Albenque, A - Note Sur Les Dialonke Au Senegal 1967
Albenque, A - Note Sur Les Dialonke Au Senegal 1967
Albenque, A - Note Sur Les Dialonke Au Senegal 1967
Albenque
Albenque A. Note sur les Dialonké au Sénégal (département de Kédougou). In: Cahiers du Centre de recherches
anthropologiques, XII° Série, tome 2 fascicule 1-2, 1967. pp. 149-169.
doi : 10.3406/bmsap.1967.1509
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/bmsap_1297-7810_1967_sup_2_1_1509
Abstract
Summary. In May 1965, a short visit to the village of Secreta gave the opportunity to get in touch for the
first time with the Dialonké of Senegal. The dialonké villages are located in the far South-east of the
Departement de Kédougou and belong to a group displayed across the Senegalese border, in Mali and
Guinea. Their language is akin to Soussou. They settled in this area fifty years ago, coming from the
guinean villages of Ouyoukha, Dombya and Dyoulabaya. References to these original villages account
for some features of the present organization. Men who were circumcised simultaneously form an age-
group. Each age- set gathers three age-groups and has its own rights and obligations. The Dialonke live
mainly on farming ; they raise a few animals, mostly sheep, and some cattle and goats. They grow
cotton and weaving is a male activity. There are casts of blacksmiths (whose wives are pottery-makers)
and of professional bards. Conversions to Islam have been more and more frequent during the past ten
years.
Résumé
Résumé. En mai 1965, un bref séjour dans le village de Sécréta a permis de prendre un premier
contact avec les Dialonké du Sénégal. Les villages dialonké sont situés à l'extrême sud-est du
département de Kédougou et font partie d'un groupe ethnique s'étendant au delà des frontières du
Sénégal, au Mali et en Guinée. Ils parlent une langue parente du soussou. Leur installation dans cette
région date d'une cinquantaine d'années et s'est faite à partir de villages refuges situés en Guinée
(Ouyoukha, Dombya et Dyoulabaya). On retrouve l'influence de ces villages origine et des migrations
dans l'attribution des chefferies des villages qui forment des groupes. A l'intérieur de ces groupes, les
hommes sont organisés en classes d'âges rassemblant chacune trois promotions successives de
circoncis. Elles ont des fonctions sociales particulières. La principale activité des Dialonké est
l'agriculture ; ils possèdent peu de bétail, des moutons surtout, et quelques bovins et chèvres. Les
hommes tissent le coton qu'ils cultivent. Les castes sont celles des forgerons (dont les femmes sont
potières) et des griots. Depuis une dizaine d'années, cette population est en voie d'islamisation.
Extrait des Cahiers du Centre de Recherches Anthropologiques, n° 7.
In : Bull, et Mém. de la Soc. ďAnthr. de Paris,
t. 2, XII* série, 1967, pp. 149 à 169.
(Département de Kédougou)
PAR
A. ALBENQUE
Les renseignements qui figurent dans ces notes ont été recueillis en mai
1965 au cours d'un séjour de cinq jours dans le de" village de Sécréta. Ils se rap
portent, sauf mention spéciale, à la population ce village et de ses voisins
immédiats : Sodioré, Timbéry, Toumanéa, Marougou et Donkéta.
Mes principaux informateurs ont été Sabourou Kamara-39 (1), de Sécréta,
pour les faits se rapportant à l'histoire et au passé en général et Sana Kamara-
73 (1), de Timbéry, pour ce qui touche à l'organisation actuelle de la société.
Le but de mon séjour chez les Dialonké n'était pas une description de la
société mais une partie de l'étude sur l'importance sociale et économique de
l'élevage entreprise dans plusieurs ethnies du département. Ces notes ne
représentent donc que ce qui m'a été dit spontanément sur l'histoire et l'o
rganisation dialonké et ce qu'il était nécessaire que je comprenne pour situer
l'élevage dans un milieu encore inconnu. Ceci explique qu'on ne se trouve pas
en présence d'une description systématique et complète de la société dialonké
mais de quelques informations dispersées et fragmentaires dont la présen
tation manque fort d'homogénéité.
Je dois enfin préciser que tout ce qui suit est dû, presque en totalité, à la
seule information et a été recueilli au cours d'un très bref séjour. Plutôt que
comme des affirmations il convient donc de considérer ces notes comme des
suppositions dont la vérification est nécessaire, la précision et la révision pro
bables au cours d'études ultérieures auxquelles elles peuvent servir d'intro
duction.
L'habitat des Dialonké (4) le plus anciennement connu par eux se situe dans
le Fouta Djalon, région de Labé. Fuyant la guerre faite par les Peul, Manga
—(1) Une
Moyens
route
d'accès
dessert
dansles
les villages
villages dialonké
de Fongolimbi,
du SénégalSodioré,
en 1965 Sécréta,
: Toumanéa, Timbéry et
Marougou.
De Kédougou à Fongolimbi : 42 km. — 2 heures environ.
De Fongolimbi à Marougou : 16 km. — 40 minutes environ.
— Pour les villages de Wallan, Kounsoy et Bamboya, prendre la route à droite entre Lesfalo et
Sinthiourou. Il y aurait une possibilité d'atteindre Bamboya à travers la brousse, sans monter sur le
plateau, à partir de Vélingara.
— Pour les villages de Sékhoto et Kobokoto, prendre la route à gauche après Vélingara, longeant
le pied de la montagne. Passer par Bamboya (peul) et Sakouya (peul). Possibilité d'aller jusqu'à
Toubakouta (diakhanké) et Missira (diakhanké).
— Pour atteindre les autre» villages, situés sur la rive droite du Koylakabé, à l'est du département,
il est nécessaire de passer par Samékouta, Bembou, Saraya, Nafadji et Saroudia. De Saroudia une
route va jusqu'à Guémédié par Madina Bafé et Noumoufoukha et une autre, vers le sud-ouest, des
sert Sakhouya, Wamba, Kénendé, Dindiary et Moulounga.
De Kédougou à Saroudia : 110 km. — 5 heures environ.
(2) C'est dans cette région qu'on peut noter les plus fortes altitudes du Sénégal : 600 m au sud de
Fongolimbi, sur la frontière guinéenne.
(3) A la fin d'un mot, -na marque le singulier et -ne le pluriel.
(4) La population appelée dialonké dont il sera question ici est celle du Sangala.
152 - société. d'anthropologie de paris
Tanou Kamara-3 (1) est venu s'installer dans les montagnes sur la rive droite
de la Gambie où il fonde le village de Ouyoukha. Le nom de ce village a été
formé sur le nom de Ouya-4, captif de Tanou, car le nom d'un homme non
captif ne saurait être appliqué à un village. Ouyoukha, comme village le plus
ancien et le plus important, joua le rôle de capitale pour une partie de cette
petite région qui porte le nom de Sangala et s'étend au nord jusqu'au rebord
du plateau qui domine Vélingara (environ 12°30' N). Au delà, la plaine porte
le nom de Dantilia.
D'autres familles.djalqnfcé sont venues rej oindre Tanou à Ouyoukha, dont son
frère Manga Kasa Kamara-2 qui lui succéda comme chef du village.
Parallèlement, d'autres familles dialonké ont fui la région peu sûre du
Fouta pour se réfugier sur la rive droite de la Gambie. Ainsi ont été créés
Dioulabaya par les Niakhaso et Dombya par les Keita.
Les Peul ont ensuite porté la guerre jusque dans cette région. Ouyoukha
est devenu un solide village fortifié qui n'a jamais pu être pris par ses assaillants
dont les principaux furent : Tégényé, un Peul du Fouta, Tamba Bakari, un
Dialonké de Toumba (?) en Guinée et Alfa Gasouma, frère de même père
d'Alfa Yaya, que ce dernier tua par la suite.
Au moment de l'arrivée des Européens les Dialonké étaient encore à
Ouyoukha. Au temps de l'Almami Samori, le village a encore été attaqué mais
a résisté victorieusement et les assaillants ont été surpris par les Européens
commandés ?par,-un lieutenant (2) venant de Khaso au Mali (?) pour attaquer
Samori. Cette intervention marque la fin de la guerre et le Sangala passe sous
la protection du lieutenant. Peu à peu, la sécurité revenant, Ouyoukha est
abandonné et les Dialonké se dispersent.
Cette époque, assez récente, puisque des hommes encore vivants ont habité
Ouyoukha, a laissé des traces visibles dans l'organisation actuelle des villages
en groupes distincts et dans l'attribution des chefferies de villages (fig. 1).
(1 ) Les numéros suivant un nom de personnage permettent de le situer sur le croquis généalogique
de la famille Kamara de Ouyoukha, Boloya et Kasaya (fig. 2).
(2) Son nom n'a pas été retenu par les quelques personnes que j'ai interrogées.
A.' ALBENQUE. NOTE SUR LES DIALONKE AU SENEGAL 153
I 1
154 SOCIETE D ANTHROPOLOGIE DE PARIS
(1) Le chef dialonké de Moulounga est appelé Danfakha qui est l'équivalent malinké de Niakhaso.
Il existe d'autres correspondances entre les noms malinké et les noms dialonké : ainsi le nom niokho-
lonké Sadiakho correspond à Kamara chez les Dialonké.
(2) Je n'ai pas pu situer exactement ce village. La localisation donnée sur la carte est douteuse.
A. ALBENQUE. NOTE SUR LES DIALONKÉ AU SÉNÉGAL 155
1. Kamara Boloya )
chefs
2. Kamara Kasaya )
3. Niakhaso, Keita, Samoura nomment les chefs et arbitrent les conflits
4. Kondyira aucun pouvoir (derniers arrivés)
5. Danyokho, Touré, Sousokho castes des forgerons et griots
(1) Un de mes informateurs, Sabourou Kamara Kasaya-39, de Sécréta, un des hommes les plus
vieux de la région, est l'arrière-petit-fils de Manga Kasa-2 ; il est un des rares survivants des derniers
habitants de Ouyoukha et a participé à la migration vers le nord, lorsque les Dialonké ont aban
donné leur refuge fortifié. (Une lettre de Sana Kamara-73 m'annonça la mort de Sabourou en juillet
1966).
A. ALBENQUE. NOTE SUR LES DIALONKÉ AU SÉNÉGAL 157
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158 SOCIETE D ANTHROPOLOGIE DE PARIS
Les deux premières générations (1) (n° 2 et 3 sur le croquis) et une partie de
la troisième (n° 4) sont restées, à Ouyoukha. A partir de cette génération com
mencent les déplacements vers le, nord et le titre de Manga n'est plus porté
régulièrement.
D'après les lieux de décès connus et les villages où ont habité des hommes
encore vivants, Foulaya, en Guinée, semble avoir été une étape importante
dans les déplacements des Kamara de Ouyoukha.
Depuis 15 à 20 ans nombreux sont les Dialonké qui vont travailler dans les
villes du Sénégal, soit temporairement pendant la saison sèche, soit pour de
longues périodes. Ce phénomène peut s'observer chez les Kamara dont il est
question ici.
V. — La famille.
Il n'existe pas de mot dialonké pour désigner les grandes sections : Kamara,
Keita, Niakhaso, etc.. bien qu'on emploie quelquefois le mot khabila-na qui a
cependant un sens plus restreint. Le khabila-na désigne les différentes bran
ches à l'intérieur d'une section. Cette branche porte parfois un nom particul
ier comme les Kasaya ou les Boloya, du nom de leur ancêtre, ou bien les Ka
mara de Bourya qui sont dits Yambatounni, du nom d'une montagne. Le plus
généralement, on désigne le khabila-na par le nom de la section suivi du nom
du village d'origine : les Niakhaso de Ouyoukha, les Niakhaso de Bourya, les
Kondyira de Morya, les Keita de Solya, etc..
A l'origine le khabila-na est une unité exogamique mais son extension,
après plusieurs générations, provoque sa division et permet les mariages à
l'intérieur du khabila-na originel (cf. § IV, l'exemple des Kasaya et des Boloya).
C'est à partir de la division de la société en khabila-na que se sont organisés les
groupes de villages, les chefferies et les commandements des groupes d'âges.
L'ensemble des habitants d'une concession familiale, c'est-à-dire générale
ment un homme, sa (ou ses) femme(s), ses enfants et éventuellement leurs
femmes et leurs enfants, peut porter deux noms qui sont synonymes : dimbaya-
na (qui est au singulier) ou bengu-ne (nom collectif toujours employé au plur
iel). L'endroit où vit un dimbaya-na, l'ensemble des cases, la cour, les dépen
dances est appelé lande-па qu'on traduit couramment par « carré ». Le chef de
carré est appelé tandeka-na. Au pluriel, tandeka-ne, désignant l'ensemble des
chefs de carré du village, est souvent traduit par «l'assemblée du village » [à
la tête de laquelle est le chef du village : ta manga-na (2)], «les notables » ou
même « les vieux », bien que le vieil homme, au sens propre, se dise khene
fori-na.
(1) Les hommes de ces deux générations ont tous porté le titre de Manga.
(2) Depuis qu'ils sont en contact avec les Malinké, les Dialonké ont tendance à utiliser un autre
mot emprunté à la langue malinké et légèrement transformé : dugu ligi-na.
160 société d'anthropologie de paris
Certaines personnes qui ne sont pas des parents directs du chef de carré
peuvent vivre chez lui et faire partie de son dimbaya-na. Par exemple, dans
le carré de Kallé Kamara, de Sécréta, habite Talaota Kondyira : à la mort de
son père, trop jeune pour rester seul, il est venu chez Kallé car le père de ce
dernier et la mère de Talaota ont le même père. Ce parent éloigné qui vit dans
une autre maison que la sienne propre ou celle de son père est appelé : sanado-
kho-na, littéralement : « celui qui est venu à côté ».
Il n'y a pas de noms propres pour désigner les divisions à l'intérieur du
dimbaya-na. On peut distinguer cependant la (ou les) femme (s) et les enfants
de chacun des hommes du dimbaya-na en disant Amadouya-ne : « ceux de
Amadou », ou Madiya-ne : « ceux de Madi », par exemple.
Il n'y a pas de mot non plus pour le couple ; on dit seulement : Momo enu
akha gine, c'est-à-dire : « Momo avec sa femme ».
Quand une femme se marie, elle quitte le dimbaya-na de son père pour en
trer dans celui de son mari (ou du père de son mari). En réalité, elle vient habi
terdans le carré de son futur mari dès qu'elle a été excisée (vers 15-17 ans)
bien que ce dernier n'ait pas toujours fini de payer la dot et de distribuer les
divers cadeaux dus à la famille de sa femme ; car il faut longtemps pour s'ac
quitter de tout. La dot consiste principalement en argent, bétail (surtout des
moutons, mais aussi des vaches et des chèvres) et bandes de coton. Il est fr
équent de donner des arachides à la mère de la future femme si elle manque de
semence.
En principe, on ne donne pas à un enfant le nom de son père ou de sa mère ;
il y a une préférence pour le nom du père de son père lorsque c'est un garçon
et pour le nom de la mère de son père lorsque c'est une fille. On donne souvent
aux enfants le nom du jour de la semaine où ils sont nés. Dans ce cas, le pré
fixe sa- indique le masculin.
Exemple :
L'entrée des hommes dans la vie sociale est marquée par la circoncision qui
a lieu tous les ans. Avant d'être circoncis, les garçons portent le nom de
A. ALBENQUE. NOTE SUR LES DIALONKE AU SENEGAL 161
bilakoro-ne, mais ils ne forment pas une classe organisée avec des obligations
bien définies.
A partir de la circoncision, les hommes de la société dialonké se répartissent
en un certain nombre de groupes d'âge : burusi-ne. Un groupe d'âge est cons
titué par trois promotions successives de circoncis d'un groupe de villages
déterminés ; il sera question ici de ceux du pays de Ouyoukha.
Le seul nom qui permet de désigner une classe d'hommes indépendamment
du temps et des individus qui la composent (à l'exception des bilakoro-ne) est
le terme dukusi-ne qui réunit sous un même nom les quatre premiers groupes
d'âge, c'est-à-dire tous les hommes du groupe de villages donné qui ont été
circoncis depuis moins de 14 ans. Les dukusi-ne sont chargés de cultures en
groupe des champs collectifs, de certains services pour le chef de village, les
hommes plus âgés et ont des attributions particulières à l'occasion des événe
ments de la vie sociale (fêtes notamment).
Chaque groupe d'individus porte un nom qui lui est propre.. Il le choisit
l'année de sa constitution et le garde toujours. Le nom se perd à la mort du
dernier membre du groupe.
Le tableau ci-dessous donne les noms des quatre plus jeunes groupes d'âge
qui constituent actuellement les dukusi-ne du groupe de Ouyoukha :
(1) On trouve chez les Malinké du Niokholo une institution tout à fait comparable : les bantaba
ligho sont propriétaires de la place et chargés de surveiller l'observation des coutumes en infligeant
<les amendes ou autres sanctions aux délinquants.
A. ALBENQUE. NOTE SUR LES DIALONKE AU SENEGAL 163
(1) -di est un suffixe employé dans certains cas pour marquer le féminin. On le trouve aussi dans
les noms de personnes. Exemple : dyouma = vendredi ; Sadyouma = nom masculin ; Dyoumadi =
nom féminin.
164 SOCIETE D ANTHROPOLOGIE DE PARIS
lage par son mariage et celui de ses compagnes. Mes informateurs, masculins,
m'ont dit qu'il ne se reconstituait pas, au niveau du nouvel habitat, de nou
veaux groupes de femmes.
Les filles les plus jeunes sont appelées sungutukhuri-ne, « les plus petites ».
Elles ont un chef de groupe dans chaque village mais n'ont pas de fonctions
sociales bien définies ; elles ne participent pas aux cadeaux faits aux dukusi-ne,
par exemple.
Trois ans avant leur excision, les filles entrent dans le groupe des sungu-
iumokhi-ne, « les plus grandes ». Il n'y a pas de groupe commun à tout le pays
de Ouyoukha. Les filles sont organisées sur le plan de leur village seulement.
Il y a un chef de groupe dans chaque village et le groupe porte son nom qui
est donc différent pour chaque village. Comme le montre le tableau ci-dessous
il apparaît que le chef de groupe est choisi de préférence et dans la mesure du
possible dans le dimbaya-na du chef de village.
Les groupes de sungulumokhine-ne existant actuellement dans les villages
proches de Sécréta sont les suivants :
(1) Les pois de terre ne sont pas réduits en farine pour la consommation, mais seulement bouillis
dans l'eau comme chez les Malinké.
A. ALBENOUE. NOTE SUR LES DIALONKÉ AU SÉNÉGAL 165
les femmes, peuvent travailler dans les champs d'arachide, de riz, de fonio
et de pois de terre ; mais les hommes sont seuls à s'occuper du champ de mil
et les femmes sont chargées de toutes les opérations relatives à la culture du
maïs.
La jouissance des récoltes revient aux hommes pour le mil et le riz ; aux
femmes pour le fonio et le maïs. L'arachide est généralement pour les femmes
mais il arrive parfois que les hommes en aient une parcelle dont le produit leur
est attribué.
Les produits de l'agriculture sont, pour leur plus grande part, destinés à
l'autoconsommation ; cependant l'excédent éventuel peut être commerciali
sé. Il existe un centre permanent d'échanges au marché hebdomadaire
(jeudi) de Fongolimbi créé en 1947. D'autres marchés, de moindre importance,
ont été créés plus récemment (1964) à Koboye (dimanche) et Dimboli (lundi)
à titre d'essai et sur demande de la population (1). Mais ils ne fonctionnent
qu'au moment des récoltes ; leur activité s'est étendue cette année d'octobre
1964 à janvier 1965. Les habitants du Sangala fréquentent aussi le marché
hebdomadaire (dimanche) de Koundaria, en Guinée (2). En dehors de ces
marchés il est toujours possible de vendre les produits de la culture ou de la
cueillette à un commerçant installé à Fongolimbi et qui assure la liaison avec
Kédougou grâce à son camion; ou bien encore, on peut porter sa marchandise
par ses propres moyens chez un commerçant ou au marché quotidien de
Kédougou. Enfin, des opérations commerciales peuvent avoir lieu directement
entre le vendeur et l'acheteur, sans intermédiaire de commerçant professionn
el, dans la maison de l'un ou de l'autre.
L'élevage a peu d'importance dans la vie économique. Les Dialonké pos
sèdent quelques vaches et surtout des moutons qui entrent pour une part
importante dans la constitution de la dot.
Pendant la saison sèche, la seule occupation importante (3) dans les villages
dialonké est le tissage du coton que peuvent pratiquer tous les hommes.
A cette saison se produit une importante émigration temporaire vers Ké
dougou, Tambacounda et le centre du Sénégal. Elle concerne surtout la popul
ation masculine jeune (jusque vers 35-40 ans). Les hommes reviennent ensuite
au village pour la saison des cultures. Ces déplacements pour la recherche
d'un travail fournissant des revenus en argent sont fréquents depuis au moins
une quinzaine d'années et jouent un rôle important dans l'économie dialonké.
Ils se transforment parfois en émigration définitive, ou de longue durée,
trois ans, cinq ans ou plus, surtout parmi les jeunes qui ont fréquenté les écoles
de Fongolimbi et de Kédougou. Aussi est-il difficile de trouver dans leur vil
lage des Dialonké parlant convenablement français, particulièrement en sai
son sèche.
Les forgerons des Dialonké forment les sections Danyokho, Touré et Sou-
sokho, et constituent un groupe endogamique. Le véritable nom dialonké
est Danyokho ; les deux autres sont d'origine mandingue. Les deux frères
Douba et Sadaba Sousokho, actuellement forgerons à Sodioré, sont les des
cendants des Sousokho, forgerons de Ouyoukha. Ils sont devenus dialonké
depuis leur installation à Ouyoukha ; auparavant, ils étaient diakhanké et
venaient de Bafi (?), au Mali.
Aujourd'hui, les forgerons vendent le produit de leur travail soit chez eux,
soit au marché (Fongolimbi), et peuvent, avec l'argent ainsi gagné, acheter
leur nourriture si leurs récoltes ne sont pas assez importantes. Autrefois, on
ne les payait pas ; ils faisaient le travail de la forge pour tout le monde et ne
cultivaient pas. Au début de la saison des pluies, avant la période des cultures,
ils fournissaient en outils l'ensemble de la population ou seulement les memb
res de la section à laquelle ils étaient traditionnellement attachés. Au mo
ment de la récolte, le forgeron se présentait dans chaque maison pour prendre
lui-même sa part des récoltes afin de se payer du travail fourni quelques mois
plus tôt.
Actuellement, ce mode de rétribution est abandonné et on n'en trouve une
survivance que dans certains cas particuliers : s'il y a une distribution de
viande, par exemple, ou d'argent à l'intérieur de la communauté, les forgerons
prennent d'abord leur part. Les autres attendent qu'ils soient servis pour
faire le partage entre les différentes familles.
Chez les Dialonké, la poterie est faite exclusivement par les femmes des
forgerons (1). Suivant un processus voisin de celui pratiqué par leur mari, les
produits de leur travail ne donnaient pas lieu à des opérations commerciales
proprement dites. Quand une femme avait un certain nombre de canaris, elle
les portait dans une maison et les posait à terre, mais ne disait rien et ne les
proposait pas à la vente. Les habitants de cette maison prenaient alors ce
dont ils avaient besoin mais ne payaient rien. Le chef de carré devait par la
suite faire un cadeau à la potière, le plus souvent de la nourriture (mil, ara
chide.. ). Aujourd'hui, les canaris sont généralement échangés contre de l'ar
gent, au marché ou ailleurs.
Les griots dialonké portent le nom de Sousokho, qui est un nom malinké.
Les Sousokho sont des nobles dans le Bélédougou.
Tous les hommes dialonké peuvent pratiquer le tissage du coton. Il n'y a
pas de cordonniers chez les Dialonké ; ils s'adressent pour le travail du cuir
aux cordonniers des Peul, leurs voisins.
(1) Alors que chez les Fula ma soso-ne toutes les femmes peuvent faire des canaris.
A. ALBENQUE. NOTE SUR LES .DIALONKÉ AU SÉNÉGAL 167
IX. — La religion.
Les Dialonké sont musulmans depuis au moins une quinzaine d'années (1).
L'Islam a été introduit dans cette population par l'intermédiaire des nombreux
migrants qui ont été initiés à cette religion lors de leur séjour au Sénégal. Ils
l'expliquent ainsi : « Si, là-bas, tu ne fais pas la prière, tu ne peux plus revenir
dans ton pays ; on t'attache les pieds avec une corde et on t'emmène au cimet
ière. »
L'Islam, introduit par les jeunes, a maintenant gagné l'ensemble de la
population et les personnes âgées qui n'ont jamais quitté la région pratiquent
régulièrement les rites musulmans. La fabrication et la consommation de la
bière de mil ont disparu dans tous les villages. Les hommes jeunes (25-30 ans)
savent qu'on en préparait pour les fêtes, pour les travaux agricoles collectifs,
mais ils affirment n'en avoir jamais bu ni vu préparer eux-mêmes.
Les enfants dialonké vont à l'école coranique. Ces écoles sont installées
dans la plupart des villages peul de la région et reçoivent de très nombreux
élèves dialonké. Mais il y a aussi, à Foulaya, en Guinée, une école coranique
tenue par un marabout dialonké, Ibraïmé Kamara ; elle est fréquentée par
quelques enfants sénégalais. Au Sénégal, il n'y a qu'un marabout dialonké,
Landi Niakhaso, de Marougou ; mais il n'a pas créé d'école car il fait sans cesse
l'aller-retour entre son village et la Gambie (anciennement britannique),
région réputée pour ses écoles coraniques dont les enseignants sont surtout
des Diakhanké ; mais il commence à y avoir quelques Dialonké. Les Dialonké
du Sénégal y voient la principale origine de leurs futurs marabouts.
Il y a quelques années, chaque famille enterrait ses morts dans la brousse,
où il lui plaisait. Depuis la pénétration de l'Islam, on a tendance à grouper
toutes les tombes du village en un même lieu, à l'est du village. Le cadavre
est couché au fond de la fosse creusée à sa mesure, la tête tournée vers le nord,
puis recouvert de bois et de feuilles. La fosse est comblée de terre. En surface,
on dispose des pierres et des épines pour que les bêtes n'y aillent pas.
Lorsqu'on veut particulièrement respecter le souvenir d'un homme (un
chef, par exemple) on ne conduit pas son corps en brousse mais on l'enterre
dans son carré ou dans sa case même. Lorsqu'on a creusé la fosse dans la case
où on continue à vivre, on attend pendant une année environ que le passage
des habitants ait tassé la terre, puis on complète et on refait le sol lisse (2).
(1) C'est tout au moins l'impression reçue lors du premier contact. En effet, les Dialonké « font la
prière », ne boivent pas de bière de mil ou d'hydromel et il y a une mosquée dans le village. Cependant,
sous ces premières manifestations extérieures de la nouvelle religion, facilement adoptées par les
populations africaines en général, une observation un peu plus profonde de la société ne manquera
pas de faire découvrir la permanence des croyances et rites religieux proprement dialonké. En outre
lors d'un séjour postérieur (avril 1966) j'ai appris que dans les villages situés à l'extrême sud-est du
département, l'Islam n'était pas encore connu de la majorité des Dialonké de ce groupe.
(2) Le sol des cases dialonké est fait avec beaucoup de soin ; le résultat de ce travail, damage après
arrosage d'un mélange à base de terre de termitière, donne un sol très dur et lisse ressemblant un peu
à une dalle de ciment.
168 société d'anthropologie de paris
Si la case est, par la suite, démolie, ou bien si l'homme a été enterré dans la
cour du carré, on plante une pierre qui représente le corps du défunt et qui
permet de perpétuer son souvenir. Par exemple, à Timbéry, Sana Kamara-73
a planté une pierre sur la tombe de son père Lamine-71 afin que ses enfants,
qui ne l'ont pas connu, sachent où il est enterré et puissent le respecter.
Résumé.
Summary.
In May 1965, a short visit to the village of Secreta gave the opportunity
to get in touch for the first time with the Dialonké of Senegal. The dialonké
villages are located in the far South-east of the Departement de Kédougou
and belong to a group displayed across the Senegalese border, in Mali and Gui
nea. Their language is akin to Soussou.
They settled in this area fifty years ago, coming from the guinean villages
of Ouyoukha, Dombya and Dyoulabaya. References to these original villages
account for some features of the present organization.
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FIGURES