocvlide on le trouve dans la Guêpes


il'Aristophane, v. 919. Voy. la traduction de M. Artaud, p. 188 de la 2' édi-
tion.
et sans laisser parler la défense. Voilà cependant où veut en
venir le délateur il livre sans défense l'accusé à la colère de
celui qui l'écoute, et lui enlève tout moyen de justification par
la clandestinité de son attaque.
9. Un homme de ce caractère montre autant de lâcheté que
de dissimulation; il ne combat point au grand jour, mais, sem-
blable aux soldats d'embuscades, il décoche ses traits d'un en-
droit obscur, contre lequel oh ne peut ni riposter, ni lutter en
face, écrasé que l'on est par l'incertitude et l'ignorance du point
où se tient l'ennemi Mais cette obscurité même est la marque
la plus certaine que les calomniateurs ne disent rien de vrai.
Un homme certain de la vérité de son accusation cherche à
convaincre publiquement son adversaire, discute sa conduite, le
force à s'expliquer; par la même raison qu'il n'est point de ca-
pitaine qui, pouvant vaincre à découvert, se serve d'embùches
et de ruses contre les ennemis 2.
10. Mais c'est surtout dans le palais des rois qu'on voit des
gens de cette espèce ils tirent tout leur lustre de l'amitié des
princes et des puissants; c'est là que règnent l'envie et les
soupçons sans nombre, que la flatterie et. la délation se donnent
carrière. Partout, en effet, où les espérances sont plus grandes,
l'envie est plus dangereuse, la haine "plus terrible, la jalousie
plus adroite à faire jouer ses ressorts. Là tous les courtisans se
pénètrent du regard, semblables à ces gladiateurs qui s'obser-
vent et cherchent à se trouver quelque partie du corps qui soit
à nu. Chacun, dans le. désir de parvenir au premier rang, pousse,
coudoie son rival, renverse, s'il peut, celui qui-le précède, et le
jette à bas. L'honnête homme n a pas de peine à être culbuté,
tiré hors des rangs, chassé enfin avec ignominie, tandis que le
flatteur, plus exercé, plus adroit à cacher ses impostures, y
triomphe en souverain; la victoire, en un mot, est au plus
prompt, et les courtisans justifient parfaitement ce. vers d'Ho-
mère 5:
Mars est des deux partis; et qui tue est tué.

Aussi plus le prix a d'importance,plus ils cherchent de routes


nouvelles afin de se perdre les uns les autres Ja plus prompte
et la plus sûre est celle de la délation. Elle débute par une ja-

1 Cf. Beaumarchais le Barbier de Séville, act. II, se. vin.


2. Voy. la réponsed'Alexandre à Parménion et à Polysperchon dans Quinte
Curce, IV, xui.
3. Iliade, XVIII, v. 309.
lousie et une haine qui se bercent d'espérances, et elle finit par
des dénoûments lamentables, tragiques et fertiles en mal-
heurs.
11. Toutefois la délation n'est pas aussi simple, aussi facile
qu'on pourrait se le figurer elle exige, au contraire, une
adresse infinie, une vive intelligence, un soin particulier. En
effet,' elle ne serait pas aussi nuisible, si elle n'avait un air de
sincérité elle ne prévaudrait pas contre la vérité, qui a par elle-
même tant de force, si elle ne captivait ceux qui l'écoutent par
la vraisemblance et par mille autres artifices
12. L'homme placé dans une situation élevée est, par cela
même, plus exposé que personne aux délations des envieux
qu'il laisse au-dessous de lui Il est en butte à tous leurs traits,
comme une gêne et un obstacle. Chacun d'eux s'imagine arriver
au premier rang, s'il enlève d'assaut la position de ce fier domi-
nateur, et si on le dépouille lui-même de l'amitié du prince;
c'est ce qui se passe, dans les combats gymniques, entre ceux
qui se disputent le prix de la course. Le bon coureur, aussitôt que
la barrière est tombée, ne songe qu'à s'élancer en avant; toutes
ses facultés sont tendues vers le but; il place dans ses pieds
seuls l'espérance de la victoire, sans chercher à nuire à son
voisin, sans méditer aucune ruse contre ses rivaux. Mais le
mauvais athlète, l'antagoniste impuissant, désespérant d'attein-
dre au prix par la vitesse, recourt à la perfidie. Son unique
objet est d'arrêter son concurrent, de le retarder par un. obsta-
cle, de le faire tomber; il sent bien que, si la ruse ne réussit
pas, il ne pourra jamais être vainqueur. Il en est de même pour
l'amitié des heureux du jour celui qui la possède est exposé à
tous les piéges; abandonné sans défense, au milieu de ses enne-
mis, il devient bientôt leur proie; et alors on les aime, on re-
cherche leur amitié, uniquement parce qu'ils semblent dange-
reux pour les autres.
13. Le caractère de vraisemblanceque les délateurs donnent
à leurs faux rapports n'est pas pris au hasard; c'est, au con-
traire, à les rendre croyables qu'ils s'appliquent, de peur d'a-
vancer quelquefait absurde ou contradictoire. Aussi, la plupart
du temps, ils tournent contre leur victime les avantages qui
lui sont personnels,et composent ainsi des accusations vraisem-
blables. Par exemple, ils disent d'un médecin que c'est un em-

H Cf. Cicéron Pro Cluentio, ucv.


2. Voy. Lucrèce, III, v. 74. Cf. Horace, Ép. du livre II, v. 13 et <i;
Boileau ~pître à Racine, v. 9 et suivants.
poisonneur, d'un riche qu'il aspire à la tyrannie, d'un ministre
qu'il médite une trahison.
lk. Quelquefois celui même qui prête l'oreille à la calomnie
fournit des armes aux délateurs, dont }& malignité, pour mieux
atteindre son but, se plie à la tournure d'esprit de l'homme qui
les écoute. Voient-ils qu'il est jaloux « Il a fait en signe à votre
femme pendant le repas, disent-ils en le regardant, il a poussé
un soupir. Stratonice', à son tour, lui a lancé un doux regard,
plein d'amoureuse tendresse. » Et alors viennent quelques insi-
nuations sur les intrigues du galant. Si le prince se pique de
poésie et qu'il se croie un grand talent Par Jupiter! disent-
ils, Philoxène* a ri de vos vers; il les a tournés en ridicule, il a
dit qu'ils sont faux et mal bâtis. » Auprès d'un homme religieux
et qui respecte beaucoup la divinité, ils accusent son ami d'a-
théisme, de mépris pour les dieux, de négation de la Provi.
dence. A ces mots, l'auditeur, comme piqué par un taon qui lui
perce l'oreille, ne manque pas de s'échaufferet de repousser son
ami, sans attendre la pleine conviction de son crime.
15. En général, les délateurs n'imaginent et ne produisent
d'accusation que celle qu'ils savent la plus propre à provoquer
la colère de celui qui les écoute. Dès qu'ils connaissent son en-
droit vulnérable, ils y dirigent tous leurs traits; ils espèrent
que, dans son premier accès de colère, il ne prendra pas le temps
d'examinerla vérité, et que, si l'accusé veut se justifier, l'autre
ne le souffrira pas, tant cette révélation soudaine, fondée sur la
vraisemblance, aura prévenu son esprit.
16. En effet, l'espèce de délation qui atteint le mieux son but
est celle qui contrarie la passion favorite de celui qui écoute.
C'est ainsi que jadis on accusa auprès de PtoléméeDionysos le
philosophe platonicien Démétrius de boire de l'eau et d'être le
seul parmi les Égyptiens qui ne portât pas des habits de femme
pendant les Bacchanales. Si Démétrius, cité au tribunal de Pto-
lémée, n'avait pas bu dès le matin, au vu de tout le monde, et
s'il n'avait pas dansé au son des cymbales, vêtu d'une robe ta-
rentine, c'en était, fait de lui, sous prétexte qu'il n'approuvait
pas les habitudes du roi et qu'il blâmait par sa sagesse et ses
doctrines les débauches de Ptolémée.
17. L'accusation la plus grave aux yeux d'Alexandre était

4 Voy. De la déesse syrienne, 4 9 et suivants.


s: On connaît l'histoire de ce poëte dithyrambique et sa réponse à Denjs
« Qu'on me reconduise aux Carrières 1 »
3. Ptolémée XI Aulétès, appelé aussi Dionysos, Bacchut
d'être convaincu d'avoir refusé de rendre un culte divin à
Héphestion. Lorsqu'en effet Héphestion fut mort, Alexandre, qui
l'aimait beaucoup, voulut ajouter à ses autres magnificences
l'honneur de le placer au rang des dieux 1. Bientôt toutes les
villes élèvent des temples, consacrent des enceintes, dédient
des autels à cette nouvelle divinité, instituent des fêtes en son
honneur le nom d'Héphestion devient un serment redoutable.
Quiconque eût osé sourire, ou ne pas paraître plein de respect
religieux, était à l'instant puni de mort. Les flatteurs, caressant
cette passion puérile d'Alexandre, ne cherchent qu'à l'allumer
davantage ils racontent des songes envoyés par Héphestion,
publient ses apparitions, parlent des guérisons qu'il a opérées,
répandent ses oracles, et finissent par lui sacrifier comme à un
dieu tutélaire et préservateur. Alexandre, flatté d'abord de leur
entendre tenir ce langage, y croit à la longue, et s'estime heu-
reux de n'être pas seulement fils d'un dieu, mais de faire des
dieux à son tour. Combien d'amis d'Alexandre recueillent alors,
quand on y songe, de tristes fruits de cette apothéose d'Héphes-
tion 1 Combien d'entre eux, accusés de n'avoir point honoré le
dieu que tout le monde adore, perdent la faveur du roi et sont
bannis de sa présence 1
18. Dans ce temps même, Agathocle de Samos, l'un des taxiar-
ques d'Alexandre, en grand crédit auprès du roi, fut sur le point
de se voir enfermé avec un lion, parce qu'il était accusé d'avoir
pleuré en passant auprès du tombeau d'Héphestion. Perdiccas
heureusement vint, dit-on, à son secours, et jura par tous les
dieux, y compris Héphestion lui-même, que celui-cilui était
ap-
paru, en véritable dieu, dans une partie de chasse, et lui avait
ordonné de dire à Alexandre qu'il se gardât bien de faire aucun
mal à Agathocle; qu'il ne fallait attribuer ses larmes ni à son in-
crédulité, ni au regret de la mort d'Héphestion, mais au sou-
venir de leur amitié passée s.
19. La flatterie et la délation trouvaient donc alors un libre
accès auprès d'Alexandre, en s'accommodant à sa passion. De
même, en effet, que dans un siège les ennemis n'attaquent point
les murailles par les endroits élevés, escarpés, difficiles à fran-
chir, mais cherchent quelque partie mal gardée, ruinée
basse, afin de s'en approcher
ou
avec toutes leurs forces, de s'en
rendre maîtres et de s'introduire ensuite dans la ville; ainsi,

l, Voy. Arrien, livre VII, xtv; Plutarque, Fie d'Alexandre, lxjoi, Lxxv;
tWmHist. dir., VII, rai,
?. Cf. La Fontaine, Les obsèques le la lionne*
lorsque les délateurs découvrent dans l'âme quelque partie
faible, corrompue, d'un accès facile, ils dirigent leurs attaques
de ce côté, appliquent leurs machines et finissent par se ren-
dre maîtres de la place, sans que personne se mette en devoir
de les repousser ou s'aperçoive de leur marche une fois dans
les murs, ils mettent le feu partout,' brûlent, tuent, emportent
or, tel est, on doit le croire, l'état d'une âme prise d'assaut et
réduite en esclavage.
20: Les machines que les délateurs font jouer contre celui
qui les écoute sont le mensonge, la fourberie, le parjure, l'in-
sistance, l'effronterie et mille autres scélératesses mais la plus
puissante de toutes est la flatterie, parente ou plutôt soeur de la
délation. Il n'y a pas d'homme au cœur bien placé, à l'âme gar-
nie d'un mur de diamant, qui puisse résister aux attaques de la
flatterie, surtout lorsque la délation vient miner les fondements
par des manœuvres souterraines.
21. Et ce n'est là que l'attaque extérieure. Mais au dedans
combien de traîtres, d'intelligence avec l'ennemi, lui tendent la
main, lui ouvrent les portes, et concourent de tout leur pouvoir
à la perte de l'assiégé! D'abord, c'est l'.amour de la nouveauté,
que la nature inspire à tous les hommes, et qui leur fait prendre
en dégoût ce qu'ils ont à peine effleuré puis, c'est l'attrait qui
nous porte vers tout ce qui est extraordinaire à entendre, c'est
le charme étonnant que nous trouvons aux secrets qu'on nous
confie à l'oreille et qui sont faits pour inspirer une foule de
soupçons. Je sais, en effet, des personnes dont les oreilles sont
aussi délicieusement chatouillées par la délation, que si on les
caressait doucement avec une plume.
22. Soutenus par tous ces alliés, quand les délateurs
montent à l'assaut, ils n'ont pas de peine, selon moi, à être
vainqueurs, et cette victoire leur est d'autant plus facile, que
personne ne se présente au combat et ne se met en devoir de
repousser l'attaque. Au contraire, celui qui les écoute se livre
lui-même de plein gré, et l'accusé ignore la trahison qu'on lui
prépare c'est ainsi que les habitants d'une ville prise la nuit
sont tous égorgés pendant leur sommeil.
23. Mais ce qu'il y a de plus douloureux, c'est que le calom-
nié, qui ne se doute de rien, aborde son ami d'un air souriant
et, comme sa conscience ne lui reproché aucun grief, il parle, il
agit ainsi qu'à l'ordinaire. Hélas 1 le malheureux est environné
d'embûches. Pour l'autre, s'il a l'âme bien située, libre et
loyale, il fait à l'instant éclater sa colère et donne cours à son
ressentiment, jusqu'à ce qu'enfin, permettant une justifica-
tion, il reconnaisse qu'il s'est emporté sans sujet contre son
ami.
24. Si, au contraire, c'est un cœur lâche et vil, il reçoit son
ami avec un sourire, mais en lui-même il le déteste, il grince
des dents en secret, et, comme dit le poëte',
II couve son courroux dans le fond de son âme.

Or, il n'est pas, selon moi, d'injustice plus criante, rien n'est
plus digne d'un esclave que de nourrir sa colère en se mordant
les lèvres, d'accroître la haine enfermée dans son sein, d'avoir
un sentiment dans le cœur et un autre à là bouche, de jouer,
sous un masque gai et comique, une tragédie pleine de deuil
et de larmes. Ce qui confirme surtout dans cette manière d'agir,
c'est de voir le délateur en user de la sorte à l'égard de celui
qu'il calomnie, et dont il paraissait autrefois l'ami. On ne veut
plus alors entendre la' voix de la victime, qui essaye de se dis-
culper on préjuge de cette amitié apparente la vérité de l'im-
putation, et l'on ne songe pas que souvent il s'élève dans les
amitiés les plus étroites des motifs de haine inconnus à tous
les autres. Souvent même un coupable, pour prévenir une ac-
cusation, charge son ami de son propre crime, car il n'y a guère
d'homme assez hardi pour l'imputer à son ennemi. Les motifs
trop publiés de sa haine rendraient sa délation incroyable.C'est
donc contre ceux qui passent pour leurs amis, que les délateurs
dirigent leurs manœuvres ayant soin de témoignerla plus vive
attention à l'homme qui les écoute et qui doit croire à leur dé-
vouement, en les voyant sacrifier à ses intérêts ceux qui leur sont
chers.
25. Il y a aussi des gens qui, venant à connattre par la suite
que leur ami a été injustement accusé, ne le repoussent pas
moins, par honte de l'avoir cru coupable, et n'osent plus le re-
garder en face on dirait qu'ils se croient offensés d'avoir re-
connu son innocence.
26. Ainsi la société est affligée d'une foule de maux, nés d'une
trop grande facilité à croire aux délateurs. Antia dit à son
époux ·.

Mourez, Prétus, ou bien tuez Bellérophon, •


Car il a, malgré moi, pénétré dans ma couche.
Et c'est elle qui avait fait les avances et s'était vue dédaignée.
Homère, Odyssée, VIII, v. 273. Cf. Iliade, I, V.8I.
2. Iliade, VI, V. <66.
Peu s'efl fallut pourtant que ce jeune héros ne pérît en combat-
tant la Chimère, et que, pour prix de sa continence et du respect
qu'il portait à son hôte, il ne fût victime des ruses de cette
femme éhontée. C'est aussi par une délation semblable contre
son beau-fils que Phèdre attira les malédictions d'un père sur
Hippolyte, qui n'avait rien fait, grands dieux rien fait de
criminel. ·
27. C'est vrai, dira-t-on. Mais quelquefoiscependant le déla-
teur peut être digne de confiance,'surtout quand c'est un homme
qui a le cruit d'être juste et prudent. On doit alors avoir d'au-
tant plus d'égard à ce qu'il avance, qu'il ne s'est jamais souillé
d'un crime. Eh quoi fut-il jamais un homme plus juste
qu'Aristide? Et pourtant il se ligua contre Thémistocle et excita
contre lui la colère du peuple, étant, comme on dit, aussi dé-
mangé de l'ambition que son rival. Aristide était juste envers
tous les autres mais enfin il était homme; susceptible de colère,
d'amour et de haine
28. Si ce qu'on dit de Palamède est vrai s, le plus prudent
des Grecs et le plus distingué sous d'autres rapports, machina
contre ce héros, qui lui était uni par les liens du sang et de
l'amitié, et qui avait passé les mers avec lui pour partager tous
ses dangers tant il est naturel aux hommes de se laisser en-
traîner à leurs passions.
29. Parlerai-je de Socrate, injustement accusé devant les
Athéniensd'impiété et de complot contre l'État, ou bien de Thé-
mistocle et de Miltiade, qui, après tant de victoires, sont soup-
çonnés de trahir la Grèce5? Ces sortes d'exemples surabondent,
et presque tous sont déjà connus.
30. Que doit donc faire un homme sensé, qui doute de la vertu
ou de la sincérité de son ami Homère nous l'indique par la
fable des Sirènes, quand il ordonne au navire de passer vite
loin des charmes funestes de leurs chants; il faut se boucher les
oreilles et se garder de les ouvrir aux gens qui nous paraissent
préoccupés de quelque passion il faut que la raison, comme
un portier fidèle, veille sur tous les discours qui nous sont
adressés, admettant et faisant entrer ceux qui le méritent, re-
poussant et excluant, au contraire, ceux qui sont mauvais. Il
serait plaisant, en effet, d'avoir des portiers dans nos maisons
et de laisser nos oreilles et notre esprit ouverts à tout le monde
r

4. Voy. Plutarque, Pie d'Aristide, ni.


2. Voy. nos annotations sur l'Apologiede Socrate, édition Hachette, p. OS.
3. Tel hit, du moins, le prétexte pour lequel ils turentexiles.
31. Lors donc qu'on s'approchera de nous pour nous faire
quelque délation, examinons le fait en lui-même, sans avoir
égard ai à l'âge, ni à la dignité, ni aux mœurs de celui qui nous
parle, ni même à l'esprit qui brille dans ses discours; car plus
il paraît persuasif, plus nous devons redoubler de soins et de
précautions dans notre examen. Il ne faut pas croire non plus
au jugement d'autrui ni à la haine de l'accusateur, mais faire
une enquête scrupuleuse de la vérité, tourner contre le délateur
sa propre jalousie, exiger que les deux parties mettent à décou-
vert leur pensée, et déterminer par là notre amitié ou notre
haine. Mais prendre un parti, quand on est encore ému par la
première impression de la calomnie, par Hercule quelle folie
de jeune homme, quelle petitesse, et surtout quelle injustice I
32. La source de tous ces maux, comme je l'ai dit au début, c'est
l'ignorance, et l'obscurité où chacun de nous laisse sa conduite.
Ah s'il plaisait à un dieu de mettre nos actions au grand jour,
la calomnie, ne trouvant plus d'asile, fuirait et s'abîmerait dans
un gouffre profond, tandis que tout rayonnerait des splendeurs
de la vérité

LX

LE PSEUDOLOGISTE

OU SUR LE MOT 'AmwpeSj; CONTRE TIMARQUE1.

1. Non, tu ne sais pas ce que veut dire le mot 'AnoypiEs*, c'est


évident. Car comment m'accuserais-tu, à propos de ce mot,
d'être un barbare en fait de grec, lorsque j'ai dit de toi que tu
ressemblais à un 'Amxppiç ( je me rappelle, en effet, avoir com-
paré tes moeurs à un jour néfaste), si tu n'ignorais pas absolu-
ment ce qu'il signifie? Je vais donc t'apprendre, dans un instant,
quel est le sens- d"Anoçp«is. Mais, d'abord, je te dirai avec Archi-

1 Pseudologiste veut dire mauvais grammairien. On croit ce traité dirigé


contre un certain sophiste, nommé Polyeucte.
2. C'est-à-dire néfaste,; il se dit des choses et aussi des hommes.
loque que tu as pris la cigale par les ailes. Tu as sans doute
entendu parler d'Archiloque, un poëte ïambique, natif de Sardes,
homme libre, franc, véritable emporte-pièce, toujours prêt à
mordre ceux qui tombaient sous le fiel de ses ïambes. Un jour
qu'un de ses ennemis l'avait insulté Tu as pris la cigale par
les ailes, » dit Archiloque à cet homme, en se comparant lui-
même à une cigale, insecte criard, qui chante sans nécessité, et
qui, lorsqu'on le tient par les ailes, se met à crier encore plus
fort. « Malheureux, voulait dire Archiloque, que prétends-tu, en
excitant contre toi un poëte bavard, qui est en quête des occasions
et des sujets pour ses ïambes ? »a
2. Je te fais les mêmes menaces. Non, par Jupiter, que je
veuille me comparer à Archiloque. Comment le pourrais-je? Je
suis bien loin de son talent. Mais je sais de toi mille et mille
choses, dignes de la poésie ïambique, et auxquelles Archiloque
lui-même ne pourrait suffire, appelât-il à son aide Simonide et
Hipponax, pour peindre, en collaboration,un seul de tes vices
pris à part tant ton impudence laisse derrière toi, comme des
enfants, un Orodœcide, un Lycambe, un Bupalus, points de mire
de leurs traits mordants 'Il semble qu'un dieu ait pris soin d'ame..
ner sur tes lèvres le rire qu'a provoqué mon 'AraxpptSç, pour
prouver à tous que tu es d'une ignorance plus crasse que celle
des Scythes, et que tune sais rien des choses les plus communes
et les plus vulgaires. Il a voulu que tu servisses d'occasion et
de sujet d'écrire contre toi à un homme libre, qui te connaît à
fond et à plein, et qui, loin de craindre de tout dire, est prêt à
crier sur les toits, outre tes anciennes fredaines, ce que tu fais
chaque jour et chaque nuit.
3. Il serait toutefois inutile et superflu de suivre, pour te
parler avec franchise, les procédés des gens instruits. Jamais la
censure ne te rendra meilleur. On persuaderait,plutôt à l'escar-
bot de ne plus rouler ce qu'il s'est une fois mis à tenir entre ses
pattes2. D'ailleurs, il n'est personne, je pense, qui ignore jus-
qu'où vont ton audace et les excès dont tu souilles tes cheveux
blancs. Ta débauche n'est pas aussi à couvert, aussi secrète. Il
n'est pas nécessaire de te dépouiller dé ta peau de lion, pour
s'apercevoir que tu n'es qu'une bourrique. A moins d'arriver
tout frais des régions hyperborées et d'être un vrai Cyméen, on
doit voir, au premier coup d'oeil que tu es le plus impudent de
tous les ânes, et l'on n'a pas besoin, pour cela, d'attendre que

Voy. Horace, Épode VI, v. *3, et la note d'Orelli.


2. Voy. le commencement de la Paix d'Aristophane..
tu te mettes à braire. Longtemps avant moi, la renommée a
publié partout et souvent tes belles équipées, et tu possèdes une
réputation brillante, qui te place au-dessus d'Ariphrade du
Sybarite Misthon2, de Bartas de Chio3, maître expert en ces
sortes d'exploit: Cependant il faut parler, quoique j'aie l'air de
ne rien dire de neuf, afin qu'on ne m'accuse point d'être le seul
qui ne soit dans la confidence.
4. Mais appelons plutôt à notre aide un personnage des pro-
logues de Ménandre, Ëlenchus1, ce dieu qui aime la vérité et la
franchise. Ce n'est pas un des acteurs les plus obscurs qui
montent sur la scène. 11 n'a d'ennemis que vous autres qui re-
doutez sa langue, vu qu'il sait tout et qu'il dit nettement ce
qu'il connaît de votre conduite. Ce serait charmant; si ce dieu
voulait bien paraître un instant sur le théâtre, et mettre les
spectateurs au courant de la pièce. « De grâce, Élenchus, ô toi le
plus aimable des prologues et des génies, essaye donc de donner
à mes auditeurs quelques détails préliminaires. Dis-leur que ce
n'est pas pour rien, ni par un penchant haineux,ni, commeon dit,
sans m'être lavé les pieds, que j'entreprends ce discours, mais
pour venger à la fois mon injure et poursuivre un homme contre
qui les débordements soulèvent l'indignation publique. Après
cette explication simple et claire, tu peux te retirer, tout en nous
restant propice, et moi je me charge du-reste. Je suivrai ton
exemple, je mettrai tout à nu, avec franchise et sincérité, sans
que tu puisses m'accuser de rien taire. Je n'userai pas de toi non
plus, mon cher Élenchus, pour me donner des louanges en pré-
sence des spectateurs, ni pour révéler toutes les turpitudes de cet
homme; car il serait indigne de toi, qui es un dieu, de te salir
la bouche de termes aussi abominables.
5. « Ce soi-disant sophiste, (c'est le prologue qui parle) vint
un jour à Olympia pour y lire un discours dans l'assemblée pa-
négyrique.Voici quel en était le texte « Un Athénien, je crois,
veut empêcher Pythagore d'être initié aux mystères d'Eleusis,
sous prétexte qu'il est barbare, attendu que ce philosophe disait
lui-même qu'avant d'être Pythagore il était Euphorbe. s Ce
discours, semblable au geai d'Ésope, était un assemblage de
plumes étrangères. Or, comme notre sophiste ne voulait pas

Voy. Aristophane, les Chevaliers, p. 94 de la traduction de M. Artaud


Cf.les Guêpes, v. 4271.
2. Voy. Ovide, Tristes, II, v. 447.
3. Personnage inconnu.
4. Ce mot signifie Convistism. ilf. Le Pêcheur nu les Ressuscites.
avoir l'air de réciter des phrases rebattues, mais d'improviser
ce qu'il avait appris dans un livre, il va trouver un de ses
amis, citoyen de Patras, homme versé dans l'éloquence judi-
ciaire, et le .prie, lorsqu'il lui proposera un sujet de discours, de
choisir celui de Pythagore. L'avocat y consent, et engage l'au-
ditoire à écouter cette fameuse harangue en faveur de Pytha-
gore.
6. « Cependant son débit trahit sa supercherie; on devine, à
la manière dont il enchaîne ses phrases, qu'elles sont depuis
longtemps méditées et étudiées, et, malgré l'impudence de son
allié, qui lui prête la main et combat en sa faveur, il s'élève un
fou rire dans toute l'assemblée. Les uns, l'oeil fixé sur l'avocat
de Patras, lui donnent à entendre que sa complicité d'impos-
ture n'est un secret pour personne les autres, reconnaissant
chaque phrase que le sophiste prononce, s'amusent, tout le
temps que dure sa harangue, à faire assaut de mémoire et à se
demander à quelle déclamation de nos sophistes modernes les
plus en renom sont faits ces divers emprunts.
7..« Parmi les auditeurs se trouvait l'auteur même du
morceau il était du nombre des rieurs. Et comment aurait-il
pu s'empêcher de rire d'une hardiesse aussi manifeste, aussi
incroyable, aussi impudente? Comment ne pas éclater? On ne
peut commander au rire. Notre auteur donc, en entendant cette
voix que l'orateur croyait harmonieuse et qui ressemblaità une
lamentation funèbre en l'honneur de Pythagore, s'imagine voir
un âne qui essaye de jouer de la lyre, et s'abandonne aux
bruyants transports de son hilarité. L'orateur se retourne, l'a-
perçoit, et voilà la guerre allumée.
8. « Peu de temps après arrive le premier jour de l'an, ou
plutôt la célébration du troisième jour de la Grande Néoménie,
durant laquelle les Romains, suivant l'antique usage, font cer-
tains vœux pour toute l'année, offrent des sacrifices prescrits
parle roi Numa, et croient que ce jour-là les dieux sont mieux
disposés à exaucer leurs prières. Or, notre rieur d'Olympie, qui
s'était si fort diverti du Pythagore supposé, assistait à cette
fête et à cette cérémonie. Quand il voit venir ce vantard sans
vergogne, ce comédien qui s'affuble des discours d'autrui, cet
infâme dont il connaît à fond les habitudes, les sales débauches,
la vie hideuse et les actions qu'on lui attribue, et les postures
où on l'a surpris i Ëvitons, dit-il un de ses amis, cette vue
malencontreuse;la présence de cet homme suffit pour changer cet
heureux jour en 'Amxppis. » Le sophiste,qui prend ce mot pour
un terme barbare, étranger à, la langue grecque, se met aussitôt
à rire; et, comme pour se venger des rires que notre auteur
avait fait éclater jadis à son sujet, il dit à ceux qui l'environ-
nent « 'AraxpptSs Qu'est-ce que cela? Un fruit, une plante, un
vase? Un 'Araxppiis est-il bon à manger ou à boire ? Je n'ai jamais
entendu parler d"Anoçpis; je ne sais pas ce que cela veut dire. J
9. « Il s'imaginait par là tourner notre auteur en ridicule il
riait donc beaucoup d"ATOcpp<£s, et on s'apercevaitqu'il fournissait
contre lui-même la preuve la plus complète de son ignorance.
Tel est le motif qui a déterminé l'auteur qui me fait comparaître
devant vous à montrer dans ce discours que cet illustre so-
phiste ignore les termes les plus usités chez les Grecs les ex-
pressions employées jusque dans les boutiques et les tavernes. »
Ici finit le rôle d'Élenchus.
10. Pour moi, car je me charge à présent du reste de la pièce,
assis, pour ainsi parler, sur le trépied de Delphes, je crois de
mon devoir de publier tes faits et gestes dans ta patrie, en Pa-
lestine, en Égypte, en Syrie, puis en Grèce et en Italie, et enfin
tes allures actuelles à Ëphèse, qui mettent le comble à ta dé-
mence et qui servent de faîte et de couronnement à ta conduite.
C'est le cas de t'appliquer le proverbe a Habitant d'Ilion, tu as
payé un acteur tragique » II est temps que tu entendes le récit
de ton propre mal.
Il. Mais non; parlons auparavant du mot 'Axotfp&ç. Dis-moi,
je t'en prie, au nom de la Vénus des carrefours, de Génétyllis'
et de Cybèbe1, que trouvais-tu donc à reprendre dans ce mot?
En quoi t'a-t-il paru si risible, cet 'ArotpptSç? Par Jupiter n'est-il
donc pas grec? Est-ce un intrus provenant de notre commerce
avec les Celtes, les Thraces et les Scythes? Tu sais si bien tout
ce qui concerne Athènes, que tu n'hésites pas à exclure ce
mot et à le proclamer banni du territoire grec. Tu fais gorge
chaude de m'entendre user de locutions étrangères et barbares,
et de me voir passer les confins de l'Attique. Mais est-il un terme
plus athénien que celui-là? te demanderont tous ceux qui en
savent plus long que toi sur ces matières. Tu parviendrais plu-
tôt à prouver qu'Érechthée et Cécrops étaient des étrangers et
des intrus dans Athènes, que de démontrer qu"Araxppdîs n'est pas
attique et autochthone4.

4. Voy. le Pécheur, 38. 2. Voy. les Amours, 42.


3. La même que Cybèle. Voy. ce mot dans le Dict. de Jacobi.
4. Voy., sur la condition des autochihones opposée à celle des météques,
un mémoire de Sainte-Croix, dans les Mém. dé l'Académiedes inscriptions«
belles-lettre;t. XLVIII.
12. Les Athéniens, en effet, désignent beaucoup d'objets par
des mots communs aux autres peuples de la Grèce; mais ils sont
les seuls qui appellent 'Arcocppiç'un jour néfaste, abominable,
malheureux, funeste, un jour qui te ressemble. Tiens, voilà
qu'en passant tu as appris ce que veut dire 'Anœppiç lorsque
les magistrats suspendent leurs fonctions, quand les tribunaux
sont fermés, qu'on n'offre point de sacrifices, qu'on ne fait rien
de ce qui exige un augure favorable, ce jour-là s'appelle
'AjKXppiç.
13. Différentes raisons ont introduit cet usage chez les diffé-
rents peuples'. Les uns, après avoir essuyé de graves défaites,
ont décidé que les jours anniversaires de ces malheurs devins-
sent néfastes, c'est-à-dire qu'aucune transaction n'y pût être ré-
solue, qui fût suivie d'effet; ou bien, par Jupiter 1.
Mais n'est-
il pas ridicule et hors de saison que je me mêle d'instruire un
vieillard de ton âge, et de lui apprendre ce qu'il a toujours
il
ignoré? Oui, ne te reste plus que cela à connaître; et, quand
tu le sauras, tu connaîtras tout, n'est-ce pas? Oui, mais com-
ment cela, mon gaillard? On pourrait peut-êtçe t' excuser d'igno-
rer certaines expressionsqui ne sont plus du domaine
Mais
commun,
et que le gros des hommes ne connaît plus. 'A;ratpp<iç! tu
l'as dit toi-même sans le comprendre; car c'est un mot spécial
et unique.
14. Fort bien, dira-t-on peut-être parmi les mots anciens, il
en est que l'on peut dire, et d'autres qu'il ne faut pas employer,
parce qu'ils ne sont pas d'un usageassez répandu, qu'ils éton-
neraient ceux qui nous écoutent et blesseraient leurs oreilles.
Ainsi moi, mon très-cher, en te parlant de toi, j'ai fait une faute;
j'aurais dû sans doute me servir de mots paphlagoniens, cappa-
dociens et bactriens; tu m'aurais mieux compris; tu aurais été
flatté de les entendre. Mais, quand on parle aux autres Grecs,
il faut, je crois, se servir de la langue grecque. Les Attiques, il
est vrai, ont, par la suite des temps, introduit des changements
considérables dans leur idiome; mais 'Amxpprfs est un mot qui
s'y est toujours conservé, un de ceux que tout le monde em-
ploie.
15. Je pourrais te citer une foule d'écrivains qui, avant moi,
ont employé cette expression,si je ne craignais de te jeter dans
un grand embarras; en te nommant des poëtes, des orateurs,
des historiens, qui te sont étrangers et inconnus. Je ne t'en

<. On trouvera d'intéressants détails èur le jour néfaste chez les Romains,
il
dans Rome au siècle iC Auguste de Ch. Dézobry lettres et ucxxvn.
parlerai donc pas car tout le monde les connaît, Si tu peux
m'indiquer un seul écrivain de l'antiquité qui ne se soit pas
servi de cette locution, je te dresse, comme on dit, une statue
d'or à Olympie. Mais quand un vieux, un homme hors d'âge
comme toi, ignore de pareilles choses, il me semble
qu'il ne sait
Corinthe est sur
pas qu'Athènes est une ville de l'Attique, que
l'Isthme et Sparte dans le Pe'loponèse.
16. Il te reste à nous dire que tu connaissais ce mot, mais que
tu en as blâmé l'emploi déplacé. Eh bien, je vais me justifier
là-dessus comme je le dois. Ëcoute-moi donc, à mr-ins que tu
ne te soucies guère de passer pour un ignorant. Les anciens ont
souvent lancé de pareils sarcasmes à des gens de ton espèce;
car il y a eu de tout temps, on peut le croire, des hommes de
mœurs abominables, des débauchés, des vauriens. On donna à
l'un le nom de Cothurne, par allusion à sa conduite comparable
à l'emploi de cette chaussure. On en nomma un autre la Rage,
iarce que c'était un orateur brouillon, qui jetait le trouble dans
les assemblées. Un troisième fut appelé la Semaine. parce qu'à
l'exemple des enfants qui ont congé tous les sept jours, il plai-
santait dans les réunions populaires, s'amusait à rire et à se
jouer des affaires sérieuses de l'État. D'après cela, je te le de-
mande par Adonis, ne me permettras-tu pas de comparer un
affreux coquin, un homme nourri dans toutes sortes de vices, à
un jour sinistre et malheureux?
17. Nous avons soin d'éviter la rencontre des gens qui boitent
du pied droit c'est un mauvais présage, surtout le matin;
quand on voit un eunuque, un castrat, un singe en sortant de
chez soi, on revient sur ses pas et l'on rentre, persuadé que
tout ira mal ce jour-là, d'après ce mauvais et fâcheux augure.
Eh bien, lorsqu'au commencement, à la porte, à l'entrée, au
matin de l'année on aperçoit un mignon, livré à des pratiques
qui ne se disent pas, et fort distingué dans sa profession, un
homme rompu et consommé dans le vice, et qui mérite d'être
appelé, pour ses œuvres, imposteur, charlatan, parjure, peste,
carcan, barathrum, on ne le fuirait pas, on ne le comparerait
pas à un jour néfaste, on ne l'appellerait pas 'Araxppa'ç?
18. Mais n'est-ce pas-là ton portrait? Tu ne saurais nier que
ta valeur virile ne me soit bien connue. Tu me parais même
assez fier de ce que la gloire de tes hauts faits n'a rien perdu de
son éclat, de ce que tous les yeux sont sur toi, de ce que ton
nom est dans .toutes les bouches. Si tu contestes ou nies cette
ressemblance, de qui te feras-tu croire? de tes concitoyens?
car c'est par eux qu'il est juste de commencer; mais ils con-
naissent ta première éducation, comment tu t'es livré à je ne
sais quel soudard éhonté, qui t'a corrompu et fait servir à tout
ce qu'il voulait, jusqu'à ce qu'ayant fait de toi, comme on dit,
une guenille toute déchirée, il finit par te mettre à la porte.
19. Ils n'ont pas oublié non plus, comme tu peux croire, tes
prouesses dramatiques, quand tu voulus figurer avec les dan-
seurs et être chef de comparses. Personne n'avait encore paru
sur le théâtre, on n'avait pas encore annoncé le titre de la pièce,
lorsque, bien costumé, chaussé de cothurnes d'or,, vêtu d'une
robe de tyran, tu fus envoyé pour réclamer l'indulgence du
public tu te retiras chargé de couronnes, couvert d'applaudis-
sements, comblé d'honneurs et maintenant te voilà rhéteur et
sophiste. Ceux qui apprennent cette métamorphoses'imaginent,
comme dans la tragédie
Voir deux soleils aux cieux et deux villes de Thèbes,

et ils se disent le mot si connu « L'homme d'aujourd'hui est-il


celui d'hier? » Ainsi, tu fais sagement de ne plus retourner
parmi tes compatriotes, de ne plus paraître dans le pays et de
t'exiler volontairement de ta patrie. Non pas que l'hiver y soit
dur et l'été insupportable c'est, au contraire, une des villes les
plus belles et les plus grandes de la Phénioie; mais être en butte
aux récriminations, vivre avec des gens qui te connaissentet
se souviennent de ton passé, c'est t'attacher à une potence. Mais
que je suis foui Ehl devant qui rougirais-tu? Que vois-tu de
honteux dans tes derniers actes? J'entends dire que tu possèdes
dans ta patrie des biens considérables, sans doute cette misé-
rable tourelle, en comparaisonde laquelle le tonneau du philo-
sophe de Sinope serait le palais de Jupiter. Néanmoins tu ne
pourrai faire changer d'opinion à tes concitoyens, et les empê-
cher de te regarder comme le plus débauché des hommes et
l'opprobre de leur cité.
20. Mais peut-être les autres habitants de la Syrie t'accorde-
ront-ils leurs suffrages, si tu viens leur dire qu'il n'y a rien de
pervers, rien de blâmable dans ta conduite. Par Hercule! An-
tioche n'a-t-elle donc pas vu ton bel exploit, lorsque tu emmenas
ce jeune homme qui arrivait de Tarse? Mais il est trop honteux
pour moi de dévoiler dé pareilles turpitudes. Au surplus, elles
ne sont un secret pour personne, et des témoins oculaires se
souviennent de t'avoir vu à genoux, tandis que ton complice

K- Euripide, gacchaiftes, (M 6. Cf. Virgile Enéide, IV, v. 470,


était occupé à faire ce que tu sais bien, si tu n'as pas entière-
ment perdu la mémoire.
21. Et les Égyptiens? Ils ne te connaissent pas, eux ohez les-
quels, après tes beaux spectacles de Syrie, tu t'es enfui, à cause
de ce que j'ai dit, poursuivi par des marchands d'habits, de qui
tu avais acheté de précieuses étoffes pour subvenir à tes frais de
route. Alexandrie t'a vu faire d'aussi bons tours, et il ne fallait
pas, par Jupiter qu'elle te trouvât inférieur à ce que tu t'étais
montré à Antioche. Ton libertinage y parut même plus à nu, ton
ardeur de débauches s'y ralluma avec plus de fureur, ta renom-
mée s'en accrut davantage, et tu marchasla tête découverte. Un
seul homme se laissa convaincre par tes serments que tu n'étais
pas coupable de pareils crimes. Ce fut aussi le dernier qui vint à
ton aide et paya tes services homme distinguéparmi les Romains
et dont je tairai le nom, si tu veux bien le permettre; d'ailleurs
il est connu, et chacun sait qui je veux dire. Tout ce qu'il eut à
souffrir de tes effronteries, pendant le temps que tu passas avec
lui, à quoi sert d'en parler? Mais lorsqu'il t'eut surpris aux
genoux du jeune OEnopion, son échanson, put-il douter que tu
ne fusses ce que tu es, en te voyant à l'œuvre? Non, à moins
d'être complétementaveugle; et il fit bientôt connaître ce qu'il
pensait de toi, en te chassant de sa maison, et en la purifiant,
dit-on, après ta sortie.
22. L'Achaïe et l'Italie tout entière sont pleines de tes hauts
faits et de la gloire qu'ils t'ont procurée jouis donc de ta célé-
brité. Quant à ceux qui admirent ce que tu fais aujourd'hui à
Éphèse, je leur dirai une chose extrêmement vraie, c'est que
leur surprise serait moindre s'ils connaissaient ton passé. Ce-
pendant tu as appris ici des choses nouvelles dans le commerce
des femmes.
23. Eh bien 1 le nom d"Aîtotpp<S? ne va-t-il pas comme un sou-
lier à un pareil homme? Mais comment, par Jupiter! oses-tu
venir encore nous donner un baiser sur la bouche, après toutes
tes turpitudes? C'est l'injure la plus outrageante que tu puisses,
faire à ceux qui le méritent le moins, à tes interlocuteurs pour
lesquels c'est déjà beaucoup que de subir les autres maux causés
par ta bouche, tes expressions barbares, ta voix rude, la confu-
sion, le désordre de tes phrases désavouées par les muses, et
le reste. Et après cela tu viens nous donner un baiser Que
les dieux nous en préservent J'aimerais mieux celui d'un aspic
ou d'une vipère. On risquerait, il est vrai, d'être mordu et
de souffrir, mais on ferait venir le médecin qui calmerait la
douleur, tandis que, pour guérir ton baiser et son poison, à qu "4
servirait de s'approcher des sanctuaires et des autels? Quel
dieu écouterait les prières de la victime? Combien d'eaux lus-
trales, combien de fleuves faudrait-il?
24. Et cependant un homme comme toi ose rire des autres ?`t
Tu te moques des mots et des termes qu'ils emploient, quand
tu commets de pareilles actions! En vérité, si je De connaissais
pas le mot 'Amxpptiç, j'en serais confus, tant je suis loin de re-
gretter de l'avoir employé. Jamais personne de nous t'a-t-il
reproché ppwfnoXiyous Tpom[i.fo6Xr)Taç s, fr)ot(iSTpeîv 5, 'A6>)vtS4,
<5v0<apaT£tv », oçevSixiÇeiv e, xsifx>6X)]|uia6aL 7? Puisse Mercure, le
dieu de l'éloquence, t'écraser misérablement, misérable,
sous
tes propres locutions Dans quels livres les as-tu trouvées? Tu
les as déterrées sans doute dans quelque coin des Lamentations
d'un poëte, au milieu de la moisissure et des toiles d'araignées,
ou bien dans les tablettes de Philénis que tu as toujours à la

prononce.
main. Du reste, ces locutions sont dignes de la bouche qui les

25. A propos de bouche, que dirais-tu si ta langue (faisons


cette supposition) te citait au tribunal pour tes crimes, ou tout
au moins pour tes outrages, et si elle te disait <r C'est moi, in-
grat, qui, de la pauvreté, du dénûment, de la misère affamée,
t'ai fait d'abord paraître avec succès sur les théâtres, jouant les
Ninus, les Antiochus,les Achilles. Ensuite t'ayant appris à faire
lire les enfants, je t'ai nourri longtemps par ce moyen. Aujour-
d'hui je te montre à réciter les discours des autres, à passer
pour un sophiste, et je t'ai même procuré une' gloire que tu ne
méritais guère. Quel grief as-tu donc à me reprocher pour me
traiter de la sorte, pour m'imposer, les' plus honteux emplois et
me faire servir aux actions les plus abominables?N'est-ce donc
point assez d'être occupée tout le jour à mentir, à me parjurer,
à débiter mille sornettes et mille inepties, ou plutôt à vomir la
fange de tes discours? Faut-il donc, malheureuse, que la nuit
même tu ne me laisses aucun repos? Seule, je te sers à tous les
usages; foulée, souillée de toutes'les manières, il faut encore
que de langue je devienne main; tu m'outrages comme si je
n étais pas à toi, et tu m'inondes de tes impuretés. Je suis faite
uniquement pour parler c'est aux autres membres que la na-
ture a prescrit de faire et de subir de telles abominations. Plût
4. Quiparlent de sujets puants. – 2. Hommes dignes du fouet. 3. Me-
surer ses paroles. 4. Je désire aller a Athènes. 5. Avoir l'empire des
/leurs. – 6. Barbarismepour a yev SoniÇtcj, jeter avec une fronde. 7. Lan-

cer avec la main, 8. Courtisane perdue de débauche.
au ciel quequelqu'un m'eût coupée, comme celle de PMlomèle
Plus heureuses cent fois sont les langues de ceux qui ont dévoré1
leurs propres enfants! »
26. Au nom des dieux si ta langue te parlait ainsi dans son
langage et qu'elle invoquât le témoignage de ta barbe, que lui
répondrais-tu? Sans doute ce que tu répondis dernièrement à
filaucus1, qui te reprochait un de tes actes ordinaires, que ce
sont ces actes mêmes qui t'ont rendu célèbre en peu de temps et
fait connaîtrede tout le monde. Comment, en effet, ton éloquence
t'aurait-elle conduit à une si brillante renommée? Mais il est
bon d'être illustre et de se faire un nom n'importe à quel prix.
Tu énumérerais ensuite à ta langue tous les surnoms que tu as
reçus chez différents peuples ils sont en si grand nombre que
je m'étonne de ton indignation au sujet d"Anoçpâ?, quand les
autres ne t'ont pas causé la moindre colère.
27. En Syrie on t'a appelé Rhododaphné'. Pourquoi? Par
Minerve je rougirais de le dire, et je veux, autant que possible,
l'ensevelir dans l'oubli. En Palestine on t'a nommé le Buisson,
sans doute parce que ta barbe commençait à piquer tu te rasais
encore. En Égypte on t'a surnommé l'Angine. On sait pourquoi.
Peu s'en fallut, dit-on, que tu ne fusses étranglé par un de ces
matelots qui conduisent des vaisseaux à trois voiles. Il tomba
sur toi et te ferma la bouche. Les bons Athéniens, sans vouloir
faire d'équivoque, ont su t'honorer par l'addition d'une seule
lettre et t'ont nommé Atimarque s. Il fallait bien que tu eusses
quelque chose de plus que ton homonyme. En Italie, grands
dieux! (voici maintenant une épithète héroïque), on t'a nommé
le Cyclope, parce qu'un jour tu voulus jouer ce rôle dans le
costume traditionnel consacré par Homère, et imiter jusqu'à sa
lubricité. Couché par terre, ivre, tenant une coupe en main, tu
te permettais des gaillardises à la Polyphème, lorsque ton jeune
comparse saisit un pieu bien aiguisé et vint, second Ulysse,
pour te crever l'œil.
Mais il manqua son coup; sa main mal assurée'
Ne sut pas dirigerla pointe du bâton,
Et son arme glissa vers le bas du menton.
On né sera pas étonné que je me permette une froide plaisante-

4 Il n'est pas autrement connu.


2. Laurier-rose.
3. C'est-à-dire chef des infâmes, 'ATi/uccpxac, équivalent à ènt/utu àp%6i.
4. Parodie d'Homère, Iliade, XIII, v. 605 V, v. 203 et Xl, v. 233.
rie, quand je parle de toi. Nouveau Cyclope, tu ouvrais la bouche
dans toute sa largeur, et tu te laissais crever la mâchoire, ou
plutôt tu essayais, comme Charybde, à engloutir Oulis avec
son vaisseau, les matelots, les mâts et le gouvernail. Tous les
assistants furent témoins de cette scène. Le lendemain, pour te
justifier, tu alléguas ton ivresse et tu mis tout sur la faute du vin.
28. Déjà riche de tant de beaux noms, pourquoi rougis-'a: ar
celui d"Airaçp<Sç? Au nom des dieuxl que penses-tu donc, lors-
que le bruit public prétend que tu es atteint.de la passion les-
bienne et phénicienne? Ne comprends-tu pas mieux ces mots
qu"Araxpp!Éç et crois-tu que ce sont des éloges? Ou bien les
connais-tu parfaitement pour avoir été nourri avec eux, tandis
que tu rejettes 'Araxpp^s tout seul, comme nouveau pour toi,
et que tu l'exclus de la liste de tes titres? Alors tu es justement
puni de ton ignorance, et-ta réputation s'étend jusque dans les
gynécées. Il n'y a pas longtemps, lorsque tu eus l'audace de
vouloir te marier à Cyzique, celle que tu voulais épouser, on ne
peut mieux édifiée sur tes mœurs, s'écria, la bonne pièce « Je
ne veux pas d'un mari qui lui-même en a besoin. »
29. Et c'est un homme comme toi qui s'inquiète des mots, qui
rit des autres, qui les méprise? Mais tu as raison. Nous ne pou-
vons tous parler le même langage que toi. Eh! qui serait assez
audacieuxdans ses discours pour demander, au lieu d'une épée,
un trident contre trois adultères; pour dire, en jugeant la prise de
Tricaranum par Théopompe8, que son éloquence à triple tran-
chant a détruit des villes éminentes; et ensuite 'qu'il a tridenté la
Grèce, que c'est un Cerbère dans ses discours. Dernièrement aussi
tu as allumé une lampe pour chercher, je crois, quelque frère
perdu; et mille autres folies qui ne valent pas la peine qu'on en
parle. Il y a cependant celle-ci dont se souviennent ceux qui
l'ont entendue «. Un riche, disais-tu, et deux pauvres étaient
ennemis; puis tu ajoutes, en parlant du riche « Il tua l'autre
des pauvres. i Les auditeurs, naturellement, se mettent à rire;
tu te reprends, et pour corriger ta faute e Non, dis-tu, mais il,
tua l'autre'des deux4. » Je ne parle pas'de tes expressions su-
4. Dans l'Odyssée, Ulysse dit à Poljplième,qui lui demande son nom, qu'il
s'appelle OStij, Personne. Voy. Odyssée,IX, v. 366.
2. Ville forte du territoire de la Phliasie,petit canton de l'Acaaïe près des
sources de l'Asopus, aujourd'hui l'Asopo.
3. Probablement l'historien de ce nom. Voy. Vossius, Hist. gr., édition
Westermann,p. 40.
4. Voy., pour l'intelligence grammaticale de ce passage, la note deGesuer,
dans le Lucien de Lehmann, t. VIII, p. 444.
rannées TpiOv [u)voîv, sv»ivE|ji(a, itka\xai, h%tmv> et autres beautés
qui fleurissent tes discours'.
1

30. Ce que tu fais sous l'aiguillon de la pauvreté (qu'Adrastéi


me soit propice!), je ne le reprocherais à personne. On peut
pardonner à un homme pressé de la faim de nier avec un par-
jure le dépôt qu'un citoyen lui a confié de demander avec im-
pudence, de demander encore après qu'il a reçu, de voler des
habits, de prêter à gros intérêts. Je ne dis pas un mot de tout
cela. On voit sans jalousie employer tous les moyens pour
ï repousser la misère. Mais ce qu'on ne peut supporter, c'est
qu'un gueux comme toi dépense pour ses plaisirs tout le produit
de son impudence. Tu me permettras cependant de te louer du
tour fort ingénieux que tu as fait lorsque, mettant en pratique
l'art de Tisias (tu connais le moyen), tu as renouvelé le procédé
de Corax et escroqué trente pièces d'or à un vieil imbécile qui,
i sous les auspices de Tisias, fut pris dans tes piéges et te paya
pour un livre sept cent cinquante drachmes3.
31. J'aurais encore beaucoup de choses à te dire je veux
bien t'en faire grâce. J'ajouterai seulement ce conseil persiste
dans la conduite qui t'agrée, et ne cesse pas de tourner contre
toi tes folles ivresses; mais pour l'autre affaire, renonces-y.
Foin de toi 1 ce serait une impiété d'inviter à sa table ceux qui
ont de pareilles mœurs, de leur présenter la coupe de l'amitié
et de toucher aux mêmes mets. Renonce encore à ces baisers
qui sont d'usage après les discours ou garde-les pour ceux
qui ont rendu depuis peu ta bouche néfaste. Et puisque j'ai
commencé à te donner des conseils d'ami, écoute encore celui-
ci cesse de parfumer tes cheveux blancs et ne t'épile qu'à une
seule place. Si tu as quelque maladie, il faut te soigner partout;
mais si tu n'as rien de particulièrement malade, à quoi bon
nettoyer, adoucir et polir ce qu'on ne doit pas voir? Tu es sage
en un point, c'est de garder tes cheveux blancs et de ne pas
les noircir. C'est un voile à ta lubricité. Conserve-les donc, au

1. TfuSv /njnocv, trois deux mois; àvrive/tix, au lieu de vijiis/ua, calma,


7ri'rXUCCL, je vole,
honace; izsta/j.Ktt vole, est usité,
usité, mais plutôt poésie qu'en
plutôt en poésie qu'en prose;
èx^uweiw, répandre, n'est pas usité on doit dire i*zeîv.
2. Corax et Tisias, Siciliens et premiers inventeurs de la rhétorique. Curax
était disciple de Tisias, qui lui avait promis de lui enseigner l'art de persuader.
Après un certain temps Tisias demande à son élève le prix de ses leçons.
'Celui-ci soutient qu'il ne doit rien. Le malire insiste l'élève répond que, puis-
qu'il ne peut persuader son maltre, l'art qu'il lui a enseigné est inutile, et qu'U
est quitte envers lui.
3 Près de 760 franc».
nom de Jupiter! du moins pour le moment; épargne aussi ta
barbe, ne la souille pas davantage, ne la couvre plus d'igno-
minie ou, si tu ne peux t'en empêcher, que ce soit durant la
nuit, dans les ténèbres, car pour le jour, fi donc! ce serait de
la sauvagerie, de la bestialité!
32. Tu vois combien il eût mieux valu pour toi de ne pas
troubler les eaux de Camarine et
de ne pas te moquer d"AraK>p«
qui va désormais apophraser ta vie entière. Te manque-t-il un
coup de pinceau? Autant qu'il est en moi, il ne te manquera
pas longtemps. Tu ne sais pas encore quel tombereautu as attiré
sur toi, fine poussière, vieux renard, toi qui devrais trembler
quand un homme à poil, ou, comme disaient nos aïeux, un
gaillard aux fesses noires, te regarde seulement d'un air sévère.
Tu ris peut-être de ces mots fine poussière et vieux renard; tu
crois entendre des énigmes et des logogriphes, car les noms
'mêmes de tes vices te sont inconnus. Voici donc une belle occa-
sion pour toi de calomnierces expressions, si 'AmrapiS; ne t'avait
payé au triple et au quadruple. Au surplus, ne t'en prends qu'à
toi; car, comme l'a dit le bel Euripide
Une bouche sans frein, sans règle et sans pudeur,
Nous entraîne à la fin au plus cruel malheur.

LXI

SUR UN APPARTEMENT
3,

1. Ainsi Alexandre, eut envie de se baigner dans le Cydnus 4,


en en voyant les eaux belles, transparentes, profondes sans
4. Lac situé en Sicile, près d'une'ville du même nom. Les habitants de
cette ville, voulant donner un écoulement à ses eaux, consultèrent l'oracle
d'Apollon, qui leur répondit Ne troublez pas les eaux de Camarine. Ils
désobéirent à l'oracle, travaillèrent à faire écoujer les eaux, dont la corruption
leur causa de violentes maladies. De. là est venu le proverbe M»! m'«i
Kx/J.C'.prJXV. » BZLIN DE BALLU.
2. Bacchantes, v. 385.
3. Wieland et Schmieder attribuent ce morceau à la jeunesse de Lucien.
4. Voy. notre Essaisur la légende d'Alexandrele Grahdtp. m
et suivantes.
danger, doucement rapides, agréables au nageur, fraîches pen-
dant l'été. Si bien que, quand il aurait pu prévoir la maladie
qui en fut la conséquence, il n'aurait pas, je crois, résisté au
plaisir de se plonger dans ce bain. De même, à la vue d'un ap-
partement vaste et magnifique, éclairé de la lumière la plus
pure, où l'or étincelle de toutes parts, où la peinture étale la
richesse de ses couleurs, quel est l'orateur de profession qui ne
désirerait y prononcer quelque discours, s'y faire applaudir,
s'y créer une réputation le faire remplir de danseurs, et
contribuer ainsi de tous ses moyens à l'embellir? Qui pourrait,
après un examen attentif de tant de merveilles, laisser ce lieu
muet, sans y faire entendre sa voix, sans lui adresser la parole,
sans converser avec lui? Il faudrait être privé soi-même de la
faculté de parler ou réduit au silence par l'envie.
2. Par Hercule ce ne serait pas agir en artiste, en homme
qui se passionne pour les chefs-d'œuvre il y aurait grossièreté,
lourdeur, absence totale de goût pour les arts, aveu de son in-
compétence en fait de beauté, éloignementbarbare pour tout ce
qui est grand, ignorance de ce principe que les hommes sans
culture ne peuvent pas juger de certains spectacles comme
ceux qui sont instruits. II suffit aux premiers d'ouvrir les yeux,
de jeter autour d'eux et de promener partout leurs regards, de
lever la tête vers la voûte, de remuer la main en signe d'appro-
bation, d'admirer en silence dans la crainte d'exprimer des sen-
timents qui ne soient point à la hauteur des objets dont ils sont
frappés. Mais l'homme instruit, qui considère cette vue admi-
rable, ne se contente pas de cette jouissance des yeux; il ne
reste pas spectateur muet de ces beautés; il essaye, de son
mieux, de s'en pénétrer et de les exprimer par une parole re-
connaissante,
3, Ici la reconnaissance ne consiste pas seulement dans l'é-
loge. Cela pouvait suffire à ce jeune insulaire' qui, frappé de
la beauté du palais de Ménélas, comparait à l'éclat des cieux
l'ivoire et l'or qu'il y voyait briller, comme s'il n'eût rien vu
d'aussi beau sur la terre. Mais prononcer un discours dans
cette demeure, y rassembler les auditeurs les plus distingués
pour y déployer son talent oratoire, c'est faire en partie son
éloge. Rien n'est plus agréable, à mon avis, que de voir l'appar-
tement le plus magnifique, où les louanges et les expressions
de la faveur se font entendre de toutes parts, s'ouvrir pour re-
cevoir nos discours, et qui, sonore comme les antres profonds

<. TOémaqde. Voy. Odyssée, IV, v. 74-


répète nos paroles, prolonge les derniers accents de la voix, re-
tarde la fin de chaque période ou plutôt, tel qu'un auditeur
dont la mémoire est facile, retient tout ce que l'on dit, fait l'é-
loge de celui qui parle, et lui paye ainsi le tribut littéraire de
sa reconnaissance. C'est ainsi que les rochers élevés répètent
les accords des flûtes pastorales; le son revient sur lui-même,
renvoyé par l'écho, tandis que le vulgaire croit que c'est une
jeune fille qui répond à ceux qui chantent ou qui crient, du fond
des rochers où elle habite et d'où partent les paroles qu'elle
envoie.
k. Il me semble que la magnificence de ces lieux élève le
génie de l'orateur; son éloquence s'éveille; il se sent inspiré
par ce spectacle. Presque toujours, en effet, la beauté passe
des yeux jusqu'à l'âme qui la prend pour modèle et la repro-
duit dans les discours. Gomment! nous croirions qu'Achille,
à la vue de ses armes redoubla de fureur contre les Phry-
giens, qu'à peineles eut-il revêtues pour les essayer, il se sentit
une nouvelle ardeur et des ailes pour les combats; et la beauté
de cette demeure n'enflammerait pas le génie de l'orateur? Il
suffisait à Socrate d'être assis à l'ombre d'un beau platane s, sur
un gazon fleuri, près d'une source limpide, voisine de l'Ilissus,
pour diriger la pointe délicate de son ironie contre Phèdre de
Myrrhine, en lui montrant les défauts du discours de Lysias,
fils de Céphalus. Il invoquait les Muses, convaincu qu'elles
viendraient en ce lieu solitaire lui prêter assistance dans ses
discussions sur l'amour. Il ne rougissait point, vieillard, d'in-
viter des vierges à prendre part à ces entretiens philopédiques.
Et nous ne croirons pas que les Muses viendront d'elles-mêmes
dans un si beau séjour?
5. On ne trouve pas seulement dans cette demeure l'ombrage
de la beauté d'un platane; quand même au lieu de celui de l'I-
lissus il s'agirait du platane d'or du grand roi s. Le prix élevé
seul de cet arbre causait de la surprise. Ni l'art, ni la beauté, ni
la justesse des proportions, ni l'élégance des formes ne rele-
vaient cette œuvre et se ne fondaient avec la richesse du métal
ce n'étaitqu'un objet fait pour des yeux barbares, un étalage d'or
capable d'exciter la convoitise des spectateurs et la vanité des
possesseurs.Du reste, rien qui méritât des éloges. Les Arsacides'

t. Iliade, XIX, T. <6.


S. Voy. le commencement da PUdn de Platon.
3. Hérodote, VII, xxvn. Ct. Bine, Bist. nat. XXX1I1, x.
t, Gesner fait observer qu Darius n'était point de la famille des Arsacides.
n'avaient aucun sentiment du beau; iîs ne montraient pas leurs
trésors pour charmer les yeux des hommes ni pour provoquer
leurs louanges, ils ne tenaient qu'à les frapper d'étonnement:
c'est le caractère des barbares; ils n'aiment pas ce qui est beau,
mais ce qui est riche.
6. La beauté de cette demeure n'est pas faite pour les yeux
d'un barbare; elle n'a ni le luxe insolent des Perses ni l'orgueil
de leur souverain elle veut pour spectateur non pas un pau-
vre, mais un connaisseur instruit, qui, dans ses jugements, con-
sulte autant sa raison que ses yeux. En effet, que cet apparte-
ment soit tourné vers la partie du jour la plus pure; or, il n'en
est pas de plus belle et de plus désirable que le point même où
le jour prend naissance; qu'il reçoive les premiers rayons éma-
nés du soleil; que, par ses portes ouvertes, il soit inondé de
lumière (exposition que les anciens choisissaient pour leurs
temples); que sa longueur soit proportionnée à sa largeur; que
son élévation réponde à l'une ou à l'autre; que les fenêtres
offrent un champ libre à la vue et soient tournées vers chaque
endroit du ciel où naît une saison comment ne pas trouver
tout, cela fort agréable et digne de nos éloges?
7. On doit encore admirer la beauté des plafonds, qui ne pré-
sentent aucune superfluité dans les ornements, aucune sur-
charge qui choque le goût, mais un emploi convenable et me-
suré de l'or, sans qu'on puisse reprocher d'avoir plaint le métal.
C'est ainsi qu'une femme belle et modeste se contente de porter
quelques bijoux propres à relever sa beauté, un collier mince
autour du cou, une bague légère au doigt, des pendants aux
oreilles, une agrafe, une bandelette qui arrête ses cheveux flot-
tants, sans ajouter à ses attraits d'autre parure que ce que la
pourpre en ajoute à uïi vêtement. Mais les courtisanes, surtout
celles qui sont laides, mettent une robe toute de pourpre, se font
le cou tout entier d'or, usent du luxe comme moyen de séduc-
tion, et suppléent par les ornements extérieurs à ce qui leur
manque de beauté. Elles s'imaginent que leurs bras seront plus
blancs, quand on y verra briller l'or; que la forme disgracieuse
de leur pied se perdra dans l'or de leurs sandales; que leur vi-
sage deviendra plus admirable quand il resplendira d'un éclat
emprunté. Voilà ce que font les courtisanes, mais la femme
pudique ne porte de l'or qu'autant qu'il convint et où il en
faut. Je crois même qu'elle ne rougirait pas de montrer sa beauté
toute nue.
8. Ainsi la voûte de cet appartement, ce qu'on en pourrait
appeler la tête, présente, sans autre parure, un aspect aimable
elle n'a d'or que comme le ciel embelli, pendant la nuit, d'étoiles
qui brillent de distance en distance, et fleuri de feux qui ne lui.
sent que par intervalles. Si, en effet, ces feux étincelaient de
toutes parts, loin que le ciel nous parût beau, il serait terrible,
Ici, au contraire, on voit que l'or n'est pas' inutile, ni répandu
parmi les autres ornements pour le seul plaisir do la vue; il
brille d'un éclat agréable et colore de ses reflets rouges l'appar-
tement tout entier. Lorsque la lumière vient à frapper cet or,
ils forment ensemble une clarté vive qui répand au loin la séré-
nité de ses rayons empourprés.
9. Telle est donc la beauté de ce faîte qu'il faudrait, pour le
louer, le talent d'un Homère, qui ne manquerait pas de l'appeler
un dôme magnifique comme la chambre d'Hélène ou., comme
l'Olympe, un séjour radieux s. Quant aux autres ornements,aux
peintures Ues murailles, à la richesse des couleurs, à la vivacité,
à la perfection et à la vérité du dessin, on peut les comparer au
printemps et à une prairie émaillée de fleurs; seulement, ces
fleurs se fanent, se dessèchent, se changent et perdent leur fraî-
çheur, tandis qu'ici le printemps est perpétuel la prairie tou-
jours fraîche, les fleurs éternelles, car là vue seule les touche
et cueille ce spectacle enchanteur.
10. Qui peut dès lors demeurer insensible à l'aspect de ces
beautésravissantes? Qui ne désire, même au delà de ses forces,
prendrela parole au milieu de ce séjour, surtout quand on sait
qu'il y a honte' à.rester au-dessous des objets, qu'on a sous les
yeux? La vue des beaux objets est, en effet, pleine de charmes;
l'homme n'est pas le seul être qui s'y montre sensible. Un cbe-
val, je crois, court avec plus de plaisir dans une plaine dont la
pente est douce et facile, dont le sol moelleux reçoit doucement
son pas, cède à la pressiondu pied et ne repousse point le sabot
qui le frappe? Il déploie alors toute sa vitesse, s'abandonneà son
élan et dispute de beauté avec le champ que ses pieds foulent.
11. Voyez le paon quand le printemps renaît il se promène
dans une prairie, lorsque les fleurs s'épanouissent non-seule-
ment plus agréables, mais, pour ainsi dire, plus fleuries, et
qu'elles brillent des plus vives couleurs; il ouvre ses ailes, les
déploie au soleil, élève sa queue, l'ouvre en forme de cercle, fait
admirer les fleurs dont il est lui-même paré, ainsi que le prin-

1 Voy. Odyssée, IV, y. { 21


2. Iliade, I, y. 532.
3. Cf. Dion Chrysoslome, xii" Discours; Oppien, De la chasse, H, v. b&j,
Buffon le Paon.
temps de ses plumes, et semble défier la prairie au combat de la
beauté. Il se tourne, il se pavane, il marche fier de sa splen-
dide parure, surtout au moment où il parait le plus admirable,
grâce aux reflets ondoyants de ses couleurs, sans cesse rem-
placées par des nuances qui prennent à chaque instant un nou-
vel éclat. Or, cet effet se produit particulièrement aux cercles
placés à l'extrémité de ses plumes, et dont chacun semble
formé des couleurs de l'arc-en-ciel. Ce qui était de l'airain,
au
plus'léger mouvement, devient de i'or, et le bleu céleste émané
du soleil, en passant à l'ombre, se change
en une teinte ver-
doyante ainsi le plumage de cet oiseau se transforme
par mille
jeux de lumière.
12. Le charme que la mer exerce sur nous, l'attrait par lequel
elle nous séduit, quand elle se déroule calme sous nos yeux, est
un fait que vous connaissez tous sans que je vous le dise. Il n'est
personne alors qui, malgré son amour pour la terre et son éloi-
gnement pour la navigation, ne soit prêt à s'embarquer, à
treprendre un voyage et à s'avancer loin du rivage, surtout en-
lorsqu'il voit un vent favorable enfler légèrement la voile et
le vaisseau glisser avec douceur et mollesse à la surface des
flots.
13. C'e3t ainsi que la beauté de cette demeure a le pouvoir de
nous engager à prononcer un discours, éveille l'éloquence et
inspire à l'orateur le désir des applaudissements. Pour moi, je
cède, ou plutôt j'ai cédé à ces attraits, et je suis
venu pour par-
ler dans ce séjour, séduit par une puissance magique les
charmes d'une sirène; et j'ai l'espoir que, si mes paroles par
ou
ne sont
pas belles par elles-mêmes, elles le paraîtront du moins, ornées
d'un si riche vêtement.
14. Cependant voici qu'un autre discours, qui n'a rien de mé-
prisable et qui se prétend plein de noblesse, s'est présenté à
esprit, pendant que je vous parlais, et s'est efforcé à plusieurs mon
reprises de m'interrompre; puis, maintenant que j'ai fini, il
élève la voix; il soutient que j'ai déguisé la vérité, et dit qu'il est
fort étonné que j'aie pu avancer que la beauté d'un appartement,
les peintures et l'or dont il est décoré, le rendaient plus
à faire briller le talent d'un orateur; car c'est précisément propre
le
contraire. Mais il vaut mieux, si vous le trouvez bon, que le dis-
cours se présentant lui-même devant vous, comme devant
juges, plaide sa propre cause, et qu'il établisse les raisons ses
lesquelles il se fonde, pour penser qu'une demeure simplesur et
sans beauté estplus favorableà l'éloquence. Vous m'avez entendu.
Je n'ai pas besoin de revenir une seconde fois
sur le même ob-
jet. C'est à présent mon adversaire qui parle je vais lui faire
place et je garde le silence.
15. c Citoyens juges, dit-il, l'orateur qui a parlé avant moi
prodiguéles plus grands éloges à cet appartement, et, si j'osea
te dire, il lui a donné par sa parole un nouvel éclat. Je suis
tellement éloigné de lui en faire aucun reproche, que je suis
prêt à suppléer aux louanges qui ont pu lui échapper; mais
plus cette demeure nous paraîtra belle, plus il sera démontré
qu'elle ne peut servir au dessein de celui qui veut y pronon-
cer un discours. Et d'abord, puisque mon adversaire a parlé des
femmes et de leurs parures d'or, permettez-moi d'employer la
même comparaison. Je soutiens qu'une riche parure, loin de
faire valoir la beauté d'une femme, s'oppose à son effet, attendu
que tous ceux qui la verront, éblouis de l'éclat de l'or et des
pierreries, au lieu d'admirer en elle la blancheur de son teint,
la vivacité de ses yeux, son cou, ses bras ou ses doigts, ne feraient
attention qu'à la sardoine, à l'émeraude, au collier ou auxbra-
celets en sorte que cette beauté pourrait justement s'offenser
de ce qu'on l'oublie, pour ne s'occuper que de ses ornements,
qui ne laissent pas aux spectateurs le temps de louer ses attraits,
et ne la font considérer que comme un accessoire de ce plaisir
des yeux.
16. « C'est aussi ce qui doit nécessairement arriver à celui
qui se hasarde à prononcer un discours au milieu de tant de
chefs-d'œuvre des arts. Ce qu'il dit est bientôt éclipsé par toutes
les beautés qui l'environnent l'éclat s'en amortit et s'en efface
comme celui d'une lampe qu'on placerait au milieu d'un grand
bûcher, et les paroles s'amoindrissent comme une. fourmi placée
auprès d'un éléphant ou d'un chameau. Un pareil théâtre est re-
doutable à un orateur. D'ailleurs, en parlant dans un lieu si
retentissanx et si sonore, la voix devient aisément confuse.
L'écho y renvoie les sons, les reproduit, les répète, ou plutôt il
couvre l'organe de l'orateur on dirait une trompette écrasant
les accords d'une flûte qui résonne avec elle, ou la mer étouf-
fant les accents des rameurs, lorsque, malgré le bruit des flots,
ils veulent manœuvrer en, chantant car un son plus fort l'em-
porte toujours sur un plus faible et le réduit au silence.
17. « Mon adversaire dit encore que la vue d'une demeure
magnifique anime le génie d'un orateur. C'est, .selon moi, l'in-
) verse qui a lieu elle étonne, elle effraye, elle trouble l'esprit,
et le rend d'autant plus timide qu'il sait que rien n'est plus hon-
teux que de faire entendre, dans un séjour rempli de beautés, des
discours qui ne lui ressembleraient pas. La faiblesse de son ta-
lentse montre plus à découvert. Ainsi, lorsqu'un homme revêtu
d'armes éclatantes prend la fuite le premier, la magnificence de
son armure rend sa lâcheté plus remarquable. L'orateur d'Ho-
mère 1 l'entendait bien ainsi, selon moi, lorsque,
peu soucieux
d'avantages personnels, il prend l'attitude d'un homme simple
et sans expérience, afin que la beauté de ses discours devienne
plus frappante, comparée avec sa propre laideur. D'un autre
côté, il n'est pas possible que l'imagination de celui qui parle
dans un lieu richement décoré ne soit pas continuellement oc-
cupée de tout ce qu'il voit cet éclat le ravit, l'entraîne et le
distrait de ce qu'il dit. Comment pourrait-il bien parler, lorsque
son âme est entièrement occupée à faire l'éloge de tout ce qui
frappe ses regards ?y
18. « J'oubliais de dire que les assistants engagés à venir
entendre ce discours, en entrant dans un séjour si magnifique,
au lieu d'auditeurs deviennent spectateurs. Il n'est point de Dé-
modocus, de Phémius, de Thamyris, d'Amphion, ni d'Orphée",a,
qui puissent les distraire d'un pareil spectacle. A peine chacun
d'eux a-t-il franchi le seuil, qu'environné d'une foule de mer-
veilles, il oublie qu'il doit entendre un discours et n'a nullement
l'air de quelqu'un qui écoute. Il est tout entier aux objets qu'il
aperçoit, à moins qu'il ne soit absolument aveugle ou que la
séance ne se tienne durant la nuit, comme celles de l'Aréopage.
19. « En effet, que le charme du langage soit bien loin d'avoir
la même puissance que celui de la vue, c'est ce que prouve ai-
sément la fable des Sirènes comparée à celle des Gorgones. Les
premières séduisaient et retenaient par leurs chants flatteurs
les matelots engagés dans leurs parages; mais il fallait quelque
temps pour que le charme opérât, et jadis un héros passa auprès
d'elles sans prêter l'oreille à leurs accents. La beauté des Gor-
gones exerçait un empire bien plus terrible elle pénétrait jus-
qu'aux ressorts mêmes de l'âme leur vue seule jetait le spec-
tateur hors de lui, le rendait muet de surprise, et, comme le
disent la fable et la tradition, le transformait en pierre. Le ta
bleau que mon adversaire vous a tracé du paon est tout entier,
je crois, à mon avantage. C'est son. aspect qui enchante, et non
sa voix. Que l'on mette à côté de lui un rossignol ou un cygne,
qu'on les fasse chanter, tandis que le paon, silencieux, déploiera
les richesses de son plumage, je suis certain que l'âme des
spectateurs passera bientôt à lui, et dira un long adieu aux

t. Voy. Iliade, III, v. 217.


2. Voy. ces mots dans le Dict. de Jacohi
chants de ses rivaux tant il y a un charme irrésistible dans les
plaisirs des yeux
20. « Je vais, si vous le désirez, vous en fournir pour témoin
un homme plein de sagesse, qui vous attestera que ce que l'on
voit cause une impression plus profonde que ce qu'on entend.
Héraut, appelle ici Hérodote d'Halicarnasse, fils de Lyxus Le
voici fort à propos; qu'il paraisse devant vous et qu'il fasse
deposition. Permettez-lui seulement d'employer, selon sa
son ha-
bitude, le dialecte ionien « Ce qu'on vous dit, ô juges, est très.
vrai croyez-en celui qui vous dit que la vue'est préférable à
l'ouïe les oreilles, en effet, sont plus infidèles que les yeux3.»
Vous venez d'entendre le témoin il assigne le premier rang àH
la vue, et il a raison. Les paroles sont ailées, elles volent et
disparaissent au sortir de la bouche. Mais le plaisir des yeux est
permanent et durable; il pénètre profondémentle spectateur.
21. « Comment, en effet, ne pas convenir que c'est un rude
adversaire pour un orateur qu'une demeure aussi belle, aussi
admirable? Je n'ai point encore dit ce qui me paraît la preuve
la plus convaincante. Vous-mêmes, juges, tandis que je parle,
vous levez les yeux vers la voûte, vous admirez les peintures
qui décorentles murailles, vos regards passent de l'une à l'autre.
N'en rougissez pas on ne peut vous faire un crime de suivre
un penchant si naturel à l'homme, surtout quand les sujets de
la curiosité sont aussi beaux, aussi variés. La perfection de l'art
et l'exactitude avec laquelle ces histoires sont représentées,
offrent à la fois une histoire instructive des faits antiques et
un plaisir réel, qui ne peut être bien goûté que par des specta-
teurs lettrés. Or, afin que vous ne m'abandonniez pas tout à
fait pour fixer vos regards sur ces tableaux, je vais essayer de
vous les décrire. Peut-être aurez-vous quelqueplaisir à entendre
ce que vos yeux ne^se lassent point d'admirer; peut-être ac-
cueillerez-vous cette description avec faveur, et m'accorderez-
vous la préférencesur mon adversaire, puisque, tout en faisant
preuve de talent, j'aurai doublé votre plaisir. Considérez toute-
fois et la difficulté et ma hardiessed'essayer sans couleurs, sans
poses, et sans cadre, le dessin de tant d'images on ne peut
faire qu'une légère esquisse au moyen, du langage.
22. A droite, en entrant, l'histoire d'un héros d'Argos est
unie une aventure éthiopienne. Persée tue le monstre marin
à

i Cf. Horace Art poétique, v. i 80 et suivants.


2. C'est l'illustre historien.
3. Voy. Hérodote, 1, vm.
et délivre Andromède, pour l'épouser et l'emmener avec lui.
C'est un épisode de sa lutte aérienne contre la Gorgone L'ar-
tiste a exprimé beaucoup de choses dans un espace étroit, la
pudeur et la crainte de la jeune fille qui assiste au combat du
haut du rocher, le courage que l'amour inspire au jeune homme,
l'aspect effrayant du monstre invincible, hérissé de dards, ou-
I vrant une gueule énorme. Persée de la main gauche lui pré-
I sente la tête de la Gorgone, et de la droite il le frappe avec son
i épée. Toute la partie du monstre qui a vu la Gorgone est déjà
pétrifiée, et ce qui reste de vivant expire sous le glaive recourbé.
23. « A la suite de ce tableau, il y en a un autre qui représente
une juste vengeance. Le peintre s'est inspiré, pour le sujet,
d'Euripide ou de Sophocle car ces deux poëtes ont retracé la
même scène. Deux jeunes amis, Pylade de Phocide et Oreste,
que l'on croyait mort, arrivent tous deux en secret dans le pa-
lais d'Agamemnon, et tuent Égisthe. Déjà Clytemnestre est im-
molée, et son corps à moitié nu est étendu sur un lit. Tous les
esclaves, frappés d'effroi, poussent des cris ou cherchent par où
fuir. C'est une belle idée de l'artiste de n'avoir fait qu'indiquer
ce qu'il
y*a d'impie dans cette scène de meurtre, et d'avoir re-
présenté les deux jeunes gens occupés au meurtre de l'adul-
tère'.
24. «Plus loin, c'est un dieu d'une beauté parfaite et un
jeune homme charmant le sujet indique un divertissement
amoureux. Branchus, assis sur une pierre, présente un lièvre
à son chien et joue avec lui. Le chien semble s'élancer pour sai-
sir le gibier. Apollon est là qui sourit et s'amuse des jeux du
jeune homme et des efforts du chien.
25. «. Ensuite on retrouve Persée accomplissant les exploits
qui précèdent le meurtre du monstre on lui voit trancher la
tête de Méduse*, et Minerve le couvrir de son égide. Il a exécuté
ce trait hardi, mais il n'en a vu l'objet que dans le bouclier de
la déesse où se réfléchit l'image de la Gorgone, car il savait ce
qu'il en coûtait pour la regarder réellement.
26. <r Au milieu de la muraille, de l'autre côté de la porte, est
un édicule consacré à Minerve la déesse est de marbre blanc;
elle n'a pas un costume guerrier, mais celui qui convient à une
déesse belliqueuse, qui demeure en paix.
27. « Vient ensuite une autre Minerve ce n'est pas une sta-

< PMfyatrM, d'Eschyle


<. Cf. Philopatris, DM~M marin.
8, et te xiv* Dialogue HMrut.
2. Voy. les tragédies d'Eschyle et de Sophocle.
3. Vov. ce mot dans le Dict. de Jacobi. Cf. Lactance,Dit. inst., I, xvu.
tue, mais une peinture Vulcain amoureux la poursuit elle
fuit, et c'est de cette poursuite que naît Ërichthon.
28. <t Le tableau qu'on trouve après représente aussi une
ancienne fable. C'est Orion aveugle, portant sur ses épaules Cé-
daiion qui le dirige du côté de la lumière.
29. « Le Soleil se lève, guérit la cécité d'Orion, et Vulcain
assiste à cette scène de son île de Lemnos
30. « Plus loin, Ulysse contrefait l'insensé pour ne pas ac-
compagner les Atrides dans leur expédition. Les ambassadeurs
l'invitent à partir. Tous les détails de cette folie simulée sont
parfaits, la charrue, la bizarrerie de l'attelage, l'ignorance de ce
qui se passe il est trahi par sa tendresse pour son petit enfant.
Palamède, fils de Nauplias, soupçonnant la vérité, saisit Télé-
maque et menace de le tuer il tient son épée nue, et oppose
une fureur feinte à cette folie prétendue. Le péril de son fils
rappelle Ulysse au bon sens, il redevient père et laisse de côté
toute dissimulation.
31. « Médée est le sujet du dernier tableau. Elle paraît en-
flammée de jalousie, jette un regard sombre sur ses enfants et
semble méditer quelque desseinterrible elle tient déjà son épée
les deux pauvres petits sont devant elle ils rient et ne se doutent
de rien, quoiqu'ils voient l'épée entre les mains de leur mère.
32. « Ne.voyez-vous pas, citoyens juges, comme ces objets
charment tous les auditeurs, comme ils attirent leurs yeux!
L'orateur va bientôt rester seul. Et cependant, si je vous parle
ainsi, ce n'est pas pour que vous taxiez mon adversairede témérité
et d'audace, pour s'être jeté de lui-même dans une entreprise si
périlleuse, ni pour que vous le condamniez avec un sentiment
de haine et en l'abandonnant au milieu de son discours. Je veux,
au contraire, que vous le secondiez de tout votre pouvoir, en
fermant, s'il se peut, les yeux, afin de mieux l'entendre, et en
songeant aux difficultés de sa tâche. Il lui serait, en effet, im-
possible, lors même qu'il ne vous aurait pas pour juges, mais
pour alliés, de ne pas paraître au-dessous de cette magniâque
demeure. Et si je vous fais cette demande pour un adversaire,
n'en soyez pas surpris l'amour que ce séjour m'inspire, me
fait souhaiter que celui qui vient y parler, quel qu'il soit, y re-
cueille des applaudissements. »

I On peut voir cette fable détaillée dans les Catastérismesd'Ératosthène,


chap. xxxa.
LXII

EXEMPLES DE LONGÉ flTÉ*

1. Unsonge, illustre Quintillus 2, m'a donné l'ordre de com-


poser l'ouvrage que je vous offre, et qui a pour titre Exemples
de longévité. Ce songe me vint il y a plusieurs années, lorsque
vous donniez un nom à votre second fils, et je le racontai à mes
amis. Mais ne pouvant deviner quels étaient ces vieillards que
les dieux m'ordonnaient de vous offrir, je les priai, pour le mo-
ment, de vous accorder les plus longs jours possible, à vous et
à vos enfants, persuadé qu'une pareille faveur serait avanta-
geuse à l'humanité tout entière, et, par suite, à moi ainsi qu'à
tous les miens. En effet, le dieu semblait m'annoncer à moi-même
une heureuse fortune.
2. Après quelques réflexions, il m'est venu dans l'idée que les
dieux, en donnant un pareil ordre à un homme occupé de belles-
lettres, voulaient probablement que je vous offrisse un essai de
mon art. Or, le jour de votre naissance étant à mes yeux le plus
sacré de tous, je l'ai choisi pour vous présenter le tableau des
hommes qui, selon le témoignage de l'histoire, sont parvenus à
une extrême vieillesse en conservant la santé de l'âme dans un
corps exempt d'infirmités. Cet opuscule vous procurera un
double avantage d'une part, le désir et le doux espoir de vivre
encore de longues années; et, de l'autre, un enseignementfondé
sur de nombreuxexemples, quand vous verrez que les hommes
qui ont entretenu la vigueur de leur corps et de leur esprit par
un exercice modéré sont parvenus à la vieillessela plus reculée,
en jouissant d'une parfaite santé.
3. Nestor, le plus sage des Grecs, avait vu passer trois géné-
rations, s'il faut en croire Homère*, qui nous le représente tou-
jours occupé des plus nobles exercices de l'esprit et du corps.

Mlji a quelques doutes sur l'authenticité de cet opuscule.


2. Dusoul croit que c'est a l'un des deux frères Quinlillus, gouverneurs de
la Grèce, que Lucien a dédié son ouvrage.
3. Iliade,I, T. 360.
Le devin Tirésias, d'après les poëtes tragiques, prolongea sa
carrière jusqu'à six générations. Il est assez à croire, en effet.
que Tirésias, consacré au culte des dieux et usant a un bon ré-
gime, vécut pendant très-longtemps.
4. On cite des classes tout entières parmi les hommes dont la
vie se prolonge à cause du régime qu'ils observent tels sont,
cnez les Égyptiens, les hommes qu'on appelle écrivains sacrés
cnez les Assyriens et chez les Arabes, les interprètes des mythes
religieux; chez les Indiens, les Brachmanes, occupés sans re-
lâche à l'étude de la philosophie; tels sont encore ceux qu'on
appelle mages, race d'hommes prophétique et consacrée aux
dieux chez les Perses, les Parthes, les Bactriens, les Choras-
miens, les Aries, les Saces, les Mèdes et plusieurs autres peu-
ples barbares ils jouissent tous d'une bonne santé et vivent
longtemps, parce que, pour exercer la magie, ils observent un `
régime sévère.
5. Il y a, de plus, des peuplesentiers dont la vie est fort lon-
gue ainsi, l'on prétend que les Sères vivent jusqu'à trois cents
ans. Quelques auteurs attribuent cette longue vieillesse au cli-
mat d'autres à la nature du sol, d'autres enfin à la nourriture
de ces nations. On dit, en effet, qu'elles ne boivent que de l'eau.
Nous lisons, dans l'histoire, que les habitants du mont Athos'
vivent cent trente ans, et l'on dit communémentque les Chal-
déens poussent leur carrière au delà de cent ans ils ne se nour-
rissent que de pain d'orge, qui est; dit-on, excellent pour conser-
ver la vue. On prétend même que, par ce régime, tous leurs sens
acquièrent une délicatesse supérieure à celle des autres hommes
6. Ceci, toutefois, ne s'applique qu'à certaines classes ou à
certains peuples, dont la longue vie semble l'effet de la nature
du sol et du climat, ainsi que du régime, et peut-être même de
ces deux causes réunies; Mais il me semble que le moyen le plus
facile de vous faire concevoir une espérancelégitime, c'est de vous
montrer que, dans tous les pays, sous toutes les températures,
on a vu parvenir à une extrême vieillesse les hommes qui s'a-
donnaient à des exercices raisonnables et qui observaient le ré-
gime le plus propre à entretenir la santé.
7. Je diviserai ce discours suivant les différentes professions
des hommes, et je citerai d'abord les rois, les chefs d'armée, et,
parmi eux, notre grand et auguste empereur3, élevé par la for-

I. Parce qu'ils transcrivaient les livres mystérieuid'Isis et d'Osiris.


2. Cf. Élien, Hist. div., IX, x, et Pline l'Ancien, VU, a.
8. Marc Aurèle.
tune au rang suprême, pour le bonheur de l'univers soumis à
ses lois. En jetant les yeux sur ces vieillards, auxquels vous res-
semblez par votre condition et votre fortune, vous pourrez plus
facilement vous flatter d'arriver à une vieillesse heureuse et re-
culée, et, en les imitant, vous vous préparerez une longue vie et
une brillante santé par un régime salutaire.
8. Numa Pompilius, le plus heureux des rois de Rome et le
plus dévoué au culte des dieux, vécut, dit-on, plus de quatre-
vingts ans. Servius Tullius, égalementroi de Rome, vécut aussi,
dit-on, au delà du même nombre d'années. Tarquin, le dernier
roi de Rome, chassé de ses Etats et retiré à Cumes, parvint, dit-
on, 'àplus de quatre-vingt-dixans, avec une excellente santé.
9. A ces rois de Rome je joindrai les autres souverains qui
sont parvenus à une extrême vieillesse je dirai leur manière de
vivre, et je terminerai cette énumération par celle des particu-
liers, soit Romains, soit habitants du reste de l'Italie, qui ont
fourni une longue carrière. Le meilleur moyen de réfuter ceux
qui décrient la température de ce pays, c'est l'histoire. Nous en
concevrons, d'ailleurs, une espérance mieux foadée de voir nos
vœux accomplis et le souverain maître de la mer et de la terre
jouir d'une longue et belle vieillesse, quoiqu'il ne soit parvenu
au trône que dans un âge avancé.
10. Arganthonius, roi de Tartesse, vécut cent cinquante ans,
suivant Hérodote et le poëte Anacréon1. Cependant, quelques
uns regardent cette assertion comme fabuleuse. Agathocle, ty
ran de Sicile, mourut âgé de quatre-vingt-quinze ans, selon le
témoignage de Démocbarès et Timée Hiéron, tyran de Syra-
cuse, mourut de maladie, à l'âge de quatre-vingt-douze ans,
après en avoir régné soixante-dix-sept, ati dire de Démétrius de
Calatis'et d'autres écrivains. Atéas, roi des Scythes, âgé de
plus de quatre-vingt-dix ans, fut tué en combattant contre Pbi-
lippe, sur les bords de l'Ister. Bardylis, roi des Illyriens, dans
un âge aussi avancé, combattaità cheval, dans la guerre qu'il
soutint contre le même Philippe. Térès, roi des Odryses, mou-
rut à quatre-vingt-douzeans, suivant Théopompe 4.
Il. Antigène le Borgne, fils de Philippe et roi de Macédoine,
combattant en Phrygie contre Séleucus et Lysimaque, tomba

4. Hérodote, I; Anacréon, Fragments; Cf. Valère Maxime, VIII, xiv.


2.Sur ces deai historiens, voy. Vossius Historiens grecs, p. J03, H 15, 6"
35, édition Westermann.
3 Voy. Vossius, p. 426.
Ib,, p. 40.
couvert de blessures, à l'âge de quatre-vingt-un,ans, ainsi que
le rapporte Hiéronyme qui l'accompagnaitdans cette expédi-
tion. Antigone, fils de Démétrius, et petit-fils d'Antigone le Bor-
gne, régna quarante-quatre ans sur les Macédoniens et en vé-
cut quatre-vingts, comme l'affirment Médius et
d'autres
historiens. Antipater, fils d'Iolaus, qui eut un pouvoir si étendu
et fut le tuteur de plusieurs rois de Macédoine, mourut âgé de
plus de quatre-vingts ans. i
12. Ptolémée, fils ae Lagus, le plus heureux de tous les rois
de son époque, régna jusqu'à l'âge de quatre-vingt-quatre ans:
deux ans avant sa mort, il céda son trôné à son fils Ptolémée,
surnommé Philadelphe qui, seul de ses frères, hérita du trône
paternel. L'eunuque Philétaire' fonda le premier l'empire de
Pergame, et le conserva toute sa vie, c'est-à-dire jusqu'à à l'âge
de quatre-vingts ans. Attale, surnommé Philadelphe, qui fut
aussi roi de Pergame, et auprès duquel se rendit Scipion, géné-
ral des Romains, mourut à quatre-vingt-deux ans.
13. Mithridate, roi de Pont, surnommé le Fondateur, fuyant
devant Antigone le Borgne, mourut dans son royaume à quatre-
vingt-quatre ans, s'il faut en croire Hiéronyme et d'autres écri-
vains. Ariarathe, roi-de Cappadoce, vécut quatre-vingt-deux
ans, d'après Hiéronyme il aurait pu vivre encore davantage,
puisqu'il fut mis en croix après avoir été pris dans un combat
contre Perdiccas.
14. Cyrus l'Ancien, roi de Perse, suivant le témoignage des
cippes de Perse et d'Assyrie, avec lesquels s'accorde Onési-
erite auteur d'une histoire d'Alexandre, se voyant parvenu à
l'âge de cent ans, fit rechercher tous ses amis. Mais ayant
appris que Cambyse, son fils, en avait' fait périr le plus
grand nombre, et prétendait ne l'avoir fait que sur l'ordre de
son père, Cyrus pénétré de douleur de se voir décrié par la
cruauté de son fils, et de remords de ses propres crimes, mou-
rut de chagrin.
15. Artaxerxès, surnommé Mnémon, roi de Perse, auquel son
frère Cyrus fit la guerre, mourut de maladie à l'âge de quatre-
vingt-six ans ou de quatre-vingt-quatorze, suivant l'historien

4. Voy. Vossius, Historiens grecs, p. 99. Cf. Diodore de Sicile, XVIII, t..
2. /«., p. 97.
3. Voy.,pour l'intclligeaee de ce passage, le Xill" livre de Strabon, ou la
note de Belin de Ballu t. [V, p. 346 de sa traduction de Lucien.
4. Voy. Robert Gcicr, 4l"X<<lri Ma^ni luslo, liaritm itriptwei senne mf-
pwef,$- 74-408,
Dinon Un autre Artaxerxès, égalementroi de Perse, et qui,
d'après Isidore de Charax', régnait sur les aïeux de cet histo-
rien, après avoir vécu quatre'-vingt-treizeans, périt dans une
embûche que lui dressa son frère Gosithras. Sinatroclès, roi
des Parthes avait déjà quatre-vingts ans, lorsque les Scythes
Sacauraces le ramenèrent dans sa patrie et qu'il monta sur le
trône; il régna encore Sept années. Tigrane, roi d'Arménie, ce-
lui contre lequel Lucullus fit la guerre, avait quatre-vingt-cinq
ans lorsqu'il mourut de maladie.
16. Hyspasinès roi de Charax et des pays voisins de la mer
Erythrée mourut égalementde maladie à l'âge de quatre-vingt-
cinq ans. Térée le troisième successeur d'Hyspasinès, mourut
de la même manière dans sa quatre-vingt-douzième année. Ar-
tabaze, septième roi de Charax après Térée, ramené dans sa
patrie par les Parthes, monta sur le trône et l'occupa jusqu'à
l'âge de quatre-vingt-six ans, et Mnascirès, roi des Parthes,
n'en vécut pas moins de quatre-vingt-seize.
17. Massinissa, roi de Mauritanie, parvint à quatre-vingt-
dix ans 5. Âsander, que le divin Auguste, au lieu d'ethnarque,
créa roi du Bosphore, avait alors à peu près quatre-vingt-dix
ans et ne le cédait en vigueur à personne pour combattre soit
à pied, soit à cheval. Voyant ses principaux sujets l'abandon-
ner et passer dans le parti de Scribonius il se priva de nour-
riture, et mourut volontairement dans sa quatre-vingt-trei-
zième année. Goésus, qui, du temps d'Isidore de Charax, régnait
sur les Omaniensdans le pays des parfums, vécut, dit Isi-
doré, cent quinze ans et mourut de maladie.
18. Les philosophes et les gens de lettres qui ne négligent
pas leur santé parviennent assez ordinairement à une vieillesse
reculée. Je vais faire ici le dénombrement de ceux dont l'his-
toire a consacré le souvenir. Je commence par les philosophes ».
Démocrite d'Abdère, âgé de cent quatre ans, se laissa mourir
de faim. Le musicien Xénophile philosophe pythagoricien,
vécut à Athènes, dit Aristoxène, au delà de cent cinq ans. So-

t. Voy. Vossius, p. 68, 283, 20. Cf. Robert Geier, p. 151.


2. Voy. Vossius, p. 89, 107. Charax était une ville marchande située dans
le golfe de Nicomédie.
3. Cf. Pline l'Ancien VII, xlviii, et Valère Maxime,V, n VIII, xiv.
4. a Peuples de l'Arabie Heureuse, dont la ville principale s'appelait Omana
Lucien ajoute dans le pays ou croissent les parfums, afin de distinguer ces
Omaniens de ceux qui habitaient une autre Omana, située dans la Caïman le.
au delà du golfe Persique. » litr.m de Bahu.
a. CI', Diogéne de Laèïle,
Ion, Thalès et Pittacus, que l'on compte au nombre des Sept
sages, vécurent chacun cent années.
v- 19. Zénon, le chef de l'école stoïcienne, vécut quatre-vingt-
dix-huit ans. Un jour qu'il se rendait à l'assemblée, il fit, dit-
on, un faux pas, tomba et s'écria « Pourquoi m'appelles-tu? »
De re:our dans sa maison, il s'abstint de nourriture, 9t mourut
volontairement. Cléanthe disciple de- Zenon, avait quatre-
vingt-dix-neuf ans, lorsqu'il lui survint une excroissance à la
lèvre de ce moment il résolut de se laisser mourir de faim
mais, ayant reçu des lettres de quelques-uns de ses amis, il
prit de la nourriture pour faire ce dont on l'avait prié; après
quoi, il s'abstint encore de manger et termina ses jours.
20. Xénophane, fils de Dexinus et disciple d'Archélaüs le phy-
sicien, vécut quatre-vingt-onze ans; Xénocrate disciple de
Platon, en vécut quatre-vingt-quatre; Carnéade, le fondateur
de la nouvelle Académie, quatre-vingt-un; Diogène de Séleucie,
philosophe stoïcien,, quatre-vingt-huit; Posidonius d'Apamée,
citoyen de Rhodes en vertu d'un décret public, historien et
philosophe, quatre-vingt-quatre,et Critolaüs le péripatéticien,
plus de quatre-vingt-deux.
21. Le divin .Platon mourut à quatre-vingt-un ans. Athéno-
dore, fils deSandon, de Tarse, stoïcien et précepteur de César
Auguste qui, par égard pour lui, exempta d'impôts la ville de
Tarse, termina ses jours dans sa patrie, à l'âge de quatre-vingt-
deux ans. Ses concitoyens lui décernèrent, après sa mort, des
honneurs annuels comme à un héros. Nestor le stoïcien, éga-
lement de Tarse, précepteur de Tibèré César, vécut quatre-
vingt-douze ans, et Xénophon, fils de Gryllus plus de quatre-
vingt-dix.
22. Tels sont les philosophesles plus illustres, qui ont fourni
une longue carrière. Parmi les historiens9, Ctésibius mourut,
en se promenant, âgé de cent vingt-quatreans suivant le té-
moignage dApollodore dans ses Chronique,s. Hiéronyme, qui
avait passé sa vie d ins les camps, supporté des fatigues sans
nombre et reçu plusieurs /blessures vécut cent quatre ans
au dire d'Agatharchide qui avance ce fait dans le neuvième
livre de son histoire d'Asie. Il témoigne en même temps son
admiration pour cet homme qui, jusqu'à son dernier jour, con-
serva sa lucidité dans les conversations, la plénitude de ses
tacultés^t une santé robuste qui ne le cédait à personne, Hella-
4 C'est l'éminenthistorien.
2. Po îr tous ces historiens voy. Vossius.
nicus de Lesbos et Phérécyde de Scyros vécurent l'un et l'autre
quatre-vingt-cinq ans. Timée de Tauroméniumparvint quatre-
vingt-treize Aristobule de Cassandrée dépassa quatre-vingt-
dix. Il était dans sa quatre-vingt-septième année, lorsqu'il
commença le quatrième livre de son histoire, ainsi qu'il le dit
lui-même dans son préambule. Polybe de Mégalopolis fils de
Lycortas, en revenant de la campagne, tomba de cheval, et
mourut à quatre-vingt-deux ans d'une maladie causée par cette
chute. Hypsicrate d'Amisène, historien versé dans une foule
de connaissances, vécut quatre-vingt-douze ans.
23. Parmi les rhéteurs, Gorgias, que l'on appelle le sophiste.
se laissa mourir de faim à cent huit ans. On lui demandait un
jour à quoi il fallait attribuer cette longue et heureuse vieil-
lesse, eu il conservait l'usage de tous ses sens; il répondit que
c'était parce que jamais il ne s'était laissé entraîner aux festins
des autres. Isocrate composa son panégyrique à l'âge de quatre-
vingt-seize ans, et, à l'âge de quatre-vingt-dix-neuf, apprenant
que les Athéniens venaient d'être vaincus par Philippe à Ché-
ronée, il prononça en soupirant ce vers d'Euripide qu'il s'appli-
quait à lui-même
Cadmus abandonna la ville de Sidon
ajouta.que la Grèce allait devenir esclave, et sortit de la vie.
Le rhéteur Apollodore de Pergame, précepteur de César Auguste,
dont il fit l'éducation avec Athénodore de Tarse, vécut, comme
ce dernier, quatre-vingt-deux ans; et Potamon, rhéteur assez
célèbre, en vécutquatre-vingt-dix.
24. Sophocle, l'auteur de tragédies, mourut à quatre-vingt-
quinze ans, étouffé par un grain de raisin sec. Quelque temps
avant sa mort, il fut accusé de démence par son fils Iophon
pour montrer quelle était encore la santé de son esprit dans le
genre dramatique, il lut aux juges un fragment de son OEdipe
à Colone. Cette pièce frappa les auditeurs d'une si vive admira-
tion, qu'ils condamnèrent le fils du poète comme étant lui-
même insensé.
25. Le poëte comique Cratinus vécut quatre-vingt-dix-sept
ans; peu de jours avant sa mort, il fit représenter saPytiné, et
fut déclaré vainqueur. Philémon ne vécut pas moins que Cra-
tinus. Un jour qu'il était assis tranquille sur son lit, il aper-
çoit un âne mangeant des figues qu'on lui avait préparées. Il
se met à rire, et, appelant un esclave, il lui ordonne de présen-

I Plirixus Fragments.
ter du vin à boire à cet âne. En même temps il rit avec tant de
force, qu'il meurt étouffé. Épicharme poëte comique, vécut
aussi quatre-vingt-dix-sept ans.
26. Le chansonnier Anacréon vécut quatre-vingt-cinq ans le
poëte lyrique Stésichore, le même nombre d'années, et Simo-
nide de Céos quatre-vingt-dix ans.
27. Parmi les grammairiens, Ératosthène de Cyrène, fils
d'Aglaüs, qui non-seulement mérita le nom de grammairien,
mais que l'on pourrait encore appeler poëte, philosophe et géo-
mètre, vécutquatre-vingt-deux'ans.
28. On raconte enfin que Lycurgue, le législateur de Sparte,
en vécut quatre-vingt-cinq.
29. Tels sont les rois et les savants dont j'ai pu recueilli!
les noms. A l'égard des Romains et des autres habitants de l'Ita-
lie, parvenus à un âge avancé, et dont j'ai promis de vous
dresser la liste, si les dieux le permettent, vénérable Quintil-
lus, je vous les offfrirai dans un autre discours

LXIII

ËLOGE \\E LA PAÏRIE*.

1. Rien n'est plus, doux que la patrie, dit un commun pro-


verbe3. Est-il, en effet, rien de plus aimable, de plus auguste, de

divin et auguste, tel


plus divin? Seulement, tout ce nie les hommes regardent comme
qu'en\-aison de la patrie, cause et mai-
tresse-souveraine, qui donne à,haoun la naissance, la nourri-
ture «t4'éduçation.On peut admj\ er la grandeur, la beauté et la

1 « Ce second discours, si Lucien l'a composé,n'est point parvenu jusqu'à


nous. A cellé,Ju.ste.de philosophes qui onl fourni une heureuse ei longue car-
rière on' peut ajouter Lucleniùi-meme, ême, que l'on assure avoir vécu plus de
0 ir Y6eu plus Oe
quatre-vingts ans. » Seum de B,h.i.d.
•2. On a contesté l'authenticité de cet opuscule. Wieland ne doute pas qu'il
ne soit de Lucien. Suivant le témoignagede cet illustre critique, ce serait une
improvisation, faite par Lucien déjà vieui et ''de retour à Samosale,après ses
longues coursée dans l'empire romain.
3. Voy. Homère, Odyssée, IX, v. 34. Cf. Euripide, Phéniciennes,v. 4O'J
magnificence des autres cités; mais on ne chérit que celle où
l'on a reçu le jour; et, de tous les voyageurs qu'entraîne le plai-
sir de voir un spectacle agréable, il n'en est aucun qui se laisse
séduire par les merveilles qu'il trouve chez les autres peuples,
au point d'oublier entièrement le lieu de sa naissance.
2. Quiconque se fait gloire d'être citoyen d'une ville fortunée
ignore, ce me semble, quel est le véritable hommage qu'on doit
rendre à la patrie; il montre qu'il serait fâché que le ciel l'eflt
fait naître dans des lieux moins célèbres. Pour moi, je pense
j que c'est le nom même de notre patrie que nous devons honorer.
I Si l'on veut comparer une ville à une autre, on examinera leur
| étendue, leur beauté, l'abondance dont elles jouissent; mais, s'il
faut faire un choix, personne ne préférera la cité la plus bril-
k lante à sa patrie. 11 pourra bien souhaiter qu'elle égale en opu-
| lence les villes les plus riches; mais, telle qu'elle est, elle' sera
toujours l'objet de ses vœux.
3. Ce sont aussi là les sentiments des enfants vertueux et des
bons pères. Un jeune homme vertueux ne préfère personne à
[ son père; un bon père n'abandonne pas son fils pour un étran-
ger. Tous les pères, au contraire, sont tellement esclaves de leur
tendresse paternelle, qu'ils croient toujours leurs enfants plus
beaux, mieux faits, mieux doués que tous les autres. Quiconque
ne juge pas ainsi des siens n'a pas, à mon avis, des yeux de père.
f 4. Le nom de la patrie est donc le premier qui retentisse à
nos oreilles, celui qui leur devient le plus familier; car il n'y a
rien de plus familier que le nom d'un père. Or, témoigner en-
vers un père le juste respect que commandent les lois et la
nature, c'est rendre à la patrie l'hommage qui lui est dû un
père, en'effet, est une dépendance de la patrie, ainsi que le père
de ce père; et toute la ligne ascendante d'aïeux, en en faisant re-
monter le nom jusqu'aux dieux paternels.
5. Les dieux eux-mêmes aiment leur ,patrie; leurs yeux, il
est vrai, en embrassant l'univers et l'ensemble des choses hu-
maines; regardent comme leur domaine et la terre et les mers
mais la ville où chacun d'eux a pris naissance est plus chère à
leurs coeurs que toutes les autres cités. Ainsi celles qui peuvent
se vanter d'avoir donné le jour à des dieux sont plus augustes;
les îles qui furent leur berceau sont plus sacrées; enfin le culte
que l'on croit leur être le plus agréable est celui qu'on vientleur
rendre dans ces lieux préférés. Si donc le nom de la patrie est
cher aux dieux,, combien ne doit-il pas l'être plus aux hommes?
6. C'est dans la patrie que chacun de nous a vu d'abord luire
le soleil. Ce dieu, généralement adoré de tous les hommes est
encore en particulier le dieu de leur patrie; sans, doute parce
que c'est là qu'ils ont commencé à jouir de son aspect, articulé
les premiers sons, répété le langage de leurs parents, appris à
odhnaître les dieux. Si la patrie que le sort nous a donnée est
telle que nous ayons besoin d'aller puiser ailleurs une éducation
plus relevée, c'est encore à elle que nous devons savoir gré de
cette éducation, puisque sans, elle nous n'eussions pas connu le
nom de cette ville; nous ne nous serions pas doutes de son exis-
tence.
7. Toutes ces sciences, du reste, cette instruction que les
hommes cherchent à acquérir, c'est encore pour leur patrie
qu'ils l'acquièrent, c'est pour se rendre plus utiles à leurs con-
citoyens et, s'ils amassent des richesses, c'est pour parvenir
aux honneurs et fournir aux dépenses publiques. Ils ont raison,
selon moi il ne faut pas être ingrat, quand on a été comblé des
plus grands bienfaits. Et si nous témoignons, comme il est
juste, une reconnaissance spéciale à chacun de nos bienfai-
teurs, elle doit éclater encore davantage envers notre patrie. Les
villes ont établi des lois qui répriment la mauvaise conduite des
enfants à l'égard de leurs parents. Eh 1 ne convient-il pas de re-
garder la patrie comme une tendre mère, de lui payer le prix de
notre éducation, de la connaissance qu'elle nous a' donnée des
lois?2
8. Jamais on n'a vu d'homme oublier sa patrie au point de
ne s'en plus soucier lorsqu'il est dans une autre ville. Au con-
traire, les voyageurs, dans leurs disgrâces, se rappellent tou-
jours que la patrie est le plus grand des biens. Ceux que la for-
tune favorise, quoique heureux, du reste, croient manquer de
ce qui fait surtout le bonheur, en n'habitant pas dans leur
patrie, mais sur une terre étrangère ce nom même d'étranger
est une injure. Tous ceux qui se sont illustrés durant leurs
voyages, en acquérant des richesses, en obtenant de glorieux
honneurs, en se créant une réputation littéraire, en faisant ad-
mirer leur courage, on les voit tous s'empresser de revenir dans
leur patrie, comme s'ils ne trouvaient point ailleurs des yeux
plus dignes de contemplerleur fortune; ils ont d'autant plus de
hâte à rentrer dans leur pays, qu'ils ont conquis plus d'estime
jhez les étrangers.
9. La patrie est aimable pour les jeunes gens; mais les
vieillards, dont l'esprit est plus sensé que celui de- la jeunesse,
la désirent avec encore plus d'ardeur. Chacun d'eux, en effet,
souhaite de mourir dans le sein de cette patrie où ils ont com-
mencé à vivre; ils désirent confier le dépôt de Jeur corps à cette
terre qui les à nourris et partager la sépulture de leurs aïeux.
C'est, en effet, pour tout homme, un affreux malheur que d'être
surpris parla mort et de reposer dans une terre étrangère.
10. Si l'on veut bien comprendre l'attachement que de bons
citoyens doivent avoir pour la patrie, il faut s'adresser à ceux
qui sont nés dans un autre pays. Les étrangers, comme des
enfants illégitimes, changent facilement de séjour le nom de
patrie, loin de leur être cher, leur est inconnu. Partout où ils
espèrent se procurer plus abondammentde quoi suffire à leurs
besoins, ils s'y transportent, et mettent leur bonheur dans la
satisfaction de leurs appétits. Mais ceux pour qui la patrie est
une mère, chérissent la terre qui les a nourris, fût-elle petite,
âpre, stérile. S'ils ne peuvent en louer la fertilité, ils ne man-
queront pas d'autre matière à leurs éloges. Eutendent-ils d'au-
tres peuples louer, vanter leurs vastes prairies émaillées de
mille fleurs ils n'oublient point de louer aussi le lieu de leur
naissance et, dédaignant la contrée qui nourrit les coursiers",
ils célèbrent le pays qui nourrit la jeunesse.
11. Oui, tous les hommes s'empressent de retourner dans leur
patrie, jusqu'à l'insu. airequi pourrait jouir ailleurs de la féli-
• cité; il refuse l'immortalité qui lui est offerte, il préfère un tom-
beau dans sa terre natale, et la fumée de sa patrie lui paraît plus
brillante que le feu qui luit dans un autre pays 4.
12. La patrie est donc pour tous les hommes un bien si pré-
cieux, que partout les législateurs ont prononcé contre les plus
grands crimes, comme la peine la plus terrible, l'exil. Et il n'y
a pas que les législateurs qui pensent ainsi les chefs d'armée
qui veulent entraîner leurs troupes rangées pour la bataille, ne
trouvent rien à leur dire que ces mots « Tous combattez pour
votre pays! » Il n'y a personne qui, en les entendant, veuille
être lâche et le soldat timide se sent du cœur au nom de la
patrie i

4. Cf. la belle ode de Béranger Qu'il va lentement le navire, etc.


2. Allusion à Téléniaque refusant les présents de Ménélas. Voy. Odyssée,
r. 601 et suivants Horace, livre I, Ép. vu, v. 40 et suivants.
3. Ulysse.
4. Odyssée, I, v. 5S.
LXIV

SUR LES DIPSADES.

1. La Libye, dans sa partie méridionale, présente un sable,


profond', une terre brûlée, presque entièrement déserte et sté-
rile, une plaine immense, où l'on ne trouve ni herbe, ni gazon,
ni arbre, ni eau, si ce n'est, par hasard,quelquesrestes de pluie,
amassée dans le creux des rochers et cette eau est si épaisse,
si infecte, que l'homme le plus altéré n'en saurait boire. Voilà
pourquoi cette région est inhabitée. Comment, en effet, séjour-
ner dans ce désert affreux, aride, frappé de stérilité, dévoré par
la sécheresse, où la chaleur est insupportable, l'air embrasé
comme du feu, et qu'un sable brûlant, pour ainsi dire en fusion,
rend inaccessible de toutes parts?
2. Les Garamantes* seuls, peuplade voisine, légèrement vê-
tue et rapide à la course, hommes qui habitent sous des tentes
et vivent ordinairement de chasse, se hasardent parfois dans ces
contrées pour chasser, aux approches du solstice d'hiver, à une
époque où ils ont observé que des pluies abondantes tempèrent
l'excès de la chaleur, humectent le sable et le rendent pratica-
ble. Leur gibier consiste en ânes sauvages, en grandes autru-
ches qui volent sans quitter la terre, en singes et en éléphants.
Ces animaux sont les seuls qui puissent supporter la soif et les
souffrances que fait endurer l'ardeur d'un soleil dévorant. Ce-
pendant, lorsque les Garamantes ont épuisé les provisions avec
lesquelles ils étaient venus, ils s'en retournent promptement,
dans la crainte que le sable embrasé de nouveau ne devienne
difficile, impraticable, et qu'enfermés alors comine dans un filet,
ils ne périssent avec leur gibier. La mort, en effet, serait inévi-
table pour eux, si lé soleil, après avoir attiré les vapeurs et des-
séché cette contrée, s'armait de feux plus violents, et dardait des
rayons plus terribles, aiguisés, pour ainsi dire, par l'humidité
qui leur sert d'aliment.
4 Compà ez Buffon description du Chameau et celle du Kamichi.
2. Voy. Hérodote, Melfomène, ctxxijr.
3.Tous les fléaux pourtant que je viens d'énumérer, la cha-
leur, la soif, la solitude, la stérilité, sont encore moins suppor-
tables que celui que je vais dire et pour lequel on doit fuir à
jamais cette région. Des reptiles de toute espèce, énormes, in-
nombrables, monstrueux, distiliant un poison mortel, sont répan-
dus dans cette contrée. Les uns demeurent dans le sable, où ils
se sont creusé leur repaire d'autres rampent à la surface ce
sont des crapauds, des aspics, des vipères, des cérastes, des bu-
prestes, des acontias, des amphisbènes, des dragons, des scor-
pions de deux sortes; l'un terrestre, se traînant sur le sol,
d'une grande taille, ayant la queue composée de plusieurs ver-
tèbres l'autre volant à travers les airs et muni d'ailes mem-
braneuses comme les sauterelles, les cigales et les chauves-sou-
ris. L'immense quantité de ces êtres ailés rend très-dangereux
l'accès de cette partie de la Libye.
4. Mais le plus terrible des reptiles qui habitent ces déserts,
c'est la dipsade, serpent de moyenne grandeur et semblable à la
vipère. Sa morsure est violente; le poison qu'elle distille est
épais, et il cause à l'instant même des douleurs que rien ne sau-
rait apaiser. Il brûle, il putréfie, il allume dans tout le corps une
ardeur dévorante; on crie, comme si l'on était étendu sur un
bûcher. Mais la souffrance la plus cruelle, la plus poignante,
c'est le mal qui a fait donner le nom au reptile, je veux dire une
soif excessive. Ce qu'il y a d'étrange, c'est que plus les malheu-
reux boivent, plus ils sont altérés leur désir ne fait que s'ac-
croître davantage. Rien ne peut étancher leur soif, leur donnàt-
on à boire le Nil ou l'Ister tout entier on irriterait encore plus
le mal qui les dévore ce serait éteindre du feu avec de l'huile.
5. Les médecins disent, pour expliquerla cause de ce phéno-
mène, que le venin naturellement épais, étant détrempé par la
boisson, acquiert une plus grande vivacité en devenant plus li-
quide, et circule plus rapidement dans les veines.
6. Pour moi, je n'ai jamais vu personne endurer cet affreux
supplice; et je souhaite, grands dieux, de n'y pas voir un homme
condamné. Je n'ai jamais non plus été en Libye, et j'ai bien fait.
Cependant je connais une inscription qu'un de mes amis m'a
dit avoir lue sur le tombeau d'un infortuné qui périt dans ces
tourments. Cet ami revenait de Libye en Egypte, et il faisait
route le long de la grande Syrte ( c'est le seul chemin), lors-
qu'il rencontra sur le rivage un tombeau baigné par les flots. Il
est surmonté d'une colonne sur laquelle est représenté le genre
demort de celui qu'il renferme. On y voit gravé un homme,
debout, au milieu d'un lac, dans l'attitude que les peintres don-
nent à Tantale il puise de l'eau pour en boire sans doute. Une
dipsade est attachée à son pied et se, roule autour de sa jambe;
plusieurs femmes apportent de l'eau et la versent sur cet infor-
tuné. Auprès de lui sont des œufs de ces autruches que les Ga.
marantes, comme je l'ai dit, poursuivent à la chasse. Voici l'in.
scriptiongravée sur la colonne elle mérite d'être rapportée
Tantale, c'est, je crois, de ce poison horrible,
Que naquit dans ton sein ta soif inextinguible.
Filles de Danaûs. en vain vous puisez l'eau,
Vous ne pouvez remplir un semblable tonneau.
On lit ensuite quatre-autres vers, dans lesquels il est parlé des
œufs, et comment c'est en les prenant que cet homme fut mordu;
mais je ne me les rappelle plus..
7. Ces œufs sont recueillis avec un vif empressementpar les
habitants v,oisins de ces contrées, non-seulement pour les man-
ger, mais pour les vider et en faire des vases et des coupes,
très-utiles dans un pays sablonneux, où l'on manque d'argile.
Lorsqu'ils en trouvent de grands, ils font deux chapeaux d'un
seul oeuf; chacune des deux moitiés, propre à couvrir la tète,
forme un chapeau.
8. Les dipsades se placent en embuscade auprès de ces œufs;
et dès qu'un homme s'approche pour les ramasser, elles s'élan-
cent hors du sable, et mordent ce malheureux,qui, bientôt après,
éprouve les tourments dont je viens de parler, et brûle d'une
soif que la boisson ne fait qu'accroître, sans jamais l'étancher.
9. Si je vous ai fait ce récit, ne croyez pas, j'en atteste Jupi-
ter, que je veuille rivaliser avec le poëte Nicandre etvous
prouver que j'ai soigneusement étudié la nature des reptiles de
la Libye. Un pareil éloge conviendrait plutôt à un médecin,
obligé par état de connaître les poisons, pour en combattre les
effets avec son art. Mais il me semble ( par le dieu des amis, ne
vous fâchez pas d'une comparaisonempruntée à,des animaux),
il me semble que j'éprouve à votre égard une soif dont brûlent
ceux qui ont été mordus, par la dipsade. Plus je parais devant
vous,, plus je souhaite d'y paraître. Je me sensembrasé d'une
soif que rien ne peut éteindre, et je crois que nulle boisson ne
pourra l'apaiser. Cela n'a rien d'étonnant. Où pourrais-jetrouver
une onde plus propre et plus limpide? Pardonnez-moi donc si,
mordu jusqu'au fond de l'âme par une dent aimable et salutaire,
je bois à longs traits, la tête plongée dans la source! Puisse

I. Voy. A. Pierron, UUt. delà litt. gr., p. 40*.


seulement le courant qui coule de vous à moi ne jamais tarir!1
Puisse l'empressementque vous mettez à m'entendre ne pas se
tarir en me laissant la bouche ouverte et altérée! La soif que
j'ai de vous m'invitera toujours à boire; car, comme le dit Pla-
ton, on ne se dégoûte jamais de ce qui est beau.

LXV

DISCUSSION AVEC HESIODE.

LYCINUS ET HÉSIODE.

1. LYCINUS. Oui, tu es un excellent poëte, Hésiode; et tes


vers prouvent que tu as reçu des Muses le talent poétique avec
le laurier ils nous semblent, en effet, inspirés par les dieux,
et tout remplis de majesté. Majs on pourrait élever un doute
sur ce que tu as dit de toi-même « Que les dieux t'ont donné
le génie poétique pour célébrer et chanter le passé, et pour
prédire l'avenir'. » Tu as parfaitement rempli la première de
ces missions, en disant la généalogie des dieux, depuis les plus
anciens, le Chaos, la Terre. le Ciel l'Amouï en rappelant les
vertus des femmes, en donnant des préceptes d'agriculture; en
indiquant ce qui concerne les Pléiades, l'époque du labourage,

4. Voici le texte même d'Hésiode, Théogonie, v. 30 et suivants:


K«t [toi cxïiTZTpovè'àov, t?«pvîjg èptdqïéoç oÇov
Apë.^a<7.0ai Ôyivjtov, èyë7zvevi<v Se pot uùStîv
©ei'^y, ûffTè x/yot/At tkt' es <ro/JiEva "xpô t' s'ovra.

« Les dieux m'ont donné pour sceptre une brandie admirable de verdoyant
laurier; ils m'ont pénétré d'un souffle divin, pour que je puisse entendre et ce
qui doit être et ce qui a été. » Au lieu de &7ts z/û.oi/e entendre, Lucien
lisait éiç x'j.sioipri,.chanter, révéler: Delà le texte de la discussion devenue
sans objet pour ceux qui adoptent la leçon que nous avons suivie. M. Bois-

jeux,
sonade, dans sa Collection des yoétes grecs, a gardé la leçon que Lucien avait
sous les
de la moisson, de la navigation et le reste. Mais, pour la se-
conde, avantage plus utile aux hommes et privilège qui rap-
proche des dieux, je veux parler de la prédiction de l'avenir, tu
ne nous en as rien fait voir cette partie de ton talent est restée
tout entière dans l'oubli; et jamais dans tes vers tu. n'as imité
Calchas Télémus Polyidus Phinée qui, sans avoir rien ob-
tenu des Muses annonçaient cependant l'avenir et ne refu-
saient pas de donner des oracles à qui leur en demandait.
2. De là je conclus que de trois reproches, tu en mérites au
moins un ou bien tu as menti chose dure à dire quand tu
as prétendu que les Muses t'avaient accordé le pouvoir de pré-
dire l'avenir; ou bien elles ont tenu leur promesse, et toi par
jalousie, tu as renfermé ce privilégedans ton sein sans en faire
part à ceux qui en avaient besoin; ou, enfin, tu as composé
beaucoup d'ouvrages que tu n'as pas publiés, les réservant pour
je ne sais quel temps plus favorable. Or je n'ose pas dire que
les Muses, après t'avoir promis deux avantages aient rétracté
la moitié de leur promesse et t'aient privé de la connaissance de
l'avenir, qu'elles te promettent dans le même vers, avant celle
du passé. v

3. De quel autre que de toi-même, Hésiode, puis-je apprendre


ce que j'en dois croire? C'est à vous; poëtes, amis et disciples
des dieux, auteurs de tous les biens, de nous dire en toute vé-
rité ce que vous savez, et de dissiper nos doutes.
4. HÉSIODE. Je pourrais facilement mon cher ami faire une
seule réponse à toutes tes questions; à savoir que mes rhapso-
dies étant moins mon ouvrage que celui des Muses, c'est à
celles-ci que tu dois demander compte de ce qu'elles ont dit et
de ce qu'elles ont passé sous silence. Quant à ce'que je savais
par moi-même, c'est-à-dire l'art de paître, de soigner, de con-
duire et de traire les troupeaux, et les autres préceptes de la vie
champêtre et pastorale, il est juste que je m'en justifie à tes
yeux. Mais les Muses accordentleurs présents à qui elles veulent
et comme il leur plaît.
5. Cependant, je ne serai point embarrassé pour me justifier
en poëte. Or, il me semble qu'avec les poëtes il ne faut pas cal-
culer'à la rigueur ni exiger que ce qu'ils disent soit d'une jus-
tesse parfaite et à une syllabe prés. Si parfois, dans leur essor
poétique, il leur échappe une faute, on ne doit pas la leur re-
procher avec aigreur. On sait que nous insérons dans nos
vers une foule de mots qui ne sont que pour la mesure ou l'eu-
phonie. La poésie les admet souvent sans qu'on saoti) pour-
quoi, uniquement à cause de leur douceur. Et tu voa'r lis nous
priver d'un de nos plus grands avantages, je veux dire cette li-
berté et cette licence poétique? Tu ne vois donc pas toutes les
autres beautés dont brille la poésie? Tu n'en vois que les ra-
clures et les épines et tu cherches un prétexte à tes calomnies.
Mais tu n'es pas le premier qui nous ait intenté de pareilles
accusations et ce n'est pas contre moi seul qu'on les a di-
rigées. Bien d'autres ont essayé de dénigrer Homère, mon
confrère en poésie, en lui reprochant des peccadilles sans im-
portance.
6. Pourtant, s'il faut combattre sérieusement tes imputations
et me justifier d'une manière directe lis, mon brave, mon
poëme intitulé les Travaux et les Jours tu verras tout ce que
j'y donne de prédictions et de prophéties, comment j'annonce
l'heureuse issue de ce qui se fait au temps prescrit, et la puni-
tion de ceux qui négligent mes leçons. Écoute ce vers
Porte dans un panier; peu de gens te verront.
Plus loin, j'indique tous les biens qui attendent les bons la-
boureurs, et ce genre de prédiction est certainement le plus
utile aux hommes.
7. LYCINUS. Ce que tu dis là, admirable Hésiode, sent tout à
fait son berger. Tu prouves bien que tu ne parles que sous l'in-
spiration des Muses, puisque tu ne peux de toi-même justifier
ce que tu avances dans tes vers. Ce n'est pas là, pourtant, l'es-
pèce de prophétie que nous attendions de toi et des déesses; car
à cet égard, les laboureurs sont meilleurs devins que vous, et
ils nous prédisent à merveille que, s'il pleut, la moisson sera
abondante, tandis que, s'il fait sec et que les champs aient
soif, il n'y a pas moyen que cette soif ne soit pas suivie d'une
disette. Ils nous annoncent aussi qu'il ne faut pas semer au mi-
lieu de l'été parce qu'alors la semence répandue mal propos
ne produira pas de réooite qu'il ne faut pas moissonner l'épi
encore vert, parce qu'on le trouvera vide de grains. On n'a pas
besoin d'être prophète pour prédire que, si l'on ne couvre pas
la semaille, et qu'un esclave, un hoyau à la main, ne jette pas
de la terre dessus, les oiseaux s'y abattront et dévoreront tout
l'espoir de l'été.
8. En donnant ces préceptes et ces leçons, on ne se trompe
guère; mais on est bien loin selon moi, de la divination, dont
l'objet est de nous découvrir ce qui est obscur et dont en n'a
absolument aucun indice par exemple annoncer à Minos que

t. Tramme et Jours, j. 480,


son fils est étouffé dans un tonneau de miel découvrir aux
Grecs la cause de la colère d'Apollon prédire qu'Ilion sera pris
la dixième année, voilà la véritable divination. Si donc l'on vou-
lait y rapporter les préceptes que j'ai cités, il faudrait aussi dire
que je suis un prophète car j'annonceet je prédis, et cela sans
Castalie, sans laurier et sans trépieddelplique, que si l'on se
pro.
mène tout nu par le froid, sous la pluie ou sous la grêle, on
aura
certainement un gros rhume accompagné de frisson, et, ce qui
est plus difficile à prophétiser, on ne manquera pas d'éprouver
ensuite une forte chaleur. Je pourrais faire d'autres prophéties
du même genre; mais il serait ridicule de les mentionner.
9. Laisse donc là tes justifications et tes prophéties. J'aime
mieux m'arrêter à ta première excuse, et croire que tu
vais rien de,ce que tu disais, mais que tu composais tesnevers sa-
par une inspiration divine, elle-même fort incertaine. Autre-
ment, le dieu t'aurait fait une promesse, pour n'en remplir que
la moitié et laisser l'autre, imparfaite.

LXVI

LE NAVIRE OU LES SOUHAITS.

LYCINUS, TIMOLAUS, SAMIPPUS ET ADIMANT5

LKCiNus. fte disais-je pas qu'un cadavre gisant dans la plaine


échapperait plutôt à la vue des vautours qu'un spectacle ex-
traordinaire à Timolaûs., fallût-il, pour Je voir, courir tout
d'une haleine jusqu'à Corinthe? Quelle passion tu as pour ces
sortes d'objets, quel empressement!
Timolaûs. Que pouvait faire de mieux, Lycinus, un homme
de loisir qui apprend qu'un grand un énorme vaisseau est
abordé au Pirée, un de ces navires qui transportent du blé
d'Egypte, en Italie? Je crois même que toi et Samippe que voici,

2. Il n'est pas question ailleurs de cette prophétie. Cf. De la danse, 49, d'où il
est permisde conjecturerque c'estPol yidue qui avait fai t cettepréd iclionà Minos.
vous n'êtes sortis tous deux de la ville que pour voir ce
navire.
LYCINUS. C'est vrai
ma foi et Adimante de Myrrhine nous
a suivis. Mais je ne sais où il est à présent; il se sera sans doute
égaré dans la foule des spectateurs. Nous étions venus ensemble
jusqu'au vaisseau. Lorsque nous y sommes montés ,• s'était toi,
Samippe, je crois qui marchais en tête Adimante te suivait,
et moi je me cramponnais à lui des deux mains. Étant lui pieds
nus et moi chaussé il me guidait le long de l'échelle Depuis ce
moment je ne l'ai plus revu, ni dans l'intérieur du navire, ni
quand nous sommes redescendus.
2. SAMIPPE. Tu ne sais pas Lycinus, où il nous a quittés?op
C'est, je crois, lorsque nous avons vu sortir de la chambre ce
beau jeune homme vêtu d'une fine robe de lin et dont la. che-
velure, relevée par derrière, retombe séparée des deux côtés du
front. Si je connais bien Adimante, à la vue de cet aimable ob-
jet, il aura dit un long adieu au constructeur égypfcen, qui
nous expliquaitles détails du vaisseau, pour aller pleurer, se-
lon son habitude, auprès de ce garçon. Il a le don des larmes
amoureuses.
Lycinus. Cependant, Samippe, le jeune homme ne m'a pas
semblé assez beau pour qu'Adimantë en fût frappé, lui que sui-
vent dans Athènes tant de jolis garçons tous de condition
libre, d'un babil agréable, sentant la palestre, et auprès des-
quels on peut pleurer sans rougir. Pour celui-ci, outre qu'il a
le teint basané les lèvres saillantes et les jambes grêles, il
parle du gosier, d'un seul trait et avec volubilité c'est du grec,
il est vrai, mais avec la prononciation et l'accent de son pays.
D'ailleurs, ses cheveux et ses boucles roulées par derrière disent
qu'il n'est pas de conditionlibre.
3. Timolaûs. Cette chevelure, Lycinus, est précisément un
signe de noblesse chez les Égyptiens. Chez eux, tous les enfants
de famille portent leurs cheveux tressés, jusqu'à l'âge de pu-
berté. Chez nous, au contraire, nos ancêtres, croyant qu'il con-
venait à des vieillards de porter une belle chevelure, en rele-
vaient la tresse sous une cigale d'or qui servait à la retenir".

Bourgade ou dême de l'Attique, de la tribu de Pandion.


2. « Thucydide, I, LXI, dit que les Athéniens nouaient leurs cheveux avec
des cigales d',or. (Voy. les Nuées, v. 980). Elles représentaient leur qualité
d'habitants autochthones, ou celle de bons musiciens, ou enfin celle d'initiés
aux mystères. C'était un symbole à triple sens. (Voy. Creuzer, Symbolik, tra-
duite par Guigniaut). » Note de M. Artaud, traduction d'Aristophane,
p. 96.
SAMIPPE. Tu as raison, Timolaûs de nous rappeler ici l'his-
toire de Thucydide et ce qu'il dit, dans sa préface, de notre an-
cien luxe et des coutumes des Ioniens, à l'époque où ils émigrè-
rent dans notre pays.
4. Lycinus. Ah Samippe, je me rappelle à présent où Adi-
mante nous a quittés. C'est près du mât, lorsque nous nous y
sommes arrêtés longtemps pour considérer et compter les peaux
cousues ensemble et pour admirer le matelot qui grimpait le
long des cordages et courait tranquillement sur la vergue d'en
haut, en se tenant par les câbles de manœuvre.
Samippe. Tu as raison. Mais que faut-il que nous fassions ici?
Veux-tu l'attendre ou retourner au vaisseau?
Timolaûs. Non. Marchons en avant. Il est vraisemblable que,
ne pouvant nous retrouver, il se sera hâté de remonter à la
ville. D'ailleurs, Adimante connaît le chemin, et il n'y a pas à
craindre qu'il se perde parce que nous l'avons quitté.
LYCINUS. Voyez si ce ne serait pas malhonnête de nous éloi-
gner et d'abandonner un ami. Marchons, toutefois, si tel est
-l'avis de Samippe.
SAMIPPE. Oui c'est mon avis peut-être trouverons-nousen-
core quelque palestre ouverte.
5. Mais, tout en marchant, parlons un peu de ce navire.
Quel vaisseau Le constructeur m'a dit qu'il a cent vingt cou-
dées de long sur un peu plus de trente coudées de large, et
que, depuis le pont jusqu'au fond de cale et à la s.entine où se
trouve sa plusgrande profondeur,il a vingt-neuf coudées.Et puis
quel mât Quelle antenne il soutient! Par quel câble il a besoin
d'être retenu Gomme sa poupe s'arrondit par une courbe in-
sensible, ornée d'un chénisque doré La proue, vis-à-vis, va en
s'élevant avec symétrie, se prolonge en avant et porte sur les
"deux flancs la figure de la déesse Isis, qui a donné son nom au
vaisseau. Le reste de ses ornements, les peintures, la flamme
rouge du mât, les ancres, les cabestans, les tourniquets, les
chambresvoisines de la poupe, tout m'en paraît admirable.
6. La multitude des matelots peut se comparer à une armée.
On disait que ce vaisseau porte assez de grains. pour nourrir,
pendant un an, tous les habitants de l'Attique.'Et c'est un vieux
petit bonhomme qui veille à tout cela, en faisant tourner avec
une simple perche ces énormes gouvernails. On me l'a montré;
il n'a plus de cheveux sur le'haut de la tête, crépu du reste, et
nommé, je crois, Héron.
Timolaûs, Fort habile marin, disent les passagers, et con-
naissant mieux la mer que Protée lui-même.
7. Vous avez sans doute entendu dire comment il a conduit
,ci ce navire, les aventuresqui lui sont arrivées durant la tra-
versée, et comment l'astre des matelots a sauvé l'équipage?
LYCINUS. Nou, Timolaüs; mais, nous l'apprendrons volon-
tiers.
Timolaûs. Le patron lui-même m'en a fait le récit; un excel-
lent homme et qui cause bien. Il m'a dit qu'ayant levé l'ancre
de Pharos, par une petite brise, ils avaient découvert au bout
de sept jours le promontoire d'Acamas puis un zéphyr con-
traire les avait fait dériver en louvoyant jusqu'à Sidon. De là,
une grande tempête fond sur eux; et, dix jours après, en passânt
par Aulon 2, ils arrivent aux îles Chélidonées où ils faillirent
être submergés tous par la violence des flots.
8. Je sais, pour avoir moi-même côtoyé les Chélidonées, avec
quelle force les vagues s'y soulèvent, surtout lorsque l'Africus
y souffle de concert avec le Notus c'est là, en effet, que la mer
de Pamphylie se sépare de celle de Lycie; le flot, poussé par
plusieurs courants, vient se briser sur le promontoire hérissé
de rochers escarpés et aiguisés par la vague qui les frappe avec
un fracas horrible, un mugissement affreux, et qui s'élève sou-
vent à la hauteur du rocher.
9. Une pareille tempête les surprit en cet endroit, à ce que
m'a dit le patron, pendant toute une nuit noire de ténèbres. Heu-
reusement, les dieux, prenant en pitié leurs cris de détresse,
leur montrèrent, du côté de la Lycie, un fanal qui éclairait
la côte, et en même temps un astre brillant, l'un des Dioscures,
vint se poser sur le haut du mât, et dirigea sur la gauche, en
pleine mer, le vaisseau déjà emporté contre les écueils. Dès
lors, écartés de leur véritable route, ils ont fait voile à travers
la mer Egée, et louvoyant contre les vents Étésiens, qui leur
étaient contraires, ils ont abordé hier au Pirée, soixante-dix
jours après leur départ d'Egypte. Vous voyez combien ils ont
été obligés de descendre, puisqu'ils auraient dû laisser la Crête
à leur droite, doubler le cap Malée et se trouver déjà en
Italie.

< Sur la côte occidentale de Cypre; aujourd'hui Capo di SanrPifano.


2. Ce mot, qui signifie canal ou détroit, a beaucoup embarrassé les com-
mentateurs et les interprètes. Lebmann, après avoir discuté les différentes
opinions, croit qu'il s'agit d'un détroit situé entre les lies Chélidonées et le
promontoire Sacré.
3. Voy., sur ces Iles, les Amours^ 7.
4. Cap de la Hrèce, qui terminaitla Laconie au sud et lePéloponôse eu sud-
est, irès-redouté des navigateurs aujourd'huiCap Saint-Ange.
LYCINUS. Par Jupiter! tu nous donnes comme un pilote admi-
rable cet Héron, aussi vieux que Nérée, qui s'écarte à ce point de
sa route?.
10. Mais que vois-je? N'est-ce pas Adimantelui-même?
Timolaûs. Oui vraiment, c'est Adimante! appelons-le. Adi-
mante, c'est toi que j'appelle, Adimante du bourg' de Myrrhine,
fils de Strombichus.
LYGINUS. Il faut de deux choses l'une, ou qu'il soit fâché contre
nous, ou qu'il soit sourd car c'est bien Adimante et pas un
autre; je le vois distinctement. Voilà son manteau, sa démar-
che, sa tête rasée jusqu'à la peau. Mais doublons le pas, afin d.-
le joindre.
11. A moins qu'on ne te prenne par l'habit et qu'on ne
t'oblige à te retourner, Adimante, tu ne veux donc pas nous
entendre t'appeler? Tu as l'air d'être enseveli dans tes réflexions
et de rouler dans ta tête quelque affaire importante.
ADIMANTE. Non, Lycinus, ce n'est rien de bien grave mais
une idée assez nouvelle, qui m'est venue en me promenant,
m'empêchait de vous entendre; elle m'absorbait, et j'étais tout
entier à la considérer.
LYCiNus. Et quelle est-elle? N'hésite pas à nous en faire part,
à moins que ce ne soit quelque secret. Du reste, nous sommes
initiés, tu le sais, et nous, avons appris à nous taire.
ADIMANTE. Mais, en vérité, j'aurais honte de vous la décou-
vrir, tant cette idée vous paraîtra puérile.
LYCINUS. Serait-ce quelque mystère d'amour? Tu ne parlerais
pas à des profanes, mais à des hommes tout éclairés de la
lumière de l'amoureux flambeau
12. Adimante. Ce n'est rien de semblable, mon cher ami. Je
me créais en imagination des richesses considérables, je me
figurais ce que le vulgaire appelle une île fortunée, et j'étais déjà
parvenu au comble de l'opulence et de là félicité.
Lycinus. Alors, c'est le cas de dire: «Mercure en commun1! »
Dépose tes trésors au milieu de nous. Il est juste que les amis
d'Adimante aient part à sa félicité.
ADIMANTE. Vous vous êtes séparés de moi, presqueau moment
où nous sommes montés sur le vaisseau, et après que je t'eus
mis en sûreté, cher Lycinus; puis, lorsque je m'occupais à
mesurer la grosseur de l'ancre, vous avez disparu, je ne sais
comment.
13. Cependant, en examinant tout, je demandai à l'un des

4 Mercure éuil le dieu des trouvailles Cf. Sénè^ue Ép, cxx.


f matelots combien ce navire pouvait, bon an mal an, rapporter
1 à son maître « Douze talents attiques, me répondit-il, au plus
bas mot. » Sur cette réponse, je m'en allai, me disant en moi-
même « Si quelque dieu me rendait tout à coup propriétaire de
ce navire, que je vivrais heureux! Je ferais du bien à mes amis
je naviguerais parfois moi-même, ou j'enverrais mes esclaves à
ma place Avec les douze talents je me bâtissais déjà une mai-
son, dans un lieu agréable, au-dessus du Pœcilé, et je quittais
ma maison paternelle de l'Ilissus. J'achetais des habits magnifi-
ques, des chars, des chevaux. Dans ce moment même, je m'em-
barquais, tous les passagers|pie regardaient comme le plus
heureux des hommes, les matelots s'inclinaient devant moi; on
me croyait un monarque. Tout était prêt sur mon navire pour
mettre à la voile; je voyais déjà le port s'éloigner de moi, lorsque
tu es survenu, Lycinus'; et aussitôt tu as coulé toutes mes riches-
ses et fait sombrer mon vaisseau, qui voguait emporté par le
souffle favorable de mes voeux.
14. LYCINUS. Eh bien, noble, nmmante, il faut t'emparer de
moi, me traîner devant le stratège, comme un pirate, un fonban,
qui t'a causé un naufrage aussi épouvantable, et cela, à terre,
entre le Pirée et la ville. Mais plutôt considère comment je
vais t'indemniser de la perte de ta fortune! Je te donne, si tu le
veux, cinq des plus beaux et des plus considéraËles navires de
l'Egypte, et, ce qu'il y a de plus avantageux, à l'abri de tout
naufrage. Chacun d'eux même te rapportera cinq fois par an une
charge de blé. Je sais bien que ta conduite envers nous, beau
patron, n'en sera que plus insupportable. Lorsque tu ne possé-
dais qu'un vaisseau, tu faisais semblant de ne pas nous enten-
dre t'appeler à grands cris; et si maintenant, avec ce navire,
lu en as cinq autres, tous à trois voiles et insubmersibles, il est
certain que tu ne voudras plus regarder tes amis. N'importe
vogue, heureux mortel, au gré de tes désirs pour nous, nous
allons nous asseoir au Pirée, et demander aux navigateurs
qui arrivent d'Égypte ou d'Italie si quelqu'un d'eux n'a pas vu le
grand vaisseau d'Adimante, nommé l'Isis.
15. Adimante. Tiens! voilà justement pourquoi j'hésitais à te
dire quelle était mon idée j'étais sûr que tu en rirais et que
tu te moquerais de mon souhait. Cela étant, je m'arrête un
instant ici, et j'attends que vous ayez fait quelques pas en avant
pour me rembarquer, car j'aime mieux être réduit à causer avec
les matelots qu'exposé à vos sarcasmes.

• Cf. Plaute, Rudens, act. IV, se. a.


LYCINUS. Non pas; ou bien nous restons aussi pour nous
embarquer avec toi.
Adimante. Oh! je retirerai l'échelle, une fois monté.
LYCINUS. Alors nous irons te joindre à la nage. Ne te figure
pas que tu vas avoir de si beaux vaisseaux sans les acheter, ni
les construire et que nous ne pourrons pas obtenir des dieux
la force de nager des stades entiers. Cependant naguère, pour
nous rendre dans l'île d'Égine à la fête d'Hécate nous traver-
sions la mer dans une petite barque, moyennant quatre oboles;
nous étions tous amis, et tu ne te fâchais pas de nous voir na-
viguer avec toi. Aujourd'hui tu H mets en colère, si nous vou-
lons monter sur ton vaisseau tu menaces de-retirer l'échelle,
une fois monté. Quelle fierté Adimante Tu en craches dans ta
robe! Tu oublies qui tu es, noble pilote C'est ta maison bâtie
dans le plus beau quartier de la ville, ce sont tes nombreux
esclaves qui te rendent si orgueilleux Cependant, mon bon,
au nom d'Isis, quand tu iras en Égypte, n'oublie pas de nous
Canope, un ibis de Memphis,
une des pyramides.
si
rapporter de ces petits poissons salés du Nil, des parfums de
ton vaisseau peut la porter,

16. Timolaûs. Trêve de plaisanteries, Lycinusl Vois comme


tu as fait rougir Adimante avec le déluge de quolibets dont tu
as inondé son vaisseau: il est rempli jusqu'aux bords; il ne
peut plus résister à la voie d'eau. Maïs puisqu'il nous reste
encore bien du chemin à faire pour arriver à la ville, divisons-le
en quatre parties, et, pendant les stades qui seront assignés à
chacun de nous', nous formerons tour à tour des voeux et nous
demanderons aux dieux tout ce qu'il nous plaira. Par ce moyen
nous ne nous apercevronspas de la fatigue, et no.us nous amu-
serons à nous plonger dans un songe délicieux, qui nous ap-
portera tout le plaisir que nous aurons voulu. Chacun sera
maître d'étendre son souhait à la mesure qu'il lui sera agréable,
et nous supposerons les dieux toujours prêts à nous accorder
même les choses les plus impossibles de leur nature. Le point
essentiel, ce sera de déclarer le meilleur emploi que l'on ferait
de ses richesses et de son voeu. On montrera par là quel on se-
rait, si l'on devenait riche.

4. a II y avait, du Pirée jusqu'à la ville, trente-cinq stades suivant Phavo-


rinus, dans son Lexique, au mot Jleipaïos, et quarante, suivant Diogène de
Latrie. C'est donc dix stades pour chaque interlocuteur mais les trois pre-
miers, commeon le verra par la suite, absorbèrent la portion réservée àLjci-
nus. » Dosoul.
merveille, Timolaüs J'adopte ton idée; et,
17. SAMIPPE. A
quand le moment sera venu je souhaiterai ce que bon me sem-
blera. Il ne faut pas demander à Adimante s'il y consent, lui
qui a déjà un pied dans son vaisseau. Mais il faut que ce projet
plaise également à Lycinus.
LYCINUS. Très-volontiers, soyons riches, puisqu'il n'y a rieu
de mieux; je ne veux pas qu'on me croie jaloux de la félicité
commune.
Adimante. Qui commence le premier?
LYCINUS. Toi-même, Adimante; puis Samippe, et ensuite Ti-
molaüs. Moi pendant le demi-stade assez court qui est en face
duDipyle j'essayerai aussi de faire des souhaits et je m'en
acquitterai le plus brièvement possible.
18. ADIMANTE. Eh bien! je n'abandonne pas encore mon vais-
seau mais, puisque j'en ai la permission, j'ajoute quelque
chose à mon souhait. Que Mercure dieu du gain, exauce tous
mes vœux Que le vaisseau avec tout ce qu'il contient cargai-
son, marchands, femmes, matelots, et ce qu'il peut y avoir
d'objets agréables, soit désormais à moi
Samippe. Tu oublies qu'un de ces objets agréables est déjà
dans ton navire.
ADIMANTE. Tu veux parler Samippe, du jeune garçon à la
longue chevelure? Qu'il m'appartienne aussi. Que tout le fro-
ment qui est dans le navire devienne de l'or monnayé; que
chaque grain soit un darique
19. LYCINUS. Quel souhait, Adimante ton navire va som-
brsr, le froment pèse bien moins qu'une même quantité d'or.
ADIMANTE. Ne. me jalouse point, Lycinus quand ce sera ton
tour de si
former des voeux, possède, cela te convient, le mont
Parnèthe changé en or et je ne sonnerai mot.
LYCINUS. Mais c'est dans ton intérêt que je te faisais cette
remarque. Je crains que nous ne périssions tous avec cet or.
îûitre perte, il est vrai ne.serait pas grand'chose; mais le joli
garçon il va être noyé, le malheureux; il ne sait pas nager.
Timolaùs. Ne crains rien, Lycinus les dauphins se glisse-
ront sous lui et le porteront à terre. Crois-tu donc qu'un joueur
de cithare3 ait été sauvé par ces poissons, pour prix de ses
chants, que le corps d'un enfant noyé ait été porté de la même

1 Porte d'Athènes appelés autrefois porte Thrûuîauu.


2. Pièce d'or à l'effigie de Darius, d'une valeur de 25 francs.
3. Arion. Voy. le vin» niahgin marin. Cf. Élien, Des animaux, XII. xr.v.
4. Mélicertc. Voy. le ix" Dialogue marin.
manière jusqu'à l'Isthme, et que le nouvel esclave d'Adimante
ne trouve pas quelque dauphin amoureux?
ADIMANTE. Et toi aussi, Timolaüs, tu suis l'exemple de Lyci-
nus et tu renchéris sur ses railleries; c'est toi cependant qui as
introduit ce sujet d'entretien.
20. Timolaûs. Il me semble qu'il vaudrait mieux et qu'il se-
rait plus vraisemblable de trouver quelque trésor sous ton lit:
tu n'aurais pas l'embarras de transporter ton or du navire à la
ville.
Abîmante. C'est juste. Que je trouve donc un trésor enfoui
sous le Mercure de pierre qui est dans notre cour, et que ce
soient mille médimnes d'or monnayé. Commençons, suivant le
précepte d'Hésiode', par la maison, et ayons-en une magnifi-
que. J'ai déjà acheté tout le territoire situé autour de la ville, à
l'exception de ce qui est du côté de l'Isthme et de Pytho puis
la partie d'Eleusis qui touche à la mer et un peu du terrain voi-
sin de l'Isthme, afin d'y voir les jeux, si je fais un séjour à Co-
rinthe ajoutons-yla plaine de Sicyone, et en général les contrées
ombreuses, fraîches ou fécondes de la Grèce qu'en un instant
tout cela soit à Adimante! Ayons encore de la vaisselle d'or
pour nos repas, et des coupes, non pas légères comme celles
d'Ëchécrate, mais qui pèsent chacune deux talents.
21. LyciNus. Et comment l'échansonpourra-t-il présenter une
coupe si pesante, lorsqu'elle sera remplie? Comment pourras-tu
toi-même recevoir de sa main, sans en être accablé., non pas
un seyphe mais un fardeau pareil au rocher de Sisyphe ?
ADIMANTE. Hé, mon brave, ne dérange pas mon souhait! Je
me fais .faire des tables d'or massif, des lits d'or, et si tu ne te
tais pas, des esclaves d'or.
Lycinus. Prends garde à une chose, nouveau Midas, que ton
pain et ta boisson ne deviennent aussi de l'or; riche misérable,
tu mourrais victime d'une faim opulente.
ADIMANTE. Tout à l'heure Lycinus, quand tu* feras ton
souhait, tu pourras arranger tes affaires d'une manière plus
vraisemblable.
22. Mon vêtement est de pourpre, ma façon de vivre déli-
cieuse, mon sommeil agréable et prolongé. Mes amis me vis:

1. Travaux et Jours, V. 405.


2. Passage controversé. Je me suis laissé guider par Wieland et par I.ili
mann.
3. vase à boire; nous avons calqué ce mot sur le grec pour donner une
idée de la plaisanterie du texte.
tent, me sollicitent on me craint, on se prosterne devant moi.
Dès le point du jour on se promène de long en large devant ma
porte; et, parmi ces clients, se trouvent Cléénèthe et Démocrate,
deux hommes importants; mais quand ils vont s'approcher et
demander à être introduits avant les autres je veux que sept
portiers barbares, d'une taille gigantesque, leur ferment la
porte au nez, comme ils font aux autres. Quant à moi, lorsqu'il
me plaît, je parais sur l'horizon, comme le soleil levant, sans
même daigner gratifier quelques-uns d'un regard. Mais si
j'aperçois un pauvre tel que j'étais moi-même avant la dé-
couverte de mon trésor, je le traite avec bonté, et, après le
bain je l'invite à venir à l'heure du souper. Les riches crèvent
de dépit, en voyant mes chars, mes chevaux, mes beaux escla-
ves au nombre de plus de deux mille, tous à la fleur de l'âge.
23. Mes repas sont servis dans de l'or l'argent est trop vil
il n'est pas digne de moi. L'Ibérie me fournit le poisson salé
l'Italie le vin l'huile me vient encore d'Ibérie et le miel de
notre pays, mais recueilli sans feu. Les mets m'arrivent de
toutes parts, .sangliers, lièvres, volailles de toutes sortes, oi-
seau du Phase, paon de l'Inde, coq de Numidie. Ceux qui les
préparent sont d'habiles cuisiniers, sans cesse autour de leurs
gâteaux et de leurs sauces. Si, pour boire à la santé d'un hôte,
je demande une coupe ou un flacon, celui qui boit emporte le
vase.
24. Nos riches d'aujourd'hui ne sont auprès -de moi que des
Irus et des mendiants. Dionique ne vient plus étaler dans les
pompes son misérable plateau d'argent et sa coupe, surtout
quand il voit mes esclaves user avec profusion de ce métal.
Voici quelles nobles largesses je fais à la ville distribution de
cent drachmes par mois à chaque citoyen, et la moitié à cha
que métèque, construction de théâtres et de. bains publics ce
toute beauté. La mer arrive jusqu'au Dipyle, où je creuse un
port dans lequel l'eau est amenée par un grand canal, afin
que mon vaisseau puisse mouiller près de chez moi et qu'on le
voie du Céramique.
25. Quant à vous, mes amis, j'ai ordonné à mon économe de
vous distribuer, à Samippe vingt médimnes d'or monnayé
cinq chénices à Timolaüs, et à Lycinus une seule chénice, au
ras du bord, parce que c'est un bavard qui raille tous mes
souhaits. Voilà la vie que je voudrais vivre, au sein d'une im-
mense richesse, jouissant de toutes les délices et de tous les
plaisirs. J'ai dit. Puisse Mercure accomplir mes vœux t
26. Lycinos. Sais-tu bien Adimante, à quai léger fil est sus-
pendue toute cette opulence? S'il venait à se rompre, adieu tous
ces biens; ton trésor ne serait plus qu'un charbon.
ADIdiANTE., Que veux-tu dire?
Lycinus. Qu'il est incertain mon cher, combien de temps tu
vivras au milieu de ces richesses. Car qui sait si, au moment
même où l'on te servira cette table d'or, avant que tu avances
la main, que tu goûtes au paon ou au coq de Numidie, tu ne
rendras pas cette pauvre petite âme en t'en allant et en lais-
sant tous ces mets aux vautours et aux corbeaux. Veux-tu que
je te cite tous «eux qui sont morts avant d'avoir joui de leurs
richesses, ou qui de leur vivant, en ont été privés par un dé-
mon jaloux? N'as-tu pas entendu parler de Crésus et de Poly-
crate ? Ils étaient bien plus riches que toi. N'ont-ils pas en un
instant, été privés de tous leurs biens?
27. Mais laissons ces exemples. Crois-tu que tu jouiras tou-
jours d'une santé ferme et constante ? Peut-on te la garantir?
Ne vois-tu pas la plupart des riches, réduits par leurs souffran-
ces à une existence misérable? Les uns ne peuvent plus mar-
cher, d'autres sont aveugles ou tourmentés de douleursinternes.
Quant à consentir pour le double de ton opulence, à avoir les
mœurs du riche Phanomaque et à faire la femme comme lui, je
sais bien, sans que tu me le dises, que tu ne le voudrais pas.
Je ne parle pas non plus des embûches secrètes qui sont insé-
parables de la richesse, des voleurs, de l'envie et de la haine
universelle. Tu vois de quels embarras ton trésor est la source.
Adimante. Tu me contredis sans cesse, Lycinus. Eh bien, tu
n'auras pas même la chénice en question, puisque tu cherches
toujours à contrarier mes souhaits. i
Lycinus. Tu agis déjà comme la plupart des riches; tu te ré-
tractes.et reprends ta parole: Mais voyons, Samippe, à toi de
faire des vœux. »
28. Samippe. Pour moi, qui habite le continent, Arcadien de
Mantinée, comme vous savez, je ne demanderai pas un vais-
seau, dont je ne pourrais faire montre aux yeux de mes conci-
toyens. Je ne fatiguerai pas les dieux de ces minuties, ensouhai-
tant un trésor et quelques mesures d'or monnayé. Mais puisque
rien n'est impossible aux dieux, même ce qui nous paraît le
plus difficile; que la règle posée par Timolaüs est de ne pas hé-
siter à demander sans craindre un refus, je demande à être roi,
non comme Alexandre, ils de Philippe Ptolémée, Mithridate ou
tel autre qui n'a régné qu'en succédant à son père, mais je veux
commencer par être un brigand. Je n'ai d'abord qu'une tren-
taine d'amis et de compagnons, gens de cœur et de dévouement
I insensiblement trois cents hommes se joignent k nous l'un
| après l'autre puis mille, puis après dix mille enfin j'ai bien-
I
tôt sous mes ordres cinquante mille hommes d'infanterie et cinq
i mille chevaux.
t 29. Tous, à l'unanimité, me proclament leur chef, comme le plus
digne de commander et de faire face aux affaires. Ma condition
est en cela bien supérieure à celle du reste des souverains. C'est
à mon courage seul que je dois le commandement de mon armée,
et non à l'héritage d'un autre qui a travaillé pour fonder mon
empire un bonheur de cette espèce ressemblerait trop au tré-
sor d'Adimante et il est loin de valoir le plaisir qu'on éprouve
à se voir l'artisan de sa propre puissance.
LYCINUS. Grands dieux, Samippe, ce n'est pas là une petite
affaire Tu as demandé le bien par excellence, le commandement
d'une pareille armée après avoir été déclaré le plus brave des
hommes par cinquante mille soldats. Nous ne savions pas que
Mantinée nous eût nourri un si vaillant capitaine, un prince si
digne d'admiration. Règne donc conduis tes soldats, range en
bataille ta cavalerie et tes troupes armées de boucliers. Je suis
curieux de savoir où vous irez en si grand nombre, au sortir de
l'Arcadie et sur quels malheureux vous allez d'abord tomber
30. SAMIPPE, Êccute Lycinus, ou plutôt, si tu veux bien, ac-
compagne-nous. Je te mets à la tête de mes cinq mille cavaliers.
LYCINUS. Je vous sais gré de cet honneur, grand roi pro-
sterné à la manière des Perses, je vous adore, les deux mains
au dos, je m'incline devant votre tiare droite et votre diadème.
Mais nommez, je vous prie quelqu'un de vos robustes compa-
gnons, pour commander votre cavalerie. Je suis un détestable
écuyer; jamais, au grand jamais je n'ai monté un cheval. Je
crains donc, au premier appel de la trompette, de tomber et
d'être écrasé dans la foule par un si grand nombre de sabots;
ou bien, si mon cheval est fougueux, il peut prendre le mors
aux dents et m'emporter au milieu des ennemis en sorte qu'il
faudra m'attacher à la selle, si l'on veut que je reste sur l'ani-
mal, et le retenir par la bride.
31. ADIMANTE. C'est moi, Samippe, qui conduirai la cavale-
rie. Lycinus commandera l'aile droite. Il est bien juste que tu
me donnes un poste important, moi qui t'ai fait présent de tant
de médimnes d'or monnayé.
SAMIPPE. Nous allons demander aux cavaliers. eux-mêmes,
Adimante, s'ils veulent t'agréer pour commandant: « Cavaliers,
que ceux qui veulent avoir Adimante à leur tête lèventla main a
Tu le vois, Adimante, ils l'ont tous levée. Mets-toi donc en tête
de la cavalerie, et que Lycinus se place à l'aile droite. Notre
ami Timolaüs prendra la gauche. Moi, je vais me placer au
centre, selon l'usage des rois de Perse, quand ils commandent
en personne.
32. Maintenant, marchons vers Corinthé en franchissant les
montagnes, après avoir adressé des vœux à Jupiter, protecteur
des rois. Nous soumettons la Grèce entière Personne ne peut
résister à notre nombre nous sommes vainqueurs sans com-
battre. Embarquons-nous sur les trirèmes faisons monter la
cavalerie sur des vaisseaux de transport que nous trouvons
tout prêts à Cenehrées avec du blé en quantité suffisante, ce
qu'il nous faut de navires, et le reste; voguons vers l'Ionie à
travers la mer Egée. Là. nous offrons un sacrifice à Diane; nous
prenons sans peine toutes les villes sans défense, nous y lais-
sons des gouverneurs et nous marchons sur la Syrie, à travers
la Carie la Lycie, la Pamphylie, les Pisidiens, la Cilicie mari-
time et la Cilicie montagneuse, et nous voici sur les bords de
l'Euphrate.
33. Lycinus. Grand roi, taissez-moi, s'il vous plaît, satrape
de la Grèce. Je suis timide de ma nature, et je craindrais de me
voir si longtemps éloigné de mes foyers. Vous me paraissez.dé-
terminé à marcher contre les Arméniens et les Parthes, peu-
plades belliqueuses et très-adroites à manier l'arc. Confiez donc
l'aile droite à un autre, et- permettez-moi, nouvel Antipater, de
demeurer en Grèce, de peur qu'aux environs de Suse ou de
Bactres quelque flèche ennemie ne vienne percer au défaut de
l'armure le malheureux chef de votre phalange.
Samippe. Tu désertes, Lycinus, en vrai poltron. La loi con-
damne à perdre la tête tout soldat convaincu d'avoir abandonné
son poste. Mais puisque nous sommes près de l'Euphrate, sur
lequel nous avons jeté un pont, que, derrière nous toutes les
provinces sont tranquilles et soumises à l'autorité des gouver
neurs établis par moi dans chaque pays qu'enfin j'ai fait partir
celles de mes troupes qui doivent m'assurer la conquête de la
Phénicie, de \i Palestine et de l'Egypte passe le fleuve le pre-
mier, Lycinus, à la tête de l'aile droite je te suis, et Timolaùs
vient après moi. Toi,,Adimante, amène la cavalerie sur nos
pas.
34. Nous traversons la Mésopotamie sans rencontrer aucun
ennemi. Tous les peuples, au contraire, se rendent spontané-

t Cf. Rabelais, livre I, chap. xxxm La Fontaine, La laitière et le pot au


lait; Boiitïau Ép. l.
ment avec leurs citadelles. Nous arrivons à l'improviste devant
Babylone; nous entrons dans ses murs; nous sommes maîtres
de la ville. Le roi qui séjourne près de Ctésiphon apprend
llotre irruption soudaine. Il s'avance jusqu'à Séleucie, et se pré-
pare à la bataille en appelant à lui une nombreuse cavalerie,
des archers, des frondeurs. Nos espions nous rapportent qu'il a
F réuni plus d'un million de combattants, parmi lesquels deux
I
cent mille archers à cheval, sans parler des renforts qu'il attend
| d'Arménie et des peuples voisins de la mer Caspienne et de la
Bactriane, mais en ne comptant que les troupes levées dans le
voisinage et, pour ainsi dire, dans les faubourgs de la capitale,
tant il a eu de facilité à mettre tous ces milliers d'hommes sous
les armes. Il est temps de voir maintenant ce qu'il nous con-
vient de faire.
35. ADIMANTE. Moi, je suis d'avis que vous, fantassins, vous
marchiez contre Ctésiphon, tandis que nous autres, cavaliers,
nous resterons ici à garder Babylone.
SAMIPPE. Et toi aussi, Adimante, tu recules devant le dan-
ger. Quel est ton avis, Timolaüs ?q
Timolaùs. De marcher avec toutes nos troupes à la rencontre
des ennemis, sans attendre qu'ils se soient préparés à nous
bien recevoir.,De toutes parts il leur survient des alliés. Atta-
quons-les, pendant que ces nouveaux adversaires sont encore
en chemin.
SAMIPPE. Très-bien et toi, Lycinus qu'en dis-tu ?
LYCINUS. Moi, je te dirai que, comme nous sommes fatigués
d'avoir marché sans désemparer, depuis ce matin que nous
sommes descendus au Pirée, et que nous venons de faire à peu
près trente stades par un soleil ardent et en plein midi, je suis
d'avis de nous reposer ici quelque part, sous ces oliviers, et de
nous asseoir sur cette colonne renversée. Après quoi nous nous,
lèverons et nous achèveronstranquillement notre route jusqu'à
la ville.
SAMIPPE. Eh quoi mon cher ami, tu te figures être encore
à Athènes tandis que tu es dans la plaine de Babylone, campé
devant ses murailles entouré de. nombreux soldats, et délibé-
rant sur la guerre?
36. LYCINUS. Tu me le rappelles. Je croyais être encore dans
mon bon sens. C'est à toi de donner ton avis

t. Ville d'Assyrie, sur le Tigre, au nord. Elle était la résidence d'hiver des
rois ParlUes Arsacides. Ses ruines se nomment, avec celles de Séleucie,
Jl-Madaïn (les Villes).
SAMIPPE. En ce cas, marchons, si bon vous semble et si
vous êtes des gens de cœur dans le danger n'allez pas manquer
à vos sentiments patriotiques.,Voiciles ennemis. Le mot d'ordre
est Mars Dès que la trompette aura donné le signal, jetez le
cri de guerre, frappez sur vos boucliers avec le fer de vos lan.
ces, précipitez-vous dans la mêlée, pénétrez à travers les flè-
ches pour éviter les coups des archers en ne leur laissant pas le
temps de faire voler leurs traits. Nous voilà aux prises. L'aile
gauche et Timolaüs ont mis en fuite les Mèdes qui leur étaient
opposés le combat se soutient à armes égales dans l'endroit
ou je suis; j'ai affaire aux Perses, leur roi en tête; mais la ca-
valerie des barbares s'avance en bon ordre contre l'aile droite.
Allons, Lycinus montre que tu as du cœur et engage tes sol-
dats à soutenir vigoureusement le choc.
37. LYCINUS. Voyez la chance Toute la cavalerievient fondre
sur moi, et je. suis le seul qu'elle ait jugé à propos d'attaquer. Ma
foi! pour peu qu'elle me presse, je vais me sauver et me réfu-
gier dans cette palestre, en vous laissant continuer la guerre.
SAMIPPE. Pas du tout tu es vainqueur à ton tour. Moi,
comme tu le vois, je vais combattre corps à corps avec le roi
il me défie, et il serait tout à fait honteux de reculer.
Lycinus. Ah! par Jupiter, te voilà blessé par lui dès le pre-
mier instant; car il est digne d'un roi d'être blessé en combat-
tant pour sa puissance.
Samippe.' Tu as raison. Seulement, ma blessure est légère
elle ne porte sur aucun endroit apparent du corps, et je n'ai pas à
craindre quelque cicatrice qui me défigure. Mais vois donc avec
quelle vigueur j'attaque mon adversaire d'un seul coup de ja-
velot je le perce d'outre en outre, lui et son cheval. Iltombe; je
lui tranche aussitôt la tête je lui arrache son diadème, et je de-
viens roi. tous se prosternent devant ma royauté.
38. Barbares! à genoux! Quant à vous, autres, Grecs, je ne
veux vous dicter des lois qu'en qualité de stratège. Après cela,
songez combien de villes je vais fonder qui porteront mon nom,
combien j'en détruirai d'autres de fond en comble, après les
avoir prises d'assaut, pour les.punir d'avoir insulté à ma puis-
sance. Je me vengerai surtout du riche Cydias, qui, lorsqu'il
était mon voisin, me chassa de son champ parce que j'empiétais
un peu sur ses limites.
39. Lycinus. Arrête-toiSamippe il est temps après être
sorti vainqueur d'un si terrible combat, de retourner à Baby-

t Littéralement 'EmxXtot, Ényalios, le Belliqueux, surnom de Mars.


lone, pour y célébrer ta victoire dans des festins'. Mais déjà ton
empire a excédé le nombre de stades voulu, et c'est maintenant
le tour de Timolaüs de souhaiter ce qu'il lui plaira
SAMIPPE. Eh bien, Lycinus, que te semble de mes souhaits?
Lycinus. Ils sont beaucoup plus pénibles, étonnant monarque,
et bien plus audacieux que ceux d'Adimante. Au moins vivait-il
dans les plaisirs, présentant à ses convives des coupes de deux
talents mais toi, blessé dans le combat, dévoré nuit et jour par
les craintes et les inquiétudes, tu avais à redouter non-seule-
ment les entreprises de tes ennemis, mais encore mille embû-
ches, l'envie de tes familiers, la haine, la flatterie. Tu n'avais
vérËable
aucun ami ceux qui te paraissaient le plus dévoués ne
l'étaient que par la crainte ou par l'espérance. Nulle jouissance,
même en songe, d'un plaisir pur'; mais une vaine gloriole, de
la pourpre brodée d'or, un ruban blanc sur le front, des dory-
phores marchantdevant toi, puis un labeur incessant, une foule
d'amertumes. Il faut sans cesse ou délibérer sur les mouve-
ments connus de l'ennemi, ou rendre la justice, ou envoyer des
ordres à tes sujets. Une nation se révolte, une autre envahit les
frontières de ton empire; toujours des craintes, toujours des
soupirs en un mot, tout le monde excepté toi, t'estime heu-
reux.
40. Et puis, n'est-ce pas humiliant d'être exposé aux mêmes
maladies que les. simples particuliers? La fièvre ne distingue pas
en toi le monarque; la mort ne craint pas tes doryphores sans
respect pour le diadème, elle arrive quand il lui plaît et t'em-
porte tout en larmes. Te voilà précipité du faîte des grandeurs,
arraché du trône, foulant la même route que le commun des
nommes, confondu et chassé avec le troupeau des morts, lais-
sant sur la terre une tombe élevée, une haute colonne, une py-
ramide aux arêtes bien dessinées,monuments d'une vanité post-
nume et désormais insensible. Ces statues, ces temples
que les
villes ont élevés pour te faire la cour; ce grand nom, ces titres
fastueux, tout cela s'évanouit peu à peu et se perd dans l'oubli.
Mais, dureraient-ils un temps plus considérable quelle jouis-
sance peuvent-ils procurer à qui ne les sent plus? Tu vois que
de soucis, de craintes, d'inquiétudes et de travaux tu
auras à
supporter vivant, et le fruit que tu en recueilleras en passant
dans l'autre monde.

1. Allusion à la mort a'Alexandre.


2. Voy. le beau chapitre de Montaigne Nousne goustens rien de pur Essais,
livre Il, chap. xx.
41. Mais c'est à toi de faire un souhait. Timolaüs. Songe à
surpasser Adimante et Samippe, en homme de sens et d'expé-
rience.
Timolaûs. Vois, Lycinus, si je vais former un souhait qui
prête au reproche et que l'on puisse blâmer. Je ne demande ni
de l'or, ni des trésors, ni des médimnes de pièces de monnaie
moins encore des empires, des guerres, et ces craintes qui assié-
gent Je trône, et que tu as justement critiquées tout cela est
incertain, plein d'embûches, déguisant l'amertume sous Je
plaisir.
42. Moi, je veux que Mercure propice me fasjse présent de
certains anneaux d'une vertu singulière l'un, me donnant la
santé, un corps robuste, invulnérable, inaccessible à la douleur;
'autre, le pouvoir d'être invisible, comme celui de Gygès un
.roisième, des forces supérieures à celles de dix mille hommes,
ie sorte que j'enlève aisément seul un poids que dix mille per-
sonnes pourraient à peine ébranler. Je veux aussi pouvoir
voler et me tenir à une grande hauteur au-dessus de la terre
il me faut un anneau pour cela. Je veux plonger dans le som-
meil qui bon me semble, ouvrir toutes les portes, faire glisser
toutes les serrures, enlever tous les barreaux encore un an-
neau pour ces deux facultés.
43. Mais l'essentiel, le plus charmant de tout, je veuxun an-
neau qui me rende aimable aux jolis garçons et aux femmes,
aux populationsentières, si bien qu'il n'y ait personne qui ne
m'adore qui ne désire mes faveurs, qui n'ait mon nom à la
bouche. Mille beautés amoureuses de moi, et ne pouvant résister
à la violence de leurs feux, se pendent de désespoir; les garçons
en perdent la tête on estime heureux celui sur qui je laisse
tomber un regard, et le moindre de mes mépris fait mourir de
chagrin enfin Hyacinthe, Hylas et Phaon de Chio, ne sont rien
au prix de moi.
44. Or, je ne veux pas que ces dons soient éphémères, ni que
ma-vie soit bornée à celle des autres hommes. Il me faut mille
années, toujours jeune, et me dépouillant de la vieillesse tous
les- dix-sept ans, comme les serpents. Avec de pareils avantages,
rien ne doit manquer à mon bonheur. A moi toutes les richesses
des autres, çuisque je peux ouvrir leurs portes, endormir leurs
gardes, entrer partout sans être vu. S'il existe, dans les Indes
ou dans les. contrées hyperborées, un spectacle curieux, un objet

envoyer, j'y vole


précieux, un mets, un breuvage agréable, je n'ai pas besoin d'y
et j'en jeuis à la satiété. Le griffon.
ce quadrupèdeailé, le phénix, cet oiseau indien que n'a jamais
vu personne, moi je les ai vus. Seul je connais les sources du
Nil, les parties inhabitées de la terre, s'il y a des antipodesdans
l'hémisphère austral. J'ai reconnu sans peine la nature des as-
tres, de la lune et du soleil, puisque leur feu n'a pu m'atteindre.
Mais ce qu'il y a de plus agréable, c'est qu'en un même jour je
puis aller à Babylone annoncer le vainqueur des jeux olympiens,
diner, si cela se trouve, en Syrie, et souper en Italie. Ai-je
un ennemi, je puis me venger sans être vu, lui laisser tomber
une pierre sur la tête et lui briser le crâne. Mes amis, je les
comble de bienfaits, et, pendant leur sommeil, je leur verse l'or
àpleines mains. Si j'aperçois un riche orgueilleux, un tyran in-
solent, je le saisis, l'enlève à vingt stades de hauteur, et je le
précipite sur des rochers. Rien ne peut m'empêcher de jouir
de mes amours j'entre partout sans être vu et j'endors tout
le monde, exuepté les objets de ma tendresse. Et quel plaisir
encore d'espionner les ennemis en me tenant hors de la portée
du trait; de prendre, si je veux, le parti des vaincus en endor-
mant les vainqueurs; de donner la victoire aux fuyards en les
faisant revenir sur leurs pas! En un mot, je me joue de l'hu-
manité tout entière tout est à moi je suis dieu et le comble de
ma félicité, c'est que je ne puis la perdre elle' n'est exposée à
aucune embûche, et surtout j'ai la santé dans une longue vie.
45. Eh bien, Lycinus, que reproches-tu à mon souhait?
Lycinus. Rien, Timolaüs car il n'est pas trop sûr de contre-
dire un homme qui a des ailes, et dont la force surpasse celle de
dix mille autres. Pourtant, je te demanderai si, parmi tant de
nations au-dessusdesquellestu as promené ton vol, tu as aperçu
un vieillard dont le cerveau est tellement dérangé qu'il s'ima-
gine voyager dans les airs sur un petit' anneau, et remuer des
montagnes ent'ères avec le bout de son doigt, et qui veut pa-
raître aimable à tout le monde, en dépit de sa tête chauve et de
sonnez camus. Mais, dis-moi, pourquoi un seul anneau n'au-
rait-il pas le pouvoir d'opérer toutes ces merveilles? Ne peux-tu
marcher sans cette foule de bagues? Faut-il que chaque doigt
de ta main gauche
en soit chargé? Ce nombre l'écrase il faut
au moins que la droite lui vienne en aide. Cependant il te man-
que encore un anneau, le plus nécessaire de tous celui qui fe-
rait cesser ta folie et te guérirait de cette pituite i îsensée. Il te
ferait l'effet d'une potion de pur ellébore.
46. TimolaùS/. Mais enfin, Lycinus, fais donc un souhait à ton
tour, afin que nous sachions si tu ne désirerais rien qui prête à
la censure et
aux reproches, toi qui critiques si tien les au-
tres.
Lyçikus. Je n,'ai point de souhaits à former, car
arrivés en face du pipyle. Le belliqueuxSamjppe, dansnous voici
près de Babylone, et toi, Timolaüs, en dînant son duel
en Syrie et en
soupant en Italie, vous avez abusé des stades qui m'étaient dé-
volus, et vous avez bien fait. Je ne veux pas d'une fortune éphé-
mère que le vent emporte et qui ne laisse, que des
regrets, quand
on mange ensuite quelque gâteau sec, comme cela va
arriver tout à l'heure. Votre félicité, vos immenses richessesvous
vont s'envoler dans peu, d'instants déchus de vos trésors
et de vos diadèmes, réveillés du plus doux songe,
vous allez
trouver chez vous des objets bien différents; semblables à ces
rois de tragédie, qui, au sortir du théâtre, meurent de faim
pour la plupart, après avoir joué les Agamemnons et les Créons.
Vous éprouverez sans doute alors quelque tristesse, et
prendrez en dégoût vos affaires domestiques; toi surtout,vous Ti-
molaùs, lorsque, nouvel Icare, dépouillé de tes ailes fondues,
tu
retomberas du ciel sur la terre, privé de tous les
anneaux
échappés de tes doigts. Pour moi, je préfère à tous
ces trésors,
à Babylone même., de pouvoir rire à mon aise. des souhaits
que
you3 avez formés, vous qui, pourtant, êtes des hommes dévoués
à la philosophie.
LXVIÏ
i
f.' DIALOGUES DES COURTISANES'.

1
f;
1

GLYCÈRE ET THAÏS.
É
1. GLYCÈRE. Ce soldat, Thaïs, cet Acarnien, qui entretenait
autrefois Abrotonum, et qui fut ensuite mon amant, cet homme
toujours habillé de pourpre et v,êtu d'une chlamyde, le connais-
tu,
l
.ou bien l'as-tu
oublié?y
petite Glycère. Je le connais bien; il faisait
THAïs. Non, ma
ripaille avec nous, l'année dernière le jour de la fête des
Granges Mais quoi? Tu voulais, ce me semble, en dire quelque
chose.
Glycère. Gorgone,"cette coquine, que je croyais mon amie, l'a
"enjôlé et me l'a soufflé.

peine.
Thaïs. Ainsi, il n'est plus avec toi; il a pris Gorgone pour
maîtresse.
GLYCÈRE. Hélas 1 oui

tendre.
Thaïs, et cela me fait beaucoup de
C'est un vilain trait, Glycère; mais tu devais t'y at-
THAïs.
Nous avons l'habitude de nous jouer de pareils tours,
nous autres courtisanes. Il ne faut donc pas t'en affliger, ni en
vouloir à Gorgone. Abrotonumne t'en a pas voulu, quand il l'a
quittée jadis, et vous étiez amies.
1. Cf. Lettres d'Alciphron; Barthélémy, Voyage d'Anacharsis, chap. xx;
de Pauw, Recherchesphilosophiquessur les Grecs, partie II, § 2; Fêtes et cour-
Usanes de la Grèce, ou Supplément aux voyages d'Anacharsis et d'Atttèttçr,
sans nom d'auteur; Philarète Chasles, les Hétaïresgrecques, p. 299 des Études
mr l'antiquité; Ch. Dëzobry, Rome au siècle d'Auguste, lettre IV, à la fin, et
lettre LXV; E. Deschanel, Courtisanes grecques, Revue des Deux Mondes du
juillet 1847 Balzac, Splendeur et misère des courtisanes.
2. La fête nommée 'Aiwa chez les Athéniens se célébrait en l'honneur de
tërès, aiirèa la moisson; et après!» vendange.
2. Mais ce qui m'étonne c'est ce qu'il trouve de beau à Gor-
gone, ce soldat-là, à moins d'être aveugle et de ne pas voir
qu'elle n'a presque plus de cheveux, et que ce qu'il en reste est
fort éloigné du front. Ses lèvres sont pâles, livides comme celles
d'un mort, son cou maigre, ses veines grosses, son nez long.
Une seule chose, c'est qu'elle est grande et bien faite, et elle a
un sourire tout à fait engageant.
GLYCÈRE. Tu crois donc, Thaïs, que l'Acarnienl'aime pour sa
beauté? Tu ne- sais pas qu'elle est fille de la magicienne Chry-
sarium ? C'est une femme versée dans les charmes thessaliens
elle fait descendre la lune sur la terre elle aura tout affolé cet
homme, en lui faisant boire quelque philtre, et maintenant elle
le gruge.
THAïs. Eh bien, toi, Glycérette,tu en grugeras quelque autre.
Dis bonjour à celui-là.

2
MYRTIUM, PAMPHILE ET DOM.

1. MYRTIUM. Tu te maries, rampmie, à la fille de Phidon, le


pilote; l'on dit même que tu l'as épousée. Tant de serments que
tu m'as faits, tant de larmes versées, se sont donc évanouis en
un instant! Tu oublies maintenant ta Myrtium; et cela, Pam-
phile, lorsque j'en suis à mon huitième mois de grossesse. Voilà
donc le fruit de tant d'amour je suis enceinte de tes oeuvres,
et bientôt il me faudra nourrir un enfant, jolie charge pour une
courtisane! Car je ne crois pas que j'expose celui dont j'accou-
cherai, surtout si c'est un garçon je l'appellerai Pamphile il
sera la consolation de ma tendresse, et, quelque jour, il te re-
prochera, s'il te rencontre, d'avoir été infidèle à sa malheureuse
mère. La fille que tu épouses n'est pourtant pas si belle; je l'ai
vue dernièrement aux Thesmophories,et je ne savais pas qu'elle
serait bientôt cause que je ne verrais plus Pamphile. Regarde-
la donc bien auparavant, et prends garde de te repentir plus
tard d'avoir pris une femme dont les yeux gris louchent et se
regardent l'un l'autre; ou plutôt tu as vu Phidon, le père de la
mariée; tu connais sa face; cela te dispense de voir sa fille.
PAMPHILE. Ces sornettes-la, Myrtium, vais-je les entendre
longtemps? En as-tu fini avec tes filles de pilote et tes mariages
navals? Est-ce que je sais si la mariée est belle ou camuse;
si Phidon d'Alopèce1, car c'est de lui, je pense, que tu veux par-
ler, a une fille nubile? Ce qu'il y a de sûr, c'est qu'il est brouillé
avec mon père. Je me rappelle qu'ils ont eu dernièrement un
procès pour une affaire maritime. Phidon devait, je crois, un
talent à mon père, et il ne voulait pas payer. Mais celui-ci le
cita devant les juges nautiques; et il eut grand'peine à se faire
rembourser; encore ne paya-t-il pas la somme complète au dire
de mon père. Si j'étais si pressé de me marier, aurais-je refusé
la fille de Déméa, ma cousine du côte de ma mère, et dont le père
était stratége l'an dernier, pour aller épouser la fille de Phidon?
Mais qui est-ce qui t'a dit cela? Où as-tu été inventer, Myrtium,
ces beaux fantômes de jalousie?
3. Myrtium. Te maries-tu, oui ou non, Pamphile?
PAMPHILE. Tu es folle, Myrtium, ou tu as bu. Cependant hier
nous n'avons pas fait ripaille.
MYRTIUM. C'est Doris qui m'a mis martel en tête. Je l'avais
envoyée m'acheter quelques étoffes de laine pour mes couches
et faire un voeu pour moi à Lucine, lorsqu'elle m'a dit avoir
rencontré Lesbie. Mais raconte plutôt toi-même, Doris, ce que
tuas appris, à moins que tout cela ne soit de ton invention.
DORIS. Que je meure, maîtresse, si j'ai menti d'un mot! J'é-
tais près du Prytanée, quand j'ai rencontré Lesbie, qui m'a dit
en riaht: « Eh bien, votre amant Pamphile épouse la fille de
Phidon » Si j'en doutais, elle m'engagea à me pencher du côté
devotre ruelle, pour voir tout couronné de guirlandes, les joueu-
ses de flûte, le mouvementdela fête, les chœurschantant l'hymen.
PAMPHILE. Alors tu t'es penchée, Doris ?
Doris. Oui, ma foi; et j'ai vu tout ce qu'elle me disait.
4. PAMPHILE. Ah je comprends l'erreur. Lesbie ne t'a pas
absolument trompée, Doris, et ce que tu as rapporté à Myrtium
est vrai mais c'est mal à propos que vous avez pris l'alarme.
La noce n'est pas pour moi. Je me souviens que ma mère m'a
dit hier, quand je vous eus quittées «,Tu connais, Pamphile,
Charmide, le fils d'Aristénète, notré voisin; il est de ton âge'
eh bien, il se marie; c'est un homme rangé et toi, jusques à
quand vivras-tu avec ta maîtresse » Je fis semblant de ne pas
l'entendre, et j'allai me coucher. Ce matin, au point du jour, je
suis accouru ici, et voilà pourquoi je n'ai rien vu de ce qu'a vu
Doris. Si tu en doutes, retournes-y, Doris regarde avec atten-
lion non la ruelle, mais la porte, et vois celle qui est ornée de
guirlandes tu reconnaîtras que c'est la porte de nos voisins.

i. Bourgade de l'AUique, de la Iribu Anliochide.


Myrtiçm, Tu me rends la vie, Pamphile: je me serais pen-
due, si cela était arrivé.
PAMPHILE. Mais c'est impossible. Je ne suis pas assez fou pour
oublier Myrtium, surtout quand je l'ai rendue mère.

3 3

PHILINNA ET SA MÈRE.

1. LA Mère. Tu étais folle, Philinna ou qu'est-ce que tu


avais donc hier pendant le souper? Diphile est arrivé ce matin
tout en larmes, et il m'a raconte ce qu'il avait eu à souffrir de
toi. Tu t'es enivrée, tu t'es levée au milieu du festin pour dan-
ser, malgré sa défense, et tu as été ensuite donner un baiser à
son ami Lamprias puis, comme Diphile paraissait mécontent,
tu l'as laissé là, tu es allée t'asseoir auprès de Lamprias et tu lui
as passé les bras autour du cou, au grand dépit de Diphile.
Cette nuit même, tu n'as pas voulu coucher avec lui tu l'as
laissé pleurer, et tu es allée dormir seule sur un lit voisin du
Men, en chantant pour lui faire de la peine.
2. PHILINNA. Il ne vous a pas dit, ma mère, tout-ce qu'il m'a
fait, lui; autrement vous ne prendriez pas le parti de cet inso-
lent. Il m'aabandonnéepour aller causer avec Thaïs, la maîtresse
de Lamprias, avant que celui-ci fût arrivé. Il voit que cela me
fait de la peine, et je lui fais signe de "cesser alors il prend
Thaïs par le bout de l'oreille, lui fait pencher la tête, et lui donne
un baiser si serré, qu'elle y laisse presque ses lèvres. Je pleure,
il se met à rire, à parler longuement à l'oreille de Thaïs, contre
moi sans doute, car Thaïs me regarda.it en riant. Enfin, lorsqu'ils
voient Lamprias entrer ils s'arrêtent, fatigués de leurs baisers
réciproques et moi je vais m'asseoir à côté de Lamprias, sans
me figurer que Diphile en prendrait prétextede querelle. Thaïs
se lève et se met à danser lapremière, ayant grand soin de faire
voir ses jambes le plus haut possible, comme. si elle était la
seule qui eût la jambe bien faite. Quand elle a fini, Lamprias
garde le silence; mais Diphile "exalte sa souplesse, son talent
chorégraphique.'Gomme son pied est juste en mesure avec la
oitqare 1 Quelle jolie, jambe Et mille autres louanges. On eût
dit qu'il parlait de la Sosandra de Galamis et non pas de la
(. Voy. les Portraits, 4,6, •
Thaïs que vous com;aissez bien pour l'avoir vue au bain avec
nous. Alors cette Thaïs que vous connaissez,voulant se moquer
de moi Si certaine personne, dit-elle, ne craignait pas de nous
montrer une j&mbé sèche, elle se lèverait et danserait. fc Que vous
dirai-je, ma mère ? Je me lève et je danse. Que fallait-il donc
faire? Souffrir et accréditer cette ràillerie? Laisser Thaïs régner
en souverainedans le festin ?
3. LA MÈRE. Tu es trop glorieuse, ma fille. Il fallait t'en mo-
quer. Dis-moi comment les choses se sont ensuite passées.
PHILINNA. Tous les convives m'ont comblée d'éloges Diphile
seul, couché sur le dos; a regardé au plancher jusqu'à ce que je
me fusse arrêtée'de fatigue.
LA MÈRE. Mais est-il vrai que tu aies donné des baisers à
Lamprias, que tu aies quitté ta place pour aller l'embrasser?
Pourquoi ce silence? Voilà qui est impardonnable.
Philinna: Je voulais lui rendre la peine qu'il m'avait faite.
LA MÈRE. Et pour cela tu n'as pas voulu coucher avec lui tu
t'es mise à chanter pendant qu'il pleurait? Tu ne songes donc
pas, ma fille, que nous sommes pauvres ? tu oublies les présents
qu'il nous a faits, et comment nous aurions passé l'hiver dernier,
si Vénus ne nous eût envoyé ce garçon ?
PHILINNA. Eh quoi! 1 faut-il pour cela que je supporte ses ou-
trages ?
LÀ MÈRE. De la colère, si tu veux, mais pas de mépris. Tu
ne sais donc pas que les amants se rebutent par Ifl mépris et
s'en veulent à eux-mêmesTu as toujours été trop. dure envers
celui-ci. Prends garde, comme dit le proverbe, qu'en voulant
trop la tendre, nous ne cassions la corde.

4
mélIttà et. bacchis.

1. MÉMTTA; Si ttt connais, Baéchis, quelque vieille, comme


on dit qu'ily en a bon nombre en Thessalie, qui sache rendre
les gens aimables par quelque, enchantement et faire adorer la
femme la pliis haïe, preiids:là, que le ciel te le rende!, et amène-
la ici. Ces habillements complets, tout cet or, je suis prête à lé

Cf. Théoçritc Idylle !ï Virgile, Églogue VIII Horace Épode V.


lui donner, si je vois Charinus revenir à moi et détester Simmi-
ché comme il
me déteste.
Bacchis. Que dis-tu ? Charinus vit maintenant avec Simmi-
ché ? Il t'a quittée, Mélitta, toi pour qui il a eu tant de démêlés
avec sa famille, et refusé d'épouser cette riche hértière, qui.
dit-on, lui apportait une dot de cinq talents? Je me rappelle
t'avoir entendue dire cela.
Mélitta. C'en est fait, Bacchis, tout est perdu pour moi. Il y
a cinq jours entiers que je ne l'ai vu il va chez un de ses amis.
Pamménès, faire bombance avec Simmiché.
2. Bacchis. C'est triste pour toi, ma pauvre Mélitta. Mais
pourquoi vous êtes-vous brouillés ? Il a fallu quelque chose de
grave.
MÉLITTA. Je ne sais pas du tout pourquoi. Hier, quand il est
revenu du Pirée, où son père l'avait envoyé, je crois, recouvrer
une dette, il n'a pas voulu me regarder au moment où j'accou-
rais au-devantde lui et, repoussant mon embrassade « Laisse-
moi, m'a-t-il dit va trouver le patron Hermotimus, ou plutôt
va lire ce qui est écrit sur les murs du Céramique, où ton nom
et le sien sont gravés. sur une colonne. Quel Hermotimus ?
lui dis-je, quelle colonne? » Mais lui sans me répondre, sans
vouloir dtner, se couche en me tournant le dos. De quoi ne me
suis-je pas ingéniée ? Je l'ai embrassé; j'ai essayé de le ramener
de mon côté je lui ai baisé le dos Insensible à toutes mes ca-
resses « Si tu m'importunes plus longtemps, me dit-il, ié m'en
vais, quoiqu'il soit minuit. »
3. Bacchis. Mais connais-tu cet Hermotimus?
Mélitta. Puisses-tu, Bacchis, me voir plus malheureuse en-
core que je ne suis, si je connais ce patron! Cependant, dès la
pointe du jour, au chant du coq, Charinus s'éveille et s'en va.
Je me rappelle qu'il m'a dit avoir vu mon nom inscrit sur un
mur du Céramique'. J'y envoie Acis. Elle ne trouve que ces
mots gravés à droite en entrant, près du Dipyle: « Mélitta aime
Hermotimus;
aime Mélitta. »
et un peu plus bas Le patron Hermotimus

f a C'était un usage des Athéniens, quand ils voulaient faire une déclara-
tion d'amour s quelqu'un, d'écrire le nom de celte personne sur la muraille
d'un lieu public, où l'on savait que cette personneallait souvent. La formule
Le
de cette inscription était ordinairement ce Une telle est belle. Céramique

Ballu,
dont il s'agit ici est celui de la ville dans lequel les courtisanes se prome-
naient car il y avait un autre Céramique hors de la ville; mais celui-ci ser-
vait de sépulture aux citoyens qui étaient morts en combattant pour la patrie. »
Bei-ht DE
BACCHIS. Quels mauvais sujets que ces jeunes gens 1 Je com-
prends. Quelqu'ir pourfairepièce à Charinus, le sachantjaloux,
aura mis cette inscription. Il a cru la chose tout de suite. Si je le
vois, je lui en parlerai. Il n'a pas d'expérience c'est un enfant.
MÉLITTA. Mais comment pourras-tu le voir? Il s'enferme toute
la journée avec Simmiché. Ses parents l'ont fait en vain cher-
cher ici. Ah 1 Bacchis si je pouvais trouver quelque vieille
telle que je te le disais, sa présence me sauverait la vie.
4. BACCHis. Il y a, ma très-chère, une excellente magicienne,
Syrienne de naissance; robuste et vigoureuse, qui m'a jadis
raccommodée avec Phanias, lequel, ainsi que ton Charinus,
s'était brouillé avec moi pour une vétille. Après quatre mois
entiers, elle l'a ramené auprès de moi par ses enchantements
quand je commençais à.en désespérer.
Mèlitta. Qu'a donc fait cette vieille, si tu te le rappelles?
Bacchis. Elle ne prend pas cher, Mélitta elle demande seu-
lement une drachme et un pain. Il faut, cependant, apporter
encore du sel, sept oboles, du soufre et un flambeau. La vieille
les prend. On verse aussi du vin dans un vase, et c'est elle
qui le boit. Il faudra encore que tu te procures quelque chose
qui ait appartenu à ton amant, des habits, des chaussures,
quelques cheveux ou autres objets analogues.
MÉLITTA. Justement, j'ai ses chaussures.
5. Bacchis. Elle les suspendra à un pieu, brûlera du soufre
dessous répandra du sel sur le brasier, en prononçant vos deux
noms, le tien et celui de Charinus puis tirant une toupie de
son sein', elle la fera tourner, et récitera son enchantement
composé de plusieurs mots barbares qui font frémir. Voilà du
moins ce qu'elle a fait pour moi. Bientôt après, Phanias, malgré
les reproches de ses amis et les vives instances de Phébis, avec
laquelle il vivait, revint moi, entraîné par la puissance du
charme. Il y a plus la vieille m'apprit encore un secret pour
inspirer à Phanias la haine la plus violente contre Phébis. C'é-
tait d'observer la trace des pas de cette fille de les effacer en
posant le pied droit où elle avait posé le pied gauche et le pied
gauche où elle avait posé le pied droit, et de dire en même
temps « Je marche sur toi; je suis au-dessus de toi! J'ai fait
tout ce qu'elle m'avait prescrit.
MÉLITTA. Vite, vite, Bacchis! Fais-moi venir la Syrienne!t
Et toi, Acis, procure-toi du pain, du soufre et tout ce qu'il
faut pour l'enchantement.
i Voy Horace, Épode xvu, y. 7 et la note d'Orelii.
5
CLONARIUM ET LÉËNA.

1. CLONARtuM. Nous en apprenons de belles sur ton compte,


Lééna! Mégilla, cette riche Lesbienne, est, dit-on, éprise de
toi, comme un homme. Vous vivez ensemble, ét il se passe je
ne sais quoi entre vous. Voyons 1 Tu rougis 1 Parle est-ce
vrai?
Lééna. C'est vrai, Clonarium. Mais j'en suis toute confuse.
C'est monstrueux
CLONARITJM. Par Cérès Qu'est-ce donc ? Que te veut cette
femme? Que faites-vous lorsque vous êtes ensemble? Tu ne
m'aimes pas, sans quoi tu ne me cacheraisrien.
LÉÉNA. Je t'aime plus que personne. Mais cette femme a des
goûts terriblement masculins.
2. ClonariuM. Tu veux dire, sans doute, que c'est une de ces
tribades cotrimé on en rencontre à Lesbos, femmes qui ne veu-
lent pas recevoir d'hommes, et qui font l'office d'hommes avec
des femmes.
Lééna. C'est quelque chose de Semblable*
Clonarium. Èh bien I raconte-moi > Lééna, ses premières
tentatives auprès de toi, ta séduction et le reste.
Lééna. Èllesavaient organisé une partie, elle et bémonassa
de Corinthe, femme riche et adonnée aux mêmes pratiques que
Mégillâ elles me firent venir pour lés amuser de ma cithare.
Lorsque j'eus fini de chanter, c'était le soir, l'heure, étant venue
de se coucher, comme elles avaient bien bu Voyons, Lééna
dit Mégilla il va faire bon dormir tu Vas coucher ici entre
nous deux. x
CLONARitJst. Tu t'es couchée et ensuite?
3. Lééna. Ensuite elles m'ont embrasséecomme des hommes,
non-seulementen appliquant les lèvres,mais en entr'ouvrantla
bouche, me caressant, me pressant la gorge Démonassa même
me mordait en me donnant des baisers. Pour moi je ne.voyais
pas, où elles voulaient en venir. Enfin Mégilla, tout animée,
enlève sa chevelure postiche, faite à se méprendre et parfaite-
ment ajustée, se montre rasée jusqu'à la peau, comme un vigou-
reux athlète. Cette vue me jette dans un grandtrouble, t Lééna
me dit-elle, as-tu vu un plus beau garçon ?– Mais, lui dis-je
je ne vois pas de gàrcon Mégilla. – Ne parle pas de moi au
féminin, dit-elle je m'appelle Mégillus; j'ai, depuis longtemps,
épousé Démonassa elle est ma femme. » A ces mots, Clonarium,
ne pouvant m'empêcher de rire: «c MégiJlus lui dis-je, vous
étiez un homme, à votre insu, comme i^h'ii;, caché parmi les
filles sous ses habits de po.irpre. Mais alors vous êtes fait.comme
un homme, et vous vous conduisez en mari avec Démonassa?
Je n'ai pas précisément tout ce qu'il faut Lééna reprit-elle
mais je n'en ai pas absolument besoin. D'ailleurs, tu me verras
à l'œuvre et travailler de fort agréable manière. Vous êtes
donc un hermaphrodite, lui dis-je, comme on dit qu'il y a eu
beaucoup de gens ayant les deux sexes ? » En effet, Clonarium,
je ne me doutais pas de ce qu'il en était. t Non, me répondit-
elle, je suis vraiment homme.
4. – C'est que j'ai entendu dire, repris-je, à la Béotienne
Isménodore joueuse de flûte qui me racontait les histoires de
son pays, qu'il y a eu jadis un Thébain changé de femme en
homme; c'était aussi, je crois, un fameux devin, nommé Tiré-
sias. Est-ce qu'il vous est arrivé quelque chose de pareil? Non,
dit-elle, Lééna je suis venue au monde comme vous toutes; mais
j'ai les goûts. les désirs et le reste d'un homme. Et il vous
suffit des désirs? lui répondis-je. Lééna, me dit-elle, laisse-
toi faire, si tu ne me crois pas, et tu comprendras que je suis
tout à fait un homme. J'ai ce qu'il faut pour te convaincre en-
core une fois, laisse-toi faire, et tu verras. Jeme suis laissa
faire, Clonarium, j'ai cédé à ses instances, accompagnées d'un
magnifique collier et d'une robe de lin du plus fin tissu. Je l'ai
saisie dans mes bras comme un homme; elle m'a embrassée'toute
haletante, et m'a paru goûter le plus vif plaisir.
Glonarium.Qu'a-t-elle donc fait-et comment s'y est-elle prise?
C'est là surtout ce qu'il faut me raconter.
Lééna. N'en demande pas plus long. Ce n'est pas beau. Aussi,
j'en jure par Vénus, je n'en dirai rien.

CROBYLE ET CÔKINNE ».

IvCrobyle. Corinne, tu vois que ce n'est pas, comme tu te


le figurais, un si grand malheur que de cesser d'être fille de

4 Cf. Satire XIII de Régnier.


vivre avec un beau jeune homme, et de gagner tout de suite
une
mine', avec laquelle je vais t'acheter un collier.
Corinne. Oui, maman. Mais, surtout, qu'il ait des pierres
couleur de feu comme celui de Philénis.
CROBYLE. Il sera tout pareil. Mais j'ai autre chose à te dire.
Écoute bien ce que tu dois faire et comment il faut te conduire
avec les hommes. Nous n'avons pas d'autres ressources pour
vivre ma fille. Depuis deux ans que ton père, d'heureuse mé-
moire, est allé de vie à trépas, tu ne peux pas te douter com-
ment nous avons vécu. De son vivant, nous ne manquions de
rien. C'était un excellent forgeron, qui s'était fait une grande
réputation au Pirée et tout le monde dit encore aujourd'hui
qu'on ne verra jamais un forgeron comme Philinus. Après sa
mort,. je fus d'abord obligée de vendre ses tenailles, son en-
clume et son marteau, le tout deux mines, dont nous vécûmes
quelque temps ensuite j'ai fait de la toile, poussé la navette ou
tourné le fuseau, afin de gagner péniblement de quoi manger,
et je t'ai élevée, ma fille, comme mon unique espérance.
2. CORINNE. Vous voulez parler de la mine i?
CROBYLE; Non j'ai pensé qu'à ton âge tu me nourrirais à ton
tour, en te procurant à toi-même de belles toilettes, de l'aisance,
des robes de pourpre, des servantes.
CORINNE. Comment cela, maman? que voulez-vous dire ?
CROBYLE. En vivant avec les jeunes gens, en buvant et
en
couchant avec eux, moyennant finance.
CORINNE. Comme Lyra, la fille de Daphnis?
CROBYLE. Oui.
CORINNE. Mais, maman, c'est une courtisane.
CROBYLE. Voyez le grand malheur Tu deviendrasriche comme
elle, tu auras de nombreux amants. Pourquoi pleures-tu, Co-
rinne ? Ne vois-tu pas tout ce qu'il y a de courtisanes, comme
elles sont recherchées, combien elles gagnent d'argent? J'ai
connu Daphnis en haillons (viens à notre aide, Adrastéel), avant
que sa fille fût jolie et régardée. Tu vois maintenant comme elle
est mise de l'or, des robes brodées, quatre servantes.
3. CORINNE. Comment Lyra a-t-elle gagné tout cela ?
CROBYLE. D'abord elle s'est habillée avec élégance, parfaite-
ment ajustée faisant bon visage à tous, non pas en éclatant de
rire comme c'est ton habitude mais en prenant un air sou-
riant, plein de douceur et de séduction ensuite, elle a traité
tous les hommes avec adresse sans tromper ceux qui viennent
1 92 fr. 68 centimes.
.la reconduisent mais aussi sans s'attacher à au-
la voir ou qui
cun. Si pour un salaire on la fait venir à un festin au lieu de
s'enivrer, défaut souverainement ridicule et que les hommes
détestent, au lieu de se jeter sur les plats, comme une malap-
prise, elle touche délicatement les mets du bout des'doigts
prend chaque bouchée en silence, sans se remplir les joues,
boit doucement et non pas d'un seul trait, mais par petites
gorgées.
CORINNE. Même lorsqu'elle a soif, mfeman?
CROBYLE. Surtout lorsqu'elle a soif, Corinne. Elle ne parle
pas plus qu'il ne faut, ne raille point les convives, et ne re-
garde que celui qui la paye. Aussi, tout le monde l'aime. Lors-
qu'il faut se mettre au lit, elle ne se montre ni dévergondée ni
froide; elle ne se préoccupe que de captiyer son amant et de se
l'attacher. C'est là surtout ce que l'on approuveen elle. Si tu re-
tiens bien cette leçon, nous aussi nous serons heureuses, car
tes attraits sont bien supérieurs aux siens. Mais je n'en dis
pas plus long. Viens à notre aide Adrastée Que les dieux seu-
lement te prêtent vie1
4. CORINNE. Dites-moi, maman, tous ceux qui nous donneront
de l'argent ressemblent-ils à Eucrite, avec qui j'ai couché hier?
Crobyle. Non il y en a de plus beaux, de plus robustes et
quelques-uns de figure moins agréable.
CORINNE. Et il faudra que je couche aussi avec ceux-là?
CROBYLE. Surtout avec ceux-là, ma fille. Ce sont eux qui
payent le mieux. Les beaux ne veulent payer que de leur beauté.
Songe avant tout aux gros bénéfices si tu veux qu'avant peu
toutes les femmes disent en te montrant au doigt « Voyez
Corinne la fille de Crobyle comme la voilà superlativement
riche! Comme elle a rendu sa mère trois fois heureuse! »
Qu'en dis-tu ? Feras-tu cela? Oui, tu le feras, j'en suis sûre et
bientôt tu seras la reine de toutes tes rivales. Maintenant, va
prendrè un bain il se peut faire que le jeune Eucrite vienne
aujourd'hui; il me l'a promis.


7

MUSARIUM ET SA MÈRE.

1. LAMère. Si nous trouvons encore, Musarium, un galant


comme Chéréas. il faudra immoler une chèvre blanche à Vénus
Pandème, une génisse à la Vénus Urànie des Jardins, et offrir
une couronne à Cérès qui envoie les trésors, car nous serons
alors heureuses et trois fois heureuses. Tu vois tout ce
que
nous recevons de ce jeune homme il ne t'a encore donné ni
obole, ni robe, ni chaussures, ni parfums; mais ce sont toujours
des réponses évasives, des promesses, des espérances à long
'g
terme; il répète sans cesse <r Ah! si mon père.
Ah! si j'étais
maître de mon héritage(, tout serait à toi! n Et toi, tu prétends
qu'il a juré de t'épouser.
MUSARIUM. Oui, ma mère, il l'a juré par les deux déesses et
par Minerve Poliade.
LA MÈRE. Et tu crois cela C'est probablement
pour cette rai-
son que l'autre jour, comme il n'avait pas de quoi payer son
écot, tu lui as donné.ton anneau, à mon insu il est allé le
vendre pour boire, et tu lui as donné ensuite ces deux. colliers
d'Ionie, qui pesaient deux dariques chacun, et que le patron
Praxias de Chios t'avait rapportés d'Éphèse, où il les avait fait
faire. Il fallait bien, en effet, que Chéréas eût de quoi payer son
écot avec ses amis. Quant à tes robes et à tes chemises, je n'en
parle pas. En vérité, ce garçon-là est un trésrfr que Mercure a
fait tomber chez nous.
2. MUSARIUM. Mais il est beau, sans barbe; il me dit qu'il m'a-
dore,,il verse des larmes, et puis il est fils de Dinomaque et de
Lachès l'aréopagite; il nous promet de m'épouser; il nous donne
les plus belles espérances, dès que son vieux aura fermé l'œil.
LA MÈRE. Eh bien, Musarium, quand nous aurons besoin de
souliers, et que le cordonnier nous demandera une double
drachme, nous lui dirons <r Nous n'avons pas d'argent, mais
nous allons vous donner quelques espérances; prenez. Nous
en diçons autant au boulanger; et quand on nous demandera
notre terme Attendez, dirons-nous, que Lachès de Colytte soit
mort nous vous payerons après notre mariage. » N'es-.tu pas
honteuse d'être la seule de tes compagnes qui n'ait ni pendants
d'oreilles, ni colliers, ni robe de Tarente?
3. MUSARIUM. Eh bien, ma mère, sont-elles plus heureuses ou
plus belles que moi?
LA MÈRE. Non, mais elles sont plus avisées; elles savent leur
métier, elles ne se' fient pas aux belles paroles, ni aux jeunes
gens qui ne jurent que des lèvres. Toi, tu 'es fidèle, attachée à
Chéréas, comme s'il était ton époux, et tu ne reçois personne
autre que lui. L'autre jour, lorsque ce laboureur acharnien, qui

Cérès et Proserpine.
n'a pas de barbe non plus, vint t'offrir deux mines, puis du vin
que son père lui avait envoyé vendre, tu le refusas d'un air dé-
daigneux mais tu devais coucher avec ton Adonis.
MUSARIUM. Quoi donc? Fallait-il laisser là Chéréas pour rece-
voir ce manouvrier qui pue le bouc? Chéréas, au moins, a la
peau douce; c'est, comme on dit, un petit cochon d'Acharné.
LA MÈRE. J'en conviens l'autre est un rustre, et il ne sent pas
bon. Mais Antiphon, fils de Ménécrate, qui te promettait une
mine, pourquoi ne l'as-tu pas reçu? Il est beau, galant, de l'âge
de Cliéréas.
4. MUSARIUM. Ah! ma mère! Chéréas m'a menacée de nous
tuer tous les deux, s'il nous trouve jamais ensemble.
LA MÈRE. Combien d'autres ont fait de ces menaces Avec tout
cela, tu n'auras pas d'amants, tu vivras en honnête femme; tu
ne seras pas une courtisane, mais une prêtresse de Cérès. Mais,
à propos, c'est aujourd'hui la.fète des Granges. Qu'est-ce qu'il
t'a donné pour cette fête ?
MUSARIUM. Rien, maman.
LA MÈRE. Il est donc le seul qui ne sache rien soutirer à son
père, lui dépêcher un esclave fripon, demander de l'argent à sa
mère en la menaçant, si elle refuse, de se faire soldat de marine
Il aime mieux rester planté chez nous, à titre onéreux, ne don-
nant rien et empêchant de recevoir des autres. Crois-tu donc,
Musarium, que tu auras toujours seize ans, que Chéréas aura
toujours pour toi-même la même tendresse, quand il sera riche
et que sa mère lui aura trouvé un beau mariage? A la vue d'une
dot de cinq talents, se souviendra-t-il,dis-le-moi, de ses larmes,
de tes baisers et des serments qu'il t'aura faits?
MUSARIUM. Il s'en scuviendra la preuve, c'est qu'il n'a pas
encore voulu se marier; malgré les instances et la contrainte,
il a toujours refusé.
LA MÈRE. Puisse-t-il ne pas mentir! Mais, Musarium, je te
rafraîchirai la mémoire en temps voulu.

8
AMPÉLIS ET CHRYSIS.

1. Ampélis. Celui qui n'est pas jaloux, Chrysis, qui ne se met


pas en colère, ne donne pas de soufflets, n'arrache pas de che-
veux et ne déchire pas de robes, celui-là n'est pas amoureux.
Chrysis. Comment, Ampélis, ce sont là les seules preuves de
tendresse?
AMPÉLIS. Oui, ma chère; c'est l'indice d'un cœur vraiment
épris. Tout le reste, baisers, larmes, serments, visites fréquentes,
sont les marques d'un amour qui naît et qui débute; mais le
véritable feu éclate dans la jalousie. Si donc ton Gorgias t'a
souffletée, comme tu dis; s'il est jaloux, aie bon espoir et
souhaite qu'il agisse toujours de même.
CHRYSIS. Toujours de même Que dis-tu là? Tu veux qu'il me
soufflette toujours?
Ampélis. Non mais qu'il soit fâché, lorsque tu ne le regardes
pas exclusivement. En effet, s'il n'était pas amoureux, il ne se
mettrait pas en colère en te voyant un autre amant.
Chrysis. Mais je n'en ai pas d'autre. C'est sans motif qu'il me
soupçonne d'aimer ce richard, dont je lui ai parlé étourdiment
l'autre jour.
2. Ampélis. Ce n'est pas désagréable pour toi qu'on te soup-
çonne d'être recherchée par les riches. Ton amant en éprouvera
plus de chagrin, il se piquera d'honneur et craindra de rester en
arrière de ses rivaux.
CHRYSIS. Oui, mais en attendant il ne fait que se mettre en
colère et donner des soufflets: ce sont là ses seuls présents.
AMPÉLIS. Il en fera d'autres. Les jaloux ont l'humeur cha-
grine,
Chrysis. Je ne sais pas, ma petite Ampélis, pourquoi tu veux
que je reçoive des soufflets.
Ampélis. Pas du tout; mais, je te le dis, ils deviennent fort
amoureux quand ils croient qu'on les dédaigne. Lorsqu'au con-
traire un amant se figure qu'il est seul favorisé, sa passion
s'évanouit. Je te parle d'après une expérience de vingt ans, et tu
n'en as que dix-huit à peine. Si tu veux, je te raconterai ce qui
m'est arrivé il y a quelques années. J'avais pour amant Démo-
phante l'usurier, qui demeure derrière le Pœcilé. Jamais il ne
m'avait donné plus de cinq drachmes, et il voulait être le
maître. Il ne m'aimait, Chrysis, que d'un amour à fleur d'eau
jamais de soupirs, de larmes, de stations à ma porte pendant la
nuit; il couchait avec moi tout simplement de loin en loin.
3. Un jour il vient me voir je lui ferme la porte au nez;
j'avais chez moi le peintre Callidès, qui m'avait envoyé dix
drachmes; et Démophante s'en va pestant fort contre moi. Quel-
ques jours s'écoulent, je ne l'envoie pas chercher Callidès
était encore chez moi; Démophante s'échauffe, il arrive tout
bouillant de colère, voit la porte ouverte. entre, pleure, me
frappe, me menace de me tuer, déchire ma robe, met tout en
combustion et finit par me donner un talent pour lequel il m'eut
toute seule huit mois entiers. Sa femme disait à tout le monde
que je l'avais affolé avec des philtres; mon philtre était la jalou-
sie. Fais-en usage, Chrysis, avec ton Gorgias. C'est un garçon
qui sera riche, s'il arrive quelque chose à son père.

DORCAS, PANNYCHIS, PHILOSTRATE, POLÉMON.

1. Dorcas. C'est fait de nous, maîtresse, c'est fait de nous!


Polémon est revenu de la guerre tout cousu d'or, dit-on. Je
l'ai vu passer vêtu d'un manteau de pourpre que retenait une
agrafe d'or, et suivi d'un grand nombre de valets. Dès que ses
amis l'ont aperçu, ils sont accourus l'embrasser. En ce moment
j'ai avisé derrière lui le garçon qui l'avait accompagné dans la
dernière campagne; je l'ai abordé, et le saluant la première
c Eh bien, Parménon, lui ai-je dit, comment cela va-t'il pour
nous? Qu'est-ce que vous nous rapportez de bon de la guerre?JI
PANNYCHIS. Il ne fallait pas lui dire cela tout de suite, mais:
« Ah! vous voilà sains et saufs Grâces en soient rendues aux
dieux, et surtout à Jupiter hospitalier et à Minerve guerrière 1
Ma maîtresse me demandait tous les jours ce que vous faisiez,
où vous étiez. » Si même tu avais ajouté « Elle a pleuré, elle
n'a fait que penser à Polémon, » c'etit été encore mieux.
2. DORCAS. C'est ce que j'avais commencé par lui dire; mais
je ne voulais pas vous le répéter, ayant hâte de vous rapporter
ce que j'ai appris. Quand je fus auprès de Parménon s • Parmé-
non, lui dis-je, est-ce que les oreilles ne vous tintaient pas? Ma
maîtresse ne parlait que de vous et toujours en pleurant, sur-
tout quand il revenait quelqu'un d'un combat où l'on disait qu'il
y avait eu beaucoup de monde de tué; elle s'arrachait les che-
veux, se meurtrissait la poitrine et fondait en larmes à chaque
nouvelle. »
Pannychw. Très-bien, Dorcas voilà ce qu'il fallait.
DoRCAS. Un instant après je lui ai fait la question que je vous
ai dite. Alors lui « Nous revenons, dit-il, superbes I »
Pannychis» Comment Son premier mot n'a pas été que Pôlé-
mon se souvenait encore de moi, qu'il désirait me retrouver
ùvante?
Dorcas. Il m'a dit toutes sortes de choses de ce genre. ,rais
l'essentiel, c'est qu'il m'a parlé de richesses immenses, d'or,
d'étoffes, d'esclaves, d'ivoire ils apportent de l'argent non plus
compté, mais mesuré au médimne, des médimnes entiers. Par-
ménon a lui-même au petit doigt un anneau énorme, taillé à
facettes, avec une pierre tricolore, d'un rouge fort vif. Je l'ai
laissé me racontant comment, après avoir traversé l'Halys, ils
avaient tué Tiridate, et comment Polémon s'était comporté dans
une rencontre avec les Pisides; et je suis venue tout courant
vous faire part de ces nouvelles, afin que vous preniez un parti
dans la circonstance. En effet, si Polémon arrive ici (or, il va
venir, aussitôt débarrassé de ses amis), s'il apprend ce qui s'y
passe, et s'il rencontre Philostrate, que fera-t-il, pensez-vous?
3. PANNYCHIS. Cherchons, Dorcas, à sortir d'embarras. Il
n'est pas honnête de mettre à la porte Philostrate, qui m'a
donné l'autre jour un talent; c'est, d'ailleurs, un marchand qui
m'a fait de belles promesses; d'un autre côté, je perdrais beau-
coup à ne pas recevoir Polémon qui revient si superbe. En outre
il est jaloux; insupportable, quand il était pauvre, que ne fera-
t-il pas aujourd'hui?
Dorcas. Le voici qui arrive
PANNYCHIS. Ah! je me trouve mal, Dorcasl. Je ne sais que
faire. Je tremble 1.
DORCAS. Voilà aussi Philostrate.
PANNYCHIS. Que devenir? Je voudrais être à cent pieds sous
terre!1
4. PHILOSTRATE. Pourquoi ne pas nous mettre à boire, Panny-
chis ?
PANNYcms. Malheureux! tu me perds! Bonjour, Polémon.
Comme il y a longtemps qu'on ne vous a vu
Polémon. Quel est cet homme qui vient d'entrer chez vous?
Vous ne répondez pas! Eh bien, va te promener, Pannychis!
Moi qui ecours de Pyles ici en cinq jours* pour retrouver cette
femme Ce qui m'arrive est bien fait, et je t'en remercie. Désor-
mais tu ne me pilleras plus.
Philostrate. Tiens! Qui êtes-vous donc, mon ami?
POLÉMON. Avez-vous entendu parler d'un certain Polémon de
Stiriée', de la'tribu de Pandion, jadis chiliarque4, aujourd'hui
capitaine de cinq mille hommes, amant de Pannychis,.quandje la
croyais raisonnable?y
Fhilostrate. Eh bien, seigneur capitaine de mercenaires
gturgade de l'Auique. 2. Chef de mille hommes.
maintenant Parfhychis est à moi. Elle a reçu un talent, et elle en
recevra bientôt un autre dès que j'aurai placé mes marchan-
dises. Allons! suis-moi, Pannychis, laisse ce capitaine conduire
ses mille hommes chez les Odryses.
Dorcas. Elle est bien libre de le suivre, si elle veut.
PANNYCHIS. Que faire, Dorcas Î?
Dorcas. Le mieux est de rentrer chez vous. Polémon est trop
en colère pour que vous restiez ici. Et puis sa jalousie ne fera
que s'accroître.
Pannychis. Puisque tu le veux, rentrons.
5. POLÉMON. Très-bien Mais je vous dis que c'est la dernière
fois que vous boirez ensemble ce n'est pas pour rien que je me
suis fait la main par d'épouvantables massacres. Holà! mes
Thraces, Parménon! En avant! Que leur phalange occupe l'en-
trée de la rue 1 sur le front les hoplites, de chaque côté les fron-
deurs et les archers, le reste à l'arrière-garde 1
PHILOSTRATE. Ah mercenaire, tu nous crois des petits en-
fants I Ohé! beau masque! Mais tu n'as jamais tué un poulet!
As-tu vu la guerre, seulement? Tu as peut-être été ohef d'un
corps de garde, à la tête d'une compagnie, et encore je te fais la
part belle.
POLÉMON. Tu en sauras des nouvelles, quand tu nous verras
la lance en main, avec nos armes bien fourbies.
Philo-strate. Viens donc ici en ordre de bataille. Moi et Ti-
bius, mon unique valet, nous allons vous recevoir à coups de
pierres et de coquilles d'huîtres; et, pressés de fuir, vous ne
saurez plus où vous fourrer

10
CHÉLIDONIUM ET DROSÉ.

1. CHÉLIDONIUM. Il ne vient donc plus te voir, Drosé, lejeune


Clinias Il y a un siècle que je ne l'ai vu chez vous.
DROSÉ. Non, ma chère Chélidonium son maître lui a défendu
de m'approcher.
CHÉLIDONIUM. Qu'est-ce que c'est que cet homme-là? Est-ce
que tu veux parler de Diotime, le maître du gymnase? Il est de
mes amis.
Drosé. Non; c'est un infâme philosophe, un certain Aristé-
nète.
CHÉLibONitrai. Ce butor, velu et barbu, qui a l'habitude de se
promener avec des jeunes gens dans lePœcilé?
Drosé. Justement; un charlatan que je voudrais voir traîner
par la barbe et mettre en pièces par le bourreau.
2. Cbélidonium. Comment a-t-il fait pour décider Clinias?
DROSÉ. Je n'en sais rien, Chélidonium. Mais ce garçon, qui n'a
pas découché une seule nuit, depuis qu'il sait ce que c'est qu'une
femme, commerce auquel je l'ai initié, n'a pas paru dans notre
rue depuis trois jours consécutifs. Inquiète et poussée par je ne
sais quel pressentiment, j'envoie Hébris à la découverte, pour
voir s'il était à l'Agora ou au Poecilé. Elle m'a dit qu'elle l'a vu se
promener avec Aristénète, qu'elle lui a fait de loin un signe de
tête, mais que lai rougissant et baissant lé nez, après l'avoir
aperçue, n'a plus levé les yeux de son côté. Ils sont entrés en-
semble dans la ville. Hébris les a suivis jusqu'au Dipyle; mais,
comme il ne s'est pas retourné une seule fois, elle est rentrée
sans pouvoir me rien dire de positif. Songe un peu dans quel
état je suis depuis ce temps-là; je me perds en conjectures sur
ce qu'on a fait de ce jeune homme. te Mais, disais-je en moi-
même, je ne lui ai jamats fait la moindre peine. A-t-il un autre
amour qui m'ait fait prendre en haine? C'est son père qui l'em-
pêche de revenir! Telles étaient les pensées quime passaient
par la tête. Le soir, assez tard, Dromon m'apporte une lettre de
la part de Clinias. Prends, lis, Chélidonium tu sais lire,
n'est-ce pas ?P
3. Chélidonium. Voyons cette lettre. L'éoriture n'est pas mer-
veilleuse les caractères embarrassés indiquent un homme qui
a écrit à la hâte. Mais lisons « Combien je t'aime, ma chère
Drosëi j'en prends les dieux à témoin. »
Drosé. Ah le malheureux1 Il ne me dit pas seulement bon-
jour
CHÉLIDONIUM. « Et maintenant, ce n'est pas la haine, mais la
contrainte qui me sépare de toi. Mon père m'a remis aux mains
d'Aristénète, pour étudier la philosophie. Et celui-ci, qui sait
notre liaison, m'en a fait de vifs reproches, en me disant que
c'était une indignité de vivre avec une courtisane, quand on était
fils d'Architélès et d'Érasiclée,- parce qu'il faut, avant tout, pré-
férer la vertu au plaisir. »
Drosé. Aux corbeaux le bélître, qui donne de semblables le-
çons à la jeunesse t
Chélidonium. Il faut de toute nécessité que je lui obéisse; il
me suit et me garde avec soin, et il ne me laisse voir sjue lui.
Si je suis sage et si je fais tout ce qu'il me dit, il me promet
efforts. J'ai
que je serai heureux et vertueux pour prix de mes
à la dérobée.
eu toutes les peines du monde à t'écrire ces mots
Sois heureuse et souviens-toi de Clinias. »
4. Drosé. Que dis-tu de cette lettre, Chélidonium?
Chélidonium. Tout le reste est écrit à la scythe; mais les mots
«
Souviens-toi de Clinias » laissent encore un peu d'espoir.
Drosé. C'est ce que je crois aussi; mais je meurs d'amour.
D'ailleurs Dromon m'a dit qu'Aristénète est un pédéraste, qui,
sous prétexte de philosophie, vit avec les plus jolis garçons;
il
a déjà eu quelques conversations particulières avec
Clinias; il
lui a fait de belles promesses et lui a dit qu'il le rendrait égal aux
dieux, et même il lit avec lui les dialogues érotiques des an-
ciens philosophes avec leurs disciples enfin il obsède le pau-
père
vre jeune homme. Mais Dromon l'a menacé de prévenir le
de Clinias.
CHÉLIDONIUM. Il fallait, Drosé, remplir le ventre à Dromon.
Drosé. C'est ce que j'ai fait; mais sans cela il eût été à moi
il est amoureux d'Hébris.
CHÉLIDONIUM. Du courage tout ira bien. Moi je suis d'avis
d'écrire sur .la muraille du Céramique, du côté où Architélès a
coutume de se promener « Aristénète corrompt Clinias. » Cette
inscription coïncidera parfaitement avec le rapport de Dromon.
Drosé. Mais comment feras-tu pour qu'on ne te voie pas
écrire ?
Chélidonium. J'irai l'écrire la nuit avec un charbon, que je
prendrai n'importe où.
Drosé. A merveille 1 Unissons-nous, Chélidonium, pour faire
la guerre à co fourbe" d'Aristénète,

11

TRYPHÉNA ET CHARMIDE-

1. TRYPHÉNA. A-t-on jamais vu prendre une courtisane, la


payer cinq drachmes coucher avec elle et lui tourner le dos
pour ne faire que soupirer et larmoyer? Non; tu n'avais au-
cun plaisir à boire; seul tu ne voulais pas manger, et, pen-
dant le repas, tu fondais en larmes je le voyais bien. Mainte-
nant même encore, tu pleures comme un enfant. D'où viennent,
Charmide toutes ces façons d'agir? Ne me oaohe rien. J'aurai
du moins gagné cela à passer une nuit blanche avec toi.
CHARMIDE. L'amour me tue, Tryphéna;je ne puis résister à la
violence de mon mal.
Tryphéna. Mais ce n'est pas moi que tu aimes; c'est évident;
car je n'éprouverais ni tes dédains ni tes refus quand je veux
t'embrasser; tu n'élèverais pas entre nous deux le rempart
de tes habits, de peur que je ne te touche. Mais dis-moi quelle
est la belle peut-être pourrai-je te servir dans tes amours je
sais comment on rend de pareils offices.
Charmide. Ah tu la connais bien, et elle te connaît c'est une
courtisane en vogue.
2. TRYPHÉNA. Dis-moi son nom, Charmide.
.Charmide. Philématium, Tryphéna.
Tryphéna. De laquelle veux-tu parler? Elles sont deux. Est-ce
celle qui demeure au Pirée, qui est passée depuis peu de l'é-
tat de fille à celui de femme et qui a pour amant Damyllus,
fils du stratège actuel? Ou bien est-ce l'autre, qu'on a surnommée
Pagis1??
CHARMIDE. C'est Pagis; c'est elle qui me tue: elle m'a pris


dans ses lacs.
TRYPHÉNA. Et c'est pour elle que tu verses tant de larmes ?
CHARMIDE. Oui, sans doute.
TRYPHÉNA. Y a-t-il longtemps que tu l'aimes, ou cet amour
est-il de nouvelle date?
CHARMIDE. Il date de loin il y a près de septmois, depuis l'é-
poque des Dionysiaques, que je l'ai vue pour la première fois.
TRYPHÉNA. Mais l'as-tu'vue tout entière, ou seulement son vi-
sage et ce qu'elle consent à laisser voir, en femme qui a ses qua-
rante-cinq ans?
CHARMIDE. Comment? Elle jure qu'elle aura vingt-deux ans
en élaphébolion prochain!
3. TRYPHÉNA. En crois-tu ses serments plutôt que tes propres
yeux? Examine-la bien: regarde ses tempes,,où il lui reste en-
core quelques cheveux, le reste est une perruque bien fournie.
Quand la couleur dont elle se teint sera effacée, tu la verras
couverte de cheveux gris. Mais ce n'est pas assez presse-la de
se laisser voir toute nue.
CHARMIDE. Elle n'a jamais voulu m'accorder cette faveur.
TRYPHÉNA. Ce n'est.pas sans raison. Elle sait bien que tu ne
pourrais sans dégoût voir toutes ses taches blanches; car depuis
la gorge jusqu'aux genoux elle ressembleà une panthère. Et tu

4 l* filet, – i. Mois qui répudiait la tin de février et au commence


ment de mars.
te désoles de ne pouvoir jouir d'une pareille beauté? Mais as-tu
donc essuyé ses rigueurs et ses mépris ?q
CHARMIDE. Oui, Tryphéna, malgré les présents dont je l'ai
comblée. Aujourd'hui, parce que je n'ai pu lui donner tout de suite
mille drachmes qu'elle m'a demandées (tu connais l'avarice
de mon père), elle a reçu Moschion, et m'a laissé à la porte.
C'est pour lui rendre le chagrin qu'elle m'a causé, que je t'ai
fait prendre.
TRYPHÉNA. Par Vénus Je ne serais pas venue, si l'on m'a-
vait dit que tu m'envoyais chercher pour faire de la peine à
une autre, et surtout à Philématium, un vrai tombeau. Mais je
m'en vais; déjà le coq a chanté pour la troisième fois.
4. CHARMIDE. Ne t'en va pas si vite, Tryphéna. Si ce que tu
me dis de Pbilématium est vrai, qu'elle a une perruque, qu'elle
se teint, qu'elle a des taches, je ne saurais plus la regarder.
TRYPHÉNA. Demande à ta mère si quelquefois elle a pris le
bain avec elle. Quant à son âge, ton grand-père pourra te le
dire, s'il vit encore.
CHARMIDE. Puisqu'elle est comme cela, enlevons ce rempart,
rapprochons-nous, embrassons-nous et soyons tout à fait en-
semble. Bien du plaisir à Philématium!

12

IOESSA, PYTHIAS ET LYSIAS.

1. IOESSA. Tu fais lexenehéri avec moi, Lysias? C'est parfait!


Jamais je ne t'ai demandé d'argent; jamais je ne t'ai fermé ma
porte en te disant et Il y a quelqu'un i jamais je ne t'ai en-
gagé, comme font toutes les autres, à tromper ton père ou à vo-
ler ta mère pour m'apporter quelque présent'; mais je t'ai reçu
tout de suite gratis, et sans exiger ton écot. Tu sais combien
d'amants j'ai éconduits Étoclès, aujourd'hui prytane; Pasion,
patron de vaisseau; Mélissus, ton camarade, que la mort de
son père laisse à la tête de sa fortune. Toi seul as toujours été
mon Phaon; je n'ai eu d'yeux que pour toi; je n'ai ouvert qu'à
toi. Je croyais, pauvre folle, à la sincérité de tes serments; et
mon amour pour toi me rendait sage comme Pénélope malgré
les criailleries de ma mère, qui m'accusait auprès de mes amies.
Mais toi, dès que tu t'es aperçu de ton empire, dès que tu as vu
que je desséchais d'amour pour toi, tu n'as songé qu'à me
chagriner, tantôt en jouant, sous mes yeux, avec Lyoéna, tantôt
en me faisant l'éloge, quand nous étions couches ensemble, de
Magidium, la joueusede cithare. Moi, je ne fais que pleurer, et
je sens tes outrages. -L'autre jour, vous buviez ensemble, toi,
Thrason et Diphile il y avait là Cymbalium, la joueuse de
flûte, et Pyrallis, mon ennemie, tu le savais bien. Et que tu aies
donné cinq baisers à Cymbalium, je ne m'en suis pas beaucoup
préoccupée tu te faisais injure à toi-même en l'embrassant;
mais que de signes de tête à Pyrallis 1 Lorsque tu buvais, tu
lui présentais la coupe et, en la rendant à l'esclave, tu lui di-
sais à l'oreille de ne verser à personne, si Pyrallis ne le com-
mandait. Enfin, tu mords dans une pomme, après t'être assuré
que Diphile n'en voyait rien et se penchait pour causer avec
Thrason, puis tu vises de ton mieux et tu la lui jettes dans le
sein, sans essayer d'échapper à mes regards. Elle la prend, la
baise et la cache dans sa gorge, sous son réseau
2. Pourquoi te conduis-tU de la sorte? T'ai-je jamais fait une
grande ou une petite injure? T'ai-je causé le plus léger chagrin?
En ai-je regardé un autre? N'est-ce pas pour toi seul que je vis?
Ahl Lysias, ce n'est pas une belle prouesse d'affliger une pau-
vre femme à qui l'amour a troublé la raison mais il est une
déesse, Adrastée,qui voit tout cela. Peut-être, un jour, verseras-
tu des larmes, quand tu apprendras que je n'existe plus que je
me suis pendue ou jetée dans un puits la tête la première, enfin
que j'ai trouvé un genre de mort quelconque, pour ne plus t'im-
portuner de ma présence. Tu triompheras alors, comme un
homme. qui a fait un grand et glorieux exploit. Mais pourquoi
me regarder de travers? pourquoi grincer des dents? Si tu as
quelque reproche à me faire, parle; Pythias sera notre juge. Eh
bienl tu ne réponds point? tu t'en vas? tu me laisses là? Vois-
tu, ma Pythias, comme Lysias me traite?
PYTHIAS. Oh! le sauvage! Gomment! ces larmes ne vous at-
tendrissent point? Vous êtes. donc un rocher, et non pas un
homme? Mais aussi, pour tout dire, c'est.toi, Ioessa, qui l'as
gâté par l'excès de ton amour et en laissant voir ta faiblesse. Il
ne fallait pas courir ainsi après lui les hommes fnnt les fiers,
quand ils s'aperçoivent qu'on les aime. Cesse de pleurer, ma
pauvre enfant, et, si tu veux m'en croire, ferme-luiune ou deux
fois ta porte au nez; bientôt tu le verras prendre feu et s'affoler
à son tour-r
Ioessa. Ah! ne me donne pas de-pareils conseils. Fi donc

l. Vof, JuvénaL, Sot. vi, V. tîî.


Que je ferme ma porte à Lysias Fassent les dieux qu'il ne s'en
aille pas le premier!
Pythias. Mais il revient.
IOESSA. Tu m'as perdue, Pythias. Il t'a peut-être entendue
dire « Ferme-lui ta porte au nez. »
3. LYSIAS. Non, je ne reviens pas ici pour cette femme, Py-
thias je ne veux plus la voir; mais c'est pour vous, pour que
vous ne blâmiez pas ma conduite et que vous ne disiez pas
« Lysias est un
homme impitoyable. »
f Pythias. C'est pourtant ce que j'ai dit, Lysias.
LYSIAS. Vous voulez donc, Pythias, que je consente à ce que
cette lqessa, qui pleure si bien aujourd'hui, me soit infidèle,
quand je l'ai surprise l'autre jour, couchée avec un jeune
homme?
Pythias. Eh bien, Lysias, n'est-elle pas courtisane? Mais
quand les avez-vous surpris ensemble?
LYSIAS. Il y a environ six jours; je dis bien, six jours c'é-
tait le deux du mois, et nous sommes aujourd'hui le sept. Mon
père, connaissant ma folle passion pour cette honnête fille, m'a-
vait enfermé, avec défense expresseau portier de m'ouvrir. Moi,
qui ne puis me passer d'elle, j'ordonne à Dromon de se baisser
auprès de la muraille, du côté où elle est le moins élevée, et de
me laisser grimper sur son dos, afin de pouvoir escalader. Bref,
j'escalade j'arrive ici je trouve la porte d'entrée soigneuse-
ment fermée il était minuit; je ne frappe pas je soulève dou-
cement la porte, ce que j'avais fait maintes fois elle tourne surr
ses gonds, et j'entre sans bruit. Tout le monde dormait je suis
la muraille à tâtons, et j'arrive auprès du lit.
4. IOESSA. Que va-t-il dire? 0 Cérès! Je suis à l'agonie.
Lysias. Comme j'entends deux respirations, je crois d'abord
que Lydé est couchée avec elle mais ce n'était pas cela, Pythias.
En tâtant, je sens un menton délicat et sans barbe, une tête ra-
sée jusqu'à la peau et exhalant les parfums. En ce moment, si
j'avais eu une épée, je n'aurais pas hésité, sachez-le bien. Pour-
quoi riez-vous, Pythias? Est-ce que mon récit est plaisant?
Ioessa, Voilà, Lysias, ce qui t'a mis de mauvaise humeur?
Eh bien! c'est Pythias qui était couchée avec moi,
Pythias. Il ne fallait pas le lui dire, Ioessa.
IOESSA. Pourquoi? C'était Pytbias, mon bon ami; je l'avais
fait prier de venir dormir auprès de moi, toute chagrine de ne
pas t'avoir,
5. Lysias. C'est Pythias qui a la tête rasée jusqu'àla peau,
et, depuis six jours, il lui a poussé une pareille chevelure?
Ioessa. Elle a été obligée, Lysias, de se faire raser à la suite
d'une maladie, parce que tous ses cheveux tombaient. Mais fais-
lui voir, Pythias, fais-lui voir, afin de le convaincre. Tiens.
voilà le beau garçon, le rival dont tu es jaloux.
Lysias. Pouvais-jem'en défendre, Ioessa? Je suis amoureux,
et je l'avais touché de mes mains.
IOESSA. Te voilà convaincu. Veux-tu, à présent, que je te
rende tous les chagrins que tu m?as causés en me fâchantcontre
toi, à mon tour? J'aurais bien raison.
LYSIAS. Non, ma chère Buvons plutôt, et Pythias avec nous.
Je veux qu'elle assiste à notre raccommodement.
IOESSA. Elle restera. Ah! que de mal tu m'as fait, Pythias, le
plus charmant de nos jeunes gens
PYTHIAS. C'est vrai mais enfin, je vous ai raccommodés
ainsi, Lysias, vous ne devez plus m'en vouloir. Seulement, pas
un mot, je vous prie, sur ma chevelure.

13

LÉONTICHUS, CHENIDAS ET HYMN1S'.

1. Léontichus. Et dans le combat contre les Galates, dis-lui,


Chénidas, comment je m'avançaihors des rangs de la cavalerie,
monté sur un cheval blanc, et comme les Galates, gens coura-
geux pourtant, ont été frappés de terreur à ma vue, à ce point
que personne ne m'a tenu tête. Alors, tenant ma lance en arrêt,
je perce du même coup le chef des ennemis et son cheval. Je
fonds ensuite, le fer'en main, sur ceux qui résistent encore. Il
y en avait, en effet, quelques-uns qui tenaient bon après la dé-
route de la phalange, et qui s'étaient formés en bataillon carré;
je les charge avec vigueur, l'épée nue le choc de mon cheval
renverse sept de leurs chefs; d'un coup d'épée, je fends en deux
la tête du capitaine alors vous arrivez, Chénidas, quand déjà
les ennemis étaient en fuite.
2. Chénidas. Lorsque dans la Paphlagonie,Léontichus, vous
vous êtes battu seul à seul avec le satrape, ne vous êtes-vous
comporté?
pas admirablement
Léontichus. Tu as bien fait de me rappeler ce combat: il n'est
pas sans gloire. Ce satrape était une sorte de géant, passait
1. Cf. Piaule, la Soldat fanfaron.
pour une fine lame, et méprisaitfort les Grecs. Il s'avanceentre
les deux armées et défie qui voudra à un combat singulier. Per-
sonne ne bouge lochages, taxiarques, notre général même, un
homme qui n'est pas lâche, pourtant; c'était Aristechmus, d'Ë-
tolie, un lancier de première force. Moi, je n'étais encore que
chiliarque. Je n'écoute que mon audace je repousse mes amis,
qui veulent me retenir et qui tremblent pour moi ils voient ce
barbare, dont les armes d'or étincellent, avec sa taille, son ai-
grette effrayanteet sa lance qu'il brandit.
CHÉNIDAS. Et moi aussi, j'avais peur, Léontichus. Vous savez
que je vous retenais, en vous suppliant de ne pas vous exposer
pour les autres.; car je n'aurais pu vivre, si vous étiez mort.
3. LÉONTICHUS. Je n'écoute donc que mon audace je m'é-
lance sur le champ de bataille, couvert d'une armure aussi
brillante que celle du Paphlagonien j'étais tout d'or. Un cri
s'élève parmi nos soldats et chez les barbares. On m'avait re-
connu à mon bouclier, à mon harnais et à mon aigrette. Dis
un peu, Chénidas, à qui tout le monde me comparait-il en ce
moment?
Chénidas. A quel autre, par Jupiier! si ce n'est à Achille, fils
de Thétis et de Pélée? Le casque vous allait si bien! Votre man-
teau de pourpre était si fleuri 1 votre bouclier si brillant!
Léontichus. Quand nous sommes en présence, le barbare
commence par me faire une blessure légère la pointe de sa
? lance m'effleure la peau, un peu au-dessus du. genou. Moi, d'un
coup de sarisse, je perce son bouclier de part en part, et je le
frappe lui-même en pleine poitrine j'accours, je lui tranche la
tête, je le dépouille de ses armes, et je reviens au camp, portant
sa tête au bout de ma sarisse et tout couvert de son sang.
4. Hymnis. Fi donc, Léontichus Que vos récits sont affreux
et dégoûtants On ne peut vous regarder sans frémir, quand
vous faites gloire d'un pareil massacre boive et couche avec
vous qui voudra; moi, je m'en vais.
Léontichus. Mais je te payerai double.
HYMNIS. Non; je ne pourrais dormir entre les bras d'un meur.
trier.
Léontichus. N'aie pas peur, Hymnis: tout cela s'est passé en
Paphlagonie; aujourd'hui, je suis en paix.
Hymnis. Non; vous êtes un homme abominable le sang dé-
coulait sur vous de la tête du barbare que vous portiez au bout
de votre sarisse. Et moi, j'embrasserais, je caresserais un pareil
homme? Non, de par les Grâces Un monstre de cette espèce ne
vaut pas mieux que le bourreau.
LéontighuS. Ah 1 si tu me voyais sous les armes, je suis sûr
que tu m'aimerais.
Hymnis. En vous entendant, Léontichus, le cœur me faut, je
frissonne je crois voir des ombres, des spectres d'hommes mas-
sacrés, entre autres celui du capitaine dont vous avez fendu la
tête en deux. Que serait-ce, je vous le demande, si j'avais vu le
fait lui-même, et le sang, et les morts? Il me semble que je se-
ais morte, moi qui n'ai jamais vu tuer un poulet.
LÉONTICHUS. Ahl que tu es faible et poltronne, Hymnis! Je
pensais que ce récit allait beaucoup t'amuser.
Hymnis. Amuse de semblables récits les Lemniennes ou les
Danaïdes que tu pourras trouver, Moi, je retourne auprès de ma
mère, attendre qu'il soit jour. Suis-moi,Grammis. Adieu, brave
chiliarque, massacre qui tu voudras.
5. Léontichcs. Demeure, Hymnis, demeure donc. Elle est
partie!
Chénidas. C'est votre faute, Léontichus vous avez effarouché
cette fillette toute novice, en agitant vos aigrettes et en racon-
tant des prouesses incroyables. Je l'ai vue pâlir dès le début,
quand vous avez parlé du capitaine; puis elle a changé de vi-
sage et ê'estmise à frissonner à l'endroit où vous fendiez la tête
de votMS -ennemi.
LéoWticbus. Je croyais lui paraître plus aimable. Mais toi-
même tu as contribué à me perdre, en me donnant l'idée de ce
combatsingulier.
ÇflfciDASr Ne fallait-il pas vous aider à mentir, en voyant le
motif de votre fanfaronnade? Mais vous avez rendu la chose
trop effrayante. Que vous coupiez la tête du malheureuxPaphla-
gonien, soit! A quoi bon la piquer au bout de votre sarisse et
vous couvrir de son sang?
6. Léontichus. C'est affreux, en effet, Chénidas, quoique le
reste ae fût pas mal imaginé. Va, et fais-la consentir à coucher

.•
avec moi.
Ceénidas. Je lui dirai donc, que toutes ces histoires sont au-
tant de mensongespour lui paraître brave,
Léontichus- C'est un peu honteux, Chénidas.
Cbésidas. Sans cela, elle ne viendra pas. Choisissez de deux
choses l'une, ou de faire détester votre prétendue prouesse, ou
de coucher avec Hymnis en lui avouant vos mensonges.
Léontichus. L'alternative est dure, Cependant je préfère Hym-

nis. Va donc, Chénidas, et dis-lui que j'ai menti, mais pas eu
tout,
14
u

DORION ET MYRTALE.

1. DORION. Maintenanttu me mets à la, porte, Myrtale main-


tenant que je suis devenu pauvre par toi? Quand je te faisais
ces beaux présents, j'étais ton amant, ton mari, ton maître;
j'étais tout pour toi. Aujourd'hui que je suis complétement à
sec, et que tu as trouvé pour amant un marchand bithynien, je
suis mis à la porte; je reste à pleurer sur le seuil tandis qu'il
est lé bien-ainié de tes nuits, seul admis à l'intérieur, vivant en
liesse jusqu'au matin et tu prétends être enceinte da ses
oeuvres.
Myrtale. Tout cela me snffoque, Dorion et surtout lorsque
je t'entends dire que tu m'as fait de grands présents, et que c'est
pour moi que tu t'es ruiné. Compte tout ce sque tu m'as donné,
depuis que nous avons fait connaissance.
2. DoRiôn. Eh Bien, oui, Myrtale, comptons. Premièrement
Ses souliers de Sicyone, deux drachmes. Mets deux drachmes.
Myrtale. C'est vrai, mais tu as couché deux nuits.
DoRiON. A mon retour de Syrie, un vase d'albâtre rempli de
parfums de Phénicie Deux drachmes encore, par Neptune
Myrt'Ale. Et moi, ne t'ai-je pas donné, à ton départ, cette
petite tunique qui descend jusqu'aux cuisses, pour te servir
quand tu rames, et qu'a oubliée chez moi Ëpiuïus, le timonier,
un jour qu'il avait couché ici?
DoRioN. 11 me l'a bien reprise, ton Epiurus qui l'avait re-
connue sur moi, à Samos, et après une longue lutte, bons dieux!
Moi, je t'ai apporté des oignons de Cypre, cinq anchois et
quatre perches, lorsque nous sommes revenus du Bosphore.
Qu'est-ce qu'il y a en outre? Ah! huit biscuits de mer dans leur
corbillon, un cabas de figues de Carie, et dernièrement des san-
dales dorées de Patare, vilaine ingrate. J'allais oublier un su-
perbe fromage de Gythium
MYRTALE. Tout cela, Dorion, fait bien quelque chose comme
cinq drachmes.
3. Dorion. Ah 1 Myrtale, c'était tout ce que pouvait t'appor-
ter un pauvre marin à solde. Il n'y a pas longtemps que je com-
mande le flanc droit du navire, et tu me dédaignes. Mais tout

4. Petite ville mariliqie de Lacooie


récemment, aux Aphrodisiaques,n'ai-je pas déposé à ton inten-
tion une drachme d'argent aux pieds de Vénus? J'ai, de plus,
donné deux drachmes à ta mère, pour s'acheter une chaussure,
et je glisse souvent dans la main de cette Lydé deux ou trois
oboles. Le tout additionnéfait la fortune d'un matelot.
MYRTALE. Des oignons et des anchois, Dorion?
DORION. Certainement je ne pouvais pas te donner davan-
tage je ne serais pas matelot, si j'étais riche. Ma mère, je ne
lui ai jamais apporté même une tête d'ail. Je voudrais bien sa-
voir maintenant les cadeaux que tu as reçus de ton Bithynien.
Mtrtale. D'abord la robe que voici: il me l'a achetée, et
puis ce gros collier.
4. Dorion. Ce collier ? Mais je te le connaissais depuis long-
temps.
MYRTALE. Celui que tu m'as vu était bien plus mince et n'avait
pas d'émeraudes. Vois encore ces pendants d'oreilles, ce tapis
dernièrement c'étaient deux mines; il a aussi payé notre loyer.
Ce ne sont pas là sandales de Patare, fromage de Gythium et
autres babioles.
DORION. Mais ,tu ne nous dis pas comment est fait ce bel
amoureux avec qui tu couches un homme qui a passé la cin-
quantaine, complétement chauve et au teint de langouste; as-tu
vu ses dents? (XDioscuresl1 le gracieux personnage, surtout lors-
qu'il chante et qu'il fait le joli Un âne jouant de la lyre, comme
dit le proverbe! Jouis-en donc à ton gré; tu en es bien digne.
Puisse-t-il naître de vous deux un poupon qui ressemble à son
père Moi je trouverai sans peine quelqueDalphis, quelque Cym-
baliumde ma condition, ou notre voisine la joueuse de flûte, ouLi
toute autre enfin. Des tapis des colliers, des présents de deux
mines, nous n'en avons pas tous à donner.
MYRTALE. Heureuse la belle qui t'aura pour amant, Dorion
Tu lui apporteras des oignons de Cypre et du fromage, quand
tu reviendras de Gythium.

15

COCHLIS ET PARTHÉNIS.

1. COCHLIS. Pourquoi pleures-tu, Parthénis ? D'où viens-tu,


avec tes flûtes brisées?'
Parthénis. Ce soldat, ce grand Étolien, l'amant de Crocale,
m'a donné des soufflets parce qu'il m'a trouvée chez sa maî-
tresse, où je jouais de la flûte, payée par son rival Gorgus. Il a
brisé mes flûtes, renversé la table sur laquelle nous soupions,
et jeté les coupes par terre- puis, saisissant ce rustre de Gor-
gus par les cheveux, il l'a traîné hors de la salle là, ce soldat,
qui s'appelle, je crois, Dinomaque, et un de ses camarades,
l'ont entouré et l'ont frappé si violemmentque je me demande,
Cochlis, s'il est mort ou vif. Le sang lui coulait du nez; il avait
le visage gonflé et tout meurtri.
2. COCHLIS. Cet homme était-il fou. ou bien était-ce ivresse
et délire bachique ?
PARTHÉNIS. Jalousie tout simplement, Cochlis, et transport
amoureux. Crocale, je crois, lui avait demandé deux talents
s'il voulait vivre avec elle Dinomaque refuse. Alors Crocale
lui jette sans ménagementla porte sur le nez reçoit Gorgus
d'OEnée, riche laboureur, qui depuis longtemps lui faisait la
cour, boit avec lui et m'envoie querir pour jouer de la flûte. La
partie allait bon train je jouais un air lydien, et notre paysan
se levait pour danser aux applaudissements de Crocale tout
était à la joie, quand soudain on entend du bruit, des cris; la
porte d'entrée est brisée, et au même moment huit jeunes gail-
lards s'élancent, et le Mégarien avec, eux ils culbutent tout
Gorgus, comme je te l'ai dit, est poussé, jeté par terre, foulé
aux pieds. Crocale, je ne sais comment, s'était enfuie chez
Thespias, sa voisine. Après m'avoir souffletée: «Va-t'en aux
corbeaux » s'écrie Dinomaque; et en même temps il me jette
au nez mes flûtes brisées; et maintenant je me sauve raconter
tout à mon maître. Cependant notre paysan est allé trouver
quelques-uns de ses amis de la ville, pour livrer le Mégarien aux
magistrats.
3. CocHLis. Voilà ce qu'on gagne à ces amours soldatesques
des coups et des procès. D'ailleurs, ils se disent tous généraux
ou capitaines; mais, quand il faut financer « Attendez la solde,
répondent-ils; je recevrai mon traitement et je vous donnerai
tout ce que vous voudrez » Foin de tous ces hâbleurs 1 J'ai
bien raison de n'en pas recevoir un seul. Que le sort m'envoie
un pêcheur, un matelot, un paysan de ma condition, qui fait
peu de compliments, mais beaucoup de présents Quant à ces
porteurs d'aigrettes, à ces raconteurs de batailles, chansons,
Parthénis I
LXVIII

SUR LA. MORT DE PÉRÊGRINUSS

LUCIEN A CRONIUS SALUT,

1, L'infortuné Pérégrinus ou plutôt Protée, comme il aimait


à se faire appeler, vient d'éprouver le même sort que le Protée
d'Homère8. Il s'était déjà fait toutes sortes de choses par amour
pour la jgloire, il avait pris mille formes différentes; enfin il
s'est, changé en feu, tant sa passion était ardente le voilà
converti en charbon, l'excellent homme, à la façon d'Empé-
docle. Seulement ce dernier a eu soin que personne ne le vit
se précipiter dans les cratères de l'Etna, tandis que notre héros
à choisi l'assemblée la plus nombreuse de la Grèce, pour mon-
ter sur un bûcher des plus hauts, en présence d'une foule de
témoins, et après avoir tenu de beaux discours aux Grecs
sur cette entreprise, quelques jours avant de la mettre à exé-
cution.
2. Il me semble que je te vois éclater de rire de l'idée quin-
teuse de ce-vieillard; je t'entends même t'ëcriér, comme de juste
« Quelle extravaganceQuel triste amour de la gloire 1 » et les
autres exclamations usitées en pareil cas. Mais ce n'est que de
loin et sans te compromettreque tu parles de la sorte. Eh bien!
moi, c'est au pie,d même du bûcher que j'ai dit ce que je pen-
sais, et devant une foule.de témoins, choqués de ma franchise
et pleins d'admiration pour la folie de ce vieillard imbécile.
Quelques-uns, il est vrai, se moquaient de lui; mais peu s'en
est fallu que je ne fusse mis en pièces par les Cyniques, comme

i. Suivant Tillcmont,la mort de Pérégrinuseut lieu l'an 465 après Jésus-


Christ. Voy. Tillemont,ffist. des empereurs, t. 11, p, 472.
i. Philosophe grec, de la secte d'Épicure.
3. Voy Homère, Odyssée, IV, v. 447; VirgHe, Géorgiqués, IV, v. 406. Le
fameuxApolloniusde Tyane aimait aussise (aire appeler Proléu
Actéon le fut autrefois par ses chiens, et son cousin Penthée par
les Ménades.
3. Voici d'ailleurs l'analyse de la pièce. Tu connais le poëte,
tu sais qu'il a joué la tragédie toute sa vie, à détrôner Sophocle et
Eschyle. A peine arrivé à Élis, et traversantle gymnase,j'entends
un cynique qui, d'une voix forte et rude, débitait sur la vertu
des lieux communs vulgaires et ressassés, et insultait indiffé-
remment tout le monde. Il se mit ensuite sur le chapitre de
Protée. Or, je vais essayer de te rendre, autant que possible,
tout ce qu'il a dit sur ce sujet. Tu le reconnaîtras, j'espère, à
son style, car tu as maintes fois entendu ces sortes de braillards.
4. a Protée, tlit-il est accusé par certains d'un fol amour de
gloire. 0 terre, ô soleil, ô fleuves, ô mer, ô Hercule, notre pa-
tron I Protée qui dans la Syrie a souffert la prison qui dans sa
patrie a abandonné plus de cinq mille talents' qui s'est fait
exiler de Rome Protée, plus brillant que le soleil, et qui pour-
rait le disputer à Jupiter Olympien! Parce qu'il veut sortir de
cette vie par le feu, on l'accuse de forfanterie1 Hercule n'en
a-t-il pas fait autant? Esculape et Bacchus n'ont-ils pas été brûlés
par la foudre? Empédocle ne s'est-il pas jeté dans les cratères ? »n
5. Ainsi parlait Théagène, c'est le nom de ce criailleur. Je
demande à l'un des assistants ce qu'il veut dire avec son feu,
ce qu'il peut y avoir de commun entre Protée, Hercule et Em-
pédocle. « C'est me répond-il qu'avant peu Protée doit se
trouver aux jeux olympiques. Comment, lui dis-je et pour-
quoi ? » Il allait me répondre, lorsque le cynique se met à tem-
pêter si fort que je ne pus entendre autre chose. Il me fallut
donc écouter le reste de sa harangue, .et ses digressions hyper-
boliques au sujet de Protée. Dédaignant, en effet, de le mettre
en parallèle avec le philosophe de Sinope ou son maître Anti-
sthène, il l'élevaitau-dessus de Socrate, et appelaitmême Jupiter
à soutenir la comparaison. Il finit cependant par les mettre sur
la même ligne, et il conclut en ces mots
6. « II a été donné à l'univers de contempler deux chefs-
d'oeuvre, Jupiter Olympien et Protée. L'ouvrier, l'artiste qui a
produit l'un est Phidias, l'autre est sorti des mains de la nature.
Mais hélas cet ornement du monde va passer de l'humanité au
séjour des dieux sur les ailes du feu, et nous laisser orphelins. »
E': Après avoir prononcé
ces paroles tout en sueur, il se met à
t pleurer d'une façon ridicule et à se tirer les cheveux, ayant

{ 4. Plus de 4 millions de francs. Cette somme hyperbolique est réduite plus


loin,§ 44, à 45 talents, 75 000 France.
bien soin de ne pas les arracfeer. Cependant on emmène le cy-
nique au milieu de ses sanglots, et en faisant mine de le con-
soler.
7. Mais voilà qu'aussitôt il en monte à la tribune un autre
qui ne donne pas le temps à la foule de s'écouler, et qui verse à
son tour sa libation sur les entrailles touteschaudes encore. Son
exorde fut de rire à gorge déployée et de se donner l'air de le
faire de bon cœur; puis il débuta par ces mots « Puisque ce
coquin de Théagène a terminé sa pitoyable harangue par les
pleurs d'Héraclite, il est juste que je commence la mienne en
riant comme Démocrite. » Après quoi il se mit à rire de plus
belle, de manière à nous entraîner tous à en faire autant.
8. Enfin reprenant son sérieux « Qu'avons-nous de mieui a
faire citoyens, dit-il, après les discours ridicules que nous ve-
nons d'entendre, et en voyant les folies de vieillards auxquels
il ne manque, pour satisfaire leur gloriole extravagante, que de
faire des culbutes en pleine assemblée? Mais pour que vous
sachiez quel est cet ornement du monde, qui doit se cuire au-
jourd'hui, écoutez-moi: je connais depuis longtemps son hu-
meur,'etje suis au courant de sa vie. C'ost de la bouche de ses
compatriotesque je tiens la plupart de ces détails, et force leur
a été de le bien connaître.
9. Cette ,pièce merveilleuse, ce chef-d'œuvre de la nature
ce canon de Polyclète était à peine arrivé à l'âge d'homme.
qu'il fut surpris en adultère dans une ville d'Arménie. Il es'
youé de coups, s'échappe en sautant d'un toit, et s'enfuit empor-
tant un raifort dans le derrière". Quelque temps après, il cor-
rompt un joli garçon et n'obtient qu'en payant à la famille, quC
était pauvre, une somme de trois mille drachmes, de ne pas être
dénoncé au gouverneur d'Asie.
10. <r Mais je n'insiste pas sur ces gentillesses et autres sem-
blables il n'était encore qu'une masse informe d'argile, et non
le chef-d'œuvre admirable d'un artiste consommé. Cependant,
ce qu'il a fait à son père vaut la peine d'être mentionné. Vous
savez tous, on vous a dit comment il a étouffé ce bonhomme,
qu'il lui peinait de voir vieillir passésoixante ans. L'affaires'étant
répandue, il s'enfuit, se condamne à un exil volontaire et se met
à errer de pays en pays.
11. « Ce- fut vers cette époque qu'il se fit instruire dans l'ad-

( Voy. De la danse,75.
2. Voy. la noti; de M. Arla|Jd W le YCf» 107? d.«fs Wu,èes p. <39 de sa
traducliot)d'Aristophane,
mirable religion des Chrétiens, en s'affilia.nt en Palestine avec
quelques-uns de leurs prêtres et de leurs scribes. Que vous
dirai-je Cet homme leur fit bientôt voir qu'ils n'étaient que des
enfants; tour à tour prophète, thiasarque, chef d'assemblée, il
fut tout à lui seul, interprétant leurs livres, les expliquant, en
composant de son propre fonds. Aussi nombre de gens le regar-
dèrent-ils comme un dieu, un législateur, un pontife, égal à celui
qui est honoré en Palestine, où il fut mis en croix pour avoir
introduit ce nouveau culte parmi les hommes
12. « Protée ayant donc été arrêté par ce motif, fut jeté en
'prison. Mais cette persécution lui procura pour le reste de sa vie
une grande autorité, et lui valut le bruit d'opérer des miracles
et d'aimer la gloire, opinion qui flattait sa vanité. Du moment
qu'il fut dans les fers, les Chrétiens, se regardant comme frappés
en lui, mirent tout en oeuvre pour l'enlever; mais ne pouvant y
parvenir, ils lui rendirent au moins toutes sortes d'offices avec
un zèle et un empressement infatigables. Dès le matin, on voyait
rangés autour de la prison une foule de vieilles femmes, de
veuves et d'orphelins. Les principaux chefs de la secte passaient
la nuit auprès de lui, après avoir corrompu les geôliers ils se
faisaient apporter toutes sortes de mets, lisaient leurs livres
saints et le vertueux Pérégrinus, il se nommait encore ainsi,
était appelé par eux le nouveau Socrate.
13. «Ce n'est pas tout; plusieurs villes d'Asie lui envoyèrent
des députés au nom des Chrétiens, pour lui servir d'appuis,
d'avocats et de consolateurs. On ne saurait croire leur empres-
sement en de pareilles occurrences pour tout dire, en un mot,
rien ne leur coûte. Aussi Pérégrinus, sous le prétexte de sa
prison, vit-il arriver de bonnes sommes d'argent et se fit-il un
gros revenu. Ces malheureux se figurent qu'ils sont immortels
et qu'ils vivront éternellement. En conséquence, ils méprisent
les supplices et se livrent volontairement à la mort. Leur pre-
mier législateur leur a encore persuadé qu'ils sont tous frères.
Dès qu'ils ont une fois changé de culte, ils renoncent aux dieux
des Grecs, et adorent le sophiste crucifié dont ils suivent les lois.
Ils méprisent également tous les biens et les mettent en com-
mun, sur la foi complète qu'ils ont en ses paroles. En sorte que
s'il vient à se présenter parmi eux un imposteur, un fourbe
adroit, il n'a pas de peine à s'enrichir fort vite, en riant sous
cape de leur simplicité.

( Ce passage est fort controversé }e me suis guide d'après tes meilleurs


criiicjues,
14. «Cependant Pérégrinusestbientôt délivré de ses fers par le
gouverneur de Syrie, amateur de philosophie, et qui savait notre
cynique assez fou pour se livrer à la mort dans le dessein de
s'illustrer. Il le fait mettre en liberté, ne le jugeant digne
d'aucune punition. Celui-ci, de retour dans sa patrie, trouve
les esprits encore tout échauffés du meurtre de son père et
nombre de gens prêts à le poursuivre en justice. La plus grande
partie de ses biens avait été pillée durant son absence; il ne lui
restait plus que des champs de la valeur de quinzetalents envi-
ron ce qui, joint à l'avoir que lui laissait son
vieux père, lui
composait une somme d'à peu près trente talents, et non pas
cinq mille, comme l'a dit ce fou de Théagène car avec cette
somme on pourrait acheter la ville entière de Parium et cinq
de ses voisines, y compris les habitants, les bestiaux et toutes
les dépendances.
15. cr Ainsi l'effervescence n'était point calmée, mais l'accusa-
tion devenait imminente, et il allait, avant peu, s'élever quelque
orateur contre lui. Le peuple témoignait hautement son indi-
gnation on plaignait ce bon vieillard, que tout le monde con-
naissait, d'avoir été si affreusement mis à mort Mais voyez
comment le prudent Protée trouve moyen de parer à tout et
d'éviter le danger. Il s'avance dans l'assemblée de ses compa-
triotes, les cheveux longs, enveloppé d'un mauvais manteau, une
besace sur l'épaule, un bâton à la main, en vrai costume de
tragédie. Affublé de la sorte, il déclare qu'.il leur abandonne tout
le bien que lui a laissé son vénérabe père, qu'il en fait un don
public. A ces mots, tout le peupîe, gens pauvres.et toujours
avides de largesses, se met à jeter des cris: « Vive le philosophe!
vive le patriote! 1 vive le rival de Diogène et de Cratès! » Ceper.
dant les ennemis de Pérégrinus ont la bouche close; et, si quel-
qu'un eût essayé alors de parler du meurtre, ileûtété lapidé sur-
le-champ.
16. i Pérégrinus reprend donc sa vie errante, accompagné
dans ses courses vagabondespar une troupe de chrétiens qui lui
servent de satellites et subviennent abondammentà. ses besoins.
Il se -fit ainsi nourrir pendant quelque temps. Mais ensuite ayant
violé quelques-uns de. leurs préceptes (on l'avait vu, je crois,
manger d'une viande prohibée), il fut abandonné de son cortège
et réduit à la pauvreté. Il imagine alors, en manière de palino-
die, de redemander à sa ville natale la donation qu'il lui avait

I. Colonie de Milésiens, sur WlelUsponl, au-<lessus de Lampsaque au-


aurd'hui Cnnuiut/p*
faite, et il présente à l'empereur uue requête à 1 effet d'obtenir
que ses biens lui soient restitués sur son
ordre. Mais ses cbm
patriotes avaient, de leur côté, envoyé une députation qui rendit
sa réclamation inutile et il fut sommé de
laisser les choses dans
l'état où elles étaient, vu que sa donation était toute velontaire.
17. « Un troisième voyage, entrepris par lui à cette époque,
le conduit en Égypte auprès d'Agathobule, qui l'initia à la belle
profession qu'il exerce aujourd'hui. La tète à moitié raséé, le
visage barbouillé de boue, il n'a pas honte de porter les mains
assemblée et d'accom-
sur lui-même au milieu d'une nombreuse
plir un acte que les Cyniques osent qualifier d'indifférent; il se
frappe ou se fait frapper le derrière avec une férule, et commet
mille autres indécences.
18. « Quand il s'est bien formé à cette école, il s'embarque
pour l'Italie. A peine hors du vaisseau, il se met à injurier tout
le monde, et particulièrement l'empereur', dont il connaît assez
la bonté et la clémence, pour ne pas craindre les suites de son
audace. Or, l'empereur, on le comprend sans peine, méprise ses
invectives et ne croit pas devoir punir pour des mots un pré-
"tendu philosophe, qui d'ailleurs, en sa qualité de cynique, fait
profession de dire des injures. Ce fut toutefois pour cet homme
une occasion d'accroître sa renommée. Déjà même le se ,il
trouvait
des.niais pour admirer son extravagance, lorsque gouverneur
de la ville, en magistrat prudent, le voyant passer toutes les
bornes, le renvoya en disant que Rome n'avait pas besoin d'un
philosophe tel que lui. Néanmoins ce bannissement le rendit en-
core célèbre; il n'était bruit que du philosophe que sa fran-
chise et son indépendance avaient fait exiler; on le comparait
à Musonius, à Dion, à Ëpictète et à tous ceux qui avaient eu le
même sort
19. De retour en Grèce, tantôt il déclame contre les Éléens,
tantôt il cherche à faire armer toute la Grèce contre Rome. Il y

<. Antonin le Pieux ou Marc Aurèle.


2. a L'empereur Domitien, par un édit, chassa de Rome tous les philoso-
plies. Les plus célèbres, enveloppés dans cette proscription, furent L. Arulénus
Itusticus, philosophe stoïcien, qui avait été disciple de Plutarque, Sénécion
et Hermogènede Tarse, auteur d'une histoire dans laquelle Domitien se crut
désigné sous un nom supposé. Il le fit mourir, ainsi que Ruslicus et Sénécion,
Épiclèle, Télésinus,
et fit crucifier les libraires qui vendaient cet ouvrage.
Artémidore, Musonius Rufus, Dion Chrysostomc, dont les ouvrages assez
nombreux sont venus jusqu'à nous. furent également proscrits. La plupart do
ces philosophes se retirèrent dans les Gaules, dans
la Libye, et Dion dans le
pays des Geles. x Belik de Bau.ii
avait un personnage éminent par son savoir et par sa considé-
ration', qui, entre autres services rendus aux Grecs, avait
amené des eaux à Olympie et préservé ainsi les spectateurs de
mourir de soif. Pérégrinus se met à déblatérer contre lui, l'ac-
cusant d'avoir efféminé les Grecs; il valait mieux que les spec-
tateurs des jeux olympiques souffrissent de la soif, et que la
plupart d'entre eux, ma foi, fussent atteints de graves maladies,
causées par cette affluence considérable et par la sécheresse du
pays. Il débitait ces invectives en buvant lui-même de cette eau.
Aussi manqua-t-il d'être lapidé; la foule s'élança sur lui, et
notre brave philosophe ne put échapperà la mort qu'en se réfu-
giant auprès de Jupiter.
20. <t A l'olympiade.suivante, il apporta aux Grecs une ha-
rangue qu'il avait composée quatre ans auparavant, en l'hon-
neur de celui qui avait fait l'aqueduc, et pour se justifier d'avoir
pris la fuite. Cependant il commençait à être négligé du peuple
et cessait d'être un objet d'admiration; tous ses tours étaient
usés, et il était à bout de nouveautés pour éblouir l'assistance,
attirer les regards et provoquer la surprise, ce qui avait tou-
jours été sa passion dominante. Enfin il a imaginé la fameuse
affaire du bûcher et répandu parmi les Grecs, aux derniers jeux
olympiques, le bruit qu'il se brûlerait aux suivants.
21. « Et maintenant il met en œuvre tous ses procédés de
charlatanerie il a creusé, dit-on, sa fosse, apporté le bois et
fait montre d'un grand courage. Or, selon moi, il devait atten-
dre la mort et non pas s'enfuir de la vie, ou, s'il était résolu à
s'en défaire, il n'avait pas besoin de tout cet appareil tragique;
il y a bien d'autres genres de mort, et il n'avait qu'à choisir
dans la quantité pour s'en aller. Tenait-il à périr par le feu
comme Hercule, il pouvait se rendre en silence sur une monta-
gne boisée, et là se brûler seul, en présence de quelque Philoc-
tète, par exemple de Théagène. Mais non, c'est.à Olympie, de-
vant une assemblée générale, qu'il veut se faire cuire, comme
sur une scène. Et il se rend justice, par Hercule 1 en s'imposant
le supplice dû aux forfaits des parricides et des athées. Seule-
ment il s'y prend un peu tard c'était dans le taureau de Pha-
laris qu'il devait depuis longtemps expier ses crimes, et non au
milieu d'une flamme qui l'étouffera en un instant, dès qu'il ou-
vrira la bouche. En effet, beaucoup de. gens m'affirment que
c'est un genre de mort des plus expéditifs, et qu'à peine ouvre-
t-on la bouche, on meurt.
< Héiodc AllicilS.
w
22. Cependant il s'imagine, je crois, que ce sera un spec-
tacle imposant de voir un homme se brûler dans uu endroit
consacré, où il n'est pas permis d'enterrer d'autres morts. Mais
ne savez-vous pas, dites-moi, que jadis un fou', cherchant
à
s'immortaliser et ne pouvant y réussir par d'autres moyens,
mit le feu au temple de Diane Êphésienne? C'est quelque chose
d'analogue que prépare notre cynique c'est le même amour de
gloire qui le fait sécher.
23. « Vainement il prétend qu'il n'agit ainsi que pour le bien
de l'humanité, afin d'apprendre aux hommes à mépriser la mort
et à braver les tourments. Je lui demanderais volontiers; ou
plutôt à V|OUS-mêmes, citoyens « Souhaiteriez-vousde voir les
scélérats devenir ses disciples, dédaignerla mort, se faire brû-
ier vifs et se rire de semblables frayeurs? » Non, si je vous
connais bien, vous ne le voudriez pas. Comment donc Protée,
par une distinction impossible, espère-t-il être utile aux bons et
ne pas rendre les méchants plus audacieux et plus
témérai-
res ?
24. « Supposons toutefois qu'il
n'ait pour témoins que ceux
auxquels un pareil spectacle peut être utile, je vous demanderai
encore si vous souhaiteriez que vos enfants suivissent un
pareil exemple. Non, diriez-vous. Mais à quoi bon vous faire
cette question ? Il n'y a pas un de ses disciples prêt à suivre les
traces du maître. Il faudrait alors savoir mauvais gré à Théa-
gène, qui se pose en imitateur des vertus de Protée, de ne vou-
loir pas l'accompagner pour monter avec lui près d'Hercule,
tandis qu'il ne tiendrait qu'à lui d'arriver au plus vite à la fé-
licité suprême, en s'élançant dans .le feu la tête la première. Ce
n'est pas, en effet, dans la besace, le bâton et le manteau, que
consiste l'imitation tout cela est peu dangereux, facile, et à la
portée de tout le monue mais c'est la fin, l'acte capital de Pro-
tée qu'il doit imiter, en se construisant un bûcher de souches
de figuier aussi vertes que possible, et en se faisant étouffer
par la fumée. Or, comme le feu n'est pas la propriété exclusive
d'Hercule et d'Esculape, mais le partage des sacriléges et des
meurtriers, que nous y voyons tous les jours condamnés par la
justice, il vaut donc mieux qu'il périsse par le feu, qui appar-
tient en propre aux Cyniques.
25. « Toutefois, lorsque Hercule s'est décidé à se brûler, un
mal affreux le consumait il était dévoré, dit la tragédie. par la
robe ensanglantée du Centaure. Mais Protée, quelle raison 1*"

<. ÉrosUalc.
détermine à se jeter dans le feu? Il veut, par Jupiter, faire
montre de courage, à l'instar des Bracbmanes. C'est à eux, en
effet, que Théagèrçe l'a comparé comme s'il n"y avait pas aussi
dans l'Inde des fous remplis de vanité. Eh bien qu'il les imite.
Seulementils ne s'élancent point dans les flammes, s'il faut en
croire Onésicrite, amiral d'Alexandre, qui vit Calanus se brû-
ler mais, une fois leur bûcher construit, ils se tiennent auprès,
immobiles, attendant les premières atteintes du feu; après quoi,
ils montent avec un maintien calme, se couchent et se lais-
sent consumer sans faire le moindre mouvement. Qu'y aura-
t-il donc de si merveilleux dans l'action de Protée, si. après
s'être élancé dans le feu, il meurt aussitôt enveloppé par les
flammes? D'ailleurs, il espère peut-être en réchappermoyennant
quelquesbrûlures, à moins qu'il ne s'ingénie, comme on le pré-
tend, de creuser une fosse profonde pour y mettre le bûcher.
26. (t Il y a, du reste, des gens qui assurent qu'il est prêt à
changer d'avis: il raconte déjà certains songes dans lesquels
Jupiter ne veut pas permettre qu'on profane un lieu consacré.
Mais il peut être tranquille de ce côté. Je suis tout disposé à
jurer qu'aucun dieu ne sera fâché de voir Pérégrinus 'faire une
fin misérable.D'autre part, il ne lui sera pas facile de se rétrac-
ter. Les Cyniques ses amis l'exhortent, le poussent au feu, lui
embrasent l'esprit, et ne le laissent pas témoigner de faiblesse.
Ah 1 s'il pouvait seulement en entraîner deux avec lui dans le
feu, quand il s'y jettera, quelle action agréable il accomplirait
27. « On m'a dit encore qu'il ne veut plus qu'on l'appelle
Protée, mais qu'il a changé son nom en'celui du phénix, oiseau
des Indes qui se brûle quand il est arrivé à une extrême vieil-
lesse. Il répand en même temps parmi les peuples d'anciens
oracles, qui veulent qu'on le regarde, après sa mort, comme
le génie tutélaire de la nuit. Il est clair qu'il demande des autels
et qu'il espère qu'on lui élèvera une statue d'or.
28. t Je ne crois pas impossible, du reste, qu'il se trouve parmi
cette fouled'imbéciles quelques gens, qui viennent se dire guéris
par lui de la fièvre quarte, et qui assurent avoir vu en songe le
génie tutélaire de la nuit. Aussi, ses détestables disciples se
proppsent-ils déjà d'élever sur son bûcher un temple où il rendra
des oracles sous prétexte que le Protée, fils de Jupiter, et le
premier du nom, était un devin fameux. Je jurerais que sous

4 Voy. Robert Gcier, AUxatulri Magni historiarunt scriptores, p. 9\ t 08,


<<!), 150, 301 et suivantes. On y trouvera réunis tous les témoignages de,
anciens sur la mort de ce fou vaniteux.
avsni le iouet,
peu l'on instituera des prêtres qui mettront en qu'on célébrera
les brûlures et autres gentillesses; sans compter
quelques mystères nocturnes, avec promenades de flambeaux
autour du bûcher.
29. t Théagène, d'après ce que m'a dit un de mes amis, ré-
de la Sibylle,
citait dernièrement un oracle qu'il prétendait tenir
et dont. voici la substance en vers
Lorsque Protée, orgueil de la secte cynique,
Construira son bûcher près de la basilique
Vouée à Jupiter, maître absolu des cieux,
Et du feu montera vers le ciel radieux,
Je veux que les mortels, qui rampent sur la terre,
Invoquent de la Nuit ce maître tutélaire,
Comme Hercule et Vulcain assis au rang des dieux.
30. Voilà ce que Théagène assure avoir entendu dire à la
<t
Sibylle. Moi, je vais vous rapporter un autre oracle de Bacis
sur le même sujet, où il est dit avec beaucoup de justesse
Quand le cynique, aux noms changeants comme son âme,
Sautera, fou de gloire, au milieu de la flamme,
Puissent les chiens-renards,qui marchent sur ses pas,
Suivre ce loup, courant après un beau trépas!
Et si l'un d'eux, craignant Vulcain et ses colères,
S'enfuit, courez-lui sus; assommez-lede pierres,
Pour que son froid orgueil cesse les chauds discours
Où sa forfanterie éclate tous les jours;
Quand on lui voit au dos la besace remplie
D'un or, fruit de l'usure et de la vilenie,
Et que sa gueuserie étalée aux passants,
Est riche dans Patras de trois fois cinq talents.
t Qu'en dites-vous? Cet oracle de Bacis ne vaut-il pas celui
de la Sibylle? Voici donc le moment venu pour les disciples de
Protéedechoisir l'endroit où ils veulent opérer leur évaporation,
car c'est ainsi qu'ils appellent leur brûlement. »
31. Il dit, et l'assistance tout entière se mit à crier « Qu'on
les brûle tout de suite Ils ont mérité le feu » et l'orateur des-
cend en riant de la tribune.
Mais Nestor-Théagèneentendit ces clameurs.

t. Imitation des Chevaliers d'Aristophane, voy. p. 86 de la traduction de


M. Artaud.
2. Espèce de Nostradamus, un des pins anciens et des plus fameux devins
de la Grèce; il était de la R6otic. Cf. le Dict. de Jacobi.
3. Parodie de l'Iliade, XIV, v. I.
-i accourt et remonte à la tribune et s'égosille à vomir mille
npres contre celui qui venait de descendre, excellent homme,
dont je n'ai pu savoir le nom. Pour moi, je le laissai se mettre
en quatre et je m'en allai voir les athlètes. On disait, en effet,
que les Hellanodices étaient dans le Pléthrium1. Voilà ce qui se
passa à Élis.
32. Lorsque nous fûmes arrivés à Olympie, l'Opisthodome!
était rempli d'une foule de gens, les uns blâmant, les autres ap-
prouvant le dessein de Protée, à ce point qu'ils étaient près d'en
venir aux mains, quand Protée lui-mêmes'avança, escorté d'une
multitude considérable, derrière l'endroit où s'exercent les hé-
rauts. Là il se mit à parler de sa propre personne, racontant
quelle avait été sa vie, et les dangers qu'il avait courus, et tout
ce qu'il avait souffert pour la philosophie. C'était un intermi-
nable récit; mais l'affluence était si grande que je n'en entendis
qu'une faible partie. Ensuite, craignant d'être étouffé au milieu
d'une telle cohue, comme le furent plusieurs personnes, je m'en
allai, disant un long adieu à mon sophiste avide de mourir et
prononçant lui-même son oraison funèbre.
33. Je l'entendis pourtant prononcer à peu près ces paroles
ju'il voulait couronner une vie d'or par un trépas également
d'or; qu'après avoir vécu comme Hercule, comme Hercule il dé-
sirait mourir, et se vaporiser dans les airs. « Je veux, ajouta-
t-il, rendre, en mourant, service aux hommes et leur apprendre
à mépriser la mort. Il faut donc que tous' les hommes soient
pour moi des Philoctètes. Les pfus niais de l'assistance se
mettent à larmoyer et à lui crier « Conservez-vous pour les
Grecs Mais d'autres plus fermes lui crient <r Finissez-en »
Ce mot ne laisse pas de troubler singulièrement le vieillard, qui
espérait qu'on le retiendrait, qu'on ne souffrirait pas qu'il se
jetât dans les flammes et qu'on le forcerait à rester en vie. Mais
ce,: « Finissez-en qui lui tombe d'une manière aussi impré-
vue, le rend tout pâle, malgré sa teinte déjà cadavéreuse,le fait
trembler, ma foi, et lui coupe la parole.
34. Moi cependant, comme tu dois croire, je ne me tenais pas
de rire, n'ayant aucune pitié pour l'homme le plus vain de tous
ceux qui opt poussé jusqu'à la manie la passion de la gloire.
Comme un nombreux cortège le suivait, sa vanité eut de quoi

i. Le Pléthrium, du mot .vUBpov, arpent, était un endroit du Gymnase


d'Olympie, où les Hellanodices appariaient tes athlètes suivant leur âge et le
genre de leurs exercices. Voy. ffermotimus, 40 et suivaiUs. i
2. Portique placé derrière le temple de Jupiter Olympien.
se repaître en jetant les yeux sur la foule de ses admirateurs.
II oubliait, le malheureux, que ceux que l'on conduit à la
croix, et qui sont entre les mains du bourreau, ont une suite
encore plus nombreuse.
35. Cependant les jeux finirent, les plus beaux que j'eusse
vus à Olympie, moi qui pourtant y ai assisté quatre fois. La ra-
reté des voitures, occasionnée par le grand nombre des départs,
me fit rester malgré moi. Protée, qui remettait de jour en jour,
finit par annoncer que la nuit suivante il donnerait le spectacle
de sa cuisson. Un de mes amis étant venu me prendre, je me
levai vers le milieu de la nuit, et je me rendis droit à Harpiné
où était le bûcher. Cet endroit est à vingt stades d'Olympie, au-
dessous de l'hippodrome, quand on se dirige vers l'orient. En
arrivant, nous trouvâmes le bûcher placé dans une fosse, à la
profondeur d'une brasse. Il y avait un grand nombre de torches
avec des sarments entrelacés pour prendre feu aisément.
36. Dès que la lune est levée car il fallait bien qu'elle fût
aussi témoin de ce bel exploit, Protée s'avance dans son cos-
tume ordinaire, entouré des sommités de la secte cynique, no-
tamment l'illustre citoyen de Patras, qui marche, un flambeau
à la main, et remplit à merveille le second rôle de la pièce.
Protée aussi portait un flambeau. Arrives au bûcher, chacun y
met le feu de son côté, et il s'élève aussitôt une grande flamme,
produite par les torches et le bois sec. Ici, mon cher, fais bien
attention.Protée dépose sa besace, met bas sa massue d'Hercule,
se dépouille de son manteau, et paraît avec une chemise horri-
blement sale. Il demande de l'encens pour le jeter dans le feu:
on lui en donne, il le jette et dit,. en se tournant vers le midi,
car le midi joue aussi un rôle dans cette tragédie i Mânes de
ma mère et de mon père, recevez-moi avec bonté! » Après quoi,
il s'élance dans le brasier et disparaît enveloppé par une grande
flamme qui s'élève.
37. Je te vois rire encore une fois, mon cher Cronius, du dé-
noûment de la pièce. Pour moi, quand je l'entendis invoquer
les mânes de sa mère, je ne lui en voulus pas trop, ma foi; mais
quand il parla de ceux de son père, je ne pus m'empêcher de
rire, en me rappelant tout ce qu'on avait dit au sujet du meurtre
de ce vieillard. Quant aux Cyniques, rangés autour du bûcher,
ils ne pleuraient pas, mais, les yeux fixés sur la flamme, ils gar-
daient un silence qui peignait leur douleur. Enfin, n'y tenant
plus « Allons-nous-en,m'écriai-je, fous que nous sommes Ce

4. Ville de l'Élide, à peu de distance du ileuve Harpinalèa.


n'est pas un agréable spectacle de voir rôtir un vieillard, et
d'être infectés de ce fumet odieux. Attendez-vousqu'un peintre
vienne nous le représenter, comme on a fait le tableau des amis
de Socrate' dans la prison ? » Ces paroles les mirent fort en co-
lère ils me dirent des injures; quelques-uns même levaient le
bâton sur moi mais, quand je les eus menacés 4e les prendre
et de les jeter dans le feu pour y rejoindre leur maître, ils ces-
sèrent et demeurèrent en paix.
38. Pour moi, mon cher ami, en m'en allant, je réfléchis, entre
autres choses, à tout ce qu'a de violent l'amour de la gloire,
passion à laquelle ne peuvent résister des hommes dignes d'ail-
leurs de notre admiration, encore moins un pareil personnage,
qui, après une vie de folies et d'extravagances, méritait bien de
mourir par-le feu.
39. Ensuite je rencontrai une foule de gens qui allaient voir
aussi ce spectacle.,Ils se flattaientde trouver Protée encore en vie,
le bruit s'étant répandu qu'il ne monterait sur le bûcher qu'après
avoir salué le soleil levant, comme on dit que font les Brach-
manes. La plupart s'en retournèrent, quand je leur eus dit que
la chose était finie, excepté ceux qui ne tenaient pas tant à voir
cette scène, que le théâtre où elle avait eu lieu, et qui voulaient
recueillir quelque reste du feu. C'est là, mon cher ami, que j'eus
beaucoup à faire, quand il fallut répondre en détail à toutes les
questions et raconter le fait dans ses moindres circonstances.
Quand je rencontrais un habile homme, je lui racontais, comme
à toi, la simple vérité. Mais pour les imbéciles, sottement avides
du merveilleux, j'ajoutais, dé mon cru, quelque détail tragique
par exemple, qu'au, moment où le bûcher flambait, et que Protée
s'y précipitait, il y avait eu un tremblement de terre, accompa-
gné d'un mugissement affreux, et qu'on avait vu du milieu de
la flamme s'élancer un vautour, volant vers le ciel et criant d'une
voix humaine «J'abandonnela terre et je monte vers l'Olympe. »
Mes gens, stupéfaits et frissonnants, se jetaient à genoux et me
demandaient si le vautour s'était envolé du. côté de l'orient ou
de l'occident. Je leur répondais ce qui me passait par la tête.
40. Arrivé à l'assemblée je m'arrêtai devant un homme en
cheveux blancs ma foi, et auquel sa barbe épaisse donnait un
air grave et digne. JI parlait de Protée, et disait qu'un instant
après s'être brûlé, ce héros lui était apparu revêtu d'une robe
blanche, et qu'il l'avait laissé se promenant gaiement sous le
Portique des sept échos couronné d'olivier sauvage. Il ajouta
4. Ainsi nommé parce qu'il répétait un son jusqu'à sept fois.
l'histoire du vautour, qu'il jurait avoir vu lui-même s'envoler
du milieu du bûcher, tandis que c'était moi qui lui avais donné
l'essor, pour me moquer des stupides et des fous.
41. Vois par là toutes les merveillesauxquellescet événement
va donnerlieu; que d'abeilles vont se réunir, que de cigales vont
se rassembler, que de corneilles vont s'abattre, comme autrefois
sur le tombeau d'Hésiode. Les Ëléens ne vont pas manquer de
lui élever des statues et je sais de bonne source qu'il en sera
de même chez les autres Grecs, auxquels on prétend qu'il a
écrit. C'est un bruit, en effet, que dans toutes les cités considé-
rables il a envoyé des lettres avec son testament, ses conseils
et ses recommandations.Il a chargé de cette mission quelques-
uns de ses amis qu'il appelle les messagers de la mort les cour-
riers des enfers.
42. Telle fut la fin du pauvre Protée, qui, pour le dire en
deux mots, ne considéra jamais la vérité ne prit pour règle de
ses discours et de ses actions que la vanité et le désir immo-
déré des louanges de la foule, au point de se jeter dans le feu
pour les obtenir, dût-il ne plus les entendre et la mort l'y
rendre insensible.
43. Je terminerai mon récit par une anecdote qui t9 prêtera
beaucoup à rire. Je t'ai dit autrefois qu'à mon retour de Syrie
j'avais voyagé sur mer avec lui, depuis la Troade. Pour passer
agréablementla traversée, il avait avec lui un joli garçon, qu'il
formait à la vie cynique et qui lui servait d'Alcibiade. Quand
nous fûmes dans la mer Egée, il eut une frayeur mortelle du-
rant la nuit, les ténèbres s'étant épaissies et les flots soulevés
avec violence on vit alors pleurer comme une femme cet homme
admirable, qui affectait de mépriser la mort.
44. Quelque temps avant de sa brûler onze jours environ,
ayant mangé, je pense, plus que de raison, il vomit pendant la
nuit et fut pris d'une fièvre violente. Le médecin Alexandre, qui
avait été appelé, racontait qu'il l'avait trouvé se roulant par
terre et nepouvant supporter l'ardeur de la fièvre. Il demandait
de l'eau froide avec l'impatience d'un amant; le médecin la lui
refusa, en lui disant que, s'il désirait la mort, elle venait d'elle-
même frapper à sa porte; qu'il pouvait la suivre sans qu'il fût
besoin d'un bûcher mais Protée lui répondit qu'une pareille
fin n'était pas assez glorieuse,étant commune à tous les hommes.
45. Voilà ce qu'a dit Alexandre. Pour moi, j'ai vu Protée,
quelques jours avant sa mort, se bassiner les yeux d'un collyre
dont la violence lui tirait des larmes. Tu vois pourquoi? Ëaque
ne reçoit pas ceux qui sont tout à fait aveugles. C'est à peu près
comme si un criminel, près d'être conduit à la croix se faisait
panser l'orteil. A ton avis, qu'aurait fait Démocrite en voyant
tout cela? Il aurait ri de cet homme, comme il le mérite. Et
cependantje ne sais s'il aurait trouvé assez de rire pour tant de
folie. Quant à toi, mon doux ami ris-en à ton aise, et surtout
ris de ceux que tu verras l'admirer.

LXIX

LES FUGITIFS'.

APOLLON, JUPITER, LA PHILOSOPHIE, HERCULE, MERCURE,


DES HOMMES, UN MAÎTRE D'ESCLAVES, ORPHÉE, DES
ESCLAVES FUGITIFS, UN HÔTE.

1. APOLLON. Est-il bien vrai, mon père, qu'un homme s'est


précipité dans un bûcher ardent, en pleins jeux olympiques.
un vieillard, dit-on, passé maître en fait dé tours semblables?
La Lune, qui nous raconte cela, nous assure l'avoir vu au mi-
lieu des flammes.
JUPITER. Rien n'est plus vrai, Apollon; et je souhaiterais que
cela ne fût point arrivé.
APOLLON. C'était un si bon vieillard Il ne méritait pas de pé-
rir par le feu,
JUPITER. C'est possible; mais en vérité je ne me rappelle pas
avoir éprouvé un aussi grand mal de cœur à l'odeur fétide qui
s'est élevée naturellement "de ces chairs humaines rôties. Si je
ne me fusse enfui promptement en Arabie, je périssais, sois-en
sûr, par cette exécrable fumée. Et maintenant même, quoique
au milieu des parfums, de l'encens et des aromates de toute
espèce, mes narines ont grand'peine à oublier et à perdre cette

4 Quelques commentateurs ont prétendu mais à tort, que ce traité n'est


pas de Lucien. Il a tout le caclièt de son style. Wieland ne doute pas de soi)
tmUienticilfS,
vapeur infecte. Peu s'en faut qu'à présent encore je n'éprouve
des nausées à ce souvenir.
2. APOLLON. Quelle raison, Jupiter, cet homme avait-il d'agir
ainsi? Quel bien cela fait-il de se jeter dans un bûcher pour y
être réduit en charbon ?p
JUPITER. Il faut commencer, mon fils par adresser tes re-
proches à Empédocle, qui s'est de la même manière jeté dans les
cratères en Sicile.
APOLLON. Vous nous parlez là d'un terrible accès d'humeur
noire. Mais enfin pourquoi ce vieillard a-t-il été pris de ce désir?
JUPITER. Je te réciterai volontiers ce qu'il a dit à l'assemblée,
pour justifier sa mort. Il disait, si j'ai bonne mémoire.
3. Mais quelle est cette femme qui accourt vers nous, trou-
blée, en larmes, comme si elle venait d'essuyer une cruelle in-
jure ? C'est bien elle 1 C'est la Philosophie 1 Elle m'appelle d'une
voix douloureuse. Pourquoi pleures-tu, ma fille Pourquoi as-
tu abandonné les hommes, afin de monter ici ? Est-ce que les
ignorants machinent encore quelque chose contre toi, comme
lorsqu'ils ont fait jadis périr Socrate accusé par Anytus ? Es-tu
donc réduite à les fuir?
LA PHILOSOPHIE. Non, mon père, ce n'est point cela. La plu-
part des hommes, le gros du peuple, me tiennent en grand hon-
neur et m'admirent, et peu s'en faut qu'ils ne m'adorent, tout
en ne me comprenant pas beaucoup. Mais les autres (comment
les nommerai-je?), qui se disent mes amis mes intimes, et se
masquent de mon nom, m'ont traitée d'une façon abominable.
4. JUPITER. Les philosophes ont tramé quelque chose contre
toi?
LA Philosophie^ Non, mon père; les philosophes, au con-
traire, ont été outragés dans ma personne.
JUPITER. Qui donc t'a fait injure, puisque tu n'accuses ni les
ignorants ni les philosophes ?T
LA PHILOSOPHIE. 11 y a, Jupiter, entre les deux, tenant le mi-
lieu entre le vulgaire et les philosophes, des hommes qui ont
le même extérieur, le même regard, la même démarche que
moi. Ils se donnent les airs que nous avons, se disent soldats
de notre camp, s'enrôlent sous nos drapeaux, et se prétendent
nos disciples, nos familiers nos intimes; mais leur conduite ic-
fâme, leur ignorance, leur audace, leur libertinage, sont pour
nous une injure sanglante. Tels sont, mon père, les hommes
qui m'ont forcée à prendre la fuite.
5. Jupiter. Tout cela est dur, ma fille. Mais en quoi surtout
Vont-i}s offensée?
LA PHILOSOPHIE. Jugez, mon père, si c'est peu de chose.
Voyant le genre humain plein d'injustices et de crimes, fruits
d'une ignorance outrageante, qui jetait le trouble partout,
vous avez pris en pitié les hommes errant dans les ténèbres de
l'esprit, et vous m'avez envoyée avec mission d'employer mes
soins à faire cesser ces injustices, ces violences réciproques, et
à les retirer de la vie sauvage. qu'ils menaient, pouf tourner leurs
yeux vers la vérité et les faire vivre entre eux sous un régime
plus pacifique. « Tu vois, ma fille, me disiez-vous en m'envoyant
sur la terre, ce que font les hommes, à quelle condition les ré-
duit l'ignorance. J'ai pitié d'enx, je t'ai choisie entre toutes
pour apporter remède à leurs maux, et, de préférenceaux autres
dieux, c'est toi que j'envoie pour les guérir. »
6. JUPITER. Je sais que je t'ai dit beaucoupde choses de ce
genre. De ton côté raconte-moi quel accueil t'ont fait les
hommes, au moment où ton vol s'est abaissé sur la terre, et de
quels outrages ils t'accablent aujourd'hui.
LA PHILOSOPHIE. Ce n'est pas chez les Grecs; mon père, que
je me suis arrêtée tout d'abord mais afin de commencer par le
plus difficile, je veux dire l'instruction et l'éducation des bar-
bares, j'entrepris avant tout cette réforme. Laissant donc de
côté les Grecs, que je croyais faciles à dompter et prêts à rece-
voir le frein, je portai mes premiers pas chez les Indiens, et je
n'eus pas de peine à persuader à ce peuple, un des plus nom-
breux de la terre, de descendre de ses éléphants pour s'entrete-
nir avec moi. Aujourd'hui une nation entière, les Brachmanes
qui habitent entre les Néchréens et les Oxydraques, se sont
rangés sous mes drapeaux, vivent d'après mes lois, sont res-
pectés de tous leurs voisins, et terminent leurs jours d'une ma-
nière tout à fait extraordinaire.
7. Jupiter. Tu veux parler des gymnosophistes. On m'en a
beaucoup appris sur leur compte, et de .plus que, montant sur
un grand bûcher, ils s'y laissent consumer, sans changer d'at-
titude et de position. Mais ce n'est pas bien étonnant j'ai vu
faire, l'autre jour, la même prouesse aux jeux olympiques. Il est
probable, d'ailleurs, que tu étais là, quand certain vieillard s'est
mis au feu.
LA PHILOSOPHIE. Non, mon père; je nesuis point allée àOlym-
pie, dans la crainte de trouver ces êtres exécrables dont je vous
parlais. Je les avais vus s'y diriger en grand nombre, pour in-
vectiver contre ceux qu'ils rencontreraient, et remplir l'Opi-

<. Voy. Robert Geier, p. 54, U9, 379 et suivantes.


sthodomede leurs aboiements, en sorte que je n'ai pas vu com-
ment est mort ce vieillard.
8. De chez les Brachmanes,je passai en Éthiopie, puis je des-
cendis en Égypte, où je demeuraiquelque temps chez les prêtres
et lés prophètes du pays, que j'instruisis du culte des dieux; je
me rendis ensuite à Babylone pour initier les Chaldéens et les
Mages. De là, parcourant la Scythie, je vins en Thrace où
j'habitai avec Eumolpe et Orphée, que je choisis pour être mes
précurseurs en Grèce. L'un, Eumolpe, instruit par moi de tout
ce qui a rapport aux dieux, devait initier ses compatriotes; l'au-
tre, les attirer à moi par la douceur de ses chants. J'arrivai bien-
tôt sur leurs pas.
9. La première fois que je parus au milieu d'eux, les Grecs
ne me firent pas bon accueil, sans toutefois me repousser com-
plètement. Peu à peu le charme de ma conversation me concilia
sept amis qui furent mes disciples, l'un venant de Samos', q,
l'autre d'Éphèse5, un troisième d'Abdère4, peu nombreuxcomme
tu vois.
10. Après ceux-ci, je vis pousser à mes côtés, je ne sais com-
ment, le peuple des sophistes, qui, sans adhérer absolument à
mes principes, et sans les rejeter ouvertement, ressemblentà la
race des hippocentaures, composé mélange bizarre, qui parti-
cipe du charlatan et du philosophe. On ne peut pas dire qu'ils
soient complétement plongés dans l'ignorance, ni qu'ils osent
tenir leurs yeux fixés sur nous; niais, pareils à des chassieux,
dont la vue est émoussée, ils n'aperçoivent de nous qu'une image
obscure, une ombre à demi effacée, et s'imaginent nous voir tout
à plein. Néanmoins ils sont convaincus qu'ils ont de tout des
idées parfaites; et de là s'est allumé chez eux le flambeau de
cette science inutile et superflue, par laquelle ils se croient in-
vincibles j.è veux dire leurs réponses subtiles, équivoques, ab-
surdes, et leurs questions sans issue, comme un labyrinthe.
11. Bientôt arrêtés dans leur marche et convaincus d'impos-
ture par mes amis, ils se fâchent, se liguent contre eux, les
traînent devant les tribunaux et les livrent aux juges, qui leur
font boire la ciguë. J'aurais dû fuir alors, et éviter toute
ren.
contre avec eux. Mais Antisthène, Diogène, et, peu après, Cra-
tès et Ménippé, me décidèrent à prolonger encore mon séjour.
Plût aux dieux que je n'en eusse rien fait! Je n'aurais pas eu
tant de déboires par la suite.
12. JUPITER. Tu ne m'as pas encore dit, Philosophie, quelle

1. Les Seplsiges. 2. Pjthagore. 3. Héraclile. 1. PCmocrile.


est l'injure qu'on t'a faite, tu n'as fait qu'exprimer ton indigna-
tion.
LA PHILOSOPHIE. Écoutez-moi donc, Jupiter, et voyez combien
elle est grave. Il est une espèce d'hommes méprisables, pour la
plupart serviles et mercenaires, qui, livrés dès l'enfance à de
grossiers travaux, n'ont pu former avec moi aucune liaison ils
sont en proie à l'esclavage, occupés à gagner leur salaire et
exerçant des métiers appropriés à leur condition, cordonniers,
menuisiers, foulons, cardeurs de laines destinées aux femmes
soit pour filer soit pour tisser, et rendues plus souples et plus
commodes pour la navette ou pour le fuseau. Exercés à ces pro-
fessions depuis leur bas âge, ils n'avaient jamais entendu pro-
noncer mon nom. Mais parvenus à l'âge viril, et voyant la mul-
titude témoigner le plus profond respect à mes intimes, tolérer
leur franchise, rechercher leur amitié, écouter leurs conseils,
céder à leur plus léger reproche,ils s'imaginèrent que la philoso
phie dominait tout de son pouvoir absolu.
13. Apprendre ce qui est nécessaire à cette profession leur
parut trop long, ou plutôt impossible. D'un autre côté, leurs
métiers vils et pénibles suffisaient à peine à leur subsistance,et
le joug de la servitude leur devint pesant, comme il l'est en
effet. Que font-ils? Ils prennent la résolution de jeter la der-
nière ancre, que les marins appellent sacrée, mouillent au port
de la Folie, appellent à leur aide l'Insolence, l'Ignorance et
l'Impudence, leurs alliées ordinaires, se munissent d'une nou-
velle provision d'injures, qu'ils tiennent à la portée de leurs
mains; puis, quand ils se sont assuré toutes ces machines, vous
voyez quelle escorte pour la philosophie ils se déguisent de
leur mieux, prennent un extérieur semblable au mien, et font
avec moi ce qu'Ésope raconte de l'âne de Cymé qui, vêtu
d'une peau de lion, et se mettant à braire d'un ton -hardi, vou-
lait se faire passer pour un lion. Il y eut des gens assez simples
pour le croire.
14. Notre profession, vous le savez, est facile; on peut aisé-
ment nous imiter je parle de ce qui saute aux yeux. Il ne faut
pas grand'peine pour s'envelopper d'un manteau, suspendre
une besace sur son épaule, tenir un bâton à la main, crier, ou
plutôt braire, aboyer et insulter tout le monde. Nos gens, en
agissant ainsi, se savaient à l'abri derrière le respect qu'on
avait pour leur extérieur. La liberté leur était assurée en dépit
de leur maître, ,qui s'exposait, s'il voulait les retenir, à recevoir

4 Cf. le Pécheur, 31,


des coups de bâton. Désormais leur nourriture cesse d'être res-
treinte ce n'est plus, comme autrefois, quelque morceau de
pain sec, et pour assaisonnement de la saumure ou du thym,
mais des viandes de toute espèce, du vin des plus agréables,
avec de l'or, dès qu'ils en demandent.En effet, dans leurs visites
réitérées, ils lèvent des tributs, ou, comme ils le disent, ils ton-
dent les moutons, convaincus qu'on leur donnera, soit par égard
pour leur habit, soit par crainte de se faire mal venir.
15. Ils se sont encore aperçus je crois qu'ils se placeraient
aisément sur le même rang que les vrais philosophes attendu
qu'il n'y pas de juge capable de prononcer en pareille matière,
quand l'extérieur seul est semblable. Aussi ne s'exposent-ilsà
aucune épreuve,. Si on les interroge avec calme et avec ordre,
ils se mettent à crier de toutes leurs forces, se renferment dans
leur citadelle ordinaire, l'insolence, et saisissent leur bâton. Si
vous leur demandez quels sont leurs actes, ils vous renvoient à
leur doctrine, et, si vous examinez leur doctrine, ils vous par-
lent de leurs actions.
16. Dès lors la vie entière est en proie à leur scélératesse, et
particulièrement à celle de fourbes, qui se donnent pour des
Diogènes des Antisthènes des Cratès, et se rangent sous les
enseignes du chien. Seulement, loin d'imiter ce qu'il y a d'utile
dans la nature de cet animal, la vigilance, la garde assidue de
la maison, l'amour de son maître, la reconnaissance,c'est l'aboie-
ment seul, la gourmandise,la rapacité, l'humeur lascive, la flat-
terie, le mouvement de la queue, les rondes autour de la table,
qu'ils s'étudient à bien reproduire.
17. Vous verrez bientôt ce qu'il en adviendra. Les artisans
vont tous abandonner les ateliers, laisser les métiers sans exer-
cice, quand ils remarqueront que, soumis à un travail incessant
du matin au soir, toujours courbés sur leur ouvrage, ils gagnent
à peine un salaire qui leur permette de vivre tandis que des
hommes paresseux et imposteur3 nagent dans l'affluence de tous
les biens, demandent avec une insolencetyrannique, reçoivent
avec promptitude, s'emportent s'ils éprouvent un refus, et ne
donnent que des louanges payées. Cette manière de vivre leur
paraît celle du temps de Saturne, et ils s'imaginent que le miel
va leur couler du ciel dans la bouche.
18. Peut-être toutefois, le mal serait-il tolérable, si, tels
qu'ils sont, ils ne nous faisaient pas d'autre insulte. Mais ces
graves personnages, à l'air refrogné, qui affectent en public un
extérieur si sévère, aperçoivent à peine une belle femme ou un
joli garçon, qu'ils espèrent. Maisil vaut mieux garder le silence.
Quelques-uns, à l'exemple du jeune* prince d'Ilion, enlèvent les
femmes de leurs hôtes, sous prétexte de philosopher avec elles.
Ensuite ils les prostituent et les rendent communes à tous leurs
amis, afin de pratiquer, disent-ils, un des dogmes de-Platon. Ils
ignorent en quel sens ce grand philosophe désirait la commu-
nauté des femmes.
19. Quant à ce qu'ils font dans les festins, et comment ils s'y
enivrent, il serait trop long d'en parler. Et ils agissent ainsi, le
croiriez-vous? en déclamant contre l'ivresse, l'adultère, la dé-
bauche et la cupidité. On ne saurait trouver deux choses plus
opposées que leurs paroles et leurs actions. Ainsi ils affirment
qu'ils détestent la flatterie, et ils surpassent dans l'art de flatter
un Gnathonide ou un Struthias' ils recommandentaux autres
la vérité et ils ne peuvent remuer la langue sans faire un
mensonge. En paroles, Ëpicure est leur adversaire, la volupté
leur ennemie; en réalité, ils n'agissent que pour elle bilieux,
chicaneurs, plus irascibles que des petits enfants, qui ne rirait
de voir leur rate fumer pour la cause la plus légère? Ils devien-
nent pâles, ils lancent des regards obliques et furieux, et
l'écume, ou plutôt le poison, leur sort de la bouche.
20. N'allez pas vous exposer à la boue fangeuse qui va se ré-
pandre. « De l'or ou de l'argent, disent-ils, par Hercule! je suis
loin de vouloir en posséder, une obole me suffit-pour acheter des
lupins; une source,un fleuve, va me fournir à boire. » Etunin-
stant après, ils vous demandent non des oboles, ni des drachmes,
mais des trésors entiers. Aussi quel est le marchand à qui la
charge de ses navires produise autant d'argent que ces hommes
en retirent de leur philosophie?Puis, quand ils ont amassé une
somme suffisante et qu'ils ont de quoi vivre, ils jettent loin
d'eux ce misérable manteau, achètent des vêtements moelleux,
des esclaves à la chevelure flottante, des bourgades entières et
disent Un long adieu à la besace de Cratès, jiu manteau d'An-
tisthène, au tonneau de Diogène.
21. Les ignorants, en voyant tout cela, ne conçoivent que du
mépris pour la philosophie, et, convaincusque tous mes disciples
ressemblent à ces imposteurs, ils accusent mon enseignement.
C'est au point que depuis un temps considérable je ne puis en
attirer aucun. 11 m'arrive la même chose qu'à Pénélope. Ma
trame, à peine ourdie, se défait en un clin d'oeil et aux éclats de
rire de l'ignorance et de l'injustice, qui me voient poursuivre
ane oeuvre sans succès et un labeur stérile.
• Noms de parasites, fréquents dans les comédies grecques et latines.
22. Jupiter. Grands dieux, que de maux la Philosophie a en-
durés de ces scélérats! Il est urgent d'aviser aux moyens de les
punir. Ma foudre pourrait les anéantir d'un seul coup, mais cette
mort est trop prompte.
APOLLON. Moi, mon père, je vous soumettrai une idée. Je dé-
teste tous ces charlatans; leur ignorance, ennemie des Muses
que j'aime, excite ma colère. Ils ne méritent pas de mourir par
la foudre, ni de votre bras. Mais si vous voulez bien, envoyez
Mercure à leur poursuite, avec plein pouvoir de les punir. Versé
dans les lettres, il saura bientôt distinguer les vrais philosophes
d'avec ceux qui en usurpent le titre il donnera aux uns des
éloges mérités, et infligera aux autres les peines qu'ils ont
encourues.
23. JUPITER. C'est bien dit, Apollon. Toi, Hercule, accompagne
aussi la Philosophie, et descendez au plus vite sur la terre. C'est
un treizième travail que tu auras accompli, si tu parviens à
écraser ces monstres impurs et insolents.
HERCULE. Ma foi! j'aimerais mieux, mon père, nettoyer une
seconde fois le fumier d'Augias, que de me commettre avec eux.
Partons, cependant
LA PHILOSOPHIE. Je pars malgré moi, mais il faut te suivre,
puisque mon père l'ordonne.
24. MERCURE. Descendons, afin d'en écraser quelques-uns dès
aujourd'hui. De quel côté devons-nous aller, Philosophie? Tu
sais où ils sont. Il est certain que c'est en Grèce?
LA PHILOSOPHIE. Mais non, Mercure, ou du moins il n'y en
a là qu'un très-petit nombre, et qui suivent mes lois. Ceux dont
je parle ne se soucient point de la pauvreté attique; mais où ij
y a beaucoup d'or et d'argent tiré'des mines, nous devons les
aller chercher.
MERCURE. Alors il faut aller en Thrace.
HERCULE. Justement et je vous servirai de guide. Je connais
la Thrace entière pour y avoir beaucoup voyagé. Tenez, pre-
nons de ce côté.
MERCURE. Duquel?
25. HERCULE. Vous voyez bien Mercure et Philosophie ces
deux montagnes les plus belles çt les plus hautes de toutes l'une,
la plus grande des deux, est l'Hémus l'autre, en face, est le
Rhodope les campagnessituées au bas sont très-fertiles et com-
mencent au pied même de ces monts. Vous voyez quelques col-
lines, trois entre autres, les plus belles, que leur roideur ne
dépare point; on dirait les citadelles de la ville placée a-ides-
sous puis enfin voici la ville elle-même.
MERCURE. Fort grande, ma foi, et fort belle, ami Hercule!
Sa beauté resplendit au loin. Un fleuve d'une vaste étendue
glisse auprès d'elle et semble la caresser.
HERCULE. C'est l'Hèbre et la ville est l'oeuvre de Philippe
Mais nous voici près de la terre et au-dessousdes nuages; des-
cendons, et bonne chance
26. MERCURE. Le ciel t'entende! Mais que faire? Comment
nous mettre sur la piste de notre gibier?
HERCULE. C'est ton affaire, Mercure;. tu es héraut, fais-nous
vite une proclamation
MERCURE. Rien n'est plus facile, mais je ne sais pas leurs
noms. Dis-nous dono Philosophie, comment ils s'appellent et
donne-nous leur signalement.
LA PHILOSOPHIE. Je ne sais guère leurs noms, car je ne
me
trouve pas souvent avec eux; mais, vu leur fureur de posséder,
tu ne cours pas grand risque de te tromper en les appelant Cté-
sons (possesseurs), Ctésippes (possesseurs de chevaux), Ctésiclès
(possesseurs de gloire), Euctémons (possesseurs de biens), Poly-
ctétes (qui possèdent beaucoup).
27. MERCURE. Le conseil est bon. Mais quels sont ces hom-
mes ? Qu'est-ce qu'ils ont à regarder autour d'eux? Ils s'avan-
cent de notre côté et semblent vouloir nous adresser la parole.
LES HOMMES. Ne pounjiez-vous pas, citoyens, et vous, ex-
cellente dame, nous dire'si vous avez vu passer trois charlatans
accompagnés d'une femme, rasée jusqu'à la peau suivant la
mode lacédémonienne,une virago aux allurés cavalières?
LA PHILOSOPHIE. Bon 1 Ce sont précisément les gens que nous
cherchons.
LES Hommes. Comment! Vos gens? Ce sont tous des esclaves
fugitifs: mais ce que nous poursuivons avant tout, c'est la
femme que ces gredins ont emmenée comme esclave.
MERCURE. Vous allez bientôt savoir pourquoi nous les cher-
chons aussi. Faisons maintenant une proclamationau nom de
tous «Si quelqu'un a connaissanced'un esclave paphlagonien,
un des barbares de Sinope, dont le nom vient du verbe posséder,
visage pâle, tête rasée jusqu'à la peau, barbe longue, besace
suspendue à l'épaule, manteau au dos, humeur colère doublée
d'ignorance voix rude, langue' médisante, qu'il en donne avis
sous les conditions qu'il voudra. i
28. LE Maître. Je ne comprends pas bien, l'ami, le signale-
ment donné par ta proclamation l'esclave que j'avais chez moi
4. Piiilippopolis ou TrimonlUim aujourè'iiui Philippopoli.
se nommait Cantharus il laissait.croître ses cheveux, arrachait
les poils de son menton et connaissait bien mon métier; il étaitt
occupé dans ma fabrique à tondre le duvet du drap.
LA PHILOSOPHIE. Eh bien c'est ton esclave lui-même. Main-
tenant il ressemble exactement à un philosophe, après s'être
bien passé au foulon.
LE MAITRE. L'impudent Ah 1 Cantharus est philosophe; dites-
vous, et il se moque de moi!
UN Homme. Soyez tranquille; nous les trouverons tous cette
dame sait là-dessus à quoi s'en tenir.
29. LA PHILOSOPHIE. Mais quel est donc, Hercule, celui qui
s'avance vers nous ce bel homme qui tient une lyre?
HERCULE. C'est Orphée, mon camarade du navire Argo, le plus
charmant des céleustes La douceur de ses chants nous faisait
oublier les fatigues de la rame. Bonjour, aimable Orphée, le plus
habile des musiciens. J'espère que tu n'as pas oublié Hercule.
ORPHÉE. Je vous salue aussi, Philosophie, Hercule et Mer-
cure. Mais il va falloir me payer mon renseignement: car je
connais à merveille celui que vous cherchez.
MERCURE. Eh bien! montre-nous où il est, fils de Calliope
tu n'as pas besoin d'or, je pense, homme sage que tu es.
ORPHÉE. C'est vrai. Je vais vous montrer
son logis,; pour lui,
je n'oserais vous le découvrir, de peur de m'exposer à ses in-
jures c'est un drôle au suprême degré, et il est passé maître
en ce genre.
MERCURE. Indique-nous la maison.
Orphée. La première que vous voyez. Moi je m'en vais pour
ne pas le voir.
30. MERCURE. Arrêtez N'est-ce- pas une voix de femme qui
récite quelque rhapsodie d'Homère ?
LA PHILOSOPHIE. Oui, ma foi mais écoutons ce qu'elle dit.
LA Fugitive.
Car je hais un mortel à l'égal du trépas,
Quand son cœur aime l'or et qu'il n'en convient pas*
MERCURE. Alors tu dois détester Cantharus,
Qui trahit l'hdte,,auquel il jurait amitié».
L'HÔTE. C'est à moi que ce vers s'adresse, car c'est moi qui
1. Chanteurs, qui encourageaient les rameurs et réglaientleurs mouvements
sur les navires.
2. Parodie d'Homère, Iliatle, XI, v. 3<2. –S. Iliade, 11!, v. 354.
l'ai reçu dans ma maison, et, pour m'en récompenser, il s'est
enfui avec ma femme.
a; FUGITIVE.
Ivrogne à l'œil de chien, cerf au cœur vil et bas
Inutile aux conseils, inutile aux combats,
Thersite chicaneur, geai, dont la voix criarde
Contre les souverains incessamment bavarde.
LE MAITRE. Voilà des vers faits exprès pour ce coquin!
LA FUGITIVE.
Chien devant, chèvre au centre, et lion par derrière2,
Il exhale d'un chien la rage et la colère.
31. L'HÔTE. Ah! ma pauvre femme, que de mal t'ont fait ces
chiens-là On dit même qu'elle est grosse de leur fait.
MERCURE. Sois sans crainte, elle accoucherad'un petit Cerbère
ou d'un Géryon qui donnera de l'occupation à Hercule. Mais les
voici il est inutile de frapper à la porte.
LE MAITRE. Je te tiens, Cantharus! Tu ne dis mot à présent.
Voyons un peu ce qu'il y a dans ta besace des lupins, sans
doute, un morceau de pain sec.
MERCURE. Pas du tout c'est une ceinture d'or
HERCULE. Ce n'est pas étonnant. En Grèce il se donnait pour
un cynique; c'est maintenant un disciple de Chrysippe. Mais
bientôt nous le verrons changé en Cléanthe, car il sera pendu
par la barbe, le scélérat s
32. LE MAITRE. Et toi, coquin, n'es-tu pas Lécythion, un de
'mes fugitifs? Oui, c'est lui! Oh! la bonne charge! A quoi ne
doit-on pas s'attendre quand on voit Lécythion philosopher?
MERCURE. Et ce troisième est-il sans maître?
LE MAITRE. Non pas; il m'appartient, mais je l'abandonne vo-
lontiers à son malheureuxsort.
Mercure. Pourquoi cela?
LE Maître. Il est pourri jusqu'aux os; aussi l'appelions-nous
Myropnus4.
MERCURE. 0 Hercule, qui repousses les fléaux, entends-tu?
Vite ta besace et ton bâton. Et toi; reprends ta femme

4. Parodie d'Homère Iliade, I, v. 225 II, v. 202.


2 Hésiode, Théogonie, v, 323, cl Homère, Iliade, IV, v. 481
3. On soupçonne ici quelques jeux de mots, assez froids, du reste, et mal
foim'il^s. Nous renvoyons aux commentateurs.
4. Le parfumeur. On devine aisément de quelle nature étaient les parfums
de co Mjropnui.
L'HÔTE. Pas du tout. Je ne veux pas d'une femme qui va
tout à l'heure accoucher d'un vieux livre.
MERCURE. Comment, d'un livre?
L'HÔTE. Il y a, mon bon, un livre intitulé L'homme à trois
fêles
MERCURE. Ce n'est pas étonnant, puisqu'il y a une comédie
intitulée L'homme à trois queues 2.
33.'LE MAITRE. Allons! Mercure, c'est à vous de prononcer.
MERCURE. Voici ma sentence pour empêcher cette femme de
produire un monstre à plusieurs têtes, elle va retourner en Grèce
avec son mari. A l'égard de ces deux misérables fugitifs, j'or-
donne qu'on les rende à leur$ maîtres, pour reprendre leur
ancien métier Lécythion lavera le linge sale, et le parfumeur,
fouetté préalablement de mauves, raccommodera de nouveau les
vieux habits. Pour Cantharus, j'ordonne qu'on commence par le
livrer aux épileurs,.qui lui arracheront le poil avec cette vilaine
poix dont se servent les femmes, et puis qu'on le conduise tout
nu sur l'Hémus, où il demeurera les pieds enchaînés dans la
neige.
Le Fugitif. Ah! quel malheur! Aie, aie, aie! Oh! oh! oh!
LE MAITRE. Qu'est-ce que tu viens nous chanter avec tes ex-
clamations tragiques'? Allons! suis-moi chez les épileurs; et
d'abord dépouille-toi de cette peau de lion, afin que tout le monde
te reconnaisse pour un âne.

1 Comédie de Théopompe poëlc comique, qui florissait un peu après Aris.


tophane. Le titre grec de la pièce est T oiy.v.pv.voi.
2. Comédie perdue d'Aristophane; let ilre grec esl TpijJK/jj;.
3. Exclamations fréquentesdans Eschyle, Sor.hocle et Euripide.
LXX

LES SATURNALES'.

LE PRÊTRE ET SATURNE.

1. LE Prêtre. 0 Saturne, puisque tu parais tenir aujourd hui


l'empire du monde, que nous t'offrons nos sacrifices et notre
encens, que pourrai-je obtenir plus particulièrementde toi pen-
dant cette cérémonie?
SATURNE. Mais il est convenable que tu commences par exa-
miner toi-même ce que tu veux souhaiter, à moins que tu ne
t'imaginesqu'avec l'empireje possède aussi la divination et que
je sais ce qui doit t'être le plus agréable. Du reste, je ne te
refuserai rien de ce qui m'est possible.
LE PRÊTRE. C'est tout examiné depuis longtemps. Je te deman-
derai ces biens que tous les hommes désirent et que tu peux
facilement m'accorder richesses, monceaux d'or, propriétés
champêtres, nombreux esclaves, vêtements brodés et moelleux,
argent, ivoire, et tout ce qu'il y a de précieux au monde.
Accorde-les-moi, mon bon Saturne, afin que je recueille aussi
quelque fruit de ta souveraineté et que je ne sois pas le seul
privé de ces biens durant toute ma vie.
2. SATURNE. Y songes-tu ? Ce que tu demandesn'est point en
mon pouvoir; ce n'est pas moi qui distribue ces faveurs. Ne sois
donc pas fâché, si tu ne les obtiens pas. Il faut les demander à
Jupiter, à qui le pouvoir va retourner avant peu; moi, je ne l'ai
qu'à de certaines conditions.Ma puissance se borne à sept jours
ce temps écoulé, je redevienssimple particulier, comme' qui di-
rait un homme du peuple. Mais, durant cette semaine, il ne
m'est permis de m'occuper d'aucune affaire soit publique, soit
I. On Irouvera d'n.iipli'a détails sur les Saturnales, dans Rome au siècle
V Auguste, de M, Dezobry,. lettre. LXXI, l. III, p. 130 el suivantes,
orivée. Boire, m'enivrer, crier, plaisanter, jouer aux dés, choisir
es rois du festin, régaler les esclaves, chanter nu, applaudir en
chancelant, être parfois jeté dans l'eau froide ia tête la première,
avoir la figure barbouillée de suie, voilà ce qu'il m'est permis de
faire. Mais les grands biens, la richesse, l'or, c'est Jupiter qui
les donne à qui il lui plaît.
3. LE PRÊTRE. Ce dieu même, Saturne, ne les accorde ni
volontiers, ni promptement. Je me suis déjà fatigué à les lui
demander à grands cris il ne m'a jamais écouté; mais remuant
son égide, brandissant sa foudre et regardant de travers, il
effraye ceux qui l'importunent. Si quelquefois il exauce les vœux
d'un mortel et lui accorde la richesse, il agit sans discernement;
il dédaigne les gens vertueux et sages, pour enrichir des scélé-
rats, des fous, des androgynes qui méritent le fouet. Cependant
je voudrais bien savoir quels sont les biens que tu peux m'ac-
corder.
4. SATURNE. Ils ne sont ni médiocres, ni à dédaigner, même
en les comparant au pouvoir absolu, à moins que tu estimes peu
de chose de gagner au jeu, de voir le dé des autres amener
l'unité, tandis que tu retournes toujours le six. Que de gens ne
mangent à leur appétit que grâce à ce dé propice Combien
d'autres se sont sauvés tout nus du naufrage, pour avoir échoué
contre l'écueil de ce dé! Et puis quel plaisir de boire à son gré,
de passer dans un festin pour le plus habile chanteur, de faire
plonger les servants dans un bain d'eau froide pour expier leur
maladresse, de s'entendre proclamer vainqueur, de recevoir des
saucisses pour prix! Et puis encore être choisi pour roi à l'una-
nimité par la puissance des osselets, ne subir aucun commande-
ment ridicule et les imposer aux àutres, obliger l'un à se dire
tout haut des injures, un autre à danser nu, à faire trois fois le
tour de la maison en portant une danseuse dans ses bras ne
vois-tu'pas là des preuves de ma munificence?Si tu te plains que
cette royauté est feinte e.t éphémère, tu es un ingrat, puisque,
tu le vois, moi qui accorde ces priviléges, je n'ai qu'un empire
de courte durée. Quant aux objets qui sont en mon pouvoir, dés,
royauté du festin, chants, et tout ce que je t'ai énuméré, demande
avec confiance, je ne t'effrayerai ni de mon égide, ni de ma
foudre.
5. LE Prêtre. Mais je n'ai pas besoin de tout cela, excellent
Titan. Réponds-moisimplementà une question qui m'intéresse
au plus haut point. Si tu le fais, je me croirai largement payé
de mes sacrifices^ et je te tiendrai quitte de tout le reste.
Saturhe. interrroge, et je te répondrai si je sais.
LE PRÊTRE. Dis-moi d'abord s'il est vrai, comme on le pré-
tend, que tu aies dévoré les enfants que tu as eus de*Rhéa; que
celle-ci, te dérobant Jupiter, t'ait donné une pierre à avaler
au
lieu du petit; que celui-ci, devenu grand, t'ait vaincu, détrôné
et précipité dans le Tartare, dû il t'a enchaîné avec tous ceux
qui s'étaient alliés avec toi.
SATURNE. Si nous ne célébrions une fête dans laquelle il
est
permis de s'enivrer et de dire librement des injures à ses
maîtres, tu apprendrais, mon brave homme, que j'ai le droit de
me mettre en colère quand on me fait de pareilles questions,
sans respect pour mes cheveux blancs et mon extrême vieillesse.
LE Prêtre. Mais ce n'est pas moi, Saturne, qui ai inventé
cette histoire; Homère, Hésiode, et, je ne crains pas de le dire,
presque tous les hommes sans exception, ont cru tout cela de
toi.
6. SATURNE. Tu te figures que ce berger hâbleur a rien su
de positif sur mon compte. Vois un peu est-il possible qu'un
homme, pour ne pas dire un dieu, ait le courage de manger vo-
lontairement ses enfants, à moins d'être un Thyeste qui tomba
sur un frère impie? Et, quand cela serait, oomment ne s'aperce-
vrait-il pas qu'il mangeune pierre au lieu d'un enfant, moins
d'avoir les dents insensibles? D'autre part, jamais Jupiter et moi
nous ne nous sommes fait la guerre, jamais il ne m'a enlevé le
pouvoir c'est de mon plein gré que je m'en suis démis, et de
mon consentement qu'il règne. Enfin je ne suis ni enchaîné, ni
plongé dans le Tartare, tu le vois toi-même, je crois, si tu n'es
pas aveugle comme Homère.
7. LE PRÊTRE. Pour quelles raisons, Saturne, as-tu quitté
l'empire?P
SATURNE. Je vais te le dire. D'abord, j'étais vieux et atteint
d'une goutte chronique, ce qui a fait croire au vulgaire que j'é-
tais enchaîné. Je ne pouvais non plus suffire à ce qu'exigent les
nombreusesinjustices de ce temps-ci courir sans cesse en haut
et en bas avoir la foudre en main brûler les parjures, les sa-
criléges, le's scélérats, besogne très-pénible et qui demande la
vigueur de la jeunesse. Je pris donc le parti de céder à Jupiter,
et je ne m'en repens pas d'ailleurs, il me parut convenable de
partager mon empire entre mes enfants, et de passer mon temps
à mon aise dans les festins sans être occupé à écouter les priè-
res, ni fatigué de demandes contradictoires,ni obligé de tonner,
d'éclairer et de grêler parfois. Au contraire;Je mène une bonne

4. Hésiode.
vie de vieillard, buvant mon nectar sans eau, devisant avec Ja-
pet et les autres Titans de mon âge. Pendant ce temps-là, Jupi-
ter fait aller le monde avec mille tracas, à l'exception de quel-
ques jours, où il me rend la royauté aux conditions que je t'ai
dites, et je reprends le pouvoir, afin de rappeler aux hommes
comment on vivait sous mon empire. Tout poussait alors sans
soins et sans culture point d'épis, mais le pain tout préparé et
les viandes tout apprêtées le vin coulait en ruisseaux l'on
avait des fontaines de lait et de miel tout le monde était bon
et en or1. Telle est la cause de mon empire éphémère voilà
pourquoi ce n'est partout que bruit, chansons, jeux, égalité
parfaite entre les esclaves et les hommes libres;
car, sous mon
règne, il n'y avait pas d'esclaves.
8. LE Prêtre. Eh bien, moi, Saturne, je me figurais tu
n'étais si bon pour les esclaves et pour les prisonniers, que
honorer ceux qui éprouvent ce que tu as souffert étantque pour
esclave
toi-même, et te rappelant les fers
que tu as portés.
SATURNE. Ne cesseras-tu pas tes contes frivoles?
LE Prêtre. Tu as raison; je
cesse. Répouds-moi seulement un
mot. De ton temps, les hommes avaient-ils l'habitude de jouer
aux dés?
SATURNE. Certainement; mais
non pas des talents et des my-
riades comme vous le plus
gros enjeu était des noix, pour ne
pas chagriner le perdant, et pour ne pas le voir seul pleurer et
jeûner au milieu des autres.
LE PRÊTRE. Ils faisaient bien de ne jouer
que des noix car
qu'est-ce qu'ils auraient pu mettre au jeu,
ces hommes en or?
Mais, en parlant, il me vient une idée. Si
faits d'or massif, paraissait aujourd'hui dans un de ces hommes,
le monde, quel
supplice pour le malheureux! On lui courrait et il serait
mis en pièces comme Penthée par les Ménades,sus, Orphée par les
femmes de Thrace, Actéonpar les chiens; chacun voudrait
la plus grosse part et se battrait avec son voisin en malgré
la solennité, les hommes n'oublient pas leur car,
amour du gain, et
la plupart se font un revenu de la fête. Les vont chez leurs
uns
amis piller la table les autres se répandent
en injures contre
toi et brisent les dés, qui n'en peuvent mais des
fous se font à eux-mêmes. maux que ces
9. Cependant dis-moi pourquoi, toi, un dieu si délicat et déjà

< Voy. le tableau de l'âge d'or fait


par le poëte comique Téléclide dans
Athénée, livre VI, p. 263, édition de Casaubon. Fénelon l'avait
8OU8 les yeux quand il
sans doute
a écrit son charmant Voyage a l'île des
Plaisir'
vieux, choisissant l'époque la plus désagréablede l'année, quand
la neige est répandue sur la terre, que Borée souffle avec fu-
reur et que la glace couvre tout, le moment où les arbres sont
secs, nus, sans feuilles, les prairies laides, sans fleurs, les
hommes courbés comme des vieillards et assis auprès de leur
cheminée, tu célèbres alors ta fête? Ce n'est guère là un temps
de vieux ni propre à se divertir.
SATURNE. Tu me fais, l'ami, une foule de questions quand
nous devrions boire. Tu m'as fait perdre un temps considérable
de mon jour de fête, avec tous ces riens philosophiques.Laisse-
moi tout cela de côté mettons-nous à table, menons grand
bruit, jouissons de la liberté; puis, jouons aux noix à la vieille
mode, établissons des rois et leur obéissons de la sorte,
nous justifierons le proverbe <t Les vieillards redeviennent en-
fants. x
LE PRÊTRE. Et puisse ne pas boire, malgré sa soif, celui qui
n'approuvera pas tes décrets1 Buvons donc. Tu as suffisamment
répondu à mes premières demandes, et je suis d'avis d'écrire
notre conversation, d'en faire un livre, où je mettrai mes inter-
rogations et les réponses gracieusesque tu m'as faites ensuite,
je le ferailire à tous ceux de nos amis qui sont dignes d'entendre
tes discours

CRONOSOLON OU LE LÉGISLATEUR DES SATURNALES.

10. Voici ce que dit Cronosolon, prêtre et prophète de Sa-


turne, et législateur de ses fêtes. Les prescriptions relatives aux
pauvres, je les leur ai envoyées dans un autre livre, et je suis
convaincuqu'ils s'y conformeront ou qu'ils subiront les peines
sévères édictées contre les délinquants. Quant à vous, riches,
prenez garde d'enfreindre ces lois, et écoutez attentivement les
ordres que nous vous donnons. Si quelqu'un refuse d'obéir,
qu'il sache que ce n'est pas moi, législateur, qu'il méprise, mais
Saturne lui-même, qui m'a choisi pour dicter ses fois pendant
sa fête, après m'être apparu non pas en songe, mais en réalité,
et lorsque j'avais les yeux tout grands ouverts, Il n'avait pas
les fers aux pieds, il n'était pas laid et ridé, comme le représen-
tent les peintres, d'après les traditions extravagantesdes poëtes
mais il tenait en main une faux bien aiguisée; son visage était
riant, son corps vigoureux, son extérieur digne d'un roi. Tel il
s'est offert à ma vue. Ce qu'il m'a dit est vraiment divin et mé-
rite de vous être répété.
11. Me voyant, en effet, me promener le visage sombre et
pensif, il devina tout de suite, en sa qualité de dieu, la cause de
ma tristesse et le chagrin que j'avais d'être pauvre, moi qui,
malgré la rigueur de la saison, ne portais qu'une simple tuni-
que, quand Borée soufflait avec violence, accompagné de glace
et de neige. J'étais très-mal garanti contre leurs attaques, et
cela quand, à l'approche imminente de la fête, je voyais tout le
monde faire ses préparatifs de sacrifices et de festins, tandis que
moi, je n'avais absolument rien pour la célébrer. Saturne donc
vint à moi par derrière et, me prenant l'oreille pour me la se-
couer, comme il en a l'habitude quand il m'apparaît « Eh bien,
Cronosolon, me dit-il, qu'est-ce donc? Tu as l'air tout triste!
Hélas! maître, lui répondis-je, n'en ai-je pas sujet, quand je
vois des scélérats et des coquins posséder d'immensesrichesses,
vivre seuls au sein des plaisirs, tandis que moi et une foule de
gens instruits, nous sommes réduits à la pauvreté et aux expé-
dients. Ne voulez-vous donc pas, maître, faire cesser ce désordre
et rétablir l'égalité? II n'est pas facile, reprit-il, de changer
les destins filés par Clotho et par les autres Parques. Cependant,
durant la fête, je remédierai à ta pauvreté. 'Voici comment. Al-
lons, Cronosolon, écris les lois que je veux qu'on suive pendant
mes fêtes, afin que les riches ne les célèbrent pas tout seuls,
mais qu'ils partagent leurs biens avec vous.
12. – Mais je ne comprends pas, lui dis-je.-Je vais vous
en instruire. » Cela dit, il me fit part de ses intentions et, lors-
qu'il m'eut mis au courant « Dis-leur aussi, ajouta-t-il, que
s'ils ne les observent pas, ce ne sera pas pour rien que je porte
une faux tranchante; il serait plaisant qu'après avoir châtré mon
pèreUranus, je n'en fisse pas autant aux riches qui enfrein-
draient nos lois, les envoyant eunuques, quêter pour la mère des
dieux avec accompagnementde flûtes et de tambours. » Telles
ont été les menaces de Saturne ainsi vous ferez bien de ne pas
violer ses lois.

LOIS.

TITRE PBEMIEE.

13. Personne, durant la fête, ne devra s'occuper d'affaires


soit politiques, soit particulières, excepté celles qui ont pour
but les jeux, la bonne chère et les plaisirs: les cuisiniers seuls

et les pâtissiers auront de l'occupation. Egalité pour tous, es-
claves ou libres pauvres ou riches. Défense absolue de se fâ-
cher, de se mettre en colère, de faire des menaces. Pas de comptes
d'administration pendant les Saturnales. Qu'on ne redemande
à personne ni argent ni habits. Point d'écriture durant la fête.
Clôture des gymnases durant les Saturnales pas d'exercicesni
de déclamations oratoires, sauf les discours spirituels, enjoués,
assaisonnés de railleries et de badinage.

TITRE II.
14. Plusieurs jours avant la fête, les riches écriront sur leurs
tablettes le nom de chacun de leurs amis ils auront de l'argent
tout prêt, environ le dixième de leur revenu, le superflu de
leur garde-robe, les vêtements trop grossiers pour leur servir,
une bonne quantité de leurs vases d'argent; qu'ils aient tout
cela sous la main. – La veille, ils purifieront leurs demeures
et en chasseront l'avarice, la cupidité, l'amour du gain, et
tous les vices qui habitent avec eux. Quand leur maison sera
ainsi nettoyée, ils sacrifieront à Jupiter donneur de richesses,
à Mercure libéral, à Apollon faiseur de grands présents. Sur
le soir, ils liront la liste de leurs amis inscrits sur leurs ta-
blettes.
15. Ils feront ensuite leurs distributions, suivant le mérite de
chacun d'eux, et les leur enverront avant le 'coucher du soleil.
– Ces présents ne seront portés que par trois ou quatre es-
claves, des plus fidèles et déjà vieux. -On écrira sur un billet
ce que l'on envoie avec la quantité afin que ni le maître ni les
amis ne puissent suspecter la fidélité des esclaves. – Ceux-ci
retourneront alors chez eux, après avoir bu un verre de vin et
pas davantage. Les érndita recevront des présents doubles des
autres c'est une justice qui leur est due. -Les paroles qui ac
compagneront les dons seront brèves et mesurées. On n'enverra
rien qui puisse choquer, et l'on ne fera pas l'éloge de ce qu'on
envoie. – Le riche ne fera pas de présents à un autre riche et
ne traitera personne de son rang. On ne gardera aucun des
objets destinés à être donnés, et l'on ne regrettera pas le cadeau
qu'on aura fait. – Si quelqu'un absent l'année dernière n'a puii
recevoir sa part, il la recevra cette année-ci.– Les riches paye-
ront les dettes de leurs amis pauvres, ainsi que le loyer dont
ils n'auront pu acquitter le montant. En somme, ils s'informe-
ront, longtemps auparavant, quels peuvent être les besoins de
leurs amis»
r
16.Point de plainte indiscrète de la part de ceux qui reçoi-
j vent; que tout ce qu'on leur envoie paraisse grand à leurs
S yeux.N – Une amphore de vin, un lièvre,
une poule grasse, ne
l seront pas réputés un présent des Saturnales. On ne tournera
ï pas en ridicule ce qu'on aura reçu ces jours-là. En retour du
cadeau reçu, le pauvre, si c'est un savant, enverra au riche
quelque ouvrage de l'antiquité ayant un juste renom, et ap-
proprié à un festin, écrit par lui-même et de son mieux le ri-
<*he le recevra, l'air joyeux, et le lira aussitôt après l'avoir
reçu.
S'il le met de côté, ou s'il le jette avec dédain, qu'il sache que
c'est s'exposer à la faux, en dépit des présents. Les autres per-
sonnes enverront des couronnes ou des grains d'encens.-Si
un pauvre fait présent à un riche d'un vêtement, d'un meuble
d'argent ou d'or au-dessus de ses moyens, l'objet sera confisqué
pour être vendu au profit du trésor de Saturne le lendemain
des fêtes, le pauvre recevra du riche des coups de férule dans les
mains, au nombre de deux cent cinquante au moins.

LOIS DU BANQUET.

17. Bain, quand l'ombre du cadran sera de six pieds avant


le bain, jeux de noix et d'osselets.-On s'assiéra à table
comme
cela se trouvera la dignité, la naissance et les richesses
ne
conféreront à aucun le droit de manger le premier. – Même vin
pour tout le monde; nul prétexte pour le riche, mal d'estomac

ou de tête, afin de s'en faire donner de meilleur. Part égale de
viandes à chacun pas de préférence chez les servants. Que leur
service se fasse avec promptitude et qu'ils ne consultent
pas
leur bon plaisir pour apporter ce qu'on leur demande. Ils
ne
mettront pas devant celui-ci une grosse pièce, et une petite de-
vant celui-là; ils ne serviront pas à l'un une cuisse, à l'autre
une bajoue de porc égalité pour tous.
18. L'échanson aura continuellement les yeux fixés sur cha-
cun des convives plus encore que sur son maître: il faut qu'il
ait l'oreille fine. Coupes de toute espèce. Libre à chacun,
quand il voudra, de porter une santé. Tout le monde
boire à un convive et lui offrir la coupe, quand pourra
un riche aura
donné le signal. Nul n'est forcé de boire, s'il
ne le peut pas.
Il n'est pas permis d'amener au banquet
un danseur ou un ci-
thariste novice encore dans son métier.' – La plaisanterie s'ar-
rêtera, dès qu'elle causera de la peine. -Sur toute chose, l'en-
jeu pour les dés ne sera que des noix si quelqu'un joue de
iargent, qu'il jeùne jusqu'au lendemain. On reste
ou I'ol
s'en va, quand o*
il les servira lui-^11^ –
Quand le riche traitera ses esclaves,
avec l'aide de ses amis. Que chaque
riche ait soin de f?2!6 graver ces lois sur une,cclonne d'airain,
dressée au milieu- iacour, afin qu'on puisse les lire. Il faut
savoir que, tant cette colonne sera debout, ni faim, ni
peste, ni incendié 'M aucun
\s autre malheur ne fondra sur la
maison des riches'' si on la renverse, ce que je soubaite
n'arriver jamais, ^?u\nt les dieux détourner ce qui doit s'en-
suivre1

3
%rH.ES
SATURNALES.

1
\l A SAtuRNE, SALUT.

19. Je t'ai déjà e% pour te faire connaître ma position et


comment ma .pauVy m'expose à ne pouvoir seul entre tous,
'? qu-e
prendre part à la
(je m'en souviens- J
pos*s.
,i\ tu annonces. Je t'ai marqué encore
était contre toute raison de voir quel-
ques hommes d'excessives richesses et vivre dans les
plaisirs, sans en r'et* donner aux pauvres, tandis
que ceux-ci
meurent de faim e à l'approche des Saturnales. Puisque
m'as pas rép*011^, j'ai
tu ne cru devoir te rafraîchir la mémoire.
Or, il convient, r£?0Hott Saturne, que tu commences par dé-
truire l'inégalité e, ,<Jue tu fasses remettre tous les biens en
commun, avant d^ faihe célébrer ta fête. L'état de choses actue.
rappelle le proverÇe: (Fourmi ouchameau; » ou plutôt figure-
toi un acteur trag^°%ui a un pied chaussé d'un haut cothurne,
comme tous
lestr^eJiens et l'autre déchaussé. Quand il entre
cet#e ,%issure vois-tu comme marche tantôt
il
en scène avec
en bas,- tantôt en S, suivit le pied qu'il met avant? Voilà
l'effet de l'inégalité b-onimes. Les uns, chaussés d'un co-
thurne dont la fo^ \& a fait les frais, nous écrasent de leu-
7uxe théâtral tandf lS qUe rious autres nous marchons à pied et
sur la terre, quoi^ïU6 parfaitementcapables, sache-le bien, de
jouer notre rôle av^c autant de talent qu'eux et de rivaliser de
prestance, quand notis donne un costume semblable au
leur.
20. Cependant f
eI\ds les poëtes nous dire qu'autrefois,
sous ton règne les affaires humaines n'allaient pas ainsi. La
terre sans semence et sans culture produisait tous les biens
chacun trouvait son repas servi et à satiété des fleuves cou-
laient soit du vin, soit du lait; ii y en avait même de miel.
Mais le plus beau, c'est que les hommes étaient d'or, et que la
pauvreté n'en approchait jamais. Pour nous à nous estimer au
plus juste, nous sommes à peine de plomb ou de tout autre mé-
tal plus vil encore. La plupart ne gagnent de quoi vivre qu'à
force de travaux pauvreté, dénûment désespoir, et ces mots
« Hélas!
Où trouver de quoi manger? Sort cruel 1 » voilà ce
qu'on rencontre chez nous autres pauvres Notre misère pour-
tant, sache-le bien, serait plus supportable, si nous ne voyions
pas le bonheur des riches qui ont sous clef tant d'or at tant
d'argent, avec des vêtements dont nul ne sait le nombre, des
esclaves, des chars, des bourgades entières, des champs, des
biens de toute espèce et, malgré cela, ils sont si peu disposés
à nous en donner notre part, qu'ils ne daignent pas même jeter
les yeux sur le commun des hommes.
21. C'est là surtout, Saturne, ce qui nous fait étouffer de dé-
pit nous trouvons insupportable qu'un homme, étendu sur des
tapis de pourpre, regorgeant de délices et proclamé bienheureux
par ses intimes, passe sa vie dans une fête perpétuelle tandis
que mes semblables et moi nous songeons, jusque dans notre re-
pos et dans nos rêves, aux moyens de gagner quatre oboles
pour nous faire un souper de pain, de bouillie assaisonnée de
cresson, de poireau, de thym ou d'oignons, avant de nous aller
coucher. Change notre condition, ô Saturne, et reviens à l'éga-
lité, ou, pour dernière ressource, ordonne à ces riches de ne
plus jouir tout seuls de leurs biens, mais de prendre sur tant
de médimnes d'or de quoi nous en donner à chacun une ché-
nice, et sur tant de vêtements ceux' qui sont rongés par les
mites il n'y a pas là de quoi les chagriner toutes ces richesses
doivent périr détruites par le temps qu'ils nous les laissent
mettre sur le dos, plutôt que de les voir moisir et pourrir dans
des coffres et dans des armoires.
22. En outre, que chacun d'eux invite à sa table tantôt qua-
tre, tantôt cinq personnes indigentes seulement, qu'ils ne les
traitent pas à la mode du jour mais avec une affabilité toute
populaire et sur le pied d'une égalité parfaite qu'on ne voie pas
l'un se gorger de mets avec un esclave qui attend, debout,
que son maître ait fini de manger, tandis que, de notre côté
il passe au moment où nous allongeons la main vers le plat
qu'il nous montre à peine, lorsqu'il n'y reste plus qu'une part
de gâteau. Il ne faut pas que, quand on apporte un sanglier,
celui qui sert en offre la moitié au maître avec la hure et n'a-
bandonne aux autres que des os recouverts. Que les échansons
n'attendent pas, pour nous verser à boire, que nous en ayons
demandé jusqu'à septfois mais, l'ordre une fois donné, qu'on
nous verse aussitôt, en nous offrant une grande soupe remplie
comme au patron. Que le vin soit absolument le même pour
tous les convives; car dans quelle loi est-il écrit que le maître
doit s'enivrer avec un vin parfumé, quand moi j'aurai les en-
trailles déchirées par le vin nouveau?
23. Si tu corriges ces abus, ô Saturne, si tu rétablis l'ordre,
par toi la vie redeviendra la vie, et ta fête une fête autrement,
que les riches la célèbrent tout seuls. Quant à nous, nous n'au-
rons qu'à souhaiter qu'au retour du bain leur esclave renverse
et brise une amphore, que le cuisinier brûla le ragoût, et que,
par distraction, il verse de la saumure de poisson dans une pu-
rée qu'une chienne entrant à l'improviste dévore la saucisse
tout entière et la moitié du gâteau, pendant que les marmitons
sont occupés ailleurs; que le sanglier le cerf et le cochon de
lait, en train de rôtir, fassent ce que firent, suivant Homère8, 2,
les bœufs du Soleil; ou plutôt qu'ils ne se contententpasde
ramper à terre, mais qu'ils bondissent et s'enfuient sur les
montagnes tout embrochés; que les poules grasses, déjà plu-
mées et troussées, s'envolent et disparaissent, pour que ces
riches ne soient pas les seuls qui en mangent.
24. Mais, ce qui leur fera le plus de peine que des fourmis,
semblables à celles des Indes, déterrent leurs trésors pendant
la nuit et les répandent parmi le peuple; que, par la négligence
de leurs intendants, leurs vêtements précieux soient criblés de
trous par de bonnes petites souris, au point de ressembler à
les filets à prendre des thons; que les jolis esclaves, à la belle
chevelure, qu'ils nomment Hyacinthe, Achille ou Narcisse, au
moment où ils présenteront là loupe deviennent chauves et
perdent tout à coup leurs cheveux que la' barbe leur pousse en
pointe, comme celle des sphénopogons de
comédie; que leurs
tempes se hérissent d'un poil dur et piquant, tandis que le som-
met de la tête sera lisse et dépouillé. Tels sont les vœux que
nous formons, avec d'autres encore, si les riches ne renoncent

4 Cf. Jean-Jacques Rousseau, dans le passage si connu, où il se représente


avec ses amis à la campagne.
2. Odyssée, XII, v. 396.
3. De effiv, àyqvâç, coin a fendre le bois et îtcjJ'wv, harbe.
pas à leur égoïsme, pour jouir en commun de leur richesse et
nous en donner une modeste portion.

2
SATURNE A MOI, SON TRÈS-HONORÉ SALUT.

25. Es-tu fou, mon bon, de m'écrire ainsi sur les abus du
jour et de me demander le partage des biens ? Est-ce que cela
ne dépend pas d'un autre, du souverain actuel de l'univers ? Je
m'étonne que tu sois le seul à ignorer que, depuis longues an-
nées, après avoir distribué l'empire du monde à mes enfants,j'ai
cessé d'être roi. C'est Jupiter qui s'occupe maintenant de tout
cela. Ma puissance à moi ne va pas plus loin que les jeux de
dés, les applaudissements, les chansons, l'ivresse; et cela
même ne dure que sept jours. Quant aux grandes affaires dont
tu parles, détruire l'inégalité, rendre tous les hommes égale-
ment pauvres ou riches, c'est à Jupiter à vous répondre. Mais
si, dans tout ce qui a rapport à la fête on a commis quelque
faute, par injustice ou par avarice, on aura affaire à moi. Or,
j'écris aux riches une lettre relative aux festins, à la chénice
d'or, aux vêtements, aux objets qu'ils doivent vous envoyer
pour ma fête. Ta demande,à cet égard est juste, et ils doivent
s'y conformer, à moins qu'ils n'aient quelquebonne raison poui-
n'en rien faire.
26. Avant tout, cependant, sachez que vous autres pauvres,
vous êtes dans une grande erreur, et que vous vous faites des
idées très-fausses au sujet des riches. Vous croyez qu'ils sont
parfaitementheureux, que la vie pour eux seuls est douce, parce
qu'ils peuvent avoir des soupers splendides, s'enivrer d'un vin
délicieux, avoir commerce avec de jolis garçons et des femmes
charmantes, et se couvrir de vêtements moelleux. Vous ne sa-
vez pas ce qu'est réellement ce bonheur. De nombreuxsoucis
lui font escorte. Ils sont forcés de veiller sans cesse sur chacun
de leurs biens, de peur qu'un intendant ne les perde par sa mal-
adresse ou ne les dérobe par sa fourberie, que le vin ne s'ai-
grisse, que le blé ne se remplisse de charançons, qu'un vo--
leur n'emporte les coupes, que le peuple ne croie les délateurs
qui les accusent d'aspirer à la tyrannie. Tout cela n'est qu'une
faible partie des chagrins qui les rongent. Si vous saviez les
craintes, les ennuis qu'ils ont, la richesse vous paraîtrait vrai-
ment un fléau à éviter.
27. Crois-tu donc que, si, les richesses et le pouvoir étaient
de si grands biens, je serais assez fou pour les abandonner aux
autres, vivre en simple particulier et me soumettre au bon plai-
sir d'autrui ? Mais, comme je connaissais les, ennuis qui sont at-
tachés aux riches et aux souverains, je me suis démis du pou-
voir, et je n'en ai pas regret.
28. Tu te plains auprès de moi que les riches se gorgent de
sangliers et de gâteaux, tandis que, durant les fêtes, vous ne
mangez que du cresson, du poireau et des oignons voyons la
chose à fond. Oui, le moment présent est pour eux fort agréable;
mais quelle différence dans les suites! Le lendemain, à votre
réveil, vous ne vous levez pas, comme eux, avec des pesanteurs
produites par l'ivresse, et l'excès des aliments dont le corps est
gonflé ne vous amène ni flatuosités ni rapports fétides. C'est,
au contraire le fruit que les riches retirent de leurs festins
puis, après s'être roulés une partie de la nuit avec des garçons
ou des femmes, selon la passion ordurière qui les entraîne, la
phthisie, la pneumonie, l'hydropisie viennent les payer de leurs
débauches. Lequel d'entre eux pourrais-tu me montrer, qui
n'ait pas un teint pâle et cadavéreux ? Quel est celui qui, par-
venu à la vieillesse, marche sur ses propres pieds et ne se
fait pas porter sur les épaules de quatre esclaves? L'extérieur
est complétement d'or, mais le dedans est une guenillerapiécée,
semblable à ces oripeaux de théâtre composés de lambeaux re-
cousus. Vous ne mangez pas de poissons, vous n'en goûtez
jamais, j'en conviens; mais la goutte, mais la pneumonie, ne
voyez-vouspas que vous en êtes exempts, ainsi que des maux
produits par des causes analogues? D'ailleurs, ce n'est pas un
plaisir pour eux de manger chaque jour de pareils mets jusqu'à
la satiété; et vous les voyez quelquefois désirer un légume ou
du thym, avec autant d'ardeur que tu désires les lièvres et les
sangliers. ,
29. Je ne parle pas des autres chagrins qui les désolent; c'est
un fils débauché, une épouse amoureuse d'un esclave, un mignon
qui se donne par nécessité, plutôt que par penchant. En un mot,
il y a dans la condition des riches une foule de maux secrets
que vous ignorez, vous qui ne voyez que leur or et leurpourpre.
Quand vous les apercevez parfois conduisant un char attelé de
chevaux blancs, vous regardez avec admiration, vous vous pro-
sternez. Mais si vous dédaigniez, si vous méprisiez ce vain luxe,
si vous ne considériez pas ce char d'argent, si, en conversant
avec eux, vos regards ne s'arrêtaient pas à l'émeraude de leur
anneau, si vous ne restiez pas comme muets de surprise devant
leurs habits moelleux, si vous les laissiez n'être riches que pour
eux-mêmes, ils viendraient à vous, soyez-en sûrs, ils viendraient
à vous, et vous prieraient à souper, afin d'avoir à qui montrer
ces lits, ces tables et ces coupes, dont la possession est nulle,
dès qu'elle n'a plus de témoins
30. Vous verriez bientôt qu'ils ne possèdent pas ces richesses
pour leur propre usage, mais pour vous les faire admirer. Voilà
ce que je puis vous dire pour votre consolation, moi qui connais
les deux manières de vivre; et-je vous engage à célébrer ma
fête, en songeant qu'avant peu il vous faudra tous quitter la vie
et laisser là, eux leurs richesses, vous votre pauvreté. Cependant
je leur écrirai, suivant ma promesse, et je suis convaincu qu'ils
tiendront compte de ma lettre.

3
SATURNE AUX RICHES, SALUT.

31. Les pauvres m'ont écrit dernièrement pour vous accuser


de ne pas leur faire part de ce que vous possédez, et ils me de-
mandent de remettre tous les biens en commun, afin que chacun
en ait une portionégale. « La justice veut, disent-ils, quel'égalité
soit rétablie; et l'un ne doit pas avoir de grandes jouissances,
tandis que l'autre en est complètement sevré. » J'ai répondu que
ce soin regardait Jupiter. Quant au présent et aux injustices
qu'ils disent -avoir éprouvées de votre part durant ma fête, il m'a
semblé que j'en étais juge et j'ai promis de vous en écrire. Ce
qu'ils vous demandent, est, à mon sens, très-modéré « Com-
ment, disent-ils, pourrions-nous célébrer une fête, quand nous
gelons de froid et que nous mourons de faim ?» » Si donc je veux
qu'ils prennent part à la solennité, ils me chargent de vous
obliger à leur donner ceux de vos vêtements qui vous sont inu-
tiles ou trop grossiers pour vous, et à répandre sur eux quel-
ques gouttes de votrs or. Ils promettent que, si vous agissez
ainsi, ils ne vous contesteront pas vos bienspar-devant Jupiter;
sinon, ils menacent de demander une nouvelle répartition des
richesses à la première audience que Jupiter donnera. Il me
semble que vous n'aurez pas grand'peine à détacher pour cet
usage quelques parties des biens que vous avez le bonheur de
posséder.
32. Mais,/par Jupiter! ils tiennent surtout à ce que je vous

1. Voy. sur le mème sujet d'excellentes réflexionsdans le 7irrité des éluda


de Rullin, livre V, 1" partie, § 4, Bu luxe de lu. table.
entretienne dans ma lettre des repas auxquels ils désirent
assister avec vous; ils se plaignent de ce que vous vous livrez
tout seuls, les portes fermées, aux douceurs de la bonne chère;
ou si quelquefois, et de loin en loin, vous vous décidez à les
traiter, ils trouvent à table plus d'ennui que de plaisir; on y fait
tout pour les insulter. Tel est, par exemple, l'usage de leur
faire boire d'un vin différent du vôtre. Par Hercule quelle infa-
miel et qu'ils sont dignes de mépris, s'ils ne se lèvent pas au
milieu du festin et ne vous laissent pas seuls à table! Il y a plus,
on ne leur permet pas de boire à leur soif; vos échansons,
comme les compagnons d'Ulysse, ont les oreilles bouchées avec
de la cire. Les autres détails sont si honteux, que je n'ose vous
en parler, ni vous répéter ce qu'ils disent de la distribution des
viandes, de ces servants qui restent à vos côtés, jusqu'à ce que
vous vous soyez bien gorgés, et passent ensuite devant eux, ni
enfin d'une foule de mesquineries du même genre, tout à fait
au-dessous de personnes libres. Ce qui rend un, festin agréable,
c'est l'égalité, et voilà pourquoi le dieu qui préside à vos repas
est Bacchus Isodaïtès1, parce qu'il faut que chacun y ait une
part égale.
33. Faites donc en sorte que par la suite les pauvres n'aient
plus à se plaindre de vous, mais qu'ils vous honorent et vous
aiment en raison de ces petits présents, dont la dépense vous
sera peu sensible, et qui, donnés à propos, vous vaudront une
reconnaissance éternelle. D'ailleurs, considérez que vous ne
pourriez habiter les villes, si les pauvres ne les habitaient avec
vous et ne vous rendaient mille offices qui contribuent à votre
bonheur. En outre, vous n'auriez pas d'admirateurs de vos
richesses, si vous n'étiez riches que pour vous et dans l'obscu-
rité. Que le gros des hommes voie donc et admire votre argent
et vos tables; qu'en vous portant une santé et en buvant, ils
considèrent la coupe et qu'ils jugent, en la balançant dans leur
main, de son poids, du soin des ciselures, de la quantité d'or,
du travail de l'ouvrier. En retour, on vous donnera les noms
d'hommes vertueux et de philanthropes, et vous échapperez à
la jalousie. Car commentêtre jaloux d'un riche qui partage et
qui donne suivant les lois de l'équité? Qui ne'forme, au con-
traire, des voeux pour qu'il vive de longs jours, en jouissant de
ses biens? Mais en vous conduisant comme vous faites, votre
bonheur est sans témoins, vos richesses exposées à la jalousie
et votre vie sans plaisir.
1 "IffOj, égûtf (Tki'tïï, repas jjestùl, ou <?ac°b) diviser {qui jait les parts égales)
34. En effet, il n'est pas aussi agréable, à mon avis, de se
remplir seul de nourriture, comme font, dit-on, les lions et les
loups sauvages, que d'être avec des hommes spirituels, qui,
s' étudiant à vous plaire, ne laissent pas un festin froid et
morne, mais y introduisent des propos de table, des plaisante-
ries sans amertume, des politesses de tout genre; réunions
charmantes, chères à Bacchus, à Vénus et aux Grâces. Le len-
demain vos convives iront faire à tout le monde l'éloge de votre
aménité et vous concilier tous les coeurs. C'est une chose à
payer cherl'
35. Or, je vous le demande, si les pauvres marchaient les
yeux fermés, supposons-le un moment, ne seriez-vous pas au
désespoir de n'avoir personne à qui montrer vos vêtements de
pourpre, la foule de vos suivants, la grosseur de vos anneaux?
Je ne dis rien des embûches et des haines que les pauvres pré-
parent de toute nécessité contre vous, si vous voulez vivre seuls
dans les délices. Les imprécations dont ils vous menacent sont
affreuses; et puissent les dieux en détourner les effets! Autre-
ment, vous ne goûterez plus de saucisses ni de gâteaux, si ce
n'est le reste d'un chien votre purée sera remplie d'anchois
pourris; le sanglier et le cerf, tout rôtis, essayeront de s'enfuir
de la cuisine sur les montagnes, et les volailles, étendant leurs
ailes, s'envoleront,quoique sans plumes, chez les pauvres. Mais,
ce qu'il y a de plus triste, vos beaux échansons deviendront-
chauves en un clin d'ceil, et cela, après avoir brisé vos ampho-
res. Prenez donc un parti qui convienne à ma fête et qui soit le
plus sûr pour vous; soulagez l'indigencequi accable les pauvres,
et faites-vous à peu de frais des amis qui ne sont point à dédai-
gner.
4
LES RICHES A SATURNE, SALUT.

36. Crois-tu donc, Saturne, que ce n'est qu'à toi seul que les
pauvres ont écrit de ces inepties? Est-ce qu'il n'y pas un siècle
que Jupiter est assourdi de priailleries pareilles, où ils deman-
dent qu'on fasse un nouveau partage des biens, et accusentle
destin d'avoir fait une répartition inégale, et nous, de ne vou-
loir pas leur faire part de nos richesses? Mais, en sa qualité de
dieu, Jupiter sait bien à qui la faute, et voilà pourquoi il ne les
écoute que d'une oreille. Cependant, nous nous justifierons
auprès de toi, puisque tu nous gouvernes dans ce moment-ci.
Les yeux fixés sur la lettre que tu nous as écrite, et dans laquelle
tu nous dis qu'il est beau de venir en aide aux pauvres, et plus
agréable de vivre en société et de manger avec eux que tout
seul, nous n'avons jamais agi autrement, nous les avons tou-
jours traités sur le pied de l'égalité, en sorte qu'il n'y a
pas, parmi eux, un convive qui soit fondé sérieusement à se
plaindre.
37. Mais, de leur côté, ces pauvres, qui prétendaient d'abord
n'avoir que peu de besoins, ont à peine vu les portes ouvertes,
qu'ils n'ont pas cessé de nous faire demande sur demande; et lors-
qu'ils ne recevaient pas sur-le-champ, aussi vite que la parole,
colère, haine, injures, éclataient à l'instant. Malgré la fausseté
de leurs imputations, ceux qui les entendaient croyaient sans
peine aux assertions d'hommes sans cesse en commerce avec
nous. Il fallait donc de deux choses l'une, ou devenir ennemi
déclaré, en ne donnant rien, ou, en prodiguant tout, devenir
pauvre et se réduire au rang des demandeurs.
38. Le reste ne signifie rien. Dans les festins, au lieu de son-
ger à se remplir, à se garnir le ventre, ils commencent par
boire outre mesure; puis ils égratignent la main du bel échan-
son.qui leur présente la coupe, ou bien ils veulentfaire violence
à notre femme ou à notre maîtresse. Ensuite, après avoir vomi
par toute la salle, ils invectivent contre nous, et vont dire par-
tout qu'on les a fait mourir de» faim et de soif. Si tu doutes de
notre sincérité, souviens-toi d'Ixion votre commensal vous
l'aviez admis à votre table, il était traité avec les mêmes égards
que vous; mais le tin entraîna cet excellent homme à faire vio-
lence à Junon.
39. Ce sont ces raisons, avec d'autres. encore, qui, dans l'in-
térêt de notre sûreté, nous ont déterminés par la suite à leur
interdire l'entrée de nos maisons. Cependant, s'ils veulent pro-
mettre, toi présent, d'être plus réservés, comme aujourd'hui,
dans leurs demandes, de ne pas se conduire dans les festins
d'une façon outrageante, qu'ils viennent s'asseoir à notre table,
et bonne chance pour tous! Nous leur enverrons,conformément
à tes désirs, des vêtements et de l'or en quantité raisonnable,
en un mot, nous ne leur ferons défaut en rien. Mais aussi,
qu'ils cessent de nous tenir des discours pleins d'artifice, qu'ils
se montrent nos amis et non pas nos flatteurs et nos parasites.
Tu n'auras plus aucun reproche à nous adresser, dès qu'ils vou-
dront eux-mêmes remplir leurs devoirs.
LXXI

LE BANQUET OU, LES LAPITHES'1

PHILON ET LYCINUS.

1. PHILON. Mille agréments, dit-on, cher Lycinus, ont si-


gnalé votre repas hier chez Aristénète on y a tenu force dis-
cours philosophiques, les débats qu'ils ont provoquésont été des
plus vifs, et même, s'il faut en croire Charinus, on est venu
aux coups, et la discussion ne s'est terminée que par le sang.
LYCINUS. D'où Charinus, cher Philon4, a-t-il pu le savoir? Il
n'était pas de notre dîner.
PHILON. Il prétend l'avoir appris du médecin Dionique qui
je crois, était des vôtres.
LYCINUS. C'est vrai mais il n'assistait pas au commencement
de la dispute il est arrivé au milieu de la contestation quel-
ques instants avant les coups. Aussi je m'étonne qu'il ait pu en
parler pertinemment, n'ayant pas été témoin de ce qui a fait
tourner la querelle en rixe sanglante.
2. PHILON. C'est précisément pour cela, Lycinus, que Chari-
nus m'a engagé, si je voulais savoir la vérité et les détails de
l'affaire, de m'adresser à toi. Dionique même lui a dit qu'il n'a-
vait pas vu toute la scène,,mais que tu savais parfaitement ce
qui s'était passé à ce point que tu avais retenu jusqu'aux dis-
cours mêmes des philosophes, n'étant pas homme à écouter de
semblables propos à la légère mais à y donner toute ton atten-

( Ce dialogue présentede nombreux points de ressemblance avec la lettre iv


du 111" livre des Lettres d'Alciphron. On peut le comparer avec Horace,
sat. vnsju livre Il; Régnier, sat. x; Boileau, sat. m. Quant au combat des
Lapithes et des Centaures, on en trouvera la description dans Ovide, Mi-
tam., XU, v. 210 et suivants, et dans.André Chénier, l'Aveugle, p. 8 de l'é-
dition Charpentier.
2. Ce Pliilon est, suivant Dusoul, celui à qui Lucien adresse le traite Cn-n-
ment il,faut écrire l'histoire.
tion. Il me semble, d'après cêla, que tu ne peux te dispenserde
nous régaler aussi de ce festin divertissant au moins n'en est-
il pas de plus agréable pour moi; d'autant que la sobriété pré-
sidera à notre banquet pacifique, où nous verrons, loin de la
portée des traits et des blessures, vieillards et jeunes gens
égarés par l'ivresse dire et faire des choses réprouvées par la
bienséance des repas.
3. Lycinus. Tu nous adresses là, cher Philon, une demande
un peu indiscrète tu veux que je mette tout le monde dans la
confidence et que j'étale aux yeux des scènes de vin et d'ivresse,
qu'il faudrait plutôt ensevelir dans l'oubli ou imputer au dieu
Bacchus; or, je doute que ce dieu permette aux profanes l'ini-
tiation de ses orgies et de ses mystères. Gardons-nous donc
d'agir comme des hommes mal-appris, en cherchantà connaître
ce qu'il convient de laisser dans la salle du festin, quand on en
sort. Je hais, dit un adage poétique, un convive qui a de la
mémoire. Dionique, par conséquent, a mal fait de tout raconter
à Charin'us et de répandre les restes du souper d'hier sur la
tête d'honorables philosophes. Pour ma part, ah fi fi donc 1 je ne
parlerais jamais de semblables choses.
4. PHILON. Comment, Lycinus, tu fais le renchéri! Tu as
mauvaise grâce à le prendre ainsi avec moi. Ne sais-je pas bien
que tu meurs encore plus d'envie de me faire ce récit que moi
de l'entendre?Tu es bien capable, selon moi, à défaut d'audi-
toire, de t'approcher volontiers d'une colonne ou d'une statue
pour répandre tout d'une haleine ce que tu as sur le coeur. Si
donc je voulais te quitter en ce moment, tu ne me lâcherais pas
sans que je t'aie entendu, tu me suivrais, tu me supplierais de
t'écouter.Eh bien à mon tour de faire le fier si c'est ton idée,
allons prendre des informations auprès d'un autre; ne me dis
rien.
Lycinus. Ne nous fâchons pas je-vais te raconter tout, puis-
que tu en as un si vif désir; mais n'en parle à personne.
PHILON. Si je connaisbien mon Lycinus c'est toi qui le feras
avant moi; tu t'empresseras de l'aller dire à tout le monde, et
moi je n'en aurai pas besoin.
5. Mais d'abord dis-moi, est-ce à l'occasion du mariage de
son fils Zénon qu'Aristénète vous a donné ce dîner?
Lycinus. Non; il mariait sa fille Cléanthis au fils d'Eucrite
l'usurier, un jeune philosophe.
Philon. Joli garçon ma foi mais un peu jeune et point en-
core en âge de se marier.
Lycinus. Le beau7père n'avait sans doute pas de parti plus
sortable. Ce jeune homme paraît rangé, appliqué à la philoso-
phie, et de plus il est fils unique du riche Eucrite; c'était un
prétendu à choisir entre tous.
PHILON. Oui, c'était une raison décisive que } richesse d'Eu-
crite. Mais enfin, Lycinus, quels étaient les convoyés?
6. Lycinus. Te les nommerai-je tous' ? Non; mais parmi les
philosophes et les orateurs, que tu désires sans doute connaître
de préférence, se trouvait le vieux Zénothémis le stoïcien, et
avec lui Diphile, surnommé Labyrinthe, précepteur de Zénon,
fils d'Aristénète. En fait de péripatéticiens il y avait Cléodème,
tu sais, ce pointilleux,toujours prêt à la riposte, que ses dis-
ciples nomment l'Épée et la Faux Hermon l'épicurien y assis-
tait aussi. A son entrée les Stoïciens baissèrent les yeux et
détournèrent la tête, en affectant de témoigner pour lui l'hor-
reur qu'on a pour un parricide et un sacrilége. Amis intimes
d'Aristénète,ils avaient tous été conviés au banquet, ainsi que
le grammairien Histiée et le rhéteur Dionysodore.
7. Chéréas, le jeune marié, avait invité Ion le platonicien,
son maître de philosophie, homme d'une physionomie respec-
table, dévoué, et dont les traits exprimaient une grâce parfaite
on l'a surnommé le Canon, par allusion à la rectitude de son
jugement. Au moment où il entra, toute l'assemblée se leva par
respect, et on le reçut comme le plus éminent personnage; en
uivmot, c'était l'arrivée d'un dieu que cette entrée de. l'admi-
rable Ion.
8. Quand il fallut s'asseoir, la réunion se trouvant presque
au complet, les femmes, qui étaient en grand nombre, occupent
la rangée de lits placée à droite en entrant, et au milieu d'elles
la mariée entièrement couverte d'un voile. Le reste de la com-
pagnie se met, chacun suivant sa dignité.
9. En face des femmes, Eucrite se place le premier et Aristé-
nète se place après lui. On délibère ensuite lequel des deux
s'assiéra le premier, Zénothémis le stoïcien, en raison de son
âge, ou Hermon l'épicurien. Il était, en effet, prêtre des Dibs-
cures. et d'une des premières familles de la ville. Mais Zénothé-
mis tranche bientôt la question « Si vous me faites asseoir,
dit-il à Aristénète, le second après Hermon, ce disciple d'Épi-
cure, pour ne rien dire qui vous désoblige, je m'en vais et je
laisse là votre banquet. Et en même temps il appelle son es-
clave et fait mine de sortir. Alors Hermon t
Asseyez-vous à

4 Dusoul affirme que tous les acteurs de cette tragi-comédie sont des per-
sonnages réels.
la première place, Zénothémis, lui dit-il. Mais, sans parler de
toute autre considération, il eût été convenable de la céder à un
prêtre, malgré votre mépris pour Épicure. J'ai voulu me mo-
quer, d'un prêtre épicurien, s' reprit Zénothémis. Et en disant
ces mots, il s'assied; Hermon se place après lui, puis le péripa-
téticien Cléodème, puis Ion; ensuite le marié, moi, Dipliile
son disciple Zénon le rhéteur Dionysodore, et enfin le gram-
mairien Histiée.
10. PHILON. Eh-1 mais, Lycinus, c'est un musée que ce ban.
quet composé d'un si grand nombre de sages Je félicite Aristé-
nète de ce que, voulant traiter, dans une fête aussi désirable,
des savants de préférenceà des gens ordinaires, il a réuni chez
lui la fleur de chaque secte, une assemblée exclusivement com-
posée d'hommes instruits.
Lycinus. C'est qu'aussi mon ami ce n'est pas un de ces ri-
ches vulgaires mais un amateur de science, et il passe avec
les érudits la plus grande partie de sa vie.
11. Le commencement du repas se passa tranquillement les
mets étaient variés. Mais il n'est pas besoin, je pense, de te faire
ici la liste des sauces, des gâteaux et des assaisonnements;
tout y était à profusion. Sur ce point, Cléodème se penchant
vers Ion Voyez donc, lui dit-il, ce vieillard (il parlait de
<t
Zénothémis, car j'entendais ce qu'il disait), comme il se bourre
de toutes sortes de mets Ses habits sont pleins de sauce et
cependant que de morceaux il passe à l'esclave qui est derrière
lui 1 Il croit qu'on ne le voit pas; il oublie qu'il y a du monde à
ses côtés. Montrez dono ce manège à Lycinus, afin qu'il en soit
témoin. » Je n'avais pas besoin qu'Ion me le fît voir il y avait
longtemps que je le remarquais comme d'un observatoire.
12. Cléodème parlait encore, lorsque le cynique Alcidamas
s'élance dans la salle sans avoir été invité, et en s'autorisant du
commun proverbe m Ménélas vient sans qu'on l'invite M La
plupart trouvent le procédé impertinent aussi lui décoche-t-on
les traits les plus piquants « Hé I Ménélas, vous êtes fou 3 lui
dit l'un;
Atride Agamemnon n'en est pas satisfait 3
lui crie un autre; enfin chacun lui'lance quelque mot approprié
à la circonstance, ou murmure un brocard ingénieux. Cependant
4. Allusion à Homère,Iliade, II, v. 408.
2. Commencementd'un vers d'Homère, Iliade, VIII, v. 409.
i Parodie d'Homère, Iliade, I, v. 24.
personne n'ose s'expliquer nettement on a peur d'Alcidamas
homme à la voix perçante et le plus braillard des Cyniques ta-
lent qui le place au-dessusdes autres et le rend redoutable à tous.
13. Cependant Aristénète le félicite et l'invite à' prendre un
siège auprès d'Histiée et de Dionysodore. a Fi donc! répond le
cynique; il faut être bien mou, bien efféminé, pour s'asseoir
comme vous. sur un siége ou sur un lit de repos, doucement
couchés à la renverse, et pour manger enveloppés dans une
robe de pourpe. Moi, je souperai parfaitement debout et en me
promenant. Quand je serai fatigué, j'étendrai mon manteau par
terre et je me coucherai la tète sur le coude, comme on repré-
sente Hercule.-Ainsi faites, reprend Aristénète, si vous l'ai-
mez mieux. » De ce moment, Alcidamas se met à souper en se
promenant autour de la salle, transportant son camp, comme
les Scythes, où se trouve le meilleur pâturage, et rôdant au-
tour des servants qui apportent les plats.
14. Toutefois, en se démenant pour prendre sa nourriture, il
ne laisse pas de disserter sur la vertu et sur le vice, et de tour-
ner en ridicule l'or et l'argent. Il va jusqu'à demander Aristé-
nète de quoi peuvent lui servir tant et de si grandes coupes,
lorsqu'il y en a d'argile qui tiennent autant. Mais Aristénète
fait cesser pour un moment son importunité en donnant ordre
à l'échanson de lui présenter une large coupe et de lui verser
rasade. Il croyait avoir découvert un excellent moyen, et il ne
prévoyait pas de quels maux ce verre allait être la cause. Alci-
damas, prenant la coupe, se tait quelques instants; puis se
jetant à demi nu sur le plancher, il s'y couche, comme il en
avait menacé, la tête sur le coude, le verre à la main droite,
tel que les peintres représentent Hercule chez Pholus1. t,
15. Déjà la coupe avait à plusieurs reprises circulé parmi les
convives les santés allaient leur train, ainsi que les conversa-
tions, et l'on apportait les lumières. En ce moment, voyant que
l'esclave placé près de Cléodème qui était un joli échanson se
mettait à sourire, circonstanceaccessoire du festin que je crois
devoir noter parmi les épisodes plaisants, j'observe avec atten-
tion quelle en peut être la cause. Un instant après, il s'approche
de Cléodème, comme pour recevoir la coup de sa main celui-ci
lui serre le doigt, et lui glisse deux drachmes je crois, avec la
coupe. L'esclave sourit de nouveau en se sentant serrer le doigt,
mais il ne voit pas sans doute, la monnaie car, au lieu de la
recevoir, il la laisse tomber sur la terre, où elle produit un bruit

4 Voy. ce mot et l'avlicle Centaures dans le Dict. de Jacobi.


qui fait rougir l'esclave et Cléodème d'une manière fort signifi-
cative. Les voisins se demandentà qui ces pièces peuvent ap-
partenir l'esclave nie qu'elles se soient échappées de sa main, et
Gléodème près de qui le bruit s'est fait, prétend n'avoir rien
laissé tomber l'incident n'a pas de suite et l'on n'y songe plus,
peu de personnes l'ayant vu, sauf Aristénète, comme je pus
m'en convaincre. Au bout de quelques instaiit3 il ordonne au
jeune esclave d'aller ailleurs, et il fait signe de placer auprès de
Cléodème un échanson âgé une sorte de gaillard robuste
comme un muletier ou un palefrenier. De la sorte, l'afiaire n'alla
pas plus loin; mais quelle honte pour Gléodème, si le bruit
s'en fût répandu parmi les convives, et s'il n'eût pas été étouffé
sur-le-champ par l'adresse d'Aristénète à dissimuler ce liberti-
nage d'ivrogne
16. Sur ces entrefaites, le cynique Alcidamas qui avait large-
ment bu, ayant demandé le nom de la jeune mariée, réclame le
silence d'une voix de tonnerre, et regardant du côté,des fem-
mes m Je bois dit-il, à vôtre santé, Cléanthis, la coupe d'Her-
cule, notre chef et notre maître, » Tout le monde s'étant mis à
rire « Comment! vous riez, gredins, s'écrie-t-il, de ce que
je bois à la mariée, en invoquant Hercule notre dieu Eh bien,
sachez que si elle ne reçoit pas la coupe de ma main, il ne lui
naîtra jamais de fils de ma trempe,'d'une vigueur à l'épreuve,
libre d'esprit et solide de corps. » En disant ces mots, il se dé-
couvre de manière à blesser la pudeur. Les convives ne font
que rire de plus belle; alors Alcidamas se lève furieux, et nous
lance un regard farouche et terrible, où l'on peut lire qu'il ne
va pas demeurer en repos peut-être même allait-il frapper
quelqu'un de son bâton, lorsque l'on apporte, fort à propos, un
énorme gâteau à cette vue il se radoucit, sa colère se calme
et il se met à suivre le gâteau pour s'en bourrer.
17. Déjà la plupart des conviés sont ivres les cris retentis-
sent par tout le banquet. Le rhéteur Dionysodore débite quel-
ques-uns de ses discours, qu'applaudissent les servants debout
derrière lui. Le grammairien Histiée assis à la dernière place,
se met à coudre des lambeaux de Pindare d'Homère et d'Ana-
créon, pour en faire une ode ridicule où il dit, comme par un
pressentiment de ce qui allait avoir lieu
Les boucliers se heurtent' •
et.
Ce ne sont que soupirs, que clameurs des guerriers'.

4. Homère, Iliade, IV, Y. 44'. - Ibid., V, v. 450.


Zénothémis, de son côté, lit un petit ouvrage d'uue écriture
très-fine que lui remet son esclave.
18. Ceux qui apportaient les plats ayant, suivant l'usage, in-
terrompu quelques instants le service, Aristénète, qui avait pris
ses mesures pour que cet intervalle ne fût pas vide et sans
agrément, introduit un bouffon, avec ordre de dire ou de faire
tout ce qu'il croirait capable d'exciter l'hilarité des convives. On
voit donc paraître un petit homme fort laid, la tête rase, sauf
quelques poils qui se hérissent sur le sommet il danse en se
disloquant et en se tortillant de manière à paraître plus ridi-
cule, récite avec l'accent égyptien des anapestes, dont il bat la
mesure, et finit par railler les assistants.
19. Ceux à qui ces plaisanteries s'adressent ne font qu'en rire
mais le bouffon ayant lancé un trait satirique contre Alcidamas,
en l'appelant chien de Mélite, celui-ci furieux, et depuis long-
temps jaloux (on le voyait bien) du bouffon qui captivait l'atten-
tion et les applaudissements des convives, jette par terre son
manteau et provoque son rival au combat du pancrace s'il re-
fuse, il le menace de son bâton. Le malheureux Satyrion (c'était
le nom du mime) se lève et accepte le défi. C'était un spectacle
des plus amusants de voir un philosophe, homme grave, aux
prises avec un histrion, frappant et frappé tour à tour. Parmi
les assistants les uns rougissent, les autres rient enfin Alci-
damas, fatigué des coups qu'il reçoit, s'avoue vaincu par le vi-
goureux petit homme, au milieu de l'hilarité générale.
20. En ce moment, arrive le médecin Dionique, quelques in-
stants après le combat. Il avait été retardé, dit-il, par une
visite au joueur de flûte Polyprépon atteint de frénésie. Il en
racontait un trait fort plaisant. Lorsqu'il entrait chez son ma-
lade, sans savoir qu'il fût dans un moment d'accès, celui-ci
s'était levé avait fermé la porte, et, tirant une épée, lui avait
présenté des flûtes avec ordre d'en jouer. Mais comme le mé-
decin n'y pouvait réussir, Polyprépon lui frappe d'une courroie
le revers des mains. Afin de sortir de danger, Dionique imagine
cet expédient. Il défie Polyprépon au combat de la flûte sous la
condition que le vaincu recevrait un certain nombre de coups.
Il joue alors le premier 'assez mal puis il remet les flûtes à
son malade, lui prend des mains la courroie, et jette l'épée par
la fenêtre, au milieu de la cour. Alors, luttant contre son
homme avec un peu plus de sûreté il appelle les voisins qui
enfoncent la porte et le tirent de peine en même temps, il nous
fait voir les traces de coups et quelques égratignures qu'il a re-
çues au visage. Après ce récit, qui soulève autant d'applaudis-
~a
semcnts que le bouffon, Dionique va se glisser auprès d'His-
tiée, où il se met à souper des restes, évidemment amené à ce
banquet par une volonté des dieux, qui avaient ménagé sa pré-
sence pour les événements ultérieurs.
21. Sur ce point, un esclave, se présentant au milieu de la
salle, dit qu'il arrive porteur d'une lettre du stoïcien Hétémo-
clès, avec ordre de son maître de la lire à haute et intelligible
voix, et de s'en retourner après cette lecture. Aristénète lui en
accorde la permission il s'approched'une lampe et lit.
PHILON. N'était-ce pas, Lycinus, quelque éloge de la mariée,
un épithalame comme on en fait tant?
Lycinus. Nous le croyions comme toi; mais c'était tout autre
chose. Voici cette lettre

22. HETÉMOCLÈS, PHILOSOPHE, A ARISTÉNÈTE.

« -Ma manière de voir en fait de repas est attestée par toute


ma vie passée. Accablé chaque jour d'invitations par une foule
de personnes beaucoupplus riches que vous, je n'ai jamais ac-
cepté, connaissant trop bien le tumulte et les excès des festins.
Mais il me semble que je, suis fondé à vous en vouloir, puisque,
malgré la cour assidue que je vous fais depuis longtemps, vous'
n'avez pas daigné me comprendre parmi vos amis; seul vous
m'avez exclu, malgré notre voisinage; ce qui m'afflige le plus est
donc votre ingratitude évidente car je ne fais pas mon bonheur
d'un morceau de sanglier, de lièvre ou de gâteau, dont je puis
me régaler chez d'autres qui connaissent les lois de la bien-
séance. Aujourd'hui même, je pouvais assister à un repas qu'on
dit splendide chez mon élève Pamménès, et j'ai refusé, assez
simple que j'étais de vouloir me réserver pour vous.
î
23. Cependant vous me laissez de côté pour en inviter d'au-
tres c'est tout naturel vous n'avez jamais pu distinguer le
meilleur, etvous n'avez pas la faculté compréhensive.Au surplus,
je devine la cause de mon exclusion; je la dois à vos admira-
bles philosophes Zénothémis, et Labyrinthe, dont je prétends
(soit dit sans offenser Adrastée) fermer aussitôt la bouche d'un
seul syllogisme. Qu'ils disent seulement ce. que c'est que la
philosophie ou qu'ils expliquent ces questions élémentaires:
en quoi l'état passager diffère de l'état permanent ? Car je ne
parle pas de ces arguments difficiles, le Cornu, le Sorile, le
Moissonnant'. Profitez donc de leurs lumières. Moi, qui ne

4. Cf. lot Sectesa l'encan, 33..


crois beau que ce qui est honnête, je supporterai sans peine cet
outrage. f
24. «c Toutefois, afin de ne vous laisser aucun moyen de vous
disculper en disant que c'est un oubli inséparable de l'embarras
d'une pareille fête, je vous ai salué deux fois aujourd'hui, IE,
matin chez vous, et ensuite au temple des Dioscures, pendant
le sacrifice; voilà ma justifie Jtion auprès des assistants.
25. « Maintenant, si vous vous imaginez que je suis fâché à
cause de votre repas, songez à OEnée, et vous verrez que Diane
fut irritée d'être la seule qu'il n'eût point appelée à son sacrifice,
quand il traitait les autres dieux. Homère dit à ce propos
Soit oubli, soit erreur, il se fit un grand mal.
Et Euripide •
C'est ici Calydon, terre aux fertiles plaines,
Opposée à la mer du séjour de Pélops.
Et Sophocle'
La fille de Latone à la flèche empennée
1 Lance un gros sanglier sur les guérets d'Œnée.
26. a Je pourrais faire beaucoup d'autres citations; celles-ci
suffisent à vous faire connaître quel homme vous dédaignez,
pour traiter un Diphile, auquel vous avez confié votre fils. Vous
avez raison; il a su se rendre agréable à ce jeune homme; ils
vont très-bien ensemble; et, si je ne rougissais de révéler ses
turpitudes, j'ajouterais que vous pourrez en savoir des nou-
velles et vous convaincrede la vérité par la bouche de Zopyre le
pédagogue. Mais il ne faut pas troubler la noce, ni dire du mal
des autres, surtout pour un sujet aussi honteux. Diphile, pour-
tant, le mériterait bien,lui qui m'a déjà enlevé deux élèves; mais,
par respect pour la philosophie,je garderai le silence.
27. a J'ai donné ordre à mon esclave, dans le cas où vous
voudriez lui remettre quelque morceau de sanglier, de cerf ou
de galette au sésame, de ne point le recevoir, de peur qu'on ne
s'imagine que je l'ai envoyé exprès pour cela. »
28. Tout le temps, mon ami, que dura cette lecture, la sueur
me coulait de honte, et je souhaitais, comme on dit, que la terre
4. Iliade, IX, v. 633. 2. Euripide, fragm. de Mélàagrc.
3. Sophocle, fragm. de Méléagre. Théodore Guiard, p. 653 de satraduction
en vers, rend ainsi ce passage
Un monstre furieux aux champs de Calydon
Se rua, suscité par la sœur d'Apollon.
s'entr'ouvritsous mes pas, quand je voyais l'assemblée rire à
chaque mot de la lettre, surtout ceux qui savaient qu'Hétémo-
clès est un vieillard en cheveux blancs, et qui a l'air respecta-
ble. Ils s'étonnaient qu'il eût pu leur donner le change sur son
caractère et^ les tromper par sa barbe et la sévérité de son vi-
sage. Aussi me parut-il que, si Aristénète ne l'avait pas invité,
c'était moins par oubli que parce qu'il n'espérait pas voir un si
grand personnage se rendre à son invitation et se compromet-
tre dans une pareillefête; si bien qu'il n'avait pas même essayé.
29. Lors donc que l'esclave eut achevé sa lecture, tous les
convives jetèrent les yeux sur Diphile et sur Zénon, qui, pâles
et tremblants donnaient par leur contenance embarrassée
une apparence de vérité aux accusations d'Hétémoclès. Aristé-
nète lui-même était troublé et rempli d'inquiétude. Cependant il
nous invite à boire, et, s'efforçant de prendre un air riant pour
réparer ce qui venait d'arriver, il renvoie l'esclave en lui disant
qu'il verrait cela. Un instant après, Zénon se lève et disparaît sur
un signe de son pédagogue, et sans doute par ordre de son père.
30. Alors Cléodème, qui, depuis longtemps, épiait l'occasion
d'attaquer les Stoïciens, et crevait de dépit de n'en pas trouver
un prétexte plausible, saisissant enfin celui de la lettre. d'Hété-
moclès « Voilà donc, s'écria-t-il, ce que
produisent le beau
Chrysippe, l'admirable Zénon et Cléanthe; des mots dénués de
sens, des interrogations, des simulacres de philosophes, en un
mot une foule d'Hétémoclès. Voyez un peu la belle lettre pour
un vieillard 1 OEnée, c'est Aristénète Diane, c'est Hétémoclès.
Par Hercule, comme tout cela est de bon augure et convenable
pour une fête
31. -Par Jupiter! reprit Hermon, qui était assis,un peu plus
haut, il avait sans doute entendu dire qu'il y avait un sanglier
préparé pour le repas d' Aristénète, et il n'a pas cru hors de pro-
pos de rappeler celui de Calydon; mais, au nom de Vesta, Aris-
ténète, envoyez-lui donc, au plus vite, les prémices de l'animal,
de peur que ce bon vieillard ne sèche de faim, comme Méléagre;
après tout, il n'en éprouverapeut-être aucun mal, car Chrysippe
range tout cela parmi les choses indifférentes.
32. – Chrysippe I s'écrie alors Zénothémis en se réveillant t
et en élevant la voix, qu'avez-vous à en dire? Est-ce d'après un
seul homme, un prétendu philosophe, un charlatan comme un
Hétémoclès, que vous jugez Cléanthe et Zénon, ces vrais sages?
Mais qui êtes-vous donc, pour parler de la sorte? Toi, Hermon,
n'as-tu pas coupé la chevelure d'or des Dioscures, sacrilége que
tu expieras de la main du bourreau? Et toi, Cléodème, n'as-tu
pas séduit la femme de Sostrate ton élève et, surpris en fla-
grant délit, n'as-tu pas subi le châtiment le plus honteux? Ne
vous tairez-vous pas, avec de pareils crimes sur la conscience?
Oui mais je ne suis pas, comme toi, le prostitueur de ma
femme, reprend Cléodème je n'ai pas pris en dépôt l'argent
qu'un élève étranger avait apporté pour. son voyage et je n'ai
pas juré ensuite par Minerve Poliade que je ne l'avais pas reçu.
Je ne prête pas au taux de quatre drachmes par mois je n'é-
tràngle pas mes élèves, quand ils ne me payent pas le jour de
l'échéance. – Tu ne saurais nier, du moins, reprend Zénothémis,
que tu n'aies vendu du poison à Criton, pour tuer son père. »
33. Cela dit, comme il buvait, il leur jette au nez ce qui
reste dans sa coupe à demi pleine. Le voisinage en fait re-
jaillir quelque chose au nez d'Ion qui le méritait bien. Hermon,
baissant la tête, se met à essuyer le vin qui l'inonde, prenant
tous les assistants à témoin de l'outrage qu'on vient de lui faire.
Cléodème, qui n'avait pas de coupe, se retourne, crache au visage
de Zénothémis, et, lui saisissant la barbe de la main gauche,
il se prépare à lui assener un coup de poing. Il l'aurait tué, si
Aristénète ne lui eût arrêté la main; il fait mieux; il passe par-
dessus Zénothémis, se place entre les deux combattants pour les
séparer, et forme un mur qui les maintient en paix.
34. Durant cette scène, Philon, mille pensées me venaient à
l'esprit et surtout cette maxime vulgaire « Il ne sert de rien de
connaître les sciences, quand on ne sait pas régler sa conduite
sur la vertu. » Je voyais, en effet, ces princes de la philosophie
devenir par leurs actions le jouet de toute l'assistance,et je me
dis à moi-même « Est-il donc vrai que la science détourne de la
rectitude du jugementceux qui ont l'œil continuellement fixé sur
les livres et sur les réflexions qu'ils renferment? » De tant de.
philosophes réunis, il n'en était peut-être pas un qui ne se rendît
coupable de quelque faute les uns commettaient des actes hon-
teux, les autres prononçaient des paroles plus honteuses encore,
et je ne pouvais imputer leurs excès à l'ivresse, qnand je son-
geais à la lettre qu'Hétémoclès avait écrite à jeun.
35. C'était le monde renversé. Les ignorants avaient une
bonne tenue ils ne s'enivraient pas, ils ne faisaient rien dont
ils dussent rougir; seulement, ils riaient et condamnaient ceux
qu'ils avaient admirés, quand ils les croyaient tels que l'annon-
çait leur maintien. Les sages, au contraire, foulaient aux pieds
toutes les convenances, 'vomissaient des injures, mangeaient
avec excès, poussaient des cris, en venaient aux mains. L'admi-
rable Alcidamas pissait au milieu de la salle, sans respect pour
les femmes. En un mot, tout ce qui se passait dans ce festin
pouvait se comparer à ce que les poëtes disent de celui où la
Discorde, qu'on avait oublié d'inviter aux noces de Pélée, jeta
cette pomme fatale qui causa la guerre de Troie là lettre
qu'Hétémoclès avait lancée au milieu du festin était, en quelque
sorte, une pomme destinée à produire des maux aussi terribles
que ceux de l'lliade.
36. En effet, la querelle de"Cléodème et de Zénothémis était
loin d'être apaisée; et, quoiqueAristénète se fût placé entre eux
deux, ils- ne cessaient de se dire des injures. « Oui, pour le
moment, disait Cléodème, il me suffit de vous convaincre que
vous êtes des ignorants demain je me vengerai de vous comme
il faut. Réponds-moi donc, Zénothémis et toi élégant Di-
phile comment se fait-il que vous, qui mettez la richesse
au nombre des choses indifférentes, vous vous proposiez exclu-
sivement d'en acquérir le plus possible ? Pourquoi faites-vous
toujours la cour aux riches ? Pourquoi prêtez-vousà usure et
retirez-vous l'intérêt de, l'intérêt? Pourquoi n'enseignez-vous
qu'à prix d'argent ? D'un autre côté vous affectez de mépriser
le plaisir, vous déclamez contre les Epicuriens, tandis que vous
vous livrez aux pratiques les plus infâmes, actifs et passifs tour
à tour. Vous vous fâchez de n'être pas invités à un repas et,
si l'on vous convie, vous mangez tout. vous donnez tout à vos
esclaves. » En disant ces mots, Cléodème avance la main pour
arracher une serviette que l'esclave de Zénothémis tenait rem-
plie de toutes sortes de morceaux il allait la déployer et en
jeter le contenu sur le parquet; la main de l'esclave tint bon et
ne lâcha pas la serviette.
37. Alors Hermon <t Tu as raison, Ciéodème; qu'ils nous
disent pourquoiils blâment le plaisir et demandentà en prendre
plus que les autres. -Non, reprend Zénothémis, c'est à toi,
Ciéodème de nous dire pourquoi tu ne regardes pas la richesse
comme une chose indifférente. Pas du tout; c'est à toi. » La

discussion se prolonge, lorsqiw Ion s'avançant pour se faire re-
marquer davantage <r Cessez, dit-il; je vais, si vous le voulez
bien, proposer un sujet de conversationdigne de cette solennité.
Parlez et écoutez tour à tour, sans aispute c'est ainsi que dans
Platon, notre maître la conversation demeure toujours un ai-
mable passe-temps. Tout le monde approuve cet avis surtout
Aristénète et Eucrite ils espéraient que par ce moyen on allait
être délivré de tous ces ennuis. Aristénèteretourne donc à sa
place, convaincu que la paix était faite. 1
38. Au même moment, on nous sert ce qu'on appelle le repas
parfait: à chacun une poule, de la chair de sanglier, du lièvre
du poisson sortant de la poêle, des gâteaux de sésame, et toutes
les friandises qu'on peut emporter chez soi. Seulement, on
n'avait pas servi un plat pour chaque convive mais un sur
chaque table; Aristénète et Eucrite en avaient un pour eux
deux, et chacun devait prendre ce qui était devant lui. Il y
avait de même un plat commun pour le stoïcien Zénothémis et
l'épicurien Hermon; ensuite un autre pour Cléodème et pour
Ion; puis un autre pour le marié et pour moi. Diphile avait une
double portion, Zénon ayant quitté la table. Souviens-toi de cet
arrangement, mon cher Philon, il est important pour mon récit.
PHILON. Je m'en souviendrai.
39. LYCINUS. Alors Ion a. Je vais commencer le premier, dit-
il, si vous le voulez bien. D Puis après une pause « Peut-être
aurait-il fallu, reprit-il, devant tant de personnes instruites,
traiter des idées, des êtres incorporels, et de l'immortalité de
l'âme mais, afin d'éviter les contradictionsde ceux qui n'adoptent
pas nos sentiments, je dirai ce que je pense sur le
mariage. Le
meilleur, à ce sujet, serait de ne pas se marier; et, suivant
l'exemple de Platon et de Socrate, de se livrer à la pédérastie; qui
seule peut nous conduire à la vertu parfaite; mais, puisqu'il est
nécessaire d'épouser des femmes, je voudrais du moins que,
conformément à la doctrine de Platon, elles fussent communes;
afin de nous affranchir de la jalousie. »
40. Un rire universel accueille ces paroles si déplacées, et
Dionysodore t As-tu bientôt fini, dit-il, de nous chanter tes
sornettes barbares? Pourquoi et à propos de quoi serions-nous
jaloux?^ Commenttu oses parler, coquin?»reprend Ion. Dio-
nysodore allait lui répondre une injure, lorsque le grammairien
Histiée, un aimable homme, prenant la parole « Écoutez, dit-il,
je vais vous lire un épithalame,» et il commença cette lecture.
41. Voici quels étaient, si j'ai bonne mémoire, les vers élégia-
ques
Élevée au palais du bon Aristénète,
La belle Cléauthis
Est plus riche en attraits, en beauté plus parfaite
Que Diane ou Cypris.
Et toi, beau fiancé, plus charmant que Nérée,
Ou le fils de Thétis,
Salut vous méritez dans nos chants d'hyménée
D'être tous deux unis!1
s
42. Un rire général suivit ces vers, comme bien tu penses;
mais le moment étant venu d'enlever chacun sa part de ce qui
était servi, Aristénète et Eucrite prennent ce, qui est devant
eux. Je prends ma portion et Chéréas la sienne; Ion et Cleo-
dème en font autant. Mais Diphile, outre sa part, veut emporter
celle de Zénon absent, et il prétend que tout a été servi pour
lui seul il en vient même jusqu'à se battre aveu les valets qui
lui disputent uns volaille, dont ils se mettent à tirer quelque
membre on eût dit le cadavre de Patrocle. Enfin Diphile est
forcé de lâcher prise, à la grande joie des convives, surtout
quand on le voit se fâcher et prétendre qu'on lui fait un passe-
droit indigne.
43. Hermon et Zénothémis étaient assis, comme je l'ai dit.
Zénothémis à la place supérieure et Hermon au-dessous de lui;
leur portion était égale ils la prennent tranquillement. Mais la
volaille qui était devant Hermon se trouvant un peu plus grasse,
quand il fallut prendre chacun la sienne, alors Zénothémis (c'est
ici. Philon, qu'il faut me prêter toute ton attention, vu que nous
en sommes au point le plus intéressant du récit), alors, dis-je,
Zénathémis, laissant sa volaille, s'empare de celle qui était ser-
vie devant Hermon, et qui était grasse, ainsi que je l'ai dit.
Hermon, de son côté, la saisit et ne souffre pas que Zénothémis
ait une part plus considérable que la sienne. De là des cris; puis
ils se jettent l'un sur l'autre et se frappent avec la volaille même
i travers le visage ils se prennent ensuite par la barbe, en ap-
{ tlant au secours Hermon, Cléodème,
Zénothémis, Alcidamas
et Diphile. Les uns courent à l'un, les autres à l'autre, excepté
le seul Ion qui garde la neutralité.
44. Le combat devient une mêlée. Zénothémis, saisissant une
coupe qui était placée devant Aristénète, la lance sur Hermon.
Il esquive le coup, mais la coupe, en volant',
l

va frapper le marié,, et lui ouvre le crâne par une blessure large


et profonde. Un cri s'élève du côté des femmes elles se.jettent
au milieu des combattants, et, avant toutes, la mère du marié,
quand elle voit couler le sang de son ûls la mariée s'élance à
son tour, craignantpour les jours de son époux. En même temps,
Alcidamas se signale en défendant Zénothémis. Son bâton brise
le crâne de Cléodème, casse la mâchoire'd'Hermon et blesse
plusieurs esclaves venus à leur secours. Ceux-ci, toutefois, ne
cèdent point. Cléodème, le doigt levé, crève un œil à Zéno-
thémis et lui coupe le nez avec les dents. Hermon, de son côté,

). Parodie d'Homère,Iliade, XI, v. Ï31, ot V, v. 187. A notre tour, nom


avons imité Boile.au.
apercevant Diphile qui vient en aide à Zénothémis, le jette à bas
de son lit la tête la première.
45. Le grammairien Histiée, en essayant de séparer les cham-
pions, reçoit, je crois, dans les dents, un coup de pied de Cléo-
dème qui le prend pour Diphile. L'infortuné roule, et, comme le
dit son Homère V(
Vomit des flots de sang.
Ce c'est plus partout que confusion et que larmes; les femmes
poussent des gémissementset entourent Chéréas; les autres con-
vives cherchent à apaiser le désordre. Mais le fléau le plus ter-
rible est Alcidamas, qui, après avoir mis ses adversaires en dé-
route, se met à frapper indistinctement quiconque se présente
devant lui et, sans doute, il eût fait un grand nombre de vic-
times, si son bâton ne s'était pas cassé. Pour moi, debout près
de la muraille, je demeurais spectateur de la scène sans m'en
mêler l'exemple d'Histiée m'avait appris combien il est dange-
reux de vouloir séparer de pareils champions.Figure-toi le com-
bat des Lapithes et des Centaures; des tables renversées, du
sang répandu, des coupes brisées.
46. A la fin, Alcidamas, jetant par terre le candélabre, pro-
duit une grande obscurité. Le désordre, comme tu peux croire,
n'en devient que plus effrayant. Il n'était pas facile de se procu-
rer une autre lumière; il se commet mille excès dans les ténè-
bres. Quand on apporte une lampe, on trouve Alcidamas qui
avait arraché les vêtements à une joueuse de flûte et se mettait
en devoir de la violer. Dionysodore est surpris à faire quelque
chose de plus drôle. Une coupe tombe de sa robe au moment où il
se lève; et, pour se justifier, il dit qu'Ion l'a prise pendant le
tumulte, et la lui a donnée de peur qu'elle ne soit perdue. Ion,
par complaisance, atteste que c'est la vérité.
47. Ainsi se termina le banquet les pleurs se changèrent en
éclats de rire aux dépens d'Alcidamas, de Dionysodore et d'Ion.
On emporta les blessés dans un état pitoyable, surtout le vieux
Zénothémis, qui, une main sur son œil et l'autre sur son nez,
criait qu'il mourait de douleur, si bien qu'Hermon, qui n'était
guère mieux avec ses dents cassées, lui dit, en manière de contra-
diction « Souviens-toi, Zénothémis qu'en ce moment tu ne
regardes pas la douleur comme une chose indifférente.j» On con-
duisit le mapié dans sa maison, après que Dionique lui eut re-
cousu sa blessure. La tête enveloppée de bandelettes on le monta
4. Iliade, XV, v. H.
sur le char dans lequel il devait emmener sa jeune épouse il
venait de célébrer des noces bien amères. Dionique donna
ensuite aux autres blessés tous les soins possibles. On con-
duisit le reste se coucher, la plupart vomissant en route.
Alcidamas resta seul impossible de le chasser de la salle; dès
qu'il se fut une fois jeté sur un lit, il s'y endormit, couché en
travers.
48. Telle fut, mon beau Philon, la fin du banquet. C'est le cas
de répéter ces vers du poëte tragique'
Commela fortune est changeante,
Et comme les dieux souverains,
Aiment à rompre nos desseins!
En effet, on ne s'attendait guère à tout ce qui est arrivé. Pour
ma part, j'en ai retiré cette lecon, qu'il est dangereux, pour un
homme d'humeur pacifique, de se trouver à un banquet avec de
pareils philosophes.

LXXII

SUR LA DÉESSE SYRIENNE*.

1. Ilexiste, en Syrie, une ville située non loin de l'Euphrate;


elle se nomme Hiéra, la ville sacrée, et elle est, en effet, consa-
crée à la Junon assyrienne. Je crois que le nom de cette ville
ne lui fut pas-donné lors de sa fondation. Elle en avait un autre
anciennement'; mais, dans la suite, comme on y commença les
grands mystères, elle prit, à cette occasion, le nom de sacrée.
Je vais donc parler de cette ville et de tout ce qu'elle renferme
1. Euripide. Voy. la fin d'Alcesté, &' Andromaque et i'Hêlène.
2. Belin de Ballu et plusieursinterprètesde Lucien doutent de l'authenticité
de ce dialogue, écrit en dialecte ionien. Wieland et d'autres critiques, qui
font autorité, en regardentLucien comme Fauteur. On y trouve de nombreuses
imitations du style d'Hérodote, dont l'auteur semble parfois se moquer.
3. Strabon nous apprend qu'elle se nommait d'abord Édesse ou Bambyeé.
Selon,Pline l'Ancien, livre V, chap. xxxm, les Syriens donnaientà cette ville
le nom de Magag.
je dirai les rites observés dans les cérémonies, les assemblées
I solennelles, les sacrifices qu'on y accomplit; je rapporterai tout
I ce que l'on raconte sur les fondateurs de ce culte et sur ce qui
donna lieu à la construction du temple. Assyrien de naissance,
je relate des faits que j'ai vus de mes propres yeux, ou qui m'ont
été communiqués par les prêtres, quand ces faits étaient anté-
rieurs à mon époque.
2. Les premiers hommes qui, à notre connaissance, aient eu
quelque notion des dieux sont, dit-on, les Égyptiens, qui leur
ont consacré des temples, des enceintes et des assemblées solen-
nelles. Ce sont eux aussi qui, les premiers, ont trouvé des
ex-
pressions et des formules consacrées. Peu de temps après, les
Assyriens, instruits par les Égyptiens de leurs croyances rela-
tives aux dieux, établirent un culte, et élevèrent des édifices où
ils dressèrent des statues et des figures sculptées.
3. Dans l'origine, les temples des Égyptiens n'avaient aucune
de ces décorations. Or, il y a encore en Syrie des temples à
peu
près aussi anciens que ceux de l'Égypte je les ai vus moi-même
pour la plupart, notamment celui d'Hercule à Tyr; non pas
l'Hercule des Grecs, mais un autre d'une antiquité beaucoup
plus reculée, l'Hercule tyrien'.
4. On voit aussi, en Phénicie, un grand temple que possèdent
les Sidoniens, consacré, disent-ils, à Astarté. Astarté, selon
moi, c'est la lune. Mais, si l'on s'en rapporte à ce que m'a dit
un des prêtres de ce temple, il est dédié à Europe, sœur de Cad-
mus. Europe, fille du roi Agénor, ayant disparu, les Phéniciens
l'honorèrent.d'un.temple, et racontèrent sur elle cette légende
sacrée, que sa beauté excita les désirs de Jupiter, qui se chan-
gea en taureau, l'enleva et la porta en Crète. D'autres Phéniciens
m'ont raconté cette même tradition, et la monnaie dont se ser-
vent les Sidoniens représente Europe assise sur un taureau, qui
est Jupiter. Mais tous ne conviennent pas que ce temple soit
celui d'Europe.
5. Les Phéniciens ont encore un autre culte il n'est pas as-
syrien, mais égyptien il a été apporté d'Héliopolis en Phénicie.
Je ne l'ai pas vu mais on le dit solennel et ancien.
6. J'ai vu, à Byblos, un grand temple de Vénus byblienne,
dans lequel on célèbre des orgies en l'honneur d'Adonis. Je
me
suis fait initier à ces orgies. Les habitants de Byblos prétendent
que l'histoire d'Adonis, blessé par un sanglier, s'est passée dans

< On dérive le nom de l'Horcule tyrien du mot phénicien harokel, qui signi-
fie marehand.
leur pays. En mémoire de cet événement, ils célèbrent, tous les
ans, des orgies, dans lesquellesils se frappentla poitrine, pleurent
et mènent un grand deuil par tout le pays 1. Quand il y a assez tir-e
plaintes et de larmes, ils envoient des présents funèbres à Ado-
ms, en sa qualité de mort; mais, le lendemain, ils racontent
qu'il est vivant et le placent dans le ciel. En outre, ils se rasent
la tête, comme les Égyptiens à la mort du bœuf Apis. Les femmes
qui ne veulent pas sacrifier leur chevelure payent une amende
qui consiste à prostituer leurs charmes pendant une journée.
Les étrangers seuls, du reste, ont droit à leurs faveurs, et le prix
,du sacrifice est offert à Ténus*.
7. Quelques habitants de Byblos prétendent que l'Osiris égyp-
tien est enseveli chez eux, et que le deuil et les orgies ne se cé-
lèbrent point en l'honneur d'Adonis, mais que tout cela s'accom-
plit en mémoire d'Osiris..Te vais dire comment ils semblent avoir
raison. Tous les ans il vient d'Egypte à Byblos une tête qui
nage sur les flots pendant sept jours les vents la poussent par
une puissance mystérieuse; elle n'est jamais emportée d'un
autre côté et elle ne manque jamais d'arriver à Byblos. C'est
une vraie merveille, qui arrive,chaque année, et dont je fus té-
moin lors de mon séjour à Byblos, où j'ai vu cette tête faite de
papyrus.
8. On voit encore une autre merveille dans le territoire de
cette ville c'est un fleuve qui descend du mont Liban et va se
jeter dans la mer. On lui a donné le nom d'Adonis. Chaque an-
née, son eau se change en sang; et, après avoir perdu sa couleur
naturelle, il se répand dans la mer, dont il rougit une partie
considérable, ce qui indique aux habitants de Byblos le moment
de prendre le deuil. Or, on dit que, dans ces mêmes jours, Ado-
nis est blessé sur le Liban, que son sang change la couleur de
l'eau, et qv?s de là vient le surnom du fleuve. Voilà la tradition.
Mais un habitant de Byblos, qui m'a paru dire vrai, m'a donré
une autre raison de ce phénomène. Voici ce qu'il m'a dit « Le
fleuve Adonis, étranger, traverse le Liban. Le Liban est composé
d'une terre extrêmement rouge. Des vents violents;qui s'élèvent
à jour fixe, transportent dans le fleuve cette terre chargée de
vermillon, et c'est elle qui.donne à l'eau la couleur ai sang
ce n'est donc pas., le sang qui est, commel'on dit la cause

(. Voy. Thëocrite, idylle xv; et là dissertation deliabbé Banier dans les


Mémoires de l'Académie des inscriptions et belles-lettres,t: 111., p. 98.
2. Cr. Hérodote, Cfcojçxçx.; Justin, livre XVIHjChap.v; Athénée, livre XII,
§ 4J-J Élien Ifist. div.) livre 1V,,ij Pomponius Méla, livre I, phap; visi
de ce phénomène c'est la nature du terrain. » Telle- est l'expli-
cation de l'habitant de Byblos. Si elle est véritable, le retour pé-
riodique de ce vent ne me paraît pas moins
divine.
une intervention
9. De Byblos, je remontai vers le Libanl'espace d'une journée
de chemin. J'avais appris qu'il y avait, sur cette montagne,
ancien temple de Vénus, fondé par Cinyre. Je l'ai. un
vu c'est un
édifice antique. Voilà quels sont les temples, grands
ou anciens,
répandus dans la Syrie.
10. Quel qu'en soit le nombre, je n'en ai pas rencontré de
plus grand que celui d'Hiérap-lis, ni d'édifice plus auguste, ni
de contrée plus sainte. Ce temple renferme des ouvragesprécieux,
d'antiques offrandes, une foule d'objets merveilleux, des statues
vénérées et des dieux toujours présents. En effet, les statues
suent, se meuvent et rendent des oracles. Souvent une voix y
fait entendre dans le sanctuaire, le temple fermé beaucoup se
l'ont entendue. A l'égard des richesses, ce temple est le premier
de ceux que je connais. De continuels tributs lui arrivent d'A-
rabie, dePhénicie, de Babylonie, de Cappadoce, de Cilicie
et
d'Assyrie. J'ai vu le trésor secret du temple où sont déposées
richesses; nombreuses étoffes, objets en argent, objets ces
rangés séparément. Les fêtes et les solennités sont dIusenfré-
s
or
quentes que chez aucun autre peuple.
11. On m'a raconté à combien d'années pouvait remonter
l'antiquité de ce temple et à quelle déesse on le croit dédié. Les
versions sont différentes les unes sacrées, les autres précises.
quelques-unes complétement fabuleuses. D'autres èncore
barbares, d'autres conformes à celles des Grecs. Je vais lessont
ex-
poser toutes, mais je n'en admets, aucune.
12. L'opinion commune attribue à Deucalion le Scythe la fon-
dation de ce temple. Ce Deucalion est celui sous lequel arriva la
grande inondation. On m'a parié de Deucalion chez les Grecs.
Voici ce qu'ils en disent et la substance de leur tradition « La
rac0 actuelle des hommes n'a pas été la première, mais la géné-
ration qui précédait a péri entièrement. Les hommes d'aujour-
d'hui proviennent de la seconde race, qui s'est multipliée
Deucalion. On raconte de ces premiers hommes que, leur bruta- par
lité étant excessive, ils commettaient toutes sortes de crimes,
violaient leurs serments, ne pratiquaient point l'hospitalité, et
repoussaientles suppliants. Ils en furent punis par un événement
terrible. Tout à coup la terre laisse échapper une énorme
quan-
tité d'eau il tombe de grandes pluies, les fleuves débordent, la
mer passe par-dessus Ses rivages tout n'est plus qu'uii<- ^asse
d'eau où le genre humain périt. Deucalion seul est réservé pour
une seconde génération, à cause de sa droiture et de sa piété.
Voici comment il fut sauve il avait un grand coffre il y fait
monter ses enfants et ses femmes. Lorsqu'il y montait, les porcs,
les chevaux, les lions, les serpents et les autres animaux qui
vivaient sur la terre viennent à lui, couple par couple. Il les
reçoit tous. Ils ne lui font aucun mal; au contraire il règne entre
eux une grande amitié, grâce à une influence divine. Tous en-
semble surnagent dans le coffre, tant que l'eau recouvre la
terre. » Voilà ce que les Grecs racontent de Deuçalion.
13. Pour ce qui suit, les habitants d'Hiérapolis rapportent un
fait on ne peut plus surprenant, à savoir que dans leur pays il
se fit une grande ouverture par laquellel'eau fut toute absorbée.
Deucalion, après cet événement, dressa des autels et éleva, au-
dessus de l'ouverture, un temple qu'il consacra à Junon. J'ai
vu l'ouverture située sous le temple elle n'est pas très-grande,
Fut-elle plus large autrefois, elle devenue si petite aujourd'hui,
je n'en sais rien; mais elle est petite. Comme preuve de ce fait,
on pratique encore maintenant cette cérémonie deux fois l'année
on fait venir dans le temple de l'eau de mer. Ce ne sont pas
seulement les prêtres qui l'apportent; mais la Syrie, l'Arabie
entière, ainsi que plusieurs peuples qui habitent au delà de
l'Euphrate, descendent sur les bords de la mer et y puisent de
l'eau puis ils la répandent dans le temple, d'où elle descend
ensuite dans l'ouverture, et celle-ci, malgré sa petitesse, en reçoit
une grande quantité. En agissant de la sorte, ils prétendent
suivre une loi instituée dans ce temple par Deucalion, pour
être un souvenir et de malhe' et de bienfait. Telle est l'antique
tradition qui a cours chez eux au sujet de ce temple.
14. D'autres croient que Sémiramis, reine de Babylone, de
laquelle il y a de nombreux édifices en Asie, a fondé celui-ci et
l'a consacré àDercéto, sa mère. Or, j'ai vu en Phénicie une image
de Dercéto elle est singulière. C'est une démi-femme; la partie
inférieure, qui va des cuisses à l'extrémité des pieds, se termine
en queue de poisson, tandis que celle qu'on voit à Hiérapolis est
entièrement femme. Les motifs de leur croyance ne sont pas
très-clairs. Ils regardent les poissons comme sacrés jamais ils
n'y touchent. Ils mangent de toute espèce d'oiseaux, excepté la
colombe elle est sacrée pour .eux: Il paraît qu'jls agissent ainsi
pour honorer Dercéto et Sémiramis :.Dercéto, parce qu'elle a la
forme d'un poisson; Sémiramis, parce qu'elle fut, après sa mort,
changée en colombe. Pour moi, je suis disposé à croire que le
temple est l'œuvre de Sémiramis, mais je ne suis pas du tout
convaincu qu'il soit consacré à Dercéto en effet, il y a chez les
Égyptiens des gens qui ne mangent jamais de poissons, et ils
ne le font pas à cause de Dercéto.
15. Il y a une autre tradition sacrée, que m'a fait connaître un
homme instruit. D'après lui, la déesse est Rhéa, et le temple
l'ouvrage d'Attis. Attis est Lydien; il enseigna le premier les
orgies de Rhéa. Ce que pratiquent les Phrygiens, les Lydiens et
les Samothraces,leur a été montré par Attis. En effet, après qu'il
eut été châtré par Rhéa, il renonça à la vie des hommes, se
changea en femme', prit les habits de l'autre sexe et parcourut
la terre, célébrant des orgies, racontant son aventure et chan-
tant Rhéa. Ses pérégrinations le conduisirent en Syrie. Les
peuples qui habitent au delà de l'Euphrate ne l'ayant accueilli
ni lui ni ses mystères, il fonda un temple en ce pays. Une
preuve de conformité entre Rhéa et notre déesse, c'est qu'elle
est traînée par des lions, un tambour à la main, la tête couron-
née d'une tour, comme les Lydiens représentent Rhéa. Mon
sage me dit encore, au sujet des Galles qui desservent le temple,
que ces Galles ne se châtrent pas en l'honneur de Junon, mais
en celui de Rhéa et pour imiter Attis. Tout cela est fort spécieux,
mais non pas vrai. Je sais une raison beaucoup plus probable
de la castration de ces prêtres.
16. J'aime beaucoup ce que disent de ce temple ceux dont
l'opinion concorde avec celle des Grecs, à savoir que la déesse
est Junon, et l'édifice une oeuvre de Bacchus, fils de Sémélé.
Bacchus, en effet, vint en Syrie, dans son fameux voyage éthio-
pien, et l'on voit dans ce temple une foule d'objets qui indiquent
que Bacchus en est le fondateur, entre autres des vêtements
barbares, des pierreries des Indes et des cornes d'éléphants que
Bacchus rapporta d'Ethiopie. En outre, on voit dans le vestibule
deux énormes phallus avec cette inscription « Ces phallus ont
été élevés par moi, Bacchus, en l'honneur de Junon, ma belle-
mère, Cette preuve me paraît suffisante. Voici pourtant dans
ce temple un autre objet consacré à Bacchus. Les Grecs lui
dressent des phallus sur lesquels ils représentent de petits
hommes de bois qui ont un gros membre on les appelle
névrpspastes On voit, en outre, dans l'enceinte du tem-
ple, à droite un petit homme d'airain assis, qui a un membre
énorme.
17. Telles sont les traditions que j'ai recueillies sur les fon-
dateurs de ce temple. Parlons maintenant du temple même et de
4 Tferjs tendue.
y
sa fondation, comment et par qui il a été bâti. On dit que l'édi.
fice actuel n'est pas celui qui fut originairement élevé. Celui-ci
fut renversé par le temps, et l'édifice qui existe de nos jours est
l'ouvrage de Stratonice, reine des Assyriens. Or, cette Strato-
nice me paraît être la même que celle dont son beau-fils devint
amoureux, passion qui fut découverte par l'adresse de son mé-
decin..Malade et ne sachant que faire à un mal dont il rougis-
sait, le jeune homme gardait le silence. n était couché sans
douleur apparente cependant son teint était changé, son corps
maigrissait à vue d'oeil. Le médecin, voyant qu'aucune maladie
ne se déclarait, devina que c'était de l'amour. L'amour secret a
plusieurs symptômes yeux languissants, voix altérée, pâleur
et larmes. Éclairé par ces indices, voici ce qu'il fait il met sa
main droite sur le coeur du malade et appelle toutes les personnes
de la maison; elles entrent, et le jeune homme demeure parfai-
tement tranquille; mais à l'arrivée de sa belle-mère il change
de couleur, une sueur froide, un frisson s'empare de lui, son
cœur palpite. Ces mouvements révèlent sa passion au médecin.
Voici comment il le guérit.
18. Il fait venir le père du jeune homme, vivement tourmenté
pour son fils. « Cette maladie, dit-il, n'est point une maladie,
c'est un coupable désir. Votre fils ne ressent aucune douleur, un
fol amour s'est emparé de lui. Il veut avoir un objet qu'il n'ob-
tiendra pas il est amoureux de ma femme, et certes je ne la lui
céderai jamais. » Ces paroles n'étaient qu'une ruse prudente. Le
père le supplie « Par votre sagesse, par votre art médical,
s'écrie-t-il, ne laissez pas mourir mon fils C'est malgré lui que
cette passion est entrée dans son cœur. Sa maladie est involon-
taire n'allez pas, par votre jalousie, plonger un royaume entier
dans le deuil; médecin, ne laissez pas imputer cette mort à la
médecine. » Ainsi suppliait-il, ignorant la ruse. L'autre répond
« Ce que vous me demandez est injuste vous voulez m'enlever
ma femme et me faire violence à moi, votre médecin. Eh que
feriez-vous donc si ce jeune homme était amoureux de votre
femme, vous qui me demandez ce sacrifice? » Le père l'assure
qu'il ne consentirait jamais à conserver sa femme, s'il fallait
perdre son fils, celui-ci aimât-il sa belle-mère. La perte d'une
épouse est-elle éomparable à celle d'un fils A peine le méde-
cin a-t-il entendu ces mots é Pourquoi donc alors tant d'in-
stances ? dit-il. C'est de votre femme que ce jeune homme est
amoureux. Ce que je vous disais n'était qu'une ruse. » Le roi se
son
laisse persuader à ce discours. Il cède ? fils sa femme et son
empire, et se retire dans la Babylonk- où il fonde une ville de
son nom sur le bord de l'Euphrate. Il y mourut. C'est ainsi que
le médecin devina et guérit l'amour du jeune prince
19. Cependant Stratonice, quand elle vivait avec son premier
mari, eut un songe dans lequel Junon lui ordonnait de lui élever
un temple à Hiérapolis et la menaçait des plus grands mal-
heurs en cas de désobéissance. La reine n'a d'abord aucun égard
à ce songe. Mais ensuite, étant tombée gravement malade, elle
le raconte à son mari, apaise Junon et promet de lui bâtir un
temple. Dès qu'elle est revenue à la santé, le roi l'envoie à Hié-
rapolis, avec une forte somme d'argent et une nombreuse armée
pour les frais de l'édifice et pour la sûreté de la reine. En même
temps il fait venir un de ses amis, jeune homme de la plus grande
beauté, nommé Combabus <r Je t'aime, Combabus, lui dit-il,
plus qu'aucun de mes amis, et je te loue de ta sagesse et de
l'affection que tu m'as toujours témoignée. J'ai besoin aujour-
d'hui de toute ta fidélité. Je te charge d'accompagnerma femme,
de mettre à fin mon entreprise, d'offrir les sacrifices et de com-
mander mon armée. A ton retour, je te comblerai d'honneurs. »
A ces mots, Combabus supplie le roi de ne pas lui imposer
ce
voyage et de ne pas lui confier des choses trop au-dessus de son
mérite des trésors, une reine, une entreprise sacrée. Il craignait
surtout la jalousie du roi au sujet de Stratonice, qu'il allait
emmener seul.
20. Le roi ne voulant pas se rendre, Combabus a recours à de
nouvelles instances et le prie de lui accorder sept jours de délai,
après lesquels il partira libre d'affaires urgentes qu'il doit régler.
Il l'obtient, et, rentré chez lui, il se roule par terre, déplorant
ainsi son malheur ï Infortuné, dit-il, voilà donc le fruit de ma
fidélité Fatal voyage, dont je prévois la fin 1 Si jeune, accompa-
gner une femme si belle 1 Il doit m'en arriver quelque malheur
terrible, si je n'écarte de moi toute cause d'infortune. Prenons
donc une résolution vigoureuse qui m'affranchisse de toute
crainte. » Cela dit, il se fait eunuque, dépose ce qu'il s'est re-
tranché dans un petit vase avec de la myrrhe, du miel et quel-
ques aromates, scelle le tout de son anneau, soigne sa blessure;
puis, quand il se voit capable d'entreprendre le voyage, il s'ap-
proche du roi, en présence de toute la cour, lui présente le vase

4. Cf. Plutaï'que, Vie île Démétrius traduction d'A. Pierron t. IV, p. 208
et suivantes; Aristénètfi. livre I, lettre xm; Guizot, Études sur les beaux
arts, p. i\ 2. L'auteur y apprécie le tableau de Gérard de Lairessc, ayant pour
sujet Antiochusmalade recevant de soit père la main de Stratonice. Ce tableau
est actuellementau musée d'Amsterdam
eUui dit « Seigneur, ce vase était de toute ma maison le tré
sor le plus précieux j'y suis vivement attaché. Sur le point
d'entreprendre un long voyage, je vous en confie le dépôt.
Garderie moi en lieu sûr, il m'est plus cher que l'or, et je l'estime
à l'égal de la vie. Faites qu'à mon retour je puisse le retrouver
intact. JI Le roi le prend, le scelle d'un nouvel anneau et le
donne à garder à ses intendants.
21. Combabus, de ce moment, entreprend son voyage en toute
sécurité. Arrivésà Hiérapolis, ils se mettent à la constructiondu
temple, et trois années solÎ employées à cet ouvrage. Pendant
cet intervalle, il advient ce que Combabus redoutait. Stratonice,
qui vivait sans cesse avec lui, en devient amoureuse, et sa pas-
sion dégénère peu à peu en fureur. Les habitants d'Hiérapolis
prétendent que ce fut un effet de la puissance de Junon, qui
voulait faire éclater la vertu de Combabus et punir Stratonice
d'avoir été si difficile à lui faire construire son temple.
22. D'abord la reine y met de la réserve et dissimule son
amour. Mais le mal ne faisant que s'accroître par le secret, elle
laisse publiquement éclater sa douleur, pleurant tout le jour,
appelant Combabus, Combabus qui est tout pour elle. A la Sn,
ne sachant plus que devenir, elle cherche l'occasion décente
d'un aveu. Mais comme elle ne veut mettre personne dans sa
confidence, ni par pudeur découvrir elle-même son amour, elle
imagine de s'enivrer pour en venir à ses fins. En effet, avec le
vin pénètre l'audace; un refus, en cet état, n'a rien qui humilie,
et tout ce qu'on fait disparaît dans l'oubli. Ce plan adopté, elle
l'exécute. Après le souper elle se rend à la chambre où couchait
Combabus, le supplie, se jette à ses genoux et lui avoue sa pas-
sion. Celui-ci reçoit cet aveu avec dureté, refuse la chose et lui
reproche son ivresse. Stratonice menace de se porter contre
elle-même aux dernières extrémités. Combabus effrayé lui dé-
clare ce qu'il en est, lui raconte son aventure et lui fait voir
toute la vérité. A cet aspect inattendu, Stratonice calme un peu
sa fureur; cependant elle n'oublie pas entièrementson amour et
passe tous ses instants avec Combabus; seule consolationd'une
passion non satisfaite. De pareilles amours se voient encore au-
jourd'hui à Hiérapolis. Des femmes deviennent amoureuses de
Galles, qui, de, leur côté, deviennent affolés d'elles; personne
n'en est jaloux. On regarde cet amour comme sacré.
23. Ce qui se passe à Hiérapolis entre Combabus et Strato-
nice ne tarde pas à parvenir aux oreilles du roi. De nombreux
délateurs, de retour en Assyrie, déposent contre les deux amants
et racontent au roi toute cette intrigue. Le monarque,'plein de
dépit, n'attend pas que l'œuvre soit achevée il rappelle Comba-
bus. D'autres prétendent, mais ce n'est pas vraisemblable, que
Stratonice, voyant ses prières repoussées, écrivit elle-même à
son mari pour accuser Combabus d'avoir attenté à son honneur;
et ce que les Grecs racontent de Sthénobée et de Phèdre de
Crète, les Assyriens le disent de Stratonice. Pour moi, je ne
crois pas que Sthénobée ni Phèdre ait jamais rien fait de sem-
blable, Phèdre surtout, si elle aimait Hippolyte. Mais laissons
ces choses pour ce qu'elles sont.
24. Dès que l'ordre du roi est arrivé à Hiérapolis et que
Combabus a su lit cause de son rappel, il se met en route bien
tranquille, sûr d'avoir chez lui de quoi se justifier. A peine ar-
rivé, le roi le fait jeter et garder en prison. Ensuite, devant ses
amis, qui se trouvaient auprès de lui quand il avait envoyé
Combabus, il lui reproche son adultère et sa passion criminelle,
et, dans son emportement, il l'accuse, au nom de la confiance
et de l'amitié trahies, d'avoir commis trois crimes adultère,
abus de confiance, impiété envers la déesse outragée par lui, au
moment même où il lui élevait un temple. Plusieurs témoins at-
testent avoir vu les deux amants dans les bras l'un de l'autre,
et tout le monde conclut que Combabus doit être mis à mort,
comme ayant commis des crimes dignes de la peine capitale.
25. Jusque-là il demeure impassible, ne disant mot. Mais
voyant qu'on allait le conduire au supplice, il rompt le silence,
et demande le dépôt qu'il a laissé, ajoutant que ce n'est pas
pour injure faite au roi, ni pour adultère qu'on le met à mort,
mais par envie de s'approprier le trésor qu'il a confié au prince
en s'éloignant. Aussitôt le roi appelle son intendant, et lui or-
donne de lui remettre ce qui a .été commis à sa garde. On ap-
porte le vase Combabus en enlève le cachet, montre ce qu'il
renferme, et, faisant voir l'état où il s'est réduit i Roi, dit-il,
je redoutais ce qui m'arriv* quand vous avez voulu me faire
partir pour ce voyage, j'ai refusé d'y aller. Vos ordres m'en
ayant fait une nécessité, j'ai accompli cet acte utile à mon sou-
verain, triste pour moi-même. Et cependant on m'accuse d'un
crime dont un homme, vraiment homme, peut seul être coupa-
ble. » A ces mots, le roi reste muet de stupeur; puis, l'embras-
sant avec des larmes « 0 Combabus s'écrie-t-il pourquoi
t'es-tu donc fait cet outrage? Pourquoi, seul de tous les mortels,
as-tu commis sur toi cette étrange action? Je ne puis approu-
ver, malheureux, le châtiment que tu t'es imposé. Plût aux dieux
que tu ne l'eusses pas subi et que je ne l'eusse pas vu! Mais
puisque la divinité l'a ordonné ainsi, je te dois, pour première
vengeance, la mort de tes calomniateurs, puis de riches pré-
sents, de l'or tant que tu voudras, de l'argent à pleines mains,
des étoffes d'Assyrie, des chevaux réservés pour les rois. Tu
entreras chez moi sans être annoncé, et personne ne t'éloignera
de ma présence, quand même je serais couché avec mes femmes.»n
Ce que dit le roi, il le fait. Les calomniateurs sont mis à mort;
Combabus est comblé de riches présents, le roi redouble d'ami-
tié pour lui, et aucun des Assyriens. ne parait l'avoir égalé en
sagesse et en bonheur.
26. Quelque temps après, il demande la permission d'aller
achever ce qui restait à construire du< temple qu'il avait laissé
imparfait. Il y est envoyé une seconde fois, l'achève, et y passe
le reste de ses jours. Pour honorer sa vertu et sa générosité, le
roi lui permet de se faire élever une statue d'airain dans le
temple. On y élève, en effet, un Combabus d'airain, œuvre
d'Hermoclès de Rhodes. La forme est celle d'une femme, et les
habits d'un homme. On dit que ses plus intimes amis, voulant le
consoler dans son malheur, -vinrent le partager; ils se firent eu-
nuques, et vécurent avec lui. D'autres font intervenir les dieux
dans cette affaire; on dit que Combabus était aimé de Junon,
qui mit dans la tête de plusieurs hommes l'idée de se châtrer
afin qu'il n'eût pas le chagrin d'être seul privé de sa virilité.
27. Une fois cette coutume introduite, elle s'est perpétuée, et
tous les ans un assez grand nombre de jeunes gens se réduisent
à l'état de femmes, soit pour consoler Combabus, soit pour faire
plaisir à Junon. Dès qu'ils sont eunuques, ils ne portent plus
d'habits d'hommes, mais des vêtements dé femmes, et s'appli-
quent aux ouvrages de ce sexe. On attribue à Combabus la cause
de ce changement d'habits, et voici à quel propos. Une femme
étrangère, qui était venuepour assister à une fête solennelle, le
voyant en habits d'hommes et si beau, en devint éperdument
éprise; puis, quand elle sut qu'il était eunuque, elle se donna la
mort. Combabus, désolé d'être si malheureux en amour, s'ha-
billa en femme, pour éviter qu'une autre ne tombât dans la
même erreur. Voilà pourquoi les Galles sont habillés en fem-
mes. Mais en voilà assez sur Combabus. Je parlerai plus loin
des Galles, de leur castration, c'est-à-dire de la manièredont ils
se châtrent, de leur mode de sépulture, et pourquoi ils n'entrent
jamais dans le temple. Mais auparavant j'ai l'intention de parler
de la position et de la grandeur de ce temple, et voici ce que
j'en dis.
28. L'emplacement même où on l'a bâti est une colline; il
est situé tout à fait au milieu de la ville, et environné de deux
murailles. L'une de ces deux murailles est ancienne l'autre
n'est pas de beaucoupantérieure à notre époque. Les propylées
sont du côté du vent Borée, sur une étendue d'environ cent
brasses. Sous ces propylées, sont placés lès phallus érigés par
Bacchus à une hauteur de trente brasses. Sur l'un de ces phal-
lus, un homme monte deux fois par an, et demeure au haut du
phallus pendant sept jours. La raison de cette ascension la
voici le peuple est persuadé que cet homme de cet endroit
élevé, converse avec les dieux, leur demande la prospérité de
toute la Syrie, et que ceux-ci entendent de plus près sa prière.
D'autres pensent que cela se pratique en l'honneur de Deuca-
lion, et comme souvenir de ce triste événement, lorsque les
hommes fuyaient sur les montagnes et montaient au haut des
arbres par crainte de l'inondation. Maisl cela me paraît peu
croyable; il me semble qu'ils agissent ainsi en l'honneur de
Bacchus. Voici sur quoi se fonde cette conjecture tous ceux
qui dressent des phallus à Bacchus placent sur ces phallus
mêmes des hommes de bois. Pourquoi? Je n'en sais rien. Aussi
me semble-t-il que c'est pour imiter l'homme qui monte.
29. Or, voici comment il s'y prend. Il passe une grosse chaîne
autour du phallus et de son corps; puis il monte au moyen de
morceaux de bois qui font saillie sur le phallus et assez larges
pour qu'il y pose le pied. A mesure qu'il s'élève il soulève la
chaîne avec lui, comme les conducteurs de chars soulèvent les
rênes. Si l'on n'a jamais vu cela, il n'est pas qu'on n'ait vu mon-
ter à des palmiers, soit en Arabie, soit en Égypte, ou ailleurs,
on comprendalors ce que je veux dire. Parvenu au terme de sa
route, notre homme lâche une autre chaîne qu'il porte sur lui,
et, par le moyen de cette chaîne, qui est fort longue, il tire à lui
tout ce dont il a besoin bois, vêtements, ustensiles il s'arrange
avec tout cela une demeure, une espèce de nid, s'y assied, et y
séjourne le temps dont j'ai parlé. La foule qui arrive lui apporte,
les uns de l'or, les autres de l'argent, d'autres du cuivre; on
dépose ces offrandes devant lui, et l'on se retire en disant cha-
cun son nom. Un autre prêtre est là debout, qui lui répète les
noms et, lorsqu'il les a entendus, il fait une prière pour cha-
cun. En priant, il frappe sur un instrument d'airain
qui rend
un son bruyant- et criard. L'homme ne d rt point. S'il se lais-
sait aller au sommeil, on dit qu'un se i-pion monterait jusqu'à
lui, et le réveillerait par une piqûre Qouloureuse, Telle est la
punition attachée à son sommeil. Ce qu'on dit là du scorpion est
saint et divin; mais est-ce bien vrai ? je ne saurais l'affirmer. Il
me semble qu'il y a de quoi tenir un homme éveillé
quand on
craint de tomber de si haut. En voilà assez sur les gens qui
grimpent aux phallus.
30. Le temple regarde le soleil levant. Pour la forme et la
structure, il ressemble aux temples construits en Ionie. Une
base haute de deux brasses s'élève de terre; c'est sur cette base
que le temple' est'assis. On y monte par un escalier de pierre
de peu de largeur. En entrant, on est saisi d'admiration à la vue
même du parvis les portes en sont d'or; à l'intérieur, l'or
brille de toutes parts, il éclate sur toute la voûte. On y sent une
odeur suave, pareille à celle dont on dit que l'Arabie est parfu-
mée du plus loin qu'on arrive on respire cette senteur déli-
cieuse, et quand on en 'sort, elle ne vous quitte pas, elle pénètre
profondément les habits, et vous en gardez toujours le sou-
venir. «,
31. Au dedans, le temple n'est pas simple mais on y a disposé
une autre enceinte on y monte par quelques marches; elle n'a
point de porte, mais elle est ouverte à tout venant. Chacun peut
entrer dans le grand temple; mais les prêtres seuls sont admis
dans le sanctuaire, et encore pas tous les prêtres l'entrée n'en
est permise qu'à ceux qui sont présumés plus voisins des dieux,
et qui sont chargés du service intérieur du temple. Dans cette
enceinte sont placées les statues de Junon et de Jupiter, auquel
ils donnent un autre nom. Ces deux statues sont d'or, et assises,
Junon sur des lions, Jupiter sur des taureaux. La statue de Ju-
piter représente parfaitement ce dieu: c'est sa tête, son costume,
son trône on le voudrait, qu'on ne pourrait le prendre pour un
autre.
32. Junon offre aux regards une plus grande variété de for-
mes dans l'ensemble, c'est bien Junon; mais il y a chez elle
des traits de Minerve, de Vénus, de la Lune, de Rhéa, de Diane,
de Némésis et des Parques. D'une main- elle tient un sceptre, de
l'autre une quenouille. Sa tête, couronnée de rayons, porte une
tour et est ceinte du diadème, dont on ne décore ordinairement
que le front d'Uranie. Ses vêtements sont couverts d'or, de
pierres infiniment précieuses, les unes blanches, les autres cou-
leur d'eau, un grand nombre couleur de feu ce sont des sar-
doines-onyx, des hyacinthes, des émeraudes, que lui apportent
les Égyptiens, les Indiens, les Éthiopiens, les Modes, les Armé-
niens et les Babyloniens. Mais l'objet qui mérite le plus d'atten-
tion est celui que-je vais dire. Cette statue porte sur sa tête un
diamant qu'on appelle la lampe. Ce nom lui vient de son effet.
Il jette durant la nuit une lueur si vive, que le temple en est
éclairé comme par des flambeaux; dans le jour, cette clarté est
beaucoup plus faible; la pierre conserve pourtant une partie de
ses feux. Il y a encore dans cette statue une autre merveille. Si
vous la regardez en face, elle vous regarde; si vous vous éloi-
gnez, son regard vous suit. Si une autre personne fait la même
expérience d'un autre côté, la statue en fait autant pour elle.
33. Entre ces deux statues, on en voit une troisièmeégale-
ment d'or; mais elle n'a rien de semblable aux deux autres. Sa
forme ne lui est point particulière elle tient de celle des autres
dieux. Les Assyriens l'app lient le Séméion, sans autre désigna.
tion particulière. Ils ne disent ni son origine, ni ce qu'elle re-
présente. Les uns croient que c'est Bacchus, les autres Deuca-
lion,d'autres Sémiramis. Sur sa tête, en effet, elle porte une
colombe d'or, emblème,qui la fait prendre pour la statue de Sé-
miramis. On la fait descendre deux fois par an jusqu'à la mer,
pour aller chercher l'eau, comme je l'ai raconté.
34. Quand on entre dans le temple, à gauche, on trouve un
trône réservé au Soleil, mais la figure de ce dieu n'y est pas. Le
Soleil et la Lune sont les seules divinités dont ils ne montrent
pas les images. Pourquoi agissent-ils de la sorte? Voici ce que
j'en ai su. Ils disent qu'il est permis de représenter les autres
dieux, parce qu'ils ne se manifestent pas à la vue des hommes,
tandis que le Soleil et la Lune brillent à tous les yeux, et que
tout le monde peut les voir. Pourquoi alors faire les statues de
divinités qui se montrent dans le ciel?
35. Vient ensuite un trône où l'on voit la statue d'Apollon,
mais non pas tel qu'il est ordinairement représenté. Tous !es
autres peuples regardent Apollon comme un jeune homme, et le
représentent à la fleur de l'âge. Seuls les Syriens représentent
dans leurs statues Apollon barb.u ils s'applaudissent beaucoup
de cet usage, et blâment les Grecs ainsi que les autres nations
qui croient se rendre Apollon propice sous les traits d'un en-
fant. Or, voici leur raison c'est, selon eux, une extrêmeigno-
rance que de donner aux dieux des formes imparfaites, et, dans
leur opinion, la jeunesse est un âge imparfait. 11 est encore une
autre singularité dans leur Apollon: il est vêtu; ce sont les
seuls qui le représentent ainsi.
36. Je pourrais encore en dire bien long sur ces différentes
œuvres, mais j'insiste sur ce qui me parait le plus merveilleux,
et je vais parler immédiatement des oracles. Il y a un grand
nombre d'oracles en Grèce, en Égypte, en Libye; il y en a aussi
beaucoup en Asie mais les divinités de ces pays ne parlent que
par la bouche de leurs prêtres et de leurs prophètes. L'Apollon
syrien se meut tout seul, et rend lui-même ses oracles Voici
comment. Quand il veut parler, il commence par s'agiter sur son
trôné. Aussitôt les prêtres l'enlèvent. S'ils ne l'enlèvent pas, il
sue et s'agite de plus en plus. Lorsqu'ils le transportent sur
leurs épaules, il les fait tourner sur eux-mêmes et passer d'un
endroit à un autre. Enfin le grand-prêtre se présente à lui et
lui adresse toutes sortes de questions. Si le dieu désapprouve,
il recule; s'il approuve, il fait marcher les porteurs en avant et
les conduit comme avec des rênes. C'est ainsi que l'on recueille
ses oracles, sans lesquels on n'entreprend rien de sacré ni de
particulier. Il fait des prédictionsrelatives à l'année et à toutes
les saisons il en indique le temps et l'état il annonce à quelle
époque le Séméion doit faire le voyage dont j'ai parlé.
37. Je vais rapporter un autre prodige qu'il a fait en ma pré-
sence les prêtres, l'ayant pris sur leurs épaules, le portaient
comme d'habitude; il les laissa là et s'éleva tout seul en l'air.
38. A la suite de la statue d'Apollon, viennent celles d'Atlas,
de Mercure et d'Ilithye.
39. Telles sont les statues rangées dans l'intérieur du temple.
Au dehors s'élève un grand autel d'airain, autour duquel sont
des milliers de statues d'airain, représentant des dieux et des hé-
ros. Je vais parler des plus importantes. Sur la gauche du
temple est la statue de Sémiramis, montrant l'édifice de la main
droite. Voici pourquoi on a dressé cette statue. Sémiramis avait
prescrit par une loi, à tous les peuples qui habitent la Syrie, de
la révérer comme une déesse, et de ne plus tenir compte des au-
tres divinités, pas même de Junon. Les Syriens obéissent; bien-
tôt le ciel fait fondre sur eux des maladies, des malheurs, des
souffrances;Sémiramisrevient de sa folie, s'avoue mortelle, et
ordonne à ses sujets de retourner à Junon. Voilà pourquoi elle
est représentée dans cette attitude elle indique qu'il faut adres-
ser ses hommagesà Junon qui est déesse, et non pas à elle.
40. J'ai vu encore dans cette enceinte les statues d'Hélène,
d'Hécube, d'Andromaque,de Paris, d'Hector et d'Achille. J'ai vu
aussi la statue de Nirée, fils d'Aglaé; Philoméle, Procné, encore
femmes; Térée, déjà changé en oiseau; une autre statue de Sé-
miramis celle de Combabus, dont j'ai parlé; une de Stratonice,
parfaitementbelle, et une d'Alexandre, fort ressemblante. A côté
il y en a une,de Sardanapale, mais sous une autre forme et
d'autres vêtements.
kl Dans la cour paissent en liberté de grands boeufs, des che-
vaux, des aigles, des ours et des lions. Ils ne font de mal à per-
sonne ils sont tous consacréset privés.
42. Les prêtres sont fort uombreus les uns égorgent les vi"
times, d'autres portent les libations, d'autres sont appelés pyro-
phores1, et quelques-uns assistants. En ma présence, il y en
avait plus de trois cents qui venaient aux sacrifices. Leurs vête-
ments sont blancs, et ils ont un feutre sur la tête. Chaque
année, on nomme un souverain pontife; il est le seul qui soit
vêtu de pourpre, avec une tiare d'or.
43. Il y a ensuite une foule de personnes attachées au culte:
des joueurs de flûte et de ohalumeau, des Galles, des femmes
furieuses et fanatiques.
44. Le sacrifice se célèbre deux fois par jour; tout le monde
y assiste. On sacrifie à Jupiter en silence, sans chants ni flûtes;
mais quand on immole à Junon, on chante, on joue de la flûte,
on frappe des crotales. On n'a pas pu me dire au juste pour-
quoi.
45. A peu de distance du temple, il y a un lac dans lequel
on nourrit une grande quantité de poissons sacrés de toute es-
pèce. Quelques-uns sont devenus énormes. Ils ont des noms, et
ils viennent quand on les, appelle. J'en ai vu un entre autres
qui avait un ornement d'or; c'était un bijou attaché à sa na-
geoire je l'ai vu souvent avec son bijou.
46. La profondeur de ce lac est très-considérable;je ne l'ai
pas sondée, mais on m'a dit qu'elle était au moins de deux cents
brasses. Au milieu s'élève un autel de marbre. On dirait, au
premier coup d'oeil, qu'il flotte, porté sur l'eau, et la foule le
croit ainsi; mais je crois, pour ma part, que l'autel est soutenu
sur une haute colonne. En tout temps, il est couronné de guir-
landes, et l'encens y fume sans cesse. Beaucoup de gens, cou-
ronnés de fleurs, s'y rendent chaque jour à la nage, afin d'y
faire leur prière.
47. On célèbre encore dans ce temple de grandes solennités.
On les appelle descentes au lac, parce qu'en ces fêtes toutes les
.tatues des dieux descendent sur les bords du lac. Junon y ar-
rive la premièrepour sauver les poissons, et de peur que Jupiter
ne les voie le premier car si cela arrivait, ils mourraient tous.
Jupiter cependant vient pour les voir, mais Junon se place de-
vant lui, l'empêche de les regarder, et, à force d'instances et de
supplications,elle le congédie.
i 48. Les plus grandes de ces solennités sont celles que l'on cé-
lèbre sur les bords de la mer. Je n'en puis rien dire de certain,
attendu que je n'y suis pas allé moi-même et que je n'ai jamais
essayé ce voyage; mais j'ai vu ce qui se fait au retour, et je vais

I. Porle-fcui.
le rapporter. Chaque personne porte un vase rempli d'eau, scellé
avec de la cire. On ne rompt pas soi-même le cachet pour ré-
pandre l'eau, mais il y a un coq sacré qui demeure près du
lac il reçoit les vases, examine le cachet, reçoit un salaire, en-
lève le lien et gratte la cire; cet office vaut une grande quantité
de mines à ce coq. Ensuite on va porter le vase dans le temple
où l'on fait la libation. La fête se termine par un sacrifice, après
lequel chacun se retire.
49. Mais de toutes les fêtes que j'ai vues, la plus solennelle
est celle qu'ils célèbrent au commencement du printemps. Les
uns l'appellent le bûcher, et les autres la lampe. Voici ce qui s'y
pratique. On coupe de grands arbres; on les dresse dans la cour
du temple; on amène des chèvres, des. brebis, et d'autres ani-
maux ,vivants que l'on suspend aux arbres. L'intérieur du bû-
cher est rempli d'oiseaux, de vêtements, d'objets d'or et d'ar-
gent. Une nombreuse multitude accourt à cette fête, de la Syrie
et de toutes les contrées d'alentour; chaque peuple y apporte
ses dieux et les statues qu'ils ont faites à leur ressemblance.
50. A des jours marqués, la foule se réunit dans le temple. Un
grand nombre de Galles et les hommes consacrés dont il a été
question, commencent les cérémonies, se tailladant les bras et
se frappant le dos les uns aux autres. Pendant ce temps, de
nombreux musiciens, auprès d'eux, jouent de la flûte, battent
du tambour, chantent des vers inspirés et des cantiques sacrés.
Ces cérémonies se passent hors du temple :-ceux qui les prati-
quent n'y entrent point.
51. C'est en ces jours mêmes que se font les Galles. Pendant
que le reste joue de la flûte et célèbre les orgies, quelques-uns
entrent en fureur, et bon nombre, qui n'étaient venus que pour
voir, se laissent aller à ce que je vais dire. Le jeune homme dé-
cidé à faine oe sacrifice jette à bas ses vêtements, s'avance au
milieu de l'assemblée en jetant de grands cris, saisit un cou-
telas réservé, je crois, pour cet usage depuis longues années,
se châtre lui-même, et court par toute la ville tenant en main ce
qu'il a coupé. La 'maison, quelle qu'elle soit, où il jette ce
qu'il tenait, lui fournit des habits et des ornements de femme.
Voilà ce qui a lieu pour la castration.

i Passage controversé. Paulmier de Grentemesnil et Belin de Ballu préten-


dent qu'il faut substituer Tàiioç à AisxTpuwv, qui est l'erreur d'un copiste
ignorant. Nous avons suivi la leçon ordinaire, adoptée par Wieland. Cet émi-
nent critique voit dans cet oiseau si bien dressé un instrumentde la four-
berie des prêtres de Junon.
52. Quand les Galles viennent à mourir leurs funérailles ne
se font pas comme celles des autres hommes. Un Galle une fois
mort, ses collègues l'enlèvent et le portent dans un des fau-
bourgs là ils le déposent avec la bière dans laquelle il a été
apporté, le couvrent de pierres et s'en vont. Ce n'est qu'au bout
de sept jours qu'ils rentrent dans le temple. S'ils y rentrent
plus tôt, ils commettent un sacrilége.
53. Voici les règles qu'ils observent à cet égard. Celui qui a
vu un mort ne vient pas au temple ce jour-là; le lendemain, il
n'y revient qu'après s'être purifié. Quant aux parents du défunt,
ils ne peuvent approcher des mystères qu'après s'en être abste-
nus pendant trente jours et s'être fait raser la tète. Avant cela,
il ne leur est pas permis d'entrer.
54. Les victimes qu'ils immolent sont des taureaux, des gé-
nisses, des chèvres et des brebis. Le porc est le seul animal
qu'ils regardent comme impur ils n'en sacrifient et n'en man-
gent jamais. Les autres animaux, loin d'être impurs, sont re-
gardés comme sacrés. De tous les oiseaux, la colombe est celui
qui leur paraît la chose la plus sainte défense est faite d'y
toucher, et ceux qui les touchent involontairementsont impurs
durant toute cette journée. Aussi cet oiseau demeure-t-il avec
les hommes, entre dans les maisons et mange presque tou-
jours à terre.
55. Je vais dire maintenant ce que font ceux qui se rendent
à ces cérémonies. Quand un homme veut aller à Hiérapolis, il se
rase la tête et les sourcils, ensuite il sacrifie une brebis, en
coupe la chair et la mange. Après quoi il étend la peau à terre,
se met à genoux dessus et relève sur sa tête la tête et les pieds
de l'animal; en même temps, il fait.une prière, dans laquelle il
demande aux dieux de recevoir favorablement son sacrifice et
leur en promet un plus magnifique par la suite. Cette cérémonie
achevée, il pose une couronne sur sa tête et sur celle de tous
ceux qui doivent l'accompagnerdans son voyage, puis il sort de
sa maison, pour se mettre en chemin. Tout le temps qu'il est en
route, il n'use que d'eau froide, soit pour sa boisson, soit pour
ses bains. Et il couche toutes les nuits sur la terre, attendu
qu'il ne lui est pas permis de monter sur un lit avant d'avoir
achevé son pèlerinage et d'être de retour dans ses foyers.
56. Arrivé à Hiérapolis, il loge chez un hôte qui ne le connaît
pas; il y a là, en effet, des hôtes publics institués pour chaque
ville, et qui reçoivent chacun suivant son pays. Les Assyriens
les appellent instructeurs, parce qu'ils donnent toutes les in-
structions nécessaires.
57. Les arrivants ne sacrifient pas dans l'enceinte sacrée;
mais lorsqu'ils ont présenté la victime à l'autel et répandu les
libations, ils la ramènent vivante à leur demeure, l'immolent
en particulier et font les prières voulues.
58. Il y a une autre manière de sacrifier; la voici. On cou-
ronne les victimes vivantes, puis on les précipite du haut des
propylées et elles meurent de leur chute. Il y en a qui précipi-
tent ainsi leurs propres enfants, non pas absolument comme
les animaux, mais enfermés dans un sac. On les conduit au
temple.par la main, et on invective contre eux pendant la route,
en leur disant qu'ils ne sont pas des enfants, mais des bœufs.
59. Tous s'amusent à se faire des piqûres, soit aux mains, soit
au cou, et voilà pourquoi tous les Assyriens portent des stig-
mates.
60. Ils ont encore une autre coutume, qui ne leur est com-
mune qu'avec un autre peuple de la Grèce, les habitants de
Trézène. Je vais dire ce qui a lieu chez ces derniers. Les habi-
tants de Trézène ont fait une loi qui défend aux jeunes filles et
aux jeunes gens de contracter mariage, avant d'avoir coupé leur
chevelure en l'honneur d'Hippolyte. La même loi existe aussi à
Hiérapolis. Les jeunes gens y consacrent aussi les prémices de
leur barbe. On laisse croître les cheveux des enfants depuis
leur, naissance, pour les consacrer aux dieux; arrivés dans le
temple, on les leur coupe, on les dépose dans des vases d'ar-
gent, et quelquefois d'or, qu'on attache avec'des clous; on in-
scrit le nom de chaque enfant sur le vase et l'on s'en va. ïl y a
encore dans le temple mes cheveux et mon nom
LXXIII

ÉLOGE DE DÉMOSTHÈNE1.

1. Je me promenais sous le Portique, du côté gauche en sor-


tant, le seize du mois avant
midi je rencontre Thersagoras
Vous le connaissez, je pense. C'est un petit homme, au nez cro-
chu, au teint pâle, mais d'un caractère décidé. Le voyant venir
de mon côté <r Thersagoras, mon poëte, où vas-tu, d'où viens-
tu ? lui dis-je.-De chez moi, répond-il, et je viensici.-Est-ce
pour te promener?-Sans doute et j'en ai besoin. J'ai passé
toute la nuit debout je voulais célébrer le jour de la naissance
d'Homère, en lui consacrant quelques prémices poétiques. –
C'est bien fait à toi de payer ainsi le prix de ton éducationà ce-
lui qui te nourrit. Dès que j'eus commencé, le temps a fui
si vite, que je suis arrivé jusqu'à midi sans m'en apercevoir, et
c'est pour cela que j'ai besoin de me promener, comme je te,le
disais.
2. i Mais je viens ici avant tout, ajouta-t-il, pour adresser mes
hommages à ce grand homme (en même temps il me montrait
du doigt la statue d'Homère aux cheveux flottants qui est, tu le
sais, à la droite du temple des Ptolémées) 3, je viens lui adres-
ser mes vœux, et le prier de m'accorder une heureuse veine
poétique. Plût aux dieux, repris-je, qu'il n'y eût qu'à de-
mander Il y a déjà longtemps que j'aurais fatigué Démosthène
de mes voeux, en le priant de m'aider à célébrer aussi le jour de

Les avis sont partagés sur L'authenticité de ce dialogue. Nous avons suivi
l'opinion de Wieland et de Lehmann, qui le croient en tout digne du talent
de Lucien. Cf. l'Éloge de Démosthène, par Libanius,édition de Claude Morel,
p. 84; Denys d'Halicarnasse,Lettres à Aminée, et De la véhémence de Démo-
sthène; Plutarque, Parallèle de Démosthène et de Cicéron; Cicéron Brutus
passim; QuintHien, ~«CM~'oH
~Mf/«, Quintilien, Éducation de ~'M-ah'Mr,
l'orateur X, t; i; Manry,
Maury, .&Mat sur ~o-
Essai Mr l'élo-
auence (île.
2. Pyanepsion, qui correspond au mois d'octobre. C'est ce jour que mou-
rut Démosthène.
3. Voy. Élion Hist. dit., XIII, xxu.
sa naissance. S'il ne s'agissait que de souhaiter, je joindrais mes
prières aux tiennes, et nous mettrions notre trouvaille en com-
mun.– Pour moi, reprit-il, je ne puis attribuer qu'à Homère la
facilité coulante que j'ai éprouvée cette nuit et ce matin. Je me
suis senti transporté d'un enthousiasme prophétique et divin.
Tu en jugeras toi-même. J'ai pris exprès mon ouvrage sur moi,
pour le montrer au premier de mes amis que je rencontrerais de
loisir. Il me semble que tu n'as absolument rien à faire.
3. Tu es heureux, lui répondis-je, de ressembler à ce vain..
queur olympique, qui, après avoir remporté le prix de la lon-
gue course' et lavé la poussière qui le couvrait, s'amusait le
reste du temps à regarder le spectacle ou à causer avec un
athlète, dans le moment même qu'on appelait les lutteurs au
combat. C'est vrai, dit-il, mais quand on entre dans la car-
rière, on ne perd pas son temps à causer. Tu me fais l'effet,
lui dis-je, d'un homme qui a remporté le prix de la longue
course poétique, et tu veux, je le vois bien, te moquer de
celui qui craint d'affronter la fortune du stade.
4.– Vraiment, reprit-il en souriant, que de difficultés tu
sembles te créer 1 Mais tu t'imagines peut-être, lui dis-je,
que Démosthène n'est rien en comparaison d'Homère. Tu es tout
fier de ton éloge d'Homère, et tu crois que celui de Démo-
sthène est peu de chose pour moi. Tu me calomnies, reprit-
il je suis loin de vouloir établir, de rivalité entre ces deux hé-
ros, quoique je me sente pencher vers Homère. – A merveille,
répondis-je; mais moi, penses-tu que je sois moins partisan de
Iiémosthène ?2
5. « Quoique tu ne déprécies pas le sujet que je me propose,
on voit bien pourtant que tu regardes la poésie comme la seule
œuvre estimable; tu méprisessans réserve les travaux de la rhé-
torique, comme un cavalier qui dédaigne l'infanterie. Les –
dieux me gardent d'être assez fou pour cela, répondit-il, quoi-
qu'il faille un peu de folie pour frapper aux portes desMuses!
-Eh mais 1 repris-je, les prosateurs n'ont-ils donc pas aussi be-
soin d'une inspiration divine, quand ils veulent ne pas ramper
terre à terre, mais élever leurs pensées? – Je le sais bien,
dit-il et souvent je me plais à comparer ce qu'il y a chez les
prosateurs, et notamment chez Démosthène, de véhémence, par
exemple, d'amertume et d'enthousiasme, avec les mêmes qua-
lités répanduesdans Homère. Ainsi je place cet hémistiche
.Ivrogne à l'œil de chien*,
4. Elle consistait £ parcourir huit fois ie stade. 2. Iliade, 1, r. 225.
en regard des reproches adressés à Philippe sur t son ivresse,
ses danses et ses excès1. »Je compare
.Voilà le seul augure' 1
cette pensée « II faut que tous les gens de bi .->e ayant bon
espoir5. » et le vers
Que de pleurs verserait le généreux Pelée4!1
à cette phrase « Que de larmes répandraient ces braves ci-
toyens qui combattirent jusqu'à la mort pour la gloire et pour la
liberté • IjJerapproche les flots d'éloquence de Python 8 des
discours d'Ulysse
Pressés comme la neige «n flocons épandue »
et cette belle réflexion
Si nous pouvions vieillir dans l'immortalité'I
de cette autre o; Le but vers lequel tend toute la vie des
hommes, c'est la mort; c'est en vain qu'on s'enfermerait dans
une cave pour lui échapper 9 j » et mille autres idées où le génie
des deux écrivains se rencontre.
6. Je me plais surtout à observer les tours passionnés, les
figures, les tropes qu'ils emploient, cette variété qui n'engendre
jamais la satiété, les transitions adroites par lesquelles ils re-
viennent, leurs comparaisons justes et élégantes, et leur haine
de tout ce qui sent le barbare.
7. « Il m'a semblé souvent, car je ne veux point déguiser la
vérité, que Démosthène, qui, dit-on, ne met pas de frein à sa
franchise,châtie avec plus de vigueur l'indolence des Athéniens,
que celui qui appelle les Achéens des Achéennes l0 son souffle
plus soutenu va mieux aux grandes catastrophes de la Grèce, que
celui du poëte qui sème de dialogues les péripéties d'un combat,
et refroidit l'action par de longs entretiens.
8. c Souvent encore le nombre, le rhythme et la cadence
marchent sur les pas de l'orateur avec une poétique harmonie,
de même qu'Homère a aussi ses antithèses, ses balancements

4. Seconde olynthienne. 2. Iliade, XII, V. 243. 3. Sur la cournnne.


4. Iliade, VIII, V. 4 25. 5. Contre Aristocrate.
6. Sur la couronne. Python était un orateur envoyé par Philippe à Thèbes,
pour accuser les Athéniens d'avoir trahi la cause commune.
7. Iliade, III, V. 222. – 8. Iliade, XII, v. 323. 9. Air la couronne.
Cf. Montaigne, Essais \l, oh. ni. – )O. Allusion à l'Iliade, II, t. 236.
de périodes, ses hardiesses de figures, et ses délicatesses de
style. Il semble que la nature et l'art aient également concouru
à former leur génie. Comment donc alors pourrais-je mépriser
ta Calliope, quand j'en conçois une si haute idée 9?
9. « Cependant, je ne regarde pas moins l'entreprise de louer
Homère comme une œuvre deux fois plus péniMe que celle
à laquelle tu t'astreins en louant Démosthène non par la dif-
ficulté des vers, mais par celle du sujet même.-Ainsi, je n'ai pour
base de mon éloge que le talent même de mon poëte. Tout le
reste est incertain, sa patrie, sa naissance, le temps où il a vécu.
Si l'on avait sur ce point des lumières précises, il ne serait pas
pour les hommes
Un éternel sujet de lutte interminable
On lui assigne pour patrie Chios, Colophon, Cumes, Smyrne,
Thèbes d'Egypte, et mille autres villes". Son père était, dit-on,
Méon de Lydie, ou bien un fleuve, sa mère Mélanopé, ou une
nymphe hamadryade, à défaut d'une filiation humaine. On fixe
l'époque de sa vie à l'âge héroïque ou à la période ionienne. On
est si loin de savoir quel est le rapport de son âge avec celui
d'Hésiode, qu'on ignore jusqu'à son véritable nom, et il y a des
gens qui préfèrent au nom sois lequel il est connu celui de
Mélésigène. Quant à sa fortune, on dit qu'il fut pauvre et aveugle.
Mais il vaudrait mieux laisser ces questions dans" l'obscurité
qui les enveloppe. Seulement, tu vois comme je suis mal à
l'aise pour faire son éloge d'après un poëme dénué de faits
biographiques, et en ne le jugeant que par le génie qu'il dé..
ploie dans ses vers.
10. « Pour toi, au contraire, continua-t-il, ton œuvre est
sous ta main facile courante, fondée sur des faits positifs et
connus. C'est un mets tout préparé, qui n'attend plus que tes
assaisonnements. Est-il, en effet, quelque chose de grand et de
brillant que la fortune ne rattache à la vie de Démosthène? Tout
n'en est-il pas fameux? N'a-tril pas pour patrie Athènes, la ville
opulente et glorieuse entre toutes, le boulevard de la Grèce?
Rencontrant Athènes dans mon sujet, comme j'userais de, la li-
berté poétique, pour exposer le tableau des amours des dieux,
leurs débats judiciaires, leur séjour, leurs présents, les mys-

4. Euripide, Phéniciennes,v. 503.


2. Voy., sur ces questions, » Dugas-Monlbei, Histoire des poésies komèriqucs,
dans sa traduction d'Homère, édition de F. Didot.
3. C'est-à-dire né sur les bords du Mêles, amuent du golfe de Smyrne.
tères d'Eleusis Quant à ses lois, ses tribunaux, ses assemblées,
son Pirée ses colonies ses trophées et sur terre et sur mer, il
n'est personne, comme dit Démosthène, qui puisse en parler di-
gnement. J'aurais donc une matière abondante de discours; et
je ne croirais pas que cet éloge fût un hors-d'œuvre puisque
c'est une des règles du genre de rehausser par leur patrie ceux
qu'on a entrepris de louer C'est ainsi qu'Isocrate a relevé
l'éloge d'Hélène par celui de Thésée4. Et puis la nation des poëtes
s est libre. Mais tu crains peut-être que la disproportion de ton
oeuvre ne te fasse appliquer la plaisanterie proverbiale « C'est
une étiquette plus grande que le sac. »
11. « Laissons donc Athènes, et commençons par dire que le
père de notre orateur était triérarque". Voilà, comme dit Pin-
dare, notre édifice posé sur une base d'or. En effet, il n'y avait
pas dans Athènes de dignité plus brillante. Quoique ce père soit
mort lorsque Démosthène était encore enfant', loin de regarder
cette perte comme un malheur pour lui, nous y voyons une
source de gloire, puisqu'elle mit en relief la noblesse de son
caractère.
12. Quant à Homère, l'histoire ne nous apprend rien de son
éducation, ni de ses premiers exercices on ne peut trouver de
matériaux pour son éloge que dans les œuvres qu'il a construites
lui-même, attendu qu'on n'a rien de précis sur la manière dont
il fut élevé on ne peut pas même recourir au laurier d'Hésiode,
qui inspira si aisément des vers à un simple berger. Mais toi,
que n'as-tu point à dire en parlant de CalUstrate"?Quel brillant
catalogue que les noms d'Alcidamas, d'Isocrate d'Isée, d'Eubu-
iide6! Tandis.que dans Athènes mille séductions. entraînent ceux
mêmes qui sont spumis à l'autorité paternelle Démosthène,
dans un âge où la pente vers le plaisir est facile à la jeunesse,
n'abuse pas de la liberté de débauche que lui laisse la négli-
gence de ses tuteurs; il n'écoute que son amour pour la sagesse

<. Celte règle est donnée par tous les rhéteurs qui ont traité ex professa des
conditions de l'éloge et du blâme Théon, Aphthonius, Ménandre, Quintilien.
2. Voy. notre thèse latine De ludicris, etc., p. 41 et suivantes.
3. a Les triérarques, chez les Athéniens, étaient des citoyens riches, qui
étaient chargés d'équiper un certain nombre de vaisseaux, de leur fournir les
agrès et tes munitions nécessaires. » Beun de BALLU.
4. Il n'avaitalors que sept ans.
5. Voy. Belin de Ballu, Hist. de l'éloquencechez les Crecs, t. I, p. 176.
6. Voy., sur ces rhéteurs, Rein de Ballu, ouvrage cité, t. I, p. 108, 90.
239. Quant a Enbulide que Belin de Ballu avoue ne point connaître, c'était,
suivant Dusoul, un philosophé de Milel.
et pour la politique, qui ne le conduit point aux portes de
Phryné', mais à celles d'Aristote, de Théophraste, de Xénocrate
et de Platon.
13. « Là, mon cher ami, ton discours prendrait une tournure
philosophique. Tu distinguerais deux sortes d'amours agissant
sur les hommes. L'un, né de l'écume de la mer, agité, furieux,
fait bouillonner dans l'âme les flots de la Vénus populaire, sou-
levés par la fougue de la jeunesse c'est une véritable tempête
l'autre nous attire par une chaîne d'or qui descend du ciel il
n'a ni feu, ni flèches qui fassent des blessures incurables;
l'image pure et brillante de sa beauté inspire un délire plein de
sagesse aux âmes qui, suivant les expressions d'un poète tra-
gique»,
Sont près de Jupiter et parentes des dieux,
14. t Rien né coûte à cet amour tête rasée séjour dans un
antre, miroir, pointe d'épée, travail de la langue à un âge déjà
vancé,soin de l'action oratoire, mémoire aiguisée, mépris du
tumulte, labeur des nuits succédant à celui des jours. Qui ne
sait à quel point ces moyens ont élevé l'éloquence de Démo-
sthène quel nerf il sait donner à ses pensées et à son style,
comme il dispose tout pour produire la conviction? Magnifique
par son ampleur, rempli de vigueur et de souffle, plein de so-
briété dans l'emploi des mots et des sentences, de variété dans
les tours et les figures..Seul, en un mot, de tous les orateurs,
comme le dit Léosthène, il offre le modèle d'une éloquence
vivante et solide comme l'écrivain.
15. « Bien différent d'Eschyle, qui, si l'on en croit Calli-
sthène, écrivait ses tragédies dans le vin, l'âme échauffée et
bouillante, Démosthène ne travaille pas sous l'influence de
l'ivresse il ne boit que de l'eau et c'est sans doute pour le
railler de cette habitude que Démade disait « Les autres ora-
teurs haranguentà l'eau* Démosthène y compose. » Pythéas
aussi prétendait que la-perfection des discours de Démosthène
sentait l'huile de la lampe, qui éclairait son travail nocturne.
Tel est, ajouta Thersagoras, le vaste champ qui se présente à
toi; il est commun à mon sujet, et la poésie d'Homère pourrait
me fournir une matière également étendue.
16. c Mais si tu passes maintenant aux vertus de ton héros, à

1. 111y eut deux célèbres courtisanes de ce nom. Celle dont parle Lucien a
été mise en scène par Fontenelle dans un de' ses Dialogues des morts,
2. Pacte inconnu. – 3. Allusion à lu clepsydre.
son humanité, au noble usage de ses richesses, à l'éclat de ses
fonctions puWiques.» Il allait continuer et compléter son énu-
mération, lorsque, me mettant à sourire « Est-ce que tu as
résolu, lui dis-je, de m'inonder les oreilles de ton flux de paroles,
comme ferait un baigneur ? Oui, ma foi, reprit-il; et les
festins qu'il a donnés au peuple, et les dépenses volontaires
pour les jeux publics, et les armements de galères, et les murs
élevés et les canaux creusés, et les rachats de prisonniers, et
les jeunes filles dotées, et l'excellence de son administration, et
les ambassades, et les lois promulguées! 1 Ah toutes les fois que
je songe à la grandeur de cette carrière politique je ne puis
m'empêcher de rire, quand je vois un homme froncer le sourcil
et craindre de ne pas trouver dans les actions de ce grand ora-
teur une matière satisfaisante pour son éloge.
17. – Peut-être, mon cher ami, t'imagines-tu, repris-je,
que de tous ceux qui ont passé leur vie à étudier l'art oratoire,
je suis le seul dont les oreilles n'ont jamais retenti des belles
actions de Démosthène? Apparemment, répondit-il, puisque
tu penses que nous avons besoin d'un auxiliaire pour écrire son
éloge. A moins que tu n'éprouves un sentiment tout contraire,
et que l'éclat dont ton héros est environné ne t'empêche de fixer
sur lui tes regards. C'est précisément ce qui m'est arrivé la'
remière fois que j'ai voulu écrire sur Homère. Peu s'en est
fallu que je n'aie renoncé à ce sujet, que mes yeux ne pouvaient
soutenir. Cependant,je ne sais comment, mon âme s'est remise;
je me suis peu à peu accoutuméà le contempler en face, et il
me semble maintenant que je ne puis plus être considéré comme
un homéride bâtard puisque je ne détourne plus mes yeux de
ce soleil.
18. c C'est encore en ceci que ton œuvre est plus facile que
h mienne. La gloire d'Homère n'étant fondée que sur son génie
poétique on est obligé de s'attacher à ce point exclusif. Mais
toi, du moment où tu as tourné tes pensées vers Démosthène,
tu n'es troublé que par l'embarras du choix tu ne sais à quel
trait doit s'arrêter ta pensée, semblable à ces gourmands, assis
autour des tables syracusaines1, ou bien aux hommes passion-
nés pour la musique et le spectacle, qui, environnés de mille
objets qui flattent leurs oreilles et leurs yeux, ne savent où por-
ter l'incertitude capricieuse de leurs désirs. Ainsi tu sautes je
le crois, d'un sujet à l'autre, sans savoir où te fixer; tu tournes
dans un cercle où t'entraînent tour à tour le noble caractère de
4 Cl. ix* Di&loguc des morts 2.
ton héros, son ardeur impétueuse, sa vie tempérante, sa véhé-
mence oratoire, son courage dans l'action, son mépris de pré-
sents considérables sa justice, son humanité, sa bonne foi,
son bon sens, sa prudence, les nombreux et glorieux services
rendus par lui à la république. Peut-être en voyant tous ces dé-
crets, ces ambassades, ces harangues, ces lois, ces armements
navals, l'Eubée, Mégare, la Béotie, Chios, Rhodes, l'Helles-
pont, Byzance, ne sais-tu où porter ton esprit que sollicitent
tant de hauts faits.
19. « C'est l'hésitation de Pindare, dirigeant son génie vers
mille objets à la fois':
Que chantera ma muse? Est-ce l'Ismène,
Ou Mélia, la nymphe au fuseau d'or,
Thèbe aux yeux bleus, le vaillant fils d'Alcmène?
Est-ce Cadmus, et sa race au bras Tort?
Est-ce Bacchus qui souffle la folie ?
Est-ce l'hymen de la blanche Harmonie?
De même tu me parais ne pas savoir laquelle tu célébreras d'a-
bord de vie, de l'éloquence, de la philosophie, de l'adminis-
la
tration ou de la mort de ton héros.
20. t Cependant, continua-t-il, il n'est pas difficile de sortir
de cette incertitude. Choisis telle de ses qualités que tu voudras,
son éloquence, par exemple, et fais-en le sujet de ton discours.
Celle de Périclès ne suffirait pas même pour en donner une
idée. Nous connaissons; il est vrai, par la renommée, ses
éclairs, ses foudres, son aiguillon persuasif, mais nous ne
voyons pas son éloquence même elle n'a d'existence que dans
l'idée sous laquelle nous nous la représentons il n'en reste
rien qui soutienne l'épreuve du temps et le jugement des hom-
mes. Celle de Démssthène, au contraire. mais c'est un ta-
bleau que je te laisse à tracer, si tes vues se tournent de ce côté.
21. « Aimes-tu mieux considérer les vertus de son âme ou
ses talents politiques? Il conviendra peut-être alors de traiter
séparément une seule de ses qualités, ou, si tu veux une ma-
tière plus. abondante, d'en prendre deux ou trois, qui suffiraient
àtftn discours, tant elles sont toutes également brillantes. Or,
si notre éloge n'est pas général, mais partiel, nous suivrons la
règle d'Hoïnère qui souvent ne loue de ses héros qu'une partie
d'eux-mêmes, les pieds, la tête ou la chevelure, quelquefois
leurs armes, leur bouclier. Jamais les dieux n'ont trouvé mau

4. Cf. traduction fie C. Poyard p. 228,


vais les éloges des poëtes chantant leur fuseau, leur arc, leur
égide, loin de s'offenser de les entendre louer quelque partie de
leur corps ou de leur esprit; car il est impossible de parler de
toutes leurs perfections à la fois. Ainsi Démosthène ne se fâ-
chera pas de n'être loué par nous que pour une seule de ses
qualités. »
22. Après cette tirade de Thersagoras « Je crois, lui dis-je,
que, sous prétexte de me montrer seulement que tu es un bon
poëte-, tu es venu m'entretenir de Démosthène pour prouver
que tu parles aussi bien en prose qu'en vers. » Alors lui
« Je ne voulais, me répondit-il, que te mettre sous les yeux
l'extrême facilité de ton sujet, et je me suis laissé aller jus-
qu'à te tracer en courant le plan de ton discours, espérant
d'ailleurs que cette allégeance de travail te disposerait mieux à
m'entendre. Tu ne m'as pas beaucoup avancé de ce côté,
sacherle bien, lui dis-je j'ai peur, au contraire, que le mal n'ait
fait qu'empirer. Voilà, reprit-il, une belle guérison à entre-
prendre Mais tu ne sais pas, repartis-je, quel est le mal
dont je parle, et, comme nos médecins, faute de connaître la
partie malade, tu en soignes une autre. Qu'est-ce donc?
Tu cherches à remédier à un trouble tout naturel chez un
jeune homme qui débute dans la carrière oratoire; mais il y a
déjà longtemps que ces ressources sont usées pour moi ainsi
tes moyens curatifs, pour me tirer de peine sont hors de sai-
son. Eh bien, reprit-il voici un remède tout simple il faut,
comme dans un voyage, prendre la route la plus fréquentée et
la plus ordinaire.
23. C'est vrai, mais je me suis proposé une gloire tout
autre que celle d'Annicéris de Cyrène en présence de Platon
et de ses amis. On dit que ce Cyrénéen voulant montrer quelle
était son adresse à conduire un char, fit plusieurs fois le tour
de l'Académie en suivant les mêmes traces, et avec tant de jus-
tesse, qu'il ne laissa sur le sable qu'une seule empreinte de ses
îoues. Je me propose un but tout différent: je veux sortir des
sentiers battus; seulement je ne crois pas facile de m'ouvrir de
nouveaux chemins et de laisser les routes frayées. – Alors, re-
prit-il, use de l'artifice de Pauson. En quoi consiste-t-il? Y
répondis-je je n'en ai jamais entendu parler.
24. On avait commandé au peintre Pauson le tableau

4. Voy. Élien, Hitt. àiv., H, xxvii.


2. Cf. Aristote, Poéti^™, chap. «. C'était, selon M. Egger, un artiste du
siècle de Périclès, sur lequel on peut consulter Sillig, Catalogus artijivum.
d'un cheval se roulant par terre. Il se met à paindre un cheval
courant et soulevant la poussière autour de lui. Il y travaillait,
lorsque celui qui le lui avait commandé arrive et se plaint de
ce que l'artiste ne fait pas ce qu'il avait promis. Pauson ordonne
à un esclave de retourner le tableau sens dessus dessous et
montre ainsi le cheval se roulant sur le sable. Tu es un
homme agréable Thersagoras, lui dis-je, si. tu crois que, de-
puis si longtemps, je n'ai encore essayé qu'un seul moyen j'ai
épuisé tous les procédés, toutes les inventions, toutes les trans-
formations, et je crains de me voir à la fin réduit au sort de
Protée. De quoi veux-tu parler? De ce qui lui arri-
vait lorsque, pour se dérober à la vue des hommes, il épuisait
toutes les métamorphoses, animaux, plantes, éléments ne
sachant plus quelle forme prendre, il redevenait Protée comme
devant.
25, Oh 1 pour toi, reprit-il, tu surpasses Protée même par
toutes les ruses que tu emploies pour éviter de m'entendre.
Non, mon cher, lui répondis- je et, pour me livrer tout entier
à ce plaisir, j'oublierai quelque temps le soin qui me pèse.
Peut-être que délivré des douleurs de l'enfantement,tu par-
tageras avec moi celles que j'éprouve à produire. » Thersagoras
y consent. Nous nous asseyons sur un taius, j'écoute, et il me
lit un poëme du style le plus noble. Mais, au milieu de sa lec-.
ture, pris tout à coup d'un mouvement d'enthousiasme, il
ferme son-livre, et me dit cil faut que je récompense ton au-
dition bienveillante comme on paye à Athènes la présence à une
assemblée ou une séance au tribunal. Vois combien tu dois me
savoir gré. Ohl je te sais un gré infini lui répondis-je,
même avant de savoir ce que tu veux me dire.
26. Mais enfin qu'est-ce donc ? J'ai trouvé dernière-
ment, reprit-il. des Mémoires sur la maison royale de Macé-
doine, et le plaisir que j'ai éprouvé en les lisant m'a fait acheter
le livre. Je viens de me rappeler que je l'ai chez moi. Il con-
tient, entre autres objets, des particularités secrètes sur Anti-
pater et Démosthène et je me figure que tu seras content de
les connaître. Assurément, repris-je, et, pour te remercier
de cette bonne nouvelle, je veux entendre le reste de tes vers.
Je ne te quitterai point que tu n'aies complètementtenu ta pro-
messe. Tu m'as déjà splendidement traité à l'occasion de la

1 Wicland fait observer, avec sa sagacité ordinaire, que Lucien invente


cette découverte de document! officiels, afin de donner plus d'autorité et de
vraisemblance à son éloge.
naissance d'Homère et il me semble que tu me traiteras auss.
bien pour célébrer celle de Démosthène. »
27. Lorsque Thersagoras eut récité le reste de son poëme,
nous restâmes encore assis ce qu'il fallait de temps pour payer
à la poésie un juste tribut d'éloges; après quoi nous nous ren-
dîmes à sa demeure. Nous eûmes d'abord quelque peine à trou-
ver le livre; mais l'ayant enfin rencontré, je m'en saisis et je
m'en allai. Après avoir lu cet ouvrage j'en fus si satisfait, que
je pris la résolution d'en recueillir les principaux traits pour
vous les communiquer, sans y rien changer et en les copiant
mot pour mot. En effet, on ne rend pas moins hommage à Es-
culape, lorsqu'en entrant dans son temple on lui chante les
hymnes d'Alisodème de Trézène ou ceux de Sophocle. Depuis
longtemps, on ne fait plus de poésie nouvelle en l'honneur de
Bacchus ni comédie ni tragédie; mais on n'en sait pas moins
gré à ceux qui recueillent les ouvrages des anciens poëtes et les
représentent en public ils honorent également Bacchus.
28. Suivant ce livre (or, je prends ces Mémoires à l'endroit
où sont racontés les faits relatifs à mon sujet), on vient an-
noncer a Antipater l'arrivée d'Ârchias.Cet Archias, si quelqu'un
de nos jeunes gens ne le connaît pas, est celui qui fut chargé
par Antipater d'aller se saisir des exilés. On lui avait enjoint
d'amener Démosthène, plutôt par la persuasion que par la vio-
lence, auprès d'Antipater. Antipater se flattait de l'espoir de
voir d'un jour à l'autre arriver Démosthène. Aussi, dès qu'on
lui apprend qu'Archias est de retour de Calaurie il ordonne
qu'on le fasse entrer sur-le-champ il entre. Mais le livre lui-
même va nous apprendre le reste..
29. Archias. Salut et bonheur, Antipater
ANTIPATER. Puis-je ne pas être heureux, si tu m'amènes Dé-
mosthène ?
Archias. Je vous l'amène autant qu'il a été en mon pouvoir.
J'apporte l'urne qui contient ses restes.
ANTIPATER. Ah! tu as trompé mon espérance Archias. Qu'ai-
je besoin de ces ossements et de cette urne, si je n'ai pas Dé-
mosthène lui même?
ARCHIAS. Prince, il ne m'a pas été possible de retenir son
âme de force.
ANTIPATER. Pourquoi ne l'as-tu pas pris vivant ?t

4. On ne trouve nulle part ailleurs le nom de ce poëte.


2. Ile de la mer Egée, sur la côte du Péloponèsc célèbre par son temple de
Neptune, aujourd'hui Katavria.
ARCHIAS. Il vivait, lorsque nous l'avons pris.
Il est donc mort en chemin?
ANTIPATER.
Archias. Non, mais où nous l'avons trouvé, à Calaurie.
ANTIPATER. C'est votre faute sans doute; vous n'avez pas eu
pour lui les ménagementsnécessaires.
ARCHIAS. Cela n'a pas dépendu de nous.
ANTIPATER. Que dis-tu Tu
me parles par énigmes, Ar-
chias. Quoi vous l'avez pris vivant, et il n'est pas entre vos
mains
30. Archias. Ne nous aviez-veus pas défendu d'employer d'a-
nord aucune violence? Mais lors mème que nous aurions usé de
force, nous n'aurions pas été plus avancés. Déjà nous prépa-
rions.
Antipater. Vous avez eu tort de. rien préparer. Ce sont vos
violences, sans doute, qui l'ont fait mourir.
ARCHIAS. Nous ne l'avons pas tué; mais la persuasion ne fai-
sant rien, il fallait employer la contrainte. D'ailleurs, prince,
quel avantage y avait-il à ce qu'il arrivât ici vivant? Vous ne
pouviez rien faire que l'envoyer à la mort.
31. ANTIPATER.Ménage tes expressions, Archias. Je vois bien
que tu n'as jamais connu ni Démosthène ni l'idée que j'avais de
lui. Tu croyais apparemment qu'il m'était indifférentde trouver
ou un Démosthène ou l'un de ces rhéteurs corrompus,tels qu'Hi-
mérée de Phalère, Aristonic de Marathon,. Eucrate du Pirée',1,
orateurs semblables à des eaux torrentielles, hommes de rien,
qui nagent pour ainsi dire à la surface des émeutes dont l'au-
dace augmente au moindre espoir de trouble, et qui tombent
ensuite, comme le vent du soit; ainsi fut Hypéride, rhéteur
sans foi, traître à l'amitié, flatteur du peuple, qui, sans rougir.
employa l'adulation pour noircir Démosthène aux yeux de la
multitude, et devint le ministre d'actes dont se repentirent ceux
mêmes auprès desquels il s'en faisait un titre. En effet, peu de
temps après cette calomnie, Démosthène fut rappelé de son
exil avec encore plus d'éclat qu'Alcibiade. Mais Hypéride s'en
inquiéta fort peu; il n'eut pas honte d'employer contre ses plus
intimes amis une langue que je lui fis enfin couper pour le pu-
nir de son ingratitude.
32. Archias. Eh quoi? Démosthène n'était-il pas notre plus
cruel ennemi?
ANTIPATER.Non il ne pouvait l'être aux yeux de quiconque
estime la loyauté du caractère et aime la franchise et la fer-

I Plulaïqueles mentionne aussi dans sa Fie de Démosthène


mete1. La probité est toujours probité, même dans un ennemi,
et la vertu, partout où elle est, mérite nos hommages. Je ne
serai pas moins généreux que Xerxès qui, plein d'admiration
pour les Lacédémoniens Bulis et Sperchis2, les renvoya, lorsqu'il
pouvait les faire mettre à mort. Si jamais j'ai admiré quelqu'un,
c'est Démosthène, que j'ai vu seulement deux fois à Athènes,
et encore pas assez à loisir; aussi mon admiration le juge-t-ellâ
sur ce qu'on m'en a dit et sur ses actes publics mais noc
comme on pourrait le penser, d'après son talent oratoire. Notre.
Python n'était donc rien auprès de lui et les discours des ora-
teurs attiques un véritable jeu d'enfants, comparés à la vigueur,
au nerf, à la perfection du style à l'élégance des pensées, à
l'enchaînementdes preuves, à la force de persuasion, à l'entraî-
nement irrésistible de Démosthène. Aussi me suis-je repenti
d'avoir assembléles Grecs à Athènes, dans l'espoir de voir les
Athéniens réfutés par Python, dont les promesses m'avaient sé-
duit nous avons été nous briser contre Démosthène et contre
les arguments de Démosthène nous n'avons pu nous élever à
la hauteur de sa parole.
'33. Et cependant sa puissance oratoire n'avait que le second
rang dans mon estime. Je ne la considérais que comme un in-
strument. Mais Démosthène lui-même, je ne pouvais me lasser
d'en admirer le bon sens, la sagacité, l'âme droite et ferme
comme un gouvernail au milieu des flots déchaînés de la for-
tune, et ne pliant sous aucun revers. Je sais que Philippe avait
la.même opinion que moi sur ce grand homme. Un jour qu'on
lui parlait d'une harangue violente prononcée contre lui à
Athènes par Démosthène Parménion s'indignait et lançait des
sarcasmes contre l'orateur « Parménion dit Philippe, Démo-
sthène a le droit de tout dire. Seul de tous les démagogues de
la Grèce, il n'est point porté sur mes registres de dépense; et,
pourtant, je me fierais plus volontiers à lui qu'aux greffiers des
trirèmes. Chacun d'eux est inscrit comme ayant reçu de moi
de l'or, du bois, des revenus, des troupeaux, des terres en
Béotie ou en Macédoine mais nous prendrions plus tôt avec
nos machines la citadelle de Byzance, que Démosthène avec
notre or5.
<“ C'est une heureuse idée de Lucien d'avoir ainsi placé l'éloge de Dêmo-
sthène dans ta Douche d'Antipater, et plus loin dans celle de Philippe.
2. Voy. Hérodote, VII, cxxxiv. On y lit Sptrthiès au lieu de Sperchis;
mais la différence est légère.
3. Sur l'incorruptibilité de l'orateur «rec, vov. Pluiarque, dernier chapitre
de la fie de Vèinosthme.
34. Pour moi Parménion, continua-t-il si quelque Athé-
nien, parlant au milieu d'Athènes, préfère mes intérêts à ceux
de sa patrie, je veux bien lui prodiguer mon or, mais il n'aura
jamais mon amitié. Celui qui, au contraire, fait éclater sa
daine contre moi en faveur de sa patrie, je lui déclare la guerre,
je l'attaque comme une citadelle un rempart, un arsenal, un
fossé, mais j'admire sa vertu, et je porte envie au bonheur de
la ville qui possède un tel citoyen. Les autres, quand je n'en
Aurai plus besoin, je m'en débarrasserai de bon coeur; mais
celui-ci, je voudrais l'avoir auprès de nous plutôt qu'une cava-
lerie d'Illyriens, de Triballes ou de soldats mercenaires car ja-
mais je ne mettrai la force de l'éloquenceet du génie au-dessous
de celle des armes.»
35. Ainsi parlait Philippe à Parménion, et il me tint aussi le
même langage. Lorsque Diopithès partit d'Athènes avec une
flotte considérable, j'en éprouvais quelque inquiétude mais
Philippe, se mettant à rire a Éh quoi! me dit-il, vous ayez
peur pour nous d'un général et de soldats athéniens? Mais leurs
trirèmes leur Pirée, leurs arsenaux, ne sont, à mes yeux, que
bagatelles et niaiseries. Que peuvent faire des hommes qui sont
toujours en bacchanales en festins et en danses? S'il n'y avait
pas chez eux un Démosthène, je prendrais plus facilement leur
ville que je n'ai vaincu les Thébains et les Thessaliens la ruse,
la violence, la surprise, l'argent en auraient bon marché. Mais
Démosthène a l'oeil ouvert, il épie les occasions, éclaire nos
mouvements, se jette en face de nos armées. Rien ne peut lui
échapper, ni manoeuvres, ni entreprises, ni desseins. En un
mot, cet homme est un obstacle, un rempart qui m'empêche de
tout enlever au pas de course. S'il n'avait dépendu que de lui,
nous n'aurions pris ni Amphipolis, ni Olynthe,'ni la Phocide,
ni les Thermopyles.Lui seul est cause que nous n'avons encore
ni la Chersonèse, ni les côtes de l'Hellespont.
36. c Il réveille, malgré eux, ses concitoyens assoupis comme
s'ils avaient bu de la mandragore; la franchise de sa parole est
un fer qui coupe et brûle leur insouciance il se préoccupe fort
peu de leur être agréable; il fait passer aux armées les fonds
publics destinés au théâtre; il rétablit par des lois navales la
marine presque entièrementruinée par le désordre; il relève la
dignité des citoyens ravalée depuis longtemps par la perception
de la drachme et du triobole il rappelle leur abaissement aux
exemples de leurs ancêtres, à «lie rivalité généreuse avec les
victoires de Marathon et de Salamine il forme des alliances et
des pactes fédératifs entre tous les Grecs rien ne lui échappe;
aucune ruse ne le trompe on ne peut pas plus l'acheter que le
roi des Perses n'eût acheté le sage Aristide.
37. « Voilà l'homme que nous ddvons craindre, Antipater,
plutôt que toutes les trirèmes et toutes les flottes. Ce qu'étaient
pour les Athéniens d'autrefois Thémistocle et Périclès Démo-
sthène l'est pour ceux d'aujourd'hui comparable à Thémis-
tocle pour la finesse, à Périclès pour le bon sens. C'est en l'é-
coutant qu'ils se sont rendus maîtres de l'Eubée, de Mégare,
des côtes de l'Hellespont et de la Béotie. Oh! que les Athéniens,
continua-t-il, font bien nos affaires, quand ils prennent pour
généraux un Charès, un DÎopithès, un Proxénus, ou des gens
de même trempe, et laissent chez eux Démosthène à la tribune!1
S'ils faisaient un pareil homme maître absolu des munitions,
des vaisseaux, des armées, des circonstances et de l'argent, je
craindrais qu'avant peu il ne me mît en danger de lui disputer
la Macédoine, lui qui, ne pouvant aujourd'hui me combattre
qu'avec des décrets m'enveloppede toutes parts, me surprend,
trouve des ressources, rassemble des forces, équipe des flottes
redoutables, réunit des troupes et me tient tête partout. n
38. Tels étaient, avec d'autres encore, les discours que Phi-
lippe me tenait souvent sur ce grand homme. Il regardait
comme une faveur signalée de la fortune que les armées ne
fussent pas conduites par Démosthène, dont les harangues,
semblables à des béliers et à des catapultes mis en mouvement
du milieu d'Athènes, ébranlaient et ruinaient tous ses desseins.
Après la victoire de Chéronée il ne .cessait de nous rappeler le
péril extrême auquel un seul homme nous avait exposés. « Si,
contre tout espoir, disait-il, l'incapacité des généraux, l'indis-
cipline des soldats et une faveur inouïe de la fortune, qui nous
a servis en maintes circonstances, ne nous avaient livré la vic-
toire, dans cette seulejournée Démosthène nous exposait à perdre
l'empire et la vie en réunissant contre nous les cités les plus
importantes et les forces vives de la Grèce, Athéniens, Thé-
bains et le reste des Béotiens, Corinthiens, Eubéens, Méga-
riens tout ce qu'il y avait de peuples redoutables, parmi les
Grecs qui avaient été forcés de se grouper contre le danger com-
mun, afin de m'empêcher de pénétrer dans l'Attique. »
39. Tels étaient les discours que Philippe tenait fréquemment
sur Démosthène; et, lorsqu'on lui disait qu'il avait dans les
Athéniens de redoutables adversaires t Je n'en ai qu'un, ré-
pondait-il, (.'est Démosthène. Si les Athéniens n'avaient pas
leur Démosthène, ce ne seraient que des Êniens et des Thes-
saliens » Lorsque Philippe envoyait des ambassadeursdans les
différentes républiques de la Grèce et que les Athéniens y dé-
putaient de leur côté quelqu'un de leurs orateurs, l'ambassade
de Philippe réussissait facilement. Mais lorsque Démosthène
lui était opposé « Notre ambassade est inutile, disait Philippe il
est impossible de triompher de l'éloquencede Démosthène. »
40. Voilà ce que disait Philippe. Et tu croirais Ârchias, par
Jupiter, que nous qui sommes si inférieurs en tout à ce grand
roi, nous n'aurions pris Démosthène que pour l'envoyer à la
boucherie, et non pour en faire notre conseillerdans les affaires
actuelles de la Grèce et pour le gouvernement de mes États? Il y
a longtemps que sa conduite politique m'a inspiré pour lui une
inclinationnaturelle, qui s'est encore fortifiée par le témoignage
d'Aristote. Il ne cessait de nous répéter à Alexandre et à nous-
mêmes que, parmi le grand nombre de disciples qui fréquen-
taient son école, jamais aucun ne lui avait causé plus d'admira-
tion que Démosthène, par la grandeur de son caractère, son
application aux exercices, sa aravité sa vivacité sa franchise
et sa patience.
41. « Pour vous, ajoutait-il, vous ne le regardez que comme
un Eubule un Phrynon, un Philocrate vous cherchez à cor-
rompre par des présents un homme qui dépense sa fortune pa-
ternelle pour les Athéniens, qui épuise ses richesses à secourir
les particuliers pressés par la nécessité, à subvenir aux besoins
de l'Etat et, quand cette espérance est déçue vous croyez ef-
frayer par des menaces celui qui, depuis longtemps, a pris la ré-
solution de sacrifier ses jours au salut de sa patrie ? Quand il
blâme ouvertement votre conduite, vous vous emportez contre
lui, qui ne se soumettrait pas même au peuple athénien? Vous ne
voyez donc pas disaiWl enfin, que c'est par patriotisme qu'il
gouverne la république, et qu'il se fait de cette administration
un exercice de philosophie. »
42. Voilà pourquoi, Archias, je désirais' si ardemment son
amitié; il m'aurait fait connaître ce qu'il pense de l'état actuel
des affaires. Écartant, toutes les fois qu'il eût été nécessaire,
les Batteurs qui nous assiègent sans cesse j'aurais entendu la
vérité sortir d'une bouche indépendante et j'aurais profité des
leçons d'une âme désintéressée. Enfin j'aurais cru juste de lui
faire sentir toute l'ingratitude de ces Athéniens, pour lesquels
il prodiguait sa vie quand il pouvait avoir des amis plus re-
connaissants et plus fidèles.
Archias. Prince, vous eussiez peut-être obtenu de lui toute
autre chose mais vos avances auraient été inutiles il aimait
Athènes jusqu'à la fureur
ANTIPATER. S'il en est ainsi, Archias, je n'y vois point de
remède. Mais comment est-il mort?
43. ARCHIAS. Je suis convaincu, prince, que votre tdmiration
va redoubler. Nous, en effet, qui l'avons vu, nous étions frappés
de stupeur, et nous n'en pouvions pas plus croire nos yeux que
ceux qui n'en ont pas été les témoins. Il paraît que depuis long-
temps il était résolu de mettre fin à ses jours; ses dispositions
le prouvent assez. Il était assis dans l'intérieur du temple et
nous employions, mais en vain, les discours que nous lui avions
tenus les jours précédents.
ANTIPATER. Quels étaient ces discours r
ARCHIAS. Je lui parlais de votre clémence je lui promettais
votre pitié sur laquelle je n'osais pas compter, car je vous
croyais irrité contre lui; mais j'employais ce moyen dans l'es-
poir de le convaincre.
ANTIPATER. Et comment accueillait-il tes paroles? ne me dé-
guise rien. J'aurais voulu être là et entendre tout de mes pro-
pres oreilles. N'oublie donc rien. C'est, en effet, une chose
précieuse que de connaître l'âme d'un grand homme à ses der-
niers moments. Celui-ci a-t-il paru languissant et faible, ou bien
a-t-il conservé cette hauteur d'âme que rien ne pouvait plier?
44. ARCHIAS. Il n'a fait paraître, aucune faiblesse; mais, me
regardant avec un sourire, et faisant allusion à ma première
profession', il dit que je jouais mal le rôle de menteur dont
vous m'aviez chargé.
ANTIPATER. C'est donc par aenance pour vos promesses qu'.l
s'est donné la mort?
ARCHIAS. Non. Si vous voulez m'entendre jusqu'aubout, vous
verrez que ce n'était pas seulement par défiance; mais puisque
vous m'ordonnez, prince, de ne vous rien cacher « Les Macé-
doniens, dit-il, sont gens à n'avoir rien de sacré il n'pst donc
pas étonnant qu'ils veuillent prendre Démosthène comme ils
ont pris Amphipolis, Olynthe et Orope. » Voilà ce qu'il a dit,
et d'autres choses encore. J'avais, en effet, amené des secré-
taires qui vous ont conservé ses dernières paroles. « Ce n'est
point, Archias, a-t-il ajouté, la crainte des tourments et de la
mort qui m'empêche de me présenter à Antipater. Mais, si vous
dites vrai, je dois prendre encore plus garde de paraître devoir
la vie aux séductions de sa clémence, et il ne faut pas que j'a-
bandonne le poste où je me suis moi-même placé, pour passer
de Grèce en Mapédoine.

4. Archias 4vait été comédien.


45. e Il me serait glorieux de vivre, Archias, si je devais la
vie au Pirée, aux trirèmes que j'ai données à l'Etat, aux murs
et aux canaux que j'ai fait creuser à mes frais, à la tribu de
Pandion, dont j'ai été un chorége libéral, à Solon, à Dracon, à
ma franchise oratoire, à la liberté du peuplé, aux décrets mili-
taires, aux lois navales, aux vertus de nos ancêtres,à nos tro-
phées, à la bienveillance de mes concitoyens qui m'ont sou-
vent couronné, à la puissance des Grecs que j'ai sauvés jusqu'à
cette heure. S'il fallait devoir la vie à la pitié, ce serait une
condition humiliante; mais cette pitié, je l'accepterais encore,
si elle me venait de mes compatriotes dont j'ai brisé les fers,
des pères dont j'ai marié les filles, de tous ceux dont j'ai payé
les dettes.
46. c Mais puisque je ne suis sauvé ni par l'empire des îles
ni par celui de la mer, c'est à Neptune que je demande mon
salut, c'est à cet autel, à ces lois sacrées. Et si Neptune, conti-
nua-t-il, ne peut protéger l'asile de son temple s'il ne rougit
pas de livrer Démosthène à Archias, je mourrai sans m'être
prosterné aux pieds d'Antipatercomme devant un Dieu. Je pour-
rais, je le sais, trouver chez les Macédoniens des amitiés plus
dévouées qu'à Athènes, je pourrais partager votre fortune, si je
voulais me placer auprès d'un Callimédon, d'un Pythéas, d'un
Démade. Je pourrais, quoique bien tard, changer de caractère,
si je ne respectais pas Codrus et les filles d'Ërechthée. Mais je
ne veux pas être un transfuge de la fortune et passer dans un
autre camp. La mort est un asile assuré où l'on est à l'abri du
déshonneur. Et maintenant, Archias, je ne ferai point rougir
Athènes en acceptant volontairement l'esclavage, et en aban-
donnant le plus bel ornement de ma tombe, la liberté.
47. «Tu dois te souvenir, dit-il encore, de ces vers d'un poëte
tragiqu»1. Ne sont-ils pas pleins de, noblesse? y
Elle tombe, et, tombant, range ses vêtements;
Dernier trait de pudeur même aux derniers moments.
Voilà ce que fait ure jeune fille; et Démosthène préférerait une
vie déshonorante à une mort honorable; il oublierait ce que
Xénocrate *> ce que" Platon a écrit sur l'immortalité de âme? »
II lui échappa ensuite quelques paroles amères sur ceux que la
fortune rend insolents. Mais qu'ai-je besoin d'en dire davan-

4. Euripide, Hécube, v. 568. Nous avons pris lés deux vers que La Fontaine,
dans les Filles de Mince, a traduits du poetc grec.
2. Voy. Diogènede Laiine, IV, <*2 et 13.
tage? Je finis parle prier et par le menacer tour à tour, mêlant
des accents de douceur à un ton d'autorité « Je me laisserais
convaincre, dit-il, si j'étais Archias; mais je suis Démosthène:
pardonne-moi, mon cher ami, de ne pas me sentir capable
d'une lâcheté. »
48. Alors, mais alors seulement, je me décide à l'entraînerpar
la violence. Il s'en aperçoit, se met à sourire, et les yeux tournés
vers Neptune « Archias dit-il semble croire que les armes,
les trirèmes, les murs, les armées et les troupes sont les seuls
refuges de l'âme humaine; il méprise mes apprêts et cependant
ni les Illyriens, ni les Triballes ni les Macedoniens n'en sau-
raient triompher ils sont plus sûrs que cette forteresse de bois,
dans laquelle Apollon nous ordonnait de nous enfermer comme
imprenable. C'est avec cette précaution que j'ai gouverné sans
crainte; c'est elle qui a soutenu mon audace contre les Macédo-
niens c'est par elle que j'ai bravé jadis Euctémon Aristogiton,
Pythéas, Callimédon et Philippe, et qu'aujourd'hui je brave Ar-
chias. »
49. A ces mots i Ne me touchez pas, s'écria-t-il tant qu'il
dépendra de moi, ce temple ne sera point profané laissez-moi
adorer le dieu, et je vous suis. Jeme fie sur cette promesse
je le vois porter sa main à sa bouche et je me figure que c'est
pour adorer Neptune.
ANTIPATER. Qu'était-ce donc?Î
ARCHIAS. Plus tard, une esclave mise à la torture nous dé-
couvrit que, depuis longtemps, il portait sur lui du poison, afin
de quitter la vie sans perdre la liberté. En effet, il n'avait pas
encore franchi le seuil du temple que, tournant ses regards vers
moi: « Conduisez ce corps à Antipater, dit-il, mais vous n'y
conduirez pas Démosthène. J'en jure par ceux. » Ilmesembla
qu'il allait ajouter « Qui sont tombés à Marathon'. » Puis,nous
disant adieu, il tombe expirant.
50. Telle est, prince, la fin de l'assaut que nous avons donné
à Démosthène.
ANTIPATER. Cette fin est bien digne de Démosthène, Archias;
Quelle âme invincible quel bonheur! quelle noble résolution!
quelle prévoyance vraiment républicaine d'avoir toujours dans
sa main le gage de sa liberté 1 Il est donc parti pour les îles

4. Sur Euctémon, voy. le discours de Démoslhène contre Midias. reste


deux discours de Démosthènc contre Aristogiton. Pythias et Callimédon sont
mentionnés dans la fie de Démosthène de Plularque.
a. Voy..Sur lit couronne, 60, et Cf. Longin Du sublime cliap. xir
fortunées où vivent les héros pour les routes célestes qui con-
duisent les âmes au ciel afin de s'asseoir, génie tutélaire, auprès
de Jupiter libérateur. Nous renverrons à Athènes sa dépouille
mortelle monument plus glorieux pour cette terre que celui
des guerriers qui sont tombés à Marathon

LXXIV

L'ASSEMBLÉE DES DIEUX.

JUPITEB MERCURE ET MOMUS.

1.Jupiter. Cessez donc, dieux, de murmurer comme cela!


Cessez de vous tenir dans les coins, de vous parler bas à l'oreille
et de paraître fâchés de ce que nous admettons à notre tablé
plusieurs convives que vous n'en croyez pas dignes. Mais puis-
que je vous ai convoqués à cet effet, que chacun de vous expose
nettement son opinion et ses griefs. Allons, Mercure, fais la
proclamationlégale.
MERCURE. Écoutez silence! Qui est-ce qui veut prendre, la
parole parmi les dieux que leur âge autorise1? Il s'agit dans ce
débat des métèques et des étrangers.
Momus. Moi, Jupiter, moi, Momus, si tu veux me permettre
de parler.
JUPITER. La proclamation t'en donne le droit ainsi tu n'as
pas besoin de ma permission. •
2. Momus. Je dis donc que je vois se conduire d'une façon
fort étrange quelques-uns d'entre nous, auxquels il ne suffit pas
d'être passés de l'état d'homme à celui de dieu. Ils croient que,
si leurs esclaves et leurs valets ne marchent pas nos égaux, c'en
i, a Les lois d'Athènes ne permettaient de haranguer le peuple sur les ma-
tières publiques qu'aux citoyens qui avaient atteint l'âge de cinquante ans »
Biîi.in de Baixd.
2. Étrangers domiciliésà Athènes, et jouissant d'une partie des privilèges de
la cité moyennant un impôt, qui frappait le sixième de leur revenu..
est fait pour eux-mêmes de toute puissance, de toute giandeu1
Je demande donc, Jupiter, la permission de parler avec fran-
chise sans cela je ne pourrais rien dire Tout le monde sait
quel est le saris-gêne de ma languie; je ne sais rien taire de ce
qui n'est pas dans l'ordre je répands tout je dis net ce que
j'ai sur le cœur ni crainte ni honte ne me fait déguiser ma
pensée. Aussi bon nombre de gens me regardent-ils comme un
être insupportable, d'un naturel hargneux, et l'on m'appelle
l'accusateurpublic. Mais, puisque la proclamation m'autorise à
parler, et que toi aussi, Jupiter, tu me donnes la licence d'ex-
poser mon avis, je vais le faire sans rien dissimuler.
3. Plusieurs d'entre nous, comme je le disais non contents
d'être admis dans nos assemblées et de s'asseoir à table au
même titre que nous, quoiqu'ils soient à moitié mortels, ont
amené à leur suite dans le ciel une foule de valets et de danseurs
qu'ils ont fait inscrire indûment sur nos registres; et mainte-
nant ces intrus prennent part aux distributions et aux sacrifices,
sans avoir payé le droit d'incolat
JUPITER. Pas d'énigmes, Momus; parle clairement et- sans
ambages; spécifie les noms. Tu t'exprimes en ce moment d'une
manière trop vague; tes reproches peuvent s'appliquer indiffé-
remment à l'un ou à l'autre. Un orateur qui fait profession de
franchise ne doit pas craindre de dire tout.
4. Momus. Fort bien, Jupiter tu as raison de m'engager à
parler en toute liberté. Tu agis en véritable roi en prince de
grand cœur. Je vais donc préciser les noms. Eh bien! ce beau
Bacchus, cette moitié d'homme, qui n'est pas même Grec du
côté de sa mère, petite-fille d'un certain Cadmus, marchand de
la Syro-Phénicie, le voilà dieu, et je m'abstiens de gloser sursa
mitre, son ivrognerie et ses allures. Vous voyez tous, en effet,
je pense, à quel point il est efféminé, toujours à moitié fou, "et
sentant le vin dès le point du jour. Mais il a introduit chez nous
une phratrie entière, un choeur complet, et il a fait dieux Pan,
Silène et les Satyres, hommes rustiques, presque tous chevriers
et sauteurs d'étranges figures. L'un a des cornes au front ses
jambes et ses cuisses sont d'une chèvre et la longueur de sa
barbe le fait ressembler à un iouc; l'autre est un vieillard
chauve et camus,, le plus souvent monté sur un âne:- c'est. un
Lydien. Quant:auxSatyres, ils ;ont les oreilles, pointues, le front
chauve et orné.de cornes semblables à-celles des chevreaux nou-

t. Parodie de Démosthène, i" Discours contre-dristogitm.


2. Droit de résidence imposé aux métèques. '••
veau-nés. Ils sont Phrygiens. Ils ont tous une queue. Vous
voyez quels dieux nous donne le galant.
5. Après cela, devons-nous être surpris du mépris des hom-
mes, quand ils voient des dieux si monstrueux et si ridicules?
Je ne pdrle pas de- deux femmes qu'il a conduites ici l'une sa
maîtresse, Ariadne, dont il a placé la couronne parmi les astres;
et l'autre, Êrigone, fille d'Icarius, un paysan. Mais ce qu'il y a
de plus ridicule; ô dieux, c'est qu'il nous amène aussi le chien de
cette Ërigone pour que la pauvre fille n'éprouvé pas le chagrin
de n'avoir pas dans le ciel cette petite bête qu'elle aimait tant.
N'est-ce pas là une insulte, un acte d'ivrogne, une plaisanterie
indigne? Parlons des autres à présent.
6. Jupiter. Ne dis rien, Momus, d'Esculape et d'Hercule. Je
prévois où va t'emporter ton discours. De ceux-ci, du moins.
l'un guérit, sauve des maladies et
A lui seulil en vaut mille autres réunis
l'autre, c'est-à-dire Hercule, mon fils, s'est acquis l'immortalité
par de nombreux travaux. Ne les accuse donc pas.
Momus. Eh bienl je me tairai par égard pour toi, Jupiter,
quoique j'aie beaucoup à dire. Je ferai seulementobserverqu'ils
ont sur le corps des marques de brûlure. Maintenant, s'il m'est
permis de te parler de toi avec franchise, j'aurai plus d'une pa-
riole à t'adresser.
Jupiter. A moi? cela t'est permis voudrais-tu me reprocher
aussi d'être un intrus?
Momus.On ne se gêne pas pour le dire en Crète, et l'on fait
mieux, on y montré ton tombeau*.Pour moi, je ne crois ni les
Cretois, ni les habitants d'jEgium en Achaïe, qui prétendent
..que tuf es un enfant supposé.
7. Mais je passe à des griefs plus importants. L'origine de
ces abus, la cause de la bâtardise introduite dans nos assemblées,
c'est toi-même, Jupiter, et ton commerce avec les mortelles, au-
près desquelles tu ne cesses de descendre, tantôt sous une
forme, tantôt sous une autre. Nous tremblons toujours, par
exemple, quand tu es taureau, que l'on ne te prenne pour t'im-
inoler quand tu es or, qu'un ouvrier ne te fasse fondre au creu-
set, et qu'en place,de Jupiter nous n'ayons un collier, un brace-
let, une boucle d'oreille. C'est comme cela que tu as rempli le
ciel de tous ces demi-dieux car je ne peux pas les appeler au-
<. Allusion à Homère, H'»*, JU, y, 6U..
3. Voy. Timon, 4. f •
trement. Et ce qu'ii y a de plaisant, c'est d'apprendre tout à coup
qu'Hercule est devenu dieu, tandis qu'Eurysthée, qui lui donnait
des ordres, est mort; c'est de voir le temple de l'esclave Hercule
s'éleverprès du tombeaudu maître Eurysthée. De même, Bacchus
est Dieu à Thèbes, et ses cousins Penthée, Actéon et Léarque
sont les plus malheureux des hommes.
8. Du jour où par tes accointances avec les mortelles, Jupiter,
tu as ouvert la porte à ces gens-là, tous les dieux ont voulu
t'imiter, et non-seulementles dieux mâles, mais, ce qui est plus
honteux, les déesses femelles. Qui ne connaît Anchise, Tithon,
Endymion, Jasion et les autres? Je laisse tout cela de côté je
n'en finirais pas avec mes reproches.
Jupiter. Pas un mot sur Ganymède, Momus. Je me fâcheraissi
tu faisais de la peine à ce jeune homme à propos de sa famille.
9. Momus. Faut-il aussi ne rien dire de l'aigle, qui s'est fau-
filé dans le ciel, se place sur ton sceptre royal et fait son nid
presque sur ta tête on dirait un dieu. Dois-je n'en point parler
à cause de Ganymède? Mais cet Attis, Jupiter, ce Gorybas, ce
Sabasius,d'où nous les a-t-on voiturés ici? Quel est ce Mède
Mithrès, avec sa robe persane, sa tiare, qui ne sait pas un mot
de grec? Quand on veut lui porter une santé, il ne comprend
pas. Cela fait que les Scythes et les Gètes, voyant avec quelle
facilité ces hommes sont passés dieux, ne s'inquiètent plus de
nous et se mettent.-à déifie»- qui bon leur semble; par exemple
leur Zamolxis, un esclave, inscrit sur nos rôles, sans qu'on sache
comment il s'y est coulé,
10. Tout cela, dieux, pourrait encore se tolérer. Mais toi, hé!
la tête de chien, l'Égyptien, enveloppé de serviettes, qui es-tu,
mon ami, et comment, avec ton aboiement, as-tu la prétention
d'être dieu? Que veut ce taureau de Memphis, celui qui est tout
moucheté? On l'adore, il rend des oracles, il a des prêtres. Je
rougirais de vous parler des ibis, des singes, des boucs, et de
mille autres dieux encore plus ridioules, dont les Égyptiens ont
inondé le ciel; et je m'étonne, ô dieux, que vous puissiezendurer
qu'on leur rende des honneurs égaux aux vôtres, s'ils ne sont
pas plus grands. Toi, Jupiter, comment peux-tu souffrir les
cornes de bélier qu'ils t'ont plantées au front?
11. JUPITER. C'est vraiment honteux, ce que tu nous dis là des
Egyptiens. Cependant, Momus, presque tout cela compose des
emblèmes .dont on ne doit pas se moquer, quand on n'y est pas
initié.
r
( Voy pour ee» noms et los suivants, le Dut, de JacoWi
Momus. Il est vrai, Jupiter, qu'il faut être initié ces mys-
tères, pour savoir que des dieux sont des dieux et des cynocé-
phales des cynocéphales.
JUPITER. Laisse là, te dis-je, le culte des Égyptiens nous en
causerons une autre fois à notre aise. Parle des autres.
12. Momus. Alors parlons de Trophonius, Jupiter, et, ce qui
me dépite encore davantage, d'Amphiloque, qui, fils d'un scé-
lérat meurtrier de sa mère, est mis au rang des dieux et rend
des oracles en Cilicie, avec force mensonges, tours de passe-
passe, le tout pour deux oboles. De ce moment,, Apollon, tu
perds ta célébrité; il n'y a pas de pierre, d'autel arrosé d'huile
ou couronné de fleurs, qui ne rende des oracles, dès qu'il a
trouvé son charlatan; et il n'en manquepas. La statue de l'athlète
Polydamas guérit les fiévreux à Olympie, et celle de Théagène à
Thase; dans Ilion, on sacrifie à Hector; et en face, dans la
Chersonèse, à Protésilas. Aussi, depuis que nous sommes deve-
nus si nombreux, les parjures et les sacriléges se sont multi-
pliés nous en sommes en butte au mépris des hommes, et ils
ont raison.
13. Voilà ce que j'avais à dire au sujet des dieux bâtards et
indûment inscrits. Mais quels sont encore ces noms étrangers
que j'entends prononcer tous les jours, dont les objets ne sont
point parmi nous et ne peuvent pas même subsister? Vraiment,
Jupiter, je ne puis m'empêcher d'en rire. Où donc est cette
Vertu si vantée, et la Nature, et le Destin, et-la Fortune, noms
illusoires et vides de sens, inventés par quelques philosophes
stupides? Cependant ces noms, pris au hasard, imposent telle-
ment aux imbéciles, qu'aucun homme ne veut plus nous offrir
de sacrifices, convaincu que, nous immolât-il dix mille héca-
tombes, la Fortune n'accomplira pas moins les arrêts du Destin
et ce qui est filé à chacun par lès fuseaux des Parques. Je te de-
manderais volontiers, Jupiter, si tu as jamais vu la Vertu, la
Nature, ou le .Destin. Car je ne doute pas que tu n'entendes sou-
vent prononcer ces mots dans les discussions des philosophes,
et, à moins d'être sourd, il me semble que leurs cris doivent ar-
river à tes oreilles. J'en pourrais dire bien; davantage, mais je
m'arrête. Je vois que mes discours offensent ici beaucoup d'au-
diteurs quelques-uns même me sifflent, surtout ceux qu'a
blessés la liberté de mon langage.
14. Aussi, pour terminer la séanpë, je vais, si tu le veux
bien, Jupiter, lire un décret que j'ai rédigé sur cette ques-
tion.
Jupiter. Lis il y a du vrai dans quelques-uns de:tearepio-
ches. Il faut mettre un terme à ces abus: afin qu'ils n'aillent
pas plus loin.
DÉCRET.

A BON ENTENDEUR SALUT I

a En assemblée légitimement convoquée, le septième jour du


mois, Jupiter étant prytane Neptune, proèdre; Apollon, épi-
state, et Momus, fils de la Nuit, greffier, le Sommeil a proposé
ce qui suit
« Attendu qu'un grand nombre d'étrangers,
non-seulement
Grecs, mais barbares, indignes de partager avec nous le droit
de citoyens du ciel, se sont fait inscrire sur nos registres, et
faufilés, je ne sais comment, parmi les dieux, en encombrantle
ciel, à ce point que le banquet de l'Olympe n'est plus qu'une
cohue, un assemblage confus de gens qui parlent mille jargons
divers; attendu que le nectar et l'ambroisie, épuisés par cette
foule de buveurs, nous manquent de manière à coûter une mine
la cotyle; attendu, enfin, que ces intrus ont poussé l'insolence
jusqu'à usurper la place des anciens et véritables dieux, pour
s'asseoir au premier rang, contrairement à tous nos usa-
ges nationaux, et se font rendre sur la terre les premiers
.hommages
15. « Plaise au sénat et au peuple qu'il soit convoqué une nou-
velle assemblée dans l'Olympe, au solstice d'hiver, où l'on élira
sept questeurs, choisis parmi les dieux accomplis trois de l'an-
cien sénat du temps de Saturne, et quatre des douze dieux,
parmi lesquels Jupiter. Ces questeurs n'entreront en séance
qu'après avoir prêté le serment réquis par la loi, et juré par le
Styx. Mercure, par une proclamation, convoquera tous ceux qui
prétendent avoir droit de siéger au conseil des dieux. Ils ne
viendront qu'accompagnésde témoins assermentés et avec leurs
titres de famille. Alors ils se présenteront un à un aux ques-
teurs, qui, après examen, les déclareront dieux ou les renver-
I Ce mot et les suivants sont empruntés à la langue des tribunaux d'Athè-
nés. Les villes et les bourgs de l'Attique étaient divisés en cent soisante-qua-
torze districts, qui, par leurs différentes réunions, formaient dix tribus. Cha-
cune des dix tribus fournissait cinquante représentantsau1 sénat, composéainsi
de cinq cents membres, et divisé en dix classes ou prytanies, qui gouvernaient
chacune pendant trente-cinq jours. Les cinquante gouverneurs, chargés de
l'autorité prenaient alors le nom de prytanes. Les proèdres étaient présidents
du sénat des cinq cents ou chefs de chaque tribu. Les èpistates étaient chef?
du sénat ou assesseurs des présidents de tribunal.
ront aux tombeaux et monuments de leurs ancêtres. Si, Far la
suite, quelquîun de ces réprouver éliminé par les ques-
teurs, est pris à entrer dans le ciel, il sera précipité dans le
Tartare.
16. « Chacun des dieux ne se mêlera plus que de son emploi
on ne verra plus Minerve guérir, ni Esculape rendre des oracles;
Apollon ne fera plus tant de choses à la fois il en choisira une,
et sera exclusivementdevin, cithariste ou médecin.
17. <r Défense aux philosophes d'inventer des noms vides de
sens, et de divaguer sur ce qu'ils n'entendent point.
18.t Dans tous les temples, sur les autels dédiés aux divini-
tés déclaréesindignes de ce titre, on enlèvera leurs statues et
on y placera celles de Jupiter; de Junon, d'Apollon, ou de quel-
que autre dieu; cependant leur ville pourra leur ériger un tom-
beau, avec un cippe au lieu d'autel. Si quelqu'un refuse d'o-
béir à la proclamation et de se présenter devant les questeurs,
il sera condamné par défaut. »
19. Voilà mon décret.
Jupiter. Il est trop juste, Momus. Que tous ceux qui l'ap-
prouvent lèvent la main Ou plutôt qu'il soit exécuté sur l'heure;
car j'en vois' ici beaucoup qui ne lèveraient pas la main. A pré-
sent vous pouvez vous retirer. Quand Mercure fera la procla-
mation, vous reviendrez, en ayant soin d'apporter ici vos insi-1
gnes et des preuves convaincantes, noms .de père et de mère,
tribu, phratrie, comment et pourquoi l'on est devenu dieu. Dès
tu'ou ne pourra pas fournir ces documents,les questeurs s'in-
quièteront peu de savoir si l'on possède un grand temple sur la
terre, et si l'on passe pour umiieu aux yeux des hommes.
LXXV

LE CYNIQUE».

LE CYNIQUE ET LYCINUS.

1. Lycinus. Hé 1 l'homme 1 Pourquoi as-tu cette barbe et cette


chevelure, sans tunique la peau à l'air, les pieds déchaux,
menant une vie errante et sauvage, à la façon des, bêtes, ne
traitant pas ton corps comme tout le monde, allant de çà et de
là, couchant sur la dure, avec un manteau plein de taches car
on ne peut pas dire qu'il soit mince, moelleux et. fleuri?p
LE CYNIQUE. Je n'en ai pas besoin. Tel qu'il est, celui-ci ne
me coûte pas cher et ne me donne pas d'embarras; tel qu'il est,
dis-je il me suffit.
2. Mais, au nom des dieux, dis-moi, ne regardes-tu pas le
luxe comme un vice?
LYCINUS. Oui.
LE CYNIQUE. Et la simplicité comme une vertu '?t
LyciNus. Assurément.
LE CYNIQUE. Pourquoi donc alors, quand tu me vois venir dans
une simplicitéplus parfaite que tous les autres hommes, et ceux-ci
avec plus de luxe que moi, viens-tu m'accuser etnon pas eux?
Lycinus. C'est que, par Jupiter, tu ne me parais pas vivre
dans une plus grande simplicité mais dans une plus grande
pauvreté, ou plutôt dans une inaigence absolue, dans une
complète misère.
3. LE Cynique. Veux-tu, puisque la conversation est tombée
là-dessus, que nous examinions ce que c'est que l'indigence, et
ce que c'est que le nécessaire?
Lycinus. Si tu veux.

4. C'est sans aucune preuve que Dusoul doute de l'authenticité de ce


dialogue dont sainl Jean Chrysostome a inséré une partie dans une de ses
Homéliessur l'Évangile de saint Jean
LE CYNIQUE. Le nécessaire n'est-il pas ce qui suffit aux
besoins de chacun, ou bien est-ce autre chose?
Lycinus. C'est cela même.
LE CYNIQUE. Et l'indigence n'est-elle pas le manque absolu de
ce qu'exigent nos besoins ?
LYCiNUS. Sans doute.
LE CYNIQUE. Je ne suis donc point dans l'indigence, car il ne
me manque rien de ce qu'exigent mes besoins.
4. Lycinus. Comment prouves-tu cela?
LE CYNIQUE. En te priant de considérerl'objet auquel est des-
tinée chacune des choses dont nous avons besoin.Par exemple,
une maison sert à nous couvrir?
LYCINUS. Oui.
LE CYNIQUE. Un vêtement, pourquoi est-il fait?Pour nous
couvrir aussi n'est-ce pas ?
• Lycinus. Oui.
'Le CYNIQUE. Et pourquoi, au nom des dieux, nous couvrons-
nous ? N'est-ce pas pour nous conserver en meilleur état?
"Lycinus. C'est mon avis.
LE CYNIQUE. Eh bien 1 ces deux pieds, pour être nus, t'en
paraissent-ils plus faibles?
-Lycinus. Je ne sais pas.
LE CYNIQUE. Tu vas l'apprendre. Quel est l'office des pieds ?
:•; Lycinus. Démarcher.
LE CYNIQUE. Mes pieds te semblent-ils moins capables de
marcher que ceux des autres hommes ?
LYCINUS. Il me semble que non.
LE Cynique. Us ne sont donc pas plus faibles, puisqu'ils ne
font pas plus mal leur service.
Lycinus.Il se peut faire.
LE CYNIQUE. Ainsi, pour ce qui est des pieds, je ne parais pas
dans une condition moins bonne que les autres hommes?
Lyoinus. Non.
LE CYNIQUE. Eh bien! le reste de mon corps est-il en plus
mauvais état que celui d'un autre? Il le serait, s'il était plus
faible; car la force est la première qualité du corps. Mais peut-
on dire que le mien soit faible?
Lycinus. Une le paraît pas.
-
Le CYNIQUE. Donc, ni mes pieds, ni mon corps n'ont besoin
d'être couverts. S'ils en avaient besoin, ils seraient en mauvais
état; car le besoin altère et détérioreles objets auxquels il s'at-
tache., Mais il ne paraît pas que mon corps soit détérioré pa.
les mets grossiers dont il est noutri.
Lycinus. On le voit.
LE Cynique. Il ne serait pas vigoureux, s'il était mal nourri
car la mauvaise nourriture détruit,la santé.
LYcmys. C'est juste.
5. LE CYNIQUE. Pourquoi donc alors, dis-moi, si tu conviens
de tous ces points, méprises-tu ma manière de vivre et la re-
gardes-tu comme misérable?
Lycinos. Parce que, ma foi, la nature que tu honores et les
dieux ayant mis la terre à la disposition de tous les hommes
ont tiré de son sein une foule de biens de toute espèce, afin que
nous ayons en abondance non-seulement ce qui sert à nos be-
soins, mais encore ce qui contribue à nos plaisirs. Or, tu es
privé de tous ces avantages ou du moins de la plupart; tu n'en
jouis pas plus que les bêtes sauvages tu manges tout ce que tu.
trouves, comme les chiens; tu n'as pas un lit plus délicat que
ieleur,et un peu de paille te suffit comme à eux; enfin, tu portes
un manteau qui conviendrait à peine à un mendiant. Si, en sui-
vant ce régime, tu agis en sage, la divinité n'a pas agi sage-
ment lorsqu'elle a donné aux brebis leur épaisse toison, et à la
vigne sa douce liqueur, lorsqu'elle nous a fourni tous ces assai-
sonnements d'une admirable variété, l'huile, le miel et le reste,
pour que nous ayons des mets de toutes sortes des boissons
agréables, une couche molle de belles maisons enfin tout ce
qui provoque l'admiration car les ouvrages des arts sont aussi
des présents des dieux. Vivre privé de tous ces biens, c'est vivre
dans le malheur; et si l'on est à plaindre d'en être privé par un
autre, comme ceux qui sont en prison, on est plus malheureux
encore, quand soi-mêmeon s'en interdit l'usage ou plutôt c'est
une vraie folie. ·
6. LE CYNIQUE. Peut-être as-tu raison. Cependant réponds-
moi si un homme opulent,humain et libéral, invitait à un grand
banquet des convivesnombreux et de tous pays, les uns faibles,
les autres robustes, et qu'ensuite lorsque la table est couverte
de mets abondants et variés, un des convives enlevât tous les
plats, dévorât tout à lui seul, non-seulement ce qui est prés de
lui, mais jusqu'à la part réservée aux faibles, abusant ainsi de
sa bonne santé et n'ayant pourtant qu'un seul estomac, qui
n'exige que peu d'aliments, si bien que la quantité le rendrait
malade, que dirais-tu de cet homme? te paraîtrait-il sensé?
• Lycinus. Non.
LE CYNIQUE. Tempérant?
Lycinus. Encore moins.
1 LE CYNtQUE. Maintenant, si un convive invité à la même
table, sans s'arrêter à la multiplicitévariée des mets, en choisis.
sait un à sa portée et pouvant suffire à ses besoins, et qu'il en
mangeâtmodérément, n'usant que de celuHà seul, ne jetant pas
même les yeux sur les autres, ne le croirais-tu pas plus tempé-
rant et plus sensi que l'autre t?
Lycinus. Evidemment.
Le Cynique, Eh bien comprends-tu, ou faut-il que yi t'ex-
plique ?
Lycinus. Explique.
LE CYNIQUE. Dieu est cet hôte magnifiquequi traite un grand
nombre de convives. Il nous présente une foule de mets de toute
espèce et de tous les pays, et appropriés au goût de chacun. Il
y en a pour les gens bien portants, il yen a pour les malades.Les
uns sont pour les tempéraments robustes, les autres pour les
faibles, afin que nous ne nous jetions pas tous sur les plats,
mais que chacun prenne le sien, celui qui est fait pour lui, et
dont il a le plus besoin.
8. Vous cependant,par votreintempéranceet votre insatiabilité,
vous ressemblez à l'homme qui enlève tous les mets; vous voulez
jouir de tous à la fois, et de ceux qui naissent dans votre patrie
et de ceux que produisent les autres contrées ni la terre, ni la
mer de votre pays ne vous suffit vous courez acheter des
plaisirs aux extrémités de l'univers vous préférez les jouis-
sances étrangères à celles du sol natal, les plus dispendieuses
aux plus économiques, les plus dificiles à obtenir à celles qu'on
a sous la main en un mot, vous aimez mieux vous livrer à mille
embarras, à mille tourments, que de vivre exempts de soins. Et
pourtant cet appareil précieux, dont le prétendu bonheur gonfle
votre orgueil vous coûte bien des misères et bien des maux.
Jette un coup d'œil avec moi, si tu le veux, sur ces monceaux
d'or et d'argent que chacun désire regarde ces maisons somp-
tueuses, regarde ces habits magnifiques et regarde tout ce
qu'ils tratnent à leur suite, par co'mbien d'embarras, de travaux,
de périls, il faut les acheter, disons mieux, par combien de
sang de meurtres de carnage. Je ne parle point de ceux qui
périssent dans le cours de longues navigations qu'ils entrepren-
nent pour ces objets, de ceux qui souffrent des maux cruels en
fouillant la terre, en bâtissant mais que de combats, que de
piéges à propos des richesses, amis contre leurs amis, enfants
contre leurs pères femmes contre leurs époux 1 C'est pour un
peu d'or qu'Eriphyle a jadis trahi le sien.
9. Telle est cependant la nature de tous ces objets les vête-
ments richement brodés n'en sont pas plus chauds; les toits
dorés d'un palais ne mettent pas mieux à l'abri les coupes d'ar-
gent ne rendent pas les liqueurs plus délicieuses; les lits d'or et
d'ivoire ne procurent pas un sommeil plus agréable. Au con-
traire, tu verras souvent sur ce lit d'ivoire, sur ces tapis pré-
cieux, les heureux du jour ne pouvoir goûter le repos. Il en est
de même de ces mets qu'on se procure avec tant de peines ils
ne nourrissent pas mieux; ils affaiblissent le corps et produi-
sent des maladies.
10. Qu'est-il besoin de parler du rôle actif ou passif que jouent
les hommes dans les plaisirs de Vénus ? Il n'est pourtant pas
difficile de calmer ces sortes de désirs quand on ne veut pas y
mettre tant de délicatesse. Mais ce n'est pas seulement dans
cette passion qu'éclate la folie et la corruption des hommes. Ils
intervertissent l'usage des objets et les détournent de leur des-
tination naturelle. C'est comme si quelqu'un, au lieu d'un char,
voulait se servir d'un lit qui fît l'office d'un char.
LYCINUS. Et quel est ce quelqu'un ?
LE CYNIQUE. Vous, qui vous servez de vos semblables comme
de bêtes de somme, en les forçant de porter sur leur cou ces lits
qui vous servent de chars, où vous êtes couchés voluptueuse-
ment,. et du haut desquels, les rênes à la main, vous conduisez
les hommes comme des ânes, et les faites tourner de ce côté, non
pas de cet autre. Ceux qui se montrent le plus souvent dans cet
équipage sent réputés les plus heureux.
11. Et ces hommes qui ne se servent pas seulement de la
chair des animaux pour nourriture, mais qui cherchent à en
extraire des couleurs, tels que les teinturiers en pourpre, n'a-
busent-ils pas de la nature, ne changent-ils pas l'ordre établi
par la divinité?
LyciNus. Non, par Jupiter 1 puisque la chair de la pourpre a
la vertu de teindre aussi bien que de nourrir.
LE Cynique;. Mais ce n'est pas pour cela qu'elle a été faite.
Autrement on pourrait, à la rigueur, se servir d'une coupe au
lieu de marmite; cependant elle n'est point destinée à cet' usage.
Mais qui pourrait faire le tableau de toutes les misères humai-
nes ? Elles sont incalculables. E t cependant, parce que je ne veux
pas en avoir ma part, tu viens m'en faire un crime. Je fais
comme le convive modéré, j'use des mets placés à ma portée; je
prends les aliments les plus simples, et je ne désire point ceux
qu'on va demander aux autres pays.
12. En second lieu, si je te parais vivre comme une bête, parce
que j'ai besoin de peu et que je me contente d'une vie frugale,
les dieux; d'après ton -raisonnement, courent grand risque d'être
inférieurs à la bête; car ils n'ont besoii. de rien. Or, pour bien
comprendre la différence qu'il y a entre avoir beaucoup ou bien
avoir peu de besoins, considère que les enfants en ont plus que
les hommes faits, les femmes que les hommes, les malades que
les gens en bonne santé bref, le faible en a plus que le fort. Il
suit de là que les dieux n'en éprouvent aucun, et qu'en éprouver
très-peuc'est se rapprocher le plus possible de la divinité.
13. Crois-tu donc qu'Hercule, le plus fort des mortels, cet
homme divin, si justement mis au rang des dieux, ait été con-
traint par le malheur à errer nu, le corps couvert d'une peau
de lion, et privé des choses que vous croyez nécessaires ? Non,
il n'était pas malheureux, ce héros qui délivrait les autres de
leurs maux; il n'était pas pauvre, lui qui régnait sur la terre
et sur la meri Partout où l'entraînaitson courage, il subjuguait
tout, et jamais il ne trouva d'égal, encore moins de maître, tant
qu'il vécut parmi les hommes. Crois-tu qu'il; manquât de cou-
vertures ou de chaussures, et .que c'est pour cela qu'il errait
ainsi? Cette supposition serait absurde; mais il était tempérant
et patient, il voulait se vaincre lui-même et non pas se laisser
aller à la mollesse. Thésée, disciple d'Hercule, n'était-il pas roi
des Athéniens, fils de Neptune, dit-on, et le plus vaillant héros
de son temps P?
14. Cependant il voulut aussi marcher sans chaussure, voya-
ger nu, et laissa croître ses cheveux et sa barbe; et ce n'était
pas lui seulement, mais tel était aussi le goût de tous les anciens
qui valaient mieux que vous. Aucun ne se serait laissé raser,
pas plus qu'un lion. Ils pensaient que la délicatesse et la dou-
ceur de la peau ne conviennent qu'à des femmes ils voulaient
paraître ce qu'ils étaient, c'est-à-dire des hommes ils regar-
daient la barbe comme un ornement de la. virilité, de même que
la crinière est celui des chevaux et des lions, auxquels Dieu l'a
donnée pour rehausser leur beauté et leur parure. C'est aussi
pour cela que les hommes ont reçu leur barbe. Je veux rivaliser
avec ces anciens, je veux les imiter. Quant à ceux d'aujour-
d'hui, je n'envie point l'étonnant bonheur que leur donnentleurs
tables, leurs vêtements, leur mode de se polir et de s'épiler tou-
tes les parties du corps, ne laissant aucun.de leurs membres tel
que la nature l'a produit. y
15. Je souhaiterais, moi, que mes pieds fussent semblables au
sabot des chevaux, comme l'étaient, dit-on, ceux du centaure
Chiron. Je voudrais n'avoirpas-plus besoin de couvertures que
les lions, ni d'une nourriture plus délicate que les chiens. J'ai-
merais que la terre m'offrît partout un. lit commode, que l'uni-
vers fût ma maison, et
ma nourriture les mets les plus' faciles
à trouver. Puissé-je, ainsi que mes amis n'avoir jamais be-
soin d'or ni d'argent Tous les malheurs des hommes ne
proviennent que du désir des richesses dissensions, guerres,
embûches meurtres, n'ont d'autre source que la passion d'a-
voir plus. Loin de moi cette folie, loin de moi la fureur de pos-
séder Puissé-je au contraire voir diminuer mes biens sans
regret!
16; Tu connais mon système: il ne ressemble guère aux idées
du vulgaire; il n'est donc pas extraordinaire que j^n diffère au-
tant,par l'extérieur, puisque j'en suis si loin par l'esprit. Mais je
suis étoriné que toi, qui conviens qu'un cithariste doit avoirunâ
robe longue, un joueur de flûte un costume, un acteur tragique
une, robe traînante, tu ne veuilles pas qu'un homme vertueux
ait sa robe et son costume. Tu prétends qu'il doit avoir un ex-
térieur semblableà celui de tout le monde, quand tout le monde
est,vicieux. Ah s'il faut aux gens de bien un costume particu-
lier, quel autre leur convient mieux que celui qui contraste le
plus avec.les moeurs des hommes perdus de débauche, et pour
lequel ils témoignent le plus d'aversion?
17, 'C'est pour cela que j'ai choisi cette manière de vivre, me
montrant sale, velu, couvert d'un mauvais manteau, les che-
veux longs, les pieds déchaux. Pour" vous, votre oostume ne
diffère point de celui des mignons; il serait impossible de vous
en distinguer par la couleur ou le moelleux de vos vêtements,
le nombre de vos tuniques, votre manteau, votre chaussure, le
soin et le parfum de vos cheveux. En effet, vous exhalez les
mêmes senteurs que les débauchés, vous qui passez pour les
plus heureux des hommes. Mais -que pourrait-on donner d'un
homme qui sent comme les mignons? Vous êtes aussi faibles
qu'eux dans les travaux, aussi esclaves des voluptés vous vous
nourrissez des mêmes aliments, vous dormez, vous marchez
comme eux; mais non, vous ne marchez point, vous vous
faites porter comme des fardeaux, les uns par des hommes, les
autres par des bêtes de somme, tandis que mes pieds me portent
partout où j'ai besoind'aller. Je suis en état de braver le froid et
la chaleur; je.ne me plains jamais de ce qu'ordonnentles dieux,
et cela à cause de mon indigence. Quant à vous, votre bonheur
même fait que vous n'êtes contents de rien; vous vous plaignez
sans cesse; les objets présents vous sont insupportables, vous
souhaitez ceux qui sont absents l'hiver vous désirez l'été, et
l'été l'hiver vous voudriez avoir chaud quand il fait froid, et
froid; quand .il fait. chaud difficiles .comme,des maladçs.et mé-
contents de votre sort; enfin, ce que la maladie produit en eux.
votre caractère le produit en vous.
18. Après cela, vous vous donnez des airs de nous réformer,
de censurer notre conduite, comme des gens qui agissent folle-
ment, tandis que c'est vous dont les actions sont folles vous
ne faites rien, en effet, avec jugement et raisonnement,mais par
routine et par passion. Vous ressemblez à ceux qui sont empor-
tés par un torrent: ils vont partout où les entraîne la rapidité
de l'eau, de même vous allez où vos passions vous entraînent.
Il vous arrive quelque chose d'approchantà cet homme qui était
monté, dit-on, sur un cheval indompté: l'animal l'entraînait,
et le cavalier ne pouvait descendre de son cheval lancé au
galop. Quelqu'un le rencontre et lui demande où il va. < Où il
voudra, répond-ilen montrant le cheval. De même, si l'on vous
demandait où vous allez, pour être sincères, vous devriez ré-
pondre ï Où voudront nos passions où nous conduiront tour à
tour le plaisir, la vaine gloire, la cupidité, la colère, la crainte,
ou tout autre de ces mouvements déréglés qui nous entraî-
nent. » Car ce n'est pas un seul cheval que vous montez, mais
un grand nombre, tantôt l'un, tantôt l'autre, et tous d'un na-
turel fougueux. Aussi vous emportent-ils dans des abîmes et
dans des précipices, où vous tombez avant d'avoir prévu la
chute.
19. Mais ce manteau dont vous vous moquez, cette cheve-
lure, tout mon extérieur enfin, possède la vértu de me faire vi-
vie. dans une douce oisiveté je ne fais que ce qu'il me plaît et
ne vis qu'avec qui il me convient. Dans cette foule d'insensés et
d'ignorants, il n'en est pas un seul qui voulût m'aborder. Vos
délicats me -fuient -du plus loin qu'ils m'aperçoivent je ne vois
s'empresser autour de moi que les hommes aimables, doux et
amis de la vertu ce sont ceux-là surtout qui m'approchent;
c'est avec eux que j'aime à me trouver. Mais je ne vais point
courtiser la porte de ceux que vous décorez du nom d'hommes,
leurs couronnes: d'or, leur pourpre, ne sont à mes yeux que de
la fumée, et je me ris de ces vaniteux.
20. Pour apprendre à connaître' combien cet extérieur, dont
tujke moques; ne convient pas seulement aux gens de bien, mais
aux dieux eux-mêmes,jette les regards sur les statues des dieux
à qui ressemblent-ellesdavantage, à vous ou à moi? Sans t'ar-
rêter aux temples de la Grèce, parcours Ceux des barbares; les
dieux y sont-ils chevelus et barbus comme moi, ou bien sont-
ils peints et sculptes comme vons, sans cheveux et sans barbe?
Que dis»je? ils sont presque tous comme moi, 6ans tunique.
Comment oserais-tu donc à présent mépriser un costume dont
s'honorent les dieux f?

LXXVI

LE PSEUDOSOPHISTE OU LE SOLÉCISTi;1.

LYCINUS, LE SOLÉCISTE.

1. Lycinus. Est-ce que, quand on est capable de remar-


quer les solécismes des autres, on ne doit pas se garder d'en
faire?
Le Soléciste. C'est mon avis.
Lycinus. Et quand on ne sait pas s'en garder, n'est-on pas in-
capable de remarquer ceux des autres?
LE SOLÉCISTE. Assurément.
LYCINUS. Eh bient prétends-tu 'ne jamais faire de solécismes, ou'
devons-nous dire autre chose de toi?

mes à mon âge. >,


LE SOLÉCISTE. Je serais un ignorant, si je faisais des solécis-

Lycinus. Alors, tu es capable de prendre en flagrant délit


celui qui on commet, et de l'en convaincre, malgré ses dénéga-
tions ?
LE Soléciste. Complètement.
LïCiNus. Prends-moi donc en flagrant délit de spléoume; je
vais en faire tout à l'heure.
LE Soléciste. Voyons!
Lycinus. Cette œuvre afl'reuse est accomplie, et tu ne t'en es
pas aperçtt •
l\ Non» avons eu quelque peine à mirai passer dans notrolangucce dialogue,
qui roule sur des finesses et des subtilités grammaticales. Nous espérons que
les notes éclaireront une traduction devant, laquelle oot reculé jusqu'ici*les
interprète» français de Lucien.
2. "A/m aoioixiû est un solécisme parce que les AUiquet n'emploient pas
9éPTt.ave~~futur., mais *vOelo !I..é,o",ol! 10 pltléi
LE Soléciste. Tu veux rire.
LYCINUS. Non pas, au nom des dieux! J'ai fait un solécisme
à ton insu, et tu n'y as rien compris. Fais bien attention une
seconde fois, car je dis que tu n'y vois goutte. Il y a des choses
que tu, sais et d'autres que tu ne sais pas.
LE Soléciste. Parle donc.
Lycinus. Mais en ce moment même je fais un. solécisme, et tu
ne l'as pas remarqué
LE SOLÉCISTE. Comment le remarquer? Tu ne dis rien.
LYCINUS. Mais si; je parle et je fais des solécismes; seule-
ment tu n'es pas sur la piste. Puisses-tu bientôt te mettre sur la
voie1!
2. LE SOLÉCISTE. Tu es étonnant de me dire que je ne puis pas
découvrir un solécisme.
LYCINUS. Comment pourrais-tu en découvrir un, puisque tu
viens d'en laisser passer trois sî
LE SOLÉCISTE. Trois! lesquels?
Lycinus. Tous déjà barbus.
LE Soléciste. Je crois que tu plaisantes.-
LYCINUS. Je dis que tu ne sais pas quand on fait une faute de
langage.
LE SOLÉCISTE. Comment veux-tu qu'on s'en aperçoive, lorsque
personne n'en fait?
Lycinus. C'est pourtant fait j'en ai commis quatre et tu
n'en as rien vu. C'eût été un bel exploit que, de les com-
prendre
LE SOLÉCISTE. Pas très-beau, mais nécessaire après mon
aveu.
Lycinus. Mais en ce moment même tu-n'as pas compris.
LE Soléciste. Quand donc?
LYCINUS. Quand je disais que c'eût été un bel exploit.
LE SOLÉCISTE. Je ne sais pas ce que tu veux dire.
Lycinus. Tu as raison, tu ne sais pas.'Remonte en avant
vers ce qui précède, puisque tune veux pas me suivre. Tu-aurais
pourtant compris, si tu avais voulu
1 Selon ThomasMagister, on ne doit pas dire *A ph oîcB', « d'eux oinOx,
mais rrjà pèv, tcjô. S'è.
2. "Ofsiov âumjey est une faute, parce que '6yeio-j ne se construitpas avec
le futur de l'indicatif. •
3*Le premier;e8t âpti, le second & pè-j, & Se.; le troisième, o^sXo-j.
4. Le quatrième solécisme consiste dans l'emploi il&Jftm, .ptouesse, au
genre neutre s il ejlt fallu pàyn» «âi.ov, au lieu de psy*
5. Un AMique eût remplacé <Gt/viî<jto par.fruvfixog -eiv,i-l*ehinwfrn'JiLaw/iiooi,
3. LE Soléciste, Je le veux bien, mais tu n'as pas prononcé
un seul des'mots que prononcent les faiseurs de solécismes.
LYCINUS. Vraiment, ce que je viens de dire te paraît excusable?
Alors, marche derrière moi, puisque tu ne t'aperçois pas quand
je sors du droit chemin.
LE SOLÉCISTE. De par tous les dieux, je ne m'aperçois de
rien.
Lycinus. J'ai laissé le lièvre courir au galop T'a-t-il donc
échappé? Il n'est cependant pas difficile d'apercevoir ce lièvre.
Autrement, il y aura une foule de lièvres pris au solécisme, sans
que tu les voies.
LE SOLÉCISTE. Je les verrai bien.
Ly'cinos. Tu ne les as pas vus.
Soléciste. Tu m'étonnes.
LE
Lycinus. C'est ta grande érudition qui te fait du tort', à ce
point que tu ne vois pas encore ici de solécisme. Or, je n'ai pas
ajouté à Biêp8opaç son complément tfva.
4. LE Soléciste. Je ne saisis pas bien; cependant j'ai pris
beaucoup de gens à faire des solécismes.
Lycïnus. Aussi tu me prendras, quand tu deviendras quel-
qu'un de ces enfants qui tettent leurs nourrices Ou, si tu ne
sens pas que je trouble mon discours par
des solécismes, les
enfants, en grandissant, en feront un aussi, sans que ty t'en
doutes':
LE Soléciste. C'est la vérité. e
LYCINUS. Si nous ignorons cela, nous n'entendrons rien à nos
autres affaires car voilà encore un solécisme qui t'échappe. Ne
dis donc plus que tu es capable dë prendre quelqu'un en flagrant
délit de solécisme, et incapable d'en faire toi-même. C'est un
conseil que je te donne.
5. Socrate de Mopse, avec qui j'ai été en Égypte, ne repre-
nait jamais les gens avec aigreur ni dureté; il ne vous repro-
chait jamais une faute. Mais si on lui demandait « Quand sor-
traduit
première personne du futur actif, et Intellexero, si voluisses,«je com-
prendrais, si tu voulais, n D'autres éditeurs donnent aunauv, intellecturus.
Nous avons suivi la leçon adoptée par Grévius
i. En placede SïCv la.yù, il eût fallu dire, en Ijon allique, Sistv iays}»,
et au lieu de -/evo/nsvsi iayiB, y tri/mot Xayoî.
2. AispSopa; aurait dû être remplacé par ^isyô«p>is.
3. Il, a ici un jeu de mots qui porte sur le double sens de ôulciÇw, allaiter
etêtre allaité, lactare et lecture
4 Autre jeu de mots sur aiJJàvevTK, qui signifie à la fois grandtitaaiel
agrandissant.
rRïivnn« rflMPt.lÏTir.R TïR I.nr.IRN. – II ÎIO

tez-vous'Y ym est-ce qui peut vous répondre, msait-u, qu'ilil
sortira aujourd'hui? » Si on lui disait <t Je suis attaché aux
lois de ma patrie. Comment dites-vous? répondait-il; est-ce
que votre père est mort1? » Quelqu'un lui dit un jour <r C'est
mon compatriote. Nous ne savions pas, dit-il, que vous fus-
siez barbare*. » A un autre qui disait « En voilà un d'ivrogne!
Parlez-vous de sa mère, reprit-il, ou comment l;entendez-
vous4? Un homme employait le mot Ix>.sXox,oTaç. « Vous avez
tort, dit-il, de vous servir à'IZsiforfitae avec un redoublement".»
Un autre voulait dire « Il a de la présence d'esprit » mais
comme il mit deux [t au mot Xîjp.a (présenced'esprit), sa phrase
se changea en celle-ci « Il a du profit. -Eh bien, dit Socrate,
qu'il profite donc » Quelqu'un lui dit « Ah voici une jeunesse
qui est de mes amis 1- Ce n'est pas bien, dit Socrate, vous l'in-
sultez*. » On lui dit une fois J'effraye cet homme et je le fuis.
– Tiens! dit-il, quand vous craignez un homme, vous le pour-
suivez' ? » Un autre disait «c La plus haute sommité de mes
amis. II est plaisant, dit Socrate, de voir quelque chose de
plus haut que la sommité'. j> «Je pousse vers la porte, dit un
autre. Ahqui chassez-vous donc?»répondit-il*. Quelqu'un

4 ni)v&« forme un solécisme si on l'emploie dans le sens de quand, et a


quel moment? Il signifie, proprement, a quelle heure?a
2 txKvà lx<» t« 7r«Tj5<3« peut avoir le sens que nous lui donnons dans
notre traduction, maison bon attiqae il faudrait,dire rà xktj9i«; sans quoi
on pourrait croire, comme Socrate de Mopse que le sens est J'ai un patri-
moine convenable et s'attirer la réponse que Lucien lui prête.
3. 2u/iirocTj5icJTi]ç est on mot barbare nn Atlique eut dit «oJU'tiîs Urt
pou ou iioi.
4. VltSiinn attiquement ne s'emploie qu'au féminin. J'ai cherché à donner
quelque idée de ce solécisme grec en employant la tournure triviale En
poil. »/s £ ivrogne!qui justifie mieux le mot de Socrate de Mopse « Parlez-
vous de sa mèref »
6. Le parfait du verbe ixiiyu, eheisir, est HtiXo^a, an lieu de l'inusité
lr.U).oXu. Vov.MaUbiœ Gramm. gr § <89. Cf. Burnouf, Méth. gr., 403, note.
En traduisant littéralement le mot de Socrate, nous aurions lous doublez
ceux qui choisissent..
6. Jfsi/K?, que nous traduisons par le mot jeunesse, ne s'emploie attique-
ment qu'an féminin avec l'article masculin, il signifie un débauché.
,7 L'interlocuteurde Socrate donne mal à propos le sens de craindre au
mot iiSiTTOpou, qui signifie effrayer. aurait dû se servir de îéSoixa. Toute
celte équivoque est intraduisible en français.
8. Kopvfxtt>txTO(n'est pas plus permis en grec, qu'en latin summissimus.
0. 'Efop/iû signiflefabsolument/esorti tes Attiqués ne t'emploient qu'avec
le sens de pousser, chasser.
ayant ait: c Au-aessus ae îasuriace. – u estceia, au-u; au-aessus
de la surface, comme on dit au-dessus du tonneau. » Un autre
ayant dit Il m'a ordonné. Xénophon, reprit-il, a aussi or-
donné des bataillons. » A un autre qui disait « Je l'avais entor-
tillé pour mé cacher. C'est extraordinaire répondit-il, qu'à
vous seul vous ayez entortillé un homme'. "Un autre vou-
lant dire Il disputait avec lui, se servit des mots auvExpIvETo
aÙTôi, qui peuvent signifier Il
était comparé avec lui, » Socrate
alors lui dit Eh bien, ils étaient distincts. i
6. Socrate avait également coutume de railler avec courtoisie
ceux qui solécisaient par excès d'atticisme. A quelqu'un qui di-
sait « A nous, cela nous paraît bon. Vous direz aussi,
n'est-ce pas, à nous, nous faisons une faute*? s Un autre racon-
tait gravement un fait relatif à sa patrie, et disait « Cette
femme ayant eu commerce avec Hercule. Eh bien, reprit So-
crate, Hercule n'a-t-il donc pas eu commerce avec elles? Quel-
qu'un disait <r Je vais me faire tondre. Quel mal avez-vous
donc fait, dit-il, et qui vous vaille d'être noté d'infamie' ?» » Un
autre disait <r Je vais ferrailler. Ah! vous allez vous battre
avec les ennemis"? » « Mon fils malade est à la torture, disait un
autre.-Quelui veut-on donc, de le mettre ainsi à la question8? s
« Il avance
dans les sciences, disait quelqu'un. Pfaton, reprit
Socrate, appelle cela faire des progrès'. » On lui demandait un
jour s Déclamerez- vous? au lieu de dire « Un te' déclame-
ra t-il ? » [iAe-nfaEt au lieu de (/.EXe-ofastai ? a Comment, dit-il,
vous me demandez si je déclamerai, et vous me parlez d'un
tel? n
7. Un imitateur des Attiques s'étant servi à la troisième personne
de ts6v)]'Ç£!, tu mourras, en place de TEOvîReTat, il mourra « Mieux

1. Les Altiques blâment le verbe isgpUGWJt dans le sons d'entourer,qua A


il ne s'agit que d'une seule personne. Nous blâmerions de même le mot
entortiller, comme trivial.
2. J'ai lâché de rendre ici l'équivalent du grec »OV. Le solécisme consiste,
en ce qu'il fallait dire vût'v.
3. Le verbe piywpxi s'emploie spécialement pour exprimer les rapports de
l'homme avec la femme, et «on pas ceux de la femme avec l'homme.
4. En place de xKjSSjvat, il fallait dire x«i/»àafl«i le premier mot élait un
terme injurieux.
5. Zvyo/utxetv, que nous Iraduisons parferrailler, indique plutôt le sens de
se mettre en ligne contre les ennemisque celui de iLscuter amicalement.
6. BaeaviÇtfflai ne se dit pas, en grec, d'une maladie, suivant Thomas
Magister; il fallait ISeraÇsotfai.
7. Au lieu du verbe apoxoTtTiiv, il fallait employer smSiiimt.
eût valu, dit Socrate, ne pas affecter le beau langage, pour me
dire un mot de mauvais augure. » Quelqu'un s'étant servi de la
locution axo)(i'Çou.m altoS je le vise, dans le sens de je V épargne:
«Est-ce que vous avez mal ajusté? » dit-il. Quelqu'unayant em-
ployé (Jiftoîàv, et un autre <5?imdtveiv.pour <$<pi5T*»«i, entraîner à la
révolte « Ma foi! dit-il, je ne connais ni l'un ni l'autre. » On
se servait devant lui de la locution sauf excepté que. « Voilà,
dit-il, de la prodigalité! » Un autre disant xpïcBai au lieu de
/pisSat C'est un mot pseudattique, dit-il. « Dès alors, disait
un autre.-C'estfort beau,reprit-il, de parler à l'ancienne mode;
Platon, en effet, a dit « Pour lors » Un autre ayant dit !&i
au lieu de M m Vous employez, dit-il, un mot pour un autre'. »
Quelqu'un ayant employé ivTiXa(i6ivoji«t j'entends, au lieu de
suv(r)[ii, je comprends <r Je m'étonne, dit Socrate, que voulant
jouer le premier rôle dans la conversation, il se condamne au
second. » Un autre disant PpâSiov, plus lent, au lieu de po«Si-
tepov «Est-ce que ce n'est pas la, même chose, dit-il, que
•t(fy,iov plus prompt'? Il en entendit un autre qui se servait du
mot p«pE?v, être à charge <t Bapiveiv, lui dit-il, n'est pas aussi
suranné que vous le croyez'. » Quelqu'un disait X&oyxa au lieu
d'cïXvjxa, j'ai obtenu parle sort « La différence est légère. dit-il,
on peut s'y tromper". » Beaucoup de gens disant &cr«a9at voler,
au lieu de rcÉcecôai « Nous savons bien, dit-il, que ce mot vient
de irojaiç. » Quelqu'un ayant appelé pigeon une colombe, afin
d'être plus attique « Nous finirons, dit-il, par appeler cet oi-
seau une oie.» Un autre ayant dit qu'il avait mangé foœAv (au
lieu de çaxîjv) « Comment peut-on dire s'écria Socrate, qu'on
a mangé un vase d'huile"? Mais en voilà assez sur Socrate de
Mopse.
8. Revenons, si bon te semble, à notre première discussion.
Je vais te citer les sdlécismes les plus notables; reconnais-les
au passage. Je pense que maintenant tu ne seras pas embar-
rassé, après en avoir entendu une si belle série.
4. Platon se servant de ci;rire, notre hypérallique se croit autorisé à dire
ix tot£ j'ai fait de mon mieux pour Tendre cette faute intelligible.
2. Les Attiques, selon Thomas Magistet, préfèrent 'ISoC à "lis.
5. Au lieu derâ^tov, les Attiqnes disent SStto», et les Ioniens TK^u'refov.
4. Thomas Magisterdit que /3«psïv est inusité, et qu'il faut se servir de
QKpxîvetv.
6. Voy. Matthiie, Gmmm. gr., g 185, 3 § (86, 3; et § 2*2.
6. foute», en effet, signifie un vase d'huile, tandis que l'interlocuteur de
Socrate voulait dire qu'il' avait mangé une lentille, ;>axsjv, ou au pluriel
yuxaùt.
LE SOLÉGISTE. Peut-être ne pourrai-je pas te suivre. Dis pour-
tant.
Lycinus. Comment dis-tu que tu ne pourras pas? La porte
ouvre pour toi, afin que tu puisses les reconnaître
LE SOLÉCISTE. Dis donc.
Lycinus. J'ai dit.
LE SOLÉCISTE. Rien au moins qui m'ait paru extraordinaire.
LYciNus. Tu n'as pas remarqué ouvre pour toi?
LE SOLÉCISTE. Non!
LYCINUS. Que deviendrons-nous,si tu ne suis pas exactement
mes paroles? En revenant à ce que tu as'dit au commencement,
je croyais que j'appelais les cavaliers dans la plaine. Eh bien!
as-tu remarqué ces cavaliers8? Mais tu parais te soucier fort
peu de ce qu'on dit; et même de la question qui se débat entre
nous eux-mêmes S.
LE SOLÉCISTE. Je m'en Soucie beaucoup; mais tu fais tes coups
à la sourdine.
9. LYCINUS. A la sourdine, quand je dis entre nous eux-mêmesl
C'est pourtant bien clair. Mais il me semble qu'il n'y a pas de
dieu qui puisse te dessiller les yeux, sauf Apollon. Il prophétise1
à tous ceux qui le consultent; mais tu n'as pas fait attention à
cette prophétie.
LE SOLÉCISTE. Pas le moins du monde, j'en atteste les dieux!
Lycinus. Vraiment 1 les solécismes t'échappent à la pas-
sage U p?
LE SOLÉCISTE. Complétement.
Lycinus. Et cet à la passage, tu ne t'en es pas aperçu?
LE Solégiste. Ma foinon.
Lycinus. Mais connais-tu quelqu'un qui veuille se marier?
LE Soléciste. Pourquoi cela?

4. Au lieu de àviuyé toi, il faudrait ùvéaxTai jot. Nous avons cherché â


donner une idée de ce solécisme, en disant la porte oavre, au lieu de s'ouvre
pour toi.
2. En place i'imcetf, cavaliers, Lycinus aurait dû employer l'accusatifplu,-
riel imzsKç avec tous les écrivains de la bonne grécité.
3. Nous demandons la permission de faire ce solécisme, qui correspond a
celui du grec.
4. M«vT£t/sToct, employé par Lycinus, ne signifie pas prophétiser en bon
attique c'est des verbes xpôc» ou àvatpiïv qu'il aurait dû se servir. Cependant
fi.arjze0ea6<r.t est autorisé par des écrivains d'une correction non équivoque,
et notamment par Lucien lui-même.
5. Le grec dit xafl' ifs, au lieu de xccû' h«, ad umu au lieu de ad unum.
Nous avons essayé d'en donner un équivalent en français.
Lycinus. C'est qu'il ne peut vouloir se marier sans commettre
un solécisme
LE Soî-éciste. Qu'est-ce que cela me fait, je' te le demande,
qu'on commette un solécisme en voulant se marier?
Lycinus. Cela fait qu'on ignore une chose qu'on prétendait sa-
voir. C'est comme cela. Mais si quelqu'un te dit en passant qu'ilil
divorce d'avec sa femme, le lui permettras-tu ?
LE SOLÉCISTE. Pourquoi ne pas le lui permettre ? P
Lycinus. S'il te ledit en faisant un solécisme, le lui permet-
tras-tu également*?
2 ·
LE soléciste. Non pas.
Lycinus. Tu as raison. Il ne faut pas d'indulgence avec un
faiseur de solécismes seulement il faut lui apprendre à les évi-
.er. Et si quelqu'un fait crier la porte en entrant, et qu'il y
rappe en sortant, que diras-tu de lui?

.
Le Soléciste. Rien, si ce n'est qu'il a voulu entrer et sortir.
LYCINUS. Eh bien si tu ne vois pas la différence qu'il y a
entre faire crier la porte et y frapper, je te déclare un ignorant'.
LE SOLÉCISTE. Et toi, tu es un insolent.
Lycinus. Que dis-tu? comment veux-tu que je sois un inso-
lent en discutant avec toi? Tiens! je viens de faire encore un
solécisme, et tu n'en as rien vu4
10. LE Soléciste. Assez, au nom de Minerve ou,
du moins,
dis-moi quelque chose que je puisse remarquer.
Lycinus. Et commenty arriveras-tu?
LE SOLÉCISTE. Si tu m'avertis chaque fois que tu fais un solé-
cisme à mon insu, en me signalant ta faute et en me disant en
quoi elle consiste.
Lycinus. Pas du tout, mon bon. Notre conversation n'en fini-
rait plus. Mais si tu veux me faire des questions sur tout cela,
je suis entièrement ton homme. Passons donc s'il te plaît, à

4 Toute cette équivoque roule sur l'emploi vicieux de ,ua>jiTsi/satoi, qui


ne se dit que pour les filles à marier on se sert de /tuânènu. quand il s'agil
d.'un prétendu. >
2. Ce solécisme consiste à se servir &'krcoXsitieiv, en parlant d'un homme.
Ce verbe est réservé exclusivement pour les femmes qui se séparent de leur
mari. L'homme qui répudie sa femmedoit dire èx&ziXeiv yu-jxîxu.
3. Il faut intervertir ici la place des verbes grecs tppfeâ et .xrfirrttv. Vofca,
faire crier la porte, se disait de ceux qui sortaient*; et xo'-rjiv, de ceux qui
fi-appaient avant d'entrer.
4. En effet, il a dit :.W6» iii ymlao/uu, au lieu de vOï <î>j yiao/uu, attendu
que m» «JiJ ne se construit pas avec le futur, mais avec le présent seule-
ment. ..v
d'autres exercices. Et d'abord, le mot St-za, dont je viens de me
servir, doit avoir ici un esprit doux, et non pas un esprit rude
C'est le moyen qu'il soit employé correctement après frspa. De
cette manière, il ne sera pas étrange. Maintenant, parlons de
l'outrage que je t'ai fait, et qui m'a valu de toi le nom d'inso-
lent. Si je ne parlais pas comme cela, mon expression serait
incorrecte*.
LE SOLÉCISTE. Je n'y trouve rien à reprendre.
LYCINUS. Le voici. Quand je dis aï &6pfÇstv, c'est à ta personne
que je fais outrage, avec des coups, des liens, ou de toute autre
manière. Mais quand je dis sîç ci, l'outrage retombe sur quelque
chose à toi. Ainsi celui qui fait outrage à ta femme, te fait ou-
trage à toi-même (sis ai); et il en est de même de celui qui fait
outrage à ton fils, à ton ami, à ton esclave, à tout ce qui t'ap-
partient. Car Platon, dans son Banquet, dit dans ce sens, sous une
forme proverbiale, qu'on peut faire outrage à un objet inanimé.
LE Soiéciste. Je comprendsla différence.
Lycinus. Eh ne comprends-tu pas également que celui qui
brouille tout cela mérite qu'on lui reproche de faire des solé-
cismes '?1
LE SOLÉCISTE. Maintenant que tu me l'as dit, je le comprends.
Lycinus. Mais quand on dit brouiller et embrouiller, crois-tu
que ce soit la même chose?
LE Soléciste. Oui.
Lycinus. Est-ce possible? L'un peut-il être employé pour l'au-
tre ? Le bon pour le mauvais? Le mot qui est pour celui qui
n'est pas?
LE SOLÉCISTE. Je comprends brouiller, c'est user du teime
impropre au lieu du terme propre, et embrouiller, c'est tantôt se
servir du mot propre, tantôt duterme impropre'.

1. "Att«, avec un esprit rude, est pour «riva, n'importe quoi, et ne s'em-
ploie qu'au commencement d'un membre de phrase. "Att«, avec un esprit
doux, est pour nvx, quelques,quœdàm, avec un mot qui le détermine, comme
dans ce passage ërcp' ôirra.
2. Il y a cette différence entre ùGpiÇa ci et ûSptÇu eiç ai. que le premier
signifie, je te fais outrage directement, tandis que le second signifie,je fais
outrage à tes amis, à quelque chose qui t'appartient. Lycinus, du resle, l'ei*
plique à son interlocuteur.
.1. Nous avons rendu de notre mieux la différencesubtile que Lycinus établit
entre ùt:où.).kttuv et haXXv.rTsiv. Cette distiuction est rendue plus sensible
pour le grec par les substantifs qui correspondent à chacun de ces deux
verbes: Au verbe inaiXKTreiv se rattache ùnod).Kyii,.i'hy[ialtage, figure par
laquelle on parait attribuer à certains mots d'une phrase l'idée qui appartient!
Lyginus. Il y a d'autres observations tout aussi jolies mon-
trer du zèle à quelqu'un exprime une arrière-pensée d'intérêt
chez celui qui montre ce zèle montrer du zèle
pour quelqu'un
exprime une idée de dévouement à cette personne'. Il y a des
gens qui négligent ces nuances, et d'autres qui les observent
avec une attention scrupuleuse. Cette attention scrupuleuse me
semble de beaucoup préférable.
11. LE Soléciste. Tu as bien raison.
Lyciuus. Sais-tu également la différence qu'il y a entre
se
seoir et s'asseoir, sieds-toi et assieds-toi?
7
LE Soleciste. Non mais je t'ai entendu dire que sois assis
n'est pas correct.
LYCINUS. Tu as bien entendu. Je dis en outre qu'il
y a une
différence entre sieds-toi et assieds-toi.
"Le SOLÉCISTE. En quoi consiste-t-elle?
Lycinus. En ce qu'on dit assieds-toi à quelqu'un qui est de-
bout, et sieds-toi à quelqu'un qui est assis. Par exemple

Sieds-toi donc, étranger, nous nous siérons ailleurs'

au lieu de lui dire Assieds-toi donc, étranger. Ainsi, pour le dire


une seconde fois, c'est une faute que de changer tout cela. Ne
vois-tu pas, en effet, la nuance qui sépare ces deux locutions,
dont l'une s'applique aux autres, et l'autre à nous-mêmes?
12. LE Soleciste. En voilà assez sur ce point; passons à un
autre, car il faut que tu me donnes des leçons.
Ltcinôs. C'est juste; quand je parle autrement, tu ne m'en-
tends plus. Sais-tu précisément ce que signifie Çuyypaoeiç?
LE Soleciste. Je le sais parfaitement maintenant, après t'avoir
entendu'.
Lycinus^Tu confonds aussi, je crois, x*raBou>.ouv et fcara-
SouXoOoe«i tandis que moi, je vois entre ces deux mots une
énorme différence.
1
d'autres mots de cette même phrase; et au verbe ivxiXxTTsm se rattache
iwuWayij, Vénallage, qui consiste à employer une forme de verbe
pour un autre.
En français, brouiller, c'est mettre en confusion, avec l'Idée de dessein, d'in-
tention malveillante; embrouiller, c'est mettre eu désordre, â son insu,
inhabileté ou par maladresse. par
4 J'ai taché de rendre en français la nuance qui existe entre ««rfàÇjn
Ttfii Tcva et (rTreuJâÇstv itepi twk.
2. Odyssée, XVI v. *4.
3. Nous n'avons pas insisté sur les arguties minutieuses qui précèdent.
Quant au véritable sens de KvftpKftvï, qui signifie proprement écrivain,
il
veut dire /</î/wi«) dans tous 1m auteurs de la bonne grécilé.
LE SOLÉCISTE. Laquelle?
Ltcinus. Kax«8ouXo3|iai veut dire je suis esclave d'un autre et
x«ta8ouXS>, je suis mon propre esclave.
LE SOLÉCISTE. A merveille!
Lycinus. Tu as encore bien d'autres choses à apprendre à
moins que tu ne croies savoir, quand tu ne sais rien.
LE Soléciste. Je ne crois pas savoir.
Ltcinus. Eh bien, remettons le reste à une autre fois, et ter-
minons ici ce dialogue..

LXXVII

•GHARIDEMUS OU DE LA BEAUTÉ1.

HERMIPPUS ET CHARIDÉMUS.

1. HERMIPPUS. Je me promenaishier, Charidémus,hors de la


ville, afin de me récréer par la vue des champs, et puis parce
que j'avais besoin de repos pour méditer l'oeuvre dont je m'oc-
cupais, lorsque je rencontrai Proxénus, fils d'Épicràte. Je le sa-
lue, suivant l'usage, et je lui demande d'où il vient et où il va.
Il me répond qu'il vient aussi, selon son habitude, prendre du
repos et du plaisir à voir les champs, respirer l'ait pur et léger
qui les rafraîchit, qu'il sort d'un festin splendide, donné au
Pirée par Androclès, fils d'Épicharès, lequel vient d'offrir un sa-
crifice à Mercure pour le remercier de sa victoire il avait, en
effet, remporté le prix d'éloquence aux Diasies
2. Proxénus ajoute que la fête s'est passée d'une façon agréa-
ble et polie, qu'on y a lu des éloges de la beauté, qu'il ne peut
pas, à la vérité, me les rapporter, parce que la vieillesse lui a
1. On doute de l'authenticité de ce dialogue. Wieland, qui le croit de
Lucien, l'attribue à la première jeunesse de l'auteur. Il est une imitation ma-
nifeste de l'Éloge d'Hélène d'Isocrate. Voy. notre thèse latine De ludicrisapud
veteres laudatlonibus, p. 44 cl suivantes
2. Voy. Timon, 7.
fait perdre de sa mémoire, et que d'ailleurs il n'a pas assisté
tout le temps à cette lecture, mais que tu peux, toi, satisfaire
ma curiosité, puisque tu as été l'un des lecteurs, et que tu as
entendu les autres durant tout le festin.
CHARIDÉMUS. Le fait est vrai, Hermippus. Cependant je ne
pourrais pas te redire exactement tout. Il n'était pas possible
de tout entendre, à cause du bruit que faisaient les convives et
ceux qui les servaient; et puis, rien n'est plus difficile que de
se rappeler des discours tenus dans un festin. Le vin, tu le sais,
fait perdre laméjnoire, même à ceux qui en ont le plus. Cepen-
dant, pour t'être agréable, je vais essayer de te faire ce récit de
mon mieux et de n'omettre aucune des circonstances qui me
viendront à la pensée.
3. HERMIPPUS. Je t'en sais beaucoup de gré. Mais si tu vou-
lais me dire avant tout quel est l'ouvrage qu'a lu Androclès, sur
qui il a remportéla victoire,quellesétaient les personnes invitées
avec toi à son festin, ta gracieuseté serait complète.
Charidémus.L'ouvrage d'Androclèsétait. un éloge d'Hercule;
il l'a composé, dit-il, pour obéir à un songe. Il a remporté le
prix sur.Diotime de Mégare, qui lui disputait les épis ou plutôt
la gloire du succès.
Hermippos. Et quel ouvrage a lu Diotime?
CHARIDÉMUS. Un éloge des Dioscures. Après avoir été délivré
par eux de grands dangers, il a voulu, nous a-t-il dit, leur payer
ce tribut de reconnaissance. D'ailleurs ce sont, eux-mêmes qui
l'ont invité à le faire, en lui apparaissant au haui des mâts dans
le fort d'une tempête.
4. Au festin se trouvaient un nombre considérablede parents
et d'amis du vainqueur. Mais ceux qui méritaient d'être cités en
première ligne, comme ornement du 'repas et pour avoir fait
l'éloge de la beauté, sont Philon, fils de Dinias, Aristippe,.fils
d'Agasthène, et moi troisième. Le beau Cléonyme, neveu d'An-
droclèSi était assis à côté de nous. C'est un jeune homme déli-
cat, un peu efféminé, mais qui ne manque pas d'esprit. Il nous
écouta, du moins, avec une, grande attention. Philon se mit le
premier à parler de la beauté, et voici son exorde.
Hermippus. Ne commence pas ce discours, mon ami; :que tu
ne m'aies appris auparavant la cause pour laquelle vous avez
choisi ce sujet.
Charidémus. Tu as tort, mon cher, de m'arrêter à tout in-
stant j'aurais déjà fini mon récit, et nous pourrions nous retirer.

< C'est ainsi que dans les Jeuxjloraux les prit sont des fleurs d'or.
Mais comment résister à un ami qui vous fait violence? 11 faut
bien'se plier à tout.
5. Tu veux savoir la cause de notre discours; ce fut le beau
Cléonyme lui-même. Il était assis entre son oncle Androclès et
moi. Plusieurs convives, gens ignorants, parlaient beaucoup de
ce jeune homme; tous les regards étaient sur lui et l'on s'exta-
siait sur sa beauté. On négligeait à peu près tout le reste pour
lui, et l'on ne tarissait pas d'éloges. Charmés de voir cette in-
clination pour sa beauté, et faisant choeur avec les autres con-
viés, nous crûmes que ce serait une négligence coupable de
nous laisser, à cet égard, surpasser en éloquence par des gens
sans instruction, perdant ainsi le seul avantage que nous avions
sur eux, et nous résolûmes de parler de la beauté. Cependant il
nous parut convenable de ne pas faire l'éloge du jeune homme
en le désignant par son nom, afin de ménager les convenances
et de ne pas augmenter son amour-propre. En outre, voulant
éviter que nos discours fussent, comme ceux des autres, jetés
au hasard et sans suite, nous décidâmes de parler chacun à
notre tour, et de dire ce que notre mémoire nous suggérerait
sur cette question.
6. C'est Philon qui commença en ces termes » Qu'il serait
étrange, quand nous nous empressonschaque jorr de mettre nos
actions en rapport avec les règles de la beauté, de ne point nous
en entendre parler, mais de nous voir assis en silence, crai-
gnant de laisser échapper malgré nous l'éloge d'un bien, objet
de tous nos désirs 1 Et cependant serait-ce bien de l'éloquence
que de l'appliquer à des objets sans valeur et de rester muet
devant la beauté même? Comment employer mieux les grâces
du discours qu'en laissant le reste pour ne songer qu'à l'objet
qui est la fin de tous les autres? Mais de peur qu'on ne s'ima-
gine que mes sentiments sur la beauté ne trouvent point d'ex-
pressions qui les rendent, je vai3 essayer de dire en peu de mots
ce que j'en pense. Tous ies hommes désirent la beauté, mais
peu en ont été jugés dignes. Ceux auxquels est échu ce pré-
sent inestimable ont passé pour les plus heureux des mortels,
et ils ont été honorés, comme ils le méritaient, par les hommes
et par les dieux. Je n'en veux d'autre preuve que les héros éle-
vés au rang des immortels, Hercule fils de Jupiter, les Dios-
cures, Hélène Her.cule obtint. cet honneur par son courage,
Hélène par sa beauté, qui, en la faisant déesse, donna de plus
l'immortalitéà ses frères, relégués parmi les morts avant qu'elle
fût montée dans le ciel.
7. t Ensuite, parmi les hommes qui furent jugés dignes d'être
placés au nombre des dieux, on n'en saurait trouver un qui
n'ait eu la beauté en partage. C'est elle qui fit participer Pélops
à l'ambroisie. Ganymède, fils de Dardanus, exerça un pouvoir
si absolu sur l'âme du souverain des dieux, que celui-ci ne vou-
lut partager avec aucun autre le plaisir d'enlever l'objet de sa
tendresse; il ne voulut s'en fier qu'à lui-même, s'abattit en vo-
lant sur le Gargarus, un des sommets de l'Ida, et ravit Gany-
mède en un lieu où seul il pût converser avec lui. Ce dieu, du
reste, a toujours tellementestimé la beauté, que non content de
faire monter les belles personnes -dans le ciel, il est souvent
descendu sur la terre pour y vivre avec ses amours. Changé en
cygne, il caresse Léda; sous la forme d'un taureau, il enlève
Europe prenant la forme d'Amphitryon, il engendre Hercule.
Qui pourrait énumérer toutes les ruses employées par Jupiter.
quand il voulait arriver au but de ses désirsT
8. c Ce qu'il y a d'étonnant, de vraiment extraordinaire, c'est
que, quand Jupiter s'adresse aux dieux, car parmi les hommes
il ne s'adresse qu'à ceux qui sont beaux, quand il leur fait une
harangue, il se montre si fier, si hautain, à en croire le poëte
national de la Grèce que, dès les premiers mots, Junon, mal-
gré son habitude d'éclater en reproches contre lui, est saisie de
frayeur et s'estime trop heureuse de ne pas éprouver les effets de
la colère de Jupiter, qui s'en tient aux paroles; Les autres dieux
aussi n'éprouvent pas moins de terreur, quand il les menace
d'enlever à lui seul la terre et la mer, avec tous les hommes.
Mais lorsqu'il va trouver quelque aimable objet, il devient si
traitable, si doux; si complaisant, que souvent, sans parler du
reste, il quitte son personnage de Jupiter, dans la crainte de
déplaire à ce qu'il aime, prend une autre forme, toujours très-
belle; celle enfin dont la vue est la plus attrayante. Tel est l'hom-
mage et l'honneur qu'il rend à la beauté.
9. « Jupiter toutefois n'est pas le seul qui ait été vaincu par
elle il n'y a pas ,un seul dieu qui ait pu lui résister. Et quand
je parle ainsi, c'est moins pour accuser Jupiter que pour faire
l'iéloge de la beauté même. Mais si l'on y veut faire attention, on
verra que tous les dieux ont bédé au mêmepouvoirque Jupiter.
Neptune a rendu les armes à Pélops, Apollon à Hyacinthe, Mer-
cure à Cadmus*.
10. « Les déesses, à leur tour, n'ont pas rougi de subir cette
puissance.Il semble même qu'elles se soient fait un point d'ému-
lation de publier qu'elles se sont rendues à tel beau jeune
4. Homère
homme, et qu'elles ont accordé leurs faveurs à des mortels.
Chacune d'eUes a sa part isolée dans le gouvernement du monde
jamais elles ne se disputent pour ce qui est de leur empire
Pallas conduit les guerriers aux combats et ne conteste point
la chasse à Diane, qui, de son côté, cède la guerre à Pallas.
Junon préside aux mariages et n'empiète point sur les fonc-
tions de Vénus. Mais à l'égard de la beauté, chaque déesse est
prévenue tellement de la sienne, qu'elle croit effacer -toutes les
autres, si bien que la Discorde, voulant semer la division entre
elles, n'employa pas d'autre moyen que de faire naître une dis-
pute sur la-beauté, persuadée que bientôt, suivant son désir, il
en résulterait une querelle interminable. Elle raisonnait juste
et bien. On voit par là quelle est l'excellence de la beauté. Car
aussitôt que les déesses ont ramassé la pomme et lu l'inscription,
chacuneprétend que le fruit est à elle. Aucune n'a le courage de
prononcer contre soi, et de s'avouer plus laide qu'une rivale.
Elles vont trouver Jupiter, père de deux d'entre elles, frère et
époux de l'autre, et s'en remettent à son jugement. Il pouvait
bien décider lui-même quelle était la plus belle mais comme il
y avait alors en Grèce et chez les barbares un grand nombre
d'hommes sages et prudents, il confia la décision de ce différend
à Paris, fils de Priam, dont le libre et franc suffrage prouva la
supériorité de la beauté sur la sagesse, la force et la prudence.
11. « Les déesses sont si jalouses de leurs charmes, elles
aiment tant s'entendre appeler belles, qu'elles ont engagé le
poëte des dieux et des héros à ne leur donner que des noms
tirés de leur beauté. Junon est plus flattée du titre de déesse
aux bras blancs, que de celui de déesse vénérable, fille du grand
Saturne. Minerve ne voudrait point changer son nom de déesse
aux yeux gris pour celui de Tritogénie, et Vénus préfère à
toute autre l'épithète de dorée. Tous ces noms, en effet, font
allusion à la beauté.
12. t Or, tout cela nous prouve quelle haute idée ont conçue
de la beauté des êtres qui nous sont supérieurs et c'est en
même temps le témoignage le plus certain que cet avantage
est au-dessus de tous les autres. Minerve déclare que le cou-
rage uni à la prudence doit obtenir le premier rang. Junon
voudrait faire préférer la richesse et la puissance,, et c'est aussi
l'avis de Jupiter. Mais puisque la beauté est une chose si noble
et si divine, pour laquelle les dieux mêmes montrent tant
d'empressement, comment pourrions-nous ne pas imiter les
dieux et ne pas employer, autant qu'il est en nous, et nos
actes et nos paroles pour faire triompher la cause de la beauté? »
13. Ainsi parla Philon il ajouta, en terminant, qu'il en au-
rait dit bien davantage, s'il ne savait pas qu'un long discours
est déplacé dans un banquet. Aristippe prit ensuite la parole,
cédant aux vives instances d'Androelès. Il ne voulait pas, en
effet, parler après Philon; il hésitait. Il commença pourtant en
ces termes
14. Souvent les orateurs, dédaignant de traiter dans leurs
discours des matières»rejevées et utiles, choisissent des sujets
bizarres, dont ils espèrent tirer plus de gloire, mais sans profit
pour les auditeurs. Les uns se perdent dans de vaines dis-
putes les autres racontent des faits qui ne- sont jamais arri-
vés d'autres enfin parlent longuement de choses inutiles,
tandis qu'ils devraient laisser de côté tout le reste, afin de ne
rien dire que d'excellent.Pour moi, convaincuqu'ils n'agissent
ainsi que parce qu'ils ne savent dire rien de bon, et regardant,
du reste, comme insensé de tomber dans les fautes qu'on re-
proche aux autres, je prendrai pour sujet de mon discours la
matière la plus utile et la plus belle pour mes. auditeurs, celle
qu'on peut appeler la plus belle de toutes, puisque c'est la
beauté même. »
15. « Si nous avions à parler de toute autre chose que de la
beauté, il suffirait sans'doute d'entendre un seul discours, et
l'on pourrait ensuite abandonner ce sujet; mais celui-ci présente
à l'orateur qui veut le traiter une si riche matière, qu'il ne peut
être taxé de malheur, s'il n'en atteint pas la hauteur par son élo-
quence et si, après tous ceux qui l'ont traité, on parvientà ajouter
quelque chose aux éloges des autres, on doit penser que c'est
un bienfait de la fortune. Un avantage, en effet, que les dieux
honorent d'une faveur si éclatante, que les hommes regardent
comme divin et digne de tous les vœux un privilége qui est le
plus bel ornement de tous les êtres, qui fait rechercher ceux qui
le possèdent, et fuir avec aversion ceux qui en sont dépourvus,
peut-il être célébré par des louanges proportionnées à sa va-
leur ? Mais puisqu'une foule d'éloges atteindraient à peine à la
dignité de ce sujet, on ne sera point étonné que j'essaye de le
traiter à mon tour, et que .j'ose parler après Philon. La beauté
est de soi-même la chose la plus auguste et la plus divine.
Aussi je ne parle point des hommages que les dieux lui ont
rendus.
16. Mais dans les temps passés Hélène, fille de Jupiter,
frappa tellement d'admiration tous les hommes, qu'avant même
qu'elle eût atteint l'âge nubile i Thésée, amené par quelques
affaires dans le Péloponèse, la vit et fut tellement «pris de ses
charmes, que, malgré son trône affermi et sa gloire éclatante,
il crut qu'il ne lui serait pas possible de vivre heureux tant
qu'il ne posséderait pas Hélène, au lieu qu'il serait le plus for-
tuné des hommes s'il obtenait cette faveur. Comme il désespé-
rait de l'obtenir de son père qui ne la lui donnerait pas avant
qu'elle eût atteint l'âge de puberté, il brave la puissance de Tyn-
dare, se met au-dessus des périls, affronte tout ce qu'il y a de
redoutabledans le Péloponèse, se fait aider de Pirithoûs, l'en-
lève de force et la. transporte à Aphidna, dans l'Attique. 11 sut à
son ami un tel gré du secours qu'il lui avait prêté en cette cir-
constance,et conçut pour lui une amitié si vive, que la tendresse
de Thésée et de Pirithoüs devint un modèle pour la posté-
rité. Aussi, lorsque ce dernier, amoureux de la fille de Cérès
voulut descendre dans l'empire de Pluton, Thésée, malgré ses
instances, n'ayant pu le dissuader de cette entreprise, l'accom-
pagna dans les enfers, et crut ne pouvoir lui témoigner di-
gnement sa reconnaissance qu'en exposant sa vie pour son
ami.
v' 17. t Hélène, de retour àArgos, pendant l'absence de Thésée,
était parvenue à l'âge de se marier alors tous les princes de
la Grèce, qui avaient pourtant toute facilité à trouver ,des
épouses belles et bien nées, s'unirent pour demander sa main,
et dédaignèrentles autres comme inférieures à Hélène. Voyant
que cette beauté serait un sujet de discorde, et craignant qu'elle
n'allumât la guerre en Grèce, et ne les armât les uns contre les
autres, ils s'engagèrent par un serment réciproque à secourir
celui qui aurait été jugé digne de la main d'Hélène et à ne pas
permettre,qu'on vînt troubler son bonheur. Chacun d'eux croyait
s'assurer ainsi une puissante alliance. Tous furent trompés dans
leur attente particulière, à la réserve de Ménélas;mais l'événe-
ment prouva bientôt que cette déception devait être commune.
En effet, peu de temps après, les, déesses s'étant disputé le
prix de la beauté, choisissent pour juge de leur différend Paris,
fils de Priam. Il ne peut résister à la vue de leurs charmes, et
les présents qu'elles lui offrent l'engagent à prononcer. Junon
promettait l'empire'de l'Asie, Minerve la victoire dans les com-
bats, et Vénus l'hymen d'Hélène. Persuadé qu'un empire peut
échoir parfois à des hommes de rien, mais que jamais par la
suite on ne pourra posséder une autre Hélène, Paris choisit de
l'avoir pour épouse.
18. t Lors de cette guerre de Troie, immortalisée par les
poëtes, dans laquelle on vit pour la première fois l'Europe s'ar-
mer contre l'Asie, les Troyens, qui possédaientHélène, auraien*
pu, en la rendant, vivre tranquilles dans leur patrie de leur
côté, les Grecs, en la laissant auxTroyens, se seraient épargné
les ennuis d'une longue guerre; mais ni les uns ni les autres ne
voulurent prendre ce parti ils pensaient, au contraire, que ja-
mais ils n'auraient à soutenir une guerre plus glorieuse, et qu'ils
ne pouvaient mourir pour une plus juste cause. Les dieux eux-
mêmes, qui savaient que leurs fils devaient perdre la vie devant
Troie, ne les détournèrent point des combats. Que dis-je? ils
leur persuadèrent quîil leur serait aussi glorieux de périr en
combattant pour Hélène que d'avoir reçu la naissance des im-
mortels. Mais qu'est-il besoin de parler des enfants des dieux,
puisque les dieux eux-mêmes se firent alors une guerre plus
terrible que celle qu'ils avaient eue à soutenir contre lesGéants?
En effet, dans celle-ci ils combattaient réunis, tandis que dans
la guerre de Troie ils combattirent les uns contre les autres. Est-
il une meilleure preuve que la beauté l'emporte sur tous les
autres avantages, au jugement même des'dieux ? Rien.d'ordi-
naire ne paraît exciter entre eux la plus légère discussion; et,
lorsqu'il s'agit de la beauté non-seulement ils exposent leurs
fils, mais ils se déclarent entre eux une guerre sanglante; quel-
ques-uns même sont blessés. N'est-ce sas, d'un accordunanime,
placer tout après la beauté?
19. « Mais de peur qu'on ne s'imagine que c'est par impuis-
sance de parler dignement de la beauté que j'insiste sur cette
preuve, je vais passer à une autre qui n'en dém'ontrepas moins
l'excellence que tout ce qui vient d'être dit. C'est l'histoire
d'Hippodàmie, fille de l'Arcadien OEnomaùs. Que de jeunes gens,
épris de sa beauté ont mieux aimé mourir que de voir le jour
loin de ses charmes! Dès qu'elle eut atteint l'âge nubile, son
père, la voyant si supérieure aux autres jeunes filles, en devint
lui-même amoureux telle était, en effet, la puissance de sa
beauté, qu'elle subjugua contre les lois de la nature celui qui lui
avait donné la vie. Mdésirait, en conséquence, la garder toujours
avec lui. Seulement,pour ne pas s'attirer de reproches, il feignit
de vouloirla donner en, mariage à celui qui s'en montrerait digne,
et inventa une ruse encore plus perverse que sa passion, parce
qu'il s'imaginait qu'elle assurerait ses desseins. Il prend un
char, fabriqué avec un art qui le rendait d'une vitesse ex-
trême, et attelé des chevaux les plus rapides qui fussent en Ar-
cadie puis il se met à défier à la course les prétendants de sa
fille; vainqueurs,elle devait être le prix de leur victoire; vaincus,
ils étaient condamnés à perdre la tête. Il exigeen même temps
que sa fille soit assise auprès d'eux sur leur char, afin que ses
rivaux, uniquement occupés d'elle, négligent la conduite de
leurs chevaux. Le premier qui essaya cette course, n'ayant pu
réussir, perdit, la fois sa maîtresse et la vie. Les autres loin
d'hésiter à accepter la lutte, regardant comme une crainte pué-
rile de renoncer à leurs prétentions, et détestant la cruauté
d'OEnomaüs, vinrent à l'envi u axposer à la mort. On eùt dit
qu'ils craignaient de-ne pas mourir pour cette jeune fille. Le
nombre des victimes s'élevait jusqu'à treize, lorsque les dieux,
irrités de tant de perfidie, prirent en pitié la jeune fille et les
jeunes gens qui étaient morts ceux-ci parce qu'ils n'avaient
pu acquérir un bien si précieux celle-là parce qu'elle n'avait
pas recueilli le fruit de sa beauté. Ils protégèrent donc le jeune
héros (c'était Pélops qui devait combattre pour l'obtenir),
lui firent présent d'un char construit avec autant d'art que
d'élégance, et lui donnèrent des chevaux immortels,à l'aide des-
quels il devait être maître de sa conquête. Il le devint en effet,
et tua son beau-père après sa victoire.
20. « Ainsi la beauté est aux yeux des hommes un objet divin
tout le monde lui rend hommage les dieux eux-mêmes la re-
cherchentavec empressement.On aurait donc tort de nous savoir
mauvais gré d'avoir tenu les paroles que nous venons de
prononcer en faveur de la beauté. Tel fut le discours d'Aris-
tippe.
21. Hermippus. Il ne te reste plus, Charidémus, pour couron-
ner ces discours sur la beauté, que d'y ajouter le tien.
CHARIDÉMUS. Au nom des dieux, ne me force pas à en dire
davantage. Ceci doit te suffire pour te donner une idée de notre
entretien. D'ailleurs, je ne me rappelle pas ce que j'ai dit. On se
souvient plus aisément des discours des autres que de ceux
qu'on a prononcés soi-mème.
Hermippus. C'était, pourtant là, dès le début, ce que je sou-
haitais le plus d'entendre. J'étais moins curieux de connaître les
discours des autres que le tien. Si tu me prives de ce plaisir,
ta peine aura été inutile. Allons, au nom de Mercure, fais-moi
part de tout ce qui a été dit, comme tu me l'as promis en,com-
mençant cette conversation.
Charidémus. Tu ferais mieux d'en rester là et de m'épargner
une tâche désagréable. Mais, puisque tu désires si vivement
connaître mon discours, il faut bien avoir pour toi quelque
complaisance. Voici donc ce que j'ai dit à mon tour
22. « Si c'était à moi de parler le premier sur la beauté, j'au-
rais besoin de faire un long exorde. Mais Duistjne j'arrive après
d'autres qui ont parlé avant moi) il n'est pa* étonnant que je
«ElivaES COMPLÈTES DE LUCIEN. II 33
prenne leurs discours pour début, et que j'entre immédiatement
en matière.D'un autre côté, ce n'est point en des lieux différents
que ces discours ont eu lieu, mais ici, et le même jour, si bien
que les assistants peuvent se faire cette illusion qu'ils n'enten-
dent pas plusieurs discours séparés, mais une seule dissertation
prononcée tour à tour par chacun des orateurs. Certes, il y au-
rait de quoi faire à quelqu'un une réputation dans ce que cha-
cun de vous a dit à part de la beauté. Et cependant le sujet est si
riche, que ceux qui viendront après nous sauront trouver, en de-
hors de ce qui a été dit, de quoi lui donner de nouvelleslouanges.
Cette matière offre de toutes parts une foule d'idées, qui sem-
blent d'abord devoir être expriméesles premières ce sont les
fleurs d'une riante prairie, qui, se reproduisant incessammentà
la vue, invitent la main à les cueillir. Pour moi, je vais choisir
parmi ces fleurs celles qui me paraissent mériter de n'être point
négligées-; je dirai en peu de mots ce que je pense de la beauté,
afin de lui payer mon tribut, et j'abrégerai mon discours, afin de
Vous être plus agréable.
23. <t Les hommes qui paraissent l'emporter sur nous, soit
par leur valeur, soit par quelque autre vertu, doivent nous con-
traindre à Ia4ienveillance par des bienfaits continuels autre-
ment, ils sont l'objet de notre jalousie, qui s'oppose à leurs
succès. Au contraire pour les belles personnes, non-seulement
nous ne sommes point jaloux de leur beauté, mais à peine les
voyons-nous, qu'épris du plus' vif amour, nous n'hésitons pas
à leur obéir en esclaves, comme à des êtres supérieurs, Ainsi,
nous trouvons plus de plaisir à subir la loi de la beauté qu'à
commander à celui qui ne l'a point en partage, et nous lui sa-
vons plus de gré quand elle nous impose de nombreux travaux
qu'à celui qui ne nous ordonne rien.
24. <r Les autres biens ijtti nous manquent, nous ne les dési-
rons plus, du moment que nous les possédons, mais la beauté
n'engendre jamaisla satiété. Quand nous passerions en attraits
et le fils d'Aglaé, qui descendit à Ilion avec les autres Grecs, et
le bel Hyacinthe et le Lacédémonien Narcisse, nous ne serions
point encore contents, nous craindrions dé laisser, malgré nous,
la supériorité à ceux qui doivent venir.
25. <r La beauté est, pour ainsi dire, la règle commune de
toutes les-actions humaines. Le général qui range des troupes
en bataille; l'orateur qui compose un discours, le peintre qui
fait un tableau, se la proposentpour modèle. Mais pourquoipar-
ler ici des arts dont elle est l'unique but ? Les choses exclusive-
ment nécessaires, et ijue lié besoin nous 3 fàjfr jtnaginer, noup
nous efforçons de les faire aussi belles que possible. C'est ainsi
que Ménélas, en construisant son palais eut moins en vue les
exigences d'une demeure que la surprise de ses visiteurs; et
voilà pourquoi il le fit bâtir somptueux et magnifique. Il avait
raison. Quand le fils d'Ulysse vint à Sparte pour s'informer de
son .père, la vue de ce palais lui causa une si vive admiration,
qu'il dit à Pisistrate, fils de Nestor
1

Tel est de Jupiter le céleste palais

Voilà également pourquoi le père de ce jeune héros avait fait


peindre en vermillon les vaisseaux qu'il conduisait à Troie avec
la flotte grecque; il voulait frapper les yeux. En un mot, si
l'on considère chacun des arts, on verra que leur objet à tous
est la beauté, et que c'est vers ce but que sont dirigés tous
leurs efforts.
26. c La beautéparaît l'emportertellement sur les autres avan-
tages, que dans les personnes qui la possèdent,unie à la justice,
àla sagesseet au courage, on l'honore encore plus que ces vertus.
Ceux qui l'ont en partage sont à nos yeux les plus estimablesdes
hommes, et rien ne nous semble plus méprisable que ceux qui en
sont privés. Seuls, entre tous les hommes, nous appelons honteux
ceux qui sont laids comme si toute autre qualité était nulle,
quand on n'a pas la beauté.
27. «Ceux qui gouvernent une démocratie, nous les appelons
démagogues. Ceux qui sont soumis à un tyran, nous leur don-
nons le nom de flatteurs: Mais ceux qui vivent sous l'empire de
la beauté, nous les admirons, nous les appelons amis du travail,
amis du beau, et nous regardons comme des bienfaiteurs publics
tous ceux qui lui rendent hommage. La beauté a un caractère
si auguste, qu'elle est l'objet des voeux les plus ardents, qu'on
croit avoir tout gagné à pouvoir la servir; ne serait-on pas en
droit de nous blâmer, si, négligeant une telle conquête, nous la
laissions échapper, sans comprendre toute l'étendue de cette
perte? i
28. Voilà.le discours que je prononçai. J'aurais pu dire bien
d'autres choses sur une question aussi féconde que la beauté;
mais je les ai supprimées, quand j'ai vu que l'entretien com-
mençait à devenir un peu long.
Hermippus. Heureux, vous qui avez pu jouir d'un pareil

4. Homère, Odyssée, IV, v 74.


ji, jtXsyfîiîy de niCmc que le latin furfU, signifiek Is.fojs houleux et laid.
LXXV1II

NERON OU LE PERCEMENT DE L'ISTHME'.1..

MÉNÉCRATE ET MUSONUTS*.

1. Mésécbate. Le percement de l'isthme que le tyran fut,


dit-on, le point d'exécuter, te paraît donc, Musonius, digne
sur
du génie des Grecs?2
Musonius. Sache bien, Ménécrate, que Néron se proposait
une chose infiniment uiile il voulait épargner aux navigateurs
le circuit qu'ils sont obligés de faire autour du.Péloponèseet
du promontoire de Malée, en coupart l'isthme par un canal de
vingt stades. C'eût été un grand service rendu au commerce,
aux villes maritimes et à celles de l'intérieur. Celles-ci, en
effet, trouvent de quoi subvenir à leurs besoins, quand la navi-
gation prospère., v
Ménécrate. Fais-noùs donc le récit d'a cette entreprise, Mu-
sonius nous le désirons vivement, situ n'as rien de mieux à
.faire.
.jdbSQHius. Jele veux bien. Je ne sais comment vous payer de
votre peine, vous qui par zèle êtes venu me trouver dans cette
triste école de philosophie.
2. Néron était entraîné vers l'Achaïe par son amour pour la
musique et.par, la ferme persuasion où il est que les Museselles-
mêmes ne chantent pas mieux que lui*. Il voulait se faire cou-

1. Wieia.r cru! à l'authenticité de ce dialogue, mise en doulc par un


grand Dumbre de crilîques.

yénéorale son ami, était venu l'y visiter. <


2. Le pbilosophe Musunius avait été exilé par Néron. L'auteur suppose:qu'il
avait élé condamne a travailler au percement de l'isthme de Corinlhe, et que

3. Pour tes prétenlions musicales de Néron voy. Suétone, uaon, § 20 et


ronner dans les jeux olympiques, les plus nobles des combats
de la Grèce; car, pour les jeux pythiques, il croit y avoir plus
droit qu'Apollon lui-même ce dieu, selon lui, n'oserait pas
lui disputer le prix du chant ou celui de la cithare. Quant au
percement de l'isthme, il n'y avait pas songé de longue main;
mais la vue du lieu et de sa position lui inspira l'idée d'une gi-
gantesque entreprise il voulut imiter ce roi qui pour con-
duire les Grecs devant Troie, sépara l'Eubée de la Béotie par le
canal de l'Euripe, qui passe près de Chalcis; Darius, qui jeta
un pont sur le Bosphore, afin de descendre chez les Scythes;
Xerxès enfin qui surpassa tous les ouvrages précédents par la
grandeur de son œuvre. Il croyait, en outre, que cette facilité
nouvelle de communicationferait de la Grèce une sorte de rendez-
vous brillant et de banquet de tous les autres peuples car les
tyrans malgré l'ivresse de leur esprit, aimentcependantà s'en-
tendre célébrer*. Il.
3/ Néron sortit donc de sa tente, chantant l'hymne d'Amphi-
trite et de Neptune, et quelques couplets en l'honneur de Méli-
certe et de Leucothoé. Le gouverneur de la Grèce lui présenta
un noyau d'or, et l'empereur se mit en devoir de commencer la
fouille au milieu des applaudissements et des chants. Par trois
fois il frappa la terre, et, recommandant ensuite aux ouvriers
la prompte exécution de l'ouvrage, il rentra dans Corinthe, se
persuadant qu'il avait surpassé tous les travaux d'Hercule. Les
prisonniers furent employés aux travaux pénibles des parties ro-
cheuses, l'armée à ceux des terrains unis et légers.
4. Il y avait cinq ou six jours que nous étions, pour ainsi
dire, enchaînés sur l'isthme lorsqu'un bruit vague se répandit
de Corinthe que Néron avait changé d'avis. On disait que des
géomètres égyptiens, ayant mesuré la hauteur des deux mers,
ne les avaientpointtrouvées de niveau; ils croyaient que celle du
golfe des Léchéens était plus élevée, et qu'il y avait à craindre
qu'Ëgine ne fût submergée, si une mer aussi considérable venait
tout à coup s'y répandre. Ce n'était point assez pour arrêter
Néron Thalès lui-même, ce philosophesi sage, si versé dans
l'étude de la nature, n'y eût pas réussi. Il en était plus jaloux que
de chanter en public.
5. Mais un soulèvement des nations occidentales, fomenté

suivants, p. 292 et suivantes de la traduction d'Emile Pcssonncaui. On y


trouvera cités les passages de Tacite sur le même sujet.
<. On croit qu'il s'agit d'Agamcmnon.
2. 11 doit y avoir quelque lacune en cet cadrait.
par un homme d'un caractère audacieux, nommé Vindex, vient
d'arracher à la Grèce et à l'isthme Néron, qui donna vainement
pour excuse l'objection des géomètres; car je sais très-bien que
les deux mers sont égales et de niveau. On va même jusqu'à af-
firmer que Rome commence à s'àgiter et aide à la révolte. Vous
l'avez entendu dire hier au çhiliarque qui est abordé ici.
6. Ménécrate. Quelle voix a donc ce tyran, Musonras pour
le rendre si passionné pour la musique et pour les jeux olympi-
ques et pythiques? Parmi ceux que j'ai vus aborder à Lesbos,
les uns admiraient son talent, les autres s'en moquaient.
Musonius. Néron n'est, à cet égard, ni admirable, ni ridi-
cule. La nature lui a donné une voix passable et ordinaire. Le
son en est creux et rauque, parce qu'il contracte le gosier ce
qui fait de son chant une sorte de bourdonnement désagréable.
Cependant il a des notes qui en adoucissent le timbre, quand il
ne lance pas sa voix avec trop d'assurance. Mais, en somme,
exceller dans les nuances de la gamme, dans la mélopée, la
roulade, l'accompagnement précis de la cithare, savoir mar-
cher à temps, s'arrêter, se déplacer et régler ses mouvements
sur la mesure, n'est-ce pas une honte pour un empereur?
7. Il faut le voir surtout imiter les grands artistes 1 Bons
dieux quels rires, malgré les terreurs que peut causer une
moquerie! Il remue la tête, en retenant sa respiration, se tient
sur la- pointe des pieds, et se recourbe comme les patients atta-
chés sur une roue. Son teint, naturellement rouge, devient
pourpre et son visage s'enflamme. Il a la respiration courte et
son haleine n'est jamais suffisante.
8. Ménégrate. Mais comment, Musenius, les concurrents
peuvent-ils lui céder le prix? Usent-ils de feinte pour lui être
agréables?
MusoNius. Oui, ils usent de feinte, comme les lutteurs qui se
laissent vaincre exprès. Songe, Ménécrate, à un certain acteur
de tragédie, et comment il est mort aux jeux isthmiques.
Ménécrate. Qu'est-ce donc, Musonius? je n'en ai jamais en-
tendu parler.
Musonius. C'est une chose incroyable, et qui s'est passéesous
les yeux de toute la Grèce.
9. Lors des jeux isthmiquen, malgré la loi qui défend d'y
jouer des tragédies ou des comédies Néron s'avisa de vouloir
triompher des tragédiens. Les concurrents se présentent en assez
bon nombre, entre autres un Épirote, qui-avait une fort belle
voix et dont le talent était en grande renommée. Il affectait en
cette cfccurrencede désirerle prix-plusardemmentqu'il ne l'avait
jamais fait, et il avait déclaré qu'il ne le céderait pas à Néron,
à moins que celui-ci ne lui donnât dix talents pour prix de la
victoire. Néron en fut exaspéré jusqu'à la fureur. Il l'avait, en
effet, entendu parler ainsi sur la scène, quelques moments avant
le spectacle. Au moment donc où les cris des Grecs encouragent
l'Épirote, Néron lui envoie dire par son secrétaire qu'il ait à
céder à l'empereur. L'Épirote élève la voix encore plus haut et
répond avec une fierté toute républicaine. Alors Néron lance sur
le théâtre ses propres acteurs, comme s'ils eussent été néces-
saires à la représentation et ces gens, tenant à la main des
tablettes d'ivoire à double plaque, en guise de poignards ser-
rent l'Épirote contre une colonne, et lui coupent la gorge avec
leurs tablettes.
10. Ménécrate. C'est ainsi, Musonius, qu'il fut vainqueur
dans la tragédie, après avoir commis un meurtre aussi indigne
sous les yeux des Grecs ?Q
Mnsomus. Véritable jeu d'enfant, pour un .prince meurtrier
de sa mère! Fautril donc s'étonner qu'il ait fait mourir un acteur
'en Jui coupant la gorge ? Ne voulut-il pas aussi faire boucher
l'antre de Delphes d'où sortent les oracles, afin d'étouffer, s'il
le pouvait, la voix d'Apollon? Encore la Pythie l'avait-elle mis
au rang des Oreste et des Alcméon, auxquels le meurtre de
leur mère a procuré une sorte de gloire puisqu'ils ne l'ont en-
trepris que pour venger leur père mais Néron, qui ne pouvait
dire qu'il eût quelqu'un à venger, se crut insulté par le dieu,
dont l'oracle adoucissait pourtant la vérité.
11. Mais, pendant que nous parlons, quel est ce vaisseau qui
s'approche?Il semble apporter quelque heureuse nouvelle; tous
les passagers sont couronnés de fleurs, comme un chœur de bon
augure. De la proue l'on nous tend la main, en nous faisant
signe de reprendre courage et de nous réjouir. On nous crie, si
mes oreilles ne me trompent, que Néron est mort.
Ménécrate. On le crie en effet Musonius, èt plus le vais-
seau approche, plus le cri devient distinct. Quel bonheur, ô
grands dieux
Musonius. Point d'imprécationsI On prétend qu'il ne faut pas
maudire les morts.
LXXIX

'PHILOPATRIS
OU L'HOMME, QUI- S'INSTRUIT

TRIÉPHON, CRITIAS,ET CLÉOLAUS.

1.
Tméphon. Qu'est-ce donc, Critias? Te voilà tout changé!
Tu fronces les sourcils en vrai songe-creux; tu roules dans ton
esprit de graves pensées, comme un renard qui médite une ruse,
et, pour parler avec le poète*,
Une étrange pâleur s'étend sur ton visage.
As-tu vu le chien à trois têtes, Hécate sortant des enfers, ou bien
t'es-tu rencontré volontairement avec quelque dieu? Il n'est pas
naturel que tu sois dans cet état, lors même que tu aurais appris
qu'un déluge nouveau doit inonder la terre comme du temps de
Deucalion. C'est à toi que je parle, beau Critias. Tu ne m'en-
tends pas* crier? Il y a longtemps cependant que je'suis près de
toi. Es-tu fâché contre moi es-tu sourd, ou bien attends-tu que
je te prenne à la gorge comme un lutteur?
Gbitias. 0 Triéphon, je viens d'entendre un discours long,
inextricable, semé de labyrinthes je repasse dans ma mémoire
toutes ces-inepties et je me bouche les oreilles, de peur qu'en
lès entendant de nouveau la fureur ne me pétrifie comme cette

1 Les critiques s'accordentà regarder ce dialogue comme d'un auteur plus


moderne que Lucien, et, qui portant le même nom que celui-ci, vécut sous le
règne de Julien rApostif.j.Il;eat dirigé contre les Chrétiens dont l'auteur grec
s'étudie, par dès allusions obscures et par des plaisanteries de mauvais goilt,
a tourner en ridicule? les croyances et les pratiques. On trouvera à la fin
du dernier volume du Lucien de Lehmann une dissertation approfondie de
J. M. Gcsner sur toutes les questions soulevées par ce dialogue.
2. Homère, Iliade, l, v. 448.
Niobé dont parlent les poëtes. Si tu ne m'avais pas appelé à
grands cris, un vertige allait peut-être me fairetomber la tête la
première dans un abîme, et l'on aurait fait de moi une histoire
comme celle du saut périlleux de Cléombrote d'Ambracie
2. Triéphon. Par Hercule 1 quelles merveilles Critias a-t-il
donc vues ou entendues, pour en être si frappé? Que de poëtes
enthousiastes, que de philosophes prestigieux n'ont rencontré
chez toi qu'indifférence Leurs discours ne te semblaient-ilspas
un bavardage extravagant?
CRITIAS. Arrête un peu. Triéphon; ne me trouble pas davan-
tage je n'ai pour' toi ni mépris ni indifférence.
Triéphon. Je vois bien que tu roules dans ta pensée queique
grosse affaire pleine d'importance, quelque profond secret. La
couleur de ton visage, cet œil hagard, cette marche incertaine,
ces mouvements précipités, le font assez connaître. Mais il faut
souffler après tant d'émotions. Chasse-moi hors du corps ces
sottises indigestes, tu en tomberais malade.
CRITIAS. Fuis, Triéphon; éloigne-toi de plus d'un arpent, de
peur que le vent ne t'enlève aux yeux de toute la foule, et qu'en
tombant comme Icare, tu ne donnes ton nom à quelque mer
triéphontienne. Les discours que j'ai entendus aujourd'hui de la
bouche de ces détestablessophistes m'ont terriblement gonflé le
ventre.
Triéphon. Je vais m'en aller aussi loin que tu voudras. Souffle
à ton aise.
CRITIAS. Fi! fi! fi! fi! quelles fadaises! Ah! ah! ahl ah! les
affreux desseins Hé! hé! hé! hé! les ridicules espérances!
3. Triéphûn. Ah! quel vent! 1Il a emporté les nuages. Le
souffle impétueux du Zéphire bouleversait déjà les flots tu
viens de déchaîner Borée sur la Propontide, si bien que les vais-
seaux, lâchant leurs amarres, filent vers le Pont-Euxin sur les
vagues agitées. Quel gonflement il y avait dans tes entrailles!
Quel fracas! Quelle secousse t'a troublé le ventre? Tu étais sans
doute tout oreilles pour entendre ces billevesées,et, par un pro-
dige étonnant, tu as écouté jusque du bout des ongles.
CRITIAS. Il n'est pas étonnant, Triéphon, d'écouter du bout
des ongles. N'a-t-on pas vu une,cuisse devenir ventre', une tête
accoucher1,' le sexe masculin se transformer, par un effort de la
nature, en sexe féminin et des femmes se métamorphoseren

Voy. Cicéron, Tusculanes, I, xxxiv. – s. Allusion à la naissance de


Bacchus. 3. Allusion à la naissance de Minerve. 4. Voy. Salmaris, Cé-
nôut, 'Jïrésias, dans le Dica de Jacobi.
oiseau^1? Le monde entier, s'il faut en croire les poëtes, est
plein de prodiges.
Mais puisque je te trouve à propos en ces lieux
allons nous asseoir à l'ombre de ces platanes. Les rossignols et
les hirondelles y font entendre leur doux ramage. Le chant
mélodieux des oiseaux flattera nos oreilles, et l'eau, par son léger
murmure, charmera notre âme.
4. TRIÉPHON. Allons-y, Critias. Cependant, je crains qu'il n'y
ait quelque sortilége dans ce que tu viens d'entendre, et que je
ne me voie tout à coup changé en pilon, en porte ou en quelque
être inanimé, par un effet de la peur étonnante que tu as éprou-
vée.
CRITIAS. J'en jure par le céleste Jupiter, cela ne t'arrivera
pas!1
Triéphon. Tu me fais encore plus peur, en jurant par Jupiter.
Comment pourra-t-il te punir, si tu manques à ton serment? Je
sais que tu n'ignores pas ce que c'est que ton Jupiter.
CRITIAS. Que dis-tu? Jupiter ne peut pas envoyer au fond du
Tartare? Oublies-tu qu'il a prépicité tous les dieux du parvis
de l'Olympe; qu'il a, dernièrement, foudroyé Salmonée, tonnant
contre le ciel, et qu'aujourd'hui même encore, il châtie les inso-
lents ? Dans les poëtes, notamment dans Homère, n'est-il pas
proclamé vainqueur des Titans, exterminateur des Géants?
Triéphon. Voilà, Critias, un beau portrait de Jupiter; mais,
si tu le veux, écoute à ton tour. N'est-ce pas lui qui, par excès
d'incontinence, s'est changé tour à tour en cygne, en satyre, en
taureau? S'il n'eût promptement emporté sa prostituée enfuyant
à travers les flots, il eût peut-être été réduit par quelque manant
à labourer la terre, lui, le maître de la foudre; et, au lieu de
lancer le tonnerre, il eût senti la pointe de l'aiguillon. Et ses
festins chez les Égyptiens, ce peuple noir, au visage brûlé par
le soleil, chez, lequel il va passer'douze jours à s'enivrer,'n'en
devrait-il pas rougir, un barbon comme lui? Pour ce qui est de
l'aigle et de l'Ida, et de ses accouchementsde toutes les parties
du corps, j'aurais honte d'en parler1.
5. Critias. Jurerai-je donc par Apollon? C'est un excellent
prophète et un médecin, mon cher.
Triéphon. Eh quoi) Ce faux devin, qui naguère a causé la

jPJiilomtlc, Procné, Alcyone. 2. Homère, Odyssée, XV, v. 280. –


3. Voy. les iye, vus* et ix.* Dialogues des dieux.
perte de Crésus, des Salaminiens et de mille autres, qui rend à
ceux qui le consultent des oracles à double sens? P
6. Critias. Par Neptune alors Il tient en ses mains un tri-
dent sa voix est perçante et redoutable il crie dans un combat
plus fort que neuf ou dix mille hommes et de plus, Triéphon,
son nom veut dire qu'il, ébranle toute la terre'.
Triéphon. Tu veux parler de ce suborneur, qui dernièrement
a violé Tyro', fille de Salmonée, c'est-à-dire un adultère sans
pudeur, protecteur et patron de tous ceux qui l'imitent. Quand
Mars fut enfermé dans un filet, et pris avec Vénus dans des liens
indissolubles, tous les autres dieux, pleins de confusion, gar-
daient le silence; Neptune, qui dompte les coursiers, se mit à
fondre en larmes, comme un bambin qui a peûr de son maître,
filles. Il
ou comme les vieilles femmes qui trompent les jeunes
supplia Vulcain de délier Mars, et le boiteux, par pitié pour un
vieux dieu, mit Mars en liberté. Il est donc adultère, puisqu'il
fait délivrer ceux qui le sont.
7. Critias. Et Mercure?
Triéphon. Ne me parle pas de ce méchant valet du lubrique
Jupiter* son libertinage le jette dans toutes sortes d'in-
trigues.
8. CRITIAS. Je ne te proposerai ni Mars, ni Vénus, d'après la
manière dont tu viens de parler. Laissons-les donc. Mais Mi-
nerve, cette vierge, cette déesse armée, terrible, qui porte sur
sa poitrine la tête de la Gorgone, qui détruisit la race des
Géants, j'en puis parler. Tu n'as rien à dire contre elle.
Triéphon. J'ai une question à te faire à son sujet, si tu veux
bien me répondre.
CRITIAS. Demande ce qu'il te plaira.
Triéphon. Dis-moi, Critias, à quoi lui sert la Gorgone, et
pourquoi la déesse la porte-t-elle sur sa poitrine?
CRITIAS. C'est pour inspirer de l'effroi et détourner les périls.
Elle frappe de terreur les ennemis et fait pencher la victoire du
côté qu'il lui plaît.
TRIÉPBON. C'est donc là ce qui rend invincible la déesse aux
yeux gris?

4. Allusion à V Iliade, V, v. 860.


2. Les poêles donnent à Neplune les noms de "EvnAxim et StuixSu*,
qui ébranle la terre.
3. Voy. le xra* Dialogue marin.
4. Cf. Fénelon, Lettre sur les occupations Je l'Académie, X, 9; Fleury,
Préface de l'Histoire ecclésiastique. •
Critiàs, Assurément.
Triéphon. Pourquoi n'est-ce point en l'honneur de ceux qui
ont la puissance de nous préserver, mais de ceux qui sont pré-
servés eux-mêmes, que nous brûlons les cuisses des tau-
reaux ou des chèvres, pour nous rendre invincibles comme
Minerve?
Critias. La Gorgone n'a pas le pouvoir de préserver de loin,
comme les dieux. Il faut la porter sur soi pour qu'elle ait cette
vertu..
9. TRIÉPHON. Qu'est-ce donc que cette Gorgone? Je désire
l'apprendre de toi: tu as sans doute fait là-dessus des recher-
ches, et approfondi la chose. Je ne sais absolument d'elle que
son nom.
CRITIAS. C'était autrefois une jolie fille, et des plus aimables.
Persée, vaillant héros et habile magicien, la vainquit par ses
enchantements,lui coupa la tête, et les dieux s'en firent depuis
une arme défensive.
Triéphon. J'ignoraiscette belle particularité que les dieux ont
besoin des hommes.Mais, de son vivant, quel métier utile exer-
çait-elle ? Était-ce celui de courtisane dans les lieux publics? Ou
bien, se laissant séduire en secret, conservait-elle cependant
son nom 'de vierge?
CRITIAS. Par le dieu inconnu qu'on adore à Athènes', elle
resta vierge jusqu'au moment où elle eut la tête coupée.
Triéphon. Ainsi, en coupant la tête à une vierge, on se pro-
cure un épouvantailredouté? Moi qui sais qu'on en a coupé dix
mille par nfôrceaux
Dans l'île aux bords fameux qu'on appelle la Crète2,
si j'avais connu cette propriété, mon beau Critias, que de Gor-
gones je t'aurais rapportées de ce pays! J'aurais fait de toi un
guerrier invincible. Les poëtes et les rhéteurs m'auraient mis
bien au-dessus de Perséé, pour avoir, trouvé un plus grand
nombre de Gorgones.
10. A propos de la Crète, je me souviens qu'on m'y a montré
le tombeau de ton Jupiter et les bois qui ont nourri sa mère;
ils ont conservé une verdure éternelle.
CRITIAS. Seulement tu ne connaissaispasses paroles enchan-
tées et-les cérémonies' qu'il faut pour faire une Gorgone.
1. Voy. Actes des apôtres, xvii, 23.
2. Homèfe, Odyssée, 00.
3. Voy. Timon 8. Cf. Cicéron Tusculaijes,}, cliap. ».ra, Î9,
Triéphon. Ah Critias, si les'enchantements pouvaient opérer
de tels miracles, on pourrait peut-être les employer à ramener
les morts à la douce lumière. Va, tout cela n'est que chansons,
contes d'enfants et fables accréditées par les récits merveilleux
des poëtes. Laissons. là cette Gorgone.
11. CRITIAS. Rejetteras-tu aussi Junon, l'épouse et la sœur de
Jupiter?
Triéphon. Pas un mot de cette infâme union ne me parle
pas de cette déesse aux pieds et aux mains étendus.
12. CRITIAS. Par quelle divinité veux-tu donc que je jure?
ThiépHON.
Jure par le grand dieu, qui règne an haut des cieux,
Par le Fils, par l'Esprit, qui procèdent du Père,
Un en trois, trois en un, incroyable mystère!
C'est le vrai Jupiter il n'est point d'autres dieux'.
CRITIAS. Tu veux m'appr^ndre à compter. Tu fais de l'aritli-
métique un serment. Tu calcules comme Nicomaque de Gérasa".
Je ne sais pas ce que tu veux dire avec ton trois en un, un en
trois. Veux-tu parler du quaternaire de Pythagore de la hui-
taine ou de la trentaine?
TRIÉPHON.
Du silence! respect a ceux qui ne sont plus'!
Il ne s'agit pas ici de mesurer le saut d'une puce Je
vais t'ap-
prendre ce que c'est que le tout, quel est l'être qui précède tous
les autres, enfin quel est le système de l'univers. Dernièrement,
en effet, il m'est arrivé la même chose qu'à toi. J'ai rencontré
un Galiléen, chauve, au nez aquilin, qui est monté jusqu'au
troisième ciel, où il avait appris des choses étonnantes*. Il nous
a renouvelés par l'eau; il nous a fait marcher sur les traces des
bienheureux, et nous a rachetés du séjour des impies. Si tu veux
m'écouter, je te rendrai vraiment homme.
13. CRITIAS. Parle, ô très-savant Triéphon, je suis tout saisi
dé frayeur.

4. Ce dernier vers est d'Euripide,Frugm. incertains.


2. Nicomaque de Gérasa, Ville d'Arabie, philusophe pythagoricien, mathé-
maticien et musicien habile, (lotissait vers l'an (50 avant Jésus-Christ. Ses
écrits sur l'arithmétiqueexistent encore.
3. Voy. les Sectes à l'encan, 4.
4. Vers d'un poète inconnu.
6*Voy. les Nuées d'Aristopl,ane, p. I (0 de la traduction de M. Artaud.
6. On dit que c'est saintPjuI.
Triéphon. As-tu jamais lu la comédie d'Aristophane intitulée
les Oiseaux?
Critias. Certainement.
TRIÉPHON. Voici ce qu'on y trouve écrit
Le Chaos et la Nuit, VErèbe et le Tartare,
Étaient avant la Terre, avant l'Air et le Ciel.
Critias. Fort bien; et ensuite qu'y eut-il?
Triéfhon. Une lumière incorruptible, invisible, incompré-
hensible, qui chassa les ténèbres et régla tout ce désordre. Un
seul mot lui suffit, comme l'a consigné le Bègue dans ses écrits,
pour affermir la terre sur les eaux, étendre là voûte des cieux,
fixer les étoiles, ordonner la marche des planètes, que tu
adores comme autant de divinités. Il orna ensuite la terre
de mille fleurs, tira l'homme du néant à la vie; et lui-même,
du haut des cieux, voit les justes et les pervers, tient leurs
actions écrites s,ur un livre, et à un jour fixe jugera chacun selon
ses œuvres 5.
14.. Critias. Et ce que les Parques filent à chaque mortel, est-
il aussi écrit sur ce livre?
Triéphon. De quoi veux-tu parler?
CRITIAS. Du Destin.
Triéphon. C'est à toi, beau Critias, de me parler des Parques
je t'écoute avec la docilité d'un disciple.
CRITIAS.. Homère, l'illustre poëte, ne dit-il cas*:
La Parque ne voit pas de mortel qui l'évite?
Et ailleurs, en parlant d'Hercule"
Hercule n'a pu fuir la main des Destinées,
Quoiqu'il fût cher au cœur du souverain des cieux
Du Sort et de Junon le courroux odieux
Ont vaincu ce grand homme et brisé ses années.
Il dit encore que notre vie entière, avec toutes ses révolutions,
est réglée par le Desth^.
Il souffrira les maux que la Parque lui file',
Depuis que de sa mère il a reçu le jour.

4. Voy. la Oiseaux d'Aristophane, p. 282 de la traduction de M.Artaud.


2. Moïse, qui se donne lui-mômuce surnom, Kabar lêsc/wn, dans V Exode, iv,
tO. – S- Gt. Afàcalypse, xx, ti.–'i.Iliade, VI, v. 488. 5. fbid., 3ÇVMJ,
y. ((7.– S. Qdrif* VII, y t»,
C'est encore le' Destin qui nous retient sur la terre étran-
gère
Retournons chez Eole au toit hospitalier1;
Car, malgré les secours que sa bonté nous donne,
Le Sort nous chasse encor du paternel foyer.
Le poëte témoigne assez que tous les événements dépendent
de la Parque, lorsqu'il dit que Jupiter ne voulant point que son
filsa
Eprouvât du trépas la rigoureuse loi,
Lance du haut du ciel une sanglante pluie,
“ Pour honorer ce fils qui doit perdre la vie
Sous les coups de Patrocle et devant Ilion.
D'après cela, Triéphon, tu ne peux plus rien dire contre les Par-
ques, lors même que tu aurais été enlevé au ciel avec ton maître
et initié à ses mystères.
15. TftiÉPSoN. Cependant, mon beau Critias, comment le
même poëte a-t-il pu dire qu'il y a un double destin, dont lw
arrêts sont douteux; si bien qu'en prenant tel parti, il en résul-
tera tel effet, tandis qu'un autre amènera tel autre événement?
Par exemple lorsqu'il fait dire à Achille s
Deux destins au trépas conduisent les mortels;
Si je reste en ces lieux, si je poursuis la guerre,
Je ne dots plus revoir mon palais ni mon père
Mais la gloire à jamais éternise mon nom.
Si je retourne à Phthie, en quittant Ilion,
Je perds de ce moment toute ma renommée;
Mais je coule une vie et longue et fortunée.
Il dit de même à propos d'Euchénor 4
11 connaissait le sort qui l'attendait à Troie.
Polyide, l'honneur des plus fameux devins,
Autrefois à son fils annonça ses destins.
Par un mal douloureux, au sein de sa patrie,
Il devait voir flétrir le printemps de sa vie;
Ou d'un trépas plus beau la noble ambition
Devait finir ses jours dans les champs d'Ilion.
16. Ces vers ne sont-ils pas dans Homère? N'est-ce pas là
une prédictionà double sens, une fourberie qui conduit à deux
fins? Si tu veux, je puis faire parler aussi Jupiter. Ne dit-il pas
4. Odyssée, XXIII, v. 314.- 2. Iliade,XVI, v. 442 et 458. – 3. Iliade, IX,
y, 4< ) traduction de Rochefor|. – 4, (bid JJIIl, y. «65, même traduction.
à Egisthe que, s'il veut ne point commettre d adultèreet ne pas
attenter aux jours d'Agamemnon, il vivra longtemps, que c'est
l'arrêt des destins; mais que, s'il accomplit ces crimes, la mort
'ne se fera pas attendre? Moi-même j'ai souvent fait de pareilles
prédictions « Si vous tuez votre voisin, disais-je, vous subirez
bientôt la juste punition de votre crime, mais si vous vous en
abstenez, vous vivrez heureux,
Et la mort de vos jours épargnera la trame'.
Ne vois-tu pas alors combien les idées des poëtes sur le Destin
sont inexactes, douteuseset dépourvuesde toute solidité? Laisse
donc tout cela de côté pour être inscrit sur les livres célestes au
rang des hommes vertueux.
17. CRITIAS. Tu reviens à propos sur ce sujet, Triéphon. Dis-
moi les actions des Scythes sont-elles également enregistrées
dans le ciel?
Triéphon. Elles le sont toutes, s'il est vrai qu'il y ait quelque
homme de bien parmi les nations.
CRITIAS. Mais il faut une grande quantité, de scribes dans le
ciel, pour écrire tant de choses.
Triéphon. Parles-en mieux et ne plaisante point sur un dieu
si habile mais, docile catéchumène, laisse-toi persuader, si tu
veux vivre dans l'éternité. Car si ce dieu a pu étendre le ciel
comme une peau, affermir la 'terre sur les'eaux, former les
astres et tirer l'homme du néant, qu'y a-t-il d'étonnant qu'il
puisse écrire dans un livre toutes les actions des hommes? Lors-
que tu t'es construit une maison et que tu y as conduit servi-
teurs et servantes, aucune de leurs actions ne te reste incon-
nue à combien plus forte raison Dieu, qui a fait tout
l'univers,
ne connattra-t-il pas aisément et les actions et les pensées? A
l'égard de tes dieux, il y a longtemps que les hommes sensés les
regardent comme un jeu de cottabe9.
18. CRITIAS. Tu as raison et tu m'as fait subir une métamor-
phose contraire à celle de Niobé de pierre tu m'as changé en
homme. Je te jure donc par ce même dieu que tu n'as aucun mal
à redouter de ma part.
TRIÉPHON. Si tu m'aimes du fond du cœur, n'opèreaucun chan-
.gement en moi, je te prie.
Ne tiens'pas un langage autre que ta pensée3.
Mais enfin âpprends-môi quel est ce merveilleux discours que

I. Iliade, IX, V. 416. yàfi fœxiphane 3. – 3.' Iliade, XI, v. 3)8


tu as entendu, afin que je pâlisse à mon tour et que j'éprouve
un changement subit. Loin de garder le silence comme Niobé.
je voudrais devenir rossignol pour célébrer par mes chants,
dans les campagnes fleuries, l'extrême surprise dont tu as été
frappé.
CRITIAS. Par le Fils qui procède du Père, je te promets qu'il
ne t'arrivera rien de pareil.
Triéphon. Parle donc, après avoir reçu de l'Esprit le don de
la parole. Moi, je vais m'asseoir,
En attendant qu'Achille ait mis fin à ses chants'.
19. CRITIAS. Je m'en allais par la grand'rue acheter quelques
objets nécessaires j'aperçois une multitude considérablede gens
qui se parlaient tout bas, si bien que les lèvres des uns étaient
collées aux oreilles des autres. Je regarde aussitôt de tous côtés,
la main cambrée au-dessus des sourcils, et j'examine avec
attention si je ne découvrirai pas là quelqu'un de mes amis.
Je vois Craton, le fonctionnaire public, mon ami et mon com-
mensal.
TRtÉPHON. Je sais qui tu veux dire; le vérificateur des poids
et mesures. Ensuite?
CRITIAS. Je coudoie la foule, j'arrive sur le devant, et j'aborde
mon homme en lui souhaitant le bonjour.
20. Alors un petit vieillard puant, nommé Charicène, ronflant
du nez, toussant du fond de ses poumons et rejetant avec peine
un crachat plus jaune que la mort, se met à dire d'une voix
grêle « Oui, comme je vous le disais à l'instant, il abolira
les arrérages dus aux vérificateurs, remboursera les créanciers
et payera les dettes privées ou publiques. Il admettra jusqu'aux
faux prophètes, sans les juger d'après leur profession. » Et
mille autres inepties encore plus' folles. La foule qui l'entourait
prenait un vif plaisir à l'écouter et attendait de nouveaux dis-
cours.
21. En ce moment, un autre personnage nommé Chleuocharme,
couvert d'un lambeau tombant de vétusté, les pieds déchaux et
la tête nue, se met à dire en claquant des dents « Un homme
assez mal vêtu, arrivant des montagnes, les cheveux rasés, m'a
montré le nom de ce libérateur gravé sur le théâtre en lettres
hiéroglyphiques; il couvrira d'or la grand'rue. jj A mon tour,
prenant la parole « Suivant les principes d'Aristandre et d'Ar-
témidore, leur dis-je, vos songes ne seront pas suivis d'une

4. Iliade, IX, ». 4 «H.


bonneréussite vos dettes s'augmenteront au prorata de la remise
que vous avez rêvée, et tel perdra jusqu'à sa dernière obole,
qui avait cru posséder beaucoup d'or. Vous me faites l'effet
d'avoir dormi sur la pierre blanche', au milieu du! peuple des
songes, puisque vous avez fait un si long rêve durant une nuit
si courte. i
22. Toute l'assistance éclate de rire, au point d'étouffer, et
l'on se moque hautement de mon ignorance. Eh quoi, dis-je
alors à Craton, n'aurais-je pas eu bon nez, pour parler comme
un poëte comique, et n'ai-je pas expliqué leur songe d'après les
principes d'Aristandre de Telmesse et d'Artémidore d'Ëphèse2?9
-Tais-toi, Critias, me répondit-il; si tu veux être discret, je
t'initierai à des mystères importants, qui doivent bientôt s'ac-
complir. Ce ne sont point ici des songes, mais des réalités. Tout
s'accomplira au mois de mésori*. j> A ces paroles de Craton, je
m'en voulus de la faiblesse de mon esprit, je. rougis de honte, et
je me retirais d'un air chagrin, pestant fort contre Craton, lors-
qu'un de ces hommes, me regardant d'un air farouche, me sai-
sit par le pan de mon habit, et me ramena en arrière,. voulant,
me dit-il, entrer en conversation avec moi, à l'instigation et sur
les instances de l'exécrablepetit vieillard.
23. Après quelques pourparlers, il me conseille enfin, mal-
heureux, de me mêler à ces fourbes, et, comme on dit, de faire
de ce jour un jour néfaste. Il se disait initié par eux-mêmes à
tous leurs mystères. Nous franchissons ensemble
Et les portes de. fer et les parvis d'airain';
nous montons un grand escalier tournant, et nous arrivons dans
une pièce à voûte dorée, semblable à celle de Ménélas décrite par
Homère*. Là, j'examine tout avec la même curiosité que le jeune
insulaire6, et j'aperçois,non pas Hélène, ma foi, mais des hommes
dont le visage pâle est incline vers la terre. A peine m'ont-ils vu
que la joie brille sur leur visage; ils viennent au-devantde moi et
nie demandent si je leur apporte quelque mauvaise nouvelle. Ils

i. Voy. Homère, Odyssée, xxiv,v. <4.


9 Arislandre de Telmesse, ville de Lycie, était un fameux devin, qui avait
un grand crédit auprès d'Alexandre. Voy. Quinte Curcc/VII, va. Artémidore
d'Épiièsc,interprèle de songes sous Antonin le Pieux.
3. Mois égyptien, correspondant au mois d'août. La scène de ce dialogue
est à Alexandrie,
t. Iliade, VHl, v. 4 5.
r>. Odyssée, IV, v. <2«.
e. Télémaque. Cf. sur un Appartement, 3, et le Scythe, 9.
paraissaient, en effet, n'en attendre que de tristes, et, comme
les furies du théâtre, ne se plaire que dans le mal. En même
temps, ils se mettent à chuchoter en penchant leur tête les
uns vers les autres, puis ils me font cette question
Quel es-tu, d'où viens-tu? ton pays, tes parents'?
Tu as l'air d'un honnête homme, au moins par l'extérieur.
Les honnêtes gens, répondis-je, sont rares partout, à ce que je
vois. Je me nomme Critias, je suis votre concitoyen. »
24. A ces mots, comme des gens qui vivent en l'air, ils me
demandent ce qui se passe dans la ville et sur la terre. « On s'y
réjouit, leur dis-je, et bientôt l'on s'y réjouira plus encore. »
Fronçant alors les sourcils et secouant la tête: » Non pas, di-
sent-ils, la ville est grosse de malheurs
pris-je en feignant d'abonder dans leur
– Apparemment, re-
sens, vous qui planez
au-dessus de la terre, et qui voyez tout comme d'une tour éle-
vée, vous avez jeté sur ce qui existe un regard des plus péné-
trants. Que se passe-t-il dans les airs ? Le soleil sera-t-il éclipsé
et la lune en opposition avec lui? Mars entrera-t-il en quadra-
ture avec Jupiter? Saturne sera-t-il diamétralement opposé au
soleil ? Vénus se mettra-t-elle en conjonction avec Mercure, et
produiront-ils de ces hermaphrodites que vous aimez tant ?-Nous
enverront-ils des pluies violentes ou couvriront-ils la terre
d'un épais tapis de neige? Feront-ilstomber sur nous de la grêle
et de la nielle, la peste ou bien la famine? Le vase qui renferme
le tonnerre est-il près de crever, le magasin des foudres bien
rempli? »
25. Alors, comme des gens sûrs de leur fait, ils commencent
à débiter toutes les folies qui leur agréent ils disent que le
monde entier va changer de face, que la ville va être en proie
aux troubles et aux dissensions, et nos armées vaincues par les
ennemis. Indigné de ces propos, et gonflé comme un chêne vert
dévoré par la flamme « Cessez, misérables, m'écriai-je d'une
voix forte, cessez ce langage plein de vanité n'aiguisez pas vos
dents Contre des hommes au cœur de lion, qui ne respirent que
les lances, les javelots et les casques à triple aigrette! Tous ces
malheurs retomberont sur vos têtes, à vous qui ne voulez qu'af-
faiblir votre patrie. Ce n'est pas dans vos promenadesaériennes
que vous avez pu apprendre ces belles nouvelles, et vous ne me
paraissez pas bien forts en mathématiques. Mais si ce sont les
prédictions et les impostures qui vous ont induits en erreur,J
<.£%«<!«, X, T. 325.
votre stupidité n'en est que deux fois plus grande. Tout cela, en
effet, n'est que contes de vieilles et enfantillages propres à sé-
duire l'esprit des femmes. »
26. Treéphon. Que t'ont répondu ces gens rasés de cœur et
d'esprit?
CRITIAS. Ils ont glissé sur mes reproches, et ont eu recours à
une défaite fort ingénieuse: Après dix jours de jeûne, m'ont-
ils dit, nous passons les nuits à chanter des hymnes et nous
faisons nos rêves. »
Triéphon. Qu'as-tu répliqué? Ils t'ont fait une excellente ré-
ponse, difficile à réfuter.
Gritias. Sois tranquille, je n'ai pas bronché, mais j'ai par-
faitement, défendu ma cause <rC'est donc avec raison, leur ai-je
dit, que le bruit court par la ville que ces visions ne se présen-
tent à vous que dans vos rêves, » Eux alors se mettant à sou-
rire « Et cependant, répondirent-ils, elles nous arrivent hors
du lit. Eh bien, répliquai-je, supposons tout cela vrai, esprits
aériens, vous ne pourrez jamais découvrir l'avenir avec certi-
tude;, dupes de vos visions, vous vous abandonnezà des extra-
vagances qui n'ont et n'aùront jamais de réalité. Je ne sais com-
ment, sur la foi de vos songes, vous débites tant de sottises,
haïssant tout ce qui est beau, ne vous plaisant qu'à ce qui est
mal, et cela sans tirer aucun profit de. vabre haine. Renoncez à
vos fantômes étranges, à vos desseins, pervers, à vos prophé-
ties, de peur qu'un dieu ne vous envoie aux éorbeaux, pour pu-
nir vos imprécations contre votre patrie, et vous faire compli-
ment dé vos propos injurieux. »\
27. A cet instant, les voilà tous qui, d'une voix unanime, se
mettent à maugréer contre moi. Si tu veux, j'ornerai mon récit
de leurs invectives, qui me rendirent muet comme une colonne,
jusqu'au moment où ta voix aimable m'a empêché d'être changé
en pierre, et m'a remis dans mon premier état.
Triéphon. Pas un mot de plus, Critias; n'insisté pas sur tou-
tes ces fadaises. Tu vois comme mon ventre est gonflé; on dirait
d'une femme enceinte. Tes discours; m'ont mordu, comme un
chien enragé. Si je ne prends pas un calmant pour me faire ou-
blièr mon mal, le souvenir logé dans mon esprit causera quel-
que grand malheur. Ne me parle donc plus de ces- gens-là. Com-
.mençons, notre prière par le Père1, et nous la terminerons par
quelque hymne surchargée d'épithètes.
28. Mais que vois* je? N'est-ce pas Gléolaûs qui accourt à

4 Allusionévidente à VOraison dominicale.


grands pas? Il arrive, il descend en toute hâte. L'appellerons-
nous?
CRITIAS. Certainement.
TRIÉPHON. Cléolaûs!
Ne cours donc pas si vite, et reste près de nous'
Viens gaiement, si tu sais quelque bonne nouvelle.
Cléolaûs. Salut au beau couple d'amis!
Triéphon. D'où vient ton empressement? Te voilà tout es-
soufflé. Y a-t-il du nouveau?
Cléolaûs.
C'en est fait de l'orgueil st vanté des Persans,
La ville de Suse est tombée,
Et bientôt l'Arabie, à nos lois enchaînée,
Sentira d'un vainqueur les bras forts et puissants.
29. Critias. Je le disais bien
La vertu par les dieux n'est jamais méprisée,
Et toujours le succès couronne ses travaux.
Pour nous, Triéphon, nous allons jouir du plus heureux sort.
J'étais inquiet de savoir ce que je laisserais en héritage à mes
enfants. Tu connais mon indigence comme je connais la tienne.
C'est assez pour nos enfants que l'empereur vive; avec lui les
richesses ne nous manqueront point, et aucune nation ne pourra
nous inspirer de terreur.
Triéphon. Et moi, Critias, je lègue à mes fils le plaisir de
voir Babylone détruite, l'Egypte asservie,
Les enfants des Persans réduits en esclavage,
les excursionsdes Scythes refoulées, et, plût aux dieux, arrêtées
pour toujours. Pour nous, qui avons trouvé le, dieu inconnu
qu'on adore à Athènes, prosternons-nous devant lui, lés mains
tendues vers le ciel, et rendons-lui des actions de grâces pour
nous avoir trouvés dignes d'être les sujets d'un si grand prince.
Quant aux autres, laissons-les à leurs folies et contentons-nous
de leur appliquer le proverbe « Hippoclide ne s'en soucie
guère". »

4. Ces vers ou plutôt cette prose rbythmée est de quelque auteur inconnu.
1. Cf Apologiepour ceux qui sont aux gages des grands, à la On.
LXXX.

LA TRAGODOPODAGRA1.

LE GOUTTEUX, LE CHOEUR, LA GOUTTE, UN MESSAGER,


MÉDECINS, LES DOULEURS.

LE GOUTTEUX. 0 toi, dont le nom détestable est détesté des


dieux, Goutte féconde en gémissements, fille du Cocyte, que,
dans les gouffres ténébreux7 du Tartàre, la furie Erinnys a tirée
de ses flancs, allaitée de sa mamelle, et sur les lèvres de laquelle
Alecto a fait couler son lait amer, qui donc t'a produite au jour,
funeste déesse? Tu n'y es venue que pour être le, fléau des mor-
tels. Si, après leur mort, les hommes expient les fautes qu'ils
commettent vivants, ce n'était point par une onde fugitive qu'il
fallait punir Tantale, ni Ixion par sa roue, ni Sisyphe par son
rocher, dans les demeures de Pluton. Il suffisait de livrer ces
coupables aux douleurs déchirantes dont ta brises nos articula
tions. En quel état se trouve réduit mon pauvre corps tout sec,
depuis l'extrémité des mains jusqu'au bout des pieds Une hu-
meur épaisse, mêlée au slic enfiellé de la bile, rend ma respira-
tion pénible, ferme mes pores et prolonge mon supplice. Une
peste embrasée parcourt mes entrailles et consume mes chairs
dans des tourbillons de flammes semblable au cratère plein des

4. a Cette pièce, où le poëte met en scène un goutteux avec la Goutte elle-


même et ses suppôts, et où la déesse donne d'incontestables preuves de sa
souveraine et terrible puissance, est l'oeuvre d'un talent fort distingué, et peut
compter entre tes plus spirituelles productions de Lucien. Il est impossible
d'imaginer Une application plus heureuse du style majestueux de la tragédie
et des splendeurs lyriques du chœur à l'expression d'infortunes risibles
p'idées et de sentiments grotesques. > A. Piekron, Histoire de la littérature
grecque, chap. xtv.
2. Dans l'édition de Rabelais publiée chezLedentu en 1827, on trouvera,
p. 060, Rabelœsiam,article Goutteux, une liste curieuse des ouvragée dont la
Goutte est la teste.
feux de l'Etna, ou au canal de Sicile, qui, livrant passage aux
flots, bouillonne en tournoiementsétranges et roule ses vagues
autour du creux des rochers. Hélas les hommes ne voient point
de terme à leurs douleurs. En vain nous t'appliquons tous les
remèdes, nous nous berçons toujours d'une vaine espérance.
LÉ CHOEUR. Sur le Dindymus, consacré à Cybèle, les Phry-
giens font entendre leurs hurlements en l'honneur du jeune
Attis, et aux sons de la flûte phrygienne, sur les hauteurs du
Tmolus, les Lydiens célèbrent une orgie. Saisis de fureur et
armes de bâtons, les Corybantes modulent un neume crétois et
crient « Evan! » La trompette entonne un chant guerrier en
l'honneur du terrible Mars. Mais nous, ô Goutte! au premier
retour du printemps, nous célébrons tes mystères lamentables,
quand un tendre gazon refleurit dans les prés, que l'haleine de
Zéphyre décore l'arbre d'un doux feuillage, que l'hirondelle fait
entendre près de nos demeures sa voix, au souvenir de son hy-
men, et que, la nuit, dans les bocages, Attis gémit et verse des
larmes sur-le malheureux Itys.
LE GOUTTEUX. Appui de mes maux, toi mon troisième pied,
bâton secourable,soutiensma marche trem blante, guidemespas et
fais-moi poser une jambe bien assurée sur la terre. Allons lève.
toi, malheureux, quitte ce lit, sors de cette demeure noire et
ténébreuse.Dissipe l'obscurité qui, depuis longtemps, environne
tes yeux; va t'exposer dehors à la douce lumière du soleil et
respirer un air pur qui rend la joie à l'âme. Voici que quinze
jours se sont succédé, depuis que, plongé dans les ténèbres et
*>rivé des rayons de Phébus, j'ai le corps déchiré par une couche
sans tapis. Mon âme et mon désir entraînent mes pas vers la
porte, mais mon corps affaibli .trahit ma volonté. Allons, mon
âme, un dernier effort; rappelons-nousqu'un goutteux indigent,
qui veut aller mendier sa vie sans y réussir, est déjà au nombre
des morts. Holà! Quels sont ces gens portant bâtons et le front
couronné de feuilles de sMeau? De quel dieu ce chœur célèbre-
t-il la fête? Phébus Péan', est-ce à toi que s'adressent leurs hom-
mages ? Mais ils ne ^ont point couronnésdu laurier delphique.
Chantent-ils un hymne à Bacchus? Mais le lierre ne ceint point
leurs cheveux.,Qui donc êtes-vous, étrangers? Parlez, répondez
franchement. Quel est l'hymne que vous chantez, dites-le moi,
mes amis?
LE CHOEUR. Mais dis-nous d'abord qui tu es et de qui tu es
né, toi qui nous parles. A en juger par ton bâton et ta démarche,
nous voyons uu homme initié aux mystères de la déesse invin-
cible.
LE GOUTTEUX. Eh quoi! je serais aussi digne d'une déesse?
LE CHOEUR. La Cypriote Vénus, formée de quelques gouttes
tombées du ciel', a été nourrie et pourvue d'attraits par Nérée,
au milieu des flots de la mer. Près des sources de l'Océan, l'é-
pouse de Jupiter Olympien, la déesse aux bras blancs, Junon,
a été allaitée par le large sein de Téthys Du sommetde sa tête
immortelle, le fils de Saturne, le souverain des cieux, a produit
la vierge au cœur intrépide, la belliqueusePallas. Notre déesse
bienheureuse est née dans les bras robustes d'Ophion*. Lorsque
finit le ténébreux chaos, quand se leva la radieuse Aurore et que
le soleil inonda le monde de sa clarté, alors parut la Goutte
puissante. Après l'avoir fait sortir de ses flancs, la Parque Clotho
la plongea dans le bain; alors le firmament tout entier se prit
à sourire, la foudre éclata dans un ciel pur, et le riche Pluton
la nourrit de ses mamelles gonflées de lait.
LE GOUTTEUX. Quelles pratiques d'initiation exige-t-elle?
LE CHOEUR. Nous ne faisons point couler notre sang rapide
sous le tranchant du fer*; nos cheveux épars ne flottent pas en
boucles sur notre cou; notre dos ne résonne, pas de lanières
armées d'osselets; nous ne mangeons pas les lambeaux de la
chair palpitante des taureaux mais quand au printemps repa-
raît la fleur délicate de l'ormeau, que le merle harmonieux chante
sous la ramée, alors un trait aigu pénètre les membres des
initiés; obscur, caché, il glisse jusqu'à la cervelle; pieds, ge-
noux, cotyles, talons, reins, cuisses, mains, omoplates, bras,
extrémitésdes os, poignets, il ronge, dévore, brûle, saisit, en-
flamme et cuit jusqu'à ce que la déesse ordonne à la douleur
de s'enfuir.,
LE GOUTTEUX. Ainsi j'étais, sans le savoir, un des initiés?
Viens donc ici, déesse, et sois-nouspropice; je vais unir ma
•> voix
à celle de tes adeptes, et chanter l'hymne des goutteux.
Le CHOEUR. Ciel, écoute et sois calme; que tout goutteux
garde le silence Voici que la déesse, qui se plaît au lit s'a-
vance vers les aùteis appuyéeœilsur un bâton. Salut, ô la plus
douce des, divinités, jette un favorable sur tes serviteurs;
accorde-leur une prompte délivrance au retour du printemps.
LA GousrtE. Quel mortel sur la terre ne reconnaît en moi, qui
suis la Goutte, la souveraine invincible des douleurs? Ni la va-
peur de l'encens ne peut calmer ma violence, ni le sang répandu u

A Voy. ce mot dans le Dict^ de Jacobi.


2. Voy. ce mot dans le Diet. de Jacobi.
3. Comme les Galles, voy. De la déesse syrienn
c,
sur les.brasiers ardents, ni les temples où sont suspendues les
offrandes de la richesse. Péan, avec ses remèdes, ne peuttriom
pher de moi, lui, le médecin des dieux du ciel, ni Esculape, le
fils de Phébus. Depuis que le genre humain a pris naissance,
les hommes ont eu l'audace de vouloir détruire mon pouvoir,
en mêlant l'adresse de leurs remèdes. Mille artifices sont in-
ventés contre moi. L'un broie du plantain, l'autre de l'ache;
celui-ci des feuilles de laitue ou de pourpier sauvage; celui-là
du poireau, du potamogéton des orties de la consoude d'au-
tres préparent la cànillée qui fleurit sur les marais, du panais
cuit, des feuilles de pêcher, de la jusquiame, des pavots, des
oignons, de l'écorce de grenade, de l'herbe aux puces, de la ra-
cine-d'hellébore, du nitre, du fenugrec infusé dans du vin, du
frai de grenouille, de la stobée, de la gomme de cyprès de la
farine d'orge, des feuilles de chou cuites, de la saumure, des
crottes de chamois, des excréments humains de la farine de
fève, de la fleur de pierre d'Asius' d'autres font cuire des cra-
pauds, des belettes, des lézards, des chats, des grenouilles.
des hyènes des élans des renards. De quel métal les hommes
n'ont-ils pas essayé, de quel suc, de quelle sève? Et les os de
tous les animaux, les nerfs la peau, la graisse, le sang, la
fiente, la moelle, l'urine, le lait? Les uns boivent le remède en
quatre fois, les autres en huit, la plupart en sept. Celui-ci se
purifieavant de boire la potion sacrée celui-là se laisse abuser
par les charmes des imposteurs un troisièmefou se laisse attra-
per par un juif un dernier enfin implore le pouvoir de la mé-
decine. Mais moi, qui fais pleurer tout le monde, j'arrive d'or-
dinaire encore plus irritée contre ceux qui recourent à ces moyens
et qui éssayent de me chasser.-Ceux, au contraire, qui ne font
point de résistance, je me sens bienveillante pour eux et je les
traite avec douceur. Quiconque est. initié à mes mystères doit
apprendre avant tout àne dire que de bonnes paroles, à charmer
les autres, à tenir de joyeux propos. Tout le monde se met à rire
et à applaudir quand on le voit porter aux bains. Je suis cette
Até dont parle Homère qui marche sur la tête des hommes
avec mes pieds délicats le vulgaire me nomme la Goutte, parce
que je les prends par les pieds ». Mais voyons chers adeptes
oélébrez par vos hymnes l'invincible déesse.

i. Ville de la Troade.-2. lliade, IX, v. 500.


3. Les racines du mot noSà-/px, qui signifielittéralement le piègedans lequel
l'animal est pris par le pied, sont TroOç, irc£6;, pied, et ciypK chasse prise,
capture.
LE CHOEUR. Vierge au coeur de diamant, déesse forte et coura-
geuse.écoutelavoixdeshômmesquiteso.ntconsacrés. Grande est
taforce, ô Goutte amie des richesses, toi que redoutentles traits
mêmes de Jupiter; toi que craignent les flots de la mer profonde,
toi devant qui tremble Pluton, le roi des enfers; déesse amie des
ligatures, déesse qui te plais au lit, qui enchaîaes la course,
qui tortures les talons, qui brûles les chevilles, qui as peur de
toucherla terre, qui redoutes le pilon, qui mets le feu au genou
durant les cruelles insomnies, qui aimes à durcir les articula-
tions et à fléchir les genoux, toi enfin, la Goutte!
LE MESSAGER. Maîtresse, vous arrivez ici bisn à propos;
écoutez, je ne vous apporte point des nouvelles frivoles, mais le
fait marche d'un pas égal avec les mots. Suivant vos ordres, je
parcourais les villes d'un pied paisible, scrutant toutes les mai-
sons et voulant m'assurer si l'on néglige votre puissance. Par-
tout, princesse j'ai trouvë des cours pacifiques et soumis à la
force de vos bras. Deux hommes seuls, enflés d'audace, disent
aux peuples et affirment par serment que votre pouvoir ne mé-
rite point d'hommages, et qu'ils parviendront à vous exiler de
la vie des mortels. Aussitôt j'ai serré fortement les liens de mes
pieds et j'ai parcouru deux stades en cinq-jours.
LA Goutte. Ton vol a été rapide, ô le plus prompt des mes-
sagers. Mais de quelle terre as-tu quitté les bordsinaccessibles?2

Parle clairement, pour que je le sache au plus vite.


LE Messager. D'abord, je descendis un escalier de cinq mar-
ches, dont les ais désùnia me tremblaient sous les pas; ensuite
je me trouvai sur un sol hérissé de bâtons et offrant à mes pieds
une douloureuse résistance. Après l'avoir franchi non sans
quelques meurtrissures, j'entrai dans un chemin semé de cail-
loux, dont les pointes aiguës rendaient le marcher difficile.
Bientôt je me trouvai sur la pente glissante d'une route unie,
où je faisais à peine un pas en avant, qu'une glaise délayée ra-
menait en arrière mes talons sans vigueur. Déjà la sueur inonde
mes membres ruisselants au milieu de ce terrain sans consis-
tance. Le corps exténué de fatigue, je. pénètre dans un chemin
assez large, mais non moins dangereux. A droite et à gauche,
des chars me poussent, me pressent et me forcent de courir.
Hâtant de tout mon pouvoir la lenteur de mes pieds, je suis
obliquementle côté resserré de la voie, pour laisser passer les
chars aux roues rapides. Étant v^.re adepte, je ne pouvais
courir.
LA Goutte. Ce n'est pas pour rien, mon ami, que tu t'es
donné cette peine à mon service. Afin de reconnaître ton zèls
je vais t'accorder une digne récompense. Pendant trois ans tu
ne ressentiras que de légères douleurs. Mais vous êtres im-
purs, ennemis des dieux, qui êtes-vous et quels sont vos pa-
rents, pour oser lutter de vive force contre la Goutte dont le
fils mémé de Saturne ne saurait triompher? Parlez, infâmes r
J'ai déjà dompté plus d'un héros; les sages ne l'ignorent pas.
Priam aux pieds légers est devenu Priam aux pieds goutteux.
Un mal de pied a causé la mort d'Achille, fils de Pélée; Bellé-
rophon eut à supporter les douleurs que je cause. Le souverain
de Thèbes, OEdipe, avait les pieds gonflés. Plisthène, un des
Pélopides, était podagre, et podagre le fils de Péan
un des
chefs de la flotte. Un autre chef des Thessaliens, Podarcés
quoique podagre, prit le commandement des navires lorsque
Protésilas eut péri dans un combat. C'est moi qui ai tué le sou-
verain d'Ithaque, Ulysse, fils de Laerte, et non pas l'arête d'une
pastenague Malheureux,vous n'aurez point à vous réjouir de
votre insolence et vous en subirez le juste châtiment.
LES MÉDECINS. Nous sommes Syriens, nés à Damas pressés
par la faim et par la misère, nous. parcourons, errants et la
terre et les flots. Nous possédons cet onguent, don paternel,
avec lequel nous soulageons tous ceux qui sont podagres.
LA GOUTTE. Et quel est cet onguent? Comment se prépare-t-il?
UN MÉDECIN. Un serment redoutable ne me permet pas de
divulguer ce secret; et notre père, en mourant, nous a recom-
mandé, comme volonté dernière, dé ne révéler à personne la
puissance de ce remède, qui met un terme à vos cruelles dou-
leurs.
LA GOUTTE. Eh quoi! misérables, dignes de finir misérable-
ment, il reste encore dans le monde une mixture assez forte
pour gêner mon pouvoir? Eh bien! faisons'un pacte, et voyons
qui l'emportera de la force du remède ou de mes feux. Venez
ici, Douleurs aux regards sombres, qui volez de toutes parts,
compagnes de mes orgies, approchez. Que l'une embrase le
bout des pieds de cet homme, qu'une autre pénètre dans ses
talons; toi, répands ta liqueur âcre de ses cuisses à l'intérieur
de ses genoux; et vous, pliez-lui les doigts des mains comme de
l'osier.
LES DOULEURS. Vois, nous avons exécuté tes ordres ils gi-
sent étendus, faisant entendre, les malheureux, des cris la-
mentables notre approche leur a tordu tous les membres.
La Goutte. Allons, étrangers, voyons maintenant si votre

1. Voy. Oppien, De ta péclie, II, v. 498.


peut vous servir. S'il s'oppose réellement à ma fureur,
jonguent
abandonne la terre, je me précipite dans ses entrailles, je
me
jotte inconnue, invisible, au fond des gouffres du Tartare.
LE Médecin. Voilà l'onguent appliqué, et les feux de la dou-
leur ne diminuent point.
LE Goutteux. Hélas grands dieux 1 je suis trànspercé, je
suis mort un trait invisible me déchire tous les membres. La
foudre de Jupiter n'a pas de plus terribles effets; les flots de la
mer se soulèvent avec moins de fureur, et les tourbillons de la
tempête sont moins impétueux. Suis-je mordu par la dent
cruelle de Cerbère? Le venin d'une vipère me dévore-t-il?Est-ce
îc poison de la tunique du Centaure? Ayez.pitié de moi, déesse:
cet onguent n'est pas mon ouvrage. Il n'est pas de remède qui
puisse arrêter votre course, et tous les suffrages vous procla-
ment victorieuse des mortels.
LA Goutte. Cessez, tortures, modérez leurs douleurs, puis-
qu'ils se repentent d'avoir osé me défier. Que chacun sache
que, seule d'entre les divinités, je suis intraitable et supérieure
tous les remèdes.
LE CHOEUR. La violence de Salntonée ne put le disputer
au
maître de la foudre; mais il mourut percé des traits brûlants
du dieu. Le satyre Marsyas n'a point à se réjouir d'avoir défié
Phébus, mais sa peau suspendlie à un pin fait entendre des
sons aigus. La fécondité de Niobé est condamnée à un deuil
éternel; elle gémit encore et verse des larmes sur le Sipyle.
Arachné de Méonie osa provoquer Pallas Tritonie; elle perdit
sa forme et elle s'occupe encore à ourdir des toiles. L'audace
des humains ne peut lutter' contre la colère des bienheureux,
tels que Jupiter, Latone Pallas et Pythius. Que tes accès nous
soient bénins, A Goutte, déesse populaire; qu'ils soient légers,
rapides, doux, anodins, iolérables, prompts à cesser ..languis-
sants, faibles; et qu'ils .ne nous empêchent pas de marcher. Les
maux se produisent sous miîle formes que l'accoutumanceet
l'expérience du mal console les infortunés goutteux! Voici,
chers compagnons d'infortune, de quoi apaiser vos douleurs.
Souvent ce que l'on attendait n'est pas arrivé, et un dieu a fait
réussir ce que" l'on n'attendait pas. Que tout malade se laisse ba-
fouer et moquer c'est un sort inévitable.
LXXXI

• OCYPE • OU L'HOMME AUX PIEDS LÉGERS.

LA GOUTTE, OCYPE, LE PRÉCEPTEUR, UN MÉDECIN,


LA DOULEUR ET UN MESSAGER.

ARGUMENT.
Opype Jfils de Podalire et d'Astasie, jeune homme d'une force et d'une
beauté parfaites, se plaisait aux gymnases et à la chasse. Souvent,
quand il voyait des personnes tourmentées par une goutte cruelle, il
se moquait d'elles, et disait que ce mal n'était rien du tout. La déesse
se fâche et lui saute aux pieds. Ocype lutte avec courage et refuse de
s'avouer vaincu; alors la Goutte le couche complétement sur le dos.
La scène du drame est à Thèbes. Le chœur est composé de tous les
goutteux du pays, qui viennent se moquer d'Ocype. Cette pièce est
très-spirituelle.Les personnages sont la Goutte, Ocype, son gouver-
neur, un médecin, la Douleur, un messager. La Goutte fait le pro-
logue.

LA GOUTTE. Redoutée des mortels, déesse au nom maudit, je


suis la Goutte, fléau terrible pour les hommes. Je serre leurs
pieds dans des filets noueux, et, sans qu'on me voie, je cours
•par toutes lès articulations. Je me ris de ceux que j'ai frappés
de mes traits et qui ne veulent point avouer le vrai motif de
leurs souffrances, mais qui s'exercent à donner de frivoles rai-
sons. Chacun, en effet, se berce de mensonges; on s'est heurté
ou foulé le pied, dit-on à ses amis, et l'on tait la véritable cause.
Mais ce qu'on n'avoue pas,, dans l'espoir d'échapperpar le secret,
le temps, malgré tout, le révèle. Alors le malade, vaincu, forcé
d'avouer mon nom, est aussitôt porté en triomphe dans les bras
de ses amis.' J'ai pour ministre la Douleur, qui m'aide à tor-

< On doute que cette pièce incomplète soit de Lueien.


2. L'auteurjoue sur les. mots OEdij/e, aux piedsgon/lés,et Oeype, aux pieds
turer les hommes. Je ne puis rien sans elle. Ce qui m'irrite, et
qui augmente ma colère, c'est de voir que ce n'est point contre
elle, cause réelle de leurs maux, que les mortels invectivent,
mais contre moi qu'ils chargent d'imprécations, comme s'ils
espéraient de la sorte se soustraire à mes liens. Mais à quoi
sert ce vain langage? Pourquoi ne pas exposer à l'instant le
motif qui m'amène en ces lieux et l'objet de ma colère? Ce cou-
rageux dissimulé, ce vaillant Ocype, me dédaigne et prétend que
je ne suis rien. Mais moi, mordue par la 'colère, en femme que
je suis, je viens à mon tour de lui mordre le pied et de lui faire
une de ces blessures incurables dont j'ai le secret. La terrible
douleur occupe encore peu de place, mais bientôt les pointes
vont pénétrer jusqu'à la plante. lui, cependant, feignant de
s'être blessé à la course ou à la lutte, en impose à son gouver-
neur, pauvre vieillard. Le voici traînant son pied, pris h ma
glu; il sort de sa maisen, le malheureux, en déguisant sa dé--
marche. inégale.
Ocype; D'où peut venir à. mes pieds cette douleur affreuse,
qui n'a été précédée d'aucune blessure, et qui m'empêche de
rester en place et de marcher? Elle tend le nerf de.ma jambe,
comme la corde d'un arc prête à décocher un trait, et me con-
traint de gémir. La fin de mes douleurs tarde bien à venir.
LE GOUVERNEUR. Redressez-vous, mon fils, et soutenez votre
marche.' Vous pourriez en tombant m'entraîner dans votre chute,
avec votre marche boiteuse.
OCVPE. Tenez, je m'avance sans m'appuyer sur vous, je vous
obéis, je pose à terre mon pied malade et je me soutiens. Il
est honteux pour un jaune homme, à la fleur de l'âge, d'avoir
besoin d'un aide infirme, d'un vieillard, qui grondetoujours.
LE GOUVERNEUR. Cessez, étourdi, cessez un pareil langage;
ne soyez pas si fier de votre jeunesse. La nécessité fait de tout
jeune homme un vieillard. Écoutez mes avis. Si je me retire, je
resterai debout, moi vieillard; et vous, jeune homme, vous tom-
berez par terre.
Ocype. Votre chute, puisque vous ne souffrez point, ne serait
imputable qu'à la vieillesse. Les vieillards sont forts dans les
résolutions, mais ils n'ont pas de nerf quand il, Jaut agir.
LE GOUVERNEUR. A quoi bon ces arguties? Dites-moi plutôt
comment ce mal vous est arrivé à la plante du pied.
Ocype. En m'exerçant à la course,, j'ai voulu poser légèrement
le pied et tendrela jambe, et la douleur m'a pris.
Le Gouverneur. Eh bien, courez de jiouveau comme dit
l'autre, ou demeurez assis à vous épiler le dessous des bras.
OCYPE. Là dernière fois que j'ai-lutté, j'ai voulu donner un
croc-en-jambe et je me suis heurté, vous pouvez m'en croire.
Le GOUVERNEUR. Quel athlète êtes-vous donc? Vous vous
blessez en donnant un croc-en-jambe Non, vous cherchez à
m'envelopper de vos mensonges. Autrefois, je parlais comme
vous, je ne voulais jamais dire la vérité à mes amis. Mainte-
nant vous voyez tout le monde. Mais quoi la douleur va jus-
qu'à le renverser!
LE MÉDECIN, Où trouverai-je, mes amis, l'illustre Ocype, qui,
dit-on, a mal aux pieds et ne saurait marcher? Je suis médecin
un de ses amis m'a prévenu qu'il est en proie à une douleur
dont le siège n'est point fixe. Mais le voici lui-même devant mes
yeux. Il est couché à la renverse sur son.lit. Je vous salue, au
nom des dieux, Ocype. Mais quel est donc ce mal? Dites promp-
tement, pour que je le sache. En le sachant, je pourrai peut-
être guérir cette vive douleur, ce mal redoutable.
OCYPE. Vous me voyez, Soter, ou plutôt Sotérichus, Sotéri-
chus,.qui portez le même nom que Minerve Salpinx' une dou-
leur affreuse me tient au pied. Je crains de le poser à terre pour
me mettre en marche.
LE MÉDECIN. D'où vous vient ce mal? Que vous est-il arrivé?
Racontez-moi l'accident. Quand on dit la vérité au médecin, son
action est plus efficace quand il ne sait rien, il risque de se
tromper.
'Ocype. En m'exerçant à course et aux jeux du gymnase,
j'ai reçu de grands coups de mes amis.
LE Médecin. Pourquoi donc, alors, n'y a-t-il pas d'enflure?
Pourquoi pas de compresse sur l'endroit malade?
OCYPE. Je ne puis pas supporter les bandes de laine, orne-
ments inutiles dont les autres aiment à se parer.
LE Médecin. Que voulez-vous que je fasse? Je vais vous sca-
rifier le pied. Donnez-le-moi mais je vous préviens que l'inci-
sion va vous faire perdre beaucoup de sang.
Ocype. Faites tout ce que vous pourrez imaginer, afin de déli-
vrer mon pied de ces douleurs aiguës.
LE MÉDECIN. Tenez, voici mes lancettes toutes prêtes, fer et
suivre bien affilés, altérés de sang et à moitié ronds.
OCYPE. Laissez! laissez!1
LE GOUVERNEUR. Que faites-vous, Soter? Puissiez-vous ne
guérir personne Voulez-vous augmenter sa douleur, avec vos
'instruments? Votre ignorance va lui donner un nouveau mal. Il

1. Surnom de Minerve, voy. le Dict. de Jacobi.


n'y a pas un mot de vrai dans ce qu'il vous a dit Il ne s'est
point blessé, comme il le prétend, à la lutte ou bien à la course.
Écoutez-moi. Hier au soir, il est revenu à la maison bien por-
tant après avoir beaucoup mangé et bu d'autant, le pauvre
homme! il s'est allé coucher seul et s'est mis à dormir. Dans la
nuit, réveillé en sursaut, il.se prend à crier, comme frappé par
une divinité invisible. La peur nous saisit tous. « Grands dieux!
s'écriait-il, d'où me vient ce mal affreux? Un dieu m'arrache-t-il
donc le pied? » C'est ainsi qu'il passa toute la longueur de la
nuit, assis tout seul, et déplorant son mal d'une voix de héraut.
Lorsque la trompette du coq eut annoncé l'aurore, il s'avança,
posant sur moi sa main toute brûlante de fièvre, gémissant et
me laissant guider seg pas. Ce qu'il vous a dit n'est donc que
mensonge, inventé pour dissimuler la cause de son mal.
Ocype. Ce vieillard est sans cesse armé de paroles rien n'est
vantard comme son impuissance. Souffrir et dissimuler son mal
à ses amis, n'est-ce pas être affamé et mâcher du mastic?
LE MÉDECIN. Vous trompez tout le monde, avec votre langage
changeant vous prétendez être malade, et vous ne dites pas
quel est votre mal.
OCYPE. Comment vous dirais-je la cause de mon mal? Je ne
sais rien, sinon que je souffre.
LE Médecin. Lorsque, sans cause connue, on a mal au pied
et qu'on invente mille raisons frivoles, quand on sait cependant
à quoi s'en tenir sur la vraie, alors. Et, en ce moment, vous
n'avez encore qu'un pied de malade; mais, quand l'autre sera
pris, à vos gémissements se mêleront des larmes, et je vous
préviens d'une chose, c'est qu'il en doit être ainsi, que vous le
vouliez ou non.
OCYPE. Mais quel est donc ce mal? Quel nom lui donnez-
vous ?
LE Gouverneur. Son nom est formé de deux mots.
OCYPE. Grands dieux 1 qu'est-ce donc? Dites-le-moi,.je vous
en supplie, vieillard.
LE GOUVERNEUR. Le premier mot indique le siège du mal.
Ocype. A vous entendre, c'est du pied, naUç, qu'il s'agit, n'est-
ce pas?
LE GOUVERNEUR. Ajoutez-y lé mot funeste prise, «éyp», et vous
aurez le nom complet*.
OCYPE. Eh quoi dans mon malheur vous m'insultez par des
jeux de mots?

4 Voy. la note de Trt^ iopodagra, p. 637,


LE GOUVERNEUR. Cette goutte est terrible elle n'épargne
personne.
OCYPE. Soter, qu'en dites-vous ? que faut-il que je fasse?
LE MÉDECIN. Attendez un peu je me suis trompé sur votre
état.
OCYPE. Mais qu'est-ce enfin? Que m'est-il arrivé?
LE MÉDECIN. Vous avez une douleur de pied terrible, incu-
rable.
OCYPE. Me voilà donc réduit à boiter?
LE MÉDECIN. Si vous n'êtes que boiteux, cela ne sera rien,
n'ayez pas peur.
OCYPE. Que peut-il y avoir de pire?
LE MÉDECIN. Il vous reste d'avoir les deux pieds entrepris.
OCYPE. Hélas! hélas Quelle nouvelle douleur me saisit l'autre
pied? Quel mal horrible! Je veux marcher, et je suis cloué au
même lieu. Je frissonne quand il faut changer mon pied de
place; je suis comme un enfant saisi de peur. Ah! je vous en
supplie par tous les dieux Sotérichus, si votre art y peut quel-
que chose, n'épargnez rien pour me soulager; sinon, je suis
mort. Un mal caché me dévore; j'ai les pieds percés de part en
part.
LE MÉDECIN. Je ne veux pas recourir aux paroles trompeuses
dont la plupart des médecins amusent les malades, lorsqu'en
définitive ils ne savent comment les guérir. Je ne vous dirai
donc que quelques mots. Vous êtes tombé dans un affreux
abîme de souffrances. Non-seulement vos pieds sont pris dans
des ceps de fer inventés pour punir des criminels, mais vous
voilà condamné à une douleur aiguë et cachée, telle que la na-
ture humaine peut à peine en supporter le poids.
OCYPE. Hélas hélas Grands dieux grands dieux Quelle
douleur secrète me perce le pied! Prenez-moila main avant que
je tombe, comme les Satyres soutiennent par-dessous les bras
les suppôts de Bacchus.
LE GOUVERNEUR. Tout vieux que je suis, me voici à vos <?'
dres, et c'est mon vieil âge qui soutient votre jeunesse.
lxxxii
ÊPIGRAMMES1
1

SUR SON LIVRE.

C'est Lucien qui a composé ceci,, savant dans les choses an-
tiques et censeur des sottises. Car cela même est sottise qui
semble sage aux hommes. Les hommes n'ont, aucune pensée fixe
et certaine ce.
et. que tu admires
ce. quq admires,, d.'autres
d'autres s'en,
s'én, moqu®nt.
moquent.

•2-

CONTRE LES PRODIGUES.

Théjoa, fila de Ménippe jeune homme perdu de débauche,


ayant dissipé l'héritage paternel, Euctémon ami de son père,
esfc désolé, de le: -mit réduit à là dernière pauvreté. Attendri jus-
qu'aux:iarines, iâ le jçeçôit dans sa maison- et lui donne sa fille
en, mariage, a«ec;une riche dot. A peine la richesse a^tréHë ra-
niméi lesi pasâons de Théron qo'il revient à ses habitudes de
dépense, s'abandonae.,attsappétits de son ventre, à la débauche,
aux pjusi infâmes plaisirs. Aussi bientôt Théiron est-il englouti
dans les, flots d'une affreuse misère. Euctémon verse de nouveau

«Lucien sans être un grand poëte, faisait des vers agréables.Parmi ses
épigrammes, disséminées à travers l'Antjiotogie il
y en a une où il parle
tai-même du. recueil de ses œuvres Cest Lucien, etc. On voit que- Lucien ne
wngeaitpas à déguiser son scepticisme il
s'en fait gloire comme de son

:
..îeilleur titre à l'estime dés amis de la vérité, ou, sil'on veut, des ennemis
dn mensonge et de l'universelle hypocrisie. Je n'ai pas cité cette épigramme
comme la meilleure pièce du petit bagage poétique d.e Lucien. l'lus d'une
autre remporte infiniment sur celle-là et par la pensée et par le tour, et par
l'oxpression. Elles sont, pour la plupart, assez mordantes et malicieuses et
elles mériteraientfort bien le nom d'épigrammes au sens même où on le
prend toujours au français. » A. Pjeiirok Histoire de la littérature grecque,
Clia^. Z1.V. i\
des larmes, non sur le fils de son ami, mais sur la dot perdue
et le triste hymen de sa fille. Il voit par cet exemple que, quand
un homme a mal usé de son.,bien, il ne faut pas se fier à lui
pour le bien des autres.
3
SUR LA MODÉRATION.

Jouis de tes biens comme si tu allais mourir, et sache les


épargner comme situ devais vivre. L'homme sage est celui qui,
se réglant d'après ces deux idées sait mesurer à la fois sa dé-
pense et son épargne.
4
SUR LA VIE HUMAINS.

Tout est mortel pour les mortels toute chose nous fuit, ou (
bien c'est nous qui fuyons toute chose.

SUR LA BRIÈVETÉ DE LA VIE.

Pour les heureux la vie entière est trop courte; pour les mal-
heureux une seule nuit est une éternité.

6
son l'amoub.
Ce n'est point le flïs de Vénus qui fait tort à l'espèce humaine,
mais l'Amourest pour tes hommes un prétexte à leurs penchants
déréglés.
7
«DR LES BIENFAITS.

Les bienfaits les plus prompts sont les plus doux le bienfait
qui tarde cesse d'être un bienfait il ne mérite plus ce nom.

8
SUR LES INGRATS.
<

Un homme pervers est un tonneau percé; tous les bienfaits


qu'on y verse s?éooulent dans le vife "•
9
SUR LES DIEUX.

Tu pourras peut-être cacher aux hommes tes actions coupa-


bles, mais tu ne les cacheras point aux dieux; V ïnalgré tous tes
calculs.
10
CONTRE LES FLATTEURS.
Parmi les hommes. il n'est point de pire espèce que celle qui
trompe sous le couvert de l'amitié. Au lieu de nous en défier
comme d'un ennemi nous nous livrons aveuglés par la ten-
dresse, et nous éprouvons un plus grand dommage.
H
SUR LE SECRET DES MYSTÈRES.
Mets un cachet sur ta langue prête à révéler les mystères
il est mieux de savoir veiller sur sa parole que sur son bien.
12

SUR LA RICHESSE.

La richesse de l'âme est la seule richesse les autres biens


sont féconds en douleurs. Celui-là seul mérite d'être appelé opu-

9
lent et riche, qui sait jouir de ses propres biens. Mais l'homme
qui sèche à calculer son avoir, et qui passe sa vie à mettre
trésor sur trésor, ressemble à l'abeille qui, dans, ses alvéoles
aux mille cellules, se donne bien du mal pour qu'un autre
enlève le miel..
' 13
SUR LA FORTUNE.

J'étais jadis le champ d'Achéménide, aujourd'hui j'appartiens


à Ménippe, et je passerai d'un maître à un autre le premier

~–
cependant croyait me posséder, le second à son tour se l'ima-
gine, mais en réalité je ne suis à personne, je suis à la fortune.

..1
14
SUR LES HEUREUX.

Tant que tu seras heureux, tu seras cher aux hommes et cher


aux immortels ils écouteront volontiers ta prière. S'il Ç arrive
un malheur, plus d'amis, tout devient hostile, tout tourne sous
le vent de la fortune.
ii>
SOR LA FORTUNE.

•La fortune peut tout, même ce qui semble impossible elle


élève les petits, elle abaisse les grands. Elle humiliera ton faste
et ton orgueil quand même un fleuve d'or te verserait ses
ondes le vent ne renverse ni le jonc ni la mauve, mais il jette
à bas les plus grands chênes et les platanes.

16
SUR LA PRUDENCE.
Une décision lente est la meilleure celle qui est trop rapide
traîne à sa suite le repentir.
17

SUR LA VIE.

Six heures suffisent aux travaux; celles qui viennent après


tracent aux hommes les lettres suivantes Vivez!
18
CONTRE UN GOURMAND.

Tu es prompt à manger, lent à courir; mange donc avec tes


pieds et cours avec ta bouche.
19
SUR L'IMPOSSIBLE.

Pourquoi laves-tu la peau d'un Indien? Cesse un travail sté-


rile tu ne peux éclairer des rayons du soleil les ténèbres de la
nuit.
20
SUR LES LUTTEURS.

Ses rivaux ont déposé en cet endroit Apis, lutteur au pugilat;


il ne blessera plus personne.
21
•>. SUE LE MÊME SUJET.

Tous les combats du pugilat établis en Grèce, moi, Androlaüs,


je les ai tous combattus. J'ai laissé à Pise une oreille et un de
mes yeux à Platée à Pytho l'on m'a emporté sans haleine. Mon
père Damotélès a ordonné à mes concitoyens de m'enlever du
stade ou mort ou estropié.

CONTRE LES GRAMMAIRIENS.


Salut, Grammaire, toi qui donnes la vie, toi qui as trouve
pour remède à la faim « Muse, dis-moi la colère »II fau-
drait t'élever un temple brillant avec un autel où l'encens fume
sans cesse. De toi les rues sont pleines, pleine est la mer, pleins
sont les ports, 6 Grammaire, qui procures tous tes biens I
23
SUR CEUX QUI SENTENT PB LA BOUCHE L
Un exorciste, à bouche odorante, a chassé un démon, non
par ses nombreuses paroles sacramentelles,mais par la force de
sa puanteur.
24
SDK LE MÊME SUJET.
Jamais la Chimère homérique n'exhala un souffle si terrible,
ni les troupeaux de taureaux qui, dit-on, vomissaient la flamme,
ni Lemnos tout entière ni les excréments des Harpyes, ni le
pied gangrené de Philoctète. Ainsi du consentement de tous,
Télésilla, tu es plus que les Chimères, la gangrène, les tau-
reaux, les oiseaux, les femmes et les démons.
25
Un poète*, se rendant àl'isthma pour les jeux, trouvad'autres
Dëtes et leur dit qu'il avait des 7t«p{<j6(iio (amygdales). se

.J'
4. Ct. Martial, III, Épigr. xvn.
2. Voy. HypsipyU dans le Vict. de Jacobi..
3. Celte épigrammo roule sur le double sens du mot itc/piçO/iix, qui signifie
i la fois eluutts isthmiques el amygdales.
rendit ensuite à Pytho, et trouva les mêmes poètes, mais il ne
put leur dire « J'ai des mapamSOia
26
Dis-moi, dieu de Cyllène, de quel air l'âme de Lollianus est-
elle descenduedans la demeure de Proserpine? 11 serait étonnantt
qu'il eût gardé le silence. C'est un hasard qu'il n'ait pas vouluu
t'apprendre quelque chose. Fi la vilaine rencontre même après
qu'il est mort
27
Apprenez la règle du festin. Je vous invite, Aulus, pour au-
jourd'hui, mais j'établis des lois nouvelles.Pas de poëte qui nous
débite dés vers; défense à vous, comme à tout autre, de rien
apporter qui ait trait à la grammaire.

POUR LE TOMBEAU D'UN ENFANT.

Enfant Ce cinq ans et n'ayant nul souci, la triste Mort m'a


enlevé, moi Callimaqué. Ne pleurez pas toutefois; j'ai vécu peu
,de temps, mais j'ai connu peu des maux de la vie.
29
SUR LA STATUE D'ÉCHO.
Ami, tu vois Écho nymphe des montagnes, amante du dieu
Pan; je répète en chantant la voix qui m'a frappée; je suis
l'image sonore de tous les accents, le doux passe-temps des
bergers tout ce que tu dis, écdute-le et va-t'en.
30
SUR LA STATUE DE VENUS DE UNIDE.

Personne n'a vu nue la déesse de Paphos. Si pourtant quel-


qu'un l'a vue, c'est celui qui a fait nue cette déesse de Paphos.
31
SDR LA MËMÏ.
Je te consacre Ô Cypris, cette belle image de ta beauté
n'ayant rien de plus beau à t'offrir que ta beauté même. t

t Ce mot, en effet, n'a. aucun Mns en grec.


32
SUR UN AUTE! RIAPK1.

Eutyehide m'a placé, moi Pria dans ce lieu désert, pour


garder ces sarments desséchés; ut tossé profond m'entoure. Si
donc il arrive quelque voleur, il t'aura rien à prendre que le
gardien.
33
SUR LAÏS.

La Grèce victorieuse des bataillons redoutables des Mèdes a


été vaincue par la beauté de Lais; mais Laïs à son tour, a été
vaincue par ta vieillesse, et elle t'a consacré, déesse de Paphos,
le miroir qu'elle chérissait du temps qu'elle était jeune. Désolée
d'y voir reproduire au vrai sa beauté grisonnante, elle s'indigne
d'en rencontrer même l'esquisse sous ses yeux.
34
APRÈS UN NAUFRAGE.

Glaucus, Nérée, Ino Mélicerte. et toi, fils de Saturne, sou-


verain des mers, et vous, dieux de Samothrace, qui m'avez
sauvé des flots, je vous offre, moi Lucillius, les cheveux de ma
tête rasée; je n'ai pas autre chose à vous donner.
35
Au milieu de buveurs ivres, Acyndinus voulait seul conserver
sa raison; mais seul il parut ivre au milieu des buveurs.
36
Un imbécile, mordu par une légion de puces, éteignit sa lampe
« Vous ne me verrez plus, dit-il.

37
Voyez-vous cette tête sans cheveux, ces épaules et cette poi-
trine ? Vous n'avez rien à demander c'est un chauve et un niais.

1. Le mot autre du titre semble indiquer que cette pièce en suivait une
autre sur le même sujet. – Cf. la jolie pièce attribuée à Catulle, page <4 de
l'édition Tauchnitz Hune ego, juvenes locumt etc.
38
Tu peux teindre tes cheveux, tu ne teindras jamais ta vieil-
lesse et tu ne rempliras jamais les rides de tes joues. Cesse donc
de peindre ton visage avec du vermillon tu n'as plus une figure,
mais un masque. A quoi bon ce travail? Quelle folie! Jamais
fard ni vermillon ne fera d'Hécube une Hélène.

39
Diophante le hernieux n'a pas besoin de bateau pour passer
une rivière; il met sur sa hernie ses bagages et même son âne,
et flotte la voile au vent. Que les Tritons se vantent maintenant
de nager sur les ondes; un hernieux a le même pouvoir.

40
Nicon au long nep flaire parfaitement le vin, mais il est lent à
dire de quel cru il arrive. Trois jours d'été ne lui suffiraient
pas, vu la longueur de son nez qui a deux cents coudées. 0 la
belle trompe 1 Quand il traverse un fleuve, il y prend souvent
des poissons.
41
Peintre, tu ne peux attraper que les formes, tu ne saurais
contraindre la voix à se fixer dans ta couleur.

42
Je m'étonne de voir Bytus devenu sophiste, lui qui n'a ni
raisonnement ni raison.

43
On trouvera plus tôt des corbeaux blancs et des tortues ailées
qu'un bon rhéteur cappadocien.
44
Artémidore compte des milliers de pièces d'argent; et, ne dé-
pensant rien, il vit comme les mulets qui, souvent, portent sur
leur dos de précieusescharges d'or et ne mangent que du four-
45
Si d'entretenir une longue barbe suffit à rendre sage, un bouc
barbu peut-être aisément un Platon.

46
Un cynique barbu et portant bâton nous a fait voir, dans un
festin, son immense sagesse. D'abord il s'est abstenu de choux
et de raves, disant que la vertu ne doit pas être esclave de son
ventre. Mais en apercevant une vulve de truie, blanche comme
neige et bien dodue, il y laissa ravir son esprit avisé. Contre
toute attente il en demande et en mange largement, disant
qu'une vulve de truie ne peut nuire à la vertu.

47
CONTRE LA GOUTTE.

Déesse qui fuis les pauvres, mais qui te plais seulement à


dompter les riches, tu peux donner des leçons de bien vivre.
Tu aimes à marcher avec les pieds des autres, tu as nombreuse
escorte et l'amour des parfums; les couronnes t'agréent et la
liqueur ausonienne de Bacchus. Or, ce sont là des biens ..qui ne
se trouvent point dans les logis des pauvres. Voilà pourquoi tu
fuis le seuil d'airain de la pauvreté, et tu tournes tes pas vers
les palais de la richesse.

48
Souvent tu m'as envoyé du vin, et souvent je t'en ai su.gré,
ravi d'un si doux nectar. Maintenant, si tu m'aimes, ne m'en
envoie plus. Je n'ai plus besoin d'un si bon vin, n'ayant plus de
laitues. *>
49
Trois courtisanes, ô puissante Cypris, t'ont consacré ces
offrandes, fruits du métier que chacune exerce. Euphro les a
gagnées par une voie illicite, Clio par. une voie permise, et
Atthis, la troisième, par des moyens célestes1. Accorde-leurà

4. C'est là la traduction exacte du mot eùpAmoi, maisje soupçonne quelque


jeu de mots obcène, fondé sur là ressemblance des mot oùpzvos, cial et
•lî/sâvn, urètre.
chacune d'elles, ô déesse, des présents en échange, présents de
garçons pour Euphro, de femmes pour Clio, et pour Atthis de
sujets neutres.
50
Que jamais les dieux, Érasistrate, ne m'accordentde partager
tes mets délicieux! Tu dévores des plats, fléaux de tes entrailles
et pires que la faim même, des mets que je souhaiterais aux fils
de nos enneinis..J'aimerais mieux cent fois souffrir de la faim
que de me rassasier de tes mets délicieux.

51
Tes cheveux, quand tu ne dis rien, te tiennent lieu de sagesse;
mais, quand tu parles, la sagesse disparaît, et il ne reste plus
que les cheveux.
52
Un médecin m'envoya son fils pour qu'il apprît chez moi les
belles-lettres. Dès que l'enfant sut « Chante la colère » et
<r causa des maux
innombrables, » et le troisième vers qui suit
ces deux-là, « précipita chez Pluton beaucoup d'âmes valeu-
reuses, » le père ne l'envoya plus à mes leçons. Mais un jour
il me dit: « Mon ami, je te remercie; mon fils pourra fort bien
étudier cela chez moi, car je précipite beaucoup d'âmes chez Plu-
ton, et pour cette besogne il n'est pas besoin de professeur. D
53
Tu m'avais promis le portrait de •mon fils et tu m'apportes
celui d'un autre enfant qui a le museau d'un chien. Je me
demande avec douleur comment mon Zopyrion se trouve né
d'une Hécube, et comment, après l'avoir payé plus de dix
drachmes, moi, Érasistrate, boucher de mon état, j'ai un fils
anubis à la façon des Égyptiens?^
/AV.'dans!a '7"
n'~fi~e pas të~6.~
Ce premier vers
1~
f
TABLE ANALYflJlIE
E
DES MATIÈRES.

iV. B. Nous avons fait, dans cette table raisonnéc dc$*-raaU&b)*<'qNelquil:s


corrections qui serviront de supplément à l 'errata. Afin de ne pas avoir des
indications trop longues dans le titre de quelques dialogues ou traités, nous
avons adopté pour signes abrévialifs Amb., De l'ambre ou des cygnes;
Appart., Sur un appartement; Ass. D., Assembléedes dieux; Coq, Le songe
oulecoq;.0efa(.,Qu'il ne faut pas croire légèrement à la délation; Démosth,
Éloge de Démostbène Dèshér., Le fils désbérité; Diil. D., Dialogues des
dieux; Dial. m., Dialoguesdes morts; Dial. cuurt.. Dialoguesdes courtisanes;
Dial. mar., Dialoguesmarins; Double acc., La double accusation;Faute, Sur
une faute commise en saluant; Gagés, Sur ceux qui sont aux gages des grands
Hésiode, Discussion avec Hésiode; liist.. Comment il faut écrire l'histoire;
Ignor., Contre un ignorant bibliomane; tongév.. Exemples de longévité;
Ment., Le menteur d'inclination; Mouche, Éloge de la mouche; Paras., Le
parasite; Patrie, Éloge de la patrie; Pérégr., Sur la mort de Pérégrinus;
P. Ptirtr., Pour les portraits; Ehêtor., Le maître de rhétorique; Sectes, Les
sectes à l'encan; Voyelles, Jugement des voyelles. Les autres abréviations
n'offrent point de difficulté. Ce sont, en général, les premières lettres du
titre des traités ou des dialogues.

A
Abacciias, son amitié avec Gyndanès, ACHARNÉ(pourceau d'), Dial. court., vu,
tox., 61. 3.
A3D£ttiTÀiNS,leur maladie, Hist., i. AcuÉus, poëte tragique, Faute., 6.
Abeilles, comment elles se forment aciiekon (plaine de I'), Ménippt, 15,-
dans la ruche Alcyon, 7. marais de l'Achéron. Deuil, 3.
Abonotichos,Alex., 9, 10, H, 13. Acuillk, sa beauté. Dial. m., xviu, I
Abradate, mari de Panthéa, Portraits, goutteux, Tragodop., fables débitées
20. sur lui par Homère, Hist., ko; son
Abkêa, Lucim, 4. bouclier,tout, 13 Astrologie,22; à
Absvktk. Danse, 53. Scyros, ibid., 46; Diat. court., v, 3;
Académie, lieu de réunion à Athènes, tue les Phrygiens, Dial. mar., xi
Scythe, 2. son amitié avec Patrode, Amours, 54;
Académiciens, Pécheur, 43 i Hisl.vér., Tox, 10 son tombeau, Char., 23; fil
2, 18 Icaromèn., 25. grand honneur dans 111e des Bicnhei-
Acamas, nom d'homme. Danse, ko; reux, Hist. ver., Il, 19, 22; ses maîtrei
montagne. Navire, 7. Chiron cl Phénix, Diat. m., xv; la
Acantiius, Phalaris, I, 9. vue des armes l'excite à la guerre
ACHARNÉ, Timon, 50; Icaromén., 13. Appart., 4.
Acindynus, Épigr., 35. Alcibiade, mutile les statues d'Hermès
Acis, Dial. court., iv, 3. Amours,24 commence l'expéditiondé
Aci-.ise, Démonax. 47; enferme Danac Sicile, Hisl., 38; son retour, Dé-
dans un coffre, Dial. mar xn, l.
\contias, Dipsad., 3.
mosth., 3t son éloquence,Scythe,
Ai.ciiiajias, cynique, Banquet, 12 et
1
Acropole, voy. Athènes. suivants; orateur, Démostli., 12.
Actéox, déchiré par ses chiens,Dm!. D., AlcinoOs, Hist vér., I, 3.
xvi, 2; Danse. 41, Pérégr., 3; Sa- Alcmêon, Danse, 50.
turn., 8. Ass. D.t 7. Alcmene, Dial. D &•
Acteurs, voy. CoMF.n;E et Tragédie. Alcyon, voy. le Dialogue de ce nom-
Adimante, Nav. 1 et pasrim. cf. Hist. lier., 1,31 ib., If, %o. – Jours
Admète, roi de Thessalie, Sacrif., 4; alcyoniens,Alcyon, 2.
Jupiter conf.7 8. Alectryos, changéeu coq, Coq, 3.
ÂDMËTE, mauvais poète, Démon, 44. Alexandra, poëmede Lycophron, Lexi-
Adonis, assyrien, Dial. D., xi, 1 sa fête ph., 24.
à Bytjlos, Déesse syr.. 6 et suivants. Alexandre, fils de Pbilippe, exalte ses
AnOiiis, fleuve de Syrie, Déesse syr., 8. exploits, Dial. m., xn, 13 élevé par
adkastjsf. Apolog.. S; Dial. court., vi, Aristote,xu, 3; apprend les vers d'Ho-
2, 3; XII 2; Banquet, 23. mère,ibid.: sa sépulture, xm, 3; com-
ADRASTE, tue le fils de Crésus, Jup. conf., pa1'aison de ses exploits avec ceux de
12 Danse, 43. Philippe,xiv respectela famille de Da-
Adultèiies, punis avec un raifort, Péré- rius, ibid., 4; sa tendresse équivoque
gr., 9; epilés, Fugit., 33; adultères pourHéphesiion,comparé à Bacchus et
des dieux, Prométhée, 17 loi de Salé- aHercufe,ibid., 6; tueClitus,ibid.,3; 3;
thus contre l'adultère, Apolog., 4. Hist., 38; prend la roche Aornos,
Adyrmaq.de, prince de la Machlyène, Dial. m., xiv, 6; se bat à Issus,
Tox, 44 et suivants. Faute, 8; son mariage avec Roxane,
Aédon, Dial. m., xxxnl, 3. Hérod., 5 et suivants; près de mourir,
AÉROCONOPES,Hist. vér., i, 16. Alex., 16; préféré à Annibal, Hist.
AÉROCORACES,HiSt. vér., I, 16. ter., II, 9; Dial. rn.xu, 7 sa colère
Aéropé, Hist. 8 Danse, 43 et 67. contre les flatteurs et coutre Arisio-
Aétès, Danse, 53. bule, Hist., 12 refuseles offres d'un
Aétion, peintre, Gagés, 4'2J; Portraits, architecte, ibid., et Portraits, 9; ses
7; Hérodote, 4 et suivants. reproches à l'historien Onesicrilc,
Afranius Silon, Hisl., 26 Hist., 40 place Héphestion au rang des
Ar.AMEiiNos,sépare l'Eubée de ta Béotie, dieux, Délai., 18 et suivants; veut
Néron, 2 son portrait dans Homère en fermer Agathocle de Samos avec un
Portraits, 25 Hisl., 8 cf. Démon, lion, ibid., 18? se montre attentif à la
26; Parasite, 44; Danse, 43. flatterie, ib., 19; vent se baigner dans
AGATHARCHIDE,Longév., 22. le Cydnus, Appartement, 1 rejette le
Agathobule,Démon, 3; Pérégrinus,17. projet d'un chemin plus court pour
Acatbocle, tyran de Sicile, Longévité, aller en Egypte, Rhét., 5 apparaît en
10; médecin, Traversée, 6; péripaté- songe à Antiochus Soter, haute, 9. –
ticien, Démon, 29; de Samos, Déla- De essalie, tué par sa femme, Ica-
tion, 18 ami de Dinias, Tox., il et sui- romén., 15. – Médecin, Pérégrinus
vants stoïcien, Icarom. 6. 1
AGATHON,poêle tragique,Rhêt., il.
44. – D'A lion otichos, faux prophète,
Alex., 3, 4 et suivants, 11 et suivants,
Agave, Ighor.. 19. 45, 55, 59.
Agénor, père d'Europe,Dial., mar., ïà; Alexandrie d'Egypte, Alex., 44; Jlen.
Déesse syr., 4. teur, 21.
Charid., 24.
AGi.AÉ, Alexandrins à Rome, Gagés, 27.
Agnostus, Pltilop., 9, 29. Alexis, poëte comique, Faute, 9.
AGONOTHÈTE8, Alex., 60. VOJT. HELLANO- Alisadèmk de Trézène.
DICES. Aloéos, ses fils, Char., 3.
Agrigente,Phalaris, I, 2. Alphée et Aréthusb, Dial. mar., m;
Agrigentins, issus des Doriens,Phal., I. Danse, 48.
Aigle' de Jupiter tourné en dérision, Asa. Altbêe, Danse, 50.
D..8.
8. Alytarque. Hermot., 40.
Auins, Tox., 5t et suivants. AMANTS,vanilé.deleurs serments, Dial.
alcamèse, statuaire, Hist., 51; Por- covrt., vu; leurs illusions, Nigr., 7;
traits,§, 4,/wn. trag.,1.
7. irascibles,Dial. D., xxiv, 2.
Alcêe de Milet, Hist 9, t Hermot., is>. Ahalthée (corne d'), Gages, i 3; Rhét. 6.
Alceste, Dial. m., xxm, 3; Btuij, 5; Auastris, ville du Pont, Tox., 57; Alex.,
Danse, 52. 25,56, 5Ï.
Ahazone (statneâe 1'), œuvre derhidias. Anaxagore, dit qu'il n'y a pas de dieux,
Portraits, 4, 6; femme de Thésée, Timon, 10.
Hist. ver., H, 8; Hippolyte,Annck 34. ANAXAnrjuE, philosophe, parasite d'A-
Ambre, voir le traité de ce nom. lexandre, Paras., 35.
AHE^portraitd'une belleâme, Portraits, Anaximène de Chio, Hérod., 3.
Ancuise,aimé devenus,Dial. D., xx, 5;
16-23; livre de Platon
tl'immorta-
lité de l'âme, Philop.,sur l'âme de
l'hommeest un bat pour l'éloquence,
xi, 1 Ass. des D., 8.
Anciie sacrée, Fug., 13.
Nig'r., 36; ne peut soutenir une con- Androclf.0 fils d'Êpicharis, a écrit un
tention prolongée, Amours, t. éloge d'iircule, Charid., 1, 3.
Amitié, voy. dans toxaris celle de Pa-
1.
Androgée.Danse, 49.
trocle et d'Achille, d'Oreste et de Andp.ogynes,Am., 28.
Pylade, de Gyndanès et d'Abauchas, de Andkolée. athlète, Êpigr., 21.
Toxaris et de Mnésippe, de Thésée et Andromède. Danse, 44; attachée à un
de Pirithous,d'Arétée et d'Eudamidas, rocher, Dial. mar., xiv; aimée de
de Zénothémis et de Ménécrate, d'A- Persée ibid., xn, 3; peinte, Apport.,
gathocle et de Dinias, de Damon et 22.
a'Euthydiciis, d'Amizoque et de Dan- ANE, qu'y a-t-ii de commun entre l'âne
damis, d'Antiphile et de Démétrius et la lyre, Gagés, 25 combattre pour
de Sunium, de Bélittas et de Dasthès, l'ombre d'un ànc, Hermot., 71; de
de Macentès, Lonchatès et Arsacomos, Cymé, vêtu de la peau du lion, Pé-
de Toxaris et de Sisinnis. cheur, 32; Fugit., 13; comparé aux
AMizoQVE et Dandahis,leur amitié, Tox., philosophes, ibid. à la fenêtre
38 et suivants. Lucius, 45.
Ammon, imposteur, Dial. m., xiv; est- ASÉMOBROMES,Hist. VIT., 1, 13. 3.
il le père d'Alexandre,ibid., 1 xiv, 1 Angine, ce que c'est. Mentrur, 27.
adoré sous la figure d'un bélier, As- Annibal, ses exploits, Dial. D., xn;
trotog.,».
8. placé au-dessous d'Alexandre, ibid.;
Amour; double, l'un marin, l'autre cé- Hist. vér., 11,9. 9.
leste, Démosth., 13 comment un ga- ANNicÉr.i.s de Cyrène, habile à conduire
gne cetui des femmes, Dial., D., 11, 2; un char, De'mosth., 23.
prières d'amour, Dial. court., vin; Antia, calomnie Bellérophon,De7a(., 29.
symptômesd'amourcaché. Déessesyr., ANTIGONE,Danse, 43.
17 amours avec les soldats, Dial. AiNTiGONE leBorgne, Longév., 1 1 fils de
court., xv; amour d'une belle-mère Dcmétrius, ibid viole sa belle-mère,
pour son beau-fils, Déesse syr., 17; Icarom., 15; médecin, Menteur, 6 et
l'amourpénèlre partout, Démosih., 13; suivants.
amours de Jupiter, Charid., 7, 8; des Antiloque, fils de Nestor, Dial. m., xv.
autres dieux, ibid., 9; voy. Cupidon. Antimaque, poète, Hist. vér.f H,' 42.
Amphiaraûs,Alex., 19. Antioche, ville de Syrie, Pteudol., 20;
AMPHILOQUE, devin,Diat. m., 111, 1 fils paroles des habitants à des danseurs,
d'Amphiaraùs.rend des orades a Malle Danse, 76.
en Cilicie, Alex, 19; Menteur, 38; Antiochianus, historien, Hist., 30.
Ass. des D., 12. Antiochus, fils de Séleucus Nicator,
Ampiiion, Appart., 18 Dame, 41 tou- épris de sa belle-mère, Hist., 35;
che par ses chants les êtres insensi- Icarom., 15; Déesse syr., 17 Soter,
bles, Portraits, 14. Faute, 9 son combat avec les Galates,
Amphipolis,Dimoslh-, 35, 44. Zeuzis, 8 et suivants.
Amphitrite, épouse de Neptune, Dial. ANTIOPE, Dial. D., xxiv, 2; Jup. trag., 5.
mar., v, 1 ix, 3 xv; Néron, 3. Antipater, Nav., 33 son entretien avec
AMPHITRYON,Charid., 1 sa femme, mère Archias, Démosth., 28 et suivants;
d'Hercule, Dial. D., x. désire avoir Démosthène vivant, ibid.
Amtclée Dial. D.. xiv. fils d'Iolas, roi, l.ongev., il; autre
Amycus,Dial. V., xxvi. personnage, Danse, 58.
Amyhonë, enlevee par Neptune, Dial. Antiphile, peinte, jaloux d'Apelle,
mar., vi. Délai., 2 et suivants; fils de Dinomène,
Ahacharsis, pourquoi il vient en Grèce, ami de Démétrius de Sunium. Tox,, '2T
Anach., i4; vient à Mhènes uwir étu- et suivants.
dier les sciences des Grecs, Scijtlt-, 1, ANTIPHON, interprète de songes, Hisi.
3; dans l'Ile des Bienheureux, Hist. vér., II, 33 fils de Ménécrate, Dial.
vér., II, 17. court., vu, 3.
Anaccéon,Hercule, 8 Hist. vér., Il, 15 Antipodes, Démon, 22.
Banquet, 17; Longév. 10; son âge, Antistuêne, Dial. m., xi, 3; xxvii
ibid, 26. Ignorant,27; Fugit-, 20; Paras 43
Ancbis, Dial. m., xm, 3; Sectes, 16; Arbacès, eunuque, tue Arsace, Ica-
Jup. trag., 8, 12; Ass. D., lu; Anubi- rom., 15.
déon, /car., 24 '/os., 28. Arbéle, Dial. m., xu, 3; Rhét.,5.5.
Anytus, Pécheur, 10; Double ace, 6 Arcaoir, patrie de Pan, Dial. D., xxu,
Démon, i 1 Fugit-, 3. 1,3; fables de l'Arcadie, Danse, 18
Aor.Mis, roche, Dial. m., xiv, 6 Hhét., Arcadiens plus anciens que la lune
7 Hermol., 4. Astrol., 26; leur infanterie, Dial. D.,
AI'ELLES, Gagés, 42; Portraits, 3 peint xiv, 2
Pacatéj Portraits. 7 calomnié. Dèlat., Archaïques, PseudoL,?9 Lexiph., 23.
2et suivants; peint la Calomnie, «6., 5. arcuélaûs, hôte d'Euriu.de. Paras., 35;
Apiiiona, Coq 17; Charid., 16. tragédien, Comment il faut, 1 phy-
APHtiooisiA, Diai. c»ur«., xiv, 3. sicien, Longév., 20.
Apis, Sacrif., 15; C/ior., 13: Ass. D.. Archemoue,Danse, 44.
10 pourquoi il est sacré, Astrol., 7; Arcuer, Herm., 28; chez les Scythes, et
à sa mort on se rase la tète, Déesse chez les Perses, ibid., 23; imprégnant
leurs flèches, Nigr., 37: philosophes
syr., 6.
APOLLON, Dial. D., xm, i4;xv,xvn, comparés à des archers, ibid., 36.
xxiii, xxvi; Philop., 5; Ass.Dial.
D., Archias, ancien comédien, lieuienani
d'Antipater, Démoslk.,28 et suivants.
16; à peine né tue un serpent,
mar., x; beau. à longue chevelure, AitciiiBius,médecin, Coq, 10.
joue de la lyre, Dial. D., xv; Dial. Arohiloque, sa patrie, son esprit, ses
mar., v, 1; conducteur des Muses, paroles, PseudoL, 1, 2.
Bist., 16 ses nombreusesfonctions, ARC1IIMÈUE,son éloge, Hippias, 2.
ses divers oracles, Double acc., 1 ses ARCHiTÊLE, arcopagitc, Scyth., 2, 14;
oracles ambigus, Jup. trag., 28-31; Dial. court, x, 3.
Dial. D., xvi, 1 il a de nombreux
temples, Prométh., Archvtas, Faute, 5.
14; à Cbalcêdoine, Aréopagites, jugent dans l'ombre,
Alex., 10 à Delphes et à Délos, Sa- Hermot.. 64; comment se font leur*
crif., 10; Char., u; son temple de jugements, Auach.,19. Cf. Timon, 46
Delphes pillé, ibid., 12; statue en- Pécheur, 42; Danse, 39; jlmours, 29;
sa
levee, Juii. ftvjj., 10; statue d'Apollon 1 Appart., 18: Double ace, 12.
Lycien, Anach., 7; peint, Appart.,34 abété, Portraits, 19 P. Portraits, 7.
père d'Esculape, Alex. 10; il aime AKÉTÊË et Eudamidas,leur amitié, Toi.,
Branchos et Hyacinthe, Dial. D., xi, 22.
•z; malheureux dans ses amours, Arétuuse, Dial. mar., 111.
Dial. D., xiv, xv; Chrysès l'excite Aréos, Égyptien, Hist. vér., Il, 22.
contre les Grecs, Sacrif., 3; exilé pour Argantiionius, roi des Tartessiena,
avoir tué les Cyclopes, Sacrif., Jup. Longév., 10.
conf., 8; ses compagnons changés en Argiens, pourquoi ils choisissent Atrée
cygnes, Ambre, 4; dépouillé de son arc pour roi, Astrot., 12, leur guerre avec
et de ses fliy.hes, Dial. D., 7, i son Lacédémone, Char., 24.
image parlant sur un anneau, Men- Anco, navire, sa carène parle, Coq, 2-,
teur, 38; sastatueàHiéiauolis,Déesse cf. Danse, 52.
syr., 25; ses oracles dans la même Argos, contréeApolog., hrùlce par le soleil,Dial
ville, ibid.. 36, 37 confonduavec l'y- mar., vt, 2; tt.
thagore, Dial. D., xx, 3. Argus, a des yeux par tout le corps,
Dial. D., xx, 8; 111, 1 voir plus clair
Apollodore, ses chroniques, Longév-,
22. que lui, Hist 10; gardien d'io, Danse,
Apollodore de Pergame, id.,23. 43.
Apollonius de Tyane, Aléa, 5; philo- Ariaose, Danse, 13, 49; aide Thésée à
sophe, Démon., 31. sortir du labyrinthe Hermot., 47 sa
ApOLOGIE de diverses professions, Pa- couronne placée parmi les astres,
ras., 56. Ass. D., 5.
Apophras, Pseudolog.,12 et suivants. Ariaratiie, roi de Cappadoce, Longév.,
Audilee, Alex., 18. 18.
Auacbné, Tragod.,V, 318. Ariens, Longév., 4.
Arabie, ses parfums, Déesse syr., 30; arignotus, pythagoricien, chasse un
Rit. vêr., H, 5; prôires arabes vi- démon, Menteur, 29 et suivants.
Akion, de Lesbos, Hist. vér,, il, 15;
vent très-longtemps, Longén., k; sauve par les dauphins, Dial, mar.,
charlatanarabe, Menteur, 17.
Araignée, plus grosse que toutes les xm.
Cyclades réunies, Hist. vér., I, 15. ARiriir.ADC,Menteur,3.
Akatus, Prornéth., |4; Icarom., 24. Aripuuon, Faute, 6.
An axe, Dial. m.,xvn, 3. AR1STANDRE, PiÙlof., 21, 21.
Aristarque de Pholère, Voyelles, i, 8; Arsacidf.s, Appart., 5.
grammairien,Hisi. vér., Il, 20 Arsacomas, son amitié avec Macentès,
ARiSTiECHMUS,Dial. court., xnr, 2. Tox., 44 et suivants.
Amsténète,son festin de noces, Ban- Art, long et vie courte, Hermot t, 63;
quet, i et suivants; philosophe, Dial. necessai re dans toute œuvre, Misl, 36;
court., n,4: x, i. définition de l'art, Paras., 4; art de
Aristéas, Dial m., xi. Tisias, Pseudol., 30..
Aristide, le Juste, Hist. vér., II, 10 sa Artabaze,Longév., 16.
pauvreté, Tim., 24; Jup. trag., 48; Artaxercès Mnémon, Longév., 15; au-
menrt pauvre, Jup. conf., 16; ennemi tre roi de Perse, ibid.
de Théniistocle, Délat., 27; de Milet, Abtéjiidorf. d'Èphèse,Philop., 21, 22.
se plaisait aux fables milcsiennes Artémise, reine de Carie, Dial. m.,
Amours, 1. Cf. Démosth.,36. xxtv, 3.
Akistippe de Cyrène, exhalant les par- Icar., 24.
ArvrÊMisiON,
fums, Dial. m., xx, 4; délivre Denys Artémisium, Bhét., 18.
de Sicile, Ménipp., 13; critique de sa Asander, rui du Bosphore, Longév., 17.
vie et de sa doctrine, Sectes, 12 pour- ASCALAPHUS,Astr., 20.
suit le vice et la vertu, Double ace, 23; Ascètrs, Philop., 21.
parasite, Paras., 33; dans l'île d^s Aspasie, Danse, 25 Coq, 19; Amours,
Bieuheureux,Hist. vêr., Il, 18 cf. Dé- 80; son éloge, Portraits, 17; philoso-
mon., 62. phe, Eunuq.,
An~HOnÈLE, Trâv.,7.
-4RISTIPPE, fils d'Agasthène,son discours Asphodèle, Trav., 2, e<. passim.
et paasian.
sur la beauté, Charid., 14 et suivants. Assvkiens, sacrifient a une colombe, Jup.
Déesse
Aristobule, de Cassandrée,Hist., 12; trag. ,12; à la déesse syrienne,
Longév., 22.
Aristodèhe,tragédien, Apolog., 5 Jup.
syr., et suivants; sont après les
Ëgvpticns les seconds adorateursdes
trag., 3; fils d'Aristocrate, homme dieux ibid. portent des stigma-
méchant,Alex., 4. tes, ibid., 59; leurs prêtres vivent
Aristogiton,parasite d'Harmodius, Pa- longtemps.Longév., 4.
ras.. 48; contemporain de Demo- ASTARTÉ, Déesse syr., k.
sthèhe, Démosth., 48. ASTER, archer d'Amphipolis, crève un
Aristorièhe:? musicien,parasite, Paras., œil à Philippe au siège d'Olynthe
35; Longev., 18. Ilist., 38.
Ariston,père de Platon, Lexiph., i. Astéropëe, Ignorant, 7.
Aristomcus, de Marathon, orateur, Dé- le Traité spécial
ASTROLOGIE, voy.
moslh., 3t. danses des astres, Danse, 7.
Aristophane, met Socrate sur la scène, Astvamax, précipité du haut d'une tour,
Pécheur, 25 poëte mordant, Double Sacrif.,i: Danse, 76.
ace, 33; Hist. vér., I, 29. Cf. Igno- Atalaste, Danse, 50.
Atarnée, Eunuq., 9.
rant. 27; Philop., 13.
Aristote, Sectes, 26; ami de la liberté, Até, Porlr., 21.
Gagés, 24 précepteurde Démosthène, ATÊAS.roi des Scythes, Longév., 10.
Démosth., 12; son témoignage sur Athahas, Dial. mar., ix, i; Dame,
Démosthène, ibid.; précepteur d'A- 4'2, 67.
lexandre, Dial. ni., xii, 3; flatteur, ATHÉES, Alex., 26, 28 Icarom.. 9.
Dial. m., xm 5 parasite Para»., 36 Athènes, son éloge, Démosth., 10;
jamais soldat, ibid.. 43; sacrifie à grotte de Pan sous l'Acropole,Dial. D.,
Hermias, Eunuque, 9: ses dix caté- xxii, 3: Double ace, 9 théâtre près
gories, Démon, 56 cf. Danse, 70; voy. de l'Acropole, Icarom., to quelles
PÉBIPATÉTICIENS. statues dans l'Acropole. Atach., 17;
ARITHMÉTIQUE, première instruction de éloge des Athéniens, Mgr., 12-14:
la jeunesse grecque, Anach., 2ij la aiment la philosophie et la pauvreté,t
même partout, Parusit., 27; formule ibid.; comme ils corrigent certains
de serment, Philop., 12. défauts, ibid 13. 14 élisent les ma-
Arménie, Hist., 15; défaitedes Romains gistrats avec des fèves, Sectes, 6;
dans cette contrée, ibid., 2, 15, 26. prucessifs, Icarom., 16; quatre clauses
Arméniens, excellentà lancer des traits, de citovens d'après la foi tune persun-
Nan., 33. nelle, Jup. trag.. H; lois proposées
ARMES, défense chez les Grecs d'en por- en public, Anach., 22; Athéniens iro-
ter durant la paix, Anach 34. nique* dans leurs discours, ihid., 18;
AauiEti,discipled'Épiciète,.4fc:E., préfet Pan les secourt roture (es 'Pertes
de Cappadoce,ami de Lucien, ibid., 55. Dial. D.. xxu. 3; Double sec, 9:
a.rsace. satrape des Mèdes, sa mort, comme ils mettent llo k la grande
[liai, m., xxvn, 3 Icarom,, 15. peste, Sajtli., 2; leur défaite en Si-
cile, Hist., 38: ne célèbrent pas les BACCHEON,Ignor., II.
Diasies, Icarom. 24; "ivaux des Co- Bacciius, Dial. D.. xvin homme. Juv.
rinthiens, Démon., 57. trag.U: petit loudroys. /Jerer/r.. 4;
âtuënodore de Tarse, stoïcien,précep- sa naissance.Surrif 5 élevé par les
teur d'Auguste, Longév., 2t, 23. nymphes, Dial. D IX dieu de Nysa,
ATHLÈTES, se préparent au combat, ibid.; sa divinité tournée en ridicule
Hermot., 33; quand ils se reposent, i<asuite,Asuembl.des D., k, 5; suivi de
Hist. vér., I. 1; voy. DAMASIAS,Glau- Pan et des Ménades, Dial. D., xxu.3; 3;
CUS, MlLON, NlCOSTRATE. POLYDABAS. dompte l'univers en dansant, Danse
AthOs, Rhét., 18; un architecte veut le 22; danses bachiques, ibid.; Bacclius,
tailler à la ressemblance d'Alexandre, danse satirique, ibid., 79 son expédi-
BisL, 12 P. Portraits. 9; les habi- tion contre les Indiens. Bacchus, et
tants mont
du Athos vivent très-long- suivant^; Fugit., 6; à son retour d'E-
temps, Longév., 5. thiopie, il fonde en Syrie un temple à
Atiiiagque, Pseudol., 27. Junon avec une inscription De'me
ATLAS, porte le ciel Char., 4 Danse, syr 16; change des hommes en dau-
56 sa stame. Déesse syr., 38. phins, Dial. mar., vin, t son nom
ATRÉE, Danse. 43. 67; élu roi a cause de inscrit sur une colonne, HUt. vér., 1
sa science astronomique, Astrol., 12. 5, 7 pourchassépar Priape, Dial. D.,
Ati'.omête, Rhétor., 10. xxm, 2; ses temples à Rhodes, ornés
atropos, parque, Jup. con( 2, t 1. de peintures, Amours, 8; su sialiic
faite par Lysippe, Jup. trag., il cf.
ATTALE Pliiladelphe, Longév., 12 Ica-
rom., 15. Dial. D., 11, 2; Danse, 39; Ithèlor.
Atthis, flist.,32. 7. Voy. Dionysiaques.
ATTIQUE. ironie attique, Tu es un Pro- Baccbyuds, Scylli., 11.
mélhée, t; pauvreté, Fug., 24: parti- BACis(fanxoraclede), Pérégrinus, 30.
culariiésdu dialecteattique, Voyelles, Bactkes, Longév., k; chameau de liac-
k, 1 et suivants Paeudos., t4; les pre- triane, Tu es un Prométhée,4.
miers hommes sont nés du sol atti- Bagoas, eunuque, philosophe péripaté-
que, Menteur 3; fastes attiques, ticien,descriptionEunuq., 4 et suivants.
Danse, 39, 40; chaussures attiques. BAIN, de celui d'Hippius,
Rhét, 15; dix orateurs attiques, Scy- Hijpp k et suivants ce qui se fait. aux
the. 10; miel attique, Nau., 23. Voy. bains, Nigr.. 34; chien dans un bain,
ATHÈNES. Paras., 51; Ignor., 5.
Atticus, Iqnor., 2. 24. Baleine, Hist. vérit. ,1, 30, et II, el
Attis. simcde Khéa, Dial. D., xii, 1 suivants.
Sacrif., 7; Icarom., 27; dieu, Ass. BALLE, Anach., 38.
D.: constructeurd'un temple àHiéra- Banque, procès contre Diogène,
Double son 24.
polis, Déesse syr., 15.
5. acc.,
Aucus (étable d'), Alex., 1 Fugit.. 23. BANQUETdes Bienheureux, Hist. vér., H,
Auguste singulier remetcîment qu'il 7, 14 et suivants.
reçoit d'un accusé absous, Faute, 18. BAPTES,comédie d'Eupolis, Ignor., «.
Aulon, Nav., 7. Baptêmb des chrétiens, Philpp., 12.
Autolycus, voleur, Astrol., 20. BARBE en forme de coin, Épttres sal.,
leurs les anciens laissent croître leur
Actruches œufs sont recherchés 24
barbe,Cyniq.,
par les habitants de la Libye, Dios,, 14.
7. Barbares, aiment tc^ richesses et non
leur sort, Tint., 14; semblables
AVARES; l'élégance,Aupart.,
Pseuiol.,5.24, 29.
à Tantale, ibid., 18 leur vie misëra- JtARBAItlSUES,
ble; Coq, 29 et suivants; cf. Gnipbon Barcetis, Tox.. 50.
MNÉSnilÉB, HlPPAKQUE. Bariiylis, roi des Illyriens, Long., 10.
Avitos, Alex., 57. Barque, appeler barque une barque,
HUt.,ki.
Bassds, sophiste, Ignor., 23.
UAsTAi de Chio, Pseudol.,
3.
B Bastbês, son amitié avec Bélittas, Toi.,
43.
Batalus,joueur de flûte, Ignor., 23.
Obvlose,n'existeplus, Char., 23 Ba- BATEAU, traverser la mer sur un bateau
nyloniens versés dans tes enchante- d'osier, Herm., 28.
ments, Ménippe,G Menteur, llet sui- Bâton, des philosophes, Banq., 44;
vants; ne sont pas les premiers Fugit., 14; l'éch., 24.
astronomes,Astrol., 9; tu as pris Ba- Batraciiion, sa ressemblance avec l'yi-
byione, G'yjes, 13. rhus, Ignor., 21,
DÉLITTAS, son amitié avec BasùVs. Tox., Cachets, iliiers moyens de les briser
43. Alex., il.
aimé de Charid., 9
Belléhopiion Apol., 3; Danse, 42; Cadmu.s, Mercure,
Délai., 26; Ignor., 18; astronome marchand phénicien,As*embl. D., 4;
Astral.. 13 inventeur des lettres. Voyelles, 5,
Brndis, déesseueThrace, Jup. Ira0.,8; 8; 12; père de Sémélé, fini. D., ix, 2
Bendidéon, Icarom., 24. xxiv, 2; sa métamorphose, Danse,
Béotie, Démosth., 37. 41.
Bdroé, ville de Macédoine. Lucius, 34. Cailles, voy. Combats et COQ.
BIENHEUREUX, tle, banquet des, Hist. Caïus, de l'atras, Luc, 55
et
ver., Il. 6, t suivants.
Biens, leur possession est temporaire,
Calamis,statuaire, Portr., 4,6; Dial.
court., m, 'i.
Nigr., 26; les biens vuigaires n'ontau- Calanus, se brûle, Péiégr., 25.
enne valeur pour le philosophe. ib., 4. CALATiASUs'Déniétrius, Longév., 10.
ISltnvME. fable bithynienne sur Priape, Calaurie, île, Démosth.j V8. 46.
Danse, 21 esclave de Bithynie, Gagés, Calcuas, Danse, 36; Hésiode, i.
23. CALENDES, Pseudol-, 7.
IHTONei Cléobis, les plus heureuxdes c allia s, Tim., 24; Jup. trag., 48.
hommes, Char., 10. CALLICRATIDAS,Amours, 38 et suivants.
BLANCHEUR, sans l'incarnat ne fait rien CaLlioémioe, meurt d'un poison destine
à la beauté, Dial. mar., 1, 3. à un autre, Dial. m., xvu.
Blhpsias, usurier, meurt de faim, Dial. Calliuès, peintre, Dial. court.,Amours,
vm, 3.
M., xxvii, 7; flatteur, Tint., 58. CALLIMAQUE,poëte, Hist., 57
Boeufsd'Érythée, Danse, 56 bœufs du 48, 49.
soleil sautent tout cuits. Ép. sal., 23. CALLiUÉnoN,Dm., 46, 48.
Borée, avait enlevé Orithye, Menteur, Calliv.orphf,historien,Hisl., 16.
3 Danse, ko. CALLINUS. tqnor., 2, 24.
Borysthésites, leur ville, Tox., 6i. Calliopk, Portr., 14, 16.
Bosphore, Tox., 4; coutume des pré- Calusthéne, Xliai. m., XIII, 6 xiv, 4
tendants chez les habitants du Bos- Démoslh. 15, iMi commencement.
phore, ibid 44; payent u.i tribut an- Callisto, changéeen bôtv, Danse, 48
nuel aux Romains, Alex., 57. Dial. m XXVIII. 3.
Bouc, n'est pas immolé chez les Egyp- Callistrate, orateur, Uémostlt., 12.
tiens, Astr.,7;traire un bouc,Demo»., Calpuivnianus Crépéivèius, Hisl., 15.
28: sentir le bouc, Dinl. court.. vu. Calydon,
BllACMMANFS,Tox., 3k race de l'Inde,
Fugit., 6.7; vivent très-longtemps,
i
ville d'Êtulio, ses malheurs,
Sacrif.. ;sanglierucCalvdon,/gnor.,
14.
Longèv., 4; se font mourir à petit Calypso, son Ile, Hisl. vér., Il, J7, 29,
feu, Pérégr. 25. 36; esclave, Alex. 50
Brahchides, leur oracle, Alex., 43, 29; Cashakise [lac de), Pseudol,, Char., 32.
ce qui les enrichit, ibid., 8. Voy. Di- Caubyse, fils de Cyrus, fou, 13;
IVYMIÎ.
sa cruauté.Longév., |4.
Branchus, mignon d'Apollon, Dial. D., .Candaule, Luc., 18.
h, 2: peint, Appart.,24. CANON, surnom d'Ion le platonicien
Brasidas, Hist., 49. Banquef-, 7.
Briarée, allié de Jupiter, Dial. D., xxi, Canope, fournit des parfums, Nav., 15.
2; Jup. '.rag.,ks. CANTIIARUS, esclave, Fugil., 28.
Brimo, Menipp.. 20. Capanée, Danse, 76.
BRisÊs(hïieCe), Portr.,»; P. Portr., 24. Capiiêuée, promontoirede l'Eubéc,Jup
Bryttiensf.(poix), Alex., 21. trag., 15.
BUBALUS,Alex. 52. Cappadociens,rhéteurs, Epigr.
Bucéfbalrs,HUt. vér., Il, 44. Caramms, Tox.. 57.
Bulis et Speuchis, Démostit., 32. Oarcinochii'.es,Hisl. rér., 35.
Bupalus, Pseudolog., 2. Caréotis, fontaine. Hist. oer.,11, 33.
Busiris contempteur de ta justice, CarimanteI,Lexipli.. 4.
Double. ace, 8; Hisl. rér., II, 23. CARtON,esclave de Hégapenshès, Tra-
Byblos, Déesse syr., 6 et suivants. versée, 12.
Bytus, Epigr., 42. Carnkadf-, Longév., 20.
Carrières de Syracuse, Hisl., 38; Ga-
gés, 35.
c Cabus, Héraclide, lutteur, Ilist. vir., n,
22.
Caryf.s, bourg de Laconie, Danse, 10.
CABBALUSE,île, Hist, ver., il, U. Cakyonautes, fli»<. «er., u, 37..
Caspiexnes, portes^ Prom., 4; neiges, 5; chameau ou fourmi, Ép; sat., 19;
Hist. 19. Homère l'a été, Coq, 17.
Cassandha, peinteparPolygnoie,Porlf\, Champs Êlysées, Hast. vér., If, |4.
7 de Lycophron, Lexipk., 25. Charax. Longée., 16
Cassiopéf.,se compareaux Néréides, P. Crarês, général athénien,Dém., 37.
Porlr 1; Danse, 44. Chariapès, flatteur, Dial. m., vi, 5.
Cassius-avidios,Hist., 31 Charicénus. Philop., 20.
Castilie (fontainede), Charid., S Jup. Chakiclëe, Tox., 13 et suivants.
trag., 30 Hésiode, 8. Chariclès de Corinthe, Amours, 9, 19
Castor, danseur, Danse, 10 Castor et et suivants.
Pollux, Dial. D., xxvi lejr prêtre Chariots, flatteur, Dial. M., v;sBia(.
Banquet, 9; leurs cheveux d'or, ibid., court., iv; Banquet, 1.
32 apparaissent au mât. des navires, CHARIXÈtlE, Tox.. 22.
Nav., 9: Charid., 3; cf. DioscmtKS. Charmibês, Dial. m., xx, 6- Dial
Catéchumênïs, Philop.f'î. court h, 4.
Caucase, Prom. A. 1. CTT.iRMOLÉE,TOX., 24.
Caulohvi:èïes, Hist vér., t, 16. Ciiagjioi Eus, Dial. m., x, 3.
Cédés, Gagés, 42 Rhétor., 6. CiiaiiOn,avoir un des deux pieds dari3 sa
Cécrops, Mén., 16; Pseudol., 11 sa barque,Apol., 7 être aussi vieux que
noblesse, Timon, 23. lu Dial. m., xxvn; il faut lui don-
nécessairement l'obole du péage,
Cédalion, peint, Apport., 28. ner
Ceinture,de Vénus, Dial. D., xx, 10. Dial: m., xxii transporte des che-
Celer, Alext, 52. vaux, des bœufs, des chiens dans l'en-
Cêléus, Danse, 40. fer, Tràv., 21 munie sur la terre,
CELSUS, écrit contre les magiciens Char. il ne lui est pas permis d'aller
Alex., 21 ami de Lucien, sage, ai- au ciel, ibid., 2; et. Dial. m., il, 10;
mantle vrai, ibid., fit. Hercule, t.
CELTES, Hist., 5, 21; glace celtique, Cbarops, mignon, Jup. conf., 16.
ibid., 19., CharopUs, père de Nirée, Dial. m., xxv,
Geltibêres, vaincus par Annibal, Dial. t.
m.,™, 2. CHÂTRER,voy. COMDABUS et GALLES.
Cencukbi'.s, Hist., 29. CuÉunoNÉF.s (Iles), Amours, 7 Nav., 7
Cenchrodoles, Hist. vèr., i, 13. et suivants.
Cénéos, fils d'Élatus, Coq, 16; Danse, •Cbélioonios,mignon, Gagés, 33.
57 son parasite le Nestor,Paras., 45. Ciiéiveas, Banq., 7, 45; Dtal. court.,
Centaures, peints par Zeuxis, Zeux., 3; vu.
leur fureur, Danse, 48 vaincus par CnÉitÉpHON,Rhét.ti Herm., 15 a'en-
Hercule, Jup. trag., 21; Jup. conf: tretient avec Socrate, Alcy., 1 et sui-
Fugit.. 10 Dial. m., XVI, 4. vants.
Céphée. père d'Andromède. Dial. mar., Chbronée (bataille de), Longea., 23; Dé-
XIV Danse, 44. mosth., 38.
Céramique,Sôylhe, 3: /car., $k;Nav., Chersonèse de ïhrace, Dial. m ix, i
24; Dial. court:, iv, 2; x, 4; Pé- •Dém.. 35.

soncheur, 13.
CÉnASTES.Bips.,3.
emploi, Deuil. 4: Dial.
CHEVAUX,marqués, Ignor., 5 de Nisée,
Hist.,39; ihessalicns, Zeuxis, 6;met-
tre le cheval dans la plaine, Mch.; 9
m., xx. 21 dansie lieu dessupplices, passion des Romains pour les chevaux.
mén. 1 4 Trav. 28 se fait voir à des Nigr., 29 cheval qui se roule, peint
hommes. Philop.. t. par Pauson, Dém., 24.
CERCOPE, brigand, Alex., 4. Chevelure, longue, sifine de noblesse
Cercyon, hrigand, Jup. trag., 21. chez les Egyptiens, Nav., 3; servait
Cép.ês. Danse, 40 prêtresse de Çérês d'ornement aux anciensGrecs i6id.;
Dial. court., y». fausse chevelured'Alexandre le pro-
Césarée. Hisl., 28. phète, Alex., 3, /S»; des courlisanes
ial. court., v, n; les mariés en
CÉTnÉGOS, Ce'm.,30.
CBvx, de Trachinic,Alcy., font sacrifice, Déesse syr., 60 escla-
CnALCÉnoiNE,Alex., 9. ves chevelus, Fugit., 20;
Ep. sat.,
Cbai.cis. Nér. 2: ville d'Italie fondée 24.
par des habitants de Chalcis, Danse, Chien, dans un bain, Paras., 51 Ignor.,
32. 8; «unir du derrière du chien, Lue.,
Chaluiîkks, Longée., 5: devins; Dial. 54 chien dompteur de lions, l' Por-
m., xi, t Herm., 6; Menteur, il et traits, 19; retable, chien enragé, Nigr., 38;
suivants. chien dans Tim., ik Socrate
Chameau, en Egypte, ft* « un Prom., jure jîavlc Chien,Sectes, 16; chien aq
lieu de cynique, Fugit, ts, et dans plu- Cléones, Char., 23.
sieurs autres phrases chien parmi Cléonvme, Charid., 4.
les astres, Ass. des D., 5 dieux à tète Cléopathe,reine d'Egypte, Danse, 3î
1
de chien. ibid., to, 1
Chimèiu:, Trav., 26; dans les enfers,
fait danser des singes, Apol 5; cf.
Pécheur, 36.
Dial. m.,xxx, 1; Néron, 13, t4. Cunias, rhéteur, sacrilège, ïcarom., 16.
Ghius (tonneaude Hist. vér., 11,40. Clio. muse, Portraits. 16; courtisane,
Chiron, précepteurd'Achille, Dial. m., Êpigr., 49.
xv, 1 Cyn., 15 voy. Dial. m., xxvi. Clitus, tué par Alexandre, Dial. m.,
Chleuocharmus, Philop., 21. xni, 6; xiv, 3 Hist., 38.
Ciioasi'f.s, Min., 2i Clunarium,courtisane, Dial. court., v. $
CHORASMIENS,Lorigév., 4. Cloihu. l'une des Parques, Dial. m.,
CHOUETTE, VOy. Proverbes. XXX, 3; Jup. conf. 2, 4; Trai' 5;
Chrétiens, Pérégr n et suivants; en- Char., 13.
Alex., 25, 38.
Christ, Pérégr., t
nemis d'Alexandre le faux prophète, Clymene, Dial. D., XII, 1 xxv, 2.

Chrysès, Sacrif., 3.
13.
Clysma, Alex.. 44.
Clytemnestue, Amours,47 Danse, 43
Appart., 23.
Chrys'ippe, stoïcien, sa doctrioe,Banq., Cnêmon, Dial. m., vin.
30-32; Sectes, 20-26 ami de la liberté, Cniub, ville de Vénus, Amours, 11 et
Gagés, 24; ses froids syllogismes, suivants; verres de Cnide, Lexiph.,
lcaram., 24 prendde l'ellébore,Hist. 7.
vér., H, 18; meurt à quatre-vingt et Cocconas, Alex., 6, 9, 10.
un an, Longée., 20; cf. llerm., 48, Cocheh, merveilleuse habileté d'un co-
82. cher, Démosth., 23.
Curysis, Menteur, t4. Cocyte, Cftar., 6 Douil, 3.
CIEL, confondrele cieletlaterre, Prom., Codrus, Tim., 23; Dial. m., ix, 4; cf.
9; un Galiléen pénètre jusqu'au troi- Démosth.. 46.
sième ciel, Philop., 12; étendu sur le COLIADE,VOy. VÉNUS.
mondecomme une peau, ibid., 17. COLLIER, voy. Hotmus.
Cigale, la prendreparles ailes, Pseudol., COLLYRE;il«ir.,2l.
1 cheveux relevésparune cigale d'or, Colokvnthopirates,mst* ver*. H, 37
Nav., 3. Colombes les Egyptiens n'en mangent
Ciliciens, voleurs,Jcarom., t6. pas, Déessi syr., 14; sacrées pour les
Ciheteuke, dieu des Scythes, Scythe, 4; Assyriens,ibid.. 54; Jup trag., 42.
on lui sacrifie, Jup. trag., 12; on jure Colopbon, siège d'un oracle d'Apollon,
par le Cimeterre, Tox 38. Jup. trag., 30; Double acc., 1
Cinvre, tthét., 1 1 Déesse syr., 9; Hist. COLOSSE de Rhodes, Jup. trag., 11;
vér II, 35; ibid., 31. Ass. D.; en mettre la. tête sur le
CmcÊ, Dame, 46; Astral., 24; Hist. corps d'un nain, Hist. 23.
vér,, 11, 35. COLOSSES, beaux extérieurement, laids
Cirrba, l'hal, 11, 4 Dial. m., xi, 2. à l'intérieur, Coq, 24.
Cité, ce que c'est, Anach., 20; descrip- Cohbabus,son histoire, Déesse si/r., I»-
tion d'une cité heureuse, Hermot., 22 26.
et suivants. COMBATS,ou jeux des Thanatusies,0Mf
CiTHÉituN,Danse, 41 Dial. mar., ix vér., Il, 22; combats de coqs contre
î Dial. m., xxyh, 2. des cailles, Anach., 37.
Claros, célèbre par un oracled'Apollon, Comédie, en quoi elle diffère du dialo-
Bioi. D-, xvi, 8; Alex., 29; ibid., 8, gue, Tu es un Prûméthée, 6 son
43. genre de danse, Danse, 26 spectacle
Cleanthe, stoïcien, Banq., 30 et sui- qu'elle offre, ibid., 29: acteurs comi-
vants rua, 31 Langév., 19. ques qui gâtent le pièces, iVtgr., S
Cléantbis, Banq., S. qui déshonorentleur personnage, ib.,
CLÉARQUE, Coq, 25 Dial. mK xiv, 2. i 1 licence de la comédie chez les
CI.ÉÊKÊTE, Mit)., 22. Grecs Anach,, 22, 23; quand on a
Gléobis et Biton, Char., to. cessé d'écrire des comédies, Z)ém., 27
Cléoci.itr, IVav., 9. figurant de comédie, Hist., 4.
Clêodkmiï, péripatéticien,surnomméla Comparaison, commeqnoielle estjustc,
Faux et le Glaive, Banquet, 6, 7, 1 5 P. Portraita, 19; comparer un petit
Menteur,6 et suivants. objet à un grand, moyen de Batterie,
CléolaOs, Philo))., 28. ibid., 13. •
Cléoiibkote d'Ambracie,Philop., t. COMPARSES. Voy. COMÉDIE.
Cléofi, Tu es un PrométUée,2; Faute, Compassion. Voy. Pitié.
3; Ht»/. 38; Timon, 10. CoMPLHXum, voy. Naturk.
CONON, H'iSl., 34 tant de Sicyone,Dial. m., x, 6; xii;
Coq, consacréa Mercure;propriété des vérillcateur,Philop., 19.
plumes desa queue, Co.7,28; coq sa- Créon, Danse, kl.
cré d'Hiérapolis, Déesse si/r.,48;son CRÉPÉItÉlU.SCAlrURNIANUS, Hist., 15..
temple dans l'lie des Songes, Hist. Cresson, nourriture des pauvres, £p.,
ver., H, 32, 33 combats de coqs con- sot., 28.
tre des cailles,Anach., 37 Crésos, roi des I.ydiehs,Dial. m., 11;
Coraces, nom d'uresteet de Pylade chez l'un de ses lits périt de la main d'A-
les Scythes, Tox., 7. drastc, Jup. conf., 12; l'autre sourd,
Gordax, espèce de danse, Danse, 22, P. Port., 20; essaye de convaincre
26. Apollon de fausseté. Jup. conf., i4;
Corébus, fou, Menteur 3; Amours, 53. envoie des briques d'or à Apollon,
ConiNtHE. Nêr., 3, 4; Dial. m., 1, 1, 11;
t; Char., tt cf. Jup. trag., 30; son en-
Jup. trag., 9: fables corinthiennes, tretien avec Solon, Char., 10, 12;
Danse, 42; Corinthiens,fortifientleur célèbre par ses trésors, Tim., 23; est
ville contre Philippe, Hisl., 3. en peu de temps dépouillé de ses ri-
CORNEILLES, au tombeau d'Hésiode, chesses, Nm. 26; passe PHalys
Pcrégr., 41. Hipp., 2; placé sur le bûcher, Coq,
CORNES, d'éléphants. Déesse syr.. 16 de 23, 25 réduit en servitude,Char., 13
Jupiter Âss. des D., 10. Minipp., 16.
Cornu, syllogisme, Banquet, 23. Crète, Dial. mur., xv, k; excellentes
CoitoMS,Alex., t4,38. lois de la Crète, Anach., 39; Cretois,
CORONUS, Hist. nér., 1, 29. bons danseurs, Danse, 8; montrentle
Corps, des hommes et des femmes est tombeau de Jupiter, Sacrif., 10; Ass.
différent, Déshér. 23; l'accoutumerà D.,6; Ment., 3 et passim; tables cré-
toutes les températures; pourquoi les toises, Danse, 49; leurs .flèchesimpré-
Grecs le frottent d'huile dans les pa- gnées du suc de pavot, Nigr., 37.
lestres, etc., Anach., 24' et suivants; la Crible, Démon., 28; prédire avec un
beauté du corps n'est pas toujours crible, Alex., 9.
compatible avec le mérite de l'esprit, Cris, utiles aux avocats, Tim., 11.1.
Port,, 11. Critius, statuaire, Rhét., 9: Ment., ig.
CorybAntes,Dante, T9; Tragodopodag., Critolaûs, péripatéticien,Langea., 20.
vers 38; Icarom., 2T; prêtres de Khéa Criton, Banquet, 32.
en Phrygie, Danse, 8; furieux. Dial. GROCALÉ,courtisane, Dial. court., xv.
D., xn; danser comme un corybante, Crocodile, syllogisme des stoïciens,
Lexiph., 15. Sectes, 32; Hermol., 8t.
Cohybas, Ass. D., 9. CROIX, Hgure sinistre, Voyelles, .12.
COTHURNE, surnom de Théramène, CROTON,Sectes, 6; Coq, t8. B.
Pseudol.. 16. CtjSsias a écrit sur l'Inde des choses
COTTABE, Philop., 11 Jouer aux cotta- qu'il n'a ni vues, ni entendues,Ment.,
bes, Lexiph., 3. 2; Hist. vér., I, 3: puni dans l'Ile des
Cotys, lgnor.,W. Impies pour ses mensonges,ibid.. Il,
CouiibNNBs, doivent être portées sous le 3i médecin d'Artaxercès Hnémon,
nez plutôt que sur la tête, Nigr., 32; Hist., 39.
diverses espèces de couronnes du CTÉsmius,longée,22.
vainqueur, Anach., 8; matelots cou- Ctésipiion, ville, Mit)., 34.
ronnés, Néron, à la iin. Cupidon, Dial. D., il: xiti; Danse, 7;
COURSE, exercice chez les Grecs,jlnacn. plus ancien que Japet, Dial. D., 11, 1
27. vaincu par Mercure, Dial D., vu, 3:
Courtisans,leur misère, Gagés, 1 et sui- pourquoi il ne blesse ni les Muses, ni
vants vieux courtisancomparé à un Minerve, ni Diane, ibid., îs; quels
vieux cheval, ibid., ko vie du cour- autres dieux il a vaincus et pourquoi,
tisan comparée à un portique, 42; ibid. puni par Vénus, ibid., xi, t sa
apologiedu courtisan,Apolog.,passim. force invincible,ibid., xii: Dial. m..
COURTISANES, leurs mœurs, voy. !es xix commande aux dieux et aux
Dialoguesdes courtisanes. hommes, Dial. D., vi, 3 ses œuvres
Craniuh, Dial. m.. Y, 1 Hist., 3, 63. Amours, 32; double amour, t'oid., 37;
Cratês, cynique, Dial. m., xu 3 xxVn Danse, 38; sa statue à Thespies,
Pêcheur, 23; Coq, 20; Fugil., 20; Amours, 1 1 amours peints, Hisl:, 23
jamais soldat, Paras., 43. Hénd,, 5: portant des flambeaux
Gratinds, comique, Longév.,1i. allumés, Dial. mar., xv, 3; voy.
cratos, cynique, son genre de vie, AMOUR.
Dantt, t; déteste la danbe, ibid.; Cybêbe, Pseudol., 11; Tragodopod.,
-
change d'avis,tbid., 85. 'Vichehabi- y. 30; voy. Uuéa.
CYBKLE.vVOJ.CYBÈBE. Danaé, Tim.. 13; Danse, 44; aimée de
CV.BÉLUS, colonie d'Athènes, Voyelles,7. Jupiter. Dial. D., xxiv, 2; Coq, 13:
Cïciades, îles, fox., 17. livrée aux flots par son père, Dial.
Ctclopes, dans l'Etna, Tim., 10; leur tnar. xu une autre Danaé, Démon,47-
portrait, Dial. mar.? 1, 2; leur em- Danaïdf.s (tonneaudes), Tim., 18 Her-
ploi, Trav., 14; tues par Apollon, mot., 61 cf. Dial. m., XI, k.
Sacrif., 4; Cycloue, pour dire un Danaus, Danse, 44 élève durement ses
homme impur, Pseudol., 27. filies, Dial. mar., ïl.
Cïdias,homme riche, Nav., 38. Dandamis et Amizoque, leur amitié,
CYDIMAO.UB, tillede Mcnccratc, Tox., 25. Tox., 39.
DAPHNÉ, Danse, 48; aimée d'Apollon,
Cydnuî, Apport., 1..
Cygses,chanteurs, Amb.,k.
CYLLARAB1S,Apol., 11.l.
4. Dial. D. i4j xv, 2; Hist. ier.,1,
Darius, /ils d'Hystaspe, jette un pont sur
g.
Cylléniens, sacrifiant à Thaïes, Jup. le Bosphore, Néron, 2; son mot sur
trag., 42. Zopyre, Jup. trag., 53; Codoman,
Cynégire,Démon., 53; J?hé(»r-,»8;/op. vaincu, Dial. m.,xH, 3.
trag., 32. DATtS, perse, Double ace, 9.
Cynëthus, flatteur de Démétrius Poliur- Dauphins, sauveursdes hommes, Nav.,
cèic, P. Port., 20, 22. 19 aiment les hommes et la musique,
Cymë,âne de Cymé, Pécheur,32; Fugit., Dial. mar., 8.
13; cf. Ment., 5; l'smdolog., 3. DÉcÉue, Amours, 24.
CïKiQUE,portraitdu parfait cynique,voy. Décrianus, sophiste, Luc., 2.
le dialogue de ce nom; Fugit., 16; Dédale, astronome, Astrol., 14, 10; fait
sont bafoués, Péréor., 6 et suivais; des statues de bois qui marchent,
Sectes, 20 et suivants; Pécheur, 44, Jfenf., 19; commentil a volé, Port.. 21;
15, 48; Banqutt, 11 et suivants. Cyni- conduitun chœur, Danse, t3; cf. Coq,
'quesnummésparLucien Alcidamas, 23.
Antistbèse, Ciutês, Craton, Démé- Dêjaniee, Dame, 50. Danse, sacri-
trius, dlogène, héropbile, honora- Délos, Dial. mor.jX; 38:
TUS, MÉNIPPE,PÉRÉGRI11US,TBÉAGÊNE. fices avec danses qui s'y célèbrent,
Voy. ces noms, ibid., t6 ce qui l'enrichit, Alex., 8.
Cyniscus, philosophe, Troc., 7, 22. tELriiES, oracle d'Apollon Dial. D.,
CYNOBALANES,Hist. vér., 1, 16. xvi, 1; cf. Aslrol., 24; Phalaris, n,
CYNOCÉPHALE,Berm., 44. 90, 12; Alex., 43; ce qui l'enrichit,
CYNosuiiiE, Icarom., 18. Alex., 8 trépied deluhique. Pseudol..
Cypre, Hist. vér., II, 34, et ailleurs. 10; prêtresse de Delphes, Hermot., 60,
Cypsélus, Lexiph., I. offrandes du temple de Delphes,
Cykus, l'Ancien, nourri par une chienne, Tim., 42; ses magistrats, Phal., 1, 2;
Sacrif., 5; ses exploits, Char., 9; sa contréepierreuse, Phal., fi, 8; minis-
mort, ibid.; cause desa mort, Longév., tres et assesseurs d'Apollon Pythien,
14; le Jeune, Longév., 15; ious deux Phal, I, i;voy. Pytuo.
ô.
dans l'ile des Uienheureux, Hist. vér., Dêmade, de matelot orateur, Démosth.,
Il, 17; le nom de Cyrus change eu 15, 46 timide àla guerre, Paras,, 42.
Tyrus (Fromage), Voyelles, Il. Deméa, orateur, Tim., 49.
Cytmide,onguent, Alex., 22. Déménête,Ment., 27.
Okmétiuus, statuaire, Ment., 18, 20; de
Callatie, Longée., 10; cynique, lgnor.,
19; blâme l'art de la danse, puis eu
D faitl'éloge,Danse, 63 platoniciensen
Egypte, Velat., 16; Polioi cèie,P.Port.,
20; de Sagalasse, Hist., 32; de Su-
DACTYLESIdéens. Danse, 21. nium, cynique ami d'Antiphile,
Dadis, ftle,Alex.3t>. Tox., 27 et suivants.
Damasias, athlète, Dial. m., x, 5. Demi-Dieux, tournés en ridicule, Au.
DAMtS, épicurien, discute avecTimoclès, C.,7.
7.
Jup. trag., 16, 35 et suivants riche DÉMficHARÈs, Longée, 10.
Corinthien, empoisonné par son lils, DÉMOCiuTE, u'Abdère, Sacrif., 15; se
Dial m., xxvii, 7. moiiuo de tout, pourquoi? Sectes, 13;
DAMNirpE, Dial. loue pour la finesse de son esprit,
m., vm.
Damon, flatteur. Dial. m., v de Chat- Alex., 17; dil qu'il n'y a pas de fan-
cis, ami d'Euthydicus,7"ooï., 19 et sui- tômes,Ment.,32; son âge, Longée., 18.
DÊMODOCiis, Aiiparl., 18.
vants.
Daiioxène, lutteur, Dial. m., 1, 3. Démo.nassa, Dial. couri., v, 2.
Dêhonax, d'Êphèse, Tox., 13, II; philo-
DtMYixus, Dial. court., xi, 2.
sophe éclectique, voy. sa vie dans le Patrie, 5; parfaits, Ass. D.,
traité auquel il donne son nom. Jup: trag., 18 grand nombre dei,dieux
15;
Démons, chassés de Palestine par un tournés en ridicule, Ass. D., 4 et sui-
Syrien, Ment., 16. vants Philop., 4 et suivants; dieux
Démopbante, Dial. court., vin, 2. rustiques bâtards, Ass. D., 7, 13;
Déhosthêne, général athénien,Hist.. 38, dieux barbus, Cyn., 20; vie des oienx,
49; orateur, son éloge, voy. le traité Sacrif. 5-9; leurs ennuis, Double
de ce nom il est de Péanee, Double acc., l opinions qu'en se fait d'eux,
ace, 31 il flatte sa patrie, Paras., 42; [carom., & et suivants; pourquoi on
de basse extraction, s'élève par son leur sacritie, puisqu'ilsne font aucun
talent, Songe, 12; un mot de lui, Jup. bien aux hommes, Jup. conf., 5 et
trag.,
mosth.,23; comparé à Homère, De- suivants; leur discussion sur la pré-
4 et suivants: copie huit l'ois séance, Jup. trag., 9 et suivants;
Thucydide ses autographes chère- amener un dieu sur la machine. Ment.,
ment estimés, Ii/nor., 4; son apologie, 29; les dieux ne peuventêtre trompés,
Paras., 56; dépourvu de grâces, Phal., 1, t; persinés, Jup. con(., 8;
Rhét., 17; cf. Gagés, 5, 25; Jup. leurs réponses équivoques, ibid., 14;
trag. AS; Double Démosth.,
ace, 26 S. leur providence niée, ibid., 6, 4, 16et
DÉHOSTKATB,Akx., 45. suivants,35; diversesespèces de dieux,
déhyle, Ment., 25. Jup. trag., 42; ce qu'en pense Euri-
Dendimtes, Hist. vér., 1, 22. pide, ibid., 41 la peur des Géants les
Denys, de Syracuse, l'Ancien, Ménipp., fait fuir en Egypte, Sacrif., t4; on
13; le Jaune, mauvais poète, lgnor., leur élève des temples,ibid., Il sont
15 Faute, 4 mahre d'école à Corin- reçus à table par les Éthiopiens,ibid.,
the, Coq, 23 cf. Paras., 32, 33. 2; vendent les biens aux hommes,
Debcéto, Déëssesyr.,14. ibid.; ont invité jadis des hommes à
Derrière, voy. CHIEN. leur table, Sacrif., 9;leurs adultères,
Dés, Saturn., 4. Prorn., 17; aiment la beauté, Charid.,
DÉsut de posséder, Vyniq., 15; fils de 6 et suivants.
Vénus, Dial. D., xx, 15. Diménéte,Scythe, 2.
Deucalion, déluge arrivé de son temps, Dimas d'Ëphèse, Tox., 12 et suivants;
Tim., 3, 4 Danse, 39 Déesse syr.,12 Dial. m., vil, i.
fondateur d'un lemple à Hiérapolis, Dinomaque, femme, Dial. court., vit, 2.
Déesse syr., 43, 28; Deucalion et Pyr- DINOMAQUE, stoïcien, Mmt., 6 et sui-
rha. Ithel., 20. vants soldat,Dial. court., xv, 1.
Dialogue, uni à la<'omédie; leur diffé- Dinon, historien, Longév., 15; autre,
rence, ju es un Prom., 5, 6; ami de Ment., 17.
la philosophie, Pécheur, 26 fils de 4a Diociës, Alex., 52; philosophe,Eunu-
philosophie, Double acc.; sou carac- que, 4.
tère primitif modifié par Lucien, Dou- Diocèse, de Sinope, d'abord banquier,
ble aa: 33 et suivants. puis philosophe, Double ace., 24: son
Diane, Dial. D., xvi; sa naissance^ • portrait»'Sectes, 7-1 1 son discours
Dial. mur., x; en ï'auride, Jup. contre Lucien, Pécheur, 25; jamais
trag., 41 chez les Scythes, Tox., 2 et soldat, 'Paras., 43-; montre comment
suivants les Scythes lui offrent des on peut acquérir de lu gloire, P. Port.,
victime» humaines, Sacrif., 13; Dial. 17 pourquoiil roule son tonneau sur
D., zxnij i préside eus. accouche- ie Craninm, Hist., 4; se donne la
ments, Dial. D., xxyi, 2 irrité contre mort, Dial. m., xxi, 2; son tombeau,
OEnée, Banquet, 25 Sacrif., i pour- Dial. m., xxtv, 3; amant de Laïs, dans
quoi elle n'est pasb'esséc par l'Amour, l'ile des Bienheureux,Hist. vër., Ii,
Dial. D.. xix; son temple à Éphèse, 18 se moque d'Hercule, Dial. m.. kvi
Icarom., 24; brûlé par Êrostrate, cf. Ménippe.^ 18; Pial.m., 1, 93;x'ivu;
Pérégr 22. Démon, 58, 62: Fugit., 20.
Diasies, Tim., 7; Icarom., Hj Charid., Diocéne, de Séleucie, Longév., 2a.
1,3.
3. Diomède, Dial. m., xx, 1 Paras., 44;
Dictée, montagne de Crète, antre de Hist. vér., II, 23.
Dictée, Dial. *ftar., xv, 4. Dion, d'Héraelée,Hermot., 9; de Syra-
Oioon, Danse, 46. cuse, Ménipp., 13 Sfrtra, 19; Coq, 25;
Didyme,oracle, Alex., 29 Dial. D., xvl, de Pruse, Pèrégr., 18: Paras., II.
1; d'où lui vient son nom, Attrol., D1ONIQUE, médec, Banquef, 1, 20 un
23. autre, Mie., 24.
DIEU, semblable à un hôte, Cyn., 7; Dionysiaques, Tim., 51 danse, Danse,
des chrétiens, Philop., 12 et suivants. 22; liberté, Tu es un Promilh..6; Ictcr
DIEUX, chacun aime ceux de sa patrie, les Dionysiaques, Gagés, in
DiONYsitis stoïcien, puis épicurien, Éléens, Démon., 58 habiles à lancer
Double ace, t3, 20 et suivants. le javelot, Dial. m., xiv, 2; gymnase
Diostsodore, avait recueilli les lettres établi. à Élis, Pérégr., 3; légendes
de'Ptolémée, fils de Layus, Faute, to; d'Ëlis, Danse, 47.
rhéteur, Banquet, 6 et suivants, 29. ËLÉciK, ridicule, Banq., kl.
Diophantb,' rhéteur, Dial. m., x, 12. ÉLENCiiUh, de Ménandre, Pseudol., k.
i»IOPithès,Démosth., 35, 37. Eléphants,cornes. Déessesyi\, 18.
DioscuuES, Gagés, 1 Dansé, ko Alex., Eleusis (mystères d'j, Trav., 22: Démon.,
4; A*av 9; Charid., 3; pourquoi ii,3i.
dieux, ibid., 6 enseignent l'art de la ÉLOQUENCE,VOy. JiTlËTOiUQUE.
danse aux Lacédémoniens, Danse, 10. Elysée (champ), Deuil, 4; Hist. ver.,
Hiotime, femme, P. Port., 18 £«««?.. 7. II, U.
Diotihe, de Mégare, Charid., 3; Dial. Emmélie, genre de-danse, Dense, 22, 26.
court., x, t. Empédoci.e, /carowt,, i3; Perégr., t;
Dipbile,surnomméle Labyrinthe, Ban- Fugit. 2; ses vers, Faute, 2; pourquoi
quel, et suivants; Dial court xu, l. il s'est précipité danl'Etna, Dial. m.,
Dipyle porte d'Athènes, Scythe, 2; xx, 4i n'est pas dans l'île des Bien-
Nav.,il, 24. heureux, Hist. vér., II, 22.
DlRCÉ,Xuc,23.3. Empusk, Danse, 19.
Discorde pomme de)j Dial. mar., v; ENCHANTEMENTS,guérissent les mala-
Dial. D., xx; Charid,, 10, 17. dies, Ment., n et suivants ramènerat
Disputes des philosophes se terminent les amants, Dial. court., i: descrip-
par des coups, Banquet, 1; frivoles, tion d'un enchantement,Dial. court.,
Double acc., 34; longues et enveni- IV.
mées, Hermot., 1. ENDYMION, Ass. D., 8; Mouche, io;
Divination, vraie ou fausse, Hésiode, 7 aimé de la Lune, Dial.D., xi; Sacrif.,
et suivants; ne change rien au destin, 7; ce qu'il fait en astrologie,Aslrol.,
Astrol.n. 18; roi de la Lune, Hist. vér.,lf
Dodone. Icarom., 24; chêne deDodone, suivants.
net
Amours, 7 31 Coq, 2. Enfamts, offerts en sacrifice, Déesse syr
'DORWH,modede musique, £aroiontâ.,i.t. 58.
Dorion. matelot, Dial. court., xiv. ENFER, voy. Dial. m., Sacrif.tMén.t etc.
Demis, Dial. mar., 1, 1 xu. Éniens, Démosth*i 39.
Dosias, mauvais poëte, Lexiph., 24. Énipée, se voit enlever sa mut tresse par
Douleur, elle n'est pas indifférente, Neptune, Dial. mar., xm.
Banquet, kl. Ënodies, fètesàÉgine, Nav., 15.
DRACHME,payée à un orateur, Démosth., Ëpaphus, Danse, 59.
36. Épéus, Hipp., 2, Hist. veV., H, 22.
DRAGON,astre, Astrol., 23gardiend'or, ÉPHIALTB, VOy. OTUS.
Danse, 5ti étendard chez les Parthes, ÉpiCHAUME, poëte comique, son âge,
Hist., 29 dragon qui parle, Ment., 17 Longèv 4 2S une de ses maximes,
et 18. Bermot.. kl.
Drimyle, Coq, 14. Épigtètb,Z)e'mon., 3; ne se marie pas,
Drohon, Tim., 22 corvées d'un dromon,t ibid.,55; exilé, Pérégr., 18; sa lampe,
Gagés, 25 esclave, Dial. court., x. tgnor., 13-
Éimcure, Sectes, 19; Hist. oer., IL t8
Danse, 6; Alex., 25; loué par Lucien,
16W 7 17, 25, 61 son livre des Pensées
E brûle par Alexandre le faux prophète,
kT, se moque des dieux, Jup. trag.,
22; nie la providence,Double ace, 2
EcflAHSbN, doit avoirl'ouïe fine et la vue ses lettres, Faute, 9.
perçante, Cronos., 18. Épicuriens, Herm., 16 se moquent des
ECHBRAIE. iVai' 20. dieux, Icarom.f 32; ce qu'ils regar-
EcinsAuts, Danse, 50. dent comme le souverain bieo, Doublé
Echo, nymphe bavarde, Dial. mar., I, acc., 22; le parasite nie qu'ils soient
k; amante de Pan, Dial. D., xxn, heureux, Paras., u et suivants; en-
Ecot (festin par), Dial. court., vu. nemfs d'Alexandre le faux prophète,
Êdesse, Hist.. 22, 24. Alep,, 25. 38, H et suivants cf. Pé.
Éoixation, chez tes Grecs, voy. GYM- cheur, 43; Icarom., 18. Vcy. Damis
NASES. DlONYSIUS, HERMODORE, HEUMON, LÊ<
ÉLATUSlfflo d'), Coq., 19. P1OUS, TlMOCt'.ATE.
ELECTRE syllogisme des stoïciens, Sic- ÉPiMËNiDE, 7Vm,, e;.blettdeur, 2,.
îfs, 22. ÊPIHÉTHÉE,Tu ex un Prométhéc,7.
Kpipoles, Hist., 38, 57. Eopater. Alex., 57.
F.pis, prix d'éloquence.Charid., 3. Kuphorbe. devenu Pythagore, Coq 4, Ii,
Epithalasie, mauvais. Banq., 4i*e iî,IT,Dial. m, xx, 3; Bist. vér.,
Ëpithètes,feurs
les poètes s'en servent pour II, ai.
remplir vers, Tim., 1 F.cPDonioN, Hist., 27.
ËPIDRE, Bir.l. court., XIV, 2. EUPHRANOR, peintre, Gagés, 42; Porlr.,
Erasidee,Dial. court., x, 3. 7; statuaire, Jup lrag.,T.
Ërasistrate, Épigr.. 50, 53. Eupbro, coilnisane, Epiy.. 49
ÉRATosTiiÈNE,de Cyrène, Longèv 27. Eupous. Pêtk., 25; Double arc, 33.
Eacmos, Amours, 49. EuRirE.JVe'r 2.
Erecbtbée, Danse, 40; Pseudol., il; Euripide, parasite d'At'chélaüs, 35; sun
Ménipp., 16; Démosth.,46. opinion sur le commerce avec les fem-
Êrechthéide, tribu d'Athènes, Tim., mes, Amours, 38; dieux,sur l'enfantement,
Jup. Iraq.,
49. Coq, 19; sur les
fir.tcHT»oNius,Menleur,Z Apparl 27; 4l cf. Appart., 23; citations d'Euri-
Danse, 39. pide, Ménipn., 1 Sectes, 9; Péch., 3,
Ekidan, Danse, 55; Dial. X)., xxv, 3 39 Apol., 5 Foute, 2; Jup. trag., 2
Dial. m.; XII, 2; j4mbre, 1 et sui- Pseudol. fin B~tTt~ fin Andro-
vants. mède, Ménipp., 1 Bist 1 Bac-
Ërigone, Danse, 4o; son chien, Xss D., chantes, Pébhmr, 3; Jjnor., 19;
5. Pseudbï., 19; Bellérophon Tim
Eripbvle. C((n., 8. il Coq, t4; – Hécube, Ménipp 1
ÉRiiBïE,Danse, 56. Dénuufn., 47 Hercule, Mémpp., 1
Esclaves noms d'), Gagés, 23; savent le Jup. trag-, 1 ;– Hippolyte, Ignor.. 28;
bien et le mal de leurs maîtres, Lui: – Iphigenie en Tauride,Amours, 47
5 plus esclaves que XoïsetThmouïs, – Hélanippe, Jup. trag., 4t; Philop.,
Rhet 24. 12: – Médée,Apol.. 10; Paras., 4;–
ESPAGNE, saumure et huile de ce pays, Méléagre, Banq:, 25; Oreste. Jup.
Nav., 23. trag.,l; – Pheniciennes, Apol 3
Faute, 2 Amours,25 Jup. conf. 1 3
Espérance, Sages, 42.
Éthiopiens, premiersastrologues,jlsïr., J>ouble ace, 2{;Berç., Longée., 4;
23.
Démoslli.,
3, 4; sacrifientau Jour, Jup. trag 42; 9 – Phrixus,
combattent en dansant, Danse, 18; Europe, sœur de Cadmus, Déesse syr.,
reçoiventlesdieuxàleur iablc,Sacn' 4 aimée et enlevée par Jupiter, Diai.
2; Philop., 4; cf. Dial. mar., t4. mar., xv; Ch.arid.,1.
ETOILES, leur influence sur les choses Edropb, armée contre l'Asie, C/iariii., 18. 8.
humaines,bistrot., 29. Europos, Hist., 20, 24, 28.
EUBATIDE, sa maison infestée de fantô- EURYBATE, homme méchant,Alex., 4
mes, Menteur, 30. Eurtdice, Dial. m., xxm, 2.
Eobëe, Démosth.. 37; séparée de h Eurtsthée, ses services, Jup. trag., 2t
Béotie par un canal, Nér., 2. son tombeau, Âss. D., 7.
Bubiote, Tox., 51. 54 et suivants. Ecrvtus, Péch.. 6.
Eubule, orateur, Démosth., kl. Ecthydèhg, péripatéticien,Herm 11.
Eubolide. orateur, Démosth.,12. Euthtoicuset Damon, leur amitié, Tox.,
Edclidi, Herm., 76. 19 et suivants.
Euciiatf., de Sicyone, riche vieillard ËVACor.AS, P. Porir., 27.
Diai. m., v riche, Coq, 7 noble EïASDMDE, fils d'Éléius, ou mieux ci-
Berm., U; du Pire», Démosth.. 31 toyen d'Elis, Herm., 39.
fils de Dinon, menteur,
me Menteur, 6 et VANGÉLUS, mauvais musicien, lgnor
suivants. 8 et suivants.
Gucrite, usurier, Banquet, 5 et sui- Exehpi.es,Exadios, Par., 45.
vants, Dial. court vi, 4. excitentiesesprits, Anach..
Eoctemon, Athénien, Démosth., 48. 37; leur valeur, Tox., 11.
Eddahidas, ami d'Armée, Tox., 22. ExEiiçiCES,leurbonneinfluence,4no<i.,
Eudianax,
Ecmelds, bon «e'r.,i,15.
Bistmusicien-, pas'sùn.
Ignor. ,-to. Exil, le plus sévère des châtiments,
EroiÊNE de Cardie, sa lettre à Antipater, Patrie, 12.
Faute, 8.
Eumolpe; Démon., 34; Anach., 34;
Fugit., 8. F
Eomolpide,Aléas., 39.
de
EUNOMins, Locres, Hist. ve'r.. H, 15
autre, Dial. m., xi, 2.
EoHtiQUB. quel être,£un., t. Fa D les, grecques, leurorigine, Aslrol.
30 et suivants; déplacées dans l'his- ibid., 2: elle plaît à bien des gens,
toire, Bill., 20. ibid.; cf.Paras. etD/.ht, –Exem-
FAISAN, voy. Phase. ples de flatterie donnés- par G.natho-
FATALITÉ, ne peut êtrechangée par la NIDÈS,PHILrAFlES,DÊlHIAS,TntiASYCLÊS,
divination. AslroL.W, voy. Destin, AlllSTIPPE, AlUSTOBULK, AttlSTOGÈNE,
PARQUES. AlUSTOXRNE, BLVSIAS, CIIARINUS. CY-
Faux Alexandre, faux Philippe, faux Né- néthus, DAMON, gn1phon. idoménée,
ron, Ignor 20. Lâchés. Mêlant he, o^êsicrite. Phi-
FEMMES, leur condition nlusagrcahlcque bon, POU.ËMON, ZËNOPHAWTE.Voy. ces
celle des hommes,Dial. m., xxvm noms.
métamorphosées,ibid., 3 femme af- Forces, ce qui les diminue, Anach.,
fectée d'une affreuse maladie, Tox., 35; comparéesà l'hydre,ibid.
24; semblable à Hécube, Coq, 17; trois FORTUNE, sa fuite attriste, ^/e'»., i6;rien
femmes passionnées, Phèdre, Parthé- de pius fort qu'elle eL le Desùn, Jup.
nope et Khodope, Danse, 2 femmes con/3; quels sont les gens dignesde
philosophes,Eun., 7; comment elles ses biens, Portr 21 son incons'ance,
veulentêtre peintes, Hist 13; Tiré- Nigr., 20;règle la vie humaine, Mén.,
sias préfère leur plaisir à celui des 16. Voy. Richesse, Heureux,PLUTUS.
hommes,Amours, 27 leur commerce Fommi ou chameau,proverbe, Ëpttr.
agréable,ibid.; pensée d'Euripide à ce sat., t travaux divers des fourmis,
sujet, ibid., 38; portrait d'une femme Icarom.} 19; la vie humaine comparée
accomplie, Portr., 5, 16-23; leur fai- à leur republique, ibid.; «Ion tienJ
blessephysique, Ânach., 25; fardent naissance aux Myrmidons, ibid., 9'
leurs attraits, Amours, 38, kl, 42, fourmisde IMnde, É}>. sat 24.
51, etc.; pourquoi une belle femme se FRÈRES, les chrétiens se nomment ainsi,
pare-t-elle, Appart., 7, 15; amours Pérégr., 13; amour fraternel de Cas-
de femme à femme, Amours, 28; tor et Pollux, Dial. D xxvi, 2.
Dial ,court., v; avec un âne, Luc., 50 FUMÉE. Hercule n'aime pas les victimes
et suivants consacrentleurchevelure sans fumée, Âmows, k de lu fumée
à Vénus, Déesse syr., 6; commentelles dans le feu, proverbe. Mén., 4; estime
traitent les savants à leurs gages, Ga- qu'en font les Cyniques, Cyn., 19.
gés, 33, 36; à moitié vignes, Hist. FuNÉRAiLLES,àquoiservent-elles./V*f,7r.,
ver., 1,8. 30; cérémoniesdiverses, Deuil, m ei
FER, comparéà l'or, Char., 12. suivants.
FÊTES, très-fréquentes en Syrie, Déesse Furies. Mén*, 9, 1 1 Deuil, 6, 8; ïrar.,
syr., 12. 23; Dial. m., xx, 1.
FEU, ne peut s'éteindre dans le feu,
Amours, 2; les Perses lui sacrifient,
Jup. trag., 42; passer du feu dans la
fumée, Mén., 4; nécessité du feu, G
Prom., 19; cause une mort prompte,
Pérégr., 21 punition des sacrilèges
et des homicides, ibid., 24.
FÈVES, pourquoi f «'hagore ne les aime Galatée, Dial. mar.. i; Hist. «rirM Il, 3.
pas Sectes, 6 les Athénienss'en ser- Galates. vaincus par Amiochus, Zeuzis,
ventpour élire leurs magistrats, ibid. 8 et suivants.
Fiëvbeux. euéris par une statue. A». Galé.në, néréide, Dial- mar., v.
D., 12. GALILÉEN, pénétrant dans le troisième
Figuier, bois qui incommode par sa fa- ciel, Philop., 12.
nfëe, Pèrègr., 24. GALLES, prêtres de Cybèle, châtrés
FILS, amoureux de la femme de son père, Cronos, 12; demandent l'aumône,
Déesse syr., 17. ibid.; conduisent en mendiant la
FLATTEURS, pires que ceux qu'ils flat- déessesyrienne sur an âne, Luc., 35;
tent, Nigr., 23, 24 trompés dans l'es- Déesse syr., 15; les femmes les ai-
p'oird'ùn héritage, Dial. m., vi, 3 et ment, ibid., 22; d'où -leur vient la
suivants; dignes du siiiaîre et de l'in- mode de Se clratrer, ibid., 26. 27:
timité des puissants, Gagés, 4; la flat- pourquoi ils portent des vêtement-*
terie nécessaire aux courtisans,ibid., blancs, ibid.; ils s*e tailladentles bras
28; ne convient pas à un historien, ibid., 50; manière de se châtrer. ibid.,
Hist., 7 et suivants; repoussée par 5t;commenton les ensevem,tbidM 52.
les grandesâmes, ibid., 12 caractère Gallo-R«I!cc, Alex 18. 30.
du flatteur, P. Portraits. 20; diffé- GANvaiÈnE.Ckarid., enlevé par Jupi-
rence entre la flatterie et la louante, ter, Uial. D., tv, 5; récit de son en-
ibid.; ce que c'est que la flatterie. lèvement,Dial. D., xx, 6.
D'ps.,2.. de
fiAr.AMANTES, leur manière vivre,
Gakgauus, l'un des sommets de l'Ida,
et suivants; comment les anciens
Grecs ornaient leur chevelure,Nav
3; flattent Alexandre, Dial. m., \m]
ùial. D., iv, 2; Charid., 7; Dial. D., 2: brûlent leurs morts, Deuil, 21 li-
xx, i, 5. mites de l'ancienne Grèce, Amours
GAULOISoccidentaux,vaincuspar Anni- 7.
h*l, Dial. m., xn, 2; Hercule gaulois, GRUE (danser la), Dame, 34.
Hen; 4. Gyaue, île, Tox., 17..
Géants, Prom., 13; Saerif., 14: Danse, Gyges, anneau de, Double arc, 51,
38 Jup trag., 3; Charid., 18 Nav., 42; avoir l'or de Gygès, Paras.,
Gélon, sentait mauvais de la bouche, 58.
flerm.,34. Gylippe, Hist., 38.
G 6m baux,signe céleste,Astrol., 23. Gymnase, quel il est, Anack., les
i'.énétylus, Pseudol ,11.Voy. Vénus. Scythes n'en ont pas, ibid., 6; divers
rs
GÉ11ANEE, Icar., 11. exercices du gymnase, Lexiph., 5.
Géreste, Jup. trag., 25. Gymnopédie danse lacédémonienne,
Gki'.manie (nuerrede), Alex., 48. Danse, t 2.
Gékton, Here., 2; Panse, 56; Zoa; 62; GYNDANÈS et Aeaucius, leur amitié
ses os, Ignor., 14. Tox., 61.
Cètes, Ass. D., 9; Icarom., 16.. Voy. Gytdjuji, ville, Dial. court., xiv.
SCYTIIES.
G LAucÉ, Danse. 42,80. C'est par erreur
que le texte porte Glaucon au S 42.
Claucias, Jfenlem, 14. H
Gi.aucus, dieu marin, Dame, 49; autre,
Pseudol., 26;-de Caryste, athlète,
P. Portr., i9:Hérod.,S.
Gl oniE, plus précieuse que les récoœ- IJalicarnasse monument de Mausulu
penses, etc., Anach., 10. à Halicarnasse,Dial. M., xxiv, 1.
Giacëre, Rhét., 12. HAL'mnOTniDs,Dame, 39.
Ulycériuh, maitresse de Mégapenthès, HALYS, Htpp., 2, et passim.
Trac, 12. Habmodii's et Aristogiton leurs statues
Gï.ycon, nom d'un serpent, Alix., 18, à Athènes, Paras. 48.
Gxathonidês, Tim., 45;t'ugit., 19. t,
19 et suivants 38 et suivants; 43, 58. Harmonide, joueur de flûte; Harmon.,
2.
GNIPHON, parasite, Tint., 58; usurier,, Harpikë, ville, Pérégr., 35.
Secfes,23, Tràv., 17; Coq, 30. Hakpyies, Tim.; 18. s.
Gobauès, Trav., 6. HÊBÉ, Dial. D., v, 2; Dial. m., xvi, 1.
Goësus, langiv., 17. Hêbrk, Fugit., 25; Ignor., 11.t:
GOLFE d'iome, Am, 6 de Pamphylie, Hébreu, mots hébreux, employés par
ibid.,1. les charlatans, Alex., 13.
Gorgias, sophiste, Lontjév-, 23; amou- HÉCATE, Mén., 9; vue et décrite, tient.,
reux, Dial. court., vin, t. 22 et suivants; évoquée avec, Cer-
GouâfiNE,-Phiiop., 8, 9; sa description bère, ib., ik cf. Nav., 15 souper
Hist., ta; Goruones fort belles1 d'Hécate, Dial. m., 1.
Appart., 19; en l.ibjo, Dial. s» sîv, Hecïou, Paras., 12.Danse, 70; on lui
sacrifie, vtas.D.,26;
19; Danse, 44; /'orfr.,1. 13.
Gosier, long de quatre doigts, Nigr., Hécube. Saerif., 2; femme qui lui res-

4~
33. Isemble, Coq. 17.
Gosithris, hangiv., 15. Hégésias, Blulor., 9. •
Grâces, Dial. 1)., xx, 15. Hélène. Danse. 40. 45; Démosth., 10;
UKAMMfS, nom de femme,'Dial. court., sa beauté, Dial. m., xvin, v.Dial. D-,
xiii, 4. xx, 13; Vénus la promet Paris, 1611/;
Changes (fête des), Dial. court., 1, 1 déifiée pour ga beauté, Charid.. 6; en-
VII,». levée par Thésée,ibid., 16 et suivants,
Grèce, éloge de la Grèce, Nigr., 12 et vieille du tempsde la guerre de Troie,
suivants exercices par lesquels on y Coq, 17 dans l'Ile des Bienheureux,
forme la jeunesse, Anach., 15 et sui- Hist. ver. II, 8, 15; elle s'enfuit avec
vants licence qu'on y donne à la co- CinyrCy ibid.. II, 25.
médie, ibid., 22 serment des Grets, Héliaubs, lits du Soleil, Amours, 2.
Tox., 12 amitiés rerhaiquables chei HÉLICON, Ignor., 3; Jup. trag., 26.
les Grecs, ibid., 9 et suivants; ils re- HÊLiÉE, Tim. 5i\ cfsAinour*, 18.
cherchentl'élégance des mots, ibid., Heliopolis. Déesse lyr.. 5,
42; comment011 y arrive, AeJijiA., 22 HituoTES, Wul. c«r. 1, 17 suivant*.
HELLANICUSde Lesbos, Longév., 22. Démoith., 24, 25, 33,
IIÊI'.ODE Atticus,
Hei.lanodices, Herm., 39 et suivants: Perégr., 19, 20.
P. Porlr 11. HËROnicUS,Bât., 35.
Sellé, Dial. mar., ix. Hérodote, son éloge. Hérod., t; admire
Hellespost, Démosth., 35, 37 Rhilar., des Crées, Hist., 42; son préambule,
18; d'nii son nom, Dial. mar., ix, t. ioirf., 54; écrit des mensorr^ei^l/en/
Héiuituêon,Ignor., 23; Pseudol., 3. 2 puni pour cela dans l'île fies Impies,
HSmus, Fugit., 25; Dans., 51. Hist. uer., II, 31 fils de l.yxus,
Héphestion, peint, Hérod., 5 à Issns, Apparl., 20. – i.f., Hisl. ver., "il, 5;
Faute, 8; aimé outre mesure par Danse, 78; Longév., ifj; instituteur
Alexandre,Dtal, m., xtv, 4; placé au maladroitd'Hérodoie,Hisl. 18.
nombre des dieux, Délat., 17 et suiv. Hékon, Nav., 6.
Héraclide,de Carie, Hitt. vér., I, 22. HÉROPHILE, Cynique, [carom., 16.
Héuaclides (retour des Danse. 40. Héros, ce que c'est. Dial. m., m, 2.
Heraclite,pleurantsur tout, Sectes, 14;§; HEURES, soignent les chevaux du Soleil,
Sacrif., 15; cf. Fugit., 9; un mot de Dial. D., x, 1 gardent les portes du
lui, Hisl. ,2. ciel., Jup. trag., 33; Sacrif., s.
Heu a Minir.KS, Trav.,2i.- HÊSIODF, rapsode, Herm., 25; ses vois
·
Hérauts ( chant des), Démon., 63. utiles à l'astrologie,Atlrol., 22; enm-
HERCULE, engendréen trois nuits, Dial. ment devenu poëte. Rhètor.. 3. 4, 7
D., x; Songe, 17; pourquoi Dieu, son tombeau, .Pérégr., 41 son éloge,
Charid., 6, 7-, ne veut pas téder le Nath, 20; est-il postérieur à Homère,
premier rang à Esculape, Dial. D., Démosth., 9; sa fable sur Samrr.e, a'
xut héros dans le ciel, entre dans les Sàtum. 5, 6; triomphe d'Homère
enfers, Dial. m., xvi quel il eût Hist. vér., H, 22. Cf. Anach., 21
été en cédant à la volupté, Double Icarom., 27; Deuil, 2; Ignnr., z-, Mén
ace., 20: amoureux, Amours, 1; por- 3, 4 Amours, 3 Sacrif.. 8. Hésioil.,
tant le ciel, Char., 4; ne peut prendre 1 et suivants; Salurn., S; Banquet, 17;
la roche Aornos, Dial. m., xtv, 6; flle Démosth., 12. – Citatinns Prométh.
le vautour de Prométhée, Prom., 20; 3, 13; Herm., 2 Danse, 24 jlmouri,
est brûlé par le sang du Centaure, 37; Porlr., 12; Jup. conf., 1; Icarom.,
Pêrêgr.j 25; se brûle sur l'OEta, Herm. 27: JVa»., 20; Hesiod., 6; Paras.. t4.
7; Péregr., 2t travaux d'Hercule et Hespéuides,Danse. 56.
massacrede ses enfants, Danse, 41 HÊTÉMOCLÈs, stoïcien, Bani7., 21, 22.
sa lutte avec un tleuve, ibid., 50; Son Heureux, qui est, Démotth., 20 le bon-
éloge, Cyn. 1 3 qui détourneles mat- heur placé dans différents -obims,
heurs, Alex., 4; Fugit., 32; brutal, Herr.i., 66; doit s'acquérir par la
Jup. trag., 32; sa statue faite par Ly- vertu, ibid., 5, 7 change lecaraulcre,
sippe, Jup. trag., 12: représenté aux Tim., 22. Voy. Cléobis, Hiciii';sses,
pieds d'Omphale, Hist., 10; buvant, FORTUNE, Homeur.
ilanq., (4; sa coupe, ibid., 16; dieu HiÉiupoLis, ville, Déesse syr., t, 10 et
des cyniques, tbid.f et passim cl', suivants, 28 et suivant3.
Fuqit., 23; Ass. D., 6, 7 Hist. ver., Hjëron, Lo7igév., to.
I, 7. Hercule gaulois, Hert: 1 et HiÉRONïME, Longée. 11,13, 22.
suivants. de Tyr. Déesse syr., 3. HIMERE (poëte d'),P. Portr., 15 Phalé-
HÉRITAGES (pourchasseurs d'), Dial. m., reus, Démosth., 7i.
xi, 1; v, 6; 1.7; 1, vin, IX. HippaPiOUE,riche avare, Luc, 1, 4; sa
Hehmagoras,Jup. trag., 33. femme, magicienne. thj'd.,4; se change
Hermaphrodite, Dial. D., xv; xxm, 1. en oiseau, ibid., 12.
Hermès, à douille visage, Juo. trag., 43. Kii'pias, sophiste,Hérod., 3;architecte,
Hbrhias, eunuque,Eun., 9. Hipp., 3 et suivants.
Herhinus,discipled'Aristote, Démosth., Hippocentaures, Prom., 5. Voy. Cen-
56. taures.
Hermippus, Charid.. 1. Hippocude, ne s'en préoccupe pas, pro.
Hermoclès de Khode?, statuaire, Déesse veib», Apol., 1 5; Herc., 8 Phitop., is.
U,
Syr., 26. Hippocrate, de Cos, Herm., i 63 Hist.
Herhocrate, Hisl., 38. vér., II, 7 Déshér., 4 Double acc., 1.
Herhodore,Irarom., 16, 26. HippouiÈnE, Ignor., 3.
Hermolaûs, Dial. m., vin, t. jiiPPODAHiE,Charid., t9 et suivants.
Hermon, Épicurien, Bang..e.9. 9. Hippogêranes, Hist. vér., 1, 13.
Heruotihus,de Clazoïiiène, Mouche, 7; HippoGYPES,Hisl. ver., I, 11 et passim
fi'arionne à la philosophie stoïcienne, C'est par erreur qu'à la page 385 du
Hermot,, 15 et suivante. l'ilote, T. I, la note 2 porte "km;, chsval,
Dial. court., tv, 2. jur<, fesse.
HIPPOLYTE,amazone, Anach., 34. HOMMES, leur indignation contre les
Hippolyte, Déesse syr., 23 banae, ko dieux, Double acc., 3 pas de vie hu-
calomnié par Phèdre, De7a/2G; les maine tranquille, Coq, 27; risilile.
mariés lui sacrifient leur chevelure, l;arom., 4 comparés à une fourmi-
Déessesyr., 60; sa sauvagerie, Amours, lière, ibid., 19; a un spectacle de
danse, ifttd.,17; hommes sujets à mille
Hippomuiimêques, Hist. ter., I, 12, is.
HipposAX, pocie. Pseudol., 2; Ignor.,
:
passions,ibid.. 29 .leurs vœux, Uni
25; d'abord vètus de peaux de bêtes,
27. Amours, 34; l'erreur est de l'homme,
Hipponicus,Tim., 24.
HISTIÉE,grammairien,Banq., 6.
Démon., t, homme l'ait d'un pilon,
Menteur, 36; créés par Prometliée
histrions, jouant mal leur rôle, Pêch., Prom. différence des nommes entre
3, 33. Voy. ComfSdie, Tragédie. eux, Alcy., 5; homme, enfant, ibid.,
Homère,chef des menteurs, Hist. vér., 3: se distribuent les dieux, Saeril.,
1, 3 a écrit des mensunges,Menteur,
r
2; n'a pas dit la vérité sur guerre de
10.
Honoi'.atcs,cynique, Démon., 19.
Troie, Coq, 17; jugé, Jup. trag., 39; Hoimius OU collier, genre de danse,
pourquoi on le cruil,iiis(.,40: il n'a pas Danse, 12.
dit quelle était sa patrie, ibid., 14; sur HUILE, répandue sur les pierres et les
sa patrie, ses parents, etc., Démosth.,
57;ses récits fondés sur t'astronomie,
Astrol., 22; cher à Alexandre, Dial.
autels, Ass. D.,
9; sobre dans ses descriptions.Hist., Hyacinthe, dis 12.
xiv,
Dial.
2"; 11, 2 Dial. m., xviii, 1 Hist.
ver., H, 17; Dante, 45; Nav., 43.,
D.,

m., xn, 3; comparaison d'Homère et Charid., 9, 24,


de Démosihène, Démosth., 5 'et sui- HYADES.Hist. ver., 1, 29.
vants aveugle, Saturn., 5, 6; Hist. HYDASPE, fleuve Hist
vér., II, 20; Ile des Bienheureux, ibid, Hyduahauuie,Hist. ver.,12.II, 46.
II, 15; il n'est ni de Chio, nideSmyrnc. Hydke de Leme, Phal., \Jup. trag.,
ni de Coloplion,mais Babylonien, ibid, •e21 Amours, 2; les forces humaines
II, 20; ses vers interpoles, a composé comparées à l'iiydre,Artach., 35.
d'abordl'Iliade, etc., ibid, 22, 24, 28 Hylas, sa beauté, Hist. vér H, n;
sa statue, Démosth. 2; louangeur Nav., 43.
excellent, P. Portr., 24; correction Hymen, Dial. D., xx, 16.
homérique. Gagés, 8. Citations Songe, Hvmette, Gagés, 35; [car., n; Double
5 Nigr., 3, 6, 17, 18, 3R Tint., 35, 37; ace, 8; changé en Hymesse, Voyelles,
Prom., 4, 17, 18, 19 Dial. m., Il, 4 8.
vi, 2; Dial. m., xi, 1 xv, 1 11, 18; 1; HYPATE,ville, Luc., 1.
v;xvm,2;xx,2;XXV, I Min., 1, 9, HYPEitBOLiis,homme décrié, Tint., 30.
10; Char., 1, 4, 7, 8, |4. 19, 22; Sarfif., Hypeuborêkn,charlatan, Menteur,
9, 14; Péch., 1, 3, 5, 4i. 42; Trav., Hïpérioe, Démasth., 31 Démon., «s
1 3.

14; Gagés, 1, II, 16, 20, 23,26; Apol., Paras.. 42; son apologie, Paras., 56.
6. 8, 14; Faute, 2, 6 Hermot, 5 23, HvPonciiËHEs,Danse, 16.
28, 33; Scylh., 9; Zeuxis, 2, 10; Hist., Hypsicuatk, d'Aroisène, Longéo., 22.
4, 8, 49; Hist. vér., I, 17: II,33; Phal., Hypsipyle,Danse, 44.
11,8: Alex.. 5; Danse. 4, 8, 13,23, 36( Hyspasinês,roi deCharax,Longév., 16.
79, 85; Eunuq., 3; Asirol. 22 24;
Démon., 60; Amours, s, 23,31, 32,
54;/>or<r.,2i,22, P. Portr., 20, 24
25: Jup. Conf.. 1, 2, 4; Jup. Trag., 1, 1
6, 10, 14, 19, 34. 37, 40, 44, 45; Coq,
13, 25 Icarom., 10. Il, 13, 16, 19 22,
23, 25, 27, 28, 29, 30, 33; Paras., 10, Iaccbdb ou BAcenus, mis en pièces,
24,45. 46. k7 Deuil, M, 24; Bacch., Danse, 39.
J Hen\. 4, 7, 8 Mouche, 5: Ignor., lAMBULE, voy. JAHBULE.
7, 18 Délai., 10, 23, 26, 30; Pseudol., Iapyx', Dial. m., xi, 2.
27; Appart 3, 4, 9, 17, 18, 20! Iasiiin, Asa. des D., 8.
Longéo.. 3; Hésiod.,»; trie,1, 10,
i2;JVan.,29, 46; Pèrégr., 1, 7,
Ibérie, «intréeid'Asie,Hisl.,29 50.
11, 1, Ibis, Jup. trag.. 42. v
31 Fugit., 21, 3o; Saturn.. 7, 20, 23, ictnivs, père de Pénélope, Dial. D.,
32; Banquet, 12, 17. 44, 45; Demo'lH., xxii, 1". Portr., 20; tué par les bu.
5, 7; Ass. D., 6; l'seudos 11; P/ii/on.,
1, 4, 9, 14, 15, 16, 18, 23 Cliarid., 25;
veurs, Dial. D., xviii, 2; Dnnse, 40.
ICAttE, Portr., 21 -Danse, 49; Coq, 23;
TragoU., v., ISS. Icarom., 3; d'oii la légende d'Icare,
Houkmdës, Dimosth., 17. Aurai., li.
ICCUS, /(“ S5. IsilÉNus, Ignor., 5.
Ida, Dial. D. iv, 2; xn,
-liiut lue l'Ida, i;xx, 5, oiiil il
au lieu de
Iiiëens. Voy. Dactyles.
Idcihénée, Dial. m., xxi Paras 44
Ida. 4..
ISMF.xomniE, joueuse de flûte.
court., v,
Dial
ISMÉjiiiD,OBE.assassiné par des brigands
Dial. D., xxvii. 2.
Igsoranck, cause de Bien des maux, Isociiate, éloge d'Hélène. Démoslh., 10;
Delat., t. timide à ia guerre, Paras.. 42; sa
E ILATION,Thessalien, Danse,
des Bienheurenx, Hist. vér., II
Herm.,
14.
5,
mort, Longév.,
Rhetor., 17
23; mauvais plaisant.
29; 71 Démoslh.,fin des im- Isodème de Trézène, poêle, Démosth.,
pies, Hist, vér., II, 29, 31.
'liade de malheurs, Banq., 35. 27.
Isthme, JVac, 20; Dial.
Ilion, n'existe plus, Ciiarid., 23 les large m., vin, i-
de vingt stades, iVe'r., 1
habitants d'Ilion fonijouer par Né-
gédien les malheurs de la Phrvtrie un tra- ron veut le taire percer, 1bid. et sui-
Pich., 38. vants; prix des jeux islamiques,
Itissos, Apparl., 4, 5; JVar., 13. Anach., 9; il n'était pas permis d'y
Iliiiiyi. D.,déesse disputer le prix de la comédie ou de
des
VIII Déesseaccouchements la tragédie, Nér. 9 Néron enfreint
fliaf. iyr 38
Inachus, Dial. D.. m Danse, 43 fleuve Italie, cette loi, ibid,
disparu, soumise par Anniual, Dial. m.,
a Charid. '23. XII, 2; climat de l'Italie, Lonnéts s-
INCERTAINS fragmentsd'auteurs), Faute .vin d'ïtalie, Niv.,23.
2; Scythe,9; Hist., 14, 17, 18, 22, 24.' Itys, Tragodop., v, 52.
29,32; Lexiph.. 17.; /up. trag., 1' Ivne. ponrait d'un homme, Tim., 54.
Rtiéior., 11 Mouche, 11.t. Ixion; Dial. D., y; En. sat., 38:
Inconnu, dieu inconnu des Athéniens, Tragod.,y, u.
Philop., 9. t.
Inde, Dia(. m., xv, 1; iv; Indiens bu-
vant du vin pour la première f.iis,
Nigr,. 3 philosophes, Fug., 6 ado-
rent soleil en dansant, Danse
vernissent les morts, Deuil: 21 sub- n J
Dame,
jugués par Bacchns, Dial D xxvm
2a tortue de l'Inde, Luc, 53; .Ialobsif., Charid., 23.
étoffe de l'Inde, très-moelleuse, Mou- Jambule, Hist. vér., I. 3.
che, 1 perles indiennes, Amours, 4r Japet ou Japiiet, Dial. D., 11 1 • v» 1
fourmis, Coq; 16;E». sat., 24: paons, Prnm., 3; flore, 1 Saturn
Trav., 23. Jiso-), Danse, 52; compagnon de7l'ollux
Io, fille d'Inachus, ainiée de Jupiter, Dial D ,\x\i,t. L
Dial. m., vu commande aux vents, Joui:, les Éthiopiens lui sacrifient. Jui>
ibid: Dial. D., m Danse, 43; voy. trag., 42.
Isis. Joips, médecins, Tragodop., v. 173
Insulaine, Patin, 10. Juge, à quoi il doit s'attacher, Eunuq., 5-
IOLAa, Dial. m., v, 2; Amours. 2; Phal, il doit écouler les deux parties, HeY-
I, 8. mot., 30; Délai 8; payéun triobole
ION, platonicien, Ment.,
e r Banq., 7 et Démoslh.,36; Double ace 15.
suivants. Junon, nourrie par Thétis, Tragodop.,
Ioniooe (golfe), Am., e; mode ionien, v. 34; reprocheà Jupiter
Herm. 1 colliers d'Ionie, Dial. amours,
Jup. trng., 2; portrait desesJuuoil
court., xii, 1 temples, Déesse ayr., ja-
louse. Dial. D., m, 5; elle fait périr

'24..
39. Sémélé, Dial. D., ix, 2; ne laisse
Ioxopolis, Alex., 58.
cune place à Latoue pour accoucher,
au-
Iophon, accuse Sophocle de démence Dial. mar., x comment
Longev., son rils Vul-
cain est conçu, Sacrif., 8; honorée
irîiuNAsSE Dial. m., xiv. chez les Argiens, Ibid.. 50; livre Mars
IPIIIGÉNIE, Ton., 6. à Priape, Danse, 21 dispute a Vénus
Ims, Dial. m., x. et à Minerve le prix de la beauté,
Uus, lien 15, Char., 22 Nav., 2» Dial. p., xx; Dial. mar., v; suulève
Isée. Démosth., 12. une révohe contre Jupiter, Dial D
Isidore de Charax, Longév., 15, 17. xxi, 2: aimée d'Ixion, Dial. D
Isis, confondue avec Io; déesse et na- donne des richesses, Dial. court vuvi-
vire, ATati., 5; ses occupations. Dial. aveugle Tirésias. Dial. mar., xxvm'
D., 111 ses cheveux bouclés, Ignor
it ses livres en Egypte, Cop, 1S. 3; peinte par F.uphranor. Portr., t
sculptée par Polyclètc, Sauge, 8; dressa
du temple d'Hiérapolis,Déessesyr., 16 Lacédéhonjf.ns;teurs exercttes,4nac/i
et suivants; sa statue à Hiérapolis, 38: fouettent les enfants, ib. et sui-
Déesse syr., 31, 32; sacritices qu'on vants; aiment la musiqueet la danse
lui adresse à Hiérapolis,ibid., 44. Cf. Danse, 10-12; pourquoi ilsne voulaient
Dial. D., xvi, xviii; Charid., to, 11: pas marcherau combat avant la pleine
Philop. 11. inné, Aslron.. 25: chacun de leurs rois
I'piteb; ses épithètes, Tim., 1,4; dé- porte deux suffrages. Harm., 3; leur
tournant les malheurs,Alex., 4; Am- guerre avec les Argiêns, Char.,Dial.
24;
mon, Dial. mar, xti, 2; xm, 1; quittent leurs vieilles mœurs,
ayant figurede bélier, Sacrif. ^ik; hos- mar., 1, 4; femmes lacédëmoniennes
pitalier,Dial. court. f ix; barbu. Sa- coupent les cheveux, Fug 27 tra-
crif, H;sa statue a Olympe,Hist., se ditions Iccédémoniennes, Dante, 45
27; pillée7 Tim., 4; /wp. trag., 25; sa 46; pompe lacédémonienne,Trav., te-
statue à Hiérapolis, Déessesyr., 31 se? Pierre. Hipp., 5.
sacrifices i'6id.,44; fables débitées sur Lacbanoptêues, Bitl. vér. I. 13.
son compte, Sacrif. ,5; palais dejupi- Lâchés, Tim., i.8.
ter, Î6 8 son tombeau chez les Cre- I.achésis, unedes Parques, Jup. conf 2
tois. î6., 10 Ment-, 3 Jup. trag., 45 Laïs, Epiqr. 33; avec Diogèno, Hist.
Km., 6; Philop., 10; ses occupations, vér. Il, 18.
Double ace. ,2; Icarom., 25 et suivants; Lamia, Ment., 2.
veut suspendrela terre et la mer à une Lampe, diamant, Déesse syr., 32.
chalne, Hist.,t; Jup. conf., 4; As- Lampicous, tyran, Dial. mar., x, 4.
trol., 22; se vante à tort de ses forces, Lampis, Dial". mar., xxvn, 7.
Dial. D., 21 a Mercure pour messa- Lampsaque séjour de Priape, Dial
ger, ibid., 24; ainsi qu'Iris, Dial. mar., D., xxiii, 2.
x; tue l'haéthon, Dial. D,; xxv; punit Langue gtenne, Lexiph., 22; Hitt., 21.
Prométhée, Prom., 6 et Huivants; le Laodahie, Danse, 153.
délivre, Dial. D., 1, 1 a beaucoup de Laomédon, Jup. conf., 8; Sacrif., 4.
lemples, Prom., 14; jfearom, 24; a I.AKISSF,, LUC, 4.
son autel sur le Gargarus,Dial. D., iv, 1.AT0SE. Dial. mar., x Danse, 38 Dial.
2; toutest en confusion sous son rè- D., xvi; femme d'Eva,oras. P. Portr.
gne, Dial. D., x donne naissance à 27.
Minerve, Dial. D.,vm; àBacchus, ib., I.AZiiïNS. Toi., 44.
tx; accorde le don de divination à Té- LÉAIIQHG, ASS. D., t.
résias, Dial. mar., xxvm, 3; Mercure I.édamie, Mon., 33: Dial. mar., 111, 1.
lui vole son sceptre, Dial. D, vu, 3; Léchée, (golfe de) Nér., 4.
punit Ixion, Dial. D., vi distributeur Lkcvthion, FugiK, 32.
de richesses, Snlurn.,2 es passim: ne I.éda, Dial.D.,YL\, 14; xxiv, 2;xxvi;
veut pas jugerdela beautédes déesses, Dial. mar., 1, 1 Oharid.,
Dial. D., xx, t Dial. mar., v irrite Lééva. courtisane, Dial, court., v.
cuntre Esculape, Danse, 45 fixe l'île Lemnos, atelier de Vulcain, Dial.
de Délos, Dial. màr., x; enfant sup-
D.
ses habitants reçoivent Vulcain, Sa-
posé, Ass. D., 6; accusé par Momus, crif., 6 Vénus déteste les Lcmniennes,
ibid., 6 et suivants Jup. trag 2; ses Am,, S; Dial. court., xm Eyig 24:
amours, Charid., 7, 8; ses deguise- fables letuniemies,Danse, 53.
ments, Prom, 17; malheureux en I.éocoras, d'Ai"rigente,i>ha(.,t, 9.
amours, Dial. b., 1, 2 pourquoi il ra- Lêomdas, Rhêt., 18.
nonce>à Thétis, ib., changé en aigle Léontichus, Ment;
1 6.
enlève Ganymède, etc. ti> iv, v, xx; Léostiiénes, Démosth., 14.
aime la femme d'Amphitryon,ib., x; LÉOTKOPBIS, Bist., 34.
Sémélé ib., îx; Europe,qu'il enlève I.ÉPious,épicurien,Alex., 25, 43.
en Crète, Dial. mar xu: Coq., t3; Lerme' maraisde), Dial, mar., S; voi-
loo, ib.,sa7,femme
livrer Léda, Dial. D., xx, 14 veut sin duCrànium, Hist., 29.
à Ixion, Dial D.,v, 3; Lesbonax, Danse, 69.
Cf. Philop., 4; Danse. 37, 47,80. I.esbos, possède la tête et la lyre d'Or-
Justice (éluge de la), Double acc., 5. phée, Ignôr.f 1 1 et suivants; passions
des Lesbiennes, Dial. court., v.
LÈtbé. fleuve, Dial. m., xm. 6; son ef-
L fet, Deuil, 5; inutile,Dial. m.,
Lettbes, inventées par Cadmus,xxiii,
2.
Voyel-
les, 5; mises en ordre par Simonide.
Dame, 4t.
Labdacides, ibid.
LABYRINTHE.Danse, 39 surnom du sioï- Leocanok,roi du Bosphore, ï'oœ 44 et
cien Diphile, Danq., 0. suivants.
Leucothée, Nêr.,3; sauve Ulysse, ffist. ibid., 20: ami du vrai, de l'honnête
vér. 35.
Liban, Dial. D.,
du beau, de la simplicité,ibid. ;.accuwu
xi, I Déesse syr., 8; d'abuser de son éloquence pour se
rougit le fleuve Adonis, ibid.v Jétsse moquer de la philosophie et des philo-
du Liban, Ignor., 3. phes, ibid., 25-27; se défend con-
Libeistë, compagne de la vérité, Pê- tre ces imputations, es disant qu'il a
cheur, t7; accurder la liberté de par- toujours admiré les vrais philosophes
ler est d'un grand cœur, Ass. /)., 4; et la vraie philosophie,mais qu'il fait
abandonne celui qui se met aux gages en suite de vouer au mépris la fausse
d'un autre, Gagas, 23. philosophie et les faux philosophes,
LiBUUNiENS, vaisseaux, Am., 6. ibid., 26-37 loue Épicure, Alex., 25,
Libye (région méridionalede la), Dips., 4", 61 sa véritable opinion sur Pytha-
1 et suivants. gore, ibid., 4 s'efforce de plaire aux
Libyens,adorent Artimon, AstroL, 8. hommes les plus distingués,Harmon.,
I.ion, tenu en laisse, Gagés, 30; singe 3; défend l'art des pantomimes dans
couvert d/une peau de l'ion. Meîit.,5; son traité de la Danse; éprouve l'ora-
le faon a dévoréle lion, Dial, m., vin, cle d'Alexandre,Alex., 53 et suivants;
1; lions solitaires, Èp. sat., 34; tjufn- dissuade Kutillianus de se marier,
mes à tèiede lion, HermoL, 44; ongle ibid., 54; cvtte conduite lui vaut la
du lion, id., r»4, 55. haine d'Alexandre,ibid.; ami d'Anien,
Uvres, lgnor.s 2, 6, 19, etc.; livres ma- ibid., 55; danger qu'il court pour s'être
giques des.Égyptions, Ment., ai. moqué d'Alexandre,ibid.; traverse le
OLLiANUs. Bpigr., 26. Pont avec son père, les siens et
Lot, qui fixe la récompensedu tyranni- Arrien, ibid., 56; essaye de se venger
cidt>, ri/r.» il et suivants; qui permet d'Alexandre, ibid., 57; navigue de
de déshériter, Déshér.j 8 et suivait' Syrie en Halie, Amours, 6 et suivants;
20; des Saturnales. Cronos.;inutiles, vienten Macédoine,Scythe. 9; Hérod.,
Démon.,59; le peuple respecte celles 7, 8; en lonie et en Achaïe, avant
qui ont quelque chose d'étranger, Coq, d'écrire son livre: Comrrrent il /'avit
18; voy. Saléihus écrire l'histoire, Hist., 14 se dit de
Loiscmatès, Scythe, To:r, 44 et suivants. Samosate, ibid., 24 a été quatre fois
Lotophages, Danse, 4. à Olympie, Pérégr 24; P&eudol., 7;
LOTUS, Gagés, 8; Nigr., 3. voit Pérégrinus *e brûler, ibid., 36;
Loups, solitaires, Ep. -tat., 34. navigue sur l'Éridan, Amb., 2; cent
Lucien, mis en apprentissage; sa mala- son Hermotimus h quarante ans
dresse est batiu par son oncle; re- Hermot., 13; est déjà célèbre, quand
vient chez ses parents, Songe, i-4; il écrit le Songe, Songe, 15, 16, 18;
fait un songe qui déciue de sa voca- son livre de l'Ambre, Amb., 6 émt la
tion, ibid., 6 et suivants; se livre à vie d'Alexandreaprès la moide Marcc
l'étude des lettres, ibid., i4; cultive Aurèle, Alex., 48; compose le Psew
l'éloquence,voyage en tonie,en Grèce, dolngiste, à Êphèse, Pseudol., io, 22;
en Italie, en Gaule; devenu célèbre, fait en Syrie sou livre Contre un igno~
abandonne la rhétorique, écrit des rant bibliomane, Igiior., ti); avait
dialogues, et se met à philosopher vers écrit surSostrate de iicoiie, De'mon., 1
sa quarantièmeannée; différence de déjà vieux, exerce un emploi lucratif
ses dialogues et de ceux des philoso-
phes qui l'avaientprécède, Double ace,
en Egypte, Apol., 12, 15; il est vieux
quand compose son Apologie, Apol.,
26 et suivants; son nouveau genre l de même pour l'opuscule Sur une
d'écrire, Zeuxis, 1,2: Bacch., 5; fait faute commise en saluant, 1, 15;
un heureuxmélangedu dialogue et de avancé en àge, désire, après un long
la comédie. Tu es un Prom.: d'aborc: temps, lire ses livres en public,
avocat abandonne les tribunaux Bacch., g, 8; Herc, 7.8; pourquoi il
pour !a philosophie, et poursuit les a écrit seshistoires imaginaires,llist.
faux philosophes, Pécheur, 25; atteint vér., I, 4; tourné on ridicule pour le
d'ophihalmie, se rend à Home, où il mot kiïoçpàq, Pseudol. 7 7.
visite Nigrinus, Nigr., 1 et suivants; i.uciPËii, père de Céyx, Alcy., i,
se dit médiocrement versé dans la phi- Luqllius, Epigr. 34.
losophie, Danse, 2; sembleavoir pré- liUCius, de l'atras, Lutins ou l'Ane,
féré ta doctrine d'Aristote et de l'iatun, Luns, déesse,Dial
Doubleai.c,32; ami intime de Démo-
D.2;
Déesse syr.,
34; aime Kmlyution Dial. D, xi;
nax.Di-mon., 1 esiimeles vrais philo- Sacrif, 7; ses attributions, Double
sophes, Pécheur, 6; Syrien, ne sur ace, 1 ce qui s'y passe de merveil-
les bordsdefEuphrate, lbid., 19; pour- leux, Hist. ver., I, to-26; sa nature
suit les vaniteux,les menteurs, etc., étonnante, Icarom., 4 nlùme infligé à
s'en occupent trop ibid., 20 Magnificence,dans les demeures,etc.
ceux qui
«suivants; son influence, Astt'ol.,25; inutile, Cyniq., 8iy.
empruntesa lumière du soleil, ibii., Magnds, iiea- 52.
3; les Phrygiensl'adorent sous le nom Maîa, fille d'Atlas, mère de Mercuro
de Men, Jup. Irag., 42; éclipse de
lune Hisl vér., I, 19; apparitionet
Dial. D, xxiv, 2,
la même
MALADIES, ne sont pas toutes de
quad'rature du soleil et de la lune, nature, Dishér., 26 et suivants; ma-
Philop., 24; détachéeet changée par ladies des Corybeïîtes, Lexiph., 16\
les magiciens, Ment., 14; change Myia des Abdéritains,Hist., 1 par amour)"
en mouche, Mouche, lu; lune des Déesse syr., n.
Sidoniens,Déessesyr., 4. MALCHION,Syrien, Hist., 18.
Lopins, mets des Cyniques, Fugit., 31 et Malée, promontoire,^er., t.
passim. MALLE, oracle d'Amphitoque, Alex 29'
LUTTE, Anach., 8. ifenl., 38.
Lycamhe. Ment., 2; sa fille Néobule Malthace, Rkét., 12.
douée d'une voix douce, Amours, 3. Mandrabule, GagéS, 21
LYCAON,Ignor., 7. MANDRAGORE, narcotique, Tim, 2
LYCÉE, Anach, 7; Lexiph., 2; Dial. De'mosth., 36.
m,, 1, 1. Maniinée, habitants de, DioJ. m., xiv, 2
Ltcéna,Bml. court.. xu, t. MARATHON, Icarom., is; Rhét., 18;
Lychnopolis, Bitt. vér., I, 29. B«j(. 0., xxii, 3.
LYCIE, villes de Lycie,qui ont cessé d'être Marc^Aurêle,Alex., 48.
florissantesau tem ps de Lucien,.Am.,7. M&RconiANs.Alex., us.
Lyciniis, nom que prend Lucien. Margitës, Herm., 17 Ment., 3.
Ltcophron,Lexiph., 25. Mariage, sotte invention,^lmow«,43;
Lycorëe, montagne,Tim 3. d'un homme beau et d'une femme
Lycurgue, orateur mauvais soldat, laide, Tox., 24.
Parât., 42 de Thrace, Danse, 51 MARrs jaloux, Amours, 42..
législateur des Lacédémoniene, règle· Mars, Priape lui apprendla danse et le
leur république d'après des calculs maniement des armes, Danse. 21;
astronomiques, Astral. 25; écrit ses pourquoi vaincu par l'Amour, Dial.
lois dans sa vieillesse, Anach., 3s, D., xix aime Vénus, ibtd., x», 2; xv,
39; son âge, Longèv., 28 dans l'Ile 3; surpris en flagrant délit avec Xé-
des Bienheureux, Hiat.vér.,II, 17. nus, ibtd., xvii Coq, 3; Philop., 6;
Iydiens Déesse syr., t5 Tragodop., délivré gr&ce aux larmesde Neptune,1
v. 35 vaincus par Bacchus, Dial. D., ibid. Mercure lui vole son épée,
xyni; Danse, 22; harmonie tydienne, Diml. D., vu, 1 ami d'Aleetryon.O'oç,
Diai. court., xv, 2, mode lydien, 3; père d'Ascalaphus, Astral., 20;
Harm., 1 vieillard
A>s. D., 4.
lydien, Silène/ Dieudes femmesd'Argos, Amours, 20.
Lyncée, Tim., 25; Dial. m., xxvm, i
Cf. Dial. D., xxi; Tragodop. , v. 40.
MARSTAS. Dial. D., xxvi, 2; Ignor., 5;
P. Port., 20. Tragod., v. 313.
î.tra, courtisane,Dial. court.; vi, 2. Massikissa,Longév., 17.
Lyre, inventée par Mercure, Dial. D., MastirA, Tox., 57.
vil,4. Mateogêne, Hist. vër II, 33.
"A"I.
Lyssâs, Sis de Céphalus,
trahi par Phèdre, A m., 24.
Appart., Matin, Étoile du, Hist. vér., I, 12, ts,
23, 32.
Lysihiqde,poète comique, Voyelles, 7; 1Maukasie,Hist. vér., 23.
roi de Thrace, Hist. 1 son âge, £0»- Mausole, Dial. m., xxiv; Mén., 17.
ge'o., 11 Icarom., 13. MAUVE, être fouetté de mauve, Fiigit.,
Lysiïpe, statuaire, Jup. trag., 9, 12. 33 son effet, Hisl. ver., il, as, 46.
I.tsom, Tpx., ~212. 1Mazga, fille de Leucanor, Tox., 4t et
Ltxds, père d'Hérodote, Apport., 20. suivants.
Méandre, successeur de. Polycrate,
Char., 14; Mén., 16.
M Iêcakiciens célèbres,Hipp., 2.
Médaille frappée en l'honneur de Gly-
con, Alex., 58.
MtCESTÈs, Scythe, Tox., 44 et suivants. MÉDECINS VOy. AGATHOCLE, ALEXAN-
Macétis, Alex., 6. DRE, Antigone, Apollonius, Auchi-
MiCHLÉua, Bacch., 6. RIAS, DlONIOUKrÉRASIST11ATE,Hlï'PO-
Hachlyène, Tox., 44 et suivants. CBATE, PfifcN, PÉTUS,SOPOLJS, SïROS.
Mages,vivent longtemps,Longév ,4. Mêdéu, Dame, »o, s3; éprise de Jason,
Mac™ os Dial. court., xu, t. Berm., 13 jalouse -îctrl., Si dè-
plore le sort des femmes, Dial. m., m., m, xvii, xviti, XX, XXI, xxil, xxv,
xxvni. 2. XXVI, XXVIII.
Mêdes, Longée, 4 ont les pieds faible-, Mentok, Lexiph., 7.
Dial. -m., xxvu, 5. Méon. de Lydie, est-il père d'Homëre,
Médius, historien, Longèv., il. Démosth.,g.
Méduse, Dial. mar., xiv Appart., 22; Mekcuke, ses vols, Dial. D., vu; fils de
peinte, ibid., 25. Maïa, rhéteur, voleur, Prom., 5; a
Mêgabvze, Tim., M. beaucoup d&tejnplcs, ibid., 14; ses
MAmcUs, Tim 22; Trav., 8. emplois, ÎVoti 1, 2; Dlal. D., xxiv;
MëGapbnthks, /Yac, s etsuivants, 25 enseigte la lutte, ibid., xxvi, 2; tue
et suivants. Argus et emmène lo en Egypte, ibid.,
MÉGAPOLE, lue ,28. m, vi a une face de chien, ibid..
Mégare, femme d'Hercule, Dial. D., pourquoi, Sacrif., 14; couvert d'un
xiii – contrée. Démosth.;37 fables léger duvet, ibid., il; apporte à Cha-
mégarienues,Danse, 4t. ron ce qu'il lui faut barque,
Megille, femme,Dial. court v. Dial. m iv; amènepoursa les morts aux
Mécille de Corinthe, Dial. m t, 3;
^0^22.
Enfers, ibid. Deuil, 6; Apol., 3;
sauve Bacchus et le confie aux ny.n
Mélampe, a l'ouïe fine, P. Porlr., 20. phes, Dial. D.. ix;amèneàParis le»
Mélanopb, est-elle la mère d'Homère, trois déesses, ibid., xx; assiste Jupi-
Démosth., 9. ter dans le rapt de Ganymède, ibid
Mélanthe, flatteur, Dial. m., vi, 5. vt;donneur de richesses, Tïm.,24,
Mêlas, golfe, îgnor., n. 41 amoureux, Philop., 7; malheu-
Méi.éague, Ma m., xv, 3 Sacrif., i reux en amours, épris de Vénus, père
/)anse, 50 Banq., 31t d'Hermaphrodite,Dial. D., xv; aime
Melësigêne. Démoslh.,9. Cadenus, Ckarid., 9 père d'Autolycus,
MÉLÉTIDE, Amours, 53. Attrol., 10 de Pan, Dial. D., xxii ;a
Mélicecte, Dial. mar., vm, 1 IX, 1 un coq près de lui, Coq, 2 Mercure de
Danse, 42; Afjr., 3. l'Agora, Jup. trag.,33; son caducée,
MÉLïssus, Dial. court., xu, 1. Dial. m xxm, 3; Danse, 85: Mer-
Mélite, petite chienne de Mëlite, Banq cure de pierre ou Hermès, Nav., xx
19; ;l/en«.,27; Gagés, 34. héraut. Sectes, pauim; Fugit., 26;
Héiitus, Jup. conf., 16. Double ace, etc.
'MELPOMÈNE, Portr., t4. MÉRICHUS, Dia m., 11. rt.
Mémoires sur l'histoire de Macédoine, Mérion, parasite d'idoménée, Paras.,
Démosth., 28 et suivants. 47 hou danseur, Danse 8.
MEMNON,statue de, Ment 33; Tox.. 27. MËsORi, mois égyptien, Philap., 22.
Mempbis, od y adore un bœuf, Jup. trâg., MËTAPONTINS, Coq, 18,
42 Ass.U ,10 prise sans aiége,H>l>p-, Méihvmsus, Dial. mar., vm, t n.
2; Isis de Memphis. Nav., 15 on y Metiocuus,Ment., 25.
montre les cheveux d'Isis, ïgnor., t4. Metrodoke, Jup. irag., 22) Alex., 17.
MEN,déessephrygienne.Jup.trag ,8,42. Mets, variété des mets louée et blâmée,
Mênadcs, compagnesde Bacchus, Dial. Cyn., 5, 6, 9.
/).,u,2; Bacch.fi; aimées de Pan, Miciox, élève de Zeuxis,Zeux., 7.
Dia!. D., xxii, 4 déchirent Penthée, MICYLE, savetier, Coq; Trav., t4 et sui-
Saturn., 8. vants.
HÉNANDitE, 43; /u)j. |a<i 53i Midas, Dial. m., 11; Tim., 42; ses
imour»,
Pseudol., 4. oreilles, Délai., 5. -esclave, Ment.,
Ménécêb, Danse, 43. 1 1 Trav .,11.i.
MÉNÉCLÈS, Luc., 49. Minus, Jup. Irag., 48; Jup. conf., 16.
Ménécratk,Herm., 50; fox., 24 et sui- Mignon,description d'un mignon, Gagés,
vants. 33; ne peut se cacher, lynor. 23.
Mésélas, Pélopide, mari d'IIcldie, Dial. Milésiennes (fables), Am., 1.
*Z)., xx, |4; cause la guerre de Tniie, Milon, Charid., 8 P. Porlr 19 Hirod.,
Dial. m., 19; admire Protée, Dial. 8;«i3(.,34.
mar., 111; son palais, Chand., 25; Miltiade,soupçonné de trahison, Délai
jlppar/ 3 et passim. Cf. ffût. crfr., 29; représenté dans le Pœcilé, Jup.
11,8; Coq, iT,Charii 17. trag. 32. – Dialogues d'Eschine,Par.,
MÉNlppe, philosophe cynique du temps 32.
d'Auguste,Pêçh., 26 son portrait, ses Minerve, née du cerveau de Jupiter,
habitudes, Dial. m.. 1 déteste les Dial. D., vm; Sacrif., 5; a les yeux
hommes pervers, Dial. m., 11 x, 2; gris, Diai. D., vm xx, to; Sacri(.
IX; se donne la mort, ibid., xu, xtu 11; adorée à Athènes, Sacrif., 10;
mordant, Double ace., 33. Cf. Dial. pourquoi l'amour ne la blesse pas.
Dial. D., xtx; soulève-une sédition messagerset ses ministres,ibid., 17;
contre Jupiter, ibid., xxi, 2; dispute emporte les hommes au milieu de
à Junon et à Vénus leprlx de la beauté,
leurs espérances, ibid.; à quoiser.
ibid xx; Dial. mur., v; donne Pé- d'y penser: différence entre les af-
gase à Persée, Dial. mar., xiv; Ap- fairee des vivants et celles des morts,
fiarl., 25; soigne les maladies, Ass. Î6(d.,22; y songer toujours, ibid., 20;
D., 6; aide Pruméthée à f»briquer
les hommes, Pwm.,
Prom 3; lutte
Tu es un
d'habileté avec Val-
différentes idées qu'ondulait. Deuil,
2 et suivants: elle atteins mêii.1 :elui
qui se cache, Démosth.,u.
cain et Neptune, Herm.. 20 suffrage MORTS, lavés, parfumés, couronnés,
de Minerve, Harm., 3 Pêch., 21;ar-
méu. terrible, etc.. Philop 8 sacri-
splendidementvètus Deuil, dif-
férents genres de sépulture, ibid., 21
t
fices qu'un lui fait, Charid., 10, II; on leur met une obole dans la bnuclie,
Danse, 39; sa statue par Phidias, ibid., 10 à quoi bnn les honnrer? Tox
Portr., 4, 6; P. Portr.,ws; peinte 1. Cf. Dial. nt.: Mcnippe, Trav., etc.
fuyantVulcain, Appart., 27. Mouciib (femme devenue Mouche,
Minos, son emploi, Deuil, 7; ingrat, MOUETTE, H'st. vér., I, 31 Gages, 10.
Danse, il juge aux Enfers, Dial. m., Musée, danseur.Danse, 15. 3.
xn pourquoi fils de Jupiter. Astrol., Musss, chantant, Dial. mar., v, 1, in-
20; mi et législateur des Crétois, voquées par les poêles, Sacrif., 5 à
Anach., 39; ses filles épouses de qui elles accordent leurs presents,
Thésée, Hist. vér., IL 8; prophétie Hés., k; pourquoi l'Amour ne les
sur la mort de ses 81s. Hérod., 8 aux blesse pas,DiaZ. D., xix; juges, ibid
Knfers, Jup, conf., 18; Mén., n et xvi, 2.
suivants; mois de Minos dans l'île des Musique, première éducation de la jeu..
Bienheureux, Hist. vér., Il, 13. nesse grecque, Anach., 2t
comment
Minutaure, Hist. vér.. H, 44. onfaitune bonne musique,i'orfr., 14;
Minïe, conlrée, Alex., 2. employée dans les sacrifices, Sacrif.,
MlTlittÈs,Ass. D., 9; Jup. trag:, s. 16; Socrate l'aimait, ibid., 25 modes
Mmw\DATE,Longév.,13. de musique. Harm., t double octave,
MlTHROBAIlZANE, Mén., 6. Tu es un Prom., 6 et ailleurs; impu-
Mitréf.ns, montagnes des, Tox., 52. dence de certains musiciens, Ignor,,
Mnascirêb,roi des l'arthes, Loitgév., 16. 8 et suivants.
Mnason, Menteur, 22. MUSICIENS.Voy. Ampdios, Ahion, Ams-
Mkémosynh,Danse, 36. TOXÈNE, BATALUS, DÉMODOCUS, Dl-
Mnésauque, père de Pythagore. Voy. CËARQUE, KlMÉLUS, ËyANGÉLUS, HAK-
PYTHAGORE. MONIDE, ISHÉMAS, OLYMPUS, ORPHEE,
IllNÉSIVPE, Tox. 24, 62. PHESISOS,PniLON, l'OLYPRÉPON, THES
M.NESITHÊE,Jup. ir/ÏOf., 15. PIS, TllIOTHÉE.
M( ides de musique. Harm.. Musonius, Pérégr., 18; Nér,, 1 et sui-
niUDESUE,Portr., 20, 21. vants.
Mois, réglés par les Égyptiens, Astr., 5. Muzims, Hist.. Si.
MoïsE, bègue, Philop., 13. Mycênes, Char., 23 Danse, 43.
Mollesse plaine de la1, Hist. vér., 11,33. MvoDONiEiss,adorent Hhéa, Sacrif, 10.
Womus, Dial. D., xx, 2; Icamm., 31; ftlviA ou Mouche rivale de la Lune.
Hist., 33; Bacch., 8;
~.n franc parleur,
Aas. D., 2; prompt àw critiquer, Jup.
Mouche, 10; ancienne prètresse,
ibid.,
trag., 23; blâme taureau de Nép- lille de11;
courtisane, ibid., 11 –
Pythagore, ibid., 11 t
tune, Nigr. 32: Hist. »eV-, II, 3; MYiiMiDOss,ifra(., ts iSonge,»;Her,ia.,
Herm.,
l'hommede Vulcain,Herm., 20 n'est 6'0(/, 24; Jup. lrag.,1. 7.
print parmi les ilieux honorés, Jup. Myuiiha, Dansé, 58.
trag., 22; reproche aux dieux leurs JlYitmii.vE, petitechienne, Gagés, 34.
méfaits, Jup. trag., 19 ei suivants; Myiîkhime, bourg de l'Attique, Nao., 1,
Ass. D., 2 et suivants. 10.
Monde différentes opinions -sur le Hyrtile, Danse, 47.
rnoude, /cor., 8. Myiitiuu, Dial. m., xxvu, 7.
HoNSiKE marin tué par Persée, Dial. MYRTO, femme de Sucrate, Aie, 8.
niar.. xiv.
Mo ut, rend égaux tous les hommes,
Dial. m., xy, 2 xs.iv,1 xxv Char., N
*i2;est la loi commune, Dial. m., xv,
3; Mén., 15, 17 Démon., 60; pous ne
savons ce qui est au delà Dial. m., Narcisse, Dial. m., xviii, 1 Charid..
1.1 signe de bonheur, Char., 10; ses •2k; Hist. vér il, 17.
Nations, signes caractéristiquesde quel. ratons,
ques-unes, lcm.,
longév., 3 coupe de Nestor,
Nature, a donné à16.l'homme et à la Herm.,de 12. –
stoïcien, de Tarse,pré-
Tibère,
femme des complexions différentes copteur Longév., 3.
Desher., 28. 29. Nicasdke, poète, Dip.s., 3.
Nicias. général athénien, Faute, 3;
Naufragés, Gagés, 1 et suivants HistW3t; Paras.. 34.
NAUPLIUS, pilote, Danse, 46; Hist. vér., NicoMAQUE
Il,29. de Gérase. Philop., 12.
Portr., i9; Paras., 26-
Nausicaa,
Nicustratb, athlète, Hist., 9.
Navire (descriptiond'unNav ô. 13 NiGmsus, voy. le Dialugnede ce nom.
Dial. Z>iii, comment représenté.
l'univers comparé à un navire, Jim. Nil, Rhét., t'r, salaisons du Nil, Nav., J5;
ttag., 47. sources, ibid 44
Néanthb, fils de Piltacus, [gnor 12. Ninus, Chand.. K.
NÉnuis, Dial. court., x, 8. Niobê, Vial. D.. xvt, Danse, 4i:
Néchrëf.hs,nation indienne, Fug 6 .•songe, |4; P. Portr., 27; Philon.,
NÉCBACAOÉMIE,Hist. ter. Il 23. 1,
Néfastes, j.,urs, Psmdol.. 13. 18; Tragod., v, 316.
Niuée, Dial. m., ix. 4; xvm, 1 xxiv;
Nëgiiéjos, source. Hist. ter., Il, 33. ï'tm.,23 Min., 15 .4m 33; Charid.,
NÉLÉE, Paras., 35.
24.
Némée, Danse, 44'; Dial. D., m prix Nisée (chevaux de;, Hist., 39.
des jeux néméens, Anach.,9. Nisibéniens (peste des), Hist., 39.
Néoptolëme,fils d'Achille, bon danseur Nisus, Sacrif.,
Danse, 9. 15 Danse 4t.
NOCES. pourquoi inventées, Am.. 33.
Népiiélï, mère d'Hellé et de Phrixus, Noix, jouer aux, Ép. sat.; 8, 9, 18.
Dial. mar 11 Danse, 42. NOM, en changer devenu riche, lim.
NÊFHËLOCENTAURES, Hist. ver., I, 16
1«.
22; noms donnés à des philosophes a
NÈmiÉLOcoccYGiE,Hist. vér., I, 29. cause de leurs vices, Ftigit., 26.
Notus, Dial. m., vu, xv.
Neptune, Jup. trag., 24; ébranle la Nouveauté,agréable,
terre, Philop., Zeux., 1 et sui-
6; en révolte contre vants; Hipp., 8; Bacch.. 5.
Jupiter, Dial. D., xxi, 3; les Dius- NUIT (temple de laj, Hist. vér., 11, 33.
cnres lui obéissent, ibid., xxvii, 2; Numa, Pseudol., 8 Longév., 8; Hist
son combat, Danse, 42 aux gages de vér., i7.
l.aomédon, Jup. conf., 8 Sacrif., 4 Numidie,11,poule de Numidie, Gages, 17;
accompagne Jupiter enlevant Europe, JVot.,23, 29; pierre de Hipp. 6
Dial. mar., xv; fait taureau, Nyctioiius,Hist. rér.. Il, 33.
Berm., 20; Mercure lui un vole son tri- Dial. D., ix; nymphes de, ibid.,
dent, Dial. D., vn, 1 père de Poly- Nïsa, 2.
phème, Dial. mar., 1, 2; souvent
amoureux,Dial. mar., m; aime Pé-
lops, Charid., 9; viole Tyr", Dial. 0
mar., xin amant d'Amymoné, ibid.,
16; aux cheveux bleus, Sacrif., 11; sa
statue pillée à Géreste, Jup. trag. Obolk, dans la bouche des morts,
ii sa stawed'airain
25 statued'airain à Corinthe, ibfd
Corinthe, ibtd., Deuil, 10.
9. Océan, Char., 6; occidental,Hist. ver.,
NËnÉE, Tragod., v. 90. I, 5.
Néréides, portées sur des Dauphins, OcelluS; de I.ucanie,Faute, 5.
Dial.mar., xv, 3 Cf. Doitls, GALÉNÉ, Octapodes, Sirylhe, 1
IPHIANASSE, PANOPE, THËTIS. Octave, double, Tu es un Prom., 6 et
Nékon, essaye de percer l'isthme de Co- passim.
rinthe, Nér., 1 va en Grèce pour OEdipe, Danse, 4t Gagés, 31 goutteux,
faire admirer sa voix, ibid., 2 et sui- Tragod., v, 255.
vants revient en Italie, ibid., 5;sur OEil.vov. Yeux.
sa voix, son chant et ses gestes, 6, 7; OE.néë n'invite pas Diane son banquet,
sa fureur contre ceux qui lui dispu- Sai:r., 1; Jup. trag., 40; Banq., ^5.
tent le prix, 8, 9; fait boucher l'antre OEsoé, Icar.. 18.
pythien, 10; joie à sa mort, 11. cf. OEnomanus,Charid., 19 et suivants. Cf.
Danse, 63, 64. Danse, 47.
NESSUS, Danse, 50. OEnopion, Pseudol., 21
Nestoclês,Rhit., 9; Ment., 1a. 21.
a. L)ial.
Dial.D.,xtll, l Dial.m.,xvl,
a; OKta. lie., xvl,
NESTOR, Hist. vér., n, 17; parasite, 3; Am., 54.
Paras., 44, 45; sa langue de miel, OEUF lustral, Dial. m., 1. 1; JV110., 7
ibid.; Dial. m., xx, 4 vit trois gêné- Ogmius, Herc, et
suivants.
Ogygie, Hist. vir., Il, 29, 36. ment, ibid., 21 et suivants; oracles
Oignon, dieu de Péluse, Jup. trag., 42; autophones, ibid,, 26; oracles nom-
mets des pauvre;^ Éi>. snt., 28. breux en Grèce, en Egypte, en Libye
Oiseaux sacrés, Sacrif., 10. en Asie, Déesse syr., 36.
Olmégs, fontaine, Ignor., 3. Oueille,
( n'avoir pas le temps de segrat-
Olympe, montagne. Charid., 3, V. ter l'oreille, Double cri., 1 oreilles
Olympias, mère d'Alexandre,Dial. m., moins fidèles que les yeux, Danse, 78
xni, 1; Alex., 7. cOiieste et Pylade, leur amitié, Am.,
Olympiques (jeux), JVm., 50; 'Sacrif., 1 i il;Danëe, 46; peints tuant Egisthe
commenton y apparicles combattants, Amarl., 23 ont des honneurs divins
Herm. 39, 40 et suivants prix de ces chez les Scythes, Tox., 1-8 j l'inscrip-
jeux, Anach., 9; discours tenus à tion de la colonne qui leur est consa-
Olympie, Pseudol., 5; quels auteurs crée sert à l'éducationélémentairedes
y ont lu leurs écrits, Hérad., 1-3; le enfants, .ibid., 6.
peintre Aétion s'y est fait connaître,
Or.ÉTÈs,
G d'Arménie,Dial. m., xxvn 5
ibid. et suivants; les vainqueurs n'y satrape, Char.. 14.
peuventavoir des statues plus grandes
'0
'Oiuoh, portantCédalion,Appart., 29.
que nature, P. Portr., 11; Hérode Orithye,
0
Atticus y fait venir de l'eau, Pérégr.,
Op.odoeciiie,
0
Ment Danse, 40
Pseudol., 2.
16 j Péregrinus s'y brûle, ibid. et sui-
0
Oropus, Démasth., 44,
vants j outeurs d olyml,ie, Dame, 47 0
Orphée, fils d'OEagre et de Calliope,
plus de carrière redoutable aux vain- Astrol., 10; charme les êtres inani-
queurs d'Olympie, Harm., 4; être mes, Portr., 14; danseur, Danse, 15
couronnéà Olympie,Gagés, 13. sa tête qui parle, ibid., 51 ce que de-
OLYIIPUS, joueur de flûte, Ignor., 5. viennentsa tête et sa lyre. Ignor.
Olyniiie, Hist., 38; Démoslh., 35, 44, et suivants; Eurydice lui est rendue 11

Omanicus, Longé v., 17. par Pluton, Dial. m., xxm, 3; dé-
Ombkbs, servent de témoins dans les chiré par les femmes de Thrace,
Enfers, Min., n et suivants; prendre Ig«or., tt Satur»., 8; navigue avec
l'ombre pour le corps, Herm n- Hercule, Fvg., 29. Cf. ibid., i; Ap-
ombre de six pieds, Cronot., 17. part., 1»; Sacrif., 14.
Omphale, Dial. D., xm peinte, Hist. ORUS,
Oi Coq, 18.
10. Osiris, Danse, 59; Dial, m., un, 3;
Oi
Onésicrite, Péregr., 25; Hist., 40; enseveli à Byhlos, Déesse syr., 7.
Longêv., 14. Osroês, Hist., 18, 19,31,3t.
0:
Ongle, voy. Lion. Ossa, mont, Char., 3.
Gi
Onosceles, Hisl. vir.. II, M. 0'
Otiiryade. Spartiate, Char., 24; ses
Ophion. Tragod v, 101. lettres, nhétor, ît.
Owsihodome,Pérégr, 32. Otiiryadès,
Oi chef des Parthes, Alex
ORjélogedel'or.rim,, 4i;arrête lesang, OTi'S,
01 Icar., 23 Char., 3 Rhétor., s.27 1
tbid., 46 méprisanle comme les caif- Omtis,
O| personne, nom que se donne
toux du rivage,,ibid., 56; méprisépar Ulysse, Dial. mar., 11, 1.
Solon, Char, 11; comparé an fer, Oj OxYAiiTE, IVae.,e.
tbia., 12; change le caractère, Coq, 0] e; HUl., lis Dial.
Oxyûraques,
Fur/
t4; en quoi il contribueà l'ornement, m., xiv, 5.
Amart. 8 méprisafleoté des so- Oi Hisl.,18.
OxTitots,
phistes pour l'or, Fugtt., 20; cause
de la trahison d'Êriphyle, Cyn., 8;
dangers qu'il fait courir, ibid., 15;
l'or et ta pourpre, fumée, ibid. 19; P
toits d'or, PAiiop., SS| Vénus d'or,
Ckari4., 11 Jup. trag., 10; hommes
d'or, £n. sal., 20,28. Pacai<, peintepar Apelle, Port., 7.
Pa
Oracles, inutiles, Jvp conf. 12 et sui- Pà
Pagouiudes. Htst. ver.. I, 35.
vants bafoues, Jim. trag 43 ridi- Pa
Pai.amêue,dis de Nauplius, Voyelles, 5
cules d'Apollon, Uni., 31 équivoques Dial. m., xx, 4; Danse, 46; décou-
rendus à Crésus et aux Grecs, ibid. vre la folie feinte d'Ulysse, App., 30
211;,àlllllon. Ner., 10; autres oracles ,1victime des embûches d'Ulysse, Delà t
d'Apollon, Dame, 25; Am., M Rhct., 28. i
13 de Bacis, Pérégr.,30; voy. SinYLLE. Pa
PALESTRA,servante, Luc, 2 etsuivaius.
– Oracles
Ala.,
d'Alexandre et autres, Pai\ii.inodie de Stésichore,P, Portr., is.
'allas, voy. Minerve.
11, 18, 22, 24, 25, 26, 27, 28, Pa
29, 33, 34, 35, 36, 40, 43, 47, 48, 50, PA]
•ammësês, Banq., 22; Dial. court., iv,
51 52, 53, 54; changés après l'évene- I.
1
Pakpotlie (golfede), Am.,1. 7. Patras, ville d'Achaïe, Luc., 55; habi.
Pas, fils de Mercure, Dial. D., xxn- tant de Patras, Pseudol., 8.
Doubleace., 9 et suivants; Ment., 3 Patrocle, aimé d'Achille,5,Am., 54;
Ast. D., 4; Bacch., 2, 4; Dial. 1. tox., io; Coq, it; parasite d'Achille,
O.,11, 1; bouc chez les Egyptiens, Para»., 46,47.
bacrtf., 14; sa fontaine dans l'Inde, Padson, peintre,Démosth., 24.
Bacch., 6. Cf. ïïn»., 12: Danse, 48 PAUVRES, plus heureux les riches,
/car., 27. que
Coq, 21 et suivants; Ép. sat., 26;
Panathénées,M'nr., 14; prix qu'on y plaintes des pauvres, ibid. ,20; leurs
accorde,.inacfc., 9. habits semblables a un filet ou il un
PANCRACE, sorte de lutte, Anach., 8; crible, ibid., 24: mangent du cresson
prix du pancrace, Hitt. air., II, 22. et de l'oignon, ibid., 28 leur conso-
Pancratès, magicien, Ment., 34 et sui- tion, «ni., 30; demandentà Jupiter
vants. le partage des richesses, ibid., 31;
l'ANDÈME,Pseudol., 11.
sans tes pauvres les villes ne peu-
PANDION, Harm., i; Dante, ko. vent être habitées, ibid., 33; im-
Pandionide, tribu, Démosth., 45. portuns dans leurs demandes, ibid.,
Pangée, montagne,Icar., 18. 38; leurs mauvaises habitudes, ibid.,
Pansyohie, source Hist. ver., II, 33. 37, 38 défense de la pauvreté, Çyn.,
Pakope, néréide, Dial. mar., v. 5; il est facile d'y tomber, îfm.,
PASTHÉA.époused'Abradate, Porlr., 10, 29; quelles vertus l'accompagneqt,
> 20. ibid., 31 et suivants; meurentjoyeu-
PamthoSs,Coj, it.
Pantomime, Dante, 2 67.
sement, Trav., 15; pauvreté, prétexte
d nu esclavage perpétuel. Gagés, 5.
PAON, son plumage, Apport., o. a. Pêan, Dial. D., xm, 2; Tragod., v,
Paphlagoniens, gens stupides, Alex., 9, 142.
Il. Péan*e, oratenr de, Double ace, 31;
Parasites, chez les Romains, Nigr., 22,
Rhét. 21
23; leurs mœurs, voy. le traité du Pa- l'r.AU de bœuf, Tox., 48.
rasite. Cf. Flatteur. Pégase, MU. m., xn; Songe, 15.
Parents, aiment leurs en fants, Patrie,
3 PEINTRES, P. Porlr., i8;leurs rêveries
Paris, fils de Priam, juge de beauté, Herm.,11. Voy. aêtion, Antiphiie,
Dial. mar., v; Dial. D., xx; parent APELLE, CALLIADE.EUPDRANOR,GALA-
de Ganymède, ibid.; époux d'une mon TON, MlCIOS, PARRHASIUS,
tagnarde, ibid.; s'éprend d'Hélène, POLTCNOTE,ZEUXIS. PAUSON,
ibtd.; Charid., 10, U; Danse, 45; Pêiamds, Hitt. oe'r.,
auteur de laguerredeTroic,DiaJ.»»., PÉLASGIQUE, Pech., 42,I,4738.Double
xix. 9.
ace
Parium, villeCoq,
Pe'reV., 14. PELÉE et Tdétis, leurs noces, Dial,
Parménion, 25; Démosth., 33. mar., t.
Parnasse, a deux pics, Char., s. I'klias, P. Por(r.,2;Datue,52.
Parskse, montagne,Paro».,43 j Double P6LICnus de Corinthe, sa statue, if«s!
acc.,S;Icar., u. 18 et suivants.
Parques, maîtresses de tout, Dial. m., P*lion, montagne,CAor.,
vi, xix, xxx; Philop., ik; leur fil. PELLA,Alez., 6; serpents de3.Pella, ibid.,
Char., 16 j ce qu'on dit d'elles est vain, 7,is, 15.
iup. conj.. 1 et suivants. Pélopides, Dans», 43.
Parbuasius, Gagés, 42 Po< 3. Pëlops, Danse, 43; tué, son épaule,
PamuSnius, montagne, Dial. D., xxii. ibid., 53; beau, Charid., 7; aimé de
S; Double ace, 9. Neptune. ibid., 9; devient mattre
Partiiémiis, poète, Hïx,, 51. d'Hippodamie, ibid., 19.
Pauthénope. Danse, 2. Péwsb,Délai., 2; les habitants adorent
PARTHES, Longév. 4; courageux, W<w., l'oignon,Jup. trag., 42.
33; vaincus par Julien, Philop., 28; Pénélope, mère de Pan.-DiaJ D., xxu
guerre des Panbes, Hisl., 2 et sui- 2 – filled'Icarias, peinte, Porh- 20L
vants, 30; dragons des Parthes,éten- si elle était chaste, Hitt. \ér., 11,29
dards militaires, ibid., 29. 3ti;satoile, Fugit.,m.
PASSION, Dial. court., xn, t. Pentbée, Ai». D., 7; Sahirn., 8; Pe-
Pasipbaé, Danse, 49; lue, 51; son rcer., 2; Dan»«, kl P<ScA., a Ignor.,
amour pour le taureauexcusé.Astral., 19.
t6. Permccas, Alexandrelui donne
Patare, oracle d'Apollon, Double ace, neau, Dial. son an-
m., xiii, 3. Cf. Délai.,
1; Menteur, 38; sandale de Patare, 18; Coq, 25; Longév., 13; épris de s:
Dial. court., xiv, 2. belle-mère, Hist., 35.
Pfistir.Rixus oU Protée, Pérégr. Cf. Phèdre, disciple de'Platon, Dial. m.
h'iHjit., 1,2; Démon., 21 ?uu bàton, xx, 5; Appart.k trahit I,\sias, Am'
Ignor., i4. 24,3».
Peugame, loir. 24 Ment 38 Phello, île imaginaire, Bist. vér 11,
Périandre,Dial. mar., vin, 2; Bist. 4.
fer., H, 17. PHtiLLOPOnF.S.ffis/.M' II, 4.
Périclés, Am., 29; plaide la cause d'As- Phëmius. j4p/)or(., 18
pasie, 30tbid.,
défend Anaxagore. Phéniciens, marchands,/car., 16; na-
îïm,io; son rloquetice, Dêmoslh., viguentsur toutes les mers, Tox.,k;
20; Olympien,Porir., il. Nous avons If:
se servent des astres pour navigupr,
omis à cet endroit de renvoyer en lcar., l;soumisau\Égyptiens. Délat
note à Théon le sophiste,Progymnas- 2: leurs temples, Déesse syr., 3 et
mata, chap. vin. Cf. Démosth., 37; suivants.
Coq, 19 Danse, 36; Scythe, 1 1
Péciilaûs, ingénieur du taureau d'airain,
Phénix, précepteurd'Achille. DM. m.
xv, 1;-oiseau, Périgr., 27; Berm.l
Phal.. i, 11 et suivants. 53. •
PËniPATfiTiciEKs,Berm., 16; Péch., 43, Phérécyde,Xo;igr 22.
50 ne méprisent pas les richesses, PHiniAS, reconnaît un lion à l'ongle
Eun." 3 Voy. AGATyocLK, Bagoas, /te™. ,,54; sa Minerve et son Ama-
Clëoiiéme. Critolaus, Dioclès, Eu- zone, Portr 4 donne à jugersa sta-
TIIYDÈME. HERMINUS, KUFINGS, THËO- lue de Jupiter. P. Portr.. 14 Cf
PHRASTE. Songe, 9; Berm., t9; Portr., 3
PERLES, blanches, vertes, de feu, etc., Jup. trag.. 7: Coq. 24; Bist., 5i
Déesse syr.. 32. /cor., 24; Sacrir, il.
Perruque, yoy. Chevelure. Phidon, flatteur, C10/. m., îv, 5; Dta(
Persêk, Dial. mar., xn; coupe la tête court., n.
de Méduse, délivre et épouse Andro- Philébus, mignon, Luc., 36.
mède, ibid. etxiv; porte une faux, Philêmon,poète comique, Longév.,25
Alex. 11; peint tuant Méduse, Ap- Foule, 6.
part. 25 le monstre marin, ibid.. PHiLÉMS,'courtisane,Am.,28; Pseudol,
22. Cf. Danse, 44; Philop., 9. 24; Dial. cnurt., vi, l
Perses, comment ils adorent leurs rois, Phii.étaire, Longév., 12.
Nigri., 21; Nav., 30; où leurs rois se Pbii.iade, flatteur, Tim., kl.
placent-dans la bataille, ibid., 3» sa- Phplimos, forgeron. Dial. court., vi,
crifient au feu, Jup. trag., 42; en- PHILIPPE, de Macédoine, Dial m.. xiv
terrent les morts, Deuil, 21 leurs re- quel punr les Macédoniens, Paras.
pas, Gagés, 29; leurs .archei'S 42; a l'œil crevé, Bisl., 38; honore
Hermot.,33. Cf. Longév., 4. Eschine, Coq, 12; estime Démosthène,
PESTE, à Athènes, Scyth., 2. Démoslh., 33 et suivants; savetier
Petus, médecin, Alex., 60. dans les Enfers, Mén., 17. Cf. Hist.,
I'haétbon,Dial. D., xxv; Danse, 55;
Ambre, 1, 2; Tim., 4.; d'où salé-
3 Lot.géy., 10.
Philippide. coureur. Faute, 3.
gende, Astrol., 19; roi du Soleil, Philippopolis.Fugit., 25.
Bist. vér., I, 12 sa guerre avec En- PH11.OCHATE, Démosth., 4i Paras., 42
dymion, ibid., 13-20. Piiiloctète, Z)a«e, 46: hou archer
Pbalaris, Phal.,1.
23; Double ace., s.
Cl.
Bist. »er., -II, Ignor., 5; goutteux, îrôgoii., v, 257
PniLOLAira, Faute, 5.
Pualês,Jup. trag., 42. Philok, ffis(., 1,22; fils de Dinias.
Phallus/ consacrés par Bacchus, Déesse Charid., s eisuiianls.
syr.,16; comment on y grimpe,ibid., Pîiilosophis histoire ancienne de la,
29. Fugit., 5 et suivants; la vraie difficile
Dial. courf., iv,4.
Phasias, à trouver, Péch.. 11; portrait de la
PlIANOMACUUS,JVfl«.27. fausse, ibid., 12: de la vraie, ibid.,
l'HANTASION, Hisî. !)ér., II, 33. I4«t suivants; philosophes décrits et
î'haon, Dial. m.. ix. 2; Nav. 43; p. bafoués, Tim., 44 et suivants -Nigr.,
Portr., 2.-autre, /)!a/.co««., xu, 1. 24.25 Dial. m., 1. 2: x, 8 xi etpas-
Pbaros, JVii»., 7; iiroliilecte du l'hare, «m:Mmppe,4eisuivants; Icarom.,
Bist., 61. 5 et suivants, 20 et suivants,29et soi-
Phase, oiseau du, Gagés, 17 Nuv., 23. vanis Hermot., 11, 12 sectes philo-
Phavorinus, philosophe. eunuque, -Dé- sophiques, Berm., 14, 48; Sectes:
mon., 12,13 académicien,Eun., 7. philosophes comparésà des archers,
23; dénonce Bippolyte, pélat.,syr
P11ÉDBEde Crète, amoureuse. Déesse Nigr., 36. 37: payés par l'empereur,
26; Eunuq., 3 Cf. Paras.. 32. 52, 57;
Danse, 2, 49. Eun 8, 9; fferra., en entier; Pé-
c/teur, en entierAss. D 1 3 L angév. Platée, Rhétor., i4.
13 et suivants. Voy. Agathobule, Platon, sjh éloquence, sa prudence,
ANAXAGOKË, ANAXARQUK, ARATIS, AR- Pëch., 22; Paras., 34; jamais soldat,
CHÉLAÛS,ARISTÈNÈTE, ARISTIFriî, ARI- ibid., 43: maître de Démosîhène, Dé-
STOTE, ASPASIE, BASSUS, ïilAH. CAL1.1- mosth*. 12; mettant ses lois en pta-
sthene, Gérés; Chilon, Cléobule, tique dans l'île des Bienheureux
CYNIQUES, Oécrianus, DÉMoctim, dé- Bist. ver., Il, n aa formule de sa-
MONAX, Dion, Diphilë, Épicïnïf, Fs- lui, Faute, 4; faisant la cour aux ty-
chiîse, f.ucrate, (lorgias, heraclite, rans, Dial. m., xx, 5; approuve cer-
HlPPlAS, I.ESBONAX,NlCOSTKATE,PAR- taines danses. en blâme d'autres,
MÊNIDE,PÉKIANDRE, l'HAROSlNUS, VlII- Danse, 34; ami de la liberté, détes-
losthate, l'ittacus, platon, POSI- tant l'esclavage, Gagés, 24 son àge,
ponil1s prodjcus protagoras Lonrjév., 21 veut la communauté des
Pyrrhus, Pythagoue, Sit>onhjs, So- femmes, mais pas comme on croit,
cratf,, .Solon, Stoïciens thalés Fugit., 18; et accuse sur ce point
thesmopolis TISIAS, xénopi1ane, Banq., 39; ses lois. Icar., 1k. Cf.
xënophok. Sectes, 15, 17; Gagés, 25; Démon,,
Philo x en e, Délai. y i4 se moque de De- 33; Danse, 70; Lexiph., i, 22; Am.,
nys, Ignor t5. 24. 31 Paras ,5; Hhétor., 9, 17, 26;
>"
Puisée, aveugle, P. Portr., 20; ïïm., Dovble ace, 33,34; Ment,, 16. '2k,
«8; Hêsiod., 1 Dial. m. xxvm, 1. 27; Pseudosoph G, 7. – Cité Gagés,
Piiocion, f.a pjiuvreié, Jup. conf., 18; 43; Faute, 6; Dtps., 9; Pseudolt, io;
Jup. trag., 48; dans l'île des Hien- Mouche, 7.a
heureux, Hist. vér., (I. n, llerm., 16; Pécli., 43,
Phocée, verres de, Lexiph, 7. 49. Voy. Caunéadb, Démétriujs, Ion,
Piiocylide, Délat., 8. NlGttlNNS, POLÉMON, XÉNOCT.ATE. Cf.
Pkoloê, moma^ne, Icar., n. t. Académiciens.
Phiuxcs, Aslrol,, |4; /)w/.mar., IX, 2. Pléiade. //ï's;. eer., I, 29.
PHRYGIENS, Déesse syr., 15; Tragod., v, Plétht.ium, lieu du gymnase d'Olympie
31 leur danse, Danse, 34; mode Péreqr,, 31.
phrygien, Harm 1 flûte phrygienne, Plisthène, Tragod., v. 256.
Nigr., 37; déesse, j4m.,42; pierre, Pllton, Deuil, 2, 6; Jupiter des Enfers,
Hipp., 6, Plutoclès, Hist. vér., H, 33.
Phrynh, TYau., 22; Démosîh,, 12. Dial. m., xxin, i Mercure loi
Phkynon,Démosth., kt. amène les ombres. Dial. D., xxtv, i
PlHîYNONUAS, Alex t k. donneur de richesses, ïïm., 2i nour-
l'HYLLis, Danse ko. rit la goutte, Tragnd., v, liO.
PIERRES cunleur de feu, Dial. court., Gagés, 42;"ïYm., t0 et suivants
PLUTUS,
VI. son portrait, ibid., i3, 26, 27; Sa na-
Pilophoke. Scythe, 1. ture changeante,ibid., 20, 2t-3i ses
Pindare, Tim.\ kl Danse, 67: Portr., compagnons, 28; blâmé, 35; se dé-
8; P. Portr., i9; Coq, l Hipp,, 7; fend, 38. Voy. HiciiEssES.
Dêmosth., u, 19. Pïsyx, Jup. drag., n Doubleacc.,9.9.
Pirée, Charid., i; Nav., 1 /Ve/i., 47 Poualire, fils d'Esculape,Alex., il, 80.
et passim. Podarcès, général thessalien, Tragop.,
Pirithous. fils de Jupiter, Dial. D.,vi, v,258.
3; ami duTtiésée,Charid,, ig; Danse, Pëch., 13; Jup trag., 10;
60; Toa\, 10. Icnr.jik,
Pisk. ville de l'ÊIide, Saerif., n ses Poésie, comment ou l'enseigne à la jeu-
inconvénientsdurant les jeux olym- nesse grecque, Anach,t 2i quan d les
piques, Hérod., 8. poêles disent vrai, Jup. conf.t 2; ils
Pislsïrate, fils de Nestor, Charid., ib. ne sont pas responsables de leurs fic-
PITIÉ .autel de la), Tim., kl; Double tions, P. Portr., 18; louent la cheve-
ace, 21. lure de Stratonice,ibid., 5; leurs li-
PITTACUS, Dial. marK*, xx, 4; Longév., cences, Hésiod., 5, comparés à des
18. l
cavaliers, Démos h.. 5; ont besoin
PITYOCAMPTK,llÙt. V€T Il, 23; Double d'être fous, ibid.;la poésie l'emporte-
acc.,8- 8. t-elJe sur l'éloquence, iiiid. et sui-
Titys, aimée de Pan, Dial. /> xxn, 4. vants poètes, cerveaux brûlés, Tnn.,
Plaisirs, de ht ublc. blâmés, Nigr.,35. \Philop., 2; leur audact', Herm., 74;
Planètes, Jour opposition et leur qua- leurs rêveries, ibid., 72; leurs men-
drature, l'hilop.^ ik reçoivent leurs songes supportables,Ment..2, 2, 4; leur
noms des Étniopiens, Astrol., 4; i
obscurité blâmable. Lexiph,5; leur
chœur des plquètes, Danse, 17. enthousiasme, Hist., 8 ne sont pas
responsables des fautes de l'acteur, Présagesfunestes, Pneuial,
Nigr., 9 invoquentles Muses Sacrif Prétendants, leur 17.
usage chez les habi-
5 ne disent rien de sensé, Dial m., tants du Bosphore, Tox., 41.
xxviii, 3; fumée poétique, Tint., 1 Prêtres, Sacrif., 13; plusde trois cents
Mén., 3 prêtres dans un seui temple, Déesse
POISSON, chose sacrée pour les Syriens syr., 42 et suivants.
et les Egyptiens, Astral 7; Déesse Priam, goutteux, Tragodop.,v. 252.
syr., 14; poissonssacrés nourris dans PRiape, fliai. D.,23;précepieuideMar3
un temple, ibid., 45.
Poix bryttienne Alex., 21.
Danse, îi.
Prières, arrivent à Jupiter par des trap-
Poléhoh, Double ace, 16, 11.
POLIADE Minerve, Pêcheur, 21 etailleurs.
pes,
VOEUX.
Icarom., 25 et suivants; voy.
I'ollux. Voy. CASTOR. Dioscures – Prisciis, général, Bist., 20.
'
jeune homme aimé d'Hérode Atticus, PRODICUS, de Céos, mroi.,
Démon., 24, 33, 60.
Probéthée, pourquoi délivré, Dial. D.,
Polcs d'Agrigente, Béni., 3; fils de i artisan de discours, Prom., k, 20
Chariclès, tragédien, JDénipp., 16: n'a pas de temple, t'btà.i4; est devin,
Jup. trag., 41 Apol., 5. ibid., 20; les potiers appelés Promé-
POLYBE,ignorant, Démon., 40; de Méga- Ihées, Ditiim Prom., 2; allusions
lopolis, Longév., 22. fréquentes à Prométliée, ibid. Cf.
POLYCLÈTE, statuaire, Jup trag., 7; Gagés,™Sacrif.,S; Danse, 38 Am.,
Ment., 18; son canon, Pérégr., 9; 43; Jup. conf., s.
Danse, 75; fait une statue de Junon, PROPONTIDE, Philop.,3.
Songe, 8, 9; Sacrif., 11. i. PROSERPiNE,aiméedePirithoas,CAarid.,
POLYCRATE,Ménipp., 16; Charid., 14; 16: aime Adonis. Dial. D., xi, 10 Cf
Nav., 26; Polycrate et sa BUe, Dante, Ménipp., 9; Danse, 40; Deuil, 6.
54. Protarque, Tim., 22.
Polydamas, de Scotussa, Bist., P. Protêsilas, Dial. m., xix, xxm;
Port., 19; Béni.. 8; sa statue 35; guérit navire, Pan»., 46; on lui fait des sa-
son
les fiévreux, 4jj. D., 12 crificesdans la Chersonèse,Ass. À, t2.
Poltgnote, peintre, Port., 1. Cf. Deuil, 5.
Poi.ïidds, Danse, 49; Hésioi., t. Protée, voy. ['ÉRÉcitiMis; dieu marin,
POLT-.miE,Danse, 36; Port., 16. Dial. mar., iv Démosth.,24; Nav.,
POLYPE, sa nature, Dial. mar., tv, 3. S; (lansour, Danse,
Polyphème,Dial. mar., t et 11 homme PROTOGÊNE, Alex., 50. 19,
impur,Ment., 27. Proverbes. J'ai suivi l'ordre alphabéti-
PoLYPKÉPosJoueurdeflûte, Banquet,20. que d'après les mots essentiels de
Polystrate, Dial. m., ix. chaque proverbe – Habitant d'Ilion,tu
POLYXÈKE, J%f., 11. t.
POMME DE Discorde, Banquet, 35; Dial.
as loué un acteur tragique. Pseudol.,
10. Aimer ou haïr sont deux senti-
mar., y; flia(.B.,xx;Charid.,10, 17. .ments du même cœur, Picn., 20*.
POMMES, mordues par les amants, Dial. Plus transparent que l'ambre, Amb.,
court., ix; Tox., t3. 36. Jeter l'ancre sacrée, Fugit., 13.
3.
Pont, habitants du Pont, race stupide, – Ane qui veut jouer de la cithare,
Alex., «7. Pseudol., 7; de la lyre. Dial. court.,
Pont-Eoxik,Tqx.,3. xiv, 4. – Quoi de commun entre l'âne
PORCS. les Svriens n'en imnmîo'rt i»g et la lyre? Gagé», 25. – Combattre
Déesse syr., 54. r pour l'ombre de l'àne, Berm.,11.–
Portraits de qualités physiqueset mo- Nettoyerl'écurie d'Augias, Alex., .–
rales, voy. le dialoguede ce nom. Renfermerses espérancesdans un1ba-
PORUS, Bist., 12. teau d'osier,fferm.,î8.–Guigne baudet
Posidonids. d'Apamée, Longév.,20. à la fenêtre, Luc, 45--Traire un bouc
Potabom. rhéteur, Longév.. 23. avec un crible. Démon.,23. Ne pas
POT DE CHAMBRE,y pisser, Gaaés, 4. remuer Camarine,Pseuiol., 32. -Tré-
Potwngs, Rhét,, 24: sor s'en allant en charbons, Zeuxis,
POTIERS, appelé. Proméihées, Tu es un 2; Ment., 32; Nav., 26. –La charrue
Prom.;Q. traîne bœufs. Dial. m., vi, 2.
Podie de Numidie, Gagés, 17; traire 'le Que laleschaussure ne soit pas plus
lait des poules, ibid., 13. grande que le pied, P. Port., 10 –
PRAXIAS, pilote, Dial. court., vu, t. Mettre le cheval dans la plaine, Pich.,
Praxitèle, Songe, 8 Bist., if, Port., 9; Solécist., 8. Chien dans un bain,
4; Jup. trag., 10: Coq, 24; sa Vénus /fluor., 5 ibid., 25. Sortirdu der-
de Cnide, Am., II; son Cupidon de –
rière du chien, Zuc.,56.– Des chouet-
Thespies,Am., u. tes à Athènes, Lettre à Nigr. Tu as
pris la cigale par les ailes, Pseuclol., ne fait rien au propos, Ment., i. – Il
1. – Un clou chasse l'autre, t;aute, 7; est facile de gagner le prix quand on
Apol.. 9; Ment., 9. – Petit cochon1 court seul, P. fort., 15. i,es allaires
d Acharne, Dial. court., m, 3. – Dire
ce qu'on a sur le coeur, Jup. Iraq
) sont bur le tranchant d'un rasoir. Jup.
Irag., 3. Témoin qui dépose d'après
19. – Lacoquilleestrenversée,Apol., tes registres de Jupiter, Gngés, 12. –
.1. –Ne cassons pas la corde en la ten- Les rois Ont beaucoup d'yeux et d'o
danttrop, Dial. court., m. Faire s reilles, Ignor., 23.-Parler en soyihe,
mouvoir toutes les cordes,.4lex.,
è.
-r Cracher dans sa robe, Apol., 57. singe, Dial. court., x, 4. –Un singe est un.
Prédire l'avenir avec un crible, Alex Ignor., malgré 4.
ses ornements d'or
S. – Plus brillant que le cristal de Si- Providence, niée, Jup. conf.
aon Amb., 26. EnsemencerCylla-trag.,ii, 16, s Juv
rabis, Apol.. il. 17, 19,35.
Danser dans l'ob- Proxême, général athénien, Dimosth
scurité, Herm 49. Sois debout en 37. Cf. Charid., t.
Olympie, Pseudol
or àmachine,
la Herm., 86 1 Ment.,
5
29.de– Proxbnidas, Hérod., 4.
Dieu
Ecrire sur l'eau, Trav.,21. – I'iicrde Prusias,
PrytanSe,
de Bithynie, Dial. m., xn, g
Prom., 4; Péclieur, 46.
l'eau dans un mortier, Herm., 79. l'siTTOpooF.s,ffis(.i'er.,I, 35 et suivants
Oncacheraitplutôtcinqéléphantssous PSYI.LOTOXOTES,Hist. eér., l,
l'aisselle qu'un seul mignon, Ignor., Ptéodore, 35 et suive
Î3. Faire d'une mouche un éléphant, Ptolêmée,Dial. m., vil, t.
fils de Lagus, fait voir
Mouche, lin.– Les vieillards redevien- Egypte un chameau de Bactriane et en
nent enfants, Sal. 9. – S'égruaer les un
épaules, Sat., 9. -Blanchirun Éthio- homme de deux couleurs, Tu es un
Prom., 4; il récompense Thespis,
pien, Ignor., 28. L'étiquette vaut joueur de flûte, ibïd.; le
lettres,
mieux que le sac, Démosth., 10.
Ne pas se soucier de ce qui s'est fait – Faute, 10; son âge, Ltmgiv..
ses
DM. m., xm, 3; Coq, 25; Èipp., 2;
il; cf.
avant Euclide, Trais., 6. Le faon a Philadelphe couche avec sa sœur
dévoré le linn, Dial., vin, t. se for- Icarom., ib;Longév., 12; Philopator,
ger une félicité imaginaire, Herm., sa conduite avec Apelle, Délai., 2 et
7I_; Nav., 12. Remonter un fleuve, suivants; Dionysos, ibid.,
Dial. m., vi, 2. Fourmi ou chameau, PUCE, mesurer le saut d'une, Phiiop., te.
Ep., sat., 19. De la fumée dans le 12; Tu en un Prom., 6.
feu, Ménipp" 4. Ceux qui ont la Pygmées, tferro., 5.
gale aiment à se gratter, Double acc., Pycmaliox, épris de la statue de Vénus,
34. – La guerre est la mère de toutes Am., Port., 4.
choses, Hist., 2 Quelle parité entre PYLADE 15; et Oreste, Apport., 22. Voy.
Hercule et un singe? Pécheur, 37. Oreste.
Toucher à un hérisson. Dou&fe acc., PYtos, vieillardde, Port., 13. Voy.
84. – Bippnclide ne s'on soucie Nes-
Apol., 15; Berc, 8; Phiiop., t9pas, Pyiiallis. TOR.

Faire d'un Jour tin jour néfaste, Phi- Pyramides, pourquoi
Dial. court., xn, 1.
construites,Char
iop., 23. Lait des poules, Gagés, 22; inutiles, Deuil, 22; ne font pas
<S. Lion en laisse, Gagés, 30. La d'ombre, Tox., 27.
lioneur coule à mesurequ'on l'épuisé PTBiPHLÉGÉTHO», Deuil, 3; Dial. m xx
de
Berm., 8t.-A la façon Mandrabule, 1; Trac, 28.
Gagés, 61.–
Herm., 21. – Différence de Mandrabule,
deux octa- Pyrrha, Rhèt., 19.
ves, Tu es un Prom., et passim. Lais- Pyrrbias, cuisinier, ifénipp., 15;
ser le corps pourcouriraprèsl'ombre, d'esclaves, Tim., nom
Herm., 69. – Oracles qui ne touchent tique, Sectes, 27. 22; Gages, 23; scep-
ni à la terre ni au ciel, Alex., 54. PYRRHIQUE, danse, Danse, 7 Pécheur,
N'avoir pas le tempsde se gratter l'o- 36.
reille, Double ace., 1 – On tomberait peintre, puis sceptique. Dou-
PYRRHON,
plutôt sur un vaisseau sans y trouver ble acc., 25: Icarom., 25; Sectes, 27.
du bois, qu'on ne jetterait ici les yeux PVRiums, roi d'Êpiro, croit
sans rencontrer un philosophe, Double à Alexandre, Ignor., 21 ceressemhier qu'il de-
ace, 6. – Allons où nos pieds nous mande aux dieux, Faute, tt.
mènent, Herm.. 28. 1- Les pieds la- Pyjhagore, Coq, 4 et suiv. migrations
vés, Rhét., 14; Pseudol., 4. Ne de son âme, ibid., t5 et suivants;
laisser même un pieu, Voyelles, 9.pas doctrine, ses prescriptions. Sectes. 2-6" ra
Après bien du mal, nous en sommes sa formule de salut, Foule, 5; h&te de
au Même point, Herm., 69. Pisser Phalaris, Phal., 1, 10; déteste les fevss,
au pot de chambre, Gagés, 4. Gela Hist. vér., II, 21, 2»; exclu des mys-
tères d'Eleusis, Pseudol.,5 son éloge, générée du temps de I.-icien, Double
Alex.. 4; sun âme, 40; Pythagoriciens ace, 30 et suivants.
amis d'Alexandre le faux prophète, Rhodocharês, Trav IT.
ibid., 25: fils de Mnésarque, Lexip., RHOIXIDAI'IINÊ, Ps"U'JoL, 27.
«9. Cf. Dial. m., xx. 3; Fugit., 9; Riiodopf., femme débauchée, Danse, •i
Philop.. 12; sur les Pythagoriciens, montagne,Danse, 51; Fugit., 25.
Pêcheur,43. Voy. Apollonius, Archy- Rhodes, consacrée au Soleil, Amb., 7;
TAS, AniCtiOTE. F.S1PBDOCLE, MYIA Colosse de, Hist.,«ér I, 18; Jup.
OCELLl'S, PIIILOLAÛS. THËANO. trag., 11 sophiste de Rhodes, Tox.,
Pyihéas,. Démosth., 46, 48; ce qu'il dit 27.
de Démiisthène,ibid., 15. Richesses, Tim., 12 et suivants; com-
PYTHIE, de Delphes, Herm., 10; voy. ment il faut en user, ibid., 16, 17;
Oracles: Apollon Pythien a besoin moeurs des riches, ibid., 23; leur con-
d'interprète. Jup. trag., 28; oracle dition aux enfers, Dial. m., 1, 1; ont
pythien, Danse, 62; Ner., 10; Jeux peine à supporter la mort, Trav., ik;
pythiques, Epigr.. 25; fjnor.,8; prix leurs misères, Cyn., 17, 18; Coq, 15.
de ces jeux, Ânach., 19. 29,31; lui promulguée contre eux dans
Pytho, orateur, Démosth 5. 32 ieune les enfers, Ménipp., 19 et suivants; le
Macédonien, Démon., 15; serpent tué riche n'est rien sans le parasite,
par Apollon, Danse, 38. Paras., 58, 59 état des pauvres meil-
Pytisé, pièce de Cratinus, Long., 25. leur que celui des riches, Coq, 21 et
suivants; riches malades, Nav., 27:
ne sont pas heureux, Salurn.. 26;
Q comment ils évitent l'envie,ibid., 33;
leurs plaintessurlespauvres, Ep. sat.,
37 et suivants richesses cachées,
Quades, Alex., 48. Tint., 13; repoussées, ibid., 38; n'of-
Ûuaternion, grand serment des Pytha- t'rent aucune prise, ibid., 29; Naît.,
goriciens, Faute, s: Sectes, 4.. 26; vices qui les accompagnent,ibid.,
Qointilhjs, .Longé»., l 28; ce qui arrive a ceux que la lortune
exalte.Port.. 21 les richesses vien-
nent aux méchants. ïïm.,25; sat. 3,
R 11; inutiles sans témoins, ibid., 29,
33;rangées parmi les choses indiffé-
rentes, Banquet,36,37 leurs dangers,
lUiFOm, peine des adultères,Perégr., 9. Cijn., 8.
lUsoiu (sur le tranchant du), Jup. trag., Rois, du festin, Sat. 4; misérablecoud:
3. tion desrois, Coq, 24: semblables à
Démon.,33.
HÉGlLi.A, des colosses, ibid. à des acteurs tra-
Uemèdes, ne conviennentpas à tous les giques, ibid. ont nés maux semblables
maux, Déshér., 27 et suivants; de à ceux des particuliers, Char 18; qui
plusieursespèces,Alex., 50. ont vécu longtemps, Longév., IS et
Repestance, Gagés, 42. suivants.
Repos, quand les athlètes en prennent, Rome, descriptionsdes mœurs de Home,

~3.
Bisl. toi- I, 1.
Rhadahantiie,fils de Jupiter, juge des
enfers.
er..B Trae., 43, 18, 22; Vsuil, 7;
dans l'île des Bienheureux,Hist.vér.,
11,6-10.17,23.
Nigr., 15 et suivants salut des Ku-
oraclesFaute,
mains, 13; ilss'empressentaux
d'Alexandre, Alex., 30 et suiv.
Rossignol, Nigr., 3; Alcy-, 8.
Route, la plus fréquentée, et la-plus
Ruëa, femme de Saturne,Dial. D., x, 2; sure, Démon., 22.
aime Attis à la folie, Dial. D., xn; Roxake, peinte par Aétion, Hérod,, 4 et
Sacrif., 5,7": honoréechez les Myydo- suivants; Pori:, 7.
niens, ibid.. 10; danseurs instruits Ruinnus, deÇyprè, Démon., 54.
par Hhéa, Danse, 8 gens possédé» de Rutilla, belle femme, Alex.. 39.
l'esprit de RhJa, Nigr.. 37. Cf. Danse, huTiLLiANiis, gendre o'Atexandrefaux
37; Déesse syr., iS;luc, 39 et sui- prophète, Alex., 4, 80, '31, 33 et sui-
vants, VOy. Cybêle. vants, 48, 57, 60.
Rhété, Char. 23.
HnËTEURS, du temps de Lucien, tthe't., 13
et. suivants, Jup. trag., 32; leurs dé- S
fants, Dial.
Démon.,36.
m. 10. Cf. Paras., 52;
Rhétorique, voies qui conduisent a la S (Sigma), chassée par T (Tau)J6royei-
rhétorique, Rhét., 6 et suivants,; de- les, suivants.
Sàbàzius, jIss. D., 9 j imrom., 27.
Sabikïis,c'est à lui qu'est adressée l'a-
Scipion, Lontjêv.i 12: au-dessus d'An-
nibal, au-dossous'd'Alexandre, Dial.
pologie pour ceux qui sont aux gages m., xii.
des grands. Sciuon, Jup. lrag., 21 Double a.·s., 8
Sacanhaces, Longév. i5. Hist. vér., 11,23-
Sacerdos, Alex 43. ScntOMKNNES (roches),Dial. m., vui, i
Saces, Longév., 4. tx, 1
Sacrifices.' chez les différents peuples, ScoiioiïoauQUES,Hist. vér., I, 13.
Jup. trag.tik; Icarom., 24; pourquoi Sconr-ioss ailés. Dips., 3.
on les fait, Jup. conf., 7 accompa- Scribonius, Longèv., n.
gnés de danse et de musique, Danse, SCULPTURE, éloge de la, Songe, 7,8;
i6 chez les Assyriens, Déesse syr., 49, blàme de la môme, ibid., 9, 13. Voy-
55'. Voy. lé Traité des sacrifices Statuaibks.
SAGE, différence entre un sophiste ett SCYLLA, Danse, kl.
un sage. Hipp., 2. Scythes, leur sévérité, Ânach., il;
SALAMINE, Rhét., 18; ses habitants per- crimes dalls leurs palais, /cor., ta;
dus parun nr.icled'Apollon, Philop.. 5. leur manière de vivre, ibiâ.. 16; ha-
Salétbus sa loi contre les adultères, biles archers, Berm., 33; Tox., 8:
Apol., 4. placent l'amitié au-dessus de tout,
Salif-ns, Danse, 20. ibid., 7; leur constancedans- l'amitié,
Salmonëe, Tiw.,2; Philop:, k; Tra- ibid., 9; inhospitaliers, gioasiers
god., v. 312. ibid., 8; pourquoi ils sacrilient il
SAMOSATE,Hist., 24. OresLe et à Pylade, ibid., t et sui-
Sàmothrace,Deesse syr., 15. vants; leurs guerres incessantes,i'6îd.,
SANDALES d'or de Patare, Dial. court., 36; comment ils font arniiié, ibid.,
XIV. 37;exemples d'amis scythes, ibid.,
Sapphô, Am..Zo;Port 18; Gagés, 36. 39 et suivants; ne recherchent pas
Saudanapale.Jup. trag., 48; UiaL m., l'eléganec des expressions, ibid., 35
11; xx, 2; Jup. conf. t6; Rhel, 11 serment des Scythes, ibid., 38; leurs
Déesse syr.^ ko. dieux, ibid.; Jup. trag., 42; Hnjih.,
Sàudes, Gages, t3. 4; leur guerre contre les Sauromates,
SARDONiQUË(rireit'£uc.7Q<t; Jup. trag Tox., 39; crient Ziris! ibid., ko; leur
16 fidélité entre eux, ibid.. 29; s'asseyent
Saiii-édon, Paras., k6; pluie de sang à sur la peau de bœuf, ibid., 48; ne ré-
sa mort. Hist. ver., I, \i. pandent de vin, ibid., 45; leur
Saturne, Sacnf., 5; Saturn., 5 et sui- manière pts de supplier, ibid., 48; de
vants sa légende est astronomique,1 rassembler des truupes, ibid.; leur
Astrol, 21 ne règne que sept jours guerre contre les Maehlyens, ibid
Saturn. 2; n'a pas dévoré ses enfants. 54; en quoi ils diffèrent des Mains;
n'a pas été détrôné, ibid., 6, 7; heu- ibid., 5i; empoisonnent. leurs flèches,
reux ét&t du temps de Saturne, ibid.. Nigr, 37; sacrifient des hommes a
7 et 20; son règne préférable à celui Diane, Sacrif., t3: se nourrissent de
de Jupiter, Dial. D., x, 2; porte une_ chair humaine,Dial.D., x.vi, i man-
faux, Croiios to, n châtre Uranus, gent les morts, Deuil, 21 pilophores,
ibid., 12; enchaîné, Danse, 37. Cf. octapodes, rendus immortels, Scyth
Dial D., 1, 2; Danse 47, 80. l et suivants; voy. Gktes; lenrs
Satyres, A ss. D., fe; Bacck^ i, k; leurs excursions, Philop., 29 Cf. JVom.,
dansés, Danse, 2'2, 79; leur fontaine k; Dial. m., xn, 5; Longêv., t5;
.dans l'Inde, I;acciL.,6. e. Ass. D., 9; Dial. court., x Philoi>.}
Satyiuon, bouffnti. Jianquet, 19. i7.
7.
Satvkds,fiUdeThéogitun, Ménipp., 16; SECTES ne pas s'attacher à une au
Jup. trag., 4.i. point de mépriser toutes les autres
SAUttt'MATES, Tàx 39, 40. sans examen, Herm., 34; à qui res-
SAVANTS, homeui pour eux de se mettre semblent ceux qui n'agissent point
en servitude, Gh,gés, 4: maladie des ainsi. ibid.
beaux esprits, Hi&t., 2; on leur doit Séleucie, Nav.. 34.
une part double, Cranos., 15-
Scènes.changementsde scènes dans les –
Séleucus, Faute, 10 Coq, 25; Nica-
tor, cède sa femme à son fils-, Déesse
tragédies,Menipp., 16. sy?-, 17, ii; Danse, 58; Icar., 15.
ScHÉRfE, Paras., 11. Skmêi.é, Dial. Dn\x, 2; xvm, i\Danse,
Sciesck, Songe, 9-16 beïle entre toutes 39, 80
choses, Port., 16. SÉuuuans, fonde un temple à Htérano-
SciNTiiAuus, Hist. vér., 33 et suivants lis, Déesss syr.t tk; sa statue, ïbtd*t
II. 1,41. 33.39.
SÉPULTURRS, de différentes espèces Dial. m., xxi; de statuaire se fait
Deuil, 2t vanitédes tombeaux, Char., philosophe, Songe, 12; ce 'qu'en dit
22; sépulture des Galles, Déesse syr., l'oracle Am., 48; comment il aime
Alcibiade, ibid., 49,
52. 54; soldat ti-
Sèkes, vivent trois cents ans, Longëv., mide, Paras., 43; avait fui près de
5 Trav., 21 étoffe sérique, Danse,63. Déliurn, Hist. eeV., Il, 23; louait et
Sëriphe, ses habitants, Dial. m., xn apprenait l'art de danser, Danse, 25
SERPENT, dieu, Alex., t3; serpents de aimait la musique, ibid.; n'approuvait
Libye, Dips., 2; nourris par des fem- pas le mariage, Banq., 39; son pla-
mes, Alex., 6. tane voisin de l'Iiissus, Apport., 4;
Longét., 8.
Servius
Tullius, Am., 3i injustementaccuse, Délat.,
SÉvÉp.iANDs, oracle que lui rend Alexan- 29 un mot de lui, Parât., 19 son
dre, Alex., 27; sa Mort, Hist., 21, 25 apologie, ibid., 56; meurt par le poi-
son oraison funèbre, ibid., 26. son, ibid., 57; dissimulé, Dëm., 6;
Sibylle, oracle inventé de la Sybelle, son entretien avec Chéréphon, Aura.,
Pérégr., 29; Alex., 11. 1 et suivants. CI. Min 18; Hist.
SICILE, partie qui s'en détache, Dial. vér., Il, 17, 19; Démon., 62;
mar ix, 2.
Sicihhis,danse, Danse, 22, 26.
Sictone, /cor., 18; Dial. m., x: 12; xi,
Jup. conj., '6; up.
24; Portr., 17; Hermot., 48.
Ir
Double acc., 5; Péch. et suivants;

2; ses champsfertiles, Nav., 20; ses Solécisme, en plaisir, Nigr., 31; en


t8, ent.,
chaussures, Rhét., 15. danse, Danse, 80; en paroles, voy. le
Sioon, Dial. x.. 2; verre de Sidon, Am., Soléciste.
26 argent. Déesse syr., marchand Soleil, dieu, arrête son char trois jours
de Sidon qui indiqne un chemin court pendant la conception d'Hercule
menant de Babylone en Egypte, Dial.
Rhél., 5.
x; aime Clymène* ibid.,
xii, 1 son char, ses chevaux, ses fils,
Sidoniiis, sophiste, Démon., 14. ibid., 25; ses occupations, Doubla
Sigée, Char., 23. ace, 1 dénonceMars et Vénus, Dial.
Silène, de Lydie, vieillard Ass. D., 4; D., Coq,
Bacch. 4; dansant. /car., 27; sa cité, 17Apport.,329;guérit Orion de sa cé-
son combat,Danse,
fontaine dans l'Inde, Bacch., 6, 7. 42 adore par les Indiens, ibid., 1;;
Sihhichë, Dial. court., tv. paraità chacunêtre de son pays, Pa-
Simon, cnangé son nom en Simonide trie, 6 ses boeufs, Ép. sa* 23 pour-
Coq, 14. quoi les Syriens n en représentent
Simonide, poëte satirique; Pseudol 2; cas l'image,Déesse syr., 34 son trône,
-7- de Céos, range les lettres par or- ibid:; l'éloquence de Démosthène com-
dre, Voyelle», 5; son âge, Longév., parée à son éclat, Démosth i7.
26vCf. P. Portraits, 1». SOLON. fils d'Execestide, Dial. m., xx,
Sibïle, Dial. m., ix pilote, Tox., 4; son entretien avec Crésus, Char.,
19. 10, 12; législateur, Anach., 1.4
Sinatroci.es roi des Parthes Longév., Scythe, 5 et suivants précepteur
15. d'AnacnarsiSv ibid.; son soin le plus
55.
SiNDIANES,
TOX.,
pressant, Anach., 18 sa loi d'écouier
Singes,dansants, Apoi., 5: Pêch., 36; les deux parties, Délai., 8; .son âge,
singe vêtu d'une peau de lion, Ment., longé»., 18. Cf. jCm.,48.
49. vér.,
5 le singe -n'est 4ù'"uh singe, maigre SOMMïiL,2)ia( D.,
x, 2.
ses ornements d'or, lgnor., 4. Songes, leur Ile, Hist., vér., II. ii~ 32-34.
32-3~k.
Siptle, montagne, Portr., 1 Tragod., Cf. iÎarm., 4 PfMmo/r
t9 Philop.,
v, 317. Si.
SIRÈNES, Nigr.; 3; Appart., t9'Dastae, Sophistes, nom glorieux, Rhét., 1 ne
4; ce qoi arrive à ceux qui les écou- pas imiter les mauvais,Lexiph-, 23;
tent, Portr., i4; naissance des Si-. discoursd'un sophiste semblable à un
renés, Danse, 50. labyrinthe, Fagit., 10 leurs défauts,
Sirius, Hist. vér., 1, 16; Sectes, 16. i'6iâ.,I3, il. t9; ressemblent à un
Sisinnbs et ToXAme,leur amitié, Tox., hippocentaure.Fugit., 10.
57 et suivants. Sophocle, son âge, son OEdipe à Colone
Sisyphe. JHen., 14; Tragod., 12; far- Longév.,2k; a chanté Esculape, Dé-
deau de Sisyphe, iVati., 21. mosth., 27. Cf. Banq., 25.
Smyrhe, Voyelles, 9. Sophroh|8QUE, Double aco., 5 et sui-
Socrate, aime les garçons, sa cité ses vants.
lois, sa république,Séctis, 15-18 dit Sopolis, médecin,Lexiph., t8.
qu'il sait qu'il né sait rien, Dial. m., SosiHDiiA, statue de Calamis, l'ortr.,
xx, 4; v; comment prêt à mourir, k, 6 Dial. court., m, 2.
SOSTRATE de Cnide, inscrit son nom Sur, ville d'Asie, Hist., 29.
sur le phare qu'il a construit, Hist.,
Suse, Philop., 28.
62; aétourne le Nil pour prendre SYLLA, Ignor., 4; Zeuxis i.
Memphis, Hipp., 2; son portique à Syllogishes,difiërcntes espèces de syl-
Cnide, Am., u. – de Béotie, appelé logismes, Sectes, 22; Banq.,ï3. Cf.
Hercule par les Grecs, Démon., I Cyniq.,k,s.
voleur, Dial. m., xxx; mauvais Symhique, IYai>22.
homme, Alex.,i – un autre, Banq., Syracuse, Hist 38 tables de Syracuse,
32. Démosth:, 18. 1

Sosyle, maquignon, Coi;. <ig. de


Syrien, Palestine, chassant les dé-
Souhait, divinité,Dial. D., xx, 16. mons. Ment., 16; médecins syriens,
Spatinos, Mède, Icar. Tragod., v,265 agicienne syrienne,
1 5.
SPECTRES, tombereaux de mensonges à Dial. court., iv, 4.
leur sujet, Ment., net suivants de Syrienne (déesse), voy. le traité de ce
gens tués à la guerre, Dial. court., nom: mœurs de ceux qui la promè-
XIII. nent, Luc., 25 et suivants.
Sperchis, voy. Bous. SYRTE (grande), Dips., 6.
SPHACTfeiiE, Faute, 3.
Sphère de roseaux, Nigr., 2.
STAtDAIRES. Voy. ALCAMÉNE, CAI.AMIS,
CRITIAS, dédale, démétrius, HERMO- T
CLÈS, Lïsippe. Myron, Phidias, POLY-
clète, Praxitèle,SCOPAS
Statues, faisant des miracles, Ment., T(Tau), à la place de S(sigma), Voyelles,
19-et suivants; guérissant les fié- 1 et suivants.
vreux, Ats. D., 12; intérieur des sta- TABLE de géométrie, JVi'gr., 2.
tues, Coq, 24; suant, Déesse syr. 10; TABLES de Sicile, Dial. m.,ix; de Sy-
statue de Vénus objet d'une passion racuse, Démosth., 18.
sacrilège,Am., 15; Porf.,4; dressées TALUS de Crète, Ment., tg; Danse, 40;
à des danseurs, Danse, 14; statues re- son tombeau, Péch..ki.
gardant ceux qui tes regardent Tambours, dans les temples, Déesse syr.,
Déesse syr., 32; se promenant deux 50.
fois par an, ibid., 33; de Sémiramiset Tanagre (volaille de ), Coq, 4.
autres dans le temple d'Hiérapolis. Tanaîs, Tox., 39; Dial, m., xn, 5.
ibid., 39, *0. TANTALE, son supplice, Dial. m., xvn;
STENTOR (voix de), Deuil, t5. Am., 53; sa langueindiscrète,Z)an5s,
Stésichoiie, d'Himère, offense Hélène. ik;Char., 15; Mén., 14; Deuil, 8;
Hist. vér., Il, 15 sa palinodie. P. Tim., 18; Tragod., il.
Portr., 15; son &(je, longe»., 26. Taraxion, Hist. vér.. Il, 33.
Sthénobée, Danse, 42; Déesse syr., 23. Tarente (éîoffes dei, Délat., te; Dial.
Stoïciens, Sectes, 20-26 quels, Herm., court., vu, 2;Rhétor., i5;Tarentins,
16, 18, 29, 82; amis d'Alexandre le disciples de Pythagore, Coq, 18;
faux prophète, Alex., 25; ne sont pas Sectes, 6.
dans l'île des Bienheureux,Hist. ver., Tarichanes, Hist. ner. I, 35.
II, 18. Cf. Ptch. 43, 51 Voy. Agatho- TARQUIN LE Supeube, Longin., 3.
CLE, ATBËNODORE,CURYSIPPE, CLÉAN- TARSE, ses habitants rendent des hon-
TBK, DINOMAQUE,DlOGÊNE, ÉPICTÈTE, neurs annuelsà Athénodore, Longév.,
HBTÊMOCLtS, MARCAlIRELE. HUSONIUS, 21 exemptés d'impôts par Auguste
NESTOR, TBESMOTOLIS, TIMOCLES, ibid f
ZgNON. Tartaiie, Mén., |4; Deuil,s.
Stbatonice,femmede Séleucus, chauve, Tauréas, sa palestre à Athènes, Paras.,
louée parles poêtes, P. Porlr., 5; 43.
Danse, 58; aimée de son beau-fils, Chersonèse, Dial.D.m,
TAURIQUE,
Déesse syr., 17, 18; restaurele temple t.
d'Hiérapolis, Déesse syr,, t9; aime Taycetb,Dial. D., xiv, 2; Icar ,11.
Combabus, ibid., 19-26. Tégér, Dial. D., xxii, 3; les Tégéates
STROUBICHBS.JVatl.,10. montrent les dépouilles du sanglier
Strutbias. flatteur, Fugit., 19. de Calvdon, Iqnor., 14.
i'ki.éhi. Sis A:l!i'sse «fie C.irw. m-i
TelësIlla, Jm 2G;Èpigr., 24. Thésaurus* Km. ,30, 40.
Tëllus, Athénien, heureux, Char., 10; TbEsék, filsde Neptune,élève d'Hercule
Hist.,vér., Il, 17. Cyniq., 13, 14 (ils d'Egée, Deu«, 5
TEMPLES, leur orientation, Appart., 6.; son amitié avec Piritlioûs, fox., 10
voy. pour les détails Déesse syr., 3, 10 Danse, 60: Charid., 16; enlève Hé-
etsuivants: 28 et suivants. lène, l'Md.; «iai. x-, xx, 14 C07,
Térée, Déesse syr., 4o; viole ses deux 17 ses exploits, Juft. trag*, 21 ses
sœurs, Gagés, 41. femmes, Hist,, lier., II. 8 en giand-
TÉnÉE, rcideCharnx, Lon.jév., 16. honneur danâ i''l«. tit-s Bienheureux,
Térês, roi des Odryscs, Longèv., 10. ibid.19, 22 sortdu labyrinthe,grâce
TERPSICBORE, Portr.,lk. au fil d'Ariadne, Herm., 47; cequ'il
tekpsion, flatteur, Dialj m., vi serait devenu en cédant,_a la volupté,
Terre, plus petite que la lune, [car., Double ace., 20. Cf. Danse, 20; Dé-
12. mosth.,ia.
TESTAMENTS, ïïfli,, 21 et suivants; Tnr.SHOPHoit'.F.s,Am., W;Dial. amrl.,
Nigr.f 30 et suivants. II, 1,7,4.
Tète, qui chaqueannée vient en nageant Tbesmopous, philosophe, Coq, 10; stoï-
deByblos, Déesse syr., 7. cien, son aventure, Gagés, 33.
Tétbys, nourrice de Junon, Tragod., V. Tbespies, Am.. 11.
94. Tbespis, joueur de flûte Me Ptolémée
Paras., 46; Herm., 28.
Teuceii, I.agus, Tu es. un Promélh., 4; –de
Thalassopotês, Wisr. «p'r I, 42. Thèbes. Ignor., 9.
Tbalés, Bitip., ï; Dial. m., xv, 4; Tiiëssaliens, îàclicp,. Déiiioith.t 39;
son âge, Longév., 18. amateurs de danse, Dœiise, t4; leur
TiiANCYRis,Appart., 18 Pilch., 6. cavalerie renommée, Dial. m., xtv,
TUANATUSIES,Hist. TOr., 11, 22. 2; soi'cièresdeThessalie.Dtaî. court..
TBAItGËLlCS, Eure., 7. IV. Cf..Xuc, 12 et suivants; fables
Tbasé (viu dei. Àm., 27. thessalienn^s,Danse, 52.
TnÉACËNE,philosophe, se tue pour une TBESSALOS1QUE, i«C, 46.
-courtisane,' Trtw., 6; cynique, son Tbétis, appelle Briaree au secours de
discours pour Péiégrinus, Péregr., 4 Jupiter, Dial. X).,xxi,2; Jup. Irag:,
et suivants de fatras, ibid., 36; de 40; mère d'Achille, Dial. mar., xi;
Thase,vainqueurauxjeux olympiques, Dial, D., 1, 2; sauve lianaé, Dial.
Hist., 33;12.
Ass.D., sa statueguéritles fiévreux, mar., x» ses noces, Dial. mav.v.
Cf. Prom.. 2i.
THÉANO, femme d'Anténop, Port., ,19; Tbmouik. esclave égyptien, Rhélor., 24.
de Pythagore, Am., 30; Portr., 18. Tiioas, Tox 6.
Thébaiks, semés, i/enf., 3; Danse, 41 Thoon, Alex., 5.
fables thébaines,Danse, 41 montrant Tbraces, quels, /car, 15; font avec
les ossementsde Geryoïi, Ignor., H. Eumolpe la guerre aux Athéniens,
Thëmis, Jup. trag., 19. Ap.ach., 34; soumis par Bacchus,
Thémistocle, interprétaii'. les. oracles, Diàl* D., xvm; sacrifient à Zamolxis,
.faf). (rog., So, 3o «luninié par Jup. trag., 42; chevaux de Thrace
Aristide, Délat., 27 suspect de. trahi- d.oin'ptés par Hercule, ibid. ,21 fables
son, ibià., 29. Cf. Démnsth.3T. -de,Thraee, Dapse, si mines de hra-
THf'ODOTAS, conspire contre Ptolémée, ce, Sacrif., il.
Délai;.ï; de Rhodes. Zeuxis, 9. TbrAsdn, Dial. cour(.,xn, t.
si;
'Ibeocnis, Gagés, 5; Apol., 10; Danse, Tbrasyclès de Corinlhe, Dial. m., xi,
Tdéomnfste. Àm., 2.
2; philosopheflatteur, Tim., 54.
Tbdcrite, Dial, m., vi.
THÉ"», WlS(.,35.' Thucydide, ses œuvres copiées hu 1

tbéoi'uraste. Dém'islh., t2. fois par Démosthène, Ignor., k:ma\


Thëdpomi'e, -Bitt., 69; Pseudol., 29; vais imitateur de cet histurien, Hist
Long/»., 10. 15 ;soil;éloge,Hist.. 26, 38, 39, 4'.
Théùxenb, Seyth. 8. 49. 54,. 57; cité £p. à Nigr.; Vo-
Tbêraîiene, rhéteur, surnommé leCo- yelles, 9 Hist., 5:::Atex.,8 D<ttM.
thurne, .4m., 50. 26: Paras., 48; Nav.. 3.
Théricles, potier, Lexiph., 7. Thyeste, Danse, 43, 67,' 80; .Sa/ 6;
Thei'.mavsti'.is, danse, Danse, 3t. mange. ses enfants, Savrif., 5: Gagés,
Tbékon, Épigr., 2. 41 dispute le troue à Atrée, Astral.,
Theusagoiias, Démoslh; l ensuivants. 12; t'a brebis d'ur, ibid.
Thehsite, Di'a/. m., xxv lâche. Hist., TnvNsocÉriiALES flist. ter., I, 35 et
14. Cf. Cftor. 22: ttén., 15; De'md». suivants.
st Ignor.. 1 Mis/, ter H, 20. TioÉRR. précepteurde, Longév., 21.
Tieien, nom d'esclave,Tim., 22; Coq, consacrentleurs cheveux à Hippolyte,
29; Gagés, 25 J/en! 30. Déessesyr., 60.
Tigrane, roi d'Arménie,Longév., 15. TRIANGLE, sa signification, Faute, 5.
Tigrapatès, roi des I.aziens, l'ox., 44. TR1BALLES, DéfliOSth. 34.
T;LLïBor.us, brigand,Alex., 2. Tricaranus,livre de Théopompe, Pseu-
Timaeqde, Pscudol.;ses surnoms. ibid.,
37; discours d'Eschine contre Timar-
que, Apol.,1.
lisez
dol., 29; errat aà la note i, au lieu de
Fug., 32
Tçtxàp&voç. Cerbère,
etpassim.
Timée} Longév., 10; de Tauroniétilum,
0; de Tauromenium Tricca, ville de Thessalie,.dîea: H.
t.
ibii., 22. Tkiéphon. Voy. Phil'jiatris
Timoclès, stoïcien, Jup. trag., 4 et sui- Thiobole, salaire des juges, De'mosth,,
3*6 Double ace
vants. 1 5•
Timoçrate d'Hcradée. Démosih.,3; – Triphallès, Fugit., 32.
ennemi d'Alexandrele faux prophète, Triptolème, enlevé dans les airs, Songe,
Alex., 57. Cf. Danse, 69 – d'Agri- 15; Danse, 40; Menl.,3.
gente, Phal., i, 9. TRITONOMANBÉTES.Hist. OTC, I, 35 et
Timon, tils d'Echécratide, du bourg de suivants.
Colytle, voy. le dialogue de ce nom; Tritons, serviteurs de Neptune, Dial.
portier dans file des Impies, Hist. mar., vi x, 2; Xtv, xv; Tim., 54.
vér.,U,3i. TROADE, Dial. mar., ix, 1.
Timothée, de Thèbes, muficien fameux, Troie, prise par Hercule, Coq, 17; guerre
Harm., i ses conseils à Harmonide, de Troie. Charid., 18; orateurs troyens,
ibid., 2; ses flûtes, Ignor., 5;– un Herc., 4.
autre, musicien, Herm.,i. t. TROMPERIE (temple.dela), Hist. vér., Il,
Tirësias, devin de Béoti«, Mén., 6; 33.
Dial. court., v, 4; Dial, court., Trophonius, Diul. m., m; ifén.,22;
xxvm;4»iro(.,u;Danse, Ass. D., 12.
57; Ulysse
va le trouver aux Enfers, Astral.. 24; TYANE, voy. Apollonius.
vit six générations,Longev..2; aime Tyndaue Danse, 45.
mieux être femme que homme. Am., Tyii, Dial. m xu, 5 Déesse syr., 5; se
27; la meilleurevie selon \u\,ltfén., 21. soulève contre Plolërnée, Délat., 2.
Tiribate, Dial. court., ix, 2.. TYRANS, qui appelle-t-onainsi, Phat t,
Tisias, Pseudol., 30. 7; leur triste condition, Trao., 8 et
TisipnoNE, Trav., 23. suivants. Cf. Tyrannicide.
Titans, Jup. trag.,Z; Danse. ïi, 37, Tyro, Dial, m.xym. i Philap.. 6
79; soleil un des Titans, Dial. x,xxv, amante de l'Ênipëe, Dial, mar.<xin;
1 Saturne, le meilleur des Titans honneur que lui accorde Neptune,
Sat., 5; masque de Titan, HUt., 22. Hist. vér., II. 3.
Hist., 21. Tykoessa, lie, Hist. vér.. If, 25.
Titanics,au lieu de Titianus,Herm.,
Tithon. Dial. m., vil, 1; 50 Tyrrheniens vaincus par Bacchus,
Ass. D., 8. Danse, 22.
TlTpHMUS,Hist,, 34.
-Tityus, Dial. m., xxx, i;men ,i4;
Danse, 38; Rhétor., 13.
TMOLUs.Dioi.
Tomyris, Char.,
D.,xviii; Tragod., Y,34. U
13.
i Tonneau rouler son tonneau sur le
[ Cianium, Hist.. 63; des Danaïdes,
t Herm.. 61 Cf Danaïdes. ULYSSE, sa prudence, Tim., 23; Dial.
Tortue, Dial. D., vit, 4. m., tx, 4 sa folie teinte. Danse, 46
^Ïoxaris. Scythe venu à Athènes, Scyth., Apport., 30; aveugle i'olyphème
i- 1,2; Tox., 57. de danse, Dame, Dial. m., n dispute à Ajax les armes
i Tragédie,a son genre d'Achille, Dial. m., xxix; pourquoiil
'•' 26 quel spectacle elle offre, ibid., 27, descendaux Enfers. Aslr., 24; séduit
28;soléei8n)eeiuragëdie,*(>îd.:quand par le lotos, Danse, 4; bouche les
on a cessé d'en écrire, Démosth. 27 oreilles de ses compagnons,Char.,
sur les tragédies, voy. Anach., 23; 21; tend des pièges à Pslaœède,
Délai 28 ;meurtdelagoutte,Tragai.,
Coq, 26; faute des acteurs tragiques
ou comiques, Nigr., t, il, t4; Dieu y. 262, sa lettre à, Culypso, Hist. ver.,
delà machine tragique, Herm., 86; 11,29. 35. Cf. ibii., 15, 20,22; Nigr.,
mauvais acteur tragique fouetté, Pé- 19; Deuil, 5; Paras., 10.
I cheur, 33. Voy v Archélaus,Aristo- Uranie. Voy. Vénus.
DÊHE, POLUS, SATYRUS. URASus.Sacri'5 Dame, 37 Cronos.,
Tkézêne, Jup. trag., 21 les habitants 12.
Usure, convient au sage, Sectes, 23 in- pas de
16; pas
18; vietranquille,
de vie Coq, 271
tranquille,,Coq, 27~
térêt de quatre drachmes par mois, n'est digne ni de crainte ni d'espoir."
Bunq., 32. Démon. 20; ilfaut en considérerla
fin, Herm., 4; Char., 10; est courte,
mais fart est long, Herm., i les Par
ques la donnent courte aux hommes,
V Char., 13 laquelleest meilleure d'un
homme ou d'une femme, Dial. m.,
xxvm chère même aux malheureux,
v'Ar.iÉT* des mets. Cyn., 5, e.
Minipif., 2 fragilité de la vie, Nav.,
20; inégalitéde la vie comparée à une
VENT, dien des Scythes, 'Fox., 38. paire de chaussuresinégales,L]>. sat.,
Vénus, d'où elle est née, Tragod., v. 87 to; où vont ceux qui ont vécu, Deuil, g.
aima Auchise et Adonis, Dial D., xi, Vin, son effet, Nigr., 5; inventé par
i; Mars, ibid., xv; xn, 2; épouse de Uacchus, Dial. 17., xvin, 2; parfumé,
Vulcain, ibii., xv; prisedans les Blets Ép. sat., 22.
avec Mars, ibid., 17 explication astro- Vindex, se révolta contre Néron, Nér., 5.i
nomique de cette légende, Aslrol., 22; Voeux divers des hommes, /carom., 25;
ses fils Cupidon Hermaphrodite folie des voeux, Sacrif., i;Nav., i3et
Priape,Dial. D., xxiii, i; dispute à suivants. Cf. Herm., 71.
Minerve et à Junonle prixde la beauté, Vologèse, Hist., 14, 19, 31.
Dial. D.,xx; Dial. mar., v; sa cein- Volupté, degrés de la volapté,Am., 53.
ture, ibid., iû; ses iils l'Amour et le esclavage où elle réduit, Gagés, 7 les
Désir, ibii., 15 promet Hélène à Paris, riches en sont esclaves, Ct/u.. n
ibid.; rajeunit i'haon, Dial. m., ix, 2 Voyelles, occupent le premier rang
qui elle déteste, Am., 2; son culteà parmi les lettres, Voyelles, 5.
Pnphos, Sacrif., 10; accompagne Ju- Vulcaix, sa naissance, sacrif.,6; où est
piterenlevant Europe, Dial. mar. xv son atclier, ibid., 8; échanson de
statue de Vénus de Cnide, faite de Jupiter, Dial. D., v, 2; son portrait,
marbredu Pentélique, Jttp. Irag., io; ibid., 4; ses travaux et ses femmes,
anivre de Praxitèle,P. Port., 23; Am ibid., îs; ses filets, ibid.; fend la tète
Ilinspire amour sacrilège,Port., de Jupiter, s'éprend de Minerve, ibid.,
i: Am., 15, un16; sa description, ibid.. 8; pont courant après Minerve, Ap-
13, 14; Port., 6; Vénus Uranie des pari., 27; à l.emnos, ibid. 29; sa
Jardins, œuvre d'Alcamène Port », dispute avec Minerve et Neptune,
G Dial. court.,v vil, 1 Déesse syr., Herm., 20 précipité du ciel, Char., t
32 Venus d'or, Charid.,il P. Port., Jvp. cotif., t; cloue Proméiliée sur
24; Jup. trag., io; Coliade et Géné- le Caucase, Prom., i; ses tenailles
tyllis, Am. 42; l'andème, ou popu- volées par Mercure, Dial. D., vu, 2;
laire, et Uranie, Déesse syr., 32; l'sm- brûle le Xanthe, Dial. mar., xi prend
dol., 1 1 Ithét., 25 de Byblos, Déesse Mars et Vénus, Dial. D: xvu. voy.
syr., 6; du mont Liban, Déesse syr., 9. Mars. Cf. Dial. D:, xvi; Jup. co»/8;
Cf. Danse, 37 Am., 5; Charid., 10. Danse, 99.
Vérité, Pécheur, 16 mépriséede Cré-
sus. Char., 1et suivants ibid., il. 1.
Vertu, Anach., 21; Port., 1 imparfaite
dans les femmes, Am. 5ï îuuubiô X
même dans les étrangers, Toi., 5;
routes qui y conduisent. Herm., 25,
27, 28. Cf. Nigr.. 27; Dêmoslh., 32.
V ers, récités dans un banquet, Banquet, Xanthe, fleuve, brûlé par Vulcairi,Dial.
17 mauvais épithalame,ibid., kl. Cf. mar., xi.
Tim., 1. Xanthippe, femme de Socrate, Alcy., 8.
Vêtements moelleuxdesriches,£p.sat., XANTIIUS, cheval d'Achille, Coq. 2.
26; ceux des pauvres semblablesà un XSnockate, disciple de Wuion, Longée.,
trible,ii)iii.,2k; splendidesne servent 20; son livre del'immortalilé de l'ame,
A rien, Cyn., 7; longue robe des tra- Démoêth., M.
giques,ibid., 16. Xénophane, IiIs de Dexinus, Longév., 20.
Victimes,Sacrif., 12 et suivants. XÉNOPHiLE, musicien, longée, 18.
i'ie humaine lisible, /enrom. ,»; res- Xênophon, fils de Gryllus, longév., 21
semble à un chœur, ibid., 17; a une pourquol il a racontéson songe, Songe,
fourmilière, ibid. 16; à des bulles 17; historien véridique,Hist., 39. cf.
d'e»n, Char., ta; à des feuilles,ibid.; ibid., 2, 23; Unme, 25; affranchi de
à uue pompe el à une scène, jfénipp., Lucien, Aie r., 56,
XEr.xïcs, Dial. m., xx, 2; RM! 18; Zènodotë, grammairien, Bill, vir., II,
B l)émostn.,îi. 20; fouette l'imaged'Homère, P. Port.,
I Sois, fl/iel.,24. 24.
ZÉNOK, stoïcien, sa mort, Longée., t9;
jamais soldat, Paras., 43 Banquet,
30 et suivants; flls d'Aristéncic,Ban-
Y quet, 5, 6.
ZÉNOTMUNTE, parasite, Dial. m., 7.
ZÉNOTUÉBUs,stoïcien, Banquet,6 et sui-
vants; antre, son amitio avec Mcné-
Yi ux, plus fidèles quelcs oreilles. Danse,
crate, Tox., 24 et suivants.
78; quand ils voient le plus clair, Zéphyue, épris d'Hyacinthe, Dial. D.,
Port., 12; plusieurs voient mieux Xtv. Cf. Dial. m<ir.,»n,x? Uisi.vér.,
qu'un, ibid., ik. Il, 12; Dame, 45.
Zeuxis, peintre, Port., 3; ses tableaux

I
représentantTriton et P.orco Jïm.,
z 54 son originalité et son tableau de
l'Hippocentaure, Zeux., 3 et suivants.
Ziris, cri à&> Scythes, Tox., 40.
Zodiaque, Hitt. nér., I, v8
Szacy.ntiie, Tox., 19, 21- Zopvr-B, Jup. ira g. 53; pédagogue,
Zaholxis, dieu des Scythes, Scytlte, 1, Banquet. 26.
H 4; 7»J). ^rao.. 42; Ass. D.t 9; dans Zopymon, Gaflia. 23.
S nicdo*Bicnnfureax,fli»l.«<r.,II, il. ZOROASTRE,Ménipp., 6 et suivants.

»IN DE LA TABLE ANALYTIQHK.


TABLE DES MATIÈRES

CONTENUES DANS LE SECOND VOLUME/

e 3CRXIX. Les
¡;'XI,.
Portraits.
l'Amitié.
PourtesPortraits. Pages t
13

~XLU.LuciusourAne.
XLI. Toxaris ou 25
54
'XL!
Jupitertragique.
Jupiter confondu 81
";XUv'.
&LV.
VI.
~XLYII.. La
aérien.
Le Songe ou le Coq
Icaroménippe te
Jugements.
Double accusation
ou

art.
ou les
Voyage
89
114
134
151

~L.
L~
LII.
1.
SUÍ'\le1)euil.
g'XLVIII. Le Parasite, ou que le métier de parasite est un
SXLIX. Anacharsis ou les Gymnases..

Lerhétorique:
t'Incréduie.
Maître.de
Le Menteur d'inclination ou
172
196
216
222
235
le
.261
Hippias ou
y'1.111.
PréfaceouBacchus.258
Hercule.
Bain 254
LIV.
LV.
LVI.
LVII.
LVIII.
Cygnes.
Préface ou

ËtogedetaMouche.
De l'Ambre ou des

bibliomane.
Contre un ignorant
264
267

délation. 271

patrie.
appartement.
LIX. Qu'il ne faut pas croire légèrement à la 284
LX. Timarque. 295
Le Pseudologiste ou sur le mot 'A1rocppâ..contre
LXI. Sur un
'LXII. Exemplesdetongévité. 308
319

Hésiode.
LXIII. Eloôe dela

Souhaits.
326

Thaïs.
LX1V. Des Dipsades 330
LXV. Discussion avec 333

Dlàlogues Courtisanes.
mère.
LXVI. Le Navire oules 336
des 355
1. Glycère et 355
2. Myrtium, Pamphile et Doris 356
3. Philinna et sa 358
4. Mélitta et Bacchis 359

6. CrobyléetCorinne.
5. Clonariuin et Lééiia 362
363
7.
'8. Ampélis etChrysis.
Musartùmetsamere.
Pciémon.
9. Dorcas, Pannychis, Philostrate,
Pages 385
3Rt
369,
10. Chèlidonium et Drosé.
n.TryphentetCharmide. 371

Myrtale.
373

Hymms.
et Lysias.
12. loessa, pythias
13. Léontic/Jus, Chénidas
14. Dorion ét
et
375'
378
381
t5.Coch[isetPartMnis.382
LXVIII,
LXIX.
LXX. 1.

LXXI.
ttHnMTtdePérégrinus.
Saturnales.
Sur
Les Fugitifs

satarnales.
2. CrQnosolon

Lapithes.
3. Epîtres
LeBanquetou tes
.1 1. 384
398'
410
414
4t8
427
G LX!CIT.
Ët~edeDémosthène.
desDieuï. 461
Sur la déesse syrienne 442
1,XXIII.
LXXIV.
LXXV.
L'assemblée
Le Cynique.487
Soteciste.
beauté.505,;
Le Pseudosophiste ou le
481=

l'isthine.
LXXVI. 49&"
o LXXVII. Charidémus ou De la
s'instruit.
Û LXXVIU. N€aon ou te percement de 51$

l'h9mm~¡¡I~ec~
,p *LXXIX. Phitopatris ou l'homme qui 520;
La Tragodopodagra..
LXXX.
Epigramates.546t
Lxxxi,. Ocype, ou
LXXXII.
,5:¡f1.f
64)

FIS DK LA TABLE DES MATlàKBfc


1207-12. – Coulommiers. Imp. PAUL BRODARD. P9-12.
R A P P 0 R T

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NATIONALE

CHÂTEAU
de
SABLÉ

1982

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