L'amant - Duras
L'amant - Duras
L'amant - Duras
1. RÉSUMÉ
La narratrice, c'est l'auteur lorsqu'elle avait 15 ans et demi. Elle raconte un épisode de sa propre vie.
L'action se situe en Indochine où elle vit avec sa mère, veuve, et ses deux frères, tous deux plus âgés
qu'elle. Inscrit de force dans un lycée pour étudier les mathématiques, peut-être dans le but secret de
prendre la relève de sa mère enseignante dans cette matière, elle ne rêve que de devenir écrivain. Elle est
pensionnaire, et à ce titre plutôt laissée seule. Un jour durant lequel elle traverse le fleuve séparant son
lycée et sa pension, elle rencontre un banquier chinois, jeune et riche. Ils tombent éperdument amoureux
et commencent une relation faite d'amour et d'argent, difficilement qualifiable de relation saine et stable.
Elle va durer un an et demi durant lequel ce chinois va régulièrement rencontrer Marguerite, l'amener
parfois à sa pension, souvent dans sa garçonnière où elle va découvrir l'amour physique. Durant cette
période Marguerite doit faire face à la honte, à la peur, à la jalousie et doit parvenir à trouver sa place au
sein d'une famille où il est difficile de s'imposer. En effet, sa mère est terriblement distante, son frère aîné
Pierre est violent, il attire toute l'attention et l'amour de sa mère, et son second frère, Paul, fragile, doux,
est totalement délaissé par le reste de sa famille, à l'exception de Marguerite qui lui voue une adoration
jusqu'à sa mort brutale et prématurée.
Ce livre raconte à la fois une période de l'enfance de Marguerite Duras et comment elle est parvenue à
sortir du contexte familial, d'un carcan scolaire, où elle n'était vue que comme une européenne au milieu
de la communauté asiatique.
2. ANALYSE
Pour Marguerite Duras, tout ce qu'elle a vécu après les évènements racontés dans ce livre "ne servent à
rien". Ceci donne l'importance qu'elle accorde à ce récit, importance multipliée par le fait qu'elle a rédigé
un autre livre sur le même thème quelques années plus tard. Si le livre raconte sa première expérience
sexuelle avec un riche Chinois, il ne faut pas considérer qu'il se limite à cette seule expérience initiatique.
C’est un livre traitant surtout des relations entretenues entre tous les membres de sa famille, cela dans
l'environnement propre à l'Indochine des années 20. La transgression sociale est probablement le message
principal passé derrière le premier niveau de lecture que l'on peut faire de ce livre. Pour la petite histoire,
ce livre s'est vendu à un million et demi d’exemplaires et il a été traduit dans quarante-trois langues.
3. LIENS DE LA NARRATRICE
• avec sa mère : si le duo formé par la maîtresse et l'amant est bien au centre de l'histoire, celui
formé par la mère et sa fille a la même importance. Il est à double face. D'un côté, la mère est
d'une grande protection envers ses enfants, elle les choie comme une mère aimante doit le faire,
elle parle abondamment de ses enfants avec une grande fierté. Mais elle leur transmet à son insu
une vénalité poussée à son paroxysme qui va encourager les enfants à rechercher de l'argent par
tous les moyens. C'est la mère elle-même qui va pousser sa fille vers la semi-prostitution, allant
jusqu'à lui offrir des attributs provoquants : une robe quasiment transparente, des chaussures à
talons hauts, un chapeau masculin. L'appât du gain (richiamo del guadagno) est plus fort que la
protection qu'une mère doit à sa fille, préférant la voir dans les bras d'un homme riche, quitte à
déroger à la bienséance (discostarsi dal galateo) de l'époque qui ne voulait pas d'union entre les
membres de peuples différents. Ce jeu de dupe (inganno), la fille l'a parfaitement compris et
assimilé, mais jamais elle ne s'en ouvrira à qui que ce soit, préférant rester dans une sorte de non-
dit. Le rapport exprimé dans la dualité protection-prostitution est une vrai tragédie pour les
rapports humains qui en pâtiront fort longtemps après cet épisode de la vie de l'auteur.Par ailleurs
on peut trouver dans cette relation mère-fille une notion de jalousie de la mère pour le bonheur
de la fille. Bonheur qu'elle n'a pas eu, n'ayant visiblement jamais connu la jouissance (goduria), et
c'est donc à travers sa fille que la mère projette sa propre sexualité arrêtée à la mort de son mari.
Ceci doit, au moins en partie, expliquer pourquoi cette mère met ainsi en danger sa propre fille. Il
faut noter aussi qu'il n'y a pas vraiment de communication entre les deux, les non-dits revêtent
alors plus d'importance aux yeux de la mère et de sa fille ; il en ressort une liberté que la fille
s'octroie par rapport sa mère. Dans le récit l'écriture de l'auteur se fait plus fluide lorsqu'elle parle
de sa mère. Elle utilise ce technique afin de créer des souvenirs pour la vie sans rechercher dans le
passé et surtout parce que, en étant une écrivaine, c’est la vie plus rapide pour se souvenir d’elle.
• avec ses frères : la narratrice a deux frères, qui ont un rôle moins important dans l'histoire que les
autres personnages. L'aîné (primogenito), Pierre, est un homme brutal. Il ne vit que pour jouer,
boire et fumer de l’opium. Il se trouve régulièrement dans les endroits peu recommandables de la
ville et n'a que peu de rapports avec Marguerite. Mais dès le début de l'histoire ce frère comprend
que seule elle peut rapporter de l'argent à la famille et c'est tout naturellement qu'il va appuyer la
relation entre sa sœur et son amant pour en tirer le maximum d'argent, argent qui lui sert
essentiellement à rembourser ses dettes.
Le second frère, Paul, plus jeune, est un peu son opposé. Calme, sérieux, Marguerite le voit comme
un confident. Malheureusement pour elle, il décède tôt, laissant sa sœur dans le désarroi, sans
personne à qui se confier. On peut lire parfois, en fonction des interprétations, que l'amour que
porte Marguerite Duras à ce frère est d'ordre incestueux et que la relation qu'elle entretient avec
le Chinois n'est qu'un substitutif à celui, plus sérieux, qu'elle voue à ce frère disparu.
• avec son amant : personnage central de l'histoire, l'amant est un riche chinois de 40 ans prêt à se
marier, et qui tombe amoureux de cette (trop) jeune française sur un bac qui traverse le Mékong.
Dès le début de l'histoire le lecteur sait qu'il a une vrai attirance physique qui débouchera sur une
relation passionnée. Jamais son nom n'est indiqué. Son rôle est de servir l'histoire, il doit avoir une
fonction liée à l'attirance de la narratrice, puis à l'éveil de sa sexualité. Il représente aux yeux du
lecteur une simple position sociale, mais aussi aux yeux de la narratrice, qui accepte de le suivre
dans sa garçonnière. Elle souhaite avoir une relation sexuelle, non pas par désir mais par esprit
d'indépendance, par liberté d'action, par volonté de transgression. De son côté l'amant sait que
leur relation ne durera pas et qu'elle n'existe que parce qu'il a une situation sociale élevée. La
relation a bel et bien lieu et après l'avoir traité comme une femme il la traite comme une enfant,
s'occupant d'elle comme le ferait un père de son enfant. Il la nourrit, la couche, la lave, etc. Cette
relation ambigüe deviendra catastrophique pour Marguerite lorsqu'elle découvrira qu'elle a des
sentiments forts pour lui, sentiments qu'elle a voulu taire. Mais se sera trop tard, l'amoureuse sera
prise entre sa recherche de la relation pour l'argent et celle pour l'amour. En prenant conscience
de son immaturité au début de la relation elle s'ouvre les portes de la souffrance d'une
déconvenue amoureuse.
La tenue de la narratrice est volontairement provocante. Marguerite Duras insiste sur le chapeau
et les chaussures à talons hauts, deux accessoires rigoureusement interdits pour les jeunes filles du
début du siècle. Ils sont la base de la tenue vestimentaire et c'est aussi ce qui attire le regard du
chinois. Mais c'est aussi pour l'auteur une façon de marquer une séparation entre la bienséance,
évoqué par l'ensemble des autres personnages occidentaux du livre, et son héroïne, libre au-delà
de ses propres désirs. Ainsi séparée du reste de la communauté elle peut vivre sa propre vie de la
façon qu'elle a choisi, libre, faisant tomber les tabous de la société française en Indochine.
• avec elle – même : autobiographie ou roman de pure fiction ? Marguerite Duras elle-même répond
à cette question dans l'incipit, nous expliquant les raisons de l'écriture de ce livre. Elle souhaitait,
60 ans après les faits, raconter ce qu'elle appelle "la face cachée de sa vie", jamais révélée à ses
lecteurs. Toutefois elle précise que les faits ne sont pas parfaitement fidèles à la réalité et en ça
elle annonce qu'il ne s'agit pas d'une autobiographie fidèle. Certains éléments du récit sont donc
inventés ou restent volontairement peu précis, soit parce qu'elle ne souhaitait pas livrer ces
détails, soit plus fréquemment parce que ses souvenirs la trahissaient. Parfois aussi il s'agissait de
retranscrire de façon plus proche de la réalité un sentiment, elle a donc dans ce cas travesti la
réalité pour pouvoir mieux exprimer ses sentiments. Il s'agit probablement pour elle de trouver
dans l'imaginaire la réalité de la vie de cette jeune fille qu'elle était. Mais ça ne concerne que des
détails, le récit principal est authentique.
EXTRAIT : "Dans les histoires de mes livres qui se rapportent à mon enfance, je ne sais plus tout à
coup ce que j'ai évité de dire, ce que j'ai dit, je crois avoir dit l'amour que l'on portait à notre mère
mais je ne sais pas si j'ai dit la haine qu'on lui portait aussi et l'amour qu'on se portait les uns aux
autres, et la haine aussi, terrible, dans cette histoire commune de ruine et de mort qui était celle de
cette famille dans tous les cas, dans celui de l'amour comme dans celui de la haine et qui échappe
encore à tout mon entendement, qui m'est encore inaccessible, cachée au plus profond de ma
chair, aveugle comme un nouveau-né au premier jour. Elle est le lieu au seuil de quoi le silence
commence."
Le livre est rarement écrit à la première personne. Rarement, ça signifie que le "je" est utilisé pour
marquer la parole de l'écrivain, à 70 ans passés. Le reste du texte est rédigé à la troisième
personne, comme si il y avait une distance naturelle que les années ont mis entre la jeune fille du
livre et l'écrivain.
Il y a un élément important de la vie de Marguerite Duras dans ce livre, et il ne s'agit pas de son
ouverture précoce à la sexualité. Durant toute l'histoire on suit la narratrice, projetée "future
mathématicienne" mais rêvant de devenir écrivain. L'Amant raconte les prémices de la vie
professionnelle de l'auteur. On lit son désir d'écrire, de décrire. On y lit aussi qu'il s'agit pour elle
bien plus qu'une simple envie, c'est un besoin. Mais pour pouvoir le faire, il faut qu'elle se sépare
de sa famille, de son environnement. Autant son environnement ne sera modifié que plus tard,
autant la séparation d'avec sa famille se fait à la fin du livre, à un moment où elle se retrouve à
regarder sa mère comme une étrangère. A partir de là le regard de la narratrice prend de la
distance avec la famille et c'est celui de l'auteur qui prend le dessus. Le reste du livre est écrit non
plus en tant que fille racontant son histoire mais en tant qu'écrivain racontant ses souvenirs. Ceci
nous permet de nos jours de lire ce portrait familial avec le recul nécessaire qu'a pris l'auteur.
4. MESSAGE DU LIVRE
• les oppositions : le message principal de l'Amant est la nécessité de passer un rite de passage pour
se transformer. Qui dit rite de passage dit modification de la personnalité, de la perception de
l'héroïne. Les obstacles à franchir sont nombreux : Il y a tout d'abord l'opposition de sa famille à la
liaison qu'elle entretient avec le chinois, puis celle du père de l'amant avec son fils, le père refusant
lui aussi cette relation. Il va jusqu'à organiser le mariage de son fils avec une riche chinoise, faisant
fi de la relation que ce dernier a avec sa jeune maîtresse. Puis, il y a une opposition moins
personnelle entre les asiatiques et les européens dans l'environnement de l'Indochine du début du
XXe siècle. Il s'agit là de deux mondes qui s'opposent, mondes qui ne cherchent pas à se
rapprocher. D'ailleurs, les enclaves européennes dans les villes indochinoises sont la preuve du
refus des occidentaux de se mêler à la population locale. Cette opposition est là aussi mise en
évidence dans le récit, et ça à de nombreuses reprises.
Dans le livre, toutes ses oppositions sont autant d'obstacles que Marguerite doit franchir pour
s'accomplir. Elles doit faire face à sa famille, celle de son amant, celle de la société. Le livre peut
donc aussi être vu comme une longue initiation face à la vie en général. Et dans ce contexte,
Marguerite doit être seule, isolée. C'est justement parce qu'elle est isolée qu'elle se donne des
raisons d'agir, et donc de transgresser les oppositions qui ont été exprimées ci-dessus.
• l'eau : l'un des éléments principaux du livre, c'est la présence d'eau dans toutes les circonstances
du récit. L'eau joue un rôle important, par exemple en tant que rite : Les amants se douchent pour
se purifier avant d'avoir un rapport, c'est alors un rite de passage d'un état à l'autre. Dans le même
ordre d'idée, la maison du chinois est lavée à chaque fois que son frère la quitte. Il s'agit là aussi
d'un rite de passage servant à purifier le lieu, ce lavage a exactement le même rôle que l'exemple
précédent. D'un point de vue plus large, l'eau se retrouve aussi dans le contexte général : Les
amants se rencontrent sur le bac traversant le Mékong.
• les mythes : par ailleurs, le récit est émaillé d'allusions à des mythes célèbres. Le plus évident est
bien sûr celui de la Bible, Adam et Eve. Si l'on en croit les écritures, Adam et Eve transgressent
l'interdit en croquant le fruit défendu, allusion à des rapports sexuels interdits que l'on retrouvent
dans l'Amant. Le fait que de l'argent soit en jeu dans ces rapports poussent le lecteur à faire une
analogie directe à la prostitution, également défendue par la Bible. Dans ce cas, Caïn et Abel sont
représentés par les deux frères de Marguerite.