L'indépendance de La CNMP: Le Faux Problème Du Système Des Marchés Publics
L'indépendance de La CNMP: Le Faux Problème Du Système Des Marchés Publics
L'indépendance de La CNMP: Le Faux Problème Du Système Des Marchés Publics
Ce point de vue, fort de ceux qui le supportent, est alimenté par une compréhension superficielle
des missions de la CNMP, une prise en compte sommaire de ses attributions et un regard réduit
du système d’achat. Il n’est pas sans intérêt de le préciser à nouveau - la répétition a, paraît-il, ses
vertus - le système des marchés publics ne souffre pas d’un besoin d’indépendance de la CNMP.
Un regard approfondi et global affranchira les difficultés du système des marchés publics de ce
faux problème et facilitera la quête de ses vrais problèmes en Haïti.
La compréhension superficielle des missions de la CNMP laisse croire que celle-ci n’est qu’un
simple organe assurant la réglementation et le contrôle des marchés publics alors qu’en réalité
elle est aussi et surtout un organe de promotion et de contrôle de la politique d’achat public
(A). Par ailleurs, il faut prévenir que l’indépendance de la CNMP posera inexorablement un
problème de cohésion du système actuel des marchés publics (B).
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procès. Aussi, pour cerner les réelles missions et attributions de la CNMP un regard sur
l’ensemble de la règlementation des marchés publics est nécessaire.
L’article 9 de la loi du 10 juin 2009 ne fait pas mention, par exemple, de la mission de contrôle
de l’exécution des marchés publics de la CNMP alors que les compétences de l’institution
s’étendent tant sur la passation que sur l’exécution des marchés publics. Outre cette réduction des
missions et attributions de la CNMP, cette compréhension littérale et unique des dispositions de
l’article 9 de ladite loi nourrit l’illusion que la CNMP opère un travail de contrôle indépendant,
détaché de la vision et de l’objectif gouvernementaux en ce qui concerne les marchés publics
alors que sa vraie mission est de promouvoir, réglementer et contrôler la politique d’achat public
adoptée par le gouvernement.
Ce qu’il faut bien comprendre dans l’organisation administrative, c’est qu’il y a des secteurs, tels
la sécurité publique, la santé publique, la jeunesse et le sport, les finances publiques, qui
nécessitent une gestion permanente, continue et régulière. Compte tenu de leurs importances et
des exigences de leurs fonctionnements, ces secteurs ont provoqué la mise en place de structures
spécifiques de gestion, telles les ministères, les directions générales, les organes déconcentrés, les
directions techniques, un simple service etc... La grandeur de la structure de gestion du secteur,
de l’activité est proportionnelle à l’importance de cette activité, de ce secteur pour le
gouvernement. C’est ainsi que le pilotage et la coordination de l’action gouvernementale en
matière d’organisation, de fonctionnement, de performance, de développement et d’efficience de
l’administration et de la fonction publique sont dévolus à une structure ayant rang de ministère
appelée Office de Management et des Ressources Humaines (OMRH).
Plus le secteur ou l’activité est important(e), plus il(elle) nécessite de la part des autorités
gouvernementales et administratives la définition d’un ensemble d’actions et de directions. En
d’autres termes, les autorités gouvernementales définissent pour chaque secteur important ou
pour chaque activité importante une politique publique. Les dépenses publiques étant un élément
essentiel pour le gouvernement, ce dernier définit dans les limites de la loi une politique publique
de dépenses et le Premier Ministre, chef du gouvernement, a l’attribution intrinsèque de s’assurer
que cette politique de dépenses publiques est respectée par chacune des autorités publiques
placées sous sa hiérarchie et sous sa tutelle. C’est une attribution qui découle de son pouvoir de
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gestion. Cependant, lorsque le contrôle d’un secteur ou d’une activité devant être opéré par le
Premier Ministre ou par un ministre nécessite une gestion technique ponctuelle, continue et
régulière et qu’en raison des autres charges administratives de celui-ci, il ne peut respecter les
exigences de telles attributions, il est créé un organe technique capable d’assurer ce contrôle à sa
place, c’est la déconcentration technique. C’est dans cette logique que le législateur a mis en
place la CNMP, comme structure techniquement déconcentrée sous l’autorité du Premier
Ministre, pour assurer la gestion technique ponctuelle, continue et régulière du système des
marchés publics. La CNMP est donc un organe de contrôle non juridictionnel interne qui donne à
l’administration la possibilité de se remettre en question afin d’améliorer sa performance et de
mieux orienter ses décisions en matière de dépenses publiques liées aux marchés publics.
La CNMP est là pour s’assurer de l’effectivité des valeurs et des directives du gouvernement en
général et du Premier Ministre en particulier dans leur quête d’utilisation efficace des deniers
publics par l’ensemble de l’administration publique nationale en ce qui concerne les marchés
publics. Ainsi, dans les limites de la loi, si un gouvernement souhaite encourager les PME, par le
biais de règlements traduisant cette politique d’achat, il incitera les acheteurs à utiliser
l’allotissement, la sous-traitance. De même, quand il voudra encourager les grandes entreprises, il
accordera une préférence aux achats groupés, mutualisés, aux centrales d’achat. Même cas de
figure, si lors de la définition de la politique de dépenses publiques, le gouvernement souhaiterait
encourager l’innovation, dans pareil cas les achats innovants seront priorisés. La charge de la
CNMP sera alors de veiller à ce que les marchés publics passés par les autorités administratives
soient en conformité d’abord avec la loi et ensuite aux règlements traduisant l’orientation du
gouvernement en matière de dépenses publiques.
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Cette disposition de l’article 10 ne renvoie pas à l’élaboration de la loi, mais elle met l’accent sur
la contribution de la CNMP dans la mise en place du cadre réglementaire reflétant la politique
publique définie par le gouvernement. Une telle attribution ne serait pas reconnue à la CNMP si
elle était créée pour opérer un contrôle externe de l’action administrative en matière de marchés
publics. Le pouvoir règlementaire est de la compétence du Pouvoir Exécutif et en la matière
aucun autre pouvoir et aucune institution indépendante ne sauraient lui imposer une
réglementation.
« Proposer au gouvernement une politique en matière de marchés publics » point 4 article 10.
Ces attributions font de la CNMP un organe interne du gouvernement, lui permettant de faire la
promotion et le contrôle de la politique d’achat public définie par celui-ci. Le contrôle interne est
ce qu’il est tout comme le contrôle externe. Chacun d’eux assure l’efficacité du système de
contrôle à des niveaux différents. Il faudra donc arrêter d’exiger les garanties du contrôle externe
au contrôle interne, ni de minimiser l’importance et le poids du celui-ci. L’effectivité du contrôle
interne tend à amoindrir la charge de travail au niveau du contrôle externe.
Dans un État de droit, l’administration est réputée soumise au droit. Ainsi, les autorités
administratives ont la responsabilité et la présomption d’agir en toute légalité, sans préjudice des
contrôles qui s’exercent sur leurs actions. Le Premier Ministre, étant la plus haute autorité de
l’administration publique, a la responsabilité d’une part, d’agir en toute légalité et d’autre part, de
s’assurer que les autorités administratives placées sous sa hiérarchie ou sous sa tutelle agissent
conformément à la loi. Il exerce son contrôle administratif directement sur toutes les institutions
publiques centralisées et déconcentrées alors qu’en ce qui concerne les actes et actions des
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autorités publiques décentralisées, il exerce son contrôle de légalité par le procédé du contrôle de
tutelle.
Le chef du gouvernement est la première autorité devant veiller à la régularité des actes de
l’administration mais étant donné que la loi a transféré les attributions spécifiques de gestion et
de contrôle des marchés publics du Premier Ministre à la CNMP, pareil transfert a été fait
également avec sa compétence de contrôle de régularité de ces contrats. Il ne revient plus au
Premier Ministre d’assurer le contrôle de légalité des marchés publics mais à la CNMP.
Par ailleurs, des balises ont été mises en place pour protéger la CNMP du poids de la position
hiérarchique du Premier Ministre en dessinant les contours de son autorité sur l’institution. Le
législateur a ainsi fait du contrôle du chef du gouvernement, un contrôle administratif sur les
actes administratifs et financiers de la CNMP ayant une incidence budgétaire. Ce contrôle
administratif est normal puisqu’en étant l’ordonnateur principal, le Premier Ministre a pour
devoir de vérifier les actes de la CNMP qui affecteront le budget. Ce contrôle est précisé au point
14 de l’article 8 et aux points 6 et 7 de l’article 12 de l’arrêté du 26 octobre déterminant les
modalités d’organisation et de fonctionnement de la Commission Nationale des Marchés Publics.
Par ailleurs, la CNMP ne subit pas la hiérarchie du Premier Ministre quant à ses attributions
techniques compte tenu qu’elle les exerce par délégation expresse de la loi (article 26.5 du décret
du 17 mai 2005 portant organisation de l’administration centrale de l’État). Outre cette délégation
légale, l’organisation du contrôle des marchés publics n’inclut pas le Premier Ministre et il est
clairement dit que l’absence de la validation de la CNMP (lorsqu’elle est légalement nécessaire)
rend nuls les marchés passés par une autorité publique (article 62.4 de la loi du 10 juin 2009).
Cette validation ne peut être affectée par les pouvoirs d’instruction, de réformation et de
substitution du Premier Ministre.
Et comme autre protection, le législateur donne un mandat aux cinq (5) membres de la
Commission de la CNMP. Ce mandat permet une certaine stabilité au niveau du collège et
amenuise le poids des influences sur lui.
Le système des marchés publics actuel est organisé suivant une chaîne de contrôle ayant plusieurs
niveaux et nécessitant le travail de plusieurs acteurs. Il y a dans ce schéma réduit quatre (4)
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contrôles internes exercés par quatre institutions différentes, trois (3) contrôles externes exercés
par deux (2) institutions différentes et un contrôle juridictionnel opéré par le juge administratif.
Pour les contrôles internes, c’est l’autorité contractante qui assure elle-même le tout premier
contrôle des marchés publics qu’elle souhaite passer. En second lieu vient la CNMP qui s’assure
de la conformité légale et règlementaire des décisions prises au premier degré par l’autorité
contractante. Un troisième contrôle est opéré par l’autorité d’approbation qui est aussi extérieure
à l’autorité contractante mais interne à l’administration publique. Ce contrôle interne est fait sur
la disponibilité de crédit budgétaire suffisant pour la passation du marché en question. Le dernier
contrôle peut être fait par l’Unité de Lutte Contre la Corruption (ULCC).
Pour les contrôles externes, le premier acteur est la CSCCA en ses qualités de Cour des Comptes.
La CSCCA en ses attributions de Cour des Comptes fait deux types de contrôle sur les marchés
publics : premièrement, elle fait un contrôle sur chaque marché signé par les autorités
contractantes et deuxièmement, elle peut contrôler n’importe quel marché de son choix à
n’importe quel moment du processus d’exécution du marché. C’est le contrôle inopiné de la
CSCCA. Le dernier contrôle externe qui est fait sur les marchés publics est politique car le
Parlement peut contrôler les actions générales du gouvernement et des autorités administratives.
Quelle serait la nécessité d’un double contrôle des marchés publics par deux institutions
indépendantes – CNMP et CSCCA- ? Cette indépendance de la CNMP provoquerait des risques
énormes de désaccords entre ses décisions et celles de la CSCCA sur le contrôle des marchés. Il y
a aussi le risque que les décisions et rapports de la CNMP ne soient utilisés que par elle, n’ayant
aucune force contraignante. La CSCCA étant une juridiction administrative et financière
indépendante n’est soumise à aucune autre décision institutionnelle dans le cadre de son travail et
agit en conformité à la Constitution et à la loi. En cas de désaccord avec une décision de la
‘’CNMP indépendante’’, la CSCCA l’emporterait à la fin puisqu’elle est aussi juge
administrative. Cet affrontement n’apporterait rien de meilleur au système sinon une
complication de la procédure d’achat pour les institutions administratives…
L’autre pan de la question est le risque que les décisions de la CNMP ne soient utilisées que par
elle et pour elle. Le système des marchés publics met en collaboration plusieurs institutions. En
cas d’indépendance, la CNMP risque de se retrouver seule avec ses décisions qui ne seront
imposables à aucune des institutions du système. Elle pourra quand même sortir des rapports
annuels qui ne seront considérés que comme des travaux de déblayage et rien de plus. Ce qui ne
constitue pas une attribution digne d’une institution indépendante. Le Parlement, en cas de
positions différentes entre la CNMP et la CSCCA, serait tenue de considérer la position de la
Cour puisqu’elle est la juge administrative et que ses décisions dans certaines situations
constituent un préalable indispensable au travail parlementaire.
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A l’heure actuelle, le problème du système des marchés publics est autre que l’indépendance de
la CNMP. Cependant, une telle démarche pourrait être une manière de réorganiser l’ensemble du
système, ce qui impliquerait un amendement constitutionnel pour modifier les attributions de la
CSCCA et réorganiser son fonctionnement. Cet amendement préciserait les missions et
attributions de la CNMP afin d’éviter d’éventuels affrontements entre elle et la Cour compte tenu
qu’elles auraient le même statut. L’amendement tracerait aussi les liens entre les trois
institutions-clés du système à savoir le Pouvoir législatif, la CSCCA et la CNMP.
En ce qui concerne les achats publics, il est important de changer de paradigme. La CNMP peut
bien jouer son rôle dans le système des marchés publics sans pour autant changer de statut car le
problème est autre. Pour rappel, le Conseil d’État, juge administratif suprême français, est présidé
formellement par le Premier Ministre français et le problème de son indépendance avec le
gouvernement ne se pose pas. Les défaillances évidentes du système national des marchés publics
dans sa configuration actuelle, qui font souhaiter une CNMP indépendantes ne seraient-elles pas
la résultante pur et simple de ce manque de volonté des acteurs-clés de subir le diktat de la loi ?
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1- Constitution haïtienne;
2- Loi du 10 juin 2009 fixant les règles générales relatives aux marchés publics et aux
conventions de concession d’ouvrage de service public ;
3- Loi du 04 mai 2016 remplaçant le décret du 16 février 2005 sur l’élaboration et
l’exécution de la loi de finance ;
4- Décret du 23 novembre 2005 établissant l’organisation et le fonctionnement de la Cour
Supérieure des Comptes et du Contentieux Administratif désignés (sic désignée) sous le
sigle CSCCA ;
5- Décret du 17 mai 2005 portant organisation de l’Administration Centrale de l’État.
6- Arrêté du 26 octobre 2009 fixant les modalités d’organisation et de fonctionnement de la
CNMP ;
7- Arrêté du 26 octobre 2009 sanctionnant le manuel de procédures pour la passation des
marchés publics et des conventions de concession d’ouvrage de service public ;
8- Arrêté du 26 octobre 2009 précisant les modalités d’application de la loi fixant les règles
générales relatives aux marchés publics et aux conventions de concession d’ouvrage de
service public ;
9- CHAPUS René. Droit administratif général, Tome I, Paris : 15ème éd, Montchrestien,
2001, 1427 p.
10- CORNU (G), Vocabulaire juridique, 13ème éd., Quadrige, PUF, 2020, 1091 pages ;
11- FOILLARD Philippe. Droit administratif, Orléans : Paradigme, 2006, 454 p.
12- GIANNONI (O), Stratégie de l’achat public, Berger Levrault, 2020, 205 pages ;
13- HOLCMAN (R), Management public. Dunod, « Hors collection », 2014, 328 pages.
ISBN : 9782100715688. URL : https://www.cairn.info/management-public--
9782100715688.htm ;
14- http://www.dictionnaire.enap.ca/dictionnaire/docs/definitions/defintions_francais/
politique_publique.pdf
15- JEAN-CHARLES Enex. Manuel de droit administratif haïtien, Port-au-Prince :
Imprimeur II, 2002, 403 p.
16- NAEGELEN (F), MOUGEOT (M), Les marchés publics : Règles, Stratégies, Politiques,
Economica, 1993, 230 pages ;
17- SANTO (V), et VERRIER (P) . « L'émergence et la mise en oeuvre des politiques
publiques », Viriato-Manuel Santo éd., Le management public. Presses Universitaires de
France, 2007, pp. 87-102. https://www.cairn.info/le-management-public--
9782130563686-page-87.htm