1876 Jacolliot Les Traditions Gal

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Les traditions indo-

européennes et africaines /
par Louis Jacolliot

Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France


Jacolliot, Louis (1837-1890). Les traditions indo-européennes et
africaines / par Louis Jacolliot. 1876.

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LES

TRADITIONS
INDO-EUROPÉENNES

ET AFRICAINES

PAR

LOUIS JACOLLIOT

PARIS
LIBRAIRIE INTERNATIONALE
A. LA CROIX ET Cie, ÉDITEURS
13, RUE DU FAUBOURG-MONTMARTRE, 13
1876.
Tous droitsde reproductions traduction réserves.
et de
LES TRADITIONS
INDO-EUROPÉENNES

ET AFRICAINES
OUVRAGES DE LOUIS JACOLLIOT
EN VENTE :
LA BIBLE DANS L'INDE. 1 vol. in-8° 6 francs.
LES FILS DE DIEU. 1 vol. in-8° 6 francs.
CHRISTNA ET LE CHRIST. 1 vol. in-8° 6 francs.
HISTOIRE DES VIERGES. 1 vol. in-8° 6 francs.
LA GENÈSE DE L'HUMANITÉ. 1 vol. in-8° 6 francs.
FÉTICHISME. — POLYTHÉISME.— MONOTHÉISME 6 francs.
Le SPIRITISME DANS LE MONDE 6 francs.
LES TRADITIONS INDO-ASIATIQUES 6 francs.
LES TRADITIONSINDO-EUROPÉENNES ET AFRICAINES. 1 V.in-8° 6 francs.
LE PARIAH DANS L'HUMANITÉ. 1 vol. in-8° 6 francs.

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LES

TRADITIONS

PARIS
LIBRAIRIE INTERNATIONALE
A. LA CROIX ET Cie, ÉDITEURS
13, RUE DU FAUBOURG-MONTMARTRE, 13

1876
Tout droits de reproduction et de traduction réservés.
PREMIÈRE PARTIE

DU TYPE PRIMITIF DE LA COMMUNE


LANGUE INDO-EUROPÉENNE
MÉCANISME DU SANSCRIT
LES TRADITIONS
INDO-EUROPÉENNES ET AFRICAINES

PREMIÈRE PARTIE

CHAPITRE PREMIER

QUEL EST LE TYPE PRIMITIF DES LANGUES INDO-EURO-


PÉENNES. — OPINIONS DES LINGUISTES. — L'EXHUMA-
TION D'UNE LANGUE. MÉCANISME DU SANSCRIT.

Les sciences exactes, et notamment la linguisti-


que, n'ont pas de plus terrible ennemi que l'hypo-
thèse ; car il n'est pas du tempérament humain, en
face d'une difficulté dont la solution n'a été suppo-
sée que pour examiner si elle cadrait avec la somme
des faits acquis ou considérés comme tels, d'aban-
donner aisément la solution qu'il a imaginée.
Ce ne sont pas les vérités clairement démontrées,
et qui finissent par faire partie du bagage commun,
qui attirent le plus l'homme d'études, mais bien les
lacunes de la science, que chacun tient à honneur
de combler. Sur ce terrain, l'hypothèse reste rare-
ment dans un rôle prudent et réservé; à peine est-
elle née, que celui qui l'a mise au jour la caresse
comme l'enfant chéri de ses veilles ; plus il rencon-
tre d'obstacles sur sa route, plus il a de difficultés à
combattre, et plus il s'y attache. L'hypothèse ne
tarde pas à produire un système ; si son auteur est
de haut parage, elle devient officielle, fait école et
conserve ses adeptes longtemps après qu'elle ne
compte plus dans la science; et c'est ce qui fait qu'il
est peut-être plus facile de découvrir une vérité, que
de déraciner une erreur.
Les linguistes de l'école allemande, dont nous
avons déjà étudié les théories 1 sur l'origine du lan-
gage, ne se sont pas bornés à introduire dans la
linguistique pure, des hypothèses anthropologiques
que rien ne justifie dans l'état actuel de nos connais-
sances, ils ne se sont pas contentés d'inventer le
gorille perfectionné ou primate, ancêtre de l'humanité
et créateur du langage articulé; marchant d'hypo-
thèse en hypothèse, de suppositions en supposi-

1. Traditions indo-asiatiques.
tions, malgré la gravité apparente de leurs raison-
nements, ils semblent avoir constamment tenu à
honneur de remplacer l'exactitude scientifique par
cette fantaisie lourde et pédantesque, si fort en
honneur sur les bords du Rhin, où elle passe pour
de la profondeur.
.
Nous ne méconnaissons point l'érudition germa-
nique, mais nous disons que cette grosse éru-
dition toute composée de compilations dignes des
bénédictins, s'exerce souvent sans jugement, sans
méthode, sur des sujets d'imagination pure, aux-
quels elle donne des apparences scientifiques, par un
luxe de syllogismes, de considérations étrangères et
surtout de citations, qui déguisent assez habilement
la faiblesse des prémisses, et le peu de logique de la
question principale.
Voyez Kant, qui fut l'idole de l'Allemagne
après avoir puisé l'idée de la critique de la raison
pure dans Pyrrhon et Montaigne, le philosophe se
met à détruire une à une toutes les lois de la rai-
son, et repoussant la conscience, la loi morale et jus-
qu'à la certitude qui nous vient de nos sens, il éteint
le flambeau qui dirige l'humanité, refuse à la raison
le droit d'affirmer ses propres raisonnements
puis, tout d'un coup, effrayé d'avoir eu tant d'au-
dace, il se met à reconstruire le monument qu'il
a dévasté, et remonte à la raison et à Dieu par
des considérations de devoir et de soi idéale.
Après avoir soutenu que nos facultés n'ont rien
de légitime, que tout est relatif aux lois de notre
esprit et que c'est un cercle vicieux que de prouver
l'exactitude de nos jugements par la raison, alors
qu'on est ensuite obligé de démontrer l'existence de
la raison elle-même par ses propres manifestations,
le philosophe de Koenigsberg ne voit pas que l'idée
du devoir et les notions idéales, auxquelles il se rat-
tache, ne peuvent lui être fournies que par la raison
qu'il a repoussée comme criterium de certitude, et
qu'il tombe lui-même dans le vice de raisonnement
contre lequel s'élève la première partie de son livre.
Première partie. — Nous n'avons rien qui puisse
nous démontrer l'exactitude de notre raison, toutes
les preuves étant émanées d'elle-même, cela revient
à dire que la raison est son propre criterium, donc
nous sommes dans l'impossibilité de prouver que la
raison ne nous trompe pas.
Deuxième partie. — Mais nous avons en nous des
notions idéales de devoir, de droit, de bien et de
beau à l'aide desquelles nous pouvons reconstituer
notre conscience et notre loi morale.
Est-ce que, répétons-le encore, ces notions
idéales, en admettant qu'elles existent, ne sont
point fournies à l'homme par la raison?... et dès
lors pourquoi faire le procès de la raison quand on
veut revenir à elle par des chemins détournés, par
la poésie, l'idéal et la foi ?
Il manque toujours une chose à la logique alle-
mande... le jugement! Avant de nous taxer d'exa-
gération, qu'on relise le passage suivant de Strauss
que nous avons déjà cité dans la préface de la Ge-
nèse de l'Humanité :

« La République est rationnellement supérieure à la


monarchie, et c'est précisément pour cela qu'il faut
préférer la monarchie. Sans doute, il y a dans la
monarchie quelque chose d'énigmatique et d'absurde
même, en apparence, c'est en cela que consiste le se-
cret de sa supériorité. Tout mystère paraît absurde, et
pourtant, sans mystère, rien de profond, ni la vie, ni
l'art, ni l'État. »

Ce qui est mystérieux et absurde doit être préféré


à ce qui est rationnel, parce qu'il n'y a rien de pro-
fond sans mystère.
Tout le génie allemand est incarné dans ces quel-
ques lignes. Henri Heine, qui le connaissait bien, a
dit qu'il pouvait également se renfermer dans ces
deux mots :

« Mysticisme et brutalité ! »
Le même Strauss, après avoir dans sa Vie de Jésus
proclamé que les miracles étaient contraires aux loi8
de la nature, écrit tout un volume pour rechercher si
les miracles attribués à Jésus sont possibles.
Rien ne saurait mieux faire éclater la différence
qui existe entre le génie allemand et le génie fran-
çais.
Dans la patrie de Voltaire, quand on a déclaré
une chose rationnelle, on n'ira point lui donner
comme supérieure une chose énigmatique et absurde,
et, de même, pas un homme sain d'esprit, ne consa-
crera un volume à examiner la possibilité de faits,
qu'il aura tout d'abord reconnus contraires aux lois de
la nature.
Nous pourrions multiplier les exemples, mais
nous sortirions du cadre que nous impose cet ou-
vrage.
Le cerveau allemand, et cela résulte de toutes ses
productions, ne paraît point frappé par la valeur in-
trinsèque d'un raisonnement; on lui a appris à rai-
sonner suivant les vieilles formules de la scolasti-
que, et il faut qu'il y soumette sa pensée, il fait de
la gymnastique suivant des règles établies, et toute
proposition si absurde, si énigmatique qu'elle soit, a don
de le séduire, dès qu'il a pu la courber sous les rè-
gles du syllogisme.
La phrase de Strauss, citée plus haut, quoique
n'affectant pas la forme d'école de ce raisonnement,
est un pur syllogisme germain.
Tout ce qui est profond doit paraître mystérieux
et absurde ; or la monarchie paraît... etc.
Il est inutile d'insister.
Lorsque les Allemands quittent le terrain méta-
physique ou idéal pour celui des sciences exactes,
ils y transportent leurs procédés de raisonnements,
de là vient qu'à côté de patientes et laborieuses re-
cherches, de résultats acquis d'une incontestable
valeur, on rencontre des légèretés scientifiques qui
ne sont point données comme d'ingénieuses hypo-
thèses, mais bien comme d'indiscutables vérités.
Ainsi, pour entrer dans le vif de notre sujet, ils en
sont en ce moment à propos des langues indo-euro-
péennes, malgré tous les faits ethnographiques qui
contredisent leurs théories, à repousser le sanscrit
comme type commun de ces langues, et tenter la re-
constitution d'une langue inconnue, dont il ne reste
pas un monument, pas une inscription, dont rien,
ni dans l'histoire, ni dans la tradition ne vient affir-
mer l'existence, et qu'ils donnent comme ancêtre
au parler indo-européen.
Avant de combattre cette prétention, et de prouver
que le véritable type primitif et commun de toutes
les langues indo-européennes est bien le sanscrit,
il nous paraît naturel et juste de donner la parole
à nos adversaires et de leur laisser le soin d'exposer
leurs idées.
Un linguiste d'un incontestable mérite, M. Hove-
lacque, mais qui, suivant nous, a le tort d'admettre
beaucoup trop aveuglément les opinions de Schlei-
cher, Curtius, Kuhn, Spiegel, etc., ayant résumé
le système de ses maîtres, va nous le faire con-
naître assez brièvement pour que nous puissions le
citer.
Esquissant un tableau général de cette prétendue
langue commune antérieure au sanscrit, qui aurait
donné naissance aux divers idiomes indo-européens,
il s'exprime ainsi :

« On connaît assez cette langue dans son ensemble


pour qu'il soit possible de représenter sa physiono-
mie générale parfois même plus que cela. A la vé-
rité, ce n'est qu'une langue reconstituée, une langue
dont il ne reste aucun monument écrit, mais la com-
paraison des différents idiomes auxquels elle a donné
naissance enseigne suffisamment ce qu'il y a d'orga-
nique et de primitif dans chacun d'eux, ce qu'ils
contiennent chacun du fond commun qui leur a
donné naissance, ce qu'il faut penser de leurs va-
riations phonétiques et de leurs formations diverses.
C'est ainsi que le philologue peut restituer la forme
primitive d'un manuscrit perdu, dont il possède sim-
plement un certain nombre de copies fautives ou
incomplètes 1.
« La langue commune indo-européenne possédait
les trois voyelles a, i, u, et leurs langues â, î, ù. Le
sanscrit et certaines langues slaves, le croate, par
exemple, ont une voyelle linguale, un r voyelle que
l'on regarde ordinairement comme tout à fait secon-
daire. Certains auteurs, et nous sommes de ce nom-
bre, ont pensé que la langue commune indo-euro-
péenne avait possédé, elle aussi, une voyelle r,
mais ce fait, soumis à controverse, n'a point à nous
occuper ici, et nous ne le mentionnons que pour
mémoire.
« Un fait, important à noter, est celui de la varia-
tion de la voyelle radicale. Cette variation a lieu de
deux façons. L'un de ces procédés est ce qu'on ap-
pelle la gradation de la voyelle ; il consiste en ce fait :
qu'un a bref s'introduit devant la voyelle radicale :
la voyelle radicale i devient donc ai, la voyelle u de-
vient au, et la voyelle a devient â, lequel correspond
à deux a. Ainsi la racine i, aller, donne au mode indi-
catif du temps présent la forme organique aiti, il va,
d'où le sanscrit éti, le latin it pour eit, le lithuanien
eiti. Cette première gradation de la voyelle radicale

I. Cette image n'est point juste, ce manuscrit n'est pas perdu puisqu'il
en existe des copies quoique fautives, et il ne reste rien de la langue que
les linguistes allemands prétendent reconstituer.
a-t-elle été la seule qu'ait connue la langue commune
indo-européenne, n'en a-t-elle pas également connu
une seconde consistant en une nouvelle insertion de
la voyelle a, d'où âi pour aai, du pour aau, c'est ce
qu'il est difficile de décider.
« Il n'est pas moins difficile en tout cas de recon-
naître en quelle façon cette modification de la voyelle
radicale apporte un changement quelconque à la si-
gnification même du mot. Y a-t-il bien ici une véri-
table flexion, une flexion au sens vrai du mot,
c'est-à-dire, comme nous l'avons vu plus haut, une
modification interne de la racine ? Le fait est pos-
sible, mais ce rapport n'est pas encore démontré.
« Quant au second procédé de la variation des
voyelles, il constitue à n'en pas douter une véritable
flexion. Il consiste en ce fait : que la voyelle a des
éléments pronominaux ta, na, etc., se changeant en
i, u, ces éléments de dérivation deviennent actifs de
passifs qu'ils étaient. Un exemple rendra la chose
très-intelligible : soit la racine ma, penser, à laquelle
on suffixe en tant qu'élément dérivatif le pronom
démonstratif ta. Il en résulte la forme mata, pensé, ce
qui est pensé, chose pensée ; que la voyelle du pronom
dérivatif devienne i, le sens du mot devient actif de
passif qu'il était, et mati signifie l'acte de penser.
C'est le sanscrit mata et mati. Il ne peut y avoir
d'exemple plus frappant de la flexion, c'est-à-dire
de cette faculté de changer le mode de relation d'une
racine au moyen d'une variation interne de cette
même racine.
« Le système des consonnes de l'indo-européen
commun était des plus simples. Il se composait de
trois explosives k, t, p, de leurs correspondantes fai-
bles g, d, b, et des aspirées gh, dh, bit, en tout neuf
explosives ; des deux nasales n, m, l'une dentale,
l'autre labiale ; de la vibrante r ; de la sifflante den-
tale s et d'un v, non point celle du w anglais. Prononcé
de la sorte, c'eût été une demi-voyelle. L'idiome
indo-européen possédait notre y, c'est là, on le voit,
un système fort peu compliqué. Les différents idio-
mes indo-européens y ajoutèrent tous plus ou moins.
Les langues de l'Inde, les langues éraniennes et les
langues slaves virent naître chez elles les articula-
tions dites chuintantes, nos tch, dj, et différentes es-
pèces de sifflantes. Le grec changea les aspirées
faibles gh, dh, bh, en aspirées fortes kh, th, ph. Les
langues germaniques, les langues celtiques et le
latin demeurèrent plus fidèles au système primitif
des consonnes ; mais ces idiomes virent naître, eux
aussi, des articulations nouvelles, f, par exemple.
L'indo-européen commun ne connaissait point la
vibrante l ; elle se dégagea plus ou moins rapidement
de l'ancienne vibrante r dans tous les rameaux de la
famille.
« Nous insisterons peu sur le procédé de forma-
tion des mots. La dérivation indo-européenne est
des plus simples : elle a lieu, en général, par la suf-
fixation d'un élément d'une origine pronominale à
un élément d'origine verbale, par exemple mata-mati,
cités ci-dessus. Le tiret dont nous faisons suivre ce
mot indique qu'il ne représente qu'une forme radi-
cale ou, pour mieux dire, une forme thématique,
en d'autres termes, qu'il n'est qu'un simple thème.
Nous verrons tout à l'heure comment les suffixes ca-
suels ou les suffixes personnels, s'adjoignent à la
forme thématique, au thème, et en font un véritable
mot, c'est-à-dire un nom dérivé ou un verbe conju-
gué. La dérivation est dite dérivation à base ver-
bale lorsque l'élément dérivé, celui auquel s'accole
l'élément dérivatif, est une racine verbale ; elle est
dite, au contraire, dérivation à base pronominale
lorsque l'élément dérivé est lui-même une racine
pronominale. Pour être moins fréquent que le pré-
cédent, ce cas est loin d'être rare. Nous pouvons ci-
ter, par exemple, le thème aika, d'où le sanscrit éka,
un, un seul, seul et même, et le latin oequo, au nominatif
masculin oequus, égal, uni ; l'élément dérivatif est le
pronom relatif i (latin is, id), devenu ai par gradation,
par préfixation d'un a selon ce que nous avons dit
ci-dessus. Ajoutons que la dérivation peut être faite
encore au moyen d'un élément verbal, non plus
d'un élément pronominal, mais ce cas est beaucoup
plus rare et nous ne faisons que l'indiquer. En tout
cas, remarquons bien que dans les langues indo-
européennes la dérivation a toujours lieu par suf-
fixes, jamais par préfixes. Ceci est caractéristique. »

— Bien que notre intention soit de ne répondre


qu'après avoir laissé nos adversaires exposer com-
plétemeni leurs doctrines, nous ne pouvons cepen-
dant laisser passer, sans protester, cette grosse er-
reur, que dans les langues indo-européennes, la
dérivation a toujours lieu par suffixes et jamais par
préfixes. Bien que les préfixes soient en petit nom-
bre en sanscrit (vingt-quatre à vingt-cinq au plus)
et plus rarement employés que les suffixes, ils con-
courent néanmoins à la formation des mots.
Ainsi, de la racine kri qui exprime l'action l'on
obtient au moyen de suffixe : kartum, faire ; — karitri,
agent ; — karman, oeuvre faite. De la môme racine kri,
avec le préfixe anu, on obtient : « anukartum, imiter ; —
anukara, imitation.

« La dérivation des mots se fait au moyen des


préfixes, des suffixes et des flexions. »
(E. BURNOUF, Méthode de sanscrit.)

Nous poursuivons notre citation :


« La déclinaison de l'indo-européen commun com-
portait les trois genres, masculin, féminin, neutre ;
les trois nombres, singulier, pluriel, duel, et huit
cas. En principe, c'est par la désinence indicatrice
du cas que le genre lui-même est désigné. Ainsi,
dans les thèmes finissant par un a, l'élément du cas no-
minatif au singulier est s, au neutre cet élément est m,
le même que celui de l'accusatif. Exemple : akvas, le
cheval (en sanscrit acvas et en latin equus), yugam, le
joug (en sanscrit yugum, en latin jugum). Le signe du
pluriel suit en principe celui du cas, mais ce signe
n'est pas toujours le même et souvent il est fort dif-
ficile de découvrir sa forme primitive. En bien des
cas, c'est simplement la consonne s, reste d'un élé-
ment qui se montrait jadis dans sa forme intégrale.
Il ne faut pas l'oublier, ces suffixes indiquant le cas
et ces autres suffixes indiquant le nombre ont été
primitivement des formes indépendantes ; ce n'est
que par la suite des temps que ces formes en sont
arrivées à n'être plus que des éléments secondaires,
des éléments destinés à indiquer les relations et les
modes d'être d'une autre racine. On a souvent cher-
ché à découvrir la forme primitive de ces éléments ;
toutes les tentatives sont demeurées sans résultat
certain. L'on a proposé des conjectures plus ou
moins probables, mais en réalité la solution de ce
difficile problème est encore à trouver. Au moins le
but auquel il faut tendre est constant, bien, établi
et vraisemblablement on l'atteindra un jour ou
l'autre.
« Les cas de l'Indo-Européen commun, nous l'a-
yons dit, étaient au nombre de huit ; deux cas di-
rects : nominatif, accusatif ; six cas indirects : loca-
tif, datif, ablatif, génitif, un double instrumental.
Voici quelle était au singulier la forme organi-
nique de ces suffixes. La désinence du nominatif
était s. Certaines lois phonétiques ont fait parfois
disparaître cette consonne dans les langues dérivées
de la langue indo-européenne commune, mais on
peut dire qu'en général elle a persisté. Accusatif :
les thèmes finissant par une consonne prennent la
désinence am, ceux qui finissent par une voyelle pren-
nent la désinencem.C'est ce que nous voyons par exem-
ple dans le latin sororem, dont le thème est soror, et
sitim, dont le thème est siti. La désinence du locatif
singulier est i ; nous verrons que le grec a fait passer
le locatif à la place du datif, et que le latin ne l'a pas
entièrement rejeté. Le datif singulier a pour dési-
nence ai que les langues de l'Inde et le zend ont
seuls conservés rigoureusement. La désinence de
l'ablatif est tantôt at, tantôt t, celle du génitif est or-
dinairement as, parfois s. Lorsque le thème se ter-
mine en a, cette désinence est sya. Le premier in-
strumental a pour terminaison â, le second bhi. Ces
diverses désinences s'appliquent à tous les noms,
qu'ils soient, selon leur sens, ou substantifs, ou ad-
jectifs, ou participes. Cette triple division n'a rien à
faire avec la forme môme du mot qui seule nous
occupe ici. Quant au vocatif, ce n'est point un cas ;
en principe, il n'avait d'autre forme que la forme
même du thème : akva, ô cheval ; ovi, ô mouton ; agni, ô
feu. Ce n'est que par la suite que certaines langues,
dérivées de l'indo-européen commun, l'ont assimilé
parfois au nominatif, ou, pour parler plus exacte-
ment , ont parfois employé le nominatif en tant
que vocatif.
« Le verbe indo-européen possède deux voix, l'une
transitive, j'entends, je frappe, l'autre intransitive, je
m'entends, je me frappe, mais toutes deux actives. C'est
dans l'élément pronominal placé à la suite du thème
verbal qu'il faut chercher l'expression même de cette
différence de sens. Il y a en un mot deux sortes de suf-
fixes personnels, transitifs et des suffixes intransitifs.
C'est ainsi, par exemple, qu'à la troisième- personne
du singulier, le suffixe de la voix transitive est a et
que celui de la voix intransitive est tai ; on recon-
naît la forme grecque tai, appelée passive par les
grammairiens, qui, en effet, a ce sens dans la lan-
gue grecque, mais dont le premier sens était sim-
plement intransitif, réflectif. Il n'y a point de doute
que les suffixes personnels de la voix intransitive ne
procèdent des suffixes de la voix transitive ; celui de
la première personne veut évidemment dire je me,
celui de la deuxième tu te, celui de la troisième il se
(en latin ego me, tu te, ille se) ; la démonstration de ce
lait n'est peut-être pas rigoureusement établie, mais
il semble difficile qu'elle ne le soit pas un jour ou
l'autre...
« L'indo-européen commun possédait six temps ;
quatre de ces temps étaient simples, les deux au-
tres étaient composés. Le présent a pour forme la plus
simple la racine telle quelle, suivie du suffixe person-
nel. Parfois la voyelle de la racine a subi cette augmen-
tation dont nous parlions ci-dessus ; par exemple, la
racine i, aller, devient ai-aiti, il va (sanscrit eti, lithua-
nien eiti). Parfois la racine verbale est dérivée ; il
s'agit de conjuguer une forme complexe, par exem-
ple, le thème bhara dont l'élément bhar est radical
et dont l'élément a n'est qu'un élément dérivatif.
De là le présent bharati, il porte. Quoi qu'il en soit, le
présent est toujours un temps simple, qu'il s'agisse
de conjuguer la racine elle-même ou un dérivé de la
racine.
« L'imparfait est formé du thème du présent, soit
simple, soit dérivé, auquel se préfixe l'augmenta ;
de plus, les désinences personnelles sont écourtées,
ti de la troisième personne devint t, mi de la pre-
mière devient m. Ainsi le présent bharati, il porte, a
pour imparfait abharat, il portait. L'aoriste simple est
caractérisé comme l'imparfait par l'emploi de l'aug-
mont et des suffixes personnels écourtés ; il s'en
distingue simplement par ce fait qu'il ne tient pas
compte de la forme du présent. En grec, par exem-
ple, la racine the, poser, se redouble au présent et
donne tithete, vous posez : l'imparfait préfixe l'aug-
ment a cette forme redoublée et fait etithete, vous po-
siez. L'aoriste simple ne tient pas compte du redou-
blement et fait ethete. Le parfait a pour caractéristi-
que le redoublement de la racine. A ces quatre
temps simples s'ajoutent, avons-nous dit, deux
temps composés. Le futur est l'un de ces deux temps.
Il est composé de la racine verbale et d'un élément
asya, sya dont le sens premier semble avoir été celui
de tendre à être, de là, par exemple, le sanscrit dâ-
syati, il donnera. L'aoriste composé que le sanscrit,
le zend, les langues slaves et le grec ont conservé —
ce dernier sous le nom d'aoriste premier, — a pour
caractéristique l'élément sa.
« Ces six temps sont complétés dans l'indo-euro-
péen par trois modes : l'indicatif, le conjonctif et
l'optatif. L'indicatif n'a aucune caractéristique; au
mode indicatif, la forme du temps reste telle quelle.
Il en est différemment des deux autres modes. Le
conjonctif a pour caractéristique un a placé entre le
thème et le suffixe personnel ; l'indicatif du temps
présent étant asti, il est, le conjonctif du même temps
sera asati. On donne parfois à l'optatif le nom de
potentiel. Ce mode est formé par l'intercalation d'un
élément ya yaa, entre le thème verbal et le suffixe
personnel écourté : asyaat, puisse-t-il être.
« Le tableau que nous venons de donner des dif-
férentes formes organiques du système indo-euro-
péen primitif est sans doute bien peu développé.
Il peut suffire cependant, nous semble-t-il, à faire
saisir l'esprit général de ce système. »

Voilà, exposées dans leur entier, les théories à l'aide


desquelles des linguistes franco-allemands de l'école
de Schleicher, prétendent avoir reconstitué une lan-
gue qui serait l'ancêtre du sanscrit et de toutes les
langues indo-européennes, dont il ne reste, suivant
leur propre expression, aucun monument écrit, et ajou-
terons-nous pour notre part, dont on ne trouverait
aucune trace dans les antiques annales de l'Indous-
tan.
Nous allons démontrer que cette langue est née
d'une pure hypothèse et qu'elle n'a été imaginée
que pour donner plus de poids aux conceptions
germaniques, qui attribuent la colonisation et la
civilisation de l'Inde à un peuple fabuleux, qu'elles
placent sur les rives de l'Oxus, l'Amoun-Daria ac-
tuel.
Langue et peuple n'ont pour eux ni la tradition
ni l'histoire, ni la légende ni l'écrit, et quand on
demande à leurs auteurs d'appuyer leurs prétentions
de la moindre preuve, ils ne nous répondent que
par le silence, le dédain ou l'injure, trois formes de
raisonnements qu'adoptent assez facilement les Al-
lemands modernes, depuis qu'ils se sont décerné le
le titre d'éclaireurs de l'esprit humain.
Un des leurs, en effet, disait, il n'y a pas deux ans,
en pleine université d'Heidelberg.

« La recherche de la vérité dans la philosophie,


comme l'imagination dans la poésie, doit être indé-
pendante de toute entrave. Les Allemands sont les
éclairears de l'esprit humain : ils essayent des routes
nouvelles, ils tentent des moyens inconnus, com-
ment ne serait-on pas curieux de savoir ce qu'ils
disent au retour de leurs excursions dans l'infini 1? »

Avions-nous raison de dire, au début de ce cha-


pitre que les Allemands transportaient dans la
,
science leurs formes mystiques et nuageuses de rai-
sonnement, les voilà maintenant qui s'en vont à
la recherche de la vérité, avec l'imagination, et les
promenades dans l'infini...

1. Max Stimer.
Depuis quelques années surtout nos voisins dédai-
gnent cette science générale toute de raison et de
sagesse, qui devenait le patrimoine de tous les peu-
ples, pour faire de la science germanique, de la science
de race.
Le professeur Alexandre Ecker et vingt autres leur
ont dit, depuis leurs succès éphémères de 1870, que
le canon Krupp les avait placés à la tête du
monde intellectuel, qu'ils avaient repris leur place
dans la civilisation ; ils en sont arrivés à soutenir que,
descendants des Aryas de l'Oxus qui, d'après eux,
ont civilisé l'antiquité, ils étaient restés, au point de
vue philosophique et scientifique, supérieurs aux
autres peuples, que cette supériorité leur donnait un
droit de domination sur le monde, et qu'ils étaient,
modernes Indous des bords de la Sprée, appelés à
jouer dans le présent le rôle de conquête et d'in-
fluence qu'avaient joué autrefois leurs ancêtres les
vieux Germains des bords du Gange.
En reconstituant cette langue inconnue, ils pré-
tendent donc avoir retrouvé la vieille langue de
l'Oxus, d'où seraient sortis le sanscrit et toutes les
langues indo-européennes, on dit, de l'autre côté du
Rhin, les langues indo-germaniques.
L'auteur que nous venons de citer regrette que
le tableau qu'il vient de donner des formes organiques
de l'indo-européen primitif ne soit pas plus développé.
Rendons-lui la justice de reconnaître qu'il a exposé
de la question tout ce qu'il était possible d'en dire,
et que, pour les avoir exposés brièvement, il n'a ou-
blié aucun des faits, à l'aide desquels son école sou-
tient son système, il n'a même pas négligé les sim-
ples suppositions, que lui-même reconnaît comme
telles, espérant qu'elles deviendront réalité un
jour.
Voyons donc à quoi se résument ces propositions,
qui tendent à l'exhumation des formes d'une langue,
qui, en admettant qu'elle ait existé, n'a laissé, de
l'avis même de ses créateurs, aucun souvenir, aucune
trace appréciable, voyons en quoi cette langue peut
différer du sanscrit que nous proclamons, avec tous
les pundits et linguistes indous, le véritable ancêtre
de toutes les langues indo-européenne.
1° Le prétendu indo-européen commun possé-
dait les trois voyelles a, i, u, et leurs langues â, î, û,
et peut-être une r voyelle, appelée voyelle lin-
guale.
Ceci est presque une naïveté scientifique, car enfin
presque toutes les langues possèdent ces formes pho-
niques a, i, u, brèves et longues, qui représentent
des sons naturels essentiellement constitutifs de
toute formation de mots. Mais enfin, puisque nous
comparons, nous devons dire que le sanscrit possède
ces voyelles, aussi bien que l'idiome d'invention ger
manique, et quant à la linguale r, aucun doute ne
saurait exister à son égard.
2° Le fait de la variation de la voyelle radicale, par
la préfixation d'un a qui fait que la radicale i devient
ai, la radicale « devient au, la radicale a devient aa
et â long, n'a pas la moindre importance caractéris-
tique, et ne peut faire conclure à l'existence d'une
langue de génie indo-européen, antérieure au sans-
crit. Notre auteur ajoute comme exemple : Ainsi la
racine i, aller, donne au mode indicatif du temps pré-
sent la forme organique aiti, il va.
Il n'y a autre chose dans ce fait linguistique que
l'extraction d'une racine sanscrite, en la dégageant
de ses préfixes et flexions.

Racine I...
Préfixe A
.. AITI.
Flexion TI..
C'est purement et simplement un phénomène de
flexion, un exemple de la route suivie par les langues
pour passer de l'agglutination à la flexion.
Mais, nous dira-t-on, la forme actuelle du sancrit
n'est pas aiti mais, éti ; oui, dans le sanscrit classique,
mais le sanscrit védique possède parfaitement la
forme organique aiti. Il n'y a là qu'une règle d'eu-
phonie que nous aurons bientôt l'occasion de ren-
contrer : ê pour ai, et. on ne saurait constituer les
formes organiques d'une langue perdue avec des
flexions de radicaux, que toutes les langues ont con-
nues.
Voyez le latin, langue essentiellement indo-euro-
péenne; en conservant dans la forme it, il va, la radi-
cale i, il ne l'a pas soumise à la variation attribuée
au prétendu indo-européen commun, puisqu'il ne
dit pas ait, mais it. Il est très-possible que le latin
primitif, dont il ne nous reste aucun monument
sérieux, ait connu cette variation qui s'exerce par
l'introduction de l'a bref devant la voyelle radicale,
et ait dit ait, quitte à faire plus tard it de ait
comme le sanscrit classique a fait éti de aiti.
3° Le second procédé de variation des voyelles
consiste en ce fait, que la voyelle a des éléments
pronominaux ta, na, etc... se changeant en i, u, ces
éléments de dérivation deviennent actifs, de passifs
qu'ils étaient.
Soit la racine ma, penser ; avec le suffixe ta, nous
avons mata, pensé, chose pensée. Que la voyelle a se
change en i et nous avons la forme active mati,
l'acte de penser.
Mais ceci n'est absolument que de la philologie
sanscrite, un simple exemple du rôle des suffixes,
constaté depuis des siècles par les grammairiens
indous, et nous ne voyons pas encore apparaître ces
formes caractéristiques qui doivent indiquer l'exis-
tence d'une langue plus ancienne que celle des
Védas.
Nous ne nions point, il est bon de nous expliquer
sur ce fait, qu'il ait pu exister une langue indoue
antérieure au sanscrit et dont ce dernier ne serait
qu'un dérivé. Nous n'avons pas la prétention de
soutenir que le sanscrit soit la première forme de
langage créé par les antiques populations de l'Asie,
mais, en présence de ces faits indiscutables :
1° Qu'il ne reste aucune trace de cette langue
primitive,
2° Qu'on ne peut la rétablir que par hypothèse,
et en prenant dans toutes les langues indo-
européennes les formes générales qui leur
sont communes, pour les attribuer à cette
langue,
3° Que le sanscrit, étudié dans ses diverses évo-
lutions linguistiques et dans toutes ses va-
riations du monosyllabique à l'agglutination,
et de l'agglutination à la flexion, suffit à lui
seul, pour expliquer ces formes générales
communes à toutes les langues indo-euro-
péennes,
nous disons : la langue commune indo-européenne
est le sanscrit, et pour détruire ce fait qui a pour
lui la possession d'état, la tradition linguistique,
l'histoire, les grammairiens indous et enfin l'exis-
tence de la langue et de la plus riche littérature qui
soit au monde, il faut plus que des hypothèses, il
faut des preuves directes et scientifiques.
Et ces preuves on ne peut pas nous les adminis-
trer.
Mais, nous dira-t-on, il y a des formes, des élé-
ments, des modes de dérivation, des lettres com-
munes à toutes les langues indo-européennes, et qui
n'appartiennenten propre à aucune d'elles, ce sont
comme les rameaux généalogiques d'un arbre, dont
la souche mère serait perdue, quoi de plus logique,
quoi de plus naturel, que de rattacher toutes ces
formes à une langue mère qui a disparu après
avoir produit une nombreuse postérité ?
A cela nous répondrons d'abord qu'une langue
mère, assez féconde pour avoir produit le sans-
crit, le pracrit et une cinquantaine d'autres idiomes
indous, et les nombreux groupes des langues ira-
niennes, grecques, italiques, latines, celtiques, germaniques,
n'a pas pu disparaître comme
slaves et Scandinaves,
cela de la scène du monde, sans laisser la moindre
trace ; puis nous ajouterons que la plupart de ces
formes organiques, éléments et modes de dérivation
pouvant se ramener au sanscrit, il est inutile d'ima-
giner une langue dont rien absolument ne viem dé-
montrer l'existence.
Le sanscrit ne s'est point formé tout d'une pièce,
il a traversé toutes les phases de l'enfance à l'âge
mur, avant d'arriver à la virilité classique, avant de
se fixer dans sa forme actuelle ; c'est pour cela que
la linguistique, si elle veut bien compter avec l'his-
toire, ne s'étonnera pas de voir que toutes les lan-
gues indo-européennes, quoique nées de la vieille
langue brahmanique, comparées au sanscrit actuel,
ne s'en rapprochent pas toutes au même degré, bien
que leur parenté soit indiscutable.
La langue indo-européenne est venue sur notre
sol par voie d'émigration, et cette foule d'émigrés
qui ont successivement inondé le monde occidental,
partis des rives du Gange, de l'Indus et des plaines
de l'Himalaya ont emporté le langage de leurs an-
cêtres dans l'état où il se trouvait au moment de
leur départ. Il suit de là que le départ de cha-
que groupe d'émigrants correspond à des époques
historiques, et à des périodes linguistiques di-
verses.
Les émigrants de la période monosyllabique,
Ceux de la période agglutinante,
Ceux enfin qui ont quitté la terre du lotus, au mo-
ment où la langue était arrivée à la flexion ,
Se sont établis sur des sols différents ; des besoins,
des intérêts nouveaux naquirent ; loin du foyer
commun, la langue de chaque groupe a continué son
évolution, et sans perdre son cachet d'origine, est
devenue celtique, italique, germanique, grecque,
latine, slave et scandinave.
Pourquoi donc attribuer cette descendance à une
langue imaginaire, quand il est si facile et si simple
de la rattacher au sanscrit, d'où l'on peut parfaite-
ment tirer toutes les formes de l'indo-européen
commun ?
C'est sans doute parce que, sur ce terrain, nous
sommes en présence d'une réalité, qui ne favorise ni
l'esprit de système, ni l'imagination.
Le sanscrit, ancêtre des langues indo-européennes,
c'est la ruine des théories allemandes sur les Aryas
des bords de l'Oxus, colonisateurs du monde ancien,
car on ne trouve pas dans la langue des Védas, une
seule expression historique ou géographique, qui
puisse s'appliquer à une autre contrée que l'Inde.
Ce sont les Indous véritablement autochthones et
fils de leur sol, c'est la civilisation de l'antiquité,
partie des rives du Gange, c'est l'homme brun et
sanguin de l'Himalaya, vainqueur de l'homme pâle
et lymphatique du Nord. C'est le soleil chassant les
brouillards, c'est la lumière intellectuelle comme la
lumière naturelle, partant du Sud pour aller éclai-
rer l'Occident...
Et voilà ce que les Allemands ne veulent pas !...
Ils ont inventé les Aryas de l'Oxus, sans s'inquié-
ter de savoir si ce pays désolé, où on ne trouverait pas
la moindre ruine, le plus petit vestige de civilisation
a pu produire la plus étonnante civilisation des
temps anciens, dans le seul but de rattacher leur
race à la race qui a illuminé l'antiquité... Ils ont
inventé l'indo-européen commun, qu'ils appellent
l'indo-germanique, pour en faire la langue de ces
peuples, ne pouvant leur attribuer le sanscrit, qui
à tous les points de vue historiques, géographiques
et ethnographiques, est né entre l'Indus, le Gange,
le Brahmapoutre et l'Himalaya.
Ici, l'escamotage scientifique était impossible : les
plus vieux ouvrages du sanscrit védique, jusqu'à
ceux du sanscrit classique , témoignent à chaque
pas du mépris, de l'horreur même, que les Indous
ont professé dès la plus haute antiquité pour les
homme à barbe rouge. Manou, dans plusieurs slocas,
indique les plaines du Gange comme étant le ber-
ceau de la race brahmanique. Pour tourner la diffi-
culté, les Allemands ont attribué la civilisation de
l'Inde à un peuple inconnu, parti du Nord : « Les
vieux Allemands des bords de l'Oxus, » et ne pou-
vant revendiquer le sanscrit, ils ont inventé une
langue inconnue venue du Nord également, et qui
aurait donné naissance à toutes les langues indo-
germaniques.
Tout le système peut se résumer en deux mots :
Les Aryas sont les ancêtres directs des Germains.
La langue disparue est l'ancêtre directe de l'Alle-
mand.
Et, comme conclusion, les Germains ont civilisé le
monde ; depuis les àges anté-historiques, ils sont
les éclaireurs de l'esprit humain.
La langue allemande émanée directement de la
vieille langue de l'Oxus est soeur aînée du sanscrit et
non son dérivé.
Et voilà comment on fait de la science de race.
Cette première invention oblige à une autre.
Les peuples primitifs de la Chaldéo-Babylonie ont
apporté sur le sol de la Chaldée des traditions reli-
gieuses qui paraissent calquées sur celles des In-
dous ; ils parlaient des idiomes restés à la période
d'agglutination, comme celle des Indous du Deccan.
Reconnaître que ces populations pouvaient venir de
l'Indoustan, eût été battre en brèche tout le sys-
tème ; les Allemands ont alors inventé un second
peuple du nom de Touranien, auquel ils ont fait
une petite place à l'est de la Caspienne, non loin du
berceau qu'ils ont fabriqué pour les Aryas, et alors,
armés de toutes pièces, les Allemands peuvent ré-
pondre :

— Vous dites que la civilisation chaldéo-babylo-


nienne soutient des rapports intimes avec celle
de l'Inde, que les vieilles traditions cosmiques et re-
ligieuses des deux contrées sont les mêmes, cela n'a
rien d'étonnant. L'Inde et la Chaldée ayant été con-
quises et colonisées par deux peuples voisins venus
du Nord, les Aryas d'un côté, et les Touraniens de
l'autre.
La véritable science ne prononce plus qu'avec un
sourire le nom des Touraniens-Chaldéens1.
Espérons que demain elle traitera de même celui
des Aryas-Germains.

Nous revenons à l'examen des opinions de nos


adversaires qui maintenant ne sauraient nous occu-
per longtemps.
4° Le système des consonnes du prétendu indo-
européen n'a rien qui le différencie du système
sanscrit, à cela près que ce dernier est plus riche.
5° Nulle différence encore entre le type indo-eu-
ropéen et le sanscrit pour la formation des mots, qui
suit les procédés les plus simples.
6° Quant aux déclinaisons et aux conjugaisons,
nous ne pouvons mieux faire que de citer notre au-
teur lui-même, qui dans son livre sur la linguistique
(p. 211), s'exprime en ces termes :

« On peut dire que la déclinaison sanscrite est

1. Il est juste de dire que Schleicher, à propos des Touraniens, a re-


fusé d'accepter l'invention de ses compatriotes.
3
à peu de chose près celle de l'indo-européen. »

Et quelques lignes plus bas, après une objection,


qu'il renverse :

« Mais en définitive, ce n'est là qu'une exception


et l'on peut dire d'une façon générale que la décli-
naison sanscrite reflète assez fidèlement celle de
l'idiome commun dont elle procède.
(L'objection soulevée venait de ce qu'on ne ren-
contre pas en sanscrit les vieilles formes latines
senatud, navaled. M. Hovelacque pense sans doute que
ces vieilles formes viennent de l'indo-européen
commun.)
« Le sanscrit possède les six temps de l'indo eu-
ropéen commun : présent, imparfait, aoriste simple,
parfait futur, aoriste composé, et il s'est créé de plus un
nouveau temps au conditionnel... »

Voilà, dégagés de tous les raisonnements accessoi-


res, les seuls motifs sur lesquels se basent les lin-
guistes de l'école allemande pour reconstituer une
langue qu'ils reconnaissent eux-mêmes n'avoir pas
laissé le moindre vestige, n'avoir pas laissé même
son nom !...
Les explications que nous négligeons sur les temps
des verbes et les cas des déclinaisons, que nos ad-
versaires reconnaissent être les mêmes en sanscrit
et dans le type-langue qu'ils inventent, ne sont que
de la pure philologie sanscrite.
Le procédé employé par nos adversaires est des
plus simples, nous le signalons en terminant cet
examen.
Il consiste à prendre :
Toutes les formes linguistiques communes à tou-
tes les langues indo-européennes, et à dire, d'accord
du reste avec la vérité scientifique : toutes ces lan-
gues ont une origine commune.
A relever ensuite :
Toutes les formes linguistiques que chaque langue
indo-européenne a modifiéés dans un sens spécial,
formes particulières au génie de chaque idiome, et
qu'on ne rencontre pas dans les autres langues
soeurs, et à dire : puisque ces langues ont une ori-
gine commune, ces formes spéciales dont toutes les
langues possèdent quelques-unes, sans qu'un seul
idiome les réunisse toutes, pour en revendiquer la
paternité, pas plus le sanscrit que les autres, doi-
vent nécessairement être attribuées à une vieille
langue disparue.
Il n'y a qu'une chose à répondre à ce système,
c'est qu'il remplace le fait par l'hypothèse, c'est
qu'il fait de la linguistique d'imagination, et, comme
nous venons de le dire, de la science de race.
L'émigration, l'éloignement du foyer commun,
des besoins nouveaux, des climats différents, en mo-
difiant le caractère, le tempérament, les habitudes
des émigrés, ont également exercé leur influence sur
le langage, modifié la dérivation des radicaux, sim-
plifié ou appauvri le parler, ou conquis des éléments
nouveaux, Et encore, sur ce point, devons-nous dire
que les éléments organiques par lesquels les langues
indo-européennes paraissent se différencier entre
elles, peuvent presque tous philologiquement se
rattacher au sanscrit.
Quant aux formes qui leur sont communes à tou-
tes, nous ne faisons qu'énoncer une vérité vulgaire,
en affirmant qu'elles dérivent de la langue sacrée
des Indous.
Nous allons voir, en examinant le mécanisme du
sanscrit, qu'il n'est nul besoin d'aller chercher ailleurs
l'ancêtre des langues iraniennes et de tous les parlers
indo-européens. Cette étude nous permettra d'affir-
mer cette vérité linguistique avec des arguments
plus concluants encore.
CHAPITRE II

LE SANSCR.T LANGUE MÈRE DES LANGUES


INDO-EUROPÉENNES.
MÉCANISME DE CETTE LANGUE.

Il n'existe pas, croyons-nous, en dehors des ou-


vrages spéciaux de grammaire, d'exposé simple et
logique du mécanisme de la langue sanscrite.
C'est par cette langue merveilleuse que parlaient
nos ancêtres que nous sont parvenues nos tradi-
tions, que se sont formés nos idiomes. Qui donc son-
geait, il y a moins d'un siècle, qu'il faudrait aller
chercher sur les rives du Gange, les traces de nos
ancêtres ? Qui donc croyait que l'Inde avait été le
grand foyer de la civilisation antique?
Que de richesses ne nous reste-t-il pas à exhu-
mer?
Et encore aujourd'hui, nombre d'esprits, scepti-
ques ou superficiels, nourris de la Grèce dans nos
écoles spéciales, reviennent d'Athènes en soutenant
cet anachronisme, que la civilisation indoue n'est
qu'un reflet de la civilisation hellénique.
Pour un peu on leur ferait soutenir que le sans-
crit est né du grec.
Que d'injures n'avons-nous pas reçues, pour avoir
osé soutenir depuis dix ans, que l'école d'Athènes
avait fait son temps, et qu'il fallait la remplacer par
une école indoue à Pondichéry !
En face des attaques passionnées, que nous avons
eues à supporter de la part des partisans des vieux
systèmes, pour avoir proclamé que la lumière nous
venait de l'Inde, c'est une bonne fortune pour nous
de pouvoir présenter à nos lecteurs, l'opinion de
deux des orientalistes les plus distingués de ce
temps-ci 1; opinion qui, nous ne craignons pas de le
dire, résume la doctrine que nous avons suivie dans
tous nos travaux.
« C'est incontestablement à l'Orient qu'appar-
tient l'honneur d'avoir commencé l'oeuvre du per-
fectionnement humain. Tout s'y trouve, depuis les
premières formules religieuses jusqu'aux premières
évolutions des sciences, des lettres et des arts...

1. Max Grazia et Jules David.


« L'Orient enfance la civilisation que les Phéniciens
apportent en Grèce et les Grecs à Rome. Au mo-
ment où la Grèce perdait, sous Alexandre, sa force
productive avec sa liberté, Rome, exclusivement
politique et conquérante, n'avait aucune des apti-
tudes nécessaires à conserver et à développer les tra-
ditions orientales. Il fallait qu'un autre foyer vînt
luire quelque part. Alors, sur une langue de terre
presque inhabitée, entre la Méditerranée et le lac
Maréotis, fut bâtie Alexandrie, au moment où son
fondateur, par ses conquêtes en Asie, lui ouvrait des
contrées mystérieuses et immenses, dont elle était
destinée à conserver les traditions intellectuelles,
par une double fusion d'idées, entre l'Orient et la
Grèce d'abord, entre le monde ancien et le monde
nouveau.
« Il y a cent ans... l'extrême Orient nous était
presqu'inconnu. L'Inde, particulièrement, n'était
pour nous que l'empire du mystère, du fantastique,
de l'impossible. Nous n'en savions quelque chose que
par les Grecs, les Arabes, les Persans, conquérants
ou voisins intéressés à ne représenter leurs rivaux
que sous les couleurs qui leur convenaient. Voltaire
avait pris la compilation propagandiste d'un mis-
sionnaire catholique, pour un extrait réel des livres
sacrés des Brahmes. On n'entrevoyaitl'Inde qu'à tra-
vers les songes des docteurs musulmans ; on ne
connaissait ni ses origines qui sont les nôtres, ni ses
théogonies parmi lesquelles tous les peuples anti-
ques ont cherché des idées et puisé des croyances.
Le sanscrit, clef de tant de mystères, est une découverte
moderne.
« Ce n'est pas qu'on ait eu primitivement, le soup-
çon d'une langue et d'une littérature religieuse et
philosophique, dont les prêtres seuls se réservaient
la connaissance ; mais sans grammaire et sans
lexique de cette langue, on ne pouvait que con-
jecturer ses richesses. Tout était ténèbres alors,
dans ce monde voilé, sinon éteint, dans ce passé
dérobé aux yeux profanes par l'inquiétude jalouse
des Brahmes.
« Le soupçon qu'on en avait, tenait plutôt du rêve
que de la réalité, et comme tout mystère il avait sa lé-
gende. On prétendaitque saint François-Xavier possé-
dant miraculeusament le don des langues, avait ap-
pris d'un ange le sanscrit pour réfuter les doctri-
nes brahmaniques, mais sans pouvoir en transmet-
tre la connaissance. On disait qu'un jésuite, Robert
Nobili 2, s'était fait brahme pour connaître les ar-
canes religieux de l'Inde ; mais que découvert et dé-
voilé, il avait subi des persécutions ingénieuse-

1. Cette ridicule légende se trouve débitée tout au long et sérieusement


dans les premières Annales de la propagation de la foi.
2. Même source.
ment féroces, et qu'on lui avait arraché les yeux
pour qu'il ne pût avancer davantage dans une
étude essentiellement secrète. D'autres mission-
naires, sans approfondir cette langue mystérieuse,
en constatèrent l'importance ; le père Pons, par
exemple, fit au père Dubalde un rapport assez
exact des richesses sanscrites et des traditions vé-
diques 1; et Anquetil Duperron, en traduisant du
persan les Oupanichads, ne nous fit connaître que les
commentaires et non le texte des Védas. On savait
depuis longtemps que les Arabes de Bagdad et les
sultans Gaznévides avaient fait traduire des poëmes
et des théologies indiennes; mais, se méfiant avec
raison du choix et du jugement mahométans, on
s'en rapportait peu à ces traduction s expurgées par
le fanatisme.
« Tout restait donc à faire lorsque la conquête des
Indes, par une nation policée et curieuse, éveilla
l'intérêt des savants, et suscita leurs investigations.
Les Anglais plus persévérants que nous, et plus à
même d'ailleurs par leur établissement définitif sur
les bords du Gange, de s'informer des moeurs et de
l'esprit de leurs tributaires, s'enquirent des langues
qu'on parlait autour d'eux, le pâli ancien idiome, le

1. Ce rapport fut tenu secret, comme tout ce qui touchait à l'inde, les
missionnaires ne se sont vantés de connaître la littérature de ce pays que
quand la science eut forcé la porte.
pracrit dialecte vulgaire, le sanscrit, langue hiéra-
tique et littéraire. Ils étudièrent surtout ce dernier,
ils se firent initier à ses oeuvres innombrables en lit-
térature et en théologie; demandèrent à plusieurs
brahmes un abrégé de leur code religieux et civil,
se procurèrent des manuscrits, entreprirent des dic-
tionnaires,réunirent des savants laïques et religieux
et fondèrent avec eux la Société asiatique de Cal-
cutta.
« William Jones avait donné l'impulsion. Col-
brook la suivit et la dépassa. Grâce à sa liaison avec
un de ces brahmes, curieux et intelligent, qui vou-
lait à la fois s'instruire dans l'histoire de nos idées,
et dévoiler les sources des siennes, Colbrook put pé-
nétrer la philosophie et la religion de ce grand peu-
ple. C'est donc à Colbrook et à son digne imitateur,
Ram-mohun-roé, que nous devons le premier ou-
vrage sérieux sur les philosophies théocratiques de
l'Inde. Une fois cette grande phase de l'humanité
dévoilée, l'érudition et la science se précipitèrent à
sa conquête. Les manuscrits védiques abondèrent
en Europe. Rosen rectifia les textes ; Langlois, Wil-
son les traduisirent ; Lassen, Weber les classèrent ;
Eugène Burnouf élucida les travaux antérieurs;
d'autres, de plus en plus nombreux les suivirent, et
un monde fut découvert, non moins nouveau que
l'Amérique de Christophe Colomb.
« Maîtres désormais de textes véritables, en pos-
session de lexiques, de grammaires, de commen-
taires et de gloses qui pouvaient guider et assurer
leur marche, une foule d'hommes studieux se plon-
gèrent à l'envi sur cet océan de définitions, de dis-
sertations, de scholies, de poëmes, amplificationsd'où
émergèrent bientôt, grâce à leurs persévérants ef-
forts, une société tout entière, et divers cultes suc-
cessifs. Que découvrîmes-nous tour à tour? Des
traditions sacrées, formulées sous les rhythmes de
l'hymne, reproduites oralement pendant des temps
indéterminés, puis transcrits sur des feuilles de pal-
mier plus de douze siècles avant notre ère.
« Puis une religion officielle, le brahmanisme, des
lois religieuses, le Code de Manou, des épopées sacrées,
le Ramayana, le Mahâbhârata ; plusieurs systèmes phi-
losophiques, le Sankya, le Nyaja, le Védanta ; des
schismes nombreux, des invidualités athéistes ; des
légendes théocratiques, les Pouranas ; des traditions
historiques, les Itihasas ; des commentaires prati-
ques, les Brahmanas ; des recensions sacerdotales,
les Samhitas ; des résumés liturgiques les Soutras ;
des leçons religieuses, les Oupanichads ; une encyclo-
pédie officielle, les Sastras, et, enfin une réforme d'a-
bord victorieuse et ensuite vaincue, le bouddhisme,
inextricable confusion de vérités ou d'erreurs, d'u-
topies et de systèmes de réalités et de rêves,
,
sans date, sans chronologie, sans fil conducteur.
« Ce n'est que plus tard, et au fur et à mesure
du classement des formes différentes de la pensée
humaine, qu'on pourra passer en revue tous les
produits de l'inspiration indoue. »

Nous devons ajouter que la moisson qui reste à


faire dépassera toutes les espérances, car on n'a
encore interrogé que le nord de l'Inde, pays cons-
tamment envahi par les Arabes et les Mongols qui
se sont appliqués à détruire les Livres sacrés, les
croyances, les monuments, tandis que le sud a
échappé constamment aux effets directs de l'inva-
sion et a conservé dans toute leur pureté les tradi-
tions des premiers âges. Et c'est précisément dans
ces traditions du sud, que nous nous sommes appli-
qué jusqu'à ce jour, à étudier les produits de l'ins-
piration indoue...
Après avoir repoussé l'hypothèse d'une langue
indo-européenne commune, plus ancienne que le
sanscrit, il nous paraît utile, avant de nous occuper
des différents idiomes dérivés de la langue des
Védas, d'étudier d'abord le mécanisme de ce mer-
veilleux instrument de la pensée, d'où sont sortis
tous les autres, et de montrer qu'à lui seul il contient
toutes les formes linguistiques qui ont donné nais-
sance aux divers langages indo-européens.
MÉCANISME DU SANSCRIT.

Le sanscrit possède 14 voyelles, 34 consonnes et


4 signes simples.
Il est bien difficile de rendre avec nos lettres
exactement le son que les Indous attachent aux
leurs. Malgré les efforts de tous les grammairiens,
on n'est parvenu qu'à une gamme très-imparfaite,
pour quiconque a reçu la prononciation sanscrite
de la bouche même des brahmes. Nous avons donné
dans « les Fils de Dieu » un tableau des lettres et de
la prononciation, que nous ne renouvellerons pas
ici, notre but n'étant pas de faire une grammaire,
mais un exposé des principes généraux de la langue,
suffisant pour prouver que ces derniers ont passé
tout entiers dans la grammaire générale des lan-
gues indo-européennes.
Les lettres se divisent en brèves, longues, compo-
sées, diphthongues ou doubles voyelles et semi-
voyelles.
D'après la nature des inflexions de la voix qui les
produisent, elles sont gutturales, palatales, dentales,
labiales, cérébrales, sifflantes et aspirées. •
Les règles d'euphonie sont innombrables en sans-
crit. Pour n'en citer que quelques-unes à titre
d'exemple : lorsqu'un mot est terminé par a, â, et
qu'il se rencontre avec un autre mot commençant
par a ou â, la lettre du mot rencontré s'élide non-
seulement dans la prononciation, mais même dans
l'écriture, ainsi les deux mots suivants Rama et Anoud-
jaa s'écrivent Ramanoudjaa.
L'élision se fait également lorsque la voyelle finale
est brève, et l'initiale longue. La longue l'emporte,
ainsi souroupa et anandaa s'écrivent souroupânandaa.
Quand la finale est a et l'initiale i, les deux lettres
se changent en e ; ainsi Deva et Indra s'écrivent De-
vendra.
Si la finale est a et l'initiale ou, les deux lettres
deviennent o, ainsi ganda, et oudakam, s'écrivent gan-
dodakam.
La finale a et l'initiale re (re est voyelle en sans-
crit) se changent en r muet. Christna et reddii s'écri-
vent christnarddii.
La finale a et l'initiale le (le est voyelle en sanscrit,
ou du moins le son de cette voyelle sanscrite comme
celui de re ne peuvent être rendus par nos lettres
sans le secours de la consonne l), se changent en
l muet. Tarn et lekaraa, s'écrivent Taralkaraa.
La finale a et l'initiale e se changent en aï. Tava
et escha s'écrivent Tavaïscha.
Nous nous bornons à ces règles de la finale a, se
rencontrant avec d'autres voyelles. Les treize autres
voyelles ont chacune leurs règles particulières
d'élision et de changement.
Puis chaque voyelle en face des consonnes, et les
consonnes entre elles sont également soumises à de
nombreuses règles d'euphonie.
Ce n'est pas tout : les exceptions presque aussi
nombreuses que les règles, viennent encore compli-
quer ce système, et si l'on ajoute à cela que les mots
sanscrits s'écrivent avec leurs élisions, leurs chan-
gements euphoniques, à la suite les uns des autres,
sans aucune séparation, comme dans l'exemple
suivant :

Navismayêtatapasavadêdistwâcanànritam,

Qui doit se décomposer et se lire ainsi :

Na vismâyêta tapasa, vadêd istwâ ca nànritam.

(Qu'il ne s'enorgueillisse pas de ses austérités, et


qu'après avoir sacrifié il fuie le mensonge). Si l'on
ajoute encore que les 54 lettres ne s'écrivent guère
à l'état simple qu'au commencement des mots, et
que ces lettres se combinent de façon à former des
disyllabes, des trisyllabes et même des quatrisyl-
labes en un seul signe composé :
On comprendra qu'on ait pu dire, sans que celte
opinion soit trop paradoxale, que pour lire le sans-
crit il fallait d'abord connaître la langue.
En donnant à cette pensée vraie au fond, une
tournure plus exacte en apparence, nous dirons que
quand on est capable de lire couramment tous les
manuscrits sancrits, on sait la langue.
Les rares grammairiens européens, hommes de
profonde science du reste, n'ont pas abordé l'étude
logique et raisonnée de ces difficultés ; ils sem-
blent n'avoir écrit que pour ceux qui, connaissant
déjà la langue, n'avaient par conséquent pas besoin
de grammaire.
Aussi défions-nous tout érudit qui voudra étudier
le sanscrit en dehors des cours du collége de France,
que l'on ne peut pas suivre, quand on habite la
province par exemple, d'arriver à lire les manus-
crits sanscrits, après avoir étudié les deux ou trois
seules grammaires qui existent.
Un véritable dictionnaire des lettres, des signes
composés et de leur transformation logique, est de
toute nécessité pour le débutant, et nous saisissons
l'occasion d'annoncer aux lecteurs qui nous ont écrit,
pour nous demander comment ils pourraient étu-
dier seuls le sanscrit, que nous publierons bientôt
un dictionnaire de ces signes composés, avec l'ex-
plication logique de leur formation.
L'écriture sanscrite est syllabique et non alpha-
bétique comme la nôtre, de là, la nécessité pour
l'étudiant de savoir décomposer les éléments dont
se composent les syllabes représentées par un seul
caractère pour pouvoir les lire.
Dans l'écriture du Nord adoptée par les facultés
d'Europe, chaque caractère devânâgari représente
au plus une ou deux syllabes, mais dans le Devà-
nâgari du Sud, un seul caractère peut représenter
deux, trois et quatre syllabes, ce qui, on le conçoit,
ajoute encore à la difficulté.
Le sanscrit appartient à la grande famille des lan-
gues à flexion. Ses mots se composent à l'aide des
éléments suivants :
La racine,
Le suffixe,
Le préfixe,
La flexion,
que les grammairiens indous
Les signes euphoniques,
appellent lettres d'accord.
Toutes les langues arrivées à la flexion ont fata-
lement passé par les deux autres périodes du mono-
syllabisme et de l'agglutination.
Dans les langues monosyllabiques, tous les mots
sont racines, toutes les racines sont invariables et le
rôle des mots dépend uniquement de leur place
dans la construction de la phrase.
Les langues agglutinantes sont celles qui parvien-
nent à sortir de la première période d'enfance.
Dans cette forme, deux racines s'unissent pour
composer un mot ; l'une reste radicalement invaria-
ble, tandis que l'autre devient une simple dési-
nence.
Dans les langues parvenues à la flexion, la racine
principale du mot admet l'altération phonique
,
aussi bien que les racines devenues désinences.
Il suit de là que les racines dans les langues à
flexion, représentent tout ce qui s'est conservé intact
à travers les âges, de l'état monosyllabique de ces
langues, malgré leur marche ascensionnelle vers
l' agglutination et la flexion.

La racine, appelée dâtou par les grammairiens


indous, est donc l'élément fixe et invariable du mot,
qui a suivi le sanscrit dans toutes les phases de sa
marche du monosyllabisme à la flexion. En d'autres
termes, en dégageant la racine de tous les mots
sanscrits actuels, on arrive à reconstituer une bonne
partie du sanscrit monosyllabique des premiers
âges. Nous disons une bonne partie, car il a encore
quelques racines devenues désinences, qui ont ré-
sisté jusqu'à ce jour à l'analyse, qui cherchait à les
ramener à la simplicité de leur forme première.
C'est donc dans la forme simple et primitive de la
racine qu'il faut aller chercher le sens générique du
mot et le lien général de toute famille de mots.
Une famille de mots comprend tous les mots issus
de la même racine ; ainsi, par exemple, sous la ra-
cine c'ar, qui exprime l'idée d'aller, de se mouvoir, de
parcourir, viennent se ranger les mots de :

Carana. — Action d'aller, de marcher, d'errer à


l'aventure.
Caranyami. — Je vais, je marche.
Cara. — Qui va, qui se meut, mobile.
Acara. — Immobile (a privatif).
Garaka. — Voyageur, émissaire, espion.
Carata. — Oiseau toujours en mouvement, hoche-
queue.
Carama. — L'arrivée, la fin du voyage, dernier,
final, occident.
Caramabavika. — Qui est arrivé au terme des
transmissions terrestres.
C'ari. — Animal qui court (n'importe lequel).
C'arita. — Action accomplie.
C'arisnou. — Qui va et vient.
G'arâc'ara. — Mobile et immobile. (C'ara, mobile ;
a privatif, ac'ara, immobile.)

Cette racine c'ar a donné naissance au grec


au latin curro, à l'anglais car, au français char, cha-
riot.
Ce groupe émané d'une seule racine, va nous
fournir un exemple des cinq éléments qui, ainsi que
nous venons de le dire, concourent en sanscrit à
former les mots.
En décomposant les mots c'ari et carisnou,
Nous trouvons :
C'ar racine
flexion
Snou suffixe
Acara nous donne l'a initial préfixe
Et carâcara qui est ici pour
Caraacara nous donne l'élision
D'un a ou â long pour deux a
Qui représente l'accord de lettres ou....euphonie.

Il va nous être facile maintenant de définir le rôle


de ces éléments, dans la formation du mot.
La racine renferme l'idée générale et est toujours
invariable.
La flexion se place à la fin des racines et des mots
pour exprimer le temps, le mode, le cas, ainsi que
toutes les modifications que l'idée générale peut su-
bir. C'ari — racine, car, flexion a. Cara — racine,
car, flexion â. Comme on le voit, la racine fléchit par
l'adjonction d'un élément, elle est modifiée dans
son sens général et devient une expression particu-
lière, un mot.
La flexion a cela de particulier qu'elle ne peut être
invariable puisqu'elle exprime la modification de
cas, de temps ou de personne.
Le suffixe est un élément qui se place à la suite
de la racine, qu'elle ait ou non déjà subi la fle-
xion, pour en déterminer l'acception ou la forme
définitive. C'est par les suffixes que les noms, ver-
bes, adverbes et autres parties du discours, naissent
des racines.
C'est donc à tort que certains grammairiens veu-
lent reconnaître des racines attachées spécialement
aux verbes ou aux autres parties du discours. Il n'y
a ni racines verbales, ni racines nominales antérieu-
res à toutes les autres formes, elles sont la source
originelle d'où découlent les verbes, les noms, les
adjectifs.
Ainsi les suffixes déterminent la classe, verbe,
nom, etc., dans laquelle doivent être rangés les
mots. Ils sont très-nombreux en sanscrit.
En voici quelques-uns des principaux, avec les
classes différentes dans lesquelles ils rangent les
mots 1.

A bref — forme 1° des adjectifs qualificatifs. Ex.:


dev-a, divin. 2° des substantifs issus de

1. E. Burnouf et Leupol.
participes présents. Ex. : sarp-a (le ram-
pant), serpent. 3° des noms abstraits mas-
culins et autres. Ex. : rog-a, maladie. 4° des
noms collectifs -a,une troupe de che-
veaux. 5° des noms patronymiques. Ex. :
voevaswat-a, le fils
de Vivaswat.
A long — forme 1° des noms féminins abstraits ou
des noms communs. Ex. xud-â, la faim ;
dar-â, la terre.
AKa — forme 1° des noms d'agents masculins, nart.
aka, danseur. 2° des noms collectifs : asw-
aka, cavalerie. 3° des adjectifs. Ex. : sâd-
aka, utile.
AN — forme diverses espèces de noms. Ex. : raj-
an, roi.
ANA — forme 1° des noms neutres souvent abs-
traits. Ex. : buv-ana, le monde ; vaé-ana, dis-
cours, etc. 2° des noms d'agent. Ex. : bav-
ana, auteur.
ANTA — forme, avec le suffixe ay, des verbes et
adjectifs doublement dérivés ; ainsi, nand,
se réjouir ; nand-ay, réjouir ; nand-ay-antre,
réjouissant.
AS — forme des substantifs neutres. Ex. : vae-as,
parole.
ATOU — forme quelques substantifs abstraits mas-
culins. Ex. : vêp-atou, tremblement.
AY — forme une classe nombreuse de verbes. Ex. :
die, montrer ; dic-ay, ami, faire montrer,
etc
CAS — forme des adverbes de nombre. Ex. : éka-ças,
un à un ; çata-ças, cent pour cent.
DA — forme des adverbes de durée, sa-dâ, toujours.
EYA — forme 1° des noms et des adjectifs expri-
mant l'origine Atr-eya d'atri, mah-éya, fait
de terre. 2° quelques noms abstraits. Ex. :
j'nat-éya, parenté.
I — forme 1° quelques substantifs exprimant l'ac-
tion. Ex.: bod-i, la connaissance. 2°quelques
noms d'agents avec syllable redoublée.
Ex : c'akr-i, qui fait ; et quelques adjectifs
composés d'un usage assez rare.
I — forme des noms féminins exprimant un acte
commun ou réciproque. Ex.: vyâ kroç-i, cri
réciproque.
IKA — forme 1° des adjectifs dont le féminin se
termine en î. Ex. : darm-îka, légal; 2° des
noms neutres collectifs. Ex. : koedar-ika,
une foule de champs.
IMAN forme quelques mots abstraits. Ex. : rj-iman,

droiture.
IN — forme un grand nombre de mots exprimant
la possession. Ex. : dan-in, riche ; kéç-in,
chevelu, etc.
INA — forme 1° des adjectifs qualificatifs comme
kul-îna, noble ; 2° des noms neutres. Ex. :
toel-ina,champ de sésame.
ITA — forme des adjectifs de possession. Ex. ; p'al-
ita, qui a des fruits.
INA. — avec initial bref, même emploi. Ex. : rat-ina,
qui a un char.
IYA — forme des noms de parenté. Ex. : swasr-îya,
fils de la soeur, et des adjectifs ; comme
de cheval.
MA. forme ordinairement les adjectifs de nombre;

il en forme aussi quelques autres à titre


d'exception. Ex. : soumadya-ma, à la belle
taille. Quelques noms également lui doivent
leur dérivation ; comme b'â-ma, le soleil.
MAN — forme des adjectifs et des substantifs. Ex. :
nâ-man, nom (c'est le suffixe men des la-
tins, no-men, nom), jan-man, naissance.
MAYA — forme des adjectifs exprimant la matière,
la nature ou l'origine d'une chose. Ex. :
ayas-naya, de fer.
NA — est la forme du participe passé passif, il
forme en outre quelques adjectifs et quel-
ques substantifs : poura-na, antique ; swap-na,
sommeil.
NOU — forme quelques adjectifs qualificatifs. Ex. :
tras-nou, timide.
S et IS — forment les verbes de désir : tond, frap-
per ; toutout-s-ami, toutoutsami, frapper ;
ces verbes ont presque toujours le redou-
blement initial. Ound, être mouillé ; oundid-
is-âmi, oundidisàmi, je désire être mouillé.
Ce suffixe is, précédé du suffixe ay, produit
des verbes doublement dérivés. Ex. : driç,
voir; didarç-ay-isc-âmi, didarçayisâmi, je
désire faire voir.
SAT — forme oblative, engendre certains adverbes,
indiquant l'état d'une chose. Ex. : b'asma-
sât, en cendres.
SNOU et SONOU — forment des adjectifs, et des
noms d'agents. Ex. : seta-snou, stable ;
ji-snou, victorieux.
TAT avec S euphonique — forme des adverbes de
lieu : oupari-se-tàt, en haut, au-dessus.
SYA — ne forme que Manou-sya, fils de Manou,
homme.
TA et TWA — forment un grand nombre de noms
abstraits. Ex. : bahou-tâ, multitude ; sat-twn,
chasteté, les mots en tà sont féminins, ceux
en twa sont neutres.
TANA — forme des adjectifs dérivés des adverbes
de temps : cwas-tana, de demain (latin, cras-
tinus) : hyas-tana, d'hier (latin, hes-ternus).
TAS — forme des adverbes ayant le sens de l'obla-
tif ou du locatif : dorma-tos, justement ;
i-tos, d'ici.
TAYA — forme des collectifs neutres, dérivés de
noms de nombre : tri, trois ; tri - toya,
triade.
TI — forme un grand nombre de noms abstraits fé-
minins. Ex. : bou-ti existence ; cak-ii, la
force ; ma-ti, la pensée.
TRI — forme une foule de noms d'agents. Ex. : da-
tri, donneur (latin, da-tor) ; pitri, père, la-
tri, mère (latin, ma-ter).
TRA — forme 1° des adverbes de lieu : koa-tra ou
ta-tra, ici ; anga-tra, ailleurs ; et (2° quelques
adjectifs comme pari-tra, pur.
TOU — suffixe du gérondif et de l'infinitif, forme
quelques mots comme ga-tou, voyageur.
TAM et TA — forment en s'unissant aux pronoms
des adverbes de manière : ka-tam, com-
ment ; ta-cta, ainsi.
OU — forme une dose nombreuse d'adjectifs de
désir. Ex. : cikirs-ou, qui désire faire ; pi-
pas-ou, qui désire boire. Il forme aussi
quelques substantifs et adjectifs modifica-
tifs : tan-ou, mince (latin, tennis) ; vây-ou, le
vent.
OUKA — forme quelques adjectifs supérieurs, comme
hâm-ouka, désireux.
OURA — forme quelques adjectifs de possession :
dant-oura, qui a une grande dent.
OUS — forme quelques noms neutres : vap-ous, corps.
VARA — forme un petit nombre d'adjectifs et de
noms d'agents. — Ex. : gat-vana, et par
euphonie gat-ouara, mouvant ; iç-vara, et
par euphonie ; iç-ouara, prince.
VAN et VAT — s'emploient dans les mêmes cas que
le suffixe IN dont nous avons parlé plus
haut. VAT forme en outre des adverbes de
comparaison. Ex. : sinha-vat, comme un lion.
Y-AY-SY-ASY, — en s'unissant aux racines nomina-
les, forment des verbes nominaux. Ex. :
Patnî, épouse ; patnî-y-ami, patnîyami, je
désire pour épouse.
Parfois ces verbes sont neutres : sinha-y-âmi,
sinhayâmi, je deviens comme un lion.
YA — forme 1° comme le suffixe A des noms patro-
nymiques. Ex. — Mânav-ya, fils de Manou ;
2° des noms abstraits neutres : sab-ya, la
vérité; 3° des collectifs : koeç-ya, la cheve-
lure; 4° les qualificatifs : dan-ya, riche;
5° et divers substantifs : rat-ya, cheval, dé-
troit.
YA — forme féminine de YA forme des noms abs-
traits féminins : vid-yâ, science ; mâ-yà, ma-
gie, illusion.
Tels sont les principaux suffixes sanscrits, que les
grammairiens indous avaient dégagés de leurs
mots et classés, des siècles avant que les Européens
eussent songé aux premiers principes de la gram-
maire générale. Sur ce terrain, les linguistes indous
nous en ont plus appris que la science moderne
ne consent à l'avouer.
L'étude de ses suffixes est d'une réelle importance,
car, comme on peut s'en assurer par le plus simple
travail de comparaison, ces formes ont presque
passé toutes dans le latin et le grec et se retrouvent
avec quelques modifications dans la plupart des
langues indo-européennes.

Ex. : sanscrit : suffixe atou — vam-atou, vomis-


sement.
Ex. : latin : suffixe tous — vomi-tus, ou mieux
vomi-tous, comme prononçaient les anciens latins.
Ex. : sanscrit : suffixe tr — pi-tr, père.
Ex. : grec : suffixe ter — pa-ter, père.
Ex. : allemand : suffixe thr — fa-thr, père.
Ex. : anglais : suffixe ther — fa-ther, père.
Ex. : latin ; suffixe ter — pater, père, etc.

Il nous suffit d'indiquer de pareils rapproche-


ments pour faire comprendre l'intérêt que présente
l'étude approfondie de ces formes.
Les préfixes se placent devant la racine, ils modi-
fient, précisent, restreignent la signification du mot,
mais sans avoir, comme les suffixes, une influence
sur la classe dans laquelle le mot doit être rangé.
Le nombre des préfixes sanscrits est très-restreint.
Voici la liste de ces préfixes avec leur descendance
grecque et latine.

A et AN privatifs : a-kâma, malgré soi ; an-anta, sans


fin. Grec a et (a et an) privatifs, latin in,
invitus.
A — vers — exprime l'adjonction : â-gam, aller vers.
Grec (à) idée d'adjonction. (ako-
loutos, compagnon.
ABI — vers : abi-gam, aller vers.
ADI — sur : adi-cî, étendu sur.
ANTAR — entre, parmi, au dedans : antar-ixa, l'air
transparent. Latin, inter.
ANOU — après : anou-gam, suivre.
APA — de, séparément : apa-kram, s'en aller. Grec
(apo), latin ab.
API — sur : api-dàdadàmi, je place dessus. Grec
(épi).
ATI — au delà : ati-kram, aller au delà.
AVA — de haut en bas : ava-tara, descente.
DUR et DUS — mol : dour-mati, stupide ; dous-tara,
difficile. Grec (dus, prononciation dous).
NI — de haut en bas, séparation : ni-pal, tomber.
NIS-NIR — de, hors de : nir-gam, sortir.
PARA — à rebours, en retour, en sens opposé : parâ-jaya,
défaite. Grec (para).
PARI — autour : pari-yam, aller autour. Grec
(peri).
PRA — en avant : pra-bû, commander. Grec (pro),
latin prae, pro.
PRATI — à, vers, vis-à-vis, contre : prati-pad, aller vers.
Gr.-Éolien (proti), grec (pros).
SAM — avec : sam-iti, réunion. Grec (sun), latin
cum.
SU — bien : su-varna, or. Grec eû (eu).
UPA — vers : upa-gam, aller vers. Grec (upo),
latin sub.
UT — en haut : ut-pat, sauter.
VAHIR — marque la séparation vahi-skrita, privé de.
VI — particule de séparation vi-yuj, disjoindre.

Par l'étude de ces préfixes, comme par ceux des


suffixes, on peut voir que le sanscrit est assez riche
pour avoir doté sa nombreuse postérité de langues
indo-européennes, et qu'il n'est nul besoin d'imagi-
ner une langue inconnue dont on ne possède pas
même une inscription, pour en faire l'indo-européen
commun.
L'euphonie a lieu ordinairement en sanscrit par
élision, nous en avons donné plus haut quelques
exemples, mais lorsque ces règles ne peuvent s'ap-
pliquer, on procède par l'intercalation d'une lettre
destinée à unir entre eux les éléments du mot.
Ainsi râj, roi, et sya, qui est la flexion indiquant
le génitif singulier, ne s'écrira pas râjsya, mais, pour
pour l'euphonie du mot, raj-a-sya, rajasya, du roi ; a
est ici une simple lettre d'accord.
Maintenant que nous avons vu à l'aide de quels
éléments se formaient les mots, nous pouvons les
suivre dans leurs diverses transformations. Les
mots sont, en sanscrit, substantifs, adjectifs, pro-
noms, verbes, participes, infinitifs, gérondifs, pré-
positions et adverbes.
Dans une grammaire d'un des idiomes indo-euro-
péens, une pareille constatation n'offre rien d'ex-
traordinaire, mais on changera d'opinion si l'on veut
bien se rappeler que le sanscrit, souche des langues
indo-européennes, n'a rien emprunté à d'autres idio-
mes, et est arrivé à la création de ces divisions logi-
ques par ses seules forces de transformation.
Diviser ses mots •en substantifs, adjectifs, pro-
noms, verbes, etc., n'est pas un phénomène extraor-
dinaire pour un dérivé qui suit une marche tracée
par son ancêtre ; mais c'est toute autre chose quand
il s'agit, do la langue mère, qui a eu à supporter tout
l'effort de la création de ces formes spéciales.
Le sanscrit possède trois nombres : le singulier, le
duel, le pluriel, et trois genres : le masculin, le fé-
minin, le neutre.
Los mots sont modifiés dans leur manière d'être
par la déclinaison qui n'est autre chose que la flexion
réglementée.
Le lecteur connaît déjà, par le grec, le latin ou
l'allemand, ces tableaux qui font passer par toutes
leurs flexions casuelles les mots déclinables ; aussi
nous bornerons-nous à en donner un seul exemple
en sanscrit.
Les mots sanscrits ont tous une forme absolue qui
n'appartient à aucun cas, et qu'on peut distinguer
sous le nom de thème :

RAMA, charmant.

MASCULIN FÉMININ NEUTRE


THÈME :
RAMA RAMA RAMA

Singulier :

Nominatif : Rainas Ramâ Raman


Vocatif : Rama Ramê Rama
Accusatif : Ramam Ramâm Raman
Instrumental : Ramêna Ramayâ Ramêna
Datif : Ramâya Ramâyoe Ramâya
Ablatif : Ramât Ramâvâs Ramât
Génitif : Ramasya Ramâyâs Ramasya
Locatif : Ramê Ramâyâm Ramê

Pluriel :

Nominatif : Ramâs Ramâs Ramâni


Vocatif : Ramâs Ramâs Ramâni
Accusatif : Ram an Ramâs Ramâni
Instrumental : Ramoes Ramabis Ramoes
Datif : Ramêbyas Ramàbyas Ramêbyas
Ablatif : Ramêbyas Ramâbyas Ramêbyas
Génitif : Românâm Râmanâm Ramânâm
Locatif : Ramêson Ramasou Râmêsou

Duel :

N. V. Ac. : Rama Ramê Ramê


I. D. Ab. : Ramâbyam Ramâbyam Ramâbyâm
Gen. Loc. : Ramayôs Ramayôs Ramayôs

On remarquera que le sanscrit a, de plus que les


langues latines et grecques, les deux cas nommés
instrumental et locatif.
L'instrumental indique que l'objet joue le rôle
d'instrument.

Ex. : Il le blessa d'un coup de poignard, instrumen-


tal. Le locatif détermine le lieu ou la partie.
Ex. : Il le blessa d'un coup de poignard au bras, lo-
catif.

Nous avons dit que chaque mot possède une


forme absolue, appelée thème. C'est d'après les ter-
minaisons de cette forme que l'on peut ramener à
six classes toutes les déclinaisons sanscrites.
La première classe comprend tous les thèmes qui
se terminent en a bref et en â long.
La seconde, tous ceux qui se terminent en i et
en ou.
La troisième, tous ceux qui se terminent en î long
et en où long.
La quatrième, ceux qui se terminent en re et en le.
La cinquième, ceux en oe, ô et oeo.
La sixième, tous les thèmes qui finissent par une
consonne.
Il y a trois sortes de thèmes, les thèmes simples,
comme yut, combat; les thèmes doubles, comme tu-
dant et tudot, frappant ; les thèmes triples, comme
pratyanc'-pratyac' et pratic', occidental. Ils se dé-
clinent d'après des règles d'euphonie spéciales que
nous n'avons pas à étudier ici, ce serait tomber dans
les règles détaillées de la grammaire.
Le verbe n'est qu'une racine qui, par le moyen de
suffixes ou de flexions, ajoute à son sens spécial
l'idée d'existence ou d'action.
Le verbe sanscrit a trois voix :
La voix active,
La voix moyenne,
Et la voix passive,
La forme active est ou transitive ou neutre, mais
jamais passive.
La forme moyenne, plus communément transi-
tive ou neutre, prête une partie de ses temps au
passif et a quelquefois un sens réfléchi.
La forme passive exprime uniquement le passif,
sans exception à cette règle.
Rarement, les formes active et moyenne sont
en usage pour le môme verbe, car elles ont à peu
près la même signification.
Comme en grec et en latin, tous les verbes actifs
gouvernent l'accusatif ; les autres verbes gouver-
nent des cas différents, suivant le sens logique de la
manière d'être qu'il indiquent.
Le verbe sanscrit a trois nombres, trois personnes
et neuf temps.
Il possède trois modes, l'indicatif que l'on trouve
à tous les temps, l'impératif à un seul, et l'optatif,
qui est à peu près le môme que le subjonctif latin.
L'infinitif, le participe et le gérondit sont de véri-
tables noms déclinables.
Il n'y a, à proprement parler, en sanscrit, qu'une
seule conjugaison.
Nous n'entrerons pas ici dans l'analyse des flexions
ou terminaisons verbales, ni dans l'étude de la for-
mation des temps, ce serait, nous l'avons déjà dit,
tomber dans l'examen des choses de pure gram-
maire, et nous désirons nous en tenir aux grandes
lignes, aux principes généraux applicables à toutes
les langues indo-européennes.
Si nous nous sommes occupé avec plus de détail
des flexions, des suffixes et et des préfixes, c'est que
ces formes jouent dans la formation des mots un
rôle des plus importants, non-seulement en sans-
crit, mais dans tous les dérivés de cette langue
mère, et que l'on peut presque affirmer que toutes
ces formes, comme celles de la racine indo-euro-
péenne, peuvent être ramenées à un type commun.

Ex. : En sanscrit, mati, la pensée ; en grec


(métis).
Radical sanscrit, ma.
Radical grec, mê.
Suffixe sanscrit, ti.
Suffixe grec, tis.
Autre ex. : en sanscrit, vamatu, vomissements
(prononcez vamatous) ; en latin, vomitus (prononcez
vomitous).
Radical sanscrit, vam.
Radical latin, vom.
Suffixe sanscrit, tu.
Suffixe latin, tu.

Il est inutile d'insister, de pareils faits linguisti-


ques peuvent se passer de commentaires.
Le sanscrit possède ces parties invariables du dis-
cours qu'on appelle prépositions, adverbes, con-
jonctions et interjections.
Les prépositions n'existent qu'en petit nombre
,
l'instrumental et le locatif des déclinaisons sanscri-
tes étant destinés à rendre les rapports qu'elles
expriment. Aussi peut-on affirmer que les neuf ou
dix prépositions que l'on relève en sanscrit ne sont
que des préfixes qu'on s'est habitué, par l'usage, à
séparer du mot. Elles gouvernent, en général, soit
l'accusatif, soit l'ablatif.
Une de ces prépositions, pacya, voici, n'est que
l'impératif de pac, voir, pac-ya, vois-ici. De même
qu'en français voici, n'est que l'abréviation de
vois-ici.
Adverbes et conjonctions se distinguent peu en
sanscrit.
Les grammairiens indous les rangent dans la
même classe, et remarquant que leurs terminaisons
indiquent des cas parfaitement déterminés ; ils les
regardent comme d'anciens noms et adjectifs qui,
autrefois, se déclinaient, et que l'habitude a immo-
bilisés dans un cas spécial, nominatif, accusatif,
ablatif, etc..., de la déclinaison.
Comme dans toutes les langues, ses dérivés, le
sanscrit, par l'interjection, exprime la plainte,
l'étonnement, la colère, la douleur, la joie, l'hor-
reur, l'encouragement ou l'appel. Le sens de l'in-
terjection sanscrite est assez vague, ce qui fait que
toutes les formes de cette classe s'emploient assez
facilement les unes pour les autres.
Après cet examen rapide de la formation des
mots et de leur dérivation, il ne nous reste que fort
peu de chose à dire de leur règle d'emploi dans le
discours, autrement dit de la syntaxe sanscrite qui,
si on en excepte deux ou trois règles spéciales, s'est
conservée tout entière dans les syntaxes grecques
et latines issues d'elle.
L'illustre Bopp, qui n'a mis de syntaxe ni dans sa
grammaire sanscrite-allemande, ni dans l'édition
latine de cette grammaire, en donnait les raisons
en ces termes :

«.... Si l'on ne veut pas répéter les principes qui


appartiennent à la grammaire générale, ou les cho-
ses qui pourraient figurer à aussi bon droit dans le
rudiment de toute autre langue de la môme famille,
« la famille indo-européenne, » il est facile d'exécu-
ter en bien peu de paragraphes une syntaxe sans-
crite... » et il ajoute : « sanscrita lingua locupletissi-
mae et perfectissimae suae grammaticae raro trans-
greditur fines a natura constitutos. »

Ainsi, d'après l'élément indianiste, la syntaxe sans-


crite renferme tous les principes qui appartiennent
à la grammaire générale du groupe des langues
indo-européennes. Et comme tous ces principes que
l'on retrouve en sanscrit, n'ont pas passé dans leur
ensemble dans chaque langue indo-européenne qui
n'en a conservé que ce qui convenait à son carac-
tère spécial, à son génie transformé sur un sol nou-
veau et par une civilisation différente, il suit de là
« ce que nous avons voulu prouver dès le début de ce livre »
que le sanscrit renfermant tous ces principes communs est
bien le type primitif, le type commun de toutes les
langues indo-européennes.
Nous pouvons ajouter que cette preuve ressort
d'une manière aussi évidente de notre examen des
cinq éléments auxquels peuvent toujours se rame-
ner tous les mots sanscrits même les plus com-
plexes :
La racine,
La flexion,
Le suffixe,
Le préfixe,
L'accord euphonique.
Sur le même sujet, MM. E. Burnouf et Leupol,
dans la préface de leur remarquable méthode sans-
crite, se sont exprimés ainsi :

« On remarquera, dans notre grammaire, le peu


d'étendue d'un chapitre qui fait partie intégrante
des méthodes latines et grecques, c'est le chapitre
ou le livre de la syntaxe. Une telle réduction de
notre part n'a pas eu lieu sans de graves motifs.
Comme on pourra s'en convaincre par la lecture des
auteurs, le sanscrit ne renferme qu'un très-petit
nombre de règles d'accord et de régime qui n'aient
pas leur équivalent dans nos langues classiques. »

Il ne nous reste plus en manière de conclusion,


qu'à nous demander si ce n'est pas à juste titre que
nous avons repoussé l'inutile exhumation d'une
langue inconnue, dont il ne reste aucun vestige,
qui n'est qu'une pure hypothèse linguistique et
,
qu'on voudrait nous donner comme l'ancêtre du
sanscrit, et le type commun du langage indo-eu-
ropéen.
Nous ne prétendons pas, qu'on retienne bien ce
fait, que le sanscrit n'ait pas eu d'ancêtre... Nous
disons simplement que cela nous importe peu en
présence de ces trois faits indiscutables.
1° Que l'ancêtre, s'il a existé, a disparu sans lais-
ser aucun monument, aucun vestige si faible qu'il
soit.
2° Que toutes les formes prétendues primitives,
relevées par les partisans de ce système, ne sont
que des formes sanscrites, dont les unes n'ont ja-
mais cessé d'exister, dont les autres n'ont subi que
des modifications d'euphonie.

(C'est ainsi que la forme aiti, qui se


change en êti, que M. Hovelacque
donne comme une forme de cette lan-
gue perdue, n'est, n'en déplaise à tous
les linguistes franco-allemands qu'une
forme absolument sanscrite soumise
à la règle générale d'euphonie, ê pour
ai, êti pour aiti. Le tort des linguistes
de cette école est de raisonner sur le
sanscrit classique, sans vouloir tenir
compte de la marche de cette langue
de l'enfance à l'âge mûr, du monosyl-
labisme et de l'agglutination à la
flexion.
Toutes les formes simples qui appar-
tiennent à l'enfance du sanscrit et que
l'usage, le progrès, des règles nou-
velles, l'euphonie, ont plus ou moins
modifiées, sont attribuées par eux à
cette langue inconnue qu'ils ont fait
surgir de l'exégèse linguistique...Voilà
tout le procédé.)

3° Que le sanscrit possède seul, dans leur universa-


lité, tous les principes de la grammaire générale du
parler indo-européen.
Nous poserons de plus cette question :

Comment pourrait-il se faire qu'une langue, aussi


importante que celle qui aurait donné naissance au
sanscrit et à tous les groupes indous, anciens et mo-
dernes, de cette famille, au groupe des langues ira-
niennes, aux groupes celtiques, grecs, latins, ger-
maniques, slaves et Scandinaves, n'aurait laissé
aucune trace de son existence?
Si toutes ces langues ne sont point des dérivés du
sanscrit, mais des dérivés de ce prétendu indo-eu-
ropéen commun d'invention moderne, si elles sont
soeurs et non filles du sanscrit, tout cet ensemble
gigantesque de traditions primitives, qui a couvert
l'Asie et l'Europe, a forcément son origine dans la
période de civilisation, où toutes les tribus qui ont
émigré dans les deux mondes parlaient encore cet
indo-européen commun, et dès lors comment s'ima-
giner que la langue d'une civilisation aussi gigan-
tesque d'où sont sortis le monde ancien et le monde
moderne, se soit éteint comme le vulgaire idiome
d'une peuplade disparue ?

Nous ne saurions trop le répéter : à quoi bon


chercher dans la nuit des âges disparus, le lien des
langues indo-européennes, puisque nous avons le
sanscrit, qui, comme langue, renferme en lui tous
les principes généraux et toutes les formes com-
munes, et comme littérature nous offre le monu-
ment le plus imposant qu'ait produit l'esprit hu-
main, monument dans lequel, selon l'expression de
MM. Max Grazia et J. David : « Tout se trouve, depuis
les premières formules religieuses, jusqu'aux premières
évolutions des sciences, des lettres et des arts... »
Presque tous les principes de droit civil du vieux
Manou ont passé en entier dans le droit de Rome,
et dans les codes modernes conservés par la cou-
tume... Sa cosmogonie a inspiré toutes les cosmo-
gonies religieuses.
Une langue ne meurt pas avec une pareille ri-
chesse de production, aussi l'indo-européen commun
n'a-t-il pas disparu.
L'indo-européen commun à tous les points de vue
linguistiques, historiques et ethnographiques, est le
sanscrit !
Tout autre système, isolé de l'histoire, de l'ethno-
graphie, et de la linguistique positive, reposant
sur des faits certains, n'est plus qu'une collection de
rêveries hypothétiques.
Le savant Max Muller, professeur à l'Université
d'Oxford, n'a pas assez oublié son origine germa-
nique, pour se séparer de la pure école allemande
sur le terrain des Aryas de l'Oxus, et de la langue
disparue qui aurait donné naissance à tous les
idiomes indo-européens, y compris le sanscrit. Mais
ses raisons quoique fort spécieuses en apparence, ne
reposent, comme celles que nous avons déjà exami-
nées, que sur de pures hypothèses, et la même con-
fusion entre les formes du sanscrit primitif, du sans-
crit dans ses diverses périodes de formation et celles
du sanscrit classique.
Nous aimons peu à exposer nous-mêmes les opi-
nions de nos adversaires ; il est rare que dans cette
forme d'argumentation, on ne se laisse pas aller,
sans s'en rendre compte, à affaiblir par des nuances
l'idée que l'on veut combattre, aussi allons-nous
procéder selon notre habitude par citation.
Max Muller s'exprime ainsi :

« On ne peut pas dire que nous ne savons abso-


lument rien de l'époque pendant laquelle les nations
aryennes (toujours les Aryas, dont l'existence, non-
seulement au point de vue scientifique n'est pas
démontrée, mais contre laquelle protestent toutes
les traditions de l'Indoustan), encore non divisées en
peuples divers, formèrent leurs mythes. Quand môme
nous ne connaîtrions que les traditions de la Grèce,
si obscures quand on les envisage isolément, nous
pourrions en tirer bien des inductions sur l'époque
qui précéda la première apparition de la littérature
nationale en Grèce... La philologiecomparée a ramené
toute cette période dans la sphère de l'histoire posi-
tive. Elle a mis en nos mains un télescope d'une telle
puissance, que là où nous n'apercevions auparavant
que des nuages confus, nous découvrons maintenant
des formes et des contours distincts. Bien plus, elle
nous a fait entendre, si l'on peut ainsi parler, des té-
moignages contemporains de ces lointaines époques ;
elle nous a représenté l'état de la pensée, du langage,
de la religion et de la civilisation à une époque où le
sanscrit et le grec n'existaient pas encore, mais où
tous deux, ainsi que le latin, l'allemand et les autres
dialectes aryens, étaient contenus dans une langue
commune, de môme que le français, l'italien et l'es-
pagnol ont été d'abord virtuellement renfermés dans
le latin.
« Ceci réclame une courte explication. Quand
même nous ne saurions rien de l'existence du latin,
quand môme tous les documents historiques anté-
rieurs au XVe siècle auraient été perdus et que la
tradition ne nous eût pas appris l'existence d'un
empire romain, une simple comparaison des six
dialectes romans nous permettrait de dire qu'à une
certaine époque, il dut y avoir une langue d'où
tous ces dialectes modernes tirèrent leur origine ;
sans cette supposition, en effet, il serait impossible
d'expliquer les analogies que présentent ces dia-
lectes. En examinant le verbe auxiliaire, nous trou-
vons :

ITALIEN VALAQUE RHÉTIEN ESPANOL PORTUGAIS FRANÇAIS

sono sum sunt soy son suis


sei es eis eres es es
é e ei es hé est
siamo suntema essen somos somos sommes
siete suntete esses sois sois êtes
sono sunt ean son sao sont

Il est évident que toutes ces formes sont des


«
variétés d'un même type, et qu'il est impossible de
prendre aucun de ces six paradigmes pour le modèle
sur lequel les autres ont été construits. Nous pou-
vons ajouter que dans aucune des langues auxquelles
ces formes verbales appartiennent, nous ne trouvons
les éléments qui auraient pu les composer.
« Quand nous rencontrons des formes comme j'ai
aimé, nous pouvons les expliquer par les radicaux
que le français possède actuellement et il en est de
même des temps composés, comme j'aimerai, c'est-
à-dire je aimer-ai. Mais le changement de je suis en
tu es est inexplicable par la grammaire française
seule. De telles formes n'auraient pas pu naitre sur
le sol français, elles ont dû se transmettre comme
les restes d'une époque précédente ; elles ont dû
exister dans quelque langue antérieure aux dialectes
romans. Ici nous ne sommes point obligé de nous
en tenir à une simple supposition, car nous possédons
le verbe latin, et nous pouvons montrer comment,
par suite de la corruption phonétique et en vertu
d'analogies erronées, chacun des six paradigmes
n'est qu'une métamorphose nationale du modèle
latin.
Voici maintenant une autre série de para-
«
digmes :

Sans- Lithua- Zend. Dorien. Vieux Latin, Gothi- Armé-


crit. men. slave. que. nien.
Je suis.......
Tu es
Il est........,
asmi esmi
am
asti
essi
esti
ahmi

asti
ahi yesi
yesme
es
yests
suan im

est
is
ist
ena
es
é
Nous (deux)
sommes.. sva's esva
...... ........ yesva siju .......
Vous (deux)
êtes........
Nous sommes smas
Vous êtes
stha's
Ils (deux sont) stas

stha
esti
esta

esai
stho

hmalu
sta
yesta
yeste
yesta
yesmo
sijiits

sumus sijum cinq


ests sijuth eq
esta
Ils sont sauti esti henti sointé sunt siud en

« Nous devons tirer les mômes conclusions de


ces formes grammaticales, examinées avec soin, que.
des précédentes. Elles ne sont également que les
variétés d'un même type ; il est impossible de con-
sidérer l'une d'elles comme ayant servi d'original
aux autres ; enfin aucune des langues dans les-
quelles se présentent ces formes verbales ne possède
les éléments dont elles sont composées. Le sanscrit
ne peut être considéré comme l'original d'où est
dérivé tout le reste, ainsi que le prétendent plusieurs sa-
vants ; car nous voyons que le grec a dans plusieurs
cas gardé une forme plus primitive et comme on dit
plus organique que le sanscrit. ne peut être
dérivé du mot sanscrit smas, parce que smas a perdu
la radicale a que le grec a conservée, la racine
étant as être, et la terminaison smas nous, etc...
« Le grec ne peut être pris davantage pour le
langage d'où sont dérivés les autres dialectes ; car
le latin lui-même n'en est pas dérivé, et a conservé
quelques formes plus primitives. par exemple sunt
au lieu de ou ou. Ici le grec a complète-
ment perdu le radical as, étant mis à la place de
tandis que le latin a du moins comme le sans-
crit gardé le radical s dans sunt, sanscrit santi.
« Tous ces dialectes nous conduisent donc à une
langue plus ancienne dont ils sont dérivés comme
les dialectes romans le sont du latin. A l'époque
reculée où nous font remonter ces inductions, il n'y
avait pas encore de littérature pour nous conserver
quelques traces de cette langue mère qui mourut
en formant les dialectes aryens modernes, tels que
le sanscrit, le zend, le grec, le latin, le gothique, le
windique et le celtique. Cependant tout nous porte
à croire que cette langue a été autrefois une langue
vivante, parlée en Asie par une petite tribu, et à
l'origine par une petite famille, vivant sous un seul
toit, de même que la langue de Camoëns, de Cer-
vantès, de Voltaire et de Dante fut autrefois parlée
par quelques paysans qui avaient bâti leurs cabanes
sur les sept collines près du Tibre. Si nous compa-
rons les deux conjugaisons que nous venons de pré-
senter, nous verrons que les coïncidences entre le lan-
gage des Védas et le dialecte parlé aujourd'hui par les Li-
thuaniens sont beaucoup plus grandes qu'entre le
français et l'italien ; et il suffit de lire la grammaire
comparée de Bopp pour voir clairement que les
formes essentielles de la grammaire ont été com-
plétement établies avant que les membres divers de
la famille aryenne se soient séparés. »

Voilà à l'aide de quels arguments M. Max Muller


suppose, suivant sa propre expression, qu'il a existé
une langue antérieure au sanscrit, d'où seraient sor-
ties toutes les langues indo-européennes.
Notre réponse sera facile, car jamais la linguis-
tique réduite à ses seules forces, c'est-à-dire évoluant
en dehors de la tradition de l'histoire et de l'ethno-
graphie en dehors même de ses propres règles,
comme nous allons le démontrer, n'a présenté sur
une question d'aussi faibles arguments Nous pou-
vons même dire que ces arguments, portent encore
leur réfutation.
Ainsi, tout d'abord, pour arriver à présenter son
hypothèse sous un jour acceptable, M. Max Muller,
réunissant le groupe des langues romanes issues
du latin, cela est incontestable, suppose le latin
disparu et dit Comme aucun de ces dialectes n'a
pu servir d'original aux autres, et qu'ils sont tous
les variétés d'un môme type, nous serions obligé
de conclure à un type commun disparu, à q'uelque
langue antérieure, quand bien même le latin ne se-
rait pas là pour accuser sa maternité.
Et il conclut de là qu'il faut tenir le même raison-
nement à l'égard des langues indo-européennes, et
leur chercher un type commun antérieur au sanscrit.
L'argument à tous les points de vue manque de
justesse.
Au point de vue de la dialectique pure, de ce que
le latin est le type commun des langues romanes, il
ne s'ensuit pas le moins du monde que le sanscrit
ne soit pas le type commun des langues indo-euro-
péennes.
La disparition du latin pour les besoins du raison-
nement, est un argument qui se retourne contre la
théorie de Max Muller, car on peut lui dire : le latin
existe. Eh bien, comment se fait-il que cette langue
qui n'a donné naissance qu'à cinq ou six dialectes,
se soit conservée, alors que cet indo-européen com-
mun, que vous supposez avoir existé, aurait disparu
après avoir donné naissance à une quinzaine de
groupes principaux, d'où sont sortis plus de deux
cents dialectes. Dira-t-on que cette langue n'avait pas
de littérature et que c'est pour cela qu'elle ne s'est
pas conservée ?
Nous répondrons avec Bopp et M. Max Muller
lui-même, « que les formes de sa grammaire étaient
complétement établies avant les émigrations qui
l'ont transportée de l'Asie dans tout l'Occident, » et
nous demanderons s'il est possible de concevoir
qu'une langue aussi féconde, qu'une langue dont la
nombreuse postérité est encore pleine de vie, ait pu
si bien fixer toutes ses formes grammaticales qu'on
les retrouve dans tous ses dérivés, et cela sans littéra-
ture, c'est-à-dire sans moyen de fixer ces formes.
Cela est complétement impossible, et ce fait ne
soutient pas l'examen, en présence de l'histoire lo-
gique des évolutions du langage.
Est-ce que le grec, le latin, et, pour prendre un
exemple plus près de nous, le français, auraient pu
fixer leurs formes grammaticales sans littérature ?...
Est-ce qu'en dehors de la littérature, qui crée,
épure, conserve les formes du langage, il est môme
possible de comprendre l'existence d'une gram-
maire ?
Pas de littérature le type commun des langues
indo-européennes !... Mais alors comment expliquer
l'apport, sur le sol européen, non-seulement du lan-
gage mais encore de toutes les traditions religieuses
et civiles, de toutes les traditions littéraires de l'Asie.
Citez-moi donc, dans l'histoire du passé, une seule
langue mère, qui ait non pas parcouru le chemin
colossal de l'indo-européen commun, mais simple-
ment donné naissance à une demi-douzaine de lan-
gues littéraires et perfectionnées, et qui se soit cou-
ché dans la poussière de l'oubli, sans laisser la
moindre trace, la plus petite tradition.
Quoi,... cent émigrations diverses ont couvert une
partie de l'Asie et toute l'Europe, de peuples d'ori-
gine indo-asiatique, parlant tous des langues de
même origine, et aucune de ces langues n'aurait
conservé un hymne religieux, un chant de guerre,
une légende qu'on puisse rattacher à la langue
mère ?...
Votre hypothèse du latin disparu est la plus
éclatante condamnation de votre système.
Supposons, en effet, pour entrer complétement
dans nos théories, que le latin soit mort après avoir
formé les six dialectes romans, que rien ne nous
soit resté, ni une page de Virgile, ni une ode d'Ho-
race, ni un discours de Cicéron qui nous missent à
même de reconstituer cette langue, est-ce que nous
en ignorerions pour cela l'existence ; est-ce que l'i-
talien et le français des premiers siècles, pour ne ci-
ter que ces deux langues, ne sont pas pleins de tra-
ditions de toute espèce empruntées à la langue
mère?... Nous pouvons supposer jusqu'à un certain
point que le latin aurait pu disparaître comme lan-
gue, mais comme toute supposition doit être logique
et d'accord avec l'expérience qui résulte des faits,
il nous est impossible de supposer que les six lan-
gues romanes auraient pu se former sans conserver
le souvenir de leur ancêtre, et de fait ces dialectes
n'ont vécu à leur début que de la tradition latine,
ne se sont formés que par la littérature latine.
Donc au lieu de conclure de l'hypothèse de Max
Muller, qu'il faut supposer l'existence d'une langue
indo-européenne disparue, comme on supposerait
l'existence du latin s'il était disparu, nous dirons qu'il
faut rechercher parmi toutes les langues indo-euro-
péennes, quelle est celle qui résume en elle toutes
les traditions linguistiques, historiques et littéraires,
et la proclamer langue mère, type commun, de même
que l'on proclame le latin langue mère, type commun,
des langues romanes, parce qu'il résume en lui toutes
les traditions, linguistiques, historiques et litté-
raires de ces langues.
Les langues qui parviennent à fixer complète-
ment leurs formes, ne disparaissent point aussi fa-
cilement de la scène du monde, et c'est en cela que
la supposition du professeur d'Oxford pèche contre
la logique et l'expérience des faits.
Pour nous montrer que l'indo-européen commun
a pu disparaître, il suppose le latin disparu... sans
voir que l'impossibilité de cette disparition totale
devient un argument, contre la possibilité de la dis-
parition de cette langue colossale qui a formé tous
les idiomes indo-européens.
Nous savons bien que pour les besoins de la
cause, on rapetisse cet immense fait linguistique et
historique, on suppose (toujours des suppositions)
que cette langue a été parlée autrefois par une petite
famille virant sous un seul toit suivant l'expression
même de Max Muller, et on espère ainsi faire com-
prendre comment cette langue a pu ne pas laisser
de littérature ; mais sur ce terrain l'école allemande
tombe dans le ridicule, car : ou bien cette langue
parlée par une petite famille vivant sens un seul toit n'a
point fixé ses formes, est morte sans littérature, et
alors on ne saurait comprendre comment toute l'é-
migration indo-européenne a pu la parler et la
transporter à des époques différentes, dans les diffé-
rentes parties du globe, qu'elle a successivement
colonisé. Ou bien cette langue s'est développée, a
fixé ses formes (et elle n'a pu les fixer que par la
littérature) est devenue la langue de la vieille civi-
lisation indoue, qui a illuminé le monde ancien et
le monde moderne, et alors tout devient clair dans
le double fait linguistique et historique qui nous
occupe, et l'apport des langues et des traditions in-
doues sur notre sol n'a plus rien qui étonne, ni le
linguiste, ni l'historien, ni l'ethnographe.
L'argument « de la petite famille » est un pur
germanisme.
Un dernier mot :
Le latin n'est qu'une langue mère du second de-
gré ; il suffît en effet de rapprocher les formes de
son verbe auxiliaire, de celles du même verbe de son
ancêtre sanscrit, pour être persuadé de cette vé-
rité.

Sanscrit. Latin.
Je suis, asmi, sum.
Tu es, asi, es.
Il est, asti, est.
Nous sommes, smas, sumus.
Vous êtes, stha, estis.
Ils sont, santi, sunt.
M. Max Muller peut se tranquilliser. Les langues
romanes ont conservé non-seulement leur mère, mais
elles ont encore le bonheur de posséder leur aïeule.
Nous arrivons maintenant au seul argument di-
rect donné par M. Max Muller pour prouver que le
sanscrit ne peut être le type commun indo-euro-
péen.
Rappelons d'abord cette partie de notre cita-
tion :

« Le sanscrit ne peut être considéré comme l'ori-


ginal d'où est dérivé tout le reste, ainsi que le préten-
dent plusieurs savants : car nous voyons que le grec
dans plusieurs cas, gardé une forme plus primitive,
et comme on dit, plus organique que le sanscrit.
(nous sommes) ne peut être dérivé du mol
sanscrit smas (nous sommes), parce que smas a perdu
la radicale a que le grec a conservée, la racine étan
as, être et la terminaison mas, nous... »

Pour bien se convaincre de la singularité de


cette argumentation, il faut remettre en présence
les formes du verbe auxiliaire être dans les deux
langues et voir ainsi quelle est celle qui a le
,
mieux conservé la forme organique de la racine as,
être.
Sanscrit. Grec.

Je suis ás-mi (é-mmi)


Tu es
Il est
Nous (deux)
ás-ti
ás-i (és-si)
(és-ti)

Sommes
Vous (deux)
Êtes 's-thás (és-ton)
Ils (deux)
Sont 's-thás (ês-ton)
Nous sommes 's-más (ès-més)
Vous êtes 's-thá (ès-té)
Ils sont 's-anti è-nti)

Comment M. Max Muller peut-il prétendre que le


grec a gardé plus purement que le sanscrit la racine
organique as, être, alors au contraire que le sanscrit
seul l'a gardée dans toute sa pureté.
Lorsque le sanscrit dit dans les trois premiers
temps :
As-mi, as-i, as-ti,
Le grec, changeant la radicale a en é, dit :
É-mmi, è-ssi, è-sti.
Remarquons de plus qu'au premier temps, le grec
ne dit pas :
Ès-mi1 mais e-mmi, changeant non-seulement l'a
de la racine as en e, mais perdant complétement la
lettre s de cette racine.
Quant aux formes sanscrites 's-mas, 's-tha,'s-anti
qui négligent l'a de la racine, elles indiquent l'a dis-
paru par l'accent placé devant la seconde lettre du
radical s, et ces formes ne sont qu'une modification
logique fort commune en sanscrit, 's-mas pour as-
mas. La racine est modifiée et non transformée,
tandis que le grec à aucuns temps ne possède la

ènti ()
racine pure as, et manque complétement de logique
quand il s'avise de la modifier, comme dans èmmi et
où as n'est plus représenté que par è.
È pour as, n'est pas une modification, c'est une
transformation totale de la racine, pour mieux dire
cette forme n'a plus rien de la racine primitive.
De tous les dialectes cités par Max Muller :

Sanscrit — a s-mi je suis


Lihuanien.... — es-mi
Zend — a h mi
Grec dorien.. — e-mmi
Vieux slave.. — yes-me
Latin — s-um
Gothique — i-m
Arménien.... — e-m
1. Forme dorique.
Le sanscrit est le seul qui ait conservé dans son
verbe auxiliaire être la forme organique de la racine
as, et dans cet exemple, destiné à le combattre, il se
trouve qu'il représente le véritable type primitif, le
type commun de toutes les autres langues.
Tous les faits linguistiques que l'on pourrait citer
à l'encontre du sanscrit n'ont pas plus de valeur que
celui que nous venons de combattre; nous avons vu
du reste, dans le précédent chapitre sur quelles
,
faibles bases reposent les prétentions allemandes à
l'exhumation de cette langue qui se serait éteinte ,
épuisée par sa propre fécondité.
Une dernière observation, et nous clorons cette
discussion peut-être un peu longue, mais qui était
d'une nécessité absolue pour démontrer que le véri-
table instrument de transmission de toutes les tra-
ditions indo-européennes est bien le sanscrit et
,
qu'il faut renvoyer dans le domaine de l'exégèse
d'imagination la création d'un type antérieur à
cette langue, type qui, s'il a existé, n'a pas laissé la
moindre trace qui puisse se permettre une constata-
tion scientifique.
Le but des Allemands, nous l'avons déjà dit, est
de faire parvenir directement sur leur sol et la
langue et la civilisation, en repoussant la maternité
de l'Inde, ils se prétendent les frères immédiats des
envahisseurs de l'Inde ; pendant qu'une portion de
leur race descendait vers le sud, eux apportaient la
civilisation aux contrées d'Occident..., sous prétexte
de science, les gens du pays de la bière ne soulè-
vent qu'une vulgaire querelle de race.
Nous désirons terminer ces considérations en si-
gnalant, une fois de plus, les procédés du raisonne-
ment germanique.
Après avoir conclu à l'existence d'une langue an-
térieure au sanscrit, sous prétexte que ce dernier
n'aurait pas conservé certaines formes organiques,
que seul au contraire il possède dans toute leur
pureté (nous n'avons examiné que la forme de la
racine as parce que notre adversaire n'en citait pas
d'autres à l'appui de son axiome), M. Max Muller,
dans ses études mythologiques, considère comme
prouvé le point en litige, à savoir : l'existence d'un
type antérieur au sanscrit, et, partant de là, toutes
les formes communes aux diverses langues indo-
européennes vont être portées à l'acquit de cet
idiome fabuleux.
Étant donné le tableau suivant :

Sanscrit. Zend. Grec. Latin. Gothique. Slave. Irland.


Père
More,
..pitar patar
mâtâr pater fadar ........ athair
mater mati mathair
Frere, bhrâtar brâtâr frater brôthar brat' brothair
Soeur. svasar ganhar ......... soror svistar sestra siur
Fille duhitar duhgdhar dauhtar dear
le professeur d'Oxford s'écrie : Comme cela in-
dique bien l'existence d'un type commun disparu.
Nous avouons ne plus comprendre ! Quoi, voilà le
sanscrit qui possède toutes ces formes, dont les
autres ne sont évidemment que de simples dérivés,
et vous sentez le besoin d'imaginer un type commun
antérieur dont il ne reste pas la moindre trace ? Un
type commun dont vous ne pouvez pas ajouter les
formes perdues à ce tableau, pour prouver sa pater-
nité en même temps que son existence ?
Ce procédé s'accentue encore davantage, peut-
être, dans les ligues suivantes, du môme auteur :

« Si nous trouvons en sanscrit le mot poutra, fils,


et en celtique paolr, fils, la racine et le suffixe étant
semblables, quoique aucun des autres dialectes
aryens n'ait conservé la même forme, une telle iden-
tité ne peut être expliquée qu'en supposant que poutra
était un mot aryen connu longtemps avant qu'au-
cune branche de la famille se fût séparée du tronc
commun. »

Ainsi le mot poutra est sanscrit, racine et suffixe


sont sanscrits, le mot passe dans le celtique, et l'on
croirait que notre auteur va conclure à la maternité
du sanscrit ; pas du tout, pour lui ce mot de poutra
appartient à l'idiome aryen disparu... et il va môme
jusqu'à dire que ces identités entre le sanscrit et le
celtique ne pourraient s'expliquer sans cette suppo-
sition.
Il y a un moyen bien simple d'éviter toutes ces
suppositions : Possédez-vous le moindre monument
linguistique ou littéraire émané de cette langue sup-
posée? Non, n'est-ce pas ! Eh bien, tenez-vous-en
au sanscrit qui, dans ses formes organiques comme
dans ses formes modifiées ou composées, qui peuvent
toutes se ramener aux formes simples, suffit à lui
seul pour expliquer l'origine du système commun
indo européen.
,
Vos théories pèchent bien plus encore contre l'his-
toire que contre la linguistique. Car l'histoire n'ad-
met pas les suppositions.
Il est certain que les émigrations grecques, latines,
celtiques, slaves, germaniques, Scandinaves, etc.,
n'ont point quitté l'Inde à la môme époque, et cepen-
dant les mythologies, les panthéons, les croyances
religieuses de ces différents peuples sont toutes pui-
sées au même fond indo-asiatique. Toutes ces tradi-
tions que l'on retrouve dans les immenses richesses
de la littérature sanscrite, n'ont pu se conserver,
se transmettre, que par la langue commune à toutes
ces émigrations ; cette langue commune n'avait pu
arriver à toutes ces conceptions idéales, à tous ces
symboles métaphysiques, sans hymnes, sans chants,
sans poésies, sans moyen de transmettre les idées
d'une génération à une autre, sans littérature en un
mot.... Que vient donc faire sur ce terrain votre
langue inconnue, qui serait morte sans littérature,
sans moyen de transmettre ses conceptions, et à qui
vous faites jouer le rôle le plus important qu'aucune
langue mère ait jamais joué dans le monde ?
Cherchez donc une langue mère qui ait disparu
sans laisser plus de souvenirs qu'un grain de pous-
sière, après un effort aussi gigantesque.
La langue et la littérature sanscrite sont si bien
le lien commun de toutes les traditions linguistiques,
mythologiques et légendaires des nations indo-euro-
péennes, qu'on ne pourrait les anéantir sans faire
immédiatement la nuit sur les origines communes
de ces nations.
N'est-ce pas Max Muller lui-même qui a dit :

« Celui qui ne part que du sol de la Grèce et de


l'Italie n'atteindra jamais ces profondeurs, n'arrivera
pas jusqu'à ces terrains primitifs, jusqu'à ces couches
les plus anciennes de la pensée et du langage mytho-
logique... S'il y a une nouvelle lumière à projeter sur
la période la plus ancienne et la plus intéressante de
l'histoire de l'esprit humain, la période où les noms
ont été donnés aux choses, et où les mythes ont été
créés, c'est des Védas seuls que peut venir cette lumière. »
Cette citation, empruntée à notre adversaire, nous
sert de conclusion contre lui-même, car on ne pour-
rait, après l'avoir combattue, revendiquer plus for-
mellement la paternité du sanscrit.
Si en effet les Védas appartiennent à la période la
plus ancienne et la plus intéressante de l'esprit humain,
à la période où les noms ont été donnés aux choses, et où
les mythes ont été créés, que dire du sanscrit, qui est la
langue dans laquelle ces ouvrages ont été écrits,
du sanscrit qui est la langue des Védas ?
DEUXIÈME PARTIE
DEUXIÈME PARTIE

CHAPITRE PREMIER

IDIOMES INDOUS. — DÉRIVÉS DU SANSCRIT.

Il serait assez difficile de dresser la liste exacte de


toutes les langues de l'Inde dérivées du sanscrit, en
présence de ce fait qu'il se parle dans cette immense
contrée environ cent soixante-quinze dialectes.
Il est possible cependant de ramener à six groupes
principaux les différents idiomes qui doivent leur
origine à la langue des brahmes. Cinq de ces groupes
appartiennent au nord et un au sud.
Ce sont, pour le nord :
1° Les dialectes du Pendjàb, au nombre de quinze
environ ;
2° Les dialectes du Canoudj, au nombre de huit ;
3° Les dialectes de Behar, au nombre de onze ;
4° Les dialectes du Bengal, au nombre de sept ;
5° Les dialectes du Gouzerat, au nombre de neuf.
Pour le sud :
6° Les dialectes du pays Mahratte, au nombre de
quatre.
Nous ajouterons à cette liste un septième groupe,
que nous appellerons : groupe mixte d'Orixa et de
Coromandel.
Les dialectes de la côte d'Orixa sont, à la vérité,
au point de vue de leur construction grammaticale,
des dérivés du tamoul, mais ils ont fait au sanscrit
des emprunts si considérables que, selon l'expression
de l'illustre Wilson, « si on en retranchait les mots
sanscrits, ils n'existeraient plus. » On en pourrait
presque dire autant du telinga. Les autres dialectes
tamouls, quoique plus indépendants, ont cependant
subi l'influence du sanscrit dans une assez large
proportion ; ainsi on peut dire que ces dialectes ont
reçu des mots de la langue sacrée à peu près dans
la même rapport que l'anglais en a reçu du latin.
Les langues dravidiennes sont donc également des
tributaires de la langue sacrée ; malgré leur appa-
rente indépendance initiale, il n'est même point
prouvé qu'elles ne puissent pas se rattacher plus
étroitement encore aux formes primitives du
sanscrit.
Pendant longtemps on a fait venir de l'Égypte ces
bandes errantes appelées en France tsiganes ou
bohémiens, en Angleterre gypsies, en Suède et au
Danemark tartares, en Espagne gitanos, en Alle-
magne zigeuners, en Italie et en Turquie zingari,
mais l'étude de leur langage les a rattachées à la
grande famille indoue ; il a môme été possible, en
examinant l'état présent de leur lexique au point de
vue des éléments étrangers qui s'y rencontrent, de
tracer la route qu'elles ont parcourue de l'Inde en
Europe.
D'après M. Miklosich, de Vienne, qui s'est livré à
une étude approfondie du dialecte des tsiganes, le
fond de cette langue est un prakrit corrompu.
— Le
prakrit est le dérivé le plus direct du sanscrit, ou
plutôt c'est le sanscrit vulgaire, qui était à la langue
sacrée ce qu'était le latin du paysan du Latium, du
soldat des cohortes, au latin de Cicéron et de Tacite.
— Ce savant a établi, d'une manière indiscutable,
par les emprunts faits par les tsiganes, aux lan-
gues des différents pays qu'ils ont parcourus, que
ces nomades, partis de l'Inde par l'Indus, ont tra-
versé la Perse, l'Arménie, l'Asie-Mineure, la Grèce,
la Roumanie, la Hongrie, la Bohême et la Moravie,
l'Allemagne, la Pologne, la Lithuanie, la Russie,
les pays Scandinaves, l'Italie, le pays Basque, l'An-
gleterre, l'Ecosse, et en dernier lieu l'Espagne.
La France qui les accueillit mal ne fut jamais con-
sidérée par eux que comme un lieu de passage.
On peut dire que c'est la route qu'avaient suivie
plusieurs milliers d'années avant, les émigrations
indoues qui étaient venues coloniser l'Europe.
Les derniers émigrants trouvèrent la place prise ;
appartenaient-ils à une caste trop inférieure pour
qu'ils pussent se fondre dans les colonisations pré-
cédentes? doit-on penser, au contraire, eu égard à
la date relativement récente de leur départ, que les
populations européennes qu'ils venaient visiter, ne
les accueillirent point comme des frères, car elles
avaient depuis longtemps perdu le souvenir de leur
origine indoue ? Toujours est-il que ces émigrants
qui errent en Europe depuis sept à huit siècles, par
fractions de tributs, sans se fixer nulle part, sans se
soumettre à aucunes lois, parlent une langue origi-
naire du Gange et de l'Indus, une langue qui, quand
on la connaîtra mieux encore, quand on lui aura res-
titué ses formes primitives, occupera une des places
les plus importantes dans le système du parler indo-
européen. La plupart des langues du nord de l'In-
doustan n'ont aucune littérature originale ; elles ne
font que paraphraser, imiter, copier le passé, pui-
sant dans l'immense dépôt des richesses littéraires
sanscrites ; elles ont cependant pour elles leur incon-
testable antiquité, puisqu'elles ne sont qu'une
transformation des vieux dialectes issus du sans-
crit, tandis que l'indoustani, qui a reçu les hon-
neurs du Collége de France, est une langue des plus
modernes, sans caractère, sans originalité, qui s'est
formée de pièces et de morceaux empruntés au per-
san, à l'arabe et à la plupart des idiomes du nord
de l'indoustan ; son écriture est celle de l'arabe lé-
gèrement modifiée, sa littérature ne se compose que
d'imitations ; et quoique puisse dire M. Garcin de
Tassy pour nous la faire prendre au sérieux, il n'em-
pêchera pas tous les indianistes, — même ceux qui
ne l'avouent point, — du penser que cette langue ne
représente pas les idiomes du nord de l'Inde et ne
méritait pas une chaire officielle. Cette langue est
aux véritables dialectes indous, ce que la langue
franque est aux langues européennes du bassin de
la Méditerranée. C'est le parler des marchands mu-
sulmans et des colporteurs des bazars indigènes.
CHAPITRE II

GROUPE SPÉCIAL DES IDIOMES IRANIENS


DÉRIVÉS DU SANSCRIT.

Notre intention n'est pas, après avoir établi, à


l'aide du sanscrit, les formes générales du parler
indo-européen, de consacrer une étude spéciale à
toutes les langues qui se rattachent au système con-
venu ; nous nous bornerons donc en les classant,
d'après leur ordre d'antiquité, à donner quelques
détails historiques sur chacune d'elles.
Nous suivrons, pour les langues iraniennes, la
classification très-intelligente de M. Hovelacque,
qui indique exactement dans les lignes suivantes
l'état scientifique de la question :

« La classification des langues éraniennes n'est pas


encore établie. Il se peut qu'un très-petit nombre
d'entre celles de ces langues que nous connaissions
ne soient pas alliées les unes aux autres en ligne
directe. A coup sur il n'en est point parmi elles
qui puissent se vanter d'avoir été la mère commune
de toutes les autres; le vieux perse l'emporte par-
fois sur le zend, parfois le zend l'emporte sur le
vieux perse. La seule classification qui semble ad-
missible lorsqu'il s'agit des langues éraniennes est
celle qu'on peut emprunter au temps môme où elles
ont été parlées. Ainsi, on classera au rang des an-
ciennes langues éraniennes, le zend, le perse et l'ancien
arménien ; au rang des langues éraniennes du moyen-
âge : le huzvâreche, le parsi et l'arménien classique
plus récent, l'afghan, le baloutche, le kourde, l'ossète
et quelques autres dialectes. »

On remarquera que notre auteur emploie le mot


d'éranien au lieu de celui d'iranien que nous avons
adopté nous-même. D'apres lui, la première expres-
sion serait beaucoup plus correcte que l'autre.
Nous regrettons de ne pas partager son opinion,
et cela par des motifs identiques à ceux qu'il invo-
que, des motifs de pure correction. Le nom donné
à ces langues vient sans aucun doute de celui de la
contrée où elles se sont parlées, et de même qu'on
ne dit pas l'Eran mais bien l'Iran, on doit dire lan-
gues iraniennes et non langues éraniennes.
CHAPITRE III

LE ZEND

Le zend est une des langues les plus anciennes


de la haute Asie. Il se parlait dans les contrées de
l'est de l'Iran, limitées, d'après Eugène Burnouf, au
nord par la Sogdiane, au nord-ouest par l'Hyrcanie,
au sud par l'Arachosie. C'est à deux Français que le
monde savant doit l'exhumation de cette langue de
Zoroastre que bien peu de prêtres parsis peuvent
comprendre aujourd'hui, bien qu'ils s'en servent
dans leurs cérémonies religieuses. Le premier est
Anquetil Duperron, frère de l'historien. Un goût
naturel l'avait poussé vers l'étude de l'hébreu, de
l'arabe et du persan, lorsqu'un jour, entraîné par
le désir d'étudier les mystérieuses civilisations de
l'Extrême-Orient, il s'engagea comme soldat dans
un régiment qui partait pour Pondichéry ; s'étant
fait libérer, il se dirigea sur la côte Malabare où,
s'étant lié avec les Guèbres, il apprit d'eux le zend
et le pehlvi, et publia à sa rentrée en Europe une
traduction du Zend-Avesta et une version persane
abrégée des Védas ; il avait rapporté également une
grande quantité de manuscrits qu'il donna géné-
reusement à la bibliothèque royale. La continua-
tion de son oeuvre est due à Eugène Burnouf, ce
philologue de génie, qui appliqua à l'étude des lan-
gues disparues cette saine et sévère méthode scien-
tifique, entrevue déjà par Volney et d'où est sortie
la linguistique moderne.
En pillant, sans crier gare, l'héritage de ces trois
hommes, Volney, AnquetilDuperron et Eugène Bur-
nouf, les Allemands prétendent avoir posé les vé-
ritables bases de la philologie comparée.
Il est hors de doute que le zend fut le langage
sacré de l'Iran ; employé dans les hymnes, la poé-
sie lyrique et les hautes sciences, il n'a dû être
parlé que par les classes élevées.
Sa parenté avec le sanscrit est indiscutable, bien
que son écriture alphabétique paraisse être d'ori-
gine sémitique.
Disons, en terminant, que le nom de Zend, ap-
pliqué à cette langue, est impropre quoique con-
sacré par l'usage, c'est le nom du grand ouvrage
religieux des Parses, le Zend-Avesta, et non celui que
devait porter le langage dans lequel il a été écrit.
CHAPITRE IV

L'ANCIEN PERSE. —
UNE OPINION SUR LES CU NÉIFORMES

Nous ne connaissons cette langue que par quel-


ques inscriptions conservées sur les ruines des
vieux palais Acheménides ; c'est encore à un Fran-
çais, l'immortel Burnouf, dont nous avons parlé au
chapitre précédent, que l'on doit le déchiffrement des
caractères du vieux perse qui avaient échappé jus-
que-là à toute tentative d'interprétation, ainsi que la
reconstitution grammaticale de cette langue perdue.
Les diverses inscriptions qu'il eut en sa posses-
sion, ne lui fournirent guère plus de cinq cents
mots ; sans se laisser abattre par des difficultés jus-
que-là insurmontables, il se mit au travail, et de
môme que Georges Cuvier, avec quelques débris
végétaux et animaux, retrouvait, à peu près vers la
même époque, un monde naturel disparu, Eugène
Burnouf déchiffrait des caractères dont nul n'avait
la clef, reconstituait une langue oubliée, et compa-
rant sa grammaire à celle du zend et du sanscrit,
assignait à cette langue sa véritable place dans la
grande famille des idiomes indo-européens issus de
la langue sacrée des brahmes.
L'écriture de l'ancien perse est cunéiforme. Et
cela n'a rien qui doive nous étonner, car, selon nous,
le caractère cunéiforme est l'ancêtre de tous les ca-
ractères de l'Extrême-Orient. Nous nous réservons
de donner à cet égard, dans un mémoire spécial,
toutes les preuves que nous avons pu obtenir des
pundits de l'Inde et par nos propres recherches;
qu'il nous suffise d'établir aujourd'hui, afin de faire
prendre date à cette opinion et de nous en assurer
la paternité dans le monde scientifique , les propo-
sitions de ce mémoire auquel nous travaillons de-
puis de longues années.
1° De même que toutes les langues ont passé par
l'état rudimentaire du monosyllabisme pour arriver
à l'agglutination, puis à la flexion, tous les modes
d'écritures ont eu un état rudimentaire qu'il s'agit
de rechercher et de définir.
2° Toute écriture à l'état d'enfance est idéogra-
phique, c'est-à-dire exprimant une idée ; par le pro-
grès elle devient phonétique, c'est-à-dire exprimant
un son.
3° La première tentative d'écriture phonétique
s'est faite à l'aide de simples barres droites, incli-
nées à droite ou à gauche, dans tous les degrés
compris entre la ligne horizontale et la ligne verti-
cale, c'est ainsi que, encore aujourd'hui, on ap-
prend à écrire aux enfants ; ce début si simple est
fatal; toute science, môme celle de l'écriture, de-
vant forcément passer par l'état simple pour aller
à l'état composé.
4° Ce passage de l'état idéographique à l'état
phonétique, a eu lieu dans un état de civilisation
déjà relativement très avancé, et l'on s'est servi,
pour figurer les caractères phonétiques, de l'objet
le plus vulgaire, de l'objet qui se trouvait dans tou-
tes les mains, c'est-à-dire du clou à tête triangu-
laire dont on se sert encore dans tout le sud de
l'Inde, qui repousse énergiquement les importa-
tions européennes.
5° Au point de vue historique, cette opinion a
pour elle l'autorité des pundits, ou brahmes sa-
vants, du sud de l'Indoustan, qui se bornent à cons-
tater, un fait de tradition, auquel ils n'ajoutent au-
cune importance, s'intéressant peu à ces questions
d'écriture qui passionnent la science européenne,
mais qui les laissent complètement indifférents. Il
ressort de là qu'ils n'ont pu inventer cette tra-
dition.
6° Il y a dans l'Inde et notamment dans la pagode
de Chelambrum, des planchettes de granit noir, sur
lesquelles sont indiquées toutes les transformations,
très-simples du reste, qu'ont subi les signes cunéi-
formes pour arriver aux signes devanagari actuels.
Nous en possédons une copie que nous publierons.
7° Nous avons vu nous-même dans le Carnatique,
les brahmes apprendre à écrire aux petits enfants
avec des clous, arrangés en signes, avant de leur
confier une feuille de palmier et un stylet, comme
ils leur apprenaient à compter avec de petits coquil-
lages nommés cauris, avant do leur indiquer les si-
gnes des nombres.
CHAPITRE V

L'ARMÉNIEN.

L'Arménien appartient sans conteste à la grande


division des idiomes indo-européens, issus de la
langue sacrée de l'Inde.
« Il semble, dit l'éminent linguiste dont nous sui-
vons la classification, sans adopter cependant ses
idées d'école1, que l'arménien se soit distingué de
très-bonne heure du reste des langues éraniennes ;
il occupe en tous cas une place particulière dans la
famille éranienne, une place un peu indépendante.
De l'ancienne période de l'arménien nous ne sa-
vons que fort peu de chose, particulièrement ce que
les auteurs classiques nous en ont transmis. Cette
première période prit fin au commencement du

1. M. Hovelacque.
Ve siècle de notre ère. La période de l'arménien
classique commence à cette époque. Mesrob créa
alors l'alphabet arménien, qui procéderait avec l'al-
phabet géorgien, dit M. Frédéric Muller d'une forme
sémitique, notamment de l'écriture araméenne.
L'âge d'or de l'arménien dura sept cents ans envi-
ron, et ne prit fin qu'au commencement du XIIe siè-
cle. Sa littérature fut féconde, ses dialectes assez
nombreux et l'un d'eux, celui de la province d'Ara-
rat s'éleva bientôt à l'état de langue littéraire.
Celle-ci, tout au contraire, a paru se fixer, et les
dialectes actuels ne sont que des formes plus mo-
dernes des anciens dialectes Parmi tous les idio-
mes néo-éraniens actuellement parlés, l'arménien
est celui qui, par la conservation relative de ses for-
mes, se rapproche le plus du type commun de toute
la famille. Quant à son lexique, il contient comme
celui de toutes les langues éraniennes modernes un
nombre assez notable de mots étrangers... Mais le
fond môme du vocabulaire est bien éranien, comme
l'est d'ailleurs la grammaire tout entière.

L'arménien a été écrit jadis sinon d'une façon


«
constante, au moins dans certains documents, en
caractères cunéiformes. On a trouvé des inscriptions
de cette espèce dans les ruines d'Armavir notam-
ment, non loin du mont Ararat. »
De ceci nous retiendrons deux faits :
Le premier c'est que l'arménien, malgré les modi-
fications que lui ont fait subir les siècles, et bien
qu'il ait donné naissance à plusieurs dialectes, se
rapproche môme encore aujourd'hui tellement du
type commun des vieilles langues de l'Iran et par le
fond de son vocabulaire, et par sa grammaire, qu'il
est impossible de méconnaître son origine indoue,
Le second, c'est que l'ancien arménien s'est écrit
jadis en caractères cunéiformes.
Ceci vient au secours de l'opinion que nous venons
d'émettre au sujet de l'écriture primitive de toutes
les langues asiatiques, écriture qui partout aurait
débutée par les cunéiformes.
Il est intéressant de remarquer en parlant de ces
caractères, à quel point leur étude démontre la lo-
gique des transformations progressives et parallèles
à celles du langage dont nous avons parlé. Ainsi
l'alphabet assyrien offre un mélange de caractères
idéographiques et phonétiques qui indique une ten-
tative de simplification des plus accentuées, c'est
la marche de l'écriture, du signe idéographique pur
au signe phonétique, mais le progrès ne se réalise
complétement que dans l'alphabet iranien, qui, en
restant cunéiforme, devient entièrement phonétique,
c'est-à-dire n'exprimant plus que des sons.
Depuis longtemps les alphabets sanscrits avaient
subi cette tranformation, et arrivant à la combinai-
son des signes, avaient fait fléchir les barres ou lignes
simples des cunéiformes et obtenu une écriture
moins rudimentaire.
C'est par le même procédé que le zend, l'arménien
et la plupart des autres langues iraniennes, aban-
donnèrent ou plutôt transformèrent le cunéiforme.
CHAPITRE VI

LE PEHLVI OU HUZVARÈCHE.

Une traduction de Send-Avesta, le Boundeech ou


livre cosmogonique des Parsis, et quelques inscrip-
tions de médailles, composent tout ce qui nous reste
de cette langue à ce point oubliée que la science n'a
pas encore pu établir d'une manière certaine la con-
trée ou elle s'est parlée.
On trouve dans cette langue de tels emprunts aux
idiomes iraniens et arabes que l'on a hésité tout d'a-
bord à lui donner une place dans la grande classifi-
cation des langues indo-européennes. Mais une
étude approfondie de ses formes grammaticales,
principalementde ses verbes composés, formes que n'a
pas connues le sémitisme, n'a pas tardé à démontrer
que ce parler appartenait au groupe des idiomes
iraniens.
Appelée d'abord Pehlvi par E. Burnouf et les
orientalistes de son époque, cette langue a reçu
depuis, de l'école allemande, le nom de Huzvârèche.
Rien absolument ne légitime ce baptême alle-
mand, si ce n'est que les savants de cette contrée
ont l'habitude de déguiser ainsi leurs annexions
scientifiques. On ne saurait trop blâmer ces cou-
tumes, nous devrions dire ces manies, qu'ont certains
érudits de changer constamment les appellations en
usage, au grand détriment de l'étude et surtout de
la vulgarisation des idées. De cette façon la langue
scientifique change tous les vingt ans, et sans profit
pour la science elle-même.
En quoi vingt mémoires entassés pour prouver
qu'il faut dire Eraniens et non Iraniens, Huzvàrèche
et non Pehlvi, seront-ils utiles pour l'étude de ces
langues? En parlant du type commun des langues
indo-européennes, les Indianistes qui se sont appe-
lés William Jones, Colbrook, Burnouf, disaient le
parler indo européen. Après avoir longtemps employé
ce terme, les Allemands lui ont substitué un beau
jour, celui d'indo-germanique, d'autres savants di-
sent maintenant le parler Aryaque.
S'il est vrai que la science ne devrait pas avoir de
patrie, en ce sens, que ses conquêtes accroissent le
patrimoine commun de l'humanité, les érudits de-
vraient bien s'entendre une bonne fois pour mettre
un ternie à cette phraséologie toute individuelle, et
conserver les noms consacrés par l'usage ou l'auto-
rité scientifique de leurs devanciers.
L'alphabet pehlvi tel que nous le possédons, ap-
partient à la seconde période que nous avons si-
gnalée, pendant laquelle l'écriture sortie des langes
du cunéiforme n'emploie plus que des signes com-
posés.
CHAPITRE VII

LE PARSI EX LE PERSAN.

Le parsi fut la langue de l'Iran oriental, et il est


encore, avec les modifications nécessaires que les
âges lui ont fait subir, le dialecte des Guèbres et des
Parsis de l'Inde ; il s'est conservé sans mélange
de formes sémitiques. D'après MM. E. Burnouf, Spie-
gel et Hovelacque, le Parsi fut d'un usage commun
jusqu'au onzième siècle de notre ère, au temps
du poëte persan Firdousi.
À l'époque où le Parsi cessait d'être la langue
littéraire, un autre dialecte né à coté de lui, issu
peut-être de ses ruines, arrivait à maturité et dans
le livre des Rois, du poëte que nous venons de nommer,

se fixait dans la forme classique : ce dialecte est le


Persan.
Un des traits spéciaux de cette langue, consiste
en ce qu'elle a abandonné, la vieille déclinaison
sanscrite que les autres parlers iraniens de même
origine avaient conservée, et remplacé par des prépo-
sitions les différentes flexions des cas. Le même pro-
cédé se remarque aussi dans la conjugaison. Mais
ce sont là des modifications toutes modernes qui
n'affectent en rien les formes antiques de la même
langue, et malgré quelques emprunts étrangers,
faits notamment à l'arabe, le persan, aussi bien
que le parsi, est une langue indo-européenne.
CHAPITRE VIII

DE QUELQUES AUTRES DIALECTES IRANIENS DE MOINDRE


IMPORTANCE.

Pour compléter cette classification, il nous reste


à mentionner quelques dialectes d'une importance
beaucoup moins grande, en ce sens qu'ils ne sont
que des dérivés, de troisième et de quatrième ordre
môme, de la langue primitive.
Ainsi : l'Ossète, qui se rapproche du Parsi, de
l'arménien, du Pehlvi, et du Persan.
Le Kourde, qui dérive plutôt des parlers vul-
gaires issus du Persan que de la langue elle-même.
Le Kourmandj, qui n'est qu'un Kourde corrompu,
qui se parle à Mossoul et dans l'Asie-Mineure.
Le Beloutche, qui ne paraît être également qu'une
transformation du Kourde, avec adjonction d'une
foule de mots arabes.
L'Afghan, qui tient beaucoup plus peut-être
des langues indoues modernes, que des langues
Iraniennes.
La langue des Gaures, qui est un dérivé du
Kourde.
La langue des Tâts, dérivée du Persan.
Et enfin probablement, bien que la science n'ait
pas complètement éclairci ce point, le Phrygien, le
Lycien, le Carien, et en général la plupart des
idiomes de l'Asie-Mineure et du Caucase.
On ne saurait contester l'admission de ces dialectes
dans la famille des langues indo-européennes .
le seul point qui reste à éclaircir pour quelques-uns,
est de savoir, s'ils ont eu les anciennes langues
iraniennes pour intermédiaires ou s'ils sont des
produits plus directs du type commun indo-euro-
péen, le sanscrit.
CHAPITRE IX

GROUPE GÉNÉRAL DES LANGUES INDO-EUROPÉENNE.

Nous ayons tenu à faire un groupe spécial des


langues iraniennes, parce que la parenté indoue de
quelques-unes a été longtemps contestée par toute
une classe de linguistes qui leur assignaient pour an-
cêtres les langues sémitiques. Mais tout en les sépa-
rant des autres langues, nous avons pensé qu'il était
inutile, dans l'état actuel de la science, de comparer
leurs formes particulières aux formes générales de
la grammaire commune des langues indo-euro-
péennes, leur origine ne pouvant plus être discutée
aujourd'hui. De plus les contrées où elles se sont
parlées et se parlent encore, appartenant à l'Orient,
il convenait de leur donner un cadre spécial.
Quand aux langues de la même race, en usage en
Europe, elles sont aujourd'hui à ce point étudiées et
commentées, que la vieille opinion classique, qui
voyait dans les langues grecque, germanique,
celtique, slave, des langues primitives sans attaches
avec le sanscrit, ne mérite même plus les honneurs
de la discussion.
Il suffit pour s'en convaincre de jeter les yeux sur
les deux tableaux comparatifs que nous donnons au
chapitre suivant.
Max Muller a pu dire excellemment en s'expli-
quant particulièrement sur les origines grecques :
« .... Les origines de la langue, de la pensée, et de
la tradition grecque, se retrouvent au delà de
l'horizon de ce qu'on appelle le monde classique. Il
est étonnant de voir, même de notre temps, des
hommes profondément versés dans les études grec-
ques et latines, fermer avec intention les yeux à ce
qu'ils savent être la lumière d'un nouveau jour.
N'étant pas disposés à étudier un sujet nouveau, et
ne voulant pas confesser leur ignorance sur aucune
matière, ils essaient de se débarrasser des ouvrages
d'un Bopp, d'un Humboldt ou d'un Bunsen, en si-
gnalant quelques erreurs, peut-être un mauvais

vons dériver de ou de ,
accent ou une faute de quantité... Plus d'un hellé-
niste peut être tenté de dire : pourquoi si nous pou-
sortirions-
nous de notre voie et chercherions-nous à le tirer
d'une autre racine? Quiconque n'ignore pas les vrais
principes de l'étymologie répondra à cette ques-
tion. »
Après avoir prouvé à l'encontre des hellénistes que
les étymologies grecques ne se peuvent expliquer
que par le sanscrit, notre auteur élevant la ques-
tion, termine par ces paroles que nous avons déjà
citées, mais, que le lecteur nous permettra de lui
rappeler, car tous ceux qui s'intéressent à cette ex-
humation du passé de la haute Asie, qui est à l'ordre
du jour de la science actuelle, ne sauraient trop les
méditer.

« Celui qui ne part que du sol de la Grèce et de


l'Italie, n'atteindra jamais ces profondeurs, n'arri-
vera pas jusqu'à ces terrains primitifs, jusqu'à ces
couches les plus anciennes de la pensée et du langage
mythologique... S'il y a une nouvelle lumière à
projeter sur la période la plus ancienne et la plus
intéressante de l'histoire de l'esprit hnmain, la pé-
riode où les noms ont été donnés aux choses, et où
les mythes ont été créés, c'est des Védas seuls que
peut venir la lumière. »

L'hellénisme, comme inspirateur des vieilles civi-


lisations de l'Orient, est bien définitivement enterré.
CHAPITRE X

NOMS DE NOMBRES ISSUS DU SANSCRIT.

Nous ne pouvons rapprocher les noms de nom-


bres de tous les idiomes issus du sanscrit qui appar-
tiennent à la grande division indo-européenne, la
multiplicité des exemples n'ajouterait rien à la
preuve aujourd'hui scientifiquement faite de leur
origine.
En donnant un exemple tiré des deux langues
classiques de l'antiquité, le grec et le latin ; d'une
langue du moyen âge, le vieux gothique germain, et
d'une langue moderne, le lithuanien, nous voulons
simplement montrer aux lecteurs à qui les études de
linguistique pure ne sont pas familières, que les
derniers partisans du Panhellénisme, comme le dit
Max-Muller, ne sont disposés ni à étudier un sujet
nouveau, ni à confesser leur ignorance.
INDO-EUROPÉENNES ET AFRICAINES. 127

SANSCRIT GREG LATIN LITHUANIEN GOTHIQUE


Un Ekas Unus Wienas Ains
Deux Dvau Duo Du Tvai
Trois Trayas Tres Trys Threis
Quatre Kactvaras Quatuor Keturi Sidvor
Cinq Panka Quinque Penki Fimf
Six Shax Sex Sezeszi Saihs
Sept Sapta Septem Septyni Sibun
Huit Ashta Octo Asztuni Ahtau
Neuf Nava Novem Dewyni Niun
Dix Daca Decem Deszinet Taihun
Onze Ekâdaca Undecim Vieno-lika Ain-lif
Douze Dvadaca Duodecim Dwi-lika Tva-lif
Vingt Vinsati Viginti Drvi-dezsimti Tvaitigju
Cent Satam Gentuni Swimtas Taihund

Toutes ces formes, à part une ou deux du lithua-


nien et du gothique qui se sont modifiées, peu-
vent se ramener à une forme commune, celle du
sanscrit.
Que deviennent, en présence de ces étranges
concordances, l'opinion de certains étymologistes
qui repoussent la philologie comparée, — et pré-
tendent qu'il est inutile de fouiller dans la vieille
langue sacrée de l'Inde pour en extraire des ra-
cines communes à toutes les langues de l'Eu-
rope.
Ils oublient que l'histoire du langage se lie inti-
mement à l'histoire des races, et que s'il ne faut
pas prendre la linguistique comme unique crite-
rium des sciences ethnographiques, elle est cepen-
dant une des plus importantes branches de ces
sciences.
CHAPITRE XI

QUELQUES ÉTYMOLOGIES PARTICULIÈRES.

Un long travail de comparaison, n'est ni dans


l'esprit ni dans les bornes de ce volume, le lecteur
voudra bien cependant nous permettre quelques
rapprochements,empruntés soit à des mots issus de
la famille, soit à des noms de vêtements, d'instru-
ments et d'animaux domestiques.

Beau-père, en sanscrit svasura


en grec
en latin socer
en gothique svaihra
en slave svekr
Belle-mère, en sanscrit svasru
en grec
en latin socrus
en gothique svaihro
Belle-mère, en slave svekrvj
Beau-fils, en sanscrit gamâtar
en grec
en latin gener
en celtique gener
Belle-fille, en sanscrit snushà
en grec
en latin nurus
en gothique snûr
en slave snocha
Beau-frère, en sanscrit devar
en grec
en latin levir
en lithuanien deweri-s
Petit-fils, en sanscrit napat
en latin nepos
en germain neso
Veuve, en sanscrit vidhavà
en latin vidua
en gothique viduvo
en slave vedova
en V. prussien widdewù
Le père de famille
dans le sens de
puissant, de maître, en sanscrit pati
en latin potens et potis
en lithuanien patis
en grec
Roi, en sanscrit rag forme védique
en latin rex
en gothique reiks
en irlandais réogh
en gallois ri
Maison, en sanscrit dama
en grec
en latin domus
en slave domü
en celtique daimh
Porte, en sanscrit dvar
en gothique daur
en celtique dor
en lithuanien durrys
en grec
en latin fores
L'acte de la-
bourer, en sanscrit ar
Même racine, en grec
en latin arare
en ancien-haut
allemand arau
en ancien slave orati
en lithuanien arti
en gaélique ar
Champs, en sanscrit agra
en grec
Champs, en latin ager
en gothique akr-s
Blé, en sanscrit yava
en zend yava
en lithuanien javai
en grec
Vêtement, en sanscrit vastra
en gothique vasti
en latin vestis
en grec
Navire, en sanscrit naus-navas
en latin navis
en grec
Bétail, en sanscrit pasu
en zend pasu
en grec
en latin pecus
en lithuanien peku
Boeuf, en sanscrit go
en zend gâo
en grec
en latin bos
en lithuanien gow
en celtique irlandais bô
Taureau, en sanscrit staura
eu zend staora
en grec
Taureau, en latin taurus
en lithuanien taura-s
Génisse, en sanscrit staré,
en grec
en teutonique stairo
Cheval, en sanscrit asva
en zend aspa
en grec
en latin equus
en lithuanien aszna
Chien, en sanscrit svau
en grec
en latin canis
Brebis, en sanscrit avi
en grec
en lithuanien avis
Chèvre, en sanscrit aga
en grec
en lithuanien ozis
en celtique g. aighe
Laie, en sanscrit su
en grec
en latin sus
a. h. allemand su
en slave svinia
en celtique ir. suig
Souris, en sanscrit musch
Souris, en grec
en latin mus
en slave (polonais) mysz
Mouche, en sanscrit maksishka
en grec
en latin musca
en a. h. allemand micco
en lithuanien musse
en slave-r mucha
Serpent, en sanscrit sarpa
en grec
en latin serpens
Etc...

Nous n'insistons pas, il faudrait un véritable lexi-


que comparé de ces langues pour faire un bilan
complet de tous leurs points de contact. Cette oeuvre
capitale qui étudierait les formes anciennes et les
formes modernes, les transformations particulières
et les modifications générales, qui donnerait à cha-
que langue son âge, et lui rattacherait ses traditions
légendaires, religieuses et scientifiques, serait le
monument le plus imposant que l'Europe puisse
élever à la science de ses origines.
CHAPITRE XII
»

CLASSIFICATION DES LANGUES OCCIDENTALES


INDO-EUROPÉENNES.

Nous avons dit que toutes les langues de l'Occi-


dent étaient pour la plupart, aujourd'hui, étudiées
à ce point que leur origine indoue, ou sanscrite si
.
on le préfère, était hors de discussion.
Il ne nous reste donc plus avant d'aborder les
traditions des védas, et de les suivre dans leur
rayonnement sur le globe, qu'à classer la branche
occidentale des langues indo-européennes.
Voici cette classification :

dialectes, c'est peut-être de


Le grec avec tous ses
toutes les langues indo-européennes, celle qui se
rapproche le plus du sanscrit.
langues de la même famille appelées
Le latin et les
groupe des langues italiques.
Le français.
Le portugais.
L'espagnol.
L'italien.
Le provençal.
Le latin.
Le roumain.
Ces sept langues dérivées du latin dérivé lui-
même du sanscrit, et rangées sous l'appellation de
groupe des langues néo-latines.
L'irlandais.
L'erse.
Le mannois.
Ces trois langues appartiennent à la subdivision
gaélique du groupe celtique.
Le breton.
Le gaulois.
Le carnique.
Le gallois.
Ces quatre langues appartiennent à la subdivision
bretonne du même groupe celtique. Le carnique et
le gaulois sont deux langues éteintes, il ne reste du
carnique qu'un lexique du XIIe siècle, et de la se-
conde que quelques inscriptions.
Le gothique.
Cette langue appartient au groupe des langues
germaniques.
Le danois.
Le suédois.
Le norvégien.
L'islandais.
Ces quatre langues appartiennent à la subdivision
Scandinave des langues germaniques.
Le vieux saxon.
L'anglo-saxon.
L'anglais.
Le bas-allemand.
Le hollandais.
Le flamand.
Ces langues appartiennent à la subdivision dite
du bas-allemand, du groupe germanique.
Le haut-allemand.
Cette langue appelée plus simplement l'allemand
appartient au groupe des langues germaniques.
Le russe.
Le polonais.
Le ruthène.
Le tchèque.
Le slovaque.
Le serbe avec ses dialectes.
Le bulgare.
Le serbo-croate.
Le slovène.
Ces langues appartiennent à la subdivision slave
du groupe des langues germaniques.
Le vieux prussien.
Le lithuanien.
Le lette.
Ces trois langues appartiennent à la subdivision
lettique du groupe germanique. Le vieux prussien
a disparu depuis environ deux siècles.
L'étrusque.
Le dace.
Le phrygien et ses dialectes appelés langues de
l'Asie Mineure.
L'albanais.

Ces langues dont les trois premières n'exis-


tent plus que par quelques inscriptions, quoique
d'origine indo-européenne incontestable, n'ont
pas encore pu être suffisamment étudiées et ne
sont par conséquent classées dans aucun groupe
spécial.
Telle est, dans le dernier état de la science, la clas-
sification qui peut être établie des langues issues
soit directement, soit à l'aide d'intermédiaires, du
sanscrit, et de même que ces langues appartiennent
toutes à la grande famille des langues indo-euro-
péennes tous les peuples qui les ont parlées et qui
,
les parlent encore appartiennent à la grande race
indo-européenne.
Ces conclusions ne sont point du goût de certains
linguistes et notamment de M. Hovelacque. qui
s'exprime à cet égard d'une façon si dogmatique,
qu'on ne serait pas fâché de lui voir donner des
preuves plus sérieuses que ne l'est d'ordinaire une
simple affirmation.
Voici, en effet, comment il présente son opinion :

« S'il est juste de parler de langues indo-euro-


péennes, il est absolument vicieux de parler d'une race
indo-européenne. Une telle race n'existe point, et
ceux-là seuls peuvent en disserter, la décrire, et
même tracer les frontières, qui n'ont jamais mis les
pieds dans un laboratoire d'anthropologie. S'il est
certain qu'une langue indo-européenne commune
a été parlée jadis en une région quelconque, il n'est
nullement certain que les individus parlant cette
langue, aient appartenu à une seule et même race.
L'indo-européen commun a été formé sans doute
dans un centre unique, par des individus parfaite-
ment semblables les uns aux autres ; mais sa période
de formation une fois passée, rien ne dit qu'il ne se
soit pas étendu sur différentes populations tres-
étrangères, comme nous avons vu le Latin rustique
s'étendre sur les populations du Guadalaviar, de la
Somme, de l'Adige et du Bas-Danube. Bien des hy-
pothèses sont permises à ce sujet. En définitive, il
n'y a ici qu'un seul fait bien avéré auquel nous
puissions nous en tenir, le fait de l'existence de
cette langue commune indo-européenne, abstrac-
tion faite de toute question de race. »

Les arguments contenus dans ces lignes, n'ont


absolument rien de scientifique ; ils sont une preuve
de plus du danger qu'il y a à faire de l'ethnographie
avec de la linguistique pure, sans tenir compte, ni
de l'histoire, ni des traditions, ni de l'ensemble des
coutumes, qu'il est nécessaire d'examiner lorsque
l'on veut étudier les origines d'une race.
Et d'abord, que signifie cette déclaration solen-
nelle que celui qui disserte sur la race indo-euro-
péenne n'est jamais entré dans un laboratoire d'an-
thropologie? Est-ce à dire qu'il y trouverait la
preuve qu'une pareille race ne peut exister, en face
de quelques douzaines de crânes, classés, mesurés,
étiquetés suivant les différences de leur frontal,
et de leurs pariétaux.
Il y a des siècles que cette race indo-européenne
s'est établie sur le sol de l'Occident ; une partie de
ses enfants est allée au nord, l'autre au sud; d'un
côté les neiges, de l'autre le soleil ; est-ce qu'au mi-
lieu de ces contrées, de climats si divers, les émi-
grés asiatiques, obligés de changer leur nourriture,
de modifier leurs habitudes de vie, ont pu s'accli-
mater, sans que de notables changements se soient
accomplis dans leur constitution physiologique ?
Vos laboratoires d'anthropologie, prennent, je
suppose, le crâne d'un Norwégien actuel et celui d'un
Indou de l'époque présente, et les voilà de s'écrier :
Voyez quelle différence dans l'épaisseur de la paroi
osseuse, celle de l'Indou n'a pas moins de quatre
millimètres de plus que celle de l'autre ! et ils con-
cluent à deux races différentes, bien que les deux
hommes parlent des langues d'une origine com-
mune, et que leurs traditions, le Kalevala finnois en
fait foi, soient identiques.
Et ils oublient que, depuis des siècles, le Norwé-
gien porte tous ses cheveux, se couvre la tête avec
de la laine ou des fourrures, tandis que l'Indou
porte une petite touffe de cheveux, se rase la tête,
ne se la couvre que les jours de cérémonie, et pos-
sède un crâne qui doit résister à un soleil de qua-
rante-cinq degrés, qui tue les Européens qui s'y ex-
posent sans préservatifs.
Croyez-vous que sous le ciel des neiges ou sous
le ciel de l'équateur, les enfants de la même mère,
trois ou quatre mille ans après leur séparation, au-
ront des constitutions identiques, et que ces climats
différents, d'une même race au début, ne feront pas,
avec l'aide des siècles, deux races d'apparences phy-
siques différentes ?
Sans m'occuper des différences plus ou moins
importantes que le scalpel peut rencontrer dans les
organes qu'il fouille et qu'il observe souvent chez
des individus de la même contrée et de la même
famille, je dirai que le type antérieur de l'Indou est
le même que celui de l'Européen.
Qu'on me permette de citer à cet égard, un fait
d'observation qui m'a bien frappé.
Il y a douze ans, j'arrivais sur la côte de Coro-
mandel comme juge au siége de Pondichéry ; le len-
demain je commençai mon service ; la salle regor-
geait d'Indous aux costumes bariolés. Gomme je
les regardais avec une ardente curiosité, le prési-
dent, un des hommes les plus savants de la colonie,
se penche à mon oreille et me dit en souriant, —
je cite sa phrase dans toute sa familiarité : — Est-ce
que vous n'êtes pas ici en pays de connaissance ?
regardez ces types, comme ils vous ont quelque
chose de déjà vu ; j'y retrouve toutes les physiono-
mies de ma province, et j'ai toujours envie de les
appeler Bernard ou Durand.
Cette interrogation résumait toutes les pensées
qui m'agitaient en ce moment.
Depuis, j'eus l'occasion de voir arriver une ving-
taine de jeunes magistrats dans l'Inde ; comme le
sujet touchait au coeur de mes études, je ne manquai
jamais de m'enquérir de leurs impressions de dé-
but, et il n'en est pas un qui ne m'ait répondu,
tellement le fait était frappant pour des yeux nou-
veaux et sans opinion préconçue : — Ce qui m'é-
tonne le plus, c'est de voir combien nous ressem-
blons à ces gens-là.
Il est bon de noter que nous étions dans le sud de
l'Inde, en plein pays tamoul, et que ces ressem-
blances sont encore plus sensibles dans le nord.
Un autre fait, se rapportant, aux modifications
physiologiques que le climat peut faire subir, non
pas en quelques siècles, mais même en quelques
années, aux crânes des Européens revenus au pays
des ancêtres.
Un jour débarque dans la même ville un jeune
homme de dix-sept à dix-huit ans, amené par un
capitaine au long cours. Le nouveau venu s'installe
dans une petite maison, au milieu de la cité indi-
gène et, sans se livrer à aucun travail, vit d'une pen-
sion de deux cents francs par mois, qui lui est servie
par un négociant du pays. Il se murmura dans le
pays qu'appartenant à une riche famille de France,
il n'avait échappé à des poursuites déshonorantes
qu'en raison de son âge, et à condition qu'il s'exile-
rait dans l'Inde. Il ne tarda pas à se mêler aux In-
doua des plus basses castes, et à mener une vie
d'ivrognerie et de débauche. En quelques jours il
mangeait sa pension, avec quelques mauvais sujets
qui s'étaient attachés à lui, finit par prendre les vê-
tements indigènes, et n'eut bientôt plus d'Européen
que le nom. On le voyait roulant les bazars, errant
sur les routes nu-tête, implorant des passants quel-
ques sous pour continuer à boire.
Cette vie dura quinze ans, il finit par se fracturer
le crâne en tombant d'un arbre où il cueillait des
cocos.
M. le docteur Huillet, un des plus savants méde-
cins en chef que compte la marine, et dont je ne
crains pas d'invoquer le témoignage et les souvenirs,
constata avec étonnement une augmentation des
plus anormales dans l'épaisseur du crâne de l'indi-
vidu, et il n'hésita pas à donner pour cause à ce phé-
nomène le genre de vie mené par cet homme depuis
quinze ans. Son crâne dénudé, exposé au soleil,
avait fini par s'acclimater, et pour s'acclimater, il
avait dû prendre des forces de résistance et s'é-
paissir.
Il est singulier de voir comment certains savants
qui s'évertuent dans leur laboratoire d'anthropologie
à créer des races différentes, sur les plus légers in-
dices, sont faciles au contraire dès qu'il s'agit de
déclarer qu'il n'y a pas de différence entre le singe
et l'homme.
M. Hovelacque, qui renvoie ses adversaires au
laboratoire, c'est-à-dire presque à l'école, a dit sur
ce sujet (Linguistique, page 22) :

« C'est en vain que l'on a cherché dans la compa-


raison de la constitution anatomique de l'homme et
de celle des animaux inférieurs une divergence quel-
conque, un autre écart que celui du plus au moins.
Et cet écart a-t-il été diminué d'une façon considé-
rable, à tous les yeux désintéressés, depuis la décou-
verte des anthropoïdes africains ? On peut dire que la
théorie sentimentale du règne humain se trouve défi-
nitivement à bas, et que son discrédit est parachevé.
Ni l'évolution dentaire, ainsi que l'a démontré
M. Broca, ni les caractères de l'os intermaxillaire,
ni la structure des mains et des pieds, ni la consti-
tution et les fonctions de la colonne vertébrale, ni
la conformation du bassin et du sternum, ni le sys-
tème musculaire, ni les faits relatifs aux appareils
sensoriaux externes, ni l'appareil digestif, ni les ca-
ractères anatomiques ou morphologiques du cer-
veau ne détachent l'homme des anthropoïdes. »

Ainsivoilà l'humanité proprement enterrée au profit


de l'animalité.
Ne vous raba tez pas pour essayer de relever
l'homme, sur la raison, la mémoire, l'imagination,
la moralité etc., etc., toutes les brillantes facultés
qui sont le propre de l'humanité, M. Hovelacque
n'admettra pas cela car il ajoute immédiatement :

« On s'est rejeté alors sur des caractères soi-di-


sant non physiques. Mais il s'est trouvé que les ani-
maux inférieurs possédaientla prévoyance, la mémoire,
l'imagination, le raisonnement, la pudicité, la dose de
volonté compatible avec le déterminisme organique,
et qu'ils donnaient les témoignages les moins équi-
voques de sentiments de pitié, d'admiration, d'ambition,
d'affection, d'amour de la domination, d'initiative dans le
travail. »

Voilà ce qu'on veut nous donner comme le der-


nier état de la science. Tout ce que la vieille huma-
nité a amassé jusqu'à ce jour, n'est que rêve de
songe-creux, place aux hommes-singes, place aux
laboratoires d'anthropologie, qui extrayent des os
et des muscles la philosophie, l'ethnographie et l'his-
toire nouvelles... Il n'y a pas d'hommes, il n'y a que
des animaux.
Voilà à quelles exagérations en arrivent les dis-
ciples intolérants de la théorie de Darwin, très-
acceptable en elle-même comme base d'étude, im-
possible à admettre ainsi défigurée.
Si un esprit chercheur, amoureux de la science,
peut admettre que tout évolue dans la nature à
l'aide de modifications et de transformations pro-
gressives, que tout au moins ce principe étant posé
à titre d'hypothèse, il est bon, avant de le rejeter,
de l'expérimenter dans le domaine des faits, d'amas-
ser des observations, des matériaux et de léguer la
conclusion à en tirer au siècle qui aura fait la lu-
mière sur ces questions, il est impossible, pour qui
ne veut pas sortir de la méthode scientifique, pour
qui ne veut pas remplacer l'étude l'examen, le
fait démontré, par le rêve, les hypothèses et les
théories hasardées, d'admettre la complète simili-
tude de l'homme et de l'animal, et surtout d'asseoir
toute la science sur celte opinion.
Que l'on ne croie pas que nous exagérions les con-
séquences du raisonnement de nos adversaires.
Notre auteur, craignant de s'être mal expliqué et
supposant qu'on peut lui dire : — Mais enfin vous
ne pouvez nier la moralité humaine ? eu arrive jusqu'à
nier la moralité à l'homme et à l'accorder aux ani-
maux.
Qu'on lise cet étrange passage (Linguistique,
p. 26) :

« Nous ne voulons pas nous appesantir sur la


prétendue caractéristique (de l'homme) tirée de la
moralité. C'est un fait avéré qu'elle manque aussi bien
chez beaucoup de peuples sauvages, comme nous
l'enseigne l'ethnographie, et qu'on la rencontre évi-
dente, éclatante, dans les actes d'un grand nombre
d'animaux, au moins d'animaux sociables. »

Ainsi, rabaisser l'homme au profit de l'animal,


tel est le but de certains anthropologistes modernes.
Et il paraît que tout cela s'apprend dans les
laboratoires ; aveugles sont ceux qui n'y entrent pas
pour se faire initier à ces belles vérités. C'est sans
doute là qu'on élève l'animal moral et pudique ?... Si
on le montrait un peu à la foule !
En vérité il est bien difficile de répondre sérieu-
sement.
Puis voyez la légèreté du raisonnement. Ce sont
surtout les animaux sociables que l'on déclare moraux.
Or l'animal ne devient sociable qu'au contact de
l'homme qui le dresse. Abandonnez en effet à la vie
sauvage, le taureau, le cheval, le chien, et ils ces-
sent d'être sociables, — donc comme tous les peuples
sauvages que l'etnographie de M. Hovelacque pro-
clame immoraux ont néanmoins des animaux sociables
qui par conséquent sont moraux, il s'en suit que le
dresseur immoral, conduit l'animal dressé à la mo-
ralité.
Ne venons nous pas de dire qu'on ne pouvait ré-
pondre sérieusement!
Est-ce à dire que ce sont là rêves d'ignorants ?
Nullement !
Les hommes qui soutiennent ces théories, sont
incontestablement pour la plupart des hommes qui,
chacun dans leur spécialité d'étude, médecine, phy-
siologie, anthopologie, linguistique, sont l'honneur
de la science française. Leur faiblesse sur le ter-
rain du raisonnement vient de ce qu'ils quittent les
spécialités où ils trônent en maîtres, pour conclure
hâtivement à l'aide des faits qu'ils découvrent, dans
le domaine général de la philosophie qu'ils nient, de
l'ethnographie qu'ils accommodent à leurs idées, de
l'histoire de l'esprit humainqu'ils veulentrefaire avec
les creusets de leurs laboratoires.
Amassez des faits, encore des faits, toujours des
faits. N'édifiezpas de théorie avant l'heure, quand on
tombe dans le système on ne fait plus de la science.
Interrogez par exemple un ethnographe, un voya-
geur de la nouvelle école, il vous répondra comme
MM. Hovelacque et Broca sur le sujet qui nous occupe.
— La moralité manque à la plus part des peuples
sauvages.
Retournez-vous du côté du voyageur spiritualiste
pur, et il vous dira :
— Nulle part, quelque soit l'état peu avancé de
leur civilisation, je n'ai rencontré de peuples entiè-
rement privés de moralité.
C'est que chacun des deux en partant, avait fait son
siége ; chacun appartenait à une secte particulière et
d'avance il était décidé, sans s'en douter peut-être, à
tout observer d'après un système préconçu, d'après
des principes qu'il n'allait pas éprouver, mais cons-
tater.
Mais le véritable ethnographe, libre de toute atta-
che d'école, leur dit :
Nommez-nous d'abord les peuplades sauvages
dont vous parlez.
Qu'entendez-vous par cette moralité que vous ac-
cordez ou refusez aux hommes et que vous prêtez
ou déniez aux bêtes ?
Sur quels faits indiscutables vous basez-vous ?
C'est parce qu'ils ont oublié cette méthode, c'est
parce qu'ils ne veulent pas pratiquer l'indifférence
scientifique, c'est parce qu'ils se sont d'avance enré-
gimentés sous un drapeau que, linguistes et anthro-
pologistes de l'école que nous attaquons, après avoir
admis que toutes les langues indo-européennes sont
de la même famille, repoussent ce fait qui découle
de toutes les traditions indo-européennes, que les
peuples qui les ont parlées et qui les parlent encore
sont de la même race.
Ce sont ces traditions que nous allons examiner
maintenant, aussi rapidement que le sujet peut le
comporter.
TROISIÈME PARTIE

LES TRADITIONS INDO-EUROPÉENNES


LA TRADITION DES VEDAS
SON EXPANSION DANS LE MONDE
TROISIÈME PARTIE

LA TRADITION DES VÉDAS

Avant d'exposer cette tradition, il nous parait


nécessaire de mettre sous les yeux du lecteur quel-
ques-uns des plus beaux hymnes du Rig-Véda dont
elle découle.
En les lisant, il se demandera comme nous si de
tels chants qui, sous leurs formes mystérieuses agi-
tent les problèmes métaphysiques les plus élevés,
sont ainsi que le prétendent certains indianistes,
l'oeuvre de pasteurs qui les chantaient dans les
plaines de la haute Asie en conduisant leurs trou-
peaux, ou si au contraire, ainsi que nous le soute-
nons, ils sont le produit de la littérature religieuse
de la plus étonnante civilisation des temps passés,
civilisation qui après avoir illuminé le monde an-
cien, est venue par sa langue, sa poésie, ses concep-
tions philosophiques, ses traditions de toute nature,
ouvrir le seuil du inonde moderne.
Nous nous inspirons pour cela des beaux travaux
de l'illustre et regretté Langlois, qui a vécu dans
l'amour et l'admiration de l'Inde, et qui a compris
la vieille civilisation brahmanique comme s'il était
né sur les bords du Gange.
Nous n'avons pas dans cette traduction toujours
admis le sens qu'il avait cru devoir adopter, mais
nous devons dire que nous n'avons rien fait de
notre propre autorité, ayant en cela suivi aveuglé-
ment les commentaires faits par les pundits de
l'Inde dont nous avons suivi les leçons.
I

HYMNE A CELUI
QUI REPRÉSENTE TOUS LES DIEUX
PAR DIRGHATAMAS.

« Le Dieu ici présent, notre fortuné patron, notre


sacrificateur, a un frère qui s'étend au milieu de
l'air. Il existe un troisième frère que nous arrosons
de nos libations de beurre liquide. C'est lui que j'ai
vu maître des hommes et armé de sept rayons.

« Sept rênes servent à diriger un char qui n'a


qu'une roue et que traîne un seul cheval qui brille
de sept rayons. La roue a trois moyeux, roue
immortelle, infatigable, d'où dépendent tous ces
mondes.
« Parfois aussi, ce char a sept roues, sept chevaux
le traînent, et sept personnages le montent, accom-
pagnées des sept nymphes fécondatrices des eaux.

« Qui donc peut se vanter de l'avoir vu naître,


prendre un corps pour en former d'autres à tout
ce qui n'en possédait pas? Où était l'intelligence, où
était le sang, où était l'âme de la terre? Qui donc a
vu ce Dieu puissant face à face et a osé lui poser
cette question ?

« Faible ignorant, je veux sonder ces mystères


divins. Pour s'élever jusqu'à la connaissance de ce
premier né de qui le temps et l'immensité sont émanés,
les poètes ont déjà déroulé les sept trames de leurs
chants.

« Ignorant et inhabile pour arriver à la science,


j'interroge ici les poètes savants. Quel est donc cet
Être incomparable qui, sous la forme de l'astre im-
mortel, a fondé ces six mondes lumineux ?

« Qu'il le dise l'homme instruit dans le mystère


du Dieu fortuné qui traverse les airs. Les vaches cé-
lestes prennent le lait de celui dont la tête est si
noble ; elles couvrent sa face, et avec leurs pieds
elles répandent leur breuvage dans l'espace (les
nuages et la pluie, lait de la terre).

« Au moment du sacrifice, la Mère née par la


prière, accueillit le Père ; celui-ci qui est l'âme de la
prière s'est uni à elle, et la Mère reçoit dans son
sein le germe du fruit qu'elle doit mettre au monde.
Et les prêtres continuent leur sacrifice et leurs
chants d'allégresse.

« La Mère a enfanté et son fruit grandit au milieu


des sacrifices, et l'enfant a crié à sa mère, comme le
veau mugit après la vache. Il apparaît dans trois
états, il revêt trois formes diverses.

« Toujours Un, quoique ayant trois formes à la


double nature (masculine et féminine), il s'élève ! Et
les prêtres offrent au Dieu dans l'acte du sacrifice
leurs prières qui arrivent aux cieux portées par
Agni.
« La. roue d'Agni pourvue de douze rayons (les
douze mois) tourne dans le ciel sans jamais s'ar-
rêter. O Agni, sur ton char peuvent trouver place
les trois cent vingtjumeaux blancs (les jours) et les
trois cent vingt jumeaux noirs (les nuits).

« Leur père reçoit le nom de Pouroucha, quand


il se trouve dans la partie méridionale du ciel, où
il dirige cinq fractions du temps et douze formes.
Dans la partie septentrionale il porte le nom d'Ar-
pita, et sous une forme différente il se meut sur le
char qui a sept roues et six rayons.

« La roue à cinq rayons tourne donc avec tous


les mondes. L'essieu quoique chargé n'est jamais
fatigué ; le moyeu est parfaitement attaché et doit
durer sans connaître la vieillesse.

Garnie d'une jante immortelle, la roue tourne ;


«
à l'extrémité du joug, sont attelés dix porteurs
(dix points cardinaux) ; l'oeil du soleil s'avance
couvert de splendeur, par lui s'éclairent tous les
mondes.
« De ce Dieu sont nés six couples de richis, mâles
et femelles, (ce sont les mois) ; une septième naissance
leur a donné un frère unique (le treizième mois que
l'on intercale dans le système indou, comme nous
avons nos années bisextiles), chacun a sa place dis-
tincte, d'où il dépense ses biens, chacun a sa forme
différemment brillante.

« D'autres représentent comme de pieuses femmes


ces richis auxquels j'accorde la double nature.
L'homme qui a des yeux voit ce que ne comprend
pas l'aveugle ; l'enfant qui comprend cette distinc-
tion mérite d'être le père de son père.

« La vache du sacrifice se lève, soutenant son


nourrisson de son pied qui, tour à tour, va de bas en
haut et de haut en bas (image de la chaleur qui
vient du soleil à la terre, et du feu du sacrifice qui
va de la terre aux cieux), agitée et remuante, tantôt
elle sort en s'étendant d'une moitié, ; tantôt elle
s'augmente et se gonfle intérieurement.

« Celui qui connaît le père du monde, avec ses


rayons inférieurs, doit aussi connaître tout cet uni-
vers, à l'aide des rayons supérieurs. Marchant sur le
pas de nos poëtes, qui peut ici célébrer ce Dieu d'où
est née l'âme du monde ?

« Il est des êtres, dit-on, qui viennent vers nous


et s'en retournent ; des êtres qui s'en retournent et
qui reviennent. O Indra, ô Soma, les mondes éthé-
rés portent nos oeuvres, comme un char son far-
deau.

« Deux esprits, jumeaux et amis, hantent le


même arbre : l'un d'eux s'abstient de goûter le fruit
de cet arbre appelé pippala, l'autre le trouve doux et le
cueille.

« Le Seigneur, maître de l'univers et rempli de sa-


gesse, est entré avec moi, faible et ignorant et m'a
formé de lui-même, dans ce lieu où les esprits obtien-
nent, avec la science, la jouissance paisible de ce
fruit doux comme l'ambroisie.

« On appelle donc pippala le doux fruit de cet


arbre sur lequel viennent les esprits qui aiment la
science, et où les dieux produisent toutes les mer-
veilles. Ceci est un mystère pour qui ne connaît pas
le père du monde.

« Que les poëtes observent et connaissent bien le


sujet mystérieux et immortel qu'ils doivent traiter,
soit dans leurs gayatris et leurs trichtoubles, soit
dans leurs djagatis (mètres différents de vers).

« Avec la gàyatrî se compose l'area, avec l'area le


sâman, avec le trichtouble le vaca, avec le vaca l'a-
nou vaca (hymnes et recueils d'hymnes), les sept
mesures poétiques se composent de l'akchara, qui
forme deux ou quatre pados.

« Avec la djagatî, le poète consolide l'océan cé-


leste, avec le bathantara il a suivi le soleil dans sa
révolution. La gayatri a, dit-on, les trois foyers, de
là vient qu'elle remporte en force et en grandeur.

« J'invoque donc cette vache féconde. Qu'elle


donne son lait à celui qui doit le recueillir. Que Sà-
vitri obtienne la meilleure des libations ; que notre
feu brille d'une nouvelle force ; que ma prière re-
tentisse.

« L'épouse des foyers d'Agni au milieu des priè-


res mugit après son nourrisson qu'elle recherche et
s'approche de lui. Que cette vache donne son lait
pour les Aswins, qu'elle croisse pour notre plus
grand bonheur.

« La vache en mugissant vient vers son nourris-


son, dont l'oeil est à peine ouvert, et lui lèche la
tète. Elle étend sur lui sa langue chaude ; son mu-
gissement se prolonge pendant qu'elle lui prodigue
son lait.

« Cependant le nourrisson fait aussi entendre sa


voix; il se couche sur sa nourrice qui mugit tou-
jours, abattue qu'elle est sur le pâturage, et c'est
ainsi que, par ses oeuvres, la vache du sacrifice par-
vient à former le dieu mortel ; elle se fait lumière,
et lui donne un corps.

« L'être actif reposait donc ; il revient à la vie et


s'établit au sein de nos demeures. Il était mort ; la
vie lui est donnée par les libations. L'être immortel
était dans le berceau de l'être mortel.

«J'ai vu le gardien du monde suivant ses voies


diverses à son lever, dans sa station inaccessible et
à son coucher, tantôt s'unissant aux rayons lumi-
neux, tantôt les quittant, il va et revient dans les
mondes intermédiaires.

« L'homme agit, et sans le savoir n'agit que par


ce maître ; sans le voir, il ne naît que pour lui. Enve-
loppé dans le sein de sa mère, et sujet à plusieurs
naissances, il est au pouvoir du mal.

« Le ciel est mon père, il m'a engendré. J'ai pour


famille tout cet entourage céleste. Ma mère c'est la
grande terre, la partie la plus haute de sa surface,
c'est sa matrice. C'est là que le père féconde le sein
de celle qui est son épouse et sa fille.

« Je te demande où est le commencement de la


terre, où est le centre du monde ; je te demande ce
que c'est que la semence du coursier fécond, je te
demande quel est celui qui le premier a reçu la
parole divine.

« Cette enceinte sacrée est le commencement de


la terre ; ce sacrifice est le centre du monde. Ce
soma est la semence du coursier fécond. Le prêtre
est celui qui le premier a reçu la parole divine.

« Déchirant le sein de leur mère, sept rejetons


de Vischnou naissent, prêts à accomplir leur desti-
née. Sages dans leurs pensées et dans leurs oeuvres,
ils nous entourent de tous côtés.

« Je ne sais à quoi ressemble ce monde. Je suis


embarrassé et vois comme un prisonnier de sa pensée.
Quand le premier né du sacrifice arrive vers moi,
alors je prends ma part de la parole sacrée.

« Entraîné par le désir des offrandes, de l'Orient


il passe au Midi ; l'Etre immortel est dans le berceau
de l'Etre mortel. Les deux esprits éternels vont et
viennent partout : seulement les hommes connais-
sent l'un sans connaître l'autre.
« Ces stances portent en tête un titre qui annonce
qu'elles sont consacrées aux viswadévas (c'est-à-dire
à tous les dieux). Celui qui ne connaît pas l'Etre que
je chante dans toutes ses manifestations, ne com-
prendra rien à mes chants ; ceux qui Le connaissent
ne sont pas étrangers à cette réunion.

« O vache respectable, nourrie d'une herbe grasse,


sois heureuse et rends-nous heureux goûte la dou-
!

ceur d'un bon pâturage, et dans ta course bois d'une


onde pure (image de la parole sainte).

« La vache, en mugissant, attire les ondes de la


libation ; elle se montre sur un pied, sur deux, sur
quatre, sur huit, sur neuf. Elle peut avoir telle forme,
qu'elle offrira jusqu'à mille mamelles (allusion aux
différentes mesures de la poésie destinées à chanter
la parole sacrée).

« Par elle coulent les ondes célestes, par elle


vivent les quatre régions du ciel ; par elle s'ouvrent
d'intarissables sources par elle tout ce monde
,
existe.
« Mais je viens d'apercevoir une épaisse fumée,
sortant de la partie inférieure du foyer; on a répandu
sur le feu le brillant soma. C'étaient là les premiers
devoirs à remplir.

« Nos veux distinguent trois feux à la belle cheve-


lure. L'un dans L'astre qui roule au ciel, échauffe la
terre. L'autre préside aux sacrifices. Du troisième
nous ne voyons que la voie et non la forme.

« Les enfants des prêtres qui sont instruits con-


naissent les quatre sujets qu'embrasse la parole
sainte. Les hommes ne distinguent pas trois de ces
sujets mystérieux, volés à ce monde ténébreux. Ils
donnent au quatrième le nom de sourya.

« L'Esprit divin qui circule au ciel, on l'appelle


Indra, Mitra, Varouna, Agni. Les sages donnent à
l'Etre unique plus d'un nom, c'est Agni, Yama, Mata-
riswan.

« Mais les chevaux ailés l'emportent sur le char


noir de la nuit, et les vapeurs qui couvrent le ciel.
Ils sortent de la demeure d'Agni et la terre est
aussitôt arrosée d'un beurre abondant.

« Qui dira ce que c'est que les douze rayons, la roue


unique, les trois moyeux ? Sur cette espèce de char sont
élevés à la fois trois cent soixante écuyers, qui sont
en quelque sorte immobiles dans leur mobilité.

« O Saraswati, tu viens de nous ouvrir ton sein


fortuné qui renferme tant de choses précieuses, qui
contient tant de biens, de trésors, et de présents
magnifiques.

« Que les Devas mortels ajoutent sacrifices sur


sacrifices : tels sont leurs premiers devoirs. Par ces
oeuvres généreuses ils obtiennent le ciel où sont les
anciens devas, les Sadhyas (anciens hommes devenus
parfaits et élevés aux cieux).

« L'onde céleste descend égale à l'onde de nos


libations. Si les nuages réjouissent la terre, c'est que
les feux d'Agni ont réjoui le ciel.
« J'appelle à notre secours le Divin, le Grand
habitant de l'air, celui qui produit les eaux et les
plantes, l'illustre maître des ondes, qui dispense la
pluie au moment convenable. »

Nous reviendrons sur cet hymne extraordinaire,


en appréciant dans leur ensemble tous les chants
védiques que nous proposons de donner, et nous
démontrerons qu'il contient dans son essence toutes
les traditions cosmogoniques et religieuses sur les-
quelles vivent les temples et les prêtres, depuis des
milliers d'années.
II

HYMNE A AGNI
PAR DIRGILATAMAS.

« Pour celui qui réside dans le lieu saint, qui ha-


bite vos demeures, pour le brillant Agni, apporte le
foyer, lequel est pour ainsi dire le trône de Dieu.
Ainsi que d'un vêtement, couvre de la prière Agni
pur et lumineux, au char resplendissant. Agni tue
les ténèbres.

« Il naît sous deux formes, il reçoit ici-bas une


triple nourriture, et cette nourriture ensuite va
augmenter le corps de l'astre qui roule autour du
monde. Sous une de ces formes, il est près de nous,
et il croît de ce que sa langue consomme. Sous
l'autre forme, il inonde de rayons bienfaisants ses
serviteurs que d'en haut il couvre de sa protection.

« Marquées de teintes noires, et vivement agitées


l'une contre l'autre (les deux tiges de bois frottées
l'une contre l'autre qui produisent le feu), ses deux
mères produisent leur nourrisson, lequel tourne vers
l'Orient sa langue qui, dans sa marche tremblante,
rapide, tortueuse, réclame de grands soins et s'en-
graisse des libations de son père.

Arrivent les flammes vives et légères, salutaires


à Manou quand il veut poursuivre son oeuvre; tra-
çant un noir sillon, s'avançant d'un pas inégal et
pressé, poussé par le vent et précipitant leur course
fougueuse.

« Bientôt Agni prend une forme noire, large,


énorme, ses flammes en tremblant courent çà et là.
De proche en proche il gagne du terrain, souillant,
frémissant, il s'avance avec bruit.

« Il s'attache aux branches comme la parure au


bras. Il vient en mugissant tel que le taureau qui
court vers ses maîtresses. Il soumet à sa force tous
les corps, et apparaît terrible, insaisissable, ayant
l'air d'agiter ses cornes menaçantes.

« Agni se concentrant, en se divisant, embrasse


les branches et quand une fois ils se sont connus
mutuellement, le dieu ne les quitte plus. Cependan
les flammes s'augmentent, s'élèvent, et changent la
face divine des deux aieuls du monde (le ciel et la
terre).

« Ces flammes en se courbant forment autour


d'Agni une espèce de chevelure. Tantôt elles sem-
blent se dresser, tantôt tomber et mourir. Agni re-
vient les sauver de leur perte ; il fait entendre son
grand souffle et les rappelle à la vie.

« Agni dévorant les libations que répand sur lui


le maître du sacrifice, prend une vigueur nouvelle
et poursuit son triomphe. L'un augmente la nourri-
ture du dieu qui marche toujours (le soleil), l'autre
la consomme et laisse après lui un noir sentier.

« Agni brille dans nos demeures riches en of-


fraudes ! qu'on entende ton souffle, généreux Da-
moûnas ! brille en répandant tes flammes qui sont
comme tes nourrissons ; et pour nous couvrir dans
les combats, deviens notre cuirasse.

« O Agni, que cet hymne que nous avons composé


pour toi, soit à tes regards plus précieux que tel
autre hymne qui n'a pas eu le don de te plaire,
que cette partie de ton corps qui brille pure et lu-
mineuse nous procure les biens que nous désirons.

« O Agni, pour que notre maison traverse heu-


reusement ce monde, tu peux nous donner un vais-
seau dont les rames marchent sans jamais s'arrêter,
un vaisseau qui transporte à l'abri du naufrage nos
guerriers, nos princes, notre peuple.

« Agni accepte cet hymne. Sur le ciel et la terre,


que les mers avec leurs ondes impétueuses les re-
çoivent aussi. Que les rougeàtres aurores nous accor-
dent de longs jours et une heureuse quantité et
d'orge et de vaches. »

Cette hymne célèbre la naissance du feu sous ses


deux, formes : dans l'une il préside à la lumière,
il est Sourya, il est le soleil « qui inonde de rayons
bienfaisants ses serviteurs », et dans l'autre « il brille
dans les temples et les demeures et préside aux
sacrifices. »

Les deux fêtes du soleil et du feu sacré ont passé


dans toutes les traditions religieuses de l'antiquité.
III

HYMNE A AGNI
PAR DIRGHATAMAS.

« Priez-le, il vient, il nous entend, il s'avance plein


de sollicitude, il s'avance rapidement; pour lui sont
les bénédictions, pour lui les offrandes. Il est le maî-
tre de l'abondance, de la force, de la splendeur.

« Il faut le prier : nul n'est trompé dans son at-


tente, quand il est constant dans sa demande. Une
première, une seconde prière peut être repoussée.
L'homme qui ne se rebute pas doit compter sur la
puissance d'Agni.

« C'est pour lui que sont préparés ces vases du


sacrifice ; c'est pour lui que sont composés les hymnes,
que lui seul entende toutes vos paroles, il vous com-
ble de biens, il vous met à l'abri du danger, il ac-
complit les voeux du sacrifice, il vous donne un
secours infaillible, il vous aime de l'amour d'un
nourrisson, qu'il reçoive et exauce notre prière.

« Quand vous êtes assemblés, il vient près de vous,


il voit avec les qualités qui appartiennent à sa na-
ture. Il promet le plaisir et le bonheur à son dévoué
serviteur quand ses hymnes viennent le charmer
au sein du foyer qu'il habite.

« Telle est la forme qu'a revêtue ce dieu désirable


et accessible, ce dieu qui pénètre dans le bois du
bûcher. Le sage Agni, ami de la justice et du sacri-
fice, a révélé aux mortels ce qui doit leur être
utile. »

Dans cette hymne, Agni n'est plus considéré


seulement comme le dieu du feu, mais aussi comme
l'émanation la plus haute, la plus directe du Grand
Être, du Maître souverain, celui à qui toutes les prières,
tous les chants doivent être adressés. C'est le plus
grand des trois dieux de la primitive Trinité vé-
dique
INDRA — MITRA — VAROUNA

d'où est sortie la Trinité brahmanique, et toutes les


triades des mythologies anciennes. L'hymne suivant
se rapporte aux deux autres divinités.
IV

HYMNE A MITRA ET A VAROUNA


PAR DIRGHATAMAS.

« Le ciel et la terre se sont rougis des feux du


dieu adorable et bon, tuteur de tous les êtres (Agni),
que par leurs oeuvres, leur piété, leurs prières, les
prêtres prodiguant leurs offrandes et les invocations,
ont imploré dans leurs sacrifices comme le roi des
cieux.

« Agréez tous deux les présents et le soma (liqueur


extraite de l'asclépiade), de Pouroumilha, que nous
présentent ces dévots serviteurs, qui sont pour vous
comme des amis. Pouroumilha vous appelle Dieu
généreux. Écoutez la voix d'un père de famille.
« Les hommes vous comblent de louanges. C'est
à votre force héroïque, ô Dieu généreux, qu'il faut
attribuer la naissance du ciel et de la terre, quand
vous vous portez vers le feu du sacrifice, quand
vous venez prendre la part que vous fait l'homme
religieux dans ses invocations et son oeuvre pieuse.

« Dieu qui donnez la vie, cette enceinte sacrée


doit vous être chère, vous aimez le sacrifice, et vous
en êtes l'ornement. Du haut du ciel, par un secours
puissant et opportun, vous nous aidez à traîner notre
fardeau, tel à un char on attèle un taureau.

« Vous arrivez avec grandeur sur cette terre, et


vous vous approchez de la coupe des libations.
Voyez comme ces vaches du sacrifice pures et fé-
condes brillent dans leur pâturage. On entend leur
bruit dans les airs, elles tendent vers le soleil telles
que les aurores bienfaisantes.

«Pour notre sacrifice les flammes s'élèvent pré-


sentant l'apparence d'une belle chevelure. O Mitra
et Varouna, daignez venir en ces lieux. Descendez,
accueillez nos voeux. Vous régnez sur la prière
du sage.

« Quand le sage prodiguant et l'offrande et la


louange vous honore par ses invocations et ses sacri-
fices, homme accompli clans la science de prier, alors
vous vous approchez de lui, vous agréez ses présents,
vous approuvez ses voeux et comblez ses désirs :
vous venez vers nous.

« O Dieux qui aimez le sacrifice, vous êtes les pre-


miers dans nos offrandes et nos libations, nous
sommes unis à vous de coeur. L'hymne et la prière
sont d'accord pour vous exalter. Votre âme invin-
cible peut se satisfaire magnifiquement.

« Vous recevez de superbes présents, ô Dieux vail-


lants, vous jouissez d'une opulence, d'une grandeur
que relèvent mille prestiges de puissance. Ni les
cieux avec les jours, ni les mers ne connaissent rien
d'égal à votre divinité, qui mérite les hymnes et les
libations qu'on vous adresse. »
y
HYMNE A VISCHNOU
PAR DIRGHATAMAS.

« Je chante les splendeurs de Vischnou qui a


crée les splendeurs terrestres, qui par ses trois pas
a formé l'étendue céleste, Vischnou partout célébré.

« C'est pour sa force que je chante Vischnou, re-


doutable comme le lion, semant la terreur sur ses
pas, habitant la hauteur, Vischnou, dont les trois
vastes pas embrassent tous les mondes.

« Que ma prière touche vivement ce généreux


Vischnou qui habite la hauteur, et se trouve par-
tout célébré, qui, incomparable, a mesuré en trois pas
cette large et longue demeure.

« Ses trois pas immortels sont marqués par de


douces libations et d'heureuses offrandes, c'est
Vischnou qui soutient trois choses, la terre, le
ciel, tous les mondes.

« Puissé-je arriver à cette demeure de Vischnou,


où vivent dans les plaisirs les hommes qui lui ont
été dévoués Celui qui fait des libations en l'honneur
!

de Vischnou aux larges pas devient son ami dans


cette région supérieure.

« Nous souhaitons que vous alliez tous deux (les


sacrificateurs) dans ce séjour où paissent des vaches
légères aux cornes merveilleusement allongées. Là
brille la demeure suprême de ce dieu libéral et par-
tout célébré. »

Vischnou est considéré ici, comme l'émanation de


la force créatrice, du grand Être chanté par Dirgha-
tamas dans la première hymne que nous avons
donnée. Quand la trinité védique aux noms si mul-
tiples, se sera manifestée dans la période brahma-
nique, Vischnou deviendra la seconde personne de
cette Trinité, Brahma-Vischnou-Siva, et sera consi-
déré comme celui a engendré le monde du germe
immortel déposé dans son sein par Brahma. Vischnou
sera le principe mère.
VI

HYMNE A LA NUIT ET A L'AURORE.


PAR COUTSA.

« La plus douce des lumières se lève ; elle vient de


ses rayons colorer partout la nature. Fille du jour,
la nuit a préparé le sein de l'aurore qui doit être le
berceau du soleil.

« Belle de l'éclat de son nourrisson, la blanche


aurore s'avance ; la noire déesse lui a préparé son
trône. Toutes deux alliées au soleil, l'une comme sa
fille, l'autre comme sa mère, toutes deux immor-
telles, se suivant l'une l'autre, elles parcourent le
ciel, l'une à l'autre s'effaçant tour à tour leurs
couleurs.
« Ce sont deux soeurs qui poursuivent sans fin la
même route ; elles y paraissent tour à tour dirigées
par le divin soleil sans se heurter jamais, sans s'ar-
rêter, couvertes d'une douce rosée, la nuit et l'au-
rore sont unies de pensée et divisées de couleur.

« Ramenant la parole et la prière, l'aurore re-


prend ses teintes brillantes, elle ouvre pour nous les
portes du jour. Elle illumine le monde et nous dé-
couvre les richesses de la nature ; elle visite tous
les êtres.

« Le inonde était courbé par le sommeil ; tu


annonces que le temps est venu de marcher, de
jouir de la vie, de songer aux sacrifices, d'augmenter
sa fortune. L'obscurité régnait. L'aurore éclaire au
loin l'horizon et visite tous les êtres.

« Richesse, abandance, honneurs, sacrifices : voilà


des biens vers lesquels tout ce qui respire va mar-
cher à la lumière de tes rayons. L'aurore vient visi-
ter tous les êtres.
« Fille du ciel, tu apparais, jeune, couverte d'un
voile brillant, reine de tous les trésors terrestres;
aurore, brille aujourd'hui, fortunée pour nous.

« Suivant le pas des aurores passées, tu es l'aînée


des aurores futures, des aurores éternelles. Viens
ranimer tout ce qui est vivant. Aurore, viens vivi-
fier ce qui est mort.

« Aurore, c'est toi qui allumes le feu du sacrifice ;


toi qui révèles au monde la lumière du soleil; toi
.
qui éveilles les hommes pour l'oeuvre sainte. Telle est
la noble fonction que tu exerces parmi les dieux.

« Depuis combien de temps l'aurore vient-elle


nous visiter ? Celle qui arrive aujourd'hui imite les
anciennes qui nous ont lui déjà, comme elle sera
imitée de celles qui nous luiront encore ; elle vient
à la suite des autres briller pour notre bonheur.

« Ils sont morts les humains qui voyaient l'éclat


de l'antique aurore ; nous aurons leur sort, nous qui
voyons celle d'aujourd'hui ; ils mourront aussi, ceux
qui verront les aurores futures.

« Toi qui repousses nos ennemis, qui favorises les


sacrifices ; née au moment même du sacrifice initial ;
toi qui inspires l'hymne et encourages la prière ; toi
qui amènes les heureux augures et les rites agréables
aux dieux; bonne aurore, sois nous aujourd'hui fa-
vorable.

« Dans les temps passés, l'aurore a brillé avec


éclat; de môme aujourd'hui elle éclaire richement
le monde ; de môme dans l'avenir elle resplendira.
Elle ne connaît pas la vieillesse ; elle est immor-
telle ; elle s'avance, ornée sans cesse de nouvelles
beautés.

« De ses clartés elle remplit les régions célestes ;


déesse lumineuse, elle repousse la noire déesse. Sur
son char magnifique, traîné par des coursiers rou-
geâtres, l'aurore vient éveillant la nature.

« Elle apporte les biens nécessaires à la vie de


l'homme ; elle déploie un étendart brillant ; elle nous
appelle, pareille aux aurores qui l'ont toujours
précédée ; pareille aux aurores qui la suivront
toujours.

« Levez-vous, l'esprit vital est venu pour nous ;


l'obscurité s'éloigne, la lumière s'avance ; elle pré-
pare au soleil la voie qu'il doit parcourir. Nous al-
lons reprendre les travaux qui soutiennent la vie.

« Le ministre du sacrifice élève la voix pour célé-


brer en vers les lumières de l'aurore ; loin des yeux
de celui qui te loue repousse l'obscurité ; aurore,
bénis, en les éclairant de tes rayons, le père de fa-
mille et ses enfants.

« Le mortel qui t'honore voit briller pour lui des


aurores qui multiplient son troupeau de vaches et
lui donnent des enfants vigoureux; puisse celui qui
t'offre ces libations accompagnées de la prière, qui
résonne comme un vent favorable ; puisse-t-il obte-
nir des aurores fécondes en beaux coursiers !

« Mère des dieux, oeil de la terre, messagère du


sacrifice, noble aurore, brille pour nous ; approuve
nos voeux et répands sur nous ta lumière. Toi qui
fais la joie de tous, rends-nous fameux parmi les
nôtres.

« Les biens divers qu'apportent les aurores sont


le partage de celui qui les honore et qui les chante.
Qu'il nous protègent également, Mitra, Varouna,
Aditi, la mer, la terre et le ciel. »
VII

AU SOLEIL
PAR COUTSA.

« Le magnifique flambeau des dieux, l'oeil de


Mitra, de Varouna et d'Agni, le soleil, âme de tout
ce qui existe a rempli le ciel, la terre et l'air.

« Comme l'époux suit sa jeune épouse, le soleil


suit aussi la divine et brillante aurore, à l'heure où
les prêtres attendant pour honorer les dieux les
moments favorables, adressent à leur digne protec-
teur un hommage digne de lui.

« Les chevaux du soleil, nobles, rapides, brillants,


s'élancent dans leur route, dignes comme lui de nos
hommages. Baissant la tête sous le joug, ils s'atta-
chent à la voûte céleste et s'empressent de com-
mencer leur révolution entre la terre et le ciel.

« Et telle est la fonction divine, la fonction su-


blime du soleil, à la moitié de sa course circulaire il
retire lui-même ses rayons, et quand il dételle les
chevaux de son char, la nuit couvre l'univers de son
voile.

« Ainsi pour nous faire jouir de la vue de Mitra,


et de Varouna, le soleil manifeste sa forme à la face
du ciel. Sans relàche, ses coursiers nous ramènent
sa figure, tantôt brillante et tantôt noire.

« Divins rayons du soleil levant, délivrez-nous de


,
toute faute honteuse. Qu'il nous protège également,
Mitra, Varouna, Aditi, la mer, la terre et le ciel. »

Cette hymne et la précédente, expliquent tout le


culte qu'à l'imitation de l'Inde, l'antiquité entière a
rendu à l'aurore et au soleil.
VIII

AU CIEL ET A LA TERRE
PAR AGASTYA.

« De ces deux divinités quelle est la plus an-


cienne? Comment sont-elles nées ? O poète, qui le
sait ? Elles sont faites pour porter le monde, tandis
que le jour et la nuit roulent comme deux roues.

« Toutes deux, tranquilles et sans mouvement,


contiennent des êtres doués de mouvement et de
vie. Tels que des parents gardent sans cesse à leurs
côtés un enfant chéri, ô ciel et terre, gardez-nous
contre le mal.

« Je demande que vous me fassiez jouir d'Aditi.


Que cette faveur adorable, soit exempte de toute
crainte ; qu'elle soit constante, inaltérable et à ja-
mais fortunée ! ciel et terre accordez cette grâce à
votre chantre, ô ciel et terre, gardez-nous contre le
mal.

« Divinités heureuses et secourables, nous sommes


à vous ; ciel et terre qui avez les dieux pour enfants,
vous marchez tous deux avec l'escorte des journées
et des nuits. O ciel et terre, gardez-nous contre le
mal I

« Soeurs toujours jeunes et semblables à elles-


mêmes, elles se suivent à côté de leurs parents et
glissent dans le centre du monde. O ciel et terre
gardez-nous contre le mal !

« J'invoque dans le sacrifice, en implorant le se-


cours de Dieu, ces deux divinités mères, grandes,
larges, solides, remplies de beauté et qui renferment
l'immortalité. O ciel et terre, gardez-nous contre le
mal.

« J'invoque par ma prière et dans ce sacrifice, ces


divinités, grandes, larges, étendues, dont les bornes
sont immenses, heureuses, bienfaisantes, qui con-
tiennent le monde. O ciel et terre, gardez-nous
contre le mal.

« Si nous avons commis quelque faute contre les


dieux, contre nos amis, nos enfants ou notre père,
que cette prière nous fasse obtenir notre pardon. O
ciel et terre, gardez-nous contre le mal.

« Louées par nous et favorables aux mortels,


que ces deux divinités me sauvent ; qu'elles s'en-
tendent pour me secourir et me protéger. Les devas
nous présentent avec joie les nombreuses offrandes
du père de famille.

« Pieux et recueilli, j'ai commencé par adresser


cette prière au ciel et à la terre, vous notre père et
notre mère, vous toujours irréprochables, préservez-
nous du mal et soyez notre protecteur.

« Ciel et terre, notre père et notre mère, accordez-


nous la grâce que je vous demande, descendez près
des devas pour nous secourir, que nous connaissions
la prospérité, la force et l'heureuse vieillesse.
IX

HYMNE AU CRÉATEUR SUPRÊME


PAR LE MOUVI 1 SWASTRYATRÉYA.

« Que tout mortel recherche l'autorité du divin


conducteur de l'univers. Ce Dieu est le maître de la
richesse. Que tout mortel s'efforce de mériter sa fa-
veur par une offrande digne de lui.

« O divin conducteur, nous sommes à toi, nous et


ces mortels assemblés pour honorer les dieux. Puis-
sions-nous, les uns par nos offrandes, les autres par
leurs prières, obtenir le fruit de votre pitié.

« Dans ce sacrifice, honorez les dieux qui se font

1. Personnage sanctifié.
nos hôtes ; honorez les épouses des dieux. Que le
libérateur divin éloigne de nous nos ennemis et
tous ces brigands qui assiégent les routes.

« Quand le dieu qui porte nos offrandes est sur le


foyer et que les libations coulent dans le vase sacré,
le divin conducteur touché de nos hommages vient
vers nous, tel qu'une épouse fidèle, sa bienfai-
sance nous accorde une maison opulente, une mâle
famille.

« O divin conducteur, ce char de sacrifice est


pour toi. Que ce char protecteur et opulent nous
donne le bonheur ! Que nous lui devions richesse et
bénédiction. Nous célébrons un dieu désiré, et nous
l'adorons ! Nous célébrons tous les dieux et nous les
adorons. »

Comme celle de Dirghatamas, cette hymne est


adressée au dieu unique, créateur et conducteur de
l'univers. Les autres dieux ne sont que des esprits
inférieurs, émanation de sa puissance.
X

HYMNE AUX MAROUTS


PAR SYAVAZWA.

« Je chante cette robuste famille des Marouts, qui


mérite l'hommage de nos hymnes montés sur de
;

rapides coursiers, ils poussent de lourdes masses, et


deviennent les maîtres brillants de la céleste am-
broisie.

O sage, honore cette forte et illustre famille. Ce


sont les magiciens qui remuent le monde; leurs bras
sont ornés de bracelets, et leurs mains riches en
présents. Honore ces héros merveilleux, dont la
grandeur, dont les bienfaits sont infinis.

« Qu'ils viennent à vous aujourd'hui tous ces Ma-


routs qui transportent les ondes, et envoient la pluie.
O Marouts, dieux sages et toujours jeunes, honorez
Agni, dont les feux sont allumés.

« En faveur des mortels, ô Marouts dignes de nos


sacrifices, vous donnez naissance à un roi sauveur
et puissant. Il vient, celui qui est votre fils, dont les
bras atteignent des ennemis, dont le poing les écrase,
qui possède de beaux coursiers et de mâles servi-
teurs.

« Tels que les rayons d'une roue, avec une marche


régulière, tels que les jours de l'année, les Marouts
apparaissent tout resplendissants. Les impétueux
enfants de Prisni, mesurant avec sagesse leurs bien-
faits à nos besoins, répandent sur nous l'eau du
ciel.

« O Marouts, quand vous arrivez sur vos chars,


portés sur de fortes roues et traînés par un attelage
de daims, les eaux coulent, les forêts sont ébranlées,
et le ciel mugit, tel que le taureau au milieu des
vaches.

« Les Marouts ont marché, et devant eux la cé-


leste Prithivi s'est étendue. Elle a conçu de son
puissant époux un fruit que ces dieux ont été char-
gés de garder. Les entants de Roudra ont à leur char
attelé les vents rapides. La pluie c'est la sueur de ces
travailleurs.

« Nobles Marouts, comblez-nous de vos biens,


vous qui possédez tant de richesses, soyez immor-
tels, célèbres pour votre justice, dieux toujours
jeunes, qui aimez les sacrifices et qui grandissez au
milieu de nos prières et de nos libations. »

Les Marouts sont les dieux qui président aux vents;


ils fécondent Prithivi la terre, par les nuages et la
pluie, qu'ils entraînent arec eux.
XI

HYMNE A INDRA
PAR MADHOUTCHANDAS.

« Venez amis, placez-vous, et chantez Indra, vous


qui avez un trésor d'hymnes sacrées.

« Chantez le grand Indra, le maître souverain de


la richesse ; répandez en même temps les libations.

« Qu'il soit pour vous une source de biens, d'opu-


lence, de sagesse, qu'il vienne partager nos of-
frandes.

« Chantez cet Indra qui dans les combats porté sur


un char renverse les ennemis par le choc de ses cour-
siers.

« En l'honneur de ce Dieu qui aime les libations,


voilà les boissons purifiées et mêlées avec du
caillé.

« O bienfaisant Indra, tu nais pour recevoir nos


libations, et pour régner sur les dieux ; à peine es-tu
né que déjà ta forme est immense.

« O Indra, glorifié
par nos chants, remplis-toi de
ces boissons ardentes ; puissent-elles plaire à un
dieu sage comme toi.

« Les hymnes, les louanges des anciens ont ajouté


à ta grandeur. O Satacratou ! que nos chants aient le
même effet.

« Qu'Indra, protecteur invincible, en qui sont


toutes les vertus de la virilité, se réjouisse de ces
mets abondants et variés.
« Que nul homme ne porte atteinte a nos corps.
Indra, Seigneur, célèbre par nos chants, éloigne de
nous la mort. »

Indra est le Dieu de l'Éther, de la matière univer-


selle dans laquelle s'épanouissent tous les germes.
XII

HYMNE A LA DIVINE LIQUEUR DU SOMA


PAR GRITSAMADA.

« O pure liqueur, tes flots enivrants sont aussi ra-


pides que la pensée, aussi impétueux que l'onde :
Liqueur céleste, qui sur une onde légère, arrives
pour notre bonheur au secours du sacrifice.

« Ton breuvage, doux, rapide, enivrant, coule


de tous côtés pareil au coursier qui traîne un char.
De même que la vache nourrit le veau de son lait, ta
libation nourrit de son miel Indra qui porte la
foudre.

« Tel qu'un coursier généreux, viens sur le foyer


prouver ta force. Dieu universel, descends du ciel
pour former cette liqueur que prépare le mortier. Le
soma purifié sur le filtre de laine et dans le vase
des libations, devient la forte boisson d'Indra.

« O Dieu pur, tes ondes célestes, aussi promptes


que la pensée, aussi rapides que le coursier, sont mê-
lées avec le lait dans le vase du sacrifice. Les richis
t'honorent, et ces sages qui t'ont purifié, versent ta
libation sur le foyer.

« Tu vois tout, maître puissant et juste, et tes


rayons s'étendent dans tous les lieux. O Soma, tu
remplis tout, tu es le soutien et le roi du monde.

« Le Soma est pur, il donne la fermeté et la justice


et ses rayons embrassent le ciel et le terre. Il brille
également dans le vase des purifications, dans les
coupes et sur le foyer ou il est successivement appelé
à siéger.

« Soma est l'étendard du sacrifice et l'ornement


de nos cérémonies. Il coule dans la coupe des dieux.
Il s'échappe par mille torrents, et sa liqueur géné-
reuse va remplir en frémissant et les mortiers et les
vases.

« Breuvage pur et protecteur, il descend dans ce


samoudra ou coule la rivière de la libation ; il se môle
aux ondes et au caillé. Il siége sur le filtre de laine,
comme sur le foyer.

« Il fait entendre sa voix pareille au tonnerre sous


la voûte céleste. Il soutient le ciel et la terre. Soma
vient pour satisfaire à l'amitié d'Indra, et purifié il
repose dans les vases sacrés.

Il accourt cet opulent Soma, flambeau du sacri-


fice, miel délicieux, père des dieux, auteur du
monde. Il apporte au ciel et à la terre mille trésors
secrets, source enivrante de bonheur, et breuvage
destiné à Indra.

« Le Dieu sage et rapide qui s'échappe par cent


torrents, le maître du ciel vient en criant dans le
vase du sacrifice, brillant, généreux et pur, il siége
sur le filtre de laine au milieu des ondes, dans le
foyer où règne Mitra.
« Ce dieu pur est le premier au milieu des ondes,
des prières, des vaches divines. Doué d'une force
incomparable, et armé de traits merveilleux, il dis-
tribue aux mortels le fruit de sa victoire. C'est sa
généreuse et sainte liqueur que versent les sacri-
ficateurs.

Appelé par la prière, ce dieu arrive, tel que l'oi-


seau, se placer sur le filtre de laine, et coule en
torrents. O sage Indra, c'est toi qui as établi autour
de nous le ciel et la terre, c'est pour toi que vient
l'éclatant Soma.

« L'adorable Soma revêt une cuirasse dont les


reflets lumineux touchent le ciel, il remplit l'air, et se
trouve emporté à travers les mondes. Auteur de tout
bien il accourt avec le jus renfermé dans sa tige, et
honore le père antique du monde.

« Une fois arrivé au trône d'Agni, il devient l'es-


poir et le protecteur de ceux qui servent ce dieu, dès
l'instant qu'il s'est placé lui-même au siége élevé
d'Agni, il ne connaît plus d'ennemi qui l'arrête.
Indou a passé dans la coupe d'Indra. C'est un
«
ami qui va flatter le coeur de son ami. Soma suivant
les cent voies qui lui sont ouvertes, court tel qu'un
époux s'unir dans le vase des libations aux jeunes
ondes.

« En votre nom les prières amies du bonheur, de


la louange et de la poësie, accourent dans la de-
meure du sacrifice. Les hymnes viennent avec leurs
invocations, comme des vaches avec leur lait.

« O Soma, ô pur Indou, arrive au milieu de toutes


ces abondantes offrandes, qu'accumule notre piété,
et qui présentées trois fois par jour, nous procurent
une douce fécondité, en biens et en mâles enfants.

« Le prudent Soma exauce nos prières ; il vient et


produit le jour, l'aurore, le soleil. Il forme les ondes,
et se précipite dans les vases du sacrifice. A la voix
des sages, il pénétre dans le coeur d'Indra.

« Appelé par les sages, et lancé par leurs mains,


ce dieu prudent et antique remplit en résonnant
les vases saints. Il engendre Trita et distille un miel
délicieux, pour se montrer l'ami d'Indra et de
Vayou.

« Soma purifié a formé les feux de l'aurore ; avec


les ondes il a fait le monde. Pour en composer une
offrande, il prend le lait de vingt et une vaches, et
charme le coeur par un douce ivresse.

O Soma, ô Indou, coule dans les demeures célestes,


dans le filtre, dans le vase des libations. Pénètre
dans les entrailles d'Indra ; et lancé avec bruit par
les prêtres fais monter le soleil dans le ciel.

O Indou, tu sors du mortier pour entrer dans le


vase des purifications. Tu inondes les entrailles
d'Indra. O prudent Soma, tu es devenu le gardien
des hommes, et avec les Augiras, tu as ouvert le
pâturage des vaches célestes.

«Opur Soma, les sages religieux te chantent en


implorant son secours. L'oiseau poétique t'a apporté
du ciel, ô Indou, et toutes les prières se sont plu à
te parer.

« Les sept vaches du sacrifice s'approchent de


Soma purifié sur le filtre de laine, et orné de son
flot brillant. Les nobles enfants d'Ayou ont jeté le
dieu sage au milieu des ondes, et sur le foyer de
Riéta.

« Indou purifié s'élance contre nos ennemis, il


aplanit toutes les routes pour l'homme qui sacrifie.
Beau et sage, il se compose une forme avec le lait
des vaches, et tel que le coursier, il court en se
jouant sur le filtre.

« Cent flots divers mêlent leurs trésors pour pro-


duire le torrent du brillant Soma. Les doigts l'ont
purifié ; il s'enveloppe du lait de la vache, et sur un
triple autel, il est reçu par les feux d'Agni.

« Tous les êtres sont nés de ta céleste semence.


Tu es, le roi du monde entier, tout est soumis à ton
empire. O pur Indou, c'est toi surtout qui possède
la puissance.
« O Dieu sage, en toi se trouve la vertu de toutes les
ondes : tu réunis en toi tous les biens. C'est toi qui
soutiens les cinq régions célestes. Tu affermis le ciel
et la terre. O Dieu pur, de toi dépendent les astres
et le soleil.

« O pur Soma, tu te purifies pour les dieux, dans le


vase qui est le soutien du monde. Les ousidjs (prê-
tres), commencent par te prendre et c'est toi qui fais
marcher l'univers.

« Soma brillant et généreux, viens avec bruit sur


le filtre de laine, et résonne dans les coupes de bois.
Les rites qui l'appellent font entendre leurs chants ;
les prières caressent ce nourrisson qui frémit.

« Il se revêt lui-même des rayons du soleil en dé-


ployant la triple toile du sacrifice. Il dirige les hym-
nes et les prières de Rita. Maître des hommes, il
remplit la coupe sainte.

« Souverain du ciel et roi des ondes, il coule et


fait en résonnant les voies du sacrifice. Pur et bril-
lant, il coule par mille torrents ; il élève sa vois, et
répand avec lui tous les biens.

« O Dieu pur, semblable au merveilleux soleil, tu


pousses ta grande onde sur le filtre de laine. Purifié
par la main des prêtres, extrait des mortiers, tu
coules pour nous apporter l'abondance.

« O Dieu pur et prudent, tu accours, tel que


l'épervier, vers notre offrande, qui donne la force ;
tu siéges dans les vases sacrés. On te verse pour le
bonheur et l'ivresse d'Indra. Tu es le digne soutien
du ciel.

« Sept soeurs deviennent les mères de ce nour-


risson nouveau qui est né pour la victoire, et au
sein des ondes ; elles élèvent pour la gloire du
monde, le prudent Soma, gandharwa céleste et gar-
dien des hommes.

« O Indou, tu attelles tes coursiers, ailés et


rayonnants, et tu parcours ces mondes dont tu es
le maître. Que tes coursiers fassent couler pour
nous, et le lait et le beurre savoureux. O Soma, que
les hommes se lèvent pour accomplir ton oeuvre.

« O pur et généreux Soma, tu observes et gardes


les hommes. Tu lances tes ondes. Envoie-nous des
richesses et de l'or. Que nous jouissions du bonheur
de vivre.

O Indou, tu es le maître des vaches, des richesses,


de l'or. Ta semence vivifiante se répand à travers
les mondes. O Soma, tu es fort, tu es le maître sou-
verain. Les sages sont assemblés pour t'implorer
par leurs prières.

« Le grand flot du doux Soma élève sa voix ; il


se précipite dans les vases sacrés où il se revêt
de l'enveloppe des ondes. Le roi, qui suit mille voies
diverses ; monte sur son char qui est le vase des pu-
rifications. Il y puise de la force, et sa victoire nous
procure l'abondance.

« Soma est la vie du monde. Le matin et le soir


il accompagne toutes nos prières qu'il rend pour
nous heureusement fécondes. O Indou, fais que nos.
cérémonies nous procurent une belle famille, des
chevaux, une moisson opulente ; fais qu'Indra
nous soit favorable.

« Dès le matin, le beau, l'enivrant Soma, est re-


connu par le sage, à ses lueurs brillantes. Secon-
dant les efforts des deux sacrificateurs, il va se
jeter au sein de l'être qui soutient les hommes et les
dieux.

« Les prêtres, par leurs soins divers, disposent


ce dieu puissant, Le séparent de son enveloppe li
gneuse, le mêlant, soit aux ondes, soit au doux
caillé. Les prêtres, ornés de bagues d'or, puisent ses
sucs qui jaillissent en pluie ; et tel que l'animal qui
vient de naître, ils le baignent dans les eaux.

« Chantez en l'honneur du dieu sage et pur ; il


vient ainsi qu'un large torrent fortifié par notre
offrande. De même que le serpent, il a dépouillé sa
vieille peau. Pareil au coursier, il accourt en se
jouant, brillant et généreux.

« C'est un roi qui marche à la tête de ses gens ;


c'est un torrent impétueux qui s'élance. Il mesure
les jours, emporté à travers les mondes, superbe et
resplendissant ; il monte sur un char de lumière.
Tout humide du beurre sacré, grossi du flot de la
libation, il coule pour être un trésor de richesses.

« Triple dans son essence, sa liqueur apporte


l'ivresse. Il est le soutien du ciel et parcourt tous
les mondes. Les prières caressent Soma, qui fait
résonner sa voix quand les chantres, avec leurs
hymnes, s'approchent de sa forme divine.

« Tes ondes purifiées se réunissent pour couler


ensemble avec rapidité sur le filtre de laine. O Soma,
ô Indou, en sortant du pressoir, tu vas te mêler au
lait des vaches et siéger dans les vases du sacrifice.

« Coule donc, adorable Soma, toi qui connais


l'oeuvre sainte. Jette sur le filtre de laine ton miel
délicieux. O Indou, triomphe de tous les méchants
rackchasas. Pères d'une heureuse lignée, puis-
sions-nous chanter encore dans le sacrifice. »

Le Soma est la liqueur des dieux et des prêtres ;


elle représente la semence universelle de l'univers.
Nous verrons bientôt qu'elle est clans l'histoire des
religions, l'importance de cette fiction.
Les douze hymnes qu'on vient de lire renfer-
ment dans leur langage figuré tous les mystères de
la théologie brahmanique sortie des Vedas ; en les
étudiant bientôt, nous donnerons un corps à toutes
ces figures.
Nous allons donner maintenant quelques hymnes
adressées à des divinités particulières.
HYMNES AUX DIVINITÉS INFÉRIEURES

HYMNE AUX RIBBOUS


PAR MÉDHATILHI.

« En l'honneur d'une race divine, la bouche des


prêtres chante cette hymne qui doit provoquer la gé-
néreuse reconnaissance de ces dieux.

« Ce sont eux dont la pensée a créé les chevaux


radieux d'Indra, ces chevaux que la voix suffit pour
atteler à son char ; ils ont entouré le sacrifice de
cérémonies saintes.

« Ils ont construit pour les véridiques Aswins un


char fortuné qui fait le tour du monde ; ils ont pro-
duit la vache qui donne le lait.
« Les ribbous puissants par leurs prières et par
la justice, ont rendu à la jeunesse leur père et leur
mère.

« Ces libations s'adressent à vous et à Indra


qu'accompagnent les marouts, ainsi qu'aux bril-
lants adityas.

« Ce sont les ribbous qui ont divisé en quatre


parties la coupe encore nouvelle du divin Twachtri.

« Avec nos louanges, recevez pour en tenir


compte au religieux, trois genres d'offrandes dans
sept sacrifices différents.

« Chargés de nos sacrifices, les ribbous ont vécu


en persévérant dans le bien, et ont obtenu une part
du sacrifice offert aux dieux. »

Les ribbous représentent les hommes parvenus au


ciel en récompense de leurs bonnes actions.
II

HYMNE AUX INSTRUMENTS DU SACRIFICE


par SOUVAHSÉPA.

« Dans cet endroit ou s'élève une pierre à la base


profonde pour recevoir les libations, Indra, viens
boire le jus préparé dans le mortier.

« Dans cet endroit où, pareils à deux djaghouas


(expression intraduisible par décence), figurent les
deux bassins destinés au soma, Indra, viens boire le
jus préparé dans le mortier.

« Dans cet endroit, où la mère de famille entre et


sort avec empressement, Indra, viens boire le jus
préparé dans le mortier.
Dans cet endroit où l'on passe une lanière au-
«

tour du pilon, comme une rêne au col d'un cheval


fougueux, Indra, viens boire le jus préparé dans le
mortier.

«Quelle que soit l'oeuvre à laquelle on t'emploie


dans chaque maison, ô mortier, résonne d'une ma-
nière éclatante tel que le tambour des vainqueurs.

« O pilon ! à ton extrémité l'air souffle avec force.


O mortier, prépare le breuvage d'Indra.

« Omortier, ô pilon, instruments du sacrifice,


vous qui apportez les mets des dieux, séparez-vous,
unissez-vous comme les mâchoires qui broient la
nourriture.

« Noblesinstruments de bois, avec ces nobles


faiseurs de Soma, vous nous préparez aujourd'hui,
pour Indra, une boisson aussi douce que le miel.
« Toi Haristchoudra, emporte le Soma tombé dans
le bassin; verse-le sur le filtre et que la peau de
vache le reçoive. »
III

AUX ASWINS ET A SARASWATI


PAR MADHOUTCHANDAS.

« Aswins, dieux aux mains agiles, aux longs


bras, maîtres des splendeurs, acceptez les mets du
sacrifice.

« Puissants Aswins, célèbres par votre force et


par vos nombreux exploits, écoutez nos voix qui
portent vers vous notre prière.

« Secourables et véridiques, venez ; nos libations


vous attendent disposées sur un tapis de gazon
sacré. Venez par la route qu'arroseront les larmes
de nos ennemis.
a S arasWATI.

« O Saraswati, toi qui purifies le coeur, comblé de


nos offrandes, aie pour agréable notre sacrifice, ô
toi, trésor de la prière.

« Saraswati inspire les paroles saintes ; elle ex-


prime les bonnes pensées ; c'est à elle que s'adresse
notre sacrifice.

« Saraswati appelle et encourage l'onde des liba-


tions ; elle élève un drapeau sous lequel brillent
toutes les prières. »

Les Aswins sont les dieux qui président aux brises


qui portent aux cieux, les voeux et les sacrifices des
mortels.

Saraswati est la déesse ou mieux la personnifica-


tion de la prière.
IV

HYMNE AUX APRIS


par MEDHATITI.

« Agni, surnommé Sousamiddhà, amène pour


nous les dieux vers celui qui offre l'holocauste ; prêtre
et sacrificateur, consomme le sacrifice.

« Sage divinité, qu'on nomme Tanouvapat, fais


agréer aujourd'hui aux dieux notre sacrifice, qu'il
leur soit aussi doux que le miel.

« J'invoque ici, dans cette assemblée, celui qu'on


appelle Nocrâsanta, le dieu chéri et sacrificateur,
dont la langue est si douce.
« Agni, sur ton char bienheureux amène les dieux;
ô toi sacrificateur appelé Illita, toi que Manou a
constitué pour sacrifier à nos fêtes.

« Mortels éclairés, étendez le gazon sacré, qu'il


soit arrosé de beurre à l'endroit où les dieux vont
venir prendre leur ambroisie.

« Qu'elles s'ouvrent les portes divines de l'en-


ceinte sacrée, ces portes que le sacrifice sanctifie 1

qu'elles s'ouvrent aujourd'hui pour la pieuse céré-


monie.

« J'appelle à ce sacrifice la belle nuit et la belle


aurore, qu'elles viennent toutes deux prendre place
sur ce cousa.

J'appelle aussi ce couple de dieux, à la douce


«
langue, sages et sacrificateurs, qu'ils aient leur part
de notre sacrifice.

« Que les trois déesses qui apportent la joie, Illa,


Saraswati et Mabi, daignent sans crainte s'asseoir
sur ce cousa.

« J'appelle ici le grand Twachtri qui sait revêtir


toutes les formes ; qu'il soit notre ami.

« Divin Vanaspathi, donne aux dieux l'holocauste


qui leur est destiné. Que la sagesse soit le partage
de celui qui le leur offre.

« En l'honneur d'Indra, employons la swaba,


dans la maison du père de famille, qui offre le sacri-
fice ; c'est là que je convie les dieux. »

Les Apris sont la personnification de toutes les


choses employées dans le sacrifice.
y

HYMNE AU MAITRE DES CHOSES SAINTES


par GRITSAMADA.

« Le chantre des dieux perdra ceux qui veu-


lent te perdre. L'homme pieux triomphera de
l'impie. L'observateur des saintes pratiques vaincra
sur le champ de bataille le héros invincible. Le bon
serviteur recueillera la dépouille du méchant.

« Homme, sacrifie et préviens tes ennemis, pré-


pare-toi au triomphe sur tes adversaires, offre l'ho-
locauste pour t'assurer une heureuse fortune. Nous
invoquons le secours du maître de la chose sacrée.

« Il se trouve dans l'abondance de tous les biens,


avec ses gens, son peuple, sa famille, ses enfants,
ses guerriers, celui qui, plein de foi, honore avec
l'holocauste le père des dieux, le maître de la chose
sacrée.

« Le maître de la chose sacrée conduit dans une


heureuse voie l'homme qui veut lui plaire par ses
libations de beurre. Il le délivre du mal; il le pro-
tége contre le méchant et l'assassin. Pour lui il est
un dieu généreux et admirable. »
VI

HYMNE A CAPINDJALA
(FKANGOLIN, OISEAU D'INDRA)
par GRITSAMADA.

« Le Capindjala, par son cri, annonce l'avenir ;


lance sa voix comme le pilote lance son navire.
Oiseau, sois pour nous d'un bon augure. Qu'il ne
t'arrive aucun accident.

« Échappe à l'épervier et aux oiseaux de proie. Que


l'archer, armé de sa flèche, ne t'aperçoive pas. Fais-
nous entendre, du côté du midi, ta voix de bon au-
gure.

« Oiseau de bon augure, pousse ton heureux cri à


la droite de nos foyers. Garde-nous de la domination
d'un voleur ou d'un méchant. Pères d'une heureuse
lignée, puissions-nous chanter longtemps encore
dans le sacrifice. »

Cet oiseau est dédié à Indra, parce qu'il est censé


n'apaiser sa soif que dans les nuages où règne ce
dieu.
VII

AUTRE HYMNE A CAPINDJALA


Pa R LE MÊME.

« Pareils aux chantres de nos sacrifices, les Ca-


pindjalas viennent, par des accents de bon augure,
nous annoncer un temps favorable. L'oiseau se plaît
à répéter deux cris, de môme que ceux qui chantent
nos hymnes, emploient la gayatri et le trichtoub
(mètres de vers).

« Oiseau, comme notre chantre, tu as aussi ton


hymne ; et ainsi que l'enfant du prêtre, au moment
de la libation, tu fais retentir ta voix. Avec l'empres
sement de l'étalon qui s'approche de ses amantes,
oiseau, parle-nous favorablement; oiseau, parle -nous
pour notre bonheur !
« Oiseau, si tu nous parles, ne nous parle que
favorablement. Reste silencieux pour écouter notre
prière. En t'éloignant résonne comme un carcari
(sorte de tambour). Pères d'une heureuse lignée,
puissions-nous chanter longtemps encore dans le
sacrifice. »
VIII

HYMNE A SAVITRI
(SOLEIL CONSIDÉRÉ COMME ASTRE)

par GRITSAMADA.

« Le divin Savitri, qui travaille constamment à la


création du monde, Savitri, qui porte tous les êtres,
vient de se lever pour son oeuvre. Il dispense aux
Devas ses faveurs. Qu'il comble de ses bénédictions
le maître de ce sacrifice.

« Le Dieu qui s'élève pour le bonheur du monde,


étend au loin ses longs bras. Et pendant qu'il pour-
suit sa carrière, sous lui se jouent les ondes puri-
fiantes, et le vent qui tourne autour de la terre.
« Savitri, dans sa course, se dépouille de ses rayons,
il permet au voyageur de se reposer des fatigues de
la marche, il prévient le désir de ceux qui oseraient
implorer le secours d'Abi. La nuit poursuit l'oeuvre
de Savitri.

« Partageant de moitié avec lui, la nuit s'occupe


à tisser sa toile immense. Cependant le sage com-
prend que la puissance du créateur n'est pas éteinte.
En effet, quittant son sommeil, Savitri a reparu et
le dieu infatigable vient pour marquer les divisions
du temps.

« Les feux d'Agni naissent tous les matins dans


chaque demeure ; et la mère de Savitri remet à son
fils l'illustre fonction d'éclairer le monde, sur le si-
gnal que vient de lui donner Agni.

« Il marche vers le terme de sa carrière vainqueur


de tous ses ennemis, et désiré de tous les êtres ani-
més. Alors il quitte la tâche, dont l'autre moitié ne
regarde plus le divin Savitri.
« On te demande, ô Dieu ! on cherche, avec in-
quiétude, dans les plaines désertes de l'air, l'habi-
tant céleste qui devrait s'y trouver. Mais on se dit
que la forêt, quoique silencieuse, n'est pas privée
d'oiseaux, et que rien ne saurait détruire les oeuvres
du divin Savitri.

« Cependant Varouna, dans l'obscurité, à travers


les voies heureuses de l'air, retourne à l'endroit où.
il doit renaître. Les oiseaux, les animaux, sont tous
dans les retraites diverses que leur a assignés Sa-
vitri.

« Quel être peut-il craindre, celui dont l'oeuvre ne


peut être ébranlée ni par Indra, ni par Varouna,
Mitra, Aryawar, ni par Roudra ? Honneur au divin
Savitri, dont j'implore humblement la protection.

« Nous présentons nos offrandes au sage Bhaga,


digne objet de nos méditations. Que le dieu que cé-
lèbrent nos hymnes, noble époux des chastes prières,
nous accorde son secours. Pour obtenir le bonheur
et réunir sur nous tous les biens, puissions-nous être
les amis du divin Savitri !

« Que tes faveurs désirables nous arrivent du ciel,


de l'air, de la terre Que ce bonheur s'étende sur les
!

serviteurs- de Savitri, sur le maître de maison qui


l'honore de ses offrandes, et sur le poëte qui le
chante !
IX

HYMNE AUX EAUX


par le RICHI SINDHOUDWIPA.

« Eaux merveilleuses, vous augmentez notre vi-


gueur ; vous la rendez plus forte, plus remarquable.

« Faites-nous goûter à votre breuvage fortuné,


soyez pour nous comme de tendres mères.

« Nous venons vous prier en faveur de l'homme


dont vous aimez l'habitation. Eaux généreuses, vous
êtes nos mères.

« Que ces eaux divines viennent généreusement


satisfaire à nos désirs et à notre soif, qu'elles coulent
pour notre félicité.

« Eaux, qui êtes reines des hommes et maîtresses


de la richesse, je vous demande un remède à mes
maux.

«Dans les eaux, m'a dit Soma, sont tous les re-
mèdes. Agni fait le bonheur de tous, et les eaux gué-
rissent tous les maux.

« Eaux salutaires, protégez mon corps contre les


maladies, que je puisse longtemps voir le soleil.

« Eaux purifiantes, emportez tout ce qui peut être


en moi de criminel, tout le mal que j'ai pu faire par
violence ou par libertinage.

«En ce jour j'ai honoré les eaux; nous nous


sommes présentés avec des coupes remplies de ce
précieux aliment. Agni, toi qui aime les libations,
viens et couvre moi de ton éclat. »

L'importance de cette hymne aux eaux puri-


fiantes et maîtresses du monde aura bientôt son ex-
plication logique.
X

DIALOGUE DE YAMA ET DE SON AMANTE YAMI.

YAMI.

« Qu'un ami vienne à son amie. Traverse le large


océan de la mort. Que le sage Vivaswâu, pour fruit
de ses méditations, voie le petit-fils de son père
s'étendre sur la terre.
YAMA.

« Ton ami ne recherche point ton amitié. Si nous


avons la même origine que les autres dieux, notre
forme est différente. Les enfants du grand Asoura
sont des héros qui soutiennent le ciel ; ils étendent
leur large puissance.
YAMI.

« Tous ces immortels désirent quelque chose,


ne serait-ce que l'offrande d'un mortel. Moi, ma
pensée est unie à la tienne. Que mon époux naisse
et se revête d'un corps.
YAMA.

« Je suis juste, et ne veux point condamner comme


injuste ce que nous avons déjà fait. Je sais que le
divin Gandarwa est notre père, qu'au sein des ondes
célestes Apya est son épouse et notre mère, notre
naissance est illustre.
YAMI.

« Notre aïeul le divin Twachtri, et Savitri qui


donne toutes les formes, ont voulu qu'au sein même
de notre mère nous fussions mari et femme (ce mythe
existe en Chaldée et en Egypte). La terre et le ciel
nous connaissent, ils connaissent notre père.

YAMA.

« Qui a connu son premier jour, qui l'a vu alors,


qui peut ici en parler? La demeure de Mitra et de
Varouna est grande. Que me dis-tu, ô toi qui veux
le mal des hommes ?

YAMI.

« Yami désire Yama. Elle veut avec lui dormir


dans un môme sein. Comme une épouse avec son
époux, je veux pour toi parer mon corps. Roulons
ensemble ainsi que les deux roues d'un char.

YAMA.

« Les oeuvres brillantes des dieux ne peuvent un


instant s'arrêter dans ce monde. O toi donc qui
frappe les hommes, cherche promptement un autre
époux que moi ; roule avec lui ainsi que les deux
roues d'un char.
YAMI.

« Que les offrandes soient présentées à Yama le


matin et le soir. Que l'oeil du soleil se rouvre pour
lui. Que le ciel et la terre soient encore un couple
de bons parents. Qu'Yami retrouve un époux dans
Yama.
YAMA.

« Nous sommes arrivés dans un âge où les épouses


doivent supporter la perte de leurs maris. O femme,
étends ton bras sous la tête d'un homme autre que
moi. Désire un autre époux.

YAMI.

« Qu'est-ce qu'un frère qui n'est point votre pro-


tecteur ? Qu'est-ce qu'une soeur, livrée à Nériti ?
Dans mon amour, je parle beaucoup. Rapproche ton
corps du mien.
YAMA.

« Je ne rapprocherai point mon corps du tien. On


a déclaré pécheur celui qui épouse sa soeur. Cherche
le plaisir avec un autre que moi. O femme, ton frère
ne veut point de toi.
YAMI.

« Hélas, Yama, tu es cruel, je ne reconnais ni ton


coeur, ni ton âme. Qu'une autre t'enlace avec sa
ceinture et t'embrasse comme la liane embrasse
l'arbre.
YAMA.

« Yami embrasse un autre, qu'un autre t'em-


brasse comme la liane embrasse l'arbre. Désire son
amour. Qu'il désire ton amour. Que votre union soit
heureuse. »

Nous retrouverons, en l'expliquant, ce mythe dans


toute l'antiquité.
IX

HYMNE A INDRA
par NIMÉDHA.

« Chantez un grand hymne en l'honneur du


grand Indra, sage et prudent, ami du devoir et de
la louange.

« O Indra, tu es puissant. Tu as fait briller le so-


leil. Tu as tout créé, tu es le Dieu universel, tu es
grand.

« Tu as paru avec la lumière pour répandre la


clarté dans le ciel. O Indra, les dieux recherchent
ton amitié.
« O Indra, viens à nous, dieu aimable et resplen-
dissant, élevé comme une large colline, conquérant
et maître du ciel.

« O Indra, dieu juste et ami du Soma, tu domines


le ciel et la terre, tu es le bienfaiteur de celui qui
fait la libation et le maître du ciel.

« O Indra, tu brises les villes célestes ; tu ren-


verses le Dasyan et fais le bonheur de Manou. Tu es
le maître de l'Ether.

« O adorable Indra, nous dirigeons nos voeux


vers toi, en élevant nos coupes remplies de liba-
tions.

« L'onde des fleuves augmente la mer ; ainsi, ô


héros armé de la foudre, nos hommages augmen-
tent ta grandeur qui croît chaque jour.

« Au large et vaste char du rapide Indra, les


prêtres, par leurs chants et leurs prières, attèlent
les deux coursiers qui le traînent.

« O Indra, ô sage Satacratou, donne-nous pour


chef un héros qui affronte les armées.

« O puissant Satacratou, tu es pour nous un père


et une mère. Nous demandons ton heureuse protec-
tion.

« O vaillant Satacratou, invoqué par les mortels,


j'implore le secours d'un dieu fort. Accorde-nous le
don d'une race vigoureuse. »

Indra est ici l'Ether divinisé !


XII

HYMNES A ROUDRA ET AUX ANGIRAS


par NABHANÉDICHTHA.

a ROUDRA

« Que le chantre élevant sa voix fasse agréer à


Roudra l'hommage qu'il lui rend aujourd'hui au
milieu de cette pieuse assemblée. Les deux pères du
sacrifice poursuivent leur oeuvre. Que le père de
famille en ce jour de largesse ne refuse rien aux sept
sacrificateurs.

« Que Roudra, qui de ses traits terrasse ses en-


nemis, vienne dans cette enceinte pour nous proté-
ger et nous combler de ses biens. Que ce dieu ra-
pide, à la voix sonore, fasse descendre sur nous son
onde secourable.
« O Aswins, votre âme est émue aux invocations
que vous adresse le sage et vous accourez avec em-
pressement. La main du prêtre dirige l'offrande
qu'a préparée le généreux sacrificateur.

« Quand la nuit se trouve surprise au milieu des


vaches rougeâtres, c'est vous que j'invoque, ô As-
wins, enfants du ciel, entendez-moi ; venez à mon
sacrifice et faites attention aux offrandes que je vous
présente.

« Cependant il s'étend le dieu qui, pour le bon-


heur des hommes, développe avec force son énergi-
que virilité. Lui-même, invincible héros, forme et
agrandit le sein de sa fille.

« Alors, entre le ciel et la terre, ils se rappro-


chent, et le père devient l'époux de sa fille (mythe
de la création, le dieu divise son corps en deux par-
ties pour créer, l'une mâle et l'autre femelle); ils
laissent échapper dans l'air quelques gouttes de
leur semence féconde, et le foyer du sacrifice est
arrosé.
« Quand le père s'est uni à sa fille, il vient répan-
dre sa semence sur la terre. Les pieux Devas, qui
ont enfanté les rites, ont établi Agni pour être gar-
dien de leur oeuvre, le maître de la demeure sainte.

« Que ce dieu jette donc son écume lumineuse


sur le champ du sacrifice. Qu'il se précipite témé-
rairement de tous côtés. On dirait qu'il recule en
retenant le pied droit ; on dirait qu'il refuse de tou-
cher les vaches que je lui présente.

« Que le dieu qui, par son souffle, agite le monde,


arrive pour soutenir la mamelle d'Agni. Tel que le
poëte, avec ses chants, qu'il le réveille. Le prêtre
apporte le bois et enfante l'holocauste, et Agni naît
pour soutenir et défendre ses serviteurs.

« Les Navagwas, chantant Rita, ont recherché sa


tutelle et l'amitié de sa charmante fille. Privés du
sacrifice, ils sont venus trouver le dieu gardien de
ce monde, placé entre le ciel et la terre, et ils ont
retrouvé le lait céleste.
« Avec l'amitié decharmante fille de Rita, ils
La
obtiennent encore un bien nouveau, et ce bien, que
produit la pure semence d'un dieu, c'est le lait de
la vache du sacrifice.

«Les Angiras avaient trouvé l'étable vide de son


troupeau céleste ; mais un dieu bon et réparateur
s'écrie, pour consolerle sage : « O sacrificateurs ! me
« voici, votre richesse va vous être rendue. »

« Ainsi les Angiras se rassemblent autour


,
l'Idra ; ils allument les feux nombreux du sacrifice.
Indra cherche à briser les membres du fils de Nri-
chad 1. Enfin, le dieu invincible pénètre dans la ca-
verne ténébreuse et déchire le corps de Souchna
qui couvrait le monde.

«Alors naît la lumière, alors brillent comme le


soleil les Devas (anges), qui siégent au triple foyer.

1. C'est la fiction d'Indra terrassant l'esprit du mal, que l'on retrouve


dans toutes les mythologies, même la mythologie chrétienne.
Alors apparaît Agni, surnommé Djatavédas ; écoute-
nous, ô sacrificateur ! Agni, qui honore Rita, veut
notre salut.

« J'ai chanté Indra, et, comme Manou, j'ai pré-


paré le gazon pur et sacré. Venez aussi prendre
part au sacrifice, ô Nasatyas, enfants radieux de
Roudra Soyez célébrés parmi les nations ; soyez
!

heureux de nos hommages et comblez-nous de vos


bienfaits.

« J'adore aussi, et je chante ce dieu fort, ce roi


prudent, qui traverse l'océan aérien, et dont les
rayons sont les chaînes du monde. Il a donné de la
vigueur à Cokchivan. Il a communiqué à Agni la
rapidité avec laquelle tourne la roue d'un char.

« Agni, le sacrificateur, est l'ami des dieux, races


divine et humaine ; il est appelé Vêtarana et nous
donne le lait de la vache rapide du sacrifice. Cepen-
dant, par des chants pieux, je demande la protec-
tion de Mitra, Varouna et Aryaman.

« O Agni, Nâblànédichtha, ton parent, dépose en


ton. sein brillant la libation et la prière : il t'adresse
ses voeux. Ici est notre mère commune, et je ne suis
qu'un de ses nombreux enfants.

« Oui, dit Agni ; ici est ma mère ; ici est ma de-


meure , ici mes Devas ; je suis tout ici. Les Dwidjaas
sont les premiers nés de Rita. La vache du sacrifice
vient de naître et vous offre son lait.

« Ainsi,le dieu rapide et brillant qui appartient à


deux mondes, dévore le bois qui est son aliment, et
s'élance avec joie dans l'air. Sa mère l'a enfanté
pour que sa force fasse notre bonheur ; le jeune
nourrisson croit, se dresse, se développe et bien-
tôt menace ses ennemis.

« Que les vaches de la louange, enfants d'un sage,


s'élèvent à la hauteur des dieux. O toi qui es opu-
lent, écoute-nous ! Manou a fait le sacrifice de l'Aswa-
mendha et n'a dû son bonheur qu'à sa piété.

« Et toi, Indra, maître des hommes, dont le bras


porte la foudre, accorde-nous une grande richesse.
Conserve-nous ô dieu traîné par deux coursiers
azurés, tu es bon ; sauve par ton secours les serviteurs
de Maghavau.

« O couple royal, en faveur d'un sacrificateur,


Indra, charmé de ses chants, est parti sans retard
pour la conquête des vaches célestes. Ce dieu sage
s'est montré l'ami des Angiras ; il les a soutenus, il
a rempli leurs voeux.

« Empressés à orner de nos louanges un dieu


invincible, nous lui adressons une prière. Le cour-
sier de la libation est lancé en son honneur. O Va-
rouna, tu es sage ; apporte-nous l'abondance.

« Pour obtenir votre amitié et augmenter nos for-


ces, le prêtre vous présente son offrande et sa
louange. Toutes nos voix s'unissent pour vous chan-
ter. Qu'une route semée de biens s'ouvre devant nos
prières.

« Le dieu surnommé Soubaudhou, célébré par nos


voix, couvert de nos libations, entouré de nos offran-
des et de nos prières, a grandi au milieu de nos
hymnes, le lait de la vache divine déborde de sa
mamelle.

« Dieux que nous honorons et qui vous réjouissez


ensemble de nos hommages, soyez-nous secoura-
bles. Vous êtes sages ; vous nous apportez l'abon-
dance, et dans les fonctions diverses que vous rem-
plissez, vous rassemblez pour nous des trésors de
bonheur.

aux ANGIRAS

« O vous qui, réunis pour le sacrifice et l'offrande,


avez ainsi obtenu l'amitié d'Indra et l'immortalité,
ô Angiras, soyez fortunés dans votre sagesse,
accueillez le voeu de Manou.

« Pères du sacrifice, vous avez délivré les vaches


célestes, et par le retour des rites brisé les portes de
Bala. O Angiras, vivez longtemps. Dans votre
sagesse accueillez le voeu de Manou.

« Par le sacrifice, vous avez élevé Sourya dans le


ciel ; vous avez étendu la terre, notre mère. O Angi-
ras, ayez une race heureuse. Dans votre sagesse,
accueillez le voeu de Manou.

« Nabhâ Nedichtha vous chante dans votre de-


meure, ô Richis, qui avez les dieux pour enfants. O
Angiras, que vos rites soient prospères. Dans votre
sagesse, accueillez le voeu de Manou.

« Les Richis sont différents pour leur forme ; mais


toutes leurs oeuvres sont également sages. Les An-
giras, enfants d'Agni, naissent autour de lui.

« Les Angiras, aux formes variées, naissent d'A-


gni autour de son foyer brillant. Lui-même, il est le
premier des Angiras ; il est Navagwa, Dasavagwa,
et au milieu des dieux qui l'accompagnent, il se
montre magnifique.

« Ces sages, unis à Indra, ont délivré les vaches et


les coursiers célestes ils m'ont donné des milliers
de grasses génisses ; ils m'ont procuré l'holocauste
que j'offre aux dieux.
« Que la race de Manou se propage !qu'elle croisse
comme l'orge dans les champs ! c'est ce Manou qui
donne en présent des centaines, des milliers de
coursiers.

« Personne ne peut renverser sa présence ; il est


élevé comme le ciel. Les présents du fils de Savarna
sont aussi étendus que la mer.

« Deux princes généreux, Yadou et Tourvasa, en-


tourés de vaches, sont comme deux serviteurs em-
pressés à seconder la munificence de Manou.

« Qu'il soit heureux ce Manou, ce chef de nos


bourgades, ce bienfaiteur opulent. Que sa muni-
ficence éclate avec le soleil. Que les dieux prolon-
gent la vie de l'enfant de Sarvana, et que par lui
nous jouissions, infatigables dans nos oeuvres, d'une
heureuse abondance. »
XIII

HYMNE A AGNI-VAYOU ET SOURYA

« L'Être couronné de rayons a trois formes :


il porte le feu, l'onde, il porte le ciel et la terre. Il
est de toute clarté qui frappe nos yeux ; il est l'astre
que vous voyez.

« Les divins Mauvis, dont les rayons servent de


guides à Vayou, se revêtent d'une noire enveloppe.
Ils pénétrent au sein du nuage, et suivent la direc-
tion du vent.

«Ils s'écrient dans leurs pieux transports : Nous


sommes les Mauvis attachés aux vents. O mortels,
vous voyez nos corps.
« Le Mauvi des vents, devenu l'ami des dieux, est
empressé de seconder leurs oeuvres, marche avec
l'air, jetant son corps sur tous les corps.

« Ce Mauvi est le coursier du rapide Vayou et


l'ami respecté par ce dieu. Il visite les deux mers,
celle de l'orient et celle de l'occident.

«
L'Être rayonnant, est celui qui voyage sur la
route des Apsaras. des Gandharwas, des rapides
sangliers de l'air. C'est aussi le sage ami de la mai-
son, l'auteur des sucs les plus enivrants.

« L'Être rayonnant est encore Vayou, qui avec


Roudra boit à la coupe remplie de l'eau céleste, qui
pour lui agite l'air et brise ce qui ne veut pas
plier. »

Agni, Vayou, et Sourya reçoivent ordinairement


dans leur réunion, le nom de Trinité Védique ; c'est
en effet cette triade qui se dégage le mieux de l'en-
semble des hymnes du Rig-Véda. Rien que tous les
poëtes du Rig ne l'aient pas comprise de la même
manière, il est certain que c'est cette trinité un peu
vague, car ses attributs sont souvent donnés à Indra,
Mitra et Varouna, autre triade védique, qui a pré-
cédé et préparé la trinité définitivement manifestée
dans la théologie Brahmanique, sous les noms de :

BRAHMA-VISCHNOU-SIVA.
DE QUELQUES HYMNES PARTICULIERS

QUI ONT PRÉCÉDÉ

LFS CONJURATIONS MAGIQUES DE L'ALBARVA-VEDA

INVOCATION POUR LA GUÉRISON DES MALADES

« De tes yeux, de ton nez, de tes oreilles, de tes


lèvres, de ta cervelle, de ta langue, j'enlève la ma-
ladie qui attaque la tête.

« De ton col, de tes nerfs, de tes os, de tes épaules,


de tes bras, j'enlève la maladie, qui attaque le haut
du corps.

« De tes intestins, de ton fondement, de ton ventre,


de ton coeur, de tes flancs, de ton foie, de tes chairs,
j'enlève la maladie.
« De tes jambes, de tes genoux, de tes talons, de
tes pieds, de tes reins, de tes parties honteuses, j'en-
lève la maladie.

« Du membre qui chasse les liquides, de tes poils,


de tes ongles, de ton corps, j'enlève la maladie.

« De tous tes membres, de toutes les parties ve-


lues, de toutes les articulations, de tout ton corps,
j'enlève la maladie.
II

INVOCATION POUR CHASSER LE SOMMEIL

«O maître de l'âme, pars, élève-toi, et d'en haut dis


à Nirriti : « L'âme de l'Etre vivant brille partout. ».

« Les hommes, avec bonheur, honorent ce grand


Dieu ; leur âme s'élève avec lui. L'oeil se fixe avec
joie sur le fils de Vivaswâu. L'âme de l'Etre vivant
brille partout.

« Pendant le sommeil, comme pendant la veille,


nous sommes sujets au mal, qu'il vienne ou non de
votre volonté. Qu'Agni nous délivre de toutes nos
fautes, de tous nos péchés.
« O Indra, ô maître du sacrifice, nous marchons
vers le méchant. Que Pratchetas, fils d'Angiras,
nous délivre du mal dont nous menacent nos
ennemis.

« Puissions-nous aujourd'hui remporter la vic-


toire ! puissions-nous vivre à l'abri de tout mal 1

Pendant le sommeil, comme pendant la veille, nous


sommes exposés au mal. Qu'Agni repousse le mé-
chant que nous détestons ! qu'il repousse ce méchant
qui nous déteste.
III

INVOCATION POUR LA FEMME ENCEINTE

« O femme, qu'uni au sacrifice, Agni, l'ennemi des


Rackchasas (démons) tue celui qui, sous le nom de
flux de sang, siége dans ton ventre pour nuire à ton
fruit.

« Oui, qu'Agni, uni au sacrifice, tue le cruel Rack-


chasas qui, sous le funeste nom de flux de sang,
siége dans ton ventre pour nuire à ton fruit.

« Le Rackchasas qui attaque le germe que tu sens


frémir et serpenter dans ton sein, et veut détruire
ton fruit, doit périr par nous.
« Le Rackchasas qui écarte tes jambes, force l'en-
trée de ton sein, et s'attache à ton fruit pour le dé-
vorer, doit périr par nous.

« Le Rackchasas qui, sous la forme d'un frère,


d'un mari, d'un amant, s'approche de toi, et veut
détruire ton fruit, doit périr par nous.

« Le Rackchasas qui profite de ton sommeil ou des


ténèbres pour troubler ta raison, et veut détruire
ton fruit, doit périr par nous.
IV

INVOCATION POUR DONNER LA VICTOIRE

« Je suis Richaba, fais-moi vainqueur des enne-


mis réunis contre moi. Rends-moi triomphant, que
je sois le brillant pasteur de vaches fécondes.

« Je suis comme Indra l'indomptable, l'invulné-


rable vainqueur. Tous mes ennemis sont à mes
pieds.

« Je vous enchaîne sous ma loi, comme avec la


corde on lie les deux extrémités de l'arc. O maître
de la parole sainte, disperse-les, et que leurs cla-
meurs s'éteignent au-dessous de moi.
« Je suis vainqueur et entouré d'un éclat tout
puissant. Vos pensées, vos oeuvres, vos armes, tout
est à moi.

« J'ai pris tous vos biens, toutes vos richesses. Je


dresse ma tête bien au-dessus de vous. Vos cris s'élè-
vent sous mes pieds, comme ceux des grenouilles
hors du marais, oui, comme ceux des grenouilles
hors du marais.
V

HYMNE POUR LE SACRE D'UN ROI

« Je t'ai amené au milieu de nous. Sois terme,


soutiens-moi sans trembler. Tout le peuple te désire.
Que ta royauté ne chancelle pas.

« Crois aux grandeurs. Ne tombe point; sois


comme une montagne inébranlable. Tiens-toi aussi
ferme qu'Indra. Affermis ta royauté.

« Qu'Indra, par la vertu d'une ferme holocauste,


te soutienne fermement. Que Soma, que Brahma-
nayasti, lui soit favorable.

« Le ciel est ferme ; la terre est ferme ; ces mon-


tagnes sont fermes ; tout ce monde est ferme. Que le
roi des nations soit aussi ferme.

« Que le royal Varouna, que le divin Vrihaspati,


qu'Indra et Agni, soient le ferme soutien de ta
royauté.

« A un ferme holocauste, nous joignons la ferme


libation de Soma. Qu'Indra rende ton peuple fidèle
à payer l'impôt.
HYMNES A LA CRÉATION SYMBOLIQUE

REPRESENTÉE PAR L'UNION DES SEXES

HYMNE A L'UNION PRIMORDIALE DU DIEU


AU DOUBLE SEXE.

l'épouse.

« Je t'ai vu animé par la prière, vivifié, agrandi


par les feux de la piété. O toi qui accrois la famille
et donnes la richesse, tu désires des enfants, multi-
plie ta race.
l'ÉPOUX.

« Je t'ai vue enflammée par la prière, et, à l'heure


favorable, rapprochant ton corps de moi. Viens,
unissons-nous. Tu désires des enfants, multiplie ta
race.
TOUS DEUX,

« Répandons nos germes et dans les plantes, et


dans tous les êtres. Engendrons des enfants pour
les deux cl la terre, et qu'à notre exemple toutes les
femmes soient mères par leur union avec le germe
fécondant.
II

HYMNE A LA MÈRE D'AGNI.

« Que Vichnou prépare ton sein ; que Twachtri


assemble les formes. Que Pradjàpati verse la se-
mence ; que Dhâtri tè donne le germe.

« O Sinivali, et toi Saraswati, donnez-lui ce


germe.
Que les divins Aswins couronnés de lotus te l'ap-
portent.

«Les Aswins ont agité l'aranî aux reflets dorés.


Nous invoquons le fruit que dans dix mois 1 tu dois
mettre au monde. »

1. Mois lunaires.
III

HYMNE A LA CRÉATION

« Le Juste, le Bon 1, est né de l'ardente piété, de là


naquit aussi la nuit ; et de là l'air mobile, dépôt de
tous les germes.

« De l'air mobile est né le temps, l'espace, l'infini.


Le Maître de l'Univers a établi la distinction du jour
et de la nuit.

« Dhâtri, dans le commencement, a formé le soleil


et la lune, le ciel et la terre, l'air et la lumière. »

1. Le Bon, n'est-ce pas le nom que donnait Platon au maître de


l'univers.
LES TRADITIONS
MYTHOLOGIQUES DES VÉDAS

« De même qu'il y a des mois grecs qui


n'ont aucune explication en grec, et qui
si on ne les avait comparés au sanscrit et
aux autres dialectes de même origine, se-
raient toujours restes pour le philologue
de simples sons auxquels aurait été attaché
un sens conventionnel ; de même il y a
des noms de dieux et de héros inexplica-
bles au seul point de vue du grec, et dont
on ne peut découvrir le caractère primitif,
sans les confronter avec les dieux ou les
héros de l'Inde... »
MAX MULLER.

Des citations, semblables à celle que nous don-


nons en épigraphe à ce chapitre, sont une inappré-
ciable bonne fortune, surtout lorsqu'elles émanent
d'un adversaire aussi savant que le célèbre profes-
seur d'Oxford.
Il n'est jamais entré dans notre pensée de con-
tester la science de Max Muller, un des hommes de
ce temps-ci qui possèdent le mieux le sanscrit et le
zend, nous nous bornons à soutenir qu'il emploie
son indiscutable savoir à édifier un système qui
est contraire à la logique des faits, à la véritable
critique mythologique et à la nature même de
l'homme.
Nous laissons de côté la question de l'indo-euro-
péen commun qui nous paraît vidée en faveur du
sanscrit, pour aborder le terrain mythologique sur
lequel Max Muller a édifié son système.
Dès le début aucune difficulté : notre adversaire
constate lui-même que la mythologie grecque est
inexplicable sans la mythologie de l'Inde, de même
que les parlers indo-européens sont inexplicables si
on ne les compare au sanscrit.
Invoquons encore son autorité, dans un passage
qui se soude admirablement au passage cité plus
haut, et qui vient pour ainsi dire le compléter :

« La découverte de la mythologie des Védas, a


été à la mythologie comparée, ce que la découverte
du sanscrit a été à la grammaire comparée. »

Remarquons en passant, sans rentrer dans le su-


jet de la discussion précédente, que Max Muller,
chaque fois qu'il ne se croit pas obligé de ressus-
citer l'indo-européen commun parce que cela fait
,
partie du système germanique, considère le sanscrit
comme la clef de voûte de la grammaire comparée.
Après avoir constaté que toutes les mythologies
ne se peuvent expliquer sans la mythologie des
Védas dont elles découlent, n'est-ce pas enterrer des
propres mains qui l'ont édifié, l'indo-européen com-
mun disparu, dès que l'on constate que le sanscrit
est à la grammaire comparée, ce que la mythologie
des Védas est à la mythologie comparée.
Voyons donc quel est le système d'interprétation
mythologique soutenu par l'école dont Max Muller
est le chef. Les hymnes que nous venons de donner
seront d'un précieux secours pour le lecteur qui
voudra juger par lui-même de l'esprit qui animait
les poëtes des Védas.
Les anciens tentèrent, bien avant nous, d'expli-
quer leurs mythes religieux, et ils essayèrent diffé-
rents modes d'interprétation.

« Les mythes, a dit Horace dans son art poétique,


ont été inventés par des hommes sages pour fortifier
les lois et enseigner des vérités morales. »

Eyhémère a prétendu au contraire :

« Que les mythes étaient l'histoire légendaire de


rois et de héros transformés en dieux par l'admira-
tion des peuples. »
Épicharme, Empédocle, Socrate, Platon, Aristote,
Plotin, Porphyre, Proculus, Damascène et autres,
ont soutenu que les mythes étaient destinés à voiler
aux yeux du vulgaire des théories physiques, cos-
mogoniques et théologiques, dont on ne lui faisait
part que par allégorie.
Sur ce point Aristote a dit :

« Une tradition venue des anciens et de la haute


antiquité, et transmise à la postérité sous forme de
mythes, nous apprend que les premiers principes
du monde sont des dieux et que le divin embrasse
la nature toute entière. Le reste a été ajouté fabu-
leusement dans le but de persuader le vulgaire, et
afin de soutenir les lois et les intérêts communs. »

Dupuis et Volney ont tenté d'expliquer par l'as-


tronomie seule l'origine de tous les mythes reli-
gieux.
Rejetant tous ces modes d'interprétation, Max
Muller est venu créer tout d'une pièce un système
nouveau qui peut se résumer ainsi :
Tous les mythes ne sont que de pures méta-
phores, que l'on a eu le tort de prendre dans le
sens propre, ce ne sont que des maladies du lan-
gage. L'explication de tous les mythes doit se faire
par la dissection linguistique des noms des dieux
et des héros, en un mot, la philosophie, l'histoire,
la légende, la croyance religieuse, l'astronomie
n'ont rien à voir dans la mythologie, qui doit s'ex-
pliquer par la seule étymologie des noms propres,
ramenés à leur sens primitif.
Ainsi, jusqu'à ce jour, anciens et modernes avaient
cherché à expliquer les mythes par l'histoire des
modifications et transformations de la pensée hu-
maine; d'un seul coup de plume Max Muller ren-
verse les travaux de trente siècles d'études, et ré-
pond : La mythologie n'a rien à faire avec la marche
des idées, elle est née inconsciemment d'une simple
transformations de mots.
Au lieu d'affaiblir en le commentant le système
de nos adversaires, laissons le soin au plus illustre
d'entre eux, selon notre habitude, de l'exposer. La
critique, pour rester loyale, doit toujours s'exercer
sur un texte :

«Il est de l'essence du mythe que la langue parlée


n'en donne plus la clef à ceux qui le racontent 1. Le
caractère plastique du langage primitif, caractère
que nous avons signalé dans la formation des noms
et des verbes ne suffit pas à expliquer comment un

1. Max Muller. Mythologie comparée, traduction de Georges Perrot.


Paris, Didier et Ce, librairie académique.
mythe a pu perdre la faculté qu'il avait d'abord
d'exprimer une idée sensible, comment la vie
s'en est retirée, comment il a cessé d'avoir cons-
cience de son origine. Tout en tenant compte de la
difficulté qu'il y avait à former des noms et des
verbes abstraits, nous ne pourrions encore expliquer
qu'une chose, la poésie allégorique chez les anciens;
la mythologie même resterait comme une énigme.
Il faut appeler à notre aide un autre élément qui a
joué un grand rôle dans la formation du langage
ancien, et pour lequel je ne trouve pas de meilleur
nom que polyonymie et synonymie. La plupart des
noms, comme nous l'avons déjà vu, étaient à l'ori-
gine des appellations ou des attributs, exprimant ce
qui semblait être le trait le plus caractéristique de
l'objet. Mais comme beaucoup d'objets ont plus d'un
attribut, et que, suivant l'aspect qu'on l'envisageait,
tel ou tel attribut pouvait sembler plus apte à four-
nir le nom, il arriva nécessairement que la plupart
des objets durant la période primitive du langage
eurent plus d'un nom. Dans la suite, la plupart de
ces noms devinrent inutiles, et furent remplacés
dans les dialectes qui ont été cultivés d'une manière
littéraire, par un nom fixe, qui était en quelque sorte le
nom propre de l'objet. Voilà pourquoi plus un langage
est ancien plus il est riche en synonymes.
« Les synonymes doivent naturellement donner
naissance à beaucoup d'homonymes. Si nous pou-
vions donner au soleil cinquante noms exprimant
différentes qualités, quelques-uns de ces noms se-
raient également applicables à d'autres objets pos-
sèdant la même qualité. Ces différents objets seraient
donc appelés du même nom; ils deviendraient des
homonymes.
« Dans les Védas la terre est appelée urvi, vaste ;
prithvi, étendue ; mahi, grande. Le dictionnaire védique
que l'on appelle nighantu, mentionne vingt-et-un
noms qui lui sont également donnés. Ces vingt et
un noms, sont donc des synonymes. Mais urvi, vaste,
signifie rivière ; prithvi, étendue, désigne, outre la
terre, le ciel et l'aurore ; mahi, grande, forte, est em-
ployé pour signifier vache et discours, aussi bien que
pour désigner la terre. La terre, la rivière, le ciel,
l'aurore, la vache et le discours deviennent donc des
synonymes. Ces mots, toutefois, restaient simples et
intelligibles. Mais la plupart des termes créés par le
langage, au moment du premier épanouissement de
la poésie primitive, furent fondés sur des méta-
phores hardies. Ces métaphores ayant été oubliées,
et la signification des racines d'où ces mots avaient
été tirés s'étant obscurcie et altérée, beaucoup de
mots perdirent non-seulement leur sens poétique,
mais encore leur sens radical ; ils devinrent de sim-
ples noms transmis dans la conversation d'une fa-
mille, compris peut-être par le grand-père, familiers
au père, mais étrangers au fils, et mal compris par
le petit-fils. Cette confusion, ces méprises purent se
produire de différentes manières. Parfois ce fut la
signification radicale d'un mot qui s'oublia : ce qui
était à l'origine un appellatif, un nom, au sens éty-
mologique du mot, dégénérait en un simple son, et
devenait un nom propre. Ainsi qui fut à l'ori-
gine un nom du ciel comme le sanscrit Dyaus, de-
vint graduellement un nom propre qui ne trahit son
sens primitivement appellatif que dans quelques
expressions proverbiales, telles que ou sub
jove frigido.
« Après que la véritable signification étymolo-
gique eut été oubliée, il arriva souvent que par une
sorte d'instinct étymologique qui existe même dans
les langues modernes, un sens nouveau s'y attacha ;
ainsi fils de la lumière, Apollon, devint le
fils de Lycie ; de le brillant, vint le mythe de
la naissance d'Apollon à Délos.
« Lorsque deux noms désignaient le même objet,
deux personnages sortaient de ces deux noms, et
comme la même histoire convenait à tous les deux,
ils étaient naturellement représentés comme frères
et soeurs ou comme parents. Nous trouvons, par
exemple, Séléné, la lune, à côté de Méné, la lune ;
Hélias (sourya), le soleil, et Phoebus (Rhava, autre
forme de Rudra). Nous pouvons retrouver ainsi dans
la plupart des héros grecs des formes humanisées
des dieux, avec des noms qui, dans beaucoup de
cas, étaient des épithètes de leurs divins prototypes.
Il arrivait encore plus fréquemment que des adjec-
tifs liés à un mot parce qu'ils s'appliquaient à un
certain objet, étaient employés avec le même mot
quoique appliqué à un objet différent. Ce que l'on
disait de la mer se disait aussi du ciel, et si l'on
appelait une fois le soleil un lion ou un loup, il était
bientôt doué de griffes et de crinière, même après
que la métaphore animale était oubliée. Ainsi le
soleil avec ses rayons dorés pouvait être appelé « à
la main dorée, » main étant exprimé par le même
mot que rayons. Mais quand la même jépithète s'ap-
pliquait à Apollon ou à Indra, un mythe se formait ;
c'est ainsi que, dans la mythologie sanscrite, nous
lisons qu'Indra perdit sa main, et que cette main fut
remplacée par une main d'or.
« Ceci nous donne quelques-unes des clefs de la
mythologie ; mais la philologie comparée peut seule
nous apprendre à nous en servir. De même qu'en
français il est difficile de trouver le sens radical des
mots, à moins de les comparer aux formes corres-
pondantes en italien, en provençal ou en espagnol ;
de même il nous serait impossible de découvrir
l'origine de plus d'un mot grec, sans le comparer à
ses corrélatifs plus ou moins altérés, en latin, en
allemand, en slave et en sanscrit... Le sanscrit a
conservé ses mots dans l'état le plus voisin de l'état
primitif 1 ; et quand nous réussissons à retrouver
un mot latin ou grec dans sa forme correspondante
en sanscrit, nous pouvons généralement expliquer
sa formation et déterminer sa signification radicale.
Que saurions-nous du sens primitif de
si nous étions réduits à la connaissance du
grec? Mais dès que nous retrouvons ces mots en
sanscrit, leur pouvoir primitif est clairement indi-
qué. Ottfried Muller a été un des premiers à voir et
à reconnaître que la philologie classique doit aban-
donner à la philologie comparée toutes les recher-
ches étymologiques, et que l'origine des mots grecs,
ne peut s'établir que par leur comparaison avec des
mots grecs. Ceci s'applique avec une force particu-
lière aux noms mythologiques. Afin de devenir my-
thologiques, il était nécessaire que certains noms
perdissent leur sens radical. Ainsi, ce qui dans une
langue était mythologique était souvent naturel et
intelligible dans un autre. Nous disons : « Le soleil
se couche, » mais dans la mythologie teutonique,
un siége ou un trône est donné au soleil, et il s'y
asseoit ; comme en grec Eos est appelé ou

1. Donc c'est le type commun du parler indo-européen.


comme le grec moderne, en parlant du soleil qui se
couche, dit Nous doutons du sens éty-
mologique du nom d'Hécate, mais nous compre-
nons de suite et Nous hésitons à
propos de Lucina, mais nous acceptons immédiate-
ment le latin Luna, qui est une simple contraction
de Lucna.
« Ce qu'on appelle vulgairement la mythologie
indoue est de peu d'usage pour ces sortes de com-
paraisons. Les histoires de Siva, de Vischnou, de
Mahadéva, de Parvati, de Kâli, de Crishna, etc.,
sont d'origine récente (relativement aux dieux vé-
diques, ou plutôt ils sont des transformations brah-
maniques des dieux védiques) propres à l'Inde et
pleines de conceptions étranges et fantastiques.
Cette mythologie récente des Pouranas (nous exami-
nerons ce point en détail) et même des poëmes épi-
ques, n'est d'aucun secours pour la mythologie
comparée ; mais tout un monde de mythologie pri-
mitive, naturelle et intelligible, nous a été conservé
dans les Védas.
« La découverte de la mythologie des Védas a
été à la mythologie comparée ce que la découverte
du sanscrit a été à la grammaire comparée. Il n'y a
heureusement aucun système de religion ou de
mythologie dans les Védas. Les noms sont employés
dans une hymne comme appellatifs, dans un autre
comme des noms de dieux. La nature des dieux est
encore transparente, et leur conception première,
dans beaucoup de cas, est clairement perceptible. Il
n'y a aucune généalogie, aucun mariage arrangé
entre les dieux et les déesses. Le père est quelquefois
le fils, le frère et le mari, et la divinité féminine
qui dans une hymne est la mère, dans une autre est
l'épouse. Les conceptions du poëte variaient, et avec
elles changeait la nature des dieux. Nulle part
l'immense distance qui sépare les anciens poëmes
de l'Inde de la plus ancienne littérature de la Grèce,
n'est plus vivement sensible que lorsque nous
comparons les mythes des Védas, qui sont tous des
mythes en voie de se faire, avec les mythes formés
et vieillis sur lesquels est fondée la poésie d'Homère.
La véritable théogonie des races aryennes (indo-
européennes) est dans les Védas.
« La théogonie d'Hésiode n'est qu'une reproduc-
tion informe de l'idée primitive. Il faut lire les Védas
pour savoir à quelle nature de conception, l'esprit
humain, bien que doué de la conscience naturelle
d'un pouvoir divin, est inévitablement amené par
la force irrésistible du langage appliqué aux idées
surnaturelleset abstraites. Pour faire comprendre aux
Indous qu'ils adorent de simples noms de phéno-
mènes naturels graduellementobscurcis, puis person-
nifiés et déifiés, il faudrait encore recourir aux Védas.
« C'était une erreur des premiers pères de
l'Église de traiter les dieux païens de démons ou de
mauvais esprits, et nous devons éviter de com-
mettre la même méprise relativement aux dieux des
Indous. Leurs dieux n'ont pas plus de droits à une
existence substantielle qu'Eos ou Emera, que Nyx ou
Apaté. Ce sont des masques sous acteurs, des
créations de l'homme et non ses créateurs ; ils sont
nomina et non numina, des noms sans» êtres, et non
des êtres sans noms. »

Après cette exposition de principes, que nous ne


voulons pas encore examiner, Max Muller étaye son
système par l'explication d'un mythe védique, d'où
il fait sortir le mythe grec de Daphné.
Nous continuons à citer :

« Ahan en sanscrit est un des noms du jour ; or,


ahan est dit-on pour dahan, comme asru, larme, pour
dasru, grec Si nous devons admettre une perte
accidentelle de ce d initial, ou bien si le d doit être
plutôt considéré comme une lettre secondaire,
introduite pour donner à la racine ah un caractère
de détermination plus marqué, c'est là une question
où. nous n'avons point à entrer pour le moment.
En sanscrit, on trouve la racine dah, qui signifie
brûler, et de cette racine on a bien pu former un
nom du jour, de la môme manière que dyu jour est
formé de dyu, être brillant. Nous n'avons pas à
examiner ici, si le gothique daga, nom dag-s, jour
dérive de ce mot. Selon la règle établie par Grimm,
daha en sanscrit devrait devenir en gothique taga et
non daga. Cependant, il y a plusieurs racines ou
l'aspiration affecte soit la première, soit la dernière
lettre, soit toutes les deux. Ceci nous donnerait dhah
comme un type secondaire de dah, et ferait ainsi
disparaître l'apparente irrégularité du gothique
daga. Bopp semble disposé à considérer daga et daha
comme identiques à l'origine. Il est certain que la
môme racine qui a formé les noms teutoniques du
jour, a aussi donné naissance au nom de l'aurore.
En allemand nous disons der morgen tagt ; en vieil
anglais, jour se disait dawe ; tandis que le verbe
exprimant l'apparition de l'aurore, était en anglo-
saxon, dagian.
« Or dans les Védas, un des noms de l'aurore est
ahana. Il ne s'y rencontre qu'une fois (R-V. 1, CXXIII, 4.)

Griham, griham, Ahanâ yâti akkha


Divé, Divé adhi nâma dadhânâ
Sisâsanti Dyotanà sasvat â agât
Agram, agram it bhagate vasûnâm.

«
Ahanâ (l'aurore) s'approche de chaque maison
Elle qui fait connaître chaque jour
Dyotana (l'aurore), l'active jeune fille revient toujours
Elle jouit éternellement du premier de tous les biens.
« Nous avons déjà vu l'aurore dans diverses
relations avec le soleil ; mais nous ne l'avons pas
encore vue comme l'amante du soleil fuyant devant
son amour, et détruite par son étreinte. C'était là
pourtant une expression très-familière dans le vieux
langage mythologique des Aryens. L'aurore est
morte dans les bras du soleil, l'aurore fuit devant le
soleil, ou le soleil a brisé le char de l'aurore, étaient
des expressions signifiant simplement, le soleil est
levé, l'aurore a disparu. Dans un hymne des Védas
célébrant les exploits d'Indra (R-V. IV, XXX) la prin-
cipale divinité solaire des Védas, voici ce que nous
lisons.
« Voici encore une forte et mâle prouesse que tu
as accomplie, ô Indra : tu frappes la fille de Dyaus
(l'aurore), une femme qu'il est difficile de vaincre.
« Oui, même la fille de Dyaus, la glorieuse, l'au-
rore, toi, Indra, grand héros, tu l'as mise en pièces.
« L'aurore se précipita à bas de son char brisé,
craignant qu'Indra le taureau ne la frappât.
« Son char gisait là brisé en morceaux ; quant à
elle, elle s'enfuit bien loin.
« Dans ce cas Indra traite bien cavalièrement la
fille du ciel ; mais dans d'autres, nous la voyons
aimée par tous les dieux brillants du ciel, sans en
excepter son propre père.
« En traduisant, ou plutôt en transcrivant lettre
par lettre Dabanâ, en grec, nous avons Daphné, et
toute l'histoire de Daphné devient ainsi intelligible.
Daphné est jeune et belle, Apollon l'aime ; elle fuit
devant lui et meurt quand il l'embrasse avec ses
brillants rayons, ou comme dit un autre poëte des
Vedas (X, CLXXXIX).
« L'aurore s'approche de lui ; elle expire dès que
l'être puissant qui illumine le ciel commence à res-
pirer. »
« Quiconque aime et comprend la nature comme
les poëtes primitifs peut se figurer encore Daphné et
Apollon, c'est-à-dire l'aurore, tremblant et se préci-
pitant à travers le ciel, puis s'évanouissant à l'ap-
proche soudaine du brillant soleil.
« La métamorphose de Daphné en laurier, est
une continuation du mythe toute particulière à la
Grèce. Daphné, en grec, ne signifiait plus l'aurore,
mais était devenu le nom du laurier. L'arbre Daphné
fut donc consacré à l'amant de Daphné, et la fable
voulut que Daphné elle-même fût changée en arbre,
quand elle pria sa mère de la protéger contre la vio-
lence d'Apollon.
« Sans le secours des Védas le nom de Daphné et
la légende qui y est attachée seraient restés inintel-
ligibles; car le sanscrit moderne ne donne aucune
clé de ce nom. Ceci prouve la valeur des Védas pour
la mythologie comparée ; une telle science avant la
découverte de ces livres ne pouvait être qu'un amas
d'hypothèses sans principes fixes, ni bases solides.
« Pour montrer de combien de manières différen-
tes la même idée peut être exprimée mythologique-
ment, je me suis borné au nom de l'aurore. L'au-
rore est réellement une des plus riches sources de la
mythologie aryenne. Une autre classe de légendes
personnifiant la lutte entre l'hiver et l'été, le retour
du printemps, le renouvellement de la nature n'est,
dans la plupart des langues, qu'un reflet et une am-
plification d'histoires plus anciennes, racontant la
lutte entre le jour et la nuit, le retour du matin et
la renaissance du monde entier. Les histoires de
héros solaires combattant au milieu de l'orage et du
tonnerre contre les puissances de l'obscurité sont
empruntées à la même source
« Ainsi le lever du soleil était la révélation de la
nature ; il éveillait dans l'esprit humain ce sentiment
de dépendance, d'impuissance, d'espoir, de joie
et de foi en des puissances supérieures, qui est la
source de toute sagesse et l'origine de toute reli-
gion. Mais si le lever du soleil inspira les premières
prières et appela les premières flammes du sacrifice,
le coucher du soleil fut l'autre moment qui émut le
plus le coeur de l'homme, qui remplit son âme
d'une sorte de recueillement mêlé de crainte. Les
ombres de la nuit approchent ; le pouvoir irrésis-
tible du sommeil saisit l'homme au milieu de ses
plaisirs, ses amis le quittent et dans sa solitude,
ses pensées se tournent de nouveau vers les puis-
sances d'en haut. Quand le jour disparaît, le poëte
se lamente sur la mort prématurée de son brillant
ami, il voit dans cette courte carrière l'image de sa
propre vie. La place où le soleil couchant se retire
dans l'occident lointain, se peint dans son esprit
comme la demeure où il ira après sa mort, où ses
pères allèrent avant lui et où les hommes sages et
pieux se réjouissent dans une nouvelle vie avec
Yama et Varouna.
« Souvent, au contraire, il considérait le soleil,
non comme un héros, dont la vie est courte, mais
comme jeune, ne changeant pas, toujours semblable
à lui-même, tandis que les hommes mortels passent,
génération après génération. Et de là, par la simple
force du contraste, la première révélation d'êtres
qui ne vieillissent ni ne déclinent, d'immortel et
d'immortalité. Alors le poëte suppliait le soleil
immortel de revenir pour accorder au dormeur un
nouveau matin.
« Le dieu du jour devenait le dieu du temps, de la
vie et de la mort. Quels sentiments le crépuscule du
soir, le frère de l'aurore, renouvelant avec une lu-
mière plus sombre les merveilles du matin, n'a-t-il
pas dû éveiller chez le poëte rêveur? Combien de
poëmes dut-il avoir inspiré dans le langage vivant
des anciens temps ? Était-ce l'aurore qui venait
encore embrasser une dernière fois celui qui le ma-
tin s'était séparé d'elle ? Était-elle la déesse immor-
telle sans cesse revenant, tandis que lui, le mortél,
le soleil, meurt chaque jour? Ou était-elle l'amante
immortelle disant un dernier adieu à son immortel
amant, brûlé pour ainsi dire sur le même bûcher
qui devait la consumer, tandis que lui il s'élèverait
au séjour des dieux.
« Supposons ces simples scènes exprimées dans le
langage des temps anciens, et nous nous trouverons
en présence d'une mythologie pleine de contradic-
tions et d'inconséquences, le même être étant repré-
senté comme mortel ou immortel, comme homme
ou comme femme, selon que l'oeil de l'homme chan-
geait de point de vue et prêtait ses propres couleurs
au jeu mystérieux de la nature. »
Voilà en quelques pages, le résumé complet des
procédés de l'école de Max Muller. Et si l'on veut
une forme plus concise encore, le professeur
d'Oxford nous la donne en quelques mots :

« Les dieux des Indous n'ont aucun droit à une existence


substantielle... ce sont des masques sans acteurs... des
noms sans êtres et non des êtres sans noms. »
En d'autres termes, et là est le point capital du
mode d'interprétation de Max Muller, les primitifs
Indous n'ont eu la conception d'aucune force divine
à titre de personnalité, les poëtes védiques comme
plus tard les mythologues de la Grèce, ont chanté
les éléments, l'infini, l'espace, l'eau, la terre, la
lumière, les vents, les nuages, les astres, l'aurore,
le soleil, etc... à l'aide de métaphores brillantes,
que l'on a eu le tort plus tard de prendre dans le
sens propre. On est arrivé à des fictions divines,
avec des formes poëtiques de langage que l'on ne
comprenait plus, et qui n'avaient été au début que
des noms sans être, nomma et non numina..
Un pareil système ne peut soutenir l'examen
scientifique, et tout le savoir de notre illustre adver-
saire ne saurait nous le faire admettre.
Que le lecteur se reporte aux hymnes que nous
venons de donner, et qu'il nous dise, s'il est possible
de croire que ces invocations au maître souverain,
à Vischnou, à Agni, à Mitra, à Varouna, etc se
soient adressées à des métaphores, à des noms sans
êtres, et si tous ces dieux auxquels s'adressaient les
poëtes védiques, leur offrant le soma, les priant de
les protéger, de leur accorder de nombreux trou-
peaux de vaches, n'avaient pas dans la pensée de
leurs adorateurs, une existence personnelle et
agissante.
Est-il rien de plus clair, de plus concluant que
l'idée renfermée dans les strophes suivantes :

« J'appelle à notre secours, le Divin, le Grand


habitant de l'air, Celui qui produit les eaux et les
plantes, l'Illustre Maître des ondes qui dispense la
pluie au moment convenable.

« L'Esprit Divin qui circule au ciel, on l'appelle


Indra, Mitra, Varouna, Agni. Les sages donnent à
l'Être unique plus d'un nom

« Le Seigneur maître de l'Univers, et rempli de


sagesse, est entré en moi, faible et ignorant, et m'a
formé de lui-même, dans ce lieu où les esprits obtien-
nent avec la science, la jouissance paisible de ce fruit
doux comme l'ambroisie.

« Il est des êtres, dit-on, qui viennent vers nous et


s'en retournent ; des êtres qui s'en retournent et qui
reviennent, ô Indra, ô Soma, les mondes éthérés
portent vos oeuvres comme un char son fardeau. »

Est-il possible de refuser à l'auteur de ces stances


une conception nette et définie de la force divine,
de l'Etre unique, souverain maître et créateur de
l'Univers. On pourra discuter éternellement sur le
point de savoir si le Rig-Véda est monothéiste ou
polythéiste, si après avoir admis cet être unique auquel
les sages donnent plus d'un nom, il ne considère les
autres dieux que comme des manifestations infé-
rieures de sa puissance, des mandataires en un
mot : mais on ne fera jamais admettre que toutes
les divinités du Rig-Véda n'ont été dans l'esprit de
ceux qui les ont créés que des noms sans êtres,
moins que des fictions, de pures métaphores.
Que les poëtes védiques aient chanté les éléments,
cela ne saurait faire l'ombre d'un doute, mais ils ne
les ont chantés que comme les manifestations
extérieures de la puissance de cet Être unique, auquel
les sages donnent plus d'un nom. Il serait par trop sin-
gulier de croire que les Indous adressaient leurs
prières, leurs voeux à des noms sans êtres. L'esprit de
système conduit à l'absurdité.
Lorsque notre adversaire soutient que les Indous
adorent de simples noms de phénomènes naturels, sous
lesquels ne se cachent aucune personnalité ; quand du
fond de son cabinet, à l'aide de l'exégèse de la nou-
velle école dont il est le chef, il condamne des mil-
lions d'hommes à s'agenouiller devant de pures
métaphores poétiques ; lorsqu'il soutient que les
dieux indous n'ont pas été créés par la fiction
religieuse, mais par des altérations de mots, par des
maladies du langage suivant sa propre expression, il
n'est ni historien, ni psychologiste, et prête au cer-
veau humain une de ces grosses rêveries alleman-
des, auxquelles arrivent les gens des bords du
Rhin, par la séquestration de leur intelligence, qui
se porte vers tout ce qui est étrange, mystique,
incompris, et la facilité avec laquelle ils poussent
jusque dans ses derniers retranchements, un raison-
nement dont les prémisses les ont séduits.
Quand nous regardons de près ces étranges
théories et que nous lisons le Rig-Véda, nous nous
demandons comment on peut les baser sur ce livre
sacré, qui n'est qu'un long chant à la Divinité.
Cent textes semblables à celui-ci pourraient en
être extraits.

« Toujours Un, quoique ayant trois formes à la


•double nature, il s'élève ! Et les prêtres offrent au
Dieu dans l'acte du sacrifice leurs prières qui arri-
vent aux cieux portées par Agni. »

Ainsi ce Dieu Un quoique ayant trois formes, possède


des prêtres, des autels, on lui offre des sacrifices, et
d'après Max Muller,
Les autels auraient été élevés à une métaphore !
Les prêtres adoreraient une métaphore !
Les sacrifices seraient offerts à une métaphore !
Et les Germains accusent les Français de légèreté
scientifique, parce que ces derniers, dans leur
amour des choses du bon sens, refusent de s'incliner
devant ces élucubrations lourdes et pédantesques.
Nous aurions tort de trop insister. Un pareil système,
qui détruit l'idée au profit du mot, qui explique l'his-
toire des transformations religieuses e+ des mythes,
par des racines et des étymologies, est condamné
à priori à l'impuissance, ce n'est pas avec des tours
de force linguistiques que l'on peut faire l'histoire de
la pensée humaine.
Nous avons d'autant plus de raison de refuser
toute importance scientifique à ce système, que son
auteur lui-même, le bat en brèche sans s'en aper-
cevoir, dans les lignes suivantes :

« Quand le jour disparaît, le poëte se lamente


sur la mort prématurée de son brillant ami, et il •

voit dans cette courte carrière l'image de sa propre


vie. La place où le soleil couchant se retire dans
l'occident lointain se présente à son esprit comme la
demeure où lui-même ira après sa mort, ou ses pères
allèrent avant lui, et où les hommes sages et pieux se
réjouissent dans une nouvelle vie avec Yama et
Varouna. »
Max Muller ne voit pas qu'avec celte simple
phrase il ruine de ses propres mains toutes ses
théories,
Il vient de soutenir que les Indous adoraient de
simples noms de phénomènes naturels, sans personnalité, que
leurs dieux étaient des masques sans acteurs, des noms
sans êtres, nomina et non numina, et le voilà maintenant
qui leur concède la notion de l'immortalité de l'âme,
et la croyance au céleste séjour « où les ancêtres sont
allés avant eux, et où des hommes sages se réjouis-
sent dans une nouvelle vie avec Yama et Va-
rouna. »
Nous serions bien tenté de demander au profes-
seur d'Oxford, si cette vie nouvelle où se réjouissent
les hommes sages n'est qu'une métaphore sans
réalité, si ces ancêtres qui sont déjà parvenus au
séjour céleste, ne sont que des excroissances lin-
guistiques, et si Varouna et Yama, les dieux des
sphères célestes, ne sont que des maladies du lan-
gage, qui s'expliquent par des altérations de radi-
caux ?.... mais il est inutile d'éterniser un débat
désormais sans objet.
L'histoire, la philosophie, la fable religieuse,
l'archéologie, l'astronomie et la philologie, prises
chacunes isolément, sont impuissantes à expliquer
les mythes qui encombrent le berceau de l'humanité ;
tel mythe en effet appartient à la conception pure-
ment religieuse, tel autre a une origine astronomi-
que ; il en est qui se dégagent de la légende, d'autres
de l'histoire, ce n'est donc que par l'accord de toutes
ces sciences, que l'on pourra arriver à la véritable
interprétation mythologique.
LES PRINCIPAUX DIEUX DES VÉDAS

Dans un ouvrage spécial sur la mythologie com-


parée, nous étudierons la formation de toutes les
primitives conceptions. des quatre grandes civili-
sations anciennes, celles de l'Inde, de la Chaldéo-
Babylonie, de l'Egypte et de la Grèce. Nous devons
nous borner dans ce livre à classifier pour ainsi dire
les dieux du Panthéon védique, et à montrer com-
ment de la conception primitive de l'Inde sont sor-
ties toutes les fables religieuses de l'humanité.

LE PANTHÉON DES VÉDAS

L'Être unique.

— L'esprit divin qui circule au
ciel de qui tout émane, dont on ne parlait qu'avec
une religieuse terreur, et dont il était interdit de
prononcer le nom mystique figuré par le monosyl-
labe composé de trois lettres représentant ses trois
attributs de création, de transformation et de conser-
vation.
A — U — M
AUM !
Suivant cette expression du Rig « les sages don-
nent à l'Être unique plus d'un nom, » les poëtes
védiques le chantent dans toutes les manifestations
de la nature.
2° Agni. — Dieu du feu, des hymnes et des sacri-
fices, la légende fait sortir de la bouche de ce dieu,
le Rig-Véda.
3° Angiras.
— Nom d'Agni, représenté comme le
pontife céleste sans cesse occupé à présenter au dieu
les sacrifices et les prières des mortels.

« Je chante Agni, le Dieu prêtre et pontife, le ma-


gnifique Agni, héraut du sacrifice.
« Agni, toi qui portes le nom d'Angiras, le bien
que tu feras à ton serviteur tournera à ton avan-
tage. »

4° Vayou. — Dieu du vent et de l'air.


5° Indra, — Dieu de l'Éther. Les poëtes védiques
le considèrent comme l'élément universel dans
lequel tout se féconde et se dissout tour à tour.
6° Mitra. — Dieu du jour.
7° Varouna. — Dieu de la nuit.
8° Les Aswins. — Deux cavaliers jumeaux, l'un est
le dieu du crépuscule du matin, et l'autre celui du
crépuscule du soir. Certains commentateur les iden-
tifient avec le soleil et la lune.
9° — Les Viswas. — Dieux protecteurs du foyer
domestique.
10° Saraswati.
— Déesse de l'éloquence et de la
prière, épouse de Brahma, un des noms du maître
des dieux.
11° Ila. — Déesse de la poésie.
12° Bhârati. — Déesse des hymnes religieux.
13° Les Vritras. — Sortes de mauvais génies tou-
jours en guerre avec Indra, comme Jupiter l'était
avec les Titans.
14° Les Marouts. — Dieux inférieurs, qui repré-
sentent les vents et qui sont sous les ordres de
Vayou.
15° Vrihaspati. — Agni personnifié dans le feu
du sacrifice. On lui attribue une légende curieuse
dont M. Langlois rend compte en ces termes :

« Au sein de la nuit, représentée par une vaste


caverne, sont enfermées les vaches célestes gardées
parles Assouras, enfants de Bala. Vrihaspati réclame
ces vaches ; une chienne divine nommée Saramâ, et
qui n'est que la voix de la prière, est envoyée à la
découverte. Indra, le dieu du ciel qui commence à
s'éclairer, marche avec les Marouts et les Angiras
(prêtres) à la délivrance de ces vaches, et il brise
la caverne, ou elles sont renfermées. De tous ces
détails on a composé une légende dont nous venons
d'indiquer quelques traits et qui peut avoir quel-
ques rapports avec la fable de Cacus. Les vaches
que j'appelle célestes me semblent être ici les rayons
du soleil. Dans d'autres passages ce mot désignera
les nuages qui répandent sur la terre l'eau, qui est
pour elle une espèce de lait. Je me trompe fort si
cette explication ne doit pas être aussi celle de l'his-
toire de la vache [o chez les Grecs, laquelle est
donnée en garde à Argus. »

16. Rakchasas. — Esprits mauvais, Devas infé-


férieurs qui se sont révoltés contre la Divinité, et
sont toujours en lutte avec les dieux et les hommes.
17. Les Apris. — Divinités féminines qui sont la
personnification des formes, qualités et manifesta-
tions d'Agni.
18. Twachtri. — Dieu de la foudre, forge les armes
célestes des dieux. C'est le Vulcain védique.
19. Les Adytyas. — Dieux des douze mois.
20. Les Ritous. — Dieux des saisons au nombre de
six.-
21. Nechtri. — Conducteur céleste, accompagne le
feu du sacrifice à la demeure d'Agni.
22. Swaha. — Personnificationde la prière, épouse
de Nachté.
23. Soma. — Dieu de la libation.
24. Les Ribhous. — Suite de demi-dieux, mortels
déifiés pour leurs bonnes oeuvres.
25. Savitri. — Un des noms de Sourya, dieu du
soleil.
26. Hotra. — Déesse de l'invocation, épouse d'Agni.
27. Varoutri. — Déesse de la prière dans cer-
taines cérémonies.
28. Dichana. — Déesse de la pensée.
29. Agnayi. — Épouse de Varouna.
30. Gandharva. — Un des noms de Sourya.
31. Aditi. — Mère de la nature.
32. Prithivi. — Déesse de la terre.
33. Détyas. — Êtres malfaisants, toujours en guerre
avec les dieux.
34. Satchi. — Déesse de la sagesse.
35. Abi. — Dieu du beau temps.
36. Vritra. — Dieu des tempêtes.
37. Samyou. — Dieu du bonheur.
38. Les Vasous. — Demi-dieux inférieurs.
39. Les Roudras. — Demi-dieux inférieurs.
40. Roudra. —Terrible dieu, sans cesse occupé à
lutter avec les vents et les orages.
41. Savya.— Fils d'Angiras, dieux des libations
domestiques.
42. Danou. — Déesse des brumes, mère de Vri-
tra.
43. Ousouas. — Dieu qui préside aux astres, réside
dans la planète Vénus.
44. Les Satwaâs. — Sortes de démons alliés des
Rakchasas.
45. Les Devas. — Demi-dieux du ciel d'Indra.
46. Trita. — Dieu des libations liquides.
47. Tchandramas. — Dieu des constellations.
48. Sourya. — Dieu du soleil.
49. Aghâ. — Déesse du mal.
50. Aghas. — Dieux des constellations.
51. Amrita. — Déesse de l'ambroisie.
52. Apsaras. — Nymphes des eaux.
53. Dieu du soleil personnifié dans le mois.
54. Brahmanaspati. — Déesse du sacrifice.
55. Les Cavyas. — Demi-dieux, mânes des ancêtres
de la race humaine.
56. Les Dasyous.— Demi-dieux géants, escaladaient
le ciel en entassant des rochers, furent précipités
par Indra.
57. Jama. — Juge des enfers.
58. Dharma. Dieu du devoir.

59. Garonda. — Fils du soleil.


60. Les Pisatchas. — Demi-dieux, esprits mauvais.
61. Pitris, Demi-dieux, mânes des ancêtres.
62. Siva. — Dieu de la décomposition.
63. Vischnou. — Dieu de la conservation.
64. Ahana. — L'aurore.

Nous n'avons fait entrer dans cette classification


que les dieux inférieurs, créés par l'imagination de
certains poëtes védiques, nommés une fois ou deux
seulement ; ils n'ont qu'un rôle d'exception dans la
mythologie des Védas et sont sans importance pour
expliquer la création des fables religieuses des In-
dous.
LA TRADITION DES VÉDAS

SA MARCHE DANS LE MONDE

Nous ne pouvons, dans cet ouvrage, reprendre


un à un les noms de tous les dieux védiques, et
expliquer le mythe qui leur a donné naissance. Ce
travail, ainsi que nous venons de le dire, exige une
étude spéciale, et cette étude qui nous occupe de-
puis de longues années, dépassera de beaucoup les
bornes d'un volume. Mais s'il ne nous est pas pos-
sible d'aborder ce sujet dans un chapitre, du moins,
pouvons-nous dégager de la légende mythique la
pensée générale qui a guidé tous les rapsodes du
Rig-Véda.
Au-dessus de l'univers se trouve l'Être souverain,
créateur de tout ce qui existe et dont le souffle —
asoura — a fécondé l'Infini.
Ce Dieu a trois formes, et reste Un, et sous ces
trois formes qui représentent des attributs, tantôt
il est désigné sous les trois noms de :

AGNI — INDRA SOURYA



Le Feu — l'Ether — le Soleil.

Tantôt et suivant le poëte qui chante, il est repré-


senté par un seul de ces noms.
L'Univers, c'est-à-dire la nature entière, a été
divinisée sous le nom d'Aditi. Et la terre mère des
hommes, sous ceux de Prisni ou de Prithivi.
Varouna vient ensuite qui représente le ciel étoilé ;
Puis Vayou, qui est l'air ;
Roudra, le vent ;
Les Marouts, les brises ;
Les Aswins, les deux crépuscules ;
Et enfin Ousha ou Dahana, l'aurore.
Voilà la conception primitive dans toute sa sim-
plicité. Et le Dieu unique aux trois formes a, au-
tour de lui, des mandataires suffisants, pour se
livrer à son oeuvre de perpétuelle fécondation, de
création constante.
Des trois formes manifestées du Dieu, Indra-Agni-
Sourya, toutes trois pourvues d'épouses, vont naître
l'armée des dieux mandataires inférieurs qui chacun
dans un rôle militant livrera le combat du bien
contre le mal, de la vie contre la mort. •
Pour beaucoup de poëtes du Rig, le Dieu Un se
manifeste surtout dans Indra, qui absorbe Agni et
Sourya et qui est le perpétuel dispensateur de la
vie.
Indra Sourya, c'est-à-dire Indra-soleil, d'après
MM. Max Grazia et Jules David, « est le dieu le plus
distinct, le plus évident, et le plus actif de tous les
dieux.... Rien n'est douteux dans sa puissance, rien
n'est équivoque dans ses diverses manifestations.
Son séjour est dans le ciel, mais son empire est aussi
bien sur la terre que dans les airs, dans l'espace qu'il
remplit, dans la nature qu'il éclaire, échauffe et
féconde. Les animaux lui doivent la vue pour se di-
riger ; les hommes l'intelligence pour le comprendre;
il donne aux montagnes leur physionomie, à la plaine
sa parure, au fleuve son scintillement, à la fleur sa
beauté, à tous les êtres, ce qui les caractérise et les
différencie. Son absence efface toutes les couleurs,
l'horizon vide, éteint tous les yeux, confond tous
les esprits, détruit toute invidualité et remplace par
un chaos temporaire l'harmonie des mondes, qui
n'est autre chose pour les hommes primitifs que la
lumière. »
Pour M. Eug. Burnouf, un maître, Indra est le sym-
bole de l'énergie de la vie fécondée par le soleil.
Voici le passage dans lequel cet éminent india-
niste explique sa pensée qui, comme une vive
lueur, éclaire toute la, primitve Mythologie védique.

« J'appelle Indra la puissance météorique du so-


leil. Ahi, Sushna, Vritra, le nuage sous ses aspects,
Marouts les vents déchaînés. Indra ne va-t-il pas
jouer dans les airs le même rôle qu'un roi puissant
à la tête de son armée? C'est le dieu de la lutte par
excellence : on l'appelle Indra, de la racine Ind, ré-
gner, Arya comme les nobles seigneurs du temps,
Sorsipa, ou beau nez, pour distinguer le chef
par ce signe de noblesse, des ennemis au nez aplati,
que l'on appelait Daysous, et que l'on nomme ici
Dàvanas ; on le nomme Kchattrya comme les princes
féodaux ; on le nomme Raja, car il est vraiment roi
des cieux ; il est Div, c'est-à-dire paré de vêtements
brillants ; il est çakra, c'est-à-dire puissant. Voici
maintenant son cortége et son oeuvre comme le
Véda nous les présente. Quand la nuit touche à son
terme, une fine lueur se répand d'en haut et com-
mence à rendre visibles les silhouettes des arbres et
des collines. L'âne s'éveille le premier et donne avis
à toute la nature que le roi du ciel est en route et
qu'il approche. C'est cette bête si belle dans les con-
trées du Midi, et dont la nôtre n'est qu'une grotes-
que dégradation, que les Aryas ont donnée pour atte-
lage aux cavaliers célestes, aux deux Açwins véridi-
ques, courriers matinaux et médecins vigilants, qui
viennent avec la clarté pour remède, guérir la nature
entière des maux et des erreurs de la nuit.

« O Aswins, écoutez l'hymne que


chantait en votre honneur un homme
errant dans les ténèbres, hymne que
que j'ai répétée en recouvrant la vue
par votre protection, auteurs de tout
bien. »
(Canivau, 1, 241, RIG.)

«Avec nos coursiers aux ailes d'or


rapides, doux innocents, s'éveillant
avec l'aurore, humides de rosée, heu-
reux et disposés à faire des heureux,
venez à nos sacrifices, comme les
abeilles au miel.

«Vos rayons avec le jour repous-


sent les ténèbres et projettent au loin
dans l'air les lueurs brillantes. Le so-
leil attelle ses coursiers. »
(Vamadéva, 1,191, RIG.)

Le char des Aswins à trois siéges, sur un desquels


est placée la fille du soleil, Arjuni, cette charmante
lumière que le regard des dieux suit avec un pur
amour; la jeune et aimable fille est emportée par
eux dans leur course circulaire.
Alors apparaît l'aurore, soeur de la nuit, elle est
sur un char éclatant, rougeâtre, elle ouvre les portes
de l'Orient, elle s'avance, elle s'étend, elle remplit
le monde de clarté.

« Ousha se dévoile comme une femme


couverte de parure, elle semble se lever
et se montrer à la vue, comme une
femme qui sort du bain. Elle a tissé la
plus belle des toiles ; et toujours jeune
elle précède à l'Orient la grande lu-
mière.
(Satyasravas, 11, 375, RIG.)

« En effet, voici le roi lui-même, voici Indra. Le


ciel n'est plus rougeâtre, les Aswins ont été plus
loin vers l'Occident, l'aurore disparaît comme eux,
c'est le cortége royal qui va venir.
« Indra est monté sur un char d'or, traîné par des
coursiers jaunes ; il est lui-même tout resplendissant
d'or ; dans la main, la foudrequi est sa flèche, sur son
char est le disque d'or, aux bords tranchants. Il a
pour cocher l'habile et prudent Matâli.
« L'escorte d'Indra est composée des Marouts,
qui sont au nombre de soixante-trois. Matari ewau,
(le chien de Matali) est leur chef ; il complète le
nombre soixante-quatre qui est celui des divisions
de la rose des vents. Les Marouts sont traînés par
des antilopes, les plus rapides des animaux. Fils de
Prisni qui est la terre montueuse, ou de Sindhou
qui est l'Indus, ils vont avec bruit autour de leur
seigneur, prêts à le soutenir dans la lutte. Du reste
eux mêmes sont tous des princes et méritent le nom
d'Arias et de Kchatryas, comme Indra qui est leur
suzerain et leur chef de guerre.
« Tout ce cortége bruyant, mouvant et lumineux,
dont les armes se choquent, et dont les fouets cla-
quent au milieu des airs, s'avance vers le foyer
d'Agni, s'y arrête un instant, y reçoit de la main du
prêtre, et par l'entremise du feu sacré, le soma, li-
queur ardente des guerriers, et les aliments solides
de l'offrande. Indra et la brillante armée des rapides
Marouts, sont prêts désormais à engager le com-
bat.
« Déjà en présence d'Indra qui s'avance, Ahi, le
serpent, fait glisser son corps vaporeux dans les airs,
et rassemble des montagnes de nuages. Sushna l'a-
ride, tient les eaux suspendues dans l'atmos-
phère, les refuse à la terre, dessèche les plaines et
les collines, tarit les fleuves, fait périr de faim et de
maladies les troupeaux et les hommes. Le sacrifice
languit, l'oeuvre de la production et de la vie semble
près de s'arrêter, les Asouras ne recevront plus les
aliments dont ils ont besoin pour accomplir sans fa-
tigue leurs fonctions divines. Tous les êtres sont in-
téressés dans la lutte. Vritra, celui qui couvre de
nuages l'atmosphère, s'est emparé des régions dont
Indra est le maître ; il y commande, il a voilé la face
du resplendissant, et a dérobé à la terre la vue de sa
majesté. Mais voici Indra qui s'avance armé de la
foudre.

A INDRA.

« Je veux chanter les antiques ex-


ploits par lesquels s'est distingué le
foudroyant Indra. Il a frappé Ahi ; il a
répandu les ondes sur la terre ; il va
déchaîner les torrents des montagnes.

« Ahi se cachait dans la montagne ;


il a frappé de cette arme retentissante,
fabriquée pour lui par Twachtri ; et
les eaux telles que des vaches qui
courent à leur étable se sont jetées au
grand fleuve.
« Magavan a pris sa foudre qu'il va
lancer comme une flèche, il a frappé le
premier né des Ahis.

« Aussitôt les charmes de ces magi-


ciens sont détruits ; aussitôt tu sembles
donner naissance au soleil, au ciel, à
l'aurore. L'ennemi a disparu devant
toi.

« Indra a frappé Vritra, le plus né-


buleux de ses ennemis. De sa foudre
puissante et meurtrière il lui a brisé
les membres, tandis qu'Ahi comme un
arbre frappé de la hache, gît étendu
sur la terre.

« Il osait provoquer le dieu fort et


victorieux; il n'a pu éviter un engage-
ment mortel, et l'ennemi d'Indra d'une
poussière d'eau a grossi les rivières.
« Privé de pieds, privé de bras il
combattait encore ; Indra de sa foudre
le frappa à la tête et Vritra tomba dé-
chiré en lambeau.

« La mère de Vritra s'abaisse ; In-


dra lui porte par dessous un coup mor-
tel, la mère tombe sur le fils. Danou
est étendue comme une vache avec
son veau.

« Le corps de Vritra ballotté au


milieu des airs agités et tumultueux,
n'est plus qu'une chose sans nom que
submergent les eaux. Cependant l'en-
nemi d'Indra est enseveli dans le som-
meil éternel.

« Indra, roi du monde mobile et im-


mobile, des animaux apprivoisés et
sauvages, armé de la foudre, est aussi
roi des hommes. Comme le cercle d'une
roue en embrasse les rayons, de même
Indra embrasse toute chose.
(Hiramyastovpa 1,57, RIG.)

« Le résultat de la bataille est que la vie est ren-


due aux animaux et aux plantes ; c'est l'oeuvre d'In-
dra, prince dispensateur des richesses, trésor iné-
puisable de l'abondance. »

On peut dire que le Rig-Véda tout entier, n'est


qu'un immense chant symbolique de cette lutte
entre la vie et la mort, entre l'esprit de la création
et l'esprit de la destruction, lutte de laquelle le pre-
mier, personnifié par Indra qui est souvent secouru
par Agni, sort toujours vainqueur.
Voilà le sens réel de la tradition du Rig-Véda.
N'en déplaise à l'école allemande, les vieux Indous
étaient arrivés depuis longtemps, au moment où ils
chantaient ces poésies, à la notion de la Divinité, de
cette divinité dont parle Dirgathamas lorsqu'il pro-
nonce ces paroles que nous avons déjà plusieurs
fois citées :

Les sages donnent à l'Être unique plus d'un nom ?

Et nous sommes d'autant plus à l'aise pour sou-


tenir que cette école prête au Rig-Véda ses propres
rêveries, que libre penseur avant tout, il nous impor-
terait fort peu, de ne point rencontrer ces notions
chez les Indous, tandis que nos adversaires, natu-
ralistes ou matérialistes purs, hommes de parti-pris
avant tout, sont obligés de soutenir le matérialisme
des Védas, sous peine de ruiner leurs propres
théories.
Ils auront beau faire et beau dire, pour tout
homme qui étudie le Rig-Véda sans système, et au
point de vue de la science pure, le Rig-Véda n'est
qu'un long cantique à la Divinité ; et c'est des tradi-
tions de ce livre, que sont sorties toutes les traditions
cosmiques et théogoniques, de la Chaldée, de
l'Égypte, de la Grèce, de Rome, de la Germanie, de
la Gaule et des pays Scandinaves.
De même que les langues de ces contrées doivent
être comparées au sanscrit, idiome indo-européen
commun, pour qu'on puisse retrouver leurs racines
et leurs formes primitives, de même tous leurs
mythes religieux doivent être comparés aux mythes
des Védas pour être compris. C'est cette dernière
oeuvre que nous essayerons d'accomplir dans notre
Étude sur la mythologie comparée.
Sur ce point nous sommes d'accord avec notre
adversaire quand il dit que :

« La découverte de la Mythologie
des Védas a été à la mythologie com-
parée, ce que la découverte du sanscrit
a été à la grammaire comparée. »

Nous ne voulons pas clore ce livre, sans montrer


à nos lecteurs que nous ne sommes pas isolés dans
cette lutte que nous soutenons contre la science
germanique à propos de l'interprétation des mythes
védiques.
Qu'on lise les lignes suivantes que nous emprun-
tons aux deux éminents indianistes cités plus haut,
et on verra que eux aussi ont trouvé la conception
divine dans son expression la plus élevée, là où
Max Muller et ses adeptes, n'ont rencontré que des
masques sans acteurs, que des noms sans êtres,
nomina et non numina.

« Quel que soit le sens réel des Védas, quel que


soit l'esprit qui les ait conçus, la foi qui les ait chan-
tés, on demeure tout étonné au point de vue littéraire,
de la sérénité du style, de la grandeur des idées, de
la fermeté des sentiments qui les caractérisent. Il
semble qu'un souffle divin ait enflammé tous ces
esprits, inspiré tous ces poëtes. On croirait à les
entendre que de leur temps la fraîcheur odorante
qui s'élevait à l'aurore, du fond des prairies, du
feuillage des arbres, du sein des fleurs avait plus de
charmes pour les sens, et de grâce pour l'esprit que
de nos jours.
« Mais si le ciel enchante les richis par ses clartés,
la terre par ses parfums, l'atmosphère par ses cou-
leurs ; si la brise qui agite les moissons, la rosée qui
diamante les herbes, le rayon naissant qui empour-
pre l'espace, jettent leur âme dans l'extase, et dirige
leurs chants vers les cieux, n'est-ce pas la preuve
indiscutable que leur coeur est poëtique et que leurs
lèvres sont sincères ? N'en ressort-il pas cette évidence
que l'humanité des premiers âges sentait instinctive-
ment la divinité sourdre de l'âme, comme une source
de la montagne? Que voulez-vous que soient ces
vents harmonieux et bienfaisants, sinon des dieux
propices, et cette atmosphère vivifiante, et ce soleil
fécondant, et cette nature si riche, et ces eaux si
utiles, c'est-à-dire tous les génies védiques, sinon
d'admirables allégories de la force, de la grandeur
et de la générosité d'un être supérieur et créateur,
qui détaille ses bienfaits avec tant de prodigalité,
que le contemplateur de sa bonté finit par s'égarer
dans ces manifestations infinies. »

Nous voilà bien loin de ces métaphores mal com-


prises, de ces maladies du langage, de ces altérations
de racines d'où l'antiquité aurait inconsciemment
tiré tous ses mythes, bien loin de cette science
systématique, qui part en guerre avec un principe
défini, et qui d'avance nons annonce qu'elle va
prouver que la vieille antiquité indoue s'est
agenouillée devant des radicaux atteints d'excrois-
sances linguistiques.
Il fallait un cerveau allemand pour s'imaginer
que toute une grande civilisation a pu courber la
tête, offrir des sacrifices et prier, sans savoir devant
qui elle se courbait, devant qui elle déposait ses
offrandes, et à qui elle adressait ses prières.

FIN
PREMIÈRE PARTIE. — Type primitif de la commune langue indo-
européenne. — Mécanisme du sanscrit 1
— Quel est le type primitif des langues indo-euro-
péennes. — Opinions des linguistes 3
Chapitre II. — Le sanscrit, langue-mère. Son mécanisme 37
DEUXIÈME PARTIE. — Les langues issues du sanscrit 97
. — Idiomes indous dérivés du sanscrit 99
— Idiomes iraniens 104
III. — Le zend 106
IV. — L'ancien perse. — Opinion sur les cunéiformes.. 108
Chapitre V. — L'arménien 112
116
Chapitre VI. — Le pehlvi ou Huzwaresche
Chapitre VII. — Le parsi et le persan 119
Chapitre VIII. — Autres dialectes iraniens. 121
Chapitre IX. — Groupe général 123
Chapitre X. — Noms de nombres issus du sanscrit 126
Chapitre XI. — Etymologies particulières 120
Chapitre XII. — Classification des langues 135
TROISIÈME PARTIE. — Les traditions indo-européennes. La tradi-
tion des Védas, son expansion dans le monde 151
La tradition des Védas 153
Hymnes diverses des Védas 155
Les traditions mythologiques des Védas 273
Les principaux dieux des Védas 299
Marche de la tradition des Védas 307

FIN DE LA TABLE DES MATIÈRES.

Imprimera . BARDIN, à Saint-Germain.


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