La Pratique de L'hypnose À Travers Le Temps, D'un Point de Vue Socio-Historique

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Université de Lausanne

La pratique de l’hypnose à travers le temps, d’un point


de vue socio-historique

Socio-histoire de la médecine et du corps


Professeur Francesco PANESE, Assistante Noëllie GENRE

Karim CENCIO
Août 2018
Socio-­‐histoire  de  la  médecine  et  du  corps  
 

La pratique de l’hypnose à travers le temps, d’un point


de vue socio-historique

Le parcours qu’a connu l’hypnose est, à bien des égards, inconstant. De sa naissance officielle
jusqu’à nos jours, cette pratique n’a eu de cesse d’être à la mode puis de sombrer dans l’oubli.
Ses divers statuts ont souvent été influencés par les idées des époques qu’elle a traversées. Sa
reconnaissance par les milieux scientifiques a toujours été discutée et même lorsqu’elle a été
admise, l’hypnose n’a pas tardé à être oubliée de nouveau, peu de temps après. Les raisons à
ce cheminement déconcertant sont multiples et intrinsèques, entre autres, à l’hypnose elle-
même. Sa pratique a souvent été critiquée car potentiellement dangereuse ou ambigüe,
notamment en ce qui concerne la relation entre hypnotiseur et hypnotisé·e.

Un hypnotiseur anglais durant une séance collective dans les années 50, époque à laquelle l’hypnose recommence à intéresser les savants

Mots-clés : magnétisme animal, scientificité, analgésie hypnotique, vertus thérapeutiques

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L’hypnose

Définir l’hypnose est une tâche ardue. Léon Chertok lui-même, psychiatre français renommé
et spécialiste de l’hypnose déclare en ces termes : « …nous ignorons toujours la nature exacte
de l’hypnose. Toutes les théories qui en ont été proposées n’offrent que des explications
partielles. Nous manquons même de critères objectifs permettant d’affirmer qu’un sujet est
hypnotisé. L’hypnose est un phénomène labile, fuyant, insaisissable et pourtant bel et bien
existant. ». (Chertok, 1965, p.9). Je me contenterai donc de souligner un aspect récurrent dans
ce que l’on s’accorde à appeler « hypnose » : le changement d’état de conscience. Nous
pourrions rajouter que cet état de conscience semble se situer, selon l’avis de nombreux
experts, entre l’éveil et le sommeil. Il résulte généralement, en outre, de l’action d’une
personne sur une autre. Il est donc à ce titre artificiel.

Je vais tenter de présenter dans ce travail les différentes étapes qui ont jalonné son parcours,
en mettant en évidence les mouvements de pensée qui ont imprimé leurs caractéristiques sur
cette pratique, en lui donnant des directions parfois surprenantes. Ce sera donc en tenant
compte du contexte de chaque époque que j’essayerai de mettre en lumière les divers états et
bifurcations qu’a connus cette discipline. Comment les idées dominantes d’une période
donnée lui ont insufflé leur singularité ? Comment des faits apparemment anodins ont redirigé
sa destinée ? C’est par le biais de ces questionnements que je passerai en revue les moments-
clés de l’histoire de l’hypnose.
La seconde partie consistera en une analyse de cette chronique dans laquelle je reviendrai sur
des éléments récurrents concernant sa place dans la société et plus particulièrement les
considérations dont elle a pu faire l’objet de la part des milieux scientifiques. J’essayerai par
ailleurs d’apporter, au terme de cet examen, un regard sur sa place actuelle en tenant compte
des épreuves qu’elle a traversées.

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Histoire de l’hypnose au travers des différentes phases historiques

Si définir l’hypnose n’est pas une tâche aisée, il en va de même concernant l’attribution d’une
date de naissance précise. Les premières utilisations qui en ont été faites semblent remonter à
des âges très reculés. En effet, nous savons que bon nombre de guérisons, dans ce que l’on
appellera médecine primitive, peuvent être attribuées à un état que l’on peut considérer
comme hypnotique. Les premières traces que nous avons de cette pratique remontent à
l’époque des Sumériens en -4000 av. J.-C. Des papyrus égyptiens datant de -3000 av. J.-C.
semblent représenter des miroirs servant d’inducteurs hypnotiques. L’hypnose - qui n’a été
nommée comme telle qu’en 1843 - est vraisemblablement utilisée à des fins thérapeutiques,
mais également pour permettre de connaître l’avenir. Cependant, la plupart des historiens
s’accordent à dire que l’histoire de l’hypnose telle que nous la connaissons aujourd’hui débute
avec Franz Anton Mesmer au XVIIIe siècle, ou plutôt du conflit qui l’oppose à Johann Joseph
Gassner en 1775.

Gassner est très populaire car ses méthodes semblent guérir énormément de malades. Il
pratique une technique déjà bien connue à l’époque et approuvée par l’Eglise : l’exorcisme. Il
est dit que Gassner obtient des résultats miraculeux, en expulsant les esprits malveillants du
corps de ses patient·e·s. Son prestige atteint son paroxysme, lorsqu’en 1774, il soigne la
comtesse Maria Bernardine von Wolfegg (Ellenberger, 1994). Malheureusement pour lui, le
XVIIIe siècle voit l’expansion des idées des Lumières et les techniques ancestrales sont de
plus en plus considérées d’un mauvais œil, d’autant plus que l’Eglise aussi voit s’étendre en
elle ces pensées nouvelles. Le pape Pie VI lui-même ordonne une enquête et déclare qu’il faut
faire usage de l’exorcisme avec discrétion (Ellenberger, 1994). Gassner meurt en 1779.
L’époque est donc propice à l’éclosion d’une nouvelle pratique et Mesmer en devient
l’instigateur. Mais que nous dit ce passage de témoin ? Car, comme nous le verrons plus tard,
les pratiques de Mesmer ont vite été considérées, elles aussi, comme peu convaincantes. Pour
comprendre cela il faut se replonger au XVIIIe siècle.
Gassner a beau avoir un joli éventail de réussites desquelles se vanter, il arrive d’une certaine
manière trop tard. Les Lumières ont soif de raison et de changement, et l’exorcisme colle mal
à cet état d’esprit. La chute de Gassner n’est donc pas due à un manque de résultats positifs de
sa pratique, mais plutôt au désintéressement croissant des autorités d’abord – l’Eglise surtout
– et de la population ensuite, pour tout ce qui relève de la tradition ainsi que de la superstition

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aveugles (Ellenberger, 1994). Les esprits en Europe ont soif de connaissance et un sentiment
de révolution a commencé à planer. L’enquête ordonnée par le pape est donc en quelque sorte
influencée par ce mouvement. Et comme nous le verrons par la suite, l’autorité d’une époque
donnée – qu’elle soit religieuse, ou plus tard scientifique – décidera souvent dans l’histoire de
l’hypnose de ce qui peut être validé ou pas.

Franz-Anton Mesmer succède donc en quelque sorte à Gassner, en 1775, en affirmant avoir
inventé un principe nouveau : le magnétisme animal. Il connaît lui aussi un grand succès,
mais de courte durée. Il prétend qu’il existe un fluide universel. Le magnétiseur serait capable
de diffuser celui-ci par des « passes » dans le corps du·de la patient·e. Son succès est tel qu’il
a bientôt trop de patient·e·s pour les soigner individuellement. Il instaure alors la méthode
dite du baquet qui sera, des années plus tard avec Puységur, remplacé par un arbre : des
personnes, généralement des femmes, se tiennent à des barres de fer reliées à un baquet, censé
amplifier la circulation des fluides magnétiques. Ces personnes sont alors prises de « crises
magnétiques » qui se matérialisent, entre autres, par des convulsions. Ce phénomène serait à
l’origine de la guérison des patients. Les découvertes scientifiques faites durant cette période
en matière d’électricité semblent avoir grandement inspiré Mesmer dans sa théorie. En bon
fils des Lumières, en effet, Mesmer veut une explication appuyée sur la raison et éviter tout ce
qui est de l’ordre du mysticisme. Il se dit lui-même être inspiré des idées de Newton en
matière de physique (Ellenberger, 1994). Mais malgré quelques succès retentissants, les
médecins de l’époque ne voient en Mesmer qu’un charlatan. Et comme la science commence
à faire autorité, cela le dessert grandement. En 1784, le roi ordonne qu’une enquête soit
menée par des membres de l’Académie des sciences et de l’Académie de médecine. La
question n’est pas de savoir si la technique de Mesmer fonctionne ou pas, mais de contrôler
s’il a véritablement découvert un fluide universel. Les vertus thérapeutiques ne sont pas niées,
mais l’existence d’un fluide magnétique ne peut pas, selon les enquêteurs, être prouvée. La
réussite des traitements de Mesmer est attribuée à l’imagination de la personne magnétisée
(Ellenberger, 1994). Mesmer tombe à son tour, petit à petit, dans l’oubli. Une nouvelle fois,
l’intérêt des autorités ne s’est pas porté sur le caractère ayant trait à la guérison de la
technique utilisée, mais à sa propension à être scientifique, selon les critères de l’époque.

Le magnétisme ne disparaît pas pour autant. C’est au marquis de Puységur cette fois de
« prendre le relais ». Ce dernier a remarqué que ses patient·e s ne sont pas pris de convulsions
à l’image de celles décrites par Mesmer. A la place, ils tombent dans un sommeil que

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Puységur définira de « magnétique ». Le·la patient·e est dans un état somnambulique
artificiel. Cette transe hypnotique devient alors considérée comme un état plutôt que comme
l’action d’un fluide extérieur. En outre, Puységur impute à la volonté du magnétiseur l’entrée
dans un état de sommeil magnétique du·de la magnétisé·e. Puységur permet également aux
plus défavorisé·e s d’avoir accès au magnétisme en proposant les premiers traitements gratuits
historiquement attestés. Le magnétisme est donc bel et bien un rejeton des Lumières, comme
en témoignent les apports successifs de Mesmer et de Puységur (Ellenberger, 1994) : primauté
à la scientificité et accessibilité au plus grand nombre. Cette notion d’accessibilité au plus
grand nombre permet également aux divers magnétiseurs puis hypnotiseurs d’organiser des
séances publiquement et de présenter par là même leurs diverses techniques. Cela aura
comme impact une diffusion extrêmement importante. Des disciples venus d’un peu partout
pourront assister aux représentations des magnétiseurs puis des hypnotiseurs et s’inspirer de
leurs pratiques, pour parfois – ce sera le cas de Freud concernant la psychanalyse, bien plus
tard, après avoir assisté aux démonstrations de Bernheim puis de Charcot – modifier à leur
manière l’apprentissage qu’ils viennent de faire. Nous noterons qu’en cette période le régime
français est encore monarchique et que ce sont pour la plupart des nobles qui pratiquent le
magnétisme. Difficile de se prononcer sur ce qui en serait advenu si la Révolution française
en 1789 n’avait interrompu sa pratique (Ellenberger, 1994).

Le mouvement suivant, le Romantisme, qui prend vie en Allemagne et connaît sa période la


plus étincelante entre 1800 et 1830, va reprendre le magnétisme en le modifiant, selon ses
valeurs propres : le culte de l’irrationnel, le mysticisme, l’individualité ainsi que la centralité
de la notion d’inconscient (Ellenberger, 1994). Il n’est pas surprenant de voir un regain
d’intérêt pour une pratique semblant s’accorder parfaitement avec ces termes. C’est donc en
Allemagne, berceau du Romantisme, que les universités s’intéressent le plus au magnétisme
animal et établissent même des chaires de mesmérisme – influencées comme leur nom
l’indique par les pratiques de Mesmer -, notamment à Berlin et à Bonn (Ellenberger, 1994).
Au même moment, en France, l’abbé Faria se rend compte de l’influence de la parole sur un·e
patient·e. Il introduit donc la notion de suggestion. Ce n’est maintenant plus grâce à des
« passes » que l’on obtient l’état de sommeil « magnétique », mais par des injonctions
verbales, telles que : « Maintenant, dormez ! ». C’est à l’imagination du·de la magnétisé·e, et
non plus à un fluide magnétique comme l’a préconisé Mesmer ou à la volonté du magnétiseur
comme l’a affirmé Puységur, qu’est maintenant déléguée la cause des effets du magnétisme.

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Ce point de vue sera repris plus tard par une des deux écoles qui domineront les débats :
l’Ecole de Nancy.

Statue érigée à Goa (Etat de la côte sud-ouest de l’Inde), la terre natale de l’abbé Faria, le représentant en pleine séance de magnétisme

Le mouvement succédant au Romantisme est bien différent de ce dernier. Il a le culte des


faits. C’est donc sans grand étonnement que nous apprendrons que le positivisme n’offrira pas
au magnétisme ses plus grandes heures de gloire. Mais il lui donnera, par le biais de James
Braid, le nom qui sera le sien jusqu’à aujourd’hui : l’hypnose. De plus, Braid rationnalise
l’influence de l’hypnotiseur sur l’hypnotisé·e. C’est en agissant sur son système nerveux
central que se fait le processus. C’est donc un phénomène tout à fait naturel. Le positivisme
est un courant descendant des Lumières. De ce fait, il arrachera l’hypnose du mysticisme dont
elle avait recommencé à faire l’objet avec le Romantisme. Il se tournera à ce titre vers
l’expérimentation et essayera de se distancier de ce fait de personnages tels que l’abbé Faria.
C’est ce courant qui sera plus tard repris par l’autre école dominante : l’Ecole de la
Salpétrière.

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Le magnétisme glisse vers l’hypnotisme vers 1850 et se caractérise désormais par une plus
grande autorité de l’hypnotiseur. Ce changement a commencé à s’opérer dès la fin de la
Révolution française et s’additionne à la montée de la bourgeoisie. C’est elle désormais qui
occupe majoritairement la profession d’hypnotiseur. Par conséquent, il n’est plus question de
traiter les gens gratuitement, comme a pu se le permettre la noblesse (Ellenberger, 1994).
Par ailleurs, entre 1840 et 1850, l’anesthésie chirurgicale voit le jour et participe à cette
période creuse de l’hypnose, notamment dans le milieu médical. Car jusque-là, le manque de
moyens pour lutter contre la douleur avait permis à l’hypnose d’être appliquée largement lors
d’opérations chirurgicales. L’hypnose n’est en réalité pas seulement mise de côté, mais
« entre 1860 et 1880, le magnétisme et l’hypnotisme étaient tombés dans un tel discrédit
qu’un médecin faisant usage de ces méthodes aurait irrémédiablement compromis sa carrière
scientifique et perdu sa clientèle. » (Ellenberger, 1994, p. 119).

Mais, comme nous avons pu le remarquer, l’histoire de l’hypnose ne répond pas à une logique
rigoureuse, et cette phase compliquée sera suivie d’une période particulièrement faste pour
cette pratique. Beaucoup considèrent qu’entre 1882 et 1892, l’hypnose connaîtra son âge d’or.
Il faudra pour cela le courage d’un médecin, Auguste Ambroise Liébeault. Ce dernier propose
à ses patient·e·s de les soigner soit en ayant recours à la médecine traditionnelle et de les faire
payer, soit de les soigner grâce à l’hypnose, gratuitement. Beaucoup de ses patient·e s sont
pauvres et choisissent l’hypnose. Liébault de son côté se révèle être très doué et ses succès
thérapeutiques attirent l’attention d’un certain Hippolyte Bernheim. C’est donc grâce à un
concours de circonstances plutôt étonnant que l’hypnose est remise au goût du jour ! Car c’est
à ce moment-là que se fait connaître l’Ecole de Nancy. Mais si l’Ecole de Nancy redonne un
nouveau souffle à l’hypnose, c’est Jean-Martin Charcot et l’Ecole de la Salpêtrière, basée à
Paris, qui lui offriront ses lettres de noblesse. Car ce qui échappe jusque-là à cette discipline,
lui est maintenant accordé : l’acceptation par la médecine officielle (Ellenberger, 1994). En
effet, Charcot adopte une perspective expérimentale pour tenter de comprendre les paralysies
hystériques, trouble très répandu à cette époque. Il estime que l’hypnose en est un symptôme
et que seuls les hystériques sont hypnotisables. L’hypnose permet donc de diagnostiquer
l’hystérie. Cette position sera au centre du débat qui opposera l’Ecole de la Salpêtrière à celle
de Nancy ; Bernheim et ses partisans estiment pour leur part que tout le monde est
hypnotisable et que l’hypnose doit être utilisée à des fins thérapeutiques. L’opposition entre
ces deux points de vue soulèvera de nombreux débats et exacerbera les passions autour de
l’hypnose, si bien qu’un très grand nombre de personnalités de l’époque se presseront pour

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assister aux démonstrations organisées dans les deux écoles respectives. Parmi elles figure
Sigmund Freud. Ce dernier commencera d’ailleurs à pratiquer lui-même l’hypnose sur ses
patient·e s, mais lui fera petit à petit prendre une autre direction en permettant au patient de
s’exprimer librement. Il n’y aura plus besoin d’avoir recours à un somnambulisme artificiel et
les suggestions de l’hypnotiseur laisseront place à la libre association des pensées de la part
du patient. C’est comme cela que la psychanalyse verra le jour - l’hypnose servira d’ailleurs
également de base à la plupart des psychothérapies modernes. Sigmund Freud dira à ce sujet :
« Je suis en droit de dire que la psychanalyse ne date que du jour où l’on a renoncé à avoir
recours à l’hypnose… C’est la psychanalyse qui gère maintenant l’héritage de
l’hypnotisme… » (Clervoy, 2005). Si le recul nous permet d’accepter la première partie de sa
déclaration, la deuxième partie laisse plus dubitatif. Car s’il est vrai que les années qui suivent
l’avènement de la psychanalyse étouffent grandement la pratique de l’hypnose, leurs deux
destins ne sont pas totalement mêlés pour autant, comme nous le verrons par la suite.

Nous avons donc pu voir comment le Romantisme puis le positivisme a chacun à sa manière
influencé les idées qui deviendront dominantes à la fin du XIXe siècle. Le premier en
attribuant, par le biais de l’abbé Faria, le pouvoir du magnétisme à l’imagination et le second
en mettant un point d’honneur à la pratique expérimentale de l’hypnose, sous l’impulsion de
James Braid.

La disparition momentanée de l’hypnose au début du XXe siècle est aussi brutale que sa
soudaine réapparition au début des années 1880. En France, elle cesse complètement d’être
enseignée et le climat est presque hostile vis-à-vis de l’hypnose (Ellenberger, 1994). Elle est
réhabilitée par la British Medical Association en 1955. En 1958, l’American Medical
Association intègre l’hypnose dans la thérapeutique médicale.
Mais si l’on devait rattacher la réhabilitation de l’hypnose à une figure, ce serait celle de
Milton Erickson. C’est en effet lui qui lui donnera sa forme moderne. Erickson est atteint de
poliomyélite, une maladie paralysante, et utilise l’auto-hypnose lors de sa réadaptation. Il est à
ce titre l’exemple-même du « guérisseur blessé » et développera des techniques relationnelles
qui donneront, en grande partie, à la pratique de l’hypnose sa forme actuelle.

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Milton Erickson considère qu’il faut adapter l’hypnose au·à la patient·e et ne pas accorder trop d’importance aux théories. Il a de ce fait
beaucoup insisté sur l’importance à accorder à l’observation du·de la patient·e hypnotisé·e, qui permet d’être conscient·e des messages non-
verbaux de ce·cette dernier·ère et de modeler la séance en fonction

Mais pour que l’hypnose soit largement admise, il faut lui redonner une forme scientifique.
C’est ce que se chargeront de faire Léon Chertok et Ernest Hilgard. Le premier, un psychiatre
français, ouvre en 1971 un laboratoire d’hypnose expérimentale dans lequel, « il tente de
quantifier la puissance de l’analgésie hypnotique et identifie les facteurs l’influençant, le
temps - état hypnotique fluctuant d’un moment à l’autre -, le sujet - notion d’échelle
d’hypnotisabilité - et le thérapeute. » (Musellec, 2010, p.1). Le second, un psychologue
américain, développe une échelle d’hypnotisabilité encore présente en recherche
fondamentale. Les progrès de la neuro-imagerie appuieront cette récente scientificité sur
laquelle peut désormais s’asseoir l’hypnose moderne. L’imagerie cérébrale développée dans
les années 90 permet en effet « d’objectiver l’implication de structures cérébrales particulières
et de refléter l’activité physiologique fonctionnelle liée au processus mental hypnotique.»
(Musellec, 2010, p.1). Ainsi, « l’activation ou la désactivation de structures cérébrales et leur
inter-connectivité avec de nombreuses autres régions de la matrice cérébrale de la douleur
sont particulières à l’état de conscience hypnotique, dynamique, fluctuant dans le temps et
selon la nature des suggestions hypnotiques faites au·à la patient·e. Les hypothèses
physiologiques de l’analgésie hypnotique sont précisées, mettant en jeu l’activation du

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système inhibiteur descendant de la douleur, en plus de l’inhibition du réflexe médullaire
poly-synaptique nociceptif de flexion RIII. » (Musellec, 2010, p.1). L’hypnose refait son
entrée dans les hôpitaux et est notamment utilisée au CHU de Liège pour des anesthésies
générales. Les médecins se forment également à l’hypnose. La population est elle aussi
également plus informée sur cette pratique et de plus en plus nombreux sont ceux qui y font
recours. Ce nouveau statut de l’hypnose semble donc la réconcilier avec le monde
scientifique : « Aujourd’hui, nous constatons indéniablement un regain d’intérêt pour cet outil
dans le monde médical, non plus en opposition avec la Science, mais cette fois, appuyé par le
développement des neurosciences et des expérimentations cliniques » (Musellec, 2010, p.1).
Faut-il y voir pour autant un retour définitif de l’hypnose ? C’est la question à laquelle je vais
tâcher d’apporter une réponse au travers de mon analyse sur la relation à travers le temps
entre hypnose et science.

Nous avons donc pu constater comment des courants de pensée en vogue à une époque
donnée tels que les Lumières, le Romantisme et le positivisme ont agi sur les directions
qu’ont prises le magnétisme puis l’hypnose. Et ce, non seulement durant les périodes fastes de
ces courants, mais également indirectement, des années plus tard, comme ça a été le cas pour
l’opposition entre l’Ecole de Nancy et celle de Paris, toutes deux puisant leurs inspirations
respectives dans le Romantisme et le positivisme1.
Nous avons également pu remarquer une constante : l’ambivalence, durant tout le parcours de
l’hypnose, des milieux scientifiques.

                                                                                                           
1
 Notons que j’ai évoqué dans ma chronologie le parcours général de l’hypnose. Il est cependant important de préciser que l’engouement n’a
pas été le même partout. Ainsi, la France a été le pays, entre 1778 et 1926 ayant connu le plus grand intérêt pour cette pratique (Barrucand,
1967). Mais d’autres pays se sont montrés également fascinés par l’hypnose comme c’est notamment le cas de l’Allemagne. Suite à cela,
comme j’ai tâché de l’expliquer, l’intérêt cessera momentanément, mais ce ne sera pas partout le cas. En effet, aux Etats-Unis et en Union
Soviétique, on commencera à ce moment-là à y porter une attention croissante (Chertok, 1965).

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Hypnose et science : une relation en dents de scie

Un peu de recul sur l’histoire de l’hypnose nous permet de nous rendre compte que le niveau
de légitimité de la discipline a souvent changé au cours du temps. Tantôt décriée car
considérée comme insuffisamment scientifique, tantôt glorifiée pour ses résultats miraculeux,
l’hypnose n’a cessé de changer de statut. Pierre Janet, figure centrale de la psychologie
française et éminent théoricien de l’hypnose, pointe du doigt le fait qu’elle semble avoir été
souvent victime des modes des époques qu’elle a traversées. Celles du monde médical ne font
selon lui pas exception (Ellenberger, 1994). La scientificité qu’on a bien voulu lui accorder ou
pas selon les périodes a ainsi beaucoup fluctué. De cette manière, quand Mesmer arrive sur le
devant de la scène au XVIIIe siècle, c’est en partie dû à une apparente plus grande modernité
dans ses pratiques par rapport à Gassner et son exorcisme. En effet, à une époque où l’on a
soif de nouveautés, de nouvelles connaissances, les pratiques traditionnelles telles que
l’exorcisme paraissent soudainement obsolètes. Mais seront-elles pour autant remplacées par
des techniques forcément plus scientifiques ? C’est en tous cas en utilisant cet argument que
Mesmer essayera de faire une place à son magnétisme animal. Comme nous l’avons vu
auparavant, en évoquant Newton et ses nouvelles idées dans le domaine de la physique, en
vogue à cette période-là, Mesmer espère certainement, consciemment ou pas, convaincre le
milieu scientifique de son temps et en particulier le milieu médical. Dans cette optique
d’ailleurs, Mesmer « tenait beaucoup à entrer en relation avec les membres des corps
scientifiques : l’Académie des sciences, la Société royale de médecine, la faculté de
Médecine. » (Ellenberger, 1994, p. 92). De même, « en fils des Lumières, Mesmer avait
besoin d’une explication rationnelle et rejetait toute théorie de caractère mystique »
(Ellenberger, 1994, p. 93). Mesmer dira d’ailleurs lui-même à ce propos que « le magnétisme
animal est un rapprochement de deux sciences connues : l’astronomie et la médecine. »
(Barrucand, 1967, p.11).
En réussissant à convaincre le milieu scientifique, Mesmer sait pertinemment qu’il obtiendrait
une adhésion consistante de la population beaucoup plus facilement. Il est d’ailleurs au
sommet de sa notoriété et de son prestige quand la commission d’enquête nommée par le roi
communique son rapport. En niant l’existence indubitable d’un fluide magnétique, le rapport
décrédibilise Mesmer et met un terme à sa carrière. La non-approbation par les scientifiques
de son siècle aura eu raison son succès. Cette relation ambigüe avec le milieu scientifique
continuera de marquer le parcours du magnétisme et de l’hypnose entre 1775 et 1900. De ce
fait, « le magnétisme animal, la phrénologie et l’homéopathie se virent saluer comme de

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merveilleuses découvertes scientifiques et de nouvelles branches de la science. Chacune de
ces disciplines recruta des milliers de disciples enthousiastes, acquit parfois droit de cité dans
les universités, mais, tout au long du XIXe siècle, elles furent rejetées par la plupart des
savants. » (Ellenberger, 1994, p. 259).
Mais pourquoi un tel scepticisme ? Une première explication pourrait venir du fait que bon
nombre de résultats obtenus par les magnétiseurs semblent a priori miraculeux. En effet, à une
époque à laquelle on n’a pas encore rationnalisé l’influence de l’hypnotiseur sur
l’hypnotisé·e, il n’est pas surprenant que l’on ait pu croire que l’origine des « crises
magnétiques » des patient·e·s de Mesmer, par exemple, soit un phénomène magique.
Mais force est également d’admettre que magnétisme et hypnose semblent avoir quelque
chose d’intrinsèquement mystérieux. En effet, bon nombre de guérisons obtenues par ces biais
ne sauraient trouver une explication théorique convaincante, même soumises à l’examen de la
science moderne. En tournant les pages de la captivante histoire de l’hypnose, on peut
remarquer que le terme « miracle » revient régulièrement. Même Jean-Martin Charcot, qui a
participé à faire reconnaître l’hypnose par la médecine officielle, est associé à des « guérisons
quasi miraculeuses » (Ellenberger, 1994, p.129). Une anecdote parmi tant d’autres semble en
attester : « On lui amena une autre jeune femme paralysée des deux jambes. Il ne trouva
aucune lésion organique. La consultation n’était pas encore terminée qu’elle se leva et alla
vers la porte où le cocher qui l’attendait fut tellement stupéfait qu’il se découvrit et se signa. »
(Ellenberger, 1994, p.129). Ainsi, le magnétisme et l’hypnose semblent contenir, dans leur
essence même, une part impalpable mettant à mal les certitudes parfois très cartésiennes de la
science.
Cet aspect a pu s’additionner à la démarche de certains magnétiseurs et poser problème, selon
Janet, dans le sens où « la plupart des magnétiseurs, au lieu de s’appliquer à une étude
approfondie des manifestations, s’imaginaient qu’ils démontraient la validité de leur théorie
en multipliant les phénomènes extraordinaires. » (Ellenberger, 1994, p. 109).
Les nombreux charlatans qui profiteront des vagues successives durant lesquelles la pratique
du magnétisme puis de l’hypnose seront à la mode, pour se faire une renommée ou de
l’argent, jetteront également le discrédit sur cette discipline.
Seront également reportés beaucoup de cas d’acteurs faisant semblant d’avoir été magnétisés
pour se moquer ou montrer le caractère discutable de l’hypnose. C’est d’ailleurs un épisode
de ce type qui a mis fin à la carrière de l’abbé Faria.
En outre, des dangers relatifs à la pratique de l’hypnose ont été rapportés, parfois même par
les praticien·ne·s eux·elles-mêmes. Entre 1775 et 1900, beaucoup de spécialistes mettent en

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évidence le fait que le·la patient·e est particulièrement à la merci de son hypnotiseur lors des
séances et ce dernier peut de ce fait lui faire faire des actes qu’il·elle n’aurait pas commis
s’il·elle était pleinement conscient.
La possibilité que le sujet fasse part à l’hypnotiseur d’un secret intime voire compromettant
pour lui existe également.
De plus, Bernheim affirmera que l’hypnotiseur peut implanter de faux souvenirs dans la
mémoire du·de la patient·e, ce qui pose évidemment de grands problèmes, sur le plan
juridique entre autres.
Enfin, la relation entre hypnotiseur et hypnotisé·e – qui est, et ce dès le début, la plupart du
temps une femme – a toujours été soupçonnée d’érotisme, ce qui a pu très souvent jeter un
voile de méfiance quant à l’objectif principal de l’hypnotiseur.

La relation ambivalente entre science et hypnose se poursuit après l’âge d’or de cette dernière.
Ainsi, la mise en silence de l’hypnose au début du XXe siècle, alors même qu’elle vient de
connaître ses plus grandes heures de gloires et la reconnaissance par la médecine officielle,
est en grande partie due à un désintérêt soudain et étonnant de ce même monde médical pour
son application. Janet explique cela en prétendant que même la médecine est faite de modes
(Ellenberger, 1994). En effet, à ce moment-là, la psychologie fondamentale est en pleine
expansion et parait plus scientifique.
Il n’est du coup pas étonnant que le retour en force de l’hypnose soit marqué par les tentatives
successives de Chertok et d’Hilgard entre autres, de faire paraître la discipline comme étant
plus scientifique. L’ouverture d’un laboratoire d’hypnose expérimentale et le développement
d’une échelle d’hypnotisabilité, ainsi que les possibilités offertes plus récemment par
l’imagerie cérébrale, semblent en effet donner une crédibilité nouvelle à l’hypnose.

Il paraît par contre difficile de considérer cette dernière comme véritablement acquise. Le
chemin en dents de scie de l’hypnose a connu très souvent des changements de trajectoire
semblant parfois ne répondre à aucune logique. Il a, comme nous avons pu le constater, pris à
maintes reprises des directions imprévisibles, influencées certes par les caractéristiques
propres à l’hypnose, mais aussi par les idées des mouvements de pensée, les décisions des
autorités d’une époque donnée, les événements historiques tels que la Révolution française ou
les modes d’une période. La légitimité de la discipline a, à de nombreuses reprises au cours de
son parcours, été admise puis réfutée. Sa scientificité a déjà par exemple été acceptée avec
Charcot entre 1880 et 1900. Cela n’a pas empêché sa pratique d’être délaissée par la suite.

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Cette ambivalence des milieux scientifiques peut paraître ingrate lorsque l’on considère, entre
autres, les apports indéniables de l’hypnose en ce qui concerne l’anesthésie chirurgicale, et ce
dès le XIXe siècle. L’Académie des Sciences s’opposera même à ce moment-là à l’analgésie
par le magnétisme qui sera tout de même pratiquée et permettra d’atténuer les souffrances de
bon nombre de malades lors de leurs opérations.
De plus, comme nous questionne Nietzsche, « croyez-vous que les sciences auraient pu
prendre forme et acquérir une telle importance si les mages, les alchimistes, les astrologues et
les sorcières ne les avaient pas précédées ? Ce sont eux qui ont suscité en l’homme, par leurs
promesses et leurs prétentions trompeuses, cette soif, cette faim et ce goût pour les formes
cachées et interdites ! » (Ellenberger, 1994, p. 259).
Mais c’est peut-être aussi cet aspect équivoque de l’hypnose qui en fait l’attrait et son
parcours n’en demeure pas moins, à ce titre et à l’image de sa pratique, imprévisible,
mystérieux, fascinant.

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Bibiographie

Ouvrages

Anderson Ola (1997), Freud avant Freud, Paris : Synthélabo Groupe

Barrucand Dominique (1967), Histoire de l’hypnose en France, Paris : Presses Universitaires


de France

Chertok Léon (1965), L’hypnose, Paris : Editions Payot

Clervoy Patrick (2005), Petits moments d’histoire de la psychiatrie en France, Courtaboeuf :


EDK Editions

Ellenberger Henri F. (1994), Histoire de la découverte de l’inconscient, Paris : Fayard

Articles de revues

Amouroux Rémy (2009), « Eléments pour une histoire de l’hypnose », La douleur de l’enfant.
Quelles réponses ?, p.29-33

Bioy, Antoine (2008), « Sigmund Freud et l'hypnose : une histoire complexe », Perspectives
Psy, vol. 47,(2), p.171-184

Musellec Hervé (2010), « L’analgésie hypnotique à travers l’histoire médicale », Club de


l’histoire de l’anesthésie et de la réanimation, p.5-10

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