Le Juge Administratif Et L'education Nationale
Le Juge Administratif Et L'education Nationale
Le Juge Administratif Et L'education Nationale
Introduction:
Le but de cette conférence est de mieux faire connaître aux personnels et usagers de l'Education
nationale le fonctionnement et le rôle des juridictions administratives à travers des exemples
jurisprudentiels empruntés essentiellement au contentieux de l'enseignement et des personnels qui y
concourent.
Les Tribunaux administratifs (en première instance), les Cours administratives d'appel ( en appel) et
le Conseil d'Etat (notamment comme juge de cassation) ont pour rôle de juger les litiges entre les
personnes publiques (administrations de l'Etat, collectivités territoriales, établissements publics
administratifs dont les EPLE, universités... ) et les personnes privées (par exemple: parents et élèves,
personnels enseignants et ATOS, syndicats, associations loi 1901, etc...). Ces juridictions
administratives sont radicalement distinctes des juridictions judiciaires, y compris par le recrutement et
les statuts de leurs membres.
L'ordre de juridiction administratif a été longtemps critiqué pour des raisons diverses: remise en
cause par certains de la tradition du service public "à la française" et du rôle régulateur de la
puissance publique; juge parfois considéré comme peu efficace par nature, comme “révérent” vis à
vis de l’Etat ou comme exagérément sévère vis à vis des pouvoirs locaux; existence d'un juge
administratif parfois regardée comme un "privilège" juridictionnel de l’administration...
Il possède pourtant une justification constitutionnelle: le principe de séparation des pouvoirs implique
l'existence d'un ordre de juridiction distinct de l'ordre judiciaire (1) mais indépendant du législateur et
du gouvernement (2) pour juger de la légalité des décisions administratives.
Par rapport à d'autres contentieux (fiscal, étrangers, urbanisme...) le contentieux lié à l'éducation
nationale est finalement limité en volume: si on ajoute au contentieux de l'enseignement proprement
dit celui des personnels de l'Education nationale (fraction du contentieux, beaucoup plus important, de
la fonction publique), on n'atteint pas 10 % des litiges de première instance.
Juge spécifique, mais juge à part entière, le juge administratif exerce des fonctions essentielles de
contrôle de légalité et de réparation indemnitaire, dans le contentieux de l'Education nationale comme
dans d'autres.
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La juridiction administrative a d'abord été incarnée par le seul Conseil d'Etat: institué par la
Constitution de l'an VIII, il a conquis son indépendance complète à la fin du 19 ème siècle (3). Puis
l'ordre de juridiction administratif s'est démultiplié avec la création des TA en 1953 et des CAA en
1987, pour aboutir finalement à une organisation calquée, dans ses grandes lignes, sur celle de l'ordre
de juridiction judiciaire: première instance, appel, cassation (4).
Exemple: dans un avis du 3 mai 2000, le CE a rappelé la portée de l'obligation de neutralité incombant, dans
l'exercice de leurs fonctions, à tous les agents publics et notamment aux personnels de l'éducation nationale,
enseignants ou non, en précisant qu'était prohibée toute manifestation de croyances religieuses dans le cadre du
service, notamment le port de signes distinctifs d'appartenance religieuse (6).
La plus importante concerne l'Education nationale: elle résulte de la loi du 5 avril 1937 (codifiée à
l'art. L 911-4 du Code de l'éducation).
La responsabilité civile de l'Etat est engagée devant le juge judiciaire, à raison des dommages causés à un
élève ou par un élève d'un établissement d'enseignement qui sont imputables à un défaut de surveillance d’un
“membre de l'enseignement public”: et cela, que la faute ainsi commise soit une faute de service ( dont les
conséquences dommageables relèveraient normalement des tribunaux administratifs ) ou une faute personnelle
détachable du service (8). Toutefois, le litige concernant l'action récursoire que l'Etat peut engager contre un
agent dans ce deuxième cas est de la compétence du juge administratif (9).
b) Le recours pour excès de pouvoir (annulation d'une décision pour illégalité) se distingue
du recours de plein contentieux (condamnation, décharge...) mais cette distinction n'est pas
figée.
Ainsi, il est possible de demander, dans le cadre d'un recours en annulation d'une décision purement
pécuniaire, entraînant la privation d'une somme d'argent, que le juge administratif enjoigne à
l'administration, en exécution du jugement, de verser non seulement la somme en litige, mais aussi
les intérêts de retard (10). Les effets d'une telle annulation sont finalement les mêmes que ceux d'une
condamnation.
c) La procédure juridictionnelle est contradictoire, mais aussi écrite (sauf dans certaines
procédures d'urgence) et inquisitoriale.
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Comme la procédure est totalement écrite (sauf dans certaines procédures d'urgence) les nouveaux
éléments qui seraient produits à l'audience doivent faire l'objet d'une note en délibéré (11).
Sauf dans les cas où elle est rejetée par ordonnance comme irrecevable ou manifestement mal
fondée, une requête au fond donne lieu à une audience publique.
Cette audience est collégiale, hormis pour certains litiges regardés comme mineurs, qui peuvent être
confiés à un juge statuant seul (12). Au cours de l'audience publique, dirigée par le président de la
formation de jugement, les parties peuvent présenter leurs observations orales et répondre aux
conclusions du rapporteur public. Ce dernier (bien qu'appelé naguère "commissaire du
gouvernement") n'est pas un représentant de l'administration. C'est "un juge qui parle, mais ne décide
pas". Il donne publiquement, en toute indépendance, un avis motivé et impartial sur les circonstances
de droit et de fait de chaque affaire et sur la solution qu'elle appelle ( 13). Mais ayant exprimé son
opinion lors de l'audience publique, il ne saurait participer au délibéré.
Ce délibéré, qui réunit les membres de la formation de jugement, a un caractère secret. Il n'est
regardé comme achevé qu'à la date de lecture de la décision de justice, laquelle est ensuite notifiée
aux parties.
3 - Le juge administratif dispose de pouvoirs qui se sont accrus au cours des deux dernières
décennies.
En principe, les ordonnances du juge des référés, qui ne préjugent pas du fond, se bornent à
prescrire des mesures provisoires ou conservatoires.
Le juge des référés statuant en urgence peut ainsi prononcer, sur demande d'un justiciable :
- la suspension provisoire d'une décision administrative (dont le requérant a par ailleurs demandé
l'annulation) s'il existe à la fois une situation d'urgence et un doute sérieux sur la légalité de la
décision (14) ;
- une injonction mettant fin immédiatement à une atteinte grave et manifestement illégale à une
liberté fondamentale, commise par l'administration dans l'exercice de l'un de ses pouvoirs ( 15);
- une mesure utile et urgente portant sur l'évacuation du domaine public (notamment, logements de
fonction occupés sans droit ni titre dans un établissement) ou la communication de documents
administratifs à un justiciable.
Les ingrédients de l'efficacité sont le juge unique, la procédure accélérée (en partie orale, pour les
référés en urgence) et la rapidité de jugement (trois jours à un mois, pour le référé-suspension; 48
heures au maximum dans le cas du référé-liberté).
Lorsque le juge des référés a statué en urgence, il est toujours possible, pour toute personne
intéressée, de lui demander, au vu d'un élément nouveau, de modifier les mesures qu'il avait
ordonnées ou d'y mettre fin ( CJA, art. L 521-4).
b) Le juge, s'il est tenu par les conclusions des parties, s'est donné la possibilité de moduler
ses annulations et leurs effets.
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Il peut ainsi prononcer des annulations partielles, des annulations "en tant que...ne pas" ou même
décider exceptionnellement, pour des motifs d'intérêt général, lorsqu'il annule un acte, "que tout ou
partie des effets de cet acte antérieurs à l’annulation devront être regardés comme définitifs ou même,
le cas échéant, que l’annulation ne prendra effet qu’à une date ultérieure qu’il détermine". (16) Cette
dernière jurisprudence peut trouver application dans le cas d'un fonctionnaire d'autorité dont la
nomination est annulée pour un simple vice de procédure (17).
Ainsi, après avoir annulé une décision du ministre de l'éducation nationale mettant en oeuvre la "Base nationale
des identifiants des élèves", au motif qu'était fixée une durée excessive de conservation des données (35 ans), le
Conseil d'Etat a enjoint au ministre de prendre dans un délai de trois mois une nouvelle décision fixant une durée
de conservation légitime au regard de la finalité du traitement ( à savoir: l'utilisation des données recueillies pour
le bon fonctionnement du service public de l'éducation nationale) ; à défaut, il incombait au ministre de l'éducation
nationale de faire supprimer l'ensemble des données recueillies dans le traitement (18).
Par ailleurs, lorsqu'une décision de justice administrative n'a pas été exécutée, totalement ou
partiellement, le justiciable qui en bénéficie peut demander au chef de la juridiction de faire assurer
cette exécution, d'abord dans le cadre d'une procédure amiable, puis, en cas d'échec, d'une
procédure juridictionnelle. C'est alors par jugement que sont prescrites les mesures d’exécution
impliquées par la décision de justice et non encore intervenues, avec un délai d'exécution déterminé
et souvent accompagné d'une astreinte (CJA, art. L 911-4 et suivants). Cette contrainte financière est
un moyen de pression efficace pour prévenir ou faire cesser la résistance de l'administration.
Avant d'en arriver au fond d'une affaire, le juge vérifie si la requête est recevable, ce qui suppose
que quatre conditions soient satisfaites.
Les circulaires ne font grief que dans la mesure où elles ont un caractère impératif: c'est le cas, par
exemple, de la disposition d'une note de service relative aux affectations outre-mer des attachés
d'administration scolaire et universitaire, où le ministre de l'éducation nationale reprenait à son compte
des règles fixées par le ministre de la France d'outre-mer (19).
Ne font pas grief des actes non décisoires : renseignements, actes déclaratifs, avis (par ex. les avis
de commission administrative paritaire). Ne font pas non plus grief les mesures superfétatoires ou
purement gracieuses, faute d'effets juridiques; et les actes préparatoires, aux effets non immédiats
(par ex. une notation de fonctionnaire proposée par un notateur primaire).
Enfin, ne font pas grief les mesures d’ordre intérieur, aux effets minimes. Il en va ainsi du
changement d'affectation d'un attaché au sein des services d'un CROUS, dès lors que sa nouvelle
fonction "présente pour le requérant les mêmes avantages pécuniaires et les mêmes garanties de
carrière" et que la décision (qui n'entraîne pas un abaissement sensible du niveau de responsabilité
ou une modification du lieu d'exercice) "n'a ni le caractère d'une sanction disciplinaire déguisée ni
celui d'une mutation". Constitue aussi une mesure d'ordre intérieur, non susceptible de recours
contentieux, le changement de classe d'un élève de collège en cours d'année scolaire, dès lors que
cet élève est transféré d'une classe de troisième à une autre classe de troisième du même
établissement pour des raisons éducatives et non disciplinaires (20).
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Les personnels et leurs syndicats, les parents et élèves majeurs, les membres des CA des
établissements d'enseignement ont qualité pour agir contre une décision susceptible de recours, mais
seulement s'ils peuvent se prévaloir d'un intérêt "froissé" (ou a fortiori gravement lésé).
L’intérêt pour agir est apprécié par rapport au temps (intérêt né et actuel) à l’objet de la requête
(intérêt pertinent), à la personne qui la formule (intérêt personnel), à l’aléa et à la proximité de ce qui
est demandé (intérêt suffisamment direct et suffisamment certain) et à la légitimité de la requête
(personne ne pouvant se prévaloir de ce qu'il a été mis fin à une situation illégitime).
Ainsi, une décision par laquelle un recteur transforme un emploi de conseiller d'administration scolaire et
universitaire en emploi d'attaché fait grief à la personne occupant le poste dont il s'agit, eu égard aux
conséquences qu'elle entraîne sur la situation de l'intéressée, qui a été invitée à demander sa mutation sur un
emploi de conseiller d'administration scolaire et universitaire dans un établissement: elle a donc un intérêt lui
donnant qualité pour demander l'annulation de cette décision (21).
L'intérêt à agir des groupements (syndicats, associations... ) est apprécié par rapport à l'objet défini
par les statuts (22).
c) La requête doit être présentée dans les délais impartis, une décision devenue définitive
n'étant toutefois pas irréprochable.
A l'expiration du délai de recours (qui est un délai franc, incluant à la fois le premier et le dernier
jour), la décision devient "définitive" : elle ne peut plus faire l'objet d'un recours en annulation pour
illégalité.
Mais elle ne devient pas pour autant irréprochable aux yeux du juge. Il est en effet possible:
- d'exciper de l’illégalité d’un acte réglementaire devenu définitif, à l’appui d’un recours contre une
décision qui en fait application: ainsi, la CAA de Lyon, confirmée en cassation par le CE, a annulé le
refus d'attribution de la nouvelle bonification indiciaire opposé par un recteur à un fonctionnaire
stagiaire exerçant les fonctions de gestionnaire dans un lycée, dès lors que ce refus était fondé sur un
décret réservant illégalement cette bonification aux fonctionnaires titulaires ( 23);
- de demander à l'administration d'abroger un règlement au motif qu'il est illégal, puis d'attaquer en
excès de pouvoir le refus d'abrogation (24), l'administration ne pouvant laisser subsister pour l'avenir
une disposition de portée générale, si elle est entachée d'illégalité;
- d'arguer de l'illégalité fautive d'une décision à l'appui d'un recours indemnitaire (voir ci-après).
d) La présentation de la requête doit être régulière, les irrégularités purement formelles étant
régularisables, sur invitation du greffe, tant que le juge n'a pas statué.
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Il faut y ajouter la production, dans le délai de recours, de conclusions précises et de moyens relatifs
à chaque cause juridique invoquée (en excès de pouvoir, légalité externe et légalité interne: voir ci-
après).
Mais, sauf en ce qui concerne les conclusions et moyens, le requérant est invité par le greffe à
remédier à ces irrégularités dans le délai qui lui est indiqué : au minimum 15 jours, sauf urgence (CJA,
art. R 612-1). Après l'expiration de ce délai, la requête non régularisée peut être rejetée comme
irrecevable par simple ordonnance. La régularisation reste possible jusqu'à ce que le juge statue.
En premier lieu, le JA vérifie d'office que la décision contestée n'est pas entachée d'incompétence,
son auteur n'ayant pu la prendre qu'en vertu d'un pouvoir conféré par une loi, un décret ou un principe
général.
Ainsi le ministre, chef des services de l'Education nationale, est toujours compétent pour organiser ces
services: par exemple, lorsqu'il détermine les modalités applicables à une déclaration de grève soumise à
préavis (25).
En revanche, s'il lui appartient d'apprécier les suites qui peuvent être données, dans l'intérêt du service, aux
demandes de mutation qui lui sont présentées, il n'a pas le pouvoir, en l'absence de disposition statutaire l'y
autorisant, de contraindre un enseignant à s'engager par avance à accepter une mutation ne correspondant pas
à ses voeux (26).
Quand le signataire de la décision n'est pas l’auteur désigné par les textes conférant compétence, le
juge contrôle également, au vu des possibilités réglementaires de délégation de signature et des
pièces du dossier, s'il bénéficiait d'une délégation régulière à la date à laquelle cette décision a été
prise.
En deuxième lieu, si cela lui est demandé dans le délai de recours, le juge contrôle le respect des
formes et procédures relatives à la décision attaquée: avis recueillis ou à recueillir auprès
d'organismes consultatifs (27); procédure contradictoire imposée par un texte ou par le respect des
droits de la défense ( principe de valeur constitutionnelle); droit des fonctionnaires et agents publics à
prendre connaissance de leur dossier avant toute mesure prise en considération de la personne ( 28);
obligation de motiver formellement la décision, si elle est prévue par un texte ( 29).
Le juge ne censure que les vices de procédure substantiels. Il admet en effet "qu'un vice affectant le
déroulement d'une procédure administrative préalable, suivie à titre obligatoire ou facultatif, n'est de nature à
entacher d'illégalité la décision prise que s'il ressort des pièces du dossier qu'il a été susceptible d'exercer, en
l'espèce, une influence sur le sens de la décision prise ou qu'il a privé les intéressés d'une garantie; que
l'application de ce principe n'est pas exclue en cas d'omission d'une procédure obligatoire, à condition qu'une
telle omission n'ait pas pour effet d'affecter la compétence de l'auteur de l'acte" (27).
Ainsi, le CE a estimé qu'un arrêté du ministre de l'éducation nationale excluant les élèves de l'enseignement
privé hors contrat de la participation aux épreuves du concours général des lycées n'était pas contraire au
principe d'égalité devant la loi, dès lors que ces élèves, ne suivant pas obligatoirement les programmes de
l'enseignement public, ne sont pas dans la même situation, au regard de l'objet du concours, que les élèves de
l'enseignement public et de l'enseignement privé sous contrat d'association. Il a également relevé que ce texte
n'avait "pas davantage méconnu le principe de la liberté de l'enseignement, posé, notamment, par l'article 2 du
premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés
fondamentales et par l'article L. 151-1 du code de l'éducation" (30).
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Le juge de l'excès de pouvoir contrôle aussi, sur la demande des requérants, que les motifs des
décisions attaquées sont exempts d'erreurs de droit ou de fait dans l'application des normes
juridiques.
Par exemple, le CE, statuant en cassation, a rappelé qu'en application de la loi du 15 mars 2004 (art. L. 141-5-1
du code de l'éducation) les élèves des écoles, collèges et lycées publics peuvent porter des signes religieux
discrets, mais que sont en revanche interdits les signes ou tenues dont le port manifeste ostensiblement une
appartenance religieuse soit par lui-même (foulard islamique, kippa, grande croix...), soit en raison du
comportement de l'élève. Il a ensuite considéré que le port permanent, persistant et intransigeant par une élève
d'un foulard de type "bandana" constituait un signe ostensible d'appartenance religieuse méconnaissant
l'interdiction posée par la loi. Le CE a confirmé ainsi la qualification des faits opérée dans cette affaire par
l'éducation nationale et par les juges du fond (31).
Le degré du contrôle exercé par le juge administratif sur les appréciations portées par
l'administration lorsqu'elle prend une décision varie en fonction de la marge de pouvoir discrétionnaire
laissée à l'administration par les textes applicables, tels qu'ils sont interprétés par la jurisprudence ( 32).
Le juge veille tout particulièrement au respect des principes fondamentaux du service public de
l'enseignement : continuité du service public ( 25), neutralité du service et de ses agents ( 6), laïcité de
l'Etat et des établissements publics d'enseignement ( 31), égal accès à l'instruction ( 15), liberté de
l'enseignement (30), gratuité de l'enseignement en contrepartie de son caractère obligatoire ( 33).
La neutralité du service public ne joue pas uniquement en matière religieuse ou politique. Ainsi,
s'agissant d'une campagne d'information sur la lutte contre les discriminations sexuelles, relayée par
décision du ministre de l'Education nationale, le Conseil d'Etat a considéré que ladite décision avait
porté atteinte au principe de neutralité du service public, dès lors que cette campagne invitait les
élèves à consulter un site internet comportant alors des informations sur des pratiques pénalement
répréhensibles (usage festif de drogues, pédophilie, insémination artificielle par sperme frais) sans
mentionner leur caractère illégal (34).
Quant au principe (constitutionnel) d'égalité, il est appliqué non seulement aux usagers du service
public, mais aussi à ses agents. Toutefois, il n'a pas une portée générale et absolue:
- La loi est écartée lorsqu'elle est contraire aux stipulations d'un traité ou d'un accord international
régulièrement ratifié ou approuvé (art. 55 de la Constitution).
C'est le cas de la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l'homme et des libertés
fondamentales et de ses protocoles additionnels, qui rappelle un certain nombre de principes
supérieurs à la loi (par exemple: droit à un procès équitable, droit au respect de la vie privée et
familiale, droit d'exprimer ses convictions religieuses, liberté de l'enseignement, droit pour tous les
agents publics de former des syndicats...)
C'est le cas, surtout, des traités communautaires et du droit qui en dérive: règlements
communautaires, directives...
Ainsi, dans un litige opposant un agent non titulaire à la commune qui l'employait (35), le CE a écarté des
dispositions (législatives) du statut de la fonction publique qui permettaient dans certains cas le recrutement
d'agents contractuels pour une durée de trois ans, mais ne limitaient ni la durée maximale totale des contrats de
travail successifs, ni le nombre de leurs renouvellements. Ces modalités de recrutement, qui excluaient à
l'époque la conclusion de contrats à durée indéterminée, n'étaient pas justifiées par des éléments suffisamment
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concrets et objectifs tenant à la nature des activités exercées et aux conditions de leur exercice et n'étaient donc
pas compatibles avec les objectifs d'une directive 1999/70/CE du Conseil de l'Union Européenne du 28 juin 1999.
- La loi devient inapplicable lorsqu'elle est déclarée contraire à la Constitution et abrogée par le
Conseil constitutionnel dans le cadre d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette QCP est
posée à l'occasion d'une instance devant le juge et transmise par le Conseil d'Etat au Conseil
constitutionnel, après filtrage :
Enfin, dans le cadre du contrôle de la légalité interne, le juge administratif annule pour détournement
de pouvoir ou de procédure une décision prise dans un but illégitime ou dans un but qui n'est pas celui
prévu par le texte appliqué : par exemple, une administration commet un détournement de pouvoir en
limitant le montant des primes d'un agent en prolongation d'activité, non pas en raison de sa manière
de servir, mais à seule fin de l'inciter à demander sa mise à la retraite ( 36).
a) Toute illégalité est fautive et donc de nature à ouvrir droit à réparation pécuniaire si elle a
causé un préjudice indemnisable.
Ainsi, le juge répare les préjudices subis par un fonctionnaire illégalement évincé (notamment la
perte de revenus), dans la mesure où ces préjudices sont directement imputables à l'illégalité fautive
dont la décision d'éviction est entachée:
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b) D'autres fautes commises par l'administration sont de nature à engager sa responsabilité à
raison des préjudices matériels, corporels ou moraux qu'elles ont causé.
La faute peut consister, pour l’administration, à demeurer inactive. Par exemple, en ne mettant pas
en pas en oeuvre les moyens nécessaires pour qu'un enfant handicapé puisse être scolarisé et
bénéficier effectivement de son droit à l'éducation, dans la mesure où il est soumis à l'obligation
scolaire (37); ou encore en laissant durant plusieurs années un fonctionnaire sans affectation et sans
travail effectif, alors que "sous réserve de dispositions statutaires particulières, tout fonctionnaire en
activité tient de son statut le droit de recevoir, dans un délai raisonnable, une affectation
correspondant à son grade" (38).
Un manquement d'un fonctionnaire à ses obligations de service constitue également une faute, qui
peut être de nature à engager la responsabilité de l'administration à raison des dommages causés:
La faute de la victime (ou celle d'un tiers) peut exonérer l'administration d'une partie de sa
responsabilité pour faute à raison du préjudice subi. Ainsi, il a été jugé que le comportement d'un
fonctionnaire laissé sans affectation (avec rémunération) durant sept ans, par le ministre chargé de
l'économie, mais ayant refusé pendant cette période, sans motif sérieux, deux postes qui lui ont été
proposés, était de nature à exonérer l'Etat de la moitié de sa responsabilité ( 38).
Conclusion:
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pris en compte, dans le contentieux de l'éducation nationale comme dans d'autres, les incidences du
droit européen, les modifications du droit constitutionnel, l'évolution nécessaire des fonctions
juridictionnelles.
Dans le cadre de ses fonctions de contrôle de légalité et de réparation, le juge administratif contribue
à assurer aux usagers et aux personnels de l'éducation nationale, autant que faire se peut, une
protection individuelle ou collective contre les conséquences des éventuels dysfonctionnements
administratifs. Lorsqu'il interprète, précise, applique la règle de droit, il tient compte à la fois des droits
et des obligations, des prérogatives et des sujétions, de la préservation des libertés fondamentales
des personnes et des nécessités de l'intérêt général: dans ce domaine comme dans d'autres, encore
une fois...
L'ordre de juridiction administratif constitue ainsi un élément fondamental de l'Etat de droit. Un Etat
responsable, notamment, du bon fonctionnement du service public éducatif, incarné par l'Education
nationale.
NOTES
(3) Avec le passage d'une "justice retenue" , rendue au nom du ministre, à une justice déléguée ( loi du 28 mai
1872) et rendue au nom du peuple français (arrêt du Conseil d'Etat, 13 décembre 1889, Cadot ).
(4) Actuellement, 42 TA et 8 CAA. Les TA, juridictions administratives de premier degré, sont issus des anciens
conseils de préfecture, organismes à caractère juridictionnel, institués auprès des préfets sous le Consulat mais
étroitement spécialisés ( contentieux des contributions directes, litiges divers relatifs aux travaux publics, litiges
relatifs aux "biens nationaux", questions de voirie, autorisations de plaider).
(5) Juridiction suprême de l'ordre administratif, le CE est juge de cassation des décisions juridictionnelles rendues
en dernier ressort (principalement, les arrêts des cours administratives d'appel). A ce titre, il vérifie le respect des
règles de procédure juridictionnelle et la rectitude du raisonnement juridique des juges du fond. Mais il peut régler
une affaire au fond après avoir cassé, pour des motifs de droit, la décision juridictionnelle attaquée devant lui.
Le Conseil d'État est également juge de premier et dernier ressort pour les recours contre les ordonnances du
président de la République et les décrets, pour les recours contre les actes réglementaires et les circulaires des
ministres, pour les protestations concernant les élections européennes et régionales, et pour la contestation de
certaines décisions concernant les fonctionnaires nommés par décret en conseil des ministres...
Enfin, le Conseil d'État est parfois juge d'appel, notamment en matière électorale (élections municipales et
cantonales), et pour certaines ordonnances en référé (référé-liberté...)
(6) CE Avis 3 mai 2000 Mlle Marteaux, JO 23 juin 2000 p. 9471. / Les principes de neutralité du service public et
de laïcité de l'Etat font obstacle à ce qu'un agent public manifeste dans l'exercice de ses fonctions ses croyances
religieuses, notamment en portant un signe destiné à marquer son appartenance à une religion. Une telle
manifestation constitue toujours un manquement à l'obligation de neutralité, de gravité variable selon les
circonstances.
(7) Un exemple parmi d'autres: les litiges opposant les maîtres contractuels des établissements d'enseignement
privés sous contrat d'association aux chefs de ces établissements ne relèvent de la compétence de la juridiction
administrative que s'ils se rattachent aux conditions dans lesquelles leur contrat d'agent public est interprété et
exécuté. Il en va ainsi d'un litige relatif aux obligations de service d'un maître contractuel (enseignements confiés
essentiellement en collège plutôt qu'en lycée, heures de surveillance des devoirs...): CE 9 juillet 2010 M. Arethas
et autres n° 314942.
(8) Voir par exemple le cas d'un principal de collège mis en cause pour ne pas avoir pris des mesures afin
d'empêcher la publication, par des élèves de son établissement, d'un journal scolaire réalisé dans le cadre du
cours de français et contenant des imputations regardées comme diffamatoires et injurieuses: en application de la
loi de 1937, l'action en réparation du préjudice causé par un tel défaut de surveillance d'un "membre de
l'enseignement public" (le chef d'établissement) relève du juge judiciaire et non du juge administratif, bien que la
faute alléguée soit une faute de service (Tribunal des conflits, 4 mai 1987 Legendre c/ Fabricius n° 02471).
(9) CE 13 juillet 2007 Ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche c/ A… n°
297390.
(10) CE sect. 9 déc. 2011 Marcou n° 337255.
(11) Si les juges prennent en compte la note en délibéré pour la solution du litige (ce qu'ils sont tenus de faire
dans le cas où ces éléments, de droit ou de fait, ne pouvaient matériellement être produits avant la clôture de
l'instruction: CE Section 12 juillet 2002, M. et Mme Leniau, n° 236125, Rec. CE p. 278) il faut rouvrir l'instruction
et renvoyer l'affaire à une audience ultérieure. Même régime pour les éléments nouveaux produits avant
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l'audience, mais après clôture de l'instruction (CE Section, 27 février 2004, Préfet des Pyrénées-orientales c/
Abounkhila, n° 252988 , Rec CE. p. 93).
(12) Litiges mentionnés à l'article R 222-13 du Code de justice administrative (1° à 10°). Notamment :
- litiges relatifs à la notation ou à l’évaluation professionnelle des fonctionnaires ou agents publics, ainsi qu’aux
sanctions disciplinaires prononcées à leur encontre qui ne requièrent pas l’intervention d’un organe disciplinaire
collégial (2°)
- litiges en matière de pensions (3°);
- litiges en matière de consultation et de communication de documents administratifs et d'archives publiques (4°);
- toute action indemnitaire ne relevant pas des dispositions précédentes ( 1° à 9°) de l'article R 222-13, lorsque le
montant des indemnités demandées est inférieur au montant déterminé par les articles R 222-14 et R 222-15 -
actuellement : 10 000 euros - (9°).
(13) Dans certains contentieux, énumérés à l'art. R 732-1-1 du CJA, le rapporteur public peut être dispensé de
prononcer des conclusions. Les litiges relatifs à l'éducation nationale et à ses personnels ne sont pas concernés
par ces dispositions.
(14) Pour la suspension d'une décision privant un professeur d'université, définitivement inapte à reprendre son
service, du demi-traitement auquel il avait droit jusqu'à son admission à la retraite, au regard des textes
applicables : JRCE, 18 déc. 2001 Mme X..., n° 240061.
(15) Voir CE 15 déc. 2010 n° 344729 pour le rejet d'une demande en référé-liberté, relative à un enfant
handicapé, qui à la suite de la démission de l'auxiliaire de vie qui l'assistait et faute qu'un remplacement ait été
trouvé, ne bénéficiait plus depuis deux mois et demi d'une assistance mais restait scolarisé. Dans les
circonstances de l'espèce (âge de l'enfant, diligences accomplies par l'autorité administrative au regard des
moyens dont elle disposait...) le JA a estimé qu'il n'y avait pas d'atteinte grave et manifestement illégale à l'égal
accès à l'instruction, qui a le caractère d'une liberté fondamentale.
(16) CE ass. 11 mai 2004 Association AC ! Rec. p. 197.
(17) CE sect. 30 décembre 2010 M. Robert n° 329513: si l'on admettait, dans cette hypothèse, l'effet rétroactif de
l'annulation, cela signifierait que toutes les décisions prises par ce fonctionnaire seraient entachées d'illégalité,
puisqu'il serait censé n'avoir jamais été nommé.
(18) CE 19 juillet 2010 n° 334014.
(19) CE 28 mai 2004 Traversari n° 253017.
(20) Voir respectivement: CE 18 mars 1996 Biard n° 141 089 ; CAA Bordeaux 21 oct. 2014 n° 13BX00067.
(21) CE 24 juin 1998, Mme X... n° 152916.
(22) Tout comme les agents agissant individuellement, les syndicats et associations défendant les intérêts
collectifs des fonctionnaires ne sont recevables à attaquer des dispositions réglementaires ou des dispositions de
circulaires à caractère impératif, se rapportant à l'organisation ou à l'exécution du service, que "dans la mesure
ou ces dispositions porteraient atteinte à leurs droits et prérogatives ou affecteraient leurs conditions d'emploi et
de travail" ( CE 23 juillet 2003 Syndicat Sud Travail Rec. p. 342). Seuls les agents eux-mêmes ( et non leurs
groupements) sont admis à demander l'annulation des mesures individuelles "négatives" dont ils font l'objet
(refus de titularisation, décisions défavorables en matière d'affectation ou de carrière, sanctions disciplinaires,
mutations d'office, licenciements, etc...). Il ont également intérêt pour agir contre les mesures, prises au bénéfice
d'autres agents, qui sont de nature à retarder irrégulièrement leur avancement ou qui sont susceptibles de leur
créer des concurrents, même futurs ( CE 14 juin 1993 Département de la Lozère Rec. p. 859). Ces règles sont
applicables à l'ensemble du contentieux des fonctionnaires et agents publics, y compris celui des personnels de
l'Education nationale.
(23) CAA Lyon 27 déc. 2001 M. Piélot n° 01LY00251; CE 30 juillet 2003 Ministre de l’éducation nationale c/
Piélot n° 243678.
(24) Pour un arrêté relatif à l'organisation du concours général des lycées, que le ministre de l'éducation nationale
a refusé (à bon droit) d'abroger en tant qu'il ne permettait pas aux élèves de l'enseignement privé hors contrat de
participer à ce concours: cf. CE 3 déc. 2009, Association Créer son Ecole n° 314164.
(25) CE 17 juin 2009, n° 321897-322167: le ministre n'apporte pas, ce faisant, une restriction illégale au droit de
grève.
(26) CE 19 mars 2001 n° 204347 204348.
(27) CE 23 déc. 2011 Danthony n° 335033
(28) CE 26 oct. 1994 M. Y... n° 101183
(29) En application notamment de la loi du 11 juillet 1979, qui énumère une série de décisions soumises à une
obligation de motivation formelle (mention des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de la
décision)
(30) CE 3 déc. 2009 Association Créer son Ecole n° 314164.
(31) CE 5 déc. 2007 n° 295671.
(32) Une exception: le JA ne contrôle pas l'appréciation portée par un jury d'examen ou de concours sur la valeur
du candidat. Toutefois, il en va autrement pour les jurys académiques appelés à se prononcer en vue de la
titularisation des professeurs stagiaires nommés dans certains corps. S'agissant d'une procédure tendant à
l'appréciation de la manière de servir qui doit être faite en fin de stage, cette appréciation est contrôlée par le juge
de l'excès de pouvoir et peut être censurée en cas d'erreur manifeste (contrôle restreint): cf. CE 23 juillet 2014 n°
363141.
(33) Pour les collèges, en application de dispositions réglementaires interprétées strictement, l'Etat doit prendre
en charge la fourniture des manuels scolaires, mais non celle d'ouvrages venant en complément de ces manuels,
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comme les cahiers d'exercices destinés à l'usage exclusif d'un élève : CE 27 avril 2012 Ministre de l'éducation
nationale, de la jeunesse et de la vie associative, n°352844.
(34) CE 15 oct. 2014 Confédération nationale des associations familiales catholiques, n° 369965.
(35) CE 12 juin 2013 Ville de Marseille n° 347406.
(36) CE, 29 nov. 1999, Cambours. n° 191765.
(37) La responsabilité pour faute de l'Etat ne saurait toutefois être engagée en raison de l'absence de
scolarisation d'un enfant handicapé n'ayant pas atteint l'âge de six ans, dès lors que l'article L. 113-1 du code de
l'éducation n'a pas institué un droit à l'admission des enfants dans un établissement scolaire avant l'âge de six
ans: CAA Versailles 4 juin 2010 N° 09VE01323.
(38) CE 15 déc. 2010 M. M... n° 321869.
(39) CE ass. 4 juil. 2003 Mme Moya-Caville n° 211106 Leb. p. 323.
NB: Le texte intégral des décisions mentionnées ci-dessus est en général disponible sur la base de données
Légifrance, ainsi que sur la base de données Ariane du Conseil d'Etat. Certaines conclusions des rapporteurs
publics du Conseil sont également accessibles sur Ariane.
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