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REPUBLIQUE ALGERIENNE DEMOCRATIQUE ET POPULAIRE

Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche Scientifique

Université Alger 2

Faculté des langues étrangères

Département de Français

POLYCOPIE

Séminaire : Master sciences du langage

Théories linguistique

Crée et présenté par : Bestandji Nabila.

Année universitaire 2021-2022

1
POLYCOPIE

2
Séminaire : Master en sciences du langage : objets et méthodes linguistique1

Planning :

Cours 1 : (2 séances)2

Introduction : La linguistique contemporaine du structuralisme à la pragmatique


« mutation d’un objet d’étude ».

Cours 2 : (1 séances)

La notion de communication.

a- Le schéma de la communication selon R. Jackobson.

b- Le schéma de la communication selon C. Kerbrat Orecchioni.

1- Le problème de l’homogénéité du code.


2- Le problème de l’extériorité du code.
3- L’univers du discours.
4- Les compétences non linguistiques.

Cours 3 : Diverses approches pour divers discours. (2 séances)

A- L’approche énonciative.

L’énonciation ou l’activité discursive.

Cours 4 : (3 séances)

B- L’approche discursive.

a- La genèse des discours.

1
- La durée du séminaire est de 67 heures.
2
- La durée d’une séance est de 3 heures.

3
b- L’engagement de soi et la prise en charge du discours.

c- Places et formations imaginaires.

d- La théorie des représentations et du discours.

Cours 5 : (3 séances)

C- L’approche pragmatique et ses différents domaines d’étude.

 L’analyse interactionnelle.

a- L’analyse hiérarchique.

b- L’analyse fonctionnelle.

 L’analyse conversationnelle.

Cours 6 : (3 séances)

1- L’approche sociolinguistique et la sociolinguistique urbaine.

La sociolinguistique :

 La sociolinguistique variationniste.

 La sociolinguistique interactionnelle.

 La sociolinguistique urbaine.

4
Avant propos

Ce cours a pour ambition de faire un tour plus ou moins exhaustif sur les
différentes branches de la linguistique moderne en exposant les diverses approches
que peuvent adopter les linguistes ; approches adaptés aux divers corpus qui
peuvent se présenter à eux. En effet la diversité des discours, des perspectives et
des contextes mène les linguistes à s’adapter à leur objet d’étude à se mouvoir au
gré de leurs turbulences en composant à chaque fois avec une nouvelle boite à
outils devant servir à lire, comprendre et décortiquer leur centre observation3.

3
- Il est à signaler que nous avons pensé ce séminaire uniquement sur le plan théorique, la partie pratique
étant assurée par un autre enseignant.

5
COURS 1

6
Introduction : La linguistique contemporaine du structuralisme à la
pragmatique « mutation d’un objet d’étude »

Le langage a été depuis toujours un objet de fascination, un lieu


d’investigation pour de nombreux chercheurs à travers les âges. Cet objet,
complexe, a donc été pour de nombreuses disciplines, relevant non seulement des
sciences humaines, sociales et dures, une source intarissable de questionnements.
Une des sciences, mais néanmoins la plus importante, qui s’est penchée sur ce sujet
est la linguistique.

En effet, cette dernière dont les prémisses remontent à l’antiquité, n’a cessé
d’adapter et de réajuster ses outils d’étude afin d’appréhender cet objet qui est le
langage ; pour finalement se constituer comme discipline scientifique au cours du
XXème siècle et cela sous l’égide de F. de Saussure. Son objet de prédilection fut
“la langue“ ; étudié synchroniquement, en tant que système de signes servant
comme support de sens.

Mais, dés la fin des années 50, les préoccupations des chercheurs évoluèrent
et se diversifièrent, dans et hors du structuralisme. Les travaux de R. Jakobson en
particulier vont ouvrir «Des brèches dans le rigorisme saussurien et conduire au
dépassement du structuralisme lui-même»4.

P. Kuentz explique que «(…) Le problème qui se trouve posé à la recherche


linguistique par l’analyse des textes, c’est celui de la construction d’une nouvelle
linguistique (…). Il ne s’agit pas de dépasser la linguistique mais de l’amener à se
dépasser, c’est à dire à envisager d’étendre son domaine en conservant l’exigence
de contrôle rigoureux des opérations ainsi conduites (…). Les signes d’une
mutation, dans ce domaine sont de plus en plus nets. Il s’agit maintenant de forger
les instruments permettant, sans rien perdre de la rigueur de la démarche,

4
- J. Lohisse : Op. cit., p. 47.

7
d’étendre les pouvoirs de la linguistique»5. Emile Benveniste est d’ailleurs l’un
des pionniers qui a ouvert le pas, vers cette nouvelle direction.

De nouvelles perspectives devaient donc impérativement naître car «Les


essais qui ont été tentés de construire un modèle du langage sans relation aucune
au locuteur ou à l’auditeur, et qui hypostasient ainsi un code détaché de la
communication effective, risquent de réduire la communication à une fiction
scolastique»6.

Cette révolution dans le monde linguistique, qui introduisait les paramètres


de ”compétence et de locuteur”, a été suivie par de nombreuses autres théories, qui
à partir des années 70, provoquèrent un élargissement massif de la discipline 7 –
vers des analyses de la conversation, du discours, de l’argumentation, de la
communication, de la sociolinguistique, de l’ethnolinguistique…etc. -, une
diversification des centres d’intérêts8 due au fait que «N’importe quelle production
verbale peut devenir l’objet d’une recherche»9 ; et le foisonnement d’un bon
nombre de concepts nouveaux nécessaire pour l’appréhension des objets d’études.

Ce changement, nécessaire, de direction imposait un nouveau regard à


l’égard de l’activité discursive. Cette dernière, n’était plus vue comme, le reflet
transparent d’un simple véhicule d ‘information, mais plutôt, comme un acte
“opaque“ perpétré par des «Sujets qui interagissent dans des situations
déterminées»10, et qui mettent en fonctionnement la langue dans une situation,

5
- P. Kuentz, cité par C. Kerbrat Orecchioni dans L’énonciation : Op. cit., 1999, p. 7.
6
- R. Jakobson cité in Bachmann, Lindenfeld, Simonin, 1981, p.25, par J. Lohisse : Op. cit., p. 111.
7
- «Ouverture interne, des formes vers le sens, de la morpho-syntaxe vers la sémantique et la pragmatique ;
ouverture externe, en direction d’autres secteurs confrontés au langage», Voir l’article de la pragmatique
linguistique, Encyclopédie Universalis 9, 2005.
8
- Diversification des intérêts au niveau de la forme : phonologique, phonétique, morphologique,
syntaxique, lexicologique ; mais aussi au niveau de du sens, signification, référence, et de l’activité de
langage par les locuteurs.
9
- D. Maingueneau : «Les analyses du discours en France», Langages, Mars 95, N°117, p. 5.
10
- D. Maingueneau : Op. cit., Mars 95, N°117, p. 6.

8
unique, de communication11. Ce nouveau cap donnait également, de plus en plus
d’importance à une notion occultée par les anciens linguistes. Le contexte devenait
un élément et une condition sine qua non, nécessaire dans l’interprétation des
productions individuelles.

11
- «La communication est d’abord un phénomène de création de réalités et de relations inédites qui
provoque, à partir de nouvelles données, la transformation en quelque chose d’autre des idées et des
connaissances dont chaque être humain dispose (…)», G. Willett, cité par J. Lohisse : Op. cit., p. 111.

9
Cours 2

10
La notion de communication

Le plus important recentrage concerne la notion même de communication.


En effet, ce concept, au centre de toute étude linguistique, était vu auparavant
comme un processus de transmission d’informations. Cette vision simpliste et
mécaniste occultait tous les éléments externes qui rentrent de manière directe ou
indirecte dans le champ de la communication, de plus elle établit l’idée - très
controversée par la suite - que le message produit par le locuteur se transmet dans
son intégralité et sans subir de parasitage d’aucune sorte vers un interlocuteur,
totalement inactif, dont la seule tâche est celle de réceptionner le message émis
dans son intégralité, afin de pouvoir, à son tour, répondre comme dans un
processus de stimulus/réponse commandé unilatéralement par l’émetteur.
Cette perception de la communication implique également l’unicité du
locuteur sans envisager «La possibilité que la pensée communiquée ne soit pas
celle du sujet parlant»12. De plus, elle enterre tous les niveaux de sens qui
pourraient être révélés par la prise en compte de concepts tels que : la polyphonie,
le dialogisme...etc. ; et elle met en avant le sens littéral propre à l’énoncé exigé par
la situation.

c- Le schéma de la communication selon R. Jakobson

12
- C. Bally cité par O. Ducrot dans : Op. cit., 1989, p. 167.

11
L’analyse immanente du langage qu’a tenté R. Jakobson, prenait en compte
les relations établies entre locuteur et interlocuteur ou destinateur/destinataire.
Dans ses travaux il s’efforce de décrire la communication humaine, en prenant en
considération les éléments exposés dans le schéma ci-dessus. Pour lui : «Tout acte
de la parole met en jeu un message et quatre éléments qui lui sont liés : l’émetteur,
le récepteur, le thème du message (le référent) et le code utilisé. La relation entre
ces quatre éléments est variable»13.

Néanmoins, ce schéma va être, par la suite, revu et corrigé par C. Kerbrat


Orecchioni, qui le complexifia en rajoutant des éléments extérieurs passibles de
modifier, parasiter ou même réorienter le sens d’un message, de part leur niveau
d’importance et par leur degré de perception par les individus impliqués dans la
communication.

d- Le schéma de la communication selon C. Kerbrat Orecchioni

13
- R. Jakobson, cité par J. Lohisse : Op. cit., p. 47.

12
C. Kerbrat Orecchioni a repris le schéma de la communication de R.
Jakobson, et a apporté des corrections, des réorientations et des rajouts qui font de
la communication une activité complète et complexe dans laquelle plusieurs
paramètres peuvent entrer, et cela en fonction de la situation de communication.
Cette orientation fait que chaque acte de communication est un acte inédit et
unique.

Parmi les réorientations qu’a apporté C. Kerbrat Orecchioni, nous pouvons


citer :

1- Le problème de l’homogénéité du code : Ce postulat remet en cause le fait


que la langue est partagée par tous les locuteurs d’une même communauté et cela
de la même manière. En effet, pour C. Kerbrat Orecchioni les deux partenaires de
la communication ne parlent pas la même langue et cela même s’ils appartiennent
à la même communauté. Leur compétence est donc inégale face à cet objet. De ce
fait la communication est un jeu de réajustement permanent qui touche même le
code linguistique. A ce sujet elle déclare : «En parlant à un nouvel interlocuteur,
chacun essaye toujours, délibérément ou involontairement, de se découvrir un
vocabulaire commun – soit pour plaire, soit simplement pour se faire comprendre,
(…)»14.

2- Le problème de l’extériorité du code : Une deuxième, précision présentée par


C. Kerbrat Orecchioni, et qui d’ailleurs, rejoint la première concerne la
compétence du sujet énonciateur. En effet, la compétence est selon elle : «La
somme de toutes ses possibilités linguistiques, l’éventail complet de ce qui est
susceptible de produire et d’interpréter»15, par ailleurs cette compétence n’est pas
la même pour tous car chaque individu encode et décode selon ses propres filtres.

3- L’univers du discours : A ce sujet, C. Kerbrat Orecchioni, précise que le


locuteur n’est pas seul maître de ce qu’il a à dire ; il ne puise pas donc librement

14
- C. Kerbrat Orecchioni : Op. cit., 1999, p. 16.
15
- C. Kerbrat Orecchioni : Op. cit., 1999, p. 19.

13
dans la masse lexicale des éléments qu’il utilise dans son énonciation. En effet,
elle atteste que le locuteur est tenu par d’autres contraintes “externes” qui limitent
le choix et désignent dans ce tout lexical ce qui est passible d’être utilisé.
Ces contraintes sont d’une part les conditions concrètes de la communication,
d’autre part, les caractères thématiques et théoriques du discours. Cette clause est
d’autant plus juste dans le discours journalistique qui obéit à des contraintes de
productions, thématiques, mais aussi à des contraintes déontologiques qui
réglementent fermement toutes dérives langagières commises par la presse écrite.

4- Les compétences non linguistiques : Ces compétences non linguistiques sont


indispensables pour arriver à coder et à décoder un message. Ils résident dans le
fait que les locuteurs possèdent des déterminations psychologiques, et des
compétences culturelles et idéologiques, qui vont façonner, orienter et construire
le message à énoncer ; mais aussi ils serviront de clef lors de son

14
COURS 3

15
A- L’APPROCHE ENONCIATIVE

Le remaniement disciplinaire a vu le regard des spécialistes changer « Les


théories de l’énonciation qui sont alors mobilisées dans ce champ d’études, sous
l’égide principalement d’Emile Benveniste (Benveniste 1966) permettent
d’échapper a cette autonomisation des signes »16, les signes produits engagés dans
la production du sens sont rattachés un « je » engagé dans une co-construction
avec un « tu ».

Ces énoncés sont donc produits dans un contexte bien déterminé dans un
lieu (espace) et a un moment (temps)17. Les discours ont donc un ancrage dans
l’univers, ils sont dirigés vers les énonciataires puis interprétés grâce aux indices
posés en leur sein. Cette complexité constitutive des énoncés montre que l’idée de
transparence des discours a été remplacée par la certitude que les productions
langagières sont opaques et qu’il est nécessaire de prendre en considération les
paramètres appartenant a cette nouvelle perspective.

«Parmi les phénomènes linguistiques les tendances françaises accordent un


rôle privilégié à ce qui ressortit à l’énonciation. C’est en Europe que s’est
développé ce courant original de réflexion sur le langage dont les représentants
les plus éminents sont C. Bally, E. Benvenite, R. Jakobson, A. Culioli. Il s’agit de
problématiques de linguistique qui appréhendent l’organisation des langues
naturelles en plaçant en son centre l’activité énonciative des partenaires de la
communication verbale. Toute énonciation s’inscrit dans l’énoncé à travers de
multiples : marques de personne, de temps, de lieu, mais aussi de détermination
ou de modalité»18.

16
- G. Lochard et J. C. Soulages, « Sémiotique, sémiologie et analyse de la communication médiatique »,
dans un ouvrage coordonné par S. Olivesi, Sciences de l’Information et de la communication, objets,
savoirs, discipline, Ed. PUG, 2006, p. 237.
17
- La vision du courant énonciatif indique que : « Toute énonciation s’inscrit dans l’énoncé à travers de
multiples traces : marques de personnes, de temps, de lieu, mais aussi de détermination ou de modalité ».
D. Maingueneau : L’analyse du Discours, Hachette, 1991, p. 25.
18
- D. Maingueneau : L’analyse du discours, Hachette Université Linguistique, 1991, p. 25.

16
La théorie de l’énonciation marque un des plus grands tournants dans la
linguistique contemporaine, en adoptant une conception plus extensive et
largement extravertie en ce qui concerne l’objet de la linguistique et en ouvrant le
champ de la recherche à de nouvelles dimensions, écartées jusque là du domaine
d’investigation.

Une nouvelle perspective nécessaire, pour pallier les insuffisances


ressenties par la discipline, s’est imposée d’elle même car «La linguistique risquait
d’être menacée d’asphyxie, si elle s’obstinait à reléguer hors de son champ
d’investigation certains aspects du langage trop rapidement taxés
de “performantiels”»19; et les linguistes devenaient de plus en plus sensibles à
«Ses insuffisances qu’à ses apports»20. Ce renouveau dans le monde linguistique
a donc vu le jour après un examen critique qui a prôné, d’une part, la nécessité de
l’élargissement de son objet d’étude21.

D’autre part la sortie du mutisme de la discipline en direction d’autres


horizons de recherche22 et la remise en cause de la notion de sujet qui devient
acteur à part entière impliqué, avec son (ou ses) partenaire dans un échange
langagier, a l’allure d’un jeu de construction complexe, réglementé et aux
conclusions inattendues. Émile Benveniste, souligne que, l’énonciation implique
que le locuteur «Mobilise la langue pour son compte»23. Cela revient à considérer
l’énonciation comme un processus individuel d’actualisation de la langue dans une
situation précise, elle est vue comme «La mise en fonctionnement de la langue par
un acte individuel d’énonciation»24.

19
- C. Kerbrat Orecchioni : Op. cit., 1999, p. 7.
20
- J. Cervoni : Ibid., p. 11.
21
- Il est «Dans certains cas impossible de décrire adéquatement les comportements verbaux sans tenir
compte de leur environnement non verbal» - C. Kerbrat Orecchioni : Ibid., 1999, p. 10.
- L’élargissement des centres de recherche a été a la source de la naissance de l’analyse du discours, de
l’analyse conversationnelle mais aussi plus récemment de la pragmatique.
22
- La mise en relation du langage avec son contexte implique l’ouverture de la discipline à d’autres champs
externes tels que : la sociologie, la psychologie, l’histoire…etc., qui sont d’une importance capitale dans
l’apport d’explication et la compréhension des discours.
23
- E. Benveniste, cité par J. Lohisse : Op. cit., p. 59.
24
- E. Benveniste, L’appareil formel de l’énonciation, 1970, in Problème de linguistique générale 2, cité
par A. Boissinot dans : Op. cit., p. 16.

17
Elle réintroduit le sujet au cœur de ses questionnements et préoccupations,
il devient acteur à part entière, responsable de sa production. Production, qui, garde
en son sein les traces et les stigmates, engendrés du passage du locuteur. La langue
n’est plus un outil servant à transmettre des informations «Elle sert surtout à
transmettre des «rapports intersubjectifs» entre les interlocuteurs(…). Toute
parole adressée à un interlocuteur instaure une relation obligatoire, assigne des
pôles, que l’autre ne peut annuler, même en ne répondant pas (…).»25.

L’idée de la prise en charge et de l’implication des sujets dans leurs discours


a traversé plusieurs écrits de linguistes ; on la retrouve aussi chez E. Goffman qui
déclare : «Il est tout simplement impossible de prononcer une phrase sans marquer
son énonciation d’une certaine coloration affective perceptible, ne serait- ce que
l’aura émotive particulière que confère l’impassibilité»26.

Par ailleurs, elle intègre aussi l’idée clé qui atteste que le sens peut se diviser
en plusieurs niveaux. Pour O. Ducrot : «Le sens d’un énoncé décrit l’énonciation
comme une sorte de dialogue cristallisé, où plusieurs voix s’entrechoquent»27. De
ce fait, il est primordial de repérer toutes les trames du sens afin d’arriver à une
compréhension complète et juste des énoncés. A ce sujet, O. Ducrot déclare : «On
devra distinguer dans le sens de tout énoncé, d’une part des éléments pertinents,
qui ne pourraient pas disparaître sans qu’on modifie l’énoncé (…) et d’autre part
des indications extérieures au code utilisé, liées aux conditions où le code est
employé»28.

L’énonciation ou l’activité discursive

Chaque individu baignant dans une communauté prend part à l’activité


discursive. Le besoin de communiquer, de partager, d’échanger, d’interagir, fait
qu’il ne peut pas en faire l’impasse du moment où il est immergé dans une société.
Cette activité peut selon les contextes avoir plusieurs finalités : elle peut servir à :

25
- P. Blanchet : Op. cit., p. 103.
26
- P. Blanchet : Op. cit., p. 93.
27
- O. Ducrot : Le dire et le dit, Les Editions de Minuits, 1984, p. 9.
28
- O. Ducrot : Op. cit., 1989, p. 152.

18
informer, persuader, communiquer, manipuler ou même transformer la mémoire
collective des locuteurs d’une même communauté… etc.

Pour cela les énonciateurs ont recours à plusieurs techniques afin de faciliter
cette tâche. Un des moyens employé réside dans l’usage de lieux communs. Leur
emploi se produit « Lorsque l’émetteur veut sensibiliser le destinataire à
l’information, il use de moyens calculés qui obéissent à des principes précis. (…).
L’énonciation et la ré-énonciation des objets s’installent comme le lieu principal
de la transformation de la mémoire collective »29. Par cet acte, l’énonciateur puise
dans son avoir partagé pour créer une complicité consciente ou semi-inconsciente
avec celui a qui il adresse son discours. Cette complicité se traduit par le recours à
des images stéréotypées, à des schémas traditionnels qui posent les interlocuteurs
dans un univers qu’ils savent déchiffrer et face auquel ils peuvent apporter des
réponses.

Cela nous mène à dire que l’énonciateur investi son discours30, c’est lui qui
organise sa mise en scène, qui le charge sémantiquement et idéologiquement.
L’énonciateur devient responsables de ses énoncés, c’est dire le rôle essentiel joué
par le concept d’ethos lorsque celui qui prend la parole veux faire adhérer ou
convertir la pensée d’autrui aux idées qui sont les siennes31. Par conséquent le
discours: « Est « orienté » (…) il est conçu en fonction d’une visée du locuteur
(…). Le discours est construit (…) en fonction d’une fin, il est censé aller quelque
part »32. La prise de parole traduit un désir d’action sur l’autre, elle est prise de

29
- C. Ghosn : « Le Stéréotype, stratégies discursives dans le journal télévisé de FR2 », Marges
Linguistiques, ATER – LERAS – Université de Toulouse III – France.
30
- Cette envahissement du discours par son énonciateur fait que ce dernier laisse des traces de sa présence
dans les énoncés produits, de même que : « Toute énonciation s’inscrit dans l’énoncé à travers de multiples
traces : marques de personnes, de temps, de lieux, mais aussi de détermination ou de modalité ». D.
Maingueneau : L’Analyse du Discours, Hachette, 1991, p. 26.
31
- Ce point va être traité plus en détail dans le chapitre suivant.
32
- D. Maingueneau : Analyser Les Textes de Communication, Nathan, 2000, p. 38.

19
position, de décision33. Elle renseigne sur le rapport entre les énonciateurs mais
aussi sur la situation de communication (cette dernière peut être sociale, politique,
économique…etc.). Par son billet l’énonciateur procède à un véritable
« « guidage » de sa parole »34 ; cette dernière à pour cible « autrui ». Nous
pouvons schématiser les caractéristiques du discours en les cristallisant à travers
les points suivants :

- Le discours est orienté ;

- Le discours est une forme d’action ;


- Le discours est interactif ;
- Le discours est ;
- Le discours est régi par des normes ;
- Le discours est pris en charge par un sujet ;
- Le discours est pris dans un interdiscours ;

La vision des linguistes est donc passée de l’étude de la phrase


décontextualisée vers la réflexion sur un discours lui-même chargé d’autres
discours. Cette conception nouvelle va dans le sens de nos interrogations en
intégrant le stéréotype au croisement de « la linguistique et du social, du discursif
et de l’interdiscursif ». En effet, les discours n’existent pas sans instance
énonciative, porteuse de discours, de pensées et d’idéologie, qui elle-même ne peut
exister hors d’un contexte. C’est elle qui les fait vivre et c’est elle qui les guide
« manipule » afin qu’ils atteignent leur objectif. Les énonciateurs façonnent les
discours et les investissent de croyances, de représentations qu’ils partagent (ou
qu’ils croient partager) avec les énonciataires. L’ « autre » est donc présent, aussi,

33
- D’un point de vue linguistique, « Il faut (…) attendre les années 80 pour que s’opère un double tournant.
D’une part (…) des inflexions dans les conceptions du sujet dans les sciences humaines (…) permettant a
l’analyste de discours d’opérer ce que l’on peut appeler « le tournant pragmatique et énonciatif » et de
s’enrichir d’études relatives aux actes de langage, (..) » S. Bonnafous, « L’analyse du discours », dans un
ouvrage coordonné par S. Olivesi, Sciences de l’Information et de la communication, objets, savoirs,
discipline, Ed. PUG, 2006, p.220. Cette prise de conscience est très importante car elle implique la
responsabilité des énonciataires, plongés dans un contexte situationnel qui donnent un poids différent aux
mots à chaque locution.
34
- D. Maingueneau : Analyser Les Textes de Communication, Nathan, 2000, p. 39.

20
dans les discours, il est marqué, impliqué dans une contre responsabilité dans la
construction du sens, d’ailleurs chacun de nous introduit l' « autre » dans ses
énoncés en faisant référence au « même » ; C'est-à-dire qu’il fait toujours partie du
discours de soi, il est omniprésent même lorsque sa voix n’est pas sollicitée et reste
silencieuse.

Ces phénomènes touchent tous les types de discours et c’est, en partie, cela
qui va être au centre de nos propos dans les chapitres suivants, mais avant nous
allons explorer plus en détail une notion clef en énonciation ; l’ « éthos ». Ce
concept est intéressant dans notre travail de part sa complexité car il désigne :
« l’image discursive de soi (…) ancrée dans des stéréotypes, un arsenal de
représentations collectives qui déterminent en partie la présentation de soi et son
efficacité dans une culture donnée. »35. Les lieux communs se manifestant sous les
formes de stéréotypes ou de clichés ont donc, une dimension subjective, leur
caractère est complexe ils sont lié à ceux qui les produisent comme des traces
indélébiles qui restent dans la trame des discours.

35
- P. Charaudeau, D. Maingueneau, p. 239.

21
COURS 4

22
B- L’APPROCHE DISCURSIVE

Un des courants, les plus originaux, qui a émergé suite à cette tendance et
qui lui a donné le “ton”, est l’analyse du discours. Longtemps considérée comme
“le parent pauvre” de la linguistique, et ayant mis du temps à se construire – du
fait de son hétérogénéité (diversité des écoles, diversité des corpus, multiplicité
des points de vue et des visées, …etc.) – cette discipline est quand même arrivée à
s’imposer comme discipline phare, incontournable dans le champ linguistique, en
mettant en avant son objet d’étude qui est le discours ; Ou plus précisément “les
discours” qui «Se diversifient à l’infini en fonction des moments et des lieux
d’énonciation»36. Les linguistes se sont retrouvés face à un objet d’étude aux
multiples facettes, qui n’avait pas “d’accès unique”, et qui autorisait, de ce fait,
«Une multiplicité d’approches gouvernées par des préoccupations très variées»37.

Placée au carrefour de diverses disciplines, l’analyse du discours, mettait en


lumière l’existence d’un appareil formel de l’énonciation38 et du même coup
s’imposait comme l’étude linguistique des énoncés. Ces derniers sont définis
comme des productions langagières qui font sens dans une situation définie et à un
moment déterminé.

1- La genèse des discours

Tout être humain est un être discursif, la fonction de communication est


l’activité la plus naturelle que l’homme peut posséder. Grace à elle, il exprime ses
pensées, défend ses idées et décrit le monde dans lequel il gravite. Pour cela, il
dispose d’un outil qui est la langue. Cette dernière est construite comme une
structure riche et complexe dont toutes les parties servent à représenter le réel. Les
mots reflètent ce qui entoure l’être humain et le tout fini par représenter le monde

36
- D. Maingueneau : Op.cit., Mars 95, N°117, p. 6.
37
- D. Maingueneau : Ibid., Mars 95, N°117, p. 6.
38
- Enonciation : processus de production linguistique d’un énoncé par un individu donné, dans une
situation de communication précise. Collection Microsoft Encarta 2005.

23
dans lequel il vit. Les éléments matériels comme les choses non palpables trouvent
écho dans la langue, tout peut être exprimé, tout peut être partagé.

Ce partage d’idées, d’informations ou même de sentiments ne peut se faire


que par la maitrise de la langue, de es structures mais aussi par le biais de la
complicité qu’entretiennent les personnes entre elles. En effet, les énonciateurs ne
sont pas isolés dans des ilots, ils partagent des espaces, ils croisent les mondes, ils
se rencontrent, ils s’inter-influencent, etc. ; leurs idées vont et viennent, elles
grandissent et s’enrichissent grâce au processus de communication. Ce dernier est
vu comme un mode de partage bien huilé qui implique plusieurs paramètres afin
de bien fonctionner. Les interlocuteurs prenant part ans cette activité doivent
maitriser les règles qui permettent la fluidité de l’acte de communication.

Au niveau langagier des éléments sont mis à disposition des énonciateurs.


Les stéréotypes et les idées reçues aident à lire le réel, ils sont des outils très
importants dans la représentation de ce dernier. Leur usage scelle la complicité
entre les personnes, leur évidence facilite le contact et la compréhension du monde
dans lequel ils vivent et leur caractère doxique rassure les locuteurs dans le partage
d’informations. En effets, leurs attributs consensuels et leur caractère figé facilite
la compréhension et l’appréhension du « réel ». Leur activation lors de la prise de
parole aide à classer et à catégoriser les personnes, les actions, les lieux, etc. en
leurs donnant une valeur, une dimension. Parler revient à classer à découper le
monde pour qu’il soit plus facile à saisir.

2- L’engagement de soi et la prise en charge du discours

Le langage est un instrument puissant. Il peut servir à construire des


discours, à convaincre, à informer, à persuader, à bouleverser les opinions ; il est
aussi le lieu où : « La personnalité du sujet se délivre et se crée, atteint l’autre et
se fait reconnaître de lui »39. Grâce à lui, l’énonciateur marque sa présence, « C’est

39
- E. Benveniste : Problèmes de Linguistique Générale 1, Gallimard, 1966, p. 78.

24
dans et par le langage que l’homme se constitue comme sujet ; parce que le
langage seul fonde en réalité dans sa réalité qui est celle de l’être, le concept
d’ « ego » »40. Le discours devient, par cet effet, le porte voix de celui qui construit
l’énoncé mais aussi l’instrument qui le fait exister et par lequel il peut agir sur
l’autre. Cela implique une chose importante ; chaque discours est différent et
dépend de celui qui l’a enfanté. Chacun laisse sa trace, son emprunte gravée dans
les mots qu’il a empruntés à la langue pour exprimer l’idée qu’il a développée. Les
mots deviennent des indices portant des preuves du passage des locuteurs, ils
renseignent non seulement sur le dire mais aussi sur celui qui a dit41.

3- Places et formations imaginaires

La notion de place détermine la position dans laquelle on est et depuis


laquelle on énonce nos discours ; cette position est déterminée selon plusieurs
paramètres variables situationnels qui changent d’une énonciation à une autre.
Cette notion n’a, donc, pas des fondements tout à fait linguistique. En effet, les
places sont donc : « Un ensemble de traits sociologiques (appartenance à telle
catégorie sociale, etc.) [qui sont] transformés en une série de formations
imaginaires désignant la place que A et B [destinateur et destinataire] s’attribuent
chacun à soi et à l’autre, l’image qu’ils se font de leur propre place et de la place
de l’autre »42.

Ce qui revient à dire que toute prise de parole s’apparente à une mise en
scène dans laquelle chaque participant endosse un rôle qu’il doit jouer le temps du
déroulement de l’énonciation et cela suivant un scénario bien déterminé et connu

40
- E. Benveniste : Problèmes de Linguistique Générale 1, Gallimard, 1966, p. 259.
41
- Bien entendu, si l’on globalise cette vision, nous dirons que tous les discours sont teintés de la voix de
ceux qui les ont produits, ils deviennent des lieux d’échange, où l’on peut emprunter les mots de l’autre
pour construire et exprimer sa propre pensée et où le stéréotype acquière une place important. F. Grossmann
affirme que « Les stéréotypes, [sont des] énonciations fournies par l’interdiscours, forment un point de
passage obligé à la construction de tout discours… ». F. GROSSMANN, « Fondements de la stéréotypie
lexicale », Stéréotypie et figement en sémantique lexicale, cours de sémantique maîtrise, 2003, in www.u-
grenoble.fr/grossmann/cours/cours/chap1.htm.
42
- D. Maingueneau dans : Initiation aux Méthodes de L’analyse du Discours Problèmes et perspectives,
Classique Hachette, 1976, p. 143.

25
de toutes les parties présentes43. Ces rôles changent selon les scénarios ; « Chaque
sujet est en réalité constitué d’un ensemble de « rôles discursifs », liés à son
« statut », aux « emplacements » institutionnels, etc. »44.

La connaissance des places que les individus doivent prendre lors de chaque
énonciation est le fruit d’un apprentissage que les individus acquièrent au sein de
leurs sociétés respectives45. Cela se reflète au niveau de la langue qui « Comporte
à titre irréductible, tout un catalogue de rapports interhumains, toute une panoplie
de rôles que le locuteur peut se choisir pour lui-même et imposer au
destinataire »46.

Les discours devient des théâtres ou se manifestent, le soi, l’autre, les


idéologies47, les contextes et cela suivant une mise en scène bien déterminée. Ces
mises en scènes sont réglées selon des normes, des rituels « Aux règles anonymes
qui gouvernent les pratiques des sujets »48. Ce qui ne nie pas l’idée que ces places

43
- « Tout processus discursif suppose, de la part de l’émetteur, une anticipation des représentations du
récepteur, sur laquelle se fonde la stratégie du discours ». D. Maingueneau dans : Initiation aux Méthodes
de L’analyse du Discours Problèmes et perspectives, Classique Hachette, 1976, p. 144.
44
- D. Maingueneau dans : Initiation aux Méthodes de L’analyse du Discours Problèmes et perspectives,
Classique Hachette, 1976, p. 143.
45
- D. Maingueneau déclare à ce sujet : « Dans notre monde hiérarchisé, ordonné, il existe généralement
des règles établissant comment la conversation peut s’engager, un accord préalable résultant de normes
mêmes de la vie sociale ». On ne parle pas à tout le monde, et le seul fait d’argumenter plutôt que donner
un ordre ou recourir à la violence suppose qu’on attache un prix à l’adhésion de l’interlocuteur ». D.
Maingueneau dans : Initiation aux Méthodes de L’analyse du Discours Problèmes et perspectives,
Classique Hachette, 1976, p. 144.
46
- D. Maingueneau dans : Initiation aux Méthodes de L’analyse du Discours Problèmes et perspectives,
Classique Hachette, 1976, p. 146.
47
- L’idéologie est souvent décrite comme la caractéristique mentale d’un groupe (…). Elle exprime
l’expérience commune des membres du groupe et fonde leur coopération, leur moral, leur ordre et
l’explication de leur comportement. (…) Toch (1965, p. 21) a défini l’idéologie comme « un ensemble de
croyances liées entre elles et auxquelles adhèrent un groupe de personnes. L’idéologie d’un mouvement
social est l’énoncé de ce que les membres de ce mouvement essaient d’accomplir ensemble et de ce qu’ils
souhaitent affirmer en commun… l’idéologie d’un mouvement social définit ce mouvement et le distingue
des autres mouvements et institutions » (…) celle-ci sert souvent de croyance de groupe (…) Le contenu
d’une idéologie peut être politique, social ou même religieux. Une idéologie renvoie ordinairement à des
images de la société désirée et aux moyens et conditions requis pour y parvenir ». J-C Deschamps, J.
Francisco Morales, D. Paez, S. Worchel, L’identité sociale : la construction de l’individu dans les relations
entre groupes, PUG, 1999, p. 45.
48
- D. Maingueneau dans : Initiation aux Méthodes de L’analyse du Discours Problèmes et perspectives,
Classique Hachette, 1976, p. 147.

26
peuvent changer légèrement ou complètement selon les groupes et les sociétés
auxquels ils appartiennent.

4- La théorie des représentations et du discours

Tout discours, quel qu’il soit, est façonné selon les attentes de ceux qui le
reçoivent. Les énonciateurs, par le biais du langage, s’efforcent, à chaque
formulation, de mettre leurs propos dans des moules reconnaissables par
l’ensemble des énonciataires. Ces manœuvres, ont comme but principal d’ouvrir
la voie à la compréhension, d’être ou de former une sorte de liant entre partenaire
de la communication.

Le discours journalistique n’échappe pas à cette règle. En effet, ce dernier


est lui aussi mis en scène (Cette dernière n’est pas, seulement, d’ordre graphique,
mais aussi langagière) selon les demandes et les besoins des lecteurs/énonciataires.
Les journalistes se trouvent, donc, contraints d’adapter leurs dires au dispositif
médiatique en vigueur. « Ce dispositif médiatique contraint le journalistes à
« mettre en discours » le traitement de l’information de façon à ce qu’il serve un
souci de déchiffrage immédiat et simplifié d’un événement »49.

49
- C. Ghosn : « Le Stéréotype, stratégies discursives dans le journal télévisé de FR2 », Marges
Linguistiques, ATER – LERAS – Université de Toulouse III – France.

27
COURS 5

28
C- L’APPROCHE PRAGMATIQUE ET SES DIFFERENTS
DOMAINES D’ETUDE

La pragmatique se propose de rechercher et d’essayer de comprendre, dans


les énoncés, tout ce qui implique la situation de communication. Elle se donne
comme objet d’observation la mise en fonctionnement de la langue et la production
d’actes de langages. Elle pose donc son intérêt sur le processus d’énonciation qui
implique les co-locuteurs impliqués dans la construction des discours comme dans
un jeu en tandem où les productions langagières sont vues comme des actions qui
demandent des réactions.

1- L’analyse interactionnelle

L’interaction est une activité collective et dynamique impliquant deux


parties : un locuteur et un interlocuteur impliqués tous deux dans un processus
communicatif. Ce dernier se déroulant sur différents plans : verbal et non verbal.
« Le discours est maintenant conçu comme une négociation, ce qui permet
d’appréhender sa structure et son fonctionnement. Le modèle développé par E.
ROULET (1985) et son équipe rend compte du fonctionnement du discours en
construisant des liens entre les divers énoncés. La structure construite tient compte
de différents niveaux d’analyse (interaction, structures, enchaînements) et surtout
des relations entre ces niveaux. L'analyse comporte deux composantes : l'analyse
hiérarchique et l'analyse fonctionnelle »50.

a- L'analyse hiérarchique
Elle porte sur trois niveaux fondamentaux :

50
- Alpha Ousmane BARRY : Chaire de Recherche du Canada en Mondialisation, Citoyenneté et
Démocratie http://www.chaire-mcd.ca/

29
1- L’analyse des actes de langage : vue comme la plus petite unité produite
par un locuteur, elle est vue comme une forme d’action associée à un
tour de parole.
2- L'échange est la plus petite unité composant l'interaction; il est formé
d'au moins deux actes de langage de locuteurs différents. Dans chaque
échange nous pouvons avoir des interventions dites simples (composée
d'un seul acte de langage) ou complexes si elles sont alors intervenir
plusieurs prises de paroles attribuables à plusieurs locuteurs en situation
d’échange.

b- L’analyse fonctionnelle
Met l’accent sur le lien qui existe entre les éléments mis en exergue dans
l’analyse hiérarchique. Cette analyse se concentre sur l’observation des
interventions faites par les locuteurs et cela dans le but de mettre en
évidence la fonction illocutoire de chaque élément d'un échange. De plus
elle essaye de comprendre les fonctions interactives et le rôle argumentatif
qui unissent les constituants de ces interventions.

2- L’analyse conversationnelle

La conversation apparait comme étant la forme de base de l’activité


langagière, un jeu en tandem impliquant, un processus mettant en scène
l’intersubjectivité des participants qui agissent ensemble pour construire le sens.
Se présentant sous une forme interactive, plongée dans une situation de
communication, elle se présente comme un processus qui se déroule au fur et à
mesure au grès des interventions des participants qui échangent des énoncés
verbaux aux allures d’actions. Le sens produit, fruit du discours construit se
complexifié et devient saisissable que par l’observation et la mise en relief des
éléments verbaux et non verbaux ; éléments qui ne peuvent être saisi et interprétés
qu’a travers l’observation de toutes les composantes de la situation de
communication dans laquelle ils ont été émis.

30
De ce fait l’analyse conversationnelle se centre sur la mise en rapport et le
déchiffrage de différents éléments qui font sens tels que : La situation de
communication (dans toutes ces dimensions), la compétence communicative des
interlocuteurs, l’analyse dynamique de la conversation, la conversation comme jeu
de langage, la construction de la structure hiérarchique de la conversation.

Cadre méthodologique : la linguistique conversationnelle observe une


démarche de terrain qui vise à extraire des corpus authentiques de situations réelles
et cela afin de préserver au mieux les caractéristiques des conversations : « d’une
part la temporalité de l’événement et son déroulement séquentiel ,qui permettent
de travailler sur les processus de coordination, de synchronisation et
d’articulation ordonnée du déploiement des activités ; d’autres part, les détails
observables mais non imaginables qui rendent disponible et descriptible cet
ordre »51.

Ces caractéristiques, qui semblent anodines lors des conversations, se


retrouvent mises en avant par les interactionnistes qui voient en elles des
conditions sine qua non nécessaires dont le poids certain a une influence inévitable
sur le fonctionnement des interactions.

Les composantes de l’analyse conversationnelle :

1- Le contexte : ce concept désigner non seulement l’environnement


matériel (le lieu, le temps), mais aussi l’ensemble des conditions et circonstances
qui ont une influence quelconque sur l’interaction.

51
- SACK (1984) cité par L. MONDADA, « Pour une linguistique interactionnelle », In : Marges
linguistiques, N°1 ,2001,p4.

31
2- L’alternance des tours de parole : ce mécanisme, qui caractérise
l’activité dialogale de base, permet à l’interaction verbale de se construire en
faisant en sorte « qu’un seul locuteur parle (agit) à la fois »52 . Ce principe qui
gère le bon fonctionnement et l’équilibre de l’interaction est basé sur le partage
équitable du temps de parole mais aussi sur les enchainements des interventions
de chacun des partenaires qui doivent se soumettre au principe de droit et de devoir
posé et imposé pour le bon déroulement de la conversation.

3- La relation interpersonnelle : afin de pouvoir se mettre en place, les


interactions verbales supposent la mise en place de relation interpersonnelles,
celles-ci sont sous-tendues « par des enjeux qui relèvent à la fois d’une
problématique identitaire et d’une problématique relationnelle (...) la
problématique identitaire, caractérisée par la protection et la valorisation de
l’image de soi, implique également qu’on manifeste une certaine attention à son
interlocuteur (…) la problématique relationnelle, concerne le contact et la
distance, l’ouverture et la fermeture, le lien et la réserve (…)c’est le principe de
délimitation des territoires qui est en jeu »53.

Les relations interpersonnelles englobent :

a- L’image de soi : cette dernière fait que chacun des participants arborent
une identité qu’il essaye de faire comprendre et accepter par l’autre.

b- Le rapport de place : la place est l’identité qui est assignée au locuteur


dans un contexte de communication particulier c'est-à-dire selon un ici et
un maintenant. Ce concept est aussi dépendant des buts et des raisons de
l’échange qui ne sont jamais les mêmes. Les locuteurs peuvent donc
multiplier les faces et changer de place à chaque prise de parole.

52
- P.BANGE, Analyse conversationnelle et théorie d’action, Didier, 1992, p29.
53
- D.PICARD, Politesse, savoir-vivre et relations sociales, PUF,Coll :QSJ ?, 1998, p118.

32
c- La nature de la relation : est à la tête du choix du type de l’interaction
(formelle/informelle) ce qui revient par ricochet à guide le comportement
des co-locuteurs (distance / familiarité) au cours de l’échange.

4- Les rites conversationnels : il s’agit de tout un système complexe de


conventions devant être adoptées par les interactants lors de la conversation et cela
afin de manifester leur respect et leur considération envers leur partenaire. Les rites
conduisent les individus à adopter un ensemble de comportements favorisant la
conversation et cela en aidant les partenaires de l’échange à garder la face et par
conséquent leurs territoires et cela en les éloignant de tout risque qui pourrait
perturber le bon fonctionnement de l’interaction.

P. Charaudeau définit la notion de rite comme étant « l’ensemble des


contraintes qui codifient les pratiques socio-langagières et qui résultent des
conditions de production et d’interprétation (circonstances du discours) de l’acte
de langage »54.

Les principes de base de l’analyse conversationnelle : ces derniers


régissent les pratiques conversationnelles ; ils permettent l’alternance correcte
(sans gaps ni chevauchements) des tours de parole : prendre, garder, céder la
parole. Leur rôle ne s’arrête pas seulement à cela, en effet, ils gèrent l’organisation
structurale de l’interaction et interfèrent dans différents éléments tels que : Le
contrat de communication, la réciprocité conversationnelle, la coopération
conversationnelle, la négociation conversationnelle.

54
- P.CHARAUDEAU, langage et discours, Hachette, 1983,p 54.

33
COURS 6

34
3- L’APPROCHE SOCIOLINGUISTIQUE

Le sociolinguiste a pour objectif d’appréhender les usages et les pratiques


linguistiques en les resituant dans la réalité vécue par les usagers de la langue. Les
sociolinguistes en faisant des parallèles entre langue et société essayent de
comprendre et de constater l’impact de certaines variables sur les pratiques
langagières des individus. De ce fait nous pouvons définir la sociolinguistique
comme l’étude du fonctionnement social du langage. Par ailleurs, La
sociolinguistique s’intéresse aux multiples questions qui naissent suite au contact
de langues au sein des sociétés plurilingues.

- La sociolinguistique variationniste
Lorsqu’on observe le travail de W. Labov, on se rend compte que ce dernier
définit la sociolinguistique comme une science expérimentale qui doit s'armer d'un
protocole d’observation scientifique. Le protocole d’enquête basé sur
l’observation des faits langagiers, de la description et de l’explication de ces
derniers via les variables sociale est le moyen déployé par le linguiste afin de
confirmer ou d'infirmer ses hypothèses. Sa méthodologie oppose la « linguistique
de terrain » à la « linguistique de bureau ».

De ce fait, le linguiste insiste sur l’importance de la qualité des données


recueillies. En effet, ces dernières doivent être saisies dans des conditions
authentiques « prenant en compte tous les paramètres susceptibles de les faire
varier (contexte, sujet, niveau stylistique, niveau social, relation d'interlocution),
qu'elles doivent constituer des séries statistiques dont la taille permette une
interprétation quantitative assurée et que ces résultats ne sont pas toujours liés à
un point théorique précis »55.

55
- Bernard Laks : La linguistique variationniste comme méthode In : Langages, 26e année, n°108, 1992.
pp. 34-50.

35
De part son caractère tentaculaire56 la sociolinguistique possède un terrain
d’investigation vaste qui ouvre sur les intérêts suivants :

- La situation des langues (standardisation, planification, mort des


langues) en prenant en considération les enjeux des dominantes
politiques (décisions, officialisation des langues, etc.), la gestion
politique de la diversité linguistique et l’influence des courants
économiques, le mouvement des populations, l’effet de la démographie
sur le comportement linguistique des individus,
- Le comportement bilingue et plurilingue dans les sociétés, l’effet du
contact des langues,
- Stratification social du langage,
- Les représentations (positives / négatives) et les attitudes (positives /
négatives) envers les langues, les variations linguistiques,
- L’émergence de systèmes linguistiques hybrides (pidginisation, Sabir,
etc.), etc.

- Les sources des variations linguistiques


L’observation des usages linguistiques conduit à identifier au moins cinq sources
de variation : l’origine géographique des individus, l’appartenance à une tranche
d’âge, le sexe, l’origine et l’appartenance à un milieu socioculturel particulier, les
contextes et les situations d’utilisation du langage (lieu, temps, statut des
intervenants, etc.).

a- La sociolinguistique interactionnelle

Portée par J. GUMPERZ, la sociolinguistique interactionnelle est venue bousculer


le monde linguistique en considérant le langage comme « une forme de pratique

56
- Elle ouvre des brèches vers l’ethnologie, la psychologie, l’histoire, la géographie mais surtout la
sociologie.

36
sociale, mais avec une matérialité qui lui est propre et dont il faut tenir compte »57.
Le but du chercheur était d’observer et de comprendre comment les co-
énonciateurs construisaient le sens dans le jeu des interactions monolingues,
bilingues ou plurilingues. Ses points d’observations étaient bien différents de W.
LABOV qui s’intéressaient à l’analyse des variations linguistiques ; en effet,
GUMPERZ focalisait son regard « dans le détail de dialogues, des phénomènes
interactionnels comme la compréhension/non compréhension, la
symétrie/asymétrie ou les indices de contextualisation (contextualization cues) »58.
Pour lui, le sens était donc enfanté par deux individus ou plus, engagés dans un jeu
de co-construction, qui, sans la coopération de toutes les parties, pouvait mener à
l’échec de la communication. De ses travaux nous retenons la naissance de certains
concepts tels que : « le répertoire verbal », le « code switching », le « code
mixing » etc. Grâce à son œuvre, le chercheur ouvre la voix sur des réflexions
autour des causes qui provoquent et motivent les changements de codes dans les
discours, et encore une fois sa réflexion vient à contrecourant des variationnistes
pour qui « le code-switching est strictement régi par des règles de cohérence
grammaticale et non pas discursives ou stylistiques. »59

De plus la sociolinguistique interactionniste croit dans le fait que le sens se


construit en interaction dans un contexte social déterminé où chaque participant à
l’interaction apporte une pierre à l’édifice global du discours. Le pan socioculturel
n’est donc pas à négliger dans ce cas, car c’est bien sa prise en charge qui élimine
tout malentendu. En effet, GUMPERZ met en lumière la nécessité de prendre en
considération les conventions culturelles et les systèmes de croyances comme
soubassement des relations sociales. C’est elles qui soit aident ou bloquent les
interactions. Les connaissances encyclopédiques des énonciateurs s’érigent en

57
- BOUTET J. & HELLER M. (2014) : « Introduction », Langage et société, vol. 150, no. 4, pp. 7-13.
https://www.cairn.info/revue-langage-et-societe-2014-4-page-7.htm
58
- BOUTET J. & HELLER M. (2014) : Op. Cit.
59
- BOUTET J. & HELLER M. (2014) : Ibid.

37
valeurs ajoutées aux indices de contextualisation60 nécessaires lors des
interprétations/formulation des énoncés.

Un autre concept a été mis en lumière, toujours dans l’optique de rayer les
malentendus et amener la conversation à son bout ; est celui de « face ». C.
BONICCO déclare : « l’identité de chaque personne doit, revendiquer dans une
situation donnée, de manière à se comporter conformément aux attentes des gens,
qui sont des attentes normatives sociales, exprimant ce que c’est que se comporter
normalement dans telle ou dans telle situation. […] La face se présente donc
comme la valorisation sociale de la personne pour autant que celle-ci se conduit
normalement »61. La face est, donc, prise en considération lors des observations
car son maintien permet aux co-énonciateurs de rester dans ce jeu et de coopérer
qui a pour intérêt la bonne marche de l’interaction. Les joutes verbales trop
violentes menant ainsi à l’avortement des dialogues.

b- La sociolinguistique urbaine

a- La sociolinguistique urbaine comme sociolinguistique de crise.

La pièce maîtresse qui distingue la sociolinguistique urbaine de la


sociolinguistique, est la ville. Son caractère urbain constitue le caractère exclusif
de cette discipline. « La ville parait comme : un lieu, un espace, un territoire bref,
toute une organisation et un aménagement multiforme autour d’une
centralité/centralisation virtuelle qui se fait et se défait à travers le langage »62.
De ce fait la ville n’est plus « le lieu où l’on va étudier des comportements
langagiers, mais celui à l’origine de ceux-ci »63. « La sociolinguistique urbaine ne

60
- A ce sujet GUMPERZ déclare : « les caractéristiques superficielles de la forme du message constituent
l’outil par lequel les locuteurs signalent et les allocutaires interprètent la nature de l’activité en cours, la
manière dont le contenu sémantique doit être compris et la manière dont chaque énoncé rapporte à ce
qui précède ou à ce qui suit ». GUMPERZ J. (1989) : Engager la conversation, Minuit, p. 28.
61
- BONICCO C. (2007) : « Goffman et l’ordre de l’interaction, un exemple de sociologie » compréhensive,
Phiolosorbone N°1 / ann&e 2006-07, p. 31-48http://edph.univ-paris1.fr/phs1/bonicco.pdf
62
- Reda Sebih : Langues et mise en mots de l'identité spatio-linguistique : cas de la Casbah d'Alger,
Université Alger2 - Thèse de doctorat soutenue en 2014.
63
- Les flux de langues en milieu urbain : espaces diglossiques VS espaces ditopiques 63. Situation
sociolinguistique de la ville de Fort-de-France Lorène Labridy

38
peut pas se contenter d’étudier des situations urbaines, elle doit dégager ce que ces
situations ont de spécifique, et donc construire une approche spécifique de ces
situations » (Calvet 1994 : 15). De ce fait cette approche « s’intéresse aux paroles
dans la ville et aux discours sur la ville » (Lejeune 2006 : 104).
L’approche sociolinguistique urbaine se fait à travers « une communauté
d’analyse »64 et se base sur deux axes principaux :
 L’étude de la variation sociale du langage au sein d’un milieu urbain et,
 L’analyse des contacts de langues dans les milieux urbains plurilingues.

Ces axes mettent en exergue certains concepts clefs en sociolinguistique


urbaine, concept qui ne peuvent être occultés car chargés de sens, nous pouvons
citer celui de : la territorialité, de la territorialisation ou encore celui de la
catégorisation.

b- L’inévitable interdisciplinarité de la sociolinguistique urbaine.

La sociolinguistique urbaine est une approche « intimement affiliée à la


sociologie et à l’urbanisme qui sont indissociables d’autres disciplines
connexes »65. Afin de pouvoir exister, elle s’appuie et s’enrichie avec des théories
externes à la linguistique largement adaptées au besoin du terrain de recherche. Et
c’est grâce à ce montage théorique que nous arrivons à « renseigner sur les
tensions sociales mais aussi sur des disfonctionnements dus à des conceptions
urbanistiques, politiques ou économiques inadaptées à la nature de telle ou telle
société »66.

64
Esperet. E, « Aspects sociaux de la psychologie du langage ». In J. A. Rondal & J. P. Thibaut (Eds).
Problèmes de psycholinguistique, Pierre Mardaga, Bruxelles, 1987, p338. (pp. 327-389)
65
- Reda Sebih : Langues et mise en mots de l'identité spatio-linguistique : cas de la Casbah d'Alger,
Université Alger2 - Thèse de doctorat soutenue en 2014.
66
- Reda Sebih : Langues et mise en mots de l'identité spatio-linguistique : cas de la Casbah d'Alger,
Université Alger2 - Thèse de doctorat soutenue en 2014.

39

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