L'éthique Pratique
L'éthique Pratique
L'éthique Pratique
THESE
Présentée et soutenue publiquement le 24 Février 2014
En vue de l’obtention du
DOCTORAT EN SCIENCES DE GESTION
Par
JURY
M. Eric FAŸ
Professeur, HDR
EMLYON Business School
Per Ennio, mio compagno di viaggio su tutte le acque, mio soffio di vita.
REMERCIEMENTS
« C'est bien la pire folie que de vouloir être sage dans un monde de fous. »
Lorsqu’on
commence
une
thèse
–
aventure
intellectuelle
autant
que
physique
–
on
se
pose
beaucoup
de
questions.
Mais
chemin
faisant,
et
grâce
aux
présences
stimulantes
qui
nous
entourent
et
rendent
le
travail
un
peu
moins
solitaire,
nous
en
avons
encore
plus.
Et
c’est
un
bonheur,
puisque
ce
ne
sont
pas,
heureusement,
les
mêmes
questions.
On
en
ressort
grandi
par
l’effort
et
par
la
perspective
que
nous
pouvons
prendre
à
l’égard
de
nous-‐mêmes
et
de
qui
nous
étions
au
début
de
ce
processus,
et
on
découvre
la
richesse
de
l’échange,
du
dialogue,
des
discussions
que
nous
avons
pu
partager
durant
cette
période.
Ce
travail
n’aurait
pas
vu
le
jour
sans
l’encouragement,
le
soutien,
les
discussions,
l’orientation
et
aussi
le
sens
de
l’humour
de
mon
directeur
de
thèse,
Jean-‐Philippe
Bouilloud.
Merci
d’avoir
été
le
premier
à
m’accompagner
dans
ce
projet,
à
alimenter
mes
interrogations,
à
m’aider
lors
des
difficultés
d’ordre
scientifique
ou
existentiel,
à
partager
lectures,
débats,
rires,
cafés
et
discussions
pendant
tout
ce
temps.
Merci
de
ta
confiance,
patience,
écoute,
amitié
et
tout
ce
que
je
pouvais
espérer
chez
un
directeur
de
thèse.
J’espère
que
bien
d’autres
moments
d’échange
suivront
dans
cette
carrière
académique
dont
tu
es
pour
moi
le
modèle
et
l’inspiration.
Merci
à
Jean-‐François
Chanlat,
Hervé
Corvellec,
Ghislain
Deslandes,
Eric
Faÿ,
et
Anne
Gratacap
de
me
faire
l'honneur
de
faire
partie
de
mon
jury
de
thèse.
Votre
regard
sur
mon
travail
est
le
premier
horizon
auquel
je
suis
heureuse
de
me
confronter
en
toute
humilité
et
en
espérant
déclencher
des
occasions
d’échanges
futurs.
Je
vous
remercie
sincèrement
pour
le
temps
que
vous
avez
consacré
à
mon
travail,
et
pour
vos
questions
et
conseils
qui
ont
déjà
su
(lors
de
la
pré-‐
soutenance)
et
continueront
à
me
donner
des
impulsions
pour
l’améliorer.
Merci
à
Jean-‐Michel
Saussois,
Directeur
du
programme
Ph.D
de
l’ESCP
Europe
lors
de
mon
entrée,
pour
sa
confiance
initiale
qui
m’a
permis
de
m’embarquer
dans
cette
aventure:
merci
d’avoir
cru
en
mon
potentiel
et
en
mon
profil
‘atypique’.
Merci
à
Jean-‐François
Lemoine,
Directeur
de
l’Ecole
Doctorale
de
Management
Panthéon
Sorbone
et
à
Olivier
Badot
en
sa
qualité
de
Doyen
associé
à
la
recherche
de
l’ESCP
Europe.
Un
grand
merci
aussi
à
Hervé
Laroche,
qui
a
poursuivi
le
travail
de
directeur
du
programme
PhD,
à
l’écoute
de
nos
besoins
en
tant
que
doctorants,
nous
poussant
toujours
à
nous
dépasser,
en
soutenant
nos
projets,
en
nous
aidant
à
nous
envoler.
Merci
particulièrement
à
Yvon
Pesqueux,
dont
les
précieux
conseils
et
lectures
attentives
ont
grandement
amélioré
ce
travail.
A
‘Marie’,
et
à
toute
son
équipe
au
sein
de
‘BUF-‐BI’
et
en
particulier
‘Clément’,
merci
de
m’avoir
ouvert
les
portes
si
précieuses
de
votre
métier,
de
votre
pratique,
de
votre
expérience,
de
votre
vécu,
de
m’avoir
consacré
du
temps
et
de
l’intérêt
pour
ma
recherche
avec
autant
de
générosité,
d’humanité,
de
gentillesse,
de
professionnalisme.
Le
temps
que
j’ai
passé
parmi
vous
fut
une
grande
leçon
de
vie
pour
moi.
Merci
aussi
aux
«
banquiers
masqués
»
du
Think
Tank
Banque
et
Société,
initiation
ô
combien
passionnante,
au
monde
bancaire
!
I
am
so
grateful
to
Roy
Suddaby,
who
opened
the
door
for
me
to
spend
a
wonderful
visiting
period
at
the
University
of
Alberta
as
part
of
the
CEFAG
program.
Your
advice
and
the
talks
we
had
both
in
Canada
and
in
Paris
were
inspiring
and
very
helpful
for
my
thesis.
You
greatly
helped
me
to
make
a
leap
into
the
after-‐thesis
academic
life
and
I
am
so
happy
that
this
fruitful
relationship
is
yeilding
new
projects.
ii
Merci
à
Véronique
Steyer,
pour
ce
chemin
partagé
depuis
le
tout
début,
car
ta
présence
fut
inestimable
:
on
a
tout
vu
pendant
ces
années
et
appris
à
voir
autrement
ensemble
pour
tout
redécouvrir,
souvent
angoissant
mais
aussi
passionnant
!
Merci
à
Sébastien
Picard
:
si
tu
n’avais
pas
cru
en
moi
avec
autant
d’entêtement
ce
travail
aurait
difficilement
abouti,
et
ma
vie
professionnelle
serait
toute
autre.
Merci
pour
ta
capacité
à
me
sortir
de
mes
préjugés
et
d'accepter
de
partager
la
plume,
quel
défi
et
quel
bonheur
d’avoir
trouvé
en
toi
un
co-‐auteur
et
un
ami
aux
milles
projets
!
Merci
Xavier
Philippe,
Emilie
Bérard,
et
Pilar
Acosta
:
à
des
moments
différents
et
parfois
dans
la
distance,
nous
avons
suivi
le
même
chemin,
et
votre
empreinte
est
particulièrement
forte
non
seulement
dans
ce
travail
mais
aussi
pour
la
suite.
Anna,
Karina,
Christelle,
Jean,
Charles-‐Henri,
Renata,
Aurélie,
Samer,
Magali,
Inés,
Florence,
et
les
autres
doctorants
que
je
regrette
n’avoir
pu
côtoyer
d’avantage,
Guillaume,
Cylien,
Isabelle,
François-‐René,
Elsa,
Emmanuelle,
Xavier,
Stéphane,
Andrew,
Anissa,
Violette,
mais
aussi
les
doctorants
du
CEFAG
promo
2011
et
en
particulier
Julie
Bastianutti…
nous
partageons
une
folie
commune,
et
je
suis
convaincue
qu’une
thèse
est
autant
le
fruit
d’un
soutien
amical
que
d’un
dur
travail
individuel.
Merci
à
tous
pour
les
pauses
thé/café,
les
discussions
sur
skype,
les
PhD
happy
hour,
pour
vos
questions,
critiques,
remarques,
blagues,
suggestions
et
tout
simplement
pour
votre
présence,
inestimable,
aux
cinquième
et
sixième
étages
des
Bluets.
Merci
également
aux
autres
professeurs
qui
m’ont
accompagnée,
formée,
écoutée
et
conseillée,
en
particulier
Aurélien
Acquier,
Jérémy
Morales,
,
Hervé
Dumez,
Christina
Garsten
et
Laure
Cabantous,
et
dans
le
cadre
du
CEFAG
en
particulier
Cedric
Lesage
et
Xavier
Lecocq:
votre
aide
a
été
précieuse,
votre
exemple
inspirant.
Un
grand
merci
aussi
à
celles
qui
rendent
possible
le
PhD
au
jour
le
jour
:
Marie-‐Andrée
Lannerey
et
Christine
Rocque
pour
leur
soutien
quotidien.
Gracias
à
ma
famille,
Fernando
y
Patricia,
Luis
Pablo,
Mariano
y
Carmen,
Julio,
Julia
y
tia
Lupe
:
vous
m’avez
poussé
dès
le
plus
jeune
âge
à
m’ouvrir
à
d’autres
langues,
cultures,
pays,
pensées
et
à
croire
avant
tout
en
l’homme,
en
la
force
des
idées
et
en
la
créativité
libre
à
laquelle
nous
sommes
appelés…
le
plus
beau
des
héritages.
Toujours
là,
dans
la
distance,
dans
mon
lointain
intérieur.
Grazie
à
ma
famille
italienne,
qui
m’a
adoptée
et
suivie
durant
les
péripéties
de
cette
escalade.
Merci
à
tous
ceux
qui
ont,
de
près
ou
de
plus
près,
participé
de
cette
aventure
en
amitié,
en
pensées,
en
actes
et
en
tant
qu’inspiration
:
Clément,
ami
de
correspondances
et
écho
de
mes
idéaux
;
Beverly,
Alain,
Laure,
mes
étudiants,
le
groupe
des
Etudes
Sociales
de
la
Finance
et
en
particulier
Marc
Lenglet.
Merci
aussi
pour
leur
confiance
à
mes
nouveaux
collègues
à
EMLYON,
et
en
particulier
Françoise
Dany,
Eric
Faÿ,
et
Fabienne
Autier,
qui
m'ont
ouvert
les
portes
de
leur
équipe
pour
continuer
à
développer
les
fruits
de
ce
travail
et
de
nouvelles
recherches
à
leurs
côtés.
Ennio,
ma
plus
grande
folie,
c’est
à
toi
que
je
dois
d’avoir
tenu
jusqu’au
bout
:
présent
de
mille
manières
au
cours
de
cette
période
qui
est
aussi
le
début
de
notre
vie
ensemble,
à
travers
ta
patience,
tes
encouragements,
ta
compréhension,
tes
rires,
ton
aide,
et
tes
bras,
toujours
ouverts.
Merci
de
dire
oui
chaque
jour
à
ce
présent
de
l’éternité
ensemble.
On
entend
dire
qu’il
faut
être
fou
pour
faire
une
thèse
–
peut-‐être,
du
moins
un
peu.
Merci
à
tous
d’avoir
supporté
avec
patience,
provoqué
avec
bienveillance,
questionné
avec
sens
critique,
diversifié
avec
richesse,
consolé
malgré
la
distance,
et
surtout
partagé
avec
amitié
mes
différents
moments
de
folie.
Que
ce
grain
(de
folie)
puisse
continuer
à
porter
fruit
chez
chacun
de
nous,
à
sa
manière.
Mar
iii
RÉSUMÉ
DE
LA
THÈSE
Qu'en
est-‐il
de
l'éthique
dans
les
banques?
Depuis
le
début
de
la
crise
financière
initiée
en
2007,
cette
question
a
de
plus
en
plus
envahi
les
préoccupations
médiatiques
et
académiques,
et
a
également
déclenché
ce
travail
de
thèse.
Par
delà
l’effervescence
du
contexte
de
crise
d’une
part,
et
en
évitant
toute
approche
normative
d’autre
part,
cette
thèse
se
penche
sur
la
fabrique
de
l’éthique,
sur
l’éthique
au
travail
et
à
l’œuvre
dans
les
processus
d’organisation
et
les
organisations,
c’est
à
dire
conçue
avant
tout
comme
pratique.
Nous
proposons
une
lecture
qui
considère
l’éthique
en
situation,
sous
l’angle
de
la
pratique
et
non
simplement
celui
ni
des
discours
ni
des
normes
et
leur
application
conforme.
Ceci
nous
permet
justement
d’appréhender
de
manière
transversale
et
intégrée
le
lien
entre
l’éthique
comme
processus,
ces
discours
et
ces
normes
au
sein
même
des
processus
d’organisation.
A
travers
une
étude
ethnographique
dans
une
cellule
Conformité
dédiée
à
la
lutte
anti-‐blanchiment
d'une
des
principales
banques
d'investissement
françaises,
nous
explorons
la
fabrique
et
le
travail
de
‘l'éthique
comme
pratique
située’.
Nous
proposons
et
définissons
ce
syntagme
pour
aborder
l'éthique
en
tant
que
phénomène
organisationnel,
que
nous
définissions
comme
1)
complexe
que
dynamique,
2)
embarqué
simultanément
aux
niveaux
micro
(au
sein
de
sujets
moraux),
méso
(dans
des
organisations
humaines)
et
macro
(au
niveau
institutionnel),
et
3)
dans
un
rapport
de
rétro-‐alimentation
par
rapport
à
sa
situation.
Le
contexte
de
conformité
bancaire
est
un
milieu
privilégié
pour
cette
étude,
surtout
en
temps
de
crise
financière
et
de
valeurs,
car
il
exacerbe
les
tensions
et
les
enjeux
concrets
qui
défient
la
pratique
quotidienne
de
l'éthique
en
rapport
constant
avec
la
norme,
les
risques
et
l’impératif
de
conformité.
iv
ABSTRACT
OF
THE
DISSERTATION
Whither
ethics
in
banking?
This
question
has
increasingly
pervaded
media
and
academic
concerns
since
the
outbreak
of
the
2007
financial
crisis,
and
has
also
triggered
this
dissertation.
Beyond
the
current
turmoil
on
the
one
hand,
and
avoiding
a
normative
approach
on
the
other,
this
study
focuses
on
ethics
in
the
making,
on
ethics
at
work
in
organizing
and
organizations,
that
is
and
ethics
understood
essentially
as
practice.
Our
perspective
considers
ethics
in
situ,
from
a
practice
and
situational
approach
and
not
solely
from
either
the
standpoint
of
discourse
or
that
of
norms
and
their
effective
compliance.
This
allows
us
precisely
to
apprehend
in
a
transversal
and
integrated
way
the
link
between
ethics
as
process
and
such
discourses
and
norms
within
organizing.
Through
an
ethnographic
study
of
a
major
French
Investment
Bank's
Anti-‐Money
Laundering
Compliance
unit,
this
thesis
focuses
on
ethics
in
the
making,
and
the
work
of
‘ethics
as
situated
practice’.
We
propose
and
define
this
syntagma
to
consider
ethics
as
an
organizational
phenomenon,
which
we
define
as
1)
complex
and
dynamic,
2)
simultaneously
embedded
at
the
micro
(within
moral
subjects),
meso
(within
human
organisations)
and
macro
(at
the
institutional
level),
and
3)
in
an
engaged
loop
circling
back
to
its
situation.
The
context
of
banking
compliance
is
of
great
relevance
for
this
study,
particularly
in
times
of
financial
and
values
crisis,
since
it
exacerbates
the
specific
tensions
and
stakes
that
challenge
on
a
daily
basis
ethics
in
its
constant
relation
with
norms,
risks
and
the
imperative
of
compliance.
v
SOMMAIRE
DE
LA
THESE
vi
4.1.1.
Choix
et
cheminements
:
prolégomènes
à
l'étude
terrain
4.1.2.
Des
paradigmes
aux
problèmes
épistémologiques
et
explicitation
de
notre
démarche
4.1.3.
Mise
en
abîme
:
questions
d'éthique
d'une
chercheuse
en
éthique
4.2.
La
démarche
ethnographique
et
sa
justification
4.2.1.
Une
démarche
interprétative
par
immersion
4.2.2.
Etudier
l'éthique
en
situation
4.3.
Mise
en
place
du
«
travail
»
ethnographique
et
d'analyse
4.3.1.
Conditions
de
l'étude
4.3.2.
Le
«
travail
»
ethnographique
:
analyse
d'un
cheminement
4.3.3.
Traitement
du
matériau
recueilli
Conclusion
de
la
première
partie
:
En
deçà
du
Bien
et
du
Mal
:
une
éthique
à
'bricoler'
in
situ,
questions
de
recherche
et
cheminement.........................................253
Deuxième
partie
:
Dynamique
transversale
d’une
éthique
comme
pratique
située
à
plusieurs
niveaux....................................................................................................................258
Chapitre
5
:
Analyse
de
premier
niveau
:
Etude
d'une
cellule
de
conformité
dédiée
à
la
lutte-‐anti-‐blanchiment
dans
une
Banque
d’Investissement
Française............259
5.1.
Présentation
synthétique
du
cas
BUF-‐BI
5.1.1.
BUF
5.1.2.
BUF-‐BI
5.1.3.
L'organisation
de
la
fonction
KYC-‐AML
au
sein
de
BUF
5.2.
Phase
1-‐A
:
Observations
sur
le
mode
non-‐participant
5.2.1.
L'équipe
5.2.2.
Déroulé
de
l'observation
5.2.3.
Contexte
5.2.4.
Fin
de
la
période
d'observation
non-‐participante
(phase
1-‐A)
5.3.
Phase
2-‐A
:
Observations
sur
le
mode
participant
5.3.1.
Déroulé
du
stage
5.3.2.
Evolution
de
l'équipe
5.3.3.
Contexte
5.3.4.
Fin
de
la
période
d'observation
participante
(phase
2-‐A)
5.4.
Synthèse
et
rappel
du
cheminement
de
l'analyse
à
suivre
Chapitre
6
:
«
Servir
deux
maitres
»
:
Dimension
organisationnelle
et
managériale
de
l’éthique
comme
pratique
située....................................................................................308
6.1.
L'organisation
du
travail
de
la
conformité
au
quotidien
6.1.1.
Différentes
perceptions
sur
le
travail
de
la
conformité
6.1.2.
Ce
qu'ils
font
concrètement
:
Bricoler
leur
chemin
dans
la
contradiction
comme
organizing
6.2.
Discussion
:
Servir
deux
maîtres
en
pratique
6.2.1.
L'organisation
comme
système
paradoxant
6.2.2.
Du
bricolage
à
la
médiation
6.2.3.
Perspectives
vii
Chapitre
7
:
Entre
Confort
et
Conformité
:
Le
travail
de
l’éthique
comme
pratique
située
et
incarnée
au
niveau
du
sujet..................................................................................345
7.1.
Le
vécu
de
la
conformité
au
quotidien
7.1.1.
Le
travail
de
la
conformité
:
la
question
de
la
mise
en
pratique
effective
des
règlementations
7.1.2.
Incarner
la
conformité
7.2.
Discussion
:
agir
entre
confort
et
conformité
7.2.1.
La
zone
de
confort
:
une
proposition
conceptuelle
7.2.2.
Du
découplage
au
recouplage
par
le
confort
et
le
niveau
individuel
7.2.3.
Perspectives
Chapitre
8
:
Le
Même
et
l'Autre
comme
objets
de
gestion
:
l’encastrement
institutionnel
de
l’éthique
comme
pratique
située........................................................385
8.1.
L'encastrement
institutionnel
de
la
conformité
8.1.1.
La
situation
institutionnelle
de
la
conformité
bancaire
8.1.2.
La
construction
de
la
souillure
:
un
travail
doublement
situé
8.2.
Discussion
:
la
construction
située
du
Même
et
de
l'Autre
comme
objets
de
gestion
8.2.1.
La
situation
d'éthique
est
aussi
institutionnelle
8.2.2.
Conclusions
intégratives
et
perspectives
Conclusion
:
Par
delà
le
Bien
et
le
Mal,
le
Travail............................................................412
Annexes..........................................................................................................................................429
Bibliographie...............................................................................................................................467
Table
détaillée
des
matières
..................................................................................................501
viii
LISTE
DES
FIGURES
Figure
1:
Word
Cloud
.......................................................................................................................................
3
Figure 5 : Schéma de la structure de la thèse. .................................................................................... 31
Figure 9: Présentation de l'Association des Etudes Sociales de la Finance...........................91
Figure 10: Incipit de Favarel-‐Garrigues et al. (2009): Les Sentinelles de l'Argent Sale .. 112
Figure
11:
Van
Reymerswaele.
Le
Changeur
et
sa
femme.
1539.
Musée
du
Prado,
Madrid
....................................................................................................................................................................
115
Figure 12: Q. Metsys. Le Prêteur et sa femme, 1514. Musée du Louvre. Paris ................... 115
Figure 14: Tableau sur les apports des perspectives critiques à l'éthique des affaires 144
Figure 15: Le Midrash, ou faire parler le texte 'vivant' ............................................................... 147
Figure
16:
Les
dimensions
d'une
anthropologie
des
organisations,
d'après
Chanlat,
2011a
.......................................................................................................................................................
166
Figure 17: Etapes de la thèse et éléments de contexte ................................................................ 227
Figure 18: Détail des quatre temps de l'étude ethnographique .............................................. 228
Figure 19: Communications et papiers scientifiques sur notre recherche doctorale .... 245
Figure 21: Extraits du Code de Conduite de BUF (BUF-‐G3) ..................................................... 261
Figure
23
:
Schéma
de
la
disposition
des
bureaux
........................................................................
271
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
Figure 25: Document en vue d'obtenir un certificat de conformité AML ............................ 309
Figure 30 : Organigramme montrant la position de l'équipe ................................................... 322
Figure 31: Relations de confiance dans notre étude de cas ....................................................... 336
Figure
32:
Reconstitution
de
l'évolution
de
l'organisation
des
dossiers
depuis
la
création
de
l'équipe
KYC-‐AML
........................................................................................................................
352
Figure 33: Nouveau workflow reconstitué des dossiers KYC-‐AML ....................................... 354
Figure 34: Matrice sur les interactions entre confort et conformité sur les dossiers ... 361
Figure 36: Détails du workflow selon la nouvelle organisation .............................................. 392
Figure 37: Hard versus Soft law: some defining differences (Djelic, 2011:52) ................ 393
Figure 38: Le propre et le sale dans les sphères du Même et de l'Autre .............................. 404
Figure 39: Tableau récapitulatif des apports multiniveaux de notre recherche .............. 420
Figure 40: Première Newsletter de l'équipe KYC-‐AML (page 1) ............................................. 444
2
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
Figure
1:
Word
Cloud1
…était
une
confusion,
un
sentiment
d’étrangeté,
d’être
perdus.
Nous
nous
sentions
véritablement
«
lost
in
translation
»2,
au
cœur
d’un
«
labyrinthe
moral
»3
et
de
vocabulaire.
Notre
premier
rapport
au
sujet
et
à
la
recherche
doctorale
fut
taxinomique
:
l’éthique
des
affaires
et
dans
les
affaires
était
un
sujet
dont
on
parlait.
Et
on
en
parlait
beaucoup,
chercheurs
comme
praticiens,
politiciens
comme
citoyens.
La
prolifération
de
mots
nouveaux
au
cours
des
trois
dernières
décennies
–
tels
que
responsabilité
sociale
de
l’entreprise
(RSE 4 ),
conformité 5 ,
développement
durable,
1
Image
tirée
de
www.123rf.com
2
Cf.
Film
du
même
nom
de
Sofia
Coppola
(2003),
que
nous
prenons
comme
métaphore.
3
Nous
faisons
référence
au
titre
Moral
Mazes
de
R.
Jackall
(2010),
référence
théorique
et
méthodologique
majeure
pour
ce
travail.
4
L’ensemble
des
abréviations
et
acronymes
sont
répertoriés
dans
l’annexe
1.
5
Les
principaux
mots
techniques
utilisés
font
l’objet
d’une
définition
dans
le
glossaire
(annexe
2).
3
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
La
crise
financière
de
2007
:
élément
déclencheur
Et
puis,
il
y
a
eu
la
crise
financière
de
2007-‐2011,
et
le
constat
péjoratif
de
non-‐
sens
de
l’éthique
semblait
confirmé
:
«
il
n’y
a
pas
d’éthique
dans
la
finance
et
il
faut
plus
de
régulation
»,
était
un
des
doubles
messages
qui
envahissaient
le
terrain
discursif
médiatique
et
organisationnel.
Les
médias
et
en
particulier
l’industrie
du
divertissement
audiovisuel
(cinéma,
séries
télévision),
offraient
déjà
en
tant
que
tels
des
pistes
intéressantes
(cf.
Godechot,
2011c):
rien
que
durant
les
années
qu’a
duré
ce
4
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
travail,
nous
recensons
au
moins
7
films
grand
public
sous
la
forme
de
fiction
ou
documentaire
qui
abordent
avec
fascination
la
question
du
monde
financier
en
général
ou
bancaire
en
particulier
sous
l’angle
moral
(Capitalism,
a
love
story
de
Michael
Moore
sorti
en
2009,
Wall
Street
2
:
money
never
sleeps
de
Oliver
Stone
sorti
en
2010,
Krach,
de
Fabrice
Genestal
sorti
en
2010,
Cleveland
contre
Wall
Street
de
J.S.
Bron
sorti
en
2010
;
Job
de
Charles
Fergusson
sorti
en
2010,
et
Margin
Call
de
J.C.
Chandor
sorti
en
2011,
The
Wolf
of
Wall
Street,
de
Martin
Scorsese
à
sortir
fin
2013),
ainsi
que
de
nombreuses
expressions
humoristiques
dans
les
journaux,
ou
à
la
télévision
(par
exemple
John
Bird
et
John
Fortune
en
Angleterre
depuis
2007,
avec
des
«
entretiens
de
banquiers
»
dans
leurs
sketchs
Silly
Money6).
Ceci
fait
écho
à
une
récente
annotation
que
font
Treviño
et
Nelson
(2007:4)
sur
le
fait
que
près
de
30%
des
criminels
dans
les
séries
étasuniennes
sont
des
dirigeants
d’entreprise,
ce
qui
révèle
en
effet
la
fascination
de
nos
sociétés
contemporaines
pour
les
questions
éthiques
dans
les
affaires
en
général
et
dans
le
monde
financier
en
particulier.
Au
delà
de
la
crise,
des
interrogations
plus
profondes
Pendant
cette
crise,
préciser
le
lien
entre
éthique
et
normes
et
entre
éthique
et
risques,
dans
la
pratique
quotidienne
des
métiers
bancaires
apparaissait
comme
une
préoccupation
urgente,
et
des
questions
plus
spécifiques
ont
commencé
à
peupler
l’horizon
médiatique,
social
et
intellectuel,
dominés
par
une
double
approche
utilitariste
et
téléologique
:
A
quoi
sert
l’éthique?
À
quoi
sert
une
banque?
Qu’est-‐ce
que
l’éthique
?
Qu’est
ce
qu’une
banque
?
Dès
que
la
nature
de
la
relation
réciproquement
vitale
entre
les
affaires
et
la
société
devient
problématique,
nous
nous
retrouvons
dans
ce
qu’on
qualifie
de
situation
de
crise.
Depuis
2007,
la
pandémie
économique
mondiale
initiée
par
la
crise
des
subprimes
aux
Etats-‐Unis
a
provoqué
une
série
d’interrogations
concernant
la
légitimité
sociale
de
certaines
institutions
et
pratiques,
révélant
la
défiance
généralisée
envers
le
secteur
bancaire
et
financier.
Partout
dans
le
monde,
les
gouvernements
se
sont
précipités
pour
tenter
de
‘sauver’
certaines
organisations
tout
en
sacrifiant
d’autres,
et
de
remodeler
le
paysage
de
l’industrie
financière,
son
business-‐as-‐usual
et
son
cadre
réglementaire.
Cette
crise
pouvait
donc
être
qualifiée
comme
telle
à
plus
d’un
titre,
car
elle
regroupait
de
nombreux
éléments
:
financière
et
économique
bien
entendu,
mais
aussi
organisationnelle,
institutionnelle,
sociale,
de
confiance
et
de
valeurs.
On
assistait
6
Disponible
sur
www.youtube.com
(pour
la
référence
URL
exacte,
voir
la
bibliographie).
5
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
à
une
mise
en
question
plus
générale
de
la
fonction,
du
rôle
(Mueller
&
Whittle,
2012),
des
pratiques,
voire
de
l’existence
même
des
banques
sous
certaines
formes.
En
effet,
lorsqu’on
pose
les
questions
«
qu’est-‐ce
qu’une
banque
est
supposée
être
et
faire
?
A
quoi
est-‐elle
sensée
servir
?
»
nous
ne
sommes
plus
dans
la
phase
de
gestion
de
crise
à
proprement
parler.
Celles-‐ci
sont
des
questions
institutionnelles
et
téléologiques
qui
mettent
au
défi
la
nature
et
la
légitimité
même
des
banques
et
du
système
financier.
Dans
les
médias,
on
parlait
tout
autant
du
manque
d’éthique,
du
manque
de
régulation,
et
plus
largement
de
gestion
des
risques
dans
leur
ensemble,
comme
des
éléments
à
l’origine
de
la
crise
financière.
Or,
rappelons
à
la
suite
d’un
de
nos
interlocuteurs
sur
le
terrain,
que
le
secteur
bancaire
est
déjà
–
et
traditionnellement
–
très
fortement
régulé
sur
certains
aspects,
bien
que
nettement
moins
sur
d’autres.
En
2010,
les
accords
de
Bâle
III
sont
d’ailleurs
venus
appuyer
l’urgence
de
certaines
règlementations
suite
à
cette
crise.
Les
risques,
en
particulier
ceux
à
portée
systémique,
mal
réglementés
et/ou
gérés
aboutissent
lors
d’une
crise
à
des
effets
néfastes
non
seulement
sur
le
plan
économique,
mais
aussi
sociétal
ruinant
la
confiance
dans
le
système
(Gephart
et
al.
2009
;
Pluchart,
2011),
constituant
de
ce
fait
un
‘mal’
que
la
gestion
des
risques,
les
cadres
règlementaires,
et
une
certaine
responsabilité
sociale
sont
sensés
empêcher,
cadrer,
voire
sanctionner
en
cas
de
contournement.
Mais
lorsqu’on
dit
qu’il
n’y
a
pas
d’éthique
dans
la
finance,
est-‐ce
uniquement
de
cela
qu’on
parle
?
En
quoi
est
ce
que
l’absence/défaillance
de
régulation
et
de
gestion
des
risques
constitue
un
problème
d’éthique,
dans
le
champ
financier
ou
dans
les
affaires
en
général
?
Les
dispositifs
en
effet
existent
et
se
multiplient,
mais
leur
mise
ou
non
en
pratique,
et
la
manière
dont
ils
sont
mis
en
pratique
du
point
de
vue
des
comportements
et
des
pratiques
organisationnels
restent
à
éclaircir.
Ce
fut
le
point
de
départ
pour
la
construction
d’une
problématique
gestionnaire
–
et
non
pas
normative
–
sur
l’éthique.
L’automne
2007
marque
un
tournant
important
dans
ce
travail,
et
ceci
à
un
double
titre
:
la
crise
des
subprimes
et
les
conséquences
sur
l’économie
et
la
finance
qu’on
connait
commencèrent
à
être
révélées
au
grand
public,
d’une
part,
alors
que
nous
nous
apprêtions
à
commencer
les
recherches
préliminaires
de
Master
2
qui
mèneraient
à
ce
travail
doctoral
sur
le
domaine
vaste
et
problématique
de
l’éthique
des
affaires
d’autre
part.
L’éthique
était
en
crise,
le
monde
de
la
finance
aussi.
Le
point
focal
et
l’arrière
fond
empirique
pour
ce
travail
se
sont
alors
imposés
comme
une
opportunité
contextuelle
à
saisir
et
à
partir
de
laquelle
construire
notre
problématique
de
recherche.
6
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
A .
"QU'EN
EST-‐IL
DE
L'ETHIQUE
DANS
LES
BANQUES?":
RENVERSEMENT
D'UNE
INTERROGATION
ET
DEFINITION
DE
NOTRE
SUJET
COMME
L 'ETUDE
DU
TRAVAIL
DE
L 'ETHIQUE
C OMME
P RATIQUE
S ITUEE
7
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
7
Voir
sur
ce
point
la
figure
13:
Etapes
de
la
these
et
elements
de
contexte,
ainsi
que
le
début
de
la
conclusion
finale
de
la
these
“De
la
bourse
de
Paris
à
la
place
Syntagma
et
à
Wall
Street”.
8
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
8
“Whither
Banking
Ethics?”
fut
également
le
titre
d’une
communication
sur
nos
avancements
à
la
conférence
EBEN
(European
Business
Ethics
Network)
en
septembre
2010,
ainsi
que
dans
le
séminaire
doctoral
qui
l’a
précédé
pendant
lequel
nous
avons
bénéficié
des
commentaires
avisés
du
Pr.
Tobias
Goessling
(Tilburg University),
et
des
doctorants
participants.
A
l’époque
nous
venions
d’achever
la
première
phase
du
terrain.
9
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
soi
»
(Chanlat,
2009)
au
point
qu’on
pourrait
presque
considérer
que
nous
sommes
dans
une
‘société
de
l’éthique’.
Mais
d’autre
part,
jamais
elle
n’a
été
plus
en
crise,
et
on
peut
effectivement
se
demander
à
la
suite
de
Brasseur
et
de
ses
collègues
(2012)
qu’est-‐
ce
qui
précisément
est
à
la
mode
:
est-‐ce
l’immoralité
ou
sa
condamnation
?
Et
s’il
s’agit
d’une
mode,
devons
nous
donc
nous
attendre
à
ce
que
son
caractère
éphémère
la
rende
tôt
ou
tard
démodée
?
Mais
plus
profondément,
que
signifie
le
management
sans
l’éthique,
en
tant
que
les
deux
peuvent
se
définir
(au
moins
minimalement)
comme
un
art
d’orienter
l’action,
en
articulant
l’individu
et
le
collectif
?
Et
réciproquement,
peut-‐on
concevoir
une
éthique
indépendamment
de
sa
dimension
pratique,
comme
une
idée
morale
purement
abstraite
ou
idéale?
Ce
travail
interroge
donc
le
lien
–
épistémique
et
empirique
–
entre
l’éthique
et
sa
mise
en
pratique
effective,
à
travers
le
cas
de
la
conformité
bancaire.
On
se
propose
d’explorer
le
champ
complexe
et
souvent
controversé
de
l’éthique
des
affaires
en
tant
qu’il
est
confronté
par
les
défis
d’une
mise
en
pratique
tout
autant
complexe
et
controversée,
et
qu’on
qualifie
souvent
de
découplage
ou
d’écart.
A
la
suite
de
l’image
utilisée
par
Jackall
(2010),
nous
abordons
la
question
de
l’éthique
dans
les
banques
comme
un
puzzle
à
reconstruire,
dans
lequel
nous
allons
naviguer
le
temps
de
cette
thèse.
Nous
le
ferons
avec
comme
arrière
plan
la
crise
financière
2007-‐2011,
et
l’envergure
systémique
à
laquelle
a
été
confronté
le
secteur
financier,
qui
a
remis
en
question
le
rapport
entre
éthique
et
pratique
du
milieu
des
affaires
en
général.
Mais
quel
est
donc
ce
rapport
?
De
prime
abord,
on
peut
légitimement
poser
la
question
s’il
s’agit
là
d’une
contradiction
dans
les
termes
ou
au
contraire
d’une
redondance.
En
voyant
ces
deux
notions
ensemble
–
éthique
et
pratique
des
affaires
–
le
premier
réflexe
est
souvent
celui
de
supposer
que
l’une
et
l’autre
s’opposent,
s’excluent
mutuellement,
ou
du
moins
relèvent
de
domaines
parallèles
qui
ne
se
confondent
pas.
S’agit-‐il
d’incompatibilité
?
Si
oui,
dans
quelle
mesure
et
par
rapport
à
quels
aspects
?
Y-‐
a-‐t-‐il
d’autres
faces
à
cette
association
qui
permettraient
d’éclairer
son
caractère
problématique
?
Ce
premier
réflexe
s’invite
assez
naturellement
chez
quiconque
aura
vécu
cette
crise,
ou
est
familier
avec
la
longue
liste
de
scandales
qui
l’ont
précédé
durant
ce
début
de
21e
siècle
(Enron
en
2001,
Parmalat
en
2003,
Clearstream
en
2001
et
2004,
Siemens
en
2008…).
On
tend
donc
à
se
focaliser
sur
les
dissonances
entre
les
deux
termes,
par
ailleurs
fortement
sous-‐tendus
par
des
pans
importants,
non
seulement
de
l'expression
médiatique,
mais
aussi
de
la
littérature
académique
où
nous
trouvons
couramment
que
l’éthique
des
affaires
est
souvent
considérée
comme
un
oxymore
(Lee,
2008),
et
que
l’éthique
des
affaires
est
littéralement
«
née
du
scandale
»
(Freeman,
in
Painter-‐Morland
&
Ten
Bos,
2011
:xiii).
Comme
nous
l’avions
évoqué
plus
haut,
lorsque
10
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
11
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
souvent
le
cas,
à
une
approche
sur
les
principes
universels
ou
sur
les
valeurs
culturelles
et
symboliques,
mais
on
développera
une
approche
pratique
(cf.
Schatzki
et
al.
2001
;
Painter-‐Morland,
2008
;
McMurray
et
al.
2010
;
Deslandes,
2011a
;
Nicolini,
2012
;
Gehman
et
al.,
2013).
Et
plus
précisément
encore,
une
étude
de
l’éthique
comme
pratique
située
:
dans
un
individu,
un
métier,
une
organisation,
et
des
implications
de
ce
renversement.
En
synthèse,
ce
travail
propose
et
explore
un
syntagme
:
l’éthique-‐comme-‐
pratique-‐située,
mais
que
nous
écrirons
pour
plus
de
lisibilité
sans
les
tirets.
Chacun
des
termes
qui
le
composent
sont
essentiels,
et
méritent
une
attention
particulière
comme
nous
détaillerons
ci-‐dessous.
Ce
syntagme
est
issu
d’une
exploration
de
la
littérature
sur
l’éthique
des
affaires,
l’éthique
dans
la
philosophie9,
et
des
études
sur
le
milieu
de
la
conformité
bancaire
et
en
particulier
l’approche
des
études
sociales
de
la
finance
(social
studies
of
finance,
connues
sous
l’acronyme
SSF)
et
constitue
le
cœur
de
ce
travail.
Tout
d’abord
l’«éthique».
Dans
notre
langage
courant,
concrètement
en
pratique,
l’éthique
le
plus
souvent
devient
épithète
:
on
l’emploie
en
effet
comme
adjectif
pour
caractériser
quelque
chose,
dans
des
expressions
comme
«
management
éthique
»,
«
décision
éthique
»...
Or,
nous
pensons,
et
ce
travail
s’attachera
à
essayer
de
le
montrer,
qu’il
est
incongru
de
faire
un
tel
emploi
du
mot.
L’éthique
n’est
pas
un
qualificatif
qu’on
donnerait
à
une
chose
ou
un
contexte
donnés.
A
ce
moment
là,
il
serait
plus
juste
de
parler
de
management
moral,
ou
de
décision
morale.
Au
contraire,
on
soulignera
dans
ce
travail
la
dimension
non
normative
inhérente
au
concept
d’éthique,
enfouie
dans
son
étymologie,
oubliée
par
le
langage
courant.
Cette
autre
dimension
est
la
dimension
ontologique,
liée
à
l’être
qui
s’éprouve,
et
donc
sans
jugement
de
valeur,
qui
se
réfère
tout
simplement
à
une
manière
d’être
au
monde,
et
non
pas
comme
attribut
de
ce
monde
ou
dans
ce
monde.
Il
est
ainsi
plus
juste
de
parler
de
l’éthique
comme
processus,
comme
quelque
chose
qui
se
fait,
se
déroule,
advient,
travaille.
D’où
notre
insistance
sur
le
«
comme
pratique
».
Dans
notre
contexte
actuel,
et
de
manière
exacerbée
dans
le
contexte
bancaire,
les
sphères
de
la
légalité
et
de
la
moralité
se
superposent
et
souvent
se
confondent.
Alors
que
nous
pouvons
critiquer
cet
amalgame
à
juste
titre,
il
semble
cependant
non
seulement
pertinent
mais
aussi
indispensable
de
commencer
une
réflexion
sur
l’éthique
à
partir
de
la
pratique
et
du
contexte
réglementaire,
institutionnel
et
organisationnel
auquel
elle
ne
peut
pas
9
Une
précaution
particulière
à
prendre
sera
dans
le
recours
à
des
auteurs
et
à
des
concepts
sur
des
domaines
qui
ne
sont
pas
les
leurs.
La
‘philosophie
de
comptoir,
en
particulier
en
business
ethics
est
célèbre
pour
ses
emplois
sinon
maladroits,
du
moins
superficiels
de
concepts
qui
ont
surgit
dans
la
philosophie
politique,
philosophie
de
l’histoire,
philosophie
des
sciences
(cf.
Dumez,
2006b
;
Tsoukas
&
Chia,
2011).
Nous
tâcherons
d’éviter
cet
écueil.
12
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
échapper
et
qui
constitue
sa
réalité
présente,
son
ici
et
maintenant,
navigant
entre
textes
de
lois
et
règlementations
internes,
officiers
de
la
conformité
et
déontologues,
conseils
d’administration
et
dirigeants,
rythme
des
marchés
et
secteur
en
crise.
Pour
contrer
la
‘banalité
du
bien’
(cf.
chapitre
1)
d’une
part,
et
le
fait
que
les
pensées
de
l’éthique
se
sont
largement
déconnectées
des
problèmes
pratiques
que
nous
affrontons
au
quotidien,
il
convient
de
rappeler
deux
choses
qui
se
complémentent
(Painter-‐
Morland,
2008):
«
business
ethics
is
supposed
to
be
as
much
about
business
as
ethics
»
(p.4)
et
«
ethics
[is]
the
everyday
business
of
business
»
(soustitre
de
son
ouvrage).
Nous
souhaitons
dépasser
la
distinction
entre
l’éthique
comme
théorie
et
l’éthique
comme
pratique
(et
aussi
comme
pratique
uniquement
discursive),
et
considérer
plutôt
une
éthique
ancrée
(grounded)
fondamentalement
dans
la
pratique.
Ceci
implique
aussi
d’aller
plus
loin
que
de
se
complaire
dans
le
fait
que
désormais
l’éthique
des
affaires
n’est
plus
considérée
nécessairement
comme
un
oxymore
(Werhane
&
Freeman,
1999),
ou
que
pour
les
grandes
entreprises
il
soit
désormais
impossible
de
faire
l’impasse
sur
des
engagements
RSE
et
des
chartes
éthiques
devenus
des
prérequis
sur
la
scène
mondiale.
Le
point
de
départ
ne
sera
donc
ni
une
quelconque
certitude
normative
ou
morale
à
appliquer,
ni
un
contentement
sur
les
progrès
des
entreprises
sur
leur
reporting
extra-‐financier,
mais
la
question
socratique
et
éminemment
pratique
de
comment
vivre
et
de
qui
nous
sommes.
Il
s’agit
de
ramener
cette
dimension
au
cœur
du
comportement
quotidien
des
individus,
plutôt
que
de
considérer
que
l’éthique
ne
serait
qu’une
phase
de
validation
dans
un
processus
de
décision
stratégique
ou
économique
de
«
a-‐t-‐on
le
droit
de
le
faire
?»,
ou
pire
de
considérer
de
le
faire
et
éventuellement
se
faire
prendre
comme
un
risque
pondéré
à
courir
car
avantageux
par
ailleurs.
On
considère
donc
que
l’éthique
est
l’affaire
quotidienne
des
affaires,
et
qu’à
partir
de
là
toute
considération
de
l’éthique
indépendamment
de
la
dimension
pratique,
mais
aussi
l’inverse,
perdrait
son
sens.
Pour
cela,
on
s’appuie
et
cherchons
à
construire
notre
approche
sur
des
travaux
récents
menés
souvent
à
la
marge
du
mainstream
en
recherche
sur
l’éthique
des
affaires
(e.g.
Jackall,
2010
;
Clegg
et
al.
2007
;
Painter-‐Morland,
2008)
qui
cherchent
à
étudier
l’éthique
«
in
relation
to
the
ambiguous,
unpredictable,
and
subjective
contexts
of
managerial
action
[to
provide]
theoretical
resources
for
studying
the
different
ways
that
ethics
manifest
themselves
in
organizations.
[…]
Ethics
is
best
understood
and
theorized
as
a
form
of
practice
»
(Clegg
et
al.
2007:107,
l’emphase
est
des
auteurs). Ceci
veut
dire,
entre
autres,
de
renouer
avec
l’ancienne
conception
de
la
phronesis
grecque
(sagesse
pratique),
en
dépit
de
ceux
qui
allèguent
qu’elle
devrait
être
dépassée
car
ne
13
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
14
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
portée
par
un
sujet.
Ceci
ne
veut
cependant
pas
dire,
comme
déjà
mentionné,
que
nous
adhérons
à
un
relativisme
moral,
mais
plutôt
qu’il
est
essentiel
de
reconnaître
que
l’action
est
menée
dans
des
situations
de
pluralisme
moral,
où
les
modèles
normatifs
sont
même
parfois
en
compétition
au
sein
de
situations
complexes
(cf.
Bauman,
1993).
Il
s’agit
donc
non
pas
d’ignorer
ceci
ou
de
le
nier
en
y
imposant
un
cadre
moral
universel,
ou
en
succombant
au
relativisme
des
valeurs,
mais
de
le
reconnaître
et
de
le
prendre
en
compte
à
part
entière
dans
notre
réflexion
sur
l’éthique.
On
s’appuira
sur
l’ontologie
pour
bâtir
une
conception
de
l’agir,
lorsque
cet
agir,
cette
praxis,
se
trouve
à
la
limite
du
faisable.
Il
s’appuie
alors
une
une
dimension
herméneutique
et
phénoménologique
pour
affronter
les
défis
du
quotidien
:
la
complexité,
la
contradiction,
le
risque,
et
le
quotidien
lui-‐même.
Cependant,
ces
leviers,
constitutifs
de
l’éthique,
et
qui
font
partie
de
l’organizing
en
général,
n’ont
pas
encore
été
suffisamment
explorés
dans
une
perspective
dynamique,
évoluant
dans
l’organisation
à
ses
différents
niveaux
de
complexité.
Or,
cette
éthique
située
et
même
incarnée
dans
l’individu
est
aussi
par
la
même
occasion
située
ou
nichée
(nested)
dans
et
par
les
relations
interpersonnelles
et
l’organisation
(en
l’occurrence,
la
banque)
au
sein
de
laquelle
cet
individu
évolue,
et
embarquée
(embedded)
dans
l’environnement
contextuel,
institutionnel
et
normatif.
Ainsi,
un
premier
élément
qui
s’est
rapidement
imposé
comme
essentiel
était
d’avoir
une
approche
mêlant
plusieurs
niveaux
d’analyse
au
sein
d’une
même
étude
:
Une
grande
partie
des
travaux
sur
l’éthique
des
affaires
aborde
l’un
ou
l’autre
de
ces
niveaux,
mais
peu
de
travaux
s’attachent
à
étudier
leurs
rapports,
leur
intégration
et
15
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
à
les
penser
comme
un
tout.
Or,
nous
soutenons
que
cette
intégration
est
essentielle,
malgré
le
fait
qu’elle
comporte
un
certain
nombre
de
difficultés
supplémentaires
et
constitue
un
défi
pour
la
recherche.
Suivant
Hitt
et
ses
collègues,
nous
constatons
que
y
compris
dans
le
domaine
de
l’éthique
des
affaires,
il
y
a
une
simplification
qui
vient
d’une
spécialisation
et
d’une
fragmentation
qui
empêche
de
considérer
la
complexité
du
phénomène
étudié
:
«
rather
than
deal
with
the
complexities
of
of
multilevel
systems,
management
scholarship
has
become
bifurcated
into
camps
of
micro
and
macro
experts
[…
This
]
yields
and
incomplete
understanding
of
behaviors
occurring
at
either
level
(Porter,
1996)
and
the
proliferation
of
diverse
research
paradigms
»
(
Hitt
et
al.,
2007:
1385).
Ils
s’appuient
sur
des
travaux
antérieurs
qui
appelaient
à
une
intégration
transdisciplinaire,
car
c’est
souvent
à
travers
la
lentille
des
disciplines
que
la
recherche
se
trouve
souvent
fragmentée
aussi
dans
ses
niveaux
d’analyse
(par
exemple
la
sociologie
pour
le
niveau
macro,
et
la
psychologie
pour
le
niveau
micro).
Ils
argumentent
en
faveur
d’une
meilleure
compréhension
des
phénomènes
si
les
travaux
de
recherche
pouvaient
se
libérer
au
moins
un
peu
de
leur
hyper
spécialisation
disciplinaire
et
de
leurs
«
level-‐specific
mindsets
»
(Hitt
et
al.,
2007
:1387).
Nous
avons
suivi
cette
lignée
et
avons
tenté
de
produire
dans
ce
travail
une
approche
de
l’éthique
aux
confluences
d’approches
multidisciplinaires
et
à
plusieurs
niveaux,
c’est-‐à-‐dire
qui
réside
«
in
nested
arrangements
»
(2007
:1987,
cf.
ci-‐dessous).
Figure
2:
Hitt
et
al.
2007:
multilevel
Mais
au
delà
de
la
coupe
transversale
qui
nesting
arrangements
dessine
littéralement
une
‘serrure
d’entrée’
(cf.
figure
2),
nous
souhaitions
considérer
cet
ensemble
de
niveaux
non
pas
uniquement
de
manière
statique
à
l’aune
de
photo
transversale
de
l’éthique
à
plusieurs
niveaux,
mais
comme
un
processus
évolutif
où
ces
différents
niveaux
s’entrecroisent,
s’alimentent,
entrent
en
tension
et
contribuent
à
l’évolution
les
uns
des
autres.
Il
s’agissait
donc
aussi
de
chercher
à
définir
ces
différentes
dynamiques
processuelles
qui
pouvaient
être
à
l’œuvre
à
chaque
niveau.
Pour
le
dire
simplement,
ceci
nous
permet
de
refonder
une
définition
de
l’éthique
conçue
comme
pratique,
et
donc
de
l’aborder
non
pas
comme
un
contenu
moral
positif
et
statique,
mais
comme
un
phénomène
dynamique
en
situation
et
traversal
à
plusieurs
niveaux
:
incarnée
dans
les
individus,
nichée
dans
des
groupes
de
travail
puis
dans
des
16
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
organisations,
et
embarquée
dans
des
réseaux
d’acteurs
organisationnels
et
réseaux
de
signification
institutionnels
plus
larges
d’un
environnement
spatio-‐temporel
et
culturel
que
réciproquement
elle
contribue
à
redéfinir
(cf.
figure
3
ci-‐après).
Enfin,
c’est
l’intéraction
de
ces
différents
niveaux
qui
pose
un
défi
important
dans
ce
genre
d’approches
dans
la
mesure
où
il
faut
articuler
les
apports
théoriques
–
transdisciplinaires,
et
ayant
probablement
peu
dialogué
auparavant
–
entre
eux.
C’est
cette
optique
focalisée
sur
l’interaction
des
niveaux
que
nous
nommerons
situation.
Nous
partirons
de
la
pratique
pour
théoriser
l’éthique
«
in
relation
to
what
managers
actually
do
in
their
everyday
activities
»
(Clegg
et
al.
2007
:
107),
mais
en
essayant
de
préciser
ce
que
veut
dire
une
‘pratique
située’,
expression
utilisée
à
la
fois
par
Clegg,
Korngerger
et
Rhodes,
et
par
Painter-‐Morland
parmi
d’autres,
mais
sans
qu’ils
ne
cherchent
à
la
préciser
concrètement.
Nous
pensons
que
loin
d’être
une
évidence,
cette
expression
recèle
une
clé
importante
dans
l’opérationnalisation
de
l’éthique
comme
pratique,
dans
sa
compréhension
et
dans
son
étude
dans
des
cas
spécifiques.
Environnements+(ins-tu-onnel…)+
Réseaux+inter6organisa-onnels+
+(secteur+financier)+
Niveaux++
Organisa-on+(banque)+
Groupes++(équipe)+
Ethique+comme+ ++++Individus+(analystes)+
pra-que+située+ Incarner+(embodying)+
Nicher+(nes+ng)+
Nicher+(nes+ng)+ Dynamiques+
processuelles+
Embarquer+(embedding)+
Embarquer+(embedding)+
Il
nous
faut
à
présent
caractériser
cette
notion
de
situation
–
l’intéraction
des
différents
niveaux.
Pour
nous,
c’est
dans
et
par
la
variation,
et
non
en
considérant
chacun
des
niveaux
en
soi,
que
nous
pouvons
apporter
un
autre
regard
sur
le
phénomène
de
l’éthique
(et
non
pas
seulement
une
agrégation
de
niveaux).
Ainsi,
cette
17
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
18
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
B .
LA
CONFORMITE
BANCAIRE :
UNE
APPROCHE
ETHNOGRAPHIQUE
DANS
UN
CONTEXTE
P RIVILEGIE
Ethique
et
banque
Voilà
une
association
de
termes
qui
interroge
le
chercheur
autant
qu’elle
fait
sourire
les
cyniques.
Il
s'agit
d'une
association
récurrente
dans
les
médias
durant
la
récente
crise
financière,
souvent
sur
le
ton
de
l’accusation
et/ou
de
l’inculpation.
Une
association
qui
est
par
ailleurs
presque
‘naturelle’
–
car
quotidienne
–
mais
aussi
problématique,
en
particulier
dans
le
contexte
de
crise,
qui
n’est
pas
seulement
celui
de
la
crise
au
sens
économique
du
terme.
Nous
ne
prétendons
pas
donner
une
vision
exhaustive
de
la
complexité
du
monde
bancaire,
ni
même
de
la
conformité
bancaire.
Nous
nous
limiterons
à
exposer
des
points
de
tension
particulièrement
forts
entre
éthique
et
banque,
où
leur
croisement
devient
l'occasion
de
réflexions
qui
visent
une
problématisation
de
notre
sujet
de
recherche
dans
son
contexte
empirique
:
éthique
et
banque,
où
le
«
et
»
les
mets
non
pas
en
juxtaposition,
mais
en
relation
multiple
de
conjonction,
de
tension,
et
d’enjeu
pratique.
A
travers
l’étude
ethnographique
d’une
cellule
de
conformité
bancaire
dédiée
à
la
lutte
anti-‐blanchiment,
nous
allons
premièrement,
aborder
un
aspect
particulier
de
la
conformité
bancaire
qui
place
les
banques
dans
une
position
stratégique
et
sensible
au
cœur
d’un
dispositif
mondial
de
contrôle
que
nous
détaillerons
ci-‐après.
Il
s’agit
d’un
contexte
pour
la
recherche
particulièrement
privilégié
compte
tenu
de
la
situation
de
crise,
et
encore
assez
peu
exploré.
Ensuite,
nous
voulons
à
travers
cette
étude
ethnographique,
aborder
l’éthique
autrement
que
sous
l’angle
prescriptif,
et
plutôt
comme
phénomène
organisationnel
à
part
entière.
Enfin,
ceci
nous
permet
de
suivre
le
travail
de
l’éthique
comme
pratique
située
telle
que
définie
précédemment.
Le
contexte
bancaire
devient
alors
le
lieu
privilégié
pour
étudier
sociologiquement
et
anthropologiquement
l’éthique
en
situation,
c’est-‐a-‐dire
comme
phénomène
organisationnel,
et
non
seulement
d’un
point
de
vue
philosophique,
théorique
ni
même
19
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
discursif.
En
effet,
c’est
le
caractère
émergent
de
notre
démarche
qui
nous
a
permis
d’identifier
la
dimension
manquante
de
ces
articulations,
et
qui
sera
la
clé
de
notre
approche
théorique
:
l’éthique
dans
les
banque
vues
non
pas
comme
chose
(contenu)
mais
comme
pratiques
engendrée
par
leur
rapport
(contenant
processuel,
porteur
de
contenus)
embarqués
dans
un
processus
dynamique
comme
nous
le
verrons
à
travers
le
cas
qui
occupera
notre
étude
:
une
équipe
dédiée
à
prévention
du
blanchiment,
la
lutte
contre
l’argent
sale,
et
les
risques
qui
lui
sont
associés.
En
tant
que
témoin
de
cette
crise
durant
ces
dernières
années,
nous
retrouvions
la
sensation
de
chaos
qui
se
dégage,
la
confusion
inévitable
pour
le
néophyte,
l’étrangeté
qui
invite
à
une
certaine
fascination,
que
partageaient
les
témoignages
littéraires
ou
sociologiques
sur
le
monde
de
la
finance.
On
se
laisse
prendre
au
jeu
des
actions
que
l’on
vend
et
revend
sans
les
posséder
vraiment,
à
l’ivresse
des
cris
et
des
chiffres
qui
défilent
signant
ainsi
une
perte
ou
un
gain.
Que
ce
soit
la
Bourse
d’Amsterdam
au
17e
siècle
selon
Braudel
(2008),
la
description
de
celle
de
Paris
qu’en
fait
Zola
(2009
[1891]),
les
récits
de
Steinbeck
sur
la
crise
de
1929
(2003)
ou
les
reportages
de
la
BBC
sur
le
même
spectacle
à
Londres
aujourd’hui,
on
semble
se
perdre
devant
le
spectacle
des
bourses,
traders,
cris,
billets,
signes
de
la
main,
comme
dans
le
texte
méconnu
mais
ô
combien
fondateur
sur
les
bourses
de
José
de
la
Vega,
Confusion
de
confusiones
([1688]1958)10,
dont
le
titre
et
la
rhétorique
baroque
semblent
reprendre
par
les
mots
le
chaos
ambiant
et
dont
l’actualité
demeure
poignante
(Cardoso,
2002).
Que
tirer
de
cette
confusion
des
confusions
?
Comment
en
faire
un
cas
empirique
pour
une
étude
sur
l’éthique
?
Plusieurs
questions
se
posent,
à
commencer
par
celle
de
la
faisabilité
concrète
d’une
telle
étude,
en
particulier
dans
un
contexte
de
crise.
En
vue
de
notre
ambition
d’aborder
la
question
de
l’éthique
dans
ce
contexte
de
crise
financière
et
de
valeurs,
la
complexité
du
contexte
et
de
l’accès
au
terrain
serait
déterminante
de
l’angle
que
nous
pourrions
développer.
Il
aurait
sans
doute
été
inutile
ou
illusoire
de
partir
d’un
protocole
de
recherche
défini
dans
les
détails,
dont
le
prix
à
payer
aurait
probablement
été
la
déception
de
ne
pas
avoir
réussi
à
obtenir
nécessairement
l’accès
désiré
ni
un
matériau
empirique
approprié.
L’accès
au
terrain
s’est
en
effet
révélé
le
défi
majeur,
puisque,
comme
on
pouvait
s’y
attendre,
les
banques
n’étaient
pas
particulièrement
réceptives
à
accueillir
un
chercheur,
qui
plus
est
travaillant
sur
les
questions
d’éthique,
en
plein
pendant
la
crise
financière
qui
les
10
Le
sous
titre
de
cet
ouvrage
est
lui
aussi
révélateur
de
sa
teneur
cacophonique
mais
en
même
temps
pourvue
d’un
but
intellectuel:
“dialogues
curieux
entre
un
Philosophe
aiguisé,
un
Négociant
[Mercader]
discret,
un
Actionnaire
érudit
décrivant
l’entreprise
[negocio]
des
Actions,
leur
origine,
leur
étymologie,
leur
réalité,
leur
jeux
et
leur
imbroglio
».
C’est
nous
qui
traduisons.
Cf.
aussi
R.
Ehrenberg,
Le
siècle
des
Fugger,
Paris,
1955,
pages
390-‐
395.
20
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
mettait
au
cœur
de
l’attention
médiatique
et
des
accusations
d’ordre
moral.
Il
a
fallu
une
longue
attente,
de
nombreux
refus
et
finalement
des
négociations
difficiles
pour
aboutir
à
un
accès,
comme
nous
détaillerons
dans
le
chapitre
trois.
Cet
accès
n’était
pas
ce
qu’initialement
nous
aurions
imaginé
(au
département
RSE
ou
consacré
au
développement
durable
d’une
banque,
ou
encore
de
la
communication
institutionnelle).
En
effet,
notre
problématique
définitive
est
aussi
le
produit
du
terrain
finalement
obtenu
comme
lors
de
toute
démarche
inductive
et
compréhensive.
En
revanche
l’accès
obtenu
s’est
révélé,
nous
croyons,
beaucoup
plus
riche
et
intéressant
que
si
nous
avions
obtenu
celui
originellement
envisagé,
et
nous
nous
rappelons
à
ce
propos
des
vertus
vantées
par
Girin
(1989)
de
l’opportunisme
méthodique,
proche
du
concept
de
‘sérendipité’
également
évoqué
par
d’autres.
Nous
pensons
avoir
joui
d’un
accès
véritablement
privilégié
et
assez
exceptionnel,
aux
premières
loges
du
cœur
de
métier
de
la
finance
(nous
étions
au
Front
Office)
alors
que
l’hyper-‐confidentialité
qui
caractérise
ce
milieu
était
d’autant
plus
exacerbée
pendant
la
crise.
En
effet,
une
fois
que
notre
présence
sur
le
terrain
fut
acceptée,
nous
avons
eu
accès
à
beaucoup
d’informations
variées
et
d’une
grande
richesse.
La
contrepartie
en
est
la
nécessaire
anonymisation
des
données
recueillies,
ainsi
que
la
sélection
et
l’élimination
de
données
non
exploitables
pour
des
raisons
de
confidentialité.
La
diversité
et
la
qualité
des
données
recueillies
se
sont
enrichies
et
complexifiées
au
fur
et
à
mesure
que
l’accès
se
consolidait.
Cette
richesse
nous
a
confrontés
au
défi
de
leur
intégration
effective
et
pertinente
au
sein
d’une
démarche
de
recherche
multiniveaux
cohérente
non
seulement
dans
son
aspect
théorique
mais
également
au
niveau
du
design
de
recherche
(Hitt
et
al.
2007).
Mais
quoi
qu’il
en
soit,
cet
accès
nous
a
permis
justement
d’opérer
le
renversement
dans
notre
démarche,
et
de
passer
à
l’étude
de
l’éthique
comme
phénomène
organisationnel.
La
chair
empirique
de
ce
travail
a
façonné
le
corps
théorique
en
permettant
un
dialogue
vivant
avec
le
terrain
et
ses
problématiques.
Ainsi,
nous
avons
obtenu
un
accès
par
le
jeu
des
relations
personnelles
et
professionnelles
détaillées
dans
le
chapitre
trois,
à
une
des
principales
Banques
Universelles
Françaises,
au
sein
de
sa
Banque
d’Investissement,
que
nous
désignons
par
l’acronyme
BUF-‐BI.
Sur
une
période
de
neuf
mois,
entre
avril
2010
et
janvier
2011,
nous
avons
collecté
d’une
quantité
et
d’une
variété
importante
de
données,
à
la
fois
secondaires
(documents
internes
confidentiels
ou
non,
documents
disponibles
publiquement,
textes
de
droit
Français
et
Européen...)
et
primaires
(observations
participante
et
non
participante,
transcriptions
d’entretiens,
de
dialogues,
de
réunions,
de
chats...).
Nous
avons
conduit
notre
étude
ethnographique
dont
le
plus
grand
21
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
avantage
est
d’étudier
les
organisations
de
l’intérieur
et
les
pratiques
au
quotidien
dans
leur
complexité
(Van
Maanen,
1988,
2006
;
Czarniawska,
2007
;
Ybema
et
al.,
2009
;
Watson,
2011
parmi
d’autres),
plus
précisément
au
sein
d’une
cellule
exerçant
la
fonction
de
Conformité
bancaire.
Elle
était
spécifiquement
dédiée
à
un
aspect
précis
de
la
Conformité
que
nous
détaillerons
par
la
suite
:
la
lutte
anti-‐blanchiment
et
contre
le
financement
du
terrorisme
(LAB-‐FT).
A
nous
retrouver
dans
une
section
de
la
banque
d’investissement
que
nous
connaissions
peu
(le
Front
Office),
à
étudier
une
fonction
technique
que
nous
connaissions
encore
moins
(la
lutte
anti-‐blanchiment),
nous
avons
donc
assez
naturellement
fait
le
choix
d’une
approche
qualitative
et
profondément
abductive,
avec
un
aller-‐retour
constant
entre
ce
que
nous
vivions
et
nous
surprenait
(puzzled)
sur
le
terrain
et
la
littérature,
que
nous
recherchions
au
fur
et
à
mesure.
Compte
tenu
de
la
difficulté
d’obtenir
un
accès
empirique
dans
un
contexte
sensible
(aggravé
par
la
crise)
et
en
particulier
sur
des
fonctions
confidentielles
(la
Conformité),
la
collecte
de
données
a
eu
de
nombreuses
contraintes
institutionnelles,
organisationnelles
et
bien
entendu,
temporelles.
Ainsi,
nous
qualifions
modestement
ce
travail
comme
une
étude
avec
une
méthodologie
ethnographique.
Parmi
les
différentes
méthodologies
qualitatives,
l’étude
ethnographique,
permet
de
creuser
en
profondeur,
d’observer
et
participer
aux
réalités
complexes
au
quotidien
pour
en
rendre
compte
par
nous-‐mêmes.
Elle
nous
a
permit
d’analyser
le
processus
de
construction
d’une
éthique
vécue
comme
pratique
dans
le
quotidien
même
des
métiers
exposés
à
la
norme
et
au
risque
comme
forces
structurantes.
Alors
qu’une
part
considérable
des
études
se
focalisent
sur
la
dimension
discursive
ou
théorique
de
l’éthique
(codes,
chartes
etc.)
ou
restent
dans
l’extériorité
par
exemple
en
recourant
uniquement
aux
entretiens,
des
études
récentes
montrent
la
pertinence
de
la
dimension
expérientielle
du
chercheur
lui-‐même
comme
essentielle
pour
approcher
les
problématiques
éthiques
(Sherry
2008;
Czarniawska
2004a
;
Nielsen
2010a),
d’où
l’importance
de
l’observation
participante
que
nous
avons
réalisé
comme
une
partie
de
notre
démarche.
Notre
objectif
étant
de
comprendre
un
phénomène
multidimensionnel
et
complexe,
et
qui
plus
est
d’éviter
de
tomber
dans
un
discours
de
jugement
de
valeur
ou
moralisateur,
nous
avons
tâché
d’aller
sur
le
terrain
avec
la
plus
grande
disponibilité
intellectuelle
possible,
afin
d’être
attentifs
aux
détails
et
nous
laisser
surprendre
par
un
milieu
organisationnel
(bancaire)
que
nous
connaissions
peu
auparavant.
Ceci
nous
a
permit
d’éviter,
nous
l’espérons,
certaines
faiblesses
communément
dénoncées
du
champ
de
l'éthique
des
affaires,
et
en
particulier
ce
versant
prescriptif
de
«
bonnes
pratiques
»,
de
voir
si
les
pratiques
correspondaient
ou
pas
aux
prescriptions,
et
si
les
22
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
banques
effectivement
n’étaient
que
des
‘agglomérats
d’égoïsme
poussés
par
le
profit
au
sein
d’un
casino
géant’,
et
autres
stéréotypes.
Pour
cela,
les
apports
des
études
sociales
de
la
finance
(SSF,
pour
Social
studies
of
finance)
ont
été
un
pilier
essentiel
de
notre
édifice
conceptuel,
que
nous
avons
découvert
à
cause
de
(ou
même
grâce
à)
notre
expérience
sur
le
terrain.
L’objectif
de
cette
branche
de
la
sociologie
économique
est,
dans
et
par
un
dialogue
avec
d’autres
disciplines
tels
que
l’anthropologie,
la
philosophie
et
bien
entendu
la
théorie
économique,
de
prendre
le
monde
de
la
finance
comme
observatoire
privilégié
des
transformations
sociales
(Godechot,
2011a).
En
nous
inspirant
de
la
richesse
des
travaux
existants,
nous
avons
souhaité
y
contribuer
par
une
étude
spécifiquement
dédiée
aux
pratiques
de
conformité
qui
commencent
à
attirer
l’attention
comme
objet
de
recherche
à
part
entière
au
sein
des
SSF.
Le
déontologue
de
marché
et
les
pratiques
de
la
Conformité
bancaire
ont
récemment
fait
l’objet
pour
la
première
fois
de
deux
thèses
doctorales
en
France
(Lenglet,
2008
en
sciences
de
gestion
dans
une
perspective
institutionnelle
;
Assouly,
2011
en
sociologie
morale),
auxquelles
la
notre
doit
beaucoup
et
essaye
d’apporter
des
compléments.
Le
travail
de
Lenglet
explore
la
profession
du
déontologue
de
marché,
à
travers
une
approche
institutionnelle
et
qui
s’inscrit
dans
le
champ
des
études
sociales
de
la
finance.
Celle
d’Assouly
se
focalise
sur
une
transformation
du
paradigme
de
la
déontologie
financière,
comment
il
est
passé
d’être
conceptualisé
comme
une
question
morale,
à
adopter
un
discours
autour
de
la
notion
de
la
responsabilité
du
système
financier.
Les
deux
thèses
ont
en
commun
le
fait
que
leurs
auteurs
sont
d’anciens
déontologues,
Lenglet
ayant
exercé
la
fonction
pendant
plusieurs
années,
dont
certaines
dans
le
cadre
de
sa
thèse
en
contrat
CIFRE,
et
Assouly
en
tant
qu’une
de
professionnelles
pionnières
de
cette
fonction
lors
de
sa
création
au
début
des
années
90
avant
de
décider
de
faire
une
thèse
de
sociologie.
Ces
deux
travaux
puisent
leur
force
dans
les
apports
théoriques
et
méthodologiques
des
études
sociales
de
la
finance
pour
aborder
un
objet
particulier
(la
conformité
bancaire
et
ses
praticiens)
et
construire
un
cadre
théorique
à
la
fois
riche
et
pertinent.
Dans
le
présent
travail,
nous
tâcherons
de
contribuer
avec
de
nouveaux
apports,
en
particulier
par
la
focalisation
sur
la
dimension
éthique
en
nous
appuyant
sur
des
références
autres
que
celles
d’Assouly
pour
construire
l’idée
d’une
éthique
comme
pratique
située,
et
une
articulation
différente
et
complémentaire
avec
les
théories
institutionnelles
mobilisées
par
Lenglet.
Enfin,
nous
aborderons
en
profondeur
un
domaine
spécifique
de
la
conformité
bancaire
qui
n’est
que
marginalement
évoqué
dans
ces
deux
travaux
et
qui
devient
un
objet
d’étude
à
part
entière
de
par
ses
nombreuses
implications
organisationnelles,
23
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
Depuis
les
années
1990,
le
système
financier
est
une
pièce
centrale
de
la
lutte
mondiale
contre
le
blanchiment
de
capitaux
et
le
financement
du
terrorisme
(LAB-‐FT)
(Scheptycki,
2000;
Williams
&
Baudin-‐O’Hayon,
2002,
Favarel-‐Guarrigues
2003a,
2003b).
Ce
nouveau
rôle
impose
aux
banques
d’être
des
«
sentinelles
de
l’argent
sale
»
(Favarel-‐Garrigues,
et
al.
2007,
2009),
et
a
donné
lieu
à
l’invention
et
la
professionnalisation
de
nouveaux
métiers,
comme
les
compliance
officers
(CO)
spécialisés
dans
la
LAB
et
les
analystes
KYC
(Know-‐Your-‐Customer/connaissance
client).
En
effet,
durant
ces
vingt
dernières
années
les
banques
et
institutions
financières
ont
du
intégrer
à
leur
ethos,
leur
structure
et
leur
organisation
ce
rôle
de
watchdogs
afin
d’agir
comme
un
filtre
protecteur
du
système
financier
dans
son
ensemble
contre
l’économie
souterraine.
Les
banques,
qui
avaient
traditionnellement
fleuri
à
travers
leur
logique
commerciale,
voient
le
policing
devenir
une
de
leurs
principales
fonctions
(Reiner,
1997).
Ceci
est
exacerbé
au
niveau
transnational,
depuis
l’institutionnalisation
de
la
LAB
(Anti-‐Money
Laundering,
AML,
en
anglais)
en
1989
lors
du
«
Sommet
de
l’Arche
»
du
G7
(Favarel-‐Garrigues,
2003a).
Depuis,
les
CO
et
les
analystes
portent
une
connotation
soulignée
de
police
interne,
de
whistleblowers
(tireur
d’alarme)
et
de
métaphoriques
gardiens
de
l’entrée
dans
les
processus
d’approbation
des
transactions
(Vadera
et
al.,
2009).
Ceci
n’est
pas
sans
poser
des
problèmes
et
des
ambigüités
de
statut,
en
particulier
concernant
des
dilemmes
de
loyauté
vis-‐a-‐vis
de
sa
propre
organisation
(Vandekerckhove
&
Commers,
2004)
ou
encore
concernant
l’instrumentalisation
de
ces
métiers,
ce
qui
peut
les
faire
passer
d’experts
sous
contrat
à
tueurs
à
gage
“hired
professional
to
hired
gun”
(Gunz
&
Gunz,
2007).
Contrairement
à
la
connaissance
du
client
et
les
pratiques
d’identification
et
de
profilage
que
nous
pouvons
trouver
en
marketing,
le
KYC
n’est
pas
fait
pour
identifier
des
nouveaux
clients
ou
des
opportunités
de
nouveaux
marchés,
mais
est
un
moyen
de
contrôle
et
de
filtrage
dans
une
perspective
de
gestion
des
risques
(Mulligan
1998,
Hodgson,
2002).
En
effet,
lorsqu’à
travers
les
procédures
de
KYC
les
analystes
identifient
un
client
ou
une
transaction
qui
éveille
des
soupçons
concernant
le
risque
de
24
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
blanchiment,
ceci
peut
mener
à
une
déclaration
de
soupçon
auprès
des
autorités
et
des
régulateurs
nationaux
et
internationaux11,
car
en
effet
non
seulement
la
réputation
de
la
banque
y
est
engagée,
mais
aussi
sa
responsabilité
pénale.
On
entend
ainsi
répondre
aux
exigences
d’une
«société
du
risque»
(Beck
1992;
Callon,
Lascoumes
&
Barthe
2001;
Beck
&
Holzer
2007
;
Méric,
Pesqueux
&
Solé
2009
;
Gephart
et
al.
2009
;
Giddens,
2013)
fondée
sur
la
force
structurante
de
la
peur
et
de
la
menace,
du
contrôle
et
de
l’audit
(Power
1997,
2004),
d’une
perception
particulière
du
risque
comme
négative
(Gephart
et
al.
2009)
–
pour
la
banque
en
termes
de
réputation
et
de
responsabilité
pénale
entre
autres
–
et
d’une
réorganisation
du
secteur
bancaire
et
financier.
Etudier
les
acteurs
chargés
de
mettre
en
œuvre
la
LAB
est
donc
une
approche
de
proximité,
où
les
dispositifs
règlementaires
prennent
corps
et
s’incarnent
dans
des
acteurs
et
leur
pratique
quotidienne12
(Favarel-‐Garrigues
et
al.
2009).
Enfin,
étudier
la
fabrique
de
l’éthique
dans
un
tel
contexte
n’est
pas
sans
poser
de
nombreux
problèmes
de
faisabilité
et
de
méthode
qui
imposent
une
clarification
détaillée
de
notre
démarche,
ci-‐après.
Compte
tenu
de
cet
ensemble
d’éléments
–
un
métier
en
cours
de
professionnalisation,
des
pratiques
en
cours
d’institutionnalisation,
un
cadre
réglementaire
mouvant
–
il
était
inconcevable
pour
nous
de
dissocier
l’élaboration
du
cadre
théorique
de
l’ancrage
concret
dans
la
pratique.
Nous
suivons
en
cela
Painter-‐
Morland
sur
l’idée
que
“theory
starts,
and
ends,
in
a
situated
practice,
i.e.
one
that
is
not
only
shaped
and
informed,
but
also
bound,
by
the
particulars
of
a
specific
material,
temporal,
and
epistemological
context.”13
(2008:ix).
Nous
avons
donc
souhaité
laisser
de
11
La
SEC
(Securities
Exchange
Commission)
et
FinCEN
(Financial
Crime
Enforcement
Network)
aux
USA
;
la
FSA
(Financial
services
authority)
et
SOCA
(Serious
Organized
Crime
Agency)
au
Royaume
Uni
;
TracFin
en
France.
Au
niveau
mondial,
cest
la
FATF
(Financial
Action
Task
Force,
ou
GAFI
en
français)
qui
pilote
les
actions.
12
Afin
de
rester
au
plus
proche
des
pratiques
quotidiennes
des
acteurs
et
de
la
réalité
fortement
marquée
par
la
langue
anglaise
du
secteur
bancaire
et
de
la
recherche
académique
en
gestion,
nous
avons
fait
le
choix
de
conserver
en
langue
anglaise
les
citations
issues
de
la
littérature
et
les
verbatims
issus
du
terrain
dans
cette
langue,
malgré
que
la
thèse
elle-‐même
soit
écrite
en
français.
13
Note
sur
les
citations
:
Dans
ce
travail,
nous
avons
fait
le
choix
de
conserver
les
citations
anglaises
en
version
originale,
afin
de
ne
pas
risquer
les
approximations
et
maladresses
de
notre
traduction.
Les
citations
anglaises
et
les
mots
étrangers
repris
dans
le
texte
sont
mis
en
italique,
ce
qui
n’est
pas
le
cas
des
citations
en
français.
Dans
le
cas
où
des
traductions
françaises
existent
des
textes
anglais,
nous
avons
conservé
la
référence
dans
la
langue
dans
laquelle
nous
avons
accédé
au
document.
En
revanche,
concernant
des
citations
dans
d’autres
langues
que
l’anglais
et
le
français,
nous
avons
procédé
à
une
25
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
26
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
27
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
Nous
concluons
cette
partie
par
la
formulation
détaillée
des
contours
dynamiques
de
notre
problématique
(laquelle,
rappelons-‐le,
a
émergé
du
l’étude
empirique)
qui
articule
le
cadre
théorique
avec
la
mise
en
perspective
donnée
par
le
cas,
et
par
l’énoncé
des
questions
de
recherche
auxquelles
nous
proposerons
des
réponses
dans
la
partie
suivante.
Une
première
analyse
se
détache
de
la
présentation
chronologique
de
l’étude
pour
en
proposer
un
premier
découpage
thématique
des
problématiques
qui
ont
émergé.
Nous
conclurons
donc
cette
première
partie
par
la
récapitulation
du
fil
d’Ariane
choisi
pour
analyser
les
données
recueillies
(le
parcours
à
travers
les
différents
niveaux
d’analyse
de
cette
éthique
comme
pratique
située),
dont
la
richesse
et
la
complexité
imposent
des
choix
et
donc
aussi
des
renoncements,
que
nous
tenterons
de
justifier.
28
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
29
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
œuvre
dans,
et
se
construit
par
les
pratiques
de
KYC
et
d’AML
et
le
travail
de
l’équipe.
Ce
qu’on
leur
demande
de
faire,
ce
de
quoi
ils
sont
responsables,
implique
la
mise
en
pratique
d’une
certaine
conception
du
bien
et
du
mal.
Pour
la
traduire
en
acte,
ils
disposent
d’une
série
de
normes
et
d’outils
qui
cadrent
cette
pratique.
Mais
ceci
comporte
des
conséquences
institutionnelles
à
ne
pas
négliger
:
identifier
les
clients
et
en
établir
des
profils
de
risque
revient
à
transformer
les
catégories
du
Même
(avec
qui
on
accepte
de
traiter
car
agissant
d’après
les
mêmes
règles)
et
de
l’Autre
(ce
qu’on
exclu
car
trop
différents,
et
donc
trop
risqués)
en
objets
de
gestion,
et
plus
précisément
de
gestion
des
risques.
Par
conséquent,
une
certaine
éthique
comme
pratique,
agit
aussi
sur
l’institution,
la
caractérise,
la
délimite
:
penser
l'éthique
revient,
en
toile
de
fond,
à
penser
l'institution
et
la
transformer.
Enfin
dans
notre
conclusion
générale,
après
avoir
résumé
notre
démarche,
nous
récapitulons
les
différents
apports
de
cette
recherche,
en
discutons
les
limites,
et
proposons
des
perspectives
possibles
de
recherches
futures
ainsi
que
des
implications
pratiques
au
delà
de
notre
cas
particulier,
des
différentes
dimensions
où
s’enracine
l’éthique
comme
pratique
située.
30
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
PREMIERE
PARTIE
L’éthique
et
les
enjeux
de
la
pratique
en
milieu
bancaire
Chapitre
2
Chapitre
3
Argent
Sale
et
Mains
L'éthique
comme
Sales:
de
l'éthique
en
pratique
située:
milieu
„inancier
et
de
construction
et
conformité
bancaire
proposition
théorique
Chapitre
1
Ethique
et
Pratique:
Chapitre
4
une
revue
des
Méthodologie
Conclusion
dissonances
et
enjeux
intermédiaire:
En
deça
du
Bien
et
du
Mal:
une
éthique
à
'bricoler'
in
situ
DEUXIEME
PARTIE
Dynamique
transversale
d’une
éthique
comme
pratique
située
à
plusieurs
niveaux
Chapitre
5
Chapitre
7
•
Servir
deux
Maîtres:
•
Le
Même
et
l'Autre
dimension
comme
objets
de
organisationnelle
et
•
Entre
Confort
et
gestion
:
l’encastrement
managériale
de
l’éthique
Conformité
:
L’éthique
institutionnel
de
comme
pratique
située
comme
pratique
située,
l’éthique
comme
pratique
incarnée
au
niveau
du
située
sujet
moral
Chapitre 6 Chapitre 8
Conclusion
Générale
:
Par
delà
le
Bien
et
le
Mal,
le
Travail
31
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
32
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
«
The
great
issues
of
ethics
[…]
have
lost
nothing
of
their
topicality.
They
only
need
to
be
seen,
and
dealt
with,
in
an
novel
way.
»
Zygmunt
Bauman
(1993
:4).
1.1.
DISSONANCES
:
L'ETHIQUE
DES
AFFAIRES,
OU
DE
LA
BANALITE
DU
BIEN
ET
DU
MAL
33
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
intégrante
du
paysage
des
affaires,
ce
qui
nous
autorise
à
ce
titre
à
ne
plus
la
voir
vraiment,
habitués
à
cette
omniprésence
des
discours
sur
le
bien
(le
bienfondé
des
actions,
des
produits
et
des
résultats
de
notre
économie
mondialisée)
on
finit
par
s’habituer
également
à
un
certain
degré
de
violence
ordinaire
et
légitimé
de
cette
même
économie
et
business-‐as-‐usual
blanchis
par
la
couche
épaisse
de
banalisation
du
bien.
Nous
chercherons
donc
ici
à
clarifier
les
fondements
–
philosophiques
mais
pas
seulement
–
qui
sous-‐tendent
cette
notion
d’éthique
derrière
l’éthique
des
affaires,
riche,
et
qui,
comme
nous
pouvons
l’entrevoir,
ne
fait
pas
toujours
consensus,
afin
d’établir
le
sens
précis
que
nous
retenons.
La
gestion
a
toujours
puisé
dans
les
traditions
philosophique
(cf.
Tsoukas
&
Chia,
2011)
et
sociologique,
historiquement
puissantes.
Nous
considérons
en
majorité
l’héritage
philosophique
occidental
(en
cherchant
le
dialogue
entre
l’héritage
anglo-‐saxon
héritier
de
la
philosophie
analytique
et
l’héritage
‘continental’),
même
si
d’autres
références
seront
mobilisées
ponctuellement
au
cours
de
ce
travail.
Nous
ne
prétendons
pas
cependant
établir
ici
un
compte
rendu
exhaustif
de
si
vastes
littératures
qui
constituent
des
domaines
à
part
entière
–
la
philosophie
morale
dans
le
champ
de
la
philosophie
ou
l’éthique
des
affaires
en
gestion.
Nous
nous
limiterons
donc
à
poser
les
fondations
de
l’édifice
conceptuel
que
nous
cherchons
à
bâtir,
par
des
références
sélectionnées
selon
l'objectif
de
cette
recherche.
1.1.1.
L'INSTITUTIONNALISATION
DE
L'ETHIQUE
DES
AFFAIRES
1.1.1.1.
Un
champ
flou
pour
une
définition
floue
de
l'éthique...
L’appellation
‘Ethique
des
affaires’
n’est
pas
anodine
et
n’est
pas
sans
poser
de
nombreuses
questions.
Faute
d’un
autre
mot,
nous
nous
référions
souvent
à
ce
travail
comme
s’inscrivant
dans
le
champ
de
l’éthique
des
affaires,
afin
de
satisfaire
ce
besoin
qu’avaient
nos
interlocuteurs
de
nous
ranger
dans
une
‘case’
disciplinaire
identifiée.
Ceci
était
souvent
au
prix
d’une
insatisfaction
personnelle,
car
en
tant
que
‘case’
ou
‘discipline’
nous
ne
sommes
pas
convaincus
qu’il
s’agisse
de
quelque
chose
de
clairement
identifié
d’une
part,
ni
que
nous
y
souscrivions
nécessairement
d’autre
part.
Ce
travail
se
devait
donc
de
commencer
par
une
analyse
qui
pose
les
contours
de
ce
que
nous
entendons
par
éthique
des
affaires,
et
comment
ce
travail
se
situe
par
rapport
à
elle
dans
ses
diverses
acceptions.
34
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
15
Nous
garderons
d’ailleurs
pour
le
moment
l’appellation
anglaise,
et
reviendrons
sur
des
distinctions
et
des
précisions
quant
à
l’expression
«
éthique
des
affaires
»
française
plus
tard.
16
Ces
dernières
seront
progressivement
évacuées
au
profit
d’une
conception
sécularisée
de
la
RSE,
même
si
de
nombreux
groupes
continuent
de
revendiquer
une
telle
orientation
(e.g.
Les
Entrepreneurs
et
Dirigeants
Chrétiens
www.lesedc.org,
ou
encore
International
Christian
Union
of
Business
Executives
qui
existe
depuis
1931
www.uniapac.org),
en
accord
notamment
avec
la
Doctrine
Sociale
de
l’Eglise
que
nous
n’aborderont
pas
dans
les
details
dans
ce
travail.
35
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
Historiquement,
et
du
point
de
vue
de
ses
fondements
théoriques
et
empiriques,
le
business
ethics
est
principalement
anglo-‐saxon
(Painter-‐Morland
&
Ten
Bos,
2011),
abordant
les
problématiques
spécifiques
des
grandes
entreprises
étasuniennes
pour
la
plupart,
dans
leur
contexte
juridique,
normatif,
organisationnel
et
institutionnel
(Pasquero,
2000,
2005
;
Epstein
1989).
Ainsi,
ses
prérogatives
ne
parlent
pas
forcément
à
des
entrepreneurs
de
contextes
socio-‐économiques
et
culturels
différents
qui
se
retrouvent
alors
parfois
dans
des
situations
de
vide
institutionnel
(Helin
&
Sandström,
2008
;
Mair
&
Marti,
2009
;
Mair,
Marti
&
Ventresca,
2012).
Par
ailleurs,
ce
business
ethics
est
parfois
assimilé
à
une
forme
supplémentaire
de
domination
et
d’imposition
de
règles
du
jeu
économique
de
part
son
potentiel
usage
comme
outil
coercitif
et
de
contrôle
du
Nord
sur
le
Sud
(dans
une
perspective
postcoloniale,
cf.
e.g.
Banerjee
et
al.
2009)
et
des
Etats-‐Unis
en
particulier
sur
le
reste
du
monde
dont
la
participation
dans
construction
même
de
la
RSE
par
exemple
est
limitée
(cf.
Helin
&
Sandström,
2010
;
Helin
et
al.
2011).
De
plus,
le
business
ethics
jouit
d’une
position
fragile,
à
la
légitimité
contestée
de
la
part
des
hommes
d’affaires
qui
voient
d’un
mauvais
œil
des
impositions
morales
jugées
puristes
ou
idéalistes,
mais
aussi
des
philosophes
qui
ont
eu
trop
tendance
à
mépriser
le
monde
économique
comme
objet
d’étude
et
donc
connaissent
de
fait
mal
ses
problématiques
(Stark,
1993),
comme
le
résume
très
bien
l’introduction
de
Droit
et
Henrot
à
leur
dialogue
Le
Banquier
et
le
Philosophe
(2010
:10):
«
Curieuse
Alliance
!
En
apparence,
tout
les
oppose.
Le
banquier
veut
faire
du
chiffre,
des
profits,
des
affaires.
Le
Philosophe
s’intéresse
à
ce
qui
n’a
pas
de
prix
:
vérité,
liberté,
dignité.
Le
banquier
compte
par
trimestre,
par
mois,
par
jour
ou
même
par
heure.
Le
Philosophe
est
accoutumé
à
penser
par
siècles
ou
par
millénaires.
Le
banquier
est
supposé
ne
voir
que
les
taux,
les
risques,
les
intérêts.
Le
philosophe
est
censé
ne
se
préoccuper
que
d’idées,
de
théorie,
de
principe.
Qu’ont-‐ils
à
se
dire
?
On
pourrait
même
douter
qu’ils
puissent
dialoguer.
Car
on
imagine
que
le
philosophe
doit
par
nature
s’opposer
au
monde
tel
qu’il
est,
et
ne
doit
rêver
que
de
le
détruire.
Le
banquier,
au
contraire,
serait
essentiellement
conservateur,
dépourvu
de
puissance
critique,
solidaire
du
système
établi
».
Ce
texte
illustre
bien
un
autre
point
important
dans
l’histoire
théorique
du
business
ethics
:
elle
puise
son
fondement
surtout
dans
la
philosophie
dite
analytique
en
négligeant
les
apports
«
continentaux
»
(Painter-‐Morland
&
Ten
Bos,
2011).
A
partir
des
revues
de
la
littérature
en
busines
ethics
(par
exemple
:
De
George,
1987
;
Ma
2009),
nous
pouvons
tenter
de
reconstituer
le
cheminement
intellectuel
et
académique
qui
a
conduit
à
l’institutionnalisation
d’une
spécialité
affirmée
aujourd’hui.
Ce
qui
a
pu
être
une
considération
marginale
dans
la
gestion
et
l’économie,
s’est
érigée
en
véritable
institution
(Pasquero,
2005
;
Lee,
2008),
comme
le
montrent
les
évolutions
récentes
du
champ
du
business
ethics
(Lee,
2008;
Ma,
2009
;
De
George,
2010).
De
36
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
George
(2010)
propose
un
découpage
relativement
simple
par
décennie
sur
cette
évolution.
Il
commence
avec
la
période
d’avant
1960
qui
constitue
la
première
phase,
appelée
«
l’éthique
dans
les
affaires
»,
impulsée
principalement
par
un
souci
religieux
autour
des
affaires
et
de
l’éducation
en
gestion.
La
deuxième
phase
concerne
les
années
60,
caractérisées
par
l’augmentation
des
préoccupations
sociales
dans
les
affaires.
La
troisième
phase
(années
70),
voit
émerger
l’éthique
des
affaires
comme
une
discipline
qui
se
consolide
ensuite
dans
la
quatrième
phase
(première
moitié
des
années
1980)
et
commence
à
se
développer
dans
la
cinquième
phase
(après
1985).
Ma
(2009)
bâtit
sur
ce
découpage
et
tente
de
le
compléter
en
examinant
la
période
1997-‐2006,
en
apportant
des
précisions
sur
les
changements
de
paradigmes
et
l’évolution
de
préoccupations
principales.
Il
identifie
aussi
les
principales
publications
où
les
travaux
sur
l’éthique
des
affaires
paraissent.
Il
dégage
ses
résultats
à
partir
de
l’analyse
de
citations
et
co-‐
citations
(Garfield
&
Merton,
1979)
sur
la
base
de
données
Social
Sciences
Citation
index
(SSCI).
Ceci
implique
un
certain
nombre
de
biais
en
particulier
le
fait
d’ignorer
les
publications
non
anglophones,
non
parues
dans
les
journaux
référencés,
et
qui
ne
comportaient
pas
un
des
mots
clés
utilisés.
En
prenant
en
compte
ces
biais,
il
en
ressort
que
les
principaux
journaux
sont
celui
où
est
justement
publié
son
article,
le
Journal
of
Business
Ethics
(1),
suivi
de
l’Academy
of
Management
Review
(2),
l’Academy
of
Management
Journal
(3)
et
le
Business
Ethics
Quarterly
(4).
Ces
quatre
journaux
principaux
sont
suivis
de
journaux
plus
spécialisés
en
marketing
ou
stratégie.
Quant
aux
publications,
il
identifie
qu’entre
1997
et
2001
le
travail
de
Friedman
(1970)
«
The
Social
responsibility
of
business
is
to
increase
its
profits
»
est
le
plus
cité17,
alors
que
pour
la
deuxième
période
2002-‐2006
c’est
celui
de
Carroll
(1979)
«
A
three
dimensional
conceptual
model
for
corporate
performance
»18.
Ainsi,
d’après
Ma
(2009)
nous
sommes
passés
d’un
intérêt
surtout
orienté
vers
la
prise
de
décision
éthique
et
une
approche
théorique
dans
les
5
premières
années,
au
lien
entre
RSE
et
performance
dans
une
optique
d’efficience
par
la
suite.
Mais
l’idée
centrale
qui
découle
de
son
article,
et
que
nous
rejoignons,
c’est
qu’il
n’y
a
pas
de
cadre
théorique
commun
pour
ce
champ
émergent,
qui
se
caractérise
plutôt
par
l’interdépendance
de
ses
questions
relevant
de
cadres,
de
philosophies
et
même
de
théologies
variées
:
«
as
a
result,
although
there
is
no
doubt
that
there
is
an
academic
field
of
business
ethics,
the
question
remains
somewhat
17
Suivi
de
(2)
Ferrell
&
Gresham,
1985:
“A
contingency
framework
for
understanding
ethical
decision
making
in
marketing”;
(3)
De
George,
1987:
“The
status
of
business
ethics,
past
and
future;
et
(4)
Freeman,
1984:
Strategic
management:
a
stakeholder
approach.
17
Suivi
de
(2)
McWilliams
&
Siegel,
2001:
“Corporate
Social
responsibility,
a
theory
of
the
firm
perspective”;
(3)
Freeman
1984:
Strategic
management:
a
stakeholder
approach;
(4)
Wood,
1991:
Corporate
social
performance
revisited.
37
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
unclear
on
what
it
is,
how
good
its
research
is
and
what
are
its
prospects
and
needs
for
future
development
»
(Ma,
2009:256).
Ailleurs
que
dans
les
pays
anglo-‐saxons
(Etats-‐Unis,
Canada
et
Angleterre
principalement),
les
cours
d’éthique
des
affaires
commencèrent
à
peine
à
être
enseignés
il
y
a
une
petite
dizaine
d’années.
En
particulier
en
France,
l’univers
académique
semble
se
débattre
avec
l’intégration
ou
non
de
la
tradition
anglo-‐saxonne
du
business
ethics
d’une
part,
et
la
construction
encore
faible
d’une
alternative
théorique
solide
d’autre
part
(Pesqueux
&
Ramanantsoa
1995
;
Carré,
1998
;
Gond
&
Mullenbach,
2004).
Nous
y
trouvons
d’ailleurs
plus
souvent
des
cours
sous
le
libellé
Responsabilité
sociale
de
l’entreprise
(RSE)
que
d’éthique
des
affaires.
En
effet,
cette
différence
d’appellation
est
en
soi
révélatrice,
car
elle
permet
de
poser
autrement
la
question,
de
concrétiser
d’avantage
la
question
éthique
en
termes
de
responsabilité,
et
d’une
responsabilité
dont
ont
peut
évaluer
la
performance
(sociale
ou
autre),
et
le
degré
de
responsivité
des
acteurs
(Ackerman
&
Bauer,
1976
;
Carroll,
1999).
Enfin,
alors
que
le
lien
entre
les
praticiens
et
la
théorie
d’une
éthique
professionnelle
fait
moins
débat
dans
d’autres
champs
(l’éthique
médicale
non
seulement
est
largement
partagée
par
le
corps
médical
mais
est
construite
et
garantie
de
l’intérieur,
par
exemple
à
travers
l’Ordre
des
médecins),
il
ne
va
pas
de
soi
en
gestion.
Les
praticiens
des
affaires
entretiennent
en
effet
une
relation
davantage
problématique
avec
l’éthique
des
affaires,
car
selon
certaines
théories
encore
quelque
peu
dominantes,
les
affaires
sont
a-‐morales,
voire
délibérément
immorales
si
nécessaire,
car
leur
but
est
autre
et
elles
se
situent
dans
une
autre
sphère.
Depuis
les
années
60,
le
débat
est
donc
de
comprendre
quel
est
la
nature
et
le
but
de
la
morale
dans
les
affaires
:
l’éthique
des
affaires
est-‐elle
l’étude
des
moyens
moralement
acceptables
pour
conduire
des
affaires,
ou
l’introduction
de
fins
autres
que
la
rentabilité
?
Ou
quelque
chose
d’autre
encore
?
C’est
toute
la
question
autour
de
la
responsabilité
sociale
de
l’entreprise
(RSE).
De
là
surgit
la
division
entre
ceux
qui
soutiennent
cette
position
et
les
partisans
d’une
amoralité
des
affaires,
selon
la
devise
que
la
seule
responsabilité
de
l’entreprise
est
d’augmenter
les
profits
pour
ses
actionnaires
(‘the
sole
responsibility
of
business
is
to
increase
shareholder
profit’,
Friedman,
1970).
Sinon,
elles
risquent
de
nuire
au
bon
fonctionnement
du
marché
et
donc
au
bien
être
de
tous,
toujours
selon
leur
paradigme.
De
son
côté,
les
partisans
de
la
responsabilité
sociale
de
l’entreprise
soutiennent
les
effets
bénéfiques
gagnant-‐gagnant
à
la
fois
pour
les
actionnaires
(notamment
par
les
effets
positifs
sur
la
réputation
de
l’entreprise)
et
pour
les
bénéficiaires
(parties
prenantes,
environnement).
Notre
revue
de
la
littérature
relève
autant
d’articles
qui
cherchent
à
établir
une
corrélation
(parmi
d’autres
:
Cochran
&
Wood,
1984
;
Griffin
&
38
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
Mahon,
1997
;
McWilliams
&
Siegel,
2000
;
Orlitzky
et
al.
2003)
et
plus
largement
entre
un
comportement
éthique/non-‐éthique
et
des
avantages
financiers
(cf.
Bhide
&
Stevenson,
1990).
Ceci
ne
peut
que
nous
laisser
perplexes
et
nous
pousser
à
poser
autrement
le
problème
:
est-‐ce
moral
d’augmenter
ses
gains
par
le
biais
d’actions
socialement
responsables,
qui
sont
alors
instrumentalisées
dans
l’objectif
du
profit
?
En
effet,
même
lorsqu’on
accepte
que
le
but
ultime
de
l’entreprise
soit
le
profit,
on
peut
accepter
que
certaines
de
ces
activités
n’y
soient
pas
consacrées
à
cet
objectif,
mais
à
d’autres
actions
(comme
entretenir
des
activités
de
mécénat
par
exemple).
Ainsi
le
débat
tourne
autour
du
bien
fondé
de
l’orientation
téléologique
des
affaires,
dans
quelle
mesure
il
est
bon
ou
pas
de
poursuivre
tel
but,
ce
qui
provoque
des
débats
incessants
entre
théoriciens
de
l’éthique
des
affaires
et
praticiens
de
l’économie.
Ni
les
uns
ni
les
autres
arrivent
à
considérer
le
champ
avec
suffisamment
de
légitimité,
et
restent
souvent
bloqués
par
des
incompréhensions
mutuelles
qui
reposent
tout
simplement
sur
une
absence
de
définition
claire
et
partagée
de
ce
qu’est
l’éthique.
Ainsi,
la
prolifération
taxinomique
signalée
dans
notre
introduction
(cf.
aussi
la
figure
1
à
titre
d’illustration)
et
l’absence
d’une
unité
de
sens
donnée
et
reconnue
à
chacun
des
mots
à
quoi
on
ajoute
la
multiplication
herméneutique
en
fonction
des
contextes
socioculturels
et
historiques,
ne
sont
pas
des
points
de
détail.
Au
contraire,
cela
révèle
l’enjeu
principal
que
doit
affronter
le
business
ethics,
de
clarification,
d’unification,
au
sein
d’autres
traditions
d’éthique
des
affaires
qui
ne
correspondent
pas
nécessairement
à
l’approche
anglo-‐saxonne
issue
largement
d’une
tradition
de
philosophie
analytique
et
de
son
contexte
socioculturel.
Ainsi,
les
imprécisions
linguistiques
et
terminologiques
ne
sont
que
le
symptôme
visible
d’une
confusion
au
niveau
conceptuel.
Cette
confusion
est
d’ailleurs
souvent
invoquée
par
les
détracteurs
qui
s’en
servent
pour
justifier
son
inutilité,
immaturité,
ou
non-‐pertinence.
Les
imprécisions
terminologiques
sont
repérées
très
tôt
:
Lee
(1928)
note
déjà
les
usages
indifférenciés
des
mots
éthique
et
morale
au
sein
du
champ
business
ethics,
dont
il
ne
donne
d’ailleurs
qu’une
définition
très
sommaire
comme
ce
qui
désigne
de
manière
très
large
les
codes
et
procédures
qui
sont
moralement
acceptables.
Il
déplore
d’ailleurs
l’usage
du
mot
éthique
qu’en
font
les
entreprises
(dans
des
expressions
comme
«
codes
éthiques
»
par
exemple),
comme
«
philosophiquement
déplorable»
(1928:461).
Car
on
arrive
ainsi
à
se
perdre
dans
une
rhétorique
obscure
(Goodpaster,
1985),
qui
contribue
d’une
part
à
la
confusion
au
sein
du
domaine,
et
au
mépris
des
autres
branches
des
sciences
sociales.
En
particulier
en
France,
qui
peine
à
intégrer
les
apports
plus
structurés
de
la
tradition
anglo-‐
saxonne,
les
fondements
philosophiques
39
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
sont
souvent
utilisés
de
manière
abusive
et
inadéquate,
en
juxtaposant
des
éléments
qui
ne
trouvent
pas
une
cohérence
générale
dans
un
ensemble
unifié.
Pour
résoudre
ou
plutôt
masquer
ce
problème,
il
est
fréquent
de
trouver
des
phrases
qui
à
titre
d’excuse
plus
que
d’argument,
permettent
aux
auteurs
‘pour
faciliter
la
lecture’,
de
ne
pas
rentrer
dans
le
débat
millénaire
de
différentiation
entre
’éthique
et
morale,
et
de
se
‘résigner’
à
les
employer
comme
synonymes.
Il
en
résulte
que
l’ensemble
du
champ
est
empreint
de
cette
suspicion
–
souvent
fondée
–
d’absence
de
rigueur
conceptuelle,
qui
donne
un
nouvel
élément
pour
justifier
son
mépris
de
la
part
des
praticiens
et
autres
disciplines
autant
en
gestion
qu’en
philosophie.
1.1.1.2.
...et
des
applications
tout
autant
diverses
et
confuses
Par
ailleurs,
il
semble
y
avoir
une
confusion
entre
différents
niveaux
(macro-‐
méso-‐micro)
dans
la
question
de
l’éthique
dans
les
affaires,
qui
est
loin
d’être
tranchée
et
qui
complexifie
les
considérations
appliquées
de
l’éthique
des
affaires.
Tout
d’abord,
il
y
a
des
préoccupations
d’ordre
macro-‐politique
et
socio-‐
économique,
souvent
formulées
sous
l’angle
de
la
responsabilité
globale
environnementale
et
de
justice
sociale.
A
la
suite
d’autres
travaux
tels
que
ceux
de
Sen
(1990)
ou
Bauman
(2009)
pour
n’en
citer
que
quelques
uns,
on
s’interroge
par
exemple
sur
les
écarts
de
distribution
des
richesses
dans
le
monde
(Cohen,
1998),
comparée
à
celle,
hyper-‐concentrée
de
certaines
entreprises,
dont
les
banques
d’affaires,
qui
représenteraient
une
bonne
partie
des
premières
économies
mondiales
si
elles
étaient
des
pays19
:
«
La
Tanzanie
gagne
2,2
milliards
de
dollars
par
an,
qu’elle
doit
redistribuer
entre
ses
25
millions
d’habitants.
La
banque
Goldman
Sachs
gagne
2,6
milliards
de
dollars
par
an,
qu’elle
reverse
ensuite
à
ses
161
actionnaires
»
(Bauman,
2009
:
280,
cité
in
Deslandes,
2012
:2).
Cet
aspect
là
est
souvent
regroupé
sous
l’appellation
«
business
and
society
»,
et
vise
à
adresser
les
questions
macro-‐sociétales
des
affaires
et
leurs
impacts
sur
la
planète
et
l’humanité.
C’est
largement
concentré
sur
la
littérature
autour
de
la
notion
de
responsabilité
sociale
des
entreprises
(RSE,
ou
CSR
en
anglais
pour
corporate
social
responsibility).
C’est
la
forme
récente
qu’a
pris
la
préoccupation
plus
ancienne
des
effets
concrets
qu’ont
les
entreprises
sur
le
monde
et
la
société,
la
réflexion
sur
la
finalité
de
leurs
activités
économiques.
Un
changement
dans
la
conception
des
entreprises
et
leurs
activités
a
récemment
accentué
et
explicité
leur
19
Voir
aussi
Hoomweg
et
al.
2010,
leur
étude
pour
la
banque
mondiale
sur
les
100
premières
économies
du
40
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
41
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
cf.
Hart,
1995),
ayant
fait
l’objet
de
rendez
vous
diplomatiques
internationaux
(Sommet
de
la
Terre
de
Stockholm
en
1972,
celui
de
Rio
de
Janeiro
en
1992,
celui
de
Johannesburg
en
2002).
Ce
versant
écologique
s’est
traduit
dans
la
construction
du
concept
de
développement
durable
ou
soutenable
:
“meeting
the
needs
of
the
present
generation
without
compromising
the
ability
of
future
generations
to
meet
their
needs”
(WCED
report,
1987:43).
Ainsi
il
y
a
l’enjeu
de
survie
dans
le
temps
futur
qui
devient
un
pilier
essentiel:
“[sustainability
is]
the
possibility
that
humans
and
other
life
forms
will
flourish
on
the
earth
forever.
Flourishing
means
not
only
survival,
but
also
the
realization
of
whatever
we
as
humans
declare
makes
life
good
and
meaningful,
including
notions
like
justice
freedom
and
dignity.
And
as
a
possibility,
sustainability
is
a
guide
to
actions
that
will
or
can
achieve
its
central
vision
of
flourishing
for
time
immemorial
(...)
it
is
a
future
vision
from
which
we
can
construct
our
present
way
of
being.”
Ehrenfeld
(2000:
36-‐37,
cf.
aussi
Jennings
&
Zandberger,
1995).
Parfois
les
entreprises
leaders
du
mouvement
promeuvent
le
fait
qu’une
initiative
éthique
devienne
une
norme
inscrite
dans
la
loi
(par
exemple
en
matière
de
pollution
et
l’émergence
d’un
droit
de
l’environnement,
cf.
Rebeyrol,
2010)
ou
du
moins
une
norme
plus
ou
moins
institutionnalisée
et
un
acquis
dans
le
policy-‐making
international
et
des
agendas
politico-‐économiques
(tel
semble
être
le
cas
par
exemple
de
la
Global
Reporting
Initiative
(Acquier
&
Aggeri,
2008)
ou
du
UN
Global
Compact).
L’objectif
largement
accepté
est
celui
de
viser
l’équilibre
entre
les
différentes
priorités
de
la
«
triple
bottom
line
»
(Elkington,
1998),
qui
intègre
les
objectifs
sociaux
et
environnementaux
à
la
bottom
line
classique
du
profit
économique.
Comme
mentionné
précédemment,
le
fait
de
localiser
l’éthique
au
niveau
dépersonnalisé
des
structures
et
des
procédures
rend
l’évaluation
et
la
mesure
statistique
de
la
performance
un
enjeu
primordial.
Il
y
a
ainsi
de
nombreux
travaux
de
recherche
à
l’intersection
de
la
stratégie,
de
la
comptabilité
et
de
la
finance
qui
visent
à
établir
une
relation
positive
ou
négative
entre
le
comportement
socialement
responsable
et
la
performance
financière
et
à
développer
des
mesures
pour
évaluer
cette
performance.
Mais
malgré
l’important
corpus
de
travaux
sur
cette
question,
les
conclusions
quand
à
cette
possible
corrélation
sont
contradictoires
(Ullman
1985
;
Margolis
&
Walsh,
2003;
Orlitzky,
Schmidt
&
Rynes
2003;
Barnett
&
Salomon,
2006
;
Van
Beurden
&
Gössling,
2008…).
Ceci
découle
de
la
thèse
séparatiste
et
de
l’amoralité
des
affaires,
et
dans
ce
cas,
les
questions
de
responsabilité
sociale
ne
seront
prises
en
compte
que
si
et
seulement
si
une
corrélation
positive
peut
être
établie.
Cette
idée
est
résumée
par
l’interprétation
grossière
communément
donnée
au
dictum
de
Friedman
(1970)
:
le
management
ne
sera
considéré
comme
agissant
de
manière
responsable
que
42
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
s’il
maximise
le
profit
de
ses
actionnaires.
Si
devenir
socialement
responsable
implique
des
coûts,
une
baisse
de
la
productivité
et
du
rendement,
ou
tout
simplement
si
une
corrélation
positive
ne
peut
être
établie,
alors
il
serait
de
la
responsabilité
des
managers
de
l’ignorer
voire
de
l’empêcher
de
manière
proactive.
En
effet,
selon
certaines
études,
le
marché
tendrait
même
à
“punir”
les
entreprises
socialement
responsables,
et
à
ne
pas
punir
les
entreprises
ouvertement
non
éthiques
qui
se
portent
bien,
tels
le
tabac
ou
les
énergies
polluantes
(Reich,
2007).
Quoi
qu’il
en
soit,
cet
objectif
macro
est
certes
difficilement
contestable
de
nos
jours
–
malgré
la
subsistance
de
quelques
cyniques-‐
mais
le
flou
définitionnel
mentionné
plus
haut
se
traduit
par
de
l’inefficacité
(Brenkert,
2010).
En
effet,
il
y
a
un
déficit
important
de
travaux
réfléchissant
aux
fondements
conceptuels
par
exemple
du
concept
de
développement
durable
:
Faber,
Jorna
&
van
Engelen
(2005)
comparent
une
cinquantaine
de
définissions
et
aboutissent
à
la
conclusion
qu’il
manquent
des
fondements
partagés.
En
effet,
“the
objectives
seemed
clear
and
not
in
need
for
further
discussion,
or
they
seemed
clear
enough
for
a
debate
around
process
to
begin,
as
opposed
to
a
discourse
on
objectives”
(Fergus
&
Rowney,
2005:200
;
cf.
Pérezts
&
Picard,
working
paper
2012).
Actuellement,
la
recherche
essaye
donc
de
creuser
l’idée
sous-‐jacente
d’une
double
solidarité
commune
à
cette
approche
macro.
Premièrement,
une
solidarité
horizontale
entre
tous
ceux
qui
partagent
cette
planète
et
ses
ressources
et
en
particulier
les
pays
les
moins
favorisés,
plus
exposés
aux
inégalités
sociales
et
aux
risques
environnementaux
de
pollution
(cf.
les
scandales
récents
sur
les
déchets
toxiques
ou
nucléaires
dans
ces
pays)
:
des
auteurs
comme
Beck
mais
parmi
d’autres,
ont
souligné
le
fait
que
face
aux
risques
contemporains,
il
y
a
une
inégalité
sociale
prononcée
car
“wealth
accumulates
at
the
top,
risks
at
the
bottom.”
(Beck,
1992:35).
Ainsi
ce
sont
les
populations
des
pays
du
Sud
ou
défavorisées
qui
sont
plus
exposées
aux
effets
néfastes,
d’autant
plus
qu’ils
ont
également
un
accès
moindre
à
des
moyens
(non
seulement
financiers
mais
aussi
en
termes
d’éducation
et
d’information)
pour
se
prémunir.
La
théorie
des
parties
prenantes
contribue
fortement
à
cet
axe
de
recherche,
ainsi
que
les
approches
qui
réintroduisent
le
concept
de
‘bien
commun’
à
prétention
universelle,
construit
sur
une
base
d’héritage
grec
et
aristotélicien
en
particulier
d’une
part
et
la
doctrine
sociale
de
l’église
d’autre
part
(voir
par
exemple
:
Melé,
2009).
En
effet,
en
économie
il
est
plus
courant
de
parler
«
des
biens
communs
»
au
pluriel,
pour
signifier
l’ensemble
de
ce
qu’en
anglais
on
appellerait
shared
commodities
(tels
les
ressources
naturelles
d’un
pays),
alors
qu’en
politique
ou
comme
c’est
aussi
le
cas
en
éthique
des
affaires,
on
en
parle
au
contraire
au
singulier
et
en
se
référant
aux
institutions
ou
des
services
publiques
(tel
l’éclairage
public
des
villes).
Deuxièmement,
43
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
une
solidarité
verticale
entre
les
générations
actuelles
et
futures,
à
travers
la
notion
de
justice
inter-‐organisationnelle.
Dans
l’ensemble,
tout
cela
participe
de
la
tendance
générale
en
direction
d’une
gouvernance
mondiale
(Held,
2004)
et
d’une
citoyenneté
des
entreprises
(Scherer
&
Palazzo,
2008)
afin
de
contrôler
les
effets
non
désirés
de
la
mondialisation
économique
(Daly
et
al,
1994).
En
effet,
on
y
voit
une
prééminence
sur
les
politiques
nationales,
afin
de
s’orienter
vers
un
bien
commun
mondial:
“in
the
business
sphere
it
is
reasonable
to
be
expected
that
global
ethics
would
normally
translate
into
universal
principles
of
business
ethics
for
the
global
market
–
as
suggested
by
the
then
Secretary
General
of
the
United
Nations,
Kofi
Annan
in
his
speech
at
the
World
economic
Forum
1999
when
he
initiated
the
UN
Global
Compact”
(Bonanni
et
al.,
2011:
6).
Ensuite,
de
nombreux
travaux
qui
se
concentrent
sur
le
niveau
méso,
souvent
organisationnel
de
l’éthique,
et
auquel
correspond
davantage
l’appellation
business
ethics.
Mais
là
aussi,
de
nombreuses
questions
se
posent
:
si
nous
localisons
l’éthique
au
niveau
de
l’organisation,
l’élément
humain
n’est
plus
que
l’agent
exécutant
d’une
logique
et
d’un
éthos
qui
le
dépassent,
ceux
de
l’organisation,
dont
il
n’est
plus
l’épicentre.
Et
cette
dépersonnalisation
peut
littéralement
conduire
à
abandonner
l’idée
que
si
l’organisation
est
responsable,
alors
chaque
individu
en
son
sein
est
responsable.
Or,
on
s’aperçoit
que
ceci
vire
plus
souvent
à
‘comme
l’organisation
est
responsable,
alors
personne
ne
l’est
réellement’,
protégés
qu’ils
le
sont
par
les
statuts
légaux.
Ceci
est
en
effet
un
des
principaux
avantages
des
sociétés
anonymes
et
des
personnes
morales
:
l’ironie
de
leur
appellation
est
en
effet
le
garant
de
la
personne
physique
qui
n’a
plus
de
responsabilité
personnelle,
ou
celle-‐ci
est
difficilement
engageable.
Jackall
(2010)
est
un
de
ceux
qui
ont
montré
les
rouages
détaillés
de
comment
ceci
opère,
comment
les
affaires
comme
un
‘terrain
social
et
moral’
particulier.
Dans
cet
univers,
l’impératif
moral
dominant
est
celui
de
«
reward
being
commensurate
with
effort
»
(2010
:1)
d’une
part,
mais
d’autre
part
on
se
repose
sur
la
ruse,
la
chance,
la
politique,
le
bon-‐parler
et
l’entretien
d’un
réseau
stratégique
de
relations
pour
survivre.
Donc
la
responsabilité
managériale
est
réduite
à
une
alternative
assez
simple
:
le
bon
manager
est
celui
qui
sait
faire
la
différence
entre
un
objectif
atteint
ou
pas,
et
qui
saura
mettre
suffisamment
de
pression
sur
ses
équipes
pour
y
arriver.
La
responsabilité
est
ainsi
tellement
diluée
dans
les
échelons
inférieurs,
qu’il
est
alors
impossible
de
savoir
où
elle
réside
réellement.
Et
la
mesure
du
bien
est
simple
:
ce
que
veut
celui
au-‐dessus
de
nous.
Mais
même
lorsque
l’on
se
focalise
sur
le
niveau
micro
des
personnes
au
sein
des
organisations,
les
questions
pratiques
restent
réelles
et
complexes.
Dans
l’analyse
de
Jackall
(2010),
c’est
l’ambition
individuelle
qui
tient
lieu
non
pas
de
vice
mais
de
44
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
vertu,
peut
être
la
seule
qui
compte
d’ailleurs.
Tout
n’est
qu’une
question
de
jeux,
de
gagnants
et
de
perdants,
d’échanges
commerciaux
de
prendre
et
de
donner
–
‘surtout
de
prendre’,
comme
dit
sur
un
ton
provoquant
Michael
Moore
(2009).
A
ce
niveau,
nous
retrouvons
de
nombreuses
études
dont
le
point
focal
devient
alors
la
prise
de
décision
éthique
(cf.
O’Fallon
&
Butterfeld,
2005)
ou
encore
le
leadership
éthique
des
dirigeants
(Treviño
et
al.
2003
;
Brown
&
Treviño,
2006).
La
dépersonnalisation
dans
ces
travaux
est
plus
subtile
:
on
parle
bel
et
bien
de
managers,
de
leaders
éthiques
qui
luttent
pour
sauver
leur
organisation
dans
un
environnement
hostile
et
compétitif,
mais
on
reste
au
niveau
des
rôles,
en
oubliant
parfois
de
regarder
qui
se
trouve
derrière
ces
dramatis
personnae
que
sont
les
manageurs,
les
PDG,
les
cadres...
Plus
encore,
on
peut
facilement
supposer
que
les
éthiques
sont
différentes
en
fonction
du
type
d’organisation,
ce
qui
nous
mènerait
à
conclure
au
relativisme
et
penser
qu’il
y
a
autant
d’éthiques
que
d’organisations
ou
même
de
groupes.
Et
on
pose
alors
légitimement
la
question
si
cette
éthique
singulière
propre
à
chaque
organisation
s’impose
à
ses
membres
et
comment,
et
comment
est-‐elle
construite,
légitimée,
adoptée
et
reproduite
?
Werhane
(1998,
2008)
explore
une
facette
de
ce
phénomène
à
travers
le
concept
d’imagination
morale
:
pour
elle,
si
les
entreprises
se
comportent
de
manière
déviante
c’est
parce
que
ses
managers
ou
décideurs
n’ont
pas
eu
l’imagination
nécessaire
pour
changer
les
schémas
mentaux
qui
leur
étaient
en
quelque
sorte
imposés
ou
imprimés.
Une
des
dimensions
essentielles
à
considérer
ici
est
la
notion
d’éthique
professionnelle
(par
exemple
:
médicale),
qui
impose
de
façon
unificatrice
des
directives
morales
aux
membres
qui
souhaitent
appartenir
à
ce
groupe
professionnel
(via
divers
mécanismes,
rituels
ou
certifications,
i.e.
le
serment
d’Hippocrate).
La
force
de
la
socialisation
des
groupes
est
forte
:
«
such
voluntary
self-‐rationalization
produces
the
deepest
internalization
of
social
goals,
creating
at
the
same
time
relatively
enclosed
social
worlds
that
allow
people
to
bracket
moralities
to
which
they
might
adhere
in
their
homes,
churches
or
other
social
settings
(…).
Occupational
rules-‐in-‐use
gain
ascendency
over
more
general
moral
and
ethical
standards.
Moral
choices
become
inextricably
tied
to
organizational
fates.
»
(Jackall,
2010
:238).
Godechot
(2001)
en
a
fait
une
étude
précise
pour
la
population
des
traders
par
exemple,
en
retraçant
les
mécanismes
de
socialisation,
de
ségrégation
et
de
formation
d’un
éthos
commun
progressif
dès
l’école
d’origine
et
le
choix
des
filières,
la
réussite
ou
non
dans
l’intégration
de
certaines
institutions
etc.
Or,
il
est
essentiel
selon
la
suite
d’une
longue
tradition
récemment
à
rappelée
l’ordre
du
jour
(Bevan
&
Corvellec,
2007
;
Deslandes,
2011b,
2012)
que
ce
niveau
micro
doit
être
pris
au
sérieux
au
delà
des
rôles
et
des
fonctions
des
personnes,
et
au
delà
de
45
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
considérations
sur
la
prise
de
décision,
ou
le
leadership
inhérents
aux
rôles.
On
retrouve
ici
un
écho
à
la
philosophie
de
Lévinas,
et
on
revient
à
l’évidence
qu’il
relève
presque
de
l’absurde
de
parler
de
responsabilité
sociale
de
l’entreprise,
en
semblant
oublier
que
la
responsabilité
ne
peut
résider
que
chez
les
personnes
qui
conforment
ces
entreprises,
dans
leur
unicité
singulière
et
relationnelle.
C’est
une
condition
pour
que
l’on
puisse
véritablement
parler
d’éthique
managériale
par
exemple,
puisqu’au
final
ce
sont
des
personnes,
au
delà
de
leurs
rôles,
qui
prennent
des
décisions
et
assument
des
responsabilités
en
agissant
au
sein
de
groupes
d’autres
personnes.
Nous
reviendrons
longuement
et
plus
en
détail
sur
ce
dernier
niveau
qui
occupera
une
partie
essentielle
de
notre
développement.
En
conclusion
provisoire,
nous
ne
pouvons
que
remarquer
que
quelque
soit
le
niveau,
le
bien
s’est
banalisé,
verbalement,
conceptuellement,
médiatiquement,
stratégiquement.
La
conséquence
de
cette
banalité
du
bien
véhiculée
par
l’éthique
des
affaires
en
est
la
dissociation
entre
l’éthique
et
la
pratique,
éclatée
à
ces
différents
niveaux
d’analyse,
et
dont
les
articulations
restent
floues
et
non-‐actualisées.
Ils
restent
donc
de
nombreux
éléments
à
clarifier,
et
en
particulier
la
question
de
l’orchestration
de
ces
différents
niveaux
irrigués
par
la
mode
éthique.
La
manière
dont
s’est
progressivement
construit
le
mainstream
de
l’éthique
des
affaires
résulte
en
une
dissociation
de
l’éthique
avec
ses
dimensions
pratique
et
empirique.
Le
cynisme
ambiant
semble
la
cantonner
à
une
série
de
bonnes
intentions
et
de
belles
paroles
qui
ne
se
traduisent
que
difficilement
dans
la
réalité.
Or,
il
y
a
bien
les
affaires
dans
l’expression
‘éthique
des
affaires’,
et
ceci
appelle
à
la
dimension
appliquée
qui
revient
au
cœur
des
questionnements.
Quelle
est
la
place
qu’occupe
l’éthique
au
sein
des
affaires
?
Comment
s’applique-‐t-‐elle
dans
les
affaires
?
Quelle
est
son
utilité
dans
les
affaires?
A
ce
sujet
encore,
de
nombreuses
explications
envahissent
l’univers
discursif
académique
et
praticien.
Cette
expression
recouvre
en
parallèle
une
série
de
matérialisations
tout
autant
problématiques
au
sein
des
organisations
qui
semblent
cristalliser
la
division
entre
le
champ
des
valeurs
d’une
part
et
le
champ
des
applications
pratiques
d’autre
part.
Par
ailleurs,
cette
division
semble
recouvrir
un
présupposé
intéressant
:
on
assume
une
préexistence
logique,
temporelle
et
46
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
1.1.2.1.
La
division
organisationnelle
de
l'éthique
La
dissociation
paradoxale
entre
l’éthique
et
la
pratique
(Painter-‐Morland,
2008)
nous
apparait
d’emblée
dans
les
usages
communs
qui
en
sont
faits
dans
les
organisations.
Dans
le
secteur
bancaire
comme
ailleurs,
l'éthique
dans
les
organisations
semble
se
matérialiser
sous
deux
formes
principales
dont
la
distinction
est
assez
claire.
D'un
côté
ce
que
nous
proposons
d'appeler
l'éthique
comme
intention
et
que
nous
identifions
aux
valeurs,
codes
d’éthique
et
à
la
communication
liée
à
la
RSE,
au
développement
durable
etc.,
qui
recouvre
des
principes
moraux
fondamentaux
sans
recouvrir
leurs
actualisations
par
des
mesures
ou
procédures
non
volontaires.
De
l'autre,
ce
que
nous
appelons
l'éthique
comme
expertise
normative,
qui
recouvre
la
déontologie
(de
plus
en
plus
appelée
conformité),
parfois
appelée
éthique
appliquée,
et
qui
à
notre
sens,
confond
à
nouveau
éthique
et
morale.
Ces
deux
matérialisations
organisationnelles
(cf.
Figure
ci-‐dessous)
suivent
une
évolution
parallèle
et
ne
sont
paradoxalement
pas
souvent
liées.
La
première,
l’éthique
comme
intention,
recouvre
un
ensemble
d’initiatives
allant
des
initiatives
philanthropiques,
aux
dispositifs
de
mesures
sociales
et
environnementales
sur
la
base
du
volontariat.
On
voit
de
plus
en
plus
souvent
se
constituer
au
sein
des
organisations
des
‘départements
RSE’
(ou
‘développement
durable’
ou
parfois
d’autres
appellations
qui
font
écho
à
cette
idée).
Leur
domaine
recouvre
tout
ce
qui
n’est
pas
de
l’ordre
de
la
contrainte
juridique,
mais
au
contraire
toutes
les
initiatives
visant
à
communiquer
sur
l’engagement
citoyen
et
écologique
de
l’activité
de
l’entreprise,
sur
sa
dimension
citoyenne,
y
compris
vis-‐à-‐vis
de
ses
propres
salariés
(i.e.
respect
de
la
diversité
etc.).
47
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
Juristes,
Responsables
RSE,
Acteurs
qui
les
portent
DRH,
CEO,
déontologues,
responsables
et
dans
l'organisa$on
responsables
de
la
communica$on...
analystes
de
la
Conformité
Communica$ons
internes
(vis-‐à-‐vis
Organisa$on
des
employés)
et
d'événements,
Veille
parrainage,
Mise
en
applica$on
réglementaire,
externes
(vis-‐à-‐vis
de
du
cadre
la
soci
mécénat,
etc.
rapports
avec
les
réglementaire
et
sa
organismes
externes
Ac$ons
concrètes
traduc$on
dans
des
disposi$fs
internes
(régulateurs
etc.)
de
sruveillance
et
de
direc$ves
La
deuxième,
l’éthique
comme
expertise
normative,
est
encadrée
en
fonction
des
spécificités
du
secteur
(en
l'occurrence
le
secteur
bancaire
et
financier)
par
des
organismes
nationaux,
internationaux,
ONGs
et
un
cadre
réglementaire
légal
précis
qui
délimite
non
pas
ce
qui
est
‘louable’,
ce
qui
est
‘bon’
et
‘juste’,
ou
tout
simplement
ce
qui
est
‘bien
vu’
(comme
dans
le
cas
de
l’éthique
comme
intention)
mais
ce
qui
est
légal,
autorisé
dans
le
cadre
de
la
loi.
On
retrouve
là
aussi
cette
dimension
dans
une
partie
clairement
identifiée
des
organisations,
telle
un
département
dédié
à
la
déontologie
et
à
la
conformité,
ou
tout
simplement
un
département
juridique
dont
une
des
principales
missions
est
non
seulement
la
gestion
interne
des
procédures
vis-‐à-‐vis
des
obligations
juridiques,
mais
surtout
l’interprétation
de
celles-‐ci
et
leur
traduction
dans
des
directives
internes,
en
particulier
concernant
les
zones
grises
des
textes
qui
laissent
une
marge
plus
ou
moins
importante
pour
une
telle
interprétation.
Comme
montré
précédemment,
de
nombreuses
tentatives
se
développent
pour
concilier
ces
deux
versants
de
l’éthique,
et
notre
travail
cherche
à
contribuer
entre
autres
à
la
compréhension
de
cette
séparation
et
à
son
dépassement.
Ces
deux
matérialisations
distinctes
de
l’éthique
dans
les
organisations
ont
cependant
des
points
communs
non
négligeables.
Tout
d’abord,
ces
deux
versants
48
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
49
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
objectivable
pour
renouer
avec
une
autre
conception
de
l’éthique,
mais
explorons
avant
leurs
fondements
et
implications.
1.1.2.2.
Le
Bien
et
le
Mal
comme
objets
de
connaissance
et
de
contrôle:
implications
d'une
éthique
"objective"
A
la
lumière
de
ce
qui
vient
d’être
dit,
il
y
a
donc
une
implication
principale
qui
nous
intéresse
tout
particulièrement:
ce
qu’on
pourrait
qualifier
de
dimension
épistémique
de
l’éthique
qui
est
spécifique
dans
l’éthique
des
affaires,
et
qui
comporte
d’importantes
conséquences
morales.
Tout
d’abord,
il
y
a
une
idée
implicite
que
l’éthique
implique
une
certaine
définition
de
ce
qu’est
le
Bien,
un
contenu
positif,
identifiable,
en
particulier
par
rapport
à
son
opposé,
le
Mal.
En
effet,
la
question
préliminaire
de
la
connaissance
du
Bien
et
du
Mal
se
pose
comme
un
réel
défi,
en
particulier
en
temps
de
crise
:
suffirait-‐il
de
les
connaître,
et
donc
de
les
différentier,
pour
résoudre
la
situation
et
orienter
son
action
?
Qu’y-‐a-‐t-‐il
derrière
ces
catégories,
aussi
abstraites
que
relatives
?
La
crise
se
résume-‐t-‐elle
à
une
question
de
mauvaise
représentation
du
Bien
?
Ou
de
non-‐application
ou
mauvaise
mise
en
pratique
du
Bien
?
Il
semblerait
qu’il
y
ait
une
dimension
épistémique
préalable
à
l’intention
et
à
l’action,
et
qui
érige
les
catégories
de
Bien
et
de
Mal
en
objets
d’une
connaissance
qu’on
assume
possible.
Cette
connaissance,
permettrait
à
son
tour,
comme
toute
connaissance,
un
niveau
de
contrôle
sur
le
Bien
et
le
Mal
–
un
présupposé
qui
n’est
pas
anodin.
On
se
souvient
à
ce
propos
d’un
des
mythes
fondateurs
de
la
culture
occidentale:
l’épisode
de
la
Genèse20
autour
de
l’Arbre
de
la
Connaissance
du
Bien
et
du
Mal.
L’homme
et
la
femme
désobéissent
en
mangeant
de
son
fruit,
et
leur
condition
devient
celle
de
l’humanité
mortelle
dont
le
chemin
de
vie
consiste
à
s’efforcer
de
renouer
avec
le
Créateur
après
cette
chute.
Ce
passage
recèle
de
nombreuses
interprétations
qui
ont
forgé
notre
inconscient
collectif
et
nos
cadres
de
référence
de
ce
que
l’on
considère
bien
et
mal.
Or,
en
arrière
fond
de
ce
mythe
se
trouve
l’idée
non
pas
d’une
opposition
(Bien
vs.
Mal)
mais
d’une
totalité
ou
d’un
absolu
sous
la
forme
dichotomique
complémentaire:
20
«
9
Yahvé
Dieu
fit
pousser
du
sol
toute
espèce
d'arbres
séduisants
à
voir
et
bons
à
manger,
et
l'arbre
de
vie
au
milieu
du
jardin,
et
l'arbre
de
la
connaissance
du
bien
et
du
mal.
15
Yahvé
Dieu
prit
l'homme
et
l'établit
dans
le
jardin
d’Eden
pour
le
cultiver
et
le
garder.16
Et
Yahvé
Dieu
fit
à
l'homme
ce
commandement
:
"Tu
peux
manger
de
tous
les
arbres
du
jardin.17
Mais
de
l'arbre
de
la
connaissance
du
bien
et
du
mal
tu
ne
mangeras
pas,
car,
le
jour
où
tu
en
mangeras,
tu
deviendras
passible
de
mort"
»
Source
:
Bible
de
Jérusalem
(2,9
;
15-‐17),
édition
de
l’Ecole
biblique
et
archéologique
Française,
2007.
50
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
«
le
Bien
et
le
Mal
»
(que
l’on
retrouve
dans
des
expressions
telles
«l’Alpha
et
l’Omega»,
ou
encore
«le
Ciel
et
la
Terre»)
en
hébreux
et
autres
langues
sémitiques,
ne
se
limite
pas
à
l’opposition
des
deux
termes
mais
plutôt
à
leur
association
comme
expression
d’un
Tout,
d’où
le
fait
que
le
fruit
de
cet
arbre
était
défendu,
car
relevant
du
caractère
totalisant
du
divin.
De
plus,
la
«
connaissance
»
de
ce
Tout
ne
l’est
pas
au
sens
rationnel,
abstrait
et
moderne
du
terme,
mais
au
sens
profond,
intime21
:
le
premier
couple
va
en
effet
croquer
et
manger
de
ce
fruit,
en
s’imprégnant
sensuellement
de
lui.
Cette
connaissance
absolue
est
porteuse
d’un
pouvoir
absolu,
divin
(cf.
Genèse
3,5),
qui
fait
écho
à
d’autres
mythes
de
ce
pêché
humain
de
l’hybris
(i.e.
Prométhée,
la
tour
de
Babel...)
de
vouloir
tout
contrôler
et
dominer,
à
l’image
des
dieux
omnipuissants.
Nous
comprenons
alors
pourquoi
nous
nous
sentons
menacés
en
temps
d’incertitude
et
de
crise,
qui
radicalisent
notre
désir
de
connaître
pour
contrôler,
de
cartographier
pour
maîtriser,
de
prescrire
pour
se
prémunir.
Ces
réflexions
sont
pertinentes
pour
notre
sujet
à
au
moins
deux
titres.
Premièrement,
pour
mettre
en
évidence
ce
présupposé
que
le
Bien
et
le
Mal
sont
des
éléments
connaissables
et
donc
objets
d’un
contrôle
possible.
Deuxièmement,
pour
comprendre
les
procédures,
dispositifs
et
artefacts
qui
s’inscrivent
dans
la
lignée
de
ce
présupposé.
Tout
d’abord,
ce
présupposé
que
le
Bien
et
le
Mal
sont
connaissables
et
donc
contrôlables
est
en
soi
complexe
et
problématique.
On
se
souvient
qu’en
effet
Socrate
alléguait
que
nul
ne
faisait
le
mal
volontairement,
mais
simplement
par
ignorance
(Protagoras,
352b-‐357a
et
Ménon,
77b-‐78a,
in
Platon,
1940),
et
que
vouloir
le
bien
était
une
évidence
chez
tous
les
hommes,
voir
un
pléonasme…
c'est-‐à-‐dire
que
la
faute
ne
survient
que
par
ignorance
mais
jamais
par
intention.
Or,
d’autres
argumenteront
qu’au
contraire
la
connaissance
du
mal
et
sa
mise
en
application
(l’infraction,
la
cruauté,
l’avarice,
l’injustice...)
sont
une
«
banalité
»
qui
frôle
la
provocation
à
la
bienséance
car
engage
pleinement
notre
responsabilité
de
laquelle
on
ne
peut
passe
dédouaner
en
disant
que
nous
n’avions
pas
le
choix
(cf.
Arendt,
1963,
ou
encore
la
pensée
Sartrienne
sur
la
liberté).
Pour
d’autres,
qui
se
réclament
d’un
réalisme
désenchanté,
c’est
même
une
nécessité
contingente.
Certains,
tels
que
le
personnage
célèbre
de
Wall
Street,
Gordon
Geeko,
y
voient
même
un
«
bien
»
(Stone,
1987)
en
tant
que
c’est
l’avarice
qui
fait
seule
tourner
l’économie
(greed
is
good).
Quoi
qu’il
en
soit,
la
question
de
la
connaissance
est
un
élément
complexe,
dont
les
nuances
ont
été
mises
en
lumière
avec
la
question
de
la
rationalité
limité
(March
&
Simon,
1958),
qui
souligne
que
parfois
en
dépit
ou
peut
être
même
à
cause
de
la
disponibilité
abondante
d’information,
les
21
En
effet,
«
connaître
»
a
même
un
sens
sexuel
dans
la
Bible.
Cf.
Genèse
4,1.17.25;
19,5.8;
24,16;
Luc
1,34).
51
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
humains
sommes
parfois
incapables
de
faire
sens,
d’intégrer
cognitivement
l’ensemble.
Ces
échecs
cognitifs
viennent
alors
s’additionner
aux
problèmes
d’ignorance,
et
font
que
les
excuses
de
«
je
ne
savais
pas
»
ou
«
je
ne
comprenais
pas
ce
qui
se
passait
vraiment
»
ne
sont
pas
forcément
à
prendre
à
la
légère,
mais
à
étudier
comme
des
symptômes
d’une
complexité
épistémique
et
cognitive.
Cette
«
myopie
»
au
niveau
de
l’information
et
de
notre
connaissance
est
un
des
facteurs
clés
à
analyser
lorsqu’on
considère
des
phénomènes
d’éthique
ou
de
transgression,
comme
il
a
été
fait
pour
des
scandales
célèbres
dans
le
passé
(Cohan,
2002).
Nous
pouvons
retracer
l’origine
de
cette
conception
de
l’éthique
comme
quelque
chose
de
connaissable
et
d’objectivable
à
la
division
scolastique
des
différents
champs
:
l'éthique
au
sens
large
–
et
l'éthique
des
affaires
en
particulier
–
sont
devenues
des
champs
de
connaissance
théorique
permettant
le
développement
d'une
expertise
(Jaffro,
1995,
cf.
aussi
Hallett
et
al.
2009
pour
une
analyse
analogue
dans
le
champ
des
théories
des
organisations).
Elle
a
donc
cessé
d’être
simplement
une
partie
de
la
philosophie,
et
est
devenue
l’objet
d’une
discipline
à
part
entière
:
on
voit
apparaître
des
cours
d’éthique
(que
nous
retrouvons
aujourd’hui
dans
l’ensemble
des
formations
en
gestion),
des
cours
de
morale
(dans
les
parcours
par
exemple
de
théologie
ou
de
philosophie),
la
constitution
d’un
savoir
clairement
identifié
et
qu’on
peut
donc
évaluer.
Il
est
possible
dès
lors
de
devenir
des
experts
de
l’éthique
et
de
la
morale,
comprises
comme
des
contenus
de
ce
qu’est
bien
et
mal.
Nous
retrouvons
ces
figures
d’expertise
au
sein
non
seulement
des
instances
de
formation
(professeurs
d’éthique
ou
de
morale)
mais
des
organisations
à
but
économique).
En
effet,
aujourd'hui
cette
expertise
est
incarnée
par
des
groupes
d'experts
tels
que
les
comités
d'éthique,
les
responsables
RSE
ou
les
Compliance
Officers,
leur
autorité
étant
soulignée
par
la
connotation
parfois
policière
du
terme
avec
l’usage
du
mot
«
officiers
»
de
l’éthique
ou
de
la
conformité.
Mais
en
fait,
la
notion
“d'expertise
éthique”
incarnée
dans
un
sophos
(expert)
est
en
contradiction
avec
la
signification
originelle
liée
à
l'enracinement
dans
l'expérience
de
l'homme
prudent
aristotélicien
(phronimos).
Cette
focalisation
sur
l’expertise
amène
comme
conséquence
éventuelle
le
fait
de
transformer
le
sujet
moral
en
agent
kantien
universel
et
abstrait,
capable
d’agir
sur
la
seule
base
d’impératifs
catégoriques
dictés
par
son
expertise,
elle
même
problématique.
Cet
agent
est
désincarné
d’un
sujet
moral,
et
il
vire
donc
facilement
vers
la
figure
de
juge
dont
l’arbitrage
est
garanti
par
son
expertise
(Badiou,
1993).
Transposée
au
niveau
organisationnel,
cette
vision
selon
une
certaine
interprétation
de
Kant
sur
l’éthique
pliée
à
des
individus
agissant
selon
des
impératifs
catégoriques
se
traduit
par
une
abstraction
dans
l’entreprise
anonyme,
et
se
réduit
a
un
procédé
mesurable
qui
sera
à
son
tour
jugé
sous
l’angle
de
son
utilité
52
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
53
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
Nous
verrons
à
présent
les
défis
que
pose
la
dimension
pratique
de
l’éthique
dans
les
organisations,
et
dont
il
est
essentiel
de
comprendre
les
rouages
pour
caractériser
une
éthique
comme
pratique.
1.2.
RETOUR
SUR
LES
ENJEUX
CONCRETS
DE
L'ETHIQUE
EN
SITUATION
A
ce
stade,
il
est
essentiel
d’examiner
des
dimensions
qui
de
manière
particulière
posent
des
défis
au
niveau
de
la
pratique,
et
par
là-‐même
à
l’éthique.
Nous
chercherons
donc
à
nous
détacher
d’une
vision
de
l’éthique
qui
soit
«
objective
»
(un
contenu)
avec
l’illusion
qu’il
suffirait
de
l’appliquer.
Loin
de
constituer
des
points
de
détail,
des
digressions
ou
des
développements
superflus,
nous
pensons
qu’il
s’agit
là
de
la
matière
même
qui
donne
de
la
chaire
à
notre
interrogation,
et
nous
permet
justement
de
l’approfondir.
Ceci
est
d’autant
plus
intéressant
que
l’ensemble
des
éléments
étudiés
ci-‐après
sont
souvent
considérés
comme
des
problèmes
organisationnels,
et
ne
sont
pas
souvent
abordés
dans
une
perspective
spécifiquement
éthique
–
dans
tout
ce
qu’elle
a
d’éminemment
anthropologique
et
phénoménologique
–
et
qui
cependant
se
révèlera,
nous
l’espérons,
d’une
grande
richesse.
1.2.1.
AGIR
FACE
A
LA
COMPLEXITE
Dans
l’héritage
des
penseurs
de
la
postmodernité
en
philosophie
ou
sociologie
-‐
tels
Foucault,
Derrida,
Lyotard,
Badiou
ou
encore
Bauman
–
nous
ne
pouvons
ignorer
que
la
contingence,
l’ambigüité,
la
multiplicité,
la
fragmentation
et
plus
largement
la
complexité
et
l’éclatement
sont
des
éléments
structurants
de
la
condition
humaine
actuelle
et
des
conditions
de
son
action.
Cela
exige
une
hétérogénéité
d’approches
pour
cerner
et
naviguer
la
pluralité
et
les
discontinuités
de
la
vie
sociale,
qui
n’est
pas
sans
poser
un
défi
spécifiquement
en
termes
d’éthique
(Jackall,
2010
;
Bauman,
1993
;
Bakken,
2009).
1.2.1.1.
Le
pluralisme
et
la
contradiction
Il
est
de
plus
en
plus
fréquent
de
noter
la
complexité
croissante
des
organisations,
car
«
they
tend
to
be
constituted
by
different
parts
that
do
not
share
one
and
the
same
underpinning
logic
»
(Vandekerckhove
&
Commers,
2004
:
225).
Le
premier
élément
qui
nous
apparait
comme
essentiel
et
qui
se
pose
en
défi
pour
la
54
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
pratique
de
l’éthique
est
bien
le
pluralisme
qui
traverse
les
organisations,
voire
qui
semble
les
constituer
dans
leur
nature
et
dans
leur
processus
d’organizing
(Weick,
1979).
En
effet,
une
organisation
est
un
carrefour
de
tensions,
de
forces
en
opposition,
et
ces
paradoxes
sont
devenu
la
norme
(Ford
&
Backoff,
1988
;
Clegg,
2002
;
Clegg
et
al.
2007,
puis
dans
le
domaine
de
l’éthique,
Bauman,
1993),
que
de
nombreux
travaux
ont
mis
en
lumière
:
exploration
vs.
exploitation,
rigidité
vs.
résilience...
Ces
couples
de
contraires
représentent
un
défi
concret
pour
l’organizing
qui
doit
en
tenir
compte
et
les
intégrer.
La
réponse
qui
a
longtemps
prévalue
est
celle
d’une
approche
contingente
qui
permet
de
s’adapter
à
la
situation
présente
en
favorisant
l’une
ou
l’autre
des
alternatives
:
dans
telle
circonstance,
une
organisation
gagne
à
privilégier
l’exploration
plutôt
que
l’exploitation
(Benner
&
Tushman,
2003)
etc.
De
nombreux
courants
se
sont
développés
pour
aborder
cette
question
des
défis
pratiques
posés
par
des
contextes
organisationnels
complexes,
et
qui
étudient
donc
«
la
fabrique
»
de
la
prise
de
décision,
de
la
stratégie,
etc.
dans
de
tels
contextes.
Les
anglo-‐
saxons
ont
le
terme
suffixe
–making
(ex.
sense-‐making,
decision-‐making)
qui
leur
permet
de
bien
refléter
cette
idée,
et
que
le
français
doit
traduire
par
la
paraphrase
«
la
fabrique
de
quelque
chose
»,
concrètement,
en
pratique.
En
effet,
c’est
en
pratique
que
se
posent
ce
genre
de
défis
concrets,
et
ces
approches
tentent
donc
d’étudier
les
processus
sous-‐
jacents
afin
de
comprendre
comment
coexistent
des
éléments
en
conflit,
et
comment
arriver
à
les
synchroniser,
à
leur
donner
une
certaine
cohérence
(de
sens
mais
aussi
de
pratique).
Les
termes
pour
désigner
cette
cohérence
sont
multiples
dans
la
littérature.
On
parle
de
consistency
(Porter,
1991,
1996)
ou
de
fitness
ou
alignement
avec
l’environnement
concurrentiel
afin
de
dégager
les
ressources
et
des
avantages
compétitifs
clés
(Barney
1991
;
Helfat
et
al.,
2009).
En
effet,
la
question
de
comment
prendre
des
décisions
ou
comment
agir
dans
des
situations
complexes
et
contradictoires
est
en
enjeu
majeur,
et
les
moyens
concrets
pour
arriver
à
naviguer
dans
des
situations
aux
multiples
exigences
parfois
contradictoires
est
encore
un
champ
ouvert.
Une
approche
récurrente
a
été
celle
de
chercher
une
logique
dominante
(Prahalad
&
Bettis,
1986
;
Bettis
&
Prahalad,
1995):
“defined
as
the
way
in
which
managers
conceptualize
the
business
and
make
critical
resource
allocation
decisions
-‐
be
it
in
technologies,
product
development,
distribution,
advertising
or
in
human
resource
management”.
(1986:
490).
Cette
logique
dominante
permettrait
en
quelque
sorte
de
“trancher”
entre
les
différents
éléments
en
conflit.
Or,
cette
idée
a
beaucoup
été
discutée
en
particulier
quant
à
son
applicabilité
empirique,
en
particulier
dans
des
contextes
complexes
où
les
réponses
sont
donc
également
complexes
(Regnér,
2008;
Richardson,
55
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
56
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
marque
d'un
sensemaking
qui
a
échoué
(Weick
1979,
1993;
Weick
et
al.
2005),
comme
un
catalyseur
de
changement
(Cameron
&
Quinn,
1988).
L’irrationalité
que
traduisent
ces
contradictions
est
même
considérée
comme
faisant
partie
inhérente
de
la
nature
même
des
organisations
(Brunsson,
1985).
D'une
manière
plus
générale,
ces
approches
sont
liées
à
la
complexité
croissante
du
monde
où
évoluent
les
organisations
et
des
organisations
elles-‐mêmes
(Abrams,
1951;
Vandekerckhove
&
Commers,
2004;
Richardson,
2008;
Ethiraj
&
Levinthal,
2004a,
2004b,
2009;
Solow
&
Szmerekovsky,
2006).
Il
revient
alors
aux
manageurs
de
gérer
ces
contradictions
et
d’essayer
de
“bricoler”
des
solutions,
ou
selon
l’expression
désormais
célèbre
“muddle
[their
way]
through”
(Lindblom
1959,
Willmott
1997).
Ils
sont
alors
littéralement
pris
entre
l’enclume
et
le
marteau
(Bouilloud,
2012),
car
c’est
souvent
autour
de
la
figure
du
middle
manager
que
se
cristallisent
les
tensions
contradictoires.
La
complexité
se
trouve
donc,
pire
encore,
à
la
racine
de
paradoxes
internes.
Au
lieu
de
produire
des
dilemmes
et
d’imposer
des
choix
difficiles
(soit
A
soit
B,
où
ni
l’un
ni
l’autre
ne
sont
vraiment
satisfaisants
et
imposent
donc
un
compromis,
du
moins
temporaire),
les
injonctions
paradoxales
imposent
l’impossibilité
du
choix
(à
la
fois
A
et
B,
tout
en
les
sachant
incompatibles
mais
devant
faire
les
deux
malgré
tout).
Le
piège
tragique
réside
dans
le
fait
que
les
individus
ne
sont
pas
en
mesure
de
verbaliser
la
situation,
de
corriger
“[their]
discrimination
of
what
order
of
messages
to
respond
to,
i.e.,
[they]
cannot
make
a
meta-‐communicative
statement”
(Bateson,
1978:180)
et
donc
ils
ne
peuvent
ni
choisir
ni
tirer
des
apprentissages
de
ce
genre
de
situations
(Hennestad,
1990).
En
effet,
la
situation
paradoxale
souvent
n’est
pas
explicite
:
elle
n’apparaît
pas
en
tant
que
telle
aux
membres
de
l’organisation,
du
moins
à
tous
de
manière
claire.
Autrement
dit,
l’organisation
reste
en
quelque
sorte
«
aveugle
»
devant
ses
propres
paradoxes,
et
se
repose
sur
ses
managers
pour
se
débrouiller
dans
ce
genre
de
situations,
sans
nécessairement
se
rendre
compte
de
ce
que
cela
peut
représenter
pour
eux.
La
plupart
du
temps,
ces
situations
traversées
de
paradoxes
se
transforment
ensuite
en
des
schèmes
ou
“double-‐bind
patterns”
(Hennestad
1990:268)
renfonçant
les
contradictions
inhérentes
autour
des
individus
qui
en
deviennent
le
réceptacle.
Ainsi,
le
paradoxe
est
abordé
comme
en
quelque
sorte
une
‘condition
normale’
de
l’action,
renforcée
par
de
constantes
injonctions
paradoxales
(Bateson
et
al.
1956;
Wagner,
1978
;
Wittezaele
2008).
Une
injonction
paradoxale
impose
des
demandes
contradictoires
entre
elles
qui
doivent
être
satisfaites
simultanément,
sans
avoir
la
possibilité
de
choisir
une
par
rapport
à
l’autre.
Ce
concept
d’injonctions
paradoxales
a
été
introduit
pour
étudier
les
organisations
à
partir
de
la
perspective
de
la
psychologie
et
la
psycho-‐
sociologie
(Wagner,
1978;
Enriquez,
1990,
1997;
Hennestad
1990;
Aubert
&
Gaulejac
57
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
2007;
Josserand
&
Perret
2003;
Gaulejac
2005,
2011;
Ethiraj
&
Levinthal
2009,
Wittezaele,
2008)
et
continue
de
susciter
de
l’intérêt
de
part
sa
pertinence.
Rappelons
cependant
que
des
ordres
de
ce
type
ne
sont
pas
pour
autant
absurdes
:
à
la
fois
l’ordre
et
son
impossibilité
reposent
sur
une
certaine
forme
de
logique
et
chacun
pris
séparément
est
vrai
en
lui-‐même.
Mais
mis
ensemble,
ils
deviennent
incompatibles.
Nous
pouvons
citer
des
exemples
célèbres
d’injonctions
paradoxales
dans
les
organisations,
tels
que
«
faire
plus
avec
moins
»
(plus
de
qualité,
plus
de
projets,
plus
de
croissance...
avec,
inexorablement,
toujours
moins
de
personnel,
moins
de
moyens,
en
moins
de
temps)
ou
encore
«
soyez
autonome
»
(on
demande
aux
cadres
d’être
de
plus
en
plus
autonomes
et
indépendants
tout
en
leur
exigeant
de
rendre
des
comptes
de
plus
en
plus
détaillés
de
leur
travail,
d’être
plus
flexibles,
résilients,
innovants
tout
en
suivant
des
procédures
de
plus
en
plus
codifiées
provenant
parfois
sous
forme
d’injonctions
erratiques
de
la
méta-‐structure.
Ceci
s’incarne
souvent
dans
la
figure
de
ce
qu’on
nomme
le
«
manager
entrepreneur
»
(Laroche,
1995,
2009),
figure
surmenée
soumise
à
des
contrôles
et
des
dispositifs
de
reporting
renforcés
alors
qu’il
est
également
exposé
à
des
situations
qui
posent
des
dilemmes
même
sur
le
plan
moral
:
le
cadre
est
considéré
(et
on
attend
de
lui)
qu’il
soit
de
plus
en
plus
responsable
alors
qu’en
fait
il
décide
de
moins
en
moins
(Bouilloud,
2012),
les
poussant
à
la
révolte
(Courpasson
et
al.
2008).
Cependant,
prendre
les
paradoxes
comme
lentille
à
travers
laquelle
observer
le
phénomène
(Poole
&
Van
de
Ven,
1989;
Lüscher
&
Lewis,
2008)
peut
aider
à
restaurer
la
complexité
originelle
–
et
donc
aussi
la
richesse
originelle
–
aux
réalités
organisationnelles
et
institutionnelles
que
nous
étudions
au
delà
d’une
pensée
binaire
(Benson,
1977
;
Seo
&
Creed,
2002
;
Farjoun,
2010).
Et
le
concept
d’injonctions
paradoxales
trouve
toute
sa
place
de
part
son
potentiel
explicatif
ailleurs
que
dans
le
cadre
disciplinaire
de
la
psychologie.
En
effet,
les
paradoxes,
de
plus
en
plus
étudiés
en
tant
que
tels,
à
travers
ce
qu’on
appelle
la
paradox
theory
(Lewis,
2000;
Lüscher
et
Lewis,
2008,
Smith
et
Lewis,
2011).
Cette
approche
permet
d’aborder
la
question
de
la
complexité
et
des
contradictions
organisationnelles
non
pas
sous
l’angle
de
l’alternative
contingente,
mais
par
une
approche
holiste
qui
vise
à
résoudre
les
tensions
contradictoires
simultanément.
Ainsi,
au
lieu
d’envisager
un
compromis
ou
une
alternative
binaire,
l’approche
par
le
paradoxe
adopte
une
vision
plus
dynamique
des
organisations,
se
focalisant
sur
leur
capacité
de
résilience,
d’improvisation
et
d’intégration
simultanée
de
l’ensemble
des
données
du
problème
complexe
(Clegg,
Cuhna,
&
Cuhna,
2002;
Smith
&
Lewis,
2011),
comme
nous
le
verrons.
58
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
59
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
60
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
61
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
et
ne
pas
appartenir
à
la
même
chose
dans
le
même
temps
et
les
mêmes
circonstances).
Cependant,
ce
principe
trouve
aussi
une
application
pragmatique
et
éthique:
on
ne
peut
pas
demander
simultanément
des
choses
qui
sont
incompatibles
ou
qui
s'excluent
mutuellement,
de
faire
une
chose
et
son
contraire.
Ceci
peut
en
effet
mener
à
des
situations
problématiques
où
l'éthique
est
mise
au
défi,
telles
que
les
dilemmes
qui
imposent
un
choix
éminemment
problématique.
Kierkegaard
(2004)
et
la
tradition
existentialiste
héritée
de
Sartre
(1996)
ont
souligné
le
côté
tragique
des
dilemmes
ou
des
conflits
d'alternatives
(et
par
conséquent
aussi
de
responsabilités)
au
sein
du
sujet
moral
qui
ne
peut
pas
échapper
aux
difficultés
de
faire
un
choix
et
de
dé-‐cider
(étymologiquement,
faire
une
scission).
Cependant,
d'autres
traditions
philosophiques
ont
questionné
l'existence
même
des
dilemmes
éthiques
en
tant
que
tels
et
ont
proposé
d'autres
approches
(Lemmon,
1962
;
Williams,
1965;
parmi
d'autres).
En
prenant
comme
point
de
départ
les
considérations
kantiennes
sur
les
obligations
morales
comme
étant
universelles
et
donc
ayant
en
principe
une
solution
(Kant,
1785,
1797),
la
question
revient
alors
à
comprendre
la
hiérarchie
entre
nos
obligations:
le
dilemme
semble
être
bel
et
bien
là,
mais
en
réalité
le
problème
n'a
pas
été
correctement
posé
(Mill,
1863).
Par
exemple,
Max
Weber
attribue
le
succès
du
capitalisme,
entre
autre
choses,
à
une
hiérarchie
particulière
de
considérations
morales,
où
le
travail
profitable
devient
une
valeur
en
soi
(Weber,
1964).
Certains
courants
de
la
prise
décision
éthique
(e.g.
Treviño,
1986;
Sims,
1994;
O’Fallon
&
Butterfield,
2005;
Provis,
2010;
Selart
&
Johansen,
2011
;
et
dans
la
sphère
financière
Prentice,
2007)
ont
aussi
souligné
cette
perspective
de
hiérarchisation
pour
résoudre
des
dilemmes
éthiques.
En
tant
que
les
dilemmes
impliquent
un
choix
–
même
si
difficile
–
il
faut
arriver
à
déterminer
ce
qui
est
le
plus
grand
bien
ou
le
plus
grand
mal
parmi
les
alternatives.
Or,
en
pratique,
des
situations
aussi
difficiles
peuvent
conduire
le
sujet
à
tout
simplement
ignorer
le
problème
en
évitant
de
s’engager
dans
le
dilemme
(March
1988),
ou
en
revoyant
ses
propres
standards
à
la
baisse
à
travers
un
compromis
(Garsten
&
Hernes,
2009).
La
théorie
de
la
régulation
sociale
(Reynaud,
1997,
1999)
suggère
aussi
que
ceci
peut
finir
en
négociations,
suivies
de
la
production
de
«
nouvelles
règles
».
Mais
que
se
passe-‐t-‐il
quand
choisir
n’est
pas
une
option
et
donc
la
situation
ne
peut
pas
être
comprise
comme
un
dilemme
dont
il
suffirait
de
hiérarchiser
les
alternatives
?
Comment
penser
la
responsabilité
d’un
manager
qui
doit
obéir
à
des
ordres
contradictoires,
et
qui
n’a
donc
pas
la
possibilité
de
satisfaire
l’ensemble
des
demandes
de
sa
hiérarchie
?
Pire
encore,
certaines
injonctions
–
sous
forme
parfois
de
normes
ou
des
responsabilités
–
ont
des
implications
éthiques
en
ce
qu’elles
sont
62
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
63
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
prémunir
par
tous
les
moyens.
Nous
vivons
dans
une
société
qui
malgré
les
dispositifs
multiples
existants
de
gestion
et
de
prévention
des
risques
(ou
peut
être
même
à
cause
d’eux),
ressent
une
profonde
insécurité
qui
la
pousse
à
chercher
de
se
prémunir
encore
plus.
Penser
en
termes
de
risque
dénote
alors
bien
l’esprit
du
temps
(Zeitgeist),
où,
tout
comme
pour
l’éthique,
les
risques
à
épithète
se
démultiplient
(Méric
et
al.
2009
:7).
Par
rapport
à
la
dimension
normative
et
de
conformité,
le
rapport
théorique
et
pratique
entre
risque
et
éthique
est
donc
une
articulation
clé
–
non
évidente,
voire
contre-‐
intuitive
–
à
définir.
1.2.2.1.
Le
risque
comme
construction
sociale
complexe
Risque
industriel,
risque
nucléaire,
risque
climatique,
risque
opérationnel,
risque
de
contrepartie,
risque
de
pandémie,
risque
d’attaque
terroriste...
et
tout
ceci
pouvant
avoir
des
impacts
planétaires....
Le
risque
est
un
objet
particulier,
en
tant
qu’il
se
situe
à
la
frontière
du
réel
et
de
l’imaginaire,
voire
de
l’idéologie.
En
effet,
«
interroger
la
‘société
du
risque’,
c’est
questionner
les
histoires
que
notre
société
se
raconte
»
(Méric
et
al.
2009:5).
Le
risque
identifié
comme
réel
ou
actualisé
se
présente
comme
mesurable,
modélisable,
identifiable
dans
un
espace-‐temps
précis
qui
permet
sa
prévention
ou
du
moins
une
préparation
pour
l’affronter.
Mais
il
repose
sur
un
risque
imaginaire
ou
construit,
même
fantasmé,
qui
peut
relever
de
l’irrationnel,
de
l’émotionnel,
du
subjectif
ou
de
l’inconscient
collectif.
Et
la
frontière
entre
les
deux
ne
semble
pas
évidente.
Il
est
courant
de
se
référer
comme
fondement
conceptuel
du
risque
à
la
distinction
que
fait
Knight
(1921)
entre
risque
et
incertitude
:
le
premier
est
modélisable
et
probabilisable,
le
deuxième
ne
l’est
pas
et
même
ne
peut
être
connu.
Ainsi,
le
risque
est
une
incertitude
mathématiquement
appréhendée
par
l’homme,
une
incertitude
réduite
à
des
événements
précis
et
probabilisables,
ce
qui
correspond
à
la
définition
plus
ancienne
donnée
par
Bernoulli
(1738
[1954]).
Or,
ceci
implique
–
et
c’est
ce
qui
distingue
le
risque
de
l’incident,
de
la
contingence
ou
de
l’aléa
–
qu’il
s’agit
d’événements
connus
et
reconnus
de
l’homme.
Ces
éventualités
peuvent
comporter
une
perte
ou
un
dommage
d’une
manière
ou
d’une
autre.
Ainsi
le
risque,
quelque
soit
sa
forme
ou
sa
manifestation,
est
une
figure
négative
qui
nous
place
dans
un
rapport
d’adversité
avec
la
situation
qui
échappe
à
notre
contrôle
et
dont
les
conséquences
ont
un
impact
direct
sur
nos
objectifs.
D’où
l’invention
continue
de
moyens
techniques
(tels
que
l’assurance,
les
extensions
de
garantie
qu’on
achète
avec
les
produits
ou
la
technologie
de
surveillance),
stratégiques
(tels
que
la
prospective),
ou
tout
simplement
64
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
culturels
(tels
que
des
rituels
préventifs)
contre
l’éventualité
et
la
contingence
dont
on
craint
qu’elles
ne
se
matérialisent
en
risques
puis
menaces
réelles.
L’attitude
de
respect
religieux
au
regard
du
risque
telle
qu’on
pouvait
la
constater
dans
l’anthropologie
comparée
s’est
muté
en
volonté
de
contrôle
quasi
religieuse
voire
idéologique
de
gestion
des
risques
posés
par
une
adversité
qui
est
perçue
comme
telle
souvent
parce
qu’elle
est
une
figure
de
l’altérité,
associée
à
l’adversité.
Or,
dans
les
deux
cas,
il
s’agit
d’une
construction
complexe
du
risque.
La
question
de
la
représentation
ou
de
la
perception
du
risque
est
emplie
de
biais
:
on
peut
ne
pas
nous
rendre
compte
des
risques
qu’on
encourt
(stade
infantile
d’innocence
ou
d’inconscience)
ou
au
contraire
être
persuadé
d’un
danger
alors
qu’il
n’y
a
objectivement
pas
de
risque
(paranoïa).
Au
niveau
du
collectif
ces
phénomènes
de
biais
sont
amplifiés,
et
dont
l’amplification
devient
un
facteur
de
risque
en
soi,
qui
plus
est
à
portée
parfois
systémique
comme
nous
avons
vu
avec
la
crise
de
confiance
généralisée
que
la
crise
des
subprimes
a
engendré.
Surtout,
en
aval,
lorsque
le
risque
a
été
efficacement
évité,
on
peut
penser
à
posteriori
qu’en
fait
il
n’y
avait
pas
de
réel
danger,
voire
qu’on
a
perdu
une
opportunité
de
faire
quelque
chose
en
étant
trop
prudents.
Mais
en
amont,
la
logique
assurantielle
d’un
paradigme
probabiliste
connait
un
essor
sans
précédent.
Descartes,
Pascal,
Voltaire
et
d’autres
ont
introduit
une
pensée
du
probable
et
du
risque
par
les
grandes
catastrophes
qu’à
connut
le
17e
siècle
–
le
grand
incendie
de
Londres
et
le
tremblement
de
terre
de
Lisbonne
au
premier
chef
–
et
suite
auxquelles
on
constate
l’apparition
de
logiques
assurantielles
par
exemple
dans
le
commerce
maritime.
Dans
la
lecture
que
font
des
auteurs
comme
Giddens
(2013)
ou
Beck
(1992,
1996
in
Lash
et
al.
1996),
le
risque
est
le
trait
caractéristique
de
la
modernité,
du
moins
d’une
certaine
modernité.
Ils
voient
dans
la
tendance
contemporaine
à
l’assurance
tout-‐
risques
le
virage
vers
une
‘société
du
risque’,
dominée
par
un
risque
omniprésent.
Sur
le
versant
négatif,
ceci
se
traduit
par
une
culture
de
la
sécurité
et
du
contrôle
à
travers
l’idéal
d’une
société
du
risque
nul.
Celle-‐ci
se
manifeste
de
plusieurs
manières
:
une
société
assurantielle,
l’Etat-‐Providence,
une
indemnisation
qui
est
prévue
pour
les
victimes,
qui
sont
donc
«
couvertes
»
contre
le
risque
par
une
sorte
de
«
droit
au
non
risque
»...
Selon
cette
lecture
de
la
modernité,
il
y
a
un
changement
de
perception
sociale
majeur
sur
l’acceptabilité
ou
le
refus
du
sinistre
que
cause
le
risque.
Mais
cette
lecture
de
nos
sociétés
rencontre
de
nombreuses
critiques.
Plus
particulièrement,
ce
qui
est
souvent
reproché
à
la
sociologie
du
risque
que
propose
Beck,
par
ailleurs
un
grand
apport
à
la
sociologie
et
à
la
pensée
de
ce
phénomène,
c’est
sa
sur-‐généralisation
et
valorisation,
en
particulier
temporelle.
En
effet,
pour
lui
la
société
(moderne)
du
risque
65
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
a
une
“systematic
way
of
dealing
with
hazards
and
insecurities
induced
and
introduced
by
modernization
itself.
Risks,
as
opposed
to
older
dangers,
are
consequences
which
relate
to
the
threatening
force
of
modernization
and
to
its
globalization
of
doubt"
(1992:21).
Ainsi,
il
fait
clairement
la
distinction
entre
les
risques
(approche
moderne)
et
les
dangers
d’antan,
qui
associaient
les
cataclysmes
naturels
à
des
volontés
surnaturelles
:
les
risques
sont
manufacturés,
le
produit
même
de
notre
action
sociale
humaine
dont
les
effets
ont
des
impacts
à
l’échelle
de
la
planète.
Or,
certains
critiquent
cette
conception
radicale
du
risque
réduit
à
la
modernité,
comme
si
l’humanité
n’avait
pas
affronté
des
phénomènes
de
dangers
planétaires
de
fin
du
monde
tels
que
décrits
par
Beck,
ce
qui
semble
nier
ce
que
nous
enseigne
l’histoire
(Turner,
1994
;
Elliott,
2002
;
Solé
2009).
En
effet,
l’homme
d’aujourd’hui
est
autant
anxieux
sur
l’avenir
et
sur
la
destruction
possible
du
monde
que
nos
ancêtres
mayas
(rappelons
nous
à
ce
sujet
l’obsession
autour
de
cette
thématique
de
fin
du
monde
dans
les
mois
précédents
le
21
décembre
2012,
supposée
y
correspondre
dans
le
calendrier
Maya).
On
se
rapproche
ici
d’une
valeur
aryétique
du
risque
(Jousse,
2004,
2009)
qui
met
l’emphase
sur
les
dimensions
négatives
du
risque,
mène
à
une
approche
de
prudence,
ou
conservative
et
donc
ne
fait
pas
prendre
en
compte
la
valeur
réelle
du
risque.
Le
risque
n’est
donc
pas
une
spécificité
de
notre
société
occidentale
contemporaine,
bien
que
celle-‐ci
y
soit
particulièrement
imprégnée
(Méric
et
al.,
2009).
Jusqu’au
18e
siècle,
le
sinistre
est
associé
au
châtiment
divin,
selon
l’approche
de
la
théodicée
Leibnizienne,
et
donc
en
quelque
sorte
accepté,
bien
que
craint,
en
tant
que
faisant
partie
de
l’ordre
des
choses.
Ainsi,
la
société
devait
accepter
un
certain
niveau
non
seulement
de
risque,
mais
de
sinistralité.
Or,
notre
époque
refuserait
le
sinistre
d’une
manière
généralisée,
se
couvrant
par
des
dispositifs
assurantiels
etc.
Ceci
se
traduit
par
des
politiques
dans
la
sphère
publique
et
privée.
On
attend
des
gouvernements
qu’ils
nous
protègent
de
l’insécurité
(thème
phare
des
campagnes
électorales
de
la
dernière
décennie
un
peu
partout
dans
le
monde,
avec
un
retour
du
leitmotiv
du
‘bon
père
de
famille’).
A
cette
différence
près
que
dans
la
conception
anglo-‐saxonne
au
sens
large,
fondée
sur
l’empirisme,
il
faudrait
expérimenter
et
gérer
le
risque,
alors
qu’en
Europe
continentale
la
tendance
serait
plutôt
à
la
prévention,
à
la
prudence
(voir
encadré
ci-‐
après).
66
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
Plus
que
jamais,
le
20e
siècle
a
montré
l’ambivalence
de
la
notion
de
progrès.
Nous
sommes
parvenus
à
un
tel
avancement
dans
les
technologies
destructrices
(armes
nucléaires
et
biologiques,
catastrophes
écologiques
d’origine
humaine)
que,
pour
reprendre
une
expression
d’E.
Morin,
«
On
est
devenu
pour
nous-‐mêmes
un
problème
de
vie
et/ou
de
mort
»
(2001
:
XVIII).
Face
à
la
puissance
du
risque
technologique
qui
nous
menace
d’autodestruction
totale,
Hans
Jonas
(1997,
2008)
montre
l’émergence
d’un
nouveau
type
de
problème
éthique,
puisque
la
technologie
n’est
pas,
comme
on
a
longtemps
pu
le
croire,
neutre
du
point
de
vue
moral.
Les
effets
sont
désormais
d’une
telle
ampleur
et
d’une
nature
potentiellement
irréversible
qu’elles
dépassent
l’humain.
Ainsi
se
pose
la
question
des
repères
non
techniques
qui
doivent
guider
l’action
humaine,
car
la
technique
ne
porte
pas
en
elle-‐même
ces
éléments
de
repère
et
de
maîtrise.
Construite
sur
un
arrière
fond
de
catastrophe
humanitaire
et
planétaire
impossible
à
prévoir,
ceci
représente
la
dimension
absolutiste
du
principe
de
précaution
(Larrère,
2004
:1535),
qui
tire
donc
la
responsabilité
jusqu’à
l’horizon
des
possibles.
Originellement
conçu
pour
cadrer
des
risques
technologiques,
le
principe
de
précaution
s’est
aujourd’hui
divulgué
pour
occuper
d’autres
sphères,
parfois
avec
un
sens
affaibli,
comme
garde-‐fou
dans
la
prise
de
certaines
décisions
ou
situations
risquées
dont
l’évolution
est
difficile
à
prévoir
et
donc
à
contrôler.
L’ampleur
et
la
portée
systémique
des
risques
financiers
lors
de
la
dernière
crise
en
est
un
exemple.
Reposant
sur
la
notion
allemande
de
Vorsorgeprinzip,
le
principe
de
précaution
est
adopté
par
le
droit
international
suite
au
Sommet
de
la
Terre
à
Rio
en
1992
dans
le
Traité
de
Maastricht
(puis
dans
le
droit
français
par
la
loi
Barnier
sur
la
protection
de
l’environnement
de
1995).
Il
désigne
à
l’origine
la
possibilité
qu’ont
les
pouvoirs
publics
à
limiter
leur
action,
selon
la
prudence
sceptique
antique,
en
cas
d’insuffisance
d’informations
afin
d’éviter
des
risques
éventuels.
Il
s’applique
d’abord
dans
le
domaine
environnemental
(ex.
réchauffement
climatique),
ou
de
santé
publique
(ex.
les
OGMs),
dans
des
cas
où,
bien
que
nous
ne
disposons
pas
de
preuves
scientifiques
sur
la
nocivité
d’un
produit
ou
d’une
pratique,
la
gravité
et
l’irréversibilité
potentielle
de
ses
effets
suffit
à
prendre
des
mesures
régulatrices
ou
d’interdiction,
faute
de
quoi
on
risque
qu’après
il
ne
sera
«
trop
tard
».
Cette
initiative
est
profondément
liée
à
une
conscience
forte
des
risques
d’ampleur
planétaire
que
connaissent
nos
sociétés
contemporaines
mondialisées.
Contrairement
à
la
prévention
(basée
sur
une
connaissance
d’effets
indésirables
produits
dans
le
passé),
la
précaution
invite
à
suspendre
l’action
devant
la
seule
probabilité
–
non
avérée
–
du
risque.
Voilà
donc
une
attitude
devant
le
risque
qui
délimite
différemment
l’aire
de
la
responsabilité
des
états
ou
des
organisations
privées,
en
particulier
dans
des
cas
de
risques
technologiques
de
grande
ampleur,
et
déplace
les
modalités
de
gestion
des
risques
(Larrère,
2004).
Elle
se
repose
davantage
sur
des
décisions
d’ordre
politique,
au-‐delà
du
cadre
strictement
juridique
ou
scientifique.
C’est
pourquoi
aussi
les
débats
publics
ou
semi-‐publics
font
partie
intégrante
du
principe
de
précaution,
et
nous
voyons
la
sphère
médiatique
y
prendre
une
part
active
et
dynamisante.
67
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
Notre
ignorance
sur
les
effets
potentiels
que
nous
pouvons
produire
est
ce
qui
dicte
le
devoir
au
nom
du
respect
de
la
vie
sur
terre.
On
privilégie
ainsi
les
pires
scénarios
et
une
«
heuristique
de
la
peur
»
au
risque
de
sombrer
dans
l’inaction
et
le
catastrophisme.
D’autres
auteurs
(Godard,
1997
;
Godard
et
al.
2002)
invitent
à
une
interprétation
différente
du
principe
de
précaution,
le
faisant
participer
mais
non
déterminer
l’action
et
la
décision
publique.
Contrairement
à
la
règle
d’abstention
que
semble
promouvoir
une
interprétation
forte
du
principe
de
précaution,
l’interprétation
«
faible
»
ou
«
raisonnable
»
(Godard,
1997)
le
place
comme
critère
parmi
d’autres
afin
de
décider
de
courir
ou
non
un
risque.
On
se
détache
ainsi
de
l’idéal
quelque
peu
utopique
du
dommage
zéro
qui
inverse
la
charge
de
la
preuve
:
«
ce
n’est
plus
à
ceux
qui
craignent
le
risque
de
montrer
qu’il
existe,
mais
à
ceux
qui
sont
susceptibles
de
l’introduire
de
prouver
qu’il
n’existe
pas
»
(Larrère,
2004
:1535).
En
effet,
le
principe
de
précaution
reste,
dans
cette
seconde
interprétation,
un
principe
d’action,
ce
qui
implique
d’agir
en
conditions
d’incertitude
en
établissant
un
seuil
de
risque
acceptable,
puisque
de
toute
façon
on
est
dans
l’incapacité
à
l’éliminer
totalement.
Ceci
permet
d’ouvrir
le
débat
qui
contribue
à
la
construction
sociale
du
risque,
par
exemple
non
pas
en
freinant
les
innovations
ou
les
prises
de
décision,
mais
en
ralentissant
prudemment
les
processus,
afin
de
pouvoir
arrêter
la
machine
en
cas
de
risque
avéré
(Hourcade,
1997
in
Godard,
1997).
Plutôt
que
de
condamner
à
l’inaction,
cette
interprétation
fait
appel
justement
à
plus
d’efforts
dans
la
poursuite
des
recherches
et
des
débats
publics.
Elle
implique
une
attitude
morale
devant
le
risque,
et
non
une
approche
juridique
d’imputation
de
responsabilité.
Nous
y
reviendrons
dans
le
chapitre
suivant.
Quoi
qu’il
en
soit,
cette
lecture
soutient
qu’il
y
a
un
véritable
refus
du
sinistre
que
provoque
le
risque,
et
qui
est
donc
catégorisé
comme
une
anomalie,
l’exception
à
la
‘normalité’
et
au
paradigme
de
la
perfection
où
la
conception
du
risque
et
de
l’incertain
est
négative.
Simultanément,
sur
le
versant
positif
de
cette
dualité,
il
y
a
la
valorisation
de
la
prise
et
de
la
gestion
efficace
des
risques
comme
étant
quelque
chose
de
résolument
moderne.
Dans
cette
optique,
la
gestion
du
risque
devient
une
profession
et
une
source
énorme
de
profit
dans
des
secteurs
aussi
divers
que
la
médecine
préventive,
les
assurances,
les
investissements
financiers.
Le
risque,
en
étant
privatisé,
se
transforme
alors
en
un
véritable
marché
pour
les
peurs
(Méric,
2009).
Le
pouvoir
symbolique
est
devenu
tellement
important
y
compris
face
au
pouvoir
économique
qu’on
parle
non
seulement
de
l’importance
de
gérer
des
risques,
mais
même
de
les
produire
et
d’en
être
les
maîtres
:
«
in
late
modernity,
risk
production
increasingly
becomes
at
least
as
important
as
wealth
production
»
(Tsoukas,
2005b
:
40).
Tsoukas
s’appuie
sur
l’analyse
de
Giddens
qui
distingue
les
deux
mécanismes
de
désencastrement
des
sociétés
modernes
:
les
systèmes
symboliques
et
les
systèmes
d’experts/expertise.
Ces
derniers
reposent
sur
l’idée
d’une
connaissance
et
d’une
68
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
expertise
qui
repose
sur
un
groupe
particulier
d’experts
et
permet
de
donner
des
garanties
au
delà
de
la
distance
spatio-‐temporelle.
Plus
particulièrement,
ces
experts
sont
d’autant
plus
nécessaires
que
notre
société
est
basée
sur
une
‘économie
des
signes’,
dont
les
risques
font
partie
:
on
vire
à
une
compréhension
du
risque
de
plus
en
plus
sous
l’angle
symbolique
et
même
sémiotique
(Tsoukas,
2005b),
les
signes
du
risque
étant
constamment
scrutés
et
interprétés
par
l’ensemble
de
la
société.
Leur
valeur
en
tant
que
signes
est
de
nature
informationnelle,
c’est-‐à-‐dire
qu’ils
n’existent
que
dans
la
mesure
où
ils
sont
d’une
part
‘manufacturés’
et
d’autre
part
qu’ils
font
l’objet
d’une
étude
scientifique
qui
les
fait
voir
ou
pas.
Ces
risques
peuvent
ainsi
être
magnifiés
ou
minimisés
par
une
construction
sociale
particulière
qui
les
fait
exister
en
tant
que
tels
(Beck,
1992,
2000
;
Gephart
et
al.
2009)
en
particulier
via
le
langage
qui
participera
de
la
construction
symbolique
et
de
la
diffusion
(cf.
Bourdieu,
2001).
La
bataille
symbolique
est
donc
autant
sinon
plus
importante
que
la
guerre
économique
:
«
in
the
increasingly
reflexive
risk
society,
the
quest
for
legitimacy
(i.e.
the
quest
for
the
accumulation
of
symbolic
capital)
becomes
extremely
important
»
(Tsoukas,
2005b
:46).
Les
médias
ont
alors
un
rôle
amplificateur,
et
sur
les
individus
et
les
entreprises
repose
désormais
la
responsabilité
de
se
protéger
et
de
protéger
les
leurs,
étant
donné
le
retrait
progressif
(comme
dans
la
médecine
sociale)
ou
l’incapacité
(comme
lors
d’attaques
terroristes
ou
chimiques)
de
l’Etat
à
le
faire.
La
prééminence
de
l’enjeu
sécuritaire
est
fort
et
se
traduit
par
le
renforcement
d’un
marché
de
securities.
Ce
n’est
plus
à
l’église
ou
à
l’Etat
qu’est
confié
la
protection,
mais
au
marché
et
à
ses
consommateurs,
en
véhiculant
l’idéologie
et
l’illusion
qu’il
suffirait
de
se
couvrir
en
achetant
ces
produits
pour
être
à
l’abri
du
risque,
en
particulier
planétaire
(Elliott,
2002).
Cependant,
une
idée
que
nous
retenons
même
si
chez
Beck
elle
nous
semble
encore
une
fois
trop
radicalisée
et
excessive,
c’est
que
cette
nature
manufacturée
du
risque
dénote
et
fait
croire
à
la
prééminence
du
choix,
de
l’agence
rationnelle,
du
calcul
au
niveau
individuel.
Ainsi
la
figure
du
héros
moderne
est
celle
de
l’entrepreneur
(Méric
et
al.
2009:6),
qui
s’expose
au
risque
mais
sort
vainqueur
:
ce
sont
les
traders,
les
Rockefeller,
les
Steve
Jobs,
qui
remplacent
les
aventuriers
des
mers
d’autrefois.
Selon
Beck,
la
société,
en
se
dé-‐traditionalisant,
laisse
place
à
une
individualisation
(trop
désencastrée
et
renforçant
le
présupposé
de
l’agent
rationnel
économique
à
notre
avis,
cf.
Alexander
1996),
mais
qui
comporte
aussi
l’obligation
de
se
réinventer
d’une
certaine
manière.
Si
les
normes
sociales
–
telles
les
classes
sociales,
ou
le
genre
des
rôles
au
sein
de
la
société
–
ne
sont
plus
dictées
par
la
tradition,
il
revient
donc
à
l’individu
de
se
faire
un
chemin,
de
s’engager
dans
des
choix
précis.
Si
Beck
le
voit
dans
une
69
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
perspective
d’avantage
utilitaire
et
objective
poussé
par
son
refus
de
considérer
une
perspective
postmoderne
(donc
en
un
certain
sens
réductrice
ou
simplificatrice),
ses
développements
pourraient
être
poursuivis
pour
intégrer
une
dimension
encastrée
et
subjective
en
termes
de
construction
et
perception
sociale
du
risque,
mais
aussi
de
la
responsabilité,
autre
qu’assurantielle.
Ceci
permettrait
d’aborder
ce
sujet
en
prêtant
attention
à
la
manière
dont
le
sens
et
l’interprétation
du
risque
sont
collectivement
construits
(Elliott,
2002),
d’autant
plus
que
les
sphères
collectives
et
individuelles
sont
profondément
mêlées,
et
la
définition
du
risque
est
donc
relationnelle
(Boholm
&
Corvellec,
2011)
et
même
narrative
:
elle
résulte
d’une
processus
collectif
de
construction
où
les
objets
sont
constamment
dans
un
processus
où
ils
deviennent
risqués
et
redeviennent
non
risqués
etc.
(Maguire
&
Hardy
2013).
Plus
encore,
la
définition
du
risque
représente
un
enjeu
particulier,
rarement
évoqué
jusque
là,
et
qui
nous
semble
intéressant
à
creuser,
puisqu’en
effet,
des
études
récentes
montrent
qu’il
peut
être
le
résultat
de
ce
à
quoi
on
donne
de
la
valeur,
ou
que
l’on
valorise
dans
notre
pratique
(Corvellec,
2010).
La
pratique
managériale
sera
donc
organisée
en
conséquence
:
«
Value
emerges
from
how
managers
organize
and
conduct
their
activity
(…)
Value
derives
from
practice
in
the
sense
that
managers
elicit,
develop,
and
promote
a
specific
(and
evolving)
view
of
the
organizational
good,
both
in
and
through
their
managerial
practice
»
(2010
:150).
Par
exemple,
dans
le
monde
professionnel,
la
prise
de
risque
est
perçue
selon
les
métiers
comme
négative
ou
positive.
Alors
que
les
pompiers
réclament
que
leur
profession
soit
considérée
et
dédommagée
pour
son
caractère
risqué
(en
particulier
de
leurs
vies),
les
traders
sont
récompensés
pour
leurs
prises
de
risque
dans
la
mesure
où
ces
dernières
résultent
dans
des
résultats
profitables
pour
la
banque.
Lorsque
la
prise
de
risque
est
consciente
et
délibérée,
elle
implique
donc
une
certaine
responsabilité
de
la
part
de
ceux
qui
l’encourent.
Alors
que
la
banque
‘fait
confiance’
à
ses
traders,
et
à
leur
intuition
des
marchés
en
même
temps
qu’elle
craint
de
les
perdre
et
de
les
voir
partir
avec
leurs
réseaux
interpersonnels
(Godechot,
2006),
c’est
cette
responsabilité
elle-‐même
qui
devient
l’objet
d’une
gestion,
appelée
aujourd’hui
conformité
(dont
le
travail
est
justement
de
gérer
le
risque
de
non-‐conformité,
légal
par
exemple,
qui
peut
entrainer
des
sanctions
voire
engager
la
responsabilité
pénale
de
l’entreprise).
1.2.2.2.
La
'normophrènie'
et
autres
enjeux
d'une
société
sécuritaire
Dans
cette
lignée,
nous
visons
à
considérer
le
risque
non
comme
un
donné
de
la
société
moderne,
mais
comme
un
élément,
certes
structurant,
mais
aussi
construit
par
70
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
une
société
complexe,
par
ses
peurs
et
ses
fantasmes,
nous
rapprochant
ainsi
davantage
d’une
conception
postmoderne
de
la
société
actuelle.
Quelques
années
avant
la
parution
du
célèbre
ouvrage
La
Société
du
Risque
par
U.
Beck
(1992),
un
chercheur
français,
Patrick
Lagadec
parlait
déjà
de
«
civilisation
du
risque
»
(1981)
et
consacra
l’essentiel
de
son
travail
à
l’étude
de
diverses
crises
et
risques
(technologiques
et
sociaux
principalement).
D’après
lui,
plus
que
vivre
dans
une
«
société
du
risque
»
au
sens
de
terrorisée
par
le
risque,
on
vivrait
plutôt
dans
une
société
‘addicte’
au
risque.
En
effet,
on
assiste
à
l’émergence
continuelle
de
«
nouveaux
risques
»
(Godard
et
al.,
2002)
qui
accentuent
et
justifient
en
retour
l’obsession
de
l’assurance
et
autres
moyens
préventifs
et
protectifs.
Ainsi,
l’omniprésence
du
risque
est
devenu
un
facteur
qui
nourrit
et
qui
entretien
une
dynamique
sociale
construite
sur
le
risque,
comme
élément
structurant
de
notre
société
en
tant
que
ceci
définit
notre
relation
au
risque.
Notre
société
refuse
le
sinistre,
et
donc
les
risques,
se
construit
contre,
prend
des
assurances
tout
risques,
cherche
à
recouvrir
le
moindre
risque,
mais
désormais
dans
une
logique
de
dépendance.
On
retrouve
alors
les
pendants
d’une
société
du
contrôle
et
de
l’audit
(Power,
1997),
une
société
qui
adopte
une
certaine
attitude
face
au
risque
par
des
comportements,
acteurs,
procédures
visant
la
prévention
et
sécurité,
et
au
management
des
risques
(Power,
2004)
partout
et
pour
tout.
Tels
Prométhée
(qui
non
par
hasard
nous
trouvons
en
effigie
du
Rockefeller
Center
à
New
York),
qui
vole
le
feu
aux
dieux
pour
le
donner
aux
hommes
afin
qu’ils
aient
un
contrôle
technique
sur
la
nature
et
le
monde
pour
les
dominer,
les
hommes
cherchent
à
contrôler,
mesurer,
cartographier
et
prédire
les
contingences
qui
traversent
leur
quotidien.
Nous
retrouvons
ici
la
dimension
épistémique
identifiée
plus
haut
par
rapport
à
l’éthique
:
connaître
(le
bien
et
le
mal,
comme
un
tout)
c’est
contrôler,
c’est
posséder
cette
faculté
divine
du
contrôle.
Plus
que
vivre
dans
une
société
du
risque,
il
nous
semble
alors
plus
juste
de
dire
que
nous
vivons
dans
une
société
sécuritaire,
où
les
enjeux
de
contrôle,
de
sécurité,
d’audit
et
de
prévention
du
risque
sont
érigés
en
piliers
structurants
de
notre
organisation
sociale.
Le
risque
n’étant
plus
conçu
comme
un
élément
exogène,
accidentel,
aléatoire
(hazard
paradigm),
mais
bien
comme
le
produit,
la
construction
de
nos
sociétés
(cf.
Tsoukas,
2005b),
il
devient
alors
l’objet
de
définitions,
de
méthodes
de
gestion,
d’analyse
et
de
contrôle.
Ce
que
nous
venons
d’évoquer
se
matérialise
donc
entre
autres
par
une
explosion
normative
sans
précédent,
que
nous
pensons
légitimement
pouvoir
dénommer
comme
une
‘normophrénie’,
tant
son
caractère
omniprésent
semble
parfois
relever
de
la
quasi
obsession.
Le
revers
d’une
société
sécuritaire
est
souvent
une
société
du
contrôle
(Power,
1997,
2004),
et
qui
dit
contrôle
dit
normes
et
processus
71
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
d’évaluation
de
tout,
au
sein
d’un
système
de
gouvernance
qui
soit
gérer
une
telle
complexité
(Boholm
et
al.
2012).
Les
travaux
de
Beck
sur
le
risque
n’insistent
pas
sur
cet
aspect
qui
pourtant
semble
essentiel,
et
que
d’autres
recherches
en
sociologie
en
particulier
n’ont
cessé
de
documenter.
On
voit
alors
surgir
l’importance
des
standards
qui
visent
à
faciliter
le
contrôle
par
l’uniformisation
des
procédures
et
des
résultats
espérés
(Brunsson
&
Jacobsson,
2000).
L’évacuation
du
risque
et
de
l’incertain
par
un
contrôle
hégémonique
semble
presque
en
contradiction
avec
le
constat
d’une
explosion
des
risques
;
une
contradiction
qui
pourtant
coexiste
avec
cet
opposé
ou
ce
pendant.
Ainsi,
dans
The
McDonaldization
of
Society,
Ritzer
(2010)
montre
que
cette
standardisation
ou
taylorisation
jadis
réservée
au
secteur
industriel
tend
à
infiltrer
non
seulement
le
secteur
de
l’alimentation,
mais
plus
largement
la
société,
ses
mécanismes,
jusqu’à
devenir
un
paradigme
culturel
puissant.
Un
des
exemples
les
plus
criants
est
bien
entendu
la
création
et
l’institutionnalisation
des
normes
promues
par
l’International
Organization
for
Standardization,
connues
comme
les
normes
ISO.
Nous
pensons
que
pour
le
sujet
qui
nous
occupe,
la
‘normophrénie’,
ou
l’obsession
et
la
prolifération
de
normes,
chartes,
codes
etc.,
est
un
phénomène
particulièrement
intéressant
à
étudier.
Désormais,
le
pluralisme
normatif
est
une
donnée
de
l’organisation
et
de
l’organizing.
A
force
de
vouloir
recouvrir
chacun
des
points
aveugles
du
droit
qui
représentent
chacun
un
risque
potentiel,
nous
en
sommes
arrivés
à
une
complexification
massive
du
droit
des
affaires,
du
travail,
de
la
concurrence...
et
de
tous
les
aspects
qui
traversent
à
un
moment
ou
à
un
autre
les
organisations,
également
sur
d’autres
plans
que
celui
strictement
juridique.
A
ce
sujet,
soulignons
d’emblée
la
forte
proximité
avec
la
question
des
risques
abordée
précédemment.
En
effet,
le
risque
appelle
la
régulation
et
le
contrôle.
Ces
derniers
se
traduisent
par
des
normes,
ces
pseudo-‐impératifs
catégoriques
qui
régissent
l’action
hic
et
nunc,
pour
se
prémunir
dans
le
futur
des
projections
et
craintes
qu’inspire
le
risque.
Cependant,
dans
la
norme
il
n’y
a
pas
que
du
certain,
tout
comme
dans
le
risque
il
n’y
a
pas
que
de
l’incertain.
Il
y
a
du
certain
dans
le
risque
(probabilisable,
mesurable,
dont
l’impact
est
chiffrable)
et
de
l’incertain
dans
la
norme
(sur
sa
légitimité
sociale
par
exemple).
Ainsi,
la
norme
et
la
normophrénie
ne
sont
pas
l’opposé
complémentaire
du
risque,
mais
en
quelque
sorte
un
miroir,
qui
donne
une
autre
représentation
de
l’objet
du
risque
à
son
tour.
Nous
ne
croyons
plus
en
l’esprit
mais
en
la
lettre
des
lois,
et
cherchons
à
recouvrir
la
moindre
zone
grise
dans
une
visée
de
contrôle
total.
C’est
ainsi
que
la
notion
de
contrôle
et
de
gouvernement
s’érige
en
véritable
idéologie
managériale
de
notre
temps
(Pesqueux,
2000).
En
effet,
dans
les
normes
ISO,
on
constate
une
72
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
73
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
Les
liens
qu’entretiennent
ces
trois
notions
–
risque,
normes
et
éthique
–
sont
complexes
et
féconds.
Il
en
va
de
la
manière
de
concevoir
la
responsabilité,
et
où
est
ce
qu’on
situe
celle-‐ci.
Où
réside-‐t-‐elle
dans
une
société
sécuritaire
structurée
par
sa
construction
du
risque,
sa
prolifération
normative
et
son
fonctionnement
complexe,
empli
de
tabous
?
Il
en
va
de
la
définition
non
seulement
du
bien
et
du
mal,
mais
plus
intéressant
encore,
du
normal
ou
de
l’anormal,
comme
nous
le
verrons
dans
le
chapitre
suivant,
où
la
normativité
a
un
rapport
normalisant
tout
à
fait
puissant,
et
par
là
même
la
dimension
de
pollution
devient
un
élément
structurant
central.
Les
implications
concernant
les
organisations
sont
nombreuses,
car
elles
sont
un
des
principaux
lieux
où
les
risques
sont
conceptualisés,
mesurés
et
gérés
(Hutter
&
Power,
2005)
:
dans
la
prise
de
décision,
dans
l’évaluation
et
l’anticipation
des
risques,
dans
leur
surveillance
et
la
mise
en
place
d’une
procédure
d’alerte…
Tout
comme
nous
avons
vu
un
tournant
social
vers
une
société
du
risque
et
du
contrôle,
on
remarquait
plus
haut
également
un
virement
«
éthique
»
très
prononcé,
et
nous
postulons
que
les
deux
vont
de
pair
dans
les
organisations.
On
instaure
des
comités
d’éthique,
des
organismes
internationaux
(par
exemple
au
sein
de
l’UNESCO
dès
1992)
chargés
de
mettre
la
morale
dans
la
réflexion
et
l’action
de
l’humanité.
A
présent
on
pose
donc
la
question
:
quel
rapport
avec
l’éthique
?
Quelle
est
la
nature
de
ce
rapport
entre
éthique
et
risque
?
Comment
se
construit-‐il
?
L’éthique,
dans
les
affaires
en
particulier,
ne
devient-‐elle
pas
victime
du
risque
ou
du
moins
sujette
au
poids
de
cette
variable
omniprésente
?
Parler
de
risque
et
d’éthique
et
des
implications
en
termes
de
responsabilité
nous
fait
revenir
sur
la
question
de
la
dimension
épistémique
de
l’éthique,
et
l’importance
de
la
connaissance.
Comment
éviter
alors
de
sombrer
dans
l’hybris
souvent
associé
à
cette
connaissance
et
de
recevoir
le
châtiment
prométhéen
?
C’est
souvent
dans
des
contextes
d’ambigüité
et
d’incertitude
que
surgissent
des
questions
éthiques
(exemple
d’analyse
dans
le
secteur
bancaire
qui
nous
intéresse
:
Lynch,
1991)
et
que
celles-‐ci
imposent
leur
pertinence.
Il
y
a
donc
un
lien
fécond
entre
les
deux,
bien
que
souvent
confus
et
difficile
à
identifier.
On
identifie,
dans
cette
perspective
dont
nous
nous
écarterons
quelque
peu
par
la
suite,
au
domaine
de
l’éthique
les
conséquences
potentiellement
néfastes
des
risques.
D’où
l’importance
actuelle
et
la
focalisation
croissante
sur
la
responsabilité
des
acteurs
économiques
comme
principale
manifestation
de
l’éthique
dans
les
affaires.
La
question
de
la
maitrise
des
risques
est
donc
devenue
une
question
de
maitrise
des
aires
de
responsabilité.
Lenglet
(2008),
à
titre
anecdotique
mais
non
moins
révélateur,
remarquait
la
longueur
croissante
des
disclaimers
qui
désormais
font
partie
de
la
moindre
communication,
même
en
interne.
Rien
n’est
laissé
au
hasard,
la
moindre
trace
écrite
est
justifiée,
protégée,
l’aire
de
potentielle
responsabilité
est
maîtrisée
ou
74
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
75
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
en
connaissance
de
cause
et
selon
la
droite
raison,
peut
diriger
ou
orienter
une
action,
une
conduite
ou
un
jugement,
dans
le
sens
de
ce
qui
doit
être
(ou
être
fait
ou
être
jugé).
La
norme
est
instrument
de
rectitude
mais
aussi
de
mesure
universelle
permettant
d’apprécier
ce
qui
est
conforme
à
la
règle
et
ce
qui
s’en
écarte.
»
(Dictionnaire
de
philosophie,
Blay,
dir.,
2003:736).
Ainsi,
la
norme,
qu’elle
soit
morale,
juridique
ou
autre,
avant
d’être
un
outil
de
mesure
ou
de
discrimination,
est
surtout
un
modèle,
un
élément
de
référence,
qui
sert
à
informer
(au
sens
concret
de
donner
forme,
de
rendre
conforme).
Ontologiquement,
la
norme
a
donc
une
dimension
de
la
responsabilité
associée
à
cette
recherche
de
normalité,
de
conformité
au
modèle
exemplaire.
C’est
ce
que
recherchent
les
mystiques
religieux,
comme
en
témoigne
le
titre
de
l’œuvre
de
Thomas
de
Kempis
(2008),
Imitation
du
Christ
:
il
est
le
gnomon
qui
sert
de
modèle.
Mais
c’est
aussi
une
partie
fondamentale
d’une
pensée
institutionnaliste
et
des
études
des
phénomènes
d’isomorphisme.
En
effet,
la
valeur
sociologique
de
la
norme
est
celle
de
la
régularité,
au
sens
presque
statistique
du
terme.
La
norme
est
le
fait
social
que
l’on
retrouve
avec
le
plus
de
régularité.
Ce
n’est
parce
qu’elle
est
régulière,
ou
‘normale’
qu’elle
exerce
ensuite
une
pression
normative
ou
de
normalisation.
En
partant
de
ce
dernier
point,
nous
aimerions
nous
appuyer
sur
les
contributions
de
l’anthropologue
Mary
Douglas,
dont
il
sera
largement
question
dans
ce
travail,
pour
redonner
de
la
chaire
la
notion
de
risque
trop
désincarnée
de
Beck,
en
particulier
dans
le
rapport
complexe
mais
fécond
qu’on
peut
établir
entre
risque
et
norme.
Douglas
montre
qu’il
y
a
une
sélection
qui
s’opère
parmi
les
agents
potentiellement
dangereux,
et
qui
deviennent
les
catégories
du
«
sale
»
qui
est
profane,
et
de
la
«
souillure
»,
qui
relève
du
sacré,
mais
toutes
deux
sont
constitutives
d’un
ordre
symbolique
qui
dicte
ensuite
les
règles
sociales
d’inclusion
ou
d’exclusion
des
éléments
ou
agents
dangereux.
Dans
son
introduction
à
De
la
Souillure,
(1967
[2005]:23),
Douglas,
en
faisant
référence
à
Ricœur
commence
par
revenir
sur
la
distinction
qu’on
faisait
au
XIXe
entre
les
religions
dites
primitives
et
les
grands
monothéismes,
qui
n’est
pas
sans
évoquer
notre
propos
ici
:
«
en
premier
lieu,
les
religions
primitives
seraient
inspirées
par
la
peur
;
en
second
lieu,
elles
seraient
inextricablement
mêlées
à
des
notions
se
souillure
et
d’hygiène.
Presque
chaque
missionnaire
ou
voyageur,
lorsqu’il
rend
compte
d’une
religion
primitive,
parle
de
la
peur,
de
la
terreur
de
ceux
qui
y
adhèrent.
[...]
Et
comme
la
peur
paralyse
la
raison,
elle
peut
rendre
compte
d’autres
particularités
de
la
pensée
primitive,
notamment
de
la
notion
de
souillure
».
Ainsi,
si
la
peur
est
ce
qui
est
au
fondement
des
sociétés
primitives,
alors
la
nôtre
n’en
est
pas
si
éloignée,
avec
ses
propres
peurs
omniprésentes
qui
structurent
nos
rapports
sociaux
et
marchands.
La
peur
des
modernes
est-‐elle
donc
si
différente
de
celle
des
primitifs,
76
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
77
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
78
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
sont
énoncés
d’une
manière
floue
(d’où
son
usage
de
la
métaphore
du
labyrinthe),
se
retrouvent
à
descendre
progressivement
les
échelons
avec
le
passage
de
la
responsabilité
d’un
manager
au
suivant.
Chacun
demandera
des
comptes
et
repose
sur
le
fait
que
le
travail
nécessaire
pour
remplir
l’objectif
sera
in
fine
accomplit.
Comment,
à
quel
prix,
par
qui
?
Peu
importe,
et
ce
n’est
d’ailleurs
pas
le
problème
du
manager
que
de
veiller
aux
complications
‘mondaines’
que
cela
peut
entrainer.
Du
moment
que
les
objectifs
de
rentabilité
sont
atteints.
Pour
eux,
les
problèmes
ne
sont
pas
compris
sous
l’angle
moral
de
bien
ou
de
mal,
mais
comme
des
questions
techniques
à
résoudre
:
trouver
l’arrangement
pour
faire
taire
une
population
qui
manifeste
contre
la
pollution
d’une
usine
dans
leur
voisinage,
trouver
le
vide
juridique
pour
s’en
sortir
en
cas
de
litige
etc.
La
valeur
d’une
telle
description
minutieuse
de
ce
monde
moral
des
managers
va
au
delà
du
voyeurisme
dont
les
médias
se
délectent
:
son
étude
de
terrain
est
tellement
précise
qu’il
est
difficile
de
relayer
ces
propos
au
rang
de
l’opinion
moralisatrice
de
comptoir.
Il
s’agit
pour
lui
de
faire
voir
la
densité
et
la
complexité
des
rapports
de
loyauté
servile
au
sein
de
systèmes
bureaucratiques
pervertis
par
l’étiquette
et
l’apparence,
et
qui
constituent
le
cœur
de
la
pratique
managériale
et
de
son
‘éthique
occupationnelle’
qui
devient
la
nouvelle
casuistique
qui
dicte
ce
‘côté
obscur’
dans
leurs
comportements
et
décisions
(Deslandes,
2011b).
L’éthique
et
la
morale
deviennent
l’objet
d’une
sociologie
approfondie
dans
le
monde
du
travail
managérial,
essayant
de
survivre
dans
ce
contexte,
souvent
qualifié
de
‘rhizome’
(Corvellec
&
Risberg,
2007).
D‘autres
tentatives
rares
existent
et
nous
ont
permit
de
continuer
à
ouvrir
la
boite
noire
de
ces
processus
organisationnels
qui
produisent
certains
comportements,
véhicules
certaines
règles
morales,
récompensent
certains
au
détriment
d’autres,
sans
avoir
une
approche
ni
de
moralisation
ni
de
prescription.
Elles
restent
rares
(e.g.
Clegg
et
al.
2007
;
Painter-‐Morland,
2008
;
Garsten
&
Hernes,
2009,
récemment
en
France
:
Babeau
&
Chanlat,
2008
;
Hirèche,
2008
;
Babeau,
2011
;
Baïada-‐Hirèche
et
al.
2011),
et
parfois
contestées
dans
leurs
fondements
conceptuels
(Deslandes,
2011a)
et
nous
souhaitons
contribuer
à
développer,
approfondir
et
préciser
ce
type
d’approches.
1.2.3.2.
Identifier
les
repères
institutionnels
de
l’action
entre
stabilité
et
dynamique
Parler
d’action
organisée,
d’organizing,
fait
appel
implicitement
à
la
question
du
sens
:
les
choix,
les
actions,
doivent
faire
sens,
avoir
un
sens,
faute
de
quoi
les
acteurs
perdent
les
repères
de
leur
action.
En
dehors
des
théories
morales,
nous
retrouvons
79
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
cette
préoccupation
pour
la
question
du
sens
à
un
niveau
plus
macro,
avec
les
études
sur
les
institutions
et
la
théorie
institutionnelle,
et
qui
donc
n’est
pas
si
éloignée
de
notre
propos.
En
effet,
ces
dernières
s’attachent
à
étudier
comment
les
significations
se
matérialisent,
et
s’institutionnalisent
pour
perdurer
ainsi
dans
le
temps,
à
travers
des
organes
ou
des
pratiques
qui
les
maintiennent.
Sans
prétendre
la
couvrir
de
manière
exhaustive,
rappelons
cependant
que
ladite
théorie
institutionnelle
cherche
à
étudier
comment
des
institutions
–
comprises
comme
des
«
enduring,
taken
for
granted
elements
of
social
life
provide
stability
and
meaning”
(Scott,
2001:48)
à
cette
vie
sociale.
Ainsi,
elles
sont
ce
qui
oriente
et
structure
l’action
et
les
relations
entre
les
organisations
et
les
champs
auxquels
elles
appartiennent
(Barley
&
Tolbert,
1997).
A
partir
de
là,
on
leur
reconnaît
une
force
structurante
agissant
sur
les
acteurs,
qu’ils
soient
individuels
ou
collectifs,
dans
une
approche
descendante
et
en
quelque
sorte
totalisante,
dans
laquelle
les
comportements
des
individus
et
des
organisations
sont
modelés
malgré
eux
par
ces
institutions.
Leur
agence,
dans
ce
cadre
radical
là,
est
souvent
réduit
à
une
perpétuation
aveugle
de
l’institution
(Meyer
&
Rowan,
1977;
DiMaggio
&
Powel,
1983;
Brunsson
&
Jacobsson,
2000)
à
travers
des
processus
de
normalisation,
d’imitation
et
de
reproduction
de
ces
institutions
dominantes,
comme
normes
intériorisées.
Héritiers
de
la
sociologie,
du
constructivisme
et
de
l’institutionnalisme
‘ancien’
(i.e.
Berger
&
Luckman,
1966;
Giddens,
1984;
Zucker,
1977),
les
néo-‐institutionnalistes
s’attachent
à
étudier
cette
question
de
la
matérialisation,
perpétuation
et
négociation
de
significations
(Meyer
&
Rowan,
1977;
DiMaggio
&
Powell
1983;
Zilber,
2002).
Or,
une
des
critiques
les
plus
virulentes
adressées
aux
néo-‐institutionnalistes
est
justement
de
sous-‐estimer,
ignorer
ou
subordonner
l’aspect
dynamique
et
changeant
de
ces
significations
intériorisées,
qui
était
néanmoins
bien
présent
chez
leurs
prédécesseurs
de
‘l’ancien’
institutionnalisme.
L’interactionnisme
symbolique
à
l’origine
servait
pour
mettre
en
valeur
le
rôle
des
personnes
dans
l‘organisation.
Or,
les
études
institutionnelles
se
sont
depuis
‘dépeuplées’.
DiMaggio
et
Colomy,
reprenant
un
terme
utilisé
par
Goulner
dans
les
années
50,
critiquent
le
néo-‐institutionnalisme
pour
son
‘pathos
métaphysique’
qui
fait
des
institutions
des
«
disembodied
structures
acting
on
their
own
volition
while
depicting
actors
as
powerless
and
inert
in
the
face
of
inexorable
social
forces
(1998
:267)
»
(cité
in
Hallet
et
al.
2009
:488).
Pour
répondre
à
cette
critique
de
véhiculer
une
approche
trop
statique
et
réifiante
qui
ne
permettait
pas
de
saisir
les
dimensions
mouvantes
et
dynamiques
des
institutions
(Perrow,
1972...),
elle
revient
progressivement
à
une
approche
d’avantage
processuelle
et
dynamique
autour
du
changement
où
les
institutions
(en
tant
que
80
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
systèmes
de
croyance
partagés)
et
les
champs
(en
tant
que
dispositifs
organisationnels)
sont
interdépendants,
mouvants,
et
conduisent
parfois
à
la
désinstitutionalisation
de
certaines
(cf.
Maguire
&
Hardy,
2009)
ou
l’institutionalisation
d’autres
(cf.
les
recherches
sur
l’entreprenariat
institutionnel,
e.g.
cités
dans
ce
travail
:
Acquier
&
Aggeri,
2008
;
Mair
&
Marti
2009).
En
particulier,
la
perspective
du
travail
institutionnel
(institutional
work,
Lawrence
&
Suddaby,
2006;
Lawrence,
Suddaby
&
Leca,
2009),
se
focalise
sur
les
événements,
actions
et
acteurs,
même
petits
et
routiniers,
qui
participent
au
processus
d’institutionnalisation.
Leur
contribution
est
donc
de
mettre
l’accent
non
pas
sur
comment
les
institutions
‘dominent’
ou
formatent
nos
actions
presque
malgré
nous,
mais
au
contraire
sur
les
processus
intentionnels
de
transformation,
négociation
ou
maintien
(mais
actif)
de
ces
institutions
dans
la
vie
sociale.
Cette
approche
centrée
sur
le
processus
(de
création,
de
maintien
ou
de
dissolution)
et
non
sur
le
résultat
(e.g.
l’institution
crée,
maintenue
ou
dissolue)
est
soulignée
par
le
“–ing”
de
la
définition
originelle
de
Lawrence
et
Suddaby
:
“the
purposive
action
of
individuals
and
organizations
aimed
at
creating,
maintaining
and
disrupting
institutions”
(2006:215).
Cette
approche
permet
aussi
de
réintroduire
des
questions
telles
que
les
dynamiques
institutionnelles,
l’action,
l’agence,
les
degrés
d’effort,
les
échecs
aussi,
réajustements,
créativité
et
en
somme
l’ensemble
des
‘forces’
qui
font
‘vivre’
les
institutions.
Enfin,
elle
ouvre
aussi
la
voie
à
des
études
mutliniveaux
sur
les
phénomènes
institutionnels,
puisqu’elle
permet
de
cerner
ce
qui
se
passe
simultanément
depuis
le
niveau
macro
jusqu’au
micro.
Mais
comment
?
Un
récent
numéro
spécial
de
Organization
Studies
se
proposait
de
le
préciser
en
cherchant
de
contribuer
à
notre
compréhension
de
“how
institutional
work
occurs,
who
does
institutional
work,
and
what
constitutes
institutional
work”
(Lawrence,
Leca
&
Zilber,
2013:
1024).
On
entend
ainsi
répondre
à
un
appel
lancé
par
Hallett
et
Ventresca
(2006,
puis
cf.
Hallett
et
al.
2009)
de
«
repeupler
»
les
institutions,
de
les
concevoir
comme
‘habitées’.
Ils
prônent
un
retour
à
l’exemple
donné
par
les
sociologues
interactionnistes,
qui
ont
fondé
leur
théories
à
partir
d’enquêtes
extensives
de
terrain,
où
on
voyait
bien
des
êtres
communiquer,
agir,
vivre,
souffrir,
calculer,
interpréter
et
sentir.
D’où
l’idée
d’un
inhabited
insitutionalism
(Hallett
&
Ventresca
2006)
qui
traite
les
institutions
et
les
interactions
entre
acteurs,
significations
et
actions
(Zilber,
2002
;
Suddaby
et
al,
2010,
;
Suddaby
2010)
non
pas
comme
opposées
mais
comme
mutuellement
constitutives,
selon
son
héritage
pragmatique.
Pour
penser
la
dimension
dynamique
des
institutions,
en
Europe
et
en
Amérique
Latine
s’est
développé
en
parallèle
une
approche
complémentaire
qui
depuis
le
début
a
souligné
la
phénoménologie
et
les
dynamiques
derrière
les
institutions
:
l’Analyse
institutionnelle.
Cette
approche
demeure
malheureusement
peu
connue
dans
81
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
les
milieux
académiques
Anglo-‐saxons.
Développée
dans
les
années
soixante
contre
la
conception
héritée
de
la
sociologie
de
Durkheim
des
institutions
comme
des
«
choses
»
stables
qui
structureraient
la
société
et
les
individus
qui
la
composent,
l’analyse
institutionnelle
promeut
l’idée
que
les
institutions
sont
des
phénomènes,
et
à
ce
titre
elles
sont
complexes
et
appellent
une
interprétation
(Lapassade,
1966,
Lourau,
1969a,
1969b;
Lapassade
&
Lourau,
1974,
Castoriadis,
1999),
presqu’au
sens
musical
du
terme,
si
on
nous
permet
la
métaphore.
Cette
approche
soutient
en
effet
que
les
institutions
sont
constamment
soumises
aux
tensions
entre
des
éléments
opposés,
et
que
ces
tensions
sont
justement
le
terrain
fertile
où
elles
peuvent
de
facto
évoluer.
Ainsi,
l’institution
elle-‐même
n’est
que
le
résultat
institué,
et
donc
visible
mais
aussi
temporaire,
d’un
long
et
mouvant
processus
d’institutionnalisation.
Au
cœur
de
l’analyse
institutionnelle
se
trouve
en
effet
une
distinction
fondamentale
dont
l’absence
fréquente
dans
le
courant
néo-‐institutionnel
anglo-‐saxon
est
source
de
nombreuses
confusions,
entre
ces
deux
dimensions
–
l’institué
et
l’instituant.
Cette
confusion
nous
fait
alors
souvent
oublier
que
le
résultat
(l’institué
fixé
historiquement
en
un
espace-‐
temps
particulier)
sera
nécessairement
mis
à
l’épreuve
du
changement
par
le
jeu
des
forces
instituantes
de
la
vie
et
des
dynamiques
institutionnelles.
Cette
«
énergie
sociale
»
(Hess,
2002)
est
ce
qui
pousse
l’institution
à
se
transformer
elle-‐même,
grâce
à
cette
dialectique
constante
entre
des
relations
de
“réception/altération”
(Castoriadis,
1999).
Cette
approche
non
dominante
des
institutions
est
pertinente
pour
au
moins
deux
raisons.
Tout
d’abord,
elle
fait
très
clairement
la
distinction
entre
l’institution
instituée
(conçue
uniquement
comme
fixée
temporairement)
et
le
processus
instituant
qui
est
en
fait
la
vrai
substance,
processuelle
donc,
des
institutions.
Ensuite,
elle
souligne
l’importance
des
tensions
qui
s’opposent
dans
les
dynamiques
institutionnelles,
et
comment
une
telle
opposition
génère
une
dialectique
fertile
qui
à
son
tour
alimente
les
dynamiques
propres
des
institutions.
En
effet,
la
dialectique,
et
plus
précisément
la
négativité
sont
au
cœur
de
la
conception
des
institutions
chez
Lapassade
et
Lourau,
et
nous
aideront
ici
à
mettre
en
évidence
les
dimensions
institutionnelles
de
l’éthique
comme
pratique.
En
effet,
agir
au
quotidien
implique
d’une
part
faire
un
usage
de
repères,
d’ancres
référentiels,
qui
peuvent
être
sous
forme
de
lois,
codes
et
normes
(formels)
mais
aussi
de
significations,
pratiques,
symboles
et
systèmes
de
croyance
(informels)
qui
sont
reconnus
et
partagés
par
un
groupe
(Douglas,
2004
;
Friedland
&
Alford,
1991).
D’autre
part,
agir
au
quotidien
implique
participer
du
processus
dynamique
instituant
de
ces
éléments
et
de
ses
pratiques
comprises
comme
“embodied,
materially
mediated
arrays
of
human
activity
centrally
organized
around
shared
practical
understanding”
82
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
1.2.3.3.
«
Et
maintenant
qu’est-‐ce
que
j’fais
?
»
:
devoir
agir
hic
et
nunc
entre
urgence
et
processus
«
Lorsque
l’opérateur
lui
soumet
(au
déontologue)
sa
question,
en
la
concluant
par
‘et
maintenant,
qu’est-‐c’que
j’fais
?’
il
s’en
remet
au
déontologue
dans
l’espoir
que
ce
dernier
lui
ouvre
une
possibilité
d’action,
bref
qu’il
puisse
s’en
retourner
vers
son
desk
avec
une
solution,
un
comportement
socialement
légitime
à
adopter,
qui
aura
le
cas
échéant
un
impact
sur
l’organisation,
sur
la
gestion
de
l’ordre
et
les
conséquences
afférentes
au
marché
»
Lenglet,
2008
:31.
La
citation
de
Lenglet
mise
en
exergue
de
cette
sous-‐partie
illustre
à
quel
point
la
quotidienneté
(routinière
en
même
temps
que
normative)
et
l’urgence
sont
les
deux
modalités
selon
lesquelles
s’éprouve
la
déontologie.
En
ce
sens,
nous
pourrons
parler
de
situations
non
seulement
extrêmes
(car
chaque
fois
problématiques),
mais
aussi
quotidiennes,
où
les
processus
d’éthique
sont
à
l’œuvre.
Pour
cela,
nous
avançons
qu’en
particulier
dans
les
métiers
de
la
conformité,
mais
aussi
ailleurs,
le
réel
du
travail
réside
dans
le
fait
qu’il
s’éprouve
hic
et
nunc.
C’est
ici
et
maintenant
qu’il
se
fait,
au
présent,
en
situation.
Mais
que
veut
dire
donc
agir
in
situ
?
La
perte
des
repères,
cette
indétermination
herméneutique
à
longuement
été
étudiée
dans
ce
qu’elle
génère
de
problématique
:
paralysie
de
l’action,
incompréhensions,
difficultés
d’adaptation
rapide,
de
collaboration.
En
effet,
nombreux
sont
ceux
qui
analysent
les
crises
ou
les
accidents
pour
mettre
en
valeur
les
difficultés
de
faire
sens
(e.g.
Weick,
1993).
La
paralysie
est
révélatrice
d’une
aporie,
d’une
impasse,
qi
sera
vécue
avec
d’autant
plus
de
stress
et
d’angoisse
de
la
part
des
personnes
que
dans
le
contexte
organisationnel
on
doit
agir,
ici
et
maintenant,
il
s’agit
d’un
impératif.
On
doit
faire
quelque
chose,
les
personnes
sont
payées
pour
résoudre
les
problèmes,
pour
comprendre
et
faire
rapidement
une
‘analyse
de
la
situation’
afin
de
la
‘maîtriser’.
C’est
sur
cette
capacité
d’action
hic
et
nunc
pour
résoudre
les
problèmes
que
les
employés
quelque
soit
leur
statut
sont
évalués,
c’est
ce
qu’on
attend
d’eux.
Alors
que
dans
les
paragraphes
précédents
nous
avons
précisé
en
quoi
la
complexité
et
les
risques
83
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
constituaient
des
défis
à
l’action,
et
que
celle-‐ci
aura
recours
à
des
piliers
référentiels
institutionnels
qui
seront
à
leur
tour
impactés
par
cette
action,
il
convient
ici
d’explorer
les
modalités
temporelles
de
l’action.
Encore
une
fois,
nous
ne
prétendons
pas
à
l’exhaustivité
d’un
tel
sujet,
mais
nous
nous
limiterons
à
exposer
les
deux
qui
sont
apparues
clairement
lors
de
notre
étude
et
que
Lenglet
évoque
dans
la
citation
:
l’urgence
et
le
déroulement
quotidien
et
processuel.
L’impératif
d’action
qui
pousse
les
personnes
à
devoir
agir
ici
et
maintenant
malgré
la
complexité,
les
contradictions,
les
risques,
les
incertitudes,
le
manque
d’informations
et
les
pressions
(Bouilloud,
2012)
est
d’autant
plus
radicalisé
qu’il
est
à
son
tour
soumis
à
l’impératif
temporel
de
l’urgence.
Comme
nous
le
verrons
dans
notre
cas
au
sein
de
la
conformité
«
Ici,
tout
est
urgent.
Après,
il
faut
tout
mesurer
en
degrés
d’urgence
»
(Christian,
un
des
analystes
que
nous
avons
rencontré
sur
le
terrain).
Cette
accélération
non
pas
du
temps
mais
de
l’impératif
d’agir
est
devenu
non
seulement
une
réalité
courante,
mais
un
véritable
culte
managérial
(Aubert,
2003)
qui
fait
de
la
performance/minute
le
critère
primordial
de
l’évaluation
de
la
‘bonne
santé’
des
activités
de
l’entreprise
dans
la
course
perpétuelle
contre
les
concurrents,
le
cours
de
la
bourse,
les
réunions
de
comité
de
direction,
ou
tout
simplement
contre
les
résultats
du
trimestre
précédent,
de
l’année
dernière
à
la
même
période.
Cette
course
exponentielle
n’a
parfois
d’autre
justification
qu’elle
même,
faisant
du
dépassement
de
soi
(de
ses
performances
passées)
et
de
l’impératif
de
croissance
continue
une
véritable
obsession.
Critère
de
‘santé’
de
l’entreprise,
c’est
par
la
même
occasion
le
symptôme
d’une
société
malade
non
seulement
du
temps
(devenu
l’ennemi
perpétuel
à
devancer)
mais
aussi
de
la
gestion
au
sens
large
(Gaulejac,
2005).
Le
coût
à
payer
en
termes
de
souffrance
au
travail,
maladie,
stress,
névroses
et
parfois
même
suicide,
pour
ces
standards
d’excellence
est
bien
connu
des
psychologues
et
médecins
du
travail,
des
psychosociologues
cliniciens
et
d’une
bonne
partie
des
employés
actuels
(cf.
le
documentaire
La
Mise
à
mort
du
travail
(Viallet,
2009)
et
The
Corporation
(Achbar
et
al.
2005);
Aubert,
2003
;
Gaulejac,
2005
;
Aubert
&
Gaulejac,
2007
;
Dejours,
1993,
2011
;
Chanlat
2011b
;
Aubert,
2011
;
Bouilloud
2012
parmi
d’autres).
En
tant
qu’idéologie
managériale,
ou
‘nouvel
esprit
du
capitalisme’
(Boltanski
&
Chiapello,
1999)
qui
réintègre
la
critique
bureaucratique
pour
faire
de
la
flexibilité
–
mais
donc
aussi
la
précarité,
disponibilité
permanente
via
les
nouvelles
technologies,
etc.
–
le
nouveau
mot
d’ordre
intériorisé
et
normalisé,
elle
conduit
à
une
«
désorganisation
qui
institue
un
état
de
crise
permanent,
exclusion
des
non-‐performants,
course
au
‘toujours
plus’,
management
paradoxal,
harcèlement,
stress,
sentiment
de
perte
de
sens
»
(Gaulejac,
84
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
2005
:
12)
qui
pousse
à
une
constante
renégociation
face
à
l’ambigüité
(Baïada-‐Hirèche
et
al.
2011
;
Ibarra-‐Colado
et
al.
2006).
L’urgence
des
situations
à
gérer
est
donc
la
modalité
la
plus
immédiate
à
considérer
à
sa
juste
valeur
dans
notre
propos.
Or,
le
risque
ici
est
d’isoler
ces
‘moments’
de
tension
de
la
situation,
et
de
la
considérer
simplement
comme
une
suite
d’instants
ou
d’urgences
non
corrélées
ou
pouvant
s’analyser
indépendamment
les
unes
des
autres
et
du
contexte
dans
lequel
elles
adviennent.
Comment
capturer
alors
à
la
fois
l’ici
et
maintenant
et
la
dynamique
évolutive
?
Il
nous
faut
donc,
sans
négliger
l’urgence
de
l’ici
et
maintenant
de
l’action,
considérer
aussi
sa
dimension
processuelle.
Car
au
delà
des
enjeux
spectaculaires
et
dramatiques
de
l’urgence
des
situations
de
crise,
de
la
prise
de
risque
et
les
questions
qu’elle
pose
à
l’éthique,
nous
souhaitons
nous
intéresser
aussi
et
de
manière
particulière
une
autre
dimension,
moins
considérée,
difficile
à
cerner,
de
l’éthique
comme
phénomène
banal
et
quotidien,
comme
l’accumulation
et
l’intégration
de
l’ensemble
des
‘ici
et
maintenant’
que
l’on
vit.
En
effet,
l’éthique
n’est
pas
l’apanage
des
crises
et
des
urgences,
des
décisions
et
des
événements
qui
découpent
l’histoire
du
monde
en
grands
événements
marquants.
L’éthique
se
tisse
au
jour
le
jour,
dans
les
petites
actions
et
petites
décisions
quotidiennes,
mais
dont
la
quotidienneté
ou
la
petitesse
n’est
pas
un
signe
de
leur
insignifiance,
au
contraire.
Ceci
sera
en
particulier
le
cas
pour
les
personnes
dont
le
métier
relève
de
la
dimension
morale
et/ou
règlementaires
des
organisations,
dont
la
quotidienneté
est
faite
d’une
série
de
situations
de
crise
à
régler.
A
partir
de
ce
qui
vient
d’être
dit,
il
nous
semble
essentiel
de
partir
des
apports
de
la
perspective
processuelle
(Hernes
2007;
Langley
&
Tsoukas,
2010),
dont
nous
avons
déjà
évoqué
l’aspect
sensemaking
qui
est
une
des
manifestations
concrètes
les
plus
courantes.
Afin
de
prendre
la
quotidienneté
au
sérieux
et
lui
accorder
l’importance
nécessaire
à
son
étude,
in
faut
considérer
l’éthique
non
pas
idéelement
in
abstracto
ou
comme
contenu,
mais
«
en
train
de
se
faire
»,
ou
«
in
the
making
»
au
fil
du
temps
et
dans
les
situations.
Contrairement
à
ce
que
font
de
nombreuses
études
qui
se
focalisent
sur
des
contenus
moraux
d’une
organisation,
ou
encore
sur
des
outils
tels
que
les
codes
éthiques,
nous
souhaitons
considérer
la
pratique
de
l’éthique
elle-‐même,
autrement
dit
l’éthique
comme
processus,
c’est-‐à-‐dire
comme
pratique
au
travail.
Parler
d’une
éthique
comme
pratique
implique
donc
une
considération
sérieuse
de
son
déploiement
quotidien,
au
jour
le
jour,
avec
ses
difficultés,
stagnations,
répétitions,
et
non
pas
seulement
les
grands
événements
tels
que
peuvent
l’être
les
crises
ou
les
moments
de
prise
de
décision
(elle-‐même
reconnue
depuis
longtemps
et
analysée
non
pas
comme
chose
isolée
mais
comme
decision-‐making,
idem
pour
organizing,
strategizing,
85
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
86
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
Ce
chapitre
se
propose
de
creuser
une
association
problématique
de
termes
–
éthique
et
banque
-‐
et
de
la
pousser
à
ses
limites,
afin
d’introduire
les
spécificités
du
terrain
étudié
dans
la
suite
de
notre
travail
et
l’intérêt
de
penser
l’éthique
à
partir
d’une
pratique
située.
Le
titre
de
ce
chapitre
indique
les
deux
versants
que
nous
allons
développer
:
d’une
part
la
dimension
de
souillure
et
de
propreté
liée
à
ce
milieu
et
en
particulier
à
ce
qui
est
qualifié
d’argent
sale
(dont
il
sera
spécifiquement
question
dans
notre
étude
terrain
sur
la
conformité
bancaire
et
la
lutte
anti-‐blanchiment),
et
d’autre
part
la
question
de
l’agence
problématique
d’un
sujet
moral
dans
un
tel
contexte.
Nous
prendrons
comme
point
de
départ
théorique
le
cadre
offert
par
le
champ
émergent
des
études
sociales
de
la
finance,
complété
par
des
apports
sociologiques
et
anthropologiques
plus
larges.
Ce
chapitre
nous
sert
d’ancrage
théorique
préliminaire
en
sociologie
économique
pour
introduire
d’emblée
le
cadre
de
l’étude
empirique
en
contexte
bancaire.
On
pourra
ensuite
articuler
ces
deux
premiers
chapitres
dans
le
cadre
théorique
que
nous
proposerons
dans
le
chapitre
suivant.
«
Noble
ou
non
noble,
ou
moins
noble
qu’une
autre,
l’histoire
économique
[...]
est
l’histoire
entière
des
hommes,
regardée
d’un
certain
point
de
vue.
»
Fernand
Braudel,
La
Dynamique
du
Capitalisme,
[1985]
2008
:11.
87
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
88
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
89
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
22
www.sociology.ed.ac.uk/finance/res_com.htm
90
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
Figure 9: Présentation de l'Association des Etudes Sociales de la Finance
Association
fondée
le
15
juin
2000,
régie
par
la
loi
du
1er
juillet
1901,
ayant
pour
objet
la
promotion
d’études
scientifiques
interdisciplinaires
sur
le
monde
de
la
finance.
la
«
New
York
Conference
on
Social
Studies
of
Finance
2002
»,
le
«
Paris
Workshop
on
Reembedding
Finance
2010
».
On
peut
d’ailleurs
voir
une
évolution
cognitive
du
champ
et
des
points
d’intérêt
entre
ces
deux
conférences,
qui
ont
chacune
constitué
un
tournant.
La
«
N.Y.
Conference
on
Social
Studies
of
Finance
»
fut
organisée
sur
une
initiative
étasunienne,
par
le
professeur
D.
Stark
(Directeur
du
Center
on
Organizational
Innovation
de
l’Université
de
Columbia)
et
à
l’époque
l’étudiant
Daniel
Beunza
(Stern
School
of
Business)
afin
de
discuter
des
changements
‘d’architecture’
(structurels
et
organisationnels)
que
connaissait
le
secteur
financier,
en
particulier
à
New
York
:
«
To
understand
the
creation,
development
and
effects
of
financial
markets
we
need
more
than
the
perspectives
of
economics
or
of
a
"behavioural"
finance
that
is
rooted
in
individual
psychology.
Markets
are
cultures.
Behaviour
in
them
is
often
strongly
gendered.
Spatial
concentrations
such
as
the
City
of
London
are
of
great
importance.
The
long
history
of
financial
markets
can
place
modern
developments
in
context.
Markets
and
governments
interact
in
important
ways.
The
"science"
and
"technology"
of
markets
-‐
the
practical
applications
of
finance
theory;
information
infrastructures;
and
so
on
-‐
is
crucial.
Legal
frameworks
matter
a
great
deal.
Networks
of
people
who
know
each
personally
often
play
economically
significant
roles.
»
Le
séminaire
“Reembedding
Finance”
tenu
en
France
en
2010,
adopte
un
point
de
vue
plus
critique
:
en
effet
il
a
lieu
par
et
pendant
la
crise
économique.
Son
approche
est
donc
placée
sous
le
signe
de
l’urgence
de
réponses
face
à
la
crise,
et
de
ramener
la
Finance
à
une
dimension
qui
fasse
sens
:
91
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
“The
subprime
financial
crisis
has
recently
shown
the
limits
of
an
abstract
and
disembodied
view
of
financial
markets
and
their
so-‐called
“efficiency”.
A
new
interdisciplinary
field
of
research
–
often
known
as
“Social
Studies
of
Finance”
–
has
been
purposefully
tackling
these
limitations,
and
has
developed
with
a
view
to
“reembedding”
financial
practices
into
the
social
world.
This
collective
dynamic
of
interdisciplinary
research
[...]
is
grounded
on
a
stiff
conviction:
the
need
to
study
financial
activities
as
forms
of
social
life.
Showing
how
financial
reality
is
embedded
in
social
networks,
culture,
technology,
scientific
knowledge
and
institutional
contexts
can
renew
our
understanding
of
finance.”
Face
au
constat
que
la
tendance
quantitativiste
développée
en
Finance
et
économie
de
marché
depuis
les
années
50’
a
concentré
l’attention
sur
l’économie
mathématique
et
la
modélisation,
relayant
à
un
niveau
secondaire,
voire
négligé,
les
aspects
humains
et
sociologiques,
les
SSF
tentent
d’apporter
une
contribution
différente
par
rapport
a
l’économie
et
les
théories
financières,
car
«
il
s’agit
moins
de
contester
ce
savoir
académique
et
professionnel
que
de
le
prendre
pour
objet.
Ceci
permet
alors
de
montrer
comment
la
finance
est
structurée
et
transformée
par
la
science
financière
elle-‐
même.
»
(Godechot,
2011a
:27,
cf.
Preda,
2001,
Walter,
2010).
Une
perspective
épistémologique
s’ouvre
alors
comme
une
de
ses
contributions
majeures,
sur
la
construction
sur
savoir
financier
lui-‐même
(Preda,
2001).
Ainsi,
nous
voyons
apparaître
des
travaux
qui
explorent
la
structuration
relationnelle
et
socialement
déterminée
des
prix
(Baker,
1984
;
Beunza
et
al.
2006),
l’importance
et
les
paradoxes
de
la
sociabilité
et
des
réseaux
professionnels
dans
ce
milieu
(Hassoun,
2005),
les
schèmes
mentaux,
culturels,
rituels
et
cognitifs
(Smith,
2001
;
Jacobs,
2012),
la
rationalité
financière
et
sa
démystification
(Tadjeddine,
2000),
les
aspects
de
socio-‐
technologie
qui
montrent
l’importance
des
objets
et
espaces
de
travail
en
particulier
pour
la
cognition
collective
(Beunza
&
Stark,
2004,
Walter,
2010).
Mais
il
s’agit
encore
d’un
champ
qu’on
pourrait
qualifier
d’émergent,
bien
que
très
dynamique.
A
titre
d’illustration,
Google
Scholar
affiche
396
résultats
pour
«
social
studies
of
finance
»
au
début
de
notre
thèse
et
594
vers
la
fin
de
sa
rédaction,
la
base
de
données
EBSCO
n’en
recense
que
34
résultats
(dont
plusieurs
livres)
en
sélectionnant
l’ensemble
des
bases
de
données
au
début
de
notre
travail,
et
la
base
de
données
francophone
CAIRN
on
n’en
recensait
que
12
pour
«
études
sociales
de
la
finance
».
Une
page
Wikipedia
en
anglais
a
été
crée
en
septembre
2005
et
a
ce
jour
demeure
minime.
Ici,
nous
retenons
tout
d’abord
l’importance
méthodologique
et
épistémologique
(que
nous
aborderons
plus
en
détail
dans
le
chapitre
3)
de
chercher
à
connaitre
l’objet
‘finance’
de
l’intérieur.
Ensuite,
la
richesse
des
contenus
de
recherche
qu’elle
produit.
92
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
93
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
MacKenzie
(2003,
cf.
aussi
Mackenzie
et
Milo
2001,
et
plus
tard
Mackenzie
2006a
et
2006b).
Alors
que
la
formule
est
considérée
comme
décalée
au
moment
de
sa
publication
par
rapport
au
comportement
des
marchés
jusque
là
(et
donc
les
reflétant
ou
modélisant
mal),
on
observe
que
depuis
sa
publication,
les
cours
commencent
à
‘se
comporter
en
accord
avec
la
formule’,
se
pliant
à
elle,
à
sa
force
performative
en
tant
que
convention.
Mackenzie
insiste
que
ceci
ne
veut
pas
dire
simplement
que
les
professionnels
ont
‘adopté’
la
formule,
mais
plutôt
que
l’on
assiste
à
un
renversement
où
le
modèle
scientifique
se
met
à
transformer
la
réalité
plutôt
qu’il
ne
la
reflète.
Ceci
a
de
quoi
poser
des
questions
épistémologiques
sur
la
place
de
la
recherche
et
de
la
position
de
la
connaissance,
puisque
ce
sont
précisément
ces
connaissances
(économiques
en
l’occurrence)
détenues
par
les
acteurs
qui
deviennent
le
facteur
explicatif
de
l’action.
Le
processus
de
diffusion
d’une
théorie
et
le
fait
qu’on
la
prenne
pour
acquise,
la
fait
«
devenir
vraie
»
en
quelque
sorte,
car
ensuite
on
a
intérêt/on
est
contraints
à
la
suivre
(Ex.
la
dependency
theory
de
Babb,
2001
;
Fourcade,
2006).
Ce
processus
de
renversement,
a
aussi
été
remarqué
à
propos
de
l’utilisation
d’outils
(informatiques
par
exemple),
qui
incorporent
une
certaine
connaissance
ou
théorie,
qu’ils
performent
via
l’utilisation
de
l’outil
(Mackenzie,
Muniesa
&
Siu,
2007
;
Muniesa,
Millo
&
Callon,
2007,
Walter,
2010).
En
rendant
obligatoire
cette
utilisation
(pour
accéder
à
un
marché
par
exemple)
on
en
devient
prisonnier,
et
on
performe
malgré
nous
et
sans
forcément
devoir
la
connaitre
la
théorie
sous-‐jacente
en
tant
que
telle,
car
elle
s’applique
d’elle-‐même
dans
et
par
l’utilisation
des
outils
ou
logiciels.
L’intérêt
de
la
performativité
dans
le
champ
financier,
que
ce
soit
dans
la
lignée
des
propositions
de
Callon
(Callon,
1998
;
Callon
&
Muniesa,
2005
;
Muniesa,
Millo
&
Callon,
2007
etc.)
ou
dans
la
contestation
et
correction
de
sa
perspective
(ex.
Miller,
2002),
la
question
de
la
performativité
reste
centrale
pour
étudier
le
rapport
entre
théorie
économique/financière
et
pratique
(l’économie,
la
finance)
(De
Goede,
2005a
et
2005b
;
Lenglet,
2006).
Nous
verrons
qu’il
sera
particulièrement
intéressant
de
la
considérer
par
rapport
à
notre
objet
:
la
conformité
bancaire,
puisque
sa
dimension
normative
reste
encore
à
développer
(Lenglet,
2006,
2009).
2.1.2.
APPROCHES
DE
LA
CONFORMITE
BANCAIRE
2.1.2.1.
La
Conformité
bancaire:
un
objet
d'étude
encore
récent
Aujourd’hui
la
déontologie
est
reconnue
comme
une
fonction
de
l’entreprise
mais
aussi
comme
une
profession.
En
une
quinzaine
d’années,
cette
fonction
s’est
94
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
Rapport moral sur l’argent dans le monde, qui sort une fois par an depuis 1994.
95
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
et
Proudhon
au
19e
siècle
pour
des
raisons
différentes
(citées
in
Lenglet,
2008)
d’un
nécessaire
«
corsetage
des
pratiques
»
demeure
avec
parfois
les
mêmes
arguments,
mais
revoit
ses
moyens
:
la
déontologie
est
devenue
le
contrôle.
Weber
utilisait
déjà
le
terme
de
police
du
marché
(Marktpolizei)
([1894]
1999
:50),
et
Proudhon
signalait
son
inefficacité
«
par
l’anarchie
qui
lui
est
essentielle,
[la
bourse]
échappe
à
toutes
les
constitutions
gouvernementales
et
policières
»
(1853
:36).
Mais
l’approche
reste
plus
en
phase
avec
la
déontologie
et
une
vision
morale,
plus
que
normative
ou
de
conformité
:
«la
bourse
est
le
poux
que
doit
palper
le
pathologiste
afin
de
diagnostiquer
l’état
moral
du
pays
»
(1853
:164).
Depuis
le
travail
de
Lenglet,
pour
qui
les
déontologues
était
souvent
assimilés
dans
un
imaginaire
particulier
à
des
«
grands
prêtres
»
(2008:63),
gardiens
du
graal
de
la
loi,
beaucoup
de
choses
ont
changé.
La
fonction
a
beaucoup
plus
évolué
vers
la
dimension
de
contrôle
interne
de
la
compliance,
et
vers
la
dimension
de
conformité.
Pour
imprimer
la
forme
de
la
loi,
ce
n’est
plus
d’un
prêtre
inspiré
dont
on
a
besoin,
mais
de
la
police.
Nous
avons,
de
nôtre
côté
constaté
l’usage
du
vocabulaire
d’avantage
policier
ou
d’enquête
pour
se
référer
à
ces
professionnels.
Du
moins
initialement,
il
y
une
dimension
négative
de
l’éthique
dans
la
déontologie,
mais
on
ne
la
considère
pas
vraiment
comme
un
phénomène
social
dans
les
organisations
financières.
Seul
son
versant
juridique
a
su
attirer
l’attention
sur
le
plan
académique
(cf.
Pezard
et
Eliet,
1996
;
Loader,
2004,
l’ancien
International
Journal
of
Regulatory
Law
and
Practice,
renommé
en
2002
Journal
of
financial
regulation
and
compliance,
destiné
aux
régulateurs
britanniques
et
les
compliance
officers
dans
une
visée
de
praticienne
de
divulgation
(ex.
Capps
et
Linsley
2001,
Edwards
&
Wolfe,
2004,
2005).
Nous
retrouvons
aussi
des
analyses
purement
juridiques,
telles
la
thèse
de
droit
Moret-‐Bailly
(2001)
qui
étudie
«
les
déontologies
»
comme
objet
de
«
curiosité
intellectuelle
»
et
la
«
pluralité
ontologique
de
la
question
déontologique
»
à
travers
l’analyse
de
450
arrêts,
témoins
du
foisonnement
normatif.
Si
l’on
se
place
dans
une
perspective
de
marché
et
de
concurrence
pure
et
parfaite,
les
régulations
semblent
effectivement
non
simplement
superflues,
mais
entraver
le
fonctionnement
du
marché.
Alors
elles
sont
tolérées
en
raison
de
certaines
défaillances
du
marché
(asymétrie
d’information,
situations
de
monopoles,
abus...).
Quoi
qu’il
en
soit,
il
semble
y
avoir
un
enjeu
sécuritaire
essentiel
lié
non
seulement
à
la
conformité
réglementaire,
mais
plus
largement
à
l’éthique
qui
ouvre
encore
de
nombreuses
questions.
Le
poids
de
la
norme,
censée
‘normer’
et
donc
cadrer
les
risques
prends
de
plus
en
plus
d’ampleur
dans
les
organisations,
ce
qui
n’est
pas
sans
poser
de
nombreuses
questions
au
sein
de
ce
travail.
Si
l’on
admet
que
la
norme
est
la
traduction
96
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
prescriptive
d’une
éthique,
celle-‐ci
est-‐elle
donc
in
fine
mobilisée
–
à
travers
les
normes
–
comme
un
outil
rempart
contre
le
risque
?
Quel
effet
a
l’omniprésence
croissante
du
risque
dans
notre
société
sécuritaire
sur
le
quotidien
des
personnes
dont
le
métier
est
fondé
sur
la
norme
?
Comment
les
perceptions
et
les
interprétations
des
normes
et
des
risques
des
acteurs
influencent-‐elles
la
construction
d’une
éthique
comme
pratique
située
dans
le
quotidien
des
métiers
?
2.1.2.2.
De
la
déontologie
à
la
conformité:
un
passage
significatif
Jusqu’à
récemment,
dans
les
organisations
on
parlait
surtout
de
déontologie
:
il
y
avait
un
«
département
»
ou
«
service
déontologie
».
Aujourd’hui
on
parle
de
plus
en
plus
de
Conformité.
Que
recouvre
ce
changement
de
vocabulaire
pour
se
référer
à
une
tâche
spécifique
dans
les
professions
en
général
et
dans
l’entreprise
en
particulier
?
La
déontologie
vient
de
deontos
(comme
il
se
doit)
et
logos
(parole,
savoir,
cosmos),
ce
qui
devient
en
quelque
sorte
«
science
du
devoir
».
Introduit
par
J.
Bentham
en
1834
(Deontology
or
the
science
of
morality)
ce
terme
fut
rapidement
employé
dans
un
sens
utilitariste
de
«ce
qu’il
convient
de
faire
dans
une
situation
sociale
déterminée»
suite
à
un
examen
empirique
(Siroux
2004:474).
La
notion
fut
ensuite
circonscrite
aux
devoirs
liés
à
une
profession
particulière
et
à
son
exercice
par
une
communauté
de
praticiens
qui
seront
soumis
au
même
code
déontologique
sous
peine
de
sanctions.
Il
s’agit
donc
d’une
série
de
normes
formelles
explicites
qui
constituent
un
droit
positif.
Elles
constituent
une
base
qui
évite
l’arbitrage
du
dilemme
en
fournissant
des
réponses
d’action
dans
un
champ
de
possibles
en
fonction
des
impératifs
qu’elles
imposent.
La
frontière
entre
la
déontologie
et
l’éthique
professionnelle
n’est
pas
très
claire
au
niveau
des
usages
parfois
indistincts
des
deux
expressions,
mais
en
revanche
relève
d’un
champ
beaucoup
plus
diffus
que
l’éthique
professionnelle,
où
l’individu
mobilise
sa
capacité
critique
pour
évaluer
la
cohérence
d’une
situation
ou
d’une
pratique
vis-‐à-‐vis
de
principes
généraux,
et
non
de
normes.
Ainsi,
la
déontologie
peut
être
en
conflit
avec
une
éthique
professionnelle
ou
une
éthique
générale.
Par
exemple,
le
secret
professionnel
a
été
examiné
comme
entrainant
ce
genre
d’incompatibilités
(Canto-‐
Sperber,
1999)
:
affirmé
par
une
déontologie
(médicale,
sacerdotale,
bancaire
par
exemple)
mais
en
conflit
avec
une
éthique
lorsque
garder
le
secret
implique
un
préjudice
potentiel
pour
un
tiers
individuel
ou
collectif.
La
contrainte
sur
le
comportement
est
donc
de
nature
différente
dans
les
deux
cas
:
la
déontologie
s’appuyant
sur
le
droit,
(obligations
et
sanctions
selon
une
procédure
menée
par
un
organisme
autorisé
à
exercer
ce
pouvoir,
cf.
Kelsen,
1962)
alors
que
l’éthique
97
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
professionnelle
ou
même
la
morale
au
sens
large
relèvent
de
valeurs
à
portée
indéfinie
(telles
que
l’honnêteté,
la
loyauté
et
n’entrainent
pas
de
sanction
préétablie
autre
qu’une
conscience
troublée
ou
celle
d’une
réprobation
sociale).
Ainsi,
les
différentes
professions
ont
progressivement
produit
des
codes
déontologiques
(qui
malgré
la
confusion
terminologique
relèvent
de
codes
d’éthique
professionnelle,
traduits
en
termes
juridiques)
qui
séparent
ces
communautés
de
pratique
de
la
prééminence
de
l’Etat
sur
la
production
et
la
mise
en
pratique
du
droit.
Cette
autonomisation
et
la
volonté
de
s’autoréguler
(Decoopman,
1988
;
Terrenoire,
1991)
engendre
ce
qu’on
appelle
le
pluralisme
juridique.
Romano
(1918)
en
a
jeté
les
bases
théoriques
de
ce
droit
qui
n’est
pas
contenu
normatif
(lois,
sanctions
etc.)
mais
organisation
et
structure
:
de
ce
fait,
tout
corps
social
est
légitime
producteur
de
droit.
La
sociologie
et
l’anthropologie
du
droit
constatent
en
effet
une
multiplicité
qui
donne
lieu
à
une
‘interlégalité’
(Sousa
Santos,
1991).
Or,
c’est
bien
l’ordre
juridique
étatique
qui
confère
à
ces
autres
sphères
leur
légitimité
par
une
reconnaissance
législative
ou
la
constitution
d’une
jurisprudence
(Kelsen,
1962).
D’où
la
problématique
actuelle
concernant
la
déontologie
financière
et
le
fait
que
paradoxalement
on
dénonce
l’absence
de
régulation
et
de
contrôle
par
les
états.
Ces
derniers
sont
sensés
étendre
leur
approbation
à
ce
champ
mais
dans
un
monde
globalisé
ne
sont
plus
les
garants
supra-‐organisationnels
de
tels
codes
de
déontologie
(Djelic
&
Sahlin-‐Andersson,
2006
;
Djelic,
2011).
La
déontologie
ne
s’inscrit
plus
dans
la
hiérarchie
des
droits
et
devoirs
prévus
par
la
Loi
d’un
pays
mais
existe
ou
persiste
de
manière
périphérique
dans
des
organisations
soumises
à
un
pluralisme
juridique
confus,
où
prime
donc
souvent
la
loi
du
marché.
Avec
l’acception
du
mot
déontologie
aujourd’hui,
nous
sommes
donc
loin
de
l’idée
de
science
de
la
moralité,
circonscrite
à
une
situation
donnée.
Si
aujourd’hui
nous
parlons
de
plus
en
plus
de
Conformité,
c’est
parce
que
la
déontologie
a
progressivement
évoluée
vers
le
déontologisme
qui
impose
donc
ce
passage
de
la
science
empirique
de
la
morale
à
la
prescription
absolue.
Le
déontologisme
recouvre
de
fait
une
éthique
déontologique,
à
savoir
une
éthique
«
qui
soutient
que
certains
actes
sont
moralement
obligatoires
ou
prohibés,
sans
égards
pour
leurs
conséquences
dans
le
monde
»
(Berten
2005
:
477).
C’est
ce
qu’on
retrouve
dans
la
«
morale
kantienne
»
:
est
bon
ce
qui
est
accompli
par
devoir
ou
selon
le
respect
de
la
loi.
La
personne
morale
est
celle
qui
a
la
volonté
de
se
plier
à
ce
«
bien
»
et
de
l’accomplir,
indépendamment
des
issues
pour
les
personnes,
y
compris
elle-‐même.
Ceci
permet
à
Kant
d’échapper
à
la
pluralité
du
bien
car
le
réduit
à
la
conscience
du
devoir,
et
donc
à
la
liberté
de
l’homme
déterminé
par
la
volonté
de
sa
raison.
Il
s’agit
là
du
passage
du
sujet
moral
(au
sens
de
producteur
du
98
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
sens
du
bien)
à
l’agent
moral,
(exécuteur
par
sa
volonté
d’un
bien
qui
lui
est
extérieur).
Ce
bien
extérieur
est
par
là
même
universel,
irrévocable
et
sans
exceptions,
comme
le
reflètent
le
terme
kantien
‘d’impératif
catégorique’
et
son
célèbre
développement
sur
le
prétendu
droit
de
mentir
(1797),
comme
exposé
dans
le
chapitre
précédent.
Selon
cette
logique,
même
dans
ses
déclinaisons
contemporaines
quelque
peu
détachées
de
la
doctrine
kantienne
stricto
sensu,
demeurent
une
série
d’idées
fondamentales
(Berten
2005).
Tout
d’abord,
l’idée
d’une
valeur
absolue
de
certains
principes
et
donc
d’une
valeur
intrinsèque
et
universelle
des
actes,
qui
seront
donc
soit
bons
soit
mauvais
en
soi,
et
qui
«constituent
donc
des
moyens
moralement
inacceptables
de
poursuivre
des
fins,
même
si
ces
fins
sont
moralement
admirables
ou
moralement
obligatoires
»
(Davis,
1993:205).
Ensuite,
cette
perspective
met
une
emphase
sur
les
limites
à
ne
pas
franchir,
se
construit
à
partir
du
négatif,
affirmant
la
prééminence
des
contraintes
qu’exerce
le
droit
face
à
l’appréciation
conséquentialiste
de
la
situation
«
les
droits
ne
déterminent
pas
un
classement
social
mais
fixent
les
contraintes
à
l’intérieur
desquelles
un
choix
social
doit
être
effectué,
en
excluant
certaines
possibilités,
et
en
imposant
d’autres,
et
ainsi
de
suite
»
(Sen,
1990
:166).
Les
critiques
du
déontologisme,
avancent
donc
des
arguments
en
dénonçant
en
particulier
une
dimension
trop
abstraite
pour
le
rendre
concrètement
applicable
(les
devoirs
découlent
de
principes
considérés
premiers
et
fondamentaux),
trop
formelle
et
qui
vire
de
la
rigueur
au
rigorisme,
ce
qui
ne
permet
pas
d’être
sensible
aux
cas
particuliers,
et
enfin,
dans
un
contexte
de
pluralisme,
on
est
face
à
un
conflit
de
devoirs
dont
il
est
difficile
de
tirer
un
jugement
juste,
avec
les
problèmes
d’interprétation
que
nous
avons
commencé
à
évoquer
au
chapitre
précédent.
A
ce
propos,
il
y
a
par
ailleurs
des
variations
qui
sont
issues
des
tensions
entre
ces
deux
termes
–
déontologie
et
conformité
–
mais
qui
continuent
à
exister
en
parallèle
malgré
une
tendance
au
déontologisme.
Les
différents
degrés
de
normativité
des
normes
deviennent
alors
un
aspect
intéressant
à
considérer.
A
un
extrême
on
trouve
la
norme
qui
n’est
pas
contraignante
juridiquement,
et
que
les
anglo-‐saxons
désignent
comme
relevant
de
la
soft
law,
littéralement
le
droit
mou,
parfois
traduit
par
‘régulation
douce’
(Delmas-‐Marty,
2004).
Elle
peut,
malgré
sa
‘mouité’
(Botul,
2007),
avoir
des
influences
fortes
sur
la
conduite
de
la
stratégie
interne
et/ou
externe
des
organisations.
Les
enjeux
d’image
et
de
réputation,
dont
il
sera
largement
question
dans
notre
enquête
terrain,
sont
souvent
l’argument
justifiant
de
se
plier
à
de
telles
normes
molles.
A
l’autre
extrême,
nous
retrouvons
les
normes
très
contraignantes
juridiquement
:
«
l’éthique
obligatoire
peut
se
définir
comme
celle
imposée
par
la
sanction
;
son
essence
est
pénale
et
ses
outils
sont
la
loi
et
le
juge
»
(Rouquié,
1997:334).
Répressive,
correctrice,
condamnatrice,
elle
se
veut
aussi
réparatrice
en
indemnisant
les
victimes.
Cependant,
99
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
elle
est
parfois
inadaptée
à
la
réalité
(excessive
sur
un
plan,
imprécise
sur
un
autre),
souvent
incapable
de
déterminer
le
responsable
d’une
faute
en
particulier
dans
une
organisation
(question
problématique
de
la
personne
morale
à
laquelle
il
est
difficile
d’imputer
une
responsabilité
pénale).
Pour
couvrir
le
spectre
de
toutes
les
situations
possibles,
on
a
alors
tendance
dans
les
organisations
à
utiliser
parfois
indifféremment
éthique
et
déontologie,
pour
nous
référer
à
un
ensemble
de
directives
visant
à
encadrer
la
pratique.
Or
il
faut
rester
conscients
que
couvrir
toutes
les
situations
possibles
est
hors
de
portée.
Historiquement,
la
déontologie
concernait
les
professions
liées
à
l’état,
comme
réminiscence
de
la
loyauté
du
vassal
envers
son
suzerain.
Aujourd’hui
on
le
retrouve
chez
les
fonctionnaires,
ou
professions
indispensables
à
la
société
(médecins,
avocats).
Pour
les
marchés
financiers
(Assouly
2011),
la
codification
de
ce
qui
jusque
là
étaient
des
pratiques
liées
à
la
tradition
s’est
imposée
avec
la
modernisation
des
marchés
financiers
à
partir
des
années
1980,
qui
est
allée
de
pair
avec
un
désengagement
du
rôle
de
l’état.
La
Commission
Bancaire
a
remplacée
la
Commission
de
Contrôle
des
Banques
(qui
datait
de
1941)
en
1984,
avec
un
pouvoir
de
contrôle
mais
aussi
de
sanction.
Cependant,
le
code
déontologique
qu’elle
entend
défendre
s’inspire
dans
une
large
mesure
de
la
tradition
et
des
principes
d’autorégulation
que
cette
profession
pratiquait
déjà
de
manière
implicite.
Ce
code
et
ces
pratiques
servent
peut
être
alors
davantage
l’intérêt
de
la
profession
que
le
bien
commun
(cf.
Lesage,
Hottegindre
&
Baker,
2009).
Quoi
qu’il
en
soit,
ce
passage
d’un
mot
(déontologie)
à
un
autre
(conformité)
peut
donc
ainsi
être
lu
comme
un
reflet
de
la
crise
de
confiance
généralisée
qui
envahi
les
milieux
professionnels,
de
confiance
en
l’homme
dans
sa
capacité
à
être
un
sujet
moral.
Pour
jouer
sur
les
mots
par
rapport
à
notre
terrain
bancaire,
faire
confiance
à
quelqu’un
c’est
lui
accorder
du
crédit,
à
ses
paroles
et
à
ses
actes.
Or,
de
ce
point
de
vue
là,
on
ne
peut
qu’admettre
que
le
passage
de
la
déontologie
à
la
conformité
ne
va
pas
dans
le
sens
d’une
confiance
renforcée
dans
le
milieu
bancaire
ou
de
sa
responsabilisation
(Assouly,
2011),
loin
de
là.
2.1.2.3.
Mise
en
évidence
de
la
construction
endogène
de
la
conformité
et
ses
enjeux
performatifs
La
complexité
liée
à
la
‘normophrénie’
est
particulièrement
prégnante
pour
les
fonctions
de
déontologie
et
de
conformité,
qui
se
retrouvent
en
première
ligne
dans
la
nécessité
de
faire
face
à
cette
démultiplication
de
normes
avec
des
statuts
juridiques
100
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
101
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
zéro
vs.
une
logique
managériale
ou
orientée
profit
qui
mettrait
l’accent
sur
la
discrétions
managériale
concernant
le
business.
A
ce
sujet,
de
nombreuses
organisations
sont
devenues
expertes
dans
l’art
de
se
forger
une
légitimité
de
façade
avec
des
programmes
de
conformité
purement
formels
(MacLean
&
Benham,
2010).
Elles
peuvent
ainsi
préserver
leur
autorité
managériale
d’une
part
par
une
exploitation
habile
de
l’ambiguïté
et
complexité
du
cadre
légal
(Edelman,
1992),
et
d’autre
part
en
infusant
et
influençant
la
signification
de
la
conformité
dans
leur
sens
et
selon
leurs
perspectives
à
travers
une
bataille
politique
de
lutte
pour
le
pouvoir.
Si
on
revient
aux
textes
en
vigueur
dans
le
domaine
financier,
d’après
la
Commission
Bancaire
(1996
:6
article
12),
la
déontologie
«
se
laisse
appréhender
de
prime
abord
comme
le
corps
des
règles
applicables
aux
acteurs
intervenant
sur
les
marchés
financiers
».
Ainsi,
ce
sont
les
équipes
de
déontologues
dans
les
institutions
financières
qui
doivent
«
mettre
en
place
et
faire
vivre
des
textes
(avis,
conseils,
notes,
procédures,
règlements,
directives
et
lois)
destinés
à
orienter
les
actes
des
personnes
travaillant
dans
la
structure
dans
laquelle
il
opère
;
mais
aussi
installer
des
dispositifs
et
déployer
des
outils,
afin
de
contrôler
que
les
règles
édictées
sont
bien
suivies,
et
de
rendre
en
quelque
sorte
ces
différents
cadrages
irréversibles
(Callon,
Méadel
&
Rabeharisoa,
2000)
»
(Lenglet,
2008
:15).
Ceci
nous
ramène
à
la
question
de
la
performativité,
en
suivant
l’appel
de
De
Goede
(2005a
et
2005b)
et
Lenglet
(2006)
de
renouer
avec
la
conception
austinienne
et
proprement
discursive
de
la
performativité,
en
particulier
vis-‐à-‐vis
de
la
conformité
et
du
cadre
juridique
et
normatif
qui
nous
occupe,
puisque
après
tout
nous
avons
affaire,
avec
le
droit,
mais
aussi
en
quelque
sorte
avec
l’argent
à
des
«
systèmes
d’écriture
»
(De
Goede,
2005a).
Dans
cette
optique,
considérer
les
problèmes
linguistiques
n’est
pas
quelque
chose
de
superflu
ou
de
détaché
de
la
pratique
de
la
conformité,
au
contraire
:
c’est
un
des
lieux
privilégiés
où
cette
pratique
se
manifeste,
se
transforme,
se
négocie,
s’énacte
par
l’énonciation.
Etudier
la
conformité
devient
alors
l’occasion
privilégiée
pour
dépasser
la
critique
bourdieusienne
d’Austin
(1982,
2001),
à
savoir
que
la
plupart
de
ses
exemples
ne
prenaient
pas
en
compte
le
contexte
d’énonciation,
et
pour
voir
en
détail
le
rapport
entre
performativité
et
normativité,
encore
largement
à
creuser
(Laugier,
2004
;
Lenglet
2006).
C’est
d’ailleurs
là
la
principale
différence
entre
des
énoncés
descriptifs
et
des
énoncés
performatifs,
et
la
référence
au
domaine
juridique
est
déjà
présente
chez
Austin
:
«
le
performatif
pose,
dans
son
processus
même,
quelque
chose
comme
une
norme
transcendant
l’acte.
C’est
dans
celle-‐ci
que
se
révèle
la
puissance
de
la
parole
performative,
en
ce
qu’elle
en
constitue
le
passage
à
l’acte,
sa
réalisation
dans
son
dévoilement”
(Lenglet,
2006:
42).
102
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
103
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
through
which
legal
and
economic
actions
and
institutions
become
part
of
an
interconnected
causal
dynamic
»
(Edelman
&
Stryker,
2005
:527).
Il
en
va
de
même
pour
l’éthique,
qui
prend
tout
son
sens
si
on
la
considère
comme
une
pratique
devant
évoluer
dans
un
contexte
donné,
avec
ses
contraintes
d’ordre
légal.
On
s’inscrit
ici
en
parallèle
de
certains
travaux
qui
explorent
ce
lien
diffus
mais
omniprésent
avec
l’éthique.
Ainsi
Sen
(1990),
qui
argumente
que
l’opposé
du
comportement
rationnel
intéressé
n’est
pas
l’altruisme,
mais
le
comportement
d’un
agent
qui
en
connaissance
de
cause,
choisi
de
ne
pas
chercher
son
intérêt
au
nom
d’une
valeur
qu’il
s’impose
à
lui
même.
Il
est
donc
indispensable
de
considérer
qui
est
en
fait
en
train
d’accomplir
la
conformité,
et
comment
leur
positionnement
interne
à
l’organisation
à
la
fois
détermine
et
exige
certaines
caractéristiques
des
analystes
de
la
conformité.
Les
apports
de
sociologie
de
la
loi
ont
beaucoup
contribué
à
notre
compréhension
de
comment
fonctionne
la
conformité
en
particulier
au
niveau
de
du
champ
(Barley
&
Tolbert,
1997)
du
fait
de
s’appuyer
largement
sur
un
cadre
néo-‐
institutionnel
(cf.
Edelman,
2007;
Edelman
&
Talesh,
2011).
Cependant,
cette
littérature
est
moins
précise
concernant
le
niveau
micro
des
processus
organisationnels
de
ces
dynamiques,
et
comment
ces
différents
niveaux
interagissent.
Nous
penchons
en
faveur
d’une
considération
de
la
conformité
également
à
la
lumière
des
conditions
individuelles
de
l’action
(Battilana
&
D’Aunno,
2009)
et
d’une
approche
centrée
sur
la
conformité
comme
travail
(Lawrence
&
Suddaby,
2006;
Lawrence
et
al.,
2009),
puisque
in
fine,
les
institutions
se
créent
et
perdurent
par
les
actions
d’acteurs
qui
assurent
leur
continuité
(Berger
&
Luckman,
1966;
Giddens,
1984).
A
ce
titre,
la
question
de
la
performation
des
normes
demeure
un
aspect
essentiel,
et
jusque
là
encore
peu
étudié,
qu’il
s’agira
d’approfondir.
Par
ailleurs,
la
notion
d’agence
a
largement
été
traité
d’une
manière
désincarnée,
où
l’individu
n’est
considéré
qu’à
travers
la
phénoménologie
de
ses
actes,
mais
non
de
son
vécu.
En
d’autres
termes,
nous
pensons
que
la
question
du
fantôme
dans
la
machine,
dénué
de
dimension
morale,
demeure
d’actualité.
Comment
justifier
que
l’éthique
est
si
négligée
dans
les
études
institutionnelles
et
sur
les
régulations,
alors
que
des
considérations
sur
des
sujets
connexes
(normes,
règles)
sont
omniprésentes
?
Voilà
un
des
objectifs
que
nous
tâcherons
progressivement
de
suivre
dans
ce
travail
:
contribuer
à
une
pensée
de
l’éthique
en
montrant
que
les
acteurs
ne
sont
pas
des
individus
abstraits,
sans
corps,
ou
même
qu’on
peut
les
réduire
à
leurs
rôles
(de
manager,
de
policier
ou
de
banquier
etc.,
cf.
Mueller
&
Whittle,
2012),
mais
qu’ils
ont
bel
et
bien
une
dimension
subjective
et
participent
de
la
construction
de
l’éthique.
Cela
apparaît
comme
une
élément
manquant
mais
essentiel
pour
comprendre
la
question
du
travail
institutionnel
occupé
par
comment
le
sens
se
matérialise
(en
104
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
normes
par
exemple),
mais
oubliant
que
le
sens
est
porté
par
des
individus
en
relation
éthique
au
monde
et
à
leurs
propres
actions
(Shadnam
&
Lawrence,
2011).
On
propose
alors
que
la
question
de
l’agence
morale
est
cruciale
pour
comprendre
le
lien
entre
la
lettre
de
la
loi
et
la
nature
complexe
de
situations
spécifiques.
Une
considération
attentive
de
la
mise
en
œuvre
de
la
conformité
a
donc
tout
son
sens,
afin
de
chercher
à
réincarner
la
conformité
dans
des
individus,
ce
qui
est
essentiel
pour
restaurer
le
chaire,
la
voix
et
les
“guts
of
institutions”
(Stinchcombe,
1997
:17),
à
travers
les
enjeux
éthiques
de
la
conformité
(Shadnam
&
Lawrence,
2011),
qui
se
présentent
au
jour
le
jour,
dans
le
quotidien
de
analystes
et
déontologues.
Essayons
à
présent
d’approfondir
notre
propos
en
analysant
les
enjeux
spécifiquement
liés
au
type
de
régulation
que
nous
avons
étudiée
:
la
lutte
contre
le
blanchiment.
2.2.
L'ARGENT
SALE:
ENTRE
SOUILLURE
ET
ILLEGALITE
«
L’argent
s’est
fait
synonyme
de
vie,
ne
dit
on
pas
«
gagner
sa
vie
»
?
[...]
L’argent
annonce
aussi
la
mort
;
il
met
le
sujet
en
position
de
funambule
entre
perte
et
gain.
La
ruine,
c’est
le
verso
de
la
toute
puissance,
la
perte
des
biens
les
plus
chers,
de
soi-‐
même.
L’argent
donne
le
goût
du
risque,
la
fièvre
du
jeu,
on
croît
pouvoir
se
servir
de
lui
pour
ruser
avec
la
mort,
défier
(infléchir
ou
maîtriser)
le
destin,
en
même
temps
on
cherche
compulsivement
la
chute,
c’est
une
façon
de
flirter
avec
la
mort.
[...]
Argent,
jeu,
alcool,
drogues
femmes,
sont
autant
d’équivalents
de
la
mort,
mais
c’est
l’argent
qui
donne
accès
à
tous
les
autres
»
Jacqueline
Barus-‐Michel,
2004
:
27
2.2.1.
ARGENT,
BANQUES
ET
SOCIETE
2.2.1.1.
Un
rapport
entre
intimité
et
conflit
La
crise
financière
initiée
par
les
subprimes
aux
Etats-‐Unis
eut
un
épicentre
localisé
dans
un
système
bancaire
globalisé,
et
donc
une
portée
systémique
et
globale.
Mais
si
les
banques
sont
la
scène
du
crime
et
l’éthique
en
sensé
être
le
grand
absent,
reste
à
découvrir
la
place
de
l’argent
:
mobile
?
Coupable
?
Victime
?
Ce
mot,
qui
trône
seul
sur
la
couverture
d’un
des
romans
les
plus
célèbres
de
Zola,
L’Argent,
(1891),
est
l’objet
de
convoitise
et
de
méfiance,
désiré
et
méprisé,
thésaurisé
et
dépensé,
idolâtré
et
stigmatisé...
voilà
un
point
d’entrée
particulièrement
intéressant
pour
aborder
le
lien,
tout
autant
complexe,
entre
éthique
et
banque
(Zelizer,
1979).
En
effet,
si
les
banques
sont
un
objet
de
recherche
moralement
problématique,
c’est
parce
qu’elles
constituent
le
support
principal
des
flux
de
richesse
dans
notre
économie
globalisée.
A
ce
titre,
elles
font
l’objet
d’une
véritable
fascination
médiatique
et
cinématographique
(Godechot,
2011c)
qui
nous
présente
une
finance
personnifiée
sous
les
traits
de
Gordon
Geeko
par
105
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
exemple,
une
mise
en
scène
des
relations
avec
les
acteurs
institutionnels
tels
que
les
régulateurs,
les
moral-‐rules-‐in-‐use
et
le
cynisme.
La
finance
demeure
néanmoins
ésotérique
pour
le
spectateur,
trop
caricaturée,
trop
loin
de
notre
réalité
quotidienne.
Pourtant
à
le
considérer,
rien
ne
nous
semble
plus
familier
que
l’argent,
qui
circule
quotidiennement
entre
nos
mains
et
nos
sociétés
depuis
des
siècles,
avec
les
têtes
des
dieux
ou
des
gouverneurs
imprimées
sur
une
face.
C’est
dire
à
quel
point
il
est
le
miroir
et
le
support
du
pouvoir,
qu’il
soit
politique,
religieux
ou
les
deux.
Nous
avons
des
traces
d’activité
bancaire
qui
remontent
à
l’Antiquité,
avec
le
développement
des
activités
économiques
et
des
échanges
commerciaux.
Il
est
intéressant,
cependant
de
considérer
l’évolution
du
rapport
des
sociétés
à
l’argent
en
général
et
aux
activités
de
type
bancaire
en
particulier,
afin
de
mieux
comprendre
la
conjecture
actuelle.
Si
en
l’an
3000
avant
J.C.,
en
Mésopotamie
c’est
le
Temple
qui
faisait
office
de
banque,
et
le
prêtre,
de
banquier
d’abord
pour
le
souverain,
puis
pour
les
marchands,
cela
en
dit
long
sur
le
poids
des
institutions
à
caractère
religieux
sur
le
monopole
de
la
«
valeur
»,
quelle
soit
spirituelle
(«
In
God
we
trust
»
trouvons
nous
toujours
sur
le
billet
d’un
dollar),
économique
ou
liée
au
pouvoir
politique,
visible
dans
les
portraits
des
figures
du
pouvoir
qui
demeurent
jusqu’à
aujourd’hui
imprimés
sur
les
pièces
et
billets.
Pour
Max
Weber
(1964),
l’éthique
protestante
c’est
une
éthique
du
profit,
en
tant
que
le
patrimoine
et
sa
préservation
servent
à
rendre
grâce
à
Dieu.
La
religion
(comme
l’argent)
constitue
un
signe
d’appartenance
à
une
communauté
(Durkheim,
1912),
un
rempart
contre
la
désagrégation
de
la
société
(Bergson,
1932),
ou
encore
ce
pourquoi
on
paie
le
prix
de
l’aliénation
(Marx,
1982).
Donc
si
l’argent
est
un
nouveau
dieu,
il
pose,
tout
comme
la
religion,
la
dialectique
individu/collectif
en
tâchant
de
maintenir
le
pouvoir
en
place
en
faisant
croire
aux
opprimés
en
un
futur
meilleur.
Parler
de
l’argent
revient
à
«
parler
d’une
nation,
d’une
institution,
d’une
foi
»
(Moscovici,
1988:315,
citant
Mauss).
D’après
Enriquez
(1983,
1999),
l’argent
et
l’Etat
on
remplacé
dieu
et
le
roi,
en
exerçant
la
même
fonction
rassurante
«
face
à
l’incertitude
de
la
vie
moderne
»
(Gaillard,
2004
:83).
En
effet,
les
“temples
modernes”
que
sont
les
bourses
si
on
en
croit
Zola
(2009),
fournissent
une
protection
pour
les
éléments
de
valeur.
Ainsi,
les
marchés
financiers
sont
devenus
les
«
nouveaux
dieux
qui
commentent
et
modifient
le
cours
de
la
vie
des
hommes
en
délivrant
du
haut
de
l’olympe
leurs
verdicts
quotidiens
»
(Godechot,
2001
:
13).
C’est
la
fonction
de
traduction
exercée
par
ces
intermédiaires
–
entre
les
dieux
et
les
hommes,
entre
les
hommes
eux-‐mêmes
-‐
qui
finalement
justifie
que
les
échanges
monétaires
y
furent
associés,
en
tant
que
pièce
maîtresse
des
rapports
sociaux.
En
effet,
le
nom
«
banque
»
nous
vient
des
changeurs
de
monnaie
qui,
à
l’époque
où
chaque
cité
grecque
puis
chaque
ville
médiévale
frappait
sa
propre
106
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
monnaie,
installaient
leur
comptoir
de
change
de
devises
sur
un
banc
(banco)
au
milieu
du
centre
de
la
vie
sociale:
la
place
publique.
Voilà
que
cette
profession
occupait
déjà
une
position
géographiquement
et
économiquement
stratégique
sur
le
devant
de
la
scène
publique.
Présent
partout,
visible
nulle
part,
l’argent
reste
cependant
un
«
‘point
aveugle’
de
la
recherche
»,
«
un
impensable
méthodologique
radical
»
et
«
un
tabou
»
(Bouilloud,
2004
:5),
dans
la
mesure
où
il
incite
des
sentiments
contradictoires,
qui
sont
à
présent
projetées
sur
le
système
bancaire
dans
son
ensemble,
dans
une
confusion
de
réel
et
d’imaginaire,
de
fantasmes
et
de
représentations,
à
la
fois
au
niveau
individuel
et
collectif.
Les
banques
gèrent
l’argent
mais
en
général
tout
ce
qui
peut
avoir
de
la
valeur
marchande
:
y
compris
nos
peurs
ou
notre
confiance
dans
le
système
se
monnaient
dans
le
tourbillon
de
plus
en
plus
sophistiqué
de
la
finance.
De
quel
droit
la
valeur
des
choses
dépend-‐elle
de
l’humeur
changeante
des
marchés
?
Comment
les
banques
ont-‐elles
obtenu
ce
pouvoir
par
leur
rôle
d’intermédiaires
financiers,
que
ce
soit
au
niveau
de
la
banque
de
détail
ou
des
hautes
sphères
de
la
finance
de
marché
?
Or,
cette
relation,
même
implicite
au
pouvoir,
est
un
peu
en
contradiction
avec
l’origine
du
mot
société
(au
sens
d’entreprise).
En
effet,
societas
en
latin
se
réfère
certes
à
une
relation,
mais
une
relation
de
type
expressément
amicale
avec
les
autres
:
socius
c’est
l’ami,
le
partenaire
de
jeu,
le
camarade.
Ceci
peut
expliquer
le
mépris
qui
a
longtemps
perduré
à
l’égard
des
activités
monétaires,
jugées
comme
a-‐sociales
dans
le
sens
où
au
lieu
de
créer
de
la
société,
elles
n’en
régissaient
que
les
échanges
de
type
commercial,
voire
mercenaire.
C’est
justement
pour
éviter
les
dérives
que
l’on
verra
apparaître
dès
la
Renaissance
des
organismes
centralisateurs
de
ces
activités,
mis
sous
tutelle
des
Etats
et
non
plus
des
villes
ou
des
souverains,
qui
mettent
en
circulation
et
contrôlent
la
toute
nouvelle
monnaie-‐papier.
Ainsi,
en
France,
naîtra
en
1800
La
Banque
de
France,
sous
commande
de
Napoléon
Bonaparte.
Bien
que
jouissant
encore
d’une
image
de
métier
‘pas
très
propre’,
il
devient
de
plus
en
plus
central
avec
l’intensification
des
échanges
liée
à
la
Révolution
industrielle
et
le
développement
de
la
monnaie
fiduciaire,
puis
scripturale:
c’est
le
début
du
système
bancaire
moderne
et
donc
fiduciaire,
reposant
entièrement
sur
la
cohésion
et
la
confiance
dans
le
groupe
social.
Dès
lors,
le
socius
n’est
plus
simplement
le
partenaire
de
jeu,
mais
est
surtout
le
partenaire
commercial,
le
business
partner,
l’associé
avec
lequel
on
va
créer
des
sociétés
anonymes
non
plus
dans
une
relation
à
caractère
amical,
mais
économique.
La
société,
au
sens
d’un
ensemble
d’interrelations
sociales,
souvent
synonyme
de
peuple
d’un
pays
(les
habitants
d’un
pays),
ou
encore
de
société
civile
serait
l’ensemble
des
citoyens
(dimension
d’appartenance
territoriale)
n’appartenant
ni
à
la
sphère
gouvernementale
ni
a
la
107
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
108
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
moments
(Salmona
1971,
Althabe,
1982,
Zelizer,
1989,
1997).
L’argent
et
les
comportements
vis-‐à-‐vis
de
lui
et
des
usages
sont
donc
porteurs
mais
aussi
révélateurs
de
valeurs
affectives
voire
imaginaires
qui
tissent
les
liens
sociaux
(Bourdieu,
Boltanski
&
Chamboredon,
1963
;
Salmona
2004)
et
révèlent
les
significations
qui
lui
sont
données
par
les
différents
individus
(Zelizer,
1989,
1997
;
Mitchell
&
Mickel,
1999
;
Carruthers,
2005).
La
place
prépondérante
des
banques
dans
nos
sociétés
actuelles
témoigne
d’un
rapport
particulier,
voire
de
ce
que
nous
proposons
d’appeler
un
système
socio-‐bancaire
spécifique
(Keister,
2002
;
Carruthers,
2005,
2012)
et
le
passage
à
un
‘high
leverage
finance
capitalism’
(Nielsen,
2010b)
qui
de
part
ses
structures
et
fonctionnement
dématérialise
et
change
le
rapport
à
l’argent
et
à
la
valeur
en
termes
de
risque,
de
temporalités,
de
propriété.
En
effet,
il
organise
nos
rapports
marchands
et
civils,
quotidiens
et
professionnels,
il
cadre
notre
expérience
du
social
dans
le
dynamisme
qu’il
engendre
(Time
is
money),
notre
espace
(Simmel,
1999)
et
la
place
que
l’on
occupe
les
uns
par
rapport
aux
autres
:
«
le
commerce
au
sens
figuré
est
une
métaphore
économique
et
marchande,
qui
peut
recouvrir
la
relation
à
soi,
à
son
corps,
à
son
âme,
et
la
relation
à
l’autre,
son
corps
et
son
âme,
métaphore
qui
masque
mal
des
rapports
de
force,
comme
toute
métaphore,
elle
est
une
part
de
vérité
de
ces
rapports,
qui
réside
en
fait
dans
le
sens
propre
»
(Barus-‐Michel,
2004
:
25).
2.2.1.2.
La
crise
financière
de
2007-‐2011
et
l'incrimination
de
la
finance
(Mercadet,
le
Faiseur,
en
tirant
une
pièce
de
cinq
francs)
«
Voici
l’honneur
moderne
!
[...]
Enfin,
qu’y
a-‐t-‐il
de
déshonorant
à
devoir
?
Est-‐il
un
seul
Etat
en
Europe
qui
n’ait
ses
dettes
?
Quel
est
l’homme
qui
ne
meurt
pas
insolvable
envers
son
père
?
Il
lui
doit
la
vie,
et
ne
peut
pas
la
lui
rendre.
La
terre
fait
constamment
faillite
au
soleil.
La
vie,
madame,
est
un
emprunt
perpétuel
!
Et
n’emprunte
pas
qui
veut
!
Ne
suis-‐je
pas
supérieur
à
mes
créanciers
?
J’ai
leur
argent,
ils
attendent
le
mien
:
je
ne
leur
demande
rien,
et
ils
m’importunent
!
Un
homme
qui
ne
doit
rien
!
Mais
personne
ne
songe
à
lui,
tandis
que
mes
créanciers
s’intéressent
à
moi.
»
Honoré
de
Balzac,
1850
(1993)
Le
Faiseur,
Acte
I,
scène
VI.
:
29
«
Mais,
c’est
vrai,
les
banquiers,
c’est
des
voleurs.
Moi
le
premier
je
le
dis.
C’est
un
métier
de
voleurs,
c’est
clair.
Chaque
fois
que
tu
fais
une
opération,
ben,
tu
marges
»
raconte
Patrick,
interviewé
par
Godechot
(2001:254).
Il
y
a
une
fine
frontière
floue
entre
le
bénéfice
et
la
nocivité
économique,
entre
l’acceptation
et
la
condamnation
morale
et
religieuse
de
la
vénalité.
L’ombre
des
bulles
spéculatives
inaugurées
par
l’affaire
de
la
Tulipe
Noire
en
1672
racontée
par
Dumas
(1869)
demeure
d’actualité
si
nous
pensons
à
l’histoire
récente
en
Grèce
par
exemple.
Si
l’argent
est
la
colle
de
la
société
et
les
banques
sont
les
109
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
garantes
de
cette
colle,
justement
elles
occupent
une
place
fragile,
pouvant
facilement
se
retourner,
comme
nous
avons
pu
le
voir
historiquement
durant
les
nombreuses
bulles
et
crises.
Il
s’agit
de
la
face
tellement
essentielle
des
interactions
sociales
qu’elle
peut
facilement
en
pervertir
les
fondements
en
opérant
un
renversement
des
valeurs
et
aboutir
à
la
crise.
Durant
ces
dernières
années,
ceci
est
devenu
une
question
de
responsabilité
au
sens
juridique
du
terme
:
qui
est
responsable
?
Qui
doit
payer
?
Cette
tendance
se
manifeste
par
la
question
inaugurale
de
nombreuses
réflexions
:
«
who
is
to
blame
for
the
current
financial
crisis
that
has
lead
to
a
mortgage
and
stock
market
meltdown
that
incoming
President
Elect
Obama
has
called
«
the
greatest
crisis
since
the
great
depression
»
?
»
(Lewis
et
al.
2010:77).
Au
début
de
l’année
2008,
avec
la
crise
des
subprimes
d’un
côté
et
la
découverte
de
la
«
fraude
»
du
trader
de
la
Société
Générale
Jérôme
Kerviel
de
l’autre,
une
question
qui
se
posait
avec
un
fort
caractère
d’urgence
n’était
pas
seulement
de
savoir
comment
‘sauver
les
banques’,
mais
plus
profondément
‘qu’est-‐ce
qu’une
banque?’,
‘à
quoi
sert
une
banque?’.
Soudain,
l’évidence
de
la
réponse
à
ces
questions
qui
régnait
durant
les
années
dorées
de
la
finance
semblait
s’être
évanouie,
et
une
vague
de
forte
remise
en
question
de
son
but,
de
son
intérêt
et
de
comment
elle
s’inscrit
dans
l’économie
mondiale
s’y
ajoutait
à
l’interrogation
première.
D’une
question
stratégique
et
politique
(comment
sauver
les
banques),
on
déplaçait
le
problème
au
niveau
ontologique,
téléologique
et
normatif
(leur
nature,
leur
but,
leur
raison
d'être).
On
questionnait
leur
légitimité
sociale,
on
les
accusait
de
toutes
les
dérives
morales,
on
les
tenait
responsables
de
creuser
des
fossés
sociaux,
d’opérer
des
divorces
entre
les
très
riches
bénéficiant
de
bonus
ou
de
parachutes
dorés
et
le
commun
des
mortels
subissant
les
effets
de
la
crise
;
entre
les
hautes
sphères
de
la
finance
et
le
soi-‐disant
pouvoir
des
Etats.
La
banque
n’était
plus
le
garant
de
la
colle
sociale
mais
son
ennemi,
par
un
clivage
presque
caricatural
du
spéculateur
de
casino
:
“market
participants
don’t
know
whether
to
buy
on
the
rumor
and
sell
on
the
news,
do
the
opposite,
do
both
or
do
neither
depending
on
which
way
the
wind
is
blowing”
(sketch
sur
“l’explication
de
la
crise
des
Sub-‐primes”,
les
humoristes
britanniques
John
Bird
et
John
Fortune
dressent
le
portrait
de
“George
Parr,
banquier
dans
une
banque
d’investissement”,
2007).
Au-‐delà
de
l’aspect
humoristique
et
cynique
de
ce
genre
de
caricatures,
chefs
d’Etats,
journalistes,
économistes...
nombreux
ont
été
ceux
à
se
référer
à
cette
crise
comme
à
la
pire
depuis
le
crack
de
1929
en
termes
économiques,
mais
aussi
comme
une
nouvelle
limite
dépassée
en
termes
éthiques
(Stiglitz,
2010
;
Lewis
et
al.,
2010).
On
pose
la
question
du
lien
de
causalité
entre
la
crise
financière
et
le
manque
d’éthique,
en
soulignant
l’importance
d’une
accusation
morale
et
une
remise
en
cause
de
la
légitimité
110
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
des
différents
acteurs
mêlés
à
cette
crise
mondiale,
dont
les
banques,
et
en
particulier
les
banques
d’investissement.
Ces
dernières
ont
eu
un
effet
de
levier
considérable
en
faisant
des
produits
«packagés»
sophistiqués
à
partir
des
prêts
insolvables
(sub-‐prime
mortgages),
qu’ils
ont
ensuite
commercialisé
abondamment
jusqu’à
«
contaminer
»
les
marchés
financiers
mondiaux25.
Des
métiers
de
la
finance,
on
n’a
que
la
vision
véhiculée
par
les
médias
en
accord
avec
l’idée
d’un
capitalisme
effrénné
(Saussois,
2006
;
Bauman,
2009
;
Stiglitz,
2010),
des
traders
qui
jouent
au
casino
pour
gagner
des
sommes
inimaginables
pour
la
banque,
des
bonus
extravagants
pour
eux,
et
éventuellement
perdre
l’argent
des
autres.
Des
expressions
telles
que
«
Les
affaires
sont
les
affaires
»,
expression
d’Octave
Mirbeau,
pour
dire
qu’elles
n’ont
pas
à
se
préoccuper
de
questions
morales,
semblait
plus
que
jamais
actualisées.
En
France,
de
nombreux
ouvrages
sont
parus
à
destination
du
grand
public,
sur
un
ton
de
réflexion
ou
du
récit
entre
l’autobiographie
et
le
roman.
Parmi
les
plus
promus,
citons
la
parution
en
2009
sous
le
pseudonyme
révélateur
de
«
Crésus
»,
les
Confessions
d’un
Banquier
Pourri
(Crésus,
2009).
Récit
d’insider,
ce
texte
révèle
à
la
première
personne
la
signification
de
l’accusation
«
tous
pourri
»
et
l’assume,
tout
en
voulant
la
dénoncer,
non
sans
une
pointe
d’ironie
et
de
machiavélisme
non
repenti
:
«
On
lit
partout
que
la
crise
a
du
bon.
Qu’elle
va
mettre
un
terme
aux
excès,
aux
rémunérations
délirantes,
aux
primes
à
l’échec.
Qu’on
va
réinventer
le
capitalisme.
Que
les
PDG
vont
(enfin
!)
devenir
responsables.
Que
les
traders
(mais
oui
!)
vont
se
calmer.
Et
que
le
temps
des
folles
spéculations
est
derrière
nous.
»
(Crésus,
2009
:
211)
«
Pourtant,
même
si
j’ai
longtemps
fermé
les
yeux
sur
ce
qu’il
faut
bien
appeler
nos
pratiques
mafieuses,
je
n’étais
pas
le
seul
aveugle
aux
commandes.
On
a
foncé
sur
tout
ce
qui
se
présentait
:
les
montagnes
russes
des
produits
dérivés,
l’immobilier
surévalué,
les
diversifications
foireuses,
les
ventes
à
découvert...
On
a
plongé
à
tous
coups,
ou
presque.
Responsable
?
Sans
doute.
Mais
j’étais
en
bonne
compagnie.
Banquiers,
investisseurs
et
autorités
de
contrôle
(comme
ils
disent),
on
s’est
tous
auto-‐convaincus
que
la
prospérité
était
là
pour
cent
ans.
Quant
aux
agences
de
notation
et
aux
ministres
des
Finances,
ils
ont
une
bonne
excuse
:
en
fait,
ils
n’y
comprennent
rien.
»
(Crésus,
2009
:
11-‐12).
On
se
souviendra
aussi
du
personnage
principal
du
film
classique
Wall
Street
(Stone,
1987)
Gordon
Geeko
(en
partie
inspiré
de
la
vie
du
trader
Ivan
Boesky)
et
de
sa
maxime
«
Greed
is
good
».
Après
tout,
selon
les
lois
de
la
jungle
financière
«
when
there’s
more
greed
than
fear
[the
markets]
go
up,
when
there’s
more
fear
than
greed
they
go
down
»
(Bird
&
Fortune,
2007).
Quoi
qu’il
en
soit,
il
semble
que
la
prédiction
médisante
de
Zola
soit
accomplie
:
«
l’argent
était
le
fumier
dans
lequel
poussait
cette
humanité
de
25
Notons
au
passage
que
les
mêmes
mécanismes
de
prêts
et
produits
«
toxiques
»
avaient
déjà
entrainé
la
crise
financière
asiatique
de
1997-‐1998
(Lin
&
Feng,
2000).
111
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
demain
»
(2009
:245).
C’est
d’ailleurs
sur
ce
genre
de
ton
que
s’ouvre
l’incipit
de
l’ouvrage
de
Favarel-‐Garrigues
et
al.
(2009)
:
Figure 10: Incipit de Favarel-‐Garrigues et al. (2009): Les Sentinelles de l'Argent Sale
2.2.1.3.
Pecunia
non
olet
?
De
la
souillure
de
l'argent
«
Il
y
a
le
petit
plaisir
de
la
transgression,
une
certaine
ivresse
à
s’intéresser
à
l’argent.
Pas
seulement
parce
que
le
terme
d’intérêt
est
ambivalent
:
une
personne
intéressée
par
l’argent
est
dans
le
langage
commun,
une
personne
intéressée
tout
court.
Non,
il
y
a
simplement
au-‐delà
de
ce
constat
qui
frôle
le
«
mauvais
goût
»,
un
point
de
départ
très
banal
:
nous
sommes
tous
concernés
par
l’argent.
»
Jean-‐Philippe
Bouilloud,
Questions
d’argent,
1999a
:7.
Dans
les
paragraphes
précédents,
le
lecteur
n’aura
pas
manqué
de
remarquer
la
récurrence
du
vocabulaire
de
la
souillure
«
contamination
»,
«
toxique
»,
«
fumier
»,
«pourri
»...
Il
y
a
là
un
autre
aspect
problématique
lié
à
l’argent
et
aux
banques,
et
à
leur
place
dans
la
société.
S’il
est
bien
la
colle
sociale,
l’argent
est
aussi
ce
qui
sépare,
ce
qui
ruine
(cf.
la
métaphore
de
la
«
pomme
pourrie
qui
peut
gâter
tout
le
tas
»),
ce
qui
pervertit
et
aliène,
à
plus
forte
raison
de
manière
exponentielle
lorsque
l’on
parle
au
niveau
global
des
flux
financiers.
L’argent,
malgré
sa
familiarité
extrême,
demeure
un
tabou
en
même
temps
que
le
premier
indice
de
satisfaction
(Furnham
&
Argyle,
1998),
provoque
tout
de
même
une
gêne,
voir
une
hostilité
(Oppetit,
1998
;
Reiss-‐Schimmel,
1993).
La
diabolisation
vient
de
son
côté
à
la
fois
salissant
et
salvateur,
en
tout
cas
source
de
pouvoir,
qui
peut
donc
être
employé
pour
le
bien
commun
ou
les
bien
des
uns
112
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
au
détriment
des
autres,
car
le
diabolique
est
justement
ce
qui
sépare,
et
ce
qui
oublie
l’unité
première
(Droit
&
Henrot,
2010
:
89).
Aborder
les
questions
d’argent
par
le
biais
de
la
dimension
de
pollution
qui
s’y
rapporte
se
révèle
en
effet
un
point
d’entrée
intéressant
et
fertile.
Suivant
les
travaux
de
Douglas
(2005),
les
notions
de
souillure
et
de
saleté
contribuent
à
la
formation
de
nos
cadres
de
référence
en
construisant
un
ordre
symbolique
de
référence,
qui
procède
par
séparations,
discriminations,
inclusions
et
exclusions
en
vue
d’une
classification
minutieuse
qui
opère
tant
sur
le
plan
symbolique
des
représentations
qu’au
plan
concret
des
pratiques
quotidiennes.
L’idée
du
sale
est
donc
profondément
lié
au
respect
des
conventions,
d’un
ordre
particulier,
et
mérite
qu’on
s’y
attarde.
Sur
le
plan
concret,
rien
n’est
plus
familier
que
l’argent
:
argent
de
poche,
salaire,
argent
pour
faire
les
courses...
notre
quotidien
est
envahi
par
cet
élément
qui
nous
sert
de
médiation
dans
la
plupart
de
nos
activités.
Au
sens
figuré,
l’argent
est
cependant
imbu
d’une
dimension
morale
et
sociale
qui
le
rend
l’objet
représentations
collectives
ambigües.
Il
est
socialement
admis
de
taire
les
histoires
d’argent
–
à
la
limite
du
mauvais
goût
–
seuls
les
nouveaux
riches
semblent
rompre
avec
l’habitude
de
le
taire
que
l’on
trouve
chez
les
autres
classes
sociales,
même
les
aristocrates,
les
bourgeois,
les
pauvres...
personne
ne
parle
d’argent
car
il
s’agit
d’un
élément
distinctif
(Bourdieu
1979,
Gaulejac
2004).
Depuis
l’Antiquité,
la
condamnation
morale
de
l’argent
et
des
activités
de
commerce
n’a
cessé
de
se
manifester
d’une
manière
ou
d’une
autre.
La
condamnation
de
la
pratique
de
l’usure
en
particulier
est
un
véritable
leitmotiv.
Aristote
n’arrêtait
pas
de
prôner
de
la
modération
dans
les
biens
matériels
et
de
soutenir
l’idée
que
le
commerce
doit
servir
à
l’échange
et
non
à
l’enrichissement
stérile
et
vicieux.
Du
coté
des
religions,
cette
condamnation
revient
d’une
manière
ou
d’une
autre
dans
les
trois
monothéismes.
Le
judaïsme
se
limite
à
interdire
l’usure
entre
juifs,
ce
qui
deviendra
l’objet
de
nombreuses
critiques
antisémites
dans
les
siècles
à
venir
avec
les
dérives
qu’on
connaît
(voir
Attali,
2002
pour
une
analyse
historique,
ou
La
Question
Juive
de
Marx,
2006,
pour
un
exemple
tristement
célèbre).
L’islam
contemporain
en
a
fait
une
spécialité
dans
la
finance
islamique
(cf.
les
travaux
de
B.
Maurer)
qui
continue
de
gagner
du
terrain
sur
la
scène
de
la
finance
internationale.
Le
christianisme
à
quant
à
lui
élevé
la
pauvreté
au
rang
du
divin
en
condamnant
la
richesse
:
«
Il
est
plus
facile
à
un
chameau
de
passer
par
le
trou
d’une
aiguille
qu’à
un
riche
d’entrer
dans
le
royaume
des
cieux
»
trouve-‐t-‐on
dans
Mathieu,
19
:24,
ou
encore
en
renforçant
la
dimension
dichotomique
“On
ne
peut
pas
servir
Dieu
et
l’argent”
(Evangile
selon
Saint
Luc,
16:13a
et
selon
Saint
Mathieu,
6:24a).
Cet
imaginaire
religieux
se
retrouve
ensuite
dans
la
littérature,
qui
est
peuplée
de
personnages
qui
incarnent
les
dérives
morales
liées
à
113
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
l’argent
:
Faust
et
Shylock,
l’avare
de
Molière,
le
Faiseur
de
Balzac...
Dans
ces
œuvres
on
attaque
la
bourgeoisie
financière
du
19e
siècle
de
conduire
des
affaires
immoralement
(Cf.
Lascoumes,
1982),
et
on
revient
quelque
part
à
accorder
qu’«
en
refusant
à
la
vertu
le
droit
d’être
un
capital,
vous
avez
donné
au
vice
le
droit
d’en
être
un
»
(Préface
de
la
Dame
aux
Camélias,
cité
par
Bouilloud
1999a).
Rappelons
que
le
personnage
principal
de
cette
œuvre
est
une
prostituée,
et
que
Marx
aussi
traite
à
plusieurs
reprises
l’argent
de
«putain».
Il
est
curieux
d’entendre
que
la
métaphore
de
la
prostitution
est
omniprésente
aussi
chez
les
traders,
avec
le
surnom
de
«
bonne
gagneuse
»,
(Kerviel,
2010)
qui
font
de
cette
équivalence
entre
leur
performance
et
l’argent
leur
raison
d’être,
leur
identité
qu’ils
revendiquent
d’autant
plus
haut
et
fort
qu’ils
savent
être
dans
la
provocation
et
de
déranger.
Cette
ambivalence
fascine,
et
a
donné
lieu
à
un
ouvrage
unique
en
son
genre,
La
Philosophie
de
l’argent
de
Simmel
qui
l’étudie
«
à
travers
ses
effets
sur
l’univers
extérieur
:
sur
le
sentiment
vital
des
individus
»
car
il
«n’est
que
le
moyen,
le
matériau
pour
présenter
les
rapports
qui
existent
entre
d’une
part
les
phénomènes
les
plus
extérieurs
(...)
les
plus
accidentels,
et
d’autre
part
(...)
les
courants
les
plus
profonds
de
la
vie
individuelle
et
de
l’histoire
»
(1999:14).
L’argent
suscite
la
méfiance
en
tant
que
moyen
absolu
car
il
se
meut
rapidement
en
fin
absolue
«
et
prendre
leur
place,
il
peut
exempter
l’homme
du
pourquoi
des
actions,
car
le
pourquoi,
c’est
lui
»
(Gaillard,
2004:88,
cf.
Painter-‐Morland,
2013
et
sa
lecture
de
Deleuze
et
Guattari
sur
le
capitalisme).
La
récente
crise
nous
permet
donc
de
revenir
sur
cette
célèbre
phrase
prononcée
au
1er
siècle
par
l’Empereur
Romain
Vespasien
«
pecunia
non
olet
!
»
(l’argent
n’a
pas
d’odeur,
ne
sent
pas).
Il
aurait
répondu
cette
phrase
aux
réclamations
de
son
fils
qui
s’indignait
devant
la
nature
répulsive
de
l’impôt
sur
l’urine
que
l’empereur
avait
instauré
lors
de
la
mise
en
place
de
la
Cloaca
Maxima,
c’est-‐à-‐dire
du
système
d’égouts
publics.
L’urine
ainsi
collectée
dans
ces
latrines
publiques
servait
comme
matière
première
dans
les
tanneries
de
Rome.
La
phrase
devenue
célèbre
révèle
l’idée
que
l’argent
n’a
pas
d’odeur,
et
donc
que
sa
provenance
est
sans
importance
puisqu’il
s’agit
d’un
équivalent
universel.
Ceci
est
mathématiquement
vrai,
mais
sociologiquement
très
faux,
comme
en
témoigne
l’ambigüité
des
expressions
telles
que
«
ça
sent
l’argent
ici,
ça
pue
le
fric
»
(Barus-‐Michel,
1999
:
28),
ou
des
représentations
que
nous
en
donnent
les
artistes,
(ci-‐dessous),
ou
d’autres
conflits
entre
vanité
et
valeurs
dépeintes
par
Botticelli
que
le
musée
des
Uffizi
à
la
ville
de
Florence
a
recueilli
dans
une
exposition
temporaire
exceptionnelle
à
la
fin
de
l’année
2011,
en
clin
d’œil
aux
dérives
–
monétaires
autant
que
morales
–
que
connait
l’Europe
en
ce
lendemain
de
crise
qui
ne
sera
pas
la
dernière.
114
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
Figure 11: Van Reymerswaele. Le Changeur et sa femme. 1539. Musée du Prado, Madrid
Figure
12:
Q.
Metsys.
Le
Prêteur
et
sa
femme,
1514.
Musée
du
Louvre.
Paris
Il
semble
donc
indéniable
que
l’argent
n’as
pas
la
même
valeur/couleur/odeur
selon
sa
provenance,
indépendamment
de
sa
valeur
financière
(Gaulejac,
2004)
et
il
apparait
donc
ambivalent
car
d’une
part
il
semble
le
plus
neutre
des
moyens
mais
«
en
même
temps
il
agit
sans
aucune
neutralité
»
(Guienne,
in
Bouilloud
et
Guienne
dirs.
1999:171).
Les
classifications
pour
identifier
le
degré
de
saleté
ou
de
pureté
de
l’argent
sont
nombreuses,
comme
notre
cas
empirique
le
montrera.
On
parle
aujourd’hui
d’argent
propre
issu
d’opérations
légales,
que
l’on
distingue
de
l’argent
gris
détourné
(i.e.
évasion
fiscale),
et
de
l’argent
sale
issu
de
trafics
ou
d’activités
criminelles
(Zeigler,
1990).
Plus
que
concerner
sa
nature
(ontologique,
sociologique
ou
même
juridique),
ces
classifications
portent
sur
l’origine
de
l’argent
(Rouquié,
1997:25).
Ici
encore
nous
rejoignons
les
travaux
de
Mary
Douglas,
qui
définit
le
sale
essentiellement
comme
une
catégorie
du
désordre,
relative
à
l’observateur
et
à
son
système
symbolique,
mais
qui
s’appliquera
par
la
même
occasion
aux
banquiers
et
aux
banques,
qui
sont
devenues
la
‘source
de
pollution
du
monde’
(Jacobs,
2012
:
384).
115
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
116
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
catégorie
mixte
du
souillé-‐sacré.
Pour
eux,
leur
mérite
individuel
se
mesure
non
pas
selon
la
droiture
morale
mais
selon
une
logique
de
profit
qui
ne
pardonne
pas,
ou
ce
qu’Aubert
et
Gaulejac
(2007)
ont
nommé
le
coût
de
l’excellence.
C’est
cette
puissance
transformatrice
de
ce
qui
relève
de
la
qualité
à
ce
qui
se
mesure
en
quantité
déjà
notée
par
Simmel
qui
réduit,
d’une
certaine
façon
non
seulement
les
choses
en
soi
mais
aussi
les
rapports
(Enriquez,
1999).
Ainsi,
l’argent
peut
en
quelque
sorte
enfanter
la
puissance,
car
en
finance
l’argent
crée
de
l’argent
sans
passer
par
la
médiation
de
la
marchandise.
Sa
mathématisation
donne
ensuite
l’illusion
de
rationalité
et
donc
de
contrôle,
selon
un
processus
déjà
décrit
par
Enriquez
(1983).
L’individu
porteur
de
cette
puissance
est
ainsi
rassuré
sur
son
identité
mais
aussi
«
il
lui
offre
en
prime
le
bénéfice
le
plus
appréciable
:
l’emprise
sur
les
autres
»
(Enriquez,
1999:55).
Le
scandale
se
pose
alors
en
termes
de
justice
ou
plutôt
d’injustice
sociale
véhiculée
par
ce
rapport
d’une
part
facile
et
d’autre
part
identitaire
à
l’argent
:
nous
ne
pouvons
que
nous
rappeler
les
cris
désespérés
d’Harpagon
ayant
perdu
sa
cassette
:
«
Au
voleur
!
au
voleur
!
à
l’assassin
!
au
meurtrier
!
[...]
je
suis
perdu,
je
suis
assassiné
!
On
m’a
coupé
la
gorge,
on
m’a
dérobé
mon
argent
![...]
Hélas
mon
pauvre
argent,
mon
pauvre
argent,
on
m’a
privé
de
toi
!
Et,
puisque
tu
m’es
enlevé,
j’ai
perdu
mon
support,
ma
consolation,
ma
joie
;
tout
est
fini
pour
moi
et
je
n’ai
plus
que
faire
au
monde
!
»26
Enfin,
comme
tout
objet
qui
transgresse
des
frontières,
l’argent
est
dangereux
et
impur
(Douglas,
2005),
et
ceci
n’a
pas
disparu
avec
son
caractère
dématérialisé,
virtuel,
médié
(Evans
&
Schmalensee,
2005)
ou
instantané.
Ce
flux
est
en
effet
forgeur
de
sens
:
“by
restraining
and
channeling
the
flow
of
money,
people
use
it
as
a
bearer
of
social
meaning.
Instead
of
interpreting
restricted
circulation
as
a
sign
that
money
has
failed
to
perform,
we
should
recognize
that
such
patterns
reflect
the
creation
of
meaning.
Money
is
a
way
to
communicate
messages
as
well
as
command
resources”
(Carruthers
2005:357).
Il
agit
alors
comme
une
frontière
symbolique,
créant
des
barrières
sociales
entre
des
sphères
moralement
problématiques.
Ainsi,
les
Etats
aussi
peuvent
‘blanchir’
de
l’argent
issu
de
sources
‘sales’
en
le
réemployant
à
des
fins
‘propres’,
si
cela
fait
partie
de
ses
objectifs
de
sens
à
faire
passer
à
la
communauté.
Par
exemple,
“Money
from
‘sin
taxes’
on
tobacco
and
alcohol
products
supports
particular
ends,
like
public
education,
partly
because
these
revenues
posess
a
problematic
political
meaning
that
must
be
managed.”
(Carruthers
2005:357-‐358).
C’est
donc
un
instrument
sémiotique,
qui
donne
une
couleur
aux
choses,
comme
en
témoigne
de
manière
extensive
les
travaux
de
Douglas
sur
les
classifications
sur
les
26
L’Avare
de
Molière,
1668,
Acte
IV,
scène
7.
117
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
abominations
du
Lévitique
(2005).
Cela
devient
même
un
extrême
dans
la
rigueur
:
«
il
fallait
des
prêtres-‐juristes
pour
imaginer
une
religion
théocratique
où
la
Loi
divine
réglemente
dans
le
détail,
et
donc
arbitrairement,
les
obligations
sacrées
d’un
peuple
envers
son
Dieu.
Ainsi
les
prêtres
juristes
sanctifient-‐ils
le
formalisme
et
éliminent
de
la
religion
aussi
bien
les
idées
morales
d’un
Amos
que
les
tendres
émotions
d’un
Osée
et
réduisent
le
Créateur
universel
au
rang
d’un
despote
inflexible.
»
(Pfeiffer,
1957
:
91
cité
par
Douglas
2005
:66
et
80).
La
religion
ainsi
conçue
est
dépourvue
d’intériorité,
centrée
sur
la
conduite
et
du
code,
et
non
sur
l’esprit.
Dans
l’univers
qui
nous
occupe,
comme
les
prêtres-‐juristes
de
l’ancien
testament,
on
accuse
souvent
les
compliance
officers
de
sanctifier
le
formalisme,
comme
il
est
déjà
apparu
plus
haut.
2.2.2.
L'ARGENT
SALE
COMME
ARGENT
ILLICITE:
SES
CIRCUITS,
SES
ENJEUX
2.2.2.1.
Emergence
et
définition
de
"l'argent
sale"
«
Il
s’agit
toujours
de
se
poser
deux
questions
fondamentales
:
d’où
vient
et
où
va
l’argent
?»
S.
Rouquié,
1997
:23.
Tout
comme
le
matérialisme
médical,
selon
l’expression
de
William
James,
a
sécularisé
la
maladie
en
la
différentiant
définitivement
des
caprices
divins,
le
droit
a
sécularisé
l’argent
sale.
En
partant
toujours
de
Mary
Douglas,
il
en
va
de
notre
organisation
sociale
dans
son
ensemble
:
«
quand
nous
aurons
détaché
la
pathogénie
et
l’hygiène
de
nos
idées
sur
la
saleté,
il
ne
nous
restera
de
celle-‐ci
que
notre
vieille
définition
:
c’est
quelque
chose
qui
n’est
pas
à
sa
place.
Ce
point
de
vue
est
très
fécond.
Il
suppose
d’une
part
l’existence
d’un
ensemble
de
relations
ordonnées
et,
d’autre
part,
le
bouleversement
de
cet
ordre.
La
saleté
n’est
donc
jamais
un
phénomène
unique,
isolé.
La
où
il
y
a
saleté,
il
y
a
système.
»
(Douglas
2005:
55).
Ce
système
agit
donc
aussi
par
le
rejet
d’éléments
non
conformes,
qui
ne
sont
pas
tels
en
eux-‐mêmes
mais
relativement
à
l’argent
propre.
Elle
identifie
5
étapes
face
à
l’anomalie
(a-‐nomos,
a-‐normal)
(58-‐59)
:
1. la
volonté
de
réduire
l’ambigüité
en
adoptant
une
interprétation
possible
2. on
cherche
à
contrôler
l’existence
de
l’anomalie
(on
tue
le
monstre)
3. arrivent
des
règles
pour
renforcer
et
confirmer
ce
à
quoi
l’anomalie
ne
se
conforme
pas
4. l’anomalie
est
qualifiée
de
dangereuse
5. dans
les
rites
on
incorpore
des
éléments
ambigus
pour
renforcer
la
dimension
unificatrice
de
l’ordre.
C’est
ce
qu’elle
appelle
le
patterning,
c'est-‐à-‐dire
une
mise
en
forme
de
l’expérience,
une
nomenclature,
une
catégorisation,
comme
nous
verrons
dans
son
identification
juridique
ci-‐
dessous
et
la
mise
en
place
de
la
LAB
(Lutte-‐Anti-‐Blanchiment).
118
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
Ce
que
l’on
nomme
couramment
l’argent
sale
ne
date
pas
d’hier.
Comme
nous
l’avons
vu,
le
caractère
salissant
de
l’argent
a
été
identifié
très
tôt
dans
l’histoire,
et
sa
production,
circulation
et
recyclage
font
parti
des
plus
vieux
métiers
du
monde.
Progressivement,
on
s’est
dotés
d’appareillages
administratifs
(par
exemple
en
1865
l’établissement
aux
Etats-‐Unis
du
Secret
Service
pour
lutter
contre
le
counterfeiting,
la
production
de
fausse
monnaie),
juridiques
et
normatifs
pour
essayer
de
contrer
l’argent
produit
de
manière
illicite,
c’est-‐à-‐dire
dans
des
conditions
contraires
à
ce
qui
est
autorisé
par
la
loi.
Or,
«
Si
d’un
point
de
vue
restrictif
illicite
signifie
contraire
à
la
loi,
dans
un
sens
plus
large
il
signifie
contraire
au
droit,
c’est-‐à-‐dire
à
l’ordre
public
et
aux
bonnes
mœurs,
apportant
ainsi
une
dimension
morale.
[...]
quant
aux
bonnes
mœurs,
en
l’absence
de
définition
posée
par
la
loi,
il
appartient
au
juge,
en
tant
qu’honnête
homme,
d’en
définir
les
contours,
soit
par
le
recours
à
la
morale
religieuse,
soit
par
référence
au
comportement
habituel
de
la
population
:
en
fait,
par
un
compromis
entre
ces
possibilités
»
(Rouquié,
1997
:14).
Ceci
peut
donc
concerner
aussi
la
fraude
fiscale,
la
contrebande,
la
production
ou
transport
de
produits
et/ou
services
illicites
(drogue,
prostitution
etc.).
Mais
la
production
de
cet
argent
n’est
pas
un
élément
isolé.
En
effet,
cette
production
s’insère
souvent
dans
un
circuit
complexe
qui
recouvre
les
étapes
suivantes
:
production
(par
exemple
par
l’économie
souterraine)
–
transformation
(placement,
empilage)
–
utilisation
de
l’argent
blanchi.
Ce
circuit
peut
impliquer
de
nombreux
acteurs,
tels
des
sociétés
écrans
(qui
produisent
des
biens/services
de
l’économie
normale
et
légale,
telles
les
blanchisseries
de
Capone
qui
ont
donné
le
nom
au
blanchiment
d’argent).
C’est
aussi
à
ce
niveau
là
qu’interviennent
les
établissements
financiers,
en
tant
que
passage
obligé
dans
le
processus
de
blanchiment
dans
une
économie
mondialisée
:
«
La
transformation
de
l’argent
sale
en
argent
propre
constitue
une
étape
primordiale
de
toute
activité
illicite,
affairistes
et
criminels
employant
alors
des
méthodes
identiques,
marquées
d’une
forte
internationalisation.
[...]
Le
blanchiment
s’effectue
au
moment
où
‘l’argent
sale’
quitte
la
clandestinité
pour
être
investi
dans
l’économie
légale.
»
(Rouquié
1997
:126).
Les
méthodes
sont
multiples.
Le
blanchiment
opère
parfois
par
la
méthode
de
smurfing
(voir
Rouquié,
1997
:132)
à
partir
d’un
réseau
de
personnes
(smurfs,
littéralement
fourmis)
chargées
de
faire
des
mouvements
d’espèces
en
montants
trop
petits
pour
attirer
l’attention
des
banques.
Ces
devises
peuvent
ensuite
être
retirées
dans
des
guichets
automatiques
dans
une
autre
devise,
assurant
ainsi
et
l’anonymat
et
le
transfert
dans
un
autre
pays,
transportées
en
liquide
par
des
personne
à
l’étranger,
investies
dans
une
société
écran
(i.e.
trusts,
holdings
ou
sociétés
off-‐shore)
ou
alors
jouées
au
casino...
voilà
le
blanchiment
qui
est
fait
(voir
Couvrat
&
Pless
1988,
D’Aubert,
119
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
120
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
appareillage
juridique
pour
surveiller
ce
risque
(ex.
lois
de
1991,
1993)
et
son
appartenance
au
GAFI
la
pousse
par
ailleurs
à
responsabiliser
ses
partenaires,
les
états
frontaliers
(e.g.
Andorre).
Malheureusement,
les
opportunités
de
recyclage
blanchissant
de
l’argent
en
le
plaçant
sont
aisées
à
trouver.
Autre
pièce
maîtresse,
la
corruption,
souvent
nécessaire
à
un
moment
ou
à
un
autre,
intervenant
souvent
sous
forme
de
pot-‐
de
vin
ou
autres
privilèges
(tels
des
dons
ou
cadeaux,
voir
Véron,
1996,
Nielsen,
2004),
en
particulier
pour
ou
par
des
agents
des
pouvoirs
publics.
D’où
le
fait
que
dans
la
lutte
anti-‐blanchiment,
une
attention
toute
particulière
soit
portée
sur
les
PEP
(personne
politiquement
exposée),
d’autant
plus
dans
des
pays
jugés
non-‐coopérants,
opaques,
non
démocratiques.
Lorsque
les
agents
des
établissements
bancaires
sont
impliqués,
on
parle
alors
de
criminalité
en
col
blanc
(Sutherland,
1949),
qui
s’appuie
sur
sa
bonne
réputation
et
de
sa
position
hiérarchique
et
financière
pour
violer
les
codes
de
sa
profession.
Enfin,
l’ultime
étape
est
l’intégration,
c’est-‐à-‐dire
le
retour
des
capitaux
blanchis
dans
le
pays
d’origine,
pour
y
être
investis
dans
l’économie
légale
et
terminer
le
blanchiment
et
pratiquement
toute
possibilité
de
tracer
l’origine
douteuse
des
fonds.
La
lutte
anti-‐blanchiment,
devant
les
difficultés
à
agir
sur
les
multiples
lieux
et
modalités
de
production
de
l’argent
sale,
s’est
focalisée
sur
l’étape
intermédiaire
de
son
cycle,
à
savoir
son
recyclage
dans
et
par
le
système
financier
mondial
comme
nous
allons
voir,
car
avec
la
mondialisation
de
l’économie,
les
enjeux
sont
eux-‐aussi
devenus
mondiaux.
L'argent
sale
provient
de
choses
qui
font
généralement
l'objet
de
consensus
international
:
crimes,
terrorisme,
trafics
divers...
mais
restent
plusieurs
zones
d’ombre
encore
à
élucider,
et
qui
changent
selon
les
différentes
juridictions.
En
effet,
définir
précisément
ce
qui
relève
ou
non
de
chacun
de
ces
éléments
en
apparence
consensuels
est
loin
d’être
une
tache
facile
et
peut
varier
énormément
selon
les
contextes.
D’où
de
nombreux
problèmes
au
niveau
juridique
et
normatif
et
une
grande
marge
de
manœuvre
laissée
aux
pays
pour
interpréter
les
dispositions
de
lutte
anti-‐blanchiment
(par
exemple
autour
de
la
fraude
fiscale)
et
les
mettre
en
œuvre,
ce
qu’ils
font
donc
selon
un
agenda
particulier
malgré
la
reconnaissance
de
l’enjeu
mondial
de
l’argent
sale.
2.2.2.2.
L’organisation
contemporaine
de
la
LAB
dans
les
institutions
bancaires
et
financières
La
conscience
des
enjeux
du
blanchiment
d’argent
au
niveau
mondial
date
des
années
1980
et
fait
partie
de
l’évolution
de
la
Conformité
(compliance),
menant
à
l’intégration
progressive
d’une
fonction
régulatrice
au
sein
des
institutions
financières
121
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
(Edwards
&
Wolfe,
2004,
2005)
jusqu’à
être
aujourd’hui
considéré
comme
un
standard
institutionnalisé
auquel
elles
doivent
se
conformer
(cf.
figure
4
dans
l’introduction)27.
Très
vite,
on
a
compris
que
le
succès
d’un
quelconque
dispositif
de
lutte
repose
largement
sur
une
mobilisation
à
l’échelle
internationale.
C’est
le
27
juin
1980
que
le
Conseil
de
l’Europe
produit
le
premier
texte
international
sur
la
prévention
et
la
répression
du
blanchiment
d’argent
et
l’importance
d’impliquer
le
système
financier
pour
empêcher
son
insertion
dans
les
circuits
officiels
de
l’économie.
Ensuite,
vient
la
déclaration
des
principes
sur
la
«
prévention
et
l’utilisation
du
système
bancaire
pour
le
blanchiment
de
fonds
d’origine
criminelle
»
du
12
décembre
1988
à
Bâle,
fait
par
les
banques
centrales
et
autorités
de
contrôle
des
établissements
bancaires
de
plusieurs
pays
dont
la
France,
le
Canada,
les
Etats-‐Unis,
la
Suisse,
l’Italie,
le
Japon
parmi
d’autres:
«
les
banques
ne
doivent
pas
prêter
leur
concours
ou
fournir
une
aide
active
pour
des
opérations
dont
elles
ont
de
bonnes
raisons
de
supposer
qu’elles
sont
liées
à
des
activités
de
blanchiment
de
fonds
»
(Comité
de
Bâle
du
12
décembre
1988,
cf.
Annexe
5).
Le
principal
souci
exprimé
à
l’époque
est
de
préserver
la
réputation
des
établissements
bancaires.
Une
semaine
plus
tard,
une
convention
des
Nations
Unies
était
signée
à
Vienne
focalisé
sur
le
trafic
de
drogues
et
stupéfiants
illicites
et
l’entraide
internationale
pour
le
combattre.
L’année
d’après
eu
lieu
un
événement
clé
de
l'institutionnalisation
de
la
lutte
anti-‐blanchiment
et
du
financement
du
terrorisme
(LAB/FT
en
français,
AML
en
anglais
pour
Anti-‐Money
Laundering)
date
de
1989
et
le
Sommet
de
l'Arche
du
G7
et
a
mené
à
la
création
du
principal
régulateur
international
qui
s'en
occupe,
le
Groupe
d'Action
Financière
Internationale
(GAFI,
ou
Financial
Action
Task
Force,
FATF,
en
anglais)
(Voir
Favarel-‐Garrigues,
2003a,
2003b;
Scheptycki,
2000;
Williams
&
Baudin-‐O’Hayon,
2002).
Pendant
une
dizaine
d’années,
l’importance
de
la
lutte
anti-‐blanchiment
dans
et
par
le
système
bancaire
et
financier
a
été
quelque
peu
ignoré,
superficiel,
voire
«
cosmétique
».
Depuis,
en
partie
suite
à
plusieurs
scandales,
les
banques
ont
du
intégrer
dans
leur
ethos,
leur
structure
et
leur
organisation
le
rôle
formel
de
«
sentinelles
»
des
marchés
financiers
(Favarel-‐Garrigues
et
al.
2009).
En
Europe,
cette
obligation
a
été
renforcée
par
trois
Directives
Européennes
en
1991,
2001
et
2005
(Favarel-‐Garrigues
et
al.,
2007).
Aujourd’hui,
le
consensus
semble
incontestable
et
partagé
par
la
totalité
des
acteurs,
privés
ou
publics
concernés.
Initialement
concerné
27
Cette
sous-‐partie
aborde
la
lutte
anti-‐blanchiment
dans
ses
aspects
généraux.
Le
dispositif
précis
de
lutte
anti-‐
blanchiment
sera
abordé
plus
en
détail
dans
la
deuxième
partie
de
cette
thèse
consacrée
à
l’étude
terrain,
afin
de
préciser
les
dispositifs
retenus
par
la
banque
étudiée.
122
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
par
les
pays
du
G7,
le
GAFI
fut
rapidement
rejoint
par
d’autres
pays
comme
l’Espagne,
la
Suisse
ou
encore
la
Suède,
puis
de
nombreux
autres
dans
les
années
qui
ont
suivi.
S’appuyant
sur
la
Convention
des
Nations
Unies,
le
GAFI
est
là
pour
accompagner
la
création
d’un
dispositif
judiciaire
en
accord
avec
ses
recommandations,
et
de
soutenir
la
coopération
internationale
aux
niveaux
des
échanges
d’informations
notamment.
D’autres
acteurs
tels
que
le
PNUCID
(Programme
des
Nations
Unies
pour
le
contrôle
international
des
drogues)
ou
encore
Interpol
participent
aussi
d’un
complexe
dispositif
en
réseau
au
niveau
international,
mais
dont
nous
nous
n’occuperons
pas
dans
ce
travail.
On
s’avoisine
beaucoup
d’une
sorte
de
global
prohibition
regime
(Nadelmann,
1990)
à
l’instar
du
partage
de
normes
transnationales
communes
comme
une
des
bases
de
notre
société
globalisée
(Krasner,
1983,
Djelic
&
Sahlin-‐Andersson,
2006).
C’est
ce
qu’on
appelle
la
juridisation
(legalization)
des
relations
internationales
(Goldstein
et
al.
2000),
fortement
renforcée
depuis
les
attentats
du
11
septembre,
la
lutte
contre
le
financement
du
terrorisme
(LAB/FT)
(cf.
Laroche,
2003)
et
la
gestion
des
risques
en
particulier
(Hood,
Rothstein
&
Baldwin,
2001
;
Power,
2004).
Sous
l’impulsion
d’une
soft
law
efficace
opérant
sous
un
fort
stress
institutionnel
(Favarel-‐
Garrigues
et
al.
2009
:
18-‐21),
les
Etats-‐Unis
ont
ainsi
progressivement
contraint
les
autres
pays
(aujourd’hui
plus
de
170)
à
adopter
les
dispositifs
LAB
comme
prérequis
pour
pouvoir
continuer
de
traiter
avec
leur
système
financier.
Malgré
un
appareillage
complexe,
lourd
du
point
de
vue
juridique
et
administratif,
ces
dispositions
sont
restées
largement
théoriques
jusqu’aux
années
2000,
où
les
banques
se
sont
activement
engagées
dans
le
processus
et
sont
donc
passées
à
occuper
la
première
ligne
sur
le
front
de
la
LAB.
Derrière
la
pression
institutionnelle,
il
y
a
de
fait
une
grande
marge
de
manœuvre,
et
il
n’est
donc
pas
forcement
pertinent
de
parler
exclusivement
en
termes
de
juridisation.
Car
le
succès
international
de
la
LAB
est
lié
au
caractère
ouvert
des
normes,
propice
aux
réinterprétations
au
niveau
local
de
chaque
pays,
voire
de
chaque
banque.
Favarel-‐Garrigues
et
al.
(2009)
ont
récemment
apporté
de
nouveaux
éléments
avec
leur
investigation
sur
la
lutte
anti-‐blanchiment
(LAB)
comme
nouvelle
spécialité
professionnelle
dans
le
secteur
financier,
qui
transforme
par
là
aussi
les
banques
en
véritables
«
sentinelles
de
l'argent
sale
».
En
effet,
avant
ce
travail,
la
LAB
n'était
étudiée
que
sous
l'angle
juridique
ou
économique,
sans
faire
véritablement
l'objet
d'une
étude
sur
les
acteurs
qui
la
portent
par
des
pratiques
professionnelles
spécialisées
qui
contribuent
ainsi
à
son
institutionnalisation.
Une
des
principales
transformations
de
ces
vingt
dernières
années
est
bien
l’émergence
et
la
constitution
d’un
groupe
de
professionnels
parlant
le
même
jargon,
se
référant
aux
mêmes
textes,
utilisant
les
123
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
28
Association
of
Certified
Anti-‐Money
Laundering
Specialists,
qui
organise
des
conférences
professionnelles
internationales
depuis
presque
20
ans,
ainsi
que
des
formations
et
des
certifications
(www.acams.org)
124
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
125
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
proposal.
Given
the
widespread
and
growing
negative
perception
of
this
proposal,
we
are
very
concerned
about
the
prospect
of
having
the
public
lose
confidence
in
the
banking
industry,
and
in
governement
insitutions
generally,
if
this
proposal
is
not
withdrawn.
Furthermore,
the
proposal
expands
the
regulatory
imbalance
between
banks
and
their
competitors,
increases
regulatory
burdens
on
banking
institutions
and
and
raises
serious
privacy
concerns
on
the
part
of
bank
customers
»
(Cocheo,
1999
:26).
Une
des
principales
protestations
venait
du
fait
que
de
telles
régulations
n’étaient
pas,
du
moins
à
l’époque,
imposées
aussi
à
d’autres
organisations
non
bancaires
(telles
que
des
casinos
par
exemple).
On
en
parlait
depuis
la
fin
des
années
80
aux
Etats
Unis,
mais
elles
ont
vraiment
commencé
à
être
imposées
là
où
la
Federal
Reserve
considérait
par
exemple
que
leur
politique
LAB
était
trop
faible.
Aujourd’hui
on
retrouve
des
articles
insistant
plutôt
sur
les
bénéfices
gagnant-‐gagnant
du
KYC
:
bon
pour
la
gestion
des
risques
et
bon
pour
une
meilleure
relation
et
satisfaction
client
(e.g.
Graham,
2003),
même
si
les
critiques
restent
fréquentes.
Les
analystes
experts
du
KYC
sont
chargés
d'analyser
le
profil
de
risque
en
termes
de
réputation
pour
la
banque
et
en
particulier
de
risque
anti-‐
blanchiment
à
travers
l'information
fournie
par
le
personnel
commercial
de
la
banque
et
des
investigations
sur
des
bases
de
données
fiables
afin
d'intégrer
les
morceaux
de
ce
qui
ressemble
souvent
à
un
puzzle,
tel
que
le
ferait
un
détective
criminel.
Ils
vérifient
aussi
la
question
de
la
rationalité
économique
des
opérations
(Vasseur,
1991),
c’est-‐à-‐
dire
essayer
de
détecter
des
transactions
qui
semblent
trop
complexes
ou
injustifiées
au
regard
de
l’activité
sensée
être
poursuivie
par
la
société
etc.
Ne
faisant
pas
forcement
l’objet
d’une
déclaration
de
soupçon,
ces
activités
douteuses
doivent
attirer
l’attention
et
être
étudiées
dans
le
détail.
Enfin,
les
obligations
de
surveillance
ne
se
limitent
pas
à
la
durée
de
la
relation
commerciale
avec
un
client.
Les
organismes
bancaires
se
doivent
de
conserver
les
documents
relatifs
à
l’identification
des
clients
pour
une
durée
de
cinq
ans
après
la
fin
de
la
relation,
et
de
les
tenir
à
disposition
des
enquêteurs
en
cas
d’audit.
2.3.
LES
MAINS
SALES:
LA
QUESTION
DE
L'AGENCE
MORALE
ET
DE
SON
ETUDE
2.3.1.
CONTRADICTIONS
INTERNES:
LES
AFFAIRES
ET
LES
BANQUES
D'AFFAIRES
2.3.1.1.
La
"double
paire
d'yeux":
l'autorégulation
et
le
bien
fondé
des
activités
bancaires
Ce
qui
provoquait
un
grand
étonnement
durant
la
dernière
crise
est
de
constater
le
paradoxe
suivant
:
on
accusait
les
Etats
de
ne
pas
suffisamment
réguler
et
126
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
contrôler
les
activités
bancaires
et
financières,
alors
que
les
banques
restent,
malgré
tout,
des
organisations
fortement
régulées,
du
moins
sur
certains
points,
que
ce
soit
directement
par
l’Etat,
des
instances
de
régulation,
ou
sur
le
mode
de
l’autorégulation.
Au
19e
siècle,
la
règle
d’un
regard
supplémentaire
pour
contrôler
les
décisions
était
une
convention
dans
les
règles
d’usages
des
métiers
de
la
banque,
comme
en
témoigne
le
mobilier
de
l’époque
et
ses
bureaux
double
face,
permettant
le
travail
en
binôme
et
une
«
double
paire
d’yeux
»
sur
les
affaires
(Droit
&
Henrot,
2010:128-‐
131)29
:
(C’est
François
Henrot,
ancien
banquier
chez
Paribas
et
à
la
tête
de
la
banque
d’affaires
du
groupe
Rothschild,
qui
parle)
«
elle
imposait
aux
banquiers
et
financiers
du
monde
d’avant-‐hier,
dès
qu’un
établissement
devait
prendre
un
engagement
important,
de
le
faire
regarder
et
discuter
par
au
moins
deux
personnes
de
niveau
hiérarchique
équivalent,
mais
avec
des
angles
–c’est-‐à-‐dire
des
caractères
–
différents,
l’un
plus
commerçant,
l’autre
plus
centré
sur
le
risque.
Aucune
maison
ne
devait
s’engager
sans
cette
double
signature.
[...]
Traduction
bancaire
et
financière
du
vieux
dicton
judiciaire
‘juge
unique,
juge
inique’,
‘décideur
unique,
décideur
à
risques’.
[...]
Pour
les
décisions
les
plus
importantes,
ce
dialogue
était
élargi
aux
membres
du
ou
des
«
comités
de
crédit
»,
instances
collégiales
qui
devaient
précéder
la
décision
[...]
et
ce
jeu
de
regards
croisés
se
retrouvait
dans
la
deuxième
colonne
du
temple
:
ce
qu’on
appelait
la
«
place
».
Les
communautés
bancaires
étaient
nationales,
coïncidaient
avec
les
frontières
d’un
pays,
et
même
d’une
ville,
Amsterdam,
Venise,
Hambourg,
puis
Londres,
Paris,
New
York.
Avec,
au
fil
des
siècles,
une
réalité
constante
:
chacun
était
en
permanence,
tout
au
long
de
sa
vie
professionnelle,
soumis
au
jugement
de
ses
pairs.
Il
y
avait
une
espèce
de
«
conseil
des
banquiers
»,
une
communauté
de
dirigeants
de
banques.
Sur
cette
agora,
chacun
voyait
tous
les
autres
et
était
vu
de
tous,
dans
ce
que
Michel
Foucault
à
la
suite
de
Bentham,
appelait
un
«
panoptique
».
Cet
autocontrôle
par
le
regard
de
la
communauté
a
presque
complètement
disparu.
Il
n’y
a
plus
vraiment
de
«
place
»
parce
que
la
partie
se
joue
désormais
non
plus
au
niveau
d’une
cité
ou
d’un
pays
mais
au
niveau
du
monde.
En
outre,
une
réputation
bancaire
se
construisait
sur
plusieurs
décennies.
Chacun
était
attentif
à
ne
pas
compromettre
l’actif
immatériel
que
représentait
la
réputation
du
nom
de
la
banque,
qui
s’identifiait
le
plus
souvent
au
nom
d’une
famille.
Je
me
souviens
[...]
de
ce
qu’Evelyn
de
Rotchschild,
chef
de
la
branche
anglaise,
m’a
dit
quand
j’ai
rejoint
ce
groupe
familial
:
«
notre
nom
est
devenu
en
deux
siècles
une
marque,
synonyme
d’intégrité
;
nous
attendons
de
tous
ceux
qui
travaillent
avec
nous
de
la
transmettre
intacte
aux
générations
à
venir...
Il
y
avait
donc
une
‘discipline’
spontanée
de
place
qui
imposait
de
fait
les
«
bonnes
pratiques
».
On
honorait
sa
parole,
quand
on
avait
pris
un
engagement
verbal,
même
s’il
n’était
pas
traduit
dans
un
contrat
de
250
pages.
On
ne
présentait
pas,
pour
vendre
une
société,
des
comptes
falsifiés.
On
ne
laissait
pas
les
clients
acheter
des
produits
dangereux
sans
les
mettre
explicitement
en
garde.
»
Il
s’agit
donc
d’un
métier
ou
d’un
ensemble
de
métiers
qui
traditionnellement
s’étaient
construits
dans
et
par
un
code
implicite
déontologique
fort
«
Money
is
the
life-‐
blood
of
banking,
service
is
the
heart,
ethics
the
soul
»
(Lynch,
1991
:
xiii).
Mais
aujourd’hui,
on
a
tendance
à
assumer
que
ceux
qui
entrent
dans
la
banque
le
font
uniquement
pour
«penser
profit»
(Godechot,
2001
:
13),
aux
dépends
de
la
société,
des
employés
et
de
l’organisation
elle-‐même.
Weber
(1964)
comprend
que
si
l’éthique
protestante
voit
dans
la
richesse
une
rétribution
divine,
cet
enrichissement
s’accompagne
d’une
morale
de
l’austérité,
la
réussite
ne
vient
sans
l’esprit
de
sacrifice.
29
Ils
prennent
d’ailleurs
l’expression
de
«
la
double
paire
d’yeux
»
comme
sous-‐titre
de
leur
essai
dialogique
Le
Banquier
et
le
Philosophe,
pour
traiter
avec
le
même
principe
de
confrontation
la
question
de
la
crise
financière.
127
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
L’épargne
des
fruits
de
son
travail
est
une
posture
d’ascèse,
et
afin
qu’il
ne
soit
dépensé
ou
gaspillé
de
manière
non
vertueuse,
il
doit
donc
être
utilisé
de
manière
productive,
par
l’investissement.
En
effet,
l’économie
est
ce
qui
«
fait
tourner
le
monde
»,
pour
reprendre
la
ritournelle
de
la
comédie
musicale
Cabaret
(Paroles
de
Fred
Ebb,
1966),
l’argent
qui
circule
est
ce
qui
infuse
les
veines
du
moteur
de
nos
sociétés.
Tels
Montesquieu
ou
même
Calvin,
nombreux
sont
ceux
à
défendre
l’économie
et
le
commerce
en
argumentant
que
c’est
ce
qui
a
rendu
l’homme
sociable
en
le
sortant
de
l’état
de
nature
:
«
Le
développement
de
l’argent
constitue
une
partie
de
l’évolution
de
la
société
humaine,
comparable
par
son
importance
à
l’apprivoisement
des
animaux,
à
la
culture
de
la
terre,
au
développement
des
outils
et
au
contrôle
du
pouvoir
»
(Morgan,
1972
:17).
Contrairement
à
la
thésaurisation
stérile
des
propriétaires
terriens,
suspectés
d’avarice,
le
dynamisme
protestant
dans
les
affaires
injecterait
l’économie
d’une
puissance
prospère
qui
bénéficierait
la
société
dans
son
ensemble.
C’est
cette
portée
potentiellement
collective
qui
légitime
le
profit
face
la
réussite
individuelle.
De
fait,
nombreux
sont
les
historiens
non
seulement
à
relever
mais
aussi
à
illustrer,
preuves
à
l’appuie,
l’importance
des
banques
et
leur
rôle
positif
dans
la
constitution
progressive
d’une
économie
solide.
Ainsi,
Pierre
Vilar
dans
son
Or
et
monnaie
dans
l’histoire
(1974)
à
partir
de
l’exemple
de
la
Banque
d’Amsterdam,
insiste
sur
l’importance
des
banques
comme
moyen,
en
soi
ne
faisant
pas
beaucoup
de
bénéfices
à
part
ce
qu’il
lui
faut
pour
entretenir
son
fonctionnement,
sans
être
un
organe
d’accumulation.
Tel
est
aussi
l’objectif
initial
de
la
forme
particulière
des
banques
universelles,
c’est-‐à-‐dire
des
organismes
bancaires
qui
combinent
les
activités
de
banque
de
détail
traditionnelle
avec
les
activités
de
banque
d’investissement
et
de
financement.
Nées
dans
l’Allemagne
de
l’après
guerre,
les
banques
universelles
permettent
un
positionnement
souvent
fortement
impliqué
au
niveau
des
communautés
locales,
et
ont
donc
été
un
acteur
important
dans
la
reconstruction
des
économies.
Pour
de
nombreux
praticiens
encore
aujourd’hui,
l’éthique
dans
les
banques
est
plutôt
une
question
d’attitude
dans
la
manière
de
conduire
des
affaires
:
«
ethical
banking
is
about
corporate
living,
not
corporate
giving,
about
investing
time
in
ethical
practices
rather
than
money
in
‘ethical’
funds
»
(Lynch,
1991
:3).
2.3.1.2.
Ethique,
banque
et
la
transformation
de
leur
rapport
avec
l'émergence
d'un
système
de
Conformité
mondial
A
la
lumière
de
tout
ce
qui
vient
d’être
dit,
comment
expliquer
la
dérive
immorale
des
banques
?
Un
tel
statut
de
l’argent
et
sa
dimension
ambivalente
de
128
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
souillure
n’est
pas
sans
incidence
lorsque
l’on
considère
le
niveau
macro
sociétal
des
affaires
et
le
rôle
des
organismes
bancaires,
en
particulier
les
banques
d’affaires.
La
sociologie
apporte
quelques
éléments
de
réponse,
mais
engendre
d’autres
questions.
Devant
le
rapport
binaire
d’opposition
entre
éthique
et
banque,
Peut-‐on
pour
autant
se
résoudre
à
la
caricature
du
«
tous
pourris
»
et
incriminer
les
financiers
sur
les
considérations
morales
(et
donc
relatives)
condamnant
la
cupidité
?
Soit,
certains
sont
mus
par
l’attraction
fatale
de
l’argent
facile,
le
goût
du
risque
dans
le
casino
mondial
de
la
finance,
mais
n’est-‐ce
pas
en
quelque
sorte
ce
qu’on
leur
demande
?
Godechot
(2001)
avait
bien
montré
que
les
traders
en
particuliers
sont
en
général
déjà
socialisés
aux
codes
de
la
finance
en
amont
(investissaient
ou
du
moins
suivaient
les
cours
de
la
bourse
en
étant
étudiants
par
exemple).
Et
ils
sont
embauchés
avec
pour
mission
de
faire
le
plus
d’argent
possible
pour
la
banque,
et
non
pas
garder
intact
le
talent
biblique
sans
le
faire
fructifier,
si
on
détourne
la
parabole
au
sens
littéral
(Matthieu,
25,
14-‐30).
Dans
notre
enquête,
on
verra
qu’ils
sont
même
sinon
félicités,
du
moins
protégés
s’ils
contournent
les
règles,
du
moment
que
ceci
leur
permette
de
trouver
des
opportunités.
Et
si
le
réel
problème
éthique
dans
cette
affaire
n’était
pas
la
cupidité
mais
le
conformisme
à
un
système
régi
par
de
telles
règles
?
En
la
croyance
de
la
toute
puissance
du
marché
?
Comme
on
pourrait
comprendre
le
plan
de
sauvetage
des
banques,
ou
encore
le
tremblement
des
états
devant
les
agences
de
notation,
il
y
a
bien
un
asservissement
progressif
des
instances
de
régulation,
des
Etats,
et
alors
pourquoi
pas
des
individus,
à
l’égard
d’un
système.
«
En
suivant
les
travaux
sur
l’origine
de
l’argent
du
sociologue
allemand
Heinson,
(1986),
nous
pouvons
penser
qu’il
y
a
là
une
rupture
de
l’échange
(aussi
bien
économique
que
symbolique)
d’autant
plus
puissante
que
les
sujets
économiques
–
l’Etat
inclus
–
sont
endettés.
En
régime
de
circulation
simple,
les
structures
sociales
reposant
sur
l’échange
symbolique
ne
pourront
que
gérer
cette
dette
;
dans
l’ordre
de
la
circulation
développée,
elles
ne
parviennent
plus
à
la
réguler,
et
sont
mises
à
son
service.
»
(Haesler
&
Papilloud,
1999:30).
Voici
une
manière
de
poser
autrement
la
question
de
l’éthique
dans
les
banques,
à
explorer
ensuite.
La
crise
financière
de
2007-‐2011
a
largement
été
imputée
à
un
manque
d'éthique
et
de
régulation
dans
le
monde
de
la
finance.
Or,
n'oublions
pas
que
ce
secteur
est
déjà
très
fortement
régulé,
du
moins
sur
certains
aspects.
Les
banques,
traditionnellement
attachées
à
une
logique
commerciale,
ont
vu
le
«policing»
(toute
activité
de
surveillance
de
la
criminalité,
indépendamment
des
acteurs
qui
le
font)
devenir
une
de
leurs
fonctions
principales
(Reiner,
1997).
En
effet,
les
différentes
instances
de
régulation
se
reposent
sur
les
institutions
bancaires
et
financières,
qui
doivent
alors
s’en
approprier
le
sens
et
développer
des
pratiques
(Ocqueteau,
2004),
129
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
pour
mener
efficacement
leurs
objectifs.
La
LAB
relève
donc
d’un
fort
intérêt
sociologique,
en
raison
de
«
sa
forme
originale
de
régulation,
à
la
fois
internationale
et
interprofessionnelle
»
(Favarel-‐Garrigues
et
al.
2009
:
13).
Ainsi,
les
services
de
régulation
et
les
administrations
dépendent
des
informations
recueillies
et
détenues
par
acteurs
extérieurs
à
la
police,
tels
que
les
services
conformité
dans
les
banques.
Certains
pensent
que
le
choix
de
confier
des
missions
policières
aux
acteurs
privés
est
pour
ne
pas
heurter
la
communauté
financière,
en
créant
en
quelque
sorte
l’illusion
d’auto-‐régulation
(Williams,
2005).
Ainsi,
les
banques
ne
sont
pas
des
organisations
comme
les
autres
car
elles
doivent
faire
face
aujourd'hui
à
une
double
identité:
tout
en
menant
leurs
activités
d'intermédiation
financière
pour
générer
du
profit,
elles
doivent
aussi
déclarer
aux
régulateurs
les
risques
et
déviances
de
leur
propre
pratique.
Cette
originalité
des
banques,
qui
ont
un
rôle
d'intermédiaires
pour
le
reste
de
l'économie,
en
fait
des
acteurs
particulièrement
intéressants
à
étudier,
puisqu'ils
peuvent
influencer
ou
déterminer
l'orientation
éthique
d'autres
secteurs
qui
sont
nécessairement
leurs
clients
(Scholtens,
2006).
Mais
cette
perspective
n’est
pas
évidente
ni
admise
par
tous.
En
effet,
il
y
a
deux
manières
de
concevoir
l’éthique
dans
les
banques,
en
fonction
de
leur
caractère
a-‐moral
dans
la
conduite
des
affaires
ou
pas.
D’une
part,
certains
argumentent
qu’il
n’est
pas
dans
l’éthos
ou
la
nature
des
banques,
en
tant
qu’institutions
financières,
de
s’occuper
d’objets
non-‐financiers.
Ainsi,
les
valeurs
morales
ne
rentrent
pas
dans
leurs
préoccupations,
activités,
compétences
ou
spectre.
Elles
traitent
avec
des
transactions,
et
non
pas
avec
le
résultat
ou
la
finalité
de
ces
transactions
(«
l’argent
n’a
pas
d’odeur»).
Selon
cette
perspective,
leur
travail
est
justement
de
ne
pas
regarder
le
comportement
de
leurs
clients,
et
elles
déclinent
toute
responsabilité
en
la
matière,
en
argumentant
qu’autrement
elles
seraient
en
train
d’interférer
avec
les
affaires
du
client
(Jeucken,
2002).
D’autre
part,
une
telle
position
devra
probablement
faire
face
à
une
importante
pression
sous
forme
d’accusations
ou
de
plus
de
régulation
dans
le
but
de
la
contrôler.
Ainsi,
la
position
dominante
au
niveau
international
aujourd’hui
est
la
position
qui
au
contraire
soutient
que
les
banques
sont
impliquées
et
ont
une
responsabilité
du
fait
de
leur
rôle
d’intermédiation.
Sous
la
pression
sociale,
des
pouvoirs
publics
et
même
des
médias,
certaines
banques
sont
même
en
train
d’adopter
des
changements
importants
à
la
fois
dans
leur
vision,
leur
éthos
et
leur
pratique,
se
rapprochant
d’avantage
du
modèle
des
banques
coopératives
ou
mutualistes
par
exemple.
D’autres
initiatives
telles
que
la
micro-‐finance
ont
transformé
ceci
en
un
potentiel
pour
créer
d’autres
types
de
relations
entre
les
banques
et
les
sociétés,
en
tant
130
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
qu’acteur
de
développement
parmi
les
pauvres
qui
n’ont
généralement
pas
accès
au
système
bancaire
traditionnel.
2.3.2.
ORGANISER
LE
CONTROLE,
GERER
L’ARGENT
SALE
2.3.2.1.
Normes
et
Risques:
les
deux
faces
cachées
de
la
mondialisation
de
la
finance
Au-‐delà
de
la
richesse
facile
et
décriée
par
les
médias
à
laquelle
accéderaient
les
métiers
qui
participent
du
marché
financier
mondial
(Stearns
&
Mizruchi,
2005),
il
a
deux
faces
cachées
ou
du
moins,
moins
connues,
de
ce
système.
En
effet,
«
The
discourse
on
déregulation,
free
markets,
or
the
retreat
of
the
state
hence
does
not
give
a
fair
picture
[…].
We
argue
that
the
dynamics
of
transnational
governance
tell
a
different
story.
There
is
a
displacement
but
in
the
direction
of
reregulation
rather
than
deregulation.
We
are
not
moving
towards
less
rules
and
order,
[…
but
from]
the
image
of
a
dominant
nationally
based
rule
of
law
increasingly
having
to
confront
the
progress
of
a
transnational
law
of
rules
»
(Djelic,
2011
:46).
La
mondialisation
de
la
finance
a
été
suivie
de
près
par
la
mondialisation
de
certains
risques
et
par
conséquent
par
la
mondialisation
d’un
système
de
normes
et
d’un
réseau
supranational
de
régulation
et
surveillance.
Ce
phénomène
est
en
fait
une
réorganisation
du
monde,
(Djelic,
2011),
un
passage
la
«
rule
of
law
to
the
law
of
rules
»
qu’il
convient
alors
de
qualifier
non
pas
de
mondiales,
mais
de
transnationales.
Plus
que
relever
d’un
phénomène
de
mondialisation
–
qui
en
quelque
sorte
sous-‐entend
l’effacement
des
frontières
–
on
parle
plutôt
d’un
phénomène
transnational
avec
au
contraire
un
renforcement
des
frontières,
une
surveillance
accrue
des
mouvements
non
seulement
des
personnes
et
des
marchandises
mais
aussi
des
devises.
L’espace
de
la
gouvernance,
y
compris
et
en
particulier
à
travers
la
soft
law,
dépasse
les
frontières
étatiques,
est
portée
par
des
acteurs
privés
et/ou
non-‐
gouvernementaux,
même
s’ils
reposent
toujours
sur
les
cadres
légaux
étatiques.
L’équipe
que
nous
avons
étudiée
dans
ce
travail
était
chargée
spécifiquement
d’un
de
ces
types
de
risques
et
des
régulations
qui
l’accompagnent
:
la
lutte
anti-‐
blanchiment.
De
plus,
la
récente
crise
a
encore
plus
accentué
les
préoccupations
pour
la
gestion
des
risques,
qui
est
devenue
un
des
principaux
domaines
de
spécialisation
en
finance
(Fraser
&
Simkins,
2010),
et
se
cristallise
souvent
par
des
régulations
normatives
supplémentaires,
ou
du
moins
des
réflexions
axées
de
cette
manière
(ex.
Bâle
III...).
La
construction
sociale
de
la
réglementation
est
l’aspect
qui
nous
occupera
ici
de
manière
privilégiée,
dans
la
mesure
où
l’étude
empirique
menée
porte
sur
un
service
131
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
132
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
on
Banking
Services
Law
publié
en
1989
et
qui
a
donné
lieu
à
un
Code
of
Banking
Practice
«to
give
guidance
on
the
existing
legal
requirements
and
to
promote
desirable
banking
practices
»,
ou
encore
le
Financial
Services
Act
de
1986
(Royaume
Uni),
pour
réguler
la
vente
de
produits
dérivés
et
produits
financiers
en
général,
le
Banking
Act
de
1987
qui
impose
la
déclaration
de
soupçon
en
cas
de
fraude
ou
autres
crimes
dans
la
vague
de
normalisation
de
la
fin
des
années
80
et
le
début
des
années
90.
Plus
récemment,
citons
the
Banking
Act
de
2009
au
Royaume
Uni,
qui
prend
en
compte
certaines
leçons
tirées
de
la
crise,
telles
que
la
question
de
la
nationalisation
des
banques,
ou
encore
la
question
de
la
compensation
des
professionnels
de
la
finance.
Bâle
2
en
2004
et
Bâle
3
en
2010-‐2011
sont
les
exemples
plus
connus
en
matière
de
régulation
au
niveau
international.
Parmi
les
tendances
actuelles
qu’on
y
décèle
dans
ces
textes,
ont
peut
signaler:
• La
législation
est
davantage
focalisée
sur
les
obligations
des
banques
et
les
droits
des
clients
• On
attend
de
plus
en
plus
que
les
banques
exercent
une
fonction
d’éducation
et
de
conseil
envers
leurs
clients
• Le
degré
d’accountability
des
banques
est
supérieur
et
on
attend
à
ce
qu’elles
puissent
rendre
des
comptes
précis
en
cas
de
problème
sur
leurs
actions
Face
à
cette
vague
de
normalisation
légale
et
officielle,
il
y
a
par
ailleurs
le
développement
et
le
maintien
de
certaines
«
normes
d’usage
»,
implicites
et
tacites
dans
un
certain
milieu
qui
participent
aussi
de
la
construction
sociale
des
normes,
partagées
par
des
communautés
internationales.
Dans
les
confessions
de
Jérôme
Kerviel
(2010),
il
raconte
que
telle
était
effectivement
la
norme
d’usage
:
il
n’a
rien
fait
que
ne
faisait
pas
d’autres,
et
d’après
lui
ses
supérieurs
hiérarchiques
le
savaient.
Or,
dans
son
cas
ça
a
mal
tourné,
et
donc
effectivement
on
retrouve
la
chute
«
vu,
viré
»
jusqu’à
en
faire
un
exemple
que
Kerviel
dénonce
comme
le
sacrifice
d’un
bouc
émissaire.
Ainsi,
on
voit
le
côté
répressif
de
la
norme
s’accentuer
au
niveau
des
dérives
exemplaires,
alors
qu’elle
semble
plus
tolérante
au
niveau
des
petites
transgressions.
Et
quant
aux
métiers
de
la
Conformité,
on
verra
que
cette
mondialisation
des
risques
et
des
normes
se
traduit
en
quelque
sorte
par
une
sorte
de
conditionnement
:
un
attrait
pour
ce
qui
relève
du
policing,
avec
un
côté
légèrement
justicier
ou
«
Robin
des
bois
».
Pour
résumer,
on
s’oriente
vers
un
système
de
gouvernance
mondiale
(Bayart,
2004)
également
dans
le
domaine
de
la
finance
en
général,
et
de
la
gestion
de
certains
risques
en
particulier,
comme
nous
le
verrons
ci-‐après
avec
le
cas
de
la
lutte
anti-‐
blanchiment.
En
effet,
«
en
s’insérant
dans
les
dispositifs
de
‘risk
management’
des
133
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
établissements
financiers,
la
lutte
anti-‐
blanchiment
est
passée
en
quelques
années
d’un
régime
global
de
prohibition
lié
à
la
lutte
contre
la
drogue
à
un
régime
de
régulation
des
risques
»
(Favarel-‐Garrigues
et
al.
2009
:30).
Il
s’agit
là
d’un
double
phénomène,
combinant
privatisation
et
mondialisation
de
la
régulation
(Büthe
&
Mattli,
2011:5)
:
“This
simultaneous
privitazation
and
internationalisation
of
governance
is
driven,
in
part,
by
governments’
lack
of
requisite
technical
expertise,
financial
resources,
or
flexibility
to
deal
expeditiously
with
even
more
complex
and
urgent
regulatory
tasks.
Firms
and
other
private
actors
also
often
push
for
private
governance,
which
they
see
as
leading
to
more
cost-‐effective
rules
more
efficiently
than
government
regulation.”
Ainsi,
dans
un
tel
context,
“the
role
of
the
banker
is
changing
from
one
of
decision
[increasingly
made
by
computer
models]
to
one
of
counseling.
What
will
keep
the
role
alive
is
the
ability
to
judge
and
advise
within
an
acceptable
ethical
framework.
Computers
are
incapable
of
ethical
judgement;
man
is
not.”
(Lynch,
1991
:
9).
Nous
verrons
la
pertinence
de
ces
propos
datant
de
vingt
ans
au
cours
de
l’analyse
du
cas
de
BUF-‐BI
dans
la
suite
de
ce
travail,
et
en
particulier
comment
d’une
manière
très
concrète
l’approche
par
les
risques
permet
de
réintroduire
l’éthique
dans
un
système
de
gestion
des
risques
régi
par
la
prééminence
des
normes
de
conformité.
2.3.2.2.
Etre
en
conformité:
l’enjeu
du
découplage
Dans
notre
‘société
de
l’audit’
(Power,
1997),
le
rôle
des
administrations
publiques
s’identifie
souvent
à
celle
de
régulateurs.
Quand
nous
parlons
de
conformité,
on
se
focalise
“not
on
regulators
but
[on]
business
firms
and
their
responses
to
and
implementation
of
regulation”
(Parker&
Lehmann
Nielsen,
2011
:2).
Ceci
veut
dire
que
lorsqu’on
considère
d’un
point
de
vue
académique
la
question
de
la
conformité,
ce
qui
nous
intéresse
au
fond
c’est
de
comprendre
effectivement
comment
la
régulation
est
mise
en
pratique
par
des
individus
au
sein
d’organisations
–
en
soi
un
sujet
très
complexe.
Les
chercheurs
ont
depuis
longtemps
porté
leur
attention
sur
l’écart
entre
l’adoption
prescrite
de
régulations
et
lois
formelles
d’une
part
et
leur
véritable
implémentation
dans
la
pratique
quotidienne
d’autre
part.
C’est
ce
qu’on
appelle
le
découplage
(entre
les
règles
et
leur
application).
Assumer
qu’on
peut
obliger
les
entreprises
et
les
organisations
à
se
conformer
aux
normes
est
loin
d’être
évident,
d’où
l’importance
d’aborder
ce
sujet.
Parker
et
Lehmann
Nielsen
(2011)
ont
récemment
fait
une
revue
des
différentes
approches,
notamment
objectiviste
et
interprétativiste,
qui
tentent
d’expliquer
le
phénomène
de
la
conformité.
Alors
que
nous
concordons
que
les
deux
sont
importantes
et
contribuent
à
notre
compréhension
de
la
conformité,
notre
134
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
135
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
interne
de
ces
programmes
de
conformité
se
pose
(Weaver
&
Trevino,
1999;
Trevino
&
Weaver,
2003)
et
par
là
même
occasion
des
problèmes
de
légitimité
interne,
qui
suggèrent
que
“although
organization
members
may
be
unwilling
to
be
ceremonial
props
[Boxenbaum
and
Jonsson,
2008],
their
reaction
may
not
be
to
lessen
the
gap
between
substance
and
symbolism,
but
instead
to
exploit
the
gap”
laissé
par
le
program
découplé
(MacLean
&
Benham,
2010
:1516).
Par
ailleurs,
la
prolifération
du
contrôle
externe
est
de
plus
en
plus
accusée,
en
plus
de
représenter
un
coût
per
se,
même
de
produire
des
effets
contreproductifs.
Certains
considèrent
qu’en
fait
ce
contrôle
externe
augment
les
risques
au
lieu
de
les
contrôler
(Gleeson,
2009),
par
des
mécanismes
de
rationalisation
a
posteriori
et
de
socialisation
(Anand
et
al.
2004),
et
par
l’incitation
de
comportements
déviants
de
contournement
de
la
loi,
ce
qui
dans
un
cercle
vicieux
entrainera
encore
plus
de
régulation
et
ainsi
de
suite
(comme
par
exemple
avec
la
loi
Sarbannes-‐Oxley
Act
de
2002
qui
est
une
réponse
à
ce
qu’on
considérait
de
la
régulation
trop
pauvre).
In
fine,
ceci
aboutit
à
une
véritable
institutionnalisation
des
pratiques
et
comportements
déviants
par
des
processus
de
normalisation
de
cette
même
déviance
(Babeau,
2011).
MacLean
et
Benham,
(2010)
argumentent
enfin
qu’une
structure
de
conformité
strictement
découplée
et
externe
peut
mener
à
la
perte
de
la
légitimité
y
compris
externe.
Or,
avant
Enron
et
d’autres
scandales
qui
ont
peuplé
les
années
1990,
on
encourageait
plutôt
un
double
système,
à
la
fois
internet
et
externe,
découplé
et
couplé,
pour
mener
la
conformité.
Ceci
était
étudié
et
assez
diffusé.
Weaver
et
al.
(1999a,
1999b),
ont
montré
leurs
différences
et
qualités.
De
plus,
des
processus
intégrés
ou
couplés
avec
le
cœur
de
métier
s’alignaient
bien
avec
une
perspective
d’autonomie
et
de
choix
managérial
(Child,
1997;
Weaver
et
al.,
1999a),
lesquelles
vantaient
même
le
rôle
actif
du
management
dans
le
processus
de
“responding
to
external
pressures
and
in
taking
positive
action
on
its
own”
(Weaver
et
al.,
1999a
:
41).
La
question
qui
se
pose
alors
est
quelles
seraient
les
implications
d’un
certain
re-‐couplage
de
la
conformité
dans
notre
ère
post-‐Enron,
et
comment
cette
conformité
pourrait
effectivement
être
performée
sans
entrainer
des
conflits
d’intérêts,
en
évitant
des
erreurs
passées
et
en
améliorant
la
gestion
des
risques.
Ce
qu’on
appelle
couramment
la
«
box-‐ticking
approach
»
apparaît
fondamentalement
comme
une
pratique
développée
par
la
répétition
d’une
tâche
spécifique
qui
est
“followed
without
specific
directions
or
detailed
supervision”
(Stene,
1940
:
1129).
Ainsi,
comme
toute
autre
routine
organisationnelle,
ça
prend
la
forme
d’une
habitude
organisationnelle
qui
est
supposée
garantir
la
conformité
effective
de
comportements
réels
au
sein
d’une
situation
donnée.
Cette
perspective
normative
et
normalisante,
pousse
les
entreprises
à
créer
un
système
de
règles,
normes
et
processus
136
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
(Nelson
&
Winter,
1982)
à
partir
desquelles
leurs
départements
dédiés
à
la
conformité,
en
tant
que
«
organizational
control
systems
»
(Weaver
et
al.
1999a),
sont
en
mesure
de
superviser,
piloter,
coordonner
et
assurer
la
conformité
de
leurs
activités
avec
la
bonne
manière
de
les
conduire.
Or,
le
problème
de
cette
approche
est
qu’elle
est
abstraite
et
désincarnée.
Alors
qu’on
reconnaît
que
l’évaluation
des
politiques
de
conformité
et
de
leur
efficacité
est
importante,
afin
de
déterminer
les
variables
qui
‘produisent’
la
conformité
ou
la
non-‐conformité,
notre
objectif
est
plutôt
d’aborder
la
conformité
et
la
mise
en
conformité
comme
un
processus
socialement
construit,
impliquant
l’interaction
entre
ces
systèmes
de
conformité
et
de
management
(aspects
structurels),
et
les
perceptions,
réactions
et
motivations
des
individus
dans
les
organisations
(aspects
agentiques,
et
éthiques),
l’ensemble
évoluant
au
sein
d’une
‘culture
de
conformité’
particulière
(Vaughan,
1999,
Parker
&
Gilad,
2011).
En
d’autres
mots,
et
suivant
d’autres
chercheurs,
nous
considérons
que
la
conformité
est
énactée
et
non
pas
seulement
exécutée,
et
ceci
implique
de
considérer
comment
elle
est
interprétée,
négociée
et
incarnée
par
les
acteurs
au
quotidien.
Ceci
veut
aussi
dire
problématiser
la
notion
même
de
ce
que
veut
dire
«
être/mettre
en
conformité
»,
et
chercher
à
caractériser
les
processus
qui
se
cachent
derrière
l’écart
entre
conformité/non-‐
conformité
comme
étant
fondamentalement
complexes,
politiques,
créatifs,
collectifs,
conflictuels
et
mouvants.
Ces
deux
premiers
chapitres
nous
ont
permis
d’explorer
les
ressources
théoriques
qui
nous
permettent
d’aborder
d’une
part
l’éthique,
et
d’autre
part
la
conformité
bancaire.
Ces
piliers
étant
posés,
nous
pouvons
à
présent
élaborer
sur
ces
bases
notre
proposition
de
cadre
théorique.
137
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
Figure
13
:
M.C.
Escher
Relativity,
1953.
30
Chronologiquement,
ce
chapitre
est
le
dernier
à
avoir
été
finalisé,
malgré
toutes
ses
imperfections
restantes.
Il
nous
semblait
important
de
préciser
que
même
si
certains
élément
théoriques
étaient
présents
depuis
le
début,
ce
n’est
qu’en
fin
de
parcours
qu’ils
ont
trouvé
leur
cristallisation
ordonnée
que
nous
proposons
ici
au
lecteur.
Ce
chapitre
tient
alors
pour
nous
aussi
une
place
presque
de
conclusion,
de
maillon
essentiel
qui
nous
permet
de
reboucler
sur
une
pensée
de
l’éthique
suite
à
notre
étude
de
terrain
et
à
notre
démarche
inductive.
31
Reproduite
à
la
fin
de
la
nouvelle
édition
de
2010.
138
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
developping
ever
more
esoteric
instruments
made
possible
through
the
new
electronic
technology
to
gain
a
competitive
advantage
»
(2010
:223).
On
peut
ici
établir
un
rapprochement
avec
d’autres
constats
similaires,
remarquent
l’emprise
des
instruments,
une
complexification
des
processus,
une
distanciation
entre
les
sujets
et
leur
action/produit,
et
les
questions
que
cela
pose
(Callon
et
al.
2001
;
Faÿ
et
al.
2010).
Jackall
dresse
un
portrait
bref
mais
poignant
des
moral-‐rules-‐in-‐use
dans
la
finance
mondialisée
et
étasunienne
en
particulier
(2010
:
236-‐237)
:
«
Investment
bankers
bet
other
people’s
money
in
a
high-‐stakes
intramural
competition
for
ever-‐upward-‐spiraling,
short
term
returns,
and
the
crucial
peer
recognition
that
those
returns
confer
in
an
intensly
self-‐enclosed,
self-‐referential
world,
one
that
is
oblivious
to
outside
points
of
view
and
frames
of
reference.
At
the
same
time,
they
hedge
their
bets
to
eliminate
or
temper
risks
to
themselves.
They
pay
themselves
king’s
ransoms
even
when
their
firms
are
tanking
and
their
shareholders
loosing
money.
When
their
world
crashes,
they
demand
that
taxpayers
rescue
their
firms
because
they
are
too
big
to
fail.
They
also
demand
bonuses
because,
they
argue,
their
expertise
is
vital
to
repair
the
ravaged
financial
system.
All
the
while
they
insist
that
the
real
culprit
is
not
their
own
recklessness
but
mark-‐to–market
accounting
rules
that
force
them
to
disclose
publicly
the
worthlessness
of
assets
they
hold
»
A
l’origine
de
tels
comportements
se
trouvent
selon
lui
les
mêmes
mécanismes
qu’il
avait
identifié
dans
Moral
Mazes:
expériences
de
travail
partagées/socialisation,
la
recherche
de
s’attirer
les
faveurs
des
supérieurs,
montrer
qu’on
a
compris
et
qu’on
sait
maintenir
‘l’ordre
des
choses’.
C’est
cette
entente
sur
de
telles
règles
morales
d’usage
qui
maintient
l’ensemble
du
système
en
place,
et
par
la
même
les
individus
qui
arrivent
à
y
survivre
:
«
Only
those
men
and
women
who
allow
peers
and
superiors
to
feel
morally
comfortable
in
the
ambiguous
muddles
in
the
world
of
affairs
have
a
chance
to
survive
and
flourish
in
big
organizations
»
(2010
:237).
De
telles
conditions
font
que,
selon
Jackall,
l’irresponsabilité
ou
la
déviance
ne
sont
pas
‘gérées’
-‐
comme
l’ensemble
des
codes
éthiques,
normes
déontologiques,
procès
aux
Prud’Hommes,
chartes
de
Développement
Durable
veulent
nous
faire
croire
–
mais
sont
au
contraire
délibérément
organisées
et
maintenues
en
place
par
une
série
de
mécanismes
sociaux
autant
subtiles
qu’efficaces.
En
effet,
«
bureaucratic
hierarchies
generally
encourage
superior’s
usurpation
of
credit
for
the
work
of
subordinates.
At
the
same
time,
few
bureaucracies
have
formal
tracking
systems
to
allot
blame
for
mistakes
»
(2010
:
238).
Ainsi,
ceux
qui
sont
mobiles
vers
le
haut
auront
probablement
la
chance
de
s’en
sortir
en
faisant
reposer
leurs
fautes
sur
d’autres.
D’où
l’éthos
d’une
irresponsabilité
organisée.
Au
lieu
de
regarder
plus
loin,
les
gens
«
look
around
»,
regardent
autour
d’eux
pour
voir
‘comment
ça
se
passe’,
‘comment
ça
marche’,
et
finissent
par
réifier
les
sacrosaintes
lois
du
marché,
du
PnL,
du
plus
fort
et
de
la
bottom
line,
et
à
les
considérer
comme
‘l’ordre
naturel
des
choses’.
Ils
intègrent
alors
les
règles
morales
d’usage
dans
un
tel
monde,
qui
équivalent
à
chercher
le
succès
139
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
et
éviter
l’échec
personnel,
selon
l’aphorisme
de
«
screw
up
and
move
up
»
(2010
:
240),
en
profitant
autant
des
chances
offertes
par
la
situation
(cf.
Deslandes,
2011b).
Ceci
rejoint
le
sens
profond
que
donne
H.
Arendt
à
son
expression
de
banalité
du
mal
(1963).
Loin
de
crier
au
scandale
et
renforcer
la
panique
à
grands
coups
de
médiatisation
et
de
régulation
supplémentaire
comme
c’est
souvent
le
cas,
notamment
avec
les
éthiques
normatives,
il
y
a
une
autre
manière
de
considérer
l’éthique
dans
les
affaires.
Or,
souvent
le
contrepieds
de
cette
médiatisation
est
un
affichage
envahissant
des
‘éthiques’,
bonnes
pratiques,
‘chartes
de
conduite’
qui
banalisent
dans
l’autre
sens.
L’effet
est
alors
doublement
pervers
:
on
ne
prends
au
sérieux
ni
les
intentions
propositives
en
faveur
d’un
bien,
ni
les
transgressions
quotidiennes
qui
ne
sont
pas
considérées
comme
des
«
‘big
deals’
éthiques
»
(Dumez,
2006b
:31).
Ce
qui
est
poignant
dans
son
analyse
politique
du
système
totalitaire
nazi
est
justement
l’attention
portée
à
l’ordinaire,
plutôt
qu’au
monstrueux,
à
ce
qui
est
à
la
limite
de
l’invisible
tellement
c’est
quotidien,
plutôt
qu’à
ce
qui
est
montré
et
démonisé
:
«
‘la
morale
s’est
effondrée
pour
devenir
un
simple
ensemble
de
mœurs
–
d’us
et
coutumes,
de
conventions
modifiables
à
volonté
–
non
pas
avec
des
criminels,
mais
avec
les
gens
ordinaires
qui,
tant
que
des
normes
morales
étaient
admises
socialement,
n’ont
jamais
rêvé
de
douter
ce
qu’on
leur
avait
appris
à
croire’
(Responsabilité
et
jugement
:84).
Certes
le
contexte
qu’elle
étudie
est
extrême,
mais
la
situation
ne
l’est
pas
»
(Dumez,
2006b
:24).
Ainsi,
pour
Arendt,
comme
pour
Sartre
ou
Badiou
dont
nous
approfondirons
la
pensée
ci-‐après,
le
mal
n’a
pas
d’existence
en
soi,
que
l’on
pourrait
ainsi
identifier
et
choisir
comme
une
des
alternatives
possibles.
Ceux
qui
font
le
mal
ne
le
font
pas
volontairement
au
sens
fort
du
terme,
ne
l’ont
souvent
pas
choisi
car
on
est
dans
le
règne
de
l’impersonnel,
du
cliché,
et
de
cette
absence
à
soi-‐même
qui
est
presque
décevante
là
où
on
s’attendant
à
une
incarnation
du
maléfique
:
«
La
triste
vérité
est
que
le
mal
est,
la
plupart
du
temps,
le
fait
de
gens
qui
n’ont
jamais
pu
se
décider
à
être
bons
ou
méchants,
à
accomplir
ou
non
le
mal
»
(Arendt,
1981
:236).
On
entre
progressivement
dans
le
mal
qui
ne
pose
de
ce
fait
pas
de
crise
de
confiance
immédiate,
car
on
s’habitue
à
la
‘température’,
au
fur
et
à
mesure
des
petites
déviations
quotidiennes
et
même
organisées
(Babeau
&
Chanlat,
2008),
sous
la
pression
de
l’urgence
qui
rythme
nos
vies
et
nos
activités.
Ceci
ne
veut
pas
dire
qu’il
faille
dissoudre
la
personne
dans
le
système
qui
le
contrôle
et
dont
il
peut
être
le
reflet,
au
contraire.
Il
faut
chercher
les
conditions
qui
mènent
à
la
banalité
ordinaire
du
bien
et
du
mal,
à
l’organisation
d’une
irresponsabilité
et
d’une
déresponsabilisation,
c’est-‐à-‐dire
à
cette
perte
de
soi
comme
sujet
capable
de
faire
cette
suspension
de
présence
à
soi-‐même,
de
présence
engagée
à
sa
situation.
140
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
141
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
ainsi
une
série
d’ingérences
politiques,
économiques
et
morales
(e.g.
guerres
au
nom
de
la
liberté
pour
imposer
la
démocratie
capitaliste,
seul
régime
politique
acceptable
et
accepté
par
l’ordre
mondial,
car
même
la
démocratie
socialiste
n’est
pas
tolérée
–
les
pays
d’Amérique
Latine
en
sont
des
tristes
exemples).
Sa
proposition
éthique
commence
par
une
opposition
virulente
au
primat
de
la
morale
sur
la
politique
et
de
ses
manifestations
actuelles
qui
conduisent
selon
lui
au
nihilisme
:
une
prétendue
‘nature
humaine’
et
les
‘droits’
qui
lui
seraient
associés,
une
idéologie
humanitaire,
un
moralisme
ambiant,
et
la
victimisation
de
l’homme
qui
en
résulte.
Dans
un
monde
Kantien
(une
certaine
interprétation
de
Kant
bien
entendu,
‘la
doctrine
moyenne’
des
théoriciens
du
droit
naturel),
nous
sommes
dans
une
éthique
du
jugement
non
pas
critique
(au
sens
noble
développé
par
Kant)
mais
classificatoire,
qui
nous
permet
de
commenter
et
donner
des
opinions
et
des
jugements
sur
l’ensemble
de
ce
qui
se
passe,
avec
des
commissions
nationales
d’éthique
dédiées.
L’éthique
est
devenue
largement
synonyme
des
droits
de
l’homme
et
en
général
du
vivant,
conçus
comme
naturels
et
universels,
ainsi
que
des
manières
de
les
faire
respecter
en
tant
qu’impératifs,
et
«
que
sinon,
on
est
fondés
à
les
y
contraindre
(droit
d’ingérence
humanitaire,
droit
d’ingérence
du
droit)
»
(1993
:23).
Cette
‘éthique’
est
donc
fondée
tout
d’abord
comme
capacité
a
priori
à
identifier
le
Mal
«
(consensus
sur
ce
qui
est
barbare)
et
comme
principe
ultime
du
jugement
politique
:
est
bien
ce
qui
intervient
visiblement
‘contre’
le
Mal.
[…Ainsi,]
le
Mal
est
ce
à
partir
de
quoi
se
dispose
le
Bien,
et
non
l’inverse
»
(1993
:24).
Ce
dernier
point
est
fondamental,
car
il
suppose
une
éthique
fondée
en
négatif,
qui
par
la
même
occasion
subordonne
l’existence
même
du
sujet
à
l’identification
universelle
du
Mal
:
pour
Badiou,
cette
‘éthique’
définit
le
sujet
a
priori
comme
victime
potentielle,
alors
que
ce
qui
nous
fait
sujet
est
justement
«
ce
qui
ne
coïncide
pas
avec
l’identité
de
victime,
[…]
à
être
autre
chose
qu’un
être-‐pour-‐la-‐mort
»
(1993
:27).
Les
dérives
d’une
telle
‘éthique’
sont
terrifiantes
et
d’une
grande
violence
:
vouloir
faire
le
‘bien’
de
l’autre,
y
compris
malgré
lui,
l’y
contraindre,
le
conformer.
En
tant
que
telle,
ceci
est
une
négation
de
la
subjectivité,
et
donc
de
l’éthique.
Arendt
en
avait
analysé
le
mécanisme,
en
identifiant
plusieurs
manières
pour
mettre
et
maintenir
en
place
un
mal
ainsi
réifié.
Tout
d’abord,
la
classification
et
la
mise
en
place
de
catégories
qui
segmentent
ce
qui
auparavant
était
unifié
(on
retrouve
ici
l’étymologie
du
diabolique,
ce
qui
divise)
:
la
classification
nazie
était
ce
qui
a
permit
non
pas
seulement
de
diviser
et
contrôler
le
peuple
juif,
mais
aussi
d’inciter
les
exceptions,
et
les
traitement
de
faveur,
qui
confirmaient
la
règle
classificatoire.
Ensuite,
et
en
rapport
avec
cet
élément
de
classification,
un
nouveau
vocabulaire
mis
en
place
pour
nommer
différemment
les
choses,
les
rendant
ainsi
142
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
‘acceptables’
car
les
actes
n’étaient
plus
jugés
de
la
même
manière.
«
Ce
qui
était
moralement
interdit
hier
devient
autorisé
ou
toléré
sous
une
nouvelle
appellation
»
(Dumez,
2006b
:27),
devenue
par
la
même
occasion
la
nouvelle
habitude,
le
nouveau
cliché
qui
brouille
les
limites
morales.
On
propose
ainsi
de
prendre
de
la
distance
avec
les
théories
de
l’éthique
qui
sont
normatives
et
déontologiques,
pour
revenir
à
la
centralité
du
sujet,
et
non
de
la
norme
(ou
du
contenu
du
bien
et
du
mal)
ni
même
de
confondre
sujet
(de
l’ordre
de
l’ontologie)
et
identité
(dimension
sociale,
rôles).
En
effet,
comme
nous
le
verrons,
il
y
a
parfois
dans
la
banalité
du
mal
ordinaire
un
moment
de
suspension
Socratique
et
d’époché
Husserlienne
(Faÿ
&
Riot,
2007)
qui
empêche
de
continuer
dans
l’inertie
de
cet
ordinaire
qui
apparemment
ne
scandalise
pas
tout
le
monde.
Cette
suspension
est
le
moment
de
l’éthique,
c’est-‐à-‐dire
de
retour
à
une
pensée
de
soi
avec
soi-‐même,
où
la
question
que
l’on
se
pose
n’est
pas
de
savoir
si
telle
action
est
bonne
ou
mauvaise
(jugement
de
valeur
normatif),
ou
si
on
doit
le
faire
(impératif
déontologique
a
priori
et
automatique,
qu’il
suffirait
d’appliquer),
mais
si
on
peut
le
faire
–
entendu
non
pas
uniquement
sous
l’angle
de
la
possibilité,
mais
du
faisable
en
conscience.
C’est
cette
suspension
qui
est
la
condition
de
résistance
à
l’organisation
de
l’irresponsabilité,
car
elle
nous
invite
à
ne
pas
ou
ne
plus
accepter
son
caractère
ordinaire
et
normalisant
:
«
Moralement
parlant,
les
seules
personnes
fiables
dans
les
moments
cruciaux
sont
celles
qui
disent
‘je
ne
peux
pas’.
(…)
Ils
ont
donc
choisi
de
mourir
quand
on
les
a
forcé
à
y
participer.
Pour
le
dire
crûment,
ils
ont
refusé
le
meurtre,
non
pas
tant
parce
qu’ils
tenaient
fermement
au
commandement
‘tu
ne
tueras
point’
mais
que
parce
qu’ils
ne
voulaient
pas
vivre
avec
un
meurtrier
–
à
savoir
eux-‐mêmes.
»
(Arendt,
Responsabilité
et
Jugement,
107,
74-‐75,
in
Dumez,
2006b
:28).
Cette
posture
représentera
un
effort
supplémentaire
de
conceptualisation,
pour
surmonter
les
difficultés
de
transposition
du
niveau
individuel
au
niveau
collectif,
qui
peut
malheureusement
être
maladroit,
afin
d’arriver,
comme
nous
le
souhaitons
à
une
véritable
intégration
des
différents
niveaux
d’analyse.
Pour
construire
une
approche
différente,
nous
devons
nous
appuyer
sur
les
approches
critiques
de
cette
conception
de
l’éthique
des
affaires.
Par
‘approches
critiques’
nous
nous
référons
à
un
corpus
vaste
et
hétérogène,
pluriel,
issu
de
plusieurs
influences,
parfois
divergentes
mais
souvent
aussi
complémentaires.
Leur
point
commun
est
de
récuser
une
approche
qui
soit
naïve
d’une
part
et
réifiante
d’autre
part.
Le
tableau
ci-‐dessous
en
propose
une
récapitulation
–
avec
les
limites
de
toute
typologie,
sachant
qu’elle
n’est
pas
exhaustive,
que
les
frontières
entre
les
colonnes
peuvent
être
perméables,
et
peuvent
parfois
avoir
recours
à
des
auteurs
ou
concepts
ou
objectifs
que
nous
avons
rangés
dans
une
colonne
comme
étant
143
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
fondamentaux
dans
cette
dite
colonne
selon
notre
interprétation,
et
que
les
différents
auteurs
dans
chacune
des
colonnes
ne
sont
pas
forcément
concordants
entre
eux.
Figure 14: Tableau sur les apports des perspectives critiques à l'éthique des affaires
• Gadamer
• Giddens,
Garfinkel,
Goffman
• Badiou
• Beck
• Husserl,
Merleau-‐Ponty,
Henry
• Sartre
• Polanyi
• Lévinas,
Ricoeur
• Bourdieu
• Power
• Mary
Douglas
• Chomsky
• Weber
• Arendt
Scherer
&
Palazzo,
2007,
2008,
de
Graaf,
2013
;
Nielsen,
Chanlat,
2011a,
2011b
;
2011
;
Palazzo
&
Scherer,
2006
;
2004,
;
Chanlat,
2009
;
Dejours,
1993,
2011
;
Aubert
Djelic
&
Sahlin-‐Andersson,
Painter
Morland,
2008,
Exemples
144
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
Il
nous
revient
d’en
faire
l’intégration
de
la
manière
la
plus
cohérente
possible.
Nous
avons
déjà
eu
l’occasion
d’approfondir
certains
de
ces
apports
(en
particulier
certains
de
la
perspective
politique
dans
le
chapitre
2)
et
nous
développerons
les
autres
dans
la
suite
de
ce
travail
sous
la
forme
de
propositions
pour
véritablement
proposer
une
étude
de
l’éthique
en
situation.
3.1.2.
ETUDIER
L’ETHIQUE
EN
SITUATION
:
L’HERMENEUTIQUE,
LA
PRATIQUE,
LA
SITUATION
3.1.2.1.
Verbaliser
et
faire
sens
:
l’herméneutique
au
cœur
de
l’éthique
quotidienne
Pour
certains,
et
qui
semblent
constituer
une
majorité
dans
le
champ
académique
et
appliqué
de
l’éthique
des
affaires,
la
moralité
devrait
être
en
quelque
sorte
‘objective’,
imposée,
universelle,
non
changeante
et
non
discutable,
afin
de
pouvoir
servir
de
base
cohérente
pour
une
action
mondiale
ordonnée,
et
on
s’attend
que
les
«
moral
imperatives
have
to
be
articulated
independently
from
the
pressures
and
expectations
that
inform
people’s
experiences
and
perceptions
in
particular
situations,
relationships
and
contexts.
»
Ceci
est
rassurant
car
«
we
prefer
not
to
have
the
messiness
of
the
real
world
interfere
with
our
sense
of
‘right’
and
‘wrong’
»
(Painter
Morland,
2008
:
4).
Or,
le
processus
de
‘mise-‐en-‐sens’
–
des
textes,
discours,
faits
et
expériences
–
place
la
capacité
herméneutique
au
cœur
de
l’éthique
comme
action
quotidienne,
la
plonge
dans
cette
‘messiness’,
en
dépit
de
l’apparente
structuration
règlementaire
et
institutionnelle.
Nous
empruntons
cette
expression
de
‘mise-‐en-‐sens’
à
Corvellec
et
Risberg,
(2007),
qui
l’ont
développé
à
partir
de
l’expression
‘mise-‐en-‐scène’
pour
signifier
à
la
fois
la
question
de
la
signification
et
de
la
direction
à
donner,
avec
les
implications
pour
l’organizing
et
pour
l’éthique
que
nous
développerons
ci-‐après.
Et
c’est
justement
ce
qui
permet
d’agir
au
sein
de
la
pluralité
du
quotidien,
ce
qui,
nous
le
pensons,
donne
aussi
la
capacité
poiétique
à
l’éthique.
Il
y
a
une
dimension
collective
de
la
mise-‐en-‐sens,
qui
se
fait
pour
un
projet,
et
non
pas
pour
un
individu,
et
une
dimension
prospective.
Mais
ceci
n’implique
pas
de
donner
du
sens
à
un
auditoire
passif,
mais
de
prendre
aussi
en
considération
la
manière
dont
celui-‐ci
va
le
recevoir
activement.
Etudier
le
travail
de
l’éthique
en
situation
impose
donc
avant
tout
d’affirmer
cette
dimension
herméneutique
essentielle.
Même
concernant
la
norme
et
le
texte
de
loi,
on
s’attendrait
à
ce
que
ceux-‐ci
soient
fixés
et
constituent
des
repères
stables
et
stabilisés
en
quelque
sorte
une
fois
145
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
pour
toutes.
Or,
la
réalité
quotidienne
de
n’importe
quel
métier
ne
peut
se
résumer
aux
formules
et
recettes
enseignées
en
école
et
vendues
par
des
consultants.
De
manière
exacerbée,
le
travail
du
déontologue
quel
que
soit
son
secteur
est
tout
sauf
une
application
les
yeux
fermés
de
la
loi.
Les
praticiens
viennent
exiger
du
déontologue
un
avis
sur
ce
qu’ils
doivent
faire.
Donc
même
les
lois,
sensées
être
des
repères
stables,
doivent
être
interprétés,
vécus,
énactés.
En
quelque
sorte,
on
attend
du
déontologue
qu’il
fasse
ce
travail
de
décryptage
d’une
part,
de
traduction
et
d’orientation
d’autre
part.
Autrement
dit,
qu’il
fasse
‘parler’
les
lois,
car
celles-‐ci
sont
souvent
opaques
ou
littéralement
muettes
face
à
la
situation.
Il
doit
donc
faire
un
travail
de
midrash,
terme
que
nous
empruntons
au
judaïsme
rabbinique,
et
à
notre
avis
le
plus
proche
pour
désigner
ce
que
fait
quotidiennement
le
déontologue
(voir
encadré
ci
après).
Plus
généralement,
prendre
en
considération
le
parler,
les
discours
(de
Graaf,
2013,
où
il
s’appui
sur
une
analyse
de
banquiers
d’ailleurs)
et
même
les
vocabulaires
(Lowenstein
et
al.
2012)
semble
essentiel
pour
aborder
la
manière
dont
la
régulation
est
interprétée,
négociée
et
énactée,
c’est-‐à-‐dire
mise
en
pratique
au
quotidien.
Récemment,
cette
attention
aux
vocabulaires
et
aux
syntaxes
et
champs
lexicaux
a
été
reprise
dans
les
théories
néo-‐institutionnelles,
donnant
ainsi
plus
de
profondeur
à
la
dimension
individuelle
des
processus
organisationnels
(Green
&
Li,
2011;
Loewenstein
et
al.,
2012).
Meyer
et
Rowan
(1977)
avaient
déjà
noté
que
les
vocabulaires
sous-‐
tendaient
les
catégories
institutionnelles,
et
Brunsson
(2002)
l’importance
du
langage
et
des
discours
dans
l’organisation
de
l’hypocrisie.
Les
vocabulaires,
ces
“systems
of
labeled
categories
used
by
members
of
a
social
collective
to
make
sense
of
and
construct
organizing
practices
[...]
are
not
merely
rhetorical
devices
[...but]
guide
attention,
decision
making,
and
mobilization,
and
provide
members
of
social
groups
with
a
sense
of
their
collective
identity”
(Thornton
et
al.,
2012
:159).
En
effet,
plus
que
simplement
faire
référence
à
des
significations,
les
vocabulaires
et
la
manière
dont
sont
construits
et
négociés
les
discours
sont
constitutifs
de
ces
significations
dans
l’organisation
(Lowenstein
et
al.
2012).
Dans
leur
définition,
on
se
rapproche
d’une
certaine
manière
de
l’éthique
communicationnelle
centrée
sur
la
discussion
(Habermas,
1986),
où
c’est
alors
le
principe
de
discussion
qui
se
substitue
au
l’impératif
catégorique
kantien.
Il
y
a
un
rapport
dialogique
à
la
morale,
qui
se
développe
presque
instant
par
instant,
qui
nous
semble
une
idée
pertinente,
même
si
nous
prenons
des
distances
avec
l’héritage
kantien
de
son
propos
et
certains
de
ses
développements,
en
particulier
sa
notion
de
consensus
et
une
primauté
du
rationnel
discursif
cherchant
une
objectivité
‘idéale’
à
travers
l’intersubjectivité
et
l’argumentation
démocratique.
146
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
Figure 15: Le Midrash, ou faire parler le texte 'vivant'
Dans
la
tradition
juive
rabbinique,
La
Torah
(la
Bible
hébraïque)
n’est
pas
considérée
comme
aussi
importante
qu’un
autre
recueil
de
textes
:
le
Talmud,
ce
qui
peut
sembler
surprenant,
et
presque
profanatoire
pour
quelqu’un
d’une
autre
tradition
religieuse
:
comment
est
ce
que
la
Parole
de
Dieu
(la
Torah),
peut-‐elle
occuper
une
place
presque
secondaire
face
à
son
exégèse
(le
Talmud)
?
En
effet,
ce
recueil
de
commentaires
de
la
Torah
constitue
son
midrash,
c’est-‐à-‐dire
que
son
interprétation
active,
y
compris
sa
contestation,
sa
disputation.
Cette
tradition
judaïque
de
méthode
d’exégèse
herméneutique
est
très
vivante,
et
il
est
intéressant
de
voir
comment
sans
cesse
dans
les
écoles
yeshivas
les
élèves
se
confrontent
dans
leurs
interprétations
du
texte
biblique,
ils
sont
encouragés
à
cultiver
l’art
de
la
disputation,
comme
moyen
privilégié
d’étude.
Les
commandements,
loin
d’être
des
diktats
totalitaires,
appellent
la
liberté
humaine
au
sens
fort:
‘tu
ne
tueras
pas’
veut
dire
que
même
alors
que
j’ai
toutes
les
possibilités
et
même
les
justifications
de
tuer,
j’ai
le
choix
de
ne
pas
le
faire.
Même
si
la
loi
est
écrite,
elle
ne
prend
son
sens
que
dans
l’interprétation
et
l’énactement
que
les
êtres
humains
en
font,
et
en
appelle
à
leur
responsabilité.
La
racine
en
hébreux
est
le
verbe
darash,
dont
le
sens
est
plus
fort
que
simplement
‘interpréter’
:
il
est
en
effet
plus
justement
traduit
par
‘exiger’.
On
exige
du
texte
un
vrai
dialogue,
qu’il
me
parle
de
manière
particulière,
que
je
puisse
remonter
à
sa
source
infinie
en
tant
qu’il
est
parole,
et
non
pas
simplement
texte
ou
loi.
La
loi
énonce,
mais
l’homme
cherche
à
comprendre.
La
loi
ne
s’impose
pas
à
l’homme,
celui
ci
doit
la
recevoir
et
exiger
d’elle
un
sens
en
l’interprétant.
C’est
pourquoi
on
se
réfère
au
Rabbin
y
compris
pour
des
questions
«
banales
»
de
la
vie
quotidienne,
et
qu’il
peut
trouver
une
réponse
pertinente
pour
le
problème
d’ici
et
maintenant
en
puisant
dans
un
texte
vieux
de
plusieurs
milliers
d’années
et
dans
le
recueil
des
interprétations
talmudiques.
La
tradition
rabbinique
liturgique
explique
d’ailleurs
que
ceci
est
la
raison
pour
laquelle,
symboliquement,
la
Torah
écrite
ne
contient
pas
les
voyelles
:
pour
rappeler
à
l’homme
qu’il
lui
revient
la
responsabilité
de
‘compléter’
le
texte,
illisible
en
tant
que
tel,
et
pouvant
être
donc
lu
de
différentes
manières.
Le
fait
qu’il
n’y
ait
que
des
consonnes,
signifie
le
retrait
de
Dieu,
son
silence,
pour
laisser
la
place
à
la
communauté
qui
introduira
les
voyelles.
C’est
d’ailleurs
ce
qui
signe
le
passage
à
l’âge
adulte
des
jeunes
garçons
dans
leur
Bar-‐Mitzvah
:
la
‘lecture’
publique
de
la
Torah
(avec
les
voyelles
qu’il
a
mémorisé
pour
les
introduire
in
vivo),
suivi
de
leur
commentaire,
devant
l’ensemble
de
la
communauté.
C’est
cette
interprétation
–
au
sens
herméneutique
mais
aussi
presque
musical
du
terme
comme
s’il
s’agissait
d’une
partition
–
qui
fait
de
lui
un
homme
adulte
et
responsable.
Donc
au
sens
strict,
il
n’y
a
jamais
de
‘lecture’
du
texte
:
on
est
toujours
déjà
dans
l’interprétation
communautaire,
moyen
privilégié
de
relation
avec
Dieu.
Cette
potentielle
ouverture
à
une
multiplicité
d’interprétations
possibles
n’implique
pas
pour
autant
le
relativisme,
mais
au
contraire
le
relationnisme
:
un
dialogue
avec
le
texte
qui
seulement
ainsi
demeure
une
parole
‘vivante’,
qui
«
dégage
le
sens
éthique
comme
l’ultime
intelligibilité
de
l’humain
et
même
du
cosmique
»
(Avant
Propos,
in
Lévinas,
1977
:
10)
147
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
En
suivant
Faÿ,
cet
agir
communicationnel
nous
semble
d’une
part
très
difficile
à
réaliser,
et
d’autre
part
«
ne
situe
pourtant
pas
le
substrat
anthropologique
dans
lequel
peut
naître
l’appel
à
l’éthique,
à
savoir,
comme
je
l’ai
soutenu,
l’ouverture
à
la
vie
qui
parle
dans
la
chair
dans
le
silence
des
raisonnements
»
(2004
:179).
Malgré
son
ouverture
à
l’autre
par
la
communication,
sa
posture
et
l’éthique
qui
en
découle
nous
semble
insuffisante
pour
fonder
l’idée
d’une
éthique
qui
soit
ni
totalitaire
ni
relative.
Etant
fondée
sur
le
consensus,
nous
risquons
de
revenir
dans
le
domaine
de
l’opinion
où
l’éthique
équivaut
à
l’opinion
générale
(Badiou,
1993),
encore
une
fois
l’imposition
d’une
‘justice’
qui
demeure
un
jugement,
en
ignorant
la
dimension
profondément
politique
de
la
différence,
de
la
contestation,
et
plus
largement
de
la
vie
:
«
Le
droit
lui-‐même
est
d’abord
un
droit
‘contre’
le
Mal.
Si
l’
‘Etat
de
droit’
est
requis,
c’est
que
lui
seul
autorise
un
espace
d’identification
du
Mal
(c’est
la
‘liberté
d’opinion’,
qui
dans
la
vision
éthique,
est
d’abord
liberté
de
désigner
le
Mal)
et
donne
les
moyens
d’arbitrer
quand
la
chose
n’est
pas
claire
(appareil
de
précautions
judiciaires).
Les
préssupposés
de
ce
noyau
de
convictions
sont
clairs
:
1)
on
suppose
un
sujet
humain
général
tel
que
ce
qui
lui
arrive
de
mal
soit
identifiable
universellement
(bien
que
cette
universalité
soit
souvent
appelée,
d’un
nom
tout
à
fait
paradoxal,
‘opinion
publique’)
[car
il
est]
plus
aisé
de
constituer
un
consensus
sur
ce
qui
est
mal
que
sur
ce
qui
est
bien
»
(Badiou,
1993
:23-‐25).
Ainsi,
nous
cherchons
à
nous
séparer
de
la
communication
(transmission
d’information
et
d’opinions)
en
tant
que
socle
de
l’éthique
démocratique
dans
la
lignée
de
Habermas,
pour
revenir
à
prendre
en
considération
une
dimension
plus
profonde
dans
l’herméneutique
telle
que
nous
l’entendons
ici
:
«
l’opinion
est
en
deçà
du
vrai
et
du
faux,
parce
que
son
seul
office
est
d’être
communicable.
Ce
qui
relève
d’un
processus
de
vérité,
en
revanche,
ne
se
communique
pas
(…)
Pour
tout
ce
qui
concerne
les
vérités,
il
est
requis
qu’il
y
en
ait
rencontre
»
(Badiou,
1993
:73).
Nous
sommes
plus
proches
de
considérer
les
individus
comme
des
être
de
parole,
des
êtres
parlants
(Faÿ,
2005),
et
pouvant
se
rencontrer,
interpréter
et
négocier
les
significations
qu’ils
donnent
aux
situations
entre
eux
au
sein
d’une
délibération
qui
place
la
vie
au
cœur
du
processus
(Faÿ,
2004).
En
effet,
ce
n’est
pas
le
fait
d’être
en
vie
qui
permet
la
parole,
mais
la
parole
qui
est
«
au
commencement
de
tout
(…).
C’est
le
miracle
auquel
nous
devons
d’être
hommes
»
(V.
Havel,
1989
:28-‐29,
cité
in
Faÿ,
2004
:
178).
Ceci
n’est
bien
entendu
pas
sans
poser
incompréhensions
et
même
parfois
souffrance,
qui
est
souvent
quotidienne
et
toujours
réelle
(Faÿ,
2008),
mais
reste
à
notre
avis
une
condition
sinon
suffisante,
du
moins
nécessaire,
à
l’éthique
de
par
son
ouverture
anthropologique
(Chanlat,
2011a).
L’herméneutique
ainsi
comprise
est
donc
au
cœur
de
l’éthique
au
quotidien
:
elle
convoque
(au
sens
étymologique
de
cum-‐vuocare,
d’amener
avec
la
voix)
et
exige
148
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
une
interprétation
verbalisée,
plaçant
ainsi
la
communication
et
le
dialogue
au
centre
de
son
modus
operandi.
Ceci
fait
écho
à
l’idée
que
:
“situations,
organizations,
and
environments
are
talked
into
existence”
(Weick
et
al.,
2005
:
409).
Un
rapport
herméneutique
à
la
morale
est
à
retenir
à
notre
avis
comme
un
pilier
pour
notre
compréhension
de
l’éthique
comme
pratique
située,
en
particulier
dans
la
déontologie,
où
les
constructions
d’histoires
morales,
de
symboles,
de
significations
(de
Graaf,
2013)
sont
omniprésentes.
Ces
histoires,
au
sein
desquelles
les
individus
se
pensent,
sont
un
lieu
particulièrement
dense
pour
explorer
la
dimension
symbolique,
car
elles
tissent
les
faits
avec
une
perspective
morale,
au
delà
de
leur
simple
instrumentalisation
(Bauman,
1993,
2009).
Autrement,
on
réduit
la
communication
à
une
simple
transmission
d’informations,
à
un
mécanisme
d’échange
selon
un
modèle
technique
et
d’ingénièrie,
en
oubliant
la
dimension
parlante,
signifiante,
symbolique
et
affective
(Faÿ,
2004
;
Chanlat,
2011a).
Or,
«
l’éthique
d’une
vérité
est
tout
sauf
une
‘éthique
de
la
communication’.
Elle
est
une
éthique
du
réel,
s’il
est
vrai,
comme
le
suggère
Lacan,
que
tout
accès
au
réel
est
de
l’ordre
de
la
rencontre.
Et
la
consistance,
qui
est
le
contenu
de
la
maxime
éthique
‘Continuer
!’
ne
va
qu’à
tenir
le
fil
de
ce
réel
»
(Badiou,
1993
:74).
On
sera
alors
particulièrement
attentifs
à
la
parole
subjective,
comme
le
lieu
non
seulement
d’expression,
mais
de
construction
de
l’éthique
comme
pratique
dans
l’ouverture,
la
relation
à
soi
dans
et
par
celle
à
l’autre
que
soi
(Ricoeur,
1990)
dans
le
réel.
On
peut
ainsi
arriver
à
dépasser
les
mécanismes
de
dérision
si
fréquents
(Faÿ,
2008)
qui
en
niant
l’écoute
et
la
dimension
subjective
(en
traitant
les
personnes
comme
les
objets
tout
en
essayant
de
leur
faire
croire
le
contraire
jusqu’à
ce
qu’ils
s’en
aperçoivent)
nous
réduisent
au
silence,
autrement
dit
à
une
sorte
de
‘mort’.
3.1.3.2.
D’une
éthique
en
pratique
à
une
éthique
comme
pratique
:
Le
tournant
pratique
en
sciences
de
gestion
et
en
éthique
des
affaires
Il
semble
qu’il
est
un
vrai
défi
à
penser
l’action.
L’action
se
trouve
souvent
surmontée
d’un
qualificatif
(action
politique,
action
collective)
«
sans
que
l’on
sache
exactement
si
la
compréhension
du
phénomène
[de
l’action]
s’en
éclaire
ou
s’en
obscurcit
»
(Dumez,
2006a:10).
Et
justement,
de
nombreuses
approches
tentent
de
faire
de
l’éthique
un
de
ces
qualificatifs
de
l’action,
comme
si
à
la
base,
celle-‐ci
pouvait
être
‘éthiquement’
c’est-‐à-‐dire
moralement,
neutre
:
«
Ethics
is
portrayed
as
a
set
of
principles
that
must
be
applied
to
business
decisions.
In
this
conception,
ethics
functions
as
a
final
hurdle
in
a
deliberate
decision-‐making
process.
The
questions
that
inform
this
process
are
usually
something
along
the
line
of
‘may
we
do
this
?’
or
even
more
cynically
:
‘can
we
get
away
with
this
?’
When
approached
in
this
way,
ethics
becomes
someting
that
149
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
people
consider
after
they
have
interpreted
events
and
determined
what
they
want
to
do.
When
ethics
functions
as
an
integral
part
of
business
practice,
however,
it
informs
individuals’
perceptions
of
events
from
the
start
and
plays
an
important
role
in
shaping
their
responses
»
(Painter-‐Morland,
2008
:2)32.
En
suivant
un
mouvement
plus
général
dans
les
sciences
sociales,
les
sciences
de
gestion
connaissent
un
«
tournant
pratique
»
qui
prend
de
plus
en
plus
d’importance
(cf.
Schatzki
et
al.
2001
et
Nicolini,
2012
pour
un
aperçu
général).
Le
principal
intérêt
de
ces
approches
est
de
permettre
de
voir
les
choses
sous
un
angle
résolument
dynamique
:
«
to
describe
important
features
of
the
world
we
inhabit
as
something
that
is
routinely
made
and
re-‐made
in
practice
using
tools,
discourse
and
our
bodies
»
(Nicolini,
2012
:2),
en
se
focalisant
d’une
part
sur
ce
que
les
gens
(les
praticiens)
font
(les
pratiques)
et
sur
les
phénomènes
organisationnels
repensés
non
plus
comme
choses,
mais
‘comme
pratique’
(la
praxis)
(e.g.
stratégie
comme
pratique,
ou
dans
notre
cas
l’éthique
comme
pratique).
Avec
la
notion
de
praticien,
on
peut
mettre
en
conjonction
la
phronesis
(sagesse
pratique)
et
la
metis
(la
ruse).
Savoir,
savoir-‐faire
et
savoir
être
se
confondent
dans
la
mise
en
œuvre
d’une
pratique
par
un
professionnel
(Martinet
&
Pesqueux,
2013).
La
pratique
(praxis)
est
alors
le
processus
par
lequel
une
technique
est
appliquée,
et
devient
non
pas
jugement
de
valeur
(qui
nécessite
un
qualificatif
‘best
practice’
par
exemple),
mais
jugement
d’existence
à
partir
duquel
on
peut
considérer
plusieurs
niveaux,
ce
qui
sera,
comme
nous
le
verrons,
le
propre
de
la
situation
et
de
considérer
une
éthique
comme
pratique
spécifiquement
située.
L’approche
pratique
permet
de
cerner
certains
aspects
délaissés
par
d’autres
approches
trop
focalisées
sur
des
entités
antagonistes
(pensée
dualiste
et
essentialiste
qui
oppose
les
individus
et
la
société,
les
phénomènes
micro
et
macro)
pour
revenir
à
la
dynamique,
au
processus,
à
l’activité,
aux
relations,
y
compris
pour
étudier
les
éléments
qui
nous
semblent
les
plus
stables
et
réifiés
(structures,
codes
etc.).
Etudier
les
pratiques
implique
étudier
la
relation
entre
nos
actions,
significations,
discours,
gestes
etc.,
qui
font
sens
à
l’intérieur
d’une
communauté
de
pratique.
En
effet,
une
approche
pratique
fait
plus
que
décrire
ce
que
font
les
gens
:
elle
appréhende
la
manière
dont
les
pratiques
donnent
sens,
informent
l’identité,
l’ordre
social,
les
normes
en
cours.
Méthodologiquement,
«
practice
theories
conceive
social
investigation
as
the
patient,
evidence-‐based,
bottom-‐up
effort
of
understanding
practices
and
untangling
their
relationships.
They
question
how
such
practices
are
performed,
and
how
connected
32
Le
constat
de
Jackall
(2010)
et
qui
avait
choqué
les
lecteurs,
était
ce
constat
noir
de
l’évidence
machiavellique
(Deslandes,
2011b)
qui
est
difficule
de
refuter,
tellement
il
semble
que
:
«
‘that’s
the
reality
of
our
society
(…)So
we
just
accept
the
world
as
it
is
and
live
with
it’
(Jackall
p.186)
»
(cité
in
Deslandes,
2011b
:63).
150
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
practices
make
a
difference
;
they
ask
why
it
is
that
the
world
that
results
from
the
comming
together
of
several
practices
is
the
way
it
is,
and
how
and
why
it
is
not
different
»
(Nicolini,
2012
:
8),
ce
qui
correspond
bien
à
notre
démarche.
Nicolini
rappelle
d’ailleurs
qu’il
n’y
a
pas
une
practice
theory,
mais
une
série
d’héritages
(issus
de
penseurs
tels
que
Aristote,
Bourdieu,
Giddens,
Wittgenstein,
Foucault…)
qui
ont
chacun
contribué
à
penser
les
phénomènes
sous
l’angle
de
la
pratique,
et
que
le
tournant
pratique
en
sciences
de
gestion
mobilisera
différemment
pour
l’étude
des
organisations33.
On
peut
identifier
trois
points
communs
à
ce
tournant
pratique
malgré
les
spécificités
de
chaque
auteur
:
la
dimension
du
champ
(Bourdieu,
1979,
1994)
ou
des
systèmes
(Giddens,
1984)
qui
définit
les
pratiques
dans
leur
dimension
macro.
Deuxièmement,
ce
qui
est
fait
concrètement
‘en
pratique’.
Enfin,
le
point
de
jonction
entre
les
pratiques
et
comment
les
choses
se
font
en
pratique
restent
les
acteurs
individuels
et
leur
agence.
On
en
vient
alors
à
l’idée
que
c’est
la
re-‐création
de
pratiques
qui
génère
les
faits
sociaux
(tels
que
les
institutions),
et
non
pas
l’inverse
(DiMaggio,
1988),
et
ces
pratiques
sont
toujours
“in
flux”
(Becker,
2005
:
776).
Ces
pratiques
sont
le
lien
entre
les
actions
humaines
et
les
cultures/structures
d’une
société
donnée
(Bourdieu,
1994),
et
permettent
cette
flexibilité
aux
acteurs
de
trouver
des
moyens
pour
aligner
les
intérêts
divergents
de
la
vie
sociale,
et
qu’on
appelle
le
‘travail
institutionnel’
(Lawrence
&
Suddaby,
2006;
Shadnam
&
Lawrence,
2011).
Ce
tournant
pratique
nous
fait
basculer
vers
une
approche
ontologique-‐
épistémologique
différente
(Sandberg
&
Tsoukas,
2011)
qui
fait
de
la
‘logique
de
la
pratique’
d’inspiration
bourdieusienne
son
objectif.
Sans
s’opposer
à
la
rationalité
scientifique
(car
celle-‐ci
n’ignore
pas
la
dimension
pratique),
la
rationalité
pratique
puise
dans
l’ontologie
existentielle
d’Heidegger
pour
mieux
cerner
la
‘logique
de
la
pratique’
car
‘‘practical
rationality,
by
making
particular
onto-‐epistemological
as-‐
sumptions
concerning
the
relationship
between
theory
and
practice,
makes
theory
a
derivative
of
practice
and,
thus,
more
reflective
of
the
“richness”
of
practice
(Weick,
2007:
14)”
(Sandberg
&
Tsoukas,
2011).
La
notion
d’être-‐au-‐monde,
de
dasein,
elles-‐mêmes
puisant
dans
la
tradition
phénoménologique,
ramènent
notre
présence
au
monde
au
cœur
de
la
manière
dont
nous
allons
l’appréhender
non
pas
dans
un
rapport
de
distanciation
objectivante,
mais
à
partir
de
cette
présence
même
et
son
rapport
mêlé
au
monde
et
ses
agencements
temporels
et
socio-‐matériels
(Schatzki
et
al.
2001
;
Nicolini,
2012),
comme
nous
avons
vu
également
en
sociologie
de
la
finance
dans
le
chapitre
33
Par
exemple,
en
sciences
de
gestion,
c’est
dans
le
domaine
de
la
stratégie
qu’est
devenu
non
seulement
essentiel
mais
aussi
explicite
ce
tournant
pratique,
avec
la
mise
en
place
d’un
courant
à
part
entière,
le
“strategy-‐as-‐practice”.
151
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
précédent.
Ainsi,
cette
logique
sera
d’autant
mieux
saisie
que
les
agencements
socio-‐
matériels
et
les
pratiques
sont
intériorisées
(Bourdieu,
1994),
voire
incorporées
dans
une
«
situated
living
praxis
»
(Faÿ
et
al.
2010
:21)
comme
nous
y
reviendrons.
Tout
comme
pour
les
sciences
de
gestion
en
général,
l’éthique
des
affaires
en
tant
que
sous
discipline
connait
aussi
son
propre
‘tournant
pratique’
(cf.
Andrews
&
Donald,
1989;
Van
de
Ven
&
Johnson,
2006;
Clegg
et
al.,
2007;
Nielsen,
2010a
;
Deslandes
2011a).
Ce
que
l’on
commence
a
identifier
comme
le
courant
«
ethics-‐as-‐
practice
»
et
pourrait
se
définir
comme
«
a
field
in
which
the
objective
is
to
establish
an
ethics
opposed
to
any
normativity,
to
any
idealistic
abstraction,
to
the
universality
of
moral
concepts
upon
which
it
would
be
predicated
[...]
directly
geared
to
managerial
practices»
(Deslandes,
2011a
:
48).
Il
s’agit
d’un
basculement
particulier
des
théories
sur
l’éthique
jusque-‐là
étudiée
‘en
pratique’
(approche
normative
pour
évaluer
cette
mise
ou
non
en
pratique)
mais
non
pas
‘comme
pratique’.
Nous
pensons
qu’il
s’agit
là
d’un
point
d’ancrage
pertinent
afin
de
s’émanciper
de
l’extériorité
dans
laquelle
l’éthique
est
non
seulement
maintenue,
mais
en
plus
divisée
au
sein
des
organisations.
Nous
remarquons
que
cette
approche
est
de
plus
en
plus
suivie,
y
compris
dans
un
certain
nombre
de
travaux
récents
fait
par
des
chercheurs
qui
jusque
là
avaient
produit
des
avancées
normatives,
évaluatives
de
la
performance,
et
dans
une
vision
d’extériorité.
A
titre
d’exemple
récent,
Gehman
et
ses
collègues
(2013)
affirment
comme
question
de
recherche
qu’il
est
indispensable
de
comprendre
comment
les
valeurs
sont
pratiquées
dans
les
organisations,
et
d’étudier
ce
qu’ils
appellent
le
‘values
work’,
car
ils
remarquent
que
la
litérature
montre
que
la
plupart
des
études
–
y
compris
certaines
des
leurs
passées
-‐
s’arrêtent
avant
d’examiner
la
pratique
des
valeurs
d’une
manière
dynamique
car
elles
objectivent
d’avance
les
valeurs
comme
données.
Ils
demandent
alors
:
«
How
do
practices
emerge
and
how
are
they
performed
over
time
?
[…]
by
values
practice,
we
mean
the
sayings
and
doings
in
organizations
that
articulate
and
accomplish
what
is
normatively
right
or
wrong,
good
or
bad,
for
its
own
sake
»
(2013:
84).
Ils
intègrent
aussi
bien
l’approche
pratique
(de
Dewey
et
Schatzki)
et
la
théorie
de
l’acteur-‐
réseau
afin
de
«
move
from
cognitive
understandings
of
value
as
abstract
principles
and
cultural
understandings
of
values
as
symbolic
artefacts
to
a
performative
understanding
of
values
as
situated
in
networds
of
practices
»
(2013:
84).
Leur
but
est
de
comprendre
comment
les
valeurs
sont
actualisées
par
quelles
pratiques.
Dans
ces
travaux
sur
l’éthique
comme
pratique
-‐
signalée
comme
une
des
avenues
à
creuser
en
éthique
des
affaires
(Werhane
&
Freeman,
1999)
-‐
il
n’est
pas
rare
de
voir
que
l’on
fait
référence
aux
idées
du
philosophe
Wittgenstein
comme
le
remarque
Deslandes
(2011a),
puisque
la
dimension
pratique
se
trouve
au
cœur
de
sa
philosophie,
152
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
même
si
l’usage
qui
en
est
fait
n’est
pas
toujours
approfondi.
En
effet,
cette
référence
est
problématique
car
si
on
suit
le
philosophe,
l’éthique
est
en
dehors
du
langage,
et
donc
du
monde.
Mais
si
on
ne
peut
pas
en
parler,
elle
se
manifeste
bel
et
bien
dans
l’action.
D’où
la
radicalité
de
penser
cette
inséparabilité
de
l’éthique
et
de
la
pratique,
c’est-‐à-‐
dire
des
usages
(en
particulier
vis-‐à-‐vis
des
règles)
et
d’un
rapport
à
soi
:
«
To
Wittgenstein,
what
is
at
stake
is
the
adoption
of
a
form
of
life,
which
offers
stability
and
regularity
to
our
habitual
facts,
as
well
as
an
attempt
to
livein
accordance
with
one’s
principles.
(...)
(for
the
Stoicists)
the
most
important
question
was
not
‘who
are
you
?’
but
‘what
do
you
do
with
your
life
?’
(Gros,
2007
:104).
In
this
type
of
stoicism,
ethics
was
enacted
at
the
lowest,
but
most
important
level
:
the
one
of
daily
practices,
thanks
to
which
each
and
every
day
was
an
opportunity
to
ponder
over
the
daily
rules
of
action
that
were
dependent
upon
individual
behavior
and
self
control
(the
Greek
egkrateia
according
to
Foucault)»
(Deslandes,
2011a
:50-‐51).
153
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
juste
?
Retraçons
d’abord
les
différents
usages
existants
du
terme
de
situation
(trois
en
philosophie
morale
et
deux
en
gestion)
avant
de
pouvoir
en
proposer
une
opérationnalisation
différente
par
rapport
à
l’éthique.
Tout
d’abord
les
trois
principales
définitions
en
philosophie
morale.
Premièrement,
lorsque
l’on
met
côte
à
côte
les
mots
éthique
et
situation,
le
premier
réflexe
et
souvent
erroné
est
de
penser
directement
au
relativisme
moral,
posture
qui
pourrait
se
résumer
à
la
maxime
que
tout
se
vaut,
ou
que
réciproquement
aucune
règle
morale
n’est
mieux
qu’une
autre
car
aucune
n’a
de
valeur
universelle,
ce
qui
conduit
in
fine
à
des
perspectives
soit
de
chaos
anarchique
soit
de
domination
par
certaines,
si
l’on
considère
la
dimension
planétaire
globalisée
où
toutes
les
cultures
doivent
cohabiter.
Pour
les
opposants
de
cette
perspective,
ainsi
que
pour
tous
ceux
qui
prônent
un
certain
universalisme
des
valeurs,
parler
d’une
éthique
de
situation
relève
de
l’oxymore.
Sans
plus
nous
y
attarder,
il
n’est
clair
que
notre
propos
ne
s’inscrit
pas
du
tout
ni
dans
cette
lignée
de
relativisme
moral,
ni
dans
son
opposé
l’universalisme
des
valeurs,
ni
même
dans
un
‘juste
milieu’
à
la
fois
creux,
stérile,
et
sans
conceptualisation
rigoureuse.
Deuxièmement,
l’autre
référence
qui
vient
assez
rapidement
au
vue
de
l’association
de
termes
est
celle
de
l’éthique
situationnelle,
appelée
aussi
situationisme.
Dévelopée
par
le
prêtre
épiscopal
Joseph
Fletcher
(1966)
dans
les
années
soixante,
cette
perspective
ouvre
certes
la
possibilité
de
donner
une
certaine
importance
aux
situations
que
l’on
vit
(le
moment,
le
contexte)
et
prône
donc
une
‘éthique
de
situation’,
mais
qui
n’est
finalement
qu’un
contexte
d’action.
Fletcher
par
ailleurs
affirme
la
prééminence
d’une
valeur
universelle,
la
seule
qui
soit
intrinsèquement
valable,
l’Amour
dans
son
interprétation
chrétienne
(Agapè,
l’amour
inconditionnel,
charitable,
qui
se
confond
avec
Dieux
lui
même
–Dieu
est
Amour
–
et
qui
comporte
aussi
la
dimension
sacrificielle
christique).
Quelle
que
soit
la
situation,
peut
importe
alors
la
‘morale’
que
l’on
suit
du
moment
que
c’est
fait
dans
un
but
d’Amour
et
d’augmentation
et
propagation
de
cet
Amour.
Fletcher
entend
alors
proposer
une
alternative
à
l’opposition
entre
approches
légalistes
et
trop
normatives
de
l’éthique
d’une
part
et
l’anomie,
le
chaos
et
le
relativisme
d’autre
part.
Fletcher
appartient
alors
pour
nous
à
la
catégorie
conséquentialiste
en
éthique
des
affaires,
où
la
fin
(l’amour)
peut
en
effet
justifier
les
moyens.
Ce
ne
sont
pas
alors
les
moyens
(ni
les
situations
d’ailleurs)
qui
sont
bons
ou
mauvais
per
se,
mais
seront
ordonnés
en
fonction
de
buts
spécifiques,
qui
sont,
eux,
identifiés
comme
bons
ou
mauvais
a
priori.
Plus
récemment,
nous
retrouvons
que
cet
héritage
revient
en
force
parmi
les
chercheurs
des
universités
catholiques
que
nous
avons
pu
côtoyer
au
cours
des
conférences
sur
l’éthique
des
affaires
où
nous
avons
présenté
notre
travail.
Par
exemple,
Melé
(2009)
affirme
qu’une
éthique
des
affaires
154
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
155
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
camps
de
concentration
par
exemple,
c’est
que
tout
sens
de
morale
disparaît
:
«
C’était
une
existence
selon
Hobbes,
une
guerre
continuelle
de
tous
contre
tous
»
(Lévi,
1989
:32).
Une
réduction
à
l’état
de
nature
non
plus
dans
une
utopie
philosophique,
mais
comme
réalité
bel
et
bien
charnelle,
d’un
égoïsme
absolu
et
où
l’instinct
de
survie
est
maître.
Mais
eux-‐mêmes
rapportent
aussi
les
histoires
d’entraide,
et
comment
un
substrat
de
dignité,
de
vie
de
l’esprit,
non
seulement
ne
disparaît
jamais
totalement,
mais
parfois
même
connaît
sa
plus
grande
heure
de
gloire.
De
leur
côté,
les
bourreaux
ne
sont
pas
non
plus
des
êtres
dépourvus
de
morale,
car
souvent
convaincus
d’agir
pour
le
bien
de
leur
pays
ou
d’un
idéal
qui
justifie
certains
«
sacrifices
».
Les
contextes
extrêmes
sont
donc
l’occasion
de
profondes
interrogations
à
la
fois
sur
la
morale
et
sur
la
nature
humaine,
ainsi
que
sur
leurs
rapports
subtils
(Todorov,
1991;
Todorov
et
al.
1999),
tellement
subtils
qu’on
arrive
souvent
à
ne
pas
les
voir
tellement
ils
sont
habituellement
‘ordinaires’.
Or,
alors
que
d’une
part
il
semble
plus
‘facile’,
parce
que
plus
évident,
de
considérer
la
morale
et
les
comportements
humains
en
situation
extrême
–
et
en
ce
sens
le
contexte
de
crise
financière
comme
arrière
fond
de
cette
étude
prend
toute
son
importance
–
d’autre
part
nous
voulons
aussi
leur
donner
une
profondeur
au
sein
même
de
la
quotidiennité.
Au
niveau
le
plus
simple,
la
situation
de
quelque
chose
est
sa
localisation
dans
un
espace-‐temps
et
son
interaction
mutuellement
déterminante
avec
lui
(e.g.
situation
géographique),
qui
peut
donc
créer
un
‘climat’
d’interaction
particulier
(e.g.
situation
politique
ou
dramatique).
Mais
là
encore
on
cherche
à
lui
donner
des
adjectifs
qualificatifs
(extrême,
dramatique
etc.).
Cherchons
donc
à
présent
à
conceptualiser
autrement
la
notion
de
situation
en
cherchant
les
deux
sens
qui
lui
sont
donnés
en
gestion.
En
gestion,
nous
pouvons
identifier
principalement
deux
courants
qui
ont
évolué
de
manière
indépendante
(ils
ne
se
citent
pas
les
uns
les
autres
car
ont
des
objectifs
différents)
à
propos
des
situations.
Le
premier
dérive
de
la
grounded
theory
originellement
proposée
par
Glaser
et
Strauss
dans
les
années
soixante,
et
dans
une
perspective
méthodologique.
Nous
aborderons
alors
plus
en
détail
cette
«
analyse
situationnelle
»
dans
le
chapitre
suivant
et
dans
notre
analyse
de
terrain.
Le
deuxième,
en
France,
(Girin,
1990,
2011
;
Journé,
2007
;
Journé
&
Raulet-‐
Croset,
2008,
2012,
Dumez,
2008b,
Steyer,
2013)
met
en
évidence
une
absence
de
‘concept’
de
situation,
qui
serait
d’une
grande
utilité
en
particulier
dans
l’étude
de
l’activité
managériale
en
contextes
d’ambigüité
et
d’incertitude
:
le
mot
est
utilisé
sans
156
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
une
réelle
interrogation
de
sa
signification
profonde,
ni
sans
conceptualisation,
que
ces
auteurs
ont
tenté
de
combler.
J
Girin
y
inclut
des
participants,
une
extension
spatiale,
et
une
extension
temporelle
(2011).
Il
part
de
ses
précédents
travaux
sur
le
langage
par
exemple
autour
de
l’indéxicalité,
pour
articuler
les
relations
des
choses
dans
le
temps
et
l’espace
à
un
sujet
qui
en
fait
sens.
Plus
radicalement,
pour
lui,
la
situation
«
s’est
incarnée
dans
le
langage
»
(2011
:30).
Il
reconnaît
aussi
l’héritage
des
sociologues
de
l’interaction
et
cite
Goffman
(1983
in
Girin,
2011
:30):
"L’interaction
sociale
peut
être
définie,
de
façon
étroite,
comme
ce
qui
apparaît
uniquement
dans
des
situations
sociales,
c’est-‐à-‐dire
des
environnements
dans
lesquels
deux
individus,
ou
plus,
sont
physiquement
en
présence
de
la
réponse
de
l’un
et
de
l’autre”,
ainsi
que
dans
l’héritage
de
Mauss
pour
dire
que
la
situation
relève
du
‘fait
social
total’:
“c’est-‐à-‐dire
que
l’on
peut
en
rendre
compte
à
partir
d’une
multitude
de
points
de
vue
qui
ne
l’épuisent
jamais.
Elle
est
confuse.”
(Girin
2011:
31).
Les
situations
sont
alors
analysées
par
les
contextes,
qui
sont
l’équivalent
des
‘cadres’
chez
Goffman
(qui
l’emprunte
à
son
tour
à
Bateson,
dont
il
a
déjà
été
question
dans
ce
travail),
à
savoir
des
modes
de
lecture
partagés
au
sein
de
la
situation
(une
méta-‐communication)
pour
interpréter
ce
qui
advient
dans
la
situation.
Il
propose
ensuite
une
application
aux
organisations,
avec
leurs
espaces
physiques
(1),
leurs
temporalités
(horaires,
rythmes)
(2),
et
leurs
participants
(3)
qui
partageront
certains
modes
de
compréhensions
et
de
‘contextes’
–
certains
diraient
‘culture’
–
tous
trois
porteurs
de
contraintes/ressources
pour
l’indéxicalité.
Girin
(1990)
proposait
en
parallèle
de
ces
recherches
sur
le
langage
une
conceptualisation
et
des
perspectives
méthodologiques
des
‘situations
de
gestion’:
“Une
situation
de
gestion
se
présente
lorsque
des
participants
sont
réunis
et
doivent
accomplir,
dans
un
temps
déterminé,
une
action
collective
conduisant
à
un
résultat
soumis
à
un
jugement
externe”
(1990:
141).
Ce
concept
lui
permettra
ainsi
d’étudier
les
processus
d’action
collective
dans
les
organisations:
articulés
autour
d’un
but,
soumis
à
un
jugement
d’autrui
et
faits
par
des
participants
(directs,
soumis
au
jugement,
ou
indirects
tells
que
des
allies,
complices
ou
perturbateurs
non
soumis
au
jugement).
Les
raisons
de
participer
à
cette
action
collective
peuvent
varier
(une
obligation,
un
moyen
pour
atteindre
un
autre
but)
et
ils
agissent
au
sein
d’une
série
de
contraintes
(matérielles,
légales,
logistiques,
de
savoir-‐faire…).
La
situation
de
gestion
au
sens
de
Girin
n’implique
pas
forcément
de
proximité
physique
(inclus
le
travail
à
distance
de
groups
éclatés
et
l’usage
de
télécommunications
par
exemple)
mais
simplement
une
série
de
relations
entre
les
participants
en
vue
du
but
impératif
ou
du
résultat
à
produire,
et
sur
la
base
duquel
ils
seront
jugés.
Enfin,
les
situations
de
gestion
peuvent
être
emboîtées,
simultanées
et
parfois
contradictoires,
ce
qui
implique
une
certaine
157
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
négociation,
degrés
de
participations
différents,
de
jeux
etc.
L’organisation
est
alors
ce
qui
est
mis
en
place
pour
répondre
à
une
situation
de
gestion
donnée,
mais
à
son
tour
l’organisation
peut
produire
certaines
situations
de
gestion
particulières.
Les
situations
peuvent
alors
être
incohérentes
entre
elles,
et
poser
un
réel
défi
à
l’action
dans
la
mesure
où
elles
peuvent
créer
confusion,
complexité
et
contradictions.
La
notion
de
situation
de
gestion
est
une
notion
“intérmédiaire”
(Girin)
dans
la
mesure
où
elle
permet
de
combiner
plusieurs
niveaux
(du
macro-‐sociétal
au
micro-‐
individuel)
et
de
voir
leurs
interactions,
indépendamment
de
la
division
des
disciplines.
Il
définit
la
‘situation
de
gestion’
comme
issue
de
l’organisation,
et
mettant
les
individus
devant
elle.
Elle
est
alors
ce
qui
permet
le
lien
entre
l’activité
et
l’organizing
d’une
part,
et
sa
mise-‐en-‐sens
et
sensemaking
d’autre
part
au
sein
des
incertitudes
et
des
découvertes
progressives
que
font
les
acteurs
au
niveau
individuel,
ainsi
que
pour
produire
une
action
collective.
Suivant
l’héritage
des
travaux
de
J.
Girin,
Journé
et
Raulet-‐Croset
en
font
une
grille
d’observation
méthodologique-‐analytique
pour
relever
à
la
fois
les
faits
et
le
vécu
ou
les
interprétations
des
acteurs
sur
le
terrain.
Sa
singularité
est
ce
qui,
en
gestion,
en
fait
l’objet
selon
les
auteurs
d’une
volonté
de
contrôle,
d’organisation
et
de
standardisation
par
des
processus
:
«
La
situation
a
tendance
à
échapper
au
contrôle
de
l’organisation.
L’organisation
cherche
à
contrôler
et
les
situations
tendent
tout
le
temps
de
lui
échapper
»
(2008
:36).
En
sociologie,
Ogien
(1999)
avait
exprimé
cette
tension
décelée
dans
la
situation
et
l’expérience
chez
Dewey
et
Goffman
comme
une
dialectique
entre
l’émergence
de
la
situation
(Dewey)
et
une
organisation
collective
de
l’expérience
dans
une
structure
de
contraintes
(Goffman).
Nous
retrouvons
ici
des
échos
à
la
notion
de
‘cognition
située’
(en
particulier,
Weick,
et
al,
2005).
Pour
lui,
le
manager-‐narrateur
doit
mettre
en
sens
une
histoire.
Steyer
(2013)
en
proposera
une
analyse
et
un
développement
dans
un
autre
contexte
particulièrement
sensible
et
qui
pose
des
problèmes
de
sensemaking
de
manière
accentuée
:
la
préparation
au
risque
de
pandémie
grippale.
Elle
proposera
une
spécification
du
concept
avec
celui
de
‘situation
d’alerte’,
où
la
crise
n’est
pas
encore
arrivée,
mais
le
risque
–
construit
entre
réel
et
imaginaire
–
est
bien
présent
et
influence
les
activités
et
le
sensemaking
des
acteurs
individuels
et
organisationnels
en
prenant
en
compte
l’influence
des
réseaux
d’action
et
de
connaissance
qui
les
unissent.
La
‘situation
de
gestion’
selon
Journé
et
Raulet-‐Croset
permet
aussi
de
faire
une
distinction
capitale
entre
ce
qui
relève
de
l’environnement
et
ce
qui
relève
de
la
situation.
En
effet,
et
suivant
Dewey,
la
situation
est
le
point
de
rencontre
entre
l’expérience
vécue
et
certains
éléments
significatifs
de
l’environnement,
c’est
l’interaction
entre
l’interne
et
l’externe,
158
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
qui
peut
être
alors
habituel
ou
problématique,
mais
en
tout
cas
toujours
une
ouverture
aux
possibles
dans
l’expérience.
En
reconnaissant
les
apports
de
la
perspective
sociologique
et
gestionnaire,
nous
souhaitons
en
faire
des
prolongements
à
partir
de
l’incursion
première
en
philosophie
morale
et
politique:
en
effet
pour
nous,
limiter
la
notion
de
situation
à
une
contribution
aux
théories
du
sensemaking
dans
la
lignée
pragmatique
selon
une
lecture
de
Dewey
(Journé,
2007)
en
particulier
est
une
approche
trop
timide.
Certes
nous
concordons,
y
compris
au
cœur
de
notre
démarche
de
recherche,
avec
l’idée
tirée
de
Dewey
(1993)
que
la
construction
de
connaissance
se
fait
au
sein
d’un
processus
d’enquête
(inquiry)
devant
l’indéterminé
:
«L’enquête
est
la
transformation
contrôlée
ou
dirigée
d’une
situation
indéterminée
en
une
situation
qui
est
si
déterminée
en
ses
distinctions
et
relations
constitutives
qu’elle
convertit
les
éléments
de
la
situation
originelle
en
un
tout
unifié.
»
(1993:
169).
Le
point
de
départ
est
bien
celui
des
choses
qu’on
pourrait
qualifier
de
«
perturbées,
ambigües,
confuses,
pleines
de
tendances
contradictoires,
obscures,
etc.
»
(1993:
170)
provoquant
le
doute
(Journé,
2007)
et
qui
se
rapporte
à
ce
que
nous
avons
exploré
plus
en
profondeur
dans
la
section
sur
la
contradiction
et
le
paradoxe.
L’enquête
intervient
alors
comme
la
façon
d’éclairer
le
doute
et
permettre
une
action.
Ainsi
la
situation
n’est
jamais
isolée,
mais
lié
à
un
“tout
contextuel”,
qui
est
ce
que
Dewey
nomme
situation
(1993:127-‐
128)
et
ce
qui
la
rend
à
la
fois
singulière
et
donc
nécessairement
‘expériencée’
et
‘sentie’
comme
un
tout.
Or,
Cette
approche
ne
tire
pas,
selon
nous,
les
conséquences
anthropologiques
de
l’être
qui
fait
cette
expérience,
qui
sent
et
qui
éprouve
cette
situation.
Le
sujet
lui-‐même
reste
assez
désincarné,
et
nous
proposerons
à
présent
une
conception
de
la
situation
qui
engage
le
sujet
dans
son
ensemble.
3.2.
UN
RETOUR
A
LA
PRATIQUE
VIA
L’ETRE
:
RENOUER
AVEC
LA
DIMENSION
ONTOLOGIQUE
DE
L'ETHIQUE34
3.2.1.
L'ETHIQUE
N'EST
PAS
QUE
UNE
QUESTION
DE
BIEN
ET
DE
MAL
3.2.1.1.
Retour
sur
les
définitions
et
usages
«
Toute
définition
de
mot
renvoie
à
des
usages,
communs
ou
inédits.
Dans
les
matières
morales,
l’examen
des
usages
communs
comporte
cependant
une
nécessité
supplémentaire.
Il
est
clair
qu’on
pourrait
très
bien
s’épargner
une
enquête
sur
le
sens
34
Une
partie
de
ce
qui
est
développé
ici
est
paru
dans
:
Pérezts,
M.,
2012.
“Ethics
as
practice
embedded
in
Identity:
Perspectives
on
renewing
with
a
foundational
link”,
in
PRASTACOS
G.P.,
WANG
F.
&
SODERQUIST
K.
E.(eds),
Leadership
through
the
classics
:
learning
Management
and
leadership
from
Ancient
East
and
West
Philosophy,
Springer.
159
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
de
ces
termes,
éthique
et
morale,
si
le
sujet
lui-‐même
n’exigeait
qu’on
s’appuie
sur
les
manières
dont
les
hommes
parlent
de
ce
qu’ils
font.
Plus
particulièrement,
ce
qui
nous
retient
de
congédier
toute
différence
significative
entre
éthique
et
morale,
ce
sont
les
usages
contemporains.
On
ne
parle
guère
plus
de
morale,
mais
constamment
d’éthique
»
Jaffro,
1995
:
221.
Comme
il
est
apparu,
les
usages
des
mots
‘éthique’
et
‘morale’
dont
nous
nous
sommes
limités
à
signaler
quelques
uns
pourraient
faire
l’objet
d’une
étude
à
part
entière.
Cherchons
à
présent
une
entrée
théorique,
et
essayons
de
plonger
dans
leurs
fondements
conceptuels.
De
nombreuses
questions
évoquent
le
domaine
de
l’éthique
des
affaires,
et
font
référence
à
différents
aspects
et
approches.
L’éthique
sert-‐elle
à
rendre
la
vie
heureuse
et
juste,
à
préserver
pour
les
générations
futures,
à
se
prémunir
contre
les
critiques
de
l’opinion
publique,
à
modeler
les
comportements,
à
les
contrôler
par
des
policies,
à
«
protéger
»
la
réputation
et
les
actions
de
l’organisation,
à
guider
l’action
collective
en
pratique
vers
un
supposé
bien
?
Aujourd’hui
le
grand
dictionnaire
Larousse
de
la
Philosophie
donne
trois
définitions
générales
du
terme
d’éthique
et
qui
nous
aideront
à
poser
quelques
éléments
de
base
:
«
1)
Partie
de
la
philosophie
qui
étudie
les
fins
pratiques
de
l’homme,
c'est-‐à-‐dire
les
conditions
individuelles
et
collectives
de
la
vie
bonne
;
2)
Doctrine
spécifique
déterminant
le
contenu
de
cette
bonté
ainsi
que
le
contenu
normatif
des
règles
permettant
sa
réalisation
;
3)
Conscience
des
règles
et
des
valeurs
qui
guident
la
pratique
d’un
groupe
déterminé
(éthique
des
affaires,
du
droit,
du
journalisme,
etc.)
»
(Gerbier,
in
Blay,
dir.,
2003:
387).
De
la
première
définition,
nous
souhaitons
souligner
la
dernière
partie
de
la
phrase
:
«
les
conditions
individuelles
et
collectives
de
la
vie
bonne
».
Cette
insistance
sur
les
conditions
de
la
vie
bonne
et
non
une
définition
de
ce
qu’est
la
vie
bonne
en
soi,
nous
paraît
fondamentale,
car
elle
s’écarte
de
la
réduction
à
un
contenu
spécifique
que
nous
évoquions
plus
haut.
Au
delà
des
contenus
(dont
nous
pouvons
étudier
l’évolution
dans
une
perspective
historique
par
exemple),
l’éthique
concerne
les
conditions
de
possibilité
individuelles
et
collectives
pour
qu’advienne
une
telle
vie.
Prises
dans
leur
ensemble,
ces
trois
définitions
semblent
contenir
une
confusion,
puisqu’elles
impliquent
que
l’éthique
est
à
la
fois
ces
conditions
et
les
contenus
spécifiques,
implicitement
le
cadre
normatif
et
les
sous-‐disciplines
qui
en
découlent,
y
compris
dans
certaines
branches
de
l’activité
humaine
comme
l’éthique
des
affaires
ou
l’éthique
médicale.
Or,
tandis
que
la
première
définition
reste
au
niveau
générique
et
descriptive
où
l'éthique
est
l'étude
neutre
d'un
aspect
de
la
vie
humaine,
comme
peuvent
l'être
la
physique
ou
la
politique,
la
seconde
et
la
troisième
définition
160
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
s'inscrivent
non
pas
dans
la
neutralité
mais
dans
un
positionnement
de
type
normatif
assumé
par
une
personne
ou
un
groupe
particulier.
Le
terme
de
«
morale
»
ayant
acquis
une
connotation
péjorative,
on
joue
volontiers
sur
l’ambivalence
du
terme
d’éthique
afin
de
continuer
à
parler
à
la
fois
des
contenus
et
des
processus.
On
remarque
que
cet
usage
confus
revient
partout,
(y
compris
chez
de
nombreux
auteurs
sur
lesquels
nous
nous
appuyons,
e.g.
Clegg
et
al.
2007)
à
quelques
exceptions
majeures
près
qui
cherchent
justement
à
la
clarifier
(Chanlat,
2009).
Ainsi,
dans
l’ensemble
l’éthique
est
«
le
lieu
d'une
tension
constante
entre
la
description
et
la
prescription,
ou
entre
les
conditions
subjectives
de
la
détermination
de
la
volonté
et
les
conditions
objectives
de
la
valeur
d'une
norme
»
(Gerbier,
in
Blay,
dir.
2003:387).
La
suite
de
l'histoire
de
ce
mot,
de
cette
notion,
de
cette
idée,
de
cet
idéal
ne
sera
qu'un
combat
d'alternance
entre
ces
deux
pôles.
Tantôt
l'éthique
sera
placée
du
côté
de
ce
qui
se
rapporte
à
l'être
au
sens
large,
c'est
à
dire
l'ontologie.
Tantôt
elle
devient
prescription
singulière
constitutive
des
mœurs,
c’est-‐à-‐dire
morale.
Or,
nous
tenterons
ici
à
dépasser
cette
opposition,
et
d’en
préciser
notre
propre
conception
pour
ce
travail,
en
suivant
d’autres
qui
visent
à
réunifier
ces
deux
versants
de
l’éthique,
la
forme
et
le
fond,
le
descriptif
et
le
prescriptif,
ou
encore
selon
une
autre
appellation
courante,
l’empirique
et
le
normatif
(Singer,
1998;
Rosenthal
&
Buchholz,
2000).
Au
delà
de
l’alternative
entre
versant
prescriptif
et
descriptif,
entre
empirique
et
normatif,
nous
souhaitons
poser
autrement
le
débat,
en
revenant
sur
la
dimension
ontologique.
En
effet,
on
pose
souvent
la
question
:
l’éthique
est-‐elle
alors
une
question
d’être
ou
d’agir
?
Autrement
dit,
les
gens
se
comportent-‐ils
de
façon
éthique
parce
qu’ils
sont
intrinsèquement
éthiques,
ou
est-‐ce
leurs
actes
éthiques
qui
les
rendent
éthiques
?
Cette
question
est
en
quelque
sorte
mal
posée
car
d’une
part
en
fait
c’est
les
deux,
et
d’autre
part
il
y
a
là
encore
un
usage
confus
du
mot
éthique.
De
surcroît,
cette
problématique
ne
s’applique
pas
qu’au
niveau
de
l’individu
ou
du
sujet
moral
:
la
projection
anthropomorphique
sur
les
organisations
à
travers
la
RSE
par
exemple
transpose
cette
question
au
niveau
organisationnel
et
de
la
firme,
posant
ainsi
la
question
de
l’identité
organisationnelle
et
de
l’action
organisationnelle
également,
mais
sans
considérer
l’ontologie
au
sens
profond.
Pour
clarifier
cela,
commençons
par
rappeler
que
l'éthique
est
une
partie
–
fondamentale
–
de
la
philosophie
pour
les
anciens
Grecs.
Cette
focalisation
importante
sur
l'éthique
vient
en
particulier
à
partir
de
Socrate,
et
la
centralisation
de
sa
pensée
sur
l'homme
en
tant
que
singulier
réflexif
avec
la
maxime
empruntée
à
l’inscription
sur
l'oracle
de
Delphes
Γνῶθι
σεαυτόν
«
Connais-‐toi
toi-‐même
»
mais
aussi
les
hommes
conçus
comme
collectif
politique.
Diogène
Laërce
nous
rapporte
qu’il
rompt
ainsi
avec
161
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
la
tradition
des
pré-‐socratiques
qui
s'occupèrent
principalement
de
la
physique
et
des
phénomènes
de
la
nature
(1965).
En
effet,
plutôt
que
de
considérer
les
phénomènes
naturels
et
contempler
les
astres,
Socrate,
en
particulier
dans
le
rendu
que
nous
en
donne
Platon
dans
ses
dialogues,
passe
son
temps
à
discuter
avec
les
athéniens,
et
donc
soulève
des
questions
propres
à
l’action
et
la
vie
humaine.
L’éthique
occupe
depuis
une
place
centrale
dans
la
philosophie.
D'ailleurs,
les
stoïciens
utilisent
l’image
de
l’œuf
pour
parler
de
la
philosophie
:
la
coquille
en
est
la
logique,
le
blanc
est
la
physique,
et
le
jaune,
c'est-‐à-‐dire
le
cœur
même,
serait
l'éthique.
Et
si
elle
est
au
cœur,
c'est
qu'il
en
va
du
sens
même
de
la
vie.
En
effet,
dans
l’Antiquité,
l’éthique
tient
de
l’eudémonisme
(de
eudaimonia,
souvent
traduit
par
bonheur),
à
savoir
que
le
principe
qui
légitime
l’action
est
la
recherche
du
bonheur,
en
tant
que
souverain
Bien.
Le
bonheur
dans
ce
cas
n’est
pas
réductible
à
un
état
psychologique,
mais
correspond
à
une
valeur
objective
puisant
son
fondement
dans
la
nature
humaine
au
comble
de
sa
plénitude.
Plus
encore,
c’est
le
don
de
la
vie
même
qui
témoigne
de
la
plénitude
de
l’être
et
s’éprouve
phénoménologiquement
au
plus
profond
de
soi
(Henry,
2003).
Le
Bien
quant
à
lui
est
défini
par
Platon
(1940)
dans
Le
Banquet
(205a)
comme
une
sorte
de
fin
«
ultime
»
(au
sens
ontologique
et
éthique,
plénitude
d’être
et
réalisation)
recherchée
par
l’homme
:
«
C’est
en
effet
[...]
par
la
possession
des
choses
bonnes
que
les
gens
heureux
sont
heureux
».
Il
serait
alors
comblé
définitivement,
ne
lui
restant
plus
rien
à
désirer.
Or,
Platon
parle
au
pluriel
des
«
choses
bonnes
»
en
tant
que
l’idée
du
Bien
comme
souverain
et
unique,
peut
s’incarner
en
une
multitude
de
biens,
pour
le
corps
et
pour
l’âme,
les
différentes
choses
bonnes
pointant
en
direction
de
l’unité
du
Bien,
recherchée
par
l’âme.
Nous
retrouvons
cette
même
idée
chez
Spinoza,
dans
son
ouvrage
Ethique,
où
il
en
va
de
l'existence
même
comme
volonté
de
persévérer
dans
son
être
:
«
nul
ne
peut
avoir
le
désir
de
posséder
la
béatitude,
de
bien
agir
et
de
bien
vivre,
sans
avoir
en
même
temps
le
désir
d'être,
d'agir
et
de
vivre,
c'est-‐à-‐dire
d'exister
en
acte
»
(1965
:
239,
livre
IV,
21).
Dans
la
relecture
qu’en
fit
la
philosophie
médiévale,
Thomas
d’Aquin
et
la
tradition
qui
s’en
suivit,
«
le
bien
et
l’être
sont
équivalents
»
car
«
toute
chose
possède
autant
de
bien
qu’elle
possède
d’être
»
(Saint
Thomas
d’Aquin,
1861,
Ia-‐IIae,
q.18
a.1,
conclusion).
En
effet,
la
philosophie
médiévale
en
donnera
une
interprétation
chrétienne
de
ce
principe
relationnel
du
bien
et
de
l’être,
en
énonçant
que
toute
chose,
en
tant
qu’elle
est,
est
bonne
car
elle
provient
et
participe
du
Bien
premier
qui
donne
l’être,
c’est-‐à-‐dire
Dieu
(Saint
Augustin,
1949,
in
‘Des
mœurs
des
manichéens’,
IV,
6,
p.263,
t.1).
Ainsi,
le
vouloir
être
et
le
désir
du
bien
coïncident
au
sein
de
l’homme
et
de
toute
chose
dans
cette
perspective.
162
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
Parallèlement,
on
reconnait
très
vite
que
si
le
bien,
entendu
comme
exercice
de
la
vertu,
rend
heureux,
la
possession
de
bien
matériels
aussi.
L’attention
est
alors
attirée
par
l’existence
humaine
et
la
dimension
terrestre
des
biens,
et
non
seulement
leur
rapport
transcendantal
au
Bien
suprême.
Ainsi,
le
bien
n’est
pas
assimilé
uniquement
à
une
vie
d’austérité
et
de
contemplation
du
Bien
que
représentait
l’idéal
de
vie
monastique
ou
de
sagesse
stoïcienne.
On
connaît
alors
un
certain
retour
à
l’épicurisme
et
à
la
place
essentielle
concédée
au
plaisir
sensible
et
intellectuel
comme
bien
nécessaire
qui
s’intègre
à
l’exercice
de
la
vertu.
Les
humanistes
de
la
renaissance
tels
Salutati
ou
Landino
(cf.
Baron,
1988
;
Kraye,
1996)
prônent
alors
une
recherche
du
Bien
non
pas
par
l’homme
abstrait
mais
par
l’homme
complet,
en
tant
qu’union
de
l’âme
et
du
corps,
intégré
dans
un
contexte
y
compris
social.
Le
Bien
s’assimile
alors
au
bien
commun,
notion
qui
fait
son
apparition
sur
la
scène
politique
dont
l’objectif
est
la
recherche
durable
du
bien
commun
pour
et
par
une
communauté.
3.2.1.2.
Retour
sur
une
étymologie
et
des
fondements
conceptuels
complexes
pour
définir
une
éthique
ontologique
Au
vu
de
ce
qui
vient
d’être
dit,
nous
soutenons
qu’il
est
primordial
de
renouer
avec
la
dimension
ontologique
de
l’être,
qui
nous
semble
aujourd’hui
largement
reléguée
au
second
plan,
derrière
les
questions
des
actions
(bonnes
ou
mauvaises)
desquelles
on
doit
répondre
devant
la
loi
et
la
société.
En
effet,
de
nombreuses
études
se
sont
focalisées
sur
l’action
des
organisations,
leurs
manières
de
bien
ou
de
mal
faire,
les
meilleures
pratiques,
leurs
pratiques
scandaleuses.
On
est
restés
à
ce
niveau
dépersonnalisé
de
l’action,
on
a
sorti
l’homme
de
la
machine
et
négligé
le
retour
vers
la
dimension
essentielle
de
l’être
non
pas
dans
un
sens
statique,
mais
au
contraire
dynamique,
et
que
des
auteurs
contemporains
comme
Lévinas
(1968)
ou
Ricoeur
(1990,
2004)
mettent
d’une
manière
ou
d’une
autre
au
cœur
de
leurs
considérations
sur
l’éthique
comme
nous
le
verrons.
Nous
pensons
que
ce
lien
entre
éthique
et
ontologie
a
été
particulièrement
négligé
dans
la
littérature
sur
l’éthique
des
affaires,
alors
qu’il
constitue
un
aspect
essentiel
non
seulement
pour
la
pensée,
mais
surtout
pour
la
fabrique
de
l’éthique
et
sa
pratique
dans
les
organisations
et
le
monde
économique.
Déjà
à
ce
stade
initial,
nous
remarquons
que
l’héritage
grec
s’avère
riche,
et
que
le
mot
éthique
cache
une
certaine
complexité
(Chanlat,
2009).
Explorons
à
présent
une
confusion
récurrente
dans
l'usage
qui
en
est
fait
pour
tenter
de
clarifier
notre
propos.
Cette
confusion
habite
le
mot
éthique
depuis
l'Antiquité
grecque
et
l'aube
de
la
philosophie,
et
persiste
fortement
aujourd'hui.
Dans
notre
langage
courant,
“éthique”
163
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
est
souvent
utilisé
comme
synonyme
de
“moral”,
et
correspond
dans
les
organisations
à
la
promotion
de
chartes,
de
codes
de
conduite
et
de
régulations
normatives
qui
établissent
les
“règles
du
jeu”
et
ses
limites.
Nos
retrouvons
cette
signification
dans
des
expressions
telles
que
“éthique
des
affaires”,
“banque
éthique”,
“charte
éthique”
etc.,
où
éthique
est
employé
comme
adjectif.
Cependant,
il
y
a
une
autre
signification
de
l'éthique
qui
recouvre
l'idée
de
comportement,
d'habitude,
qui
définit
de
manière
descriptive
ce
que
fait
par
exemple
une
organisation
telle
qu'une
banque,
sans
aucune
considération
de
type
moral
et
sans
jugement.
Ainsi,
l'expression
“éthique
bancaire”
devrait
faire
simplement
référence
à
ce
en
quoi
consiste
l'activité
bancaire.
Cette
confusion
herméneutique,
vient
d'une
difficulté
de
traduction
de
l'étymologie
grecque
du
mot,
et
spécifiquement
dans
la
différence
entre
èthos
et
éthos
(cf.
Chanlat,
2009).
Le
premier
(du
mot
grec
èthos,
ou
èthê
au
pluriel,
où
le
è
est
la
transcription
de
la
lettre
êta)
signifie
une
disposition
qui
implique
des
considérations
morales:
éthos
est
ainsi
ce
que
notre
langage
courant
appel
éthique
(dans
la
sphère
du
juste,
moral,
légal
etc.).
Aristote
en
a
fait
un
instrument
de
l'art
rhétorique,
servant
à
provoquer
une
certaine
émotion
et
disposition
morale
(comme
l'empathie
par
exemple)
chez
l'auditoire.
Aujourd'hui
cette
signification
nous
la
retrouvons
par
exemple
dans
l'expression
“charte
éthique”,
où
les
entreprises
formulent
leurs
principes
et
les
valeurs
(justes,
morales)
sensées
guider
leur
action.
Le
second,
en
revanche,
(du
mot
éthos,
où
le
é
est
la
transcription
de
la
lettre
epsilon)
est
une
série
d’habitudes
ou
de
coutumes
qui
constituent
in
fine
qui
nous
sommes,
notre
identité.
“L'éthos
bancaire”
est
ainsi
tout
simplement
l'activité
de
prêter
et
gérer
de
l'argent.
Dans
cette
seconde
définition,
l'éthique
dans
sa
connotation
morale
(èthos)
ne
rentre
pas
normalement
en
compte,
ou
du
moins
pas
d'une
manière
explicite,
officielle
et
institutionnalisée,
et
était
réservée
à
la
discrétion
des
individus.
L'identité
(éthos)
se
trouve
donc
au
cœur
de
l'éthique
dès
son
étymologie,
mais
a
été
souvent
mise
entre
parenthèses,
oubliée,
négligée,
voire
délibérément
niée
au
profit
de
considérations
théoriques
(détachées
de
l'empirie
pratique)
sur
les
valeurs,
le
bien
et
le
mal.
Depuis
la
considération
socratique
de
l'inscription
sur
l'oracle
de
Delphes
“Connais-‐toi
toi-‐même”,
la
connaissance
de
l'Etre
et
du
Bien
ont
été
liées.
L'éthique
était
vécue,
située
et
énactée,
rassemblant
l’être
tout
autant
que
son
action
car
elle
considérait
l’être
non
pas
comme
une
chose,
mais
comme
un
étant
dynamique
qui
comprend
ainsi
l’action
en
train
de
se
faire.
L'éthique
à
l'origine
comportait
donc
les
deux
aspects:
la
représentation
du
Bien
et
sa
mise
en
pratique
par
un
être,
aussi
inséparables
que
les
deux
faces
d'une
pièce
de
monnaie.
Au
delà
d’un
débat
entre
description
et
prescription,
nous
soutenons
qu’il
s’agit
là
d’une
conception
ontologique
164
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
radicale
de
l’éthique,
qui
place
l’être
comme
principe
dynamique
au
cœur
d’un
processus
d’action.
On
voit
que
la
tension
entre
les
deux
est
ce
qui
commence
à
esquisser
la
situation
d’éthique
:
entre
le
rapport
du
sujet
à
soi
et
du
sujet
à
la
société
(Chanlat,
2009,
qui
cite
à
ce
propos
les
travaux
d’Enriquez
ou
de
Castoriadis).
On
peut
alors
passer
des
‘éthiques
du
pouvoir’
(les
moral
rules
in
use)
qui
s’analysent
en
situation,
aux
pouvoir
de
l’éthique’
pour
reprendre
l’expression
de
Chanlat
(2009),
comme
nous
tâcherons
de
le
développer
ci-‐après
et
qui
permettent
de
constituer
la
situation
d’éthique.
3.2.2.
IMPLICATIONS
D’UNE
ETHIQUE
ONTOLOGIQUE
3.2.2.1.
Re-‐personnifier
l’éthique
:
une
anthropologie
de
l’éthique
Renouer
avec
la
dimension
ontologique
de
l’éthique,
négligée
au
profit
de
son
efficacité
et
la
mesure
de
celle-‐ci,
nous
semble
essentielle
pour
re-‐caractériser,
re-‐
personnifier,
repeupler
les
études
sur
l’éthique.
Le
courant
‘dominant’
en
éthique
des
affaires
qui
s’y
essaye
est
l’éthique
des
vertus
(virtue
ethics,
cf.
MacIntyre
1981,
Taylor
2002,
Melé
2009,
Provis
2010)
qui
souligne
l’importance
de
se
forger
un
caractère,
renouant
ainsi
avec
la
question
de
l’identité
de
l’éthos.
Il
n’est
que
par
cet
aspect
ontologique
qu’il
est
alors
possible
de
penser
l’éthique
autrement
que
de
manière
abstraite
et
de
développer
une
sensibilité
au
contexte
(Solomon
1999).
Cette
approche
met
en
évidence
quelques
points
essentiels,
même
si
nous
nous
en
détacherons
par
la
suite.
Premièrement
elle
permet
de
ramener
le
sujet
moral
au
sein
de
l’équation
à
travers
la
question
du
caractère
que
les
individus
doivent
chercher
à
se
forger
comme
une
‘force’,
dans
la
lignée
de
l’Ethique
à
Nicomaque
(Aristote,
2012).
Focalisée
sur
le
jugement
individuel
et
la
notion
aristotélicienne
de
sagesse
pratique
‘phronesis’
(e.g.
Koehn,
1995,
1998;
Moore,
2005a,
2005b;
Fowers,
2003;
Holt,
2006
;
Painter-‐Morland,
2008),
cette
approche
trouve
également
un
écho
avec
certaines
philosophies
orientales
(Chan,
2008).
Deuxièmement,
on
y
essaye
de
mettre
l’encastrement
dans
un
contexte
de
la
vie
réelle
comme
point
de
départ
lorsqu’on
considère
l’éthique
des
affaires
(Arjoon,
2000),
et
non
plus
uniquement
dans
une
perspective
idéelle
et
idéale
des
principes
ou
des
vertus
détachées
de
toute
matérialité
concrète
dans
un
contexte.
Cependant,
un
grand
nombre
de
ces
études
continuent
de
rester
au
niveau
de
la
vertu
organisationnelle
ou
de
l’entreprise,
c’est-‐à-‐
dire
davantage
sur
les
conditions
de
comportements
vertueux
collectifs
qu’une
question
d’être.
Malgré
sa
pertinence,
«
relying
solely
on
virtue
ethics
in
a
cut-‐throat
business
165
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
context
could
cause
one
to
run
up
against
the
objection
that
when
one
finds
oneself
in
a
corrupting
environement,
it
will
be
impossible
not
to
develop
a
bad
character
»
(Deslandes,
2011b
:69).
Nous
proposons
donc
de
restituer
cette
dimension
ontologique
qui
a
été
en
quelque
sorte
évacuée
du
concept
d’éthique,
du
moins
dans
son
usage
dans
les
organisations.
Nous
nous
appuierons
sur
les
perspectives
mentionnées
dans
cette
sous-‐
partie,
afin
de
chercher
de
mieux
les
intégrer
dans
une
conception
de
l’éthique
qui
place
le
sujet
moral
en
situation
au
cœur
de
son
dynamisme.
Pour
cela,
il
faut
se
placer
résolument
dans
une
perspective
anthropologique
de
l’éthique.
Une
perspective
anthropologique
permet
de
rendre
compte
de
la
complexité
des
phénomènes
humains,
et
non
pas
simplement
de
leur
instrumentalisation
technocratique,
selon
les
principales
dimensions,
schématisées
ci-‐dessous.
Chanlat
(2011a)
dans
la
conclusion
de
l’ouvrage
collectif
sur
les
dimensions
oubliées
des
études
des
organisations,
à
savoir
toutes
celles
qui
ont
trait
aux
individus
et
à
la
perspective
ontologique,
revient
sur
la
question
de
l’éthique.
Figure
16:
Les
dimensions
d'une
anthropologie
des
organisations,
d'après
Chanlat,
2011a
générique
et
singulier
être
humain
Comme
il
est
apparu,
de
plus
en
plus
d’auteurs
réclament
un
retour
au
sujet
moral,
à
replacer
l’éthique
dans
son
univers
originel
de
l’être,
de
l’ontologie
et
du
sujet
moral,
désormais
évacué
ou
du
moins
déconsidéré
par
certaines
tendances.
Et
c’est
alors
que
la
dimension
de
l’éthos,
ou
de
l’éthique
située
dans
l’ontologie,
reprend
tout
son
sens.
Car,
qui
dit
ontologie,
dit
référence
à
un
sujet,
un
sujet
qui
se
sait
sujet.
Le
sujet
comme
notion,
comme
concept,
comme
entité,
comme
représentation,
comme
fragment
ou
inscrit
dans
quelque
chose
d’autre
:
voilà
autant
de
dimensions
à
considérer
pour
166
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
167
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
168
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
permette
un
retour
à
moi-‐même
par
la
médiation
dans
cet
autre.
Cette
coexistence
est
ce
qu’abstraitement
nous
nommons
le
social,
en
dehors
duquel
il
ne
fait
aucun
sens
de
parler
d’identité,
de
subjectivité,
et
a
fortiori
d’éthique.
De
ces
deux
aspects,
lesquels
sont
en
perpétuelle
tension
(le
moi
et
le
social,
l’individu
en-‐soi-‐même
et
la
collectivité
comme
nostritude),
découle
la
possibilité
d’une
agence
morale,
c’est
à
dire
d’une
responsabilité
(Painter-‐Morland,
2011
;
Bevan
et
al.
2011).
Or,
il
semble
que
justement
un
de
nos
principaux
systèmes
sociaux
d’organisation,
l’entreprise,
pousse
à
la
dépersonnalisation
de
la
responsabilité,
à
la
noyer
dans
les
procédures,
les
systèmes
et
les
codes
qui
ne
fait
aucun
sens
(Bevan
&
Corvellec,
2007).
L’homme
moral
est
ainsi
muté
en
un
agent
capable
d’exécuter
sans
questionner
une
série
d’injonctions
qui
énactent
l’éthos
de
l’entreprise,
à
travers
son
cadre
normatif
spécifique
de
ce
qu’elle
accepte
ou
pas.
Pour
contextualiser
cette
remarque
dans
le
terrain
qui
est
le
notre,
l’histoire
financière
récente
nous
donne
plusieurs
exemples
qui
incarnent
cet
aspect.
Ainsi,
la
principale
ligne
de
défense
de
nombreux
inculpés
de
la
finance
dans
des
affaires
mêlant
grandes
sommes
et
scandale,
est
en
général
très
simple
:
ils
ne
sont
qu’un
parmi
tous
les
autres
à
faire
ce
que
tous
font
quotidiennement,
mais
malheureusement
le
fait
de
se
faire
prendre
implique
le
sacrifice
:
“Une
grave
dérive.
Tout
ça
méritait
une
sanction.
Mais,
surtout,
il
s’était
fait
prendre.
Pas
vu,
pas
pris
:
c'est
la
devise
des
traders,
complétée
d'une
petite
chute
:
vu,
viré.
Ou
plutôt
sacrifié,
étranglé,
dépecé,
éviscéré
même
au
nom
de
la
sacro-‐sainte
réputation
de
La
Banque.
Le
garçon
a
fini
par
comprendre
que
c'était
fichu”
(Crésus,
2009:
59
;
cf.
Kerviel,
2010).
Ils
allèguent
que
les
pratiques
condamnées
étaient
des
usages
communs,
non
seulement
au
sein
de
leur
organisation,
mais
au
sein
de
l’ensemble
des
banques
d’investissement,
grandes
entreprises,
hedge
funds
auxquelles
ils
appartenaient
etc.,
comme
le
titre
même
d’Engrenage
(Kerviel,
2010)
suggère.
Plus
encore,
ils
étaient
tous
fiers
de
leurs
pratiques,
et
leurs
coups
quotidiens
s’ajoutaient
à
leur
palmarès
personnel
et
contentaient
leurs
supérieurs
:
“Un
vrai
môme.
Plus
il
entrait
dans
les
détails
de
sa
méthode
pour
tromper
le
système
plus
il
se
redressait.
Il
semblait
presque
fier
de
lui”
car
en
effet
“si
l'erreur
fait
gagner
de
l'argent
à
La
Banque,
le
crocodile
ne
bouge
pas:
l'erreur
n'a
jamais
existé”
(Crésus,
2009:
60).
Déjà
Arendt
(1963)
que
nous
avons
mentionnée
plus
haut,
mais
plus
récemment
et
dans
le
champ
qui
nous
occupe
aussi
Crozier
et
Friedberg
(1977),
avaient
montré
comment
en
effet
un
système
bureaucratique
–
surtout
si
totalitaire
–
peut
conduire
à
de
tels
résultats
au
niveau
individuel
mais
aussi
de
l’organisation,
créant
ainsi
un
système.
Et
alors
que
dans
un
système
bureaucratique
simple
il
est
possible
de
169
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
renoncer
à
participer
à
une
telle
dynamique
en
partant
de
l’organisation,
ceci
n’est
pas
possible
dans
un
système
totalitaire,
où
le
départ
ou
tout
simplement
la
critique
entrainent
des
conséquences
pouvant
aller
jusqu’à
la
terreur
et
la
mort.
Eichmann,
malgré
la
gravité
de
son
contexte
avait
toujours
le
choix
de
la
mort
(ou
de
la
résistance,
certes
au
péril
de
sa
vie).
Sa
culpabilité
vient
alors
de
son
silence,
de
son
manque
de
courage
et
donc
de
son
assentiment,
quelque
soit
la
raison,
à
participer
activement
ou
passivement
au
système
nazi.
Alors
que
tous
allèguent
qu’ils
n’avaient
pas
le
choix,
que
le
monde
est
ainsi
et
que
tout
le
monde
faisait
pareil,
Eichmann,
Kerviel
ou
tant
d’autres
sont
ainsi
le
reflet
de
l’éthos
mais
aussi
de
l’èthos
de
la
banque
d’investissement,
de
son
système
de
valeurs
et
de
son
application,
froide
mais
consentante
tout
de
même.
Or,
plus
récemment,
le
cas
de
whistleblowing
d’Edward
Snowden
montre
que
malgré
une
série
de
conséquences
desquelles
il
pouvait
se
douter
–
exil,
devenir
presque
apatride,
recherché,
perte
d’emploi,
perte
de
vie
familiale,
et
une
énorme
peine
s’il
est
retrouvé
et
jugé
pour
trahison
par
la
plus
grande
puissance
mondiale
–
il
y
a
parfois
des
situations
où
le
silence
n’est
plus
tenable.
Il
aurait
pu
simplement
quitter
son
emploi.
Il
a
préféré
révéler
ce
qu’il
considérait
que
devait
être
su
par
le
monde,
pour
le
laisser
en
juger.
La
question
centrale
ici
est
donc
celle
de
la
responsabilité,
qui
met
en
conjonction
la
subjectivité
et
les
autres.
C’est
ce
qui
permet
une
émancipation
de
l'éthique
vis-‐à-‐vis
de
la
loi
aveugle
et
le
solipsisme
égotique
à
travers
la
différence.
En
effet,
l’héritage
Lévinasien
nous
rappelle
qu’il
faut
être
multiple
pour
témoigner
du
Un.
Pour
prendre
un
exemple
analysé
par
Lévinas
lui-‐même,
c’est
ce
qui
explique
la
création
de
la
femme,
symbolique
de
l’altérité
«
Il
n’est
pas
bon
que
l’homme
soit
seul
»
(Genèse,
2,
18-‐24),
et
où
c’est
d’ailleurs
la
première
fois
que
Dieu
critique
son
propre
ouvrage
et
dit
que
quelque
chose
de
ce
qu’Il
a
fait
n’est
‘pas
bon’35
(cf.
Lévinas,
1977,
4è
lecture
‘Et
Dieu
créa
la
femme’).
Car
seul
Dieu
est
Un
et
se
suffit
à
lui
même.
La
relation
à
l’autre
est
la
seule
manière
pour
ne
pas
me
prendre
pour
Dieu.
Cette
épreuve
de
la
relation
à
l’autre
est
essentielle.
La
multiplicité
est
essentielle
pour
témoigner
de
l’unicité.
Reste
alors
la
question
de
comment
vivre
ensemble.
C’est
pour
cela
qu’il
faut
interpréter
(cf.
notre
propos
sur
l’herméneutique).
Sans
inscrire
notre
travail
dans
un
héritage
exclusivement
judéo-‐chrétien,
il
nous
semblait
important
de
signaler
que
la
responsabilité
–
l’habilité
à
répondre
de
quelque
chose
–
est
une
chose
transitive,
elle
appelle
un
complément
d’objet
et
une
intentionnalité
pour
autrui.
Une
responsabilité
abstraite
ne
fait
pas
de
sens.
Elle
engage
35
Dans
le
récit
de
la
Genèse,
jusque
là
Dieu
créa
les
différentes
choses,
et
à
chaque
fois,
“il
vit
que
cela
était
bon”.
170
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
au
contraire
le
contexte
plus
large
dans
lequel
on
s’inscrit
comme
sujets
parmi
d’autres
sujets,
et
qui
fait
que
notre
organizing
est
toujours
une
‘organiser
pour’.
Ainsi,
c’est
ce
qui
me
permet
de
reconnaître
que
ma
situation
‘a
un
dehors’
est
ce
qui
me
fait
d’une
part
éprouver
mon
aliénation,
mais
d’autre
part
assumer
mon
‘être-‐pour-‐autrui’,
par
la
conscience
de
ce
néant,
de
cet
autre
sur
lequel
Sartre,
conclut
les
dernières
lignes
de
son
œuvre
majeure
:
«
découvrir
à
l’agent
moral
qu’il
est
l’être
par
qui
les
valeurs
existent.
C’est
alors
que
sa
liberté
prendra
conscience
d’elle
même
et
se
découvrira
dans
l’angoisse
comme
l’unique
source
de
valeur,
et
le
néant
par
qui
le
monde
existe
»
(Sartre,
2003
:
675).
Mais
alors
qu’il
dit
que
cette
dimension
sera
l’objet
de
son
prochain
ouvrage,
celui-‐ci
n’a
jamais
vu
véritablement
le
jour.
C’est
à
Lévinas
que
nous
devons
la
théorisation
plus
radicale
de
l’Autre
(e.g.
1968)
et
qui
constitue
un
des
fondements
les
plus
intéressants
à
explorer
en
éthique
des
affaires
(à
la
suite
par
exemple
de
Durand
&
Calori,
2006
;
Bevan
et
Corvellec,
2007
;
Lim,
2007
;
McMurray
et
al.
2010
;
Bevan,
2013).
Chez,
Lévinas,
l’Autre
n’est
pas
un
élément
auquel
je
me
rapporte,
mais
le
fondement
même
de
l’éthique,
et
du
sujet
qui
n’est
que
le
lieu
où
cette
altérité
peut-‐être
‘accueillie’.
Or,
ceci
est
difficilement
transposable
au
niveau
organisationnel,
car
la
personne
morale
n’a
pas
de
visage,
d’où
l’impossibilité
de
parler
d’une
éthique
organisationnelle
ou
de
l’entreprise
(Bevan
&
Corvellec,
2007).
En
effet,
on
cours
alors
le
risque
de
l’objectiver,
de
le
totaliser,
de
le
maîtriser,
et
cela
devient
une
rencontre
manquée
de
l’autre,
car
cherchant
à
connaître
et
donc
à
s’approprier
et
contrôler
(faire
l’Autre
à
son
image),
comme
nous
l’avons
exposé
dans
le
premier
chapitre.
En
termes
Lévinasiens,
ceci
réduit
l’Autre
au
Même
(cf.
Durand
&
Calori,
2006)
et
on
fait
de
l’éthique
des
affaires
non
pas
une
rencontre
(du
visage
de
l’Autre),
mais
le
lieux
où
se
montrer
comme
moral
aux
autres,
c’est-‐à-‐dire
une
‘éthique’
des
apparences
(Bevan,
2013).
En
posant
cette
radicalité
de
l’Autre
comme
fondement
infini
de
la
responsabilité,
nous
sommes
au
cœur
d’une
éthique
managériale
et
pratique
:
«
to
engage
with
Levinasian
ethics
as
an
ethics
of
action.
(…)
Levinasian
managerial
ethics
is
an
invitation
to
view
management
in
the
face
of
a
ceaseless
moral
demand
for
answers
»
(Bevan
&
Corvellec,
2007
:214).
Or,
Lévinas
va
en
effet
plus
loin
encore,
en
considérant
non
pas
seulement
l’Autre,
mais
aussi
le
Tiers
(les
autres
que
l’Autre),
ce
qui
ramène
la
dimension
politique
de
l’éthique
et
qui
cristallise
le
cœur
de
notre
propos
autour
de
la
notion
de
situation
d’éthique
car
«
it
is
this
inevitable
conflict
between
ethics
and
politics,
we
surmise
that
marks
the
moment
of
ethics
in
practice
»
(McMurray
et
al.2010
:
557).
171
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
172
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
phénoménologique
»
et
se
présente
comme
une
synthèse
des
deux
influences
majeures
que
sont
Heidegger
(une
pensée
de
l’ontologie)
et
Husserl
(la
phénoménologie).
Les
derniers
paragraphes
de
la
conclusion
de
cet
imposant
ouvrage
sont
consacrés
aux
perspectives
morales,
qu’à
l’époque
Sartre
envisage
de
poursuivre
dans
un
livre
futur
qui
ne
verra
cependant
pas
le
jour.
Ainsi
que
nous
l’avons
fait
dans
ce
chapitre,
il
définit
ce
dont
il
faut
se
débarrasser
pour
avoir
une
pensée
et
une
praxis
de
l’éthique
:
«
il
est
impératif
de
«
renoncer
à
l’esprit
de
sérieux
(…qui)
a
pour
double
caractéristique,
en
effet,
de
considérer
les
valeurs
comme
des
données
transcendantes
indépendantes
de
la
subjectivité
humaine,
et
de
transférer
le
caractère
‘désirable’
de
la
structure
ontologique
des
choses
à
leur
simple
constitution
matérielle.
(…)
Le
résultat
de
l’esprit
de
sérieux
qui,
comme
on
le
sait
règne
sur
le
monde
est
de
faire
boire
comme
par
un
buvard
les
valeurs
symboliques
des
choses
par
leur
idiosyncrasie
empirique.(…)
Aussi
sommes-‐nous
déjà
sur
le
plan
de
la
morale,
mais
concurremment
sur
celui
de
la
mauvaise
foi,
car
c’est
une
morale
qui
a
honte
d’elle
même
et
n’ose
dire
son
nom
;
elle
a
obscurcit
tous
ses
buts
pour
se
délivrer
de
l’angoisse.
»
(2003
:674).
Le
premier
chapitre
de
la
quatrième
partie
de
l’Etre
et
le
Néant
est
dédié
au
lien
entre
être
et
faire,
c’est-‐à-‐dire
à
ce
qui
permet
à
Sartre
de
poser
la
liberté
comme
condition
ontologique
de
l’homme.
Le
point
de
départ
pour
caractériser
la
situation,
est
la
tension
entre
liberté
d’une
part,
et
facticité
(tout
ce
qui
me
détermine)
de
l’autre.
Pour
que
la
première
puisse
émerger,
on
a
besoin
de
la
situation
par
laquelle
on
pourra
s’affranchir
des
conditions
qui
semblent
me
limiter
(ma
naissance,
etc.),
qui
me
résistent,
mais
qui
par
la
même
occasion
donnent
sens
à
mon
action
et
plus
précisément
à
mon
engagement.
Or,
Sartre
montre
bien
que
la
liberté
elle-‐même
est
une
facticité
:
elle
est
donnée,
personne
ne
se
choisit
libre,
on
nés
libres
de
fait,
on
y
est
‘condamnés’36.
C’est
la
situation
qui
va
lui
donner
un
sens
–
dans
tous
les
sens
du
terme
:
par
rapport
à
un
projet,
à
un
motif.
Les
choses
ne
me
résistent
pas
en
soi,
mais
par
rapport
à
ce
que
je
veux
faire.
Un
rocher
n’est
pas
une
contrainte
en
soi,
à
moins
que
je
veuille
l’escalader,
pour
reprendre
l’exemple
que
développe
Sartre
:
«
Ainsi,
le
monde,
par
des
coefficients
d’adversité,
me
révèle
la
façon
dont
je
tiens
aux
fins
que
je
m’assigne
»
(2003
:534).
L’ensemble
des
données
du
monde
ne
font
sens
que
«
dans
l’unité
absolue
d’un
même
éclairement.
C’est
ma
place,
mon
corps,
mon
passé,
ma
position
en
tant
qu’elle
est
déjà
déterminée
par
les
indications
des
autres,
enfin
ma
relation
à
autrui
(…)
Ainsi
commençons
nous
à
entrevoir
le
paradoxe
de
la
liberté
:
il
n’y
a
de
liberté
qu’en
situation,
et
il
n’y
a
de
situation
que
par
la
liberté
»
(idem).
36
De
la
même
manière
que
nous
sommes
condamnés
à
la
responsabilité
infinie
et
dissymétrique
envers
173
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
174
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
175
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
situation
:
«
It
is
not
the
free
subject
that
simply
chooses
to
whether
to
behave
ethically,
but
the
practice
of
ethics
that
constitute
the
subject
»
(Clegg
et
al.
2007
:115)
à
la
fois
au
sein
de
et
contre
son
contexte.
Or,
ceci
implique
que
l’éthique
est
au
travail
(Ibarra-‐
Colado
et
al.
2006)
par
rapport
à
des
pratiques
organisationnelles
et
des
discours,
plongée
dans
cette
dimension
politique
:
«
l’éthique
révèle
ce
que
chaque
sujet
engage
pour
soutenir
sa
propre
vérité
dans
un
contexte
où
il
est
payé
pour
agir
»
(Chanlat,
2009
:210-‐211).
On
peut
ainsi
réintroduire
le
sujet
dans
l’acteur,
et
mettre
ainsi
en
évidence
les
‘pouvoirs
de
l’éthique
(Chanlat,
2009
:
213)
:
«
capacité
de
réfléchir,
capacité
d’agir
et
de
transformer,
capacité
de
discuter,
capacité
de
juger
et
capacité
de
connaître
ses
limites.
»
Ces
éléments
sont
ce
qui
fondent
la
possibilité
d’une
liberté,
d’une
réflexivité
critique
essentielle
(cf.
Arendt),
d’une
ouverture
l’autre,
et
d’une
capacité
transformatrice
du
réel.
Nous
avons
cherché
à
situer
la
place
de
l’éthique
dans
l’éthique
des
affaires,
que
nous
identifié
comme
un
champ
disciplinaire
dont
les
préoccupations
ne
sont
certes
pas
nouvelles
(cf.
Loison
&
Pezet,
2006),
mais
dont
le
contenu
et
l’institutionnalisation
remonte
à
peine
à
quelques
décennies.
En
tant
que
champ
récent,
il
est
d’autant
plus
fragile
qu’il
est
dépourvu
de
fondements
conceptuels
clairement
définis
et
reconnus.
Nous
avons
en
effet
mis
en
évidence
par
quelques
exemples
à
quel
point
‘l’éthique
des
affaires’
comme
expression
est
à
la
fois
courante
et
incongrue,
utilisée
et
usée
de
nombreuses
manières
par
différents
publics
pour
différentes
fins.
Nous
avons
aussi
souligné
que
ceci
n’est
pas
sans
conséquences
du
point
de
vue
de
sa
crédibilité
et
de
sa
légitimité
aux
yeux
non
seulement
des
chercheurs,
mais
aussi
et
surtout
des
praticiens,
quel
que
soit
le
secteur.
Les
uns
comme
les
autres
se
résignent
à
la
bienséance
d’accepter
l’éthique
des
affaires
comme
faisant
partie
indiscutablement
et
de
manière
presque
imposée
du
paysage
économique,
organisationnel
et
pédagogique,
mais
en
perçoivent
souvent
mal
les
frontières
d’application,
les
procédures
d’actualisation,
et
tout
simplement
l’intérêt
réel
au
delà
de
la
bienséance
même.
D’où
l’obsession
pour
essayer
de
la
justifier
par
exemple
au
moyen
de
corrélations
avec
une
meilleure
performance
financière,
de
mesurer
ses
impacts
et
de
contrôler
son
influence.
En
somme,
nous
essayons
d’en
faire
un
objet
de
connaissance
praticable
et
d’impact
mesurable,
tout
en
devant
admettre
que
d’une
part
les
études
sont
souvent
au
mieux
faibles,
au
pire
contradictoires
dans
leurs
résultats,
et
d’autre
part
en
oubliant
ou
masquant
qu’une
telle
ambition
est
même
contraire
à
la
notion
même
d’éthique.
Ce
chapitre
nous
a
permit
de
parcourir
un
certain
nombre
de
sentiers
conceptuels
à
la
fois
en
théorie
des
organisations,
gestion,
gestion
des
risques
et
éthique
176
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
177
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
phénoménologique,
d’un
être
et
d’une
action
vécues.
On
revient
alors
à
l’éthique
à
partir
de
l’intériorité,
de
sa
fondation
ontologique
(subjective
et
relationnelle)
et
pour
laquelle
les
choses
ne
sont
pas
simplement
en
train
d‘apparaître’
(conception
Husserlienne)
mais
de
se
manifester
en
moi
dans
mon
corps
(suivant
Merleau-‐Ponty)
et
dans
l’immanence
passive
de
la
vie
comme
le
locus
de
mon
expérience
(Henry,
2003).
C’est
la
condition
pour
un
engagement
actif
dans
cette
vie
(le
vécu),
en
m’assumant
comme
sujet
affectif,
c’est-‐à-‐dire
qui
se
sent
vivant.
Dans
cette
optique,
le
travail
est
ancré
dans
les
êtres
vivants
comme
praxis,
pouvant
nier
la
vie
(aliénation,
instrumentalisation,
que
Michel
Henry
appelle
la
barbarie)
ou
la
porter
(actes
de
résistance).
Plus
centrée
sur
la
vie
comme
principe
dynamique,
cette
affectivité
du
sujet
ce
qui
rend
l’éthique
non
seulement
possible,
mais
tangible,
vécue,
immanente.
Elle
permet
de
voir
comment
la
subjectivité
est
articulée
avec
des
rôles
(Gély,
2007),
comment
ceux-‐ci
sont
joués,
‘performés’
dans
les
situations
de
travail
et
comment
cette
articulation
peut
propulser
ou
entraver
le
déploiement
d’une
éthique
(Puyou
&
Faÿ,
2013).
La
situation,
la
subjectivité
et
l’éthique
sont
alors
articulés
au
sein
même
de
la
vie
(cf.
Painter-‐Morland,
2013)
qui
puise
dans
la
tradition
continentale
de
Nietzsche,
Spinoza
mais
aussi
de
la
phénoménologie
(cf.
Faÿ
&
Riot,
2007)
pour
nous
ramener
à
ce
niveau
ontologique
qui
nous
permet
ensuite
de
mieux
repenser
la
question
de
l’agence
morale,
de
l’identité
et
de
l’organisation
(Painter-‐Morland,
2013)
à
partir
de
cette
approche
politique.
Souvent
analysée
à
travers
l’œuvre
de
Foucualt
(d’ailleurs,
«
what
is
ethics
if
not
the
practice
of
freedom
?
»
(Foucault,
1997
:284
cité
in
Clegg
et
al.
2007
:112)
«
ethical
subjectivity
relates
to
how
people
at
work
constitue
themselves
as
subjects
in
relation
to
ethics
and
the
practices
they
adopt
in
forming
a
sense
of
an
ethical
self
»
(McMurray
et
al.
2010
:543-‐544).
Et
c’est
le
rôle
du
manager
que
de
gérer
cette
tension
entre
éthique
et
politique,
ce
qui
nous
permet
ainsi
d’approfondir
notre
conception
de
la
responsabilité
proprement
managériale
(Deslandes,
2012),
car
«
to
act
with
this
kind
of
wisdom
is
simultaneously
to
be
responsive
to
others,
true
to
oneself
and
decisive
in
the
absence
of
certainty
»
(Painter-‐Morland,
2008
:4).
Ainsi,
en
revenant
à
Ricoeur
(2004),
pour
qui
la
morale
est
le
noyau
dur,
nous
identifions
l’éthique
antérieure
(enracinée
dans
la
vie
et
le
désir,
éthique
fondamentale)
et
l’éthique
postérieure
aux
normes
(visant
à
s’insérer
dans
des
situations
concrètes,
appliquées)
:
«
la
morale,
dans
son
déploiement
des
normes
privées,
juridiques,
politiques,
constitue
la
structure
de
transition
qui
guide
le
transfert
de
l’éthique
fondamentale
en
direction
des
éthiques
appliquées
qui
lui
donnent
visibilité
et
lisibilité
sur
le
plan
de
la
praxis
»
(Ricoeur,
cité
in
Chanlat,
2009
:212).
178
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
La
suite
de
notre
travail,
comme
le
chapitre
suivant
permettra
d’introduire
dans
les
détails,
n’est
pas
uniquement
sur
une
banque,
ni
même
sur
une
équipe
chargée
de
la
conformité,
mais
bien
sur
des
situations,
où
l’éthique
est
mise
à
l’épreuve,
éprouvée,
et
énactée.
La
situation
dans
sa
dimension
contextuelle,
bien
que
très
cadrée
par
des
procédures,
échappe
à
l’organisation
totale
:
il
y
a
des
zones
grises
où
les
lois
ne
suffisent
plus,
où
les
comportements
des
acteurs
ne
sont
pas
prévisibles,
où
la
quotidienneté
recèle
des
secrets
plus
significatifs
que
ce
que
l’on
pourrait
croire.
Le
contexte
est
en
partie
donné
par
l’organisation
–
en
tant
que
son
design
organisationnel
favorise
la
construction
de
situations
spécifiques
par
les
acteurs
en
fonction
de
leur
compréhension
des
enjeux
–
mais
aussi
et
surtout
vécue
par
les
individus
qui
lui
donnent
une
existence.
Pour
tenter
de
comprendre
le
travail
sur
les
situations
de
gestion
en
le
prolongeant
avec
la
perspective
sartrienne
et
badiousienne,
rappelons
que
le
but
de
l’enquête
est
de
chercher
à
transformer
la
situation
‘indéterminée’
en
une
situation
‘problématique’,
la
constituer
en
tant
que
problème,
ce
qui
est
la
première
étape
cognitive
dans
la
possible
‘résolution’
du
problème,
c‘est-‐à-‐dire
dans
le
sens
qu’on
lui
donne.
Ainsi,
nous
concluons
sur
la
nécessité
de
concevoir
cette
éthique
comme
pratique
située
en
tant
que
travail,
en
tant
qu’effort
déployé
quotidiennement
pour
être
soi,
œuvrer,
pour
reprendre
une
expression
de
Ricoeur,
«
une
visée
de
la
vie
bonne,
avec
et
pour
les
autrui
dans
des
institutions
justes
»
(1990
:202),
c’est-‐à-‐dire
un
triple
souci
de
soi,
des
autres
et
de
l’institution
(Chanlat,
2011a
:770-‐775),
qui
seront
les
trois
niveaux
auxquels
nous
proposons
au
lecteur
de
nous
suivre.
179
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
180
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
quoi
ça
sert
de
mettre
de
l’argent
de
côté,
si
demain
ça
n’aura
plus
aucune
valeur
à
cause
de
la
prochaine
crise
ou
dévaluation
de
la
monnaie
?
»
Combien
de
fois
n’ais-‐je
pas
entendu
ce
type
de
raisonnements
dans
mon
enfance
et
n’ais-‐je
pas
constaté
la
sagesse
de
ces
propos,
qui
forment
une
partie
importante
de
l'éducation
économique
des
enfants
?
Et
en
effet,
en
2007,
la
«
pneumonie
»
s’abattit
encore
une
fois
au
sud
du
Rio
Bravo
avec
une
grande
force,
mais
passant
tout
à
fait
inaperçue
à
côté
des
effets
–
certes
terribles
-‐
qu’avait
cette
crise
des
subprimes
sur
le
marché
immobilier
étasunien,
puis
sur
l’économie
et
la
finance
mondiales.
L’article
wikipédia
sur
«
financial
crisis
»
avait
des
ajouts
quotidiens,
et
l’alerte
google
que
j’avais
créée
à
l’époque
ne
désemplissait
pas.
Les
titres
de
la
presse
nationale
et
internationale
n'ont
parlé
pratiquement
de
rien
d’autre
pendant
des
semaines,
et
les
comédiens
en
profitaient
pour
en
faire
de
nouveaux
sketchs
pour
tourner
en
dérision
l’absurdité/gravité
de
la
situation
et
«
faire
avaler
la
pilule
»
amère
de
la
mondialisation
de
la
«
pneumonie
».
Quant
à
moi,
je
vivais
depuis
cinq
ans
en
France
pour
mes
études
supérieures
en
philosophie.
Je
m’étais
essentiellement
consacrée
à
des
questions
de
philosophie
contemporaine
telles
que
penser
le
terrorisme
et
l’identité
dans
un
monde
globalisé.
Il
me
restait,
par
ailleurs,
des
résidus
de
raisonnements
concernant
les
crises
économiques,
ayant
personnellement
vécu
plus
d’une,
tout
au
long
de
mon
enfance
et
adolescence.
En
revanche,
c’était
peut
être
la
première
fois
que
je
pouvais
traverser
une
crise
avec
une
réelle
conscience
de
ce
qui
se
passait,
et
avec
l’intérêt
d’y
consacrer
du
temps
pour
en
comprendre
les
rouages,
sans
uniquement
la
subir.
C’était
donc
l’occasion
de
penser
une
crise
économique
et
de
transformer
ces
réflexions
en
l'objet
d'une
recherche
doctorale.
Au
tout
début,
ce
que
j’arrivais
à
comprendre
était
fort
peu.
Les
technicités
financières,
le
vocabulaire
qui
l’accompagnait
–
véhicules
de
titrisation,
subprimes,
hedge
funds,
off-‐
shore...
-‐
échappaient
à
mon
entendement
par
manque
de
connaissances
spécifiques
du
domaine
financier,
des
types
d’investissements,
des
procès,
des
enjeux
micro
et
macro-‐
économiques
dépendants...
Mais
une
chose
m’était
claire
:
cette
crise
n’était
pas
uniquement
de
nature
économique,
mais
aussi
–
et
surtout,
car
c’est
ce
qui
la
rendait
différente
par
rapport
aux
«
pneumonies
»
chroniques
que
j’avais
connues
jusque
là
–
profondément
sociale
et
éthique.
La
légitimité
d’un
système
entier
était
mise
en
question.
La
crise
n'était
pas
perçue
uniquement
comme
un
‘accident
de
parcours’
ou
une
prise
de
risque
trop
importante
qui
a
malheureusement
mal
tourné.
Les
banques
–
et
derrière
elles
la
superstructure
de
flux
d’argent
sous
forme
de
prêts,
de
crédits,
d’investissements,
de
spéculation
–
étaient
au
cœur
de
l’attention
non
seulement
de
la
classe
politique,
mais
aussi
de
l’opinion
publique.
Un
doigt
accusateur
semblait
progressivement
pointer
dans
la
direction
du
secteur
bancaire
et
financier,
tous
métiers
et
organisations
confondus,
dans
181
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
cette
industrie
aussi
diversifiée
que
complexe.
La
perception
des
«
tous
pourris
»
était
devenue
le
maître
mot
de
la
vox
populi,
accompagnée
d’un
vocabulaire
de
la
purge
qui
m’évoquait
les
travaux
de
René
Girard
sur
le
bouc
émissaire.
Une
crise
de
valeurs,
donc
:
la
chute
de
certaines
organisations
centenaires
telles
que
Lehman
Brothers,
la
mise
en
question
des
institutions,
des
échelles
de
rémunération,
de
recrutement,
de
formation
dans
les
écoles
de
commerce.
De
plus,
au
bout
seulement
de
quelques
mois
de
mon
master
recherche,
ce
contexte
a
été
de
nouveau
pimenté
par
l’affaire
Kerviel
en
France,
au
début
de
l’année
2008,
et
une
accusation
généralisée
qui
faisait
virer
l’image,
jadis
idolâtrée
du
Golden
boy
à
celle
des
«
tous
pourris
».
Voilà
qui
posait
un
défi
qui
prendrait
la
forme
d’une
interrogation
de
recherche.
Derrière
cette
crise
financière,
se
posaient
des
questions
sociales,
organisationnelles,
institutionnelles
et
éthiques
dans
un
sens
plus
profond.
Mais
comment
s'y
prendre
?
A
un
moment
donné
durant
ma
thèse,
j'ai
revu
un
film
qui
m'avait
beaucoup
marqué
dans
mon
enfance,
Gorillas
in
the
Mist
(Apted,
1988)
consacré
à
la
vie
et
à
la
cause
de
Dian
Fossey
auprès
des
gorilles
qu’elle
étudiait
en
Afrique.
Et
j'ai
senti
une
certaine
proximité
avec
ma
propre
démarche,
même
si
j’espérai
que
la
fin
de
ma
thèse
serait
moins
tragique.
Tout
comme
Dian
Fossey,
mon
parcours
impliquait
de
relever
le
défi
de
dépasser
une
triple
extériorité.
Premièrement,
Fossey
avait
très
peu
de
connaissances
scientifiques
sur
les
gorilles,
qui
deviendraient
le
cœur
de
sa
vie.
Ses
études
universitaires
ne
concernaient
en
rien
le
monde
animal,
la
primatologie,
la
zoologie,
la
science
vétérinaire
etc.
Ce
n'est
que
bien
plus
tard,
et
en
faisant
valoir
ses
connaissances
apprises
durant
des
longues
années
sur
le
terrain,
qu'elle
obtint
un
Ph.D
et
qu'elle
fut
reconnue
dans
le
milieu
académique
comme
une
experte
–
une
des
premières
expertes
mondiales
–
sur
les
gorilles.
Moi
non
plus,
je
n'avais
pas
fait
des
études
de
finance,
ni
de
droit,
et
commençait
à
peine
à
m'immerger
dans
le
monde
des
sciences
de
gestion
en
général
après
mon
parcours
en
philosophie
avec
l'ambition
de
soutenir
une
thèse.
Je
n'y
connaissais
pas
grand
chose,
mais
étais
très
motivée
à
partir
dans
cette
quête
(au
sens
de
Czarniawska
(1997)
évoqué
en
introduction).
Deuxièmement,
Fossey
a
du
surmonter
de
nombreux
obstacles
:
femme
blanche,
elle
a
quitté
les
États-‐Unis,
sa
famille
et
sa
vie
pour
traverser
le
monde
et
vivre
pratiquement
seule
en
plein
cœur
de
la
végétation
en
Afrique
noire
plongée
dans
des
conflits
civils.
Pour
ma
part,
j'étais
une
jeune
fille
mexicaine
immigrée
en
France,
avec
par
conséquent
un
regard
différent
sur
les
spécificités
françaises
du
monde
bancaire
très
masculin
à
certains
niveaux
et
ancré
dans
des
référentiels
particuliers
bousculés
pendant
la
crise.
Et
enfin,
troisièmement,
contrairement
à
ce
qu'avaient
fait
les
chercheurs
qui
l'ont
précédée,
Dian
Fossey
ne
s'est
pas
contentée
d'observer
les
gorilles
cachée
derrière
un
arbuste,
mais
a
trouvé
un
moyen
pour
les
approcher
et
de
gagner
progressivement
leur
182
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
confiance,
en
mimant
leurs
mouvements
et
leurs
bruits
gutturaux,
en
se
roulant
dans
leurs
défections
pour
acquérir
leur
odeur,
en
s'intégrant
dans
le
système
hiérarchique
et
social
et
se
faisant
accepter
par
le
mâle
dominant,
en
apprenant
à
reconnaître
les
traits
physiques
et
de
caractère
de
chaque
membre
du
groupe,
etc.
En
d'autres
termes,
on
pourrait
dire
qu'elle
a
fait
de
l'observation
participante,
et
bien
que
les
gorilles
ne
l'ont
jamais
confondue
avec
un
des
leurs
et
savaient
parfaitement
qu'elle
n'était
pas
un
gorille,
elle
a
tout
de
suite
vu
que
pour
réussir
à
comprendre
vraiment
les
gorilles
et
ensuite
les
sauver
de
l'extinction,
il
fallait
qu'en
quelque
sorte,
elle
‘devienne’
aussi
un
gorille.
«
Devenir
gorille
»
est
devenu
très
vite
un
impératif
pour
moi
aussi.
J'ai
très
vite
compris
que
si
je
voulais
réussir
à
produire
une
analyse
qui
ne
reste
pas
dans
l'extériorité
et
afin
d'aller
en
profondeur
dans
mon
sujet,
il
fallait
que
je
trouve
un
moyen
de
m'intégrer
à
cette
espèce
non
pas
menacée
d'extinction
(bien
qu'elle
était
l'objet
de
nombreuses
accusations)
mais
au
contraire
florissante
et
absolument
fascinante
qu'étaient
les
banquiers,
puis
le
monde
des
compliance
officers
et
analystes
en
particulier.
La
période
d'observation
participante
sous
forme
de
stage
a
donc
été
primordiale.
Elle
n'était
pas
évidente
à
obtenir
même
après
le
début
de
la
période
d'observation
non
participante,
et
je
suis
donc
très
contente
qu'au
final
cela
a
été
possible.
M'intégrer
a
demandé
un
important
apprentissage,
en
particulier
durant
la
période
non
participante,
du
code
vestimentaire
à
adopter,
du
vocabulaire
à
connaître,
des
processus
à
déchiffrer,
des
logiciels
avec
lesquels
me
familiariser,
des
habitudes
à
prendre
au
sens
le
plus
large.
Et
bien
que
je
ne
fasse
jamais
partie
des
leurs
non
plus
et
que
tout
le
monde
savait
que
tôt
ou
tard
je
rentrerais
dans
mon
monde
et
ma
thèse,
je
crois
que
j'ai
réussi,
non
sans
l'aide
constante
de
l'équipe
qui
m'a
accueillie,
à
m'intégrer
dans
ce
milieu
et
«
plonger
au
fond
du
gouffre
».
La
démarche
suivie
dans
son
ensemble
a
consisté
en
une
descente
progressive,
en
une
immersion
de
plus
en
plus
intime
dans
le
terrain,
sans
pour
autant
perdre
une
certaine
distance
nécessaire
à
l’élaboration
de
ce
travail,
qui
est
le
risque
de
«
going
native
»
et
de
perte
de
repères
que
l’on
adresse
souvent
à
ce
type
de
démarche.
Par
ailleurs,
un
mois
après
la
révélation
de
l’affaire
Kerviel
et
alors
que
je
poursuivais
mon
master
recherche,
s’était
constitué
un
groupe
de
réflexion,
un
Think
Tank,
auquel
j'ai
eu
l’occasion
de
participer
dès
son
fondement.
Sous
le
nom
de
«Banque
et
Société
»37,
ce
Think
Tank
était
constitué
de
praticiens
d’une
grande
banque
française,
de
professeurs
d’écoles
de
commerce
en
organisation,
comptabilité
et
finance,
des
consultants
spécialisés
dans
le
37
Nous
avons
gardé
le
nom
original
du
Think
Tank
(celui-‐ci
n’ayant
fait
l’objet
d’aucune
officialisation
ou
dépôt, publication ou autre), mais nous respectons l’anonymat des participants et de leurs institutions.
183
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
monde
bancaire
et
financier,
et
deux
jeunes
doctorants,
(dont
moi-‐même).
Le
Think
Tank
s'est
réuni
environ
une
fois
tous
les
deux
mois
pendant
un
an
et
demi
afin
de
réfléchir
et
discuter
des
rapports
de
la
banque
et
de
la
société.
Ce
fut
ma
première
approche
empirique,
nos
premières
discussions
avec
des
praticiens
de
la
banque,
un
terrain
exploratoire
qui
m'a
beaucoup
aidé
à
définir
les
contours
de
la
question
de
recherche
spécifique
de
la
thèse.
Ensuite,
l’accès
au
terrain
principal,
un
service
Conformité
dédié
à
la
lutte
anti-‐
blanchiment
d’une
Banque
d’Investissement
Française
(BUF-‐BI),
se
fit,
comme
il
arrive
souvent,
par
l’intermédiaire
du
réseau
des
relations
personnelles
et
professionnelles,
comme
j’aurais
l’occasion
d’y
revenir
dans
le
détail.
Puis
un
coup
de
fil,
l’envoi
d’un
CV,
un
premier
entretien.
Enfin,
la
concrétisation,
non
sans
grandes
difficultés,
d’un
projet
de
recherche
empirique
sur
le
terrain
:
deux
mois
d’immersion
en
tant
qu’observatrice,
suivis
(après
un
laps
de
temps
de
deux
mois
sans
présence
effective
sur
le
terrain)
d’une
autre
période
de
deux
mois,
cette
fois
en
tant
qu’observatrice
participante
avec
le
statut
de
stagiaire.
Au
final,
entre
les
phases
d’observation
non
participante
et
participante,
et
les
phases
de
suivi
à
distance
entre
les
observations
et
après
le
stage,
nous
avons
suivi
les
activités
d’une
équipe
chargée
de
la
Conformité
Bancaire
(et
plus
précisément
la
Connaissance
Client
(KYC
:
Know-‐Your-‐Customer)
et
de
la
lutte
anti-‐blanchiment
et
le
financement
du
terrorisme
(AML
:
anti-‐money
laundering))
du
Front
Office
de
BUF-‐BI,
au
cours
de
neuf
mois,
entre
avril
2010
et
janvier
2011.
Période
riche
en
événements
par
ailleurs,
tels
que
le
procès
de
Jérôme
Kerviel,
la
publication
des
règles
de
Bâle
III.
Il
y
a
certainement
un
biais
dans
le
fait
que
ceux
qui
m’ont
accepté
avaient
un
profil
ouvert,
étaient
intéressés
par
le
fait
de
se
prêter
à
une
démarche
réflexive
sur
leur
métier
et
étaient
prêts
à
prendre
du
temps
pendant
leur
travail
pour
me
parler,
même
entrecoupés
de
réunions
et
de
coups
de
fil...
En
effet,
sans
l’intérêt
personnel
de
la
manager
de
l’équipe
pour
le
sujet
de
cette
recherche
(elle-‐même
était
engagée
dans
une
démarche
doctorale
en
droit,
et
comprenait
donc
les
difficultés
d'accéder
à
des
données
lorsqu'on
conduit
une
recherche,
elle
a
aidé
à
surmonter
les
obstacles
administratifs
à
ma
présence
dans
la
banque)
et
sans
l’accueil
et
l’ouverture
de
l’équipe,
l’accès
à
un
tel
terrain
aurait
été
impossible
par
le
degré
de
confidentialité
dans
lequel
ils
travaillent
et
le
contexte
«
sensible
»
de
crise
économique,
sociale,
de
réputation
des
banques,
d’accusations
d’ordre
moral
à
leur
encontre,
etc.
Enfin,
cet
itinéraire
se
conclut
par
un
cheminement
typographique,
à
travers
lequel
j'ai
tenté
de
retranscrire,
de
comprendre,
d’ordonner,
de
mobiliser,
de
confronter,
de
dépasser,
avec
les
écarts
d’interprétation
et
de
retranscription
liés
à
ma
personne
et
aux
événements
de
cette
période
de
ma
vie.
184
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
185
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
clairement
comment
il
entend
procéder,
et
fournir
des
règles
syntaxiques
plutôt
que
des
arguments
philosophiques
».
(Carnap,
R.
(1934)
Logische
Syntax
der
Sprache,
Wien,
Springer,
§
17,
cité
in
Bouveresse,
2011,
note
I,
p.
238,
et
cité
in
Dumez,
2012
:58).
En
somme,
des
conventions,
dont
il
convient
de
justifier
la
pertinence,
la
richesse
et
l’utilité
dans
un
contexte
donné.
Ces
règles
syntaxiques,
ces
grilles
de
lecture
qui
nous
font
lire
le
monde
sous
un
angle
précis,
comme
le
dit
sur
un
ton
humoristique
cette
petite
histoire
que
nous
a
été
rapportée
par
un
chercheur
chinois
lors
d’une
conférence
:
«
Un
fermier
grec,
et
un
fermier
chinois
découvrent
un
jour
dans
leur
champ
un
animal
qu’ils
n’ont
jamais
vu
avant.
Pour
le
fermier
grec,
la
principale
question
qu’il
va
se
poser
est
‘qu’est-‐ce
que
c’est
?’
et
essaiera
de
déterminer
sa
nature,
son
appartenance
aux
classifications
connues
du
monde
animal.
Pour
le
fermier
chinois,
la
principale
question
qu’il
va
se
poser
est
‘comment
ça
se
cuisine
?’
et
procédera
immédiatement
à
l’exécution
de
la
tâche
culinaire.
»
Chacun
s’est
posé
un
problème
épistémologique
différent,
a
perçu
la
situation
de
rencontre
sous
un
angle
différent.
Les
choses
n’existent
pas
en
dehors
de
la
manière
dont
on
les
pense,
et
avec
Bachelard,
nous
pensons
que
la
vraie
question
et
de
savoir
poser
des
problèmes.
Ainsi,
les
paragraphes
suivants
entendent
détailler
la
chromatique
de
notre
démarche
et
ses
évolutions
:
on
parlera
donc
des
problèmes
épistémologiques
(et
non
pas
des
paradigmes
épistémologiques)
qui
ont
marqué
notre
démarche
évolutive
et
compréhensive.
4.1.2.1.
Etre
habité
par
l’objet
de
la
recherche
:
des
métaphores
aux
implications
pour
une
étude
multiniveaux
Une
poupée
russe38
traînait
sur
le
bureau
d'une
des
employés
de
BUF-‐BI,
qui
s'occupait
en
partie
des
relations
commerciales
avec
la
Russie
et
plus
largement
la
zone
géographique
de
l'Europe
de
l'Est,
devant
lequel
j'étais
amenée
à
passer
de
temps
en
temps
durant
ma
présence
sur
le
terrain.
Parfois
les
poupées
étaient
toutes
sorties,
parfois
toutes
les
petites
avaient
disparues
au
sein
de
la
grande.
Depuis,
il
m’arrive
de
concevoir
l'approche
de
recherche
comme
une
sorte
de
poupée
russe
au
ventre
bombé
dont
il
faut
progressivement
sortir
à
chaque
fois
une
nouvelle
petite
poupée
de
la
précédente.
J’entends
cette
métaphore
dans
un
double
sens.
Premièrement,
comme
une
descente
progressive
dans
les
détails,
et
les
niveaux
d’analyse
(macro-‐méso-‐micro),
sans
que
ceci
n’implique
une
quelconque
hiérarchisation,
mais
plutôt
comme
une
«
contextualisation
multiple
»
(Borzeix,
2007).
Cette
idée
reprend
l’héritage
de
la
micro-‐
38
Chanlat
(2011a)
dans
l’avant-‐propos
à
l’Individu
dans
l’organisation,
utilise
cette
meme
métaphore
de
la
poupée
russe
dans
un
sens
légèrement
different,
pour
parler
de
la
variété
des
perspectives
presents
dans
l’ouvrage
collectif
au
sein
du
cadre
général
d’une
anthropologie
de
la
condition
humaine
dans
l’organisation.
186
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
storia
italienne
pour
transposer
dans
nos
disciplines
le
fait
que
«
il
n’existe
donc
pas
d’hiatus,
moins
encore
d’opposition
[…].
Ce
que
l’expérience
d’un
individu
d’un
groupe,
d’un
espace
permet
de
saisir,
c’est
une
modulation
particulière
de
l’histoire
globale.
»
(Revel,
1996,
cité
in
Borzeix
2007
:25).
Mais
deuxièmement,
et
tout
aussi
important,
comme
une
série
de
variations
:
les
poupées
petites
ne
sont
pas
des
répliques
miniatures
de
la
grande
;
chacune
à
son
costume,
son
expression,
ses
caractéristiques,
et
pourrait
tout
à
fait
se
suffire
à
elle
même
jusqu’à
un
certain
point.
Il
y
a
donc
une
attention
toute
particulière
portée
dans
ce
travail
à
la
diversité
des
points
de
vue
sur
notre
sujet,
et
non
seulement
un
effet
de
zoom,
ni
même
de
mise
en
abime.
Ainsi,
cette
variation
comporte
des
«
effets
de
connaissance
»
(op.cit.)
:
elle
ne
se
réduit
pas
à
l’idée
que
«
‘small
[
ou
même,
nous
ajoutons,
macro
ou
méso
]
is
beautiful’,
mais
que
‘small
[
ou
même,
nous
ajoutons,
macro
ou
méso
]
est
heuristique’
(au
sens
de
fabrique
de
l’idée,
du
questionnement,
de
la
production
de
connaissances)
»
(2007
:26).
C’est
donc
la
variation,
et
non
chacun
des
niveaux
en
soi,
qui
peut
apporter
un
autre
regard
sur
le
phénomène
de
l’éthique
(et
non
seulement
une
agrégation
de
niveaux),
et
peut
devenir
le
lieu
d’une
réflexion
épistémologique.
Nous
proposons
que
c’est
l’aspect
situé
de
l’éthique
comme
pratique
qui
peut
lui
donner
un
sens
nouveau,
comme
expliqué
dans
les
chapitres
précédents.
Par
ailleurs,
la
démarche
en
sciences
sociales
est
éminemment
humaine
et
sociale,
donc
relationnelle
et
complexe.
Ainsi,
une
partie
d'autoréflexivité
est
non
seulement
inévitable
mais
essentielle,
en
particulier
dans
un
processus
de
thèse.
A
ce
propos,
le
mot
gestion
lui
même
fait
un
étrange
écho
de
par
sa
proximité
sonore
à
l'idée
de
gestation,
au
sens
strict
de
porter
un
enfant,
en
soi,
et
non
seulement
de
le
porter
à
terme,
mais
aussi
de
le
projeter,
de
le
mettre
en
discours,
de
le
mûrir,
de
l'assumer
même
lorsqu'on
ne
reconnaît
plus
cette
vie
(cette
chose?)
qui
pousse
à
l'intérieur
de
soi
(que
soudain
on
ne
reconnaît
plus
comme
faisant
partie
de
soi),
qui
nous
habite
et
semble
nous
dévorer
de
l'intérieur.
N’oublions
pas
que
nos
objets
sont
aussi
des
sujets
eux-‐mêmes
(Chanlat,
2005),
et
tout
au
long
de
la
période
où
on
les
étudie,
ils
ne
sont
jamais
dans
une
extériorité
ou
une
objectivité
par
rapport
à
nous,
chercheurs.
Ils
nous
habitent
aussi,
nous
réveillent
la
nuit.
Quoi
qu'il
en
soit,
il
y
a
un
degré
d'intimité
inévitable
en
sciences
de
gestion
en
particulier
et
sciences
humaines
en
général,
qui
transparait
dans
le
style
d’écriture
(Geertz,
1996),
doit
être
assumé
comme
tel
(Devereux,
1980)
et
interroge
l'identité
même
du
chercheur.
Parler
d'une
triple
extériorité
à
dépasser
(expliquée
dans
les
prolégomènes)
exprime
bien
un
des
éléments
fondamentaux
de
notre
posture
en
tant
que
chercheur.
187
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
Elle
se
caractérise
par
la
volonté
d'une
immersion
qui
soit
aussi
en
quelque
sorte
une
acculturation
d'une
part,
mais
d'autre
part
toujours
avec
la
fausse
naïveté
dans
le
style
des
Lettres
Persanes
de
Montesquieu
([1721]
2003).
Dans
un
premier
temps,
nous
étions
donc
en
position
d'esclave,
dépendante
d'un
accès
qui
veuille
bien
s'ouvrir
à
nous.
Puis,
une
fois
en
‘milieu
naturel’,
il
a
bien
fallu
‘devenir
gorille’
jusqu’à
un
certain
point,
obéir
à
leur
code,
donc
nous
laisser
conditionner
par
le
milieu
:
gérer
notre
survie
en
tant
qu'observateur
puis
comme
acteur
est
devenu
en
soi
source
de
connaissance,
mais
une
connaissance
de
premier
niveau
de
laquelle
il
a
fallut
s'affranchir
pour
prendre
du
recul
par
rapport
à
cette
situation
de
conditionnement
réciproque.
4.1.2.2.
La
dimension
réflexive
et
l’implication
du
chercheur
Dire
«
je
»
semble
la
chose
la
plus
anodine,
voire
infantile
du
monde.
Les
enfants
lorsqu’ils
apprennent
à
parler
et
plus
tard
leurs
conjugaisons,
ne
répètent-‐ils
pas
«
je
mange,
je
dors,
je
veux...
»
sans
que
cela
ne
leur
pose
problème
?
Etre
un
«
moi
»
est
pour
eux
une
évidence
autour
de
laquelle
on
se
forge
une
idée
du
monde,
c'est-‐à-‐dire
de
tout
ce
qui
n’est
pas
«
moi
»,
de
ce
qui
me
contrarie
ou
me
bénéficie.
Dans
son
ouvrage
posthume,
L’Homme
et
les
Gens
(2008,
voir
en
particulier
les
chapitres
1-‐3),
le
philosophe
Ortega
y
Gasset
nous
livre
une
analyse
de
cette
évidence
première
du
moi
en
la
qualifiant
de
‘réalité
radicale’.
Réalité,
car
à
l’instar
de
Descartes,
il
est
clair
pour
moi
qu’indépendamment
de
tout
le
reste,
«
je
suis
».
Et
radicale,
car
je
vis
en-‐moi-‐même,
c'est-‐à-‐dire
contrairement
à
la
pierre,
à
la
plante
ou
même
à
l’animal,
qui
sont
dans
le
monde
avec
dans
le
meilleur
des
cas
une
conscience
de
ce
monde,
toujours
tournée
vers
l’extériorité
et
jamais
vers
eux-‐mêmes.
L’homme
vit
‘ensimismado’,
terme
espagnol
magistral
pour
désigner
la
distance
à
soi
de
l’existence
(ex-‐stare),
qui
par
là
même
permet
un
retour
sur
soi
permanent
dans
la
réflexion.
Toujours
selon
son
raisonnement,
l’évidence
de
l’ego
est
l’élément
radical
qui
caractérise
notre
identité
d’êtres
humains.
Or,
une
fois
cette
évidence
admise,
cette
question
du
«
je
»
est
une
interrogation
méthodologique
et
épistémologique
fondamentale
dans
la
complexité
et
la
diversité
des
problèmes
qu’elle
pose.
Le
20e
siècle
a
vu
ce
problème
se
radicaliser
sous
les
disciplines
que
l’on
rassemble
sous
le
nom
de
sciences
humaines,
où
le
leitmotiv
qui
semble
dominer
est
celui
de
se
chercher
soi-‐
même,
plus
largement
pour
comprendre
ce
qu’être
un
homme
veut
dire.
L’anthropologie
et
l’ethnologie
sont
allées
chercher
outre-‐mer,
dans
le
regard
d’autres
cultures
et
d’autres
peuples
une
réponse
à
la
question
de
l’identité
occidentale,
une
distance
sinon
critique
du
moins
géographique
et
un
reflet
de
leur
propre
spécificité
par
188
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
189
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
engendre
le
tragique
entre
être
soi
(serse)
et
aspirer
à
être
tout
(serlo
todo)39.
Cette
tension
est
inhérente
à
la
tradition
ethnographique
et
anthropologique
qui
refuse
l’idéalisation
et
l’objectivation
du
terrain
et
doit
donc
trouver
un
juste
milieu
entre
le
fait
d’être
totalement
immergé
(going
native)
dans
le
terrain
et
aux
aléas
de
son
accès
et
garder
une
distance
critique
suffisante
afin
de
pouvoir
parler
à
un
public
international
(Karra
&
Phillips,
2008).
On
reproche
alors
souvent
à
l’ethnographie
de
n’être
qu’un
‘certain
regard’,
que
ce
soit
celui
des
personnes
observées
ou
du
chercheur.
Mais
il
faut
bien
souligner
que
les
individus
ne
valent
que
pour
eux-‐mêmes,
pas
à
la
place
des
autres
ou
d’un
‘individu
générique’
ni
même
représentatif
cher
à
d’autres
approches.
Leur
témoignage
est
justement
cela,
un
point
de
vue
que
l’ethnographe
recueille
:
«
loin
d’être
des
points
de
départ,
personnes
génériques
ou
individus
donnés
d’avance,
les
personnes
ethnographiques
sont
des
résultats
:
le
résultat
de
nœuds
de
relations
avec
d’autres
personnes,
avec
des
choses
et
de
avec
des
lieux
familiers
»
(Beaud
&
Weber,
2003
:335).
Mais
ces
difficultés
peuvent
aussi
constituer
une
force,
puisqu’ils
sont
assumés,
rendus
explicites
et
tissés
dans
la
démarche
elle-‐même.
L’usage
de
l’expérience
subjective
du
chercheur
sous
forme
de
narration
et
de
description
(comme
dans
un
journal)
à
l’avantage,
d’un
point
de
vue
méthodologique,
d’explorer
un
phénomène
dans
la
proximité,
d’y
pénétrer
avec
perspicacité
en
raison
de
l’implication
personnelle.
Cette
implication
devient
alors
un
élément
structurant
du
résultat
(Bouilloud,
2009),
dont
nous
expliquerons
les
ressorts
et
les
aspects
ci-‐après.
4.1.2.3.
La
question
de
la
contextualisation
«
Ceux
qui
critiquent
le
caractère
'français'
de
mes
résultats
ne
voient
pas
que
ce
qui
est
important,
ce
ne
sont
pas
les
résultats,
mais
le
processus
selon
lequel
ils
sont
obtenus.
Les
théories
sont
des
programmes
de
recherche
qui
appellent
non
la
'discussion
théorique'
mais
la
mise
en
œuvre
pratique,
qui
réfute
ou
généralise.
Husserl
disait
qu'il
faut
s'immerger
dans
le
cas
particulier
pour
y
découvrir
l'invariant
;
et
Koyre,
qui
avait
suivi
les
cours
de
Husserl,
montre
que
Galilée
n'a
pas
eu
besoin
de
répéter
mille
fois
l'expérience
du
plan
incliné
pour
comprendre
le
phénomène
de
la
chute
des
corps.
Il
lui
a
suffi
de
construire
le
modèle
contre
les
apparences.
Quand
le
cas
particulier
est
bien
construit,
il
cesse
d'être
particulier
et,
normalement,
tout
le
monde
devrait
pouvoir
le
faire
fonctionner.
»
Pierre
Bourdieu,
1988
in
Bourdieu,
et
al.,
2005:xv.
Comme
évoqué
précédemment,
l’usage
du
mot
contexte
revêt
ici
d’une
signification
particulière
:
en
effet,
celui-‐ci
«
n’est
ni
‘donné’,
ni
unifié,
ni
homogène
:
il
est
le
fruit,
en
partie,
d’une
construction
par
les
acteurs
eux-‐mêmes
»
(Borzeix,
2007
:
27).
Le
lecteur
mérite
donc
une
explication
concernant
le
contexte
du
présent
travail,
c’est-‐à-‐dire
les
conditions
de
sa
réalisation,
de
la
doctorante
et
de
son
objet.
39
Je
remercie
mon
directeur
de
these
de
m’avoir
fait
redécouvrir
ce
penseur.
190
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
J'ai
choisi
(et
je
précise
qu’il
s’agit
bien
d’un
choix)
de
conduire
cette
recherche
en
France
(alors
qu’au
moment
de
la
commencer
je
n’avais
pas
encore
la
nationalité
française
et
ma
présence
sur
le
territoire
dépendant
des
éventuels
renouvèlements
du
titre
de
séjour),
dans
une
banque
française,
et
je
procède
à
l’écriture
de
cette
thèse
en
français.
Ceci
n’est
pas
sans
incidence
dans
l’univers
académique
des
sciences
de
gestion,
où
prédomine
de
plus
en
plus
la
tradition
anglo-‐saxonne
et
en
particulier
étasunienne,
devenue
une
véritable
réalité
sociale
reconnue
comme
‘scientifique’
(Bouilloud
&
Lecuyer,
1994).
Cette
dernière
a
longtemps
eu
tendance
à
considérer
que
le
cas
générique
était
celui
qui
relevait
de
ce
contexte
géographique
et
culturel
étasunien,
ou
des
organisations
multinationales
dont
la
maison
mère
est
aux
États-‐Unis.
Dans
ces
études,
qui
représentent
encore
la
majorité
des
travaux
de
recherche
publiés
dans
les
revues
considérées
les
meilleures
dans
le
domaine
gestionnaire,
il
n’est
donc
rarement
fait
mention
–
du
moins
dans
le
titre
–
que
les
donnés
empiriques
proviennent
de
ce
contexte
étasunien,
qui
constituent
donc
le
mainstream
et
le
cas
faussement
général
accepté
comme
tel.
En
effet,
non
pour
polémiquer
mais
simplement
comme
remarque
pour
situer
notre
travail,
la
plupart
des
fondements
juridiques,
théoriques
et
normatifs
en
termes
de
méthode
proviennent
des
USA
et
de
la
tradition
académique
qui
y
découle.
Un
de
nos
objectifs
ici
sera
donc
de
prendre
en
compte
les
différentes
voix,
«
d’interpréter
la
polyphonie
»
(à
l’instar
de
Bevan
et
Hartman,
2007,
2008)
des
apports
mainstream
et
des
perspectives
autres
(continentales
ou
non).
A
titre
d'exemple,
dans
un
séminaire
doctoral
au
Canada,
Roy
Suddaby,
le
rédacteur
en
Chef
de
l'Academy
of
Management
Review40,
exposait
l'écart
qu'il
y
a
à
ce
niveau
et
déplorait
ce
que
ceci
implique
pour
la
richesse
de
la
recherche.
En
effet,
plus
de
50%
des
contributions
(articles
pour
publication
ou
soumis
à
la
conférence
annuelle
de
l'Academy
of
Management)
sont
non-‐nord-‐américaines
(européennes
et
surtout
asiatiques
pour
la
plupart)
alors
que
moins
de
20%
de
relecteurs
sont
non-‐nord-‐
américains.
Ainsi,
tout
chercheur
non-‐nord-‐américain
s’est
retrouvé
face
à
la
demande
d’un
de
ces
relecteurs
de
justifier
l’intérêt
d’une
entreprise
ou
d’un
auteur
non-‐nord-‐
américain
comme
pré-‐requis
pour
évaluer
la
pertinence
de
l’article
uniquement
sur
cette
base
d’étrangeté.
Par
ailleurs,
il
nous
expliquait
que
l'Academy
est
pour
l'instant
réticente
à
prendre
en
charge
financièrement
les
déplacements
intercontinentaux
des
collègues
européens
et
asiatiques
pour
les
réunions
obligatoires
des
comités
de
40
Séminaire
doctoral
du
5
octobre
2011,
auquel
nous
avons
assisté
durant
notre
séjour
de
“doctoral
visiting” à l'Alberta School of Business dans le cadre du programme CEFAG de la FNEGE.
191
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
rédaction,
et
ces
collègues
sont
donc
très
peu
nombreux
à
pouvoir
y
participer.
Si
on
ajoute
les
barrières
de
langue,
ceci
se
traduit
dans
le
contenu
des
recherches
publiées
dans
les
journaux
considérés
comme
meilleurs
au
niveau
international
par
une
forte
prééminence
d'une
focale
étasunienne
ou
nord-‐américaine.
En
revanche,
les
études
non-‐étasuniennes,
sont
ainsi
plus
ou
moins
contraintes
d’exprimer
leur
spécificité,
de
justifier
en
quoi
ce
cas
particulier
peut
intéresser
les
sciences
de
gestion
au
niveau
international.
Plus
encore,
nous
sommes
presque
contraints
de
présenter
ceci
comme
un
biais
potentiel.
Ceci
en
dit
long
sur
les
bases
épistémologiques
des
sciences
de
gestion
en
général,
et
les
difficultés
que
le
présent
travail
doctoral
doit
affronter
pour
se
positionner
sur
la
scène
des
publications.
Nous
y
reviendrons.
Dans
le
cas
présent,
je
vais
donc
cherche
à
expliciter
et
justifier
le
French
touch
qui
caractérise
cette
recherche.
Sur
le
sujet
spécifique
que
j'aborde
dans
ce
travail,
il
y
a
certainement
des
éléments
culturels
et
nationaux
déterminants,
à
cheval
justement
entre
la
finance
mondialisée
et
la
tradition
bancaire
en
France,
d’autant
plus
que
j’aborde
les
pratiques
d’un
contexte
très
spécifique
qui
va
articuler
risque,
contrôle
et
éthique
d’une
manière
spécifique
par
rapport
à
des
normes
y
compris
juridiques
et
leur
mise
en
application
spécifique.
Ces
spécificités
seront
particulièrement
visibles
dans
les
écarts
de
législation,
que
j'aborde
dans
les
détails
au
fur
et
à
mesure
de
l'étude
lorsque
les
précisions
de
ce
type
s'imposent
(ceci
a
constitué
un
défi
supplémentaire,
n’ayant
pas
de
formation
en
droit
et
devant
manipuler
de
nombreux
textes
de
loi).
Mais
il
convient
aussi
de
souligner
l’influence
anglo-‐saxonne
qui
demeure
très
forte
dans
les
pratiques
professionnelles
liées
aux
métiers
de
la
finance.
Un
élément
très
visible
est
par
exemple
le
vocabulaire
:
les
praticiens,
du
moins
dans
le
contexte
d'une
grande
banque
d'investissement
implantée
aussi
à
l'international,
dans
le
quotidien
de
leurs
métiers,
utilisent
rarement
les
mots
techniques
français
et
ont
recours
plus
volontiers
à
la
terminologie
anglo-‐saxonne.
C'est
pourquoi,
dans
le
souci
de
mieux
refléter
cette
réalité
interculturelle
complexe,
j’ai
fait
le
choix
de
conserver
les
mots
anglais
utilisés
par
les
praticiens,
comme
l'acronyme
«
KYC-‐AML
»
(au
lieu
de
CC-‐
LAB/FT
en
Français),
les
expressions
«
Front
Office
»
ou
«
compliance
officer
»
etc.
Cet
usage
des
mots
dans
le
contexte
Français,
leurs
nuances,
les
faiblesses/abus
de
traduction
et
d'autres
éléments
culturels,
ne
sont
pas
sans
importance
pour
la
manière
dont
les
praticiens
font
sens
de
leur
métier,
et
dont
le
chercheur
peut
à
son
tour
les
analyser.
J'en
ferai
donc
mention
tout
au
long
de
mon
étude,
et
je
montrerais
que
les
éléments
de
contextualisation
sont
déterminants
et
participent
de
la
construction
d'une
éthique
comme
pratique.
J’ai
fait
donc
le
choix
de
garder
les
différentes
voix,
avec
les
mots
tels
quels,
même
lorsque
ceux-‐ci
étaient
prononcés
dans
un
langage
familier,
un
192
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
jargon
de
spécialiste
ou
encore
en
anglais,
afin
de
mieux
refléter
les
situations
concrètes
et
car
je
pense
qu’il
s’agit
d’éléments
révélateurs
de
liens
sociaux.
Trop
de
travaux
ont
sous
estimé
cet
aspect,
et
ont
tendance
à
oublier
ou
négliger
la
matérialité
concrète
de
ce
que
l’on
étudie,
comme
la
langue,
des
dispositifs,
l’organisation
de
l’espace.
Ceci
est
également
un
des
atouts
de
l’appréhension
phénoménologique,
et
à
ce
propos
les
différentes
natures
des
informations
(narrations,
images,
interactions),
différentes
méthodes
de
collecte
d’information
et
de
restitution
des
résultats
(sous
forme
de
tableaux,
séquences
chronologiques,
schémas)
ont
été
particulièrement
utiles
pour
rendre
visible
les
acteurs
en
situation,
et
l’éthique
en
pratique.
En
effet,
on
s’adonne
à
l’exercice
d’interpréter
tous
les
phénomènes
qui
se
donnent
à
notre
conscience,
«
les
logiques
d’action
et
les
pratiques
sociales
en
situation
»
(Mucchielli
2005
:31)
sans
pour
autant
tomber
dans
une
dérive
psychologique
(Simmel,
1894
:499),
qui
est
particulièrement
forte
sur
des
problématiques
morales.
On
devient
ainsi
non
seulement
‘scribe’
de
ce
que
l’on
observe
et
qui
viennent
faire
partie
de
notre
contexte
et
de
la
contextualisation
de
notre
objet
d’étude.
Ceci
est
ensuite
suivi
par
un
travail
d’explicitation,
de
déroulement
du
parchemin
:
il
est
nécessaire
«
pour
la
phénoménologie
de
concevoir
sa
méthode
comme
une
Auslegun,
une
exégèse,
une
explication,
une
interprétation
»
(Ricoeur,
1986
:69).
Notre
travail
consiste
donc
aussi
à
rendre
compte
de
notre
expérience
de
chercheur,
y
compris
de
nos
expériences
vécues
et
celles
de
nos
collaborateurs,
et
d’en
proposer
une
lecture,
alors
même
que
parfois
nous
n’avons
qu’une
vision
partielle
de
leur
métier
ou
de
leurs
actes.
Il
relève
donc
jusqu’à
un
certain
point
d’une
co-‐construction
de
la
réalité
phénoménale.
Dans
ce
cas
là,
cette
co-‐construction
est
assumée
par
les
deux
parties,
puisque
l’objectif
académique
des
observations
était
explicite
et
connu
de
tous.
Il
revient
ensuite
au
chercher
dans
sa
restitution
de
rendre
compte
de
cela
par
une
mise
en
scène
efficace
et
véridique.
Je
souhaite
enfin
faire
une
remise
en
perspective
de
la
progression
de
ma
réflexion,
et
comment
elle
s’est
nourrie
progressivement
de
différents
apports.
Durant
ma
jeunesse
au
Mexique
j’avais
surtout
développée
une
culture
littéraire
et
poétique
qui
ne
manque
pas
de
se
retrouver
par
touches
ici
et
là
(citations
de
Baudelaire,
Victor
Hugo,
Rimbaud,
Primo
Lévi,
Cervantes
ou
Octavio
Paz…).
Ensuite,
mes
années
de
prépa
à
Aix
en
Provence
et
à
l’Ecole
Normale
Supérieure
ont
marqué
un
virement
vers
la
philosophie,
et
l’influence
majeure
a
été
celle
de
suivre
de
2004
et
jusqu’en
2012
que
j’ai
déménagé
à
Lyon,
le
séminaire
d’Alain
Badiou,
ce
qui
m’a
donné
une
approche
différente
à
sa
pensée
que
celle
que
je
peux
avoir
vis
à
vis
d’autres
philosophes
que
je
ne
connais
que
l’écrit.
Sa
pensée
m’est
parvenue
en
tant
que
pensée,
donc
orale,
colérique,
drôle,
et
qui
a
toujours
su
réveiller
en
moi
le
sentiment
d’engagement
‘quichottesque’
193
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
dans
la
vie
et
dans
ma
pensée
que
mes
parents
m’avait
transmis41.
Le
Master
en
gestion
a
apporté
un
renouveau
et
un
ancrage
dans
un
autre
réel
:
la
découverte
de
la
psychosociologie
avec
les
séminaires
du
CERS,
de
la
fascinante
question
des
risques
avec
les
cours
à
Polytechnique
de
Benoit
Journé,
les
approches
cognitives
avec
Hervé
Laroche,
puis
tout
au
long
de
la
thèse
les
séminaires
de
la
chaire
Ethique
et
Finance
animés
par
Christian
Walter
et
les
séminaires
de
la
SSFA
à
Paris
avec
Marc
Lenglet.
Intégrer
ces
nouvelles
perspectives
n’a
pas
été
aisé,
et
il
a
fallu
que
moi
et
mes
professeurs
fassent
preuve
de
patience
pour
arriver
à
naviguer
efficacement
dans
ce
nouveau
milieu,
à
intégrer
les
codes,
le
vocabulaire,
les
œuvres
de
référence.
La
suite
de
mon
itinéraire
théorique,
qui
s’appuie
largement
par
ce
que
je
viens
brièvement
de
dire,
est
largement
explicitée
dans
les
premiers
chapitres
de
ce
travail.
4.1.2.4.
Chaosmos
:
épistémologie
de
la
complexité
et
implications
de
méthode
pour
penser
les
situations
Le
choix
d’une
méthode
qualitative
et
ethnographique
n’est
pas
non
plus
allé
de
soi.
En
effet,
il
y
a
une
prééminence
du
chiffre
et
du
quantifiable
comme
marque
de
l’universel
et
du
rationnel
(Bouilloud,
1999b)
et
des
méthodes
quantitatives
en
gestion
au
détriment
des
méthodes
qualitatives
alors
qu’elles
gagneraient
à
être
valorisées
(Chanlat,
2005).
Considérées
–
à
raison,
et
pour
moi
aujourd’hui
c’est
même
presque
des
compliments
–
comme
‘messy’,
longues,
complexes,
sans
pertinence
statistique,
difficilement
reproductibles
et
difficilement
publiables
–
elles
sont
sinon
explicitement
déconseillées
aux
doctorants
en
gestion
dans
les
conférences,
programmes
doctoraux
etc.,
du
moins
jugées
insuffisantes.
On
nous
propose
alors
de
faire
«
un
peu
de
quali
exploratoire,
et
puis
un
bon
quanti
»
ou
alors
«
du
quanti,
dont
on
creusera
les
résultats
avec
quelques
entretiens
».
Je
précise
que
j’ai
eu
la
chance
de
me
trouver
dans
un
programme
doctoral
où
au
contraire
les
‘qualis’
étions
la
majorité
des
doctorants
mais
aussi
d’un
certain
nombre
de
professeurs,
et
d’avoir
rapidement
compris
dans
quels
cercles
académiques,
conférences
et
journaux
il
fallait
se
mouvoir
pour
éviter
les
malheureuses
questions
et
remarques
de
«
‘mais
vous
n’avez
pas
d’hypothèses’
;
‘comment-‐ça
vous
faites
de
l’inductif
?’
;
‘votre
échantillon
n’est
pas
représentatif’
;
‘comment
proposez
vous
de
tester
ce
que
vous
dites
?’
».
Au
contraire,
j’ai
pu
bénéficier
41
Il
est
toujours
intéressant
de
réfléchir
aux
textes
fondateurs
qui
nous
ont
forgé
en
tant
que
culture
et
individus
(quel
italien
ne
se
réclame
pas
de
la
Divine
Comédie
de
Dante,
quel
français
peut
être
insensible
à
Victor
Hugo
?).
Sans
développer,
dans
mon
cas
la
quête
de
Don
Quichotte,
mêlé
au
réalisme
magique
Latino-‐
Américain,
au
tragique
sublime
de
l’Homme
qui
Rit
de
Hugo
et
aux
provocations
de
Badiou
sont
un
assez
bon
tableau
général.
194
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
de
remarques
qui
sans
forcément
adhérer
à
mon
propos
et
démarche,
m’ont
beaucoup
stimulé
de
manière
constructive,
m’ont
aidé
à
approfondir
la
rigueur
et
j’espère
la
pertinence
–
non
pas
statistique
mais
théorique
–
de
mon
propos.
Ça
faisait
partie
des
défis
à
relever
(que
de
chercher
à
publier,
à
trouver
un
travail,
à
obtenir
des
fonds
de
recherche
en
faisant
du
‘quali’)
mais
qui
heureusement
ne
se
sont
pas
révélés
insurmontables
malgré
le
tableau
noir
qu’on
a
pu
me
dépeindre
parfois
et
selon
lequel
un
tel
choix
relevait
de
l’inconscience
et
presque
du
suicide
de
carrière.
Plus
profondément,
ce
choix
méthodologique
est
à
notre
avis
largement
justifié
par
rapport
au
contexte
d’étude,
ce
qui
amène
à
une
véritable
réflexion
épistémologique
sur
la
complexité
elle-‐même.
Comment
penser
les
phénomènes
complexes
?
Quelle
connaissance
est
possible
?
Sans
rentrer
dans
les
détails
d’une
question
qui
mériterait
plus
qu’un
paragraphe
et
qui
sera
à
approfondir
par
ailleurs,
il
nous
semble
important
de
mentionner
quelques
pistes.
Afin
de
pouvoir
penser
l’éthique
des
affaires
comme
oxymore
d’une
part
et
comme
pratique
d’autre
part,
de
penser
les
situations
paradoxales
et
paradoxantes,
de
penser
l’imbrication
des
niveaux,
on
est
en
quelque
sorte
invités,
sinon
contraints
à
encourager
une
science
de
gestion
qui
«
sees
the
social
world
as
chaosmos
-‐
an
ever-‐evolving
synthesis
of
orderly
cosmos
and
recalcitrant
chaos
;
an
interplay
between
integration
and
multiplicity,
action
and
structure,
routine
and
novelty
constantly
renewed
over
time
»
(Langley
&
Tsoukas,
2010
:
20).
Cette
idée
de
chaosmos
nous
semble
particulièrement
intéressante
et
pertinente.
Tsoukas
(2005a,
en
particulier
la
deuxième
partie
pp.
163-‐296)
la
reprend
d’Edgar
Morin
:
le
chaosmos
est
ce
qui
a
des
attributs
du
cosmos,
sans
lesquelles
la
pensée
humaine
serait
impossible,
mais
aussi
elle
est
profondément
enracinée
dans
le
chaos,
sans
lequel
toute
création
socio-‐historique
serait
inatteignable
(cf.
Castoriadis,
1999).
Elle
ouvre
la
possibilité
de
penser
non
seulement
les
organisations
et
les
processus
organisationnels
comme
étant
toujours
en
devenir
(becoming)
(Tsoukas
&
Chia,
2002),
mais
pour
nous
aussi
de
penser
l’éthique
dans
cette
optique.
Une
telle
pensée
nous
permet
de
dépasser
les
apories
de
la
complexité
et
au
contraire
de
les
considérer
vraiment
:
on
ne
peut
en
effet
penser
l’organisation
sans
la
désorganisation
et
le
chaos.
Il
est
certes
rassurant
de
penser
à
l’ordre
normatif
de
la
cosmopolis
(Tsoukas,
2005a
:212),
mais
une
telle
‘naïveté
rationnelle’
ne
peut
plus
tenir
:
elle
doit
céder
la
place
à
une
‘raison
réflexive’,
seule
capable
d’ouvrir
la
voie
à
une
pensée
qui
puisse
considérer
le
chaosmos,
nécessairement
en
situation
et
pour
laquelle
les
approches
qualitatives
sont
les
plus
adaptées.
«
Echoing
Heidegger
(1962),
Gadamer
privileges
the
particular
ground,
the
concrete
tradition,
as
a
conditio
sine
qua
non
for
human
understanding
and
action,
rather
than
the
abstract,
situationless,
transhistorical
cogito
of
Cartesian
and
Kantian
philosophy
195
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
196
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
197
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
198
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
199
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
ethnographique
accentuent
cette
préoccupation
de
par
leur
nature
et
l’implication
avec
le
terrain
d’étude.
Par
exemple,
le
risque
de
présupposer
une
supériorité
morale/culturelle
du
chercheur
vis-‐à-‐vis
des
populations
observées
:
«
Toute
une
partie
de
mon
travail,
par
exemple
Le
Sens
Pratique,
s'oppose
radicalement
a
cet
ethno-‐
centrisme
de
savants
qui
prétendent
savoir
la
vérité
des
gens
mieux
que
ces
gens
eux
mêmes
et
faire
leur
bonheur
malgré
eux,
selon
le
vieux
mythe
platonicien
du
philosophe
roi
[...]
:
des
notions
comme
celle
d'habitus,
de
pratique,
etc.,
avaient
entre
autres
pour
fonction
de
rappeler
qu'il
y
a
un
savoir
pratique,
une
connaissance
pratique
qui
a
sa
logique
propre,
irréductible
a
celle
de
la
connaissance
théorique
;
que,
en
un
sens,
les
agents
du
monde
savent
le
monde
social
mieux
que
les
théoriciens
;
cela
tout
en
rappelant
aussi
que,
bien
entendu,
ils
ne
le
savent
pas
vraiment,
et
que
le
travail
du
savant
consiste
a
expliciter,
selon
ses
articulations
propres,
ce
savoir
pratique.
»
(Bourdieu,
1988
cité
in
Bourdieu
et
al.
2005:
xi.)
Ou
encore
pour
éviter
les
dérives
du
relativisme
(voir
Geertz,
1984,
1996
;
Cassell
&
Jacobs
1987
;
Caplan,
2003)
ou
au
contraire
pour
éviter
de
sombrer
dans
l’hagiographie
et
l’empathie
excessives.
Sur
ce
plan,
de
plus
en
plus
de
normes
deviennent
des
standards,
souvent
à
portée
internationale,
en
matière
de
recherche,
et
en
particulier
dans
la
manière
d'accéder
aux
terrains,
de
collecter
et
de
traiter
les
données
recueillies.
S'immerger
dans
un
milieu
dans
le
style
caméléon
de
Günter
Wallraff
par
exemple
(voir
une
de
ses
enquêtes
les
plus
célèbres,
Tête
de
Turc,
1986),
bien
que
passionnant
et
certainement
utile
pour
le
journalisme
militant
ou
d'autres
domaines,
n'est
souvent
pas
accepté
comme
méthode
en
recherche
académique.
De
nombreux
opposants
à
la
recherche
passant
par
l’observation
secrète
ou
cachée
ont
défendu
cette
position
au
nom
d’une
éthique
de
transparence
(e.g.
Erikson,
1967
;
Bulmer,
1982a)
car
souvent
assimilé
a
une
forme
de
tromperie
et
un
manque
de
respect
des
personnes
étudiées
ou
interrogées,
même
si
dans
certains
contextes
et
pour
certaines
recherches
cela
reste
le
seul
moyen
ce
qui
pousse
éventuellement
à
revoir
les
critères
et
standards
qui
deviennent
la
norme
(Goode,
1996;
Herrera,
2003).
L’intérêt
attaché
à
ces
questions
est
grandissant,
comme
en
témoignent
les
publications
dédiées
telles
que
le
Journal
of
Empirical
Research
on
Human
Research
Ethics,
et
la
prolifération
des
Comités
d’éthique
(Insitutional
Review
board,
IRB,
appelés
aussi
Independent
Ethics
Comittees,
IEC,
ou
Ethical
Review
Boards,
ERB).
Leur
rôle
est
de
réguler
et
contrôler
l’usage
fait
des
résultats
et
la
manière
dont
les
recherches
sont
menées,
en
particulier
lorsqu'elles
concernent
des
êtres
humains.
Nous
retrouvons
ce
genre
de
corps
de
plus
en
plus
dans
le
milieu
académique
en
sciences
sociales,
au
sein
des
universités
et
laboratoires
mêmes,
et
elles
se
réservent
un
droit
de
regard
et
de
modification
en
amont
et
en
aval
des
recherches.
De
plus,
ces
instituts
ou
comités
d'éthique
revêtent
maintenant
une
dimension
nationale,
voire
internationale,
publiques
ou
privées,
indépendantes
ou
commerciales,
comme
par
exemple
l’Institute
for
Global
Ethics,
ce
qui
rend
cette
tendance
de
plus
en
plus
incontournable
par
l’alignement
sur
200
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
201
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
méthodologique
propres,
souvent
définies
sous
forme
de
codes
ou
de
lignes
directrices
par
les
associations
professionnelles
(par
exemple
l’American
Sociological
Association42)
et
par
les
instituts
de
recherche.
La
critique
principale
gravite
autour
du
fait
qu’alors
que
les
préoccupations
morales
et
normatives
sont
bien
légitimes,
leur
traduction
en
dispositifs
règlementaires
inadaptés
à
l’ethnographie
ou
à
la
sociologie
peut
avoir
des
conséquences
de
normalisation,
d’interdiction,
voire
même
l’effet
pervers
de
déresponsabilisation
(Cefai,
2009).
Quoi
qu’il
en
soit,
il
y
a
un
consensus
assez
généralisé
sur
3
éléments
en
plus
du
consentement
informé
:
l’honnêteté,
le
respect
de
la
vie
privée
et
la
confidentialité
(voire
en
particulier
le
paragraphe
11
et
12
du
code
de
l’ASA).
Or,
là
aussi
se
posent
des
questions
concrètes
par
rapport
à
l’ethnographie.
En
effet,
les
simples
descriptions
des
organisations
ou
des
parcours
professionnels
permettent
souvent
de
les
reconnaître,
du
moins
pour
le
lecteur
qui
connaitrait
le
milieu
(cf.
Béliard
&
Eideliman,
2008).
Tout
en
assumant
ce
risque,
c’est
sur
ces
quatre
éléments
que
nous
avons
bâti
notre
protocole
méthodologique,
comme
on
le
détaillera
ci-‐
après.
Cependant,
les
difficultés
à
mener
cette
recherche
nous
ont
parfois
conduits
à
des
écarts
sur
d’autres
aspects
de
faisabilité
pratique,
une
véritable
mise
en
abîme
éthique
d’une
recherche
sur
l’éthique,
que
nous
préciserons
aussi
pour
clarifier
chaque
aspect
de
cette
recherche
avec
le
plus
de
transparence
possible.
4.1.3.2.
Difficultés
particulières
liées
à
un
sujet
et
un
terrain
‘moralement
problématiques’
Les
difficultés
d’accès
à
un
terrain
de
recherche
se
trouvent
souvent
accentuées
lorsque
l’on
veut
étudier
des
phénomènes
potentiellement
compromettants
ou
pour
mettre
en
lumière
des
aspects
moralement
critiquables
voire
criminels.
Les
personnes
sont
souvent
très
réticentes
à
être
observées
ou
mesurées
dans
leur
comportement
éthique,
en
particulier
dans
des
cadres
institutionnels
ou
organisationnels
(Treviño,
1986).
Certains
diraient
qu’il
est
justement
du
devoir
du
sociologue
que
d’étudier
et
exposer
ce
qui
derrière
les
rideaux
est
révélateur
des
relations
humaines,
en
particulier
conflictuelles
(Douglas,
1976).
Wallraff
en
est
l’exemple
paradigmatique,
allant
jusqu’à
se
faire
passer
pour
un
immigré
noir
ou
un
ouvrier
industriel
afin
de
témoigner
des
rudes
conditions
de
vie
de
certaines
catégories
de
personnes
(voir
Parmi
les
perdants
du
42
American
Sociological
Association,
‘Code
of
Ethics
and
Policies
and
Procedures
of
the
ASA
Committee
on
202
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
meilleur
des
mondes,
2012).
Mais
ceci
rend
les
techniques
d’approche
et
les
possibilités
d’accès
aux
terrains
et
aux
données
d’autant
plus
difficile.
Jackall
(2010)
lui-‐même
a
été
refusé
par
36
entreprises
sur
43
lorsqu'il
voulait
lancer
son
étude
sur
les
«
règles
morales
d'usage
»,
ou
«
l'éthique
occupationnelle
»
des
managers.
Il
notait
d'ailleurs
qu'a
posteriori
il
a
compris
que
ces
refus
n'étaient
pas
sans
intérêt
et
que
derrière
les
raisons
formelles
qu'on
lui
donnait
après
plusieurs
entretiens
il
y
avait
des
indices
à
exploiter.
En
particulier,
ses
interlocuteurs
soulignaient
l'inutilité
pratique
de
son
étude
:
«
there
were
no
tangible
organizational
benefits
to
be
gained
from
a
study
of
managerial
ethics
»
(2010:13)
à
titre
d’excuse
pour
refuser,
ainsi
que
la
peur
d'avoir
une
présence
étrangère
sur
laquelle
ils
n'avaient
pas
tout
à
fait
la
main
:
«
this
executive
felt
«
uncomfortable
»
with
the
idea
of
suggesting
to
his
colleagues
that
an
outsider,
untested
in
the
corporate
world,
examine
their
ethics
»
(2010:14).
Certains
lui
ont
suggéré
de
présenter
autrement
son
projet
«
they
encouraged
me
to
recast
it
as
a
technical
issue,
[...]
urged
me
to
avoid
any
mention
of
ethics
or
values
altogether
»
(idem),
ce
qui
en
revanche
lui
valait
la
critique
de
la
part
des
comités
d'éthique
de
la
recherche
puisqu'il
ne
dévoilait
pas
le
fond
véritable
de
son
projet,
et
il
du
revenir
à
la
transparence
initiale
avec
laquelle
il
abordait
les
entreprises,
malgré
le
risque
qu'elles
soient
nombreuses
à
refuser
pour
cette
raison.
Un
élément
essentiel
que
Jackall
note
pour
finalement
obtenir
des
accès
a
été
la
tranquillité
et
la
garantie
que
donne
la
référence
de
quelqu'un
connu
des
personnes,
par
les
relations
amicales
et
professionnelles:
«
the
personal
vouching[...]
was
crucial
»
(2010:15).
Dans
mon
cas
aussi,
cette
introduction
dans
le
milieu
bancaire
auprès
de
personnes
qui
avaient
confiance
en
mon
directeur
de
thèse
a
été
un
élément
sine
qua
non
de
ma
possibilité
d’y
accéder,
car
les
autres
pistes
que
j’avais
pu
étudier
s’étaient
toutes
soldées
par
des
échecs
et
des
refus.
J’ai
pu
faire
l’expérience
de
première
main
qu’au
moment
de
la
réalisation
de
cette
thèse,
l’univers
bancaire
et
financier
se
trouvait
dans
le
viseur
de
l’opinion
publique
concernant
leur
«
responsabilité
dans
la
crise
financière
»,
leur
«
manque
d'éthique
»
et
«
l'inefficacité
de
la
régulation
».
Ceci
les
rendait
d'autant
plus
sensibles
et
récalcitrants
à
se
prêter
à
des
recherches
dans
ces
domaines,
qui
pourraient
potentiellement
exposer
leurs
faiblesses,
fonder
les
accusations
et
justifier
les
incriminations
médiatiques.
Or,
ceci
nous
exposait
dans
le
même
temps
au
risque
d'un
biais
accentué
de
désirabilité
sociale,
où
la
possibilité
d’observer
ne
serait
donnée
que
par
une
soudaine
envie
d'apparaître
sous
leur
meilleur
angle
et
«
laver
»
un
peu
leur
image,
ou
alors
que
nos
répondants
ne
soient
que
des
gens
sensibles
à
ces
questions,
puisque
les
autres
(paradoxalement
les
plus
intéressants
à
étudier
de
ce
point
de
vue
là)
refuseraient
surement.
Mais
au
delà
de
ces
problèmes,
que
203
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
nous
aborderons
spécifiquement
dans
la
suite
de
ce
chapitre,
j’aimerions
traiter
ici
des
difficultés
éthiques
que
j’ai
moi-‐même
rencontrées,
dans
cette
mise
en
abîme
où
nous
sommes
en
étant
chercheurs
en
éthique
des
affaires,
puisque
«
les
questions
déontologiques
sont
inhérentes
au
travail
de
terrain.
Aussi
est-‐ce
à
partir
du
travail
concret
qu’elles
prennent
tout
leur
sens.
La
déontologie
est
une
question
de
sociologie
du
travail,
pour
notre
profession
comme
pour
les
autres,
et
pas
seulement
un
sujet
de
sociologie
des
professions.
»
(El
Miri
&
Masson,
2009
:9).
J’ai
été
confrontée
au
fait
que
j’étais
moi-‐même
dans
une
position
à
la
limite
de
la
légalité
ou
de
la
déontologie
du
chercheur.
De
toutes
façons,
le
terrain
demande
au
chercheur
de
s’y
adapter,
et
les
choses
ne
sont
jamais
aussi
fluides
qu’on
le
voudrait
et
certaines
déviations
sont
non
seulement
inévitables
mais
inhérentes
à
ce
genre
de
méthodologies,
sans
que
pour
autant
elles
en
soient
dévalorisées
(Fine,
1993).
De
toutes
façons,
l’accès
aux
terrains
sensibles
n’étant
jamais
facile,
ceci
est
souvent
nécessaire
pour
pouvoir
accéder
à
des
expériences
quotidiennes
de
certaines
professions
:
“for
fieldworkers
this
means
subjecting
one’s
self
to
at
least
a
part
of
the
life
situation
of
others
after
getting
there
by
one
(often
sneaky)
means
or
another”
(Van
Maanen,
2011:219).
Nous
prenons
donc
le
parti
de
la
transparence
pour
justifier
ces
actes
par
la
pertinence
de
la
recherche
menée
et
par
le
fait
que
malgré
ces
actes,
ni
l’honnêteté,
ni
le
respect
de
la
vie
privée,
ni
la
confidentialité
n’ont
été
mis
en
danger.
Pour
conduire
cette
recherche,
j’ai,
avec
l'aide
et
le
soutient
de
l'équipe
qui
m'a
accueillit,
contourné
provisoirement
certaines
règles
et
procédures
afin
d’accélérer
la
possibilité
de
mon
accès.
Concrètement,
ceci
s'est
traduit
par
le
prêt
(non
officiel)
d'un
badge
(qui
n'était
pas
le
mien,
avec
ma
photo
etc.)
afin
de
me
permettre
l'accès
aux
locaux
de
la
banque
pendant
la
période
d'observation
non
participante
durant
laquelle
je
n'avais
pas
de
statut
ni
d'existence
officielle
au
sein
de
la
banque,
même
si
l'accord
était
signé
et
les
personnes
étaient
au
courant
du
projet
et
avaient
approuvé
la
possibilité
de
cette
observation
non
participante.
Le
seul
problème
est
que
je
ne
pouvais
pas
disposer
de
badge,
selon
les
règles
et
procédures
du
département
de
Ressources
Humaines.
Ils
n’avaient
techniquement
pas
la
possibilité
de
me
«
légaliser
»,
sans
que
je
sois
embauchée
avec
un
quelque
type
de
contrat.
Ceci
me
limitait
donc
à
la
condition
quotidienne
de
«
visiteur
»,
assez
pesant
sur
une
période
longue.
Sans
ce
contournement
provisoire
le
temps
de
l'observation
non
participante,
j'aurais
dû,
comme
tous
les
«
visiteurs
externes
»,
suivre
la
procédure
suivante
tous
les
jours
pendant
les
deux
premiers
mois
:
204
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
• passer
tous
les
matins
à
l'accueil
central
de
la
banque,
et
faire
éventuellement
la
queue
pendant
quelques
minutes
;
• obtenir
l'autorisation
pour
entrer
après
un
coup
de
fil
de
l'hôtesse
à
une
personne
de
l'équipe
(qui
donc
ne
pouvait
être
en
réunion
ou
autre
chose,
autrement
l'hôtesse
ne
me
donnait
pas
l'autorisation
d'entrer)
;
• quelqu'un
du
service
devrait
venir
me
chercher
à
l'accueil
(donc
interrompre
son
travail,
descendre
jusqu'à
l'accueil,
puis
me
raccompagner
en
haut)
;
• cette
personne
me
ferait
passer
au
moins
deux
portes
sécurisées
(que
le
badge
provisoire
donné
aux
visiteurs
ne
permet
pas
d'ouvrir,
ils
doivent
donc
être
accompagnés
d'un
employé
dans
leurs
déplacements,
du
moins
dans
certaines
parties
des
immeubles,
et
en
particulier
dans
la
région
sécurisée
du
Front
Office
où
se
trouvaient
les
bureaux
de
l'équipe
observée
;
• et
le
même
scénario
pour
sortir
aux
pauses
café
et
déjeuner,
et
les
déplacements
journaliers
entre
les
différents
bureaux.
205
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
4.2.
LA
DEMARCHE
ETHNOGRAPHIQUE
ET
SA
JUSTIFICATION
«
C'est
en
fonction
d'un
problème
et
d'une
construction
particulière
de
l'objet
que
l'on
peut
choisir
entre
une
technique
ou
une
autre
[…]
Donc
on
ne
peut
pas
dissocier
la
construction
d'objets
des
instruments
de
construction
de
l'objet,
parce
que
pour
passer
d'un
programme
de
recherche
a
un
travail
scientifique,
il
faut
des
instruments
et
que
ces
instruments
sont
plus
ou
moins
adaptés
selon
ce
qu'on
cherche.
»
Pierre
Bourdieu,
1988
in
Bourdieu
et
al.
2005:xiv.
4.2.1.
UNE
DEMARCHE
INTERPRETATIVE
PAR
IMMERSION
4.2.1.1.
L’ethnographie
comme
le
produit
de
plusieurs
méthodes
“Ethnography
replaces
a
model
of
the
simple
general
system
with
the
model
of
the
complex,
unique
system
that
is
subject
to
situational
logic,
interpretation,
resistance
and
invention.”
K.E.
Weick,
(1989)
à
propos
de
Tales
of
the
Field
de
Van
Maanen.
Du
grec
έθνος
-‐ethnos
(peuple,
mœurs)
et
γράφω
-‐grapho
(écrire),
l’ethnographie
recouvre
un
certain
flou
et
est
parfois
confondu
ou
superposé
avec
«'qualitative
inquiry',
'fieldwork',
'interpretative
method'
and
'case
study',
these
also
having
fuzzy
semantic
boundaries»
(Hammersley
&
Atkinson,
2007:1).
C'est
une
démarche
particulièrement
utilisée
dans
les
sciences
sociales,
au
croisement
d'héritages
de
l’ethnologie,
de
l'anthropologie
et
de
la
sociologie
(cf.
Chanlat,
2005
pour
une
récapitulation
historique
dans
les
milieux
anglophones
et
francophones).
Elle
est
souvent
rangée
dans
la
catégorie
des
méthodologies
qualitatives
en
tant
qu’elle
se
base
notamment
sur
des
observations
et
des
échanges
discursifs,
mais
elle
peut
aussi
être
complémentée
par
des
données
statistiques
ou
macroéconomiques
pour
caractériser
un
milieu.
L’ethnographie
est
un
outil
précieux
lorsqu’on
part
sur
une
démarche
206
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
207
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
l’intérieur,
et
le
point
de
départ,
en
tout
humilité,
est
souvent
une
question
presque
naïve
(«
qu’en
est-‐il
de
l’éthique
dans
les
banques
?
»
dans
notre
cas).
Et
en
reprenant
Braudel
(2008
:25)
:
n’est
il
pas
bon
que
la
recherche
soit
«
d’abord
une
description,
simple
observation,
classement
sans
trop
d’idées
préalables
?
Voir,
faire
voir,
c’est
la
moitié
de
notre
tâche.
Voir
si
possible
de
nos
propres
yeux
».
Ensuite,
on
pourra
co-‐
construire
notre
ethnographie
en
combinant
apports
internes
(emic)
et
externes
(etic).
Quant
aux
outils
méthodologiques
des
démarches
ethnographiques,
il
y
a
un
certain
nombre
que
nous
avons
utilisé
dans
ce
travail,
à
commencer
tout
simplement
par
le
fait
d’être
sur
place,
d’être
là,
d’être
en
immersion
(Watson,
1999).
Cette
immersion
profonde
dans
le
quotidien,
dans
tout
ce
qu’il
peut
avoir
de
routinier
et
même
parfois
de
banal,
sans
que
cette
banalité
lui
ôte
pour
autant
son
importance,
est
le
point
de
départ.
«
Ethnography
claims
a
sort
of
informative
and
documentary
status
–
‘bringing
back
the
news’
–
by
the
fact
that
somebody
actually
goes
out
and
beyond
their
ivory
towers
of
employement,
libraries,
classrooms,
and
offices
to
‘live
with
and
live
like’
someone
else”
(Van
Maanen,
2011:219).
L’observation
participante,
dans
ce
cas
là
sous
forme
d’appartenance
participante
périphérique
(au
rôle
secondaire
dans
l’organisation),
est
alors
comme
le
socle
de
base
soutenant
une
démarche
de
type
ethnographique,
car
c’est
ainsi
que
le
chercheur
“engages
with
the
people
being
studied,
shares
their
life
as
far
as
possible,
and
converses
with
them
in
their
own
terms“
(Gellner
&
Hirsch,
2001:1).
En
effet,
observer
un
processus,
ou
ce
qu’Elias
nomme
une
«
configuration
en
mouvement
»,
un
système
mobile
de
places
(1991)
implique
un
certain
investissement
personnel
de
la
part
du
chercheur.
Voulant
étudier
l’interdépendance
de
plusieurs
systèmes
de
sens
(normatif,
pratique,
bancaire,
sociétal...)
(Geertz,
1994),
l’ethnographie
cherche
à
cueillir
ces
systèmes
de
sens
au
moyen
des
activités
quotidiennes,
ce
qui
ne
peut
être
fait
sans
une
présence
effective
non
fugace
comme
cela
peut
être
le
cas
lors
d’un
entretien
programmé
(Hammersley
&
Atkinson,
2007).
«
Ce
sont
des
‘tout’,
des
systèmes
sociaux
entiers
dont
nous
avons
essayé
de
décrire
le
fonctionnement
[...].
Il
y
a
dans
cette
observation
concrète
de
la
vie
sociale
le
moyen
de
trouver
des
faits
nouveaux
[...].
Dans
les
sociétés,
on
saisit
plus
que
des
idées
ou
des
règles,
on
saisit
des
hommes,
des
groupes
et
leurs
comportements
»
(Mauss,
1950
:275).
Enfin
il
est
essentiel
de
pouvoir
s’inscrire
dans
la
durée
sur
le
terrain,
et
ne
pas
y
faire
une
brève
incursion
de
temps
en
temps.
C’est
en
cela
que
l’ethnographie
implique
un
changement
de
vie
assez
profond
pour
le
chercheur,
mais
sans
cet
investissement,
sans
se
positionner
dans
l’œil
du
cyclone,
il
semble
difficile
de
pouvoir
aborder
la
complexité
et
les
dynamismes
(Langley
&
Tsoukas,
2010)
des
organisations
et
des
208
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
209
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
cité
par
Dumez
et
Rigaud,
2008:41).
Ces
supports
visuels
font
partie
à
part
entière
de
l’histoire
que
nous
racontons,
de
notre
exégèse
et
interprétation,
dont
nous
détaillons
d’autres
éléments
ci
après.
4.2.1.2.
La
visée
interprétative
et
compréhensive,
et
la
question
de
l’engagement
Au
delà
des
nombreuses
définitions
que
l’on
peut
trouver
sur
l’ethnographie
et
ses
cannons,
nous
retenons
ici
la
dimension
largement
interprétative
qui
repose
sur,
et
tire
toute
sa
légitimité,
du
fait
de
faire
partie
de
l’environnement
étudié
sur
un
temps
suffisant
tout
en
gardant
une
distance
critique
sur
sa
position
:
“[Ethnography]
is
an
interpretative
craft,
focused
more
on
‘how’
and
‘why’
than
on
‘how
much’
or
‘how
many’.
»
(Van
Maanen,
2011:219).
Cette
précision
à
son
importance
car
on
va
chercher
non
pas
à
identifier,
délimiter
ou
compter,
mais
plutôt
à
comprendre
comment
ces
différentes
informations
font
sens
d’une
part
pour
les
acteurs
qui
les
vivent
au
quotidien,
et
d’autre
part
pour
nous
en
tant
que
chercheurs.
La
démarche
compréhensive
est
«
l’étude
des
acteurs
pensant,
parlant,
et
agissant
(autrement
dit,
l’explication
donnée
par
le
chercheur
prend
en
compte
les
raisons
d’agir
données
par
les
acteurs
eux-‐mêmes)
»
(Dumez,
2013
:7,
note
de
bas
de
page).
Loin
de
virer
dans
l’empathie
et
l’identification
où
le
chercheur
se
confondrait
presque
avec
son
objet
d’étude,
la
démarche
compréhensive
s’inscrit
plutôt
dans
une
«
‘logique
de
situation’
dans
le
sens
de
Popper,
l’objectivation
des
éléments
d’un
contexte
d’action
et
d’interaction
»
(Dumez,
2013
:12).
Il
est
essentiel
de
garder
les
deux
points
de
vue
:
celui
des
acteurs,
que
l’on
cherchera
à
décrire,
et
celui
du
chercheur,
en
adoptant
la
position
de
narrateur
de
l’histoire
que
l’on
raconte,
pour
qu’ensemble
elles
puissent
être
livrées
à
la
critique
par
autrui,
en
particulier
par
les
praticiens
eux-‐mêmes
(Nielsen,
2010a),
ce
qui
nous
permet
de
résister
au
risque
de
circularité.
Beaud
et
Weber
énoncent
trois
conditions
de
l’enquête
ethnographique
(2003:294-‐299)
qui
reprennent
un
certain
nombre
de
choses
déjà
évoquées
avec
d’autres
termes
:
une
durée
suffisamment
longue
comme
déjà
mentionné,
l’interconnaissance
et
la
réflexivité
(auto-‐analyse).
La
deuxième,
l’interconnaissance
est
ce
qui
engendre
la
dynamique
de
l’enquête
et
qui
prend
en
son
sein
le
chercheur,
pris
dans
ces
nœuds
de
relations
entre
les
membres
d’un
groupe
défini.
C’est
à
ce
sujet
que
la
question
de
la
confiance
que
l’on
saura
susciter
ou
pas
chez
nos
interlocuteurs
sera
cruciale.
C’est
souvent
un
des
plus
grands
défis
à
vaincre
dans
la
démarche
ethnographique.
210
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
211
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
212
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
213
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
idées
ne
sont
mesurées
qu’à
l’aune
des
conséquences
particulières
et
des
actions
qu’elles
permettent
de
réaliser.
Le
pragmatisme
permet
d’aborder
la
question
de
la
vérité
sous
l’angle
pratique
et
fonctionnel,
elle
relève
donc
d’un
retour
au
concret,
au
contingent,
afin
de
permettre
une
action
et
une
projection
dans
le
futur
(Rorty,
1995).
Au
delà
de
son
empreinte
nord-‐américaine
initiale,
son
renouveau
analytique
et
par
le
dialogue
avec
la
philosophie
continentale
contemporaine,
le
pragmatisme
en
particulier
chez
Rorty
permet
de
cerner
l’activité
hic
et
nunc,
au
delà
d’un
quelconque
moralisme
transcendantal.
Les
questions
épistémiques
de
la
connaissance,
de
l’objectivité
et
de
la
vérité
se
retrouvent
relayés
à
un
arrière
plan,
au
profit
d’une
’éthique
fondée
en
pragmatisme’
et
intersubjective
dirigée
vers
une
solidarité
(conception
de
l’autre
comme
semblable,
comme
un
‘nous’).
Alors
que
l’on
peut
à
juste
titre
critiquer
la
tendance
au
relativisme
du
pragmatisme,
l’ouverture
pragmatique
de
la
vérité
s’accorde
bien
avec
la
démarche
ethnographique
qui
répond
au
«
besoin
vital
»
de
comprendre
«
comment
ça
marche
»
(Watson,
2011)
dans
les
organisations.
Au-‐delà
des
manuels,
ce
n’est
que
par
la
confrontation
avec
la
«
vraie
vie
»
que
l’on
apprend
quelque
chose
sur
le
quotidien
des
métiers,
et
comment
y
survivre,
sur
la
centralité
de
la
médiation
(chez
Dewey)
dans
les
processus
non
seulement
de
pensée
(et
d’interprétation)
mais
aussi
d’action
(Dumez,
2007
:34)
en
tant
que
lieu
de
l’expérience.
On
en
tire
alors
des
généralisations
non
pas
empiriquement
vérifiables,
mais
théoriques,
qui
ne
sont
possibles
qu’à
partir
des
complexités,
nuances,
originalités
que
l’on
trouve
sur
le
terrain.
La
contextualisation
de
l’étude
ethnographique
a
l’intérêt
de
faciliter
le
passage
du
cas
particulier
à
des
considérations
plus
larges
(Bensa,
1996),
à
prendre
ce
qui
dans
le
cas
a
une
portée
généralisable
à
d’autres
situations
soit
parce
qu’elle
leur
fait
écho,
soit
parce
qu’elle
rompt
avec
nos
attentes
et
la
surprise
entraine
un
désir
d’approfondissement.
On
rejoint
ici
la
démarche
dite
contextualiste
(Pettigrew,
1985,
1987)
«
qui
tente
de
comprendre
dans
une
perspective
constructiviste,
les
processus
itératifs
par
lesquels
un
contenu
(par
exemple
la
fonction
ressources
humaines
ou
le
management
humain)
évolue
dans
un
contexte
particulier,
traversé
par
un
processus
où
prédominent
les
relations,
interactions,
jeux
de
pouvoirs
entre
acteurs
influant
la
vie
des
organisations»
(Husser,
2005).
Sans
se
limiter
à
une
approche
contingente,
l’approche
contextualiste
permet
une
analyse
minutieuse
des
processus
organisationnels
dans
leur
situation
concrète
à
plusieurs
niveaux,
en
prenant
en
considérations
plusieurs
voix,
une
perspective
historique
pour
inscrire
les
événements,
la
place
des
acteurs
clés,
et
tente
de
rendre
compte
des
dynamiques
organisationnelles.
Pour
faire
sens
du
«
pluralisme
polyphonique
»
(Van
Maanen,
2011
:226),
le
cas
particulier
représente,
justement
dans
son
particularisme,
la
possibilité
de
saisir
les
214
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
complexités
qui
le
traversent,
et
d’en
tirer
des
enseignements
particulièrement
–
c’est
le
cas
de
le
dire
–
importants
pour
comprendre
les
organisations
:
«
the
universal
it
seems
can
be
found
in
the
particular
»
(Van
Maanen,
2011
:227).
En
effet,
et
ceci
fait
largement
écho
à
ce
que
nous
avons
évoqué
en
introduction
sur
notre
intention
d’étudier
non
pas
l’éthique
des
banques
mais
dans
les
banques:
“Culture,
simply
refers
to
the
meanings
and
practices
produced,
sustained
and
altered
through
interaction,
and
ethnography
is
the
study
and
representation
of
culture
as
used
by
particular
people,
in
particular
places,
at
particular
times.
More
important
perhaps
is
not
what
culture
is
(and
the
semantic
elasticity
surrounding
the
concept)
but
–
and
in
keeping
with
pragmatic
principles,
what
culture
does.
[...]
Perhaps
more
important
these
days
than
in
times
past,
culture
should
be
understood
to
reside
largely
within
a
sphere
of
social
relationships
and
only
indirectly
tied
to
places
(or
organizations).
To
paraphrase
Clifford
Geertz’s
(1973:22)
shrewd
remark
that
anthropologists
do
not
study
villages,
they
study
in
villages:
organizational
ethnographers
do
not
study
organizations,
they
study
in
organizations.
The
aim
is
to
provide
a
localized
understanding
of
the
cultural
processes
–
meaning
making
–
as
it
occurs
from
a
few
vantage
points
within
the
organization”
(Van
Maanen,
2011:221).
L’ethnographie
est
défendue
comme
un
moyen
d’accéder
à
autre
chose
que
des
données
statistiques
et
du
discours,
c’est-‐à-‐dire
aux
pratiques,
par
exemple
par
la
sociologie
des
professions
(i.e.
Peneff,
1995)
pour
isoler
les
‘compétences’
des
‘dispositifs’
et
des
‘formes
d’action’.
Une
grande
partie
des
travaux
ethnographiques
ont
surtout
servi
pour
creuser
et
documenter
des
problèmes,
plus
que
pour
un
usage
pratique
spécifique,
du
moins
de
manière
directe
(Atkinson
&
Hammersley,
1994).
L'exception
en
est
la
recherche
conduite
pour
le
compte
d'organisations
gouvernementales
ou
non,
parfois
privées,
mais
d’une
manière
générale
il
s’agit
d’études
sur
des
phénomènes
qui
sont
très
difficiles
à
étudier
a
moins
d'en
faire
partie
(Hammersley
&
Atkinson,
2007
;
Atkinson
&
Hammersley,
1994).
Tel
était
notre
cas
également,
où
des
contextes
tellement
sensibles
et
confidentiels
tels
que
la
conformité
bancaire
n’aurait
vraisemblablement
pas
pu
être
étudiés
sous
cet
angle
là
par
un
autre
moyen.
Notre
objectif
étant
de
comprendre
comment
les
gens
«
se
débrouillent
avec
l’éthique
en
pratique
»,
nous
avons
basé
notre
étude
empirique
sur
une
observation
ethnographique
de
première
main.
Bien
sur
qu’il
reste
toujours
la
possibilité
que
le
chercheur
soit
en
quelque
sorte
éconduit
volontairement
ou
pas
par
les
conversations
sur
le
terrain
:
“When
talking
about
their
lives,
people
lie
sometimes,
forget
a
lot,
exaggerate,
become
confused,
and
get
things
wrong.
Yet
they
are
revealing
truths.
These
truths
don’t
reveal
the
past
‘as
it
actually
was,’
aspiring
to
a
standard
of
objectivity.
They
give
us
instead
the
truths
of
our
215
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
experiences”
(DeVault,
1997:
261).
Nous
avons
choisi
cette
approche
par
la
pratique
(practice-‐based)
plutôt
qu’une
approche
dont
le
point
de
départ
serait
la
théorie
(theory-‐based)
afin
de
voir
comment
font
en
pratique
les
manageurs
et
les
employés
lorsqu’ils
sont
confrontés
à
des
environnements
complexes
où
l’éthique
se
trouve
aux
limites
du
faisable,
et
appelle
donc
à
une
créativité
de
l’agir
(et
non
pas
un
agir
simplement
normatif)
comme
seul
moyen
pour
s’en
sortir.
Cette
créativité
est
aussi
le
sens
de
l’abductif
chez
Pierce
(Dumez,
2007
:
41).
Se
focaliser
sur
la
pratique
des
hommes
a
souvent
été
soulignée
comme
essentielle
pour
l’étude
de
phénomènes
organisationnels
complexes
(Argyris,
2009;
Weick,
1979,
Perrow,
1972,
1991;
Ethiraj
&
Levinthal,
2009)
et
des
études
récentes
montrent
aussi
son
importance
pour
l'étude
spécifique
de
l'éthique:
«understanding
of
organizational
ethics
phenomena
requires
complex
understanding
of
organizational
ethics
practices
in
real
world
contexts
»
(Nielsen,
2010a
:
401).
Une
tradition
importante
dans
la
littérature
de
l’éthique
des
affaires
prend
les
principes,
les
valeurs,
les
vertus
ou
le
caractère
comme
le
point
de
départ
s’inscrivant
ainsi
dans
une
démarche
descendante
et
souvent
prescriptive.
Ici,
en
revanche,
nous
voulons
adopter
une
démarche
ascendante
et
qui
s’enracine
dans
la
situation
(Clarke
&
Friese,
2007)
débute
par
la
description,
pour
comprendre
et
voir
ce
à
quoi
sont
confrontés
les
praticiens
au
niveau
des
situations
imbriquées
et
des
interactions
sociales.
Notre
pensée
de
l’éthique
cherche
principalement
à
émerger
du
terrain
en
accord
avec
ce
type
de
démarche,
et
pour
cela
nous
souscrivons
à
cette
pensée
de
Watson
(2011:
204):
“I
have
always
believed,
whether
I
have
liked
it
or
not,
that
we
cannot
really
learn
about
what
‘actually
happens’
or
about
‘how
things
work’
in
organizations
without
the
intensive
type
of
close-‐
observational
or
participative
research
that
is
central
to
ethnographic
endeavour”.
Pour
cela,
il
est
indispensable
que
le
chercheur
cherche
à
acquérir
une
«
interactional
expertise
»
(Collins,
2004
in
Langley
et
al.
2013)
afin
d’être
un
minimum
opérationnel
sur
le
terrain
étudié,
en
particulier
lors
d’une
observation
participante.
4.2.2.2.
Fenêtre
sur
le
vécu
et
le
quotidien
Dans
Ici
et
Là-‐bas,
l’anthropologue
comme
auteur,
C.
Geertz
(1996)
analyse
le
travail
d’écriture
d’ethnologues
célèbres
(dont
Lévi-‐Strauss,
Malinowski...)
et
dévoile
les
techniques
proprement
littéraires
à
l’œuvre
dans
le
récit
ethnographique
pour
accomplir
l’effet
accordéon
de
distance
et
de
rapprochement
avec
notre
réalité,
entre
les
périodes
de
«
entwinement
»
et
celles
de
«
temporal
breakdowns
»
(Sandberg
&
Tsoukas,
2011),
entre
«
withness
»
et
«
aboutness
».
Les
récits
en
effet
nous
216
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
217
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
ou
ne
font
pas
:
“uncover,
and
explicate
the
ways
in
which
people
in
particular
work
settings
come
to
understand,
account
for,
take
action,
and
otherwise
manage
their
day
to
day
situation”(Van
Maanen
1979b:540)
et
à
partir
de
là,
essayer
de
rassembler
des
éléments
du
puzzle
de
l’univers
organisationnel
auquel
ils
appartiennent,
qu’ils
façonnent
et
qu’ils
intériorisent
à
leur
tour
(Elias,
1997).
Ceci
veut
dire
prêter
une
attention
non
pas
seulement
aux
grands
événements,
mais
aussi
et
surtout
au
quotidien.
Même
parfois
en
allant
jusque
dans
l’infra-‐ordinaire,
jusqu’à
l’épuisement
d’un
lieu
à
la
manière
du
nouveau
roman
de
Robbe-‐Grillet.
C’est
ainsi
que
l’on
peut
voir
les
phénomènes
macroscopiques
à
travers
leur
résonnance
chez
les
individus
par
exemple.
Ceci
nous
a
permit
d’appréhender
«
en
chair
et
en
os
»
les
sens
subjectifs
que
donnaient
les
praticiens
à
leur
rapport
avec
l’éthique
en
milieu
bancaire,
puisque
l’ethnographie
“is
the
deep
understanding
of
the
lived
experience
of
people
as
it
unfolds
in
a
particular
cultural
context,
and
the
representation
of
that
understanding
in
ways
that
are
faithful
to
that
experience”
(Sherry
2008:87).
Ceci
montre
la
dimension
phénoménologique
de
la
méthode
ethnographique,
et
leurs
affinités.
Notre
méthode
se
devait
d’être
en
cohérence
avec
la
perspective
phénoménologique
afin
de
pouvoir
ouvrir
une
fenêtre
sur
le
vécu
:
être
attentifs
aux
modalité
d’apparition
des
choses,
des
personnes,
des
agencements
matériels-‐subjectifs,
sans
les
forcer
mais
en
essayant
d’être
ouverts
à
leur
manière
de
se
manifester
à
nous
(cf.
Faÿ,
2005
;
Faÿ
&
Riot,
2007
et
le
concept
Husserlien
d’épochè
et
de
‘monde
de
la
vie’).
Le
but
est
ainsi
de
réduire
la
distance
objectivante
non
seulement
à
son
objet
d’étude
mais
aussi
à
soi
en
tant
qu’observateur.
Kostera
(2007)
soutient
que
lorsqu’on
fait
des
observations,
il
faut
avoir
recours
à
l’ensemble
de
nos
sens,
pour
ainsi
compenser
la
surimportance
accordé
au
parlé
et
à
l’écrit.
C’est
ce
que
nous
avons
cherché
de
conserver
à
l’esprit
tout
au
long
de
ce
travail
et
de
notre
analyse,
en
dépassant
le
sensationnalisme
encouragé
par
les
médias,
et
l’abstraction
idéaliste
de
l’éthique
des
affaires,
pour
se
situer
dans
le
‘le
monde
de
la
vie’
quotidien
et
être
vraiment
présent
à
lui,
aux
autres
qui
composent
cette
expérience
de
rencontre
et
à
ce
qui
se
passe
sous
la
modalité
du
vécu
comme
marque
du
réel
(Faÿ,
2005
à
partir
des
travaux
de
D.
Vasse
;
Faÿ
&
Riot,
2007).
4.2.2.3.
Conclusions
méthodologiques
pour
étudier
l’éthique
en
situation
La
‘situation’
est
souvent
évoquée
en
sciences
de
gestion
pour
conduire
des
recherches
empiriques,
en
particulier
qualitatives
et
ethno-‐sociologiques
:
«
En
utilisant
l’enquête
de
terrain
via
la
méthode
de
l’observation
participante,
le
chercheur
restitue
218
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
219
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
méthodologiquement
les
aspects
«
partial,
tenuous,
shifting
and
unstable
nature
of
the
empirical
world
and
of
its
constructedness
[…
as]
a
way
of
understanding
the
ongoing
and
situated
organization
of
negotiations
:
unstable,
contingent,
hailing
how
‘things
can
be
otherwise’,
and
may
be
so
soon.
»
(Clarke
&
Friese
2007
:
363-‐364).
Clarke
a
poussé
cette
logique
et
en
dépassant
les
matrices
conditionnelles
de
Strauss
(qui
regroupaient
les
éléments
de
contexte
organisationnels,
communautaires,
nationaux
et
internationaux)
qu’il
considérait
insuffisantes,
dans
son
analyse
situationnelle.
Celle-‐ci
considère
que
les
éléments
de
la
situation
sont
la
situation,
et
non
pas
simplement
des
données
qui
l’entourent
ou
l’influencent.
Ces
données
sont
alors
constitutives
de
la
situation,
et
de
la
situatedness
des
phénomènes
étudiés.
Nous
partirons
donc
plutôt
des
apports
de
cette
analyse
situationnelle
telle
que
développée
par
Clarke
et
Friese
(2007),
en
s’appuyant
notamment
sur
l’outil
des
‘situational
maps’
qui
permettent
de
mettre
en
évidence
la
situatedness
du
phénomène.
Ils
incluent
:
«
all
the
analytically
pertinent
human
and
nonhuman,
material
and
symbolic/discursive
elements
of
a
particular
situation
as
framed
by
those
in
it
and
by
the
analyst
»
(2007
:373).
C’est
en
raffinant
progressivement
ses
‘cartes’
(en
partant
de
cartes
mentales
assez
désordonnées
pour
aller
à
établir
des
relations
entre
les
éléments,
de
les
clarifier,
classifier
et
définir),
il
est
possible
de
voir
:
«
who
and
what
are
in
this
situation
?
who
and
what
matters
in
this
situation
?
what
elements
‘make
a
difference’
in
this
situation
?
»
(Clarke
&
Friese,
2007
:372)
puis
d’établir
des
relations
entre
ces
différents
éléments
et
de
les
ordonner.
Cette
technique
nous
a
permit
de
définir
la
situation
d’éthique
(avec
les
deux
dimensions
évoquées
précédemment
:
l’ouverture
sur
comment
ça
marche,
sur
le
vécu
et
le
quotidien),
et
de
rendre
visible
pour
le
lecteur
l’avancée
progressive
de
notre
pensée
sur
le
sujet.
220
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
221
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
m’associent
à
l’éthique
(plutôt
qu’au
contrôle
et
à
la
Compliance
comme
telle)
était
un
avantage
qui
facilita
l’échange,
en
particulier
avec
les
Front
Officers.
Avec
l’aboutissement
de
ce
projet,
l’équipe
a
aussi
connu
une
innovation
sur
le
plan
de
son
accessibilité
:
auparavant,
les
stagiaires
d’études
n’y
étaient
pas
autorisés
pour
des
raisons
d’extrême
confidentialité
des
dossiers
d’une
part
(on
ne
voulait
donc
pas
avoir
du
«
personnel
flottant
»
en
contact
avec
ces
dossiers),
et
de
faible
reconnaissance
organisationnelle
de
cette
équipe
KYC-‐AML
d’autre
part
(manifestée
par
une
allocation
de
ressources
restreinte,
l’attribution
de
bureaux
«
bouche-‐trous
»,
une
taille
très
réduite
en
termes
de
personnel
par
rapport
aux
besoins,
etc.).
En
même
temps,
cette
«
transgression
»
aux
règles
par
ma
présence
semble
fasciner
Marie
(21.04.2010):
«
on
innove,
j’adore
!
C’est
une
grande
première
».
Avec
ce
projet,
pour
la
première
fois
une
présence
extérieure
avait
le
droit
non
seulement
de
connaître
le
travail
de
cette
équipe,
mais
aussi
d'y
devenir
stagiaire,
même
sur
des
périodes
courtes,
sans
l’intention
d’une
embauche
postérieure
etc.
Marie,
la
manager,
a
du
hardiment
négocier
cette
acceptation
non
seulement
vis-‐à-‐vis
de
sa
hiérarchie
directe
au
Front
Office,
mais
aussi
vis-‐à-‐vis
des
Compliance
Officers
et
des
responsables
des
Ressources
Humaines.
Ces
derniers
ont
donc
dû
créer
la
procédure
de
recrutement
de
stagiaires
pour
cette
unité
dans
leur
système
informatique,
avec
l’ensemble
des
autorisations
que
cela
implique
:
création
d’un
compte
courriel,
accès
intranet,
accès
aux
différentes
plateformes
et
bases
de
données
utilisées
par
l’équipe,
l’attribution
d’un
poste
informatique
et
d’un
bureau...
J'ai
donc
obtenu
dans
un
premier
temps
l’autorisation
d’effectuer
une
observation
non
participante
d’une
durée
de
deux
mois,
puis
celle
d’effectuer
un
stage,
également
de
deux
mois.
C’est
principalement
grâce
au
soutient
de
Marie
en
sa
qualité
de
manager
de
l'équipe
au
projet
de
recherche
que
l’accès
à
ce
terrain
exceptionnel
a
été
possible.
De
plus,
en
raison
de
la
forte
solidarité
et
proximité
entre
Marie
et
son
équipe
(comme
je
développerais
plus
loin),
l’ensemble
des
membres
de
l’équipe
elle-‐même
ont
d’emblée
connu
et
soutenu
le
projet,
ma
présence,
et
ont
fait
preuve
d’une
grande
disponibilité
et
confiance
envers
moi
dès
le
début,
et
bien
avant
que
la
période
de
stage
ne
soit
entamé,
donc
lorsque
j'étais
encore
«
externe
»
et
ne
faisais
pas
officiellement
partie
de
l’équipe
de
travail.
Il
m'a
été
naturellement
demandé
de
signer
un
accord
de
confidentialité
pour
toute
la
durée
de
l'étude
(comprenant
la
période
d’observation
non
participante
et
de
stage,
cf.
annexes)
avec
Marie
(la
manager
de
l’équipe
KYC-‐AML
comme
représentant
de
la
banque)
mon
directeur
de
thèse,
et
moi-‐même.
En
vertu
de
cet
accord,
je
me
suis
engagée
à
changer
tous
les
noms,
chiffres
et
références
qui
puissent
permettre
222
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
l’identification
de
la
banque,
de
ses
employés,
de
ses
clients,
de
ses
dossiers
et
d’autres
parties
prenantes
éventuelles,
afin
de
protéger
l’identité
des
personnes
qui
acceptaient
en
échange
de
collaborer
pour
cette
recherche.
Je
vais
donc
me
référer
tout
au
long
de
cette
étude
et
des
travaux
qui
en
découlent
à
la
banque
par
l’acronyme
BUF-‐BI
(pour
Banque
Universelle
Française
–
Banque
d’Investissement)
et
aux
personnes
par
des
pseudonymes43
(Pour
une
liste
complète
des
acteurs
du
terrain
et
de
leurs
fonctions,
cf.
annexes).
Il
en
est
de
même
pour
les
quelques
schémas,
images
et
documents
internes,
qui
ont
été
modifiés
(par
exemple
mis
en
noir
et
blanc
ou
modifiés
par
un
calque,
pour
éviter
la
reconnaissance
des
couleurs
et
typographie
de
la
banque,
listés
en
annexe).
Tous
ces
changements,
indispensables
à
la
préservation
de
l'anonymat,
se
font
bien
sur
au
prix
d'une
baisse
de
la
richesse
des
données
pouvant
être
exposées
et
exploitées
mais
permettent
en
revanche
d'accéder
à
des
informations
très
riches
et
normalement
difficiles
d'accès
pour
les
chercheurs.
Cependant,
comme
mentionné
précédemment,
un
certain
risque
pour
les
personnes
de
s’y
reconnaitre
ou
de
reconnaitre
leurs
collègues
demeure,
mais
nous
n’avons
d’autre
choix
que
de
l’assumer.
Ils
ont
ainsi
accepté
de
collaborer
pour
cette
recherche
avec
une
connaissance
de
la
question
de
recherche
initiale
et
du
cadre
doctoral
dans
lequel
elle
s’inscrivait.
Leur
consentement
informé
du
cadre
de
recherche
du
projet
était
d’autant
plus
essentiel
que
cette
recherche
s’est
déroulée
encore
durant
le
contexte
de
crise
financière.
En
effet,
l’accès
à
ce
terrain
s’est
avéré
véritablement
exceptionnel,
si
l’on
considère
que
les
banques
d’investissement
étaient
encore
particulièrement
visées
par
des
accusations
morales
très
médiatisées
sur
leur
responsabilité
dans
la
crise
financière
(cf.
Lewis
et
al.
2010
;
Stiglitz
2010),
et
n’étaient
donc
pas
très
ouvertes
à
la
possibilité
de
devenir
des
objets
d’investigation
-‐
en
particulier
dans
une
perspective
éthique
(cf.
Jackall,
2010
;
Treviño,
1986).
En
dépit
de
ce
contexte
de
crise
économique
où
les
banques,
et
certains
corps
de
métiers
tels
que
les
traders
dans
les
banques
d’investissement
ou
les
régulateurs
étaient
visés
explicitement
comme
responsables
de
la
crise,
j'ai
obtenu
un
accès
privilégié
à
une
des
plus
grandes
banques
universelles
Françaises,
dans
un
des
quartiers
d’affaires
de
Paris.
Dans
le
respect
de
la
confidentialité
accordée
lors
de
l’accès
à
ce
terrain
pour
cette
recherche
(cf.
ci-‐dessous
:
chronologie
de
l’accès),
je
n’ai
pas
pu
obtenir
43
Par
exemple
«
Marie
»,
pour
désigner
le
manager
de
l’équipe
KYC-‐AML,
mais
que
je
ne
mettrais
pas
entre
guillemets
pour
faciliter
la
lecture
:
tous
les
noms
sont
donc
des
pseudonymes,
malgré
l’absence
de
guillemets.
223
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
224
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
afin
de
pouvoir
m’adapter
à
ce
que
la
banque
serait
disposée
à
offrir
comme
dispositif
d’accès.
L’équipe
semblait
intéressée
par
le
projet
d’étudier
les
pratiques
de
conformité
dans
les
banques
dans
une
perspective
éthique
et
par
mon
profil
pluridisciplinaire
(philosophie-‐gestion).
Je
m’attendais
à
une
issue
de
la
réunion
semblable
à
celle
d’un
entretien
d’embauche,
du
style
:
«
Merci
beaucoup,
nous
vous
rappellerons
»,
mais
rien
de
tel.
A
peine
avais-‐je
fini
ma
brève
présentation,
Marie
demande
quand
est-‐ce
que
j’aimerais
commencer.
On
discute
des
possibilités
techniques
afin
de
justifier
ma
présence
au
sein
de
l’équipe
et
de
pouvoir
accéder
aux
locaux
de
la
banque,
ce
qui
s’est
avéré
une
complication
non
négligeable.
Marie
m’a
présenté
brièvement
sa
cellule
en
fin
d’entretien
et
je
découvre
donc
le
cadre
dans
lequel
je
vais
effectuer
mon
étude
et
que
j’ignorais
presque
complètement
jusque
là:
«
Nous
sommes
une
cellule
unique
rattachée
au
Front
Office,
crée
en
2006.
Nous
dépendons
de
la
Banque
d’Investissement
de
BUF,
et
nous
sommes
actuellement
8
personnes
:
4
permanents
soutenus
par
des
intérimaires
qui
sont
là
depuis
quelque
temps
aussi.
Nous
travaillons
sur
les
nouveaux
dossiers
de
clients
pour
appliquer
le
KYC
en
intégrant
les
nouvelles
dispositions
de
la
3e
directive
Européenne,
c'est-‐à-‐dire
qu’on
recherche
de
l’information
permettant
une
meilleure
connaissance
du
client.
On
travaille
sur
la
détection
de
risques
de
réputation
et
de
blanchiment
d’argent.
Pour
le
KYC
il
y
a
2
approches
dont
s’occupe
la
Compliance
:
il
y
a
une
approche
de
forme
(c'est-‐à-‐dire
la
réglementation
de
la
lutte
anti-‐blanchiment),
et
une
approche
de
fond
(au-‐
delà
de
la
check-‐list,
nous
avons
une
approche
par
les
risques).
Nous
devons
donc
catégoriser
les
clients
de
la
Banque
en
fonction
de
leur
profil
de
risque
avant
que
les
Sales
[commerciaux]
puissent
traiter
avec
eux,
ce
qu’ils
ne
comprennent
pas
facilement,
on
doit
passer
beaucoup
de
temps
à
‘moraliser
les
Sales’.
Mais
c’est
un
travail
qui
a
de
fortes
implications.
Nous
avons
une
responsabilité
pénale
(nous
encourons
entre
5
et
10
de
prison
et
jusqu’à
750
000
euros
d’amende).
Nous
travaillons
en
étroite
collaboration
avec
«
l’AMLO
»
[AMLO
:
Anti-‐Money
Laundering
Officer]
qui
est
un
des
experts
de
la
place
de
Paris
en
matière
de
lutte
anti-‐blanchiment.
»
Je
comprenais
très
vaguement
ce
qu’elle
entendait
par
‘connaissance
du
client’,
‘approche
par
les
risques’,
en
quoi
consistait
exactement
la
‘lutte
anti-‐blanchiment’
etc.
Mais
le
fait
qu’elle
ait
parlé
de
l’impératif
de
‘moraliser
les
Sales’
m'a
profondément
intriguée,
ainsi
que
leur
configuration
organisationnelle
particulière
(dont
j'ignorais
à
l'époque
qu'elle
constituait
une
spécificité
unique)
dans
le
fait
qu'ils
se
trouvaient
rattachés
au
Front
Office.
Comme
il
sera
détaillé
par
la
suite
cet
élément
organisationnel
s'est
avéré
porteur
d'une
grande
richesse
pour
l'analyse
et
la
compréhension
des
tensions
entre
ce
qui
est
considéré
le
cœur
de
la
finance
(le
Front
Office)
et
les
fonctions
support
et
de
contrôle.
Le
rendez-‐vous
a
duré
au
final
presque
deux
heures
et
nous
avons
conclu
sur
une
idée
de
dispositif
pour
commencer
la
recherche
terrain:
une
période
d’immersion/
observation
d’une
durée
de
deux
mois
au
sein
de
l’équipe
afin
de
pouvoir
découvrir
leur
225
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
travail
et
nous
familiariser
avec
le
milieu
bancaire,
avec
des
tâches
minimes
à
accomplir
et
la
possibilité
d’effectuer
des
entretiens
et
des
journées
dans
d’autres
services
de
BUF
(cf.
Annexe
3).
Cette
période
permettrait
ensuite
de
concrétiser
une
deuxième
période
sous
forme
de
stage.
Mars-‐avril
2010
:
Malgré
notre
accord
de
principe
avec
la
manager,
plusieurs
problèmes
sont
apparus
concernant
les
autorisations
:
même
si
la
manager
et
son
équipe
étaient
d’accord
pour
m’accueillir,
il
y
avait
des
difficultés
pour
justifier
ma
présence
dans
les
locaux
en
particulier
durant
la
période
d’observation
de
deux
mois
qui
n’avait
pas
de
statut
officiel
et
constituait
de
ce
fait
une
exception
aux
procédures.
Les
réticences
de
BUF
pour
m’accepter
concernaient
notamment
des
points
de
confidentialité
:
en
effet
le
département
Compliance
(dont
dépend
l’équipe)
est
chargé
de
dossiers
qualifiés
de
«
sensibles
»
et
les
informations
sur
les
clients
sont
hautement
confidentiels
et
ne
doivent
pas
être
divulgués,
même
au
sein
de
la
banque
selon
le
principe
des
«
murailles
de
Chine
»,
en
dehors
de
l’équipe
qui
s’en
occupe.
C’est
un
service
qui
pour
cette
raison
ne
prend
pas
non
plus
de
stagiaires
de
manière
générale,
ce
qui
a
rendu
difficile
et
long
les
procédures
d’acceptation
de
ce
dispositif
pour
la
thèse.
Marie,
la
manager,
étant
personnellement
intéressé
par
le
projet
de
recherche,
a
prit
les
mesures
nécessaires
afin
de
négocier
par
tous
les
moyens
la
possibilité
de
cet
accès
au
terrain.
Sans
son
fort
intérêt,
et
son
influence
au
sein
de
BUF-‐BI,
l’accès
aurait
probablement
été
impossible.
15
avril
2010
:
Nous
signons
finalement
un
accord
de
confidentialité
sur
les
données
et
les
noms
permettant
d’identifier
les
personnes
ou
la
banque,
signé
par
moi-‐
même,
un
de
mes
directeurs
de
thèse
et
Marie
au
nom
de
BUF
(cf.
Annexe
3).
Ce
document
était
indispensable
pour
garantir
à
BUF
la
plus
grande
transparence
sur
ce
projet,
et
l'engagement
moral
sur
la
confidentialité
des
données
recueillies.
Cependant,
j'étais
surprise
que
la
Banque
finalement
n’ai
pas
été
plus
sévère
ou
n’ai
exigé
d’avantage
de
contrôle
sur
les
données
à
part
l’anonymisation
des
noms
de
la
Banque,
des
personnes
et
des
clients.
Elle
n’a
pas
demandé
par
exemple
à
avoir
un
droit
de
censure
sur
les
documents
écrits
qui
en
résulteraient,
avant
leur
diffusion.
La
première
période
d’observation,
dans
des
conditions
exceptionnelles
d’accès
à
un
terrain
‘sensible’,
a
donc
commencé
le
15.04.2010
jusqu’au
15.06
2010
à
temps
complet.
4.3.1.3.
Etude
ethnographique
en
quatre
temps
Je
retrace
rétrospectivement
ici
les
différentes
étapes
qui
ont
composé
mon
étude
ethnographique,
même
si
ce
déroulé
s’est
largement
construit
de
manière
226
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
itérative
au
fur
et
à
mesure
que
la
thèse
avançait,
que
la
problématique
émergeait
et
se
concrétisait
en
rapport
avec
le
terrain
que
j’ai
eu
l’opportunité
d’étudier.
Ma
démarche
relève
donc
d’un
itinéraire
enraciné
dans
la
progressive
formulation
de
la
question
de
recherche,
autour
du
thème
directeur
de
l’éthique
vécue
dans
le
milieu
bancaire,
et
essayer
de
comprendre
ce
phénomène
complexe.
Je
peux
résumer
les
différentes
étapes
de
la
démarche
dans
leur
contexte
par
le
schéma
ci–dessous
:
Figure
17:
Etapes
de
la
thèse
et
éléments
de
contexte
Terrain$exploratoire$ Analyse$itéra7ve,$confronta7on$lors$de$conférences$et$rédac7on$
Explora7on$itéra7ve$de$la$litérature$
Eléments+de+contexte+
Crise$grecque,$Occupy$Wall$Street,$Occupy$Geneva…$
45
A
mon
grand
regret,
l’obtention
de
l’accès
au
terrain
chez
BUF
a
coïncidé
avec
un
événement
de
ma
vie
personnelle
qui
était
déjà
prévu
et
qui
m’a
donc
empêché
d’être
physiquement
présente
pendant
ces
trois
mois
d’été.
227
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
(journal
et
entretiens)
et
secondaires
(documents
internes)
recueillis
durant
la
phase
1-‐
A.
Cette
première
phase
1-‐A
s'est
caractérisée
par
les
éléments
suivants
:
• Extériorité
du
chercheur,
sans
un
statut
reconnu
officiellement
au
sein
de
la
banque,
ni
aucun
rôle
actif
majeur
dans
les
fonctions
de
l'équipe
KYC-‐AML.
• Accès
à
des
données
hautement
confidentielles
(archives
de
l’équipe
à
travers
le
prêt
de
l’ordinateur
de
la
manager,
réunions...)
Figure
18:
Détail
des
quatre
temps
de
l'étude
ethnographique
228
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
Cette
phase
1-‐A
correspond
tout
à
fait
à
ce
que
l’on
appelle
enquête
par
dépaysement,
que
l’équipe
nommait
«immersion».
L'objectif
principal
de
la
première
phase
dans
son
ensemble
a
été
de
comprendre
le
quotidien
des
métiers
de
la
Banque
d'Investissement
en
général
et
la
complexité
des
rouages
organisationnels
dans
lesquels
s'inscrivait
l'équipe
d’autre
part.
Par
ailleurs,
j’ai
prêté
une
attention
particulière
à
la
manière
dont
BUF-‐BI
gérait
la
crise
financière
et
de
réputation.
Au
cours
de
cette
période,
j’ai
pu
observer
également
le
processus
de
professionnalisation
du
métier
d'analyste
KYC-‐AML,
et
la
reconnaissance
progressive
de
l'équipe
par
le
top
management.
La
Phase
2
s’est
divisé
en
la
phase
2-‐A
de
nouveau
d’une
durée
2
mois
et
était
constituée
par
l’observation
participante
en
tant
que
stagiaire
dans
la
même
cellule
KYC-‐AML
de
BUF-‐BI,
suivie
par
la
phase
2-‐B
de
suivi
et
d’entretiens,
sans
une
présence
continue
sur
les
lieux.
Par
contraste
avec
la
phase
1,
cette
phase
fut
caractérisée
par
:
• Intériorité/enracinement
et
une
mise
en
abime
du
sujet:
comment
je
construisait
moi-‐même
une
éthique
et
une
pratique
de
la
conformité
(et
pas
seulement
mon
observation
de
comment
les
autres
la
construisaient),
moi-‐
même
au
cœur
de
cette
pratique
éthique.
• Présence
légale,
influence
active,
participation
particulièrement
intense
à
deux
événements
majeurs
:
le
séminaire
mondial
du
service
Compliance
de
BUF
et
une
audit
des
régulateurs.
• Tenue
de
journal,
plus
encore
une
fois
collecte
d’autres
documents
secondaires
et
discussions.
229
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
qualité
de
doctorant
et
d’enseignant,
facilité
par
le
travail
de
classification
du
matériel
recueilli
dans
des
lieux
autres
que
les
locaux
de
BUF.
Tout
au
long
des
quatre
temps,
à
des
degrés
divers,
j’ai
maintenu
une
tension
constante
entre
familiarité
et
étrangeté,
en
sachant
que
ni
l’un
ni
l’autre,
ne
sont
possibles
dans
l’absolu
(Schwartzmann,
1993).
4.3.2.
LE
«
TRAVAIL
»
ETHNOGRAPHIQUE
:
ANALYSE
D’UN
CHEMINEMENT
L’enquête
de
terrain
elle-‐même
et
mon
rapport
à
celle-‐ci
ne
furent
pas
homogènes,
mais
ont
impliqué,
en
écho
de
tout
ce
qui
a
été
dit
jusqu’à
présent,
un
véritable
«
travail
».
Comme
le
signalent
Beaud
et
Weber,
le
choix
de
l’ethnographie
implique
souvent
des
périodes
longues,
des
moments
de
latence
où
il
semblerait
qu’il
ne
se
passe
rien,
des
moments
de
crise
où
notre
subjectivité
s’y
trouve
totalement
engagée
et
dont
il
faut
ensuite
s’abstraire...
bref
des
implications
qui
transparaissent
bien
plus
dans
le
mot
anglais
de
fieldwork
:
«
le
terrain
est
un
travail,
pas
un
passage,
une
visite
ou
une
présence.
Le
fieldworker
ne
va
pas
simplement
sur
le
terrain,
il
y
reste
et
surtout
il
y
travaille
»
(2003:8).
Il
faut
donc
travailler
son
terrain
comme
le
potier
la
terre
ou
le
poète
les
mots,
gagner
la
confiance
de
ses
interlocuteurs,
ne
pas
perdre
sa
légitimité,
ne
pas
représenter
un
poids...
et
pour
poursuivre
dans
l’exploration
de
ce
mot
travail,
il
faut
finalement
conclure
par
un
long
travail
de
digestion,
d’imprégnation,
de
distanciation
aussi
par
rapport
à
ce
niveau
local
et
intime
de
connaissance,
pour
enfin
accoucher
le
fruit
de
son
travail.
4.3.2.1.
Description
générale
de
notre
étude
et
implications
méthodologiques
Pour
cette
recherche,
j’ai
mené
une
étude
ethnographique
en
plusieurs
temps
sur
un
cas
unique,
sur
une
durée
totale
de
neuf
mois,
entre
les
mois
d’avril
2010
et
janvier
2011,
au
sein
d’une
cellule
KYC-‐AML
rattachée
au
Front
Office
de
la
Banque
d’Investissement
de
BUF.
L’extension
temporelle
de
la
recherche
sur
neuf
mois,
m’a
permit
d’intégrer
–
par
des
moyens
différents
à
certaines
périodes
–
l’environnement
de
BUF-‐BI
pendant
une
période
substantielle
de
temps
(Rosenthal
&
Rosnow,
1991
;
Beaud
&
Weber,
2003).
Ce
contact
constant
au
cours
de
toute
cette
période
a
aidé
à
aller
en
profondeur
dans
l’approche
dont
l’objectif
était
de
comprendre
l’éthique
face
aux
défis
de
la
pratique.
J’ai
collecté
des
données
qualitatives
primaires
(observations,
entretiens,
etc.,
cf.
Annexe
3)
et
secondaires
(documents
internes
à
BUF-‐BI,
documents
d’autres
230
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
sources,
etc.,
cf.
Annexes
4
et
5)
d’une
grande
variété
et
richesse.
En
particulier,
au
cours
de
ces
neuf
mois,
je
suis
passée
d'une
phase
d'observation
non
participante
à
une
phase
d’observation
participante
sous
forme
de
stage
d'une
durée
de
deux
mois
au
sein
de
l'unité
KYC-‐AML,
entre
septembre
et
novembre
2010,
complétée
par
des
entretiens.
Ces
perspectives
variées
ont
permit
d'acquérir
des
données
riches
en
combinant
plusieurs
niveaux
d'analyse
au
sein
d'une
seule
étude
de
cas
(Yin,
2009
;
Hitt
et
al.,
2007).
Pour
les
observations
(participante
et
non
participante)
j’ai
principalement
eu
recours
à
la
prise
de
notes
constante
et
à
la
tenue
d’un
journal
de
bord
(Pettigrew
1990;
Van
Maanen
1988,
Becker,
2002),
afin
de
documenter
les
activités
quotidiennes
et
moins
quotidiennes
–
y
compris
des
appels
téléphoniques,
des
échanges
dans
les
messageries
instantanées
ou
«
chats
»,
des
courriers
électroniques,
la
production
de
documents
internes,
des
réunions
de
travail,
le
séminaire
annuel
du
département
Conformité
au
niveau
mondial
de
BUF,
et
une
inspection
par
un
régulateur
européen.
J’ai
conduit
discussions
spontanées
(Silverman,
2011)
et/ou
entretiens
in
situ
avec
les
différents
acteurs
organisationnels
en
particulier
pour
garder
les
«
occurrences
naturelles
»
(Hammersley
&
Atkinson,
2007)
et
pour
approfondir
certains
aspects
observés
et
trianguler
nos
sources.
L’avantage
de
l’observation
malgré
sa
complexité
de
recueil
et
aussi
d’analyse,
est
le
fait
qu’on
peur
éviter
par
ce
moyen
le
biais
de
reconstitution
a
posteriori
des
acteurs
dans
leurs
discours
et
du
chercheur
s’il
connaît
‘la
fin
de
l’histoire’
d’un
contexte
donné
(Chanlat,
2005).
J’ai
été
plongée
au
cœur
d’un
milieu
d’interconnaissance,
c’est-‐à-‐dire
où
les
individus
étaient
en
relation
les
uns
avec
les
autres,
et
non
pas
choisis
sur
des
critères
abstraits
comme
lors
d’un
échantillon
pour
des
entretiens
ou
des
enquêtes
quantitatives
(Beaud
&
Weber,
2003
:
39)
«
L’observation
ethnographique
ne
porte
pas
sur
un
univers
d’individus
mais
sur
un
univers
de
relations
»
y
compris
avec
l’ethnographe
dans
des
interactions
face
à
face
datées
et
localisées
(cf.
Annexe
3).
Ceci
nous
ramène
à
la
difficulté
de
saisir
et
de
rapporter
ensuite
l’indéxicalité
(Garfinkel,
2007),
le
contexte
d’énonciation
qui
donne
son
sens
à
un
certain
nombre
de
discours
et
d’activités.
D’où
l’importance
de
la
période
1-‐A
d’immersion
pour
me
familiariser
avec
ce
contexte,
et
pouvoir
le
décrire
‘en
situation’,
dans
son
quotidien
et
même
sa
banalité.
Cette
richesse
se
traduit
aussi
au
niveau
des
significations
subjectives
que
les
praticiens
donnaient
à
leur
expérience
et
la
manière
dont
ils
faisaient
sens
de
l'éthique
par
rapport
à
leur
pratique
professionnelle
(Sherry,
2008),
et
par
rapport
aux
interprétations
des
autres
afin
de
mettre
en
évidence
l’importance
des
aspects
détaillés
des
relations
professionnelles
(Remenyi
et
al.,
1998).
A
travers
l'ensemble
des
données
qualitatives
recueillies
par
prise
de
notes,
analyse
de
documents
internes
et
discussions,
231
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
j’ai
pu
noter
les
différentes
perceptions
que
le
Front
Office,
le
département
Compliance,
et
le
Top
Management
pouvait
véhiculer
concernant
l’équipe
KYC-‐AML
étudiée.
La
période
de
stage
a
permit
d'observer
les
comportements
depuis
l'intérieur,
ainsi
que
les
verbalisations
des
contextes
éthiques
problématiques
en
temps
réel
(Czarniawska,
2004a),
qui
ont
été
maintenus
sous
forme
de
verbatims
et
descriptions
aussi
riches
que
possible
(Mintzberg,
1979,
Geertz,
1994,
1996)
qui
mettaient
en
évidence
soit
des
éléments
déjà
abordés
dans
la
littérature,
soit
au
contraire
des
points
aveugles,
des
zones
d’ombre
ou
du
moins
problématiques.
Il
est
certain
que
cet
arrangement
pour
mon
observation
au
sein
d’une
équipe
KYC-‐AML
particulière,
détachée
du
département
Conformité,
relève
plus
d'un
concourt
de
circonstances
liées
au
jeux
des
relations
qu'aux
choix
délibéré
de
la
meilleure
position
stratégique
pour
l'étude.
Cependant,
il
faut
souligner
les
avantages
en
termes
d'ouverture
et
même
de
bienveillance
que
cette
localisation
non
choisie
dans
l'organisation
a
offertes.
Elle
s'est
révélée
d'une
grande
richesse
au
fur
et
à
mesure
que
l'étude
avançait.
Alors
qu'initialement
j'aurais
préféré
de
me
trouver
au
cœur
du
département
Conformité,
voire
du
département
DD-‐RSE
(Développement
durable-‐
Responsabilité
Sociale
de
l'Entreprise),
rétrospectivement,
je
n'aurais
pas
fait
d'autre
choix.
En
effet,
la
place
de
cette
équipe
au
cœur
du
Front
Office
m'a
offert
une
perspective
exceptionnelle
au
centre
même
de
l'interaction
et
des
tensions
entre
le
cœur
de
la
finance
et
les
instances
de
régulation
et
d'éthique.
Cette
position
m'a
permis
d'avoir
un
regard
qui
se
détache
de
l'extériorité
qui
marque
de
nombreux
travaux
sur
l'éthique,
car
en
effet
ce
genre
d’immersion
sur
le
terrain
présente
de
nombreux
intérêts
pour
comprendre
les
phénomènes
complexes,
et
en
particulier
ceux
qui
ont
trait
à
l’éthique.
L’ancrage
dans
des
situations
concrètes
révèle
les
coulisses
de
processus
qui
traversent
l’organisation
globale
de
la
finance.
Une
large
partie
de
ma
démarche
s'inspire
et
prend
la
suite
de
celle
suivie
par
Jackall
(2010)
dans
son
ouvrage
déjà
mentionné,
qui
a
aussi
fait
date
en
raison
de
sa
méthodologie
(son
travail
sur
le
terrain
recouvre
un
champ
très
vaste
et
beaucoup
plus
ambitieux
que
celui
de
cette
thèse,
par
exemple
avec
7
études
d'entreprises
différentes).
Pour
aller
derrière
le
volcan
médiatique
et
le
consensus
des
‘tous
pourris’,
pour
m’intéresser
aux
pratiques
méconnues,
aux
processus
vécus
et
comment
les
personnes
non
pas
étaient
ou
n’étaient
pas
moraux,
mais
‘faisaient
avec’
l’éthique,
et
quelle
éthique,
une
démarche
de
type
ethnographique
s’est
imposé
assez
rapidement
et
j’ai
donc
commencé
à
chercher
une
opportunité
concrète
pour
le
réaliser.
Cependant,
la
complexité
croissante
des
environnements
bancaires
rend
la
recherche
ethnographique
longitudinale
d’autant
plus
compliquée
à
mettre
en
place
(Czarniawska,
2007
;
Yanow,
2009;
Ybema
et
al.,
232
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
2009
;
Van
Maanen,
2011).
S’assurer
‘d’être
là’
aux
moments
importants
(Watson,
1999)
est
devenu
le
jeu
de
la
fortune
et
du
hasard.
Alors
que
j’ai
conduit
l’enquête
assez
classiquement
au
sein
d’une
seule
organisation,
avec
immersion
dans
un
milieu
unique
et
ses
interactions
(Yanow,
2009),
le
positionnement
de
la
cellule
observée
au
cœur
d’un
dispositif
liant
Front
Office
et
Département
Conformité
fait
que
de
fait,
j’ai
pu,
à
partir
de
cette
position
stable,
analyser
un
réseau
plus
vaste
(autres
départements,
bureaux
implantés
dans
d’autres
pays,
voire
des
acteurs
étrangers
à
l’organisation)
qui
correspond
plus
aux
évolutions
de
l’ethnographie
contemporaine
dans
sa
tentative
de
cerner
des
réalités
de
plus
en
plus
incertaines
et
complexes
(Van
Maanen,
2006,
2011).
4.3.2.2.
Les
différents
types
de
«
travail
»
réalisés
“Pourquoi
écrire,
si
on
ne
donne
pas
à
cette
opération,
bien
trop
facile,
qui
consiste
à
faire
courir
une
plume
sur
le
papier,
un
certain
risque
tauromachique,
si
on
ne
s’approche
pas
d’affaires
risquées,
mouvantes,
à
deux
cornes
?”
José
Ortega
y
Gasset,
Études
sur
l’amour.
Au
préalable,
et
bien
entendu
durant
toute
la
période
de
terrain
(car
les
trois
types
de
travail
que
nous
décrirons
ne
sont
pas
forcément
séquentiels,
mais
plutôt
contemporains
et
parallèles,
à
des
degrés
plus
ou
moins
forts
selon
les
moments),
il
y
avait
un
long
travail
de
ce
que
Van
Maanen
appelle
«
headwork
»:
«
the
conceptual
work
that
informs
ethnographic
fieldwork
and
its
various
representational
practices
»
(2011:222).
Un
travail
particulièrement
épuisant
qui
semble
ne
pas
avoir
de
fin,
qui
subit
d’innombrables
rebondissements
sous
forme
de
boucles
d’abduction,
activé
par
chaque
idée
que
l’on
peut
avoir
aux
moments
les
plus
inattendus46
:
durant
un
repas
avec
les
collègues
(du
terrain
ou
de
l’université)
et
que
l’on
doit
noter
sur
un
bout
de
serviette
en
papier
faute
de
mieux,
au
cours
d’une
nuit
au
sommeil
léger,
pendant
les
réunions
sur
le
terrain
ou
les
séminaires
doctoraux...
En
effet,
on
est
toujours
à
l’intersection
de
plusieurs
milieux
d’interconnaissance
(l’université,
l’organisation
où
on
fait
notre
étude,
la
vie
privée)
et
en
plus
au
sein
de
l’organisation
elle-‐même,
car
comme
le
notent
bien
Crozier
et
Friedberg
(1977)
mais
aussi
bien
d’autres
depuis,
malgré
l’apparence
d’unicité
du
fait
qu’il
s’agit
d’une
seule
organisation
il
y
a
une
multitude
de
subdivisions
qui
se
mêlent,
se
transforment
les
unes
les
autres.
D’où
la
46
Dumez
reprend
la
définition
a
minima
d’Aliseda
(2006:28):
“L’abduction
est
un
processus
de
raisonnement
mobilisé
pour
expliquer
une
observation
surprenante
(puzzling)”
(in
2013:188)
tout
en
spécifiant
la
complexité
et
la
multitude
de
ses
facettes
depuis
la
theorization
de
Peirce
qui
la
met
au
coeur
du
pragmatisme,
et
pour
qui
“l’abduction
suggère
seulement
que
quelque
chose
peut
être”
(5.1.7.1,
in
2013:192).
233
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
difficulté
pour
les
praticiens
interrogés
de
faire
un
récit
cohérent
de
leur
historie
(Chamboredon,
1981)
au
sein
de
ce
macro-‐univers,
mais
aussi
pour
les
chercheurs
de
faire
une
restitution
en
acceptant
le
fait
qu’elle
sera
nécessairement
imparfaite,
partielle
et
partiale,
plus
encore
mouvante
jusqu’au
dernier
jour
de
rédaction,
car
nous
sommes
des
homines
aperti
(Elias,
1991)
construits
dans
et
par
les
interactions
et
définis
non
comme
ce
générique
abstrait
du
‘soi’
mais
comme
corps
percevant
(au
sens
de
Merleau-‐
Ponty)
qui
tente
de
s’approprier
le
monde
changeant
par
un
point
fixe
qui
sert
de
repère
(c’est
la
fonction
du
doudou
de
l’enfant
qui
lui
permet
de
changer
de
lieu
sans
perdre
son
identité).
Il
convient
donc
d’être
conscients
qu’on
analyse
«
les
interactions
à
partir
des
‘scènes
sociales’,
des
univers
de
référence
et
de
socialisation
dans
lequel
les
interactions
prennent
sens
pour
leurs
partenaires
»
(Beaud
&
Weber,
2003:329).
Ceci
pour
nous
va
en
quelque
sorte
au-‐delà
d’une
simple
‘coprésence’
comme
chez
Goffman,
et
ressemble
plutôt
aux
champs
de
Bourdieu,
interdépendants
dans
cet
espace
d’interconnaissance
qui
veut
dire
aussi
espace
de
réputation
et
de
contrôle.
Pour
ce
premier
type
de
travail,
il
est
aussi
fondamental
d’être
conscients
des
diverses
influences
non
seulement
théoriques,
mais
aussi
littéraires,
rhétoriques,
historiques,
idéologiques
dans
la
production
et
la
réception
de
travaux
ethnographiques.
Cette
mise
en
garde,
élégamment
abordée
dans
Writing
Culture
de
Clifford
et
Marcus
(1986),
impose
donc
une
série
de
clarifications
pour
notre
étude.
Comme
il
a
déjà
été
mentionné,
il
y
a
une
série
d’influences
liées
aux
études
de
philosophies
antérieures
à
la
thèse,
mais
aussi
à
notre
histoire
à
mi-‐chemin
entre
le
Mexique
et
la
France.
Ces
éléments
reviennent
ponctuer
et
mettre
en
perspective
les
différents
aspects
de
notre
étude,
et
constituent
autant
un
biais
qu’une
richesse
potentielle,
et
que
nous
avons
essayé
à
chaque
moment
d’expliciter
et
de
relier
à
notre
terrain
(références
littéraires
ou
cinématographiques
par
exemple).
Le
deuxième
type
de
travail,
le
«
fieldwork
»
(Van
Maanen,
2011)
est
l’étude
du
terrain
à
proprement
parler,
et
implique
des
problématiques
propres.
Tout
d’abord,
la
négociation
de
l’accès
évoquée
plus
haut,
et
la
possibilité
de
bénéficier
du
moins
pendant
une
période
du
statut
de
stagiaire,
qui
a
l’avantage
d’être
temporaire,
et
autorise
une
certaine
naïveté
(et
donc
un
droit
presque
naturel
pour
poser
des
questions
car
on
est
sensés
être
en
période
d'apprentissage).
Aussi,
on
remarque
à
la
suite
d’autres
chercheurs
qu’on
est
un
interlocuteur
moins
engageant
ou
intimidant,
car
il
n’y
a
pas
de
«
risque
»
que
notre
présence
se
prolonge
dans
une
carrière,
ce
qui
facilite
les
échanges
et
libère
la
parole,
encore
plus
qu'en
entretien
car
bien
que
temporaire
notre
présence
est
suffisamment
longue
pour
que
les
autres
s’y
habituent.
En
outre,
on
bénéficie
d'une
attitude
de
bienveillance
et
de
coaching,
sur
les
vrais
ficelles
de
«
234
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
comment
ça
se
passe
dans
la
vraie
vie
»
au
sein
du
service,
et
non
pas
ce
qu’on
pourrait
lire
dans
un
manuel.
Le
rôle
d’observatrice
a
été
changeant,
a
évolué
au
cours
de
l’étude
d’une
certaine
extériorité
à
une
plus
grande
familiarité.
Ces
différents
rôles
sont
déterminants
dans
la
définition
de
notre
relation
au
terrain,
pour
aider
le
lecteur
à
comprendre
notre
raisonnement
et
interpréter
les
interprétations
que
nous
proposons.
Le
point
fondamental
a
été
d’essayer
de
faire
partie
du
plus
grand
nombre
et
la
plus
grande
variété
possible
de
scènes,
de
situations,
y
compris
à
l’extérieur
de
BUF-‐BI
à
proprement
parler.
Par
exemple,
durant
la
phase
2-‐B,
lorsque
le
stage
était
fini,
en
participant
au
repas
de
fin
d’année
dans
un
restaurant
à
Paris,
comme
si
je
faisais
encore
partie
de
l’équipe,
avec
échange
de
cadeaux,
anecdotes,
et
discussions
sur
la
nouvelle
année
qui
s’annonçait.
Durant
le
temps
passé
sur
le
terrain,
Marie
me
prévenait
des
réunions
de
la
semaine,
et
me
tenait
oralement
au
courant
de
son
agenda,
souvent
commenté
avec
ses
réflexions.
En
raison
de
la
forte
complicité
entre
la
manager
et
son
équipe,
cette
dernière
a
été
très
ouverte
à
ma
présence
et
disponible.
Leur
confiance
et
collaboration
en
a
été
facilitée,
bien
avant
le
début
de
la
période
de
stage
quand
je
suis
effectivement
devenue
membre
de
l’équipe.
L’intégration
dans
le
groupe
se
fit
donc
assez
facilement:
le
soutien
de
Marie
et
le
fait
que
Clément
et
Christian
étaient
également
présents
lors
de
mon
premier
entretien
a
contribué
à
me
faire
accepter
du
reste
de
l’équipe.
Christian
est
devenu
un
de
mes
interlocuteurs
privilégiés
surtout
durant
la
première
période
(phase
1-‐A,
non
participante),
avec
une
grande
disponibilité
pour
répondre
à
mes
questions
dans
la
mesure
où
le
bureau
provisoire
qu’on
m’a
attribué
était
à
côté
du
sien.
Julien
et
Francis,
peut
être
en
raison
de
leur
âge
plus
proche
du
mien,
m’ont
aussi
«
adoptée
»,
en
me
proposant
souvent
de
venir
manger
avec
eux
au
restaurant
japonais
qui
était
proche
des
locaux
de
BUF.
Nathalie
et
Elise
furent
un
peu
plus
distantes
à
mon
égard,
mais
semblaient
aussi
avoir
une
charge
de
travail
très
importante,
et
avaient
chacune
une
personnalité
plutôt
indépendante.
Clément
a
quant
à
lui
été
un
soutien
constant
durant
toute
la
durée
de
l’étude.
Mais
mon
informateur
privilégié
reste
Marie,
la
manager
de
l’équipe,
qui
semblait
très
attachée
à
ce
projet,
me
répétait
souvent
après
mon
départ
«
j’aurais
aimé
que
tu
restes/reviennes,
car
ils
se
passent
des
choses
très
intéressantes
encore
».
J’ai
très
vite
compris
que
mon
thème
de
recherche
pouvait
bien
faire
sens
dans
l’univers
d’interconnaissance
qui
allait
devenir
mon
terrain,
il
y
avait
bien
un
écho,
et
presque
une
demande
qui
se
faisait
sentir
surtout
à
la
fin,
avec
cette
requête
de
revenir.
Au
quotidien,
j’étais
installée
dans
le
même
open-‐space
qu’occupait
l’équipe
et
son
manager,
parfois
sur
un
coin
de
bureau
de
quelqu’un,
ou
sur
le
bureau
de
quelqu’un
d’absent,
puis
enfin
à
mon
propre
bureau
durant
la
période
de
stage
2-‐A.
Lorsque
je
235
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
n’avais
pas
encore
de
poste
fixe,
j’apportais
mon
ordinateur
portable.
En
général,
je
prenais
mon
journal
de
terrain47
(des
grands
cahiers
A4
quelconques)
pour
une
prise
de
notes
presque
constante
de
ce
qui
se
passait
autour
de
moi
en
fonction
des
aléas
de
mon
attention
sélective
:
échanges,
bribes
de
conversations
téléphoniques,
mais
aussi
réunions
de
l’équipe
entre
eux
ou
avec
d’autres
personnes
sous
forme
de
conversations
plus
ou
moins
informelles.
En
effet,
«
data
collection
is,
for
the
most
part,
relatively
'unstructured',
in
two
senses.
First,
it
does
not
involve
following
through
a
fixed
and
detailed
research
design
specified
at
the
start.
Second,
the
categories
that
are
used
for
interpreting
what
people
say
or
do
are
not
built
into
the
data
collection
process
through
the
use
of
observation
schedules
or
questionnaires.
Instead,
they
are
generated
out
of
the
process
of
data
analysis.[...]»
(Hammersley
&
Atkinson,
2007:3).
Ma
prise
de
notes
constante
n’évoquait
pas
particulièrement
de
méfiance,
car
en
tant
que
stagiaire
il
semblait
naturel
qu’il
me
revienne
ensuite
de
faire
des
comptes
rendus
(ce
qui
m’a
bien
été
demandé
quelques
fois
mais
pas
systématiquement).
Parfois
j’amenais
un
plus
petit
cahier
aux
pauses
café/déjeuner
et
c’était
assez
bien
accepté,
ou
en
tout
cas
je
n’ai
pas
eu
l’impression
que
ma
prise
de
note
ait
inhibé
quiconque
à
exprimer
des
pensées
mêmes
violentes
ou
personnelles
sur
un
certain
sujet.
La
retranscription
se
faisait
pendant
des
moments
creux
de
la
journée
(avant
l’arrivée
des
uns
le
matin,
en
attendant
le
retour
des
autres
de
la
pause
déjeuner),
et
complétée
après
la
période
sur
le
terrain.
Par
ailleurs,
je
cherchais
à
garder
des
traces,
sans
discrimination
particulière,
de
tous
les
documents
écrits,
quelque
soit
leur
nature,
origine
ou
sujet.
Ainsi,
par
exemple
j’ai
pris
l’habitude
de
prendre
les
tracts
syndicaux
en
entrant
dans
les
bureaux
de
BUF,
d’imprimer
lorsque
c’était
possible
des
mails
et
newsletters
internes,
de
garder
des
articles
de
presse
parlant
de
BUF
ou
du
secteur
bancaire
en
général
par
rapport
à
la
crise,
de
photocopier
les
documents
qui
circulaient
au
sein
de
l’équipe,
de
recopier
à
la
main
des
mails
confidentiels
qui
ne
pouvaient
être
imprimés
ou
renvoyés,
en
prenant
soin
de
garder
la
confidentialité
en
reformulant
certains
aspects,
et
éliminant
les
données
chiffrés
ou
nominatives
qui
pouvaient
donner
lieu
à
une
identification.
Mon
degré
de
participation
a
varié
durant
les
quatre
temps
de
la
recherche.
Il
est
devenu
de
plus
en
plus
intense
au
cours
des
neuf
mois,
avec
de
plus
en
plus
de
responsabilités
et
de
voix.
De
ma
place
d’observatrice
initiale,
on
me
demandait
souvent
mon
avis
sur
ce
qui
se
passait
(sur
les
positions
prises
sur
les
dossiers
par
exemple,
ou
sur
le
déroulé
d’une
réunion)
mais
en
général
en
aparté.
Avec
la
période
de
stage,
j’avais
des
tâches
officielles
à
exécuter
dans
ce
cadre,
en
particulier
rédiger
une
newsletter
qui
47
Au
final,
mon
journal
couvrit
une
période
de
quatre
mois.
Cf.
Annexe
3
et
4
pour
les
détails
sur
les
documents recueillis.
236
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
venait
d’être
introduite
et
destinée
au
Front
Office
sur
le
travail
de
l’équipe
(considérée
comme
une
mission
de
«
sensibilisation
»
en
quelque
sorte).
Puis,
à
la
fin
de
la
période
de
terrain,
il
a
fallu
gérer
un
détachement,
progressif
au
départ,
puis
assez
sec
de
sorte
à
pouvoir
«
arrêter
la
machine
»
qui
me
poussait
à
continuer
à
collecter
des
données,
afin
de
pouvoir
enfin
procéder
à
et
finaliser
leur
analyse.
C’est
un
exercice
frustrant
que
de
couper
le
cordon
avec
une
réalité
qui
nous
a
marqué,
que
nous
avons
partagé,
et
de
se
résoudre
à
l’objectiver
dans
un
espace-‐temps
clos.
Car
enfin,
vient
le
troisième
type
de
travail,
le
«
textwork
»,
(Van
Maanen,
2011)
et
le
long
travail
de
choix
à
faire
pour
notre
restitution
et
la
manière
dont
nous
allions
analyser
et
présenter
notre
travail.
Un
des
avantages
de
réaliser
un
travail
de
terrain
en
profondeur
dans
un
milieu
donné
est
le
fait
de
pouvoir
ensuite
garder
la
«
polyphonie
»
propre
du
milieu
dans
notre
restitution
(Czarniawska,
2005
;
Belova
et
al.
2008),
et
en
particulier
de
donner
une
voix
aux
catégories
minoritaires
qui
de
ce
fait
ont
rarement
l'occasion
de
s'exprimer
car
statistiquement
ou
hiérarchiquement
moins
visibles.
Nous
avons
essayé
de
mêler
«
récits
confessionnels
»
par
exemple
dans
les
prolégomènes
à
ce
chapitre)
avec
d'autres
voix
afin
d’arriver
à
un
«
récit
impressionniste
»,
qui,
tel
un
tableau,
cherche
à
exposer
une
perspective
in
situ
(Van
Maanen,
1988).
Documenter
minutieusement
une
réalité
(vécue
ou
non),
n'est
pas
le
propre
de
l'ethnographie
ni
même
des
sciences
de
gestion,
mais
remonte
au
moins
aussi
loin
que
les
efforts
d'Hérodote
pour
constituer
une
mémoire
documentée
et
archivée.
Notre
travail
ne
prétend
pas
‘représenter’
une
quelconque
'réalité',
et
donc
nous
préférons
le
terme
d'’évoquer’,
par
notre
voix
singulière.
Nous
ne
prétendons
pas
comprendre
la
banque
comme
les
personnes
rencontrées
la
comprennent,
mais
d’essayer
de
dépeindre
ce
que
ça
peut
évoquer
pour
elles.
Certes
il
y
a
toujours
le
risque
de
réifier
les
phénomènes
sociaux,
comme
de
nombreux
critiques
de
l'ethnographie
argumentent.
C’est
pourquoi
il
est
important
d’être
clair
sur
la
manière
dont
l'auteur
se
représente
lui-‐même,
et
comment
représenter
les
autres
dans
l'ethnographie
(Becker,
2002
;
Hammersley
&
Atkinson,
2007).
Les
choix
de
rédaction
témoignent
de
cet
aspect,
en
particulier
dans
le
présent
travail
ou
s'alternent
première
et
troisième
personne
pour
l'auteur,
qui
parfois
garde
son
genre
(à
l’instar
d’autres
chercheuses
comme
Czarniawska)
et
parfois
le
perd
dans
le
récit
asexué
du
“chercheur”.
Ceci,
nous
pensons,
donne
au
texte
une
profondeur
de
fait
de
cette
forme
polyphonique
de
plusieurs
voix
qui
s'expriment,
voire
dialogique,
entre
le
chercheur
et
elle-‐même,
entre
le
chercheur
et
les
autres
interlocuteurs,
qu'ils
soient
du
terrain
ou
académiques.
J'ai
voulu
faire
une
première
interprétation
de
manière
contemporaine
à
la
collecte
elle-‐même,
en
notant
ce
qui
me
surprenait,
mais
ensuite
l'analyse
en
237
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
238
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
voir
comment
l’éthique
était
définie
et
mise
en
œuvre
à
chacun
de
ces
niveaux.
Ainsi,
en
partant
du
cadre
théorique
principal
de
l’éthique
comme
pratique,
j’ai
eu
recours
à
des
cadres
théoriques
complémentaires
pour
analyser
chacun
de
ces
niveaux
qui
semblaient
pertinents
pour
étudier
la
richesse
du
cas
:
«
theories
are
used
to
make
sense
of
observations
and
observations
are
used
to
develop
theory.
(...)
However,
explanation
comes
from
the
case,
not
from
some
theory
that
is
imposed
on
the
case”
(Scapens
&
Roberts,
1993:3).
On
arrive
ainsi
à
donner
du
sens,
à
passer
à
un
second
niveau
d’analyse
qui,
dépassant
la
description
du
cas,
nous
permet
d’arriver
à
un
degré
d’abstraction
intéressant,
comme
nous
tâcherons
de
le
montrer
par
la
suite.
4.3.2.3.
Ethnographie
dans
un
environnement
bancaire
:
l’apport
méthodologique
des
études
sociales
de
la
finance
Les
études
sociales
de
la
finance
ou
social
studies
of
finance
(SSF)
sont
nées
du
constat
qu’il
manquait
une
approche
différente
et
complémentaire
des
connaissances
que
produisait
déjà
la
science
économique
et
financière.
On
ne
peut
pas
vraiment
dire
que
les
SSF
sont
nées
pour
produire
des
recherches
qualitatives
(contre
la
finance
qui
est
largement
quantitative)
car
cette
distinction
n’aurait
pas
de
sens.
En
effet,
les
objets
sont
totalement
différents.
Ainsi,
une
pure
et
simple
assimilation
des
SSF
à
des
approches
qualitatives
de
la
finance
n’est
pas
justifiée
(Miles
&
Huberman,
1994),
et
même
si
ces
dernières
sont
importantes,
les
approches
quantitatives
demeurent
un
complément
intéressant.
Pourtant,
le
choix
retenu
ici
d’une
approche
qualitative
ethnographique
mérite
une
explication.
Comme
mentionné
dans
le
premier
chapitre
de
ce
travail,
l’éthique
a
récemment
été
soumise
à
la
vague
de
quantophrénie
qui
inonde
les
sciences
sociales
et
les
organisations,
comme
s’il
s’agissait
de
quelque
chose
de
fini
et
de
mesurable.
Ainsi,
même
les
objets
les
plus
mouvants
sont
sujets
à
des
indicateurs
de
performance,
des
mesures,
des
indices...,
ce
qui
n’est
pas
forcément
le
meilleur
moyen
pour
comprendre
les
changements
de
notre
société
(Gaulejac
2005).
Les
approches
qualitatives
et
ethnographiques
s’avèrent
très
utiles
en
revanche
pour
saisir
des
réalités
plus
complexes,
mouvantes,
pluridisciplinaires,
multidimensionnelles,
antagoniques
ou
fuyantes
(Becker,
2002).
Pour
nous,
un
enjeu
était
clairement
le
défi
de
réussir
à
observer
sans
le
prisme
méprisant
qu’ont
eu
de
nombreux
philosophes
sur
le
monde
bancaire
et
des
affaires
en
général.
Eviter
une
dérive
similaire
à
celle
de
la
première
anthropologie
sociale
‘fille
de
l’impérialisme’
qui
partait
étudier
les
peuples
lointains
convaincus
de
la
supériorité
culturelle
de
l’Occident.
Au
contraire,
nous
voulions
apprendre
à
aborder
et
valoriser
les
239
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
240
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
tenons
pour
acquis
et
faisant
‘partie
du
paysage’
(salles
de
travail,
ordinateurs,
logiciels,
aires
de
socialisation...)
et
que
par
conséquent
nous
ignorons
ou
sous
estimons
est
en
fait
essentiel.
4.
«
Cognition
and
calculation
».
Cognition
et
calcul,
ou
comment
le
fait
de
faire
quelque
chose
à
plusieurs
aboutit
à
un
résultat
différent
que
si
c’est
fait
par
un
seul.
5.
«
Actors
are
agencements
».
Les
acteurs
sont
des
agencements,
et
il
utilise
d’ailleurs
le
terme
français
mobilisée
par
Michel
Callon
par
rapport
a
la
théorie
de
l’acteur-‐réseau
:
un
acteur
économique
n’est
pas
simplement
un
individu
humain
,
ni
même
un
individu
encastré
dans
un
groupe,
des
conventions,
des
relations
ou
des
institutions.
Un
acteur
est
fait
d’un
corps
mais
aussi
de
prothèses
et
d’outils,
qui
ensemble
constituent
un
agencement.
Imaginons
donc
un
musicien
sans
son
instrument,
un
roi
sans
son
royaume,
un
doctorant
sans
son
carnet
de
notes....
6.
«
Classification
and
rule
following
are
finitist
processes
».
La
classification
et
le
fait
de
suivre
des
règles
sont
des
processus
finitistes.
Autrement
dit,
elles
nous
obligent
souvent
à
penser
en
termes
binaires
:
soit
cela
correspond
à
mes
cases,
soit
cela
ne
correspond
pas.
Les
classifications
et
les
règles
sont
en
général
tirées
de
notre
expérience
passée,
mais
lorsque
le
présent
nous
confronte
avec
de
nouveaux
défis,
il
arrive
que
nos
schèmes
de
pensée
ne
suffisent
plus.
Cet
élément
s’avérera
d’une
importance
fondamentale
pour
le
présent
travail.
7.
«
Economics
does
things
».
L’économie
fait
des
choses:
plus
que
décrire,
l’économie
prescrit,
ordonne,
informe,
performe.
8.
«
Innovation
isn't
linear
».
L’innovation
n’est
pas
linéaire,
et
implique
peut
être
d’autres
dimensions
que
la
simple
adaptation
progressive.
9.
«
Market
design
is
a
political
matter
».
Le
design
du
marché
est
une
affaire
politique,
et
il
y
a
probablement
d’autres
issues
possibles
à
l’alternative
linéaire
de
se
plier
à
ou
aller
contre.
Cette
approche
critique
invite
à
considérer
les
enjeux
comme
étant
bien
plus
complexes
qu’une
simple
linéarité
qui
suivrait
une
évolution
logique
et
technologique.
Il
y
a
donc
une
place
pour
d’autres
mécanismes
de
production
et
d’évolution
pour
les
marchés
:
ils
sont
construits
dans
le
conflit,
la
négociation,
les
jeux
de
pouvoir,
et
non
pas
seulement
dans
la
linéarité
du
conflit
binaire
de
le
suivre
ou
le
contrer.
10.
«
Scales
aren't
stable
».
Les
échelles
de
mesure
ne
sont
pas
stables,
fixées
une
fois
pour
toutes,
et
plus
largement,
rien
ne
l’est.
Les
micro
phénomènes
peuvent
entraîner
de
grands
impacts,
et
l’effet
papillon
n’est
pas
à
être
minimisé,
en
particulier
dans
les
environnements
complexes,
pouvant
aller
jusqu’à
bouleverser
ce
qu’on
considérait
les
piliers
de
l’édifice.
Alors
que
la
plupart
des
éléments
de
cette
liste
pourraient
sembler
des
truismes,
ils
ne
font
l’objet
d’une
attention
scrupuleuse
que
de
manière
marginale.
Or,
leur
combinaison
apporte
toute
la
richesse
à
ce
programme
de
recherche,
car
elle
permet
ainsi
d’appréhender
l’objet
de
la
conformité
bancaire
sous
de
multiples
facettes,
en
prenant
compte
de
sa
réalité
complexe
et
la
construction
de
celle-‐ci.
D’un
point
de
vue
méthodologique,
ceci
correspond
bien
aux
démarches
qualitatives
de
type
ethnographiques,
qui
ont
l’habitude
d’être
attentives
aux
différents
‘agencements’,
mais
241
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
aussi
d’autres
formes
plus
discrètes
d’agence
grâce
a
la
patience
qui
laisse
émerger
ces
aspects
au
cours
d’une
étude
approfondie
sur
plusieurs
mois.
Et
il
est
intéressant
de
remarquer,
à
la
suite
par
exemple
de
Weeks
(2004),
qui
lors
de
son
étude
dans
grande
banque
britannique
observe
que
les
praticiens
eux-‐mêmes
sont
mus
par
des
‘désirs
ethnographiques
cachés’
et
rivalisaient
presque
avec
le
chercheur
académique,
en
prenant
des
notes
quotidiennement
sur
une
série
de
choses
apparemment
banales,
pour
comprendre,
puis
ainsi
transformer
leur
milieu
professionnel
de
l’intérieur.
Nous
avons
remarqué
la
même
chose
:
la
manager
de
l’équipe
était
elle-‐même
plongée
dans
un
processus
de
thèse
en
droit,
et
quelque
temps
après
la
fin
de
notre
enquête,
nous
avons
constitué
un
groupe
de
travail
de
chercheurs
et
de
praticiens
de
la
conformité
avec
cinq
d’entre
eux
pour
poursuivre
ces
échanges,
avec
l’ambition
de
donner
plus
de
visibilité
à
ces
questions
par
des
conférences.
Les
praticiens
sont
donc
parfois
autant
intéressés
par
les
interactions
sociales
sur
leur
lieu
de
travail,
que
par
les
théories
financières
qu’ils
manipulent
dans
le
cadre
de
ce
qu’ils
sont
payés
à
faire.
Ceci
peut
expliquer
leur
ouverture
à
l’égard
d’un
regard
exterieur
qui
souhaitait
venir
étudier
«
comment
ça
se
passait
»
dans
leur
service,
dans
leur
banque,
dans
les
difficultés
quotidiennes
de
leur
travail
dans
la
conformité
bancaire.
Alors
que
les
SSF
commencent
à
constituer
un
corpus
assez
conséquent
sur
divers
aspects
de
la
finance,
les
questions
de
conformité
bancaire
demeurent
sous-‐
explorées.
Nous
saisissons
alors
l’opportunité
de
pouvoir
nous
inscrire
dans
la
continuité
des
travaux
récents
de
Lenglet
(2008)
et
Assouly
(2011)
pour
contribuer
à
l’étude
de
la
mise
en
œuvre
de
la
conformité
dans
le
système
financier,
en
articulant
ainsi
les
littératures
sur
la
sociologie
de
la
loi
(cf.
les
travaux
d’Edelman
par
exemple),
la
sociologie
de
la
finance
et
sociologie
économique,
mais
aussi
une
approche
émergente
de
la
construction
d’une
éthique
dans
ces
milieux.
Plus
particulièrement,
sur
l’objet
spécifique
de
la
lutte
anti-‐blanchiment,
le
présent
travail
nous
permet
ainsi
de
contribuer
par
une
voie
méthodologique
différente
aux
récents
travaux
de
Favarel-‐
Garrigues,
Godefroy
et
Lascoumes
sur
les
«
sentinelles
de
l’argent
sale
»
(2007,
2009)
qui
se
basent
surtout
sur
des
entretiens
de
compliance
officers.
On
visait
à
obtenir
autre
chose
que
des
verbatim
(que
les
acteurs
nous
parlent
de
leur
métier
et
des
difficultés
qu’ils
rencontrent
au
quotidien),
mais
aussi
de
les
voir
agir,
se
confronter
aux
dossiers,
à
la
hiérarchie,
aux
autres
métiers.
Dans
Sentinelles
de
l’argent
sale,
les
banques
aux
prises
avec
le
blanchiment
(2009),
ils
réalisent
60
entretiens
de
spécialistes
LAB-‐FT,
dont
une
moitié
dans
les
banques,
la
majorité
exerçant
en
tant
que
Chief
Compliance
Officers,
lesquels
«
en
insistant
sur
la
complexité
de
leur
mission,
sur
leur
autonomie
et
sur
les
risques
auxquels
ils
s'exposent
vis-‐à-‐vis
des
«commerciaux»
ou
des
dirigeants,
ils
242
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
apparaissent
comme
des
techniciens,
menant
une
activité
un
peu
séparée
du
reste
des
services
»
(2009:24).
L’équipe
que
nous
avons
étudié,
appartenant
au
Front
Office
et
non
au
département
Conformité,
nous
a
permit
d’aller
au-‐delà
de
cette
séparation
justement,
et
plus
particulièrement
dans
les
fondements
de
l’activité
quotidienne
de
la
LAB.
En
effet,
le
Chief
Compliance
Officer
est
le
responsable
du
service
et
garant
de
son
bon
fonctionnement,
mais
les
analystes
des
niveaux
hiérarchiques
inférieurs
ont
une
bonne
dose
d’exposition
aux
conflits
qui
émanent
de
leur
travail
et
de
leur
position
d’ennemis
internes.
Nous
lisons
l’approche
de
Favarel-‐Garrigues
et
ses
collaborateurs
comme
voulant
cartographier
une
réalité
inter
et
supra-‐organisationnelle
:
en
plus
des
Compliance
Officers,
ils
ont
rencontré
quelques
commerciaux,
des
prestataires,
des
consultants,
des
étudiants
des
deux
premières
promotions
du
diplôme
de
un
an
dédié
à
la
prévention
des
fraudes
et
du
blanchiment
à
Strasbourg
qui
existe
depuis
2004,
parfois
quelques
personnes
dans
les
organismes
de
régulation
tels
que
l’AMF,
l’Office
central
de
répression
de
la
grande
délinquance
financière
(OCRGDF),
ou
encore
le
CNIL
qui
participe
aussi
a
la
définition
des
normes
dans
les
banques.
Dans
notre
cas,
une
étude
couvrant
un
tel
spectre
d’acteurs
n’était
pas
l’objectif,
bien
que
ce
genre
de
travaux
nous
ait
beaucoup
servi
par
ailleurs.
Ici,
nous
voulions,
pour
détourner
le
sous-‐
titre
de
Favarel-‐Garrigues
et
al.
(2009)
non
pas
étudier
comment
les
banques
s’en
prenaient
avec
l’anti-‐blanchiment
mais
comment
au
sein
d’une
organisation
on
s’en
prenait
avec
l’éthique
et
les
difficultés
quotidiennes
que
cette
lutte-‐anti-‐blanchiment
générait
au
quotidien.
En
effet,
à
l’instar
de
Lenglet
(2008),
on
considère
que
l’éthique
est
fortement
impactée
par
le
contexte
dans
lequel
elle
advient.
Une
dernière
spécificité
qui
nous
concerne
dans
le
présent
travail
et
qui
vise
à
apporter
une
contribution,
est
le
fait
que
notre
étude
contribue
à
la
compréhension
d’une
fonction
encore
très
méconnue
et
peu
étudiée
à
la
fois
dans
son
fonctionnement
et
ses
implications
pour
la
conformité
et
la
finance
en
général
:
le
KYC.
4.3.3.
TRAITEMENT
DU
M ATERIAU
RECUEILLI
“L’inconvénient
des
mots
est
d’avoir
plus
de
contour
que
les
idées.
Toutes
les
idées
se
mêlent
par
les
bords;
les
mots,
non.
Un
certain
côté
diffus
de
l’âme
leur
échappe
toujours.
L’expression
a
des
frontiers,
la
pensée
n’en
a
pas”.
Victor
Hugo,
L’Homme
qui
Rit.
4.3.3.1.
Classification
et
exploitation
L’angoisse
du
chercheur,
jeune
en
particulier,
se
révèle
avec
une
grande
force
une
fois
le
travail
de
terrain
terminé,
que
nous
avons
des
piles
de
feuilles,
de
cahiers
de
243
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
notes,
de
documents
empilés
sur
notre
bureau,
car
la
question
est
imminente:
«
et
maintenant,
qu’est
ce
que
je
vais
faire
de
tout
ça
?
».
Même
lorsqu’on
accomplissait
une
certaine
classification
au
fur
et
à
mesure
(chronologique,
thématique,
par
type
de
source,
cartes
situationnelles
désordonnées
préliminaires),
ceci
qui
n’est
que
le
premier
stade
d’organisation
du
matériau,
insuffisant
au
moment
de
concrétiser
une
analyse.
Chaque
entreprise
de
recherche
pose
des
problèmes
épistémologiques,
des
questions
sur
le
statut
de
ce
que
l’on
fait
et
de
ce
que
l’on
vise
à
produire.
Tout
d’abord,
un
problème
lié
aux
concepts
que
nous
manipulons.
Pour
cela,
nous
avons
cherché,
suivant
l’exemple
de
Nietzsche
ou
encore
de
Foucault,
à
consacrer
une
attention
importante
de
la
première
partie
de
ce
travail
à
retracer,
bien
que
modestement,
une
généalogie
de
l’éthique
et
de
ses
défis
empiriques
posés
par
la
complexité,
la
contradiction,
le
risque,
la
norme,
le
quotidien.
Ces
aspects
très
concrets,
loin
d’être
des
digressions
inutiles
à
notre
avis,
servent
l’objectif
de
spécifier
certains
enjeux
observés
sur
le
terrain
et
que
nous
avons
cherché
à
analyser
ici.
Notre
matériau
riche
et
hétérogène
a
du
être
tout
d’abord
fragmenté,
pour
creuser
des
aspects
spécifiques
en
profondeur.
Pour
cela,
notre
travail
a
surtout
été
rythmé
par
l’impératif
de
produire
des
articles
de
recherche
à
présenter
en
conférence
ou
à
soumettre
à
des
revues
scientifiques.
Le
format
de
l’article
de
recherche
nous
a
obligé
à
compartimenter
notre
travail
en
unités
de
sens,
suivant
la
règle
«
1
article
=
1
idée
».
Tout
au
long
de
ce
travail
de
rédaction
d’articles,
le
principal
reproche
que
l’on
nous
a
fait
souvent
c’est
«
vous
avez
plusieurs
papiers
en
un,
trop
de
choses,
il
faut
couper
en
plusieurs
articles
».
Or,
alors
que
ceci
constitue
une
véritable
difficulté,
voir
même
une
certaine
frustration
que
de
devoir
faire
une
telle
violence
à
«
l’histoire
qu’on
raconte
»,
c’est
aussi
une
manière
de
nous
obliger
de
creuser
en
profondeur
chacun
des
différents
aspects
qui
commençaient
à
émerger.
Le
tableau
ci-‐après
des
communications
faites
en
conférence
et/ou
soumis
à
des
journaux
en
relation
à
notre
sujet
de
thèse
témoigne
de
ce
processus
et
permet
de
tracer
les
évolutions
de
notre
pensée,
et
en
particulier
les
transformations
de
chacun
des
papiers
(dans
la
dernière
colonne,
les
différentes
versions
sont
expliquées,
avec
les
principaux
changements).
Ce
fut
un
exercice
qui
a
apporté
un
certain
nombre
d’apprentissages
concrets,
en
particulier
de
synthèse,
mais
aussi
de
storytelling
:
comment
raconter
une
histoire
qui
se
suffise
à
elle
même,
et
qui
apporte
quelque
chose
à
la
communauté
scientifique,
malgré
l’effort
de
distillation
et
d’élimination
d’un
grand
nombre
d’aspects,
de
détails
et
d’idées
?
Ce
tableau
permet
de
synthétiser
visuellement
notre
succession
de
boucles
abductives,
d’itérations,
d’allers
retours
entre
les
questions
théoriques
et
les
244
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
tâtonnements
empiriques,
ce
qui
revient
à
considérer
nos
données
(data)
non
pas
comme
données
(adjectif)
mais
comme
‘actives’
(Dubois
&
Gadde,
2002),
dont
on
devait
ensuite
trouver
l’ancrage
pertinent
grâce
aux
différentes
tentatives
de
formalisation
sous
forme
de
papiers.
En
effet,
le
nombre
de
versions
et
de
réécritures
est
le
reflet
de
cette
itinérance
intellectuelle,
non
pas
un
vagabondage
sans
but
précis,
mais
une
quête,
un
approfondissement
au
fil
des
rebondissements
et
des
redécouvertes
et
relectures
de
notre
matériel
et
des
dialogues
avec
les
pensées
écrites
(puisées
dans
la
littérature)
ou
orales
(avec
nos
directeurs
de
thèse,
collègues
et
amis).
Au
vu
du
tableau
ci-‐dessous,
la
question
s’est
souvent
posée
avec
une
grande
insistance,
à
la
fois
par
notre
voix
intérieure
et
par
un
certain
nombre
de
nos
collègues
:
pourquoi
ne
pas
faire
une
thèse
par
articles,
vu
que
j’ai
eu
la
chance
d’en
publier
deux
et
d’en
soumettre
d’autres
avant
la
soutenance
?
Le
choix
de
garder
un
format
de
thèse
‘classique’
plutôt
que
par
articles
trouvera
sa
réponse
dans
les
paragraphes
suivants.
Figure 19: Communications et papiers scientifiques sur notre recherche doctorale
245
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
246
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
and
European
Meeting
organizational
boundaries
and
conceptuel.
Approche
centrée
sur
la
on
Organization
Studies,
institutional
implications
of
ethics'
théorie
des
organisations,
et
Mexique
uses
l’analyse
institutionnelle
française.
En
cours
de
réecriture.
+
Society
for
Business
Ethics,
USA
2013.
Special
Issue
de
Clean
money
but
dirty
hands:
being
Avec
S.
Picard.
Au
premier
R&R,
en
Organization
‘Ethics,
the
locus
bellicus
for
ethical
cours
de
réécriture
d’une
V2.
embodiment
and
resistance
Papier
empirique
qui
développe
9
organizations’
une
approche
phénoménologique
approfondie,
en
particulier
sur
l’aspect
corporel
et
incarné
de
l’éthique.
4.3.3.2.
Intégration
dans
une
recherche
multiniveaux
En
introduction,
nous
avons
souligné
notre
intérêt
à
explorer
l’éthique
comme
pratique
située.
Ensuite,
notre
revue
de
la
littérature
et
la
formulation
de
notre
cadre
théorique
nous
ont
permis
de
spécifier
ce
que
nous
entendons
par
‘située’,
en
proposant
une
lecture
particulière
du
concept
de
situation.
Nous
avons
mentionné
que
si
le
point
de
départ
de
l’éthique
est
toujours
l’individu
en
tant
que
sujet,
ces
individus
sont
confrontés
à
des
points
d’interrogation
d’une
part,
des
ancrages
d’autre
part,
et
à
la
nécessité
d’intégrer
les
deux
dans
l’interprétation
et
la
performation
des
normes
morales
au
moyen
d’une
éthique
comprise
avant
tout
comme
pratique.
C'est-‐à
dire
qu’il
nous
faut
reconnaître
l’ensemble
du
contexte
–
personnel,
inter-‐relationnel,
organisationnel,
institutionnel
–
pour
avoir
une
compréhension
fine
mais
aussi
globale
de
ce
que
veut
dire
l’éthique
comme
pratique
située.
Afin
d’échapper
au
relativisme
moral,
il
est
impératif
de
reconnaître
que
l’action
est
menée
dans
des
situations
de
pluralisme
moral,
où
l’éthique
va
se
construire
dans
et
par
l’interaction
dynamique
des
différents
niveaux
où
elle
agit.
Voilà
pourquoi
une
thèse
par
articles
ne
satisfais-‐sait
pas
l’objectif
de
ce
travail
et
pourquoi,
indépendamment
des
articles
focalisés
et
spécifiques
que
nous
pouvions
développer
par
ailleurs,
il
nous
semblait
important
d’aborder
l’éthique
comme
pratique
située
simultanément
à
plusieurs
niveaux.
Ce
n’est
que
par
ce
moyen
que
nous
sentions
que
nous
pouvions
témoigner
de
la
complexité
du
phénomène,
et
de
le
cerner
sinon
de
manière
totalement
exhaustive,
du
moins
dans
une
approche
holiste.
Nous
insistons
sur
l’importance
des
variations
de
niveaux
d’analyse
au
sein
de
notre
étude
de
cas,
que
nous
refusons
de
réifier
et
d’en
établir
les
limites
de
manière
irrévocable
:
«
A
‘case’
is
generally
a
bounded
entity
(a
person,
organization,
behavioral
condition,
event,
or
other
social
phenomenon),
but
the
boundary
between
the
case
and
its
contextual
conditions
–
in
both
spatial
and
temporal
dimensions
–
may
be
blurred,
as
previously
noted.
The
case
serves
as
the
main
unit
of
analysis
in
a
case
study.
At
247
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
the
same
time,
case
studies
also
can
have
nested
units
within
the
main
unit
(see
‘embedded
subcases’).
»
(Yin,
2011:
6-‐7).
Nous
expliquerons
ici
d’abord
la
collecte
et
l’analyse
de
données
d’une
perspective
méthodologique
multiniveaux,
avant
d’esquisser
le
travail
mené
d’une
théorisation
multiniveaux
(multilevel
theory
building).
Concernant
l’aspect
méthodologique,
une
première
difficulté
consistait
à
dépasser
ce
que
de
nombreuses
recherches
qui
adoptent
une
approche
multiniveaux
font
et
éviter
une
série
d’écueils
ou
risques
de
ce
type
d’approche
(Hitt
et
al.
2007):
les
questions
des
frontières
entre
les
différents
niveaux
:
où
finit
l’un
et
où
commence
le
suivant
?
et
que
faire
lorsque,
comme
c’est
souvent
le
cas,
on
se
retrouve
face
à
un
enchevêtrement
de
niveaux,
par
exemple
lorsqu’une
même
unité
(individu,
groupe
ou
même
organisation)
se
retrouve
simultanément
dans
plusieurs
arrangements
nichés,
parfois
contradictoires
?
Il
convient
aussi
de
prêter
une
attention
toute
particulière
aux
influences
réciproques
entre
les
niveaux,
et
non
pas
simplement
les
relations
descendantes
ou
ascendantes.
Enfin,
il
faut
aussi
spécifier
comment
et
dans
quelle
mesure
les
données
collectés
sur
un
niveau
d’analyse
particulier
peuvent,
ou
pas,
informer
les
construits
théoriques
d’un
autre
niveau
d’analyse.
Ce
dernier
point
fait
référence
à
ce
que
déjà
Klein
et
al.
(1999)
soulignaient,
et
en
particulier
les
risques
de
:
• donner
l’impression
qu’il
y
a
une
sorte
d’équivalence
entre
les
niveaux
(ce
que
l’on
observe
à
un
niveau
n’est
que
l’amplification
ou
la
version
réduite
de
ce
que
l’on
observe
à
un
autre,
par
exemple
ce
qui
arrive
typiquement
lorsque
l’on
fait
des
projections
isomorphiques
entre
les
niveaux
ou
encore
anthropomorphiques
sur
l’organisation
en
lui
attribuant
les
caractéristiques
d’une
sorte
de
macro-‐individu).
Ceci
revient
à
faire
l’hypothèse
que
transposer
des
corrélations
d’un
niveau
à
un
autre
va
aboutir
au
même
résultat
(e.g.
«
si
on
sait
que
quand
les
individus
font
x,
y
se
produit,
alors,
lorsque
des
groupes
font
x,
y
devrait
aussi
se
produire
»)
qu’il
s’agit
ensuite
de
mesurer,
tester
par
des
modèles
quantitatifs,
mêlant
une
série
de
variables
modératrices
pour
chaque
niveau
avec
toutes
les
difficultés
au
niveau
de
la
collecte
de
données
pour
une
telle
perspective
et
l’analyse
de
ces
données
(cf.
Klein
et
al.
1999
:244,
qui
prennent
surtout
des
exemples
en
psychologie
appliquée).
Or,
notre
ambition
ici
n’est
pas
de
l’ordre
de
la
transposition,
mais
de
l’intégration
des
niveaux
et
des
variations
du
phénomène,
d’où
le
fait
qu’il
présente
une
série
de
caractéristiques
–
étude
d’une
seule
organisation,
collecte
de
données
qualitatives
hétérogènes
–
qui
orientent
dans
une
direction
un
peu
différente,
et
encore
peu
courante
dans
les
études
multiniveaux
existantes.
248
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
• assumer
que
les
niveaux
s’identifient
et
se
limitent
aux
structures
formelles
(e.g.
individu-‐groupe-‐organisation),
qui
seraient
par
là
même
considérées
comme
statiques,
immuables
et
sans
compénétration
entre
elles.
Ce
risque
en
particulier
peut
alors
être
évité
par
l’attention
portée
aux
différents
rôles
joués
par
les
différentes
structures
formelles
qui
dictent
de
multiples
appartenances
formelles
et
qui
donc
agissent
sur
l’ensemble
des
autres
niveaux
;
• assumer
qu’au
sein
d’un
même
niveau
il
y
a
une
homogénéité
:
il
convient
au
contraire
d’être
attentif
aux
variations
intra-‐niveau
si
elles
existent
(within-‐unit
agreement
and
disagreement)
afin
de
mettre
en
évidence
les
tensions
internes,
les
négociations,
et
en
fin
de
compte
la
vie
de
chacun
de
ces
niveaux.
Ensuite,
la
théorisation
multiniveaux
présente
en
soi
un
certain
nombre
de
défis.
Le
premier
avantage
de
ce
genre
de
constructions
théoriques,
et
que
nous
espérons
réussir
dans
ce
travail,
est
«
a
deeper,
richer
portrait
of
organizational
life
»
(Klein
et
al.
1999
:243),
capable
de
dépasser
le
risque
de
simplification
d’une
part
et
de
submersion
d’autre
part.
Dans
un
travail
analogue
au
nôtre
et
récent,
Bastianutti
(2012)
déjà
fait
usage
du
mot
emprunté
au
vocabulaire
musical
de
“variations”,
et
s’inspire
de
travaux
peut
être
méconnus
en
gestion
mais
importants
(cf.
Borzeix,
2007
et
sa
reprise
des
travaux
de
Revel
1996
et
de
l’école
italienne
de
la
microstoria
;
ou
encore
les
travaux
de
l’historien
Braudel
sur
lesquels
nous
nous
sommes
déjà
inspirés
dans
ce
travail48).
Ici
nous
nous
focaliserons
sur
la
notion
de
situation,
la
manière
dont
les
phénomènes
sont
constituées
et
appréhendables
dans
et
par
les
niveaux
qui
les
constituent
en
situation,
donc
leur
‘situatedness’,
et
sur
ses
implications
en
termes
de
construction
du
présent
travail,
comme
déjà
amorcé
sur
le
plan
théorique
dans
les
chapitres
précédents.
On
pourra
ainsi
«
donner
du
relief
»
et
mettre
en
évident
le
«
caractère
feuilleté
du
social
».
(Borzeix,
2007
:
28),
tout
en
partant
de
l’individu
au
sein
duquel
ces
variations
se
manifestent.
Ce
point
de
départ
individuel
pour
une
recherche
multiniveaux
est
rare
(Langley
et
al.
2013)
et
nous
essayerons
d’y
contribuer.
L’ethnographie
permet
cette
approche
holiste
avec
un
appui
sur
le
niveau
micro
pour
donner
des
portraits
de
la
vie
des
organisations
(Homans,
1964)
et
intégrer
plusieurs
niveaux
(Cooney,
2007;
Bjerragaard,
2011)
pour
ainsi
étudier
ce
qui
est
fait
concrètement
dans
des
situations
où
les
structures
macro
se
déploient
(Evens,
2006).
48
«
ainsi
sommes-‐nous
arrivés
à
une
décomposition
de
l’histoire
en
plans
étagés.
Ou
si
l’on
veut,
à
la
distinction
dans
le
temps
de
l’histoire,
d’un
temps
géographique,
d’un
temps
social,
d’un
temps
individuel
».
Braudel,
(1966,
p.
ix)
249
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
250
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
251
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
concernés
afin
d’obtenir
leur
validation
sur
nos
observations
et
commentaires
sur
leur
quotidien.
Ainsi,
du
moins
en
partie,
même
notre
“ongoing
stream-‐of-‐
consciousness
commentary
about
what
is
happening
in
the
research,
involving
both
observation
and
analysis”
(Eisenhardt
1989
:
539,
faisant
référence
à
Van
Maanen,
1988)
a
été
ouvert
à
des
explications
supplémentaires,
qui
permettaient
de
clarifier
certains
aspects
par
la
suite.
Ceci
fut
un
des
moyens
pour
faire
le
lien
entre
les
«
idées
»
et
les
«
preuves
»
(qui
est
une
traduction
très
problématique
de
evidence,
car
ce
mot
n’implique
pas
la
dimension
positiviste
de
preuve
scientifique
indubitable
d’une
hypothèse,
mais
plutôt
dans
un
sens
moins
fort
d’élément
empirique
qui
met
en
évidence
une
idée,
qui
en
témoigne
dans
toute
sa
complexité,
et
les
deux
sont
pris
dans
un
jeu
itératif).
Un
des
grands
risques
en
recherche
est,
à
l’instar
du
jaloux
ou
du
paranoïaque,
de
voir
des
preuves
partout
(Bouilloud,
2003),
ou
ce
que
Dumez
(2013)
appelle
le
risque
de
circularité.
Ainsi,
ces
«
preuves
»
ne
parlent
pas
d’elles
mêmes,
mais
sont
à
interpréter
(Bourdieu
et
al.
2005)
et
constituent
des
matériaux
pour
construire
des
arguments
plutôt
que
pour
démontrer
quelque
chose.
Là
aussi,
la
question
de
la
présentation
et
les
choix
qui
ont
été
faits
ici
d’ordre,
de
forme,
de
contenus,
de
perspectives
relèvent
de
choix
personnels
et
donc
critiquables,
mais
dans
l’objectif
de
maintenir
autant
que
possible
un
fil
de
lecture
qui
permette
de
suivre
l’évolution
de
notre
pensée,
dans
ses
forces
et
ses
faiblesses.
Par
exemple
le
choix
de
refléter
la
polyphonie
des
langages
du
terrain
(Czarniawska,
2005)
d’une
part,
et
effectuer
une
‘traduction’
dans
son
propre
langage
de
chercheur,
qui
est
déjà
une
représentation
d’autre
part.
On
s’attend
donc
aussi
à
avoir
un
peu
‘l’effet
boomerang’,
des
“things
talking
back”
inhérent
aux
démarches
anthropologiques
et
ethnographiques
(Geertz,
1996;
Czarniawska
1997)
Notre
approche
est
certes
limitée,
et
notre
tentative
de
comprendre
ce
qui
peut
animer
les
personnes
rencontrées
peut
être
approximatif,
parfois
même
faux,
mais
se
présente
comme
une
proposition
d’interprétation
qui
nous
permet
de
tirer
non
pas
des
leçons,
mais
des
perspectives.
Sans
pouvoir
affirmer
connaître
leurs
pensées,
on
a
cherché
à
identifier,
par
des
observations
récurrentes
et
notre
analyse,
des
schèmes
de
pensée.
Il
s’agit
bien
entendu
d’une
interprétation
d’interprétations
d’un
monde,
et
on
ne
peut
qu’espérer
que
dans
tout
ce
qu’on
aura
observé,
vécu,
écouté,
trié,
classifié,
analysé,
présenté,
le
lecteur
soit
étonné,
surpris
à
un
moment,
comme
nous
mêmes
l’avions
été
dans
la
marginalité
de
notre
pratique
face
à
d’autres
démarches
plus
‘mainstream’
pour
servir
de
provocation
à
l’institution
scientifique.
C’est
donc,
en
dépit
de
nos
faiblesses,
notre
objectif,
car
l’étonnement
est
après
tout,
au
sens
philosophique,
ce
don
de
l’enfance
et
de
l’adulte
curieux,
ce
commencement
de
toute
réflexion
et
de
toute
recherche,
et
donc
in
fine
pour
nous
de
toute
existence.
252
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
253
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
relève
en
effet
plus
de
d’adaptation
permanente
(sur
le
plan
cognitif
de
faire
sens
des
situations
changeantes,
sur
le
plan
pratique
de
leurs
actions
et
interactions
avec
les
autres
acteurs...)
que
de
l’exécution
mécanique
de
tâches
connues
à
l’avance.
Ainsi,
l’existence
de
policies,
de
lois,
de
workflows,
même
un
impératif
moral
(«
moraliser
le
Front
Office
»)
et
tout
ce
qui
permettrait
de
cadrer
une
pratique
et
un
métier
ne
suffit
pas.
Plus
qu’exécuter
ou
que
mettre
en
pratique,
l’équipe
est
dans
une
situation
de
devoir
composer
avec
tout
cela,
de
faire
avec,
de
construire
leur
pratique
en
situation.
Leur
quotidien
est
tissé
de
tensions,
de
contradictions,
de
superposition
de
priorités,
avec
lesquelles
ils
doivent
vivre
mais
aussi
au
sein
desquelles
ils
doivent
apprendre
à
naviguer
et
à
fabriquer
une
praxis,
entendue
non
pas
comme
contenu
de
telle
ou
telle
pratique
(qui
pourrait
donc
faire
l’objet
de
codifications
pour
faciliter
la
vie
de
l’équipe
ultérieurement)
mais
comme
contenant
générique
de
leur
engagement
à
spécifier
continuellement
en
fonction
des
situations.
Après
avoir
essayé
longuement
de
mettre
un
mot
sur
ce
qu’ils
faisaient,
qui
puisse
refléter
l’agir
(praxis)
quotidien
de
cette
équipe
dans
son
environnement
de
travail
complexe,
il
semblerait
qu’un
terme
assez
pertinent
soit
celui
de
bricolage.
Ce
terme,
que
nous
empruntons
à
Lévi-‐Strauss
(1962)
dénote
un
pluralisme
situationnel,
un
‘faire
avec’
constant
qui
transparaît
dans
le
discours,
et
qui
reflète
des
complexités
et
les
jeux
de
pouvoir
intrinsèques
aux
contextes
de
la
vraie
vie
que
l’équipe
affronte
(Bouilloud,
2012).
Le
bricolage
est
justement
ce
qui
permet
de
faire
avec,
de
composer
une
éthique
comme
pratique
au
sein
d’un
environnement
changeant,
fuyant
à
notre
compréhension,
et
où
le
sentiment
que
quoi
que
l’on
fasse
ça
ne
sera
pas
suffisant
ou
tout
à
fait
juste.
Ce
bricolage
constant
permet
de
tisser
des
liens
entre
la
dimension
cognitive
et
la
dimension
de
l’agir,
car
il
opère
à
plusieurs
niveaux.
Il
permet
de
tisser
ensemble
des
logiques
sécantes,
rendant
l’éthique
tout
d’abord
construite
comme
praxis,
enracinée
dans
la
praxis,
à
la
fois
d’une
manière
cognitive
et
pragmatique
(Clegg
et
al.,
2007).
Apprendre
à
vivre
avec
ces
tensions
implique
bricoler
une
pratique
au
quotidien,
et
développer
certaines
compétences
spécifiques
pour
naviguer
dans
ce
milieu,
mais
aussi
de
renoncer
à
localiser
l’éthique
au
niveau
des
procédures
de
‘bonnes
pratiques’
à
respecter,
et
revenir
à
une
éthique
profondément
enracinée
dans
l’individu,
le
sujet
moral,
qui
interagit
dans
un
groupe,
une
équipe,
une
organisation,
un
contexte.
Ce
premier
constat
est
aussi
ce
qui
m’a
permis
de
traduire
ma
question
générale
(qu’en
est-‐il
de
l’éthique
dans
les
banques
?)
en
un
objet
empirique
et
une
question
d’enquête
opérationnelle
:
comment
font-‐ils
concrètement
pour
arriver
à
faire
leur
254
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
255
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
1) partir
de
ce
que
nous
pouvions
observer,
documenter,
analyser
de
‘ce
qui
se
passait’
à
la
banque
(dimension
la
plus
accessible,
évidente,
observable),
2) poursuivre
par
ce
que
nous
pouvions
ressentir,
percevoir,
écouter,
dire
de
ce
qui
se
passait
(dimension
la
plus
intime,
immédiate,
affective),
et
3) finir
par
rediriger
notre
regard
vers
l’horizon,
en
se
demandant
l’impact
de
ce
qui
se
passait
au
delà
de
la
banque.
256
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
C’est
ce
fil
d’Ariane
qui
nous
permettra
dans
la
partie
suivante
de
refaire
le
chemin
en
sens
inverse,
de
prendre
de
la
distance,
de
sortir
de
la
caverne.
Dans
la
deuxième
partie
de
cette
thèse,
une
analyse
de
premier
niveau
(chapitre
5)
fait
un
état
détaillé
de
notre
étude
de
terrain.
Les
trois
chapitres
suivants
(6,
7
et
8)
se
détachent
de
la
présentation
chronologique
de
l’étude
pour
en
proposer
un
découpage
thématique
des
problématiques
qui
ont
émergé.
Nous
structurerons
le
matériau
brut
en
différents
niveaux
d’analyse
délimités
tout
en
montrant
leur
interdépendance.
257
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
258
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
5.1.
PRESENTATION
SYNTHETIQUE
DU
CAS
BUF-‐BI50
5.1.1.
BUF
BUF
est,
comme
son
acronyme
l’indique,
une
banque
universelle
française
parmi
les
plus
importantes
du
pays,
et
occupant
une
place
importante
également
sur
la
scène
européenne.
Le
terme
«
banque
universelle
»
fait
référence
au
modèle
largement
dominant
en
France,
souvent
critiqué
à
l’étranger.
Son
PDG,
dans
le
communiqué
officiel
qui
lançait
l’année
2010,
en
est
particulièrement
fier,
et
est
selon
lui
une
des
raisons
qui
49
Site
du
New
York
Times,
consulté
la
dernière
fois
le
10/11/2013:
http://www.nytimes.com/2013/01/03/opinion/how-‐bankers-‐help-‐drug-‐traffickers-‐and-‐terrorists.html?_r=0
50
L’ensemble
des
informations
sur
le
cas
BUF
se
basent
sur
les
documents
secondaires
répertoriés
dans
les
annexes
3
et
4
:
site
internet
de
BUF
et
documents
accessibles,
documents
réservés
à
l’usage
interne,
information
issue
de
la
presse
nationale
ou
internationale.
Pour
des
raisons
de
confidentialité,
les
documents
eux-‐mêmes
ne
sont
pas
mis
en
annexe,
et
certaines
citations
sont
modifiées
par
la
doctorante
dans
leur
formulation.
Les
documents
sont
identifiés
par
un
code
et
un
numéro,
par
exemple
sur
cette
page
:
BUF-‐G8
(c’est
le
hutième
document
sur
notre
classification,
document
issu
de
BUF
(BUF),
concernant
BUF
en
général
(G)).
259
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
ont
aidé
BUF
à
traverser
la
crise
économique
et
à
«
absorber
les
impacts
négatifs
de
cette
crise
[dans
cette]
année
de
rebond
»
(BUF-‐G8).
Le
modèle
de
banque
universelle
permettrait
à
la
fois
de
garantir
une
stabilité
et
d’autoriser
une
flexibilité
pour
innover
et
s’adapter.
Le
Groupe
BUF
regroupe
donc,
comme
on
peut
le
voir
sur
son
site
Internet
principal
(cf.
BUF-‐G1,
BUF-‐G2,
BUF-‐G7):
la
banque
de
détail
en
France
et
à
l’étranger,
la
banque
d’investissement,
la
banque
privée,
des
services
financiers
et
assurances
pour
particuliers
et
entreprises,
le
crédit
à
la
consommation,
la
gestion
d’actifs,
le
courtage
sur
produits
dérivés,
des
institutions
de
micro-‐finance
et
même
des
activités
sur
des
secteurs
annexes
(y
compris
mécénat
d’activités
sportives
et
culturelles,
etc.).
Né
il
y
a
plus
de
cent
ans,
le
groupe
BUF
jouit
aujourd’hui
d’une
position
privilégiée
dans
la
zone
euro,
est
présent
dans
plus
de
80
pays
et
compte
plus
de
150
000
salariés
pour
plusieurs
dizaines
de
millions
de
clients
avec
plus
de
600
millions
d’euros
de
résultat
net
en
200951
(BUF-‐G1).
Comme
la
plupart
de
ses
consœurs
en
France,
elle
a
été
privatisée
dans
les
années
80.
A
l’époque
de
notre
étude,
BUF
bénéficiait
de
la
note
A+
de
Standard
&
Poor’s
et
pour
Fitch,
Aa2
pour
Moody’s.
Les
rebondissements
de
son
histoire
et
sa
présence
à
l’étranger
très
tôt
dans
son
développement
lui
ont
permit
d’asseoir
une
place
forte
sur
la
scène
bancaire
et
financière
en
France,
en
Europe
et
plus
largement
dans
le
monde.
Comme
la
plupart
des
banques
depuis
la
crise
financière
de
2007,
le
cœur
du
message
communiqué
par
BUF
à
ses
clients,
entre
autres
par
le
biais
de
son
site
internet
multilingue
et
les
communiqués
officiels
de
son
PDG,
est
la
consolidation
des
relations
de
confiance,
la
responsabilité
citoyenne
-‐
en
tant
que
promoteur
de
l’économie
réelle
–
et
environnementale,
et
la
croissance
durable
du
groupe
:
ils
figurent
dans
les
indices
internationaux
de
développement
durable
FTSE4good
et
ASPI
par
exemple
(BUF-‐G1,
BUF-‐G2,
BUF-‐G3,
BUF-‐RSE3).
Durant
notre
étude,
il
y
a
eu
par
exemple
la
«
semaine
du
développement
durable
»
où
certains
membres
de
l’équipe
étudiée
ont
participé
à
une
course
à
pied
sous
la
pluie
parisienne,
ainsi
que
la
«
semaine
de
l’Investissement
Socialement
Responsable
»
(BUF-‐RSE10).
Il
y
a
un
engagement
explicite,
qui
arrive
assez
tôt
dans
les
priorités
énoncées
du
groupe,
de
consolider
toujours
plus
la
gestion
des
risques
et
du
contrôle
interne,
ainsi
que
les
dispositifs
déontologiques
et
de
LAB.
Le
code
de
conduite
du
groupe
(BUF-‐G3),
traduit
et
disponible
en
plusieurs
langues
focalise
l’attention
sur
un
équilibre
entre
valeurs
humaines
et
professionnelles.
Il
entend
répondre
«
aux
exigences
de
plus
en
plus
fortes
des
clients,
collaborateurs,
actionnaires,
partenaires,
autorités
publiques
et
société
civile
»
(site
internet
du
groupe
BUF,
51
Ces
données,
rendues
approximatives
pour
des
raisons
de
confidentialité,
sont
données
à
titre
indicatif
de
l’envergure
de
BUF.
260
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
page
«
l’essentiel
de
BUF»
in
BUF-‐G1).
Ce
code
est
présenté
à
côté
des
modalités
d’exercice
du
droit
d’alerte
(whistleblowing
right).
Voici
quelques
extraits
du
code
utiles
pour
ce
travail
:
Figure
21:
Extraits
du
Code
de
Conduite
de
BUF
(BUF-‐G3)
-‐
§2
Ethique
:
Acteur
du
développement
économique,
le
groupe
BUF
cherche
à
créer
de
la
valeur
pour
ses
actionnaires,
ses
clients
et
des
collaborateurs,
dans
le
respect
d’une
éthique
exigeante,
fondée
sur
un
ensemble
de
règles
déontologiques
rigoureuses.
Cette
éthique
nous
engage
à
respecter
les
intérêts
de
tous
nos
partenaires
et
les
règles
de
fonctionnement
des
marchés,
et
à
veiller
à
la
transparence
de
nos
pratiques,
dans
un
esprit
de
concurrence
loyale.
-‐
§4
Respect
de
la
règlementation
:
le
groupe
et
ses
collaborateurs
se
conforment
partout
aux
lois
et
règlementations
applicables
ainsi
qu’aux
conventions
et
engagements
internationaux
en
vigueur
auxquels
le
groupe
à
adhéré
[...]
-‐
§7
Transparence
:
Œuvrant
dans
un
secteur
d’activité
très
règlementé,
le
groupe
s’engage
à
collaborer
pleinement
avec
les
instances
publiques
et
professionnelles
chargées
de
contrôler
la
conformité
des
opérations
[...]
-‐
§8-‐9
Respect
des
normes
professionnelles
:
les
opérations,
l’organisation,
et
les
procédures
doivent
être
conformes
aux
normes
professionnelles
et
déontologiques,
et
aux
instructions
et
orientations
définies
par
la
Direction
Générale.
Pour
s’en
assurer,
le
groupe
met
en
œuvre
un
dispositif
de
contrôle
interne
sur
trois
niveaux
:
surveillance
permanente
de
la
régularité
et
de
la
sécurité
des
opérations,
contrôles
menés
par
des
auditeurs
internes,
vérifications
assurées
par
l’inspection
générale
de
la
banque.
Tout
collaborateur
coopère
aux
processus
de
contrôle
et
d’audit
interne
avec
diligence
et
transparence.
-‐
§10
Secret
professionnel
:
le
secret
professionnel
est
une
composante
essentielle
du
métier
de
banquier.
Chacun
est
dépositaire
et
responsable
des
informations
confidentielles
qu’il
reçoit,
ne
les
utilise
en
interne
que
dans
le
cadre
des
nécessités
professionnelles
et
ne
les
divulgue
à
l’extérieur
de
l’entreprise
que
dans
les
cadres
prévus
par
la
loi,
à
la
demande
des
autorités
de
justice
ou
des
organes
de
tutelle
de
notre
profession.
-‐
§13
Respect
des
droits
humains
:
chaque
entité
du
groupe
s’interdit
de
pratiquer
quelque
discrimination
que
ce
soit
à
l’égard
de
son
personnel
et
des
candidats
à
l’embauche
comme
de
ses
clients,
partenaires
d’affaires
ou
fournisseurs.
-‐
§15
Respect
de
la
vie
privée
:
le
groupe
BUF
et
ses
collaborateurs
respectent
la
vie
privée
des
personnes.
Ils
ne
demandent
et
n’utilisent
que
les
informations
utiles
pour
servir
les
intérêts
des
clients
et
partenaires,
pour
améliorer
la
qualité
des
prestations,
pour
gérer
les
ressources
humaines
de
l’entreprise
ou
pour
se
conformer
à
leurs
obligations
légales.
-‐
§18
(sans
titre)
:
le
groupe
BUF
n’intervient
pas
dans
des
opérations
pouvant
contrevenir
aux
lois
et
règlements,
à
ses
normes
déontologiques
ou
à
ses
engagements
internationaux,
sans
pratiquer
l’exclusion
a
priori
de
nature
géographique
ou
sectorielle.
-‐
§21
Délits
d’initiés
:
[...]
ses
collaborateurs
respectent
des
règles
strictes
destinées
à
limiter
la
circulation
des
informations
privilégiées
notamment
celles
connues
sous
le
nom
de
Murailles
de
Chine.
Ils
se
conforment
à
la
règlementation
boursière
pour
leurs
opérations
personnelles
sur
instruments
financiers,
les
collaborateurs
qui
peuvent
bénéficier
d’informations
privilégiées
à
raison
de
leur
fonction
respectent
les
règles
de
déontologie
fixées
par
le
groupe.
261
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
-‐
§22
Conflits
d’intérêts
:
[...]
ses
collaborateurs
s’abstiennent
d’entretenir
avec
les
clients,
partenaires
et
fournisseurs
des
relations
personnelles
qui
contreviendraient
à
leurs
devoirs
professionnels.
-‐
§23
LAB-‐FT
:
Le
groupe
participe
activement
à
la
lutte
contre
le
blanchiment
de
capitaux
et
le
financement
du
terrorisme,
en
coopération
avec
les
autorités
compétentes.
Il
s’est
doté
pour
ce
faire
de
règles
qu’il
applique
partout
dans
le
monde,
y
compris
lorsque
celles-‐ci
sont
plus
exigeantes
que
la
législation
locale.
Ses
collaborateurs
exercent
une
vigilance
permanente
et
respectent
les
procédures
d’identification
et
de
connaissance
des
clients
ou
donneurs
d’ordres,
ainsi
que
celles
de
vérification
des
opérations.
Il
y
a
six
directions
fonctionnelles
qui
coordonnent
le
développement
des
différents
pôles
d’activité
(banque
de
détail,
banque
d’investissement,
gestion
d’actifs,
banque
de
détail
à
l’étranger...)
et
qui
ont
fait
l’objet
d’une
réorganisation
au
tournant
de
2009-‐2010
(l’équipe
que
nous
avons
étudié
en
détail,
a
indirectement
bénéficié
de
cette
réorganisation,
comme
nous
l’expliquerons
par
la
suite).
L’organigramme
ci-‐
dessous
nous
permet
de
montrer,
sans
prétendre
représenter
exhaustivement
la
complexité
organisationnelle
de
notre
cas,
les
principales
fonctions
et
départements
dont
il
sera
question
dans
ce
travail
(mises
en
évidence).
On
peut
ainsi
voir
par
la
même
occasion
certaines
connexions
entre
elles.
Département
Secrétariat
Général
Conformité
AMLO:
M.
Chamber$n
KYCO:
M.
Touraine
Equipe
KYC
(CCO:
M.
Darrell)
Direc$on
des
Ressources
du
Groupe
BUF
Direc$on
de
la
communica$on
Equipe
KYC-‐AML
((Marie)
Banque
d'Inves$ssement
Ligne
Mé$er:
MM
(M.
Ges$on
Clients
Lalande)
(M.
Blanc)
(M.
Montravel)
Pôles
d'ac$vité
Traders
et
Sales
262
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
52
L’ensemble
des
acteurs,
avec
leurs
pseudonymes
et
fonctions,
se
trouvent
en
annexe
3.
53
Ces
données,
rendues
approximatives
pour
des
raisons
de
confidentialité,
sont
données
à
titre
indicatif
de
l’envergure
de
BUF-‐BI.
263
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
qui
répondait
à
qui,
comment
étaient
tissés
les
liens
hiérarchiques
et
processuels.
La
complexité
s’était
avérée
non
seulement
réelle,
mais
plus
complexe
et
intriquée
que
ce
que
nous
aurions
pu
croire
avant
de
commencer
l’étude.
La
tâche,
en
apparence
simple,
de
constituer
un
organigramme
qui
essaye
de
refléter
l’ensemble
des
relations
professionnelles
de
l’équipe
étudiée
et
sa
localisation
organisationnelle
s’est
imposée
comme
une
tâche
urgente
à
faire
dès
notre
arrivée.
Mais
malgré
nos
recherches
sur
le
site
de
BUF-‐BI
et
les
questions
posées
à
de
nombreuses
personnes
sur
«
qui
fait
quoi
et
où
»,
cette
tâche,
en
apparence
très
simple
et
évidente,
restait
difficile
à
atteindre,
d’autant
plus
que
le
positionnement
de
l’équipe
étudiée
à
profondément
évolué
durant
la
période
d’étude
terrain.
A
vrai
dire,
nous
ne
sommes
pas
vraiment
en
mesure,
même
après
neuf
mois
d’étude
dont
deux
de
stage,
de
dire
que
nous
avons
une
bonne
visibilité
générale
de
la
structure
de
BUF-‐BI,
qui
de
toutes
façons
aura
probablement
changée
entre
temps.
Nous
nous
limiterons
donc
à
exposer
les
acteurs
en
relation
avec
l’équipe
étudiée
et
pour
la
période
concernée.
BUF-‐BI
a
plusieurs
«
lignes
métiers
»
qui
s’occupent
de
parts
différentes
de
marché.
La
plus
importante
(en
taille
mais
aussi
en
chiffre
d’affaires)
est
la
ligne
métier
«
MM
»,
dirigée
par
Monsieur
Lalande.
C’est
là
que
se
trouve
le
personnel
de
Front
Office
(Traders
et
Sales)
avec
lequel
interagissait
notre
équipe
au
quotidien.
Les
Sales
(vendeurs)
étaient
ceux
qui
avaient
le
plus
fréquemment
contact
avec
l’équipe
KYC-‐AML
étudiée,
en
tant
que
c’est
eux
qui
lançaient
le
workflow
d’on-‐boarding
d’un
nouveau
client,
c’est-‐à-‐dire
la
demande
d’ajouter
un
client
à
la
base
de
données
de
BUF-‐BI
(nous
verrons
ce
processus
plus
en
détail
par
la
suite).
Leur
supérieur
hiérarchique
direct
était
Monsieur
Blanc,
le
Responsable
de
la
gestion
des
clients,
dont
il
faut
préciser
qu’il
s’agit
aussi
du
supérieur
hiérarchique
direct
de
l’équipe
étudiée.
Enfin,
Monsieur
Montravel,
rattaché
au
Chief
Operating
Officer
de
BUF-‐BI,
est
l’une
des
personnes
à
l’origine
de
la
création
de
l’équipe
KYC-‐AML
au
sein
du
Front
Office
de
BUF-‐BI.
Le
Comité
de
Déontologie
en
lui-‐même
existe
depuis
1990.
5.1.3.
L’ORGANISATION
DE
LA
FONCTION
KYC-‐AML
AU
SEIN
DE
BUF
Comme
nous
avons
montré
dans
la
première
partie
de
ce
travail,
les
institutions
financières
sont
soumises
à
une
série
d’obligations
réglementaires
nationales
et
internationales.
Parmi
ces
obligations
il
y
en
a
deux
qui
se
trouvent
au
cœur
de
cette
recherche
:
les
obligations
liées
à
ce
qu’on
nomme
le
risque
AML
(anti-‐blanchiment),
et
celles
liées
au
KYC
(connaissance
client).
Ces
acronymes
anglais
sont
utilisés
de
manière
courante
par
les
praticiens
en
France
malgré
l’existence
de
leurs
équivalents
respectifs
264
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
265
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
266
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
suspens
depuis
qu’elle
est
manager
de
l’équipe.
Sa
force
de
caractère
mais
aussi
son
origine
ethnique
minoritaire
la
rendent
un
personnage
très
facilement
identifiable
au
sein
de
BUF-‐BI.
-‐
Daniel,
un
senior
travaillant
dans
BUF
depuis
30
ans,
sans
études
supérieures
mais
en
revanche
ayant
fait
de
nombreuses
formations
en
matière
de
lutte
anti-‐blanchiment.
Avec
Marie,
il
fait
partie
de
l’équipe
depuis
sa
création
en
2006.
Son
expertise
et
sa
connaissance
de
la
maison
lui
valent
le
surnom
occasionnel
de
«
Maître
Yoda
»
de
la
part
de
ses
«
petits
padawans»54.
Il
est
surtout
responsable
de
la
revue
périodique
et
la
mise
à
jour
des
dossiers
existants,
au
vue
de
son
expertise
généraliste.
-‐
Elise,
jeune,
discrète
et
performante,
arrivée
en
2007,
est
l’experte
MIFID
de
l’équipe
(une
catégorisation
des
clients
imposée
à
la
suite
de
la
directive
MIF
de
2007
selon
leur
degré
de
connaissance
des
marchés
financiers).
-‐
Clément,
le
4e
membre
permanent
de
l’équipe
(en
CDI),
est
chargé
du
contrôle
de
suitability,
une
des
nouveautés
mises
en
place
dans
les
banques
après
le
bouleversement
de
l’Affaire
Kerviel
en
France.
Il
s’agit
d’un
contrôle
financier
pour
vérifier
que
le
client
ne
s’expose
pas
à
plus
de
20%
de
sa
surface
financière,
en
contrôlant
en
particulier
les
bilans
des
clients.
-‐
Christian,
ancien
de
l’aéronautique
dont
l’entreprise
a
fait
faillite,
est
intérimaire
dans
le
milieu
bancaire
depuis
quelques
années,
et
a
rejoint
cette
équipe
en
janvier.
C’est
le
seul
à
venir
de
«
l’équipe
rivale
»,
l’équipe
A.
Marie
me
met
sous
sa
responsabilité
comme
interlocuteur
privilégié,
dans
la
mesure
où
le
seul
endroit
où
je
peut
m’assoir
est
à
côté
de
lui.
Je
me
souviens
qu’il
était
présent
à
mon
entretien,
avec
Clément
et
Marie.
-‐
Natalie,
Julien
et
Francis,
sont
trois
jeunes
intérimaires,
très
dynamiques,
qui
font
chacun
des
analyses
KYC-‐AML
de
contreparties
et
montent
les
dossiers
clients.
De
formation
plutôt
gestionnaire
et
économique
ou
juriste,
avec
de
l’expérience
dans
le
domaine
de
la
lutte
anti-‐blanchiment
dans
d’autres
banques,
ils
ont
rejoint
l’équipe
depuis
en
moyenne
un
an.
Natalie,
par
sa
connaissance
de
l’italien
a
suivi
de
très
près
la
phase
pilote
de
l’intégration
des
dossiers
italiens
depuis
le
mois
d’octobre
dernier
(BUF-‐BI
Paris
va
progressivement
centraliser
le
contrôle
KYC
de
l’ensemble
des
contreparties
européennes.
L’Italie
a
servie
comme
test).
Julien
et
Francis
sont
plutôt
spécialistes
des
pays
hispanophones
et
des
paradis
fiscaux
(îles
caraïbes
par
exemple)
».
54
Termes
issus
des
films
La
Guerre
des
Etoiles
(Star
Wars)
de
George
Lucas.
Maître
Yoda
est
le
mentor
du
personnage principal et représente la sagesse et l’expérience. « Padawan » désigne les apprentis dans la religion Jedi.
267
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
était
devenue
«
arrogante
»,
«
maintenant,
je
m’en
méfie
»,
et
d’autre
part
cela
semblait
une
mutation
logique
que
d’intégrer
le
département
conformité
de
BUF.
Elle
partira
en
mobilité
interne
durant
l’été
et
de
fait
je
l’aurais
côtoyé
que
très
peu.
En
revanche,
deux
personnes
ont
rejoint
l’équipe
peu
après
le
début
de
mon
observation
:
• Yoan,
le
benjamin
de
l’équipe
à
l’accent
du
sud,
il
s’intègrera
très
facilement
au
sein
de
l’équipe
en
raison
de
sa
bonne
humeur,
son
humour
pare-‐stress,
et
son
habillement
décontracté
(«
le
fameux
maillot
de
foot
du
vendredi
»).
Il
est
parmi
les
derniers
à
arriver
le
matin
(vers
10h-‐10h30
s’il
n’y
avait
pas
de
réunion
prévue
plus
tôt),
mais
travaille
très
dur,
restant
souvent
tard
le
soir.
Il
parle
allemand
et
devient
rapidement
le
«
coach
de
négociation
»
avec
les
Sales,
avec
ses
phrases
imparables.
• Odette,
jeune
immigrée
de
l’Europe
de
l’Est,
avait
au
préalable
travaillé
pour
l’équivalent
de
l’AMF
dans
son
pays
et
avait
une
bonne
connaissance
des
dispositifs
AML
internationaux
avec
une
«
rigueur
propre
du
régulateur
».
Etant
mariée
avec
un
Français
et
cherchant
un
travail
en
France,
Marie
était
tombée
sur
son
profil
dans
un
réseau
social
professionnel.
Parlant
le
russe,
elle
a
immédiatement
pris
la
main
sur
les
dossiers
sensibles
de
ce
pays
et
de
cette
région
du
monde
en
général,
et
gagna
rapidement
la
confiance
de
Monsieur
Chambertin,
Responsable
AML
du
groupe
BUF.
5.2.2.
DEROULE
DE
L’OBSERVATION
[Extrait
du
journal,
15
avril]
:
«
Le
15
avril
2010,
je
traverse
Paris
en
direction
du
quartier
des
affaires.
Une
fois
arrivée
à
la
station
de
métro,
je
me
fonds
dans
la
masse
des
costumes
gris
et
noirs,
des
tailleurs
et
des
talons
hauts
qui
marche
monobloc
d’un
pas
rapide
dans
la
même
direction,
avec
cigarette,
journal,
café
ou
téléphone
portable
à
la
main.
Je
parcours
moi
aussi
les
allées
combinant
béton
et
végétation
exotique
choisie
par
les
architectes
et
urbanistes
de
ce
pôle
financier
et
commercial,
afin
de
me
rendre
dans
les
locaux
de
BUF.
Pour
cette
première
journée
d'observation
on
m’attend
à
10h30
du
matin…
»
J'apprendrais
plus
tard
qu'il
s'agit
là
d'une
heure
plutôt
«
calme
»
et
de
ce
fait
souvent
consacrée
à
la
première
pause
de
la
matinée,
ou,
comme
dans
ce
cas
là,
aux
rendez
vous.
268
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
Dans
les
premiers
jours
suivants,
je
m'aperçois
qu'il
doit
s'agir
en
quelque
sorte
d'une
mesure
de
contrôle
normale,
que
de
délivrer
aux
visiteurs
des
badges
‘qui
ne
marchent
pas
du
premier
coup’,
pour
obliger
à
un
deuxième
contrôle
par
le
garde.
«…
Enfin
nous
nous
dirigeons
vers
une
section
particulière
d'ascenseurs,
tous
ne
s'arrêtant
pas
aux
mêmes
étages.
A
l’étage
où
se
situe
l’équipe
de
Marie,
on
doit
posséder
un
type
particulier
de
badge
pour
pouvoir
passer
une
deuxième
barrière
de
sécurité
et
accéder
aux
couloirs
des
bureaux.
Je
n’en
possède
pas,
et
Marie
m’explique
que
malheureusement
elle
n’a
pas
obtenu
l’autorisation
pour
moi
d’avoir
ce
badge
:
tous
les
jours,
elle
ou
quelqu’un
d’autre
va
devoir
venir
me
chercher
à
l’entrée
le
matin
et
m’accompagner
à
la
sortie
en
fin
de
journée…
»
Comme
mentionné
dans
le
chapitre
précédent,
finalement
quelques
jours
après
Marie
va
me
trouver
un
badge
prêté
pour
me
permettre
d’accéder
à
la
plupart
des
endroits
fréquentés
par
l’équipe.
Cf.
Schéma
ci-‐après.
«
…Nous
arrivons
enfin
dans
les
bureaux
où
travaille
l’équipe
et
que
je
découvre
pour
la
première
fois
:
un
open-‐space
en
forme
de
couloir
circulaire
étroit
qui
n’est
pas
sans
rappeler
la
269
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
forme
du
panoptique
de
Bentham55.
Les
bureaux
forment
un
anneau
extérieur,
et
la
tour,
qui
a
donc
une
forme
de
doghnut
a
la
partie
centrale
dédiée
soit
aux
locaux
techniques
(ascensseur,
wc)
soit
à
un
puits
de
lumière
avec
une
série
de
fenêtres
qui
donnent
sur
le
cœur
de
la
tour
et
qui
permettent
donc
de
se
voir
d’une
salle
de
marché
à
l’autre.
Comme
si
l’architecture
devenait
en
quelque
sorte
la
forme
et
le
fond
de
l’idée
de
contrôle,
de
l’impératif
de
transparence
(tout
le
monde
travail
en
open
space,
et
lorsque
les
parois
existent
elles
sont
souvent
en
verre),
et
de
l’idéal
de
l’autorégulation,
si
chers
à
l’institution
bancaire,
et
qui
adoptent
une
signification
particulière
suite
à
la
crise.
A
droite
et
à
gauche
des
bureaux
que
l’équipe
où
je
fait
mon
observation
partage
avec
une
autre
fonction
technique,
se
trouvent
deux
salles
de
marché
qui
possèdent
un
accès
sécurisé
supplémentaire,
qu’une
fois
de
plus
je
ne
pourrais
franchir
qu’accompagnée
de
quelqu’un
en
possession
du
badge
requis….
»
Avec
le
badge
de
visiteur
il
m’est
impossible
d’accéder
y
compris
à
l’étage.
Un
employé
doit
systématiquement
m’ouvrir
le
sas
de
sécurité.
Ensuite,
avec
le
badge
prêté
pendant
la
suite
de
la
période
1-‐A
je
pourrais
accéder
à
l’étage
(y
compris
avoir
une
vue
sur
les
salles
de
marchés
depuis
le
couloir
central),
mais
toujours
pas
à
la
photocopieuse
(qui
relie
le
bureau
KYC-‐AML
à
une
des
salles
de
marché)
ni
aux
salles
de
marché
elles
mêmes.
Ce
n’est
que
durant
la
phase
2-‐A
avec
un
statut
de
stagiaire
et
un
badge
officiel
que
je
pourrais
y
accéder
librement.
«…
Christian
me
fait
la
visite
des
salles
de
marché.
J’ai
la
même
réaction
qu’exprime
Godechot
dans
son
essai
sur
Les
Traders
(2001)
:
je
suis
surprise
de
voir
le
calme.
Là
où
l’imaginaire
véhiculé
par
les
films
et
les
médias
me
faisait
m’attendre
à
un
chaos
de
cris
et
d’ordre
donnés
avec
des
gesticulations
énervées,
il
y
a
un
open
space
où
la
seule
différence
visible
du
premier
coup
d’œil
avec
les
bureaux
de
l’équipe
est
la
multiplicité
des
écrans
pour
chaque
personne.
»
Je
ne
comprends
encore
rien
de
comment
travaillaient
ensemble
toutes
ces
personnes,
quel
est
le
travail
fait
par
chacune,
comment
ils
sont
organisés
pour
faire
‘tourner
la
boutique’
d'un
commerce
si
important.
Durant
cette
première
période
d’observation,
je
dois
prendre
des
repères,
chercher
à
comprendre
le
travail
et
le
fonctionnement
de
l’équipe.
55
Cf.
Bentham,
Jeremy,
(1785),
The
Panopticon
Writings,
Ed.
Miran
Bozovic,
London:
Verso,
1995.
Et voir aussi Foucault, Michel, (1975) Surveiller et Punir, Paris: Gallimard.
270
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
Salle de
réunion
Salle de Salle de
réunion Marché Salle de
Marché
Salle de
réunion Ascensseur
&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&Couloir¢ral& Puits&de&
lumière&&
Bureaux WC
autre
fonction
Salle de
Marché
Bureaux
KYC-AML
photo
copie
Il
m’accueille
avec
une
grande
générosité
et
disponibilité,
me
donnant
accès
à
tous
ses
dossiers
et
documents
qui
puissent
me
servir
pour
ma
recherche.
Je
comprends
très
vite
que
l’équipe
est
informée
très
précisément
de
qui
je
suis
(mon
nom,
mon
projet
de
recherche,
mes
origines
multiculturelles,
mes
études
passées)
et
de
ce
que
je
veux
faire
à
BUF.
Malgré
la
très
haute
confidentialité
et
les
problèmes
d’autorisation
qu’il
y
a
eu
pour
que
je
puisse
accéder,
l’impératif
qui
règne
au
sein
de
l’équipe
est
celui
de
la
271
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
confiance
et
de
la
bienveillance
des
uns
envers
les
autres.
Lors
des
premières
conversations
avec
les
membres
de
l’équipe,
qui
l’ont
intégré
depuis
plus
ou
moins
longtemps,
je
comprends
que
cette
ambiance
de
convivialité
et
de
confiance
a
largement
été
obtenue
grâce
à
‘la
chef’,
Marie,
décrite
par
tous
comme
une
personne
autant
compétente
sur
le
plan
intellectuel
qu’efficace
dans
son
travail
et
un
élément
essentiel
de
cohésion
du
groupe
:
«
très
humaine,
intègre,
généreuse
»
toujours
d’après
Christian.
«…
Afin
de
pouvoir
mieux
comprendre
le
travail
accompli
par
cette
cellule,
Christian
tente
de
m’expliquer
avec
des
schémas
leur
travail,
en
précisant
que
«
je
me
rends
compte
que
c’est
plus
difficile
à
expliquer
que
ce
que
je
croyais
»
(après
2
schémas
déchirés
car
il
n’en
était
pas
satisfait)…
»
D’une
manière
générale,
tous
les
échanges
avec
divers
employés
de
BUF
au
cours
des
semaines
suivantes
m’ont
donné
l’impression
qu’ils
ont
une
connaissance
très
limitée
de
ce
qui
se
passe
dans
BUF
à
un
niveau
plus
global
et
même
sur
commet
elle
fonctionne
et
s’organise.
Très
souvent,
ils
ne
savent
pas
de
qui
ils
dépendent
au-‐delà
de
leur
supérieur
hiérarchique
direct
ou
second,
où
ils
se
situent
dans
l’organigramme
et
par
rapport
à
d’autres
équipes
avec
lesquelles
ils
travaillent,
ni
même
ce
que
veulent
dirent
les
initiales
du
sigle
de
leur
département
ou
de
leur
bureau.
On
m’a
attribué
un
statut
de
«
stagiaire
en
phase
d’observation
»,
pour
donner
un
nom
à
ma
situation,
même
si
je
ne
suis
pas
officiellement
une
stagiaire,
je
n’ai
encore
signé
aucune
convention
de
stage
avec
l’école,
je
n’ai
jamais
discuté
avec
quelqu’un
des
Ressources
Humaines,
je
n’ai
pas
de
badge,
et
ma
présence
est
en
quelque
sorte
‘fantôme’.
Mais
c’est
ainsi
qu’on
me
présente
lorsque
je
rencontre
des
personnes
d’autres
équipes.
En
contrepartie
de
me
laisser
recueillir
des
informations
pour
ma
thèse,
Marie
me
demande
de
l’assister
occasionnellement,
ce
qui
me
permettra
d’accéder
à
un
certain
nombre
de
réunions
sous
ce
masque
de
«
secrétaire
»,
me
demandant
de
la
suivre
en
réunion
et
de
faire
des
comptes
rendus.
Progressivement,
quand
je
me
serais
orientée
un
peu
mieux,
elle
me
demandera
d’effectuer
des
recherches
ponctuelles
par
exemple,
ou
des
traductions.
Ma
position
est
donc
tout
à
fait
transparente
et
je
ne
dois
justifier
ma
présence
d’aucune
manière
autre
que
mon
projet
de
recherche.
Ceci
pose
des
difficultés
cependant
par
exemple
par
rapport
à
mon
accès
aux
différents
endroits:
en
tant
que
‘observateur
fantôme’
sans
statut
officiel
de
stagiaire,
je
ne
peux
accéder
à
la
cantine
au
tarif
des
employés,
et
me
retrouve
à
payer
un
tarif
équivalent
à
celui
d’un
restaurant.
L’équipe
m’aide
donc
à
‘tricher’,
en
prenant
sur
leurs
plateaux
une
entrée,
un
dessert
en
plus,
que
je
complète
par
un
sandwich
272
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
acheté
à
la
cafétéria.
Cette
question
sera
résolue
au
bout
de
la
deuxième
semaine,
avec
le
prêt
d’un
badge
supplémentaire
par
quelqu’un
d’une
autre
équipe
:
un
badge
généralement
utilisé
pour
des
employés
de
BUF
d’autres
pays
lorsqu’ils
sont
de
visite
au
siège,
pour
le
restant
de
la
période
1-‐A.
Je
suis
immédiatement
acceptée
en
tant
que
chercheuse
en
phase
d’observation
sans
que
je
détecte
une
quelconque
réticence,
méfiance
ou
réserve
à
ce
sujet
de
la
part
des
membres
de
l’équipe,
à
part
peut
être
de
Natalie,
qui
a
mis
un
peu
de
temps
à
mettre
de
la
‘bonne
volonté’
pour
me
parler.
J’ai
tout
de
suite
bénéficié
d’une
grande
ouverture
et
confiance
de
la
plupart
des
membres
qui
me
parlaient
très
librement
de
leur
travail
et
de
leurs
opinions,
parfois
en
s’adressant
spontanément
à
moi
sans
que
je
leur
pose
explicitement
des
questions.
Je
ne
dois
donc
pas
adopter
des
positions
plus
délicates
que
doivent
avoir
certains
chercheurs
(par
exemple
une
position
masquée
sous
la
position
d’un
faux
stagiaire,
ou
de
faux
client).
J’assume
totalement
ma
position
d’observateur
externe.
Marie
m’a
d’ailleurs
plusieurs
fois
précisé
que
:
(Marie,
4
mai
2010)
:
«
Ici
on
est
dans
la
déontologie.
Du
coup,
on
a
toujours
une
parfaite
transparence
les
uns
avec
les
autres,
et
on
fait
les
choses
honnêtement.
Présente-‐toi
normalement,
présente
ton
travail
en
deux
mots,
aussi
pour
qu’ils
comprennent
que
tu
n’es
pas
la
petite
stagiaire
en
train
de
faire
ses
études.
Tu
as
de
la
crédibilité
en
tant
que
chercheuse,
ça
te
donne
une
place
transparente
et
je
crois
même
que
ça
peut
t’aider
si
après
tu
veux
poser
des
questions
etc.
»
Le
troisième
jour
de
la
phase
1-‐A,
à
mon
arrivée,
je
trouve
une
pile
de
livres
sur
mon
bureau
avec
un
mot
de
Marie
(qui,
la
veille
est
partie
bien
après
tout
le
monde).
Ils
pourront
m’être
utiles
pour
comprendre
les
problématiques
qu’ils
doivent
affronter
:
plusieurs
livres
sur
la
lutte
anti-‐blanchiment
et
les
paradis
fiscaux,
le
Code
Monétaire
et
Financier,
d’autres
textes
de
lois...
J’apprends
que
la
Suisse
garde
en
vigueur
le
Secret
bancaire
qui
n’est
plus
appliqué
dans
le
reste
de
l’Europe,
ce
qui
rend
très
opaque
les
données
sur
les
personnes
et
les
transactions.
Or,
le
blanchiment
passe
souvent
par
des
structures
off-‐shore
où
il
n’est
pas
facile
d’identifier
l’ayant
droit
économique.
Je
consacre
beaucoup
de
temps
des
jours
suivants
à
lire
attentivement
les
documents
que
me
donnent
au
cours
de
la
journée
différents
membres
de
l’équipe
:
des
extraits
de
la
règlementation
française
et
européenne
sur
laquelle
ils
doivent
s’appuyer
(Journal
officiel
du
4
septembre
2009,
texte
16/147,
décret
n°2009.1087
du
2
septembre
2009
et
Directive
Européenne
2005/60/CE
du
Parlement
Européen
et
du
Conseil
du
26
Octobre
2005,
qu’ils
nomment
«
3e
directive
»,
cf.
Annexe
5),
des
documents
internes
273
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
(leur
politique
de
lutte
anti-‐blanchiment,
version
datant
de
décembre
2009,
cf.
Annexe
3
et
4),
des
présentations
Powerpoint
utilisées
en
interne
qui
présentent
des
évolutions
de
leur
travail,
des
documents
issus
de
la
presse
quotidienne
qui
parlent
de
sujets
proches
etc.
J’ai
un
accès
à
tous
les
documents,
archives,
intranet
(durant
la
première
phase
lorsqu’un
membre
de
l’équipe
me
prêtait
son
ordinateur
car
je
n’en
avais
pas),
boite
mail
de
l’équipe
(idem,
uniquement
lorsqu’un
membre
de
l’équipe
me
laissait
son
poste
durant
un
moment).
En
général,
j’arrivais
vers
9h
du
matin
tous
les
jours
comme
la
plupart
des
membres
de
l’équipe,
à
l’exception
de
quelques
occasions
où
mes
obligations
à
l’école
doctorale
ne
pouvaient
être
évitées
et
j’arrivais
alors
plus
tard.
Je
partais
à
des
heures
différentes
selon
les
jours,
vers
18h30
un
jour
«
tranquille
»,
parfois
à
20h30
les
jours
plus
chargés
de
réunions
ou
la
veille
de
réunions
importantes.
Marie
restait
parfois
encore
plus
tard,
et
généralement
arrivais
assez
tôt
malgré
le
fait
qu’elle
habite
très
loin
et
viens
en
transports
en
commun.
Dans
la
mesure
du
possible
je
suis
devenue
son
ombre
(Czarniawska,
2007),
la
suivais
dans
les
réunions,
lui
posais
des
questions
dans
les
couloirs
et
les
ascenseurs
ou
les
pauses
où
elle
prend
le
temps
de
venir
avec
nous
plutôt
que
de
prendre
son
café
ou
son
sandwich
devant
son
ordinateur
pour
ne
pas
interrompre
le
travail,
qui
autrement
s’accumulait
sous
forme
de
nouveaux
mails
non
lus.
Je
prenais
des
notes,
de
manière
quasi
constante,
sur
des
faits
importants
(réunions)
autant
que
sur
des
trivialités
(fréquentation
de
la
machine
à
café)
qui
se
sont
révélées
tout
autant
importantes
:
[Extrait
du
journal,
20
avril
2010]
«
A
notre
arrivée,
nous
avons
constaté
que
quelqu’un
avait
installé
un
système
pour
que
la
porte
d’accès
aux
bureaux
se
ferme
automatiquement
(une
sorte
de
système
de
poids
sur
la
porte).
Tout
le
monde,
sans
exception,
a
été
choqué.
Malgré
l’exigence
de
discrétion
et
de
confidentialité
des
dossiers
en
cours
(que
tout
le
monde
laisse
sur
les
bureaux,
donc
à
la
vue
de
tous,
non
pas
dans
des
armoires
fermées
à
clé,
sauf
au
moment
de
les
archiver),
je
remarque
que
l’équipe
valorise
énormément
l’ouverture
d’esprit,
la
disponibilité,
et
la
communication
(à
la
fois
entre
eux
et
avec
les
autres
équipes).
La
porte
fermée
a
donc
été
perçue
comme
contraire
à
l’ambiance
qu’ils
aimaient
préserver
sur
leur
lieu
de
travail.
On
l’a
bloquée
avec
une
chaise
pour
la
maintenir
ouverte
sur
le
couloir
qui
mène
aux
salles
de
marchés
et
aux
ascenseurs,
jusqu’à
ce
que
le
technicien,
qui
la
veille
venait
d’installer
le
système
de
fermeture
automatique,
ne
revienne
le
désinstaller
à
la
demande
de
l’équipe.
»
Cet
exemple
donne
une
image
assez
explicite
des
éléments
qui
caractérisent
l’ambiance
au
sein
de
l’équipe
:
convivialité,
confiance,
échange,
travail
en
équipe.
La
274
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
différence
de
culture
entre
la
cellule
KYC-‐AML
et
celle
des
Sales
au
sein
du
même
Front
Office
est
visible
sur
des
nombreux
points,
d’autant
plus
faciles
à
voir
que
les
deux
équipes
se
côtoient
:
les
bureaux
de
KYC-‐AML
étant
situés
entre
deux
salles
de
marché.
Parmi
les
plus
visibles,
il
y
a
la
tenue
vestimentaire,
et
plus
subtilement,
la
machine
à
café.
La
tenue
vestimentaire
est
un
élément
auquel
on
s’attend
plus
facilement.
A
part
Marie,
qui
passait
une
grande
partie
de
ses
journées
en
réunions
et
donc
portait
souvent
des
tailleurs
sobres
et
élégants,
les
autres
membres
de
l’équipe
avaient
une
tenue
généralement
plus
décontractée
que
la
moyenne
de
ce
que
j’ai
pu
observer
au
sein
de
BUF.
Les
jeans
et
chaussures
de
sport
étaient
pratiquement
la
règle,
une
veste
étant
le
seul
élément
plus
formel
de
la
tenue
mais
pas
systématique.
Pas
de
cravate,
peu
ou
pas
de
maquillage,
pas
non
plus
de
tailleur
complet
ou
talons
pour
les
femmes,
mais
au
contraire
des
tenues
et
des
coiffures
simples
(queue
de
cheval
sans
brushing),
complémentés
parfois
même
par
bijoux
fantaisie
assez
exotiques
qu’on
n’a
pas
l’habitude
de
voir
dans
ces
milieux
où
les
bijoux
sont
plus
discrets
et
plus
raffinés.
Les
sacs
à
main
n’ont
pas
de
marque
et
sont
d’un
style
plus
‘hippie’
que
‘affaires’
par
exemple
chez
Nathalie,
en
tissu
plutôt
qu’en
cuir
ou
autre
matériaux
‘nobles’.
La
plupart
des
relations
se
faisant
au
téléphone,
ou
via
mail,
l’image
‘sérieuse’
ne
semblait
pas
si
importante
dans
cette
équipe.
Lorsqu’il
y
avait
une
réunion
importante,
il
était
courant
de
voir
que
les
membres
viennent
avec
une
tenue
de
change
plus
élégante
qu’ils
mettaient
pour
la
durée
de
la
réunion
et
qu’ils
enlevaient
juste
après,
plutôt
que
de
venir
habillés
ainsi
toute
la
journée.
Les
bijoux
fantaisie
sont
enlevés
et
rangés
dans
le
sac,
les
chaussures
de
sport
sont
remplacées
par
des
ballerines
ou
des
talons,
les
cheveux
sont
détachés
de
leur
queue
de
cheval
ou
mis
rapidement
en
chignon.
Il
suffit
en
revanche
de
traverser
le
couloir
et
accéder
aux
salles
de
marché
pour
voir
les
rangs
de
costumes
noirs
ou
gris,
chaussures
polies,
tailleurs
jupe
d’une
coupe
moderne,
brushing
ou
chignon,
maquillage,
sacs
à
main
de
marque
et
souvent
cravates.
En
ce
qui
concerne
la
machine
à
café,
l’importance
significative
au
niveau
du
fossé
culturel
n’était
pas
si
évidente
à
voir
et
à
comprendre
au
premier
coup
d’œil.
Il
y
a
dans
le
bureau
KYC-‐AML,
à
côté
des
armoires
à
archives,
une
machine
à
café
abandonnée
de
tous
les
membres
de
l’équipe
(sauf
exception
rare)
qui
préfèrent
monter
à
la
cafétéria
du
9e
étage
ou
du
rez-‐de-‐chaussée
chercher
leur
café.
Cette
machine
à
quelques
centimètres
de
leurs
bureaux
n’est
pas
du
tout
un
lieu
de
convivialité
comme
on
pourrait
croire
ou
comme
il
est
fréquent
d’observer
en
général
dans
les
bureaux.
D’ailleurs,
j’ai
vu
très
rarement
quelqu’un
de
l’équipe
s’en
servir.
Durant
mes
deux
premiers
jours,
une
des
premières
choses
que
j’ai
demandé
était
comment
elle
marchait
(techniquement),
mais
on
n’a
pas
su
me
répondre,
et
on
m’a
plutôt
proposé
d’aller
à
la
275
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
cafétéria
avec
eux.
Ensuite,
j’ai
remarqué
que
non
seulement
l’équipe
ne
s’en
servait
quasiment
pas,
mais
qu’au
contraire,
d’autres
personnes
qui
ne
travaillaient
pas
dans
ce
bureau
y
faisaient
irruption
pour
s’en
servir,
restaient
le
temps
que
leur
gobelet
soit
rempli,
puis
repartaient
le
boire
ailleurs.
Ce
n’était
donc
visiblement
pas
un
problème
technique
:
la
machine
marchait
très
bien,
et
en
observant
ces
quelques
intrus
j’ai
pu
voir
qu’il
suffisait
d’appuyer
sur
deux
boutons
successifs
pour
la
faire
fonctionner.
Je
me
suis
donc
posé
la
question
de
pourquoi
personne
dans
l’équipe
ne
s’en
servait,
et
préférait
monter
3
étages
ou
descendre
au
rez-‐de-‐chaussée
pour
chercher
un
café
qu’ils
pouvaient
se
faire
ici
même,
sans
perdre
de
temps,
alors
que
le
débit
était
souvent
assez
poussé
dans
leur
travail.
Peut-‐être
était-‐ce
alors
une
question
de
qualité
:
le
café
de
cette
machine
devait
être
moins
bon.
J’ai
posé
la
question
mais
apparemment
non,
ce
n’était
pas
la
raison.
Peut-‐être
alors
que
quitter
le
bureau
pour
prendre
son
café
était
un
élément
indispensable
pour
faire
une
«vraie
pause».
Mais
un
jour,
en
allant
faire
des
photocopies
dans
la
salle
de
marché
mitoyenne
où
se
trouve
la
photocopieuse
j’ai
vu
qu’il
y
avait
une
machine
identique,
et
qu’elle
était
bien
entourée
par
des
Sales
qui
s’en
servaient.
En
restant
suffisamment
de
temps
sur
place
pour
observer,
j’ai
vu
que
c’est
lorsqu’il
y
avait
trop
de
queue
à
la
machine
à
café
que
certains
Sales
traversaient
le
couloir
pour
venir
à
la
machine
dans
notre
bureau.
Pourquoi
est-‐ce
que
les
Sales
semblaient
apprécier
le
café
de
cette
machine
et
que
l’équipe
KYC-‐AML
boudait
littéralement
cet
engin
?
Sans
que
je
puisse
l’affirmer,
je
soupçonne
que
la
raison
est
de
type
psycho-‐sociologique.
La
machine
est
de
la
marque
Nespresso
et
elle
requiert
des
capsules
mono-‐doses
spéciales
que
BUF
ne
fournit
pas.
En
effet,
j’ai
appris
que
chaque
personne
doit
donc
venir
avec
ses
capsules
(qui
s’achètent
soit
sur
commande,
soit
dans
les
boutiques
Nespresso,
qui
fonctionne
comme
un
Club
exclusif).
Par
rapport
à
l’équipe
KYC-‐AML
il
y
a
peut-‐être
un
facteur
budget
non
négligeable
(chaque
capsule
est
beaucoup
plus
chère
que
le
café
subventionné
de
la
cafétéria,
qui
d’ailleurs
n’est
pas
mauvais
du
tout,
et
le
salaire
d’un
analyste
KYC
n’est
pas
comparable
à
celui
d’un
Sales).
Mais
il
y
a
peut-‐être
aussi
un
facteur
davantage
psychologique,
qui
associe
Nespresso
comme
marque
à
une
population
plus
snob,
soucieuse
de
l’apparence,
entraînant
ainsi
par
la
même
occasion
une
sorte
de
rejet
de
la
part
de
l’équipe
KYC-‐AML,
où
règne
une
ambiance
plus
détendue,
assez
franche.
En
tout
cas,
personnellement,
c’est
l’opinion
que
j’en
ai
du
monde
Nespresso,
qui
me
semblait
coller
au
plus
près
de
cette
réalité-‐cliché.
Par
rapport
à
ma
présence,
les
membres
de
l’équipe
prennent
souvent
ma
situation
d’observatrice
comme
l’occasion
de
traits
d’humour
entre
eux
:
276
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
(Marie,
en
s’adressant
à
moi
en
aparté
le
9
mai
2010)
«
tu
devrais
noter
ça
:
aujourd’hui
Clément
s’est
énervé
!
(puis
à
voix
haute
à
toute
l’équipe)
et
Christian
a
perdu
son
flegme
habituel
!
prends
note
Mar
car
on
pourra
enfin
rédiger
une
fiche
sur
comment
lui
faire
perdre
le
contrôle
en
10
secondes
:
il
suffit
de
le
faire
parler
à
la
responsable
de
la
banque
de
réseau
!
»
(l’équipe
rit)
(Christian)
«
Mais
ils
se
foutent
de
la
gueule
du
monde,
ils
disent
que
c’est
urgent
et
puis
après
ils
se
mettent
en
«
out
of
office
»
et
elle
ne
répond
pas
au
téléphone
alors
que
je
sais
pertinemment
qu’elle
est
là,
c’est
vraiment
prendre
les
gens
pour
des
imbéciles.
(Puis,
en
s’adressant
à
moi
:)
Tu
vois,
comme
c’est
drôle
la
banque
!
»
(11
juin
2010).
Les
personnes
ne
semblaient
pas
particulièrement
gênées
par
ma
présence,
qu'ils
prenaient
au
contraire
comme
une
occasion
de
valoriser
leur
travail
et
ses
difficultés.
Lors
des
discussions
en
tête
a
tête
se
rapprochant
d'avantage
d'un
entretien,
nous
commencions
les
discussions
par
des
questions
générales
sur
le
parcours
des
personnes
(Combessie,
2010),
en
général
pour
expliquer
leur
arrivée
chez
BUF-‐BI.
Il
était
très
important
qu’ils
ne
se
sentent
pas
jugés
sur
le
plan
moral
par
le
simple
fait
qu’ils
travaillent
dans
la
banque,
et
je
pense
qu’ils
étaient
soulagés
et
même
contents
de
pouvoir
parler
de
leur
métier
en
étant
libres
de
cette
peur
qui
autrement
faisait
partie
de
leur
quotidien
de
la
part
des
médias,
amis,
et
même
parfois
famille
qui
ne
comprenaient
pas
forcément
les
réalités
de
leur
métier
particulier
au
sein
de
cet
univers
complexe
de
la
banque
en
général
et
banque
d’investissement
en
particulier.
L’équipe
est
très
accueillante
et
vient
souvent
spontanément
vers
moi,
me
raconter
‘comment
ça
se
passe’.
Julien
a
intégré
la
cellule
depuis
«
longtemps
»
(1
an)
en
contrat
intérimaire
mais
passera
probablement
en
CDI.
Il
a
une
formation
en
gestion,
économie
et
géopolitique
et
il
a
déjà
travaillé
dans
plusieurs
banques
en
France,
et
à
plusieurs
niveaux
de
la
lutte
AML
(retail,
private...).
[Conversation
du
Mardi
20
avril
2010]
-‐
Est-‐ce
qu’il
y
a
aussi
une
procédure
KYC
dans
la
banque
de
détail
?
-‐
(Julien)
Bien
sûr.
Ce
sera
différent,
bien
évidemment.
Chaque
Banque
a
plusieurs
millions
de
clients.
C’est
sûr
qu’on
ne
peut
pas
tous
les
connaître
dans
le
détail.
Dans
ce
cas-‐là,
le
KYC
sera
essentiellement
un
contrôle
d’identité
au
moment
de
l’ouverture
de
compte
(pièce
d’identité,
justificatif
de
domicile),
et
puis
surtout
un
suivi
des
opérations.
-‐
C'est-‐à-‐dire
?
-‐
(Julien)
Si
je
vois
sur
ton
compte
un
virement
en
provenance
du
Mexique
de
500
mil
euros
je
vais
me
poser
des
questions,
surtout
si
je
sais
que
tu
es
une
étudiante
boursière,
etc.
-‐
Et
donc,
que
fait
la
banque
?
277
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
-‐
(Julien)
Et
donc,
soit
on
demande
des
justifications
documentées
au
client
(est-‐ce
que
ça
vient
d’un
héritage,
est-‐ce
qu’il
a
gagné
au
loto...)
soit
on
peut
faire
une
investigation
sans
prévenir
le
client,
et
éventuellement
faire
une
déclaration
de
soupçon.
-‐
Mais
alors,
est-‐ce
que
la
banque
peut
prélever
ou
geler
la
somme
d’argent
?
-‐
(Julien)
La
banque
n’est
pas
la
police
non
plus.
Elle
n’a
pas
ce
genre
de
droits,
de
prélever
comme
ça.
A
moins
d’être
mandatée
par
l’Etat.
Mais
en
tant
qu’intermédiaire,
elle
a
accès
à
des
informations
privilégiées,
son
rôle
est
donc
de
monitorer
les
clients
et
de
signaler
des
anomalies.
-‐
Et
c’est
quoi
une
anomalie
?
Comment
définissez-‐vous
ce
qui
normal
ou
pas
?
-‐
(Julien)
Ah,
ça
c’est
une
bonne
question.
En
fait
c’est
tout
ce
qui
dépasse
tes
capacités
financières
«
connues
»
et
«
légales
».
Si
on
sait
que
tu
as
une
entreprise
et
que
tu
facture
X
euros
par
an,
on
s’attend
à
ce
qu’il
y
a
des
transactions
d’une
certaine
quantité
sur
ton
compte.
Si
on
sait
que
tu
es
étudiante
et
que
d’habitude
ton
compte
frôle
le
rouge,
on
finit
par
remarquer
qu’il
y
a
tout
d’un
coup
pas
mal
d’argent
qui
circule.
Ça
nous
alerte
car
il
pourrait
s’agir
d’argent
sale.
Ce
commentaire
sur
le
normal
et
l’anormal,
la
norme
et
l’extraordinaire
m’intéressa
fortement
et
deviendrait
un
aspect
essentiel
dans
mon
analyse.
Je
me
suis
immédiatement
penchée
sur
la
politique
anti-‐blanchiment
de
BUF.
(Le
4
mai
2010)
Julien
m’a
aperçu
en
train
de
lire
la
AML
Policy
et
de
prendre
des
notes.
En
plaisantant
à
moitié,
il
dit
:
La
pratique,
c’est
vachement
plus
simple.
C’est
hyper
simple
de
blanchir
de
l’argent.
La
réalité
est
beaucoup
plus
simple
que
ça
(montre
la
policy).
Ne
croît
pas
toutes
ces
conneries
(il
parle
du
document
entre
mes
mains),
car
c’est
vraiment
trop
simple.
C’est
même
sordide
tellement
c’est
facile.
Regarde.
Tu
achètes
de
la
cocaïne
aux
quartiers
colombiens
pour
5000€.
Tu
organises
une
activité
d’import-‐export,
disons
de
bois,
par
exemple.
Tu
creuses
tes
planches
de
bois
avec
un
trou
et
tu
planques
ta
coke
à
l’intérieur.
Tu
rebouches
le
trou.
Tu
importes
ça
en
France,
via
la
Belgique.
Là,
tu
ouvres
ton
petit
trou
dans
la
planche
que
tu
peux
quand
même
vendre,
et
tu
revends
ta
coke
disons
10
fois
plus
chère.
Avec
ça
tu
achètes
un
bien
même
tout
pourri
en
Espagne,
tu
le
refais
à
neuf,
tu
le
vends,
et
tu
amènes
ce
gros
chèque
en
France.
Et
quand
ta
banque
te
demanderas
d’où
vient
l’argent,
tu
peux
répondre
tranquillement
«
j’ai
vendu
ma
maison
secondaire
en
Espagne
».
Et
voilà.
C’est
bon.
L’argent
est
propre.
Certains
membres
de
l’équipe
ont
pour
habitude
de
prendre
la
pause-‐café
en
compagnie
d’une
sous-‐unité
de
l’équipe
A,
analogue
à
la
nôtre.
Cette
sous-‐unité
gère
les
dossiers
de
fonds
régulés
et
les
Asset
Manageurs,
«
en
gros,
les
clients
qui
ne
sont
pas
craignos
»
(Francis),
c'est-‐à-‐dire
qui
ne
comportent
pas
de
risques
particuliers,
catégorisés
medium-‐low
et
low.
L’ensemble
de
cette
sous-‐équipe,
y
compris
la
manageur
(ils
sont
5
au
total)
semble
être
d’accord
sur
le
fait
que
leur
travail
n’est
pas
278
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
très
intéressant,
et
qu’il
se
résume
vraiment
à
une
check-‐list.
Amélie,
l’une
des
membres
de
cette
équipe,
me
raconte
un
peu
plus
en
détail
son
parcours
et
le
fonctionnement
de
leur
cellule
KYC
(sans
spécification
AML),
en
profitant
du
fait
qu’elle
«
[s]’ennuyai[t]
profondément
»,
qu’elle
n’avait
pas
de
travail
ce
jour-‐là,
qu’aucune
demande
n’arrivait
depuis
deux
jours,
qu’elle
passait
des
heures
devant
l’ordinateur
à
ne
rien
faire
(il
faut
préciser
que
c’était
un
des
ponts
du
mois
de
mai,
et
que
la
plupart
des
autres
membres
de
son
équipe
avait
posé
des
jours
de
congé).
-‐
(Amélie)
En
fait
j’ai
étudié
aux
Etats
Unis.
J’ai
un
Bachelor
en
Finance
des
Marchés
et
je
bossais
à
New
York
chez
Goldman
Sachs.
Mais
il
y
a
eu
la
crise
(elle
fait
une
grimace)
et
j’ai
dû
rentrer
en
France
car
il
n’y
avait
pas
du
tout
de
travail
là-‐bas...
Ici
ce
que
je
fais
ce
n’est
pas
intéressant.
En
fait,
on
est
4,
et
toutes
les
semaines
on
tourne
sur
les
types
de
clients
comme
ça
on
ne
fait
pas
toujours
la
même
chose.
On
fait
pas
d’analyse,
on
ne
fait
que
contrôler
les
informations
qu’on
nous
donne,
on
complète
l’AOF.
Et
après,
on
ne
fait
pas
du
tout
de
suivi
des
dossiers.
Notre
travail
c’est
surtout
de
la
vérification.
Moi
je
n’y
vois
pas
du
tout
d’intérêt.
-‐
Mais
ça
permet
d’avoir
plus
de
visibilité,
non
?
de
contrôle
?
-‐
(Amélie)
Oui,
c’est
juste
une
question
de
clarté,
peut-‐être
de
transparence.
-‐
C'est-‐à-‐dire,
de
transparence
?
-‐
(Amélie)
Avoir
une
conscience
des
risques
qui
ne
se
limite
pas
à
notre
travail
individuel,
mais
prend
en
compte
ce
qu’il
y
a
avant
et
après.
Etre
consciencieux
sur
les
risques.
Mais
moi
ça
ne
m’intéresse
pas.
J’ai
été
confrontée
à
plusieurs
reprises
à
des
différences
d’approche
au
sein
de
la
même
maison,
entre
les
différentes
équipes
KYC.
Un
dossier
de
Christian
m’a
permis
de
comprendre
les
différences
d’appréciation
entre
la
cellule
KYC
du
middle
office
(dont
il
est
issu)
et
la
nôtre.
Ce
genre
de
différences
viendra
ponctuer
l’ensemble
des
tensions
et
conflits
intra-‐
organisationnels
observés,
et
qu’il
a
fallut
saisir
par
petites
touches,
par
paroles
ici
et
là.
(Christian)
«
Est-‐ce
que
nous
on
est
trop
exigeants
ou
eux
trop
laxistes
?
au
final
ce
sera
le
Département
Conformité
qui
tranchera.
En
fait
je
me
suis
rendu
compte
que
le
tiers
qui
détient
cette
structure
est
déjà
un
client
chez
nous,
(il
y
a
déjà
donc
un
KYC
sur
lui)
donc
ça
devrait
passer
tout
seul
car
on
traite
avec
depuis
une
dizaine
d’années.
Sauf
qu’en
regardant
de
plus
près,
je
me
suis
aperçu
que
le
KYC
qui
avait
été
fait
est
très
mauvais,
et
ne
répond
pas
du
tout
aux
exigences
actuelles.
Il
faut
donc
absolument
faire
une
revue,
mais
Middle-‐KYC
ne
veut
pas.
Car
avant,
la
Turquie
était
un
pays
GAFI,
donc
low-‐medium
low,
et
ça
passait.
Mais
on
n’a
aucune
info
sur
les
bénéficiaires
effectifs.
C’est
surnaturel.
Tu
as
vu
ce
qu’elle
m’a
répondu
?
Que
c’est
en
green,
même
avec
un
279
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
5.2.3.
CONTEXTE
Cette
première
période
a
été
ponctuée
d’une
série
d’événements
marquants.
En
particulier,
une
visite
du
Top
Management
:
pour
la
première
fois
depuis
que
cette
équipe
existe,
leur
supérieur
hiérarchique
ultime
au
sein
de
BUF-‐BI,
Monsieur
Lalande,
demandait
à
les
rencontrer
et
à
avoir
un
compte
rendu
de
leur
travail.
Un
soir
peu
avant,
lorsque
les
autres
membres
de
l’équipe
avaient
regagné
les
quais
du
métro,
Marie
a
pris
du
temps
pour
m’expliquer
avec
plus
de
détails
l’histoire
de
cette
cellule
KYC-‐
AML
afin
que
je
puisse
comprendre
«
la
situation
délicate
actuelle
»
:
(Marie,
21
avril)
En
2006,
il
y
avait
une
seule
cellule
KYC
qui
gérait
toutes
les
lignes
métiers.
L’approche
KYC
se
résumait
à
collecter
de
l’information
et
à
cocher
les
cases
de
la
liste.
Mais
presque
tous
les
dossiers
étaient
refusés
par
le
département
Conformité:
l’efficacité
du
travail
n’était
pas
au
niveau.
La
cellule
a
ensuite
était
divisée
pour
constituer
les
dossiers
à
deux
niveaux
:
la
nôtre
en
contact
direct
avec
le
Front,
et
au-‐dessus
de
nous
la
cellule
KYC
proprement
dite
qui
devait
valider
notre
travail
et
le
transmettre
à
Conformité.
Dans
l’équipe,
où
j’étais
déjà
avec
Daniel,
on
a
compris
qu’un
bon
dossier
préparé
en
amont
faisait
gagner
beaucoup
de
temps.
On
a
donc
lancé
le
Mémo
Compliance
analytique.
La
cellule
KYC
a
suivi
notre
initiative
et
a
lancé
le
KYC
Mémo,
en
gros,
une
copie.
Au
fil
des
années,
nous
on
a
étendu
notre
approche
et
notre
compétitivité
alors
que
l’autre
en
a
perdu,
et
on
faisait
donc
doublon
avec
l’autre
cellule
KYC.
De
plus,
cette
cellule
a
perdu
ses
meilleurs
talents
et
donc
son
efficacité,
alors
que
la
cellule
Front
Office
KYC-‐AML,
la
nôtre,
en
gagnait.
Au
final,
on
ne
passait
plus
par
la
case
de
l’autre
cellule
KYC
et
on
instruisait
directement
nos
dossiers
auprès
de
la
Conformité.
Une
reconfiguration
organisationnelle
s’imposait,
BUF
a
donc
fait
appel
à
des
consultants
en
organisation
pour
auditer
les
équipes
et
dresser
le
bilan
de
la
reconfiguration
pour
que
l’ensemble
soit
cohérent
et
efficace.
On
a
donc
gagné
par
notre
approche
risque
puisque
maintenant
on
est
reconnus,
plutôt
que
l’ancienne
approche
check-‐list.
280
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
Ce
long
entretien
avec
Marie
a
été
un
moment
crucial
pour
ma
compréhension
non
seulement
du
travail
de
l’équipe,
mais
aussi
et
surtout
de
la
situation
dans
laquelle
ils
évoluaient.
J’ai
pu
à
partir
de
là
chercher
à
caractériser
cette
situation,
ce
momentum
particulier
que
j’ai
pu
observer
et
suivre
en
tant
que
témoin.
Cela
m’a
également
beaucoup
aidé
pour
suivre
les
réunions
qui
enchainaient
les
sujets
difficiles
à
saisir
en
tant
qu’externe.
A
commencer
par
cette
fameuse
rencontre
avec
M.
Lalande,
qui
semble
avoir
marqué
un
véritable
événement
au
sein
de
l’équipe,
et
a
sans
doute
joué
dans
son
évolution
au
cours
des
mois
à
venir
où
sa
légitimité
s’est
assise
et
son
rayon
d’activité
s’est
étendu
au
sein
de
BUF-‐BI.
281
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
(Extrait
du
23
avril
2010)
:
«
Arrive
enfin
le
moment
tant
attendu
par
l’équipe
de
la
présentation
devant
Monsieur
Lalande,
bras
droit
du
CEO
en
tant
que
chef
de
la
plus
importante
des
lignes
métiers,
et
«
le
chef
de
tout
le
monde
ici
»
(Marie).
Avant
la
présentation,
Marie
est
venue
voir
l’équipe
et
a
demandé
à
chacun
des
anciens
(moi,
Odette
et
Yoan
exclus
car
on
n’aurait
pas
grand-‐chose
à
dire)
s’ils
avaient
des
questions,
des
inquiétudes
à
transmettre
au
Top
Management.
Il
en
ressort
que
l’équipe
veut
savoir
comment
Monsieur
Lalande
et
le
top
management
en
général,
les
perçoit
comme
équipe
au
sein
de
la
banque,
ils
souhaitaient
évoquer
la
question
de
la
responsabilisation
des
Sales
(grande
préoccupation
de
Marie
également),
et
sur
la
position
de
la
cellule
KYC-‐AML
par
rapport
au
Front
Office.
En
plaisantant
Clément
a
évoqué
(une
nouvelle
fois)
la
question
d’un
bonus
(pour
les
analystes
KYC)
indexé
sur
les
gains
de
la
transaction,
et
Marie
a
encore
une
fois
répondu
qu’alors
leur
travail
ne
serait
pas
objectif,
cette
fois
sur
un
ton
plus
humoristique.
Certains
membres
de
l’équipe,
ont
disparu
quelques
minutes
dans
les
toilettes
pour
devenir
«
présentables
»
:
ils
ont
changé
de
vêtements
pour
adopter
une
tenue
plus
sérieuse
que
celle
décontractée
du
vendredi,
en
particulier
Yoan
et
Natalie.
L’assistant
de
Monsieur
Lalande
vient
nous
appeler
:
«
C’est
à
vous
!
».
Ça
faisait
un
bon
quart
d’heure
que
l’équipe
tournait
comme
un
lion
en
cage
en
attendant
le
début
de
la
réunion.
On
s’installe
dans
la
salle
de
réunion
au
bout
du
couloir,
celle
que
l’équipe
utilise
habituellement
dans
le
cadre
de
son
travail.
C’est
donc
monsieur
Lalande
qui
s’est
déplacé
pour
rencontrer
l’équipe,
et
n’a
pas
simplement
demandé
que
Marie
vienne
le
voir
pour
lui
faire
un
compte
rendu
entre
deux
coups
de
fil.
La
réunion
a
été
assez
intense.
Nous
étions
tous
assis
autour
de
la
table
de
la
salle.
Monsieur
Lalande
était
déjà
là,
assis
près
de
la
fenêtre.
Il
enchaîna
les
questions,
en
n’hésitant
pas
à
changer
de
sujet
à
chaque
question,
comme
s’il
cherchait
à
couvrir
le
plus
de
sujets
possibles.
-‐
(Marie)
Merci
de
nous
recevoir
avec
toute
l’équipe.
-‐
(M.
Lalande)
tu
peux
me
tutoyer,
hein.
-‐
(Marie)
je
peux
?
ok.
Merci
donc
de
nous
recevoir
au
complet,
l’équipe
a
été
récemment
renforcée
en
prévision
de
l’élargissement
de
nos
activités
à
la
dimension
européenne
à
partir
du
10
mai.
Je
vais
d‘abord
présenter
nos
activités
:
on
est
compétitifs
sur
les
délais
de
traitement
et
de
validation
de
nos
lignes
métiers
et
de
nos
dossiers,
qui
sont
les
plus
compliqués
et
délicats,
med-‐high
et
high,
par
rapport
aux
autres
départements,
et
en
plus
on
fournit
une
analyse.
C’est
important
de
considérer
les
délais
entre
création
et
validation
des
dossiers,
et
que
notre
performance
a
été
unanimement
reconnue.
Cette
année
on
aura
2
contrôles
par
la
commission
bancaire
et
on
aura
la
visite
des
régulateurs.
Il
y
a
un
problème
de
gap
de
due
diligence
entre
les
différents
pays,
car
pour
le
client
on
est
une
même
maison.
-‐
(M.
Lalande)
le
client
donne
facilement
la
documentation
?
282
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
-‐
(Marie,
court
silence,
sourire)
non.
Ça
dépend.
Dans
les
cas
les
plus
complexes
on
a
du
mal
à
remonter
jusqu’au
bout,
le
client
ne
veut
pas
toujours
fournir
certains
documents,
il
dit
qu’il
n’a
jamais
dû
les
donner
avant,
surtout
si
c’est
un
vieux
client.
Parfois
c’est
aussi
le
Sales
qui
bloque,
car
il
conteste
lui-‐même
la
nécessité
des
documents,
il
est
pressé
de
traiter.
-‐
(M.
Lalande)
Est-‐ce
qu’il
y
a
une
enquête
Kroll56
?
-‐
(Marie)
c’est
réputé
cher.
-‐
(M.
Lalande)
qu’est-‐ce
qu’on
refuse
?
-‐
(Marie)
lorsqu’on
n’arrive
pas
identifier
les
bénéficiaires
effectifs,
on
sait
que
le
dossier
ne
passera
pas
et
donc
on
ne
le
fait
pas
remonter.
-‐
(M.
Lalande)
et
si
la
documentation
est
complète
mais
qu’on
a
un
doute
?
-‐
(Marie)
si
lors
de
notre
analyse
on
a
un
doute,
celui-‐ci
suffit
à
saisir
l’équipe
Conformité
de
Monsieur
Chambertin
pour
qu’ils
avisent
de
la
suite
à
donner.
-‐
(M.
Lalande)
il
réputé
inconstant.
-‐
(Marie)
C’est
un
homme
pragmatique,
il
a
une
forte
confiance
en
nous,
je
l’ai
toujours
vu
agir
dans
le
sens
du
business
dès
lors
que
le
dossier
était
bien
monté.
-‐
(Monsieur
Lalande)
avec
l’élargissement
à
l’Europe,
il
va
y
avoir
des
problèmes
de
langues,
non
?
-‐
(Marie)
d’où
les
recrutements
récents
pour
couvrir
les
besoins
en
allemand
et
en
russe.
Les
enjeux
européens
seront
importants.
SCOW
sera
opérationnel
en
Asie
cet
été
;
nous
avons
aussi
en
perspective
du
début
de
la
mise
en
place
du
KYC
passporting
le
10
mai,
une
sorte
de
KYC
global
qui
vaudrait
partout
avec
les
mêmes
exigences
plus
contraignantes
de
la
maison
mère
et
qui
rajouterait
les
exigences
locales.
On
croit
qu’un
client
bien
validé
partout
augmente
les
possibilités
de
business.
-‐
(M.Lalande)
est-‐ce
qu’on
a
eu
des
coups
durs
?
est-‐ce
qu’on
a
eu
l’inspection
sur
un
dossier
ou
un
pays
et
on
était
incapable
de
fournir
l’info
?
-‐
(Marie)
tous
les
dossiers
sont
stockés
sur
10
ans.
-‐
(M.
Lalande)
il
y
a
eu
un
nettoyage
en
2006
non
?
-‐
(Marie)
oui,
j’ai
été
recrutée
pour
ça
justement.
-‐
(M.
Lalande)
2e
coup
dur
:
qu’est
ce
qui
se
passe
si
on
a
4/5
de
l’info
mais
on
n’est
pas
certains
?
-‐
(Marie)
on
n’y
va
pas.
C’est
simple.
-‐
(M.
Lalande)
y-‐a-‐t-‐il
eu
des
cas
où
on
s’est
fait
avoir
?
-‐
(Marie)
oui,
des
documents
étaient
faux,
on
a
failli
se
faire
avoir.
-‐
(M.
Lalande)
y-‐a-‐t-‐il
eu
des
cas
où
on
s’est
rendu
compte
à
posteriori
?
car
statistiquement
il
y
en
a
forcément
56
Il
s’agit
du
Kroll
Global
Fraud
Report.
283
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
284
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
-‐
(Marie)
nous
nous
avions
quelques
questions
aussi.
On
peut
?
-‐
(M.
Lalande)
Une
minute.
-‐
(Marie)
bon.
Je
suis
là
depuis
2006
;
Je
suis
convaincue
que
pour
améliorer
la
responsabilisation
des
Sales
à
leurs
obligations
de
connaissance
client,
si
ça
vient
de
vous
ce
sera
plus
facile.
Nous
KYC
on
est
mal
perçus
par
le
Front.
Accepteriez-‐vous
d’en
parler
lors
d’un
des
discours
que
vous
faites,
d’aborder
ce
point
face
aux
Sales
?
-‐
(M.
Lalande)
dans
un
discours
ça
me
parait
bizarre.
Dans
un
mail
peut
être,
ou
dans
un
document
écrit,
oui.
En
cascade,
on
demande
aux
patrons
de
pôles
d’envoyer
un
mail.
Je
n’ai
rien
contre
mais
faut
trouver
le
canal.
-‐
(Marie)
la
fluidité
du
traitement
des
dossiers
viendra
d’une
meilleure
responsabilisation
des
Sales.
-‐
(M.
Lalande)
en
même
temps
ils
ne
peuvent
pas
traiter
s’ils
ne
le
font
pas.
-‐
(Marie)
mais
c’est
pas
évident
à
accepter
dans
la
tête
d’un
Sales.
-‐
(M.
Lalande)
est-‐ce
que
ça
ne
stagne
pas
au
bout
d’un
certain
temps,
le
nombre
de
clients
nouveaux
est
limité,
non
?
-‐
(Marie)
on
a
le
même
volume
de
demandes
les
deux
dernières
années.
-‐
(M.
Lalande)
je
ne
suis
pas
en
train
de
dire
que
vous
n’avez
plus
de
travail,
mais
si
ça
stagnait
?
est-‐ce
qu’on
a
une
idée
prévisionnelle
des
clients
non
encore
chez
nous
?
Par
origine
des
départements
?
-‐
(Marie)
il
n’y
a
pas
de
phénomène
de
stagnation
pour
l’instant.
On
récupère
progressivement
de
nouvelles
lignes
métiers
-‐
(M.
Lalande)
combien
de
clients
?
-‐
(Marie)
En
pourcentage
je
ne
sais
exactement
le
nombre
de
requêtes.
Qu’attendez-‐vous
de
KYC
dans
la
Ligne
MM
?
-‐
(M.
Lalande)
Pas
de
coups
durs.
-‐
(Marie)
Au
moins
c’est
clair.
-‐
(M.
Lalande)
il
y
en
aura,
évidemment,
mais
je
dis
juste
que
si
un
régulateur
débarque,
il
faut
qu’on
montre
que
vous
avez
fait
votre
travail,
que
vous
ne
cédiez
pas
aux
vendeurs.
Je
n’entends
pas
parler
de
délais
pour
cause
de
KYC.
Est-‐ce
qu’il
y
a
des
cas
où
vous
avez
travaillé
pour
rien
?
-‐
(Marie)
Lorsque
le
Sales
nous
fait
travailler,
souvent
dans
l’urgence,
sur
un
tiers
qui
au
final
n’aboutit
pas
sur
une
vente.
Parfois
c’est
même
des
gros
dossiers.
Ce
serait
intéressant
de
savoir
par
un
quelque
reporting,
le
chiffre
réalisé
sur
les
clients
validés.
Ils
nous
font
travailler
quand
même
pas
mal.
-‐
(M.
Lalande)
Merci.
L’équipe
est
invitée
à
quitter
rapidement
la
salle
(où
aura
lieu
une
autre
réunion)
et
regagne
ses
quartiers
généraux,
où
Marie
fait
un
point
sur
la
réunion
avec
tous.
285
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
Ce
vendredi,
après
ce
moment
culminant
de
la
semaine
qu’a
été
la
fameuse
réunion
avec
Monsieur
Lalande,
l’équipe
et
même
Marie,
s’accordent
une
sortie
un
peu
plus
tôt
que
l’heure
habituelle.
«
C’est
l’heure
d’un
weekend
bien
mérité
!
».
Surtout
que,
la
semaine
prochaine,
Marie
et
Clément
seront
un
ou
deux
jours
à
Londres
pour
préparer
l’intégration
du
desk
UK,
très
sensible,
comme
on
a
pu
m’en
prévenir.
Le
deuxième
tournant
durant
cette
période
est
la
préparation
à
l’intégration
européenne,
et
le
fait
que
l’équipe
devra
progressivement
gérer
les
dossiers
de
plusieurs
bureaux
européens
de
BUF-‐BI.
Ceci
constitue
certainement
une
reconnaissance
de
leur
travail
qui
se
traduit
par
l’extension
de
leurs
responsabilités,
mais
augmente
considérablement
leur
charge
de
travail
aussi.
(Extrait
5
mai
2010)
:
«
Clément
et
Marie
sont
rentrés
de
2
jours
à
Londres.
J’ai
demandé
à
Clément
de
me
raconter
comment
ça
s’est
passé
avec
l’équipe
de
Compliance
là-‐bas.
-‐
(Clément)
On
été
allés
une
première
fois
pour
assister
avec
eux
à
un
séminaire
AML
en
février/mars.
Ça
nous
a
permis
de
comprendre
quelques
différences
de
perception
qui
existent
entre
UK
et
Paris.
J’étais
frappé
qu’ils
soient
autant
portés
sur
la
question
des
PEP
[Personne
Politiquement
Exposée],
savoir
si
on
devait
traiter
de
la
même
manière
les
PEP
locaux
et
étrangers
ou
pas.
Peut-‐être
parce
qu’il
existe
une
législation
locale
spécifique,
je
sais
pas.
Ou
peut-‐être
que
c’est
une
mode.
Ils
se
focalisent
aussi
beaucoup
sur
les
ABC
(anti-‐bribery
and
corruption),
car
il
y
a
effectivement
une
loi
anti-‐
corruption
très
particulière
au
Royaume
Uni.
En
France,
on
a
tendance
à
dire
que
d’une
manière
générale,
le
UK
est
plus
souple,
plus
ouvert,
ou
plus
pro-‐business.
Mais
faut
aussi
voir
que
la
finance
occupe
une
place
très
importante
dans
286
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
l’économie
au
UK
–
je
ne
veux
pas
dire
des
bêtises,
mais
je
crois
que
c’est
quelque
chose
comme
30
ou
40%.
En
France
on
a
une
économie
plus
diversifiée.
Mais
c’est
juste
mon
interprétation
personnelle.
-‐
Vous
avez
aussi
rencontré
vos
homologues
là-‐bas
?
-‐
(Clément)
On
a
aussi
rencontré
Mister
Guilbert,
l’équivalent
de
Monsieur
Chambertin
ici.
Mais
en
fait,
l’analyse
KYC
là-‐bas
est
faite
par
des
Sales
analysts,
un
peu
à
l’arrache,
il
n’y
a
pas
de
cellule
équivalente
à
la
nôtre.
On
est
donc
aussi
allé
pour
expliquer
la
réorganisation
des
procédures
et
le
fait
qu’on
allait
maintenant
nous
occuper
de
tous
les
dossiers
de
là-‐bas
avant
que
leur
Compliance
Officer
puisse
les
valider.
On
est
allé
montrer
nos
têtes,
quoi,
nous
présenter,
car
ils
nous
connaissent
pas,
et
parfois
ils
ont
eu
l’impression
qu’on
leur
prend
leur
boulot.
Ce
n’était
pas
vraiment
une
visite
de
courtoisie,
mais
juste
pour
nous
présenter,
quoi.
(Réfléchit)
On
est
aussi
allé
parler
de
certains
dossiers
particuliers,
dont
le
dossier
«
Breuvoir
»,
où
on
voit
très
bien
la
différence
d’approche
:
ils
sont
plus
laxistes
sur
la
doc.
On
a
pu
discuter
avec
des
gens
qui
sont
pro-‐business
à
fond,
à
fond,
qui
veulent
absolument
qu’on
arrête
de
les
emmerder
et
que
ça
passe.
Donc
parfois
c’était
un
peu
tendu.
Comme
d’habitude
en
fait.
(Silence)
Qu’est-‐ce
qu’on
a
fait
d’autre
?
Ah
oui.
Aussi,
on
a
traité
un
dossier
en
temps
réel
qui
était
arrivé
le
matin
même
par
mail.
C’était
marrant
de
voir
comment
eux
avaient
l’habitude
de
travailler.
On
a
montré
à
la
Compliance
là-‐bas
comment
nous
on
travaille
ici,
comment
on
monte
les
dossiers.
Un
autre
problème
chaud
en
ce
moment
et
dont
on
a
dû
parler,
c’est
la
question
des
‘tiers
en
red’
c'est-‐à-‐dire
des
tiers
interdits
dans
la
base
de
données
car
ils
sont
marqués
«
RED
».
A
une
date
X,
on
a
eu
plus
de
4600
deals
en
vie
avec
des
tiers
non
autorisés.
Au
Royaume
Uni,
la
FSA
l’a
déjà
remarqué
et
a
tapé
du
poing
sur
la
table.
Les
régulateurs
ici
aussi.
Et
c’est
très
inquiétant
car
ils
vont
venir
auditer
la
banque
en
automne,
et
va
falloir
avoir
quelque
chose
à
leur
dire,
à
répondre
sur
comment
ça
se
fait
qu’on
traite
quand
même.
C’est
incroyable
que
ce
soit
autant
la
pagaille.
On
est
en
train
de
réfléchir
à
comment
mettre
en
place
des
contrôles,
mais
on
sait
pas
vraiment.
Pour
l’instant
on
ne
se
rend
compte
qu’après
que
les
Sales
aient
traité
avec
eux.
-‐
Mais,
il
doit
bien
y
avoir
un
moyen
informatique
dans
la
base
de
données
pour
bloquer
des
transactions
avec
les
contreparties
interdites
?
Mettre
un
filtre
qui
bloque,
ça
doit
pas
être
si
compliqué,
non
?
-‐
(Clément)
En
fait,
si.
C’est
assez
compliqué,
pas
d’un
point
de
vue
technique,
mais
de
contrôle.
Car
si
on
bloque
purement
et
simplement,
on
aura
aucun
moyen
de
faire
remonter
l’information
à
Compliance
et
de
monitorer
l’action
des
Sales
et
de
les
responsabiliser.
Car
ils
sont
quand
même
sensés
vérifier
si
la
contrepartie
est
autorisé
ou
pas
avant
de
traiter.
Par
contre,
ce
qu’on
essaye
de
faire
c’est
mettre
en
place
un
système
d’avertissement
qui
apparaîtra
sur
l’écran
du
Sales
lorsqu’il
voudra
dealer
avec
un
tiers
non
autorisé,
et
qui
s’affichera
aussi
sur
l’ordi
de
son
Head
of
desk
et
de
Compliance.
Cette
petite
banderole
rouge
qui
défile
préviendra
le
Sales
que
le
tiers
n’est
pas
autorisé
et
le
rediriger
automatiquement
sur
la
base
de
recherche
pour
qu’il
vérifie
le
statut
actualisé
de
la
contrepartie
-‐
green,
orange
ou
red.
Car
il
se
peut
que
son
statut
ait
changé.
En
général,
un
tiers
peut
être
refusé
pour
2
raisons
:
soit
il
y
a
ce
qu’on
287
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
Peu
de
temps
après
cette
conversation,
le
grand
jour
de
la
reprise
de
dossiers
de
Londres
est
enfin
arrivé.
D’autres
pays
suivront
et
leurs
dossiers
seront
progressivement
instruits
par
l’équipe
de
Marie
à
Paris.
Nous
sommes
le
10
mai.
Marie,
Clément,
Julien
et
Natalie
sont
encore
partis
sur
place
à
Londres
pour
l’occasion,
et
d’après
leurs
emails
en
cours
de
matinée,
les
choses
sont
très
tendues
là-‐bas,
c’est
un
peu
la
confusion.
A
Paris,
il
y
a
beaucoup
de
travail.
C’est
le
premier
jour
où
toutes
les
demandes
de
dossiers
traités
par
des
sales
à
Londres
arrivent
chez
nous,
et
l’équipe
doit
se
confronter
aux
premiers
chocs
de
différence
de
praxis
:
-‐
(Yoan)
«
J’hallucine
!
Ils
envoient
des
dizaines
de
demandes
où
le
Sales
met
juste
son
nom,
sans
numéro
de
téléphone
ni
mail
ni
rien,
comme
si
j’étais
sensé
connaître
tout
le
monde
et
288
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
comment
les
contacter,
quoi.
Objet
de
la
relation
:
«
gestion
de
fonds
»
et
basta
!
Aucun
document
attaché
de
la
KYC
liste
de
base
qu’ils
ont
pourtant
sous
les
yeux
lorsqu’ils
envoient
ça.
Rien.
(court
silence)
La
journée
sera
bien
longue
!
»
Effectivement,
les
membres
de
l’équipe
restés
à
Paris
sont
sortis
ce
soir-‐là
bien
deux
heures
plus
tard
que
d’habitude.
Tout
le
monde
était
épuisé.
Le
lendemain,
la
boîte
mail
commune
de
l’équipe
où
arrivent
les
nouvelles
requêtes
est
débordante
de
demandes
en
provenance
de
Londres.
Marie,
Clément,
Natalie
et
Julien
sont
rentrés
à
Paris
hier
soir
très
tard,
et
ne
commencent
à
arriver
au
bureau
que
vers
onze
heures
du
matin,
sauf
Marie,
qui
est
arrivée
à
9h30
et
n’a
pas
arrêté
d’enchaîner
les
réunions,
en
particulier
avec
les
responsables
de
la
Conformité
de
Londres,
venus
à
leur
tour
à
Paris.
A
midi
passé,
Clément
n’est
toujours
pas
arrivé
:
j’apprends
qu’il
a
profité
du
pont
pour
poser
un
jour
de
vacances
et
se
faire
un
très
long
weekend,
bien
mérité.
Pour
la
première
fois,
Natalie
vient
me
voir
spontanément
:
-‐
(Natalie)
on
a
eu
un
accueil
glacial.
Ils
avaient
visiblement
peur
de
perdre
leur
travail
ou
je
ne
sais
quoi
car
en
fait
ils
ne
sont
pas
compétents
du
tout.
En
fait
je
ne
sais
pas
quoi
trop
penser.
Ils
nous
ont
payé
la
première
classe
en
Eurostar
et
un
hôtel
sympa
pas
très
loin.
-‐
C’est
à
la
City
?
-‐
(Natalie)
Curieusement,
non.
On
est
trop
petits
pour
être
à
la
city.
En
fait,
on
est
dans
un
petit
bâtiment
de
6
ou
7
étages,
qu’on
n’occupe
même
pas
entièrement.
Le
truc
le
plus
flagrant
c’est
le
gap
énorme
entre
les
règlementations.
Du
coup,
ils
ne
comprennent
pas
pourquoi
soudain
ils
doivent
faire
certaines
choses
qu’ils
ne
faisaient
pas
avant
et
qui
leur
semblent
très
contraignantes
alors
qu’ils
sont
toujours
à
Londres
et
pas
à
Paris.
Au
Royaume
Uni,
la
législation
est
très
tournée
pour
faciliter
le
business.
-‐
(Marie,
qui
arrive
dans
la
conversation)
On
nous
prend
souvent
pour
des
franco-‐
français,
incapables
de
comprendre
;
Ce
sera
difficile
à
gérer,
il
faudra
laisser
la
main
à
Monsieur
Chambertin
comme
on
fait
à
Paris.
Si
c’est
lui
qui
dit
les
choses
clairement,
en
général
ça
passe.
Le
mois
de
mai
est
particulier
en
France,
en
raison
de
tous
les
jours
fériés.
A
BUF,
ils
sont
tous
observés
«
pour
l’instant
»,
signale
Marie.
-‐
(Marie)
Je
me
demande
si
ça
va
durer.
Maintenant
qu’on
a
récupéré
les
dossiers
de
Londres...
et
Londres
ne
dort
jamais
!
-‐
(Elise)
Ils
sont
chiants
à
Londres
des
fois
!
Il
faut
que
tout
soit
fait
tout
de
suite
dans
la
seconde,
rapide
et
n’importe
comment.
Ils
ne
comprennent
pas
qu’hier
c’était
férié
et
en
plus
ils
nous
crient
dessus
!
289
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
-‐
(Yoan)
Regarde,
52
mails
non
lus
de
la
seule
journée
d’hier
venant
de
Londres
!
Mais
ça
ne
sert
à
rien
de
s’acharner
comme
ça
!
Regarde,
celui-‐là
il
m’a
envoyé
à
lui
seul
6
mails
qui
disent
tous
la
même
chose
«
it’s
urgent
».
Ils
savent
pas
lire
ou
quoi
?
«
We
are
out
of
office
»
c’est
pas
assez
clair
?!
-‐
(Marie)
C’est
vrai
qu’ils
font
beaucoup
de
pression,
UK.
Il
faut
peut-‐être
leur
expliquer
que
ça
ne
sert
à
rien
d’insister,
qu’on
a
compris
que
c’était
urgent.
Mais
ça
fait
partie
de
leurs
pratiques
que
de
harceler,
que
ce
soit
par
mail
ou
au
téléphone.
Va
savoir
combien
de
fois
le
téléphone
a
sonné
hier
sans
que
personne
ne
réponde
(rigole).
Mais
je
crois
que
c’est
le
début
de
la
fin
des
jours
fériés
pour
être
en
mesure
de
concorder
avec
Londres.
Beaucoup
de
choses
vont
devoir
changer.
Déjà,
faut
qu’on
commence
par
revoir
leur
Compliance
Memo
de
fond
en
comble.
(silence)
Je
vous
annonce
au
passage
qu’on
a
quelqu’un
de
nouveau
depuis
la
semaine
dernière
le
poste
de
KYC
Corporate,
ce
qui
n’est
pas
une
bonne
nouvelle.
C’est
quelqu’un
qui
s’énerve
pour
un
rien-‐
-‐
(Clément)
Oui,
comme
il
a
crié
sur
nous
l’autre
jour
!
-‐
(Marie)
Il
est
assez
lunatique
et
violent.
En
plus,
il
surfe
sur
une
vague
de
mode.
Il
ne
connaît
rien
au
KYC.
Enfin
on
verra.
Y’a
déjà
deux
réunions
prévues
avec
lui
dans
les
jours
qui
viennent.
5.2.4.
FIN
DE
LA
PERIODE
D ’OBSERVATION
NON-‐PARTICIPANTE
(PHASE
1-‐A)
Durant
le
mois
de
juin
2010,
durant
lequel
se
conclut
ma
première
période
d’observation,
il
y
a
eu
plusieurs
éléments
de
taille
qui
sont
venus
perturber
non
seulement
la
vie
de
l’équipe
KYC-‐AML
où
je
suis
insérée,
mais
aussi
l’ambiance
de
BUF
en
général.
Le
procès
très
médiatisé
de
Jérôme
Kerviel,
ancien
trader
à
la
Société
Générale,
s’ouvre
durant
la
première
semaine
du
mois
;
commencent
à
se
faire
visibles
les
démarches
de
préparation
à
l’audit
de
la
commission
Bancaire
prévu
à
la
fin
de
l’été
;
et
enfin,
le
début
de
la
Coupe
du
Monde
de
football
en
Afrique
du
Sud.
C’est
trois
événements
méritent
d’être
signalés
en
tant
qu’ils
ont
directement
influencé
le
contexte
durant
la
fin
de
ma
période
d’observation
non-‐participante
et
le
début
de
la
phase
A-‐2.
L’audit
prévu
en
automne
prochain
par
des
représentants
de
la
Commission
Bancaire
est
un
sujet
récurrent
dans
les
conversations
de
couloir
ou
les
pauses
café,
non
seulement
au
sein
de
l’équipe
KYC-‐AML,
mais
en
général
parmi
les
employés
de
BUF,
tel
qu’on
a
pu
le
constater
dans
les
ascenseurs,
la
cantine
ou
la
cafétéria.
Voici
des
bribes,
collectées
dans
un
couloir
en
attendant
puis
dans
un
ascenseur,
échangés
par
deux
inconnus
dont
j’ignore
les
fonctions
:
290
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
Il
y
a
en
effet
une
grande
pression
de
la
part
du
Top
Management
de
BUF
pour
obtenir
une
bonne
évaluation
à
cette
occasion.
D’importants
moyens
sont
mis
en
œuvre
à
plusieurs
niveaux
pour
préparer
cet
audit.
Marie
a
déjà
annoncé
qu’une
partie
de
l’été
sera
consacrée
au
«
nettoyage
et
classement
des
armoires
»
et
veux
que
tout
le
monde
prenne
l’habitude
de
faire
une
revue
périodique,
surtout
des
vieux
dossiers,
afin
d’avoir
une
grande
clarté
et
traçabilité
des
dossiers.
(Marie)
«
Surtout
va
falloir
qu’on
trouve
un
classement
qui
soit
compréhensible
par
d’autres
que
nous,
parce
que
nous,
à
force
on
s’y
retrouve,
dans
ce
bordel,
mais
les
auditeurs...mmmm,
j’en
suis
pas
certaine
!
»
291
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
Elle
a
évoqué
à
plusieurs
reprises
certains
scandales
récents
qui
doivent
servir
d’avertissement
ou
de
leçon
pour
toute
la
communauté
bancaire
en
France.
Durant
cette
affaire,
encore
fraîche
dans
la
mémoire
du
milieu
bancaire,
concerne
l’implication
de
plusieurs
grandes
banques
françaises
dans
un
important
réseau
de
blanchiment
d’argent.
Le
procès
est
allé
assez
loin,
et
a
fortement
terni
la
réputation
des
banques.
L’autre
élément
qui
revient
dans
les
conversations,
sont
les
grands
noms
associés
à
la
crise
tels
Lehman
Brothers
«
c’est
du
pur
risque
réputationnel
qui
te
pourri
la
vie
ensuite
»,
comme
dit
Clément.
Pour
ce
qui
est
de
la
Coupe
du
Monde
de
Football,
je
suis
contente
que
ma
période
d’observation
arrive
à
sa
fin,
car
l’attention
générale
(surtout
masculine
mais
pas
seulement)
est
assez
focalisée
sur
cela.
A
chaque
fois
que
quelqu’un
avait
un
moment
de
libre,
il
préférait
se
connecter
sur
son
Blackberry
pour
s’informer
sur
les
scores
des
différents
pays,
plutôt
que
de
répondre
à
mes
questions...
Ils
vaquaient
à
leurs
occupations
strictement
indispensables,
et
passaient
le
reste
du
temps
à
essayer
de
contourner
les
restrictions
informatiques
pour
pouvoir
suivre
les
matchs,
sinon
en
direct
(2
membres
de
l’équipe
ont
reçu
le
mail
d’un
trader
avec
un
lien
internet
qui
n’était
pas
bloqué
par
le
système
et
où
on
pouvait
suivre
certains
matchs
en
direct),
du
moins
via
la
radio
de
leur
téléphone
portable
ou
des
sites
de
journaux
sportifs.
Ainsi,
leur
réceptivité
à
d’autres
éléments
était
minime
:
ils
plaisantaient
sans
quitter
les
yeux
de
leur
écran
où
les
joueurs
suivaient
le
ballon
:
«
Tu
comprends,
là
on
est
très
occupés
sur
des
dossiers
très
importants
;
tu
comprends,
reviens
nous
voir
vers
le
12
juillet.
»
(La
finale
de
la
Coupe
du
monde
avait
lieu
le
dimanche
11
juillet).
Quoi
qu’il
en
soit,
les
perspectives
de
recherche
sont
prometteuses.
Marie
me
propose
de
revenir
prolonger
mon
observation
après
l’été,
à
l’occasion
de
l’audit
de
la
Commission
Bancaire,
événement
surtout
très
intéressant
à
suivre
et
documenter
en
direct.
Durant
la
dernière
semaine
elle
a
obtenu
les
autorisations
pour
prendre
officiellement
des
stagiaires
au
sein
de
son
équipe,
ce
qui
facilitera
mon
retour
en
292
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
automne.
Son
enthousiasme
pour
cette
recherche
a
été
un
véritable
levier,
sans
lequel
elle
n’aurait
pas
été
possible.
293
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
clandestinement57.
Bien
que
ma
présence
fût
connue
de
ses
supérieurs
durant
les
mois
d’avril-‐
juin,
Marie
n’avait
pas
pu
‘officialiser’
totalement
ma
présence
:
la
cellule
n’avait
jamais
pris
de
stagiaires
auparavant
pour
des
raisons
de
trop
haute
confidentialité
des
dossiers.
J’étais
donc
en
qualité
de
‘chercheuse
en
phase
d’observation’,
sans
existence
explicite
au
sein
de
la
BUF.
Cette
fois-‐ci,
je
suis
«
Stagiaire
Chargée
de
Projet
KYC-‐AML
»
pour
une
durée
de
2
mois.
En
ce
premier
jour,
je
n’ai
pas
encore
mon
badge,
et
je
dois
donc,
encore
une
fois,
attendre
dans
le
hall
qu’un
membre
de
l’équipe
vienne
me
chercher
à
l’accueil.
Clément
n’est
pas
là
(retard
ou
occupé
?)
et
c’est
Christian,
celui
qui
s’était
occupé
de
moi
durant
les
premiers
jours
de
la
période
précédente,
qui
vient
me
chercher,
accompagné
de
Yoan.
Ça
fait
plaisir
d’arriver
et
de
revoir
des
visages
connus,
qui
me
font
un
grand
sourire
dès
qu’ils
m’entrevoient,
et
me
portent
immédiatement
prendre
un
café,
avant
même
de
monter.
Pendant
qu’on
savoure
un
jus
d’orange
et
une
viennoiserie
de
la
cafétéria
du
rez-‐de-‐
chaussée,
on
s’échange
des
nouvelles
de
nos
étés
respectifs,
et
ils
me
mettent
au
courant
de
certains
changements
dans
l’équipe.
-‐
(Christian)
:
ça
a
beaucoup
changé,
tu
vas
voir.
On
a
déménagé,
on
y
est
beaucoup
mieux.
-‐
(Yoan,
plaisantant)
:
oui,
avant
on
avait
vue
sur
un
cimetière,
aujourd’hui
on
a
vu
sur
un
immeuble
en
construction.
Au
moins
ça
change.
-‐
Marie
m’avait
parlé
d’une
autre
stagiaire
pendant
le
mois
d’août
?
-‐
(Christian)
:
Oui,
c’est
Tania.
Elle
est
toujours
là,
tu
verras
on
va
te
la
présenter.
Sinon
il
y
a
plusieurs
nouvelles
têtes,
que
des
filles
et
juste
deux
mecs.
-‐
(Yoan)
:
Ya
trop
d’œstrogène
dans
l’air
!
-‐
Et
Elise,
elle
a
trouvé
un
poste
pour
partir
?
-‐
(Christian)
:
Elle
nous
a
quitté
oui,
elle
est
maintenant
chez
la
Conformité,
et
on
a
récupéré
Cassandra
à
la
place.
-‐
Elle
doit
être
contente
Elise,
c’est
là
qu’elle
voulait
partir,
non
?
-‐
(Yoan)
:
c’est
un
boulot
très
différent.
Conformité
a
une
approche
contrôle.
Moi
je
préfère
la
nôtre,
une
approche
analyse.
Bon,
on
y
va
?
Nous
nous
dirigeons
vers
les
escaliers.
Nous
avons
changé
de
tour,
et
nous
sommes
montés
au
10e
étage,
«
un
peu
plus
proches
du
grand
chef
»
(Monsieur
Chambertin)
d’après
Christian,
comme
s’il
s’agissait
là
d’une
sorte
de
promotion,
du
moins
symbolique.
Nous
ne
sommes
donc
plus
à
côté
des
salles
de
marché
du
Front
Office,
mais
au
dessus,
là
aussi
cela
a
son
importance
symbolique.
Les
bureaux
ont
la
même
structure
que
les
précédents,
mais
plus
57
Durant
la
période
précédente,
en
général
les
autres
membres
de
l’équipe
prennaient
chacun
des
éléments
supplémentaires
sur
leurs
plateaux,
afin
que
je
puisse
manger
avec
eux,
ou
alors
je
devais
me
prendre
un
sandwich
et
manger
au
bureau.
294
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
grands,
et
ne
sont
occupés
que
par
l’équipe
de
Marie.
La
lumière
du
10e
étage
rend
l’usage
des
stores
plus
qu’obligatoires,
et
permettent
de
cacher
au
passage
la
vue
sur
l’immeuble
en
chantier.
Cette
fois
il
y
a
un
bureau
qui
m’attend,
ainsi
que
des
codes
d’accès
pour
un
ordinateur.
Le
vieux
Daniel
est
toujours
là
à
se
servir
de
la
machine
à
café,
qui
a,
elle
aussi,
retrouvé
sa
place.»
J’ai
consacré
mes
premières
journées
à
essayer
de
me
mettre
au
courant
des
principaux
changements
qui
avaient
eu
lieu
durant
mes
trois
mois
d’absence
cet
été.
Marie
était
absente
durant
ma
première
semaine
car
elle
subissait
une
intervention
chirurgicale.
A
son
retour,
la
première
chose
qu’elle
a
fait
c’est
de
convoquer
une
réunion
avec
toute
l’équipe
pour
faire
le
point
de
où
en
est
chacun
et
ce
qui
s’est
passé
durant
son
absence.
La
réunion
dura
presque
deux
heures,
où
chacun
exposait
les
dossiers
en
cours
et
les
difficultés
rencontrées.
L’équipe
attend
en
général
ce
genre
de
‘points
collectifs’
avec
impatience,
comme
j’ai
pu
le
constater
déjà
durant
la
première
phase
d’observation
avant
l’été.
C’est
l’occasion
pour
partager
difficultés
et
expériences,
d’avoir
du
feedback
non
seulement
de
Marie
mais
aussi
des
autres
membres
de
l’équipe
sur
leurs
dossiers,
et
de
décider
collectivement,
en
tant
qu’équipe
des
priorités
des
jours
à
suivre.
Durant
toute
cette
période,
je
suis
de
nouveau
les
horaires
de
l’équipe.
Ainsi,
nous
commencions
tous
les
jours
à
entre
9h
et
9h30
du
matin.
La
flexibilité
matinale
était
généralement
admise,
pourvu
que
le
travail
soit
fait
et
surtout
pourvu
de
rester
tard
le
soir.
Un
retard
matinal
semblait
plus
toléré
(sauf
en
cas
de
réunion
bien
entendu)
qu’un
départ
avant
18h30.
Le
moment
qui
vraiment
initiait
la
journée
en
tant
qu’équipe
était
la
pause
café
vers
10h30,
ou
d’une
manière
générale
il
y
avait
une
bonne
moitié
des
personnes
qui
y
participaient.
Mes
obligations
en
tant
que
stagiaire
étaient
assez
minimes,
je
pense
grâce
à
la
considération
de
Marie
pour
que
je
puisse
simultanément
conduire
mon
travail
personnel
de
recherche,
de
prise
de
notes
etc.
J’étais
payée
au
tarif
de
stagiaire,
et
devait
donc
être
présente
dans
les
locaux
de
BUF
aux
heures
de
bureau,
5
jours
sur
7.
Je
devais
essentiellement
reprendre
le
travail
d’une
stagiaire,
Tania,
qui
faisait
son
stage
de
sa
maîtrise
de
droit,
qui
a
passé
deux
mois
(août-‐septembre)
sur
une
mission
de
communication
:
mettre
en
place
une
newsletter
pour
diffuser
des
informations
sur
le
KYC
et
l’AML
au
sein
de
BUF-‐BI.
Le
métier
et
la
fonction
KYC
se
formalisaient
au
sein
de
BUF,
la
direction
souhaitait
faire
plus
de
communication
pour
créer
des
liens
avec
les
Sales.
Je
suis
donc
chargée
de
la
création
et
du
renforcement
de
plusieurs
dispositifs
de
communication
:
je
reprends
le
projet
d’une
newsletter
bimensuelle
destinée
aux
Sales
initié
durant
l’été
et
non
encore
lancée
295
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
officiellement,
de
la
mise
en
place
d’un
logo
de
l’équipe,
et
de
poursuivre
la
réalisation
du
site
web
interne
de
l’équipe,
initiée
durant
le
printemps
par
Clément,
mais
encore
assez
pauvre
en
contenus.
L’objectif
de
la
newsletter
est
de
sensibiliser
le
Front
Office
auquel
nous
appartenons
au
travail
que
l’on
fait,
de
sorte
à
ce
que
progressivement
ils
comprennent
mieux
les
enjeux,
et
donc
les
raisons
pour
lesquelles
tel
dossier
prend
plus
longtemps
à
analyser,
pourquoi
tel
autre
est
refusé.
La
newsletter
retrace
aussi
l’actualité
en
matière
de
KYC-‐AML
(une
condamnation
par
un
régulateur,
l’adoption
d’une
nouvelle
KYC
policy),
en
particulier
si
ces
évolutions
impactent
le
travail
de
l’équipe.
Le
stage
ne
durant
que
deux
mois,
je
n’ai
eu
le
temps
que
de
sortir
trois
newsletters,
et
de
laisser
la
quatrième
en
préparation.
Concernant
le
site
web
interne,
j’ai
préparé
une
section
‘Frequently
Asked
Questions’
sur
le
KYC
et
la
lutte
anti-‐blanchiment,
à
partir
des
sites
FAQ
d’autres
banques
et
des
questions
que
nous
posent
souvent
les
Sales
par
mail
recensés
auprès
des
membres
de
l’équipe.
Cette
mission
de
communication
que
j’assure
durant
mon
stage
est
valable
non
seulement
depuis
l’équipe
KYC
vers
BUF
et
en
particulier
le
Front
Office,
mais
aussi
de
l’extérieur
vers
l’équipe
KYC-‐AML.
Ainsi,
je
dois
rapporter
à
l’équipe
certains
événements
auxquels
ils
ne
peuvent
assister
du
fait
de
leur
charge
de
travail,
pour
qu’ils
«
soient
au
courant
de
ce
qui
se
passe
»,
toujours
selon
cette
volonté
d’enraciner
leur
travail
au
plus
proche
de
la
réalité
mouvante
de
BUF
et
du
secteur
en
France.
Un
des
principaux
événements
que
j’ai
du
couvrir
à
été
le
Global
Compliance
Seminar,
c’est-‐à-‐
dire
la
réunion
annuelle
de
tout
les
responsables
du
personnel
de
Conformité
de
BUF
dans
le
monde,
sur
trois
jours
à
Paris.
Ironiquement,
alors
que
le
personnel
travaillant
dans
la
Conformité
sur
d’autres
sites
de
BUF
dans
le
monde
s’est
rendu
exprès
à
Paris
pour
l’occasion,
Marie,
Clément
et
les
autres
n’ont
pu
assister
qu’à
une
ou
deux
interventions,
souvent
sur
leur
temps
de
déjeuner,
et
on
m’a
demandé
d’assister
à
la
totalité
et
d’en
faire
un
compte
rendu.
C’est
à
cette
occasion
que
j’ai
pu
échanger
avec
d’autres
personnes
chargées
de
la
Conformité
à
différents
niveaux,
dans
différents
pays,
et
que
j’ai
pu
prendre
des
notes
des
discours
officiels
tenus
par
Monsieur
Darrell,
(le
Responsable
de
la
Conformité
un
niveau
mondial
pour
l’ensemble
du
groupe
BUF,
il
est
britannique)
mais
aussi
par
Monsieur
Chambertin
(Responsable
AML
que
j’avais
vu
souvent
en
réunion
restreinte
sur
des
dossiers
précis),
parmi
beaucoup
d’autres,
ainsi
que
par
le
PDG
de
BUF
lors
de
l’ouverture
du
séminaire.
Autre
tâche
importante
à
laquelle
il
m’a
été
demandé
une
participation
importante
était
la
préparation
de
l’audit
du
régulateur
britannique.
Avec
Clément
en
particulier,
nous
avons
préparé
l’information
nécessaire,
et
préparé
les
supports
296
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
powerpoint
et
papier
qui
seraient
utilisés.
C’est
à
cette
occasion
que
j’ai
beaucoup
travaillé
à
retracer
l’évolution
de
la
cellule,
que
nous
avons
produit
des
mesures
de
leur
performance,
et
que
j’ai
rédigé
une
première
version
de
ce
qui
devait
devenir
le
KYC-‐
AML
Handbook,
en
m’inspirant
du
Sales
Handbook
pour
la
forme
d’une
part,
et
des
différentes
policies
d’autre
part.
Ce
document
devait
servir
de
référence
à
toute
nouvelle
personne
qui
arriverait
dans
le
service,
puisqu’il
explique
le
fonctionnement
de
l’équipe,
les
procédures,
les
objectifs.
Cette
première
version
a
été
envoyée
à
une
première
révision
au
moment
où
j’ai
fini
ma
période
de
stage,
mais
avait
déjà
été
présentée
lors
de
l’audit
de
la
FSA.
Enfin,
je
suivais
de
près
certains
dossiers
KYC
tout
au
long
du
processus,
depuis
leur
création
jusque
leur
approbation/refus
par
Monsieur
Chambertin.
Chacun
un
polar
à
part
entière,
dont
les
pièces
du
puzzle
se
composaient
au
fur
et
à
mesure
que
les
mails
du
Sales
arrivaient
avec
ou
sans
les
pièces
demandées
au
client,
les
réunions,
les
recherches
sur
les
bases
de
données,
logiciels
et
sur
internet.
Il
était
en
particulier
très
intéressant
de
voir
le
rapport
qu’avaient
les
analystes
à
ces
dossiers,
de
voir
leur
raisonnement,
comment
ils
procédaient
à
l’analyse
et
prenaient
des
décisions.
Il
en
sera
largement
question
dans
les
chapitres
suivants.
Parmi
les
tâches
de
moindre
importance,
on
m’a
également
confié
des
travaux
de
traduction
vers/de
l’anglais,
ou
encore
de
l’espagnol
(sur
des
dossiers
en
provenance
de
l’Amérique
Latine
par
exemple).
Parfois
même,
on
m’a
demandé
d’établir
des
«
fiches
pays
»,
par
exemple
sur
le
Venezuela,
afin
de
rassembler
dans
un
document
les
informations
pertinentes
qui
puissent
permettre
à
un
analyste
avec
la
demande
d’une
contrepartie
basée
dans
ce
pays
d’identifier
rapidement
les
risques
potentiels
spécifiques
(situation
politique
du
pays,
degré
de
collaboration
avec
le
GAFI,
cas
notoires
de
blanchiment
d’argent
dans
le
passé,
éléments
importants
de
la
législation
locale...).
En
effet,
la
majorité
de
la
documentation
existante
est
en
espagnol,
ce
qui
demande
un
travail
de
traduction
supplémentaire
avant
de
pouvoir
traiter.
Une
différence
fondamentale
d’avec
la
période
précédente,
fut
le
fait
d’avoir
accès
à
la
«
boite
commune
»
de
l’équipe,
c’est-‐à-‐dire
la
boîte
de
réception
email
de
tous
les
emails
de
demandes
qui
arrivaient
à
l’équipe,
et
qui
étaient
ensuite
répartis
parmi
les
membres.
Ceci
m’a
donc
permis
de
suivre
tous
les
mails
envoyés
et
reçus
par
l’équipe
durant
cette
période,
et
de
voir
qui
‘se
mettait
sur
quel
dossier’,
‘qui
prenait
quoi’
etc.,
et
comment
ils
se
répartissaient
le
travail.
J’avais
aussi
mon
adresse
mail
personnelle
«
mon_nom@buf-‐bi.fr
»,
et
je
pouvais
participer
à
ces
échanges
par
courriel
et
aussi
par
le
système
de
messagerie
instantanée
interne,
à
travers
laquelle
il
était
parfois
plus
facile
pour
certains
de
parler
avec
moi.
Même
si
tout
le
monde
sait
que
cette
297
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
messagerie
est
contrôlée
par
la
direction,
il
était
facile
de
s’exprimer
par
chat,
en
langage
«
sms
»,
de
faire
des
petites
remarques
(ironiques
par
exemple)
en
parallèle
d’un
coup
de
fil
sur
le
haut
parleur
qu’on
entendait
tous,
ou
suite
à
une
réunion,
ou
pour
accorder
d’aller
faire
une
pause
café.
J’étais
donc
vraiment
intégrée
à
l’ensemble
des
activités
de
l’équipe.
5.3.2.
EVOLUTION
DE
L’EQUIPE
L’équipe
a
connu
de
nombreux
changements
pendant
mon
absence,
comme
me
l’ont
bien
dit
Christian
et
Yoan
à
mon
arrivée
pour
cette
deuxième
période.
Elle
s’est
notamment
agrandie
en
effectifs
afin
de
pouvoir
faire
face
à
l’augmentation
de
la
charge
de
travail
liée
à
l’intégration
européenne
et
leur
prise
en
charge
des
dossiers
KYC-‐AML
de
l’Angleterre,
l’Espagne,
l’Allemagne,
mais
aussi
l’Europe
de
l’Est.
Par
ailleurs,
Elise
est
donc
effectivement
partie
de
l’équipe,
mais
d’autres
personnes
sont
arrivées
:
• Tania,
la
stagiaire
qui
s’occupe
des
communications
internes.
D’origine
d’Europe
de
l’Est
comme
Odette,
elle
fait
ce
stage
de
deux
mois
dans
le
cadre
de
sa
maîtrise
de
droit.
Elle
part
à
la
fin
du
mois
de
septembre,
quelques
jours
seulement
après
mon
arrivée,
le
temps
de
me
briefer
sur
ce
qu’elle
a
fait
pour
que
je
puisse
poursuivre.
• Aline,
intérimaire,
qui
s’occupe
de
MIFID.
Française,
elle
a
au
préalable
travaillé
dans
plusieurs
banques
au
Luxembourg.
Très
sportive,
mais
aussi
d’une
grande
curiosité
intellectuelle
et
ayant
une
auto-‐réflexion
sur
son
travail,
c’est
elle
qui
me
conseillera
la
lecture
de
Les
Sentinelles
de
l’Argent
Sale
(Favarel-‐Garrigues
et
al.,
2009).
• Cassandra,
ancienne
du
département
Conformité,
s’occupera
aussi
de
MIFID
en
tant
que
remplaçante
d’Elise.
Elle
aura
parfois
du
mal
à
s’adapter
à
sa
nouvelle
fonction
d’analyste
KYC,
en
particulier
à
gérer
la
pression
des
Sales,
à
laquelle
elle
n’était
pas
habituée
car
elle
n’avait
pas
de
contact
avec
le
Front
Office
auparavant
depuis
le
département
Conformité.
• Max
et
Jean,
qui
ont
été
recrutés
en
intérim
pour
aider
Clément
dans
ses
fonctions
de
contrôle
des
transactions
interdites
(post-‐trade
contracts),
«
les
nouveaux
gendarmes
»,
dit
Christian,
«
avec
eux,
ça
rigole
pas
!
Enfin,
ils
sont
très
sympas,
tu
verras
».
Je
n’aurais
que
très
peu
de
contact
avec
eux
car
ils
n’ont
qu’une
fonction
déléguée
du
travail
de
Clément
(ne
font
pas
d’analyse
KYC),
mais
aussi
en
particulier
car
Max
partira
pour
un
autre
travail
à
Londres
dans
298
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
une
autre
banque
peu
de
temps
après
mon
arrivée
et
Jean,
très
discret,
mange
rarement
avec
l’équipe.
• Nesrine,
en
CDD
pour
6
mois
en
KYC
et
MIFID,
elle
aussi
a
bénéficié
de
la
mobilité
interne
à
BUF.
Elle
était
préalablement
en
contrat
dans
la
partie
Asset
Management
de
BUF.
Un
fort
caractère,
elle
a
du
répondant
intense
au
téléphone
avec
les
Sales.
Mon
bureau
est
juste
en
face
du
sien.
(Extrait
20
septembre
2010)
:
«
A
mon
arrivée,
ni
Natalie,
ni
Francis
ni
Julien
ne
sont
là.
Julien,
n’ayant
pas
pris
de
congés
pendant
l’été,
est
en
vacances.
Natalie
et
Francis
ont
été
recrutés
en
CDI
et
sont
aujourd’hui
en
journée
d’intégration.
Je
m’installe
à
mon
bureau,
et
commence
les
diverses
étapes
«
d’installation
»
:
création
de
mots
de
passe
pour
accéder
aux
divers
services,
signature
des
chartes
de
déontologie
et
de
respect
des
règles
de
confidentialité
pour
la
boîte
mail
etc.
On
me
donne
quelques
fournitures,
et
on
commence
aussi
la
procédure
pour
avoir
mon
badge
d’accès.
Pendant
ce
temps,
le
téléphone
commence
à
sonner
à
son
rythme
habituel,
on
entend
les
conversations
avec
les
Sales
et
le
tapotement
sur
les
claviers
des
membres
de
l’équipe,
élargie,
et
en
quelque
sorte
d’avantage
reconnue
au
sein
de
la
banque.
Cette
reconnaissance,
l’équipe
en
témoigne
par
une
plus
grande
fierté
et
assurance,
perceptible
dans
des
commentaires
isolés,
et
elle
est
concrètement
visible
dans
l’attribution
de
locaux
plus
grands
et
exclusivement
dédiés
à
la
cellule
KYAC-‐AML,
dans
la
titularisation
de
2
personnes
en
CDI
et
le
recrutement
de
plusieurs
autres
qui
permet
de
doubler
les
effectifs
de
l’équipe
telle
que
je
l’avais
connue
avant
l’été.
»
Durant
la
période
de
stage,
d’autres
changements
ont
eu
lieu.
Julien,
dont
les
échanges
ont
été
parmi
les
plus
riches
durant
la
phase
1
a
décidé
de
quitter
BUF
suite
au
fait
que
la
hiérarchie
de
Marie
a
refusé
sa
demande
de
passer
en
CDI,
comme
ils
ont
accepté
pour
Francis
et
Nathalie.
Ainsi,
n’ayant
pas
de
possibilités
de
carrière
clairs
au
sein
de
BUF,
il
était
encore
là
jusqu’en
novembre,
mais
amer,
posant
tous
ses
congés,
faisant
le
strict
minimum,
des
horaires
de
bureau
stricts,
clôturant
ses
dossiers
en
cours
et
réduisant
au
maximum
les
contacts
sociaux
avec
le
reste
de
l’équipe.
Il
ne
mangeait
presque
jamais
avec
nous
à
la
cantine,
ni
ne
participait
pas
aux
pauses
café,
ni
aux
pots
et
n’a
pas
voulu
avoir
un
pot
de
départ
pour
lui.
Max
aussi
est
parti
vers
la
mi-‐octobre,
ayant
trouvé
une
opportunité
à
Londres
;
je
l’ai
donc
côtoyé
très
peu.
D’une
manière
générale,
l’ambiance
au
sein
de
l’équipe
restait
très
bonne,
mais
moins
«
clanique
»
que
lors
de
la
phase
1-‐A,
probablement
du
fait
qu’ils
étaient
devenus
plus
nombreux,
et
donc
la
subdivision
en
petits
groupes
diluait
un
peu
cette
sensation
de
cohésion.
Cependant,
elle
était
beaucoup
plus
performante,
et
restait
fortement
ancrée
sur
une
coopération
299
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
soutenue
entre
ses
membres
sur
les
dossiers,
et
en
particulier
lors
des
réunions
avec
d’autres
acteurs.
Au
delà
des
membres
de
l’équipe,
celle-‐ci
a
connu
d’autres
changements
non
négligeables
et
qui
impacteront
beaucoup
leur
situation,
et
par
la
même
occasion,
ce
travail.
L’équipe
a
vécu
un
moment
très
particulier
durant
les
neuf
mois
que
je
faisais
mon
étude.
Il
vaut
la
peine
de
mentionner
et
de
caractériser
ce
«
contexte
particulier
»
car
il
a
déterminé
à
un
certain
niveau
l’ambiance
de
l’équipe,
les
changements
qu’elle
traversait,
et
redéfinissaient
leur
métier,
leur
quotidien,
leurs
fonctions.
D’une
part,
BUF
était
en
train
de
restructurer
le
département
Conformité
pour
être
plus
efficace
et
«
faire
du
business
propre
»,
d’après
un
mot
de
Marie.
Au
sein
de
l’unité
spécifiquement
dédiée
à
l’Anti-‐
blanchiment,
dirigée
par
Monsieur
Chambertin,
une
autre
sous
unité
a
été
crée
pour
traiter
exclusivement
des
problématiques
KYC
(durant
l’été
2010),
sous
la
direction
de
Monsieur
Touraine.
Elise,
qui
faisait
partie
de
l’équipe
durant
le
Phase
1-‐A,
est
partie
travailler
dans
l’équipe
de
M.
Touraine,
et
en
échange,
c’est
Cassandra
qui
est
venue
rejoindre
l’équipe
KYC-‐AML.
D’autre
part,
est
plus
important
encore,
notre
équipe
traversait
un
processus
de
professionnalisation
et
asseyait
progressivement
sa
légitimité.
Bien
qu’elle
reste
un
‘centre
de
coût’
(alors
que
normalement
le
Front
Office
est
censé
être
un
centre
de
profit,
par
rapport
au
Middle
et
Back
Office
qui
sont
eux
des
centres
de
coûts),
elle
était
de
plus
en
plus
valorisée
par
la
hiérarchie
directe
comme
un
réel
pôle
de
compétence
et
d’analyse
rattaché
au
Front
Office,
pour
la
protection
de
la
réputation
de
la
banque.
Leur
position
était
certes
délicate
car,
d’après
Julien
durant
la
phase
1-‐A,
ils
doivent
«
faire
la
police
et
moraliser
les
Sales
»,
qui
ne
comprennent
pas
et
font
tous
les
jours
beaucoup
de
pression
pour
que
l’équipe
KYC-‐AML
approuve
les
clients
avec
lesquels
ils
souhaitent
traiter
au
plus
vite.
Cependant,
cette
légitimité
était
visible
dans
les
moyens
croissants
déployés
pour
l’équipe
:
• renforcement
de
personnel
(au
cours
de
cette
période
de
neuf
mois
2
CDD
ont
été
transformés
en
CDI
et
il
y
a
au
moins
4
embauches
concrétisées,
plus
d’autres
en
cours),
• acquisition
de
progiciels
de
veille
coûteux,
• allocation
de
bureaux
exclusifs,
• et
même
un
soutient,
certes
limité
mais
qui
avait
le
mérite
d’exister,
pour
faire
plus
de
communication
sur
les
besoins
et
les
responsabilités
KYC-‐AML
auprès
du
Front
Office,
relayés
occasionnellement
par
M.
Montravel
comme
dans
cet
email
du
29.09.2010
:
300
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
« Objet : always check your counterparty KYC status prior to trading.
Dear
all,
it
is
mandatory
for
BUF-‐BI
to
control
the
reputation
of
its
counterparties
before
dealing
(AML
Laws).
We
have
to
respect
this
important
obligation
(…)
and
we
review
the
cases
where
the
transactions
are
booked
on
an
unauthorized
or
red
flag
counterpart.This
review
could
lead,
depending
on
the
severity
of
the
case
and
circumstances
to
loss
of
the
deal,
PNL
and/or
a
50K€
penalty
and
an
individual
sanction.
This
policy
will
be
fully
enforced
starting
end
of
september.
(…)»
5.3.3.
CONTEXTE
L’ambiance
était
en
général
tendue
par
la
quantité
de
travail,
et
l’absence
de
Marie
durant
son
opération
chirurgicale
et
convalescence
au
début
de
mon
stage
qui
empêchait
l’avancement
de
certains
dossiers
sensibles.
(Extrait
journal
20
septembre
2010)
:
-‐
(Clément)
:
c’est
déjà
l’heure
d’aller
manger
et
je
n’ai
encore
rien
fait.
J’ai
enchaîné
une
réunion
de
9h
à
10h,
puis
une
autre
de
10
à
11,
et
depuis,
le
téléphone
n’arrête
pas
de
sonner.
-‐
(Christian)
:
les
choses
ont
bien
changé
depuis
que
tu
es
partie.
Là
c’est
bon,
on
a
effectivement
récupéré
l’Espagne
et
l’Allemagne.
Tout
quoi,
sauf
les
Etats
Unis.
Les
demandes
n’arrêtent
pas
d’arriver.
-‐
Et
l’audit
de
la
commission
?
on
sait
déjà
quand
elle
aura
lieu
?
-‐
(Clément)
:
Non
pas
encore.
Je
pense
qu’on
le
saura
à
la
dernière
minute.
Aujourd’hui,
je
ne
sais
pas
si
tu
as
vu,
mais
il
y
a
l’audit
de
l’AMF
qui
a
commencé
dans
la
salle
à
côté
des
bureaux,
jusqu’à
fin
octobre.
[Effectivement,
il
y
avait
la
pancarte
sur
la
porte
fermée
de
la
salle
qui
habituellement
est
une
salle
de
réunions
:
«
Inspection
AMF.
Du
20
septembre
au
30
Octobre
».
Mais
qui
durant
la
période
de
mon
stage
ne
concernera
malheureusement
pas
l’équipe
KYC-‐AML.
]
Au
milieu
de
l’après-‐midi,
M.
Touraine
vient
nous
présenter
M.
Edwin,
du
bureau
Compliance
de
BUF
à
Londres.
Il
travaille
sur
le
Bribery
Act
en
Angleterre,
et
sur
comment
le
transposer
dans
les
policies
de
BUF.
Il
discute
quelques
minutes
avec
chacun
d’entre
nous
pour
faire
connaissance,
car
il
doit
préparer
pour
nous
une
formation
sur
la
rédaction
des
mémos
à
destination
du
département
Compliance
de
Londres.
Dans
ma
boite
mail,
je
commence
à
recevoir
les
diverses
communications
que
reçoit
toute
l’équipe.
Et
bien
que
je
ne
fasse
pas
ma
thèse
sur
les
questions
de
développement
durable,
je
suis
contente
de
voir
que
désormais,
dans
les
mails,
on
voyait
s’afficher
automatiquement
le
message
suivant:
«
Think
of
the
environment
before
printing
this
message
/
Pensez
à
l'environnement
avant
d'imprimer
ce
message
»
301
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
Jusqu’à
la
fin
de
ma
période
de
stage,
M.
Lalande
a
donné
des
signes
répétés
d’être
peu
concerné
par
les
questions
de
CC
et
de
LAB,
et
même
cherchant
–doucement
mais
surement
–
de
minimiser
le
‘bruit’
qu’ils
pouvaient
faire
au
sein
du
Front
:
(Mail
du
18.11.2010
à
11h40
de
M.
Lalande
à
Clément
qui
demandait
son
retour
sur
un
draft
pour
une
communication
à
l’ensemble
de
la
ligne
métier
sur
la
nouvelle
organisation
approuvée)
«
Clément,
bjr.
Pourquoi
a
t
on
besoin
de
communiquer
sur
ce
sujet
en
fait
?
à
la
limite
c’est
neutre
pour
nous
front
officers,
right
?
Merci
!
»
(Réponse
de
Clément,
12h17,
restée
sans
réponse
à
mon
départ)
«
Bonjour.
Effectivement
pour
le
Front
le
process
ne
change
pas.
D’un
autre
côté
:
-‐
le
CCO
avait
recommandé
qu’on
communique
sur
la
nouvelle
orga
-‐
dire
qu’il
y
a
un
step
en
moins
dans
le
processus
pour
les
Med
High
et
High
est
un
message
positif
à
envoyer
au
Front
-‐
c’est
aussi
l’occasion
de
réexpliquer
tous
les
maillons
de
la
chaîne
(c’est
plutôt
opaque
pour
le
Front,
c’est
en
tout
cas
le
feedback
qu’on
continue
à
avoir).
A
ta
disposition
pour
en
reparler.
Cordialement.
»
302
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
Je
me
rends
compte
que
l’intégration
européenne
n’a
pas
été
sans
difficultés,
et
que
les
tensions
sont
très
vives
à
ce
sujet.
La
charge
de
travail
a
été
démultipliée,
et
les
Front
Officers
mettent
une
pression
encore
plus
forte
au
moindre
délai.
Voici
quelques
exemples
isolés,
pris
dans
plusieurs
conversations
de
ce
début
de
stage
:
-‐
(Yoan)
[Durant
l’été,
juste
après
l’intégration
définitive]
on
a
eu
trois
jours
de
folie.
Tout
le
monde
partait
en
vacances
et
les
demandes
n’arrêtaient
pas
d’arriver.
Une
contrepartie
en
Moldavie.
«
Tu
me
valide
ça
en
un
jour
?
»
allez,
oui,
pour
toi,
je
peux
pusher
the
green
button
!
-‐
(Christian)
Le
Front
Officer
a
un
peu
forcé
la
main
sur
ce
coup
là,
quand
même.
Il
a
mit
tout
le
top
management
en
copie
du
dernier
mail,
et
puis
là
en
arrivant
il
me
dit
«
de
toutes
façons
ça
a
été
validé
vendredi
»,
en
gros
«
débrouille-‐toi
pour
compléter
le
KYC
parce
que
de
toutes
façons
c’est
déjà
validé
».
Je
ne
sais
pas
comment
il
a
fait
d’ailleurs,
il
a
contourné
et
mis
la
pression
je
ne
sais
comment
ni
sur
qui.
Et
moi
je
me
retrouve
devant
un
Front
Officer
qui
se
lave
complètement
les
mains
sur
le
dossier,
de
toutes
façons
il
a
déjà
obtenu
ce
qu’il
voulait
et
il
peut
traiter
librement,
qui
ne
répond
plus
au
téléphone
ni
à
mes
mails,
et
moi
j’ai
un
mémo
à
faire
!
-‐
(Nathalie)
la
nana
me
réponds
:
comment
je
peux
me
permettre
de
demander
la
liste
des
shareholders
d’un
fonds
caymanais
?
-‐
(Christian,
répond
à
Nathalie
en
plaisantant)
bah
oui,
franchement,
elle
a
raison
?
tu
oses
demander
ça
toi
?
(rires)
Le
ton
comme
d’habitude
du
Front
:
«
C’est
un
problème
d’organisation,
toujours
le
KCY
»
bla
bla
bla.
Tout
ce
qu’ils
voient
c’est
«
KYC
bloque
le
dossier
».
Ca
m’agace
!
Au
début
je
suis
surprise
que
personne
ne
mentionne
l’audit
de
l’AMF,
ni
de
la
commission
bancaire.
Ce
qui
faisait
tant
de
bruit
et
faisait
l’objet
de
tant
de
menaces
avant
l’été
semble
désormais
ne
plus
faire
partie
des
préoccupations,
du
moins
prioritaires.
Apparemment,
l’équipe
ne
fera
pas
partie
des
services
qui
seront
audités
cette
fois-‐ci.
En
revanche,
il
y
a
un
audit
qui
n’était
pas
prévue
avant
l’été
et
qui
inquiète
tout
le
monde
:
le
régulateur
britannique,
la
FSA,
lors
de
la
reprise
des
dossiers
de
Grande
Bretagne
désormais
centralisés
par
l’équipe
à
Paris
n’est
pas
du
tout
convaincue
par
le
design
organisationnel
qui
situe
l’équipe
au
sein
même
du
Front
Office
et
doute
de
sa
capacité
à
rester
indépendante.
Ce
sera
une
des
préoccupations
centrales
durant
ma
période
de
stage,
en
plus
du
suivi
de
l’intégration
européenne,
de
l’élargissement
des
effectifs
de
l’équipe,
et
les
analyses
de
dossiers.
Par
ailleurs,
l’équipe
KYC-‐AML
Paris
a
progressivement
centralisé
le
travail
d’analyse
KYC-‐AML
pour
la
ligne
métier
MM
des
bureaux
européens
de
la
banque
d’investissement
de
BUF.
L’intégration
européenne
s’est
préparée
lentement
mais
303
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
sûrement.
Ils
ont
commencé
avec
le
desk
Italie
qui
a
servi
comme
test,
comme
pilote
depuis
novembre
2009.
Ceci
a
parfois
provoqué
des
malentendus
au
sein
de
l’équipe,
où
les
membres
autres
que
Nathalie,
qui
en
était
responsable
car
elle
parlait
italien,
ne
savaient
pas
s’ils
devaient
intervenir
comme
sur
les
dossiers
français
ou
pas.
La
diplomatie
et
la
prudence
étaient
de
rigueur
pour
éviter
des
«
gaffes
».
(Natalie,
6
mai
2010)
On
est
confrontés
à
une
différence
de
législation
au
niveau
local
qui
pose
un
certain
nombre
de
problèmes.
Pour
l’Italie,
en
plus
on
a
eu
un
changement
de
législation
début
2010,
qui
est
actuellement
en
analyse
chez
la
Conformité-‐Milan
pour
voir
comment
on
va
l’intégrer
concrètement.
Quand
on
a
commencé
l’intégration,
je
me
suis
rendue
compte
que
le
Front
là-‐bas
ne
savait
rien
du
workflow,
qu’ils
ne
l’utilisaient
pas,
ils
ne
savaient
pas
comment
remplir
une
fiche
d’ouverture
pour
un
nouveau
client.
J’y
suis
allée
une
fois,
mais
sinon
je
fais
la
plupart
des
choses
à
travers
mon
interlocuteur,
Massimiliano.
C’est
pas
facile.
C’est
même
assez
‘touchy’
comme
sujet.
Il
faut
gagner
la
confiance
des
Sales,
car
ils
sont
réfractaires
aux
nouveaux
interlocuteurs,
surtout
car
on
n’est
pas
sur
place,
et
en
plus
car
on
est
des
femmes58.
C’est
bien
des
italiens
ça.
Ils
veulent
qu’on
soit
présents,
rassurants,
qu’on
les
accompagne,
mais
sans
les
blesser
dans
leur
amour
propre
macho.
Ils
m’appellent
parfois
pour
un
rien,
dès
qu’ils
ont
un
doute
sur
la
catégorie
d’un
client
parmi
celles
proposées
par
le
workflow
etc.
dans
quelques
jours,
pour
Londres,
je
crois
que
ça
va
pas
être
facile
non
plus
!
Cette
intégration
test
du
desk
à
Milan
a
permis
à
l’équipe
de
prendre
des
repères
sur
les
points
les
plus
délicats
qu’ils
auront
à
aborder
lors
de
l’intégration
des
autres
pays.
Le
10
mai
ils
ont
repris
les
dossiers
de
Londres,
le
8
juin
ils
ont
intégré
l’Espagne
et
l’Allemagne,
et
durant
l’automne
ils
œuvraient
pour
la
centralisation
des
dossiers
asiatiques
(Tokyo,
Hong
Kong).
Cette
centralisation
a
été
voulue
par
la
Direction
en
raison
du
manque
de
compétences
(ou
l’inexistence)
des
équipes
KYC
dans
les
bureaux
en
Europe
et
le
manque
de
cohérence
interne
au
sein
de
la
banque
:
désormais
les
mêmes
exigences
en
termes
de
connaissance
client
seraient
requises
partout
selon
les
standards
Français,
plus
exigeants
du
point
de
vue
de
la
législation
que
dans
d’autres
pays.
Ainsi,
l’équipe
KYC-‐AML
centralisait
l’ensemble
des
dossiers
en
métant
la
barre
haut.
Cette
période
se
caractérise
aussi
par
une
plus
grande
mobilité
des
membres
de
l’équipe.
Chaque
semaine,
au
moins
deux
personnes
sont
en
déplacement
un
ou
deux
jours,
en
général
à
Londres,
mais
aussi
en
Allemagne,
et
un
long
voyage
de
10
jours
en
Asie
(Tokyo,
Hong
Kong)
pour
Marie
et
Clément.
58
Ce
sont
Nathalie
et
Marie
qui
ont,
pour
l’essentiel,
géré
le
pilotage
de
l’intégration
du
desk
Italie.
304
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
305
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
Dans
les
semaines
qui
ont
suivi
et
jusqu’en
février
de
l’année
2011,
j’ai
eu
un
échange
fréquent
de
mails,
et
je
suis
revenue
plusieurs
fois
aux
bureaux
de
BUF-‐BI
pour
faire
des
entretiens
supplémentaires.
J’ai
aussi
participé
au
«
dîner
de
fin
d’année
»,
organisé
dans
un
restaurant
parisien,
avec
un
échange
de
vœux
et
de
cadeaux
par
tirage
au
sort
au
sein
des
membres
de
l’équipe.
Le
sentiment
général
que
j’ai
eu
était
que
ma
présence
avait
été
appréciée
en
tant
qu’
«
observatrice
»
justement,
pour
documenter
ce
qui
se
passait
à
l’intérieur.
Il
n’était
pas
rare
qu’on
me
répète,
même
plusieurs
mois
après
la
fin
du
stage
«
j’aimerais
beaucoup
que
tu
reviennes,
il
se
passent
beaucoup
de
choses
intéressantes
»
(Marie,
au
téléphone,
février
2011).
Figure 24: Classification de nos données selon les préceptes méthodologiques de MacKenzie (2008)
Préceptes
Principaux
Exemples
Impacts
méthodologiques
des
SSF
niveaux
associés
1.
Facts
Matter
Radicalisation
de
la
pression
La
Crise
financière
réglementaire,
accusations,
Institutionnel
stigmatisation
des
banques
La
transposition
de
Temps
d’adaptation,
Institutionnel,
la
3e
Directive
transition,
résistances
dans
organisationnel
Européenne
AML
les
banques
L’équipe
devient
un
Centralisation
des
interlocuteur
central,
doit
dossiers
européens
Organisationnel
élargir
ses
compétences
par
l’équipe
à
Paris
légales
aux
nouveaux
pays
Audit
par
le
Légitimité
questionnée,
puis
Organisationnel
régulateur
(nov)
réaffirmée
de
l’équipe
2.
Actors
are
embodied
La
conformité
est
quelque
Dimension
du
chose
de
profondément
Individuel,
groupe
«
confort
»
incarné,
qui
se
sent
«
dans
les
tripes
»
Les
conditions
matérielles
du
Déjeuners,
machine
travail
sont
plus
ou
moins
mal
à
café,
refus
de
la
vécues.
Importance
accordée
Organisationnel,
porte
fermée,
peu
de
aux
pauses.
Stress
et
groupe,
individuel
someil
épuisement
de
certains
qui
ne
mangent
pas
et
dorment
peu
306
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
Préceptes
Principaux
Exemples
Impacts
méthodologiques
des
SSF
niveaux
associés
3.
Equipment
matters
Outils
qui
ne
sont
pas
neutres
Workflow,
bases
de
et
portent
à
une
Institutionnel
et
données
consultées,
catégorisation
du
risque
selon
organisationnel
KYC
Mémo
certains
critères
Architecture
des
Reflètent
une
organisation
organisationnel
bureaux
particulière
du
travail
4.
Cognition
and
calculation
Prise
de
décision
La
construction
relationnelle
Individuel,
groupe,
collective
et
du
risque,
des
catégories
organisationnel,
négociations
sur
les
institutionnelles,
le
travail
en
institutionnel
dossiers
équipe
5.
Actors
are
agencements
Les
outils
des
analystes
(logiciels,
L’impact
des
agencements
Individuel,
groupe,
dossiers,
workflow,
techniques
qui
influencent
les
organisationnel,
téléphone,
lois,
comportements
individuels
et
institutionnel
procédures
les
actions
entreprises
internes…)
6.
Classification
and
rule
Check-‐list
approach
Les
processus
de
vs.
risk-‐based
normalisation
vs.
Individuel,
groupe,
following
are
finitist
approach
et
la
problématisation,
de
organisationnel,
processes
manière
de
les
catégorisation
du
Même
et
de
institutionnel
implémenter
l’Autre
7.
Economics
does
things
Effet
de
Individuel,
groupe,
lien
entre
performation
et
catégorisation,
la
organisationnel,
normativité
zone
de
confort
institutionnel
8.
Innovation
isn’t
linear
Nouvelle
organisation
du
Innovation
dans
le
design
travail
à
faire
organisationnel
organisationnel
approuver
par
les
régulateurs
9.
Market
design
is
a
Ensemble
de
Ces
négociations
donnent
Organisationnel,
négociations
sur
les
forme
à
la
conformité
political
matter
institutionnel
dossiers
bancaire
au
sens
large
10.
Scales
aren’t
stable
Les
marges
de
lien
entre
performation
et
liberté
prises
par
Organisationnel,
normativité,
négociation
de
rapport
à
la
lettre
de
institutionnel
l’ordre
transnational
la
loi,
aux
listes…
A
présent
que
nous
avons
exposé
les
détails
de
notre
étude
terrain,
rappelons
nos
questions
opérationnelles
:
que
font-‐ils
et
dans
quelles
conditions
?
Comment
le
vivent-‐ils
?
Quels
sont
les
impacts
de
ce
qu’ils
font
?
Voilà
les
trois
questions
que
nous
allons
à
présent
explorer
en
profondeur,
en
dégageant
ainsi
les
dynamiques
aux
niveaux
organisationnel,
puis
individuel
et
enfin
institutionnel
de
l’éthique
comme
pratique
située.
Nous
en
tirerons
des
conséquences
pratiques
et
conceptuelles
de
cette
étude
du
travail
de
l’éthique
dans
la
conformité
bancaire
dans
et
par
l’articulation
systématique
de
ces
différents
niveaux.
307
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
59
Ce
chapitre
est
en
partie
tiré
de
deux
articles
:
1)
«
Serving
two
Masters
:
the
contradictory
organization
as
an
ethical
challenge
for
managerial
responsibility
»
co-‐ecrit
avec
Jean-‐Philippe
Bouillloud
et
Vincent
de
Gauléjac,
publié
au
Journal
of
Business
Ethics
en
2011,
et
2)
«
Mediation
as
an
organizational
competence
:
enabling
sustainable
practice
within
paradoxant
systems
»
co-‐
écrit
avec
Sébastien
Picard,
finaliste
au
Prix
Roland
Calori
lors
de
la
conference
AIMS
2012,
en
cours
de
réécriture
pour
soumission
à
un
journal.
308
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
problème
de
la
LAB,
qui
avec
les
marchés
financiers
ne
connaît
pas
de
frontières.
On
cherche
alors
à
imposer
des
normes
internationales,
mais
les
ambigüités
que
laissent
ces
normes
ouvrent
un
espace
pour
des
reformulations
nationales,
et
même
très
locales,
au
niveau
de
chaque
banque,
ou
presque
de
chaque
équipe
d’analystes
conformité.
Si
l’on
suit
son
historique,
on
voit
que
la
LAB,
sous
l’impulsion
de
la
culture
bancaire
suisse,
a
cherché
à
promouvoir
une
surveillance
indirecte
par
une
‘autorégulation
dirigée’
(Favarel-‐Guarrigues
et
al.
2009)
qui
rejette
l’externalisation
vers
les
régulateurs
(perçue
comme
une
ingérence)
et
vise
au
contraire
une
reformulation
interne
des
priorités.
S’occuper
de
la
LAB
est
devenu
une
problématique
essentielle
dans
la
gestion
des
risques,
en
particulier
de
réputation
mais
aussi
potentiellement
un
risque
d’implication
pénale.
Le
premier
objectif
pour
la
banque
est
donc
de
pouvoir
remplir
le
genre
de
documents
ci-‐dessous,
pour
obtenir
un
certificat
de
conformité
AML
:
SOCIETE GENERALE
Corporate & Investment Banking
Figure
25:
Document
en
vue
d'obtenir
un
certificat
de
conformité
AML
To : Gary O'Brien
Fund Administrator
PFPC International Ltd
Riverside Two
Sir John Rogersons Quay
Dublin 2, Ireland
Date 12/12/2006
Banque'
Re : SOCIETE GENERALE
We confirm that we are subject to thè provisions of thè Loi du 12 juillet 1990 et 29 janvier 1993 (Titre VI du Code
Monétaìre et Financier : Obligations relatives a la lutte contre le blanchiment des eapitaux (articles L561-1 et
suivants)) et loi du 13 mai 1996 (art 324-1 du Code penai), (« AML Regulations ») and are regulated by
COMMISSION BANCAIRE in respect of thè prevention of money laundering. We confirm that we have piace
policies and procedures that meet or exceed thè requirements imposed by these AML Regulations.
We confirm that we have verified thè identity of ali our customer(s) for whom we have purchased Man
products. If thè customer is not an individuai, this includes its beneficiai owner(s). We hold evidence of that
identity and will retain that evidence until further notice. We wili previde coples of such evidence to you if
requested to do so.
We confirm that to thè best of our knowledge and belief, after due inquiry, we are unaware of any aspects
arising from our customer(s)' activities which would lead us to suspect that they might be involved in
money laundering.
Our customer(s) (and if not an individuai, its beneficiai owner(s)) are not specifìcally designated nationals
and blocked persons as identified on thè list maintained by thè US Office of Foreign Asset Contro! (which
may be found at http://www.ireas.qov:ofac).
The above information's given in thè strictest confidence and may only be relied upon by you.
Autnorised Signatory
Signature
Mr. Frédéric MANE
''osition Head of Back-office Equm'es Settlement
Date 1 2Ih December 2006
309
Société Generale
Tour Société Generale
92987 Paris
La Défense Cédex
France
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
Ainsi,
il
est
très
clair
que
la
première
chose
qu’on
demande
à
l’équipe
de
faire
est
de
trouver
les
moyens
de
gérer
ce
risque,
afin
‘éviter
d’avoir
des
problèmes’,
comme
leur
a
clairement
dit
M.
Lalande
lors
de
la
réunion
du
23
avril:
(21
Avril)
«
Avec
tout
ça,
on
peut
pas
dire
qu’on
est
une
fonction
support.
Il
faut
toujours
avoir
à
l’esprit
une
cartographie
des
risques
pour
faire
un
KYC
adapté
au
cas
par
cas.
Même
si
le
KYC
est
obligatoire
pour
tous
les
clients
et
les
intermédiaires,
ça
n’est
pas
toujours
le
même
niveau
de
diligence.
On
fait
de
l’analyse
poussée
et
on
a
une
responsabilité
individuelle
pénale
qui
peut
aller
jusqu’à
5
ans
de
prison
et
750
000
euros
d’amende
si
on
laisse
passer,
volontairement
ou
involontairement,
un
client
avec
lequel
on
passe
une
transaction
qui
donne
lieu
à
du
blanchiment
d’argent.
On
est
donc
maintenant
-‐
finalement
!
-‐
considérés
comme
faisant
partie
des
analystes
du
risque
opérationnel.
BUF
est
réputée
pour
être
une
des
plus
pénibles
sur
la
place
de
Paris,
et
on
nous
accuse
en
disant
que
«
ce
ne
sont
pas
des
pratiques
de
marché
».
[Elle
s’énerve
un
peu
et
monte
le
ton]
Mais
on
s’en
fou
des
pratiques
de
marché
!
C’est
une
question
règlementaire,
point
!
Même
si
en
2003
beaucoup
ici
ont
râlé,
aujourd’hui
ils
sont
bien
contents
que
le
Compliance
Officer
ait
dit
un
non
catégorique
pour
[une
contrepartie
qui
a
ensuite
commis
une
des
plus
grandes
escroqueries
connues]
!
»
Gérer
le
risque,
c’est
leur
raison
d’être
au
sein
de
BUF-‐BI,
leur
identité
professionnelle
en
tant
qu’analystes
de
la
conformité
LAB.
Sans
qu’il
y
ait
un
code
professionnel
explicite
de
cette
profession
jeune,
gérer
le
risque
–
LAB
bien
entendu,
mais
aussi
et
peut-‐être
surtout
de
réputation
–
est
ce
pour
quoi
ils
sont
payés,
la
raison
pour
laquelle
leur
unité
existe.
Mais
pas
uniquement.
310
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
6.1.1.2.
Ce
qu’on
leur
demande
de
faire
:…
tout
en
optimisant
le
profit
Le
deuxième
impératif
auquel
ils
sont
soumis,
implicite
dans
le
propos
de
M.
Lalande
et
omniprésent
chaque
jour
dans
leur
travail,
est
celui
d’optimiser
le
profit,
de
ne
pas
entraver
par
leur
travail
les
fameuses
‘pratiques
de
marché’.
En
novembre
2010,
vers
la
fin
de
la
période
2-‐A,
voici
deux
images
qui
faisaient
partie
de
la
présentation
powerpoint
(BUF-‐BI-‐FO3)
faite
par
M.
Blanc,
le
responsable
de
l’unité
chargée
de
la
gestion
des
clients
de
la
Ligne
Métiers
MM,
et
responsable
hiérarchique
direct
de
Marie
ainsi
que
des
Sales.
Figure
26:
BUF-‐BI-‐FO3
slide
'huiler
la
Figure
27:
BUF-‐BI-‐FO3
slide
'Happy
Sales'
machine'
5;x!:s%,;;>fe
;:;,:;;:::
^o^^^y^^
HAPPY SALES!
Le
message
est
clair
:
l’équipe
KYC-‐AML,
en
tant
que
composante
de
cette
unité,
doit
contribuer
à
‘huiler
la
machine’
(3è
slide
de
la
présentation)
afin
que
l’ensemble
de
processus
d’onboarding
des
clients
aboutisse
à
des
primes
pour
des
‘vendeurs
heureux’
(dernier
slide
conclusif
de
la
présentation).
311
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
risques
comme
étant
trop
bureaucratique,
pesante
et
largement
inutile.
Cette
équipe
est
donc
sommée
de
faire
leurs
dossiers
le
plus
vite
possible
:
-‐
(Christian)
Ici,
tout
est
urgent.
Après
il
faut
tout
mesurer
en
degrés
d’urgence.
La
clé
c’est
le
Front
Officer,
car
il
est
en
contact
avec
le
client
potentiel.
Mais
avant
de
pouvoir
traiter,
la
contrepartie
doit
être
approuvée.
Les
sales
mettent
donc
beaucoup
de
pression
sur
l’équipe
KYC
afin
qu’on
investigue
et
qu’on
valide
vite
le
client
pour
pouvoir
traiter
avec
lui.
Si
le
Front
Officer
a
l’habitude,
il
va
essayer
d’obtenir
en
amont
tous
les
documents
nécessaires
auprès
du
client
pour
nous
les
transmettre.
-‐
Combien
de
temps
dure
le
processus
de
validation
?
-‐
Ça
peut
aller
très
vite.
Il
y
a
des
dossiers
qui
sont
approuvés
en
2h,
mais
d’autres
peuvent
rester
6
mois
chez
nous
car
c’est
des
dossiers
«
sensibles
».
Après,
les
clients
mettent
plus
ou
moins
de
la
bonne
volonté
pour
nous
fournir
les
documents,
ça
peut
prendre
du
temps.
312
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
Leur
hiérarchie
au
Front
Office
(Monsieur
Blanc
est
un
ancien
Sales
lui-‐même)
leur
mettait
également
une
forte
pression
par
rapport
à
ça
et
les
accuse
si
un
Sales
a
–
contre
les
règles
–
booké
un
contrat
à
travers
le
bureau
aux
Etats-‐Unis
de
BUF-‐BI
(davantage
“business
oriented”)
parce
que
l’équipe
de
Marie
a
été
jugée
«
trop
lente
»
et
la
transaction
était
compromise.
(Extrait
du
journal,
26.10.2010)
Aline
était
restée
jusqu’à
20h
le
vendredi
soir
à
attendre
que
le
Sales
lui
envoie
les
documents
pour
finaliser
son
‘deal
urgent’.
Elle
lui
a
même
laissé
son
portable
personnel
si
pendant
le
weekend
il
avait
des
nouveautés
pour
l’aider
à
traiter
rapidement.
Mais
le
lundi
à
8h,
toujours
pas
de
nouvelles.
Par
contre,
Marie
avait
un
email
le
mardi
de
M.
Blanc
:
«
On
s’est
encore
plaint
de
l’inefficacité
de
ton
équipe.
Le
Sales
avait
un
deal
urgent,
et
comme
ton
équipe
était
trop
lente,
il
l’a
envoyé
à
compliance
USA
et
a
pu
traiter
dans
la
soirée
même.
Chez
toi
ça
prenait
trop
de
temps,
et
hier
il
est
venu
se
plaindre
car
ça
lui
a
presque
fait
perdre
le
deal.
En
voyant
ta
liste,
je
comprends
que
le
Sales
aille
voir
ailleurs
».
Marie
était
furieuse,
et
Aline
effondrée.
-‐
(Marie)
A
chaque
fois
c’est
la
faute
à
KYC.
Si
le
client
se
plaint
c’est
la
faute
à
KYC,
alors
qu’Aline
est
restée
jusqu’à
tard
pour
que
ce
con
contourne
et
aille
valider
son
truc
aux
US.
Dejà
d’après
la
doc
incomplète
qu’avait
Aline,
c’était
pourri,
et
il
est
parti
de
l’autre
côté
de
l’Atlantique
car
on
ne
lui
demandait
pas
d’autres
doc,
comme
d’hab
ils
ferment
les
yeux
pour
appuyer
sur
le
bouton.
Mais
en
plus,
il
ne
dit
rien,
le
mec,
il
contourne,
rentre
tranquille
chez
lui,
et
Aline
pendant
ce
temps
elle
attend.
Et
après,
c’est
nous
qui
ne
sommes
pas
professionnels
!
M.
Blanc
ne
va
jamais
gueuler
sur
eux,
et
par
contre
ça
gueule
sur
nous
tous
les
jours
car
ils
ne
cherchent
pas
à
comprendre,
on
n’est
qu’un
prestataire
de
service.
Donc,
au
lieu
de
réprimander
le
Sales
qui
a
suivi
cette
procédure
contraire
au
règlement,
il
réprimande
l’équipe
de
Marie
pour
sa
lenteur
qui
a
«
poussé
le
Sales
à
le
faire,
il
n’avait
pas
le
choix
»,
ainsi
que
j’ai
entendu
M.
Blanc
dire
à
Marie
sur
un
ton
réprobateur
lors
de
la
courte
réunion
qui
a
suivi
cet
incident,
qui
n’est
pas
isolé,
en
leur
accordant
une
sorte
de
‘droit
de
légitime
défense’
contre
la
conformité.
L’adage
«
time
is
money
»
n’avais
jamais
pris
autant
son
sens
que
lors
de
l’observation
de
cette
équipe,
où
l’urgence
était
le
maître
mot
quotidien.
Pour
le
N+1
de
Marie,
l’équipe
n’est
qu’un
fournisseur
d’un
service,
alors
que
le
Front
Officer
est
le
«
client
interne
»
de
la
banque
(conversation
lors
du
déjeuner
le
29.10.2010).
Et
comme
«
le
client
à
toujours
raison
»...
313
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
6.1.1.3.
Leur
perception
et
celle
des
autres
sur
leur
travail
Le
fait
que
la
hiérarchie
directe
de
Marie
est
‘du
côté
du
Front’
et
s’en
soucie
peu
des
obligations
règlementaires
a
un
grand
impact
sur
le
sentiment
que
peut
avoir
Marie
et
son
équipe
d’appartenance
à
la
même
équipe
(le
Front
Office).
Ils
ne
sont
pas
perçus
comme
des
‘co-‐équipiers’,
mais
comme
fournisseur
qui
doit
se
plier
aux
exigences
–
toujours
légitimes
-‐
du
client
interne.
Dès
le
premier
entretien
avec
Marie,
elle
nous
avait
dit
que
leur
travail
consistait
largement
à
‘moraliser
les
Sales’
(16
Mars,
2010).
La
formulation
de
cet
impératif
est
révélatrice
de
la
dimension
presque
de
‘croisade’,
de
tâche
impossible
ou
du
moins
très
difficile,
même
si
comme
le
dit
Marie,
«
ça
veut
dire
les
faire
prendre
conscience
des
risques
et
assumer
leur
part
de
responsabilité.
On
ne
peut
pas
moraliser
au
sens
individuel.
Il
s’agit
de
pousser
dans
le
bon
sens,
dans
le
sens
d’un
mieux,
ne
pas
laisser
la
grosse
pieuvre
financière
faire
n’importe
quoi.
Si
on
n’était
pas
là,
on
financerait
surement
des
tas
d’ordures
sans
problèmes,
je
ne
suis
pas
naïve.
»
(15
juin,
2010).
Ils
ont
souvent
évoqué
un
vocabulaire
de
purification
par
rapport
à
leur
travail
:
«
il
faut
faire
le
ménage
»,
«
nettoyage
»,
«
sale/propre
»,
«
ça
sent
mauvais
tout
ça
»,
«
tas
d’ordures
».
Si
l’on
joue
sur
les
mots,
on
constate
que
–
même
s’il
s’agit
d’une
coïncidence
–
le
mot
anglais
‘Sales’
(vendeurs),
si
on
le
lit
en
français
contient
explicitement
la
connotation
de
la
saleté.
Il
y
a
une
certaine
fierté
revendiquée
par
les
membres
de
l’équipe,
visible
dans
certaines
de
leurs
expressions,
quant
au
travail
de
‘nettoyage’
qu’ils
font.
Et
cette
fierté
est
d’autant
plus
ressentie
que
ce
travail
de
nettoyage
est
difficile,
complexe,
implique
parfois
des
mois
de
travail
sur
un
seul
dossier.
Mais
toutes
ces
difficultés
et
les
conditions
difficiles
et
stressantes
dans
lesquelles
ils
doivent
l’accomplir
rendent
leur
travail
plus
valorisant
à
leurs
yeux.
Cette
valorisation
existe
d’autant
plus
qu’il
y
a
une
dimension
d’utilité
publique
de
ce
‘nettoyage’
:
contrairement
à
d’autres
employés
de
la
banque
qui
certes
permettent
de
huiler
la
machine
bancaire
mais
en
sentant
que
pour
autant
la
société
n’en
retire
que
la
crise
(cf.
la
déclaration
faite
par
G.
Smith,
Executive
Director
de
Goldman
Sachs
lors
de
sa
démission,
paru
dans
le
NY
Times
le
14
Mars
2012
«
Why
I
am
leaving
Goldman
Sachs
»),
les
analystes
KYC-‐AML
contribuent
à
«
faire
du
business
propre
»
par
leur
travail
de
‘moralisation
des
Sales’,
autrement
dit
de
purification
du
sale.
Ils
parlent
souvent
de
‘leur
expertise’,
de
comment
ils
ont
réussi
à
‘dévoiler
un
dossier
difficile’,
et
c’est
cette
expertise
qui
donne
de
la
valeur
à
leur
travail
à
leurs
yeux.
Ils
sont
convaincus
de
faire
un
travail
nécessaire
et
utile,
et
(à
part
Julien
dans
la
phase
2-‐A
qui
n’y
voyait
plus
de
perspective
de
carrière
dans
BUF-‐BI
et
avait
perdu
toute
motivation
lorsqu’ils
n’ont
pas
transformé
son
CDD
en
CDI)
semblaient
généralement
fiers
et
contents
de
travailler
dans
la
LAB.
314
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
Or,
ils
savent
qu’on
leur
«
tape
dessus
de
tous
les
côtés
».
En
interne,
ils
sont,
avec
les
fonctions
supports,
un
‘centre
de
coût’,
et
c’est
‘toujours
de
leur
faute’,
à
la
fois
quand
les
ventes
déclinent
(«
c’est
parce
que
la
conformité
à
bloqué
»)
et
quand
les
régulateurs
trouvent
un
problème
sur
un
dossier
(«
ils
ne
sont
pas
de
bons
analystes,
ils
ne
font
rien
»).
Ainsi,
la
manière
dont
ils
sont
Figure
28:
BUF-‐BI-‐FO3
the
world
of
onboarding
b efore
KYC-‐AML
perçus
selon
eux
par
leur
hiérarchie
directe
BUF$BI&
WELCOME TO S&\s way to on-board
l’obtention
d’une
Green
Card,
montrée
your clients
comme
un
parcours
du
combattant).
Le
titre
de
cette
image
était
«
The
world
of
onboarding
before
KYC-‐AML
»,
qu’ils
ont
projeté
lors
du
même
séminaire
tenu
par
M.
Blanc
et
toute
son
équipe
en
novembre
2010.
En
projetant
une
telle
image,
ils
transmettent
deux
messages
:
que
d’une
part
ils
sont
conscients
qu’ils
ont
pu
être
perçus
ainsi,
comme
relevant
d’un
dispositif
impossible
et
bureaucratique
et
qui
rend
difficile
la
vie
aux
clients
et
aux
Sales,
mais
que
d’autre
part,
leur
équipe
KYC-‐AML
avec
sa
nouvelle
organisation
et
l’intégration
européenne
des
dossiers,
devrait
permettre
une
réorganisation
du
travail
qui
permettra
effectivement
de
‘huiler
la
machine’,
ainsi
que
leur
demande
leur
hiérarchie.
Les
régulateurs
de
leur
côté,
sont
toujours
méfiants
à
l’égard
des
équipes
conformité
internes
des
banques,
et
justement
cette
nouvelle
organisation
et
l’intégration
européenne
qui
centralisait
les
dossiers
sur
Paris
a
déclenché
l’audit
auquel
nous
avons
pu
assister,
par
un
régulateur
européen,
non-‐convaincu
que
cette
nouvelle
organisation
permette
à
l’équipe
de
‘garder
son
indépendance’
vis-‐à-‐vis
du
Front
Office.
En
conclusion,
ils
sont
conscients
que
quoi
qu’ils
fassent,
ils
ne
seront
jamais
suffisamment
rapides
et
seront
toujours
perçus
malgré
tout
comme
un
centre
de
coût
et
une
police
interne
par
la
banque
d’une
part,
et
qu’ils
seront
toujours
suspectés
quant
à
leur
indépendance
par
les
régulateurs
ce
qui
se
traduit
par
des
fortes
pressions
de
la
part
du
département
de
Conformité
pour
assurer
une
gestion
des
risques
impeccable
d’autre
part.
Ainsi
que
le
résume
très
bien
Julien
:
315
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
-‐
(Julien)
Il
y
a
des
gros
enjeux
de
pouvoir
qui
se
cachent
derrière
et
nous
on
se
retrouve
au
milieu.
D’un
côté
tu
as
les
le
front
qui
est
focalisé
«
business,
argent,
profit
»
qui
nous
poussent
dans
cette
direction,
et
de
l’autre
tu
as
les
pressions
de
Compliance
qui
sont
obsédés
que
par
les
risques
que
le
business
peut
impliquer
pour
la
banque
et
veut
donc
assurer
sa
survie,
en
gros
c'est-‐à-‐dire
sa
réputation.
La
règlementation
est
là
pour
la
protéger,
et
donc
pour
réguler
l’activité
des
Sales
au
Front
Office.
En
plus
de
ça,
on
a
la
pression
des
autres
équipes
KYC
qui
ne
nous
aiment
pas
forcément.
Le
but
de
tout
ça
c’est
en
fait
de
faire
du
business
le
plus
risk-‐free
possible,
donc
le
plus
proprement
possible.
-‐
Nous
utilisons
un
workflow
qui
a
7
étapes
avant
que
ce
ne
soit
approuvé
en
step
8
par
Compliance
(et
en
particulier
l’AMLO
et
le
Compliance
Officer)
et
le
KYC
que
nous
menons
cherche
à
identifier
4
choses
essentielles
sur
un
client,
qui
à
ce
stade
est
appelé
«
contrepartie
»
:
1)
Où
se
situe
la
contrepartie,
sa
localisation
(de
laquelle
dépend
la
législation
qui
va
s’appliquer
ou
des
précautions
supplémentaires),
2)
Quelle
est
son
activité
,
3)
Qui
sont
les
actionnaires
;
et
4)
qui
sont
les
dirigeants
de
la
société.
Ensuite,
Christian
tente
à
deux
reprises
de
faire
un
organigramme
de
la
structure
pour
que
je
comprenne
où
ils
s’insèrent
par
rapport
aux
autres
acteurs,
mais
y
renonce
après
de
nombreuses
ratures
car
il
s’aperçoit
que
ce
n’est
pas
clair
pour
lui
non
plus.
Il
se
limite
à
me
dire
que
leur
cellule
est
un
passage
obligé
pour
les
Sales,
et
bien
qu’ils
soient
rattachés
au
Front
Office
de
la
Banque
d’investissement,
ils
dépendent
de
Compliance,
un
département
transversal
à
toute
la
Banque.
Je
demeure
donc
assez
confuse,
à
la
fois
sur
le
workflow
dont
j’ignore
encore
à
quoi
correspondent
chacune
des
étapes
et
à
la
fois
sur
qui
les
effectue.
Christian
poursuit,
en
ouvrant
sa
boite
mail
et
le
programme
qu’ils
utilisent
pour
le
workflow
pour
me
le
montrer.
316
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
-‐
L’équipe
KYC
intègre
le
dossier
et
fait
une
recherche
sur
la
réputation
du
client,
sur
internet
et
sur
des
bases
de
données
spécifiques,
pour
voir
si
dans
la
presse
ou
ailleurs,
le
client
est
associé
à
des
scandales
etc.
L’analyste
garde
le
dossier
imprimé
en
archives
(chaque
membre
a
une
à
deux
piles
de
dossiers
sur
son
bureau,
les
contreparties
sur
lesquelles
ils
travaillent
actuellement,
et
dans
le
bureau
il
y
a
plusieurs
armoires
pour
des
dossiers
antérieurs,
qu’ils
aient
été
approuvés
ou
pas.
Marie
me
dit
qu’ils
ont
en
plus
de
l’espace
supplémentaire
de
stockage
en
sous-‐sol
car
en
effet
ils
doivent
conserver
la
documentation
sur
les
clients
pendant
10
ans)
et
en
version
électronique
sur
notre
base
de
données.
On
va
essayer
de
catégoriser
les
clients
:
‘green’
veut
dire
que
tout
est
ok,
que
le
Sales
peut
traiter
avec
lui
;
‘red’
veut
dire
qu’il
ne
peut
pas
traiter
avec
cette
contrepartie
;
‘restrict’
veut
dire
que
le
client
n’est
pas
approuvé
définitivement
et
qu’il
doit
demander
l’approbation
à
chaque
nouvelle
transaction.
En
gros,
KYC
est
le
service
qui
suit
les
clients.
-‐
Qu’est
ce
qui
se
passe
avec
un
dossier
qu’on
refuse
?
-‐
On
garde
la
trace
en
archive
bien
sûr.
-‐
(Clément,
qui
a
entendu
ma
question,
intervient
avec
ironie,
en
plaisantant)
mais
en
fait
c’est
très
difficile
de
refuser
un
dossier.
On
est
Front.
C’est
du
business.
-‐
(Christian
rit
du
commentaire
de
Clément,
puis
reprend
son
explication
avec
plus
de
sérieux)
C’est
rare
qu’on
remonte
un
dossier
jusqu’à
Déo
sans
que
ce
soit
bon.
Si
tous
les
papiers
sont
là
mais
qu’on
a
des
réserves
ou
des
doutes
sur
une
contrepartie,
on
va
aussi
le
transmettre
pour
qu’ils
évaluent,
mais
c’est
très
marginal.
On
a
une
approche
juridique,
on
s’appuie
sur
les
textes.
Mais
l’idée
importante
est
celle
de
‘bénéficiaire
effectif’,
c'est-‐à-‐dire
à
qui
profite
l’argent
au
final.
Il
faut
que
ça
ce
soit
très
clair
pour
que
le
dossier
passe.
(Il
ouvre
le
workflow
pour
m’expliquer
les
étapes)
En
fait,
ce
qui
se
passe
c’est
que
le
Front
Office
envoie
une
requête
d’approval
sur
la
boite
commune
de
l’équipe.
Le
premier
qui
la
voit
prend
le
dossier
et
le
traite.
Chaque
dossier
est
géré
de
manière
individuelle.
Il
n’y
a
pas
de
vérification
commune
avant
l’envoi,
chacun
est
responsable
de
ses
dossiers.
Si
on
a
des
difficultés
ou
si
le
dossier
est
particulièrement
chaud,
on
en
parle
à
Marie.
Avec
la
crise,
la
BUF
a
essayé
de
ramener
le
plus
possible
des
compétences
en
France,
de
centraliser
les
dossiers.
Julien
a
particulièrement
adopté
le
rôle
du
«
pédagogue
».
Lorsque
les
journées
étaient
plutôt
tranquilles,
il
me
proposait
d’approcher
une
chaise
à
son
bureau
pour
qu’il
me
montre
son
travail.
J’ai
remarqué
qu’en
général
les
membres
de
l‘équipe
étaient
souvent
contents
de
parler,
peut
être
pour
se
défaire
d'une
trop
forte
pression
et
s'interrogent
sur
le
sens
de
leurs
actions
:
«
ils
se
présentent
ainsi,
au
moins
symboliquement,
comme
des
acteurs
du
dévoilement,
de
la
révélation,
ayant
accès
à
une
réalité
occulte
que
le
commun
des
mortels
ignore
»
(Favarel-‐
Garrigues
et
al.
2009
:26).
Julien
en
particulier
m’a
clarifié
certains
aspects
de
leur
fonctionnement
quotidien,
en
me
montrant
pas
par
pas
comment
fonctionnait
le
workflow,
et
comment
on
remplissait
317
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
les
dossiers
au
fur
et
à
mesure
de
leur
arrivée.
Il
m’a
aussi
montré
quelques-‐uns
de
ses
dossiers
en
cours,
en
définissant
et
en
quelque
sorte
construisant
son
rôle
spécifique
au
sein
de
l’équipe
(Mueller
&
Whittle,
2012)
comme
étant
«
celui
qui
s’occupe
des
dossiers
pourris
»,
et
en
me
faisant
un
clin
d’œil,
ajoute
«
souvent
en
Amérique
Latine
»
(il
sait
que
je
suis
d’origine
mexicaine).
Il
a
précisé
que
c’était
des
dossiers
hautement
confidentiels.
-‐
(Julien)
Par
exemple,
on
a
un
dossier
avec
la
banque
centrale
de
ce
pays
d’Amérique
Centrale.
Comme
c’est
une
banque
centrale,
c'est-‐à-‐dire
qu’il
y
a
un
Etat
derrière,
a
priori
c’est
ok,
malgré
les
risques
de
corruption
qu’on
connaît
en
Amérique
Latine.
Mais
tu
vois
le
code
là
?
(montre
l’écran
d’ordinateur)
Ça,
ça
veut
dire
que
c’est
exotique.
C'est-‐à-‐dire
que
c’est
chaud.
Je
comprends
alors
qu’il
y
a
bien
un
impératif
moral,
le
seul
motif
pour
ne
pas
traiter
avec
«
des
crapules
»
comme
les
appelle
Julien,
c’est
parce
que
le
faire
représente
un
risque
trop
important
pour
la
banque.
C’est
à
cela
que
sert
le
Mémo
que
rempli
l’équipe,
à
donner
leur
évaluation
de
risque
et
la
motiver,
afin
que
le
département
Conformité
puisse
prendre
une
décision
sur
la
contrepartie.
Voici
la
structure
du
KYC
Mémo
(qui
correspond
en
fait
à
une
matrice
de
risque
afin
d’identifier
pour
le
AMLO
les
éléments
de
réputation
et
une
structure
d’actionnariat
complexe,
avec
preuves
documentaires
à
mettre
en
annexe)
:
KYC Mémo
- Introduction :
- Company:
- AML and reputation risk approach: (KYC-AML
opinion).
- Other relevant information: (opinion from the KYC
network or local deontology unit, as well as global
head of compliance)
Dans
un
dossier
KYC
type,
il
y
a
plusieurs
sortes
de
documents
:
des
impressions
du
site
web
de
la
banque,
des
recherches
effectuées
sur
plusieurs
sites
sur
la
banque
en
318
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
question,
en
particulier
pour
voir
si
elle
est
enregistrée
quelque
part,
chez
un
quelque
organisme
régulateur
(avec
le
nom,
la
date
d’enregistrement,
un
numéro
d’identification
dans
le
registre,
une
adresse,
le
capital,
les
noms
des
représentants
autorisés
etc.)
ce
qui
constitue
une
‘preuve
d’existence’.
Ensuite
il
y
a
des
recherches
sur
le
site
«
D&B
Report
–
decide
with
confidence
»
avec
des
indicateurs
de
risque
concernant
la
contrepartie
en
question.
Le
dossier
est
aussi
composé
d’une
trace
imprimée
de
tous
les
mails
échangés
avec
le
Sales
chargé
de
cette
contrepartie,
qui
finalement
aboutissent
ou
non
à
la
validation
et
la
création
d’un
numéro
de
registre
du
client
dans
la
base
de
données
des
clients
de
BUF.
En
cas
de
non
validation
du
dossier,
on
marque
«
cancelled
»,
par
exemple
s’il
est
incomplet.
Par
exemple,
dans
un
dossier
de
Christian
«
cancelled
»,
l’échange
de
mails
entre
Christian
et
le
Sales
montre
que
ce
dernier
n’a
pas
procuré
les
documents
obligatoires
de
la
KYC
check-‐list,
mais
aussi
que
le
sales
est
incapable
de
renseigner
précisément
si
le
tiers
agit
pour
son
compte
propre
ou
au
nom
de
quelqu’un
d’autre
(doute
sur
le
bénéficiaire
effectif).
Christian
a
noté
pour
lui
sur
un
angle
de
papier
:
«
il
semblerait
que
l’entité
ne
soit
pas
régulée
».
Le
manque
de
transparence
sur
les
données
(pas
de
comptes
annuels
publiés,
risque
évalué
au
double
par
rapport
à
la
moyenne
des
entités
dans
le
même
secteur...)
a
finalement
aboutit
à
un
rejet
de
la
contrepartie.
Leur
travail
s’appuie
sur
la
réglementation
principalement
dans
trois
domaines
:
Mifid,
KYC
et
AML,
dont
nous
avons
bien
expliqué
les
deux
derniers.
-‐
(Marie)
Le
Mifid
oblige
depuis
2007
à
catégoriser
les
clients
professionnels
de
la
finance
des
non-‐professionnels.
Les
premiers
auront
moins
besoin
de
protection
car
ils
sont
sensés
connaître
les
mécanismes
de
fonctionnement,
alors
que
les
seconds
bénéficieront
de
plus
de
suivi
car
ils
ont
moins
d’expérience
voire
aucune.
Ça
a
été
perçu
comme
‘encore
une
mesure
bureaucratique’,
comme
un
alourdissement
administratif
et
totalement
anti-‐business
».
On
catégorise
avant
de
traiter
avec
eux,
on
leur
accorde
un
profil
investisseur.
Le
sales
avant
de
traiter
doit
procéder
à
un
test
de
suitability
:
en
fonction
de
la
catégorie,
pour
savoir
si
le
client
a
bien
compris
le
produit/la
transaction.
Le
sales
a
plus
de
responsabilité
sur
un
client
retail
car
il
doit
lui
faire
le
KNE
(knowledge
and
experience
test=suitability).
Comme
il
doit
plus
protéger
le
client,
le
test
pour
le
retail
(client
individuel,
personne
physique)
est
plus
lourd.
Le
test
de
suitability
nous
permet
de
voir
si
le
client
est
en
dépassement,
c'est-‐à-‐dire
s’il
s’expose
sur
plus
de
20%
de
sa
surface
financière.
Cela
peut
donner
des
indices
AML,
car
elle
permet
de
contrôler
la
cohérence,
la
rationalité
économique
des
opérations.
Pendant
notre
observation,
l’équipe
était
en
pleine
transition
réglementaire,
avec
la
mise
à
jour
suite
à
l’implémentation
de
la
troisième
directive
Européenne
en
319
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
France
depuis
septembre
2009.
Or,
leur
KYC
Policy
datait
de
février
2009,
et
un
nombre
important
de
réunions
où
je
suivais
Marie
portaient
sur
la
mise
à
jour
de
cette
KYC
Policy,
qui
de
surcroît
devait
prendre
en
compte
la
centralisation
des
dossiers
Europe
à
Paris,
et
donc
des
différences
dans
les
législations
locales.
6.1.2.2.
Travailler
dans
un
positionnement
«
entre
deux
feux
»
L’impératif
de
gérer
le
risque
et
l’impératif
du
profit
constituent
les
deux
piliers
qui
loin
de
stabiliser
l’édifice
le
menacent
au
contraire
de
part
leur
caractère
souvent
contradictoire,
non
pas
en
principe
–
le
profit
et
la
gestion
des
risques
sont
tous
les
deux
des
objectifs
légitimes
–
mais
de
fait
de
part
la
situation.
La
contradiction
n’est
pas
simplement
une
représentation
des
praticiens
(Cameron
&
Quinn,
1988)
mais
elle
transparait
aussi
explicitement
dans
les
verbalisations
faites
par
le
Top
Management.
A
quelques
jours
d’intervalle,
l’équipe
se
retrouve
face
à
des
messages
contradictoires
:
1)
Un
discours
de
M.
Lalande
fait
au
début
du
dernier
quart
de
l’année
a
vigoureusement
incité
le
personnel
à
générer
du
profit.
En
effet,
pour
les
banques
d’investissement
le
dernier
quart
représente
la
dernière
phase
d’intensification
du
business.
Il
a
mit
une
forte
pression
pour
“finir
l’année
en
beauté”.
En
un
mot,
il
s’agissait
“d’accélérer”.
2)
Un
email,
quelques
jours
plus
tard,
envoyé
directement
par
le
même
M.
Lalande
à
l’ensemble
des
employés
de
BUF-‐BI
en
leur
rappelant
que
le
moment
de
l’évaluation
annuelle
approchait
et
qu’a
en
vue
de
la
crise
et
des
scandales
récents
dans
le
secteur
bancaire,
le
bonus
ne
dépendra
pas
uniquement
de
la
performance
financière,
mais
aussi
de
la
manière
dont
chacun
aura
mis
en
œuvre
les
«
business
principles
»
de
BUF-‐BI.
L’email
finissait
sur
un
ton
légèrement
menaçant
:
«
you
should
know
that
BUF
doesn’t
tolerate
deviant
behavior
and
I
am
personally
committed
to
enforcing
“zero
tolerance”
policy
on
this
matter.
Recently,
we
have
had
to
impose
several
severe
sanctions
leading
to
staff
departures.”
En
d’autres
mots,
l’observation
des
règles
et
des
meilleurs
pratiques
définies
est
de
rigueur
:
on
ne
peut
pas
faire
du
business
à
n’importe
quel
prix,
et
il
faut
apprendre
à
«
freiner
».
Séparés
seulement
par
quelques
jours,
ces
messages
contenus
dans
le
discours
et
l’email
révèlent
une
tension
au
sein
de
BUF-‐BI,
qui
pourtant
ne
semble
choquer
personne.
Cette
tension
est
d’une
certaine
manière
intériorisée,
incorporée,
et
les
employés
sont
donc
confrontés
à
de
sérieuses
difficultés
lorsqu’il
s’agit
de
les
traduire
dans
leur
pratique
quotidienne.
Ces
messages
n’étaient
pas
destinés
à
l’équipe
en
320
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
particulier
mais
à
l’ensemble
de
BUF-‐BI,
et
sont
révélateurs
d’un
environnement
qui
est
régulièrement
tissé
de
contradictions.
Pourtant,
dans
l’équipe
étudiée
ces
contradictions
se
cristallisaient
de
manière
particulièrement
exacerbée.
Marie
se
trouve
aussi
à
la
tête
d’une
équipe
qui
n’est
plus
surprise
non
plus
par
ce
genre
d’assertions
contradictoires
:
leur
quotidien
est
fait
de
ces
demandes
simultanées
d’accélérer
et
de
freiner,
qui
renforcent
le
paradoxe
même
à
travers
la
communication
(Giordano,
2003)
:
«
Depuis
que
je
suis
arrivée
en
2006,
M.
L.
fait
le
même
genre
de
discours.
Il
pousse
les
Sales
et
le
Traders
à
faire
‘toujours
plus
pour
gagner
plus’
sans
jamais
mentionner
concrètement
la
question
des
risques
ou
des
principes
de
la
banque.
Mais
par
contre
on
a
toujours
le
régulateur
sur
le
dos
et
là
il
vient
menacer
qu’il
ne
veut
pas
avoir
de
problèmes
»
(Marie).
Cette
équipe
est
particulièrement
intéressante
à
étudier
de
ce
point
de
vue
là,
car
en
plus
d’être
soumise
à
une
série
d’injonctions
paradoxales
continues,
on
peut
retrouver
ces
contradictions
jusque
dans
la
reconstruction
de
son
organigramme.
L’équipe
de
Marie
incarne
parfaitement
l’environnement
organisationnel
contradictoire
au
sein
de
BUF-‐BI,
puisqu’elle
intègre
les
deux
fonctions
antagoniques
et
généralement
séparées
que
sont
la
poursuite
du
business
et
sa
surveillance.
Ces
deux
logiques
contradictoires
créent
une
tension
organisationnelle
et
éthique
de
manière
structurelle
et
régulière,
qui
est
typique
du
système
paradoxant
(Aubert
&
Gaulejac,
2007;
Gaulejac,
2011).
Ils
ont
en
effet
la
responsabilité
d’analyser
et
évaluer
chaque
demande
de
la
part
des
Sales,
et
doivent
éventuellement
décider
de
l’abandon
de
certains
clients
et
opérations
importantes
au
nom
des
risques
détectés.
Ce
paradoxe,
perçu
comme
étant
consubstantiel
à
la
banque
d’investissement
contemporaine
en
général,
est
cristallisé
ici
jusque
dans
le
design
organisationnel
:
L’équipe
de
Marie
est
littéralement
prise
entre
deux
feux,
y
compris
dans
son
organigramme
(voir
figure
ci-‐dessous)
:
1)
L’équipe
appartient
au
Front
Office
qui
est
clairement
tourné
vers
le
profit,
ou
selon
leurs
propres
mots,
“business
oriented”.
Monsieur
Lalande
est
donc
leur
ultime
maître
dans
la
hiérarchie
officielle
de
BUF-‐BI.
(Maître
1).
2)
Mais
l’équipe,
alors
qu’elle
appartient
au
Front
Office,
est
chargée
de
contrôles
lies
au
KYC
et
à
l’AML.
Ils
doivent
donc
répondre
aux
exigences
d’indépendance
du
département
Conformité
et
en
particulier
Monsieur
Chambertin
(Responsable
AML)
et
Monsieur
Touraine
(Responsable
KYC)
(Maître
2).
3)
Ils
doivent
aussi
conduire
leur
travail
en
accord
avec
les
obligations
réglementaires
et
les
institutions
de
régulation
nationales
(un
de
facto
Maître
3)
mais
aussi
internationales
(de
facto
Maître
4).
321
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
Master 1!
Master 2!
Rien
qu’au
sein
de
BUF-‐BI,
l’équipe
de
Marie
a
déjà
deux
«
maîtres
»
génériques
:
le
Front
Office
et
le
Département
Conformité.
Ceux-‐ci
s’incarnent
ensuite
dans
une
série
de
personnes
différentes
:
les
maîtres
ultimes
qui
se
trouvent
à
la
tête
de
ces
deux
fonctions,
mais
aussi
des
maitres
intermédiaires
(responsables
des
lignes
métiers,
des
Responsables
Conformité
dans
d’autres
bureaux
de
BUF-‐BI
à
l’étranger...).
Enfin,
ils
doivent
répondre
à
des
maîtres
extra-‐organisationnels
(les
instances
de
régulation
nationales
et
internationales)
dont
les
injonctions
et
priorités
peuvent
à
nouveau
être
différentes
et
en
contradiction
avec
celles
des
autres.
Un
des
membres
de
l’équipe,
Julien,
résume
avec
des
échos
aux
‘mains
sales’
de
Sartre
(1972)
cette
situation
organisationnelle
et
les
problèmes
éthiques
que
cela
pose
d’une
manière
simple
et
éclairante
:
“C’est
ça
la
banque.
D’un
côté
on
a
le
push:
business,
business,
business.
De
l’autre
on
a
le
pull:
attention!
Risque,
risque,
risque.
Ce
n’est
pas
dans
la
banque
de
détail
ou
dans
les
prêts
immobiliers
qu’ils
vont
trouver
de
quoi
maintenir
le
business.
Faut
pas
avoir
peur
de
se
salir
les
mains
si
on
veut
arriver
aux
profits
qu’attends
le
top
management.”
Nous
n’avions
pas
conscience
de
cette
spécificité
proprement
organisationnelle
lorsque
nous
étions
en
train
de
négocier
un
accès
terrain.
Cette
découverte
a
été
un
élément
capital
qui
a
orienté
notre
recherche
vers
l’étude
justement
de
comment
la
322
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
323
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
(M.
Chambertin,
en
réunion
avec
Odette
le
14.10.2010).
Après,
TRACFIN
examine
les
déclarations
et
peut
décider
de
les
passer
ou
pas
au
parquet.
Grâce
à
leur
analyse,
et
en
fonction
de
la
complexité
de
la
contrepartie,
l’équipe
pourra
donner
une
évaluation
du
risque
que
représente
potentiellement
la
contrepartie,
allant
de
«
low
»
à
«
enhanced
».
Ils
sont
alors
constamment
sollicités
par
les
front
officers
qui
de
leur
coté
ont
besoin
d’une
réponse
tranchée
et
rapide
lorsqu’ils
viennent
demander
«
et
maintenant,
qu’est-‐
ce
que
j’fais
?
»
(Lenglet,
2008
:14).
Ils
sont
alors
pris
«
entre
l’enclume
et
le
marteau
»
(Bouilloud,
2012),
devant
trancher
«
vite
et
bien
»,
faute
de
quoi
ils
exposent
la
banque
(au
risque
pénal
et
de
réputation),
l’affaire
en
cours
(à
une
perte
de
la
transaction
voire
du
client),
et
bien
entendu
lui-‐même
de
par
sa
responsabilité
personnellement
engagée.
Or,
en
général,
les
dossiers
ne
sont
jamais
limpides,
et
la
solution
qui
satisfasse
l’ensemble
des
parties
n’existe
pas.
Le
client
attend,
le
front
officer
attend,
la
hiérarchie
attend,
l’AMLO
attend…
tout
le
monde
a
des
attentes
à
l’égard
des
analystes.
Ils
doivent
ainsi
’jongler’
entre
les
différents
textes
qui
régissent
l’aspect
juridique,
mais
aussi
les
structures
organisationnelles
dans
lesquelles
ils
doivent
exercer
leur
métier,
pour
ainsi
pouvoir
orienter
l’action
des
opérateurs
de
marché
(et
autoriser
ou
non
leur
demande
d’onboarding
d’un
client),
car
ils
sont
contraints
de
se
tourner
vers
les
analystes
pour
pouvoir
traiter.
Mais
les
tensions
entre
ces
logiques
contradictoires
se
cristallisent
autour
de
la
règle
et
de
son
interprétation,
puisque
le
résultat
des
injonctions
paradoxales
est
un
conflit
entre
le
désir
du
top
management,
l’éthos
des
Sales
et
des
Traders
(faire
du
profit)
d’un
côté,
et
les
règles
et
procédures
définies
par
la
banque
et
les
régulateurs
de
l’autre.
Dans
leur
pratique
quotidienne,
les
Front
Officers
essayaient
autant
que
possible
d’éviter
de
se
plier
aux
règles,
et
mettaient
une
forte
pression
sur
l’équipe
de
Marie
pour
‘approuver’
le
dossier
même
s’il
n’était
pas
complètement
conforme
ou
libre
de
doutes.
Voici
quelques
exemples
de
conversations
à
ce
sujet
par
des
membres
de
l’équipe
KYC-‐AML
:
1.
Christian,
au
téléphone
avec
un
sales,
qui
le
rappelle
au
moins
3
fois
par
jour
depuis
mon
arrivée,
à
l’exception
de
la
semaine
dernière
où
il
(le
Sales)
était
en
vacances
:
-‐(Christian)
Mais
Vincent,
Vincent
(pour
le
calmer)
Déjà,
comment
se
sont
passées
tes
vacances
?
(2
minutes
de
blabla
sur
les
vacances)
Mais
Vincent,
faut
comprendre
que
le
doc
que
tu
nous
a
envoyé
n’a
aucune
valeur
en
termes
de
KYC....
Mais
je
comprends
tout
à
fait....
Mais
on
a
juste
besoin
de
cette
info,
c’est
tout
!....
Mais
Vincent,
les
oraux
ça
ne
reste
pas.
C’est
les
écrits
qui
restent.
Ok
?
Bon
ok,
ciao.
324
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
2.
Yoan,
bien
que
récemment
arrivé,
est
très
rapidement
opérationnel,
et
se
retrouve
vite
avec
une
épaisse
pile
de
dossiers
allemands
sur
son
bureau,
dont
il
partage
facilement
les
problématiques
avec
moi
:
-‐
(Yoan)
Regarde
celui-‐là
par
exemple.
C’est
une
structure
tellement
complexe
qu’on
n’arrive
pas
à
identifier
les
personnes
physiques
qui
se
trouvent
derrière.
Regarde
cet
organigramme.
Tu
y
comprends
quelque
chose
toi
?
Et
encore,
j’ai
dû
le
construire
à
partir
de
documents
que
j’ai
du
demander
je
ne
sais
pas
combien
de
fois
au
Sales.
A
chaque
mail
il
y
avait
des
nouveaux
acteurs
qui
apparaissaient.
J’en
ai
plein
de
dossiers
comme
ça.
Dans
le
dernier
mail,
je
viens
d’apprendre
que
la
structure
vient
encore
de
changer
:
4%
appartient
encore
à
quelqu’un
d’autre.
Le
Sales
me
demande
si
ça
vaut
le
coup
de
demander
les
pièces
d’identité
et
tout
ça,
si
après
tout
il
ne
s’agit
que
de
4%.
Il
se
plaint
que
ça
n’avance
pas,
qu’il
ne
peut
pas
traiter.
Mais
on
doit
réactualiser
le
dossier,
c’est
comme
ça,
même
pour
4%.
Mais
c’est
difficile
de
le
faire
comprendre
à
un
Sales,
ça.
Ça
prend
du
temps.
Beaucoup.
Il
faut
beaucoup
de
pédagogie.
Hier
je
me
suis
énervé
et
je
lui
ai
clairement
dit
que
ça
ne
passerait
pas
en
l’état.
De
toutes
façons
moi
je
m’en
fou
si
le
Sales
met
la
pression.
Je
suis
pas
plus
ou
moins
bien
payé
si
je
valide
le
dossier
ou
pas,
ça
me
fait
juste
perdre
du
temps.
Ce
matin,
on
a
eu
3
dossiers
nouveaux
qui
sont
arrivés
:
Christian
a
pris
un,
Odette
le
deuxième
et
moi
le
troisième.
En
fait
c’est
le
même
client,
on
s’est
rendu
compte,
mais
à
chacun,
ils
ont
transmis
des
documents
avec
des
informations
contradictoires
!
Faut
pas
se
foutre
de
la
gueule
du
monde
non
plus
!
[il
se
met
à
rire,
et
en
général
c’est
un
des
membres
de
l’équipe
qui
prends
les
choses
et
les
problèmes
avec
le
moins
de
tensions,
souvent
avec
humour]
Et
l’argumentaire
du
sales
c’est
«
mais
c’est
un
grand
groupe
!
»,
autrement
dit,
«
ça
ne
crains
rien,
c’est
clean,
tout
le
monde
les
connaît
».
J’ai
répondu
qu’il
n’y
avait
pas
marqué
dans
les
lois
qu’il
y
ait
un
traitement
préférentiel
pour
les
grands
groupes,
que
c’était
pas
mon
problème
si
c’était
un
grand
groupe
ou
un
petit
groupe.
Mais
ils
veulent
tout
discuter
les
Sales,
jusque
dans
le
moindre
petit
truc
pour
pouvoir
traiter
au
plus
vite.
3.
Odette,
par
rapport
à
un
de
ses
dossiers
russes,
géré
par
une
Sales
franco-‐russe
:
-‐
(Odette)
La
Sales
a
joué
à
la
rétention
d’information.
Ça
marche
pas
comme
ça.
Moi
je
lui
ai
partagé
l’information
que
j’avais
sur
le
tiers,
et
elle
l’a
montré
à
Monsieur
Chambertin,
comme
si
c’était
elle
qui
l’avait
trouvé.
C’est
pas
correct.
-‐
(Natalie)
Mais
t’inquiète
pas.
Monsieur
Chambertin
il
n’est
pas
dupe.
Il
sait
très
bien
comment
se
passent
les
choses.
-‐
(Christian)
C’est
de
la
mauvaise
foi
pure
et
dure.
-‐
(Natalie)
Mais
c’est
le
dossier
«
Place
Rouge
»
!
je
me
souviens,
mais
ça
fait
9
mois
qu’on
entend
parler
de
ça.
La
Sales
elle
hurlait
au
téléphone
en
insistant
que
les
documents
étaient
bons,
et
on
l’entendait
jusqu’ici
que
c’était
super
urgent
bla
bla
bla.
Avant,
il
n’y
avait
personne
pour
vérifier
les
documents
en
russe,
et
on
étés
un
peu
dépendants
d’elle.
-‐
(Odette)
Mais
maintenant
que
je
peux
lire
les
documents
russes,
elle
fait
pression
par
d’autres
moyens.
-‐
(Natalie)
C’est
à
en
devenir
parano
!
325
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
Les
enjeux
derrière
les
règles
vont
bien
au
delà
des
frontières
de
l’équipe
de
Marie.
D’une
part,
Marie
individuellement
ainsi
que
son
équipe
sont
souvent
accusés
d’être
“too
zealous
in
applying
the
letter
of
the
law”
(email
d’un
Sales
au
chef
de
la
principale
ligne
métier
pour
laquelle
l’équipe
travaille).
D’autre
part
le
Responsable
de
la
lutte
anti-‐blanchiment
a
une
grande
confiance
en
l’équipe,
et
n’hésite
pas
à
les
‘défendre’
si
nécessaire,
de
soutenir
les
positions
de
Marie
sur
certains
dossiers.
Leur
mission,
d’après
Marie,
consiste
justement
à
résister
aux
pressions
et
les
tentatives
quotidiennes
de
contourner
la
règlementation
tout
en
contribuant
à
la
qualité
des
dossiers
le
plus
rapidement
possible.
Pour
pouvoir
y
parvenir,
le
soutient
du
département
Conformité
est
très
important,
puisqu’il
fourni
une
contre-‐pression
parfois
aussi
forte
que
celle
prodiguée
par
les
Front
Officers
au
nom
du
business.
Ainsi,
la
contrainte
initiale
devient
une
compétition
de
bras
de
fer
constante.
En
plus,
la
réglementation
en
soi
n’est
pas
homogène,
en
particulier
du
fait
des
différences
entre
les
régulations
nationales
et
internationales:
«
La
Troisième
Directive
[Européenne
sur
la
LAB
de
2005]
nous
impose
une
enhanced
due
diligence
dans
la
connaissance
de
nos
clients,
non
pas
parce
qu’on
veut
savoir
qui
il
est
–
on
s’en
fou
de
ça
–
mais
parce
qu’on
doit
certifier
qu’il
est
bien
celui
qu’il
dit
être.
Mais
une
autre
loi,
la
loi
CNIL
en
France,
nous
interdit
de
faire
des
demandes,
des
investigations
sur
des
clients
et
archiver
des
informations
qui
concernent
les
éléments
de
la
vie
privée
du
client
[religion,
état
civil...]
sans
l’informer
surtout.
Mais
dans
le
cas
d’un
oligarque
russe,
on
ne
peut
pas
se
permettre
d’ignorer
ce
genre
d’informations,
et
on
peut
pas
lui
dire
!
Faut
‘tricher
un
peu
en
s’appuyant
surtout
sur
des
infos
que
le
client
lui-‐même
a
rendu
publiques
sur
sa
vie
privée
»
(Marie,
suite
à
la
réunion
sur
la
CNIL
le
18.10.2010).
Dans
ce
contexte,
où
le
manager
affronte
des
demandes
contradictoires
même
au
sein
des
règles,
la
confusion
dévient
un
désir
violent
de
trouver
une
issue
pour
sortir
de
la
contradiction:
“J’en
ai
marre
qu’on
se
fasse
taper
dessus
parce
qu’on
fait
notre
travail.
Ça
suffit.
Tôt
ou
tard,
ils
vont
devoir
décider
ce
qu’ils
veulent.
S’ils
veulent
traiter
facilement
ils
arrêtent
de
nous
payer,
point.
Et
là
ils
vont
en
faire
des
gardes
à
vue
!
”(Marie,
29.10.2010).
Au
sein
de
toutes
ces
contraintes,
comment
dépasser
l’effet
paralysant
de
la
contradiction?
326
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
L’idée
que
«
nul
ne
peut
servir
deux
maîtres»
est
un
des
enseignements
les
plus
célèbres
de
la
religion
chrétienne.
Mais
au
delà
de
sa
connotation
religieuse
et
de
sa
signification
plus
complexe,
ce
verset
du
Nouveau
Testament
-‐
qui
apparaît
même
deux
fois
dans
deux
Evangiles
différents
–
reflète
une
contradiction
irréductible
qui
sous-‐
tend
de
nombreuses
situations
organisationnelles.
En
effet,
«
j’ai
plusieurs
chefs
»
est
quelque
chose
que
de
nombreux
cadres
aujourd’hui
disent
avoir
(Gaulejac,
2005,
2011).
Il
y
a
des
implications
d’éthique
derrière
les
contradictions
qui
n’ont
pas
encore
été
suffisamment
explorées
et
que
ce
chapitre
cherche
à
élucider.
Comme
mentionné
dans
le
chapitre
1,
un
des
principaux
défis
pratiques
pour
une
éthique
dans
les
organisations
est
leur
caractère
non
seulement
complexe
mais
contradictoire,
voire
paradoxant.
Et
ceci
se
manifeste
directement
au
niveau
de
l’organisation.
Que
faire
quand
on
n’a
pas
la
possibilité
de
choisir
entre
ses
différents
‘maitres’
?
Et
que
devient
alors
la
responsabilité
managériale
dans
de
tels
contextes
?
6.2.1.
L’ORGANISATION
COMME
SYSTEME
PARADOXANT
6.2.1.1.
Les
paradoxes
au
cœur
de
l’organizing
Etudier
le
travail
de
la
conformité
et
de
la
fabrique
de
l’éthique
dans
ce
milieu
passe
par
une
analyse
détaillée
de
l’organisation
(au
sens
dynamique
et
processuel
d’organizing)
du
contrôle,
comment
celui-‐ci
est
mis
en
place,
quelle
est
la
division
et
les
conditions
du
travail
qu’elle
requiert
et
engendre.
Cette
question
de
l’organisation
et
la
division
du
travail
est
en
effet
au
cœur
des
préoccupations
des
penseurs
de
l’économie
et
du
social,
que
ce
soit
dans
les
travaux
de
Marx,
de
Smith,
de
Weber
et
de
Durkheim,
mais
aussi
des
penseurs
de
la
gestion
depuis
Taylor
et
Fayol.
Plus
récemment,
les
SSF
comportent
un
important
volet
destiné
à
cette
question
et
comment
le
profit
peut
faire
l’objet
d’une
puissante
et
complexe
organisation
(Godechot,
2001).
C’est
ainsi
souvent
l’objectif
du
profit
qui
dicte
la
manière
dont
le
travail
est
réparti
et
exécuté.
Contrôler
cette
organisation
est
donc
au
cœur
des
préoccupations
des
entreprises
actuelles,
en
particulier
dans
la
finance
:
«
Dans
les
entreprises
capitalistes
occidentales
la
division
du
travail
est
en
grande
partie
ordonnée
et
imposée
par
les
personnes
qui
détiennent
ce
pouvoir
avec
un
but
précis
:
l’augmentation
rationnelle
du
profit.
Ceci
ne
veut
pas
dire
que
toutes
les
décisions
soient
rationnelles
ni
optimales,
mais
généralement
le
‘sens
visé’
lors
des
modifications
de
l’organisation
du
travail
est
soit
la
diminution
des
coûts,
soit
l’augmentation
de
la
production,
dans
les
deux
cas
pour
augmenter
ou
maintenir
le
niveau
de
profit.
»
(Godechot,
2001
:
72).
327
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
On
attend
alors
des
fonctions
conformité
qu’elles
se
fassent
oublier,
comme
les
autres
tâches
d’arrière
boutique
:
c’est
le
nettoyage
interne
qu’on
voudrait
qu’il
ait
lieu
après
la
journée
de
travail,
c’est
le
travail
de
gérer
les
demandes
et
les
flux
incessants
du
Front
Office,
en
huilant
la
machine
pour
que
celle-‐ci
tourne
(cf.
le
schéma
projeté
en
réunion,
document
BUF-‐BI-‐FO3),
mais
souvent
il
est
perçu
plutôt
comme
‘mettant
des
bâtons
dans
les
roues’.
Comme
les
autres
métiers
‘d’intendance’,
la
conformité
est
considérée
comme
un
centre
de
coût
et
endure
un
mépris
de
la
part
des
autres
fonctions
plus
prestigieuses
et
directement
corrélées
au
profit-‐making
(Grafmeyer,
1992
;
Karlin,
1997
;
Godechot,
2001).
Ceci
se
traduit
par
un
pouvoir
–
si
ce
n’est
que
d’énonciation,
protestation
(voice)
–
limité
voir
inexistant
au
sein
de
l’organisation,
et
cette
dimension
symbolique
et
hautement
politique
est
tissée
jusque
dans
les
moindres
procédures.
Elle
est
ainsi
clairement
visible
dans
la
redistribution
des
primes,
ou
encore
les
dépannages
informatiques
ou
tout
autre
service
où
il
est
clair
qu’ils
ne
sont
pas
prioritaires,
comme
l’avait
aussi
remarqué
dans
sa
thèse
Lenglet
(2008).
De
surcroît,
ceci
devient
un
cercle
vicieux
car
la
lenteur
des
dépannages
informatiques
pour
les
fonctions
support
contribue
à
la
lenteur
que
lui
reproche
le
front
office
:
«
le
back
office,
chargé
de
mettre
en
place
les
moyens
administratifs
et
logistiques
pour
réaliser
matériellement
les
transactions
conclues
instantanément
par
le
Front
Office,
est
nécessairement
en
retard
»
(Godechot
2001
:
98-‐99).
On
retrouve
ce
rapport
paradoxal
au
temps
énoncé
plus
haut.
Ce
qui
fait
que
BUF-‐BI
est
un
cas
particulièrement
intéressant
à
étudier
est
que
ces
deux
fonctions
(Conformité
et
Front
Office)
ne
sont
pas
totalement
séparées
du
point
de
vue
du
design
organisationnel.
Or,
cette
séparation
est
généralement
le
cas,
puisque
c’est
considéré
comme
une
garantie
nécessaire
pour
assurer
l’indépendance
de
la
fonction
de
surveillance
régulatrice.
Une
immersion
dans
le
Front
Office
de
BUF-‐BI,
et
au
sein
de
celle-‐ci,
dans
l’équipe
KYC-‐AML
chargée
de
contrôler
la
qualité
des
partenaires
commerciaux
qui
entrent
en
relation
avec
la
banque,
est
plonger
au
cœur
même
du
métier.
Ici,
l’instabilité,
l’incohérence
et
le
désordre
sont
devenus
une
des
conditions
normales
de
l’organisation,
et
se
transforment
alors
en
“double-‐bind
patterns”
(Hennestad
1990:268).
Ceci
change
la
manière
dont
on
conçoit
les
organisations
et
on
fait
sens
de
leur
structure.
On
est
confrontées
à
l’émergence
de
‘systèmes
paradoxants’
tels
qu’ils
sont
définis
initialement
par
Aubert
et
Gaulejac
(2007),
où
les
tentatives
de
chacun
pour
résoudre
les
inconsistances
et
les
contradictions
et
pour
rationaliser
les
comportements
reviennent
en
fait
à
renforcer
la
complexité,
de
sorte
à
ce
que
les
logiques
antagonistes
continuent
de
prévaloir
sur
les
328
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
329
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
personnes:
gérer
des
situations
paradoxales
au
quotidien.
La
pression
de
l’actionnariat
pour
augmenter
les
dividendes
incite
l’organisation
à
traquer
les
centres
de
coût
et
‘rationaliser’
par
tous
les
moyens
et
exacerber
l’organisation
matricielle.
L’optimisation
financière
est
commune
aux
affaires
en
général,
mais
le
secteur
bancaire
est
de
surcroit
exposé
à
devoir
intégrer
des
mesures
de
régulation
de
plus
en
plus
complexes
avec
de
moins
en
moins
de
moyens,
en
particulier
suite
à
la
crise.
Le
fait
de
devoir
intégrer
la
fonction
de
sentinelle
est
donc
devenue
un
défi
pour
l’éthique
managériale
dans
sa
capacité
à
dépasser
les
contradictions.
6.2.1.2.
Faire
sens
du
paradoxe
La
manière
dont
l’organisation
était
mise
en
place
à
BUF-‐BI
relevait
bien
du
système
paradoxant,
où
on
est
dans
une
situation
où
ils
ne
peuvent
pas
choisir
entre
leurs
différents
‘maîtres’
(situation
de
dilemme):
ils
sont
payés
pour
servir
les
deux
(situation
paradoxale).
Et
le
premier
enjeu
est
de
nature
cognitive
:
l’équipe
doit
tout
d’abord
arriver
à
faire
sens
des
contradictions,
à
les
identifier,
et
à
opérer
un
travail
cognitif
d’organisation
des
priorités.
Mais
ce
n’est
facile
ni
évident
à
faire,
en
particulier
pour
des
analystes
qui
viennent
d’arriver
et
n’ont
pas
encore
développé
une
telle
compétence
tacite
de
faire
sens
devant
les
différentes
pressions.
Pour
l’équipe
ceci
est
normal
et
tacite,
mais
pour
nous
il
est
arrivé
un
moment
où
nous
nous
sommes
aperçus
qu’approcher
ce
genre
de
situations
comme
un
dilemme
ne
suffisait
pas.
On
a
trop
souvent
en
éthique
des
affaires
tendance
à
analyser
les
situations
problématiques
en
termes
de
dilemme,
c’est-‐à-‐dire
de
choix
difficile
à
faire.
Or,
nous
avons
compris
qu’il
y
a
une
dimension
d’éthique
inhérente
au
paradoxe
et
aux
injonctions
paradoxales
qui
pouvait
être
explorée,
puisque
les
deux
logiques
(chercher
le
profit
et
se
conformer
aux
régulations)
sont
tous
deux
légitimes,
et
ne
devraient
pas
s’exclure
l’une
l’autre.
Reconnaitre
le
fait
que
l’organisation
a
pu
se
mouvoir
en
système
paradoxant
nous
aide
à
clarifier
la
place
que
peuvent
occuper
les
managers
et
les
employés
vis-‐à-‐vis
de
leur
organisation.
Marie
est
très
habituée
à
reconnaître
la
situation
comme
paradoxale,
et
donc
à
«
dévoiler
»
sa
réalité
auprès
de
son
équipe
pour
leur
permettre
d’agir.
On
constate
que
la
réaction
est
souvent
celle
du
déni
et
de
trouver
des
moyens
pour
échapper
à
la
contradiction,
ce
qui
en
fait
renforce
le
paradoxe
comme
l’avait
initialement
signalé
Bateson.
Par
exemple,
afin
de
contourner
la
régulation,
les
Front
Officers
ont
recours
à
des
arguments
non-‐rationnels,
tels
que
l’émotion
:
bien
sur
que
la
documentation
n’est
pas
complète,
mais
le
client
est
‘coopératif’,
comme
dans
l’exemple
ci-‐dessous
(email
d’un
Sales
adressé
à
Marie).
330
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
“Please
find
attached
the
Trust’s
extracts
and
Mr.
Robert’s
passport.
Still
missing
some
of
the
beneficiaries’
passports
but
I
hope
it
will
testify
to
the
client’s
good
will
on
this
issue.”
Mais
grâce
au
fait
que
Marie
dévoile
la
nature
de
la
situation
comme
paradoxale,
l’équipe
est
bien
consciente
de
ce
genre
de
tactiques,
comme
Christian:
- (Christian)
«
Ouf
!
a
chaque
fois
ils
disent
que
c’est
leur
copain,
qu’ils
le
connaissent,
que
c’est
quelqu’un
de
bien
;
Mais
je
m’en
fou
moi
s’ils
jouent
au
golf
avec
et
qu’il
leur
a
dit
je
ne
sais
quoi
!
Oh
!
Non
mais
!
»
331
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
-‐(Cassandra,
une
analyste
nouvellement
recrutée
durant
la
phase
2)
“Je
n’avais
jamais
reçu
le
genre
de
mails
agressifs
que
je
reçois
des
Sales
tous
les
jours
dans
ce
boulot.
Je
ne
sais
pas
vraiment
comment
y
répondre,
et
lorsque
le
téléphone
sonne,
j’ai
très
peur
de
décrocher
»
Elle
est
littéralement
“attrapée”
par
l’impossibilité
d’agir
et
de
questionner
le
paradoxe,
puisque
celui-‐ci
“'locks
the
ambiguity
of
the
situation”
(Hennestad,
1990:
268).
Ainsi,
Marie
doit
gérer
les
émotions
à
la
fois
à
l’intérieur
et
à
l’extérieur
de
son
équipe,
ce
qui
témoigne
de
sa
capacité
de
leadership
(Hennestad,
1990)
et
en
particulier
de
leadership
éthique
(Flynn,
2008;
Riggio
&
Reichard
2008).
Elle
opère,
aidée
par
l’équipe
bien
entendu
et
soutenu
par
la
confiance
de
M.
Chambertin
et
de
M.
Montravel,
un
travail
de
mise-‐en-‐sens
(Corvellec
&
Risberg)
pour
créer
de
la
cohérence
inter-‐
situationnelle.
Le
bricolage
est
alors
aussi
un
travail
de
cognition
située
pour
arriver
à
ce
qu’il
fasse
sens
pour
tous
les
participants
(Allard-‐Poesi,
2003;
Weick
et
al.,
2005).
Apparaît
alors
la
question
de
savoir
comment
la
responsabilité
peut
être
mise
en
pratique
dans
ces
systèmes
:
non
pas
contre
eux,
ni
en
les
niant,
mais
par
une
intégration
située
qui
permet
de
bricoler
un
chemin
à
travers
le
paradoxe.
Au
sein
de
BUF-‐BI,
Marie
est
une
des
figures,
peut
être
parmi
les
plus
paradigmatiques,
où
ces
deux
injonctions
se
cristallisent.
Et
malgré
tout,
elle
arrive
à
bricoler
un
moyen
au-‐delà
du
strict
paradoxe.
Par
rapport
à
ce
que
Lindblom
appelle
le
‘muddling
through’
(1959),
le
bricolage
n’implique
pas
uniquement
une
manière
de
décider
et
de
faire
des
choix
difficiles,
mais
un
mécanisme
de
pensée
spécifique
qui
produit
des
‘outils
pour
agir’.
6.2.2.
DU
BRICOLAGE
A
LA
M EDIATION
6.2.2.1.
Bricoler
un
chemin
pour
permettre
l’action
Nous
avons
longuement
cherché
de
trouver
un
mot
qui
puisse
refléter
ce
qu’ils
faisaient,
leur
l’agir
(praxis)
quotidien
dans
un
environnement
de
travail
complexe,
et
finalement
‘bricolage’
est
celui
que
nous
proposons
de
retenir.
Chez
Lévi-‐Strauss
(1962)
ce
terme
dénote
un
pluralisme
situationnel,
un
‘faire
avec’
constant
qui
reflète
des
complexités
et
les
jeux
de
pouvoir
intrinsèques
aux
contextes
que
l’équipe
affronte
(Bouilloud,
2012).
Le
bricolage
est
justement
ce
qui
permet
de
faire
avec
cet
ensemble
d’éléments,
de
composer
une
éthique
comme
pratique
au
sein
d’un
environnement
changeant,
fuyant
à
notre
compréhension,
et
où
le
sentiment
que
quoi
que
l’on
fasse
ça
ne
sera
pas
suffisant
ou
tout
à
fait
juste.
Une
fois
que
l’immobilisme
arrive
à
être
dépassé
par
la
mise-‐en-‐sens
de
la
situation
sous
l’angle
du
paradoxe
par
Marie,
qui
arrive
à
rassurer
son
équipe
sur
ce
332
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
point,
la
deuxième
option
serait
de
choisir
un
maître
sur
l’autre,
transformant
ainsi
le
paradoxe
en
une
hiérarchie
d’options.
A
première
vue,
il
pourrait
sembler
que
c’est
ce
que
font
Marie
et
son
équipe,
en
faisant
primer
la
Conformité.
D’ailleurs,
chaque
fois
que
Marie
présente
le
travail
de
son
équipe,
elle
emploi
cette
expression
qui
englobe
les
paradoxes
presque
comme
un
oxymore
“l’essentiel
de
notre
boulot
consiste
à
moraliser
le
Front
[office];
à
surveiller
les
Sales
et
à
imposer
la
responsabilité
au-‐delà
du
business
pour
qu’ils
fassent
du
business
propre”.
Cet
objectif
clé,
cet
impératif
moral,
est
souvent
rappelé
oralement
(Randall
&
Martin,
2003)
et
pourrait
sembler
comme
un
choix
indiscutable
fait
par
rapport
à
quel
maître
ils
servent,
car
sa
force
rivalise
avec
la
pression
que
peuvent
mettre
les
Front
Officers
au
nom
du
business.
Mais
alors
que
cet
impératif
moral
d’imposer
un
comportement
responsable
par
dessus
l’impulsion
du
business
n’est
pas
optionnelle
et
constitue
en
quelque
sorte
le
cœur
de
leur
fonction,
il
est
largement
extra-‐officiel,
et
implémenté
quotidiennement
de
manière
intuitive,
en
faisant
constamment
sens
des
enjeux
éthiques
(Sonenshein,
2007).
6.2.2.2.
Faire
équipe,
agir
ensemble
Ce
bricolage
constant
permet
d’articuler
la
dimension
cognitive
et
la
dimension
de
l’agir
(Clegg
et
al.,
2007)
car
il
opère
à
plusieurs
niveaux.
Apprendre
à
vivre
avec
ces
tensions
implique
bricoler
une
pratique
au
quotidien,
et
développer
certaines
compétences
spécifiques
pour
naviguer
dans
ce
milieu,
mais
aussi
de
renoncer
à
localiser
l’éthique
au
niveau
des
procédures
de
‘bonnes
pratiques’
à
respecter,
et
revenir
à
une
éthique
profondément
enracinée
dans
l’individu,
le
sujet
moral,
qui
interagit
dans
un
groupe,
une
équipe,
une
organisation,
un
contexte.
Ainsi,
un
des
moyens
pour
bricoler
une
pratique
et
survivre
dans
le
système
paradoxant
réside
dans
leur
cohésion
d’équipe
:
ils
«font
équipe»
et
partagent
un
sentiment
d’appartenance
et
d’admiration
pour
le
leader
incontesté
du
groupe,
Marie.
Bien
que
les
dossiers
soient
gérés
individuellement,
les
problèmes
qui
peuvent
surgir
sont
partagés.
Littéralement,
l’union
fait
la
force
:
c’est
toujours
le
«
nous
»
au
pluriel
contre
le
«
Front
Officer
»
ou
«
le
régulateur
»
au
singulier.
«
Faire
équipe
»
et
collaborer
comporte
une
capacité
pour
eux
pour
«faire
face»
aux
défis
pratiques
constants
d’un
environnement
en
constante
tension,
mais
aussi
pour
se
libérer
de
la
pression
et
du
stress.
D’ailleurs,
il
n’est
pas
rare
de
les
voir
arrêter
de
faire
ce
qu’ils
sont
en
train
de
faire
pour
suivre
la
conversation
téléphonique
d’un
autre
dont
le
ton
commence
à
monter.
Il
n’est
pas
rare
non
plus
que
cette
personne
mette
le
Sales
sur
le
haut
parleur
333
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
afin
que
les
autres
puissent
suivre
les
deux
côtés
de
la
conversation.
Des
débats
s’en
suivent,
plusieurs
analystes
donnent
leur
opinion
pour
résoudre
le
conflit.
Lorsqu’un
analyste
est
désespéré
devant
une
situation
qui
semble
ne
pas
avoir
d’issue,
il
est
fréquent
de
voir
les
autres
donner
leur
avis,
ou
out
simplement
plaisanter
sur
la
situation
afin
de
la
rendre
plus
supportable.
Ils
ne
partagent
pas
simplement
la
même
«
aventure
»,
mais
aussi
un
fort
sentiment
d’appartenance
:
«
je
crois
que
c’est
la
plus
grande
victoire
de
Marie,
d’avoir
crée
cette
solidité
et
solidarité
au
sein
de
l’équipe
»
(Nathalie).
Cette
cohésion
est
aussi
un
élément
fondamental
dans
le
processus
de
recrutement
pour
agrandir
l’équipe.
Marie
interrogeait
toujours
les
candidats
en
compagnie
de
deux
ou
trois
autres
membres
de
l’équipe,
afin
de
les
faire
participer
au
développement
de
l’équipe
:
le
‘feeling’
qu’ils
pouvaient
avoir
sur
le
candidat
était
essentiel.
Durant
les
entretiens,
ils
essayaient
surtout
de
comprendre
si
le
candidat
avait
un
esprit
d’équipe,
un
sens
de
responsabilité
et
d’engagement,
de
l’honnêteté,
ainsi
que
leur
degré
de
résistance
au
stress.
Les
candidats
qui
donnaient
une
«
mauvaise
impression
»
par
rapport
à
cela,
étaient
très
vite
éliminés,
même
si
par
ailleurs
ils
avaient
le
niveau
de
qualification
et
d’expérience
requis
pour
le
poste
à
pourvoir.
Ce
leadership
participatif
de
Marie,
renforçait
le
sentiment
d’appartenance,
de
construire
collectivement
un
projet
en
prenant
en
compte
les
points
de
vus
des
membres
sans
pouvoir
hiérarchique
particulier
non
seulement
lors
du
recrutement
de
nouveaux
analystes,
mais
aussi
lors
de
réunions
importantes.
Ceci
est
par
ailleurs
largement
construit
sur
une
admiration
pour
le
leadership
de
Marie,
son
professionnalisme,
son
intégrité,
sa
résistance
stoïque
aux
pressions
:
«
Marie
bosse
comme
une
malade.
Elle
ne
dort
pas,
elle
ne
mange
pas,
elle
reste
souvent
jusqu’à
10h
du
soir.
C’est
elle
qui
fait
vivre
ce
service
;
elle
est
à
l’origine
de
tout
ça
»
(Christian).
Marie
inspire
à
son
équipe
la
même
résistance,
en
particulier
lors
des
réunions
d’équipe.
Elle
rappelle
constamment
qu’elle
a
une
grande
confiance
en
les
‘instincts’
de
son
équipe
:
«
ils
savent
être
diplomatiques
avec
les
Sales
tout
en
menant
à
bien
leur
travail
d’analyse
des
risques,
ce
qui
n’est
pas
une
tâche
facile
».
Pour
résumer,
ils
s’accordent
tous
sur
le
fait
que
Marie
a
beaucoup
contribué
à
créer
un
climat
de
confiance
et
de
cohésion
au
sein
de
l’équipe,
et
est
un
bon
manager
d’un
point
de
vue
professionnel
et
éthique,
un
model
inspirant
son
équipe
à
agir
de
même
(Flynn,
2008;
White
&
Lean,
2008).
6.2.2.3.
Les
relations
entre
les
acteurs
:
confiance,
réseaux
et
médiation
Par
ailleurs,
les
questions
relationnelles
ne
sont
pas
uniquement
importantes
à
l’intérieur
de
l’équipe
pour
maintenir
la
cohésion
et
soutenir
collectivement
les
334
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
tensions.
En
effet,
beaucoup
d’efforts
sont
implémentés
pour
nicher
une
dynamique
particulière
entre
l’équipe
et
l’organisation
de
la
conformité
via
ses
différents
acteurs.
Le
bricolage
de
leur
pratique
consiste
alors
à
développer
une
capacité
de
médiation,
elle
même
largement
dépendante
de
la
capacité
à
mettre
en
confiance
ces
acteurs.
Ne
pouvant
réconcilier
leurs
objectifs
contradictoires
qui
forment
un
paradoxe
au
niveau
de
l’équipe,
la
seule
possibilité
de
sortir
du
paradoxe
sans
le
nier
et
sans
se
soumettre
à
un
choix
est
de
cultiver
cet
art
de
la
médiation.
La
confiance
joue
alors
un
rôle
prépondérant,
dans
la
mesure
où
l’équipe
doit
apprendre
à
manœuvrer
entre
les
flux
de
confiance/défiance
envers
leur
équipe
et
leur
travail
d’une
part,
et
leurs
propres
demandes
de
confiance
par
d’autres,
d’autre
part.
Enfin,
il
y
a
toujours
le
spectre
de
l’excès
de
confiance
–
en
les
autres,
en
leurs
propres
capacités
à
bien
gérer
le
risque
AML
–
qui
plane
au
dessus
de
leurs
têtes
et
qui
fait
l’objet
d’une
surveillance
rapprochée
lors
des
audits.
Ces
ensembles
de
flux
autour
des
dynamiques
de
confiance
(cf.
(Zucker,
1986
;
Gollety
&
Le
Flanchec,
2011),
sont
un
aspect
fondamental
à
considérer
pour
comprendre
leur
bricolage
quotidien
pour
accomplir
leur
travail.
En
effet,
la
confiance
devient
un
véritable
mode
de
coordination
et
de
gouvernance
(cf.
Blondel
&
Gratacap,
2011
pour
une
revue
détaillée),
lié
aux
processus
de
socialisation
et
de
contrôle
social
interne
à
l’organisation
:
«
Le
métier
bancaire
est
en
effet
essentiellement
caractérisé
par
son
rapport
à
la
notion
de
confiance
:
la
parole
donnée
y
engage
celui
qui
l’énonce
(et
son
crédit)
au
moment
où
il
la
profère,
le
passage
des
paroles
aux
actes
constituant
ainsi
un
objet
d’attention
constant
pour
les
responsables
de
la
conformité
(parfois
encore
appelés
«
déontologues
»).
Nous
sommes
ici
dans
le
registre
de
la
promesse,
de
l’engagement,
de
l’obligation
(d’agir),
et
tous
les
termes
sont
polysémiques.
»
(Lenglet,
2006
:18).
Le
schéma
ci-‐dessous
tente
d’identifier
ces
différents
réseaux
de
confiance
qui
tissent
un
maillage
complexe
entre
les
acteurs,
parfois
de
manière
unidirectionnelle.
Dans
ce
schéma,
nous
retrouvons
l’organigramme
présenté
dans
le
chapitre
5,
augmenté
des
deux
principaux
acteurs
externes
:
les
régulateurs
d’une
part
et
les
clients
de
l’autre.
Tout
d’abord
il
y
a
une
série
de
rapports
contractuels
entre
les
différents
acteurs,
c’est-‐à-‐dire
régis
par
des
accords
institutionnels
qui
établissent
les
obligations
de
chaque
partie.
C’est
le
niveau
minimum,
formel
de
la
confiance,
qui
ne
repose
que
sur
un
accord
légal,
mais
qui
peut
aussi
parfois
cacher
une
défiance
de
fait
lié
à
cette
interdépendance
forcée
puisque
les
acteurs
n’ont
pas
le
choix
de
que
coopérer.
Nous
voyons
ce
type
de
rapport
contractuel
entre
les
régulateurs
et
BUF
ainsi
qu’avec
le
département
Conformité
dans
son
ensemble,
entre
M.
Chambertin
et
la
direction
des
risques
(où
il
n’y
a
pas
de
lien
hiérarchique
direct,
mais
certainement
un
lien
fonctionnel
important
et
un
fort
degré
de
collaboration),
et
entre
l’équipe
KYC-‐AML
et
335
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
l’équipe
KYC
où
ce
rapport
formel
cache
des
défiances
explicites
entre
les
deux,
et
un
manque
de
confiance
en
la
compétence
de
l’autre.
La
collaboration
entre
les
deux
équipes
est
donc
strictement
formelle
et
souvent
on
doute
de
la
qualité
des
dossiers
produits
par
l’autre.
Ensuite,
il
est
de
la
responsabilité
de
l’équipe
KYC-‐AML
que
de
ne
pas
faire
confiance
par
définition
aux
clients,
ainsi
le
lien
qui
les
uni
est
strictement
formel
une
fois
que
les
clients
sont
dans
la
base
de
données,
mais
le
rapport
est
celui
de
la
défiance
institutionnalisée
envers
les
clients
pour
accomplir
leur
travail
de
gestion
des
risques.
Enfin,
un
rapport
unidirectionnel
qui
lie
contractuellement
la
ligne
métier
et
l’unité
de
gestion
des
clients
à
l’équipe
KYC-‐AML,
sans
pour
autant
qu’une
véritable
confiance
relationnelle
soit
établie.
Figure 31: Relations de confiance dans notre étude de cas
Régulateurs$
Département$
Conformité$ AMLO:$M.$
Secrétariat$Général$ Chamber*n$ KYCO:$M.$Touraine$ Equipe$KYC$
(CCO:$M.$Darrell)$
Direc*on$des$
Risques$$
Direc*on$
Financière$et$du$
Développement$$
Direc*ons$
fonc*onnelles$
Direc*on$des$
Ressources$
Humaines$
Clients$
Direc*on$des$ poten*els$
Ressources$du$
Groupe$$
BUF$$
Direc*on$de$la$
communica*on$$
Equipe$KYCRAML$
((Marie)$
Banque$ Ges*on$Clients$$
d'Inves*ssement$ Ligne$Mé*er:$MM$
(M.$Lalande)$ (M.$Blanc)$
(M.$Montravel)$
Pôles$d'ac*vité$ Traders$et$Sales$$
Banque$de$détail...$
Un
deuxième
type
de
rapport
est
celui
de
la
confiance
fondée
sur
la
compétence
(competence
trust,
selon
Sako,
1998,
in
Blondel
&
Gratacap,
2011
:40)
:
«
elle
fait
référence
au
partage
des
valeurs
liées
au
contexte
professionnel
en
étant
capable
d’honorer
la
confiance
».
Ainsi,
nous
voyons
que
c’est
le
type
de
lien
qui
uni
non
pas
le
département
Conformité
en
général,
mais
M.
Chambertin
en
particulier
aux
régulateurs
de
par
les
réseaux
professionnels
de
la
LAB.
Il
en
est
de
même
entre
lui,
M.
Touraine
et
l’équipe
KYC-‐AML
:
sans
rapport
hiérarchique,
ils
ont
cependant
construit
un
solide
lien
de
confiance
mutuelle
basée
sur
le
professionnalisme,
acquis
au
fil
des
années
de
travail
336
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
ensemble.
Enfin,
c’est
aussi
le
lien
qui
uni
l’équipe
à
M.
Montravel,
qui
a
été
à
l’origine
de
la
création
de
cette
équipe
et
intervient
souvent
pour
les
soutenir
et
les
défendre
au
sein
de
l’institution
du
fait
de
leur
compétence.
Le
pendant
de
ce
type
de
relation
fondé
sur
la
compétence
est
la
confiance
de
bonne
volonté
(goodwill
trust)
qui
lie
souvent
même
si
pas
systématiquement,
les
Sales
et
les
clients.
C’est
le
degré
le
plus
élevé
de
la
confiance
qui
laisse
une
réelle
marge
de
liberté,
nourrie
un
sentiment
d’appartenance
à
un
groupe.
Nous
avons
déjà
remarqué
par
ailleurs
que
souvent
les
liens
personnels
et
amicaux
sont
fréquents,
ce
qui
n’incite
pas
les
Sales
à
remettre
leur
casquette
professionnelle
lorsqu’ils
traitent
avec
eux
et
à
leur
demander
une
série
de
documents
pour
le
dossier
KYC,
alors
qu’ils
les
connaissent.
Ainsi,
les
liens
les
plus
complexes
sont
ceux
qui
lient
l’équipe
KYC-‐AML
et
les
différents
acteurs
du
Front
Office
:
les
Sales,
Traders,
et
leur
hiérarchie.
Les
Sales
essayent
de
pousser
dans
le
sens
d’une
demande
de
confiance
‘aveugle’
ou
de
bonne
volonté
qui
n’exige
pas
de
contrat,
car
ceci
leur
permettrait
de
sauter
les
étapes
bureaucratiques
de
validation
et
traiter
plus
vite.
L’équipe
en
revanche
leur
demande
une
confiance
basée
sur
la
compétence,
de
les
reconnaître
comme
étant
un
collaborateur
véritable
qui
contribue
au
bon
fonctionnement
de
BUF-‐BI
et
non
pas
comme
une
fonction
support
dont
les
Sales
seraient
le
client
interne.
Mais
se
pose
alors
sérieusement
la
question
de
la
coopétition
:
l’équipe
et
les
Sales
sont
en
quelque
sorte
attrapés
entre
méfiance/concurrence
et
coopération.
Dans
d’autres
secteurs
les
études
stratégiques
sur
la
confiance
on
déjà
soulevé
le
problème
de
comment
faire
confiance
à
ses
concurrents,
mais
nous
retrouvons
ici
une
autre
problématique
moins
explorée
:
comment
faire
confiance
à
ses
contrôleurs,
comment
être
co-‐équipiers
(d’une
même
organisation)
et
dans
un
rapport
contrôleur/contrôlé
?
Voici
le
défi
constant
auquel
l’équipe
cherche
de
bricoler
une
réponse
au
jour
le
jour.
Enfin,
le
lien
entre
les
clients
et
la
banque
(y
compris
la
banque
d’investissement)
est
celui
lié
à
sa
réputation
–
cette
chose
même
que
l’équipe
doit
sauvegarder
avec
leur
travail
de
gestion
des
risques.
La
boucle
est
ainsi
bouclée,
mais
de
manière
assez
fragile.
Nous
rejoignons
ici
les
problèmes
où
le
comportement
d’un
acteur
qui
rompt
la
confiance
générale
nuira
à
la
réputation
non
seulement
d’une
organisation
mais
de
l’ensemble
du
champ
inter-‐organisationnel
(e.g.
délit
d’initié),
sectoriel
(e.g.
secteur
bancaire
dans
le
monde),
national
(e.g.
crise
grèque).
Ce
n’est
véritablement
qu’au
sein
de
l’équipe
que
l’on
peut
parler
de
confiance
accordée
et
solidement
tissée
dans
les
relations
interpersonnels,
une
confiance
dans
la
qualité
des
recherches
des
uns
et
des
autres
et
leur
professionnalisme
dans
la
constitution
des
dossiers.
J’ai
pu
aussi
percevoir
de
la
part
d’
AMLO
envers
l’équipe.
Or,
337
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
entre
les
services
il
n’y
a
aucune
confiance,
tout
est
une
question
de
contrôles,
vérifications,
dans
une
véritable
‘audit
society’
en
miniature,
où
les
relations
sont
devenues
des
jeux
non-‐coopératifs
basés
sur
une
défiance
a
priori.
Ceci
peut
entraîner
d’ailleurs
le
risque
inverse
et
tout
aussi
problématique
de
l’excès
du
contrôle,
dont
le
Front
Office
les
accuse.
Ceci
est
associé
à
la
prise
de
risque
:
«
Sans
perception
du
risque
et
sans
interdépendance,
la
confiance
n’aurait
aucune
fonction
:
‘Elle
n’est
pas
un
comportement
(c’est-‐à-‐dire
coopérer)
ni
un
choix
(c’es-‐à-‐dire
prendre
un
risque)
mais
une
condition
psychologique
sous-‐jacente
à
de
telles
actions’
nous
disent
Rousseau
et
al.
(1998
:395)
»
(Gollety
&
Le
Flanchec,
2011
:
29).
Dans
le
cas
de
notre
équipe,
les
relations
qu’ils
ont
réussi
à
tisser
constituent
un
véritable
levier
de
création
de
valeur
pour
l’entreprise,
même
si
leur
hiérarchie
directe
n’arrive
toujours
pas
à
leur
accorder
cette
confiance.
Marie,
a
largement
confiance
en
son
équipe
et
jouit
de
la
confiance
de
M.
Chambertin
en
sa
compétence,
ce
qui
réduit
un
certain
nombre
de
couts
de
contrôle
interne
à
l’entreprise.
6.2.2.4.
Concevoir
autrement
la
responsabilité
managériale
La
différence
des
logiques
sous-‐jacentes
confronte
Marie
avec
la
nécessité
de
trouver
un
moyen
d’agir,
sans
nier
la
réalité
du
paradoxe,
et
sans
choisir
parmi
les
alternatives
en
conflit.
Ils
sont
au
delà
du
choix
:
ils
doivent
assumer
de
la
responsabilité
au
sein
même
d’un
système
paradoxant.
Et
l’équipe
tire
sa
force
justement
de
son
enracinement
organisationnel
au
cœur
même
de
ce
qui
fait
‘vivre
le
business’.
Alors,
y
a-‐
t-‐il
une
troisième
voie
pour
agir
dans
un
système
paradoxant
?
Selon
un
mot
de
Christian,
c’est
là
que
réside
la
spécificité
de
l’équipe
par
rapport
à
d’autres
:
“Compliance
a
plus
une
approche
check-‐list.
Mais
cette
équipe
a
été
crée
pour
avoir
une
approche
par
les
risques,
c’est
pour
ça
qu’on
n’est
pas
middle
ou
back-‐office.
Ça
implique
non
seulement
d’obtenir
la
documentation
nécessaire
mais
une
véritable
analyse
en
termes
d’AML
et
de
risque
de
réputation”.
Marie
est
très
fière
de
son
équipe
et
considère
leur
travail
comme
très
important
:
«
on
doit
analyser
les
risques
potentiels
qu’une
contrepartie
peut
représenter,
avant
que
le
Sales
ne
puisse
traiter
avec,
mais
c’est
souvent
très
difficile
pour
eux
de
le
comprendre
».
Faire
partie
du
Front
Office
met
ainsi
l’équipe
dans
une
position
idéale
pour
“moraliser
le
Front”,
ce
qui
autrement
serait
très
difficile
à
partir
du
département
Conformité,
trop
déconnecté
et
même
physiquement
loin
du
Front
Office
et
de
sa
réalité
quotidienne.
Elle
doit
cependant
constamment
trouver
des
stratégies
légitimes
d’action
en
s’appuyant
sur
des
éléments
tirés
des
deux
forces
contraignantes,
afin
de
répondre
de
manière
professionnelle
et
efficace
à
ses
différents
maîtres.
Elle
est
engagée
dans
un
338
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
339
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
réactivité
en
particulier
sur
les
dossiers
risqués.
Lorsqu’ils
communiquent
avec
les
Front
Officers,
et
en
particulier
leur
hiérarchie
directe,
ils
insistent
fortement
sur
leur
réactivité
et
présentent
leur
travail
comme
une
valeur
ajoutée
au
business
à
travers
un
contrôle
plus
efficace
des
risques
(et
non
pas
seulement
comme
un
coût),
en
soulignant
la
prééminence
du
profit
(Rowland,
2005).
La
deuxième
a
été
l’inspection
d’un
régulateur
européen,
non
convaincu
du
bien
fondé
de
cet
enracinement
organisationnel,
douteux
de
leur
indépendance,
de
leur
capacité
à
produire
des
analyses
fiables
sans
céder
à
la
pression
des
Front
Officers,
et
de
la
qualité
des
contrôles
qu’ils
peuvent
effectuer
dans
de
telles
circonstances.
Là,
le
discours
été
orienté
d’une
manière
très
différente.
En
général,
lorsqu’ils
communiquent
avec
le
département
Conformité
ou
les
régulateurs,
ils
accentuent
leur
discours
autour
de
leur
indépendance
du
Front
Office,
qui
est
garanti
par
des
procédures
de
contrôle
interne
en
leur
montrant
les
différents
pas
qu’ils
suivent,
par
le
professionnalisme
et
l’expérience
de
l’équipe,
dont
certains
membres
avaient
auparavant
travaillé
dans
les
instances
de
régulation.
Marie
souligne
l’importance
la
lutte
anti-‐blanchiment
et
démontre
sa
grande
connaissance
des
textes
juridiques
et
de
leurs
implications.
Cependant,
il
est
important
de
noter
que
ceci
n’est
pas
un
double
discours,
ou
un
discours
ambigu
qui
permettrait
à
l’équipe
de
‘retourner
sa
veste’.
Au
contraire,
il
s’agit
d’une
stratégie
intégrative
qui
doit
faire
face
à
des
logiques
antagoniques,
et
qui
donc
s’adapte
à
chacune
des
perspectives
en
développant
ce
que
les
académiques
ont
nommé
l’ambidextrie
(Gibson
&
Birkinshaw,
2004;
Smith
&
Lewis,
2011)
comme
une
manière
efficace
de
faire
de
la
médiation
à
travers
les
paradoxes.
Ceci
n’est
bien
sur
pas
infaillible
:
«
quoi
qu’on
dise
ou
qu’on
fasse,
pour
le
business
on
sera
toujours
un
coût,
un
mal
nécessaire
qui
entrave
la
vitesse
des
transactions.
Et
pour
le
régulateur,
on
sera
toujours
l’insider
vénal,
(car
si
on
travaillait
pour
eux
en
faisant
la
même
chose
on
gagnerait
moins
d’argent)60
qui
se
laisse
forcément
corrompre
et
fait
semblant
de
ne
pas
voir
certaines
choses.
On
ne
réussira
jamais
à
convaincre
ni
les
uns,
ni
les
autres
»
(Julien),
mais
cela
leur
permet
une
intégration
progressive
des
alternatives
en
conflit
depuis
l’intérieur.
Le
système
paradoxant
implique
de
concevoir
autrement
le
rôle
du
manager
(et
donc
aussi
ses
responsabilités),
qui
serait
mieux
compris
comme
une
capacité
à
analyser
et
dévoiler
la
nature
du
système
paradoxant
par
le
bricolage
cognitif
et
à
développer
une
fonction
de
médiation
de
sorte
à
créer
une
interface
et
produire
la
60
Sans
avoir
vu
leur
grille
de
salaires,
lors
des
recrutements
Marie
nous
a
dit
qu’en
général
ils
étaient
mal
payés,
“5K
en
dessous
du
marché;
sans
bonus.
pour
avoir
le
droit
d'être
payé
a
peu
pres
normalement,
faut
se
défoncer”
-‐
Marie,
15
juin
2010.
340
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
341
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
342
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
343
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
Envisager
les
problèmes
de
l’éthique
comme
pratique
située
et
nichée
au
niveau
organisationnel
sous
l’angle
du
paradoxe
s’ouvre
comme
une
perspective
riche
à
développer.
Prendre
les
organisations
paradoxantes
comme
un
cadre
d’analyse
pour
l’éthique
managériale
en
pratique
dans
d’autres
contextes
se
révèle
pertinent
car
les
paradoxes
posent
un
réel
défi
pour
l’exercice
du
travail
managérial.
Comme
il
est
apparu,
dans
des
systèmes
paradoxants,
ont
fini
bien
par
trouver
des
personnes
qui
finalement
arrivent
à
naviguer
et
à
bricoler
une
pratique,
mais
la
question
de
la
durabilité
de
telles
organisations
demeure
si
les
personnes
potentiellement
changent.
Les
managers
sont
souvent
le
réceptacle
où
se
cristallisent
les
injonctions
des
différents
‘maîtres’,
et
c’est
donc
le
manager
–
comme
personne
mais
aussi
comme
fonction
–
qui
peut
énacter
et
construire
une
pratique
éthique.
Dans
ce
contexte,
leur
‘sagesse
pratique’
revient
à
pouvoir
dévoiler
le
caractère
paradoxant
de
l’organisation
et
de
développer
la
médiation,
qui
n’est
pas
une
manière
de
résoudre
les
paradoxes
eux-‐
mêmes,
mais
de
pouvoir
agir
et
prendre
des
décisions
dans
cette
situation
quotidienne
paradoxale.
Ces
idées
offrent
d’intéressantes
perspectives
pour
la
pratique
managériale
en
général,
et
pas
uniquement
dans
le
cadre
du
secteur
bancaire.
Enacter
la
cohérence
dépendra
alors
des
différences
de
contextes
et
des
‘maîtres’
spécifiques
auxquels
on
doit
répondre,
car
pour
comprendre
des
phénomènes
éthiques
complexes,
il
est
en
effet
essentiel
d’enraciner
les
théorisations
sur
la
complexité
des
réalités
spécifiques
que
l’on
étudie
(Nielsen,
2010a).
De
futures
recherches
pourront
contribuer
à
identifier
les
mécanismes
sous-‐jacents
et
aider
les
managers
à
médier
pour
la
cohérence.
344
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
61
“Aujourd’hui
encore,
je
suis
vivant.
Encore
je
te
soulève,
vie,
sur
mes
épaules”
(Notre
traduction).
62
Ce
chapitre
est
largement
issu
des
idées
développées
dans
le
working
paper
«
Compliance
or
Comfort
zone
?
the
work
of
embedded
ethics
in
performing
regulation
»
co-‐écrit
avec
S.
Picard,
et
actuellement
soumis
au
Journal
of
Business
Ethics,
au
troisième
tour
de
révisions.
Cet
article
est
aussi
lauréat
du
«
Excellence
in
Ethics
Best
Paper
Award
2013
»
décerné
le
10.05.2013
par
la
University
of
Notre
Dame,
Mendoza
College
of
Business,
Institute
for
Ethical
Business
Worldwide.
345
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
346
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
territoire
et
son
régime
politique
actuel,
par
exemple
des
pays
non
coopératifs
avec
les
organisations
internationales,
instable
politiquement
voire
en
guerre
ou
guerre
civile,
ou
comme
nous
voyons
actuellement,
les
risques
liés
à
la
dette
extérieure
d’un
pays.
Ainsi,
une
partie
du
travail
des
analystes
consistait
à
faire
de
la
veille
non
seulement
règlementaire
mais
géopolitique,
et
de
constamment
mettre
à
jour
leurs
‘fiches
pays’
existantes
et
de
produire
des
nouvelles
lorsqu’une
nouvelle
contrepartie
basée
dans
un
pays
non
encore
étudié
se
présente.
Mais
le
fond
de
l’affaire
dans
le
KYC
pour
la
banque,
n’est
ni
d’éviter
le
financement
du
terrorisme,
ni
de
dévoiler
les
agencements
complexes
des
paradis
fiscaux,
mais
tout
simplement
de
sauvegarder
sa
propre
réputation
en
tant
qu’institution.
Là
où
le
lien
n’est
pas
établi
pour
le
risque
KYC
c’est
qu’alors
que
les
économistes
modélisent
bien
les
risques
sur
les
opérations
financières
en
leur
donnant
un
coût,
les
acteurs
de
la
finance
n’arrivent
pas
à
voir
l’impact
du
risque
non
mesurable
de
réputation,
puisque
ça
n’influence
pas
directement
la
transaction
concernée.
Même
le
comité
de
Bâle
ne
donne
pas
de
définition
du
risque
de
réputation
dans
les
définitions
des
risques
opérationnels,
car
il
n’est
pas
quantifiable.
Maximiser
les
gains
ou
minimiser
les
pertes
?
On
ne
peut
pas
raisonner
en
ces
termes
dans
la
conformité.
Or,
en
finance,
la
meilleure
stratégie
pour
maximiser
les
gains
passe
souvent
par
le
fait
d’ignorer
certains
risques
non
modélisables
–
leur
non-‐modélisation
équivalent
de
fait
à
les
considérer
comme
non-‐existants.
Avec
l’obligation
de
KYC-‐AML,
les
banques
deviennent
des
acteurs
majeurs
dans
le
policing
international
et
se
doivent
donc
de
répondre,
par
leurs
actions,
aux
exigences
d’autres
parties
prenantes
sociales.
Les
entreprises
peuvent
se
couvrir
des
risques
climatiques
et
de
leurs
responsabilités
en
achetant
des
dérivés
climatiques.
Mais
que
faire
contre
les
risques
engendrés
par
sa
propre
activité,
ou
liées
à
sa
propre
activité
?
On
ne
peut
pas
(encore)
acheter
des
dérivés
KYC...
Que
veut
dire
alors
concrètement,
pour
la
pratique
de
la
conformité,
la
nouvelle
‘approche
par
les
risques’
?
Cette
notion
introduite
par
la
3e
directive
de
2005
est
à
l’origine
d’un
changement
organisationnel
et
professionnel
pour
les
personnes
chargées
de
la
conformité
:
l’ancienne
approche
check-‐list
–
où
le
rôle
des
analystes
consistait
simplement
en
une
série
de
vérifications
et
de
‘cocher
les
cases’
dans
une
longue
liste
d’obligations
règlementaires
–
devenait
une
‘approche
par
les
risques’,
où
l’analyste
doit
ajuster
le
niveau
de
diligence
(concrètement,
les
éléments
à
cocher)
en
fonction
du
risque
potentiel
représenté
par
la
contrepartie.
Or,
même
si
cette
approche
par
les
risques
peut
ainsi
être
résumée
en
quelques
mots,
ce
que
concrètement
elle
est
sensée
recouvrir
et
impliquer
pour
être
implémentée
est
laissé
à
la
discrétion
de
chaque
instance
de
régulation,
qu’elle
soit
interne
(départements
conformité
des
banques
par
347
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
348
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
Dans
l’équipe
A,
la
nouvelle
approche
par
les
risques
n’a
pas
constitué
un
changement
particulier
dans
leur
manière
de
travailler,
et
ils
ont
continué
à
travailler
selon
une
approche
check-‐list
classique.
Leur
processus
était
très
standardisé
et
attaché
aux
cases
cochées.
Par
exemple,
pour
l’équipe
A,
une
contrepartie
basée
dans
un
paradis
fiscal
ou
dans
un
pays
sur
la
liste
rouge
du
GAFI
ou
liée
à
une
personne
politiquement
exposée
était
automatiquement
classifiée
comme
‘high
risk’
alors
qu’un
client
basé
en
Europe
était
automatiquement
classifié
comme
‘low
risk’.
Ils
ont
interprété
l’approche
par
les
risques
simplement
comme
le
devoir
d’être
plus
vigilants
au
niveau
des
éléments
de
la
check-‐list,
et
de
redoubler
d’intransigeance
à
son
égard.
De
son
côté
l’équipe
B
(KYC-‐AML)
avait
mis
en
pratique
cette
approche
par
les
risques
d’une
toute
autre
façon.
Puisque
c’est
eux
qui
devaient
gérer
la
plupart
des
contreparties
potentiellement
risquées
(i.e.
les
plus
complexes,
souvent
très
loin
de
la
check-‐list
et
difficiles
à
catégoriser),
ils
allaient
depuis
leur
création
en
2006
au
delà
de
la
question
des
cases
à
cocher
pour
faire
une
évaluation
générale
des
risques
potentiels
en
fonction
de
leur
jugement
personnel,
qui
permettait
ainsi
d’ajuster
le
niveau
de
diligence.
Ils
devaient
rendre
non
seulement
le
résultat
de
leur
analyse
(leur
avis)
mais
aussi
les
éléments
qui
ont
constitué
leur
réflexion,
appuyés
par
des
documents
probants
(presse,
condamnations...).
L’expérience
des
analystes
–
autant
au
niveau
individuel
mais
surtout
aussi
au
niveau
du
collectif
d’analystes
–
était
aussi
un
facteur
essentiel
pour
l’identification
de
nouveaux
risques
dans
la
mesure
où
d’anciens
cas
constituent
de
ce
fait
une
sorte
de
jurisprudence.
En
particulier,
le
travail
de
la
conformité
se
fait
au
jour
le
jour
par
rapport
aux
nombreuses
situations
qui
ne
sont
pas
explicitement
envisagées
dans
la
règlementation.
Ainsi,
ceci
voulait
dire
que
la
catégorie
de
risque
n’était
plus
accordée
automatiquement
en
fonction
des
éléments
de
la
liste
(par
exemple
considérer
comme
‘high
risk’
une
contrepartie
basée
dans
un
paradis
fiscal).
L’évaluation
du
risque
était
plutôt
justifiée
après
un
processus
d’investigation
et
en
fonction
de
sa
propre
compréhension
de
la
situation,
et
non
pas
seulement
sur
les
critères
de
la
liste.
Concrètement,
les
analystes
de
l’équipe
B
pouvaient
ajuster
le
degré
d’acceptabilité
de
certains
risques
tant
que
cela
était
justifié
dans
le
KYC
mémo.
Ils
avait
donc
cette
liberté
pour
‘travailler
autour’
de
la
liste.
Ainsi,
un
dossier
‘incomplet’
du
point
de
vue
de
la
check-‐list
n’était
pas
systématiquement
refusé
dans
certaines
circonstances,
et
de
la
même
manière
un
dossier
complet
du
point
de
vue
de
la
check-‐list
n’était
pas
systématiquement
approuvé.
Alors
que
rationnellement
c’est
bien
l’approche
check-‐list
intransigeante
qui
permettrait
d’arriver
à
cette
‘tolérance
zéro’
fantasmée
par
la
société
et
obsédant
les
régulateurs
dans
leurs
discours
sur
la
conformité,
c’est
en
fait
impossible
à
mettre
349
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
concrètement
en
pratique
:
«
si
on
devait
vraiment
cocher
chaque
case
sur
la
liste,
il
n’y
aurait
jamais
un
seul
client
d’approuvé
»
(Clément).
Ceci
pose
d’importantes
questions,
car
l’approche
check-‐list
peut
constituer
un
véritable
frein
pour
le
business
du
fait
de
son
intransigeance
d’une
part,
et
de
l’augmentation
des
obligations
règlementaires
qui
pèsent
sur
les
dossiers
d’autre
part.
Mais
si
l’équipe
A
arrive
à
fonctionner
ainsi,
c’est
aussi
en
fonction
de
la
nature
des
dossiers
qu’elle
doit
gérer
(en
majorité
des
fonds
régulés
en
Europe
et
d’autres
contreparties
généralement
peu
risquées).
Or,
l’équipe
B
ne
pourrait
pas,
effectivement
approuver
qu’une
partie
infime
de
ses
demandes,
en
majorité
des
dossiers
complexes,
des
structures
obscures,
et
où
le
risque
de
blanchiment
et
presque
toujours
élevé.
Cependant,
il
y
a
des
cas
où
les
tensions
sont
vives,
et
où
malgré
toute
la
bonne
volonté
de
l’équipe
de
ne
pas
représenter
un
poids,
ils
continuent
d’être
perçus
comme
tels
en
raison
de
leur
résistance
stoïque
–
et
collective
-‐
sur
les
limites
à
ne
pas
franchir
:
(Réunion
avec
Marie,
Clément,
Nathalie,
le
Sales
et
son
head
of
desk,
7.05.2010)
-‐
(Nathalie,
à
moi
dans
le
couloir
avant
de
rentrer
dans
la
salle
de
réunion)
Ce
dossier
traîne
depuis
6
mois
car
le
client
ne
veut
pas
donner
la
doc
sur
l’origine
des
fonds
et
les
bénéficiaires
effectifs.
En
l’état,
ça
ne
passera
pas.
-‐
(Marie,
toujours
dans
le
couloir,
uniquement
à
moi,
Nathalie
et
Clément)
On
aurait
du
l’envoyer
direct
chez
M.
Chambertin
ce
truc
pour
ne
plus
en
parler.
-‐
(Clément)
Ils
nous
prennent
vraiment
pour
des
idiots.
On
sait
que
c’est
une
family
office,
c’est
évident
qu’ils
gèrent
des
clients
fortunés,
c’est
clair
que
les
fonds
ne
peuvent
pas
bénéficier
‘à
personne’
On
rentre
dans
la
salle
de
réunion,
et
on
rencontre
le
Sales
et
son
head
of
desk.
Selon
Marie,
pour
lui
c’est
la
faute
à
KYC
si
ça
bloque,
et
il
veut
absolument
traiter
avec
ce
client.
On
s’installe
dans
la
salle.
Cette
réunion
est
particulièrement
délicate
car
on
sera
en
conference
call
avec
le
client.
Il
est
très
rare
que
KYC-‐AML
interagisse
directement
avec
le
client,
mais
apparemment
ceci
était
nécessaire
pour
débloquer
la
situation,
car
le
Sales
refusait
de
mettre
lui-‐même
la
pression
sur
le
client
pour
obtenir
la
documentation
et
a
poussé
pour
que
ce
soit
l’équipe
elle-‐même
qui
le
fasse.
L’analyste
chargée
du
dossier
est
Nathalie,
mais
compte
tenu
de
la
gravité
de
la
situation,
Marie
et
Clément
se
sont
également
déplacés
pour
l’épauler
si
besoin,
a
minima
pour
pas
qu’elle
se
retrouve
en
minorité
face
au
Sales
et
à
son
chef.
Celui-‐ci
clairement
s’ennuie
:
il
sort
immédiatement
son
Blackberry
et
consulte/répond
à
des
messages.
-‐
(Head
of
desk)
Je
veux
que
ce
soit
bon
aujourd’hui.
(Il
restera
cinq
minutes
le
temps
de
commencer
à
discuter
avec
le
Sales).
Bon,
va
falloir
que
je
vous
laisse.
Je
compte
sur
vous
hein
!
-‐
(Sales,
rigolant
à
moitié)
c’est
le
plus
long
KYC
que
vous
ayez
fait
?
-‐
(Clément)
Non,
non.
Parfois
on
en
a
eu
qui
duraient
jusqu’à
9
mois.
(Puis
cherche
à
rassurer
le
Sales)
Mais
on
préfère
monter
un
bon
dossier
depuis
le
début,
comme
ça
après
vous
êtes
350
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
tranquilles.
En
plus,
c’est
un
gros
client
d’après
ce
que
j’ai
compris,
donc
après
ça,
ce
sera
bon.
Car
si
on
le
remonte
en
l’état
à
la
Compliance
ça
ne
passera
pas.
S’ensuit
la
conference
call
en
anglais
avec
le
client,
qui
dit
avoir
déjà
envoyé
les
documents
(alors
que
non)
et
proteste
en
disant
que
la
France
est
le
seul
pays
où
on
lui
a
demandé
ce
genre
de
choses.
Au
final,
le
client
accepte
de
fournir
les
documents.
Tout
le
monde
semble
content
et
soulagé,
dans
le
couloir
Marie
me
dit
que
le
deal
devrait
normalement
se
conclure
dans
une
dizaine
de
jours
si
le
client
tient
parole.
-‐
(Marie)
Même
si
le
doc
manquant
a
l’air
simple
comme
ça,
ça
fait
six
mois
qu’on
essaye
de
l’obtenir.
Des
fois
je
me
demande
si
on
ne
devrait
pas
arrêter
tout
simplement
de
traiter
avec
les
Trusts,
point
barre,
parce
qu’à
chaque
fois
c’est
galère
pour
obtenir
les
infos.
Mais
ce
genre
de
choses
ça
ne
passe
pas
!
-‐
(Clément,
toujours
avec
sa
pointe
d’humour)
en
même
temps,
c’est
fait
pour
ça.
Quand
on
a
recours
à
des
Trusts
c’est
qu’on
veut
surtout
pas
dévoiler
d’infos.
7.1.1.3.
Les
impacts
sur
l’organisation
et
la
productivité
Du
point
de
vue
organisationnel,
la
mise
en
pratique
de
la
nouvelle
directive
est
intéressante,
car
elle
a
renforcé
l’antagonisme
déjà
existant
des
deux
équipes,
l’une
étant
structurellement
indépendante
du
Front
Office
et
sans
conflits
d’intérêts
apparents
(l’équipe
A)
et
l’autre
y
étant
nichée
en
son
cœur
(l’équipe
B).
En
effet,
en
mai
2010,
il
a
été
décidé
de
mettre
en
place
une
réorganisation
des
processus
d’analyse
pour
mieux
refléter
la
nouvelle
directive.
Pour
mieux
la
comprendre,
le
tableau
ci-‐après
est
une
reconstitution
qui
cherche
à
récapituler
l’ensemble
des
évolutions
de
la
cellule
KYC-‐AML
et
de
ses
responsabilités
depuis
sa
création
en
2006,
jusqu’au
moment
où
nous
avons
fini
la
période
de
stage,
à
partir
de
ce
que
l’équipe,
Marie
et
les
archives
ont
pu
fournir
comme
informations63.
On
voit
qu’en
2006
lors
de
sa
création,
l’équipe
B
était
totalement
soumise
à
l’équipe
A
dans
le
processus
d’approbation
des
dossiers
qui
devaient
nécessairement
passer
par
cette
double
vérification
avant
d’arriver
à
l’AMLO.
Leur
travail
était
sans
grande
valeur
ajoutée,
et
se
limitait
à
la
collecte
des
données
et
à
la
constitution
des
dossiers
qui
seraient
ensuite
analysés
par
l’équipe
A
et
puis
validés
par
l’AMLO.
Début
2010,
on
peut
voir
qu’il
y
avait
deux
canaux
qui
avaient
évolué
en
parallèle,
mais
non
encore
officialisés
:
c’est
toujours
l’équipe
B
qui
faisait
la
collecte
des
données
pour
l’ensemble
des
demandes,
mais
certains
dossiers
où
le
risque
AML
était
particulièrement
élevé
étaient
directement
analysés
par
eux
puis
soumis
à
l’AMLO
sans
63
Je
ne
considère
donc
pas
pour
ce
travail
les
changements
qui
ont
pu
avoir
lieu
après
mon
départ
du
terrain,
malgré
la
violence
que
cela
représente
que
d’isoler
un
moment
particulier
dans
l’histoire
dynamique
de
cette
organisation.
351
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
passer
par
l’analyse
de
l’équipe
A.
La
raison
qui
m’a
été
donnée
était
que
l’équipe
A
ne
possédait
pas
les
compétences
juridiques
spécifiques
pour
donner
un
avis
sur
ces
dossiers,
et
donc
l’accord
tacite
entre
les
trois
parties
(les
2
équipes
et
l’AMLO)
était
que
l’équipe
A
ne
faisait
que
forwarder
directement
le
dossier
à
l’étape
suivante
sans
le
regarder.
Ceci
n’aurait
pas
posé
de
problèmes
particuliers,
si
ce
n’est
que
l’équipe
A
–
parfois
intentionnellement
–
bloquait
le
flux
des
dossiers
en
les
maintenant
«
chez
eux
»
ou
en
tardant
à
le
renvoyer.
Les
dynamiques
interpersonnelles
étaient
fortes,
et
les
inimités
étaient
ravivées
à
chaque
dossier
de
ce
type,
car
l’équipe
A
se
sentait
en
quelque
sorte
dépassée.
La
plupart
des
dossiers
continuaient
cependant
le
trajet
normal
avec
l’analyse
préalable
par
l’équipe
A,
qui
là
encore
jouait
de
sa
position
de
force
pour
‘faire
un
back’
en
argumentant
qu’il
manquaient
des
éléments
de
la
check-‐list
sans
chercher
à
comprendre
les
raisons.
Pour
résoudre
ce
genre
de
situations,
il
y
avait
une
série
de
réunions
qui
devaient
se
faire
entre
l’équipe
B
et
l’AMLO
en
dehors,
afin
de
traiter
les
dossiers
et
mettre
un
peu
de
pression
sur
l’équipe
A.
Figure
32:
Reconstitution
de
l'évolution
de
l'organisation
des
dossiers
depuis
la
création
de
l'équipe
KYC-‐AML
Ac#on&
Instruc#on&des& Analyse&des&
& Collecte&des&données& Valida#on&&
Temps&& dossiers& dossiers&&
Créa5on*de*l’équipe*B*(3*personnes,*dont*Marie*et*
Cellule*KYC*(équipe* Département*
2006& Daniel)*ra@achée*au*Front*Office,*ligne*mé5er*MM.**
A)*Middle*Office* Conformité,*AMLO.**
Fonc5on:*collecteurs,*check*list**sur*dossiers*low*risk*
Equipe*KYCLAML*(chargée*aussi*des*contrôles*MIFID)*
Début& Département*
ra@achée*à*ligne*mé5er*MM*:*7*personnes**(tous** Cellule*KYC*(équipe*
2010& Conformité,*AMLO.**
niveaux*de*risques)* A)*Middle*Office*
Département*
Equipe*KYCLAML*(chargée*aussi*des*contrôles*MIFID)*ra@achée*à*ligne*mé5er* Conformité,*AMLO.**
Avril&2010& MM*:*9*personnes**(dossiers*medLhigh*et*high*risk)*
Cellule*KYC*(équipe*
Cellule*KYC*(équipe*A)*Middle*Office*(dossiers*medLlow*et*low*risk)* A)*Middle*Office*
Département*
Equipe*KYCLAML*(chargée*aussi*des*contrôles*MIFID)*ra@achée*à*ligne*mé5er* Conformité,*AMLO.**
Mai@Juin& MM*:*9*personnes**(dossiers*medLhigh*et*high*risk*de*France,*UK,*Italie,*Espagne,* *
Allemagne)*
2010& Cellule*KYC*(équipe*
Cellule*KYC*(équipe*A)*Middle*Office*(dossiers*medLlow*et*low*risk)* A)*Middle*Office*
Département*
Equipe*KYCLAML*(chargée*aussi*des*contrôles*MIFID)*ra@achée*à*ligne*mé5er* Conformité,*AMLO.**
Novembre& MM*:*15L16*personnes**(dossiers*medLhigh*et*high*risk*de*France,*UK,*Italie,* *
2010& Espagne,*Allemagne,*Asie*en*cours)* Cellule*KYC*(équipe*
A)*Middle*Office*
Cellule*KYC*(équipe*A)*Middle*Office*(dossiers*medLlow*et*low*risk)* contrôlés*par*KYCO*
En
avril
2010
(à
mon
arrivée),
on
voit
un
vrai
changement
intervenir
pour
résoudre
ces
situations
problématiques.
On
voit
qu’auparavant
l’équipe
B
devait
faire
«
tout
le
boulot
»
de
collecte
des
données
pour
chaque
dossier.
Or,
le
nouveau
workflow
352
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
prévoyait
que
selon
les
types
de
dossiers,
ils
étaient
automatiquement
dirigés
vers
une
ou
l’autre
équipe,
qui
devait
ensuite
le
suivre
depuis
la
collecte
des
données
jusqu’à
l’analyse.
Ensuite,
l’équipe
A
a
aquis
le
pouvoir
de
valider
certains
dossiers
(non
risqués)
et
restait
dans
une
fonction
de
‘validation
formelle’
des
dossiers
de
l’équipe
B
avant
leur
validation
définitive
par
l’AMLO.
On
voit
enfin
qu’en
mai-‐juin
le
changement
des
processus
s’était
achevé
par
l’élimination
de
cette
étape
de
validation
formelle
par
l’équipe
A.
Les
deux
équipes
étaient
désormais
autonomes
l’une
de
l’autre,
et
en
novembre,
l’équipe
A
a
bénéficié
d’un
interlocuteur
privilégié
avec
la
création
du
poste
de
KYCO,
qu’a
pris
M.
Touraine
(auparavant
il
faisait
partie
de
l’équipe
de
M.
Chambertin,
l’AMLO,
et
parfois
l’équipe
B
continuait
souvent
de
le
rencontrer
aussi,
en
particulier
pour
l’élaboration
de
la
nouvelle
KYC
Policy).
Le
tableau
ci-‐après
reconstitue
l’ensemble
des
étapes
du
nouveau
processus
d’analyse,
en
précisant
les
steps
du
workflow
(colonne
A),
l’acteur
qui
accomplit
chaque
étape
(colonne
B),
en
quoi
consiste
formellement
l’étape
en
question
(colonne
C),
ce
qui
est
réellement
fait
à
chaque
étape
(colonne
D)
et
les
implications
et
enjeux
en
termes
d’éthique
que
chaque
étape
amène
(colonne
E)64.
En
mai
2010,
l’étape
3b
dans
ce
tableau
–
sensée
garantir
l’indépendance
de
l’équipe
B
par
un
contrôle
supplémentaire
par
l’équipe
A
-‐
a
été
annulée.
Cette
décision
n’a
pas
été
facile
et
a
provoqué
l’audit
que
l’équipe
a
subi
en
novembre
2010
par
le
régulateur
anglais
qui
doutait
de
la
capacité
de
l’équipe
B
à
maintenir
son
indépendance
sans
le
contrôle
de
l’équipe
A.
Or,
malgré
les
pressions
et
le
stress
qu’ils
enduraient
(voir
steps
5
et
6
dans
le
tableau)
la
prévention
des
risques
menée
par
l’équipe
B
a
été
légitimée
y
compris
lors
de
l’audit,
pour
montrer
que
non
seulement
ils
de
devenait
pas
“too
friendly
with
the
front”,
preuves
à
l’appui
sous
forme
de
dossiers
refusés
alors
que
la
pression
pour
les
approuver
ou
simplement
pour
“speed
up
the
process”
était
forte.
Ils
ont
été
fortement
épaulés
lors
de
l’audit
et
du
processus
de
changement
organisationnel
par
l’AMLO
et
son
équipe,
qui
ont
toujours
défendu
leur
professionnalisme
et
indépendance.
-‐
(Marie)
Notre
AMLO,
par
rapport
à
ceux
d’autres
banques
françaises,
déclare
peu,
mais
bien.
Il
y
en
a
d’autres
qui
déclarent
beaucoup,
même
si
au
final
peu
sont
instruites
au
parquet
car
cela
leur
permet
d’obtenir
des
exonérations
de
responsabilité.
Mais
ici,
on
essaye
de
construire
un
bon
dossier
dès
le
départ.
Moi
j’aime
beaucoup
travailler
avec
lui.
C’est
un
décideur,
un
vrai.
Et
quand
il
y
a
eu
des
tensions
avec
les
Sales,
il
nous
couvre
et
nous
défend.
64
Nous
discuterons
cette
dernière
colonne
dans
la
sous-‐partie
suivante.
Notons
que
ce
tableau
montre
un
workflow
simplifié
pour
les
objectifs
du
presents
travail.
Il
y
a
en
particulier
une
validation
qui
doit
être
faite
par
le
Head
of
Desk
du
Sales,
puis
depuis
Septembre
2010
un
“consistency
check”
avant
ce
qui
figure
ici
comme
step
3.
353
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
354
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
Le
premier
critère
d’évaluation
de
la
performance
des
équipes
de
conformité
est
leur
efficacité
pour
prévenir
et
gérer
les
risques.
Or,
l’audit
a
légitimé
que
ce
nouveau
processus
allégé
(sans
l’étape
3b
de
validation)
non
seulement
ne
portait
pas
atteinte
à
cet
objectif,
mais
au
contraire
était
une
valeur
ajoutée
pour
y
arriver.
En
effet,
il
a
été
conclu
–
ce
qui
a
entériné
cette
réorganisation
–
que
l’équipe
B
disposait
des
instruments
en
termes
de
formation,
de
professionnalisme
et
d’analyse
qui
garantissaient
(sans
devoir
recourir
à
une
étape
formelle
de
contrôle
par
l’équipe
A)
à
une
analyse
fine
des
dossiers
grâce
à
leur
approche
par
les
risques.
Les
dossiers
analysés
lors
de
l’audit
ont
montré
que
l’équipe
A,
encore
cantonnée
à
une
check-‐list,
n’avait
pas
su
détecter
certains
risques
‘cachés’.
En
revanche,
l’équipe
B
a
su
trouver
un
moyen
de
répondre
à
un
besoin
:
«
It
is
important
that
compliance
risk
is
seen
as
being
owned
by
the
business
andis
not
viewed
as
an
issue
in
which
only
the
compliance
function
has
an
interest
and
responsibility
»
(Rapport
de
la
FSA
suite
à
l’audit).
Les
résultats
de
ce
changement
organisationnels
étaient
visibles
aussi
en
termes
de
productivité
–
deuxième
critère
essentiel
pour
BUF-‐BI.
Alors
la
plupart
des
fonctions
supports
sont
perçues
comme
un
frein
au
business,
l’équipe
B
était
en
train
de
se
positionner
comme
autre
chose
qu’un
centre
de
coût.
Ainsi,
la
réorganisation
avait
permis
de
mettre
en
valeur
non
seulement
le
meilleur
management
des
risques
opérés
par
l’équipe
B
par
leur
analyse
plus
fine
grâce
à
l’approche
par
les
risques,
mais
aussi
se
révélait
comme
une
valeur
ajoutée
pour
le
business.
En
effet,
un
certain
nombre
de
dossiers
qui
n’auraient
pas
été
approuvés
auparavant
par
l’équipe
A
avec
leur
vision
intransigeante
du
respect
de
la
lettre
de
la
loi
(et
des
listes),
étaient
désormais
validés
par
l’AMLO
suite
à
l’analyse
approfondie
de
l’équipe
B
qui
permettait
de
démontrer
qu’un
manque
de
certains
documents
par
exemple
n’était
pas
pour
autant
le
signe
d’un
risque.
L’équipe
B
est
en
fait
devenue
une
interface
qui
augmentait
la
productivité,
tout
en
faisant
une
meilleure
prévention
des
risques.
Y
compris
sur
les
dossiers
difficiles
et
complexes,
leur
expertise
acquise
leur
permettait
de
déceler
rapidement
les
risques
potentiels
et
de
conduire
leur
analyse
dont
le
degré
d’approfondissement
permettait
à
l’AMLO
de
prendre
une
décision
plus
rapidement
que
sur
les
dossiers
constitués
par
l’équipe
A.
Nous
avons
pu
mettre
ces
éléments
en
évidence
grâce
à
une
étude
comparative
des
dossiers
menés
par
les
deux
équipes
depuis
200965,
qui
a
été
mise
en
avant
lors
de
l’audit
et
les
événements
qui
ont
suivit.
Il
y
avait
un
total
de
1148
dossiers
(analysés
jusqu’à
validation/refus),
c’est-‐à-‐dire
environ
5,3
à
faire
par
jour
ouvrable
par
une
équipe
de
6
personnes
à
l’époque,
soit
0,8
dossiers
à
faire
par
jour
par
personne.
Quand
on
voyait
la
complexité
des
dossiers,
la
charge
de
travail
était
quand
même
65
Pour
des
raisons
de
confidentialité,
le
détail
des
chiffres
dossiers
n’est
pas
fourni.
355
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
énorme,
et
en
2010
pendant
notre
étude,
avec
l’élargissement
à
l’Europe,
puis
à
l’Asie,
ce
nombre
n’a
pas
cessé
d’augmenter.
Même
si
l’équipe
s’est
aussi
renforcée
en
effectifs,
la
charge
restait
très
elevée.
Sur
ces
chiffres
de
2009,
on
constate
que
l’équipe
B
était
ainsi
trois
fois
plus
rapide
que
l’équipe
A
sur
les
dossiers
peu
risqués,
et
20%
plus
rapide
sur
les
dossiers
nécessitant
une
analyse
approfondie.
Ces
chiffres
sont
d’autant
plus
intéressants
que
nous
rappelons
que
les
dossiers
non
risqués
constituaient
l’essentiel
de
la
charge
de
l’équipe
A
alors
qu’ils
constituaient
une
partie
infime
des
dossiers
de
l’équipe
B.
7.1.2.
INCARNER
LA
CONFORMITE
C’est
bien
des
hommes
et
des
femmes
qui
jour
après
jour
font
vivre
la
conformité
en
l’énactant
au
sein
des
organisations.
Mais
incarner
cette
figure
de
la
loi,
de
l’ennemi
interne
du
profit,
n’est
pas
sans
conséquences.
Nous
avons
déjà
évoqué
comment
ceci
se
traduisait
par
des
contradictions
organisationnelles
fortes,
et
nous
avons
commencé
à
évoquer
quelques
impacts
pour
le
travail
concret
des
individus.
Or,
incarner
la
loi
est
quelque
chose
qui
ramène
les
contradictions
et
les
tensions
au
sein
même
de
sa
personne,
de
son
rôle
et
de
son
corps.
Ainsi,
dans
une
organisation,
il
y
a
une
séparation
nette
entre
les
clients
internes
et
les
ennemis
internes.
Ce
clivage
qui
demeure
aujourd’hui,
Assouly
l’avait
déjà
remarquait
à
la
fin
des
années
90
quand
le
poste
de
déontologue
des
marchés
avait
été
crée
:
«
la
déontologie,
c’est
vous,
moi
je
suis
là
pour
faire
du
profit
»
;
«
moi
je
me
préoccupe
de
faire
du
business,
vous
êtes
là
pour
nous
trouver
des
solutions
afin
de
le
faciliter
»
(Assouly,
2011:14).
On
retrouve
la
même
tension
entre
déontologie
et
objectifs
de
profit,
et
idée
que
le
rôle
du
déontologue
est
de
faciliter
cet
objectif,
en
prévenant
des
sanctions,
mais
sans
entraver
le
cours
des
affaires.
Elle
se
demande
«
pourquoi
la
responsabilité
d’agir
selon
la
déontologie
serait
d’abord
l’affaire
de
la
personne
qui
en
occupe
la
fonction
et
comment
les
opérateurs
peuvent
respecter
les
règles
qui
encadrent
leurs
activités
si
même
leurs
dirigeants
ne
se
sentent
pas
directement
concernés
par
la
déontologie
»
?
(2011
:14).
Dans
son
analyse,
il
semblerait
que
les
déontologues
servent
pour
que
les
dirigeants
se
défassent
de
leurs
responsabilités,
en
délégant
les
questions
d’éthique
et
de
morale.
Mais
alors
quel
sens
donnent-‐ils
aux
règles
?
Pour
rejoindre
Montesquieu,
il
sera
donc
largement
question
non
pas
du
respect
de
la
lettre
des
normes,
mais
de
leur
âme,
car
elles
sont
incarnées
par
des
sujets
qui
les
éprouvent,
les
transforment,
les
interprètent
et
les
verbalisent.
356
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
357
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
question
de
l’éthique
une
place
prépondérante
dans
leur
travail,
comme
s’il
s’agissait
du
cœur
de
métier,
et
d’autant
plus
important
compte
tenu
de
leur
positionnement
organisationnel
déjà
analysé
dans
le
chapitre
précédent
et
de
leur
activité.
Chaque
membre
de
l’équipe
n’entendait
pas
la
mise
en
pratique
des
réglementations
comme
une
exécution
aveugle
de
la
conformité,
mais
comme
ayant
des
enjeux
d’éthique
importants,
où
ils
étaient
concernés
non
pas
seulement
en
tant
qu’analystes
de
la
conformité,
mais
en
tant
que
personnes,
que
sujets
moraux.
Marie
le
précise
quand
elle
dit
que
la
moralisation
va
de
pair
avec
une
responsabilité
au
delà
du
business
pour
faire
du
business
propre.
‘Moraliser’
n’est
donc
pas
compris
dans
un
sens
négatif,
mais
positif,
conçu
comme
une
responsabilisation,
associée
au
syntagme
‘business
propre’.
Etre
responsables
de
ce
business
propre
et
énacter
cette
idée
au
quotidien
suggère
que
les
analystes
étaient
en
train
de
faire
sens
de
leur
travail
en
réintroduisant
des
enjeux
d’éthique
particuliers,
et
une
véritable
agence
morale
dans
leur
manière
de
concevoir,
de
parler
de,
et
de
performer
leur
travail
(cf.
colonnes
D
et
E
du
tableau
précédent).
Plus
encore,
cette
agence
morale
est
d’autant
plus
importante
qu’elle
valorise
leur
travail
:
ils
ne
sont
plus
des
‘secrétaires’
mais
des
‘analystes
de
risque’.
Ce
genre
de
propos
souligne
ce
que
d’autres
travaux
en
sociologie
de
la
finance
ont
déjà
remarqué
sur
la
mauvaise
image
qu’ont
les
fonctions
support,
associées
à
des
tâches
de
secrétariat,
méprisées
comme
étant
un
travail
bureaucratique
et
largement
inutile,
et
méprisées
d’autant
plus
qu’elles
sont
associées
à
une
dimension
féminine
par
opposition
aux
centres
de
profit
valorisés
et
masculins
associés
au
Front
Office
(Godechot,
2001
;
Zaloom,
2006).
Une
autre
réaction
courante
était
celle
de
les
tourner
en
dérision
(Faÿ,
2008),
et
d’utiliser
les
clichés
sur
leur
rôle
de
‘police’
(Mueller
&
Whittle,
2012)
pour
ne
pas
les
prendre
au
sérieux
:
«
Chambertin
c’est
typiquement
le
genre
de
mec
qui
fait
peur,
on
avoue
tout
en
moins
de
2
min
devant
un
mec
comme
ça
!
Limite
je
commence
à
me
flageller
dès
qu’il
arrive,
mea
culpa,
mea
culpa
!
»
(Conversation
entendue
dans
un
ascenseur,
le
3.11.2010)
Pour
l’équipe,
leur
fonction
mais
aussi
leur
rôle
était
en
train
de
connaître
des
profondes
mutations
en
particulier
par
l’intégration
de
ces
enjeux
d’éthique
au
cœur
même
de
leur
travail,
car
elle
leur
permettait
de
retrouver
une
indépendance
d’agir
loin
d’être
des
simples
exécutants
et
secrétaires.
7.1.2.2.
La
voix
de
la
conformité
Une
partie
importante
de
leur
temps
est
passé
au
téléphone
ou
par
mail
avec
les
Sales,
pour
leur
demander
de
la
documentation
complémentaire,
pour
expliquer
et
358
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
359
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
Elise,
habituellement
la
plus
discrète
de
l’équipe,
après
avoir
raccroché
avec
Londres,
en
se
levant
de
sa
chaise
:
-‐
(Elise)
Mais
ils
sont
vraiment
cons
!
Oh
putain,
ils
m’énervent
ces
cons
d’Anglais
!
Ça
fait
je
ne
sais
pas
combien
de
mails
que
je
leur
envoie
pour
leur
dire
que
même
si
le
Sales
est
à
Londres,
le
booking
est
approuvé
à
Paris
et
donc
il
faut
AUSSI
un
approval
Paris,
mais
non
!
ils
ne
peuvent
pas
le
comprendre
ça
!
Ils
sont
cons
!
Il
y
a
donc
un
aspect
essentiel
de
la
pratique
de
la
conformité
qui
est
de
nature
discursive,
qui
consiste
en
la
verbalisation.
Cependant,
cette
verbalisation
est
tout
sauf
un
discours
abstrait,
qui
emprunterait
sa
substance
aux
contenus
normatifs,
réglementaires,
ni
même
moraux
au
sens
large
(comme
par
exemple
avec
des
expressions
telles
que
«
c’est
bien/pas
bien
»,
«
bon/mauvais
»
«
éthique/non-‐
éthique
»).
En
effet,
ces
catégories
sont
même
loin
d’être
pertinentes
pour
eux
:
(Christian,
4
juin,
2010).
«
Ce
n’est
pas
une
question
de
bien
ou
de
mal.
C’est
pas
du
jugement
que
l’on
fait.
Faut
pas
avoir
des
sentiments
sinon
tu
fausses.
C’est
ni
chaud
ni
froid.
Sinon,
tu
vas
être
stressé,
tu
vas
pas
prendre
du
recul.
Faut
juste
penser
à
ton
boulot,
et
à
comment
y
arriver,
des
efforts
à
faire
».
Là
où
on
aurait
pu
s’attendre
à
des
justifications
qui
construiraient
leur
rhétorique
sur
ce
type
d’arguments
et
de
vocabulaire
qui
constituent
une
base
discursive
partagée
(les
codes
de
loi,
les
policies
internes
etc.)
par
les
professionnels
de
la
conformité,
on
a
trouvé
des
justifications
d’une
toute
autre
nature.
Ces
justifications
étaient
profondément
subjectives,
et
plus
encore,
incarnées
et
vécues.
Les
analystes
étaient
en
effet
en
train
de
faire
sens
de
leur
approche
par
les
risques
en
employant
des
termes
relevant
du
champ
lexical
du
confort
physique
:
«
je
suis
confortable/pas
confortable
avec
cette
contrepartie
»,
«
je
me
sens
à
l’aise/pas
à
l’aise
avec
ce
dossier
»,
«
je
la
sens/je
ne
la
sens
pas
cette
relation
d’affaires
».
Ce
vocabulaire
était
présent
systématiquement
sur
l’ensemble
des
décisions
prises
sur
chaque
dossier,
à
la
fois
à
l’oral
lors
des
réunions
ou
appels
téléphoniques
avec
le
AMLO,
et
à
l’écrit
dans
les
mémos.
Les
décisions
étaient
alors
justifiées
non
pas
uniquement
en
termes
rationnels
(légaux,
réglementaires)
mais
principalement
en
termes
subjectifs
«
d’intime
conviction
».
Ce
vocabulaire
utilisé
par
les
praticiens
de
la
conformité
leur
permettait
de
performer
la
conformité
–
presque
au
sens
austinien
du
mot
–
et
tout
simplement
de
parler
de
leur
travail.
Cette
pratique
verbale
représente
une
dimension
essentielle
dans
l’implémentation
effective
de
leur
objectif
de
faire
du
«
business
propre
».
Faire
sens
de
360
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
leur
travail
n’était
pas
seulement
une
question
de
se
concevoir
dans
leur
rôle,
mais
c’était
aussi
une
manière
de
justifier
leurs
décisions
et
leurs
actions
au
quotidien.
Ainsi,
les
listes
à
vérifier
n’étaient
que
la
partie
formelle
de
l’iceberg
de
ce
qui
entre
en
compte
dans
le
processus,
qui
devait
être
senti
dans
le
corps
de
l’analyste
en
plus
d’être
réfléchi
rationnellement
:
leur
évaluation
devait
prendre
en
compte
leur
«
sentiment
dans
les
tripes
»,
ou
«
gut
feeling
».
Pour
illustrer
la
manière
dont
cet
élément
participe
de
la
manière
de
performer
les
régulations,
nous
proposons
la
matrice
ci-‐dessous,
pour
caractériser
les
situations
que
l’équipe
B
devait
affronter
selon
les
dossiers.
On
peut
voir
que
chaque
dossier
est
l’occasion
pour
arbitrer
en
fonction
de
deux
critères
principaux
:
le
degré
de
conformité
du
dossier
d’une
part,
et
le
degré
de
confort
qu’il
procurait
d’autre
part.
Il
en
résulte
une
typologie
des
dossiers,
qui
déclenchaient
ainsi
des
stratégies
de
justification
spécifiques.
Cette
matrice
nous
permettra
aussi
de
délimiter
les
contours
d’une
zone
de
confort
au
sein
de
laquelle
ils
peuvent
agir.
Figure 34: Matrice sur les interactions entre confort et conformité sur les dossiers
Dossier Conforme
Oui Non
(1) (2)
Dans la zone de confort, menant à une Dans la zone de confort même si pas tout à fait
approbation rapide des dossiers. conforme: le dossier est accepté ou non en accord
--- avec l’AMLO.
Les justifications passent par l’absence de ---
Oui
preuves contraires: “no news means good news”, La justification est à la fois orale et écrite dans le
et il n’est pas besoin de s’appesantir sur ce type Mémo. L’argumentation combine des éléments de
de dossiers. Dans le Mémo, la conformité du “facilitation du business” (ne pas être un frein
dossier et le confort qu’il procure sont justifies aveugle sans réelle risque ou raison) et des preuves
avec des données (ou la preuve d’absence de arguant qu’il n’y a pas de risque véritable en
données adverses). termes de KYC-AML de toutes façons, en dépit de
la non-conformité stricte du dossier.
(3) (4)
Confort de Hors de la zone de confort individuelle, même si Hors de la zone de confort à tous les niveaux,
dossier conforme: un dilemme surgit lors de la menant à un refus probable du dossier, ou à son
l’analyste confrontation avec les niveaux organisationnel et approbation avec l’accord des régulateurs pour
institutionnel avant une décision finale. mieux l’investiguer par la suite dans le cadre de la
--- déclaration de soupçon.
Ici la justification passe par une affirmation et ---
explicitation de leur inconfort expérientiel, car ils La complexité de ces dossiers égale la complexité
Non
n’ont souvent pas des preuves pour appuyer leurs des justifications qu’ils doivent produire pour le
‘sentiments’. La justification est surtout orale, dossier, qu’il soit approuvé ou non. L’approbation
combinant des arguments de leur inconfort et des dans ces cas là est souvent faite avec l’accord des
arguments techniques. Ils affrontent de régulateurs pour mieux monitorer la contrepartie,
nombreuses pressions, et si jamais le dossier est avec l’espoir que la relation d’affaires permettra de
finalement approuvé, les analystes se protègent confirmer les doutes sérieux à son égard et de
en laissant des traces écrites dans le Mémo sur réunir les preuves nécessaires pour une
leur avis contraire et leurs doutes. inculpation.
361
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
déjà
connu
de
la
banque,
est
basé
dans
un
pays
considéré
peu
risqué…),
ce
qui
enlève
des
préoccupations
supplémentaires
et
réduit
leur
responsabilité
personnelle
dans
le
cadre
de
l’approche
par
les
risques,
et
d’autre
part
le
dossier
ne
pose
pas
de
questions
particulières
qui
nécessiteraient
un
arbitrage
moral
individuel
ni
par
l’analyste
ni
par
l’AMLO.
Le
dossier
est
alors
considéré
comme
peu
risqué
d’un
point
de
vue
collectif
(pour
l’équipe
KCY-‐AML),
écologique
(par
rapport
aux
directives
de
l’organisation
et
les
pratiques
d’usage
du
secteur),
institutionnel
(par
rapport
aux
exigences
AML,
au
niveau
national
et
international)
et
enfin
d’un
point
de
vue
moral
(car
le
dossier
ne
suscite
pas
de
problème
particulier
ou
de
dilemme
pour
l’individu).
On
dit
alors
que
de
tels
dossiers
se
trouvent
au
sein
de
la
zone
de
confort
en
tous
points,
y
compris
en
termes
de
conformité
stricte.
Dans
de
tels
cas,
l’analyse
est
généralement
assez
rapide,
et
ne
nécessite
pas
de
justification
négociée
particulière.
Pour
les
front
officers
“no
news
means
good
news”
et
pour
le
département
conformité
une
explication
dans
le
Mémo
sur
la
rigueur
des
scans
effectués
sans
trouver
aucune
preuve
adverse
pouvant
laisser
le
moindre
doute,
suffit.
Les
trois
autres
cases
sont
cependant
un
peu
plus
problématiques.
Une
application
stricte
de
la
réglementation
entrainerait
un
refus
aveugle
et
contraignant
de
l’ensemble
des
dossiers
dans
les
cases
2
et
4.
Sans
avoir
la
possibilité
d’adapter
la
diligence
à
la
situation
(l’objectif
de
l’approche
par
les
risques),
la
probabilité
de
perdre
un
nombre
conséquent
d’opportunités
de
business
est
grande,
alors
même
qu’un
certain
nombre
de
ces
dossiers
ne
représentent
pas
forcément
des
véritables
risques
ni
en
termes
d’AML
ni
pour
la
réputation
de
la
banque.
En
particulier
dans
la
case
2,
on
voit
le
cas
de
dossiers
qui
ne
sont
pas
complètement
conformes
par
rapport
à
la
check-‐
list
(par
exemple,
certains
document
ne
sont
pas
considérés
nécessaires
et
donc
ne
figurent
pas
dans
le
dossier).
Dans
ces
cas-‐là,
l’analyste
peut
alors
‘courber’
ou
‘tordre’
la
ligne
droite
des
exigences
vers
une
catégorisation
moins
risquée
s’il
a
des
bonnes
raisons
de
le
faire
et
parce
qu’il
se
sent
‘confortable’.
Ce
confort
vient
généralement
d’une
bonne
connaissance
du
client
à
travers
les
années
de
relation
d’affaires
avec
lui,
ainsi
que
d’une
bonne
connaissance
des
spécificités
et
des
pratiques
locales.
Ici,
la
«
licence
to
deviate
»
vient
de
la
volonté
d’appuyer
la
compétitivité
de
BUF-‐BI
en
accélérant
un
processus
et
créant
de
la
valeur,
mais
doit
être
solidement
justifié
dans
le
Mémo
pour
que
l’AMLO
valide
cette
déviation.
Cette
évaluation
de
risque
moindre
est
justifiée
aussi
lors
de
réunions
avec
l’AMLO
sur
les
dossiers
en
cours.
Ils
doivent
justifier
de
leur
confort
et
argumenter
d’une
façon
convaincante
qu’une
non-‐conformité
partielle
n’est
pas
forcément
le
signe
d’un
danger.
Parfois,
les
analystes
et
l’AMLO
lui-‐
même
peuvent
aller
jusqu’à
s’engager
personnellement
en
faveur
de
la
contrepartie
et
362
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
pour
appuyer
le
business
s’ils
sont
confiants
que
l’information
collectée
est
à
la
fois
fiable
et
suffisante
à
la
fois
d’un
point
de
vue
objectif
(après
triangulation
de
sources
externes)
et
subjectif
(«
C’est
dans
notre
base
de
clients
depuis
plus
de
dix
ans
»
;
«
on
connaît
bien
cette
contrepartie,
on
peut
y
aller
»
;
«
j’ai
pas
de
problème
avec
cette
contrepartie
»
;
«
je
suis
confortable
sur
cette
contrepartie
»).
Cependant,
ce
propos
doit
être
nuancé
car
nous
avons
aussi
observé
que
ces
choix
peuvent
aussi
résulter
du
fait
que
le
secteur
bancaire
tend
à
développer
une
sorte
de
‘zone
de
confort
commune’
(niveau
inter-‐
organisationnel)
qui
peut
contribuer
à
la
délimitation
des
frontières
de
ce
qui
est
autorisé
ou
pas,
que
ce
soit
d’une
manière
explicite
ou
implicite.
Nous
détaillerons
cette
nuance
dans
le
chapitre
suivant,
car
il
est
clair
qu’elle
peut
jouer
un
rôle
important
dans
le
genre
de
pression
institutionnelle
au
niveau
du
champ.
Ainsi,
cette
case
2
peut
être
à
la
fois
l’occasion
d’une
déviation
de
la
norme
pour
de
bonnes
raisons
et
sans
provoquer
une
véritable
exposition
au
risque,
mais
peut
aussi
être
le
lieu
d’une
déviance
qui
reste
dans
le
domaine
du
confortable
car
cela
fait
partie
des
règles
morales
d’usage
(cf.
Jackall,
2010
;
Venard
&
Hanafi,
2008).
Pour
éviter
ceci,
la
qualité
des
dossiers
constitués
et
analysés
et
donc
le
professionnalisme
et
l’éthique
des
analystes
en
tant
qu’individus
sont
essentielles.
363
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
Un
exemple
de
ce
type
que
nous
avons
pu
suivre
était
celui
d’une
association
religieuse
française,
déjà
cliente
de
la
banque
mais
en
«
restrict
»,
devant
donc
demander
autorisation
pour
chaque
transaction
qui
sortait
d’un
certain
cadre
ordinaire.
Elle
demandait
le
transfert
de
‘dons’
à
un
Territoire
d’Outre-‐Mer
pour
la
construction
d’une
école
dans
une
zone
rurale.
A
priori
un
objectif
louable
dans
une
optique
de
développement
et
de
scolarisation,
l’association
était
basée
en
France
et
souhaitait
transférer
les
fonds
dans
les
DOM-‐TOM,
donc
pas
de
raisons
particulières
pour
suspecter
quoi
que
ce
soit.
Or,
«
C’est
les
cas
les
plus
délicats,
c’est
les
pires
»,
nous
commentait
Christian,
chargé
du
dossier,
«
en
apparence
c’est
plein
de
bonnes
intentions
et
transparence,
mais
en
général
ça
pue
ce
genre
de
dossiers.
Bizarrement,
c’est
là
où
on
aurait
le
moins
de
raisons
de
douter
qu’il
y
a
toujours
un
truc
caché
».
En
effet,
il
expliquait
que
les
dons
faits
aux
organisations
caritatives
et
associations
à
but
non-‐lucratif
étaient
parmi
les
moyens
les
plus
faciles
pour
blanchir
de
l’argent
en
toute
tranquillité
en
Europe,
sans
devoir
recourir
à
des
paradis
fiscaux
ou
aux
plaques
tournantes
du
terrorisme
et
de
la
corruption
mondiales.
«
Comment
leur
demander
de
justifier
l’origine
des
fonds
?
Comment
diable
pouvons
nous
retracer
la
chaîne
des
supposées
‘petites
pièces’
reçues
lors
de
la
quête
de
la
messe
du
dimanche,
qui
au
final
peut
constituer
des
milliers
d’euros
?
».
Et
en
effet,
lorsque
Christian
a
demandé
à
avoir
des
documents
supplémentaires,
en
particulier
concernant
le
bénéficiaire
effectif
des
fonds
et
la
preuve
du
projet
de
construction
de
l’école,
la
réponse
obtenue,
malgré
son
apparence
légitime,
n’a
pas
aidé
Christian
à
se
sentir
plus
confortable,
au
contraire
:
«
[les
clients]
ont
dit
aux
Sales,
qui
à
son
tour
me
l’a
écrit
dans
son
mail:
you
are
insane
to
ask
things
that
only
the
Vatican
can
disclose,
and
if
you
are
too
nosy
they
said
they
would
go
with
a
competitor
».
Ceci
a
conforté
Christian
dans
ses
doutes,
et
suite
à
de
nombreux
mois
d’analyse
(cette
demande
est
arrive
fin
avril,
et
n’était
pas
encore
validée
à
la
fin
de
mon
stage
en
novembre,
j’ai
pu
donc
suivre
l’évolution
de
ce
dossier
au
jour
le
jour).
La
documentation
datait
de
1972,
et
même
si
le
client
dit
que
la
situation
n’a
pas
changée
depuis,
pour
le
KYC
il
faut
des
documents
certifiés
de
moins
de
3
mois.
Il
a
donc
attribué
la
notation
la
plus
élevée
de
risque
dans
son
Mémo
pour
l’AMLO
et
à
suggéré
qu’une
déclaration
de
soupçon
soit
faite
«
S’ils
nous
menacent
avec
leur
Vatican,
on
leur
répondra
que
nous
aussi
on
peut
saisir
la
cour
des
grands,
on
va
l’envoyer
à
Bercy
»
(Christian,
4
juin
2010).
Si
le
vox
populi
assure
que
l’argent
n’a
pas
d’odeur,
dans
une
perspective
AML
il
a
bel
et
bien
une
odeur
et
même
très
forte
:
c’est
leur
travail
d’être
“nosy”
et
fouineurs,
et
de
regarder
de
près
les
dossiers
qui
‘puent’.
Cet
exemple
montre
bien
que
le
confort
et
le
“gut
feeling”
étaient
une
composante
essentielle
dans
la
mise
en
pratique
de
la
conformité
au
quotidien.
En
effet,
364
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
les
analystes
savent
que
leur
responsabilité
pénale
est
fortement
engagée
si
un
dossier
qu’ils
approuvent
se
révèle
impliqué
dans
une
affaire
de
blanchiment.
Voilà
pourquoi
ils
peuvent
demander
à
complètement
bloquer
le
dossier
ou
du
moins
à
justifier
des
mis
supplémentaires
d’analyse
pour
se
donner
le
temps
d’aller
“au
fond
de
l’affaire”,
même
s’il
ne
manque
pas
de
documentation
basique
particulière,
et
il
n’y
a
pas
de
risqué
précis
d’identifié.
Leur
inconfort
sur
le
dossier
est
la
raison
primordiale
qu’ils
avancent,
ce
qui
rend
leur
justification
plus
complexe,
en
particulier
vis-‐à-‐vis
du
Front
Office.
Ils
doivent
alors
combiner
les
arguments
dans
un
discours
double:
essayant
de
justifier
leur
inconfort
avec
l’AMLO,
et
essayant
de
trouver
des
arguments
techniques
pour
le
Sales,
pour
justifier
la
demande
supplémentaire
de
documentation
sans
éveiller
ses
soupçons
ni
ceux
du
client
(on
y
était
très
proche
dans
le
cas
mentionné
ci-‐dessus)
et
les
délais
dans
le
processus.
Pour
bloquer
un
dossier
‘sans
preuves’,
s’appuyant
simplement
sur
“un
sentiment
bizarre
que
quelque
chose
ne
sent
pas
bon”,
“ça
gratte,
ça
tourne
pas
rond”,
“je
ne
le
sens
pas”,
l’analyste
doit
conceptualiser
et
négocier
une
évaluation
du
risque
tout
d’abord
au
niveau
de
l’équipe
où
ils
peuvent
librement
exprimer
leurs
doutes,
intuitions,
sentiments
et
inconfort.
Ici,
c’est
le
vocabulaire
de
la
sensation
physique
qui
est
omniprésent.
Comme
dans
les
exemples
déjà
cités,
on
retrouve
de
nombreuses
références
à
l’odeur
et
au
nez
(«
pue
»,
«
sent
mauvais
»,
«
sent
pas
bon
»,
«
nosy
»,
«
aller
foutre
son
nez
dans
les
affaires
qui
ne
le
regardent
pas
»).
Comme
les
chiens
de
chasse
ou
de
la
police,
c’est
par
l’odorat
que
la
piste
à
creuser
est
révélée.
Cette
‘odeur
de
la
situation’
aide
l’analyste
à
pointer
dans
la
bonne
direction.
Ensuite,
on
retrouve
d’autres
référence
aux
organes
internes
du
corps
(«
dans
les
tripes
»,
«
gut
feeling
»,
«
ça
me
rends
malade
»,
«
j’ai
un
nœud
à
l’estomac
»,
«
en
travers
de
la
gorge
»)
pour
justifier
et
partager
leur
sensation
et
leur
expérience
de
l’inconfort
(«
inconfortable
»,
«
ça
gratte
»,
«
ça
me
laisse
mal
à
l’aise
»).
On
retrouve
aussi
une
équivalence
forte
entre
le
vocabulaire
de
la
saleté
et
le
vocabulaire
de
l’inconfort,
comme
nous
le
développerons
dans
le
chapitre
suivant.
Cependant,
il
est
certain
que
cet
aspect
subjectif
de
leur
argumentation
ne
suffit
pas
en
dehors
de
l’équipe,
et
doit
alors
être
complétée
par
une
argumentation
liée
à
leur
expertise
sur
les
types
de
risques
(i.e.
vocabulaire
sur
les
priorités
de
la
gestion
des
risques,
sur
la
réputation,
sur
les
attentes
réglementaires,
sur
des
détails
juridiques
précis,
en
s’appuyant
sur
des
cas
précédents
qui
font
une
sorte
de
‘jurisprudence’,
etc.).
Par
exemple,
pendant
les
réunions,
les
analystes
citaient
des
articles
de
la
loi,
ou
rappelaient
les
dangers
d’une
mauvaise
réputation
et
les
impacts
négatifs
sur
la
performance
pour
défendre
le
refus
malgré
la
conformité
apparente
du
dossier
:
365
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
l’approbation
est
risquée,
et
refuser
est
alors
la
décision
sage
–
faut
d’être
rationnelle
–
à
prendre.
Ils
doivent
ensuite
défendre
leur
position
d’abord
avec
l’AMLO
pour
le
convaincre
du
bien
fondé
de
leur
«
sentiment
dans
les
tripes
»
et
de
leurs
«
instincts
»,
puis
vis-‐à-‐vis
du
Front
office
qui
sera
exaspéré
du
temps
que
prends
l’approbation
du
dossier,
surtout
s’il
n’y
a
pas
de
raison
évidente
pour
tarder
et
encore
moins
pour
refuser.
Cependant,
dans
certains
cas
extrêmes,
lorsque
les
pressions
du
champ
sont
trop
fortes,
l’analyste
et/ou
l’AMLO
peuvent
aussi
accepter
de
rester
hors
de
leur
zone
de
confort
en
approuvant
le
dossier.
Ceci
ne
veut
pas
dire
qu’ils
ne
vont
pas
donner
une
évaluation
de
risque
élevé
en
courbant
l’analyse
et
en
spécifiant
noir
sur
blanc
dans
le
dossier
qui
sera
archivé
les
raisons
de
leur
inconfort.
C’est
un
mécanisme
de
protection
indispensable
en
cas
d’audit
et
si
les
événements
ultérieurs
confirment
plus
tard
leurs
intuitions
et
leurs
doutes
:
«
Même
si
je
ne
suis
pas
du
tout
confortable
avec
cette
contrepartie,
je
ne
peut
pas
vraiment
dire
non
:
toutes
les
autres
banques
traitent
déjà
avec
et
le
top
management
veut
sa
part
du
gâteau.
Donc,
je
vais
suivre
le
courant,
mais
je
vais
préciser
très
clairement
dans
le
dossier
que
nous
étions
tous
contre.
Ça
sent
la
bombe
à
retardement
à
mon
avis
»
(M.
Chambertin,
l’AMLO,
lors
d’une
réunion
sur
un
dossier
sensible).
Enfin,
dans
la
case
4,
les
dossiers
sont
ni
conformes,
ni
ne
procurent
une
sensation
de
confort.
Dans
ces
cas
là,
les
risques
à
la
fois
pour
la
banque
et
pour
les
individus
de
la
conformité
qui
instruisent
le
dossier
sont
élevés.
Il
y
a
alors
plusieurs
possibilités
:
1)
l’analyste
refuse
le
dossier
à
son
niveau
s’il
s’agit
d’un
cas
trop
flagrant
et
informe
l’AMLO
de
sa
décision
(en
effet,
l’analyste
ne
peut
pas
valider
un
dossier,
mais
a
le
pouvoir
de
le
refuser
dans
certains
cas
évidents,
sans
forcément
suivre
l’ensemble
de
la
procédure)
;
2)
l’analyste
fait
part
de
ses
doutes
à
l’AMLO
qui
à
son
tour
refuse
officiellement
le
dossier
en
faisant
éventuellement
une
déclaration
de
soupçon
aux
régulateurs
;
3)
L’AMLO
approuve
le
dossier
en
accord
avec
les
régulateurs
pour
pouvoir
le
monitorer
le
plus
prêt,
et
attraper
“the
counterpart
with
his
hands
in
the
cookie
jar”,
soit
en
flagrant
délit
de
blanchiment
si
auparavant
il
n’y
avait
pas
de
preuves
suffisantes
pour
le
poursuivre
en
justice.
Dans
ce
dernier
cas,
les
banques
deviennent
littéralement
des
appâts
et
des
complices
des
régulateurs,
s’engageant
en
connaissance
de
cause
dans
des
affaires
de
blanchiment
et
des
pratiques
déviantes
afin
de
lutter
depuis
l’intérieur
du
système.
Les
analystes
étaient
ensuite
chargés
de
communiquer
au
Front
Officer
la
décision
finale,
tout
en
leur
étant
formellement
interdit
bien
entendu
de
laisser
entendre
les
raisons
d’un
refus
ou
d’une
approbation,
car
ceci
compromettrai
fortement
l’efficacité
de
leur
action
AML.
Les
analystes
étaient
donc
tenus
de
respecter
ces
‘murailles
de
Chine’,
faute
de
quoi
leur
mission
de
sentinelle
était
annulée.
Ce
366
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
«
tipping
off
»
était
une
faute
professionnelle
qui
pouvait
entraîner
leur
licenciement
ainsi
que
déclencher
d’autres
procédures
de
whistleblowing
internes
pour
les
dénoncer
(Vandekerckhove
&
Lewis,
2012).
Ainsi,
pour
assurer
leur
mission
sans
la
compromettre
malgré
la
fragilité
de
leur
position,
l’équipe
B
avait
développé
des
techniques
de
justifications
liées
à
la
complexité
des
dossiers,
ou
à
l’absence
ou
non-‐
conformité
de
la
documentation.
Ils
passaient
un
temps
important
à
essayer
de
trouver
des
raisons
valables
pour
le
Sales
énervé
et
justifier
leur
travail
à
ses
yeux.
Leur
premier
objectif
en
se
comportant
ainsi
était
de
maintenir
un
dialogue
avec
le
Front
Office,
car
ils
savaient
que
l’efficacité
de
leur
travail
reposait
aussi
sur
la
qualité
des
relations
avec
eux,
car
ils
en
dépendaient
pour
obtenir
de
la
documentation
du
client.
Mais
les
enjeux
d’éthique
dans
cette
quatrième
case
sont
plus
complexes
qu’il
ne
semble,
et
laissaient
les
analystes
dans
un
inconfort
supplémentaire
lié
à
la
sensation
et
le
dilemme
de,
en
quelque
sorte
‘trahir’
leur
propre
organisation
et
leurs
‘collègues’
(Vandekerckhove
&
Commers,
2004).
367
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
Nous
avons
montré
que
l’inconfort
peut
être
une
source
d’un
véritable
malaise,
stress,
tensions
et
même
angoisse
«
On
se
fait
taper
dessus
parce
qu’on
fait
notre
job.
Ca
devient
intolérable,
voire
ça
devient
maso(chiste).
C’est
crevant
de
travailler
comme
ça.
Ou
on
se
bat
ou
on
crève
»
(Francis,
29.10.2010).
Si
les
analystes
sont
vraiment
trop
inconfortables,
alors
une
résistance
forte
liée
à
l’agence
morale
peut
rémérger
avec
une
grande
puissance.
Ceci
peut
alors
conduire
au
départ
volontaire
ou
involontaire
de
la
personne
qui
refuse
de
se
plier
à
la
situation.
L’analyste
peut
éviter
un
inconfort
insupportable
et
revenir
à
un
choix
d’éthique
fondamental,
un
choix
de
cohérence
personnel,
au
delà
des
pressions
organisationnelles
et/ou
institutionnelles,
de
suspendre
son
action
pour
être
en
cohérence
avec
lui-‐même,
comme
argumente
Hannah
Arendt
(citée
in
Dumez,
2006b).
En
effet,
«
unlike
episteme
and
techne,
where
it
is
possible
to
make
a
distinction
between
what
one
is
and
what
one
does,
in
phronesis
what
one
does
is
inextricable
from
what
one
is.
Unlike
episteme
and
techne
which
produce
outcomes
that
are
clearly
separable
from
the
producer,
phronesis
gives
rise
to
praxis
which
cannot
be
instrumentalized
:
it
is
action
that
seeks
no
outcomes
other
than
its
own
self-‐realization
»
(Chia
&
Rasche,
2010
:37
cités
in
Gehman
et
al.
2013
:87).
Nous
avons
pu
observer
que
parfois
l’équipe
était
ramenée
à
ce
choix
fondamental
de
cohérence,
car
ils
ne
pouvaient
comprendre
leur
situation
autrement
qu’engageant
leur
personne,
leur
identité
(Pérezts,
2012).
Le
réel
de
leur
travail
réside
dans
cette
dimension
éprouvée,
qu’ils
verbalisaient
sous
forme
de
degrés
de
confort
d’une
part
et
de
la
souffrance
potentielle
liée
au
stress
d’autre
part.
Nous
avons
déjà
évoqué
à
quel
point
une
partie
de
leur
travail
consiste
en
savoir
‘freiner
le
business’,
c’est
à
dire
opposer
une
résistance
aux
pressions
d’approuver
des
dossiers
risqués
:
«
We
are
not
a
‘business
prevention
officer’
but
sometimes
the
answer
is
just
no.
»
(M.
Touraine,
lors
du
Global
Compliance
Seminar).
Cependant,
ce
n’est
pas
le
cas
de
toutes
les
personnes
qui
travaillaient
dans
la
conformité.
L’équipe
A
par
exemple,
semblait
nettement
moins
stressée
au
quotidien.
Parfois
ils
s’ennuyaient
jusqu’à
finir
leurs
heures
de
bureau,
alors
que
dans
le
même
temps
l’équipe
B
n’arrêtait
pas
de
courir,
restait
tard
le
soir,
prenait
à
peine
le
temps
de
manger
:
«
Je
vois
presque
pas
mes
enfants
depuis
que
j’ai
changé
(de
l’équipe
A
à
l’équipe
B)
»
(Christian).
De
même,
nous
avons
croisé
d’autres
analystes
et
responsables
AML
d’autres
lignes
métiers
et
de
la
banque
de
détail
de
BUF,
qui
semblaient
beaucoup
plus
confortables
sur
certains
dossiers
qui
devaient
être
traités
en
commun
avec
l’équipe
B,
qui
à
chaque
fois
se
redemandait
«
Est-‐ce
que
nous
on
est
trop
exigeants
ou
eux
trop
laxistes
?
»
(Christian).
Ainsi,
dans
une
réunion
avec
Céline
le
10
octobre
2010,
responsable
AML
368
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
de
l’équipe
équivalente
à
la
notre
pour
la
banque
de
détail
:
(Francis)
«
Je
l’ai
trouvé
très
pro-‐business,
Céline,
quand
même
pour
une
responsable
AML.
Business
first,
et
KYC
after.
‘Moi
j’aurais
validé’
elle
a
répété
ça
plusieurs
fois
en
vingt
minutes
!
Il
y
a
plein
de
gens
dans
cette
maison
qui
servent
uniquement
d’alibi
».
Si
nous
cherchons
à
présent
à
préciser
dans
les
détails
les
mots
spécifiques
qu’ils
utilisaient
pour
justifier
leurs
différentes
convictions
intimes,
on
remarque
que
les
vocabulaires
mobilisés
varient
en
fonction
de
l’auditoire
qui
doit
recevoir
ces
paroles
(Suchman,
1995).
Cela
fait
partie
de
leur
mise
en
forme
En
effet,
ils
mobilisaient
des
arguments
et
des
champs
lexicaux
spécifiques
pour
justifier
leur
degré
de
confort
ou
d’inconfort,
et
aussi
en
fonction
de
à
qui
ils
devaient
justifier
leur
décision.
Face
aux
Front
officers,
ils
devaient
insister
lourdement
et
clairement
sur
les
graves
conséquences
pour
la
performance
financière
ultérieure
si
leurs
doutes
étaient
plus
tard
confirmés.
Ils
devaient
particulièrement
justifier
la
gravité
et
l’importance
de
leur
travail
quand
il
y
avait
un
refus
ou
un
véto
sur
une
contrepartie
particulière,
et
d’autant
plus
lorsque
le
dossier
était
conforme
et
que
malgré
tout
ils
refusaient
de
l’approuver.
Par
ailleurs,
pour
les
régulateurs
et
l’AMLO,
ils
insistaient
sur
la
qualité
de
leurs
recherches
et
sur
leur
indépendance
malgré
l’approche
par
les
risques.
Ces
pratiques
discursives
servaient
ainsi
à
construire
une
“perception
of
the
appropriateness
or
acceptance”
de
leurs
décisions
et
actions
(MacLean
&
Behnam,
2010:
1501).
Chacun
des
analystes
est
le
lieu
où
les
tensions
se
cristallisent.
La
manière
dont
on
veut
qu’ils
jouent
leur
rôle
est
parfois
alors
en
conflit
avec
leur
identité
et
leur
propre
manière
de
le
voir,
ce
qui
déclenche
le
passage
à
une
approche
politique
(McMurray
et
al.
2010).
Cette
approche
nous
permet
d’entrevoir
les
implications
et
dynamiques
sociales,
pour
mieux
comprendre
les
tensions
vécues
au
niveau
individuel.
La
notion
des
rôles
est
en
effet
importante
car
elle
permet
d’articuler
l’intériorité
des
individus
et
les
extériorités
sociales
auxquelles
ils
sont
confrontés.
Mais
ces
rôles
ne
sont
pas
joués
de
manière
passive.
En
effet,
la
manière
dont
les
individus
vont
s’approprier
ou
non
les
rôles
qu’on
leur
demande
de
jouer
en
fonction
des
moments
impactera
positivement
ou
négativement
la
manière
de
vivre
l’éthique
dans
le
groupe
(cf.
Gély,
2007;
Puyou
&
Faÿ,
2013).
Les
membres
de
l’équipe
étaient
confrontés
à
des
conflits
d'identité,
entre
dilemmes
de
loyauté
à
l'organisation
d'un
côté
(Vandekerckhove
&
Commers,
2004)
et
au
risque
de
passer
d'être
un
«
professionnel
engagé
»
à
un
«
tueur
à
gage
»
(Gunz
&
Gunz,
2007)
de
l'autre.
On
voit
alors
que
l’éthique
comme
pratique
à
la
fois
trouve
son
origine
et
influence
l’identité
au
sens
profond
(Kaufmann,
2010),
car
celle-‐ci
cherche
à
se
réaffirmer
dans
une
quête
de
369
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
liberté
dans
le
sens
ontologique
et
sartrien.
Ils
devaient
réussir
à
faire
sens
–
avant
tout
pour
eux
mêmes
–
de
cette
situation
où
ils
devaient
jouer
des
rôles
contradictoires.
L’agence
individuelle
morale
va
donc
au
delà
d’une
simple
orchestration
des
différents
rôles
en
fonction
du
contexte
ou
en
fonction
de
à
qui
on
s’adresse,
mais
engage
l’identité
profonde
à
partir
de
l’expérience
de
ces
rôles
(Kaufmann,
2010).
Suivant
Henry,
en
cas
de
dissonance
avec
notre
vie
affective,
i.e.
en
cas
de
malaise
et
de
souffrance,
il
y
a
une
reconfiguration
des
rôles
(Gély,
2007)
car
la
question
existentielle
ressurgit
dans
cette
ambigüité
à
reconstruire
cognitivement
et
par
une
narration
de
ses
rôles
à
soi
mais
aussi
des
rôles
qu’on
attribue
aux
autres
(Schultz
et
al.
2012,
Mueller
&
Whittle,
2012).
Les
individus
portent
en
eux
une
mémoire
collective
et
sont
contraints
d’énacter
du
sens
à
partir
des
briques
sociales
qui
les
composent
et
trouver
des
moyens
de
faire
tenir
leur
édifice
identitaire
en
y
trouvant
une
cohérence
pour
ne
pas
vaciller.
Pour
l’équipe,
cela
passe
largement
par
un
travail
collectif
et
un
soutient
constant
de
la
manager
qui
assume
souvent
un
rôle
tampon
:
«
Maintenant,
tout
le
monde
nous
attend
au
tournant.
La
FSA
revient
en
mars.
Il
ne
faut
pas
céder
à
la
pression
du
Front
quand
vous
aurez
la
main
sur
le
bouton.
Car
je
sens
que
le
téléphone
va
sonner
deux
fois
plus
maintenant.
(que
vous
soyez
convoqués
par
le
management
(M.
Blanc)
ou
pas,
vous
n’appuyez
pas
sur
le
bouton.
J’irais
m’en
expliquer
avec
eux
si
besoin
après.
»
(Marie,
lors
de
la
réunion
hebdomadaire
de
l’équipe,
le
12.11.2010,
juste
après
le
succès
lors
de
l’audit
anglaise).
Ainsi,
la
question
de
l’identité
est
cette
«
petite
musique
»
qui
donne
sens
à
la
vie
(Kaufmann,
2010:
79),
nous
fait
sentir
vivants
et
qui
expérimentons
activement
cette
vie.
Michel
Henry
lui-‐même
a
connu
ceci
dans
son
expérience
de
l’occupation
nazie
en
France,
qui
lui
a
apporté
un
sentiment
profond
d’être
vivant.
Ce
qui
est
en
jeu
est
cette
résistance
éthique
du
moi
qui
se
bât
pour
exister
librement,
et
qui
refuse
l’aliénation
d’un
rôle
particulier.
Cette
résistance
est
un
combat
incarné,
qui
engage
la
responsabilité
en
tant
qu’expression
politique
et
existentielle
d’une
liberté
(Sartre,
2003).
Le
confort
n’est
qu’une
des
manières
qu’a
cette
résistance
de
se
manifester,
et
devient
une
occasion
–
souvent
douloureuse
–
pour
l’être
de
se
révéler
à
lui-‐même,
et
de
se
réaffirmer
après
la
lutte
existentielle
où
le
réel
de
cette
tension
est
expérientiée,
sentie,
vécue
d’une
manière
affective
(Henry,
2003;
Faÿ
et
al.
2010;
Puyou
&
Faÿ,
2013).
Ainsi,
les
éléments
organisationnels,
fonctionnels
(rôles),
institutionnels
et
normatifs
certes
influent
sur
la
situation,
mais
sont
aussi
incarnées
et
portées
d’une
manière
particulière
et
unique
par
les
individus,
qui
ainsi
les
co-‐construisent
en
fonction
de
la
370
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
cohérence
avec
leur
être.
Etre
ce
locus
bellicus
implique
la
reconnaissance
–
et
non
pas
le
déni
–
des
tensions
qui
émergent.
Cette
reconnaissance
n’est
pas
forcément
de
l’ordre
du
rationnel
ou
du
conscient,
même
si
elle
peut
le
devenir,
mais
elle
est
avant
tout
dans
l’écoute
de
soi
et
de
son
corps
qui
les
incarne
d’une
manière
particulière,
afin
de
pouvoir
faire
sens
des
situations
et
de
choisir
et
façonner
son
rôle
en
cohérence
avec
notre
être.
On
restitue
ainsi
une
dimension
charnelle
et
politique
à
l’herméneutique
faite
dans
la
conformité,
et
plus
largement
dans
l’éthique.
C’est
presqu’un
travail
identitaire
qui
est
accompli
au
jour
le
jour,
dans
et
par
ce
travail
de
l’éthique
comme
pratique
incarnée.
Ainsi,
pour
l’équipe,
accepter
de
se
‘salir
les
mains’
afin
de
garder
celles
de
la
banque
propres
peut
devenir
un
acte
politique
qui
permet
de
résister
à
l’aliénation
sous
pression
des
déviances
institutionnalisées
au
niveau
du
champ.
L’éthique
comme
pratique
incarnée
n’est
donc
pas
une
chose
objective,
abstraite
et
exogène,
mais
trouve
son
épicentre
au
sein
d’individus
qui
l’incarnent
au
sein
même
de
leur
corps
car
il
s’agit
avant
tout
d’une
expérience
vécue
dont
le
confort
n’est
qu’un
des
symptômes.
7.2.1.2.
Le
confort
comme
symptôme
de
la
conformité
incarnée
et
critère
performatif
Nous
avons
montré
que
l’interaction
entre
la
conformité
et
le
confort
est
un
aspect
essentiel
à
considérer
pour
comprendre
la
mise
en
pratique
de
la
conformité
bancaire
au
jour
le
jour.
La
conformité
bancaire
en
effet
ne
se
résume
pas
à
répondre
à
la
question
de
si
c’est
conforme
ou
pas.
Nous
essaierons
à
présent
de
proposer
une
construction
conceptuelle
de
cette
‘zone
de
confort’
au
sein
de
laquelle
la
conformité
est
véritablement
performée,
et
les
implications
que
nous
pouvons
en
tirer.
Et
ce
qui
est
intéressant,
c’est
de
remarquer
qu’au
niveau
linguistique,
il
n’est
pas
un
hasard
que
nous
retrouvons
la
notion
de
confort,
proche
de
la
notion
de
‘mou’
ou
de
‘doux’,
souvent
utilisé
pour
se
référer
à
des
questions
telles
que
la
RSE
(dont
on
parle
comme
étant
une
soft
law)
et
de
l‘éthique
en
général
car
on
la
considère
comme
de
«
time
spent
on
‘soft
issues’,
i.e.
matters
that
distract
from
‘business
as
usual’
»
(Painter-‐
Morland,
2008
:
2).
Mais
nous
argumentons
que
loin
que
cette
‘mouité’
(Botul,
2007)
soit
à
dévaloriser
ou
à
mépriser,
nous
pensons
qu’il
s’agit
au
contraire
d’une
dimension
négligée
mais
essentielle
de
l’éthique,
car
elle
engage
l’ensemble
de
la
personne
et
de
son
être
dans
le
monde.
Ceci
nous
permet
de
«
donner
une
dimension
linguistique
à
l’obligation
et
d’en
déterminer
des
degrés,
modalités
et
justifications
»
(Laugier,
2004
:
607,
in
Lenglet,
2006
:14).
En
explorant
la
dimension
du
confort
dans
l’application
des
371
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
règles,
nous
pouvons
retrouver
cette
«
dimension
linguistique
partagée
[qui]
nous
engage
à
proposer
une
ouverture
sur
une
étude
de
la
performativité
à
l’aune
de
la
normativité,
en
milieu
financier.
[…]
La
déontologie
constitue
donc
une
référence
opérationnelle
et
opératoire
pour
structurer
l’action,
la
légitimer
par
rapport
à
l’idéal
éthique
que
l’organisation
s’est
choisie
:
sa
formalisation
au
sein
d’une
fonction
dédiée
de
l’organisation,
rattachée
aux
organes
de
direction
en
est
la
trace
la
plus
manifeste
»
(Lenglet,
2006
:
18).
Or,
nous
voyons
que
cette
dimension
fait
référence
à
la
sensation,
ce
qui
pose
la
question
en
termes
phénoménologiques
:
comment
se
manifeste
le
phénomène
et
qu’est-‐ce
qui
se
manifeste
?
En
parlant
de
confort,
on
manifeste
une
sensation
profondément
physique
et
corporelle,
avant
d’être
métaphorique.
Le
confort
est
ainsi
en
quelque
sorte
antérieur
à
sa
verbalisation
qui
le
manifeste
vers
l’extérieur
comme
interprétation
d’un
ressenti.
Cette
sensation
est
ce
qui
nous
permet
de
palper
la
limite
du
rationnel.
Le
schéma
ci-‐après
essaye
de
représenter
la
‘zone
de
confort’
et
ses
dynamiques
que
nous
proposons
à
partir
de
notre
étude,
et
qui
cherche
à
intégrer
les
conclusions
du
chapitre
précédent
par
rapport
au
positionnement
de
l’équipe
au
sein
de
forces
paradoxantes,
et
leur
capacité
à
médier,
à
s’y
faire
un
chemin
pour
arriver
à
leur
objectif
de
garantir
la
‘propreté’
du
business.
La
zone
de
confort
est
la
dimension
individuelle
et
profondément
incarnée
qui
rend
possible
la
médiation.
Normalizing/problematizing !
Normalizing/problematizing !
Nous
voyons
que
les
analystes
se
retrouvent
à
devoir
performer
les
régulations
entre
d’une
part
l’environnement
de
leur
activité
économique
(en
l’occurrence
la
372
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
373
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
7.2.2.
DU
DECOUPLAGE
AU
RECOUPLAGE
PAR
LE
CONFORT
ET
LE
NIVEAU
INDIVIDUEL
Ainsi
que
notre
schéma
de
la
zone
de
confort
laisse
apparaître,
le
confort
et
la
dimension
incarnée
et
individuelle
de
l’éthique
comme
pratique
située
ne
sont
pas
uniquement
importants
pour
l’individu
et
sa
mise-‐en-‐sens
d’une
cohérence
identitaire
dans
son
travail
qui
lui
donne
une
signification
et
une
direction
(Corvellec
&
Risberg,
2007).
Il
y
a
des
implications
que
nous
pouvons
déceler,
et
qui
constituent,
nous
le
pensons,
une
importante
contribution
de
la
prise
en
compte
de
cette
dimension,
trop
souvent
négligée
:
c’est
une
des
clés
pour
s’attaquer
à
la
question
du
découplage
entre
les
normes
et
leur
mise
en
pratique
effective,
souvent
signalée
comme
un
des
principaux
défis
à
relever
de
la
conformité,
quel
que
soit
le
secteur.
7.2.2.1.
Le
rôle
de
la
zone
de
confort
dans
les
processus
d’institutionnalisation
Notre
schéma
mentionne
aussi
que
l’implémentation
effective
de
la
conformité
par
l’action
des
analystes
au
sein
de
leur
zone
de
confort
a
un
effet
institutionnalisant,
dont
nous
prolongerons
la
réflexion
dans
le
chapitre
suivant
aussi.
Ici,
nous
voulons
simplement
souligner
les
dimensions
concrètes
de
ces
processus,
et
quelles
sont
les
répercutions
directes
pour
les
deux
maîtres
que
sert
l’équipe.
Chaque
dossier
traité
par
l’équipe,
en
tant
qu’il
est
ensuite
partagé
au
niveau
de
l’équipe,
puis
à
l’extérieur
de
BUF-‐BI
par
l’intermédiaire
de
l’AMLO,
contribue
à
constituer
ce
que
nous
avons
appelé
une
sorte
de
mémoire
jurisprudentielle.
Cette
mémoire
était
d’autant
plus
utile
qu’elle
était
largement
construite
collectivement
(puisque
chaque
dossier
était
discuté
au
sein
de
l’équipe)
et
même
le
département
conformité
s’appuyait
dessus.
Cet
apprentissage
leur
permet
de
capitaliser
sur
leur
expérience,
et
de
transformer
les
vécu
à
un
moment
donné
(confort/inconfort)
en
des
‘cues’
pour
faciliter
leur
sensemaking
sur
un
dossier
ultérieur.
Ceci
leur
donne
aussi
une
professionnalisation
et
une
spécialisation
progressive
:
certains
ont
eu
plus
l’habitude
de
traiter
avec
certaines
contreparties,
qui
leur
ont
donné
une
expertise
sur
la
législation
d’un
pays
donné
par
exemple.
C’est
ce
que
Maguire
et
Hardy
appellent
le
processus
de
normalisation
:
«
normalizing
describes
a
bundle
of
interelated
practices
that
collectively
emphasize
the
mindful
application
of
accepted
knowledge,
the
continuity
of
organizational
activities,
and
the
use
of
codified
norms
for
acceptable
action
(…)
»
(2013
:240).
Nous
l’avons
clairement
observé
dans
le
travail
quotidien
de
l’équipe
étudiée.
Ce
processus
permet
à
la
classification
de
devenir
une
routine,
d’être
normalisée,
et
donc
374
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
375
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
qui
bouscule
les
routines
déjà
apprises
par
rapport
à
leur
gestion
des
risques,
et
les
amène
à
faire
une
mise
à
jour
négociée
du
sens
à
donner
et
de
la
démarche
à
suivre.
Là
encore,
il
faut
préciser
que
la
problématisation
n’est
pas
nécessairement
liée
au
degré
d’inconfort,
et
n’implique
pas
forcément
un
danger
élevé
de
pollution.
Elle
est
le
processus
qui
ouvre
à
de
nouvelles
possibilités
d’interprétation
et
de
construction
du
sens
d’une
pratique,
qui
contribuera
à
modifier
les
contours
de
la
zone
de
confort
par
la
suite.
Maguire
et
Hardy
avait
fait
leur
analyse
rétrospectivement,
s’appuyant
sur
une
analyse
des
discours
produits
sur
une
période
donnée
pour
stabiliser
ou
déstabiliser
le
sens
donné
au
risque,
et
lançaient
un
appel
à
le
faire
dans
des
situations
où
le
risque
est
géré
in
situ,
en
temps
réel,
comme
nous
avons
essayé
de
le
faire
dans
ce
travail
par
rapport
au
KYC-‐AML
encore
en
phase
de
légitimation
(Mulligan,
1997),
de
professionnalisation
et
de
standardisation
au
niveau
mondial.
Nous
approfondirons
les
impacts
de
ces
observations
dans
le
chapitre
suivant.
7.2.2.2.
Le
découplage/recouplage
:
implications
pour
l’organizing
Le
schéma
de
la
zone
de
confort
laissait
aussi
apparaître
les
courbes
qui
dessinaient
la
zone
de
confort,
et
qui
indiquaient
à
chaque
fois
si
cela
représentait
un
travail
de
découplage
ou
de
couplage.
Nous
pouvons
ainsi
schématiser
le
processus
d’analyse
d’un
dossier,
malgré
les
réductions
et
simplifications
que
cela
implique.
Sur
un
dossier,
nous
voyons
qu’une
première
étape
du
processus
consiste
à
opérer
un
découplage
du
busines
pour
prêter
attention
à
ce
qu’exige
le
droit
(première
courbe
du
schéma
de
la
zone
de
confort).
On
va
chercher
à
interpréter
le
dossier
à
rapport
à
la
réglementation,
et
de
la
même
manière
on
va
interpréter
la
réglementation
par
rapport
aux
spécificités
du
dossier.
Ceci
va
donc
aboutir
à
une
actualisation
de
notre
connaissance
à
partir
du
dossier.
Dans
un
deuxième
temps
(deuxième
courbe,
cette
fois-‐
ci
vers
le
bas),
on
va
essayer
d’opérer
un
recouplage
avec
la
logique
du
régulé,
du
business,
en
cherchant
à
analyser,
à
comprendre,
et
à
évaluer
ses
besoins
au
regard
de
la
loi.
Dans
un
troisième
temps,
on
va
chercher
à
valider
auprès
de
la
conformité,
tout
en
justifiant
les
raisons
d’une
certaine
adaptation
du
côté
du
business
selon
l’implémentation
de
l’approche
par
les
risques.
Enfin,
dans
un
quatrième
temps,
on
va
faire
un
travail
de
traduction
des
impératifs
réglementaires
pour
le
business,
afin
de
les
aligner
avec
leur
logique
de
business
propre.
Essayons
à
présent
d’en
tirer
des
conclusions
théoriques
pour
des
études
futures
sur
la
question
du
découplage.
Ainsi,
la
construction
du
risque
est
bien
un
processus
qui
se
fait
de
manière
médié
(Tsoukas,
2005b)
dans
un
espace-‐temps
éclaté,
mais
où
il
est
essentiel
de
créer
des
‘ponts’,
tels
376
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
377
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
en
évitant
des
erreurs
passées
et
en
améliorant
la
gestion
des
risques.
On
argumente
en
faveur
d’un
retour
à
un
système
double,
à
la
fois
découplé
et
interne
afin
de
pallier
à
ces
dangers
d’une
part,
et
de
laisser
un
espace
où
la
dimensions
d’agence
individuelle
et
managériale
peut
s’exprimer
d’autre
part
(Child,
1997;
Weaver
et
al.,
1999a).
Les
chercheurs
ont
déjà
signalé
que
“in
order
to
be
used
by
organizations,
regulations
must
be
actively
interpreted
by
professionals,
formulated
into
specific
compliance
practices,
and
couched
in
managerial
logics”
(Kellogg,
2006,
p.
2).
Ainsi,
une
coopération
entre
les
régulateurs
et
les
régulés
(Lehmann
Nielsen
&
Parker,
2008)
est
un
aspect
essentiel,
qui
dans
notre
cas
était
accompli
par
l’équipe
B
et
son
travail
de
médiation
qui
résulte
in
fine
dans
la
co-‐construction
endogène
du
sens
de
la
conformité
(Edelman,
1992;
Edelman
&
Suchman,
2007;
Edelman
&
Talesh,
2011).
Le
fait
que
l’équipe
B
soit
structurellement
partie
intégrale
du
Front
Office
est
ce
qui
permettait
de
réduire
la
distance
organisationnelle
et
cognitive,
ainsi
que
la
dissonance
perçue
entre
les
rôles
de
Front
Officer
(client
interne)
vs.
Responsable
conformité
(police
interne).
On
voit
que,
même
si
l’équipe
B
restait
l’ennemi,
elle
était
loin
d’avoir
la
même
connotation
négative
que
l’équipe
A.
Il
y
avait
certains
rapports
interpersonnels
avec
des
Front
Officers,
dont
nous
avons
pu
interviewer
certains,
et
qui
avaient
au
contraire
une
image
plutôt
positive
de
l’équipe,
de
leur
sens
de
la
réactivité,
de
leur
pédagogie
et
de
leur
écoute
des
impératifs
du
business.
Par
ailleurs,
la
distance
aboutit
souvent
à
un
‘knowledge
gap’
qui
peut
favoriser
les
comportements
déviants
(MacLean
&
Behnam,
2010).
Or,
ici,
on
voyait
que
l’équipe
B
avait
développé
une
double
compétence,
finance/conformité,
et
leur
degré
de
spécialisation
les
aidait
à
être
plus
rapides
et
efficaces
que
l’équipe
A,
malgré
leur
charge
de
travail
constituée
essentiellement
de
‘dossiers
pourris’.
Certains
avait
des
Masters
en
finance
de
marché
et/ou
avaient
travaillé
dans
d’autres
secteurs
de
la
banque
avant
de
rejoindre
la
conformité,
que
ce
soit
chez
BUF
ou
dans
d’autres
banques.
Ceci
leur
donnait
une
compréhension
plus
fine
des
aspects
techniques,
des
produits
complexes
et
des
procédures
du
Front
Office,
une
compétence
centrale
pour
l’efficacité
de
leur
travail.
D’autre
part,
l’équipe
avait
reçu
des
formations
spécifiques
en
AML,
et
était
en
train
de
recruter
des
professionnels
spécialisés
AML,
qui
travaillaient
auparavant
chez
les
régulateurs
(c’est
le
cas
d’Odette
par
exemple).
Cette
double
compétence
était
capitale
pour
améliorer
la
qualité
des
relations
avec
le
Front
Office
d’une
part
et
le
département
conformité
d’autre
part.
Le
knowledge
gap
est
souvent
doublé
d’un
manque
de
compréhension,
de
dialogue
et
de
coopération
entre
les
régulés
et
les
régulateurs.
Le
caractère
embarqué
au
sein
du
Front
Office
de
l’équipe
B
a
des
implications
certaines
sur
l’organisation
de
la
conformité
et
sa
mise
en
pratique
378
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
effective
quotidienne,
car
ils
avaient
réussi
de
ce
fait
à
maintenir
une
relation
meilleure
avec
la
ligne
métier,
dont
les
Front
Officers
«
parlaient
finance
»
plus
souvent
avec
eux
qu’avec
l’équipe
A
ou
d’autres
fonctions
support.
Même
s’ils
ne
les
considéraient
pas
tout
à
fait
comme
‘faisant
partie
du
Front’,
ils
leur
reconnaissaient
une
certaine
compétence
et
‘alphabétisation’
en
finance,
et
donc
une
certaine
légitimité.
Cette
légitimité
et
même
un
certain
pouvoir
était
particulièrement
visible
durant
les
mois
qu’a
duré
notre
travail
de
terrain,
car
l’équipe
B
est
passée
d’être
petite
et
subordonnée
à
l’équipe
A,
à
être
autonome
et
plus
grande
:
ils
étaient
trois
personnes
en
2006
à
la
création
de
l’équipe,
et
ils
étaient
quinze
à
la
fin
de
l’année
2010
malgré
les
coupes
budgétaires
liées
à
la
crise.
Ils
sont
jugés
suffisamment
légitimes
pour
sauter
l’étape
3b
dans
le
processus
d’instruction
des
dossiers
sans
que
ceci
n’alarme
plus
les
régulateurs.
Le
professionnalisme
de
l’équipe
B
et
leur
implémentation
de
l’approche
par
les
risques
était
donc
doublement
en
train
de
réussir
une
meilleure
performance
pour
le
business
par
leur
temps
de
réponse
plus
rapide
que
l’équipe
A
encore
très
bureaucratique,
et
aussi
une
meilleure
gestion
des
risques.
Le
choix
de
recoupler
en
partie
la
conformité
et
le
Front
Office
en
créant
l’équipe
B
était
en
train
d’aboutir
à
une
implémentation
proactive
et
pragmatique
qui
combinait
les
obligations
légales
et
les
priorités
du
business
dans
une
situation
gagnant-‐gagnant
:
«
By
means
of
thorough
research,
we
try
to
keep
the
FO
safe
from
the
three
principal
KYC
risks
:
the
regulatory
risk,
the
risk
of
criminal
responsibility
of
staff
and
the
reputational
risk.
(…)
Our
principal
mission
is
to
support
the
FO,
in
knowing
their
client,
to
ensure
that
our
dealing
with
clients
brings
nothing
but
mutual
benefit.
Our
aim
is
to
upgrade
the
quality
of
the
file
and
offer
the
same
level
of
expertise
to
all
clients
of
our
business
line
»
(Mail
de
Marie
à
M.
Darrell,
CCO
et
M.
Lalande
en
copie,
14.09.2010).
Le
constat
était
si
évident
suite
à
l’audit
par
le
régulateur
en
novembre
2010,
qu’à
l’époque
où
nous
avons
quitté
la
banque
le
top
management
de
BUF-‐BI
était
en
train
de
réfléchir
à
comment
étendre
l’expertise
de
l’équipe
B
à
d’autres
lignes
métiers
en
créant
des
répliques
de
ce
design
organisationnel
d’une
conformité
recouplée.
Nous
concluons
qu’une
structure
double
–
composée
d’une
instance
découplée
(le
département
conformité)
et
d’une
instance
couplée
(l’équipe
B)
–
est
ce
qui
permet
une
éthique
au
travail
dans
la
conformité.
Ce
lien
couplé
est
ce
qui
ajoute
de
la
valeur
à
la
traduction
de
la
loi
et
des
normes
dans
l’activité
régulée,
et
garantie
une
légitimité
interne.
De
son
côté,
l’instance
découplée
est
ce
qui
offre
une
garantie
externe
et
une
expertise
légale
qui
aide
à
maintenir
une
réflexion
critique
sur
l’activité
régulée,
i.e.
maintenir
la
mission
de
‘moralisation
du
Front
Office’,
de
‘sentinelle’.
Or,
c’est
la
connaissance
approfondie
de
ce
cadre
légal
par
l’équipe
B
embarquée
qui
leur
permet
379
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
une
certaine
flexibilité
avec
le
script
initial,
pour
pouvoir
‘courber’
la
lettre
de
la
loi
afin
de
mieux
respecter
son
‘esprit’.
La
situation
sera
d’autant
mieux
évaluée
et
offrira
une
réponse
libre
plus
responsable,
que
les
acteurs
dans
l’instance
couplée
ont
cette
double
compétence,
car
ils
sont
les
seuls
à
avoir
une
vision
plus
globale
des
exigences
de
leurs
deux
maîtres,
et
seuls
capables
de
reconnaître
que
les
situations
ne
sont
jamais
noires
ou
blanches,
et
que
les
enjeux
sont
toujours
complexes
et
traversés
de
zone
d’ombre
(Shadnam
&
Lawrence,
2011).
Rarement
nous
trouverons
un
cadre
légal
qui
puisse
s’appliquer
parfaitement
aux
situations
pour
les
faire
rentrer
dans
des
cases
préétablies.
En
fait,
la
zone
de
confort
ne
‘marche’
que
parce
que
les
régulés
et
les
régulateurs
maintiennent
chacun
leur
propre
logique.
D’où
la
nécessité
de
la
structure
double,
qui
va
donner
des
ancres
référentiels
que
l’instance
couplée
va
devoir
intégrer
au
fur
et
à
mesure
que
la
situation
évolue
pour
former
les
frontières
dynamiques
de
la
zone
de
confort,
toujours
un
peu
‘aux
marges
de
la
triche’
(Lenglet,
2009).
Mais
afin
de
permettre
aux
deux
logiques
(régulée/régulatrice)
d’exister
et
de
mieux
remplir
leurs
objectifs
respectifs,
on
a
aussi
besoin
d’une
instance
capable
de
proposer
une
médiation
par
une
troisième
logique
(‘business
propre’).
Ils
opèrent
un
important
travail
de
traduction
des
priorités
des
uns
pour
les
autres,
et
doivent
à
leur
tour
justifier
et
négocier
le
fait
que
leur
zone
de
confort
qui
leur
permet
de
s’écarter
ou
de
dévier
du
script
n’est
pas
pour
autant
un
danger.
Comme
de
nombreuses
études
on
mis
en
avant
(cf.
Lenglet,
2009)
:
pour
que
ça
marche,
pour
que
l’esprit
de
la
loi
et
ses
objectifs
soient
respectés,
l’écart
de
la
lettre
est
parfois
nécessaire,
paradoxalement.
7.2.2.3.
Le
découplage/recouplage
:
implications
pour
l’éthique
comme
pratique
située
Tout
ce
qui
vient
d’être
dit
nous
ramène
à
l’enjeu
de
la
sagesse
pratique,
qui
permet
de
considérer
la
profondeur
de
la
situation.
La
zone
de
confort
permet
d’identifier
les
enjeux
derrière
chaque
action,
en
les
faisant
ressortir
au
sein
même
de
la
personne.
C’est
un
espace
non
seulement
mental
mais
existentiel
qui
nous
permet
d’avoir
un
sentiment
de
sécurité
qui
nous
permet
de
courber
la
rigidité
de
la
réglementation
pour
permettre
son
application
effective.
Cette
modalité
embarquée,
située
et
couplée
est
essentielle
pour
que
l’éthique
soit
véritablement
en
pratique
(que
ce
soit
à
travers
la
conformité
ou
par
d’autres
supports)
puisque
la
plupart
des
efforts
découplés
qui
donnent
la
priorité
à
la
question
de
l’indépendance
rencontrent
des
difficultés
sérieuses
d’implémentation
effective
(Nijhof
et.
al.
2003).
Dans
une
organisation,
un
sujet
kantien
décontextualisé
(un
masque,
un
rôle)
auquel
on
n’attribue
qu’une
rationalité
économique
peut
conduire
à
l’application
aveugle
de
380
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
normes
bureaucratiques
sans
aucune
interprétation
de
la
situation.
Or,
le
vrai
manager
ou
même
analyste
en
chair
et
en
os
est
profondément
ancré
dans
un
contexte
spécifique:
il
ne
pense
jamais
in
abstracto,
car
la
réalité
opérationnelle
est
traversée
de
contradictions.
Les
outils
eux-‐mêmes
(les
chartes,
les
codes
etc.)
sont
encastrés
dans
des
contextes
spécifiques
qui
les
façonnent
(Cassel,
Johnson
&
Smith,
1997;
Farrell
et
al.
2002
;
Nihjof
et.
al.,
2003).
Pris
seuls,
ces
outils
sont
incapables
de
garantir
le
respect
de
certaines
normes
dans
les
organisations,
voire
au
contraire
ils
peuvent
accentuer
des
comportements
déviants.
L’émergence
de
cette
zone
de
confort
permet
de
faire
dialoguer
les
prérogatives
en
compétition,
pour
les
amener
à
un
autre
plan
que
celui
de
la
stricte
relation
normative
et
abstraite.
On
arrive
ainsi
au
plan
où
elles
sont
au
cœur
d’une
expérience
phénoménologique
vécue,
où
cette
confrontation
n’est
pas
théorique
et
stérile,
mais
énactée
par
des
individus
qui
peuvent
ajuster
les
variables
pour
mieux
comprendre
et
répondre
à
la
situation
en
trouvant
comment
agir
:
“[it
turns]
circumstances
into
a
situation
that
is
comprehended
explicitly
in
words
and
that
serves
as
a
springboard
to
action”
(Taylor
and
Van
Every,
2000,
p.
40).
Cette
zone
est
alors
bien
le
locus
bellicus
où
s’affrontent
les
normes
et
les
risques
par
un
travail
de
l’éthique
comme
pratique
située.
Or,
ce
que
ni
les
approches
sociologiques,
ni
institutionnelles
qui
cherchent
à
réhabiliter
l’agence
n’ont
encore
approfondi
sont
justement
les
conflits,
tensions
et
micro-‐fondations
de
comment
est-‐ce
que
la
conformité
est
en
fait
performée
par
quelqu’un,
par
un
être
de
parole,
et
non
pas
simplement
exécutée
ou
implémenté
par
des
structures,
des
processus
et
des
outils
organisationnels.
L’éthique
comme
pratique
incarnée
joue
alors
un
rôle
primordial
dans
le
processus
de
comment
est
ce
que
la
conformité
est
véritablement
au
travail.
La
question
de
l’agence
individuelle
et
morale
est
alors
essentielle
pour
l’implémentation
de
la
conformité
(Shadnam
&
Lawrence,
2011),
mais
pour
l’instant
elle
reste
plutôt
désincarnée,
sous-‐caractérisée,
et
traitée
simplement
à
travers
les
décisions
prises
ou
les
actions
faites
par
les
acteurs,
en
les
oubliant
en
tant
que
tels.
Or,
nous
avons
cherché
à
montrer
qu’une
exécution
aveugle
et
mécanique,
indépendante
et
exogène
n’est
pas
seulement
impossible,
mais
aussi
dépourvue
de
sens
à
la
fois
du
point
de
vue
de
la
régulation,
de
la
gestion
des
risques,
du
management,
et
des
affaires
dans
les
organisations.
Nous
avons
cherché
à
montrer
les
impacts
positifs
de
ramener
les
individus
en
tant
que
sujets
moraux
dans
l’équation
de
la
mise
en
pratique
des
régulations,
i.e.
leur
interprétation,
leur
verbalisation,
et
leur
performation.
D’ailleurs,
l’approche
par
les
risques
et
parfois
appelée
“principles
based”,
et
la
gestion
des
risques
opérée
par
la
conformité
ne
peut
être
autre
que
relationnelle
(Boholm
&
Corvellec,
2011).
Elle
est
le
résultat
d’une
médiation
cognitive
et
un
travail
381
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
de
l’éthique
qui
opère
au
niveau
individuel
et
collectif
autour
d’un
cadre
réglementaire
et
un
environnement
d’une
activité
:
la
zone
de
confort.
En
effet,
la
performativité
et
la
normativité
sont
orchestrées
et
s’influencent
mutuellement
:
“values
practices
do
more
than
simply
describe
what
should
be
said
and
done
in
certain
situations.
Values
practices
actively
intervene
in
situations,
contributing
to
the
enactment
of
normative
realities
(…
This)
highlights
both
the
on-‐going
work
that
is
involved
in
the
emergence
and
performance
of
values
practices
and
the
work
that
values
practices
perform
and
provoke
in
organizations.
Instead
of
a
top-‐down
process
or
something
that
might
be
taken
for
granted
once
and
for
all,
but
through
discussions,
negotiations
and
on-‐going
network
reconfigurations
that
values
practices
are
performed.”
(Gehman
et
al
2013:104-‐108).
Nous
revenons
ainsi
à
dépasser
le
débat
entre
une
éthique
normative
et
empirique,
et
même
l’approche
trop
timide
de
l’éthique
des
vertus
qui
reste
normative
(Koehn,
1995
;
Moore,
2005b).
Nous
concluons
que
la
conformité
aveugle
–
sans
une
éthique
au
travail
comme
pratique
située
–
est
certainement
une
manière
de
‘tuer’
l’éthique
(Nietzsche,
1991
;
Arendt,
1963)
comme
récemment
certains
le
rappellent
(Bevan
&
Corvellec,
2007
;
Painter-‐Morland,
2013).
Pour
y
échapper,
il
est
indispensable
de
la
repersonnifier,
de
la
réincarner,
et
de
redécouvrir
la
dimension
existentielle,
libre
et
politique
de
son
agir
quotidien,
i.e.
de
recoupler
les
dimensions
d’éthos
et
d’èthos,
la
représentation
du
bien
et
sa
pratique
incarnée
par
un
sujet
moral
(cf.
Bowen,
1953
;
Badiou,
1993,
Bevan
&
Corvellec,
2007)
–
aussi
inséparables
que
les
deux
faces
d’une
pièce
de
monnaie
mais
dont
le
lien
substantiel
a
été
progressivement
oublié
ou
évacué
pour
faire
primer
la
logique
du
contrôle
(Jaffro,
1995
;
Painter-‐
Morland,
2008).
Notre
travail
y
contribue,
on
montrant
concrètement
comment
une
équipe
arrive
à
dépasser
la
logique
binaire
et
exclusive
du
noir/blanc,
bien/mal,
conforme/non-‐conforme
;
innocent/coupable
par
un
travail
au
cœur
duquel
se
trouve
l’éthique.
Ils
peuvent
ainsi
repersonnifier
et
‘habiter’
la
conformité
(Jensen
et
al.,
2009
;
Hallett
&
Ventresca,
2006
;
Hallett
et
al.
2009).
Si
d’autres,
dans
d’autres
circonstances
peuvent
parfois
bénéficier
d’une
certaine
‘chance
morale’
(Williams,
1999),
l’équipe
B
est
un
cas
où
loin
d’être
une
question
de
chance,
ce
travail
est
organisé,
embarqué
dans
les
processus
d’organizing
qui
permet
aussi
de
redonner
une
place
au
corps,
car
les
pratiques
sont
incorporées
(Nicolini,
2012)
7.2.3.
PERSPECTIVES
La
fonction
de
la
conformité
s’est
de
plus
en
plus
complexifiée
ces
dernières
années,
ce
qui
rend
la
tâche
de
trouver
un
sens
(à
la
fois
une
direction
et
une
382
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
signification,
cf.
Corvellec
&
Risberg,
2007)
encore
plus
difficile
pour
ses
acteurs.
Ceci
a
eu
comme
effet
pervers
de
conduire
à
une
plus
grande
extériorité
et
découplage,
pour
monitorer,
contrôler
et
évaluer
les
différentes
activités.
Au
lieu
de
simplement
critiquer
cette
pratique
d’une
conformité
découplée
qui
certainement
essentielle
pour
maintenir
une
indépendance
et
garantir
une
légitimité
externe
(Meyer
&
Rowan,
1977;
Suchman,
1995),
notre
étude
montre
que
ce
n’est
pas
nécessairement
un
‘sale
boulot
de
l’organisation’
que
de
‘cacher’
ses
déviations
par
rapport
à
la
règle
(MacLean
&
Behnam,
2010;
Vaughan,
1998,
1999)
car
il
peut
aussi
avoir
un
rôle
positif
et
proactif
de
médiation.
Ainsi,
sous
certaines
conditions
une
double
structure
peut
travailler
en
faveur
d’une
meilleure
‘moralisation’
du
business,
en
laissant
cette
marge
de
manœuvre
à
des
équipes
compétentes
qui
accompliront
ce
travail
d’équilibrage
du
sens
de
la
conformité
(Edelman,
1992;
Edelman
&
Talesh,
2011),
y
compris
identitaire
(Boxenbaum
&
Jonsson,
2008
;
Edelman
et
al.
1991).
Or,
jusque
là
la
plupart
des
organisations
ont
développé
leur
capacité
de
conformité
interne
en
omettant
cette
dimension
éthique
(situationnelle
et
personnelle),
et
en
oubliant
de
la
lier
au
cœur
du
métier
de
l’activité
à
réguler.
Embarquer
la
conformité
(la
recoupler
organisationnellement
et
symboliquement)
permet
de
tisser
ensemble
ces
deux
préoccupations,
pour
rendre
les
dispositifs
de
la
conformité
plus
‘values-‐oriented’,
et
non
pas
seulement
tournés
à
la
prévention
de
risques
légaux
(Weaver
et
al.,
1999a).
C’est
un
défi
quotidien
pour
les
responsables
de
la
conformité
dans
l’exécution
de
leur
rôle
(Adobor,
2006)
pour
lequel
ils
doivent
largement
s’appuyer
sur
leur
propre
intégrité
morale
en
situation
(Treviño,
1986)
pour
développer
leur
capacité
de
responsivité
(Ackerman
et
Bauer
1976).
On
conclut
qu’une
mise
en
pratique
effective
de
la
régulation
doit
s’appuyer
sur
une
agence
morale
d’une
part,
et
d’un
partiel
recouplage
organisationnel
qui
réintègre
en
partie
la
fonction
conformité
au
sein
de
l’activité
régulée
d’autre
part.
C’est
ainsi
que
nous
pouvons
noter
l’émergence
d’une
zone
de
confort,
qui
matérialise
la
dimension
herméneutique
et
verbalisée
du
travail
de
l’éthique
(Lowenstein
et
al.,
2012),
ancré
phénoménologiquement.
Une
telle
zone
semble
indispensable
pour
arriver
à
performer
des
réglementations
dans
des
environnements
complexes
car
elle
offre
un
espace
cognitif,
organisationnel
et
éthique
pour
œuvrer
au
recouplage
au
delà
de
la
simple
dimension
formelle
entre
la
réglementation
et
le
business,
et
pour
garantir
une
conformité
au
jour
le
jour.
Cette
zone
de
confort
nous
permet
de
porter
une
attention
particulière
à
la
mise
en
œuvre
de
la
conformité
comme
processus
incarné
dans
des
individus,
ce
qui
est
essentiel
pour
restaurer
le
chaire,
la
voix
et
les
“guts
of
institutions”
(Stinchcombe,
1997
:17),
à
travers
les
enjeux
éthiques
de
la
conformité
(Shadnam
&
Lawrence,
2011).
Derrière
les
383
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
384
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
385
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
386
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
des
acteurs
qui
les
animent.
Sans
jugement
de
valeur,
on
peut
alors
étudier
comment
cet
encastrement
fonctionne,
comment
il
est
maintenu
en
vie
ou
contesté,
ses
dynamiques,
ses
tensions
et
ses
revers
au
jour
le
jour.
Les
banques
ont
l’originalité
d’avoir
un
rôle
d’intermédiation
financière
particulièrement
intéressant
à
étudier
par
rapport
aux
questions
que
pose
la
conformité
bancaire.
Cette
position
leur
permet
d’avoir
une
incidence
sur
les
comportements
déviants
ou
conformes
de
l’ensemble
des
acteurs
des
autres
secteurs
d’activité
qui
sont
nécessairement
leurs
clients
(Scholtens,
2006).
Le
profilage
du
KYC
est
alors
une
barrière
à
l’entrée
par
un
refus
d’entrer
en
relation
commerciale
et
leur
fournir
leurs
services.
Les
obligations
règlementaires
aujourd‘hui
obligent
les
banques
à
ne
pouvoir
ignorer
ni
la
provenance
ni
la
destination
des
fonds
qui
circulent
dans
les
comptes
de
leurs
clients.
Elles
sont
contraintes
de
se
mêler
des
affaires
des
clients,
et
prouver
aux
régulateurs
nationaux
et
supranationaux
qu’elles
ont
bien
rempli
leurs
obligations
d’identification
et
le
cas
échéant
de
dénonciation.
Il
est
devenu
la
responsabilité
des
banques
de
surveiller
les
clients
et
leurs
transactions
y
compris
dans
leurs
finalités.
En
effet,
au
delà
de
son
aspect
technique
et
juridique,
il
y
a
un
enjeu
politique
fort
:
«
the
language
accompanying
these
processes
is
technical
;
the
essence
of
global
rule-‐making,
however,
is
political
»
(Büthe
&
Mattli,
2011
:12).
Le
KYC,
et
l’ensemble
des
pratiques
de
profilage
qu’il
implique
ont
progressivement
été
intégrés
dans
les
obligations
normatives
des
institutions
financières
en
général
et
des
banques
en
particulier.
Elles
détiennent
une
place
particulièrement
importante
dans
la
lutte
anti-‐blanchiment,
dans
la
mesure
où
elles
permettent
de
vérifier
et
d’éviter
que
le
système
financier
légal
ne
soit
utilisé
pour
blanchir
de
l’argent
sale
provenant
de
l’économie
souterraine.
Elles
permettent
de
s’attaquer
au
maillon
de
la
chaine
qui
concerne
non
pas
la
production
de
l’argent
sale
par
des
activités
criminelles
(cette
partie
de
la
LAB
est
confiée
à
d’autres
acteurs)
mais
à
celui
de
la
transformation
où
les
flux
illégaux
cherchent
à
être
blanchis
en
infiltrant
le
système
économique
légal
(Rouquié
1997)
:
environ
1500
milliards
de
dollars
sont
blanchis
chaque
année
selon
M.
Chambertin
(lors
du
Global
compliance
seminar).
Au
niveau
le
plus
simple,
le
KYC
peut
se
résumer
à
une
procédure
aussi
simple
et
familière
que
de
compiler
une
feuille
de
renseignements,
par
exemple
à
l’ouverture
d’un
compte
en
banque,
avec
notre
nom,
adresse,
téléphone
etc.,
prévus
par
la
loi
n°90
-‐614
du
12
juillet
1990
:
«
les
organismes
financiers
doivent,
avant
d’ouvrir
un
compte,
s’assurer
de
l’identité
de
leur
cocontractant
par
la
présentation
de
tout
document
écrit
probant
»
(article
12)
et
par
l’article
33
du
décret
n°92-‐456
du
22
mai
1992
(cf.
Annexe
5).
387
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
388
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
protéger
la
réputation
de
la
banque,
mais
cela
reste
difficile
à
évaluer.
Les
études
sociales
de
la
finance
ont
récemment
montré
comment
cela
s'est
traduit
par
un
hermétisme
des
fonctions,
avec
d'un
côté
la
sub-‐culture
des
traders
et
Sales
qui
dérive
dans
des
mécanismes
de
«
pas
vu,
pas
pris
»,
et
de
l'autre
les
Responsables
Conformité
qui
doivent
surveiller
les
marchés
et
faire
la
police
interne
(Vadera
et
al.,
2009).
La
coexistence
des
deux
cultures
et
des
deux
objectifs
contradictoires,
et
donc
des
ethea
contradictoires
(Stansbury,
2009)
mène
à
un
jeu
de
forces
constant
entre
le
Front
Office
et
les
départements
conformité
et
les
contrôleurs
des
risques
qui
cherchent
à
‘mettre
en
forme’,
à
cadrer
les
pratiques
de
la
finance.
Le
Front
Office
incarne
la
«
vraie
»
finance
et
le
profit,
alors
que
la
Conformité
doit
surveiller
et
éventuellement
dénoncer
ses
propres
pratiques,
et
représente
un
coût
et
une
bureaucratie
qui
ralentie
les
affaires.
Ceci
constitue
une
représentation
particulière
du
risque,
où
la
parole
du
responsable
conformité
est
structurante,
en
s’incarnant
dans
des
dispositifs
réglementaires,
de
surveillance
et
de
contrôle,
en
laissant
peu
de
place
pour
une
autre
pensée
du
risque.
Ainsi,
le
KYC-‐AML
au
sein
de
ce
champ
est
le
processus
de
documentation
de
cet
imaginaire,
une
fixation
du
‘client’
qui
est
loin
d’être
neutre,
avec
un
ancrage
politique
fort
(par
exemple
de
lutte
contre
le
terrorisme).
Ainsi,
nous
sommes
faces
à
une
tension
particulière
avec
le
KYC,
ainsi
que
nous
l’a
fait
remarquer
Marc
Lenglet
lors
d’une
présentation
de
notre
travail
durant
le
séminaire
de
la
SSFA
en
2011
:
le
KYC
est
parmi
les
dipositifs
considérés
comme
«
les
plus
ennuyeux,
bureaucratiques
et
moins
intéressants
»
de
la
conformité
bancaire
d’un
côté,
mais
de
l’autre,
c’est
aussi
le
cœur
d’une
tension
politique,
d’un
travail
de
segmentation
sociale
puissant,
d’un
processus
d’institutionnalisation
d’un
imaginaire
fascinant.
8.1.1.2.
Le
rôle-‐frontière
du
KYC-‐AML
dans
ce
champ
:
lui
donner
forme
en
le
conformant
Contrairement
à
ce
qui
est
couramment
assumé,
la
vague
de
dérégulation
et
de
privatisation
depuis
les
années
1980
a
paradoxalement
apporté
beaucoup
de
régulation,
non
seulement
de
la
part
de
l’état,
mais
aussi
des
initiatives
d’auto-‐
régulation
(Vogel,
1996;
Parker
&
Lehmann
Nielsen,
2011).
Aujourd’hui
les
Etats
ont
donc
tendance
à
piloter
ce
«
contrôle
du
contrôle
»
en
employant
une
supra-‐surveillance
d’une
part,
et
en
s’appuyant
de
plus
en
plus
sur
une
aide
interne
aux
organisations
sous
la
forme
de
responsabilité
interne,
conformité,
d’accountability
et
de
gestion
des
risques
(Power,
1997).
Ceci
est
parfaitement
reflété
par
l’internalisation
de
l’audit
et
des
pratiques
de
policing
(Reiner,
1997;
Power,
1997)
avec
des
objectifs
autant
389
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
390
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
pour
maintenir
en
place
son
‘régime
de
vérité’
(Foucault,
1975).
D’où
l’intérêt
profondément
pédagogique
de
l’équipe,
dont
de
nombreux
efforts
sont
faits
dans
le
sens
d’une
éducation,
sensibilisation
ou
‘moralisation’
du
Front
Office
à
l’importance
des
risques
KYC-‐AML.
En
ce
sens,
au
long
de
notre
étude
leur
légitimité
s’est
accrue,
et
ils
ont
développé
des
moyens
pour
communiquer
sur
leur
mission
tels
que
les
newsletters,
mais
aussi
par
exemple
la
procédure
d’analyse
des
dossiers
KYC-‐AML
à
laquelle
nous
avons
contribué
durant
l’automne
2010
(Document
KYC-‐AML-‐I13,
cf.
annexe
5).
Ce
document
a
été
l’occasion
de
mettre
en
valeur
l’importance
de
l’équipe,
et
d’engager
les
deux
parties
sur
leurs
obligations
communes
(délais
à
respecter
pour
l’équipe
KYC-‐
AML,
et
coopération
et
proactivité
pour
s’impliquer
dans
la
collecte
de
documents
et
la
constitution
des
dossiers).
Il
a
été
ensuite
demandé
à
l’ensemble
des
analystes
et
des
Sales
de
le
signer.
Ainsi,
pour
la
première
fois,
ils
trouver
un
moyen
de
justifier
la
part
de
responsabilité
des
Front
Officers
dans
les
délais
de
validation
dont
ils
se
plaignent
sans
cesse.
Il
est
intéressant
de
remarquer
l’évolution
entre
la
première
version
propose
avec
l’accord
de
Marie
à
sa
hiérarchie
(M.
Blanc
et
M.
Lalande)
et
ses
évolutions
au
fur
et
à
mesure
des
‘censures’
apportées
par
eux
sur
des
éléments
jugés
‘trop
contraignants’
pour
le
Front
Office
(versions
non
reproduites
pour
des
raisons
de
confidentialité).
L’équipe
a
néanmoins
réussi
à
conserver
dans
la
version
finale
du
18.10.2010,
noir
sur
blanc,
des
rappels
importants
qui
faciliteront
progressivement
leur
travail
de
pédagogie
et
de
responsabilisation
du
Front
Office:
391
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
Pour
assurer
le
bon
traitement
des
dossiers
et
la
prise
en
compte
des
contraintes
des
lignes
métiers,
il
est
nécessaire
de
prioriser
les
dossiers.
Chaque
ligne
métier
veillera
donc
à
anticiper
et
à
transmettre
ses
dossiers
dans
les
meilleurs
délais,
ainsi
qu’à
motiver
les
urgences
le
cas
échéant
(importance
du
client
ou
du
PNL
par
ex)
afin
que
celles-‐ci
soient
priorisées
par
l’équipe
KYC-‐AML.
En
cas
de
conflit
entre
les
priorités,
l’arbitrage
sera
fait
par
le
COO
de
la
ligne
métier.
Condition
suspensive
du
dossier
KYC
en
cours
L’équipe
KYC-‐AML
ne
peut
pas
remplir
correctement
sa
mission
si
le
Front
Office
ne
délivre
pas
toutes
les
informations
nécessaires
à
la
constitution
du
dossier,
et
dans
ce
cas,
ne
peut
pas
s’engager
sur
les
délais
précités.
(…)
Il
est
donc
éminemment
intéressant
d’étudier
comment
se
construit
le
sens
de
cette
acceptabilité/non-‐acceptabilité,
comment
ensuite
elle
est
mise
en
pratique,
énactée,
promue
et
même
négociée…
le
résultat
final
de
l’activité
quotidienne
des
analystes
KYC-‐AML.
Comment
est-‐ce
que
ces
pratiques
de
KYC-‐AML
in-‐forment
(donnent
forme)
et
aussi
con-‐forment
le
champ
des
institutions
financières
et
quelles
en
sont
les
implications
?
Step 1 FO
Le FO transmet un dossier complet
et précise le degré d'urgence
OUI NON
Step 2 équipe B
Step 2 équipe B
équipe B relance le FO jusqu'à 3 fois en 10 jours
équipe B analyse le dossier ouvrés pour obtenir les documents manquants.
Au bout de 3 relances, le processus est suspendu,
équipe B renvoie lAOF et averti le COO
NON
Step 2 équipe B Step 1 FO
équipe B demande des Le FO transmet les
documents supplémentaires documents supplémentaires
Step 2 équipe B
équipe B valide le step 2 OUI
±5 jours ouvrés
(si pas de risque AML détecté)
Step 5 équipe B
Steps 3,4 FO
Équipe B valide le step 5
Validation steps 3,4 par le FO et remonte le dossier à
Compliance le cas échéant
Step 6 équipe A
Validation pour les dossiers
Step 8 Step 7 AMLO low et med-low
Une
première
réponse,
avant
de
rentrer
dans
les
détails
de
cette
construction
réside
dans
une
ambigüité
que
nous
pouvons
remarquer
par
rapport
à
la
conformité
392
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
Figure 37: Hard versus Soft law: some defining differences (Djelic, 2011:52)
Or,
il
nous
est
impossible
de
ranger
la
conformité
bancaire
telle
qu’étudiée
au
sein
de
l’équipe
KYC-‐AML
dans
aucune
des
deux
colonnes.
Nous
ne
pouvons
dire
qu’elle
relève
ni
de
la
hard
law,
ni
de
la
soft
law,
du
moins
complètement.
En
effet,
dans
le
processus
de
production
il
y
a
des
aspects
qui
dérivent
directement
des
régulations
étatiques
d’une
part,
mais
aussi
une
série
d’autres
acteurs
qui
interviennent
(GAFI,
associations
professionnelles
de
AMLOs,
etc.).
Nous
voyons
qu’il
y
a
des
aspects
imposés
verticalement,
mais
d’autres
qui
sont
à
la
fois
négociés
et
même
co-‐construits
et
produits
de
manière
endogène
à
l’intérieur
des
organismes,
ainsi
que
nous
avons
pu
le
voir
dans
le
chapitre
précédent.
Les
frontières
entre
les
régulés
et
les
instances
de
régulations
ne
sont
ni
clairement
séparées
(la
fameuse
question
de
l’indépendance
que
l’intégration
de
l’équipe
au
sein
du
Front
Office
contrecarrait),
ni
totalement
brouillées
car
des
Murailles
de
Chine
persistent.
Il
en
est
de
même
pour
les
autres
caractéristiques
signalées
dans
le
tableau,
où
notre
équipe
reste
un
exemple
qui
emprunte
aux
deux
colonnes.
De
plus,
avec
l’élargissement
du
périmètre
de
l’équipe
à
l’Europe
et
à
l’Asie,
ils
ont
du
s’adapter
en
termes
de
ressources
humaines
spécialisées
en
termes
de
langues
et
de
compétences
juridiques
de
ces
différents
pays
:
«
On
avait
beau
leur
dire
qu’on
avait
besoin
de
plus
de
monde,
mais
tant
qu’ils
n’ont
pas
payé
45
mil
euros
pour
que
des
consultants
en
organisation
le
leur
disent,
ils
n’ont
pas
accepté
»
(Clément,
3.11.2010).
Ils
ont
ainsi
procédé
à
un
certain
nombre
de
recrutements,
et
entre
le
début
et
la
fin
de
l’étude
le
nombre
des
analystes
a
doublé,
et
ils
ont
vu
leur
nombre
de
déplacements
à
l’étranger
dans
ces
393
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
394
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
potentiels
responsables,
et
2)
protéger
la
banque
d’un
risque
pour
sa
réputation
et/ou
d’incriminations
légales
et
même
pénales.
C’est
ces
deux
objectifs
que
nous
étudierons
ci-‐après
à
travers
le
travail
de
classification
qui
sert
le
premier,
et
le
travail
autour
de
l’identité
qui
sert
le
second.
8.1.2.1.
Gérer
l’Autre
:
le
travail
de
classification
Si
l’argent
n’a
pas
d’odeur,
il
a
bel
est
bien
une
couleur
:
il
peut
être
blanchi
à
travers
le
système
bancaire
officiel,
il
va
du
blanc
immaculé
au
profondément
noir,
en
passant
par
de
nombreuses
teintes
de
gris
pour
caractériser
le
degré
de
saleté
et
de
pollution
pour
la
réputation
de
la
banque
à
chaque
transaction.
Cette
métaphore
chromatique
en
rapport
direct
avec
le
degré
de
saleté
est
assez
fréquente
:
on
entend
la
hiérarchie
qui
souhaiterait
que
le
l’équipe
soit
‘colorblind’.
On
verra
que
tout
ceci
constitue
la
structuration
d’un
Autre-‐que-‐nous,
qu’il
faut
donc
identifier
et
classifier
et
qui
sera
considéré
comme
polluant
(BUF-‐BI-‐C7,
cf.
aussi
C16
et
C18
avec
en
particulier
les
détails
de
la
matrice
des
risques).
Il
y
a
donc
certainement
une
dimension
sous-‐jacente
de
bien
et
de
mal
qui
sous-‐
tend
la
manière
dont
cette
classification
est
faite,
dont
le
risque
est
évalué,
et
des
critères
sur
lesquels
les
clients
seront
jugés
bons
ou
mauvais
(bon/mauvais
payeur,
dangereux/risque
acceptable,
bonne/mauvaise
réputation,
bon/mauvais
investissement
pour
la
banque
d’entrer
en
relation
avec
lui...).
Ces
pratiques
permettent
de
constater
l’émergence
d’une
nouvelle
figure
du
client
des
services
financiers
(Hodgson,
2002)
comme
potentiellement
‘sale’
et
donc
salissant.
Nous
sommes
dans
un
exemple
très
clair
de
la
critique
badiousienne
d’une
fausse
éthique
fondée
sur
l’identification
a
priori
du
Mal
(1993)
qui
justifierait
non
seulement
sa
domination
morale
mais
aussi
son
droit
d’ingérence,
d’intervention
et
de
contrôle
de
ce
Mal.
Il
y
a
plusieurs
moments
où
cette
catégorisation
peut
opérer
:
• avant
toute
entrée
en
relation
(avant
l’onboarding
du
client),
avec
les
catégorisations
et
les
listes
qui
existent
déjà
(liste
rouge
du
GAFI
des
pays
non
coopératifs
par
exemple),
et
comme
le
résultat
du
travail
d’analyse
et
de
constitution
de
dossier
;
• lors
de
la
«
due
dilligence
»
tout
au
long
de
la
relation
d’affaires
avec
des
vérifications
qui
mettent
à
jour
le
dossier
pour
vérifier
que
«
le
client
est
toujours
celui
qu’il
dit
être
».
En
particulier
ceci
implique
un
travail
de
veille
de
la
part
de
l’équipe,
qui
doit
rajouter
des
pièces
au
dossier
au
fur
et
à
mesure,
et
aussi
quand
la
relation
subit
un
changement
(ajouts
au
portefeuille,
diversification
des
investissements,
prolongement
des
services,
changement
des
bénéficiaires/propriétaires,
etc.).
395
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
396
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
d’être
détecté,
ou
chiffré.
Mais
il
est
plus
juste
de
dire
que
l’argent
sale
et
les
processus
de
gestion
de
l’argent
sale
s’impliquent
mutuellement,
et
les
recherches
d’exceptions
et
de
contournements
à
ces
classifications
ne
font
que
confirmer
la
règle
classificatoire
(Arendt,
1963,
Dumez,
2006b).
Ceci
s’apparente
à
un
travail
des
valeurs
(«
values
work
»)
énacté
par
les
membres
de
l’organisation
(Gehman
et
al.
2013).
Le
KYC
peut
alors
être
analysée
comme
une
values
practice,
car
au
delà
de
servir
le
but
de
conformité
de
l’organisation,
ces
classifications
peuvent
être
poursuivies
en
quelque
sorte
pour
elles
mêmes
dans
le
fait
d’informer,
donner
forme,
au
champ
institutionnel
en
véhiculant
idées
de
bien
et
de
mal,
à
travers
les
catégories
du
sale
et
propre.
On
cherchera
alors
à
réifier
les
catégories
existantes
par
la
normalisation,
et
à
bien
garder
ce
qui
relève
de
l’Autre
(otherness,
non
pas
au
sens
Lévinasien
mais
de
ce
qui
m’est
étranger
et
donc
dangereux)
à
l’extérieur.
Ces
classifications
servent
un
double
objectif
de
mise
en
ordre
(identification)
et
d’exclusion
(screening),
tous
deux
socialement
construits
(Douglas,
2004,
2005).
Douglas
soutient
que
les
relations
sociales
sont
soutenues
par
la
différentiation
que
les
groupes
sociaux
opèrent
entre
ce
qui
est
pur
et
ce
qui
est
impur,
ce
qui
propre
et
ce
qui
est
sale,
ce
qui
est
permis
et
ce
qui
est
prohibé.
Ceci
s’applique
bien
entendu
aux
objets
(par
exemple
les
animaux
qui
sont
considérés
comme
aptes
et
autorisés
pour
être
mangés)
mais
aussi
aux
pratiques
(les
règles
des
arrangements
matrimoniaux
par
exemple).
Enfin,
elle
montre
que
ces
catégorisations
deviennent
des
institutions,
c’est-‐à-‐
dire
des
conventions,
qui
in
fine
guident
ces
mêmes
groupes
qui
les
ont
instituées.
Ainsi,
c’est
une
caractéristique
anthropologique
que
les
groupes
fassent
ces
distinctions,
et
se
laissent
largement
guider
par
elles,
afin
d’éviter
d’être
pollués
en
enfreignant
ces
limites.
Dans
notre
cas,
notons
la
manière
dont
la
mise
en
ordre
et
l’exclusion
opèrent,
grâce
à
une
série
d’outils
qui
ont
été
et
continuent
à
être
développés
et
implémentés
pour
accomplir
ces
catégorisations
de
propre
d’une
part
et
de
sale
de
l’autre.
Le
KYC-‐
AML
s’appuie
sur
une
série
de
listes,
qui
nous
rappellent
celles
que
rappelle
Douglas
en
termes
de
prescriptions
sur
la
nourriture
appelées
‘abominations’
du
Lévitique.
Entre
la
liste
GAFI
de
pays
non-‐coopératifs
et
les
listes
internes
de
documents
à
demander
aux
clients,
le
travail
quotidien
des
analystes
est
largement
sujet
à
ces
listes
:
listes
d’obligations
réglementaires,
listes
noires
des
clients
sanctionnés
par
le
passé,
liste
des
PEPs,
liste
des
oligarques
interdits,
listes
de
pays
non
officiellement
dangereux
mais
néanmoins
considérés
risqués
car
hors
de
l’Union
Européenne….
D’autres
outils
sont
les
sites
internet
dédiés,
les
progiciels
de
veille,
les
bases
de
données
(telles
que
Factiva),
chacun
utilisé
à
un
moment
ou
à
un
autre
dans
la
réalisation
des
dossiers.
Puisque
ces
sources
sont
différentes
et
souvent
indépendantes
les
unes
des
autres,
elles
offrent
des
397
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
398
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
La
banque
alors
perpétue
un
certain
standard,
en
s’engageant
dans
des
relations
d’affaires
uniquement
avec
des
contreparties
qui
jouent
le
jeu
d’après
les
mêmes
règles,
qui
se
plient
au
même
code
normatif,
dans
le
même
‘risk
game’.
Derrière
la
réputation
transparait
cette
question
de
l’identité
organisationnelle,
qui
n’est
donc
pas
uniquement
une
question
d’être
:
en
tant
qu’objet
d’un
contrôle,
elle
implique
une
force
instituante
qui
structure
et
renforce
certaines
institutions
au
détriment
d’autres.
Au
niveau
du
champ,
chaque
organisation
bancaire
est
donc
tenue
de
prendre
part
à
la
lutte
supranationale
contre
le
blanchiment
d’argent
et
le
financement
du
terrorisme,
en
identifiant
et
suivant
ses
propres
clients.
Chaque
banque
participe
ainsi
à
la
structuration
du
champ
en
renforçant
ces
standards,
qui
constituent
aussi
un
moyen
privilégié
pour
affirmer
sa
propre
identité
organisationnelle
au
sein
du
champ
auquel
on
veut
appartenir.
En
effet,
c’est
le
travail
quotidien
d’analyser,
399
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
400
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
de
leur
société.
En
bref,
ils
construisent
une
machine
qui
pense
et
prend
des
décisions
en
leur
nom
»
(2004:
99).
Par
exemple,
citons
la
manière
dont
Marie
a
traité
avec
la
contrepartie
Phoebus
:
-‐
(Marie)
«
Ce
n’est
pas
normal
que
la
maison
veuille
quand
même
faire
du
business
avec
eux
[Phoebus]
alors
qu’il
a
eu
2
condamnations
des
Régulateurs.
Pour
l’instant
le
dossier
est
coincé
chez
nous.
Ce
qui
n’est
pas
normal
aussi
c’est
qu’il
y
ait
des
appréciations
et
évaluations
différentes
du
client
au
sein
de
la
même
maison
:
KYC
(de
ce
pays)
a
dit
ok
malgré
les
condamnations.
Mais
nous
à
Paris
on
bloque.
On
veut
me
mettre
de
la
pression
pour
que
je
valide
sous
prétexte
que
KYC
(autre
pays)
a
validé.
D’autres
banques
en
France
traitent
déjà
avec
eux
aussi.
Mais
(ce
pays)
a
toujours
été
beaucoup
plus
pro-‐business
que
nous,
voulant
faciliter
à
tout
prix
les
choses,
mais
la
règlementation
est
très
claire
et
pour
moi
c’est
non.
»
(Journal,
17
avril)
«
Le
Compliance
Officer,
Monsieur
Chambertin,
à
qui
Marie
répond
directement,
avait
déjà
refusé
catégoriquement
en
2006
et
2007
cette
même
contrepartie.
Marie
avait
émis
un
autre
avis
défavorable
sur
ce
dossier
en
2008.
Le
risque
de
réputation
pour
la
banque
est
trop
élevé
en
raison
des
condamnations
déjà
faites
au
client
dans
un
passé
récent.
Interdit
de
travailler
dans
son
ancien
organisme
qui
l’a
d’ailleurs
«
remercié
»,
il
a
déménagé
dans
un
pays
moins
régulé
et
fiscalisé,
et
y
a
ouvert
sa
propre
boîte.
La
sanction
n’était
pas
inconnue
de
son
pays
d’adoption,
mais
il
l’a
quand
même
accueilli,
apparemment
à
bras
ouverts.
La
sanction,
bien
que
lourde,
n’a
pas
eu
des
effets
durables,
puisque
les
autres
compris
et
y
compris
celui
où
il
a
été
interdit
refait
du
business
avec
cette
contrepartie
et
leur
nouvelle
boîte,
même
si
elle
est
interdite
d’exercer
sur
leur
sol.
Un
mail
de
2007
de
la
part
du
Sales
à
Paris
dit
:
«
La
communauté
financière
traite
avec
eux.
On
aimerait
également
être
autorisés
à
le
faire,
sous
réserve
bien
évidemment
que
le
risque
réputationnel
soit
jugé
désormais
acceptable
par
la
Banque
».
La
contrepartie
a
été
approuvée
récemment
par
le
bureau
KYC
de
BUF
dans
cet
autre
pays.
Suite
à
cet
«
aproval
restricted
to
(pays)
»,
les
Sales
en
France
mettent
de
la
pression
pour
que
la
maison
mère
à
Paris
le
valide
définitivement
(mail
de
janvier
2010)
:
«
Let’s
make
those
calls
and
start
generating
commission
with
Phoebus
!».
D’ailleurs,
un
trader
basé
à
Londres
répond
que
Marie
est
«
too
zealous
in
applying
the
letter
of
the
law
»,
à
quoi
Clément
commente
dans
un
mail
à
Marie
:
«
C’est
normal
qu’il
dise
ça,
pour
eux
on
perd
de
l’argent
!
».
Mais
la
validation
autorisée
par
le
bureau
de
l’autre
pays
n’est
pas
en
conformité
avec
les
obligations
en
France,
moins
laxistes
ou
plus
strictes,
selon
le
point
de
vue
:
en
effet,
il
n’y
a
pas
de
clarté
sur
les
bénéficiaires
effectifs,
notamment
sur
des
structures
de
type
Trust,
qui
sont
parmi
les
plus
opaques
et
donc
plus
sensibles
en
termes
de
risque
AML.
Le
dossier
est
encore
en
cours,
avec
des
nouveaux
mails
de
la
part
du
département
Compliance
de
la
contrepartie
qui
assure
que
maintenant
ils
sont
affiliés
à
une
entité
régulatrice
pour
la
LAB
et
qu’ils
viennent
de
publier
leur
charte
déontologique
dont
ils
joignent
une
copie.
Même
le
AMLO
de
BUF
à
Londres
a
envoyé
une
grande
quantité
de
courriels
pour
faire
pression
sur
Paris
pour
qu’ils
valident,
car
les
401
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
autres
bureaux
dépendent
largement
des
directives
de
la
maison
mère.
Les
sommes
impliquées
sont
considérables,
d’où
l’insistance
des
Sales
à
vouloir
à
tout
prix
traiter
avec
ce
tiers.
Mais
d’après
Marie,
encore
une
fois,
ça
ne
passera
pas.
Et
si
ça
passe,
ce
sera
uniquement
pour
pouvoir
le
suivre
de
plus
près,
et
éventuellement
faire
une
déclaration
de
soupçon
».
Le
cas
de
la
contrepartie
Phoebus
est
particulièrement
révélateur
de
cet
aspect
problématique
et
même
risqué
de
la
défense
de
cette
appartenance,
et
montre
par
la
même
occasion
l’importance
du
niveau
micro
de
la
volonté
des
sujets
moraux
explorés
dans
le
chapitre
précédent
y
compris
dans
ces
dynamiques
institutionnelles
(Lawrence
et
al.
2009).
Comme
déjà
mentionné,
cette
contrepartie
représentait
un
enjeu
particulier
en
termes
d’identité
d’une
part,
mais
de
réputation
d’autre
part,
et
elle
opérait
à
ces
deux
niveaux
:
d’un
côté
de
nombreuses
banques
traitaient
déjà
avec
lui
(il
restait
donc
dans
la
sphère
du
champ
grâce
à
cette
pression
faite
par
certains
membres
du
secteur
bancaire
dans
le
monde),
mais
d’un
autre
côté
il
en
avait
déjà
été
exclu
du
fait
de
la
sanction
des
régulateurs
(il
devrait
donc
être
considéré
comme
étant
hors
du
système
et
dans
la
catégorie
des
contreparties
impossibles).
Il
y
avait
donc
ici
comme
dans
d’autres
cas
une
frontière
assez
délicate
à
établir
entre
la
sphère
de
la
légalité
et
du
légitime,
entre
les
règles
à
respecter
et
le
sens
de
ces
règles
au
sein
d’un
groupe
(Dumez,
2006b,
Jackall,
2010).
Dans
l’impressionnant
dossier
sur
Phoebus
constitué
par
l’équipe
(plusieurs
classeurs),
nous
retrouvons
des
tentatives
de
normalisation
de
la
déviance
du
fait
de
la
pression
de
l’appartenance,
de
la
quête
d’une
légitimité
ou
tout
simplement
de
la
survie
de
l’organisation
dans
le
champ
(Meyer
&
Rowan,
1977).
Dans
le
cas
du
dossier
Phoebus,
l’AMLO
a
pendant
notre
étude
réussi
de
nouveau
à
le
garder
dans
la
sphère
de
l’Autre,
et
à
résister
aux
pressions
du
champ
pour
l’intégrer
dans
la
sphère
du
Même.
C’est
un
complexe
processus
de
structuration
de
l’identité
(Schultz
et
al.
2012
;
Mueller
&
Whittle,
2012),
non
pas
stabilisée
ou
du
moins
uniquement
stabilisée
avec
des
‘institutions
qui
pensent
en
notre
nom’,
mais
qui
reste
négociée,
et
qui
doit
sans
cesse
faire
l’objet
d’une
résistance,
car
:
«
Les
mecs
qui
font
du
fric
ils
sont
intouchables
de
toutes
façons.
Et
la
banque
préfère
payer
des
amandes
que
de
les
contrarier.
Quand
je
suis
arrivée
en
même
temps
que
Francis,
y’a
un
Front
qui
ma
dit
au
téléphone
‘de
toutes
faàons
tu
n’est
qu’un
coût’.
Tu
coutes
de
l’argent
et
tu
ne
rapportes
rien’.
C’était
enregistré
bien
sur,
comme
toutes
les
conversations,
mais
tant
qu’il
n’y
a
pas
de
mecs
en
prison…
Ils
m’ont
bien
fait
comprendre
qu’il
ne
fallait
pas
les
emmerder
avec
ça.
C’est
des
cowboys
de
la
finance.
»
(Nathalie,
14.10.2010)
402
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
403
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
D’autre
part,
la
figure
de
l’Autre
en
théorie
des
organisations
par
rapport
à
des
enjeux
d’éthique
a
surtout
été
traitée
à
travers
deux
approches
majeures.
D’une
part,
en
tant
que
défi
pour
la
gestion
des
ressources
humaines
à
l’intérieur
des
organisations:
comment
intégrer
des
personnes
‘différentes’
dans
les
équipes
à
travers
le
management
de
la
diversité
(cf.
Gilbert
et
al.
1999),
et
la
discrimination
positive
par
exemple.
D’autre
part,
de
l’extérieur
des
organisations,
comme
une
approche
intégrative
à
travers
d’un
côté
la
théorie
des
parties
prenantes
(Freeman,
1984;
Donaldson
&
Dunfee,
1994;
Freeman
et
al.
2010)
ou
avec
une
perspective
autour
du
risque
“the
necessary
[or
legally
sanctioned]
imposition
of
limits
to
behavior
associated
with
profit
and
power
and
where
the
Other
is
organized,
even
manipulated,
to
fulfill
utilitarian
goals”
(Lim,
2007:
251).
Dans
l’approche
contemporaine
de
la
conformité,
ce
dernier
aspect
est
très
clair:
le
KYC
est
fortement
orienté
à
une
perspective
autour
du
risque
et
cherche
à
contrôler
l’Autre,
de
le
maintenir
dans
la
sphère
de
l’Autre,
des
contreparties
non-‐désirables,
mais
que
souvent
ne
sont
simplement
que
‘pas
comme
nous’,
‘ne
se
pliant
pas
aux
mêmes
règles
que
nous’
en
termes
de
lutte
mondiale
contre
le
blanchiment
d’argent
et
le
financement
du
terrorisme,
dans
cette
obsession
pour
la
gestion
du
risque
qui
de
plus
en
plus
envahi
le
monde
financier
(Fraser
&
Simkins,
2010).
Nous
sommes
pleinement
dans
le
régime
d’une
fausse
éthique
fondée
sur
le
Mal
(Badiou,
1993),
qui
pervertit
à
la
fois
le
Même
–
en
l’identifiant
à
un
consensus
totalitaire
–
et
l’Autre
–
en
l’objectivant,
l’instrumentalisant,
le
contrôlant,
lui
niant
la
dimension
d’altérité
qui
appelle
à
la
véritable
responsabilité
(Lévinas,
1968
;
Bevan
&
Corvellec,
2007
;
McMurray
et
al.
2010
;
Bevan,
2013).
Le
tableau
suivant
cherche
à
représenter
l’interaction
entre
les
éléments
à
gérer
(le
sale/le
propre)
et
les
dimensions
institutionnelles
que
l’on
peut
en
tirer
en
fonction
de
si
on
range
ces
éléments
dans
la
sphère
du
Même
ou
de
l’Autre.
Figure 38: Le propre et le sale dans les sphères du Même et de l'Autre
Sphère du
Même Autre
En mettant une pression sur le champ, allant contre
On ne traite qu’avec les parties qui jouent le
ses catégories établies, on va délibérément ranger
Propre
404
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
Il
s’agit
d’un
processus
dialectique,
celui
de
gérer
le
Même
et
l’Autre.
Et
pour
y
arriver,
la
position
organisationnelle
de
l’équipe
B
était
centrale
pour
qu’ils
puissent
identifier
ces
dimensions
institutionnelles
de
la
situation
d’éthique
dans
laquelle
ils
se
trouvaient.
L’objectif
d’aboutir
à
un
‘business
propre’
serait
très
difficile,
voir
impossible,
hors
de
leur
situation,
car
ils
seraient
alors
trop
proches
ou
trop
loin
des
réalités
du
business
et
des
impératifs
de
gestion
des
risques
pour
le
voir
clairement.
Ils
sont
alors
capables
et
ont
suffisamment
de
recul
par
rapport
à
leur
situation
pour
poser
les
trois
questions
suivantes
:
1) Quel
est
le
degré
de
sureté/risque
?
(une
question
factuelle,
qui
peut
dériver
en
une
approche
check-‐list
intransigeante)
2) Est
ce
que
c’est
suffisamment
sûr/trop
risqué
?
(une
question
sur
les
limites
à
ne
pas
franchir,
et
qui
engage
une
sagesse
pratique
à
partir
de
certaines
valeurs)
3) Y
a
t-‐il
des
éléments
que
nous
ne
voyons
pas
?
(question
sur
les
points
aveugles
à
garder
toujours
en
tête,
afin
de
mener
une
médiation
effective)
La
situation
d’éthique
a
donc
une
dimension
profondément
institutionnelle
qui
ne
peut
être
négligée,
car
ses
dynamiques,
que
nous
préciserons
ci-‐après,
contribuent
d’une
manière
substantielle
à
donner
forme
à
cette
situation
elle-‐même,
en
refermant
ainsi
la
boucle
des
différents
niveaux
(cf.
3.1.1.2).
8.2.1.2.
Les
dynamiques
institutionnelles
de
la
situation
d’éthique
:
le
travail
sur
les
‘frontières’
et
la
puissance
de
la
négativité
Les
effets
de
ces
deux
mécanismes
de
gestion
du
Même
et
de
l’Autre
sont
doubles
et
risquent
d’aboutir
à
la
classification
et
à
l’identification
a
priori
du
mal
(Arendt,
1963
;
Badiou,
1993).
L’effet
de
‘sameness’
agit
un
mécanisme
de
préservation/protection
d’une
part,
mais
de
recherche
et
renforcement
d’une
appartenance
d’autre
part,
y
compris
au
prix
d’une
normalisation
du
‘otherness’.
De
son
côté,
l’effet
du
‘otherness’
agit
comme
mécanisme
d’exclusion
d’une
part,
et
niant
la
part
profonde,
créatrice
(«
We
have
to
invent
new
ways
to
make
money
»
M.
Darrell
lors
du
Global
Compliance
Seminair),
et
éthique
de
l’Autre
au
sens
Lévinassien
(1968)
et
de
prise
en
compte
de
l’altérité
(Durand
&
Calori,
2006;
Lim,
2007
;
McMurray
et
al
;
2010)
dans
les
dynamiques
institutionnelles
de
l’éthique.
Combinés,
ces
pratiques
agissent
en
tant
que
véritables
instituants
(Lapassade
1966,
Lapassade
&
Lourau
1974):
ces
pratiques
deviennent
des
mécanismes
de
maintien
de
l’institution
à
travers
la
propagation
de
ce
consensus
normatif
sensé
soutenir
les
marchés
(Day,
2005),
qui
405
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
406
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
seulement
la
structuration
sociale
mais
aussi
des
implications
politiques.
Les
relations
sociales,
la
rhétorique,
les
conventions
et
les
outils
tels
que
les
réglementations
ou
des
structures
organisationnelles
instituées
ont
été
identifiées
comme
des
composantes
actives
du
boundary
work.
Certains
courants
s’intéressent
à
comment
les
‘objets
frontière’
sont
alors
construits,
et
font
des
ponts
entre
différents
groupes
qui
y
trouvent
chacun
leurs
usages.
Si
nous
considérons
le
niveau
du
champ
(Bourdieu,
1979...),
nous
voyons
que
les
dynamiques
du
boundary
work
sont
pertinentes
pour
ce
processus
de
formation
du
champ.
En
effet,
il
y
a
souvent
au
sein
des
champs
une
lutte
ou
un
conflit
des
institutions
qui
les
conforment
où
le
système
de
croyances
et
de
significations
partagées
devient
contesté
(Hoffman,
1999).
Le
boundary
work
est
essentiel
dans
l’accomplissement
et
le
renforcement
du
négatif
de
la
structuration
du
champ,
c’est-‐à-‐
dire
dans
la
démarcation
de
ce
qui
est
adverse,
opposé,
ce
qui
est
identifié
comme
polluant
qui
sont
traqués
de
manière
proactive
et
maintenus
hors
des
frontières
du
champ.
En
participant
à
la
construction
des
frontières
entre
le
champ
et
ses
‘ennemis’,
le
boundary
work
apparaît
comme
une
des
forces
sociales
de
l’organisation,
qui
permet
aussi
d’instituer
des
formes
de
penser
et
d’être,
définissant
ainsi
de
manière
relationnelle
les
limites
entre
soi
et
les
autres,
ce
qui
est
permis
et
ce
qui
est
prohibé,
entre
noa
et
tabou,
entre
ce
qui
es
acceptable
et
ce
qui
est
risqué
(Boholm
&
Corvellec,
2011).
Voilà
qu’opère
le
pouvoir
de
«
naming
and
shaming
»
qui
discrimine
les
coopérants
des
non-‐coopérants.
Les
Responsables
Conformité
prendront
alors
la
décision
d'approuver
ou
refuser
la
contrepartie/transaction.
Prêter
attention
au
boundary
work
permet
d’apporter
un
complément
intéressant
aux
dynamiques
institutionnelles,
en
tant
qu’il
permet
d’explorer
la
préservation
et
la
structuration
du
champ
d’une
part,
et
la
création,
renégociation
et
implications
des
frontières
du
champ
d’autre
part.
Nous
pouvons
ainsi
rendre
compte
des
forces
transformatrices
des
institutions,
et
comment
les
pratiques
de
KYC-‐AML
en
sont
une,
par
les
tensions
et
les
dialectiques
qu’elles
engendrent,
aux
marges
floues
entre
une
légalité
dure
et
molle.
Nous
proposons
alors
qu’en
tant
qu’élément
instituant
(Lourau,
1969;
Lapassade
&
Lourau,
1974),
le
KYC-‐AML
sert
de
mécanisme
de
défense
pour
le
champ
mais
aussi
pour
l’organisation
grâce
à
ce
boundary
work
:
l’organisation
se
protège
(en
répliquant
le
même,
mécanisme
d’isomorphisme
analysé
par
DiMaggio
&
Powel,
1983
;
avec
parfois
des
effets
pervers,
cf.
Venard
&
Hanafi,
2008)
et
promeut
une
consensus
normatif
(Day,
2005
;
Greenwood
et
al.
2002)
contre
son
Autre
à
conformer
malgré
lui
(Badiou,
1993).
En
effet,
un
élément
central
que
nous
pouvons
apporter
à
l’analyse
des
dynamiques
407
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
institutionnelles
d’une
part
et
à
cet
élément
de
négativité
d’autre
part
vient
des
recherches
anthropologiques
de
Mary
Douglas,
et
en
particulier
de
sa
notion
de
pollution,
liée
à
son
travail
sur
la
catégorisation
et
les
institutions
(2004,
2005).
En
prêtant
attention
à
la
négativité,
nous
pouvons
renouer
avec
les
forces
ou
‘énergies
sociales’
(Hess,
2002)
de
l’organizing
mais
aussi
des
dynamiques
institutionnelles
qui
structurent
nos
manières
de
penser
et
d’agir,
qui
délimitent
les
sphères
du
Même
et
de
l’Autre,
de
l’organisation
et
de
ses
‘ennemis’.
8.2.2.
CONCLUSIONS
INTEGRATIVES
ET
PERSPECTIVES
Au
delà
des
obligations
réglementaires
auxquelles
se
plier
et
au
delà
de
la
gestion
des
risques
qui
sont
les
faces
apparentes
de
leur
travail
quotidien,
les
résultats
attendus
et
les
intitulés
officiels,
en
fait
l’équipe
opère
un
travail
institutionnel
tout
à
fait
intéressant.
Ils
doivent
être
capables
d’identifier
ce
qui
relève
de
l’ordre
du
Même
(à
protéger,
répliquer,
standardiser,
infuser)
et
à
le
distinguer
de
son
Autre
(à
traquer,
identifier,
rejeter,
exclure).
Une
distinction
adéquate
des
deux
est
capitale
dans
la
structuration
des
processus
au
niveau
de
l’organisation
et
du
champ.
Dans
le
cas
qui
nous
occupe,
l’argent
sale
est
une
transgression,
est
ce
qui
s’oppose
à
celui
qui
est
acceptable,
propre,
le
fruit
légitime
d’un
travail,
conforme
aux
normes
qui
régissent
l’ordre
social
dans
ses
représentations
et
ses
conventions.
La
distinction
et
la
classification
entre
l’argent
sale
et
l’argent
non-‐sale
a
une
fonction
sociale
de
perpétuation
d’un
certain
ordre
soutenu
par
un
système
normatif
d’une
part,
et
qui
se
constitue
comme
risque
à
gérer
d’autre
part.
La
dimension
de
souillure
de
l’argent
sert
à
établir
une
frontière
et
à
délimiter
une
périphérie
dans
les
comportements
et
les
pratiques,
et
permet
par
là
même
de
dévoiler
les
fondements
normatifs
d’une
société
donnée.
Ainsi,
le
sacré
est
délimité
par
les
interdits
qu’impose
la
Loi,
et
réciproquement
la
souillure
se
manifeste
dans
la
honte
qu’elle
provoque
à
son
contact
(rappelons
la
Genèse,
où
Adam
et
Eve
ont
honte
de
leur
faute,
et
se
cachent
de
la
vue
de
Dieu
;
de
la
même
manière
on
a
honte
de
parler
d’argent
ou
de
son
salaire),
mais
aussi
dans
le
souillure
physique,
car
le
péché,
comme
catégorie
morale
de
la
religion
judéo-‐
chrétienne,
est
ce
qui
ternit
la
blancheur,
souille
le
corps
par
la
maladie
(cf.
Livre
de
Samuel,
24,
11-‐15
et
21-‐25,
Ancien
Testament),
comme
la
lèpre
par
exemple,
longtemps
assimilée
à
une
tare
divine
et
une
condamnation
à
une
mort
en
vie
pour
punir
«
hidden
thoughts,
words,
and
deeds,
usually
involving
disgusting
forms
of
sex
»
(Watts,
1997
:43).
Douglas
avait
montré
que
la
souillure
est
un
procédé
symbolique
qui
sépare
l’ordre
du
408
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
désordre,
le
bénéfique
(notion
qu’elle
préfère
à
celle
de
bien)
du
maléfique
(plutôt
que
le
mal).
Ainsi,
ce
chapitre
nous
permet
de
faire
un
certain
nombre
de
contributions
et
de
tirer
quelques
conclusions
intégratives
pour
finir
notre
travail.
Dans
ce
chapitre,
nous
avons
proposé
des
éléments
qui
à
notre
sens
contribuent
à
la
théorie
institutionnelle
en
soulignant
le
lien
dynamique
et
indissoluble
entre
ces
deux
types
de
travail
–
institutional
work
et
boundary
work.
Par
ailleurs,
on
contribue
aux
études
sociales
de
la
finance
en
abordant
un
aspect
peu
étudié
de
la
conformité
bancaire,
le
KYC
et
l’AML,
et
en
faisant
la
connexion
avec
les
catégories
conceptuelles
du
Même
et
de
l’Autre,
qui
deviennent
une
clé
de
lecture
intéressante
pour
les
concevoir
comme
des
méta-‐objets
de
gestion
en
général,
et
de
revisiter
la
gestion
des
risques
en
particulier
à
l’aune
de
ce
couple
conceptuel
pour
étudier
leurs
implications
institutionnelles
totalisantes
(Badiou,
1993).
Ces
pratiques
de
profilage
et
de
screening
telles
que
le
KYC
dans
la
conformité
bancaire
engagent
complètement
l’identité
:
à
la
fois
de
l’organisation
(la
banque
qui
conduit
les
vérifications)
et
des
contreparties
que
l’organisation
cherche
à
identifier
afin
de
s’engager
dans
des
relations
d’affaires.
On
a
montré
que
cette
identité
et
identification
(du
Bien
et
du
Mal,
du
Même
et
de
l’Autre)
est
contraire
à
une
éthique
ontologique
telle
que
nous
l’avons
définie,
mais
est
justement
le
lieu
où
sa
dimension
politique
engagée
à
une
possibilité
d’advenir.
Il
y
a
donc
en
quelque
sorte
une
double
gestion
des
identités,
que
nous
avons
identifié
avec
les
catégories
conceptuelles
du
Même
et
de
l’Autre.
Ceci
nous
a
permit
de
développer
le
lien
que
nous
avons
proposé
entre
éthique
et
ontologie,
à
quel
point
l’une
était
constitutive
de
l’autre,
et
combien
ce
rapport
est
d’une
grande
incidence
sur
l’éthique
comme
pratique,
qui
serait
ici
à
envisager
sous
le
mode
politique
de
la
résistance,
d’une
suspension
sage
qui
permette
parfois
de
courber
la
règle
pour
être
plus
en
confort
avec
son
être.
L’équipe
montre
des
signes
clairs
de
cet
engagement
au
niveau
individuel
et
organisationnel,
mais
pas
complètement
au
niveau
institutionnel.
On
voit
alors
que
la
conscience
de
la
dimension
institutionnelle
de
la
situation
de
l’éthique
comme
pratique
est
une
des
conditions
à
considérer
pour
pouvoir
ensuite
‘courber’
l’espace
moral
(Jensen
et
al.
2009)
à
partir
de
l’action
des
sujets
qui
s’engagent
consciemment
ou
pas
dans
ce
travail
institutionnel
(Lawrence
et
al.
2009).
Il
y
a
une
riche
tension
conceptuelle
entre
l’éthique
et
l’ontologie,
et
avec
l’émergence
de
ces
implications
dynamiques
au
niveau
institutionnel,
qui
ouvrent
une
voie
d’exploration
intéressante
:
comment
rompre
avec
l’approche
prescriptive
d’une
éthique
normative
(ici
via
la
conformité)
qui
cherche
la
reproduction
des
normes
et
leur
continuité,
afin
de
perpétuer
certaines
‘valeurs’
et
409
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
surtout
un
consensus
sur
le
négatif
?
Afin
de
retrouver
un
Autre
qui
ne
soit
pas
uniquement
l’objet
d’une
méfiance
et
d’une
gestion
des
risques,
la
dyade
conceptuelle
du
Même
et
de
l’Autre
reste
un
couple
conceptuel
intéressant
à
creuser,
à
la
fois
séparément
et
ensemble.
En
éthique
des
affaires,
nous
renouons
ici
par
un
chemin
nouveau
les
avenues
de
recherche
qui
s’inspirent
de
la
philosophie
Lévinassienne
(Durand
&
Calori,
2006;
Bevan
&
Corvellec,
2007;
Lim,
2007
;
McMurray
et
al.
2010)
et
de
celle
de
Ricoeur
(1990,
2004)
pour
chercher
à
considérer
l’Autre
non
pas
simplement
comme
ce
qui
s’oppose
au
Même,
et
se
pose
alors
en
tant
que
menace
pour
lui,
mais
comme
la
puissance
(positive)
du
négatif
qui
nous
permet
de
voir
autre
chose,
et
d’ouvrir
des
possibilités,
de
résister
au
totalitaire.
La
figure
de
l’Autre
est
centrale
dans
la
conception
de
l’éthique,
puisqu’en
tant
qu’élément
exogène
au
sujet
il
est
néanmoins
construit
de
manière
endogène
au
sein
même
non
seulement
du
sujet,
mais
des
pratiques
dans
lesquelles
il
s’engage,
dans
les
jeux
qu’il
accepte
de
jouer,
dans
les
institutions
qu’il
perpétue
ou
cherche
à
changer.
On
appelle
alors
à
une
éthique
des
affaires
qui
soit
“conceived
not
as
a
corporate
commitment
but
as
an
individual
practice
of
responsibility
by
the
agents
of
management
towards
the
Other”
(Bevan
&
Corvellec,
2007:208).
Une
gestion
de
l’Autre,
pour
l’Autre.
En
tant
qu’une
pratique
ou
un
énactement
relationnel
(Lim,
2007)
et
continu,
l’éthique
est
alors
fondée
ontologiquement,
et
doit
assumer
les
implications
de
la
gestion
du
Même
et
de
l’Autre.
C’est-‐à-‐dire
non
pas
renoncer
à
l’appel
lévinassien
sous
prétexte
de
sa
difficulté
(son
impossibilité),
mais
de
l’explorer
dans
les
conditions
concrètes
du
politique,
car
«
the
ethical
subject
then
can
be
considered
as
being
ethically
motivated,
politically
active,
discursively
contextualized
as
well
as
never
fully
realizing
the
infinite
demand
of
the
ethics
that
insipred
it
»
(McMurray
et
al.
2010
:556).
410
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
411
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
CONCLUSION
:
PAR
DELA
LE
BIEN
ET
LE
MAL,
LE
TRAVAIL
Concluons,
comme
il
se
doit,
par
un
vœu
:
quand
quelque
institution
philosophique
est
en
train
de
former
sa
convention
et
de
régler
à
nouveau
le
gardiennage
du
nœud,
quand
la
philosophie
se
trouve
être
à
l'épreuve
d'une
décision
collective,
souhaitons
que
le
coup
de
dés
d'aucun
malfaiteur
n'abolisse
le
hasard
de
cette
rare
occurrence.
Alain
Badiou,
Conditions,
Éditions
du
Seuil,
Paris,
1992
:90.
Hope
[...]
is
not
the
same
as
joy
that
things
will
go
well,
or
willingness
to
invest
in
enterprises
that
are
obviously
heading
for
success,
but
rather
an
ability
to
work
for
something
because
it
is
good,
not
just
because
it
stands
a
chance
to
succeed.
[...]
Hope
is
definitely
not
the
same
thing
as
optimism.
It
is
not
the
conviction
that
something
will
turn
out
well,
but
the
certainty
that
something
makes
sense,
regardless
of
how
it
turns
out.
Vaclav
Havel,
Disturbing
the
Peace,
1990.
I.
DE
LA
BOURSE
DE
PARIS
A
LA
PLACE
SYNTAGMA
ET
A
WALL
STREET
Au
début
de
cette
thèse,
il
y
a
quelques
années,
j’étais
allée
prendre
un
verre
en
chercheur
solitaire
à
la
Brasserie
Galopin,
face
à
la
Bourse
de
Paris,
dans
le
2e
arrondissement.
Lieu
hautement
symbolique,
où
les
gens
de
la
finance
ont
eu
l’habitude
de
s’accouder
au
bar
renommé
pour
être
fait
à
partir
d’un
seul
morceau
de
bois
exotique,
et
discuter
affaires
sur
fond
de
vitrail
Tiffany.
C’était
un
jour
de
semaine,
et
les
costumes
noirs
et
gris
défilaient,
m’offrant
le
spectacle
de
vies
rythmées
par
l’ouverture
et
la
fermeture
des
marchés,
des
bureaux,
des
entreprises.
Quelque
temps
après,
je
commençais
mon
observation
ethnographique
chez
BUF.
Ensuite,
le
hasard
des
déplacements
durant
la
thèse
pour
présenter
des
avancées
de
mon
travail
lors
de
conférences
a
fait
que
je
me
trouvais
a
rédiger
quelques
lignes
à
Athènes,
assise
sur
une
pierre
tout
en
haut
de
l'Aréopage,
devenue
extrêmement
glissante
par
plus
de
5000
ans
d'usage.
Je
contemplais
l'Acropole
toujours
fière
sur
la
droite,
l'ancienne
Agora
et
l’amas
de
pierres
où
l'on
suppose
se
trouvait
l'académie
de
Platon
sur
la
gauche.
On
pouvait
presque
y
déceler
Socrate
en
train
de
discuter
avec
ses
concitoyens
à
l’ombre
d’un
olivier.
Un
lieu
chargé
d’histoire
et
de
tant
de
signification
pour
une
ancienne
étudiante
en
philosophie
et
toujours
étonnée
par
ce
monde.
Ce
jour
de
juin
2011,
les
journaux
annonçaient
que
la
Grèce
venait
de
recevoir
la
pire
notation
de
crédit.
L'ambiance
était
tendue,
et
je
tentais
de
rédiger
des
paragraphes
de
ma
thèse
au
milieu
des
cris
du
soulèvement
populaire
et
de
la
manifestation
sur
la
place
Syntagma
non
loin
de
mon
hôtel.
En
cette
seule
journée
où
j’aurais
pu
visiter
un
peu
la
ville
d’Athènes
après
la
conférence
«
Leadership
and
Management
in
a
changing
world
:
lessons
from
ancient
East
and
West
philosophy
»,
il
y
a
412
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
413
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
II.
CONCLUSIONS
DE
CETTE
ETUDE
SUR
LE
TRAVAIL
MULTINIVEAUX
DE
L’ETHIQUE
A .
APPORTS
E T
L IMITES
C ONCEPTUELLES
La
richesse
du
terrain
étudié,
présenté
ici
de
manière
nécessairement
brève
et
restrictive,
offrait
de
nombreuses
possibilités
d’investigation,
y
compris
philosophiques,
qui
sont
la
source
des
réflexions
sur
l’éthique.
Or,
il
est
dommage
de
remarquer
que
de
nos
jours
de
nombreux
philosophes
ou
qui
se
prétendent
tels
se
limitent
à
faire
de
l’histoire
de
la
philosophie.
Suivant
Painter-‐Morland
:
«
I
remain
convinced
that
in
its
various
iterations,
all
philosophical
ethics
is
concerned,
informed
and
precipitated
by
practice
»
(2008
:
vii-‐viii)
et
nous
avons
ainsi
tâché
de
dépasser
un
des
principaux
‘problèmes’
ou
défis
conceptuels
de
l’éthique
des
affaires
comme
discipline,
à
savoir
son
déchirement
théorique
et
épistémologique
entre
les
traditions
analytique
d’une
part
et
continentale
de
l’autre.
Alors
que
la
majorité
de
écrits
en
Business
Ethics
(en
particulier
dans
les
journaux
de
recherche)
se
réclament,
se
construisent
et
répondent,
implicitement
ou
explicitement,
à
la
première,
notre
formation,
le
contexte
de
notre
étude,
notre
perspective
personnelle
et
même
notre
style
de
rédaction
nous
rapprochent
plutôt
de
la
seconde.
Ceci
a
exigé
que
nous
développions
un
certain
nombre
de
‘traductions’,
de
liaisons
et
de
ponts
entre
les
deux
dans
notre
construction
théorique,
notre
analyse
empirique
et
nos
restitutions
pour
les
deux
publics
:
sous
forme
d’articles
publiés
ou
soumis
dans
des
journaux
internationaux
et
selon
des
canons
d’écriture
succincts,
clairs,
logiques
et
ordonnés
d’une
certaine
manière,
et
sous
forme
de
thèse
doctorale
faite
non
pas
par
agrégation
de
ces
articles,
mais
en
tant
que
document
unique
qui
intègre
et
développe
les
idées
d’une
manière
différente.
Les
représentants
de
l’une
et
de
l’autre
de
ces
traditions
trouveront
probablement
que
je
n’ai
pas
fait
suffisamment
honneur
à
leur
manière
de
travailler
sur
ces
questions,
mais
j’espère
néanmoins
qu’ils
trouveront
de
la
valeur
dans
cette
tentative
d’intégration
et
de
dialogue
:
«
a
certain
measure
of
accomodation
is
indispensable
if
the
conversation
through
which
the
tensions
between
ethics
as
theory
and
ethics
as
practice
may
be
resolved
is
to
be
productively
sustained
»
(Painter-‐Morland,
2008
:ix).
Au
niveau
conceptuel,
il
y
a
un
certain
nombre
de
regrets
personnels,
de
choix
et
d’exclusions
de
pistes
entrevues
mais
non
développés
in
extenso.
Par
exemple,
on
laissera
de
côté
la
question
du
genre,
malgré
l’influence
que
ceci
peut
avoir
sur
la
mise
en
pratique
de
normes
et
sur
le
travail
de
l’éthique,
y
compris
au
niveau
corporel
de
son
incarnation
et
son
appropriation
par
des
individus
genrés.
Le
fait
que
Marie
soit
une
femme,
dans
un
milieu
construit
autour
d'une
«
communauté
masculine,
fraternelle
et
414
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
bourrue
»
(Godechot,
2001:12)
où
les
‘combats
de
coqs’
(Zaloom,
2006)
sont
fréquents,
et
qui
plus
est
d’origine
ethnique
minoritaire,
est
certainement
un
élément
important,
mais
que
nous
souhaiterions
développer
plus
tard,
dans
un
autre
cadre.
Dans
le
présent
travail,
nous
avons
retenu
simplement
Marie
dans
sa
fonction
de
manager
et
l’importance
de
ce
rôle,
sans
creuser
l’aspect
féminin
des
métiers
de
la
conformité
et
de
l’éthique
en
général
–
un
programme
de
recherche
à
part
entière
dans
la
lignée
des
travaux
de
Butler,
d’une
‘corporate
feminine
responsibility’
etc.,
et
auquel
nous
ne
pouvions
pas
faire
honneur
dans
le
présent
cadre.
La
crise
de
l’éthique
et
la
crise
de
la
finance,
bien
que
multidimensionnelles,
complexes
et
différentes,
avaient
un
point
de
convergence
historique
au
moment
où
débutait
ce
travail,
et
qui
constitua
le
point
d’entrée
pour
construire
une
problématique
de
recherche
gestionnaire
à
partir
d’une
interrogation
empirique
omniprésente
durant
l’explosion
de
la
crise
financière.
Or,
ce
contexte
s’est
révélé
à
la
fois
une
occasion
à
saisir
et
la
source
de
nombreuses
difficultés
‘pratiques’
exposées
de
manière
détaillée
dans
le
chapitre
Méthodologie.
Au
niveau
conceptuel,
ce
travail
est
alors
le
résultat
d’un
double
effort.
Premièrement,
celui
de
poser
un
problème
(dans
le
sens
de
Popper,
exposé
par
Dumez,
2013)
:
considérer
une
autre
approche
possible
de
l’éthique
et
de
l’éthique
dans
les
affaires.
Pour
contrer
le
cynisme
ambiant,
mais
sans
pour
autant
tomber
ni
dans
le
moralisme
prescriptif,
ni
dans
le
relativisme,
nous
voulions
prendre
l’éthique
comme
objet
à
part
entière,
sous
l’angle
de
la
pratique.
Ceci
nous
a
mené
à
explorer
les
enjeux
que
rencontre
l’éthique
comme
phénomène
agissant
à
plusieurs
niveaux
simultanément:
comme
expérience
subjective,
comme
processus
organisationnel
et
comme
force
instituante,
c’est-‐à-‐dire
qui
puise
dans
la
vitalité
et
la
négativité
son
énergie.
Ceci
nous
a
permis
d’étudier
le
travail
de
l’éthique
à
ces
différents
niveaux,
ce
travail
constant
qui
est
la
condition
pour
arriver
au
stade
de
l’action,
du
commencement
de
quelque
chose,
de
l’engagement
résistant
(Arendt,
2009).
La
conceptualisation
à
partir
de
la
notion
de
situation
d’étique
à
partir
notament
de
Sartre
et
de
Badiou
nous
a
permit
de
mieux
articuler
la
dimension
morale
et
pratique
de
cette
éthique
comme
processus,
comme
phénomène
organisationnel
on-‐going,
et
comme
expérience
vécue,
à
partir
de
la
mise
en
évidence
et
l’opérationnalisation
de
la
jonction
entre
éthique
et
politique.
Deuxièmement,
ce
travail
doctoral
a
impliqué
l’effort
de
nous
plonger
dans
un
univers
qui
nous
était
jusque
là
méconnu,
étranger,
et
en
cela
éveillait
en
nous
une
curiosité
empreinte
de
fascination
d’une
part
et
de
rejet
de
l’autre.
Il
a
fallu
dépasser
préconceptions
et
discours
médiatiques,
et
plonger
dans
une
autre
approche
possible
415
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
416
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
et
non
pas
un
donné.
Par
là
même,
il
serait
illusoire
de
prétendre
à
une
exhaustivité
du
sujet,
car
nous
n’avons
fait
qu’ouvrir
«
une
fenêtre
sur
ces
paysages
que
l’on
devine
seulement,
mais
une
fenêtre
ne
saurait
suffire
»
(Braudel,
[1985]
2008
:
121).
D’où
l’intérêt
de
proposer
ce
travail
à
l’œil
critique
au
sens
kantien
du
terme,
pour
que
d’autres
puissent
s’en
servir
et,
heureusement,
dépasser.
B .
APPORTS
E T
L IMITES
M ETHODOLOGIQUES
Toute
restitution
d’un
travail
empirique
est
nécessairement
limité
et
se
propose
comme
une
construction
phénoménologique
du
terrain
sur
lequel
nous
nous
sommes
pleinement
impliqués,
par
ce
que
nous
retenons
ou
ne
retenons
pas,
le
vécu
que
nous
en
avons,
les
interprétations
que
l’on
propose,
les
conclusion
que
l’on
tire...
en
un
mot,
l’exégèse
que
l’on
fait
(Ricoeur,
1986).
Il
est
certain
que
le
design
de
recherche
qui
en
résulte
est
largement
tributaire
de
ce
contexte
de
recherche,
des
aléas
tout
d’abord
de
trouver
un
accès
au
terrain,
puis
des
degrés
et
des
dimensions
auxquels
ce
terrain
nous
permettait
d’entrer.
Le
design
tel
qu’il
apparait
dans
cette
restitution
est
aussi
issu
des
connaissances
–
par
définition,
et
dans
ce
cas
là,
limitées
–
que
nous
avions
au
préalable
sur
le
milieu
bancaire
et
de
déontologie
financière,
ainsi
que
du
processus
de
construction
de
ce
terrain
qui
s’est
prolongé
tout
au
long
de
l’étude
et
jusqu’au
dernier
jour
de
rédaction.
Par
ailleurs,
pour
les
besoins
de
ce
travail
et
du
format
demandé,
nous
reconnaissons
avoir
présenté
les
choses
parfois
comme
étant
plus
systématiques
qu’elles
ne
le
sont
en
réalité,
bien
que
nous
n’avons
jamais
arrêté
de
chercher
à
restituer
le
détail,
les
éléments
de
contexte,
et
les
spécificités
qui
font
la
richesse
et
les
imperfections
du
terrain
et
de
l’objet
étudiés.
Mais
suivant
d’autres
chercheurs
en
sciences
sociales,
nous
savons
qu’il
n’est
jamais
possible
de
faire
honneur
aux
sujets
qui
se
trouvent
simplifiés
dans
nos
restitutions.
Tel
est
le
sentiment
de
Mary
Douglas
que
nous
rejoignons
encore
une
fois
:
«
mais
pour
interpréter
les
croyances
en
question,
il
faut
précisément
systématiser
à
outrance.
Car
il
me
semble
que
les
croyances
relatives
à
la
séparation,
la
purification,
la
démarcation
et
le
châtiment
ont
pour
fonction
d’imposer
un
système
à
une
expérience
essentiellement
désordonnée.
»
(2005:26.
Cf.
aussi
la
citation
de
Godechot
2001,
cité
en
exergue
du
4.3.1.1.).
Ainsi
c’est
à
travers
une
certaine
attention
portée
aux
différences
que
l’on
peut
créer
un
semblant
d’ordre,
et
donc
cette
violence
nécessaire
que
l’on
fait
aux
personnes
que
nous
avons
pu
côtoyer
dans
la
restitution
nécessairement
imparfaite
qu’on
leur
rend,
est
ainsi
on
espère
justifiable,
à
la
vue
du
témoignage
que
nous
pouvons
en
donner.
Par
ailleurs,
nous
regrettons
que
malgré
nous
la
période
in
situ,
ou
‘d’intrusion’
417
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
ait
été
en
soi
courte,
car
en
effet,
il
s’agit
tout
de
même
d’une
interférence
étrangère,
qui
génère
forcement
des
décalages,
qui
en
général
s’estompent
si
le
temps
passé
devient
plus
long,
et
qu’on
arrive
véritablement
à
‘s’intégrer
dans
le
paysage’.
L’avantage
ici
était
qu’on
a
eu
deux
périodes
distinctes,
et
lors
de
la
deuxième
période
nous
percevions
déjà
une
différence
dans
la
familiarité
que
les
personnes
ressentaient
à
notre
égard,
et
qu’elles
n’étaient
plus,
ou
du
moins
n’étaient
pas
aussi
déstabilisées
que
durant
la
première
période.
L’ensemble
du
terrain
a
comporté
plusieurs
difficultés
personnelles
en
plus
de
celles
d’ordre
méthodologique
ou
d’analyse.
Il
a
fallu
jongler,
et
de
manière
exacerbée
durant
le
stage,
entre
les
exigences
quotidiennes
du
terrain
et
les
exigences
universitaires,
avec
des
objectifs
et
des
temporalités
parfois
en
contradiction.
Ceci
posait
un
défi
permanent
à
notre
position
de
chercheuse,
dans
la
recherche
d’un
équilibre
de
vie
qui
nous
permette
de
mener
ce
travail
jusqu’à
la
fin.
L’accès
privilégié
au
sein
de
BUF-‐BI,
grâce
à
la
confiance
des
personnes
qui
ont
accepté
de
nous
accueillir
en
défendant
notre
présence
auprès
d’une
hiérarchie
parfois
réticente,
en
valait
cependant
la
peine
et
constitue,
nous
le
pensons,
une
occasion
assez
unique
et
exceptionnelle.
La
phase
d’observation
participante
sous
forme
de
stage
nous
a
également
permis
un
rapprochement
supplémentaire
à
leur
vécu
à
la
première
personne,
et
un
accès
facilité
à
d’autres
documents
internes
et
de
sources
primaires,
tels
que
les
versions
intermédiaires
de
documents
en
amont
de
leur
publication
et
diffusion,
auxquels
nous
avons
aussi
contribué.
En
cela,
il
est
vrai
qu’à
certains
égards
et
malgré
toutes
nos
précautions,
ces
travaux
peuvent
être
lus
«
comme
des
autobiographies
déguisées
»
(Beaud
&
Weber,
2003:36),
et
quoi
qu’il
en
soi
la
vie
personnelle
du
chercheur
non
seulement
transparaît
dans
le
travail
mais
le
structure
(Bouilloud,
2009).
Nous
n’avons
pas
cherché
à
cacher
cette
dimension
mais
au
contraire
de
l’expliciter
(par
exemple
en
introduction,
dans
les
prolégomènes
au
chapitre
méthodologique,
ou
encore
au
début
de
cette
conclusion)
afin
de
pouvoir
prendre
une
distance
critique
par
l’écriture
tout
en
permettant
au
lecteur
de
suivre
notre
cheminement.
Par
ailleurs,
malgré
l’extensivité
des
documents
secondaires
dont
nous
disposons
(cf.
Annexes),
nous
avons
fait
le
choix
pour
le
présent
travail
de
ne
les
exploiter
que
dans
la
mesure
où
ils
informaient
l’observation
et
le
travail
ethnographique.
Ainsi,
nous
n’avons
pas
cherché
à
exploiter
systématiquement
par
un
codage,
par
une
sérialisation
(des
newsletters,
emails,
dossiers
par
exemple)
pour
faire
une
analyse
documentaire
ou
d’archives.
D’autres
(e.g.
Favarel-‐Guarrigues
et
al.
2009)
ont
par
exemple
étudié
la
professionnalisation
de
la
LAB
aux
USA
en
analysant
la
newsletter
professionnelle
Money
Laundering
Alert.
Alors
que
je
suis
moi
même
418
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
abonnée
par
exemple
à
la
newsletter
d’ACAMS,
cette
source
m’a
servi
plutôt
d’outil
de
veille,
que
j’envisagerai
d’exploiter
peut-‐être
à
l’avenir.
Notre
objectif
étant
de
voir
comment
les
personnes
se
débrouillaient
concrètement
en
situation,
d’analyser
l’éthique
au
travail
dans
la
conformité
bancaire,
de
telles
analyses
documentaires
étaient
périphériques.
Dans
des
futurs
travaux
plus
spécifiquement
orientés
sur
la
conformité
bancaire
comme
objet
(et
non
comme
contexte)
ceci
aura
toute
sa
place
et
je
pourrais
alors
ressortir
les
données
accumulées
durant
ce
travail
de
thèse.
L’approche
du
terrain
que
nous
avons
eu,
le
mode
d’appréhension
phénoménologique
et
le
mode
de
restitution
que
nous
avons
proposé
dans
ce
travail
nous
semblent
aussi
comporter
des
avantages
qui
lui
sont
propres.
Premièrement,
en
rompant
à
la
fois
avec
l’intellectualisme
top
down
et
un
empirisme
bottom-‐up
stricts,
l’étude
ethnographique
et
les
périodes
d’immersion
nous
ont
permit
de
donner
une
restitution
détaillée
du
quotidien
in
situ
des
responsables
anti-‐blanchiment
du
service
de
Conformité
étudié,
de
leur
contexte
institutionnel,
organisationnel
et
d’équipe,
et
des
questions
concrètes
qu’ils
se
posent
dans
la
pratique
de
leur
métier,
de
part
les
défis
qu’il
implique
(Mucchielli,
2005).
De
plus,
ceci
fait
partie
des
implications
méthodologiques
de
la
notion
de
situation
et
de
l’héritage
pragmatique
qui
sous-‐tend
ce
travail
de
thèse
dans
sa
démarche
générale
(Journé,
2007),
que
de
s’inscrire
en
quelque
sorte
en
dialogue
ethnométhodologique
avec
et
de
formulation
à
partir
des
problématiques
du
terrain
(De
Fornel
et
al.
2001).
Il
nous
semblait
en
effet
essentiel
d’ancrer
notre
questionnement
dans
la
pratique
quotidienne,
au
plus
proche
des
préoccupations
qui
peuvent
surgir
à
l’improviste,
car
l’ethnographie
est
«
geared
at
key
instances
when,
in
organizational
phenomena,
one
may
catch
a
glimpse
of
ethics
which
can
hardly
be
found
in
words
»
(Deslandes,
2011a
:52).
Au
fur
et
à
mesure
de
l’étude,
les
points
qui
semblaient
au
début
disparates,
s’accumulaient
sur
la
toile
pour
commencer
à
laisser
émerger
et
se
dérouler
les
dynamiques
de
la
fabrique
d’une
éthique
dans
les
milieux
déontologiques
de
la
banque
d’investissement.
Ainsi,
nous
pensons
qu’un
des
principaux
atouts
de
ce
travail
est
justement
son
intérêt
d’ordre
méthodologique
suivant
quelques
travaux
exemplaires
(Jackall,
2010,
Weeks,
2004
;
Lenglet,
2008...):
c’est-‐à-‐dire
de
proposer
une
approche
pratique
par
une
étude
ethnographique
de
l’éthique,
et
de
voir
concrètement
«
comment
ça
marche
»
ou
«
comment
cela
se
passe
»
(Sandberg
&
Tsoukas,
2011)
lorsque
l’éthique
se
trouve
aux
limites
du
faisable.
Par
ailleurs,
notre
travail
nous
semble
répondre
sinon
parfaitement,
du
moins
avec
enthousiasme,
aux
cinq
critères
à
poursuivre
dans
une
recherche
multiniveaux
véritable
et
énoncés
par
Hitt
et
al.
(2007),
récapitulés
et
articulés
par
rapport
à
notre
travail
dans
le
tableau
ci-‐dessous
:
419
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
Figure 39: Tableau récapitulatif des apports multiniveaux de notre recherche
420
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
Quelques
remarques
enfin
sur
la
nature
coproduite
de
ce
travail,
dont
nous
ne
pensons
pas
qu’elle
diminue
ni
sa
valeur
ni
notre
légitimité
à
le
défendre
en
notre
nom.
Il
est
coproduit
en
effet
à
plusieurs
titres
qui
méritent
une
explication.
D’une
part,
dans
la
lignée
de
Nielsen
(2010a),
il
n’aurait
pas
été
possible
sans
la
confiance,
la
disponibilité
et
l’accès
que
nous
ont
donné
les
membres
de
l’équipe
chez
BUF-‐BI.
Nous
avons
cherché
de
partir
de
leur
réalité
quotidienne
pour
ensuite
chercher
à
produire
une
conceptualisation
théorique
pertinente.
Ils
en
sont
à
ce
titre
largement
les
co-‐
auteurs
du
cœur
de
ce
travail,
qui
sans
leurs
réflexions
n’aurait
pas
vu
le
jour.
D’autre
part,
comme
le
montre
le
tableau
des
productions
de
papiers
de
recherche
liés
à
ce
travail
doctoral,
il
est
largement
le
fruit
d’un
dialogue
continu
avec
d’autres
chercheurs,
professeurs,
collègues
doctorants,
amis
et
famille,
qui
ont
eu
la
patience,
la
bienveillance
mais
aussi
la
distance
critique
pour
nous
aider
à
considérer
notre
travail
autrement,
à
le
voir
sous
un
autre
angle,
et
à
enrichir
notre
approche
à
partir
de
leurs
remarques
informelles
(lors
de
discussions)
ou
formelles
(dans
des
collaborations
pour
des
papiers
de
recherche).
Pour
ces
deux
raisons,
on
se
retrouve
alors
largement
dans
les
propos
de
Van
de
Ven
(2007,
cité
in
Nielsen
2010a:402)
:
«
as
the
field
observations
began,
in
each
case
I
am
humbled
by
the
complexity
of
the
research
problem,
and
of
the
necessity
to
obtain
the
perspectives
of
other
colleagues,
practitioners,
and
students
to
better
understand
the
problem…
Involving
others
(scholars
and
practitioners)
forced
me
to…
modify
the
study
in
ways
that
I
would
not
have
done
so
on
my
own…
I
can
say
in
retrospect
that
some
of
my
greatest
insights
and
learning
experiences
come
from
engaging
with
others
(academics
and
practitioners)
in
better
understanding
complex
social
problems
and
ways
to
study
them.
»
Je
reconnais
ici
ma
dette
tout
particulièrement
envers
mon
directeur
de
recherche,
mes
collègues
doctorants
et
collègues
de
travail
pour
leur
labeur
d’accoucheurs
maïeuticiens,
ce
qui
aussi
me
rassure
sur
la
proximité
avec
la
démarche
philosophique
qui
m’est
si
chère.
Cette
démarche,
loin
de
constituer
une
faiblesse
ou
questionner
ma
place
d’auteur,
m’aide
à
replacer
ce
travail
comme
le
fruit
d’un
dialogue
théorique,
pratique
et
collégial
dont
j’ai
tenté
d’exposer
ici
une
synthèse
à
la
critique,
y
compris
aux
mêmes
personnes
dont
l’effet
de
miroir
et
de
confrontation
m’a
largement
aidé
à
concrétiser
ma
pensée
et
à
laisser
émerger
ma
propre
voix.
C.
APPORTS
ET
LIMITES
POUR
LA
PRATIQUE
GESTIONNAIRE ,
BANCAIRE ,
DEONTOLOGIQUE
E T
S CIENTIFIQUE
Pendant
la
dernière
phase
de
la
rédaction
de
ce
document,
Philosophie
Magazine
sortait
un
numéro
consacré
à
la
question
“les
marchés
sont-‐ils
bêtes
et
421
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
422
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
pensons
néanmoins
que
nous
pouvons
mettre
en
avant
un
certain
nombre
d’apports
pour
cette
discussion.
423
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
Enfin,
que
ce
soit
dans
Les
Temps
Modernes,
ou
plus
précisément
dans
Un
Théâtre
des
Situations
(1992),
Sartre
rappelle
la
nécessité
d’une
littérature
engagée,
où
l’écrivain
est
dans
une
situation
avec
son
époque,
et
comment
ceci
se
traduit
dans
la
dramaturgie
:
"S'il
est
vrai
que
l'homme
est
libre
dans
une
situation
donnée
et
qu'il
se
choisit
libre
dans
une
situation
donnée
et
qu'il
se
choisit
lui-‐même
dans
et
par
cette
situation,
alors
il
faut
montrer
au
théâtre
des
situations
simples
et
humaines.
Ce
que
le
théâtre
peut
montrer
de
plus
émouvant
est
le
moment
du
choix,
de
la
libre
décision
qui
engage
toute
une
vie.
Et
comme
il
n'y
a
de
théâtre
que
si
on
réalise
l'unité
de
tous
les
spectateurs,
il
faut
des
situations
si
générales
qu'elles
soient
communes
à
tous.
Il
me
semble
que
la
tâche
du
dramaturge
est
de
choisir
parmi
ces
situations
limites
celle
qui
exprime
le
mieux
ses
soucis
et
de
la
présenter
au
public
comme
la
question
qui
se
pose
à
certaines
libertés".
Son
théâtre
est
en
effet
imprégné
et
met
en
scène
ses
concepts
d’engagement,
de
la
responsabilité
des
actes
et
de
leur
poids
sur
nous,
ainsi
que
dans
la
situation
qui
nous
place
face
à
notre
liberté
–
relationnelle
–
à
l’extrême:
“Pas
besoin
de
gril
:
l'enfer,
c'est
les
Autres”
prononce
Garcin
dans
Huis
Clos
(2000).
Pour
y
avoir
représenté
dans
notre
jeunesse
le
rôle
d’Inés,
nous
assumons
parfaitement
le
côté
peut
être
radical
de
ce
424
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
propos.
Ne
pourrait-‐on
faire
un
parallèle
avec
la
recherche?
Peut
être
aborderons
nous
spécifiquement
cette
question
dans
un
travail
ultérieur,
explorant
le
rapprochement
entre
le
dramaturge
sartrien
et
le
chercheur
engagé…
III.
EPILOGUE
Il
est
souvent
frustrant
de
devoir
quitter
soudainement
une
réalité
que
nous
avons
appris
à
connaître,
au
sein
de
laquelle
nous
avons
passé
du
temps,
des
épreuves,
des
moments
de
tension
et
de
partage,
et
revenir
à
la
vie
d’avant,
à
d’autres
rythmes,
d’autres
objectifs
que
celui
de
vivre-‐avec,
de
vivre-‐comme.
Et
ceci
n’est
pas
sans
poser
des
problèmes
au
chercheur,
y
compris
avant
:
“While
ethnographers
can
leave
the
field
whenever
they
want
to,
on
the
scene,
they
must
customarily
act
as
if
this
is
not
true.
In
many
respects,
the
legendary
–
if
too
frequently
overhyped
–
ethnographic
sympathy
and
empathy
comes
from
the
experience
of
taking
close
to
the
same
shit
others
take
day-‐in
and
day-‐out
(or,
if
not
taking
it
directly,
hanging
out
with
others
who
do)”
(Van
Maanen,
2011:219-‐220).
Cette
intimité
implique
un
effort
de
détachement
progressif
qui
nous
oblige,
avec
le
temps
et
l’analyse,
à
prendre
de
la
distance,
à
objectiver
en
quelque
sorte
malgré
la
violence
que
cela
peut
impliquer,
à
cristalliser
un
espace-‐temps
spécifique
dans
la
vie
d’une
équipe,
d’une
organisation.
Celles-‐ci
poursuivent
leurs
activités
désormais
sans
notre
présence,
changent,
évoluent,
meurent,
et
toujours
se
transforment.
L’équipe
KYC-‐AML
n’a
pas
été
une
exception,
et
a
continué
son
chemin
au
sein
de
BUF-‐BI,
à
travers
les
aléas
de
la
crise.
Réduction
de
budget,
dissolution
de
l’équipe
par
le
top
management,
replacement
des
uns
au
sein
de
l’autre
équipe
rattachée
au
département
Conformité,
mise
au
placard
ou
départ
des
autres,
«
le
bonus
cette
année
c’est
de
garder
son
job
»
nous
racontait
Clément
en
décembre
2011,
un
an
après
notre
départ
«
tu
devrais
voir,
on
est
presque
tous
syndicalisés
maintenant.
Tu
imagines
?
Même
des
Front
Officers
syndicalisés
à
manifester
dehors
dans
le
froid,
du
jamais
vu
dans
une
banque
d’investissement
!
Avant
on
ignorait
tous
les
représentants
qui
voulaient
nous
distribuer
des
tracts,
et
maintenant
...».
Impensable
il
y
a
quelques
années
ou
même
quelques
mois,
la
réalité
est
autant
mouvante
que
lorsque
nous
y
étions
et
que
cette
équipe
avait
connu
un
moment
de
croissance
et
de
légitimation
extraordinaire.
Victime
de
son
succès
et
de
sa
rivalité
avec
l’autre
équipe,
la
parenthèse
dans
la
vie
de
l’équipe
que
j’ai
partagée
est
révolue,
mais
les
procédures
de
vérité
demeurent.
Ainsi,
la
fabrique
de
l’éthique
continue
son
chemin,
parfois
portée
par
des
acteurs
qui
ont
le
courage
de
relever
le
défi
de
l’enraciner
au
plus
profond
de
ce
qui
donne
du
sens
au
travail.
Peut
être
alors
que
425
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
IV.
OUVERTURES
«
A
propos
de
quelle
situation
privilégiée
avez-‐vous
fait
l’expérience
de
votre
liberté
?
»
J.-‐P.Sartre.
‘La
Liberté
Cartésienne’,
in
Situations
Philosophiques,
1990
:61
C’est
à
propos
des
philosophes
(«
qui
se
font
les
défenseurs
»
de
la
liberté)
que
Sartre
pose
cette
question.
On
se
sent
donc
en
devoir
d’y
répondre
:
celle-‐ci,
la
situation
de
doctorante,
a
été
une
où
cette
question
s’est
posée
d’une
manière
particulièrement
forte.
Epreuve
quotidienne,
que
j’ai
éprouvée
quotidiennement
dans
mon
corps
(fatigue),
mon
esprit
(alternance
entre
euphorie
des
nouvelles
idées
et
panique
de
la
stagnation),
mon
couple
(épreuve
partagée),
ma
patience
(frustrations
personnelles
des
pistes
non
suivies,
endurance,
persévérance),
mon
imagination
(énergie
vitale),
ma
projection
dans
le
futur
(construction
d’une
carrière
professionnelle).
Il
a
fallu
la
choisir
quotidiennement,
ma
thèse,
se
reposer
la
question
non
seulement
de
la
continuer
ou
pas,
mais
de
la
perspective
à
lui
donner.
Liberté
aussi
des
conditions
de
sa
fin,
et
de
l’assumer
avec
toutes
ses
imperfections.
Plus
concrètement,
et
bien
que
je
m’apprête
à
clore
ce
travail,
les
perspectives
de
prolongements
s’ouvrent
généreusement.
Je
suis
tentée
de
poursuivre
par
des
variations
autour
de
notre
sujet,
qui
pourraient
certainement
l’approfondir,
mais
que
je
n’accomplirai
qu’à
l’avenir.
Voici
quelques
unes
des
lignes
de
fuite
que
j’envisage
pour
prolonger
ce
travail,
et
que
j’ai
pour
certaines
commencé
à
entreprendre,
enrichis
d’autres
perspectives
et
collègues
:
426
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
• Poursuivre
dans
les
études
sociales
de
la
finance,
une
approche
qui
m’a
passionnée,
et
en
particulier
sur
la
question
de
la
conformité,
par
le
passage
de
la
conformité
au
confort
(comme
ataraxie),
mais
peut-‐être
aussi
à
son
le
revers,
le
conformisme,
par
les
représentations
et
les
imaginaires
sociaux
de
ce
monde
complexe
et
fascinant
;
• On
pourrait
aussi
creuser
d’avantage
la
perspective
institutionnelle
en
approfondissant
l’analyse
de
l’écosystème
d’affaires
(Edouard
&
Gratacap,
2011)
dans
lequel
se
trouve
la
banque,
et
que
nous
n’avons
fait
qu’esquisser
ici.
Plus
particulièrement,
alors
que
les
crises
sont
l’occasion
privilégiée
pour
étudier
la
gestion
des
risques,
le
revers
est
moins
courant
mais
tout
autant
intéressant
:
en
quoi
est-‐ce
que
ces
moments
de
crise
permettent
de
repenser
non
seulement
le
versant
négatif
du
risque
mais
aussi
le
versant
positif
de
la
confiance
?
Par
quels
mécanismes
l’étudier
et
le
renforcer,
en
parallèle
d’une
gestion
des
risques
?
• La
question
du
genre
en
éthique
des
affaires
:
sommes
nous
devant
des
métiers
(que
ce
soit
dans
la
conformité
ou
dans
la
RSE
par
exemple)
qui
sont
genrés
?
Dans
mes
publications
d’articles
jusqu’à
présent,
dans
un
souci
d’anonymisation
mais
aussi
de
«
neutralisation
»
(le
masculin
de
race
blanc
étant
le
faux
universel
assumé
dans
cet
univers)
ou
de
simplification
du
cas,
nous
avons
fait
de
Marie
un
homme,
«
Marc
».
Consciente
–
qui
plus
est
en
tant
que
femme
–
de
l’importance
et
la
richesse
profondément
significative
de
cette
approche,
si
ce
n’est
que
sur
le
plan
phénoménologique
et
corporel
mais
aussi
culturel
(particulièrement
dans
un
univers
très
masculin
comme
la
banque
d’investissement),
comme
faisant
partie
intégrante
de
la
situation
d’éthique,
ce
fut
un
difficile
renoncement
que
de
ne
pas
aborder
à
part
de
façon
marginale
cet
aspect.
J’espère
cependant
accorder
l’attention
que
mérite
cet
aspect
dans
de
travaux
futurs.
• Une
perspective
postcolonialiste
sur
l’éthique
des
affaires
anglo-‐saxonne,
de
la
RSE
et
d’autres
dispositifs
tels
que
la
conformité,
imposés
au
Sud
dans
la
mondialisation
des
dispositifs
mondiaux
de
contrôle
des
risques.
Enfin,
revenons
un
instant,
avant
de
mettre
un
point
final
à
ce
travail,
sur
le
titre
que
je
donne
à
cette
conclusion.
Il
ne
sera
pas
échappé
au
lecteur
l’inspiration
nietzschéenne,
en
faisant
référence
directe
à
son
ouvrage
Par-‐delà
Bien
et
Mal
(1886,
édition
2000).
Que
le
lecteur
soit
rassuré,
je
ne
vais
par
rentrer
ici
dans
son
analyse.
Je
voulais
simplement
rappeler
que
le
sous-‐titre
de
ce
livre
est
«
Prélude
à
une
philosophie
de
l'avenir
»,
qui
peut
sembler
énigmatique,
mais
est
en
réalité
l’ouverture
parfaite
de
ce
travail
et
de
ma
condition
de
doctorante
souhaitant
continuer
dans
cette
trajectoire
427
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
428
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
ANNEXES
429
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
430
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
431
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
432
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
Muraille
de
Chine:
terme
désignant
une
barrière
symbolique
mise
en
place
au
sein
de
l’organisation
afin
de
limiter
la
circulation
d’informations
confidentielles,
sensibles
ou
indues
entre
les
différents
services,
faute
de
quoi
cela
pourrait
compromettre
le
bon
déroulement
de
leurs
fonctions
respectives
et
des
conflits
d’intérêt.
Le
Responsable
Conformité
a
un
pouvoir
discrétionnaire
de
demander
que
ces
murailles
soient
ponctuellement
levées
pour
permettre
le
passage
d’une
information
confidentielle
d’un
service
à
un
autre
dans
certaines
circonstances
particulières.
Cf.
AMF
2007,
art.
315-‐15.
Responsable
de
la
Conformité:
Fonction
définie
par
l’AMF
(2007,
art.
313-‐70
;
et
2005d,
art.
321-‐26).
Anciennement
nommée
déontologue,
cette
fonction
désigne
une
personne
physique
en
charge
de
contrôle
via
des
dispositifs
de
détection
de
risques
et
de
suivi
des
pratiques.
Son
rôle
est
donc
de
surveiller
et
de
garantir
la
conformité
des
pratiques
et
des
décisions
vis-‐à-‐vis
de
la
loi
et
des
politiques
internes,
d’orienter
justement
ces
pratiques
et
ces
décisions
par
l’émission
d’avis
pouvant
aller
jusqu’au
véto.
Le
Responsable
Conformité
sert
aussi
d’intermédiaire
avec
les
instances
de
régulation
supra-‐organisationnelles,
nationales
et
internationales
(par
exemple
avec
l’AMF,
le
ministère
des
finances
ou
le
GAFI)
et
peut
exercer
la
fonction
de
whistleblowing
pour
dénoncer
des
déviances
internes
auprès
de
ces
instances
de
régulation.
Il
est
généralement
certifié
RCSI
:
Responsable
de
la
Conformité
des
services
d’investissement,
par
l’AMF
suite
à
un
examen.
Responsabilité
Sociale
de
l’entreprise
:
(dans
le
glossaire
interne
de
BUF,
2010)
«
La
notion
de
responsabilité
sociale
de
l'entreprise
repose
sur
l'idée
que
le
champ
de
responsabilité
de
l'entreprise
va
au-‐delà
de
la
stricte
responsabilité
juridique
et
réglementaire.
Insérée
de
fait
dans
un
tissu
social
multiple
et
complexe,
l'entreprise
doit
intégrer
dans
sa
stratégie
l'amélioration
continue
de
sa
performance
sociale
interne
(dans
le
champ
des
ressources
humaines
et
naturelles)
et
externe,
c'est
à
dire
sociétale
(implication
dans
la
communauté,
relation
avec
les
diverses
parties
prenantes).
Les
résultats
obtenus
font
de
plus
en
plus
souvent
l'objet
d'un
rapport
annuel
non
financier
à
l'intention
des
parties
prenantes,
dit
rapport
RSE.
»
Sales
:
(Vendeur
ou
commercial,
en
français)
désigne
une
personne
physique
du
Front
Office
qui
gère
un
portefeuille
de
clients,
souvent
relevant
d’une
catégorie
spécifique
(par
pays,
par
exemple).
Il
place
les
ordres
des
clients
et
leur
vend
les
produits
et
analyses
financières
de
la
banque.
Trader
:
(Négociateur,
en
français)
Désigne
le
front
officer
qui
fait
directement
le
lien
entre
l’organisation
et
le
marché
en
plaçant
les
ordres
des
clients
dans
le
carnet
d’ordres
de
sa
station
de
négociation.
Selon
le
Règlement
général
de
l’AMF,
art.
313-‐30
:
«
exerce
la
fonction
de
négociateur
d’instruments
financiers
toute
personne
physique
qui
est
habilitée
à
engager
la
personne
sous
la
responsabilité
ou
pour
le
compte
de
laquelle
elle
agit
dans
une
transaction
pour
compte
propre
ou
pour
compte
de
tiers
portant
sur
un
instrument
financier
».
Les
traders
ont
fait
l’objet
d’une
étude
sociologique
approfondie
par
O.
Godechot
(2001).
Whistleblowing
:
(définition
interne
à
BUF,
tirée
de
son
intranet,
glossaire
en
ligne
de
la
direction)
:
«
Ce
terme
anglo-‐saxon
intraduisible
signifie
littéralement
"souffler
dans
le
sifflet".
Il
recouvre
tous
les
modes
de
dénonciation
par
les
salariés
des
pratiques
délictueuses
au
sein
de
leur
entreprise.
Aux
Etats
Unis,
pour
faciliter
le
whistleblowing
et
tenter
de
prévenir
des
scandales
comme
celui
d'Enron,
la
loi
Sarbanes
Oaxley
sur
la
transparence
financière
recommande
la
mise
en
œuvre
de
procédures
d'alerte
en
interne.
»
433
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
434
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
435
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
Ci-‐dessous,
une
liste
des
principales
personnes
croisées
lors
de
nos
deux
périodes
d’observation
au
sein
de
BUF,
selon
les
caractéristiques
suivantes
:
• Tous
les
noms
des
personnes
et
des
départements
sont
des
pseudonymes.
• Toutes
les
personnes
travaillent
à
BUF
à
Paris,
sauf
indication
contraire.
Période
de
Pseudonyme
Département
Poste
et/ou
responsabilités
rencontre
Manager
de
l’équipe
KYC-‐AML,
Marie
Equipe
KYC-‐AML
toutes
AML
Correspondent
Equipe
KYC-‐AML
Middle-‐manager
équipe
KYC-‐
Clément
toutes
AML,
contrôles
de
suitability
Daniel
Equipe
KYC-‐AML
Revue
des
dossiers
1-‐A,
2-‐A,
2-‐B
Equipe
KYC-‐
1-‐A,
puis
2-‐A
dans
ses
Elise
AML/Département
Experte
MIFID
nouvelles
fonctions
conformité
Christian
Equipe
KYC-‐AML
Analyste
1-‐A,
2-‐A,
2-‐B
Nathalie
Equipe
KYC-‐AML
Analyste,
spécialiste
Italie
1-‐A,
2-‐A,
2-‐B
Equipe
KYC-‐AML
Analyste,
spécialiste
paradis
Julien
1-‐A,
2-‐A
fiscaux
Equipe
KYC-‐AML
Analyste,
spécialiste
pays
Francis
1-‐A,
2-‐A,
2-‐B
sensibles
Yoan
Equipe
KYC-‐AML
Analyste,
spécialiste
Allemagne
1-‐A,
2-‐A,
2-‐B
Equipe
KYC-‐AML
Analyste,
spécialiste
Europe
de
Odette
1-‐A,
2-‐A,
2-‐B
l’Est
Tania
Equipe
KYC-‐AML
Stagiaire
Début
2-‐A
Cassandra
Equipe
KYC-‐AML
Analyste
2-‐A,
2-‐B
Aline
Equipe
KYC-‐AML
Analyse
2-‐A,
2-‐B
Max
Equipe
KYC-‐AML
Analyste,
suitability
2-‐A
Jean
Equipe
KYC-‐AML
Analyse,
suitability
2-‐A
Nesrine
Equipe
KYC-‐AML
Analyste
MIFID
2-‐A,
2-‐B
Amélie
Equipe
KYC
(équipe
A)
Revue
périodique
des
dossiers
1-‐A,
2-‐A
Hanna
Equipe
KYC
(équipe
A)
Asset
Managers
&
Fonds
régulés
1-‐A
M.
Allard
Equipe
KYC
(Equipe
A)
Manager
de
l’équipe
A
1-‐A,
2-‐A
Equipe
AML
de
la
Manager
de
l’équipe
AML
banque
Céline
banque
de
détail
de
2-‐A
de
détail
BUF
Département
M.
Darrell
Chief
Compliance
Officer
2-‐A
Conformité
Département
Responsable
AMLO
France,
M.
Chambertin
1-‐A,
2-‐A,
2-‐B
Conformité
correspondant
TRACFIN
Département
Colaborateur
dans
l’équipe
de
M.
M.
Tourraine
1-‐A,
2-‐A,
2-‐B
Conformité
Chambertin,
puis
KYCO
Département
M.
Guilbert
AML
Compliance
Officer
Londres
2-‐A
Conformité
UK
Département
Bureau
AML
Londres,
spécialiste
M.
Edwin
2-‐A
Conformité
UK
Bribery
Act
Département
M.
Ghinoc
AMLO,
équipe
de
M.
Chambertin
1-‐A
Conformité
Responsable
de
la
Ligne
Métiers
M.
Lalande
Front
Office
1-‐A,
2-‐A
MM
Responsable
de
la
Gestion
Clients
M.
Blanc
Front
Office
1-‐A,
2-‐A
de
la
ligne
Métiers
MM
Philippe
Front
Office
Sales
1-‐A
Fabien
Front
Office
Sales
1-‐A,
2-‐A
M.
Montravel
Direction
BUF-‐BI
Rattaché
au
COO
1-‐A,
2-‐A
436
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
Acteurs
Phase
Date
Principaux
événements
Actions
de
la
doctorante
impliqués
1-‐A
1er
jour.
Présentation
de
Marie,
équipe
Prise
de
notes,
rencontres,
15.04
l’équipe,
prise
en
charge,
KYC-‐AML,
visite
des
lieux
familiarisation
des
dossiers
Christian
Première
familiarisation
avec
3e
directive
LAB,
premiers
16.04
Journée
de
travail
ordinaire
Marie
dossiers
KYC,
premier
schéma
des
lieux
Idem
+
familiarisation
avec
le
Equipe
KYC-‐
19.04
Journée
de
travail
ordinaire
workflow
des
dossiers,
KYC
AML
Mémo
Premier
déjeuner
avec
Julien
et
Francis
hors
de
BUF.
Tentative
Equipe
KYC-‐
20.04
Journée
de
travail
ordinaire
de
répertorier
et
classifier
les
AML
différents
textes
de
lois
qu’ils
utilisent
Journée
de
travail
ordinaire,
Contextualisation
de
l’équipe
au
Yoan
arrive.
Marie
m’explique
Marie,
équipe
sein
de
la
banque.
Schémas
des
21.04
en
fin
de
journée
l’historique
de
KYC-‐AML
lieux.
Discussion
avec
équipe
l’équipe.
KYC-‐A
Journées
de
travail
ordinaires.
Odette
arrive.
Débrief
de
Etude
des
typologies
de
l’équipe
sur
l’intégration
blanchiment
à
la
lumière
de
22.04.
européenne
à
venir
et
les
Equipe
KYC-‐ dossiers.
Tentative
d’établir
-‐
dossiers
en
cours.
Réunion
avec
AML
organigramme.
1er
apperçu
de
30.04
M.
Chambertin,
M.
Ghinoc,
l’intranet,
Compte
rendu
3
Marie
sur
dossier,
réunion
avec
réunions
M.
Lalande.
Semaine
de
l’intégration
du
Equipe
KYC-‐ Suivi
des
réunions
et
travail
sur
3.05-‐ bureau
de
Londres.
Grande
AML,
en
place
pendant
que
Marie
et
7.05
charge
de
travail.
Debrief
de
partie
à
Clément
étaient
à
Londres.
Suivi
l’équipe
en
fin
de
semaine
Londres
dossiers,
débrief
sur
Londres.
Semaine
du
développement
(Semaine
durable.
Informer
le
public
des
coordonné
Collecte
de
données,
brochures,
3
aspects
économique/
social/
par
le
observation
du
stand
environnemental,
BUF
a
mis
en
Ministère
de
d’information
dans
les
locaux,
place
une
session
‘chat’
sur
la
l’écologie,
à
consultation
du
glossaire
(où
les
RSE
et
le
DD
avec
le
Sustainable
laquelle
BUF
termes
éthique,
responsabilité
Development
manager.
a
participe).
et
morale
sont
absents),
review
Distribution
de
brochures,
4-‐7
BUF
dans
son
de
Presse
sur
BUF
pendant
cette
exposition
dans
les
locaux,
mai
ensemble.
semaine,
analyse
du
code
de
promotion
des
produits
bios
et
conduit
du
groupe,
du
bilan
du
commerce
equitable,
theme
Département
social
2009.
de
la
newsletter
interne,
mise
RSE/Départe Réunions
sur
dossiers
avec
M.
en
place
d’un
e-‐learning
ouvert
ment
de
la
Chambertin.
à
tous
(23€
par
sénce,
hors
du
COM
J’ai
aussi
fait
un
avancement
de
temps
de
travail),
et
d’une
thèse
à
l’ESCP.
formation
pour
les
managers
d’une
½
journée
(207€)
437
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
438
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
439
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
• Réunions
autour
d’un
dossier
spécifique,
parfois
uniquement
avec
Marie,
parfois
avec
plusieurs
membres
de
l’équipe,
parfois
avec
Monsieur
C.,
Responsable
AML.
• Conférence
calls,
avec
Londres
en
particulier.
Ensuite,
il
faut
noter
que
concrètement,
toutes
ces
actions
sont
encadrées
par
un
cadre
assez
précis.
L’accès
informatique
est
très
contrôlé
par
exemple
:
• Les
ordinateurs
n’acceptent
pas
de
clés
usb
ou
autres
périphériques
qui
permettraient
de
copier
des
informations
ou
de
mettre
des
informations
externes
dessus,
par
exemple
mon
document.
Dès
le
deuxième
jour
je
viens
donc
munie
de
mon
ordinateur
portable,
afin
de
pouvoir
travailler.
• Internet
est
aussi
très
verrouillé
:
sur
l’intranet
de
BUF,
on
n’a
accès
qu’aux
pages
de
la
Banque
d’investissement
(BUF-‐BI)
par
exemple,
pas
les
autres.
Aucune
boîte
mail
électronique
autre
que
celle
de
la
banque
n’est
consultable.
Lorsque
que,
via
google
on
va
sur
le
site
de
gmail,
yahoo,
hotmail
ou
autres,
une
page
apparaît
comme
quoi
«
ce
site
n’est
pas
autorisé
».
Par
contre,
tous
les
sites
de
recherche
sont
accessibles,
en
particulier
certains
qui
sont
payants
(bases
de
données
sur
les
régulateurs
par
exemple).
• Tout
comme
pour
les
autres
boîtes
mail,
aucun
site
de
type
chat
n’est
accessible
(messenger,
skype
etc.)
à
part
le
système
de
chat
interne
aux
employés
de
«
la
banque
».
Les
membres
de
l’équipe
se
souviennent
que
la
seule
fois
qu’il
a
été
bloqué
aussi
c’était
pendant
un
des
moments
pics
de
la
crise
financière
qui
avait
fait
beaucoup
de
bruit
médiatique,
pour
éviter
le
plus
possible
que
les
employés
ajoutent
«
de
l’huile
sur
le
feu
»
en
faisant
circuler
des
rumeurs
entre
eux
qui
pourraient
ensuite
«
contaminer
»
BUF.
Chaque
membre
de
l’équipe
a
un
classeur
noir
contenant
les
mêmes
documents,
une
sorte
de
«
kit
de
base
»
d’après
Odette,
qu’ils
consultent
régulièrement
dans
leur
travail
quotidien,
avec
:
440
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
COMPLEMENTS
:
FORMATION
COMPLEMENTS
:
REUNIONS
Marie,
en
tant
que
manager
de
cette
équipe,
passe
une
partie
de
ses
journées
à
faire
le
va
et
viens
entre
ses
supérieurs
hiérarchiques
d’une
part
au
Front
Office
(et
en
particulier
Monsieur
Blanc)
et
d’autre
part
au
département
Conformité
(en
particulier
avec
Monsieur
Chambertin,
puis
aussi
avec
Monsieur
Touraine
aussi
durant
la
phase
2).
Ces
réunions
étaient
parfois
programmées
(au
quel
cas
Marie
en
général
me
prévenait
que
tel
jour
je
pouvais
l’accompagner
à
telle
réunion),
mais
souvent
avaient
un
caractère
imprévisible
:
un
coup
de
fil,
et
quelques
minutes
suffisaient
pour
que
Marie
rejoigne
celui
qui
venait
de
l’appeler.
C’est
pour
cela
que
souvent
elle
venait
interrompre
ma
conversation
avec
les
membres
de
l’équipe
ou
ce
que
j’étais
en
train
de
441
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
faire,
et
me
demandait
de
prendre
mon
cahier
et
la
suivre
à
l’instant
même.
C’est
ainsi
que
j’ai
rencontré
Monsieur
Chambertin,
durant
la
première
semaine
de
la
phase
1
:
442
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
ce
n’était
pas
un
élément
décisif
dans
ce
cas,
mais
j’étais
quand
même
surprise
de
voir
la
rapidité
avec
laquelle
il
a
pris
une
décision
sur
un
dossier
sensé
être
sensible
qu’on
lui
a
résumé
succinctement
en
quelques
minutes].
Ça
je
vous
le
dis
[qu’il
va
faire
la
déclaration
de
soupçon],
mais
je
ne
vous
l’écris
pas
[dans
les
mails
:
effectivement,
il
y
a
très
peu
de
traçabilité
de
ce
genre
de
décisions,
trop
confidentielles,
et
pour
la
plupart
gérées
à
l’oral
dans
des
cercles
précis
de
personnes
comme
lors
de
cette
réunion].
Dites-‐lui
[au
client]
que
ça
a
de
bonnes
chances
d’aboutir.
Vous
pouvez
y
aller,
ça
nous
fera
gagner
du
temps.
Ca
fait
déjà
deux
mois
qu’on
l’a,
ce
dossier.
La
réunion
est
finie
en
moins
de
10
minutes,
l’agenda
de
Monsieur
Chambertin
étant
très
rempli.
C’est
une
personnalité
imposante
et
au
physique
imposant
également.
Il
semble
être
d’une
grande
lucidité
et
intuition
sur
des
dossiers
qu’il
ne
connaît
pas
et
sur
lesquels
il
fait
confiance
à
ses
équipes
d’analystes
et
correspondants
AML
pour
les
différentes
lignes
métiers.
«
Il
tranche.
Vite
et
bien
»,
comme
a
commenté
Marie
dans
l’ascenseur
de
retour
à
nos
bureaux
au
6e
étage.
L’admiration
que
toute
l’équipe
a
pour
lui
donne
l’image
d’un
personnage
intègre,
droit,
franc,
et
qui
semble
n’avoir
peur
de
rien,
surtout
pas
des
pressions
des
«
petits
Sales
».
A
notre
retour,
une
autre
réunion
donne
aussi
des
informations
sur
le
contexte
tendu
dans
lequel
ils
doivent
travailler,
beaucoup
plus
informelle,
nous
attends
avec
Amélie,
de
l’équipe
KYC
rattachée
au
middle
office
[seule
à
être
«
copine
»
de
l’équipe],
sur
la
réorganisation
du
travail
dans
leur
cellule
également
:
−
(Amélie)
On
va
avoir
une
procédure
simplifiée
sur
certains
dossiers.
Step
1
:
le
sales
ouvre
le
dossier,
step
2
:
on
vérifie
quelques
docs,
et
on
passe
directement
en
step
7
pour
validation.
Ils
appellent
ça
le
«
light
touch
».
−
(Marie)
Ouf
!
Ça
devient
vraiment
light,
là.
Ça
me
ferait
trop
peur.
Quand
en
octobre
il
y
aura
les
enquêteurs
de
la
commission
bancaire
qui
viendront
me
poser
des
questions,
moi
je
ne
vous
connais
pas,
je
ne
sais
pas
ce
que
vous
faites
!
−
(Amélie)
C’est
une
déresponsabilisation
du
Front,
c’est
incroyable.
Même
pas
le
head
of
desk
du
Sales
qui
devait
vérifier
en
step
3
et
4!
Moi
je
suis
totalement
opposée
à
la
suppression
de
ces
steps,
car
en
cas
de
problème,
le
head
of
desk
va
se
laver
totalement
les
mains
en
disant
qu’il
ne
savait
pas.
Mais
on
n’allait
certainement
pas
m’écouter
moi.
−
(Nathalie)
C’est
un
type
dangereux.
J’aurais
trop
peur
de
travailler
avec
lui.
Vraiment
je
ne
pourrais
pas.
Lui
c’est
business,
business,
business,
et
il
s’en
fou
du
reste.
Je
pense
que
KYC
il
n’en
a
jamais
entendu
parler
et
il
ne
veut
surtout
pas
en
entendre
parler
!
»
Le
contexte
organisationnel
semble
être
marqué
par
une
grande
pression
hiérarchique
double,
et
la
difficulté
à
identifier
clairement
les
priorités.
Déjà
Christian
avait
du
reconnaître
la
difficulté
de
dessiner
un
organigramme
de
«
qui
fait
quoi
»
lorsque
je
lui
posais
la
question
le
premier
jour
de
la
phase
1.
Ceci
est
exacerbé
par
la
rivalité
qu’on
décèle
assez
rapidement
entre
l’équipe
de
Marie
et
l’autre
équipe
KYC.
Leurs
compétences
se
chevauchaient,
et
l’équipe
de
Marie
aurait
«
gagné
»
en
récupérant
officiellement
une
partie
des
responsabilités
de
l’autre
443
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
équipe,
travail
qu’ils
faisaient
déjà
officieusement,
puisque
l’autre
équipe
n’était
pas
compétente.
»
• Mise
en
place
d’une
trame
à
respecter
:
section
«
News
»,
section
«
Did
you
know
?
KYC-‐AML
interesting
facts
»,
section
«
Need
help
?
»
Figure
40:
Première
SOC1ETE Newsletter
GENERALE de
l'équipe
KYC-‐AML
(page
1)
Corporate & Iiwestmertt Banking MARK/CMUINFO
13/09/2010
In our first newsletter we would like to talk about thè risks incurred in starting a new
client relationship.
Regulatory risk: Non-compliance with existing regulations can result in fines up to
losing our banking license.
Risk of criminal responsibility: Por a salesperson accepting a customer involved
into money laundering can be qualified as money laundering.
Attention! You risk facing a 10 year prison sentence and a 750,000 EUR fine.
Reputational risk: You are well aware that clients leave thè banks they do
not trust.
You risk our bank's reputation if you accept clients involved in fraud,
money laundering, any type of crime or clients associated with unethical
activities.
Our mission is to help Front Orfice prevent ali these kinds of risk. Good will, like a good name,
is got by many actions,
How to launch thè KYC process? and lost by one.
Por your safety and our efficiency, be sure to inform your client about thè necessity
of providing documents for thè KYC check.
To see what we usually require, access KYC for Newbies on our internai site.
Danger,'
How long does it take?
Clients that can damage our
It depends on thè counterparty. For low risk countries (like thè EU countries) it is reputation:
usually less than one week. For medium and high risk countries it greatly depends
on thè client's level of cooperation. If thè client is cooperative and provides ali thè
Dea! with suspicious counterparties
required Information, thè process takes around two weeks. However, if thè client is
Violate human rìghts
not willing to provide thè requested documents, thè KYC procedure can take
Use child labour,
months. Please rememberthat there are stili several stages of thè client approvai
Damage thè environment
after us.
KYC News
Guided by thè Interests of Business
Considering an increasing number of Andorra based clients, a decision has been
made by thè Head of SEGL/DEO/AML, AMLO%
Mr. Charles Blandigneres, to visit thè
country and form his own idea of existing anti-money laundering approaches.
AMLO%
During his visit Mr. Blandigneres met with locai regulators and bank
compliance% to
representatives. This demonstrates one more time thè readiness of SEGL/DEO
respond to thè needs of our business. We hope that thè AML measures in
Andorra will be found satisfactory.
2) KYC-‐AML
Frequently
Asked
Questions
(sur
le
site
intranet
de
l’équipe)
• What
is
KYC
and
what
is
it
for
?
• What
risks
do
I
face
in
failing
to
comply
with
KYC
requirements
?
444
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
5) Rédaction d’une procédure KYC-AML (Document KYC-AML-I13, cf.
annexe 5) sur laquelle il sera demandé à la fois aux analystes et aux Front
Officers de s’engager et de signer.
445
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
446
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
447
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
distribué
le
information
employés
de
4.11. matin
aux
Syndicats
S5
syndicale
tract
syndicat
1
BUF
2010
employés
à
syndicat
1
l'entrée
du
BUF
distribué
le
information
employés
de
Apr-‐ matin
aux
Syndicats
S6
syndicale
tract
syndicat
2
BUF
10
employés
à
syndicat
2
l'entrée
du
BUF
distribué
le
information
employés
de
Oct-‐ matin
aux
Syndicats
S7
syndicale
tract
syndicat
2
BUF
10
employés
à
syndicat
2
l'entrée
du
BUF
distribué
le
information
employés
de
1.10. matin
aux
Syndicats
S8
syndicale
tract
syndicat
3
BUF
2010
employés
à
syndicat
3
l'entrée
du
BUF
448
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
distribué
le
information
employés
de
2.11. matin
aux
Syndicats
S9
syndicale
tract
syndicat
3
BUF
2010
employés
à
syndicat
3
l'entrée
du
BUF
distribué
le
information
employés
de
28.9. matin
aux
Syndicats
S10
syndicale
tract
syndicat
4
BUF
2010
employés
à
syndicat
4
l'entrée
du
BUF
distribué
le
information
employés
de
4.06. matin
aux
Syndicats
S11
syndicale
tract
syndicat
5
BUF
2010
employés
à
syndicat
5
l'entrée
du
BUF
distribué
le
information
17.0
employés
de
matin
aux
Syndicats
S12
syndicale
tract
syndicat
5
9.
BUF
employés
à
syndicat
5
2010
l'entrée
du
BUF
distribué
le
information
employés
de
24.9. matin
aux
Syndicats
S13
syndicale
tract
syndicat
5
BUF
2010
employés
à
syndicat
5
l'entrée
du
BUF
distribué
le
information
employés
de
1.10. matin
aux
Syndicats
S14
syndicale
tract
syndicat
5
BUF
2010
employés
à
syndicat
5
l'entrée
du
BUF
distribué
le
information
employés
de
8.10 matin
aux
Syndicats
S15
syndicale
tract
syndicat
5
BUF
2010
employés
à
syndicat
5
l'entrée
du
BUF
distribué
le
information
15.
employés
de
matin
aux
Syndicats
S16
syndicale
tract
syndicat
5
10.
BUF
employés
à
syndicat
5
2010
l'entrée
du
BUF
distribué
le
information
employés
de
10/2 matin
aux
Syndicats
S17
syndicale
tract
syndicat
5
BUF
2/10
employés
à
syndicat
5
l'entrée
du
BUF
distribué
le
information
employés
de
11/5 matin
aux
Syndicats
S18
syndicale
tract
syndicat
5
BUF
/10
employés
à
syndicat
5
l'entrée
du
BUF
attaché
à
un
information
sur
BUF-‐BI
courriel
reçu
par
G4
l'évaluation
ppt
BUF-‐BI
usage
interne
Sep-‐10
Général
les
employés
de
annuelle
BUF-‐BI
449
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
attaché
à
un
Direction
des
courriel
reçu
par
do's
and
don'ts
en
traders
et
Front
Office
FO1
texte
marchés
Sep-‐10
les
employés
du
trading
et
vente
commerciaux
financiers
Front
Office
BUF-‐BI
Entre
courriel
reçu
par
newsletter
Direction
des
avril
et
les
employés
du
Front
Office
FO2
27
newsletters
electroniq marchés
front
office
novem
front
office
BUF-‐
ue
financiers
bre
BI
2010
Séminaire
unité
Transmis
par
d’onboarding
Nov.
Front
Office
FO3
ppt
M.
Blanc
Front
Office
Nathalie
qui
a
client,
client
2010
assisté
marketing
Compte
rendu
de
Nov.
Front
Office
FO4
réunion
unité
ppt
M.
Blanc
Front
Office
Intranet
BUF-‐BI
2010
d’onboarding
client
Equipe
KYC-‐ Fév.
Intranet
équipe
Front
Office
FO5
Sales
Organization
ppt
M.
Lalande
AML
2010
KYC-‐AML
Consul
Archives
KYC-‐
Front
Office
FO6
Sales
Handbok
document
BUF-‐BI
Sales
té
avril
AML
2010
impri
initiatives
RSE
page
mé
le
site
internet
de
RSE
BUF-‐BI
RSE1
BUF-‐BI
grand
public
dans
BUF-‐BI
internet
19/11 BUF-‐BI
/2010
Liability
Draft
BUF-‐BI
Fev-‐ Archives
de
Conformité
C1
Management
BUF-‐BI
papier
Conformité
2010
l’équipe
compliance
policy
Manuel
de
BUF-‐BI
24.03.
Conformité
C2
Conformité
BUF-‐BI
document
BUF-‐BI
Intranet
BUF-‐BI
Conformité
2010
(hors
UK)
Internal
committee
guidelines
on
chinese
walls,
BUF-‐BI
01.
Conformité
C3
ppt
BUF-‐BI
Intranet
BUF-‐BI
confidential
and
conformité
2010
inside
information,
and
gift
lists
KYC
policy
draft
à
M.
Lalande,
11
mai
Conformité
C7
Document
KYCO
Mails
KYC-‐AML
valider
Marie
2010
The
value
of
Equipe
KYC
A,
regulation
and
Equipe
KYC-‐
listing
recognition
BUF-‐BI
Dec.
Archives
équipe
Conformité
C8
Document
AML,
of
regulators
and
Conformité
2009
KYC-‐AML
départment
stock
exchange
for
Conformité
KYC
purposes
450
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
règles
de
équipe
KYC-‐ 1.11.
thésard
-‐
newsletter
N4
rédaction
des
texte
thésard
-‐
stagiaire
AML
de
Marc
2010.
stagiaire
newsletters
Présentation
de
l'équipe
KYC-‐ potentielleme
fonctionne stagiaire
de
AML
de
Marc,
nt,
tous
les
thésard
-‐
ment
KYC-‐ I2
texte
l'équipe
KYC/AML,
Nov-‐10
Missions,
employés
de
stagiaire
AML
doc
revu
par
Marc
fonctionnement
BUF-‐BI
etc.
451
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
distribué
en
format
Main
bodies
papier
et
responsible
for
envoyé
par
fonctionne investigating
tableau
Marc,
manageur
de
équipe
courriel
à
ment
KYC-‐ I3
and
combatting
Nov-‐10
récapitulatif
l'équipe
KYC/AML
KYC/AML
l'équipe
lors
AML
corruption
and
d'une
money
réunion
laundering
hébdomadair
e
distribué
en
format
papier
et
envoyé
par
fonctionne Références
tableau
Marc,
manageur
de
équipe
courriel
à
ment
KYC-‐ I5
règlementaires
Nov-‐10
récapitulatif
l'équipe
KYC/AML
KYC/AML
l'équipe
lors
AML
en
France
d'une
réunion
hébdomadair
e
Fiche
sur
les
équipe
fonctionne
Personnes
page
intranet
Julien,
Analyste
KYC/AML
et
page
intranet
ment
KYC-‐ I6
4/28/10
Politiquement
de
l'équipe
KYC/AML
employés
de
l'équipe
AML
Exposées
(PEP)
BUF-‐BI
potentielleme
fonctionne
KYC
for
page
intranet
Clémént,
manageur
nt,
tous
les
page
intranet
ment
KYC-‐ I7
Mar-‐10
dummies
de
l'équipe
adjoint
de
l'équipe
employés
de
de
l'équipe
AML
BUF-‐BI
Procedure
to
Fonctionne Reunion
avec
control
deals
Intranet
de
ment
KYC-‐ I9
ppt
Clément
responsables
Juin
2010
trades
vs.
red
l’équipe
AML
Sales
counterparties
accessible
BUF-‐BI
en
dans
les
Fonctionne général
et
3/17/
archives
ment
KYC-‐ I10
MIFID
directive
ppt
BUF-‐BI
équipes
2010
informatique
AML
compliance
en
s
de
l'équipe
particulier
KYC/AML
Fonctionne Décision
interne
Equipe
KYC-‐ Intranet
08.09.
ment
KYC-‐ I11
sur
le
processus
ppt
BUF-‐BI
Conformtié
AML
et
sa
équipe
KYC-‐
2010
AML
KYC-‐AML
hiérarchie
AML
Fonctionne Procédure
de
Archives
ment
KYC-‐ I12
creation
de
document
Equipe
KYC-‐AML
Front
Office
07.2009
équipe
KYC-‐
AML
nouveaux
clients
AML
4
versions
Fonctionne successives
Fichiers
Doctorante
et
Analystes
et
ment
KYC-‐ I13
Procédure
KYC
jusqu’à
11.2010
partagés
de
Equipe
KYC-‐AML
Sales
AML
acceptation
l’équipe
définitive
Equipe
KYC-‐
Dossiers
KYC
AML,
Entre
04.
et
Equipe
KYC-‐
Dossiers
I14
avec
memos,
archives
Equipe
KYC-‐AML
Département
11.
2010
AML
courriels
etc.
Conformité
Accès
à
47
Dans
les
courriels
Equipe
KYC-‐AML,
Courriels
dossiers,
(forwardés
par
BUF-‐BI,
BUF,
Équipe
KYC-‐
Courriels
I15
imprimés
ou
certains
Varié
l’équipe,
ou
Département
AML
forwardés
remontaien
imprimés
dans
Conformité
t
à
1
an
les
dossiers)
Courriels
dont
j’étais
en
copie
Moyenne
de
60
(pour
Entre
09.
échanges/jour
dossiers,
mais
Equipe
KYC-‐
Courriels
I16
Variés
2010
et
11.
Varié
pendant
la
aussi
AML
2010
période
de
stage
organisation
de
reunions
etc.
452
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
DOCUMENTS
EXTERNES
impression
à
partir
Reglementation
fédération
bancaire
E6
texte
BUF
Jul-‐10
des
fichiers
partagés
bancaire:
mise
à
jour
française
de
l''équipe
KYC-‐AML
Présentation
Lexis
E9
prospectus
Lexis
Nexis
praticiens
Jul-‐05
impression
d'intranet
Nexis
KYC
453
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
454
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
Directives
mondiales
impression
à
partir
anti
blanchiment
pour
du
site
internet
du
les
services
bancaires
banques
document
May-‐ Wolfsberg
Group,
privés:
principes
anti-‐ E21
The
Wolfsberg
Group
appartenant
au
papier
02
référé
par
le
blanchiment
de
groupe
manageur
de
l'équipe
Wolfsberg
1ere
KYC/AML
révision
mai
2002
Evaluation
du
impression
à
partir
dispositif
LAB/FT:
Manuel.
pays
et
du
pdf
dans
les
manuel
à
l'intention
E22
Support
FATF-‐GAFI
Jun-‐07
evaluateurs
fichiers
partagés
de
des
pays
et
des
papier
l'équipe
KYC/AML
evaluateurs
Professionnels
exemplaire
Rapport
d'activité
des
marchés
disponible
dans
les
E23
publication
Tracfin
2010
TRACFIN
2009
financiers
en
textes
de
référence
France
de
l'équipe
KYC/AML
Entre
04.
Revue
de
presse
sur
Articles
de
2010
E24
variés
NA
variées
LAB
presse
et
12.201
2
Entre
07.200
Revue
de
Presse
sur
la
Articles
de
E25
variés
NA
7
et
variées
crise
et
la
finance
presse
12.201
2
Dossier
benchmark
sur
Banques
les
pratiques
de
E26
articles
Banques
concurrentes
NA
NA
concurrentes,
presse,
conformité
internet
455
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
456
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
La
loi
du
12
juillet
1990
a
pour
objectif
la
participation
des
organismes
financiers
à
la
lutte
contre
le
blanchiment.
La
Commission
bancaire
participe
à
la
lutte
contre
le
blanchiment.
Parallèlement,
la
France
a
élaboré
son
dispositif
de
lutte
contre
le
blanchiment
des
capitaux.
Les
innovations
de
la
loi
du
12
juillet
1990
relative
à
la
participation
des
organismes
financiers
à
la
lutte
contre
le
blanchiment
des
capitaux
provenant
du
trafic
de
stupéfiants
sont
la
transposition
en
droit
français
des
quarante
recommandations
du
Gafi
(Groupe
d’action
financière
internationale).
La
nouveauté
de
la
législation
française
réside
en
fait
non
pas
dans
le
principe
de
l’incrimination,
déjà
acquis
à
cette
date
bien
que
limité
au
trafic
de
drogue,
mais
dans
la
participation
des
organismes
financiers
à
la
lutte
contre
le
blanchiment
des
capitaux.
La
Commission
bancaire
participe
à
cette
action,
en
tant
qu’organe
de
contrôle
des
établissements
de
crédit.
En
outre,
le
contrôle
des
changeurs
manuels
lui
a
été
confié
à
cette
occasion.
L’année
1996
a
été
marquée
:
–
au
niveau
international,
par
la
modification
des
quarante
recommandations
du
Gafi
et
l’évolution
du
dispositif
français,
–
au
niveau
national,
par
la
loi
du
13
mai
1996.
L’année
1996
a
été
marquée,
au
niveau
international,
par
la
modification
des
quarante
recommandations
du
Gafi,
en
vue
de
les
adapter
aux
évolutions
constatées
en
matière
de
lutte
contre
le
blanchiment,
et
par
l’évaluation
pratique
du
dispositif
français.
Au
niveau
national,
la
loi
du
13
mai
1996
est
venue
compléter
le
dispositif
pénal
de
lutte
contre
le
blanchiment
en
instaurant,
en
particulier,
un
délit
général
de
blanchiment.
En
outre,
l’accès
à
la
profession
de
changeur
manuel
a
été
limité
et
le
contrôle
de
cette
profession
renforcé.
L’étude
ci-‐après
présente
les
travaux
de
la
septième
session
du
Gafi
(1.),
puis
l’amélioration
du
dispositif
de
lutte
contre
le
blanchiment
des
capitaux
en
France(2.)
et,
enfin,
le
renforcement
du
contrôle
des
changeurs
manuels
(3.).
1.
LES
TRAVAUX
DE
LA
SEPTIÈME
SESSION
DU
GAFI
Le
Gafi
regroupe
vingt-‐six
gouvernements
et
deux
organisations
régionales
représentant
les
principaux
centres
financiers
mondiaux.
La
septième
session
annuelle
s’est
tenue
sous
présidence
américaine.
1.1.
L’actualisation
des
quarante
recommandations
Les
quarante
recommandations
du
Gafi
ont
été
actualisées
pour
les
adapter
à
l’évolution
des
méthodes
criminelles.
Les
quarante
recommandations
ont
été
actualisées
afin
de
les
adapter
à
l’évolution
des
méthodes
criminelles.
Il
faut
souligner,
à
cet
égard,
que
le
Gafi
a
publié
pour
la
première
fois
un
résumé
du
rapport
de
ses
experts
sur
l’évolution
des
techniques
de
blanchiment
(«
typologies
»).
Le
souci
de
préserver
une
certaine
stabilité
du
cadre
législatif
des
États
membres
a
toutefois
conduit
à
limiter
les
modifications
aux
points
essentiels.
Ces
point
sont
les
suivants
:
Les
modifications
portent
sur
neuf
points
jugés
essentiels.
–
la
modification
la
plus
importante
porte
sur
l’extension
des
délits
sous-‐jacents
du
blanchiment,
au-‐delà
du
seul
trafic
de
stupéfiants,
aux
infractions
graves.
Il
est
apparu,
en
effet,
que
les
délits
non
liés
au
trafic
de
drogue
constituaient
une
source
importante
de
richesse
illégale
pénétrant
les
circuits
légaux
;
–
l’extension
des
mesures
de
lutte
contre
le
blanchiment
aux
opérations
financières
réalisées
par
des
entreprises
non
financières
est
recommandée
;
–
la
déclaration
des
transactions
suspectes
par
les
institutions
financières,
qui
n’était
alors
qu’une
option,
est
rendue
obligatoire
;
–
les
obligations
d’identification
des
clients
par
des
institutions
financières
sont
précisées
en
ce
qui
concerne
les
personnes
morales
;
–
l’attention
des
pays
membres
est
appelée
sur
les
«
sociétés-‐écrans
»
;
–
les
pays
membres
sont
invités
à
prendre,
si
nécessaire,
des
mesures
visant
à
éviter
l’utilisation
des
nouvelles
technologies
(monnaie
électronique)
à
des
fins
de
blanchiment
;
–
le
principe
de
l’application
des
mesures
anti-‐blanchiment
aux
institutions
financières
non
bancaires,
et
plus
particulièrement
aux
bureaux
de
change,
est
réaffirmé,
notamment
la
nécessité
de
contrôler
le
respect
de
l’application
des
mesures
anti-‐blanchiment.
Les
experts
jugent,
en
effet,
les
bureaux
de
change
très
vulnérables
au
blanchiment
;
–
les
États
membres
sont
invités
à
mettre
en
œuvre
des
mesures
réalistes
pour
détecter
et
surveiller
les
mouvements
transfrontaliers
d’espèces
dont
le
rôle
dans
les
opérations
de
blanchiment
a
été
souligné
par
les
experts,
notamment
Interpol
;
–
la
technique
des
«
livraisons
surveillées
»
est
encouragée.
Cette
technique
d’investigations
consiste
pour
les
policiers
à
suivre
et
surveiller
l’acheminement
de
la
drogue,
voire
dans
certains
cas
à
identifier
les
réseaux.
Les
pays
membres
disposent
de
deux
ans
pour
adapter
leur
législation
interne.
Les
pays
membres
doivent,
lorsque
cela
est
nécessaire,
adapter
leur
législation
interne
aux
nouvelles
recommandations
d’ici
deux
ans.
La
France
a
anticipé
ces
changements,
soit
par
son
dispositif
initial
de
1990,
soit
par
la
loi
du
13
mai
1996
relative
à
la
lutte
contre
le
blanchiment
(élargissement
du
champ
d’incrimination
de
blanchiment,
renforcement
du
contrôle
des
changeurs
manuels).
Toutefois,
les
professions
non
financières
(avocats,
notaires...)
ne
demeurent
jusqu’à
présent
soumises
qu’à
des
obligations
réduites.
1.2.
L’évaluation
du
dispositif
français
de
lutte
contre
le
blanchiment
Les
experts
du
Gafi
ont
évalué
l’efficacité
opérationnelle
du
dispositif
français
de
lutte
contre
le
blanchiment.
La
France
a
inauguré
le
second
cycle
d’évaluations
mutuelles
qui
vise
à
évaluer
l’efficacité
opérationnelle
des
mesures
mises
en
place.
S’agissant
des
critères
d’évaluation
des
dispositifs,
la
France
a
souligné
qu’il
ne
457
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
fallait
pas
s’en
tenir
à
des
critères
uniquement
quantitatifs
tels
que
le
nombre
de
condamnations
et
de
déclarations
de
soupçons,
mais
également
apprécier
l’aspect
préventif
des
systèmes
et
la
capacité
des
autorités
à
coopérer
sur
le
plan
international.
Le
dispositif
français
est
complet
et
perfectionné,...
La
tonalité
de
cet
examen
a
été
positive
pour
la
France.
Le
groupe,
qui
avait
considéré
en
1992,
date
du
premier
examen
mutuel,
que
la
France
avait
créé
un
véritable
modèle,
a
estimé
que
le
dispositif
avait
été
considérablement
perfectionné
par
la
loi
du
13
mai
1996.
De
façon
générale,
il
ressort
de
cette
évaluation
que
le
dispositif
de
lutte
contre
le
blanchiment
français
est
incontestablement
complet
et
perfectionné,
allant
bien
au-‐delà
des
quarante
recommandations.
...
même
si
des
améliorations
pourraient
encore
être
apportées.
Les
experts
estiment
cependant,
au
regard
du
nombre
de
condamnations
prononcées
pour
délit
de
blanchiment
et
de
celui,
assez
modeste,
de
déclarations
de
soupçons
enregistrées
par
Tracfin
(Traitement
du
renseignement
et
action
contre
les
circuits
financiers),
que
le
système
n’est
pas
aussi
pleinement
opérationnel
qu’il
pourrait
l’être.
Ils
estiment
également
qu’une
meilleure
coopération
entre
l’ensemble
des
acteurs
de
la
lutte
contre
le
blanchiment
des
capitaux
pourrait
s’avérer
utile.
La
loi
du
13
mai
1996
est
de
nature
à
renforcer
considérablement
l’efficacité
du
système
français.
Le
rapport
souligne
néanmoins
que
la
loi
du
13
mai
1996,
et
notamment
la
généralisation
du
délit
de
blanchiment,
mais
aussi
les
autres
dispositions
de
la
loi
(renforcement
du
contrôle
des
bureaux
de
change,
renversement
de
la
charge
de
la
preuve,
facilitation
de
la
coopération
internationale),
constitue
un
véritable
progrès
qui
est
de
nature
à
renforcer
considérablement
l’efficacité
du
système
français
au
cours
des
années
à
venir.
2.
L’AMÉLIORATION
DU
DISPOSITIF
DE
LUTTE
CONTRE
LE
BLANCHIMENT
DES
CAPITAUX
Le
dispositif
français
de
lutte
contre
le
blanchiment
comprend
deux
volets
:
un
volet
pénal,
ou
répressif,
et
un
volet
préventif.
La
loi
du
13
mai
1996
a
modifié
le
volet
pénal
en
instaurant
un
délit
général
de
blanchiment.
En
revanche,
les
obligations
à
la
charge
des
organismes
financiers
qui
constituent
le
volet
préventif
n’ont
pas
été
modifiées.
2.1.
Le
renforcement
du
volet
répressif
2.1.1.
L’instauration
d’un
délit
général
de
blanchiment
La
loi
du
13
mai
1996
crée
un
délit
général
de
blanchiment
des
produits
des
crimes
et
délits.
La
loi
du
13
mai
1996,
qui
adapte
la
législation
française
aux
dispositions
de
la
convention
du
Conseil
de
l’Europe
relative
au
blanchiment,
au
dépistage,
à
la
saisie
et
à
la
confiscation
des
produits
du
crime
et
tendant
à
améliorer
le
trafic
des
stupéfiants,
crée
un
délit
général
de
blanchiment
des
produits
des
crimes
et
délits.
Jusqu’à
présent,
le
délit
de
blanchiment
était,
en
effet,
limité
au
blanchiment
provenant
du
trafic
de
stupéfiants.
Cette
disposition
s’est
avérée
difficile
à
mettre
en
œuvre
en
raison
de
la
nécessité
de
pouver
que
les
fonds
provenaient
du
trafic
de
drogue
et
que
le
prévenu
connaissait
cette
origine.
Le
législateur
a
retenu
une
conception
extensive
du
blanchiment.
Le
blanchiment
est
défini
à
l’article
324-‐1
du
nouveau
code
pénal
comme
«
le
fait
de
faciliter,
par
tout
moyen,
la
justification
mensongère
de
l’origine
des
biens
ou
des
revenus
de
l’auteur
d’un
crime
ou
d’un
délit
ayant
procuré
à
celui-‐ci
un
profit
direct
ou
indirect.
Constitue
également
un
blanchiment
le
fait
d’apporter
un
concours
à
une
opération
de
placement,
de
dissimulation
ou
de
conversion
du
produit
direct
ou
indirect
d’un
crime
ou
d’un
délit
».
Il
résulte
de
cet
article
que
le
délit
de
blanchiment
implique
qu’une
infraction
ait
été
commise
au
préalable.
La
principale
innovation
de
la
loi
du
13
mai
1996
est
de
ne
plus
limiter
cette
infraction
sous-‐jacente
au
seul
trafic
de
stupéfiants,
mais
au
contraire
de
l’étendre
à
tout
type
de
crime
ou
de
délit.
Le
législateur
français
a
donc
retenu
une
définition
extensive
du
blanchiment
et
n’a
pas
utilisé
la
faculté
offerte
par
la
Convention
de
Strasbourg
de
limiter
l’application
du
délit
de
blanchiment
à
certaines
infractions
ou
d’en
exclure
d’autres.
Ainsi,
au
contraire
de
certains
pays
qui
l’ont
expressément
exclue,
la
fraude
fiscale
peut,
en
France,
être
à
l’origine
d’un
délit
de
blanchiment.
Toutefois,
lors
des
débats
au
Sénat,
le
ministre
chargé
des
relations
avec
le
Parlement
a
indiqué
que
seule
une
fraude
caractérisée
ou
une
complicité
directe
pourrait
donner
lieu
à
condamnation.
En
outre,
le
délit
de
fraude
fiscale
obéit
à
un
régime
juridique
particulier,
la
poursuite
étant
subordonnée
à
un
avis
préalable
de
la
Commission
des
infractions
fiscales.
Le
blanchiment
demeure
un
délit
intentionnel.
Si
la
nouvelle
définition
du
délit
de
blanchiment
ne
fait
plus
expressément
référence
au
caractère
intentionnel
de
l’infraction,
les
termes
«frauduleux»
et
«sciemment»
qui
figuraient
dans
l’ancienne
rédaction
ayant
été
supprimés,
le
blanchiment
demeure
néanmoins
un
délit
intentionnel.
En
effet,
en
application
de
l’article
121-‐3
du
nouveau
code
pénal,
«
il
n’y
a
point
crime
ni
délit
sans
intention
de
le
commettre
».
De
plus,
le
caractère
intentionnel
de
l’infraction
a
été
réaffirmé
par
le
ministre
de
la
Justice
lors
des
débats
à
l’Assemblée
nationale
et
explicitement
rappelé
dans
la
circulaire
adressée
par
la
Chancellerie
aux
procureurs.
Ces
précisions
sont
de
nature
à
répondre
aux
craintes
exprimées
par
les
établissements
de
crédit
quant
au
risque
d’être
plus
facilement
mis
en
cause
dans
un
délit
de
blanchiment.
On
signalera,
en
outre,
que
le
nouveau
délit
est
proche
du
délit
de
recel.
Il
convient
toutefois
de
préciser
qu’au
regard
des
principes
généraux
du
droit
pénal
français,
l’élément
intentionnel
peut
être
constitué
non
seulement
par
la
volonté
de
commettre
un
acte
que
l’on
sait
illicite,
mais
également
par
la
simple
connaissance
ou
conscience
du
caractère
illégal
de
l’acte.
La
seule
preuve
que
458
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
l’auteur
du
blanchiment
savait
que
les
fonds
en
cause
provenaient
d’un
délit
ou
d’un
crime
est,
à
cet
égard,
suffisante.
Le
blanchiment
est
sévèrement
puni.
Le
blanchiment
est
puni
d’une
peine
de
cinq
ans
d’emprisonnement
et
de
2
500
000
francs
d’amende.
Les
pénalités
sont
doublées
lorsque
le
blanchiment
est
commis
de
façon
habituelle,
en
utilisant
les
facilités
procurées
par
l’exercice
d’une
activité
professionnelle,
ou
encore
lorsqu’il
est
commis
en
bande
organisée.
Les
personnes
physiques
coupables
de
blanchiment
encourent
toute
une
série
de
peines
complémentaires
(interdiction
de
détenir
ou
de
porter
une
arme
soumise
à
autorisation,
interdiction
d’émettre
des
chèques...).
En
outre,
les
personnes
morales
peuvent
être
déclarées
pénalement
responsables
du
délit
de
blanchiment
et
se
voir
notamment
interdire
d’exercer
l’activité
liée
à
l’infraction
commise.
L’incrimination
spécifique
du
blanchiment
du
produit
du
trafic
de
stupéfiants
est
conservée,
avec
une
peine
d’amende
aggravée
(5
000
000
francs).
2.1.2.
Nouvelles
incriminations
pénales
Deux
nouveaux
délits
sont
créés
par
la
loi
du
13
mai
1996.
Outre
le
délit
général
de
blanchiment,
la
loi
du
13
mai
1996
établit
deux
nouvelles
incriminations
pénales
qui
visent
à
améliorer
plus
spécifiquement
la
lutte
contre
le
blanchiment
des
capitaux
issus
du
trafic
de
stupéfiants
:
–
le
délit
de
non-‐justification
de
ses
ressources,
eu
égard
à
son
train
de
vie,
par
une
personne
entretenant
des
relations
habituelles
avec
un
trafiquant
de
drogue
ou
usager
de
stupéfiants,
qui
réprime
ce
que
l’on
appelle
plus
communément
le
«
proxénétisme
de
la
drogue
».
La
France
n’a
cependant
pas
adopté,
contrairement
à
d’autres
pays,
comme
par
exemple
la
Grande-‐Bretagne,
la
position
extrême
qui
consistait
à
renverser
totalement
la
charge
de
la
preuve
et
à
imposer
à
la
personne
soupçonnée
de
blanchiment
de
prouver
que
ses
revenus
ou
ses
biens
ne
proviennent
pas
du
trafic
de
stupéfiants
;
–
le
délit
de
provocation
d’un
mineur
au
trafic
de
drogue.
Les
trafiquants
utilisent,
en
effet,
de
plus
en
plus
souvent
les
services
de
mineurs
qui
encourent
un
moindre
risque
pénal,
afin
d’échapper
eux-‐mêmes
à
toute
responsabilité.
2.1.3.
Le
renforcement
de
la
coopération
internationale
La
loi
du
13
mai
1996
renforce
la
coopération
internationale.
Plusieurs
articles
de
la
loi
du
13
mai
1996
sont
consacrés
à
la
coopération
internationale
en
matière
de
lutte
contre
le
blanchiment
et
prévoient
les
conditions
d’application
des
principes
retenus
par
la
Convention
du
Conseil
de
l’Europe
signée
à
Strasbourg
le
8
novembre
1990.
Ces
dispositions
doivent
permettre
à
la
France,
saisie
d’une
demande
présentée
par
un
État
partie
à
cette
convention,
de
procéder
à
la
recherche
et
à
l’identification
du
produit
d’une
infraction,
à
sa
confiscation
et
à
la
prise
de
mesures
conservatoires.
Ce
dispositif
existait
déjà
dans
son
ensemble
depuis
la
loi
du
14
novembre
1990
portant
adaptation
de
la
législation
française
aux
dispositions
de
la
Convention
du
Conseil
de
l’Europe
signée
à
Strasbourg
le
8
novembre
1990,
mais
son
application
était
limitée
au
trafic
de
stupéfiants.
Le
progrès
réalisé
ici
consiste
donc
à
étendre
le
processus
de
coopération
internationale
à
la
recherche
du
produit
de
tous
les
crimes
ou
délits
dès
lors
qu’ils
ont
été
commis
sur
le
territoire
d’un
pays
partie
à
la
Convention
de
Strasbourg.
Par
ailleurs,
Tracfin,
service
du
ministère
de
l’Économie
et
des
Finances
spécialisé
dans
la
lutte
contre
le
blanchiment,
qui
a
déjà
signé
de
nombreux
accords
de
coopération
avec
ses
homologues
étrangers,
peut
désormais
utiliser
sont
droit
de
communication
particulier
(article
15
modifié
de
la
loi
du
12
juillet
1990)
dans
le
but
de
renseigner,
dans
les
conditions
prévues
par
la
loi,
les
services
des
autres
États
exerçant
des
compétences
analogues.
2.2.
Stabilité
du
volet
préventif
La
nouvelle
législation
n’étend
pas
les
obligations
à
la
charge
des
organismes
financiers
qui
résultent
de
la
loi
du
12
juillet
1990.
Le
rôle
dévolu
à
la
Commission
bancaire
ne
devrait
pas
non
plus
être
modifié.
2.2.1.
Les
obligations
des
établissements
de
crédit
ne
sont
pas
modifiées
Deux
séries
d’obligations
pèsent
sur
les
organismes
financiers
:
La
loi
du
12
juillet
1990,
modifiée
par
celle
du
29
janvier
1993,
a
mis
à
la
charge
des
organismes
financiers
une
obligation
de
déclaration
de
soupçon
et
d’autres
obligations
de
vigilance.
–
déclarer
leurs
soupçons
à
Tracfin,...
D’une
part,
les
organismes
financiers,
au
nombre
desquels
figurent
les
établissements
de
crédit
et
les
changeurs
manuels,
doivent
déclarer
à
Tracfin
les
sommes
et
les
opérations
portant
sur
des
sommes
qui
leurs
paraissent
provenir
du
trafic
de
stupéfiants
ou
de
l’activité
d’organisations
criminelles.
Le
secret
professionnel
est
alors
levé
vis-‐à-‐vis
de
Tracfin
qui
effectue,
lorsqu’il
est
saisi,
des
enquêtes
et
transmet
au
procureur
de
la
République
les
informations
recueillies
lorsqu’elles
mettent
en
évidence
des
faits
susceptibles
de
relever
du
trafic
de
stupéfiants
ou
de
l’activité
d’organisations
criminelles.
–
respecter
des
obligations
de
vigilance.
D’autre
part,
les
organismes
financiers
doivent
s’assurer
de
l’identité
de
leurs
cocontractants
avant
toute
ouverture
de
compte
ainsi
que
celle
des
clients
occasionnels
effectuant
des
opérations
d’un
montant
supérieur
à
un
plafond
fixé
par
décret
(actuellement
50
000
francs).
De
plus,
ils
doivent
prêter
une
attention
particulière
aux
opérations
d’un
montant
unitaire
ou
total
supérieur
à
un
million
de
francs
se
présentant
dans
des
conditions
inhabituelles
de
complexité
et
ne
paraissant
pas
avoir
de
justification
économique
ou
d’objet
licite.
De
façon
générale,
les
organismes
financiers
doivent
faire
preuve
d’une
vigilance
constante.
Le
champ
de
la
déclaration
de
soupçon
n’est
pas
modifié.
459
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
Si
la
loi
du
13
mai
1996
a
généralisé
l’infraction
de
blanchiment,
elle
n’a
en
rien
modifié
le
champ
de
la
déclaration
de
soupçon.
Le
gouvernement
n’a
pas,
en
effet,
souhaité
élargir
le
champ
des
déclarations
effectuées
par
les
organismes
financiers
à
Tracfin
à
d’autres
délits,
notamment
fiscaux.
À
cet
égard,
il
a
été
précisé,
lors
des
débats
parlementaires,
que
le
maintien
en
l’état
du
champ
de
la
déclaration
de
soupçon
n’était
en
aucun
cas
un
oubli.
L’objectif
de
la
loi
n’est
pas,
en
effet,
d’exiger
des
banquiers
qu’ils
fassent
part
de
tous
les
soupçons
qu’ils
pourraient
avoir
à
l’égard
de
certains
clients
:
ils
doivent
simplement
être
vigilants
et
éviter
d’apporter
leur
concours
à
des
opérations
de
blanchiment
lorsqu’elles
leur
sont
connues.
À
cette
occasion,
le
devoir
de
non-‐ingérence
du
banquier
dans
les
affaires
de
son
client,
hormis
les
cas
prévus
par
la
loi
du
12
juillet
1990,
a
été
rappelé.
Si
aucune
obligation
nouvelle
ne
pèse
sur
les
établissements
de
crédit,
on
peut
estimer
en
sens
inverse
qu’un
établissement
qui
aurait
effectué
une
déclaration
portant
sur
des
sommes
qui
ne
proviennent
pas
effectivement
du
trafic
de
stupéfiants
ou
de
l’activité
d’organisations
criminelles
devrait
être
considéré
de
bonne
foi
s’il
avait
des
soupçons
;
il
ne
pourrait
de
ce
fait
être
sanctionné
pour
violation
du
secret
professionnel.
Dans
la
plupart
des
cas,
l’établissement
n’est,
en
effet,
pas
en
mesure
de
connaître
l’origine
des
sommes
qui
transitent
par
ses
comptes
et
de
qualifier
pénalement
l’infraction
génératrice.
2.2.2.
Le
rôle
de
la
Commission
bancaire
dans
la
lutte
contre
le
blanchiment
La
Commission
bancaire
contrôle
le
respect
des
obligations
anti-‐blanchiment
par
les
établissements
de
crédit
et
les
changeurs
manuels.
La
Commission
bancaire
est
chargée
de
contrôler
le
respect
des
obligations
anti-‐blanchiment
par
les
établissements
de
crédit
et
les
changeurs
manuels.
Il
s’agit
pour
l’essentiel
de
contrôles
sur
place
réalisés,
soit
à
l’occasion
des
vérifications
prévues
par
le
programme
de
vérifications,
soit
lorsque
l’apparition
de
fait
précis
le
justifie.
Les
contrôles
effectués
auprès
des
établissements
de
crédit
dans
le
cadre
du
programme
de
vérifications
ne
portent
pas,
le
plus
souvent,
exclusivement
sur
le
respect
des
dispositions
anti-‐blanchiment,
dans
la
mesure
où
la
mission
principale
de
la
Commission
bancaire
est
de
vérifier
la
qualité
de
la
situation
financière
des
établissements
de
crédit.
Toutefois,
les
inspecteurs
vérifient,
à
l’occasion
de
ces
enquêtes,
que
les
prescriptions
légales
et
réglementaires
en
matière
de
lutte
contre
le
blanchiment
des
capitaux
sont
appliquées
(adoption
de
règles
internes...)
et
le
rapport
d’enquête
mentionne
ce
point.
En
outre,
la
Commission
bancaire
réalise
des
enquêtes
thématiques
dont
l’objet
exclusif
est
de
s’assurer
du
respect
des
dispositions
anti-‐blanchiment
par
les
établissements
de
crédit.
Les
contrôles
effectués
auprès
des
bureaux
de
change
portent
exclusivement
sur
le
respect
des
dispositions
anti-‐
blanchiment,
dans
la
mesure
où
la
Commission
bancaire
n’est
pas
chargée
de
vérifier
la
qualité
de
leur
situation
financière.
Le
contrôle
du
respect
des
dispositions
anti-‐blanchiment
s’effectue
également
sur
pièces.
En
effet,
l’identité
des
correspondants
pour
la
lutte
contre
le
blanchiment
doit
être
communiquée
à
la
Commission
bancaire
(ainsi
qu’à
Tracfin).
Cette
dernière
peut
également
demander
à
tout
établissement
assujetti
de
lui
adresser
les
règles
écrites
internes
décrivant
les
diligences
à
accomplir
en
matière
de
lutte
contre
le
blanchiment
des
capitaux.
La
Commission
bancaire
a
ainsi
demandé
à
l’ensemble
des
établissements
de
crédit
de
lui
adresser
ces
documents.
La
Commission
bancaire
sanctionne
les
manquements
constatés.
La
Commission
bancaire
est
compétente
pour
sanctionner
les
manquements
constatés.
Pour
les
établissements
de
crédit,
les
sanctions
sont
celles
prévues
à
l’article
45
de
la
loi
bancaire
du
24
janvier
1984
;
elles
vont
de
l’avertissement
à
la
radiation
avec,
à
la
place
ou
en
sus
de
ces
sanctions,
la
possibilité
de
prononcer
une
sanction
pécuniaire
au
plus
égale
au
montant
du
capital
minimum
auquel
est
astreint
l’établissement
de
crédit.
Pour
les
changeurs
manuels,
les
sanctions
sont
prévues
à
l’article
25
de
la
loi
du
12
juillet
1990
:
avertissement,
blâme
ou
interdiction
d’exercer
la
profession
de
changeur
manuel
et,
soit
à
la
place,
soit
en
sus
de
ces
sanctions,
une
sanction
pécuniaire
au
plus
égale
à
250
000
francs.
Jusqu’à
présent,
onze
sanctions
ont
été
prononcées
pour
non-‐respect
des
dispositions
relatives
à
la
lutte
contre
le
blanchiment
des
capitaux
et
six
procédures
disciplinaires
sont
en
cours.
La
loi
du
13
mai
1996
ne
modifie
pas
le
rôle
de
la
Commission
bancaire
en
matière
de
lutte
contre
le
blanchiment.
Le
rôle
de
la
Commission
bancaire
en
matière
de
lutte
contre
le
blanchiment
ne
devrait
pas
être
sensiblement
modifié
par
la
nouvelle
législation.
Elle
demeure
chargée
de
veiller
au
respect
des
dispositions
de
la
loi
du
12
juillet
1990
par
les
établissements
de
crédit
et
les
changeurs
manuels.
Deux
séries
de
questions
peuvent
néanmoins
se
poser.
La
compétence
de
la
Commission
bancaire
à
l’égard
des
entreprises
d’investissement
devra
être
précisée
par
la
loi.
La
première
concerne
la
compétence
de
la
Commission
qui
devrait
être
prochainement
étendue
à
l’égard
des
entreprises
d’investissement,
telles
que
définies
par
la
loi
de
modernisation
des
activités
financières.
En
effet,
si
la
surveillance
des
normes
de
gestion
et
du
contrôle
interne
des
entreprises
d’investissement
(à
l’exclusion
des
sociétés
de
gestion
de
portefeuille)
relève
de
la
compétence
de
la
Commission
bancaire,
en
revanche,
c’est
le
Conseil
des
marchés
financiers
qui
veille
au
respect
des
règles
de
bonne
conduite.
Une
modification
législative
s’avère
donc
nécessaire
pour
clarifier
la
situation.
En
application
de
l’article
40
du
code
de
procédure
pénale,
la
Commission
bancaire
doit
dénoncer
au
parquet
les
crimes
et
délits
dont
elle
a
connaissance.
460
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
La
seconde
interrogation
sur
les
conséquences
de
la
loi
du
13
mai
1996
tient
à
l’élargissement
de
la
définition
du
délit
de
blanchiment
et
à
l’extension
parallèle
des
cas
dans
lesquels
la
Commission
doit
dénoncer
au
parquet
les
opérations
de
blanchiment
découvertes
à
l’occasion
des
contrôles
effectués
auprès
des
organismes
financiers.
En
tout
état
de
cause,
on
rappellera
que
la
Commission
bancaire,
en
sa
qualité
d’autorité
constituée,
est
tenue
de
dénoncer
au
parquet
les
crimes
et
délits
dont
elle
a
connaissance
à
l’occasion
de
l’exercice
de
ses
fonctions
(article
40
du
code
de
procédure
pénale).
Dans
ces
conditions,
on
peut
considérer
que
la
nouvelle
loi
ne
devrait
pas
fondamentalement
modifier
l’attitude
de
la
Commission
bancaire
lorsqu’elle
se
trouve
confrontée
à
la
découverte
d’une
infraction.
3.
LE
RENFORCEMENT
DE
LA
SURVEILLANCE
DE
L’ACTIVITÉ
DES
CHANGEURS
MANUELS
Les
conditions
d’exercice
de
la
profession
de
changeur
manuel
sont
plus
strictes.
Les
bureaux
de
change,
amenés
à
manipuler
des
sommes
d’argent
parfois
importantes,
constituent,
de
l’avis
des
spécialistes,
un
maillon
très
sensible
de
la
chaîne
du
blanchiment.
Déjà
soumis
au
respect
de
l’ensemble
des
mesures
de
lutte
contre
le
blanchiment,
les
changeurs
manuels
exercent
désormais
leur
activité
dans
des
conditions
plus
strictes,
définies
par
l’article
25
de
la
loi
du
12
juillet
1990
modifié
par
la
loi
du
13
mai
1996
et
par
le
règlement
n°
91-‐11
du
Comité
de
la
réglementation
bancaire
du
1er
juillet
1991
modifié
par
les
règlements
n°
96-‐11
du
26
juillet
1996
du
Comité
de
la
réglementation
bancaire
et
n°
96-‐12
du
Comité
de
la
règlementation
bancaire
et
financière.
3.1.
Une
réglementation
plus
stricte
de
l’activité
des
changeurs
manuels
3.1.1.
La
notion
d’activité
de
change
manuel
L’article
25
de
la
loi
du
12
juillet
1990
définit
les
opérations
de
change
manuel.
L’article
25
de
la
loi
du
12
juillet
1990
modifié
introduit
une
définition
des
opérations
de
change
manuel,
pour
bien
les
différencier
des
opérations
de
banque.
La
définition
est
ainsi
libellée
:
«
Constitue
une
opération
de
change
manuel,
au
sens
de
la
présente
loi,
l’échange
immédiat
de
billets
ou
monnaies
libellés
en
devises
différentes.
En
outre,
les
changeurs
manuels
peuvent
accepter
en
échange
des
espèces
qu’ils
délivrent
aux
clients
un
règlement
par
un
autre
moyen
de
paiement,
sous
réserve
que
celui-‐ci
soit
libellé
dans
une
devise
différente
».
Par
ailleurs,
la
nouvelle
loi
prévoit
que
«
nonobstant
les
dispositions
de
l’article
10
de
la
loi
n°
84-‐46
du
24
janvier
1984,
ils
(les
changeurs
manuels)
peuvent
également
remettre
des
francs
en
espèces
en
contrepartie
de
chèques
de
voyage
libellés
en
francs
».
Une
telle
opération
réalisée
dans
la
même
devise
ne
s’analyse
pas
comme
une
opération
de
change,
mais
comme
la
gestion
de
moyens
de
paiement,
au
sens
de
l’article
4
de
la
loi
bancaire.
Toutefois,
il
a
été
décidé
de
légaliser
cette
pratique
des
changeurs
manuels,
dans
la
mesure
où
elle
répond
à
un
besoin
réel
des
touristes
et
constitue
une
atteinte
très
limitée
au
monopole
bancaire.
3.1.2.
Les
conditions
d’exercice
de
la
profession
de
changeur
manuel
Pour
exercer
l’activité
de
change
manuel,
il
est
nécessaire
:
–
d’adresser
une
déclaration
d’activité
à
la
Banque
de
France,
Les
personnes
qui
font
profession
habituelle
d’effectuer
des
opérations
de
change
manuel
(autre
que
les
établissements
de
crédit
et
les
personnes
et
institutions
visées
à
l’article
8
de
la
loi
bancaire)
adressent,
avant
de
commencer
leur
activité,
une
déclaration
d’activité
à
la
Banque
de
France.
Il
convient
de
préciser
que
la
notion
d’habitude
est
de
façon
générale
entendue
de
manière
large
par
les
tribunaux.
Ainsi,
les
bureaux
de
change
ayant
une
activité
saisonnière,
ceux
qui
n’enregistrent
qu’un
petit
nombre
d’opérations
ou
pour
lesquels
l’activité
de
change
manuel
ne
présente
qu’un
caractère
accessoire
à
leur
activité
principale,
sont
soumis
à
l’ensemble
de
la
législation.
–
d’être
inscrit
au
Registre
du
commerce
et
des
sociétés,
Les
changeurs
manuels
doivent
être
inscrits
au
Registre
du
commerce
et
des
sociétés.
À
cet
égard,
l’article
25
modifié
de
la
loi
du
12
juillet
1990
précise
qu’ils
y
sont
inscrits
«
quelque
soit
leur
forme
juridique
»,
ce
qui
devrait
permettre
de
résoudre
le
problème
des
associations
(notamment
les
offices
de
tourisme)
qui
effectuent
des
opérations
de
change
manuel.
–
de
ne
pas
avoir
fait
l’objet
d’une
condamnation
ou
mesure
visée
à
l’article
13
de
la
loi
bancaire,
La
déclaration
d’activité
est
accompagnée
d’une
déclaration
précisant
qu’aucune
condamnation
ou
mesure
visée
à
l’article
13
de
la
loi
bancaire
ou
interdiction
d’exercer
la
profession
de
changeur
manuel
prononcée
par
la
Commission
bancaire
n’a
été
prononcée
à
l’encontre
du
signataire
de
la
déclaration
d’activité.
En
effet,
l’article
25
précise
que
l’exercice
de
la
profession
de
changeur
manuel
est
interdit
à
toute
personne
qui
n’a
pas
souscrit
cette
déclaration.
–
de
justifier
d’un
capital
libéré
ou
d’une
caution
d’un
établissement
de
crédit
ou
d’une
entreprise
d’assurance
d’au
moins
250
000
francs.
Par
ailleurs,
en
application
de
l’article
25
modifié
de
la
loi
du
12
juillet
1990,
les
changeurs
manuels
«
sont
tenus
à
tout
moment
de
justifier
soit
d’un
capital
libéré,
soit
d’une
caution
d’un
établissement
de
crédit
ou
d’une
entreprise
d’assurance
d’un
montant
au
moins
égal
à
une
somme
fixée
par
un
règlement
du
Comité
de
la
réglementation
bancaire
».
Ce
montant
a
été
fixé
à
250
000
francs
par
le
règlement
n°
96-‐11
du
Comité
de
la
réglementation
bancaire
qui
a
modifié
le
règlement
n°
91-‐11.
Un
délai
de
régularisation
a
été
accordé
aux
changeurs
manuels
déjà
en
activité
jusqu’au
31
mars
1997
par
le
règlement
n°
96-‐12
du
Comité
de
la
réglementation
bancaire
et
financière.
Le
seuil
de
250
000
francs
correspond
au
montant
maximum
de
la
sanction
pécuniaire
qui
peut
être
infligée
par
la
Commission
bancaire.
La
même
règle
de
correspondance
entre
capital
minimum
et
sanction
pécuniaire
a
été
prévue
par
la
loi
bancaire
pour
les
établissements
de
crédit.
La
profession
des
changeurs
manuels
est
à
la
fois
très
éclatée
et
très
concentrée.
Il
apparaît
461
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
en
effet
que
la
profession
des
changeurs
manuels
est
très
variée,
puisque
certains
bureaux
de
change
font
partie
de
réseaux
internationaux
ou
sont
liés
à
des
banques
et
disposent
d’un
grand
nombre
d’agences,
alors
que
d’autres
sont
de
petits
établissements
indépendants,
constitués
en
sociétés
(souvent
SARL)
ou
en
affaires
personnelles.
L’activité
de
change
est
également
exercée
à
titre
accessoire
par
des
offices
de
tourisme
ou
des
hôtels.
Bien
que
très
éclatée,
la
profession
de
changeur
manuel
est
très
concentrée
en
termes
de
chiffres
d’affaires
:
les
150
à
200
plus
gros
bureaux
de
change
réalisent
95
%
du
total
des
opérations
et
les
15
à
20
plus
importants
effectuent
plus
de
la
moitié
des
opérations.
Le
statut
des
changeurs
manuels
en
France
se
situe
à
mi-‐chemin,
au
sein
de
l’Union
européenne,
entre
des
pays
comme
le
Royaume-‐Uni
ou
le
Danemark
qui
ne
connaissent
aucun
système
d’enregistrement
de
la
profession
et
des
pays
comme
la
Belgique
qui
ont
mis
en
place
un
régime
déclaratif
sous
conditions
(relatives
aux
dirigeants
et
à
l’actionnariat)
ou
l’Italie
et
le
Luxembourg
qui
exigent
une
autorisation
ou
un
agrément.
On
relèvera
toutefois
qu’en
France
l’activité
de
change
manuel
est
strictement
définie
et
qu’elle
exclut
formellement
toutes
les
opérations
de
banque
(notamment
les
transferts
de
fonds).
3.2.
Le
renforcement
des
contrôles
sur
les
changeurs
manuels
La
Commission
bancaire
exerce
le
contrôle
des
changeurs
manuels...
L’article
25
de
la
loi
du
12
juillet
1990,
dans
sa
rédaction
initiale,
prévoyait
que
le
contrôle
des
changeurs
manuels
soit
exercé
par
la
Commission
bancaire
«
en
liaison
avec
la
direction
générale
des
Douanes
et
des
Droits
indirects
».
Cette
formule,
peu
claire,
n’avait
pas
permis
une
réelle
collaboration
des
deux
institutions.
L’article
25
modifié
prévoit
que
la
Commission
bancaire
exerce
le
pouvoir
disciplinaire
sur
les
changeurs
manuels
et
que
le
secrétariat
général
exerce
le
contrôle
notamment
sur
place
des
changeurs
manuels
dans
les
conditions
prévues
aux
articles
39
à
41
de
la
loi
bancaire.
Il
dispose
toutefois
que
les
contrôles
pourront
être
exercés
par
les
agents
des
Douanes
ayant
au
moins
le
grade
de
contrôleurs
pour
le
compte
de
la
Commission
bancaire,
dans
des
conditions
précisées
par
un
article
25-‐1.
La
levée
du
secret
professionnel
entre
ces
deux
administrations
est
explicitement
prévue
à
ce
titre.
...
avec
le
concours
des
agents
des
Douanes.
Les
agents
des
Douanes
apporteront
ainsi
leur
concours
à
la
Commission
bancaire.
L’affectation
de
moyens
supplémentaires
au
contrôle
d’une
profession
devenue
importante
renforcera
assurément
l’efficacité
des
contrôles.
Les
manquements
constatés
aux
dispositions
de
la
loi
du
12
juillet
1990
sont
susceptibles
d’entraîner
l’application
de
sanctions
disciplinaires
(avertissement,
blâme,
interdiction
d’exercice
de
la
profession)
et
également,
en
sus
ou
à
la
place,
une
sanction
pécuniaire
au
plus
égale
à
250
000
francs.
Dans
deux
cas
les
sanctions
pénales
prévues
à
l’article
77
de
la
loi
bancaire
sont
encourues
:
Les
infractions
à
la
loi
du
12
juillet
1990
sont
passives
des
sanctions
disciplinaires
et,
dans
deux
cas,
pénales.
–
l’exercice
de
la
profession
de
changeur
manuel
sans
avoir
souscrit
au
préalable
une
déclaration
d’activité
à
la
Banque
de
France,
–
l’exercice
de
cette
profession
par
une
personne
ayant
fait
l’objet
de
l’une
des
condamnations
visées
à
l’article
13
de
la
loi
bancaire.
En
outre,
tout
changeur
manuel
qui,
après
mise
en
demeure,
ne
répond
pas
aux
demandes
d’informations
de
la
Commission
bancaire
met
obstacle
à
son
contrôle
ou
lui
communique,
sciemment,
des
renseignements
inexacts
est
passible
des
sanctions
prévues
à
l’article
79
de
la
loi
bancaire.
L’efficacité
des
dispositifs
de
lutte
contre
le
blanchiment
doit
être
appréciée
à
la
lumière
de
l’objectif
ambitieux
sur
lequel
ils
reposent.
On
s’interroge
souvent
sur
l’efficacité
des
dispositifs
de
lutte
contre
le
blanchiment
des
capitaux.
Cette
efficacité
doit
être
appréciée
à
la
lumière
de
l’objectif
ambitieux
sur
lequel
ils
reposent
:
partir
des
flux
financiers
pour
remonter
à
la
source
de
l’infraction.
La
constatation
d’un
double
déplacement
des
circuits
de
blanchiment,
d’une
part,
au
niveau
international,
des
pays
soumis
à
une
réglementation
stricte
vers
les
pays
à
réglementation
plus
faible
(par
exemple,
les
ex-‐pays
de
l’Est)
et,
d’autre
part,
au
niveau
interne,
des
institutions
bancaires
très
contrôlées
vers
les
institutions
non
bancaires
ou
non
financières
soumises
à
des
contrôles
plus
légers,
atteste
d’une
certaine
efficacité
de
ces
dispositifs.
Il
est
nécessaire
de
s’adapter
sans
cesse
aux
nouvelles
évolutions.
La
fuite
des
blanchisseurs
des
pays
ou
secteurs
les
plus
contrôlés
vers
les
pays
ou
secteurs
les
plus
libres
exige
de
couvrir
l’ensemble
des
institutions,
en
évitant
toute
faille
immédiatement
exploitée
par
les
blanchisseurs,
et
de
renforcer
la
coopération
internationale.
Il
convient
de
s’adapter
aux
nouvelles
évolutions,
de
les
anticiper
(par
exemple,
le
développement
des
formes
de
monnaie
électronique),
sans
oublier
toutefois
que
les
circuits
traditionnels
(espèces)
sont
encore
très
largement
utilisés.
La
Commission
bancaire
exerce
très
activement
son
rôle
en
matière
de
lutte
contre
le
blanchiment
et
est
particulièrement
vigilante
aux
manquements
constatés.
La
Commission
bancaire
exerce
très
activement
le
rôle
qui
lui
a
été
dévolu
par
la
loi
du
12
juillet
1990
et
est
présente
à
ce
titre
au
sein
des
organismes
internationaux
en
charge
de
la
lutte
contre
le
blanchiment
des
capitaux.
Si
sa
mission
principale
est
de
veiller
à
la
qualité
de
la
situation
financière
des
établissements
assujettis
à
son
contrôle,
la
défense
d’un
système
financier
sain
n’est
pas
étrangère
à
cette
mission.
Après
quelques
années
de
mise
en
place
du
dispositif,
la
réglementation
devrait
être
bien
connue
des
établissements
de
crédit
et
des
changeurs
manuels
;
la
Commission
est
donc
particulièrement
vigilante
aux
manquements
qu’elle
est
amenée
à
constater.
462
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
2.
Bâle
1
sur
la
prévention
de
l’utilisation
du
système
bancaire
pour
le
blanchiment
de
fonds
d’origine
criminelle
(décembre
1988).
Disponible
sur
http://www.bis.org/publ/bcbsc137fr.pdf)
Préambule.
1.
Les
banques
et
autres
institutions
financières
peuvent
inconsciemment
servir
d’intermédiaires
pour
le
transfert
ou
le
dépôt
de
fonds
d’origine
criminelle.
Les
criminels
et
leurs
complices
se
servent
du
système
financier
pour
effectuer
des
paiements
et
des
transferts
de
compte
à
compte,
pour
occulter
l’origine
des
fonds
et
l’identité
de
leur
véritable
propriétaire
et
pour
dissimuler
des
billets
de
banque
dans
des
coffres.
On
désigne
généralement
ces
activités
sous
le
terme
de
blanchiment
de
fonds.
2.
Ce
sont
pour
l’essentiel
les
autorités
judiciaires
et
administratives
à
l’échelon
national
qui
se
sont
efforcées,
jusqu’à
présent,
d’empêcher
une
telle
utilisation
du
système
bancaire.
Cependant,
la
dimension
internationale
accrue
de
la
criminalité
organisée,
notamment
dans
le
domaine
du
trafic
des
stupéfiants,
a
suscité
plusieurs
initiatives
en
faveur
d’une
coopération
internationale.
Le
Comité
des
ministres
du
Conseil
de
l’Europe
a
pris
l’une
des
premières
en
juin
1980,
avec
un
rapport
(Mesures
contre
le
transfert
et
la
mise
à
l’abri
des
capitaux
d’origine
criminelle.
Recommandation
N°
R(80)10
adoptée,
le
27
juin
1980,
par
le
Comité
des
ministres
du
Conseil
de
l’Europe.)
dont
la
conclusion
est
la
suivante:
«...
le
système
bancaire
peut
jouer
un
rôle
préventif
très
efficace,
sa
collaboration
contribuant
en
outre
à
la
répression
de
tels
actes
criminels
par
les
autorités
de
justice
et
de
police
compétentes».
Ces
dernières
années,
dans
un
certain
nombre
de
pays,
une
attention
croissante
a
été
portée
par
le
législateur,
les
autorités
chargées
de
l’application
des
lois
et
les
responsables
du
contrôle
des
opérations
bancaires
à
la
question
de
savoir
comment
empêcher
l’utilisation
du
système
financier
à
des
fins
criminelles.
3.
Les
différentes
autorités
nationales
de
contrôle
bancaire
représentées
au
Comité
des
règles
et
pratiques
de
contrôle
des
opérations
bancaires
(Comité
de
Bâle)
n’ont
pas
le
même
rôle
ni
les
mêmes
responsabilités
dans
la
lutte
contre
le
blanchiment.
Dans
certains
pays,
elles
ont
une
compétence
spécifique
en
la
matière;
dans
d’autres,
elles
peuvent
n’avoir
aucune
responsabilité
directe
dans
ce
domaine.
Cette
différence
reflète
la
conception
du
contrôle,
dont
la
fonction
essentielle
est
de
préserver
la
stabilité
globale
du
système
financier
et
la
solidité
des
banques
plutôt
que
de
s’assurer
de
la
légitimité
des
opérations
individuelles
effectuées
par
la
clientèle.
Néanmoins,
en
dépit
des
limites
dans
certains
pays
de
leurs
responsabilités
spécifiques,
tous
les
membres
du
Comité
sont
fermement
convaincus
que
les
autorités
de
contrôle
ne
peuvent
pas
rester
indifférentes
à
l’utilisation
des
banques
par
des
criminels.
4.
La
confiance
du
public
dans
les
banques
et,
par
conséquent,
la
stabilité
de
celles-‐ci
peuvent
être
ébranlées
par
une
publicité
défavorable
résultant
d’une
association
involontaire
des
banques
avec
des
criminels.
De
plus,
les
banques
peuvent
s’exposer
elles-‐mêmes
à
des
pertes
directes
dues
à
la
fraude
soit
parce
qu’elles
ont
fait
preuve
de
négligence
en
acceptant
des
clients
indésirables,
soit
parce
que
certains
de
leurs
propres
agents
se
seraient
compromis
avec
des
criminels.
Pour
ces
raisons,
les
membres
du
Comité
de
Bâle
sont
d’avis
que
les
autorités
de
contrôle
bancaire
ont
un
rôle
général
à
jouer
pour
encourager
le
respect
de
règles
de
déontologie
par
les
banques
et
autres
institutions
financières.
5.
De
l’avis
du
Comité,
un
moyen
de
parvenir
à
cet
objectif,
tout
en
respectant
les
différences
qui
existent
entre
pratiques
nationales
de
contrôle,
consiste
à
obtenir
un
accord
international
sur
une
Déclaration
de
principes,
à
laquelle
les
institutions
financières
seraient
appelées
à
adhérer.
6.
La
Déclaration
ci-‐jointe
est
une
déclaration
générale
de
principes
de
déontologie
qui
incite
les
dirigeants
de
banques
à
mettre
en
place
des
procédures
efficaces:
−
pour
s’assurer
que
l’identité
de
toute
personne
en
relation
d’affaires
avec
leur
institution
est
convenablement
établie;
−
pour
décourager
la
pratique
d’opérations
qui
n’apparaissent
pas
conformes
à
la
loi;
−
pour
réaliser
la
coopération
avec
les
autorités
chargées
de
veiller
au
respect
des
lois.
La
Déclaration
n’a
pas
de
portée
légale
et
sa
mise
en
œuvre
dépendra
des
lois
et
usages
nationaux.
Il
convient
de
remarquer,
en
particulier,
que
les
banques
de
certains
pays
peuvent
être
soumises
à
des
dispositions
additionnelles
plus
strictes
dans
ce
domaine;
dans
ce
cas,
la
Déclaration
n’est
pas
destinée
à
se
substituer
à
ces
règles
ou
à
réduire
la
portée
de
celles-‐ci.
Quelle
que
soit
la
situation
légale
dans
les
différents
pays,
le
Comité
estime
que
la
première
et
la
plus
importante
protection
contre
le
blanchiment
de
l’argent
réside
dans
l’intégrité
des
responsables
des
banques
eux-‐mêmes
ainsi
que
dans
leur
ferme
détermination
d’empêcher
que
leur
institution
ne
s’associe
à
des
criminels
ou
ne
soit
utilisée
comme
circuit
pour
le
blanchiment
de
fonds.
La
Déclaration
est
destinée
à
renforcer
ces
règles
de
conduite.
463
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
7.
Les
autorités
de
contrôle
des
opérations
bancaires
représentées
au
Comité
soutiennent
les
principes
exposés
dans
la
Déclaration.
Dans
la
mesure
où
ces
questions
sont
du
ressort
des
autorités
de
contrôle
des
opérations
bancaires
dans
différents
pays
membres,
les
autorités
représentées
au
Comité
inviteront
et
encourageront
toutes
les
banques
à
adopter
des
règles
et
des
pratiques
compatibles
avec
la
Déclaration.
Désireux
de
faire
approuver
la
Déclaration
à
l’échelle
mondiale,
le
Comité
recommande
ce
document
à
l’attention
des
autorités
de
contrôle
des
autres
pays.
Déclaration
de
principes
I.
Objet
Les
banques
et
autres
institutions
financières
peuvent
servir
inconsciemment
d’intermédiaires
pour
le
transfert
ou
le
dépôt
de
fonds
d’origine
criminelle.
De
telles
opérations
sont
souvent
destinées
à
dissimuler
le
véritable
propriétaire
des
fonds.
Pareille
utilisation
du
système
financier
concerne
au
premier
chef
la
police
et
les
autorités
chargées
de
l’application
des
lois;
elle
est
aussi
un
sujet
de
préoccupation
pour
les
autorités
de
contrôle
bancaire
et
les
responsables
des
banques
elles-‐mêmes,
étant
donné
que
la
confiance
du
public
dans
les
banques
risque
d’être
ébranlée
par
l’association
de
celles-‐ci
avec
des
criminels.
La
présente
Déclaration
de
principes
vise
à
définir
un
certain
nombre
de
règles
et
procédures
de
base;
les
responsables
des
banques
devraient
faire
en
sorte
qu’elles
soient
mises
en
œuvre
dans
leurs
institutions
afin
de
concourir
à
l’élimination
des
opérations
de
blanchiment
de
fonds
par
l’intermédiaire
du
système
bancaire
national
et
international.
La
Déclaration
cherche
donc
à
renforcer
les
meilleures
pratiques
bancaires
existantes
à
cet
égard
et,
plus
précisément,
à
encourager
la
vigilance
contre
l’utilisation
du
système
de
paiement
à
des
fins
criminelles.
Elle
vise
également
à
promouvoir
la
mise
en
œuvre
de
mesures
préventives
efficaces
et
à
favoriser
la
coopération
avec
les
autorités
chargées
de
veiller
à
l’application
des
lois.
II.
Identification
des
clients
Pour
garantir
que
le
système
financier
ne
soit
pas
utilisé
pour
acheminer
des
fonds
d’origine
criminelle,
les
banques
doivent
s’efforcer,
avec
la
diligence
requise,
de
vérifier
l’identité
de
tous
les
clients
faisant
appel
à
leurs
services.
Un
soin
particulier
doit
être
mis
à
identifier
le
titulaire
de
chaque
compte
et
les
locataires
de
coffres.
Toutes
les
banques
doivent
instaurer
des
procédures
efficaces
pour
obtenir
de
leurs
nouveaux
clients
la
présentation
de
documents
d’identité.
Elles
doivent
se
donner
formellement
pour
règle
qu’aucune
opération
significative
ne
soit
effectuée
avec
des
clients
qui
ne
justifient
pas
de
leur
identité.
III.
Respect
des
lois
Les
responsables
des
banques
ont
le
devoir
de
s’assurer
que
l’activité
est
réalisée
en
conformité
avec
des
règles
déontologiques
rigoureuses
et
dans
le
respect
des
lois
et
réglementations
touchant
aux
transactions
financières.
En
ce
qui
concerne
les
opérations
effectuées
pour
le
compte
de
la
clientèle,
il
est
admis
que
les
banques
peuvent
ne
pas
être
en
mesure
de
savoir
si
l’opération
résulte
ou
contribue
à
une
activité
criminelle.
De
même,
dans
un
contexte
international,
il
peut
être
difficile
de
s’assurer
que
les
opérations
transfrontalières
effectuées
pour
le
compte
de
la
clientèle
sont
conformes
aux
réglementations
d’un
autre
pays.
Cependant,
les
banques
ne
doivent
pas
prêter
leur
concours
ou
fournir
une
aide
active
pour
des
opérations
dont
elles
ont
de
bonnes
raisons
de
supposer
qu’elles
sont
liées
à
des
activités
de
blanchiment
de
fonds.
IV.
Coopération
avec
les
autorités
chargées
de
l’application
des
lois
Les
banques
doivent
coopérer
pleinement
avec
les
autorités
nationales
chargées
de
l’application
des
lois,
dans
toute
la
mesure
où
les
réglementations
nationales
spécifiques
concernant
l’obligation
du
secret
professionnel
vis-‐à-‐vis
de
la
clientèle
le
permettent.
Elles
doivent
veiller
à
ne
pas
fournir
soutien
ou
assistance
à
des
clients
qui
cherchent
à
tromper
lesdites
autorités
en
communiquant
des
informations
falsifiées,
incomplètes
ou
trompeuses.
Lorsque
les
banques
prennent
connaissance
de
faits
qui
conduisent
à
une
présomption
raisonnable
que
l’argent
en
dépôt
provient
d’activités
criminelles
ou
que
les
opérations
conclues
ont
elles-‐mêmes
un
but
criminel,
des
mesures
appropriées,
conformes
au
droit,
devront
être
prises,
consistant
par
exemple
à
refuser
toute
assistance,
à
mettre
fin
aux
relations
avec
le
client
et
clôturer
ou
geler
les
comptes.
V.
Adhésion
à
la
Déclaration
Toutes
les
banques
doivent
adopter
expressément
des
règles
conformes
aux
principes
énoncés
dans
la
présente
Déclaration
et
s’assurer
que
tous
les
membres
concernés
de
leur
personnel,
quel
que
soit
l’endroit
où
ils
exercent
leurs
fonctions,
sont
bien
informés
des
règles
adoptées
par
la
banque
à
cet
égard.
Il
conviendrait,
en
outre,
de
donner
au
personnel
une
formation
dans
les
domaines
relevant
de
la
Déclaration.
Pour
assurer
l’adhésion
à
ces
principes,
les
banques
doivent
mettre
en
place
des
procédures
spécifiques
464
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
permettant
l’identification
de
la
clientèle
et
la
conservation
de
l’enregistrement
interne
des
opérations.
Le
dispositif
d’audit
interne
sera
au
besoin
élargi,
afin
que
soit
mis
en
place
un
système
efficace
de
contrôle
de
l’application
générale
de
la
Déclaration.
3.
Extrait
de
la
3°
Directive
Européenne
sur
la
LAB-‐FT
4.
Extraits
du
Code
Monétaire
et
Financier
Définition
du
bénéficiaire
effectif
:
Code
Monétaire
et
Financier
–
Livre
V
:
Les
prestataires
de
service;
Titre
VI:
obligations
relatives
à
la
lutte
contre
le
blanchiment
des
capitaux,
le
financement
des
activités
terroristes
et
le
loteries,
jeux
et
paris
prohibés
;
chapitre
premier
:
obligations
relatives
à
la
lutte
contre
le
blanchiment
des
capitaux
et
le
financement
du
terrorisme
;
Section
2
:
personnes
465
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
466
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
BIBLIOGRAPHIE
467
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
20(4),
696-‐717.
Anteby,
Michel.
(2008).
Moral
Grey
Zones:
side
productions,
identity
and
regulation
in
an
aeronautic
plant.
Princeton:
Princeton
University
Press.
Anteby,
Michel.
(2013).
Manufacturing
Morals:
The
Values
of
Silence
in
Business
School
Education:
University
of
Chicago
Press.
Apted,
Michael
(Writer).
(1988).
Gorillas
in
the
Mist.
In
A.
Glimcher
&
T.
A.
Clegg
(Producer):
Warner
Bros.
International.
Aquin,
Thomas
d'.
(1861).
Somme
théologique
(F.
Lachat,
Trans.).
Paris
Louis
Vives.
Arendt,
Hannah.
(1963
).
Eichmann
in
Jerusalem:
a
report
on
the
banality
of
evil.
New
York:
Viking.
Arendt,
Hannah.
(1981).
Vie
de
l'Esprit.
Paris
Presses
Universitaires
de
France.
Arendt,
Hannah.
(2009).
Condition
de
l'homme
moderne
(G.
Fradier,
Trans.).
Paris
Pocket.
Argyris,
Chris.
(1977).
Organizational
learning
and
management
information
systems.
Accounting,
Organizations
and
Society,
2(2),
113-‐123.
Argyris,
Chris.
(1986).
Reinforcing
organizational
defensive
routines:
An
unintended
human
resources
activity.
Human
Resource
Management,
25(4),
541-‐555.
Argyris,
Chris.
(2009).
Integrating
the
Individual
and
the
Organization
(7
ed.).
New
Jersey:
Transaction
Publishers.
Aristote.
(1991).
Métaphysique:
Livres
A-‐Z
(J.
Tricot
Ed.).
Paris:
Vrin.
Aristote.
(2012).
Ethique
à
Nicomaque.
Paris:
Flammarion.
Arjoon,
Surendra.
(2000).
Virtue
theory
as
a
dynamic
theory
of
business.
Journal
of
Business
Ethics,
28(2),
159-‐178.
Assouly,
Judith.
(2011).
La
Mise
en
place
de
la
déontologie
dans
les
activités
financières:
de
la
question
morale
à
celle
de
la
responsabilité
du
système
financier.
(PhD),
EHESS,
Paris.
Atkinson,
Paul,
&
Hammersley,
Martyn.
(1994).
Ethnography
and
participant
observation.
In
N.
K.
Denzin
&
Y.
S.
Lincoln
(Eds.),
Handbook
of
Qualitative
Research
(Vol.
1,
pp.
248-‐261).
London:
Sage.
Attali,
Jacques.
(2002).
Les
Juifs,
le
monde
et
l'argent:
Histoire
économique
du
peuple
juif.
Paris:
Fayard.
Aubert,
Maurice.
(1995).
Le
secret
bancaire
suisse:
droit
privé,
pénal,
administratif,
fiscal,
procédure,
entraide
et
conventions
internationales.
Berne:
Stämpfli.
Aubert,
Nicole.
(2003).
Le
culte
de
l’urgence.
La
société
malade
du
temps.
Paris:
Flammarion.
Aubert,
Nicole.
(2011).
La
névrose
professionnelle.
In
J.-‐F.
Chanlat
(Ed.),
L'individu
dans
l'organisation:
les
dimensions
oubliées
(10
ed.,
pp.
723-‐748).
Québec:
Presses
de
l'Université
Laval;
Eska.
Aubert,
Nicole,
&
Gaulejac,
Vincent
de.
(2007).
Le
coût
de
l'excellence.
Paris:
Ed.
du
Seuil.
Augustin,
St.
.
(1949).
Confessions
(Vol.
1).
Paris
Declée
de
Brouwer.
Austin,
J.L.
(1975).
How
to
Do
Things
with
Words.
Cambridge,
MA:
Harvard
University
Press.
Babb,
Sarah
L.
(2001).
Managing
Mexico:
Economists
from
nationalism
to
neoliberalism:
Princeton
University
Press
Princeton,
NJ.
Babeau,
Olivier.
(2011).
La
transgression
ordinaire:
Pratiques
et
fonctions
de
l'écart
habituel
à
la
règle
dans
les
organisations.
Paris:
Editions
Eska.
Babeau,
Olivier,
&
Chanlat,
Jean-‐François.
(2008).
La
transgression,
une
dimension
oubliée
de
l'organisation.
Revue
Française
de
Gestion(3),
201-‐219.
Badiou,
Alain.
(1992).
Conditions.
Paris:
Seuil.
Badiou,
Alain.
(1993).
L'Ethique:
essai
sur
la
conscience
du
mal.
Paris:
Nous
Baïada-‐Hirèche,
Loréa,
Pasquero,
Jean,
&
Chanlat,
Jean-‐François.
(2011).
Managerial
468
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
responsibility
as
negotiated
order:
A
social
construction
perspective.
Journal
of
Business
Ethics,
101(1),
17-‐31.
Baker,
Wayne
E.
(1984).
The
social
structure
of
a
national
securities
market.
American
Journal
of
Sociology,
775-‐811.
Bakken,
T.
(2009).
Risk,
responsibility
and
conscience.
In
C.
Garsten
&
T.
Hernes
(Eds.),
Ethical
Dilemmas
in
Management
(pp.
11-‐27):
Taylor
&
Francis;
Routledge.
Balzac,
Honoré
de.
(1993).
Le
Faiseur.
Paris:
Imprimerie
Nationale
Editions.
Banerjee,
Subhabrata
Bobby,
Chio,
Vanessa
CM,
&
Mir,
Raza.
(2009).
Organizations,
markets
and
imperial
formations:
Towards
an
anthropology
of
globalization.
Cheltenham:
Edward
Elgar
Publishing.
Barley,
Stephen
R,
&
Tolbert,
Pamela
S.
(1997).
Institutionalization
and
structuration:
Studying
the
links
between
action
and
institution.
Organization
Studies,
18(1),
93-‐117.
Barnett,
Michael
L,
&
Salomon,
Robert
M.
(2006).
Beyond
dichotomy:
The
curvilinear
relationship
between
social
responsibility
and
financial
performance.
Strategic
Management
Journal,
27(11),
1101-‐1122.
Barney,
Jay.
(1991).
Firm
resources
and
sustained
competitive
advantage.
Journal
of
Management,
17(1),
99-‐120.
Baron,
H.
(1988).
In
Search
of
Florentine
Civic
Humanism:
Essays
on
the
Transition
from
Medieval
to
Modern
Thought:
Princeton
University
Press.
Bartunek,
J.
(1988).
The
Dynamics
of
personal
and
organizational
reframing
In
R.
E.
Quinn
&
K.
S.
Cameron
(Eds.),
Paradox
and
transformation
:
towards
a
theory
of
change
in
organization
and
management
(pp.
137-‐162).
Cambridge:
MA:
Ballinger.
Barus-‐Michel,
Jacqueline.
(1999).
L'argent
ou
la
magie
de
l'imaginaire.
In
J.
P.
Bouilloud
&
V.
Guienne
(Eds.),
Questions
d'Argent
(pp.
65-‐74).
Paris
Desclée
de
Brower.
Barus-‐Michel,
Jacqueline.
(2004).
Commerce
de
soi
et
prix
du
corps
In
J.
P.
Bouilloud
(Ed.),
Argent,
Valeurs
et
Sentiments.
Paris
L'Harmattan.
Bastianutti,
Julie.
(2012).
Quand
la
responsabilité
sociale
de
l’entreprise
remet
la
stratégie
en
question(s).
Quatre
variations
autour
des
enjeux
théoriques
et
empiriques
soulevés
par
la
RSE
prise
comme
objet
stratégique.
(PhD),
Ecole
Polytechnique
ParisTech,
Paris.
Bateson,
Gregory
(1978).
Steps
to
an
ecology
of
the
mind.
London:
Palladin.
Bateson,
Gregory,
Jackson,
Don
D,
Haley,
Jay,
&
Weakland,
John.
(1956).
Toward
a
theory
of
schizophrenia.
Behavioral
Science,
1(4),
251-‐264.
Battilana,
Julie,
&
D’aunno,
Thomas.
(2009).
Institutional
work
and
the
paradox
of
embedded
agency.
In
T.
B.
Lawrence,
R.
Suddaby
&
B.
Leca
(Eds.),
Institutional
work:
Actors
and
agency
in
institutional
studies
of
organizations
(pp.
31-‐58).
Cambridge:
Cambridge
University
Press.
Bauman,
Zygmunt.
(1993).
Postmodern
Ethics.
London:
Wiley
Blackwell.
Bauman,
Zygmunt.
(2009).
L'éthique
a-‐t-‐elle
une
chance
dans
un
monde
de
consommateurs
?
(C.
Rosson,
Trans.):
Flammarion.
Bayart,
J.F.
(2004).
Le
gouvernement
du
monde:
Une
critique
politique
de
la
globalisation.
Paris:
Fayard.
Bazin,
Yoann,
&
Lamy,
Erwan.
(2011).
Ouverture
de
perspectives
épistémologiques
et
naissance
d'une
Société
de
Philosophie
des
Sciences
de
Gestion
(SPSG).
Management
&
Avenir(3),
265-‐268.
Beaud,
S.
,
&
Weber,
F.
.
(2003).
Guide
de
l'enquête
de
terrain.
Paris:
La
Découverte.
Bebbington,
Jan,
Larrinaga,
Carlos,
&
Moneva,
Jose
M.
(2008).
Corporate
social
reporting
and
reputation
risk
management.
Accounting,
Auditing
&
Accountability
Journal,
21(3),
337-‐361.
469
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
Beck,
Ulrich.
(1992).
Risk
society:
Towards
a
new
modernity.
London
Sage.
Beck,
Ulrich.
(1999).
World
Risk
Society.
Cambridge
Polity.
Beck,
Ulrich.
(2000).
The
cosmopolitan
perspective:
sociology
of
the
second
age
of
modernity.
The
British
Journal
of
Sociology,
51(1),
79-‐105.
Beck,
Ulrich,
&
Holzer,
Boris.
(2007).
Organizations
in
world
risk
society.
In
C.
M.
Pearson,
C.
Roux-‐Dufort
&
J.
A.
Clair
(Eds.),
International
Handbook
of
Organizational
Crisis
Management
(pp.
3-‐24).
Thousand
Oaks:
CA:
Sage.
Becker,
Howard
S.
(2002).
Les
ficelles
du
métier:
comment
conduire
sa
recherche
en
sciences
sociales
(J.
Mailhos,
Trans.).
Paris:
La
découverte.
Becker,
Markus
C.
(2005).
A
framework
for
applying
organizational
routines
in
empirical
research:
linking
antecedents,
characteristics
and
performance
outcomes
of
recurrent
interaction
patterns.
Industrial
and
Corporate
Change,
14(5),
817-‐846.
Béliard,
Aude,
&
Eideliman,
Jean-‐Sébastien.
(2008).
Au-‐delà
de
la
déontologie:
anonymat
et
confidentialité
dans
le
travail
ethnographique.
In
D.
Fassin
&
A.
Bensa
(Eds.),
Les
politiques
de
l'enquête:
épreuves
ethnographiques
(pp.
123-‐141).
Paris
La
Découverte.
Belova,
Olga,
King,
Ian,
&
Sliwa,
Martyna.
(2008).
Introduction:
polyphony
and
organization
studies:
Mikhail
Bakhtin
and
beyond.
Organization
Studies,
29(4),
493-‐500.
Benner,
Mary
J,
&
Tushman,
Michael
L.
(2003).
Exploitation,
exploration,
and
process
management:
The
productivity
dilemma
revisited.
Academy
of
Management
Review,
28(2),
238-‐256.
Bensa,
A.
(1996).
De
la
micro-‐histoire
vers
une
anthropologie
critique.
In
J.
Revel
(Ed.),
Jeux
d'échelle:
de
la
microanalyse
à
l'expérience
Paris:
Gallimard
-‐Seuil.
Benson,
J
Kenneth.
(1977).
Organizations:
A
dialectical
view.
Administrative
Science
Quarterly,
1-‐21.
Bentham,
Jeremy.
(1834).
Deontology
or
the
science
of
morality:
in
which
the
harmony
and
co-‐
incidence
of
duty
and
self-‐interest,
virtue
and
felicity,
prudence
and
benevolence,
are
explained
and
exemplified
(J.
Bowring
Ed.).
London:
Longman,
Rees,
Orme,
Browne,
Green,
and
Longman.
Bentham,
Jeremy.
(1995).
The
Panopticon
Writings
(M.
Bozovic
Ed.).
London:
Verso.
Berger,
P.L.,
&
Luckmann,
T.
(1966).
The
Social
Construction
of
Reality:
A
Treatise
in
the
Sociology
of
Knowledge.
New
York:
Doubleday.
Bergson,
Henri.
(1932).
Les
deux
sources
de
la
morale
et
de
la
religion.
Paris
Felix
Alcan.
Bernoulli,
Daniel.
(1954).
Exposition
of
a
new
theory
on
the
measurement
of
risk.
Econometrica:
Journal
of
the
Econometric
Society,
23-‐36.
Berten,
André.
(2005).
Déontologisme.
In
M.
Canto-‐Sperber
(Ed.),
Dictionnaire
d'éthique
et
de
Philosophie
Morale
(Vol.
1,
pp.
477-‐483).
Paris
:
Presses
Universitaires
de
France.
Bettis,
Richard
A,
&
Prahalad,
Coimbatore
K.
(1995).
The
dominant
logic:
Retrospective
and
extension.
Strategic
Management
Journal,
16(1),
5-‐14.
Beunza,
Daniel,
Hardie,
Iain,
&
MacKenzie,
Donald.
(2006).
A
price
is
a
social
thing:
Towards
a
material
sociology
of
arbitrage.
Organization
Studies,
27(5),
721-‐745.
Beunza,
Daniel,
&
Stark,
David.
(2004).
Tools
of
the
trade:
the
socio-‐technology
of
arbitrage
in
a
Wall
Street
trading
room.
Industrial
and
Corporate
Change,
13(2),
369-‐400.
Bevan,
David.
(2013).
Other.
In
C.
Luetge
(Ed.),
Handbook
of
the
Philosophical
Foundations
of
Business
Ethics
(pp.
495-‐505):
Springer.
Bevan,
David,
&
Corvellec,
Hervé.
(2007).
The
impossibility
of
corporate
ethics:
for
a
Levinasian
approach
to
managerial
ethics.
Business
Ethics:
a
European
Review,
16(3),
208-‐219.
Bevan,
David,
Corvellec,
Hervé,
&
Faÿ,
Eric.
(2011).
Responsibility
beyond
CSR.
Journal
of
470
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
471
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
de
Brower.
Bouilloud,
Jean-‐Phiippe,
&
Lecuyer,
Bernard-‐Pierre
(Eds.).
(1994).
L'Invention
de
la
Gestion
:
histoire
et
pratiques.
Paris:
L'Harmattan.
Bourdieu,
P.
(1979).
Le
Sens
Pratique.
Paris
Minuit.
Bourdieu,
P.
(1982).
Ce
que
parler
veut
dire:
L'économie
des
échanges
linguistiques.
Paris:
Fayard.
Bourdieu,
P.
(1994).
Raisons
pratiques:
sur
la
théorie
de
l'action.
Paris
Seuil.
Bourdieu,
P.
(2001).
Langage
et
pouvoir
symbolique.
Paris
Éditions
Fayard.
Bourdieu,
P.,
Boltanski,
L.,
&
Chamboredon,
J.C.
(Eds.).
(1963).
La
banque
et
sa
clientèle.
Eléments
d'une
Sociologie
du
crédit.
Paris:
Centre
de
Sociologie
Européenne
de
l'Ecole
pratique
des
Hautes
Etudes.
Bourdieu,
P.,
Chamboredon,
J.C.,
&
Passeron,
J.C.
(2005).
Le
métier
de
sociologue
(5
ed.):
EHESS
&
Mouton
de
Gruyter.
Bowen,
Howard
Rothmann.
(1953).
Social
responsibilities
of
the
businessman.
New
York:
Harper
&
Brothers.
Boxenbaum,
Eva,
&
Jonsson,
Stefan.
(2008).
Isomorphism,
diffusion
and
decoupling.
In
R.
Greenwood,
C.
Oliver,
R.
Suddaby
&
K.
Sahlin-‐Andersson
(Eds.),
The
Sage
Handbook
of
Organizational
Institutionalism
(pp.
78-‐98).
London:
Sage.
Brasseur,
Martine,
Kefi,
Hajer,
&
Ngijol,
Joseph.
(2012).
Éthique
et
Management:
repenser
l'organisation.
RIMHE(1),
3-‐6.
Braudel,
Fernand.
(1966).
La
Méditerranée
et
le
monde
méditerranéen
à
l'époque
de
Philippe
II.
Paris
Armand
Colin.
Braudel,
Fernand.
(2008).
La
dynamique
du
capitalisme.
Paris:
Flammarion.
Brenkert,
George
G.
(2010).
The
limits
and
prospects
of
business
ethics.
Business
Ethics
Quarterly,
20(4),
703-‐709.
Bromley,
Patricia,
&
Powell,
Walter
W.
(2012).
From
smoke
and
mirrors
to
walking
the
talk:
Decoupling
in
the
contemporary
world.
The
Academy
of
Management
Annals,
6(1),
483-‐530.
Bron,
Jean-‐Stéphane
(Writer).
(2010).
Cleveland
contre
Wall
Street.
In
R.
Boner
&
P.
Martin
(Producer).
France-‐Suisse.
Brown,
Michael
E,
&
Treviño,
Linda
K.
(2006).
Ethical
leadership:
A
review
and
future
directions.
The
Leadership
Quarterly,
17(6),
595-‐616.
Brunsson,
Nils.
(1985).
The
Irrational
Organization:
Irrationality
As
a
Basis
for
Organizational
Action
and
Change.
Chichester:
John
Wiley
and
Sons.
Brunsson,
Nils.
(2002).
The
Organization
of
Hypocrisy:
Talk,
Decisions
and
Actions
in
Organizations:
Abstrakt
Forl.
Brunsson,
N.,
&
Jacobsson,
B.
(2000).
A
World
of
Standards.
Oxford
University
Press,
Incorporated.
Bulmer,
Martin.
(1982a).
When
is
disguise
justified?
Alternatives
to
covert
participant
observation.
Qualitative
Sociology,
5(4),
251-‐264.
Bulmer,
Martin.
(1982b).
Social
research
ethics:
an
examination
of
the
merits
of
covert
participant
observation.
Macmillan
Press.
Büthe,
T.,
&
Mattli,
W.
(2011).
The
New
Global
Rulers:
The
Privatization
of
Regulation
in
the
World
Economy.
Princeton:
Princeton
University
Press.
Butler,
Judith.
(1988).
Performative
acts
and
gender
constitution:
An
essay
in
phenomenology
and
feminist
theory.
Theatre
Journal,
40(4),
519-‐531.
Butler,
Judith.
(1993).
Bodies
that
matter:
on
the
discursive
limits
of"
sex".
New
York:
Routledge.
Callon,
Michel.
(1998).
Laws
of
the
Markets.
Oxford:
Blackwell.
472
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
Callon,
Michel,
Lascoumes,
Pierre,
&
Barthe,
Yannick.
(2001).
Agir
dans
un
monde
incertain.
Essai
sur
la
démocratie
technique.
Paris:
Seuil.
Callon,
Michel,
Méadel,
Cécile,
&
Rabeharisoa,
Vololona.
(2000).
L'économie
des
qualités.
Politix,
13(52),
211-‐239.
Callon,
Michel,
&
Muniesa,
Fabian.
(2005).
Peripheral
Vision
Economic
Markets
as
Calculative
Collective
Devices.
Organization
Studies,
26(8),
1229-‐1250.
Cameron,
Kim
S,
&
Quinn,
Robert
E
(Eds.).
(1988).
Organizational
paradox
and
transformation:
towards
a
theory
of
change
in
organization
and
management.
Cambridge:
Ballinger.
Canary,
Heather
E,
&
Jennings,
Marianne
M.
(2008).
Principles
and
influence
in
codes
of
ethics:
A
centering
resonance
analysis
comparing
pre-‐
and
post-‐Sarbanes-‐Oxley
codes
of
ethics.
Journal
of
Business
Ethics,
80(2),
263-‐278.
Canguilhem,
Georges.
(2013).
Le
normal
et
le
pathologique.
Paris
:
PUF.
Canto-‐Sperber,
Monique.
(1999).
Philosophie
morale
et
éthique
professionnelle
Secrets
Professionnels
(pp.
103-‐117).
Paris:
Autrement
"Essais".
Canto-‐Sperber,
Monique
dir.
(Ed.).
(2004).
Dictionnaire
d'éthique
et
de
philosophie
morale.
Paris
PUF.
Caplan,
P.
(2003).
The
Ethics
of
Anthropology:
Debates
and
Dilemmas.
London:
Routledge.
Capps,
David,
&
Linsley,
Sam.
(2001).
The
Financial
Services
Authority's
new
approach
to
regulation.
Journal
of
Financial
Regulation
and
Compliance,
9(3),
245-‐252.
Cardoso,
José
Luís.
(2002).
Confusion
de
confusiones:
ethics
and
options
on
seventeenth-‐
century
stock
exchange
markets.
Financial
History
Review,
9(2),
109-‐123.
Carré,
Emmanuel.
(1998).
Bilan
après
une
décennie
de
«vague
éthique».
Ethique
des
Affaires,
71-‐79.
Carroll,
Archie
B.
(1979).
A
three-‐dimensional
conceptual
model
of
corporate
performance.
Academy
of
Management
Review,
4(4),
497-‐505.
Carroll,
Archie
B.
(1999).
Corporate
social
responsibility
evolution
of
a
definitional
construct.
Business
&
Society,
38(3),
268-‐295.
Carruthers,
Bruce
G.
(2005).
The
sociology
of
money
and
credit.
In
N.
J.
Smelser
&
R.
Swedberg
(Eds.),
The
Handbook
of
Economic
Sociology
(2
ed.,
pp.
355-‐378).
Princeton:
Princeton
University
Press.
Carruthers,
Bruce
G.
(2012).
Historical
Sociology
of
modern
finance.
In
K.
Knorr
Cetina
&
A.
Preda
(Eds.),
The
Oxford
Handbook
of
the
Sociology
of
Finance
(pp.
491-‐509).
Oxford:
Oxford
University
Press.
Carruthers,
Bruce
G,
&
Kim,
Jeong-‐Chul.
(2011).
The
sociology
of
finance.
Annual
Review
of
Sociology,
37,
239-‐259.
Cassell,
Cathy,
Johnson,
Phil,
&
Smith,
Ken.
(1997).
Opening
the
black
box:
Corporate
codes
of
ethics
in
their
organizational
context.
Journal
of
Business
Ethics,
16(10),
1077-‐1093.
Cassell,
J.,
&
Jacobs,
S.E.
(Eds.).
(1987).
Handbook
on
Ethical
Issues
in
Anthropology
(Vol.
23).
Arlington:
American
Anthropological
Association.
Castoriadis,
Cornelius.
(1999).
L'institution
imaginaire
de
la
société.
Paris
Seuil.
Cefaï,
Daniel.
(2009).
Codifier
l'engagement
ethnographique?
Remarques
sur
le
consentement
éclairé,
les
codes
d'éthique
et
les
comités
d'éthique.
In
D.
Cefaï,
P.
Costey,
E.
Gardella,
C.
Gayet-‐Viaud,
P.
Gonzalez,
E.
Le
Méner
&
C.
Terzi
(Eds.),
L'engagement
ethnographique.
Paris
Editions
de
l'EHESS.
Chamboredon,
Jean-‐Claude.
(1981).
Les
difficultés
de
l'évaluation
scientifique.
Revue
Française
de
Sociologie,
22(2),
291-‐295.
Chan,
Gary
Kok
Yew.
(2008).
The
relevance
and
value
of
Confucianism
in
contemporary
473
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
474
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
475
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
De
Goede,
Marieke.
(2005a).
Virtue,
fortune,
and
faith:
a
genealogy
of
finance.
Minneapolis:
University
of
Minnessota
Press.
De
Goede,
Marieke.
(2005b).
Resocialising
and
repoliticising
financial
markets:
contours
of
social
studies
of
finance.
Economic
Sociology:
European
Electronic
Newsletter,
6(3),
19-‐28.
de
Graaf,
Gjalt.
(2013).
Discourse
and
tractable
morality.
In
C.
Luetge
(Ed.),
Handbook
of
the
Philosophical
Foundations
of
Business
Ethics
(pp.
581-‐602):
Springer
Debord,
Guy.
(1992).
La
société
du
spectacle
Paris:
Gallimard.
Decoopman,
N.
(1988).
Droit
et
déontologie.
Les
usages
sociaux
du
droit
(pp.
87-‐105).
Paris
Presses
Universitaires
de
France.
Dejours,
Christophe.
(1993).
Travail,
usure
mentale.
De
la
psychopathologie
à
la
psychodynamique
du
travail.
Paris:
Bayard.
Dejours,
Christophe.
(2011).
Nouveau
regard
sur
la
souffrance
humaine
dans
les
organisations.
In
J.-‐F.
Chanlat
(Ed.),
L'individu
dans
l'organisation:
les
dimensions
oubliées.
(10
ed.).
Québec:
Presses
Universitaires
de
Laval;
Eska.
Delmas-‐Marty,
Mireille.
(2004).
Le
flou
du
droit.
Paris
PUF.
Deslandes,
Ghislain.
(2011a).
Wittgenstein
and
the
practical
turn
in
business
ethics.
Electronic
Journal
of
Business
Ethics
and
Organization
Studies,
16(1),
48-‐54.
Deslandes,
Ghislain.
(2011b).
In
Search
of
Individual
Responsibility:
The
Dark
Side
of
Organizations
in
the
Light
of
Jansenist
Ethics.
Journal
of
Business
Ethics,
101(1),
61-‐70.
Deslandes,
Ghislain.
(2012).
Le
management
éthique.
Paris:
Dunod.
DeVault,
Marjorie
L.
(1997).
Personal
writing
in
social
research:
Issues
of
production
and
interpretation.
In
R.
Hertz
(Ed.),
Reflexivity
and
Voice
(pp.
216-‐228).
Thousand
Oaks,
CA:
Sage.
Devereux,
Georges.
(1980).
De
l'angoisse
à
la
méthode
dans
les
sciences
du
comportement.
Paris:
Flammarion.
Dewey,
John.
(1993).
La
théorie
de
l’enquête.
Paris,
PUF.
DiMaggio,
Paul.
(1988).
Interest
and
agency
in
institutional
theory.
In
L.
G.
Zucker
(Ed.),
Research
on
Institutional
Patterns
and
Organizations:
Culture
and
Environment
(pp.
3-‐22).
Cambridge:
Ballinger.
Djelic,
Marie-‐Laure.
(2011).
From
the
Rule
of
Law
to
the
Law
of
Rules.
International
Studies
of
Management
and
Organization,
41(1),
35-‐61.
Djelic,
Marie-‐Laure,
&
Sahlin-‐Andersson,
Kerstin.
(2006).
Introduction:
a
world
of
governance:
the
rise
of
transnational
regulation.
In
M.-‐L.
Djelic
&
K.
Sahlin-‐Andersson
(Eds.),
Transnational
governance:
Institutional
dynamics
of
regulation.
Cambridge:
Cambridge
University
Press.
Donaldson,
Thomas,
&
Dunfee,
Thomas
W.
(1994).
Toward
a
unified
conception
of
business
ethics:
Integrative
social
contracts
theory.
Academy
of
Management
Review,
19(2),
252-‐284.
Douglas,
Jack
D.
(1976).
Investigative
social
research:
Individual
and
team
field
research.
Beverly
Hills.
California:
Sage.
Douglas,
Mary.
(2002).
Risk
and
blame:
essays
in
cultural
theory.
London:
Routledge.
Douglas,
Mary.
(2004).
Comment
pensent
les
institutions:
suivi
de
La
connaissance
de
soi
et
Il
n'y
a
pas
de
don
gratuit.
Paris:
La
Découverte.
Douglas,
Mary.
(2005).
De
la
souillure.
Études
sur
la
notion
de
pollution
et
de
tabou.
Paris:
La
Découverte.
Douglas,
Mary.
(2013).
Risk
and
Acceptability
(Vol.
11).
London:
Routledge.
Droit,
Roger-‐Pol,
&
Henrot,
François.
(2010).
Le
banquier
et
le
philosophe
ou
la
double
paire
d'yeux.
Paris
Plon.
476
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
Dubois,
Anna,
&
Gadde,
Lars-‐Erik.
(2002).
Systematic
combining:
an
abductive
approach
to
case
research.
Journal
of
Business
Research,
55(7),
553-‐560.
Dumas,
A.
(1869).
La
tulipe
noire.
Paris:
Michel
Lévy
frères.
Dumez,
Hervé.
(2006a).
Essai
sur
la
théorie
de
l'action
de
Hannah
Arendt
dans
ses
implications
pour
la
recherche
en
science
sociale.
Le
Libellio
d'Aegis,
2(3),
10-‐24.
Dumez,
Hervé.
(2006b).
Essai
sur
la
théorie
morale
de
Hannah
Arendt
dans
ses
implications
éventuelles
pour
l'éthique
d'entreprise.
Le
Libellio
d'Aegis,
2(3),
24-‐31.
Dumez,
Hervé.
(2008a).
Bréviaire
wittgensteinien
à
l'usage
des
doctorants
(et
chercheurs).
Le
Libellio
d'Aegis,
4(2),
28-‐35.
Dumez,
Hervé.
(2008b).
'À
propos
de
la
notion
de
situation
de
gestion',
notes
du
séminaire
de
Benoît
Journé
&
Nathalie
Raulet-‐Croset,
12
juin
2008.
Le
Libellio
d'Aegis,
4(2),
36-‐39.
Dumez,
Hervé.
(2012).
Lumières
du
positivisme
:
Un
retour
sur
les
débats
épistémologiques
en
gestion.
Le
Libellio
d'Aegis,
8(1),
55-‐60.
Dumez,
Hervé.
(2013).
Méthodologie
de
la
Recherche
Qualitative:
les
10
questions
clés
de
la
démarche
compréhensive.
Paris
Vuibert.
Dumez,
Hervé,
&
Rigaud,
Emmanuelle.
(2008).
Comment
passer
du
matériau
de
recherche
à
l'analyse
théorique?
A
propos
de
la
notion
de
template.
Le
Libellio
d'Aegis,
4(2),
40-‐46.
Dumez,
Hervé
(ed).
(2007).
Numéro
Spécial
sur
Pragmatisme
et
recherche
sur
les
organisations.
Le
Libellio
d'Aegis,
3(4).
Dumez,
Hervé
(ed).
(2010).
Numéro
Spécial
sur
les
Problèmes
Epistémologiques
de
la
recherche
qualitative.
Le
Libellio
d'Aegis,
6(4).
Dunbar,
Roger
LM,
&
Garud,
Raghu.
(2009).
Distributed
knowledge
and
indeterminate
meaning:
The
case
of
the
Columbia
shuttle
flight.
Organization
Studies,
30(4),
397-‐421.
Durand,
Rodolphe,
&
Calori,
Roland.
(2006).
Sameness,
otherness?
Enriching
organizational
change
theories
with
philosophical
considerations
on
the
same
and
the
other.
Academy
of
Management
Review,
31(1),
93-‐114.
Durkheim,
Emile.
(1912).
Les
Formes
élémentaires
de
la
vie
religieuse.
Paris
Presses
Universitaires
de
France.
Ecole
biblique
et
archéologique
française.
(2007).
La
Bible
de
Jérusalem:
les
Éditions
du
Cerf.
Edel,
May
May
Mandelbaum,
&
Edel,
Abraham.
(2000).
Anthropology
and
ethics:
the
quest
for
moral
understanding.
New
Brunswick:
Transaction
Books.
Edelman,
Lauren
B.
(1992).
Legal
ambiguity
and
symbolic
structures:
Organizational
mediation
of
civil
rights
law.
American
Journal
of
Sociology,
1531-‐1576.
Edelman,
Lauren
B.
(2007).
Overlapping
fields
and
constructed
legalities:
The
endogeneity
of
law.
Private
Equity,
Corporate
Governance,
and
the
Dynamics
of
Capital
Market
Regulation,
55,
70.
Edelman,
Lauren
B.
(2008).
Law
at
work:
The
endogenous
construction
of
civil
rights.
Handbook
of
Employment
Discrimination
Research
(pp.
337-‐352):
Springer.
Edelman,
Lauren
B,
Fuller,
Sally
Riggs,
&
Mara-‐Drita,
Iona.
(2001).
Diversity
Rhetoric
and
the
Managerialization
of
Law1.
American
Journal
of
Sociology,
106(6),
1589-‐1641.
Edelman,
Lauren
B,
Petterson,
Stephen,
Chambliss,
Elizabeth,
&
Erlanger,
Howard
S.
(1991).
Legal
ambiguity
and
the
politics
of
compliance:
Affirmative
action
officers'
dilemma.
Law
&
Policy,
13(1),
73-‐97.
Edelman,
Lauren
B,
&
Stryker,
Robin.
(2005).
A
sociological
approach
to
law
and
the
economy.
In
N.
J.
Smelser
&
R.
Swedberg
(Eds.),
The
Handbook
of
Economic
Sociology
(pp.
527-‐551).
Princeton:
Princeton
University
Press.
Edelman,
Lauren
B,
&
Suchman,
Mark
C.
(1999).
When
the
haves
hold
court:
speculations
on
the
477
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
organizational
internalization
of
law.
Law
&
Society
Review,
33,
941.
Edelman,
Lauren
B.,
&
Suchman,
Mark
C.
(2007).
The
Legal
Lives
of
Private
Organizations.
Ashgate
Publishing
Company.
Edelman,
Lauren
B.,
&
Talesh,
Shauhin
A.
(2011).
To
comply
or
not
to
comply
-‐
that
isn't
the
question:
how
organizations
construct
the
meaning
of
compliance.
In
C.
Parker
&
V.
Lehmann
Nielsen
(Eds.),
Explaining
compliance:
business
responses
to
regulation
(pp.
103-‐
122).
Cheltenham:
Edward
Eglar
Publishing.
Edouard,
Serge,
&
Gratacap,
Anne.
(2011).
Chapitre
4:
Confiance
institutionnelle
et
pérennité
des
écosystèmes
d'affaires.
In
A.
Gratacap
&
A.
Le
Flanchec
(Eds.),
La
confiance
en
gestion:
un
regard
pluridisciplinaire
(pp.
82-‐99).
Bruxelles:
De
Boeck.
Edwards,
Jonathan,
&
Wolfe,
Simon.
(2004).
The
compliance
function
in
banks.
Journal
of
Financial
Regulation
and
Compliance,
12(3),
216-‐224.
Edwards,
Jonathan,
&
Wolfe,
Simon.
(2005).
Compliance:
A
review.
Journal
of
Financial
Regulation
and
Compliance,
13(1),
48-‐59.
Ehrenfeld,
John
R.
(2000).
Colourless
green
ideas
sleep
furiously:
Is
the
emergence
of
‘Sustainable’
practices
meaningful?’.
Reflections,
1(4),
34-‐47.
Eisenhardt,
Kathleen
M.
(1989).
Building
theories
from
case
study
research.
Academy
of
Management
Review,
14(4),
532-‐550.
El
Miri,
Mustapha,
&
Masson,
Philippe.
(2009).
Vers
une
juridicisation
des
sciences
sociales?
Sur
l'utilité
d'une
charte
de
déontologie
en
sociologie.
La
vie
des
idées.
Retrieved
from
website:
laviedesidees.fr
.
Elias,
Norbert.
(1991).
Qu'est-‐ce
que
la
sociologie?
(Y.
Hoffmann,
Trans.).
Paris:
Editions
de
l'Aube.
Elias,
Norbert.
(1997).
La
civilisation
des
moeurs
(P.
Kamnitzer,
Trans.).
Paris
:
France
Loisirs.
Elkington,
J.
(1998).
Cannibals
With
Forks:
The
Triple
Bottom
Line
of
21st
Century
Business.
New
Society
Publishers.
Elliott,
Anthony.
(2002).
Beck's
sociology
of
risk:
a
critical
assessment.
Sociology,
36(2),
293-‐
315.
Enriquez,
Eugène.
(1983).
De
la
Horde
à
l'Etat,
essai
de
psychanalyse
du
lien
social.
Paris:
Gallimard.
Enriquez,
Eugène.
(1999).
L'argent,
fétiche
sacré.
In
J.
P.
Bouilloud
&
V.
Guienne
(Eds.),
Questions
d'Argent
(pp.
47-‐63).
Paris
Desclée
de
Brower.
Epstein,
Edwin
M.
(1989).
Business
ethics,
corporate
good
citizenship
and
the
corporate
social
policy
process:
A
view
from
the
United
States.
Journal
of
Business
Ethics,
8(8),
583-‐595.
Ericson,
R.
V.
(2006).
Ten
uncertainties
of
risk-‐management
approaches
to
security.
Canadian
Journal
of
Criminology
and
Criminal
Justice/La
Revue
Canadienne
de
Criminologie
et
de
Justice
Pénale,
48(3),
345-‐356.
Ericson,
R.V.,
&
Haggerty,
K.D.
(1997).
Policing
the
Risk
Society.
Oxford:
Clarendon
Press.
Erikson,
Kai
T.
(1967).
A
comment
on
disguised
observation
in
sociology.
Social
Problems,
14(4),
366-‐373.
Ethiraj,
Sendil
K,
&
Levinthal,
Daniel.
(2004a).
Modularity
and
innovation
in
complex
systems.
Management
Science,
50(2),
159-‐173.
Ethiraj,
Sendil
K,
&
Levinthal,
Daniel.
(2004b).
Bounded
rationality
and
the
search
for
organizational
architecture:
An
evolutionary
perspective
on
the
design
of
organizations
and
their
evolvability.
Administrative
Science
Quarterly,
49(3),
404-‐437.
Ethiraj,
Sendil
K,
&
Levinthal,
Daniel.
(2009).
Hoping
for
A
to
Z
while
rewarding
only
A:
Complex
organizations
and
multiple
goals.
Organization
Science,
20(1),
4-‐21.
478
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
Evans,
D.S.,
&
Schmalensee,
R.
(2005).
Paying
with
Plastic:
The
Digital
Revolution
in
Buying
and
Borrowing.
Cambridge:
MIT
Press.
Evens,
Terence
(2006).
Some
ontological
implications
of
situational
analysis.
.
In
T.
Evens
&
D.
Handelman
(Eds.),
The
Manchester
Schoool:
Practice
And
Ethnographic
Praxis
in
Anthropology
(pp.
49-‐63).
New
York:
Berghahn
Books.
Faber,
N.,
Jorna,
R.,
&
Van
Engelen,
J.O.
(2005).
The
Sustainability
Of
"Sustainability"—A
Study
Into
The
Conceptual
Foundations
Of
The
Notion
Of
"Sustainability".
Journal
of
Environmental
Assessment
Policy
and
Management,
7(01),
1-‐33.
Farjoun,
Moshe.
(2010).
Beyond
dualism:
Stability
and
change
as
a
duality.
Academy
of
Management
Review,
35(2),
202-‐225.
Farrell,
Brian
J,
Cobbin,
Deirdre
M,
&
Farrell,
Helen
M.
(2002).
Codes
of
ethics:
Their
evolution,
development
and
other
controversies.
Journal
of
Management
Development,
21(2),
152-‐
163.
Favarel-‐Garrigues,
Gilles.
(2003a).
Crime
organisé
transnational
et
lutte
antiblanchiment.
In
J.
Laroche
(Ed.),
Mondialisation
et
gouvernance
mondiale
(pp.
161-‐173).
Paris:
Presses
Universitaires
de
France.
Favarel-‐Garrigues,
Gilles.
(2003b).
L'évolution
de
la
lutte
antiblanchiment
depuis
le
11
septembre
2001.
Critique
Internationale
(3),
37-‐46.
Favarel-‐Garrigues,
Gilles,
Godefroy,
Thierry,
&
Lascoumes,
Pierre.
(2007).
Sentinels
in
the
Banking
Industry
Private
Actors
and
the
Fight
against
Money
Laundering
in
France.
British
Journal
of
Criminology,
48(1),
1-‐19.
Favarel-‐Garrigues,
G.,
Godefroy,
T.,
&
Lascoumes,
P.
(2009).
Les
sentinelles
de
l'argent
sale:
Les
banques
aux
prises
avec
l'antiblanchiment.
Paris
:
Editions
La
Découverte.
Faÿ,
Eric.
(2004).
Information,
Parole,
Délibération:
L'entreprise
et
la
question
de
l'homme.
Quebec:
Presses
Universitaires
de
Laval.
Faÿ,
Eric.
(2005).
Life,
speech
and
reason:
A
phenomenology
of
open
deliberation
in
organizations.
Ephemera,
5(3),
472-‐498.
Faÿ,
Eric.
(2008).
Derision
and
management.
Organization,
15(6),
831-‐850.
Faÿ,
Eric,
Introna,
Lucas,
&
Puyou,
François-‐Régis.
(2010).
Living
with
numbers:
Accounting
for
subjectivity
in/with
management
accounting
systems.
Information
and
Organization,
20(1),
21-‐43.
Faÿ,
Eric,
&
Riot,
Philippe.
(2007).
Phenomenological
approaches
to
work,
life
and
responsibility.
Society
and
Business
Review,
2(2),
145-‐152.
Fergus,
Andrew
HT,
&
Rowney,
Julie
IA.
(2005).
Sustainable
development:
lost
meaning
and
opportunity?
Journal
of
Business
Ethics,
60(1),
17-‐27.
Fergusson,
Charles
(Writer).
(2010).
Inside
Job.
In
A.
Marrs
&
C.
Fergusson
(Producer):
Sony
Pictures
Classics.
Ferrell,
Oliver
C,
&
Gresham,
Larry
G.
(1985).
A
contingency
framework
for
understanding
ethical
decision
making
in
marketing.
The
Journal
of
Marketing,
49(3),
87-‐96.
Fine,
Gary
Alan.
(1993).
Ten
lies
of
ethnography
:
Moral
Dilemmas
of
Field
Research.
Journal
of
Contemporary
Ethnography,
22(3),
267-‐294.
Fletcher,
Joseph
F.
(1966).
Situation
ethics:
The
new
morality
(Vol.
150).
London:
SCM
Press.
Flynn,
Gabriel.
(2008).
The
virtuous
manager:
A
vision
for
leadership
in
business.
Leadership
and
Business
Ethics
(pp.
39-‐56).
Springer.
Ford,
Jeffrey
D,
&
Backoff,
Robert
W.
(1988).
Organizational
change
in
and
out
of
dualities
and
paradox.
Ballinger
Publishing
Co/Harper
&
Row
Publishers.
Foucault,
Michel.
(1961).
Folie
et
déraison:
histoire
de
la
folie
à
l'âge
classique.
Paris
Plon.
479
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
480
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
Gellner,
David
N,
&
Hirsch,
Eric.
(2001).
Inside
organizations:
Anthropologists
at
work.
Oxford
Berg
Publishers.
Gély,
Raphaël.
(2007).
Rôles,
action
sociale
et
vie
subjective.
Recherches
à
partir
de
la
phénoménologie
de
Michel
Henry.
Bruxelles:
PIE
Peter
Lang.
Genestal,
Fabrice
(Writer).
(2010).
Krach.
UGC
Distribution.
Gephart,
Robert
P,
Van
Maanen,
John,
&
Oberlechner,
Thomas.
(2009).
Organizations
and
risk
in
late
modernity.
Organization
Studies,
30(2-‐3),
141-‐155.
Gibson,
Cristina
B,
&
Birkinshaw,
Julian.
(2004).
The
antecedents,
consequences,
and
mediating
role
of
organizational
ambidexterity.
Academy
of
Management
Journal,
47(2),
209-‐226.
Giddens,
A.
(1984).
The
Constitution
of
Society:
Outline
of
the
Theory
of
Structuration.
Cambridge:
Polity
Press.
Giddens,
A.
(2013).
The
Consequences
of
Modernity.
Hoboken,
New
Jersey:
John
Wiley
&
Sons.
Gieryn,
T.F.
(1999).
Cultural
boundaries
of
science:
credibility
on
the
line.
Chicago:
University
of
Chicago
Press.
Gilbert,
Jacqueline
A,
Stead,
Bette
Ann,
&
Ivancevich,
John
M.
(1999).
Diversity
management:
a
new
organizational
paradigm.
Journal
of
Business
Ethics,
21(1),
61-‐76.
Giordano,
Y.
(2003).
Les
Paradoxes:
une
perspective
communicationnelle
In
E.
Josserand
&
V.
Perret
(Eds.),
Le
Paradoxe:
penser
et
gérer
autrement
les
organisations
Paris
Ellipses.
Girin,
Jacques.
(1989).
L’opportunisme
méthodique
dans
les
recherches
sur
la
gestion
des
organisations.
Paper
presented
at
the
Journée
d'étude
"La
recherche-‐action
en
action
et
en
questions",
Paris.
Girin,
Jacques.
(1990).
L’analyse
empirique
des
situations
de
gestion:
éléments
de
théorie
et
de
méthode.
In
A.
C.
Martinet
(Ed.),
Epistémologies
et
sciences
de
gestion
(pp.
141-‐182).
Paris:
Economica.
Girin,
Jacques.
(2011).
Problèmes
du
langage
dans
les
organisations.
In
J.-‐F.
Chanlat
(Ed.),
L'Individu
dans
L'Organisation.
(pp.
37-‐77).
Quebec:
Presses
de
l'université
Laval
;
Eska.
Gleeson,
S.
.
(2009).
More
regulation
means
more
risk.
International
Financial
Law
Review,
28(1),
14.
Godard,
O.
(Ed.).
(1997).
Le
principe
de
précaution
dans
la
conduite
des
affaires
humaines.
Editions
de
la
Maison
des
sciences
de
l'homme.
Godard,
O.,
Henry,
C.,
Lagadec,
P.,
&
Michel-‐Kerjean,
E.
(2002).
Traité
des
nouveaux
risques:
Précaution,
crise,
assurance.
Paris
Editions
Gallimard.
Godechot,
Olivier.
(2001).
Les
traders:
essai
de
sociologie
des
marchés
financiers.
Paris
:
Editions
La
Découverte.
Godechot,
Olivier.
(2006).
Hold-‐up
en
finance:
les
conditions
de
possibilité
de
bonus
élevés
dans
l'industrie
financière.
Revue
Française
de
Sociologie,
47(2),
341-‐371.
Godechot,
Olivier.
(2007).
Working
rich:
Salaires,
bonus
et
appropriation
du
profit
dans
l'industrie
financière.
Paris:
La
Découverte.
Godechot,
Olivier.
(2011a).
Les
Social
Studies
of
Finance,
une
nouvelle
approche.
Les
Cahiers
Français
(361),
27-‐30.
Godechot,
Olivier.
(2011b).
Le
capital
humain
et
les
incitations
sont-‐ils
les
deux
mamelles
des
salaire
dans
la
finance?
Revue
d'économie
Financière
(104),
145.
Godechot,
Olivier.
(2011c).
Une
finance-‐fiction
est-‐elle
possible?
A
propos
de
trois
films
récents
sur
la
finance.
Contretemps:
http://olivier.godechot.free.fr/hoparticle.php?id_art=604.
Godechot,
Olivier.
(2012).
Is
finance
responsible
for
the
rise
in
wage
inequality
in
France?
Socio-‐
Economic
Review,
10(3),
447-‐470.
Goffman,
Erving.
(1961).
Asylums:
essays
on
the
social
situation
of
mental
patients
and
other
481
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
482
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
London:
Routledge.
Handy,
Charles.
(1994).
The
age
of
paradox.
Cambridge:
Harvard
Business
School
Press.
Harris,
Jared
D,
&
Freeman,
R
Edward.
(2008).
The
impossibility
of
the
separation
thesis.
Business
Ethics
Quarterly,
18(4),
541-‐548.
Hart,
Stuart
L.
(1995).
A
natural-‐resource-‐based
view
of
the
firm.
Academy
of
Management
Review,
20(4),
986-‐1014.
Hartman,
Edwin
M.
(2008).
Reconciliation
in
Business
Ethics.
Business
Ethics
Quarterly,
18(2),
253-‐265.
Hassoun,
Jean-‐Pierre.
(2005).
Emotions
on
the
trading
floor:
Social
and
symbolic
expressions.
In
K.
Knorr
Cetina
&
A.
Preda
(Eds.),
The
sociology
of
financial
markets
(pp.
102-‐120).
Oxford:
Oxford
University
Press.
Hatchuel,
Armand.
(2000).
Quel
horizon
pour
les
sciences
de
gestion?
Vers
une
théorie
de
l’action
collective.
In
A.
David,
A.
Hatchuel
&
R.
Laufer
(Eds.),
Les
nouvelles
fondations
des
Sciences
de
Gestion
(pp.
7-‐43).
Paris
:
Vuibert-‐FNEGE.
Hautcoeur,
Pierre-‐Cyrille,
&
Riva,
Angelo.
(2012).
The
Paris
financial
market
in
the
nineteenth
century:
complementarities
and
competition
in
microstructures.
The
Economic
History
Review,
65(4),
1326-‐1353.
Havel,
Vaclav.
(1990).
Disturbing
the
Peace:
A
Conversation
with
Karel
Hvíézédala.
New
York
Knopf.
Held,
David.
(2004).
A
globalizing
world?
Culture,
economics,
politics.
New
York:
Routledge.
Helfat,
Constance
E,
Finkelstein,
Sydney,
Mitchell,
Will,
Peteraf,
Margaret,
Singh,
Harbir,
Teece,
David,
&
Winter,
Sidney
G.
(2009).
Dynamic
capabilities:
Understanding
strategic
change
in
organizations.
Wiley.com.
Helin,
Sven,
Jensen,
Tommy,
Sandström,
Johan,
&
Clegg,
Stewart.
(2011).
On
the
dark
side
of
codes:
Domination
not
enlightenment.
Scandinavian
Journal
of
Management,
27(1),
24-‐33.
Helin,
Sven,
&
Sandström,
Johan.
(2008).
Codes,
ethics
and
cross-‐cultural
differences:
Stories
from
the
implementation
of
a
corporate
code
of
ethics
in
a
MNC
subsidiary.
Journal
of
Business
Ethics,
82(2),
281-‐291.
Helin,
Sven,
&
Sandström,
Johan.
(2010).
Resisting
a
corporate
code
of
ethics
and
the
reinforcement
of
management
control.
Organization
Studies,
31(5),
583-‐604.
Hennestad,
Bjørn
W.
(1990).
The
symbolic
impact
of
double
bind
leadership:
Double
bind
and
the
dynamics
of
organizational
culture.
Journal
of
Management
Studies,
27(3),
265-‐280.
Henry,
Michel.
(2003).
Phénoménologie
de
la
vie
(Vol.
1).
Paris
Presses
Universitaires
de
France.
Herling,
G.
(1995).
Un
monde
à
part.
Paris
Editions
Gallimard.
Herman,
Edward
S,
&
Chomsky,
Noam.
(2008).
Manufacturing
consent:
The
political
economy
of
the
mass
media.
New
York:
Random
House.
Hernes,
Tor.
(2007).
Understanding
organization
as
process:
Theory
for
a
tangled
world:
New
York:
Routledge.
Herrera,
CD.
(2003).
A
Clash
of
Methodology
and
Ethics
in
“Undercover”
Social
Science.
Philosophy
of
the
Social
Sciences,
33(3),
351-‐362.
Hertz,
Ellen.
(1998).
The
trading
crowd:
An
ethnography
of
the
Shanghai
stock
market
(Vol.
108).
Cambridge
University
Press.
Hess,
R.
(2002).
Institution.
In
J.
Barus-‐Michel,
E.
Enriquez
&
A.
Levi
(Eds.),
Vocabulaire
de
psychosociologie
–
Références
et
positions.
Toulouse:
Erès.
Hirèche,
Loréa.
(2008).
La
Dynamique
des
jugements
éthiques
individuels
en
situation
dans
l'entreprise:
une
étude
ethnographique
(PhD),
Université
Paris
Dauphine,
Paris.
Hitt,
Michael
A,
Beamish,
Paul
W,
Jackson,
Susan
E,
&
Mathieu,
John
E.
(2007).
Building
483
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
theoretical
and
empirical
bridges
across
levels:
Multilevel
research
in
management.
Academy
of
Management
Journal,
50(6),
1385-‐1399.
Ho,
Karen.
(2009).
Liquidated:
an
ethnography
of
Wall
Street.
Duke
University
Press.
Hodgson,
Damian.
(2002).
“Know
your
customer”:
marketing,
governmentality
and
the
“new
consumer”
of
financial
services.
Management
Decision,
40(4),
318-‐328.
Hoffman,
Andrew
J.
(1999).
Institutional
evolution
and
change:
Environmentalism
and
the
US
chemical
industry.
Academy
of
Management
Journal,
42(4),
351-‐371.
Holman
Jones,
S.L.,
Adams,
T.E.,
&
Ellis,
C.
(2013).
Handbook
of
Autoethnography.
Left
Coast
Press,
Incorporated.
Holt,
Robin.
(2006).
Principals
and
practice:
Rhetoric
and
the
moral
character
of
managers.
Human
Relations,
59(12),
1659-‐1680.
Homans,
George
C.
(1964).
Bringing
men
back
in.
American
Sociological
Review,
29(5),
809-‐818.
Hood,
Christopher,
Rothstein,
Henry,
&
Baldwin,
Robert.
(2001).
The
government
of
risk:
Understanding
risk
regulation
regimes.
Oxford:
Oxford
University
Press.
Höpfl,
Heather.
(2006).
Frame.
Culture
and
Organization,
12(1),
11-‐24.
Husser,
J.
(2005).
Contextualisme
et
recueil
de
données.
In
P.
Roussel
&
F.
Wacheux
(Eds.),
Management
des
ressources
humaines.
Méthodes
de
recherche
en
sciences
humaines
et
sociales
(pp.
65-‐100).
Bruxelles:
De
Boeck.
Husted,
Bryan
W,
&
Allen,
David
Bruce.
(2010).
Corporate
social
strategy:
Stakeholder
engagement
and
competitive
advantage.
Cambridge:
Cambridge
University
Press.
Hutter,
Bridget,
&
Power,
Michael
(Eds.).
(2005).
Organizational
encounters
with
risk.
Cambridge:
Cambridge
University
Press.
Ibarra-‐Colado,
Eduardo,
Clegg,
Stewart
R,
Rhodes,
Carl,
&
Kornberger,
Martin.
(2006).
The
ethics
of
managerial
subjectivity.
Journal
of
Business
Ethics,
64(1),
45-‐55.
Jackall,
Robert.
(2010).
Moral
Mazes:
the
World
of
Corporate
Managers.
Oxford:
Oxford
University
Press.
Jacob,
Marie
Andrée,
&
Riles,
Annelise.
(2007).
The
new
bureaucracies
of
virtue:
Introduction.
PoLAR:
Political
and
Legal
Anthropology
Review,
30(2),
181-‐191.
Jacobs,
Mark
D.
(2012).
Financial
Crises
as
symbols
and
rituals
In
K.
Knorr
Cetina
&
A.
Preda
(Eds.),
The
Oxford
Handbook
of
the
Sociology
of
Finance
(pp.
376-‐392).
Oxford:
Oxford
University
Press.
Jaffro,
Laurent.
(1995).
Ethique
et
Morale
In
D.
Kambouchner
(Ed.),
Notions
de
Philosophie
(Vol.
III).
Paris:
Gallimard
Folio.
Jennings,
P
Deveraux,
&
Zandbergen,
Paul
A.
(1995).
Ecologically
sustainable
organizations:
an
institutional
approach.
Academy
of
Management
Review,
20(4),
1015-‐1052.
Jensen,
Tommy,
Sandström,
Johan,
&
Helin,
Sven.
(2009).
Corporate
codes
of
ethics
and
the
bending
of
moral
space.
Organization,
16(4),
529-‐545.
Jeucken,
Marcel.
(2002).
Banking
and
sustainability:
slow
starters
are
gaining
pace.
Ethical
Corporation
Magazine,
11,
44-‐48.
Jobard,
J.P.
(1992).
Business
ethics
et
déontologie
financières:
existe-‐t-‐il
un
modèle
français?
.
In
H.
d.
l.
Bruselerie
(Ed.),
Ethique,
Déontologie
et
Gestion
de
l'Entreprise.
Paris:
Economica.
Jonas,
H.
(1997).
La
technique
moderne
comme
sujet
de
réflexion
éthique.
In
M.
Neuberg
(Ed.),
La
Responsabilité:
questions
philosophiques
(pp.
231-‐240).
Paris
PUF.
Jonas,
H.
(2008).
Le
principe
responsabilité:
Une
éthique
pour
la
civilisation
technologique
(J.
Greisch,
Trans.).
Paris
Flammarion.
Josserand,
E.,
&
Perret,
V.
(Eds.).
(2003).
Le
paradoxe:
penser
et
gérer
autrement
les
organisations.
Paris
Ellipses.
484
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
Journé,
Benoît.
(2005).
Etudier
le
management
de
l'imprévu:
méthode
dynamique
d'observation
in
situ.
Finance,
Contrôle,
Stratégie,
8(4),
63-‐91.
Journé,
Benoit.
(2007).
Théorie
pragmatiste
de
l'enquête
et
construction
du
sens
des
situations.
Le
Libellio
d'Aegis,
3(4),
3-‐9.
Journé,
Benoît,
&
Raulet-‐Croset,
Nathalie.
(2008).
Le
concept
de
situation:
contribution
à
l'analyse
de
l'activité
managériale
en
contextes
d'ambiguïté
et
d'incertitude.
M@n@gement,
11(1),
27-‐55.
Journé,
Benoît,
&
Raulet-‐Croset,
Nathalie.
(2012).
La
décision
comme
activité
managériale
située.
Revue
Française
de
Gestion,
225(6),
109-‐128.
Jousse,
Georges.
(2004).
Le
risque,
cet
inconnu.
Ed.
Imestra.
Jousse,
Georges.
(2009).
Traité
de
riscologie:
la
science
du
risque.
Éd.
Imestra.
Kagan,
Robert
A,
Gunningham,
Neil,
&
Thornton,
Dorothy.
(2003).
Explaining
corporate
environmental
performance:
how
does
regulation
matter?
Law
&
Society
Review,
37(1),
51-‐
90.
Kant,
Immanuel.
(1785).
Fondation
de
la
Métaphysique
des
Moeurs.
Paris:
Fernand
Nathan.
Kant,
Immanuel.
(1797).
Théorie
et
Pratique:
Sur
un
prétendu
droit
de
mentir
par
humanité.
Paris:
Flammarion.
Kaptein,
Muel,
&
Wempe,
Johan.
(1998).
The
ethics
report:
a
means
of
sharing
responsibility.
Business
Ethics:
a
European
Review,
7(3),
131-‐139.
Karlin,
M.
(1997).
Back
Offices
et
marchés
financiers.
Paris:
Economica.
Karra,
Neri,
&
Phillips,
Nelson.
(2008).
Researching
“back
home”
international
management
research
as
autoethnography.
Organizational
Research
Methods,
11(3),
541-‐561.
Kaufmann,
J.C.
(2010).
L'invention
de
soi:
une
théorie
de
l'identité.
Paris:
Armand
Collin.
Keister,
Lisa
A.
(2002).
Financial
markets,
money,
and
banking.
Annual
Review
of
Sociology,
28,
39-‐61.
Kellogg,
K.C.
(2006).
Institutional
coupling:
the
mechanisms
of
real
organizational
change
in
response
to
institutional
pressures.
Paper
presented
at
the
American
Sociological
Association
Annual
Meeting,
Boston,
MA.
Kelsen,
H.
(1962).
Théorie
pure
du
droit
(C.
Eisenman,
Trans.).
Paris:
Dalloz.
Kempis,
Thomas
de.
(2008).
Imitación
de
Cristo.
Lima:
Paulinas.
Kerviel,
Jérôme.
(2010).
L'Engrenage
:
Mémoires
d'un
trader.
Paris:
Editions
Flammarion.
Kierkegaard,
S.
(2004).
Either/Or:
A
Fragment
of
Life
(A.
Hannay,
Trans.).
London:
Penguin
Books
Limited.
Klein,
Katherine
J,
Tosi,
Henry,
&
Cannella,
Albert
A.
(1999).
Multilevel
theory
building:
Benefits,
barriers,
and
new
developments.
Academy
of
Management
Review,
24(2),
248-‐253.
Klein,
Naomi.
(2009).
No
Logo.
New
York:
Picador.
Knight,
Frank
H.
(1921).
Risk,
uncertainty
and
profit.
New
York:
Kelley
Reprint
of
Economic
Classics
(1964).
Knorr
Cetina,
Karin.
(2005).
How
are
global
markets
global?
The
architecture
of
a
flow
world.
In
K.
Knorr
Cetina
&
A.
Preda
(Eds.),
The
sociology
of
financial
markets
(pp.
38-‐61).
Oxford:
Oxford
University
Press.
Knorr
Cetina,
Karin.
(2007).
Economic
sociology
and
the
sociology
of
finance.
The
European
Electronic
Newsletter
-‐
Economic
Sociology,
8(3),
4-‐10.
Knorr
Cetina,
Karin,
&
Preda,
Alex
(Eds.).
(2012).
The
Oxford
Handbook
of
the
Sociology
of
Finance.
Oxford
University
Press.
Koehn,
Daryl.
(1995).
A
role
for
virtue
ethics
in
the
analysis
of
business
practice.
Business
Ethics
Quarterly,
5(3),
533-‐539.
485
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
Koehn,
Daryl.
(1998).
Virtue
ethics,
the
firm,
and
moral
psychology.
Business
Ethics
Quarterly,
8(3),
497-‐513.
Kolb,
Robert
(Ed.).
(2010).
Lessons
from
the
financial
crisis:
causes,
consequences,
and
our
economic
future.
New
Jersey:
John
Wiley
&
Sons.
Kostera,
Monika.
(2007).
Organizational
ethnography:
Methods
and
inspirations.
Lund:
Studentlitteratur.
KPMG-‐International.
(2008).
Survey
of
Corporate
Responsibility
Reporting.
KPMG-‐International.
(2011).
Survey
of
Corporate
Responsibility
Reporting.
Krasner,
S.D.
(Ed.).
(1983).
International
Regimes.
Ithaca:
Cornell
University
Press.
Kraye,
Jil.
(1996).
The
Cambridge
Companion
to
Renaissance
Humanism.
Cambridge
University
Press.
Kunda,
Gideon.
(2013).
Reflections
on
becoming
an
ethnographer.
Journal
of
Organizational
Ethnography,
2(1),
4-‐22.
Lacroix,
Alexandre.
(2012).
Editorial:
"Bienvenu
à
Plutopia",
Dossier
"Les
marchés
sont-‐ils
bêtes
et
méchants?"
Philosophie
Magazine,
56.
Laërce,
Diogène.
(1965).
Vies,
doctrines
et
sentences
des
philosophes
illustres
(R.
Genaille,
Trans.
Vol.
1).
Paris
Garnier
Flammarion.
Lagadec,
P.
(1981).
La
Civilisation
du
risque:
catastrophes
technologiques
et
responsabilité
sociale.
Paris
Seuil.
Lagneau-‐Ymonet,
Paul,
&
Riva,
Angelo.
(2010).
Les
opérations
à
terme
à
la
Bourse
de
Paris
au
XIXe
siècle.
Droit
et
Crédit:
La
France
au
XIXe
Siècle.
Langley,
Ann.
(1999).
Strategies
for
theorizing
from
process
data.
Academy
of
Management
Review,
24(4),
691-‐710.
Langley,
Ann,
Smallman,
Clive,
Tsoukas,
Haridimos,
&
Van
de
Ven,
Andrew
H.
(2013).
Process
studies
of
change
in
organization
and
management:
unveiling
temporality,
activity,
and
flow.
Academy
of
Management
Journal,
56(1),
1-‐13.
Langley,
Ann,
&
Tsoukas,
Haridimos.
(2010).
Introducing
perspectives
on
process
organization
studies.
Process,
sensemaking,
and
organizing
(Vol.
1,
pp.
1).
Oxford:
Oxford
University
Press
Lapassade,
G.
(1966).
Groupes,
Organisations,
Institutions.
Paris:
Gauthiers-‐Villars.
Lapassade,
G.,
&
Lourau,
R.
(1974).
La
Sociologie.
Paris
Senghers.
Laroche,
Hervé.
(1989).
Éthique
et
culture
d
‘entreprise.
Paper
presented
at
the
colloque
ESCP.
Laroche,
Hervé.
(1995).
From
decision
to
action
in
organizations:
Decision-‐making
as
a
social
representation.
Organization
Science,
6(1),
62-‐75.
Laroche,
Hervé.
(2009).
Overmanagement
and
the
problem
of
moral
consciousness.
In
C.
Garsten
&
T.
Hernes
(Eds.),
Ethical
Dilemmas
in
Management
(pp.
132).
New
York:
Routledge.
Laroche,
J.
(Ed.).
(2003).
Mondialisation
et
Gouvernance.
Paris
Presses
Universitaires
de
France.
Larrère,
C.
(2004).
Principe
de
Précaution.
In
M.
d.
Canto-‐Sperber
(Ed.),
Dictionnaire
d'éthique
et
de
philosophie
morale
(Vol.
2,
pp.
1534-‐1537).
Paris
PUF.
Lascoumes,
Pierre.
(1982).
Approche
historique
des
processus
de
criminalisation
des
illégalismes
liés
à
la
vie
des
affaires.
Revue
Internationale
de
Droit
Pénal,
39.
Lascoumes,
Pierre.
(1990).
Normes
juridiques
et
mise
en
œuvre
des
politiques
publiques.
L'Année
sociologique
(1940/1948-‐),
40,
43-‐71.
Lash,
S.,
Szerszynski,
B.,
&
Wynne,
B.
(1996).
Risk,
Environment
and
Modernity:
Towards
a
New
Ecology.
SAGE
Publications.
Laugier,
S.
(2004).
Performativité,
normativité
et
droit.
Archives
de
Philosophie,
67(4),
607-‐627.
486
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
Lawrence,
Thomas
B,
Leca,
Bernard,
&
Zilber,
Tammar
B.
(2013).
Institutional
work:
Current
research,
new
directions
and
overlooked
issues.
Organization
Studies,
34(8),
1023-‐1033.
Lawrence,
Thomas
B,
&
Suddaby,
Roy.
(2006).
Institutions
and
Institutional
Work.
In
S.
Clegg,
C.
Hardy,
T.
B.
Lawrence
&
W.
B.
Nord
(Eds.),
The
Sage
Handbook
of
Organization
Studies
(pp.
215-‐254).
London:
Sage
Lawrence,
Thomas
B,
Suddaby,
Roy,
&
Leca,
Bernard.
(2009).
Institutional
work:
Actors
and
agency
in
institutional
studies
of
organizations.
Cambridge
university
press.
Lee,
Harold
N.
(1928).
Morals,
morality,
and
ethics:
Suggested
terminology.
International
Journal
of
Ethics,
38(4),
450-‐466.
Lee,
Min-‐Dong
Paul.
(2008).
A
review
of
the
theories
of
corporate
social
responsibility:
Its
evolutionary
path
and
the
road
ahead.
International
Journal
of
Management
Reviews,
10(1),
53-‐73.
Lehmann
Nielsen,
Vibeke
,
&
Parker,
Christine.
(2008).
To
what
extent
do
third
parties
influence
business
compliance?
Journal
of
Law
and
Society,
35(3),
309-‐340.
Lemmon,
Edward
John.
(1962).
Moral
dilemmas.
The
Philosophical
Review,
71(2),
139-‐158.
Lenglet,
Marc.
(2006).
Des
paroles
aux
actes:
usages
contemporains
de
la
performativité
dans
le
champ
financier.
Études
de
Communication
(1),
39-‐51.
Lenglet,
Marc.
(2008).
Déontologue
de
marché:
de
la
pratique
des
institutions
à
l'institutionnalisation
des
pratiques
(Doctorat),
Université
Paris
Dauphine
Paris
Lenglet,
Marc.
(2009).
Aux
marges
de
la
triche?
Innovation
normative
et
déontologie
financière
en
salle
de
marché.
Management
&
Avenir
(2),
263-‐284.
Lesage,
Cédric,
Hottegindre,
G.,
&
Baker,
C.R.
(2009).
Disciplinary
practices
in
the
public
accounting
profession:
serving
the
public
interest
or
private
interests?
Paper
presented
at
the
4th
Alternative
Perspectives
in
Accounting
Research
Conference.
Lévi,
Primo.
(1989).
Les
Naufragés
et
les
Rescapés.
Paris:
Gallimard.
Lévi,
Primo.
(1996).
Si
c'est
un
homme.
Paris:
Robert
Laffont.
Lévi-‐Strauss,
C.
(1962).
La
Pensée
Sauvage.
Paris:
Plon.
Lévi-‐Strauss,
C.
(2001).
Tristes
Tropiques.
Paris:
Presses
Pocket.
Lévinas,
Emmanuel.
(1968).
Totalité
et
infini:
Essai
sur
l'extériorité:
Nijhoff.
Lévinas,
Emmanuel.
(1977).
Du
Sacré
au
Saint;
Cinq
nouvelles
lectures
talmudiques
Paris:
Editions
de
Minuit.
Lewis,
Marianne
W.
(2000).
Exploring
paradox:
Toward
a
more
comprehensive
guide.
Academy
of
management
review,
25(4),
760-‐776.
Lewis,
Phillip
V.
(1985).
Defining
‘business
ethics’:
Like
nailing
jello
to
a
wall.
Journal
of
Business
Ethics,
4(5),
377-‐383.
Lewis,
Victor,
Kay,
Kenneth
D,
Kelso,
Chandrika,
&
Larson,
James.
(2010).
Was
the
2008
financial
crisis
caused
by
a
lack
of
corporate
ethics?
Global
Journal
of
Business
Research,
4(2),
77-‐84.
Lie,
John.
(1997).
Sociology
of
markets.
Annual
Review
of
Sociology,
23,
341-‐360.
Lim,
Ming.
(2007).
The
ethics
of
alterity
and
the
teaching
of
otherness.
Business
Ethics:
a
European
Review,
16(3),
251-‐263.
Lin,
Z
Jun,
&
Chen,
Feng.
(2000).
Asian
financial
crisis
and
accounting
reforms
in
China.
Managerial
Finance,
26(5),
63-‐79.
Lindblom,
Charles
E.
(1959).
The
science
of
"muddling
through".
Public
Administration
Review,
19(2),
79-‐88.
Loader,
D.,
&
Institute,
Securities.
(2004).
Regulation
and
Compliance
in
Operations.
Oxford:
Elsevier.
487
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
Loewenstein,
Jeffrey,
Ocasio,
William,
&
Jones,
Candace.
(2012).
Vocabularies
and
vocabulary
structure:
A
new
approach
linking
categories,
practices,
and
institutions.
The
Academy
of
Management
Annals,
6(1),
41-‐86.
Loison,
Marie-‐Claire.
(2009).
Contribution
à
l'histoire
de
la
responsabilité
sociétale
de
l'entreprise:
du
paternalisme
au
développement
durable:
Le
cas
du
groupe
Pechiney
(1855-‐
2003).
(PhD),
Université
Paris
Dauphine,
Paris.
Loison,
Marie-‐Claire,
&
Pezet,
Anne.
(2006).
L'entreprise
verte
et
les
boues
rouges.
Entreprises
et
Histoire
(4),
97-‐115.
Lourau,
R.
(1969a).
L'Analyse
Institutionnelle.
Paris
Minuit.
Lourau,
R.
(1969b).
La
Société
institutrice.
Les
Temps
Modernes.
Lourau,
R.
(1988).
Le
Journal
de
recherche:
matériaux
d'une
théorie
de
l'implication.
Paris:
Méridiens
Klincksieck.
Lowenstein,
J.,
Ocasio,
W.,
&
Jones,
C.
(2012).
Vocabularies
and
vocabulary
structure:
a
new
approach
linking
categories,
practices
and
institutions.
Academy
of
Management
Annals,
6,
41-‐86.
Lüscher,
Lotte
S,
&
Lewis,
Marianne
W.
(2008).
Organizational
change
and
managerial
sensemaking:
Working
through
paradox.
Academy
of
Management
Journal,
51(2),
221-‐240.
Lynch,
J.J.
(1991).
Ethical
Banking:
Surviving
in
an
Age
of
Default.
Macmillan
Academic
and
Professional.
Ma,
Zhenzhong.
(2009).
The
status
of
contemporary
business
ethics
research:
Present
and
future.
Journal
of
Business
Ethics,
90(3),
255-‐265.
MacIntyre,
Alasdair
C.
(1981).
After
virtue:
a
study
in
moral
theory
(G.
D.
a.
C.
Ldt.
Ed.).
London
The
Old
Piano
Factory.
MacKenzie,
Donald.
(2003).
An
Equation
and
its
Worlds
Bricolage,
Exemplars,
Disunity
and
Performativity
in
Financial
Economics.
Social
Studies
of
Science,
33(6),
831-‐868.
MacKenzie,
Donald.
(2006a).
An
engine,
not
a
camera
:
how
financial
models
shape
markets.
Cambridge,
MA:
MIT
Press.
MacKenzie,
Donald.
(2006b).
Is
economics
performative?
Option
theory
and
the
construction
of
derivatives
markets.
Journal
of
the
History
of
Economic
Thought,
28(1),
29-‐55.
MacKenzie,
Donald.
(2008).
Material
markets:
How
economic
agents
are
constructed.
Oxford:
Oxford
University
Press.
MacKenzie,
Donald,
&
Millo,
Yuval.
(2001).
Negotiating
a
market,
performing
theory:
The
historical
sociology
of
a
financial
derivatives
exchange.
Performing
Theory:
The
Historical
Sociology
of
a
Financial
Derivatives
Exchange
(August
1,
2001).
MacKenzie,
Donald
A,
Muniesa,
Fabian,
&
Siu,
Lucia.
(2007).
Do
economists
make
markets?
On
the
performativity
of
economics.
Princeton
University
Press.
MacLean,
Tammy
L,
&
Behnam,
Michael.
(2010).
The
dangers
of
decoupling:
The
relationship
between
compliance
programs,
legitimacy
perceptions,
and
institutionalized
misconduct.
Academy
of
Management
Journal,
53(6),
1499-‐1520.
Maguire,
Steve,
&
Hardy,
Cynthia.
(2009).
Discourse
and
deinstitutionalization:
The
decline
of
DDT.
Academy
of
Management
Journal,
52(1),
148-‐178.
Maguire,
Steve,
&
Hardy,
Cynthia.
(2013).
Organizing
processes
and
the
construction
of
risk:
A
discursive
approach.
Academy
of
Management
Journal,
56(1),
231-‐255.
Mair,
Johanna,
&
Marti,
Ignasi.
(2009).
Entrepreneurship
in
and
around
institutional
voids:
A
case
study
from
Bangladesh.
Journal
of
Business
Venturing,
24(5),
419-‐435.
Mair,
Johanna,
Marti,
Ignasi,
&
Ventresca,
Marc
J.
(2012).
Building
inclusive
markets
in
rural
Bangladesh:
how
intermediaries
work
institutional
voids.
Academy
of
Management
Journal,
488
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
55(4),
819-‐850.
March,
James
G.
(1988).
Decisions
and
organizations.
Oxford
Blackwell.
March,
James
G,
&
Simon,
Herbert
Alexander.
(1958).
Organizations.
John
Wiley
&
Sons.
Margolis,
Joshua
D,
&
Walsh,
James
P.
(2003).
Misery
loves
companies:
Rethinking
social
initiatives
by
business.
Administrative
science
quarterly,
48(2),
268-‐305.
Martinet,
A.C.
(Ed.).
(1990).
Epistémologie
et
Sciences
de
gestion.
Paris:
Economica.
Martinet,
A.C.
(Ed.).
(2007).
Sciences
du
Management:
épistémique,
pragmatique
et
éthique.
Paris:
Economica.
Martinet,
A.C.,
&
Pesqueux,
Y.
(2013).
Epistémologie
des
sciences
de
gestion.
Paris:
Vuibert.
Marx,
Karl.
(1982).
Le
Capital.
Paris:
La
Pléiade
-‐
Gallimard.
Marx,
Karl.
(2006).
Sur
la
Question
Juive
(J.
F.
Poirier,
Trans.
D.
Bensaïd
Ed.).
Paris:
La
Fabrique
éditions.
Mauss,
Marcel.
(1950).
Sociologie
et
anthropologie:
précédé
d'une
introduction
à
l'oeuvre
de
Marcel
Mauss
(C.
Levi-‐Strauss
Ed.).
Paris:
Presses
Universitaires
de
France.
Mazur,
R.
(2009).
The
Infiltrator:
My
Secret
Life
Inside
the
Dirty
Banks
Behind
Pablo
Escobar's
Medellín
Cartel.
Little,
Brown.
McDonald,
Seonaidh.
(2005).
Studying
actions
in
context:
a
qualitative
shadowing
method
for
organizational
research.
Qualitative
Research,
5(4),
455-‐473.
Mcfall,
Liz.
(2009).
The
agencement
of
industrial
branch
life
assurance.
Journal
of
Cultural
Economy,
2(1-‐2),
49-‐65.
McMurray,
Robert,
Pullen,
Alison,
&
Rhodes,
Carl.
(2011).
Ethical
subjectivity
and
politics
in
organizations:
A
case
of
health
care
tendering.
Organization,
18(4),
541-‐561.
McWilliams,
Abagail,
&
Siegel,
Donald.
(2000).
Corporate
social
responsibility
and
financial
performance:
correlation
or
misspecification?
Strategic
Management
Journal,
21(5),
603-‐
609.
McWilliams,
Abagail,
&
Siegel,
Donald.
(2001).
Corporate
social
responsibility:
A
theory
of
the
firm
perspective.
Academy
of
Management
Review,
26(1),
117-‐127.
Melé,
Domènec.
(2009).
Integrating
personalism
into
virtue-‐based
business
ethics:
The
personalist
and
the
common
good
principles.
Journal
of
Business
Ethics,
88(1),
227-‐244.
Melé,
Domènec.
(2012).
The
Christian
notion
of
Αγάπη
(agápē):
Towards
a
more
complete
view
of
business
ethics.
Leadership
through
the
Classics
(pp.
79-‐91).
Springer.
Méric,
J.
(2009).
Le
Risque
et
l'entreprise:
de
l'état
de
fait
à
l'invention
d'un
marché.
In
J.
Méric,
Y.
Pesqueux
&
A.
Solé
(Eds.),
La
"Société
du
Risque".
Analyse
et
Critique
(pp.
61-‐97).
Paris:
Economica.
Méric,
J.,
Pesqueux,
Y.,
&
Solé,
A.
(2009).
La
société
du
risque
:
analyse
et
critique:
Economica.
Meyer,
John
W,
&
Rowan,
Brian.
(1977).
Institutionalized
organizations:
Formal
structure
as
myth
and
ceremony.
American
Journal
of
Sociology,
83(2),
340-‐363.
Miles,
Matthew
B,
&
Huberman,
A
Michael.
(1994).
Qualitative
data
analysis:
An
expanded
sourcebook.
Beverly
Hills:
Sage.
Mill,
J.S.
(1863).
Utilitarianism.
Parker,
Son
and
Bourn.
Miller,
Daniel.
(2002).
Turning
Callon
the
right
way
up.
Economy
and
Society,
31(2),
218-‐233.
Mintzberg,
Henry.
(1979).
An
emerging
strategy
of
"direct"
research.
Administrative
Science
Quarterly,
24(4),
582-‐589.
Mitchell,
Terence
R,
&
Mickel,
Amy
E.
(1999).
The
meaning
of
money:
An
individual-‐difference
perspective.
Academy
of
Management
Review,
24(3),
568-‐578.
Moore,
Geoff.
(2005a).
Corporate
character:
Modern
virtue
ethics
and
the
virtuous
corporation.
Business
Ethics
Quarterly,
659-‐685.
489
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
Moore,
Geoff.
(2005b).
Humanizing
business:
A
modern
virtue
ethics
approach.
Business
Ethics
Quarterly,
237-‐255.
Moore,
Michael
(Writer).
(2009).
Capitalism,
a
love
story.
In
M.
Moore
&
A.
Moore
(Producer):
Paramount
Vantage.
Moret-‐Bailly,
Joël.
(2001).
Les
Déontologies.
Marseille:
Presses
Universitaires
d'Aix-‐Marseille.
Morgan,
V.
.
(1972).
Historia
del
Dinero.
Madrid:
Istmo.
Morin,
E.
(2001).
L'humanité
de
l'humanité:
L'identité
humaine
(Vol.
5).
Paris
Seuil.
Moscovici,
S.
(1988).
La
Machine
à
faire
des
dieux.
Paris
Fayard.
Mucchielli,
Alex.
(2005).
Le
Développement
des
méthodes
qualitatives
et
l'approche
constructiviste
des
phénomènes
humains.
Recherches
Qualitatives,
hors
série
(1),
7-‐40.
Mueller,
Frank,
&
Whittle,
Andrea.
(2012).
Villains,
Victims
and
the
financial
crisis:
positioning
identities
through
descriptions.
In
M.
Schultz,
S.
Maguire,
A.
Langley
&
H.
Tsoukas
(Eds.),
Constructing
identity
in
and
around
organizations.
Oxford:
Oxford
University
Press.
Mulligan,
Daniel.
(1998).
Know
Your
Customer
Regulations
and
the
International
Banking
System:
Towards
a
General
Self-‐Regulatory
Regime.
Fordham
International
Law
Journal,
22(5),
2324-‐2372.
Muniesa,
Fabian,
Millo,
Yuval,
&
Callon,
Michel.
(2007).
An
introduction
to
market
devices.
The
Sociological
Review,
55(s2),
1-‐12.
Nadelmann,
Ethan
A.
(1990).
Global
prohibition
regimes:
The
evolution
of
norms
in
international
society.
International
Organization,
44(04),
479-‐526.
Nelson,
R.R.,
&
Winter,
S.G.
(1982).
An
Evolutionary
Theory
of
Economic
Change.
Cambridge:
Belknap
Press
of
Harvard
University
Press.
Nicolini,
Davide.
(2012).
Practice
theory,
work
and
organization.
Oxford:
Oxford
University
Press.
Nielsen,
Anne
Ellerup,
&
Thomsen,
Christa.
(2007).
Reporting
CSR–what
and
how
to
say
it?
Corporate
Communications:
An
International
Journal,
12(1),
25-‐40.
Nielsen,
Richard
P.
(2004).
Systematic
corruption
in
financial
services,
types
of
capitalism,
and
ethics
intervention
methods.
Business
&
Professional
Ethics
Journal,
23,
135-‐165.
Nielsen,
Richard
P.
(2010a).
Practitioner-‐based
theory
building
in
organizational
ethics.
Journal
of
Business
Ethics,
93(3),
401-‐406.
Nielsen,
Richard
P.
(2010b).
High
leverage
finance
capitalism,
the
economic
crisis,
structurally
related
ethics
issues,
and
potential
reforms.
Business
Ethics
Quarterly,
20(2),
299-‐330.
Nielsen,
Richard
P.
(2011).
Organization
theory
and
ethics:
Varieties
and
dynamics
of
constrained
optimization.
In
H.
Tsoukas
&
C.
Knudsen
(Eds.),
The
Oxford
Handbook
of
Organization
Theory:
meta-‐theoretical
perspectives
(pp.
476-‐501).
Oxford:
Oxford
University
Press.
Nietzsche,
Friedrich.
(1991).
Aurore.
Réflexions
sur
les
préjugés
moraux
(J.
Hervier,
Trans.).
Paris:
Gallimard.
Nietzsche,
Friedrich.
(2000).
Par
delà
bien
et
mal
Paris
Flammarion.
Nijhof,
André,
Cludts,
Stephan,
Fisscher,
Olaf,
&
Laan,
Albertus.
(2003).
Measuring
the
implementation
of
codes
of
conduct.
An
assessment
method
based
on
a
process
approach
of
the
responsible
organization.
Journal
of
Business
Ethics,
45(1-‐2),
65-‐78.
O'Reilly,
Charles
A,
&
Tushman,
Michael
L.
(2004).
The
ambidextrous
organization.
Harvard
Business
Review,
82(4),
74-‐83.
O’Fallon,
Michael
J,
&
Butterfield,
Kenneth
D.
(2005).
A
review
of
the
empirical
ethical
decision-‐
making
literature:
1996–2003.
Journal
of
Business
Ethics,
59(4),
375-‐413.
Ocqueteau,
Frédéric.
(2004).
Polices
entre
Etat
et
marché.
Paris
:
Les
Presses
de
Sciences
Po.
490
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
Ogien,
Albert.
(1999).
Émergence
et
contrainte:
Situation
et
expérience
chez
Dewey
et
Goffman.
Raisons
Pratiques,
10,
69-‐93.
Oppetit,
Bruno.
(1998).
Droit
et
Argent.
Droit
et
Modernité
(pp.
183-‐190).
Paris:
Presses
Universtaires
de
France.
Orlitzky,
Marc,
Schmidt,
Frank
L,
&
Rynes,
Sara
L.
(2003).
Corporate
social
and
financial
performance:
A
meta-‐analysis.
Organization
Studies,
24(3),
403-‐441.
Ortega
y
Gasset,
J.
(2008).
L'Homme
et
les
gens
(F.
Géal,
M.
Pérezts
&
e.
al.,
Trans.
F.
d.
Géal
Ed.).
Paris:
Editions
de
la
Rue
d'Ulm,
ENS.
Pagès,
M.,
Bonnetti,
M,
Gaulejac,
V.
,
&
Descendre,
D.
(1998).
L'Emprise
de
l'organisation.
Paris:
Desclée
de
Brouwer.
Painter-‐Morland,
M.
(2008).
Business
Ethics
as
Practice:
Ethics
as
the
Everyday
Business
of
Business.
Cambridge
University
Press.
Painter-‐Morland,
Mollie.
(2011).
Rethinking
responsible
agency
in
corporations:
perspectives
from
Deleuze
and
Guattari.
Journal
of
Business
Ethics,
101(1),
83-‐95.
Painter-‐Morland,
M.
(2013).
Life.
In
C.
Luetge
(Ed.),
Handbook
of
Philosophical
Foundations
of
Business
Ethics
(pp.
438-‐494).
Spinger.
Painter-‐Morland,
Mollie,
&
Ten
Bos,
Rene.
(2011).
Business
ethics
and
continental
philosophy.
Cambridge
University
Press.
Palazzo,
Guido,
&
Scherer,
Andreas
Georg.
(2006).
Corporate
legitimacy
as
deliberation:
A
communicative
framework.
Journal
of
Business
Ethics,
66(1),
71-‐88.
Palmer,
Donald.
(2012).
Normal
Organizational
Wrongdoing:
A
Critical
Analysis
of
Theories
of
Misconduct
in
and
by
Organizations.
Oxford:
Oxford
University
Press.
Parker,
Christine,
&
Gilad,
Sharon.
(2011).
Internal
Corporate
Compliance
Management
Systems:
structure,
culture
and
agency.
In
C.
Parker
&
V.
Lehmann
Nielsen
(Eds.),
Explaining
Compliance:
business
responses
to
regulation
(pp.
170-‐197).
Cheltenham:
Edward
Elgar
Publications.
Parker,
Christine,
&
Lehmann
Nielsen,
Vibeke.
(2011).
Introduction:
from
regulation
to
compliance.
In
C.
Parker
&
V.
Lehmann
Nielsen
(Eds.),
Explaining
Compliance:
business
responses
to
regulation
(pp.
1-‐36).
Cheltenham:
Edward
Elgar
Publishing.
Pasquero,
Jean.
(2000).
Éthique
et
entreprises:
le
point
de
vue
américain.
Côté,
M.
&
Hafsi,
T.,
Le
management
d’aujourd’hui:
une
perspective
nord-‐américaine,
Québec,
Les
Presses
de
l’Université
Laval.
Pasquero,
Jean.
(2005).
La
responsabilité
sociale
de
l’entreprise
comme
objet
des
sciences
de
gestion:
un
regard
historique.
Responsabilité
Sociale
et
Environnementale
de
l'Entreprise.
Presses
de
l'Université
du
Québec,
Sainte
Foy.
Peneff,
Jean.
(1995).
Mesure
et
contrôle
des
observations
dans
le
travail
de
terrain.
L’exemple
des
professions
de
service.
Sociétés
Contemporaines,
21(1),
119-‐138.
Pérezts,
Mar.
(2012).
Ethics
as
Practice
Embedded
in
Identity:
Perspectives
on
Renewing
with
a
Foundational
Link.
Leadership
through
the
Classics:
learning
management
and
leadership
from
ancient
East
and
West
philosophy
(pp.
93-‐107).
Springer.
Pérezts,
Mar,
Bouilloud,
Jean-‐Philippe,
&
de
Gaulejac,
Vincent.
(2011).
Serving
Two
Masters:
The
Contradictory
Organization
as
an
Ethical
Challenge
for
Managerial
Responsibility.
Journal
of
Business
Ethics,
101(1),
33-‐44.
Pérezts,
Mar,
&
Picard,
Sébastien
(Working
paper
2012).
The
Universality
of
sustainability
in
question
:
the
reversal
of
ownership
and
the
temporal
dimension
of
ethics.
Working
Paper,
Philosophy
of
Management
Conference
2012,
Oxford,
UK.
Pérezts,
Mar,
&
Picard,
Sébastien.
(Working
paper
2013).
Compliance
or
Comfort
Zone?
The
work
491
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
of
embedded
ethics
in
performing
regulation.
Institute
for
Ethical
Business
Worldwide
of
the
Mendoza
College
of
Business,
University
of
Notre
Dame.
Perrow,
Charles.
(1972).
Complex
organizations:
a
critical
essay.
New
York:
Random
House.
Perrow,
Charles.
(1991).
A
society
of
organizations.
Theory
and
Society,
20(6),
725-‐762.
Pesqueux,
Yvon.
(2000).
Le
gouvernement
de
l'entreprise
comme
idéologie.
Ellipses
Marketing.
Pesqueux,
Yvon,
&
Ramanantsoa,
Bernard.
(1995).
La
situation
de
l’éthique
des
affaires
en
France.
Revue
Ethique
des
Affaires
(1),
15-‐35.
Pettigrew,
Andrew
M.
(1985).
Contextualist
research:
a
natural
way
to
link
theory
and
practice.
San
Francisco:
Jossey-‐Bass.
Pettigrew,
Andrew
M.
(1987).
Context
and
action
in
the
transformation
of
the
firm.
Journal
of
Management
Studies,
24(6),
649-‐670.
Pettigrew,
Andrew
M.
(1990).
Longitudinal
field
research
on
change:
theory
and
practice.
Organization
Science,
1(3),
267-‐292.
Pezard,
Alice,
&
Eliet,
Guillaume.
(1996).
Droit
et
déontologie
des
activités
financières,
comparaison
internationale.
Paris:
AEF/Montchrestien.
Pina
e
Cunha,
Miguel
,
Rego,
Arménio,
&
Clegg,
Stewart
R.
(2010).
Obedience
and
evil:
From
Milgram
and
Kampuchea
to
normal
organizations.
Journal
of
Business
Ethics,
97(2),
291-‐
309.
Pinçon,
M,
&
Pinçon-‐Charlot,
M.
(1997).
Voyage
en
Grande
Bourgeoisie,
Journal
d'enquête.
Paris:
Presses
Universitaires
de
France.
Platon.
(1940).
Oeuvres
Complètes
(Vol.
I).
Paris:
Gallimard.
Pluchart,
Jean-‐Jacques.
(2011).
Chapitre
9:
Logique
de
confiance
et
logique
de
crise.
In
A.
Gratacap
&
A.
Le
Flanchec
(Eds.),
La
confiance
en
gestion:
un
regard
pluridisciplinaire
(pp.
189-‐203).
Bruxelles:
De
Boeck.
Polanyi,
K.
(2001).
The
Great
Transformation:
The
Political
and
Economic
Origins
of
Our
Time.
Boston,
MA:
Beacon
Press.
Poole,
Marshall
Scott,
&
Van
de
Ven,
Andrew
H.
(1989).
Using
paradox
to
build
management
and
organization
theories.
Academy
of
Management
Review,
14(4),
562-‐578.
Porter,
Michael
E.
(1991).
Towards
a
dynamic
theory
of
strategy.
Strategic
Management
Journal,
12(S2),
95-‐117.
Porter,
Michael
E.
(1996).
What
is
strategy?
Harvard
Business
Review,
November,
96608.
Powell,
Walter
W,
&
DiMaggio,
Paul.
(1983).
The
iron
cage
revisited:
Institutional
isomorphism
and
collective
rationality
in
organizational
fields.
American
Sociological
Review,
48(2),
147-‐
160.
Power,
M.
(1997).
The
Audit
Society:
Rituals
of
Verification.
Oxford
University
Press.
Power,
M.
(2004).
The
Risk
Management
of
Everything:
Rethinking
the
Politics
of
Uncertainty.
Demos.
Prahalad,
Coimbatore
K,
&
Bettis,
Richard
A.
(1986).
The
dominant
logic:
A
new
linkage
between
diversity
and
performance.
Strategic
Management
Journal,
7(6),
485-‐501.
Pratt,
Michael
G,
&
Foreman,
Peter
O.
(2000).
Classifying
managerial
responses
to
multiple
organizational
identities.
Academy
of
Management
Review,
25(1),
18-‐42.
Preda,
Alex.
(2001).
Sense
and
Sensibility,
or
how
should
social
studies
of
finance
behave.
Journal
of
Economic
Sociology,
2(2),
15-‐18.
Prentice,
Robert
A.
(2007).
Ethical
decision
making:
More
needed
than
good
intentions.
Financial
Analysts
Journal,
17-‐30.
Provis,
Chris.
(2010).
Virtuous
decision
making
for
business
ethics.
Journal
of
Business
Ethics,
91(1),
3-‐16.
492
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
Puyou,
François-‐Régis,
&
Faÿ,
Eric.
(2013).
Cogs
in
the
Wheel
or
Spanners
in
the
Works?
A
Phenomenological
Approach
to
the
Difficulty
and
Meaning
of
Ethical
Work
for
Financial
Controllers.
Journal
of
Business
Ethics,
1-‐14.
doi:
10.1007/s10551-‐013-‐1986-‐6
Rachel,
Janet.
(1996).
Ethnography:
practical
implementation
In
J.
T.
E.
Richardson
(Ed.),
Handbook
of
Qualitative
Research
Methods
for
Psychology
and
the
Social
Sciences
(pp.
113-‐
124).
Leicester:
British
Psychological
Society:
Blackwell.
Raisch,
Sebastian,
&
Birkinshaw,
Julian.
(2008).
Organizational
ambidexterity:
Antecedents,
outcomes,
and
moderators.
Journal
of
Management,
34(3),
375-‐409.
Randall,
Donna
M,
&
Gibson,
Annetta
M.
(1990).
Methodology
in
business
ethics
research:
A
review
and
critical
assessment.
Journal
of
Business
Ethics,
9(6),
457-‐471.
Randall,
G
Kevin,
&
Martin,
Peter.
(2003).
Developing
and
using
stories
or
narratives
to
transmit
values
and
legacy.
Organization
Development
Journal,
21(3),
44-‐50.
Ray,
Joshua
L,
&
Smith,
Anne
D.
(2012).
Using
photographs
to
research
organizations:
Evidence,
considerations,
and
application
in
a
field
study.
Organizational
Research
Methods,
15(2),
288-‐315.
Rebeyrol,
V.
(2010).
L'affirmation
d'un
"droit
a
l'environnement":
Et
la
réparation
des
dommages
environnementaux.
Répertoire
Defrénois.
Reed-‐Danahay,
Deborah.
(2001).
Autobiography,
intimacy
and
ethnography.
In
P.
Atkinson,
A.
Coffey,
S.
Delamont,
J.
Lofland
&
L.
Lofland
(Eds.),
Handbook
of
Ethnography
(pp.
407-‐425).
London:
Sage.
Regnér,
Patrick.
(2008).
Strategy-‐as-‐practice
and
dynamic
capabilities:
steps
towards
a
dynamic
view
of
strategy.
Human
Relations,
61(4),
565-‐588.
Reich,
Robert
B.
(2007).
Supercapitalism:
The
Transformation
of
Business,
Democracy,
and
Everyday
Life.
New
York:
Alfred
A.
Knopf.
Reiner,
R.
(1997).
Policing
and
the
Police.
In
M.
Maguire
&
R.
Reiner
(Eds.),
The
Oxford
Handbook
of
Criminology
(pp.
997-‐1049).
Oxford:
Claredon
Press.
Reiss-‐Schimmel,
I.
(1993).
La
psychanalyse
et
l'argent.
Paris:
Odile
Jacob.
Remenyi,
D.,
Williams,
B.,
Money,
A.,
&
WSchwartz,
E.
(1998).
Doing
research
in
business
and
management:
an
introduction
to
process
and
method.
London:
Sage.
Revel,
J.
(1996).
Jeux
d'échelles:
la
micro-‐analyse
à
l'expérience.
Paris
Gallimard:
Seuil.
Reynaud,
J.D.
(1997).
Les
règles
du
jeu:
l'action
collective
et
la
régulation
sociale.
Paris
Armand
Colin.
Reynaud,
J.D.
(1999).
Le
Conflit,
la
négociation
et
la
règle.
Paris
Octarès
éd.
Reynolds,
MaryAnn,
&
Yuthas,
Kristi.
(2008).
Moral
discourse
and
corporate
social
responsibility
reporting.
Journal
of
Business
Ethics,
78(1-‐2),
47-‐64.
Richardson,
Kurt.
(2008).
Managing
complex
organizations:
Complexity
thinking
and
the
science
and
art
of
management.
Emergence,
10(2),
13-‐26.
Ricoeur,
Paul.
(1986).
Du
texte
à
l’action,
Essais
d’herméneutique
II.
Paris
:
Seuil.
Ricoeur,
Paul.
(2004).
Ethique.
In
M.
Canto-‐Sperber
(Ed.),
Dictionnaire
d'Ethique
et
de
Philosophie
Morale
(Vol.
1,
pp.
689-‐694).
Paris
Presses
Universitaires
de
France.
Ricœur,
Paul.
(1990).
Soi-‐même
comme
un
autre.
Paris
Seuil.
Ricœur,
Paul.
(2004).
Ethique
In
M.
d.
Canto-‐Sperber
(Ed.),
Dictionnaire
d'Ethique
et
de
Philosophie
Morale
(Vol.
1,
pp.
689-‐694).
Paris
Presses
Universitaires
de
France.
Riggio,
Ronald
E,
&
Reichard,
Rebecca
J.
(2008).
The
emotional
and
social
intelligences
of
effective
leadership:
An
emotional
and
social
skill
approach.
Journal
of
Managerial
Psychology,
23(2),
169-‐185.
Ritzer,
G.
(2010).
The
McDonaldization
of
Society
6.
SAGE
Publications.
493
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
Robinson
Achutti,
Luiz
Eduardo.
(2007).
Photoethnographie:
dans
les
coulisses
de
la
BNF.
Ethnologie
Française,
37(1),
111-‐116.
Romano,
Santi.
(1975).
L'ordre
juridique
(L.
François
&
P.
Gothot,
Trans.).
Paris
Dalloz.
Romelaer,
Pierre
(modérateur),
Bastianutti,
Julie
(rapporteur),
&
Pérezts,
Mar
(rapporteur).
(2012).
À
quoi
sert
l’épistémologie
en
management
stratégique?
Débat
entre
Véronique
Perret
et
Hervé
Dumez.
Le
Libellio
d'Aegis,
56(3),
39-‐44.
Rorty,
Richard.
(1995).
L'Espoir
au
lieu
du
savoir:
introduction
au
pragmatisme.
Paris:
Albin
Michel.
Rosenthal,
R.,
&
Rosnow,
R.
L.
.
(1991).
Essentials
of
behavioural
research:
Methods
and
Data
analysis.
New
York:
McGraw-‐Hill.
Rosenthal,
Sandra
B,
&
Buchholz,
Rogene
A.
(2000).
The
empirical-‐normative
split
in
business
ethics:
A
pragmatic
alternative.
Business
Ethics
Quarterly,
10(2),
399-‐408.
Roth,
L.M.
(2011).
Selling
Women
Short:
Gender
and
Money
on
Wall
Street.
Princeton:
Princeton
University
Press.
Rouquié,
Sylvie.
(1997).
L'argent
illicite
et
les
affaires.
Paris:
Association
d'économie
financière.
Roux-‐Dufort,
Christophe,
&
Vidaillet,
Bénédicte.
(2003).
The
difficulties
of
improvising
in
a
crisis
situation.
International
Studies
of
Management
&
Organization,
33(1),
86-‐115.
Rowland,
Wade.
(2005).
Greed,
Inc.:
Why
corporations
rule
our
world
and
how
we
let
it
happen.
Toronto:
T.
Allen
Publishers.
Sacks,
Harvey.
(1963).
Sociological
description.
Berkeley
Journal
of
Sociology,
8(1),
1-‐16.
Salmona,
M.
(1971).
Aspects
Psychologiques
de
l'apprentissage
de
la
comptabilité
(Vol.
2).
Gap:
Centre
de
Comptabilité
et
d'économie
rurale.
Salmona,
M.
(2004).
Anthropologie
des
pratiques
de
l'argent
en
France
In
J.
P.
Bouilloud
(Ed.),
Argent,
Valeurs
et
Sentiments
(pp.
47-‐60).
Paris
L'Harmattan.
Sandberg,
Jörgen,
&
Tsoukas,
Haridimos.
(2011).
Grasping
the
logic
of
practice:
Theorizing
through
practical
rationality.
Academy
of
Management
Review,
36(2),
338-‐360.
Sartre,
Jean
Paul.
(1972).
Les
Mains
Sales.
Paris:
Folio
Gallimard.
Sartre,
Jean
Paul.
(1990).
Situations
Philosophiques.
Paris
Gallimard.
Sartre,
Jean
Paul.
(1992).
Un
théâtre
de
situations.
Paris
Editions
Gallimard.
Sartre,
Jean
Paul.
(1996).
L'existentialisme
est
un
humanisme.
Paris
Gallimard.
Sartre,
Jean
Paul.
(2000).
Huis
Clos,
suivi
de
Les
Mouches.
Paris
Gallimard.
Sartre,
Jean
Paul.
(2003).
L'Etre
et
le
Néant.
Paris
Gallimard.
Sartre,
Jean
Paul,
&
Elkaïm-‐Sartre,
Arlette.
(1985).
Critique
de
la
raison
dialectique.
Paris
Gallimard.
Satz,
Debra.
(2010).
Why
some
things
should
not
be
for
sale:
the
moral
limits
of
markets.
Oxford:
Oxford
University
Press.
Saussois,
Jean
Michel.
(2006).
Capitalisme
sans
répit.
Paris:
La
Dispute.
Scapens,
Robert
W,
&
Roberts,
John.
(1993).
Accounting
and
control:
a
case
study
of
resistance
to
accounting
change.
Management
Accounting
Research,
4(1),
1-‐32.
Schatzki,
Theodore
R,
Knorr-‐Cetina,
Karin,
&
Von
Savigny,
Eike
(Eds.).
(2001).
The
practice
turn
in
contemporary
theory.
New
York:
Routledge.
Scheptycki,
J.
(Ed.).
(2000).
Issues
in
Transnational
Policing.
London:
Routledge.
Scherer,
Andreas
Georg,
&
Palazzo,
Guido.
(2007).
Toward
a
political
conception
of
corporate
responsibility:
Business
and
society
seen
from
a
Habermasian
perspective.
Academy
of
Management
Review,
32(4),
1096-‐1120.
Scherer,
Andreas
Georg,
&
Palazzo,
Guido.
(2008).
Handbook
of
Research
on
Global
Corporate
Citizenship.
Edward
Elgar
Publishing.
494
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
Scherer,
Andreas
Georg,
&
Palazzo,
Guido.
(2011).
The
new
political
role
of
business
in
a
globalized
world:
A
review
of
a
new
perspective
on
CSR
and
its
implications
for
the
firm,
governance,
and
democracy.
Journal
of
Management
Studies,
48(4),
899-‐931.
Scholtens,
Bert.
(2006).
Finance
as
a
driver
of
corporate
social
responsibility.
Journal
of
Business
Ethics,
68(1),
19-‐33.
Schultz,
Majken,
Maguire,
Steve,
Langley,
Ann,
&
Tsoukas,
Haridimos.
(2012).
Constructing
Identity
in
and
around
Organizations:
Oxford
University
Press.
Schwartzman,
Helen
B.
(1993).
Ethnography
in
organizations.
London:
Sage.
Scorsese,
Martin
(Writer).
(2013).
The
Wolf
of
Wall
Street.
Universal
Pictures
(Europe).
Scott,
W.R.
(2001).
Institutions
and
Organizations.
Thousand
Oaks:
CA
SAGE
Publications.
Selart,
Marcus,
&
Johansen,
Svein
Tvedt.
(2011).
Ethical
decision
making
in
organizations:
The
role
of
leadership
stress.
Journal
of
Business
Ethics,
99(2),
129-‐143.
Selznick,
Philip.
(1969).
Law,
society,
and
industrial
justice.
New
York:
Russell
Sage
Foundation.
Sen,
Amartya.
(1990).
Ethique
et
Economie.
Paris:
Presses
Universitaires
de
France.
Seo,
Myeong-‐Gu,
&
Creed,
WE
Douglas.
(2002).
Institutional
contradictions,
praxis,
and
institutional
change:
A
dialectical
perspective.
Academy
of
Management
Review,
27(2),
222-‐
247.
Shadnam,
Masoud,
&
Lawrence,
Thomas
B.
(2011).
Understanding
Widespread
Misconduct
in
Organizations.
Business
Ethics
Quarterly,
21(3),
379-‐407.
Sherry
Jr,
John
F.
(2008).
The
ethnographer’s
apprentice:
trying
consumer
culture
from
the
outside
in.
Journal
of
Business
Ethics,
80(1),
85-‐95.
Silverman,
David.
(2011).
Interpreting
qualitative
data.
London:
Sage.
Simmel,
Georg.
(1894).
Le
Problème
de
la
sociologie.
Revue
de
Métaphysique
et
de
Morale,
497-‐
503.
Simmel,
Georg.
(1999).
Philosophie
de
l'argent
(S.
Cornille
&
P.
Ivernel,
Trans.).
Paris
Presses
Universitaires
de
France
-‐
PUF.
Simon,
Herbert
A.
(1962).
The
architecture
of
complexity.
Proceedings
of
the
American
Philosophical
Society,
106(6),
467-‐482.
Simon,
Herbert
A.
(1972).
Theories
of
bounded
rationality.
In
C.
B.
McGuire
&
R.
Radner
(Eds.),
Decision
and
Organization
(Vol.
1,
pp.
161-‐176).
Norht
Holland
Publishing
Co.
Sims,
Ronald
R.
(1994).
Ethics
and
organizational
decision
making:
A
call
for
renewal.
Greenwood
Publishing
Group.
Singer,
Alan
E.
(2010).
Integrating
ethics
and
strategy:
a
pragmatic
approach.
Journal
of
Business
Ethics,
92(4),
479-‐491.
Singer,
MS.
(1998).
Paradigms
linked:
A
normative-‐empirical
dialogue
about
business
ethics.
Business
Ethics
Quarterly,
481-‐496.
Siroux,
Danièle.
(2004).
Déontologie.
In
M.
d.
Canto-‐Sperber
(Ed.),
Dictionnaire
d'éthique
et
de
Philosiophie
Morale
(pp.
474-‐477).
Paris:
Presses
Universitaires
de
France.
Smelser,
Neil
J,
&
Swedberg,
Richard.
(2005).
1
Introducing
Economic
Sociology.
In
N.
J.
Smelser
&
R.
Swedberg
(Eds.),
The
Handbook
of
Economic
Sociology
(2nd
Edition
ed.).
New
York:
Princeton
University
Press.
Smith,
C.W.
(2001).
Success
and
Survival
on
Wall
Street:
Understanding
the
Mind
of
the
Market.
Rowman
&
Littlefield
Publishers,
Incorporated.
Smith,
G.
(2012,
March
14
2012).
Why
I
am
leaving
Goldman
Sachs,
New
York
Times.
Smith,
Wendy
K,
&
Lewis,
Marianne
W.
(2011).
Toward
a
theory
of
paradox:
A
dynamic
equilibrium
model
of
organizing.
Academy
of
Management
Review,
36(2),
381-‐403.
Solé,
A.
(2009).
Prolégomènes
à
une
histoire
des
peurs
humaines.
In
J.
Meric,
Y.
Pesqueux
&
A.
495
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
Solé
(Eds.),
La
"Société
du
Risque".
Analyse
et
Critique
(pp.
11-‐59).
Paris
Economica.
Solomon,
Robert
C.
(1999).
Business
ethics
and
virtue.
In
R.
E.
Frederick
(Ed.),
A
companion
to
business
ethics
(pp.
30-‐37).
Oxford:
Blackwell.
Solow,
D
,
&
Szmerekovsky,
J.
.
(2006).
The
role
of
leadership:
what
management
science
can
give
back
to
the
study
of
complex
systems.
Emergence:
Complexity
&
Organization,
8(4),
52-‐
60.
Sonenshein,
Scott.
(2007).
The
role
of
construction,
intuition,
and
justification
in
responding
to
ethical
issues
at
work:
The
sensemaking-‐intuition
model.
Academy
of
Management
Review,
32(4),
1022-‐1040.
Sousa
Santos,
B.
(1991).
Pour
une
conception
postmoderne
du
droit.
Droit
et
Société
(10),
363-‐
387.
Spicer,
André,
Alvesson,
Mats,
&
Kärreman,
Dan.
(2009).
Critical
performativity:
The
unfinished
business
of
critical
management
studies.
Human
Relations,
62(4),
537-‐560.
Spinoza,
Baruch.
(1965).
Ethique
(C.
Appuhn,
Trans.).
Paris
Garnier
Flammarion.
SSFA,
collectif.
(2000).
Parlons
Finance!
In
A.
d.
E.
S.
d.
l.
Finance
(Ed.).
Paris
Stansbury,
Jason.
(2009).
Reasoned
Moral
Agreement.
Business
Ethics
Quarterly,
19(1),
33-‐56.
Stark,
Andrew.
(1993).
What's
the
matter
with
business
ethics?
Harvard
Business
Review,
71(3),
38.
Stearns,
Linda
Brewster,
&
Mizruchi,
Mark
S.
(2005).
Banking
and
financial
markets.
In
N.
J.
Smelser
&
R.
Swedberg
(Eds.),
The
Handbook
of
Economic
Sociology
(pp.
284-‐306).
New
York:
Princeton
University
Press.
Steinbeck,
J.
(2003).
America
and
Americans,
and
Selected
Nonfiction
(S.
Shillinglaw
&
J.
J.
Benson
Eds.):
Penguin
Books.
Stene,
Edwin
O.
(1940).
An
approach
to
a
science
of
administration.
The
American
Political
Science
Review,
34(6),
1124-‐1137.
Steyer,
Véronique.
(2013).
Les
processus
de
sensemaking
en
situation
d’alerte,
entre
construction
sociale
du
risque
et
relations
d’accountability.
Le
cas
des
entreprises
françaises
face
à
la
pandémie
grippale
de
2009.
(PhD),
ESCP
Europe
-‐
Paris
Ouest
Nanterre
La
Défense,
Paris.
Stiglitz,
Joseph.
(1999).
State
vs.
Market.
Dhaka:
University
Press
Limited
Stiglitz,
J.E.
(2010).
Freefall:
America,
Free
Markets,
and
the
Sinking
of
the
World
Economy.
New
York:
W.
W.
Norton.
Stinchcombe,
Arthur
L.
(1997).
On
the
virtues
of
the
old
institutionalism.
Annual
Review
of
Sociology,
23(1),
1-‐18.
Stone,
Christopher
D.
(1975).
Where
the
law
ends:
The
social
control
of
corporate
behavior.
New
York:
Harper
&
Row.
Stone,
Oliver
(Writer).
(1987).
Wall
Street.
In
E.
R.
Pressman
(Producer):
20th
Century
Fox.
Stone,
Oliver
(Writer).
(2010).
Wall
Street
2:
Money
never
sleeps.
In
E.
R.
Pressman
&
E.
Kopeloff
(Producer):
20th
Century
Fox.
Suchman,
Mark
C.
(1995).
Managing
legitimacy:
Strategic
and
institutional
approaches.
Academy
of
Management
Review,
20(3),
571-‐610.
Suddaby,
Roy.
(2010).
Challenges
for
institutional
theory.
Journal
of
Management
Inquiry,
19(1),
14-‐20.
Suddaby,
Roy,
Elsbach,
Kimberly
D,
Greenwood,
Royston,
Meyer,
John
W,
&
Zilber,
Tammar
B.
(2010).
Organizations
and
their
institutional
environments—Bringing
meaning,
values,
and
culture
back
in:
Introduction
to
the
special
research
forum.
Academy
of
Management
Journal,
53(6),
1234-‐1240.
Sutherland,
E.H.
(1949).
White
Collar
Crime.
New
York:
Dryden
Press.
496
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
497
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
82(2),
407-‐424.
Van
de
Ven,
Andrew
H.
(2007).
Engaged
Scholarship:
A
Guide
for
Organizational
and
Social
Research:
A
Guide
for
Organizational
and
Social
Research.
Oxford:
Oxford
University
Press.
Van
de
Ven,
Andrew
H,
&
Johnson,
Paul
E.
(2006).
Knowledge
for
theory
and
practice.
Academy
of
Management
Review,
31(4),
802-‐821.
Van
Maanen,
John.
(1979a).
Reclaiming
qualitative
methods
for
organizational
research:
A
preface.
Administrative
Science
Quarterly,
24(4),
520-‐526.
Van
Maanen,
John.
(1979b).
The
fact
of
fiction
in
organizational
ethnography.
Administrative
Science
Quarterly,
24(4),
539-‐550.
Van
Maanen,
John.
(1988).
Tales
of
the
field:
On
writing
ethnography.
Chicago:
University
of
Chicago
Press.
Van
Maanen,
John.
(2006).
Ethnography
then
and
now.
Qualitative
Research
in
Organizations
and
Management:
An
International
Journal,
1(1),
13-‐21.
Van
Maanen,
John.
(2011).
Ethnography
as
work:
some
rules
of
engagement.
Journal
of
Management
Studies,
48(1),
218-‐234.
Vandekerckhove,
Wim,
&
Commers,
MS
Ronald.
(2004).
Whistle
blowing
and
rational
loyalty.
Journal
of
Business
Ethics,
53(1-‐2),
225-‐233.
Vandekerckhove,
Wim,
&
Lewis,
David.
(2012).
The
content
of
whistleblowing
procedures:
A
critical
review
of
recent
official
guidelines.
Journal
of
Business
Ethics,
108(2),
253-‐264.
Vasseur,
M.
(1991).
Blanchiment
d'Argent,
Numéro
Spécial.
Banque
et
Droit.
Vaughan,
Diane.
(1998).
Rational
choice,
situated
action,
and
the
social
control
of
organizations.
Law
and
Society
Review,
32(1),
23-‐61.
Vaughan,
Diane.
(1999).
The
dark
side
of
organizations:
Mistake,
misconduct,
and
disaster.
Annual
Review
of
Sociology,
25,
271-‐305.
Vega,
José
de
la.
(1958).
Confusión
de
confusiones:
Diálogos
curiosos
entre
un
filósofo
agudo,
un
mercader
discreto
y
un
accionista
erudito
(1688).
(Segunda
Edicion
ed.).
Madrid:
Publicaciones
Banco
Urquijo.
Venard,
Bertrand,
&
Hanafi,
Mohamed.
(2008).
Organizational
isomorphism
and
corruption
in
financial
institutions:
Empirical
research
in
emerging
countries.
Journal
of
Business
Ethics,
81(2),
481-‐498.
Veron,
M.
.
(1996).
Droit
pénal
des
affaires.
Paris:
Masson.
Verstegen
Ryan,
Lori
,
Buchholtz,
Ann
K,
&
Kolb,
Robert
W.
(2010).
New
Directions
in
Corporate
Governance
and
Finance.
Business
Ethics
Quarterly,
20(4),
673-‐694.
Viallet,
Jean-‐Robert
(Writer).
(2009).
La
Mise
à
mort
du
travail:
1)
la
dépossession,
2)
l'aliénation,
3)
la
destruction
In
Y.
Productions
&
F.
2
(Producer):
France
Télévisions.
Vilar,
Pierre.
(1974).
Or
et
monnaie
dans
l'Histoire:
1450-‐1920.
Paris
Flammarion.
Vogel,
D.
(2005).
The
Market
for
Virtue:
The
Potential
and
Limits
of
Corporate
Social
Responsibility.
Washington
D.C.
:
Brookings
Institution
Press.
Vogel,
S.K.
(1996).
Freer
Markets,
More
Rules:
Regulatory
Reform
in
Advanced
Industrial
Countries.
New
York:
Cornell
University
Press.
Wacheux,
Frédéric.
(1996).
Méthodes
qualitatives
de
recherches
en
gestion.
Paris:
Economica.
Wagner,
John
A.
(1978).
The
organizational
double
bind:
Toward
an
understanding
of
rationality
and
its
complement.
Academy
of
Management
Review,
3(4),
786-‐795.
Wallraff,
Günter.
(1986).
Tête
de
Turc.
Paris:
Editions
de
La
Découverte.
Wallraff,
Günter.
(2012).
Parmi
les
perdants
du
meilleur
des
mondes:
Enquêtes
infiltrées
(O.
Cyran,
M.
Dautrey
&
M.
Rival,
Trans.).
Paris:
Editions
La
Découverte.
Walter,
Christian
(Ed.).
(2010).
Nouvelles
normes
financières:
s'
organiser
face
à
la
crise.
Paris:
498
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
Springer.
Warren,
Samantha.
(2002).
'Show
Me
How
it
Feels
to
Work
Here':
Using
Photography
to
Research
Organizational
Aesthetics.
Theory
and
Politics
in
Organizations,
2,
224-‐245.
Warren,
Samantha.
(2005).
Photography
and
voice
in
critical
qualitative
management
research.
Accounting,
Auditing
&
Accountability
Journal,
18(6),
861-‐882.
Watson,
C.W.
(1999).
Being
There:
Fieldwork
in
Anthropology.
Michigan:
Pluto
Press.
Watson,
Tony
J.
(2011).
Ethnography,
reality,
and
truth:
the
vital
need
for
studies
of
“how
things
work”
in
organizations
and
management.
Journal
of
Management
Studies,
48(1),
202-‐
217.
Watts,
S.
(1997).
Epidemics
and
History:
disease,
power
and
imperialism.
New
Haven:
Yale
University
Press.
Watzlawick,
Paul.
(1971).
Patterns
of
psychotic
communication.
In
D.
P.
&
L.
C.
(Eds.),
Problems
of
Psychosis.
Amsterdam:
Excerpta
Medica.
WCED.
(1987).
Towards
sustainable
Development:
our
common
future.
Oxford:
World
Commission
on
environment
and
Development.
Weaver,
Gary
R,
&
Treviño,
Linda
Klebe.
(1999).
Compliance
and
values
oriented
ethics
programs:
Influences
on
employees'
attitudes
and
behavior.
Business
Ethics
Quarterly,
315-‐
335.
Weaver,
Gary
R,
Treviño,
Linda
Klebe,
&
Cochran,
Philip
L.
(1999a).
Corporate
ethics
programs
as
control
systems:
Influences
of
executive
commitment
and
environmental
factors.
Academy
of
Management
Journal,
42(1),
41-‐57.
Weaver,
Gary
R,
Treviño,
Linda
Klebe,
&
Cochran,
Philip
L.
(1999b).
Integrated
and
decoupled
corporate
social
performance:
Management
commitments,
external
pressures,
and
corporate
ethics
practices.
Academy
of
Management
Journal,
42(5),
539-‐552.
Weber,
Max.
(1964).
L'Ethique
Protestante
et
l'esprit
du
capitalisme.
Paris
Plon.
Weber,
Max.
(1999).
La
Bourse
(P.
Morin,
Trans.).
Paris:
Editions
Transition.
Weeks,
John.
(2004).
Unpopular
culture:
The
ritual
of
complaint
in
a
British
bank.
Chicago:
University
of
Chicago
Press.
Weick,
K.E.
(1979).
The
Social
Psychology
of
Organizing.
Random
House,
Incorporated.
Weick,
K.E.
(1989).
Book
review
on
"Tales
of
the
Field:
on
writing
ethnography"
by
John
van
Maanen.
Administrative
Science
Quarterly,
34(2),
307-‐311.
Weick,
Karl
E.
(1993).
The
collapse
of
sensemaking
in
organizations:
The
Mann
Gulch
disaster.
Administrative
Science
Quarterly,
38(4),
628-‐652.
Weick,
Karl
E,
Sutcliffe,
Kathleen
M,
&
Obstfeld,
David.
(2005).
Organizing
and
the
process
of
sensemaking.
Organization
Science,
16(4),
409-‐421.
Werhane,
Patricia
H.
(1998).
Moral
imagination
and
the
search
for
ethical
decision
making
in
management.
Business
Ethics
Quarterly,
8,
75-‐98.
Werhane,
Patricia
H.
(2008).
Mental
models,
moral
imagination
and
system
thinking
in
the
age
of
globalization.
Journal
of
Business
Ethics,
78(3),
463-‐474.
Werhane,
Patricia
H,
&
Freeman,
R
Edward.
(1999).
Business
ethics:
the
state
of
the
art.
International
Journal
of
Management
Reviews,
1(1),
1-‐16.
Wheeler,
David,
Colbert,
Barry,
&
Freeman,
R
Edward.
(2003).
Focusing
on
value:
Reconciling
corporate
social
responsibility,
sustainability
and
a
stakeholder
approach
in
a
network
world.
Journal
of
General
Management,
28(3),
1-‐28.
White,
Darin
W,
&
Lean,
Emily.
(2008).
The
impact
of
perceived
leader
integrity
on
subordinates
in
a
work
team
environment.
Journal
of
Business
Ethics,
81(4),
765-‐778.
Whittington,
Richard.
(2006).
Completing
the
practice
turn
in
strategy
research.
Organization
499
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
500
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
Première
partie:
L’éthique
et
les
enjeux
de
la
pratique
dans
la
conformité
bancaire
.............................................................................................................................
32
Chapitre
1
:
Ethique
et
Pratique
:
une
revue
des
dissonances
et
des
enjeux
...............................................................................................................................................
33
1.1.
Dissonances
:
l'éthique
des
affaires,
ou
de
la
banalité
du
bien
et
du
mal
........
33
1.1.1.
L'institutionnalisation
de
l'éthique
des
affaires
..........................................................
34
1.1.1.1.
Un
champ
flou
pour
une
définition
floue
de
l'éthique...
................................
34
1.1.1.2.
...et
des
applications
tout
autant
diverses
et
confuses
..................................
40
1.1.2.
Analyse
de
la
dissociation
paradoxale
entre
l'éthique
et
la
pratique
.................
46
1.1.2.1.
La
division
organisationnelle
de
l'éthique
......................................................
47
1.1.2.2.
Le
Bien
et
le
Mal
comme
objets
de
connaissance
et
de
contrôle:
implications
d'une
éthique
"objective"
............................................................................................
50
1.2.
Retour
sur
les
enjeux
concrets
de
l'éthique
en
situation
......................................
54
1.2.1.
Agir
face
à
la
complexité
........................................................................................................
54
1.2.1.1.
Le
pluralisme
et
la
contradiction
....................................................................
54
1.2.1.2.
La
complexité
comme
conditionnement
de
l'action
et
de
l'éthique
en
particulier
.....................................................................................................................
59
1.2.1.3.
Mise
en
évidence
de
la
dimension
éthique
du
paradoxe
...............................
61
1.2.2.
Agir
face
au(x)
risque(s)
........................................................................................................
63
1.2.2.1.
Le
risque
comme
construction
sociale
complexe
...........................................
64
1.2.2.2.
La
'normophrènie'
et
autres
enjeux
d'une
société
sécuritaire
.......................
70
1.2.2.3.
Risque,
norme
et
éthique:
questions
de
localisation
de
la
responsabilité,
de
normalité
et
de
pollution
.............................................................................................
73
501
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
Chapitre
2
-‐
Argent
Sale
et
Mains
Sales
:
de
l'éthique
en
milieu
financier
et
de
conformité
bancaire
................................................................................................
87
2.1.
Les
études
sociales
de
la
finance
(à
la
fois
une
littérature
et
une
approche
particulière)
..................................................................................................................................
87
2.1.1.
Un
champ
émergent
.................................................................................................................
88
2.1.1.1.
Constitution
progressive
d'un
champ
de
recherche
spécialisé
......................
88
2.1.1.2.
De
la
performativité
dans
le
champ
financier
................................................
93
2.1.2.
Approches
de
la
Conformité
bancaire
..............................................................................
94
2.1.2.1.
La
Conformité
bancaire:
un
objet
d'étude
encore
récent
..............................
94
2.1.2.2.
De
la
déontologie
à
la
conformité:
un
passage
significatif
.............................
97
2.1.2.3.
Mise
en
évidence
de
la
construction
endogène
de
la
conformité
et
ses
enjeux
performatifs
................................................................................................................
100
2.1.3.
Conclusion
sur
les
intérêts
des
SSF
et
de
la
conformité
pour
l'étude
de
l'éthique
..................................................................................................................................................
103
2.2.
L'Argent
Sale:
entre
souillure
et
illégalité
................................................................
105
2.2.1.
Argent,
banques
et
société
.................................................................................................
105
2.2.1.1.
Un
rapport
entre
intimité
et
conflit
..............................................................
105
2.2.1.2.
La
crise
financière
de
2007-‐2011
et
l'incrimination
de
la
finance
................
109
2.2.1.3.
Pecunia
non
olet
?
De
la
souillure
de
l'argent
..............................................
112
2.2.2.
L'argent
sale
comme
argent
illicite:
ses
circuits,
ses
enjeux
...............................
118
2.2.2.1.
Emergence
et
définition
de
"l'argent
sale"
...................................................
118
2.2.2.2.
L’organisation
contemporaine
de
la
LAB
dans
les
institutions
bancaires
et
financières
..................................................................................................................
121
2.3.
Les
Mains
Sales:
la
question
de
l'agence
morale
et
de
son
étude
......................
126
2.3.1.
Contradictions
internes:
les
affaires
et
les
banques
d'affaires
..........................
126
2.3.1.1.
La
"double
paire
d'yeux":
l'autorégulation
et
le
bien
fondé
des
activités
bancaires
....................................................................................................................
126
2.3.1.2.
Ethique,
banque
et
la
transformation
de
leur
rapport
avec
l'émergence
d'un
système
de
Conformité
mondial
................................................................................
128
2.3.2.
Organiser
le
contrôle,
gérer
l’argent
sale
....................................................................
131
2.3.2.1.
Normes
et
Risques:
les
deux
faces
cachées
de
la
mondialisation
de
la
finance
....................................................................................................................................
131
2.3.2.2.
Etre
en
conformité:
l’enjeu
du
découplage
..................................................
134
Chapitre
3
:
L’Ethique
comme
pratique
située
:
proposition
théorique
...
138
3.1.
Conditions
pour
étudier
l’éthique
en
situation
.......................................................
138
3.1.1.
L’échec
de
l’éthique
des
affaires
à
dépasser
...............................................................
138
3.1.1.1.
De
la
banalité
du
bien
et
du
mal
à
«
l’organisation
de
l’irresponsabilité
»
..
138
502
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
3.1.1.2.
Repartir
des
perspectives
critiques
contre
l’éthique
des
affaires
pour
penser
l’éthique
dans
les
affaires
...........................................................................................
141
3.1.2.
Etudier
l’éthique
en
situation
:
l’herméneutique,
la
pratique,
la
situation
...
145
3.1.2.1.
Verbaliser
et
faire
sens
:
l’herméneutique
au
cœur
de
l’éthique
quotidienne
....................................................................................................................................
145
3.1.3.2.
D’une
éthique
en
pratique
à
une
éthique
comme
pratique
:
Le
tournant
pratique
en
sciences
de
gestion
et
en
éthique
des
affaires
.......................................
149
3.1.3.3.
Qu’est-‐ce
qu’une
situation
?
Apports
théoriques
et
fondements
d’un
dépassement
..............................................................................................................
153
3.2.
Un
retour
à
la
pratique
via
l’être
:
renouer
avec
la
dimension
ontologique
de
l'éthique
........................................................................................................................................
159
3.2.1.
L'Ethique
n'est
pas
que
une
question
de
Bien
et
de
Mal
.......................................
159
3.2.1.1.
Retour
sur
les
définitions
et
usages
..............................................................
159
3.2.1.2.
Retour
sur
une
étymologie
et
des
fondements
conceptuels
complexes
pour
définir
une
éthique
ontologique
................................................................................
163
3.2.2.
Implications
d’une
éthique
ontologique
......................................................................
165
3.2.2.1.
Re-‐personnifier
l’éthique
:
une
anthropologie
de
l’éthique
.........................
165
3.2.2.2.
Une
dimension
relationnelle
et
multiniveaux
..............................................
167
3.2.3.
Vers
une
conception
située
de
l’éthique
ontologique
............................................
172
3.2.4.
Synthèse
:
le
travail
de
l’éthique
comme
pratique
située
.....................................
175
Chapitre
4.
Méthodologie
..........................................................................................
180
4.1.
Posture
en
poupée
russe
:
questions
éthiques
d’une
chercheuse
en
éthique
et
autres
problématiques
épistémologiques
........................................................................
180
4.1.1.
Choix
et
cheminements
:
prolégomènes
à
l’étude
terrain
...................................
180
4.1.2.
Des
paradigmes
aux
problèmes
épistémologiques
et
explicitation
de
notre
démarche
...............................................................................................................................................
185
4.1.2.1.
Etre
habité
par
l’objet
de
la
recherche
:
des
métaphores
aux
implications
pour
une
étude
multiniveaux
.....................................................................................
186
4.1.2.2.
La
dimension
réflexive
et
l’implication
du
chercheur
...................................
188
4.1.2.3.
La
question
de
la
contextualisation
..............................................................
190
4.1.2.4.
Chaosmos
:
épistémologie
de
la
complexité
et
implications
de
méthode
pour
penser
les
situations
...................................................................................................
194
4.1.2.5.
La
question
du
statut
de
la
connaissance
en
éthique
...................................
196
4.1.3.
Mise
en
abîme
:
questions
d’éthique
d’une
chercheuse
en
éthique
.................
199
4.1.3.1.
Note
sur
les
standards
d’éthique
de
la
recherche
........................................
199
4.1.3.2.
Difficultés
particulières
liées
à
un
sujet
et
un
terrain
‘moralement
problématiques’
.........................................................................................................
202
4.2.
La
démarche
ethnographique
et
sa
justification
....................................................
206
4.2.1.
Une
démarche
interprétative
par
immersion
............................................................
206
4.2.1.1.
L’ethnographie
comme
le
produit
de
plusieurs
méthodes
..........................
206
4.2.1.2.
La
visée
interprétative
et
compréhensive,
et
la
question
de
l’engagement
210
4.2.2.
Etudier
l’éthique
en
situation
...........................................................................................
213
4.2.2.1.
Fenêtre
sur
«
comment
ça
marche
»
............................................................
213
4.2.2.2.
Fenêtre
sur
le
vécu
et
le
quotidien
...............................................................
216
4.2.2.3.
Conclusions
méthodologiques
pour
étudier
l’éthique
en
situation
.............
218
4.3.
Mise
en
place
du
«
travail
»
ethnographique
et
d’analyse
...................................
220
503
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
Conclusion
de
la
première
partie
:
En
deça
du
bien
et
du
mal,
une
éthique
à
‘bricoler’
in
situ
-‐
questions
de
recherche
et
cheminement
..........................
253
Deuxième
partie:
Dynamique
transversale
d’une
éthique
comme
pratique
située
à
plusieurs
niveaux
........................................................................................
258
Chapitre
5.
Analyse
de
premier
niveau
:
Etude
d’une
cellule
de
conformité
dédiée
à
la
lutte-‐anti-‐blanchiment
dans
une
Banque
d’Investissement
Française
........................................................................................................................
259
5.1.
Présentation
synthétique
du
cas
BUF-‐BI
...................................................................
259
5.1.1.
BUF
...............................................................................................................................................
259
5.1.2.
BUF-‐BI
.......................................................................................................................................
263
5.1.3.
L’organisation
de
la
fonction
KYC-‐AML
au
sein
de
BUF
........................................
264
5.2.
Phase
1-‐A
:
Observations
sur
le
mode
non-‐participant
........................................
266
5.2.1.
L’équipe
......................................................................................................................................
266
5.2.2.
Déroulé
de
l’observation
.....................................................................................................
268
5.2.3.
Contexte
...................................................................................................................................
280
5.2.4.
Fin
de
la
période
d’observation
non-‐participante
(phase
1-‐A)
..........................
290
5.3.
Phase
2-‐A
:
Observations
sur
le
mode
participant
.................................................
293
5.3.1.
Déroulé
du
stage
.....................................................................................................................
293
5.3.2.
Evolution
de
l’équipe
............................................................................................................
298
5.3.3.
Contexte
......................................................................................................................................
301
5.3.4.
Fin
de
la
période
d’observation
participante
(phase
2-‐A)
...................................
305
5.4.
Synthèse
et
rappel
du
cheminement
de
l’analyse
à
suivre
.................................
306
Chapitre
6.
«
Servir
deux
maitres
»
:
Dimension
organisationnelle
et
managériale
de
l’éthique
comme
pratique
située
............................................
308
6.1.
L’organisation
du
travail
de
la
conformité
au
quotidien
.....................................
308
6.1.1.
Différentes
perceptions
sur
le
travail
de
la
conformité
.........................................
308
504
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
6.1.1.1.
Ce
qu’on
leur
demande
de
faire
:
gérer
le
risque…
......................................
308
6.1.1.2.
Ce
qu’on
leur
demande
de
faire
:…
tout
en
optimisant
le
profit
..................
311
6.1.1.3.
Leur
perception
et
celle
des
autres
sur
leur
travail
......................................
314
6.1.2.
Ce
qu’ils
font
concrètement
:
Bricoler
leur
chemin
dans
la
contradiction
comme
organizing
.............................................................................................................................
316
6.1.2.1.
Le
processus
de
gestion
des
risques
KYC-‐AML
au
sein
de
BUF-‐BI
................
316
6.1.2.2.
Travailler
dans
un
positionnement
«
entre
deux
feux
»
...............................
320
6.1.2.3.
Survivre
dans
une
organisation
où
la
confrontation
est
acceptée
et
même
organisée
....................................................................................................................
323
6.2.
Discussion
:
Servir
deux
maîtres
en
pratique
..........................................................
326
6.2.1.
L’organisation
comme
système
paradoxant
...............................................................
327
6.2.1.1.
Les
paradoxes
au
cœur
de
l’organizing
........................................................
327
6.2.1.2.
Faire
sens
du
paradoxe
.................................................................................
330
6.2.2.
Du
bricolage
à
la
médiation
...............................................................................................
332
6.2.2.1.
Bricoler
un
chemin
pour
permettre
l’action
.................................................
332
6.2.2.2.
Faire
équipe,
agir
ensemble
.........................................................................
333
6.2.2.3.
Les
relations
entre
les
acteurs
:
confiance,
réseaux
et
médiation
...............
334
6.2.2.4.
Concevoir
autrement
la
responsabilité
managériale
...................................
338
6.2.3.
Perspectives
..............................................................................................................................
342
Chapitre
7
:
Entre
Confort
et
Conformité
:
le
travail
de
l’éthique
comme
pratique
située
et
incarnée
au
niveau
du
sujet
.................................................
345
7.1.
Le
vécu
de
la
conformité
au
quotidien
.......................................................................
346
7.1.1.
Le
travail
de
la
conformité
:
la
question
de
la
mise
en
pratique
effective
des
reglementations
..................................................................................................................................
346
7.1.1.1.
S’adapter
à
une
‘approche
par
les
risques’
..................................................
346
7.1.1.2.
Appliquer
à
la
lettre
ou
travailler
autour
:
l’analyse
entre
tolérance
zéro
et
approche
par
les
risques
............................................................................................
348
7.1.1.3.
Les
impacts
sur
l’organisation
et
la
productivité
..........................................
351
7.1.2.
Incarner
la
conformité
.........................................................................................................
356
7.1.2.1.
Les
impacts
d’éthique
sur
le
rôle
des
analystes
...........................................
357
7.1.2.2.
La
voix
de
la
conformité
...............................................................................
358
7.1.2.3.
Pratiques
verbales
et
justification
des
décisions
du
confort
........................
361
7.1.2.4.
Pratiques
verbales
de
résistance
et
justifications
des
décisions
de
l’inconfort
....................................................................................................................................
363
7.2.
Discussion
:
agir
entre
confort
et
conformité
..........................................................
367
7.2.1.
La
zone
de
confort
:
une
proposition
conceptuelle
.................................................
367
7.2.1.1.
Etre
le
locus
bellicus
de
la
résistance
éthique
..............................................
367
7.2.1.2.
Le
confort
comme
symptôme
de
la
conformité
incarnée
et
critère
performatif
.................................................................................................................
371
7.2.2.
Du
découplage
au
recouplage
par
le
confort
et
le
niveau
individuel
...............
374
7.2.2.1.
Le
rôle
de
la
zone
de
confort
dans
les
processus
d’institutionnalisation
.....
374
7.2.2.2.
Le
découplage/recouplage
:
implications
pour
l’organizing
.........................
376
7.2.2.3.
Le
découplage/recouplage
:
implications
pour
l’éthique
comme
pratique
située
..........................................................................................................................
380
7.2.3.
Perspectives
..............................................................................................................................
382
505
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
Chapitre
8.
Le
Même
et
l'Autre
comme
objets
de
gestion
:
l’encastrement
institutionnel
de
l’éthique
comme
pratique
située
..........................................
385
8.1.
L’encastrement
institutionnel
de
la
conformité
.....................................................
386
8.1.1.
La
situation
institutionnelle
de
la
conformité
bancaire
........................................
386
8.1.1.1.
Comprendre
la
conformité
bancaire
comme
un
champ
..............................
386
8.1.1.2.
Le
rôle-‐frontière
du
KYC-‐AML
dans
ce
champ
:
lui
donner
forme
en
le
conformant
.................................................................................................................
389
8.1.2.
La
construction
de
la
souillure
:
un
travail
doublement
situé
............................
394
8.1.2.1.
Gérer
l’Autre
:
le
travail
de
classification
......................................................
395
8.1.2.2.
Gérer
le
Même
:
le
travail
autour
de
l’identité
et
la
question
de
la
réputation
....................................................................................................................................
399
8.2.
Discussion
:
la
construction
située
du
Même
et
de
l’Autre
comme
objets
de
gestion
...........................................................................................................................................
403
8.2.1.
La
situation
d’éthique
est
aussi
institutionnelle
.......................................................
403
8.2.1.1.
Les
dimensions
institutionnelles
de
la
situation
d’éthique
..........................
403
8.2.1.2.
Les
dynamiques
institutionnelles
de
la
situation
d’éthique
:
le
travail
sur
les
‘frontières’
et
la
puissance
de
la
négativité
................................................................
405
8.2.2.
Conclusions
intégratives
et
perspectives
....................................................................
408
Conclusion
:
Par
delà
le
Bien
et
le
Mal,
le
Travail
.............................................
412
i.
De
la
Bourse
de
Paris
à
la
Place
Syntagma
et
à
Wall
Street
................................
412
ii.
Conclusions
de
cette
étude
sur
le
travail
multiniveaux
de
l’éthique
.............
414
a.
Apports
et
limites
conceptuelles
.............................................................................................
414
b.
Apports
et
limites
méthodologiques
.....................................................................................
417
C.
Apports
et
limites
pour
la
pratique
gestionnaire,
bancaire,
déontologique
et
scientifique
............................................................................................................................................
421
iii.
Epilogue
............................................................................................................................
425
iv.
Ouvertures
........................................................................................................................
426
Annexes
...........................................................................................................................
429
Annexe
1
:
Abréviations
et
acronymes
.........................................................................
429
Annexe
2
:
Glossaire
des
termes
.....................................................................................
431
Annexe
3
:
Documents
relatifs
à
l’étude
de
BUF-‐BI
..................................................
434
Accord
de
confidentialité
signé
et
anonymisé
....................................................
434
Convention
de
stage
deuxième
période
anonymisé
.........................................
435
Liste
des
principaux
acteurs........................................................................................436
Chronologie
détaillée
des
périodes
sur
le
terrain..............................................437
Compléments:
Une
journée
de
travail
ordinaire
d'un
analyste
KYC-‐
AML........................................................................................................................................439
Compléments:
Kit
de
base
de
tout
analyste.........................................................440
Compléments:
Formation.............................................................................................441
Compléments:
Réunions................................................................................................441
Compléments:
quelques
réalisations
par
la
doctorantes
durant
le
stage.......................................................................................................................................444
Annexe
4:
Documents
et
sources
secondaires.........................................................446
506
-‐
L’ÉTHIQUE
COMME
PRATIQUE
SITUÉE
-‐
Bibliographie
................................................................................................................
467
507
ECOLE DOCTORALE DE MANAGEMENT PANTHÉON-SORBONNE
ESCP Europe -
Ecole Doctorale de Management
Panthéon-Sorbonne - ED 559
Présentée et Soutenue par Mariana Pérez Torrescano Salgado, dite Mar Pérezts
RÉSUMÉ DE LA THÈSE : L’éthique comme pratique située : étude multiniveaux sur l’éthique
au travail dans la conformité bancaire.
Qu'en est-il de l'éthique dans les banques? Depuis le début de la crise financière initiée en 2007,
cette question a de plus en plus envahi les préoccupations médiatiques et académiques, et a
également déclenché ce travail de thèse. Par delà l’effervescence du contexte de crise d’une part, et
en évitant toute approche normative d’autre part, cette thèse se penche sur la fabrique de l’éthique,
sur l’éthique au travail et à l’œuvre dans les processus d’organisation et les organisations, c’est à
dire conçue avant tout comme pratique. Nous proposons une lecture qui considère l’éthique en
situation, sous l’angle de la pratique et non simplement celui ni des discours ni des normes et leur
application conforme. Ceci nous permet justement d’appréhender de manière transversale et intégrée
le lien entre l’éthique comme processus, ces discours et ces normes au sein même des processus
d’organisation. A travers une étude ethnographique dans une cellule Conformité dédiée à la lutte
anti-blanchiment d'une des principales banques d'investissement françaises, nous explorons la
fabrique et le travail de ‘l'éthique comme pratique située’. Nous proposons et définissons ce
syntagme pour aborder l'éthique en tant que phénomène organisationnel, que nous définissions
comme 1) complexe que dynamique, 2) embarqué simultanément aux niveaux micro (au sein de
sujets moraux), méso (dans des organisations humaines) et macro (au niveau institutionnel), et 3)
dans un rapport de rétro-alimentation par rapport à sa situation. Le contexte de conformité bancaire
est un milieu privilégié pour cette étude, surtout en temps de crise financière et de valeurs, car il
exacerbe les tensions et les enjeux concrets qui défient la pratique quotidienne de l'éthique en
rapport constant avec la norme, le risque et l’impératif de conformité.
Mots-clés : Conformité Bancaire, Ethique comme Pratique, Ethique des Affaires, Ethnographie,
Etudes Sociales de la Finance, Situation, Travail.
Whither ethics in banking? This question has increasingly pervaded media and academic concerns
since the outbreak of the 2007 financial crisis, and has also triggered this dissertation. Beyond the
current turmoil on the one hand, and avoiding a normative approach on the other, this study focuses
on ethics in the making, on ethics at work in organizing and organizations, that is and ethics
understood essentially as practice. Our perspective considers ethics in situ, from a practice and
situational approach and not solely from either the standpoint of discourse or that of norms and their
effective compliance. This allows us precisely to apprehend in a transversal and integrated way the
link between ethics as process and such discourses and norms within organizing. Through an
ethnographic study of a major French Investment Bank's Anti-Money Laundering Compliance unit,
this thesis focuses on ethics in the making, and the work of ‘ethics as situated practice’. We propose
and define this syntagma to consider ethics as an organizational phenomenon, which we define as 1)
complex and dynamic, 2) simultaneously embedded at the micro (within moral subjects), meso
(within human organisations) and macro (at the institutional level), and 3) in an engaged loop
circling back to its situation. The context of banking compliance is of great relevance for this study,
particularly in times of financial and values crisis, since it exacerbates the specific tensions and
stakes that challenge on a daily basis ethics in its constant relation with norms, risks and the
imperative of compliance.
Key words: Banking Compliance, Business Ethics, Ethics as Practice, Ethnography, Situation,
Social Studies of Finance, Work.