L Amour Dans Le Mariage
L Amour Dans Le Mariage
L Amour Dans Le Mariage
Cf. B enoît XVI, Lettre enc. Deus caritas est (25 dé-
105
71
« La charité est patiente ;
la charité est serviable ;
elle n’est pas envieuse ;
la charité ne fanfaronne pas,
elle ne se gonfle pas ;
elle ne fait rien d’inconvenant,
ne cherche pas son intérêt,
ne s’irrite pas,
ne tient pas compte du mal ;
elle ne se réjouit pas de l’injustice,
mais elle met sa joie dans la vérité.
Elle excuse tout,
croit tout,
espère tout,
supporte tout » (1Co 13, 4-7).
Cela se vit et se cultive dans la vie que par-
tagent tous les jours les époux, entre eux et avec
leurs enfants. C’est pourquoi il est utile de s’ar-
rêter pour préciser le sens des expressions de
ce texte, pour tenter de l’appliquer à l’existence
concrète de chaque famille.
La patience
91. La première expression utilisée est makro-
thymei. La traduction n’est pas simplement « qui
supporte tout », parce que cette idée est exprimée
à la fin du v. 7. Le sens provient de la traduction
grecque de l’Ancien Testament, où il est dit que
Dieu est « lent à la colère » (Ex 34, 6 ; Nb 14, 18).
Cela se révèle quand la personne ne se laisse pas
mener par les impulsions et évite d’agresser. C’est
une qualité du Dieu de l’Alliance qui appelle à l’imi-
72
ter également dans la vie familiale. Les textes dans
lesquels Paul utilise ce terme doivent être lus avec
en arrière-fond le Livre de la Sagesse (cf. 11, 23 ;
12, 2.15-18) : en même temps qu’on loue la pondé-
ration de Dieu pour donner une chance au repentir,
on insiste sur son pouvoir qui se manifeste quand il
fait preuve de miséricorde. La patience de Dieu est
un acte de miséricorde envers le pécheur et mani-
feste le véritable pouvoir.
73
pérais. L’amour a toujours un sens de profonde
compassion qui porte à accepter l’autre comme
une partie de ce monde, même quand il agit au-
trement que je l’aurais désiré.
Attitude de service
93. Vient ensuite le mot xrestéuetai, qui est unique
dans toute la Bible, dérivé de xrestó (bonne per-
sonne, qui montre sa bonté par des actes). Mais, en
raison de son emplacement en strict parallélisme
avec le verbe qui précède, il en est un complément.
Ainsi Paul veut clarifier que la ‘‘patience’’ indiquée
en premier lieu n’est pas une attitude totalement
passive, mais qu’elle est accompagnée par une acti-
vité, par une réaction dynamique et créative face
aux autres. Elle montre que l’amour bénéficie aux
autres et les promeut. C’est pourquoi elle se traduit
comme ‘‘serviable’’.
mour (230).
74
L’amour n’envie pas
95. Ensuite on rejette, en tant que contraire à
l’amour, une attitude désignée comme ‘‘zeloi’’ (ja-
lousie ou envie). Cela signifie que dans l’amour on
peut pas se sentir mal à l’aise en raison du bien de
l’autre (cf. Ac 7, 9 ;17, 5). L’envie est une tristesse à
cause du bien d’autrui, qui montre que le bonheur
des autres ne nous intéresse pas, car nous sommes
exclusivement concentrés sur notre propre bien-
être. Alors que l’amour nous fait sortir de nous-
mêmes, l’envie nous porte à nous centrer sur notre
moi. Le véritable amour valorise les succès d’autrui,
il ne les sent pas comme une menace, et il se libère
du goût amer de l’envie. Il accepte que chacun ait
des dons différents et divers chemins dans la vie. Il
permet donc de découvrir son propre chemin pour
être heureux, permettant que les autres trouvent le
leur.
75
consiste en ce que certains ont trop et que d’autres
n’ont rien ; ou bien ce qui me pousse à contribuer
à ce que les marginalisés de la société puissent
aussi connaître un peu de joie. Cependant cela
n’est pas de l’envie, mais un désir d’équité.
76
réalité, font plus preuve de verbiage que du vrai
‘‘pouvoir’’ de l’Esprit (cf. 1Co 4, 19).
Amabilité
99. Aimer c’est aussi être aimable, et là, l’expres-
sion asxemonéi prend sens. Elle veut indiquer que
77
l’amour n’œuvre pas avec rudesse, il n’agit pas
de manière discourtoise, il n’est pas dur dans les
relations. Ses manières, ses mots, ses gestes sont
agréables et non pas rugueux ni rigides. Il déteste
faire souffrir les autres. La courtoisie « est une école
de délicatesse et de gratuité » qui exige « qu’on
cultive son esprit et ses sens, qu’on apprenne à
sentir, qu’on parle, qu’on se taise à certains mo-
ments ».107 Etre aimable n’est pas un style que le
chrétien peut choisir ou rejeter : cela fait partie des
exigences indispensables de l’amour ; par consé-
quent « l’homme est tenu à rendre agréables ses
relations avec les autres ».108 Chaque jour « entrer
dans la vie de l’autre, même quand il fait partie de
notre vie, demande la délicatesse d’une attitude qui
n’est pas envahissante, qui renouvelle la confiance
et le respect […]. L’amour, plus il est intime et
profond, exige encore davantage le respect de la
liberté, et la capacité d’attendre que l’autre ouvre la
porte de son cœur ».109
107
Octavio Paz, La llama doble, Barcelone 1993, p. 35.
108
Thomas d’Aquin, Somme Théologique II-II, q. 114, art.
2, ad 1.
Catéchèse (13 mai 2015) : L’Osservatore Romano, éd. en
109
78
bien que nous soyons différents. L’amour aimable
crée des liens, cultive des relations, crée de nou-
veaux réseaux d’intégration, construit une trame
sociale solide. Il se protège ainsi lui-même, puisque
sans le sens d’appartenance on ne peut pas se don-
ner longtemps aux autres ; chacun finit par cher-
cher seulement ce qui lui convient et la cohabita-
tion devient impossible. Une personne antisociale
croit que les autres existent pour satisfaire ses né-
cessités, et que lorsqu’ils le font, ils accomplissent
seulement leur devoir. Il n’y a donc pas de place
pour l’amabilité de l’amour et son langage. Celui
qui aime est capable de dire des mots d’encourage-
ment qui réconfortent, qui fortifient, qui consolent,
qui stimulent. Considérons, par exemple, certaines
paroles que Jésus a dites à des personnes : « Aie
confiance, mon enfant » (Mt 9, 2). « Grande est
ta foi » (Mt 15, 28). « Lève-toi! » (Mc 5, 41). « Va
en paix » (Lc 7, 50). « Soyez sans crainte » (Mt 14,
27). Ce ne sont pas des paroles qui humilient, qui
attristent, qui irritent, qui dénigrent. En famille il
faut apprendre ce langage aimable de Jésus.
Détachement
101. Nous avons affirmé plusieurs fois que pour
aimer les autres il faut premièrement s’aimer soi-
même. Cependant, cet hymne à l’amour affirme
que l’amour ‘‘ne cherche pas son intérêt’’, ou ‘‘n’est
pas égoïste’’. On utilise aussi cette expression dans
un autre texte : « Ne recherchez pas chacun vos
propres intérêts, mais plutôt que chacun songe à
ceux des autres» (Ph 2, 4). Devant une affirmation
si claire des Écritures, il ne faut pas donner priorité
à l’amour de soi-même comme s’il était plus noble
79
que le don de soi aux autres. Une certaine priorité
de l’amour de soi-même peut se comprendre seule-
ment comme une condition psychologique, en tant
que celui qui est incapable de s’aimer soi-même
rencontre des difficultés pour aimer les autres :
« Celui qui est dur pour soi-même, pour qui serait-
il bon ? […] Il n’y a pas homme plus cruel que celui
qui se torture soi-même » (Si 14, 5-6).
ad 2.
Ibid., art. 1.
111
80
provoquée par quelque chose d’extérieur. Il s’agit
d’une violence interne, d’une irritation dissimulée
qui nous met sur la défensive devant les autres,
comme s’ils étaient des ennemis gênants qu’il faut
éviter. Alimenter cette agressivité intime ne sert à
rien. Cela ne fait que nous rendre malades et finit
par nous isoler. L’indignation est saine lorsqu’elle
nous porte à réagir devant une grave injustice, mais
elle est nuisible quand elle tend à imprégner toutes
nos attitudes devant les autres.
112
Catéchèse (13 mai 2015) : L’Osservatore Romano, éd. en
langue française (14 mai 2015), p. 2
81
contraire, car c’est à cela que vous avez été appe-
lés, afin d’hériter la bénédiction » (1P 3, 9). Si nous
devons lutter contre le mal, faisons-le, mais disons
toujours ‘‘non’’ à la violence intérieure.
Le pardon
105. Si nous permettons aux mauvais sentiments
de pénétrer nos entrailles, nous donnons lieu à cette
rancœur qui vieillit dans le cœur. La phrase logizetai
to kakón signifie ‘‘prend en compte le mal’’, ‘‘en
prend note’’ c’est-à-dire est rancunier. Le contraire,
c’est le pardon, un pardon qui se fonde sur une
attitude positive, qui essaye de comprendre la fai-
blesse d’autrui et cherche à trouver des excuses à
l’autre personne, comme Jésus qui a dit : « Père,
pardonne-leur: ils ne savent ce qu’ils font » (Lc 23,
34). Mais généralement la tendance, c’est de cher-
cher toujours plus de fautes, d’imaginer toujours
plus de méchanceté, de supposer toutes sortes
de mauvaises intentions, de sorte que la rancœur
s’accroît progressivement et s’enracine. De cette
manière, toute erreur ou chute du conjoint peut
porter atteinte au lien amoureux et à la stabilité de
la famille. Le problème est que parfois on donne la
même gravité à tout, avec le risque de devenir impi-
toyable devant toute erreur de l’autre. La juste re-
vendication de ses propres droits devient une soif
de vengeance persistante et constante plus qu’une
saine défense de la dignité personnelle.
82
perfectionner la communion familiale. Elle exige
en effet une ouverture généreuse et prompte
de tous et de chacun à la compréhension, à la
tolérance, au pardon, à la réconciliation. Aucune
famille n’ignore combien l’égoïsme, les dissen-
sions, les tensions, les conflits font violence à la
communion familiale et peuvent même parfois
l’anéantir : c’est là que trouvent leur origine les
multiples et diverses formes de division dans la
vie familiale ».113
83
Si nous acceptons que l’amour de Dieu est incon-
ditionnel, que la tendresse du Père n’est ni à acheter
ni à payer, alors nous pourrons aimer par-dessus
tout, pardonner aux autres, même quand ils ont
été injustes contre nous. Autrement, notre vie en
famille cessera d’être un lieu de compréhension,
d’accompagnement et de stimulation ; et elle sera
un espace de tension permanente et de châtiment
mutuel.
84
besoins, nous nous condamnons à vivre avec peu
de joie, puisque, comme l’a dit Jésus : « Il y a plus
de bonheur à donner qu’à recevoir » (Ac 20, 35).
La famille doit toujours être un lieu où celui qui
obtient quelque chose de bon dans la vie, sait qu’on
le fêtera avec lui.
85
des torts difficiles à réparer. C’est pourquoi la Pa-
role de Dieu est si dure contre la langue, en disant
que « c’est le monde du mal » qui « souille tout le
corps » (Jc 3, 6), comme « un fléau sans repos, plein
d’un venin mortel» (Jc 3, 8). Si « par elle nous mau-
dissons les hommes faits à l’image de Dieu » (Jc 3,
9), l’amour a souci de l’image des autres, avec une
délicatesse qui conduit à préserver même la bonne
réputation des ennemis. En défendant la loi divine,
on ne doit jamais perdre de vue cette exigence de
l’amour.
86
si je lui en demande trop, il me le fera savoir d’une
manière ou d’une autre, puisqu’il ne pourra accep-
ter ni de jouer le rôle d’un être divin, ni d’être au
service de toutes mes nécessités. L’amour cohabite
avec l’imperfection, il l’excuse, et il sait garder le
silence devant les limites de l’être aimé.
87
méfie toujours de lui, qu’on le juge sans com-
passion, qu’on ne l’aime pas de manière incon-
ditionnelle, préférera garder ses secrets, cacher
ses chutes et ses faiblesses, feindre ce qu’il n’est
pas. En revanche, une famille où règne fonda-
mentalement une confiance affectueuse, et où
on se refait toujours confiance malgré tout, per-
met le jaillissement de la véritable identité de ses
membres et fait que, spontanément, on rejette la
tromperie, la fausseté ou le mensonge.
L’amour espère
116. Panta elpízei : il ne désespère pas de l’ave-
nir. Relié au mot qui précède, cela désigne l’espé-
rance de celui qui sait que l’autre peut changer. Il
espère toujours qu’une maturation est possible,
un jaillissement surprenant de la beauté, que les
potentialités les plus cachées de son être germent
un jour. Cela ne signifie pas que tout va chan-
ger dans cette vie. Cela implique d’accepter que
certaines choses ne se passent pas comme on le
désire, mais que peut-être Dieu écrit droit avec
des lignes courbes et sait tirer quelque bien des
maux qu’il n’arrive pas à vaincre sur cette terre.
88
peines de cette terre, de contempler cette personne
avec un regard surnaturel, à la lumière de l’espé-
rance, et d’espérer cette plénitude qu’elle recevra
un jour dans le Royaume du ciel, bien que cela ne
soit pas visible maintenant.
89
c’est le moment de ne pas le faire […]. Lorsque
tu élèves le niveau de l’amour, de sa grande beau-
té et de sa puissance, tu cherches à vaincre uni-
quement les mauvais systèmes. Les individus qui
sont pris dans ce système, tu les aimes, mais tu
cherches à vaincre le système […]. Haine contre
haine ne fait qu’intensifier l’existence de la haine
et du mal dans l’univers. Si je te frappe et tu me
frappes et je te frappe en retour et tu me frappes
encore et ainsi de suite, tu vois, cela se poursuit à
l’infini. Evidemment, ça ne finit jamais. Quelque
part, quelqu’un doit avoir un peu de bon sens, et
c’est celui-là qui est fort. Le fort, c’est celui qui
peut rompre l’engrenage de la haine, l’engrenage
du mal […]. Quelqu’un doit être assez religieux
et assez sage pour le rompre et injecter dans la
structure même de l’univers cet élément fort et
puissant qu’est l’amour ».114
90
à travers d’autres personnes – en des moments de
maladie, de souffrance ou de difficulté. Cela aussi
est un amour en dépit de tout.
115
Saint Thomas d’Aquin conçoit l’amour comme « vis
unitiva » (Somme Théologique I, 20, art. 1, ad 3), en reprenant une
expression de Diogène Ps.-Aeropagite (De divinibus nominibus,
IV, PG 3, p. 709).
116
Thomas d’Aquin, Somme Théologique II-II, q. 27, art. 2.
117
Lettre enc. Casti connubii (31 décembre 1930) : AAS 22
(1930), pp. 547-548.
118
Jean-Paul II, Exhort. Familiaris consortio (22 novembre
1981), n. 13 : AAS 74 (1982), p. 94.
91
121. Le mariage est un signe précieux, parce
que « lorsqu’un homme et une femme célèbrent
le sacrement de mariage, Dieu pour ainsi dire, se
‘‘reflète’’ en eux, il imprime en eux ses traits et
le caractère indélébile de son amour. Le mariage
est l’icône de l’amour de Dieu pour nous. En ef-
fet, Dieu lui aussi est communion : les trois per-
sonnes du Père, du Fils et du Saint Esprit vivent
depuis toujours et pour toujours en unité par-
faite. Et c’est précisément cela le mystère du ma-
riage : Dieu fait des deux époux une seule exis-
tence ».119 Cela a des conséquences quotidiennes
et très concrètes, car les époux « en vertu du
sacrement, sont investis d’une véritable mission,
pour qu’ils puissent rendre visible, à partir des
choses simples, ordinaires, l’amour avec lequel le
Christ aime son Église, en continuant à donner
sa vie pour elle ».120
92
Toute la vie, tout en commun
123. Après l’amour qui nous unit à Dieu,
l’amour conjugal est « la plus grande des ami-
tiés ».122 C’est une union qui a toutes les carac-
téristiques d’une bonne amitié : la recherche du
bien de l’autre, l’intimité, la tendresse, la stabi-
lité, et une ressemblance entre les amis qui se
construit avec la vie partagée. Mais le mariage
ajoute à tout cela une exclusivité indissoluble –
qui s’exprime dans le projet stable de partager et
de construire ensemble toute l’existence. Soyons
sincères et reconnaissons les signes de la réalité :
celui qui aime n’envisage pas que cette relation
puisse durer seulement un temps ; celui qui vit
intensément la joie de se marier ne pense pas à
quelque chose de passager ; ceux qui assistent à
la célébration d’une union pleine d’amour, bien
que fragile, espèrent qu’elle pourra durer dans le
temps ; les enfants, non seulement veulent que
leurs parents s’aiment, mais aussi qu’ils soient
fidèles et restent toujours ensemble. Ces signes,
et d’autres, montrent que dans la nature même
de l’amour conjugal il y a l’ouverture au définitif.
L’union qui se cristallise dans la promesse matri-
moniale pour toujours est plus qu’une formalité
sociale ou une tradition, parce qu’elle s’enracine
dans les inclinations spontanées de la personne
humaine. Et pour les croyants, c’est une alliance
devant Dieu qui réclame fidélité : « Le Seigneur
est témoin entre toi et la femme de ta jeunesse
122
Thomas d’Aquin, Somme contre les Gentils, III, 123 ; cf.
Aristote, Éthique à Nicomaque, 8, 12 (éd. Bywater, Oxford 1984,
p. 174).
93
que tu as trahie, bien qu’elle fût ta compagne et
la femme de ton alliance […]. La femme de ta
jeunesse, ne la trahis point ! car je hais la répu-
diation » (Ml 2, 14.15-16).
123
Lettre enc. Lumen fidei (29 juin 2013), n. 52 : AAS 105
(2013), p. 590.
124
De Sacramento matrimonii, I, 2, dans I d . Disputatines, III,
5, 3 (éd. Giuliano, Naples 1858, p. 778).
94
lide et intense. Car « il n’est pas institué en vue
de la seule procréation » mais pour que l’amour
mutuel « s’exprime dans sa rectitude, progresse et
s’épanouisse ».125 Cette amitié particulière entre
un homme et une femme prend un caractère
totalisant qui se trouve seulement dans l’union
conjugale. Précisément parce qu’elle est tota-
lisante, cette union est aussi exclusive, fidèle et
ouverte à la procréation. On partage tout, même
la sexualité toujours dans le respect réciproque.
Le Concile Vatican II l’a exprimé en disant qu’en
« associant l’humain et le divin, un tel amour
conduit les époux à un don libre et mutuel d’eux-
mêmes, qui se manifeste par des sentiments et
des gestes de tendresse et il imprègne toute leur
vie ».126
Joie et beauté
126. Dans le mariage il convient de garder la
joie de l’amour. Quand la recherche du plaisir
est obsessionnelle, elle nous enferme dans une
seule chose et nous empêche de trouver un autre
genre de satisfaction. La joie, en revanche, élargit
la capacité de jouir et nous permet de trouver du
plaisir dans des réalités variées, même aux étapes
de la vie où le plaisir s’éteint. C’est pourquoi saint
Thomas disait qu’on utilise le mot ‘‘joie’’ pour
désigner la dilatation du cœur.127 La joie matri-
moniale, qui peut être vécue même dans la dou-
125
Conc. Œcum. Vat. II, Const. past. Gaudium et spes, sur
l’Église dans le monde de ce temps, n. 50.
126
Ibid., n. 49.
127
Cf. Somme Théologique I-II, q. 31, art. 3, ad. 3.
95
leur, implique d’accepter que le mariage soit un
mélange nécessaire de satisfactions et d’efforts,
de tensions et de repos, de souffrances et de
libérations, de satisfactions et de recherches,
d’ennuis et de plaisirs, toujours sur le chemin de
l’amitié qui pousse les époux à prendre soin l’un
de l’autre : ils « s’aident et se soutiennent mutuel-
lement ».128
128
Conc. Œcum. Vat. II, Const. past. Gaudium et spes, sur
l’Église dans le monde de ce temps, n. 48.
129
Thomas d’Aquin, Somme Théologique I-II, q. 26, art. 3.
96
pourquoi « c’est parce qu’on aime une personne
qu’on lui fait don de quelque chose ».130
97
pation du ciel. Il faut rappeler la joyeuse scène du
film Le festin de Babette, où la généreuse cuisinière
reçoit une étreinte reconnaissante et un éloge :
« Avec toi, comme les anges se régaleront ! ». Elle
est douce et réconfortante la joie de contribuer à
faire plaisir aux autres, de les voir prendre plaisir.
Cette satisfaction, effet de l’amour fraternel, n’est
pas celle de la vanité de celui qui se regarde lui-
même, mais celle de celui qui aime, se complaît
dans le bien de l’être aimé, se répand dans l’autre
et devient fécond en lui.
98
l’amour est beaucoup plus qu’un consentement
externe, ou une sorte de contrat matrimonial ; mais
il est certain aussi que la décision de donner au
mariage une configuration visible dans la société,
par certains engagements, a son importance : cela
montre le sérieux de l’identification avec l’autre,
indique une victoire sur l’individualisme de l’ado-
lescence, et exprime la ferme décision de s’apparte-
nir l’un l’autre. Se marier est un moyen d’exprimer
qu’on a réellement quitté le nid maternel pour tis-
ser d’autres liens solides et assumer une nouvelle
responsabilité envers une autre personne. Cela vaut
beaucoup plus qu’une simple association sponta-
née en vue d’une gratification mutuelle, qui serait
une privatisation du mariage. Le mariage, en tant
qu’institution sociale, est une protection et le fon-
dement de l’engagement mutuel, de la maturation
de l’amour, afin que l’option pour l’autre grandisse
en solidité, dans le concret et en profondeur, et
pour qu’il puisse, en retour, accomplir sa mission
dans la société. C’est pourquoi le mariage va au-
delà de toutes les modes passagères et perdure. Son
essence est enracinée dans la nature même de la
personne humaine et de son caractère social. Il im-
plique une série d’obligations, mais qui jaillissent de
l’amour même, un amour si déterminé et si géné-
reux qu’il est capable de risquer l’avenir.
99
niment. S’engager avec l’autre de manière exclusive
et définitive comporte toujours une part de risque
et de pari audacieux. Le refus d’assumer cet enga-
gement est égoïste, intéressé, mesquin, il s’éternise
dans la reconnaissance des droits de l’autre et n’en
finit pas de le présenter à la société comme digne
d’être aimé inconditionnellement. Par contre, ceux
qui sont vraiment amoureux tendent à le manifes-
ter aux autres. L’amour concrétisé dans le mariage
contracté devant les autres, avec tous les engage-
ments qui dérivent de cette institutionnalisation,
est la manifestation et le gage d’un « oui » qui se dit
sans réserves et sans restrictions. Ce oui signifie as-
surer l’autre qu’il pourra toujours avoir confiance,
qu’il ne sera pas abandonné quand il perdra son
attrait, quand il aura des difficultés ou quand se
présenteront de nouvelles occasions de plaisirs ou
d’intérêts égoïstes.
132
Discours aux familles du monde à l’occasion de leur pèlerinage à
Rome en l’Année de la Foi (26 octobre 2013) : L’Osservatore Romano,
éd. en langue française, 31 octobre 2013, p. 8.
100
demande “s’il te plaît”, quand, dans une famille,
on n’est pas égoïste et que l’on apprend à dire
“merci”, quand, dans une famille, quelqu’un
s’aperçoit qu’il a fait quelque chose de mal et
sait dire “excuse-moi”, dans cette famille il y a
la paix et la joie ».133 Ne soyons pas avares de ces
mots, soyons généreux à les répéter jour après
jour, parce qu’« ils sont pénibles certains silences,
parfois en famille, entre mari et femme, entre pa-
rents et enfants, entre frères».134 En revanche, les
mots adéquats, dits au bon moment, protègent et
alimentent l’amour, jour après jour.
133
Angelus (29 décembre 2013) : L’Osservatore Romano, éd.
en langue française, 2 janvier 2014, p. 5.
134
Discours aux familles du monde à l’occasion de leur pèlerinage à
Rome en l’Année de la Foi (26 octobre 2013) : L’Osservatore Romano,
éd. en langue française, 31 octobre 2013, p. 8.
135
Somme Théologique II-II, q. 24, art. 7.
101
autres » (1Th 3, 12) ; et il ajoute : « Sur l’amour
fraternel […], nous vous engageons, frères, à faire
encore des progrès » (1Th 4, 9-10). Encore des pro-
grès. L’amour matrimonial ne se préserve pas avant
tout en parlant de l’indissolubilité comme une
obligation, ou en répétant une doctrine, mais en
le consolidant grâce à un accroissement constant
sous l’impulsion de la grâce. L’amour qui ne gran-
dit pas commence à courir des risques, et nous
ne pouvons grandir qu’en répondant à la grâce
divine par davantage de gestes d’amour, par des
gestes de tendresse plus fréquents, plus intenses,
plus généreux, plus tendres, plus joyeux. Le mari
et la femme « prennent conscience de leur unité
et l’approfondissent sans cesse davantage ».136 Le
don de l’amour divin qui se répand sur les époux
est en même temps un appel à un développement
constant de ce bienfait de la grâce.
136
Conc. Œcum. Vat. II, Const. past. Gaudium et spes, sur
l’Église dans le monde de ce temps, n. 48.
102
jour les hommes et les femmes en charge d’une
famille ».137 Il est plus sain d’accepter, avec réa-
lisme, les limites, les défis ainsi que les imper-
fections, et d’écouter l’appel à grandir ensemble,
à faire mûrir l’amour et à cultiver la solidité de
l’union quoi qu’il arrive.
Le dialogue
136. Le dialogue est une manière privilégiée et
indispensable de vivre, d’exprimer et de faire mû-
rir l’amour, dans la vie matrimoniale et familiale.
Mais il suppose un apprentissage long et difficile.
Hommes et femmes, adultes et jeunes, ont des
manières différentes de communiquer, utilisent un
langage différent, agissent selon des codes distincts.
La manière de poser les questions, la manière de
répondre, le ton utilisé, le moment, et beaucoup
d’autres facteurs peuvent conditionner la com-
munication. De plus, il est toujours nécessaire de
cultiver certaines attitudes qui expriment l’amour
et permettent un dialogue authentique.
137
Conférence Épiscopale du Chili, La vida y la familia :
regalos de Dios para cada uno de nosotros (21 juillet 2014).
103
le cœur, ou dans l’esprit : se défaire de toute hâte,
laisser de côté ses propres besoins et ses urgences,
faire de la place. Souvent, l’un des conjoints n’a pas
besoin d’une solution à ses problèmes, mais il a
besoin d’être écouté. Il veut sentir qu’ont été pris
en compte sa peine, sa désillusion, sa crainte, sa co-
lère, son espérance, son rêve. Mais ces plaintes sont
fréquentes : “Il ne m’écoute pas. Quand il semble
le faire, en réalité il pense à autre chose”. “Je lui
parle et je sens qu’il espère que j’en finisse le plus
vite possible”. “Quand je lui parle, elle essaye de
changer de sujet, ou elle me donne des réponses
expéditives pour clore la conversation”.
104
139. Il faut de l’ouverture d’esprit pour ne
pas s’enfermer avec obsession dans quelques
idées, et il faut de la souplesse afin de pouvoir
modifier ou compléter ses propres opinions.
Il est possible qu’à partir de ma pensée et de
celle de l’autre, puisse surgir une nouvelle syn-
thèse qui nous enrichit tous deux. L’unité à la-
quelle il faut aspirer n’est pas uniformité, mais
une ‘‘unité dans la diversité’’ ou une ‘‘diversité
réconciliée’’. Dans ce type enrichissant de com-
munion fraternelle, les différences se croisent, se
respectent et se valorisent, mais en conservant
différentes notes et différents accents qui enri-
chissent le bien commun. Il faut se libérer de
l’obligation d’être égaux. Il faut également du
flair pour se rendre compte à temps des ‘‘inter-
férences’’ qui peuvent apparaître, pour qu’elles
ne détruisent pas un processus de dialogue. Par
exemple, reconnaître les mauvais sentiments
qui apparaissent et les relativiser pour qu’ils ne
portent pas préjudice à la communication. La
capacité d’exprimer ce qu’on ressent sans blesser
est importante ; utiliser un langage et une ma-
nière de parler qui peuvent être plus facilement
acceptés et tolérés par l’autre, bien que le contenu
soit exigeant ; faire part de ses propres reproches
mais sans déverser sa colère comme une forme
de vengeance, et éviter un langage moralisant
qui cherche seulement à agresser, ironiser, culpa-
biliser, blesser. Beaucoup de discussions dans
le couple ne portent pas sur des questions très
graves. Parfois il s’agit de petites choses, de peu
d’importance, mais ce qui altère les esprits, c’est
la manière de les dire ou l’attitude adoptée dans
le dialogue.
105
140. Il faut des gestes de prévenance envers
l’autre et des marques d’affection. L’amour sur-
passe les pires barrières. Quand nous aimons
quelqu’un, ou quand nous nous sentons aimés par
lui, nous arrivons à mieux comprendre ce qu’il veut
exprimer et à nous faire comprendre. Il faut sur-
monter la fragilité qui nous porte à avoir peur de
l’autre comme s’il était un ‘‘concurrent’’. Il est très
important de fonder sa propre sécurité sur des op-
tions profondes, des convictions ou des valeurs, et
non pas sur le fait de l’emporter dans la discussion
ou qu’on nous donne raison.
Un amour passionné
142. Le Concile Vatican II enseigne que cet
amour conjugal « enveloppe le bien de la personne
tout entière ; il peut donc enrichir d’une dignité
particulière les expressions du corps et de la vie
psychique et les valoriser comme les éléments et
les signes spécifiques de l’amitié conjugale ».138 Ce
de ce temps, n. 49.
106
n’est pas pour rien qu’un amour sans plaisir ni pas-
sion n’est pas suffisant pour symboliser l’union du
cœur humain avec Dieu : « Tous les mystiques ont
affirmé que dans l’amour matrimonial plus que
dans l’amitié, plus que dans le sentiment filial ou
que dans le dévouement serviteur, l’amour sur-
naturel et l’amour céleste trouvent les symboles
qu’ils cherchent. La raison en est précisément dans
sa totalité ».139 Pourquoi ne pas nous arrêter alors
pour parler des sentiments et de la sexualité dans
le mariage ?
107
personnes (cf. Mc 6, 34). En voyant pleurer les
autres, il était ému et troublé (cf. Jn 11, 33), et lui-
même a pleuré la mort d’un ami (cf. Jn 11, 35).
Ces manifestations de sa sensibilité montraient
jusqu’à quel point son cœur humain était ouvert
aux autres.
108
146. D’autre part, si une passion accompagne
l’acte libre, elle peut manifester la profondeur de
ce choix. L’amour matrimonial conduit à ce que
toute la vie émotionnelle devienne un bien pour la
famille et soit au service de la vie commune. Une
famille arrive à maturité quand la vie émotionnelle
de ses membres se transforme en une sensibilité
qui ne domine ni n’obscurcit les grandes options
et les valeurs, mais plutôt qui respecte la liberté de
chacun,141 jaillit d’elle, l’enrichit, l’embellit et la rend
plus harmonieuse pour le bien de tous.
109
à sa déformation destructrice, puisque la fausse
divinisation de l’éros […] le prive de sa dignité, le
déshumanise ».143
143
Ibid., n. 4 : AAS 98 (2006), p. 220.
144
Cf. Thomas d’Aquin, Somme Théologique I-II, q. 32, art. 7.
145
Cf. Ibid., II-II, q. 153, art. 2, ad. 2 : « Abundantia delec-
tationis quae est in actu venereo secundum rationem ordinato, non contra-
riatur medio virtutis ».
110
bonheur présent » (Si 14, 11.14). De la même ma-
nière, un couple répond à la volonté de Dieu en
suivant cette invitation biblique : « Au jour du bon-
heur, sois heureux » (Qo 7, 14). Le problème, c’est
d’être assez libre pour accepter que le plaisir trouve
d’autres formes d’expression dans les différents
moments de la vie, selon les besoins de l’amour
mutuel. Dans ce sens, on peut accueillir la proposi-
tion de certains maîtres orientaux qui insistent sur
l’élargissement de la conscience, pour ne pas nous
trouver piégés dans une expérience très limitée qui
nous ferme les perspectives. Cet élargissement de
la conscience n’est pas la négation ni la destruction
du désir mais sa dilatation et son perfectionnement.
146
Jean-Paul II, Catéchèse (22 octobre 1980), n. 5 : L’Os-
servatore Romano, éd. en langue française, 28 octobre 1980, p. 20.
147
Ibid., n. 3.
148
Id., Catéchèse (24 septembre 1980), n. 4 : L’Osservatore
111
151. À ceux qui craignent que dans l’éducation
des passions et de la sexualité on ne nuise à la
spontanéité de l’amour sexuel, saint Jean-Paul
II répondait que l’être humain « est appelé à la
pleine et mûre spontanéité des rapports », qui
« est le fruit graduel du discernement des impul-
sions du propre cœur ».149 C’est une chose qui
se conquiert, puisque tout être humain « avec
persévérance et cohérence apprend quelle est la
signification du corps ».150 La sexualité n’est pas
un moyen de satisfaction ni de divertissement,
puisqu’elle est un langage interpersonnel où
l’autre est pris au sérieux, avec sa valeur sacrée et
inviolable. Ainsi, « le cœur humain participe, pour
ainsi dire, d’une autre spontanéité ».151 Dans ce
contexte, l’érotisme apparaît comme une mani-
festation spécifiquement humaine de la sexualité.
On peut y trouver « la signification conjugale du
corps et l’authentique dignité du don ».152 Dans
ses catéchèses sur la théologie du corps humain,
saint Jean-Paul II enseigne que la corporalité
sexuée « est non seulement une source de fécon-
dité et de procréation » mais qu’elle comprend
« la capacité d’exprimer l’amour : cet amour dans
lequel précisément l’homme-personne devient
don ».153 L’érotisme le plus sain, même s’il est lié
à une recherche du plaisir, suppose l’émerveille-
112
ment, et pour cette raison il peut humaniser les
pulsions.
Violence et manipulation
153. Dans le contexte de cette vision positive
de la sexualité, il est opportun d’aborder le thème
dans son intégralité et avec un sain réalisme. En
effet, nous ne pouvons pas ignorer que, souvent,
la sexualité est dépersonnalisée et qu’elle est éga-
lement affectée par de nombreuses pathologies,
de sorte qu’« elle devient toujours davantage oc-
casion et instrument d’affirmation du moi et de
satisfaction égoïste des désirs et des instincts ».155
A notre époque, on sent le risque que la sexualité
aussi soit affectée par l’esprit vénéneux du « utilise
et jette ». Le corps de l’autre est fréquemment ma-
nipulé comme une chose que l’on garde tant qu’il
154
Joseph Pieper, Über die Liebe, München 2014, pp. 174.
155
Jean-Paul II, Lettre enc. Evangelium vitae (25 mars
1995), n. 23 : AAS 87 (1995), p. 427.
113
offre de la satisfaction, et il est déprécié quand il
perd son attrait. Peut-on ignorer ou dissimuler les
formes permanentes de domination, d’hégémo-
nie, d’abus, de perversion et de violence sexuelle,
qui sont le résultat d’une déviation du sens de la
sexualité et qui enterrent la dignité des autres ainsi
que l’appel à l’amour sous une obscure recherche
de soi-même ?
156
Paul VI, Lettre enc. Humanae vitae (25 juillet 1968), n.
13 : AAS 60 (1968), p. 489.
157
Conc. Œcum. Vat. II, Const. past. Gaudium et spes, sur
l’Église dans le monde de ce temps, n. 49.
114
155. Saint Jean-Paul II a fait une remarque très
subtile quand il a dit que l’homme et la femme sont
« menacés par l’insatiabilité ».158 C’est-à-dire qu’ils
sont appelés à une union toujours plus intense,
mais le risque est de vouloir supprimer les diffé-
rences et cette distance inévitable qu’il y a entre
les deux. Car chacun a une dignité propre et ina-
liénable. Quand la merveilleuse appartenance réci-
proque devient une domination, « change essen-
tiellement la structure de la communion dans les
relations entre personnes ».159 Dans la logique de
domination, le dominateur finit aussi par nier sa
propre dignité160 et en définitive cesse de « s’iden-
tifier subjectivement avec son propre corps »,161
puisqu’il lui ôte tout sens. Il vit le sexe comme une
évasion de lui-même et comme renonciation à la
beauté de l’union.
158
Catéchèse (18 juin 1980), n. 5 : L’Osservatore Romano, éd.
en langue française, 24 juin 1980, p. 12.
159
Ibid., n. 6.
160
Cf. Catéchèse (30 juillet 1980), n. 1 : L’Osservatore Roma-
no, éd. en langue française, 5 août 1980, p. 12.
161
Catéchèse (8 avril 1981), n. 3 : L’Osservatore Romano, éd.
en langue française, 14 avril 1981, p. 12.
115
nons la judicieuse explication de saint Jean-Paul
II : « L’amour exclut toute espèce de soumission,
qui ferait de la femme la servante ou l’esclave du
mari […]. La communauté ou unité qu’ils doivent
constituer en raison de leur mariage se réalise dans
une donation réciproque qui est aussi une soumis-
sion réciproque ».162 C’est pourquoi on dit aussi que
« les maris doivent aimer leurs femmes comme leurs
propres corps » (Ep 5, 28). En réalité, le texte bi-
blique invite à dépasser l’individualisme commode
pour vivre en se référant aux autres : « Soyez sou-
mis les uns aux autres » (Ep 5, 21). Dans le mariage
cette ‘‘soumission’’ réciproque acquiert un sens
spécial et se comprend comme une appartenance
réciproque librement choisie, avec un ensemble de
caractéristiques de fidélité, de respect et d’attention.
La sexualité est au service de cette amitié conjugale
de manière inséparable, parce qu’elle est orientée à
faire en sorte que l’autre vive en plénitude.
116
caresse, l’étreinte, le baiser et l’union sexuelle. Be-
noît XVI a été clair à ce sujet : « Si l’homme aspire à
être seulement esprit et qu’il veuille refuser la chair
comme étant un héritage simplement animal, alors
l’esprit et le corps perdent leur dignité ».163 Pour
cette raison, « l’homme ne peut pas non plus vivre
exclusivement dans l’amour oblatif, descendant. Il
ne peut pas toujours seulement donner, il doit aussi
recevoir. Celui qui veut donner de l’amour doit lui
aussi le recevoir comme un don ».164 Cela suppose,
de toute manière, de rappeler que l’équilibre hu-
main est fragile, qu’il y a toujours quelque chose
qui résiste à être humanisé et qui peut déraper de
nouveau à n’importe quel moment, retrouvant ses
tendances les plus primitives et égoïstes.
Mariage et virginité
158. « De nombreuses personnes qui vivent sans
se marier se consacrent non seulement à leur famille
d’origine, mais elles rendent aussi souvent de grands
services dans leur cercle d’amis, leur communauté
ecclésiale et leur vie professionnelle […]. Par ail-
leurs, beaucoup mettent leurs talents au service de
la communauté chrétienne sous le signe de la cha-
rité et du bénévolat. Il existe aussi des personnes
qui ne se marient pas parce qu’elles consacrent leur
vie à l’amour du Christ et de leurs frères. Leur enga-
gement est une source d’enrichissement pour la fa-
mille, que ce soit dans l’Église ou dans la société ».165
117
159. La virginité est une manière d’aimer.
Comme signe, elle nous rappelle l’urgence du
Royaume, l’urgence de se mettre au service de
l’évangélisation sans réserve (cf. 1Co 7, 32), et
elle est un reflet de la plénitude du ciel où « on
ne prend ni femme ni mari » (Mt 22, 30). Saint
Paul la recommandait parce qu’il espérait un ra-
pide retour de Jésus-Christ, et il voulait que tous
se consacrent seulement à l’évangélisation : « le
temps se fait court » (1Co 7, 29). Cependant, il
faisait comprendre clairement que c’était une
opinion personnelle ou son propre souhait (cf.
1Co 7, 25) et non pas une requête du Christ :
« Je n’ai pas d’ordre du Seigneur » (1Co 7, 25).
En même temps, il reconnaissait la valeur des
différents appels : « Chacun reçoit de Dieu son
don particulier, celui-ci d’une manière, celui-là de
l’autre » (1Co 7, 7). Dans ce sens, saint Jean-Paul
II a dit que les textes bibliques « n’offrent aucune
base permettant de soutenir soit l’“infériorité”
du mariage, soit la “supériorité” de la virginité ou
du célibat »166 en raison de l’abstinence sexuelle.
Au lieu de parler de la supériorité de la virgini-
té sous tous ses aspects, il serait plutôt oppor-
tun de montrer que les différents états de vie se
complètent, de telle manière que l’un peut être
plus parfait en un sens, et que l’autre peut l’être
d’un autre point de vue. Alexandre de Hales, par
exemple, affirmait que dans un sens le mariage
peut être considéré comme supérieur aux autres
sacrements : en effet, il symbolise quelque chose
de très grand comme « l’union du Christ avec
118
l’Église ou l’union de la nature divine avec la na-
ture humaine ».167
167
Glossa in quatuor libros sententiarum Petri Lombardi, IV,
XXVI, 2 (Quaracchi 1957, p. 446).
168
Jean-Paul II, Catéchèse (7 avril 1982), n. 2 : L’Osservatore
Romano, éd. en langue française, 13 avril 1980, p. 12.
169
I d ., Catéchèse (14 avril 1982), n. 3 : L’Osservatore Roma-
no, éd. en langue française, 20 avril 1980, p. 16.
170
Ibid.
119
tinction. De plus, la famille est un signe christolo-
gique, parce qu’elle manifeste la proximité de Dieu
qui partage la vie de l’être humain en s’unissant à
lui dans l’Incarnation, la Croix, et la Résurrection :
chaque conjoint devient ‘‘une seule chair” avec
l’autre et s’offre lui-même pour tout partager avec
lui jusqu’à la fin. Alors que la virginité est un signe
‘‘eschatologique” du Christ ressuscité, le mariage
est un signe ‘‘historique” pour ceux qui cheminent
ici-bas, un signe du Christ terrestre qui accepte de
s’unir à nous et s’est donné jusqu’à verser son sang.
La virginité et le mariage sont, et doivent être, des
manières différentes d’aimer, parce que « l’homme
ne peut vivre sans amour. Il demeure pour lui-
même un être incompréhensible, sa vie est privée
de sens s’il ne reçoit pas la révélation de l’amour ».171
120
poussent à l’infidélité ou à l’abandon. Une femme
peut prendre soin de son époux malade, et là, près
de la croix, continuer à dire le ”oui” de son amour
jusqu’à la mort. Dans cet amour se manifeste de
manière éblouissante la dignité de celui qui aime,
puisque la charité consiste justement à aimer plus
qu’à être aimé.172 Nous pouvons aussi trouver en
de nombreuses familles une capacité de service,
tendre et oblatif, envers des enfants difficiles et
même ingrats. Cela fait de ces parents un signe
de l’amour libre et désintéressé de Jésus. Tout
cela devient une invitation aux personnes céliba-
taires pour qu’elles vivent leur offrande pour le
Royaume avec une plus grande générosité et dis-
ponibilité. Aujourd’hui la sécularisation a brouillé
la valeur d’une union pour toute la vie et a affai-
bli la richesse de l’offrande matrimoniale ; c’est
pourquoi « il convient d’approfondir les aspects
positifs de l’amour conjugal ».173
La transformation de l’amour
163. La prolongation de la vie conduit à quelque
chose qui n’était pas fréquent à d’autres époques :
la relation intime et l’appartenance réciproque
doivent se conserver durant quatre, cinq ou six
décennies, et cela se convertit en une nécessité de
se choisir réciproquement sans cesse. Peut-être le
conjoint n’est-il plus passionné par un désir sexuel
intense qui le pousse vers l’autre personne, mais
il sent le plaisir de l’appartenance mutuelle, de sa-
172
Cf. Thomas d’Aquin, Somme Théologique II-II, q. 27, art. 1.
173
Conseil Pontifical pour la Famille, Famille, mariage et
‘‘unions de fait’’ (26 juillet 2000), n. 40.
121
voir qu’il n’est pas seul, qu’il a un ‘‘complice” qui
connaît tout de sa vie et de son histoire et qui par-
tage tout. C’est le compagnon sur le chemin de la
vie avec lequel on peut affronter les difficultés et
profiter des belles choses. Cela produit aussi une
satisfaction qui accompagne la tendresse propre à
l’amour conjugal. Nous ne pouvons pas nous pro-
mettre d’avoir les mêmes sentiments durant toute
la vie. En revanche, oui, nous pouvons avoir un
projet commun stable, nous engager à nous aimer
et à vivre unis jusqu’à ce que la mort nous sépare,
et à vivre toujours une riche intimité. L’amour que
nous nous promettons dépasse toute émotion, tout
sentiment et tout état d’âme, bien qu’il puisse les
inclure. C’est une affection plus profonde, avec la
décision du cœur qui engage toute l’existence. Ain-
si, dans un conflit non résolu, et bien que beaucoup
de sentiments confus s’entremêlent dans le cœur,
la décision d’aimer est maintenue vivante chaque
jour, de s’appartenir, de partager la vie entière et de
continuer à aimer et à pardonner. Chacun des deux
fait un chemin de croissance et de transformation
personnelle. Sur ce chemin, l’amour célèbre chaque
pas et chaque nouvelle étape.
122
percevoir par l’instinct de l’amour, et l’affection ne
disparaît pas. Il réaffirme sa décision d’appartenir à
cette personne, la choisit de nouveau, et il exprime
ce choix dans une proximité fidèle et pleine de
tendresse. La noblesse de son choix porté sur elle,
parce qu’elle est intense et profonde, éveille une
nouvelle forme d’émotion dans l’accomplissement
de sa mission conjugale. En effet, « l’émotion pro-
voquée par un autre être humain comme personne
[…] ne tend pas d’elle-même à l’acte conjugal ».174
Elle acquiert d’autres expressions sensibles, parce
que l’amour « est une réalité unique, mais avec des
dimensions différentes; tour à tour, l’une ou l’autre
dimension peut émerger de façon plus impor-
tante ».175 Le lien trouve de nouvelles modalités et
exige la décision de le remodeler continuellement.
Mais pas seulement pour le conserver, mais pour
le développer. C’est le chemin pour se construire
jour après jour. Mais rien de cela n’est possible
si l’on n’invoque pas l’Esprit Saint, si l’on ne crie
pas chaque jour pour demander sa grâce, si l’on
ne cherche pas sa force surnaturelle, si l’on ne le
lui demande pas en désirant qu’il répande son feu
sur notre amour pour le consolider, l’orienter et le
transformer dans chaque nouvelle situation.
174
Jean-Paul II, Catéchèse (31 octobre 1984), n. 6 : L’Os-
servatore Romano, éd. en langue française, 6 novembre 1984, p. 12.
175
Benoît XVI, Lettre enc. Deus caritas est (25 décembre
2005), n. 8 : AAS 98 (2006), p. 224.
123