Dossier Deforestation en Afrique Willagri

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La déforestation en Afrique.

Comment éviter le pire ?

Pierre Jacquemot
La déforestation en Afrique.
Comment éviter le pire ?
Pierre Jacquemot

Avec plus de 240 millions d’hectares de couvert forestier, l’Afrique abrite dans sa partie
centrale la deuxième plus grande forêt tropicale au monde, après l’Amazonie et avant
la Papouasie-Nouvelle Guinée. La déforestation est un processus qui s’inscrit dans la
longue durée, avec une accélération depuis les années 1990. Selon l’Organisation des
Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO, la forêt humide ne couvrirait
en Afrique que 37 % de son hypothétique superficie « initiale ». Le sort de la forêt
africaine est un enjeu pour l’environnement mondial. Ainsi les tourbières qui couvrent
145,000 km2 d’un espace marécageux à cheval entre le Congo-Brazzaville et la RDC, soit
une zone un peu plus grande que l’Angleterre. Ces tourbières stockent environ trente
milliards de tonnes de carbone. Cela représente autant de carbone que les émissions
d’énergie fossile de toute l’humanité sur trois ans, selon les experts. L’exploitation
durable des forêts est un enjeu vital. On estime qu’un tiers des forêts mondiales dites
de production sont certifiées « bonne gestion ». Mais seulement moins de 2 % des
forêts tropicales mondiales le sont.
La diversité des situations doit toutefois être racines. Si un déboisement est effectué, alors
prise en considération. Le taux annuel de les forêts émettent des gaz à effet de serre, par
déboisement serait de 0,4 à 0,6 % en Afrique la combustion ou la décomposition du carbone
centrale et la forêt recouvrirait encore plus de qu’elles avaient antérieurement séquestré.
la moitié de sa surface initiale. Les pays du La déforestation est également à la source
bassin du Congo sont toujours à la première d’importantes pertes de biodiversité, ainsi que
étape de la transition forestière, avec un profil la cause de perturbations environnementales,
CEFD (couverture forestière élevée-faible comme l’érosion des sols et la dégradation de
déforestation) sans menace irrémédiable. fertilité, la désertification et les modifications
En revanche la déforestation dépasse 2 % locales du climat. Les sols s’érodant avec
par an en Afrique occidentale, la forêt ayant la déforestation, les arbres ne maintiennent
perdu 85 % de sa superficie initiale. Les pays plus le taux d’humidité dans l’atmosphère et
arrivés à la deuxième ou troisième étape de la impactent l’intensité et la fréquence des pluies.
transition, celle d’un couvert forestier étriqué La concentration de la biodiversité est de moins
ou pire fortement menacé, tels que la majeure en moins bien assurée par l’habitat qu’offrent
partie de l’Afrique occidentale et australe, ont les forêts à diverses espèces de la faune et de la
de vastes tranches de forêt présentant de forts flore. Le thème de la déforestation tropicale pose
taux de déforestation, dus principalement à enfin la question plus générale du développement
l’expansion des terres arables et des pâturages économique des pays concernés.
et aux coupes pour la fourniture de bois-énergie. Pour cet ensemble de raisons, la déforestation
L’inquiétude est donc justifiée. Globalement, la est devenue un sujet de préoccupation
déforestation africaine est celle qui progresse le environnementale majeure pour l’Afrique, mais
plus rapidement dans le monde, à un rythme de aussi pour la planète.
loin supérieur à celle de la forêt amazonienne.
L’évaluation des ressources forestières mondiales Les réformes en matière de gouvernance
par la FAO révèle une perte annuelle d’environ forestières avancent, mais les efforts visant à
3,1 millions d’hectares de forêts naturelles en conserver et à utiliser durablement les forêts
Afrique au cours des cinq dernières années. sont encore fragmentés, insuffisantes et sous-
On sait que les pertes de forêts constituent une financés. Pour que les forêts deviennent un
source importante d’émissions de gaz à effet levier d’action au service de la lutte contre le
de serre. Les arbres sont des puits de carbone. changement climatique et contre la pauvreté,
Les forêts en croissance captent d’importantes6 elles doivent bénéficier d’un aménagement
quantités de CO² dans leur biomasse, en l’air qui concilie valorisation économique et
comme dans leur litière, et dans le sol, dans leurs préoccupations environnementales et sociales.
2
Le couvert forestier africain
L’application des principes de la « gestion 1. D’abord les prélèvements de bois-
durable à but multiple », pourrait devenir énergie
l’approche qui porte les nouvelles politiques Au premier rang des consommateurs mondiaux
forestières des États africains. de bois pour la cuisson et le chauffage dans le
monde, l’Afrique consomme, selon la FAO (2015),
Les réformes en matière de gouvernance 625 millions de m3 de bois-énergie par an, soit
forestières avancent, mais les efforts visant à 90 % de sa consommation totale de bois. Avec
conserver et à utiliser durablement les forêts la croissance démographique, la demande en
sont encore fragmentés, insuffisantes et sous- bois-énergie en Afrique subsaharienne devrait
financés. Pour que les forêts deviennent un augmenter considérablement. La collecte de
levier d’action au service de la lutte contre le bois de feu menace particulièrement les forêts
changement climatique et contre la pauvreté, en zones densément peuplées. En milieu rural,
elles doivent bénéficier d’un aménagement l’impact de la collecte de bois de chauffage est
qui concilie valorisation économique et généralement compensé par la régénération
préoccupations environnementales et sociales. des forêts naturelles ; il peut néanmoins devenir
L’application des principes de la « gestion une sérieuse cause de dégradation des forêts
durable à but multiple », pourrait devenir et de déforestation lorsque la demande émane
l’approche qui porte les nouvelles politiques de marchés concentrés. La croissance urbaine
forestières des États africains. moyenne est de 3 à 5 % par an, voire plus (5
à 8 % dans les grandes villes telles que Lagos,
Dakar, Abidjan, Bamako, Kinshasa, Brazzaville,
Un phénomène aux causes Libreville, ou Douala). Les bassins satisfaisant
multiples une demande urbaine croissante s’étendent
au fil du temps et peuvent aller jusqu’à 200
Le processus de déforestation est un phénomène kilomètres des centres urbains, provoquant
complexe, associé à trois types d’activités : ainsi, une dégradation progressive des forêts
naturelles.

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les diamètres minimaux des troncs des grumes
abattues ne sont pas respectés, ou lorsque les
volumes exploités sont minorés. Il faut cependant
ne pas exagérer l’importance de ce facteur en
Afrique. L’exploitation forestière industrielle
reste pratiquée de façon extensive dans la zone
tropicale, avec environ 44 millions hectares de
forêts sous concession (8.3 % de la surface
totale des terres). Contrairement aux autres
régions tropicales, où les activités d’exploitation
forestière accompagnent généralement une
transition vers une autre utilisation des terres,
l’exploitation forestière dans le Bassin du Congo
est plutôt sélective et les forêts de production
restent encore en permanence boisées. Mais
partout la route tue la forêt, progressivement,
Crédit photo, Banque mondiale
car elle permet l’entrée des prédateurs illégaux.

La coupe n’est pas le seul problème. La tendance


2. Ensuite le défrichement que l’on retrouve fréquemment à remplacer
la forêt primaire par des espèces de moindre
L’extension des terres agricoles, la culture qualité à croissance rapide, comme l’eucalyptus
itinérante et les cultures industrielles sont par exemple, contribue à la détérioration des
responsables de la disparition de 70 % des forêts forêts par perte de biodiversité ou par altération
denses des zones humides et de 60 % des forêts des services environnementaux. Beaucoup de
de la zone sèche. En milieu rural, le taux annuel ces essences à croissance rapide consomment
de défrichement en forêt dense est fortement de grandes quantités d’eau, ce qui modifie le
corrélé avec la densité de la population rurale. cycle de l’eau et réduit la ressource disponible
Les zones de transition entre la forêt tropicale pour l’agriculture.
et la savane, où les densités de population sont À côté des risques de la déforestation plus
habituellement beaucoup plus élevées (jusqu’à ou moins rapide selon les régions, les forêts
150 habitants au kilomètre carré) ont des taux africaines sont partout menacées par la
de déforestation ou de dégradation des forêts dégradation générale de leurs écosystèmes.
importants. Le processus est généralisé. Même quand la
surface globale du massif forestier demeure
3. Enfin, l’exploitation d’essences inchangée, on observe en effet une baisse de la
forestières à des fins industrielles qualité écologique du milieu, caractérisée par la
dégradation de la capacité des écosystèmes à
Une coupe peut être légale, assortie d’un plan remplir leurs fonctions. Cette dégradation peut
d’aménagement forestier. Elle peut être illégale provenir de phénomènes naturels (incendie,
avec alors une tendance à la surexploitation sécheresse, inondation, glissement de terrain,
lorsque les coupes sont trop nombreuses, lorsque tempête, maladie ou ravageurs) ou résulter
des activités humaines comme celles que nous
venons de citer ou d’autres (chasse, divagation
du bétail, produits toxiques en marge d’une
exploitation minière ou industrielle). Ces
processus de dégradation sont plus difficiles
à évaluer que ceux associés à la déforestation
car il nécessite des observations au sol alors
que la déforestation peut être observée à l’aide
d’images satellitaires par exemple.

Le cas de l’Afrique de l’Ouest


6 L’Afrique de l’Ouest a perdu l’essentiel de ses
forêts. Elles ont été brûlées pour les reconvertir
Crédit photo, Babylone Mikongo
en plantations de palmiers à huile, de cacaoyers
4
ou de caféiers. La forêt de la Côte d’Ivoire est économiques, sous forme de royalties, de
passée en 50 ans de 8 millions d’hectares à 1,5, manière encore insuffisante cependant pour que
essentiellement des réserves classées. Les pieds les communautés en profitent réellement. Le
de café ou de cacao qui rapportent davantage système d’attribution des lots par adjudication a
ont remplacé les arbres, parfois centenaires. permis une sensible augmentation des revenus
Le cas du Ghana est emblématique de la générés. Une vingtaine d’essences est exploitée,
gravité de la situation. Depuis le début de la essentiellement l’acajou d’Afrique, le sapelli, le
colonisation, la forêt ghanéenne a disparu dans tiama, l’iroko, l’afrormosia, le makoré, le sipo
une proportion inquiétante. En 1900 on estimait et l’obeche. La surexploitation d’un nombre
la couverture forestière du pays à 8 800 000 restreint d’essences de haute futaie, a conduit
ha. Cette superficie était tombée à 4 200 000
ha en 1950 et à 1 900 000 ha en 1980. La
surface actuelle de la forêt dense humide n’est
aujourd’hui pas supérieure à un million et demi
d’hectares. Deux phénomènes sont à l’origine
de cette grave menace : la déforestation pour
cause d’agriculture et la surexploitation des
espèces ayant une valeur commerciale.
Plusieurs dizaines de milliers d’hectares
disparaissent chaque année. Ils sont remplacés
par des plantations et des cultures de rente. C’est
le Slash and Burn. Les agriculteurs s’infiltrent
dans les corridors ouverts par les Caterpillars
; ils s’installent dans les réserves pour planter
du cacao, une culture bien rémunérée et dont le
Crédit photo, Pierre Jacquemot
prix est stable. D’autres font du charbon de bois
pour satisfaire une demande toujours croissante. à interdire l’exportation de grumes des espèces
De fortes densités de bétail domestique, des les plus menacées comme l’iroko et le sapelli.
bovins, des moutons, des chèvres, entrent dans
la zone forestière.
Dans le même temps, sur les massifs encore
préservés de l’avancée agricole, les coupeurs
illégaux s’adonnent au Cut and Run. Le secteur Le cas de l’Afrique australe
artisanal, illégal dans une grande proportion,
aux marges des périmètres concédés aux Depuis 2010, à Madagascar la coupe,
grandes compagnies, est en expansion, souvent l’exploitation et l’exportation de bois de rose,
avec la bénédiction des chefferies. Selon diverses une essence de bois rare à croissance très lente
enquêtes, la moitié des arbres serait abattue (elle met près de cent ans à se développer), dont
illégalement par des scieurs indépendants, on fait des meubles précieux et des instruments
au moins cinq mille individus très difficiles à de musique, sont totalement prohibées. Depuis
contrôler. On a calculé qu’une coupe annuelle 2016, ce bois précieux à la couleur si recherchée
autorisée de 1,1 million de m3 pour les espèces fait l’objet d’un embargo international contre son
commerciales de haute futaie pouvait être commerce. Le but est de faire cesser le trafic de
soutenue. Or la coupe actuelle est en moyenne cette essence rare. Pourtant, avec le concours
de 2 à 2,7 millions de m3 par an. des « barons » locaux, une quinzaine de sociétés
Pourtant d’aucuns s’accordent à reconnaître que chinoises organisent l’approvisionnement de
la biodiversité a été mieux préservée au Ghana leurs clients à partir des stocks de bolabolas
que dans les pays voisins. Dans les années (nom local des rondins de bois de rose) des
1980-1990, les préoccupations en faveur de réserves de Zahamena (Est de l’île) et de
la gestion durable des forêts sont réapparues. Masoala (Nord-Est), via les ports chinois des
Une certaine rationalisation dans la gestion du provinces du Jiangsu et du Guangdong.
secteur a été engagée. L’abattage des arbres L’Afrique du Sud présenterait la moins
pour le bois d’œuvre est autorisé sous forme mauvaise des situations. Le pays possède 40
de concessions à long terme et de permis à millions d’hectares de zones forestières sur une
court terme. La réglementation a introduit superficie totale de 122 millions d’hectares. Il
des normes de marché et fait bénéficier les affiche la plus grande proportion du monde de
assemblées de district de certaines retombées superficies de plantations certifiées. Environ 82
5
% des zones de plantation commerciales dans l’Afrique orientale et australe sont constitués de
ce pays ont obtenu la certification du Forest savanes à gros gibier et d’autres espaces boisés.
Steward Council. Afin d’alléger la pression sur Les zones montagneuses de l’Afrique orientale
les forêts naturelles, des programmes incluent et australe s’étendent largement au-delà de
des initiatives en matière de génétique, de la limite de végétation naturelle où les plus
sylviculture, de technologie de gestion forestière, grandes plantations artificielles de conifères
et de développement des produits en bois. tropicaux africains alimentent les principales
Certaines entreprises forestières privées visent industries de pâte à papier et la transformation
l’autonomisation de communautés pauvres du bois d’œuvre.
grâce à des programmes d’aide aux petits En Érythrée, en Éthiopie, au Soudan, en
exploitants sylvicoles, qui permettent à ces Somalie et au Kenya, des forêts subtropicales
forestiers de demain à développer leurs propres continuent de disparaître sous la pression des
plantations à petite échelle. déboisements pour l’agriculture, les pâturages
et la production de bois de chauffe.
Il n’en reste pas moins que l’une des principales
difficultés pour les communautés de la région Le cas du Bassin du Congo
consiste à sécuriser et maintenir le contrôle
sur les terres dont elles dépendent et qu’elles Les forêts tropicales africaines hébergent un
utilisent selon les pratiques coutumières. Les quart du stock mondial de carbone terrestre
cas du Mozambique et de l’Ethiopie - et des présent dans la végétation et les sols. Sur les
accaparements de terres que l’on y enregistre 400 millions d’hectares constituant le bassin
- sont souvent cités. Lorsque les entreprises ne du Congo, près de 200 millions sont couverts
procèdent pas à des expulsions, elles limitent par la forêt. Partagé entre six pays, il compte
souvent l’accès à leurs terres agricoles et à leurs actuellement 80 millions d’habitants. On estime
forêts abusivement accaparées. La sécheresse que la forêt du bassin séquestre l’équivalent
qui sévit dans la région de l’Afrique australe des émissions de gaz à effet de serre de la
et de l’Est a de surcroît aggravé l’impact des circulation automobile mondiale, d’où son
plantations forestières sur les ressources en eaux caractère stratégique de bien public mondial.
souterraines et de surface. L’idée de créer des « À ce jour, l’évolution du taux annuel dans les
puits de carbone » dynamise le développement stocks de carbone a été relativement modeste.
des plantations en Afrique depuis plus de vingt Avec une relative faible densité de population,
ans. Ces projets profitent de la possibilité de l’exploitation forestière n’y est pas encore
gagner de l’argent facilement en produisant et associée à une déforestation désastreuse.
en commercialisant des crédits carbone, censés Mais des sujets d’inquiétude sont récemment
compenser la pollution d’une autre industrie ou apparus (Marienet Bassaler, 2014).
d’un autre gouvernement par ailleurs.
La forêt du bassin du Congo rend de précieux
Les écosystèmes des plateaux intermédiaires de services. La biodiversité de la forêt du Congo

6
Crédit photo, Coalition Timberwatch

6
Le Bassin du Congo
Source, infographie Alternatives Economiques

fournit à des millions de personnes, du bois, des a été introduit comme un moyen de prévenir
produits forestiers non ligneux, de la nourriture une course folle aux ressources après la fin
et des médicaments. Elle maintient le cycle de la guerre civile. Malgré ces restrictions,
hydrologique et elle apporte un important l’exploitation forestière illégale et le braconnage
contrôle des inondations dans une région de sont devenus un énorme problème dans le
grande pluviosité. Des écosystèmes forestiers pays. En octobre 2017, Greenpeace et un
sains peuvent faciliter un refroidissement à groupe d’experts ont mené une campagne de
l’échelle régionale à travers l’évapotranspiration communication sur les tourbières qui couvrent
et constituer des tampons naturels contre la 145,000 km2 d’un espace marécageux à cheval
variabilité du climat régional (Megevand 2013). entre le Congo-Brazzaville et la RDC, soit une
zone un peu plus grande que l’Angleterre. Ces
Les conséquences d’une déforestation incontrôlée tourbières stockent environ trente milliards de
seraient nombreuses. Certains constats sont tonnes de carbone. Cela représente autant de
alarmistes. En RDC, le pillage de la forêt et les carbone que les émissions d’énergie fossile
coupes à blanc causées par l’augmentation des de toute l’humanité sur trois ans, selon les
chemins forestiers et le saccage de la forêt pour experts. Début 2018, le gouvernement de
le bois-énergie pourraient entraîner la perte de Kinshasa envisageait de mettre fin au moratoire
40 % du couvert forestier. Cette perte aurait de 16 ans sur l’octroi des nouveaux titres
pour impact la libération de 34,4 milliards de d’exploitation forestière.
tonnes de CO² (De Wasseige et al., 2015).
Les Etats du bassin du Congo veulent
De fait, l’enclavement et l’insécurité ont isolé, transformer davantage sur place le bois extrait
pendant des années, la forêt de production de leurs forêts mais ce projet se heurte partout
de la RD Congo, dont des millions d’hectares à bien des défis. Le Cameroun a été le premier à
avaient été attribués sous forme de titres interdire l’exportation des grumes, au milieu de
forestiers sans aucune considération sociale la décennie 1990, mais, il a assoupli sa décision.
ni environnementale. En 2002, un moratoire Au Gabon, aucune grume ne sort depuis 2010,
7
mais le bois transformé sur place peine à trouver dans des plantations de millions d’arbres
des débouchés et cela se ressent sur les recettes non indigènes potentiellement envahissants,
du pays. Depuis 2000, cependant, la moyenne y compris des variétés d’eucalyptus et de
de production grumière dans la région atteint peupliers génétiquement modifiées, qui sont
7,5 millions de mètres cubes par an. trompeusement décrites comme des « forêts
Le taux moyen de transformation est de 54 % plantées ». Cette définition biaisée ne reconnaît
dans l’ensemble de la région (contre 30 à 45 % pas la multiplicité des fonctions, avantages et
en 2000). Pourtant, dans l’ensemble du Bassin valeurs essentiels des forêts, et ignore trop
du Congo, il est encore souvent plus rentable souvent le rôle important des communautés
pour les entreprises d’exporter des grumes humaines qui vivent, protègent et dépendent
transportées sur des centaines de kilomètres durablement des forêts, de leurs moyens de
avec leurs déchets, que d’exporter des bois subsistance et de leurs identités culturelles.
sciés et usinés.
Quelles sont les initiatives en
Qu’attendre des instruments Afrique ?
internationaux ?
Les pays africains reçoivent le soutien de toute
Il n’existe aucun instrument totalement une série de fonds bilatéraux et multilatéraux,
contraignant concernant les forêts tropicales. notamment le Fonds de partenariat pour la
Pourtant, le sujet est à l’ordre du jour depuis réduction des émissions de carbone forestier,
longtemps. En 1985, les efforts conjugués de la REDD des Nations Unies, le FEM et le
plusieurs États et organisations, présents au Programme d’investissement pour la forêt.
Congrès forestier mondial, ont donné lieu au
Plan d’action forestier tropical (PAFTI). Le Les initiatives sont légion. Celle visant à remettre
but premier de ce plan était de combattre les en état d’ici 2030 l’équivalent de 100 millions
phénomènes humains et naturels qui favorisent d’hectares de forêts et de terres agricoles
la déforestation. En 1992, à l’issue de la devenues improductives en Afrique a été lancée
conférence de Rio fut adoptée une « Déclaration en 2015 à Paris, en marge de la conférence
de principe pour un consensus mondial sur climat (COP21), un objectif ambitieux. Le projet,
la gestion, la conservation et l’exploitation soutenu par l’Union africaine, l’Allemagne et le
écologiquement viable de tous les types de forêts World resources institute, baptisé African Forest
» ; elle était supposée être l’esquisse d’un cadre Lanscape Restoration (AFR1000) associe dix
de référence. En 2014, 130 États ont adopté pays, l’Ethiopie, la République démocratique du
la Déclaration de New York sur les forêts, en Congo, le Kenya, le Niger, l’Ouganda, le Burundi,
s’engageant à diviser par deux la déforestation le Rwanda, le Liberia, Madagascar, le Malawi, et
d’ici 2020 et à la faire cesser d’ici 2030. Les le Togo.
Objectifs pour le Développement Durable
adoptés en 2015, consacrent l’objectif 15 à la L’Initiative pour les forêts de l’Afrique centrale
protection, la préservation et la restauration des (CAFI), lancée également en 2015, vise à
écosystèmes terrestres et mettent un accent aider les gouvernements de la région à mettre
particulier sur les forêts. en œuvre des réformes et à renforcer les
Le modèle dominant qui préside à l’élaboration investissements pour relever les défis tels
des divers instruments internationaux est basé que la pauvreté, l’insécurité alimentaire et
sur une définition dans laquelle une forêt est le changement climatique qui exercent une
principalement considérée comme un «groupe» pression sur les forêts tropicales. La CAFI est
d’arbres dans le but principal de produire du une collaboration entre le PNUD, la FAO, la
bois. Fernande Abanda Ngono (2017) montre Banque mondiale, six pays d’Afrique centrale
bien le grave écart qui subsiste entre la et une coalition de donateurs, dont la Norvège,
représentation de la forêt par les communautés la France, l’Allemagne et le Royaume-Uni. Les
des écosystèmes forestiers multifonctionnels, six pays participants développeront des cadres
et celle mise en exergue dans le processus d’investissement pour soutenir l’utilisation
de patrimonialisation mondiale des espaces durable et la conservation de leurs ressources
naturels. La définition étriquée, utilisée forestières, notamment par la mise en œuvre
notamment par la FAO, intègre les monocultures des activités REDD+ que nous présentons plus
industrielles, de grande taille, habituellement loin.

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matière de gestion durable des forêts tropicales
En avril 2018, L’initiative du Fonds bleu pour le humides. Ce mandat a donné lieu à la publication
Bassin du Congo, un projet lancé par le Congo du « Livre Blanc sur les forêts tropicales
pour protéger ce massif forestier de 220 millions humides » présentant des recommandations
d’hectares a fait l’objet d’un protocole d’accord. à destination de l’Etat, de l’aide publique au
Il sera alimenté, selon les douze pays africains développement et du secteur privé. Lors d’une
qui l’ont créé, sur la base des subventions conférence en 2012 rassemblant l’ensemble des
renouvelables chaque année de 100 millions parties prenantes, le GNFT a produit le rapport
d’euros, avec des engagements à long terme. « Forêt Tropicales : point d’étape et nouveaux
défis, quelles orientations pour les acteurs
Et les engagements européens ? français ? » afin de mettre à jour les positions
des acteurs français sur les forêts tropicales et
La question de l’empreinte spatiale de la de dresser une nouvelle feuille de route sur les
déforestation doit être abordée au plan forêts tropicales.
global. Il y a une interdépendance dans les
responsabilités. Ainsi, estime-t-on que la La certification volontaire est-elle
déforestation tropicale est liée pour 10 % à efficace ?
la consommation en Europe. Ce constat est à
l’origine d’une prise de conscience des menaces La certification fut lancée dans les années 1980
qui pèsent sur la biodiversité et a débouché sur quand des ONG comme World Wildlife Fund,
des textes réglementaires. Entré en vigueur Greenpeace et les Amis de la terre voulurent
en 2013, le Règlement sur le bois de l’Union capitaliser sur les succès du Sommet de Rio.
européenne (RBUE) impose aux acteurs de la Les promoteurs de la certification partent
filière d’être en capacité de justifier de l’origine de l’idée selon laquelle des investissements
des produits importés et de leur conformité consentis par des « entreprises vertueuses »
aux normes légales en vigueur dans le pays dans les procédures d’aménagement durable
d’origine. La mise en œuvre du RBUE suppose et de bonne gestion des forêts sont compensés
que soient clairement établies les dispositions par des parts de marché accrues, là où les
légales existantes dans les pays producteurs consommateurs sont en mesure d’accepter un
ainsi que les modalités de leurs contrôles. prix plus élevé.
Tel est l’objet du programme Forest Law for
Enforcement, Governance and Trade (FLEGT) Prenons le cas du Ghana évoqué plus haut.
et son corollaire les Accords de Partenariat L’action des ONG en faveur de la conservation a
Volontaire (APV), c’est-à-dire des accords pris de l’importance avec l’idée de certification.
juridiquement contraignants afin de garantir que Les principaux partenaires de la filière ont été
seul du bois d’origine légale sera importé dans consultés sur ce sujet délicat. Pour beaucoup
l’UE. À travers ce programme, l’Union appuie les d’entre eux, notamment pour les dix plus gros
pays producteurs volontaires à définir un cadre exploitants, la mise en place d’un système de
de légalité s’appliquant au secteur forestier et certification va surtout servir à donner bonne
les indicateurs de contrôle. La mise en œuvre conscience aux « riches Européens» toujours
de ce dispositif suppose, entre autres, que soit désireux de savoir d’où provient leur meuble de
élaboré un système efficace de traçabilité des jardin en tek et qui a coupé l’arbre dont il est fait.
produits. Il est même question d’affecter un code-barres
à chaque tronc, ce qui permettra de suivre leur
Forte de son patrimoine forestier, la France de destination à partir d’un satellite. Vient-il d’une
son côté a développé une expertise reconnue coupe légale ? Est-il labellisé ‘’ écologiquement
dans le secteur. Ces capacités et expertises se correct’’ ? Le carbone restera-t-il séquestré ?
déploient dans les pays africains d’intervention
de l’Agence française de développement qui, en La certification est une démarche volontaire
2016, a engagé 337 millions d’euros en faveur de l’exploitant. Il existe deux grands types de
de la biodiversité dont 23 % en direction de certification : la certification de légalité des
l’Afrique subsaharienne. bois et la certification de gestion durable. Pour
cette dernière, le label FSC (Forest Stewardship
EN 2003, les prérogatives du Groupe National Council) tend à s’imposer comme la référence. La
sur les Forêts Tropicales (GNFT) ont été étendues composante aménagement de cette certification
à la politique internationale de la France en entre pour au moins 60 %. Sont parties prenantes

9
à la certification les exploitants forestiers, les
investisseurs, les écologues, les chasseurs, les La déforestation évitée, quelle
entreprises vendant ou consommant de grandes
quantités de bois et de papier.
application ?
L’ambition de FSC est de couvrir 20 % du
Le Protocole de Kyoto de 1997 reconnaît
commerce forestier africain d’ici 2020.
explicitement le rôle des forêts dans la lutte
contre le changement climatique. Le dispositif
On estime qu’un tiers des forêts mondiales
a été complété, en 2013, par un mécanisme
dites de production sont certifiées « bonne
dit Reducing emissions from deforestation
gestion ». Mais seulement moins de 2 % des
and forest degradation (REDD+). Le principe
forêts tropicales mondiales le sont. Pour les
est de rémunérer les pays en développement
plus optimistes, les choses devraient évoluer
et émergents par un mécanisme de marché et
car l’industrie du bois s’y engage de manière
des contributions des pays industrialisés, pour
croissante en Afrique centrale, tandis que les
des actions évitant la déforestation, réduisant la
gouvernements qui y voyaient autrefois une
dégradation forestière ou augmentant les stocks
ingérence et une concurrence mettent en avant
de carbone des forêts. L’incitation financière
les surfaces certifiées sur leur territoire pour
est décaissée à la vue des résultats, après un
améliorer leur réputation.
constat précis et fiable de l’évolution favorable
du couvert forestier concerné.
La certification ne présente pas que des
avantages. Surtout lorsqu’elle n’est pas, dans
Le mécanisme REDD+ a connu un certain
les faits, respectée par tous les acteurs. Le
développement grâce à la vente de permis
groupe français Rougier qui exploite plus de 2
d’émission sur le marché volontaire et privé
millions d’hectares de concessions forestières
de la compensation carbone à des entreprises
certifiées (Cameroun, Congo, Gabon et RCA),
occidentales. Les projets sont donc plutôt des
connu pour la qualité de ses aménagements,
projets privés, loin du mécanisme envisagé
en a été victime. À côté de lui, ce sont d’autres
à l’origine pour rémunérer les États pour leur
acteurs européens du bois tropical qui sont
action de prévention de la déforestation.
fragilisés. Ils ont tous investi dans la certification
FSC. Et pourtant ils voient leur débouché
Le financement de la REDD+ a déjà bénéficié
naturel se fermer en Europe. Les importateurs
aux pays du Bassin du Congo. Les six pays du
sont frileux depuis le Règlement sur le bois de
Bassin du Congo ont tous pris des engagements
l’Union européenne (RBUE) jugé très restrictif.
vis-à-vis de la stratégie REDD+ et ont reçu,
L’Autrichien IFO au Congo, le néerlandais Wijma
en retour, le soutien de bailleurs de fonds
au Cameroun, l’Italien Cora Wood au Gabon,
bilatéraux et/ou de programmes multilatéraux
sont vendus aux Chinois. Ce sont les Asiatiques
par l’intermédiaire de la Banque mondiale,
qui achètent aujourd’hui le bois tropical africain,
de fonds des Nations Unies ou du Fonds
et ils sont beaucoup moins regardants sur la
forestier pour le Bassin du Congo. Les fonds
légalité du bois. La vertu tue-t-elle ?
sont toujours engagés à travers ces canaux.
Une nouvelle approche dite High Carbon Stock
Les ressources financières dont bénéficient
(HCS) est développée par plusieurs ONG
actuellement les pays du Bassin du Congo
(Greenpeace, The Forest Trust notamment),
relèvent de la Phase 1 du mécanisme REDD+
qui estiment insuffisante l’approche par la
portant sur le processus de préparation. Un des
certification. Elle consiste à identifier et à protéger
problèmes méthodologiques les plus délicats
les zones de forêts même dégradées présentant
pour les pays concernés reste la définition des
un intérêt en termes de stockage de carbone.
niveaux de référence (la situation de départ,
Seules les zones extrêmement dégradées qui ne
avant aménagement). La manière avec laquelle
contiennent plus que de petits arbres, arbustes
ils sont définis influencera fortement l’avenir du
ou graminées, peuvent faire l’objet d’une mise
mécanisme REDD+ et les avantages potentiels
en exploitation. Elle permet de protéger de 30
qu’en obtiendront les différents pays. La sujétion
% à 40 % en moyenne d’une parcelle (contre 5
aux résultats propre à la Phase 3 nécessitera des
% dans le cadre de la certification classique par
capacités de mise en œuvre des plans ainsi que
exemple) et est donc beaucoup plus exigeante.
de mesure et de suivi des stocks de carbone,
Les forêts HCS stockent une grande quantité de
pour que les pays puissent être récompensés en
carbone qui serait dissipé dans l’atmosphère si
fonction de leurs performances.
elles étaient converties en plantations.

10
Pour A. Karsenty et al. (2012), l’application du cueillette, en partenariat avec les populations
mécanisme REDD+ est particulièrement difficile et autorités locales. Un bon aménagement est
dans le contexte africain. Elle ignore l’économie l’aboutissement par consensus d’un processus
politique des États, en particulier lorsqu’il s’agit de concertation et d’arbitrage entre les différents
d’États dits « fragiles » ou même « faillis », partenaires. La certification est sa consécration.
confrontés à des crises institutionnelles graves et Les démarches vertueuses sont connues (Millet
chroniques, souvent régies par des gouvernants Louppe, 2015).
travaillant dans leur propre intérêt et alimentant
la corruption. Deux hypothèses sous-tendant Le concept d’aménagement-exploitation a
la proposition REDD+ sont particulièrement été développé en Afrique centrale, au cours
critiques : 1. l’idée que le gouvernement d’un tel des années 1980, pour mettre en place, en
État puisse être en mesure de prendre la décision forêt dense, un outil d’aménagement forestier
de modifier le cap du développement sur la opérationnel adapté aux particularités
base d’une analyse coûts-avantages promettant de l’économie forestière locale : potentiel
des compensations financières ; 2. l’idée qu’une important de forêts inexploitées et dépourvues
fois cette décision prise, cet État « fragile » soit d’infrastructures, faibles densités de population
capable, grâce aux compensations financières, et marchés intérieurs très limités, filière orientée
de mettre en œuvre et de faire appliquer des vers l’exportation de bois de qualité sur les
politiques et des mesures appropriées menant marchés européens, et volonté politique des
à une réduction de la déforestation. gouvernements de développer une industrie de
transformation des bois sur le territoire national.
Aménager ou pas ? Cette notion d’aménagement est entrée en
pratique après un certain nombre d’opérations
L’aménagement forestier vise à la « en grandeur nature. Le premier projet pilote,
multifonctionnalité durable » de la forêt. Il particulièrement novateur, date de 1993-1995
s’agit de promouvoir la production raisonnée dans l’Est du Cameroun (projet API Dimako
de bois mais aussi de produits forestiers non avec le groupe français Rougier) intégrant non
ligneux, tels que champignons, fruits, plantes seulement des exigences de rendement forestier
ornementales, fourrages, racines, exsudats, soutenu, mais aussi la prise en compte des
etc.). Il s’agit également de maintenir des fonctions environnementales et sociales de
services écologiques rendus par l’écosystème la forêt. Ce modèle s’est ensuite diffusé dans
forestier : stabilisation des sols, protection l’ensemble des pays du bassin et auprès des
des eaux, intégrité écologique du massif, entreprises forestières exploitant de grandes
contrôle des activités de chasse, pêche et concessions.

Crédit photo, Pierre Jacquemot

11
Trois étapes découpent le travail de planification des routes principales, mesures prévues pour
forestière. garantir les droits des populations riveraines et
la protection de l’environnement).
- La première étape vise à établir un inventaire de
l’aire à aménager, du milieu et de son histoire. Il - Enfin, la troisième étape est celle de la mise
fait l’état de l’environnement socio-économique en œuvre. Sur les bases précédentes, le plan
(caractérisation des populations des villages d’aménagement détermine la production
Pêche, forêts et gestion durable  203
riverains, analyse de l’économie locale au moyen escomptée et un calendrier annuel d’actions à
d’enquêtes de terrain). mettre en œuvre, par parcelle. En règle générale,
la concession est divisée en 25 ou 30 assiettes
mesures
- La deuxième étapeprévues
est cellepour
de lagarantir lesdu
rédaction droits
dedes populations
coupe annuelles.riveraines
Tous lesetansla protec-
une assiette
plan d’aménagement qui précise
tion de l’environnement. : le découpage différente est exploitée puis fermée jusqu’à la
géographique de la concession en fonction des fin de la rotation. Cela permet, lorsqu’on revient
troisième étape
usages ; lesLaparamètres est celle de àlapartir
d’aménagement mise en25 œuvre.
ou 30Sur ansles basessur
après précédentes,
les premièresle plan
assiettes
de la connaissance du peuplement fournie par de coupe de retrouver
d’aménagement détermine la production escomptée et  un calendrier d’actions à une ressource forestière
l’inventaire
mettre(sélection
en œuvre.des essences,
En règle tauxla de
générale, qui s’est
concession estreconstituée.
divisée en 25 ou 30 assiettes de
reconstitution, choix du diamètre ou de l’âge
coupe annuelles.
de fructification efficace)Tous les la
; enfin ansplanification
une assiette différente est exploitée puis fermée jusqu’à
la fin de la(taux
opérationnelle rotation.
et Cela permet,maximum
nombre lorsqu’on revient 25 ou 30 ans après sur les premières
assiettes
d’arbres de coupepar
abattables de retrouver
hectare, une ressource forestière qui s’est reconstituée.
surface
maximale L’aménagement
des coupes, espaces à protéger
forestier vise de plus deen plus à la multifonctionnalité durable de la
l’exploitation, stratégie de bardage, ouverture
forêt. Il s’agit de la production raisonnée de bois mais aussi d’autres produits forestiers
que le bois ; du maintien des services écologiques rendus par l’écosystème forestier (une
stabilisation des sols, protection
Les phasesdes
deeaux, intégrité écologique du massif, contrôle des acti-
l’aménagement-exploitation
vités de chasse, pêche et cueillette, en partenariat avec les populations et autorités locales).

Diagnostic Diagnostic Diagnostic


forestier environnemental social

Analyse, saisie et traitement des données

Cartographie détaillée

Phase de concertation

Communautés locales État


Profession Entreprises

Rédaction du plan d’aménagement

Dépôt du plan d’aménagement


et validation

Inventaire d’exploitation
Plan annuel d’opération
Suivi et contrôle
!
Figure 18. La procédure d’élaboration d’un plan d’aménagement forestier
12
Source : Rougier, 2012.
L’application des principes de l’aménagement déforestation accrue. Ces résultats gênants sont
durable est désormais une obligation légale contredits par d’autres enquêtes (Karsenty et
reprise dans les codes forestiers de plusieurs al., 2017) qui constatent que si l’on compare
pays d’Afrique centrale. Normalement, le à production égale la déforestation dans des
principe est simple : sans plan d’aménagement concessions avec et sans plan d’aménagement,
validé par l’État, pas de concession accordée. il apparaît que les unités aménagées sont environ
deux fois plus « efficaces », c’est-à-dire qu’on
Faut-il vraiment aménager ou pas ? Cette observe deux fois moins de perte de couvert
question en apparence insolite est posée depuis forestier par mètre cube produit. Que faut-il en
qu’un article de J.S. Brandt C. Nolte et A. conclure ? Probablement qu’il est nécessaire
Agrawal (2016) est parvenu à la conclusion que d’analyser avec précision la dynamique des
la déforestation serait, au Congo, plus élevée différents facteurs de déforestation, et éviter
dans les concessions forestières avec des plans d’imputer mécaniquement à l’aménagement
d’aménagement que dans celles qui n’en ont pas. forestier un rôle excessif dans l’évolution dans
L’analyse qui a conduit à un tel résultat se base un sens ou dans l’autre du taux de déboisement.
sur une observation de parcelles sélectionnées Par ailleurs, les effets de l’aménagement
aléatoirement dans des concessions avec et forestier doivent être mesurés sur le long
sans plans d’aménagement. Les résultats terme : l’objectif de l’aménagement est de
indiquent que le réseau de routes forestières permettre une mise en valeur forestière durable,
plus développé dans les concessions aménagées en conservant l’essentiel du capital productif
serait un des facteurs explicatifs. L’autre facteur pour éviter, autant que possible, la conversion
serait le développement local lié aux cahiers à d’autres usages après les cycles de coupe
des charges des plans d’aménagement, lequel initiaux.
conduirait à une augmentation de la population
dans ces concessions et, en conséquence, à une

Le bilan de la certification dans le Bassin du Congo

- 59 millions d’hectares en concession (2017), stable depuis 2006, pour une


superficie de forêt dense humide de 171 millions d’hectares.
- 371 concessions soit une superficie moyenne de 133 000 ha par concession.
- 31 millions d’hectares avec plan d’aménagement en 2017 approuvés par les
États, soit plus de la moitié de surfaces concédées.
- 8,8 millions d’hectares certifiés dont 5,6 millions FSC.
- Le taux de prélèvement est tombé dans les superficies certifiées, dans
certaines concessions à 1,5 arbre par hectare, une parcelle n’étant exploitée
que tous les 30 à 50 ans.

(Source Observatoire de la COMIFAC)

Comment respecter les droits des naturelles locales pour leurs besoins alimentaires
et nutritionnels, de santé et de subsistance. Ces
populations locales ?
forêts constituent une source essentielle de
Les services rendus par la forêt africaine relèvent
protéines pour les populations locales, à travers
de multiples registres qui se superposent.
le gibier et le poisson. Qu’ils soient consommés
Cohabitent dans un même écosystème des
directement ou commercialisés, les produits
dimensions économiques, sociales, culturelles et
forestiers représentent une part importante de
environnementales multiples, qui sont à l’origine
leurs revenus.
du concept de « multifonctionnalité. C’est ainsi
que les forêts du Bassin du Congo hébergent
quelque 30 millions à personnes et fournissent
les moyens de subsistance à plus 75 millions de
personnes appartenant à environ 150 groupes
ethniques qui comptent sur les ressources

13
La multifonctionnalité des services
forestiers africains

Source Pierre Jacquemot 2017

14
populations peu impliquées dans cette gestion
et des concessions forestières peu motivées
faute d’incitations financières. Les procédures
engagées jusqu’à présent ont en effet souvent
favorisé des usages peu adaptés aux besoins
des communautés locales, comme les services
écologiques et le tourisme, sans reconnaître
à ces communautés les droits coutumiers qui
sont les leurs.

Crédit photo, Pierre Jacquemot

Respecter pratiquement les droits des


communautés nécessite de les intégrer au
mieux dans les processus et instances de
décisions liées à l’utilisation de ce qu’elles
considèrent comme le patrimoine. Cette
démarche doit s’appuyer sur les processus de
décentralisation qui intègrent les représentants
de ces communautés locales et font valoir leurs
droits. En cas d’activité économique en zone
forestière, le modèle économique doit veiller
à une juste rémunération ou compensation
Crédit photo, Pierre Jacquemot
financière des populations locales, ce qui
implique une répartition équitable des revenus
issus de l’activité.
La « gestion forestière à usage multiple » est
une réponse à la question de l’implication des
usagers qui s’inspire de l’approche par les «
Communs » (Abanda Ngono, 2017). Elle est
une forme de gestion durable des forêts qui
vise non seulement à maintenir leur capital
naturel, mais aussi à permettre à tous leurs
usagers d’exploiter, de manière équitable,
leurs ressources. Elle a été introduite dans les
législations forestières des pays du Bassin du
Congo dès le milieu des années 1990, mais elle
reste peu appliquée. Deux raisons sont avancées
par le Centre de coopération internationale
en recherche agronomique (CIRAD) : des

15
La gestion à usage multiple : les enseignements du CIRAD

Les chercheurs du Cirad sont partis d’une analyse des conflits d’usages de la
forêt pour élaborer une gestion fondée sur le consensus quant à l’exploitation de
ses ressources. « Il s’agit de faire passer au second plan les questions de biens
publics internationaux, comme la protection de la biodiversité ou le stockage du
carbone, pour mettre l’accent sur les bénéfices concrets qu’une telle gestion peut
procurer aux usagers de la forêt. Cette approche a été mise en œuvre dans six
concessions forestières, au Cameroun, au Gabon et en RD Congo. Cinq à sept villages
ont été étudiés autour de chaque concession et 10 à 20 % des ménages de ces
villages ont été interrogés ainsi que les entreprises forestières et les représentants
gouvernementaux. Les conflits concernent principalement l’agriculture, la chasse,
l’exploitation artisanale des ressources ligneuses et la collecte du bois de chauffage.
C’est là, la pierre angulaire de la réussite d’une gestion forestière à usage multiple :
pour convaincre les parties prenantes de changer leurs comportements, il faut qu’elles
aient une idée claire des coûts et des bénéfices associés à sa mise en œuvre et que des
incitations financières convaincantes soient élaborées pour les prendre en compte.
Pour que la gestion forestière à usage multiple puisse devenir une réalité au sein des
concessions forestières, tous les acteurs impliqués soulignent qu’il est essentiel de
trouver des compromis réalistes. Ainsi, les entreprises forestières pourraient financer
le développement local d’activités comme l’agroforesterie ou l’élevage, en bénéficiant
de réductions d’impôts compensatoires. En contrepartie, les communautés locales,
premières bénéficiaires de ces nouvelles activités, seraient tenues de réduire leurs
activités illégales au sein des concessions forestières ».
(Extraits de « Pour une gestion à usage multiple des forêts du Bassin du Congo » CIRAD, décembre 2015).

La foresterie communautaire est-elle une l’obligation de constituer une entité juridique


solution ? Elle est une forme de gestion pour pouvoir passer des accords officiels avec
participative et décentralisée de la forêt l’État. L’engagement officiel des communautés
à l’échelon de la communauté villageoise nécessite des compétences, de la formation,
(Macqueen, 2013). Le développement de la souvent dans un rapport de force difficile. Le
foresterie communautaire, la gestion conjointe risque est un accaparement par les élites, par
des forêts et d’autres formes de gestion ceux qui ont les compétences pour négocier
participative (telles que les forêts communales) la création d’un système et qui finissent par le
permettent d’améliorer significativement la contrôler à leurs propres fins. Si le mécanisme
participation des populations locales. Le principe démontre la valeur économique de la foresterie
de base est que les communautés savent gérer concernée, il accroît par voie de conséquence
efficacement les forêts. Au cours des vingt les pressions exercées sur les communautés
dernières années, certains États africains en concernées.
sont venus à accepter ce principe et à reconnaître
officiellement les droits des communautés à
contrôler et gérer les forêts.

Les forêts concernées sont en général


caractérisées par des surfaces modestes,
de 5 000 à 10 000 ha, et par un modeste
potentiel en bois d’œuvre compte tenu de leur
localisation dans le domaine agroforestier, très
souvent fortement anthropien, notamment
par la pratique de l’agriculture itinérante sur
brûlis. Derrière la variété des situations, dans
presque tous les cas, les communautés ont

16
les infractions aux règles établies. Elle implique
En fin de compte, la forêt a été décimée à l’Ouest enfin d’équilibrer la participation des différents
de l’Afrique, elle est encore préservée dans son acteurs concernés aux prises de décisions.
cœur central. Qu’en est-il de la volonté des L’implication des collectivités territoriales, des
États africains de s’engager dans la voie d’une populations locales, des ONG et des entreprises,
économie verte ? En principe, ils disposent de doit être prise en considération à tous les
nombreux atouts et des instruments pour gérer stades de la décision et de la mise en œuvre,
rationnellement leur patrimoine. Encore faut- afin de garantir une répartition équitable de la
il qu’une dynamique vertueuse soit engagée valorisation des ressources forestières.
autour d’une mobilisation pour transformer
les règles de l’économie verte en priorités
politiques. Tout particulièrement, l’amélioration
de la gouvernance forestière suppose, en
s’appuyant sur une volonté politique forte, la
définition de politiques et de textes législatifs
pour le secteur, leur mise en œuvre effective ainsi
que des administrations en capacité d’appuyer
efficacement les opérateurs et de sanctionner

Notes
Sites
Alliance Rainrorest : rainforest-alliance.org
Association internationale des bois tropicaux : aitbt.org
Commission des forêts d’Afrique centrale : comifac.org
Entreprise coopérative , citoyenne et solidaire : Ethiquable.coop
Partenariat pour les forêts du Bassin du Congo : pfbc-cbfp.org
Société Rougier : rougier.fr
Timberwatch coalition : timberwatch.org
World Rainforest movement : wrm.org.uy

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